LA CHUTE: THEORIE DE LA CRISE ACTUELLE DU CAPITALISME
Du même auteur « Voie chilienne» au socialisme Documents et recherches d'économie Maspéro, Paris, 1977
et luttes paysannes, et socialisme na 10,
Analyse macrocomptable et comptabilité nationale, Collection Exercices et cas, Economica, Paris, 1991, deux tomes: Tome l L'outil d'information Tome 2 L'outil de gestion et de recherche
Théorie générale de la monnaie et du capital, Collection Innovations économiques, L'Harmattan, Paris, 2003, quatre tomes: Tome l La monnaie.' bâtarde de la société, enfant putatif du banquier Tome 2 Cachez cette monnaie que je ne saurais voir! Tome 3 La monnaie.' Doctor Maynard and Mr Keynes Tome 4 Principe d'incertitude généralisée et énergie de la monnaie.' E = Mv2
Macrocomptabilité de la France, Le capitalisme qnnées de plomb par la comptabilité nationale, Ecrit-Tic, L'Harmattan, Paris, 2006
des trente Collection
Histoires critique des théories moné~aires des économistes, L'argent contre la monnaie, Collection Ecrit-Tic, L'Harmattan, Paris, 2007
Patrick Castex
LA CHUTE: THÉORIE DE LA CRISE ACTUELLE DU CAPITALISME Taux d'intérêt et taux de profit, 2000-2008 : crise financière ou crise réelle?
L'Harmattan
@ L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005
http://www.librairieharmattan.com
[email protected] harmattan
[email protected]
ISBN: 978-2-296-06170-5 EAN : 9782296061705
Paris
À ma femme Agnès Rollinger qui, grâce à ses conseils, a tenté de rendre compréhensible une théorie et des analyses ardues...
« Je ne connais pas grand-chose à Wall Street. mais pouvez-vous me dire pourquoi toutes ces actions ne cessent de grimper? Ne devrait-il pas avoir des liens entre les bénéfices d'une entreprise. ses dividendes. et le prix de vente des actions?
-
Monsieur
Marx.
vous
avez
encore beaucoup à apprendre sur la Bourse et le marché des valeurs. » Groucho Marx, Mémoires capitales
INTRODUCTION
La crise financière (bancaire et boursière{ annoncée par de nombreuses Cassandre depuis au moins un an , déjà visible l'été dernier avec celle des subprimes, se solde par un krach boursier, particulièrement net en janvier et mars 2008. Des rémissions ont et auront lieu. Les optimistes tentent de rassurer. « Commencez à racheter! » clame sur trois colonnes à la une Le journal des jinancei. Et le même journal de nous rappeler, dans Evangiles et marchéi, la trinité 6,3,1 : à long terme les actions rapportent en rentabilité réelle, inflation déduite, 6 % par an, les obligations 3 % et les bons du trésor 1 ~4. Conseil à suivre ou ne pas suivre: « Pour terminer par les Evangiles: le monde appartient à la minorité. Quoi de plus minoritaire que d'acheter quand tout le monde vend, et de vendre quand tout le monde achète »3. Autre conseil: « ... le plus simple est de faire ce que Warren Buffet fait quand il a envie de vendre dans une baisse: aller au cinéma )}. NB: Les renvois bibliographiques sont donnés avec les dates (date de publication, date de l'édition utilisée et/ou de la traduction). I Voir (entre autres...) Castex (2006). On ne parlait pas encore des subprimes mais déjà de la crise immobilière états-unienne. 2 6278, du 29 mars au 4 avril. 3 N° « Point de vue» de Charles Gaves. Il aura eu raison pour avril 2008 ; mais pas pour mai et juin: le rebond d'avril est presque annulé au milieu de juin. La moyenne pondérée de 6, 3 et 1 % par les parts respectives des capitaux placés donne en gros le taux moyen de croissance en volume du PIB sur longue période, au moins depuis un demi-siècle. 7
Les Cassandre sont au coin du bois, mais « la reprise est au coin de la rue» (Hoover). Après un double plongeon du CAC 401... Le CAC 40: un "double dip"depuis 6400 6200
l'été 2007...
Autour de (, 000
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Baisse de 28 % depuis le début de l'été jusqu'au 17/03/08, rebond en avril. rechute en mai et juin
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Cependant, rien n'est encore perdu. Nous ne sommes plus dans le monde du Président américain Hoover du début des années 30. Le « pragmatisme» de la politique monétaire de la Fed (La Banque centrale, fédérale, états-unienne) tapa fort en janvier 2008 quand le « monétarisme » de celle de la BCE (la Banque centrale européenne) ne craignait encore que l'inflation2. Le premier tapa une deuxième fois très fort fin mars. Et Bush Junior retrouva encore la politique budgétaire, jugée cependant trop timide par les boursiers redevenus brusquement keynésiens, comme après le krach de 2000-200l. Mais la chute est inexorable. Ses conséquences sur l'économie réelle peuvent être une véritable récession mondiale avec ses avatars bien connus. Bref, un nouveau 29 et ses raisins de la colère. Et dans un monde au ciel géopolitique et économique chargé. I On parle souvent d'une crise en double plongeon (<<double dip »). 2 La déclaration de Jean-claude Trichet, le patron de la BCE, affinnant que son unique tâche était de lutter contre le danger d'inflation (qu'i! n'avait qu' «une seule boussole », celle contrôlant le niveau général des prix), fit rechuter les bourses européennes le mardi 22 janvier. Il recommence en juin en annonçant une possible hausse des taux directeurs en juillet; avec le même effet sur la bourse... Est-ce un jeu avec le patron de la Fed qui, se sentant obligé de défendre le dollar, annonce également une possible remontée des taux? On y reviendra évidemment. 8
La crise réelle ne serait que la conséquence de la crise financière, comme toujours. Ce n'était pas le cas en 2000 où la crise réelle de la Nouvelle économie fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase des bulles boursières. C'est cependant particulièrement vrai pour la crise actuelle, crise bancaire profonde déclenchée sans aucun doute par celle des subprimes. * Une crise bien réelle, vieille de près de dix ans, et un bouleversement géopolitique Or, les crises financières récentes du début du XXI" siècle trouvent leur source profonde dans la crise du capitalisme réel, certes dopée par sa financiarisation galopante où les jeux sur les taux de profit et d'intérêt mènent le bal. Le troisième choc pétrolier en est le déclencheur, comme en 1973, mais le terreau était fertile qui lui permit de se développer. Le déclencheur: ce choc est apparu début 1999, après un petit contre-choc en 1998. Un consensus s'était établi depuis le contre-choc de 1986 autour d'un brut à 18 $ le baril; le prix passe à moins de 10 $ fin 1998 puis autour de 30 $ de 2000 à 2004. C'est un premier choc. Le mouvement s'est ensuite accéléré ces trois dernières années, avec au printemps 2008 un baril à bien plus de 100 $ sur le marché américain et un peu moins de 100 $ pour le Brent européen, plus de trois fois le niveau de 2004 (mais heureusement, avec un euro à plus de 1,5 $, autour de 65 E). Comme à la fin des années 70 (premier choc 1973-1974 et deuxième choc 1979-1980), il y a en fait deux chocs pétroliers qui se suivent: 1999-2001 et 2004-2008. Outre les sous capacités de production et la spéculation financière sur le « pétrole papier », c'est la demande des pays asiatiques émergents (Chine et Inde pour faire bref) qui dope les cours. $ et € par baril
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Le mouvement de yo-yo du dollar pel1urbe en effet les évolutions selon la devise prise en compte. Ce que le graphique ci-dessus permettait mal de percevoir, sauf en fin de période.
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Le yo-yo du dollar américain: le bond de 1999 à 2001 puis la chute 1,21 1,1
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De 1990 à 1999, le dollar fluctue certes, mais autour de ce qui sera sa parité avec l'euro début 1999. Il grimpe ensuite jusqu'en 2001-2002 pour s'écrouler: il perd plus de 40 % par 10
rapport à l'euro de cette période à début 20081. L'écart du prix du brut en pourcentage entre le prix en dollars et le prix en euros est ainsi extrêmement fluctuant. Le terreau: là où les diagnostics éculés ne perçoivent qu'un accès de fièvre purement financière, soignable par un peu plus d'aspirine (plus de transparence, plus de régulation, mais à dose homéopathique et par autorégulation, bien entendu), on peut y voir un cancer, plus exactement une maladie génétique qui se déclenche brusquement dans l'économie dominante: l'empire américain. L'économie états-unienne fut en outre la seule économie qui avait profité d'un boom extraordinaire de 1990 à 2000 tandis que les économies européennes, et smiout japonaise, étaient plongées dans une ~uasi-stagnation ou une véritable stagnation sur la même période. La géopolitique peut se résumer par la coexistence, pour le moment assez pacifique, entre les pays à balances extérieures des transactions courantes excédentaires et déficitaires3. I Les balances
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I Fin avri12008, avec un euro à 1,6 $, le dollar aura perdu près de la moitié de sa valeur depuis son pic. Z On serait tenté de proposer un parallèle avec la période 1920- I929 où l'économie américaine avait bondi tandis que l'Europe stagnait.
3 Source FMI, octobre 2007 ; ici en pourcentagedu PIB mondial (48 KG$, milliers de milliards de dollars
-
-
en 2006, 57 en 2008). En 2008, le déficit
extérieur américain serait d'un peu moins de 790 G$, l'excédent des pays exportateurs de pétrole de 380 G$ et celui de \' Asie émergente de 450 G$ ; à
11
Les Etats-Unis se distinguent encore, avec un déficit extérieur de 1 à 1,5 % du PŒ mondial (entre 3 et 5 % de leur propre PŒ). La zone euro est proche de zéro mais devient déficitaire en 2006. Le Japon reste excédentaire, mais avec une courbe plate. La manne pétrolière et l'industrie des pays asiatiques émergents font l'excédent, les autres pays devenant déficitaires en 2006, par le nouveau choc. L'affrontement économique en deux nouveaux blocs « Ouest-Sud et Est », avec vases à peu près communicants, est maintenant une évidence (avec donc la Russie dans le camp des exportateurs de pétrole). Ceux qui « consomment» plus qu'ils ne produisent (et empruntent), ceux qui produisent plus qu'ils ne consomment (et prêtent). Car les déficits et excédents se traduisent évidemment par des positions et mouvements financiers. Résumé
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L'abondante liquidité mondiale, plus exactement l'abondante épargne mondiale (des pays excédentaires) aura pesé sur les taux « longs» (c'est-à-dire des emprunts à long terme) à partir de 2004 où l'écart perceptible sur le graphique ci-dessus s'ouvre nettement. Il fera augmenter les valeurs de marché des obligations d'Etat américaines et donc baisser les taux longs américains, malgré la hausse des taux directeurs de la Fed. A moins que ce ne soit la faiblesse du Dow Jones à la 1 Les fonds même époque qui explique celle des taux longs... comparer avec le PIB français autour de 2 000 G€, soit 3 000 G$. Mais avec les mouvements de yo-yo des taux de change, les comparaisons sont délicates. I On aborde déjà ici des aspects techniques où seul le connaisseur s'y retrouve: c'est l'un des buts de ce livre de multiplier le nombre de connaisseurs.., On aborde aussi des questions de fond, en particulier celle de 1'« énigme» d'Alan Greenspan, l'ex-patron de la Fed: comment se fait-il que les taux longs baissent quand les taux courts augmentent, inversant la « courbe 12
souverains (Sovereign Wealth Funds) n'ont-ils pas sauvé de quelques faillites bancaires après la crise des subprimes ? Ils regorgent de pétrodollars ou de dollars; ce sont des fonds publics. Le premier (ADIA, d'Abu Dhabi) gèrerait quelque 600 KG$ (seulement un peu plus de 1 % du PIB mondiaL..) ; le second est norvégien (Government Pension Fung - Global), avec un peu plus de 300 KG$: la Chine avec son China Investment Corporation n'a que 200 KG$... C'est d'ailleurs peut-être la baisse du dollar (plus ou moins parallèle pour toutes les devises) qui explique l'ampleur du choc pétrolier, du moins après 20041. Comme lors de la crise du système monétaire international (le SMI de taux de change fixes établi à la conférence de Bretton Woods en 1944) du début des années 70, où le dollar avait cessé d'être convertible en or. Les deux premiers chocs pétroliers en furent, mais avec d'autres causes, une conséquence. Toutefois aujourd'hui, le dérèglement monétaire international (source de nombreuses crises de change et financières) est celui d'un système de change flexible, plus ou moins (surtout moins...) encadré par des « zones cibles »2. L'histoire serait-elle en train de bégayer? Avec la même contradiction, et avec en plus des points de vue (américain et européen) opposés. * « Unpoignard planté dans l'âme »... Si le choc pétrolier inflationniste induit une crise et une récession, au moins une stagnation, comment relancer l'économie? Une politique monétaire active risque, en tentant de juguler la récession, de booster l'inflation (politique de Ben Bernanke, le patron de la Fed états-unienne). Une politique ne craignant que l'inflation (politique de Jean-Claude Trichet amplifiera la récession. Rejouons les Cassandre, en rajoutant un peu de poésie: « C'est un poignard planté dans l'âme, L'amour que j e ressens pour toi, Si je l'enlève, je me tue, Sije le garde, je meurs »3. La crise est donc surtout une crise américaine: crise financière et réelle en 2000-2001 (éclatement de la bulle de la des taux» ? On est au cœur du sujet des types de relations entre taux d'intérêt, taux de profit et valeurs de marché des actions. I En gros, de 2003-2004 à aujourd'hui, le prix du baril de brut a triplé en dollars; il n'a donc que doublé en euros et il en est à peu près de même dans les autres devises. 2 Les Banques centrales peuvent, par leur intervention, tenter de bloquer les fluctuations entre un plancher et un plafond: les zones cibles. On n'en parlait plus guère, sauf à la dernière réunion du G8. Paroles d'une complainte latino-américaine (Punales, Poignards) chantée par l'ensemble Achalay à la fin des années 60. 13
Nouvelle économie et du Nasdaq), crise bancaire en 2007-2008, bref crise économique (ralentissement et non pas récession, du moins jusqu'à maintenant). Elle est donc dans une certaine mesure la conséquence du boom économique de la Chine et de l'Inde et du troisième choc pétrolier (le premier expliquant en partie le second). Elle est surtout une crise d'hégémonie économique et géopolitique (Irak et Moyen-Orient, Venezuela et Amérique latine). * La Chute
Que voulons-nous montrer dans ce livre? La Chutel dont nous proposons de faire la théorie2 est évidemment celle des valeurs boursières, mais aussi celle des taux de profit et des taux d'intérêt. On ne se hasardera pas à penser que cette chute est définitive3, que le capitalisme sortira enfin en 2008 du « paradis terrestre» qu'il prétend avoir créé. Il saura probablement rebondir. Nous allons montrer que les fluctuations et donc les crises du capitalisme ne sont rien d'autre que la conséquence des contradictions entre l'évolution des taux de profit et celle des taux d'intérêt. Les taux d'intérêt ne sont pas déterminés en dernière instance par les marchés: marché primaire des obligations ou marché monétaire avec intervention des Banques centrales. Ils ne sont fondamentalement qu'un morceau des taux de profit dans le circuit économique capitaliste, ce qu'Adam Smith avait parfaitement compris en déterminant le taux d'intérêt long par le taux de profit moins une prime de risque. L'optique du circuit macroéconomique des physiocrates français, les premiers libéraux, suivis par les classiques, Marx et Keynes, est le bon paradigme, pas celle des marchés interdépendants des néoclassiques, singulièrement de Walras. Les « effets» - et non pas la « loi» - de l'offre et de la demande interviennent certes, de même que la politique monétaire, mais la vraie « loi» est celle de Smith. James Kenneth Galbraith (2000) - le fils de l'hétérodoxe John Kenneth - mentionne l'une des erreurs originelles - selon lui et bien d'autres - de l'analyse néoc1assique : la détermination des
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2 C'est celle du péché originel: la Chute avec un grand C. C'est aussi, plus « scientifiquement» mais avec prudence, celle qui renvoie à la théorie physique de la chute des corps, sans frottement (dans le vide socia£) et avecfrottements (dans la réalité sociale). Le vide social est celui des marchés financiers théoriques, sans crédits bancaires. Les frottements sociaux sont ceux du crédit bancaire et de la politique monétaire. 3 Voir le livre de Susan George (1999, 2006), Le rapport Lugano, Jusqu'où ira le capitalisme? Un livre d'avant le déclenchement de la crise. Susan George fut vice-présidente d'Attac. 14
prix par la « loi» de l'offre et de la demande]. Ce changement complet de paradigme bouleverse tout; singulièrement la vision des crises: les « effets» des marchés en général et financiers en particulier ne tiennent qu'à de la plomberie capitaliste mal agencée par construction, et avec le moteur de la pompe interventionniste, au moins à la Keynes, grippé ou mis au rebut. Cependant, il ne faut surtout pas négliger ces « effets» de l'offre et de la demande, surtout en ce qui concerne le taux d'intérêt. Le raisonnement de Smith pour déterminer le taux d'intérêt ne tient qu'en l'absence du crédit bancaire qui « crée» de la monnaie, ou du moins accélère sa vitesse de circulation2. Ce dernier et la politique monétaire qui le contrôle interviennent sans aucun doute sur le niveau des taux (celui des taux courts, des emprunts à court terme) et ainsi, en général, sur celui des taux longs. La détermination des taux longs selon l'approche de Smith se heurtera donc toujours à l'intervention sociale des banques. * Au commencement est la contradiction, fondamentale, du taux d'intérêt, rentabilité et coût Selon Smith, le taux d'intérêt n'est fondamentalement qu'une rentabilité se déduisant du taux de profit: en période de vaches grasses, le taux d'intérêt devrait être élevé, en période de vaches maigres, il devrait être faible. Le plus souvent, il n'en est rien, car le taux d'intérêt, est aussi un coûP pour les emprunteurs, singulièrement les investisseurs. Et c'est sur ce coût que la politique monétaire peut intervenir, en dopant ou en restreignant les crédits bancaires. Si ce coût est faible, il dope les investissements et ainsi (selon l'analyse keynésienne) le niveau d'activité et le taux de profit; il permet alors de lutter I Sa critique de cette « loi» est d'une grande précision: « La théorie dominante s'appuie sur l'idée que prix et quantités s'établissent par l'interaction de l'offre et de la demande dans des marchés concurrentiels libres. Cette idée et nulle autre, qui est au cœur de la pensée économique, est la source des errements qui font que les économistes ont presque toujours tort. La présentation des concepts de l'offre et de la demande comme principes explicatifs universels date de plus d'un siècle (ce n'est pas le cas pour Adam Smith, David Ricardo, Thomas Robert Malthus, Karl Marx ou John Stuart Mill). Les principaux protagonistes en sont Alfred Marshall, pour la tradition anglo-saxonne, et sans aucun doute Léon Walras en Europe continentale. Au XX' siècle, de grands économistes, tels Keynes, Joseph Schumpeter et John Kenneth Galbraith, ont tenté de briser le pouvoir de ces notions dans l'imaginaire de la profession économique. En vain. ... il s'agit de laisser une métaphore, dont l'idée est née en observant les marchés aux qoissons pour expliquer une institution humaine intrinsèquement différente il. Sur le doute concernant la « création monétaire» par le crédit bancaire, doute devenu parfaitement hétérodoxe depuis une cinquantaine d'années, voir Castex (2003 et 2007). 3 On montrera qu'il s'agit là d'une illusion, cependant reproduite depuis l'erreur fondamentale - l'une des erreurs, entre autres... - des néoc1assiques. 15
contre le chômage. Il dope aussi les valeurs boursières: mécaniquement (on expliquera comment\ mais aussi tout simplement par le boom de l'activité. Mais, rétroaction, le boom de l'activité et le boom boursier doit faire augmenter, si l'on suit, Smith, le taux d'intérêt.. . Les deux aspects contradictoires du taux d'intérêt, rentabilité et coût, devraient amener à une autorégulation du capitalisme, au moins aplanir les cycles. Il n'en est rien, au contraire, on tentera de montrer pourquoi. Un seul exemple en reprenant l'étonnement de Groucho Marx: une baisse des taux de profit qui induit (à la Smith) une baisse des taux d'intérêt longs... dope (provisoirement...) les valeurs boursières; jusqu'au moment où la bourse prend conscience de son erreur: bulle puis éclatement. La dernière crise, financière et réelle (ou réelle et financière. ..) commencée en 2000, avec une rémission de 2004 à 2006 et la rechute actuelle de 2007-2008, n'en est qu'un cas particulier. Les taux de profits baissent depuis au moins près de dix ans; et ils entraînent dans leur chute les taux d'intérêt. « L'argent qui fait des petits », profits et intérêts, n'est que le catalyseur d'une crise réelle. La monnaie n'est pas seulement cet « argent qui ne fait pas le bonheur mais aide à faire les commissions »2 ; c'est aussi l'intermédiaire obligé du capital et de la finance. Toute théorie financière du capital renvoie à la théorie monétaire3 car la monnaie c'est aussi la monnaiefinance. Les rentiers, les créanciers frileux qui ont prêté de l'argent, n'aiment ni la baisse du taux d'intérêt, ni l'inflation. Les deux rognent leurs revenus réels; la seconde fait fondre leurs économies quand leurs prêts sont remboursés en argent déprécié. Il n'en est pas de même pour les héros modernes de la finance, les actionnaires preneurs de risque: quand les taux d'intérêts baissent, il sont tout heureux car ils voient donc les valeurs boursières des actions augmenter. Même quand les taux de profits diminuent. C'est l'un des paradoxes des signes annonciateurs de crises boursières qui trouvent le plus souvent leur source dans la baisse réelle du taux de profit alors que les actions montent au ciel. Car les taux de profit (notion qui devra être précisée4, avec tous ses avatars) déterminent les taux d'intérêt longs. C'est donc la théorie bien oubliée d'Adam Smith (le premier I La bourse nous l'indique tous les jours : une baisse (versus hausse) des taux d'intervention des Banques centrales sur les taux courts fait augmenter (versus diminuer) les cours. 2 Comme le rappelait le regretté humoriste Pierre Dac. 3 Nous avons déjà abordé le thème de la théorie monétaire; voir Castex (2003 et 2007). Ce présent ouvrage développe des thèses qui y étaient déjà évoquées. 4 Comme toutes celles qui suivent dans cette introduction. 16
économiste « classique» britannique) que nous développons par la théorie de la « double spéculation» sur les marchés financiers actions et obligations. Double spéculation toutefois perturbée par la création monétaire du crédit bancaire et la politique monétaire qui déterminent les taux courts. Perturbation qui permettait à Marx (au milieu et à la fin du XIXe siècle) de douter de la théorie de Smith. Ce livre reprend cette théorie et développe celle du « principe d'incertitude généralisé» 1 des valeurs boursières dont la seule certitude est la suivante, apparemment paradoxale: quand les taux de profit baissent, les taux d'intérêt longs baissent et tendent à doper les valeurs boursières; la politique monétaire intervenant le plus souvent dans le jeu avec les taux courts. Il n'est pas question ici de refaire l'inventaire des théories des fluctuations et des crises, financières et réelles2, mais d'aborder ces phénomènes par les quelques mécanismes qui viennent d'être mentionnés. Il ne s'agit toutefois pas seulement d'un jeu « mécanique» rationnel comme dans la mécanique newtonienne: l'incertitude suppose des comportements ou des anticipations apparemment « irrationnels ». Un premier exemple: on peut être soumis à des il/usions: on prend par exemple une augmentation de salaire nominal pour une augmentation de salaire réel3, ou l'on continue à actualiser des revenus futurs avec un taux d'intérêt ancien alors que celui-ci a été modifié4. Un second exemple: celui de William Stanley Jevons, le premier économiste néoclassiç)ue anglais. Dans « Crises commerciales et taches solaires »5, il estime que les mouvements des taches solaires détermineraient la production agricole et les cycles économiques. Il paraît que non; mais la croyance partagée en cet effet Sun spot induit effectivement des cycles. Ce sont les anticipations ou prophéties autoréalisatrices (self-fulfilling expectations) que l'on retrouve dans les bulles spéculatives6. C'est le même phénomène qui est à l'origine de la théorie des bulles rationnelles. Bref, les « anticipations rationnelles» de la Nouvelle école classique ultralibérale sont un rêve; on peut, au mieux, comme les monétaristes avec Milton Friedman, parler d' « anticipations adaptatives ». Armé de ces instruments théoriques, on montrera que la crise économique réelle des taux de profit (en baisse certaine 1 Comme en physique quantique le principe d'incertitude de Heisenberg. 2 Deux « Que sais-je? !I donnent quelques jalons: Flamant (1985 et 1993). On sera ici avare de quelques autres références. 3 C'est l' « illusion monétaire» du monétariste Milton Friedman. 4 Ce sera notre « illusion de la valeur présente du taux d'intérêt ». 5 En 1878-1879, « Commercial crises and Sun spots !I. 6 Keynes parlera d' « esprits animaux !l, c'est-à-dire plus instinctifs que rationnels.
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depuis 1999) est à l'origine de la crise financière commencée en 2000. Cette conclusion n'a rien d'un scoop en théorie économique, sauf que l'on insiste beaucoup trop depuis un temps sur les causes financières de la crise liées aux critiques Gustifiées) de la globalisation, de la financiarisation, de la déréglementation et autres affres de la mondialisation induisant plus qu'auparavant des bulles boursières. On se contente ensuite de prévoir des retombées réelles de la crise financière. On n'analysera de près que le cas français, mais l'origine réelle de la crise n'est pas seulement « endogène », au capitalisme français, due à sa structure et à sa dynamique propres. Elle est aussi « exogène », trouvant également sa source dans la conjoncture et la dynamique mondiales. Avant de présenter le plan du livre, quelques considérations complémentaires sont nécessaires. * Monnaie « insignifiante », mais refuge de la finance La monnaie, c'est la loi et le signe. La monnaie, c'est en grec la loi (nomos); on retrouve cette racine grecque dans numismatique. La monnaie n'est donc pas un bien naturel, mais une institution, créée par la sociétél. Les mots « monnaie» ou « money»» ne proviennent pas du grec mais du latin: « Monnaie, de Juno Moneta, Junon la Conseillère, dans le temple de laquelle les romains frappaient la monnaie >l C'est encore une institution. La monnaie actif financier sans risque (en valeur nominale, mais attention à l'inflation3) est pour les libéraux, dont les néoclassiques, « insignifiante », « neutre », « simple lubrifiant» ou « véhicule» des échanges car dominée par safonction de transaction. C'est un « voile» qu'i! faut lever pour démasquer l'économie réelle. C'est alors un bien naturel presque comme les autres, assurant un troc entre les biens réels; en aucun cas une institution sociale. En outre, elle ne peut être une réserve de valeur, car sa thésaurisation serait irrationnelle, faisant perdre le taux d'intérêt. Ainsi, au « gros mot» thésaurisation, les économistes et singulièrement Keynes l'admettant du bout des lèvres, préfèreront « demande de monnaie» ou « préférence pour la liquidité» : ce qui veut dire exactement la même chose, en langage « plus poli », mais source de combien de quiproquos! I C'est le point de vue du philosophe grec et premier économiste Aristote (bien avant J.C., 1965, 1992 et 1990, 1993) : la monnaie est une « convention », non pas de l'Etat, mais des marchands (ceux du commerce lointain). Voir Castex (op. cit.). 2 Petit Larousse 1999. L'Encyclopedia Universalis indique « Juno Moneta (de monere: l'avertisseuse ?)... 1>.S'agit-il des premiers « avertissements» dans sens de « profit warning» ! 3le Dont la seule cause serait, d'après la théorie quantitative de la monnaie, ['excès de la croissance de la masse monétaire. 18
La monnaie ne pourrait donc être une réserve de valeur? Légende! Elle peut déjà, quand sa masse augmente, faire baisser les taux d'intérêt: si le taux d'intérêt est considéré comme « le prix de l'argent », beaucoup d'offre de monnaie le fait baisser, pour une demande donnée. C'est le point de vue de Keynes et des keynésiens, reprenant les mercantilistes du XVI" au XVIIIe siècle. Une démarche différente donc de celle de la théorie quantitative de la monnaie qui prétend qu'une augmentation (excessive) de la masse monétaire ne fait qu'augmenter le niveau général des prix, les prix relatifs de la sphère réelle restant inchangés: la monnaie est neutre. De toute manière, la réserve de valeur de la monnaie reprend tous ses droits dans toutes les théories financières, même les plus libérales: au moins celui de refuge, de retour à la liquidité quand on craint la baisse des cours des titres. * Que sont les profits, les taux de profit et les taux d'intérêt? « ça!» dépend pour qui, pour quelle école de pensée économique. On se contentera dans cette introduction d'éclairer les avatars de ces notions à partir d'une illustration numérique. Une entreprise avec 100 de « capital économique» réalise 10 de bénéfice d'exploitation, après avoir offert à ses dirigeants, ses managers, une rémunération de 2 mais avant de rémunérer ses créanciers. Sa rentabilité économique, son « taux de profit économique» est de 10 %. Si les 100 sont financés par 60 de capitaux empruntés, avec par exemple un taux d'intérêt de 5 %, et 40 de capitaux propres des actionnaires, les' créanciers touchent 3 (5 % de 60) et les actionnaires 7 (10 - 3), soit une rentabilité dite financière de 7 /40, soit 17,5 %. Les différences entre ces diverses notions qui renvoient toutes à celles de rentabilités (rentabilité économique de l'entreprise dans son ensemble, rentabilité financière des seuls propriétaires, taux d'intérêt, avec ou sans prime de risque, des créanciers) donnent justement ce qui apparaît comme diverses « primes de risque» sur lesquelles nous reviendrons après avoir étudié l'effet de levier de l'endettement. On constate effectivement une « multiplication des petits pains» : rentabilité financière de 17,5 % avec une rentabilité économique de 10 % seulement, grâce au taux d'intérêt de 5 %. On peut également répartir le revenu des actionnaires en deux parties: d'une part, un taux correspondant au taux d'intérêt sans risque, ici de 5 % des capitaux propres de 40 qui donne 2 ; d'autre part, un taux correspondant à leur prime de I La connotation psychanalytique du « ça » est évidemment volontaire; on y reviendra. 19
risque d'actionnaires, ici de 12,5 % (5, c'est~à~dire7
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2,
ramenés aux capitaux propres de 40). En toute rigueur, ce que les néoclassiques nommeront le « profit pur» concerne à la fois la rémunération du manager mais aussi la prime de risque des actionnaires: la rémunération d'une activité de direction et de coordination, celle de l' « entrepreneur» au sens néoclassique. Au total, le profit pur
néoclassique serait donc de 2 + 5 "" 7. La « juste» rémunération
du facteur capital, non considérée comme du profit par les néoclassiques (car le capital serait un facteur productif), serait ainsi de 3 pour les créanciers et de 2 pour la rémunération théoriquement sans risquel des actionnaires, soit une rémunération de 5 du facteur capital. Par contre, le total du profit au sens classique et marxiste (le capital n'étant pas considéré comme productif, le profit trouvant sa source dans la partie non rémunérée du travail salarié) est de 12, dont 7 de profit pur (5 + 2) et 5 d'intérêt (3 + 2). La répal.tition du profit total d'une entrepl"ise entre SeSayant-droits UneiIIuslratinnnun,ériqucavecuncapha' avanc~K 100 '" réparli entre capitanx propres dcs aclionai,'es C
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actionnaires sont « indus », étant des rentes de rareté: s'en déduit sa volonté d' « euthanasie des rentiers ». Par contre, I Cette absence de dsque est en effet toute théorique: en cas de perte, ils n'obtiendront rien. Mais il en est de même pour les créanciers en cas de faillite: si l'entreprise est insolvable, certains créanciers ne seront pas remboursés et n'auront peut-être pas touché leurs intérêts. 20
pour lui, le profit pur de l'entrepreneur et la rémunération de la prime de risque des actionnaires, qui peut être considérée comme rémunérant également une activité d'entrepreneur, sont des «justes rémunérations» à conserver. Son analyse! se démarque donc très nettement de celle des néoc1assiques, mais aussi de celle des classiques et marxistes. Encore une fois, il ne s'agit ici que d'une approche purement descriptive qui rendra nécessaire plus loin une analyse critique de cette opposition entre « rente de rareté àenthanasier}) (pour l'aspect créancier «s'enrichissant en dormant » des capitalistes) et «juste rémunération}) des entrepreneurs et actionnaires sous leur aspect risk taker. La répartition du profit total d'unccntrcprisc selon Kcyncs Rcntes de rareté et "jl'stes rémunérations" Rel1 ft,~, à "el/fluml/sier" /
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* Les théoriciens de la finance sont-ils plus précis que les économistes pour définir les diverses rentabilités? On ne veut pas voir la création du profit quand on est financier, théoricien ou praticien. Mais pour ce qui est de théoriser comment s'en accaparer le maximum avec le moindre risque, une bonne partie des prix Nobel récents d'économie s'en sont occupés. La théorie financière moderne se soucie en effet comme d'une guigne de la question théorique de l'origine du profit, des conditions de sa production: c'est l'affaire des chefs d'entreprise et de leur gestion technique et sociale. .Elle laisse les économistes académiques s'étriper sur la question de savoir si le profit est du travail non payé ou de la productivité naturelle du capital. Reste donc néanmoins une rentabilité désirée égale au taux d'intérêt plus une prime de risque, cette rentabilité désirée jouant le même rôle que le taux d'intérêt des épargnants I Celle de la « philosophie sociale» du Keynes (1936, 1979) de la Théorie générale.
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prêteurs offrant leurs capitaux: un désir de rentabilité se heurtant à la rentabilité effective produite par le capital investi quand il est demandé par les entreprises. Mais on est passé de la réalité au désir; et bien que Modigliani et Miller et leur « théorème» démontrèrent à la fin des années 50 du siècle précédent qu'il fallait repasser à la réalité du taux de rentabilité effectif, ce qui leur valut deux prix Nobel, depuis un siècle on continue à ne rêver que des désirs. * Plan du livre Le fil conducteur de ce livre est donc le type de relations qu'entretiennent les taux de profit et les taux d'intérêt pour expliquer les dynamiques des marchés de capitaux et du capitalisme réel. Les marchés de capitaux sont les marchés financiers et les marchés monétaires. Les premiers concernent les capitaux longsl, caractérisés par les fluctuations des valeurs boursières, actions et obligations. Les seconds renvoient aux capitaux courts: le marché monétaire interbancaire et le marché monétaire élargi ou ouvert aux agents non financiers où interviennent les Banques centrales. La dynamique du capitalisme réel intéresse les « trends» (les tendances longues, non cycliques) et les « ondes longues» d'expansion ou de dépression (les «Kondratieff») ainsi que les «cycles des affaires» ou « Business Cycles» courts (les « Juglar »). On présentera notre démarche en trois parties. La première partie posera la question, dans l'histoire des théories économiques, des relations entre taux de profit et taux d'intérêt, détour préalable incontournable où la question de l'effet de levier de l'endettement est centrale, surtout quand les rentabilités pour les investisseurs se transforment en coûts pour les entreprises. Il s'agit de la question de l'existence ou non d'une structure de financement (rapport relatif des capitaux propres et des dettes) optimale (minimisant le coût moyen pondéré des capitaux). C'est le débat autour du théorème de Modigliani et Miller. La deuxième partie abordera les types d'intervention des taux de profit et d'intérêt dans les théories des trends, des ondes longues et des cycles des affaires avec les bulles financières; bref, en raccourci, l'influence des taux d'intérêt et/ou de profit sur les « crises ». Ces théories privilégient souvent en effet soit l'aspect réel (avec les taux de profit), soit l'aspect monétaire et bancaire (avec les taux d'intérêt) alors que c'est la sphère des marchés financiers qui doit être analysée, liant justement les I La frontière entre les capitaux longs et courts est fluctuante: pour les longs, c'est actuellement plus de 7 ans (obligations et assimilées) ; les courts vont de 24 H à deux ans, et le« moyen terme », considéré comme court ou long (c'est selon...), de 2 ans à 7 ans. 22
taux de profit et d'intérêt. Or, se polariser sur les complexes mécanismes boursiers n'est pas inutile, mais on en oublie le principal: fondamentalement, les taux d'intérêt longs ne sont que les conséquences des taux de profit, par la «double spéculation» sur les «marchés secondaires » (dits «de l'occasion») des actions et des actions. Le tout perturbé par le crédit bancaire et la politique monétaire qui induisent les taux courts. La troisième partie abordera la crise actuelle 2000-2008 (et années suivantes 7) elle-même. On ne refera pas I'histoire du krach de 2000-2002, histoire éculée; on n'abordera que la crise des subprimes et celle des LBO (Leveraged Buyingout), ou
rachat d'entreprise par effet de levier.
