Lthéologie historique/
COLLECTION FONDÉE PAR JEAN DANIÉLOU
DIRIGÉE PAR CHARLES KANNENCIESSER
48
LACTANCE
ET SON TEMPS
RECHERCHES ACTUELLES
Actes du IVe Colloque
d'Études Historiques et Patristiques
Chantilly 21-23 septembre 1976
édités par
J. FONTAINE et M. PERRIN
publiés avec le concours
du Centre National de la Recherche Scientifique
des Universités de Picardie et de Paris-Sorbonne
ÉDITIONS BEAUCHESNE
Generated on 2011-09-02 17:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
PARIS
Pour toute documentation sur nos publications s'adresser
V aUX ÉDITIONS BEAUCHESNE
72, rue des Saints-Pères — 75007 Paris
Tous droits de traduction, de reproduction ou d'adaptation
en quelque langue et de quelque façon que ce soit
réservés pour tous les pays.
Generated on 2011-09-02 17:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
© 1978, by Editions Beauchesne.
TABLE DES MATIERES
Introduction 7
Liste des collaborateurs 10
PROBLÈMES HISTORIQUES ET HISTORIOGRAPHIQUES
Jean Rougé. A propos du manuscrit du De mortibus perse-
cutorum 13
Francesco Corsaro. Le mos maiorum dans la vision éthique
et politique du De mortibus persecutorum 25
François Heim. L'influence exercée par Constantin sur Lac-
tance : sa théologie de la victoire 55
Daniel De Decker. Le Discours à l'Assemblée des Saints
attribué à Constantin et l'œuvre de Lactance 75
Jacques Schwartz. A propos des ch. 4 et 6 du De mortibus
persecutorum 91
PROBLÈMES LITTÉRAIRES ET SOURCES
Alain Goui.on. Les citations des poètes latins dans l'œuvre de
Lactance 107
Stephen Casey. Clausulae et cursus chez Lactance 157
Jean Doignon. Le placitum eschatologique attribué aux stoï-
ciens par Lactance (Institutions divines 7, 20) 165
Eberhard Heck. Iustitia ciuilis — iustitia naturalis : à propos
du jugement de Lactance concernant les discours sur la
justice dans le De republica de Cicéron 171
Marie-Louise Guillaumin. L'exploitation des Oracles Sibyl-
Generated on 2011-09-02 17:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
lins par Lactance et par le Discours à l'Assemblée des
Saints 185
Michel Perrin. Le Platon de Lactance 203
6 LACTANCE ET SON TEMPS
LA CULTURE RELIGIEUSE DE LACTANCE
Jean-Claude Fredouille. Lactance historien des religions .. 237
Basil Studer. La sotériologie de Lactance 253
Pierre Monat. La présentation d'un dossier biblique par
Lactance : le sacerdoce du Christ et celui de Jésus, fils de
Josédec 273
APPENDICES
I. Jean-Pierre Mahé. Note sur YAsclépios à l'époque de Lac-
tance 295
II. Jean Doignon. Le retentissement d'un exemple de la survie
de Lactance : un texte des Institutions divines inspiré de
Generated on 2011-09-02 17:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Cicéron dans la Lettre 104 d'Augustin 297
Quatre ans après la première «rencontre sur l'Antiquité
tardive » de septembre 1972, ce quatrième Colloque de Chan-
tilly témoigne du regain d'intérêt suscité en France et hors de
France par l'Å“uvre de Lactance. Cette Å“uvre pose des
problèmes cruciaux sur l'évolution du christianisme et de la
culture latine au temps de Constantin, dans la génération qui
vit se succéder en peu d'années la dernière grande persé-
cution du christianisme et ce que nous sommes convenus
d'appeler l'« édit de Milan ».
La présence, à ce colloque, de cinquante participants fran-
çais et étrangers montre qu'il répondait bien à ce besoin de
communication scientifique : faire circuler une information
précise sur les travaux en cours, faciliter les contacts person-
nels et les échanges entre des spécialistes d'horizons divers —
hellénistes, historiens, latinistes. Ce double dessein s'accor-
dait avec la vocation du Centre Lenain de Tillemont de
l'Université de Paris - IV, et du Centre de recherches inter-
disciplinaire de Chantilly rattaché à l'Université de Picardie
et au Centre culturel des Fontaines; tous deux sont demeurés
étroitement associés dans l'organisation comme dans la
présente publication des travaux de ce colloque.
Le titre de cette rencontre fut, pour ainsi dire, Ã la fois
subi et voulu. Subi, parce que les organisateurs avaient
d'abord souhaité joindre l'étude d'Eusèbe à celle de Lactance,
Generated on 2011-09-02 17:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pour des raisons de chronologie, mais aussi pour ne point
séparer les horizons culturels grec et latin. La personne et la
culture de Lactance imposaient d'ailleurs une nécessaire
ouverture vers l'hellénisme. La disproportion des réponses Ã
notre première invitation fit pencher la balance en faveur du
seul Lactance; doit-on dire : malheureusement, lorsqu'on
constate rétrospectivement que ces trois jours ont été sérieu-
sement remplis par des communications et discussions réser-
8 LACTANCE ET SON TEMPS
vées à l'écrivain latin? Le titre choisi fut donc voulu, et
d'abord pour ne point refermer le colloque sur le seul Occi-
dent latin. La carrière de Lactance dans les deux partes
imperii l'interdisait d'ailleurs objectivement. Notre propos fut
de mieux cerner l'énigme fondamentale de Lactance : quelle
est l'insertion, dans la vie du temps, de cette Å“uvre appa-
remment disparate et singulière ? Quelles affinités « constan-
tiniennes » y apparaissent, au sens large d'un * esprit du temps »
(Zeitgeist) comme au sens étroit d'une relation personnelle
entre Constantin et ce rhéteur devenu théologien, qui finit
par devenir en Gaule le précepteur de son fils Crispus?
Rappeler cette donnée biographique suffit à suggérer l'enjeu
des recherches lactanciennes, et donc à gager l'intérêt des
apports et des discussions inclus dans le présent volume.
Nous avons l'agréable devoir de remercier ici tous ceux qui
ont contribué au succès du colloque et à la réalisation de ce
volume d'Actes. D'abord tous les lactanciens français et
étrangers dont les noms honorent la table des matières de ce
livre. Ensuite, l'Université de Picardie, l'Université de Paris-
Sorbonne, le Centre National de la Recherche Scientifique,
qui ont généreusement contribué à en faciliter l'impression.
Enfin, au départ du colloque comme à l'arrivée du volume, le
Centre culturel des Fontaines, le Centre de recherches inter-
Generated on 2011-09-02 17:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
disciplinaire de Chantilly rattaché à l'Université de Picardie,
et le Centre Lenain de Tillemont (laboratoire de l'Université
de Paris - IV associé au C.N.R.S.). Tous ont collaboré avec
cœur et efficacité à ce petit «état des études» sur Lactance,
incomplet, mais, nous l'espérons, suggestif. Nous n'aurons
garde d'oublier les éditions Beauchesne, chez qui paraît,
après les deux premiers, ce troisième volume d'Actes des
Colloques de Chantilly.
Jacques Fontaine Michel Perrin
Université de Paris - IV Université de Picardie
Centre Lenain de Tillemont C.E.R.I.C.
N.B. — C'est M"e Marie-Louise Guillaumin qui avait
commencé la mise en forme du présent volume. Nous rendons
ici hommage à l'aide précieuse qu'elle nous a apportée dans
la préparation du manuscrit et la correction des épreuves.
LACTANCE ET SON TEMPS
ABREVIATIONS COURANTES
lact. : Lactantius
epit. : Epitome
frg. : Fragmenta
inst. : Institutiones
ira : De ira
mort. pers. : De mortibus persecutorum
°Pif- : De opificio dei
Phoen. : De aue Phoenice
En dehors d'un travail purement matériel, qui a consisté Ã
rassembler les communications et les diverses interventions,
je suis personnellement responsable dans ce volume de ce qui
suit. J'ai traduit la communication de F. Corsaro, qui a été
revue ensuite par J. Fontaine. J'ai en outre allégé les notes
de certaines communications, et aligné les références en
abrégé sur l'usage du Thesaurus Linguae Latinae et de /'Année
Philologique. Lactance est cité d'après l'édition du Corpus de
Vienne (C.S.E.L., /. 19 et 27, sans indication de page).
Enfin, conformément à ce qui avait été prévu au cours du
colloque, j'ai mis en forme et abrégé les interventions, et
traduit celles des participants étrangers qui avaient remis un
texte en anglais, en allemand ou en italien, afin que la tota-
lité de ce volume fût rédigée en français.
Generated on 2011-09-02 17:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
M.P.
LISTE DES COLLABORATEURS
Stephen Casey
Francesco Corsaro
Daniel De Decker
Jean Doignon
Jean-Claude Fredouille
Alain Goulon
Marie-Louise Guillaumin
Eberhard Heck
François Heim
Jean-Pierre Mahé
Pierre Monat
Michel Perrin
Jean Rougé
Jacques Schwartz
Basil Studer
Concordia University de Montréal
Université de Catane
Bibliothèque de la Ville de Mons
Université de Besançon
Université de Toulouse - Le Mirail
Université de Caen
Institut des « Sources Chrétiennes »
Université de Tubingen
Generated on 2011-09-02 17:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Université de Nancy II
Université de Strasbourg II
Université de Besançon
Université de Picardie
Université de Lyon II
Université de Strasbourg II
Collège San Anselmo (Rome)
Generated on 2011-09-02 17:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
PROBLÈMES HISTORIQUES
ET HISTORIOGRAPHIQUES
Generated on 2011-09-02 17:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
JEAN ROUGE
A PROPOS DU MANUSCRIT DU
« DE MORTIBUS PERSECUTORUM :
Il peut sembler curieux de revenir encore une fois sur
l'histoire de ce manuscrit tant elle semble bien connue, tel
sera pourtant le début de cette communication. Cela parce
que les lecteurs de l'édition de J. Moreau risquent d'être
induits en erreur par certaines de ses affirmations à propos du
texte de la dissertation de Le Nourry sur l'authenticité du de
mortibus, affirmations dues au manque de connaissance du
règne de Louis XIV 1 ; plus prudents, Brandt, Pesenti et
Corsaro se sont contentés de citer Le Nourry sans commen-
taires.
Si nous lisons l'introduction de Moreau (p. 72-73), nous
voyons que notre Colbertinus «provient de l'abbaye béné-
dictine de Moissac (Tarn-et-Garonne) où le comte de
Foucault eut la bonne fortune de le découvrir en 1678 alors
que, sur l'ordre de Colbert conseillé par Baluze, il fouillait les
réserves de ce monastère». Autrement dit, ce comte de
1. J. Moreau, introduction, édition, traduction et commentaire du de
mortibus persecutorum, 2 vol., SC 39, Paris, 1954. Pour apaiser ceux qui
pourraient m'accuser de dénigrer le travail de J. Moreau, je renverrai à mon
compte rendu de l'édition de F. Corsaro (REL, t. 48, 1970, p. 527). J'ajou-
terai que cette édition a été le premier grand ouvrage de J. Moreau qui
Generated on 2011-09-02 17:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
l'avait, en quelque sorte, hérité de H. Grégoire d'abord pressenti pour ce
travail. Il est donc normal qu'une première œuvre présente des insuffisances
d'autant que, comme beaucoup d'entre nous, J. Moreau n'avait pas eu que
des préoccupations historiques de 1939 à 1945. Il n'en reste pas moins que la
parution de son ouvrage est l'une des dates essentielles de l'histoire de la
question constantinienne, et que l'on sera toujours obligé d'y recourir.
14 JEAN ROUGÉ
Foucault apparaît un peu comme une sorte d'envoyé spécial
de Colbert pour la recherche des manuscrits destinés à sa
bibliothèque. En fait Le Nourry avait écrit : Eius siquidem
iussu clarissimus uir D. Foucault, tum in Aquitania regius
quaestor, nunc uero cornes consistorianus, omnes perlus-
trauit huius prouinciae sibi commissae bibliothecas, ac
tandem Moissiacum anno MDCLXXVIII, mense aprili, se
contulit2. Comme on le voit, Foucault ne devint comte (?) que
longtemps après, et il ne s'agit pas d'un personnage chargé
tout spécialement de fouiller les bibliothèques monacales. Le
texte de Le Nourry doit être confronté avec la corres-
pondance échangée à ce sujet avec Colbert et qui a été éditée
par Léopold Delisle3. Voici comment l'affaire se déroula.
Monsieur Foucault était l'intendant d'Aquitaine ou de
Montauban; par suite des services éminents rendus à la
monarchie (lutte contre les adversaires de la régale, conver-
sion forcée des protestants, inspiration de la Révoca-
tion de l'Édit de Nantes, invention des dragonnades), il
ne fut pas nommé comte, comme écrit Moreau, mais mem-
bre du conseil royal. Comme tous les intendants de France
et de Navarre, il avait reçu des instructions du tout-puis-
sant ministre pour l'enrichissement de sa bibliothèque,
mais ce n'est pas lui qui fit les recherches (et encore moins
Generated on 2011-09-02 17:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Baluze comme l'écrivit Pichon par distraction4), il en
chargea un certain nombre de ses agents. C'est ainsi que les
manuscrits de Moissac furent découverts par un certain abbé
Raymond de Foulhac, chanoine de Cahors. Averti par un
inventaire sommaire du contenu des manuscrits découverts5,
Baluze en vit tout de suite l'intérêt et fit décider l'achat. Mais
Colbert n'aimait pas trop desserrer les cordons de sa bourse,
aussi exigea-t-il de ne pas apparaître dans les tractations de
peur que les chanoines de S. Augustin, possesseurs de
2. Le Nourry, Dissertatio in Lucilii Cecilii librum de mortibus perse-
cutorum ad Donatum confessorem, Lucio Caecilio Firmiano Lactantio hacte-
nus adscriptum, Paris, 1710 repris dans PL 7, cn. I, article II, col. 848.
3. L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale,
t. 1, Paris, 1868, p. 448; 457^458.
4. R. Pichon, Lactance, Étude sur le mouvement philosophique et reli-
gieux sous le règne de Constantin, Paris, 1901, p. 337.
5. L. Delisle, o. c, p. 457.
« DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 15
l'abbaye, n'augmentent leur prix. Finalement la vente fut
conclue par l'intermédiaire de l'abbé d'Estrades, ambas-
sadeur de Venise et abbé commendataire de l'abbaye de
Moissac.
Le Colbertinus, qui semble avoir été entassé dans un coin
humide de grenier avec d'autres manuscrits, était dans un
pitoyable état. Sans reliure, la reliure actuelle aux armes de
Colbert a été faite pour sa bibliothèque (ce qu'a ignoré
l'auteur d'une thèse récente de Washington qui prétend qu'il
s'agit de la couverture originelle6), sa première page a été la
plus exposée aux injures du temps et de l'humidité. Toute sa
partie droite a disparu, non pas coupée avec des ciseaux
comme on l'a écrit7, mais du fait de la pourriture ou des
rongeurs. On trouve en outre un peu partout dans le manus-
crit des trous de vers et les folios XI à XIII sont échancrés Ã
leur sommet; par contre il est faux que, comme l'ont écrit
Pesenti et Moreau, les marges extérieures des folios X à XII
aient été rognées avec des ciseaux de telle sorte que les fins
de ligne aient été amputées8. Enfin, ce que savent bien tous
ceux qui ont eu le manuscrit en mains, mais ce qui n'a jamais
été écrit, toutes les pages sont déformées en leur milieu par
un ou deux plis que la dureté du parchemin ne permet guère
d'aplatir et qui couvrent en moyenne deux lignes chacun, ne
Generated on 2011-09-02 17:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
laissant clairement apparents que le sommet de l'une et la base
de l'autre. Cet accident rend nécessaire le recours direct au
manuscrit, la lecture des lignes ainsi déformées étant impos-
sible sur photographie.
Ce manuscrit est issu du scriptorium de l'abbaye de
Moissac et date du xi'' siècle ; on dit couramment qu'il a été
copié sur un manuscrit wisigothique ce qui, vu les rapports
de Moissac avec l'Espagne du Nord, n'a rien d'impossible;
mais certains des arguments traditionnels mis en avant par les
éditeurs9 sont à mon avis absurdes. Le premier est l'utili-
6. W. J. Walsh, Lactantius, The Death of the Persecutors, microfilm,
Washington, 1968, p. 8.
7. J. Pesenti, éd. du de mortibus persecutorum, Corpus Scriptorum
Latinorum Paravianum, vol. 40, Turin, 1922, p. XI; J. Moreau, t. 1, p. 74.
8. Ibidem.
9. J. Pesenti, /. c, suivi par J. Moreau, se référant à A. Carnoy, Le
latin d'Espagne d'après les inscriptions, 2e éd., Bruxelles, 1906.
16 JEAN ROUGÉ
sation (§ XVI, 1) de aceruissime pour acerbissime, la confu-
sion ulb étant caractéristique du latin espagnol ; or cela est
faux, Ã ce compte les papyrus latins d'Egypte sont originaires
d'Espagne et les prêtres romains de Semo Sancus dans l'île
tibérine étaient espagnols puisqu'ils sont, sur les inscriptions,
qualifiés de sacerdotes bidentales aussi bien que uidentales10.
Deuxième argument mis en avant : en note au bas du folio VI
recto on trouve la mention bona tincta, or l'emploi de tincta,
pour atramentum «l'encre» est, paraît-il, caractéristique du
latin d'Espagne. Mais alors, c'est le manuscrit qui a été écrit
en Espagne et rien n'indiquerait que son modèle ait été
espagnol. En fait il s'agit là d'une appréciation sur la couleur
de l'encre, sans doute à la suite d'un remplissage de l'encrier
du copiste, ce que corroborent les essais, représentés par les
deux traits ondulés, qui occupent la partie gauche du folio aux
dernières lignes si bien que le texte ne tient que la moitié de
la page. Le troisième argument, en revanche, est probant :
c'est la confusion en particulier des finales en a et en / due Ã
la forme du t wisigothique, si proche du / bénéventin. J'en
donnerai un exemple caractéristique : au chap. xix, § 3 le
manuscrit porte inquit qui a été corrigé en incipit par la
plupart des éditeurs et en inducitur par F. Corsaro alors
que la seule correction valable est in qua à la suite de
Generated on 2011-09-02 17:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Columbus et de Pesenti. Le plus curieux dans ce cas est que
Moreau a bien vu dans une note de son introduction l'erreur
du scribe, mais que, ensuite, en éditant, entraîné par l'exemple
de ses prédécesseurs, il a édité incipit11. Or in qua donne à la
phrase un sens tout à fait correct, bien meilleur que celui
donné par incipit. Il s'agit de la contio de Nicomédie au cours
de laquelle Dioctétien va abdiquer et nommer les nouveaux
empereurs : contio militum conuocatur; in qua senex cum
lacrimis alloquitur milites, «l'assemblée des soldats est
convoquée, le vieillard tout en larmes s'y adresse en ces
termes aux soldats».
Dernière affirmation classique au sujet du manuscrit : il est
10. M. BESNIER, L'île tibérine dans l'Antiquité, BEFAR, fasc. 87, Paris,
1902, p. 279-282.
11. J. Moreau, t. 1, p. 74, n. 4 et p. 100, ligne 2.
« DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 17
l'œuvre d'un seul copiste qui a montré plus ou moins de
négligence suivant les endroits12. Jusqu'ici seul Brandt faisait
exception lorsqu'il se demandait si on ne pouvait pas distin-
guer deux mains différentes13. Dans sa thèse de l'École des
Chartes14, J. Dufour a montré d'une manière à mon avis
indiscutable qu'il y avait en fait trois mains qui s'étaient
partagé la réalisation du manuscrit de la manière suivante :
/ à VI recto, VI verso à XIV verso ; XV et XVI. Ces copistes ont
laissé en blanc les passages qu'ils avaient de la peine à lire
sur le modèle et une quatrième main, celle d'un réviseur, a
comblé ces vides. Mais son écriture est très irrégulière, tantôt
très serrée, tantôt très lâche selon que le blanc laissé à sa
disposition était plus ou moins suffisant pour contenir le texte
omis (passage très serré, IV verso, VII; passage lâche avec
blanc, XII. Donc, même s'il est assez mal écrit, ce qui est
indiscutable, le manuscrit a été copié avec soin, mais sur un
modèle difficile à lire, si bien que l'on peut se demander si un
grand nombre de ses fautes ne découlent pas de l'état de ce
modèle.
Revenons maintenant à la première page de notre manus-
crit que Le Nourry déclarait recouverte d'une sorte de
«gluten», sans doute une matière plus ou moins visqueuse
résultant de la décomposition du parchemin sous l'effet de
Generated on 2011-09-02 17:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
l'humidité. Si nous prenons l'édition princeps de Baluze,
nous constatons qu'il en donne un texte suivi sans le moindre
avertissement de lacunes ou de restitutions. Cela est d'autant
plus étrange que tous ceux qui ont utilisé le manuscrit peu
après lui, que ce soit Le Nourry ou Lenglet, ont constaté
l'existence d'une lacune d'environ 25 signes dans la première
phrase du texte15. Cette lacune nous est confirmée par la
transcription diplomatique qu'en fit H. Omont à l'intention de
Brandt et qu'il communiqua ensuite à Pesenti. Malheureu-
sement, pour lire le début très endommagé du manuscrit, H.
12. J. Pesenti, p. XI; J. Moreau, t. 1, p. 74.
13. S. Brandt, CSEL. Vienne, 1897, p. X.
14. J. Dufour, La bibliothèque et le scriptorium de Moissac, Genève-
Paris, 1972, p. 119.
15. Cf. la copie diplomatique, par ailleurs assez fantaisiste, donnée par
N. Lenglet au début du de mortibus, dans le t. 2, Paris, 1748, de son édition
des Å“uvres de Lactance.
18 JEAN ROUGÉ
Omont a recouru au procédé employé à l'époque; autrement
dit, il a copieusement passé le manuscrit à l'acide, qui,
depuis, a peu à peu rongé le texte, transformant le début du
premier folio recto en une vaste plaque brun foncé qui, de
l'avis des spécialistes de la B.N. à qui j'ai posé la question,
est devenu totalement illisible, même avec les moyens
modernes de lecture. Le seul témoin assuré du début du texte
est donc la copie de H. Omont donnée au début de son
apparat critique par Brandt. Cette lacune a donné lieu à de
nombreuses restitutions mais j'avoue n'avoir été satisfait par
aucune; aussi y suis-je allé de la mienne. Quels en ont été les
principes? Le début du de mortibus est un psaume d'action
de grâce16, c'est donc dans la langue des vieilles versions
latines des Psaumes et dans la Vulgate que j'ai cherché mon
inspiration. Je suis parvenu ainsi à la restitution suivante :
Audiuit dominus orationes tuas, Donate carissime, quas in
conspectu eius per omnes horas < effundebas, depreca-
tionesque > fratrum nostrorum... «Le Seigneur a entendu tes
prières, très cher Donat, celles qu'à toute heure tu répandais en
sa présence, et les supplications de nos frères...». J'ai joué
ainsi sur l'association classique oratio deprecatio et sur le fait
que effundere est beaucoup plus fréquent que fundere dans
les anciennes traductions latines17. Je dois ajouter que j'ai
Generated on 2011-09-02 17:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
soumis cette restitution au P. Fischer du Vetus Latina Institut
qui a bien voulu me répondre : « Auf aile Fà lle ist daher Ihr
Vorschlag besser als die bisherigen Conjekturen. »
Mais l'examen de cette première page nous pose encore
d'autres problèmes. Si le début en est illisible, sauf Yincipit,
la partie gauche de la fin l'est assez difficilement tellement
l'encre a pâli comme si elle avait été délavée. Cette fin de
page est aussi une démonstration d'un fait bien connu :
souvent les éditeurs, quand ils n'arrivent pas à lire, font
confiance à leurs prédécesseurs sans essayer d'interpréter
16. J. Rougé, Le de mortibus persecutorum V livre des Macchabées,
StP, t. 12 = TV, t. 115, Berlin, 1975, p. 135-143.
17. Cf. R. Weber, Le psautier romain et les autres anciens psautiers
latins, Collectanea Biblica latina, vol. 10, Rome, 1953, p. 373 et 378. Je
remercie également Mademoiselle A.-M. La Bonnardière qui a bien voulu
examiner aussi ma restitution et me donner des références augustiniennes.
« DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 19
eux-mêmes le passage litigieux. C'est ainsi que, depuis
Baluze, toutes les éditions du de mortibus lisent au ch. n, § 2
qui se situe à la fin du folio i recto, avant le récit de l'As-
cension, ordinauitque eos et instruxit ad praedicationem dog-
matis; or ce dogmatis n'existe pas sur le manuscrit, il n'a
pour lui que l'édition de Baluze. Nous avons sur le manuscrit
un mot qui semble déformé par un grain du parchemin et
dont tout ce que nous pouvons dire c'est qu'il commence par
u et se termine par is. J'ai examiné personnellement le
manuscrit à la B.N., puis nous avons regardé avec le P.
Doutreleau et le P. de Vregille le microfilm et la photographie
du manuscrit, nous n'avons pu en tirer rien de plus, sinon
l'assurance qu'il n'y a pas dogmatis. C'est pourquoi, faute de
mieux, mais avec la croix des philologues, j'ai adopté la
conjecture proposée par J. Doignon à P. Monat18, ueritatis.
Enfin cette dernière page se termine par un E majuscule
dans lequel tous les auteurs ont voulu voir la cote d'une
ancienne bibliothèque. Je tiens de Monsieur l'abbé R. Étaix,
professeur aux Facultés catholiques de Lyon, qui a étudié ce
signe sur plusieurs manuscrits, qu'il ne s'agit pas là d'une
cote, mais d'un signe qui indique que le texte était lu au
chœur.
Pour terminer j'en viendrai au plus célèbre passage du de
Generated on 2011-09-02 17:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
mortibus persecutorum, Ã celui qui a fait couler le plus
d'encre19, le récit de la vision de Constantin au ch. xliv.
§ 5 (folio xin recto). Comme on sait J. Moreau, inspiré par
H. Grégoire, a édité Facit ut iussus est et transuersa X littera
< / > summo capite circumflexo, Christum in scutis notat. Il
corrige donc le texte en trois endroits : en écrivant facit
avec un commentateur anonyme de 1734, au lieu du fecit
18. P. Monat, dans un article inédit sur l'Ascension chez Lactance qui
devrait paraître dans les Mélanges en l'honneur de M. l'abbé Richard et dont
il m'a offert une copie.
19. Cf. les annotations de G. Cuper dans l'édition du de mortibus par
Columbus (Abo, 1684), reprises par F. Bauldri dans son édition, Utrecht, 1692
(IIe partie, p. 237-241), mais plus commodément accessibles dans PL 7,
col. 558-561 ; pour les discussions récentes voir entre autres les rapports,
communications et discussions de F. Callaey, J. Moreau, J. Vogt,
W. Seston... lors du Xe Congresso internazionale di scienze storiche, Rome-
Florence, 1955.
20 JEAN ROUGÉ
parfaitement correct du manuscrit; en corrigeant avec tout le
monde, sauf Baluze, Christo en Christum, faute qui s'ex-
plique fort bien par la mélecture d'un u surmonté du signe de
l'abréviation ù ; enfin en introduisant un iota. Ce faisant,
peut-être sans s'en rendre compte, il reprenait l'interprétation
donnée du passage en 1782 à Edimbourg par lord Hailes (ex
sir David Dalrymple) qui utilisait les loisirs de sa retraite en
publiant environ trois ouvrages par an20. Cette traduction a
été reprise par W. Fletcher dans le t. II des œuvres de
Lactance de la collection des Antenicene Fathers en 1886.
Lord Hailes traduisait donc «He did as had been commanded,
and he marked on their shields the letter X, with a perpendi-
cular Une drawn through it and turned round at the top, thus
£ being the cipher of Christ. Having this sign, his troops
stood to arms». Comme on le voit notre Écossais n'hésitait
pas à paraphraser. Malheureusement je n'ai eu que la réédi-
tion de Fletcher, la traduction originale de Lord Hailes ne se
trouve pas à la B.N., et je n'ai pu savoir quelle édition il
avait utilisée. Tout ce que je puis dire, c'est qu'elle n'apparaît
pas dans les apparats critiques des dernières éditions (Brandt,
Pesenti, Moreau, Corsaro). Pour sa part J. Moreau traduisait
«il obéit et fait inscrire sur les boucliers le nom du Christ : un
X traversé de la lettre I infléchie vers son sommet. Armées
Generated on 2011-09-02 17:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
de ce signe, les troupes tirent l'épée» (6 Quo signo armato
exercitus capit ferrum.)
Cette traduction présente l'inconvénient majeur, comme l'a
montré H.I. Marrou21, de faire au minimum un faux sens sur
transuersus qui n'a jamais voulu dire traversé, mais mis de
travers (et le texte du de Monogrammate de Jérôme mis en
avant par J. Moreau se comprend, je ne dirai pas fort bien,
car il est de toute manière peu clair, en conservant à trans-
uersus son sens habituel). D'autre part la correction paraît
paléographiquement impossible. Cette impossibilité nous est
confirmée par les études de J. Dufour : en effet, notre phrase
se trouve dans un bloc d'un seul tenant qui n'a donné lieu Ã
20. Sur le personnage, cf. Dictionary of National Biography, t. 13,
Londres, 1885, p. 403-406.
21. H. I. MaRROU, Autour du monogramme constantinien, Mélanges
Gilson, Toronto — Paris, 1959, p. 403-414.
« DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 21
aucune révision ; donc le modèle était bien conforme au texte
que nous lisons actuellement. Bien plus, contrairement à ce
qu'a écrit H.I. Marrou, il n'y a aucun blanc permettant
d'introduire la représentation du signe. Malgré tout ce qui,
depuis les premiers commentateurs22, a pu être écrit sur ce
passage, c'est donc bien la croix monogrammatique et non le
chrisme qui est décrite : -p et non £. Il m'est évidemment
impossible de faire une histoire de ce signe, de ses rapports avec
des signes païens du culte solaire23 ou de ses rapports pos-
sibles avec le signe égyptien ankh, ce qui explique sans
doute l'absence à peu près totale du chrisme dans les papyrus
et sur les ostraka égyptiens24. Rien n'empêche donc Constan-
tin d'avoir joué sur l'ambiguïté du signe, mais pour Lactance
pamphlétaire chrétien25, il n'y avait aucune ambiguïté. Le
gênant évidemment est que, comme symbole chrétien en
Occident, la croix monogrammatique n'apparaît que beau-
coup plus tardivement sur les monuments; bien plus, sur
les monnaies de Constantin, elle n'apparaît que sur les frappes
d'or d'Antioche en 336 - 337 où elle a pris la place du signe
des tricennalialb. Quant aux données épigraphiques, elles
sont difficilement datables, mais tardives27. Nous avons donc
là un de ces mystères insolubles de la tradition littéraire, mais
devant le texte de Lactance nous n'avons qu'Ã nous incliner.
Generated on 2011-09-02 17:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Si nous ne voulons pas le faire, il ne nous resterait qu'une
solution, une solution de facilité supprimant ce qui nous gêne
dans le texte, ce serait de déclarer interpolé le passage en
question; le considérer comme une glose marginale écrite par
22. Cf. note 19.
23. Cf. P. Bruun, Symboles, signes et monogrammes, in H. Zilliacus,
Sylloge Inscriptionum Christianarum ueterum Musei Vaticani, Acta Instituti
Romani Finlandiae, vol. 12, Helsinki, 1963, p. 97-98.
24. Ibidem, p. 96-97 et J. Van Haelst, Catalogue des papyrus littéraires
juifs -et chrétiens, Paris, 1976, N™ cités à l'index s.v. Christogramme.
25. I. Opelt, Formen des Polemik im Pamphlet de mortibus persecutorum,
JAC, 1974, p. 98-103.
26. P. Bruun, RIC, t. 7, Constantine to Licinius, Londres, 1966, p. 695.
27. Lors de la présentation de cette communication, j'ai, par suite d'une
erreur dans mes notes, fait attribuer par P. Bruun, Chronologie, vol. 12 des
Acta..., p. 242, la date de 290 au lieu de celle de 390 Ã l'inscription
n° 295 du recueil de H. Zilliacus, Acta..., vol. 2, p. 245. Pour le moment
nous n'avons donc aucun témoignage épigraphique ancien de la croix mono-
grammatique.
22 JEAN ROUGÉ
un lecteur à une époque où la croix monogrammatique avait
acquis pleinement droit de cité, puis introduite dans le texte
par un copiste la prenant pour un oubli de son prédécesseur
rajouté en marge par un réviseur : mécanisme classique de la
glose interpolée. De fait, si nous supprimons le passage
incriminé, nous obtenons un texte qui se tient parfaitement :
Commonitus est in quiete Constantinus ut caeleste signum
dei notaret in scutis atque ita prœlium committeret. Fecit ut
iussus est et Christum in scutis notat. Un lecteur chrétien
n'avait pas besoin de description pour comprendre. Mais, je
le répète, c'est là une solution de facilité et, comme telle, elle
ne peut être que proposée et non affirmée. Pour ma part je
préférerais m'en tenir, jusqu'à preuve du contraire, à la croix
monogrammatique.
En conclusion je dirai que, malgré toutes les études qui lui
ont été consacrées (et je n'ai pas parlé du problème de son
authenticité lactancienne28), ni le manuscrit, ni le texte du de
mortibus ne nous ont encore livré tous leurs secrets; c'est
pourquoi, en l'éditant, quitte à user de la croix des philo-
logues, je cherche à conserver au maximum le texte reçu, ne
le remaniant que lorsqu'il est impossible de faire autrement,
lorsqu'on se trouve en présence d'un non-sens caractérisé.
28. Malgré les vues optimistes de J. R. Palanque, Sur la date du de
Generated on 2011-09-02 17:49 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
mortibus persecutorum. Mélanges J. Carcopino, Paris, 1966 : « le pamphlet de
Lactance — dont l'authenticité n'est plus contestée aujourd'hui», p. 712,
cette authenticité reste toujours à l'ordre du jour. A titre d'exemple de la
complexité du problème, je me contente de constater que M. P. Nautin, qui,
recensant l'édition de J. Moreau dans la RHE, t. 50, 1955, p. 895, déclarait
convaincante la démonstration de l'authenticité faite par Moreau, est Ã
l'heure actuelle un des plus farouches adversaires de cette authenticité.
« DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 23
DISCUSSION
J. Fontaine. — Si l'on admet la lecture «directe» proposée du
passage de mort. pers. 44, 5 («Facit "ut iussus est et... Christum in
scutis notat»), doit-on interpréter l'absence de l'inscription du signe
comme une indifférence à la notation descriptive et pittoresque ? Ou
comme procédant d'une intention de réticence volontaire devant la
description d'un signe qui fut réellement ambigu, et peut-être solaire
(+) ? L'expression immédiatement antérieure « caeleste signum dei »
n'irait-elle pas dans le même sens : Lactance voulait à la fois se
garder d'une précision excessive pour des raisons d'exactitude
historique (sachant que le signum fut ambigu) et de précaution
« crypto-chrétienne » et pouvoir être « lu » en un sens chrétiens/païen ?
J. Rougé. — Dans le cas, possible, mais non assuré, d'une
interpolation, il faudrait voir dans le rappel du caeleste signum un
rappel de quelque chose connu de tous, mais, sans doute, suscep-
Generated on 2011-09-02 17:49 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tible d'interprétations multiples.
Generated on 2011-09-02 17:49 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
FRANCESCO CORSARO
LE « MOS MAIORUM »
DANS LA VISION ÉTHIQUE ET POLITIQUE
DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM »
Le problème du mos maiorum dans le De mortibus perse-
cutorum, filtré à travers la vision chrétienne, éthique et
politique, constitue l'un des aspects les plus intéressants de la
problématique lactancienne, en particulier par les implications
de caractère social qui accompagnent, et souvent condition-
nent, les événements de la période historique qui va de 303 Ã
313.
On sait que le rhéteur de Nicomédie, d'abord païen, s'est
converti au christianisme à un moment qu'on ne peut
préciser1, et que, dans ces années enflammées qui virent la
persécution de Dioclétien et l'avènement de Constantin, il
1. Lactance n'était sûrement pas encore chrétien quand il fut appelé Ã
Nicomédie : il est en effet impensable que Dioclétien ait choisi un chrétien
pour enseigner la rhétorique dans cette cité, résidence impériale depuis 285.
Il l'était, très probablement, en 303, parce qu'il dit s'affliger de voir persé-
cuter les chrétiens (P. Monceaux, Etudes critiques sur Lactance, dans RPh,
1905, p. 109) : par conséquent, sa conversion a dû intervenir entre 285 et
303. Contre la communis opinio de la conversion religieuse, se prononce
Emma Della Vecchia (Conversione di Lattanzio, dans les Atti del Reale
Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, t. 86, 1926-1927, p. 653-652) :
Generated on 2011-09-02 17:50 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
elle affirme que, pour Lactance, on peut parler seulement de conversion
littéraire, c'est-à -dire du passage d'un genre littéraire sans engagement idéo-
logique à un genre fortement engagé (à cette fin, l'auteur donne une curieuse
explication de l'expression lactancienne « nos qui sumus ex gentibus ») ; encore
que le problème n'ait pas beaucoup d'incidences sur notre enquête, la
remarque d'H. Hagendahl semble éclairante (Latin Fathers and the Classics,
dans les Acta Universiiatis Gothoburgensis, t. 64, 1958, p. 53) : Ã propos de
la première oeuvre lactancienne d'inspiration chrétienne, le De opificio Dei, il
parle de «prédominance d'éléments profanes et classiques» et de «l'absence
presque totale d'éléments chrétiens».
26 FRANCESCO CORSARO
composa des œuvres destinées à défendre la doctrine chré-
tienne, dont l'une, le De mortibus persecutorum, célèbre le
triomphe du christianisme.
Qu'un caractère largement polémique persiste dans toutes
ces œuvres, que la formation classique de Lactance s'y révèle
encore, au-delà de l'indiscutable sincérité de ses sentiments
chrétiens, cela fait partie de la communis opinio, bien que
cela puisse susciter des discussions ultérieures. En revanche,
ce qui nous semble mal mis en lumière, c'est le rapport, non
pas sur un plan purement formel, mais sur le plan de l'esprit
et du contenu, entre les éléments anciens et modernes; pour
une telle enquête, nous nous servons du De mortibus perse-
cutorum, dans la mesure où il nous parait l'œuvre lactan-
cienne la plus significative à cet égard.
Une telle thématique est restée à peine effleurée dans la
littérature critique, pourtant très vaste, sur cette œuvre. C'est
seulement chez Pichon2 pour les auteurs les plus anciens, et
chez Moreau3 pour les plus récents, qu'elle a trouvé un
certain développement; mais, là aussi, nous sommes loin
d'un traitement exhaustif du problème.
Plus récemment, V. Loi s'en est occupé. Au cours d'une
vaste digression concernant la totalité de la production lactan-
cienne, il observe justement que Lactance, dans ses
Generated on 2011-09-02 17:50 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
premières œuvres — où pourtant se révèle un esprit profon-
dément romain —, rejette, en un certain sens, les valeurs du
classicisme, aussi bien éthiques que politiques, tandis qu'il
exprime dans ses œuvres ultérieures «sa pleine adhésion à la
romanité»4. Nous partageons ce jugement sans pouvoir, pour
autant, être d'accord avec tout ce que Loi affirme ensuite sur
les rapports entre classicisme et christianisme dans le De
mortibus persecutorum5. Ce savant, en effet, voit ici «la
conciliation et la fusion des deux mondes dans la vision
2. Lactance, Paris, 1901, p. 353 sq. et 406-408.
3. Lactance, De la mort des persécuteurs, Paris, 1954, p. 53-55 et 57.
4. / valori etici e politici delia romanità negli scritti di Lattanzio. Opposti
attegiamenti di polemica e di adesione, dans Salesianum, t. 27, 1965, p. 67.
B. Alban (The conscious role of Lactantius, dans Classical Weekly, t. 37,
1943, p. 79) soutenait aussi que Lactance, en vue de la christianisation de
l'Empire, était partisan d'absorber la culture païenne dans le christianisme.
5. Voir V. Loi, art. cit., p. 85.
LE « MOS MAIORUM » 27
idéale d'un empire romano-chrétien»; mais à vrai dire, tout
en n'excluant pas une rencontre de fait entre les deux
composantes essentielles de l'opuscule lactancien, nous
doutons de la fusion complète et absolue de celles-ci au
moment de l'élaboration de la nouvelle dimension idéale,
romaine et chrétienne. C'est pourquoi nous chercherons Ã
éclaircir cette problématique à travers une lecture, aussi
attentive que possible, du De mortibus persecutorum.
Naturellement, avant d'examiner les rapports qui s'établis-
sent alors entre le christianisme et la romanité, il faut établir
entre quels termes se meuvent ces deux composantes essen-
tielles d'une œuvre historique et apologétique, qui représente
le premier essai d'une philosophie de l'histoire chez les
chrétiens.
Pour ce qui touche au caractère de la religion de Lactance,
beaucoup d'érudits, de Teuffel à Schwabe6, de Kriiger7 Ã
Pichon8, de Monceaux9 Ã De Regibus10, soulignent le ton
enflammé de cette œuvre, qui reflète l'atmosphère de surexci-
tation provoquée par le récent triomphe du christianisme".
En réalité, le fait qu'un auteur chrétien ait pu se plaire Ã
décrire la fin tragique des persécuteurs apparaît psycholo-
giquement admissible dans un moment historique comme
6. Teuffel et Schwabe (chez S. Brandt, Ueber die Entstehungsverhà ltnisse
Generated on 2011-09-02 17:50 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
der Prosaschriften des Lactantius und des Bûches De mortibus persecutorum,
dans les SAWW, t. 125, 1892, p. 65), parlent du mort. pers. comme d'une
Å“uvre on ne peut plus fanatique.
7. Il définit le mort. pers. (ibidem) comme «un pamphlet plein de fana-
tisme».
8. Voir o.c., p. 343 : « Un ouvrage? non : un cri plutôt».
9. Selon P. Monceaux (Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne, t. 3,
Paris, 1905, p. 329), Lactance ignore les valeurs de la rédemption du Christ,
sa mission d'amour et de charité.
10. Voir Lattanzio, Torino, 1926, p. 10 : l'auteur relève la même mentalité
dans le De ira Dei. Sur la corrélation entre les deux œuvres, voir U. Pizzani,
Osservazioni sulla genesi delia teologia delia storia in Lattanzio, dans
Augustinianum, t. 16, 1976, p. 53-60.
11. Lactance a dû être le témoin oculaire de beaucoup des faits qu'il
raconte, et écrire sous l'impression de la persécution. Il parle en toute
connaissance de cause des événements de Nicomédie Ces constructions
luxueuses de Dioctétien, la destruction de l'église, le premier édit de persé-
cution, l'incendie du palais, l'enchevêtrement des rumeurs durant la maladie
de Dioctétien, la scène dramatique de son abdication, l'absolutisme de
Galère, la fermeture des écoles et des tribunaux, le recensement, la fuite de
28 FRANCESCO CORSARO
celui qu'a vécu Lactance; cependant, la manière dont il
présente quelques uns de ces événements manifeste une satis-
faction si étrangère à toute notion de pitié qu'elle fait appa-
raître le Dieu vengeur bien loin du caractère que l'on attribue
habituellement au Dieu chrétien : c'est le Dieu de l'Ancien
Testament, plus que le Dieu de l'Évangile. Si nous pensons,
en effet, aux descriptions des fins horribles de Galère12 et de
Maximinl3, — lesquels avaient pourtant entrevu, en un
certain sens, le visage de la miséricorde divine —, ce Dieu
nous apparaît, ne fût-ce que dans l'exercice d'une justice
rétributive, aussi dur que les empereurs eux-mêmes.
Cette tendance à faire remonter jusqu'à Dieu et à sa Provi-
dence l'importante fonction de la justice répressive s'était
manifestée également dans les Institutions 5,23, où Lactance
recourt aux accents d'un prophète biblique, et elle continuera
d'apparaître dans la thématique du De ira Dei (selon nous,
postérieur au De mortibus persecutorum). Qu'elle reflète
aussi des influences stoïciennes, dans le cadre d'une concep-
tion de la religion comme doctrine de «vraie philosophie»,
cela est une hypothèse acceptable. Il n'est pas douteux, en
tout cas, que le climat particulier de ce moment historique a
contribué à sa formulation définitive14.
En outre, à faire abstraction de ce qui peut apparaître
Generated on 2011-09-02 17:51 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Constantin, l'affichage de l'édit de Galère, l'institution d'un clergé païen par
Maximin, l'édit de Constantin-Licinius, la reconstruction de l'église de
Nicomédie). A cela, s'ajoutent les événements de Gaule, vus pour une
part, pour une autre connus par le recours aux archives impériales. Tout cela est
rendu manifeste par une certaine disproportion qui se note souvent entre les
événements, même marginaux, sur lesquels une documentation détaillée lui
permet de s'attarder longtemps, et les événements, même importants, qui
font à peine l'objet d'une allusion : par ex., tandis que, dans la guerre
d'Orient entre Licinius et Maximin, il s'étend sur quelques épisodes insi-
gnifiants, comme les brefs sièges de Byzance et d'Héraclée, il s'arrête peu
sur les opérations en Italie, et sur les opérations qui ont précédé la bataille
du Pont Milvius, il se contente de dire : «dimicatum, et Maxentiani milites
praeualebant» (44, 3),
12. Voir mort, pers. 33. L'édition utilisée est : «lvcii caecilii firmiani
lactantii De mortibus persecutorum», par F. Corsaro, Catania. 1970.
13. Voir mort. pers. 49, 2 sq.
14. Il ne me semble pas. au contraire, que l'antique conception de la
punition qui frappe les Beouâxoi dans la mythologie ancienne ait influencé la
thématique fondamentale de l'œuvre, sinon au niveau du substrat culturel.
LE « MOS MAIORUM » 29
comme les points extrêmes d'une conception providentielle
dans une fonction punitive, toute l'oeuvre semble, dans ses
lignes directrices, avoir tendance à forcer, sinon les faits, du
moins leur interprétation15, en se conformant aux prémisses
de base que les persécuteurs des chrétiens sont des princes
méchants; d'où il ressort que leurs actions sont vues sous
cette lumière.
Assurément, nous ne conclurons pas avec Brandt16 que
l'auteur du De mortibus persecutorum (qui pour lui n'est pas
Lactance) n'est chrétien que de nom; cependant, il n'est pas
douteux qu'autour de son christianisme viennent se cristal-
liser les effets d'années de découragement et de frustration,
soit individuelles, soit collectives.
L'autre composante essentielle de l'Å“uvre lactancienne est
l'adhésion entière aux idéaux de la romanité, laquelle apparaît
non seulement séparée de toute co-responsabilité à l'égard
des juges du pouvoir impérial, mais au contraire victime de
ceux-ci, non moins que ne le sont les chrétiens.
Mais pourquoi donc notre auteur, dans une Å“uvre qui veut
être un acte d'accusation contre le paganisme et un hymne au
triomphe du christianisme, accorde-t-il une si large place à la
défense et à la récupération des vieilles traditions éthiques et
politiques de Rome? Pour expliquer une telle tendance, chez
Generated on 2011-09-02 17:51 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Lactance, à rechercher une Jiaiôeia romaine et chrétienne,
on a attribué au De mortibus persecutorum un caractère aristo-
15. Les différentes initiatives des empereurs persécuteurs sont vues sous une
lumière que la critique moderne juge fausse. A propos de Dioclétien, il
présente sous un jour négatif non seulement tous ses efforts dans l'ensemble
pour remettre en ordre l'Empire, mais aussi quelques aspects accessoires de
sa politique, comme la prodigalité dans les constructions : en de nombreux
cas — affirme J. Burckhardt, Costantino il Grande e i suoi tempi (= Die
Zeit Constantins des Grossen), tr. A. Michelson, Milano, 1954, p. 107 —, il
s'agit de dons politiques faits à une cité déterminée, qui permettaient d'éco-
nomiser d'importantes garnisons. A propos de Galère, instigateur, selon
Lactance, de la persécution, il décrit comme monstrueuse son action fiscale,
qui, dans les faits, dut être sensiblement moins traumatisante. Quand
Maximin abolit le recensement, il est accusé de vouloir acquérir de la
popularité à peu de frais. En contrepartie, les portraits physiques des empe-
reurs, bons ou méchants, sont très ressemblants, comme l'attestent les
témoignages numismatiques du temps (J. Maurice, La véracité historique de
Lactance, dans les CRAI, 26, 1908, p. 146-159).
16. Voir Ueber die Entstehungsverhà ltnisse... (cité supra, n. 6), p. 98.
30 FRANCESCO CORSARO
cratique. Allard 17 et Anfuso 18 parlent d'un intérêt exclusif pour
les classes cultivées ; Monceaux " de dédain pour le peuple ;
Maddalena20 de mise en condition par Constantin; Cres-
centi21 d'une œuvre destinée à une élite restreinte. Or il nous
semble que ces explications ne valent que jusqu'Ã un certain
point. En effet, étant donné les destinataires que l'auteur a
voulu donner explicitement à son œuvre, c'est-à -dire la foule
anonyme de ceux qui «procul < re > moti fuerunt uel qui
p < ostea fu > turi sunt»22, étant donné, d'autre part, que le
De mortibus persecutorum est dédié à un humble confesseur
de la foi, Donat, il ne reste pas beaucoup de place pour ce
prétendu ésotérisme de caractère vaguement aristocratique23.
Dans ces conditions, les préoccupations d'une éthique et
d'une politique classiques, chez notre auteur, doivent donc
être recherchées ailleurs : on pourrait alors les reconnaître
dans la «matrice culturelle» de Lactance, rhéteur renommé,
lequel, comme on sait, a attiré à différents moments l'atten-
tion de deux empereurs, Dioclétien24 et Constantin, qui, tous
17. Voir Lactance et le De mortibus persecutorum. dans la Revue des
questions historiques, t. 74, 1903, p. 545.
18. Voir Lattanzio autore del De mortibus persecutorum. dans Didaskaleion.
t. 3, 1925, p. 78.
19. Voir Histoire... (cité supra, n. 9), p. 297.
Generated on 2011-09-02 17:52 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
20. Voir Per la definizione storica del De mortibus persecutorum. dans les
Atti del Reale Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, t. 94, 1935, p. 586.
21. Voir Rilievi al De mortibus persecutorum di Firmiano Lattanzio,
Messina, 1964, p. 55.
22. Voir mort. pers. 1, 8.
23. L'hypothèse de K. Roller semble inacceptable (Die Kaisergeschichte
in Laktanz De mortibus persecutorum, Diss. Giessen, 1927). Selon cette
hypothèse, l'auteur du mort. pers. se serait largement servi de l'œuvre d'un
sénateur païen, ami de Rome, ennemi de Dioclétien, admirateur de Constan-
tin et de Licinius, et se serait borné à insérer quelques points de vue
chrétiens, pour satisfaire Donat et le «milieu» chrétien auquel il s'adressait.
24. Voir R. Paribf.ni, Da Diocleziano alla caduta dell'Impero d'Occidente
(Storia di Roma, vol. 8), Bologna, 1941, p. 19. Entre tous les empereurs de la
Tétrarchie, Dioclétien fut le plus fidèle aux traditions romaines; si Lactance
le traite un peu mieux que Galère, Maximin, ou le vieux Maximien, ce n'est
pas pour un banal motif personnel, comme certains le pensent, mais parce
que, entre les malae bestiae, il y a toujours une gradation de mérites, et que
l'attachement à la romanité est pour Lactance une excuse importante. Du
reste, il n'est pas improbable — comme le pense V. Loi, art. cit. (supra,
n. 4), p. 131 — que Dioclétien ait choisi Lactance pour Nicomédie, justement
parce qu'«à la science rhétorique, il alliait une adhésion sincère et enthou-
siaste à la romanité».
LE « MOS MAIORUM » 3 I
deux, même sous des angles différents, étaient également
respectueux du passé romain et de ses institutions.
Afin de saisir la consistance et les éventuelles limites de
cette symbiose classique et chrétienne, il faut vérifier, Ã
travers une enquête minutieuse sur les points significatifs du
texte du De mortibus persecutorum, la manière lactancienne
de comprendre les expressions variées de cette réalité éthique
et politique, et voir si elle est en harmonie, ou non, avec
l'éthique chrétienne.
Un des éléments les plus importants est à ce propos celui
qui, par affinité ou par contraste, s'articule autour du concept
â'humanitas. Dans son acception générale, ce concept peut
être considéré comme d'origine à la fois classique et chré-
tienne, s'il est vrai que les deux doctrines «concordaient —
comme l'affirme Cochrane25 — en affirmant, en un certain
sens, les droits inaliénables de la personne». L'unique
exemple d'humanitas dans le De mortibus persecutorum est
offert par Constantin. La naiôeia chrétienne et romaine de
Constantin répondait, en effet, à l'esprit de cet homme singulier,
qui avait réussi à réaliser une politique d'équilibre entre l'ancien
et le nouveau, entre la tradition classique et la révolution chré-
tienne26. Il comprenait, en effet, l'importance de la paix reli-
25. Voir Cristianesimo e cultura classica (= Christianity and Classical
Generated on 2011-09-02 17:52 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Culture), tr. D. Gallino Michels, Bologna. 1969, p. 239.
26. Selon G. Boissier (La fin du paganisme, Paris, 1891, t. 1, p. 31),
Constantin était un de ceux qui «se plaisaient» à confondre les diverses
professions de foi « sous ce nom vague et commode de diuinitas qui ne blesse
aucune doctrine et peut les satisfaire toutes». P. Brezzi (L'idea d'impero nel
IV secolo, dans les Studi romani, t. 11, 1963, p. 268) parle du «principe
suprême céleste, représenté sur terre par le souverain, lequel, par consé-
quent, gouverne en son nom et en vertu d'une investiture qui lui vient de la
divinité et non plus du peuple (de quelque façon que l'on entende ce dernier :
le sénat, les légions, etc)»; selon J. Palanque, Da Costantino a Carlo
Magno (De Constantin à Charlemagne à travers le chaos barbare), Catania,
19652, p. 17, Constantin et ses successeurs, «héritiers des pharaons ou des
rois légendaires de Rome, des souverains hellénistiques et des Césars du
Haut Empire», «se considéraient comme les représentants de la divinité ou
comme munis d'un pouvoir divin, et par cela même chargés de contrôler
l'Église aussi bien que toutes les autres organisations religieuses ». 'Ejûokojtoç
twv èktôç pour les chrétiens, pontifex maximus pour la religtion païenne, il
est un représentant typique d'une époque qui «présente toutes les ambiguïtés
d'une période de transitions violentes. La personne de l'empereur était
l'incarnation vivante de ces ambiguïtés. Il est sans doute l'unique être
humain à avoir joui du privilège d'être déifié par les païens et d'être dans le
32 FRANCESCO CORSARO
gieuse et du respect des institutions des anciens, aussi bien que
des doctrines nouvelles : un équilibre précaire, en vérité, un
système qui reposa plusieurs années sur l'équivoque, mais
pour lors, le seul possible. Nous n'oublions pas, d'autre part,
que beaucoup de conclusions négatives ou tièdement posi-
tives sur le compte de Constantin sont un héritage de la
critique moderne. Pour Lactance, mais aussi pour beaucoup
des contemporains du premier empereur chrétien, il n'y avait
pas place pour de tels doutes ou réserves, peut-être parce que
même temps vénéré par le peuple comme un saint chrétien» : voir Cochrane,
op. cit. (supra, n. 25), p. 276 sq. D'un autre côté, nous sommes d'accord
avec Palanque (Dalla pace costantiniana alla morte di Teodosi, dans
A. Fliche — V. Martin, Storia delia Chiesa (Histoire de l'Église), tr. P.
Frutaz, t. 3, Torino, 19612, p. 39) : «dans un empire peuplé encore en
majorité de païens, à côté d'un collègue païen, de telles équivoques repré-
sentaient l'attitude la plus habile, sinon la seule possible»; assurément, des
motifs politiques plus ou moins conscients se mêlaient à des convictions
probablement sincères, d'autre part, c'est un fait d'expérience, comme
l'affirme E. Gibbon (Storia delia decadenza e caduta dello Impero romano
(History of the Decline and Fall of the Roman Empire), tr. G. Belvederi, 2,
I, Torino. 1927, p. 21), que «dans un siècle de ferveur religieuse, les plus
habiles politiques ont fréquemment senti en eux une partie de l'enthousiasme
dont ils se proposaient d'user comme d'un moyen de domination». Constantin
Generated on 2011-09-02 17:52 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
a donc réussi à brouiller les idées de ses panégyristes, en sorte que le songe
païen du temple d'Apollon en 310 ait une réplique chrétienne à la veille du
Pont Milvius, avec l'intervention d'un ange, et que. neuf années après,
Nazarius rapporte le miracle dans le camp païen, en racontant la descente
d'une légion d'anges du ciel sous la conduite de Constance Chlore (Paneg.
Lat. X, 4). Cela explique l'importance des panégyristes pour comprendre « l'habi-
leté diplomatique» de Constantin; voir B. H. Warmington, Aspects of
Constantinian Propaganda in the Panegyrici Latini, dans les Transactions of
the American Philological Association, t. 104, 1974, p. 371-384 : il examine
les Paneg. Lat. VI-XI de l'éd. Galletier (Paris, 1949-1952), avec une réfé-
rence particulière au Paneg. VI de 307, à la veille de la réunion de
Carnuntum (pour ce dernier, voir aussi l'article récent d'Adelina Arnaldi.
Osservazioni sul convego di Carnuntum, dans Memorie dell'Istituto
Lombardo, Accademia di Scienze e Lettere, Classe di Lettere, Scienze morale
storiche, t. 35, 1975, p. 217-238), au VII de 310 (motif de la descendance
dynastique), au IX de 313, sur la victoire contre Maxence. Il n'est pas
étrange que les ateliers publics continuent pendant quelque temps à frapper
des monnaies sur lesquelles l'empereur figurait à côté de l'effigie du soleil ou
d'une autre divinité, et que le sénat, sur l'arc dédié à Constantin, infléchisse
en un sens païen l'expression polyvalente instinctu diuinitatis qui y figurait,
en accompagnant l'iconographie constantinienne d'une série d'images de
divinités païennes. Un usage plus approfondi des sources historiques païennes
contribuerait en tout cas à éclairer ultérieurement cette période si complexe
(voir F. Paschoud, Zosime 2, 29, et la conversion de Constantin, dans
Historia, t. 20, 1971, p. 334-353).
LE « MOS MAIORUM » 33
l'hésitation de Constantin, lourde d'équivoques et de contra-
dictions, était dans l'esprit de la société contemporaine elle-
même, qui n'avait pas encore complètement «dépouillé le
vieil homme».
Dans la prosopographie de Lactance, Constantin apparaît
comme le dépositaire de nombreux avantages physiques : il
est florissant de jeunesse, beau et vigoureux. Ce culte de la
beauté, riche de «fascinants attraits»27 pour le peuple romain,
n'était pas, d'ailleurs, ignoré de Lactance, qui, dans le De
opificio, avait célébré l'œuvre de Dieu à travers la création
de cette splendide créature qu'est l'homme 28.
Mais Constantin, outre les dons physiques, possédait d'au-
tres dons : il était «pâtre... clementior»29; cette appréciation
apparaît encore plus significative, si nous considérons que
son père, Constance Chlore, avait été un modèle de clémence.
En effet, lorsque, dans les autres régions de l'Empire, la
persécution faisait rage, lui-même s'était limité, dans les
territoires de son ressort, à ordonner la destruction des égli-
ses, tout en maintenant «incolume Dei templum, quod est in
hominibus»30. Cet excellent prince, à l'article de la mort, fît
appeler Constantin et «ei militibus commendato imperium per
manus tradidit»31. refusant ainsi le principe tétrarchique de la
succession — détesté par Lactance, qui déjà dans les Institu-
Generated on 2011-09-02 17:53 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tions 1, 3 et l'Épitomé 2 l'avait acerbement critiqué —, et
restaurant la succession «iure hereditatis»32.
27. Voir H. Bardon, // genio latino (Le génie Latin), tr. E. Paratore,
Roma, 1961. p. 260.
28. Et il est aussi plutôt significatif qu'ici Lactance s'accorde avec l'auteur
du Paneg. Lai. VII. Celui-ci affirme que Constantin s'était assuré la fidélité
de l'armée grâce à son charme personnel.
29. Voir mort. pers. 18, II.
30. Voir mort. pers. 15. 7.
31. Voir mort. pers. 24, 8.
32. « Le principe de la succession héréditaire s'est révélé plus fort que le
principe aristocratique et rationnel de l'adoption» (S. Mazzarino. L'Impero
romano, Trattato di Storia romana, vol. 2, Roma, 1956, p. 391). Cependant,
païens et chrétiens ont au vi" siècle la nostalgie de la stabilité dynastique
(cf. J. Gage, Les classes sociales dans l'Empire romain, Paris, 1964, p. 352).
Le panégyrique VII de 310 affirme la descendance de Constantin à partir de
Claude II le Gothique, en résiliant tous ses liens avec la dynastie des
Hercules («non fortuita hominum consensio... te principem fecit : imperium
nascendo meruisti», où est affirmé, contre le système tétrarchique de
34 FRANCESCO CORSARO
Les dons moraux de Constantin reçoivent un relief parti-
culier du fait de la ouYKpioiç opérée par Lactance entre la
loyauté de Constantin et la perfidie de Maximien, son beau-
père : «credit adulescens ut perito ac seni, paret ut socero»33.
L'Hercule lui avait conseillé « ne omnem secum exercitum
duceret», dans la mesure où il était persuadé «paucis mili-
tibus posse barbaros debellari »34. Ici, cependant, il faut
observer sereinement la situation militaire, l'opération ne
requérait pas l'emploi de tous les effectifs de l'armée.
En raison de tous ces dons, Constantin jouit d'une parti-
culière protection divine («dei manus hominem prote-
gebat»35), qui se manifeste en différentes circonstances diffi-
ciles de sa vie.
Tout compte fait, il s'agit là d'une optique que la critique
moderne tend, comme nous l'avons dit, Ã corriger; mais ce
n'est pas tant de l'exactitude historique de la figure de
Constantin chez Lactance que nous entendons nous occuper,
pour résoudre notre problème, que de la correspondance
entre les données qui concernent son christianisme et celles
qui touchent à sa romanitas. Or, il est ici évident que ces
deux «matrices» tendent à se rapprocher et à se fusionner, de
telle sorte qu'elles nous autorisent à parler, à juste titre,
d'une Jiaiôeia classique et chrétienne centrée sur Constantin.
Generated on 2011-09-02 17:53 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
C'est sous l'angle de l'homme que doit être vue, par contraste,
la dénonciation constante de la barbaries et de l'efferitas des
différents empereurs antichrétiens et antiromains, qui furent
ennemis de la justice, de Yaequitas, du beau dans toutes leurs
manifestations. Les deux termes de barbaries et d'efferitas
reviennent ensemble dans la prosopographie de Galère,
Dioctétien, le principe de l'hérédité du pouvoir impérial). Voir S. Calderone,
De Costantino a Teodosio, dans Nuove questioni di Storia antica, Milano,
19722, p. 616. Constantin, en tout cas, se hâte de demander à être reconnu
par Galère, et c'est une nouvelle preuve de sa prudence et de son habileté Ã
manœuvrer entre l'ancien et le nouveau.
33. Voir mort. pers. 29, 5.
34. Voir mort. pers. 29, 4.
35. Voir mort. pers. 24, 5.
LE « MOS MAIORUM » . 35
empereur particulièrement haï de Lactance36 : «inerat huic
bestiae naturalis barbaries, efferitas a Romano sanguine
alièna»37. Il s'agit là de sa barbaries congénitale, puisque sa
mère était «transdanuuiana»38, «deorum montium cultrix»39,
— avec résonances non seulement religieuses, mais aussi
ethniques —. Maximin Daïa est un autre prince étranger Ã
tout sens de Yhumanitas; notre auteur le présente en termes
explicites comme un «adulescentem... semibarbarum»40.
Rome déteste la barbaries. Si Lactance est sur ce point en
accord avec de nombreux divulgateurs de la religion chré-
tienne, c'est, comme l'affirme R. de Mattei, parce qu'il «y a
eu une adhésion parfaite aux schémas intellectuels du patrio-
tisme classique pour lequel la barbarie est toute entière hors
de Rome et de la romanité»41. Dans le De mortibus perse-
cutorum, nous trouvons sur ce thème une série de données et
de jugements. Galère, «Romanus quondam imperator», était
devenu «nunc populator Italiae»42. C'est là l'expression
imagé de l'indignité de celui qui a cessé (quondam) d'être
empereur romain, pour rester seulement «populator Italiae»;
et l'attachement de Galère à sa province d'origine en fait un
«hostem... Romani nominis»43. Rome devient symbole de
36. Eusèbe (hist. eccl. 6, 2-6) présente aussi Galère sous un jour défa-
vorable; cependant, le portrait est moins sombre, et quelques détails
Generated on 2011-09-02 17:53 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
manquent, comme les pressions exercées sur lui par sa mère, ou l'hésitation
de Dioclétien et la consultation d'Apollon de Milet. En outre, alors que, dans
mort. pers. 7, il parle de la Tétrarchie comme d'un système ruineux pour
l'Empire, Eusèbe, dans son hist. eccl. 8, 13, affirme que la situation de
l'Empire sous Dioclétien, avant la persécution, était prospère et heureux;
ensuite, il ne note pas les pressions exercées par Galère sur Constantin pour
le contraindre à céder la pourpre. A l'égard de Constance Chlore, l'évêque
de Césarée est encore plus bienveillant que Lactance : en effet, alors que
ce dernier affirme qu'il se borna à la destruction des temples, selon Eusèbe il
n'aurait tourmenté en rien les chrétiens.
37. Voir mort. pers. 9, 2.
38. Voir ibid.
39. \on mort. pers. Il, 1.
40. Voir mort. pers. 18, 13.
41. Voir Sut concetto di barbare e barbarie nel Medio Evo, dans les Studi
di Storia e di Diritto in onore di E. Besta, Milano, t. 4, 1949, et
P. Brezzi, Romani e Barbari nel giudizio degli scrittori cristiani dei
secoli IV-VI, dans // passagio dall'antichità al Medioevo in Occidente,
Spoleto, 1962, p. 571.
42. Voir mort. pers. 27, 7.
43. Voir mort. pers. 27, 8.
36 FRANCESCO CORSARO
libertas, par opposition au tyran, qui ne peut précisément
supporter «libertatem populi Romani»44; Romains et barbares
apparaissent opposés en 38, 6 : «ut illi barbarorum serui-
tutem fugientes in Romanos dominarentur», et en 21, 2 :
«hune morem nefarius homo in Romanam terrain uoluit indu-
cere», où est clairement exprimé le discidium entre l'abso-
lutisme de Galère, très voisin des «execrandae consuetudines
Persarum»45, et les institutions des ancêtres, inséparables
pour Lactance d'un bon gouvernement.
Mais les sentiments «républicains» du rhéteur se sentent
encore plus explicitement dans la oOvkqioiç entre Maximien
et Tarquin, quand il note que l'Hercule fut «ab urbe Roma
tamquam Superbus alter exactus»46. Éclairante, d'autre part,
dans sa claire ascendance littéraire, mais avec un arrière-plan
polémique, est la remarque sur l'erreur d'évaluation de
Galère à l'égard de Rome : «quippe qui numquam uiderat
Romam aestimaretque illam non multo esse maiorem quam
quas nouerat ciuitates»47, où est évidente la réminiscence de
Virgile, Bucoliques 1, 19-25 : comme on le sait, Tityre y
exprime sa stupeur ingénue devant la grandeur de Rome que,
dans son ignorance, il avait estimée un peu plus grande que la
petite ville de province où souvent les bergers avaient l'habi-
tude de «ouium teneros depellere fetus». Or ce qui chez
Generated on 2011-09-02 17:54 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Virgile était une attitude de compréhension humaine, est
devenu, chez Lactance, l'expression d'une rancœur à l'égard
d'un empereur grossier et inculte; le passage virgilien est
présent, aussi, avec une uariatio ultérieure, dans l'expression
«semper dementabat Nicomediam studens urbi Romae coae-
quare»48, par laquelle il critique chez Dioclétien la manie des
constructions.
44. Voir mort. pers. 17, 2.
45. Lédit visait les Manichéens (Fontes luris Romani Anteiustiniani, t. 2,
p. 581).
46. Voir mort. pers. 28, 4.
47. Voir mort. pers. 27, 2.
48. Voir mort. pers. 7, 10. Voir aussi d'autres expressions dirigées contre
les empereurs persécuteurs : ibid. 1, 2; 1, 4; 1, 5; 2, 6; 3, 1. La comparaison
entre Néron et Domitien est un lieu commun des auteurs latins, païens et
chrétiens. Voir ivv. 1, 4, 38; plin. Paneg. 53, 3-4; tert. apol. 5, 4;
pall. 4; avs. De ordine XII imper. 17; carm. 3, 1 ; 4, 1 ; 5, 1 ; 5, 7; 7, 1 ; 25,
1; 32, 4; 49, 7; 52, 2.
LE « MOS MAIORUM » 37
Dans ce désir de récupérer les valeurs éthiques et politiques
expérimentées en des époques désormais révolues, la fonction,
largement dévaluée aux yeux de Lactance, du sénat de Rome
revêt un intérêt particulier. Ce qui est clair en effet chez lui, c'est
le rappel nostalgique des structures républicaines antiques, en
vertu desquelles c'était le sénat qui devait « soluere leges » 49. Il
y a d'autre part, le regret accentué d'un patriotisme à l'ancienne,
dans la remarque « ita ut effoderentur assidue lumina
senatus»50; et une complaisance de type vieux romain pour
la «damnatio memoriae» de Domitien, ordonnée par le sénat
(«etiam memoria nominis eius erasa est»5I), — information
peut-être tirée de Suétone —52.
Mais ces institutions, que les empereurs indignes avaient
humiliées, seront rappelées à une nouvelle vie par l'homme
qu'a suscité la Providence : Lactance note avec satisfaction
que Constantin, après la victoire du Pont Milvius, reçoit du
sénat l'investiture officielle avec l'attribution du titre de
«Maximus Augustus»53. Peut-être voyait-il se réaliser là tout
ce qu'Auguste s'était efforcé de faire passer en actes : l'union
entre la monarchie et les modalités constitutionnelles du
passé.
En réalité, le jugement que Lactance porte sur le sénat en
ce moment historique n'est ni objectif, ni réaliste. La curie
Generated on 2011-09-02 17:54 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
romaine était depuis longtemps en nette décadence, et son
importance était devenue dérisoire depuis que les soldats
avaient détourné le pouvoir d'élire et de déposer les empe-
reurs, et que ces derniers avaient favorisé la prédominance au
sommet non de la classe sénatoriale ou équestre, mais d'une
élite restreinte, constituée par la cohorte impériale et par le
conseil de l'empereur54.
Dioclétien, par sa réforme des institutions, entre autres, avait
voulu soustraire l'Empire à l'influence, déterminante pendant
49. Voir mort. pers. 22, 5. .
50. Voir. mort. pers. 8, 4.
51. Voir mort. pers. 3, 2.
52. Suétone (Dom. 23) raconte que, si le peuple et l'armée s'affligèrent de
la mort de Domitien, le sénat en revanche se réjouit.
53. Voir mort. pers. 44, 11.
54. Voir L. Cracco Ruggini, Esperienze economiche e sociali nel mondo
romano, dans Nuove questioni... (cité supra, n. 32), p. 735.
38 FRANCESCO CORSARO
tout le ine siècle, des soldats, mais il ne pouvait pas resti-
tuer cette influence au sénat, privé désormais de tout
prestige55, et réduit, selon la formule de Duchesne, aux
proportions «d'une grande curie municipale»56. Quel poids
pouvait-il donc avoir, face à l'accentuation toujours plus
vigoureuse de l'institution monarchique en un sens autori-
taire, et avec une aristocratie «dépourvue de ses traditions
militaires, et qui n'avait jamais présenté ces caractéristiques
féodales qui l'auraient intéressée au salut de l'Empire ?57».
Le sénat, sous Constantin comme sous Dioclétien, souffrait
donc d'un manque de pouvoir : seule la nostalgie tardivement
républicaine de Lactance et les rêves typiquement cicéro-
niens, dont il était imprégné par sa formation scolaire,
pouvaient recouvrir ou ignorer une telle situation de fait.
Dans ce cadre coupé de la réalité, le culte de Rome, avec
son attachement patriotique et ses illusions «romantiques»
était indispensable. Sur ce thème aussi, notre auteur établit
un dualisme fortement antinomique entre « malae bestiae » et
«boni principes». Pour les premiers (nous en avons vu
quelques exemples à propos de la barbaries), Rome était, non
moins que le christianisme, un ennemi à abattre, ou pis
encore, à humilier. A propos de l'extension à Rome du
recensement ordonné par Galère, nous lisons en effet : «ad
Generated on 2011-09-02 17:54 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
hanc usque prosiluit insaniam, ut ab hac captiuitate ne
populum quidem Romanum fieri uellet immunem»58. La faute
de Galère était ici d'avoir poursuivi, dans sa tentative déses-
pérée d'assainir un bilan de faillite, une action qui tendait Ã
répartir efforts et sacrifices, en soumettant au tribut même
Rome qui, en sa qualité de ville sacrée, en était restée
exonérée jusqu'à cette époque. Dans le même esprit, alors
que Galère supprimait les cohortes prétoriennes en garnison Ã
Rome59, — mesure assez logique, du moment qu'aucun
55. Voir V. A. Sirago, Diocleziano, dans Nuove question!... (cité supra
n. 32), p. 735.
56. Voir Storia delia Chiesa antica (Histoire ancienne de l'Église), Milano.
1907, t. 2, p. 11.
57. Voir Paribeni (cité supra, n. 24), p. 86.
58. Voir mort. pers-. 26, 2.
59. Voir mort. pers. 26, 3.
LE « MOS MAIORUM » 39
empereur ne résidait plus dans la capitale —, Lactance met
aussi cette disposition sur le compte de la folie de l'Auguste.
Dans le De mortibus persecutorum 27, 3 («detestantes
scelus quod socer generum oppugnaret et quod Romani
milites Romam»), Lactance prête aux soldats de Galère des
considérations morales et patriotiques auxquelles les histo-
riens modernes ne souscrivent pas toujours pleinement. Pari-
beni observe à ce propos que «probablement intervint aussi
un travail de corruption à coup de pièces d'or de la part de
Maxence»60. Mais il y a plus; en 33, 5, dénonçant les
méthodes inhumaines par lesquelles Galère conduisait la capi-
tation, Lactance affirme : «Quae ueteres aduersus uictos iure
belli fecerunt, et ille aduersus Romanos Romanisque subiec-
tos facere ausus est». La faute de Galère serait donc, en
cette circonstance, d'avoir appliqué envers les Romains les
mêmes méthodes, plutôt vigoureuses, que les anciens
Romains, ceux du bon vieux temps, avait utilisées contre les
vaincus, naturellement en vertu du droit de la guerre. Ce
rappel perpétuel de Rome comme centre focal de la politique
du temps apparaît totalement anachronique. En effet, si elle
était encore capitale en droit, elle ne l'était plus en fait61,
depuis que les quatre empereurs de la Tétrarchie avaient fixé
ailleurs le siège de leur pouvoir. D'autre part, depuis long-
Generated on 2011-09-02 17:55 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
temps déjà , elle vivait son histoire de Ville éternelle à l'usage
60. Voir Paribeni (cité supra, n. 24), p. 52.
61. Voir P. Allard (Le christianisme et l'Empire romain de Néron Ã
Théodose, Paris, 19252, p. 119) : Rome «n'était plus qu'un centre histo-
rique»; à l'occasion de la visite de Constance II, en 357, la Ville apparaît
comme «un musée de l'histoire impériale» (J. Gagé, Les classes sociales
dans l'Empire romain, p. 347) ; le jugement de F. Paschoud est identique,
en substance (Roma aeterna. Études sur le patriotisme romain dans l'Occi-
dent latin à l'époque des grandes invasions, Roma, 1967, p. Il) : «Rome a
cessé d'être la capitale de l'Empire depuis Dioclétien, mais cette circons-
tance, loin de lui nuire, l'a comme libérée de la présence de l'empereur et de
l'administration centrale de l'État : la Ville étemelle vit son prestige moral
accru quand elle eut perdu son importance réelle». On observe encore qu'à la
fin du siècle, avec la diffusion du monachisme, même pour la Rome chré-
tienne, l'abandon s'annonce comme presque inévitable au profit des centres
de la nouvelle dévotion : les lieux saints et l'Egypte en particulier (voir
P. R. L. Brown, Aspects of the Christianisation of the Roman Aristocracy,
dans The Journal of Roman Studies, 51, 1961, p. 5). Cependant, avec la
réforme de Dioclétien, l'Italie devient un diocèse comme les autres.
40 FRANCESCO CORSARO
désormais exclusif de poètes, d'idéalistes et de rhéteurs. Mais
le passage rapporté ci-dessus se prête à un autre type de
considérations. Cette référence explicite d'un chrétien à des
privilèges et à des droits de guerre ne peut pas, en effet, ne
pas susciter chez le lecteur un sentiment de perplexité.
Le principe d'humanitas, auquel se réfère la conception
éthique et politique de Lactance, est donc apparu, parfois,
quelque peu insuffisant dans le cadre chrétien. La raison de
tout cela doit être recherchée surtout dans le peu d'influence
qu'a, dans l'œuvre, la partie essentiellement chrétienne de
l'humanitas62, celle qui s'y exprime comme «misericordia
erga egentes et humiles». Cette remarque, suggérée par
quelques uns des épisodes précédemment exposés, sera
mieux mise en évidence par ceux que nous examinons à présent.
En effet, son respect déjà noté ci-dessus envers les idéaux
républicains incite Lactance à mettre un accent particulier
sur les vexations et les cruautés exercées à l'égard des
notables, à n'importe quel niveau social. Il note que Galère
«in primis honores ademit»63, c'est-à -dire qu'il abolit les
privilèges dont jouissaient les sénateurs, les chevaliers, les
décurions, les hommes en vue. En faisant observer que les
notables des cités étaient torturés64, Lactance déplore le fait
que les méthodes habituelles à l'égard des humiliores, comme
Generated on 2011-09-02 17:55 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
la question, aient été étendues aux notables des cités, aux
membres les plus en vue des « sénats » municipaux. Et,
pour mieux expliciter sa déception, il rappelle que, par ce
moyen de torture, «nullus umquam seruus distendi solebat»65.
Il n'est pas sans signification que Lactance se trouve en
accord, sur ce point, avec Ammien Marcellin, lui aussi indigné
par les supplices «serviles» infligés aux honestiores66. Le
concept chrétien de pitié humaine et de solidarité envers les
humbles apparaît donc bien éloigné de ces remarques, qu'il
62. Pour le concept d'humanitas opposé à efferitas, immanitas barbare,
voir U. Dominguez Del Val, El senequismo de Lactancio, dans Helman-
tica, t. 23, 1972, p. 319. Pour humanitas = ncuôeîa, voir H. 1. Marrou,
Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, 1938, p. 552-554.
63. Voir mort. pers. 21,3.
64. Voir ibid.
65. Voir mort. pers. 21, 4.
66. Voir mort. pers. 28, 1.
LE « MOS MAIORUM » 41
adresse à un pouvoir despotique sur la base d'une éthique
classique, fondée sur les privilèges de naissance ou de charge.
Le fait que Lactance reproche à Maximien une «barbaram
libidinem »67 peut apparaître en même temps d'origine chré-
tienne et romaine. Beaucoup d'auteurs reprochaient déjà aux
barbares la libido : rappelons, par exemple, Cicéron, har.
resp. 42, Sénèque, contr. 1, 2, 1, Tacite, hist. 4, 76, 2.
Cependant, ici encore, Lactance fait la distinction, même si
elle n'est pas explicite, entre ingenui et serui, entre nobiles et
humiliores, ce qui pose encore une fois le problème de
l'absence, chez lui, d'une véritable éthique chrétienne. En
effet, il condamne seulement les abus de pouvoir envers les
matrones et les jeunes filles de haut lignage; Ã lire de telles
dénonciations lactanciennes, on a l'impression que la libido
de ces empereurs et leur suite ne visaient que les femmes
nobles, avec un dédain pour les humbles. En effet, en 8,5,
l'auteur dit que Maximien Hercule s'adonnait sans répit «ad
uiolandas primorum filias»; en 21,4, il raconte que, sur l'or-
dre de Galère, «matres familiae, ingenuae ac nobiles in
gynaeceum rapiebantur» ; en 38, 2, il rapporte avec horreur
que «detrahebantur nobilibus feminis uestes», et en 38,5, que
Maximin «ingenuas uirgines inminutas seruis suis donabat
uxores».
Generated on 2011-09-02 17:55 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Il s'agit là d'une optique clairement déformée, Lactance qui
n'ignorait certes pas d'autres anecdotes de libido à l'égard de
femmes de classes moins privilégiées, prouve ici qu'il n'écoute
que la voix du droit antique, violé en la personne de femmes
de condition sociale élevée. Le mos maiorum, avec ses
distinctions précises et intangibles, lui fait oublier la révo-
lution que le christianisme devrait avoir apportée dans les
rapports sociaux.
Tout cela apparaît plus symptomatique, quand nous
constatons qu'une telle vision, fondée sur un privilège de
classe, ne trouve pas son équivalent, même chez les païens.
En effet, Y Histoire Auguste évite, dans les cas de ce genre, de
semblables distinctions. De Carin, par exemple, elle dit qu'il
fut «homo omnium contaminatissimus, adulter frequens,
67. Voir mort. pers. 38, 3.
42 FRANCESCO CORSARO
corruptor iuuentutis... ipse quoque maie usus genio sexus
sui... enormibus se uitiis et ingenti fœditate maculauit»68.
D'Héliogabale : « idem mulieres numquam ïterauit, praeter
uxorem. Lupanaria domi amicis, clientibus et semis exhi-
buit»69. L'auteur parle, comme on le voit, d'une manière
générale, des jeunes gens (iuuentus) et des femmes (mulieres),
sans aucune précision sur leur rang. Il s'agissait, pourtant,
comme ici, d'empereurs; et surtout, nous ne trouvons pas
chez cet historien païen certains détails, comme celui de
jeunes filles libres contraintes d'épouser des esclaves, ce qui
semble à Lactance particulièrement révoltant.
Ces anecdotes nous laissent donc bien perplexes au sujet
de la correspondance, chez Lactance, entre l'idéal antique,
aristocratique, classique, et le nouvel idéal chrétien, démo-
cratique et ouvert. Ici encore, le substrat scolaire joue un rôle
prééminent. Un tel substrat, en un certain sens, se découvre
en 22, 4 : «iam illa prae his leuia fuerunt : eloquentia
extincta, causidici sublati, iure consulti aut relegati aut necati,
litterae autem inter malas artes habitae, et qui eas nouerant,
pro inimicis hostibusque protriti et execrati». La dénoncia-
tion de la vexation spirituelle apparaît ici plus que légitime. Il
est, pour autant, plus que surprenant qu'en face d'une telle
forme de persécution, l'auteur déclare les cas précédemment
Generated on 2011-09-02 17:56 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
exposés (il s'agit d'épisodes de cruauté tout à fait incroyables)
sans importance. Moreau, qui a examiné soigneusement le
passage, estime résoudre le problème en pensant que l'indi-
gnation de Lactance devait être ici plus grande que dans les
cas précédents, car il s'agissait là de supplices appliqués Ã
des criminels, ou, du moins, à des condamnés70.
Le distinguo de Moreau, Ã notre avis, serait plausible si les
condamnations infligées répondaient à un critère d'aequitas;
au contraire, il s'agit de bien autre chose, et l'auteur ne le
cache pas. Comment dès lors expliquer la remarque de
Lactance? Il nous semble que Lactance, dans son expression
apparemment paradoxale, trahisse ici la gêne de l'homme
68. Voir Hist. Aug. 20, 16, I sq.
69. Voir Hist. Aug. 17, 24, 2.
70. Voir son éd., t. 2, p. 331.
LE « MOS MAIORUM » 43
cultivé, qui voit dans le déclin des idéaux humanistes, déterminé
par les mesures coercitives contre les écoles71, un dommage
encore plus grave et inguérissable pour la société civile que le
bain de sang même auquel les sujets de l'Empire, chrétiens
ou non, étaient soumis. Et cela rentre dans le cadre d'une
pensée qui donne, encore une fois, la prééminence à des
idéaux d'origine scolaire.
Particulièrement significatif nous semble, ensuite, un épi-
sode dans lequel Lactance exprime, bizarrement, un jugement
négatif à l'égard d'un courageux contestataire de l'édit de
persécution de Dioclétien ; Lactance écrit : «quod edictum
quidam, etsi non recte, magno tamen animo deripuit et
conscidit»72 : l'auteur ici ne laisse sûrement pas d'admirer le
geste dans son inspiration, mais il déplore sévèrement les
méthodes d'expression de ce dissentiment.
Beaucoup de critiques se sont arrêtés à l'épisode en ques-
tion, pour chercher à comprendre les raisons du jugement
négatif de Lactance. Selon Monceaux73, le désaccord
proviendrait du tempérament de Lactance chrétien fort tiède
et dénué de toute vocation pour le martyre. Anfuso est
presque du même avis74 : il soutient que le rhéteur de Nico-
médie affirme ici l'obligation de se soustraire, si possible, au
71. Enfin, en soulignant la persistance des centres d'intérêt du rhéteur,
Generated on 2011-09-02 17:56 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
dans le cadre politique dans lequel se meut Lactance, il est opportun de
rappeler quelques expressions relevant de la terminologie politique d'origine
républicaine, qui affleure çà et là : Lactance dit que Dieu a finalement voulu
«digna... supplicia impiis ac persecutoribus inrogare» (1, 7); il utilise là un
terme spécifique du langage juridique romain; en effet, inrogare se dit du
magistrat qui propose au peuple la peine à infliger à l'accusé (cic. Mil. 36);
de même pour ordinauit de 2, 2, où ordinare, au sens «d'investir d'une
mission», est typique du langage de l'administration républicaine de l'État;
l'usage de dispono a une origine typiquement juridique en 2, 2. C'est un
calque cicéronien (Sest. 20 : «clauum imperii tenere») que la référence aux
boni principes, qui «Romani imperii clauum regimenque tenuerunt» (3, 4);
l'épithète sanctus adulescens, appliquée à Constantin, était d'un usage répété
chez Cicéron (PMI. 13, 9, 19; de orat. 1, 229; orat. 34). Le rhéteur profes-
sionnel se manifeste aussi dans la forte dramatisation de certains dialogues,
selon l'usage des autres historiens (G. Ricciotti, La 'era dei martiri',
Roma. 1953. p. 83).
72. Voir mort. pers. 13, 2.
73. Voir Histoire... (cité supra, n. 9), p. 295.
74. Voir art. cit. (supra, n. 18), p. 76.
44 FRANCESCO CORSARO
martyre. Dans le même sens, Moreau75 voit dans les paroles
de Lactance une critique envers un forcené; notre auteur
s'alignerait ainsi sur la doctrine de l'Église qui condamne le
zèle téméraire, pour diverses raisons, mais surtout parce que
des initiatives de ce genre mettent en danger la sécurité de la
communauté : en somme, pour Lactance, cet acte se présen-
terait comme une expression de montanisme enflammé.
De telles explications pourraient, théoriquement, toucher
juste. Mais si nous voulons expliquer Lactance par Lactance,
nous ne pouvons ignorer qu'une attitude de ce genre, tiède ou
simplement prudente, — quel que soit son caractère person-
nel —, ne se rencontre pas ailleurs dans son œuvre. Au
contraire, il y a un épisode dans lequel un acte inconsidéré,
et gros de bien plus graves conséquences, est rapporté non
seulement sans la moindre remarque négative, mais avec des
expressions qui ne sont pas sans une certaine complaisance
intime. Nous voulons parler de l'épisode exposé au chapitre
10, 1-4. Lactance y raconte que, pendant que Dioclétien
s'apprêtait à sacrifier et à consulter les viscères de la victime,
quelques chrétiens de son escorte firent un signe de croix : cet
acte eut pour effet de faire échouer la cérémonie, parce que
les dieux ne répondirent pas aux appels des haruspices. Leur
chef, Tagès76, fit constater le fait avec déception et non
Generated on 2011-09-02 17:57 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
seulement les responsables, mais tous les chrétiens de la suite
impériale en subirent les conséquences. Cet acte de rébellion
marqua le début de la plus grande persécution qui se fût
jusqu'alors abattue sur le christianisme77.
75. Voir son éd., t. 1, p. 30.
76. Tagès est le nom du fondateur mythique de l'haruspicine (cic. diu. 2,
23) : cela laisse à penser que ce n'était pas le nom effectif du prêtre de Dioclé-
tien: en ce cas, Lactance aurait souligné l'échec de l'haruspicine avec une
notation ironique.
77. Pourquoi Dioclétien persécuta-t-il seulement vers la fin de son règne?
En réalité, il se montre toujours réticent à accomplir une action de force, et
il s'y décide — d'après Sjrago (cité supra, n. 55), p. 602 sq. — seulement
quand il s'est aperçu que la crise financière de l'Empire avait fait proliférer
les initiatives de différentes Églises, lesquelles disposaient de moyens et d'un
enthousiasme considérables, et même de quoi laisser dans l'ombre les
mesures du pouvoir politique dans ce secteur : une espèce de contre-
gouvernement, qui, même s'il ne prenait pas position en un sens hostile,
sapait les structures de l'État.
LE « MOS MAIORUM » 45
On ne peut donc pas penser que Lactance, dans une vision
antimontaniste fervente, absolve un épisode aussi grave pour
la communauté que l'ostentatoire signe de croix devant les
prêtres de Dioclétien, tandis qu'il condamnerait un épisode
isolé de contestation, fatal seulement pour son auteur. Ce
n'est donc pas un esprit antimontaniste qui inspire la critique
de Lactance. Serait-ce alors, comme le pense Amarelli, une
«profession de loyauté à l'égard de l'État païen»78? S'il en
était ainsi, il s'agirait d'un unicum, dans un texte où l'auteur
reproche au pouvoir impérial païen même les fautes qu'il n'a
pas commises79 et où sont parfois mises en cause comme des
abus des tentatives, plus ou moins réussies, mais toujours
légitimes, de mettre de l'ordre dans l'État.
Dès lors, comment expliquer l'attitude de Lactance? Il
nous semble que la solution la plus logique doit être recher-
chée encore une fois dans le respect du mos maiorum, peut-
être ici plus que jamais antinomique par rapport à la
conscience du chrétien, mais absolument en harmonie avec le
cadre d'ensemble que nous avons cherché à esquisser. C'est
d'après ces normes traditionalistes que s'explique et s'orga-
nise l'antinomie supposée des deux épisodes : en effet, ceux-
ci sont semblables dans leurs buts, mais différents dans leurs
méthodes. Tandis que le signe de croix devant les prêtres,
Generated on 2011-09-02 17:57 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
jusque dans son intention de contestation radicale, est sus-
ceptible d'une explication civile correcte, le cas du contesta-
taire qui déchire l'édit impérial révèle, chez son auteur, une
absence totale de dignitas. C'est pourquoi, tout en étant
replacé dans le contexte d'un héroïsme chrétien estimable,
l'acte se présente comme l'expression d'un refus d'une vie
civile correcte. Lactance le condamne donc parce que, en
esprit romain, il voit dans l'usage correct des formes de
78. // 'De mortibus perseculorum' nei suai rapporti con l'ideologia
coeva, dans les Studia et documenta Historiae et luris, t. 36, 1970, p. 225,
n. 74.
79. Monceaux, Histoire... (cité supra, n. 9), p. 351), parle de «partialité
naïve, mais qui résiste à la tentation d'altérer les faits»; selon Moreau,
dans son éd. (t. I, p. 47), Lactance a les défauts des historiens antiques : il
est tendancieux, tire des faits des conclusions exagérées, montre des person-
nages tout d'une pièce, fidèles à leur éthos, mais n'altère pas la vérité des
faits.
46 FRANCESCO CORSARO
protestation l'expression véritable et authentique de la dignité
de l'homme et du citoyen.
De l'ensemble de nos remarques, il ressort clairement,
croyons-nous, que Lactance, dans le De mortibus persecu-
torum, n'a pas réussi, comme du reste dans ses autres
œuvres, à ramener à l'unité les diverses impulsions qui ani-
maient son esprit. Son aspiration était très certainement de
fondre sa culture et sa foi, la politique et la religion; mais
nous ne croyons pas que ce processus, syncrétique au sens
premier, ait été par lui heureusement conduit à son terme.
Nous approchons donc de la vérité quand nous disons que
parler de romanité et de christianisme dans le De mortibus
persecutorum signifie constater l'impossible union entre deux
mondes opposés, peut-être compatibles en d'autres circons-
tances, mais non pas au moment où le Dieu chrétien présente
le visage d'un Yahvé implacable envers les ennemis de son
peuple80. Le caractère foudroyant des événements prit au
dépourvu Lactance81, qui cherchait en vain à établir un
rapport d'équilibre entre le rhéteur, amoureux — même
quand il ne 'eut pas le reconnaître — de la Rome des
80. Cependant, la présence de l'Ancien Testament est visible dans toute
l'Å“uvre de Lactance (voir, par ex., inst. 4).
81. Au contraire, Amarelli (cité supra, n. 78), p. 209, soutient que «cette
Generated on 2011-09-02 17:57 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
sorte de 'chant de triomphe' doit nécessairement être mis en relation avec
une période de paix sereine, de tranquillité absolue, qu'il n'est pas permis de
penser trouver au lendemain du Pont Milvius, ni encore moins de Milan ou
d'Arles... tout entiers plongés dans un climat hautement dramatique et
polémique». L'opinion de Monceaux sur le sujet est tout à fait opposée.
Histoire... (cité supra, n. 9), p. 341; il affirmait que «dans la joie du
triomphe, le vieux rhéteur s'est animé, il a renié les livres et l'érudition pour
écrire un pamphlet mordant» : nous sommes d'accord avec Monceaux,
même en ce qui concerne l'abandon de l'érudition, à l'exception, pourtant,
comme nous l'avons vu, de sa «matrice culturelle», la tradition classique. Le
traité mort. pers. fut donc composé sous la pression des événements, et nous
croyons en trouver une preuve ultérieure dans les ch. 50 et 51 : ceux-ci
semblent, à première vue, contredire une datation qui n'irait pas au-delà de
313. En effet, dans ces chapitres sont racontés des événements qu'il faut
placer avec certitude en 314 (la punition de membres des familles des
persécuteurs, survenue entre l'été et l'automne de cet année). La critique,
quand elle accepte cette date de 313, a proposé devant ces deux chapitres
l'alternative suivante : ou bien il s'agit d'interpolations (A. Alfôldi, The
conversion of Constantin and Pagan Rome, Oxford, 1948, p. 45), ou bien ils
ont été ajoutés par la suite par Lactance lui-même (T. D. Barnes, Lactan-
tius and Constantine, dans The Journal of Roman Studies, t. 63, 1973, p. 32) :
LE « MOS MAIORUM » 47
Quintes, entendue surtout comme un modèle civique et litté-
raire, et le chrétien, longuement tourmenté par les frustrations
d'une faiblesse incapable de chercher le martyre, mais
profondément troublé par les injustices qu'il voyait perpétrer,
par le système politique de Dioclétien, contre les chrétiens en
particulier, et contre les sujets de l'Empire en général.
La succession bouleversante des événements, avec la
victoire de ceux qui étaient apparus — du moins sur terre —
comme les faibles, et le châtiment affreux de ceux qui étaient
apparus comme les forts, détermina chez Lactance un durcis-
sement et une exaspération des deux positions, — du chrétien
et du romain —. Le chrétien crut voir se profiler l'ombre
d'un Dieu terrible pour ses ennemis; le rhéteur ne réussit pas
à se dégager d'un idéal de vie désormais trop sclérosé pour
pouvoir redevenir actuel, en refusant souvent, peut-être sans
s'en apercevoir, les fruits les plus riches de la révolution
évangélique. En tant que chrétien, il ne réussit pas à conce-
voir un Dieu qui puisse pardonner, et cela est très peu
chrétien; en tant que rhéteur, il garde les vieilles institutions
de Rome comme un point de référence précis, non suscep-
tible d'amendements, et cela est encore moins chrétien.
On a parlé chez Lactance de conservatisme aristocratique
(Constantin) et d'empereurs «parvenus» (Galère, Maximin.
Generated on 2011-09-02 17:58 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
etc.), mais ces distinctions sont établies en grande partie
dans les ornières de la tradition littéraire, et ces idéaux ne
peuvent qu'occasionnellement s'incarner dans telle ou telle
figure. Pour Lactance, tous les idéaux de la romanité se
seraient incarnés en Constantin, parce que lui seul aurait su
aimer Rome et se faire aimer du peuple et de l'armée, mais
surtout du corps politique et social qui serait à ses yeux le
symbole de Rome : le sénat, point nostalgique de référence
pour tous les passionnés du mos maiorum.
cette deuxième hypothèse apparaît non seulement vraisemblable, mais aussi
révélatrice de l'esprit du reste de l'œuvre: en effet, les deux chapitres, par
leur évidente chute de ton, donnent un indice clair d'une nouvelle attitude de
l'auteur : on y sent la prise de conscience, même si elle reste superficielle,
de ce que la punition de tant d'innocents allait au-delà des raisons de la
vengeance divine; une certaine réserve à l'égard de Licinius commence à y
affleurer, mais, surtout, on y note une certaine atténuation du triomphalisme
qui domine le reste du mort. pers.
48 FRANCESCO CORSARO
Assurément, en ces débuts du iv* siècle, personne ne
pouvait penser qu'il pût y avoir une alternative au régime
impérial; mais, pour Lactance, le renforcement de l'insti-
tution sénatoriale représentait, cependant, une récupération
de beaucoup de valeurs de la romanité, qui s'étaient perdues Ã
l'usage. Il aspirait au renforcement d'un Empire juste et
légitime — fondé sur le régime héréditaire82 —, et seul le
mos maiorum pouvait lui offrir les moyens d'un tel dévelop-
pement harmonieux, seul Constantin pouvait lui en offrir un
exemple de réalisation dans un contexte progressivement
christianisé.
Du reste, l'idéal qui fut celui de Constantin, du moins tel
que l'a répandu Lactance, était, selon Marta Sordi, «dans la
logique de la pietas romaine la plus archaïque, pour laquelle la
religion était avant tout une alliance entre Rome et les dieux
pour le salut de Rome et de son Empire»83; l'idéal constan-
tinien tel qu'il fut au moment du passage de l'absolutisme
théocratique de type païen à celui qui sera défini comme
l'Empire chrétien».
Mais les problèmes étaient trop complexes et la réalité
socio-politique trop fuyante. Il n'est donc pas étonnant que,
lors du double choc de cette dernière avec la problématique
apologétique chrétienne de l'œuvre et avec sa base littéraire
Generated on 2011-09-02 17:58 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
et rhétorique, soient apparus des cas dans lesquels Lactance
paraît oublier ses convictions essentielles de chrétien : il
s'agit alors de prises de position mal décantées, auxquelles
des adhésions inconscientes ou mal contrôlées confèrent le
caractère d'une trahison de l'éthique chrétienne authentique.
Dans le tumulte de l'indignation, dans le déploiement
confus de motifs de haine, dans la recherche, souvent velléi-
taire, de compensations et de remèdes pour une humanité (et
pour une romanité) abattues et méprisées, le fil qui unit les
deux composantes s'amincit. Les temps n'étaient pas mûrs
pour une fusion complète des deux mondes, mais c'est
surtout Lactance qui ne l'était pas.
82. Au fond, le système d'adoption de Dioclétien s'était révélé une erreur,
même s'il avait cherché à tempérer ce principe par des mariages à l'intérieur
de la Tétrarchie (de sa fille avec Galère, de la belle-fille de Maximien
Hercule, Théodora, avec Constance Chlore).
83. // cristianesimo e Roma, Bologna, 1965, p. 406.
LE'«MOS MAIORUM» 49
Jacques Fontaine, Ã propos du Lactance des Institutions
divines, s'exprime ainsi : «lorsque Lactance veut montrer,
dans ses Institutions divines, que le christianisme est une
«vraie sagesse», sa démonstration, écrite dans un style qui
méritera à son auteur le titre de Cicero christianus, est plus
en accord avec la sagesse antique qu'avec la Sagesse de
Salomon. On perçoit chez lui tous les risques de confusion
que comportera davantage encore, au lendemain de la grande
persécution, le dessein légitime d'allier le christianisme et la
culture antique»84. Ce jugement, au terme de nos obser-
vations, nous pouvons l'étendre, dans une large mesure, au
Lactance du De mortibus persecutorum.
84. Le problème de la culture dans la latinité chrétienne du nie au
Generated on 2011-09-02 17:58 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
vif siècle, dans L'information littéraire, t. 9, 1957, p. 211.
50 FRANCESCO CORSARO
DISCUSSION
Ch. Pietri. — Constantin a essayé pendant un temps de s'insérer
dans le système tétrarchique. — D'autre part, Lactance esquisse un
panégyrique du prince chrétien dans le De mortibus, mais sa philo-
sophie politique est différente de celle d'Eusèbe.
F. Corsaro. — Je partage entièrement votre jugement, aussi bien
sur l'attitude de Constantin à l'égard de la Tétrarchie que sur les
influences qu'elle a exercées sur ses panégyristes. Je voudrais
simplement ajouter que Constantin adopta cette attitude surtout
pour des raisons de convenance et qu'elle reflète, dès le début, une
volonté polémique et novatrice.
J. Fontaine. — Ne pourrait-on éclairer la spécificité des thèmes du
mos maiorum chez Lactance, dans le De mortibus, par une étude
comparative avec les formes du thème dans la littérature plus «offi-
cielle» des Panégyriques en prose, et de Porphyrius Optatianus en
vers? Seule une étude comparative très minutieuse pourrait peut-
être permettre de sortir de la double alternative que pose la relation
de la pensée de Lactance à l'idéologie officielle constantinienne :
est-on devant des parallèles dus à la diffusion d'une même mentalité
politique? Ou en présence d'une soumission de Lactance aux «direc-
tives» de l'idéologie officielle ? Ou d'une influence de Lactance sur
la formation et l'évolution de cette idéologie? Comme tout écrivain
politique, Lactance doit être en tout cas bien considéré comme
Generated on 2011-09-02 17:59 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
reflet et facteur — «co-créateur» — de l'idéologie du pouvoir, et
son œuvre comme conséquence et cause de cette idéologie. En
l'occurrence, comment «doser» cet échange?
F. Corsaro. — Une étude comparative entre le De mortibus
persecutorum et les panégyriques officiels contemporains me semble
à même de donner une réponse plus concrète et exhaustive aux
différents problèmes que vous soulevez; mais mon enquête permet
déjà de saisir, même s'il n'a été qu'esquissé et qu'il est donc
susceptible d'amplifications et d'éclaircissements ultérieurs, le rôle
de Lactance, qui est justement celui de contribuer à la création de
l'idéologie constantinienne, dans un processus circulaire et osmo-
tique d'absorption et d'expression.
LE « MOS MAIORUM » 51
J. Rougé. — Je rappelle les trois points suivants : la théorie
des théomachoi est de tous les temps ambiguë. Pour ce qui est de Lac-
tance, elle relève de la tradition biblique des Macchabées, plus que de
tout autre. A propos de la pensée de Lactance et de son temps sur la
royauté, il ne faudrait pas oublier le WV siècle et sa conception
du souverain émanation de la divinité, sinon Dieu lui-même. Si Lac-
tance tire ses sources de l'époque républicaine et du Haut Empire, il
est aussi un homme de son temps. Les affirmations sur la damnatio
memoriae ne doivent pas être prises comme absolues. C'est ainsi que
Trajan et Pline se réfèrent, sur les enfants exposés, à un rescrit
de Domitien.
F. Corsaro. — J'ai déjà relevé que la conception classique de la
punition réservée aux théomachoi a une faible incidence sur les
thèmes fondamentaux du De mortibus persecutorum.
Quant à l'idée qui fait du souverain une émanation de la divinité,
ou bien qui l'identifie avec elle, Lactance peut bien l'avoir emprun-
tée à l'idéologie impériale qui était à son apogée au me siècle. Il
faut pourtant remarquer que la Christianisation du pouvoir «charis-
matique» du prince, que guidait et assistait le «logos divin», n'a pas
encore atteint, dans le De mortibus persecutorum, l'importance et
les dimensions qu'elle prendra dans la formulation d'Eusèbe de
Césarée.
A propos de la damnatio memoriae, pour Lactance, j'hésiterais
Generated on 2011-09-02 17:59 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
quelque peu à la représenter sous un profil, si j'ose dire,
topique, insérée comme elle est dans le contexte de la Providence
de Dieu, avec sa grande charge de justice punitive, Ã l'appui de
laquelle parfois l'auteur n'hésite pas à forcer, sinon les faits, du
moins leur interprétation.
Y.-M. Duval. — Il me semble que l'opposition romanité-chris-
tianisme ne rend pas vraiment compte de la réalité, car, dans
«christianisme», vous songez essentiellement au Nouveau Testa-
ment, tandis que la réflexion politique de Lactance se nourrit
surtout de YAncien Testament, des livres de Josué, des Chroniques,
des Rois. C'est là une régression dont nous sommes, nous, conscients,
mais elle n'a guère été perçue au Ive siècle (il faut attendre l'Augus-
tin d'après 410).
F. Corsaro. — Quand on parle d'antinomie entre les vieilles et les
nouvelles idéologies dans le De mortibus persecutorum, le point
central reste historiquement la friction entre le christianisme et
l'empire. Et si Lactance récupère effectivement certaines valeurs du
judaïsme, c'est grâce à une influence de YAncien Testament, qui
avait déjà eu une incidence considérable sur une œuvre éminem-
ment théologique comme les Divinae institutiones. C'est un phéno-
mène que l'on peut relever non seulement de nos jours, mais encore
au Ive siècle : car, dès la fin du i1'r siècle, il semblait de plus en plus
difficile de se méprendre sur les «frères ennemis» (c'est ainsi
qu'Allard nomme les juifs et les chrétiens), surtout à cause du trai-
52 FRANCESCO CORSARO
tement différent qui était déjà réservé aux deux religions sous
Domitien.
G. Nauroy. — La convergence de thèmes (par ex. celui du théo-
machos) dans les traditions païenne et juive, a pu favoriser l'inser-
tion d'éléments païens dans la culture chrétienne du rv* siècle. A la
fin du Ive siècle, dans un cadre politique et idéologique évidemment
très différent, Ambroise de Milan explicitera, à l'imitation des Pères
grecs, une pensée implicite de Lactance : ce qu'il y a de bon chez
les païens est imité de la Bible, et peut donc être intégré dans la
civilisation chrétienne. Schématiquement, on pourrait dire que la
parfaite connaissance de Y Ancien Testament chez les chrétiens du
IVe siècle et leur conviction de la dépendance des philosophes grecs Ã
l'égard de Moïse leur ont permis de fusionner les deux traditions dont
ils étaient les héritiers et. en particulier, de rester foncièrement
Romains en toute bonne conscience.
F. Corsaro. — Pas de réponse.
B. Studer. — Qu'est-ce que Lactance considérait comme chrétien
et quels étaient ses critères pour juger du caractère chrétien des
faits ou des idées romaines? D'autre part, dans quelle mesure sa
position de rhéteur chrétien, mais laïc, a-t-elle influencé sa manière
d'approcher les idées judéo-chrétiennes et antiques?
F. Corsaro. — Dans la récupération de beaucoup de valeurs
politiques et morales de la romanité (par ex. Yhumanitas), le Lactance
Generated on 2011-09-02 18:00 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
du De mortibus persecutorum voyait une amplification des valeurs
chrétiennes correspondantes. Ces valeurs, qui concourent à l'instau-
ration d'une paideia romano-chrétienne, se présentent sous un
nouveau jour par suite des volontés du pouvoir impérial, à l'égard
duquel la romanité ne semble pas co-responsable mais plutôt victime,
d'où le «leit-motiv» de l'œuvre : la justice divine tend à rétablir
dans leurs droits outragés à la fois la chrétienté et la romanité.
Quant à savoir si sa situation de rhéteur chrétien, mais laïc, a
influencé son approche des idées judéo-chrétiennes et anciennes,
mon étude révèle une position d'un côté extrémiste, de l'autre
adoucie par un élément culturel d'origine classique.
• E. Heck. — La nostalgie tardive de la République, que Lactance
a tirée de Cicéron par l'intermédiaire de l'école de rhétorique, a son
pendant dans la terminologie républicaine conservatrice du Panégy-
rique de 313 : Constantin comme optimus princeps, Maxentius
comme tyrannus. En second lieu, l'accueil profond de catégories
traditionnelles romaines de pensée manifeste chez Lactance la chris-
tianisation du lieu commun de la religio neglecta : celle-ci a les pires
conséquences pour un État, alors que le cultus deorum a la plus
grande utilité (cf. cic. nat. deor. 2, 8; hor. carm. 3, 6, 1-16).
La fin affreuse de l'empereur persécuteur et le succès de l'adorateur
LE « MOS MAIORUM » 53
du summus deus montrent la supériorité du Dieu des chrétiens. A
vrai dire, cette christianisation d'une façon romaine de penser (qui,
en outre, converge avec II Macchabées) ne provient pas de Lactance,
mais commence dès les apologistes : Tertullien, Scap. 3 et Cyprien,
Demetr. 17 (cf. J. Moreau, éd. de mort, pers., p. 60-64).
F. Corsaro. — Une convergence des conceptions classiques et
judéo-chrétiennes au sujet de la colère divine chez Lactance ne peut
se postuler qu'en termes très généraux, et je ne crois pas non plus
qu'elle puisse être éclaircie par des références plus précises dans
l'apologétique précédente : comme par exemple l'avertissement à ne
pas théomachein que Tertullien adresse à Scapula (je ferais par
contre abstraction de Y Ad Demetrianum de Cyprien, où la large
intervention des Écritures saintes de Y Ancien Testament fixe le
témoignage aux sources bibliques). Par conséquent, je ne crois pas
qu'on puisse rechercher le point de rencontre de la romanité avec le
christianisme dans ce thème aussi bien que dans celui de la religio
neglecta, même si, dans un contexte de christianisation assez
répandue des instituta politico-religieux des Romains, il est difficile
d'empêcher que tel ou tel aspect particulier y soit impliqué d'une
Generated on 2011-09-02 18:00 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
manière plus ou moins marginale.
Generated on 2011-09-02 18:00 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
FRANÇOIS HEIM
L'INFLUENCE EXERCÉE PAR CONSTANTIN
SUR LACTANCE :
sa théologie de la victoire
L'expression «théologie de la victoire» a été mise en circu-
lation en 1933 par Jean Gagé. Elle figurait dans le titre d'une
étude : La théologie de la victoire impériale parue dans la
Revue historique, avant-dernière de sept publications 1 qui ont
fait date, et qui traitaient toutes du même sujet : la victoire
romaine — avec un excursus vers Constantinople — dans ses
rapports avec la divinité. Depuis lors le thème et l'expression
ont été souvent repris, par exemple par J. Bayet, dans ses
deux études sur le sacerdoce romain et la prédivinisation
impériale2, par R. Combes dans sa thèse sur le titre, les
qualités et les prérogatives de Y imperator*, G. Ch. Picard,
1. Ce sont par ordre chronologique :
— Romulus-Augustus, dans MÉFR, 47, 1930, p. 138-181.
— La Victoria Augusti et les auspices de Tibère, dans RA, 32, 1930, p. 1-35.
— Les sacerdoces d'Auguste et ses réformes religieuses, dans MEFR, 48,
1931, p. 75-108.
— Diuus Augustus. L'idée dynastique chez les empereurs julio-claudiens,
dans RA, 34, 1931, p. 12-34.
— Un thème de l'art impérial romain : la victoire d'Auguste, dans MÉFR,
49. 1932, p. 61-92.
Generated on 2011-09-02 18:01 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
— Théologie de la victoire impériale, dans RH, 171, 1933, p. 1-43.
— Zxaupôç vikojioioç. La victoire impériale dans l'empire chrétien, dans
RHPhR, 13, 1933, p. 370-400.
2. J. Bayet, Les sacerdoces romains et la prédivinisation impériale, repris
dans Croyances et rites dans la Rome antique, p. 275-336 et, du même,
Prodromes sacerdotaux de la divinisation impériale, ibid.. p. 337-352.
3. R. Combes, Imperator. Recherches sur l'emploi et la signification du
titre d'imperator dans la Rome républicaine. Paris, 1966.
56 FRANCOIS HEIM
dans son étude sur les trophées romains4, et J. Béranger dans
celle qu'il a consacrée aux origines du principat5. Du côté
allemand, J. Staub6, J. Vogt7 ou F. Altheim8, en se servant
d'une terminologie différente ont traité explicitement du
même thème.
Il existait donc une «théologie de la victoire» à Rome,
c'est-à -dire une réflexion sur les rapports entre la victoire et
les dieux. Pour les Romains, le privilège de vaincre dépendait
d'abord des dieux :
— de l'accord qu'ils donnaient au général d'entreprendre
une opération militaire;
— de la bienveillance dont ils l'entouraient au cours de la
campagne.
L'accord était sollicité par des auspices solennels au
moment de l'ouverture des hostilités; la bienveillance, par
des prières et des sacrifices, au rituel soigneusement réglé,
qui ouvraient chaque campagne. Auspices et sacrifices jouaient
ainsi un rôle essentiel dans la théologie de la victoire. Il faut
y ajouter les actions de grâces au retour : supplications
d'action de grâces avec ou sans ovation, avec ou sans
triomphe.
Sous l'Empire, la victoire elle-même était interprétée tantôt
comme une puissance autonome, compagne de l'empereur —
Generated on 2011-09-02 18:01 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
et c'était la théologie finale d'Auguste, de la dynastie julio-
claudienne, puis de celle des Sévères —, tantôt comme
l'effet d'une intervention divine , de Venus Victrix, d'Apollon,
de Minerua, de divinités orientales, puis du Soleil, dernier
venu, que l'ingénieux système de la tétrarchie n'arrivera pas
à éliminer complètement au profit de Jupiter ou d'Hercule.
La notion de felicitas, centrale dans cette théologie, flotte au
4. G. Ch. Picard, Les trophées. Contribution à l'histoire de la religion et
de l'art triomphal à Rome. Paris, 1957.
5. J. Béranger, Recherches sur l'aspect idéologique du principat. Bâle,
1953.
6. J. Staub, Vom Herrscherideal in der Spà tantike. Stuttgart, 1964.
7. J. Vogt, Vom Reichsgedanken der Rômer, Leipzig, 1942. Surtout le
chapitre IV, Rômischer Glaube und rômisches Weltreich, p. 118-169.
8. F. Altheim, Italien und Rom, chapitre IV, Von den Vrsachen der
Grosse Roms, Leipzig, 1941.
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 57
gré de cette double interprétation : chance attachée d'une
manière constante et irrationnelle à un personnage, ou bien
réussite accordée par une divinité à un général ou empereur
qui est son bien-aimé. La force victorieuse, surhumaine célé-
brée par les trophées et les légendes monétaires s'appelle la
uirtus.
Or, on peut constater que cette théologie fait irruption dans
l'œuvre de Lactance, comme d'ailleurs dans celle d'Eusèbe,
en même temps que Constantin fait irruption dans leur vie.
La chronologie est assez ferme désormais du côté de
Lactance. Corrigeant J. Moreau, J. R. Palanque, suivi par
M. Perrin9 situe la composition du De mortibus en 313-315, Ã
Trêves ,0, pendant que Constantin séjournait lui-même dans
sa capitale rhénane. C'est dire que le De mortibus a été
rédigé sous le regard même de l'empereur.
Or la pensée religieuse de l'empereur était certainement
déjà formée à cette époque. Elle s'était déjà exprimée et
s'exprimera encore à travers un foisonnement de décrets, de
lettres, d'inscriptions, de symboles et de légendes monétaires,
qui donne, à première vue, l'impression d'un fouillis impéné-
trable et paraît incohérent, surtout si on se réfère aux analyses
contradictoires et décourageantes de ses multiples commenta-
teurs. En fait, à regrouper les lignes de force de cette pensée,
Generated on 2011-09-02 18:01 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
on découvre qu'elle s'organise d'une manière très ferme, et
sans varier de 312 à 337, autour de la théologie de la victoire :
Constantin est convaincu que pour vaincre et obtenir la
felicitas — eùôcuuovCa ou evxvy(ia dans ses textes grecs,
prosperrima ou simplement bona en latin — il a besoin de l'aide
divine. Une fois qu'il a découvert quelle était la Puissance. Vir-
tus, qui lui accorderait cette aide, il ne veut plus agir que sur son
ordre et il fait tout ce qui est en son pouvoir pour garder sa bien-
veillance.
L'Å“uvre constantinienne foisonne d'affirmations qui expri-
ment la conviction que la victoire vient du Dieu chrétien. Il
compare à plusieurs reprises le sort des persécuteurs à celui
9. M. Perrin, L'ouvrage du Dieu créateur, SC 213, tableau synoptique en
fin de volume et aussi p. 16, note 2.
10. J. R. Palanque, Sur la date du De mortibus persecutorum, dans Les
Mélanges J. Carcopino, Paris. 1966, p. 711-716.
58 FRANÇOIS HEIM
de son père, et il conclut de ce retour sur l'histoire récente
que, si les uns ont péri misérablement, c'est que Dieu les a
punis et que si son père a été heureux, c'est que Dieu était
son allié. A quatre reprises on trouve ainsi l'amorce d'un De
mortibus : dans la lettre à Sapor, dans laquelle il insiste
surtout sur le sort horrible de Valérien", dans la lettre aux
habitants de Palestine'12, dans la lettre à toutes les
provinces u ; enfin dans le Discours à l'assemblée des saints,
il consacre deux paragraphes au thème et passe succes-
sivement en revue la fin misérable de Dèce, Valérien, Auré-
lien et Dioclétienl4. La réflexion sur le malheur des persé-
cuteurs tient donc une certaine place dans la pensée théo-
logique de Constantin, et s'il faut en croire Eusèbe15, ce
genre de méditation était bien antérieur à la publication du
De mortibus par Lactance.
Si Dieu punit ses ennemis, il récompense ses amis, en
particulier il accorde la victoire à un empereur qui l'honore.
Il est significatif que le nom divin préféré de Constantin est
ôvvauxç, qu'on rencontre une douzaine de fois chez lui avec
des termes lexicologiquement proches, è^ouoîa, à oeTrj et
même à vôoeta. Tantôt Constantin parle de Dieu comme de celui
qui est la Puissance, et alors ôvvauiç est un nom divin, tantôt
comme de celui qui possède la puissance, et alors ôvvauiç; est un
Generated on 2011-09-02 18:02 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
attribut divin. A côté de ôvvauiç, à qeTry et è^ovoîa, on trouve
également un autre nom divin qui faisait partie du vocabulaire de
la victoire : kqeîttiov l6. Constantin l'emploie cinq fois l7 : le dieu
chrétien lui apparaît comme le détenteur ou comme l'incarnation
de cette puissance victorieuse qu'avaient exaltée depuis deux
siècles les trophées, les légendes et les symboles monétaires.
En effet, à part sans doute è^ouota, qui correspond peut-être Ã
11. Vita 4, 11-13.
12. Vita 2, 24 et 26.
13. Vita 2, 49-54.
14. Discours à l'assemblée des saints, 24-25.
15. Vita 1, 27.
16. Voir G. Ch. Picard, op. cit., chapitres I et II.
17. Vita 2, 24; Vita 2, 25; Vita 2, 26; Vita 2, 28; Vita 2, 71. Voir à ce
sujet I. Heikel, Eusebius, Vita Constantini, GCS 7, Einleitung, p. LXXXV,
et H. Doerries, Das Selbstzeugnis Kaiser Constantins. GÅ“ttingen, 1954,
p. 150 sqq.
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 59
potentia superna, attesté dans la lettre aux onze évêques
numides ,8, tous ces termes correspondent à la seule et unique
uirtus latine. Malheureusement uirtus n'est attesté chez Constan-
tin que dans la fameuse inscription portée au bas de la statue
triomphale érigée à Rome au lendemain de la victoire sur
Maxence, sur ordre du Sénat. Mais la traduction de Rufin est
sans doute, comme le note J. Gagé19, plus proche de l'ori-
ginal que le texte d'Eusèbe qui porte à vôoeîa. Si uirtus est, lÃ
encore, nom divin, le texte de l'inscription devient lumineux :
« Par ce signe salutaire qui est l'insigne de la véritable Puis-
sance... » 20. Constantin a misé sur le Dieu chrétien ; il a triom-
phé, et il le dit immédiatement à la face du monde. Il n'y a rien
d'« invraisemblable » : c'est un geste conforme au caractère de
Constantin ; il est conforme aussi à la mentalité de l'époque. Ce
n'était pas la première fois qu'on voyait un empereur, et Cons-
tantin lui-même, changer de divinité protectrice. Le vocabulaire
chrétien courant a pu fournir à l'empereur ce nom divin de Vir-
tus qui avait tout pour le séduire. La Vêtus latina emploie
couramment l'expression pour désigner Dieu, y compris le
Nouveau Testament en Matthieu 26, 64, et Marc 14, 62.
Ce Dieu lègue ou délègue quelque chose de sa puissance Ã
l'empereur, dont les victoires deviennent ainsi des épiphanies
divines. Pour Constantin, Dieu se manifeste de quatre façons :
Generated on 2011-09-02 18:02 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
les merveilles de la création, les miracles évangéliques, ses
victoires à lui et la punition des persécuteurs21. Sans cesse il
18. Optat, éd. Ziwsa, CSEL 26, p. 208.
19. J. Gagé, La Virtus de Constantin, REL, t. 12, 1934, p. 402.
J. Gagé ne donne pas les raisons qui le portent à préférer Rufin à Eusèbe. Je
pense que l'allitération uerae uirtutis, les jeux de mots signum, insigne sont
des indices qui suggèrent que le début au moins de l'inscription nous est
rendu fidèlement par Rufin.
20. Le terme de insigne, certainement authentique, est à interpréter en
fonction du vocabulaire militaire technique des drapeaux et des enseignes.
Voir, par exemple, H. Kruse, Studien zur offiziellen Geltung des Kaiser-
bildes im rômischen Reiche, Paderborn, 1934, p. 51 s.; A. von Domas-
zewski. Die Fahnen in rômischen Heere, dans Abh. des Arch.-
Epigr. Sem. Wien, Heft 2, 1885.
21. Les quatre éléments se retrouvent, par exemple, associés dans le
Discours à l'assemblée des saints, 33-38. Voir aussi la Lettre aux habitants
de Palestine, Vita 2, 24.
60 FRANÇOIS HEIM
revient sur ses victoires pour proclamer qu'elles sont l'Å“uvre
de Dieu22.
L'empereur devient ainsi l'instrument ou le siège de la
puissance divine, et Constantin veille à être un instrument
docile; il ne veut agir que sur i'ordre de Dieu. Cette préoc-
cupation rejoint celle du général romain, soucieux de prendre
les auspices avant la bataille. Constantin se sert de formules
vagues, quand il ne dramatise pas cet aspect de la théologie
de la victoire en parlant de songes : il agit sous l'impulsion de
Dieu, sa conduite ou son inspiration23. On sent que cet
élément hérité du plus lointain passé romain est fortement
ancré en lui, et dès 315 il avait proclamé sur l'arc qui porte
son nom qu'il agissait instinctu diuinitatis2*.
Mais surtout, il s'efforce avec une sorte de passion fana-
tique de garder les faveurs de ce Dieu qui le fait voler de
victoire en victoire; il veut être son famulus ou son
8eodJiarv, owôeoâJUDV, BeocuiEimjç. Il voudrait lui soumet-
tre également ses sujets et organiser pour lui à travers tout
l'empire un culte parfait. La grande masse des lettres de
Constantin concerne soit les schismes donatiste ou arien, soit
la construction de martyria et de basiliques. Dans les deux
cas, c'est surtout le culte à rendre à Dieu qui préoccupe
l'empereur. Les termes thématiques qu'il emploie sont aussi
Generated on 2011-09-02 18:03 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
variés en grec qu'en latin : BpnoKeîa, Xatoeta, Beoajreta,
ueneratio, cultura, obseruantia". Si l'aspect cultuel n'arrive
pas à épuiser ces notions, il est pourtant central, et pour
Constantin primordial.
Dès 313, en effet, il expose au proconsul Anulinus les
raisons de principe qui l'incitent à prendre soin du culte
chrétien : «Parmi un grand nombre de faits, le mépris de la
22. Par ex., Lettre aux habitants de Palestine, Vita 2, 24; Lettre au
synode d'Arles, CSEL 26, Appendice IV. p. 208. Lettre à Eusèbe.
Vita 2, 46; Lettre à Sapor, Vita 4, 9.
23. Voir les termes {Kpir/rjoeoiv (Vita 2, 55), naocuvéoeoiv (2. 42). vrû-
liati (2, 12).
24. A. Alfoeldi, The Conversion of Constantine and pagan Rome, 1948,
p. 133, avait démontré que le texte de l'inscription remontait à Constantin
lui-même. H. Doerries, op. cit., p. 225, note 2, se rallie à cette conclusion.
25. A noter l'absence de pietas qui semble réservé à la définition des
rapports interhumains.
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 61
religion qui rend hommage à la très sainte Puissance suprême
suscite manifestement de grands dangers pour les affaires de
l'État, mais si on adopte cette religion et si on la garde
conformément à la loi, elle vaut une très grande prospérité
(HeYÕoTrrv eijTuxîav) au nom romain et un bonheur particulier
(èÇcuQexov eùôatuovîav) à toutes les affaires humaines; car ce
sont les bienfaits de Dieu qui nous procurent ces avantages »26.
Si l'empereur a déployé tant d'activité autour des querelles
donatiste et arienne, c'est que ces divisions mettaient en péril
le culte public (xnv xxôv ôfjuoov 0QT]oKe£av Vita II, 6). Il faut
renoncer à la légende d'un Constantin féru de théologie, faisant
ses délices de querelles de spécialistes. Il n'avait de goût que pour
la théologie de la victoire. Il ne comprenait même pas, par
exemple, comment le problème trinitaire pouvait déchaîner
des passions aussi violentes. Pour lui, ce sont questions
oiseuses auxquelles personne ne comprend rien et qu'il vau-
drait mieux ne pas soulever27. Il répète inlassablement les
appels à l'unité : concors fraternitas, concors simplicitas,
cpiXia, auuxpurvîa, à yôjvr\, eiqtîvt] et surtout ôuévoia (une
vingtaine de fois), ethaÇia aussi sont les termes qui portent cette
préoccupation. Constantin est littéralement obsédé par l'unité
du culte, «car, dit-il, si j'arrive à rétablir l'entente entre les
serviteurs de Dieu par mes prières, la prospérité des peuples
Generated on 2011-09-02 18:03 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
s'en trouverait accrue et les affaires publiques connaîtraient
un changement favorable»28.
C'est que l'unité est indispensable au bon exercice du culte
chrétien à travers l'empire. L'obstination des évêques à se
quereller pourrait nuire à la faveur dont il jouit auprès de
Dieu : « Ne quid taie eueniat nimia uestra obstinatione quod
diuinitati displiceat »29. On comprend dès lors ses colères,
ses menaces, ses supplications. Il se croyait placé, conformé-
ment à l'idéologie impériale, au centre d'une tourmente, où
s'affrontaient des forces surnaturelles ; chargé de maintenir
sur l'empire les faveurs de la Puissance d'ordre, de paix, de
prospérité et de victoire contre les puissances mauvaises, les
26. Eusèbe, HE X.7.I.
27. Lettre à Alexandre et Arius, Vita 2, 64.
28. Ibid.
29. Lettre aux évêques numides, CSEL 26, p. 210.
62 FRANÇOIS HEIM
démons, comme il dit, qui propagent désordres, guerres,
misères et défaites ; et voilà que ceux qui devraient être ses
aides privilégiés dans cette tâche d'importance cosmique
se querellent et sabotent le culte auxquels ils sont préposés30.
L'empereur était nécessairement partie prenante dans les
affaires ecclésiastiques ; ses interventions dans les querelles
donatiste et arienne, dans la querelle pascale, dans la construc-
tion des martyria et des basiliques procèdent du même principe :
la felicitas personnelle, garante de la felicitas temporum, dé-
pend de la Virtus rencontrée au moment de la bataille du
Pont Milvius ; les faveurs de cette Virtus sont suspendues
à la piété impériale et au culte officiel qui lui est rendu à tra-
vers l'empire ; le premier devoir de l'empereur est donc de
veiller à la bonne exécution de ce culte.
Une mystique aussi fervente, une conviction aussi massive,
une pensée, en définitive, aussi cohérente, nourrie aux plus
lointaines sources romaines, fidèle à la tradition telle que l'a
revivifiée la Tétrarchie, ne pouvaient manquer d'impres-
sionner et de marquer les contemporains chrétiens. Comment
Lactance aurait-il pu se soustraire à cette influence, de même
d'ailleurs que, quelques années plus tard, Eusèbe? Pris dans
le tourbillon du changement d'époque historique, les deux
auteurs, un rhéteur et un érudit, étaient des personnages, non
Generated on 2011-09-02 18:03 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pas falots, mais souples et influençables. Ni l'un ni l'autre
n'avaient la stature d'Ambroise, par exemple. Le rapport
des forces, même dans le domaine psychologique et intellec-
tuel, penchait du côté de l'empereur. Celui-ci a attiré Lactance
et Eusèbe dans sa sphère ; ils se sont mis à parler son langage
et à répéter ses idées. Von Campenhausen note que des
Institutions au De mortibus Lactance a perdu son visage
familier31; c'est que par un mimétisme étrange il s'est mis Ã
ressembler à Constantin. Il n'est pas question d'établir une
dépendance spécifiquement littéraire entre l'empereur et ses
30. Il faudrait expliquer dans ce sens la lettre à Anulinus, HE X, 7. par
laquelle l'empereur exempte de toute charge publique les membres du clergé
chrétien : «S'ils (les clercs) rendent à la divinité une très grande adoration,
il semble qu'il en découlera pour les affaires publiques le plus grand bien».
31. H. von Campenhausen, Les Pères latins, traduit de l'allemand par
C. A. Moreau. Paris, 1966, p. 93.
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 63
deux publicistes; elle serait d'ailleurs chronologiquement
impossible pour Lactance. Le phénomène qui relie
Constantin à Lactance et à Eusèbe est plus subtil : il tient
de l'ascendant et de l'assujettissement, de la conviction et
de la conversion.
Il est possible en particulier de surprendre quelques retom-
bées de la pensée constantinienne chez Lactance. Malgré ses
efforts et son érudition, J. Moreau ne me paraît pas avoir
démontré l'existence d'une véritable tradition chrétienne trai-
tant de la mort des persécuteurs. Des textes qu'il cite32, on
peut retenir surtout Actes 12, 23, c'est-à -dire la mort d'Hérode
Agrippa et le chapitre III de YAd Scapulam de Tertullien.
C'est mince. Les autres textes ou sont postérieurs à Lactance
ou se situent dans une perspective différente de celle du De
mortibus. La tradition chrétienne, à cet égard, se caractérise
par une grande discrétion : il suffit de relire Eusèbe lui-
même, racontant par exemple la mort de Dèce ou de Valérien
ou encore les actes authentiques des martyrs. Dans ce dernier
cas, l'un des critères internes les plus sûrs qui permettent de
déterminer l'authenticité d'un texte, c'est la retenue dans
l'affrontement, la sérénité des réponses, l'absence de menaces
et de vociférations. Quant aux antécédents lactanciens eux-
mêmes, la fin du livre V des Institutions, c'est le cri de révolte
Generated on 2011-09-02 18:04 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
et l'appel au feu du ciel — punientur — trop naturel chez un
homme qui a vécu les atrocités de la persécution. Le retour
méthodique sur l'histoire, la méditation appliquée de la fin misé-
rable des persécuteurs apparaissent vraiment avec Lactance
dans la littérature chrétienne, se poursuivent dans les trois
derniers livres de YHistoire ecclésiastique d'Eusèbe, écrits après
312, et parallèlement dans les écrits constantiniens. J. R. Palan-
que supposait que Lactance avait apporté dans ses bagages le
canevas du De mortibus, quand il est arrivé à Trêves ". Peut-être.
II se pourrait aussi que l'idée même de l'ouvrage lui ait été
suggérée par l'empereur.
En tout cas, la théologie de la victoire développée par
Lactance est conforme à la pensée de Constantin. Les deux
32. J. Moreau, mort. pers. SC 39, p. 63 sqq.
33. Op. cit., p. 716.
64 FRANÇOIS HEIM
récits de victoire qui s'insèrent dans le chapelet d'horreurs
qu'égrène Lactance répondent en effet au schéma constan-
tinien, en particulier le récit de la victoire de Licinius sur
Maximin.
Le récit se déroule en quatre étapes : le songe, la prière de
l'armée, l'engagement proprement dit, l'action de grâces. Le
schéma est théologiquement parfait et correspond au dérou-
lement de la victoire romaine de toujours.
Le songe remplace évidemment les auspices. Lactance se
fait son propre exégète en précisant qu'apprenant le songe,
«l'ardeur de tous redouble : ils sont persuadés que le ciel leur
a annoncé la victoire, uniuersis uictoriam de caelo nuntiatam
credentibus »iA.
Le remplacement des auspices païens par un procédé de
divination acceptable par le christianisme a été le problème le
plus délicat et le plus mal résolu lors de cette migration en
terrain chrétien de la théologie de la victoire. Très tôt, des
hommes d'Église ont essayé de «récupérer» cet élément
décisif de toute la politique impériale, et certains évêques
n'hésitaient pas à se faire passer pour inspirés de Dieu pour
tirer les auspices de leur côté : on connaît la ruse de l'évêque
arien Valens pour faire croire qu'il avait eu la révélation de
l'issue de la bataille de Mursa35, de même que les consul-
Generated on 2011-09-02 18:04 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tations de Théodose auprès du moine Jean36.
Avec les acclamations37, le procédé de mantique le plus
acceptable pour le christianisme était le songe, qui, croyait-
on, permettait un contact direct avec la divinité. La litté-
rature constantinienne en fait amplement usage. Lactance lui-
même nous permet d'entrevoir l'importance du songe chez
Constantin et son milieu : Maximien peut prendre prétexte
d'un rêve pour réveiller l'empereur en pleine nuit et s'intro-
duire dans ses appartements38.
34. Mort. pers. 46, 7.
35. Sulpice Sévère. Chron. 2. 38. 5.
36. Rufin, HE 11, 32 et Augustin^cim, 5, 26 et textes parallèles. (Voir
W. Ensslin, Die Religionspolitik des Kaisers Theodosius des Grossen, dans
Sitzungberichte der bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1953, Heft 2,
p. 86-88).
37. Voir l'article Acclamation, dans RAC.
38. Mort, pers., 30, 4.
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 65
En attendant, le songe de Licinius apparaît à la plupart des
commentateurs comme une répétition de celui de Constantin
lui-même, et comme on le verra plus loin, c'est l'interpré-
tation la plus probable.
Quant à la deuxième phase de la bataille, la prière, Lactance
l'entoure d'une certaine solennité. La mise en scène est
soignée : «Les soldats déposent leur bouclier, enlèvent leur
casque ; à l'exemple de leurs officiers ils élèvent les mains au
le ciel». Depuis H. Grégoire, on a tellement dit et répété que
cette prière se retrouve «textuellement»39 dans la Vita
Constantini IV, 19-20, qu'on finit par devenir plus sensible
aux différences qu'aux ressemblances. Reconnaissons que la
teneur est identique de part et d'autre, que la prière grecque
est une version, dans les deux sens du terme, de la prière
latine. Mais on n'a pas assez fait remarquer que l'original
latin, par son rythme, ses répétitions, ses assonances, ses
allitérations et ses chiasmes prend l'allure d'une incantation.
La relative brièveté du texte, le rythme litanique, l'allusion Ã
l'attitude rituelle des bras levés font songer à un usage litur-
gique, au sens large du terme.
Cette prière ensuite, utilise une terminologie qu'on peut
appeler constantinienne, dans la mesure où chaque mot
trouve son correspondant dans les textes constantiniens 40. Les
Generated on 2011-09-02 18:04 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
épithètes divines summe, sancte sont fréquentes chez Constan-
tin, autant dans les documents latins41 que dans leur version
grecque, uéyiotoç 0éoç, w|hotoç, à yioç42. La notion de
salus, à entendre évidemment au sens temporel, est omni-
présente dans les textes constantiniens, qui glosent souvent
ce terme par incolumitas, securitas, felicitas et leurs corres-
pondants grecs, surtout dans les formules finales des lettres.
La demande omnem iustitiam tibi commendamus peut
39. J. Moreau, SC 39, p. 451.
40. Il est vrai qu'aucun de ces termes n'est absolument propre à Constantin,
mais le faisceau global de rencontres verbales pose au moins le problème des
relations entre le texte de la prière et Constantin. Le rapprochement avec la
prière Finale de YAsclepius, évoqué par A. Piganiol (L'empereur
Constantin. Paris, 1932, p. 77) est superficiel.
41. Voir, par exemple, la Lettre aux évêques numides, CSEL 26,
Appendice X, p. 213 Ã 214.
42. Voir ces épithètes rassemblées par H. Doerries, op. cit., p. 361 à 366.
66 FRANÇOIS HEIM
paraître étrange si l'on n'y voit pas une allusion au bellum
iustum et pium de la tradition romaine. L'abstrait iustitia
remplace, conformément à une loi générale de la latinité
tardive, un concret correspondant, ici bellum iustum. Avant
le combat, l'armée romaine rappelle que le bon droit est de
son côté, condition indispensable, selon la tradition, pour
bénéficier de l'aide divine, et J. Staub a montré combien
précisément les empereurs illyriens étaient soucieux de main-
tenir le mos maiorum*i.
Imperium nostrum tibi commendamus : cette phrase a
déclenché une controverse entre A. Piganiol44 et J.
Moreau45, le premier estimant qu'elle était incompréhensible
dans la bouche de soldats, qu'elle ne convenait qu'Ã des impera-
tores, le second s'efforçant d'attribuer la prière au seul Li-
cinius et prétendant que les soldats pouvaient appeler nostrum
Yimperium de leur empereur, puisqu'ils avaient contribué à son
élévation. Cedernierargumentparaîtbiensubtil. Enfaitjmperium
est encore un de ces abstraits mis à la place du concret imperator ou
imperatores.« Nous te confions ceux qui exercent le comman-
dément sur nous». Eusèbe traduit brutalement tôv ûuixEpov
6aoiXéa Kwvoravtivov jiaiôâç te amov... ocjoov koù vucrJTnv
opvAôVrreoôai jt.otvud|ievoi,46.
Per te uiuimus : Constantin revient ailleurs avec force sur
Generated on 2011-09-02 18:05 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
cette idée que Dieu est pour les hommes source de vie.
Summi dei, qui huius mundi auctor et pater est, cuius bene-
ficio uitam carpimus*1.
Per te uictores et felices existimus : c'est la notion centrale
de la pensée constantinienne et l'essence même de la théo-
43. J. Staub, Vom Herrscherideal in der Spà tantike. Stuttgart, 1964, par
ex., p. 147 : «Die Illyrer... versuchten ihr Handeln in Einklang mit den ùber-
lieferten Anschauungen zu bringen». Cf. aussi l'exposé de F. Corsaro, Le
mos maiorum dans la vision éthique et politique du De mortibus perse-
cutorum, supra, p. 25-49.
44. A. Piganiol, L'empereur Constantin, op. cit., p. 76.
45. J. Moreau, SC 39, p. 452.
46. Imperium comme synonyme de imperator, magistratus, dux, rex est
mentionné par le Thesaurus et l'acception illustrée par une demi-colonne
d'exemples (t. 7, 1, col. 581). 'Hyehow01 fnietéoa se trouve <*hez Théodoret
(HE IV, I, 5) avec le sens évident de «le commandement que tu exerces sur
nous».
47. Lettres aux évêques numides, CSEL 26, p. 213.
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 67
logie de la victoire. On peut donc retenir que la prière a été
composée au moins avec la collaboration de Constantin,
qu'elle était destinée à être récitée en public, et pourquoi pas
par des soldats.
Le récit de l'engagement proprement dit est fortement
articulé sur celui de la prière. Celle-ci, récitée trois fois,
remplit les soldats de uirtus. Le terme est, pour le moins,
ambigu dans ce contexte et peut-être d'une ambiguïté voulue.
Vaillance, courage ou force surnaturelle qui produit infailli-
blement la victoire? La cause de cette uirtus, une prière, ses
effets, une victoire foudroyante, orientent vers le deuxième
sens. Cet engagement est, en effet, l'archétype des victoires
chrétiennes telles qu'elles seront rêvées par Paulin de Noie,
Sulpice Sévère, Orose et même Ambroise. «Caedebatur acies
eius impune et tantus numerus legionum, tanta uis militum a
paucis metebatur.» La suite ne constitue qu'une orchestra-
tion du motif central : la victoire a été acquise sans effort ni
pertes, le plus faible l'a emporté sur le plus fort. Le motif
tend tout naturellement vers la victoire sans combat.
La quatrième phase du récit, l'action de grâces, est juste
mentionnée : « Nicomediam ingressus grattam deo cuius
auxilio uicerat retulit». Les mesures prises en faveur de
l'Église s'inscrivent dans la logique de l'action de grâces :
Generated on 2011-09-02 18:05 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
qu'aux chrétiens soient données toutes les facilités pour qu'ils
rendent un culte agréable à Dieu. C'est ce qu'ordonne le
rescrit de Licinius aux gouverneurs de Bithynie. Ce culte a
essentiellement pour but d'engager la divinité suprême Ã
témoigner à l'empereur en toutes choses sa faveur et sa
bienveillance coutumières. « Ut possit nobis summa diuinitas
solitum fauorem suum benevolentiamque praestare. »
Cette construction est l'œuvre d'un théologien, qui se sert
de l'histoire; mais il oblitère celle-ci sous la stylisation. Qui
est ce théologien de la victoire? Licinius, qui aurait envoyé
ce récit sous forme de compte rendu de victoire à la cour de
Trêves? A. Piganiol avait écarté cet empereur, à juste titre,
comme auteur de la prière. Il faut l'écarter, pour les mêmes
raisons, de la composition de ce récit : inculte, hostile à la
littérature et à la philosophie, il en était incapable. Lactance
donc? Mais rien dans son œuvre antérieure ne permet de
conclure à une connaissance aussi précise de la théologie de
68 FRANÇOIS HEIM
la victoire. Il est providentialiste, anti-épicurien, mais ces
tendances ne débouchent jamais sur une théologie de l'his-
toire. Reste Constantin, inspirateur de Lactance. Il a déve-
loppé et répété inlassablement les idées selon lesquelles
s'agence la trame du récit, dans les documents qui nous sont
conservés.
A partir de cette hypothèse, se pose une question : pour-
quoi Constantin n'a-t-il pas appliqué ou fait appliquer ce
schéma théologique à sa propre victoire du Pont Milvius,
racontée au chapitre XLIV? Lactance donne à cette victoire
bien moins de lustre qu'à celle de Licinius : elle est racontée
au pas de charge, un chapitre contre trois; elle est présentée
comme la première étape de la victoire de Licinius et n'a pas,
pour ainsi dire, d'existence autonome dans le De mortibus.
La bataille décisive a été celle de Licinius, non celle de
Constantin.
Le récit de la victoire sur Maxence, par ailleurs, est hési-
tant. L'histoire s'y dispute avec la stylisation, et c'est surtout
l'histoire qui semble respectée. La bataille se déroule en
deux étapes. La première commence par le songe de
Constantin, expérience religieuse qu'il est vain de vouloir
préciser à toute force. La promesse précise de victoire, le
tovtu) vCica, fait défaut chez Lactance. L'armée est placée,
Generated on 2011-09-02 18:05 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
de fait, sous la protection du Dieu chrétien par l'inscription du
Chrisme sur les boucliers, mais il faut noter qu'elle-même ne
rend hommage au nouveau Dieu par aucun acte de culte.
L'engagement est violent et l'issue en est indécise.
« Neque his fuga nota neque Mis. »
La deuxième étape du récit est inaugurée par un nouveau
présage, qui annonce clairement, cette fois-ci, la victoire de
Constantin; c'est le cri poussée una voce au cirque par la
foule : Constantinum uinci non posse. J. Moreau en conclut
à l'existence d'un parti constantinien à Rome. Sans doute!
Les chrétiens peut-être, les sénateurs sûrement. Mais ce cri
est surtout une acclamation avec valeur ominale. Toute cette
scène baigne comme dans une atmosphère pré-byzantine :
cirque, foule, acclamation. Il faut remarquer que nous trou-
vons exactement la même formule chez Ammien Marcellin.
Après une victoire sur les Sarmates et les Quades, Constance
harangue longuement ses troupes. Quand il eut fini son
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 69
discours, «les soldats font l'éloge de l'empereur et prennent
Dieu à témoin, selon l'usage, que Constance était invincible.
Deum ex usu testata non posse Constantium uinci»**. Ex usu
renvoie à une acclamation rituelle. Poussée spontanément par
la foule ou par l'armée, elle avait valeur augurale. Aussi
Maxence, en l'entendant, est-il affolé et fait-il consulter les
livres sibyllins pour y trouver un moyen de détourner le
présage. La procédure était classique. Mais les livres sibyllins
confirment le premier présage sans que Maxence le
comprenne49. Cette fois-ci Dieu intervient vigoureusement
dans l'engagement : au uirtute pleni du chapitre XLVI
correspond ici manus dei supererat aciei.
L'intervention divine se situe donc au niveau du songe, de
l'acclamation et du deuxième engagement. Elle semble
absente du premier, qui est meurtrier et reste indécis. Cette
lenteur de Dieu, son hésitation à intervenir, ne seraient-elles
pas dues à l'indifférence de l'armée de Constantin qui, il est
vrai, accepte passivement de se laisser «signer», mais n'adres-
se pas, comme celle de Licinius, de prière au Dieu chrétien?
L'opuscule de Lactance rédigé à Trêves était, sinon destiné
aux soldats de Constantin, du moins susceptible de tomber
entre leurs mains. Il n'était pas possible d'escamoter les
durs combats qui ont marqué leur marche sur Rome et qui
Generated on 2011-09-02 18:06 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
dataient d'Ã peine trois ans. Il fallait donc que Lactance
reporte sur une autre bataille le schéma constantinien.
Constantin, pour l'instant, ne disposait pas d'une victoire qui
pût convenir : aussi Lactance a-t-il dû se rabattre sur la
victoire de Licinius. Le récit qu'il en fait est non seulement
une exhortation à l'armée constantinienne à adopter désor-
mais le Dieu chrétien comme source de uirtus et de Victoire,
mais c'est aussi la meilleure préparation à cet ordre étrange
que Constantin ne tardera pas à donner aux soldats qui
resteront païens : réciter sa prière sur ordre en dehors de la
48. Ammien Marcellin, XVII, 13, 34. Voir aussi : XXIV, 1,1: XXVI,
7, 17.
49. Cette valorisation des livres sibyllins correspond tout à fait à l'usage
qu'en fait Constantin dans le Discours à l'assemblée des saints et aussi Ã
l'appréciation qu'en fait Lactance lui-même dans les Institutions. Voir Ã
ce sujet l'exposé de M.-L. Guillaumin, L'exploitation des Oracles Sibyllins
par Lactance et par le Discours à l'Assemblée des Saints (infra, p. 185-200).
70 FRANCOIS HEIM
ville. Le contexte de la Vita suggère que le rite s'accomplissait le
dimanche en dehors de Constantinople. En réalité, l'expression
èv JiooaoTetoiç peut s'appliquer à n'importe quelle ville de garni-
son. Cette armée de Licinius qui se met si pieusement à genoux,
lève les mains au ciel, récite d'une même voix la même prière au
Dieu de victoire et de prospérité : mais c'est ainsi que Constantin
se représentait le culte chrétien non seulement à l'armée, mais
dans tout l'empire. L'ordre et l'entente sont respectés.
J. R. Palanque pense que «sur les événements d'Occident
de 306-310 (chapitre 26 Ã 30) et ceux de 312 (chapitre 44),
Lactance a certainement été documenté par Constantin en
personne»50. Il faut admettre une influence plus profonde et
plus directe que la simple documentation. Constantin a été
l'inspirateur de Lactance. Il a suivi de près l'opuscule que
le rhéteur rédigeait dans son palais de Trêves. Auguste avait
rencontré Horace, Virgile, Tite-Live pour répandre l'idéologie
du principat. Constantin n'a trouvé que Lactance et Eusèbe.
Leur influence marquera pourtant les destinées politiques de
l'Occident et de l'Orient au moins aussi profondément que
celle de Virgile, Horace ou de Tite-Live.
Generated on 2011-09-02 18:06 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
50. Op. cit., p. 715.
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 71
DISCUSSION
A. Méhat. — Vous avez présenté la «théologie de la victoire»
comme une création de Constantin. Mais elle a aussi une préhistoire,
en sont témoins VAncien Testament, les Actes des Apôtres (voir J.
Moreau), la légende de la Legio Fulminata, et surtout la fin du
Contre Celse d'Origène qui attribue aux prières des chrétiens les
victoires des empereurs. L'entrée de cette «théologie de la victoire»
dans l'œuvre de Lactance doit-elle donc nécessairement s'expliquer
par l'influence de Constantin plutôt que par une influence directe de
ces antécédents?
F. Heim. — Constantin n'a pas «créé» la théologie de la victoire.
La préhistoire romaine en est connue : le travail de R. Combes sur
Imperator et celui de G. Ch. Picard sur les Trophées ont montré
que les sources littéraires (acclamations, inscriptions impérato-
riales) et les sources archéologiques (trophées) les plus lointaines
faisaient référence à cette théologie. Du côté chrétien, outre VAn-
cien Testament, les Actes, le livre 8 du Contre Celse, il faudrait men-
tionner parmi les premières manifestations d'une théologie de la victoire
l'Apologétique de Tertullien (chap. 26 et 30) et aussi un certain
nombre de textes que nous transmet l'Histoire ecclésiastique d'Eu-
sèbe : le fameux fragment de Méliton de Sardes en 4, 26, 7 et
surtout les lettres de Denys d'Alexandrie reproduites en 7, 10 et 7,
11. Mais cette théologie est absente des premières œuvres de
Generated on 2011-09-02 18:07 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Lactance. Elle apparaît massivement dans le De mortibus, et dans
des termes proches de ceux qu'emploie Constantin dans les écrits
reconnus comme authentiques; si l'on ajoute que le De mortibus a
été écrit après quelques mois d'intimité avec l'empereur, dans le
palais de Trêves où celui-ci résidait en personne à ce moment-là ,
il me semble légitime de parler d'une influence directe de Constan-
tin; les antécédents chrétiens, en particulier bibliques, de cette théo-
logie lui ont peut-être facilité l'intégration des éléments romains
dans son univers. Il est possible qu'il y ait été encouragé par la lecture
de II Macchabées, dont J. Rougé a montré les nombreuses similitudes
avec le De mortibus (Studia patristica, TU 115, 1975, p. 135-143).
Ch. Pietri. —Je résiste sur le premier point de votre communication :
il est impossible d'utiliser tels quels tous les témoignages (beaucoup
72 FRANCOIS HEIM
de thèmes appartiennent à un fonds commun). L'inscription de l'arc
de Constantin a, en fait, une signification ambiguë. Quelle est donc
la conviction profonde de Constantin? Il faudrait voir quels thèmes
nouveaux, quelles expressions apparaissent sous l'empire chrétien
(victor, cf. rescrit d'Hispellum). Cette réinterprétation d'une koinè
s'explique par de multiples raisons : arrivée au pouvoir des civils, et
retour, avec eux, de la culture traditionnelle. On ne connaît pas la
«liturgie de la victoire» aux armées.
F. Heim. — I. La conviction profonde de Constantin, épiée,
traquée ces derniers cinquante ans, restera probablement toujours
un mystère. Mais il me paraît de mauvaise méthode de suspecter
systématiquement ce qu'il nous dit de lui-même, comme entaché de
ruse et de mensonge. Or, ses déclarations sont parfaitement cohé-
rentes et constantes sur un point : celui de «la théologie de la
victoire». Certes, il en a puisé les éléments dans un fonds commun,
mais il y a puisé, en les sélectionnant pour ainsi dire, surtout ces
éléments-là . Car, en ce début du iv* siècle, où les conceptions
venues des horizons païens les plus divers et de l'horizon chrétien
sont brassées en un fantastique mélange, quelle idée ne se retrouve
pas dans ce bouillon de culture qu'est le fonds commun?
2. L'inscription de l'arc de Constantin est ambiguë, tant qu'on
la considère isolément. Replacé dans son contexte des visions de
310 et de 312, du panégyrique de 313, du Triakontaeterikos
Generated on 2011-09-02 18:07 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
(chap. XVIII surtout) et de la Vita, le instinctus diuinitatis cesse de
l'être (cf. ma réponse à l'intervention de M™ J. Amat).
3. Pour l'interprétation du passage de lnuictus à Victor, je me
rallierai à l'opinion de G. Ch. Picard (Les trophées, chap. Semper ubique
uictor) qui pense que la nouvelle terminologie, loin de diminuer l'aspect
mystique de la victoire, le renforce.
4. En effet, nous ne possédons pas le rituel de la «liturgie de
la victoire» aux armées. Mais nous savons que, dans l'ancienne
Rome, une supplication d'actions de grâces suivait régulièrement
une victoire obtenue à la suite d'un uotum, que cette supplication se
déroulait à Rome souvent en l'absence de l'imperator, retenu au
camp, et qu'elle était quelquefois le prélude à son triomphe, autre
forme d'action de grâces (L. Halkin, La supplication d'action de
grâces chez les Romains, Paris 1953). Les témoignages concordants
de Lactance et d'Eusèbe (H. E., IX, 9, X, 4, X, 9) permettent
d'affirmer que Constantin a gardé l'action de grâces, mais qu'il rompt en
312 de manière éclatante avec le rituel païen (J. Straub, Historia
1955, p. 297 sqq.), que ces cérémonies ne sont plus liées à la ville
de Rome, qu'elles avaient pour signification essentielle de recon-
naître le Dieu chrétien comme auteur de la victoire, qu'elles se
prolongeaient par des «actions» en faveur de l'Église... A la fin du
siècle, la lettre 71, 4 d'Ambroise nous apprend que Théodose
demande à des évêques de rendre publiquement grâces pour sa
victoire sur Eugène, et Ambroise précise qu'il a obtempéré au désir
de l'empereur en offrant le «sacrifice», le rescrit de l'empereur à la
INFLUENCE DE CONSTANTIN SUR LACTANCE 73
main, comme symbole de la présence de celui-ci. Le Carmen XXI
de Paulin de Noie enfin, écrit pour la s. Félix de 407, après la
bataille de Fiesole, fait encore état d'actions de grâces après une
victoire et accorde une grande place aux saints, en particulier Ã
Pierre, Paul et Félix. Tout cela suggère deux choses :
a) la persistance de la coutume des actions de grâces après une
victoire ;
b) le caractère assez informel du cérémonial chrétien, qui ne
semble jamais avoir connu la rigueur des cérémonies païennes
antérieures.
D. De Decker. — Comme le Bas-Empire est incontestablement
autoritaire, il importe peu que la théologie de la victoire soit l'œuvre
de Constantin plutôt que celle de Lactance. Dans le second cas en
effet, le rhéteur chrétien n'a pu utiliser et développer cette théologie
dans le mort. pers. qu'avec l'assentiment de l'empereur. D'autre
part, la prière de Licinius ne présente-t-elle pas un caractère de
syncrétisme? Ne contient-elle pas autant d'éléments empruntés à la
liturgie chrétienne qu'aux prières païennes et néo-platoniciennes
tout particulièrement?
F. Heim. — 1. Précepteur de Crispus, palatinus à Trêves,
Lactance se trouvait, en effet, dans une situation analogue à celle
des panégyristes impériaux dont J. Straub a montré qu'ils étaient les
«publicistes» du régime et ne présentaient au public que des idées
Generated on 2011-09-02 18:07 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
approuvées par l'empereur (Vom Herrscherideal in der Spà tantike,
p. 148-149). Il est pourtant probable que celui que A. Piganiol a pu
appeler «le plus grand prédicateur de son époque» a fait plus que
donner simplement son assentiment à Lactance.
2. J'ai essayé de montrer simplement que les épithètes divines
employées par Lactance se retrouvaient dans les écrits constan-
tiniens, que les attributs divins retenus relevaient tous de la théo-
logie de la victoire romaine : Dieu attentif à la justice d'une guerre,
Dieu donneur de felicitas et de victoire, Dieu protecteur des empe-
reurs. Je ne me hasarderai pas à rattacher les épithètes divines Ã
un courant philosophique précis : néo-platonicien? hermétique,
comme le voulait A. Piganiol? (L'empereur Constantin, p. 77). Il est
sûr que la prière ne comportait pas d'éléments inacceptables pour le
christianisme, puisque vingt-cinq ans plus tard, Eusèbe la reprendra
dans sa Vita Constantini.
Mme J. Amat. — L'exploitation politique du songe inspiré
n'apparaît pas avant Lactance. Le songe n'a cette valeur ni dans les
Passions des martyrs, ni chez les Pères des premiers siècles, où il
est monition morale ou individuelle. Ou bien les signes de victoire
appartiennent au passé païen, ou ils sont l'apanage du Dieu des
armées de Y Ancien Testament. La jonction ne se fait que chez
Lactance : elle sera d'ailleurs le point de départ d'une typologie
74 FRANÇOIS HEIM
(hagiographie, uitae monastiques). Cela irait dans le sens d'une
influence constantinienne sur Lactance, comme vous l'avez
démontré.
F. Heim. — S'il est vrai que le songe de Licinius est un doublet
de la vision constantinienne, comme l'admettent la plupart des
commentateurs, il faut l'intégrer dans un ensemble plus vaste et
parfaitement cohérent qu'on pourrait appeler «instinctus diuinitatis,
selon l'expression que Constantin a fait apposer sur l'arc qui porte
son nom. Constantin voulait passer pour inspiré et il se prenait lui-
même pour un être charismatique. Il recherchait le contact avec la
divinité par tous les moyens, y compris probablement l'incubation
dans les sanctuaires, comme celui de Grand, où ce rite est attesté
par une inscription (somno iussus...). Le panégyrique de 313 revient
à cinq reprises sur l'inspiration dont bénéficie l'empereur (diuinum
consilium, diuino monitus consilio...). Lui-même laisse entendre
dans ses lettres qu'il n'agit que sur l'injonction de la divinité.
Eusèbe développe longuement les visions et inspirations de
Constantin, au chapitre 18 du Triakontaeterikos et il reprend ce
thème dans la Vita, mais il marque beaucoup plus de réticence Ã
l'égard des songes que Lactance : il a fallu que Constantin «jure de
grands serments» pour qu'il admette celui de 312 (Vita I, 28). Il
semble donc que le songe, spontané ou provoqué, soit pour
Constantin un moyen d'entrer en relation avec la divinité, tant que
Generated on 2011-09-02 18:08 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
l'influence des gens d'Église sur lui n'est que lointaine et discrète.
Mais les biographes ni lui-même ne parlent plus de songes dont il
aurait bénéficié après 312 : le principe de l'inspiration d'en haut
demeure acquis, mais les modalités en sont moins dramatiques et
surtout moins équivoques, le songe étant marqué par l'usage massif
qu'en faisait le paganisme contemporain, malgré les antécédents
que les chrétiens pouvaient lire dans l'Écriture ou les Passions des
martyrs.
A. Mandouze. — Je regrette que, vu le léger changement d'op-
tique du colloque, vous ayez cru devoir supprimer de votre commu-
nication presque tout ce qui se rapportait à Eusèbe, et je souligne
l'originalité d'un travail qui fait d'emblée justice aux fausses sépa-
rations dont ont trop longtemps pâti l'étude du paganisme isolé d'un
côté, et celle du christianisme isolé de l'autre. Nous avons enfin une
recherche dont l'hypothèse de base est bien YAntiquité tardive
considérée comme telle, c'est-à -dire comme offrant un fonds
commun particulièrement cohérent à l'époque de Constantin et de
Lactance qui se trouvent de ce fait deux personnages privilégiés
d'un ensemble qui ira en se différenciant tout au long du ive siècle.
F. Heim. — Pas de réponse.
DANIEL DE DECKER
LE « DISCOURS A L'ASSEMBLÉE DES SAINTS »
ATTRIBUÉ A CONSTANTIN ET L'ŒUVRE DE LACTANCE
C'est au Français Jean-Pierre Rossignol que revient l'in-
signe mérite d'avoir révélé à l'attention du monde savant
l'existence d'une harangue, composée par Constantin le
Grand et destinée A l'Assemblée des Saints, dont le texte
grec est parvenu jusqu'à nous1. En consacrant à cette
Oratio le premier tome d'une œuvre demeurée inachevée2,
M. Rossignol ne pouvait certes présumer qu'il susciterait, en
1845, les prémices d'une controverse qui excéderait l'espace
d'un siècle.
Or donc, la polémique qui entoure l'authenticité de ce
discours prêté à Constantin est loin de s'être éteinte aujour-
d'hui3. Pourtant, elle s'offre à moi, en cette circonstance
présente, comme une entrée en matière aussi opportune
qu'impérieuse.
1. Il s'agit du texte adressé «Tû> icôv à yûuv ouXXôy
traditionnellement sous sa dénomination latine : Oratio ad sanctorum cœtum.
Ce discours qui s'est insinué parmi les œuvres d'Eusébe de Cesarée (éd.
I.A. Heikel, GCS 17, p. 151-192) est à distinguer de son homonyme. VOratio ad
sanctum cœtum dont Gélase nous a conservé le souvenir (Hist. Eccl. 2, 7, 1-41,
GCS 28, p. 46-53).
2. J.-P. Rossignol, Virgile et Constantin le Grand (Première partie),
Generated on 2011-09-02 18:08 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Paris, 1845. A ce qu'il me semble, la seconde partie de cet ouvrage est restée
inédite.
3. Voyez R.P.C. Hanson, The Oratio ad sanctos attributed to the Empe-
ror Constantine and the Oracle of Daphne, JThS. N.S. t. 24, 1973, p. 505-
511. Il s'agit d'un article singulier, aux conclusions hardies, mais basées sur un
dossier incomplet. Ainsi, d'une allusion furtive et incertaine à l'oracle de
Daphne, proche d'Antioche (Orat. 18, p. 179) l'on ne peut inférer, selon
nous, que la composition du discours doive remonter nécessairement au
règne de Julien l'Apostat en raison d'une attention toute particulière que
76 DANIEL DE DECKER
D'emblée, il me paraît que les opinions émises à cet égard
par les philologues et les historiens modernes pourraient se
ramener, malgré leurs divergences, à quelques options fonda-
mentales, vers lesquelles elles pussent toutes converger
aisément.
Pour d'aucuns, il n'est guère concevable de vouloir
attribuer à l'empereur Constantin la paternité d'un aussi
médiocre discours4. Ce dernier renferme, selon eux, des
invraisemblances historiques qui présupposent l'existence d'un
mystificateur5. Par ailleurs, comme le faussaire se révèle être
bien au fait des pensées préoccupées d'un chef d'État tel que
Constantin, ils lui reconnaissent volontiers la qualité d'un
homme de cour, qui pût pratiquer avec bonheur les lettres
grecques, et jettent alors naturellement leur dévolu sur la
personne même d'Eusèbe de Césarée6. On s'explique ainsi que
la tradition littéraire ait pu incorporer aussi aisément ce docu-
ment apocryphe aux Å“uvres du disciple de Pamphile7.
Pour d'autres il convient, au demeurant, de rendre Ã
l'empereur ce qui lui revient en propre8. A suivre cette
manifesta ce souverain pour les beautés du site antiochéen. Du reste, la
thèse de Hanson n'a point obtenu l'agrément de la critique (cf. H.A. Drake,
In Praise of Constantine : a Historical Study and New Translation of
Eusebius Tricennial Orations (University of California Publications : Classi-
Generated on 2011-09-02 18:09 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
cal Studies, t. 15), Berkeley, 1976, p. 136-137, n. 7).
4. Selon Rossignol, op. cit., p. 230 et Hanson, art. cit., p. 505.
5. Suivant l'opinion émise par Rossignol, op. cit., p. IV-VII et reprise
par Heikel, éd. cit., p. XCIV et XC1X, pour qui l'œuvre n'est pas anté-
rieure au milieu du v* siècle.
6. Telles sont les vues de Rossignol, op. cit., p. VII.
7. Les manuscrits médiévaux distinguent mal la Vita Constantini d'Eusèbe
de VOratio ad sanctorum cœtum. Notre discours y figure tantôt en introduc-
tion, tantôt en appendice à la Vie de Constantin (éd. F. Winkelmann,
GCS2 7, p. XVI, n. 3 et p. XV-XV1, n. 1 où l'auteur revient sur une affirma-
tion antérieure, émise dans Die Textbezeugung der Vita Constantini des
Eusebius von Caesarea, TU, t. 84, 1962, p. 9, n. I).
8. A ma connaissance, c'est V. Schultze, qui le premier soutint cette
thèse à l'époque moderne dans Quellenuntersuchungen zur Vita Constantini
des Eusebius. IV. Die Osterrede, ZKG, t. 14, 1894, p. 541-545. Il a été suivi
dans cette interprétation par J.M. Pfaettisch, Die Rede Konstantins auf
ihre Echtheit untersucht, Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 66-71: H. Doerries,
Das Selbstzeugnis Kaiser Konstantins, dans Abhandlungen der Akademie
der Wissenschaften in Gôttingen, philologisch-historische Klassc. 3. Folge
Nr. 34, Gôttingen, 1954, p. 132, n. 1, p. 147 et 161; J. Moreau, s.v.
Eusèbe de Césarée, DHGE, t. 16, 1963, col. 1457 et s.v. Eusebius von
Caesarea, RAC, t. 6, 1966, col. 1074-1075; R. Farina, L'lmpero
e l'imperatore cristiano in Eusebio di Cesarea (Bibliotheca Theologica
Salesiana, I, 2), Zurich, 1966, p. 16.
LE «DISCOURS À L'ASSEMBLÉE DES SAINTS» 77
interprétation, VOratio ad sanctorum cœtum consisterait en
un document d'État, adressé aux autorités ecclésiales ou aux
fidèles à l'occasion de Pâques9. La célébration de cette fête
liturgique aurait offert au monarque une opportunité de
s'adresser officiellement au clergé et au peuple afin de les
assurer de la sympathie et de l'attachement qu'il entendait
leur manifester désormais10. Par ailleurs, l'empereur pouvait
user de cette circonstance solennelle pour célébrer avec éclat
ses victoires remportées récemment sur l'ensemble de ses
rivaux, tous païens notoires et persécuteurs du christianisme,
ou du moins présumés tels".
Mais, par un fait singulier, c'est sur la forme originale dudit
document, sur son destinataire et sur l'époque de sa rédaction
que les divergences d'opinions, parfois les plus subtiles, ont
été affirmées par les spécialistes de la question constan-
tinienneI2. Pour certains d'entre eux, le discours fut ini-
tialement composé en latin par Constantin lui-même ou sur
son ordre, puis confié aux bureaux de la chancellerie impé-
riale pour y être traduit en grec13. Pour d'autres, la respon-
9. A. Kurfess, Kaiser Konstantins Rede an die Versammlung der Heili-
gen, eine Karfreitagsrede vom Jahre 313, dans Verhandlungen der [57.]
Versammlung Deutscher Philologen, Leipzig-Berlin, 1930, p. 131.
10. Cf. le compte rendu de P. Wendland, dans Berliner Philologische
Generated on 2011-09-02 18:09 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Wochenschrift, 1902, col. 230.
11. Sur la partialité des sources historiques de la période constantinienne.
l'on se reportera à notre mémoire, La politique religieuse de Maxence, dans
Byzantion, t. 38, 1968, p. 481 ainsi qu'à l'étude de J. Ziegler, Zur religiosen
Haltung der Gegenkaiser im 4. Jh. n. Chr. (Frankfurter althistorische Stu-
dien, t. 4), Kallmùnz, 1970, p. 41.
12. Voyez par exemple, J.M. Pfaettisch, Die vierte Ekloge Vergils in der
Rede Konstantins an die Versammlung der Heiligen, dans le Programm des
Kgl. Gymnasiums im Benediktinerkloster Ettal fur das Schuljahr 1912/3,
Munich, [1913], p. 5-9.
13. Rossignol, op. cit., p. 95: A. Harnack, Die Chronologie der
altchristlichen Literatur bis Eusebius, dans la Geschichte der altchristlichen
Literatur bis Eusebius, t. II, 2, Leipzig, 1904, p. 117; J. Stiglmayer, Zur
Rede Konstantins an die Versammlung der Heiligen, ZKTh, 1912, p. 868; A.
Kurfess, Vergils vierte Ekloge in Kaiser Konstantins Rede an die heilige
Versammlung, dans Jahresberichte des Philologischen Vereins zu Berlin,
t. 46, 1920, p. 92-%; Idem, Kaiser Konstantins Karfreitagsrede vom Jahre
313, dans [Festgabe] Hem P. Meyer, Mûnstereifel, 1933, p. 27-28;
P. Fabbri, L'egloga quarta e Costantino il Grande, dans Historia, Studi
Storici per l'antichità classica, t. 4, 1930, p. 228-235; E. Dekkers, Les
traductions grecques des écrits patristiques latins, SEJG, t. 3, 1953., p. 219-
220; P. Courcelle, Les exégèses chrétiennes de la quatrième Églogue,
REA, t. 59, 1957, p. 2%, n. I.
78 DANIEL DE DECKER
sabilité de Constantin ne se limiterait qu'à l'imposition de
quelques directives générales ou à l'introduction de quelques
passages d'importance moyenne, donnés en latin, dont
Eusèbe de Césarée ou un adaptateur resté anonyme aurait
amplifié la matière à la faveur de la traduction en langue
grecque,4. Concurremment avec la thèse soutenue, les
critiques se complaisent alors à découvrir dans la version
hellénique, tantôt les indices de latinismes ou de maladresses
stylistiques et lexicales, imputables à l'impéritie du traduc-
teur, tantôt le caractère d'une œuvre littéraire indéniablement
originale,s.
Si donc, quant à la nature même du document, l'opinion
savante oscille entre un sermon et une lettre de synode,
donnés à l'occasion de la Semaine Sainte, elle témoigne d'une
égale incertitude en ce qui regarde sa datation : l'œuvre
pourrait remonter à la période comprise entre les années 313
et 325 i6.
On comprend aisément, par tout ce qui précède, qu'il ait
paru tentant à maints érudits de tirer argument de l'incertitude
14. Ainsi, Schultze, op. cit., p. 550-551; J.M. Pfaettisch. Platos Ein-
fluss auf die Rede Konstantins an die Versammlung der Heiligen, ThQ,
t. 92, 1910, p. 416; H. Von Schoenebeck, Beitrà ge zur Religionspolitik des
Maxentius und Constantin, dans Klio, t. 43, 1939, p. 90; Heinz Kraft,
Generated on 2011-09-02 18:09 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Kaiser Konstantins religiôse Entwicklung, dans Beitrà ge zur historischen
Theologie, t. 20, Tûbingen, 1955, p. 272; M. Pellegrino, Letteratura greca
cristiana (Universale Studium, t. 45), Rome, 19632, p. 88.
15. Parmi les déprédateurs du style de YOratio, l'on compte Heikel, éd.
cit., p. XCI1I; E. Schwartz, s.v. Eusebios, dans PW, Hbd. 6, 1909, col.
1427; I.A. Heikel, Kritische Beitrà ge zu den Constantin-Schriften des Euse-
bius, TU, t. 36, 4, 1911, p. 3 et surtout A. Kurfess, Latein-griechisch, dans
Glotta, t. 25, 1936, p. 274-275 ; Kaiser Konstantin und die Sibylle, THQ,
t. 117, 1936, p. 18-25, tandis que J.M. Pfaettisch, Die Rede Konstantins
des Grossen aufihre Echtheit untersucht, Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 41-46
et J. Vogt, s.v. Constantinus der Grosse, RAC, t. 3, 1957, col. 367, vantent,
au contraire, les mérites littéraires de cet ouvrage.
16. Pour Rossignol, op. cit., l'ouvrage aurait été composé, à Rome, entre
les années 313 et 315. Selon A. Kurfess dans SOKRATES, Zeitschrift fur
das Gymnasialwesen, t. 7, 1919, p. 338 VOratio aurait été prononcée à Nico-
médie en 313. A en croire A. Piganiol, L'empereur Constantin, Paris, 1932,
p. 138 et Dates Constantiniennes, RHPhR, t. 12, 1932, p. 366-372, cet
événement littéraire se serait passé à Thessalonique entre 321 et 324, plus
précisément le 7 avril 323, suivi par B. Altaner, Précis de patrologie,
[trad. française], Paris-Tournai, 1961, p. 339.
LE « DISCOURS À L'ASSEMBLÉE DES SAINTS» 79
du document pour en nier tout bonnement l'intérêt
historique17.
La diversité et le poids de toutes ces savantes études ne
nous empêchent pas toutefois d'espérer qu'à l'issue de cette
contribution, nous aurons concouru, nous aussi, à la réso-
lution d'un aspect, même modeste, de la «question constan-
tinienne».
On connaît le passage célèbre de la Vita Constantini où
Eusèbe rapporte que Constantin se plaisait à composer des
discours en latin qu'il confiait à des interprètes officiels afin
de les faire traduire en grec 18. L'évêque signale d'ailleurs,
au même endroit, qu'il compte adjoindre en annexe au Pané-
gyrique de Constantin l'un de ces documents afin de prouver
la véracité de ses dires. Or, le texte qu'Eusèbe présente ainsi
s'intitule précisément : « A l'Assemblée des Saints »19.
Hormis la valeur intrinsèque de ce témoignage ancien20, il
me semble que ce discours porte en lui des indices suffisants
pour l'attribuer à Constantin. C'est ce point de vue que
j'aurai à défendre présentement.
Deux thèmes principaux me paraissant prévaloir au sein de
YOratio : d'une part, une démonstration de l'existence de
Dieu et de la nécessité pour l'homme de pratiquer la foi
chrétienne21; d'autre part, la reconnaissance de l'empereur
Generated on 2011-09-02 18:10 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
17. M.H. Baynes, Constantine the Great and the Christian Church, PBA,
1931, JLondres 19722], p. 56; J. Carcopino, Virgile et le mystère de la
TV*' Eglogue, Paris, 1930, p. 17, n. I ; J. VOGT, Constantin der Grosse und
sein Jahrhundert, Munich, i9602, p. 243; Heinz Kraft, art. cit., p. 272;
J. Vogt, s.v. Constantinus der Grosse, RAC, t. 3, 1957, col. 367; D.S.
Wallace-Hadrill, Eusebius of Caesarea, Londres, 1960, p. 47; E. Heck,
Die dualistischen Zusà tze und die Kaiseranreden bei Lactantius, AHAW,
1972, p. 141, n. 17.
18. Vita Constantini, 4, 32 (éd. cit., p. 132).
19. Au dire d'Eusèbe, le discours «A l'Assemblée des Saints» mérite donc
la même créance que les actes officiels de Constantin, qui sont consignes
dans la Vita Constantini.
20. F. Winkelmann, le savant éditeur de la Vita Constantini, signale, en
une note laconique (ad. loc, supra cit.), qu'Eusèbe ne se réfère point ici Ã
VOratio ad sanctorum cœtum. Je demeure perplexe devant une interprétation
aussi controuvée du texte d'Eusèbe.
21. Pour une grande part, notre discours consiste en une critique acerbe
du paganisme (orat. 22, 5, p. 188) et de ses représentants les plus illustres,
tels que les philosophes (orat. 6, p. 159-161 et 9, p. 162-164) et les poètes
(orat. 10, p. 164-165), tous dénigreurs inconséquents du rôle exercé dans
l'univers par la divine Providence (orat. 6, 7, p. 160-161 et 7, p. 161-162).
80 DANIEL DE DECKER
envers Celui dont l'aide lui permit de triompher définitivement
de ses rivaux et dont les prodiges confirment l'adage selon
lequel le châtiment divin s'abat inéluctablement sur les
persécuteurs du christianisme22.
Le premier thème recouvre exactement le dessein apologé-
tique que s'est fixé Lactance dans ses Institutions Divines23.
Quant au second thème, celui des Beouâxoi, il sous-tend
entièrement l'ordonnance du De mortibus persecutorum, le
pamphlet attribué à ce même Lactance24.
L'abondance de pareilles coïncidences excluent l'hypothèse
d'occurrences simplement fortuites et constituent une nou-
velle assurance de ce que YOratio trouve son origine dans les
milieux proches de la Cour impériale, auxquels Lactance fut
associé25. On sait, en effet, qu'au faîte de sa carrière il échut
mort. pers. 4-7
= oratio
24, p.
190
17
25, p.
190-192
but. 1, 3, 18-19
= oratio
156
Generated on 2011-09-02 18:10 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
3, 2, p.
1, 16, 5-6
4, 1, p.
157
1, M, 24
10, 3, p.
165
4, 7, 1
II, 8, p.
168
4, 8, 3
II, 8, p.
168
7, 19, 9
18-19, p.
179-181
7, 16, Il
18-19, p.
179-181
7, 20, 3
18-19, p.
179-181
4, 15, 26-31
18-19, p.
179-181
22. Tout au long du Discours à l'Assemblée des Saints, Constantin laisse
transparaître ce sentiment de gratitude envers les bienfaits qui viennent de lui
être prodigués par l'assistance de Dieu : oral. 2, 2, p. 156; 3, 3. p. 157: 5, 1,
p. 158; 15, 2, p. 176; 22. 1, p. 187-188; 26, 1. p. 192; 26, 2. p. 192.
23. Pour mémoire, la troisième partie des Institutions est intitulée 'De
falsa sapientia » ; les quatrième, sixième et septième livres portent respec-
tivement les titres suivants : «De uera sapientia et religione», «De uero
cultu» et «De uita beata».
24. Voyez, par exemple, la conclusion du De mortibus persecutorum au
ch. 52, 4.
25. Nous avons consigné ici quelques correspondances existant entre
l'œuvre de Lactance et YOratio ad sanctorum cœtum :
Pour d'aucuns, tels R. Pichon, Lactance. Étude sur le mouvement philo-
sophique et religieux sous le règne de Constantin, Paris, 1901, p. 448-449;
A. Pioaniol, L'empereur Constantin, Paris, 1932, p. 136-138 ; Dates Constan-
tiniennes, RHPhR, t. 12, 1932, p.366-372; J.-R. Laurin, Orientations maî-
tresses des apologistes chrétiens de 270 à 361, dans Analecta Gregoriana, t. 61,
Rome, 1954, p. 399n. 53 ; A. Kurfess, Kaiser (Constantin und die Erythrà ische
Sibylle, ZRGG, t. 4, 1952, p. 57 et M. Perrin, dans Latomus, t. 24. 1975. p. 506,
LE « DISCOURS À L'ASSEMBLÉE DES SAINTS» 81
à ce dernier de devenir le précepteur de Crispus, l'un des fils
de Constantin26.
Par ailleurs, YOratio est émaillée de réminiscences à l'œuvre
de Platon et tout particulièrement au Timée21. Or, l'on
n'ignore pas combien grand fut l'intérêt manifesté par l'entou-
rage de Constantin pour la doctrine platonicienne, en général,
et singulièrement pour ce dialogue28.
Mais des correspondances ont été perçues surtout avec les
actes officiels du gouvernement de Constantin29. Il s'agit,
en ordre principal, des deux édits adressés aux Orientaux et
de la lettre à Sapor, conservés par Eusèbe dans la Vita
il n'est guère douteux que ce soit Lactance qui ait exercé ici une influence sur la
pensée de Constantin. A en croire A. Bolhuis. Die Rede Konstantins des
Grossen an die Versammlung der Heiligen und Lactantius Divinae Institu-
tiones, VChr, t. 10, 1956, p. 31 et V. Fabrega, Die chiliastische Lehre des
Laktanz, JbAC, t. 17, 1974, p. 145, n. 182, il n'existerait aucun lien de
subordination entre VOratio ad sanctorum cœtum et les Institutiones, mais
cette dernière thèse n'est guère soutenable.
26. Eusèbe, Chronicon = Jérôme. Chronicon ad a. Abrah. 2333, GCS 47,
p. 230.
27. Outre les emprunts nombreux faits aux Å“uvres de Platon (cf.
Pfaettisch, Die Rede Konstantins..., p. 47-66), l'orateur ne dissimule pas
sa sympathie pour le philosophe athénien (orat. 9, 3, p. 163; 9, 5, p. 163).
Generated on 2011-09-02 18:11 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
28. Si l'on en croit M. Galdi, L'epitome nella letteratura latina, Naples,
1922, p. 164-165, dont les "ues sont partagées par A. Wlosok, Laktanz und
die philosophische Gnosis. Untersuchungen zur Geschichte und Terminologie
der gnostischen Erlôsungsvorstellung, AHAW, Heidelberg, i960, p. 231,
n. 133, Lactance aurait même songé à composer un ouvrage sur Platon, mais
il renonça finalement à ce projet (cf. epit. 33 (38), 5). Son contemporain
Eusèbe est imprégné, lui aussi, des écrits du philosophe grec et spécialement
de la pensée du Timée : F. Ricken, Die Logoslehre des Eusebios von
Caesarea und der Mittelplatonismus, Th & P, t. 42, 1967, p. 347. A Ossius
de Cordoue, cet autre conseiller aulique de Constantin, l'on fit hommage de
la traduction latine et d'un commentaire de ce même dialogue de Platon :
V.C. De Clercq, Ossius of Cordova. A Contribution to the History of the
Constantinian Period (The Catholic University of America. Studies in Chris-
tian Antiquity, t. 13), Washington, 1954, p. 69-75. C'est le philosophe Chal-
cidius qui paracheva ce travail d'interprétation auquel le prélat espagnol avait
mis, d'ailleurs, la première main, cf. Timaeus a Calcidio Translatus Commen-
tarioque instructus, éd. J.H. Waszink (Plato Latinus, t. 4), Londres-Leyde,
1962). Constantin lui-même ne fut pas en reste puisqu'il sut prendre, Ã
l'occasion, les philosophes néoplatoniciens en amitié, cf. O. Seeck, s.v.
Sopatros, PW, Hbd. 5, 1927, col. 1007 et R. H[anslik], s.v. Ablabius, DKP,
t. 1, 1964, col. 15.
29. L'on se référera toujours utilement aux conclusions de Pfaettisch,
Die Rede Konstantins..., p. 78-83, que l'on amendera toutefois, en se ralliant
aux vues de Doerrif.s, op. cit., p. 129-161.
82 DANIEL DE DECKER
Constantini, d'un discours prononcé par Constantin au
Concile de Nicée dont fait état Gélase, ainsi que d'une notice
du Codex Theodosianus, datée de 32130.
Quant à l'instruction religieuse, telle qu'elle transparaît tout
au long du discours, elle n'outrepasse guère le niveau de
culture chrétienne que l'on peut attendre, en ce siècle, d'un
néophyte peu avisé en cette matière, comme le fut Constan-
tin31. Les références à des épisodes, par ailleurs bien connus,
de l'Ancien et du Nouveau Testament sont discrètes, voire
entachées d'inexactitudes32. Certes, YOratio se ressent déjÃ
des préoccupations christologiques du temps, mais les consi-
dérations d'ordre théologique qu'on y développe demeurent
30. Pour les documents constantiniens. l'on se reportera à l'étude de
Pfaettisch, Die Rede Konstantins..., p. 77-86, ainsi qu'aux observations de
C. Weyman, Analecta XXV, HJ, t. 45, 1925, p. 73.
31. Aguerri à l'école des armes plutôt qu'en l'apprentissage des arts libé-
raux (Anon. Vales, 2, éd. J. Morf.au. Leipzig, 1961, p. I), Constantin ne
pouvait prétendre à une activité intellectuelle sans en éprouver quelque
appréhension (orat. 2, 1, p. 155; I1, 3, p. 166). De son propre aveu, son
désarroi s'accrut encore davantage, lorsque les circonstances le contrai-
gnirent à émettre des considérations en matière de foi (orat. 2, 2, p. 155-
156). C'est ainsi qu'au début de la querelle arienne, les arguties de la
théologie rebutaient encore le souverain (cf. Eusèbe, Vita Constantini, 2, 7.
Generated on 2011-09-02 18:11 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
p. 76).
32. Ainsi que Hf.ikf.l, éd. cit., p. XCVIII l'observait déjà . Les emprunts a
l'Ancien Testament sont rares (orat. 5, 2, p. 158; 16, 2 et 17, 4, p. 177), en
effet, et partiellement inexacts (cf. orat. 17, 2 où il est fait mention erroné-
ment de Nabuchodonosor) ; ils consistent, pour la plupart, en lieux communs
qui, tel le martyre de Daniel dans la fosse aux lions ou celui des jeunes gens
dans la fournaise, correspondent aux thèmes iconographiques principaux de
l'art paléochrétien au iv*' siècle (Kl. Wessel, s.v. Daniel, RBK, t. 1, 1965,
col. 1113-1119 et s.v. Junglinge im Feuerofen, RBK, t. 3, 1976, col. 668-676).
C'est à ce titre aussi, sans doute, que ces épisodes parvinrent à la connais-
sance de Constantin (Eusèbe, Vita Constantini, 3, 49, p. 104). Tout comme
Eusèbe (De laudibus Constantini, 13, ibid., p. 240-241) et Lactance (inst.
2, 12, 19), le Discours à l'Assemblée des Saints (orat. 5, 2, p. 158) ignore
encore la mission salvatrice du Christ, rendue nécessaire par le péché
d'Adam et la répercussion de sa condamnation sur la race humaine
(cf. J. Turmel, Histoire des dogmes, vol. 1, Paris, 1931, p. 53). De même,
YOratio (I1, 10-16, p. 168-170 et 15, 2-3, p. 174) ne renferme que quelques
allusions éparses aux miracles du Christ, dont certaines paraissent même
étrangères aux récits du Nouveau Testament (J.M. Pfaettisch, Des Kaisers
Konstantins Rede an die Versammlung der Heiligen, dans la Blbliothek der
Kirchenvà ter, Munich, 1913, p. 228, n. 2.et p. 238, n. I). On ne s'étonnera
guère de cette méconnaissance de la Bible; elle est de règle chez les
apologistes latins, tels Minucius Félix, Arnobe et Lactance (cf. R. Pichon,
op. cit., p. 430).
LE « DISCOURS À L'ASSEMBLÉE DES SAINTS » 83
encore, à tout prendre, celles des Pères de l'Église latine des
IIIe et IV siècles33. Elles relèvent, en effet, bien davantage
d'une conception binitaire de l'économie divine, à l'instar de
Lactance, par exemple, que du principe trinitaire qui
triomphera bientôt à Nicée34. La connaissance de la Bible et
de la doctrine chrétienne, en général, qui prévaut dans ce
discours, nous semble si bien correspondre à la manière des
anciens apologistes, qu'il serait anachronique de vouloir y
déceler l'illustration d'une pensée émise postérieurement à la
convocation du premier concile œcuménique35.
Nous signalerons enfin que cette Oratio contient également
la première interprétation de la quatrième églogue de Virgile
33. Voyez les longues considérations émises à propos de l'ouata et de la
nature du Xôyoç (orat. 3 et 4, p. 156-157).
34. En Orient, l'intégrité de la divine Trinité ne s'affirme avec force
qu'avec l'avènement d'Athanase d'Alexandrie. Jusques alors, on distingue
mal le Verbe de l'Esprit-Saint (cf. Clément d'Alexandrie, Stromates, 5,
14, PG 9, col. 156). Il en est de même fréquemment chez les Pères latins jusqu'Ã
Lactance (A. Grillmeier, Christ in Christian Tradition, vol. 1, Londres,
19752. p. 200-201). Notre discours renferme une conception tout aussi
confuse de la Trinité en 3, 1-2 (p. 156), 9, 3-4 (p. 163) et surtout 1, 4
(p. 155). Dans cette description, où la mission du Saint-Esprit est conçue en
commémoration de la fête de la Pentecôte, l'identité de la troisième per-
Generated on 2011-09-02 18:11 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
sonne divine se confond entièrement avec celle du Xôyoç. appelé ici «la
lumière de vérité» (1, 3, p. 154).
35. La pensée théologique de VOratio (cf. 3, 1-2, p. 156: 5, 2, p. 158 et 11,
8, p. 168) procède aussi du « subordinatianisme». Selon cette doctrine, qui
fut fort en faveur durant la période prénicéenne (voyez, par exemple,
Méthode d'Olympe. De lepra, 14, 7. GCS 27. p. 469), la création du monde
par Dieu n'était rendue possible que par l'entremise du Verbe et de l'Esprit.
Il nous semble remarquable pour notre propos que Lactance ait développé
cette pensée (sur ce subordinatianisme. voir Grillmeier, op. cit., p. 201-
202) en un passage (inst. 2, 8, 7) que l'on considère aujourd'hui comme un
ajout à la première édition de ses œuvres (Heck, op. cit., p. 27) et dont la
composition est de peu antérieure au Concile de Nicée I (ibid., p. 169). Il se
pourrait aussi que VOratio, en 19, 5 (p. 182) se ressentît, au moins fai-
blement, du millénarisme dont Lactance fut un adepte résolu : V. Loi,
Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno
(Pontificium Athenaeum Salesianum. Facultas Theologica Salesiana, Ser.
I : Fontes, vol. 5), Zurich, 1970, p. 247-252. Si à l'instigation de Denys
d'Alexandrie (cf. le traité riepi BiaYYeX.uôv, éd. Ch. L. Feltoe, The Letters
and other Remains of Dionysius of Alexandria, Cambridge, 1904, p. 106-126),
les Pères grecs tendent à réprouver, depuis le milieu du m' siècle, cette
doctrine, qui relève encore de l'état d'esprit des apocalypses judéo-chrétiennes,
leurs collègues occidentaux se gardent bien, comme on voit, d'exprimer une
semblable opinion, même à l'aube du iv siècle.
84 DANIEL DE DECKER
dans le sens du prophétisme chrétien36. S'il est vrai que la
traduction en langue grecque d'une œuvre littéraire latine
constitue, en elle-même déjà , un fait rarissime, elle accroît
également la vraisemblance de l'origine occidentale du
discours tout entier37.
\JOratio relève donc de préoccupations littéraires, philo-
sophiques, religieuses, mais aussi politiques, présentes Ã
l'esprit de Constantin en 324/325, au moment où celui-ci
reprenait contact avec la pars imperii orientalis qu'il venait de
ravir à Licinius38. L'on était en droit d'attendre du nouveau
Souverain qu'il s'adressât, en cette circonstance, à ceux qui,
comme les chrétiens, eurent particulièrement à pâtir du
régime moribond de Licinius39 : YOratio ad sanctorum
cœtum lui fournit cette opportunité.
36. Dans une étude récente sur cette question. C. Monteleone, L'egloga
quarta da Virgilio a Costantino. Critica del testo e ideologia, Manduria.
1975, p. 75 se refuse à prendre parti dans le débat si controversé qui entoure
l'attribution de YOratio à Constantin.
37. Malgré les dénégations de dom Dekkers, art. cit., p. 194. l'on peut
affirmer péremptoirement qu'il est rarissime de voir traduite en grec une
œuvre relevant de la littérature latine (O. Staehlin-W. Schmid, Geschichte
der grieschischen Literatur, dans le Handbuch der Altertumswissenschaften,
t. 7, 2/2, Munich, 1961", p. 945).
Generated on 2011-09-02 18:11 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
38. Dans ce discours, le règne naissant de Constantin est salué comme
l'avènement de temps meilleurs, annonciateurs d'un ordre nouveau (orat. 3,
2-4, p. 156-157; 6, 7, p. 160), de la paix universelle (orat. 1, 3, p. 155; 25, 3,
p. 191). Cet appel à l'unité (rvuKJiç) et à la réconciliation nationale
(ôuxyvoia ou o-uu,cpu)via) constitue (Vita Constantini, 2, 71, 2, p. 77; 2, 65, 2,
p. 74), l'un des «leitmotive» de la pensée constantinienne. au moment où le
monarque accède au pouvoir dans les provinces de l'Orient (cf. notamment
Vita Constantini, 2, 56, 1, p. 70-71 et 2, 72, 3, p. 78).
39. A l'heure où YOratio fut prononcée, les persécutions du cnristianisme
se sont éteintes en même temps qu'étaient défaits les derniers adversaires de
Constantin (orat. 1, 3, p. 154-155 et 25, p. 190-192). L'empire romain
recouvrait aussi l'unité après l'émiettement du pouvoir sous le règne tétrar-
chique qu'avait institué Dioclétien (orat. 22, p. 187-188). L'on attribue
communément ce triomphe cotistantinien, dont YOratio se fait ainsi l'écho,
à la période qui succéda immédiatement à l'écroulement du règne de Maxence
ou de Maximin Daïa (J.M. Pfaettisch, Des Kaisers Konstantins Rede...,
p. 264, n. I). Or, pareille intention ne nous parait pas soutenable. Le fils de
Maximien ne persécuta aucunement les chrétiens (cf. notre mémoire, La
politique religieuse de Maxence, p. 472-562). Quant au neveu de Galère, s'il
se montra hostile au régime de Constantin (mort pers. 44, 12), il n'y eut, de fait,
aucun acte de belligérance entre ces deux princes (cf. le commentaire rectificatif
de j. Moreau, SC 39, p. 454 Ã propos des assertions de mort. pers. 46, 12). L'on
LE « DISCOURS À L'ASSEMBLÉE DES SAINTS» 85
L'envoi par Constantin d'une lettre de synode, puisque telle
est bien la nature de ce document40, rejoint donc les
préoccupations impériales du moment, celles de la propa-
gande politique et religieuse. A ce qu'il nous semble, la
convocation du concile d'Antioche, à l'approche de la fête de
Pâques en 32541, a pu fort bien constituer cette occasion
favorable que recherchait Constantin pour émettre ce
document de propagande destiné à asseoir son gouvernement
dans les provinces nouvellement conquises en Orient. L'em-
pereur renouait ainsi avec un procédé qu'il venait d'utiliser,
quelque temps auparavant, en Occident, en favorisant la
reconnaîtra donc dans le tyran, visé par Constantin en l'an 324/5 (Vita
Constantin/, 2, 66, p. 74 et Cod Theod., 15, 14, 1-4), une allusion plausible Ã
la personne de Licinius. Ce que nous pensons savoir de la phase ultime de la
politique religieuse suivie par ce dernier nous confirme d'ailleurs dans cette
idée (H. Feld, Der Kaiser Licinius, Sarrebruck, i960, p. 108-112).