,
On analysera surtout trois phénomènes. A partir de l'exemple français, les profitabilités (profits ramenés aux mesures du niveau d'activité) sont en baisse tendancielle depuis près de vingt ans et évidentes depuis 1998 ; ce qui n'empêche pas Je boom de dividendes. A partir des exemples français et américains, on constate par ailleurs une double inversion de la relation entre les taux d'intérêt longs (noté] r) et les valeurs de marché des actions (notées V). Avant 1998, la baisse (versus la hausse) de r induisait la hausse (versus la baisse) de V dans le sens r ~ V, relation décroissante. Après 1998, la baisse (versus la hausse) de V induisait la baisse (versus la hausse) de r dans le sens V ~ r, relation croissante. Enfin, en France, la baisse des taux de profit induit celle des taux d'intérêt longs; et la politique monétaire semble suivre plus que contrarier cette tendance.
1 On voudra bien nous excuser d'utiliser le plus souvent des notations qui renvoient aux mathématiques (r, Y, etc.). Ce n'est pas pour faire pédant, mais une simple commodité qui allège beaucoup le texte. On arrive à s'y faire... 23
PREMIERE PARTIE TAUX DE PROFIT ET TAUX D'INTERET
Chapitre I Théories des taux de profit et des taux d'intérêt, sans ou avec liaison
Il existe une extraordinaire diversité des théories des masses de profit, des taux deI profit et des taux d'intérêt selon les différents courants de la pensée économique. Proposons tout d'abord quelques repères chronologiques en constatant en outre que la liaison entre taux de profit et taux d'intérêt est rarement évoquée comme fondamentale, sauf par Adam Smith, suivi en partie mais surtout critiqué par Marx. * Histoires de taux d'intérêt, non liés2 aux taux de profit Le grand historien de la pensée économique Pribram (1983, 1986) nous rappelle la diversité des théories qui le définissene. I
Surtout
ne pas
confondre
« masse
de Ii et « taux
de Ii profit;
détail
fondamental sur lequel nous reviendrons. 2 Ou très peu liés. 3 « L'explication de l'intérêt du capital conçu comme une catégorie économique fondamentale est l'un des problèmes les plus déconcertants de l'analyse économique». 25
On trouve chez les mercantilistes, les premiers économistes interventionnistes, deux effets possibles de l'augmentation de la quantité de monnaie. Le premier effet, souligné par Jean Bodin au milieu du XVIe siècle, fonde la théorie quantitative de la monnaie déjà évoquée: si la masse monétaire M augmente], le niveau général des prix P augmente; c'est l' « enchérissement de toute chose », bref l'inflation. Le second effet est que si M augmente, le taux d'intérêt r baisse: l'argent étant moins rare, il est moins cher, bonne vieille « loi)} de l'offre et de la demande, explication de l'époque. Le taux d'intérêt nominal augmentera peut-être avec l'inflation, mais moins que cette dernière: le taux d'intérêt réel (après que l'inflation l'eût rogné) baissera, bien que la démonstration du phénomène n'ait pas vraiment été faite. Peu avant Adam Smith, certains libéraux, dont le Français Turgot, considéraient que r ne s'expliquait pas par la monnaie mais par des variables réelles, plus exactement financières (le prix du temps), anticipant la théorie néoclassique. Les néoclassiques (économistes libéraux dont les écoles sont nées après 1870) font du taux d'intérêt une variable réelle, mais déconnectée du taux de profit qu'ils ignorent par construction de leur modèle. Le taux d'intérêt long réel, à ne pas confondre donc avec le taux nominal, est déterminé par le « marché des fonds prêtables)}: l'offre d'épargne des épargnants, la demande d'investissement des entrepreneurs. Il existe en fait plusieurs théories «néoclassiques)} du taux d'intérêt et de la rémunération du capital. Ces différentes théories s'interpénètrent: celle de la productivité du capital, celle de l'abstinence et celle de la préférence pour le présent, ou de l'agio, de Bôhm-Bawerk (néoclassique autrichien de la fin du XIXe siècle) et Fisher (néoclassique américain du début du XXe siècle). Le capital est considéré, alternativement et à la fois comme bien réel et comme monnaie; Wicksell, néoclassique suédois dissident de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, est le bon exemple de cette interpénétration. Bôhm-Bawerk refusait le concept de productivité du capital considéré comme central chez les néoclassiques britanniques (de Jevons à Marshall) : son « détour de production» expliquant ce qui tient lieu pour lui de productivité marginale. Avait-il compris la question du temps ~ui rendait impossible le concept de productivité marginale? Personne n'en dit rien - à ce que nous 1 Il faudrait dire: augmente trop; c'est en effet un excès de l'augmentation de M qui induirait une augmentation de P. 2 Voir Castex (2003): la durée du temps sur laquelle sont définies les consommation et productivité marginales n'est jamais précisée par les néocIassiques.
26
avons lu; Etner (2000) fait référence à des « raisons compliquées ».._ Après la crise de 1929, Keynes critiquera ce point de vue, détenninant le taux d'intérêt, fondamentalement les taux nominaux courts, par son « marché de la monnaie ». Il reprend tout bonnement, cependant de façon très sophistiquée, la théorie mercantiliste du taux d'intérêt. Les économistes ont toujours hésité, selon Etner, entre l'explication du taux d'intérêt par les forces réelles (les classiques et néoclassiques), une «formulation _.. rigoureuse », et l'explication par les forces monétaires (les mercantilistes, Keynes et les keynésiens): la «formulation populaire, dont on comprenait très bien la faiblesse », faisait donc du taux d'intérêt le « prix de l'argent, son loyer comme on disait vulgairement ». On aura compris où se trouverait la vérité scientifique selon Etner entre la formulation rigoureuse et la populaire... Dans toutes ces conceptions, le taux d'intérêt est la donnée première et le taux de profit est à peine évoqué. Tous ces économistes distinguaient peu ou ne distinguaient pas du tout les taux courts (des emprunts à court terme) des taux longs (des emprunts à long terme). * Histoire de profits L'opposition est nette, non pas entre les libéraux et les marxistes, mais entre les classiques et marxistes d'un côté,
- pour les lecteurs attentifs de la Théorie par Keynes, de l'autre les néoclassiques et leurs
rejoints en catimini
générale
-
élèves plus ou moins turbulents, monétaristes et Nouveaux classiques. Le profit total (après paiement de la rémunération du travail improductif, des services, des rentes des ressources naturelles et des impôts) au sens classique et marxiste, provient du travail non rémunéré des salariés productifs (de l'industrie et de l'agriculture) ; il rémunère les apporteurs de capitaux empruntés et ceux des propriétaires, mais aussi le chef d'entreprise qui deviendra avec les néoclassiques « l'entrepreneur ». L'analyse des néoclassiques est tout à fait différente. Si l'on garde la masse du profit au sens classique ou marxiste, elle se répartit pour eux en «juste» rémunération du capital (les intérêts dont une prime de risque) qui n'est pas du « vrai» profit mais est considéré comme le coût du facteur productif capital, et le profit « pur» de l'entrepreneur ou surprofit. Keynes présente une conception à première vue curieuse. Il se risque à se faire l'adepte de la valeur travail mais est néanmoins dissident par rapport aux classiques et marxistes: le profit a bien le travail comme unique source mais est une rente de rareté qu'il faut faire disparaître pour sa part en intérêt sans 27
risque des capitaux - c'est l'euthanasie des rentiers - et contrôler pour le profit des entrepreneurs. Il est plus discret sur la prime de risque des actionnaires. * Histoires de taux de profit et de taux d'intérêt Les concepts de profit et d'intérêt chez Smith seraient, d'après Pribram, mal définisJ. Pribram indique en passant qu'il arrivait à Smith « de définir le profit comme le montant excédent la valeur d'échange créée par le travail... » ; c'est en fait la seule vraie définition de Smith, et Pribram a mal lu Smith. Le profit chez Smith est sans aucun doute une « plusvalue implicite» qui deviendra explicite chez Marx, seul le travail étant considéré comme productif. N'en déplaise à Pribram, il est parfaitement défini, avec la question du pseudo salaire de surveillance de l'entrepreneur exclu du profit. Et le taux d'intérêt des prêteurs se déduit du taux de profit, le premier étant le second moins une prime de risque. Marx ne le suivra donc que partiellement, et avec des réticences justifiées. Selon Mill, le dernier classique britannique du milieu du XIXe siècle, le profit est également décomposé en trois parties: celle qui rémunère le travail de direction (le «salaire de surveillance », fondé pour Mill) ; celle qui rémunère le risque, comme une sorte de prime d'assurance; enfin le taux d'intérêt des capitaux empruntés. Mill reste proche de Smith, sauf qu'il inclut dans le profit la rémunération du travail de direction et le risque, anticipant à cet égard ses successeurs néoclassiques. * Le génie de la théorie néoc1assique: l'abandon de la notion même de taux de profit effectivement réalisé pour ne retenir que la rentabilité désirée Les néoclassiques fondateurs ignorent ainsi le concept même de taux de profit pour ne retenir donc que, d'un côté le taux d'intérêt juste rémunération du capital productif, de l'autre le profit «pur ». L'entrepreneur est dissocié avec génie des capitalistes réduits aux seuls prêteurs. Génie d'autant plus grand que cette absurdité ne sera jamais remise en cause: ce qui est l'un des thèmes de notre démarche critique. La dissociation étant accomplie, le taux de profit des capitalistes propriétaires (dite rentabilité financière) n'avait plus lieu d'être analysé, pas plus que celle de tous les capitaux, propres et dettes (dite rentabilité économique). Sauf par la théorie financière néoclassique récente qui sera bien obligée de retrouver une I «... le concept de profit appliqué par Smith était loin d'être défini. Il concernait plusieurs types de revenus allant à l'employeur: le rendement du capital investi dans l'entreprise. la rémunération des services de création ou de direction de l'entreprise. ou des connaissances techniques. la compensation du risque... ». 28
partie de la réalité en ne mentionnant qu'une « rentabilité financière -lire taux de profit - désirée» : le taux d'intérêt plus la prime de risque des actionnaires. Notre démarche sera dans ce chapitre la suivante. Soit les taux de profit et les taux d'intérêt sont étroitement liés. Pour Smith, le profit apparaît, le travail (<<productif»..., donc pas celui à l'origine des services) étant le seul facteur productif, par le surplus de la valeur produite par le travail de ces salariés sur les salaires qui leur sont versés. Le taux d'intérêt qui se déduit du taux de profit est alors une variable réelle explicable par la théorie de la valeur travail. Soit ils sont moins étroitement liés: Marx, hésitait à suivre Smith, sauf en développant la théorie de la plus-value. Il refuse au taux d'intérêt son caractère de variable réelle découlant du taux de profit: il avait compris le rôle du crédit bancaire et donc la détermination en partie monétaire du taux d'intérêt (les taux courts ). Soit on refuse la notion même de taux de profit. Les néoc1assiques déterminent le taux d'intérêt par les forces réelles du marché des «fonds prêtables» (offre d'épargne croissante avec le taux d'intérêt se confrontant avec la demande d'investissement, décroissante avec lui). Le taux d'intérêt devient à la fois la juste rémunération de l'effort d'épargne des héros de l'abstinence et le produit (<<productivité marginale») du facteur capital considéré comme productif. Le tout géré par un chef d'orchestre indépendant du capital; l'entrepreneur qui, recherchant évidemment à maximiser son «profit pur », va obtenir, par la concurrence un profit pur nul. .. Soit, enfin, le taux d'intérêt n'est fondamentalement, selon Keynes et les keynésiens, qu'une variable monétaire expliquée par le «marché de la monnaie» (offre de crédit bancaire faiblement croissante avec le taux d'intérêt et demande de monnaie, en fait thésaurisation, décroissante de ce taux). L'analyse du taux de profit a également disparu, même si la masse de profit est pour Keynes une rente indue produite par le travail !
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Il - Le classique Smith et Marx: liaison ou non entre le taux de profit et le taux d'intérêt? 111 - Théorie du taux d'intérêt de Smith, taux de profit moyen moins prime de risque * Le profit est pour Smith du travail non payé, et c'est son taux qui compte, pas sa masse Pour Smith (1776, 1976) et presque tous les classiques (Ricardo, Malthus, mais pas Jean-Baptiste Say), les valeurs d'échange sont expliquées par le travail. Marx ne fera que reprendre cette théorie, avec quelques aménagements. Les valeurs s'expriment en monnaie par le « prix naturel» autour duquel fluctue par « gravitation », le prix de marché. Ce n'est pas le marché qui explique le prix, c'est la valeur travail; avec évidemment intervention des «effets» de l'offre et de la demande (la gravitation). Adam Smith fut le premier économiste à considérer le profit comme du travail non payé aux salariés productifs; il écrit en effet dans sa Richesse des Nations: « ... la valeur que les ouvriers ajoutent à la matière se résout alors en deux parties, dont l'une paye leur salaire, et l'autre le profit que fait l'entrepreneur sur la somme des fonds qui leur ont servi à avancer ces salaires et la matière à travailler ». Sans drapeau rouge, le concept de plus-value est implicite chez Smith. Il est aussi le premier à se rendre compte que c'est moins sa masse que son taux qui importe: « Il n'aurait pas d'intérêt à employer ces ouvriers, s'il n'attendait pas de la vente de leur ouvrage quelque chose de plus que le remplacement de son capital, et il n'aurait pas d'intérêt à employer un grand capital plutôt qu'un petit, si ses profits n'étaient pas en rapport avec l'étendue du capital employé» I. Cette évidence sera oubliée par la théorie néoclassique qui, niant la notion même de taux de profit, ne retiendra que le profit dit « pur» de l'entrepreneur, tendant vers zéro par la concurrence. Chez Smith, la concurrence entre les capitaux propres des capitalistes tend à égaliser les taux de profit de chaque branche pour obtenir en tendance un taux de profit moyen.
I Cette citation est rarement mise en avant quand on présente au jeune étudiant le génie du fondateur de l'économie politique libérale classique; elle l'a été en particulier par Henri Denis (1967, 1977). 30
* Le travail de direction de l'entrepreneur ne peut fonder pour Smith le profit Mais le profit en général, celui que vont se partager les actionnaires et les prêteurs, n'est-il pas tout simplement la rémunération d'un travail: celui de la gestion de l'entreprise, bref de l'activité qui sera celle de l'entrepreneur néoc1assique ? Autrement dit, continue Smith, « Ces profits, dira-t-on peutêtre, ne sont autre chose qu'un nom différent donné aux salaires d'une espèce particulière, le travail d'inspection et de direction. Ils sont cependant d'une nature absolument différente des salaires; ils se règlent sur des principes absolument différents, et ne sont nullement en rapport avec la quantité et la nature de ce prétendu travail d'inspection et de direction ». En effet, on voit mal pourquoi le profit en tant que rémunération d'un travail d'inspection et de direction serait proportionnel aux capitaux avancés, même s'il est plus fatigant de gérer une grande qu'une petite entreprise. * Le taux d'intérêt se déduit du taux de profit des capitalistes entrepreneurs par une prime de risque Smith distinguera ensuite le taux d'intérêt r des fonds empruntés de la rentabilité des fonds propres avancés par les propriétaires, supérieure au taux d'intérêt d'une prime de risque. On notera ici rf cette rentabilité maintenant nommée rentabilité financière des propriétaires; pour faire bref celle des actionnaires I. On peut donc écrire, en notant Rf la prime de risque financière des actionnaires de Smith: r = rf - Rf.
Smith ne parle pas d'un risque général qui pourrait expliquer le profit, ni d'un quelconque talent de l'entrepreneur. Le risque qu'il évoque n'est que celui qui oppose actionnaires et prêteurs. A deux niveaux. D'abord, les propriétaires sont rémunérés par un revenu variable avec la masse des profits (les dividendes des actionnaires), les prêteurs par un intérêt dont le montant est fixé lors du contrat. Ensuite, en cas de faillite, les premiers à pouvoir rentrer dans leurs fonds (au moins partiellement) sont les prêteurs, les propriétaires ne se partageant que ce qui reste; en général pas grand chose. Deux limites se présentent toutefois dans cette théorie. Smith ne distingue pas les taux longs des taux courts. Il oppose les capitaux propres CP des actionnaires aux dettes D des prêteurs, alors que c'est bien le capital économique K dans son ensemble, financé par CP + D, qui s'accapare le profit, le travail non payé; il est ensuite réparti entre CP et D. Il n'en reste pas moins que pour Smith le taux d'intérêt n'est qu'un morceau du profit né du travail - rémunérant le capital prêté par les capitalistes I
Et autres propriétaires
de sociétés (SARL, etc.).
31
aimant moins le risque aux capitalistes plus héroïques mais en manque de fonds propres. Si l'on suit le raisonnement de Smith, Rf est d'ailleurs moins une prime de risque qu'une « décote de non risque» pour les prêteurs: r = rf moins décote de non risque. Si la prime de risque peut être considérée comme relativement constante, on peut en déduire que le taux d'intérêt est déterminé par le taux de profit et fluctuera plus ou moins parallèlement à ce dernier: le taux d'intérêt est donc déterminé par des variables fondamentales de la sphère réelle, et non plus par les variables monétaires comme chez les mercantilistes. Mais Smith fait une petite erreur. C'est donc la totalité du profit qui est partagé entre les capitaux propres et les dettes: la rentabilité économique (que nous noterons re) de tous les capitaux engagés (CP + D) est le «vrai» taux de profit; la rentabilité financière rf des CP se déduit alors de re et de r, par la « formule de l'effet de levier ». Et ladite « prime de risque» de Smith, Rf , n'est qu'un surprofit obtenu par la différence entre re et r : elle est évidemment variable avec la structure de financement. Ce Hui ne remet cependant pas en cause l'intuition géniale de Smith!. La théorie smithienne du taux de profit anticipe sans aucun doute celle de la plus-value de Marx, mais l'exploitation des travailleurs n'est indiquée que de façon discrète. Ricardo, au début du XIXe siècle sera encore plus discret, insistant plutôt sur le profit en tant que surplus, revenu résiduel toujours proportionnel aux capitaux avancés, coincé2 entre les salaires et la rente foncière pour fonner la valeur travail, « prix naturel» exprimé en monnaie autour duquel gravite, par l'effet de l'offre et de la demande, le prix de marché. 112 - Marx un peu pour... mais surtout contre Smith, par l'intervention des taux courts bancaires Marx ne reprendra, en la critiquant, la théorie de Smith qu'après avoir fourbi ses premières armes non pas contre les classiques, mais contre les utopistes qui pensaient pouvoir réformer le capitalisme en réduisant sinon en annulant le taux d'intérêt considéré comme une rente indue de situation. * Marx contre le réformisme du capitalisme par la baisse du taux d'intérêt Marx (1847, 1965) reprochera à Proudhon, dans Misère de la philosophie. Réponse à la Philosophie de la misère de M. I Voir plus loin notre critique de la notion de prime de risque par la mécanique de l'effet de levier et notre théorie de la « double spéculation». 2 « Squeezé ». compressé entre salaires et rente; on y reviendra. 32
Proudhon, de 1847, de confondre propriété et propriété foncière, donc profit et rente. Il fustigea surtout son utopie du « crédit gratuit », l'annulation du taux d'intérêt permettant de réformer le capitalisme et rendant ainsi toute révolution inutile. Cependant, avant Proudhon, le courant saint-simonien était déjà à l'origine d'une volonté de réforme par la baisse du taux d'intérêt. Le mouvement saint-simonien met en avant les « producteurs» actifs, fondamentalement les artisans et petits entrepreneurs (( l'industrie»), contre les rentiers «oisifs », encore assimilés aux anciens propriétaires fonciers et leurs revenus assimilés à une rente. En effet, les premiers ont besoin des capitaux des seconds et sont étouffés par les intérêts des prêteurs. Comme elle le sera chez Proudhon, la monnaie peut être un instrument de libération par le crédit à bas coût. Le taux d'intérêt est le résultat d'un rapport de force entre oisifs et travailleurs ou producteurs, dans le sens élargi précisé plus haut; il ne peut s'agir d'un prix d'équilibre statique, surtout au sens de Say que les néocIassiques reprendront. Le taux d'intérêt est « un impôt payé par le travail à l'oisiveté ». On trouve surtout dans le mouvement saint-simonien une théorie que Keynes reprendra2, par l'intermédiaire du mouvement des Fabiens, mouvement réformiste britannique de la fin du XIXe siècle. Il s'agit de la baisse spontanée à long terme du taux d'intérêt; et la politique monétaire « progressiste» des banquiers, en développant le crédit bancaire, fait encore plus baisser le taux d'intérêt. En effet, si l'épargne est rare, r sera élevé; en créant de la monnaie exnihilo, r devrait baisser. Chez Proudhon également, la monnaie peut être un instrument de libération par le crédit à bas coût, sinon gratuit par une « Banque d'échange ». On trouve les premiers embryons d'une approche de la monnaie dans les « Manuscrits parisiens» de Marx (1844, 1968) où apparaît déjà la thèse selon laquelle aucune réforme monétaire ne peut améliorer le capitalisme. Il y reconnaît néanmoins que le taux d'intérêt a tendance à baisser à long terme. Le «jeune Marx» croit donc percevoir dans la baisse du taux d'intérêt les prémisses de la Révolution, comme il percevra dans celle du taux de profit la cause « technique» de la fin du capital. Le Marx plus mûr reviendra de façon plus critique sur cette baisse naturelle du taux d'intérêt. Dans Misère de la philosophie, Marx attaque donc la conception réformiste de Proudhon. Cette attaque est reprise dans les Principes d'une critique de l'économie politique (1857-1858, 1968). Le regain d'intérêt pour la monnaie est dû à la crise monétaire et I Voir entre autres, l'article d'Alain Benausse (1999), Les saint-simoniens de 1830 : des précurseurs de la finance solidaire. 2 Keynes en fera en effet l'un de ses chevaux de bataille réformiste. 33
financière de 1857-1859 et au développement de la pensée proudhonienne. Il y réfute encore l'idée selon laquelle on pourrait transformer le capitalisme par une réforme du « changement de la circulation », bref en baissant r, sans « changement dans les autres conditions de production ainsi que des bouleversements sociaux ». * Marx et la « critique de l'économie politique» classique Mais c'est à partir de la critique de l'économie politique classique que Marx ébauchera une théorie monétaire et financière. Il prendra parti contre la Currency school et pour la Banking schooll. Il y fait de nombreuses références dans le livre III du Capital, notamment dans le chapitre XVII, Accumulation du capital monétaire et crises, analysant la crise de 1847. Il distingue comme Tooke, le principal défenseur de la seconde école, la monnaie de crédit, « fictive» en fait2, de la « vraie» monnaie or ou fiduciaire gagée sur l'or, contrairement à Ricardo. Mais son analyse du crédit, et singulièrement du crédit bancaire est pour le moins inachevée dans sa critique de l'école classique. * Marx et la théorie du taux d'intérêt de Smith: des hésitations, mais un refus apparemment curieux, cependant en partie justifié Selon Marx, le taux d'intérêt n'est pas déterminé, contrairement au taux de profit moyen, par la valeur travail mais essentiellement par la concurrence. Il reconnaît évidemment qu'il trouve son origine dans la plus-value: c'est bien une partie de celle-ci. La critique de Marx n'est pas claire. Il ne critique pas explicitement la prime de risque dont rien ne permet de penser qu'elle serait plus ou moins constante; sa variabilité étant évidente3. La critique de Marx renvoie implicitement à l'intervention du crédit bancaire: elle semble donc renvoyer à l'explication purement monétaire du taux d'intérêt chez les mercantilistes. Marx hésite néanmoins. D'un côté, l'intérêt du capital de prêt n'est, répétons-le, qu'une partie du profit. De I On ne présente pas ce débat fameux qui renvoie fondamentalement à la théorie monétaire et peu à la théorie financière. Voir par exemple Castex F003 et 2007). Voir Castex (2003 et 2007). C'est la question du doute concernant la « véritable création)} de masse monétaire M par le crédit bancaire. Elle pourrait n'être qu'une accélération de sa vitesse de circulation v dans la fameuse identité considéré par la théorie quantitative comme une « équation )}, celle d'Irving Fisher (1911), après John Stuart Mill, Mv = PT, avec P le niveau général des prix et T le volume des transactions. 3 On verra plus loin que ladite « prime de risque)} ne renvoie en fait qu'à l'effet de levier de l'endettement et est donc variable avec la structure de financement. 34
l'autre, la détermination de son taux n'est que la conséquence de la concurrence. Comment? L'effet de l'offre et de la demande serait apparemment suffisant pour expliquer, par gravitation, les écarts entre un r « naturel» au sens de Smith et le r de marché. Sauf que le crédit bancaire « crée », en offrant ex-nihilo de la monnaie (donc « fictive» selon lui), une offre de capitaux qui peut faire baisser r. Retour de fait aux mécanismes mis en lumière par les saint-simoniens et Proudhon qu'il avait pourtant pourfendus. Il s'agit le plus souvent de crédits à court terme et donc de taux courts; mais ils peuvent influencer (par arbitrage) les taux longs. Le taux d'intérêt apparaît donc également comme variable monétaire, comme taux d'intérêt du marché monétaire dirait-on en termes modernes, en fait comme chez Keynes 1. Marx distingue en fait implicitement les taux courts des crédits bancaires des taux longs. Mais implicitement seulement car l'intérêt est pour lui le résultat d'un rapport deforee entre deux types de porteurs de capitaux: le capital industriel (ou commercial) et le capital financier: « ... il n'existe pas de taux d'intérêt naturel» répète-t-il. Marx considérait les capitaux financiers comme des capitaux également «fictifs» dont les rémunérations ne peuvent renvoyer aux forces « réelles» de la valeur travail qui s'arrêtent au taux de profit, à la plus-value devenant pour partie rémunération des capitaux réels engagés. En fait, Marx n'a pas encore théorisé que le capital économique global était financé par des capitaux propres et des dettes sur un marché des capitaux; le capitaliste était encore, comme chez les classiques, capitaliste et entrepreneur: le «capitaine d'industrie ». Il ne pouvait pas ainsi théoriser l'effet de levier de l'endettement en distinguant dans les dettes les capitaux nés de l'épargne et ceux nés de la création monétaire du crédit bancaire: le « capital-argent» qu'il estime « fictif» est double. Ce point de vue sera repris gar Rudolf Hilferding (1910, 1970) dans Le capital financier2. Il adresse ainsi la même critique que Marx à Smith: « Le principe formulé par Adam Smith, selon lequel" là où l'on peut obtenir un grand bénéfice avec l'argent, on paiera ordinairement beaucoup pour pouvoir l'utiliser, et que là où il y a peu à gagner, on en donnera aussi que très peu" (Wealth of Nations, t. I, ch. IX), ce principe est très simple, mais non démontré et d'ailleurs faux ». I Après Wicksell, analysé plus loin. 2 Hilferding constate « que le montant du taux d'intérêt n'est pas déterminé par le taux de profit, mais par la demande plus ou moins forte de capitalargent, demande déterminée à son tour par l'évolution plus ou moins rapide, l'allure, l'intensité et l'allongement des périodes de prospérité. Quand on considère des taux d'intérêt anormalement élevés, on s'aperçoit qu'il faut en chercher la cause dans le système monétaire ».
35
La solution à la question du refus apparemment curieux par Marx de la théorie de Smith est ainsi simple: il tient compte des cycles économiques et de l'intervention des crédits bancaires. Certes, s'il admet que les intérêts versés sont bien une partie du profit et de la plus-value, les effets de la concurrence font varier son prix dans la conjoncture: en période de vaches maigres où les taux de profit s'effondrent, les taux bancaires se tendent par les risques de faillite des entreprises et des banques prêteuses. Autrement dit quand les taux longs baissent, les taux courts bondissent. Marx avait déjà remarqué ce qui deviendra une théorie contemporaine des signes précurseurs des crises financières et des crises réelles. * Marx anticipe néanmoins la critique de la théorie néoclassique du taux d'intérêt, grâce à la théorie de Smith... Pourtant, la réticence de Marx envers le taux d'intérêt variable réelle disparaît dans sa critique géniale de ce qui deviendra l'un des aspects de la théorie du taux d'intérêt des néoclassiques : il s'agit dufétichisme du capital à intérêt. Il concerne la disparition de la marchandise (notée ici M) dans la circulation productive (avec A comme argent) A-M-A' se transformant en relation directe A-A', A' moins A étant la plus-value source du profit. Marx écrit: «... la valeur qui s'engendre elle-même, l'argent qui enfante l'argent: sous cette forme, nulle cicatrice ne trahit plus sa naissance ». Ou encore: « Alors que l'intérêt n'est qu'une partie du profit, c'est-à-dire de la plus-value, que le capitaliste extorque au travailleur, c'est maintenant le contraire que l'on constate: l'intérêt semble être le fruit même du capital, l'élément originel, et le profit, devenu profit d'entreprise, fait figure de chose superfétatoire, s'ajoutant accessoirement au processus de reproduction. Voilà le capital sous sa forme fétiche et le fétichisme du capital dans toute leur perfection... Pour la théorie vulgaire, qui cherche à présenter le capital comme la source autonome de la valeur, cette forme est naturellement une aubaine... ». Cette critique sera reprise par le marxiste russe Nicolas Boukharine (1919, 1966) dans sa critique acerbe et célèbre de L'économie politique du rentier. Cette critique, non pas adressée aux néoclassiques qu'il ignore mais aux « économistes vulgaires» qui sont leurs précurseurs, dont les continuateurs de Say, est fondée quand il critique le fétichisme du capital productif. Mais il le confond avec le capital argent, ce que ne feront pas les néoclassiques.
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12 - Théories néoclassiques et absence du taux de profit effectif: le taux d'intérêt est la seule rentabilité 121 - Les néoclassiques et les deux approches du taux d'intérêt! r déterminé par le « marché des fonds prêtables » * La légende de la « loi» de l'offre et de la demande Tous les processus perçus par les néoclassiques s'effectuent sur des marchés en « concurrence pure et parfaite» où les prix et quantités sont censés s'établir par une « loi» où toute valeur fondamentale intrinsèque aux produits échangés disparaît. Or, il n'y a pas de « loi» de l'offre et de la demande, simplement des « effets» ; voir James Kenneth Galbraith (2000) cité plus haut. Nous ne développerons pas ici cette critique fondamentale2 ; nous n'en indiquerons que quelques éléments. Un «vrai» marché est limité dans le temps et l'espace, comme la bourse: l'exemple de Walras généralisé sans vergogne} à tous les marchés, ou les marchés aux poissons, denrées éminemment périssables. Or se pose la question du temps de la consommation ou de la production quand les néoclassiques évoquent les utilités et productivités marginales décroissantes. En effet, si la satisfaction diminue avec les quantités consommées, première «loi» de Gossen (1854, 1995), la durée du temps du processus n'est jamais définie. Manger 10 kg de bonbons d'un coup est peu agréable, mais pourquoi ne pas acheter ce stock et le consommer pendant un an? L'analyse sur chaque marché est celle dite des équilibres partiels, proposée par Alfred Marshall (1890, 1906) dans ses Principes d'économie politique. Elle suppose qu'il est possible d'étudier un marché en oubliant son interdépendance avec les autres, contrairement à l'équilibre général walrassien. Les prix déterminés par le modèle walrassien sont des prix relatifs, la monnaie ne jouant aucun rôle, sauf celui d'expliquer le niveau général des prix par la théorie quantitative. Les adaptations entre l'offre et la demande sur tous les marchés, en cas de déséquilibre, s'effectuent donc par les prix (relatifs) et/ou les quantités. En cas de surplus d'offre par exemple, les producteurs peuvent choisir de diminuer les quantités offertes: I Pour les néoclassiques il s'agit du taux réel, déflaté. Nous continuerons ici à la noter r par commodité. 2 Voir Castex (2003, tome 1). 3 Car l'une des particularités de la bourse en tant que marché secondaire « de l'occasion» est que les produits ne sont pas socialement reproductibles. 37
c'est l'adaptation par les quantités que Marshall met surtout en avant; ils peuvent également choisir de baisser leurs prix: c'est l'adaptation par les prix que Walras privilégie. Walras semble avoir raison, car à un moment précis donné où s'effectue le marché, où se confrontent l'offre et la demande, les quantités offertes sont fixées. Mais quand la production peut s'adapter à la demande - ce qui n'est pas le cas le jour même du marché
aux poissons -, ce sont les coûts de production, après variation
des quantités produites, qui s'adaptent à la demande I. Marshall, encore probablement sous l'influence de l'analyse classique par l'intermédiaire de John Stuart Mill, reste convaincu que, fondamentalement, ce sont les conditions d'offre (les coûts) qui déterminent les prix sur une période longue - il n'est donc pas très éloigné de la théorie classique du prix naturel et de la gravitation avec « effet» (et non pas « loi») de l'offre et de la demande.
* Le taux d'intérêt: un coût d'un côté, une rentabilité de l'autre, et la légende de l'entrepreneur néoclassique. .. qui n'existe pas ! Toute la théorie financière moderne fondée sur l'approche néoclassique se résume dans une contradiction fondatrice: la rémunération du capital est à la fois une rentabilité et un coût. Une rentabilité pour les apporteurs de capitaux (les épargnants héros de l'abstinence qui acceptent de ne pas consommer aujourd'hui pour consommer plus demain); un coût pour l'entreprise, plus exactement l'entrepreneur dit « producteur » (le çoût des fonds empruntés pour l'investissement). A condition d'admettre la légende enseignée depuis plus d'un siècle par les néoclassiques selon laquelle c'est un « entrepreneur» qui joue les interfaces entre les épargnants et l' «entreprise », la théorie du coût du capital comparé à sa productivité se tient. Si l'on rappelle que l'entrepreneur n'est, dans une «société anonyme », que le mandataire des propriétaires du capital, ses mandants, utilisant les capitaux des prêteurs comme appoint, tout s'écroule: les propriétaires cherchent bien à maximiser la rentabilité de leurs capitaux « propres », pas à minimiser le coût d'un capital emprunté « étranger ». Bref, l'entrepreneur au sens néoclassique, indépendant du capital, n'existe pas: ce sont les actionnaires les patrons.
1 Nous avons tenté de démontrer que la demande explique toujours l'offre, contrairement à la « loi» de Say. C'est encore la question du temps et des stocks; voir Castex (2003). 38
* Une innovation: la productivité du capital et son coût pour l'entrepreneur Pour les néoclassiques, le capital est productif: il produit une « productivité marginale du capital» par l'investissement. C'est un aspect positif, une «rentabilité» pour l'entreprise; mais c'est aussi un coût pour l'entrepreneur car le capital offert ne l'est pas gratuitement. Le profit pur de l'entrepreneur (la différence entre le produit et les coûts du travail et du capital) ne peut être que le résultat d'un monopole passager, d'une rente de situation éphémère dans l'équilibre de court terme détruite par la concurrence dans l'équilibre de longue période: quand les coûts moyens deviennent égaux aux coûts marginaux sous l'effet de la concurrence, le profit pur disparaît. Mais que sont la productivité marginale du capital et son temps d'utilisation? Le capital fixe dure longtemps, il possède peu de flexibilité naturelle. Qu'à cela ne tienne, la solution néoclassique est simple: le capital est loué par morceaux: c'est l'investissement. L'entrepreneur l'utilise, et pour maximiser son profit le rémunère à sa productivité marginale supposée donc décroissante pour une échelle de production donnée: il s'agit des rendements décroissants à l'échelle!. Si r diminue, l'investissement augmente: c'est la «demande de fonds prêtables », celle correspondant à l'investissement désiré que nous noterons ici 1. On laissera de côté la critique des keynésiens néocambridgiens, singulièrement de Mrs. Joan Robinson (autour des années 60), axée sur l'impossibilité de considérer le capital comme une quantité homogène transformable à tout moment, d'un coup de baguette magique, pour s'adapter à la quantité de travail utilisée. La quantité de capital n'est pas de la jelly, marmelade ou confiture; c'est pourtant ainsi qu'elle est présentée par les néoclassiques. * Une autre innovation: la rémunération de l'héroïque épargnant Comment l'offreur d'épargne choisit-il le niveau de son « effort », donc de son « coût» ? On consomme et on épargne à la fois en fonction certes de son revenu mais aussi de ses choix intertemporels, donc aussi en fonction de r. L'épargne ou l'offre de capitaux (l'offre de fonds prêtables disent les néoclassiques), la renonciation à consommer (une sorte de vertu d'abstinence) est croissante avec r (le prix de la renonciation à consommer aujourd'hui). L'épargne S (S comme «saving », l'anglais pour épargne) est bien un flux de biens réels, un flux de non consommation; surtout à ne pas confondre avec un flux I
Si la productivité marginale de l'investissement est croissante (rendements croissants à l'échelle), son égalisation avec le taux d'intérêt induira un maximum de perte. 39
d'offre de monnaie, même si l'épargne prend en général une forme monétaire. Le taux d'intérêt est donc pour l'épargnant une rentabilité expliquée par le coût de l'effort d'abstinence. * Le choix du niveau de l'investissement par l'entrepreneur en fonction du taux d'intérêt L'entrepreneur choisira ainsi le niveau de son investissement selon le taux d'intérêt réel désiré par les épargnants. Selon l'illustration numérique du graphique ci-dessous, il investira par exemple 200 pour r = 10 % mais 450 pour r = 5 %. [--i;P~;;d;;;:-ti~.it~;:gï;;~d~~red-;;~iiaI;;tk;;h~~d~T;~I;;;;;;;~d;;:-i \5%
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122 - Les néoclassiques et leur «marché des fonds prêtables»: fondamentalement le marché primaire (dit « marché du neuf ») des obligations * Le marché des fonds prêtables détermine à la fois le « prix» d'équilibre r et l'égalité des « quantités» I = S L'épargne S étant croissante, l'investissement I décroissant avec r, il existe un r d'équilibre stablel où I = S. On parle en général pour décrire ce phénomène du marché des capitaux. La confusion est possible avec les marchés financiers dont le marché (primaire mais surtout secondaire) des titres longs (actions et obligations) se nomme également marché des capitaux. Or, il s'agit ici du seul marché primaire des titres de I Si l 'f. S, l'équilibre se démontre aisément par la « loi» de l'offre et de la demande.
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créance, en général des obligations. La bourse des marchés actions n'apparaît pas dans ce modèle. Cet équilibre du marché des fonds prêtables induit la maximisation de la masse de profit pur de l'entrepreneur. La démonstration de cette optimisation, de la maximisation de la masse de profit se trouve dans tous les manuels pour débutants. [,Lc
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* Marché des fonds prêtables et amélioration de l'efficacité de l'investissement: r est bien, fondamentalement, une rentabilité Le graphique qui précède résume ce marché des fonds prêtablesl présentant les graphes de I et S ; avec un petit développement. Si, pour tout niveau de I, la productivité marginale du capital s'accroît, le graphe de I se déplace vers le nord (I devenant « plus efficace» : pour tout I, la productivité marginale est plus élevée) et le r d'équilibre est plus élevé. Rien que de très banal, car le taux d'intérêt est bien, quoique lié au désir des épargnants, lié à la productivité du capital. Résumons: une croissance de l'efficacité du capital se traduit par celle de la rentabilité de l'entreprise, mais donc aussi de son « coût» à rémunérer aux épargnants. Pour ces derniers, il s'agit sans aucun doute d'une rentabilité. Ce qui précède serait donc d'une grande banalité, si la théorie financière moderne, à base néoclassique, ne s'entêtait pas à n'y voir quelquefois que le « coût du capital» ; on y reviendra. 1 Avec des fonctions affines. 41
13 - Keynes et le profit né de la valeur travail, mais sans évoquer un taux de profit, Keynes et le taux d'intérêt variable monétaire 131 - La face bien cachée du Keynes radical: la valeur travail et le profit rente de rareté * La valeur travail et le profit né du travail Quelle est la « philosophie sociale» - c'est l'expression qu'il emploie - de Keynes? Ses sources sont multiples et variées 1. Il fut un adepte, bien caché, des idées du mouvement réformisme fabien britannique; et il fut aussi, avec les classiques et Marx, un adepte méconnu et très radical de la valeur travail, mais avec une conception très particulière du profit. Bref, il « mélange» les classiques, Marx et les Fabiens. Keynes raisonne presque tou~ours, dès le début de sa Théorie générale, en unités de salaires, donc en valeur travail, pour mesurer le niveau d'activité d'un pays. C'est vrai qu'il n'explicite pas les raisons de ce choix dans son Introduction ou dans sa présentation du principe de la demande effective où offre et demande globale sont en effet curieusement analysées en unités de salaires et en fonction de la variable emploi. On pense qu'il veut montrer que les offres et demandes globales sont tout simplement liées au niveau de l'emploi; ce qui n'est pas anormal, puisqu'il s'agit avant tout d'une Théorie générale de l'emploi... Keynes écrit noir sur blanc, mais seulement au beau milieu3 de la Théorie générale: (( Au lieu de dire du capital qu'il est productif, il vaut beaucoup mieux en dire qu'il fournit au cours de son existence un rendement supérieur à son coût. Car la seule raison pour laquelle on peut attendre d'un bien capital qu'il procure au cours de son existence des services dont la valeur globale soit supérieure à son prix d'offre initial, c'est qu'il est rare; et il est rare parce que le taux d'intérêt attaché à la monnaie permet à celle-ci de lui faire concurrence. A mesure que le capital devient moins rare, l'excès de son rendement sur son prix d'offre diminue, sans qu'il devienne pour cela moins productif au moins au sens I Voir Castex (2003 et 2007) 2 L'unité de salaire est définie par le rapport entre le revenu national en unités monétaires par an y (y comme yield, rendement ou revenu d'un titre) et le taux de salaire monétaire (par exemple par heure) w (comme wage), l'unité de salaire est donc y/w. Ce n'est rien d'autre que y mesuré en heures de travail par an. Si y = 10 M€/ an et w = 10 €/ h, Y/ w = 1 Mh / an. Aux pp. 221 et suivantes de Keynes (1936, 1979) pour ceux qui auraient un doute: Livre IV, chapitre 16 (Observations diverses sur la nature du capitaU, point Il. 42
physique du mot. Nos préférences vont par conséquent à la doctrine préclassique [sic, P. C.] que c'est le travail qui produit toute chose, avec l'aide de l'art comme on disait autrefois ou de la technique comme on dit maintenant, avec l'aide des ressources naturelles, qui sont libres ou grevées d'une rente selon qu'elles sont abondantes ou rares, avec l'aide enfin des résultats du travail passé incorporé dans les biens capitaux, qui eux aussi rapportent un prix variable selon leur rareté ou leur abondance. Il est préférable de considérer le travail, y compris bien entendu les services personnels de l'entrepreneur et de ses assistants, comme le seul facteur de production ,. la technique, les ressources naturelles, l'équipement et la demande effective constituant le cadre déterminé où ce facteur opère ». Et l'on comprend tout: « ceci explique en partie pourquoi nous avons pu adopter l'unité de salaire comme la seule unité physique qui fût nécessaire dans notre système économique en dehors des unités de monnaie et de temps ».
* Le profit est une rente de rareté, donc un revenu indu Keynes nous annonce tout de go que le profit provient du travail, que le taux d'intérêt est en fait une rente et que seule la rémunération de l'entrepreneur et de ses assistants - disons les cadres - en gros le profit pur des néoclassiques et la partie du taux de profit des actionnaires supérieure au taux d'intérêt sans trop de risque, est celle d'un travail. Cette référence de Keynes à la rente pour mieux déprécier le profit capitaliste trouve sans aucun doute sa source dans le mouvement socialiste fabien anglais. La Fabian Society est créée en 1884, un an après la naissance de Keynes et la mort de Marx; bourgeois éclairés réformistes, ils veulent «allier l'individualisme et la réforme» : c'est déjà tout Keynes et son monde. Bernard Shaw, l'historien Sydney Webb et sa femme, le romancier H. G. Wells du Meilleur des mondes en sont les principaux penseurs. Sydney Webb en est le principal théoricien: il n'aimait pas beaucoup la théorie de la valeur travail et lui préférait celle de l'utilité, mais il utilisa la théorie de la rente de Ricardo pour tenter de montrer que le profit n'est qu'une rente de rareté. Cette conception du profit rente de rareté pose question si, avec Ricardo et Marx, la rente ne peut être définie que par rapport à des ressources naturelles non socialement reproductibles. Mais pour les fabiens, le capital est très hétérogène, par définition: innovations (au sens de I Keynes veut dire pré néoclassique, c'est-à-dire classique. Mais pour lui les classiques étaient surtout ses pères néoclassiques qu'il assimile régulièrement à ce qu'il nomme donc les classiques. 43
Schumpeter) qui consistent à fuir la concurrence et à inventer la rareté, grâce à l'intelligence et à I'habileté des entrepreneurs. Cette habileté et ce talent sont également des ressources rares non reproductibles. * La nouvelle lutte de classes de Keynes: tous ensemble contre les rentiers prêteurs, « à euthanasier » Keynes nous propose une nouvelle sociologie politique en rupture avec les néoclassiques l'entrepreneur peut (techniquement) et doit (justice sociale) être rémunéré. Il l'est toujours selon lui, contrairement aux néoclassiques à l'équilibre, car la concurrence de Keynes est toujours imparfaite, ne serait-ce que pour justement permettre la rémunération de ces courageux entrepreneurs qui passent d'ailleurs leur temps à innover pour maintenir leur profit et celui de leurs mécènes: les actionnaires. L'entrepreneur entre donc en contradiction sociale avec les rentiers, surtout avec les créanciers, un peu moins avec les actionnaires dont il est le mandataire et qui prennent les risques qu'il leur fait prendre, sous le contrôle des Conseils d'administration et des Assemblées générales d'actionnaires. Keynes met donc les entrepreneurs dans le camp des producteurs (comme chez les saint-simoniens) ; les voilà tous unis pour proposer l'euthanasie des rentiers. Keynes ne trouve pas de mots assez durs pour définir leur «pouvoir oppressif»: ce point de vue «... serait parfaitement compatible avec l'individualisme. Mais il n'impliquerait pas moins l'euthanasie du rentier et par suite la disparition progressive du pouvoir oppressif additionnel qu'a le capitaliste d'exploiter la valeur conférée au capital par sa rareté. L'intérêt ne rémunère aujourd'hui aucun sacrifice véritable, pas plus que la rente du sol. Le détenteur du capital peut obtenir un intérêt parce que le capital est rare, de même que le détenteur du sol peut obtenir une rente parce que le sol est rare ». Keynes considère exactement les rentiers du taux d'intérêt comme les classiques considéraient les rentiers fonciers. Il est par contre prudent mais ferme avec les entrepreneurs: il s'agira en fait pour eux «... d'aménager les impôts directs de manière à affecter au service de la communauté, sur la base d'émoluments raisonnables, l'intelligence, le dynamisme et la capacité administrative des financiers, entrepreneurs et tutti quanti (qui certainement aiment assez leurs métiers pour que leur travail puisse être obtenu à bien meilleur marché qu'à présent) ». Et il s'abstient de toute considération politique envers les actionnaires quant à la partie de leur revenu correspondant au risque, bien que ces derniers participent (la plupart du temps comme «sleeping partners »...) à la direction de leur entreprise. Bref, une partie 44
des actionnaires sont aussi « des» entrepreneurs qui délèguent à « un» entrepreneur manager. Ils doivent donc également bénéficier d'un revenu non indu justifié par les « coûts de l 'habileté et de la surveillance, et d'une allocation correspondant aux risques». Même si la plus grande partie d'entre eux s'enrichit également en dormant. Le taux d'intérêt est donc la seule partie du taux de profit qui soit une rente indue. On ne retient pourtant de Keynes que son explication du taux d'intérêt en tant que variable monétaire. C'est plus technique et moins « philosophie sociale ». Avant d'aborder cette théorie, il convient de voir l'influence de r sur l'investissement. 132 - Le taux d'intérêt chez Keynes: il détermine l'investissement, mais pas tout seul, un peu comme chez les néoclassiques
Le choix des investissements ressOli chez Keynes de la comparaison du taux d'intérêt qui n'est pour lui qu'une variable monétaire et de la rentabilité économique anticipée du capital additionnel qu'il nomme l'efficacité marginale anticipée du capital, l'EMAC. Il commence son exposé par une analyse microéconomique; il ne se pose donc jamais la question de l'éventuelle circularité entre ces deux « rentabilités» quand il agrège au niveau macroéconomique. Or cette circularité est évidente, on le montrera plus loin en développant l'intuition d'Adam Smith du taux d'intérêt lié au taux de profit par une prime de risque. Une technique de choix des investissements en gestion financière - au niveau microéconomique donc - fondée sur l'analyse néoclassique, est le calcul de la Valeur Actualisée Nette de l'investissement, la VAN qui s'appelle aussi quasirente actualisée, discounted cash flow ou Net Present Value, la NPV. Cette technique s'applique tant aux investissements physiques qu'aux placements financiers. En langage littéraire, la notion de VAN est très simple: pour savoir si un projet est rentable ou non, il s'agit tout simplement de savoir si l'on gagne ou si l'on perd de l'argent en mettant en œuvre l'investissement ou le placement projeté; mais il faut évidemment actualiser les profits futurs avec un taux d'actualisationI. En fait, c'est non pas le taux d'intérêt r mais la 1 Une unité monétaire gagnée aujourd'hui vaut plus qu'une unité monétaire gagnée dans le futur, car on déprécie le futur et cette unité monétaire peut être placée, capitalisée grâce au taux d'intérêt. 1 € capitalisé à 10 % vaut un an plus tard 1 + 10 % de 1, soit 1,1 . deux ans plus tard 1,1 + 10 % de 1,1, soit 1,12 = 1,21 ; dix ans plus tard 1,lIb = 2,6, etc. Si r est le taux de capitalisation, 45
rentabilité économique désirée (par les « investisseurs» en tant qu'épargnants) considérée comme le coût du capital qu'il faut prendre comme taux d'actualisation; on y reviendra. Pour le moment nous prendrons r, comme Keynes. Grâce à cette technique d'actualisation, la compréhension de la VAN devient un jeu d'enfant. Soit un projet d'investissement de coût initial la rapportant à chaque période t (t variant de t = 0 à t = n) des profits avant charges financières, donc des profits économiques futurs Bet. Les Bet sont des profits bruts, des «cashflows» d'exploitation (flux monétaires avant comptabiIisation des dotations aux amortissements), avant ou après impôts, etc., tout ce qu'on veut, mais surtout avant coût financier de l'éventuel endettement correspondant, car l'on va justement tenir compte du coût financier dans le calcul de rentabilité. En raisonnant ainsi, on applique sans le savoir le « théorème de séparabilité » entre les décisions économiques et les décisions financières. La VAN est donc la somme des profits bruts, des «cash flows» actualisés, moins l'investissement de départ qui représente évidemment en valeur actualisée... la somme des amortissements: V AN
=
t= n L Bet (1 + rtt - 10 t=O
La somme totale des cash flows actualisés avant déduction de la mise initiale est la valeur actualisée (tout court), la VA, qui est une V A brute, avant amortissements. La V AN mesure donc
le profit économique net dégagé : VA
-
10.Si les différents Bet
sont constants à chaque période, soit Be - ce qui est rare, mais permet des développements théoriques intéressants - la formule de la VAN se simplifie 1; elle devient: V AN
= Be / r -
10
Dans ce cas, la VAN est une fonction monotone décroissante qui peut s'annuler une seule fois pour un taux d'actualisation par exemple le taux d'intérêt, I dans un an vaut I + r et dans n années (I + r)". Inversement. I gagné dans 10ans vaut aujourd'hui beaucoup moins que 1 : il vaut 1 / 1,110, 1 /2,6 = 0,39. La solution consiste à actualiser les gains futurs et le tour est joué, ou presque. Si l'on verse 1 dans n années, sa valeur actuelle aujourd'hui peut être calculée par 1 / (I + r)", noté également (I + rr" ; en effet la valeur 1 / (1 + r)" aujourd'hui, capitalisée vaut dans n années le montant: (I + r)" / (1 + r)" = I. CQFD. I Car on peut calculer, avec Be constant, la somme 2: Bet (1 + rtt (somme des termes d'une progression géométrique); elle a peu d'intérêt, mais il est remarquable qu'elle tende vers 1 / r quant t tend vers l'infini. 46
positif: ce qui définit ce que les gestionnaires depuis Irving Fisher nomment le Taux Interne de Rendement, le TIR nommé donc par Keynes l'EMAC. Le TIR et l'EMAC renvoient à un taux de profit marginal anticipé ou rentabilité économique marginale anticipée remA. Quel est le taux d'actualisation inconnu qui annule celle-ci? La réponse est immédiate, avec Be / r
-
10 =
0 :
TIR = remA = Be / 10
Si r < remA, VAN > 0 : on investit; si r > remA, VAN < 0 : on n'investit pas, si r = remA, VAN = 0: il est indifférent d'investir ou pas. Autrement dit, par exemple, emprunter à 8 % pour un investissement qui rapporte 10 % fait gagner de l'argent, emprunter à 12 % en fait perdre I. On retrouvera cette idée toute simple, sous une autre forme, avec l'effet de levier de l'endettement. Après cette analyse de chaque investissement dans une myriade d'investissements possibles, l'entrepreneur les classe, par ordre de TIR décroissant (c'est ce que Keynes nomme la « courbe d'EMAC
»i.
c===_===__
La~~
et I~:rm, outh'-iA.c d~~ey~es___~___~
100 80 VAN = 0 définissallt le TIR ou EMAC
60 40
z
~
20
o -20 -40 -60 0%
10%
5%
Taux d'intérêt
15%
20%
r
I Soit un investissement de 100 rapportant 10, donc 10 % jusqu'à l'infini. Son TIR est évidemment de 10 %; si l' = 10 %, il est indifférent d'investir ou de placer son argent. Pour I' = 8 %, la VAN est de 10/ 0,08- 100= 25 : on gagne une VAN> 0, un profit net de 25. Pour l' = 12 %, la VAN est de 10/0,12100 = 83,3 : on perd une VAN < 0, une perte nette de 16,7. 2 Cette courbe est peu différente de la productivité marginale des néoc1assiques, sauf qu'elle est exprimée en taux et non en production physique réelle. L'avantage de l'analyse de Keynes est qu'il n'y a plus à faire l'hypothèse de la décroissance de la productivité marginale du capital. 47
Et le choix des investissements globaux revient à égaliser le TIR avec le taux d'intérêt, exactement comme chez les néoclassiques. 133 - Le taux d'intérêt chez Keynes: essentiellement monétaire
une variable
En cherchant bien, il existe en effet deux théories du taux d'intérêt chez Keynes: celle des taux longs en fait peu différente de celle des néoclassiques; celle des taux courts déterminés par le marché de la monnaie. C'est cette dernière que l'on retient en général et qui est présentée ci-dessous; mais la première, liée à sa conception du profit rente de rareté sera de nouveau évoquée plus loin. * La critique par Keynes du marché des fonds prêtables néoclassique : la circularité des fonction I et S dépendantes de r Cette critique est double. D'une part, s'il reconnaît que la demande de fonds prêtables (correspondant à l'investissement) est bien décroissante avec le taux d'intérêt, il critique l'offre (l'épargne) comme prix de l'abstinence. D'autre part et surtout, il pense que la fonction d'épargne est liée à celle de l'investissement; l'offre dépendant de la demande, on ne peut plus construire des fonctions d'offre et de demande indépendantes: le marché des fonds prêtables néoclassiques est une illusion. Keynes, pas très sûr de lui pour critiquer un poncif de ses maîtres, oscille en fait entre ces deux critiques. Première critique: le taux d'intérêt ne peut avoir qu'une influence indirecte sur épargne et consommation, et le revenu présente une influence plus marquée; il ne s'agit que d'une simple « différence d'opinion» avec les néoclassiques. Cette première critique est timide; au chapitre 15 de sa Théorie générale (La théorie néoclassique du taux d'intérêt) il la développe sans grande conviction: « Lorsque nous en venons à la propension à consommer et à son corollaire, la propension à épargner, nous sommes plus près d'une différence d'opinion, car les économistes classiques insistent plus que nous sur le rôle joué par le taux d'intérêt dans les variations de la propension à épargner. Mais sans doute ne souhaiteraient-ils pas nier que le montant du revenu a lui aussi une influence sur le montant épargné et de notre côté nous n'entendons pas nier que le taux d'intérêt puisse avoir une certaine influence (peutêtre différente d'ailleurs de celle qu'ils pensent) sur le montant épargné au sein d'un revenu donné ». Keynes fait référence avec beaucoup d'astuce et de mystère à ce qui sera appelé plus 48
tard l'effet Keynes, mais on sent qu'i! n'est pas loin de craquer et de reconnaître l'effet direct du taux d'intérêt sur l'épargne. Seconde critique: celle de la circularité des néoclassiques entre investissement, revenu et épargne. Heureusement, son second argument semble le sauver, c'est pour cela qu'il a souligné « au sein d'un revenu donné»: « Mais en fait la théorie classique, outre qu'elle néglige l'influence des variations du revenul, recèle une erreur positive ». Il vaut mieux ici expliciter Keynes que le lire. L'investissement ayant selon son modèle une influence sur le revenu par le phénomène du multiplicateur (dit) d'investissement2, par des relations de cause à effet dans le circuit économique (et non une interdépendance de marché), la fonction d'épargne devient indéterminée. Il illustre son point de vue par un diagramme. Par exemple, le déplacement vers le nord-est de la fonction d'investissement néoclassique décroissante du taux d'intérêt (réel) r, induit celui de la fonction d'offre d'épargne croissante avec r, car l'investissement a augmenté le revenu, donc pour tout taux d'intérêt, l'épargne sera plus élevée: la fonction d'épargne se déplace vers le sud-est. D'où l'indétermination de r! Si la théorie du multiplicateur (dit) d'investissement est bonne - mais elle ne l'est qu'à prix fixes, rigides ou visqueux -
la théorie néoclassique du marché des fonds prêtables est fausse. On voit que le débat peut encore rester ouvert, la critique de Keynes étant pour le moins partielle. Dernier argument synthétique des keynésiens, non évoqué par Keynes: la contrainte sociale du revenu est largement plus importante que le taux d'intérêt pour expliquer consommation et épargne. Il s'agit encore du revenu, mais perçu comme une contrainte microéconomique de remboursement ou de placement, la contrainte de liquidité ou contrainte financière diront les gestionnaires. * Le risque de taux des obligations Pour comprendre techniquement le raisonnement de Keynes, il faut d'abord comprendre la question du risque de taux qui s'ajoute au risque de défaut, de défaillance de l'emprunteur qui ne peut ou ne veut pas rembourser. Il est apparemment tout à fait irrationnel, absurde (selon les analyses classiques et néoclassiques) de garder un stock
I C'est faux, au moins au niveau microéconomique : la contrainte budgétaire joue le rôle du revenu et intervient évidemment sur consommation et épargne. Il est vrai que cette contrainte est éludée au niveau macroéconomique. 2 Cette mécanique est bien connue; elle ne sera pas rappelée ici. Voir Castex (2003) pour une critique de l'incompréhension par Keynes lui-même de sa véritable mécanique. 49
d'épargne sous forme de monnaie thésaurisée!, car on « perd»il s'agit d'un manque à gagner ou coût d'opportunité -le revenu dû au taux d'intérêt. C'est faux selon Keynes: on perd bien sûr le taux d'intérêt, mais on risque de perdre beaucoup plus si l'on place son argent de façon risquée. On affirme souvent que le taux d'intérêt que prend en compte Keynes est le taux court du marché monétaire alors que l'analyse néoclassique utilise le taux d'intérêt long des obligations sur leur marché des fonds prêtables ; il nous semble que la référence est bien pour Keynes le taux long qui induit le risque de taux. Sans cette référence, il est impossible de mettre en avant un risque de taux. En effet, si l'on place sa monnaie en actifs liquides non risqués - ou très peu risqués - mais peu rémunérés, la question ne se pose pas ou très peu car les variations des taux d'intérêt auront peu d'influence sur la valeur de ces actifs liquides. On va le montrer. Explicitons et formalisons donc auparavant la question du risque de taux et des gains ou pertes en capital. On part de la situation actuelle où le taux d'intérêt est r, connu; on anticipe pour l'avenir - qui peut être le lendemain - un taux anticipé ra. Si l'on achète aujourd'hui une obligation de 100 rapportant 5 %, soit 5 par an, le risque de taux est le suivant: la valeur de marché de l'obligation (à taux fixe) va augmenter ou baisser selon que le nouveau taux d'intérêt futur anticipé sera inférieur ou supérieur à celui de la date de souscription. Autrement dit, même une obligation à taux fixe est risquée, le risque de défaillance de l'emprunteur mis à part. Pourquoi? Supposons que le nouveau taux soit de 10 %. Qui achèterait 100 une obligation qui rapporte un intérêt de 5 alors qu'avec la même somme on obtient maintenant 10 ! On comprend que la valeur de marché va tendre dans ce cas vers 50 : acheter 50 une obligation de valeur faciale 100 rapporte en effet 10 %. C'est un peu plus compliqué si l'échéance de l'obligation n'est pas très lointaine. Soit une obligation achetée aujourd'hui de valeur faciale OF à taux fixe r, le coupon, ce que l'on touche annuellement, est rOF; pour un taux d'intérêt ra sa valeur de marché OMserait la somme de ces coupons actualisés jusqu'à la date de remboursement plus la valeur faciale remboursable dans n années, également actualisée: t=n t n OM = rOF L (1 + rar + OF (1 + rar t= 0 I Ou placée à un taux d'intérêt faible mais sans risque (à la Caisse d'épargne par exemple). Dans la théorie monétaire moderne, les « agrégats monétaires» incluent, outre la monnaie au sens strict de moyen de paiement, les « actifs liquides », c'est-à-dire les placements « pas ou peu risqués ». 50
On montre encore très facilement que quand n tend vers l'infini, OMtend vers rOF / ra. Dans notre illustration, en fait en cas de rente perpétuelle, notre spéculateur, peu avisé, a donc subi une perte en capital de 50. Si l'échéance n'est pas infinie, la valeur OM est supérieure à 50; elle tend vers 100 si l'échéance tend vers zéro. Autrement dit, les emprunts courts sont peu soumis au risque de taux. Supposons au contraire que le taux d'intérêt à la date de souscription était de 20 %. Qui vendrait 100 une obligation qui rapporte un intérêt de 20 alors qu'avec la même somme on obtient maintenant 10 ! On comprend que la valeur de marché va tendre dans ce cas vers 200 : acheter 200 une obligation de valeur faciale 100 rapporte en effet 10 %. Le spéculateur, ici très avisé, a obtenu un gain en capital de 100. On retrouve donc la dure loi financière suivante: quand le taux d'intérêt augmente, la valeur en bourse des obligations à taux fixe baisse; et vice versa. En cas de taux d'intérêt actuel « jugé» faible, il est risqué d'acheter des obligations car les risques de remontée des taux sont plus grands que les risques de baisse, d'où des pertes probables en capital, et vice versa. * Retour sur l' « effet Keynes» Keynes reconnaît un effet indirect du taux d'intérêt sur la consommation et donc sur S. Cette conception permet de proposer une interprétation toute keynésienne de l'absence de rationalité des agents économiques. Selon son auteur la baisse (versus hausse) du taux d'intérêt fait augmenter (versus baisser) la valeur de marché des obligations à taux fixe; cette revalorisation (versus dévalorisation) du patrimoine induit une plus grande consommation et corrélativement une plus faible épargne (versus plus faible consommation et épargne plus élevée). On retrouve les conclusions néoclassiques, cependant au second degré, non plus par l'effet de substitution, mais en passant par la notion de richesse: la hausse du taux d'intérêt fait baisser la consommation et donc augmenter l'épargne. Keynes en déduit qu'en s'appauvrissant ou en s'enrichissant actuellement, le propriétaire d'obligation consommera moins ou plus et épargnera plus ou moins. Cependant, le revenu annuel restera le même, ce qui ne devrait modifier ni la consommation 1 On se demandera plus loin si ce n'est pas en fait le raisonnement inverse qui est pertinent: c'est parce que la valeur en bourse des obligations varie que les taux longs fluctuent. Et cette fluctuation n'est peut-être que la conséquence de celle des taux de profit, comme chez Smith, mais en prenant en compte la « double spéculation» sur les marchés actions et obligations que Keynes se refuse à considérer. Mais dans le raisonnement de Keynes, c'est sans aucun doute le taux d'intérêt la variable explicative et la valeur des obligations la variable dépendante. 51
ni S. L'obligataire est illusionné par sa richesse présentel. Tout comme une augmentation de salaire nominale est considérée comme une augmentation réelle dans l'illusion monétaire courante selon Friedman renvoyant aux salaires, alors que si l'inflation est de même niveau, il n'y a pas de variation du salaire réel, de son pouvoir d'achat.
* Le marché de la monnaie détermine selon Keynes le taux d'intérêt Vu du côté de la « demande de monnaie pour motif de spéculation» (une thésaurisation donc), r ne peut représenter que les taux longs. Vu du côté de l'offre de monnaie par le crédit bancaire des banques, c'est plus ambigu: les banques prêtent à long et à court terme. Cependant l'intervention des Ban9ues centrales ne peut être qu'une intervention, par ses taux directeurs et autres instruments, volontariste sur les taux courts pouvant néanmoins influencer, par l'arbitrage, les taux longs. De ce qui précède, on en conclut que pour un spéculateur « moyen» au niveau microéconomique, les placements sont croissants avec le taux d'intérêt actuel et ce que Keynes nomme la demande de monnaie pour motif de spéculation, notée L2, le phénomène inverse, est décroissante avec le taux d'intérêt. Keynes généralise au niveau macroéconomique: la demande globale macroéconomique de monnaie pour motif de spéculation L2 serait donc décroissante avec le taux d'intérêt r. Une fois définie L2, il suffit d'y rajouter la demande de monnaie pour motif de transaction (et de précaution) dite LJ (croissante avec le revenu national y mais exogène] de r). On définit ainsi la demande de monnaie totale (bref le stock de monnaie thésaurisée): L = LI + L2. L'offre de stock de monnaie du crédit bancaire M doit s'égaliser à L pour assurer l'égalité de l'offre et de la demande: c'est le marché de stock de monnaie au sens de Keynes, dit marché de la monnaie. On insiste sur l'aspect stock, car une interprétation erronée pourrait considérer ce marché de la monnaie comme un marché de flux I
Cette question renvoie à la notion de « revenu permanent» de Milton Friedman: la baisse de r augmente certes la « richesse» (les revenus anticipés actualisés par le coupon des obligations restant constants) mais pas le revenu permanent qui est l'intérêt de cette richesse et qui reste inchangé, rayant baissé. En effet, pour un coupon donné des obligations (voir plus haut) rOF, la richesse est rOF/ r et le revenu permanent, l'intérêt de cette richesse, rOF = le coupon! Selon Friedman, l'effet Keynes ne peut apparaître; dans ses hypothèses, il a raison. Sur cette question et une analyse approfondie de l'effet Keynes, voir Castex (2003). 2 Sauf l'exception d'une proposition de Keynes, restée lettre morte ou presque; on y reviendra. On peut penser que LI varie en fait également avec r : c'est le point de vue de Baumol et Tobin que nous ne présenterons pas ici. 52
(flux de crédits bancaires nouveaux, flux de demande de monnaie nouvelle, par exemple pour l'investir). Cette remarque qui peut paraître anodine, retrouvera sa saveur un peu plus loin. Insistons donc. Si le stock M croît (spontanément ou, le plus souvent comme conséquence d'une politique monétaire expansionniste), r décroît: c'est le fondement de la politique monétaire keynésienne pour relancer l'investissement et, par le multiplicateur, le niveau d'activité y et celui de l'emploi correspondant. On peut ainsi lutter contre la crise et le chômage. Le graphique qui suit illustre le phénomène, avec une illustration numérique et des fonctions affines. .
Le;;;;~héd;:-ï;; \.
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monnaie M = L en fonction de r et-la ,,~litique-';'onétai;~~-i quand
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I I I I
15%
10%
... '" ." :t:: .. .." F' s'X,
1\1 0%, 200
100 Offre
de monnaieM
300
400
avec ÂlVI, demande
500
600
de mORonic
L
700
= L, + L,
Par ailleurs, pour un stock M donné, une croissance (par exemple) de y fait croître LI, donc Lz doit décroître (pour respecter l'équilibre du marché de stocks L = M) par un jeu de vases communicants entre les deux thésaurisations: Lz étant décroissante de r, r doit croître. C'est le fondement de la fonction LM (stock de demande de monnaie, c'est-à-dire thésaurisation L = offre de stock de monnaie M) avec r lié à Y comme fonction croissante et l'un des fondements du modèle IS LM, le pont aux ânes des apprentis économistes. Tout serait parfait si le fondement de la fonction LM n'était une légende, entraînant avec elle celle du modèle IS LM... Mais on y reviendra. 53
Il ne faut surtout pas confondre la mécanique du graphique qui suit (il s'agit donc de la construction de la fonction LM pour M donnée, avec une variation de y), avec celle du graphique précédent (celle de la conséquence d'une croissance de M pour un y donné). Les deux trouvent néanmoins leurs bases dans l'égalisation de la somme des deux fonctions de demande de monnaie ou thésaurisation avec l'offre de monnaie: dans les deux cas il s'agit toujours du marché de la monnaie.
Le marché
de la monnaie
i\1
;
L en fonction
de r et la construction
de la fonction
LM :
quand y augmente, r augmente
, ~,
~
15%
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.Ii 1:;
L+HI induit par un â.y
:e
00 ~
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... " 5% M donné
I I
'"
0%
--------,
100
200
300
400
500
600
Offre de monnaie M, demande de monnaie L; LI + L!