40. Par tradition, le Discours à l'Assemblée des Saints est conçu comme
une exhortation à l'Église tout entière (Rossignol, op. cit., p. 218). L'on se
fonde ainsi sur l'interprétation d'Eusèbe (cf. supra, notre n. 18), qui fut
reprise par le rédacteur, présumé anonyme (éd. Winkelmann, p. XLVI-
XLIX), du prologue à VOratio (au ch. 2, p. 151). Or l'expression
« ô xùxv âyÛDV aûXXoyoç » ne souffre aucunement pareille traduction. Elle n'est
point synonyme de « f| xù»v âyûov Koivcovîa » (cf. E. Kaehler, s.v.
Generated on 2011-09-02 18:12 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Gemeinschaft der Heiligen, RGG, t. 2, 1958, col. 1348-1349), mais signifie
proprement « assemblée des évêques, » c'est-à -dire « concile » (cf. Sanctorum
Synodus chez ml. Syn. 32, PL 10, col. 504). C'est aux évêques, en effet, qu'est
adressé, en premier lieu, ce discours (orat. 1, 1, p. 154 : «jioooqHÀraxoi
Ka6ifyT)xat ». Tel fut, sans doute, le cheminement de la pensée de F. Dvor-
nick, Early Chritian and Byzantine Political Philosophy Origins and
Background, t. 2 (Dumbarton Oaks Studies, t. 9), Washington, 1966, p. 641,
n. 93 qui considère VOratio comme la relatio du Concile de Nicée.
41. La critique s'accorde aujourd'hui à reconnaître l'historicité de ce
synode (E. Seeberg, Die Synode von Antiochien im Jahre 324125 (Neue
Studien zjur Geschichte der Theologie und Kirche, t. 16) Berlin, 1913; contre,
D.l. Holland, Die Synode von Antiochien (324125) und lhre Bedeutung fur
Eusebius von Caesarea und das Konzil von Nizà a, ZKG, t. 17, 1970, p. 163-
181) lequel se réunit, entre autres, afin de pourvoir à la vacance du siège
épiscopal, qu'avait provoquée le décès de Philogone, survenu le 20 décembre
324 (cf. O. Seeck, Regesten der Kaiser und PÃ pste, Stuttgart, 1919, p. 174).
Eu égard aux apprêts que suppose l'organisation d'un concile, la convocation
d'une «Assemblée des Saints» n'a pu être lancée avant de longs mois. Cet
intervalle de temps rend plausible l'hypothèse d'une coïncidence du Concile
avec la fête de Pâques, célébrée le 18 avril 325 (ibid.).
86 DANIEL DE DECKER
publication du De mortibus persecutorum, un pamphlet
destiné à servir la cause du régime constantinien42.
En Orient, cette mission échut à YOratio ad sanctorum
coetum, dont Ossius de Cordoue assura peut-être la diffusion,
s'il est vrai que ce dernier présida le concile d'Antioche de
325 43.
L'heure est venue, sans doute, de lever le discrédit qui
pesa si longtemps sur le Discours à l'Assemblée des Saints. Il
s'agit bel et bien d'un document authentiquement constan-
tinien, issu des bureaux de la chancellerie impériale — à la
manière du De mortibus persecutorum** —, dont l'intérêt
historique n'a été que trop négligé jusqu'ici. A notre estime,
ce document ne s'est que trop longtemps ressenti de la longue
suspicion qui entoura la Vita Constantini et à laquelle
H. Grégoire ne fut pas étranger45. On s'expliquera ainsi
aisément cette méfiance qu'exprimèrent plus d'un critique Ã
l'endroit d'Eusèbe dont le témoignage pouvait faire foi de
l'authenticité de YOratio ad sanctorum cœtum*6.
Il convient donc de réaliser aujourd'hui le livre critique du
Discours à l'Assemblée des Saints; mais on procédera
préalablement à une réalisation d'envergure : renouveler
l'édition critique de Heikel et l'agrémenter d'une traduction
42. Nous prolongeons ainsi les réflexions de J. Moreau, SC 39, p. 20 et
Generated on 2011-09-02 18:12 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
S. Calderone, Costantino e il Catlolicismo, vol. I (Publicazioni a cura
deirIstituto di storia deli Università di Messina, t. 3). Florence, 1962. p. 333,
n. I.
43. Sur le rôle joué par Ossius au Concile d'Antioche, l'on consultera
H. Chadwick, Ossius of Cordova and the Presidency of the Council of
Antioch, 325, JThS, N.S. t. 9, 1958, p. 292-304, qui partage l'opinion de
De Clercq, op. cit., p. 206-217.
44. Nous préparons, en ce moment, une dissertation doctorale sur l'au-
thenticité du pamphlet De la mon des persécuteurs, attribué à Lactance
(cf. RBPh, t. 48, 1970, p. 941-942).
45. Dans son mémoire fameux. L'authenticité et l'historicité de la Vita
Constantini attribuée à Eusèbe de Césarée, dans Bull. Classe Lettres Acad.
Royale de Belgique, Sc. morales et politiques, t. 39, 1953, p. 462-479 qui
suscita jadis une polémique ardente (F. Winkelmann, Zur Geschichte des
Authentizità tsproblem der Vita Constantini, dans Klio, t. 40, 1962,
p. 187-243).
46. La référence du texte incriminé se trouve à la note 18 de notre exposé.
LE « DISCOURS À L'ASSEMBLÉE DES SAINTS» 87
en langue française47. Nul doute que la Constantinische
Forschung4* y trouvera son compte.
47. A la demande du P. Mondésert, auquel j'exprime ici toute ma recon-
naissance, j'ai pris à tâche de réaliser cette ambition pour la collection
Sources Chrétiennes.
48. L'authenticité de YOratio ad sanctorum cœtum, attribuée à Constantin,
demeure, en effet, l'un des problèmes les plus débattus de la «question
constantinienne» (J. Vogt, s.v. Constantinus der Grosse, RAC, t. 3, 1957,
col. 364-367). [Note additionnelle : N'ayant eu connaissance de l'article de
T.D. Barnes, The Emperor Constantine's Good Friday Sermon, JThs,
N.S. t. 27, 1976, p. 414-423 qu'au moment de mettre le présent texte sous
presse, nous n'avons pu taire état de cette publication au cours de cet
Generated on 2011-09-02 18:13 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
exposé.)
88 DANIEL DE DECKER
DISCUSSION
M. Perrin. — D'après P. Courcelle, Les exégèses chrétiennes de
la quatrième Églogue (REA, t. 59, 1957, p. 294-319), il y a une
différence d'interprétation entre Lactance et l'auteur de YOratio. Il
est certain qu'elle n'est pas considérable, surtout si l'on remarque
que l'on peut trouver des interprétations différentes des mêmes
textes dans l'œuvre même de Lactance. D'autre part, les deux
exégèses étant proches, cela inviterait à penser que les deux auteurs
appartiennent au même «milieu intellectuel». Que penser de ces
données ?
D. De Decker. — Je connais fort bien votre opinion sur cette
question (cf. Latomus, t. 24, 1975, p. 505-506). A mon avis, l'on ne
s'attachera pas trop à rechercher si l'interprétation suscitée par
Lactance correspond, peu ou prou, au commentaire donné par
VOratio. C'est là finalement un faux problème. Il reste, en tout cas,
que cette exégèse chrétienne fut élaborée dans un cénacle proche de
la cour de Constantin, qui se chargea ensuite de la propager. Or,
cette donnée-là me paraît singulièrement plus éclairante.
Ch. Pietri. — Importance du thème de la concordia. Il faudrait
étudier les lettres de convocation aux synodes : l'empereur invitant
les évêques au nom de la «concorde» et du «consensus omnium»,
pour défendre l'unité"ecclésiale.
D. De Decker. — C'est là une direction de recherches possible.
Generated on 2011-09-02 18:13 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Lorsque éclatent les dissidences du donatisme et de l'arianisme,
Constantin n'a point de cesse qu'il ne restaure l'ôuôvoia parmi les
sujets de l'Empire. Cette préoccupation du souverain pour la paix
publique est également présente dans le Discours à l'Assemblée des
Saints.
J. Doignon. — Le passage de YOratio sur la IVe Églogue a-t-il
suscité des études? A-t-il quelque rapport avec les commentaires
de Lactance? D'autre part, l'usage d'un commentaire du Timée dans
YOratio est-il vraisemblable, dans la mesure où l'on défend de plus
en plus une datation tardive de ces commentaires ?
LE « DISCOURS À L'ASSEMBLÉE DES SAINTS » 89
D. De Decker. — Outre les nombreux .articles donnés sur cette
question par A. Kurfess entre les années 1912 et 1952, on accordera
une mention honorable à l'étude de J.M. Pfaettisch, Die vierte
Ekloge Vergils in der Rede Konstantins an die Versammlung der
Heiligen, dans le Programm des Kgl. Gymnasiums im Bene-
diktinerkloster Ettal fur das Schuljahr 1912/3, Munich, [1913],
qu'il faudra néanmoins reconsidérer à la lumière des recherches de
P. Courcelle (art. cité supra). Enfin, Ciro Monteleone vient de
publier un opuscule intitulé L'egloga quarta da Virgilo a Costantino.
Critica del testo e ideologia, Manduria, 1975, dont j'achève présen-
tement la lecture.
Je ne sais s'il est pertinent de retarder la datation de ces
commentaires platoniciens. D'une part, l'intérêt manifesté par
l'opinion romaine à l'égard du Timée est ancien. Cicéron lui-même
n'a-t-il pas entrepris déjà une traduction de ce dialogue de Platon ?
Force nous est d'admettre, d'autre part, que l'époque constanti-
nienne suscita un regain d'intérêt pour l'œuvre du philosophe grec,
car sur ce point du moins les témoignages anciens me paraissent
Generated on 2011-09-02 18:13 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
suffisamment contraignants.
Generated on 2011-09-02 18:13 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
JACQUES SCHWARTZ
A PROPOS DES CH. 4 A 6
DU « DE MORTJBUS PERSECUTORUM »
Après l'édition commentée donnée aux Sources chré-
tiennes, il y a plus de vingt ans, par Jacques Moreau1 et
l'activité scientifique plus récente, il peut paraître osé de
s'attaquer à des détails d'historiographie touchant ce texte de
Lactance. Cependant, la manière dont ce dernier a eu
connaissance de faits antérieurs ou postérieurs de peu à sa
naissance pose des problèmes d'information et je songe, tout
particulièrement, à ce qu'il dit de Dèce, Valérien, Gallien et
Aurélien. Il n'est pas question de reprendre ici l'histoire des
persécutions2 mais bien de se limiter à des points de la vie et
de la mort des empereurs précités.
Dans son Introduction, J. Moreau écrivait (p. 39) :
«Lactance, après avoir composé le récit des événements
contemporains, s'est avisé que la mort horrible des persé-
cuteurs de son temps aurait une valeur démonstrative plus
éclatante si elle s'inscrivait dans une série remontant aux
origines de l'Église. C'est pourquoi, après avoir rédigé son
œuvre ... il a fortifié la démonstration de sa thèse par une
série d'exemples... Point n'était besoin, pour faire allusion...,
de consulter une chronique. La fin des persécuteurs devait
être suffisamment connue des Chrétiens pour qu'il fût inutile
Generated on 2011-09-02 18:14 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
1. Lactance, De la mort des persécuteurs, dans : Sources chrétiennes
n" 39. 1954.
2. Cf., en dernier lieu, H. Grégoire (en collaboration avec P. Orgels,
J. Moreau et A. Maricq), Les persécutions dans l'Empire Romain, 1951.
92 JACQUES SCHWARTZ
à Lactance de se livrer à un travail de recherches». C'est
une protestation contre certaines tendances de la Quellen-
forschung, notamment contre H. Silomon qui croyait que,
pour ses ch. 2 à 6, Lactance avait utilisé une «chronique
impériale».
Les chapitres en question concernent les persécutions de
Néron, Domitien, Dèce, Valérien et Aurélien. Il n'est pas
impossible que, pour la mort de Domitien, Lactance se soit
inspiré de Suétone3. Nous ignorons la date de naissance,
même approximative, de Lactance; il peut toutefois avoir eu
des souvenirs d'enfance pour la capture de Valérien (en 260
ou peu avant) et il avait, certainement, des souvenirs plus
personnels pour 275, année de la mort d'Aurélien. D'autre
part, les historiens païens ne devaient pas faire mention de
persécutions et, de toute façon, nous sommes très mal ren-
seignés sur ce qui a pu être écrit, avant le milieu du IVe s.,
au sujet de la seconde moitié du me s.4.
Cependant, les ch. 4 à 6 contiennent des détails qui
méritent, me semble-t-il, de retenir notre attention, ne serait-
ce, d'abord, que pour des similitudes avec un discours qui
figure dans les œuvres d'Eusèbe de Césarée (portant généra-
lement le titre de «Constantini oratio ad sanctorum cœ-
tum»)5 et dont le ch. 24 mentionne successivement Dèce,
Generated on 2011-09-02 18:14 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Valérien et Aurélien. Ce genre de liste, systématique, de
persécuteurs ne réapparaîtra — et autre — que chez Orose6,
soit près d'un siècle plus tard. Pour B. Altaner7, YOratio en
question, écrite primitivement en latin, daterait probablement
des environs de 323, tandis que le traité de Lactance aurait
été écrit entre 314 et 317. J. Moreau, après avoir exposé les
différents intervalles de temps proposés, préfère pour le De
3. J. Moreau, o.c., p. 209-210 (comm.).
4. Cf. le Chronographe de 354, Aurélius Victor (359-360), Eutrope (370),
YEpitome (extrême fin du \V s.) et VHistoire Auguste (autour de 400).
5. I.A. Heikel, Eusebius Werke, I. Bd. 1902, p. 151-192. Sur l'authenti-
cité, cf. P. Courcelle, dans la REA, t. 59, 1957, p. 2%, n. I.
6. Adversus paganos, VII.
7. Patrology, 1960, p. 265 et 209.
CH. 4 À 6 DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 93
mortibus persecutorum les années 318 à 321" et renvoie
plusieurs fois9 à YOratio qui, donnant «comme le résumé»
des ch. 4 à 6 de Lactance, lui semble postérieure.
Ainsi donc, deux développements relativement brefs et de
même nature se trouvent non seulement très proches dans le
temps mais encore isolés de la littérature ultérieure qui n'en
a pas repris l'idée, à l'exception, discutable, d'Orose déjÃ
mentionné. Tous deux sont pris dans un tissu rhétorique, et
une confrontation qui se limiterait à eux seuls ne nous éclai-
rerait guère. La démarche qui consiste à examiner les morts
de chacun des empereurs concernés10 doit être plus probante.
Pour la facilité de l'exposé, nous n'examinerons Valérien
(et, par ricochet, Gallien) qu'en dernier lieu.
La qualité de persécuteur de Dèce est bien connue, mais
son historiographie est médiocre. On s'accorde sur sa mort
violente, non pas sur les circonstances exactes. A côté d'indi-
cations faisant mourir Dèce (et son fils) sur le sol barbare,
dans la Dobroudja", il y a deux autres versions, qui, toutes
deux, parlent de gloire et de trahison. Celle que rapporte
Aurelius Victor (29, 4-5) fait état de la mort antérieure de son
fils; c'est à elle que se rattache le récit de Jordanes. L'autre
version fait périr Dèce dans des marais; c'est celle de Zosime
(I, 23, 3) et de YEpitome (29, 3) qui s'exprime comme suit :
Generated on 2011-09-02 18:14 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
« in solo barbarico inter confusas turbas gurgite paludis sub-
mersus est, ita ut nec cadaver eius potuerit inveniri».
Lactance (4, 3) sait que Dèce «circumventus a barbaris...
ne sepultura quidem potuit honorari» et insiste sur ce dernier
point en théologien et en lettré12.De son côté, YEpitome ne
s'est pas contentée, comme souvent, d'utiliser Eutrope, mais
fait précéder le récit de la mort de Dèce d'un net éloge des
qualités de l'empereur. Cela n'a pas échappé à J. Schlum-
8. O.c., p. 34-37 (date peut-être un peu basse).
9. O.c., p. 217, 225 et 231.
10. Cf. J. Schwartz, La mort de Claude le Gothique, Historia XXII
1973, p. 358-362.
11. Chronographe de 354 : occisus praetorio Abrypto; Eutr. IX, 4 : in
barbarico; Orose VI1, 21, 3 : in medio barbarorum sinu; Jordanes, Get. 18,
10 : veniens Abrittum Moesiae civitatem circumsaeptus a Gothis... exstin-
guitur.
12. Cf. J. Moreau, o.c., p. 217 en haut.
94 JACQUES SCHWARTZ
bergerI3 qui admet qu'ici YEpitome se trouve «dans le camp
des païens militants». II n'en conclut pas moins, sans doute
par esprit de conformisme, en attribuant les renseignements
de YEpitome à la trop fameuse Histoire impériale imaginée
par Enmann (Kaisergeschichte).
Or Dèce se bat contre les Scythes (cf. Zosime), alias
Goths (cf. Epitome), même si Lactance emploie le nom de
Carpes14. Un nom d'historien se présente alors à l'esprit,
celui de Dexippe dont J. Schlumberger15 a eu le mérite de
reconnaître qu'il est parfois utilisé par YEpitome à partir de
238 p.C. Dexippe écrivit, entre autres, des XooviKd allant
jusqu'en 268 (ou 270) et des ZkvOikô racontant les guerres des
Romains contre les Goths. Une utilisation de Dexippe est la
meilleure explication de la mention, dans YEpitome et chez
Zosime, des qualités de Dèce (cf. Zosime XXII, 1) et, surtout,
des marécages qui lui furent fatals16.
Dexippe est, pratiquement, le seul auteur contemporain
pour les règnes de Dèce et de Valérien. Nous retiendrons,
donc, Ã cause de YEpitome, que Lactance a pu en avoir une
connaissance directe (ou indirecte). De son côté, YOratio
fait périr Dèce èv xoiç ZicuBiicoiç neôioiç, et qualifie ses
adversaires de Gètes (= Goths), alors qu'Abrittus est, offi-
ciellement, en Mésie inférieure ; elle ajoute que Dèce
Generated on 2011-09-02 18:15 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tô neoioorrcov 'Pœuaiœv koôxoç fjye (...) xoïç Téraiç
elç KaToupoovnaiv, à quoi correspond chez Lactance, mais pour
Valérien (V, 4), «ut barbaris Romanum nomen ludibrio ac
derisui esset ». Valérien est le premier empereur à mourir en sol
étranger et à avoir déshonoré ainsi la fonction impériale.
\SOratio semble bien avoir majoré par rapport à Lactance,
mais pour Dèce17.
13. Die Epitome de Caesaribus. Untersuchungen zur heidnischen Geschi-
chtsschreibung des 4. Jahrhunderts n. Chr., 1974, p. 143 (cf. p. 144 en h.).
14. Cf. J. Morf.au, o.c., p. 215-216..
15. O.c., p. 268, s.v. Dexippos.
16. Sur Zosime et Dexippe, cf. Zosime I, éd. Paschoud, XXXVII sq et
146-147.
17. Sur la mort de Dèce, en général, cf. PW, art. Messius n" 9, col. 1272,
56sqq; J. Moreau, o.c., p. 215-216; F. Paschoud (Zosime 1, p. 146-147);
P. Dufraigne (Aurelius Victor, p. 152-153).
CH. 4 À 6 DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 95
En ce qui concerne la mort d'Aurélien, il y a accord,
en gros, chez les historiens du ive s. Mais Lactance et
YOratio, en des termes très proches 18, la font précéder d'une
persécution, connue aussi de la Chronique d'Eusèbe (Jérôme)
et d'Orose. Ce dernier copie, visiblement, Eutrope et Jérôme;
comme ce dernier, il fait état d'un avertissement divin par
une chute de foudre précédant de peu la mort d'Aurélien,
à considérer donc comme un omen mortis. Pour Jérôme, cet
avertissement est postérieur au déclenchement de la persé-
cution19, alors qu'Eusèbe semble avoir écrit qu'il empêcha la
persécution projetée20.
Il existe des interprétations païennes de la foudre, liées aux
haruspices. Dans trois anecdotes apocryphes de VHistoire
Auguste, concernant respectivement Maximin le Thrace,
Tacite et Probus, on est censé avoir interrogé les haruspices
à propos de chutes de foudre21; il s'agit respectivement d'un
omen imperiti (Max. 30, 2) et d'omina concernant la descen-
dance d'empereurs qui furent les successeurs immédiats
d'Aurélien (Tac. 15, \-2;Prob. 24, 2).
Chez Jérôme, la foudre est l'instrument du dieu des chré-
tiens; les textes du Syncelle et de Cedrenus, qui sont censés
reproduire la Chronique d'Eusèbe, le disent bien (cf. n. 20).
D'autre part, Eusèbe, dans son Histoire Ecclésiastique (VII,
Generated on 2011-09-02 18:15 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
30, 21) ne parle pas de foudre (cf. n. 20). Pour la mort
d'Aurélien, Jérôme a donc utilisé une indication de la Chro-
nique d'Eusèbe qu'il amplifie. Il semble être l'« inventeur»
de la foudre, à propos de la persécution attribuée à Aurélien,
à moins que ce ne soit la source à laquelle il a recours pour
compléter Eusèbe. De toute façon, il y a un difficile problème
de chronologie relative entre les indications de la Chronique
d'Eusèbe et Lactance.
18. J. Moreau, o.c., p. 226 et 231.
19. Aurelianus cum... persecutionem movisset, fulmen juxta eum comites-
que eius ruit, ac non multo post... occiditur (P.L. 27, col. 653); cf. Orose
VI1, 23, 6 : novissime cum persecutionem... agi... decerneret, fulmen ante
eum magno pavore circumstantium ruit ac non multo post... occisus est.
20. Le Syncelle et Cedrenus ont : AùoTjXiavôç (léXXtov ôuuyuôv kiveïv...
eeûp Keoairwj) ôiaKxoXùrtai. Zonaras 12, 27 : ènéoxrv r| Oeîa ôûcr)... (cf.
Eusèbe ,HE 7, 30, 21, alors que la traduction de Rufin ajoute « morte... subita »).
21. Cf. encore une lettre fictive d'Aurélien (A 7, 8) avec un conseil aux
soldats : haruspicibus nihil dent.
96 JACQUES SCHWARTZ
Il paraît intéressant de rechercher maintenant la source de
Jérôme pour la foudre. Il se trouve que Carus, prédécesseur
de Dioctétien, mourut foudroyé. Jérôme emprunte le
«fulmine ictus interiit » qui le concerne à Y«ictu divini
fulminis periit» d'Eutrope (IX, 18) dont le traducteur grec,
Paianos, se contente, d'ailleurs, d'un à nûXero Keoawâ)22. Je
n'oserai pas affirmer que le «divini» d'Eutrope appartient au
texte primitif, mais le rôle divin de la foudre est sensible
chez Jérôme. Or, selon Aurelius Victor (38, 3sq), la mort,
par la foudre, de Carus est une punition pour avoir contre-
venu à des oracles concernant Ctésiphon et son arrière-
pays23, et, plus tard, le rédacteur de YHistoire Auguste
s'en souviendra (Car. 8,2 et 9,1) : Carus «panas luit»
(= Aur. Victor 38, 4)24 pour impiété. L'idée pouvait venir,
sans peine, à Jérôme de faire punir également Aurélien pour
son impiété; mais, comme les circonstances de la mort de
celui-ci étaient bien connues, la foudre ne pouvait servir que
d'avertissement et non pas de châtiment.
Nous voyons donc noircir le portrait d'Aurélien jusqu'Ã
Orose25, qui en fait le neuvième persécuteur, en passant par
Jérôme. L'accusation d'impiété portée par Aur. Victor contre
Carus n'est pas de lui mais d'historiens (?) antérieurs (38, 4 :
referunt) et il se pourrait que, pour aggraver le cas d'Auré-
Generated on 2011-09-02 18:15 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
lien, Jérôme se soit inspiré d'un récit commenté plus ancien
concernant Carus. En tout cas, Carus est allé trop loin dans
un territoire «sacré» des Perses; Aurélien est également allé
trop loin même si «ses édits sanguinaires n'étaient pas encore
parvenus dans les provinces les plus éloignées» (De mort,
pers. 6, 2). Il n'est pas impossible que ce dernier détail,
passablement rhétorique et invérifiable, ait aidé à déclencher
22. Cf. Orose 7, 24, 4 : fulmine ictus interiit (= Jérôme) ; Epitome 38, 3 :
ictu fulminis interiit.
23. Cf. J. Straub, Studien zur Historia Augusta, 1952, p. 123-132 (Das
Ctésiphon-OrakeI).
24. Cf. pour la mort de Domitien, Aur. Victor 11, 7 (poenas luit): et
Suétone, Vesp. 1, 1 (poenas luisse), Zosime 1, 4, (ôûcaç... èkxîveiv);
Moreau, o.c., p. 209. Cf. Julien, Caesares 12 : à itérure xt|v ôîkttv (Ã
propos d'Aurélien !).
25. 7, 23, 6 et 27, 12.
CH. 4 À 6 DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 97
chez Jérôme le mécanisme qui, à travers Carus, le poussa Ã
charger Aurélien.
Une autre occasion de le charger a, peut-être, été utilisée par
Jérôme, toujours en partant de Lactance. Selon ce dernier
(6, \), Aurélien n'a pas su tirer pour lui-même les ensei-
gnements de l'infamante captivité de Valérien. D'autre part,
Jérôme, dans la Chronique, dit de Zénobie, vaincue par
Aurélien, que «in Vrbe summo honore consenuit», alors que,
pour Zosime et Zonaras26, la reine ne survécut pratiquement
pas à sa capture. Eutrope (IX, 13), seul représentant, en
l'occurrence, de l'historiographie latine du ive s., la fait
paraître au triomphe d'Aurélien et termine par une phrase
concernant sa postérité27, que traduit bien Pionos en la fai-
sant précéder d'un « ZTrvopta ôè kcù avif) uikoôv Piœoaoa uetù
Tfjv alxuaXcxjiav xqôvov». Zénobie n'a donc pas vieilli
comme le prétend Jérôme alors qu'Eutrope (IX, 7) lui appre-
nait que « Valerianus ignobili servitute consenuit » 28. L'anti-
thèse est plutôt saisissante, et voulue.
Pourquoi cet acharnement contre Aurélien? Julien, dans les
Césars (ch. 12), admet qu'Aurélien méritait d'être puni pour
des meurtres, mais fait intervenir aussitôt le Soleil qui estime
que l'empereur a suffisamment expié. Le monothéisme
solaire, considéré comme une doctrine ennemie du chris-
Generated on 2011-09-02 18:16 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tianisme, a-t-il contrarié Lactance et surtout Jérôme dont les
facilités à s'emporter sont bien connues29? En tout cas, la
présence d'Aurélien dans la liste systématique des empereurs
persécuteurs est rare comme l'a montré le R.P.V. Grumel30,
qui ne mentionne qu'Orose (repris par YHistoria Miscella)
et Lactance (auquel il faut joindre aussi VOratio). Cette
rareté rapproche la notice de Jérôme (dans sa Chronique)
26. Cf. F. Paschoud, o.c., p. 168-169.
27. Zenobia autem posteros, qui adhuc manent, Romae reliquit. L'His-
toire Auguste (T 20, 27) brode en prétendant que Zénobie vécut ensuite, à la
romaine, Ã Tibur.
28. Cf. Epitome 32, 5.
29. Cf. M. Schanz, dans I.v.M. VIII, IV, 1, p. 445, qui attribue au
caractère de Jérôme certaines modifications qu'il apporte à sa Chronique,
après publication.
30. Du nombre des persécutions païennes dans les anciennes chroniques,
dans RE Aug, 1956, p. 59-66.
98 JACQUES SCHWARTZ
de Lactance et de YOratio, surtout si l'on considère que
Jérôme, dans le De viris illustribus, en 392, connaît un
décompte des persécutions, qui est le même que celui de
Sulpice Sévère (publié dans les toutes premières années du
Ve s.) et qui ignore Aurélien31. La Chronique de Jérôme est
de 380-132, doit-on admettre pour autant que Jérôme a changé
d'avis dans la décennie qui suit?
Il est tout à fait normal que Lactance ait consacré plus de
place à Valérien, dont la disparition frappa beaucoup les
esprits païens. La relative abondance des détails donnés
constitue, de plus, une présomption d'utilisation, si modeste
soit-elle, de sources écrites. Excluant les considérations reli-
gieuses propres à Lactance, on retiendra les quatre points
suivants d'histoire officielle ou anecdotique : 1. La servitude
honteuse de Valérien — 2. Les propos de son vainqueur,
Sapor — 3. L'attitude de son fils Gallien — 4. Le traitement
indigne post mortem. La double punition de Valérien, vivant
puis mort, trouble profondément Rome, dont l'empereur orne
un triomphe étranger33 et nous l'examinerons en premier.
Ce qui concerne Sapor et Gallien, plus anecdotique, vient en
plus, mais importe moins à Lactance.
Pour le premier en date des abréviateurs connus, Aur.
Victor (32, 5), Valérien, victime d'une ruse34, «foede laniatus
Generated on 2011-09-02 18:16 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
interiit», que P. Dufraigne traduit par «fut ignominieu-
sement écorché». Cette traduction n'est pas bonne, car les
autres emplois de foede laniare montrent qu'il s'agit de coups
mortels tendant à rendre un corps méconnaissable35. En
réalité, Aur. Victor fait mourir Valérien au combat, ce qui
empêche l'ignominie d'une longue servitude chez les Perses
telle que la mentionne, dix ans plus tard, Eutrope (IX, 7)
31. V. Grumel, o.c., p. 61.
32. Cf. M. Schanz, o.c., p. 444.
33. Cf.triumphatus(5,4);triumphi(5,6).Cf.Oratioadsanctorumcoetum24.
34. Dolo. Cf. Dèce (29, 4) : fraude; Aurélien (36, 8) : scelere. Pour
Valérien, VHistoire Auguste (Val. 1, 2) emploie : fraude. C'est un même
souci d'expliquer la mort d'un bon empereur par une trahison.
35. Cf. Tacite, hist. I, 41 (mort de Galba); Sénèque, Phaedr, v. 1246;
Vulgate (Deut. 25, 3, à propos d'une peine légale appliquée avec le fouet).
CH. 4 À 6 DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 99
dont il n'est pas douteux qu'il donne la bonne version36.
Certains détails sur la captivité, puis sur la mort de Valé-
rien ont du mettre du temps pour être acceptés, cependant
que la légende de son écorchement pourrait être née d'une
mauvaise interprétation (intentionnelle?) de la source d'Aur.
Victor (ou de ce dernier).
Selon Lactance, Valérien, tout au long de sa captivité37,
servit de marchepied à Sapor. Cette légende ne se retrouve
que dans YEpitome (32, 6), avec des similitudes de vocabu-
laire, et chez Orose (VII, 22, 4). J. Moreau38 pensait à une
application du Psaume 109, v.l, qui dit que les ennemis de
David lui serviront d'escabeau39, et à des reliefs sassanides
où Valérien est représenté à genoux. Cette seconde explir
cation me paraît moins probante, car on ignore dans quelles
conditions des Romains purent voir les reliefs en question,
même si Lactance lui-même, en 5, 6, évoque une visite par
des legati («ambassadeurs») romains d'un temple où se trou-
vait la dépouille de Valérien 40.
D'autre part, J. Schlumberger a raison en estimant que,
pour le marchepied, YEpitome dépend de Lactance41. Certes,
on pourrait s'étonner que YEpitome n'ait pas emprunté, éga-
lement, l'anecdote concernant la dépouille de l'empereur,
mais plutôt que d'admettre une source commune pour le
Generated on 2011-09-02 18:16 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
marchepied, on est tenté de voir dans ce dernier, tout simple-
ment, une invention pieuse de Lactance.
36. Ignobili servitute consentit (= Epitome 32, 5); cf. Orose 7, 22, 4
(ignominiosissima apud Persas servitute consenuit), Festus Rufus 23 (in
dedecori servitute consenuit), Lactance 5, 6 (vitam in Mo dedecore finivit)
et Zosime 1, 36, 2.
37. Dans 5, 4 «aliquamdiu vixit, ut diu», le premier terme est, sans
doute, de trop.
38. O.c., p. 223, qui signale une popularité tardive de cette légende dans
des Vies de saints.
39. Cf. I Cor. 15, 25; Hebr. 10, 13 et, surtout, Josué 10, 24 (ponite pedes
super colla regum... et : subjectorum colla pedibus calcarent) Ã rapprocher de
Lactance 3, I (subjectorum... cervicibus incubant) et 5, 3 (imposito pede
super dorsum); Orose (7, 22, 4), précise que le geste normal eût consisté Ã
prêter la main et non le dos.
40. Cette visite pourrait être antérieure à Galère, à en croire Pierre le
Patrice, FHG 4, p. 188, n. 13.
41. O.c. p. 151 et 186 n. 17.
100 JACQUES SCHWARTZ
L'anecdote concernant la dépouille, authentique ou non,
a mis du temps à se répandre et ni Eutrope ni YEpitome
ni Y Histoire Auguste ni Zosime ne la mentionnent.
Agathias le scholastique42 attribue à Valérien le même sort
qu'à Marsyas; il le fait donc écorcher vivant, et il est suivi
par des auteurs tardifs43. Par contre, VOratio ad sanctorum
cœtum 24 parle d'une momification faisant suite à un écor-
chement total : èKÔaofjvai KetavaOeiç kcù TaeixeuOeiç ; le pre-
mier verbe est employé pour Marsyas par Xénophon (Ana-
base I, 2, 8). Pour Lactance (5, 6), Valérien, après sa mort, est
écorché, en des termes qui rappellent le récit d'Ovide sur Mar-
syas44, puis on lui enlève les viscères. Ce dernier détail rappelle
tellement l'embaumement égyptien que le rapprochement avec
VOratio s'impose, cependant que Pierre le Patrice, déjà cité,
s'exprime en des termes plus vagues, pouvant recouvrir les
deux procédés appliqués, après sa mort, à Valérien45. Si bien
que, Lactance et YOratio mentionnant triomphe et outrage post
mortem, il convient d'attribuer à Lactance l'adjonction, dans un
texte proche de celui de YOratio, de l'anecdote concernant le
marchepied.
Pour les propos de Sapor, il nous faut regarder dans une
autre direction. Selon Lactance (5, 3), le souverain perse
aurait répété, à chaque occasion, à son prisonnier : « VoilÃ
Generated on 2011-09-02 18:17 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pourtant l'histoire vraie, bien différente assurément de celle
que les Romains peignent sur les tableaux ou sur les murs
(quod in tabulis aut parietibus Romani pingerent)». Il est
impossible de dire par quelle voie ce propos, s'il est vrai, est
arrivé jusqu'à Lactance, et l'on ne peut songer aux «legati»,
déjà mentionnés, que pour quelque oui-dire (au mieux). En
tout cas, il y a là une dérision des peintures officielles que
42. 4. 23 (PG 88, col. 1520 C).
43. Georges Hamartolos (PG 110, col, 565) fait subir ce supplice à Numé-
rien vivant, par confusion de nom.
44. Métamorphoses, 6, 387 : cutis... derepta.
45. FHG 4, p. 188 : Après sa mort, sa peau (oéoun ; cf. Xénophon,
Anabase I, 2, 8) par un procédé qui souille (uuoaoçi xivi xéxvn) fut conservée
et «inflige à un corps (oûuaxi) mort un outrage éternel». B.H. Stolte (The
Roman emperor Valerian and Sapor I, king of Persia, dans : Rivista storica
dell' Antichità I. 1971, p. 157-162) croit que Valérien fut écorché vif (cf. les
«précédents» mentionnés p. 161); mais rien ne prouve que même la
dépouille mortelle de l'empereur ait été traitée de la sorte.
CH. 4 À 6 DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 101
Lactance reprend à son compte, l'ayant peut-être trouvée
chez quelque auteur à propos de Valérien ou d'un autre
empereur.
Nous sommes fort mal renseignés sur ce genre de produc-
tion artistique. Les seules indications utilisables proviennent
de Y Histoire Auguste. L'exemple le plus net concerne Maxi-
min le Thrace qui «(Max. 12, 10) ordonne:., de faire des
tableaux représentant les principaux événements de cette
guerre (sc. : contre les Germains) et de les exposer dans
la salle du sénat, afin que la peinture y représentât toujours
ses hauts faits (... tabulas pingi...)». En deux autres
passages (T 25, 4 et A 10, 2) il est question de peintures
représentant Aurélien avec des personnages qu'il honore
de la sorte46; enfin Tacite est représenté, sous différents
costumes, dans une tabula figurant dans la maison des parti-
culiers (Tac. 16, 2). La question que l'on est alors en droit de se
poser, est la suivante : Y Histoire Auguste s'est-elle inspirée de
Lactance ou tous deux ont-ils une même source d'inspiration?
Vu les procédés de YHistoire Auguste et étant donné que
cette dernière a utilisé des passages du 1. VII des Institutions
divines, notamment dans sa Vita Taciti, comme je pense l'avoir
montré récemment47, une utilisation de De mortibus perse-
cutorum par YHistoire Auguste semble plus probable48.
Generated on 2011-09-03 01:23 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
L'examen de l'attitude de Gallien permet de confirmer cette
dépendance. En effet, Andreas Alfoldi49 a bien montré que
YHistoire Auguste, Ã propos de l'attitude de Gallien pendant la
captivité de son père, «contredit ostensiblement et consciem-
ment Lactance, De mort, persec. 5, 5 » pour reprendre l'expres-
46. En A 10, 2, il s'agit d'une peinture qui serait dans le temple du Soleil
(peut-être murale).
47. Du millénarisme dans /'Histoire Auguste, dans : Bonner Historia-
Augusta Colloquium 1971 [1974], p. 157-163 (notamment p. 159-160 et 162
n. 18).
48. La Vita Taciti a déjà été citée deux fois, plus haut, à propos de la
foudre (cf. Jérôme, sur Aurélien) et de peintures (cf. Lactance, sur Valérien).
49. Bonner Historia-Augusta Colloquium 1963 [1964], p. 1-3. La démons-
tration avait déjà été faite dans un article, écrit en langue hongroise, en
1929/1930.
102 JACQUES SCHWARTZ
sion d'A. Chastagnol50, approuvant Alfôldi. Il me paraît inutile
de reprendre ici la démonstration51.
Résumons les résultats obtenus pour les trois chapitres
étudiés :
1) Lactance a été utilisé par VEpitome et Y Histoire Auguste,
pour Valérien; c'est une confirmation d'un fait connu.
D'autre part, il a été utilisé par Jérôme, pour Aurélien.
2) Lactance a eu des sources écrites. Pour Dèce, il dépend,
directement ou non, de Dexippe. Si la notice sur Aurélien,
si courte, peut ne pas impliquer l'utilisation d'un ouvrage
historique (bien qu'il y ait une ressemblance un peu plus
accentuée avec Eutrope IX, 1552), l'existence de sources
pour Valérien est indiscutable.
Malheureusement, le texte de YOratio ad sanctorum
cœtum et le problème de sa date compliquent, entre, autres,
la question. Peut-être d'autres recherches permettront-elles
de préciser la chronologie relative de ces deux œuvres;
l'antériorité de Lactance reste, toutefois, nettement plus
probable.
50. Recherches sur l'Histoire Auguste, 1970, p. 6, n. 22.
51. Parmi les parallèles textuels, noter : Lactance 5, 5 (Etiam... acces-
sit... quod) et Gall. 4, 7 (accesserat praeterea... quod...). Lactance, ibid.
([Valerianus]... non... repetitus est) et Val. 3, 2.
Generated on 2011-09-03 01:25 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
52. Amicos ipsius... falso; cf. falsa... amicis suis (mort. 6, 2).
CH. 4 À 6 DU « DE MORTIBUS PERSECUTORUM » 103
DISCUSSION
J. Fontaine. — L'anecdote de Valérien servant de «marchepied»
à Sapor I'T ne serait-elle pas à relier à l'iconographie des monnaies
où l'empereur romain vainqueur met le pied sur un barbare couché
à ses pieds? On aurait ainsi l'inversion populaire d'un thème
triomphal romain, au profit du Roi perse?
J. Schwartz. — Si la statuaire montre l'empereur Hadrien posant
un pied sur la tête d'un ennemi vaincu (reprenant ainsi un vieux
motif oriental), la numismatique n'utilise que sporadiquement, sous
Constantin et ses fils, des motifs apparents, mais aucune des
représentations ne semble avoir pu inspirer la scène concernant
Valérien captif. Là où l'empereur pousse du pied un ennemi courbé
et à genoux, il n'y a pas de cheval; là où il combat à cheval,
l'ennemi est soit en train de se défendre soit, inanimé, sur le dos.
Y.M. Duval. — Sans refuser — et de loin — l'utilisation par
Jérôme de sources écrites, il faut peut-être tenir compte, au moment
où Jérôme écrit à Constantinople, du séjour qu'il vient de faire Ã
Antioche dans l'entourage d'Evagre. La famille de celui-ci a été
liée à l'histoire de Zénobie au siècle précédent... ce que nous
savons par Jérôme uniquement.
J. Schwartz. — Jérôme a certainement appris à Antioche ce qu'il
dit de Pompeianus qui vainquit Zénobie à Immae. D'autre part,
il est seul à dire que «Zenobia in Vrbe summo honore consenuit»,
Generated on 2011-09-03 01:25 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tandis que le reste des deux notices qu'il consacre à Zénobie vient
de sources écrites connues. Il se peut que l'intérêt de Jérôme pour
la descendance du général vainqueur et celle de la reine vaincue se
soit manifesté en un même moment; il n'y a, toutefois, pas lieu
d'en déduire l'existence d'autres traditions orales propres à An-
tioche et concernant Aurélien ou, avant lui, Valérien.
Generated on 2011-09-03 01:25 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Generated on 2011-09-03 01:25 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
PROBLEMES LITTERAIRES
ET SOURCES
Generated on 2011-09-03 01:26 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
ALAIN GOULON
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS
DANS L'Å’UVRE DE LACTANCE
Lorsque Lactance écrit les Institutions divines, l'usage de
citations des poètes dans la littérature philosophique peut
déjà se réclamer d'une longue tradition. Chrysippe, dit
Diogène Laërce, cita un jour la Médée d'Euripide presque
en entier; et il ajoute, rapportant un propos d'Apollodore,
que si on enlevait des livres de Chrysippe ce qu'il a emprunté
à d'autres écrivains, il ne resterait plus que des pages
blanches1. Le même Diogène relève comme un fait assez
exceptionnel que le texte d'Epicure soit exempt de citations,
et que tout y soit l'expression de sa seule pensée2. Lactance,
sans aucun doute, s'inspirait de modèles plus proches, et
la littérature philosophique latine lui proposait, dans ce
domaine, la théorie et la pratique de Cicéron et de Sénèque.
Après une longue citation en vers latins des Trachiniennes
de Sophocle et du Prométhée d'Eschyle, Cicéron nous
apprend qu'à Athènes, des philosophes comme le stoïcien
Denys ou Philon de Larissa agrémentaient leurs leçons en y
mêlant des vers : «depuis que j'ai pris goût à ces exercices,
continue-t-il, j'y fais spécialement appel aux poètes
romains3.» «Combien de poètes, reprend Sénèque, disent ce
qu'ont dit ou devraient dire les philosophes 4. » Moraliste sou-
Generated on 2011-09-03 01:26 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
1. D.L.,7, 180-181.
2. D.L., 10, 26.
3. cic, Tusc. 2, 11, 26 : ...Studiose equidem utor nostrispoetis.
4. sen., epist. 8, 8 : Quam multi poetae dicunt quae philosophia aut dicta
sunt aut dicenda.
108 ALAIN COULON
cieux d'efficacité, Sénèque constate, après Cléanthe, que «la
rigoureuse contrainte du vers confère à la pensée plus
d'éclat» et que la même pensée, distraitement écoutée si elle
est exprimée en prose, «astreinte à la régularité d'un mètre
précis... se dégage comme brandie d'un bras déployé5.»
Sénèque voit donc dans le vers un moyen d'atteindre Ã
l'expressivité et, par là , d'agir sur son lecteur6. Lactance
n'oubliera pas la leçon. Constatant les dommages que les
spectacles immoraux des comédies causent dans les âmes, il
note que «plus les auteurs ont d'éloquence, plus la qualité
littéraire des pensées les rend persuasives, et plus s'imprègnent
dans la mémoire des auditeurs les vers bien rythmés et
élégants». «La belle facture d'un poème, continue-t-il plus
loin, et l'agréable fluidité d'un discours captivent les esprits
et les orientent comme ils veulent7.»
Ainsi, peut-être, Cicéron demande-t-il davantage à la poésie
le charme et l'agrément littéraire tandis que Sénèque est
guidé par un souci d'efficacité ; l'un et l'autre, en tout cas,
ouvrent largement leur prose philosophique aux vers de poètes
explicitement cités. Quintilien peut affirmer, en généralisant,
«que des réflexions tirées des poètes remplissent non
5. sen., epist. 108, 10 : «Nam, ut dicebat Cleanthes, quemadmodum spiri-
tus noster clariorem sonum reddit cum illum tuba per longi canalis angustias
Generated on 2011-09-03 01:26 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tractum patentiore nouissime exitu effudit, sic sensus nostros clariores
carminis arta necessitas efficit». Eadem neglegentius audiuntur minusque
percutiunt quamdiu soluta oratione dicuntur; ubi accersere numeri et egre-
gium sensum adstrinxere certi pedes, eadem Ma sententia uelut lacerto
excussiore torquetur. — Traduction Noblot.
6. Voir sen., epist. 94, 27 (la forme ramassée du vers fait de la pensée une
sorte de sententia); 33, 6-7. Sur Sénèque et la poésie, voir W.S. Maguiness,
Seneca and the pœts, Hermathena, 88, 1956, p. 81-98 et surtout I. Dop-
pioni, Virgilio nell'arte e nel pensiero di Seneca, Florence, 1939, Doppioni
tente un classement des citations de Virgile d'après leur fonction dans
l'œuvre de Sénèque. Plus récemment, G. Mazzoli, Seneca e la poesia,
Publicazioni délia Facoltà de Lettere e Filosofia dell'Université di Pavia.
Istituto di Letteratura latina. Milan, 1970.
7. lact., inst. 6, 20, 27 : Nam et comicae fabulae de stupris uirginum
loquuntur aut amoribus meretricum, et quo magis sunt eloquentes qui
flagitia finxerunt, eo magis sententiarum elegantia persuadent et facilius
inhaerent audientium memoriae uersus numerosi et ornati. — inst. 6, 21, 4 :
Carmen autem compositum et oratio cum suauitate decurrens capit mentes
et quo uoluerit, impellit.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 109
seulement les discours mais les livres même des philosophes ;
ils ont beau juger tout au-dessous de leurs préceptes et de
leurs écrits, ils n'ont pas dédaigné, malgré cela, de citer
souvent un bien grand nombre de vers comme garants8».
Apparentée au genre philosophique, au moins quand elle se
présente sous la forme d'un traité, la littérature apologétique
a, elle aussi, très tôt recouru au témoignage des poètes. Dans
le monde grec du deuxième siècle, la pratique apparaît si
importante qu'elle a donné matière à la thèse de Mme
Zeegers-Vander Vorst9. Les premières citations de poètes
païens dans la littérature chrétienne sont de Paul lui-même,
citant Ménandre, Epiménide et Aratos. Chacun de ces rappels
de la sagesse païenne ouvre la voie aux apologistes ultérieurs,
soit qu'il illustre une exhortation d'ordre moral («Les mau-
vaises compagnies corrompent les bonnes mœurs »), soit qu'il
condamne les païens («Crétois toujours menteurs»), soit
encore qu'il « souligne la concordance entre la religion
nouvelle et les convictions religieuses des Grecs » ( « Car nous
sommes aussi de race divine »),0.
En nombre assez restreint chez Justin et Tatien, beaucoup
plus nombreuses chez Athénagore et Théophile, les citations
de poètes forment même la trame de chapitres entiers du
Protreptique de Clément. Or Lactance a certainement connu
Generated on 2011-09-03 01:27 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
la pratique de Théophile, puisqu'il le cite nommément".
En revanche, il ne trouvait guère, dans les apologistes
latins qui l'ont précédé, une méthode analogue à la sienne. R.
8. QVINT., inst. 5, 11, 39 : Nam sententiis quidem poetarum non orationes
modo sunt refertae, sed libri etiam philosophorum qui, quanquam inferiora
omnia praeceptis suis litteris credunt, repetere tamen auctoritatem a pluribus
uersibus non fastidierunt.
9. Nicole Zeegers-Vander Vorst, Les citations des poètes grecs chez
les apologistes chrétiens du lf siècle, Louvain, Publications Universitaires
(Recueil de Travaux d'Histoire et de Philologie, 4'' série, fascicule 47), 1972,
XLIX et 381 p.
10. N. Zeegers-Vander Vorst, Les citations... p. 19 et 20.-1 Cor. 15,
33 : Ménandre, Thais 218, éd. Edmonds, Illb. p. 626. - Vite 1, 12 :
Epiménide frg. 1, Vors. 1, 32, 1. - Act. 17, 28 : Aratos, Phaen. S. - Ces trois
citations sont déjà relevées par saint Jérôme (epist. 70, 2) qui en tire argument
pour légitimer le recours aux lettres païennes dans les ouvrages chrétiens.
11. lact., inst. 1, 23, 2.
I 10 ALAIN GOULON
Braun a étudié les emprunts et les allusions aux poètes latins
chez Tertullien12. «La connaissance que Tertullien a des
poètes latins, conclut-il, ne mérite pas d'être qualifiée de
diverse ni de profonde». L'Apologétique ne contient, en effet,
que trois ou quatre citations sous forme versifiée. Visi-
blement, Tertullien n'entend pas dialoguer avec les païens en
s'appuyant de manière privilégiée sur les auteurs qu'ils
vénèrent.
Minucius Félix, au contraire, recourt à leur témoignage.
«J'entends aussi les poètes célébrer le père unique des dieux
et des hommes» et il cite Virgile, mais par fragments13 : on
chercherait en vain un hexamètre entier dans tout YOctauius.
Harald Hagendahl remarque à ce propos que Minucius Félix,
homme de barreau, utilise sans doute le. style judiciaire dans
les deux longs plaidoyers qui constituent YOctauius. Or les
Latins, plus peut-être que les Grecs, proscrivaient l'insertion
de vers dans la prose des discours, parce qu'ils y
introduisaient des éléments étrangers et contrariaient la
suprême règle de l'unité de styleu. L'explication vaut pour
Minucius Félix. Elle ne paraît pas pouvoir s'appliquer Ã
Arnobe qui écrit un traité, souvent proche, d'ailleurs, de la
diatribe. Or Arnobe ne cite pas explicitement un seul vers,
alors que très souvent on perçoit aisément chez lui les
Generated on 2011-09-03 01:27 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
souvenirs des poètes15.
Le cas de Cyprien s'explique plus simplement. Du jour où
il s'est converti, le futur évêque de Carthage a renoncé à sa
culture comme à la majorité de ses biens. Si son style
conserve encore l'empreinte de ses études littéraires, on
trouve tout au plus chez lui des réminiscences d'auteurs
classiques, et très rarement des citations". Aussi Lactance
12. R. Braun, Tertullien et les poètes latins. Annales de la Faculté des
Lettres et Sciences Humaines de Nice, 2, 1967, p. 21-33.
13. Min. Fel. 19, 21 : Audio poetas quoque unum patrem diuum atque
hominum praedicantes.
14. H. Hagendahi, Methods of Citation in Post-Classical Latin Prose,
Eranos 45, 1947, p. 123.
15. Voir par exemple les réminiscences lucrétiennes : H. Hagendahl,
Latin Fathers and the Classics, Gôteborg, 1958, p. 12-47.
16. Voir P. Monceaux, Histoire littéraire de l'Afrique Chrétienne, Paris,
1902. t. 2, p. 207-208; G. Stramondo, Echi e riflessi classici net De
mortalitate di Cipriano, Orpheus 10, 1963, p. 159-185 (réminiscences de
Cicéron, de Sénèque, de Lucrèce et d'Apulée).
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 1 I I
considère-t-il son apologétique comme accessible aux seuls
fidèles17.
Lactance, quant à lui, aura très largement recours aux
citations littérales des poètes et notamment des poètes latins.
Il recherche, déclare-t-il, des témoignages auxquels les païens
puissent croire ou tout au moins qu'il ne puissent pas récuser18.
Si, par exemple, il ne peut pas, vu leur nombre, produire
ceux de tous les prophètes bibliques, il préfère chercher
un appui dans la littérature de son interlocuteur, et montrer
ainsi que la vérité se trouve consignée non seulement dans
son camp, mais aussi dans le camp de ceux qui s'acharnent
contre les chrétiens19. Cette attitude, qui relie Lactance aux
écrivains chrétiens ouverts à la culture païenne dont parle
saint Jérôme dans sa lettre à Magnus20, marque donc une
continuité et une rupture. Continuité avec la ligne de l'apolo-
gétique grecque, et surtout de la tradition philosophique païenne
de Cicéron et de Sénèque, rupture avec l'usage habituel des
apologistes latins qui l'ont précédé.
Peut-être ne sera-t-il pas inutile de préciser ici quelques
notions dont nous ferons usage dans cet exposé. La citation
implique la volonté de se référer à la pensée, au témoignage
ou à l'expression d'autrui. La réminiscence fortuite — dont
l'intérêt est pourtant considérable car elle révèle souvent
Generated on 2011-09-03 01:28 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
mieux que les citations la personnalité littéraire de l'écrivain —
n'entrera donc pas dans notre étude. La citation peut être
littérale, si elle reproduit les termes dont s'est servi l'auteur
original, ou «ad sensum» si elle résume ou développe la
pensée21. Nous appellerons citation introduite celle dont
17. lact., inst. 5, 1, 26.
18. lact.. ira 22, 4.
19. lact.. inst. 7, 25, I.
20. hier., epist. 70, 5.
21. Nous préférons éviter le terme de «paraphrase», souvent employé en
pareil cas, car il implique un «développement explicatif plus long que le
texte » (Littré). Or, chez Lactance, il s'agit plus souvent d'un résumé destiné,
soit à faire court, soit à priver un texte des séductions de la poésie quand
elle risque d'entraîner le lecteur dans un sens opposé à celui que veut le
citateur.
I 12 ALAIN GOULON
l'auteur est indiqué par son nom (ut ait Vergilius) ou par une
locution dépourvue d'ambiguïté (summus poeta dicit). Une
citation, enfin, peut être intégrée au contexte, si elle s'insère
à l'intérieur de la phrase du citateur, ou non intégrée si elle
constitue une phrase particulière22.
Après un bref inventaire du matériel des citations poétiques
chez Lactance, nous voudrions surtout examiner quelques
questions que soulèvent la forme et le groupement des
citations, ainsi que leurs places et leurs fonctions diverses
dans l'apologétique23.
Quelques chiffres précis aideront à se faire une première
idée de la dette de Lactance à l'égard des poètes latins. A ce
moment de l'enquête, il est difficile de tenir compte des
réminiscences, des citations «ad sensum» et des imitations
stylistiques telles qu'en recèle par exemple le poème du
Phœnix. En s'en tenant aux seules citations littérales d'un
demi-vers au moins, on obtient le tableau suivant qui en
indique le nombre et celui des vers cités au total24.
Si l'on prenait en compte les citations «ad sensum», les
allusions et les réminiscences, l'influence de Térence,
d'Horace, d'Ovide, de Lucrèce et de Virgile apparaîtrait plus
grande, mais l'importance relative des divers écrivains ne s'en
trouverait pas modifiée.
Generated on 2011-09-03 01:28 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
22. Sur le bien-fondé et l'utilité de ces distinctions voir J. Andrieu,
«Procédés de citation et de raccord» REL 26, 1948, p. 268-293.
23. C'est l'étude du «pourquoi et du comment» des citations à laquelle
Hagendahl convie les chercheurs (Methods of Citation..., p. 117). Cf.
aussi la remarque de A. Wifstrand, L'Eglise ancienne et la culture
grecque, traduit du suédois par L.M. Dewailly, Paris, 1962, p. 131, citée
par N. Zeegers-Vander Vorst, Les citations... p. 14, n. 9 : «Ce qu'on a
trop peu examiné, c'est la manière dont les allusions entrent dans le
contexte, l'occasion qui provoque leur emploi, leur relation avec les
exemples bibliques et en quelle mesure elles conservent leur sens premier en
cet emploi nouveau...»
24. Quand deux vers appartenant au même contexte sont cités l'un après
l'autre, mais séparés au moins par quelques mots du citateur, ils ont été
considérés comme constituant deux citations.
LES CITATIONS DES POETES LATINS
113
Auteurs
Nombre de Nombre de Nombre de
citations vers cités demi-vers cités
Virgile
83
101
50
dont Bucoliques
2
13
1
Géorgiques
14
17
6
Enéide
67
71
43
Lucrèce
24
58
Ovide
17
48
2
Generated on 2011-09-03 01:28 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
5
Lucilius
6
31
Térence
5
5
1
Horace
4
16
1
Perse
4
5
2
Germanicus
4
5
1
Ennius (vers)
3
6
1
Cicéron (vers)
3
5
Plaute
2
3
Lucain
2
2
Properce
I
4
Juvénal
1
2
TOTAUX
159
291
I 14 ALAIN GOULON
misère26. Un autre passage semble bien recéler une réminis-
cence : les trois adjectifs, caeci, incogitabiles, excordes, accolés
chez Lactance, le sont aussi chez Plaute. Incogitabilis, de plus
est rare en ce sens27. Si les deux citations peuvent faire penser Ã
l'emploi d'un recueil de maximes analogue à celui de Publius
Syrus, la série des adjectifs en revanche paraît plutôt traduire un
souvenir de lecture.
Plaute n'avait pas grand chose à dire à un chrétien : il n'a
manifestement pas séduit Lactance.
Térence l'a marqué davantage. Il a eu, remarque Lactance,
une sorte d'inspiration divine « en affirmant que la « vérité
procure la haine». Séduit, l'apologiste cite quatre fois ce
dernier vers, si vrai en une période de persécution28.
26. laCt., inst. 6, II, 8 : Hinc est Ma Plauti detestanda sententia : Maie
meretur qui mendico dat quod edat .iNam et illud quod dat perit et Mi
producit uitam ad miseriam. plavt., Trin. 339-340 : De mendico maie
meretur qui ei dat quod edit aut bibat ;INam et illud quod dat perit et Mi
prodit uitam ad miseriam. Citation de mémoire : I) l'ordre des mots est
modifié; 2) emploi de synonymes plus habituels : producit au lieu de prodit,
3) la construction de mereor a changé.
27. lact., inst. I, 8, 3, : Vnde mihi de tanta maiestate saepius cogitanti
qui deos colunt interdum uideri soient tam caeci, tam incogitabiles, tam
excordes...; plavt., mil. 544 : Nunc demum sciolMe fuisse excordem,
Generated on 2011-09-03 01:29 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
caecum, incogitabilem. En dépit de l'ordre différent des mots, la réminis-
cence est très probable; à notre connaissance en effet, on ne trouve pas
ailleurs la série de ces trois adjectifs.
28. lact., inst. 5, 9, 6 Vtrumne « ueritas odium parit » ut ait poeta quasi
diuino spiritu instinctus...; 5, 21, 1 : non ergo ideo aduersus nos insaniunt,
quia dii non coluntur a nobis -a multis enim non coluntur-sed quia « ueritas »
penes nos est, quae, ut est uerissime dictum, « odium parit», epit. 59, 8 :
quae (= ueritas) licet sit ad praesens insuauis, tamen cum fructus eius atque
utilitas apparuerit, non odium pariet, ut ait poeta, sed gratiam. Toutes ces
citations sont introduites. Epit. 47, 5 : Nec satis putant, si celeri ac simplici
morte moriantur quos inrationabiliter oderunt, sed eos exquisitis cruciatibus
lacerant ut expleant odium, quod non peccatum aliquod sed ueritas parit. La
citation non introduite marque ici le dernier terme d'une évolution au cours
de laquelle la pensée citée, d'abord considérée de l'extérieur, est finalement
totalement assumée par, le citateur. ter.. And. 68 : namque hoc temporel
Obsequium amicos, ueritas odium parit. On pourrait objecter qu'il s'agit en
fait d'un proverbe souvent cité (cf. Otto, Sprichwôrter, s.u., ueritas p. 268
et c.r. de Weyman repris dans R. HAussler, Nachtrà ge zu A. Otto
Sprichwôrter und Sprichrwortliche Redensarten der Rômer, Darmstadt, 1968,
p. 292). Lactance, néanmoins, s'il ne nomme pas Térence par son nom, en
attribuant la formulation de cette vérité à une «sorte d'inspiration divine»
{Inst. 5, 9, 6) la sort de l'anonymat du proverbe pour en faire crédit à un
auteur précis.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS | 15
Personne n'est bon juge dans sa propre cause, déclare ailleurs
Lactance ; mais au lieu de chercher une confirmation dans la
paille et la poutre de l'Évangile, c'est une réflexion de Méné-
dème qu'il cite : « Les hommes sont ainsi faits qu'ils voient
mieux les affaires d'autrui qu'ils ne voient clair dans les leurs
propres»29. Térence l'aide encore à condamner le suicide30,
il lui fournit quelques formules expressives31 ou des
expressions imagées32.
Une des toutes dernières citations des Intitutiones Divines
vient encore de Térence. Chez le comique, l'esclave pense Ã
tout ce qui l'attend au retour de son maître : le moulin, les
coups, les entraves. Lactance reprend l'énumération de ces
maux et il en ajoute encore pour décrire tout ce que le
chrétien doit souffrir pour sa foi33. Souvenir scolaire sans
doute, ce réemploi du matériau fourni par Térence, à cette
place et pour un tel sujet, montre l'estime qu'avait Lactance
pour celui qu'il qualifie ailleurs de nobilis poeta34.
29. LACT., but. 3, 4, 7 : Nemo enim de se poiest recte iudicare : quod
nobilis poeta testatur : Itan conparatam esse hominum naturam omniuml
Aliena ut melius uideant et diiudicentIQuam sua; ter., Heaut. 303-505, texte
exactement cité.
30. Lact., inst. 3, 18, 13 : prius disce quid sit uiuereISi displicebit uita,
tum istoc utitor; ter., Heaut. 971-972 : prius quaeso disce quid sit uiuere.iVbi
Generated on 2011-09-03 01:29 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
scies, si displicebit uita istoc utitor. Citation de mémoire.
31. Suo sibi gladio : lact., inst. 3, 28, 20; ter. Ad. 958 (l'expression est
toutefois devenue proverbiale, cf. cic, Caecin. 29, 82 : Tuo, quem admodum
dicitur, gladio). - Tam placidum quam ouem reddam : lact. inst. 3, 26, 4;
ter. Ad. 534.
32. LACT., but. 2, 8, 24 : in eodem luto haesitans uersura soluis, Geia;
ter., Phorm. 780 : in eodem luto haesitas, uorsuram solues, Geta; repris en
inst. 7, 2, 3: allusion en but. 2, 8, 54-55; devenu proverbial : cf. Otto,
Sprichwôrter, s.u. lutum p. 201-202. - Le rapprochement établi par Brandt
entre lact., .ira, 20, 4 et ter. Ad. 470 paraît assez gratuit.
33. lact., inst. 7, 27, 3 : Proinde si sapientes, si beati esse uolumus,
cogitanda et proponenda sunt nobis non-tantum Terentiana Ma. « Molendum
esse usque in pistrino, uapulandum, habendae compedes», sed his multo
atrociora, carcer, catenae tormenta patienda...; TER., Phorm. 249 : Molen-
dum usque in pistrino, uapulandum, habendae compedes.
34. Lact., inst. 3, 4, 7 cf. n. 29.
i 16 alain goulon
Ennius.
Ennius et son Histoire Sacrée devait évidemment fournir Ã
l'apologiste une documentation de choix dans sa lutte contre
le polythéisme. Les longues citations qu'en a fait Lactance
sont en prose et il semble bien qu'elles l'ont toujours été35.
Elles resteront donc hors de notre enquête. Mais l'auteur des
Annales et des Epigrammes a également séduit Lactance,
tantôt par l'expressivité de ses formules36 tantôt aussi par le
retentissement moral ou patriotique de ses propos. Scipion, ou
plutôt le poète qui le fait parler, se fait tancer pour avoir prétendu
faire ouvrir les portes du ciel devant ses mérites de conqué-
rant37. Le poète épique des Annales montre ailleurs le déses-
poir des Romains à la mort de Romulus et explique ainsi l'ori-
gine de sa divinisation38. Lactance a-t-il pris ces textes
directement dans Ennius ? On peut en douter, car ils se trouvent
tous cités par Cicéron.
35. Voir E. Laughton, The prose of Ennius, Eranos 49. 1951, p. 35-
49. L'auteur compare la prose d"Ennius donnée par Lactance comme citation
littérale avec des spécimens de la prose latine du deuxième siècle. Puis il
remarque que les textes de Cicéron présentés comme des citations littérales
le sont effectivement. Il conclut que lorsque Lactance affirme « haec Ennii
uerba sunt», il faut l'en croire et penser que nous avons bien alors le texte
d'Ennius.
Generated on 2011-09-03 01:29 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
36. Imbres ferreos selon l'expression des «poètes» : Lact.. inst. I, II,
18 et epit. 11,2: allusion probable à Verg., Aen. 12, 284 et Enn., ann. 8, 281
Lact., inst. 5, 1,5; Enn., ann. 8, 263 (Warmington = Vahlen3 269); «coquet-
terie toute cicéronienne que cette citation d'Ennius dans un préambule», dit
P. Monat (Lactance, Institutions Divines, livre V, t. 2, commentaire et
index par P. Monat, SC t. 205, Paris 1973 p. 18); cité par Cic, Mur. 14, 30.
37. Lact., inst. I, 18, Il : Apud Ennium sic loquitur Africanus : « Si fas
endo'plagas caelestum ascendere cuiquam estJMi soli caeli maxima porta
patet », scilicet quia magnam partem generis humani extinxit ac perdidit. O
in quantis tenebris, Africane, uersatus es uel potius o poeta qui per caedes
et sanguinem patere hominibus ascensum in caeium putaueris! Cui uaniti
etiam Cicero adsensit! Enn., epigr. 3-4 Warmington (= Vahlen3 23-24). Cité
par Cicéron dans le De republica, d'après le témoignage explicite de Sen.,
epist. 108, 33.
38. Lact., inst. 1, 15, 31 : Nam Romulum desiderio suis fuisse declarat
Ennius, apud quem populus amissum regem dolens haec loquitur : O
Romule, Romule dieJQualem te patriae custodem di genuerunt !ITu produ-
xisti nos intra luminis oras.lo pater, o genitor, o sanguen dis oriundum :
Enn., ann. 118-121 Warmington (= Vahlen3 111-114). Cité par Cic, rep. I,
41, 61 mais avec interversion des deux derniers vers.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 1 17
Germanicus et Cicéron.
Si Lactance cite les Aratea de Germanicus et ceux de
Cicéron, c'est, pourrait-on penser, parce qu'il a trouvé leurs
vers dans un florilège traitant de la justice. En effet, dans le
fameux passage du livre 5 consacré au règne de la Justice sur
la terre, trois vers sont empruntés au poème de Germanicus
et deux à celui de Cicéron39. Mais Germanicus fournit trois
autres vers relatifs à la chèvre Amalthée qui nourrit Jupiter40,
et Cicéron trois vers du De consulatu suo montrant Jupiter
incendiant son propre temple sur le Capitole41. Lactance
paraît même avoir eu en mains une édition commentée de
Germanicus, puisqu'il cite les scolies comme si le poète en
était l'auteur42. Lactance avait donc probablement une
connaissance directe des deux Å“uvres.
Properce et Lucain
Certains poètes n'apparaissent qu'incidemment dans l'œu-
vre de Lactance. Les sujets, bien souvent, ne s'accordaient
guère. Les Institutions divines comportent ainsi une seule
allusion — nullement assurée—à Catulle 43. Les élégies romaines
de Properce fournissent quatre vers qui décrivent les humbles
39. Lact.. inst. 5. 5; Germ. 112, 113, 137; Cic, Arat. frg. 17, 19
Soubiran. Voir ci-dessous p. 139 et n. 138.
40. Lact., inst. 1, 21, 38.
Generated on 2011-09-03 01:32 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
41. L\ct., inst. 3, 17, 14; Cic. Cons. 36-38 Soubiran (= diu. 1, 12, 19 et 2,
20, 45). Voir ci-dessous p. 127 et n. 91.
42. Lact., bat. 1, 11, 64 : Caesar quoque in Arateo refert... Or, il s'agit
d'une scolie aux vers 318-320 (A Breysig, Germanici Caesaris Aratea cum
scholiis, Berlin 1867, p. 91, 19). J. Martin (Histoire du texte des Phénomènes
d'Aratos, Paris, Klincksieck, 1956, p. 41) estime, que l'expression de
Lactance provient de ce que les scolies sont anonymes. C'est vraisemblable.
Il s'agit de faire court. De façon analogue, Lactance attribue à Épicure les
vers de Lucrèce (ira, 8, 1,). En quoi il ne se trompe pas et ne veut pas
tromper son lecteur : cela signifie simplement qu'il prend Lucrèce pour le
fidèle écho de son maître.
43. Lact., inst. 6, 13, 11 : ille Cresum... diuitiissuperet ; Catull.. 115. 3 :
Cur non diuitiis Cresum superare potes sit? Mais le thème est bien courant!
cf. Otto, Sprichworter, s.u., Croessus, p. 98.
I 18 ALAIN GOULON
débuts de la Curie et du Sénat44. Lucain est cité deux fois et
encore, sur les trois vers que Lactance lui attribue, il en est
un qui, en fait, appartient à Ovide : numquamque satis
quaesitus Osiris*5. La confusion pourtant ne manque pas
d'intérêt : elle permet d'entrevoir les méthodes de rédaction
de Lactance. Selon lui, en effet, le deuil mené par Isis à la
mort d'Osiris montre à l'évidence que cette prétendue déesse
était mortelle. Lucain est ainsi appelé à la rescousse; chez
lui, en effet, le jeune Pompée, à la nouvelle de la mort de son
père, s'en prend aux Egyptiens : «Je renverserai le sépulcre
d'Isis, leur divinité, maintenant en honneur chez les peuples;
je jetterai dans la foule Osiris avec son voile de lin »46. Un
autre passage, situé quelques deux cents vers plus haut, rend
les mêmes résonances évhéméristes : et quem tu plangens
hominem testaris, Osirim*1. C'est probablement ce dernier
vers que voulait présenter Lactance quand il a cité le vers
d'Ovide, beaucoup moins significatif. La finale à peu près
identique, Osiris, Osirim a sans doute favorisé la confusion :
peut-être dans la mémoire auditive de Lactance, peut-être
aussi dans une sorte de passage du même au même au cas où
notre auteur aurait consulté une sorte d'anthologie thématique
44. lact., inst. 2, 6, 14 : De quo senatu Propertius elegiarum scriptor
haec loquitur : « Burina cogebat priscos ad uerba Quintes, Centum illi in
Generated on 2011-09-03 01:33 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
prato saepe senatus erat. Curia, praetexto nunc qua nitet alla senatu, iPellitos
habuit, rustica corda, Patres». Hi sunt patres quorum decretis eruditi ac
prudentes uiri deuotissime seruiant. Prop., 4, I, 11-14; Ã noter une inversion
des distiques entre le texte de Lactance et celui de Properce, mais l'ordre
des pensées n'est pas strict. Lactance a pu inverser les énoncés, dans cette
élégie romaine qu'il cite probablement de mémoire.
45. Lact., inst. I, 21, 20; Ov., met. 9, 693.
46. Lact., inst. 1, 21, 21, : Refertur ergo in sacris imago rei quae uere
gesta est, quae profecto si quid sapimus declarat mortalem mulierem fuisse
ac paene orbam; nisi unicum repperisset. Quod illum ipsum poetam minime
fugit, apud quem Pompeius adulescens morte patris audita haec loquitur :
«Euoluam busto iam numen gentibus IsimIEt tectum lino spargam per
uulgus Osirim. Lvcan. 9, 158-159.
47. Lvcan, 8, 833.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS I 19
— dont il resterait à démontrer l'existence — à l'article
«Osiris »48.
LES ECRIVAINS SATIRIQUES et moraux
Chez les écrivains satiriques ou moraux, Lactance devait
trouver des préoccupations plus proches des siennes. Aussi les
citations de ces auteurs, qui ont généralement trait à la lutte
contre les faux dieux ou contre certaines conceptions morales
jugées erronées, sont-elles chez lui relativement nombreuses.
Bien que cité une seule fois, Juvénal l'est avec honneur. « C'est
nous, oui nous, Fortune, qui t'avons faite déesse et placée dans
le ciel ». Voilà évidemment un appui de choix pour l'apologiste
chrétien qui en fait une citation-conclusion de son troisième
livre49.
Le mince volume des satires de Perse fournit quatre citations
littérales avec des allusions à deux autres passages. Tantôt
Lactance est séduit par le génie satirique du poète qui s'indigne
que la sagesse, produit d'importation, vienne d'arriver à Rome
avec le poivre et les dattes50.Tantôt il trouve chez lui un écho Ã
ses propres conceptions du « status erectus» de l'homme : «O
âmes courbées vers la terre et vides de préoccupations cé-
48. Brandt signale une autre réminiscence possible de Lucain : inst. 2, 9,
17 : Vnde et philosophi quidam et poetae discordi concordia mundum
constare dixerunt : Lvcan. I, 98 : concordia discors. Mais Lactance pense
Generated on 2011-09-03 01:33 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
aussi probablement à Horace (epist. 1, 12, 19 : concordia discors) peut être Ã
Manilius (I, 136 : discordia concors) et à Sénèque (nat. 7.27, 4 : tota haec
mundi concordia ex discordibus constat). En fait, l'expression paraît plutôt
venir d'Ovide, met. I, 433 : discors concordia que Lactance cite d'autre part
dans le même chapitre 2, 9, 20. Lucain pourrait bien n'être connu que par
extraits.
49. Lact., inst. 3, 29, 17 : Huius itaque peruersae potestatis cum uim
sentirent uirtuti repugnantem, nomen ignorarent, fortunae sibi uocabulum
inane fixerunt : quod quam longe a sapientia sit remotum, declarat luuenalis
his uersibus : « Nullum numen habes si sit prudentia : nos te, Nos faciamus,
fortuna, deam caeloque locamus». ivv. 10, 365-366. Une telle citation
pourrait bien venir d'un florilège.
50. Lact., inst. 3, 16, 15. Pers., 6, 38-39.
120 ALAIN GOULON
lestes»5I ! Lactance semble surtout avoir été sensible aux aver-
tissements du moraliste, étrangement semblables à ceux du
Dieu de la Bible qui se désintéresse des sacrifices, mais non d'un
cœur contrit et humilié. « Quel est le prix, dit Perse, auquel tu t'es
payé les oreilles des dieux ? Est-ce celui d'un poumon ou de
boyaux graisseux ?» « Il comprenait, commente Lactance, qu'il
n'est point besoin de viande pour apaiser la majesté divine, mais
qu'il y faut la sainteté de l'esprit, la justice de l'âme et du cœur,
comme lui-même le déclare, dans la noblesse naturelle de sa
race52». Lactance a d'ailleurs déjà cité littéralement le texte
qu'il transpose ici en prose53.
Les six passages de Lucilius repris dans les Institutions divines
totalisent trente et un vers. C'est dire leur longueur excep-
tionnelle — jusqu'à treize vers — pour le plus grand profit du
philologue qui découvre là des textes partout ailleurs disparus.
Lactance a trouvé chez le satirique des passages cinglants pour
fustiger les idolâtres qui s'effrayent comme des enfants devant
des statues de bronze54 ou pour tourner en dérision le
51. Lact., inst. 2, 2, 18 : luuat igitur uelut in aliqua sublimi specula
constitutum, uncie uniuersi exaudire possint, Persianum illud proclamare :
«O curuae in terris animae et caelestium inanes! Pers., 2, 61. Au lieu de
ce vers, le manuscrit P porte ici le vers 1, I : O curas hominum, o quantum
in rebus inane; pour faire bonne mesure, S présente les deux vers. Il est
Generated on 2011-09-03 01:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
probable que le scribe de P a substitué un vers à un autre de sens analogue
et au début et à la fin semblables : celui de S a réuni les deux leçons.
52. Lact., inst. 6, 2, 11-12 : Merito ergo Persius huiusmodi superstitiones
suo more deridet : «Qua tu», inquit, «mercede deorum/Emeris auriculas?
pulmone et lactibus unctis?» Sentiebat uidelicet non carne opus esse ad
placandam caelestem maiestatem, sed mente sancta et iusto animo et
pectore, ut ipse ait, quod naturali sit honestate generosum ; Pers. 2, 79-30 et
2, 73-74.
53. Lact., inst. 2, 4, 10-12. Pers., 2, 73-74.
54. Lact., inst. 1, 22, 13-14 : Nam Lucilius eorum stultitiam, qui simula-
cra deos putant esse, deridet his uersibus : «Terriculas Lamias... ( = Lvcil.
484-489, éd. Marx, Leipzig, 1904-1905)... omniaficta». Poeta quidem stultos
homines infantibus comparauit, et ego multo imprudentiores esse dico.
Texte à nouveau cité en epit. 17, 3. Lactance est le seul à donner ce passage
aussi complètement. Noter qu'au quatrième vers, tous les manuscrits des
Institutions et VEpitome donnent isti omnia corrigé par Lachmann en somnia,
correction adoptée par Marx (Commentaire p. 180-182) qui estime que
Lactance a donc déjà utilisé un texte corrompu. En dépit de l'hiatus, la
correction est-elle bien nécessaire?
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 121
polythéisme qui donne le titre de père à quantité de dieux55.
Lucilius fournit encore à l'apologiste un tableau acerbe de la
méchanceté qui, sous couvert de rhétorique, se donne libre cours
au forum56. Mais le plus long passage de Lucilius que nous a
transmis le seul Lactance se présente comme une définition de la
vertu, dont l'apologiste, pendant deux chapitres, va discuter la
conception, vers par vers57. Aussi ces treize vers apparaissent-
ils moins comme une citation que comme un texte homogène
proposé au commentaire. Ailleurs, c'est une conception morale
« mentir à un ami intime n'est pas mon fait»58 ou un tableau,
celui de Neptune vantant l'habileté dialectique de Carnéade59,
que Lactance a emprunté à Lucilius.
Comme Lucilius, Horace est apprécié par Lactance pour son
talent satirique quand il se moque du polythéisme 60. On connaît
la satire où Priape avoue lui-même : Olim truncus eram
ficulnus... Lactance relève l'aveu61. Mais c'est le moraliste qu'il
cite le plus volontiers, soit pour corriger ce que la conception de
la vertu chez Lucilius avait de trop intellectuel62 soit pour pré-
55. Lact., Inst. 4, 3, 12. Lvcil.. 20-22 Marx. Texte connu par le seul
Lactance.
56. Lact., Inst. 5, 9, 20 : Sed et Lucilius tenebrosam istam uitam
circumscripte breuiterque depinxit his uersibus : « Nunc uero a mane ad
noctem... » (= LvciL., 1228-1234 Marx). Lactance apprécie donc l'exactitude
Generated on 2011-09-03 01:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
et la concision du tableau ; aussi est-il possible qu'il l'ait choisi de préférence
à d'autres (cf. Marx, Commentaire p. 390 qui indique des passages analogues
chez Varron).
57. Lact., inst. 6. 5, 3 : Quaecumque autem in definitionem uirtutis soient
dicere (philosophi), paucis uersibus colligit et enarrat Lucilius, quos malo
equidem ponere, ne dum multorum sententias refello, sim longior quam
necesse est. »Virtus, Albine...» (= Lvcil, 1326-1338 Marx : cf. Marx,
Commentaire, p. 425). La formule introductrice montre une conception bien
intellectuelle de la poésie; mais le texte de Lucilius est-il bien poétique? -
Marx, d'autre part, (Comm. p. 426) pense, du fait que Lactance cite aussi
l'opinion d'Horace sur la vertu, que le morceau provient d'un florilège au
chapitre de uirtute. C'est possible, mais nullement démontré.
58. Lact., inst. 6, 18, 6 : Viator ille uerus ac iustus non dicet illud
Lucilianum : «Homini amico et familiari non est mentiri meum», sed etiam
inimico atque ignoto existimabit non esse mentiri suum. Lvcil. 953 Marx.
59. Lact., inst. 5, 14, 3. I.vcil., 31 Marx.
60. Lact., inst. 4, 3, 12 : Lucilius... inridet; 1, 22, 13 : Lucilius deridet his
uersibus; 2, 4, 3 : Flaccus ut satirici catminis scriptor derisit hominum
uanitatem.
61. Lact., inst. 2, 4, I. hor., sat. 1, 8, 1-4.
62. Lact., inst. 6, 5, 12. hor.. epist. 1, 41.
122 ALAIN GOULON
senter en huit vers aux accents exotiques, qui évoquent les
Maures, les Syrtes, le Caucase et l'Hydaspe, un tableau de la
«voie de l'innocence»63 ou celui, plus austère, de l'homme
juste et ferme en ses propos64. Ces quatre citations, nombre
somme toute réduit pour un si grand poète, ne doivent pas faire
illusion. Lactance connaît probablement bien Horace, dont
trois réminiscences au moins, à valeur essentiellement stylis-
tique, transparaissent dans la prose65.
Ovide, Lucrèce, Virgile
Tous les poètes que nous venons de passer en revue ont
chaque fois été clairement identifiés par le citateur 66. Sur les dix-
sept citations littérales d'Ovide, en revanche, si la plupart sont
introduites par la formule Ouidius dicit ou tout autre formule
équivalente et dépourvue d'ambiguité, quatre ne le sont pas67.
Le même phénomène et la même proportion se remarquent dans
le cas de Lucrèce ; sur vingt-quatre citations littérales, trois ne
sont pas introduites 68. Mais presque la moitié des citations virgi-
liennes (exactement trente-six sur quatre-vingt-trois) appa-
raissent dépourvues de références. Lactance montre ainsi la
familiarité qu'il entretient avec les poètes dont il tait les noms.
Mais en même temps, il suppose chez son public une connais-
sance analogue. C'est un jeu de lettrés qui implique une conni-
63. Lact., inst. 5, 17, 18. Hor., Carm, 1, 22, 1-8.
Generated on 2011-09-03 01:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
64. Lact., inst. 5, 13, 16. Hor., Carm. 3, 3, 1-4.
65. Lact., inst. 3, 8, 9; Hor., epist. 2, 2, 75 : sus ille luculentus - Lact.,
epit. 66, 5 : luna... nec... damna reparabit; Hor., carm. 4, 7, 13 : damna...
reparant... lunae - Lact., inst. 1, 11, 5, : regnare in caelo louem uulgus
existimat; Hor., carm. 3, 5, I : caelo tônantem credimus louem regnare.
66. Germanicus n'est pas immédiatement cité par son nom en inst. 5, 5, 9
mais il l'a été en 5, 5, 4.
67. Lact., inst. 2, 5, 1 ; Ov., met. 1, 43-44 et 1, 79. Lact., inst. 5, 5, 7;
O\.,met. 1, 111 -Lact., inst. 1, 21, 30; Ov., fast. 1,385-386.
68. Lact., inst. 3, 27, 10 : quae sese a caeli regionibus ostentabat;
Lvcr., 1, 64 : quae caput a caeli regionibus ostendebat. En dépit de la
légère modification du vers, nous avons bien affaire à une citation et non pas
à une réminiscence, car Lactance répond à Lucrèce. C'est la vertu qui se
montre du haut du ciel aux hommes qui veulent bien la regarder et non pas,
comme chez Lucrèce, la religion qui montre son visage terrifiant et qui
courbe ainsi les hommes vers la terre. - Lact., inst. 1, 21, 14; Lvcr., 1, 101
et 83. - Lact., but. 3, 18, 6; Lvcr., 3, 1041.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 123
vence entre l'écrivain et son lecteur, que réunit une même
culture.
La familiarité de Lactance, ainsi révélée, avec les trois poètes
que nous venons de citer, paraît s'étendre à l'ensemble de leurs
œuvres. Lactance, en effet, fait des emprunts à toutes les parties
de l'œuvre de Lucrèce et de celle de Virgile69. L'apologiste, en
revanche, aurait trouvé peu de secours dans la poésie érotique
d'Ovide. Toutefois, on croit discerner dans le Phaenix une
réminiscence des Amours10, les Institutions se réfèrent peut-être
une fois aux Pontiques11. Lactance connaît même les Phéno-
mènes que nous n'avons plus72. Toutes les autres citations
ovidiennes proviennent des Métamorphoses et des Fastes ; dans
ce dernier cas, Lactance n'omet jamais de préciser l'ouvrage
dont il extrait quelques vers, comme si la mention même des
Fastes donnait une garantie particulière d'authenticité à un
témoignage sur la religion romaine. Lactance, en tout cas
semble bien avoir eu une connaissance personnelle et étendue de
l'œuvre du poète de Sulmone.
Il n'entre pas dans notre propos d'examiner la matière que
Lactance a trouvée chez Ovide, Lucrèce et Virgile. Nous possé-
dons quelques études sur ce sujet et les dimensions restreintes de
ce travail ne nous permettent pas de reprendre ici cette ques-
tion73. En revanche, c'est la forme même des citations et les
Generated on 2011-09-03 01:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
rapports parfois complexes qu'on peut découvrir entre elles que
nous voudrions maintenant considérer.
69. Si l'on tient compte, dans le cas de Lucrèce, non seulement des
citations littérales, mais aussi des citations «ad sensum» et des réminis-
censes assurées. Cf. F. Dal Pane, Se Arnobio sia stato un epicureo,
Rivista di Storia Antica 10, 1905-1906, p. 426 : «Oltre ad un numéro
grandissimo di citazioni letterali, s'incontrano molto di fréquente parafrasi di
lunghi passi lucreziani ; si puo affermare che buona parte del poema sia nelle
opère di Lattanzio».
70. Lact., Phoen. 31 : ...auis... unica Phoenix; 0\. am. 2, 6, 54 :
Phoenix... unica... auis.
71. Lact., but. 6, 17, 11; Ov., Pont. 3, 1, 35 : Velle parum est.
72. Lact., inst. 2, 5, 24 : Is (= Naso) eum librum quo Phaenomena
breuiter conprehendit his tribus uersibus terminauit : cf. Lenz, frg. 4
(P. Ouidii Nasonis Halieutica, fragmenta, Nux, Turin, I9562, p. 55-56).
73. Voir entre autres : L. Alfonsi, Ouidio nelle Diuinae Institutiones di
Lattanzio, V Chr 14, i960; S. Brandt, Lactantius und Lucretius, NJPhP,
t. 143, 1891, p. 225-259; H. Hagendahl, Latin Fathers and the Classics,
Goteborg, 1958, p. 48-76; C. Buerner, Vergils Einfluss bei den Kirchen-
schriftstellern der vornikà nischen Periode, Diss. Erlangen, 1902.
124 alain goulon
Les modifications apportées a une citation
Sans doute les anciens n'avaient-ils pas, en matière d'exacti-
tude dans la citation, les mêmes scrupules que nous autres
modernes. Ovide par exemple cite ses propres Å“uvres sans
s'attacher à une invariable littéralité74. Cicéron, et Quintillien Ã
sa suite, voient même dans la déformation volontaire d'un vers
l'occasion d'une aimable plaisanterie75. Aussi serait-il un peu
vain de signaler toutes les variantes que les citations de Lactance
proposent par rapport aux textes originaux. Mais il n'est pas
indifférent d'essayer de discerner des lapsus les modifications
volontaires, en dégageant les motifs, conscients ou inconscients,
de ces modifications76.
Quand, parlant de Vesta, Lactance écrit cornes uirginitatis
amat alors qu'Ovide a préféré habet11, quand il écrit ailleurs
permixtus pour commixtus1* ou, dans un contexte lucrétien,
putandum est pour fatendum est19, il s'agit là de simples
substitutions de quasi synonymes. Mais si caelum uidere, par
exemple, remplace caelum tueri*0ou que l'archaïque uertierde
Lucrèce se transforme en un uerterese*\ nous discernons là une
tendance moins gratuite à substituer à deux termes archaïques ou
poétiques le sermo quotidianus*1.
74. Ov., trist. 2, 249 citant Ars 1, 33 : ml ntsi legitum remplace Nos
Venerem tutam.
Generated on 2011-09-03 01:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
75. Cic, de orat. 2, 257 : Saepe etiam uersus facete interponitur, uel ut
est, uel paulatim immutatus, aut aliqua pars uersus. Qvint., inst. 6, 3, 96-
97. Ces deux passages sont cités par J. Bompaire. Lucien écrivain, Paris,
1958, p. 400, n. I.
76. Brandt (Lactantius und Lucretius..., p. 225-227) étudie plu-
sieurs de ces modifications mais en cherchant surtout la contribution
apportée par Lactance à l'établissement du texte authentique de Lucrèce.
Dans cette étude, il a tendance, à notre avis, à exagérer le rôle des fautes
dues à la mémoire aux dépens des modifications volontaires.
77. lact., inst. I, 12, 6; 0\.,fast. 6. 294.
78. Lact., inst. 1, 5, 19; Verg., georg. 2, 327.
79. Lact,, ira 10, 16; Lvcr., 1, 207. - De même moles operosa substitué Ã
moles obsessa : Lact., ira 23, 6; Ov., met. 1, 258. - Voir aussi n. 25 :
inversion de sibi sha... sibi en sua sibi... sua.
80. Lact. inst. 2, 1, 15. Ov., met. 1, 84 : ...caelumque tueri.
81. Lact., inst. 2, 3, Il. Lvcr., 5, 1199.
82. Voir aussi n. 25.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 125
Certaines citations de mémoires gauchissent parfois, plus ou
moins consciemment, la pensée, dans un sens favorable Ã
Lactance. Est-ce un hasard si la ferrea progenies de Virgile
devient une terrea progenies, dans le voisinage immédiat du
passage où Lactance réfute les « matrices » lucrétiennes origi-
nelles 83 ? Si le pathétique o miseras hominum mentes de Lu-
crèce devient o stultas hominum mentes dans la polémique de
Lactance84 ? Mais parfois aussi Lactance se laisse tromper par
83. Lact., inst. 2, 10, 16 : lllud hoc loco praeterire non possum quod
errantes quidam philosophi aiunt, homines ceteraque animalia non sine ullo
artifice orta esse de terra. Unde illud Vergilianum : ...«uirumquelTerrea
progenies duris caput extullit aruis». Verg., georg. 2, 341. Notre remarque
ne vaut que si tel est bien le texte de Virgile et celui de Lactance! Si la
plupart des manuscrits de Virgile, en effet, portent ferrea ainsi que les
manuscrits de Lactance B R H et peut-être G, les manuscrits V et g portent
terrea et P terrae. Les éditeurs modernes ont tendance à retenir la leçon
terrea comme la bonne leçon, ainsi conservée par certains manuscrits de
Lactance. P. Monat, après une enquête minutieuse (Lactance comme
témoin du texte de Virgile, Note sur Verg., Georg. 2, 341, Antiquité
Classique 43, 1974, p. 346-353) conclut en sens inverse : dans les deux
textes, il faudrait lire ferrea. S'il nous a pleinement convaincu en ce qui
concerne le texte virgilien, nous persistons à croire que Lactance a pu
écrire terrea comme le contexte incite à le croire. Le principal argument de
Generated on 2011-09-03 01:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
P. Monat en effet est la concordance des manuscrits B et R, fort anciens et
représentants des deux familles de manuscrits. A cela, on pourrait objecter
que l'accord de B et R s'exerce parfois complètement à faux (cf. Brandt,
Lactantii opera, CSEL 19, « Prolegomena» p. LIX) notamment en citant
Lucrèce 5, 1198 (uulgatum : BR uelatum SHPV codd. Lucr.). De plus, dans
le manuscrit R, le passage est manquant : il a été recopié au xn* siècle, en
petits caractères et avec beaucoup d'abréviations, par un certain Iulianus,
bibliothécaire, sur un manuscrit de l'abbaye de Plainpied, auprès
de Bourges ! On ne sait ce qu'est devenu ce manuscrit (cf. Brandt,
ibid. p. XXX et R p. 59b); il avait sans aucun doute une grande valeur
(cf. Brandt, ibid. p. XXXIII et R. Pichon, Lactance, Paris, 1901, p. 10-11),
mais il est difficile de le rattacher à une classe précise de manuscrits
(cf. Brandt, ibid. : Itaque Planipediensem fortasse propriae classis pro
auctore habere licet). On pourrait aussi faire valoir que V et g, qui donnent
terrea, sont sans doute des recentiores, mais qu'ils représentent eux aussi les
deux familles de manuscrits. La question ne nous paraît donc pas tranchée.
84. Lact., inst. 1, 21, 48; Lvcr., 2, 14. Autre problème de texte. SPV
portent o stultas, B et R o miseras, H réunit les deux leçons o miseras o
stultas. Brandt dans son édition a suivi SPV; il s'en est repenti {Prole-
gomena, p. LIX). Mais les raisons qu'il invoque en faveur de l'une et de
l'autre hypothèse ne sont pas contraignantes. Le contexte comme l'a bien vu
Brandt, inciterait plutôt à lire stultas : il s'agit des ineptiis hominum paene
dementium (I, 21, 45). Stultus est un mot effectivement lucrétien (3 exem-
ples : 3, 762; 3, 1023; 3, 939, dans ce dernier cas au vocatif). La substitution
a fort bien pu être faite comme dans le cas étudié à la note suivante par
Lactance lui-même et non par un interpolateur.
126 ALAIN GOULON
les habitudes stylistiques de l'écrivain qu'il cite. Quand il écrit,
par exemple, id sursum caeli fulgentia templa receptant au lieu
de id sursum caeli relatum templa receptant, sa mémoire lui a
suggéré une iunctura effectivement lucrétienne85.
D'autres modifications supposent une intervention volontaire
de Lactance. Parfois il s'agit simplement de remplacer un mot,
en l'occurrence et par quae, pour permettre l'intégration de la
citation dans le contexte86. La substitution peut devenir plus
délicate si le rythme se trouve modifié. Tantôt Lactance sup-
prime purement une liaison inutile et le vers devient faux1*7.
Généralement, il a plus de bonheur. Ainsi, quand faisant l'éloge
du Christ avec les vers de Lucrèce qui chantaient Epicure, il
écrit : Huic deuotissime pareamus, quoniam solus, ut ait Lucre-
tius,
ueridicis hominum purgauit pectora dictis,
il remplace la liaison igitur par le complément hominum qui a
le double avantage d'avoir une saveur lucrétienne et de bien
s'inscrire dans le contexte chrétien de l'Incarnation**.
D'autres motifs peuvent inciter Lactance à modifier un vers.
Par exemple, un souci de parallélisme. Au nondum uesanos
rabies nudauerat enses de Germanicus, qui ouvre le dévelop-
pement sur le règne de la Justice, répond un Tum belli rabies et
amor successit habendi virgilien. Mais tum remplace ici un et qui
Generated on 2011-09-03 01:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
aurait moins nettement fait sentir la correspondance89.Chez
Lucrèce, la religion montrait du haut du ciel sa tête effrayante qui
courbait vers la terre les hommes épouvantés, chez Lactance,
c'est la vertu qui veut se montrer, et attirer vers le ciel les regards
de l'homme que son status erectus réserve à ce destin : quae
85. Lact., inst. 7, 12, 5; Lvcr, 2, 1001 ; fulgentia templa : Lvcr. 5, 491.
86. Lact., ira, 7, 11 ; Verc. Aen. 4. 402. Voir n. 159.
87. Lact., inst. 2, 16, 18 : Nam luno audere non poterat... Romanis
nocere, quia » progeniem Troiano a sanguine ducilAudierat... ; Verc, Aen.
1, 19 : Progeniem sed enim Troiano a sanguine ducilAudierat. - Autre
exemple : Lact., inst. 3, 18, 13 : prius disce quid sit uiuere Si displicebit
uita, tum istoc utitor; Ter., Heaut. 971-972 : prius quaeso disce quid sit
uiuerelVbi scies, si displicebit uita, tum istoc utitor (voir note 30).
88. Lact., inst. 7, 27, 6: Lvcr., 6, 24-28. Dans le même texte, Lactance
substitue limite à tramite. Tramite, chemin de traverse était plus expressif.
Lactance n'a pas dû le modifier intentionnellement.
89. Lact., inst. 5, 5, 12; Verc, Aen. 8. 327.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 127
caput a caeliregionibus ostendebat, écrivait Lucrèce, quae sese
a caeli regionibus ostentabat, corrige Lactance 90.
Deux citations voisines peuvent aussi avoir l'une sur l'autre
des actions réciproques. Ainsi, quand Lactance évoque les
incendies des temples de Jupiter allumés par la foudre, il cite
Lucrèce : tum fulmina mittat et aedislipse suas disturbet, en
substituant ipse au saepe des manuscrits lucrétiens. Il est
possible que l'erreur doive être imputée au texte que lisait
Lactance. Mais l'on peut aussi remarquer qu'ipse insiste sur
l'autodestruction de son culte par Jupiter et qu'un vers du De
consulatu de Cicéron est cité quelques lignes plus bas de la
manière suivante : ipse suas arces atque inclyta templa petiuit.
Inversement, ce vers qu'on lit dans le De diuinatione : ipse suos
quondam tumulos ac templa petiuit peut avoir été modifié sous
l'influence de Lucrèce. Suas s'est substitué à suos; le mot
féminin qu'appelait ce possessif a été suggéré à Lactance par le
Capitole dont il vient d'évoquer l'incendie : il écrit arces. Reste
un vide à combler ; un autre mot lucrétien fait l'affaire, et
Lactance écrit inclyta, qui ressemble fort à une cheville91.
On pourrait produire d'autres exemples d'une possible recons-
titution de texte par Lactance. Racontant la ruse qui permit de
soustraire le jeune Jupiter à son père, Ovide avait écrit :
res latuit patrem ; priscique imitamina facti,
Generated on 2011-09-03 01:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
aera deae comites raucaque terga mouent.
Lactance (ou un copiste antérieur?), sans doute trompé par la
similitude de l'initiale patrem, prisci, supprime patrem. Le vers
devient faux : Lactance introduit alors un verbe qui rétablit le
rythme, mais change l'architecture de la phrase : res latuit
priscique manent imitamina facti92.
La contamination peut aussi se trouver à l'origine d'une
modification parfaitement volontaire. Des deux vers qui enca-
90. Lact., inst. 3, 27, 10; Lvcr., I, 64. Cf. n. 68.
91. Lact., inst. 3, 17, 10-14; Lvcr. 2, 1102; Cic, de consul. 37
Soubiran (= diu. I, 12, 19 et 20, 45). Pease, dans son commentaire du De
Diuinatione (Univ. of Illinois, 1920-1923, p. 110), émet l'hypothèse d'une
double version du texte cicéronien, l'une afférant au De Diuinatione, l'autre
au De Temporibus. Est-ce bien nécessaire? - Inclyta : Lvcr. 1, 40; 3, 10; 5,
8.
92. Lact., inst. I, 21, 40; Ov.,fast. 4. 211-212.
128 ALAIN GOULON
drent le récit du sacrifice d'Iphigénie, Lactance ne fait qu'une
seule expression, en les inversant :
Tantum religio potuit suadere malorum
quae peperit saepe scelerosa atque impia facta.
Pour cela, il a dû remplacer le mot religio du vers lucrétien par
le relatif quae; mais l'adverbe saepe qu'il introduit n'appa-
raît pas comme une cheville simplement destinée à compléter le
vers : il reprend le saepius lucrétien situé un peu plus haut93.
Parfois l'ordre des vers se trouve aussi quelque peu bouleversé
sans que les raisons de ce bouleversement apparaissent claire-
ment de prime abord. Une défaillance de mémoire semble bien
avoir causé l'inversion des deux distiques de Properce consacrés
aux origines de Rome94. Mais Lactance connaissait bien la
quatrième Bucolique ! pourquoi donc les treize vers qu'il en cite
pour évoquer le millenium se présentent-ils dans un ordre
sensiblement différent de celui de Virgile? La raison tient
peut-être à une tentative de regroupement par sujets : l'activité
humaine d'abord, celle du marin, du marchand, du paysan, puis
celle de la nature et des animaux. L'esprit logique de Lactance
pourrait ainsi avoir voulu remettre de l'ordre dans une prophétie,
genre littéraire dont la caractéristique, vient-il de dire, consiste
en la confusion de différents plans 95.
93. Lact., inst. 1, 21, 13-15; Lvcr., 1, 82-83 : ...Quod contra saepiusl
Generated on 2011-09-03 01:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Religio peperit scelerosa atque impia facta. 1, 101 : Tantum religio potuit
suadere malorum! - Contrairement à ce que pense Brandt (Lactantius und
Lucretius, p. 226 : «wohl ebenfalls auf Irrtum, schwerlich auf Absicht heruht
es wenn Lact. inst. 1, 21, 14 die beiden Verse Lucr. 1, 101 und 83 zu einem
Citat verbindet»), cette contamination nous parait intentionnelle. Les deux
vers tiraient la leçon du sacrifice d'Iphigénie : Lactance en a fait une seule
expression.
94. Lact., inst. 2, 6. 14; Prop.. 4, 1. 11-14. Cf. n. 44.
95. Lact., inst. 7, 24, 11; Verg., ecl. 4, 38-41; 28-30; 42-45: 21-22.
Confusion des plans : 7, 24, 9... prophetae futurorum pleraque sic proferunt
et enuntiant quasi iam peracta. Visiones enim diuino spiritu offerebantur
oculis eorum et uidebant Ma in conspectu suo quasi fieri ac terminari. -
R. Waltz (Sur la 4e Bucolique de Virgile, LEC 26, 1, 1958, p. 14) est
sévère : «Lactance les (= les vers de la 4e Buc.) reproduit de la manière la
plus bizarre. Sa prétendue citation n'est pas en effet un fragment découpé tel
quel dans le texte de Virgile. C'est un mélange de vers pris çà et là auxquels
il s'efforce de donner de l'unité, autrement dit un centon de vers...».
L.J. Swift (Lactantius and the golden age, AJPh 89, 1968. p. 154, n. 32)
pense que Lactance a regroupé les vers de Virgile d'après l'ordre qu'il vient
de suivre dans son exposé aux paragraphes 7 et 8.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 129
Somme toute, les vers sont généralement cités par Lactance
avec beaucoup de correction, et, plus que les autres, les vers
virgiliens. H. Hagendahl a montré avec raison que Lactance,
reprenant un passage de Minucius Félix, complète et corrige des
vers de Virgile que Minucius avait volontairement résumés et
mêlés96. Il y a chez Lactance un goût du vers correct, bien
rythmé et complet.
LES TRANSCRIPTIONS EN PROSE
C'est peut-être la raison pour laquelle il distingue soigneuse-
ment les citations littérales des poètes des transcriptions pro-
saïques qu'il en donne. A cet égard, le maintien ou la disparition
du rythme dactylique paraît significatif. Quand Lactance glisse
dans sa phrase de courtes citations de poètes sans en signaler les
auteurs, il tient parfois à les rendre reconnaissables à l'oreille
et il garde le rythme du vers : mens s'ib'i cônscwrêctï91, dùm
spïrïtûs hôs régit à rtîts 9K caput hà rum et causa malbrum ",fatïs
Ilmà nis iriïquà e 100, ià msà etïs ôbsltâ, ià m bas I01. Parfois même,
il ne garde que la clausule héroïque .effodiuntur qui signale ainsi
discrètement un souvenir ovidien dans la phrase 102. Mais en
d'autres passages, l'emploi de synonymes ou une modification
de l'ordre des mots voilent l'emprunt en rompant le rythme. Vellè
96. Lact., inst. 1.5, 10-12; Min.Fel., 19, 2 citant Verg.. Aen. 6, 724-729
et georg. 4, 221. Minucius faisait une contamination entre georg. 4, 221 et
Generated on 2011-09-03 01:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Aen. 1, 742; Lactance rétablit les citations. Cf. H. Hagendahl. Methods
of Citation..., Eranos 45, 1947, p. 117.
97. Lact., opif. 1, 4; Verg., Aen. 1, 604.
98. Lact., inst. 7, 27, 16; Verg. Aen. 4, 336.
99. Lact., inst. 2. 8. 2; Verg. Aen. 11. 361.
100. Lact., inst. 2, 16. 18; Verg., Aen. 8. 292.
101. Lact., inst. 1, 11, 20; Verg., Aen. 7, 790. - Autre exemple : Lact.
inst. 1, 19, 3 : qui inuentas uitam excoluere per artes. Verg. Aen. 6, 663 :
inuentas aut qui excoluere per artes : la clausule et la disjonction signalent la
citation poétique.
102. Lact., inst. 7, 3, 9 : ...ad eruendas opes interiora terrae uiscera
êffodiuntur; 0\. met. 1, 138-140 : ...sed itum est in uiscera terrael...lEff'o-
diuntur opes...
130 ALAIN GOULON
pà rum est, écrit Ovide \parum est uelïê reprend Lactance i03. Le
procédé apparaît très nettement quand Lactance reprend en
prose des éléments d'un vers ailleurs littéralement cité. Me
ôpïfëx rêrûm, miindi mêlions bngb, cité littéralement au livre
deuxième, apparaît sous forme prosaïque au livre précédent :
rërum bp'ificëm ubcà t, (péon premier et crétique), et dans YEpi-
tomé : bpïfîcëm rërum (péon quatrième et trochée l04. De façon
analogue, le mûndi fâbrïcà tbr du vers d'Ovide devient un
fabrïcà tbrëm mûndi (dispondée) marqué au meilleur coin de la
prose classique105.
Ces modifications rythmiques sont surtout perceptibles dans
des passages très peu étendus. Mais quand une citation serait
trop longue, ou que le charme poétique qui s'en dégage risquerait
d'entraîner l'adhésion du lecteur à une doctrine que combat
l'apologiste, on trouve des transpositions, des transformations,
des résumés en prose. Quelquefois, et notamment dans VEpi-
tomé, il s'agit d'un simple résumé. Ainsi dans les Institutions,
Lactance a cité huit vers tirés de VEnéide et des Géorgiques, et
103. Lact., inst. 6, 7, Il ; Ov.. Pont. 3. 1, 35 - Autres exemples : Lact..
epit. 8, 2 : gëmitûs sùàs inscripsit m flore : le crétique empche absolument
l'expression d'entrer dans un hexamètre; Ov., met. 10, 215 : Jpsè sùà s
gëmïtûs fôlùs ïnscribit.- Lact. opif. 3, 6 : ûbëribûs sùâ spôntë dîstêntïs : 2 cré-
tiques; Lvcr. I, 59 :... ûbëribûs mariât distënfts; dans ce dernier cas. il s'agit
Generated on 2011-09-03 01:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
davantage d'une réminiscence.
104. Lact., inst. 2, 5, 2; Ov., met. 1, 79; Lact., Inst. 1, 5, 13; epit. 3, 5.
105. Lact., inst. 1, 5, 13. Ov. met. 1, 57 - Autre exemple : Lact., inst. 6,
10, 7 et opif. 19, 3; Lvcr.. 2, 992 : omnibus 'Me idem pâtir est: cité en prose
siquidem patër idem omnibus... en inst. 5, 6, 12; cité encore avec une légère
variation qui ne s'oppose pas au rythme dactylique en inst. 5, 14, 17 : si
ënim cùnctis idem pâtër est (cité par Hagendahl, Methods... p. 125).
Remarquer que si enim et siquidem sont aussi des marques d'une citation
implicite. - Autres exemples cités par H. Hagendahl : Lact. inst. 2, 4, 11 :
citation de Perse, 2, 74; inst. 6, 2, 12 : transposition en prose du même
passage avec clausules de prose. - inst. I, 16, 3 avec citation de Lvcr., 1,
932 et inst. 4, 28, 13 avec transposition en prose : rêtigibnùm se nôdà s
sbluërë. - Lactance possède encore d'autre moyens de réduire un texte en
prose : voir, Ã propos de opif. 18, 11 : duas portas esse uoluit somniorum, le
commentaire de M. Perrin (Lactance, L'ouvrage du Dieu Créateur, t. 2,
Commentaire et Index, S.C. 214, Paris, Le Cerf, 1974, p. 405) : «Lactance
tourne Virgile en prose en modifiant l'ordre des mots et en substituant duas
à geminas, il le christianise aussi : somniorium remplace Somni, le dieu
Sommeil» (Verg. Aen. 6, 893).
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 131
relatifs à l'âme du monde 106. Il condense l'essentiel dans quatre
lignes de YEpitomé : Item noster Maro deum modo spiritum,
modo mentem nuncupat eamque uelut membris infusam totius
mundi corpus agitare ; item deum perprofunda caeli, per tractus
maris terrarumque discurrere atque ab eo universas animantes
trahere uitam. Lactance garde quelques mots essentiels : spiri-
tum, mentem, infusam, agitat, tractus maris; mais en même
temps, il transpose : perfusa perartus devient membris infusam ;
molem est explicité en totius mundi corpus; l'énumération :
pecudes, armenta, uiros, genus omne ferarum se réduit à un
simple animantes. L'essentiel de la pensée apparaît conservé,
mais la puissance évocatoire de la poésie a disparu l07.
Dans bien des cas, c'est d'ailleurs le but recherché. Que l'on
compare chez Ovide le récit amusé, en une trentaine de vers, de
la mésaventure de Vesta sauvée des entreprises de Priape par le
braiement d'un âne, et le rapport de police, en cinq lignes et au
106. Lact., inst. I, 5, 11-12 : Nostrorum primus Maro non longe afuit a
ueritate, cuius de summo deo, quem mentem ac spiritum nominauit, haec
uerba sunt : « Principio caelum ac terras camposque liquentisILucentemque
globum lunae Titaniaque astralSpiritus intus alit totamque infusa per artusl
Mens agitat molem et magno se corpore miscet». Ac ne quis ignoraret,
quisnam esset Me spiritus qui tantum haberet potestatis, declarauit alio loco
dicens : «... Deum namque ire per omnis Terrasque tractusque maris cae-
Generated on 2011-09-03 01:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
lumque profundum.lHinc pecudes armenta uiros genus omne ferarum,I
Quemque sibi tenuis nascentem accersere uitas (arcessere B P et codd.
Verg.)». Verg, Aen. 6, 724-727 et georg. 4, 221-224: souvenir de Lucrèce :
genus omne ferarum (1, 163 et 5, 1338) qui renforce le caractère poétique de
l'énumération et rend d'autant plus sensible la réduction à la prose.
107. Lact., epit. 3, 4. - Autre exemple : Lact., inst. I, 17, 15 : Altera
(= Diana) cum paene amatorem suum perdidisset qui erat "turbatis dis-
tractus equis» (= Verg. Aen. 7, 767), praestantissimum medicum Aescula-
pium curando iuueni aduocauit eumque sanatum «... secretis aima reconditl
Sedibus et nymphae Egeriae nemorique relegatlSolus ubi in siluis Italis et
ignobilis aeuumIExigeret uersoque ubi nomine Virbius esset». Transposition
en prose dans epit. 9, 3 : Aut Ma cur Hippolytum uel ad secretas sedes uel
ad mulierem relegauit, ubi solus inter ignota nemora exigeret aetatem et iam
mutato nomine Virbius uocaretur? Substitution de termes ou d'expressions
prosaïques : uerso nomine - mutato nomine; aeuum exigeret - exigeret
aetatem; relegare + dat. devient relegare ad + ace. ; clarification : esset est
explicité par uocaretur.
132 ALAIN GOULON
style indirect que Lactance donne du fait divers108 ! C'est encore
davantage le cas, quand Lactance doit résumer une doctrine
lucrétienne. Il consacre, par exemple, un très long chapitre Ã
réfuter les arguments de Lucrèce tendant à prouver la mortalité
de l'âme ,09. Lactance présente ainsi une de ses preuves : Verum
eadem, inquit, dolori et luctui obnoxia est et ebrietate dementit,
unde fragilis ac mortalis apparet. Quelle sécheresse, en compa-
raison de la cinquantaine de vers lucrétiens, les plus expressifs
peut-être qui aient été écrits pour peindre l'ivresse et l'épi-
lepsie110!
MÉLANGE DE CITATIONS LITTÉRALES
ET DE CITATIONS « AD SENSUM »
Le même texte permet aussi de distinguer comment Lactance
entremêle les citations «ad sensum» et les citations littérales.
108. Lact., inst. I. 21, 25; Ov. fast. 6. 319-348. Lactance doit citer de
mémoire et faire une confusion. L'aventure de Vesta, racontée en Fastes 6.
319-348 possède chez Ovide un doublet dans celle de la nymphe Lotis en
Fastes 1, 391-440. H. Le Bonniec (Ovide, Les Fastes, Livre 1, édition, intro-
duction et commentaire par..., Erasme 3, Paris, P.U.F., 19652, p. 75) pense
avec la majorité des critiques qu'Ovide «s'il avait pu mettre la dernière main
à son œuvre, n'aurait pas laissé subsister ce doublet». Or Lactance dans ce
chapitre (I, 21, 30) se réfère au même passage du livre I des Fastes où Ovide
recherche l'origine des sacrifices d'animaux. Lactance a probablement
Generated on 2011-09-03 01:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
mentalement substitué l'épisode de Vesta à celui de Lotis. Autre indice
d'une citation de mémoire : Ovide donne une autre origine à la coutume des
couronnes de pain accordées aux ânes : ils tournent la meule [fast. 6, 311-
318). Lactance y voit un signe de la reconnaissance des Vestales (inst. I, 21,
26).
109. Lact., inst. 7, 12; Lvcr., 3, 417-829.
110. Lact., inst. 7, 12, 14; Lvcr. 3, 459-509; noter que Lactance ne fait
pas explicitement allusion à l'épilepsie : il préfère ne citer que l'ivresse! -
Inversement, la déformation peut insister sur certains aspects qui vont
donner prise à la critique de Lactance. A propos de la théorie épicurienne de
la vision, Lucrèce avait écrit (3, 367-369) : Praetera si pro foribus sunt
lumina nostrajlam magis exemptis oculis debere uideturICernere res animus
sublatis postibus ipsis. Ce que Lactance rend en prose (opif. 8, 12) : Si enim
mens, inquit, per oculos uidet, erutis et effossis oculis magis uideret
quoniam euulsae cum postibus fores plus inferunt luminis quam si fuerint
obductae. Lactance insiste sur l'arrachage : exemptis oculis devient erutis et
effosis oculis, sublatis postibus ipsis, euulsae cum postibus fores, — les
portes arrachées avec leur chambranle —: il introduit quam si fuerint
obductae.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 133
dans l'exposé d'une doctrine qu'il attaque. Ces dernières doivent
en quelque sorte authentifier la présentation faite par Lactance.
Leur nombre, tout d'abord, excède rarement deux. Dans le cas
qui nous occupe, la première citation favorise les positions de
Lactance, puisqu'elle fait suite au vers souvent cité; Caelesti
sumus omnes semine oriundi, et qu'elle évoque le retour au ciel
des choses célestes 1".La seconde, sur la fin du chapitre, fait
allusion aux plaintes du mourant, et provoque les sarcasmes de
Lactance : peut-être Lucrèce avait-il vu un épicurien philo-
sopher dans l'acte même de la mort"2? Même schéma au
chapitre 17 du livre 3, consacré à la réfutation générale de
l'épicurisme : la première citation lucrétienne présente Jupiter
détruisant ses propres temples "3,la seconde soulève aussi les
railleries de l'apologiste, car, dit-il, en louant Épicure avec tant
d'emphase, Lucrèce a écrasé le rat sous les éloges dus au
lion "4. Deux citations de Lucrèce aussi, au chapitre 10 du De
ira, réfutent l'épicurisme, mais elle se suivent et mettent en
évidence (du moins à son avis) une contradiction "5. Ailleurs, si
l'on ne cite qu'un vers, c'est le plus neutre : crescebant uteri
terram radicibus apti pour exposer la théorie des matrices 116, ou
cui tantum in uita restet transire malorum pour présenter le
malheur de l'homme à sa naissance "7.
111. Lact., inst. 7. 12. 5 : Denique idem Lucretius, oblitus quid adsereret
Generated on 2011-09-03 01:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
et quod dogma defenderet, hos uersus posuit : «Cedit item retro, de terra
quod fuit anteJln terram sed quod missum est ex aetheris orisJld rursum
caeli fulgentia templa receptant»; Lvcr., 2, 999-1001. Sur l'utilisation par
Lactance du contexte de ce passage, voir n. 105.
112. Lact., inst. 7, 12, 26. Lvcr, 3, 612-614.
113. LACt.,/**/. 3. 17. 10. Lvcr., 2, 1101-1104.
114. .Lact., inst. 3, 17, 28-29. Lvcr., 3, 1043-1044.
115. Lact., ira 10, 16-17 : Denique Lucretius quasi oblitus atomorum
quos adserebat, quo redargueret eos qui dicunt ex nihilo fieri omnia, his
argumentis usus est, quae contra ipsum ualerent. Sic enim dixit : « Nam si
de nihilo fierent, ex omnibus rebusIOmne genus nasci posset, nil semine
egeret ». Item postea « Nil igitur fieri de nilo posse putandum estlSemine
quando opus est rebus, quo quaeque creataelAeris in teneras possint pro-
ferier auras». Quis hunc put et habuisse cerebrum, cum haec diceret nec
uideret sibi esse contraria? Lvcr., 1, 159-160 et 1, 205-207.
116. Lact., inst. 2, 11, I; Lvcr., 5, 808.
117. Lact., opif. 3, 2; Lvcr., 5, 227. Ici et dans le passage cité à la note
précédente, la citation «ad sensum» évacue tout élément poétique ou affec-
tif. Dans notre étude Le malheur de l'homme à la naissance. Un thème
antique chez quelques Pères de l'Église (RE Aug 1972, p. Il), nous avons
134 ALAIN GOULON
Lorsque la polémique n'impose pas de telles contraintes, le jeu
de l'alternance entre citations littérales et citations « ad sensum »
se fait plus souple. Il est généralement réglé par des préoccupa-
tions esthétiques, Lactance évitant, autant que faire se peut, les
trop longues citations. Ainsi, pour présenter l'arrivée de Saturne
en Italie, Lactance cite, par deux fois, deux vers de ce récit fait
par Janus dans les Fastes ; mais les deux passages sont coupés
par une considération en prose sur le témoignage apporté à ce fait
par les anciennes monnaies italiques. Or cette précision vient,
elle aussi, du même passage d'Ovide. C'est donc une véritable
citation «ad sensum», qui marque une rupture entre deux
citations littérales "8.
Le mélange peut être encore plus subtil. Le début des Méta-
morphoses expose, on le sait, la création à partir du chaos.
Lactance s'est de nombreuses fois référé à ce récit. Ainsi il cite
littéralement trois vers, du reste séparés dans le texte d'Ovide. Il
les fait précéder d'un petit préambule : .. .Dei ueri... qui caelum
distinxit as tris fulgentibus, qui solem rebus humanis clarissi-
mum ac singulare lumen in argumentum suae unicae maiestatis
accendit, terris autem maria circumfudit, flumina sempiterno
lapsu fluere praecipit "9. Terris flumina circumfudit et flumina
tenté de montrer ces éléments lucrétiens que Lactance précisément essaye de
masquer. — On peut encore remarquer que les citations «ad sensum»
Generated on 2011-09-03 01:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
résumant les objections d'un contradicteur sont très souvent introduites et
presque signalées par le verbe «inquit». Voici quelques exemples : but. 2.
11, 2; 3, 17, 19; 3, 17, 20; 3, 17, 22; 3, 17, 24; 7, 5, 4; 7. 5, 7; 7, 12, 1: 7,
12, 9; 7, 12, 14; 7, 12, 17; 7, 12, 20; opif. 8, 1; ira 10, 5: 10, 9: 10, 10; 13,
20; 17, 1; 17, 2; 17, 6; 19, 7.
118. Lact., inst. 1, 13, 6-8 : Fugit igitur expulsus et in Italiam nauigio
uenit, cum errasset diu, sicut Ouidius in Fastorum libris referi : « Causa
ratis superest. Tuscum rate uenit ad amnemlAnte pererrato falcifer orbe
deus». Hunc errantem atque inopem lanus excepit : cuius rei argumenta
sunt nummi ueteres, in quibus est cum duplici fronte lanus et in altera
nauis, sicut idem pœta subiecit. « At bona posteritas puppem formauit in
aerelHospitis aduentum testificata dei». Citations littérales : Ov. fast. 1,
233-234; 1, 239-240; citation «ad sensum» de 1, 229-230 : Multa quidem didici
sed cur naualis in aerelAltera signata est, altera forma biceps? Autres
exemples : Lact., inst. 6, 2, 11-12 : citation littérale de Pers, 2, 29-30 et
citation «ad sensum» de 2, 73-74; Lact. inst. 2, 4, 10-12 : citation littérale
de 2, 73-74 et citation «ad sensum» de 2, 69-70.
119. Lact. inst. 2, 5, 2; sont ensuite cités littéralement Ov. fast. 1, 43-
44 puis 1, 79.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 135
fluere s'inspirent très probablement de deux vers ovidiens 120.
Mais il n'y a pas de création des astres dans le récit des
Métamorphoses. En fait, Lactance se réfère à laGenèse i21.La
citation «ad sensum» d'Ovide s'est ainsi combinée avec le
souvenir biblique ; la fin de la phrase, d'autre part, — car la
citation littérale est intégrée — met l'ensemble sous l'autorité
d'Ovide, qui se trouve ainsi discrètement christianisé.
Citations littérales groupées
provenant d'un meme auteur
Les groupements de plusieurs citations littérales sont éga-
lement susceptibles de produire des effets variés. Ainsi, Lac-
tance se plaît à rapprocher des affirmations de Lucrèce pour faire
ressortir une contradiction 122.C'est aussi une manière d'abréger
un développement en élaguant des idées accessoires. Une petite
phrase, deinde intulit, ou une formule analogue, réunit les deux
citations123. Le rapprochement peut aussi produire un effet
artistique. La concentration de vers de Y Enéide donne une
grandeur épique à certaines scènes fameuses du De Mortibus
Persecutorum : le crime et le suicide de Maximien i24,la maladie
120. Terris flumina circumfudit : cf. Ov. met. 1, 37 : lussit et ambitae
circumdare litora terrae ; flumina fluere : cf. Ov. met. 1, 39; fluminaque
obliquis cinxit decliuia ripis.
121. Gen. 1, 14-20. L'expression elle-même pourrait venir de Cicéron (nat.
Generated on 2011-09-03 01:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
deor. 2, 37) : caelum totum... astris distinctum et ornatum.
122. Lact., ira 10, 16-17: Lvcr.. 1, 159-160 et 1, 205-207. Cf. n. 114. -
Lact., inst. 2. 3. 9-12 : Lvcr., 6, 52 et 5, 1198-1202; d'où les formules :
oblitus atomorum quos adserebat (ira, 10, 16), oblitus quid adsereret (inst.,
7. 12. 5).
123. Lact., inst. 7, 3, 13; Lvcr., 5, 156-157 et 5, 165-167.
124. Lact., mort. pers. 30, 5 : Profertur e cubiculo cadauer occisi :
haeret manifestarius homicida et mutus stupet, quasi «dura silex aut stet
Marpesia coûtes» : impietatis ac sceleris increpatur. Postremo datur ei
potestas liberae mortis, «Ac nodum informis leti trabe nectit ab alia».
Verg., Aen. 6, 471 et 12, 603.
136 ALAIN GOULON
de Galère ,25, la bataille du Pont Milvius i26. En reliant plusieurs
citations appartenant à un même contexte, Lactance marque
encore la cohérence interne d'affirmations réparties à l'intérieur
du livre 6 de VEnéide, dont il tire une doctrine de l'au-delà 127.
Lactance est ainsi amené à constituer un certain nombre de
dossiers, autour d'un nom, celui d'Anchisel2* ou celui de
Junon 129, ou autour d'une question : l'âge d'or130, l'intelligence
animale m, l'âme du monde 132, la persécution l". Ce dernier
thème permet à Lactance une habile contamination de vers
empruntés à divers récits de bataille et de souvenirs de Y Enéide
évoquant les tigres de l'Hyrcanie ,34.
125. Lact., mort. pers. 33, 4 et 8 : «proxima quoique cancer inuadit et
quanto magis circumsecatur, latius saeuit, quanto curatur, increscit.
...*Cessere magistrilPhilly rides Chiron Amythaeoniusque Melampus ».
...Comestur a uermibus et in putredinem corpus cum intolerandis doloribus
soluitur. «Clamores simul horrendos ad sidera tollit, quales mugitus,
fugit < cum > saucius < aram > taurus ». Verg., georg. 3. 549-550 et
Aen. 2, 222-224.
126. Lact., mort. pers. 44, 6 et 9 : Acies pari fronte concurrunt. summa
ui utrimque pugnatur : «neque his fuga nota neque Mis»... Eo uiso, pugna
crudescit. Verg., Aen. 10, 757 et I1, 833. - A noter qu'au début du livre, le
ton épique a été donné par deux citations situées à quelques pages d'inter-
valle (mort. pers. 12, I : Inquiritur peragendae rei dies aptus et felix ac
Generated on 2011-09-03 01:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
potissimum terminalia deliguntur, quae sunt a.d. septimum Kalendas Mar-
tias, ut quasi terminus imponeretur huic religioni. «Me dies primus leti
primusque malorumICausa fuit » quae et ipsis et orbi terrarum acciderunt.
Verg., Aen. 4, 169-170. - Mort. pers. 16, 2 : «Non, mihi si linguae centum
sint oraque centumlFerrea uox omnes scelerum comprendere formas,lOmnia
poenarum percurrere nomina possim » quae iudices per prouincias iustis
atque innocentibus intulerunt. Verg., Aen. 6, 625-627.
127. Lact., inst. 7, 20, 10-11; Verg., Aen. 6, 765-740 et 702. - Lact..
inst. 7, 22; Verg, Aen. 6, 266; 6, 748-751; 6, 719-721.
128. Lact. inst. 1, 15, 11-22; Verg., Aen. 7, 133 et 5, 59.
129. Lact., inst. 2, 16, 18; Verg., Aen. 1, 16; 8, 292; 1, 19-20.
130. Lact., inst. 1, 13, 12-13; Verg. georg. 2, 538; Aen. 8, 324-325; 6,
793-795.
131. Lact., ira 7, II; Verg., Aen. 4, 402-403; georg. 4, 155-157; cf.
aussi Lact., inst. 3, 10 où apparaissent d'autres traces du «dossier».
132. Lact., inst. 1, 5, 11-12; Verg., Aen. 6, 724; georg. 4. 211; dossier
réutilisé partiellement en epit. 3, 4 et en inst. 7, 3, 5; cf. n. 106.
133. Lact., inst. 5, 11, 5; Aen. 4, 366-367; 2, 368-369; 11, 646. - Dans
les cas que nous venons d'examiner, il ne nous paraît pas nécessaire de
postuler que Lactance ait eu recours à des florilèges. Sa culture personnelle
pouvait à elle seule lui fournir directement ces matériaux.
134. Non seulement les lettres profanes mais aussi saint Paul donnaient Ã
Lactance des exemples de contamination. Voir par exemple 1 Cor. 2, 9 qui
semble combiner h. 64, 3 et Jér. 3, 16 (cf. E.B. Allô, Saint Paul. Première
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 137
Mais le dossier le plus extraordinaire que Lactance ait réalisé
en partant des citations d'un même auteur est sans doute celui
qu'il a consacré à la piété d'Enée li5.Lepius Aeneas virgilien, au
terme de ce chapitre, confondu par les témoignages accablants
de son chantre, n'est plus qu'une brute sanglante, pour qui le feu
des bûchers doit s'alimenter, non de la graisse des animaux mais
du sang des victimes humaines immolées à sa vengeance. Insen-
sible à la piété et prompt à la fureur, il pousse l'hypocrisie jusqu'Ã
dire qu'il voudrait bien pardonner aux vivants. Au demeurant, le
meilleur fils du monde ; c'est du reste le seul titre que lui
reconnaît Lactance. Un tel résultat n'a pu être obtenu qu'en
découpant soigneusement huit citations virgiliennes et en les
rapprochant avec un art que P. Monat a bien analysé dans son
commentaire,36.
Citations littérales groupées
provenant d'auteurs différents
On connaît l'adage de droit : testis unus, testis nullus. Aussi,
quand il le peut, Lactance ne se satisfait pas du témoignage d'un
seul auteur137. Un exemple privilégié de regroupement de
citations empruntées à des poètes différents est fourni par la
réinterprétation du mythe de l'âge d'or, règne de la Justice, au
livre 5 des Institutions Divines. C'est en effet aux poètes
eux-mêmes que l'apologiste donne la parole : antérieurs aux
Generated on 2011-09-03 01:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
philosophes, ils étaient tenus pour des sages avant la naissance
de la philosophie. A travers les voies détournées qu'emprunte le
langage poétique, c'est la réalité, et non une fiction, que les
épître aux Corinthiens, Etudes Bibliques. Paris, Gabalda, 1935, p. 43-44).
Autre exemple de contamination chez Lactance : but. I, 19. 3 : Verg..
Aen. 6, 663 et 7, 772-773.
135. Lact. inst. 5, 10, 5; Verg., Aen. I, 544-545; 11, 81; I, 10; 10, 516-
519; 11, III; 11, 106; 10, 523; 12, 946. - Au delà de l'aspect littéraire et
technique, ce chapitre est particulièrement intéressant pour marquer le
passage de la sensibilité païenne à la sensibilité chrétienne : le pardon et le
respect de la vie sont devenus des exigences morales.
136. SC, t. 205, p. 99-104.
137. Lact., ira. 23, I : ...unius testimonium satis non sit ad confirmandum
sicut intendimus ueritatem.
138 ALAIN GOULON
poètes nous ont transmis. Lactance choisit dix citations emprun-
tées aux poètes latins qui ont eu à traiter de l'âge d'or :
Germanicus et Cicéron dans leurs Aratea, Virgile dans les
Géorgiques, et Ovide dans les Métamorphoses. Cette matière
sera équitablement répartie entre les deux parties de l'exposé.
Du temps du roi Saturne en effet, selon Lactance, les hommes
n'adoraient qu'un seul dieu, ils étaient justes et pratiquaient
entre eux l'humanité. C'est le premier volet de l'histoire : cinq
citations et six vers lui seront affectés. Avec le règne de Jupiter,
commence celui de la violence, le culte des faux dieux et la
méchanceté des hommes. Cinq citations et six vers également
apparaissent dans cette partie. Lactance a poussé encore plus
loin la correspondance. Au premier vers, emprunté à Germa-
nicus :
Nondum uesanos rabies nudauerat enses,
correspond le dernier, emprunté à Virgile et légèrement modifié,
Tum belli rabies et amor successif habendi.
Cicéron est cité en troisième position dans chacune des deux
parties. A chaque fois, il est suivi de deux vers virgiliens
empruntés au même passage des Géorgiques. Les thèmes se
répondent : Germanicus rappelle la fraternité de l'âge d'or :
consanguineis, les vers virgiliens laissent entendre que les
hommes sont devenus entre eux des loups et des serpents. Ce
Generated on 2011-09-03 01:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
parallélisme montre bien le renversement de la situation, le
désordre introduit dans la société humaine par le polythéisme.
Lactance donne à ce point la parole aux auteurs qu'il cite que non
seulement toutes les citations sont intégrées, soudées au
contexte lactancien, mais que mises bout à bout l'une après
l'autre, sans le lien de la phrase du citateur, elles se suffisent en
quelque sorte et présentent le sens du texte entier. Qu'on en
juge : « Une rage insensée n'avait pas encore mis à nu les épées et,
entre parents, la discorde était inconnue. Ils préféraient vivre
en se contentant de peu. Délimiter, marquer même un champ par
un bornage eût été sacrilège : on mettait en commun les récoltes.
Ça et là , coulaient des fleuves de lait, des fleuves de nectar.
Fuyant les armes de Jupiter, exilée après la privation de son
royaume, la Vierge très juste se hâta de quitter la terre, mais (ne)
se retira (pas) quelque part dans le ciel, dans le royaume de
Jupiter. C'est lui qui donna aux noirs serpents leur venin
malfaisant et commanda aux loups de rapiner. Alors la rage de la
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 139
guerre vint à son tour, et la fureur de posséderl38 ». Qu'on nous
pardonne ce long centon : il montre bien l'habileté de l'apologiste
à produire des témoins.
Ce morceau très composé ne doit pourtant pas faire allusion.
Les citations s'enchaînent aussi chez Lactance selon des lois
plus capricieuses. Il est en effet curieux qu'une citation lucré-
tienne suive presque immédiatement un vers d'Ennius évoquant
les luminis oras, expression huit fois reprise par Lucrèce ,39.
Ennius n'aurait-il pas ainsi appelé mécaniquement le souvenir de
Lucrèce?
Plusieurs fois, le lecteur a ainsi l'impression qu'une citation,
un thème, ou même une expression appelle à sa suite un vers
dans la riche mémoire de Lactance. Une impression toute
simple : referre pedem, bien naturelle en parlant du repentir,
138. Lact., inst. 5, 5 : voici les textes dans l'ordre de citation : Germ..
112-113 : Nondum uesanos rabies nudauerat enses Nec consan-
guineis fuerat discordia nota; Cic, Arat. frg. 17 Soubiran : malebant tenui
content i uiuere cul tu ; Verc, georg. I, 126-127 : Ne signare quidem aut
partiri limite campumIFas erat : in medium quaerebant; Ov., met I, III :
Flumina iam lactis, iam flumina nectaris ibant; Verc, Aen. 8, 320 : Arma
louis fugiens et regnis exul ademptis; Germ. 137 : Deseruit propere terras
iustissima uirgo; ClC. Arat. frg. 19. Et louis in regno caelique in parte
resedit; Verc, georg. I, 129-130 : llle malum uirus serpentibus addidit
Generated on 2011-09-03 01:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
atrisIPraedarique lupos iussit; Verc, Aen. 8, 327 : Tum (codd. Verg. et)
belli rabies et amor successit habendi. - Notre traduction du «centon»
s'écarte du texte de Lactance sur un point : chez Lactance, c'est Saturne qui
est exilé, mais la justice l'est également! De plus, nous avons dû reprendre la
négation ajoutée par Lactance devant la citation de Cic, Arat. frg. 19. -
Lactance a-t-il pensé ici à la technique des «centons»? Ce n'est pas impossi-
ble. Tertullien, en effet, accusait déjà les hérétiques de faire des centons de
l'Écriture Sainte, genre dont la littérature profane offrait des exemples.
Tert., praesc. 39, 3-5 (éd. Refoulé. S. C. 46, Paris, Le Cerf, 1957, p. 142-
143, texte et notes).
139. Lact., inst. I, 15, 31 : citation d'Ennius, ann. 118-121 Warmington
cf. n. 38. — Luminis oras : Lvcr., 1, 22; I, 170; 2, 577; 2, 617; 5, 224; 5,
781 : (5, 1389); 5, 1455. — Lact., but. 1, 16, 1-3 : Poteram iis quae rettuli
esse contentus, sed supersunt adhuc multa suscepto operi necessaria. Nam
quamuis, ipso religionum capite destructo, uniuersas sustulerim, libet tamen
persequi cetera et redarguere plenius inueteratam persuasionem ut tandem
homines suorum pudeat ac paeniteat errorum. Magnum hoc opus et homine
dignum, «Religionum animos nodis exsoluere pergo», ut ait Luc retins. —
Si, comme nous le pensons, religionum capite destructo est, dans ce
contexte, une réminiscence lucrétienne, résultant de la combinaison des deux
vers, I, 64 et 1, 78, ce sont deux souvenirs lucrétiens que l'expression
d'Ennius a suscités.
140 ALAIN GOULON
suscite ainsi son correspondant poétique reuocare gradum et le
souvenir virgilien de la remontée des Enfers :
Sed reuocare gradum superasque euadere ad auras
hoc opus, hic labor est. 140
Nullement indispensable au sens, la citation est venue là comme
un cadeau, un moment de détente accordé au lecteur.
Fonctions de la citation. Fonction esthétique
Car, en plus des fonctions logiques, prophétiques même, que
peut avoir la citation dans l'apologétique lactancienne, elle
conserve toujours un rôle ornemental. Lactance a si bien compris
la séduction que peut exercer la poésie qu'il réduit en prose,
avons-nous vu, les vers qui contiennent les arguments de ses
adversaires. Aussi a-t-il bien su jouer de ce Musaeus lepos qui
l'inquiétait chez les poètes. Parfois il ne vise que l'agrément, la
récréation du lecteur et, au détour d'un vers horatien, l'emmène
vers les Syrtes, l'Hydaspe et le Caucase Ml, ou encore avec
Virgile, faucher le soir à la fraîche l42. Souvent, il s'adresse à sa
culture ; appeler le démon caput horum et causa malorum n'est
guère poétique, mais c'est solliciter chez le lecteur ce fond
culturel qui réunit l'apologiste et son interlocuteur143. Nourris
des mêmes auteurs, ils pourront se comprendre. La poésie peut
aussi élever un débat, et le cheval que la Perse immole à Hypérion
le radieux retire quelque chose de son caractère obscène au débat.
Generated on 2011-09-03 01:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
qui vient d'opposer un âne à Priape l44. Parfois, on amuse le
lecteur, on le fait rire par exemple de la plèbe des dieux
140. Lact., inst. 6, 24, 10 : Ergo quicumque aberrauerit, referat pedem
seque quam primum recipiat ac reformet. « Sed reuocare gradum... » Verc,
Aen. 6, 128.
141. Cf. n. 63.
142. Lact., ira, 13, 5.
143. Lact., inst. 2, 8, 2; Verg., Aen. 11. 361.
144. Lact., inst. 1, 21, 30 : Nam, sicut Lunae taurus maclatur quia
similia habet cornua et «Placat equo Persis radiis Hyperiona cinctumJNe
detur celeri uictima tarda deo», ita in hoc quia magnitudo membri uirilis
enormis est, non potuit ei monstro aptior uictima reperiri quam quae posset
ipsum cui maclatur imitari. Ov. fast. 1, 385-386. Lact. inst. 1, 21, 29 :
Itaque inter eum (= asellum) Priapumque ortum esse certamen de obsceni
magnitudine, Priapum uictum et iratum intermisse uictorem.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 141
contrainte, comme celle des hommes, à vivre à l'écard des
grands l45. La dérision devient ainsi rapidement argument apolo-
gétique.
Fonction apologétique.
Tel est évidemment le rôle essentiel de la citation. Mais pour
témoigner en faveur de la religion chrétienne, les vers des poètes
païens doivent parfois s'accommoder au nouveau rôle qu'on leur
prête. On sait assez l'importance des interprétations allégoriques
dans les milieux païens et chrétiens pour n'être pas surpris de voir
Lactance recourir à un double sens. Tantôt il interprète au sens
moral un vers que le poète comprenait plus physiquement ; mais
les loups et les serpents à qui Jupiter donne l'ordre de nuire
peuvent bien représenter les hommes l46. Le déplacement du
sens nous gêne davantage quand il implique un gauchissement de
la pensée de l'auteur, quand Lactance, par exemple, applique à la
philosophie en général ce que Lucrèce avait dit de l'école épicu-
rienne 147, ou que l'exclamation o miseras hominum mentes, qui
s'apitoyait sur les errances multiples des hommes, se transforme
en condamnation de la seule superstition 148.
Pour Virgile, c'est de Crète que vient le silence assuré aux mys-
tères:... hinc fida silentia sacris, et il en parle avec un grand
respect. Les cultes païens s'adressent à des morts, déclare
Lactance, et si le peuple le savait, il aurait vite déserté les
Generated on 2011-09-03 01:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
autels :... hinc fida silentia sacris. De local qu'il était, hinc est
devenu causal et cette transformation pourrait bien s'apparenter
à la malhonnêteté intellectuelle ,49.
145. Lact., inst. I, 16, 12. Ov., met. I, 173-174.
146. Lact., inst. 5. 5. 10; Verg., georg. I, 129-130; voir n. 138.
147. Lact., inst. 3, 16, 12; Lvcr., 5, 335-336.
148. Lact., inst. 1, 21, 48-49... Lucretius exclamat : «O stultas (miseras)
hominum mentes, o pectora caeca!lQualibus in tenebris uitae quantisque
periclisIDegitur hoc aeui quodcumque est!" Quis haec ludibria non rideat
qui habeat aliquid sanitatis cum uideat homines uelut mente captos ea serio
facere quae si quis faciat in lusum nimis lasciuus et ineptus esse uideatur ?
Lvcr., 2, 14-16; cf. n. 84. — Il s'agit ici d'une citation-conclusion à la fin
d'un long chapitre. 11 se peut que Lactance ait sollicité un texte qui lui
donnait cette facilité.
149. Verg., Aen. 3, 112; Lact. inst. 5. 19, 19.
142 ALAIN GOULON
Au-delà de ces petites roueries. Lactance, en fait, convie son
lecteur à une nouvelle lecture de certains vers. Paul lui-même,
devant l'Aréopage, citait le vers d'Aratos : « Car nous sommes de
sa race » pour y découvrir une similitude de l'homme avec Dieu,
quand le poète ne pensait qu'à son origine divine. En citant le
vers lucrétien : Denique caelesti sumus omnes semine oriundi;
-Omnibus Me idem pater est, Lactance présente une interpré-
tation du même ordre l50.Là où Lucrèce voit un mythe physique,
Lactance, à de multiples reprises, découvre une affirmation de la
paternité divine qu'il présente comme le sens obvie du texte.
Quand, au contraire, il propose une nouvelle lecture du chant 6
de Y Enéide, l'apologiste invite expressément son lecteur à voirie
ciel au travers des Champs Élysées du poète et, dans la bifurca-
tion semblable à un Y devant laquelle se trouve tout homme,
l'image des chemins menant au paradis et à l'enfer151. Dans le
même climat allégorique, le retour sur terre évoque la pénitence
du chrétien ,52 et ce que Virgile affirmait des âmes en général ne
s'applique plus chez Lactance qu'aux âmes des seuls damnés 153.
Les auteurs païens seront ainsi sollicités pour donner leur
témoignage à différents niveaux.
Parfois, il s'agit d'établir un fait d'ordre philologique, histo-
rique, scientifique, capable d'expliquer ou de rendre croyable un
150. Act. 17. 28 : xov yà o kcù yévoç èou.Év. ; Arat., Phaen. 5. Sur ce sujet,
Generated on 2011-09-03 01:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
voir E. des Places, «Syngeneia», la parenté de l'homme avec Dieu, d'Homère
à la patristique, Paris. Klincksieck, p. 139-141 et la note de la Traduction
Œcuménique de la Bible, Nouveau Testament, (Paris, Le Cerf et les Bergers
et les Mages, 1972) p. 411. — Voir n. 105.
151. Lact., inst. 6, 3. 6, 9 et 10.
152. Cf. n. 140.
153. Lact., inst. 7, 20. 7-10. Verg., Aen. 6, 735-740. — Le texte de
Virgile expose la doctrine de la métempsycose. D'inspiration essentiellement
pythagoricienne, il renferme aussi plusieurs éléments empruntés à Platon et
aux Stoïciens et paraît syncrétiste. Ce développement répond directement Ã
la question désabusée d'Enée : «Ouae lucis miseris tam dira cupido?»;
d'autre part, il doit préparer la revue des héros à venir de l'histoire romaine
Il n'a donc pas pour but un exposé complet sur la survie. Tout n'y est pas
clair. S'agit-il de toutes les âmes? On peut en douter, car nous sommes Ã
l'intérieur d'un «vallon retiré», d'un «séjour paisible» (domos placidas : 6,
705) arrosé par le Léthé, le fleuve tout proche des Champs Elysées. En tout
cas, les criminels endurcis ont été laissés sur la gauche « uhi se uia findit in
ambas» et Lactance, en appliquant les vers virgiliens aux damnés, ne peut le
faire qu'en leur donnant un sens métaphorique, comme le faisaient déjà ,
peut-être, les Stoïciens.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 143
mystère chrétien. Virgile surtout apparaît comme le garant d'une
science quasi universelle. En matière d'étymologie, on lui de-
mande d'expliquer le mot aures à partir du verbe haurire l54 ;en
matière sémantique, on le presse d'expliquer le mot supers-
titiolS5. On lui demande aussi, à l'occasion, des précisions
historiques ,56, on le prend comme représentant de l'opinion
populaire l57. L'auteur des Géorgiques donne aussi de précieux
renseignements de sciences naturelles. Il connaît la psychologie
du cheval de course, son désir de remporter la palme, son dépit
d'être vaincu I58 ; il sait les mœurs prévoyantes des fourmis et des
abeilles I59, l'organisation sociale de ces insectes qui prouve
leur intelligence 160.
Mais surtout, grâce aux faits qu'il apporte, l'incroyable nais-
sance virginale du Christ n'est pas sans exemple, au moins
lointain ! Car s'il est notoire que certaines femelles conçoivent
d'ordinaire sous l'action du vent et de la brise, pourquoi trouver
étonnant que l'esprit de Dieu, à qui il est facile de faire ce qu'il
veut, puisse faire concevoir une vierge l61 ? L'expression virgi-
lienne renvoie sans ambiguïté possible à l'épisode des cavales
fécondées par le vent162. L'autorité de Virgile se trouve ici,
d'autre part, formellement reconnue (notum est).
154. Lact.. opif. 8. 8 : Eas igitur aures — qui bus est inditum nomen a
uocibus hauriendis, unde Vergilius « uocemque his auribus hausi »... — Voir
Generated on 2011-09-03 01:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
aussi Lact.. frg I {CSEL 27, p. 155) : le nom des Gaulois vient de la
blancheur de leur teint: citation de Verg., Aen. 8, 660 : Tum lactea collai
Auro innectuntur.
155. Lact.. but. 4. 28. 15. Verg., Aen. 8. 187.
156. Création des religions : Lact., but. I. 15, 11-12. Verg.. Aen. 7. 133-
134. — Fondation de ville : Lact.. inst. I, 21, 25. Allusion à Verg.. Aen. 5.
711-718.
157. Lact.. but. 3, 29, 7-8. Verg.. Aen. 8, 334.
158. Lact.. but. 3, 8. 27. Verg.. georg. 3. 112 et 102.
159. Lact.. ira 7. 11. Verg.. Aen. 4, 402-403 et georg. 4. 155-157. — Je
n'ai pas pu consulter : M. Galdi, Quoi qualesue colores Vergilius suppedi-
tauerit scriptoribus ecclesiasticis in apium moribus describendis in Atti dei
2" Congresso di Studi Romani, Rome 1931. p. 298-310.
160. Lact., inst. 3, 10, 4. Allusion à Verg., georg. 4. 149-221. — La
monarchie chez les abeilles : Lact.. epit. 2. 4. Verg.. georg. 4. 68.
161. Lact., inst. 4, 12, 2 ; Quodsi animalia quaedam uento et aura concipere
solere omnibus notum est, cur quisquam mirum putet cum Dei spiritus, cuifacile
est quidquid uelit, grauatam esse uirginem dicimus.
162. Allusion certaine à Verg., georg. 3, 274-275 : (illae) exceptantque
leuis auras et saepe sine ullis Coniugiis uento grauidae... Pline (N.H. 8. 67)
et Columelle (6, 27). qui rapportent aussi cette légende, ne présentent pas ces
similitudes d'expression.
144
ALAIN GOULON
La naissance temporelle du Christ étant ainsi rendue croyable,
une analogie virgilienne de même type permet d'entrevoir sa
naissance éternelle au sein du Père sans l'intervention d'un
élément féminin. Car si Dieu a donné à certaines bestioles de
«recueillir avec leur trompe les nouveau-nés issus des feuilles
et des herbes suaves» pourquoi penser que Dieu lui-même ne
puisse engendrer sans l'intervention de l'autre sexe 163?
Dès lors, un certain nombre d'épisodes racontés par les poètes
vont revêtir une nouvelle signification. Comme les figures du
Christ dans l'Ancien Testament, les héros de la mythologie vont
apparaître comme les préfigurations, en quelque sorte, des
mystères chrétiens.
Quand les Hébreux passent la Mer Rouge, « un ange marche en
tête, raconte l'apologiste, et fend les eaux pour que puisse passer
à pied sec le peuple qu'avec plus de vérité, comme dit le poète,
a entouré l'onde infléchie en forme de montagne » ""*. L'expres-
sion virgilienne, employée mal à propos dans l'histoire d'Aristée,
trouve ainsi son vrai sens dans le récit biblique. Ce uerius est
révélateur : on le retrouve sous des formes analogues. Tantôt il
s'agit de l'autel de Dieu qu'est le cœur de l'homme, quae uere
4
163. Lact., inst. I, 8, 8 : Nam si quibusdam minutis animalibus ici
Generated on 2011-09-03 01:43 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
praestitit ut sibi «e foliis natos et suauibus herbislOre legant», cur existimet
aliquis ipsum Deum nisi ex permixtione sexus alterius non posse generare ?
Verc, georg. 4, 200-201.
164. Lact., inst. 4, 10, 7 : Transiecit enim populum medio mari rubro
praecedente angelo et scindente aquam, ut populus per siccum gradi posset;
uerius, ut ait poeta, «curuata in montis faciem circumstetit unda». Lactance
se souvient avec assez de précision d'Ex. 14, 23 : Et ingressi sunt filii Israel
per medium sicci maris; erat enim aqua quasi murus a dextra eorum et
laeua. Mais, pour le reste, il se souvient mal du récit biblique. Au moment
du passage de la mer Rouge, en effet, l'ange de Dieu qui précédait la colonne
des Hébreux passe sur leurs arrières (Ex. 14, 19): c'est Moïse qui étend la
main et le Seigneur qui fait souffler toute la nuit un vent violent qui met la
mer à sec (Ex. 14, 21). C'est à Virgile que Lactance emprunte le caractère
instantané du miracle où Cyréné joue le rôle que le chrétien prêtera à l'ange :
Simul alta iubet discedere late Flumina qua iuuenis gressus inferret : at
MumlCuruata in montis faciem circumstetit unda. Verg. 4, 359-361.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 145
maxima estlbS, tantôt du persécuteur, comparé aux tigres de
l'Hyrcanie du vers virgilien : Ma est uera bestia 166.
Quand Jésus marchait sur les eaux, il s'avançait comme sur le
sol, raconte Lactance, et non comme les poètes le disent menson-
gèrement d'Orion, qui, s'avançant sur la mer, dépasse les ondes
de l'épaule avec le corps à demi immergé... Orion ne surpasse
l'eau que de l'épaule, le Christ marche tout entier hors de l'eau. Il
y a probablement plus, dans ces lignes, que la réfutation de la
fable. N'y aurait-il pas dans la pensée de Lactance l'idée de
l'achèvement d'un fait miraculeux, entrevu par les poètes dans
un obscur élan prophétique,67 ?
165. Lact., but. 6, 24, 29 : Itaque in aram Dei, quae uere maxima est et
quae in corde hominis conlocata, inquinari non potest sanguine, insulIa
imponitur... Verg., Aen. 8, 271-272 : Hanc aram luco statuit, quae maxima
semperlDicetur nobis et erit quae maxima semper.
166. Lact., inst. 5, II, 5 : Ma, Ma est uera bestia, cuius una iussione
«funditur ater ubique cruor crudelis ubique Luctus, ubique pauor et plu-
rima mortis imago». Contamination de Verg., Aen. 11, 656 et 2, 368-369. —
Voir aussi Lact., but. 6, 3, 10 : Nos igitur melius et uerius... cf. n. 151. —
Le chrétien est aussi le véritable voyageur engagé sur la voie de toutes les
vertus : Lact., inst. 6, 18, 5-6 : In hac iustitiae uirtutumque omnium uia
nullus mendacio locus est. Itaque uiator Me uerus ac iustus non dicet illud
Lucilianum : «Homini amico et familiari non est mentiri meum», sed etiam
Generated on 2011-09-03 01:43 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
inimico atque ignoto existimabit non esse mentiri suum...
167. Lact., inst. 4, 15, 21 : Cumque iam medium fretum tenerent (disci-
puli), tum pedibus mare ingressus consecutus est eos (lesus) tamquam in
solido gradiens, non ut poetae Orionem mentiuntur in pelago incendentem,
qui demersa corporis parte «umero supereminet undas». Lactance confond
deux aspects de la légende d'Orion : Virgile (Aen. 10, 763-767) le dit si grand
qu'en marchant à pied dans les «gouffres de Nérée», il dépasse encore de
l'épaule la surface des eaux, ou qu'en s'avançant sur la terre ferme, il a la
tête dans les nuages. Servius l'a bien vu : haec autem conparatio pertinet ad
solam corporis proceritatem (éd. Thilo, t. 2, p. 466). Virigile ne dit pas
qu'Orion marche sur la mer. En revanche, c'est ce qu'affirment explici-
tement les commentateurs d'Aratos (Ã propos du v. 322) en se fondant sur
Hésiode (fr 148a, Merkelbach-West) : il avait reçu de son père Poséidon le
don de marcher sur les flots (cf. J. Martin, Scholia in Aratum Vetera,
Stuttgart, Teubner, 1974, p. 238; Breysig, p. 92, 16; 163, 4-14). Lactance,
d'autre part, aurait pu citer un autre exemple de marche sur les flots : celle
de Circé, racontée par Ovide (met. 14, 48-50) : (Circe) ingreditur feruentes
aestibus undaslln quibus ut solida ponit uestigia terraISummaque decurrit
pedibus super aequora siccis. Il ne l'a pas fait alors qu'il devait connaître le
texte (Le Phoenix comporte une réminiscence probable du livre 13 et cinq du
livre 15). Il a préféré emprunter à Virgile une expression qui pouvait évoquer
une marche imparfaite sur les eaux et montrer par là l'achèvement apporté
par Jésus à un «miracle» de la mythologie.
146 ALAIN GOULON
Lactance, en tout cas, a entremêlé les souvenirs bibliques et les
citations des poètes comme si les uns et les autres appartenaient
au même contexte de traditions sacrées. Le récit de la création du
monde que nous avons étudié en a fourni un exemple ; les mêmes
textes sacrés et profanes réapparaissent quatre chapitres plus
loin dans le fondu d'un même exposé continu, dont seule une
étude stylistique attentive peut discerner les origines bibliques et
ovidiennes tant il est vrai que Lactance, Ã ce moment, ne semble
même plus avoir conscience de cette dualité 168. Or, une page
auparavant, l'apologiste a remarqué la concordance des ensei-
gnements de la Genèse et du poète proclamant l'un et l'autre
l'homme maître de la création ,69...
Quand Ovide, de façon imagée, peint le royaume de la Justice :
Flumina iam lactis, iam flumina nectaris ibant,
il rejoint les expressions des auteurs sacrés promettant la terre où
coulent le lait et le miel 170. Pour décrire les derniers temps,
Lactance mêle en un discours continu les oracles de la Sibylle
avec les prédictions d'Isaïe, avant de citer longuement la qua-
trième Églogue l71. Le jugement dernier a été annoncé par les
168. Voir p. 135 et n. 119 et 120. — Reprise en inst. 9, 2-3 : Eam
(= terram) uoluit umore circumflui et contineri (cf. Ov., met. 1, 37). Suum
uero habitaculum distinxit claris luminibus et inpleuit, sole scilicet et lunae
orbe fulgenti et astrorum micantium splendentibus signis adornauit (cf. Gen.
Generated on 2011-09-03 01:43 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
I, 14-19 et n. 121).
169. Lact., inst. 2, 8, 63-64 : Denique sanctae litterae docent hominem
fuisse ultimum Dei opus et sic inductum esse in hunc mundum quasi in
domum iam paratam et instructam; illius enim causa facta sunt omnia.
Ouidius perfecto iam mundo et uniuersis animalibus figuratis hoc addidit :
« Sanctius his animal mentisque capacius altae IDerat adhuc et quod domi-
nari in cetera posset, Natus homo est. » Ov., met. I, 76-78. Gen. I, 20 : Et
ait : « Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram ; et praesit
piscibus maris et uolatilibus caeli et bestiis uniuersaeque terrae, omnique
reptili quod mouetur in terra. »
170. Lact., inst. 5, 5, 7: ov., met. I, III — Ex. 3, 8 : promesse du
Seigneur qui conduira son peuple in terram bonam et spatiosam, in terram
quae fluit lacte et melle; Ex. 13, 5... terram fluentem lacte et melle; Ex. 33.
3... in terram fluentem lacte et melle; Lév. 20, 24... terram fluentem lacte et
melle.
171. Lact., inst. 7, 24; citation littérale des Oracula Sibyllina en 24, 1 (8,
81 et suiv.): 24, 2 (frg. I ; Friedl. p. 230); 24, 6 (5, 420 et suiv.); citation «ad
sensum» non introduite : 24, 7 (Is. 30, 26): 24, 8 Us. Il, 6-9); 24, Il citation
littérale de Verg. (ecl. 4, 38-41 ; 28-30; 42-45: 21-22): 24, 12-14, citation litté-
rale des Oracula Sibyllina (3, 787 et suiv. : 3, 619 et suiv., 5, 281 et suiv.); 24.
15, allusion probable à Ps 72, 10 et 1s. 60, 6 et suiv. — On notera que les
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 147
prophéties... mais c'est un vers de Virgile qui nous le fait savoir :
sicut... uatum praedicta priorum Terribili monitu horrificant 172.
Connaissance de la vérité chez les poètes
Un tel usage des poètes païens aurait probablement été mal
compris de la part des contemporains chrétiens de Lactance, s'il
n'avait pris soin, en plusieurs endroits et de manière explicite, de
montrer quelles relations les poètes, à ses yeux, entretenaient
avec la vérité.
Lactance reconnaît qu'ils voient souvent bien plus clair que les
philosophes, Ã qui pourtant, d'ordinaire, on accorde plus d'auto-
rité i73. Ainsi Ovide, quand il comprend que les astres ont été
créés par Dieu pour chasser la peur des ténèbres 174.Ceux qui « se
croient sages», en prenant à la lettre les récits des poètes, les
rejettent comme absurdes sans voir qu'il faut les interpréter,75.
Le regard des philosophes est borné ; ainsi, quand ils interprètent
le mythe de Prodicos en rapportant les deux voies qui s'ouvrent
devant l'homme au travail et à la paresse, choses de la terre.
Melius poetae, dit Lactance : ils ont compris la portée du mythe
en y découvrant la voie des justes et celle des impies i76.
citations littérales proviennent de textes non chrétiens, la Bible n'étant citée
qu'«ad sensum» et sans être introduite. Voir F. Cumont, La fin du monde
selon les mages occidentaux, RHR, t. 103, 1931, p. 89, n. 2.
172. Lact., inst. 2, 17, 2. Verg., Aen. 4, 464-465. — Autres exemples de
Generated on 2011-09-03 01:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
«christianisation» des citations : Lact., inst.l, 27, 5-6 : éloge d'Epicure
(Lvcr.. 6. 24-28) appliqué au Christ, cf. p. 126 et n. 88: — Lact., ira, 20. 2
citation d'Ov., met. 3, 135-137 : il faut attendre le dernier jour de la vie pour
savoir si un homme fut heureux ou non; Ovide ne pense qu'Ã la situation de
l'homme au moment de sa mort. Lactance songe au jugement de Dieu: —
Lact., inst. 7, 27, 16 : Intendamus ergo iustitiae quae nos inseparabilis
comes ad Deum sola perducet et « dum spiritus hos regit artus », infati-
gabilem militiam deo militemus. Le texte virgilien (Aen. 4, 336) contient les
protestations de fidélité d'Enée à Didon qui sont en réalité une dérobade.
Lactance réutilise ces mots pour caractériser en quelque sorte l'engagement
plein d'espoir du chrétien envers son général, le Christ.
173. Lact., inst. 1, 5, 15 : Sed hactenus de poetis. Ad philosophos
ueniamus quorum grauior est auctoritas certiusque iudicium, quia non rebus
commenticiis sed inuestigandae ueritati studuisse creduntur; epit. 4, I :
Sed ueniamus ad philosophos, quorum certior habetur auctoritas quam
poetarum.
174. Lact., but, 2, 5, 24. Suit la citation des Phénomènes : cf. n. 72.
175. Lact., inst. 1, I1, 22.
176. Lact., but. 6, 3 en particulier 9 et 10; — epit. 59, 1-2.
148 ALAIN GOULON
Lactance leur reconnaît une sorte de droit à l'erreur, au moins
dans l'expression, qu'il refuse aux philosophes. « Sa qualité de
poète peut lui valoir le pardon», dit-il de Lucrèce ,77.
D'où vient donc aux poètes cette connaissance de la vérité?
C'est que la force de celle-ci est telle, dit Lactance, qu'il faut être
bien aveugle pour ne pas y voir la divine clarté qui s'impose au
regard l78. Plus anciens que les philosophes 179, les poètes ont
gardé dans leurs chants, sans avoir aucunement de contact avec
la Bible (nullas enim litteras ueritatis attigerant) ce qui se trouve
aussi dans les livres inspirés, mais déformé par une tradition
populaire 180. Ainsi ils ont dit que l'homme a été fait de boue par
Prométhée, «leur erreur porte sur le nom mais non sur la
chose» "".
A propos de mythes qu'il interprète comme annonçant la
résurrection, l'apologiste précise sa pensée. « Ce sont des fic-
tions de poètes, pensent certains qui ignorent la source de leur
connaissance poétique... Les poètes ne rapportent pas les faits
tels qu'ils sont. Quoique bien plus anciens que les historiens, les
orateurs et tous les autres écrivains, comme ils ignoraient le
mystère de la révélation divine et que la mention d'une résurrec-
tion future était parvenue jusqu'à eux par une obscure rumeur, ils
ont néanmoins écouté cette rumeur avec une légèreté irréfléchie,
puis l'ont transmise sous forme d'un mythe qu'ils ont imaginé.
Generated on 2011-09-03 01:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
177. En louant comme un dieu l'inventeur de la sagesse, au lieu de louer
Dieu lui-même qui en est l'auteur, Lucrèce s'est trompé... Lact., inst. 3, 14,
7 : Verum pote si ut poetae dari uenia. At Me idem perfectus orator, idem
summus philosophas... ipsam sapientiam quam alias donum, alias inuentum
deorum uocat, poetice figuratam laudat in faciem.
178. Cette force s'exerce aussi sur les philosophes : Lact., inst. 1, 5, 2.
Cette connaissance est purement naturelle; ainsi dans le cas d'Orphée : inst.
1, 5, 6. De même pour Hésiode : inst. 1, 5, 10.
179. Lact., inst. 5, 5, I. Voir aussi n. 182. Cette ancienneté — qui rend
aussi «presque divin» le témoignage d'Hermès Trismégiste (inst. 1.6. I) —
augmente la crédibilité d'une affirmation, déclare Cicéron, dans la mesure où
elle se situe plus près de l'apparition de l'homme et de son origine divine :
CIC, Tusc. 1, 12, 26 : auctoribus... uti optimis possumus... et primum
quidem omni antiquitate, quae quo propius aberat ab ortu et divina progenie,
hoc melius ea fortasse quae erant uera cernebat. Selon Lactance, toutefois,
il ne peut jamais s'agir d'un critère absolu de vérité : inst. 2, 6; 7.
180. Lact., inst. 2, 10, 6.
181. Lact., inst. 2, 10, 5 : Namque hominem de luto a Prometheo factum
esse dixerunt (poetae). Res eos non fefellit, sed nomen artificis. Voir aussi
inst. 1, 19, 6 : Mendacium poetarum non in facto est sed in nomine.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 149
Pourtant, ils ont aussi attesté qu'ils ne se donnaient pas pour des
garants assurés, mais qu'ils suivaient une opinion, tel Virgile qui
déclare : « qu'il me soit permis de rapporter ce que j'ai en-
tendu » 182.
Aussi faut-il bien connaître la nature de l'expression poétique.
S'ils rapportaient les faits tels quels, les poètes ne serviraient Ã
rien. Les colores qu'ils ajoutent ne sont pas là pour tromper, mais
pour orner. Qui veut découvrir la vérité chez les poètes doit
connaître la mesure de ce qui leur est permis, jusqu'où ils peuvent
aller dans la fiction,83.
En interprétant à la lettre les récits poétiques, ce que font
parfois même les philosophes 184, on risque donc de faire de
graves contresens. C'est ce qui rend dangereux les poètes pour
des esprits non avertis, quand à l'erreur s'ajoute le charme de
l'expression ,85. Aussi l'apologiste se méfie-t-il des fictions de la
fable i86. Les poètes brodent facilement, avec légèreté même, sur
le fond historique de leurs récits, et le public s'arrête à ces
enjolivements. Il faut le mettre en garde sans négliger l'apport
positif du témoignage des poètes.
Rien n'est totalement faux chez eux, mais la vérité est par eux
transposée, enveloppée, voilée. Lactance développe longuement
cette idée dès le début des Institutions, en dégageant ainsi
sommairement une méthode d'interprétation des mythes 187.
Generated on 2011-09-03 01:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
182. Lact., inst. 7, 22, 1-3. Verg., Aen. 6, 266.
183. Lact., inst. 1, 11, 23-24.
184. Lact., inst. 1, 11, 36-37.
185. Lact., inst. 5. 1, 10, cf. aussi p. 130-131.
186. Lact., inst. 2, 8, 8. Lact., inst. 1, 14, I. Les poètes peuvent aussi
altérer la vérité pour aduler les princes ou la foule : inst. 1, 15, 13.
187. Lact.. inst. 1, I1, 30 : Nihil igitur a poetis in totum fwtum est,
aliquid fortasse traduction et obliqua figuratione obscuratum, quo ueritas
inuoluta tegeretur... 31. Sic ueritatem mendacio uelarunt, ut ueritas ipsa
persuasioni publicae nihil derogaret 34. Vera sunt ergo quae locuntur
poetae, sed obtentu aliquo specieque uelata. Inst. 2, 10, 12 : Verum quia
poetas dixeram non omnino mentiri solere, sed figuris inuoluere et obscurare
quae dicant, non dico esse mentitos. — Lactance donne de nombreux exem-
ples de vérités obscurcies par la fiction poétique : naissance d'Erichtonius
(inst. 1, 17, II): amours de Diane et d'Hippolyte (inst. 1, 17, 15); les abeilles
nourrissant Jupiter (inst. 1, 22, 19); la pluie d'or tombant sur Danaé (inst. I,
11, 18 et epit. II, 2) etc... Voir J. Pepin, Mythe et Allégorie, Paris, Aubier,
1958, p. 438-443 et L.J. Swift, Arnobius and Lactantius : Two views ofthe
pagan poets, TAPhA, t. 96, 1965, p. 439-448.
150 ALAIN GOULON
Ainsi le règne de la Justice chanté par les poètes ne doit pas être
pris pour une fiction, mais pour la réalité "",.
Cette théorie, longuement répétée à travers l'ouvrage, légitime
les citations des poètes, à qui l'on reconnaît ainsi le mérite d'un
véritable témoignage.
On en comprendra mieux la valeur en comparant les positions
de Lactance à celles de ses prédécesseurs. Ceux-ci, en effet,
quand ils avaient essayé d'expliquer les ressemblances entre la
Bible et les affirmations des poètes et des philosophes, avaient eu
recours à plusieurs explications "". Le plus souvent, ils avaient
prétendu, en se fondant sur les études de chronologie que
permettaient les connaissances de leur temps, que Moïse et les
prophètes étant bien antérieurs aux philosophes et aux poètes
grecs, de toute évidence ces derniers avaient commis des « lar-
cins » et avaient eu une connaissance matérielle des écrits
bibliques l90. Préférant une explication plus théologique, ils
imputaient parfois ce vol à l'action des démons "1.Reprenant les
vues antiques sur l'inspiration poétique auxquelles ils mêlaient
quelques considérations stoïciennes, ils avaient aussi parfois
considéré les poètes païens comme inspirés, eux aussi, par le
188. Lact., inst. 5, 5, 2.
189. On trouvera dans N. Zeegers-Vander Vorst, Les citations...,
p. 126-128 et p. 180-228 (en particulier 180-186 et 205-206) un exposé de la
Generated on 2011-09-03 01:45 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
question et la bibliographie antérieure. Voir aussi A. Méhat, Études sur les
Stromates de Clément d'Alexandrie, Paris, Le Seuil, 1966, p. 356 et suiv.
Plus sommairement, J.H. Waszink, Q.S.F. Tertulliani De anima, edited
with Intr. and Comm., Amsterdam, 1947, p. 106-107; Waszink met curieu-
sement Lactance au rang des tenants de la théorie des emprunts en citant inst.
3, 18 — où nous n'avons trouvé aucune affirmation de ce genre — et inst. 7,
7 où Lactance remarque bien la convergence des opinions de Platon et des
prophètes sur la création de l'homme par Dieu, mais en montrant que Platon
a ainsi perçu une parcelle de vérité; cf. 7, 7, 3 : docemus nullam sectam
fuisse tam deuiam neque philosophorum quemquam tam inanem qui non
uiderit aliquid ex uero. Remarquant la même convergence, Justin parlait
explicitement d'emprunt (I Apol. 59, 1).
190. La théorie des «larcins» remonte à l'apologétique juive, cf. N.
Zeegers-Vander Vorst, Les citations... p. 180-181. — Just., I Apol. 44,
8-9; 54-56; 59-60; 64. Tat., Orat. 36-40; Theoph., Autol. 1, 14: 2, 37;
Clem., Strom. 1, 17, 87, 2; 1, 22, 150, I; 5, 14, 99, 3; 6, 7, 55, 4;
Tert., apol. 45, 4 et 47, 1-4; nat. 2, 2, 5; Min. Fel., 34, 5. Pour la
chronologie, particulièrement : Theoph., Autol. 3, 16-30 et Tert., apol. 19.
191. Just., I Apol. 54, 1; Tryph. 69; Clem., Strom. 1, 17, 81. 4.
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 151
logos i92. Ces différentes explications ne s'excluent nullement
l'une l'autre l93.
Lactance recourt à des explications plus naturelles ou plus
respectueuses de la personnalité morale des écrivains païens. Au-
delà même de ces hommes, c'est un hommage qu'il rend à la
raison humaine et à sa capacité d'accueil de la vérité. Les poètes
ont pu connaître certaines vérités par les seules lumières de la
raison ,94 tandis que d'autres leur étaient révélées par les échos
lointains —mais naturels— des prédications des prophètes juifs.
Lactance étudie ainsi comment les poètes ont pu déclarer que
Minos, Éaque et Rhadamanthe jugeaient les morts aux enfers.
Les prophètes ayant annoncé que le Fils de Dieu jugerait les
morts, et le bruit s'en étant répandu jusqu'aux oreilles des
poètes, ceux-ci ont pensé que ce Dieu ne pouvait être que Jupiter
et, s'agissant du séjour des morts, que ce fils ne pouvait être un
des dieux d'En-Haut, Apollon, Liber ou Mercure, mais plutôt
un mortel qui aurait été juste, tel Éaque, Minos ou Rhadamante.
Le mythe ne recèle donc aucune tromperie ; il n'est que l'expres-
sion du simple jeu de la « poetica licentia » ou de la déformation
spontanée d'une rumeur qui se répand ,95.
192. Voir Just., I Apol. 46, 2: 2 Apol. 8, I; 10, 2-8; 13, 2-4; Athen.,
Leg. 7: Clem., Strom. 1, 8, 42, 1-2: 1, 19, 44, 7; Paed. 1, 6, 36, I.
193. L'exposé de J. Daniélou (Message évangélique et Culture hellénis-
Generated on 2011-09-03 17:32 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tique aux 2*' et 3'' siècles, Tournai, Desclée et C1*', 1961, p. 41-72) examine
particulièrement la coexistence et la cohérence de ces diverses explications
chez Justin et chez Clément d'Alexandrie. — Sur Théophile, voir N. Zee-
gers-vander Vorst, Les citations... p. 126-127, et G. Bardy, Théophile
d'Antioche, Trois livres à Autolycus, SC, t. 20, Paris, 1948, p. 32-38. Tertul-
lien a proposé diverses explications, mais selon R. Braun (Tertullien et la
philosophie païenne. Essai de mise au point, BAGB, 1971, 2, p. 239-241)
c'est à la théorie des larcins qu'il donne la préférence.
194. Voir n. 178. La vérité se suffit à elle-même : Lact., inst. 7. 7, 5: 3,
I. Sans avoir la connaissance complète de la vérité, les philosophes l'ont
subodorée : inst. 7, 1, H. Lactance n'exclut pas non plus dans certains cas
une sorte d'inspiration : inst. 6, 8, 10.
195. Lact., inst. 7, 22, 5-6. Comparer cette explication rationaliste de
Lactance avec celle de Justin (I Apol., 54) : «Sachant par les prophètes que
le Christ devait venir et que les impies seraient punis par le feu, ils
(= les démons) mirent en avant un grand nombre de fils de Zeus, dans
l'espoir qu'ils pourraient faire passer auprès des hommes l'histoire du Christ
pour une fable semblable aux inventions des poètes». — Après Lactance,
Augustin examinera encore l'influence éventuelle de l'Écriture sur Platon.
Mais il le fera de manière plus scientifique, en discutant les données chrono-
logiques, en revenant sur ses affirmations antérieures, en cherchant dans le
texte des «indices» de correspondance, comme le ferait un érudit moderne
confronté à un problème de source (Ciu. 8, II).
152 ALAIN GOULON
Ainsi, à travers les récits des poètes, Lactance retrouve les
traces obscurcies, lointaines, déformées parfois, de la Vérité qui,
au temps de la jeunesse du monde et du règne de la Justice, sans
révélation particulière, s'imposait par sa seule force et sa lu-
mière, ou encore les échos, dans le monde païen, de la prédi-
cation des prophètes juifs en Palestine.
Alors que les apologistes qui l'ont précédé expliquaient les
rencontres entre la Bible et la sagesse païenne par les larcins
qu'auraient faits les poètes et les philosophes aux auteurs sacrés,
et déconsidéraient par là la valeur de leur témoignage propre,
Lactance, en réexaminant la question dans un sens presque
rationaliste, propose une méthode d'interprétation des mythes
poétiques. Une telle méthode est sans doute rudimentaire, mais
elle reconnaît leur autorité spécifique. Au delà des colores et de
leur valeur ornementale, la poésie a maintenant sa place dans
l'apologétique fondée en raison. Est-ce à dire que fusionnent
dans les Institutions Divines la culture païenne et les valeurs
chrétiennes? Elles y sont au moins juxtaposées... et ce n'est pas
Generated on 2011-09-03 17:33 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
si mal !
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 153
DISCUSSION
A. Méhat. — Dans Képhalaia. Recherches sur les matériaux des
Stromates de Clément d'Alexandrie et leur utilisation (thèse dact. Paris
IV 1966), j'ai posé la question de l'origine des citations (citation de
mémoire, citation prise dans le texte avec le texte sous les yeux, citation
de seconde main d'après un autre auteur). Vous êtes-vous posé la
question pour Lactance, et qu'avez-vous trouvé dans ce domaine ? En
particulier, quelle part avez-vous décelé pour les « roseaux pensants »,
les citations banales, circulant d'un citateur à l'autre ?
A. Goulon — Il est difficile de donner une règle générale. Chaque
citation doit à cet égard être examinée séparément. Aussi, chaque fois
que j'ai cru pouvoir discerner une origine possible, je l'ai indiquée en
note. L'abondance des citations de Virgile, de Lucrèce et d'Ovide
permet de croire à un contact direct de l'auteur avec l'ensemble du texte
ce qui n'exclut pas quelques infidélités de mémoire (voir p. 124 et
n. 77-79). Pour certains poètes, la connaissance indirecte n'est pas Ã
exclure. Il est frappant que tous les textes d'Ennius cités par Lactance
l'ont été aussi par Cicéron (p. 116). Plusieurs citations de Terence
présentant un caractère proverbial se trouvent aussi dans son œuvre.
Ainsi, ueritas odium parit (n. 28). est explicitement cité et rapporté
à YAndrienne (CIC, Cato maior, 24, 89). De même pour suo
sibigladio (CIC, Caecin. 21, 82 ; n. 31). Mais il faut se garder de toute
généralisation hâtive car la citation de Terence : in eodem luto haesitans
Generated on 2011-09-03 17:33 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
uersura soluis, Géta (n. 32), si l'on en croit Otto, ne serait devenue
proverbiale que postérieurement à Lactance. — Lactance a-t-il utilisé
des florilèges ? M. Méhat (Képhalaia, p. 114 et 115) ajustement mis en
garde contre le recours à cette hypothèse facile. Je me garderais bien de
conclure à leur existence. Mais je remarque que la substitution d'un vers
d'Ovide à un vers de Lucain (p. 118 et nn. 45-47) pourrait s'expliquer par
cette hypothèse (voir aussi n. 40, 49, 57). J'ai assez peu trouvé de
citations banales, car, comme j'ai essayé de le montrer, Lactance
innove dans l'apologétique latine en citant textuellement un assez grand
nombre de poètes (p. III ).
M. Perrin — Est-il possible de discerner chez Lactance ce qui est
gauchissement volontaire et ce qui est inconscient ? Par exemple, la
citation souvent reprise de Lucrèce («denique... omnibus ille idem
154 ALAIN GOULON
pater est »), citation à laquelle Lactance attribue un sens différent de
celui qu'elle avait chez Lucrèce, est-elle à classer dans la première ou la
seconde « catégorie » ? D'autre part, trouve-t-on des exemples de cette
« christianisation » dans la littérature antérieure ?
A. Goulon. — La distinction est délicate ; j'ai tenté de la faire pour
certains textes (p. 124-129). En général pourtant, les modifications
apportées au texte original vont dans le sens de l'apologiste. On est
donc tenté de conclure qu'elles sont conscientes. Quant aux vers
lucrétiens : denique... omnibus Me idem pater est (2, 991-992), ils sont
exactement cités en Inst. 7, 10, 7 et Op. 19, 3, mais Lactance leur
attribue en effet un sens différent. I. Nicolosi (« L'influsso di Lucrezio
su Lattanzio » in Raccolta di Studi di Letteratura Cristiana Antica II,
Catania, 1946, p. 14 et suiv.) estime que Lactance, en voyant dans ces
vers l'affirmation de l'origine de l'âme, retrouve en fait la véritable
intuition du poète Lucrèce un instant « libéré des entraves du matéria-
lisme», tandis que le philosophe Lucrèce songe au ciel physique, Ã
l'éther qui féconde la terre. La théorie est aventureuse quoique sédui-
sante. En fait, Lactance utilise le texte de Lucrèce dans un sens
accommodât rice. Aussi prend-il bien soin de supprimer la fin du deuxiè-
me vers qui rappellerait tropqu'il s'agit d'un mythe agraire. — Le recours
au témoignage des auteurs païens est aussi ancien que l'apologétique
puisque saint Paul lui-même cite Aratos. Très souvent et plus ou moins
consciemment, le sens du passage est sollicité par le citateur chrétien,
Generated on 2011-09-03 17:33 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
soit par le découpage du texte qu'il opère soit par l'interprétation qu'il
en donne. C'est une première « christianisation » qu'on remarque chez
Justin, Théophile, Clément ou Minucius Félix (Oct. 19, 2 interprétant
verg., Aen. 6, 724-729, géorg. 4, 221 et Aen. I, 742). Avec la christiani-
sation des mythes païens, on atteint un degré supérieur. J. Daniélou
(Message évangélique et Culture hellénistique, Paris, Tournai Desclée
& C", 1961, p. 77-80) l'a fort bien remarqué chez Justin. Toutefois,
Lactance semble bien être le premier qui ait utilisé les poètes latins et les
mythes qu'ils racontent pour y voir de « lointaines préfigurations des
mystères du Christ « (ibid. p. 88)
G. Nauroy. — Avez-vous examiné aussi les citations que Lactance fait
des prosateurs? Leur fonction est-elle comparable à celles des poètes
ou s'en distingue-t-elle ? En particulier, cette intuition d'une vérité qui
reste voilée sous les contenus poétiques chez Virgile ou Lucrèce,
est-elle pour Lactance étrangère aux prosateurs comme Cicéron ? Il
apparaît, en tout cas, que l'usage de la citation des poètes avec cette
fréquence et cette complexité soit une initiative originale de Lactance.
A. Goulon. — Je n'ai pas procédé à un examen systématique des
citations des prosateurs par Lactance. Pour répondre avec précision Ã
votre question, une telle étude serait nécessaire. On peut toutefois
remarquer que l'apologétique antérieure réunissait souvent sous une
même rubrique le témoignage des poètes et des philosophes et qu'elle
avait tendance à privilégier le témoignage de ces derniers. Lactance, au
LES CITATIONS DES POÈTES LATINS 155
contraire, paraît plus sévère pour les philosophes et leur intellec-
tualisme souvent à courte vue (p. w/). On ne s'est pas toujours aperçu
du renversement de la tendance. Significatifs à cet égard sont les
«indices» de Brandt. A l'article «philosophi» (CSEL 27, p. 338), il
résume la pensée de Lactance en ces termes : eorum grauior est
auctoritas quam poetarum alors que dans les textes allégués on trouve
les termes creduntur, habetur (n. 173) qui dégagent la responsabilité de
l'auteur dans ce jugement. A l'article «ueritas» (ibid. p. 359), Brandt
écrit : poetae eam (= ueritatem) cognitam non habuerunt, phrase qui,
juxtaposée à la suivante : philosophiei inuestigandae studuerunt, incite
le lecteur à penser que les philosophes ont mieux réussi dans leur entre-
prise. Or la pensée de Lactance est tout autre, car le texte (Inst. 1,5,2)
ne comporte pas « poetae» mais les pronoms hi et Mi qui, dans le
contexte, ne peuvent désigner qu'à la fois les philosophes et les poètes.
— Quelle est donc la valeur du témoignage des philosophes ? Comme les
poètes ou les historiens anciens, ils peuvent avoir eu connaissance de la
vérité, soit qu'elle saute aux yeux (Inst. I, 5, 2) soit qu'elle soit le fruit
d'une tradition primitive. Mais tandis que les poètes travestissent cette
vérité sous des mythes qu'on peut décrypter, les philosophes inter-
prètent rationnellement ce qu'ils ont cru comprendre. En tout cas, cette
connaissance de la vérité n'implique pas une intervention spéciale de la
Divinité. Une fois pourtant, devant la description de la loi naturelle que
donne Cicéron (Inst. 6, 8, 10), dans son enthousiasme, Lactance croit
Generated on 2011-09-03 17:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
discerner « une sorte d'inspiration » (tamquam diuinent spiritu aliquo
instincti). Une telle formule ne traduit probablement qu'une vive
admiration.
J. Fontaine. — Cette vision si précise et nuancée de Lactance
utilisateur des poètes trouve un complément et une confirmation dans la
seconde partie de la communication que P. G. Van der Nat (qui regrette
de n'avoir pas pu venir de Leiden aujourd'hui) vient de faire aux 231'
Entretiens de la Fondation Hardt. Il a montré en effet comment, après
que Minucius eut commencé de justifier pour les écrivains chrétiens le
recours à la prose d'art, Lactance a réalisé la même opération pour les
poètes : il les excuse, il en adopte dans une lignée très horatienne la
fonction psychagogique, il indique même la voie à une poésie chré-
tienne naissante — étant sans doute le contemporain de Juvencus —.
Vous venez de montrer que l'on peut aller plus loin : vous soulignez
en effet, sur des exemples précis, la présence de véritables dos-
siers poétiques, dans lesquels Lactance paraphrase et adapte une
citation de plusieurs vers en une satura où la citation suivie, d'un
passage poétique, s'accompagne d'une sorte de glose perpétuelle en
prose. On est là devant la préhistoire directe d'un genre qui va tenir tant
de place dans la poésie chrétienne du IV siècle : celui du centon
biblique (voir à ce sujet le premier tome récent de R. Herzog sur la
Bibelepik, et notre c.r. dans Latomus). Lactance témoigne donc bien,
dans l'attitude des chrétiens envers la poésie romaine, d'une mutation
décisive pour l'avenir de la littérature chrétienne.
156 ALAIN GOULON
A.Goulon. — Lactance a peut-être, en effet, contribué à la christia-
nisation du genre littéraire du centon utilisé dans la littérature profane.
Tertullien (De Praesc. 39, 3-7, éd. Refoulé p. 142-143) et Irénée (Adu.
Haer. 1, I, 20 éd. Harvey p. 86-87 =P.G. 7, col. 543-546) avaient jeté le
discrédit sur le centon « où le sujet est adapté aux vers et non les vers au
sujet ». Les hérétiques en effet y avaient recours et faisaient ainsi
endosser leurs erreurs à Homère. Les chrétiens orthodoxes pouvaient
donc éprouver quelque répulsion pour le procédé et, à moins que les
dispositions d'esprit n'aient changé, on voit mal comment l'entreprise
de Proba eût été possible. Peut-être cette « satura » si artistement
composée, qui mêlait prose et vers, a-t-elle permis une nouvelle
approche de la poésie profane et, par là , son réemploi dans le domaine
religieux.
A. Mandouze. — La fonction privilégiée et volontiers prophétique
reconnue, le cas échéant, par Lactance aux poètes se trouve a fortiori
illustrée par la place qu'il fait aux textes sibyllins. Un lecteur antique
s'en était bien aperçu : saint Augustin, dont la seule référence Ã
l'œuvre de Lactance se trouve dans la Cité de Dieu (19, 23). Or le
passage se rapporte tout entier aux oracles sibyllins, dont traitera Mlle
M.-L. Guillaumin.
A. Goulon. — Le cas des Livres sibyllins mérite en effet d'être traité Ã
part. En toute hypothèse, leur témoignage, comme celui de Trismé-
giste. est classé parmi \esdiuina testimonia (inst. 1,6. 1). Je ne serais
Generated on 2011-09-03 17:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pas étonné, d'autre part, que dans l'attitude ouverte dont Augustin
fait preuve à propos des rencontres de la Bible et des auteurs païens
(cf. n. 195), on puisse reconnaître, au moins en partie, l'influence
de notre apologiste.
STEPHEN CASEY
« CLAUSULAE » ET « CURSUS » CHEZ LACTANCE
Avec le déclin du latin classique vers la fin de l'Empire, on peut
noter dans le langage parlé que les gens accordaient progressi-
vement plus d'importance à l'accent (accentuai stress). Et cela
entre le 3e et le 6e siècle alors que les gens sans instruction et les
provinciaux ne faisaient plus de distinction dans l'usage parlé,
entre une syllabe longue et une brève 1. Cette tendance générale
se refléta dans la littérature et l'on peut se demander si Lactance
en subit l'influence ou s'il s'appliqua tout au long de son Å“uvre Ã
respecter la tradition classique. Les études sur le rythme de la
prose latine2 ont démontré qu'en faisant un parallèle entre
1. Cf. F. di Capua, // cursus e le clausole nei prosatori latini e in Lat-
tanzio (Bari, 1949), pp. 21-22; A.C. Clark, The Cursus in Mediaeval and
Vulgar Latin (Oxford, 1910), p. 9; M.G. Nicolau, L'origine du cursus ryth-
mique et les débuts de l'accent d'intensité en latin (Paris, 1930), p. 65 ; A. Meil-
LET, Esquisse d'une histoire de la langue latine (Paris, 1928), pp. 233 sq.
Le mot «accent» (accentuai stress) est utilisé dans un sens générique, dans
cet article, afin de ne pas entrer dans la question épineuse de la qualité de
l'accent durant la période classique et même post-classique à savoir s'il s'agit
d'accent tonique ou d'accent d'intensité ou encore de la combinaison de ces
deux éléments. On précisera ici le fait que le rythme accentuel remplaça le
rythme quantitatif quelle que fût la nature de l'accent durant ces périodes.
2. H.D. Broadhead, Latin Prose Rhythm : A New Method of Investi-
Generated on 2011-09-03 17:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
gation (Cambridge, 1922); M.B. Carroll, The Clausulae in the Confessions
of St. Augustine (Washington, 1940); H. Hagendahl, La prose métrique
d'Arnobe, Goeteborgs Hoegskolas Arsskrift, 42, (1936), 1-260; P.C. Knook,
De Overgang van metrisch tot rythmisch Proza bij Cyprianus en Hieronymus
(Pumerend, 1932); M.G. Nicolau, L'origine; F. Novotny, État actuel des
études sur le rythme de la prose latine, Société polonaise de philologie ( 1929) ;
A.W. de Groot, «La prose métrique latine : état actuel de nos connais-
sances,» REL., t. 3, 1925, 190-204, t. 4, 1926, 36-50.
158 STEPHEN CASEY
l'usage du rythme accentuel et quantitatif d'un auteuretceluid'un
auteur antérieur ou postérieur, il était possible de déterminer
la nature du style de l'auteur en relation avec la prose des
débuts de la période classique ou post-classique. De plus,
sur la base de statistiques disponibles, il est possible d'avoir
une idée générale du langage à ces différentes périodes. Ces
études sont déterminées par deux normes extrêmes : soit la prose
métrique et quantitative chez Cicéron, soit la prose accent uelle et
à la fois rythmique au Moyen-Age. La partie de la phrase qui
illustre le mieux le passage graduel du rythme métrique Ã
l'accent est la dernière partie de la phrase ou la cadence finale de
la phrase, communément appelée la clausula.
Les auteurs classiques ont montré une nette préférence pour
les clausulae métriques plutôt que pour les clausulae accentuées.
Pour ne citer qu'un exemple, une étude faite par Knook sur les
discours de Cicéron démontre que 70% des clausulae se ter-
minent par les six mètres usuels en prose classique alors que 50%
comportaient l'accent3. Toutefois, dans certains écrits de Cy-
prien qui apparurent trois siècles plus tard, on remarque à peu
près le même pourcentage, c'est-à -dire que 73 % de ses écrits se
terminent en mètres mais pas moins de 71 % comportent l'accent,
communément appelé cursus.
Bien que le mot cursus fût en littérature classique un terme
Generated on 2011-09-03 17:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
générique qui signifiait le mouvement rythmique du discours,
cursus orationis 4, on en vint à l'appliquer selon l'agencement des
syllabes accentuées ou inaccentuées des derniers membres de la
phrase5. La prose au déclin de la période classique, ainsi que
celle de la période médiévale, comptait quatre sortes de cursus :
1) le planus : un mot de trois syllabes dont l'accent porte sur la
syllabe pénultième, précédé d'un autre mot dont l'accent égale-
ment porte sur la syllabe pénultième, en d'autres termes une
finale comportant cinq syllabes, "--"-, l'accent portant sur les
3. Knook, Overgang, p. 84 sq. Cf. p. 5. Voir ci-dessous note 11 Ã propos
des six mètres usuels.
4. Cic. de orat. 2. 16. 39; orat. 58. 198; Qvint. inst. 9. 4. 70.
5. «Dans son acception la plus stricte, le cursus est le rythme dû à une
succession déterminée de syllabes accentuées et de syllabes inaccentuées,
affectant les fins de phrase ou de membres de phrase,» Nicolau, L'origine,
p. I.
« CLAUSULAE » ET « CURSUS » 159
deuxième et cinquième syllabes, e.g., régna caelôrum, audîri
compêllunt. 2) Le tardus (ecclesiasticus) : un mot de quatre
syllabes dont l'accent porte sur l'antepénultième étant ce mot,
précédé d'un mot dont l'accent porte sur la pénultième, c'est-à -
dire un membre de phrase comportant six syllabes, *—A—, dont
l'accent porte sur les troisième et sixième syllabes, e.g., êsse
cognôvimus, operâri iustîtiam. 3) Le velox : un mot de quatre sylla-
bes dont l'accent porte sur la pénultième, ce mot étant précédé
d'un mot dont l'accent porte sur l'antepénultième, c'est-à -dire un
membre de phrase comportant sept syllabes\ , dont l'accent
porte sur les deuxième et septième syllabes, e.g.,dôminumconfi-
têmur, gaûdia pervenîre. 4) Le trispondaicus (moins usité) : un
mot de quatre syllabes dont l'accent porte sur la pénultième, ce
mot étant précédé d'un mot dont l'accent porte sur la pénultième,
c'est-à -dire un groupe de mots de six syllabes,\—, dont l'accent
porte sur les deuxième et sixième syllabes, e.g., terra venerâtur,
ênim docebântur. Ces cursus accentuels dérivent des clausulae
quantitatives de la littérature classique 6. Les prosateurs chrétiens
et païens de cette période intermédiaire du rythme quantitatif et de
l'accent, s'efforcèrent à choisir les clausulae où Victus quantitatif
et l'accent coïncidaient7. Ces prosateurs se partagèrent, semble-
t-il, entre la nouvelle et l'ancienne pratique mais ils essayèrent
d'appliquer les exigences des deux pratiques, en incorporant la
Generated on 2011-09-03 17:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
prose accentuelle du langage parlé contemporain à la prose
métrique et quantitative de la littérature de l'Age d'or.
Lactance fit son apparition durant cette même période alors
que l'on n'avait pas encore accordé préséance au cursus accen-
tuel. Nous étudions quelques exemple des clausulae classiques
et des cursus médiévaux que l'on retrouve dans ses écrits, et
nous en ferons un parallèle avec des écrits des prosateurs clas-
6. Mètres quantitatifs Cursus
Crétique Trochée -.--. Planus
Double crétique -.--.- Tardus "--"--
Crétique Double Trochée -.--.-. Velox "
Cf. Norden, Kunstprosa, t. II, p. 951 ; Clark, Cursus, pp. 9 sq. : Nicolau,
L'origine, p. 23; H. Flechter, Latin Prose Rhythm in the Late Middle
Ages and Renaissance, Classical Studies Presented to B.E. Perry (Urbana,
1969), p. 285.
7. Di Capua, // cursus, pp. 22-23; Nicolau, L'origine, pp. 78-79.
160 STEPHEN CASEY
siques, contemporains et postérieurs8. Grâce à cette enquête,
nous pourrons ainsi déterminer où se trouve exactement Lac-
tance parmi ces deux courants dans la littérature. Fut-il vraiment
le Cicéron chrétien tel qu'il fut communément appelé9, préser-
vant avec scrupule et perpétuant la cadence métrique de la
littérature classique ou fut-il uniquement un styliste doué en
prose, qui termine ses phrases d'une façon rythmique à la
manière des prosateurs de l'époque?