54
700
Chapitre II Taux de rentabilité ou de profit au pluriel, dont le taux d'intérêt: critique des théories financières
On présentera ici nos critiques fondamentales des théories de la « corporatefinance»: lafinance d'entreprises sous forme de sociétés de capitaux. Il s'agit de la théorie financière moderne de l'entreprise financée par capitaux (capitaux propres et dettes) émis sur des marchés de capitaux et financiers. Elle est surtout d'essence néoc1assique, avec l'entrepreneur au sens néoclassique... qui est donc une fable. Ces critiques s'adresseront également à celle des keynésiens avec leur fable de la fonction macroéconomique de demande de monnaie pour motif de spéculation décroissante du taux d'intérêt et du marché de la monnaie qui en découle. Les taux de profit, ou de rentabilité pour éviter le « gros mot» des classiques et de Marx, sont pluriels, de même que les taux d'intérêt: rentabilité dite économique de tous les capitaux engagés, rentabilité dite financière des seuls capitaux propres, taux d'intérêts des prêteurs, à long ou à court terme. Sans parler des rentabilités effectives réelles et désirées. On développera ce chapitre en trois temps. Premier temps, on reprendra d'abord l'analyse néoc1assique, à deux niveaux, l'entrepreneur néoc1assique étant, répétons-le, une légende (certes très tenace), car il n'est dans la réalité que le mandataire, l'agent des propriétaires des capitaux propres, des actionnaires dans les sociétés anonymes. En premier lieu, une analyse simple indique que la maximisation de la masse de profit pur ne correspond pas, sauf heureux hasard, à la maximisation de la rentabilité économique effective ou à la rentabilité financière des actionnaires en absence d'endettement; quand on ne veut plus cacher que le taux de 55
profit existe bel et bien et qu'il intéresse, évidemment, les actionnaires. Cette critique s'adresse également à Keynes et aux keynésiens. En second lieu, le taux de profit qui avait donc disparu avec les fondateurs est bien obligé de réapparaître dans la théorie de la corporate finance. Mais on passe alors de la réalité du profit au désir; il ne s'agit plus d'éclairer la production du profit effectif et de sa rentabilité en tant que coût pour les entreprises mais de projeter les phares sur sa répartition entre les prêteurs frileux et les actionnaires preneurs de risque. Le taux de rentabilité désiré par les actionnaires se déduit de celui désiré par les prêteurs sans risque (ou sans trop de risquel), le taux d'intérêt r, toujours déterminé par le marché des fonds prêtables (le marché primaire des obligations fondamentalement). Et la relation de Smith est inversée: rentabilité « désirée» des actionnaires = r plus une prime de risque. L'inversion mathématique importe peu, elle est de la plus haute importance sur le fond: on passe de la réalité au désir, de rentabilité « effectivement réalisée» -7 r chez Smith à r -7 rentabilité « désirée ». Le deuxième temps sera celui de la critique du taux d'intérêt en tant que variable monétaire de Keynes et des keynésiens. La fonction de demande de monnaie pour motif de spéculation décroissante de r est une erreur fondamentale de Keynes, car il généralise au niveau macroéconomique ce qui est possible à l'échelle microéconomique, et encore. Le marché de la monnaie au sens de Keynes est une fable, et avec lui la fonction LM (demande de monnaie, offre de monnaie) qui fonde le modèle IS LM (IS fondant la relation entre l'investissement I et l'épargne S). Cette fable ne perdure, depuis 1937, que grâce au génie de son promoteur Richard Hicks qui, fondant le modèle dit de La Synthèse de l'analyse néoclassique et de l'analyse keynésienne, a de fait rapproché le marché de la monnaie de Keynes du marché des fonds prêtables néoclassique. Pourquoi une fable? Indiquons-le immédiatement: car la demande de monnaie pour motif de spéculation L2, probablement décroissante avec le taux d'intérêt au niveau microéconomique, ne peut varier d'un iota avec lui au niveau macroéconomique. En effet, la spéculation sur le marché des obligations suppose toujours une contrepartie dans les transactions: un demandeur de L2 voulant retrouver la liquidité trouvera un « contrariant» pensant le contraire qui lui offrira du L2 en achetant ses obligations. Face à cette légende, nous avons proposé notre modèle statique IS ER (ER mettant en relation l'emploi E I Le taux d'intérêt sans aucun risque (ou presque...) est celui des titres courts émis par le Trésor (Bons du trésor). Les taux longs sont plus risqués: ils inc\uent déjà donc une prime de risque. On supposera ici que r est sans (trop) de risque, du moins que les obligations sont moins risquées que les actions. 56
mesurant en valeur travaille revenu national et R correspondant à la rentabilité) se substituant à IS LM. Le troisième temps est celui de l'opposition entre les deux types de capitaux: les capitaux propres et les dettes. L'effet de levier de l'endettement, donc la structure de financement (rapport relatif des dettes et capitaux propres), expliquent le taux de rentabilité financière par la rentabilité économique et le taux d'intérêt des capitaux économiques. Et un nouveau renversement saisissant apparaît: le taux de profit des actionnaires, leur rentabilité financière, se transforme de nouveau pour l'entrepreneur, comme le taux d'intérêt, en « coût du capital ». Et l'on parle d'un «Coût moyen pondéré du capital» (CMPC). D'où un «débat mémorable» (pour les connaisseurs) entre ceux qui pensent qu'il existe une « structure optimale de financement» minimisant le CMPC et ceux qui pensent le contraire: Modigliani et Miller, avec leur «théorème ». Avec l'absurdité d'une minimisation d'un coût alors que les actionnaires demandent évidemment à leur agent entrepreneur de maximiser leur rentabilité financière!
57
21 - Critique de la théorie néoclassique Corporate finance
et de la
211 - Le taux de profit économique moyen que les néoclassiques fondateurs ont tenté de cacher n'est pas maximisé selon les techniques orthodoxes de choix des investissements; il en est de même pour les keynésiens * La question de la maximisation du taux de profit et non pas de celle de la masse de profit pur de l'entrepreneur-fable La question de la maximisation de la masse ou du taux de profit concerne la finance d'entreprise dont le paradigme est la maximisation de la masse de profit induisant celle de la richesse des actionnaires et apporteurs de capitaux, c'est-à-dire de la valeur de marché de l'entreprise. Plus précisément, en terme de gestion financière, au niveau microéconomique des entreprises, la théorie néoclassique affirme qu'une seule méthode est correcte pour évaluer la rentabilité d'un investissement: celle de la Valeur actualisée nette, la VAN déjà rencontrée, des flux de «cash» de cet investissement. Dans ce cadre, l'objectif de gestion des managers, des entrepreneurs non pas indépendants des apporteurs de capitaux mais leurs simples serviteurs, revient, pour assurer la maximisation de la richesse des actionnaires, à maximiser chaque année la masse de profit total, mais n'assure pas, sauf à l'équilibre de long terme néoclassique, la maximisation du taux de profit, la rentabilité économique moyenne (anticipée) que nous noterons reM. Résumons en quelques mots 1. Avec la technique micro économique de choix des investissements, néoclassique ou keynésienne, cet optimum ne peut être directement assuré que par hasard, bref jamais. Le choix des investissements par le TIR ou encore par la « productivité marginale en taux» au sens de Marshalf, que nous noterons ici le taux de rentabilité économique mar:Pinale anticipée remA, égalisée au taux de rentabilité désiré, noté reD4, par les investisseurs, maximise 1 Cette proposition, très hétérodoxe, est largement développée dans Castex FDD3) ; nous la résumons rapidement ici. Marshall évoque en effet cette notion, différente de la productivité marginale physique, réelle. Keynes la reprendra en utilisant le TIR de Fisher. On suppose ici qu'il n'existe que des actionnaires apporteurs de capitaux et non pas des actionnaires et des prêteurs. Mais l'entrepreneur continue à considérer la reD de ces actionnaires comme le taux d'intérêt r pour maximiser la masse de son profit pur (voir plus haut). La question de la structure de financement avec capitaux propres et dettes est traitée plus loin, avec l'effet de levier de l'endettement. 4 Il s'agit en fait, répétons-le, non pas de r mais du taux de rentabilité désiré où est ajoutée à r la prime de risque économique. 58
bien la masse de profit mais pas le taux reM. Le choix du niveau de l'investissement nouveau pour maximiser reM correspond à l'égalisation: remA = reM = reMMAx,quel que soit r : l'optimum recherché par les actionnaires semble ne pas dépendre de r ; il ne dépend que de remA ! C'est une technique pour le moins hétérodoxe. Si les actionnaires se fondent, comme des créanciers, sur l'optimum de la maximisation du profit pur de leur entrepreneur, avec reAm = reD, le choix est sous-optimal, sauf hasard donc, pour la rentabilité économique. Cette approche ne critique que l'équilibre de court terme des néoclassiques, tant que la concurrence n'a pas fait disparaître les profits purs des entrepreneurs. Pour l'équilibre dit de long terme, les deux méthodes de choix des investissements convergent, le coût marginal du capital s'égalisant à son coût moyen, ou son efficacité marginale à la rentabilité moyenne. La recherche directe théoriquement possible de l'équilibre de long terme ne peut cependant s'effectuer pratiquement. Le déséquilibre est la règle microéconomique : les quasi-rentes de Marshall ne disparaissent jamais; aussitôt disparues ici, elles reparaissent là-bas par la recherche de l'innovation. Selon Keynes, l'entrepreneur se contente également de maximiser sa masse de profit pur, le capital restant un facteur de production I à rémunérer. Mais, contrairement aux néoclassiques, aucune force de la concurrence n'est mentionnée ramenant l'efficacité marginale du capital à la rentabilité moyenne; le profit pur n'a aucune raison d'être nul dans un éventuel équilibre de long terme. C'est d'ailleurs ce que nous montre - très confusément - Keynes dans la Théorie générale où le fondement de l'équilibre de la demande effective est toujours le profit pur de l'entrepreneur à maximiser - ou à rendre «juste suffisant» -, rien n'indiquant sa disparition par la concurrence. Toutefois, le taux d'intérêt r ou la reD, sortis par la grande porte en tant que coûts, rentrent de nouveau par la fenêtre en tant que rentabilités. En effet, les investisseurs compareront toujours leur reMMAxobtenue selon la technique hétérodoxe à r ou reD du marché: si ces derniers (compte tenu des primes de risque) sont supérieurs à reMMAx,ils iront voir ailleurs. Enfin, ce choix théorique hétérodoxe sera modifié par l'intervention de l'effet de levier; on y reviendra après avoir présenté cet effet et la question de la « structure optimale de financement» avec la discussion autour du «théorème de Modigliani et Miller ». Tous les raisonnements qui suivent se contentent de montrer que la rentabilité économique n'est pas «socialement» optimale pour l'ensemble des capitaux engagés si l'on utilise la méthode orthodoxe de choix des investissements. 1 Sauf quand Keynes se fait brusquement au milieu de la Théorie générale un adepte de la valeur travail.. . 59
* Première approche simplifiée: « littéraire» et par graphiques On se placera, à l'inverse des néoclassiques et de Keynes, en ne considérant qu'un seul type de titres: non pas des obligations rapportant un taux d'intérêt géré par l'entrepreneur légendaire indépendant, mais des actions correspondant aux capitaux investis. Dans ce cas, le capital économique K est donc en totalité financé par des capitaux propres. Il s'agit ainsi pour le manager serviteur des propriétaires de choisir un niveau d'investissement désiré Id s'ajoutant au stock de capital ancien K, pour maximiser le taux de profit moyen anticipé reM après l'investissement. On va supposer, comme les néoclassiques, la décroissance d'une fonction continue de productivité marginale du capital, en raisonnant, comme Marshall, en taux (ce qu'il nomme « le taux d'intérêt net des investissements de capital nouveau»). Au sens de Fisher ou de Keynes, c'est la « courbe d'EMAC » : on classe les investissements par TIR, donc par remA décroissante en fonction de Id. Supposons une entreprise dont le capital économique actuel est Ko (supposé inusable) qui rapporte un profit annuel actuel no constant jusqu'à l'infini, soit une rentabilité économique actuelle reo = IIo / Ko. Après l'investissement à choisir Id également inusable (s'ajoutant au capital de la situation présente Ku) qui induit un supplément de profit anticipé n au profit de la situation présente IIo, le taux de profit moyen à maximiser est reM = (IIo + II) / (Ku + Id). II est, selon nos hypothèses, une fonction croissante à taux décroissant. On ajoute Id sans modifier l'emploi du facteur travail et le taux de salaire: dans ce cas, et seulement dans ce cas, le produit ajouté en valeur au produit initial est le supplément de profit anticipé II au sens où nous l'avons défini; on supposera également que ce II est constant chaque année jusqu'à l'infini. La productivité marginale en taux], c'est-à-dire pour une variation (supposée ici infinitésimale) dh s'exprime par la dérivée II'Id = dII / dId, rapport de deux valeurs qui peut s'exprimer en taux: c'est remA. On constate sur le graphique suivant que reM atteint un maximum quand il est égal à remA. L'approche « littéraire» de la démonstration est la suivante. Pour un investissement supplémentaire Id faible, sa productivité marginale est très élevée: la rentabilité moyenne est donc dopée. Plus Id augmente, plus la rentabilité moyenne augmente, dans un premier temps, mais à taux décroissant. Car, d'une part la rentabilité marginale diminue, d'autre part, la masse de I
On prendra pour illustrer notre propos une fonction remA affine
décroissante.
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capital à rémunérer augmente. Quand reM croissante est égale à remA (intersection des deux courbes sur le graphique), la rentabilité moyenne commence à décroître, car la rentabilité marginale devient inférieure à reM qui est bien reMMax,et la masse de capitaux continue d'augmenter.
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Si les apporteurs de capitaux propres, comme de simples créanciers, avaient demandé à leur entrepreneur de maximiser son profit pur par l'égalité reD = remA, ils lui auraient permis d'engranger des profits purs maximums, mais n'auraient jamais maximisé - sauf par hasard - leur satisfaction: quand reD =
remA = reMMax.
Si reD est trop élevée, l'investissement est trop faible et reM < reMMax ; si reD est trop basse, l'investissement est trop élevé et l'on retrouve encore reM < reMMax.
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désiré
* Seconde approche: la formalisation du choix rationnel des actionnaires La rentabilité économique anticipée moyenne reM à maximiser est donc reM = (TIo+ TI) / (Ko + Id). Pour maximiser reM, dans la mesure où la productivité marginale du capital est supposée décroissante, la dérivée de reM par rapport au capital, en fait par rapport à Id, doit être nulle, en négligeant le dénominateur de cette dérivée: reM' Id= 0, donc1 : dTI / dId = (TIo + i1TI) / (Ka + Id) = remA = reM = reM Max
Au maximum de rentabilité économique moyenne anticipée, celle-ci est égale à la rentabilité marginale anticipée. Dans ce cas on remarque facilement que le profit pur ou surprofit s:n:est nul2 pour reMMax. * Conclusion: des certitudes théoriques, une incertitude pratique L'intérêt de ces analyses, lorsque l'on veut maximiser le taux de profit selon nos hypothèses, consiste à montrer que l'équilibre microéconomique d'une firme peut être obtenu théoriquement directement dans la courte période, et sans aucune intervention de r : quand on réussit à maximiser le taux de profit moyen, le profit pur néoclassique est bien nul. Cependant, cette démarche ne peut être que toute théorique. Il faudrait deux conditions pour qu'elle soit opératoire dans la réalité: d'abord que chaque investisseur connaisse parfaitement la rentabilité marginale anticipée de ses investissements nouveaux, ce qui n'est pas évident compte tenu de l'incertitude radicale du futur, au sens de Keynes, c'est-à-dire non probabilisable ; ensuite que chaque investisseur connaisse parfaitement ce qui se passe dans les autres firmes! On rajoutera plus loin notre « principe d'incertitude généralisé» tenant à la circularité entre taux de rentabilité et taux d'intérêt. En effet, si la rentabilité moyenne maximale obtenue après l'investissement nouveau Id est inférieure à des investissements alternatifs dans d'autres firmes, les capitaux iront s'investir dans ces firmes. On retrouve la contrainte de l'information parfaite; le seul moyen pratique qui permettrait d'approcher cette connaissance et de réguler les investissements et leur rentabilité par la concurrence: ce sont les marchés financiers, mais alors « très efficients ». I (Ko + Id) dn / dId (no + n) = 0 ; soit dn / dId = (no + n ) / (Ko + Id), 2 En effet, sn est le- profit total (au sens classique) moins la rémunération des capitaux: sn = no +!ln - reM (Ko + Id). Avec reM = (no +!ln) / (Ko + Id), on obtient: sn = no + !ln - [(no + !ln) / (Ko+ Id)] (Ko + Id), donc sn = O. 62
Les investisseurs ont donc peu de chance de « taper dans le mille ». Enfin, il faudra tenir compte de la réalité sociale: les propriétaires - les actionnaires par exemple - peuvent vouloir endetter l'entreprise pour jouer sur l'effet de levier et tenter de maximiser leur rentabilité financière d'actionnaire. On peut
démontrer
-
c'est encore le « théorème de séparabilité» des
décisions économiques et financières - qu'ils devront: d'abord maximiser le taux de rentabilité économique; ensuite choisir une structure d'endettement en jouant sur la rentabilité et le risque, utilisant l'effet de levier. Mais on ne peut empêcher les apporteurs de capitaux de prendre leurs désirs pour la réalité. 212 - Le taux de profit de la Corporatefinance de rentabilité désiré»
: le «taux
Les théories présentées ci-dessous, d'essence néoclassique, sont celles de la théorie financière récente, dite « moderne », née fondamentalement aux Etats-Unis I. Ces innovations fondamentales de la théorie financière ne nous apprennent rien de nouveau sur l'origine du profit. La théorie financière n'est pas une théorie de la production du profit - qui n'intéresse personne chez les financiers, sauf quelques théoriciens économistes - mais de sa répartition. Cette méthode a deux origines, l'une, empirique et déjà ancienne, l'autre théorique, née des paradigmes de la théorie économique néoclassique. Trois corpus théoriques relativement autonomes recouvrent en effet la question de la théorie financière. Les deux premiers se prétendent sciences de gestion (la finance d'entreprise et la finance de marché), le troisième science économique (la théorie financière micro- et macroéconomique). Il est commun d'opposer lafinance d'entreprise, la corporatefinance2, théorie qui est censée fonder les décisions de la gestion financière au niveau de l'entreprise, et la finance de marché, plus globale et plus tournée vers les comportements des marchés financiers et de ses acteurs. I Il faut absolument lire à ce sujet le livre de Peter L. Bernstein (1992, 1995) : Des idées capitales. Les origines improbables du Wall Street moderne. Bernstein est par ailleurs l'auteur de nombreux livres concernant l'histoire de la finance, dont le récent (1998) Plus fort que les dieux. La remarquable histoire du risque, fait en conclusion référence à la théorie mathématique du chaos et de son « effet papillon» en renvoyant à son application en finance. On pourra lire également avec intérêt un livre français plus récent, de L. Belze et P. Spieser (2005), Histoire de la finance. Le temps. le calcul, les Promesses, histoire qui remonte à l'antiquité. 2 On peut lire, en matière de corporate finance le classique anglo-saxon de Richard A. Brealey et Stewart C. Myers (2000).
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* La rentabilité et les rentabilités sont censées être liées aux risques, en sciences économiques comme en sciences de gestion La base de toute l'analyse est la dialectique du rendement et du risque. La notion de risque en finance paraît aujourd'hui banale. Richard Cantillon (1755, 1997) fut probablement le premier économiste à percevoir le profit incertain, donc risqué, de l'entrepreneur. Etner (2000) nous le cite: « tous les habitants d'un Etat sont dépendants; ... ils peuvent se diviser en deux classes, savoir en entrepreneurs 4 gages incertains, et '"
tous les autres, à gages certains ... ». A ce risque s'ajoute l'activité de « coordination», ce qui deviendra le « travail -
avec son éventuel salaire - de surveillance ». Galiani (1751, 1955) considère que le taux d'intérêt peut s'expliquer par le risque, dont celui de non-paiement. C'est grâce au calcul des probabilités que la notion de risque est devenue « scientifique », grâce à Pascal et Fermat au xvœ siècle. Cette curiosité de grands penseurs désintéressés fut au départ réservée aux mondanités des jeux de hasard mais rapidement appliquée aux calculs des rentes viagères, aux assurances et au commerce maritime international, très risqués. Tout part d'un jeu et d'un paradoxe « bien connu» : le « paradoxe de Saint Petersbourg» soulevé par le mathématicien Nicolas Bernouilli selon lequel la somme misée pour ce jeu de hasard devrait être infinie. Daniel Bernouilli, cousin de Nicolas, résolut le problème à partir de I'hypothèse de l'utilité décroissante de la monnaie avec le patrimoine possédé: 100 gagnés n'ont pas la même valeur - la même utilité - selon qu'ils s'ajoutent à rien du tout ou presque pour un smicard ou à une fortune pour un milliardaire. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que le calcul des probabilités reprenne de la vigueur, grâce à la physique probabiliste, dont le principe d'incertitude d'Heisenberg, et à quelques économistes originaux comme Keynes avec son Treatise on Probability de 1921 et Knightl la même année. Le risque renvoie intuitivement à la variation, le plus souvent perçue à la baisse, d'une variable quelconque (risque d'un titre financier, risque d'exploitation, etc.). Plus précisément le risque traduit la possibilité de fluctuation, donc autant à la hausse qu'à la baisse, de cette variable. Plus l'amplitude probable des fluctuations est forte, plus Ie risque est élevé; on parle alors de volatilité. En avenir probabilisable, il existe des outils statistiques de mesure précise du risqué. I Frank Knight distingue en même temps que Keynes l'incertitude radicale non probabiIisable et le risque probabilisable, dans (en français) Risque, incertitude et profit, de 1921. 2 « Variance» et « écart type », bref les écarts à la moyenne. 64
En finance de marché, tout tourne évidemment autour des seuls indicateurs qui intéressent les apporteurs de capitaux: les taux de rentabilité et de rendement, compte tenu des plus- ou moins-values en capital et du risque. La théorie financière micro- et macroéconomique aborde la théorie financière sous un angle encore différent. Au niveau macroéconomique, Kenneth Arrow (1953) est l'un des pères de cette théorie néoclassique, avec Gérard DebreuJ (1959, 1964,1984) qui généralise l'équilibre général de Walras dans le temps avec marchés financiers. Cette théorie financière reste donc marquée par les paradigmes néoclassiques de base, même si ses principaux apports proviennent de mathématiciens « neutres» ou d'économistes keynésiens (Modigliani par exemple, l' « inventeur» de la notion de Coût Moyen Pondéré du Capital, le CMPC ou WACC: Weightened Average Capital Cost). Les adeptes de la valeur travail, classiques ou marxistes, pourraient la nommer la théorie financière du rentier, comme le communiste russe Nicolas Boukharine se moquait de l'économie néoclassique autrichienne dans la critique de L'économie politique du rentier. * La diversification des risques, contre la concentration, et le taux de rentabilité désiré des actionnaires La gestion du risque d'un portefeuille de titres consiste à « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier» et valut le prix Nobel à plusieurs chercheurs2. On peut montrer qu'un portefeuille diversifié a l'avantage, pour un niveau de risque donné, d'une rentabilité espérée supérieure, ou pour un niveau de rentabilité donné, de réduire le risque. Dans la théorie des portefeuilles concernant les actions dont le père est Harry Markowitz (1959), développée par William Sharpe (1963), il faut diversifier son portefeuille de titres: la diversification contre la concentration3. John Burr Wiliams avait montré en 1938 qu'il était possible de trouver la valeur intrinsèque d'une action en actualisant ses dividendes futurs; cette méthode avait déjà été mise en œuvre 1 Bien que Debreu soit d'origine française, il fut américain d'adoption: la version française est une traduction de l'anglais. Arrow et Debreu obtinrent le Nobel. 2 La théorie financière connut sa consécration en 1990 quand Markowitz, Miller et Sharpe reçurent le Nobel d'économie: l'économie devenait science de gestion. 3 La diversification doit être une « bonne diversification» : le portefeuille doit être composé d'actions de secteurs dont les évolutions ne sont pas parallèles. On comprend qu'on aura besoin des deux instruments de base des statistiques: la moyenne des rentabilités (ou leur espérance mathématique) et leur dispersion autour de cette moyenne, l'écart-type ou la variance. On parle donc après Markowitz du « modèle moyenne-variance» ou « espérancevariance ». 65
par Irving Fisher et reprise par Keynes pour calculer la rentabilité d'un investissement. II suffit donc de choisir l'action dont les dividendes futurs sont les plus élevés, donc la concentration contre la diversification. Keynes affichait aussi explicitement en 1939 son opposition à la diversification et sa préférence pour le choix à partir des fondamentaux, c'est-à-dire de la connaissance des sociétés I. Markowitz va donc démontrer le contraire et ses travaux sont à l'origine de développements importants. Le risque concernant une action spécifique est en fait double: le risque de marché ou risque systématique; les risques dits spécifiques, propres à la société émettrice. C'est l'apport de William Sharpe et de son modèle2. Ce modèle indique que la rentabilité désirée, exigée par un investisseur (financier) pour un secteur économique donné, est le taux de l'argent sans risque, rs, plus une prime de risque, On peut donc écrire, en négligeant les apports spécifiques « probabilisées » de ce modèle, en notant rD la rentabilité désirée et R la prime de risque: rD = rs + R. Au niveau d'une entreprise, c'est cette notion de rentabilité économique désirée, plus exactement exigée par l'investisseur, (qui deviendra la notion de coût du capital) qui fonde le taux d'actualisation utilisé dans les modèles de choix des investissements économiques des entreprises, et non pas le taux d'intérêt du marché3. II faudra ainsi comparer la rentabilité des investissements nouveaux à leur coût, estimé par la rentabilité exigée par les investisseurs. On ne sait donc toujours pas quelle est l'origine du profit -
sauf à affirmer que c'est le risque lui-même qui l'explique
-
mais on sait maintenant répartir les risques pour maximiser la rentabilité. On sait également choisir un investissement par la méthode du TIR, non plus à partir du seul taux d'intérêt, comme le faisaient les néocIassiques (rejoints à cet égard par Keynes), mais à partir de la notion de coût (désiré) du capital. Avec la question que ce choix est selon nous toujours sous-optimal...
I Cette position de boursicoteur, têtu mais volontaire, entre en totale contradiction avec sa théorie du mimétisme qui s'explique en grande partie far l'extrême difficulté sinon l'impossibilité de l'analyse des fondamentaux. Le MEDAFE, le Modèle d'Evaluation Des Actifs Financiers à l'Equilibre (ou MEDAF Modèle d'Equilibre Des Actifs Financiers). Dans les deux cas, il s'agit de la traduction du Capital Asset Pricing Madel (CAPM), né de W. Sharpe en 1963. 3 C'est la reD, la rentabilité économique désirée de l'analyse précédente concernant la maximisation du taux de profit. Ici c'est soit cette reD de tous les capitaux K, soit la rentabilité financière désirée des seuls capitaux propres CP ; on y reviendra. On spécifiera également plus loin le type de prime de risque R. 66
22 - Contre la fable de la fonction LM et le modèle IS LM, une tentative d'analyse de la liaison entre taux de profit et taux d'intérêt par le modèle IS ER 221 - La fable de la fonction LM et donc du modèle ISLM * Le curieux oubli par Keynes des nécessaires « contreparties dans les transactions}) sur le marché secondaire des obligations Keynes ne veut pas voir - sauf rares exceptions - la nécessaire contrepartie monétaire de chaque transaction et considère une masse moutonnière de spéculateurs mue comme un seul homme par le mimétisme et la convention. Or, ce raisonnement de la demande de monnaie pour motif de spéculation est une fable, un mythe au niveau macroéconomique. Quel que soit le taux d'intérêt et la valeur de marché des titres sur le marché secondaire des obligations, il existe toujours une contrepartie - sauf exceptions rares, catastrophes et suspension provisoire des cotations - à une offre ou à une demande de titre. Si un pessimiste vend une obligation de valeur de marché élevée correspondant à un taux d'intérêt faible, il y aura toujours un optimiste qui l'achètera en pensant que le taux va encore baisser. Et inversement. Que Monsieur Pessimiste donc, jugeant le taux d'intérêt tellement petit qu'il ne peut que remonter - plus exactement que Monsieur Pessimiste, jugeant les valeurs de marché trop élevées risquant donc de baisser - vende ses obligations pour demander de la monnaie L2 - là, il s'agit d'une « vraie» demande de monnaie, en flux, au sens de John Stuart Mill - n'empêche pas Monsieur Optimiste de penser le contraire. Il achète les titres offerts, en réduisant son L2, c'est-à-dire en offrant un flux de monnaie, toujours au sens de Mill. Il y a bien véritables flux d'offre et de demande de monnaie, plus au sens keynésien de marchés de stocks de monnaie, mais au vrai sens du terme de marchés de flux de titres. Cependant, ces transactions sur le marché financier des obligations rendent le stock L2 macroéconomique global invariablel. Cette erreur de Keynes est probablement à l'origine de son autre erreur: ne voulant pas voir les nécessaires contreparties 1 Keynes ne soutient sa proposition qu'en ne prenant en compte que ce qu'il appelle le Ii cas le plus simple. sans transaction N. Et il élude rapidement le Ii cas général N où apparaissent les nécessaires contreparties dans les transactions. Nous n'avons ici que résumé très brièvement la question, fondamentale s'i! en est; voir encore Castex (2003 et 2007). 67
dans les transactions boursières, il théorisera le mimétisme et la convention qui expliqueraient la dynamique de ces marchés 1. C'est bien à notre avis la première qui induit la seconde. Nous sommes convaincus, après relecture attentive de la Théorie générale, que Keynes avait perçu cette erreur2 ; mais la corriger aurait évidemment rendu caduque sa tentative de critique du marché néoclassique des fonds prêtables. * Le modèle IS LM de Hicks: développement créateur de Keynes ou trahison? Le modèle IS LM à prix fixes fut promu peu après la sortie de la Théorie générale de Keynes, par John Richard Hicks (1937) dans Ie fameux Mr Keynes and the classics, a suggested interpretation (M Keynes et les classiques, une proposition d'interprétation). Hicks tenta de faire une synthèse entre la vision classique - en fait néoclassique - et celle de Keynes: c'est le point de départ de l'école de la Synthèse, ou Synthèse néoclassique. Et c'est là que l'on va comprendre notre insistance à définir le marché de la monnaie de Keynes comme un marché de stocks, Hicks proposant à Keynes un marché de flux: celui, amendé, des fonds prêtables néoclassiques. Le modèle originel fut d'abord nommé IS LL3. Il analyse pour IS la liaison entre le revenu en volume yet le taux d'intérêt r considéré comme le « taux d'intérêt d'investissement» en fait très proche du taux d'intérêt naturel de Wicksell4, bref le taux de profit à long terme. Par contre la liaison (y, r) de LL renvoie au taux d'intérêt monétaire, toujours au sens de Wicksell4, où le crédit bancaire est privilégié. L'équilibre IS LL égalise donc de plus le taux naturel et le taux monétaire5 , donc les taux court et les taux longs: « Quand elle est ainsi généralisée, écrit Hicks, la théorie de M Keynes commence à ressembler fortement à la construction de Wicksell ». Hicks tente ainsi de faire revenir le Keynes (1936) de la Théorie générale aux conceptions du Keynes (1930) du Treatise6, Le modèle IS LM vulgarisé n'effectue pas la différenciation de ces deux taux. 1 Voir la seconde partie de ce livre. 2 Voir encore Castex, op. cit. 3 L'appellation IS LM ne date que de 1949, avec Alvin Hansen; voir Beaud et Dostaler (1993, 1996). LL renvoie à offre et demande de liquidités. 4 Voir plus loin. S Notre proposition de modèle IS ER entraîne des conclusions analogues: l'égalité du taux de rentabilité économique désirée et du taux de rentabilité économique effectif: voir plus loin. 6 Il s'agit du Treatise on money, de 1930, non traduit en français. Keynes tente de trouver une théorie de l'inflation différente de la théorie quantitative: c'est, avec ses « équations fondamentales », la théorie de la « profit inflation» où les entrepreneurs sont responsables et coupables de l'inflation. Pour une critique de cette approche, voir Castex (2003). 68
En admettant les « attouchements» du (pseudo) marché des biens et services et du marché de la monnaie, Keynes semble en fait à peine trahi par le modèle IS LM qu'il a explicitement admis, au moins dans un premier temps: «Je l'ai trouvé très intéressant et, en réalité, je n'ai pratiquement rien à critiquer N. Pratiquement rien, sauf l'interprétation qui est donnée de sa théorie du taux d'intérêt, pour deux raisons intervenant à la fois sur IS et LM. Sur IS, Keynes considère que les variations de l'EMAC sont bien plus importantes et significatives que celles du taux d'intérêt. C'est l'une de ses ruptures fondamentales avec Wicksell entre le Treatise et la Théorie générale; c'est en général la seule qui soit mise en avant par les keynésiens radicaux rappelant l' « inceliitude radicale» de l'avenir selon le maître, donc l'incertitude de l'avenir concernant la rentabilité marginale anticipée des investissements. Mais ce n'est là qu'un détail comparé à ce qui suit. Sur LM, il voit probablement que l'interprétation de Hicks de son marché de stock de monnaie s'apparente en fait au marché des fonds prêtables néoc1assiques: il y reviendra courant 1937 et 1938 avec son finance motiv, et la polémique reprendra. Elle fut vite oubliée: les orages de la tempête qui allait s'abattre sur l'Europe s'accumulaient. Il n'est pas inutile d'y revenir. * La demande de monnaie pour motif de financement: le finance motiv ou «finance N de Keynes en réponse aux propositions de synthèse de ses collègues, dont Hicks On trouve dans des écrits de Keynes (juin 1937 et décembre 1938) un motif de financement: lefinance, concernant la nécessaire détention d'un stock de monnaie thésaurisée assurant, avant sa réalisation effective, le financement d'un investissement. Ce finance est assimilé à un motif de transaction sous la forme du motif d'affaires ou professionnel. Ce finance reste pourtant mystérieux, il ressemble beaucoup à la thésaurisation accumulatricel de Marx. Cependant, garder de la monnaie (obtenue par exemple pour une entreprise par une cession d'actif), pourquoi pas; mais s'endetter pour ne pas i,nvestir tout de suite à long terme est plus étonnant, irrationnel. A moins d'anticiper une hausse des taux d'intérêt; cette demande de monnaie est d'ailleurs le seul cas répondant à la fois à une demande de crédit bancaire et à une thésaurisation. Cette invention de Keynes n'est pas gratuite. Le modèle IS LM utilise la fonction LM implicite chez Keynes alors que son 1 Voir Castex (2003 et 2007) et plus loin: selon Marx, le capitaliste accumule en monnaie un « trésor» important avant de le transformer en capital productif de plus-value. 69
fondateur Hicks avait en fait tenté de revenir au marché des fonds prêtables néoc1assique. Ce que Keynes ne semble pas tout de suite avoir perçu. Selon Hicks en effet, le crédit bancaire s'ajouterait à l'épargne tandis que la demande de monnaie L de Keynes serait assimilée à la demande de fonds prêtables pour l'investissement immédiat. Cette « demande de monnaie» est alors décroissante avec le taux d'intérêt et s'apparente à la demande de fonds prêtables pour l'investissement, ce ql!i revient à nier le finance comme un motif de thésaurisation. A cette demande correspond l'offre de monnaie, l'offre de crédit bancaire croissante avec le taux d'intérêt, bien que peu élastique, et ressemblant donc à l'offre d'épargne ou de fonds prêtables. La théorie monétaire de Keynes devenait en fait, pour ces critiques, une généralisation du marché des fonds prêtables néoc1assique, mais avec intervention du crédit bancaire complémentaire à l'épargne. Keynes avait probablement enfin compris la manœuvre en proposant son finance motiv. Certains détracteurs de Keynes, ou ayant tenté de le récupérer (Ohlin, Robertson et Hicks), assimilaient ce finance à une simple dem~nde de crédit bancaire en vue d'un investissement immédiat. Enorme confusion que Keynes a vertement repoussée dans le débat! sur le finance motiv: la demande de monnaie est toujours pour lui une thésaurisation2 et non une demande pour l'investissement immédiat, au risque de se répéter! Par contre Keynes était plus gêné par l'assimilation du crédit bancaire à l'offre de fonds prêtables. En effet, les deux sont croissants, mais faiblement, avec r; et surtout il est évident que le crédit bancaire se substitue à l' « épargne préalable ». Ce quiproquo est tout simplement l'une des origines de ce qui deviendra l'école de la Synthèse. Synthèse entre d'une part l'analyse néoc1assique (la demande de monnaie est en fait une demande de fonds prêtables, pour être investie, dépensée immédiatement), d'autre part l'analyse keynésienne (c'est une thésaurisation, une non-dépense). C'est d'ailleurs pour cette raison que l'outil analytique du modèle IS LM a pu être utilisé par les libéraux. Sauf que, paradoxalement, c'est en fait Keynes qui sera suivi et non pas Hicks; le modèle conservera la dichotomie partielle entre IS et LM, entre la sphère réelle et la sphère monétaire. Le modèle IS LM est ainsi dès ses origines une chimère pleine d'ambiguïté: un monstre. I Ce débat véhément eut donc lieu entre 1937 et 1938 entre Keynes et ses critiques. 2 La confusion sémantique induite par l'appellation « demande de monnaie» pour définir la thésaurisation a des effets redoutables: «demander de la monnaie» fait penser à un désir de dépense immédiate! L'expression « préférence pour la liquidité» est moins perverse. 70
Ce modèle trahissait donc à sa naissance totalement Keynes sur ce point précis, mais ses interprétations suivantes ont admis du bout des lèvres sa conception de la préférence pour la liquidité. Ce modèle est de toute façon, avec tous ceux qui l'ont pris pour socle, remis en cause par la fable de LM : le taux d'intérêt n'est pas, fondamentalement, une variable monétaire mais une variable bien réelle, les taux longs ne pouvant être que perturbés par l' « effet» de l'offre et de la demande du crédit bancaire déterminant les taux courts. * Keynes et l' « épargne préalable» de Hayek: peut-on assimiler le crédit bancaire à une offre de fond prêtables ? Pour Keynes et les keynésiens, l'épargne est la conséquence de l'investissement, par le processus du multiplicateur; pour Hayek!, elle doit être préalable à l'investissement. Les deux ont tort en confondant les flux et les stocks. Hayek a tort car un stock d'épargne existe en début de période: il n'y a pas besoin d'un flux d'épargne de la période précédant le flux d'investissement. Les keynésiens ont tort: ce stock d'épargne doit exister et il est reconstitué par le flux d'investissement dopant le revenu national. En absence de stock d'épargne, le crédit bancaire peut faire l'affaire, les banques étant selon nous des « machines sociales à déthésauriser». Mais Keynes et la plupart des keynésiens refusent de faire intervenir la monnaie et le crédit bancaire directement dans le financement des investissements: ils restent fondamentalement attachés à la dichotomie. C'est l'une des raisons de l'opposition de Keynes, outre son invention dufinance motiv, à Hicks. Cette affirmation en fera hurler plus d'un, mais c'est une évidence. Keynes analyse le pseudo marché des biens (demande effective et multiplicateur dit d'investissement) sans jamais faire intervenir la monnaie, se bornant à l'inégalité éventuelle entre I et S. La monnaie n'intervient que par le marché de stocks de... monnaie avec la légende du L2 macroéconomique décroissant avec r. La monnaie ne « pénètre» pas la sphère réelle, elle n'intervient donc que par des « attouchements» : ce sera le modèle IS LM historique. Eros et la monnaie... Hicks rompait en fait avec la dichotomie en assimilant, à juste raison, le crédit bancaire comme substitut de l'épargne « préalable». En effet, personne, ou donc très rarement, ne souscrit à un crédit bancaire pour thésauriser la monnaie obtenue! Mais Hicks restait néoclassique dans l'âme. Ce sont les classiques et Marx qu'il faut retrouver pour reconstruire un modèle néanmoins caractérisé par un équilibre statique: IS ER. I Voir la deuxième partie de ce livre. Z Voir Castex (2003 et 2007). 71
222 - De la reconstruction. Un modèle de transition statique: IS ER (Investissement Epargne, Emploi Rentabilite') Contre IS LM, nous avions proposé] de construire un modèle statique: IS ER. La fonction LM est donc considérée par nous comme caduque: on la remplace par la fonction ER présentée plus loin où le taux de rentabilité effective re remplace le taux d'intérêt r du marché monétaire de Keynes. Comme dans le modèle IS LM, on raisonne à prix fixes, avec donc les mêmes contraintes (fondamentalement le sous-emploi), le revenu macroéconomique étant mesuré par le niveau de l'emploi, donc en valeur travail, E. Nous gardions la fonction IS bien qu'elle présentât moult limites: elle considère le taux d'intérêt r comme seule variable expliquant l'investissement en négligeant la productivité marginale anticipée de l'investissement. Notre fonction IS analyse en fait l'investissement non pas en fonction de r, mais en fonction de la rentabilité économique désirée reD, r s'en déduisant, comme chez Smith revisitée, par rID - Re, Re étant la prime de risque économique. Or, on a déjà montré que rest lié au taux de profit (théorie de Smith) ; on montrera plus loin qu'il est possible de développer cette théorie. Par ailleurs, théoriquement, le choix de l'investissement optimal par une entreprise n'a pas besoin du taux d'intérêt pour maximiser le taux de profit moyen des apporteurs de capitaux2. Sauf à considérer que l'illusion de l'utilisation de r pour le choisir persiste: ce qui est le cas! Cependant, justement par l'introduction de la fonction ER, l'équilibre statique du modèle nous donne directement cet optimum: quand, à l'équilibre final3, re** = reD**, on peut montrer que re** est bien le taux maximum de profit. * La reprise d'IS et la construction de ER La rentabilité économique désirée reD n'intervient sur le niveau des investissements que si l'on considère que cette dernière est seulement un coût4. En notant Re, la prime de risque économique, ce coût est donc, dans la théorie financière orthodoxe: reD = r + Re. Pour nous, comme chez Smith, c'est au contraire r qui devrait être déduit de reD; et la question de la constance ou du caractère exogène de Re reste posée5. I Castex, op. cit. 2 Voir plus haut. 3 Les deux astérisques
4
5
** des deux variables indiquent cet équilibre final.
Or, c'est égalementun taux de profit,de rentabilité,désiré puis effectif! Ces hypothèses
ne sont pas plus osées que celles du modèle IS LM. 72
Le revenu national en valeur travail peut se mesurer, comme chez Keynes, par le niveau de l'emploi E (le y de Keynes). IS est donc conservée, dans le sens I reD* -7 E* : la baisse de reD* en tant que coût, fait croître l'investissement désiré Id et, par le multiplicateur diP d'investissement, E*. La fonction IS décroissante est transformée, avec le couple (E*, reD*) ou conservée (E*, r*) pour garder les variables de base d'IS LM. Après le pile de la pièce, son coût, la face du re ou r: la rentabilité effective: celle qui se réalise, avec en général une rentabilité économique moyenne après nouvel investissement re* =F reD*. La logique est maintenant E* -7 re* : si l'on pense que le profit n'est que la partie du travail non rémunérée, le profit, le taux de profit re et le taux d'intérêt r vont croître avec le niveau d'activité E. Pourquoi? C'est la principale innovation du modèle: le profit économique (de tous les capitaux engagés, dont ceux du crédit bancaire) Be est, selon la théorie de la valeur travail, le revenu ou production nette moins les salaires. Si west la part des salaires dans la valeur ajoutée nette, le profit
est donc: Be = CI - w) E. On considère dans ce modèle que w est une donnée exogène; on verra plus loin que tant 1 - w que w sont relativement stables à long terme, mais très instables dans la conjoncture. Il est possible de percevoir les capitaux économiques engagés K (modifiés par Id), par la somme de leur financement (capitaux propres CP ; dettes financières de marché, hors crédits bancaires D ; crédits bancaires CE). C'est donc par le crédit bancaire que le modèle intègre la monnaie, évidemment endogène: demandée par les besoins d'investissemene. Le taux de rentabilité économique effectif re est donc: re = Be / K =
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- w) E / (C + D + CB)
La rentabilité économique effective re en fonction de E et CB est évidemment croissante avec le niveau d'activité E. Elle est décroissante, pour un niveau d'activité donné, avec le taux de salaire wou, inversement, croissante avec le taux d'exploitation des salariés, et décroissante avec4 K. On retrouve 1 L'astérisque * signifie que les variables sont déjà pour chaque fonction IS et ER des équilibres; comme dans IS LM. 2 Voir Castex (2003 et 2007). 3 On supposera que si CB augmente (ou diminue), ce n'est pas pour se substituer aux autres éléments de K, mais pour l'augmenter (ou le diminuer). Par exemple, un CB nouveau peut être utilisé à financer un investissement nouveau, probablement plus en capital circulant qu'en capital fixe. 4 Si l'on intègre Id dans le capital moyen de l'année, K pouvant être approché, en notant Ki le capital économique initial, par K = (2K; + Id) / 2. On démontre que la décroissance mathématique de re n'est remise en cause que pour des cas extrêmes irréalistes; voir Castex (2003). 73
là Smith et Marx où le taux de profit est une conséquence de la théorie de la valeur travail. On obtient ainsi la fonction croissante (E*, re*) ou (E*, r*), Emploi Rentabilité ou ER. * La confrontation d'IS et ER1dans le modèle IS ER Le couple reD** (de IS) = re** (de ER) donne l'équilibre du modèle IS ER qui assure donc l'égalité des désirs et de la réalité des rentabilités. A priori, ce modèle semble évacuer totalement la monnaie, évacuant la fonction LM : il serait donc encore plus dichotomique qu'IS LM ! Pas du tout: la monnaie pénètre dans la sphère réelle. Car nous assimilons comme Hicks le crédit bancaire à un substitut des fonds prêtables offerts: un substitut à l'épargne «préalable ». Comme dans IS LM, les graphes des fonctions IS et ER ressemblent encore à des fonctions d'offre et de demande des marchés néoclassiques, les quantités étant substituées par le volume du niveau d'activité et le prix par les taux de rentabilité, désirée et effective: il est difficile de se soustraire aux paradigmes néoclassiques... Le graphe du mudèle IS ER, iIIuslration numérique 16'% 14%
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Deux importantes conclusions peuvent être tirées de ce modèle. La première est que l'égalité du taux de rentabilité effectif obtenu re** et du taux de rentabilité désiré reD** correspond à un optimum: le maximum de rentabilité économique. Pourquoi? Le choix de l'investissement ne maximise la rentabilité effective moyenne que quand la rentabilité marginale de l'investissement est égale à cette rentabilité effective I Par construction, le graphe de ER est toujours celui d'une fonction linéaire croissante: re = (J - w) E / (C + D + CD) = aE ? Celui de IS est simplement celui d'une fonction monotone décroissante, ici affine pour simplifier. 74
moyenne. Ce qui cOITespond justement à l'intersection des graphes de IS et ER en termes de taux: d'un côté reD* est égalel selon Keynes à la rentabilité marginale (son TIR-EMAC) de Id et détermine IS; de l'autre côté, la courbe ER donne les possibilités de rentabilité effective re* croissante en fonction de E. Quand le reD* de la fonction IS est égal au re* de la fonction ER, le TIR-EMAC est donc égal au taux de rentabilité économique effective, au taux de profit économique moyen: on est à l'optimum. On retrouve la condition d'équilibre de long terme des néoclassiques correspondant à l'annulation du profit pur et donc (bien, répétons-le qu'ils ne s'en soucient pas) la condition de maximisation du taux de profit des propriétaires. * L'intégration de la monnaie par les crédits bancaires: les résultats habituels de la politique monétaire sont retrouvés La seconde importante conclusion est que la monnaie est directement intégrée, par le crédit bancaire, dans ce modèle en remplacement de la fonction LM, mais sans la fable du marché de la monnaie au sens de Keynes, avec la demande macroéconomique de monnaie pour motif de spéculation décroissante avec le taux d'intérêt r (ou reD). La possibilité de thésaurisation semble pourtant disparaître du modèle, la fonction LM ayant disparu. Il n'en est rien. La thésaurisation pour motif de transaction n'a aucune raison de disparaître; celle pour motif de spéculation renvoie maintenant au « refuge dans la liquidité» sur les marchés secondaires de capitaux. Mais il est vrai que ces processus ne sont plus intégrés dans ce modèle d'équilibre statique où le taux de profit effectif s'aligne sur la rentabilité désirée. Cependant, la rentabilité effective re* varie avec Be et K dont le financement peut s'effectuer par crédit bancaire, source principale de la masse monétaire si l'on croit à la « création» monétaire par le crédit bancaire; re est ainsi décroissante avec CB : si il augmente, sans se substituer aux autres éléments du financement (CP et D), le profit économique se répartit sur une masse de capitaux plus grande selon l'optique du circuit. Le graphe de la fonction ER devient moins pentu: il pivote vers le bas. En retrouvant le taux d'intérêt au sens de Smith (mais avec les critiques de Marx) où r = re - Re, on récupère, les conclusions de Keynes (après les mercantilistes) : une croissance des crédits bancaires fait décroître le taux d'intérêt effectif. Cependant, la monnaie est alors endogène, demandée I Pour Keynes, l'investissement est choisi jusqu'à ce que sa rentabilité (dite efficacité) marginale anticipée (bref: l'EMAC) soit égale à r; tout comme chez les néoc1assiques égalisant la productivité marginale (réelle) de l'investissement au taux d'intérêt (réel). C'est reD qui joue ici le rôle de r. 75
pour financer en partie K. Une politique monétaire, par exemple favorable au crédit bancaire, qu'elle soit de masse ou de tauxl (taux courts dirigés par la Banque centrale), fera baisser à terme les taux longs: on ne peut imaginer phénomène plus mécanique. Notre modèle IS ER n'est en fait pas très éloigné dans sa forme de la conception de Hicks en 1937, admise du bout des lèvres puis refusé catégoriquement par Keynes. Hicks retrouvait l'égalité du taux d'intérêt monétaire court et du taux d'intérêt long avec son modèle IS LL, un peu comme dans l'équilibre (toujours perturbé) de Wicksell entre le «taux d'intérêt monétaire» et le «taux d'intérêt naturel »2. Nous retrouvons l'égalité de la rentabilité économique désirée avec la rentabilité effectivement réalisée, à partir des approches de Smith et de Marx (la rentabilité économique comme partie du travail social, donc du revenu national exprimé en valeur travail). En outre, ce modèle permet de réconcilier Marx et Smith, ce modèle étant un modèle statique d'équilibre qui évacue les justes critiques de Marx quant à la perturbation des équilibres de marché par l'intervention du crédit bancaire. Évidemment, cette croissance du crédit bancaire dope l'activité (E** augmente). Mais par une mécanique différente; c'est l'équilibre du taux de profit moyen qui est à l'œuvre: en baissant, il induit par une reD inférieure, considérée comme un coût, un investissement plus élevé; reD s'adapte au nouveau taux de profit re, toujours optimum mais en baisse. Les conséquences
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La question des canaux de transmission de la politique monétaire (pour simplifier: comment les taux courts du marché monétaire peuvent-ils intervenir sur les taux longs) semble résolue, mais par une mécanique de circuit économique qui peut être perturbée par les effets de l'offre et de la demande sur les différents marchés. * Une politique budgétaire ou une meilleure rentabilité de l'investissement: une réinterprétation de l' « effet d'éviction» Effets d'une politique budgétaire ou de l'amélioration de la productivité marginale du capital
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Une politique budgétaire déplace vers le nord-est le graphe de IS : pour tout reD ou r, E est plus élevé. Et il en est de même si les investissements deviennent plus rentables: pour tout(e) r ou reD, Id est plus élevé (comme dans l'analyse néoclassique, par la croissance de la productivité marginale, ou dans l'analyse keynésienne par celle du TIR-EMAC). Certes, E** augmente, mais accompagnée de la croissance de reD** = re** correspondant au nouvel équilibre. Le fameux «effet d'éviction» (croissance de r) par la politique budgétaire doit être réinterprété. Selon le modèle IS LM, la croissance du « coût» r diminuait l'investissement privé, donc « évincé» en partie (ou en totalité pour les néolibéraux intégristes utilisant néanmoins le modèle IS LM) par les dépenses publiques: un effet négatif de l'intervention de l'Etat. Selon le modèle IS ER, ces dépenses publiques induisent un effet positif: la croissance du taux moyen de profit d'équilibre et donc des taux d'intérêt, longs et courts. Avec toujours, bien sûr, l'effet d'éviction sur les investissements privés. 77
La croissance de l'efficacité des investissements privés produit exactement le même effet. Ce qui, répétons-le, est parfaitement compatible avec l'analyse néoclassique: la rémunération du capital n'est-elle pas fondée sur sa productivité marginale? Ils l'oublient cependant quand ils crient haro sur l'effet d'éviction des politiques budgétaires. Quelle obsession à ne voir dans le taux d'intérêt qu'un coût alors qu'il est avant tout (et probablement seulement) une rentabilité! * Une dynamisation apparemment impossible Reste la question de la dynamisation de ce modèle. Dans l'état actuel de notre recherche, elle paraît impossiblel. On peut toujours supposer des décalages de période où l'investissement serait déterminé par la reD de la période précédente2, mais c'est tout l'équilibre du modèle qui est remis en cause. Il faudra donc se tourner vers de nouvelles approches, en particulier sur les conséquences dynamiques de la structure de financement répartissant le financement du capital économique. Il faut auparavant préciser, au niveau de l'analyse statique, ce qu'est cette structure de financement et l'effet de levier de l'endettement.
J Le modèle est de toute façon limité, comme IS LM, car il ne tient compte que fonnellement du type de financement des capitaux économiques K par fonds propres ou endettement; il ne peut donc pas inclure la dynamique des marchés de capitaux et la « double spéculation» qui la caractérise. 2 Apparaissent alors de belles fluctuations autoentretenues, mais elles ne sont que fonnelles.
78
23 - L'effet de levier de l'endettement et les trois rentabilités: rentabilité économique, taux d'intérêt, rentabilité financière Le taux d'intérêt est certes un coût pour les entreprises, le coût de l'endettement. Mais c'est également une rentabilité pour les prêteurs. Le prétendu « coût» des capitaux propres n'est en aucun cas un coût pour les entreprises, car les capitaux propres appartiennent aux actionnaires qui veulent évidemment maximiser leur taux de profit, leur rentabilité financière. Pourtant, la théorie néoc1assique débouche, à partir de la légende de son entrepreneur indépendant des actionnaires, sur l'absurdité du « coût des capitaux propres », et donc sur l'absurdité du Coût moyen pondéré du capital ou CMPC, moyenne pondérée des « coûts» des capitaux propres et des dettes. Ce qui pose la question de l'effet de levier de l'endettement. 231 - L'effet de levier de l'endettement: identité comptable
une simple
L'effet de levier de l'endettement! est avant tout une identité comptable, mais il peut être perçu comme une analyse de la rentabilité financière rf des seuls capitaux propres CPo rf apparaît comme une variable dépendant de la rentabilité économique effective re de tous les capitaux économiques engagés K et de r. Ces capitaux économiques sont en effet financés par des capitaux propres CP et des dettes D (K = CP + D). La rentabilité financière rf sera donc également influencée par le taux d'intérêt de l'endettement r et par la structure de financement mesurée par le levier2 L, le rapport D I CPo * D'une idée simple à une formule universelle L'idée de l'effet de levier est extrêmement simple: si l'on emprunte à 10 % (soit un taux d'intérêt r = 0,1) dans une entreprise
dont la rentabilité
économique
est de 15 % (re =
0,15), 100 empruntés rapportent 15, coûtent 10 et font donc apparaître un « cadeau» de 5 : c'est la rentabilité différentielle re - r. Plus on est endetté, plus est grande cette « multiplication des petits pains ». Le levier L, ou bras de levier, l'un des ratios d'endettement, multiplie la rentabilité différentielle pour obtenir I
Il existe d'autres effets de levier; sans précision, il s'agira toujours dans cette partie de celui induit par la structure financière, l'endettement. 2 Il ne peut y avoir confusion dans le contexte avec la liquidité que nous avons déjà noté L. 79
l'effet de levier de l'endettement (re - r) L qui s'ajoute à re pour
obtenir la rentabilité financière des seuls capitaux propres rf. Cette idée est simple; elle ne pose aucun problème au niveau microéconomique où le taux d'intérêt est une donnée pour l'entreprise qui peut donc jouer sur la structure de son endettement pour choisir une rentabilité financière des actionnaires, à la limite infinie si la part des capitaux propres dans le total du financement tend vers zéro. Elle possède néanmoins à ce niveau deux limites évidentes: d'une part, le risque pris par les prêteurs va vite faire croître r avec L ; d'autre part, re peut être si basse que, même pour r faible, un effet contraire peut apparaître: l'effet de massue. Elle est surtout difficile à transposer au niveau macroéconomique car rien ne nous indique que le taux d'intérêt n'est pas une conséquence de la rentabilité économiquel. La démonstration de la relation « mathématique» précise entre les divers éléments mentionnés est élémentaire; on en laisse le soin au lecteur2 ; la « formule» de l'effet de levier de l'endettement est la suivante: rf = re + (re - r) L
Cette formule de l'effet de levier fait de rf la conséquence de trois facteurs explicatifs: re, donnée intrinsèque; r, qui peut varier selon le marché et le risque perçu par les créanciers; le choix de la structure de financement, donc de L. La relation comptable, la pure « tautologie arithmétique» de la formule de l'effet de levier, est toujours vérifiée, même si les variables mentionnées sont liées entre elles: par exemple si le taux d'intérêt varie avec la structure de l'endettement, etc. * La correction de l'analyse de Smith: de la notion de « prime de risque» à celle de rentabilité différentielle On peut maintenant corriger Smith qui déterminait, on l'a indiqué plus haut, r par rf - Rf, Rf étant la prime de risque financière des actionnaires. Nous continuerons à nommer prime de risque, suivant la tradition, ce qui n'est ~u'une rentabilité différentielle effective née de l'effet de levier. Dans la mesure où l'analyse renvoie bien au partage du taux de profit global, la base du partage ne peut être que la rentabilité économique de tous les capitaux, donc re (le « vrai» taux de profit de tous les I Voir plus loin la reprise de la théorie du taux d'intérêt d'Adam Smith confirmée par la dynamique de la double spéculation sur les marchés financiers secondaires des actions et des obligations. 2 On la trouve dans tous les manuels de base. 3 Pour ce qui est des rentabilités désirées, il s'agit bien d'une véritables prime de risque. 80
capitaux engagés). Au niveau macroéconomique, r se déduit de la rentabilité économique re, par la prime de risque économique Re = re - r. La formule de l'effet de levier devient donc: rf = re + ReL. La rentabilité financière rf n'est plus alors que la rentabilité économique corrigée par la prime de risque économique Re multipliée par le levier 1. La prime de risque financière de Smith se déduit de la prime de risque économiquel : Rf = (re - r) L = Re (1 + L). Ce n'est encore qu'un différentiel entre les rentabilités effectivement réalisées rf et r, censé apparaître comme la prime de risque de Smith. Le débat qui suit concernant le théorème de ModiglianiMiller considère re soit comme une donnée intrinsèque - ce qui est en fait la seule possibilité théorique - soit comme une moyenne pondérée de r et rf: le CMPC. Il est d'ailleurs piquant de remarquer que l'inventeur du CMPC est le même qui va considérer re comme la seule variable explicative. Il s'agit de Franco Modigliani, plus connu des économistes comme ayant revisité la fonction de consommation keynésienne, mais qui obtint son prix Nobel surtout pour avoir dirigé les travaux du financier Merton Miller. 232 - Les capitaux comme coûts et le CMPC * Quand la rentabilité se mute en coût des capitaux propres Le manager se trouve placé, comme l'entrepreneur néoclassique considéré comme indépendant de ses mandants actionnaires, « en face» de deux facteurs de production capital qui sont pour lui, représentant de l'entreprise, des coûts. En théorie financière, re, rf et r, les rentabilités, « sympathiques» pour les apporteurs de capitaux, apparaissent bien pour l'entreprise comme des coûts de financement, des pourcentages « antipathiques» de rémunération à verser; le fond et la forme de l'analyse sont donc intervertis. Cette inversion historique date de l'ère où l'entreprise et ses dirigeants étaient de fait relativement indépendants des actionnaires; du moins les dirigeants considéraient-ils les actionnaires et les créanciers comme des apporteurs de capitaux avec peu ou pas de pouvoir. On continue à le penser encore, bien que la gouvernance2 ait profondément modifié le paysage. La rémunération de l'actionnaire (les dividendes versés et, éventuellement le résultat mis en réserve) est alors considérée par l'entrepreneur comme un coût à comparer à ceux des autres I Avec Rf = rf r, on obtientRf = re + reL - rL - r = re (I + L) - r (I + L) = &re- r)(I + L). Voir plus loin. 81
moyens de financement. Et sans aucun état d'âme. Mais qui ne voit pas la particularité des « coûts» des capitaux propres, coûts pour l'entreprise mais rentabilité pour ses propriétaires! Une véritable schizophrénie. * L'évaluation du « coût» des capitaux propres Restons pour le moment techniques, en feignant de ne pas apercevoir la faille de départ du raisonnement. Si le coût de l'endettement est donné directement par le marché, parI r, il n'en est pas de même du coût des capitaux propres. II en existe plusieurs méthodes d'évaluation. Le modèle le plus courant est celui de Gordon et Shapiro (1956) qui actualisent les dividendes. Mais on peut également - le débat continue actualiser les bénéfices, car les mises en réserves appartiennent aux actionnaires. Procédons lentement avant de dévoiler les conclusions de ce modèle. La valeur actuelle V d'un dividende d constant versé jusqu'à l'infini est, pour un taux d'actualisation assimilé à un taux d'intérêt r, de V = d I r. Pas besoin ici de mathématiques financières: quel est le stock de richesse qui rapporte tous les ans d, non capitalisé, c'est-à-dire non réinvesti dans la richesse, au taux d'intérêt r ? Evidemment V tel que rV = d ! Cependant, le taux d'actualisation n'est pas r mais le taux de rentabilité financière désiré par les actionnaires, rID, égal à r plus la prime de risque financière désirée et estimée RID, dans la lignée de ce qui a été présenté plus haut. On a donc V = d I (r + RIDf L'analyse de Gordon et Shapiro propose un modèle de croissance exponentielle bien connu qui donne enfin, avec le taux de croissance des dividendes g assimilé à celui des bénéfices3 : V = d I (r + RID - g) ou, avec rID = r + RID,
V = d I (rID - g). Cette formule permet de trouver la valeur dite fondamentale d'une action; on y reviendra. Cependant, la préoccupation des auteurs est inverse: ils recherchent le coût du capital spécifique aux fonds propres, rID
I On supposera que r inclut déjà la prime de risque des prêteurs. 2 Si d = 10, r = 6 % et RID = 4 %, V = 10/0,1 = 100. Sans prime de risque, V aurait bien sûr été supérieure: 10 /0,06 = 166,7. 3 On en retient le plus souvent qu'il est possible de trouver la valeur de marché d'une finne en divisant le dividende actuel par la différence entre le taux de rentabilité désiré des fonds propres rID et le taux de croissance des dividendes g. Connaissant le dividende actuel versé d, jugé représentatif de la situation « nonnale» de la finne, on en déduit que la valeur de marché des
actions est V = d / (rID - g). En effet, le dividendesera en année n : d (1 + g)",
sa valeur actuelle sera: d (1 + g)" / (1 + rID)". Si l'on actualise les dividendes jusqu'à l'infini, on aura (il s'agit de la limite habituelle des calculs d'actualisation) : V = d / (rID - g), si rID > g. Si d = 10 et rID = 10 %, on obtient pour g = 0, V = 100, le cas habituel sans croissance anticipée du revenu; si g = 5 %, V passe à 200, avec g = 9 %, V passe à 1 000. Si g se rapproche de rID, V devient infinie. 82
est donc l'inconnue, V étant la valeur boursière actuelle connue ainsi que le dividende d. On obtient ainsi, par une géniale transformation mathématique: rID = d I V + g. Le coût des capitaux propres est le taux de rendement en dividende du titre plus le taux de croissance anticipé des dividendes. Plus la croissance est élevée (celle du dividende et celle de l'économie) - ce qui est bon pour les profits -, plus le « coût des capitaux propres» (lire la rentabilité financière désirée) sera élevéee). * Le CMPC : moyenne pondérée des deux « coûts» des capitaux ou simplement rentabilité économique intrinsèque? Le coût du capital dans son acception habituelle, le CMPC, renvoie à la moyenne des deux rentabilités désirées rID et r, pondérées par la part des capitaux correspondants CP et D dans le capital économique K financé par la somme CP + D, les deux capitaux étant calculés en valeur de marché ou en valeurs comptables. On gardera ici les notations « rentabilités» (= coûts) pour ne pas se perdre dans les formalisations. Soit CMPC = rfD CP I (CP + D) + r D I (CP + D). Mais après avoir pris leurs désirs pour la réalité, les capitaux obtiennent des rentabilités effectives rf et r, seule rf pouvant être différente de rfD. Le CMPC effectivement réalisé se calcule par la même formule, rf remplaçant rfD. Ce dernier CMPC n'est alors en fait rien d'autre que la rentabilité économiquel re, rf étant calculée par la formule de l'effet de levier: même s'il est calculé comme une moyenne il préexiste à ri et r. Deux théories principales s'affrontent. Les uns pensent que le coût global de financement, le CMPC, est fonction de la structure du financement; d'autres affirment au contraire qu'il est indépendant de cette structure: il s'agit du théorème de Modigliani-Miller, dit « MM ». On aura compris qu'il faut à chaque fois préciser si l'on parle de rentabilités désirées ou effectives; ce qui n'est pas toujours fait. 233 - Pour ou contre le théorème de Modigliani-Miller?
* Rentabilités désirées ex ante et rentabilités effectives ex post Le théorème de Modigliani-Miller (1958 et 1963) est une évidence si l'on raisonne en rentabilités comptables (économique, financière et taux d'intérêt des créanciers) réelles, ex post; les « anti MM» ne peuvent alors que constater l'absurdité de leur thèse inverse, on va le montrer. I La démonstration en est élémentaire. 83
Mais il est évidemment possible, en termes de valeurs de marché et de désirs (de rentabilités ex ante), que les rentabilités désirées des créanciers et des actionnaires - donc ce qui peut être considéré comme les deux « coûts» des capitaux propres et des dettes pour l'entrepreneur mythique indépendant des actionnaires - tiennent compte différemment du risque amené par la structure de financement. Le CMPC tenant compte de ces deux rentabilités désirées peut sans aucun doute être variable avec la structure de financement... Mais il n'en est pas de même pour la rentabilité économique réelle qui est intrinsèque à la production du profit. Dès lors, la rentabilité des actionnaires considérée comme un coût du capital retrouvera sa réalité de ... rentabilité effective. C'est elle qui jouera le rôle de variable d'ajustement. Tout est là: on ne peut pas toujours prendre ses désirs pour la réalité! * Il existerait, selon l'analyse traditionnelle, une structure optimale de financement Une grande partie des gestionnaires considèrent que le coût désiré du capital doit donc être séparé en deux, avec une représentation graphique élémentaire; la variable en abscisse étant le levier L = D / CPo Premièrement, le coût de l'endettement lui-même formé de deux éléments: une partie constante (le taux d'intérêt du marché, sans risque) ; une partie croissante avec l'endettement quand ce dernier devient trop importantl (les prêteurs prennent en compte le risque de nonremboursement, de faillite, qui existe bel et bien). Deuxièmement, le coût « désiré, ex ante» (que nous persistons à noter rID) des capitaux propres également formé d'une partie constante et d'une partie croissante avec l'endettement. Il existe également un seuil d'endettement qui déclenche cette partie croissante; avant ce seuil, rID est constante. Selon ces hypothèses, apparaît une structure optimale de financement qui n'a donc de sens qu'en désirs de rentabilités: le CMPC désiré est d'abord décroissant puis croissant. Pourquoi? Au départ, r et rID étant constants et r < rID, plus de dettes à coût inférieur fait baisser le CMPC; il atteint un minimum pour une certaine structure de financement; il croît ensuite. Donc, selon cette analyse, la rentabilité économique désirée ex ante reD n'a plus rien à voir - sauf hasard - avec la rentabilité économique effectivement réalisée ex post et le CMPC effectif. On confond souvent dans cette analyse les deux rentabilités économiques où l'on ne mentionne pas la contradiction. Le CMPC désiré est pris pour la réalité du CMPC ex post: ce qui revient à dire que les performances intrinsèques I Il existe un seuil d'endettement qui déclenche cette partie croissante; avant ce seuil, r est constant. Voir le graphique.