D'après un échantillonnage de 639 clausulae du Livre 1 des
Institutions divines, Hagendahl et Caroll ont démontré 10 que
73,1 % de ses écrits se terminaient par les six mètres n usuels en
prose classique. Ce pourcentage se rapproche certainement du
pourcentage obtenu par l'échantillonnage fait d'après les dis-
cours de Cicéron et du chrétien Cyprien (73, I) qui écrivait à une
période antérieure, ainsi que de Jérôme (72.2) qui écrivait à peu
près un siècle plus tard. Toutefois, on peut noter un pourcentage
plus élevé (86.8) chez certains contemporains tels le chrétien
Arnobe ainsi que pour l'écrivain païen de la période posté-
rieure, Ammien Marcellin (86. 2). On peut noter un pourcentage
moins élevé dans la prose prétendue amétrique de cette période
(58.6 dans la version latine de saint Athanase et 63.6 dans la Vita
aliquot excellentium Batauorum). Ainsi peut-on conclure que
Lactance, à l'encontre de plusieurs écrivains de l'époque, res-
Generated on 2011-09-03 17:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pecta rigoureusement la tradition classique de Cicéron par son
usage des clausulae métriques.
D'après une étude faite sur les cursus accentués chez Lactance,
on arrive toutefois à une conclusion différente. Alors qu'on
obtient un pourcentage de 49,8% d'après les discours de Cicéron,
pour l'usage de trois formes courantes accentuées telles le
8. En ce qui a trait aux statistiques citées dans cet article, je m'en suis
tenu particulièrement aux études faites par H. Hagendahl, La prose métri-
que d'Arnobe, et M.B. Carroll, The Clausulae in the Confessions.
9. Cf. R. PiCHOn, Lactance. Étude sur le mouvement philosophique et
religieux sous le règne de Constantin (Paris, 1901), p. 324; J. Wojtczak, De
Lactantio Ciceronis aemulo et sectatore (Warsaw, 1969), passim; ainsi que
P. Monat, Lactance : Institutions divines, Livre 5, Tome 1, p. 97;
E. Norden, Antike Kunstprosa, 2 vols. (Berlin, Teubner, 1901), t. 2, p. 582.
10. Hagendahl, «La prose métrique d'Arnobe», 257-260; Carroll,
Clausulae in the Confessions, p. 3.
11. Spondée Crétique 5, 3; Double Spondée 2, 9; Diçhorée 24, 4; Crétique
Spondée 24, 7; Double Crétique 10, 8; Trochée Crétique 5, 0.
«CLAUSULAE» ET «CURSUS» 161
planus, tardus et le velox, on note chez Lactance un pourcentage
beaucoup plus élevé, soit 64,5%. Ce pourcentage est
également beaucoup plus élevé que la moyenne obtenue
d'après l'œuvre de cinq auteurs classiques, tels César, Cornélius
Népos, Tite-Live, Tacite et Cicéron(34,8). Toutefois le pourcen-
tage obtenu pour Lactance est moins élevé que pour tout autre
auteur de la fin de la période classique et du début de la période
médiévale. Pour ne citer que quelques exemples, le pourcentage
est moins élevé que pour Cyprien (71.3), Jérôme (78.7) et
beaucoup moins élevé que pour Arnobe (88.5) et Symmaque
(82.5). D'autre part, le pourcentage est beaucoup plus élevé que
pour les prosateurs qui s'opposaient à l'usage des mètres (45.9 et
49.8). Ce pourcentage de 64.5% chez Lactance montre le fait
révélateur qu'il se situe à mi-chemin entre les auteurs classiques
et les auteurs de la fin de la période latine y compris ses
contemporains. Ainsi du fait qu'il fit usage du cursus accentué
beaucoup moins que le firent ses contemporains, Lactance
s'identifie indéniablement aux auteurs de la tradition classique.
Toutefois, en faisant un plus grand usage du cursus que les
auteurs classiques, il démontre en même temps qu'il s'identifie Ã
la tendance générale des auteurs chrétiens et païens de l'époque
qui adaptent les terminaisons accentuées à l'usage courant des
écrits en prose. Ainsi, quoiqu'il s'avère que Lactance
Generated on 2011-09-03 17:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
regarde vers le passé et qu'il s'enracine dans latradition classique,
d'autre part, peut-être moins fort que les autres auteurs de cette
période, s'enracine-t-il dans le langage vivant et changeant de son
temps.
162 STEPHEN CASEY
DISCUSSION
J. Fontaine. — Ce sondage est très révélateur de Lactance comme
écrivain « between two worlds », et, une fois de plus, les clausules sont
un signe sûr des particularités et de la situation de l'art d'écrire. Mais
une statistique comparative ne pourrait-elle apporter — en dépit des
différences de genres, qui introduisent dans le cursus des paramètres
souvent très perturbateurs— des vues nouvelles sur la chronologie et
sur l'authenticité de toutes les œuvres attribuées à Lactance ? D'autre
part, quelle différence les sondages exposés aujourd'hui nous font-ils
percevoir entre l'usage de Lactance, en matière de clausules métriques
et accentuelles, et celui de son maître Arnobe ? Enfin, que donne chez
Lactance l'observation du fait établi par Hagendahl, dans son ouvrage
classique sur La prose métrique a"Arnobe : la tendance à privilégier les
schémas de clausules métriques permettant d'obtenir aussi, pour une
clausule donnée, un bon cursus accentuel ?
St. Casey. — Une fois admise la validité de ce sondage portant sur le
Ier livre des inst., on pourrait faire une comparaison avec les autres
livres de Lactance, pour confirmer ou critiquer leur chronologie et
authenticité. On pourrait aussi comparer entre eux les différents livres
des inst., pour déterminer l'ordre de leur rédaction. Etant donné que les
œuvres conservées de Lactance s'étalent à peu près sur 20 ans (305-325),
on pourrait supposer une évolution de son style, avec peut-être une
augmentation de l'usage du cursus sur les derniers livres. On
Generated on 2011-09-03 17:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pourrait tester ainsi une fois de plus l'authenticité du mort. pers.
L'usage des clausules et du cursus est différent chez Lactance et chez
Arnobe. Selon l'étude d'Hagendahl, Arnobe présente des pourcentages
plus élevés dans les deux catégories : 86,8% de clausules métriques et
88,5% de cursus accentuel. Comme Hagendahl l'admet (La prose
métrique a"Arnobe, p. 26), cela va plus loin qu'« une prose métrique Ã
tendances rythmiques». Les 87% de clausules révèlent sûrement un
attachement extrême et mécanique à la tradition classique, tandis qu'un
pourcentage aussi élevé que 88 % pour le cursus indique une immersion
presque totale dans les méthodes de la nouvelle prose, et laisse
clairement attendre son usage universel dans les siècles à venir. A partir
de cette position nette, bien qu'elle ait été exagérée, l'élève d'Arnobe a
pu avoir un point de vue personnel, et assumer d'une façon plus
restreinte et équilibrée, sa propre position «entre deux mondes».
« CLAUSULAE » ET « CURSUS » 163
Quoique la clausule, évidemment, ne soit pas interchangeable avec le
cursus, et vice-versa, le système métrique a cependant directement
donné naissance au cursus. D'autre part, même dans les périodes
classiques, beaucoup de poètes et de prosateurs ont très nettement tenté
de faire coïncider Yictus et l'accent métrique. Chez Arnobe, la très
haute fréquence des 6 mètres classiques les plus communs aussi bien
que des 3 cursus médiévaux indique clairement que, pour lui, la clausule
était aussi « un bon cursus ». Cela est beaucoup plus vrai du maître que
du disciple. Pour Arnobe, semble-t-il, une clausule était presque
l'équivalent d'un cursus. Chez lui, ce phénomène non seulement
montre, sous une forme exagérée, la relation entre le mètre classique,
fondé sur la quantité, et le cursus accentuel, mais aussi reflète avec
évidence la tendance plus ancienne à faire coïncider Victus et l'accent.
P. Monat. — Je souhaite attirer l'attention sur la prudence néces-
saire dans l'emploi des statistiques, que ce soit dans le domaine lexical
ou dans le domaine des clausules. Le rapprochement et la comparaison
des pourcentages bruts ne sont absolument pas probants, aux yeux des
mathématiciens spécialistes de la statistique, en l'absence de la notion
à 'écart probable et du facteur X2 de Pearson. Des tableaux du genre de
ceux que j'ai publiés dans l'introduction du livre 5 des inst. devraient
être revus. Dans le domaine philologique, on ne devrait plus présenter
de statistiques sans se référer aux travaux de Ch. Mûller sur la
statistique appliquée à la linguistique.
Generated on 2011-09-03 17:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
St. Casey. — Un facteur restrictif est la sélection des 639 exemples
d'inst. I seulement. Il est vrai que la comparaison des pourcentages
bruts n'est pas en elle-même tout à fait probante. C'est spécialement le
cas quand les mesures de variation à l'intérieur des distributions
comparées ne sont pas prises en compte. A cet effet, j'ai appliqué un z
test des différences significatives entre des proportions indépendantes
aux comparaisons faites dans cet exposé :
z= P1~P:
Dans l'étude de la clausule, toutes les comparaisons, à l'exception de
Cicéron-Lactance, Cyprien-Lactance et Jérôme-Lactance, sont statis-
tiquement significatives à de très hauts niveaux de probabilité. De
même, les 3 exceptions confirment aussi, à partir d'un Doint de vue
statistique, l'évidence impressionnante d'une similitude entre eux. A
l'examen du cursus, toutes les comparaisons étaient statistiquement
significatives, et à de très hauts niveaux de probabilité. Ainsi, le z test
renforce la validité des comparaisons, à la fois de la différence et de la
similitude.
164 STEPHEN CASEY
A. Mandouze. — Votre étude confirme, à propos du problème
ponctuel des clausules, que Lactance mérite bien d'être, plus que tout
autre écrivain chrétien, qualifié de « Cicéron chrétien », tout au moins
pour ce qui est de la technique stylistique.
St. Casey. — Par son habile usage des 6 mètres de prose classique,
Lactance se révèle lui-même comme le Cicéron chrétien, sûrement
attaché à la tradition classique, mais, en même temps, par son utilisation
plus étendue du cursus accentuel, il se révèle aussi comme un catalyseur
entre le monde classique et le monde médiéval où le cursus allait bientôt
devenir la norme universelle de tous les écrits de prose littéraire.
E. Heck — Si l'on fait des statistiques concernant les clausules, et
que l'on utilise pour cela l'édition de S. Brandt, on doit considérer que
Brandt n'a pas tenu compte du rythme et des clausules. Par conséquent,
par purisme grammatical, il a souvent rejeté des variantes qui, en fait,
sont justes rythmiquement. ce que Th. Stangl (dans Lactantiana, RhM,
70, 1915) est le premier à avoir signalé.
St. Casey. — S'il est vrai que Brandt, dans ses choix textuels, a
préféré le critère de pureté grammaticale à celui du rythme des
clausules, en pratique, cela n'entraîne aucune différence substantielle
avec le texte de Brandt dans les lieux variants examinés (30 lieux sur 203
clausules étudiées). Ils peuvent tous entrer dans l'une des 3 catégories
suivantes : —le même mètre classique, comme dans le texte de Brandt,
bien que la syllabe finale neutre puisse changer.— Un changement très
Generated on 2011-09-03 17:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
fréquent, au bénéfice de l'une ou de l'autre des 6 clausules métriques
étudiées ici. Par ex., un changement du dichorée en spondée-crétique,
ou du double crétique en double spondée. — Un changement de mètre,
mais ni les lieux variants, ni le texte de Brandt, n'étaient inclus dans l'un
des 6 mètres de cette étude. Par conséquent, dans les différents
paramètres utilisés pour cette étude, il semble qu'il n'y ait pas de
différence appréciable entre le texte de Brandt et ses lieux variants.
Ainsi, la comparaison de Lactance avec d'autres auteurs du monde latin
classique et tardif justifierait l'utilisation de Brandt.
JEAN DOIGNON
LE «PLACITVM» ESCHATOLOGIQUE
ATTRIBUÉ AUX STOÕCIENS PAR LACTANCE
(«Institutions divines» 7, 20)
résumé de la communication*
Dans l'eschatologie du livre 7 des Institutions divines, Lac-
tance se demande comment concilier l'immortalité de l'âme et sa
punition possible par la souffrance. Il trouve une réponse à cette
question dans une thèse, attribuée aux Stoïciens, selon laquelle
les âmes ne se dissolvent pas après la mort ; mais tandis que les
âmes des justes reviennent heureuses vers le séjour des cieux, les
âmes impies, souillées par les passions mauvaises, en portent la
trace dans l'au-delà et subissent de pénibles tortures, que
dépeignent les vers 735 à 740 du chant 6 de YÉnéide.
Le recueil des Stoicorum ueterum fragmenta de Von Arnim a
catalogué cette opinion, résumée par Lactance, comme stoï-
cienne. L'est-elle vraiment? On n'en trouve aucune trace dans
les doxographies relatives à l'eschatologie des Stoïciens. Vien-
drait-elle de Varron et, au-delà de ce dernier, de Posidonius ? La
question se pose, du fait que le Scoliaste de Lucain, lecteur de
Varron à la fin du iv*' siècle, rapporte comme stoïcienne une
présentation du sort des âmes heureuses qui s'apparente à celle
du placitum résumé par Lactance. Mais — grave objection —
l'autre partie du placitum relative aux âmes mauvaises n'est pas
Generated on 2011-09-03 17:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
évoquée par le Scoliaste.
Le texte de Lactance est en réalité le produit d'un amalgame de
plusieurs sources. Ce sont, d'une part, pour l'idée générale d'une
opposition entre le bonheur des uns aux cieux et les tourments de
* Le texte complet de la communication a paru dans la Revue de Philologie,
t. 51, 1977, p. 43-55.
166 JEAN DOIGNON
la chair chez les autres, le fragment 15 (Mùller) de la Consolation
de Cicéron, cité par Lac tance lui-même au livre 3 de ses
Institutions divines, d'autre part, pour l'attribution aux Stoïciens
de cette dualité de voies, un développement sarcastique du De
anima de Tertullien qui reproche aux Stoïciens de n'admettre
dans les demeures supérieures que les âmes des sages, les autres
«tombant au voisinage de la terre». Ces données de base sont
stylisées par l'imagerie virgilienne des vers du Discours d'An-
chise (Enéide 6), dont Arnobe avait été le premier, dans les lettres
chrétiennes, à s'inspirer pour décrire «l'enfer» des âmes
perdues.
Ainsi ramenée à ses composantes, l'opinion eschatologique
attribuée par Lactance aux Stoïciens apparaît moins comme un
document illustrant l'histoire des doctrines que comme l'illus-
Generated on 2011-09-03 17:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tration de la méthode littéraire d'un apologiste du IVe s.
LE « PLACITVM » ESCHATOLOGIQUE 167
DISCUSSION
J.-C. Fredouille — Pourquoi n'avez-vous pas mentionné le Songe de
Scipion, auquel vous avez sûrement pensé, et avec lequel
Enéide 6 et Consolatio ad Marciam présentent des analogies certaines ?
J. Doignon — Les dernières lignes du Songe de Scipion connues
vraisemblablement de Lactance (cf. inst. 7, 10, 10) ne lui fournissaient
pas un canevas antithétique aussi bien tracé que le fragment de la
Consolation qu'il cite lui-même.
M. Testard — J'attire votre attention sur VHortensius de Cicéron.
Dans deux ou trois fragments de cette Å“uvre, Cicéron se réfère soit Ã
Platon, soit aux stoïciens, dans lesquels se retrouve la problématique
évoquée par Lactance : la distinction entre deux séries d'âmes
promises à des destinées différentes dans l'au delà . Le bonheurdes unes
— Cicéron parle précisément des « îles fortunées » (on lit fortunatos
aussi chez Lactance) — paraît conditionné en particulier par leur vie
intellectuelle, la pratique des arts libéraux. Ce texte est repris par saint
Augustin dans le De ordine, où le chrétien tempère l'intellectualisme du
païen en se référant à sa foi, pour ouvrir l'accès du bonheur à ceux qui
ont une bonne conduite. — D'autre part, saint Ambroise utilise les
pluriels stoici, philosophi, voire rhetores, pour désigner Cicéron en le
taisant, sans doute afin de dissimuler sa dépendance, au moins dans le
De officiis.
J. Doignon— Les rapprochements possibles entre VHortensius et la
Generated on 2011-09-03 17:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Consolation ont été signalés par A. Grilli. Cependant les textes de
Y Hortensius qui concerneraient le sujet développé par Lactance ne sont
pas cités par lui, à la différence du fragment parallèle de la Consolation.
En ce qui concerne stoicus appliqué à Cicéron, l'usage d'Ambroise
n'est pas forcément celui de Lactance.
A. Goulon — Lactance a-t-il connu des commentaires de Virgile ? Je
fais ici deux remarques. Le frg. 7 du C.S.E.L. 27, p. 158, signale une
mention du Codex Floriacensis plenioris « Seruii » ad Verg. Aen. 7,
543 (t. 2, p. 166,4Thilo):« ...dicitetiam Firmianuscommentator... » Ce
Firmianus serait-il Lactance ? Jérôme en tout cas ne parle pas d'un tel
ouvrage. Ensuite, la concordance entre Lact. Inst. 1, 20, 38, et le
168 JEAN DOIGNON
commentaire de Servius à Aen. 9, 448, fait penser à une même source ;
peut-être même Servius a-t-il pris ses affirmations dans Lactance. Il
s'agit de l'interprétation physique du «Capitoli immobile saxum» appli-
qué au maintien du temple de Terminus sur le Capitole. Mais, inver-
sement, rapportant l'histoire de Terminus, Tite-Live ( 1, 55, 4) et Denys
d'Halicarnasse(A/ir. Rom. 69, 3-6) voient dans le maintien du dieu sur le
Capitole un gage de la stabilité de l'État. Il doit donc y avoir une inter-
prétation traditionnelle du « Capitoli immobile saxum » ; est-elle sco-
laire ? consignée dans un manuel ? — Si l'on considère les termes de
Lactance pour introduire le texte de la Consolation de Cicéron, on peut
penser qu'il s'agit d'une citation littérale. L'article de E. Laughton (The
prose of Ennius, Eranos 49, 1951, p. 35-49) étudie les termes intro-
ducteurs des citations des textes cicéroniens bien connus. Il en résulte
que les termes introducteurs montrent s'il s'agit de citations littérales ou
de citations ad sensum.
J. Doignon — Ces remarques sont d'un grand intérêt. Il serait tout de
même surprenant que Lactance fût une source de Servius. Je crois
plutôt à une source commune à l'un et à l'autre. Je prends acte de votre
confirmatur sur le littéralisme de la citation.
J. Fontaine — Vous avez l'air de vous désoler de trouver tant de
subtile mosaïque sous un texte philosophique de Lactance. Pour ma
part, en considérant « régressivement » le problème à partir des
méthodes de travail d'Isidore de Séville trois siècles plus tard, je crois
Generated on 2011-09-03 17:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
qu'il faut bien replacer le travail de Lactance dans le cadre, Ã la fois
rigide et évolutif, des méthodes de l'érudition hellénistique, telles qu'on
les saisit de plus en plus raides, mais encore si subtiles, Ã la fin de
l'Antiquité : point d'Einzelquelle, mais libre choix éclectique (au sens
premier, étymologique, et positif, du terme) d'un esprit cultivé, dispo-
sant de trésors pour nous inimaginables dans les archives bien ordon-
nées de sa mémoire. Il faut donc se situer à mi-chemin du mosaïste
compilateur et de la combinaison spontanée de réminiscences diverses
chez un grand créateur classique. Lactance, déjà , doit consulter des
manuels doxographiques commodes (ou en avoir mémorisés). Mais la
belle coulée homogène de son style, répondant à la parfaite cohérence
du développement de sa pensée (en particulier dans le passage ici
étudié) montre qu'il est encore capable de synthèse vigoureuse. Et si la
pureté doctrinale de ce qu'il attribue aux stoïciens peut choquer un
historien moderne de la philosophie — sans doute mieux armé, en la
matière, que ne l'était Lactance lui-même —, il ne faut pas trop s'en
étonner, pour deux raisons : le stoïcisme a toujours eu, envers tant de
doctrines, une attitude de «récupération» et d'intégration; en consé-
quence, un homme du iV siècle pouvait bien croire stoïcien un placitum
que notre analyse révèle aujourd'hui fortement éclectique en un sens
péjoratif.
J. Doignon — L'éclairage de la page de Lactance par les méthodes de
travail caractéristiques de la Spâtantike est fort intéressant. Il faudrait
LE « PLACITVM » ESCHATOLOGIQUE 169
ajouter que la contaminatio a été pratiquée par le génie latin à toutes les
époques. Le bénéficiaire de cet éclectisme en matière de philosophie
semble avoir été le stoïco-platonisme (chez Cicéron, Virgile) plutôt que
le stoïcisme. Je persiste à croire que la référence que fait Lactance aux
stoïciens ne vient pas chez lui d'une réflexion sur la vocation du
stoïcisme à la synthèse.
H. Savon — Il me semble que le texte de Lactance d'une part, les
passages de Cicéron, de YAsclépius et de Tertullien d'autre part,
répondent à deux questions fort différentes ; la première est « métaphy-
sique » (comment l'âme peut-elle être à la fois immortelle et sujette à la
douleur), la seconde est eschatologique (pourquoi, après la mort, les
âmes vont-elles, soit dans un séjour de châtiment, soit dans un séjour de
récompense). Ce ne sont pas deux variantes de la même question : la
seconde suppose la première résolue puisque l'âme ne peut « des-
cendre » dans un lieu de tourment que si elle est patibilis. Or la réponse
de Lactance convient parfaitement à la première question ( «métaphy-
sique » ), la plus technique, la moins banale : il y est question non point
tant du lieu de l'âme que de sa nature. Tout en admettant l'influence des
textes de Cicéron et de Tertullien sur le plan de la terminologie, ne
faut-il pas en conclure que la source principale de ce passage de
Lactance doit être ailleurs, sans doute chez un doxographe grec?
J. Doignon — Votre remarque sur l'hétérogénéité du placitum
composé par Lactance confirme ce que je pense au sujet du travail de
Generated on 2011-09-03 17:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
compilation d'où il est sorti. Sur la source de ce que vous appelez la
question « métaphysique » posée par Lactance, l'examen des textes
doxographiques cités par J. von Arnim ne nous apporte aucun élément
convaincant.
A. Mandouze — L'admiration que j'éprouve pour votre virtuosité Ã
effectuer ce «démontage» ne m'empêche pas de reposer au sujet de
Lactance la question que j'avais naguère posée à M. P. Courcelle (Ã
propos de l'extase d'Ostie : cf. Augustinus Magister, Paris 1954, vol. I)
sur les possibilités, mais aussi les limites de la méthode des parallèles
textuels appliquée à saint Augustin. Il me semble en particulier que les
parallèles que vous avez relevés sont de deux ordres : d'abord concep-
tuel, ensuite formel. Ces deux recherches se complètent certes, mais
quelle est leur véritable articulation ? — La seconde question que je me
pose est en quelque sorte d'ordre fonctionnel : comment vous repré-
sentez-vous la façon dont « fonctionne » l'esprit de Lactance au travail ?
S'agit-il finalement de « sources » et de « réminiscences » ? Sont-elles
conscientes ou non ?
J. Doignon. — La méthode des parallèles textuels est le point de
départ de beaucoup de découvertes concernant l'infrastructure des
compositions de lettrés tels que Lactance. L'unité des réminiscences
relevées est assurée par la ratiocinatio de l'auteurdu digest.
170 JEAN DOIGNON
G. Nauroy. — Les rapprochements que vous venez de faire valoir, les
uns plus suivis, les autres plus ponctuels, m'incitent à vous demander si
ces symétries (vocabulaire, images, voire longues expressions) ne
résultent pas plutôt des contraintes et traditions qui s'imposaient Ã
quiconque abordait le problème de la survie de l'âme et les questions
connexes que d'une influence directe de tel fragment de Cicéron, de
Tertullien ou de VAsclépius chez Lactance ? Les mêmes termes (ceux-lÃ
même qui nous paraissent les plus rares, comme inhaerere, fucum
trahere, labes terrena etc.) réapparaissent dans les mêmes contextes
anthropologiques ou eschatologiques chez Ambroise : ne sont-ce pas
des mots techniques, ou du moins, imposés par le sujet traité et une
tradition qui pouvait avoir pour source commune Cicéron et Virgile ?
Ne suffit-il pas pour rendre compte des similitudes observées entre
Lactance, Tertullien et VAsclépius, de considérer que tous deux
puisaient à ces deux sources communes dont ils étaient imprégnés ?
Cela nous permettrait de faire l'économie de ce patient et méticuleux
travail de mosaïste que nous attribuons volontiers aux écrivains tardifs,
après avoir décelé dans leur œuvre la convergence de tant de sources
souvent disparates.
J. Doignon. — Je pense que l'influence directe de Cicéron ou de
VAsclépius est prouvée par les citations littérales — M. Goulon vient de
m'en donner l'assurance ! — que Lactance fait de ces deux sources.
Pour Tertullien, la dépendance est plus diffuse. L'intérêt d'une œuvre
Generated on 2011-09-03 17:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
comme celle de Lactance est d'être le confluent de sources disparates,
dont l'analyse doit détecter le «montage». Je dirais la même chose
d'Ambroise qui a fait à son tour des emprunts à Lactance.
EBERHARD HECK
« IUSTITIA CIVILIS - IUSTITIA NATURALIS »
à propos du jugement de Lactance
concernant les discours sur la justice
dans le « De re publica » de Cicéron *
Dans le troisième livre de son dialogue De re publica, Cicéron
aborde la question suivante : un État ne peut-il exister qu'en
excluant la justice, ou celle-ci est-elle indispensable à l'existence
d'un État? Pour cela, il fait prononcer deux discours, dont
j'esquisserai tout d'abord le contenu, en tant qu'on peut le
connaître au moyen des fragments conservés du texte — il s'agit
du livre 3, §§ 8 à 41 des éditions usuelles du De re publica1 :
En premier lieu, Cicéron fait reproduire par Lucius Furius
Philus une conférence de Carnéade, philosophe sceptique, sou-
tenant que la politique ne peut pas être exercée sans injustice :
I. Un droit naturel, obligatoire pour tous les hommes, n'existe
pas ; les normes juridiques changent avec les lieux et les époques.
Ce qu'on pratique en fait de justice n'est plutôt qu'un compromis
entre le besoin de sécurité et la poursuite de son propre avantage.
* Je voudrais remercier mes collègues à Tùbingen, Mmr Mireille Nicklaus-
Dubucq, qui a bien voulu prendre la peine de m'aider à établir la version
française de cette communication, et M. Heinz Happ qui m'a donné des
éclaircissements utiles concernant son contenu.
I. Pour la reconstitution des discours de Philus et de Lélius, Cic. rep. 3, 8-
Generated on 2011-09-03 17:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
41. voir les éditions de K. Ziegler, Leipzig I9697, et P. Krarup, Milano
1967, et les essais de reconstitution par E. Heck, Die Bezeugung von Ciceros
Schrift De re publica, Spudasmata 4, Hildesheim 1966, 83, suiv. ; 264-267
(l'esquisse du contenu, ci-dessus, est donnée selon cet essai), et K. Bûch-
ner. Justifia in Ciceros De Republica, dans : Studien zur rômischen Lite-
ratur VI, Wiesbaden 1967, 65-82. Voir aussi le résumé des recherches
récentes par P.L. Schmidt, Cicero 'De re publica' : Die Forschung der letz-
ten fiinf Dezennien, ANRW I 4, Berlin - New York 1973. 304, suiv.
172 F.BERHARD HECK
2. De même, la politique extérieure des États ne tient pas
compte du salut des autres peuples, mais seulement de leurs
propres intérêts, et ce sont précisément les Romains qui prouvent
cela par leur politique d'expansion territoriale.
3. L'accomplissement de la vraie justice causerait un dom-
mage matériel aux individus aussi bien qu'aux États, ou même
mettrait en danger leur existence ; donc la vraie justice est folie
aux yeux du monde ; celui qui risque sa vie pour sauver les autres,
est juste, mais en même temps fou ; l'État romain non plus ne se
soutient pas par la justice, mais par la raison d'État.
Ensuite, Cicéron fait répliquer Gaius Laelius Sapiens de la
manière suivante :
1. Il y a un droit naturel, partout valable et invariable ; chaque
homme est stimulé à accomplir des actes de moralité par sa
propre nature.
2. La politique extérieure des Romains est juste aussi ; l'em-
pire a été acquis légalement, parce que Rome n'a fait des guerres
que pour sa propre sûreté ou par loyauté envers ses alliés, et il est
maintenu légalement parce qu'il est raisonnable que celui qui ne
peut pas utiliser sa liberté serve celui qui a la vocation de
gouverner, de même que, dans l'homme, les émotions sont
subordonnées à la raison.
3. Justice et vraie vertu ne mettent pas l'homme en danger,
Generated on 2011-09-03 17:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
mais portent leur récompense en elles-mêmes. Rome aussi, en
tant qu'état juste, durera et doit durer à tout jamais ; car sa chute
égalerait une catastrophe cosmique.
Ces deux discours, Lactance les a repris dans le cinquième
livre des Institutions divines 2, où il veut démontrer que la vraie
justice — qui est, pour lui, la connaissance et le culte de Dieu et le
respect de l'égalité de tous les hommes3 — manque dans le
2. Lact. inst. 5, 14-18 passim. Le texte de Lactance est cité d'après
l'édition de S. Brandt, CSEL 19, 1890.
3. Pour cela, cf. Lact. inst. 3, 9, 19, 5, 7, 2, 7, 5, 22 iustitiam... quae
continetur in dei cultu, et, spécialement dans notre contexte, 5, 14, II, signa-
lant le texte hermétique cité dans 2, 15, 6; voir A. Wlosok/.aktanz und die
philosophische Gnosis, AHAW 1960, 2, 199, suiv. (où elle signale les sources
interprétées par Lactance dans le sens gnostique); 211, suiv. A propos des
usages divers du terme iustitia chez Lactance, voir V. Loi, // concetto di
'iustitia' e ifattori culturali delietica di Lattanzio, Salesianum 28, 1966, 583-
625 — il est regrettable que Loi ne se soit pas occupé de la prise de position
de Lactance envers le De re publica de Cicéron.
«IUSTITIA CIVILIS - IUSTITIA NATURALIS» 173
monde, et n'existe désormais que parmi les Chrétiens, qui, pour
cette raison, sont persécutés par les autres hommes. D'une part,
Lactance rejette le discours de Lélius et son idéal d'une virtus
autarcique4, et développe au lieu de cela une éthique chrétienne
du martyre, d'autre part, il utilise le discours de Philus, selon sa
méthode apologétique qui consiste à battre les païens avec leurs
propres armes5, à l'appui de la thèse paulinienne que, dans le
monde, la vraie justice présente l'apparence de la folie6, et pour
démontrer que les philosophes païens n'ont pu trouver cette
justice7.
A cette utilisation de Cicéron nous devons un résumé du
discours de Philus8, dont la fin, Institutions 5, 16, 12-13, donne
un jugement de Lactance sur les deux discours. C'est ce passage
qui nous occupera par la suite, parce qu'il est discuté moins parmi
les spécialistes de Lactance que parmi ceux de Cicéron. Aupa-
ravant, Lactance a cité des exemples de ce que la justice est folie
périlleuse pour les individus, puis vient ensuite le § 12, dont le
sujet est Carnéade :
ita ergo iustitiam cum in duas partes divisisset, alterant
civilem esse dicens, alteram naturalem, utramque subver-
tit, quod illa civilis sapientia sit quidem, sed iustitia non
sit, naturalis autem illa iustitia sit quidem, sed non sit
sapientia.
Generated on 2011-09-03 17:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
13 : arguta haec plane ac venenata sunt et quae Marcus
Tullius non potuerit refellere. nam cum faciat Laelium
4. Inst. 5, 18, 4-10. La direction de la polémique de Lactance contre une
virtus autarcique ne devient claire qu'au § 10 : quae (c'est-à -dire l'espérance
d'une récompense par Dieu pour une vie passée en virtus, en se chargeant de
toutes les souffrances) si tollas, nihil potest in vita hominum tam inutile, tam
stultum videri esse quam virtus. Même polémique contre l'idéal stoïcien
d'une virtus per se expetenda, déjà dans inst. 3, 27, 4-14.
5. A cela, cf., dans notre contexte, inst. 5, 14, 2; voir, en outre, opif. 20,
3, où se trouve l'image des arma, et surtout inst. 5, 4, 4-7 (la critique de
l'apologétique de Cyprien trop ésotérique); voir Wlosok, o.c. 5, suiv., avec
la note 9.
6. Inst. 5, 14-15 passim, avec citation de I Cor. 3, 19, dans 5, 15. 8.
7. Inst. 5, 14, 6, suiv.; cf. epit. 50, 8, cité ci-dessous, note 13.
8. Inst. 5, 16, 2-13; pour cela, voir Heck, Bezeugung 81-84, et, récem-
ment, P. Monat, dans son édition commentée de Lact. inst., livre 5
(Sources Chrétiennes 204-205, Paris 1973), II 133-135.
174 EBERHARD HECK
Furio respondentem pro iustitiaque dicentem, inrefutata
haec tamquam foveam praetergressus est, ut videatur
idem Laelius non naturalem, quae in crimen stultitiae
venerat, sed illam civilem defendisse iustitiam, quam
Furius sapientiam quidem esse concesserat, sediniustam.
Dans ce texte, il y a deux affirmations, qui ont occupé les
interprètes de Cicéron ; nous voulons les examiner en nous
demandant si, peut-être, Lactance a interprété mal ou tendan-
cieusement sa source, c'est-à -dire Cicéron.
1. En ce qui concerne la terminologie : dans le discours de
Philus, Cicéron a distingué une iustitia civilis, qui, dans le monde,
est sapientia, et une iustitia naturalis, qui, dans le monde, n'est
pas sapientia, c'est-à -dire que, d'abord, il a postulé l'une et
l'autre, pour, ensuite, mettre en doute l'existence de toutes les
deux en tant que iustitia.
2. En ce qui concerne, pour ainsi dire, l'essentiel chez Cicé-
ron : dans le discours de Lélius, il n'a pas réussi à réfuter
Carnéade contestant une justice, qui pourrait être réalisée dans
le monde, c'est-à -dire démontrer l'existence d'une iustitia
naturalis valable partout : Cicéron n'a fait que justifier la iustitia
civilis pratiquée comme sapientia, c'est-à -dire la raison d'État,
mais injuste.
Premier point : dans son commentaire du De re publiça Ã
Generated on 2011-09-03 17:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
l'usage des écoles, Herbert Schwamborn9 a dit que le terme
iustitia naturalis n'a pu guère être employé dans le discours de
Philus, parce que le naturale ne se trouve que dans ce qu'il
appelle «irreale Zusammenhà nge», c'est-à -dire dans des énon-
cés qui expriment des hypothèses irréalisables; selon lui, il
s'agit, plutôt, d'une « christliche Interpretation der Vorstellungen
des Karneades », c'est-à -dire que Lactance a interprété les idées
de Carnéade à la chrétienne ; iustitia civilis donc signifie la jus-
tice pratiquée, iustitia naturalis la « ideale und daher nach
Ansicht des Lactantius angeborene bzw. gottgegebene Gerech-
tigkeit», c'est-à -dire la justice idéale et donc, de l'avis de
Lactance, innée ou plutôt donnée par Dieu.
9. H. Schwamborn, dans : M. Tullius Cicero, De re publiai, Erlà uterun-
gen, von H.S., Paderborn 1958, 210. Monat ad I. (II 134, suiv.) ne s'occupe
pas de cette question terminologique.
« IUSTITIA CIVILIS - IUSTITIA NATURALIS » 175
Pour cela, Schwamborn s'en rapporte à De re publica 3,
13 et 1810. Au § 13, après l'assertion selon laquelle les philo-
sophes, à partir de Platon, n'ont pas pu définir la justice idéale,
parce que la chose même a dépassé leurs forces, on lit : ius enim
de quo quaerimus, civile est aliquod, naturale nullum ; nam si
esset, ut calida et frigida et amara et dulcia, sic essent ius ta et
iniusta eadem omnibus. Encore une fois, le § 18 conteste un ius
naturale, qui devrait être invariable.
Philus donc n'aurait postulé qu'un ius, comme émanation de
iustitia, qui serait un ius civile, un droit pratiqué dans la poli-
tique, mais aurait contesté absolument un ius naturale. Si
cela est juste, Lactance aurait lu, dans le texte de Cicéron, plus
qu'il n'en contient en prétendant que Philus a désigné l'une des
deux espèces de iustitia par le terme naturalis. Mais en regardant
soigneusement les fragments du discours de Philus, on trouve
que, en effet, dans les §§ 13 et 18, Philus conteste verbalement le
ius naturale, mais mesure, en fait, dans les explications suivantes
sur la variabilité de justice et injustice dans le droit privé et la
politique extérieure, la iustitia pratiquée, c'est-à -dire la sapien-
tia, d'après un idéal. Dans 3, 16, il critique les Romains exerçant
un monopole d'huile et de vin, en ces termes : prudenter facere
dicimur, iuste non dicimur, ut intellegatis discrepare ab aequi-
tate sapientiam. Et au § 24, après la description d'une sapientia,
Generated on 2011-09-03 17:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
qui, comme raison d'État, ordonne l'occupation et la domination
de terres étrangères, on lit : iustitia autem praecipit parcere
omnibus, consulere generi hominum, suum cuique reddere,
sacra publica aliéna non tangere.
Philus donc ne conteste pas une justice idéale par elle-même,
mais seulement le fait qu'elle puisse être réalisée dans le monde.
Mais cela ne l'empêche pas d'employer cette iustitia idéale
comme, pour ainsi dire, un pendant dialectique à la justice
apparente, qu'on pratique. Dans 3, 24, il décrit une iustitia qui, il
est vrai, n'est qu'un idéal, mais qui est une vertu, qui montre
certains éléments constants, qu'on peut indiquer, vertu donc qui
offre ce qui est exigé d'un ius naturale, dans les §§ 13 et 18,
c'est-à -dire validité universelle et invariabilité. Alors, quand
10. Les deux passages sont conservés dans le palimpseste Vaticanus lat.
5757, ainsi que les passages 3, 16 et 3, 24, cités plus bas.
176 EBERHARD HECK
Lactance appelle cette justice idéale iustitia naturalis 1 1, il ne
donne pas une interprétation personnelle, mais, pour ainsi dire,
comprime en un seul terme technique ce qu'il a trouvé dans le
discours de Philus, par exemple dans 3, 24. Avec cela, Lactance
ne change rien au fait, qui est le seul important pour lui, que,
selon Philus, seule la iustitia civilis peut être réalisée dans ce
monde.
Second point : dans sa biographie de Cicéron, Otto Seel12,
ne s'en rapportant pas au passage même que nous discutons,
mais signalant YEpitomé 50, 813, a donné absolument raison Ã
Lactance et a constaté que Cicéron s'est trompé sur le fait,
« dass mit dem Wertproblem auf dem Felde innerweltlicher ratio
ùberhaupt nicht fertig zu werden ist», c'est-à -dire que le pro-
blème de la justice comme problème des valeurs morales ne peut
être résolu seulement par la raison humaine. Seel a encore
ditI4 que le discours de Lélius n'a pas fait disparaître les
mauvais résultats de l'impérialisme romain. Cependant, Karl
Bùchner15 pense que Lactance, dans le passage que nous
envisageons, doit s'être trompé (« Laktanz muss sich geirrt
haben ») ; car, d'abord, Cicéron n'aurait pas donné la parole Ã
Carnéade aussi longuement, s'il n'avait pas pu le réfuter
ensuite ; puis, l'assertion selon laquelle la justice est une folie est
réfutée suffisamment par la thèse selon laquelle la récompense
Generated on 2011-09-03 17:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
de la justice est le salut d'un État, la justice d'un individu
portant sa récompense en elle-même. Entre ces deux positions
11. La combinaison de iustitia avec naturalis ne semble être que
lactancienne ; jusqu'Ã ce point, Schwamborn a probablement raison. Voir,
ci-dessous, la note 23.
12. O. Seel, Cicero — Wort, Staat, Welt, Stuttgart 1953 (19612), 391,
suiv., critiqué par Schmidt, o.c. 309, et suiv.
13. Epit. 50, 8 nec inmerito extitit Carneades homo summo ingenio et
acumine, qui refelleret istorum (se. des autres philosophes) orationem et
iustitiam quae fundamentum stabile non habebat, everteret, non quia vitupe-
randam esse iustitiam sentiebat, sed ut illos defensores eius ostenderet nihil
certi, nihil firmi de iustitia disputare. La distinction entre les termes iustitia
naturalis et iustitia civilis, Lactance l'omet dans YEpitomé, parce que, dans
cet abrégé, il dispose les matières dans un autre ordre et plus rigoureusement
que dans le grand ouvrage; au lieu de inst. 5, 16, 12-13, on ne trouve ici que
52, 1 acuta ista sane, sed respondere ad ea facillime possumus.
14. Seel, o.c. 392. Sur l'impérialisme romain, voir, ci-dessous, la note 33.
15. Buchner, o.c. 79; cf. 73. En outre, Buchner prétend que Lactance
«hat rômisches Staatsdenken nicht mehr nachvollziehen kônnen» (o.c. 79).
« IUSTITIA CIVILIS - IUSTITIA NATURALIS » 177
extrêmes se trouve l'avis de Pierre Monatl6, qui, dans son com-
mentaire au livre cinquième des Institutions, signale que Lac-
tance, Institutions 6, 8,6, cite précisément le commencement du
discours de Lélius, qui contient la description d'une loi mondiale
toujours et partout valable, en le déclarant inspiré par Dieu 17 ;
pour Monat, la critique du livre cinquième signale l'habileté avec
laquelle Lactance traite ses sources librement selon les besoins
apologétiques18. Quant à moi, cela ne me satisfait pas entiè-
rement et je voudrais, d'abord, modifier ma réplique à Seel,
formulée jadis19 un peu rapidement, à savoir qu'on ne doit
pas blâmer Cicéron de n'avoir pas vu un problème qui n'était
important que pour un Chrétien : en fait, pour Lactance, qui
ne peut pas imaginer une justice sans subordination à Dieu, le droit
naturel présenté par Cicéron comme partie d'une virtus autar-
cique, malgré sa dérivation, volontiers admise par Lactance,
d'un dieu gouvernant toute chose, n'est pas une garantie satis-
faisante de ce que la justice est réalisée dans ce monde, et parti-
culièrement pas au vu des expériences que Lactance lui-même
devait encore20 faire avec ceux qui, selon Cicéron, étaient les
garants de cette justice, c'est-à -dire avec l'État romain. Lac-
tance donc ne s'est pas trompé, mais a seulement mesuré le
résultat du discours de Lélius selon ses propres exigences.
L'autre question, comment savoir si telle mesure est juste, on
Generated on 2011-09-03 17:43 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
16. Monat, o.c. II 134 — mais je ne comprends pas bien pourquoi Monat
s'en rapporte ici à l'avis de Seel, qu'il ne reproduit pas correctement.
17. Lact. inst. 6, 8, 6 paene divina voce. Ces termes ne signifient pas la
forme de l'éloge (selon W. Krause, Die Stellung der friihchristlichen Au-
toren zut heidnischen Literatur, Wien 1958, 120; de la même façon
Buchner, o.c. 73), mais exactement l'inspiration par Dieu, ce qui est
éclairci par les §§ 10-11. Cicéron passe ici pour quasi-prophète.
18. Pour cela, il ne faut pas donner d'exemples. Il suffira de signaler
l'usage du même dictum platonicien deux fois en des sens totalement
contraires : opif. 3, 20 (positivement) et inst. 3, 19, 17, suiv. (négativement).
Et Lucrèce, insulté si souvent par Lactance, lui fournit (inst. 7, 27, 6), dans
une citation littérale avec indication de l'auteur, les termes d'un éloge du
Christ. Presque tous les auteurs classiques sont qualifiés par Lactance de
'prophètes de la vérité' aussi bien que de 'fous'.
19. Heck, Bezeugung 84; cf. 34, suiv.
20. Le livre 5, aussi bien que l'ouvrage entier des Institutions, dans sa
version première, fut composé avant la mort de Galère et son édit de tolé-
rance en 311; voir E. Heck, Die dualistischen Zusà tze und die Kaiseran-
reden bei Lactantius, AHAW 1972, 2, 143, suiv. La datation autour de
l'année 315, donnée par Monat, o.c. I 13-15, ne peut pas être retenue ; voir mon
compte rendu de cet ouvrage dans Gnomon, 49, 1977, 367, suiv.
178 EBERHARD HECK
ne peut en traiter que difficilement, parce que nous ne possé-
dons que très peu de chose du discours de Lélius21, et aujour-
d'hui, je ne peux faire que donner une brève indication à ce
sujet, Ã la fin de ma communication.
Je voudrais, en effet, essayer de saisir un peu plus précisément
ce que Lactance a, à proprement parler, reproché au discours de
Lélius au § 13, et cela en examinant des sources du droit romain
postérieures à Cicéron22. Car le couple de termes naturalis-
civilis, que Lactance semble avoir été le premier à joindre avec
iustitia23, sous la forme des combinaisons ius civile-ius naturale.
21. Dans le palimpseste du Vatican, on ne trouve que 8 lignes (d'après
l'édition de Ziegler). c'est-à -dire les dernières phrases du discours dans rep.
3, 41, restées des 650 lignes que comprenait jadis le texte du discours de
Lélius entier (en supposant qu'il était aussi long que le discours de Philus);
en outre, il y a des citations chez Augustin, Lactance et Nonius, que l'on
trouve insérées dans les §§ 33-40. qui donnent presque 75 lignes au total, et
quelques témoignages qui donnent des paraphrases, chez Cicéron lui-même
et Augustin. Donc, au maximum, nous disposons du 1/5 du discours. Cf. les
réserves de Bïichner, o.c. 73. Le résultat devient, en outre, moins favo-
rable, si on suppose que le discours 'vainqueur' de Lélius était, peut-être,
un peu plus long que celui de Philus.
22. Ces sources n'ont, à ma connaissance, été employées, jusqu'ici, ni
dans l'interprétation de Cicéron ni dans celle de Lactance à propos de notre
Generated on 2011-09-03 17:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
contexte; à l'inverse, notre passage n'a pas été traité dans des travaux de
juristes sur Cicéron (autrement, mes pages seraient, probablement, super-
flues). Quant à ce qui suit, voir, du côté des philologues. H.J. Mette, lus
civile in artem redactum, Gôttingen 1954, 13-16 (dont les textes de Gaius,
donnés ci-dessous); 45, suiv. ; du côté des juristes, sur Cicéron, voir
Th. Mayer-Maly, Gemeinwohl und Naturrecht bei Cicero, dans : Vôl-
kerrecht und recnfiches Weltbild, Festschrift A. Verdross, Wien 1960,
195-206 (qui ne s'occupe pas des discours de Philus et de Lélius): géné-
ralement, comme dernière contribution, avec de nombreuses indications
bibliographiques, W. Waldstein, Entscheidungsgrundlagen der klassischen
rômischen Juristen, ANRW II 15, 1976, 3-100, spécialement la section V :
Das ius naturale, pp. 78-88, où on trouve (p. 82, suiv.) d'autres sources
concernant la terminologie. Pour ce qui suit, il faut tenir compte de ce que
Waldstein signale, à savoir que, généralement, ius civile et ius naturale
ne sont pas, au sens étroit, un couple d'opposés, mais «zwei sien ùber-
schneidende Kreise».
23. Selon les indications du ThLL. 3, 1216, 72 (s.v. civilis) et 7, 2, 714, 55
(s.v. iustitia, par F. Paschoud — W. Buchwald); en second lieu, se
trouve à propos de etc. rep. 3, 31, la note suivante : »verba Lactantii, sed
adiectiva saltem genuina esse vid. » Civile et naturale, utilisés comme subs-
tantifs, se trouvent dans etc. rep. 3, 13 (cité plus haut); ius civile et ius
naturale aussi dans cic. Sest. 91. Comme nous l'avons vu plus haut
(p. 176). Lactance a joint, selon cic. rep. 3, 18 et 24, le terme iustitia, qui
«IUSTITIA CIVILIS - IUSTITIA NATURALIS» 179
a son emplacement fixe dans le système du droit romain Ã
l'époque impériale ; pour cela, regardons brièvement quelques
textes de Gaius24 :
Les Institutions de Gaius commencent en ces termes (1, 1) :
omnes populi qui legibus et moribus reguntur, partim suo
proprio, partim communi omnium hominum iure utuntur. nam
quod quisque populus ipse sibi ius constituit, id ipsius proprium
est vocaturque ius civile, quasi ius proprium civitatis. quod vero
naturalis ratio inter omnes homines constituit, id apud omnes
populos peraeque custoditur vocaturque ius gentium, quasi q'uo
iure omnes gentes utuntur. C'est-Ã -dire que ius civile est le droit
que chaque État établit pour lui-même, ius gentium est le droit
valable partout, qui repose sur naturalis ratio. Le couple de
termes ius civile - ius naturale ne se trouve pas dans le texte du
livre I, § 1 25, mais à 2,65 nous le trouvons directement employé ;
concernant l'aliénation de la propriété, on lit ici : apparet
quaedam naturali iure alienari - après quoi vient un exemple -,
quaedam civili - après quoi on trouve des exemples proprement
romains et la note suivante : ius proprium est civium Roma-
norum. Une autre fois aussi26, paraît chez Gaius l'équation iure
civili id est iure proprio civitatis nostrae, c'est-à -dire de l'État
romain.
Chez Gaius donc, les termes ius gentium et ius naturale sont
Generated on 2011-09-03 17:45 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
plus ou moins synonymes 27 ; leur pendant est ius civile, un droit
signifie l'exécution du ius, aux termes civilis et naturalis, qui sont, chez
Cicéron, joints au terme ius. Par ailleurs, il y a chez Lactance inst. 6, 18,
35 homo (c'est-à -dire Jules César) non a caelesti tantum, sed a publica
quoque civilique iustitia remotissimus, où iustitia ne signifie que l'exécution
du droit.
24. En citant Gaius, je ne prétends pas que Lactance ait utilisé Gaius
directement, mais Gaius est pris comme représentant des auteurs des
manuels du droit civil, que Lactance, comme professeur de rhétorique, a
connus et selon lesquels il a choisi le titre Divinae institutiones pour son
propre ouvrage.
25. Les termes se trouvent seulement dans le titulus de Gaius, inst. 1, I.
26. Gaius, dig. 41, I, I pr. (version parallèle à inst. 2, 65); voir Mette,
o.c. 14.
27. Chez Cicéron, partit. 129, suiv., ils ne sont pas, en effet, employés
comme des opposés (selon Mette, o.c. 45), mais comme des termes diffé-
rents. En outre, il faut tenir compte des précautions de Waldstein,
signalées plus haut (note 22).
180 EBERHARD HECK
proprement romain. Alors, si on tient compte du fait que Lac-
tance a connu très bien la littérature juridique28, on peut fort bien
supposer qu'en critiquant le discours de Lélius, il a employé le
couple de termes naturalis - civilis dans le sens que nous avons
trouvé chez les juristes de l'époque impériale29. Iustitia civilis
donc n'est pas la justice exercée généralement dans le monde,
mais spécialement ce que les Romains entendaient par justice,
tandis que iustitia naturalis signifie l'exécution d'un ius naturale,
c'est-Ã -dire des normes valables dans le monde entier. Lactance
donc a reproché au discours de Lélius, c'est-à -dire à Cicéron,
exactement ce qui suit : Cicéron n'a fait que justifier l'exécution
du propre ius civile par les Romains, et n'a pas réussi à démontrer
que ce droit établi par les Romains est d'accord avec les normes
d'un ius gentium = ius naturale valable partout, ce que Philus
avait contesté de façon convaincante. Pour le formuler avec plus
d'acuité, on peut dire que, dans le discours de Lélius, Cicéron n'a
pas prouvé l'existence d'un droit naturel, mais a fait passer la
politique romaine et ses conséquences juridiques pour l'exé-
cution du droit naturel30.
Jusqu'Ã quel point ce reproche est juste, c'est ce que nous ne
pouvons pas découvrir exactement, parce que, à l'inverse de
Lactance, nous ne disposons pas du discours entier de Lélius.
28. Cela se trouve constamment chez Lactance, Ã partir de but. 1, I, 12,
Generated on 2011-09-03 17:45 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
où il choisit, expressis verbis, le titre de son ouvrage comme pendant des
Institutiones composées par les juristes. L'influence du droit romain sur
Lactance. dans son ensemble, n'a pas été, jusqu'ici, suffisamment examinée :
C. Ferrini, Die juristischen Kenntnisse des Arnobius und des Lactantius,
ZSS 15, 1884, 342-352, ne donne qu'une collection inutile de matériaux. La
seule contribution compétente sur ce sujet, touchant un exemple significatif,
c'est-à -dire l'influence de la pensée juridique sur l'idée de Dieu par analogie
au pater familias romain, se trouve chez Wlosok, o.c. 232-246.
29. Si cela est juste, nous aurions de nouveau l'un des cas dans lesquels,
chez Lactance, le sens du vocabulaire cicéronien dans des contextes emprun-
tés de Cicéron est, en vérité, marqué par des traditions qui se trouvent entre
Cicéron et Lactance, phénomène que Wlosok, o.c. 6, suiv., a signalé (cf.
ibid. 209); voir aussi Loi, o.c. 585. Ces constatations valent pour la langue
de la gnose hermétique aussi bien que pour celle des juristes de l'époque
impériale.
30. Si cela est juste, nous aurions, peut-être, un témoin très précoce de la
thèse, citée (et, par la suite, rejetée) par Mayer-Malv, o.c. 195, à savoir que
«Naturrecht sei noch nie anderes gewesen als verlogene oder wenigstens
blind irrende Ùbersteigerung aktueller politischer Postulate zu einer zeitlosen
Gùltigkeit».
« IUSTITIA CIVILIS - IUSTITIA NATURALIS» 181
Mais, au moins, je voudrais signaler un passage attesté par
Augustin31 : Pour justifier la domination exercée sur d'autres
peuples, que Philus avait critiquée, Cicéron divise la commu-
nauté des hommes, la societas hominum, que, dans le De legi-
bus32, il fait dériver de l'égalité de tous les hommes, en peuples
et hommes, qui peuvent, d'une part, être leurs propres maîtres,
et, d'autre part, ceux pour lesquels il vaut mieux qu'ils servent,
parce qu'autrement ils n'utilisent leur liberté que pour commettre
des injustices. Cette domination des meilleurs sur les faibles,
Cicéron la désigne comme donnée par la nature et la compare
avec le commandement de la raison sur les émotions dans
l'individu. Ici, il ne s'agit que d'un raisonnement anthropo-
logique pour justifier la domination romaine du monde entier33,
et, au moins en ce cas, on peut dire avec Lactance que l'idée du
droit naturel développée dans le discours de Lélius ne sert qu'Ã
justifier une politique proprement romaine et ses résultats.
Assurément, cela ne suffit pas pour qualifier de juste le juge-
ment de Lactance pour l'ensemble du discours de Lélius; car
nous ne savons pas si et comment Cicéron a fait répliquer Lélius
aux reproches détaillés de Philus sur des cas de dépravation de la
politique romaine34. En outre, l'aspect politique de l'altercation
sur la justice, ce qui était l'essentiel pour Cicéron et qui nous
intéresse le plus aussi, nous, hommes d'aujourd'hui, était, pour
Generated on 2011-09-03 17:46 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
31. cic. rep. 3, 36-37 = avg. civ. 19, 21,/avg. c.Iul. 4, 21, 61. avg. civ.
14, 13 — cf. Heck, Bezeugung 130; 135; 152; 168; suiv. (autour de Non.
p. 109, 2); 266, suiv. (reconstitution de ce passage entier).
32. cic. leg. 1, 28-30.
33. Le discours de Lélius, donc, est une part remarquable de ce qu'on
peut appeler l'« intellektuelle Komponente» de l'impérialisme romain. Sur
ce point, spécialement en ce qui concerne l'éclaircissement de la terminologie
dont on a abusé si souvent, voir R. Werner, Das Problem des Imperia-
lismus und die rômische Ostpolitik im zweiten Jahrhunder v. Chr., ANRW I,
1, 1972, 501-563, particulièrement les pp. 527-534 concernant César et
Cicéron, où, il est vrai, le raisonnement anthropologique comme justification
de l'impérialisme dans cic. rep. 3, 36-37 devrait être souligné plus fortement.
34. Par exemple, Philus signale, dans rep. 3, 28, l'affaire du fadus
Numantinum de l'année 136, ce que J. Vogt (Rômische Geschichte, Frei-
burg 19553, 160) décrit en ces termes : «Hier trat der ganze Tiefstand der
rômischen Politik und Kriegfùhrung zutage.» A la fin du discours de Lélius,
3, 41, nous trouvons une caractérisation de la licentia de Tiberius Gracchus,
qui rend, encore une fois, douteuse l'impartialité du discours de Lélius.
182 EBERHARD HECK
Lactance, une chose qu'il ne signala qu'en passant35. A l'inverse
de Minucius Félix36, il n'a pas utilisé le discours de Philus pour
attaquer l'impérialisme romain, mais pour démontrer que les
efforts des philosophes pour éclaircir ce qu'est la justice étaient
à son avis insuffisants.
35. Dans les Institutions, Lactance ne critique la politique romaine (Ã
l'exception, naturellement, de la politique religieuse et l'attitude envers les
Chrétiens) que dans 6, 9, 2-7, dans le cadre du postulat de la vraie justice
comme culte de Dieu, où il utilise les Romains comme exemple de l'exé-
cution d'un ius civile différant de la iustitia; en outre, à son avis la chute de
Rome est une idée horrible (inst. 7, 15, Il - à l'inverse de ("anticolonialiste'
Arnobe, nat. 7, 51). L'omission des aspects étroitement politiques dans
YEpitomé, à l'endroit correspondant au livre 5 (voir, ci-dessus, note 13) aussi
bien qu'à l'endroit correspondant au livre 6, n'est pas causée, à mon avis,
par l'attitude de Lactance devenue positive envers l'État constantinien, (Ã
propos de cela, voir V. Loi, / valori etici e politici delia romanità negli
scritti di Lattanzio, Salesianum 27, 1965, 65-133, spécialement 87, suiv.),
mais est le résultat d'une disposition de la matière plus stricte: Lactance
semble avoir considéré ces notes sur la politique étrangère des Romains
comme inutiles pour son argumentation.
36. Min. Fel. 25, 1-7, dépendant de Tert. apol. 25, 12-17 aussi bien que
Generated on 2011-09-03 17:46 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
du discours de Philus cicéronien.
« IUSTITIA CIVILIS - IUSTITIA NATURALIS » I83
DISCUSSION
J. Doignon. — Dans le texte de Cicéron (De republica 16 et 24),
aequitas qui est l'opposé de sapientia est-il le doublet de iustitia
également opposé à sapientia ? Lactance fait-il une distinction entre
aequitas et iustitia ?
E. Heck. — Pour Cicéron, les termes de iustitia et aequitas ne sont
pas synonymes. Mais, en fait, dans rep. 3, 16 et 24, il sont très proches
l'un de l'autre ; dans 3, 16, Y aequitas, « égalité des droits entre des
hommes divers », est le résultat du iustefacere, opposé ici à prudenler
facere, qui correspond à sapientia dans 3, 16 et 24.
Quant à Lactance, la iustitia et Y aequitas sont différentes; cf.
inst. 5, 14, 7 sq, la pietas et Yaequitas, comme les attitudes de
l'homme, d'une part envers Dieu, et d'autre part envers les autres
hommes, y sont le fondement de la iustitia, terme que Lactance
utilise dans un sens plus large que Cicéron. Voir sur le passage cité,
P. Monat, dans son édition commentée du livre 5 des Institutions
(SC 204, p. 39 sq. et 205, p. 123 sq.).
G. Nauroy. — Le problème du sens spécifique du mot iustitia et du
mot aequitas s'est posé aussi à l'ambrosien que je suis. II semble qu'en
certains cas chez Ambroise — mais l'enquête devrait être menée plus
systématiquement —, par exemple dans le De Abraham 2, dans le
classement des quatre vertus cardinales, la iustitia remonte à la
première place où, en couple avec la sapientia, elle désigne la vertu
Generated on 2011-09-03 17:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
suprême, c'est-à -dire la plénitude de la foi. Alors, c'est aequitas qui
remplace iustitia pour désigner les diverses formes de la justice
humaine proprement dite. Il faut aussi tenir compte de la coloration
scripturaire de iustitia, beaucoup plus accusée que celle d'aequitas.
E. Heck. — Si l'on examine l'usage de iustitia, aequitas, etc. chez
Ambroise, il faut tenir compte particulièrement du De officiis minis-
strorum; car, dans cet ouvrage, Ambroise dépend de Cicéron et
utilise probablement aussi la discussion du De re publica.
A. Mandouze. —Je remarque, du point de vue lexicologique, que le
couple civilis naturalis est décidément à la fois complexe et riche de
sens complémentaires. Ainsi, en « amont » de Lactance, on le trouve
184 EBERHARD HECK
utilisé dans la fameuse définition de la « théologie tripartite » de Varron
et, en « aval », on le retrouve utilisé par Augustin au sujet de la définition
de la cité et du rapport de celle-ci avec la justice.
Generated on 2011-09-03 17:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
E. Heck. —(Cette intervention n'appelle pas de réponse de ma part).
MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
L'EXPLOITATION DES « ORACLES SIBYLLINS »
PAR LACTANCE
ET PAR LE «DISCOURS A L'ASSEMBLÉE DES SAINTS»
L'étude des Oracles Sibyllins d'origine chrétienne, avec les
problèmes que posent l'établissement de leur texte et l'histoire de
leur transmission, doit s'inscrire dans une recherche plus vaste
sur la signification de cette littérature et l'importance variable
que lui ont accordée les Pères. C'est là une voie d'accès
ardue mais des plus pittoresques, aussi bien vers Lactance,
qui a beaucoup utilisé ces textes, que vers Eusèbe, considéré
dans ses rapports avec Constantin. Celui-ci, Ã en croire le
Discours que nous a conservé l'auteur de la Vita1, s'en est
lui aussi inspiré.
De fait, ce sont les commentateurs de Lactance qui, au xvic
siècle, ont découvert la collection en huit livres des Oracula
Sibyllina, telle qu'on peut la lire dans l'édition de Geffcken2.
1. Ce n'est pas ici le lieu de revenir sur des discussions tant de fois
reprises. Je dirai seulement que j'admets, avec Charles Pietri qui en prépare
l'édition pour la collection Sources Chrétiennes, l'authenticité eusébienne de
la Vita et la valeur historique des documents qui lui sont associés. Sur le
Discours de Constantin, voir plus loin, p. 194-195 et notes 50-57.
2. Die Oracula Sibyllina, éd. J. Geffcken, GCS 8, 1902 (réimpression anas-
tatique, 1967). Figurent également dans cet ensemble : les livres XI - XIV,
Generated on 2011-09-03 17:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
plus tardifs, redécouverts au xixe s. par Angelo Mai; un Prologue attribué Ã
un éditeur du VIe s. ; des fragments retrouvés chez Théophile d'Antioche,
chez Lactance et dans le Discours de Constantin, et provenant de parties
perdues au plus tard lors de la formation des collections archétypes que les
manuscrits conservés nous permettent d'atteindre. — Bien qu'elles soient
orientées vers les Oracula Sibyllina d'origine juive, dont le remaniement par
des auteurs chrétiens nous est seul parvenu, les présentations de V. Niki-
prowetzky, La Troisième Sibylle [texte et traduction du chant III], Paris,
186 MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
Leur quasi-absence dans la littérature grecque du Moyen
Age3 pouvait donner à penser que les Carmina Sibyllina
d'origine juive puis chrétienne avaient très tôt disparu. Mais
les admirateurs de Lactance souhaitaient le blanchir de l'ac-
cusation d'avoir forgé ou accueilli des faux4, lorsqu'un pro-
fesseur qui faisait son cours sur Lactance, Sixte Birken, mit
la main à Augsbourg sur un manuscrit des Oracula Sibyllina
copié au xv1 ' siècle et acheté chez un marchand vénitien,
manuscrit qu'il édita aussitôt — en 1545s.
I
Une confrontation minutieuse entre les Å“uvres de Lactance et
les diverses familles d'Oracula Sibyllina m'a permis de préciser
ce que Lactance citait en grec sous le titre de «Carmina
Sibyllina».
Il est hors de doute, pour lui, que les livres qu'il a entre les
mains n'ont pas d'autre origine — c'est-à -dire une origine
entièrement païenne — que ceux qui sont conservés à Rome avec
un secret jaloux. Ces derniers rapportent les dires de la Sibylle de
Cumes, selon les témoignages connus de l'historiographie ro-
maine. Chacun des livres que Lactance possède est l'œuvre
d'une Sibylle différente, mais seule la Sibylle d'Erythrée s'est
nommée, et l'on est amené à parler de la Sibylle en général
quand on cite ces textes6.
Generated on 2011-09-03 17:48 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Mais si l'on y regarde de plus près, on constate que Lactance
s'est donné la peine de distinguer, par sa manière de présenter ses
1970, et de A.-M. Denis, Introduction aux pseudépigraphes grecs d'Ancien
Testament, Leiden, 1970, chap. XIV, Les Oracles sibyllins, p. 111-122,
permettent de découvrir cette littérature. On peut egalement consulter les
pages consacrées aux Oracles Sibyllins par J. Daniélou dans sa Théologie
du judéo-christianisme, Paris, 1958, p. 28-30, où l'accent est mis sur les
conceptions chrétiennes des derniers rédacteurs.
3. Voir Geffcken, éd. cit., p. X; Denis, op. cit., p. III.
4. Voir Geffcken, éd. cit., p. X.
5. Nouvelles éditions du texte grec et traductions latines se succédèrent
rapidement, en Allemagne et en France, mais l'intérêt pour ces écrits devait
bientôt retomber.
6. Je suis ici inst. 1, 6, parallèle à ira 23, 2.
l'exploitation des «oracles sibyllins» 187
citations, les livres dont il dispose et qui devaient être au nombre
de six7.
Sur un total de 57 citations de un ou plusieurs vers8
introduites par au moins quelques mots (parmi lesquels figure
35 fois, soit la mention «Erythraea», soit l'indication «alia
Sibylla», «eadem Sibylla», etc., on peut repérer ainsi :
— 16 citations attribuées à la Sibylle d'Erythrée sur les 20 qui
proviennent du livre III (plus ou moins augmenté des frag-
ments conservés seulement par Théophile d'Antioche9 et
Lactance10) ;
— 11 citations attribuées à un livre différent du précédent ou
rattachées entre elles sur les 23 qui proviennent du livre
VIII;
— 7 citations enfin qui proviennent des livres IV à VII.
C'est donc beaucoup de précisions pour un auteur qui déclare se
contenter de la dénomination générique de Sibylle 1 1, mais, ce qui
est plus important, c'est qu'aucune expression de Lactance ne
vient infirmer cette répartition, par exemple en liant avec la
mention « eadem » des vers provenant de deux livres différents.
Un seul cas paraît faire difficulté ; il s'agit de deux mots
attribués à la Sibylle d'Erythrée par Lactance en V, 13, 21 pour
qualifier les idolâtres : «Kuxpoùç et à vofjxouç», et que Brandt
7. A savoir les chants III Ã VII1, ainsi qu'il ressort de l'analyse ci-dessous,
Generated on 2011-09-03 17:48 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
qui confirme les dires de Denis, op. cit., p. 117. Même Brandt, malgré le
caractère composite de son Index (voir note suivante), n'allègue qu'une seule
fois un passage du livre II. mais sans prétendre que Lactance l'a connu.
8. Il n'a pas paru utile d'alourdir cet exposé par rénumération de toutes
ces références. Disons seulement que si l'Index de l'édition Brandt, s.v.
Sibyllae, CSEL 19, 1890, t. 2, p. 348-349, m'a facilité le travail, il avait pour
moi l'inconvénient de ne pas distinguer les sources païennes des écrits judéo-
chrétiens et de mêler les citations et allusions imputables à Lactance aux
parallèles suggérés par l'éditeur: de plus, il n'est pas exempt de quelques
erreurs. Je l'ai donc entièrement repris dans la perspective qui est la mienne
pour dresser les tableaux que je résume ici.
9. Fragments Geffcken 1-3, éd. cit., p. 227-232.
10. Fragments Geffcken 4-7, éd. cit., p. 232-233. Sur les raisons qui auto-
risent le rattachement des fragments 4-6 au livre II1, voir plus loin. Nous
récusons le «fragment» 7, que Geffcken lui-même juge très douteux («sehr
fraglich»), car il repose sur une conjecture de Brandt. cf. éd. cit., t. 1, p. 24-
25, app. crit. ad p. 24, 7.
II. Voir inst. 1, 6, 13-14.
188 MARIE-LOUISE GU1LLAUMIN
croit retrouver dans le chant VIIIl2. Mais le vers qu'il cite ne
contient que l'un des deux termes, kolkjxh l3, et les deux mots
signalés par Lactance proviendraient plutôt de la partie perdue
d'où dérivent les fragments propres à Théophile, étant donné la
similitude du contexte14. Dans la préface de son édition des
Oracula, Geffcken a d'ailleurs mis une note pour récuser Brandt
sur ce point15. Je considère donc qu'il n'y a pas lieu de retenir
cette possible objection".
De plus, lorsque Lactance précise qu'il cite le début d'un
chant17, il s'agit précisément des vers 1-3 du chant VIII, et
lorsqu'il parle de la fin d'un autrelg, il introduit le vers 774 du
chant III qui en comporte 829 dans son état actuel.
Plus complexe est la question des fragments propres à Théo-
phile et à Lactance que j'ai précédemment associés au chant
III. Sans entrer ici dans tous les détails, je crois pouvoir
avancer ceci:
I) Les dires de Lactance confirment que Théophile cite un
début du chant III aujourd'hui perdu, puisqu'il donne les mêmes
vers avec cette référence précise19 ;
12. Éd. cit., t. 1, p. 443, 10-11, note ad loc., où est allégué le vers VIII,
397 des Orac. Sibyi.
13. L'autre terme étant âvauôoi. Ajoutons que le texte des manuscrits de
Lactance présente des variantes importantes pour à vofjtovç : à veo6r)Tovç,
Generated on 2011-09-03 17:49 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
à vooiovç. Enfin, le lien latin «et» entre les deux mots grecs va également Ã
l'encontre de l'hypothèse d'un emprunt direct à un vers grec par Lactance.
14. Geffcken, éd. cit., p. 167, rapproche le développement du livre VIII,
392-393, aussi bien d'un passage du livre V que d'un vers du fragment I
(Théophile). Le texte de Lactance peut provenir de la même source que le
fragment 3 (Théophile). En outre, les mêmes idées se retrouvent dans notre
actuel livre III des Orac. Sibyl., vers 11-32, ainsi que l'indique G. Bardy
dans son édition de Théophile, A Autolycus, SC 20, 1948, ad II, 36, p. 195,
note 1.
15. P. XXVII, note 2.
16. Pas plus que de reprendre sans nuance cette indication de «source»,
ainsi que le fait P. Monat dans son édition du livre V des Institutions
Divines, SC 204, 1973, p. 198, note 2.
17. Voir ira 23, 2 : «alia... hoc modo exorsa est...». Cf. inst. 4, 6, 5 où se
trouve la même expression (passage cité ci-dessous, note 19).
18. Voir inst. 4, 6, 5 : «et rursus in fine...».
19. Les vers 3-4 du premier fragment inséré par Théophile en II, 36 sont
allégués par Lactance dans ce passage important de inst. 4, 6, 5 : «Sibylla
Erythraea in carminis sui principio, quo(d) a summo Deo exorsa est, filium
Dei ducem et imperatorem omnium his uersibus praedicat :...».
l'exploitation DES « ORACLES SIBYLLINS » 189
2 Les fragments propres à Lactance proviennent du même
début, qui aura disparu lors de la confection des chants I et II,
plus récents, comme l'on sait20 ; c'est évident pour le fragment 5
où se lit l'actuel vers III, 272I, et fort probable pour les deux
autres qui développent le même sujet du jugement futur " ;
3) Lactance ne copie donc pas nécessairement Théophile pour
les fragments qui leur sont communs. Je peux signaler à ce propos
que la similitude souvent dénoncée entre la formule d'introduc-
tion de Lactance en IV, 6, 5 :
« La Sibylle d'Erythrée, au début de son chant, qu'elle a
commencé par le Dieu très haut, proclame dans ces
vers...23»
et celle de Théophile en II, 36 :
« La Sibylle... commence sa prophétie par...24 »
provient en partie de ce que les deux écrivains citaient le même
texte et en partie de ce que l'édition princeps de Théophile a
corrigé le texte sous l'influence de Lactance25.
II
Non seulement voici Lactance disculpé d'avoir forgé des faux
oracles, mais je pense avoir montré que nous pouvons préciser de
quelle « édition » des Chants Sibyllins en six livres il disposait et
comment il s'en servait, apparemment au prix d'un lourd labeur
20. Les analyses de Geffcken sont résumées par J.-B. Frey, art. Apo-
Generated on 2011-09-03 17:49 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
cryphes de l'Ancien Testament, II, 10, La Sibylle juive, Dict. Bible, t. I.
1928, col. 426-427, et par Denis, op. cit., p. 119-120.
21. En inst. 2, I1, 18, Lactance cite trois vers, dont le second est repris
dans la rédaction actuelle du Prologue du livre II1, au vers 27 : cf. fragment 5
de l'éd. Geffcken, p. 232-233.
22. Il s'agit de deux citations fort brèves, mais leur insertion dans la partie
traitant de la fin du monde, inst. 7, 19, 2 (fragment 6, éd. Geffcken, p. 233);
7, 24, 2 (fragment 4, éd. Geffcken, p. 232), et les lignes qui les introduisent
en éclairent le sens et les rapprochent de la fin du livre II.
23. Passage cité ci-dessus, p. 188, note 19.
24. Éd. cit., p. 190.
25. Je dois à l'amitié de Nicole Zeegers-Vander Vorst d'avoir pu préciser
ce dernier point : c'est dire tout l'intérêt de l'édition critique de Y Ad
Autolycum qu'elle prépare pour Sources Chrétiennes. — Voir aussi éd.
Geffcken, fragment 1, p. 227, en note : le manuscrit de Venise a dû être
corrigé au moment de sa copie par les humanistes qui l'avaient découvert et
en assureraient la publication.
190 MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
que justifiait à ses yeux la valeur apologétique qu'il reconnaissait
à ces textes. Là -dessus, il s'est exprimé sans ambages. Lorsque
Lactance aborde un point de la doctrine chrétienne, il peut certes
donner les arguments rationnels et le témoignage des Écritures,
mais il préfère s'appuyer sur les auteurs qui font autorité chez les
adversaires du christianisme, poètes et philosophes, et surtout,
étant donné les limites de ces derniers, en venir aux « divina
testimonia», c'est-à -dire avant tout aux Livres Sibyllins. Cette
démarche, qui est analysée tout au long du livre I des Institu-
tiones, chap. 3 à 6, pour démontrer l'existence d'un seul
Dieu26, est reprise sans cesse, et c'est en référence à elle
que Lactance rédige les transitions plus ou moins lourdes qu'il
multiplie au cours de ses développements. Je ne donnerai qu'un
exemple : au livre II des Institutiones, Lactance veut prouver que
l'homme est l'œuvre d'un Dieu créateur, «ce que Cicéron,
quoiqu'il ignorât les Écritures célestes, a cependant bien vu 27 ».
Mais, après avoir invoqué l'autorité de ce philosophe, Lactance
ajoute : « Il est pourtant nécessaire de faire appel aux témoi-
gnages divins, de crainte que les témoignages humains ne suf-
fisent pas. La Sibylle atteste que l'homme est l'ouvrage de
Dieu28.» A côté de la Sibylle, Lactance n'admet guère que
deux autres «témoins divins», les Oracles d'Apollon et, non
sans réticence, l'enseignement d'Hermès Trismégiste, qualifié
Generated on 2011-09-03 17:49 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
26. La question est posée au chap. 3 et traitée d'abord avec les ressources
de la seule raison. Au chap. 4 est invoqué le témoignage des prophètes,
qu'on laisse au chap. 5 («sed omittamus sane testimonia prophetarum, ne
minus idonea probatio uideatur esse de his quibus omnino non creditur»),
pour en venir aux poètes et aux philosophes (« Veniamus ad auctores et eos
ipsos ad ueri probationem testes citemus, quibus contra nos uti soient,
poetas dico ac philosophos. ») : d'Orphée à Ovide, de Thatès à Sénèque, on
approche de la vérité qui cependant toujours échappe. Aussi, le chap. 6 est-il
annoncé ainsi : «Nunc ad diuina testimonia transeamus»; après celui d'Her-
mès Trismégiste, «simile diuino» (6, I), on en arrive enfin aux «testimonia
quae sunt multo certiora» (6, 6), ceux que l'on tire «de responsis sacrisque
carminibus». Cette gradation, très clairement exposée, rend caduque la pré-
sentation des sources de Lactance par R. Pichon, qui isole les poètes latins,
plus philosophiques, des poètes grecs et place Orphée parmi les «testimonia».
qualifiés de «profanes» pour les opposer aux saintes Ecritures, dans son
étude sur Lactance, Paris, 1901, p. 199-245.
27. Voir inst. 2, I1, 15.
28. Voir inst. 2, I1, 18.
l'exploitation des «oracles sibyllins» 191
curieusement de «simile diuino29». Mais les quelques décla-
rations qu'il emprunte à ces deux derniers recueils font pâle
figure à côté des Oracula Sibyllina, où Lactance s'émer-
veillait de voir proclamer le vrai Dieu et prédit l'avènement
du Fils de Dieu30.
Lactance n'ignore pas qu'on a accusé les chrétiens d'avoir
forgé ces textes, mais il se retranche sans hésiter derrière Cicéron
et Varron, appliquant aux documents qu'il a entre les mains ce
que ceux-là disaient des Sibylles antiques31.
La Quatrième Églogue a beau être l'œuvre d'un grand poète,
parce qu'elle transmet explicitement l'enseignement de la Sibylle
de Cumes32, elle est à ranger pour lui avec les Oracula Sibyllina.
Au livre VII, Lactance évoque la fin des temps en citant treize
vers de l'églogue soulignés par cette formule : « le poète a proféré
ces dires d'après les chants de la Sibylle de Cumes33». Et il
enchaîne immédiatement : «Quant à la Sibylle d'Erythrée, elle
s'exprime ainsi», pour citer le chant III34.
Lactance est convaincu de détenir là une autorité susceptible
d'en imposer à des païens, et des textes pour eux plus clairs et
plus intéressants. Pour eux ? ou pour Lactance lui-même ? De
29. Pour Hermès Trismégiste, voir inst. 1, 6, 1, où se rencontre cette
formule (texte présenté ci-dessus, p. 190, note 26); pour l'oracle d'Apollon
Delphien, voir inst. 1, 7, I.
Generated on 2011-09-03 17:50 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
30. Le livre IV, qui traite «de la vraie religion» et du premier avènement
du Christ, et le livre VII, qui traite de son second avènement et de la
«béatitude» finale, offrent à eux seuls 37 des 57 citations repérées. Pour les
20 autres, voir plus loin, p. 192, notes 38-39.
31. Voir inst. 4, 15, 26-27.
32. Voir le vers 4.
33. Voir inst. 7, 24, 12 : «quae poeta secundum Cymaeae Sibyllae carmina
prolocutus est».
34. Ibid. : «Erythraea uero sic ait». Un tel enchaînement est remarqua-
ble : il invite à ne pas considérer isolément cet appel à la IV Églogue. En
conséquence, je ne crois pas qu'il faille marquer autant que le propose
P. Courcelle, Les exégèses chrétiennes de la quatrième Églogue, REA,
t. 59, 1957, p. 295, l'opposition entre Lactance, attentif seulement au thème
eschatologique, et les autres commentateurs (celui du Discours à l'Assemblée
des Saints, en particulier), réfléchissant sur l'enfant attendu : Lactance traite
l'un et l'autre sujet, et pour chacun il cite des «uaticinia» sibyllins, qu'ils lui
parviennent ou non à travers ce poème de Virgile, lequel n'est pas à placer
sur le même plan que le reste de son œuvre. Revenant sur la discussion qui a
suivi la communication de Daniel De Decker (voir supra, p. 88), je me permets
d'avancer que la remarque n'est pas sans intérêt lorsqu'il s'agit de préciser
les rapports de Lactance et de Constantin.
192 MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
temps en temps, affleure une certaine réticence vis-à -vis des
prophètes qualifiés d'« obscurs»35, ou de «difficiles»36, ou
même finalement d'« ennuyeux ». On peut résumer la position de
Lactance en quelques lignes tirées de ce dernier passage : « VoilÃ
ce qui a été prédit par les prophètes, dont je n'ai pas jugé
nécessaire de proposer les témoignages et les paroles ; ... mon
ouvrage eût été infini,... et le lecteur n'aurait rencontré que
l'ennui, si j'avais rassemblé des pages prises de tous côtés et
retranscrites ; de plus, (j'ai dessein) de confirmer et d'expliquer
ce que je dirai, non pas avec nos propres Écritures, mais bien
plutôt avec celles des autres, tenues pour renfermer la vérité non
seulement chez nous mais aussi chez nos adversaires...37»
Je remarquerai enfin que l'on rencontre les Oracles Sibyllins—
et toujours comme l'une des composantes essentielles de
l'écrit — tout au long de l'œuvre de Lactance, depuis les
livres I-II des Institutions divinesâ„¢ jusqu'au De ira39, sans
oublier YEpitome, où le détail des citations (ici traduites en
latin40) plaide en faveur de l'authenticité41. Nous voici de
nouveau affrontés à la question proprement historique : Ã
quelle date Lactance a-t-il écrit ses œuvres? Est-ce en
Afrique, à Nicomédie, ou à Trêves auprès de Constantin, qu'il
a lu les Oracles Sibyllins en grec? Sous quelle influence?
35. Voir inst. 7, 15, 17.
Generated on 2011-09-03 17:50 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
36. Voir inst. 7, 24, 10. Ceux qui n'étaient pas initiés («profani a sacra-
mento») ne les comprenaient pas, affirme Lactance.
37. Voir inst. 7, 25, I. On trouve là les expressions «infinitum opus»,
«fastidium legentibus fïeri».
38. Soit 12 citations.
39. Soit 8 citations.
40. Le caractère de résumé plus accessible donné par Lactance à cet
ouvrage suffit à expliquer, croyons-nous, que l'original grec soit remplacé en
trois endroits par un équivalent latin : epit. 37, 2 (une fois) et 6 (deux fois),
et ailleurs tout à fait omis : «Sibyllae... quarum testimonia quia breuiari non
poteram. praetermisi» (epit. 5, 3-4). Ce dernier passage est également
intéressant en ce qu'il confirme que Lactance travaille directement d'après
un recueil grec qu'il estime connu de tous : «quae si desideras, ad ipsos tibi
libros reuertendum est».
41. Ajoutons, pour être complets, un oracle latin attribué à la Sibylle et
composé d'après les Orac. Sibyl., VII1, 70-71 et V, 363 en mort. pers. 2, 8,
ainsi qu'un passage qui n'est conservé que par Jérôme (in Gai. 2, praef.) où
Lactance rapprochait de Virgile (Enéide) les dires de la Sibylle (chants III et
V) : cf. éd. Brandt, t. 2, p. 155.
l'exploitation des «oracles sibyllins» 193
III
La comparaison avec Eusèbe s'impose. Mais plutôt que de
comparaison, c'est d'opposition qu'il faut parler. En face des
relevés abondants et complexes que permet le corpus lactan-
cien, le dépouillement des écrits d'Eusèbe et l'exploitation
d'Index détaillés42 montrent que les Livres Sibyllins chré-
tiens n'ont pas été utilisés par Eusèbe. Les seules références
à des témoignages sibyllins apparaissent, non pas dans des
textes d'Eusèbe lui-même, mais dans les documents dont il
compose la Préparation évangélique. On y trouve d'abord un
passage de Josèphe sur la tour de Babel, où l'auteur des
Antiquités Judaïques fait état du témoignage de la Sibylle, en
des termes qui rappellent le chant III, rédigé en milieu juif
avant d'être intégré dans un corpus chrétien43. La Préparation
a recueilli également, à travers Clément d'Alexandrie, cinq
vers de ce début perdu du chant III dont nous avons déjÃ
parlé, et dont l'existence au il1 ' s. est ainsi confirmée encore
une fois44.Mais surtout, on y trouve cité un passage de
Tatien tiré de YOratio ad Graecos, intéressant, ion parce
qu'il comporterait une citation textuelle des Oracula Sibyl-
lina, mais parce qu'il exprime la pensée de Tatien au sujet de
l'antériorité de Moïse par rapport aux Grecs : «Ce que nous
devons faire maintenant, c'est prouver que Moïse est antérieur,
Generated on 2011-09-03 17:50 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
non seulement à Homère, mais encore à tous ses prédéces-
seurs.» Suit une liste qui commence avec Linos et, après avoir
mentionné Orphée et Musée, se termine par « la Sibylle » 45. Cela
est également la pensée d'Eusèbe qui, dans sa Chronique, place
Moïse environ 330 ans avant la guerre de Troie et Homère, et la
42. Ceux de l'édition SC de YHistoire ecclésiastique (vol. 73, i960), ceux
de l'édition Heikel de la Demonstratio evangelica (GCS 23, 1913), enfin les
Index de l'édition Mras de la Praeparatio evangelica (GCS 43, 2, 1954), les
seuls à ne pas offrir un état néant.
43. Praep. evang., IX, 15, GCS 43, 1, p. 500, 15-18: les paroles attri-
buées à la Sibylle sont à rapprocher de Orac. Sibyl., II1, 97-104.
44. Praep. evang., XII1, 13, 35 et 42, GCS 43, 2, p. 212, 1-5 et 216, 10-11.
Eusèbe utilise le V Stromate, J4, 109 et 116, d'où il extrait les vers 10 - 13
du fragment 1 (Théophile) ainsi que le vers 28.
45. Praep. evang., X, I1, 27, GCS 43, 1, p. 600, 10-13.
194 MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
Sibylle d'Erythrée environ 440 ans plus tard46. Nous avons lÃ
l'opinion commune aux chrétiens grecs; la haute antiquité de
Moïse explique la présence de vérités conformes à la révélation
biblique chez les auteurs païens qui les ont empruntées à la tra-
dition juive. Or, telle n'est pas la position de Lactance47. Il est
évident que cette théorie des Grecs enlevait beaucoup de l'in-
térêt apologétique que Lactance pouvait attacher à ses auteurs
favoris.
Quant aux recueils sibyllins dont faisaient usage des milieux
chrétiens alexandrins, Eusèbe partageait certainement la défiance
exprimée déjà par Origène, dans le Contre Celse. En VII, 53,
Celse parle des héros et des sages que l'on a comparés à Jésus;
il ajoute : «Vous aviez du moins la Sibylle, que certains d'entre
vous utilisent ; c'est avec plus de raison que vous l'auriez
proposée comme enfant de Dieu. Mais vous ne pouvez qu'inter-
poler au hasard dans ses vers maints blasphèmes 48 ». Or, déjà en
V, 61, Origène atteste que Celse parlait des « Sibyllistes » comme
d'une secte chrétienne. Il pense qu'il s'agit là d'un renseignement
mal compris, venant de chrétiens qui, dit-il, «blâment ceux qui
croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés
Sibyllistes». On a noté déjà depuis longtemps qu'Origène n'a
aucune considération pour cette littérature et que lui non plus ne
la cite jamais49.
Generated on 2011-09-03 17:51 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
IV
On pourrait imaginer que le Discours mis par Eusèbe dans la
bouche de Constantin s'accorde en quelque façon avec une
46. En confrontant la Praefatio de la Chronique d'Eusèbe-Jérôme, les
listes de règnes et les mentions relatives à l'an 9 des Romains, on peut
calculer qu'Eusèbe plaçait Moïse 1500 ans avant la naissance du Christ, la
guerre de Troie 1181 ans avant et la Sibylle d'Erythrée 742 ans avant, soit tout au
début de l'ère romaine (la date donnée correspond pour les modernes à 744
avant l'ère chrétienne).
47. Lactance reconnaît une valeur indépendante aux témoignages inspirés
des Sibylles.
48. Je cite la traduction de M. Borret, SC 150, 1969, p. 139.
49. Voir l'article d'H. Chadwick cité par Borret, ad loc., SC 147, 1969,
p. 167, note 4.
L EXPLOITATION DES «ORACLES SIBYLLINS» 195
position si tranchée, et fournit ainsi des arguments à ceux qui ne
répugnent pas à y voir une composition d'Eusèbe.
Je ne reviens pas sur la présentation de ce texte curieux,
puisque Daniel De Decker s'en est chargé50. Je souligne seule-
ment que, si personne aujourd'hui ne soutient la thèse véhémente
de Jean-Pierre Rossignol51 décelant dans cet écrit l'œuvre de ce
vilain faussaire arien qu'était Eusèbe, fort capable, pense-t-il, de
prêter à Constantin à la fois ses idées les plus erronées et une
traduction inexacte de la IVe Églogue52, on laisse sans trop de
scrupules ce Discours dans l'héritage littéraire d'Eusèbe ou de
ses successeurs53. Mais il suffit de le lire pour voir qu'il s'appa-
rente beaucoup plus à celui de Lactance. On a déjà remarqué, Ã
commencer par Rossignol54, qu'on a là une apologie, et l'on a pu
facilement montrer — ainsi encore Jacques Moreau, suivi sur ce
point par Vogt55 — que la matière de cette apologie était la même
que celle de Lactance, et que le Discours offrait comme un
condensé des Institutions Divines et du traité Sur la mort des
persécuteurs56. J'ajouterai enfin que les arguments avancés par
Pierre Courcelle, et déjà par Henri de Valois, en faveur d'un origi-
nal latin me semblent emporter l'adhésion57.
50. Voir sa contribution, ci-dessus, p. 75-87.
51. J.-P. Rossignol, Virgile et Constantin le Grand, Paris, 1845. Je peux
compléter ici l'information de De Decker (p. 75, note 2). Non seulement
Generated on 2011-09-03 17:51 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
cette «Première partie» fut la seule publiée, mais il semble que la suite n'ait
jamais été complètement rédigée, bien que l'auteur la résume aux pages VI I -
XXXIV de sa Préface. L'auteur indiquant toutefois (Préface, p. XXXV)
que la substance de ce livre avait fait l'objet d'articles dans la «Gazette de
l'Instruction publique», j'ai recherché l'existence éventuelle d'articles posté-
rieurs correspondant à une seconde partie non éditée en volume. Si j'ai
bien trouvé dans la Gazette Spéciale de l'Instruction publique (Paris, 1838 -
fév. 1848) les vingt et un articles parus de 1842 à 1845 et rassemblés ensuite,
j'ai dû constater qu'en 1845 - 1846, Rossignol a consacré sa chronique de
«Philologie» à d'autres sujets pour finalement l'abandonner.
52. Op. cit., Préface, p. XXII - XXV1, et p. 351.
53. l.e Discours figurant dans les manuscrits de la Vira, et celle-ci étant
attribuée à Eusèbe, c'est dans les éditions d'Eusèbe qu'on peut le lire, et les
bibliographies en traitent s.v. «Eusèbe de Césarée», y compris la toute
récente Clavis Patrum Graecorum.
54. Op. cit., p. 224 s.
55. J. Vogt, art. Constantinus der Grosse, RAC, t. 3, 1957, col. 365. Voir
J. Moreau, SC 39, 1954, p. 17-20.
56. Le détail de ces correspondances est repris ici-même par De Decker,
voir supra, p. 80, note 25.
57. Courcelle, art. cit. (supra, p. 191, note 34), p. 296, note I. Voir aussi
la note suivante.
196 MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
Dans le cadre du sujet que je traite ici, je n'ai lieu de m'arrêter
qu'aux « chapitres » 18 et 19. Le premier d'entre eux commence
ainsi :
« Il me vient à l'esprit de rappeler également l'un des témoi-
gnages de ceux qui sont étrangers (à notre foi) en faveur de la
divinité du Christ ; il en ressort, en effet, que même le jugement
de ceux qui l'attaquent reconnaît qu'il est Dieu et fils de Dieu, si
du moins il veulent bien croire à leurs propres paroles.
« La Sibylle d'Erythrée, qui se prétendait dater de la sixième
génération après le déluge, était prêtresse d'Apollon... (l'ora-
teur développe alors un portrait, qui n'est pas sans intérêt ; après
quoi, on lit ceci :)
«Ce fut elle qui, un jour, entraînée à l'intérieur de l'espace
sacré58 par une crainte superstitieuse et inopportune et s'étant
trouvée réellement remplie d'une inspiration divine59, prophé-
tisa en vers ce qui allait arriver concernant Dieu, montrant
clairement par la disposition des premières lettres — ce qu'on
appelle acrostiche — l'histoire de la venue de Jésus.»
Suivent immédiatement les trente-quatre vers de l'acrostiche
fameux :
IHZOYZ XPEIZTOZ 0EOY YIOZ ZQTHP ZTAYPOZ
Puis, le chapitre se termine par ces quelques lignes :
« Et cela, vraisemblablement, est survenu à cette vierge de par
Generated on 2011-09-03 17:52 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Dieu en vue de la prédiction. Je la juge donc bienheureuse, celle
que le Sauveur a choisie comme prophétesse de sa sollicitude
envers nous60.»
58. Je traduis de cette façon xa à bvxa, sans serrer davantage le texte : il
est remarquable, en effet, que le mot grec désignant habituellement l'em-
placement du temple de Delphes où se rendait l'oracle d'Apollon (voir art.
Adyton, PW, Bd 1, col. 441) serve ici à désigner l'antre de la Sibylle
d'Erythrée, en écho à la description de Virgile relative à la Sibylle de
Cumes. Comparer Aen. 6, 262 : «Tantum effata furens antro se immisit
aperto», qu'évoquent ces mots du Discours : atm) xoîwv eîoxo xôjv à ôvxwv...
Jiooax6eioa kcù Oeîaç èmjrvoiaç... uconj (éd. J. Heikel,GCS 7, 1902 p. 179,
14-16).
59. Je note que la même expression — Oeîa (ou uEvûmi) èjtûtvoui — sert Ã
caractériser l'inspiration du Père et du Fils, que l'empereur demande pour lui-
même au seuil de son Discours (2, éd. cit., p. 156, 1-2), l'inspiration des poètes
(10, p. 165, 7-8) et celle de la Sibylle (18, p. 179, 15-16), ce qui est bien
«constantinien».
b0. Ed. cit., p. 179, 4-181, 5.
l'exploitation des «oracles sibyllins» 197
Le chapitre 19 prend la défense de ce dernier document, où
d'aucuns voient un faux commis par quelque poète chrétien.
Les arguments apportés sont une traduction si erronée des
données de Cicéron sur les textes sibyllins et leur forme acros-
tiche61, qu'on est bien en peine d'attribuer un tel passage (de
même que celui sur Daniel, indéfendable au regard de sa source
biblique62) à aucun des trois personnages en lice. L'intérêt de
ce chapitre est qu'il lie étroitement le poème sibyllin et la
IV Eglogue dont le commentaire commence ici — ce qui nous
ramène encore à Lactance.
Je n'ai pas à prendre parti dans le débat soulevé par François
Heim63, mais je peux faire état d'une impression : toutes les
analyses que j'ai menées m'ont confortée dans l'idée que Cons-
tantin a fait siennes les vues de Lactance et utilisé les matériaux
qu'il lui apportait. Ce Discours aura été rédigé par l'empereur Ã
partir d'un canevas fourni par Lactance, mais Constantin lui a
imposé sa marque personnelle. C'est ainsi qu'on y perçoit des
résonances syncrétistes, par exemple à propos de la notion
d'inspiration64 ou bien du rôle providentiel reconnu à la Si-
bylle65. La version grecque serait l'œuvre d'un secrétaire de
chancellerie peu au fait de la littérature biblique comme de la
littérature latine66. Eusèbe ne serait pour rien dans ce travail.
Le problème pour moi est celui de l'origine du poème acros-
Generated on 2011-09-03 17:53 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tiche. Lactance cite quatre de ses vers au livre VII des Institu-
tions Divines61, mais il ne parle en rien d'une pièce acrostiche.
Avait-il rencontré le texte sous cette forme ? Il est très possible
qu'il n'ait pas jugé utile de commenter pour des lecteurs latins
une telle acrobatie. Mais l'intérêt que devaient lui porter Cons-
tantin et saint Augustin m'incline à penser que la recension des
61. Voir dm. 2, 54.
62. Au chapitre 17.
63. Voir sa contribution, ci-dessus, p. 55-70.
64. J'ai signalé ces passages, supra, p. 1%, note 59.
65. A la fin du chapitre 18, précédemment cité.
66. On a traduit la IV Eglogue et utilisé un commentaire latin de celle-ci,
de façon indépendante, de sorte que les explications données ne s'appliquent
pas toujours exactement à la traduction grecque. Voir Courcelle, art. cit.
(supra, p. 191, note 34), p. 296, note I et p. 303.
67. Un vers en VII, 16, 11 ; un autre en VII, 19, 9; deux enfin en VII, 20,
3.
198 MARIE-LOUISE GUILLAUM1N
Oracles Sibyllins connue de Lactance ne comportait pas ce jeu
d'esprit68. C'est la thèse d'Augusto Mancini69, confirmée par ce
que Geffcken dit du texte copié par Lactance70. Celui-ci reflète
un état de texte proche de il. et antérieur au remaniement
qu'attesteraient à la fois le Discours et Augustin ; les traces de ce
remaniement expliqueraient le désordre du chant VIII, justement
à cet endroit, dans la recension Q qui nous est parvenue71.
Augustin, dans la Cité de Dieu, nous a donné d'importantes
précisions sur la connaissance qu'il avait des oracles de la Sibylle
concernant le Christ :
« Nous les avons lus d'abord en latin, écrit-il, — des vers en
mauvais latin et boiteux dus à l'impéritie de je ne sais quel
traducteur, comme nous l'avons appris dans la suite. Flaccianus,
en effet, personnage illustre qui fut aussi proconsul, homme doué
d'une grande facilité de parole et d'un savoir étendu, nous fit
voir, un jour que nous nous entretenions ensemble du Christ, un
volume grec, en disant que c'étaient les oracles de la Sibylle
d'Erythrée ; il nous montra certain passage où la suite des
premières lettres de chaque vers était telle que l'on pouvait lire
ces mots : 'Itjooûç Xqeiotôç 0eoû viôç oamjo, ce qui fait en latin :
Iesus Christus Deifilius Salvator. Voici donc ce que contiennent
ces vers, dont les initiales offrent le sens que nous avons dit, tels
que quelqu'un les a traduits en vers latins corrects72.
Generated on 2011-09-03 17:54 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Je relève trois faits :
1) des poèmes attribués aux Sibylles circulaient alors en
Afrique, dans une mauvaise transcription latine, et jouissaient
donc d'une diffusion plus grande que les seuls recueils grecs;
2) le proconsul Flaccianus avait entre les mains, Ã Carthage,
68. Il figure dans nos manuscrits au chant VII1, vers 217 à 250 (éd.
Geffcken, p. 153-157); les vers cités par Lactance portent dans les éditions
les n"5 239, 224 et 241-242.
69. Studi Storici (Pise), t. 3, 1894, p. 92-117 et 207-228; SIFC. t. 4, 1896,
p. 537-540.
70. Voir les Prolegomena de son édition, p. XXVII-XXXVI.
71. Il est à noter que c'est dans la même partie du livre VII relative à la
fin du monde (chap. 16 Ã 24) que l'on trouve deux des trois fragments
empruntés à des parties remaniées postérieurement : voir plus haut. p. 189.
note 22.
72. D'après ciu. 18, 23, 1 (trad. de la BA revue).
m
x
S
H
I
Z
en
a
â– <
r
r
m
r
m
V)
o
IIe s. I
Orac. Sibyl. III
(= I, juif)
connu de
THÉOPHILE
et CLÉMENT
IIIe s.
fin
Ve s.
VIe s.
Generated on 2011-09-03 17:55 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
IVe s.
début
Orac. Sibyl. 1er recueil q>
fin I début
recueils
-
■*Orac. Sibyl. J — lOrac. S/'fty/. )— [Orac. 5%/. j—AOrac. Sibyl.
chrétiens ( (1er recueil û] )2e recueil Q( { (corpus B)
'en. III - VIII
L
ch. I-VIII
acrostiche
LACTANCE ]
^CONSTANTIN
1*- Discours-*
I
= mss Q
i
AUGUSTIN *
, Orac. Sibyl.
(corpus A)
= mss (pty
i
200 MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
des Oracles Sibyllins en grec, ensemble important «dont notre
pièce ne représentait qu'une faible partie73 » et qu'il a mis sous
les yeux d'Augustin ;
3) Augustin s'est soucié de procurer dans son ouvrage une
version latine correcte du poème qui l'intéressait.
Il serait difficile d'expliquer, si cet acrostiche était un faux
inséré dans un discours fictif forgé à la fin du IVe s., ou même au
Ve s., comment à la même époque, à Carthage, on en procurait
déjà une recension latine. Il est plus simple de penser :
1) que Lactance avait connu le texte grec des Livres Sibyllins
chrétiens peut-être déjà dès ses années africaines 74 ;
2) qu'il a contribué à les faire connaître, et que c'est sans
doute par son intermédiaire que Constantin a découvert ces
écrits si bien accordés à ses préoccupations ;
3) que la vogue rencontrée alors par cette littérature explique
suffisamment qu'on en ait procuré une nouvelle édition, ornée de
cet acrostiche et peut-être seulement à cette date pourvue des
chants I - II75.
J'avancerai en terminant que l'exploration de l'Å“uvre lactan-
cienne et celle du Discours de Constantin, conduites ici de façon
indépendante, aboutissent, si l'on retient les interprétations que
je propose, à des résultats qui concordent avec l'histoire du texte
des Oracula Sibyllina telle que l'a établie Geffcken, résultats que
Generated on 2011-09-03 17:55 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
je puis résumer dans le tableau de la page précédente.
C'est dire qu'il me semble possible de présiser qu'entre le
travail de rédaction des Oracles Sibyllins chrétiens, au IIe s., et
la constitution du plus ancien corpus (B) auquel nous permet-
tent de remonter les manuscrits Q conservés, le recueil Q pri-
mitif a connu deux états, une «édition», du me s. au plus tard,
utilisée par Lactance, et une autre, qui en dérive et qui fut
consultée par Augustin.
73. Ibid., 23, 2.
74. Même s'il est difficile d'interpréter toutes les indications chronologi-
ques qu'on trouve dans les Institutions Divines, le fait que la fin du livre I
(en 23, 4) offre une date que j'estime correspondre à l'an de notre ère 289
donne à penser que Lactance avait réuni très tôt les matériaux de son œuvre.
75. Dont on sait qu'ils sont au plus tôt de la fin du ni* s. Voir, par
exemple, Denis, op. cit. (supra, p. 186, note 2), p. 121.
l'exploitation des «oracles sibyllins» 201
DISCUSSION
A. Mandouze. — Convaincu par votre démonstration, je vous sug-
gère de faire apparaître dans votre stemma récapitulatif le lien direct (et
non pas seulement indirect) de Lactance à Augustin, ainsi qu'il ressort
de votre analyse minutieuse de Cité de Dieu 18, 23.
M.-L. Guillaumin. —J'ai précisé, en effet, répondant à une première
question, qu'il fallait bien distinguer dans ce chapitre de la Cité de Dieu
— comme le fait Augustin lui-même — les textes sibyllins qui lui sont
parvenus et dont il parle d'abord, et les citations qu'il extrait ensuite des
Institutions. Seuls les premiers font l'objet de mon présent travail, et je
ne souhaite pas encombrer mon esquisse d'autres données, au
demeurant connues.
D. De Decker. — Dans la Cité de Dieu, Augustin n'a-t-il pu avoir
accès à la version grecque de YOratio dans son intégralité ? Ou faut-il
supposer, au contraire, qu'il a eu connaissance uniquement de la
version latine de l'acrostiche chrétien ?
M.-L. Guillaumin. — Le plus simple me paraît de s'en tenir à ce
qu'Augustin explique de façon détaillée. La première version de textes
sibyllins qu'il a d'abord connue pouvait figurer dans une recension
latine de YOratio tout entière. Mais le texte suggère plutôt qu'elle
circulait à l'état isolé, et qu'il ne s'agissait pas de l'acrostiche. Quant
à la rédaction grecque de YOratio, seule parvenue jusqu'à nous, rien
n'indique qu'Augustin l'ait rencontrée.
Generated on 2011-09-03 19:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
F. Heim. — J'ai été heureux de constater que vous admettiez une
collaboration littéraire entre Constantin et Lactance. Il me paraît
évident que Lactance a mené le jeu tant qu'il s'agissait de questions
littéraires, mais que, quand il s'agissait de la théologie de la victoire, le
maître était sans doute Constantin.
M.-L. Guillaumin. — Nous sommes partis de points de vue trop
différents pour qu'il y ait lieu de nous étonner que nos conclusions ne se
recoupent pas exactement. Mais je note avec plaisir que nos analyses
particulières permettent au moins de cerner les problèmes avec plus de
202 MARIE-LOUISE GUILLAUMIN
précision. Il s'agit en définitive de savoir ce que chacun des protago-
nistes était susceptible d'apporter, sur le plan culturel, pour aider Ã
l'œuvre commune de la propagande impériale.
M. Perrin. — Peut-on expliquer pourquoi il se trouve que les cita-
tions des Oracles Sibyllins sont en latin dans VEpitomé, et en grec dans
les Institutions?
M.-L. Guillaumin. —(Les réponses que j'ai faites à cette question et Ã
d'autres, plus ponctuelles encore, ont été insérées sous forme de notes
Generated on 2011-09-03 19:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
en marge du texte de ma communication).
MICHEL PERRIN
LE PLATON DE LACTANCE
La connaissance que Lactance avait de Platon peut paraître
un sujet rebattu : sur le platonisme des Pères de l'Église, sur
la prédominance de cette école philosophique après le milieu
du second siècle, on a en effet déjà beaucoup écrit. En
revanche, sur le Platon de Lactance, c'est-Ã -dire sur les
citations du philosophe chez le rhéteur chrétien, sur ce
qu'elles montrent de «science platonicienne», enfin sur les
intermédiaires éventuels de ce savoir, la bibliographie est fort
restreinte1. Cela explique des regrets comme ceux de P.
Courcelle : «la connaissance des études néo-platoniciennes,
au temps de Constantin, serait capitale»2, ou la constatation
1. Signalons A. Kurfess, Lactantius und Plato, Philologus, t. 78, 1922,
p. 381-393. On trouvera des informations et des éléments de comparaison
intéressants dans les ouvrages suivants : A. J. Festugière, La révélation
d'Hermès Trismégiste, t. 4 : Le Dieu inconnu et la gnose, Paris, 1954;
P. Canivet, Histoire d'une entreprise apologétique au V siècle, Paris, 1957 ;
J. Daniélou, Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée, t. 2 : Message
évangélique et culture hellénistique aux IIe et IIP siècles, Paris, 1961 ;
A. Méhat, Kephalaia. Recherches sur les matériaux des Stromates de
Clément d'Alexandrie et leur utilisation, Paris (thèse complémentaire dacty-
lographiée) 1966 (nous remercions l'auteur de nous avoir fait connaître, au
cours de la discussion qui a suivi notre communication, son étude qui
Generated on 2011-09-03 19:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
contient, p. 175 sq., une importante contribution sur l'usage que Clément fait
de Platon); G. Favrelle, édition d'Eusèbe de Césarée, Préparation évan-
gélique 11. t. 2 : le platonisme d'Eusèbe, Paris (dact.) 1972.
2. Voir P. Courcelle, Interprétations néo-platonisantes du livre VI de
l'Enéide (= Entretiens sur l'Antiquité classique, t. 3, Vandœuvres-Genève,
1955, p. 95-136).
204 MICHEL PERRIN
de J. H. Waszink : «l'influence — positive ou négative — du
néo-platonisme sur Lactance n'a pas encore été étudiée»3, ou
encore la prudente conclusion de J. Fontaine, qui sera prati-
quement la nôtre : «la pensée romaine de Lactance semble
être restée étrangère au néo-platonisme proprement dit»4.
L'«actualité» des connaissances platoniciennes de Lactance
est le point le plus délicat de cette enquête : parler du Platon
de Lactance conduit par moments à poser la question d'un
éventuel «néo-platonisme» de Lactance. Mais nous n'avons
pas l'intention de traiter ici du «platonisme» ou du «néo-
platonisme» de Lactance. A défaut de textes entièrement
nouveaux à verser au débat, nous tenterons de faire au moins
le bilan de ce que l'on peut savoir, puis nous risquerons
quelques hypothèses.
Le portrait de platon : généralités
Pour commencer cette étude, il faut établir ce que Lac-
tance sait apparemment de Platon. Un relevé des passages où
revient le nom de Platon montre ce que Lactance voulait que
son lecteur attribuât à Platon. On constate d'emblée (et cela
confirme les études générales qui montrent que la philosophie
prédominante, dès 250 environ après J.-C, est le platonisme)
que le nom de Platon revient souvent : 69 fois dans l'Å“uvre5.
Une comparaison pondérée avec Tertullien montrerait que Lac-
Generated on 2011-09-03 19:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tance renvoie à Platon environ deux fois plus souvent que son
prédécesseur. Il convient assurément de ne pas presser à l'excès
ces comparaisons chiffrées, qui ne peuvent cerner que ce que
chaque auteur veut faire apparaître de Platon. Cela étant, elles
sont un élément d'appréciation non négligeable du «platonisme»
3. Voir ses Bemerkungen zum Einfluss des Platonismus im friihen Chris-
tentum, VChr., t. 19, 1965, p. 129-162 (ici, p. 130).
4. Voir J. Fontaine, La littérature latine chrétienne (coll. Que sais-je,
n" 1379), Paris 1970, p. 45.
5. D'après la concordance de D. De Decker, largement utilisée dans cette
étude. Ce chiffre est à comparer avec celui fourni par l'œuvre de Tertullien :
62 fois, alors que l'œuvre de Tertullien, en volume, représente sensiblement
les 13/7 de celle de Lactance (toutes choses égales, Platon devrait être
nommé 115 fois chez Tertullien).
LE PLATON DE LACTANCE 205
de chacun d'eux. Ces références de Lactance à Platon sont
réparties tout au long de son œuvre, dans le De opificio, les
Institutions, le De ira et YEpitomé6. On peut toutefois noter, si
l'on tient compte du volume des différentes œuvres, que les
chiffres progressent constamment (les Institutions ont en effet un
volume sensiblement égal à 7 fois celui des autres œuvres), si l'on
prend les textes dans l'ordre chronologique le plus vraisem-
blable : 2 pour le De opificio, 7 pour les Institutions, 8 pour le De
ira et 13 pour YEpitomé. Cela n'est peut-être qu'une coïnci-
dence, et il faut reconnaître que ces chiffres sont faibles, en
valeur absolue. Mais on retrouve la même série dans les citations
explicites de Platon7. Qui plus est, on retrouve certaines cita-
tions de Platon plusieurs fois dans l'Å“uvre de Lactance : c'est
qu'elles lui sont particulièrement chères, ou particulièrement
utiles à des fins polémiques. Or, là encore, le De ira et surtout
YEpitomé ont une place remarquable : 1 citation est commune
aux Institutions, au De ira et à YEpitomé, I au De opificio et aux
Institutions, 1 aux Institutions et à YEpitomé, 4 au De ira et Ã
YEpitomé. Une citation se trouve dans une seule œuvre de Lac-
tance : aucun cas dans le De opificio, 10 dans les Institutions, 2
dans YEpitomé*.
Il est certes parfaitement normal que, dans YEpitomé, on
ne retrouve pas toutes les citations qui figurent dans les
Generated on 2011-09-03 19:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Institutions : si Lactance voulait abréger les Institutions, il
fallait qu'il en retranchât des développements, et les citations,
qui enrichissent et illustrent une argumentation, peuvent
assez facilement disparaître d'un résumé. On note cependant
qu'il y a seulement deux citations communes aux Institutions
et à YEpitomé, à comparer avec les quatre communes au De
ira et à YEpitomé : sous l'angle des citations de Platon,
YEpitomé est donc plus proche du De ira que des Institu-
tions. Il est encore plus curieux de constater que cinq cita-
tions (dont une fort longue) de YEpitomé ne figurent pas dans
les Institutions. Ces modifications peuvent nous inciter à voir
6. Opif. : 2 fois; inst. : 47 fois; ira : 8 fois; epit. : 13 fois.
7. Opif. 1 fois; inst. 17 fois; ira 3 fois; epit. 8 fois. Si toutes les Å“uvres
avaient le même volume, les chiffres seraient approximativement 1, 2, 3, 8.
8. Les chiffres pondérés seraient : 0 (opif.); 1, 5 (inst.); 2 (ira); 5 (epit.).
206 MICHEL PERRIN
dans YEpitomé une retractatio plus qu'un abrégé propre-
ment dit, et à ouvrir du même coup une piste de recherche :
ce que YEpitomé contient en plus des Institutions pourrait
sans doute être interprété, au moins à titre d'hypothèse, comme
la marque d'une évolution des idées de Lactance9. En tout
cas, il me semble y avoir un «platonisme explicite», à la fois
permanent et progressif, chez Lactance, ce qui contraste
avec la pratique d'un Tertullien : il y a chez ce dernier
62 références à Platon, dont 9 pour VApologeticum et 39 pour
le seul De animai0. La concentration des références à Platon
chez Tertullien montre clairement, Ã notre avis, l'usage qu'en
fait ce dernier. C'est un usage à la fois polémique et protrep-
tique : quand Platon contredit la foi chrétienne, Tertullien
l'affronte et le réfute; en revanche, quand la doctrine de
Platon va dans le même sens que le dogme chrétien, Tertul-
lien s'appuie sur lui : «même Platon admet que...». Mais
Tertullien n'a pas de raison de citer Platon quand il traite un
sujet spécifiquement chrétien, ce qui lui arrive beaucoup
plus souvent qu'Ã Lactance.
L'ensemble des citations qui apparaissent chez Lactance
sous le patronage explicite de Platon peut être classé en six
rubriques que nous aborderons successivement : les points
d'ordre historique ou biographique, le monde, Dieu et la
Generated on 2011-09-03 19:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
religion, l'immortalité de l'âme, la connaissance, enfin les
questions de morale.
y. Le relevé est fait avec la pagination de l'éd. S. Brandt au C.S.E.L,
L'astérisque (*) indique une citation de Platon. P. 677, 18-678, 3. P. 679, 18-
22. P. 682, 5. P. 690, 15. P. 695, 5-8. P. 697, 17-698, 19 (*). P. 704, 9-12.
P. 706. 18. P. 709, 17-26 (*). P. 711. 18. P. 713, 2 (*). P. 713, 17-18.
P. 718, 9. P. 727. 10-16 (*). P. 727, 22. P. 729, 24-730. 2 <*). P. 740, 8-13 (*).
P. 741, 1-3. P. 743, 11-13. P. 744, 3-6. P. 745, 1-3. P. 745, 8-10. P. 745, 18-19.
P. 749, 14-16. P. 751, 1-21 (*). P. 753, 18-19. P. 757, 19-20. P. 759, 15-16.
P. 760, 9. Soit en tout 29 passages, dont certains fort importants (autant
pour leur volume que pour l'enchaînement des idées). Voir aussi les pages
230-231 du Laktanz d'A. Wlosok.
10. D'après Y Index Tertullianeus de G. Claesson : anima 2, 3; 3, 2; 4. 1
(2 fois): 5. 1:6. 7: 9. 2; 10, 1; 14, 2; 16, 1; 16, 2; 16, 3; 17, 2; 17. 12:
18, 1: 18, 3; 18, 12; 20, 3; 23, 5; 23, 6 (2 fois); 24, 3; 24, 9; 24, 10; 24, II;
25,2; 25, 8; 25, 9; 28, 1; 28, 2; 29, 4; 31, 6; 32, 4; 36, 1; 46, 9:48, 2; 51, 2;
52, 3;, 54, 1 ; 54, 2;54,4;55,4;apo/. 11,5:22,2:23, 13;24,2;40,4,40,5;46,
9; 46, 10; 46, 12; Marc. 1, 13, i;nat. 1, 9, 6; 2, 3, 4; 2, 7, II; pall. 2, 1;2,
3: resurr. 3, 2; Valent. 15, 1.
le platon de lactance 207
Les questions historiques et biographiques
Lactance situe assez précisément Platon dans l'histoire de
la philosophie. Il lui donne une place prééminente, avec
Aristote, Epicure, Zenon"; ce sont les plus savants philo-
sophes. Platon est leur roi, le plus sage d'entre eux12. Une
fois même, il est appelé «dieu des philosophes» (par dérision,
il est vrai)12bis. Avec son époque, Lactance juge qu'il est
moins ancien qu'Hermès Trismégiste, et accorde à ce dernier
une autorité plus grande qu'à Pythagore et à Platon : ce ne
sont que des philosophes, alors que les Égyptiens mettent
Hermès Trismégiste au rang des dieux13. Lactance connaît, en
outre, ses rapports avec Socrate : Platon s'est inspiré de lui,
et a rapporté ses paroles14. L'épisode de la vie de Platon où
ce dernier a été vendu comme esclave, puis racheté par
Anicéros, apparaît également; Lactance l'a vraisemblable-
ment connu par l'intermédiaire de Sénèque15. C'est enfin la
place de Platon par rapport à ses successeurs qui apparaît,
avec le nom d'un disciple : Xénocrate16, et surtout avec
l'histoire de la philosophie antique, considérée comme débu-
tant avec Socrate, se prolongeant avec Platon, et se divisant
ensuite en deux riuuli : les stoïciens et les péripatéticiens17.
L'histoire de la philosophie semble donc identique dans ses
grandes lignes à celle de la religion (où, selon Lactance, le
Generated on 2011-09-03 19:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
monothéisme est premier, et le polythéisme second) : dans
les deux cas, la conclusion que l'on peut en tirer est que, si
l'on cherche à connaître la vérité, il faut et il suffit de remon-
11. Voir inst. 5, 3, 1.
12. Roi des philosophes : inst. 3, 17, 29 (ce qui lui vaut un certain respect,
à la différence d'Epicure). Le plus sage : inst. 1, 5, 23.
12 bis. Voir epit. 33, 1.
13. Voir ira 11, 12; inst. 7, 13, 4 (c'est la «trinité» philosophique et
religieuse du iie s. : voir H.-Ch. Puech, Numénius d'Apamée et les
théologies orientales au second siècle, dans Mélanges Bidez 2, Bruxelles
1934, p. 745-778).
14. Voir epit. 33, 1 ; inst. 6, 17, 4 (l'ironie socratique rapportée par Platon).
15. Voir inst. 3, 25. 16 (Sénèque injurie Anicéros qui a payé Platon trop bon
marché), et sen., frg. 23 (étudié par M. Lausberg, Untersuchungen zu
Senecas Fragmenten, Berlin 1970, p. 126-127).
16. Voir opif. 16, 12.
17. Voir ira 9, 3.
206 MICHEL PERRIN
ter aux sources. Cet état d'esprit est, toutes choses égales,
proche de celui d'un Numénius d'Apamée au 11e siècle après
J.-C.,8. Enfin — et ce n'est pas le moins important —,
Cicéron est le porte-parole latin de Platon, qu'il traduit et
imite19. Cela s'accorde bien avec ce que nous constaterons
par la- suite : pour une très large part, Lactance connaît
Platon par l'intermédiaire de Cicéron (qu'il l'avoue ou non),
comme il connaît Épicure par Lucrèce.
Le monde
Lactance juge diversement les thèses de Platon sur le
monde. C'est que, d'une part, Platon admet qu'un Dieu
(même si ce n'est pas le Dieu des chrétiens), le démiurge du
Timée, a créé le monde et le régit par sa Providence; d'autre
part, selon Platon, la matière est engendrée avec le temps et le
démiurge a procédé seulement à sa mise en œuvre, en la
faisant passer de l'état de chaos à celui de cosmos : cela
signifie que Lactance, en tant que chrétien, ne peut suivre
Platon que d'une manière très limitée. C'est bien ce que l'on
constate dans les textes lactanciens : Platon sait que c'est
Dieu qui a fait le monde et qu'il le gouverne20. Lactance
s'accorde également avec lui pour dire que tout ce qui est
matériel est solubile21. En revanche, comme Platon pense
que le monde est «coéternel au temps», il est qualifié d'igno-
Generated on 2011-09-03 19:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
rant sur ce point ; et Lactance affirme souvent que Platon ne
sait ni quand, ni pourquoi le monde a été fait par Dieu22. Il
affirme aussi que le monde a eu un début et aura une fin, contre
les thèses de Platon23. L'approbation que peut recueillir Platon
chez Lactance n'est donc ici que très partielle.
18. Voir l'étude d'H.-Ch. Pufxh, citée supra, n. 13.
19. Cicéron imite Platon : inst. 1, 15, 16; 3, 14, 13; 3, 25, 1. Il traduit
Platon : inst. 7, 2, 20. Il suit les Lois : inst. 1, 15, 23.
20. Voir inst. 2, 8, 49; 7, 3, 12; 7, 7, 8; ira 10, 49.
21. Voir inst. 7, 1,9.
22. Voir but. 7, 1, 6; 7, 3, 16; 7, 14, 4; ira 10, 47; epit. 63, 1 et 2.
23. Voir inst. 2, 10, 25.
le platon de lactance 209
Dieu et la religion
En revanche, l'opinion de Lactance sur la doctrine de
Platon concernant Dieu et la religion est relativement favo-
rable. Sans doute Lactance relève-t-il que Platon n'a pas
compris pourquoi l'homme devait à Dieu une adoration reli-
gieuse, bien qu'il ait reconnu Dieu comme père des hommes24;
dans le même sens défavorable, le Dieu de Platon, selon
Lactance, serait à la fois bon et méchant, ce qui lui paraît
contradictoire25.
Mais Platon est monothéiste26; il dépeint Dieu comme le
créateur universel, inconcevable et ineffable27. Peut-être à la
suite de Trismégiste, il a parlé du premier et du second Dieu
comme un uates, et non comme un philosophe28. Enfin,
Platon a quelque utilité quand on aborde des problèmes
annexes : comme la réfutation du polythéisme (c'est peut-être
de Platon que Denys le Tyran a appris que les dieux ne sont
rien)29, ou encore la nature des démons30, et la forme divine
de l'homme31.
L'utilisation — ou l'exploitation — de Platon à des fins
partisanes amène Lactance à déformer sensiblement la pensée
véritable du philosophe. On peut parler en un sens du «mo-
nothéisme» de Platon, sans doute; mais l'assimiler sans autre
forme de procès au monothéisme chrétien est une preuve,
Generated on 2011-09-03 19:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
sinon de malhonnêteté intellectuelle, du moins, de l'ambiguïté
dans laquelle semble parfois se complaire Lactance, ou
d'un confusionnisme apologétique plus ou moins conscient. Il
reste que, pour lui, Platon n'a pas compris l'essentiel de la foi :
que le lien de filiation entre l'homme et son Créateur implique
pour l'homme le devoir d'adorer son Créateur.
24. Voir epit. 64, 5.
25. Voir epit. 63, 4.
26. Voir iast. 4, 4, 6; 5, 14, 13.
27. Voir ira 11, 11; 11, 13; inst. 1, 8, I. L'ivoire n'est pas un don pour
Dieu : inst. 6, 25, 1. La monarchia de Dieu : epit. 4, 1.
28. Voir epit. 37, 4.
29. Voir inst. 2, 4, 26.
30. Voir inst. 2, 14, 9 (Ã partir du Banquet).
31. Voir but. 2, 10, 4.
210 michel perrin
L'immortalité de l'âme
C'est peut-être sur la question de l'immortalité de l'âme, et
de sa démonstration, que Lactance a le plus emprunté Ã
Platon. Il trouve chez lui, en effet, non seulement la
notion de l'immortalité de l'âme32 — et donc une caution
antique pour son dessein —, mais aussi des arguments en
faveur de cette doctrine, et notamment, l'automotricité de
l'âme comme preuve de son immortalité : ce qui se meut
toujours de soi-même n'a ni commencement ni fin33. Il faut
toutefois noter ici que, selon Lactance lui-même (mais en
d'autres passages) l'âme a un commencement pour chaque indi-
vidu. Que l'on interprète la doctrine de Lactance sur l'apparition
de l'âme humaine comme un traducianisme, un émanatisme, ou
ce qui est le plus vraisemblable, comme un créatianisme (Dieu
crée «à neuf» chaque âme le moment venu) il est évident que,
pour lui, l'âme n'a pas toujours été, quand on considère chaque
homme comme un individu. Ces réserves de Lactanee se mani-
festent quand il refuse catégoriquement aussi bien la réminis-
cence que la métempsycose34. Il est difficile de savoir si Lac-
tance a été conscient de l'incohérence de sa méthode, qui
consiste à s'appuyer sur le célèbre argument du Phèdre, et Ã
repousser en même temps réminiscence et métempsycose. Quoi
qu'il en soit, il reproche aussi à Platon d'avoir, en établissant
Generated on 2011-09-03 19:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
l'immortalité de l'âme, poussé au suicide Caton et «Cléom-
brote»35 ; en quelque sorte, Platon n'aurait pas tenu compte des
conséquences morales de sa doctrine. La critique de Lactance
est donc double : elle s'appuie sur les implications à la fois
logiques et morales de la doctrine de Platon.
On peut cependant parler légitimement d'emprunts de Lac-
tance à Platon, car il n'est pas douteux que, sur les problè-
mes concernant l'âme et notamment sur l'immortalité de
32. Voir inst. 7, 8, 7; epit. 63, 8.
33. Voir inst. 7, 7, 12; 7, 8, 2; 7, 8, 4. L'âme immatérielle : inst. 7, 12,
Son automotricité : epit. 65, 1.
34. Voir respectivement inst. 7, 22, 19 et 3, 19, 20.
35. Voir inst. 3, 18, 8 et 9.
LE PLATON DE LACTANCE 21 I
celle-ci, Lactance lui doit beaucoup36. De ce fait, ses réserves
et son refus d'accepter certains aspects de la doctrine plato-
nicienne comme la réminiscence et la métempsycose n'en sont
que pi 's frappants.
La sagesse et la connaissance
Lactance connaît le thème, courant dès le second siècle,
des voyages effectués par Platon pour aller chercher la vérité
chez les Égyptiens, mais pas chez les Juifs : il y voit, ce qui
est une nouveauté pour son temps, un effet de la Providence
divine37. Platon a eu, en effet, quelque pressentiment de la
vérité (à savoir, que la sagesse était d'essence religieuse),
mais il n'a pu connaître clairement la vérité entière. Il en va
sensiblement de même, quand Platon rapporte le mot de
Socrate sur le néant de la sagesse humaine. Belle sagesse,
répond Lactance, et bien digne de faire la gloire des philo-
sophes38! Il en tire la conclusion, Ã vrai dire un peu inatten-
due, que, si la sagesse humaine est nulle, c'est que la sagesse
vient de Dieu et de lui seul. Enfin, le mot de Platon, rendant
grâce à la nature d'être né homme plutôt qu'animal, s'il est
jugé avec une relative indulgence dans le De opificio, fait
l'objet d'une condamnation sans appel dans les Institutions :
à en croire Lactance, rien n'a jamais été dit de plus délirant39.
L'appréciation est donc finalement sévère pour Platon. Il
Generated on 2011-09-03 19:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
apparaît clairement ici que ce n'est pas dans la philosophie
que Lactance trouve le critère de la vérité, malgré le large
usage qu'il fait des citations philosophiques. Il y aurait donc
36. Voir la seconde partie de notre thèse (dact., soutenue devant l'Université
de Paris-IV le 25 mai 1977) : Homo christianus. Christianisme et tradition
antique dans l'anthropologie de Lactance.
37. Voir inst. 4, 2, 4, et l'article d'H. Dôrrie, Platons Reisen zu fernen
Vôlkern. Zur Geschichte eines Motivs der Platon.Legende und zu seiner
Neuwendung durch Laktanz, dans Romanitas et christianitas (- Mélanges
J.-H. Waszink), Amsterdam 1973, p. 99-118.
38. Voir ira I, 7-8; epit. 35, 5.
39. Voir opif. 3, 19; but. 3, 19, 17-25.
212 MICHEL PERRIN
là une «captation de la bienveillance» des païens plus qu'une
véritable «christianisation» de la philosophie40.
La morale
En matière de morale, Lactance manifeste également une
certaine connaissance de Platon. Il trouve en effet dans le
Phédon, cité par l'intermédiaire d'Aulu-Gelle, un appui à sa
thèse du «dualisme» moral : le bien et le mal sont ontologi-
quement liés; l'existence de l'un implique l'existence de
l'autre41. Platon est en outre approuvé, quand il a voulu
composer une cité de sages, et en même temps critiqué, car
cette intention — en soi judicieuse — n'a pas connu le moindre
commencement de réalisation42. Il en va de même à propos
de la justice : Platon a raison de la placer dans l'équité43,
et il a désiré atteindre cette justice, mais ses efforts ont été
inutiles44. D'ailleurs, Aristote et Platon, qui se sont faits
« avocats de la justice », ont été réfutés par Carnéade45. En outre,
la communauté des femmes et celle des enfants montrent bien ce
que l'on peut attendre de l'«équité» de Platon46. Enfin, Lactance
accepte la doctrine platonicienne du rôle pédagogique de la puni-
tion, qu'il connaît, selon toute vraisemblance, par le canal de
Sénèque47.
On peut donc parler en général d'emprunts sur les ques-
tions portant particulièrement sur des points de technique
Generated on 2011-09-03 19:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
philosophique, points sur lesquels un complément à la Bible
était nécessaire pour Lactance, s'il voulait combattre les
40. Comparer avec G. Madec, Saint Ambroise et la philosophie, Paris
1974, p. 323-347, ouvrage que l'on peut compléter par l'art. d'H. Savon, Saint
Ambroise et la philosophie, à propos d'une étude récente, RHR, t. 191, 2,
avril 1977, p. 173-1%.
41. Voir epit. 24, 9.
42. Voir epit. 3, 25, 7.
43. Voir but. 3, 21, 2; epit. 50, 5.
44. Voir inst. 5, 17, 4.
45. Voir inst. 5, 14, 5.
46. Voir inst. 3, 21, 2-5.
47. Voir ira 18, 5, et sen, ira 1, 19, 7 (cité infra, n. 79).
LE PLATON DE LACTANCE 213
philosophes sur leur propre terrain. Les emprunts destinés Ã
démontrer l'immortalité de l'âme relèvent de cette attitude.
Les autres (par exemple, sur le monothéisme, sur les ques-
tions de morale) relèveraient plutôt de la recherche d'un
appui, de la volonté pédagogique de parler aux païens leur
langage, enfin du dessein qu'a Lactance de donner une arma-
ture logique au christianisme et de fonder sa foi en termes de
raison.
Les citations de platon proprement dites :
leur insertion
On relève dans l'œuvre de Lactance 30 citations présentées
sous le nom de Platon, d'importance naturellement très varia-
ble, à la fois par les sujets abordés, par leur longueur, et par
les ouvrages de Platon auxquels elles renvoient. La formule
d'insertion normale est composée d'un sujet : Plato, et
d'un verbe variable : dicit, ait, par exemple48. Il arrive Ã
Lactance de citer avec plus de précision une œuvre de Pla-
ton : ainsi le Banquet (1 fois), les Lois (1 fois), le Timée (2
48. Apologie 21 D - 23 A = ira 1, 6-8 : «Socrates ait... testatusque est...
sicut traditur a Platone»; epit. 35, 5 : «ut apud Platonem Socrates dicit»;
apologie 42 A = but. 7, 2, 10 : «M. Tullius sententiam Socratis de Platone
transferens... inquit: Banquet 202 E = inst. 2, 14, 9; Plato naturas conim
in Symposïo exprimera conatus est»; Cratyle 398 B = inst. 2, 14,
Generated on 2011-09-03 19:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
6 (douteux): Epinomis 986 C (ou Lettre 6) = epit. 37. 4 : «Plato de primo
ac secundo deo non plane ut philosophus, sed ut uates locutus est»; Lois 821
A = ira 11, 13 : «Plato in Legum libris (ait)». Lois 934 A = ira 18, 5 :
«ut ait Plato» ; Lois 956 A • inst.6,25,1 : «inquit Plato» ;Minon 85C = inst.1,22,
19: « Plato de anima disserens... ait » .PhédontOB - epit. 24.9: «Sicut Plato ait » ;
Phédon 64C-67D = inst. 2,12,9(au plus, souvenir lointain) : Phédon TZ E ( voir M é-
non) : PhédonSOC = inst. 7,1,9 : « ut ait Plato » : PhédoriSQ D = inst. 7,12,2-6 : « ut
Plato disserebat » ; Phèdre 245 C = inst. 7,8,4 : « Plato... sic argumentants est...
addidit autem... » ; epit. 65, I ; «Plato ait» ; République 416 D = inst. 3. 21, 2 :
«inquit» ; République 157C = inst. 3, 21,4 : «inquit» ; République 463 C - Inst.
3,21,7:« inquit » ; République 473 D = inst. 3,21,6:« idem dixit » ; République 501
B7 = inst. 2.10.4: «Platoait»; Timée28C = inst. 1,8,1 : «dicitinTimaeoPlato»;
ira 11, Il : «sicut Plato in Timaeo et sensit et docuit»; epit. 64, 5 : «(Plato
deum) conditorem rerum ac parentem fatebatur»: Timée 29 E = epit. 63, 1 :
«sicut Plato existimauit»; Timée 42 B. 90 E = epit. 63, 8 : «Plato adfïrmat»;
Vita Marii 46, 1 = opif. 3, 19 : «Plato, ut hos credo ingratos refelleret»; inst.
3, 19. 17 : «Plato aiebat».? = epit. 63, 2 : «inquit».
2I4 MICHEL PERRIN
fois)49. Parfois aussi, Lactance avoue qu'il tire sa citation
d'un tiers auteur : Cicéron (1 fois) ou Aulu-Gelle (1 fois)50.
Cela étant, il faut bien reconnaître que ces précisions sont
relativement rares. Le fait n'était d'ailleurs pas choquant
pour les Anciens. Il est notamment très vraisemblable que
Lactance cite de seconde (ou de nème) main beaucoup plus
souvent qu'on pourrait le croire, si l'on ne faisait entrer en
ligne de compte que ses deux seuls aveux en la matière. On
peut aussi penser que, si Lactance ne précise pas davantage
l'Å“uvre de Platon dont il tire sa citation, c'est justement
parce qu'il cite de seconde main et que sa source directe ne
donnait pas cette précision. Dans le même ordre d'idées,
Lactance ne cite jamais Platon en grec, Ã deux exceptions
près". Et, dans les deux cas, il ne s'agit que d'un seul mot.
Or il est patent que Lactance cite en grec, et parfois même
assez longuement, Hermès ou les Oracles sibyllins. Même si
cette différence dans la pratique de la citation ne constitue
pas une preuve, elle n'en est pas moins un indice de ce que
Lactance connaît essentiellement Platon de seconde main, et
par des intermédiaires latins.
L'exactitude des citations
et la question des intermédiaires
L'étude du texte même des citations, le rapprochement de
Generated on 2011-09-03 19:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
celles-ci avec le texte platonicien originel, ou avec le texte
des citations, par d'autres auteurs, des mêmes passages,
permet parfois d'approcher la manière dont Lactance a tra-
vaillé sur les données platoniciennes. Nous allons étudier
maintenant successivement, en les groupant par Å“uvres de
49. Voir Banquet : inst. 2, 14, 9. Lois : ira 11, 13. Timée : inst: I, 8, I et
ira 11, 11.
50. Voir inst. 7, 2, lft : Tullius; epit. 24, 9 : Gellius.
51. Voir inst. 2, 10, 4 : la forme humaine est 6eoeioitj;2, 14, 6 : l'éty-
mologie de ôaî(iiov.
LE PLATON DE LACTANCE 215
Platon, les citations qu'en fait Lactance52. Puis nous conclu-
rons sur l'ensemble.
— Apologie de Socrate 21 D - 23 A : cité dans le De ira et
VEpitomé53 sous la forme «nulla est humana sapientia».
L'idée correspond bien à ce qu'exprimait Platon. Mais ce
n'est pas une citation littérale. Deux textes cicéroniens des
Académiques reprennent le même passage de Platon, mais en
s'en tenant plus près que Lactance : la seule sagesse acces-
sible à l'homme, c'est de savoir qu'il ne sait rien54. L'auteur
chrétien résume sans doute ici les Académiques.
— Ibid. 42 A : cité dans les Institutions". Seuls les dieux
savent s'il vaut mieux pour l'homme vivre ou mourir. Le
texte, à deux interversions de termes près, correspond à celui
donné par Cicéron56. Peut-être Lactance cite-t-il de mémoire
le texte cicéronien.
— Banquet 202 E sq. : cité dans les Institutions51. Il s'agit
du démon de Socrate, qui lui servirait d'«ange gardien»
depuis l'enfance. La citation n'est pas littérale, et donne l'im-
pression d'un résumé plutôt que d'une traduction. On trouve
des textes de forme voisine chez Cicéron, Apulée ou Minu-
cius Félix58. Il est, en outre, très vraisemblable que, par nutu et
arbitrio, Lactance reprend ad nutum et arbitrium de Minucius.
Mais ce dernier ne dit pas que le démon se trouvait auprès
Generated on 2011-09-03 19:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
de Socrate depuis son enfance (contrairement à Lactance). Il ne
peut donc être considéré ici comme la source exclusive de Lac-
tance. Il y a eu fusion de souvenirs divers.
— Cratyle 398 B : cité dans les Institutions pour l'étymo-
logie de ôaîjiœv59. Cela correspond bien au texte du Cratyle :
les génies sont ainsi appelés comme «sensés et savants» (cpoô-
viuoi kcù ôocfjuovEç). Comme Lactance le signale (grammatici
52. Faute d'un ordre logique s'imposant vraiment, nous avons par commodité
choisi l'ordre alphabétique.
53. Voir ira 1, 6 - 8 et epit. 35, 5.
54. Voir Cic. acad. pr. 2, 23, 74; acad. post. 4, 16.
55. Voir inst. 7, 2, 10.
56. Voir Cic. Tusc. I, 41, 99.
57. Voir inst. 2, 14, 9 (et ajouter peut-être Plat, Ap. 31 D et 40 A-B).
58. Voir Cic. diu. 1, 54, 122; Apvl. deo Socr. 162 - 165 (avec l'important
commentaire de J. Beaujeu, p. 241 - 242 de son éd.); Min. Oct. 26, 9 - 12 (et
le commentaire de J. Beaujeu, p. 132 - 133 de son éd.); Tert. apol. 22, 2.
59. Voir inst. 2, 14, 6.
216 MICHEL PERR1N
aiunt), il a dû puiser cette information, qui viendrait donc très
indirectement du Cratyle, dans quelque recueil d'étymologies,
sinon dans une scolie grammaticale en marge d'une Å“uvre
classique60. Ainsi, l'étymologie figure, entre autres, dans le
commentaire de Servius à YÉnéide.
— Epinomis 986 C : peut-être évoqué dans V Epitomé61.
«Platon a parlé du premier et du second dieu comme d'un
devin (uates), non comme un philosophe, peut-être à la suite
de Trismégiste». Le texte de Lactance reste fort loin de celui
de Platon. Il s'agit, ici, d'un jugement porté sur une doctrine
de Platon plus que d'une citation, Ã strictement parler. Selon
Lactance, le second dieu de Platon est une quasi-préfigu-
ration du Christ (d'où le qualificatif de uates accolé à Platon).
Justin avait déjà tiré une interprétation voisine de celle de
Lactance, mais à partir de Timée 36 B - C62. Une seconde
différence est frappante : selon Justin, Platon a puisé cette
exégèse dans les livres de Moïse, alors que, pour Lactance, il
se pourrait que Platon se soit inspiré de Trismégiste. Il faut
aussi remarquer que, pour Trismégiste, le «second dieu»
(dont il est question dans le passage de VAsclépius 8 cité par
Lactance63), visible et accessible aux sens, désigne le monde,
60. Voir le ThLL 5, 4, 33 - 53. s.v. daemon : Calc. comm. 132 : «(angeli)
humanis uero prudenter opitulantes idemque speculatores et executores, dae-
Generated on 2011-09-03 19:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
mones, opinor, tamquam daëmones dicti; daëmonas porro graeci scios rerum
omnium nuncupant»; Serv. Aen. 3. III : corybantes ôaîuoveç sunt,
ministri matris deum, quasi ôarjuoveç, qui totum sciunt»; Ave ciu. 9, 20 :
«daëmones enim dicuntur, quoniam uoeabulum graecum est, ab scientia
nominati»; Macr. sat. 1, 23, 7 : «quia dii sunt ôcrijuoveç, id est scientes
futuri» ; Mart. Cap. 2, 154; Cassiod. in psalm. 95, 5 : «quamuis daëmones
latine scientes uoeentur quasi dii manes, in humano tamen sermone conui-
cium est»; Isid. orig.-H, 11, 15. On trouve une autre étymologie chez Macr.
sat. 1, 23, 7 {sec. Posidonium) : à nb xoù ôaiouévou; Fvlg. myth. 3, 5,
p. 64 : «démos graece populus dicitur, et quia populos subdere cupiebant...
demones dicti sunt» (et Evs. praep. euang. 4, 5, 4); Varro, Men. 539 :
kqkôç ôalutov.
61. Voir epit. 37. 4 : «Denique Plato de primo ac secundo deo non plane
ut philosophus, sed ut uates locutus est, fortasse in hoc Trismegistum
secutus». On trouve un texte platonicien voisin en epist. 6, 323 C sq.
(d'authenticité platonicienne douteuse).
62. Voir Justin, Apol. 1, 60, 1-7 (p. 124-127 Archambault). Justin retrouve
même le Saint-Esprit dans le Timée de Platon.
63. Voir Aie/. 8 (= C.H., t. 2, p. 304-305 Nock-Festugière).
LE PLATON DE LACTANCE 217
conçu comme un vivant. L'interprétation qu'en donne Lac-
tance est donc fortement tendancieuse. Dans ces conditions,
on peut se demander ce que vise au juste l'expression «de
primo ac secundo deo» à propos de Platon. Si la référence Ã
Platon a la même signification que le texte d'Hermès, le
second dieu pourrait désigner le monde, peut-être à travers le
Timée, qui se conclut ainsi : «Dieu sensible formé à la res-
semblance du Dieu intelligible, très grand, très bon, très beau
et très parfait, le monde est né : c'est le Ciel qui est un et
seul de sa race»64. On pourrait en outre penser à un passage
de la République65. Mais, dans aucun de ces deux textes, on
ne parle de premier et de second dieu.
Qui plus est, il est vraisemblable que Lactance interprète le
second dieu dont il est question ici comme le Christ66. Il
vient de distinguer d'ailleurs Dieu le Père et Dieu le Fils,
engendré par son Père au commencement, avant la création
du monde. C'est par le fils opifex et consiliator que Dieu le Père a
exécuté la fabrication du monde67. C'est donc d'un dogme chré-
tien que Lactance fait consciemment ici la paraphrase, comme le
montre l'évocation, qui suit, des Proverbes et du Prologue de
Jean6*. Le contexte de ce passage de Platon semble donc indi-
quer que Lactance a compris le texte platonicien auquel il fait
allusion (sur le premier et le second dieu) comme visant un Dieu
Generated on 2011-09-03 19:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
suprême, premier, et un dieu créateur du monde, second (et
non pas le monde lui-même).
Cette exégèse de Platon ressemble aux conceptions des
Marcionites selon Tertullien, et aux «deux dieux» de Numé-
nius : pour ce dernier, le premier est absolument inconnu, le
64. Voir Tim. 92 C, p. 228 Rivaud (dont nous citons la traduction).
65. Voir rep. 509 D, p. 139-140 Chambry : NôT)oov toîvuv, r|v ô' èyw, ukuieq
Xéyou,eV, ôûo aùtù) elvai, kcù PaoïXeûeiv tô uèv voTitoù yévovç re kai tôjiou,
tô ô'ati ôpataù...
66. Voir epit. 37, 7-9.
67. Voir epit. 37, 2-3 : «Hic est uirtus, hic ratio, hic sermo dei, hic
sapientia. Hoc opifice, ut Hermès ait, et consiliatore, ut Sibylla, praeclaram
et mirabilem huius mundi fabricanl machinatus est. (3) Denique ex omnibus
angelis, quos idem deus de suis spiritibus figurauit, solus in consortium
summae potestatis adscitus est, solus deus nuncupatus».
68. Voir Prov. 8, 22-31 et Jn 1, 3. On pourrait ajouter notamment Sag. 9,
1 et Paul, Col. 1, 16 et I Cor. 8, 6.
218 MICHEL PERRIN
second, le démiurge (jroirrrfiç), est seul à être connu69. Or
Numénius pensait que telle était la doctrine de Platon; peut-
être, comme l'estime H.-Ch. Puech, la République lui four-
nissait-elle l'idée du Bien suprême, et le Timée celle du
démiurge, bon mais inférieur — second —, et soumis au
Modèle étemel70. La particularité de Numénius en la matière
est que, entre la transcendance divine et le monde, «il recourt
à une entité unique hypostasiée en second Dieu, et non pas Ã
des intermédiaires comme une multiplicité d'anges ou de
«démons»71. Cette exégèse platonicienne était au moins possible
à l'époque de Lactance72.
Cependant, il convient d'être prudent; en fait, il ne nous
semble pas possible de trancher absolument entre les deux
hypothèses que nous avons esquissées : en un mot, le «second
dieu» de Platon, selon Lactance, est-il le monde ou le
démiurge? Dans le premier cas, Lactance commettrait-il le
même contresens d'interprétation que celui qu'il fait en citant
Hermès (le monde confondu abusivement avec le Christ);
dans le second cas, le plus vraisemblable, il ferait appel à une
exégèse semblable à celle de Numénius (en faisant un contre-
sens sur la véritable pensée de Platon), et rapprocherait à tort
Platon et le Trismégiste. Cependant, comme dans les Institu-
tions, Lactance affirme que le Christ est opifex et consiliator
Generated on 2011-09-03 19:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
à partir de la Bible, et comme Platon est censé détenir la
vérité à ce sujet, le second dieu pourrait désigner le démiurge.
Si, comme il est vraisemblable, Lactance évoque Platon de
69. Voir H.-Ch. Puech, Numénius d'Apamée (voir supra, n. 13), p. 756
sq.
70. Voir ibid., p. 760.
71. Voir ibid., p. 763 : Apulée, Maxime, Albinos.
72. Rappelons que beaucoup de fragments de Numénius nous sont connus
par l'intermédiaire de la Préparation Évangélique d'Eusèbe. Eusèbe, praep.
ev. II, 16 (= PG 21, 888 AB) cite le même passage de YEpinomis, puis la
Lettre 6 de Platon (d'authenticité douteuse), et affirme la similitude de
pensée entre Platon et les Hébreux, similitude qu'il explique par un emprunt
du premier aux seconds : 'Aod ooi ôokcû xavxa kéycov o nXà xcov xoiç Eôoatwv
fjtr|KoXot)Or|Kcvai ôôyuaoïv ; "H jiôOev à XÀoOev èjxf)X.t)ev aùxcp xoù navxcôv xùv
YeVT)xcbv uIxlov KOeixxova âXXov Oeôv, xôv ôf| koù Jiaxéoa xoO jiavr|Yeuôvoç
Jioooeuieiv ;
LE PLATON DE LACTANCE 219
seconde main, il a pu d'ailleurs ne pas voir les difficultés
exégétiques que nous soulignons73.
— Lois 821 A : cité dans le De ira : «Quid omnino sit
Deus, non est quaerendum, quia nec inueniri possit nec
73. Lactance n'utilise que trois fois consiliator dans son Å“uvre (inst. 2,8,7 ; 4,
11,7, epist. 37.2). Dans les trois cas, consiliator est couplé à opifex, pour désigner
Ces deux termes, comme il est évident à comparer inst. 4, 6, 9 et epit. 37, 2,
traduisent le grec ÔT)utovçyôç (emprunté à Hermès) et aûuôovXoç (emprunté à la
Sibylle) : notions grecques que Lactance transpose en latin ; ce serait une traduction
personnelle, ce qui expliquerait que consiliator soit rare dans la littérature anté-
rieure. Le ThLL renvoie,s.v., Ã Phaedr. 2,6, 1 ;Petron. 77;Plin. epist. 4,77,6;
Apvl. met. 1, 12; Itala Is. 40, 13. En outre, le contexte des inst. montre que, pour
Lactance, l'important est de manifester l'accord qui existe entre Prov. 8, 22-
31 d'une part, Hermès et la Sibylle d'autre part. Atiuumovôç et
ovuôovXoç résument en quelque sorte la citation de Prov. 8, 22-31. Dans ces
conditions, quid de Platone? La comparaison entre inst. 4, 6 et epit. 37
montre que le schéma général des deux passages est similaire. Simplement,
dans epit., Platon est intercalé entre la Sibylle et Hermès, comme un épigone
possible de ce dernier. Ainsi, Platon vient ajouter une caution philosophique
à celle des deux témoins «religieux». Sur la notion de ovuôovXoç chez
Lactance, voir V. Loi, Lattanzio, p. 212-213. Nous avons cherché à préciser
la source éventuelle de Lactance, en laissant d'abord de côté le terme opifex
qui est accolé à consiliator. Le ThLL, s.v. consiliator, renvoie à Itala,
Generated on 2011-09-03 19:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
As. 40, 13. La Biblia Patristica donne notamment pour ce verset 8 références
à Tertullien (Herm. 17, 1 ; 45, 2; 45, 5 (2 fois): Marc. 2, 2, 4; 5, 6, 9; 5, 14,
10; 5, 18, 3; /Vax. 19, 2; Scorp. 7, 6), et, pour Clem. Alex., Strom. 5, 129,
4 (= PC 9, 192 A-B), auquel on peut ajouter au moins 2 références pour
oûuoovXoç : Strom. 6, 7, 58 (= PG 9, 280 C 6) et 7, 2 (= PG 9, 412, A 4). La
Biblia Patristica permet aussi de prendre en considération le texte biblique
de Prov. 8, 22-31 cité par Lactance. Elle renvoie aux mêmes auteurs, et, en
outre, Ã Theoph. Autol. 2, 10. Comme source de Lactance. Tertullien est
pratiquement exclu ici : il ne connaît que consiliarius, et pas consiliator. En
outre, la source de Lactance est ici sans doute grecque. La conclusion des
rapprochements établis avec Clément d'Alexandrie est probablement la
même que dans le cas de Tertullien : le contexte y est trop différent de celui
de Lactance. Le Christ y est oxxpîa et ôiôâoKaXoç, et l'on n'y a pas
l'équivalent de sapientia et uirtus de Lact. inst. 4, 6, 9 (= oocpia et ÔOvo+iiç).
En revanche, Theoph. présente ainsi le Christ : en 2, 10 ; oxxpia icaï ôvvcuuç,
avec une citation de Prov. 8, 27-29 (même chose chez Lact. inst. 4, 6, 6);
et le verbe ÔT)uun>pYeiv dans la conclusion du paragraphe de Theoph. En 2,
22, le Logos est ôûvauiç et oxxpia. Un peu plus loin, on a oûuoouXoç (cf. l'art, récent
de P. N autin , Genèse 1,1-2 de Justin à Origine, dans le recueil collectif An princi-
pio, Paris 1973, p. 71-72. Les contextes sont très voisins chez Théophile et
Lactance. Pourallerplus loin.il faudrait comparerleschristologies de Théophile et
de Lactance, ce qui dépasse le cadre de la présente communication. Rappelons
enfin que l'application de Prov. 8,22 au Christ est très ancienne : voir P. Nautin,
ibid., p. 73, n. 39.
220 MICHEL PERRIN
enarrari»74. Cicéron, dans le De natura deorum, cite le même
passsage de Platon que Lactance75, mais dans une traduction qui
n'est pas exactement semblable. Lactance fait le même
contresens que Cicéron sur la pensée véritable de Platon :
Cicéron a confondu les vues présentées par Platon comme
des idées communément reçues avec celles de Platon lui-
même76. D'autre part, dans le De natura deorum, une cita-
tion de Timée 28 C précédait le renvoi aux Lois. La situation
est inverse dans le De ira, et cela donne l'impression que
Lactance fait ici des variations sur Platon à partir de Cicéron77.
— Lois 934 A : cité dans le De ira : «Nemo prudens punit,
quia peccatum est, sed ne peccetur»78. Lactance puise dans le
De ira de Sénèque, même s'il ne l'avoue pas. La ressemblance
textuelle est totale entre Sénèque et Lactance, alors que le texte
de Sénèque résume celui de Platon79.
— Lois 956 A : cité dans les Institutions : « Ebur non castum
donum deo»80. C'est très vraisemblablement un souvenir des
Lois de Cicéron, où la même citation apparaît, avec un renvoi
explicite à Platon, et avec les mêmes termes dans le même
ordre81.
— Ménon 85 C : cité dans les Institutions. On peut compren-
dre que l'âme est immortelle d'après la réminiscence qui existe
chez les jeunes enfants82. On pourrait évoquer aussi à ce pro-
Generated on 2011-09-03 19:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pos un passage du Phédon (72 E), mais le texte de Lactance ne
ressemble exactement ni au Ménon, ni au Phédon. D'autre part,
74. Voir ira 11. 13. Pour les Lois 821, voir p. 59 Diès : «(l'Athénien dit) II
ne faut ni chercher à connaître le Dieu suprême, le monde en son ensemble,
ni nous mêler indiscrètement de scruter ses causes, car ce serait une
impiété».
75. Voir Cic. nat. deor. 1, 12, 30, p. 232-233 Pease : «(Plato) in Legum
autem libris quid sit omnino deus anquiri oportere non censeat».
76. Voir Lois 966 E.
77. Pour l'idée exprimée, voir aussi Job 11, 37.
78. Voir ira 18, 5, et Lois 934 A (p. 40 Diès).
79. Voir Sen. ira 1, 19, 7, p. 24 Bourgery : «Nam, ut Plato ait : 'nemo
prudens punit, quia peccatum est, sed ne peccetur : reuocari enim praeterita
non possunt. futura prohibentur'», à comparer à Lois 934 A.
80. Voir inst. 6, 25, 1 = Lois 956 A, p. 67-68 Diès : «l'ivoire, pris à un
corps séparé de son âme, n'est pas une offrande pure (ovk eùctvèç
à và BMia)».
81. Voir Cic. leg. 2, 18, 45 : «ebur... haud satis castum donum deo».
82. Voir inst. 7, 22. 19.
LE PLATON DE LACTANCE 221
nous n'en avons pas trouvé non plus d'équivalent latin exact :
ainsi, chez Cicéron, on trouve la même idée, dans le Cato maior
et surtout dans les Tusculanes". Cicéron et Lactance ont quel-
ques termes en commun : discere, reminisci, recognoscere,
mais, sur un tel sujet, cela ne peut être considéré comme la
preuve d'une influence de Cicéron sur Lactance.
— Phédon 60 B : cité dans YEpitomé**. Les contraires sont
liés entre eux. Lactance avoue sa source, un passage d'Aulu-
Gelle, qu'il cite longuement, et où sont associés Chrysippe et
Platon85.
— Phédon 64 C -67 D : la mort est la séparation de l'âme et
du corps. S. Brandt évoque ce texte à propos d'une définition
de la mort donnée dans les Institutions M. Mais ce n'est pas
vraiment une citation (la formule d'insertion est absente), et,
d'autre part, l'idée est tellement banalisée qu'il est fort douteux
que Lactance ait eu ici recours à Platon, ou même qu'il ait été
conscient de l'origine lointainement platonicienne de la défini-
tion susdite87.
— Phédon 72 E : voir à Ménon 85 C, supra, p. 220.
— Phédon 80 C : cité dans les Institutions. Tout ce qui est
visible et corporel est soluble (solubile)M. C'est un résumé du
passage de Platon. On ne trouve pas de texte parallèle chez
Cicéron 88bis.
Generated on 2011-09-03 20:00 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
— Phédon 80D : le corps embaumé se maintient intact. Peut-
être Lactance fait-il allusion à ce passage dans les Institutions*9.
Le nombre relativement élevé des citations du Phédon n'im-
83. Voir Cato m. 21, 78; Tusc. 1, 24, 57.
84. Voir epit. 24, 9.
83. Voir Gell. noct. att. 6, 1.
86. Voir inst. 2, 12, 9.
87. On pourrait penser avec A. Kurfess (voir supra, n. 1), p. 383, Ã Cic.
Tusc. 1, 9, 18. Mais le mot essentiel de la définition n'est pas le même
(seductio chez Lactance; discessus chez Cicéron).
88. Voir inst. 7, 1,9.
88 bis. Le texte le plus proche que nous avons repéré est nat. deor. 3.12,29 sq.,
où Cic. dit qu'il évoque une argumentation carnéadienne.
89. Voir inst. 7, 12, 2-6 (avec du Lucrèce inséré dans du Platon, si c'est
bien de Platon qu'il s'agit). Medico signifie ici «mortuos pollingere, condire».
Cf. ThLL 8, 546, 16-22, qui renvoie à Mêla 1, 57; Plin. nat. 11, 184; Su..
13, 478: Tert. resurr. 27, !
222 MICHEL PERR1N
plique pas une bonne connaissance directe dudit dialogue
par Lac tance. En effet, ou bien l'idée exprimée est vague-
ment platonicienne (et la référence directe au Phédon dou-
teuse), ou bien Lactance cite de seconde main.
— Phèdre 245 C : cité dans les Institutions et VEpitomé90.
Ce qui par soi-même pense et se meut est immortel. Ce
passage du Phèdre était très connu dans l'Antiquité, notam-
ment par trois textes cicéroniens91. L'idée générale est par-
tout la même, mais les termes sont différents (par exemple,
Cicéron n'a pas écrit et sentit, à la différence de Lactance).
D'autre part, alors que l'on peut parler d'une véritable tra-
duction chez Cicéron, on ne peut le faire pour Lactance, qui
concentre l'essentiel de l'argumentation du Phèdre en une
phrase. Si Lactance s'inspire ici de Cicéron, il faut en conclure
qu'il n'hésite pas à modifier le texte de l'Arpinate pour
l'adapter à ses exigences propres : il refuse le vocabulaire
technique de la philosophie, et ne retient que l'idée exprimée.
— République. Quatre passages voisins de ce dialogue sont
cités par Lactance dans les Institutions : 416 D en inst.. 3,
21, 2; 457 C en inst. 3, 21, 4; 463 C en inst. 3, 21, 7; 473 D
en inst. 3, 21, 6. Dans le second cas, il s'agit du passage
fameux sur la communauté des femmes. Ces citations, non
reprises telles quelles dans VEpitomé92, montrent, par l'ordre
Generated on 2011-09-03 20:01 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
dans lequel elles se succèdent, que Lactance avait sous les
yeux, sinon le texte même de Platon, du moins un résumé ou
des extraits suffisamment développés pour lui permettre de
connaître la teneur générale du texte de Platon. On peut
rapprocher cette pratique de ce qu'il lui arrive de faire quand
il polémique avec Lucrèce93 : les citations du, poète se
suivent dans l'ordre du De rerum natura; il lit donc Lucrèce
et le réfute au fur et à mesure des progrès de sa lecture. La
différence, ici, tient au fait qu'il lisait, selon toute vraisem-
blance, le poète dans le texte, alors que les divergences entre
Platon et lui permettent de douter légitimement qu'il
suive le texte même de Platon, fût-ce dans ce passage. Ainsi,
90. Voir inst. 7, 8, 4 et epit. 65, 1 (plus court).
91. Voir CiC. Tusc. 1, 23, 5; 1, 27, 66; rep. 6, 25, 27.
92. Voir epit. 33, 1-5.
93. Voir inst. 7, 12.
LE PLATON DE LACTANCE 223
Platon y dit que les femmes des gardiens seront communes.
Cette précision ne figure pas chez Lactance, qui généralise94.
Une autre légère modification : la célèbre sententia des rois
philosophes ou des philosophes rois est présentée sous une
forme négative chez Platon, et positive chez Lactance95. Une
autre «citation», enfin, est plus un résumé (qui ne déforme
d'ailleurs pas la pensée de Platon) qu'une citation à propre-
ment parler96. L'hypothèse d'un intermédiaire est donc plus
que vraisemblable. Cela étant, son identité n'en est pas plus
claire97.
— République 501 B, passage évoqué dans les Institu-
tions9* : la forme humaine est semblable aux dieux (ôeoeiôéç).
Le mot est cité en grec, ce qui est relativement rare chez
Lactance. La source directe, s'il ne s'agit pas de Platon,
n'apparaît pas (par exemple, le mot ne figure pas chez
Cicéron).
— Timée 28 C : «découvrir le Père et l'auteur de cet
univers, c'est un grand exploit, et, quand on l'a découvert, il
est impossible de le divulguer à tous». La première partie de
ce texte est citée notamment dans YEpitomé (Dieu est
«conditor rerum ac parens»)99. Elle ne pose pas de graves
94. Voir inst. 3, 21, 4.
95. Cicéron choisit aussi une formulation positive : ad Q. fr. 1, 1, 29.
Generated on 2011-09-03 20:03 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
96. Voir inst. 3, 21, 7.
97. Voir à ce sujet E. Heck, Die Bezeugung von Ciceros Schrift De
republica, Hildesheim 1966 (= Spudasmata 6), p. 95-98 (Ã propos d'epit. 33,
1-5) : les citations sont trop transformées pour que l'on évite l'hypothèse
d'un intermédiaire. Ce dernier ne peut être Cic. On peut aussi noter, par
ailleurs, que les critiques de Clem. Alex. (Strom. 3, 2) et de Lact. sont
apparentées : la icoivuma heurte le vôuoç divin. Nous remercions ici
E. Heck de nous avoir signalé, au cours de la discussion, son étude qui nous avait
échappé.
98. Voir but. 2, 10, 4.
99. Voir epit. 64, 5, ainsi que inst. 6, 9, 14, «conditorem rerum paren-
temque», et ira 1, 9, «mundi parens et conditor rerum». On trouve une
variante en inst. 4, 1, 2, «parente et constitutore omnium». Voir les études
de V. Loi. Lattanzio (index, s.v. conditor et parens), et de H.F. Weiss,
Untersuchungen zur Kosmologie des hellenistischen und palà stinischen
Judentums (= TU 97), Berlin 1966, p. 44 sq... Sur Timée 28 C, voir
P. BoyancÉ, Fuluius Nobilior et le Dieu ineffable, RPh. t. 29, 1955, p. 172-
192; P. Canivet (op. cit. supra, n. 1), p. 189 et 206 sq. : A. Wlosok,
Laktanz, p. 252-256; J. Daniélou {op. cit. supra, n. 1), p. 104; A. Méhat
op. cit. supra, n. I), p. 205. Remarquons avec P. Canivet, p. 189, que l'ordre
224 MICHEL PERRIN
problèmes d'interprétation, à la différence de la seconde, qui
est citée deux fois par Lactance, dans les Institutions et le De
ira100. Les deux citations ne sont pas rigoureusement iden-
tiques, ce qui montre que Lactance cite avec une certaine
liberté : soit qu'il cite de mémoire, soit qu'il ne juge pas utile
de s'astreindre au mot à mot101. Le point qui est fort gênant
est le suivant : alors que Platon juge la découverte de Dieu
difficile, mais non impossible à réaliser, Lactance présente
comme la pensée de Platon le fait que cette découverte est
absolument impossible. Or, par exemple, Cicéron et Minucius
Félix citaient correctement Platon102. Le problème est de
savoir si Lactance interpose des spéculations hermétiques (le
Dieu inconnu !) entre Platon et lui103. Cette interposition —
c'était la thèse d'A. Wlosok — ne nous semble pas indispen-
platonicien est jioiTrrijv + jiatépa : la cause unique n'est pas dédoublée.
Clément et Théodoret inversent cet ordre, et tendent à donner au Père la
priorité sur le Créateur : c'est la formule de Numénius (cf. A.-J. Festu-
gière, Le Dieu inconnu et la gnose, p. 276-277). On ne peut rien dire de tel
chez Lactance, car l'ordre de la formulation n'y est pas constant. Cela
indique peut-être que ces subtilités théologiques n'entraient pas pour lui en
ligne de compte. Sur constitutor omnium, voir V. Loi, p. 111, et ajouter une
référence. En inst. I, 22, I, Numa est un roi sabin «auctor et constitutor».
Dans les 4 cas où Lactance emploie ce terme, il emploie le mot joint à un
Generated on 2011-09-03 20:03 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
autre, et chaque fois, le mot est différent : rector, machinator, auctor,
parens; c'est là une des modalités de l'action du Dieu créateur.
100. Voir inst. 1,8, I : «... conprobatur unius dei potestate ac prouidentia
mundum gubernari, cuius uim maiestatemque tantam esse dicit in Timaeo
Plato, ut eam neque mente concipere neque uerbis enarrare quisquam possit
ob nimiam et inaestimabilem potestatem»; ira. Il, Il : «Vnus est igitur
princeps et origo rerum deus, sicut Plato in Timaeo et sensit et docuit :
'cuius maiestatem tantam esse declarât, ut nec mente conprehendi nec lingua
exprimi possit'».
101. Ces deux hypothèses ne sont d'ailleurs pas incompatibles.
102. Voir Cic. Timée 6 (avec un passage voisin en nat. deor. 1, 12, 30,
p. 231-232 Pease), p. 36, 23-25 de l'éd. Pini (Mondadori 1965) : «Atque illum
quidem quasi parentem huius uniuersitatis inuenire difficile est, cum iam
inuenerit indicare in uulgum nefas». Voir Min. Oct. 19, 14 (avec de
nombreuses références dans le commentaire de J. Beaujeu). Voir aussi
Clem. Alex, protr. 68, 1, et Orig. Cels. 7, 42.
103. On trouvera un résumé de la discussion entre A. Wlosok et A.D.
Nock dans l'art, de ce dernier, The exegesis of Timaeus 28 C, VChr., t. 16,
1962, p. 79-86. Voir aussi A.-J. Festugière, Le Dieu inconnu et la gnose,
p. 94. P. Boyancé, art. cité supra, n. 99, marque déjà que Cic. nat. deor. 1,
12, 30, donne une interprétation accréditée du fameux passage du Timée.
LE PLATON DE LACTANCE 225
sable. D'abord, le passage du De ira où se trouve le texte
incriminé est truffé de passages du De natura deorum, où
Cicéron citait divers auteurs, et notamment Hermès et Pla-
ton. Parmi les textes de Platon, figurait notamment le texte
des Lois, dans lequel Platon, selon Cicéron, pensait qu'il ne
fallait pas chercher Dieu, parce qu'on ne pouvait ni le
trouver, ni l'exprimer104. Est-il inconcevable que Lactance
ait harmonisé à sa manière — et certes frauduleusement — le
Timée avec ce qu'il croyait savoir des Lois par l'intermédiaire
de Cicéron? Ensuite, même s'il y avait interposition de
spéculations hermétiques, il n'est pas sûr qu'elles iraient
dans le sens d'une modification de la «difficulté» platoni-
cienne en «impossibilité» lactancienne. Dans YEpitomé, sous
le patronage d'Hermès écrivant à son fils, on lit en effet ce
qui suit : «Il est difficile de concevoir Dieu, et il est impos-
sible de l'exprimer, même à celui qui l'a conçu»105, doctrine
exactement parallèle à celle du Timée de Platon. Bref, l'hypo-
thèse d'A. Wlosok nous apparaît sinon comme inutile, du
moins comme non nécessaire, et nous préférons penser que
Lactance a transposé rapidement quelque source (peut-être
un manuel comme ceux d'Apulée ou d'Albinos), en la combi-
nant avec le souvenir qu'il avait du passage des Lois cité
dans le De natura deorum. Enfin, y a-t-il même «source», au
Generated on 2011-09-03 20:03 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
sens précis du mot, en ce cas? Timée 28 C est peut-être le
texte platonicien le plus connu et le plus cité par les Pères,
et l'on pourrait donc penser à un souvenir diffus où se combi-
neraient tradition scolaire et tradition patristique.
— Timée 29 E, cité dans VEpitomé106 : parce que Dieu est
bon et ne jalouse personne, il a fait ce qui est bon. La
citation de Lactance est ici littérale, beaucoup plus proche du
104. Voir ira 11, 7-14 (avec les références procurées par S. Brandt dans
son éd. ad. loc., p. 96-97).
105. Voir epit. 4, 4-5 : «deum quidem intellegere difficile est, eloqui uero
inpossibile, etiam cui intellegere possibile est...».
106. Voir epit. 63, I : «quia bonus est... et inuidens nulli, fecit quae bona
siint».
226 MICHEL PERRIN
texte de Platon que la traduction cicéronienne du Timée'01.
On ne peut apparemment savoir s'il y a eu un intermédiaire,
et, dans ce cas, quel il est.
— Timée 42 B - 90 E : peut-être évoqué dans l'Epitomél08.
Platon affirme que les âmes sont immortelles. Il est difficile
de préciser le passage de Platon d'où peut être tirée cette
notation — à vrai dire très banale —.
— Une citation d'origine incertaine, retrouvée dans la Vita
Marii de Plutarque : Platon remercie la nature d'être né
homme. Athénien...109. Lactance cite ce propos par deux
fois, dans le De opificio et dans les Institutions110. Il est
douteux que Lactance ait extrait ce «dit» de Platon de la Vie
de Nfarius. On penserait plutôt à quelque manuel de Vies des
philosophes illustres, comme celui de Diogène-Laërce (dans
lequel ne figure cependant pas le propos cité).
Il reste encore une «citation» énigmatique de Platon, dans
YEpitomé"1. Dans une polémique contre Platon (jugé inca-
pable de montrer pourquoi Dieu a fait le monde), Lactance
— ou sa source — part d'une citation du Timée112 (Dieu,
parce qu'il est bon, a fait ce qui est bon), pour critiquer
Platon : c'est, dit-il «parce que Dieu est mauvais qu'il a fait
ce qui est mauvais». Selon Lactance, Platon rétorquait que
«les maux étaient contenus dans la matière» («in materia
Generated on 2011-09-03 20:04 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
continebantur»). La question n'est pas, pour nous, de savoir
s'il est légitime de dériver cette conception de Platon (et
notamment du TiméeU3 : on en discute encore de nos
107. VoirGic. Tim. 6, p. 37, 1-5 Pini : «Atqui si pulcher est hic mundus et
si probus eius artifex, profecto speciem aetemitatis imitari maluit; sin secus,
quod ne dictu quidem fas est, generatum exemplum est pro aeterno secutus».
On retrouve la même citation du Timée chez Eusèbe, praep, euang. (PG 21,
901 D-904 A). Mais Eusèbe ne la met pas en relation avec la question de
l'origine du mal.
108. Voir epit. 63, 8.
109. Voir Plvt. V. Marii 4, 6, 1, p. 154 Flacelière.
110. Voir opf 3, 19 et inst. 3, 19, 17.
111. Voir epit. 63, 2 : «In materia... (mala) continebantur».
112. Voir Timée 29 E, évoqué plus haut, p. 225.
113. Voir J.-H. Waszink, Observations on Tertullian's treatise against Her-
mogenes, VChr., t. 9, 1955, p. 129-147, et E. des Places, La matière dans le
platonisme moyen, surtout chez Numénius et dans les Oracles chaldaïques,
dans Zétésis (~ Mélanges E. de Strijcker, Antwerpen-Utrecht, 1973), p. 215-
223.
LE PLATON DE LACTANCE 227
jours, mais plutôt de tenter de savoir dans quelle filière
exégétique se situe Lactance. On a pensé que ce dernier
faisait appel à une thèse néo-platonicienne"4. Or, s'il est
indéniable que la conception de la matière, source du mal, a
bien été celle des néo-platoniciens, il est non moins indé-
niable que cette interprétation de Platon était déjà , entre
autres, celle d'Aristote"5. D'autre part, cette exégèse de
Platon a eu également cours dans le moyen-platonisme, et
l'on en trouve une expression très remarquable chez Calci-
dius, en son commentaire sur le Timée, dans un passage
inspiré de Numénius d'Apamée"6. Selon Calcidius, Numé-
nius loue Platon «de proclamer deux âmes du monde, l'une
extrêmement bienfaisante, l'autre malfaisante, c'est-à -dire la
matière»"7. Cette conception était, d'après le même texte,
partagée par Héraclite et Pythagore"8. Cela ne prouve natu-
rellement pas que Lactance ait lu Numénius, mais cela a
toute chance d'indiquer qu'il a puisé son interprétation dans
un ouvrage où la doctrine de Platon était présentée de cette
manière systématisée, et, plus précisément, dans un texte
médio-platonicien. Suivant donc en cela une telle exégèse,
Lactance critique alors Platon, sans doute à partir du stoï-
cisme : bien et mal sont liés ontologiquement"9. H arrive
114. Voir V. Loi, Problema del maie e dualismo negli scriiti di Lattanzio,
Generated on 2011-09-03 20:08 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
dans les Annali delie Facoltà di Lettere... di Cagliari, t. 29 (1961-1965),
p. 37-%.
115. Voir metaph. A 6, 988 a 14-15, cité p. 205 de l'art, de E. des Places
(voir supra, n. 113).
116. Voir l'art, de E. des Places (supra, n. 113), p. 217 sq., avec la
traduction du passage.
117. Voir Calc, comm. 297, p. 299, 14 sq. Waszink : «Platonemque idem
Numénius laudat, quid duas mundi animas autumet, unam beneficentis-
simam, malignam alteram, scilicet siluam...» (nous citons dans le texte la
trad. procurée par E. des Places, dans un appendice à son art. cité supra,
n. 113).
118. Voir Calc. comm. 297, p. 298-299 Waszink. Notons en passant le
cicéronianisme de la formulation de Lact, epit. 63, 4 («ex fonte fluere»).
cf. Cic nat. deor. 3, 19, 49 : «omnia ex eodem fonte fluere».
119. Voir epit. 24, 5 sq. Chrysippe et aussi Platon sont cités à partir
d'Aulu-Gelle 7, 1 (repris dans les StVF, t. 2, 335 = frg. 1169). Cette notion
de «connexion» ontologique entre le bien et le mal se retrouve dans l'emploi
de conexa en ira 13, 13 comme en epit. 24, 10, ainsi que dans les expres-
sions où Lactance énonce l'idée que Dieu a proposé simultanément Ã
l'homme les biens et les maux pour qu'il ait la possibilité d'acquérir la
sagesse : voir but. 3, 29, 7 ; 6, 4, 12 ; 6, 4, 13 ; 6, 4, 14 ; 6, 6, 3 ; 7, 4, 12 ; 7, 4,
15: ira 13, 13 et 15, 5; epit. 24, 9; 63, I et 5.
228 MICHEL PERRIN
donc à l'alternative suivante : ou bien Dieu n'a rien fait
(otiosus), ou il a tout fait, le mal comme le bien. La première
possibilité (épicurienne120) étant rejetée, il ne reste plus que
la seconde : Dieu, si l'on en croit Platon, est donc à la fois
bon et méchant, ce qui est inconcevable. L'incohérence de
Platon montre donc qu'il a tort de dire que Dieu a fait le
monde parce qu'il est bon. La conclusion de Lactance est
que le monde, bon et mauvais à la fois, a été fait pour
l'homme : cela rejoint la thèse des stoïciens121. On peut aussi
mettre en parallèle ce texte de Lactance et le Contre Hermo-
gène de Tertullien : selon Hermogène, Dieu, qui est bon, n'a
pu faire le mal. Le mal qui existe dans le monde provient
donc d'une substance mauvaise : la matière122. La notion de
solidarité du bien et du mal intervient également, avec l'alter-
native : faut-il attribuer le bien et le mal à Dieu ou à la
matière123?
120. Il ressort de la lecture de ira 13, 9-25 que Lactance situe ce point
dans une «problématique» épicurienne. Le thème initial du paragraphe est
que le monde est fait pour l'homme, et que les stoïciens ont tout à fait raison
de l'affirmer. En conséquence, les académiciens demandent aux stoïciens
d'où vient le mal (ira 13, 9). Ceux-ci répondent, — et cela ne satisfait pas
Lactance —, que le mal contient des biens cachés. Selon Lactance, la
réponse décisive (ira 13, 10) est que Dieu donne à l'homme la sagesse, et
Generated on 2011-09-03 20:08 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
leur propose (proposuit) en même temps le bien et le mal (ira 13, 13). La
sagesse serait inutile sans la présence du mal : l'argument est dirigé contre
les stoïciens (ira 13, 19). Et les épicuriens sont réfutés en même temps (ceux-
ci pensent que le monde n'a pas été fait pour l'homme). Voici leur argument
(ira 13, 20-21) : «deus ... aut uult tollere mala et non potest, aut potest et
non uult, aut neque uult neque potest, aut et uult et potest. (21) Si uult et
non potest, inbecillus est, quod in deum non cadit; si potest et non uult,
inuidus, quod aeque alienum est a deo ; si neque uult neque potest, et inuidus
et inbecillus est ideoque nec deus; si et uult et potest, quod solum deo
conuenit, unde ergo sunt mala aut cur illa non tollit ?» Et Lactance se prononce
finalement contre le Dieu otiosus des épicuriens : Dieu n'est ni otiosus, ni
inbecillus, ni inuidus (ira 13, 23-25). Sur la notion de deus otiosus, voir aussi
R. Beutler, art. Numenios de PW (Suppl. 7, Col. 669) et H.-Ch. Puech,
art. Numenius d'Apamie (cité supra, n. 13), p. 757.
121. Elle est exprimée comme telle en epit. 63, 7, à rapprocher aussi
d'epit. 24, 5 (la citation de Chrysippe d'après Aulu-Gelle).
122. D'autre part, le personnage retors imaginé par Lact. epit. 63, 2, pose
la même question qu'Hermogène : d'où vient le mal (c. Herm. 2 et 3)? Le
c. Herm. contient également des affirmations proches de celles de Lactance.
Voir par ex. c. Herm. 14, 1-3 : il est plus convenable de croire que le mal
vient de la volonté de Dieu plutôt que du néant (16, 4).
123. Voir Tert. c. Herm. 16.
LE PLATON DE LACTANCE 229
Comme l'a rappelé P. Nautin, l'intention d'Hermogène
était, en affirmant l'éternité de la matière, d'exonérer Dieu de
la responsabilité du mal pour la reporter sur la matière124, et,
là aussi, en tout cas, nous nous trouvons dans un contexte
platonicien. Il serait également concevable — simplement Ã
titre d'hypothèse — que Lactance ait connu cette discussion
par l'intermédiaire de Théophile d'Antioche, car ce dernier
avait composé un traité Contre Hermogène qui est à la
source de celui de Tertullien125. Or, ici, la position de Lac-
tance revient à affirmer indirectement la création ex nihilo (en
définitive, tout remonte à Dieu), et positivement que la pré-
sence conjointe du bien et du mal dans le monde est liée au
don que Dieu a fait de la sagesse à l'homme. Ces deux thèses
sont affirmées également par Théophile d'Antioche.
Compte tenu de la présentation du débat dans VEpitomé,
faut-il penser que Lactance s'en rapporte ici aux stoïciens?
Cela n'est pas la seule hypothèse concevable, car Lactance
attribue aussi à Platon (Phédon 60 B) l'idée que les contraires
sont inséparables126. Le Contre Hermogène de Théophile,
perdu aujourd'hui, nous aurait peut-être permis de mieux
évaluer la «dominante» philosophique de ce thème, aux yeux
de Lactance. En tout cas, la création ex nihilo et l'explica-
tion du mal par le don de la sagesse nous renvoient Ã
Generated on 2011-09-03 20:08 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
l'évêque d'Antioche.
Que vaut la connaissance de platon par lactance?
La connaissance que Lactance a de Platon, si l'on se fie
aux citations que nous avons étudiées, paraît être limitée Ã
ses plus célèbres dialogues (les Lois, le Phédon, le Phèdre, la
République, le Timée). Ce bilan n'est pas négligeable en soi.
L'étude de J.H. Waszink sur le De anima de Tertullien
montre que ce sont à peu près les mêmes œuvres qui y
reviennenti27.
124. Voir P. Nautin, art. cité, supra, n. 73, p. 68.
125. Voir ibid., p. 68.
126. Voir epit. 24, 9.
127. Voir l'éd. de Tert. anim. par J.-H. Waszink, introd., p. 41* sq.
230 MICHEL PERRIN
Lactance s'appuie essentiellement sur Platon pour démon-
trer l'immortalité de l'âme et l'existence d'un Dieu unique.
Mais il condamne avec la dernière énergie la métempsycose,
la réminiscence, l'éternité du monde, ce qui vaut à son
lecteur quelques difficultés. C'est que Lactance ne cite pas
Platon gratuitement, mais pour prouver quelque chose; ce
faisant, il lui arrive d'oublier la cohérence du système plato-
nicien, et d'utiliser en fait le même argument pro et contra.
Par exemple, chez Platon, immortalité de l'âme et métem-
psycose sont liées ; or Lactance approuve la première thèse, et
repousse la seconde!
Notre étude a, d'autre part, mis en évidence une lacune (ou
une faiblesse) de l'information de Lactance : très vraisembla-
blement, il ne cite pas de première main, et ne signale que
rarement cette façon de faire; d'autre part, quand il lui arrive
de citer plusieurs fois le même texte de Platon, ses variations
montrent qu'il n'a pas le souci (en fait, moderne) de la litté-
ralité de sa citation. Il est probable que cette manière de
procéder suffit à expliquer quelques erreurs de sa part sur la
pensée véritable de Platon, qu'il connaît à travers Cicéron,
Sénèque, Aulu-Gelle, et aussi, peut-être, quelque dossier
tardif. Le fait qu'il ne cite en grec que des mots isolés, que sa
citation soit la plupart du temps un condensé de l'œuvre
Generated on 2011-09-03 20:09 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
platonicienne, nous paraît révélateur, surtout si l'on compare
cette pratique avec celle qui est la sienne pour d'autres
auteurs. Certains rapprochements que nous avons pu effec-
tuer avec Numénius (ainsi sur le premier et le second dieu;
sur la matière, source du mal) montrent, semble-t-il, que le
Platon que connaît Lactance a déjà fait l'objet d'une longue
réflexion exégétique, bref, qu'il a une histoire. Celle-ci, pour
Lactance, s'est sans doute arrêtée sur les franges du néo-
platonisme proprement dit; nous n'avons en tout cas rien
trouvé qui oblige à supposer que Lactance ait connu un
Platon réfracté par Porphyre128.
128. On ne peut donner ici que quelques pistes de recherche à ce sujet : le
« platonisme implicite » chez Lactance ; le médio-platonisme connu éventuel-
lement par Porphyre, le Contre Hiéroclès d'Eusèbe (or Lactance répond Ã
Hiéroclès dans les Institutions : cf. la préface d'inst. 5).
LE PLATON DE LACTANCE 231
Peut-on préciser cette histoire? Les apologistes grecs,
comme Justin et Clément d'Alexandrie, citent naturellement
Platon en grec, et souvent dans le texte même; en outre, ils
paraissent plus familiers que Lactance avec sa pensée. Quant
à Tertullien et Arnobe, même si l'usage qu'ils font de Platon
n'est pas le même que celui de Lactance (à trois exceptions
près, Arnobe ne renvoie à Platon que dans le second livre de
YAduersus nationes129) et, même si Lactance fait référence Ã
Platon dans l'ensemble de son Å“uvre, il faut noter que ce
sont à peu près les mêmes dialogues qui reviennent chez ces
trois auteurs. Cela invite à penser à l'utilisation d'un Platon
«scolaire» du IIe ou me siècle. Nous n'avons rien trouvé qui
exige l'hypothèse d'un Platon déjà christianisé. Ainsi, sur le
premier et le second Dieu, un dossier «chrétien» est certes
possible, mais on ne peut exclure que Lactance ait utilisé de
manière tendancieuse — volontairement ou non — un dossier
«païen». Semblablement, quelle est au juste la filière du texte
fameux de Timée 28 C? Le Dieu chrétien n'est pas le seul Ã
pouvoir être dit, en un sens, «inconnu». Finalement, ce qui
apparaît chez Lactance, c'est un Platon conventionnel, plus
que personnel, sans doute encore païen — ce qui explique
l'abondance des critiques qui lui sont faites —, lié à une
culture philosophique bien entendu, mais aussi rhétorique,
Generated on 2011-09-03 20:09 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
comme le montre l'étymologie tirée indirectement du Cratyle.
129. Voir la liste des passages dans L. Berkowitz, Index Arnobianus,
s.v. Plato.
232 MICHEL PERR1N
DISCUSSION
S. Casey. — Il est vrai que Lactance cite et utilise souvent les
textes de Platon dans ses Å“uvres, mais il est vrai aussi qu'il rejette
quelques points de sa philosophie (par ex., la métempsycose, la
promiscuité sexuelle dans la République, etc.). Pourquoi fait-il
cela au iv* siècle, à un moment où la vieille dogmatique platoni-
cienne, comme le stoïcisme et l'épicurisme, est morte? A la fin du
second livre des Institutions, avant de commencer à écrire contre
les philosophes dans le troisième livre, Lactance a dit clairement
qu'il va attaquer les philosophes de son temps.
A. Strenna. — Pour apporter un élément de réponse à la remar-
que du R.P. St. Casey, et en l'absence de J.M. Vermander, spécia-
liste de l'apologétique chrétienne, je crois pouvoir attirer l'attention
sur deux points. D'abord, Lactance, dans les Institutions, s'adresse
à un public intellectuel, qui donc ne peut ignorer le Platon de
l'école, même si la philosophie platonicienne orthodoxe n'est plus
celle de l'élite. En second lieu, les apologistes ont souvent pour
dessein d'être «complets». Donc Lactance doit remonter à la
source de la philosophie antique, Ã Platon ; et cela est d'autant plus
important pour lui qu'il a conscience, et il le déclare, de faire mieux
que tous ses prédécesseurs. Cette intention justifierait aussi le
recours à Varron, même si les doctrines religieuses de l'antiquaire
ne correspondent pas aux croyances et aux pratiques de l'époque de
Generated on 2011-09-03 20:11 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Lactance.
M. Perrin. — Je ne vois qu'une chose à ajouter : le texte de
Platon a encore fait l'objet d'une réflexion et d'une exégèse bien
après l'époque de Lactance. Pour ne citer qu'un seul exemple, le
commentaire Sur le Timée de Calcidius est sans doute à dater des
années 380-400. Platon n'est donc pas «en dehors de l'actualité»
intellectuelle à l'époque de Lactance.
J. Doignon. — A propos des intermédiaires entre Platon et Lac-
tance : y a-t-il des traces de l'ouvrage De Platone d'Apulée?
Peut-on repérer des points de contact avec le commentaire Sur le
Timée de Calcidius?
LE PLATON DE LACTANCE 233
M. Perrin. — Je n'ai pas trouvé une trace positive du De Platane
d'Apulée. Il faudrait peut-être pour cela aller au-delà du «Platon de
Lactance», et étudier le «platonisme» de Lactance dans son
ensemble. Les points de contact avec Calcidius me paraissent indi-
quer au moins une tendance : la réflexion philosophique de Lac-
tance sur Platon passe par le moyen-platonisme (a contrario, je n'ai
rien relevé qui permette d'affirmer que Lactance ait remonté Ã
Platon même, ou qu'il ait eu recours à des exégèses néo-platoni-
ciennes).
J.C. Fredouille. — J'attendais, soit dans le préambule, soit dans
la conclusion, quelques phrases prudentes sur les limites d'une
méthode fondée sur le dénombrement des citations explicites.
Certes, vous avez bien dit qu'il ne fallait pas confondre le plato-
nisme de Lactance avec les citations de Platon chez lui, sans en
tirer peut-être toutes les conséquences. Cette remarque vaudrait
tout aussi bien pour la Bible : il y a des pages de Lactance qui sont
des commentaires scripturaires sans référence aucune (P. Monat en
parlera sans doute demain). D'autre part, pour les mêmes raisons,
on ne peut comparer les citations de Platon chez Tertullien et chez
Lactance, le premier étant beaucoup plus discret sur ses sources
(sauf dans le De anima, plus « doxographique » que ses autres
traités, et donc occupant une place à part) : pour prendre un
exemple particulièrement significatif, Tertullien, quoique très pro-
Generated on 2011-09-03 20:12 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
fondément imprégné de Sénèque, ne le mentionne nommément que
dans un nombre très restreint de cas; cela est encore plus net si l'on
exclut le De anima.
M. Perrin. — Comme M.A. Mandouze l'a dit avant moi, mon sujet
consistait à étudier «le Platon de Lactance» et non «le platonisme
de Lactance». C'est-à -dire que je me suis borné aux citations expli-
cites de Platon. Dans ces limites précises et restreintes, il m'a paru
intéressant de comparer l'usage de Lactance à celui de Tertullien.
Comme vous le dites justement, mon étude fait ressortir la diffé-
rence de pratique entre Tertullien et Lactance; par conséquent, elle
confirme en fait ce que vous venez de dire, bien loin de le contre-
dire. Cela étant, il ne faudrait pas tirer argument de tout cela pour
extrapoler les résultats de cette enquête : le «platonisme» de Lac-
tance est un tout autre sujet.
A. Goulon. — A propos de la mention explicite de l'ouvrage d'où
est extrait une citation, on peut remarquer que, lorsqu'il cite les
poètes, Lactance ne précise jamais l'œuvre, sauf en deux cas :
toujours lorsqu'il cite les Fastes, sans doute pour donner plus de
poids à un témoignage sur la religion romaine, et une fois les
Phénomènes d'Ovide.
M. Perrin. — A titre d'hypothèse, je proposerais l'explication
suivante : les citations de philosophes, d'autorités religieuses (Her-
234 MICHEL PERRIN
mes, les Sibylles, l'Ecriture...) ont valeur de preuve pour le lecteur.
Par conséquent, le nom prestigieux de l'auteur à qui l'on fait réfé-
rence vient renforcer la valeur logique de la démonstration. En
revanche, les citations de poètes ont une valeur au moins autant
«esthétique» que «fonctionnelle», à proprement parler. L'explica-
tion que vous donnez à propos des Fastes me paraît au moins très
Generated on 2011-09-03 20:12 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
vraisemblable.
Generated on 2011-09-03 20:13 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
LA CULTURE RELIGIEUSE DE LACTANCE
Generated on 2011-09-03 20:13 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS
Le titre choisi pour cette brève communication risque de
paraître aux «lactanciens» quelque peu inattendu ou inadéquat,
et, de toute manière, d'un modernisme bien gratuit, sinon
provocant. Ne considère-t-on pas, en effet, très généralement,
que l'attitude de Lactance à l'égard des religions païennes n'est
autre que celle d'un polémiste, qui, de surcroît, se contente de
prolonger contre la mythologie et le polythéisme une polémique
déjà plus que séculaire à l'intérieur même de la seule littérature
chrétienne — bref, une polémique traditionnelle et sans doute, Ã
sa date, anachronique ?
Anachronique ? je n'en suis pas si sûr. Imaginer un Lactance
« luttant contre des moulins à vent », pour reprendre l'expression
de K. M. Setton 1, la formule est pittoresque, elle n'est peut-être
pas juste. Et de toute façon, si elle convenait à Lactance, elle
mériterait plus encore d'être appliquée à d'autres écrivains
postérieurs. Ce qui pose d'ailleurs le problème plus général de
l'actualité des polémiques chrétiennes anti-idolâtriques, qui ne
nous intéresse pas directement ici, mais sur lequel on a trop
tendance, nous semble-t-il, Ã porter un jugement sommaire, en
sous-estimant la force de résistance de la religion païenne.
Polémique traditionnelle ? certes, dans la mesure où l'argu-
I. Christian Attitude towards the Emperor in the fourth Century, New-
Generated on 2011-09-03 20:14 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
York 1941, p. 63. Comme on l'a d'ailleurs souvent remarqué, si Lactance
s'en prend plus particulièrement à Jupiter et Hercule, c'est bien parce qu'il
vise la mystique impériale de la Tétrarchie.
238 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
mentation qu'utilise Lactance pour combattre l'erreur païenne,
les procédés satiriques qu'il met en œuvre pour la déconsidérer
ne sont pas nouveaux. Pouvait-il en être autrement ? Dès ses
débuts, le christianisme s'est trouvé en possession d'un réper-
toire quasi exhaustif de thèmes anti-idolâtriques que lui fournis-
saient les littératures vétéro- et néo-testamentaire, juive et, enfin,
païenne2. Lactance a puisé dans cet arsenal d'arguments et de
critiques, comme d'autres l'avaient fait avant lui et devaient le
faire après lui. Pourtant, l'état d'esprit qui anime et ordonne ces
arguments et ces critiques est nouveau.
R. Pichon paraît avoir pressenti cette nouveauté en faisant
observer que, dans sa polémique contre la religion païenne, ce
que Lactance avait perdu « en vivacité dramatique » par rapport Ã
ses devanciers comme Tertullien ou Arnobe, il l'avait gagné « en
clarté et en justesse de raisonnement » ; et il ajoutait : « c'est là sa
part personnelle»3. Mais l'on peut être, croyons-nous, plus
précis dans l'analyse et situer avec plus d'exactitude la place
qu'occupe Lactance dans la longue suite des Pères de l'Église qui
ont combattu l'idolâtrie. Car l'originalité de l'auteur des Insti-
tutions divines dans sa critique des religions païennes, le trait qui
le distingue de ses devanciers et le rapprocherait d'Eusèbe est
sans doute qu'il est le premier à avoir tenté de faire œuvre
d'historien. Quelques exemples illustreront ce que nous pouvons
Generated on 2011-09-03 20:14 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
entendre par là . Ils montreront que Lactance avait bien le sens de
l'histoire et qu'il possédait même une théorie de l'histoire des
religions.
*
**
Nous voyons tout d'abord se manifester chez Lactance le
souci de dater les événements, d'établir une chronologie. Sans
doute ce souci a-t-il été partagé par d'autres avant lui, et, plus
particulièrement, on sait la place que tiennent les chronologies du
2. Cf. notre article «Gôtzendienst», à paraître dans le RLAC.
3. Lactance, Etude sur le mouvement philosophique et religieux sous le
règne de Constantin, Paris 1901, p. 74.
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS 239
monde chez Théophile d'Antioche, le seul Père grec d'ailleurs
que Lactance cite nommément et dont il paraît avoir subi
l'influence. L'un et l'autre ne recourent pas pourtant à la chrono-
logie dans le même esprit. Le dessein de l'Antiochien est bien
défini : montrer que l'Ancien Testament est antérieur aux écrits
des Égyptiens ou des Grecs, que Moïse a vécu avant Homère,
que l'antériorité historique est signe de supériorité dogmatique4.