84
d'exploitation sont modifiées par la structure du financement, ce qui peut apparaître bizarre sinon absurde! Cette conclusion abracadabrantesque tient à la définition de rID qui est incohérente avec l'identité comptable de l'effet de levier donnant la rf réelle ex post. Il est vrai que cette analyse suppose le plus souvent, sans s'y attarder, qu'il s'agit bien de variables ex ante, désirées. Mais combien de présentations se contentent de mentionner des coûts du capital sans faire la distinction entre les désirs et la réalité. On peut vérifier dans tous les manuels; cette distinction n'est d'ailleurs pas très claire chez Modigliani et Miller eux-mêmes... Le graphique ci-dessous indique, à partir d'une illustration numérique, le point de vue de l'existence d'une structure optimale de financementl. Il existerait 14"'"
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* Le théorème de Modigliani-Miller: il n'existe pas de structure optimale de financement. Le CMPC est pour « MM » une constante, quelle que soit la structure de financement, ce n'est que la rentabilité économique reo Il n'existe donc pas selon eux de structure optimale de financement. Avant « MM»: le «principe de l'entité» démontrait déjà le théorème en tant qu'évidence. Ce théorème est né officiellement aux Etats-Unis par un article de Modigliani et Miller (1958). Cependant, ce point de I La construction traditionnelle du graphique, reprise ici, est en fait bourrée d'astuces ad hoc: rien n'est indiqué sur la concordance pour r et rID du levier faisant croître les primes de risque après leur constance; rien n'est indiqué sur les pentes tenant aux deux primes de risque de r et rID. La moindre analyse un peu plus fouillée indique que l'existence même d'un CMPC désiré minimum dépend de ces hypothèses. 85
vue fut en fait proposé en 1952 par David Durand: l'entreprise est une entité dont les capitaux économiques sont les producteurs du profit; peu importe la structure du financement de ces profits. Mieux, en 1938 l'Américain John Burr Williams avait énoncé un principe équivalent. Williams avait en fait tout compris: la rentabilité est produite par les capitaux économiques, elle est une production intrinsèque des capitaux économiques réels et n'a rien à voir avec leur financement. Elle se répartit entre les capitaux propres et les dettes. Toutes les théories du risque comme fondement des profits des capitaux financiers et de la théorie financière moderne auxquelles ont participé Modigliani et Miller sont implicitement critiquées par Williams qui n'envisage que les rentabilités ou coût des capitaux effectifs. Modigliani et Miller ne vont pas employer ce principe d'entité pour démontrer leur théorème et la constance de reo Cette démonstration va s'effectuer grâce à la technique de l'arbitrage. L'arbitrage consiste à comparer sur deux marchés le prix d'un actif; si cet actif est de même valeur, il doit avoir le même prix (<
rf est une fonction affine, croissante de L: il s'agit en fait de la formule de l'effet de levier! Le graphique ci-dessous illustre ce point de vue. On supposera que la constance de re est le résultat du principe d'entité, ou celui de la démonstration par arbitrage, ou, ce qui va être démontré plus loin mais est déjà dévoilé, une conclusion simple déjà inscrite dans les hypothèses de « MM». Se]onle
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- De
la schizophrénie
retour à l'entité
2
3
du désir et de la réalité au
* « MM» sont-ils vraiment sortis de la schizophrénie? Il faut donc, selon les « anti MM », minimiser le coût du capital. Le théorème de « MM» aboutit à la conclusion qu'il s'agissait en fait d'une fausse question, puisque le CMPC est selon eux constant, quelle que soit la structure de financement mesurée par le levier. Ils ne vont néanmoins pas jusqu'à se demander pourquoi la question était absurde, du moins pour ce qui concerne la rentabilité économique réelle qui est pour eux le CMPC. Une vive querelle suit la thèse de « MM» en 1958 considérée comme « révolutionnaire ». Sans le faire exprès, ils étaient revenus à la conception classique du profit du capital ils disaient des capitaux. Ils se refusaient pourtant à franchir le premier pas, celui des classiques, car leur raisonnement par arbitrage « cachait» le principe d'entité de leurs prédécesseurs, de l'unicité du capital. Des classiques à Marx, il n'y avait plus 87
qu'un pas; mais le premier pas non franchi, ils ne pouvaient franchir le second. Bref, rien n'indique qu'ils soient réellement sortis de la schizophrénie. * La question des marchés parfaits et de l'imposition Le ciel redevint serein dans les années 70 avec une « théorie de compromis» : « MM» ont raison dans leurs hypothèses de marchés parfaits, mais tort si l'on tient compte des coûts possibles de faillite ainsi que de la fiscalité des actionnaires et créanciers. Cependant, Miller (1977) revint à la charge; les études empiriques montraient que les coûts de faillite et la fiscalité avaient peu d'importance dans le comportement d'endettement des firmes; et si l'on tient compte de la fiscalité des investisseurs, on retrouve une parfaite neutralité de la structure optimale de financement. * Sortir de la schizophrénie: désir et réalité, toujours, par la répartition des profits La question de la minimisation du coût du capital a-t-elle un sens? Pour ce qui est du coût de la dette, cela ne fait aucun doute pour l'entreprise; pour ce qui est de la valeur des actions, c'est plus douteux, pour le moins. En effet, la valeur des actions sera d'autant plus élevée que les bénéfices attendus par les actionnaires seront substantiels; autrement dit, le «coût du capital» des actionnaires sera simplement leur revenu. Une autre schizophrénie de base de la finance et du concept de coût du capital: il faut minimiser le coût des capitaux, mais l'un de ces coûts est le revenu des propriétaires, à maximiser! Toute la folie - qui dit schizophrénie dit folie - de la théorie financière est là. Le seul moyen de sortir de la schizophrénie est d'admettre banalement que le coût du capital n'est pas un coût, un «moins» pour les actionnaires, mais un « plus»: un revenu. La notion de coût du capital de « MM» n'est qu'un nouvel avatar de celle du coût du capital limité au taux d'intérêt des fondateurs néoclassiques. * La réalité de la production des profits Laissons la distribution des profits et la schizophrénie qui vient d'être mise à jour et retournons à leur production. Le théorème de « MM» revient à considérer implicitement que le coût moyen pondéré du financement, le CMPC, n'est rien d'autre qu'une rentabilité économique intrinsèque qui ne dépend que des performances d'exploitation de l'entreprise, et qui donc, logiquement, ne peut pas dépendre de la structure du financement. Nous proposons de revenir tout simplement à la logique de la formule initiale, traditionnelle, de l'effet de 88
levier; ce que font d'ailleurs tout simplement « MM» mais qui est rarement rappelé. Il suffit pourtant de les lire. On peut en effet traduire la relation rID = « aL + b» implicite chez la plupart des commentateurs de «MM », en rappelant que le coût des capitaux propres, censé prendre en compte le risque associé à la croissance de L, bénéficie tout simplement de la banale mécanique de l'effet de levier. En fait « aL» n'est rien d'autre que l'effet de levier toujours positif dans les hypothèses énoncées, et mesure donc moins un risque... qu'une rentabilité différentielle multipliée par L. Et « b » n'est rien d'autre, dans ces hypothèses, que la rentabilité économique reo Autrement dit, le « théorème» de « MM» ne fait que traduire la «tautologie arithmétique» de l'effet de levier en inversant l'analyse: le coût global du financement n'est constant, quel que soit L, et n'est égal à la rentabilité économique, que si le coût des capitaux propres est de la forme supposée pour démontrer le théorème. Résumons notre interprétation « sociale» de cette question. La volonté de faire dépendre la rémunération des actionnaires et des prêteurs de variables différentes (par des « primes de risque »), n'est qu'un développement, une fuite en avant de la théorie de la rémunération du capital néoclassique, fondée sur sa contribution productive. On n'a plus un facteur capital, mais deux: on n'a plus un capitaliste, mais deux, qui sont en lutte en avançant leurs risques respectifs. Toujours la lutte de classes, pardon! Plutôt la saine concurrence sur des marchés risqués. Les deux doivent être rémunérés grâce aux équations traditionnelles de la théorie néoclassique, bref, leurs contributions marginales compte tenu des différents risques. Pourtant, l' « argent n'a pas d'odeur»: seul le capital économique K peut, si l'on suit la théorie néoclassique, « produire» le profit. Smith et Marx considéraient simplement qu'il s'agissait d'un gâteau à se partager (une plus-value implicite pour le premier, explicite avec chiffon rouge pour le second) : pour faire plus soft, la rentabilité économique intrinsèque se partage entre les actionnaires et les prêteurs. Le débat sur la vérité ou la fausseté du théorème de Modigliani-Miller est surréaliste si l'on ne pose pas le problème en termes de risques dans la répartition mais de production du profit. Il devient trivial si l'on pense que le risque est le cachesexe grossier qui tente d'occulter - avec un certain succès, pour les aveugles qui refusent de voir: ce qui fait beaucoup de monde... - l'origine du profit parfaitement expliqué en valeur travail par Smith, Ricardo puis Marx. Il n'est pas question de nier le risque] pour la répartition de la rentabilité économique I Cela fait plus de 225 ans que Smith en parlait dans sa Richesse des Nations. 89
entre les deux ayants droit plus ou moins risqués. Ce que disent simplement - et très indirectement: ils ne se posent pas la question d'une critique «sociale» du concept de risque Modigliani et Miller, c'est que le profit global, la rentabilité économique, se partage selon les risques mais qu'il ne peut être question de définir le profit comme une moyenne pondérée de rentabilités expliquées par les risques. Ce qui reste en contradiction, qu'on le veuille ou non, avec le concept même de CMPC créé par Modigliani, mais est une petite révolution dans la théorie financière. * Il existe bien une « structure optimale de financement », mais pour les actionnaires, par l'effet de levier On peut montrer qu'une généralisation est possible du théorème de « MM» dans le cas où le taux d'intérêt est croissant, avec le risque de faillite. En effet, le théorème de Modigliani-Miller s'applique également si l'on supprime cette hypothèse tant décriée. Si rest croissant avec le taux d'endettement, c'est la rentabilité financière rf qui atteint un maximum puis décroît, tombe sous re puis r et peut même devenir négative, par l'effet de massue. Mais le CMPC effectif, la re, reste évidemment constant( e). «MM» ont toujours raison. : il n'existe évidemment toujours pas de structure optimale de financement au sens du débat entre « MM» et les (( anti MM». Il existe bien par contre une structure optimale de financement..., mais pour l'actionnaire qui n'a que faire de minimiser le coût du capital mais cherche à maximiser sa rentabilité financière effective. Le graphique qui suit permet de préciser ce phénomène. La structure
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3
* Retour sur le choix des investissements: orthodoxe ou hétérodoxe? On a indiqué plus hautl que le choix de l'investissement optimal, c'est-à-dire maximisant la rentabilité économique de tous les capitaux engagés, n'a que faire du taux d'intérêt r (ou de la reD2) en tant que coût, mais qu'il intervient néanmoins par l'existence d'un marché des dettes et de leur rentabilité: un placement alternatif des investisseurs est toujours possible si le r du marché est supérieur à la reMMax obtenue, en tenant évidemment compte des primes de risque. Supposons que les actionnaires décident maintenant de financer les nouveaux investissements I par dette. Leur choix va-t-il être influencé par r s'ils veulent maximiser leur rentabilité financière? Ils choisiront en fait I de façon orthodoxe en égalisant sa productivité marginale anticipée en taux remA au taux d'intérêt r. Et ils auront raison... En effet, dans ce cas, plus r est petit, plus I est grand. Il existe toujours un I optimal au sens de l'analyse hétérodoxe avec maximisation de la rentabilité économique moyenne reM, mais cette solution ne maximise plus la rentabilité financière moyenne rfM qui est toujours croissante avec I, et donc r, par l'effet de levier. Bien que I soit en abscisses du graphique ci-dessous en tant que variable de base, la logique de l'analyses est plutôt la suivante: r = remA 7 17 reM 7 rfM par l'effet de levier.
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Investissement désiré, croissant quand r = remA diminue
I Voir le paragraphe 211 ; on reprend ici les mêmes notations des différentes variables, mais on fait intervenir des dettes. 2 Ici, nous ne prendrons en compte que r, comme dans l'analyse de la question qui précède de la structure optimale de financement. 91
Le taux d'intérêt intervient donc directement dans le choix des investissements si on le considère sous son aspect rentabilité, par l'effet de levier de l'endettement! donc: même si la reM n'est pas maximisée, un taux d'intérêt bas réjouit les actionnaires, au détriment évidemment des prêteurs. Et avec un dommage collatéral que nous nous plaisons à mettre en relief: le gâteau de la rentabilité économique reM « à partager» est évidemment plus petit que reMMax quand r est bas; mais qu'importe pour les actionnaires puisqu'ils en retireront une part bien plus importante! Les actionnaires n'ont cure de maximiser la rentabilité économique de tous les capitaux et n'envisagent que leur propre satisfaction; leur choix n'est pas « socialement» optimal pour l'ensemble des capitaux mais l'est pour eux: ils bénéficient dans ce cas de l'euthanasie des rentiers. La situation est inverse en cas de taux d'intérêt élevés ou rfM est très inférieure à r. Ces deux situations se rencontrent dans l'histoire récente: la première plutôt pendant les Trente g}orieuses ; la seconde plutôt pendant les trente années de plomb, mais dans ce cas la sousoptimalité ne concerne pas seulement les capitaux; on y reviendra. * Le retour de l'effet de levier par les « LBO» Beaucoup d'analystes assimilaient la « perversion» de l'utilisation de l'effet de levier à celle de l'économie d'endettemenP (à risque inflationniste élevé) et la « vertu» du recours aux capitaux propres avec celle de l'économie de marché de capitaux. « MM» furent également accusés d'avoir, avec leur théorème, poussé à l'endettement des sociétés. Le paradoxe de l'économie de marché de capitaux serait pourtant, pour maximiser les rentabilités financières, de faire tendre les capitaux propres vers zéro et de revenir à l'endettement; bien que ce soient les capitaux propres des actionnaires preneurs de risque qui sont censés être la locomotive de ce type de financement. Et pourquoi ne pas revenir à l'endettement bancaire! Ce fut fait! Le krach boursier de 2000-2003 aura permis de booster le retour à l'effet de levier, et massivement, par la technique du LBO, le Leveraged Buyingout sur lequel nous reviendrons2. I Un r élevé qui commence à décroître induit donc une reM croissante à taux décroissant et une rfM qui lui est inférieure, par l'effet de levier négatif (effet de massue). L'optimum économique maximisant reM correspond toujours à remA = reM = reMMaxavec effet de levier nul. Pour r = remA < reMMax,rfM continue à croître quand r décroît; il atteint un maximum (fini) pour r = O. 2 Voir la troisième partie. 3 On reviendra plus loin sur l'opposition entre ce type d'économie et l'économie de marché de capitaux. 92
DEUXIEME PARTIE CYCLES MONETAIRES ET/OU REELS, BULLES BOURSIERES, THEORIE DE LA «DOUBLE SPECULATION»
Chapitre III Ondes longues, tendances longues et cycle des affaires: causes monétaires et/ou réelles?
Si l'on ne précise pas, le «cycle économique» est le Business cycle, le cycle économique court des affaires, le Jug/art. Mais il existe des cycles plus courts et plus longs. Les cycles courts dits Kitchin pourraient être dus aux stockages et déstockages de produits. Le cycle long le plus pertinent est le Kondratieff. S'agit-il de «crises organiques» (comme les définit Jean Lescure), c'est-à-dire structurelles, inhérentes au capitalisme ou de crises conjoncturelles, fussent-elles longues? Il est également facile d'opposer, comme pour les causes de l'inflation, les théories monétaires aux théories non monétaires; en fait l'analyse doit être plus subtile, la monnaie et le crédit ayant des effets réels transitoires2. 1 De Clément Juglar (1862). Les appellations actuelles ont été définies par Schumpeter en 1939; voir plus loin. 2 Nous n'aborderons pas ici la théorie des ultralibéraux Nouveaux classiques du RBC « Real Business Cycle », cycle dû à des chocs exogènes normaux 93
Les théories purement non monétaires mettent en avant le capital et ses fluctuations par l'investissement; elles sont bien connues, en particulier celle de John Maurice Clark de l'accélérateur développant les thèses d'Albert Aftalion qui voyait dans le délai de production des biens capitaux la cause de la surproduction. Elle a donné lieu, avec la théorie de l'oscillateur de Samuelson et Hicks, articulant accélérateur et multiplicateur keynésien, à une formalisation des cycles économiques. Mais le profit est le grand absent de toutes ces analyses traditionnelles. On abordera donc les ondes et tendances longues ainsi que les cycles courts. Dans les deux cas, on commencera par les explications monétaires qui mettent en avant le taux d'intérêt, pour présenter ensuite les théories réelles qui privilégient le taux de profit mais également la demande. On reste donc dans ce chapitre, « englué» dans la dichotomie car nous décrivons ici les deux principales approches des tendances longues et des cycles I. On n'exposera évidemment pas ici toutes les théories traditionnelles des crises, ni leur description (une encyclopédie en multiples volumes n'y suffirait pas), mais seulement l'importance de leur double éclairage selon les théories qui viennent d'être exposées des liaisons entre taux de profit et taux d'intérêt. Ce chapitre est développé en trois étapes. On présentera donc d'abord les tendances longues, à deux niveaux. Le premier est celui des « Long waves» de Kondratiff où il est possible de voir intervenir la monnaie tandis que l'interprétation orthodoxe (celle de Schumpeter) renvoie aux effets réels des « grappes d'innovations ». Le second est celui des trends non cycliques: « baisses tendancielles » du taux de profit et du taux d'intérêt, des classiques à Marx et Keynes. On se penchera ensuite sur l'intervention de la monnaie et les fluctuations des taux d'intérêt qu'elle induit: les différentes théories monétaires du cycle court ou « Credit Cycle », où les phénomènes réels interviennent cependant. Dans ce cas, la théorie quantitative de la monnaie est apparemment mise à mal. dans une économie de marché qui retrouvera spontanément son équilibre... à condition que l'Etat n'intervienne jamais. I Ce plan s'explique en outre par le point de vue de Keynes qui a autocritiqué son Treatise on money de 1930 dans sa Théorie générale de 1936. Il avait en effet flirté dans son Treatise avec la théorie monétaire du cycle de Wicksell où l'évolution du taux d'intérêt est centrale. En 1936, reprenant en outre les vieilles théorie de la sous-consommation, c'est l'insuffisance de l'investissement qui devient le principal facteur de la crise et ses fluctuations l'explication des cycles courts. Or, l'investissement est certes choisi en comparant le taux d'intérêt et j'efficacité marginale anticipée du capital, son EMAC, en fait le taux de rentabilité marginale, mais c'est la seconde qui devient le principal facteur explicatif 94
En effet, semble être mise en défaut la neutralité de la monnaie: elle ne peut influencer la sphère réelle, l'augmentation excessive de sa masse n'induisant directement que l'inflation. Serait aussi mise en défaut la dichotomie qui en découle entre sphère monétaire et sphère réelle. Toutefois, après ces effets réels, ces «périodes de transition », la théorie quantitative reprend tous ses droits: une masse monétaire trop importante n'induit bien à terme que de l'inflation, et des déséquilibres néfastes, bref des crises. Enfin, en troisième lieu, on mettra l'accent sur les causes réelles: soit des fluctuations des taux de profit (Marx) ; soit de la demande, par la sous-consommation ou l'insuffisance de l'investissement (Keynes, avec de nombreux précurseurs, dont certains classiques et singulièrement Malthus). Dans toutes ces théories traditionnelles, les marchés financiers ne jouent qu'un rôle de figurant: ils seront abordés aux deux chapitres suivants.
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31 « Ondes longues» et « baisses tendancielles» du taux de profit et du taux d'intérêt 311 - Kondratieff et les «Long waves»: monétaire ou explication par les innovations?
explication
* Les « cycles longs Kondratieff» et I'hypothèse de l'influence positive de la masse monétaire sur l'activité Kondratieff propose son analyse\ publiée à Moscou, en 1925 dans Les grands cycles de la conjoncture selon la traduction française. Il existerait une corrélation entre les phases longues d'expansion économique et la hausse des prixrajoutons: liée à la croissance de la masse monétaire, soit par afflux d'or, soit par création monétaire ex-nihilo par le crédit bancaire. Inversement, il pense détecter une corrélation entre les phases longues de dépression et la baisse des prix - rajoutons: due à la baisse de production d'or où à une politique monétaire plus restrictive. Celiains suggèrent en effet l'hypothèse selon laquelle les phases de ces cycles longs sont la conséquence de la forte ou de la faible croissance de la ~roduction de métaux précieux, du moins jusqu'au début du XX siècle. Selon Bernard Rosier2 (1998, 2000), l'existence des mouvements longs aurait été déjà perçue, avant Kondratieff, par le marxiste russe Parvus et le Français Jean Lescure (1906, 1938) avant la Grande guerre. Au moment où les travaux de Kondratieff commencent à être connus, le Français François Simiand (1932), développe une thèse analogue où le niveau des prix est sans aucun doute l'origine des tendance longues. Rosier évoque également Gaston Imbe'1 (] 959) qui propose des mouvements beaucoup plus longs. A ces tendances de très longue période peuvent être plus ou moins rattachés des cycles d' « économies mondes» centrés sur une puissance hégémonique. C'est la thèse de l'Américain I. Wallerstein
I Statistiquement, il emploie des moyennes mobiles concernant le niveau de la production, des prix et du taux d'intérêt. Certains remettent en cause l'existence même de ces corrélations statistiques: par exemple, Samuelson ¥ualifia en 1982 les travaux de l'économiste russe de « science fiction ». ] Nous nous y réfèrerons souvent. Au trend séculaire médiéval, du milieu du XIIIe siècle au début du XVIe siècle, (avec une phase de prospérité puis de récession), succèdent le trend mercantiliste (avec les mêmes phases: prospérité au XVIe siècle puis crise au XVII" et au début du XVIIIe, jusque vers les années 1740), le trend capitaliste jusqu'à la fin du XIXe siècle, enfin le trend dit « pianiste ii. 96
(1974 et 1979) illustrée en France par les travaux de F. Braudel (1979( Nous insisterons donc sur l'existence d'une éventuelle théorie des cycles longs liés à la quantité de monnaie: c'est une interprétation des cycles Kondratieff. Le Suédois Gustav Cassel insistait également (en 1918) sur la liaison entre la production d'or et les phases d'expansion; ce que ne ferait pas Kondratieff d'après Rosier. Il n'empêche que la liaison entre les phases d'expansion et la hausse générale des prix liée à la forte croissance de la masse monétaire est bien centrale chez Kondratieff. Cette théorie est largement refusée par l'orthodoxie: elle signifierait que la monnaie n'est pas neutre. Car la croissance de sa masse induit un niveau d'activité élevé (phase longue d'expansion, ou « phase A»), certes lié à une tendance inflationniste; sa raréfaction induit un niveau d'activité stagnant (phase longue de dépression, ou « phase B »), lié à une tendance déflationniste, ou du moins à une relative stabilité des prix. Sauf quelques rares exceptions dont Simiand et Rist, le refus de l'effet positif de l'expansion de la masse monétaire et des prix fut catégorique, en particulier par le vulgarisateur de Kondratieff: Schumpeter. Commençons par un argument de la défense: ceux qui ne voulurent pas reconnaître le rôle, positif sur l'activité, des afflux d'or de l'Eldorado de 1850 «... sont des attardés, écrit Rise (1938, 1951, 2002). Les effets dus à l'afflux de l'or nouveau découvert en 1850 sont trop éclatants, la prospérité qui en résulte trop universelle pour qu'en dehors des esprits prévenus par une doctrine a priori [il s'agit évidemment de celle de Ricardo] personne puisse hésiter un seul instant ». Cette théorie s'oppose également à celle de Smith3 car les phases A devraient renvoyer à des taux d'intérêt longs élevés et les phases B à des taux faibles. C'est en fait l'influence de la quantité de monnaie qui est alors dominante: soit par l'or dans la phase de l'étalon or, soit par la création monétaire par le crédit bancaire et les politiques monétaires avant et depuis sa disparition. Autrement dit, la théorie de Smith ne tient pas compte des « frottements sociaux» de la monnaie fondée sur I Le pôle vénitien jusqu'au milieu du XVII" siècle, puis des Pays-Bas jusqu'au début du XVIIIe siècle, de la Grande-Bretagne jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale - en fait plutôt la Première... - remplacée par les Etats-Unis. On parlait il n'y a pas si longtemps de la zone Asie Pacifique remplaçant les Etats-Unis, avec comme pôle le Japon, ses Dragons et ses Tigres. Ce changement d'hégémonie ne semble plus être à l'ordre du jour, mais ce sont la Chine et l'Inde qui « s'éveillent ». 2 Rist est un « métalliste » mais cependant farouchement opposé à la théorie guantitative de la monnaie de Ricardo. 3 Et à notre théorie de la « double spéculation» ; voir plus loin. 97
l'étalon or ou« créée» par le crédit bancaire; et ces frottements sont séculaires 1. La théorie de Smith est également mise en défaut par la constatation d'Alfred Marshall pendant la période de la Grande dépression (<
On continue pourtant à enseigner aux étudiants que Keynes est l'inventeur de la politique monétaire de baisse du taux d'intérêt. On continue également à leur enseigner qu'il est l'inventeur des politiques budgétaires et de grands travaux. Or le plan Freycinet en France (et ses équivalents ailleurs, en Angleterre et en Allemagne), sous l'influence de l'économiste interventionniste Lescure, finança des chemins de fer, des ports et surtout des canaux grâce à des emprunts publics, entre 1878 et 1882. Lescure expliquait la surproduction possible par la généralisation de la surproduction dans le domaine des biens d'équipement; cette thèse sera à l'origine des travaux d'Aftalion. 98
préférait le terme d'ondes, repris par Schumpeter. Comme l'économiste trotskiste Ernest MandelI plus récemment et ses « systèmes de machines ». * Les différents cycles Kondratieff sur les XIXe et XXe siècles2 Kondratieff (1925, 1992) perçoit un premier cycle d'un peu plus d'une cinquantaine d'années, de la fin du XVIIIe siècle jusqu'au milieu du siècle suivant découpée en deux phases: une phase d'expansion jusque vers 1815-1820 (avec inflation par la création monétaire des guerres et/ou inflation par la demande) ; une phase de dépression qui se termine par la crise cyclique de 1847-1848 (phase où l'Angleterre restreint sa politique d'émission monétaire). Il perçoit un second cycle, d'un peu moins d'une cinquantaine d'années, du milieu du XIXe siècle à sa fin, découpée également en deux phases: une phase d'expansion jusque vers 1870-1873 (conséquence de l'Eldorado); une phase de dépression3 (passage au monométallisme, critiqué par les bimétallistes, qui restreint la masse monétaire). Il perçoit la première phase d'expansion (découverte de l'or de l'Afrique du Sud et inflation) du troisième cycle long (le premier du XXe siècle) qui culmine avec la Grande Guerre et le début de sa seconde phase de dépression, soit en 1920, soit en 19304. Kondratieff aurait en effet pu analyser, s'il n'était pas mort avant5, le second cycle du XXe siècle, avec l'expansion des Trente glorieuses jusqu'au milieu des années 70 correspondant à une inflation rampante puis accélérée (avec une politique monétaire dite « laxiste» par les néolibéraux et une inflation par la demande), puis les années de plomb de la fin du siècle (avec une politique monétaire « de rigueur », insufflée par ces néolibéraux). * L'interprétation non monétaire des cycles en général, et du cycle Kondratieff en particulier, par Schumpeter C'est donc Schumpeter (1939) qui a vulgarisé l'analyse de Kondratieff. Pour la première fois, tous les cycles de la très 1
Dans: Long Waves in CapitalistDevelopment: The Marxist Interprétation
de 1980 (cité par Rosier, op. cit.). 2 Cette chronologie varie avec les pays et les critères mis en avant pour l'établir. Voir Castex (2006) pour le cas français. 3 C'est donc la Grande dépression qu'il ne faut pas confondre avec la crise des années 1930 où l'expression est reprise.
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Pour l'économie européenne, singulièrement l'Empire britannique, la
rupture est celle de 1920 ; le boom 1920-1929 est surtout celui des Etats-Unis. 5 Kondratieffn'ajamais théorisé la nécessité pour le capitalisme de renaître de ses cendres, mais seulement sa possibilité. e'en fut trop pour le stalinisme; accusé d'être un dirigeant d'un « parti contre révolutionnaire paysan» ; il fut condamné en 1930 et mourut au Goulag en 1938. 99
courte à la longue durée sont articulés. Schumpeter expliquera ces cycles par les innovations en « grappes» : des causes réelles et surtout pas monétaires. 312 - La «crise» tendancielle du capitalisme ou sa maturité, par la baisse du taux de profit et du taux d'intérêt Les cycles Kondratieffremettent en cause de façon brutale la théorie smithienne de la liaison entre taux d'intérêt et taux de profit: la monnaie (afflux ou « faim d'or ») et donc la politique monétaire (expansive ou restrictive) semblent centrales et causes des fluctuations longues. Ce qui suit est aussi en parfaite contradiction avec l'existence des cycles Kondratieff: il s'agit de tendances longues non cycliques. Mais ces théories des tendances à long terme du capitalisme ignorent, tant chez Marx (pourtant hésitant envers la liaison à la Smith, ayant compris le rôle du crédit bancaire pour perturber cette liaison) que chez Keynes (ce qui est paradoxal car sa théorie du taux d'intérêt est essentiellement monétaire), l'intervention de la monnaie et des politiques monétaires qui perturbent évidemment les tendances longues à la baisse des taux de profit et d'intérêt. * «État stationnaire» des classiques et «euthanasie» des rentiers fonciers La théorie de la rente foncière des économistes classiques est en fait une deuxième théorie d'euthanasie des rentiers, après celle de la prohibition du prêt à intérêt, et avant la troisième de Keynes. De fait, la théorie classique n'est qu'une machine de guerre contre les propriétaires fonciers. La population étant croissante en tendance selon une progression géométrique (<
assuré par la concurrence, y compris dans l'agriculture
-
est
écr3;sé, « squeezé» entre les salaires et la rente. A long terme, c'est l'état stationnaire des classiques qui ne peut cependant pas être considéré comme une théorie des cycles longs ni des crises. En effet, la « croissance zéro» n'est pas une crise selon les classiques, dits néanmoins « pessimistes» pour ce qui est du long terme (Ricardo et Malthus) : elle pourrait être
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combattue par le progrès technique; et même sans ce progrès technique, le capitalisme de l'état stationnaire serait simplement un capitalisme arrivé à maturité. Le propriétaire foncier est bien l'ennemi à abattre: on propose - mais sans grande conviction: toucher à la propriété privée peut donner des idées d'élargissement de la mesure! - la nationalisation des sols et la redistribution de la rente par l'Etat. La liberté du commerce et l'autorisation des importations agricoles seront en fait une méthode plus douce d'euthanasie!. Si l'on suit la théorie du taux d'intérêt de Smith, chez lequel cependant cette théorie de l'état stationnaire n'est pas présente, on devrait également percevoir une baisse tendancielle du taux d'intérêt. * La baisse tendancielle du taux de profit de Marx, induisant, mais avec combien d'hésitations, celle du taux d'intérêt Marx arrive aux mêmes conclusions que les classiques, mais justement par la prise en compte du progrès technique. Il ne s'agit pas d'un cycle long mais d'une crise inéluctable qui est à la base de l'écroulement du système. Cette « loi» marxiste bien connue ne peut être éludée pour préciser et critiquer la véritable théorie des crises réelles de Marx: la théorie de la suraccumulation analysée plus loin. Notons e le taux d'exploitation ou taux de plus-value, c'està-dire le rapport entre la plus-value PL et le capital variable V correspondant aux avances en salaires: e = PL I V. Notons n la composition organique du capital, le rapport entre le capital constant2 C (avances en capital fixe et en stocks de matières premières, le capital circulant hors salaires) et le capital variable V: n = C I V. n mesure en valeur travail l' «intensité capitalistique », le rapport «capital I travail» au sens traditionnel. Notons enfin re, le taux de profit ou la rentabilité économique, le rapport entre PL et le capital total avancé3 C + V: e = PL I (C + V). En divisant numérateur et dénominateur par V, on obtient l'analyse traditionnelle donnant re en fonction de e et n : I L'abolition des « Corn Laws Il en 1846, c'est-à-dire la fin du protectionnisme agricole, suit de peu le (( Bank Charter Act Il de 1844 qui scelle la victoire de la Currency shoal (ne pas émettre plus de monnaie fiduciaire que la monnaie en or) : les libéraux ont pris le pouvoir. 2 Capital constant C signifie que ce dernier (( ne fait pas de petits Il, qu'il n'est pas productif de profit; capital variable V signifie que c'est la force de travail payée par V qui fait des petits: la plus-value donnant le profit. 3 C'est en fait plus compliqué, et Marx le mentionne: les rotations différentes des capitaux, fixes et circulants, font de la « formule» habituelle de Marx du taux de profit une relation où tous les capitaux « tournent» en une année; voir Castex (2003). 101
re =
Si
l'on
longue
suppose
période
composition
re tend
PL/V
e
l+C/V
1+0
que
et que
organique
à diminuer
le taux
d'exploitation
le progrès
technique
du
capital
0,
il semble
à long
terme.
Marx
est
constant
fait augmenter alors
évident
voit immédiatement
sur la que
les
objections qu'il nomme des contre tendances: en particulier e peut croître en longue période!. En fait la principale objection à la baisse qu'il travail
tendancielle
n'est
pas
s'accroît
du taux de profit, évoquée
par Marx,
est
technique capital/ bien avec le progrès technique, sa traduction en évident
que
si le rapport
valeur C / V = 0 suive le même mouvement: le prix relatif en valeur travail de C tend à diminuer par rapport au coût de la force de travail V. C'est d'ailleurs l'une des raisons de la substitution du travail vivant par le capital constant. Et il n'est plus du tout sûr que la « loi» soit vérifiée à long terme ni donc qu'elle soit théoriquement fondée. On verra plus loin que Marx est très critique envers la théorie du taux de profit de Smith dans la conjoncture du cycle des affaires, il semble néanmoins admettre une baisse tendancielle du taux d'intérêt à long terme. * La baisse tendancielle du taux d'intérêt selon Keynes et l' « euthanasie des rentiers» On trouve donc chez le Keynes de la Théorie générale, la théorie du profit-rente. Avec les mêmes conséquences que chez les saint-simoniens, Proudhon et fabiens: « Nous sommes convaincus que la demande de capital est strictement limitée, en ce sens qu'il ne serait pas difficile d'accroître l'équipement jusqu'à ce que son efficacité marginale tombe à un chiffre très faible ». Il nous explique que l'efficacité marginale du capital, donc le taux d'intérêt (retrouvant ici son fondement néoclassique...) va naturellement baisser et tendre vers zéro. Le processus que pense percevoir Keynes renvoie de manière contradictoire à celui de la rente foncière de Ricardo et Malthus qui devait cependant augmenter par la loi des rendements décroissants2: rien d'étonnant puisqu'il utilise en fait le point I Il semble en fait être curieusement constant en tendance; on y reviendra. 2 Il utilise encore le raisonnement marginaliste néoclassique en projetant au long terme par erreur la théorie de la décroissance de la productivité marginale du capital pour une échelle de production donnée, donc à court terme. Il confond ainsi les rendements d'échelle et les rendements à l'échelle: si les rendements marginaux à l'échelle peuvent en effet être le plus souvent décroissants (hypothèse ad hoc des néoclassiques), les rendements d'échelle à long terme sont croissants: il s'agit des économies d'échelle.
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de vue des fabiens où le capital est assimilé à la terre et le profit du capital réduit à l'intérêt à une rente. Sauf que chez Keynes, cette rente est bien décroissante, en éludant d'ailleurs la question du taux de profit qu'il n'envisage pas, restant à cet égard néoclassique. On aura remarqué que dans cette analyse de long terme, Keynes abandonne de fait sa théorie monétaire du taux d'intérêt qui redeviendrait donc fondamentalement une variable réelle renvoyant à la théorie néoclassique : il y a bien deux théories du taux d'intérêt chez Keynes. Keynes semble donc plagier Marx, seulement dans la forme, en établissant à nouveau ce que l'on peut nommer une « baisse tendancielle du taux d'intérêt ». En effet, la hausse de la composition organique du capital correspond bien à la baisse de la productivité moyenne du capital. L'inverse d'O, V I C peut se transformer, en considérant w la part des salaires V dans le revenu national mesuré en valeur travail E, en (l - w) E I C. E I C est la productivité « apparente» (ici moyenne) du capital constant (ce qu'une unité de valeur travail de V «produit» comme valeur travail): quand cette dernière baisse, [2 s' accroît2. L'analyse de Keynes renvoie donc bien techniquement à celle de Marx, mais, encore une fois, en isolant du taux de profit le seul taux d'intérêt. Bien entendu, les conclusions sociales et politiques de Keynes sont parfaitement contraires à celles de Marx. Le capitalisme va-t-il ainsi disparaître, va-t-il sombrer, emporté par la Révolution prolétarienne? Non, au contraire, il s'agit d'une transition vers un meilleur capitalisme: « La généralisation de la rente nous paraît constituer une phase de transition du capitalisme; elle prendra fin lorsqu'elle aura rempli son objet ». Et sans révolution: « Le grand avantage de l'évolution que nous préconisons, c'est que l'euthanasie du rentier et du capitalisme oisif n'aura rien de soudain, qu'elle n'exigera aucun bouleversement, étant simplement la continuation par étape, mais longuement poursuivie, de ce que nous avons connu récemment en Grande Bretagne ». Bref, Keynes retrouve les analyses techniques et les conceptions politiques des saint-simoniens et de Proudhon que Marx n'aimait guère, par l'intermédiaire de la Fabien Society.