Ce point de vue n'est pas totalement absent des Institutions
divines. Ainsi, quand il résume les calculs de Théophile, qui du
reste suit lui-même ceux de l'historien juif Josèphes, Lactance
n'omet pas de rappeler à son tour le caractère récent de la religion
païenne (1, 23, 1-5). Mais il le fait dans une perspective différente:
moins pour affirmer la supériorité du christianisme sur le paga-
nisme que pour inviter les païens à ne pas se faire gloire d'une
antiquité toute relative (1 800 ans !). Et surtout, l'intérêt de ces
calculs, venant après l'analyse de la nature du paganisme (objet
du livre I) et précédant l'explication de sa naissance et de son
développement (objet du livre II), est de permettre à Lactance de
situer exactement dans le temps ces croyances superstitieuses.
On pourrait naturellement discuter pour savoir si la place attri-
buée à ces calculs dans l'économie de l'ouvrage est la plus
logique, si la fonction de transition qui leur est en quelque sorte
confiée, à l'articulation du livre I et du livre II, est la plus
Generated on 2011-09-03 20:14 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
adéquate, il n'empêche que l'on mesure la différence des points
de vue entre Théophile et Lactance.
Mais l'originalité de ce dernier apparaîtra mieux encore à deux
autres indices. Il nous semble en effet qu'il est le premier écrivain
chrétien à avoir visé, comme nous dirions, à une certaine
objectivité. Tandis que généralement ses prédécesseurs recou-
raient à la doctrine évhémériste pour rabaisser les dieux païens Ã
l'humanité, Lactance — d'ailleurs le mieux informé de tous les
Pères à cet égard — présente l'évhémérisme plus impartialement
comme une explication psycho-sociologique, permettant de
comprendre, à une époque donnée, un certain nombre de phéno-
mènes religieux. A cet effet il s'appuie explicitement sur les
4. Cf. Ad AutoL, II1, 16 (in); 26 (in).
5. Cf. J. Sirini i 11. Les vues historiques d'Eusèbe de Césarée durant la
période prénicéenne, Dakar 1961, p. 506.
240 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
auteurs profanes qui ont traité de la doctrine du mythographe
grec, tout en apportant sa propre contribution, en se livrant par
exemple à une esquisse d'histoire comparée des religions (cf. I,
15, 6, où aussi bien le culte impérial romain que l'apothéose des
rois maures sont expliqués par la doctrine évhémériste) ; mais,
d'autre part, il ne s'en tient pas à ce niveau théorique : il cherche Ã
comprendre, à la lumière de cette doctrine, les motifs, les raisons
qui ont pu conduire les hommes à diviniser certains de leurs
contemporains. Certes, pas plus qu'un Tertullien ou qu'un
Arnobe, Lactance n'échappe à la tentation d'utiliser l'évhémé-
risme dans un dessein polémique et dépréciatif : il signale par
exemple le rôle qu'ont pu jouer la flatterie ou la corruption des
sujets dans la divinisation de certains rois (cf. I, 15,2). Mais il
observe le silence sur la divinisation des scélérats, thème sati-
rique pourtant fréquent dans la polémique chrétienne anti-idolâ-
trique. Le plus souvent, il n'a aucun scrupule à analyser les
sentiments sincères d'admiration, de reconnaissance et de piété
qui sont à l'origine de la divinisation (cf. I, I5,2sq. ;8,8); et cet
effort de sympathie pour décrire les circonstances psycholo-
giques dans lesquelles sont apparues les divinités païennes lui
permet de citer longuement, sans en déformer l'esprit ou l'inten-
tion, les textes des auteurs païens relatifs à la doctrine d'Évhé-
mère.
Generated on 2011-09-03 20:15 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Cet effort, tout au moins relatif, d'impartialité et de sympathie
s'accompagne d'un intérêt nouveau porté aux conditions nous
oserons dire sociologiques ou socioculturelles dans lesquelles se
sont développés les cultes païens : ceux-ci sont nés au sein des
familles, ont été adoptés par les cités, puis par les provinces ; ils
se sont transmis aux enfants, aux petits-enfants et, dans les cas
les plus favorables à toute la postérité (cf. I, 15, 8; 15, 7). Et
tandis que se répand le sentiment de reconnaissance, le culte des
dieux et leur nombre croissent également. Il arrive d'ailleurs que,
à ce stade de l'évolution et du développement de la religion
païenne, la pureté originelle des sentiments dégénère, que cette
dégénérescence soit due à la vanité des familles,désireuses de
compter des dieux en leur sein, ou au rôle néfaste des poètes,
particulièrement des poètes grecs, dont l'imagination aentretenu
le mensonge. De façon plus générale, même dans les cas où il ne
ménage pas ses critiques, l'historien ne s'efface pas complè-
tement devant le polémiste : on voit Lactance s'attacher à décrire
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS 241
minutieusement, sans complaisance mais sans hostilité, les condi-
tions dans lesquelles tel culte est né, s'est organisé, répandu. Ce
parti s'affirme avec une netteté particulière par exemple dans les
pages qui sont consacrées à Numa (1,22).
*
**
Ainsi donc, son souci de situer les faits dans leur temps et dans
leur contexte sociologique révèle chez Lactance un sens de l'his-
toire qu'il ne faudrait surtout pas surestimer, mais qui est réel, et
nouveau dans la polémique chrétienne des premiers siècles
contre le paganisme. Mieux encore, ce sens de l'histoire paraît
soutenu chez lui par une doctrine à certains égards plus ferme
que celle de ses devanciers.
Elle se manifeste tout d'abord dans l'explication qu'il propose
de la nature du phénomène religieux païen. Quand on parcourt les
pages que les Pères de l'Église avaient écrites jusqu'alors ou
même qu'ils écriront ensuite, on est frappé par le fait que ces
écrivains donnent souvent l'impression d'hésiter entre diffé-
rentes explications de l'origine ou de la nature des dieux du
paganisme. Selon les cas les dieux n'ont aucune existence, ils
sont des « néants » ; ou bien ce sont des démons ; ou encore des
hommes divinisés ; ou enfin des forces naturelles, des éléments,
des astres, ou des notions abstraites, personnifiés et sacralisés.
Generated on 2011-09-03 20:17 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Une telle variété d'explications, héritée d'une pluralité de sour-
ces (bibliques, juives, païennes) elles-mêmes diverses, n'est pas
nécessairement inconciliable ; mais elle n'est pas toujours pré-
sentée avec toute la cohérence qu'on attendrait. A cet égard,
Lactance se montre plus rigoureux. Même si les raisons de son
choix ne sont pas exemptes d'arrière-pensées apologétiques6, il
ne retient qu'un seul système d'explication qui, en combinant
évhémérisme et démonologie, permet de rendre compte à la fois
de l'objet des croyances païennes et du sentiment religieux qui
6. En ce que par exemple il écarte l'interprétation allégorique chère aux
stoïciens, qui l'utilisaient, comme on sait, pour sauver les croyances tradi-
tionnelles et concilier avec la théologie physique ou philosophique la théo-
logie mythique ou poétique. Cf. inst. I, 12, 3; 12, 10; 17. I.
242 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
anime les fidèles : pour Lactance en effet, les dieux du paganisme
sont des hommes divinisés et ce sont les démons qui incitent les
païens à adorer ces hommes après leur mort ou encore qui se font
adorer eux-mêmes sous leur nom (cf. II, 16, 3).
Second mérite que l'on peut reconnaître à Lactance en ce
domaine, il a réfléchi, avec plus d'acuité que d'autres, à ce qu'a
représenté le paganisme en tant que phénomène religieux histo-
rique. Dans le long débat —qui n'est pas définitivement clos 7—
sur l'antériorité ou la postériorité respective du monothéisme et
du polythéisme, on se doute bien quelle est la thèse que défendent
les Institutions divines. Mais s'il est convaincu, comme ses
prédécesseurs, de l'antériorité du monothéisme des Hébreux sur
le polythéisme d'Homère et des philosophes, Lactance a aussi le
souci, qu'ils n'avaient pas, de décrire les conditions historiques
dans lesquelles le polythéisme a succédé au monothéisme :
Quand il sortit de l'arche... Noé cultiva soigneusement
la terre et planta de la vigne de ses mains... (On voit parlÃ
qu'ils ont tort ceux qui font de Liber l'inventeur du vin, car
Noé a précédé, de bien des générations, Liber et même
Saturne et Uranus). Au moment des premières vendanges,
sa joie le conduisit à boire jusqu'à l'ivresse et il s'étendit
sans vêtement. Ce que voyant, l'un de ses fils, nommé
Cham, au lieu de recouvrir la nudité de son père, s'en
Generated on 2011-09-03 20:18 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
retourna pour aller prévenir ses frères. Ceux-ci prirent un
manteau, entrèrent en détournant le visage et recouvrirent
leur père. Quand Noé apprit ce qui s'était passé, il renia
son fils et le chassa. Celui-ci s'enfuit dans cette région de la
terre que l'on appelle aujourd'hui l'Arabie, mais qu'on avait
appelée, de son nom, Chanaan et ses descendants Chana-
néens. Ce fut la première race qui ignora Dieu, car son chef
et fondateur n'avait pas appris de son père, qui l'avait
maudit, à rendre un culte à Dieu. C'est ainsi qu'il laissa ses
descendants dans l'ignorance de Dieu... Les descendants
de Noé, pour leur part, furent appelés les Hébreux : chez
eux, le culte de Dieu se maintint. Mais leur nombre grandit
et devint considérable, le pays se révéla trop étroit pour les
contenir ; alors, envoyés par leurs parents ou de leur
propre initiative, contraints par le manque de ressources.
7. Cf., bien que déjà un peu ancienne, la mise au point de R. Pettazzoni,
La formation du monothéisme, dans RUB, t. 2, 1950, p. 209-219.
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS 243
les jeunes se dispersèrent à droite et à gauche, à la
recherche de nouveaux territoires, peuplant toutes les îles
et toute la terre ; coupés de la souche qui les reliait à la
sainte racine, ils se créèrent à leur gré de nouvelles
habitudes et de nouvelles coutumes. Ceux qui occupèrent
l'Egypte furent les premiers à se mettre à lever les yeux
vers les astres et à les adorer... Par la suite, certains
prodiges les amenèrent à imaginer et à adorer des figures
animales monstrueuses... Quant aux autres, qui s'étaient
dispersés à travers la terre, ils admiraient les éléments du
monde, le ciel, le soleil, la terre, la mer, ils les adoraient
sans images ni temples, et célébraient en leur honneur des
sacrifices sur des lieux découverts. Jusqu'au jour où, avec
le progrès du temps, ils ont élevé, aux rois les plus
puissants, des temples et des statues, et où s'institua
l'usage cultuel des victimes et des parfums. Telle fut la
façon dont les peuples commencèrent à s'égarer loin de la
connaissance de Dieu. C'est pourquoi ils se trompent ceux
qui prétendent que l'idolâtrie a existé dès le commen-
cement du monde et que le paganisme est antérieur à la
croyance en Dieu ; ils pensent que celle-ci a été découverte
plus tard, parce qu'ils ignorent la source et l'origine de la
vérité8.
Generated on 2011-09-03 20:19 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
8. Inst. II 13, 4-13 : Me uero cum egressus esset arca... studiose coluit ac
uineam sua manu seuit. Unde arguuntur qui auctorem uini Liberum putant.
Me enim non modo Liberum, sed etiam Saturnum atque Uranum multis
antecessit aetatibus. Qua ex uinea cum primum fructum ceoissetâ– laetus
factus bibit usque ad ebrietatem iacuitque nudus. Quod cum uidisset unus ex
filiis, cui nomen fuit Cham, non texit patris nuditatem, sed egressus etiam
fratribus indicauit. At illi sumpto pallio intrauerunt auersis uultibus patrem-
que texerunt. Quae facta cum pater recognosset, abdicauit atque expulit
filium. At ille profugus in eius terrae parte consedit quae nunc Arabia
nominatur, eaque terra de nomine eius Chanaan dicta est et posteri eius
Chananaei. Haec fuit prima gens quae deum ignorauit, quoniam prinCeps
eius et conditor cultum dei a patre non accepit maledictus ab eo : itaque
ignorantiam diuinitatis minoribus suis reliquit... Ipsius autem patris posteri
Hebraei dicti : penes quos religio dei resedit. Sed et ab his postea multipli-
cato in inmensum numero cum eos angustiae locorum suorum capere non
possent, tum adulescentes uel missi a parentibus uel sua sponte, cum rerum
penuria cogeret, profugi ad quaerendas sibi nouas sedes huc atque illuc
dispersi omnes insulas et orbem totum repleuerunt et a stirpe sanctae radicis
auulsi nouos sibi mores atque instituta pro arbirio condiderunt. Sed omnium
primi qui Aegyptum occupauerant caelestia suspicere atque adorare coepe-
runt... Postea deinde portentificas animalium figuras quas coterent com-
menti sunt quibusdam prodigiis inducti... Ceteri autem qui per terram
dispersi fuerant admirantes elementa mundi, caelum solem terram mare,
244 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
Nous voyons donc comment, à partir du récit de la Genèse ',
Lactance conçoit le passage du monothéisme (religio dei, notitia
dei, cultus dei) au polythéisme (deorum cultus). L'événement qui
déchenche le processus de dégradation est daté : il a lieu après le
déluge, dans des circonstances bien précises. Il est possible,
d'ailleurs, que Lactance se fasse ici l'écho de doctrines issues de
milieux juifs10. Mais le polythéisme — ('«idolâtrie» — ne
succède pas directement au monothéisme : il y a une première
période transitoire d'athéisme (ignorantia dei, diuinitatis) ; et
cette ignorance de Dieu caractérise d'une part les Chananéens, et
cela très tôt, d'autre part elle se manifeste progressivement, par
dégénérescence naturelle de la foi dans le Dieu unique, chez les
Hébreux dispersés à travers le monde11. Cette période d'athé-
isme est suivie d'une autre époque, durant laquelle les hommes
ont vénéré les éléments en pratiquant un culte aniconique. Ils se
sont ensuite adonnés au culte des rois puissants. Mais l'idolâtrie a
pénétré au sein du peuple juif lui-même : Lactance consacrera un
sine ullis imaginibus ac templis uenerabantur et his sacrificia in aperto
celebrabant, donec processu temporum potentissimis regibus templa et simu-
lacre fecerunt eaque uictimis et odoribus colere instituerunt. Sic aberrantes
a notitia dei gentes esse coeperunt. Errant igitur qui deorum cultus ab
exordio rerum fuisse contendunt et priorem esse gentilitatem quam dei
religionem, quam putant posterius inuentam, quia fontem atque originem
Generated on 2011-09-03 20:19 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
ueritatis ignorant.
9. Gen., 9, 20-27 : ce récit ne relate naturellement que l'attitude de Cham
(qu'il oppose à celle de ses frères Sem et Japhet) et la malédiction dont il est
l'objet de la part de son père Noé.
10. En effet pour Jubilés, II, 4, l'idolâtrie a commencé avec le fils de
Noé. Cf. M. Gilbert, La critique des dieux dans le Livre de la Sagesse (Sag.
13-15), Rome, 1973, p. 142.
11. Toutefois, en V, 5, 3 et 9, Lactance écrit que l'humanité a connu le
vrai Dieu jusqu'à la fin du règne de Saturne, lorsqu'il dut se réfugier en
Italie. Les deux «chronologies «ne semblent donc pas coïncider, encore que
l'on puisse admettre, à la rigueur, que cet âge d'or identifié au règne de
Saturne et postérieur au Paradis, corresponde approximativement ou symbo-
liquement à la période pendant laquelle le monothéisme s'est maintenu, du
moins chez les Hébreux (cf. supra, inst., II, 13, 8 : penes quos (= Hebraeos)
religio dei resedit). Quoi qu'il en soit, V. Loi, Lattanzio nella Storia dei
Linguaggio e dei Pensiero teologico pre-niceno, Zurich, 1970, p. 242, fait
remarquer à juste titre que, en V 5, 3-9, Lactance adapte à son dessein
polémique et apologétique un autre schéma, celui des quatre âges de l'huma-
nité, qui lui permet de confondre les païens, en les amenant à reconnaître
que, depuis la fin de l'âge d'or, il n'y a plus eu de véritable justice. Seul
l'avènement du Christianisme a permis la restauration de l'âge ancien.
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS 245
peu plus loin dans son ouvrage un chapitre à en décrire le
développement (cf. IV, 10, 5 sq.).
Malgré sa brièveté, cette histoire des religions fait penser aux
vues d'Eusèbe sur le sujet : après la «chute», c'est-à -dire
lorsque, passant outre au commandement divin, l'homme fut
projeté sur cette terre, a suivi une période d'athéisme originel ;
puis, deux religions apparurent parallèlement : d'une part la vraie
connaissance de Dieu, communiquée à quelques-uns par le
Verbe divin qui suscita ainsi la naissance des Hébreux, ancêtres
des chrétiens, d'autre part la religion astrale, à laquelle succéda
une autre superstition, celle des dieux multiples et anthropo-
morphes ; enfin, constituant la dernière grande étape de l'histoire
des religions, prévalut la religion allégorique. Sans doute, l'es-
quisse lacunaire et parfois hésitante de Lactance ne saurait être
comparée à la fresque plus grandiose d'Eusèbe que nous avons
résumée à grands traits12. Il convient néanmoins de souligner la
perspective commune aux deux contemporains et la place que
tous deux accordent à l'athéisme, même si, dans l'ordre de
succession des périodes religieuses de l'humanité, cette place est
différente.13.
il restait enfin à Lactance à expliquer comment et pourquoi le
polythéisme et les superstitions ont pu si longtemps se propager.
Cette fois, nous quittons le domaine de l'histoire, car l'explica-
Generated on 2011-09-03 21:00 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tion ne peut être que théologique et touche à la théodicée 14. La
réponse de Lactance à cette question difficile reflète naturelle-
12. D'après J. Sirinelli, (cité supra, n. 5), p. 164-207.
13. On pourrait signaler d'autres convergences entre Lactance et Eusèbe,
par exemple la distinction entre religion hébraïque (antérieurement à Moïse)
et religion juive ou mosaïque (cf. PE, VI1, 6, 3-4; i. Sirinelli, op. laud.,
p. 146 sq. : inst. IV, 10, 6 et 14; epit., 38, 3; V. Loi, op. laud., p. 240); ou
encore le rôle dévolu au judaïsme mosaïque dans l'histoire religieuse pré-
chrétienne, considéré par Lactance comme une période d'«attente» (cf.
A. Luneau, L'histoire du salut chez les Pères de l'Eglise, La doctrine des
âges du monde, Paris, 1964, p. 232), par Eusèbe comme une période de
«conservation formaliste» (cf. J. Sirinelli, op. laud., p. 158 sq.), autrement
dit, par l'un et l'autre, comme une phase intermédiaire, et non pas ascen-
dante et préparant l'avènement du christianisme (toutefois, Eusèbe adopte un
point de vue plus favorable à la religion mosaïque dans \'Histoire écclésias-
tique).
14. Sur les principaux types de solutions proposées par les Pères de
l'Eglise, cf. H.-I. Marrou, Commentaire de l'épître A Diognète, SC 33,
Paris, 1951, p. 202-207.
246 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
ment ses conceptions dualiste et millénariste. Dieu a laissé agir
les démons, qui ont fait tomber les hommes dans l'erreur, « afin
qu'il y eût un combat entre le mal et le bien, afin que le vice fût
opposé à la vertu, afin que Dieu pût punir les uns, récompenser
les autres » 15. Cette lutte entre les forces du bien et celles du mal
s'est prolongée jusqu'à l'avènement du christianisme, qui a mis
un terme à l'idolâtrie : « En effet, quand Dieu vit que le mal et le
polythéisme avaient grandi à travers toute la terre à un point tel
que son nom était presque sorti de la mémoire des hommes
—puisque même les Juifs, qui seuls s'étaient vu confier le
mystère de Dieu, pris au piège des démons, avaient abandonné le
Dieu vivant, s'en étaient écartés pour adorer les idoles et, malgré
les réprimandes des Prophètes, ne voulaient pas revenir à lui—, il
envoya aux hommes son fils, le prince des anges, pour qu'il les
détournât des idoles impies et vaines, et leur permît de
connaître et d'adorer le vrai Dieu, et aussi afin qu'il fit passer leur
esprit de la folie à la sagesse, de l'injustice aux œuvres de jus-
tice ,6 ». Et Lactance ajoute : « Dieu, qui est le plus indulgent des
pères, a envoyé son messager vers la fin des temps, pour qu'il
rétablît l'âge ancien et la justice qui avait été bannie... L'état de
l'âge d'or est donc revenu et a été rendu à la terre.,7 ». Cet âge
d'or, où à vrai dire tout n'est pas encore parfait, touche d'ailleurs
à sa fin : le sixième millénaire s'achève bientôt, dans deux siècles
*
**
Generated on 2011-09-03 21:01 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
plus précisément18. Ce sera alors le millénium.
15. Inst. II, 17, I : ««/ mala cum bonis pugnenl, ut uitia sint aduersa
uirtutibus, ut habeat alios quos puniat, alios quos honore!».
16. Inst. IV, 14, 17 : "Deus enim cum uideret malitiam et falsorum deorum
cultus per orbem terme ita inualuisse, ut iam nomen eius ex hominum
memoria fuisse! paene sublatum — siquidem Iudaei, quoque, quibus solis
arcanum dei creditumfuerat, relicto deo uiuo ad colendafigmenta inretiti dae-
monum fraudibus aberrassent nec increpiti per prophetas reuerti ad deum
uellent —, filium suum principem angelorum legauit ad homines, ut eos
conuerteret ab inpiis et uanis cultibus ad cognoscendum et colendum deum
uerum. item ut eorum mentes a stultitia ad sapientiam, ab iniquitate ad
iustitiae opera traduceret». Sur l'origine judéo-chrétienne du titre «princeps
angelorum» donné au fils de Dieu, cf. V. Loi, (cité supra, n. Il), p. 214-215.
17. Inst. V, 7, 1-2 : «Sed deus ut parens indulgentissimus adpropinquante
ultimo tempore nuntium misit, qui uetus illud saeculum fugatamque iustitiam
reduceret... Rediit ergo species illius aurei temporis et reddita quidem
terrae».
18. Inst. VII, 25, 5.
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS 247
Telle est, schématiquement et brièvement présentée, la
conception de l'histoire religieuse de l'humanité qui se dégage
des Institutions divines. Elle a valu à son auteur une critique
assez sévère. On lui a souvent reproché en effet de n'avoir pas
possédé de véritable théologie de l'histoire, d'en avoir ignoré le
mouvement organique, d'avoir méconnu la « pédagogie divine »,
l'édification morale et religieuse de l'humanité,9. Ce reproche
est certainement fondé. En revanche, et c'est seulement cela que
nous voulions souligner, mieux que les polémistes chrétiens qui
l'ont précédé, Lactance nous a paru avoir tenté de faire œuvre
d'historien des religions, et même de théoricien de l'histoire des
religions. Son effort pour situer les faits religieux dans leur
contexte et analyser leurs motivations humaines, mérite de
retenir l'attention et d'être porté à son crédit.
Ce sens du sacré, même païen, répond du reste à une préoc-
cupation dominante de la pensée de Lactance, pour qui l'homme
est avant tout un être religieux : le souverain bien réside dans la
religion, summum... hominis bonum in sola religioneest(III, 10,
I). La formule est belle, mais n'allait pas de soi. Elle met en
évidence l'infléchissement que Lactance faisait subir au thème
du status rectus providentiellement accordé à l'homme pour qu'il
pût contempler le ciel et appréhender le divin20, déduisant ainsi
de l'anthropologie philosophique, tôt reprise par les chrétiens,
Generated on 2011-09-03 21:01 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
une formulation téléologique nouvelle21. Et c'est peut-être parce
qu'il était convaincu de cette vérité existentielle que, tout en
19. Ainsi J. Daniélou, La typologie millénariste de la semaine dans le
christianisme primitif, p. 15, dans Vig. Chr., 2, 1948, p. 1-16; ou encore
A. Luneau, (cité supra, n. 13), p. 234; V. Loi, op. laud., p. 235 sq. fait
montre d'un peu moins de sévérité.
20. Sur l'histoire de ce «topos» d'origine platonicienne, cf. A. Wlosok,
Laktanz und die philosophische Gnosis. Untersuchungen zu Geschichte und
Terminologie der gnostischen Erlôsungsvorstellung, Heidelberg, 1960, p. 8-
47; 116-127; 192-200. Sur l'accueil que lui ont réservé les auteurs chrétiens,
M. Pellegrino, // » topos» dello « status rectus» nel contesto filosofico e
biblico (A proposito di Ad Diognetum 10, 1-2), dans Mutins, Festschrift Th.
Klauser (= JbAC, Ergà nzungsband I), 1964, p. 273-281. Fichier des réfé-
rences lactanciennes à ce «topos» dans M. Pellegrino, édition de YOcta-
vius, Torino, 19552, p. 126.
21. Cette nouveauté ressort bien de la revue que fait Lactance. epit., 28.
des différentes formulations téléologiques proposées par les écoles philo-
sophiques. Cf. aussi : inst., 11â– 7, 7-10.
248 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
affirmant bien haut la supériorité du christianisme22, il a jeté sur
les religions païennes un regard plus compréhensif que d'autres
avant lui, en tout cas moins systématiquement hostile. Il était
même porté à faire preuve de quelque indulgence envers les
hommes qui se sont trompés dans leurquête du divin (cf. III, 10,15
-11,1 sq.) et dont l'erreur est d'autant plus excusable qu'ils ont
été abusés de bonne foi par les poètes, habiles à mêler fiction et
vérité (I, 11,24).
Mais cette sérénité relative dont fait preuve Lactance, ce
relâchement de la tension polémique que l'on constate dans les
Institutions divines et qui, d'une certaine manière, préfigure
l'attitude qu'adoptera, un siècle plus tard, Théodoret de Cyr dans
sa Thérapeutique des maladies helléniques, s'expliquent sans
doute également, et peut-être même surtout, par le recul qu'il a su
prendre par rapport aux faits païens qu'il décrit. En ce début du
IVe siècle, Lactance a le sentiment très juste que, sous leurs formes
traditionnelles, les religions païennes n'ont plus d'avenir : certes
elles subsistent, elles résistent, mais appartiennent désormais au
passé. Une autre vision religieuse du monde s'est substituée ou est
en train de se substituer à elles. Cette conviction explique l'atti-
tude sereine de Lactance à l'égard de la religion païenne, comme
elle explique, sur un autre plan, son attitude accueillante à l'égard
de l'esthétique des écrivains païens " : il y a, dans l'un et l'autre
Generated on 2011-09-03 21:02 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
domaine, convergence de vues. Mais pourpercevoir une mutation
de cet ordre, il fallait assurément une pénétration du jugement plus
exercée que celle qu'on accorde généralement à Lactance : il
fallait être capable de déceler une évolution irréversible dans les
mentalités. Sans doute fera-t-on observer que les Institutions
divines sont contemporaines des édits de 311 et 313 — et nous
nous garderons d'aborder le délicat problème de la datation
exacte de leurs sept livres ou celui que posent les deux dédicaces
22. La religion chrétienne est en effet, à ses yeux, seule capable de
satisfaire les deux aspirations profondes de l'homme que sont le bonheur et
la vertu, et c'est pourquoi il peut l'identifier à la sagesse et la présenter
comme le véritable telos : cf. inst. III, 12, 35-36.
23. Cf. notre article «L'esthétique théorique des écrivains paléochrétiens»,
à paraître dans les Mélanges J. Collart.
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS 249
à Constantin24. Mais, à notre sens, ces mesures officielles —
quelle qu'ait été leur importance historique — n'ont pu que
conforter Lactance dans ses vues : il paraît, en effet, peu
vraisemblable qu'elles aient suffi à susciter des convictions dont
la genèse et la maturation leur sont certainement antérieures.
24. Cf. E. Heck, Die dualistischen Zusà tze und die Kaiseranreden bei
Lactantius. Untersuchungen zur Texigeschichte der Diuinae Institutiones
Generated on 2011-09-03 21:02 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
und der Schrifi De opificio Dei, Heidelberg, 1972.
250 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
DISCUSSION
J. Fontaine. — L'attitude décidément historique que prend Lac-
tance, en se faisant historien du paganisme, pourrait-elle procéder d'au-
tres sources : d'une part, les catégories fortement historiques et histori-
cisantes de la mentalité romaine, et les précédents des historiens et
érudits romains dans leur attention aux phénomènes religieux? En
second lieu, une sorte de tendance à projeter sur les religions païennes
des schémas d'« histoire sainte » issus de la Bible et du judaïsme
hellénistique ? Bref, est-on en présence d'une nouvelle convergence,
plus efficace, entre mentalité scripturaire et hébraïque, et mentalité
romaine ? Et cette démarche est-elle le produit naturel de la culture de
Lactance, ou s'inscrit-elle délibérément dans le dessein protreptique et
apologétique, et comment ?
J.C. Fredouille. — Que la conception lactancienne de l'histoire des
religions, telle que j'ai essayé de la décrire et de la comprendre, soit
tributaire des catégories historicisantes de la mentalité romaine et de
certains schémas d'histoire sainte, la chose n'est guère douteuse. Mais
ces catégories et ces schémas s'imposaient également à plusieurs de ses
devanciers chez lesquels on ne voit pas qu'ils aient entraîné les mêmes
conséquences : or c'est cela qu'il faut tenter d'expliquer. Naturellement
il ne faudrait pas exagérer l'originalité ou le succès de l'effort de
Lactance, qui reste un polémiste. Néanmoins il mérite d'être rapproché
de celui de son contemporain Eusèbe, mêmes si les vues de ce dernier
Generated on 2011-09-03 21:17 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
ont une ampleur à laquelle ne saurait prétendre l'esquisse lactancienne.
A. Méhat. — N'y a-t-il vraiment avant Lactance aucun exemple
chez les Apologistes de cette attitude compréhensive que vous trouvez
chez lui ? Par exemple, dans le Contre Celse, et chez Origène en
général, la théorie de l'astrolâtriecomme moindre mal n'est-elle pas un
signe de cette ouverture que vous félicitez Lactance d'avoir inauguré ?
J.C. Fredouille. — Pour les Apologistes, la pire forme d'idolâtrie
est, sans aucun doute, la zoolâtrie. En comparaison, tout autre culte
idolâtrique ne peut leur apparaître que comme un moindre mal. Mais
quand on suit l'histoire de la polémique anti-idolâtrique. ce qui frappe.
dans le cas de Lactance, c est le recul qu'il prend par rapport aux
phénomènes religieux païens, tout en les combattant, bien sûr. mais en
LACTANCE HISTORIEN DES RELIGIONS 251
ayant le sentiment qu'ils appartiennent à un monde révolu, ou en passe
de le devenir. D'où sa relative modération, son effort de compré-
hension, auxquels ses prédécesseurs ne nous avaient pas habitués et
qu'explique sa prise de conscience d'un état de fait. Cela dit, mais la
remarque vaut pour tous les cas où nous sommes amenés à parler de
nouveauté, il est évident que toute attitude, si nouvelle qu'elle nous
paraisse, est toujours préparée, au moins partiellement, inchoative-
ment. par des comportements antérieurs. Toute attitude impliquant, Ã
un titre ou à un autre, une distanciation par rapport aux «idoles»
annonce donc, en un sens, l'attitude de Lactance ; mais il ne semble pas
que celui-ci ait été influencé par Origène en particulier.
F. Corsaro. — Le caractère moins accentué, en regard des autres
auteurs chrétiens, de la polémique de Lactance contre l'evhémérisme,
me semble confirmer tout ce que, sous un autre point de vue, j'ai mis en
lumière, c'est-à -dire le culte de Lactance pour la uirtus, même dans son
explication sur un plan purement humain.
J.C. Fredouille. — Il y a sans doute, entre les deux attitudes,
un lien, un rapport qui mériterait d'être analysé, précisé.
J. Rougé. — Je vous félicite de ne pas être tombé dans l'idéalisation
béate de S. Rossi (GIF 1961). Je crois cependant Lactance moins
impartial et serein que vous l'avez dit. Par exemple, l'insistance sur la
divinisation de Flora, prostituée enrichie, est d'une lourdeur ironique
qui ne s'accorde guère avec cette position. Je pose ensuite la question de
Generated on 2011-09-03 21:19 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
savoir quelle était la réalité du paganisme attaqué. C'est le paganisme
littéraire d'Horace, Virgile et Ovide ; mais à part une élite qui le
conserve en le transformant (ce qui n'apparaît guère chez Lactance), il
ne correspond ni à la religion politique tétrarchique (attaquée seulement
avec virulence dans le De mortihus), ni à la religion populaire. Ce n'est
pas contre ce paganisme de rhéteur qu'a lutté saint Martin. — A propos
de la comparaison Eusèbe - Lactance, je signale l'opinion, assez
opposée à celle présentée, que formulait jadis (mais il y a toujours
intérêt à lire les vieux auteurs) A. Beugnot dans son Histoire de la
destruction du paganisme en Occident (t. 1, 1835). Pour lui, Eusèbe
écrit contre un paganisme oriental mort ou moribond, d'où son déta-
chement à son égard, alors que Lactance écrit contre un paganisme
occidental encore bien vivant et qui, de ce fait, impose au christianisme
une tolérance de fait (t. I, ch. 4 et 5). Sans croire à la réalité
fondamentale de cette affirmation (contredite pour l'Orient par le règne
de Julien), il pense qu'elle devrait inciter à une étude parallèle plus
poussée des deux auteurs.
J.C. Fredouille. — Vous faites allusion aux plaisanteries sur Flora :
il y en a bien d'autres, de la même veine, et tout aussi traditionnelles
dans la polémique anti-idolâtrique. Mais dans l'appréciation que l'on
peut porter sur l'attitude générale de Lactance à l'égard du polythéisme.
252 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
de tels passages me paraissent peser moins lourd que les pages qui
révèlent un effort, au moins relatif, de compréhension, car ce sont ces
pages-là qui sont neuves. — Vous paraissez, d'autre part, reprocher Ã
Lactance de ne s'en prendre qu'au « paganisme littéraire ». Mais c'est
tout de même le paganisme «officiel», culturel, celui que transmet
l'école précisément, et d'autant plus dangereux, en définitive, qu'il
maintient les anciennes catégories du sacré, assurément les plus réfrac-
taires au christianisme. Il survivra d'ailleurs encore longtemps : Augus-
tin doit vitupérer les chrétiens qui, en cas d'accident par exemple,
accourent instinctivement dans les temples invoquer Mercure ou
Jupiter ; en plein VIIIe siècle encore, on observe des pratiques cultuelles
en l'honneur de Diane, de Vénus ou de Jupiter. Au demeurant, la
polémique de Lactance reflète certaines occupations actuelles : on a
souvent fait remarquer que si Lactance attaque plus volontiers et avec
plus de virulence Jupiter et Hercule, c'est que, vraisemblablement, il
vise la mystique de la Tétrarchie. — Quant au parallèle entre Lactance et
Eusèbe, je n'ai pu que le suggérer : il existe entre eux, sur des points
précis et importants, des convergences indéniables. Et, encore une fois,
si Lactance n'a pas l'envergure d'Eusèbe (je crois du reste que Pichon
soutenait le contraire), l'un et l'autre appartiennent à la même famille
d'esprits.
P.A. Février. — Contre quoi veut lutter Lactance ? Est-ce contre
une religion qui ne serait présente qu'à travers l'école et la culture ?
Generated on 2011-09-03 21:19 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Deux remarques là -dessus. Je suis convaincu que le poids de la religio-
sité traditionnelle reste très fort, que la religion même de Rome dans les
provinces a exercé une empreinte réelle et durable. L'historiographie
moderne a trop insisté sur la religiosité nouvelle, l'émergence d'un
monothéisme et sur le poids des cultes indigènes, au détriment et du
passé romain et de sa diffusion. — Par ailleurs, vouloir ne faire de
Lactance qu'un professeur de rhétorique qui combat la religion de
Virgile, c'est méconnaître la fonction exercée par cette religion trans-
mise par les auteurs dans la formation de la classe dominante, celle qui a
le pouvoir dans les cités, les provinces et l'Empire. Que Lactance ait fait
référence à un certain aspect de la religion ne peut donc être interprété
que comme une lutte contre un élément essentiel dans la structure
sociale de l'Empire.
J.C.Fredouille. — C'est très exactement mon sentiment, sur l'un et
l'autre point.
BASIL STUDER
LA SOTÉRIOLOGE DE LACTANCE
Même le témoignage d'un théologien de second ou troisième
ordre peut être très intéressant pour l'histoire des doctrines
chrétiennes. C'est pourquoi tout en étant apologétique, et même
archaïque, la sotériologie de Lactance mérite d'être considérée
pour deux raisons1. D'abord, elle reflète la situation d'une
grande partie de l'Église vers 300 : d'un moment, donc, où les
persécutions allaient se terminer et où l'Église impériale s'annon-
çait, où les contemporains commençaient à attendre le salut
universel du Dieu des chrétiens, et où les chrétiens eux-mêmes
étaient sûrs de la victoire du christianisme. D'autre part, la
sotériologie de Lactance peut être regardée comme une expres-
sion typique de cette théologie-là , qui transposait les aspirations
des rhéteurs latins à l'Évangile, en reprenant le thème, déjÃ
traditionnel, du discours adressé par Dieu aux hommes2.
*
1. Sur les limites de la théologie lactancienne, voir en particulier V. Loi,
Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno
(Zurich 1970), p. 198 sq; ainsi que A. Wlosok, Zur Bedeutung der nicht-
cyprianischen Bibelzitate bei Laktanz : StP 4 (= TU 79, Berlin 1961), p. 234-
250.
2. Sur l'effort de Lactance pour écrire bien, c'est-à -dire selon les canons
de la rhétorique, voir J.R. Laurin, Orientations maîtresses des apologistes
Generated on 2011-09-03 21:19 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
chrétiens de 270 à 36l = Anal. Greg. 61 (Rome 1954), p. 235-242.
254 BASIL STUDER
Avant d'esquisser les lignes principales de cette sotériologie
des années 300, il convient cependant de poser quelques préa-
lables philosophiques et théologiques qui sont indispensables
pour comprendre ce que Lactance entend par le salut de Dieu en
Jésus-Christ.
Et d'abord le contexte anthropologique et théologique de la
sotériologie de Lactance. Comme on le sait, le concept du salut
dépend en premier lieu de la manière dont on conçoit les fins de
l'homme. Cela vaut naturellement aussi pour Lactance : la
chose ressort surtout de deux textes, dans lesquels il explique le
sacramentum mundi et hominis2b,s. En se rattachant à des idées
religieuses qu'il tire en grande partie de Cicéron3, il conçoit en
trois étapes la vie humaine, en vue de laquelle il pense que le
monde a été créé : reconnaître Dieu en qui existe la vraie sagesse ;
exercer la vraie religion, en quoi consiste la justice ; arriver ainsi Ã
l'immortalité, dans laquelle l'homme vivra à jamais pour servir
Dieu4.
Dans un texte où il expose ce que doit être la vraie connais-
sance de Dieu, Lactance revient sur la même idée en se référant
aux activités humaines : voir, écouter, parler. Qui connaît le
Créateur de toutes choses peut voir, écouter et parler5. Sans
doute, Lactance, dans ce texte, ne parle pas d'immortalité. Mais,
en développant dans le contexte la signification de la virtus,
Generated on 2011-09-03 21:20 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
c'est-à -dire de l'obéissance, il rappelle aussi l'espérance de
l'immortalité promise par Dieu à tous ceux qui vivent dans sa
religion et qui recherchent la « vertu ». Ainsi donc, il est permis
d'affirmer que, pour Lactance, l'homme parlera au sens plein du
mot, quand il chantera les louanges éternelles de Dieu6. Et l'on
peut retrouver ici les trois activités susdites de la vie humaine.
Quoi qu'il en soit de cette interprétation, Lactance tient
beaucoup à ces trois idées. Selon lui, en effet, l'homme a été créé
pour connaître Dieu et pour l'admirer. Il n'existe donc pas de
studium sapientiae qui ne conduise à la connaissance de Dieu. En
se connaissant soi-même et en connaissant le monde, l'homme
2 bis. Voir inst. 7, 3, 14.
3. Sur l'influence de Cicéron, voir C. Andresen, Erlôsung : RAC 6 (1966)
161.
4. Voir inst. 7, 6, I sq. ; epit. 64, 1, ainsi qu'inst. 4, 28, \;epit. 47, 1.
5. Voir inst. 6, 9, 15 (avec tout le contexte).
6. Voir inst. 6, 23, 1.
LA SOTÉRIOLOGIE DE LACTANCE 255
s'élève à la connaissance de Dieu, ce qui est proprement la
scientia veritatis7. A cette science s'oppose la folie, le manque de
sagesse, l'ignorance de la vérité. C'est cette folie qui aveugle
l'homme et le mène à l'erreur. Elle constitue, au fond, le péché
dont l'homme doit être libéré et guéri8.
Même si l'homme, à la différence de la bête, est capable de
connaître Dieu9, et si nul n'ignore les miracles de la providence
divine, il n'y a personne qui connaisse pleinement Dieu".
Seul comprend la vérité celui à qui Dieu lui-même la révèle12. Car
l'homme ne peut saisir par ses propres forces le mystère de son
Créateur14. Son esprit est trop faible, trop assujetti aux faiblesses
du corps,4. Dieu, le maître de la vérité, n'a cependant pas laissé
l'homme dans les ténèbres : il lui a donné la connaissance de la
vérité pour le conduire ainsi à l'immortalité,J. Il ne refuse Ã
personne cette vérité, unique voie de la vie, mais il est au
contraire disposé à la communiquer à tous les hommes dans le
ChristI6.
Selon Lactance, toute espèce de sagesse est cependant des-
tinée à être pratiquée dans la vie17. Cela vaut en particulier pour
la scientia veritatis, qui est orientée vers la religion. La vraie
sagesse consiste donc non seulement dans la connaissance, mais
dans le culte de Dieu.
« Ainsi donc, c'est dans la connaissance et dans le culte de Dieu
Generated on 2011-09-03 21:20 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
que réside l'essentiel : c'est là que se trouve toute espérance et
tout salut pour l'homme, là que se trouve le premier degré de la
sagesse, afin que nous sachions qui est notre vrai père, et que
nous nous attachions à lui seul avec la piété qui lui est due, que
7. Voir M. Spanneut, Tertullien et les premiers moralistes africains
(Gembloux 1969), p. 129 sq, avec but. 2, 4, 25; 3, 30, 8; 7, 2, 2; 6, 9, 24.
8. Voir M. Spanneut, ibid.. p. 129, avec but. 3, 19, 18; 4, 26, 4 sq.
9. Voir but. 3, 10, 6 sq. (avec une citation de Cic leg. 1, 7, 22); 7, 9, 10
sq. (avec Cic. leg. 1, 8, 24 et une citation du Trismégiste?)
10. Voir inst. 1, 2, 5.
11. Voir inst. 3, 12, 28.
12. Voir inst. 7, 7, 4.
13. Voir inst* 1, 1, 5. Voir M. Spanneut, op. cit., page 131 sq.
14. Voir inst. 7, 2, 8.
15. Voir but. 1, 1, 6.
16. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 133, et V. Loi, op. cit., p. 3-11.
17. Voir L. Thomas, Die Sapientia als ScMusselbegriff zu den Divinae
Institutions des Laktanz, Diss. Fribourg, 1959.
256 BASIL STUDER
nous lui obéissions, que nous le servions avec le plus grand
dévouement...»18.
A ce sujet fondamental Lactance a consacré un livre entier des
Divinae institutiones, le livre 6 De vera sapientia et religione ".
L'élément gnostique, la connaissance de Dieu à laquelle l'homme
a été éveillé du sommeil des ténèbres, n'est donc que la condition
préalable d'une réalité plus importante : le culte sur cette terre, et
le service angélique au ciel20.
Étant donné ce lien entre la connaissance de Dieu et la pratique
religieuse, comprise toutefois en un sens très large, il n'est pas
surprenant que Lactance rattache la religion à la «justice ». Bien
sûr, il entend aussi par «justice » toute la vie morale21, la somme
de toutes les vertus22. En ce sens, la religion est pour lui le
premier devoir de la «justice », tandis que l'amour du prochain ou
la miséricorde en est le second23. Mais, assez souvent, il fait
culminer la justice dans la religion ou la fait même coïncider
quasiment avec elle.
Quodsi Deo, patri ac domino, hac assiduitate, hoc obsequio,
hac devotione servierit, consummata et perfecta iustitia est :
quam quitenuerit, hic.Deoparuit, hic religioni atque officio suo
satisfecit2*. Telle est la conclusion du livre 6 des Divinae
institutiones. Au début de ce livre, Lactance avait déjà défini la
religion céleste comme la vie vertueuse, dans laquelle l'homme
Generated on 2011-09-03 21:20 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
s'offre en un sacrifice pur, et il ajoutait que rien ne conviendrait
davantage aux hommes que de les conduire à la justice25. Dans le
18. Voir but. 6, 9, 24 et 3, 30, 3.
19. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 133 sq.
20. Pour la connexion entre la sagesse et la religion et son origine
gnostique, voir A. Wlosok, Laktanz und die philosophische Gnosis (Heidel-
berg 1960), p. 210-215. Toutefois, Lactance. en s'opposant à la définition
cicéronienne de religio (relegere), explique religio par religare et la définit en
conséquence comme un service auquel nous sommes obligés par le vinculum
pietatis. Voir but. 4, 28, 2 sq (cité ci-dessus).
21. En ce sens, suivant la tradition classique et cicéronienne, Lactance,
dans but. 5, développe sa doctrine de la iustitia — Voir M. Spanneut, op.
cit., p. 155.
22. Voir inst. 5, 5, 1 : «Nunc reddenda est de iustitia proposita disputatio
quae aut ipsa est summa virtus aut fons est ipsa virtutis».
23. Voir inst. 6, 10, 2. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 161 sq., et 168 sq.
24. Voir but. 6, 25, 16.
25. Voir inst. 6, 2, 13 sq.
LA SOTERIOLOGIE DE LACTANCE 257
même sens, il exige ailleurs que la connaissance de Dieu mène à la
religion ou au culte, et donc à la iustitia26.
Non moins important est le rapport entre la religion et la virîus.
Tandis que la justice par excellence est la religion, la vertu
suprême est pour Lactance la patience27. La vertu ne consiste
donc pas seulement dans un libre choix du bien28. Elle ne
représente pas, non plus, simplement la lutte victorieuse contre
les passions et les vices29. Elle est aussi, et même plus, l'abandon
de soi-même : elle n'atteint sa perfection que dans la patience qui
persévère jusqu'à la mort30. En ce sens, elle est l'accomplis-
sement parfait de la justice, et la religion elle-même trouve son
achèvement dans la vertu, qui est confirmée à son tour par la
patience, au sens fort et martyrial que Tertullien avait déjà donné
à ce mot31.
Pour préciser l'idée qu'il se fait de la connaissance de Dieu qui
conduit à la religion, c'est-à -dire à la justice envers Dieu, et de la
vertu parfaite qui est l'abandon sans réserves de soi-même,
Lactance évoque enfin continuellement la vie éternelle, la
« couronne » et le « prix » de cette vie terrestre32. Telle est même
l'intention principale des Divinae institutiones : Lactance n'en-
tend pas y traiter un thème de discussion, mais bien de l'espé-
rance, de la vie , du salut, de l'immortalité, de Dieu ". Selon lui,
en effet, l'homme est né pour l'immortalité. L'exercice de la
Generated on 2011-09-03 21:21 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
vertu doit le porter jusque là 34. L'immortalité est le but de la
justice et de la vertu35. La vie éternelle elle-même est considérée,
au sens biblique, comme le royaume de Dieu à conquérir36, ou
26. Voir les textes cités supra, note 4.
27. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 152, avec les textes cités.
28. Voir inst: 6, 5, 11. De même, 6, 5, 6.
29. Voir epit. 24, 10 s. ; inst. 6, 15, 9.
30. Voir inst. 3, 12, 7.
31. Voir epit. 29, 6, 9.
32. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 138-141.
33. Voir inst. 1, 1. 12; 7, 27, 16: epit. 68. 5
34. Voir inst. 7,8,1: « Unum est igitur summum bonum immortalitatis, ad
quam capiendam et formati a principio et nati sumus. Ad hanc tendimus,
hanc spectat humana natura, ad hanc nos provenu virtus». L'immortalité
constitue mieux le sujet des derniers chapitres des Institutions.
35. Voir epit. 30, 4 — Voir aussi inst. 3, 12, 18.
36. Voir inst. 4, 4, 5 ; 4, 20, 5.
258 BASIL STUDER
comme l'union avec Dieu37, et en particulier en tant qu'elle
récompense tout effort accompli ici bas38. En revanche, Lac-
tance ne présente pas cette union comme la vision de Dieu. S'il ne
la considère pas seulement au sens négatif comme immortalité, il
la décrit plutôt comme une liturgie éternelle, dans laquelle les
hommes serviront avec les anges le Créateur de toutes choses39.
Cette conception fondamentale de la destinée religieuse de
l'homme s'éclaire davantage par son contexte dualiste40. Sans
entrer dans les détails de cette épineuse question, rappelons
seulement ici que Lactance voit une structure dualiste en toute
réalité physique et morale : le feu et l'eau, les éléments actifs et
les éléments passifs, le ciel et la terre, la lumière et les ténèbres,
l'âme et le corps41. Cette dualité voulue par le Créateur lui-même,
remonte à la création originelle d'«un principe bon» et d'un
principe mauvais, qui ne cessent jamais de s'opposer l'un Ã
l'autre42. Pour l'homme, en particulier, Dieu a voulu cette lutte
intérieure entre le bien et le mal, la vie et la mort, Dieu lui-même
et le diable, et cela pour inciter l'homme à s'exercer à la vertu 43.
Quelles que soient les sources, classiques ou judéo-chré-
tiennes, de ce dualisme cosmologique et anthropologique, la
sotériologie de Lactance en est fortement marquée : c'est sur lui
qu'il fonde en doctrine sa conception guerrière de la vie chré-
tienne44. Celle-ci est entendue comme militia, comme service
Generated on 2011-09-03 21:21 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
militaire rendu à Dieu, magister et imperator, de la part de tous
37. Voir inst. 7, 5, 27; 6, 23, 39 sq. : ressemblance divine; opif, 19, 9 sq.
38. Voir but. 7, 27, 2.
39. Voir but. 7, 26, 5; 6, 25, 8, epit. 67, 8. Voir à ce propos
M. Spanneut, op. cit., p. 140 sq., et V. Loi, op. cit., p. 64 sq.
40. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 141 ; V. Loi, op. cit., p. 128-152. Pour
la question des «interpolations dualistes», voir en particulier E. Heck, Die
dualistischen Zusà tze und die Kaiseranreden bei Lactantius : Abhandlungen
der Heidelberger Akademie der Wissenschaften, Phil. hist. Masse, Heidel-
berg 1972, ainsi que le résumé de M. Perrin dans Lactance, l'ouvrage du
Dieu Créateur (SC 213, Paris 1974, p. 86-94).
41. Voir but. 2, 9, 1-27; 2, 12, 2 sq.
42. Voir inst. 2, 8, 9, 12, avec le commentaire de V. Loi, op. cit.
p. 132 sq. On notera que l'idée de la création des deux principes par Dieu se
retrouve également dans epit. 24.
43. Voir inst. 6, 22, 3 sq. ; 7, 5, 9. 13.15 sq. 23 sq. ; epit. 24, II.
44. Pour la question des sources, voir V. Loi, op. cit., p. 145-152. Quant Ã
la thématique guerrière, voir M. Spanneut, op. cit., p. 145, avec la note 96.
On y reviendra ci-dessous.
LA SOTERIOLOGIE DE LACTANCE 259
ceux qui sont engagés dans la lutte contre le diable. Dans un tel
contexte dualiste, cette sotériologie ne manque pas d'insister sur
l'action salvifîque du Christ présentée comme un triomphe et une
victoire.
Il nous reste à dire quelques mots du contexte proprement
théologique. Comme on l'a souvent souligné, la doctrine assez
archaïque de Lactance sur Dieu lui-même se caractérise par un
subordinatianisme assez poussé, ainsi que par un binitarisme très
net4î.
Cela veut dire, d'une part, que Lactance n'a pas réussi à définir
exactement les rapports entre le Père et le Fils. Et pourtant, il
distingue clairement les deux nativités du Christ : la divine, in
spiritu, sine matre, et l'humaine, in carne, sine patre, mais sans
déterminer correctement la première de ces deux naissances46.
Sans doute, il ne conteste pas la divinité du Christ, et lui donne
des titres divins tels que Parole de Dieu, Sagesse de Dieu, Force
de Dieu, Prince des anges47. Mais il ne distingue guère sa
génération éternelle de la création des esprits ; il insiste trop
exclusivement sur la destinée messianique de Jésus ; il ne conçoit
que dans un sens moral l'unité du Père et du Fils48.
D'autre part, Lactance identifie à tel point le Fils avec l'Esprit
divin qu'il n'y a pas de place chez lui pour la troisième personne,
de la Trinité49.11 distingue même le Fils, comme le « bon esprit »,
Generated on 2011-09-03 21:22 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
de l'esprit mauvais, créé avec lui au début de toutes choses50.
C'est pourquoi il attribue au Christ seul la Création, ainsi que les
prophéties inspirées de Y Ancien Testament51.
45. Voir V. Loi, op. cit., p. 153-232 : sur la pneumatologie et la chris-
tologie de Lactance. — Voir du même auteur, Cristologia e soteriologia nella
domina di Lattanzio : RSLR 4, 1968, p. 237-287.
46. Quant au thème des deux naissances, voir inst. 4, 8, I sq. ; 4, 13, 4 s. ;
epit. 38, 1-2. 9.
47. Voir V. Loi, op. cit., p. 210-215.
48. Voir V. Loi, op. cit., p. 203-207. En particulier, sur l'union morale du
Père et du Fils, voir inst. 4, 29, 3-9.
49. Outre l'étude de V. Loi, voir i. Barbel, Christos Angelos (Bonn
1941), p. 188-192.
50. Voir inst. 2, 8, 3 sq. ; 2, 9, 13. Voir également but. 4, 8, 6, où le Fils
est mis sur le même niveau que les anges, c'est-à -dire les esprits.
51. Voir but. 2, 8 ,6; epit. 37, 1-3, ainsi qu'inst. 4, 18, 31. On notera aussi
l'explication christologique de Lc 1, 35, dans inst. 4, 12. I.
260 BASIL STUDER
Il est clair qu'un tel archaïsme théologique devrait entraîner des
conséquences importantes pour la sotériologie de Lactance.
Dans un contexte aussi subordinatianiste et binitariste que le
sien, il s'imposait de faire remonter l'événement du salut à Dieu
lui-même et de voir en premier lieu le Christ comme médiateur 52.
De fait, parler du salut, signifie pour Lactance parler de Dieu. La
sagesse, la justice et la religion, dont il est question dans les
Divinae institutiones, se réfèrent toujours à Dieu ; Dieu seul est la
source de toute connaissance et de toute vertu53.
Le théocentrisme de Lactance apparaît en paticulier dans
certains titres et fonctions sotériologiques. Ainsi est-ce princi-
palement Dieu qui est appelé par lui dominus et imperator54. Au
sens du paterfamilias romain. Dieu est en effet présenté comme
Seigneur et Père55. Dans le même sens, Lactance souligne la
justice de Dieu, le juge très juste56.
Il ne manque pas, il est vrai, de rappeler le retour du Christ, qui
jugera les vivants et les morts. Mais il préfère parler de la justice
de Dieu auquel rien ne reste caché57, du Dieu qui venge
l'innocence des justes foulée aux pieds58, du Dieu qui montrera
toute sa sévérité envers les persécuteurs des chrétiens59 ; du
Dieu, enfin, qui, après le millenium, transformera les justes et
condamnera les méchants60. C'est pour cela que le bonheur le
plus grand sera de parvenir à ce Dieu, juge juste et Père
Generated on 2011-09-03 21:22 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
miséricordieux61.
D'autre part, Lactance appelle imperator Dieu plutôt que le
Christ. Même si celui-ci est désigné, lui aussi, comme dux et
imperator omnium ", c'est pourtant Dieu qu'en premier lieu les
chrétiens doivent servir comme « soldats ». En ce sens, à la fin
52. Voir inst. 1, 1, 12.
53. Voir but. 1. 1, 19.
54. L'usage christologique de dominus est plutôt rare chez Lactance. Voir Ã
ce sujet V. Loi, op. cit., p. 229 sq., qui cite huit exemples.
55. Voir V. Loi, op. cit., p. 81-86, et spécialement, A. Wlosok, Laktanz
u. die philosophische Gnosis, p. 232-246 : «Die Goitesprà dikation Pater et
Dominus bei Laktanz». Noter inst. 4, 3, 14-17.
56. Voir V. Loi, op. cit., p. 86 sq.
57. Voir inst. 6, 18, 12; 6, 24, 20.
58. Voir inst. 1, 1, 15.
59. Voir mort. pers. 1, 7.
60. Voir inst. 7, 26, 5 sq.
61. Voir inst. 7, 27, 2.
62. Voir inst. 4, 6, 5; 7, 19, 5; et mort. pers. 16, 9.
LA SOTÉRIOLOG1E DE LACTANCE 261
des Divinae institutiones 63, Lactance avertit ses lecteurs des châ-
timents qui atteindront tous les desertores domini et imperatoris
etpatrissui64,et il les invite une dernière fois à s'engager au servi-
ce de Dieu pour obtenir le triomphe éternel65. Du reste, il ne moti-
ve pas l'amour du prochain par la présence du Christ, mais par
celle de Dieu, dans les pauvres66.
Le théocentrisme de Lactance fait voir dans une lumière
particulière la médiation même du Christ. L'incarnation du
Verbe occupe sans doute une place très importante dans sa
sotériologie67. Pour lui, le Christ, en tant que Deus in carne, est
le médiateur entre Dieu et les hommes 68. Sa venue, annoncée par
les prophètes, se trouve même au centre de l'histoire du salut69.
C'est dans le Christ que trouvent leur fondement le salut des
hommes, l'adoration de Dieu, et toute vérité70. Telle que Lac-
tance la conçoit, la fonction médiatrice, cependant, est surtout
celle du «second Dieu» et non de l'homme Jésus. En créant le
monde, Dieu s'est servi de celui-ci comme sagesse et force71.
Dans l'histoire, à son tour, le Christ s'est montré avant tout dans
sa dignité divine : en tant que messager céleste, maître divin de la
sagesse, source de la vérité, fondateur de la vraie religion72.
Cette insistance sur le rôle salvifique de Dieu, aussi bien que la
mise en évidence du côté divin de la médiation du Christ,
s'explique par l'orientation apologétique des œuvres de Lac-
Generated on 2011-09-03 21:25 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tance. En s'adressant aux païens de son temps, il lui fallait se
rattacher à ce qui leur était commun : les fondements de la vraie
religion et l'idée de la médiation du Verbe de Dieu. Mais, quelle
que soit l'origine de son théocentrisme, le fait lui-même est
incontestable, et ne doit pas être négligé dans un exposé de sa
sotériologie.
*
63. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 145.
64. Voir inst. 7, 27, 15.
65. Voir but. 7, 27, 16.
66. Voir inst. 6, 10, II. Voir d'autres textes chez M. Spanneut, op. cit.,
p. 173.
67. Voir ci-dessus.
68. Voir inst. 4, 25, 8. Voir tout le contexte.
69. Voir V. Loi, op. cit., p. 220, avec les textes cités.
70. Voir epit. 38, 2.
71. Voir. V. Loi, op. cit., p. 210-214.
72. Voir surtout inst. 4, 29, 15. D'autres textes chez V. Loi, op. cit.,
p. 216 sq. : la mission du Fils de Dieu.
262 BASIL STUDER
Ayant ainsi posé les fondements doctrinaux de la sotériologie
de Lactance, nous sommes en mesure d'en mieux comprendre
les traits principaux. Nous venons de montrer comment Lac-
tance se préoccupe avant tout de la vraie connaissance de Dieu,
qui est pour lui comme la condition préalable de la justice et de la
vertu. Par là même, sa présentation du Christ comme celui qui est
venu pour révéler Dieu et son dessein salvifique est moins surpre-
nante. En bon Romain, il ne pouvait séparer la doctrine de
l'exemple : dès lors, il n'est pas étonnant qu'à ses yeux, le Christ
ait enseigné à la fois par ses paroles et par ses actes. Ces deux
aspects, quelle que soit leur importance dans l'ensemble de sa
doctrine, ne constituent pourtant pas toute la sotériologie de
Lactance. Il faut considérer aussi la rédemption en tant que
victoire sur la mort, et l'on ne peut pas ne pas voir comment ces
aspects divers supposent l'Incarnation du Verbe.
Le Christ est, pour Lactance. magister iustitiae. L'homme
vivait dans un état d'obscurité, dû à son péché, qui avait essen-
tiellement marqué sa nature corporelle. Il n'était pas à même de
se libérer de ce péché par ses propres forces. Dieu, qui seul
pouvait lui communiquer la lumière, n'a pas voulu pourtant
l'abandonner dans la misère de sa cécité. C'est pourquoi il a
envoyé son Fils pour arracher l'homme aux ténèbres de l'igno-
rance, pour l'éclairer et le convertir des faux cultes à la vraie
Generated on 2011-09-03 21:26 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
religion73.
En ce sens, Lactance rappelle les promesses d'Isaïe sur le
serviteur de Dieu, lumière de toutes les nations74. De même, il
voit dans la guérison des aveugles de l'Évangile, non seulement
une preuve de la force divine de Jésus, mais une prophétie de
I ' illumination des peuples75. La résurrection du Christ elle-même
a révélé la force de sa doctrine qui, par la lumière de la connais-
sance, conduit à la récompense de l'immortalité tous ceux qui
auraient été soumis à la mort76. En bref, Dieu a envoyé son Fils
pour révéler à tous les peuples le sanctum mysterium : la vraie
religion, qu'autrefois les juifs avaient possédée seuls, et dont
toutefois ils s'étaient montrés indignes77.
73. Voir inst. 4, 14, 17. Voir V. Loi, op. cit., p. 252-256 sq.
74. Voir inst. 4, 20, 12 sq.
75. Voir inst. 4, 26, 4.
76. Voir inst. 4, 26, 14.
77. Voir inst. 4, 12, 11. Ce texte se trouve dans une exposition de
LA SOTÉRIOLOGIE DE LACTANCE 263
C'est eu égard à cette révélation de la vraie religion que Lactan-
ce appelle aussi le Christ doctor iustitiae. Étant donné que,
d'après lui, la justice n'est rien d'autre que deiunicipia et religiosa
culturel1*, le Christ, en enseignant le vrai culte, était nécessai-
rement magister iustitiae 79. Comme il a apporté la Loi nouvelle,
il était legifer : mieux encore la Loi vivante elle-même 80. Dans le
même sens, Lactance déclare aussi que le Christ est venu sur la
terre pour construire le temple nouveau 81, on dirait même : pour
organiser une religion nouvelle82. De fait, Lactance tient à mettre
en relief l'aspect institutionnel de la mission du Christ en
rappelant le devoir de participer au culte 83, de vivre dans la foi de
l'Eglise8ïbis et de rester attaché à cette communauté, en dehors
de laquelle il n'existe pas de salut84. Toutefois, on ne peut pas ne
pas voir que, par le thème de la construction du temple. Lactance
n'entend pas tellement souligner l'aspect juridique de la mission
du Christ. De fait, il ne s'est pas moins intéressé à l'aspect
religieux de cette image. Le Christ n'est pas seulement venu pour
ériger ce temple magnifique et éternel de Dieu, mais aussi pour
amener les hommes, en tant que vrai prêtre, au culte vrai et
unique de Dieu85.
Second titre important du Christ chez Lactance : dux virtutis.
Comme la justice et la vertu sont liées entre elles, la magister
iustitiae doit être aussi un dux virtutis86, d'autant plus que, selon
Generated on 2011-09-03 21:26 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
lui, on ne peut enseigner sans donner l'exemple, et qu'il n'existe
Testimonia et a donc un sens anti-juif. — D'autres textes sur le doctor
sapientiae chez V. Loi, op. cit., p. 253 sq.
78. Voir but. 5, 7, 2.
79. Voir but. 4, 11, 7; 4, 13, I.
80. Voir, outre but. 4, 13, 1, but. 4, 25, 2. Voir V. Loi, op. cit.,
p. 258.
81. Voir inst. 4, 10, I.
82. Voir J. Speigl, Zum Kirchenbegriff des Laktanz : RQ 65. 1970, p. 15-
28, spécialement 21. De même, V. Loi, op. cit., p. 244-247 : l'histoire du
salut dans la vie de l'Eglise.
83. Voir inst. 4, 14, I sq. D'après ce texte, on ne peut obtenir la
récompense de l'immortalité sans «sacrifier» dans l'Eglise. Il s'agit évidem-
ment d'un culte spirituel, ce qui n'exclut pas pourtant la participation à des
assemblées liturgiques, bien au contraire. Voir inst. 6, 25, 14.
83 bis. Voir inst. 4, 30, 2; mort. pers. 2, 2.
84. Voir but. 4, 30, 11. Voir tout le contexte qui présente une polémique
anti-hérétique.
85. Voir inst. 4, 14, 3. Voir aussi inst. 4, 29, 15.
86. Voir V. Loi, op. cit., p. 262 sq.
264 BASIL STUDER .
aucun sage qui ne fasse personnellement ce qu'il annonce87. Il
est en effet difficile de trouver chez Lactance un texte qui ne parle
que de l'enseignement du Christ, sans mentionner son action.
Ainsi Lactance conclut-il ses testimonia sur la mission du
magister iustitiae, en constatant que Dieu, par respect pour la
liberté des juifs, a fait naître une seconde fois son Fils, afin qu'il
devienne pour les hommes dux et cornes et magister**. C'est
seulement en tant qu'homme qu'il pouvait obliger les hommes
par ses actes mêmes à obéir à ses préceptes, et c'est seulement en
tant qu'homme qu'il pouvait donner l'exemple d'une virtus qui
persévère jusqu'à la mort89. Cette idée du dux virtutis se trouve
encore plus nettement exprimée dans les textes sur la Passion du
Christ. D'après Lactance, aucun sage n'aurait reconnu le Christ
comme Dieu, s'il avait régné dans le bonheur pendant toute sa
vie. En réunissant en lui la justice et la vertu, il a mérité,
précisément grâce à sa vertu non seulement enseignée mais
vécue, d'être reconnu comme Dieu90. Pour montrer aux hommes
non seulement les voies de la justice, mais aussi le modèle de la
vertu parfaite, c'est-à -dire de la passion patiente et du mépris de
la mort, le Christ s'est livré en toute liberté à la croix91.
Le Christ est enfin Victor mortis. La fonction salutaire de la
Passion du Seigneur ne s'épuise pas dans la confirmation
suprême de son enseignement. La mort du Christ n'avait pas seu-
Generated on 2011-09-03 21:27 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
lement à prouver que tout homme pouvait vaincre la chair,
source du péché, et même la mort92. Elle ne démontrait pas non
plus uniquement l'authenticité de la mission divine de cet unique
sage qui est mort comme l'avaient annoncé des prophètes. Elle
était plus qu'une simple garantie de la vérité93.
De fait, on rencontre chez Lactance d'autres thèmes sotério-
87. Voir inst. 4, 23, 7-9.
88. Voir inst. 4, II, 14; 4, 23, 10.
89. Voir inst. 4, 24, 18 sq. : et 4, 25, 10.
90. Voir inst. 4, 16, 1-4, en particulier § 4.
91. Voir inst. 4, 26, 24-27. Voir tout le contexte de 4, 24-26, en particulier
4, 24. 7, et 4, 25, 7-10.
92. Voir inst. 4, 25, sq. ; 4, 10, 1.
93. L'importance que Lactance attribue à la mort du Christ résulte claire-
ment du texte par lequel il introduit son explication de la Passion : inst. 4.
16, I. Pour la mort de Jésus, annoncée par les prophètes, voir inst. 4, 10,
3 sq. ; 4, 18, I (introduction à une série de Testimonia).
LA SOTÉRIOLOGIE DE LACTANCE 265
logiques. Il rattache au baptême de Jésus la rémission des péchés
qu'on obtient dans le baptême chrétien94. Il voit dans l'Incarna-
tionelle-même une libération de la misèredu péché 95. Il ne manque
même pas de mettre en évidence le rôle salvifique de la Passion et
de la mort du Christ, en paraphrasant dans un texte assez long le
récit de la Passion 96. Partant du principe exégétique selon lequel
les événements singuliers de la vie de Jésus n'ont pas seulement
une signification immédiate, mais aussi un sens prophétique97,
Lactance explique la Passion de Jésus : dans le vinaigre offert au
crucifié et dans la couronne d'épines98, il voit la patience
exemplaire du crucifié ", dans la croix un motif d'espérance pour
tous les humiliés100, dans l'intégrité du corps du crucifié, un
signe de la résurrection101, dans l'exaltation du Christ, une
promesse du salut universel102, dans l'agneau immolé la
promesse réalisée du salut de tous les hommes103, dans la Pâque
une figure de la Passion104 ; enfin, il insiste sur la signification du
signe de la croix105.
Offrande d'un sacrifice pur, et garantie du salut définitif : la
mort de Jésus apparaît aussi comme telle en d'autres textes. Ainsi
Lactance reprend-il la formule traditionnelle oportere se pati
atque interficiprosalutemultorum 106. Toutefois, il ne met pas les
94. Voir but. 4, 15, 2. Lactance parle en plusieurs endroits de l'efficacité
salutaire du baptême chrétien. Voir à ce sujet V. Loi, op. cit., p. 27, sq.
Generated on 2011-09-03 21:27 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Toutefois, il n'y précise guère le rapport de la rémission des péchés par le
baptême et de l'œuvre rédemptrice du Christ.
95. Voir epit. 39, 9, et but. 4, 13, 4.
96. Voir inst. 4, 26, M. Spanneut, op. cit., p. 149 et V. Loi, op. cit.,
p. 264-267.
97. Voir inst. 4, 26, 2 sq. Il s'agit ici d'un texte fondamental pour la
compréhension de l'exégèse néotestamentaire de Lactance et de tous ceux
qui s'inspirent comme lui de l'herméneutique latine. Voir J. Doignon,
Hilaire de Poitiers avant l'exil (Paris 1971), qui n'a pas cependant pris en
considération ce texte méthodologique de Lactance.
98. Voir but. 4, 26, 18-23.
99. Voir but. 4, 26, 24-28.
100. Voir inst. 4, 26, 29 sq.
101. Voir but. 4, 26, 31-33.
102. Voir but. 4, 26, 34-36.
103. Voir but. 4, 26, 37-39.
104. Voir inst. 4, 26, 40.
105. Voir but. 4, 26, 41 sq. Le chapitre suivant {inst. 4, 27, 1-5) développe
davantage le sens exorciste du signe de la croix. A ce sujet, voir V. Loi,
op. cit., p. 266.
106. Voir inst. 4. 18, 2.
266 BASIL STUDER
testimonia concernant le grand prêtre en relation avec la croix,
mais plutôt avec le culte de l'Église ou la liturgie céleste 107. De
même, il discute le concept de sacrifice sans l'appliquer au
Christ108. En revanche, le thème de la garantie de la vie éternelle
est plus fréquent. L'immortalité, en effet, à laquelle Lactance
tient beaucoup, est fondée, selon lui, sur l'Incarnation. Et cela,
au sens non seulement d'une confirmation de la vraie religion,
mais aussi d'une victoire remportée sur la mort et sur les
puissances de l'enfer109. Ainsi définit-il la mission de Jésus à la
fois comme un enseignement et comme une victoire sur la mort,
comme un motif d'espérance pour les plus humbles et une
admission à l'immortalité M0. Dans le même sens, il comprend la
prophétie de Daniel, sur le Fils de l'homme, soit au sens de
l'enseignement de la justice, soit au sens du triomphe sur la mort
et les puissances infernales1".
On notera cependant que le thème traditionnel de la victoire
remportée sur les démons, auteurs de l'idolâtrie et de l'immo-
ralité, n'a pas particulièrement retenu l'attention de Lactance "2.
Il n'élargit pas sa doctrine sur les deux esprits en un exposé sur la
lutte entre l'esprit du mal, auteur de la folie et adversaire de la
vertu, et le Christ, auteur de la connaissance de Dieu et exemple
de la vertu"3. A cette exception près que la Parousie est
présentée comme le début du millenium. Il s'agit là d'un aspect de
Generated on 2011-09-03 21:27 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
la victoire du Christ qui mérite une attention particulière. Selon
une vieille tradition anti-juive, Lactance distingue entre adventus
in humilitate et adventus in maiestateUA. Quant à la venue
future du Christ, il distingue ultérieurement entre sa venue dans
l'Église, par laquelle tous les peuples le reconnaissent, et la
107. Voir but. 4. 4, 4. 10-14. Voir V. Loi, op. cit., p. 231 sq.
108. Voir inst. 6, 25. Voir M. Spanneut, op. cit., p. 163 sq.
109. Quant à la puissance de la doctrine de Jésus, voir inst. 4, 26, 14, où il
est question des morts ressuscités par Jésus.
110. Voir inst. 4, 10, I. De même, inst. 4, 19, 10 sq. Voir encore inst. 4,
26, 28: epit. 39, 7.
111. Voir inst. 4, 12, 15.
112. Voir V. Loi, op. cit., p. 266. On notera pourtant epit. 44, I ; inst. 4,
27, 11. 8. 14; 4, 28, 1 : la puissance du signe de la croix et la nécessité de la
renonciation.
113. Voir inst. 3, 29, 14-20, où il est question de l'esprit mauvais, auteur
de la folie et adversaire de la vertu, mais non d'une lutte continuelle entre les
deux esprits.
114. Voir V. Loi. op. cit., p. 218 sq., 231.
LA SOTÉRIOLOGIE DE LACTANCE 267
Parousie qui a pour fin le jugement et la restauration de la vie des
justes"5. Cette venue dernière ouvrira le «millénaire», appelé
aussi par Lactance, d'une expression fort virgilienne, saeculum
aureum ,16. Alors, le Christ viendra avec les armées célestes pour
vaincre l'Anti-Christ, le fils de l'esprit mauvais"7. Le prince des
démons lui-même sera emprisonné alors et un temps de paix et de
justice commencera"8. Cette explication se comprend aisément
dans la conjoncture constantinienne, quand la victoire imminente
du christianisme faisait espérer un règne de la paix ,19. En tout
cas, pour Lactance, le jugement dernier et le renouvellement de
la vie coïncideront avec la parousie du Christ 120. A ce moment-là ,
celui-ci accomplira le dernier acte salutaire. La restauration
définitive de la vie à la fin du « millénaire », au contraire, ne sera
pas un acte du Christ, mais de Dieu qui renouvellera le monde et
transformera les justes pour la vie éternelle, en vue de la liturgie
perpétuelle au Ciel121.
Magister iustitiae, dux virtutis, victor mortis : ces trois aspects
de la sotériologie de Lactance supposent l'Incarnation, le Dieu-
homme. Cela résulte clairement d'un texte sur la médiation du
Christ,22. A la question de savoir pourquoi Dieu a fait mourir son
Fils sur la croix, Lactance répond que Dieu devait envoyer un
maître capable de fonder par sa parole et par ses actes la nouvelle
religion 123. Seul un médiateur qui était à la fois Dieu et homme
Generated on 2011-09-03 21:28 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pouvait réaliser cela. S'il n'avait été que Dieu, il n'aurait pas pu
donner l'exemple de la vertu. En revanche, s'il n'y avait en lui
que l'homme, il lui aurait manqué l'autorité nécessaire pour
115. Voir inst. 4. 12. 13-22. spécialement 20 sq. Voir à ce sujet J. Speigl,
art. cit., 24, et A. Wlosok, Zur Bedeutung der nichtcyprianischen Bibelzi-
tate bei Laktanz, StP 4 (= TU 79, Berlin 1961) p. 247-250.
116. Comme Lactance l'annonce déjà dans inst. 4, 12, 22, il traitera, dans
le dernier livre des Institutions, du second avènement et du temps de la paix.
Voir en particulier inst. 7, 20 et 7, 24.
117. Voir inst. 7, 19, 4-8 : description de la venue du Christ, et 7, 17, 2 :
l'Anté-Christ, fils de l'esprit mauvais.
118. Inst. 7, 24, 5, et epit. 67, 1-8.
119. Voir J. Speigl, art. cit., 26 sq., ainsi que V. Loi, / valori etici e
politici delia romanità negli scritti di Lattanzio. Opposti attegiamenti di
polemica e di adesione : Salesianum 23, 1965, p. 65-133.
120. Voir, outre inst. 4, 12, 21 ; 7, 20, I.
121. Voir epit. 67, 8. Voir inst. 7, 26, 2. 5 sq.
122. Voir inst. 4, 25.
123. Voir inst. 4, 25, 1 sq.
268 BASIL STUDER
enseigner,24. De fait, Ã cause de la faiblesse de la chair, l'esprit
humain était incapable de mener cette chair à l'immortalité. C'est
pourquoi Dieu s'est fait chair, pour que la chair le suive et que
l'homme soit libéré de la mort qui dominait la chair125. Le Dieu
incarné devait donc conduire la chair vers la vertu parfaite et
victorieuse qui serait un jour couronnée par l'immortalité 126.
De l'Incarnation, Lactance voit donc en premier lieu la fonc-
tion exemplaire. Dieu s'est fait homme pour montrer à l'homme
la voie vers l'immortalité. Toutefois, le texte cité n'exclut pas que
la présence de Dieu dans la chair ait marqué en même temps le
début de la victoire remportée sur la faiblesse de la chair. En tout
cas, l'exemple de la vertu et la libération de la mort et du péché y
sont étroitement liés entre eux127. En outre, cette présence
salutaire de Dieu dans la chair ne manque pas non plus d'être
soulignée en d'autres textes. Ainsi, Lactance, dans un texte sur la
nécessité de la naissance virginale de Jésus, parle-t-il de la
sanctification de la chair en vue de la libération de cette chair128.
L'enseignement du Christ, de son côté, supposait en quelque
sorte l'Incarnation de Dieu. C'est seulement ainsi que la vérité
divine s'est rendue présente sur la terre, et que les hommes ont pu
supporter la majesté de Dieu qui se révélait à eux I29. Ceci, pour
ne rien dire de l'Incarnation, qui, en accomplissant les promesses
prophétiques, a confirmé la divinité du Christ, unique maître de
*
**
Generated on 2011-09-03 21:28 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
justice.
Cette conception de l'Incarnation, Ã elle seule, nous permet
déjà d'apprécier plus exactement la sotériologie de Lactance. De
fait, il est hors de doute que celui-ci doit beaucoup à la tradition
africaine, spécialement à Cyprien. Comme celui-ci, il reprend
l'idée romaine de salut. De même, comme l'évêque de Cannage,
124. Voir inst. 4, 25, 5.
125. Voir inst. 4, 25, 6-8.
126. Voir inst. 4, 25, 8-10.
127. Voir aussi epit. 39, 7.
128. Voir epit. 38, 9: inst. 4, 13, 4.
129. Voir inst. 4, 24, 6; 4, 12, 15.
LA SOTÉRIOLOGIE DE LACTANCE 269
il évoque l'Église en dehors de laquelle il n'est pas de salut, et en
qui seulement existe la pénitence, leportus salutis 130. Toutefois,
il dépasse son maître, en développant davantage le vocabulaire
sotériologique. Il explique en effet le nom de Jésus par le mot
chrétien de salvator, et cela dans un contexte dans lequel il
traduit Emmanuel par Deus cam nobis ,31. Il est sans doute vrai
que Lactance s'intéresse moins que Cyprien à la présence
salutaire du Christ dans l'Église m. En ce sens, l'Incarnation est
moins importante pour lui. C'est le contraire, quand il est
question de Y exemple du Christ. Lactance partage avec Cyprien,
il est vrai, le pragmatisme romain, pour lequel il n'est pas
d'enseignement authentique sans l'exemple qui le confirme.
Toutefois, c'est précisément grâce à des idées typiquement
romaines que Lactance va plus loin que Cyprien, quand il
suppose que le Christ ne pouvait être le maître parfait de justice et
de vertu sans être à la fois Dieu et homme.
En outre, Lactance est manifestement redevable à d'autres
traditions. Ainsi suit-il des traditions apologétiques qui consi-
dèrent le Christ, avant tout, comme révélateur de la vérité
salutaire. Mais, se trouvant encore sous l'influence de la rhéto-
rique latine, il ne fait pas remonter simplement le salut à la
connaissance de la vérité. Il voit plutôt le fondement du salut
dans la «vraie religion», expression vivante de la «vraie
Generated on 2011-09-03 21:28 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
sagesse». De même, il reprend à des traditions judéo-chré-
tiennes, ou même plus communes, ses idées sur le « millénium »,
sur la portée salvifique du baptême de Jésus, sur le sacrifice de la
croix ou sur la victoire remportée sur le diable et sur l'enfer. Mais
tous ces thèmes, il les replace dans un contexte latin. Toutefois,
il ne fait pas de doute qu'il se montre encore plus original
précisément là où, par sa conception romaine de iustitia et de
uirtus, il réduit sa sotériologie au Dieu-homme, principe de la
justice et de la vertu.
130. Voir but. 6, 24, 9; epit. 62, 2.
131. Voir but. 4, 12, 6 sq. ; 4, 12, 9.
132. Voir pourtant but. 4, 14, 3; 4, 12, 20 sq. Quant à Cyprien, voir mon
article : Die Soteriologie Cyprians von Karthago : Augustinianum 16, 1976,
p.429-456, spécialement p. 450-454.
270 BASIL STUDER
DISCUSSION
E. Moutsoulas. — Nous avons parlé de Lactance comme historien.
Mais je ne crois pas que Lactance ait un sens de l'histoire, au moins de
l'histoire du salut, aussi profond que d'autres auteurs. Il minimise les
événements historiques de la vie de Jésus, à cause, je crois, de son
dualisme.
B. Studer. — Il est certain que Lactance ne développe pas de théolo-
gie de l'histoire du salut, comme Irénée, Augustin ou même Hilaire de
Poitiers. Je ne dirais pourtant pas qu'il n'ait aucune théologie de
l'histoire. L'Incarnation du Verbe, base de Yexemplum du Christ, est
pour lui le fait fondamental de toute histoire du salut. Et il insiste en
particulier sur les détails de la Passion du Seigneur (voir à ce sujet, chez
V. Loi. la première partie du chap. 6 qui expose les idées de Lactance
sur l'Histoire du salut, en particulier les remarques sur les quatre âges
du monde et sur le millénarisme).
J. C. Fredouille. — Vous venez d'apporter le complément que
j'allais vous suggérer : l'avènement du christianisme met une fin, tout au
moins théorique, à l'activité des démons, entraîne leur défaite. Sur ce
point encore, on relèvera une analogie entre Lactance et Eusèbe.
D'autre part, un mot à l'intention de Mr E. Moutsoulas : Lactance n'a
pas de conception « vectorielle » de l'histoire. Pour lui, l'histoire du
monde (très courte : il est vieux de 5 800 ans ; il ne lui reste que I 200
ans) est faite —jusqu'à l'avènement du Christ — d'une succession de
Generated on 2011-09-03 21:28 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
périodes pendant lesquelles les démons ont suscité diverses croyances
superstitieuses.
B. Studer. — (Pas de réponse)
J. Doignon. — Êtes-vous d'accord avec V. Loi, que vous dites avoir
suivi, quand ce dernier voit dans la Geistchristologie de Lactance des
rapports avec la théologie d'Asie Mineure et d'Antioche ?
B. Studer. — Je n'ai pas personnellement étudié la question de
l'origine de la «Geisttheologie», voire du binitarisme, de Lactance. Je
voudrais seulement remarquer que le binitarisme, avant les discus-
sions sur la divinité de l'Esprit-Saint (avant 360), est un phénomène
LA SOTÉRIOLOGIE DE LACTANCE 271
beaucoup plus étendu qu'on ne le pense, surtout dans la théologie latine.
Ainsi constatons-nous que la théologie d'Hilaire, à la différence de la
théologie d'Athanase après 360, est pratiquement binitariste. De même,
Novatien, dans son ouvrage, intitulé plus tard De Trinitate, parle très
Generated on 2011-09-03 21:29 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
peu de l'Esprit (ch. 29; voir la note dans l'édition de H. Weyer, 182sq).
Generated on 2011-09-03 21:29 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
PIERRE MONAT
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE
PAR LACTANCE
le sacerdoce du Christ
et celui de Jésus, fils de Josédec
Pour présenter le christianisme à ses lecteurs païens, Lactance
ne sépare pas systématiquement, comme l'avait fait Cyprien
dans ses Testimonia, l'exposé sur le sacramentum Christi du
procès à l'incroyance du peuple juif : il emprunte perpétuel-
lement à un thème pour expliquer l'autre, et s'il relève souvent les
erreurs des juifs, ce n'est pas pour polémiquer avec eux, mais
pour mieux faire apparaître, en les situant dans une économie
d'ensemble, les caractéristiques de la doctrine chrétienne1.
Ainsi, après avoir établi que ceux-ci ont mal compris les prophé-
ties relatives au Temple, image de l'Église immortelle, va-t-il
montrer que ce temple nouveau requiert nécessairement le
sacerdoce d'un grand-prêtre éternel, le Christ, qui en sera de
droit le pontife, puisqu'il en a été le bâtisseur2. Cet expose sur le
sacerdoce du Christ est fondé sur trois textes bibliques qui se
rencontrent également dans les Testimonia de Cyprien, deux
dans le premier livre3, et le troisième, qui rapporte une des plus
célèbres visions de Zacharie4, dans le livre II.
1. Il n'a d'ailleurs pas du tout le sentiment d'entretenir une polémique
avec les juifs quand il reproduit ces griefs traditionnels : la preuve en est
Generated on 2011-09-03 21:29 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
qu'à la fin des Institutions (7, 1, 26) il annonce son intention d'écrire un
autre ouvrage spécialement dirigé contre eux : «Sed erit nobis contra
ludaeos separata materies in qua illos erroris et sceleris reuincemus».
2. Inst. 4, 14, 3 : «Cuius templi et magni et aeterni quoniam Christus
fabricator fuit, idem necesse est habeat in eo sacerdotium sempitemum».
3. Ps. (LXX) 109, 3-4 et / Sam. 2, 35 ap. Cypr. testim. I, 17 CSEL 50, 15,
CC 17, 1.
4. Zach. 3, 1-8 ap. Cypr. testim. 2, 13 CSEL 78, 16 CC 46, 28.
274 PIERRE MONAT
Les différences textuelles qui empêchent, nous semble-t-il,
l'établissement d'une filiation directe entre les deux œuvres, sont
assez bien marquées dans cet ensemble. Mais avant tout exa-
men des textes, nous voudrions attirer l'attention sur le t'ait que
l'édition du CSEL est maintenant totalement périmée, et que le
texte des Testimonia procuré par Dom R. Weber pour le CC
diffère profondément de ce que proposait G. Hartel à la fin du
siècle dernier. Pour les citations bibliques, le texte de Lactance
doit d'ailleurs, lui aussi, être revu soigneusement, car S. Brandt
l'avait souvent aligné sur celui de Cyprien, via G. Hartel !
Passons rapidement sur les différences fort visibles dans la
citation du Psaume 109 (110) (genuiigeneraux ; DominusIDeus ;
paenitebit eumlpaenitebitur), pour en venir au texte du Livre de
Samuel. Les manuscrits de Lactance sont unanimes à écrire in
conspectu meo, qu'il faut donc conserver. Cyprien, pour sa part,
donne de la LXX une traduction qui correspond aux versions
dites lucianiques et non au texte reçu : in conspectu christorum
meorum. On voit assez mal comment expliquer un passage du
texte de Cyprien à celui de Lactance, à moins d'imaginer que ce
dernier, en présence d'un texte devenu in conspectu meorum
par suite de la chute accidentelle de l'adjectif substantivé, ait
supprimé la fin du dernier mot plutôt que recherché l'élément qui
manquait ! En revanche, l'hypothèse d'une chute devient très
Generated on 2011-09-03 21:30 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
plausible au niveau du grec, où èvœjuov peut facilement être
senti comme une préposition gouvernant le seul pronom uou.
On peut dès lors penser que les deux versions latines dérivent de
textes grecs différents. Pour la vision de Zacharie, Lactance
donne des passages qui ne figurent pas dans les Testimonia : ce
point permet de penser à une source commune, mais pas à une
filiation. Le texte de Lactance ne peut en aucune façon se
rattacher à la tradition dont Tertullien est le témoin indirect5. La
citation de Lactance est la version latine la plus ancienne et la
plus étendue que nous ayons de ce passage6.
Deux remarques ponctuelles — nous avons pu les corroborer
par beaucoup d'autres dans le reste de l'œuvre — montreront ici
5. Tert. adv. Marc. 3, 7, 8 CC 517, 18 = adv. lud. 14, 8 CC 1393, 50.
6. P. Sabatier donne en ce lieu un texte qu'il emprunte à Hier, in Zach. I,
3 PL 25, 1505 ab.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 275
pourquoi on ne peut pas dire avec R. Pichon que Lactance a
«cicéronianisé» les textes qu'il cite7 et pourquoi nous croyons
que son modèle direct est de langue latine. Lactance conserve la
transposition brutale d'un hébraïsme ante faciem dans sa cita-
tion, alors que dans soVi commentaire il utilise la formule plus
classique in conspectu 8. Si l'on considère que les traducteurs de
la Vulgate ont écrit ici coram angelo, il faut bien reconnaître que
Lactance n'a pas modifié sa citation pour l'accorder avec sa
grammaire. A l'infinitif de construction très libre aduersari ei que
l'on trouve chez Cyprien, correspond chez Lactance la tournure
plus classique ut contradiceret ei : mais si, comme le prétend
R. Pichon, qui donne explicitement cet exemple9, Lactance ne
faisait que transcrire de façon plus cicéronienne la formule
cyprianique, pourquoi n'aurait-il pas simplement conservé le
même verbe, en modifiant la construction... comme l'a fait la
Vulgate,0 ?
On nous objectera peut-être que Lactance n'avait pas entre les
mains le meilleur texte de Cyprien. Mais si l'on examine soigneu-
sement l'ensemble des manuscrits des Testimonia, l'on s'aper-
çoit qu'il n'y en a aucun, si éloigné soit-il de tous les autres, avec
lequel le texte de Lactance puisse présenter quelque affinité
particulière.
Pour R. Pichon, Lactance a fait subir des arrangements non
Generated on 2011-09-03 21:30 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
seulement au texte de Cyprien, mais également à son organi-
sation, regroupant à son propre usage des citations qui figuraient
chez son prédécesseur dans des chapitres différents11. Notre
chapitre pourrait fournir un bel exemple de ces prétendus mon-
tages, puisque les citations qu'il contient figurent dans deux
livres distincts des Testimonia.
Dans la majeure partie des cas, on peut facilement mettre en
évidence l'existence, chez d'autres auteurs, de groupements
analogues à ceux de Lactance12. Pour les textes qui nous
occupent ici, l'existence d'un groupement ancien est peut-être
7. R. Pichon. Lactance, Paris 1902 p. 203-207.
8. Inst. 4, 14, 13 : «Non... in conspectu Dei et angelorum steterunt».
9. Op. cit., p. 206 n. 1.
10. Celle-ci écrit : «.... ut aduersaretur ei».
11. Op. cit., p. 204-205.
12. Nous le montrerons dans notre thèse, en voie d'achèvement.
276 PIERRE MON AT
moins facile à établir, mais on en retrouve tout de même des
traces, chez Hippolyte de Rome, puis plus tard, chez Didyme
l'Aveugle 13. C'est l'auteur des Testimonia qui, Ã notre sens, a
réparti autrement, et pas toujours d'heureuse façon, ces diffé-
rentes citations. En effet, les deux prophéties sacerdotales
trouvent bien leur place au livre I, dans l'ensemble qui annonce la
fin des institutions juives. Mais le texte de Zacharie a été rejeté
dans un chapitre du livre II où il nous paraît mal à sa place. En
effet, ce passage qui évoque non seulement l'humilité de Jésus,
mais aussi son exaltation, se trouve intégré dans un chapitre
intitulé Quod humilis in primo aduentu suo ueniret. Avec le
passage de YÉpître aux Philippiens placé à sa suite, il constitue
un sous-ensemble qui altère l'homogénéité du chapitre14.
Ces quelques remarques sur les caractéristiques textuelles des
citations et sur leur groupement suffisent à faire sentir ce que
nous croyons possible de montrer par un examen de l'ensemble :
les citations du livre IV ne viennent pas des Testimonia. La
filiation, même avec dégénérescence, nous paraît, à ce simple
niveau, insoutenable. Allons plus loin maintenant, et examinons
en détail les deux prophéties sacerdotales, puis la vision de
Zacharie.
I. Les prophéties sacerdotales
Ps. 109 ( 110) 3-4 ; / Sam. 2,35
Generated on 2011-09-03 21:30 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Lactance et Cyprien
A travers l'expression sacerdotium sempiternum, que Lac-
tance, dans son commentaire, applique au Christ15, S. Brandt
nous invite à reconnaître le titulus cyprianique Quod sacerdo-
tium uetus cessaret et nouus sacerdos ueniret, qui in aeternum
13. Hippolyte de Rome, Sur les bénédictions d'Isaac, de Jacob et de
Moïse, (PO 27, 1-2 p. 145) regroupe Ps. (LXX) 109, 4 et / Sam. 2, 35. Le
commentaire s'accompagne d'une allusion à la robe sacerdotale talaire dont il
est question dans Zach. 3, 1-8, que Lactance cite plus loin. Groupement de
ce même Psaume et du texte de Zacharie chez Didyme l'Aveugle, Sur
Zacharie, SC 83 p. 290, 1.
14. Cf. note 4.
15. Cf. note 2.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 277
futurus esset. Mais il n'y a guère qu'un seul terme qui soit
commun aux deux ensembles, c'est sacerdotium : c'est vrai-
ment un strict minimum, qui exige beaucoup de bonne
volonté de la part du lecteur pour percevoir une parenté entre les
deux textes. Cyprien assemble des matériaux destinés à montrer
une continuité entre le sacerdoce de Y Ancien Testament et celui
du Christ : c'est d'ailleurs le leit-motiv de cette partie des
Testimonia, dont les titres mettent le plus souvent en parallèle le
uetus et le nouum. Au contraire, Lactance ne fait aucune allusion
à l'existence d'un sacerdoce ancien : la référence à « l'ordre de
Melchisédech», traditionnellement inséparable des mots qui la
précèdent dans le Psaume 109 ne se retrouve pas chez lui16, de
même que n'apparaît pas la mention du grand-prêtre Héli, qui se
trouve chez Cyprien, pour introduire le texte de Samuel11. On ne
retrouve pas non plus, chez Lactance, la dernière phrase de ce
même passage, où était annoncée, comme un châtiment pour
Israël, la venue d'un grand-prêtre qui prendrait la place d'Héli,8.
Tout se passe comme si Lactance, ou son modèle, évitait
soigneusement toute référence au sacerdoce royal des juifs.
Les autres utilisateurs
Laissant de côté les textes dans lesquels un seul détail em-
prunté aux versets du Psaume est intégré dans une argumen-
tation ", nous n'évoquerons que les interprétations proposées
Generated on 2011-09-03 21:31 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
pour la séquence constituée par les deux versets. Les juifs les
16. Nous n'avons trouvé, avant les Institutions, qu'un seul texte d'où fût
absente la référence à Melchisédech, VHomélie Pascale du Ps. Hippolyte SC
27, p. 169 (Il y a aussi Hébr. 7, 21, mais le verset est cité plusieurs fois de
manière intégrale en d'autres passages; en 7, 21, l'auteur commente seule-
ment le terme iurauit et la fin du verset n'a aucune raison d'être citée). La
citation tronquée se retrouve ensuite chez Didyme, cf. supra note 13.
17. Cypr. test. 1, 17 CSEL 50, 17 CC 18, 5" : «Item in Basilion I Deus ad
Heli sacerdotem».
18. Ibid. : «Et erit qui remanserit in domo tua».
19. Comme par exemple ante luciferum genui te pour montrer l'antério-
rité de Dieu par rapport aux astres (Iren. dem. 43, SC 62, 101, 2; Ps. Hipp.
SC 27, 117. 121. 183).ou pour démontrer que le Christ est bien né pendant la
nuit (Tert. adv. Marc. 5, 9, 7 CC 690, 10) ou qu'il est bien le fils de Dieu
(Ps. Hipp, 46, I SC 27, 169).
278 PIERRE MONAT
appliquaient à Ezéchias : Justin et Tertullien, qui rapportent tous
deux cette exégèse, la rejettent et lisent dans ce passage l'an-
nonce de la naissance du Christ selon la chair20. Dans YAduer-
sus Praxean, Tertullien explique qu'il s'agit de paroles adressées
au Christ par le Père, et en tire la preuve que le Père et le Fils sont
bien des personnes distinctes21. Irénée y voit la preuve de
l'immortalité du Fils 22. Cyprien, enfin, dans l'une de ses Lettres,
s'écartant de l'interprétation suggérée par les Testimonia mon-
tre, à l'aide du verset 4, que Melchisédech était le typus Christi23.