1 En utilisant les notations de notre modèle IS ER (voir plus haut). 2 Selon certaines statistiques sur le très long terme en France, la productivité du capital (rapport entre le PIB et le stock de capital productif, ici le seul capital fixe) serait fortement décroissante. Voir Castex (2006) et plus loin. 103
32 Théories du cycle monétaire: prépondérance du taux d'intérêt
la
321 - La variété des théories monétaires du cycle des affaires Ces théories du « Credit Cycle» sont nombreuses et variées; seules les plus importantes (celles de Wicksell, Fisher et Hayek) seront plus spécifiquement analysées ici. Il faut néanmoins mentionner quelques approches intéressantes. Ces théories sont nées (quelques intuitions précédentes mises à part, dont celle de Marx) avec Wicksell (qui refusait pourtant que sa théorie fût considérée comme une théorie du cycle), reprises par Hawtrey (1919, 1935), Alfred Marshall (1923) et Robertson (1926)... et le Keynes du Treatise on money en 1930. Ce raisonnement est épousé surtout par Hayek à la fin des années 20 et développées contre Keynes, qui avait changé, au début des années 30. Irving Fisher lui-même n'est plus en 1933 le même qu'en 1911 où déjà sa théorie quantitative de son Purchasing power ofmoney n'était pas aussi mécanique que les présentations simplifiées laissent à penser: il admettait des «périodes de transition» où la croissance de la masse monétaire par le crédit présentait des effets réels; évidemment, après cette transition, la théorie quantitative reprenait tous ses droits 1. En outre, dans La théorie de l'évolution économique de Schumpeter (1912,1935), très antérieure à l'analyse des Business cycles de 1939, apparaît une théorie des cycles des affaires. C'est une théorie « dualiste », monétaire et réelle, comme toutes les théories monétaires du cycle en fait: la monnaie est liée à la dynamique, par le taux de profit et l'intérêt. Le rôle du crédit est central pour le financement même de l'innovation, donc des investissements en capital fixe, pas seulement pour celui du capital circulant courant. Le crédit apparaît pour financer les innovations, c'est «le complément monétaire de l'innovation ... le crédit crée bien du pouvoir d'achat». Mais un danger apparaît immédiatement, si le « crédit normal» finançant le «flux circulaire» (c'est-à-dire le capital circulant) permettant un développement économique équilibré ne peut être inflationniste, le «crédit anormal» en I On trouvera beaucoup plus tard une analyse aboutissant aux mêmes conclusions que Fisher, mais par une démarche différente (celle de l' « illusion monétaire des salariés»), chez le monétariste Milton Friedman: la monnaie n'est que « neutre », car elle agit transitoirement sur la sphère réelle, et non pas « super neutre» comme elle le deviendra avec la Nouvelle école classique. 104
excès risque de distribuer un pouvoir d'achat fictif sans forcément des biens réels en face si la production ne suit pas immédiatement la demande. Et l'on retrouve rapidement la théorie quantitative, avec une {(épar~ne forcée» dont il attribue la paternité à l'Autrichien von Mises, sans les complications de Hayek, analysé plus loin. C'est ce que Schumpeter nomme l' « inflation de crédit ». Enfin, Hawtrey développe en 1919 une théorie où il introduit la liaison entre demande de monnaie (thésaurisation) et taux d'intérêt, anticipant la relation entre demande de monnaie et taux d'intérêt reprise par Keynes. Son principal apport nous semble être la liaison qu'il effectue entre le niveau des stocks et la thésaurisation qu'il nomme, toujours pour éviter le gros mot de thésaurisation, la {(marge disponible ». Pour employer notre vocabulaire: à la thésaurisation d'un flux monétaire de revenu correspondent les variations de stock (pour Hawtrey en général non désiréesf 322 - Une interprétation
des mystères de Knut Wicksell
Wicksell (fin du XIXe et début du XXe siècle) est considéré comme un néoclassique ; mais il est dissident et ainsi fondateur de ce qui deviendra l'école suédoise très proche des paradigmes keynésiens. C'est le précurseur du Keynes du Treatise. Il prétend réinterpréter les causes de l'inflation par une démarche non quantitativiste mécaniste; autrement dit par autre chose que la mécanique purement monétaire de Ricardo, reprise par les néoclassiques, qui sera formalisée par Fisher selon laquelle, à certaines conditions, la masse monétaire augmente -7 mécaniquement le niveau général des prix augmente: Wicksell met en lumière un processus réel complexe. La différence que fait Wicksell (1898 et 1901-1906, 1935) entre le taux naturel et le taux monétaire de l'intérêt, ressemble fort à celle de Smith et de Marx entre taux de profit ou de rentabilité économique (toujours re selon nos notations) et le taux d'intérêt r. Le taux naturel renvoie à la rémunération du capital au sens 1 Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel (Théorie de la monnaie et du crédit), de 1912. C'est une sorte de « mélange» de Bôhm-Bawerk et de Wicksell ; Hayek développera ce point de vue. 2 C'est pour cette raison que Hawtrey gênera tant Keynes dans sa Théorie générale où ce dernier refusera de comprendre ce que signifie la variation de ce « capital liquide » (les variations des stocks). Pour cette raison, Keynes a en fait mal compris l'égalité de l'épargne S et de l'investissement I : I est toujours identique à S, car incluant les variations non désirées des stocks invendus en cas de surproduction; mais l'investissement désiré Id est alors inférieur à S. C'est le principe même de la demande effective; voir Castex (2003 ). 105
néoclassique en absence de monnaie et de crédit, c'est-à-dire sur un marché des fonds prêtables. Le taux d'intérêt monétaire apparaît avec le crédit bancaire ou plus généralement quand le marché des fonds prêtables fait intervenir la monnaie. Il se refuse donc lui-même à appliquer ses analyses du déséquilibre aux cycles économiques, courts ou long, mais il est d'usage de l'y appliquer. La théorie, implicite donc, du cycle de Wicksell consiste à penser que le cycle économique est dû à des décalages entre les deux taux!. Idée géniale2, sauf que le « bon équilibre» est évidemment, comme chez les néoclassiques, re = r. Les déséquilibres vont profondément perturber l'économie, en induisant en particulier de l'inflation en période de boom, puis la crise, la récession avec déflation, la reprise, etc. Les causes de la crise seraient donc pour Wicksell essentiellement monétaires: le laxisme du crédit bancaire. En phase d'expansion, re > r : les entrepreneurs sont incités à investir, utilisant en particulier l'aubaine de l'effet de levier de l'endettement (mécanique non explicitée à l'époque); ce qui peut conduire à un surinvestissement et un manque d'épargne, r étant trop faible, compensée par les crédits bancaires. Les prix montent car on suppose le plein-emploi et un retard de l'offre par rapport à la demande3. Le processus ne peut s'arrêter que lorsque apparaît le risque de liquidité ou même d'insolvabilité des banques par la hausse de r. On peut penser qu'à la fin de la période d'expansion, r rejoint re qui s'essouffle et casse ainsi la phase haussière du cycle. Il y aurait donc un effet de ciseaux entre re et r schématisé par le graphique qui suit. La crise se déclenche, et les faillites suivent. D'où les demandes de crédit non plus pour assurer l'expansion, mais pour remb0!lrser les dettes, et le taux d'intérêt augmente encore. Et krach! A l'inverse, à la fin de la dépression, r devenu très bas, par manque de combattants (c'est-à-dire de demande de crédits aux banques), permet le redémarrage au moindre frémissement de la rentabilité économique. La monnaie devient donc active, mais nocive. Pour éviter la crise, il faut éviter son point de départ: des taux d'intérêt bancaire trop bas, donc le laxisme monétaire en période d'expansion. I
Le responsable du décalage devant être trouvé essentiellement dans le taux d'intérêt monétaire et non dans le taux naturel, bien que la thèse inverse puisse également être mise en avant: ce sera celle de Keynes dans la Théorie générale, le taux naturel devenant l'EMAC, bref la rentabilité marginale de l'investissement. 2 Idée déjà entrevue par Marx pour critiquer Smith. 3 L'explication de l'inflation par Hayek, avec les mêmes hypothèses, sera plus précise. 106
Une interprétation du cycle selon Wicksell : l'effet ciseaux dn taux d'intérêt "naturel" et du taux d'intérêt "monétnire"
r "naturel"
(cad re) croissant puis décroissant
-1: '"
0'" c '" S 'ij
.. .. ..
.. ..
.. .' .. .. .. ..
r "monétaire"
La crise puis la récesssioll
croissant
Temps
323 - La théorie monétaire
du cycle chez Fisher
Irving Fisher (1911) explique ses périodes de transition mentionnées plus haut par les variations de r qui orientent le niveau des crédits accordés. De plus, ce sont les effets de répartition des revenus 1 qui sont à l'origine de la dynamique des périodes de transition. Autrement dit, l'analyse des périodes de transition est déjà une théorie monétaire du cycle. Le mécanisme précis de l'effet de levier n'est pas mis en relief, mais il se trouve implicitement chez Fisher: les entrepreneurs font des profits; on ne se trouve plus à l'équilibre où la productivité marginale du capital est égale au taux d'intérêt. Ce processus est « cumulatif» (expression déjà employée par Wicksell) mais est freiné en fin de cycle par le risque d'illiquidité des banques qui ne peuvent arrêter le processus qu'en haussant le taux d'intérêt. Et c'est le retournement. Fisher note que cette hausse du taux d'intérêt va faire chuter les valeurs de marché des actions; ce qui aggrave les risques des banques qui manquent déjà de réserves. Ce processus doit être précisé avec la distinction entre r nominal et rr réel, analysée par la « relation de Fisher» établie en 1930, en notant p le taux d'inflation anticipée: rr = r - p. La hausse des prix fait monter r, mais avec retard. Il est plus I Avec la hausse générale des prix, les dettes se dévaluent; cette dévaluation induit des nouvelles demandes de crédits bancaires qui dopent la dette. C'est l'un des « effets Cantillon» qui suppose une non neutralité de J'inflation sur la répartition des revenus. CantilIon est un économiste irlandais du début du XVIIIe siècle qui assure la transition entre J'interventionnisme mercantiliste et le mouvement physiocrate français qui lui doit la plupart de ses analyses. 107
correct d'écrire, dans l'esprit de l'analyse de Fisher, cette relation par r = rr + p. En effet, comme néoclassique, il raisonne directement en taux d'intérêt réel, le taux nominal étant déterminé par le taux d'inflation anticipé dû à sa théorie quantitative, donc à son « équation des échanges» Mv = PT, à ne pas confondre avec sa « relation ». Les mécanismes de la période de transition sont complexes et font intervenir les deux types de monnaies, fiduciaire et scripturale, et leur vitesse de circulation respective avec Mv + M'v' = PT. Mais le plus important est que l'on peut donc déjà déceler chez le Fisher de 1911 une théorie monétaire du cycle des affaires. L'inflation provoquée par la trop grande expansion du crédit bancaire dope la croissance, par rr trop bas (effet retard). On arrive donc à une situation de surconsommation et de surcapitalisation. À la fin, r rattrape et même dépasse p et l'on arrive au sommet du cycle. La crise se déclenche car les demandes de crédits bancaires d'entreprises en difficulté font augmenter r, des entreprises font faillite et la crise commence, avec la baisse des prix. Fisher ne fait aucune référence à une éventuelle baisse anticipée de la demande ou à une baisse des rentabilités anticipées des entreprises; il n'est pas keynésien! La cause de la crise n'est que monétaire: le laxisme du crédit bancaire trouve en fin de cycle sa limite et la cause même de sa contraction. Selon cette optique, l'Etat peut éviter la crise en injectant des liquidités. Ce qu'il n'a pas fait en 1929-1930, au contraire; ce que Fisher regrettera... un peu tard. Cette théorie, qui se développe de 1911 à 1930, aboutit après le krach de 1929 à celle de la « déflation par la dette. Fisher (1933), mentionne le poids croissant de la dette et son risque: avant (on l'a indiqué) ; mais aussi après le déclenchement de la crise. Avant, car l'endettement croissant fait de plus en plus courir de risque aux banques. À la moindre alerte, on cherche d'un côté le désendettement, de l'autre la récupération de ses créances: presque toutes les crises financières commencent ainsi sur les marchés financiers, en particulier par des faillites bancaires. Mais surtout après, car selon Fisher - qui se moque donc évidemment de ce qui deviendra le principe de demande effective de Keynes - les entreprises vendent à tout prix pour assurer leur liquidité et rembourser: les prix baissent par une sorte d'excès d'offre, pas par une contraction de la demande. La crise est déclenchée, et les prix (et le niveau d'activité) baissent; le poids de la dette devient de plus en plus lourd par la déflation et un cercle infernal se déclenche: plus on rembourse la dette, plus son poids devient élevé, plus l'on est tenté de baisser encore les prix d'offre pour dégager du« cash », etc. 108
Fisher propose une solution radicale: pour éviter les dérives du crédit bancaire, il suffit de contrôler drastiquement l'émission des banques privées en gageant les crédits sur les réserves des banques. Le crédit ne peut pas dépasser la quantité de monnaie centrale possédée par les banques: c'est la « Monnaie à 100 % de Fisher!. 324 - La théorie monétaire du cycle chez Hayek L'analyse de Hayek n'est pas très différente de celles de Wicksell et Fisher. Il insistera cependant sur le concept d' « épargne préalable» pour s'opposer au laxisme bancaire qui crée, par le crédit bancaire, un ersatz à l'épargne. Le point de départ de Hayek est l'analyse autrichienne du capital en tant que «détour de production» de B6hm-Bawerk2, avec intervention du temps: la période de production, de celle des biens capitaux à celle des biens de consommation finale en passant par les biens intermédiaires. Il reprend également les thèses de von Mises. Hayek présente en fait deux versions de sa théorie. C'est en général la première sur laquelle est mis l'accent; la seconde étant quelquefois oubliée ou négligée. L'œuvre maîtresse où Hayek (1931,1975) présente sa thèse économique fondamentale, du moins sa première version, est Prix et production3. Son concept clef est celui de « structure de production» : en gros les rapports entre les capitaux investis dans les secteurs de biens de production et de biens de consommation finale. Les anticipations de profit des entrepreneurs peuvent modifier cette structure de production, flexible. Sans perturbation par un excès de crédit bancaire, tout doit bien se passer, s'autoréguler par la fameuse égalité de l'épargne et de l'investissement. L'équilibre monétaire, en fait l'égalité du taux de rentabilité (re encore selon nos notations) et de r, comme chez Wicksell, est certes rompu si, par exemple, une épargne supérieure apparaît qui déforme la structure de production par l'investissement, mais il doit être spontanément rétabli: on passe d'un équilibre stable à un autre équilibre I Irving Fisher, IOO% money, de 1935 ; voir également 1. Fisher (1997). 2 Dans La théorie positive du capital, de 1899. Il avait auparavant étudié les différentes conceptions du capital et de l'intérêt et critiquait le point de vue où est confondu l'aspect technique de bien d'équipement et l'avance de fonds pour les acquérir: le capital ne peut être un bien homogène. En 1929, Hayek avait lancé sa thèse du rôle déstabilisateur de la monnaie dans Théorie monétaire et le cycle des affaires. Hayek (1929, 1933) Yest alors salué par Keynes dans son Treatise. Hayek (1931) critiquera par contre le Treatise... Hayek (1939, 1969) développera sa théorie, en la modifiant un peu, dans Profits, Interest and Investment et dans sa Pure Theory ofCapitalHayek (1941). 109
stable. Pour Hayek comme pour tous les ultralibéraux, ce n'est pas la création monétaire qui est la cause de l'inflation, mais son excès. Avant cet excès, la croissance peut être au rendezvous, accompagnée par la création monétaire; après l'excès commence l'inflation. En cas d'excès de crédit bancaire, ce n'est pas seulement une hausse générale des prix qui va se produire, selon la conception « mécaniste» classique et néoclassique traditionnelle. Des effets réels - autres «effets Cantillon» - mais néfastes vont apparaître. Les entrepreneurs vont investir plus (<
1 Dans sa seconde version, environ une dizaine d'années plus tard, Hayek (1939, 1969 et 1941) tient également compte de ce qu'i! nomme, en le baptisant, \' « effet Ricardo» où les variations du taux de salaire réel font varier les rentabilités. Rapidement: une augmentation des salaires fait chuter la rentabilité; on ne développera pas ici l'application qu'en fait Hayek. 110
33 Théories réelles des prépondérance du taux de profit
cycles:
la
331 - Marx, taux de profit et suraccumulation
* Marx contre Say, mais pas à cause de la thésaurisation Si Marx tire à boulets rouges contre l'optimisme de Say et Ricardo qui le suit, la question de la thésaurisation y est très accessoire, et explicitement. La vente n'est pas, comme chez Say, imposée par le fait que les acheteurs qui ont de l'argent vont vouloir vite s'en débarrasser pour racheter d'autres marchandises: c'est la « loi » de Say ou des débouchés. Une lecture rapide laisse à penser que Marx a mis le doigt sur la faiblesse de la thèse de la neutralité de la monnaie qui ne peut être conservée pour elle-même. Marx (1867, 1965) écrit en effet dans Le Capital: « M - A. Première métamorphose de la marchandise, ou vente. - La valeur de la marchandise saute de son propre corps dans celui de l'or. C'est son saut périlleux. S'il manque, elle ne s'en portera pas plus mal mais son possesseur sera frustré». La loi de Say est donc fausse, car la vente est loin d'être assurée. On se tromperait pourtant lourdement, selon Marx, pour expliquer la crise de surproduction, en restant au seul niveau de cette évidence. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est la recherche de l'argent de la part du capitaliste pour réaliser sa plus-value sous forme de profit monétaire: « Chacun y vend d'abord pour vendre, c'est-à-dire pour transformer sa marchandise en argent». L'arrêt dans le processus de circulation de la marchandise et de la monnaie - la thésaurisation - n'est qu'un symptôme de la difficulté de la réalisation de la plus-value, donc des conditions mêmes de production et de réalisation monétaire de la plus-value. Pour Marx, la thésaurisation est « une possibilité, mais seulement une possibilité des crises ». Marx identifie deux types de thésaurisation. La première, non nommée sinon par l'image de « réservoir anti-débordement », assure la fluidité des transactions: c'est ce qui deviendra, chez les néoclassiques de Cambridge, la « demande de monnaie pour motif de transaction », reprise par Keynes. La seconde est la « thésaurisation accumulatrice» également indispensable au fonctionnement du systèmel. La difficulté de la réalisation de la 1 Voir plus haut le finance motiv de Keynes qui lui ressemble fort, et Castex (2003). Si les capitalistes n'accumulaient pas de la monnaie quand ils commandent des biens de capital fixe lourds dont la durée de production est longue, la demande qu'ils exprimeraient pour les biens de consommation se heurterait à une offre insuffisante. C'est l'exact complément de la vision de 111
plus-value est le principal symptôme de la crise. Autrement dit, la crise ne s'explique pas par la thésaurisation qui induit, par la demande, une surproduction, mais par la recherche de la réalisation du taux de profit « désiré », par l'offre. En effet, en cas de crise de surproduction due à la thésaurisation de certains agents refusant de consommer ou d'investir, les capitalistes devraient accepter une baisse des prix et donc une baisse de la masse et du taux de profit; les marchandises en surproduction pourraient être écoulées, et la question des débouchés résolue. C'est le génie de la flexibilité néoclassique des prix sur les marchés, génie qui oyblie le taux de profit qui, d'ailleurs, n'existe pas pour eux. A la limite, la question des débouchés ne pose pour Marx que celle du taux de profitl. * Le cycle et la « théorie» de la « suraccumulation du capital» : une « théorie» tirée d'un « patchwork» contradictoire de Marx La théorie de la suraccumulation du capital est une interprétation à partir de ce que Marx (1867, 1965) expose au Livre I du Capital au point La composition du capital restant la même, le progrès de l'accumulation tend à faire monter le taux de salaire. Elle présente de multiples interprétations, dont ses rapprochements avec l'anali'se des rapports entre le salaire et le taux de profit chez Ricardo. Elle est souvent confondue avec la « loi» de la baisse tendancielle du taux de profit. La baisse conjoncturelle de ce dernier est due essentiellement à la hausse des salaires, mais pas seulement. Elle peut être liée à la baisse tendancielIe du taux de profit, ce que ne propose pas Marx dans son analyse spécifique de l'influence de la hausse du salaire, mais le saut est le plus souvent effectué; nous l'effectuerons aussi. D'autant plus que la question du taux de profit est, on l'a vue plus haut, centrale dans l'analyse de la crise et de la critique de la loi des débouchés de Say. Le taux de profit de la fin du temps du boom diminuerait pour essentiellement deux raisons. La première se traduirait par une baisse du « taux d'exploitation », ou « taux de plusvalue» : à cause de la disparition du chômage (de l' « armée de réserve»), les salaires réels sont dopés et dépassent leur niveau Hayek où, au contraire, l'économie serait déstabilisée par l'excès de crédit bancaire, une sorte de déthésaurisation. I Cette conception de Marx économiste de l'offre rejoint en fait celle de Keynes économiste de la demande: la demande effective pourrait toujours être égale à l'offre si les prix étaient parfaitement flexibles à la baisse en cas de surproduction potentielle. Comme les offreurs refusent les baisses de prix pour ne pas voir se réduire leurs profits - et même apparaître des pertes -, ils préfèrent ne pas vendre et contracter leur production à prix fixes. Dans ce cas apparaît le principe de demande effective keynésien, ce qui engendre la baisse du niveau d'activité et éventuellement, par des processus cumulatifs, la crise. 2 Par exemple l' « effet Ricardo» de Hayek. 112
naturel de simple reproduction de la force de travail. deuxième est le progrès technique et la recherche des gains productivité qui ont accru fortement, par les investissements capital fixe, le capital constant. On peut résumer ainsi cette « théorie» de suraccumulation : e (censé décroître) 1 + Q (censé augmenter, par la croissance relative de C, malgré celle de V)
La de en la
re (censé décroître plus fortement qu'en tendance longue)
* Développements apparents: les « théories de la surcapitalisation» Selon Rosier, cette théorie auraient trouvé des développements, outre ceux du marxisme des années 701 : «Le développement de la théorie et mouvement des coûts: surcapitaliation Tugan-Baranovski, Aftalion, Lescure, Wicksell »2. Selon le marxien russe Tugan-Baranovski (dans Les crises industrielles en Angleterre, 1894), l'épargne disponible pendant la période de crise, en baisse, ne se rétablira pas à un niveau suffisant pendant la reprise. Il y a non pas excès d'épargne, mais insuffisance pour expliquer la nouvelle crise. Cette théorie sera reprise par Hayek par l'intermédiaire de Spiethoff (en 1906) et Cassel (en 1918). Mais Hayek, après Wicksell, aura compris que cette insuffisance d'épargne était d'abord comblée par le crédit bancaire et, ensuite, par une « épargne forcée» (baisse de la consommation finale). Selon Rosier, Albert Aftalion (en 1908 et 1913) et John Maurice Clark (en 1917) seraient également des continuateurs de la théorie de la surcapitalisation. Pour Aftalion, la demande de biens de consommation oblige à l'investissement, car le plein-emploi est supposé. Cet investissement commandé lors du boom de la consommation n'est en fait réalisé que plus tard compte tenu du délai de construction (<
113
Ce n'est plus la durée de construction de l'investissement qui importe, mais le « coefficient de capital», rapport entre le capital économique nécessaire à la production et le produit intérieur net, coefficient de l'ordre de 3 à 5 (selon la définition du capital économique pris en compte). Si, en plein-emploi toujours, le produit intérieur net augmente, le capital va augmenter en induisant un phénomène d'accélérateur de l'investissement. Mais la conséquence sera identique: une surcapitalisation ou surinvestissement à la moindre stagnation. Cependant, toutes ces théories ne mentionnent pas l'effet de la hausse des salaires en fin de période de boom: il ne faut pas confondre suraccumulation et surcapitalisation. Ce n'est pas le cas de Lescure qui réintroduit (en 1906) la dynamique du taux de profit expliquée par la différence entre les prix et les coûts, en expansion plus forte: ceux des matières premières, salaires et taux d'intérêt, par les fortes croissances des demandes des facteurs de production correspondants et du capital emprunté. * Le développement des inégalités en fin de boom: la critique de la « théorie» de la suraccumulation de Marx En fin de cycle d'expansion, qu'un certain sous-emploi persiste (comme le suggère Keynes) ou que le plein-emploi soit réalisé (comme le pense Marx avec la disparition de l' « armée de réserve»), l'aspect hausse de la masse et du taux de profit avant la crise, se traduit par une répartition du revenu défavorable aux salariés. C'est donc plutôt la question des débouchés qui se pose (par la demande) que celle d'une suraccumulation, d'un surinvestissement au sens, de Marx (par l'offre) et d'une baisse du taux d'exploitation. A l'inverse, en période de récession, la résistance des salariés à la baisse des salaires nominaux tandis que les prix s'écroulent, accompagne la chute de la masse et du taux de profit et tend à rendre relativement favorable au travail la répartition des revenus, du moins pour ceux qui gardent un emploi et continuent à « produire le profit» ; ce qui peut déboucher à terme sur une reprise par la relance de la consommation puis de l'investissement. Le taux de profit est toujours la variable d'ajustement; tout montre qu'il augmente en période de boom et qu'il ne s'écroule que pendant et après la crise. Sauf que la crise boursière n'est souvent que le symptôme qui suit avec retard la crise réelle des taux de profit; mais il n'est pas besoin de rendre les salariés « responsables et coupables» de cette baissel. Marx reste un économiste de l'offre et ne porte que peu d'attention à la question des débouchés et de la demande 1 Voir la troisième partie. 114
effective, pourtant déjà évoquée avant lui par Sismondi et Malthus, due à ces déséquilibres dans le cycle. Il l'évoque bien de temps en temps (( Il arrive un moment où le marché semble trop étroit pour la production») ; mais c'est toujours le taux de profit qui prime. La thésaurisation « possibilité de crise, mais seulement possibilité» peut expliquer que l'excès d'épargne des capitalistes, dans ce cas thésaurisée, puisse être utile. Mais la sous-consommation ouvrière n'a rien à voir avec cela. John Kenneth Galbraith (1961, 1989)1 est à cet égard on ne peut plus clair: la crise déclenchée en 1929 serait due à la forte croissance de la production industrielle (croissance de 1919 à 1929 de la productivité du travail de 43 %, ce qui ne fait qu'un taux moyen annuel de 3,6 %), en particulier automobile, alors que les salaires augmentaient à peine (la fordisme était loin d'être généralisé). Les inégalités de revenus étaient criantes (5 % de la population recevant le tiers des revenus). La structure financière des sociétés américaines en holdings accélérait les versements de dividendes, ce qui boostait la bourse. Les profits et la spéculation boursière en profitèrent, en consommant en biens de luxe (dont les automobiles), cette manne financière. Jusqu'au jour où la contradiction est apparue: le jeudi noir d'octobre 1929. Lescure (1938) pensait de même, cité par Rosier: « Les hésitations de la prospérité dans l'industrie automobile ont précédé le krach. Mais celui-ci a joué un rôle décisif dans l'évolution de la crise industrielle en faisant disparaître un élément essentiel de "surconsommation" : les plus-values de bourse. On ne peut assurément dissocier les phénomènes réels des phénomènes monétaires ». Toutes ressemblances avec la situation actuelle seraient purement fortuites... Sauf que la crise de 1929 ne semble pas être la conséquence de la baisse du taux de profit2, contrairement à la crise actuelle, mais celle des phénomènes présentés par Galbraith. Exactement en opposition avec la thèse de la suraccumulation de Marx. 332 - Keynes et la sous-demande l'investissement et sous-consommation)
(insuffisance
de
* Sminvestissement avant la crise, sous-investissement (insuffisance d'investissement par rapport à l'épargne) après la cnse Les théories monétaires du cycle économique et la critique de la croissance trop forte de la masse monétaire par le crédit I Voir Rosier, op. cit. 2 Voir Isaac Joshua (I 999 et 2006). 115
bancaire au début de la période d'expansion est une pierre dans le jardin de Keynes dès l'élaboration de ses nouvelles idées, en pleine crise, entre le Treatise et la Théorie générale. La critique de Keynes reste gênée contre cette théorie qu'il avait donc plus ou moins faite sienne dans son Treatise. Outre des considérations générales sur le cycle des affaires, son idée-force est unique: dans le couple formé par le taux de rendement interne de l'investissement, le TIR que Keynes rebaptise donc EMAC, et le taux d'intérêt, c'est le premier (la sphère réelle) qui domine le second (la sphère monétaire). Il évoque certes les fluctuations de la propension à consommer et de la préférence pour la liquidité: « Néanmoins, c'est au genre de fluctuations de l'efficacité marginale du capital qu'il faut surtout attribuer à notre avis, écrit-il, les caractéristiques essentielles du cycle économique.. notamment la succession régulière de ses phases et la constance de sa durée, qui justifie l'appellation de cycle» 1. Keynes est enfin particulièrement mal à l'aise quand il reconnaît que sa théorie des crises est en fait peu différente de la théorie du surinvestissement, liée à celles du cycle monétaire. « L'analyse précédente [celle des crises selon Keynes, P. C.] peut sembler conforme à la manière de voir de ceux qui prétendent qu'un surinvestissement est la caractéristique du boom, que la lutte contre le surinvestissement est le seul moyen d'empêcher la crise subséquente, et que, si pour les raisons précédentes la baisse du taux d'intérêt ne saurait faire obstacle à la crise, en revanche la hausse de ce taux est capable de prévenir le boom ». Il y a bien en phase de boom « surinvestissement» dû à un taux d'intérêt qu'il aurait fallu augmenter (politique de rigueur contra cyclique). Mais ce dynamisme s'arrête avec la crise et l'on retrouve bien l'excès d'épargne sur l'investissement désiré qui contracte la production et le revenu aboutissant à l'équilibre de sous-emploi de Keynes. Il considère que le boom assure d'ailleurs rarement le plein-emploi total et que « ... les illusions se traduisent par une mauvaise orientation de l'investissement », avec la situation où « il y a une insuffisance de maisons, mais où personne n'a cependant les moyens de vivre dans celles qui existent >/ I
Il fait longuement référence à la durée de l'usage des biens d'équipement
ainsi qu'à celle de l'écoulement des stocks en excès du capital circulant. « Nous voici au cœur du sujet. L'élément temps dans le processus économique, ... Ii et « ... peut-être une fonction relativement stable de la longévité moyenne de l'équipement à une époque donnée Ii. Il reprend en fait les théories non monétaires du cycle d'Aftalion et de Clark ou celle, plus monétaire, de Hawtrey. 2 Voir un dessin humoristique de Plantu où un travailleur du bâtiment rentre dans l'abri de son bidonville et dit à sa femme: «je suis licencié car il n Ji a plus de maisons à construire Ii. Humours grinçants de Keynes et Plantu quand 116
* Les théories de la sous-consommation avant Keynes: à partir de Sismondi et Malthus La loi de Say sera vertement critiquée par Sismondi qui penchera pour une théorie de la sous-consommation et, à l'intérieur de l'école classique, par Malthus, anticipateur de la demande effective de Keynes et de la non-neutralité de la monnaie. Sismondi (1819, 1971) n'est pas à proprement parler un classique; son ouvrage de base critique le système de libre concurrence qui a détruit la petite production marchande, concentré les fortunes et créé un salariat appauvri. Il en déduit une sorte de surproduction structurelle: le salarié n'est pas payé pour tout le travail qu'il produitl. De Thomas Robert Malthus, le non économiste retient surtout le malthusianisme anti-populationniste. Mais Malthus (1820, 1969) eut, bien plus tard, des thèses plus progressistes. C'est un économiste classique critique de ses collègues optimistes; il eut la chance, avant de publier son principal écrit économique, de constater des crises (en 1810, 1815 et 1820) qui ont suivi les armistices puis la paix en Europe. Sa théorie de la surabondance générale de l'offre, de l'engorgement général (général gluts) est un gros pavé dans la mare de Say soutenu bec et ongles par Ricardo. Comme Sismondi, il considère que la demande est limitée par la misère de la classe ouvrière: « Parce que les travailleurs reçoivent moins qu'ils ne produisent, la consommation et la demande suscitées par les gens qui sont employés à des tâches productives ne peuvent jamais être à elles seules un moteur de l'accumulation et de l'utilisation du capital ». Il considère, toujours comme Sismondi, que les capitalistes ne peuvent combler la différence: ils sont caractérisés par une tendance à l'excès d'épargne, le but principal de leur vie étant « de parvenir à amasser une fortune à force d'économie... ». Il en déduit la notion de demande effective qui sera précisée par Keynes: « La première chose dont on ait besoin avant même tout accroissement de capital et de production, c'est une demande effective de produits, c'est-à-dire une demande faite par ceux qui ont les moyens et la volonté d'en donner un prix suffisant ». Cette idée typiquement pré-keynésienne est en fait ancienne, on la trouve chez le libéral Boisguillebert à la fin du l'on constate que, plus tard, la crise des subprimes sera la conséquence de la recherche des profits par les banques pour donner un toit aux pauvres... I Les salariés étant exploités par la « plus-valeur il, l'ancêtre de la plus-value de Marx, ils ne peuvent consommer tout ce qu'ils ont produit. C'est oublier la dépense possible des capitalistes, dont l'investissement. Sismondi considère cependant que les capitalistes ne pourront investir toute leur épargne, justement par la limite de la consommation ouvrière. C'est le fondement de la théorie de la sous-consommation et, fondamentalement, de l'insuffisance d'investissement. 117
XVIIe siècle, également dans la Fable des abeilles de Bernard de Mandeville (en 1705) et Lord Lauderdale (en 1804). Cette théorie de l'excès d'épargne fut reprise par Hobson (en 1889 et 1895). Par ailleurs néanmoins, il affirme souvent, anticipant Wicksell et Hayek, que c'est, au niveau macroéconomique, l'insuffisance d'épargne et l'excès d'investissement qui seraient la cause de la crise. C'est encore la question du « timing» qui est en cause: avant et après la crise. Il avance pourtant, à l'inverse, la thésaurisation en tant que différence entre l'épargne et l'investissement comme l'une de ses causes; on peut penser qu'il raisonne bien en flux de revenu monétaires et finit par pencher plutôt pour un excès d'épargne monétaire: critique explicite de la loi de Say. Mais cet aspect monétaire reste élémentaire, lui vaut des railleries et n'est pas développé. Quand il admet l'excès d'épargne et l'insuffisance de l'investissement, il anticipe par contre néanmoins les thèses de Keynes 1.Malthus, anti-libéral ici car soutenant les propriétaires fonciers, verra dans ces derniers une bouée de sauvetage de la crise: leur consommation somptuaire remplaçant (au moins partiellement) les investissements des capitalistes industriels. * La théorie du cycle économique des affaires chez Keynes Keynes se placera dans le même cadre. Il évoque, dans le cadre des causes de la crise dans la sphère réelle, la baisse de fortune des propriétaires (qui ne peut qu'aggraver la crise après son déclenchement) mais aussi les théories de la sousconsommation de Sismondi et Malthus, développées par maints pessimistes2. Cet aspect de Keynes concernant la sousconsommation, très hétérodoxe, est toutefois rarement souligné comme il le mérite. On préfère voir en lui l'adepte de l'insuffisance de l'investissement plutôt que celui de l'insuffisance de la consommation, c'est-à-dire «... des I « Quand les profits sont faibles et incertains, quand les capitalistes ne savent pas comment employer avec sûreté leurs capitaux, et lorsque par ces motifs les fonds passent à l'étranger, en un mot lorsque toutes les circonstances démontrent qu'il n Ji a point de demande effective de capitaux dans le pays, n'est-ce pas contrevenir en vain et en pure perte au premier, au plus important et universel de tous les principes de l'économie politique, celui de la demande et de l'offre, que de conseiller l'épargne et la conversion en capital d'une plus grande somme de revenu ». 2 On ne développera pas ici cet aspect de Keynes, bien connu, car ses références à Hobson, au Major Douglas ou à la Fable des abeiHes de Mandeville sont explicites. Il y consacre un chapitre entier de la Théorie générale: le Chapitre 29, Notes sur le mercantilisme, les lois contre l'usure, la monnaie estampillée et les théories de la sous-consommation. Nous ne reviendrons pas ici sur la monnaie estampillée et l'utopie de Silvio Gessel; voir Castex (2003 et 2007) . Ils
habitudes sociales et une répartition de la richesse qui se traduit par une trop faible propension à consommer ». Ce n'est pas le trahir, car s'il reconnaît « que ces écoles en tant que guide d'une pensée concrète ont certainement raison. ... s'il est matériellement impossible d'augmenter l'investissement, l'accroissement de la consommation est évidemment le seul moyen d'augmenter l'emploi », il préfère la relance par l'investissement ou, en normand, « que la sagesse serait de progresser dans les deux directions à la fois ». Il est contre la baisse des salaires, mais ne précise pas sa p,ensée en prônant une relance par l'augmentation des salaires 1... Il ne fait pas explicitement référence au phénomène de changement dans la répartition des revenus selon les phases du cycle. Négligeant ce phénomène de lutte économique de classes dans le cycle et bien qu'adepte des théories de la sous-consommation en général, Keynes ne peut aboutir à une explication complète des cycles.
1 Il ajoute même un paragraphe sibyllin (le point V du chapitre 22 sur le cycle économique) où on lit en filigrane une critique de la réduction du temps de travail. Il pensait aux réformes qui verront le jour avec le Front Populaire français.