Le texte de Samuel a été beaucoup moins utilisé. On le trouve
essentiellement une fois chez Hippolyte de Rome, associé
comme ici au verset 4 du Psaume 110, pour montrer que le
sacerdoce parfait appartiendrait à un homme nouveau-né de la
descendance d'Aaron24.
L'Épître aux Hébreux
Rien, chez ces premiers écrivains chrétiens, n'annonce donc
l'interprétation de Lactance : le Christ est grand-prêtre parce que
c'est lui qui a construit l'Église : comme celle-ci est éternelle, il
est prêtre pour l'éternité25. En revanche, cet enseignement n'est
pas sans similitude avec celui que contient YÉpître aux Hébreux.
Utilisant à plusieurs reprises les deux versets du Psaume 109 cité
par Lactance, son auteur montre en effet que Jésus est le grand-
prêtre par excellence26. Certes, il le fait en se référant de façon
Generated on 2011-09-03 21:31 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
constante à Y Ancien Testament et au sacerdoce de Melchisé-
dech, tandis que Lactance évite les allusions au sacerdoce juif.
Mais ils affirment l'un et l'autre que le sacerdoce du Christ est
éternel, et que celui-ci est devenu le prêtre d'un nouveau
sanctuaire, ou plutôt du seul véritable Temple, celui dont les juifs
n'avaient pas su lire l'annonce dans les textes prophétiques : ce
20. Just. dial. 32, 6—33, I ; Tert. adu. Marc. 5. 9, 7 CC 690, 4.
21. Adu. Prax. 7, 2 CC 1165, 12; 11, 3 CC 1171, 17.
22. Iren, dem. 48 SC 62, 109, 5.
23. Epist. 63, 4 CSEL 703, 1.
24. Cf. note 13.
25. Cf. note 2.
26. Hébr. 5, 6-10; 7, 17-21.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 279
nouveau Temple, c'est, pour l'auteur de YÉpître, le ciel, tandis
que, pour Lactance, c'est l'Église27. La similitude n'est pas
totale, mais la démarche est la même : la supériorité du nouveau
grand-prêtre est fondée, par l'un comme par l'autre, sur la
supériorité du nouveau sanctuaire273.
La première partie au moins du raisonnement de Lactance
pouvait facilement être admise par des lecteurs païens accou-
tumés à voir le fondateur d'un temple et d'un culte mettre en
place à son gré le collège sacerdotal28. La seconde, qui lie
l'éternité du prêtre à celle du Temple, risquait de susciter plus de
réserves : aussi n'est-elle présentée qu'en contrepoint de la
première, par des adjectifs, comme un aspect secondaire29. Il
sera temps plus tard, après les citations scripturaires, de consi-
dérer comme établie, même si elle n'a été qu'affirmée, cette
éternité du sacerdoce.
II. La vision de zacharie
Zach. 3,1-8
L'usage qui a été fait de ce texte dans la tradition orientale et
occidentale a été examiné en 1955 par J. Lécuyer30. L'étude
consacrée à Lactance dans cet ensemble est très sommaire, et
consiste essentiellement en une traduction des § 10-15 de notre
chapitre, accompagnée de quelques lignes rassurantes, où il est
dit que Lactance n'a aucunement nié la divinité du Christ durant
Generated on 2011-09-03 21:31 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
sa vie terrestre31. C'est à cet article que nous empruntons les
27. Inst. 4, 14. 1-2.
27a. En présentant le Christ comme principem angelorum (4, 14, 17),
Lactance semble vouloir éviter de donner l'impression d'une infériorité du
Christ par rapport aux anges, impression qu'ont pu laisser des textes comme
Hébr. 2, 7 et Phil. 2, 6-8.
28. Lactance fait lui-même allusion à ces usages à la fin de son premier
livre (inst. 1, 22, 22), où il montre Jupiter parcourant le monde et établissant
çà et là villes, temples et sacerdoces liés les uns aux autres.
29. Inst. 4, 14, 3.
30. J. LECUYER, Jésus, fils de Josédec, et le sacerdoce du Christ, RecSR
43, 1955, p. 82-103.
31. M. p. 91-92.
280 PIERRE MONAT
remarques qui suivent, sur la tradition exégétique relative à ce
texte antérieurement à Lactance.
Justin utilise plusieurs fois cette vision de Zacharie dans son
Dialogue avec Tryphon, et il la commente même de façon
méthodique dans les chapitres 115-117. Il montre essentiellement
que Jésus, fils de Josédec, est l'image du sacerdoce que détien-
nent en commun le Christ et les chrétiens : libérés par la grâce,
ceux-ci forment avec lui un homme nouveau, et participent à un
nouveau sacerdoce, après avoir été dépouillés de leur vêtement
de péché pour revêtir un habit nouveau3,a. Quarante ans plus
tard, Tertullien, qui s'inspire de Justin, applique cette prophétie
directement au Christ-prêtre, alors que Justin ne parlait explici-
tement que du sacerdoce des chrétiens. Puis, dans un ensemble
où il veut démontrer «que les prophètes avaient annoncé un
double état du Messie futur, l'un d'humiliation, d'abaissement,
l'autre d'exaltation merveilleuse32», il explique que ce sacer-
doce a obtenu, grâce à la Passion et à la Résurrection, un progrès
de gloire. Pour Origène enfin, qui utilise trois fois le texte, la
vision du prophète constitue l'occasion d'affirmer simultané-
ment deux états du sacerdoce de Jésus-Christ : l'un d'humi-
liation, dans le partage de la condition où le péché a réduit les
hommes ; l'autre d'exaltation, de libération du péché et d'achè-
vement dans le ciel.
Generated on 2011-09-03 21:32 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Lactance ne propose pas de ce texte un véritable commentaire
suivi. Toutefois, il lui consacre un de ses plus longs dévelop-
pements. Comme bien souvent, le point de départ offre Ã
première vue un aspect polémique : les juifs ont voulu, à tort, voir
dans ce passage une évocation de Josué ou de Jésus, fils de
Josédec33. Mais Lactance ne se contente pas d'opposer une
interprétation à une autre : avant de montrer que le texte annonce
bien Jésus-Christ, il s'applique à faire apparaître rationnellement
l'erreur des juifs : son souci profond n'est pas tant de convaincre
les juifs, dont il ne se préoccupe guère, que d'affirmer le caractère
rationnel de sa démarche : « Il n'y a aucune relation entre ces
3 la. En 79, 4, pour montrer à son interlocuteur l'existence des mauvais
anges.
32. J. Lecuyer, op. cit., p. 87.
33. Inst. 4, 14, 12.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 281
personnages et les propos du prophète34». Épris de rationalité
jusque dans le genre prophétique, négligeant le fait que le texte
qu'il explique raconte une vision, il va montrer que les détails de
la scène évoquée ne peuvent s'appliquerà aucun des deux Jésus
que connaît Y Ancien Testament.
Certes, il a des devanciers sur cette voie. Mais nous le soup-
çonnons d'avoir voulu se montrer ici encore plus systématique et
plus catégorique. Alors que Justin et Tertullien reprochent aux
juifs d'appliquer ce texte à Jésus, fils de Josédec35, Lactance
feint de croire qu'ils en avaient fait également l'application Ã
Josué36. Mais en réfutant dans une seule et même phrase une si
grossière erreur et une interprétation fort plausible, Lactance
peut escamoter les difficultés et donner à son texte un caractère
plus tranchant et plus incisif.
Ne soufflant mot des interprétations antérieures, il s'inspire
toutefois, pour son exégèse christologique, de la réponse faite
aux juifs par Tertullien : le passage, disait ce dernier, ne peut
s'appliquer qu'à Jésus-Christ, et non pas au fils de Josédec, « qui
ne fut jamais recouvert de vêtements sales, mais porta toujours
l'habit sacerdotal37 ». Lactance étend un peu l'argumentation, en
affirmant que la vision ne peut représenter ni Josué ni Jésus, car
ni le prince tout-puissant, conducteur du peuple hébreu, ni le
grand-prêtre n'ont jamais pu, par définition, être sordidati.
Generated on 2011-09-03 21:33 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
L'interprétation fait appel à des vraisemblances, que l'élite
païenne à laquelle il s'adresse admettra comme des évidences :
« Ils ne furent jamais vêtus de vêtements sales, puisque l'un a été
un prince très puissant, et l'autre un prêtre38 ». Mais il faut passer
assez vite. Quelque lecteur pourrait se souvenir, si Lactance l'a
momentanément oublié, qu'il a rencontré, sinon dans la corres-
pondance de Sénèque39, du moins dans les catalogues d'exempla,
des listes de princes qui ont subi de cruels revers de fortune40.
34. Ibid. : «...in quos nihil congruit eorum quae propheta narrauit».
35. Cf. infra. p. 000 et note 46.
36. Inst. 4, 14, 12-13.
37. Tert. adv. lud. 14, 8.
38. Inst. 4, 14, 13.
39. Sen. epist. 47, 12 : «Nescis qua aetate Hecuba seruire coeperit, qua
Croesus, qua Darei mater, qua Platon, qua Diogenes?»
40. Cf. les exempla rassemblés par Valère Maxime sous la rubrique De
mutatione morum aut fortunae.
282 PIERRE MON AT
Le second argument ne tire sa valeur que du caractère de
vraisemblance que l'on voudra bien accorder au premier : « Ils
n'ont jamais subi de telles épreuves qu'on puisse les comparerÃ
un tison rejeté du brasier41 ». Une affirmation aussi péremptoire
ne pouvait s'adresser aux juifs, qui disposaient d'au moins deux
explications pour justifier la comparaison entre Jésus et un
tison42. Il s'agit donc d'une simplification assez cavalière :
l'argument ne pourrait être réfuté que par des faits empruntés à la
Bible : ses lecteurs n'en auront certainement pas à lui opposer.
Un troisième argument est parfaitement acceptable... à condition
d'oublier que le texte expliqué rapporte une vision : «Ils ne se
sont jamais tenus en présence de Dieu et des anges43». Mais
Lactance passe rapidement, noie quelque peu son lecteur sous le
verbe avant d'asséner ironiquement le dernier coup, irréfutable
dans son apparente évidence : « D'ailleurs, un prophète parlait du
futur plutôt que du passé44». L'antériorité de Josué est si
évidente que le lecteur ne s'interrogera pas trop sur la relation
chronologique entre Zacharie et le fils de Josédec, et devra bien
admettre en effet que le prophète ne pouvait avoir parlé que d'un
personnage postérieur à lui, Jésus, le Christ.
L'explication des images
Après cette praemunitio en forme, Lactance se contente de
proposer une interprétation de trois des images contenues dans la
Generated on 2011-09-03 21:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
vision, celle des vêtements souillés, celle du tison, et enfin, plus
rapidement, celle des voies du Seigneur.
Le grand-prêtre, d'abord recouvert de uestimenta sordida, en
sera dépouillé sur l'ordre du Seigneur pour être revêtu des habits
sacerdotaux, une tiare et une robe sacerdotale, selon la LXX*S.
Si la signification de cette nouvelle parure a excité l'ingéniosité
41. Inst. 4, 14, 13.
42. Cf. infra p. 000.
43. Inst. 4, 14, 13.
44. Ibid.
45. Le texte hébreu ne mentionne qu'une tiare et des habits de fête, alors
que la LXX évoque une robe talaire, podérè, une tiare et des habits
propres.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE ' 283
des commentateurs, elle les a moins opposés les uns aux autres
que celle des uestimenta sordida dont était revêtu Jésus. Les
juifs, si l'on en croit S. Jérôme, en proposaient trois interpré-
tations : «ils représentent une union illégitime, ou les péchés du
peuple, ou la déchéance de la captivité46». Lactance ne souffle
mot de ces exégèses. Il est vrai qu'il ne connaît pas, ou qu'il a
éliminé du texte de Zacharie le membre de phrase qui les imposait
« Voici que j'ai ôté tes iniquités 47 ». Dès lors, le champ reste libre
pour montrer, comme l'avait fait Tertullien, que ces vêtements
sales représentent non pas une souillure due à un quelconque
péché, mais l'humiliation que constituait, pour le Fils de Dieu,
son Incarnation48. Telle est bien également l'interprétation sug-
gérée par l'auteur des Testimonia, qui réduit même la signifi-
cation de l'ensemble du texte à l'annonce de cette venue dans
l'humilité49. Le commentaire de Lactance est fort bref : « Il a
donc parlé de Jésus, fils de Dieu, pour montrer qu'il viendrait
dans l'humilité de la chair (c'est le vêtement sale), pour bâtir un
temple pour Dieu...50» La forme donnée par Lactance à ce
commentaire évoque, mais dans une infinitive plus classique que
le quod en usage chez Cyprien ou Evagre, celle des tituli
habituels des testimonia. Elle ne rappelle toutefois celui de
Cyprien que par un timide écho51, et nous rapproche davantage
des formes utilisées par Tertullien dans ses textes polémiques52.
Generated on 2011-09-03 21:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Chez Lactance, en revanche, toute trace de polémique a disparu :
la figure est expliquée dans une sorte de parenthèse53, comme un
rappel jugé à peine nécessaire d'une évidence que nul n'aurait
l'idée de remettre en doute.
46. Hier, in Zach. 3, I PL 25 1056a : «...tripliciter interpretantur : uel ob
cuniugium illicitum, uel ob peccata populi, uel ob squalorem captiuitatis».
47. Inst. 4, 14, 8 : après sordida ab eo, on lit dans les VL (ap. CYPR. test.
2, 13 CSEL 78, 16 CC 46, 28) : « ....et dixit ad eum : ecce ahstuli iniquitates
tuas».
48. Tert. adu. lud. 14. 8.
49. Cypr. testim. 2, 13 CSEL 78, 16 CC 46, 28.
50. Inst. 4, 14, 14.
51. A humilis chez Cyprien correspond in humilitate chez Lactance.
52. Tert. adv. Marc. 3, 7, 7: adv. lud. 14, 8. Lactance reprend l'ex-
pression uestimenta sordida de la citation par uestis sordida. qui est précisé-
ment la formule utilisée par Tertullien.
53. Nous ponctuons ainsi : « ...eum primo in humilitate et carne uenturum
(haec est enim uestis sordida) ut pararet» au lieu de mettre un point après
uenturum comme le fait S. Brandt.
284 PIERRE MONAT
Avant de le transformer en le revêtant des habits sacerdotaux,
le Seigneur avait présenté Jésus au diable en ces termes : « Et
voici un tison rejeté du feu ». Inversant, sans le faire remarquer,
l'ordre des images, Lactance repousse l'explication de la symbo-
lique de ce tison après celle des vêtements souillés. Comme il lit
dans l'une l'annonce de l'Incarnation et dans l'autre celle de la
Passion, cette simple modification d'ordre sert déjà discrètement
sa thèse. Le terme titio appartient au sermo cotidianus et se
rencontre déjà chez Varron et Apulée, puis dans le Digeste, avant
de se retrouver dans la Vulgate, mais pas dans notre passage54.
Les différentes utilisations qui nous en restent impliquent d'ail-
leurs des sens quelque peu différents, qui vont du tison ardent au
charbon de bois, en passant par le brandon55. Lactance prend
bien soin de le définir, ce qui montre, une fois de plus, que la
traduction qu'il donne n'est pas son Å“uvre, et qu'il ne prend pas
l'initiative de la retoucher 55a : au lieu de ce mot utilisé par le
uulgus, il aurait pu en effet avoir recours à torris, certainement
plus connu de ses lecteurs cultivés, puisqu'on le trouve chez
Virgile et Ovide56. C'est d'ailleurs le terme que reprendra la
Vulgate51. Ce bref commentaire apporte une autre preuve de la
fidélité de Lactance à la lettre de ses citations scripturaires : après
avoir fidèlement retranscrit eiectus ab igni dans sa citation, il
harmonisera préfixe et préposition, écrivant eiectus ex igni dans
Generated on 2011-09-03 21:34 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
son commentaire58.
54. Varro ap. Non. 182. 21; Cels. 2. 17; Hyg. fab. 171; Vlp. dig. 32.
55, 7; Apvl. met. 7, 28, 3-4; Vvlg. Is. 7, 4.
55. Non. éd. Lindsay p. 286 : «Titionem, fustum ardentem. Varro de uita
populi Romani lib. II : contra a nouo marito cum item e foco in titione ex
felici arbore et in aquali aqua adlata esset». Ambr. spir. PL 16. 761 :
«Christi... qui uelut carbo secundum carnem exussit nostra peccata, sicut in
Zach. habes : nonne hic titio eiectus ab igni?». Vlp. dig. 32, 55, 7 : « Et
titiones et aliqua ligna cocta ne fumum faciant utro ligno an carboni an suo
generi adnumerabimus?»
55a. Lact. inst. 4, 14, 14 : « ...extractum foco torrem semiustum et
exstinctum»; définition reprise par Isid. orig. 17, 6, 27 Lindsay : «Torris
lignum adustum, quem uulgus titionem appellant, extractum e foco, semius-
tum et exstinctum».
56. Verg. Aen. 12, 298; Ov. met. 8, 457; 8, 512; 12, 272.
57. «Numquid non iste torris est erutus de igné?»
58. Lact. inst. 4, 14, 13; dans la citation elle-même, il écrit eiectus ab
igni; le puriste correcteur de fi a aligné le préfixe sur la préposition et écrit
abiectus ab igni.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 285
Commentaires antérieurs
Les juifs, dans le Talmud, proposent deux explications de cette
comparaison entre le fils de Josédec et un titio : les habits du
grand-prêtre auraient été consumés dans une fournaise, où celui-
ci aurait été jeté par Nabuchodonosor, à cause des fautes de son
fils59 ; ou bien ce même Jésus aurait mérité d'être appelé ainsi
après avoir échappé à l'incendie de Jérusalem60. Pour Justin,
Jésus a reçu ce nom « parce qu'il avait pris sur lui la rémission des
péchés, tandis que son adversaire le diable était réprimé, et les
chrétiens, comme le tison, sont purs, car ils ont été arrachés du
feu 61 ». Dans son Protreptique, Clément d'Alexandrie considère
que ce dalos est une torche de feu purificateur, qui châtiera le
diable 62. Menace aussi contre le diable, dans les Actes de Pierre,
mais menace d'extinction cette fois : « Tu seras éteint comme un
brandon rejeté du feu63». Ni Origène ni Tertullien ne se sont
arrêtés sur ce détail. Plus tard, quand il voudra opposer l'inter-
prétation chrétienne à celle des juifs, Jérôme, rejoignant Justin,
verra dans ce torris semiustus une image de ceux qui, jetés dans le
monde du péché, symbolisé par Babylone, ont cependant su
rester purs64.
Pour Lactance, le titio n'est pas une torche ardente et dévo-
rante, mais seulement un reste, qui a d'abord été à moitié brûlé,
puis éteint : il est l'image du Christ, d'abord soumis aux supplices
Generated on 2011-09-03 21:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
59. Synhedr. 93 A.
60. Jeruschal. Taanit 69 B.
61. Just. dial. 116. 3, trad. J. Lécuyer, op. cit. 86.
62. Cl. Alex, proir. 10, 90, I SC 2, I9492 : «Sur la tête du Prince du mal
est suspendu le châtiment. Le prophète Zacharie le menace ainsi : puisse-t-il
te punir, celui qui a élu Jérusalem; vois, n'est-ce pas un tison arraché du
feu?»
63. Acta Petri éd. Vouaux p. 284 : « ...tamquam titio de foco eiectus
extingueris».
64. Hier, in Zach. 3, I PL 25, 1056 d : «Torris autem de ligno erutus
rectissime intellegi potest qui cum in Babylone fuerit non est Babylonio igne
consumptus nec flamma saeculi huius attactus». Les juifs donnent une
explication analogue, selon Hier. ibid. I505d — 1506a : «Cum ergo de
cunctis ludae urbibus nunc electa sit Hierusalem, nequaquam imputante ei
Domino quae fecit, cur quasi torrem, quem uulgo titionem uocant, Iesum
conaris obruere, qui de Babylonia captiuitate quasi semiustus euasit?»
286 PIERRE MONAT
(brûlé), puis mis à mort (éteint)65. C'est donc en fait des exégèses
d'origine hébraïque qu'il se rapproche de plus. Certes, la per-
sonne à qui est appliqué le texte n'est pas la même ; mais
l'interprétation de l'image ainsi proposée correspond certai-
nement mieux aux intentions du prophète Zacharie qui, s'ins-
pirant d'Amos, voyait certainement dans ce tison à demi consu-
mé une image de souffrances et de persécutions 66. Nous trouvons
ainsi dans les Institutions le témoignage d'une lecture originale de
la Bible, ou du moins d'une lecture qui ne se situe dans la
dépendance d'aucun des auteurs chrétiens dont l'œuvre nous est
restée. Lecture individuelle ou communautaire ? Il paraît difficile
d'admettre que Lactance ait été capable d'eclairer Zacharie par
Amos, et nous croyons qu'il est ici le témoin de l'exégèse d'une
communauté chrétienne particulièrement attentive à YAncien
Testament et à sa signification typologique. Quant à la démons-
tration, elle est fondée sur une definitio, qui, tout en expliquant le
mot titio, évoque, pour l'excuser implicitement, le niveau stylis-
tique de l'Écriture67.
Viae Domini
Négligeant un certain nombre de détails et de difficultés du
texte prophétique68, Lactance explique longuement, pour finir,
les recommandations adressées à Jésus par l'Ange du Seigneur :
« Si tu marches dans mes voies et observes mes commandements,
Generated on 2011-09-03 21:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
tu gouverneras ma maison 69 ». Pour les juifs, elles s'adressent au
65. Cruciamenta : ce mot assez rare (le ThLL relève deux emplois chez
Plaute, un chez Cicéron et deux chez Arnobe) est relativement fréquent chez
Lactance (inst. 4, 14, 14; 4, 30, 6: 5, 2, 6; 5, 22, 20: mort. pers. 49, 3).
66. Pour les exégètes actuels, l'image est empruntée à Amos 4, Il et
signifie que, par la protection spéciale de Dieu, Jésus, fils de Josédec, a pu
survivre aux calamités et aux persécutions entraînées par le péché, et dont le
peuple d'Israël n'avait pas saisi le sens.
67. Inst. 4, 14, 14 : «Titionem enim uulgus appellat extractum foco torrem
semiustum et exstinctum».
68. Par exemple le fait que Satan soit placé à la droite du Seigneur, la
signification de qui elegit Ierusalem. Il ne souffle mot, en particulier, de la
tiare et de la robe remises à Jésus, pour lesquelles la tradition chrétienne ne
manquait pourtant pas d'explications (cf. Hier, in Zach. PL 25, 1507 b).
69. Zach. 3, 8 ap. Lact. inst. 4, 14, 9 et 16 : «Si in uiis meis ambulaueris
et praecepta mea seruaueris, tu iudicabis domum meam».
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 287
grand-prêtre, qui sera aidé par les anges dans sa tâche d'assurer la
permanence du culte divin70. Pour les chrétiens, si nous en
croyons Jérôme, elles faisaient difficulté71 : il leur paraissait
scandaleux que le Christ eût à obéir à des ordres donnés par un
ange.
Lactance n'arrête pas son lecteur sur ces considérations
hiérarchiques. A dire vrai, il évite la question, en introduisant sa
reprise du texte par une insérende dans laquelle angelus domini
est remplacé par spiritus Dei per prophetam docens12, et en
ne reprenant pas la fin de la phrase prononcée par l'ange : celle-ci,
dans la version latine dont il dispose, tout comme dans la LXX,
n'est pas, il faut bien l'avouer, des plus claires, et ne fait pas
apparaître d'assez évidente façon une glorification de Jésus grâce
à la cour d'anges qui lui est donnée73.
La suite du commentaire met alors l'accent sur deux points que
rassemble la conclusion : le Christ vient remplir une mission,
ramener les hommes au culte du Dieu unique, et, ce faisant,
manifeste envers Dieu une fidélité hors de pair qui lui vaudra,
comme récompense, de recevoir le nom de Dieu74. Notre propos
n'est pas de revenir sur la christologie exprimée dans ce passage :
son caractère subordinatianiste a été montré par V. Loi75, et,
70. HIER, in Zach. 1, 3 PL 25, I507d : «Hebraei coeptae interpretationis
ordinem prosequentes, ad Iesum filium losedec ab angelo domini haec dicta
Generated on 2011-09-03 21:35 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
intelligunt... Et repromittitur ei praemium si in uiis Domini ambulauerit et eius
praecepta seruauerit. quod et ipse iudex sit domus eius, id est pontifex,
perseueret in templo et custodiat atria eius et uestibula et det ei Dominus ex
angelorum numero (qui eo tempore stabant ante conspectum eius) quorum
circumualletur auxilio et ab omni hostium fraude securus sit».
71. Hier, in Zach. I, 3 PL 25, I507d-I508a : «Juxta nostros, qui haec
omnia referunt ad Dominum Saluatorem, hoc uidetur esse difficile, quod Jesu
ab angelo dicitur Si ambulauerit in uiis Domini... Quod facile soluitur, si
consideremus eum, qui formam serui est dignatus assumere (Phil. 2) et cum
diues esset, pro nobis pauper factus est (2 Cor. 8, 9)».
72. Inst. 4, 14, 15.
73. Zach. 3, 8 ap. Lact. inst. 4, 14, 9 : « ...et dabo tibi qui conuersentur
in medio horum circumstantium» ; LXX : ôûoco ooi à vaorpecpouÉvoljç èv
uiow tô)v ÊornkÔTarv toûtujv. In medio transpose èv uiou>, qui n'est pas très
clair. Jérôme donne, d'après l'hébreu, une traduction plus explicite (PL 25,
1507c) reprise par la Vulgate : «...dabo tibi ambulantes de his qui nunc hic
assistunt».
74. Inst. 4, 14, 20 : «Propterea quia tam fidelis extitit, quia sibi nihil
prorsus assumpsit, ut mandata mittentis impleret, et sacerdotis perpetui digni-
tatem et regis summi honorem et iudicis potestatem et Dei nomen accepit».
75. V. Loi, Lattanùo... Zurich 1970 p. 203-207.
288 PIERRE MONAT
malgré les propos rassurants de J. Lécuyer76, il est certain qu'il y
a ici, pour le moins, une ambiguïté sur la divinité du Christ. Mais
peut-être n'a-t-on pas assez examiné cet ensemble en fonction
de son contexte. La mission du Christ prêtre était de rétablir le
culte du Dieu unique et vivant77. Lactance, reprenant l'enseigne-
ment fondamental de YÉpître aux Hébreux1*, s'attache à mon-
trer la fidélité avec laquelle le Christ a rempli sa mission79. Le
souci de bien remettre dans la tête des hommes qu'il n'y a qu'un
seul Dieu — ce que même les juifs avaient oublié80—aconduit le
Christ, pour éviter toute ambiguïté sur ce point premier, à ne
jamais se présenter lui-même explicitement comme Dieu : « Et
pour sa part, il n'a jamais dit qu'il était Dieu»81, écrit Lactance,
et aucune parole connue du Christ ne saurait — au moins littéra-
lement — démentir cette assertion82. Rien, dans la phrase du
rhéteur, ne constitue une négation de la divinité du Christ, elle
peut même au contraire la laisser sous-entendre. Elle montre que
le Christ s'est acquitté de sa mission avec la plus grande
prudence, en masquant même ce qui aurait pu conduire les
hommes à comprendre prématurément qu'il était Dieu83. Il ne
faut pas considérer que Lactance se « rachète » en d'autres
passages des Institutions où les affirmations seraient plus ortho-
doxes 84. Pour lui, chaque point de la foi doit être présenté en son
temps, de façon à bien marquer la différence entre paganisme et
Generated on 2011-09-03 21:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
76. Op. cit. p. 92.
77. Inst. 4. 14, 17-18.
78. Hébr. 2, 17 ÈX.erjuu)v yé^x01 Kal kioxôç à pxitpeùç ià Jtpô; xôv Oeôv.
ibid. 3, 2 juoxôv ôvxa xù) Jioitjoavri aùiôv. Si les plus récentes traductions
donnent à juoxôç dans ces deux passages le sens de accrédité (TOB ad loc.),
la tradition chrétienne l'a toujours interprété comme signifiant fidèle, et c'est
certainement en ce sens que Lactance l'a entendu commenter.
79. Inst. 4, 14, 15 : fideliter; 4, 14, 18 : fidem (bis); 4, 14. 20 : fidelis.
80. Inst. 4, 14, 17.
81. Inst. 4, 14, 18 : «Nec umquam se ipse Deum dixit».
82. Le Christ ne proclame sa divinité que par des voies détournées, et il
donne parfois même l'impression de refuser les attributs divins. Cf. par
exemple la phrase au jeune homme riche : «Pourquoi m'appelles-tu bon?
Personne n'est bon que Dieu seul». Sur la prudence effective du Christ Ã
affirmer sa messianité et son caractère divin, cf. J. Liebaert, Christologie...
éd. française p. 33-35.
83. Inst. 4, 14, 18.
84. J. Lecuyer, op. cit., p. 92.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 289
christianisme, et le premier article du Credo est bien l'affirmation
d'un Dieu unique. Il sera temps plus tard d'expliquer la pluralité
des personnes85.
Cette fidélité du Christ à remplir sa mission est une acceptation
de la volonté de Dieu, humiliation acceptée qui lui vaudra en
compensation le nom de Dieu86. Telle est la conclusion
du chapitre. On reconnaît un raisonnement analogue à celui qui
sous-tend l'hymne de YEpître aux Philippiens où sont célé-
brées la kénôse et la glorification par laquelle le Christ a obtenu
«le Nom qui est au-dessus de tout nom87». Or ce texte, qui est la
plus ancienne page christologique du corpus paulinien88 avait au
moins deux raisons d'être connu de Lactance : d'abord, il a fait
l'objet très tôt d'une utilisation liturgique, peut-être même avant
de figurer dans YEpître*9, ensuite, il figure dans les Testimonia
de Cyprien, à la suite du passage de Zacharie commenté par
Lactance90 : il existait donc une tradition qui les liait l'un Ã
l'autre, dont on retrouve d'ailleurs la trace dans le Commentaire
de Jérôme ". C'est sans doute l'enseignement de ce texte difficile
que Lactance a voulu ici adapter à l'usage des païens. Quand on
sait les difficultés soulevées par ce texte de l'apôtre et les
problèmes que pose encore sa traduction92, on comprend qu'en
voulant reprendre son raisonnement, le rhéteur n'ait pas fait
preuve de toute la subtilité souhaitable.
Generated on 2011-09-03 21:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Un rapide bilan de ces quelques pages nous permettra d'attirer
l'attention sur deux points. Nous soulignerons d'abord la relative
originalité du dossier biblique et du commentaire présenté par
Lactance. Si on retrouve, chez ses prédécesseurs ou ses succes-
85. Inst. 4. 29. I.
86. Id. 4, 14, 20.
87. PMI. 2, 9 trad. Bible de Jérusalem.
88. J. Liebaert. Christologie... p. 21. VEpitre aux Hébreux montre
également que c'est par la Kénôse que le Christ accomplit sa mission
salvatrice.
89. Ibid. p. 25.
90. Cypr. test. 2. 13 CSEL 78, 16 CC 46, 28.
91. Après avoir évoqué les difficultés soulevées par certains chrétiens pour
appliquer au Christ le texte de Zacharie (cf. supra note 71), Jérôme ajoute :
«Quod facile soluitur. si consideremus. eum qui formam serui est dignatus
assumere (Phil. 2, 6)».
92. TOB note ad loc.
290 PIERRE MONAT
seurs, des traces de ce dossier, il semble néanmoins qu'il soit le
témoin le plus complet d'un ensemble ancien dont ceux-ci
n'auraient repris que quelques éléments. L'analogie entre son
commentaire et certains textes apostoliques conduit à supposer
qu'il transmet ici un enseignement reçu dans une communauté où
s'était conservé le souvenir des toutes premières catéchèses et de
leur élaboration, et où l'on ne cherchait pas à s'écarter de façon
trop systématique des interprétations hébraïques. On pourrait
trouver là une explication de l'aspect un peu archaïque pour
l'époque de la christologie qu'il présente, fort empreinte de
subordinatianisme, et dans laquelle Lactance est bien loin d'at-
teindre, quand il traite du sacerdoce du Christ, la richesse
dogmatique et pastorale de son contemporain Eusèbe93.
Ensuite, si cette présentation un peu sommaire du sacra-
mentum Christi s'explique par l'ancienneté des sources, elle
trouve également quelque justification dans le souci pédagogique
de Lactance. Nous avons vu combien il s'est montré soucieux de
mettre son enseignement à la portée de ses lecteurs païens. Il a
expliqué les textes, mots et images, comme un grammaticus, qui
ne recule pas éventuellement devant l'argutie. Il s'est efforcé de
donner du sacerdoce du Christ et de sa mission une explication
rationnelle, qui fait peut-être davantage de celui-ci un repré-
sentant de commerce correct en affaires vis-Ã -vis de son patron
Generated on 2011-09-03 21:36 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
que le Fils envoyé pour porter témoignage au Père94. Cette
astuce de présentation digne des mass-media pouvait avoir une
certaine efficacité sur des esprits romains soucieux de catégories
bien tranchées, mais elle simplifiait beaucoup trop les données
complexes du sacramentum Christi et contraint à reconnaître
que Lactance s'est montré ici pour le moins quelque peu mala-
droit dans l'habileté.
Cet aspect archaïque de la théologie exprimée, les simplifi-
cations et les erreurs de l'argumentation expliquent facilement
que ces pages aient disparu de YEpitomé. L'auteur du résumé.
93. Evs. dem. eu. 4, 17 et ecl. proph. 3, 23 : cf. J. Lecuyer, op. cit. 92-
95.
94. Inst. 4, 14, 19-20. Si l'on peut deviner l'annonce de la Bonne nouvelle
dans facere praeconium, en revanche negotium gerere et mandata implere
appartiennent à la langue du droit et des affaires.
LA PRÉSENTATION D'UN DOSSIER BIBLIQUE 291
que ce soit un Lactance vieilli et devenu prudent, un disciple ou
un clerc sourcilleux en matière de théologie, supprimait ainsi, au
prix d'une suture facile 95, des chapitres difficilement acceptables
après Nicée.
95. Epit. 40, I. L'auteur du résumé supprime ce qui se rapporte au Temple
Generated on 2011-09-03 21:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
et au sacerdoce du Christ, et passe directement de la Nativité aux miracles.
292 PIERRE MON AT
DISCUSSION
J. Doignon. — Une référence textuelle à VÉpître aux Philippiens est
donnée dans la formule «Dei nomen accipiens». Une question : la
formule princeps angelorum appliquée au Christ est-elle à l'usage des
lecteurs païens ou est-elle une formule théologique ?
P. Monat. — V. Loi (Lattanzio... p. 214-215) considère que Lac-
tance subit ici une influence de la tradition judéo-chrétienne. Mais on
peut penser que l'idée de situer le Christ par rapport aux anges vient
simplement du texte cité plus haut. Négligeant ici les problèmes de la
nature du Christ, Lactance veut faire comprendre aux païens sa
fonction, dût son explication ne pas être en parfaite harmonie avec ce
qu'il a dit plus haut sur la personne du Fils. Comme l'eût fait un roi. Dieu
a envoyé comme héraut aux hommes son chef le plus prestigieux :
l'image est parfaitement à la portée des esprits païens.
C. Rambaux. — N'y aurait-il pas à chercher dans YÉvangile de
Marc, puisque s'appuient sur lui ceux qui ne reconnaissent en Jésus
qu'un homme que Dieu aurait élevé à la divinité ?
P. Monat. — Lactance semble mal le connaître. C'est celui des
Evangiles auquel il fait le moins souvent allusion (trois ou quatre fois,
contre une soixantaine de fois à Matthieu, et une vingtaine à Luc et Ã
Generated on 2011-09-03 21:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Jean).
Generated on 2011-09-03 21:37 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
APPENDICES
Generated on 2011-09-03 21:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
JEAN-PIERRE MAHE
NOTE SUR L'ASCLÉPIOS à L'ÉPOQUE DE LACTANCE
Il n'est pas exclu, mais extrêmement douteux, que l'adaptation latine
du Logos Teleios, connue d'Augustin (cf Ciu. 8, 23 s) et transmise
ordinairement sur les mêmes mss que les philosophica d'Apulée sous le
titre d'Asclepius, ait existé au temps de Lactance. Celui-ci, en effet, cite
le texte grec ou sa traduction personnelle de certains passages (compa-
rer par ex. LACT., Inst. 6,25, Il etAsci.4l). Or la version latine est une
adaptation plutôt qu'une traduction à proprement parler. Précisément
en Àscl. 28, nous avons un parallèle copte propablement plus proche de
l'original, et pour cette raison assez différent de la version latine que
Monsieur Doignon cite à propos de Lactance, Inst. 7,20,7-10. L'idée est
à peu près la même, mais certains des mots soulignés par Monsieur
Doignon (meriti, iustam, maculis) n'ont pas d'équivalent direct en
copte. En revanche piam, inter caelum et terram, poenis s'y rencon-
trent littéralement et figuraient sans doute dans l'original.
Pour donner une idée plus précise, je joins un extrait de ma traduction
encore inédite du texte copte (Nag Hammadi VI, 76,22), qu'on pourra
comparer avec celle de M. Krause (Gnostische und Hermetische
Schriften aus Codex II und VI, Glùckstadt 1971).
« Il y a un chef-démon (summus daemon) que le grand Dieu a assigné
pour être inspecteur des âmes humaines. Or Dieu l'a installé au milieu
de l'air entre la terre et le ciel (inter caelum et terram). Et quand l'âme
sortira du corps (cumfuerit animae e corpore facta discessio), nécessai-
Generated on 2011-09-03 21:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
rement, elle rencontrera ce démon. Alors, il tournera (et retournera) cet
(homme), le mettant à l'épreuve sur la manière dont il a agi pendant sa
vie : et s'il trouve qu'il a accompli avec piété (piam iustamque
peruiderit) toutes les Å“uvres en vue desquelles il est venu au monde, cet
homme-là , il le placera...
(lacune de 2 lignes)... Mais s'il voit que... (1/2 ligne)... en lui... (3/4 de
ligne)... la vie en des Å“uvres mauvaises, en effet, il s'empare de lui au
moment où il monte vers le ciel et il le précipite en direction de l'enfer ;
mais I'(homme) reste suspendu à la partie inférieure du ciel, tandis
qu'on lui inflige un grand châtiment. Et il lui adviendra, à celui-là , d'être
privé de son espérance, se trouvant en grande affliction ; et cette âme-là ,
elle n'a trouvé d'assiette ni sur terre ni dans le ciel, mais elle est parvenue
dans la mer de l'air (deturbans procellis turbinibusque aëris), en un lieu
de l'univers où il y a un grand feu et de l'eau glacée (ignis etaquae), ainsi
que des traînées de flammes et un grand tourment, (infligeant) aux corps
des supplices qui ne (cessent de) se contrarier (in diuersa semper
aeternis poenis agitata rapiatur)...» Suit une description, en deux
pages, des peines de l'enfer.
Generated on 2011-09-03 21:38 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
II
JEAN DOIGNON
LE RETENTISSEMENT D'UN EXEMPLE
DE LA SURVIE DE LACTANCE
un texte des Institutions divines
inspiré de Cicéron dans la Lettre 104 d'Augustin
L'échange d'une correspondance entre Augustin et le païen cultivé
d'Afrique Nectarius, aux alentours de 410 1, présente un grand intérêt,
car elle est remplie de souvenirs littéraires de la Rome classique et
donne à Augustin l'occasion de situer les exigences morales de sa foi par
rapport à celles de l'éthique romaine traditionnelle.
C'est ainsi qu'en réponse à son correspondant, qui déplorait les
destructions matérielles infligées à la cité de Calama et invoquait un
adage qu'il disait fort répandu dans les textes (« la mort ôte le sentiment
de tous les maux, alors qu'une vie d'indigence cause un malheur
éternel2 »), Augustin exprime son sentiment sur cette maxime préten-
dument classique : il affirme que la seconde partie ne correspond à rien
de ce qu'il a lu3; de fait, continue-t-il, il ne saurait être question de
« malheur éternel » de la vie, puisque la vie ne peut être éternelle et que
s'il y a lieu de se plaindre d'elle, c'est à cause de sa brièveté *. En
revanche, reconnaît Augustin, il est exact que l'on trouve dans les textes
1. Cf. A. Goldbacher, Sancti Augustini ...epistulae, CSEL 58, p. 31, qui
date de 408-409 les lettres 90 et 91 et pour les lettres 103-104 donne cette
précision : «paulo post acceptas Hueras 103 (sc. VI Kal. Apriles a. 409 aut
Generated on 2011-09-03 21:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
410), quo tempore quid impetrauisset Possidius nondum erat compertum,
mense fortasse Aprili Augustinus responsum debet epistola 104».
2. Nectarius ap. Aug. epist. 103, 3, CSEL 34, p. 580 : Si quidem quod
frequentatum in litteris nosti, mors malorum omnium auferat sensum, egestosa
uita aeternam pariât calamitatem...
3. Aug. epist. 104, 3, p. 583 : Et ego quidem nec in nostris, ad quas me
serius fateor animum adplicuisse quam uellem, nec in uestris, quas ab
ineunte aetate didici, litteris uspiam legisse recolo quod egestosa uita aeter-
nam pariât calamitatem.
4. Ibid. : Et in hac ipsa quam in terris degimus nullo modo ulla calamitas
aeterna esse poterit, cum eadem uita aeterna esse non possit, quae nec
saltem diuturna est, ad quamlibet aetatem senectutemque peruenerit. Hoc
enim potius in illis litteris legi quoniam uita ipsa qua fruimur breuis est, in qua tu
arbitraris et frequentatum in litteris iam mones aeternam esse posse calamitatem.
298 JEAN DOIGNON
que « la mort est la Tin de tous les maux», mais non pas dans tous. Car si
cette opinion est défendue par les « Épicuriens et les autres qui pensent
que l'âme est mortelle, par contre ces hommes que Tullius appelle des
philosophes consulaires, parce qu'il tient en grande estime leur auto-
rité, considèrent que, quand nous accomplissons notre dernier jour,
l'âme ne s'éteint pas, mais change de demeure et que, selon que ses
mérites lui assignent des biens ou des maux, elle subsiste pour son
bonheur ou pour son malheur. Cela, en outre, s'accorde avec les Livres
Saints, dans lesquels je désire être expert. Ainsi la mort est la fin des
maux, mais chez ceux qui ont une vie pure, pieuse, fidèle, innocente et
non chez ceux qui, brûlant du désir des bagatelles et des vanités du
monde, d'une part, alors qu'ils se croient heureux ici-bas, donnent la
preuve qu'ils sont malheureux à cause de la corruption de leur volonté,
et d'autre part, sont contraints après la mort, non seulement d'avoir,
mais même d'éprouver des malheurs plus pénibles5 ».
Dans le texte de cette mise au point d'Augustin, toute l'attention s'est
portée sur la métaphore énigmatique consularesphilosophi6. Son sens a
été bien établi, semble-t-il, par M. Ruch7 utilisant une suggestion
5. Ibid. p. 583-584 : Mortem autem malorum omnium esse finem habent
quidem uestrae litterae, sed nec ipsae omnes : Epicureorum est quippe ista
sententia et si qui alii mortalem animam putant. At illi quos Tullius quasi
consulares philosophos appellat, quod eorum magnipendat auctoritatem, quo-
niam cum extremum diem fungimur. non exstingui animam sed emigrare
Generated on 2011-09-03 21:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
censent et, ut merita quoque eius adserunt seu bona seu mala, uel ad
beatitudinem uel ad miseriam permanere. Hoc congruit et litteris sacris,
quarum me cupio litteratorem. Malorum ergo finis est mors, sed in eis
quorum casta, pia, fidelîs, innocens uita, non in eis qui temporalium nugarum
et uanitatum cupiditate flagrantes, et cum hic sibi felices uidentur, ipsa
uoluntatis prauitate miseri conuincuntur et post mortem grauiores miserias
non habere tantum, uerum etiam sentire coguntur.
6. Il faut signaler cependant l'effort déployé par A. Gkii.ii. éd. de M. Tulli
Ciceronis Hortensius (Testi e documenta per lo studio dell'antichità 5),
Milano, 1962, p. 170-171, pour élucider la construction quoniam cum...
fungimur, non exstingui animam censent. Effort bien vain! Il ne s'agit pas,
comme le pense A. Grilli, d'une mélecture de cum iam devenu quoniam
(dans ce cas que faire du second cum?), mais du tour pléonastique quoniam
cum marquant le temps : on en a un autre exemple dans Ambr. obit.
Theod. 15 : quoniam cum Aethiopum infinita urgeretur (Asa) atque innumera-
bili multitudine, sperauit a Domino. Quoniam cum, leçon de tous les mss.
sauf A B, est adopté par M. D. Mannix, S. Ambrosii oratio de obitu
Theodosi (Patristic studies 9), Washington, 1923, p. 51 et commenté par
E. Lôfstedt Vermischte Studien zur lateinischen Sprachkunde und Syntax
(Skrifter utgivna av Vetenskaps-Societeten i Lund 23), Lund, 1936, p. 61-62.
Aucune remarque sur ce fait syntaxique de Yepist. 104 dans J. Wankenne,
La langue de la Correspondance de saint Augustin. Etude lexicographique,
morphologique et syntaxique, 3 vol. Thèse Louvain, 1971.
7. M. Ruch, «Consulares philosophi» chez Cicéron et chez saint Augus-
tin, dans REAug, 5, 1969, p. 99-102.
UN EXEMPLE DE LA SURVIE DE LACTANCE 299
d'H. Usener8 : consulares appliqué aux philosophes serait l'antonyme
de l'adjectif plebei dans la iunctura cicéronienne plebei philosophi et
désignerait les philosophes qui descendent de Platon et de Socrate 9.
L'explication de M. Ruch aurait cependant gagné en solidité, si elle
avait tenu du contexte où elle est placée et où comme l'a remarqué
J. Glucker ,0, Augustin fait nettement des consulares philosophi les
adversaires des Epicuriens. De ce contexte, en revanche, s'est préoc-
cupé M. Testard11, mais — comme l'avaient fait O. Plasberg12 et
R. Dienell3 pour la seule formule consulares philosophi citée dans le
Contra Iulianum ,4 au milieu d'autres extraits de YHortensius 15 — il l'a
imputé un peu trop vite à ce dialogue perdu, car la ressemblance qu'il
trouve entre l'ensemble qui entoure consulares philosophi dans la
Lettre 104 et un fragment authentique de YHortensius dans le De beata
uita n'est pas obvie 16.
Cependant il est bien vrai que les souvenirs de Cicéron dans la citation
des « philosophes consulaires », que résume le passage de la Lettre Ã
Nectarius, ne se limitent pas à la seule expression consulares philo-
sophi. Des tournures comme extremum diem (fungimur), emigrare
8. H. Usener, Rezenzion v. O. Plasberg. De M. Tulli Ciceronis Hortensio
dialogo, dans Kleine Schriften 2, Leipzig, 1913, p. 363.
9. Cf. Cic. Tusc. I, 55 : Licet concurrent omnes plebeii philosophi : sic
enim ii qui a Platone et Socrate et ab ea familia dissident appellandi uidentur.
Ambr. epist. 34, 1, parle aussi du uulgus philosophorum qu'il oppose à la
Generated on 2011-09-03 21:39 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
putricia prosapia Platonis. Je remercie G. Madec de m'avoir communiqué
cette référence d'Ambroise.
10. J. Glucker, «Consulares philosophi» again, dans REAug 11, 1965,
p. 229-234.
11. M. Testard, Saint Augustin et Cicéron, Il : Répertoire de textes,
Paris, 1958, p. 92, suivi par H. Hagendahl, Augustine and the latin classics
(Studia graeca et latina Gothoburgensia 21) I, Gôteborg, 1967, p. 91,
n" 95 b.
12. O. Plasberg, De Marci Tullii Ciceronis Hortensio dialogo, Berlin,
1892, p. 83.
13. R. Dienel, Zu Ciceros Hortensius, II, Jahresbericht des MÃ dchen-
Obergymnasiums..., Wien, 1911-12, p. 5.
14. Aug. c. lui. 4, 15, 76, PL 44, p. 777-778 : Ne scilicet in ipsa de
uoluptate quaestione, unde tecum agimus. honestiores philosophi te obrue-
rent, quos Cicero propter ipsam honestatem tamquam consulares philosophes
nuncupauit; et ipsi Stoici maxime inimicissimi uoluptatis quorum testimo-
nium ex persona Balbi apud Ciceronem disputantis, uerum quidem, sed quod
tibi prorsus nihil prodesset, interponendum putasli...
15. Ce sont les fragm. 81 Mùller (c.Iul. 4, 14, 72), 95 (c.Iul. 4, 15, 78) et 102
(c.Iul. 4, 15, 76).
16. Cf. fragm. 39 Mùller ap. Aug. beat. uit. 8. M. Testard, ouvr. cité,
p. 92 rapproche ce fragment de Aug. epist. 104, 3, parce qu'il dénonce la
volonté perverse comme le malheur le plus grand (plus enim mali prauitas
uoluntatis adfert quam fortuna cuiquam boni), mais il n'offre rien de compa-
rable à l'antithèse fondamentale établie dans epist. 104, 3 entre les actions
bonnes et mauvaises et entre la béatitude et la déréliction.
300 JEAN DOIGNON
(animam), nugae, cupiditate flagrantes ont fait partie de l'usage de
Cicéron philosophe ,7 avant de passer dans celui d'Augustin, lequel
paraît d'autre part considérer exstingui appliqué à l'âme comme un mot
technique des philosophes18, auquel il préfère solui, separari ou
exire ".
Si donc le vocabulaire de la paraphrase des consulares philosophi a
une couleur cicéronienne bien marquée — et spécialement au coin de
YHortensius (emigrare, exstingui) —, Augustin a pu fort bien s'inspirer,
en même temps que de ce dialogue, d'autres textes cicéroniens qui
allaient dans le même sens. Cette hypothèse est d'autant plus vraisem-
blable que le fragment de YHortensius (97 Mùller)20 qui correspondrait
mieux à l'analyse que fait Augustin de l'opinion eschatologique des
consulares philosophi—fragment dont le même Augustin s'inspire déjÃ
dans le De ordine21 —, ne présente pas l'alternative rigoureuse qui,
selon la Lettre à Nectarius, serait l'épine dorsale de la pensée recueillie
chez Tullius. D'autre part, les catégories du bien et du mal que distingue
le résumé d'Augustin ne s'ajustent pas à la perspective intellec-
tualiste du fragment 97 de l'Hortensius, selon lequel la discrimination
après la mort se fait entre les âmes qui ont vécu dans la ligne de la raison
et celles qui se sont compromises dans le vice de l'erreur.
C'est dans le fragment 15 (Mùller) de la Consolation rapporté par
Lactance que, comme l'a fait observer A. Grilli22, on trouve attribuée
aux /'///' sapientes une alternative d'ordre éthique comparable à celle
Generated on 2011-09-03 21:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
qu'Augustin déclare avoir lue dans un texte cicéronien reflétant la
pensée des consulares philosophi : « Ces sages, écrit Cicéron, n'ont pas
pensé que le même parcours s'offrait à tous vers le ciel. Ils ont enseigné
que ceux qui se sont souillés par des vices et des crimes s'enfoncent
17. Extremum diem (uitae) dans Cic. fin. 3, 76 et Lae. 33 ; emigrare dans
leg. 2, 48 avec la variante demigrare dans Hortensius fragm. 97 Mùller;
nugae dans diu. 2. 30 à propos de chimères: flagranti cupiditate dans
Tusc. 4, 44.
18. Distingué du terme banal separari : cf. Aug. immort. 6, 11 : an etiamsi
separari non potest (animus). exstingui potest? L'«extinction» de l'âme est
le mot propre des Epicuriens (?) d'après Cic. Tusc. I, 18 : on le trouve dans
le fragm. 97 de YHortensius.
19. Soluere dans serm. 224, I ; separari dans in psalm. 48, 12, 2 ; ciu. 13, 20 ;
exire dans gen. ad litt. 12, 32, 60.
20. Cf. ap. Aug. trin. 14, 19, 26. Hortensius fragm. 97 Mùller = 93
Ruch = 115 Grilli : si, ut antiquis philosophis iisque maximis longeque
clarissimis placuit, aeternos animos ac diuinos habemus, sic existimandum
est, quo magis hi fuerint semper in suo cursu id est in ratione et inuestigandi
cupiditate et quo minus se admiscuerint atque implicuerint hominum uitiis et
erroribus, hoc iis faciliorem ascensum et reditum in caelum fore.
21. Comme l'a noté M. Testard, ouvr. cité, p. 10 à propos de Avg.
ord. 2, 9, 26 : inconcusse credo, mox ut hoc corpus reliquerint, eos quo bene
magis minusue uixerint, eo facilius aut diffïcilius liberari. Ce dernier terme se
trouve dans le Songe de Scipion 15.
22. Cf. A. Grilli, ouvr. cité, p. 119-120.
UN EXEMPLE DE LA SURVIE DE LACTANCE 301
dans les ténèbres et sont plongés dans la boue, tandis que les âmes sans
souillure, pures, intactes et sans corruption, affinées par les études et les
arts nobles, volent d'un mouvement souple et aisé vers les dieux,
c'est-à -dire vers la nature qui leur est semblable "».
La différence de tonalité qui sépare la phraséologie de Cicéron issue
de Platon dans ce fragment de la Consolation14 et la manière
augustinienne, plus morale, de présenter dans la Lettre 104 le sort des
âmes, ne doit pas nous détourner de l'idée que cet extrait de la
Consolation fournissait à Augustin le canevas le plus approprié à une
présentation antithétique de l'eschatologie des consulares philosphi25.
Il existait aussi, il est vrai, une autre page de Cicéron, bien connue26
et résumant également un enseignement du Phédon27, page qui oppo-
sait les deux routes offertes aux âmes à leur sortie du corps : un chemin
plein de détours pour les âmes qui se sont souillées dans les vices de
notre nature, une route droite pour celles qui ont gardé leur inno-
cence28. L'idée maîtresse de cet abrégé de l'enseignement de Socrate
23. Consolatio fragm. 15 Millier ap. Lact. inst. 3, 19, 6, CSEL 19, p. 241 :
Nec enim omnibus, inquit, idem illi sapientes arbitrât! sunt eundem cursum
in caelum patere. Nam uitiis et sceleribus contaminatos deprimi in tenebras
atque in caeno iacere docuerunt, castos autem animos, puros. intégras,
incorruptos, bonis etiam studiis atque artibus expolitos leui quodam et facili
lapsu ad deos, id est ad naturam similem sui peruolare.
24. K. Kumaniecki. A propos de la Consolation de Cicéron, dans
Generated on 2011-09-03 21:40 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Annales Fac. Lettres Aix, 36, 1969, p. 391, fait remonter essentiellement au
Phédon 107 D-l 15 A l'emploi dans le fragm. 15 des images des souillures, du
bourbier, la notion de pureté de l'âme, l'idéal de culture comme gage
d'immortalité. La postérité de l'image platonicienne du bourbier a été plus
spécialement étudiée par P. Courcelle, Connais-toi toi-même, II, Paris,
1975, p. 502-519.
25. Augustin a hérité cette vison dualiste des fins dernières de la tradition
latine (cf. Tert. resurr. 48. 8-11: Hil. in psalm. 51, 23; Ambr. epist. 2,
16) : cf. H. Eger, Die Eschatologie Augustins (Greifswalder theologische
Forschungen I,), Greifswald, 1933, p. 22.
26. L'allégorie est traitée avec des variantes particulières chez Lact. inst.
6, 3; elle sert en raccourci à Ambr. in psalm. 36, 48 pour commenter un
verset du Psalmiste; elle est sous-jacente à la recherche d'une définition de
la sagesse dans Aug. c. Acad. I, 5, 13.
27. Cf. Platon, Phédon 80 D-E - 81 A-D.
28. Cf. Cic. Tusc. I, 72, éd. Fohlen-Humbert p. 45 : Ita Socrates enim
censebat itaque disseruit duas esse uias duplicesque cursus animorum e
corpore excedentium. Nam qui se humanis uitiis contaminauissent et se totos
libidinibus dedissent, quibus caecati uel domesticis uitiis atque flagitiis se
inquinauissent uel republica uiolanda fraudes inexpiabiles concepissent, iis
deuium quoddam iter esse, seclusum a concilie deorum; qui autem se
intégras castosque seruauissent, quibusque fuisset minima cum corporibus
contagio seseque ab iis semper seuocauissent essentque in corporibus huma-
nis uitam imitati deorum, iis ad illos a quibus essent profecti reditum facilem
patere.
302 JEAN DOIGNON
est la même que celle du fragment 15 de la Consolation, mais la façon
dont elle est développée de part et d'autre est différente. Le passage de
la Consolation est seul à évoquer les aspects de l'autre vie : supplices
pour les uns, envol vers les dieux pour les autres. Or, Ã l'exclusion des
images, c'est bien sous cet angle de la récompense et du châtiment
eschatologiques que le texte cicéronien paraphrasé par Augustin pré-
sentait le sort des âmes après la mort. Dans l'état actuel de notre
information, il y a donc tout lieu de conclure que ce texte repris de
Cicéron ressemble fort au fragment 15 de la Consolation.
Sans doute les expressions qui donnent une coloration cicéronienne Ã
la paraphrase d'Augustin, et que nous avons signalées précédemment,
ne sont-elles pas empruntées à ce fragment de la Consolation. Mais cela
ne doit pas nous étonner, car il semble qu'Augustin veuille impres-
sionner Nectarius par un large éventail de citations ou réminiscences
littéraires29, pour faire apparaître l'étendue de sa culture classique.
D'autre part, le passage d'une œuvre de Cicéron à une autre se faisait
tout naturellement, quand il s'agissait de rassembler des excerpta
concordants, et il n'y a rien d'invraisemblable à admettre qu'Augustin
amalgame avec un raisonnement extrait de la Consolation des formules
héritées de YHortensius : c'est-à -dire non seulement consulares philo-
sophi, mais encore, Ã en croire D. Ohlmann 30, le membre de phrase :
ipsa uoluntatisprauitate miseri conuincuntur. Au surplus, le retour des
mêmes formules dans la Consolation et dans l'Hortensius31 facilitait
Generated on 2011-09-03 21:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
29. Concernant essentiellement Cicéron, Virgile et Salluste. elles ont été
notées par C. Jenkins, Augustine's classical quotations in his letters, dans
JThs 39, 1938, p. 61-62. Avec plus de détails, les réminiscences du De
republica de Cicéron ont été relevées et commentées par F. Solmsen,
Neglected evidences for Cicero's De republica, dans MH 13, 1956, p. 38-53.
30. D. Ohlmann, De S. Augustini dialogis in Cassiciaco scriptis, Diss.
inaug., Argentorati, 1897, p. 68-69 : Augustini sententia : «Cum hic sibi
felices videntur (sc. temporalium nugarum et vanitatum cupiditate flagrantes),
ipsa voluntatis pravitate miseri convincuntur» (104, 3) eadem est atque quae
in libro de vit. b. § 10et II est exposita, immo etiam verba «ipsa voluntatis
pravitate miseri convincuntur» (104, 3) eadem fere sunt atque quae in libro
de vit. b. $ 10 leguntur «Nec tam miserum est non adipisci quod velis... Plus
enim mali pravitas voluntatis affert...» (Hortentius fragm. 39). Aurait égale-
ment appartenu à Y Hortensius, selon B.R. Voss, Vernachlà ssigste Zeugnisse
klassischer Literatur bei Augustin und Heronymus, dans RhM 112. 1969.
p. 156-157, la formule de epist. 104, 7 : Tu uero, inquit Tullius. ne unico quidem
filio.
31. On lisait dans la dernière partie de Y Hortensius, fragm. 95 ap. Aug. c.
lui. 4, 15, 78, sous le couvert des «uates siue in sacris initiisque tradendis
diuinae mentis interpretes» la formule «nos. in uita superiore poenarum
luendarum causa natos esse», dont Cicéron reprendra à son compte (?) les
derniers mots au moins au début de la Consolation : fragm. 10 Mùller ap.
Lact. inst. 3, 18, 18 : «luendorum scelerum causa nasci homines» : rappro-
chement signalé par M. Rue h, VHortensius..., p. 156. On notera encore que
le fragm. 69 (Mùller) de YHortensius évoque un topos consolatoire.
UN EXEMPLE DE LA SURVIE DE LACTANCE
303
cette osmose. Celle-ci s'est ébauchée dans la seconde moitié du
troisième livre des Institutions divines de Lactance, où après des
citations de YHortensius32, après la citation d'une phrase commune Ã
YHortensius et à la Consolation3*, est inséré le long extrait de cette
dernière qui paraît avoir'nspiré la notice d'Augustin sur l'eschatologie
des consularesphilosophi. Ainsi, tout se passe comme si Lactance avait
fourni à Augustin une caution au remploi — appuyé par des formules
extraites vraisemblablement de YHortensius — d'un thème de la
Consolation, dans la mesure où le passage des Institutions divines
3,19,6 et son corollaire 7,20,634 non seulement donnaient l'essentiel de
ce thème, mais encore proposaient une sorte de grille de lecture qui
rapprochait de la pensée chrétienne celle des illi sapientes.
La disposition parallèle du passage de la Lettre 104 d'Augustin et des
textes conjoints de Lactance centrés autour du fragment 15 de la
Consolation fait apparaître les nombreuses similitudes qui unissent le
premier aux seconds :
Aug. epist. 104,3
Mortem autem malorum omnium
esse finem habent quidem uestrae
litterae, sed nec ipsae omnes :
Epicureorum est quippe ista sen-
tentia et si qui alii mortalem ani-
Generated on 2011-09-03 21:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
mam putant. At illi quos Tullius
quasi consulares philosophos
appellat, quod eorum magnipendat
auctoritatem, quoniam cum extre-
mum diem fungimur, non exstingui
animam, sed emigrare censent et
ut merita quoque eius adserunt
seu bona seu mala uel ad beatitu-
dinem uel ad miseriam perma-
nere. Hoc congruit et Litteris sa-
cris, quarum cupio litteratorem.
Malorum ergo finis est mors, sed
in eis quorum casta, pia, fîdelis,
innocens uita, non in eis qui tem-
poralium nugarum et uanitatum
Lact. inst. 3, 19, 1-6
At illi qui de mortis bono dispu-
tant, quia nihil ueri sciant, sic
argumentantur : si nihil est post
mortem, non est malum mors ;
aufert enim sensum mali. Si au-
tem supersunt animae, etiam bo-
num est, quia immort al is sequitur
(suit un fragment des Lois de Ci-
céron : cf. infra n.36). Argute, ut
sibiuidentur,quasi nihilessealiud
possit. Atquin utrumque hoc fal-
sum est. Docent enim diuinae lit-
terae non exstingui animas, sed
aut pro iustitia praemio adfici aut
poena pro sceleribus sempiterna.
Nec enim fas est aut eum qui
sceleratus in uita feliciter fuerit
effugere quod meretur aut eum
qui ob iustitiam miserrimus fuerit
sua mercede fraudari (suit la cita-
32. Deux citations de VHortensius (fragm. 19 et 20) sont données dans
Lact. inst. 3, 16, 9 et 12-13.
33. La citation commune (cf. supra n. 31) se trouve dans inst. 3, 18, 18,
l'extrait de la Consolation en 3, 19, 6.
34. La dépendance de ce texte de Lactance par rapport au premier qui
contient l'extrait de la Consolation est étudiée dans notre article : Le «placi-
tum» eschatologique attribué aux Stoïciens par Lactance (Institutions divi-
nes VII, 20) : un exemple de contamination de modèles littéraires, dans RPh
51, 1977, p. 43-45, article dont nous donnons un résumé ci-dessus, p. 000.
304
JEAN DOIGNON
cupiditate flagrantes et cum hic
sibi felices uidentur, ipsa uolun-
tatis prauitate miseri conuincun-
turet post mortem grauiores mise-
rias non habere tantum, uerum
etiam sentire coguntur35.
tion du fragm. 15 de laConsola-
tion évoquant «animos castos,
puros, intégras » : cf. supra n. ").
Lact. inst. 7, 20, 6-7
...ut si plura et graui(or)a
fuerint bona iustaque, dentur ad
beatam uitam, si autem mala
superauerint, condemnentur ad
poenam. Hic fartasse dixeritquis-
piam : Si est immortalis anima,
quomodo patibilis inducitur ac
poena sentiens ? Si enim ob mérita
punietur, sentiet utique dolorem
atque ita etiam mortem ; si morti
non est obnoxia, ne dolori qui-
dem ; patibilis igitur non est. Huic
Generated on 2011-09-03 21:41 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
quaestioni siue argumento a Stoi-
cis ita occurritur : animas quidem
hominum permanere..., sed eo-
rum qui iusti fuerint puras..., im-
pias uero... (suit un développe-
ment inspiré du tableau de la mi-
sère des âmes souillées dans le
fragment 15 de la Consolation cité
en 3, 19, 6).
Les correspondances verbales que nous avons mises en relief sont le
signe d'une affinité plus profonde, qui se manifeste non seulement dans
une identité de vues des deux auteurs sur l'au-delà , mais encore dans
leur manière de conduire la démonstration. Augustin et Lactance
s'attaquent au même préjugé de la pensée non chrétienne, préjugé selon
lequel la mort est la fin de tous les maux. Lactance le rencontrait chez
35. Plusieurs mots de cette page qui ne se trouvent pas dans le vocabulaire
des deux textes de Lactance mis en parallèle sont attestés cependant ailleurs
chez cet auteur : ce sont ou des cicéronianismes (emigrare : inst. 7, 12, 18)
ou des «christianismes indirects» (temporalia avec bona : ira 24, 7): uani-
tates : inst. I, 22, I; 4, 11, 2; 4, 28, I); de plus, Augustin emploie un mot
typique de l'apologétique de Lactance, congruo, pour marquer l'accord
d'Hermès Trismégiste ou de la Sibylle avec les Prophètes (inst. 6, 25, 10; 7,
19, 9). Enfin, on remarque que, parallèlement à Lactance, qui dans inst. 7,
20, 8 met sous le patronage des Stoïciens une retractatio du fragment 15 de
la Consolation sur la destinée des âmes, Augustin fait grand cas de ces
philosophes dans le texte du Contra Iulianum qui rapporte l'opinion des
consulares philosophi, les mettant aux côtés de ces derniers (cf. supra, n. 14).
UN EXEMPLE DE LA SURVIE DE LACTANCE 305
Cicéron lui-même dans un passage des Lois qu'il cite36, mais il
remarquait que, dans sa Consolation au contraire Cicéron avait envi-
sagé l'idée d'une survie après la mort ". Augustin reprend ce schéma de
deux opinions eschatologiques possibles, mais il ne leur donne plus
Cicéron comme unique auteur. La définition de la mort comme fin de
tous les maux est attribuée aux Épicuriens, à l'instigation de Cicéron lui-
même 38, et est opposée à la pensée des consulares philosophi sur l'au-
delà , qu'ils voient comme un état ou de bonheur ou de malheur, à l'image
de l'alternative décrite dans fe fragment 15 de la Consolation. En déve-
loppant ce topos des philosophes spiritualistes, Augustin, comme l'a
fait Lactance, souligne la parenté de leur point de vue avec la doctrine
de l'Écriture. Mais, alors qu' Ambroise se plaît à marquer la dette que
les philosophes ont contractée vis-à -vis de l'Écriture39, c'est la conver-
gence des premiers et de la seconde qui retient l'attention de Lactance
et d'Augustin, avec cette différence, entre eux, que Lactance commence
par faire appel a\ix Ecritures pour les corroborer ensuite par le
témoignage de Cicéron, alors qu'Augustin fait l'inverse.
La reprise, qui nous paraît maintenant assez nette dans la Lettre 104
d'Augustin, d'un canevas lactancien qui a pour noyau un fragment de la
Consolation d'Augustin ne doit pas nous obliger à penser, comme le fait
A. Grilli40, que la métaphore consulares philosophi citée par Augustin
appartient à ce traité perdu plutôt qu'à YHortensius. Augustin amal-
game des formules et des thèmes de l'un et l'autre traité cicéronien, ne
Generated on 2011-09-03 21:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
faisant en cela que suivre l'exemple de Lactance, comme nous l'avons
déjà souligné.
36. Cf. Lact. inst. 3, 19, 2-7, p. 240-241 : Quam sententiam Cicero de
Legibus sic explicauit : «Gratulemurque nobis quoniam mors aut meliorem
quam qui est in uita aut certe non deteriorem adlatura est statum : nam sine
corpore animo uigente diuina uita est, sensu carente nihil profecto est mali».
argute, ut sibi uidentur. quasi nihil esse aliud possit. Atquin utrumque hoc
falsum est. Docent... fraudari (texte cité supra p. 000). Quod adeo uerum est,
ut idem Tullius in Consolatione non easdem sedes incolere iustos atque
impios praedicauerit (suit le fragment de la Consolation cité n. 23). Quae
sententia superiori illi argumento repugnât.
37. W. Gôrler, Untersuchungen zu Ciceros Philosophie (Bibl. der klass.
Altertumswiss. 50), Heidelbcrg, 1974, p. 24-26 a montré que ces thèses ne
sont pas en soi contradictoires : elles ne situent pas au même plan, l'une
représentant un idéal, l'autre étant un constat des faits.
38. Cf. Cic. fin. 2, 10, éd. Martha, p. 116 : Scripsit (Epicurus) enim et
multis saepe uerbis et breuiter aperteque in eo libro quem modo nominaui
«mortem nihil ad nos pertinere» quod enim dissolutum sit id esse sine sensu,
quod autem sine sensu sit id nihil ad nos pertinere omnino»; Tusc. I, 82 éd.
Fohlen-Humbert, p. 50-51 : Fac enim sic animum interire ut corpus; num
igitur aliquis dolor aut omnino post mortem sensus in corpore est? Nemo id
quidem dicit, etsi Democritum insimulat Epicurus.
39. Cf. Ambr. exc. Sat. I, 42; 2, 30; in psalm. 118, serm. 18, 3 et
G. Madec, Saint Ambroise et la philosophie, Paris, 1974. p. 177.
40. Cf. A. Grilli, ouvr. cité, p. 120 : O bisogna referire epist. 104, I, 3
alla Consolatio e cosi pure c. lui. 4, 15, 76.
306 JEAN DOIGNON
Cela nous montre, en guise de conclusion, combien la méthode
apologétique employée par l'auteur des Institutions divines pour « réu-
nir la philosophie et la religion (chrétienne)4I » avait gardé sa valeur un
siècle plus tard aux yeux d'Augustin, quand ce dernier voulut dialoguer
avec un païen cultivé. Notre recherche vient de le vérifier sur un terrain
particulièrement bien choisi, celui de l'eschatologie : dans ce domaine,
la manière dont Lactance, « ce bon homme de foi », a su faire servir à la
juste prédication de l'Évangile «l'or et l'argent» des disciplines libé-
rales 42 n'a cessé de retenir l'attention d'Augustin. On le verra, après la
Lettre 104, non seulement dans le cadre de l'argumentation apologétique
de la Cité de Dieu 43, mais même à l'occasion d'une œuvre apologétique
comme le De Trinitate. Car l'évocation de la condition des élus, au livre
XV, y rappelle, par le retour de certaines formules, le style des pages
consacrées au même sujet dans le livre VII des Institutions divines 44.
41. Cf. Lact. inst. 5, 1, II; SC 204, p. 128 : Ob eamque causam uolui
sapientiam cum religione coniungere, avec commentaire de P. Mon AT, SC
205, p. 24. Cf. Aussi A. Wlosok, Laktanz und die philosophische Gnosis
(AHAW 1960, Heft 2), Heidelberg i960, p. 212-215.
42. Formules extraites d'Auc doctr. christ. 2, 40, 60-61 CC 32, p. 74 :
Doctrinae omnes gentilium... habent... liberales disciplinas usui ueritates aptio-
res et quaedam morum praecepta utilissima continent deque ipso uno Deo
colendo nonnulla uera inueniuntur apud eos; quod eorum tamquam aurum
et argentum... eruerunt... et debet ab eis auferre christianus ad usum iustum
Generated on 2011-09-03 21:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
praedicandi Euangelii... Nam quid aliud fecerunt multi boni fidèles nostri?
Nonne aspicimus quanto auro et argento et ueste suffarcinatus exierit de
Aegypto Cyprianus et doctor suauissimus et martyr beatissimus? Quanto
Lactantius? Sur la signification de l'appellation «bons hommes de foi» et
son application à Lactance cf. J. Doignon, «Nos bons hommes de foi» :
Cyprien, Lactance, Victorin, Optat, Hilaire (Augustin, De doctrina chris-
tiana II, 40, 61), dans Latomus 22, 1963, p. 795-805.
43. Ainsi il utilise dans cm. 18, 23, 2 les fragments des Livres Sibyllins
épars dans l'œuvre de Lactance pour en faire un texte continu qui soit une
prophétie du Christ : cf. A. Kurfess, Die Sibylle und Augustins Gottesstaat,
dans ThQ, 127, 1936, p. 532-542.
44. Aug. trin. 15, 25, 44 BA 16, p. 542 : Constituuntur autem purgati ab
omni contagione corruptionis in placidis sedibus, donec recipiant corpora
sua, sed iam incorruptibilia quae ornent, non onerent. Hoc enim placuit
optimo et sapientissimo creatori, ut spiritus hominis pie subditus habeat
féliciter subditum corpus et sine fine permaneat ista félicitas. Les expres-
sions soulignées se retrouvent dans la page de Lactance, inst. 7, 20, 8-9 que
nous avons étudiée dans l'article cité supra n. 34.
Generated on 2011-09-03 21:42 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
EN MANIERE D'EPILOGUE
Generated on 2011-09-03 21:43 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Au terme de ce court marathon, constantinien et lactancien,
nous avons le sentiment d'avoir au moins sondé les étrangetés et
les obscurités de l'œuvre de Lactance, en nous « dépréjugeant »
des idées reçues depuis la Renaissance (et même encore dans la
thèse de R. Pichon) sur le * Cicéron chrétien ». Les convergences
de ces apports très divers aideront à poser plus correctement les
problèmes, sinon à percevoir encore assez clairement la cohé-
rence d'un auteur sur tant de points aussi ambigu et contradic-
toire que son temps — bien résumé en la personnalité si insaisis-
sable de l'empereur Constantin —.
Le premier jour de cette rencontre a mis en lumière la délicate
interdépendance de la littérature constantinienne (en prenant ce
terme au sens chronologique large qui peut servir à caractériser
les œuvres du premier tiers du iv* siècle, et en le limitant plus
spécifiquement ici à l'Occident latin). Constantin n'a-t-il été
qu'une «raison sociale», recouvrant les idées et attitudes
diverses qui furent celles de ses « porte-plume » du palais et des
bureaux, ou des graveurs de ses effigies monétaires ? Parmi cette
nuée d'exécutants et d'interlocuteurs, Lactance a-t-il été pour
Constantin un porte-parole digne de ce nom ? un conseiller écouté
de l'empereur ? un arriviste finalement arrivé et flagorneur ? ou
le co-créateur d'un nouvel ordre de valeurs politiques et reli-
gieuses tout à la fois ? La romanité a-t-elle informé ou même
déformé son christianisme? Dans quelle mesure son arsenal
Generated on 2011-09-03 21:43 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
idéologique lui fut-il personnel ? Ya-t-il chez lui des phrases inno-
centes, ou une adresse extrême à enrober et dérober des arrière-
pensées sous des formes complaisamment crypto-chrétiennes ?
310 LACTANCE ET SON TEMPS
Autant de questions qu'au terme de ce premier jour nous avons
portées en nous avec plus de netteté.
Le second jour du colloque a placé l'œuvre sous le scalpel des
philologues ou, pour mieux nous accorder à la royauté légitime
de la biologie en notre siècle, sous leur microscope, comme
dans une sorte de « biopsie ». Leurs prélèvements minutieux ont
permis de découvrir la cohérence complexe, mais réelle, d'un
esprit au travail ; d'éclairer les unes par les autres, et dans leur
interréaction, les méthodes de pensée et les méthodes de travail
de Lactance. Cette cohérence s'est trouvée en quelque sorte
dégagée par une suspicion accrue envers l'authenticité des
« additions dualistes » dans les Institutions et au chapitre 24 de
/'Épitomé1. Lactance est apparu, dans son érudition et ses
méthodes, comme un écrivain déjà situé entre deux mondes :
l'Antiquité classique cicéronienne, à laquelle il ne tient pas que
parles prestiges de son style (ce que voulait simplement signifier
la vieille appellation de « Cicéron chrétien »), et l'Antiquité
tardive virant déjà à l'érudition médiévale avec ses manies et ses
limites, telles qu'on les percevra mieux trois siècles plus tard
chez un Isidore de Séville. Nous nous sommes arrêtés devant le
vertige des diagnostics analytiques. Refusant une alternative
disjonctive, il faut dire là , tout à la fois : marqueterie de sources
et pensée personnelle, qui organise l'assemblage des plus minces
Generated on 2011-09-03 21:43 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
fragments avec l'habileté et le goût d'un ébéniste d'art. Sous le
signe de l'éclectisme classique, au sens noble et horatien d'un
esprit nullius addictus iurare in uerba magistri (Ã quoi l'on devrait
ajouter, en l'occurrence, nisi saepe Ciceronis), Lactance reste
encore, et plus fortement qu'on ne l'a dit jusqu'ici, un classique
armé d'une pensée personnelle qui se construit à travers un
discours non purement répétitif. Déjà , sans doute, nous sommes
dans les temps du recours aux manuels et à la doxographie,
quelques générations avant les grands scoliastes tardifs de
Virgile. Mais un esprit de choix libre et lucide domine encore
avec une certaine souplesse cette matière amincie, pour la plier Ã
I. Nous regrettons, avec l'auteur lui-même. P. Nautin, que la rédaction
définitive de cette communication n'ait pu être prête en temps utile pour
pouvoir être publiée ici. Par suite, nous avons dû supprimer aussi l'intéres-
sante discussion qui l'a suivie.
EN MANIÈRE D'ÉPILOGUE 311
la ductilité d'un discours chrétien. Le dosage entre l'activité
intellectuelle de l'éclectisme et l'entropie d'une érudition en
cours de fossilisation s'impose ainsi à toute étude de textes de
Lactance, comme une tâche philologique primordiale, et un
préalable inéluctable à toute recherche sur cet auteur.
Le dernier jour du colloque a ouvert des avenues originales sur
la pensée et la religion de Lactance, avec une convergence defait
que les trois orateurs de cette matinée n'avaient point concertée
par avance. La vision lactancienne du paganisme et du christia-
nisme révèle un effort global pour systématiser de façon intelli-
gible l'histoire religieuse de l'humanité. Lactance apparaît ainsi
comme un penseur historique original du fait religieux—païen,
biblique, chrétien —. Cette vue est comme l'envers de la vision
chrétienne de cette même histoire, définie également par lui
comme une histoire universelle du salut dans et par le Christ.
Comme il sied à une réflexion où les fins dernières tiennent une
place importante, la sotériologie de Lactance a clos ainsi
harmonieusement ces trois jours : elle nous a offert la primeur
d'une synthèse personnelle, qui a montré à la fois les attaches
archaïques et les amorces originales de la conception lactan-
cienne du salut chrétien. La double richesse de cette pensée
puise diversement dans l'Écriture, canonique et apocryphe, et
dans une pluralité de sources singulières et troubles comme les
Generated on 2011-09-03 21:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Oracula Sibyllina, sans que l'on sache bien où passe pour
Lactance la limite, Ã ses yeux si peu claire encore, entre les livres
inspirés et les autres. Ainsi s'affirment, au cœur de cette pensée,
une indéniable romanité, mais aussi, symétriquement en quelque
sorte, une ouverture à de curieuses traditions orientales.
Les deux appendices que nous avons joints aux communi-
cations du colloque entr'ouvrent deux autres chapitres des
études lactanciennes : les rapports entre Lactance et l'hermé-
tisme, le Nachleben de l'auteur et l'influence considérable qu'il a
exercée sur ses lecteurs des IVe et Ve siècles. Beaux domaines,
encore à défricher en grande partie. Sur cet horizon de terres
vierges, le lecteur refermera ce livre dans l'esprit même où l'ont
conçu les organisateurs et les participants de ce Colloque de
Chantilly. Jalon sur une route encore longue, Ã la rencontre
indirecte de la question constantinienne et de ses énigmes. On
312 LACTANCE ET SON TEMPS
travaille beaucoup sur Lactance. Puisse cette étape aider les
lecteurs de ce livre à faire le point, pour travailler encore
davantage et mieux, en tenant compte de l'acquis et des hypo-
thèses présentés au colloque, mais aussi et surtout d'une
réflexion de méthode qui n'a cessé d'y inspirer communications
Generated on 2011-09-03 21:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
et discussions.
Achevé d'imprimer le 28 avril 1978
sur les presses de l'imprimerie Laballery et O'
58500 Clamecy
Dépôt légal : 2e trimestre 1978
Generated on 2011-09-03 21:44 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Numéro d'imprimeur : 18576
THÉOLOGIE HISTORIQUE
1. — paul AUBIN. Le problème de la conversion. Etude sur un terme
commun à Vhellénisme et au christianisme des trois premiers
siècles. Avant-propos de jean daniélou.
2. — auguste luneau. L'histoire du salut chez les Pères de l'Eglise.
La doctrine des âges du monde.
3. — François rodé. Le miracle dans la controverse moderniste.
4. — jean colson. Ministre de Jésus-Christ ou le sacerdoce de l'Evan-
gile. Etude sur la condition sacerdotale des ministres chrétiens
dans rEglise primitive.
5. — jean daniélou. Etudes d'exégèse judéo-chrétienne. Les testi-
monia.
6. — yvon bodin. Saint Jérôme et l'Eglise.
7. — J. van goudoever. Fêtes et Calendriers Bibliques. Traduit de
l'anglais par marie-luc kerremans. Troisième édition revue et
corrigée. Préface de c. a. rijk.
8. — Elisabeth germain. Parler du salut ? Aux origines d'une menta-
lité religieuse — La catéchèse du salut dans la France de la
Restauration. Préface de Joseph bournique.
9. — Raymond johanny. L'Eucharistie. Centre de l'histoire du salut
chez Ambroise de Milan.
10. — jean colson. L'énigme du disciple que Jésus aimait.
11. — J.-P. broudehoux. Mariage et famille chez Clément d'Alexandrie.
12. — henri holstein. Hiérarchie et Peuple de Dieu d'après Lumen
Generated on 2011-09-03 21:45 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Gentium.
13. — henri crouzel. L'Eglise primitive face au divorce. Du premier
au cinquième siècle.
14. — albano vilela. La condition collégiale des prêtres au me siècle.
15. — Emmanuel pataq siman. L'expérience de l'Esprit par l'Eglise
d'après la tradition syrienne d'Antioche.
16. — jean laporte. La doctrine eucharistique chez Philon d'Alexan-
drie.
17. — andré tarby. La prière eucharistique de l'Eglise de Jérusalem.
18. — leslie w. barnard. Athenagoras. A Study in second Century
Christian Apologetic.
19. — Edward nowak. Le chrétien devant la souffrance. Etude sur la
pensée de Jean Chrysostome.
20. — christoph von schônborn. Sophrone de Jérusalem. Vie monas-
tique et confession dogmatique.
21. — louis boisset. Un concile provincial au xm* siècle. Vienne 1289.
Eglise locale et Société. Préface de J. gaudemet.
22. — alain riou. Le Monde et l'Eglise selon Maxime le Confesseur.
Préface de m. j. le guillou.
23. — louis ligibr. La Confirmation. Sens et conjoncture œcuménique
hier et aujourd'hui.
24. — j. grbisch, k. neufeld, c. theobald. La crise contemporaine.
Du Modernisme à la crise des herméneutiques.
25.- — ton h. c. van eijk. La résurrection des morts chez les Pères
apostoliques.
26. — j.-b. molin et p. mutembe. Le rituel du mariage en France du
m* au xvT siècle. Préface de p.-m. gy.
27. — c. kannengiesser éd. Politique et théologie chez Athanase
d'Alexandrie. Actes du Colloque de Chantilly, 23-25 septembre
1973.
28. — r.-p. hardy. Actualité de la révélation divine. Une étude des
t Tractatus in Johannis Evangelium » de saint Augustin.
29. — y. marchasson. La diplomatie romaine et la République fran-
çaise. A la recherche d'une conciliation, 1879-1880.
30. — p. hégy. L'autorité dans le catholicisme contemporain. Du Sylla-
bus à Vatican II.
31. — B. de margerie. La Trinité chrétienne dans l'histoire.
32. — maximos de sardes. Le patriarcat œcuménique dans l'Eglise
orthodoxe. Etude historique et canonique.
33. — M.-T. perrin éd. Laberthonnière et ses amis : L. Birot, H. Bre-
mond, L. Canet, E. Le Roy. Dossiers de correspondance (1905-
1916). Préface de Mgr poupard.
34. — d. dideberg. Augustin et la I™ Epître de saint Jean. Une théo-
Generated on 2011-09-03 21:45 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
logie de Vagapè. Préface d'aNNE-maRiE la bonnardière.
35. — c. kannengiesser éd. Jean Chrysostome et Augustin. Actes du
Colloque de Chantilly, 22-24 septembre 1974.
36. — p. levillain. La mécanique politique de Vatican II. La majorité
et Vunanimité dans un concile. Préface de rené rémond.
37. — B.-d. berger. Le drame liturgique de Pâques. Théâtre et Litur-
gie. Préface de pierre jounel.
38. — j.-m. garrigues. Maxime le Confesseur. La charité, avenir
divin de l'homme. Préface de M.J. Le Guillou.
39. — j. ledit. Marie dans la Liturgie de Byzance. Préface de Mgr
A. martin, Evêque de Nicolet.
40. — a. faivre. Naissance d'une hiérarchie. Les premières étapes
du cursus clérical.
41. — p. gisel. Vérité et Histoire. La théologie dans la modernité.
Ernst Kaseman.
42. — p. canivet. Le monachisme syrien selon Théodoret de Cyr.
43. — j. r. villalon. Sacrements dans l'Esprit. Existence humaine et
théologie sacramentelle.
44. — c. bressolette. L'Abbé Maret. Le combat d'un théologien
pour une démocratie chrétienne (1830-1851).
45. — j. courvoisier. De la Réforme au Protestantisme. Essai decclé-
siologie réformée.
46. — cf. chesnut. The First Christian Historiés. Eusebius, Socrates,
Sozomen, Theodoret and Evagrius.
47. — m. h. smith m. And Taking bread... Cerularius and the Azyme
Controversy of 1054.
48.— j. fontaine et M. perrin. Lactance et son temps. Actes du
IV Colloque d'Etudes historiques et patristiques. Chantilly,
21-23 septembre 1976.
49. — j. dechanet. Guillaume de Saint-Thierry. Aux sources d'une
pensée.
EN PREPARATION
b.-d. marliangeas. Clés pour une théologie du ministère. In persona
Christi — In persona Ecclesiae.
R. mengus. Théorie et pratique chez Dietrich Bonhœffer.
p. l'huillier. L'Å“uvre disciplinaire des quatre premiers conciles
œcuméniques.
QUELQUES EXTRAITS DE PRESSE
SUR LES VOLUMES RÉCENTS
Vol. 26 Cette étude historique, très fouillée et largement documentée, est
susceptible de fournir au liturgiste d'aujourd'hui des points d'appui
pour un travail de renouvellement de la célébration chrétienne du
mariage. Ce livre pourrait être également éclairant pour les nostal-
giques d'une uniformité parfaite dans la discipline sacramentelle.
Generated on 2011-09-03 21:46 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Ils y verraient que l'évolution constante des gestes et des formules
manifeste la vitalité des Eglises, non une dégradation de ses mœurs
liturgiques.
J.-Y. Quellec. Paroisse et Liturgie
Vol. 27 Nous ne saurions trop remercier Ch. Kannengiesser et les Ed.
Beauchesne de nous avoir donné, grâce à ce beau volume, un état
actuel des recherches sur tous les points de la carrière prestigieuse
d'Athanase d'Alexandrie.
Bulletin critique du Livre français
Vol. 28 A côté des nombreux travaux qui renouvellent à chaque géné-
ration l'image du docteur d'Hippone, une place reste libre pour des
ouvrages sérieux qui cherchent à faire entendre sa voix aujour-
d'hui par des chemins moins ardus. Selon Richard P. Hardy, pro-
fesseur à la Faculté de théologie de l'Université Saint-Paul
d'Ottawa, Augustin « identifie pratiquement l'actualisation de la
révélation avec l'appropriation subjective de la rédemption par
chaque individu ». Cette étude, qui s'inspire des orientations de
Vatican II, apporte des résultats d'ordre théologique et pastoral
non négligeables. P.-M. Bogaert. Le Muséon
Vol. 29 Par sa rigueur dans l'analyse d'un matériel documentaire puisé
à des sources nouvelles, cet ouvrage fait définitivement le point
sur une importante question et ouvre magistralement une série
d'études qu'il annonce et qui nous achemineront vers l'Encyclique
du Ralliement de 1892, faisant le récit de sa genèse.
J. Gadille. Revue Historique
Vol. 30 Partant des conclusions d'un M. Foucault et d'un R. Barthes sur
le statut du signe dans un système épistémique, Pierre Hégy mon-
tre comment l'ecclésiologie catholique s'est comprise dans le cadre
d'une problématique classique du signe comme « représentation
de la représentation »... Ce remarquable travail qui montre par
ailleurs la fécondité des recherches fondamentales sur le langage,
nous conduit à des vues intéressantes sur le ministère, l'éthique, le
droit, le laïcat etc..
Generated on 2011-09-03 21:46 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
J. Ansaldi. Etudes Théologiques et Religieuses
Vol. 31 Grâce au P. de Margerie nous avons un bon traité de la Trinité,
une œuvre solidement construite, équilibrée, actuelle autant que
traditionnelle. D'une écriture sobrement élégante qui bannit le
jargon et le bavardage (nulle longueur en ces 500 pages), le livre
se Ut avec aisance : il a tout pour retenir l'attention, même celle
des spécialistes.
E. Bailleux. Mélanges de Science Religieuse
Vol. 32 Quest'opera, pubblicata a Salonicco nel 1973 e ora tradotta in fran-
cese, rappresenta un notevole contributo di documentazione sul
tema delia formazione dei centri di autorità canonica nella Chiesa.
...Si deve riconoscere all'autore uno spirito di grande irenismo,
anche se egli difende le tradizioni del suo patriarcato, sia contro
l'Occidente, sia contro i canonisti russi.
J. Gribomont. L'Osservatore Romano
Vol. 33 La présente publication, qui bénéficie de recherches entreprises il y
a quarante ans, et apporte beaucoup plus qu'une simple édition de
textes, est des plus instructives et intéressantes du point de vue
psychologique et spirituel non moins que pour la réflexion théolo-
gique de l'histoire de l'Eglise. La figure de Laberthonnière en sort
grandie : son attitude et ses propos laissent des leçons toujours
actuelles de sagesse chrétienne.
LJ. Renard. Nouvelle Revue Théologique
Vol. 34 Nous ne lirons pas ici un « traité de la charité selon S. Augustin » :
l'auteur a soigneusement évité un tel contresens. Ce qu'il a cherché
à mettre en valeur, c'est un aspect de la théologie biblique d'Augus-
tin. Il a délibérément choisi de suivre pas à pas, à travers l'oeuvre
de l'évêque d'Hippone, son exégèse de la première Epître de saint
Jeaa
Anne-Marie La Bonnardière.
Vol. 35 Le colloque de Chantilly, dont ce livre se fait l'écho, a réussi la
gageure de comparer deux contemporains que, d'ordinaire, on ne
met guère en communication. Le rapprochement suggère des pers-
pectives assez neuves, et les spécialistes qui l'ont tenté, sans esprit
de concurrence ou d'alignement, ont apporté à l'histoire de leurs
héros des notations intéressantes.
Henri Holstein. Etudes
Vol. 36 L'intérêt puissant de ce livre est de montrer l'action secrète, subtile,
efficace des procédures. Grâce à cette analyse en secret et en pro-
fondeur, le lecteur peut obtenir une image plus juste du concile
dans sa phase préparatoire, dans la crise de son premier jour, dans
les moments décisifs. Ce qui m'a peut-être le plus frappé, c'est la
description minutieuse d'un mode de pensée collectif, dont il n'y a
pas d'exemple plus notable.
Jean Guitton. Le Figaro
Vol. 37 B.-D. Berger, sensible als détails dels textos, ha sabut extreure els
trets mes rellevants, per tal de refer el cami que explica la naixença
Generated on 2011-09-03 21:46 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
del drama liturgic, fenomen que, com cap altre, ha contribuït a
l'apariciô del teatre modem. A mes de discutir les aportacions
cientifiques recents sebre la questiô, el llibre ofereix un esplèndid
capîtol d'histôria mediéval, bo i referint-se a les fonts bibliques
i literà ries del drama liturgic.
Questions de Vida Cristiana
Vol. 38 Ouvrage à relire et à méditer longuement. Plus que jamais,
Maxime est un théologien pour notre temps.
J. Bacon. Les Fac. cath. de Lille
Vol. 39 On peut difficilement rendre justice à un volume de la qualité
de celui que vient de publier le P. J. Ledit. A part les spécialistes
bien au courant des richesses de l'Eglise Orientale, peu de lec-
teurs pourront soupçonner le travail que supposent ces pages que
l'auteur présente avec une modestie qui l'honore.
H.M. Guindon. Revue de VUniversité d'Ottawa
Vol. 40 Patiente et attentive enquête menée avec méthode : inutile d'en
souligner l'intérêt à notre époque, qui s'interroge sur la distinction
clerc/laïc et sur la spécificité des ministères.
Henri Holstein, Etudes
Vol. 41 Tout finit par arriver dans l'édition française. Même une intro-
duction à ce grand historien et théologien qu'est Ernst Kâsemann.
Et une introduction d'envergure, puisqu'il s'agit d'une thèse :
670 pages jamais inintéressantes.
Bruno Chenu, La Croix
Vol. 42 L'histoire monastique de Theodoret est venue augmenter les
sources de l'histoire du monachisme et trente figures impression-
nantes de moines y sont décrites.
Irenikon
Vol. 44 On n'en finira jamais d'inventorier les richesses de ce xix* siècle
que Léon Daudet, bien imprudemment, taxait de stupidité. De
nombreux chercheurs exhument chaque année, de ce siècle éton-
nant, des personnages méconnus ou mal connus dont l'œuvre
témoigne d'un appétit de savoir et de comprendre dont nous
avons perdu la recette. Claude Bressolette, en se consacrant Ã
l'abbé Henri Maret (1805-1884), se situe dans la ligne de ces
découvreurs. Mais l'homme dont il s'efforce, dans un livre excep-
tionnellement dense et bien articulé, de dégager à la fois la
forte personnalité et la théologie originale, est beaucoup plus
qu'un érudit : un prophète des temps contemporains.
Generated on 2011-09-03 21:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Pierre Pierrard, La Croix
THÉOLOGIE HISTORIQUE
encore disponibles dans l'ancienne série
A.
d'Ales
NOVATIEN
Etude sur la théologie romaine
au milieu du IIIe siècle
M
COMEAU
SAINT AUGUSTIN
Exégète du quatrième Evangile
P.
Resch
LA DOCTRINE ASCETIQUE DES
PREMIERS MAITRES EGYPTIENS
DU QUATRIEME SIECLE
P.
HUMBERT-
LA DOCTRINE ASCETIQUE
Claude
DE SAINT BASILE DE CESAREE
G.
Bardy
LA QUESTION DES LANGUES
Generated on 2011-09-03 21:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
DANS L'EGLISE ANCIENNE
P. Galtier L'EGLISE ET LA REMISSION
DES PECHES
J. Bonsirven LE JUDAÕSME PALESTINIEN
J. Daniélou SACRAMENTUM FUTURI
Les figures du Christ
dans l'Ancien Testament
P. Galtier SAINT HILAIRE DE POITIERS
Le premier docteur de l'Eglise Latine
F. Prat LA THEOLOGIE DE SAINT PAUL
Présentation par J. Daniélou
Philippe de la LE PECHE DE L'ANGE
Trinité /
Ch. Journet
J. Maritain
Peccabilité, nature et surnature
La présence à ce colloque de cinquante participants français
et étrangers montre qu'il répondait à un besoin de communication
scientifique : faire circuler une information précise sur les tra-
vaux en cours, faciliter les contacts personnels et les échanges entre
les spécialistes d'horizons divers - hellénistes, histonens, lati-
nistes.
Regroupées en trois parties : Problèmes historiques et histono-
graphiques — Problèmes littéraires et Sources — La culture reli-
gieuse de Lactance, les contributions et discussions présentées dans
ce volume cherchent à mieux cerner l'énigme fondamentale de
Lactance : quelle est l'insertion, dans la vie du temps, de cette
œuvre apparemment disparate et singulière? Quelles affinités
« constantiniennes > y apparaissent, au sens large d'un « esprit du
temps » comme au sens étroit d'une relation personnelle entre
Constantin et ce rhéteur devenu théologien pour finir en Gaule pré-
cepteur de son fils Crispus ? Les convergences de ces apports très
divers aideront à poser plus correctement les problèmes, sinon
à percevoir encore assez clairement la cohérence d'un auteur sur
tant de points aussi ambigus et contradictoires que son temps.
Generated on 2011-09-03 21:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
Imprimé en France