119
Chapitre IV Les marchés financiers et les bulles: des mécanismes propres relativement détachés des cycles réels
On analysera cette question en trois temps. Le premier consiste à se demander si l'on peut-on définir et calculer ladite « valeur fondamentale» ou «intrinsèque» de marché d'une action? On connaît « le» taux d'intérêt actuel, donné (soit déterminé par les forces réelles du marché des fonds prêtables néocIassiques, soit par celles du marché monétaire keynésien: on feint d'ignorer le problème). Ce taux intervient dans le calcul de la valeur fondamentale des cours des actions, avec le bénéfice actuel, son taux de croissance annuel anticipé, et la prime de risque financière désirée par les actionnaires. Bref, l'économie réelle est bien au cœur des marchés financiers, mais ce sont des « marchés de promesses ». Plusieurs théories répondent à la question. Oui; non; avec des limites pour la « finance comportementale ». Nous n'étudierons plus en détail que les deux premières réponses dans les deux temps suivants: oui pour celle des « marchés efficients », ce sera notre deuxième temps; pas du tout pour celle de la « finance autoréférentielle » ou du mimétisme, ce sera notre troisième temps. Dans toutes ces approches, les valeurs boursières futures restent indéterminées: une « random walk », une marche au hasard. Bref, avec ou sans possibilité de détermination de la valeur fondamentale des actions, la bourse aurait sa dynamique propre explicable surtout par les comportements des investisseurs où interviendraient certes le taux d'intérêt et les taux de profits, effectifs et anticipés, mais sans percevoir que les premiers sont une conséquence des seconds. 121
41 - La valeur fondamentale t-elle ?
des actions existe-
411 - Une « formule » simple
* Le « PER» L'instrument de base, la boussole des boursiers est le PER, (Price Earning Ratio). Le PER, ou multiple, ou coefficient de capitalisation, est le rapport entre la valeur de marché de l'action et le bénéfice par action, le BPA (attendu pour l'année en cours en général), ou, au niveau global, entre la capitalisation boursière et le bénéfice de l'entreprise. Sauf que cette analyse est absurde si les bénéfices actuels n'ont rien à voir avec les bénéfices futurs. Par exemple pour les fameuses Start up de la E-Economy, la Nouvelle économie dont le krach de 2000 s'est généralisé à toutes les valeurs boursières. En notant Bf le bénéfice global ou par action et V la valeur de l'action ou la capitalisation boursière, PER = V / Bf. Son inverse approche la rentabilité financière nette effective des 1 valeurs boursières : rf = 1 / PER = Bf / V. Il peut apparaître absurde d'estimer les bénéfices futurs par le bénéfice actuel. En effet, le moindre bénéfice annoncé un peu inférieur au bénéfice attendu fait chuter les cours, c'est le « profit warning », la mise en garde, l'avertissement. On pourrait en déduire que la bourse, de par sa nécessaire liquidité - elle est faite pour ça - tend à être courtermiste, en contradiction avec les fondamentaux qui supposent la prise en compte du long terme. Ce n'est pas si absurde: si l'on considère que le bénéfice actuel est « normal » et s'il est possible d'estimer ensuite son taux de croissance annuel, le profit warning doit bien faire baisser V. C'est la question de la détermination de la « valeur fondamentale» des actions. * La valeur fondamentale ou valeur intrinsèque L'analyse de Gordon et Shapiro, déjà rencontrée, nous donne la « formule» de la cette valeur fondamentale des actions
1 Prenons un exemple. Pour une action de valeur de marché de 500 et un BPA de 20, le PER est de 25 : on paie l'action 25 fois son bénéfice actuel. Ce qui peut paraître « cher ». Son inverse ressemble à un taux de rentabilité, ici l'action rapporte un bénéfice de 4 %, ce qui n'est pas beaucoup. L'inverse du PER jugé normal est souvent pris comme approximation de la rentabilité désirée. Si ce taux est de 8 %, le PER normal est de 12,5 : les actions à PER plus élevé sont chères, il faut les vendre; les actions à PER plus faible sont bon marché, il faut les acheter. 122
connaissant leur résultatl actuel Bf; le taux de rentabilité désiré des actionnaires rID, égal au taux d'intérêt sans risque plus la prime de risque financière désirée RID et le taux de croissance annuel g anticipé de Bf: V = Bf / (rID - g) = Bf / (r + RID - g)
Facile 1...Le plus dur est évidemment de connaître ce qui est parfaitement inconnu, sauf Bf et r. Et encore pour r, on y reviendra! L'information parfaite devrait permettre d'approcher toutes ces variables. D'autant plus que si V actuelle est la bonne, « la bourse ne se trompant ~amais », il vient, à partir du calcul du PER ou de son inverse:
rID = rf + g. La
rentabilité financière désirée est la rentabilité effective augmentée du taux de croissance anticipé des profits. La seule inconnue qui reste, mais de taille, est g: l'avenir. Mais à condition que V actuelle soit bien la bonne... On entrevoit une première circularité entre le présent et le futur, ajoutée à l' « incertitude radicale» (au sens de Keynes) de l'avenir. On peut transformer cette relation en prenant en compte le bénéfice futur annuel anticipé BfA constant calculé à partir de Bf et g. On trouve3 BfA = [(rID /(rID - g)]Bf. Le pourcentage d'augmentation de BfA par rapport à Bf (BfA / Bf - 1) est ainsi de4 rID / (rID - g). Pour un rID donné, BfA est très sensible à g ; il en est de même de V : V = BfA / rID
avec
BfA = [(rID /(rID - g)]Bf
Il va de soi que V est croissante avec Bf et décroissante avec rID mais est très croissante avec g ; quand g tend vers rID, BfA et V tendent vers l'infini. Avant d'aborder plus en détail, d'une part la théorie des marchés efficients, d'autre part celle de la finance autoréférentielle, nous proposons auparavant un tour général d'horizon en indiquant ce qui peut apparaître comme une synthèse: la finance comportementale. I Voir plus haut. Les actionnaires actualisent en fait les flux de cash en dividendes; mais Modigliani et Miller ont montré que la politique de distribution était neutre sur les valeurs de marché: on prendra donc les bénéfices futurs. 2 rf = Bf / V = Bf / [Bf / (rID - g)] = rID - g, d'où rID = rf + g; ce qui ressemble au calcul (mais avec le dividende d et non le bénéfice Bf) présenté plus haut du taux de rentabilité financière désiré de Gordon et Shapiro. BfA est Ie bénéfice qui, actualisé avec rID, donne V, donc V = Bf / (rID - g) 4= BfA / rID ; d'où l'expression de BfA en fonction du Bf actuel.
Si rID = 5 % et g = 1 %, BfA / Bf= 1,25, soit 25 % d'augmentation.Avec
g = 2 %, on passe à 1,67 soit 67 % d'augmentation; avec g = 4 %, on obtient une augmentation de 500 %. 123
422 - Deux points de vue opposés et une synthèse? * L'existence de la valeur fondamentale fonde la théorie dominante des marchés efficients La théorie financière dominante concernant les marchés financiers est celle de leur « efficience ». Elle suppose que, par une information parfaite, V peut être connue, du moins approchée de façon « rationnelle ». Cette connaissance ne peut être « parfaite» puisqu'il s'agit du futur. Cependant, ce futur (ici seulement celui de g et de RID, le présent étant connu pour Bf et r) n'est pas choisi au hasard, « psychologiquement », mais est le fruit d'un calcul de probabilité: c'est 1'« espérance conditionnelle» tenant compte de toute l'information disponible renvoyant aux « anticipations rationnelles» de la Nouvelle école classique. Dans ce cas! «H' la valeur fondamentale préexiste objectivement aux marchés financiers et ceux-ci ont pour rôle central d'en fournir l'estimation la plus fiable et la plus précise. ... l'évaluation financière ne possède aucune autonomie ... ». Sans connaissance possible de V, il n'y a pas de marchés efficients. * Selon la théorie alternative de la « finance autoréférentielle »2, la valeur fondamentale ne peut être la boussole des spéculateurs Si le futur, donc le risque, est probabilisable, on sort en fait de l'incertain pour rester dans l'aléatoire, du «presque certain» selon Keynes3. Keynes distingue les «prévisions très incertaines» des« prévisions très improbables »4.La théorie de l'efficience est ainsi critiquée par la théorie du mimétisme et de la convention (donc celle de Keynes reprise par André Orléan), devenue finance autoréférentielle. Pour Orléan, au départ, était la théorie du mimétisme, mais éloignée de celle du Keynes de la Théorie générale: elle était née en France au sujet de la théorie de la nature de la monnaie. Le livre La Violence de la monnaie d'Aglietta et Orléan publiée en 1982 a donné lieu à une nouvelle version en 2002 : La monnaie entre violence et confiance, où s'ajoute donc à la violence la confiance. Cette nouvelle version complètement remaniée tentait un pont entre l'analyse mimétique de 1982, spécifiée à la monnaie, et le concept de dette de vie qui apparaît 1 Les citations qui suivent sont celles d'Orléan (2004) ; on reviendra plus loin sur d'autres textes de cet auteur. 2 Ou « théories du mimétisme », « de la convention»: le nom reste indéterminé, ayant beaucoup évolué. o Tirer à pile ou face donne un résultat « presque certain» : sur 1 000 coups, il y peu de chance de d'écarter de 50 % de pile et 50 % de face. 4 Il indique: « en disant "très incertaines" nous ne voulons pas dire "très improbables". Cf notre Treatise on Probability, chapitre 6. Le "poids des arguments" ».
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dans les années 90 et est exposée dans l'ouvrage La monnaie souveraine de 1998 dirigée par nos deux auteurs. Ils appliquent à la monnaie la sociologie du sacré du philosophe René Girard (1972) dans La violence et le sacré. L'origine de la violence humaine se trouverait dans le désir mimétique des objets: on désire parce qu'il est l'objet du désir de l'autre. Ce mimétisme ne peut aboutir qu'à la violence et au meurtre (le vol et la rapine). Le meurtre sacrificiel d'un bouc émissaire peut rétablir l'unité de la communauté: ce bouc émissaire devient chez nos auteurs la monnaie, une marchandise sacrifiée, « élue et exclue» l, Bref, dans la pensée de René Girard, le mimétisme dépasse largement son acception habituelle de comportement moutonnier qu'il reprendra en finance: c'est plutôt « L'enfer, c'est les autres» du Huis clos de Sartre, le rapport conflictuel aux tiers, que « Je fais comme tout le monde ». Cette théorie de la monnaie institution (opposée à celle de la monnaie bien économique naturelle de la théorie orthodoxe) trouve ses sources dans la théorie de la régulation, où l'on trouve à la fois, entre autres et au départ, Michel Aglietta2 et Alain Lipietz. Elle déboucha rapidement sur une théorie des conventions surtout avec André Orléan. L'école de la régulation3, ou régulationniste, correspond à l'une des branches d'un courant très franco-français issu d'un cocktail de marxisme,. 4 de keynésianisme et d'institutionnalisme ( amencam ). " En finance de marché, la théorie du mimétisme reprend donc une signification plus traditionnelle. La valeur fondamentale des actions n'est plus une donnée objective; même si elle peut exister théoriquement, elle ne peut orienter les prises de décision des agents. C'est l' « opinion majoritaire» qui seule compte pour déterminer les prix de marché des actions; elle peut s'éloigner de la valeur fondamentale V. Orléan (2004) écrit: « .., de quoi cette opinion majoritaire est-elle l'opinion? ... : l'opinion majoritaire a pour objet l'opinion majoritaire elle-même », d'où les nouvelles appellations de « rationalité autoréférentielle» ou de « finance autoréférentielle» pour renommer les comportements mimétiques. Les mécanismes des marchés financiers sont donc totalement autonomisés par rapport à ceux de l'économie réelle; par exemple, la baisse des
1 Voir les deux livres et, pour une critique, Castex (2003 et 2007). 2 Il fut l'un des principaux auteurs de l'école de la régulation, avec son livre publié en 1976 Régulation et crise du capitalisme: l'expérience des EtatsUnis. 3 On peut citer, entre autres, Boyer (1986). 4 Citons Veblen il y a un siècle et les « radicaux» américains, dont John K. Galbraith. 125
taux de profit devient un détail pour expliquer un krach boursier. Et l'on retrouve la faiblesse du raisonnement de Keynes et de son « concours de beauté» analysé plus loin. Et l'on revient à la théorie de la convention du même Keynes, où les croyances partagées d'un groupe social se polarisent, selon Orléan : sur des « saillances à la Shelling », ou un « point focal» \ Ie prix de marché. Alain Lipietz (1995) estimait que la théorie de la convention était une déviation de la théorie de la régulation abandonnant les paradigmes marxistes2 pour les remplacer par des sortes de mythes. Les mythes dont la principale caractéristique est d'être « oubliés », refoulés dans l'inconscient collectif. Il critique en passant le «paradigme du carrefour» où une «convention intériorisée (et non renégociée à chaque instant)>> celle du code de la route, évite les collisions. Il note avec humour: « L'ennui, c'est que le paradigme du carrefour est vieux comme le monde, et que les anciens n'étaient pas dupes. Sur la route de Thèbes à Corinthe, un Vieux Mâle rencontre un éphèbe et anticipe "conventionnellement" sa priorité. Le fils rebelle sans le savoir tue le père: on en parle encore ». Le vieux mâle, c'est Laïos, le jeune éphèbe Œdipe. * Une synthèse possible: la «finance comportementale » ? L'opposition la plus rude à la théorie des marchés efficients est apparue depuis quelques années, aux Etats-Unis. Le débat, noté par Orléan (2004) entre Robert Shiller, l'opposant de la « Behavioral Finance » (la finance comportementale) à Burton Malkiel3, l'un des chantres des marchés efficients, dans le Journal of Economic Perpectives de l'hiver 2003, l'a fait apparaître au grand jour. Des limites internes à la théorie des marchés efficients étaient déjà apparues, par les « bulles rationnelles» qui trouvent leur origine dans l'autovalidation de croyances partagées par un grand nombre d'acteurs. Dans la théorie de l'efficience, même si des spéculateurs irrationnels interviennent, donc en jouant I L'Américain Thomas Shelling, Nobel d'économie en 2005, est un spécialiste de l'analyse stratégique, au sens fort du terme (guerre du Vietnam, guerre froide). 2 En effet, la théorie de la régulation « ...privilégiait les relations verticales (dominant/dominé) et introduisait un peu de subjectivité et d'agir communicationnel dans la reproduction conflictuelle des structures, la théorie de la convention fait le chemin inverse. Elle part de la compétition horizontale d'individus supposés égaux, et cherche à rationaliser cette compétition autour de quelques "conventions", ces structures cognitives inventées dans le passé guis" oubliées" N. Malkiel (1973, 2001) est ['un des analystes financiers américains les plus connus. 126
sans le savoir contre le marché, l'intervention des arbitragistes assurera le retour à l'équilibre. A condition qu'ils n'aient pas tous la même opinion. Grossman et Stiglitz ont indiqué dès 1980 un paradoxe amusant: si les anticipations sont rationnelles, le prix de marché est le bon prix; à quoi bon pour le spéculateur mal informé de se payer une information coûteuse! Si ce comportement se généralise, le prix n'est plus le bon! La finance comportementale va plus loin. Elle commence par une analyse de comportement des spéculateurs ignorants, ceux qui ne se fient qu'à des « bruits» (les « noise traders ») et non à des informations fiables; ils suivent en général le marché. D'où la « Noise Trader Approach », la NTA qui nie que les opérations d'arbitrage puissent faire revenir au prix d'équilibre. D'après Orléan, cette approche renvoie à la rationalité courtermiste de Keynes (avec la « vieille fille », l'action dont on veut à tout prix se débarrasser, comme au jeu de cartes du « pouilleux» 1). Il la nomme « rationalité stratégique» dans le sens où elle tient compte du jeu des autres acteurs. Elle peut aboutir pour les investisseurs rationnels à mettre en place des stratégies courtermistes leur permettant d'empocher de confortables plus-values au détriment des suiveurs. Mais ces phénomènes n'ont d'effectivité que si tous les comportements des ignorants répondent à une même opinion. Ce qui reste à expliquer. La synthèse de la NT A et des résultats des chercheurs qui ont tenté d'expliquer ce phénomène ont donné ce qui est maintenant appelé la finance comportementale, la Behavioral Finance. Une autre approche, celle de l' « économie expérimentale », aboutit dans ses expériences de marchés boursiers, où pourtant les acteurs connaissent la valeur fondamentale des actions, à des bulles qui enflent et éclatent sans noter un comportement correspondant à ceux de la NT A2. « Il faut se rendre à l'évidence, écrit Orléan (2004), les bulle spéculatives sont compatibles avec une parfaite connaissance des données fondamentales ».
1
On y reviendra.
2 Il s'agit de faire des simulations de marchés avec des cobayes, un peu comme les jeux en stratégie d'entreprise, pour tenter de tester « in vivo» des hypothèses théoriques. Pour tous les marchés, sauf les marchés financiers, les résultats sont probants, par exemple même sans l'hypothèse de concurrence parfaite. 127
42 - La théorie néoclassique des «marchés efficients» : la valeur fondamentale des actions existe mais la bourse est une «marche au hasard» 421 - De la prévision possible à la prévision impossible des cours de bourse des actions * La prévision possible: la « théorie des marées» de Dow La première théorie moderne des prévisions boursières est optimiste; la prévision est possible: c'est la « théorie de Dow» (cofondateur de Dow, Jones and Co en 1882, et de l'indice Dow Jones). L'idée en est que les fluctuations des cours ressemblent aux marées: il suffit donc de pouvoir repérer les marées hautes et basses 1.
Ces analyses fondent ce que l'on appela plus tard les analyses chartistes, par des graphiques: autrement dit, les graphiques de l'évolution des cours peuvent permettre de percevoir les mouvements des marées; on parle maintenant d'analyse technique. Ces croyances en la prévisibilité des cours boursiers persistent encore aujourd'hui. * La prévision impossible: le mathématicien français Bachelier, dès 1900 À l'inverse de la théorie de Dow, et très tôt, l'indétermination radicale du futur boursier fut démontrée par le mathématicien français Louis Bachelier2, en 1900. Bachelier trouvait dans sa thèse de mathématique une absence totale de possibilité de prédiction et écrivait, cité par Bernstein (1992, 1995): « Les événements passés, les événements présents, et même les événements futurs actualisés se reflètent dans les prix de marché, mais souvent ils ne présentent aucune relation apparente avec les variations de cours... Le marché réagit à lui-même et la fluctuation actuelle est une fonction non seulement des fluctuations antérieures, mais aussi de l'état actuel. Ces fluctuations sont déterminées par un nombre infini de facteurs,' il est donc impossible de pouvoir les prévoir mathématiquement ». Bachelier faisait en 1 Cette théorie fut reprise par Hamilton jusqu'en 1929 où ce dernier prédit, dans son éditorial du Wall Street Journal du 21 octobre 1929, le reflux de la marée (The Turn in the Tide) qui allait se produire quelques jours plus tard. Mais il avait déjà joué plusieurs fois les Cassandre, en se trompant... 2 On apprend dans le livre cité Histoire de la finance (2005) que les Français Lefèvre et Regnault avaient déjà introduit une « science de la bourse» et une théorie financière que Bachelier formalisera. 128
gros référence à ce qui deviendra la théorie des trois stades, rappelée brièvement plus loin, de l'efficience des marchés: la faible, la semi-forte et la forte. On peut également trouver là les prémisses de l'analyse de Keynes des conventions et du mimétisme étudiés plus loin. Bachelier estime donc que « L'espérance mathématique du spéculateur est nulle ». Ceci ne remet pas en cause le fait que la bourse gagne toujours sur le long terme (le profit ne provient pas du risque mais du surplus économique dégagé), mais le fait qu'il est statistiquement impossible en moyenne de gagner plus que ce trend. Bachelier fait donc référence à ce qui deviendra l'efficience des marchés: « Clairement, le prix considéré par le marché comme le prix probable est le prix courant: si le marché en jugeait autrement, il ne coterait pas ce prix mais un autre prix plus élevé ou plus bas)/ Ce que l'on nomme maintenant pour les marchés financiers la marche au hasard, « the random walk ». L'effet de la crise à partir de 1929 va doper les recherches concernant les prévisions boursières, et l'on retrouvera Bachelier, mais seulement en 1950. * Les marchés efficients, impossibles à battre Si les marchés sont parfaits et donc « efficients », la prédiction est impossible. Toute la théorie financière moderne suppose un marché parfait ou efficient comme dans la concurrence parfaite du marché des biens et services mais avec d'autres conditions: les prix sur un tel marché reflètent toute l'information disponible; les anticipations sont homogènes, rationnelles (maximisation de la richesse) et les risques sont évalués de la même façon par tous les agents. On définit depuis l'Américain Roberts2 trois niveaux d'efficience. Lafaible revient à montrer que le passé ne permet pas de prédire l'avenir, ce qui veut dire que les analyses graphiques (( chartistes») sont dénuées de fondement. La semiforte suppose en plus que l'information actuelle publiée est parfaitement connue et que les réactions à son changement sont quasi immédiates. Ce qui veut dire que l'analyse des fondamentaux (comptes de résultat, bilan, et autres annonces publiques des entreprises) ne permettent pas de « battre le marché ». La forte enfin intègre les connaissances plus difficiles à obtenir, à la limite du délit d'initié. I Bachelier, cité par Bernstein (op. cit.). Le hasard est tel que l'amplitude des fluctuations du marché est proportionnelle à la racine carrée du temps, exactement comme le mouvement brownien des molécules d'un gaz. 2 En 1967 ; on fait plus souvent référence à Fama, en 1970 ; Fama traite plus spécifiquement des tests empiriques.
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Les professionnels ne battent jamais le marché statistiquement, ce qui correspond parfaitement à la théorie de l'efficience. Savage et P. A. Samuelson tombèrent par hasard sur la thèse de Bachelier. Bien que keynésien, Samuelson n'adhère pas à la théorie du marché boursier « casino» de Keynes mais admet « qu'il n y a rien de bien net à propos de la valeur des titres », ce sont des «prix fantômes» et le prix de marché actuel en est sa meilleure évaluation, si l'accès à l'information correspond à une situation de marchés efficients. Samuelson admet, comme Bachelier, que l'espérance mathématique d'un surprojit par rapport à un trend de croissance de valeur des titres est bien nulle, mais la croissance des cours suit en fait en moyenne le taux de croissance économique. Ce qui revient à affirmer que le rendement réel moyen espéré se cale sur le taux de croissance de l'économie, ce qui correspond aux modèles macroéconomiques de croissance: il y a bien derrière la répartition des profits selon le risque et les aléas, un taux de profit moyen produit « quelque part ». 422 - De la concurrence pure et parfaite sans conflits aux contradictions entre les différents capitaux et les managers dans la théorie financière « moderne»
* La microéconomie traditionnelle et la « libération des entrepreneurs» : l' « ère des managers» Longtemps, la théorie dominante de la firme en terme d'organisation fut celle de la théorie directoriale ou du contrôle manageriale. La séparation entre des actionnaires dispersés et les dirigeants (la séparation de la propriété et du pouvoir) apparaît pour la première fois dans la littérature moderne en 1933 par le livre de Berle et Means (1933). Cette thèse fut popularisée en France par John K. Galbraith (1969 en traduction française) dans Le nouvel état industriel avec son concept de technostructure (le management ayant pris le pouvoir). L'actionnaire ressemble de plus en plus à un vulgaire créancier rémunéré en dividende « proposé» par les dirigeants qui ont une grande marge de liberté (la «managerial discretion»). Ce point de vue correspond en fait à une tentative de libération des managers qui renvoie au mythe de l'entrepreneur indépendant des apporteurs de capitaux de la théorie néoclassique traditionnelle: le manager tente en effet de maximiser son « profit pur », sous la forme de rémunération de son « travail d'inspection et de direction» et de son pouvoir, en général corrélés avec la taille de l'entreprise qu'il gère. Il tente 130
de maximiser en fait sa rémunération liée à son prestige en gagnant des parts de marché, en diversifiant les activités (formation de conglomérats). Ce faisant il n'assure pas obligatoirement la maximisation du taux de profit de ses mandants ni celle de la valeur boursière de la firme. Cette thèse fut critiquée « par la gauche» en rappelant que les propriétaires restent les patrons, par les « contrôles de minorité» : il suffit de posséder quelques pour cent des actions ou des droits de vote pour contrôler le Conseil d'administration si le reste de l'actionnariat est très dispersé. Elle fut aussi critiquée « par la droite» qui maintient que la gestion doit bien être « Stockholder-oriented », c'est-à-dire que le but de la firme est bien la maximisation de la capitalisation des titres de propriété. * La « nouvelle microéconomie» néoclassique: la fin de l'ère des managers, les conflits et la reprise du pouvoir par les actionnaires matérialisée par la « gouvemance » Ce qui suit peut paraître hors sujet; il n'en est rien. Il renvoie à un changement de pratique fondamental qui devrait ébranler le socle de la théorie néoclassique: l'entrepreneur indépendant des actionnaires redevient le simple mandataire de ses derniers. Des théories de la firme sont apparues, toujours gérées avec les paradigmes néoclassiques, mais dans des marchés imparfaits et à rationalité limitée, tentant de résoudre avec les techniques néoclassiques les conflits d'intérêts. Toutes ces théories débouchent sur la Corporate governance. Cette approche date, dans sa systématisation, d'une trentaine d'années, mais trouve différentes sources plus anciennes. Quant à la théorie de l'organisation hiérarchique d'une firme complexe (curiosité contraire à la théorie néoclassique de contrats entre individus qui sont des atomes), tout commença il y a bien longtemps avec Ronald Coase (1937). Il fallut attendre les années 1970 pour que les limites de l'analyse néoclassique de la firme par ses seules relations avec les prix réapparaissent, avec l'asymétrie d'information de l'américain Akerlof (1970), des conflits d'intérêts palliés par des contrats incitatifs avec la théorie des contrats, dont la théorie de l'agence (ou « modèle principal-agent », mandant et mandataire), la théorie des signaux, celle des coûts de transaction, avec Williamson (1975). En bref, pour ce dernier, approfondissant Coase, la régulation du système par la hiérarchie et les relations de pouvoir est plus efficace que celle par le marché qui suppose des coûts de transaction pour définir chaque contrat microéconomique, soit ex ante (pour définir les incertitudes de l'avenir), soit ex post pour vérifier le respect du contrat. La 131
théorie de la rationalité limitée du Nobel américain Simon (1951; 1955; 1991), dont Williamson tient compte, avait auparavant jeté une autre pierre dans le jardin néoclassique en notant les comportements opportunistes des agents économiques, notamment dans les relations du travail. C'est la théorie comportementale ou, en anglo-américain, behaviorist. L'asymétrie de l'information trouve donc sa source dans l'analyse économique avec Akerlof et son exemple des voitures d'occasion (des « lemons» en anglo-américain( La théorie des signaux met l'accent sur cette asymétrie de l'information et donc sur l'importance de la politique de communication des dirigeants. La théorie de l'agence met en avant les coûts (...d'agence) liés aux contradictions résolues par contrat entre les mandataires ou « agents» (les managers) et les mandants, ou « principals» - en franglais - (les actionnaires et, dans une certaine mesure, les créanciers). On aboutit ainsi à différents traitements théoriques des conflits entre managers et apporteurs de capitaux et enfin à la « gouvernance ». Le manager, l'entrepreneur relooké, n'est plus indépendant des actionnaires. Le renversement « politique» est maintenant complet: le « coût du capital» pour l'entreprise et ses managers, avec le débat des pour et des contre le théorème de Modigliani-Miller, redevient clairement une « rentabilité» pour les actionnaires qui sont devenus dominants alors qu'ils étaient dominés dans l'ère manageriale. La reprise en main, surtout aux Etats-Unis, du pouvoir par les actionnaires (par les fonds de pension en particulier) remet à l'honneur le bon vieux capitalisme traditionnel des propriétaires: la théorie du gouvernement d'entreprise sous forme de sociétés de capitaux, la Corporate Governance. Cette théorie propose de mettre en place des instruments de contrôle dans les Conseils d'administration ou de surveillance ainsi que l'intéressement des dirigeants. Il est facile de prétendre, après les affaires Enron, Vivendi et bien d'autres, dont la gestion bancaire qui a abouti à la crise des subprimes, que l'efficacité de la méthode reste encore à démontrer. La régulation capitaliste microéconomique et sociale par les actionnaires et leur gouvernance pose d'ailleurs celle de la régulation macroéconomique du capitalisme.
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Si l'information des acheteurs concernant la qualité du produit est
imparfaite, on aboutit à l' « antisélection» où le prix n'est plus un critère de choix; cette théorie s'est développé dans l'économie du marché des assurances. 132
43 La théorie du mimétisme et son développement: la « finance autoréférentielle » 431 - Le mimétisme selon Keynes
* La théorie financière de Keynes n'est que l'envers de sa théorie financière, ou plutôt le contraire La théorie financière de Keynes, celle du mimétisme, n'est que la conséquence des errements de sa théorie monétaire avec notamment la «demande de monnaie pour motif de
spéculation ». Cette dernière n'est en effet que l'image - donc à l'envers, comme dans un miroir - du fonctionnementdu marché financier secondaire des obligations mais sans voir la nécessaire contrepartie monétaire de chaque transaction. On aboutit avec cette erreur originelle à considérer que le fonctionnement courant des marchés financiers est celui d'une masse moutonnière de spéculateurs mue comme un seul homme (<
* Keynes et l' « incertitude radicale» Keynes raisonne donc toujours pour traiter des choix d'investissements (physiques ou sur les marchés boursiers) en terme d'incertitude radicale non probabilisable. Cette orientation est en totale opposition avec les méthodes de la théorie financière présentées plus haut qui calculent donc le risque en avenir probabilisable. Keynes (1937) a cru bon de revenir sur cette conception dans sa synthèse réinterprétation de la Théorie générale: The 133
General Theory of Employment. C'est souvent à partir de ce texte que le concept de théorie globale des marchés - le contraire de l'équilibre général, somme agrégée de
comportements économiques individuels rationnels - et celui
des anticipations est devenu le centre des analyses des fondamentalistes keynésiens radicaux. Cette conception de Keynes peut être rapprochée du manque de rationalité en général - pas seulement pour ce qui concerne le futur incertain des agents économiques. On sait donc depuis Herbert Simon, déjà rencontré plus haut, que la rationalité est limitée. On y retrouve la myopie de l'agent économique, déjà fondamentale chez Keynes; on y retrouve aussi une certaine paresse dans l'évaluation rationnelle du futur qui demande beaucoup d'informations et de gros efforts, une adaptation de ses désirs au principe de réalité, bref des habitudes tenaces. On n'est pas loin du mimétisme et de la convention des analyses de Keynes que l'on va présenter. On attribue à Mark Twain l'aphorisme repris par Sir Winston Churchill selon lequel « la prévision est difficile... surtout en ce qui concerne l'avenir ». Pour Keynes l'incertitude radicale induit des comportements apparemment irrationnels des agents, dont le mimétisme. Les agents fondent leurs prévisions sur la croyance que les résultats les plus récemment réalisés se poursuivront dans l'avenir; c'est ce que Keynes nomme une convention. Selon le Keynes (1936) de la Théorie générale « Cette convention consiste essentiellement ... dans l 'hypothèse que l'état des affaires continuera indéfiniment... ». Il ajoute immédiatement, heureusement: « ... à moins qu'on ait des raisons définies d'attendre un changement ». Soit Keynes oublie dans son raisonnement sa petite remarque, soit ilIa rend inopérante: « En fait ceux qui cherchent sérieusement à faire une telle estimation forment souvent une si petite minorité qu'ils n'ont pas d'influence sur le marché ». Surtout, la recherche de la liquidité prime dans le jeu boursier et mobilise toute l'attention des professionnels: comme au jeu du « chat perché », on peut toujours « faire pouce» entre deux aventures risquées. C'est le reproche courtermiste que l'on fait à la spéculation: « les» spéculateurs ne jouent que sur le court terme, prennent leurs bénéfices s'ils anticipent un retournement du marché, même sans aucun fondement autre qu'une hausse jugée trop importante des cours et même s'ils pensent avoir une idée du long terme. Leurs décisions seront prises non pas en fonction de ce qu'ils pensent du futur, mais en fonction du moment présent et des mouvements des moutons de Panurge. Toute l'ambiguïté du raisonnement du mimétisme réside dans ce jeu « dialectique» : le jeu entre la difficulté des anticipations à long terme (peut-être même leur impossibilité théorique) et les 134
contraintes de court terme: la liquidité des marchés. Keynes éclaire parfaitement ce point de vue. Il existe bien une certaine rationalité au comportement courtermiste que permet la parfaite liquidité boursière; celle-ci peut être en contradiction avec les fondamentaux, elle fait pourtant la rationalité boursièrel, Keynes préférait un mariage long au papillonnage des spéculateurs: « Devant le spectacle des marchés financiers modernes, nous avons parfois été tenté de croire que si, à l'instar du mariage, les opérations d'investissement étaient devenus définitives et irrévocables, hors le cas de mort ou d'autre raison grave, les maux de notre époque pourraient en être utilement soulagés; car les détenteurs de fonds à placer se trouveraient obligés de porter attention sur les perspectives de long terme et sur celles-là seules ». Keynes nous propose là, ni plus ni moins, que la suppression de la bourse, ce « casino» : le mariage plutôt que les liaisons éphémères et dangereuses. Mais dans ce cas, plus de marché de la monnaie, plus de spéculation possible dont ce marché n'est que l' « envers» : ce sont en effet les valeurs boursières anticipées qui déterminent la préférence éventuelle pour la liquidité. Pour une fois, Keynes nous explique donc clairement le fondement de « l'appel de liquidité»: l'offre de titres dont on croit qu'ils vont baisser contre une demande de monnaie. * La bourse comme « casino» et le « marché foule» Keynes nous propose l'image de la bourse comme un casino, alors qu'il s'agit plutôt d'une course de chevaux. I
« Et cette attitude ne résulte pas d'une aberration systématique, elle est la conséquence inévitable de l'existence d'un marché financier organisé ... Il ne serait pas raisonnable en effet de payer 25 pour un investissement dont on croit que la valeur justifiée par le rendement escompté est de 30, si l'on croit aussi que trois mois plus tard le marché l'évaluera à 20. Pour l'investisseur professionnel, c'est donc une obligation de s'attacher à anticiper ceux des changements prochains dans l'ambiance et l'information que l'expérience fait apparaître comme les plus propres à influencer la psychologie de masse du marché. Telle est la conséquence inévitable de l'existence de marchés financiers conçus en vue de ce qu'on est convenu d'appeler" la liquidité ". De toutes les maximes de la finance orthodoxe, il n'en est aucune, à coup sûr, de plus antisociale que le fétichisme de la liquidité, cette doctrine selon laquelle ce serait une vertu positive pour ces institutions de placement de concentrer leurs ressources sur un portefeuille de valeurs" liquides". Une telle doctrine néglige le fait que pour la communauté dans son ensemble il n y a rien qui corresponde à la liquidité du placement. Du point de vue de l'utilité sociale l'objet de placements éclairés devrait être de vaincre les forces obscures du temps et de percer le mystère qui entoure le futur. En fait l'objet inavoué des placements les plus éclairés est à l'heure actuelle de "voler le départ ", comme disent si bien les Américains, de piper le public, et de refiler la demicouronne fausse ou décriée». La « vieille fille» dans le jeu anglais de snap, jeu de carte ressemblant à notre « pouilleux ».
135
Le concept de bourse casino chez Keynes, archi cité, est peu clair. Cette bourse casino devrait être liée au simple hasard; or le casino ressemble moins à la bourse que cette dernière aux courses de chevaux où existent des fondamentaux: on joue le favori (mimétisme), sauf quelques risk takers, l'outsider, et un ou deux fous, le tocard. Keynes préfère la référence au casino où pourtant l'aléa absolu ne peut en aucun cas induire le mimétisme. En lançant le concept de bulle financièrel, il précise l'opposition entre l'intervention sur les marchés financiers par le « comportement d'entreprise », lié aux fondamentaux, et le « comportement spéculatif» au sens dépréciatif du terme qui l'amène à son image du casino, casino signifiant surtout que l'on ne place pas pour les revenus attendus mais pour les gains immédiats en capital2. Le marché devient un « marché foule ». Le spéculateur jouant contre le marché aura donc probablement changé la convention; Keynes approche donc la contradiction fondamentale du marché boursier et est très critique envers le comportement spéculatif et la rupture de la convention. Il en arrive à penser, malgré ses travaux sur les probabilités qu'il cite d'ailleurs dans ce chapitre, que « Lorsqu'on évalue les perspectives de l'investissement, il faut tenir compte des nerfs et des humeurs, des digestions même et des réactions au climat des personnes dont l'activité spontanée les gouverne en grande partie ». Autre grand classique de la Théorie générale qui renvoie bien à l'aléa total et au casino. * Le mauvais exemple du « concours de photographies» ou « concours de beauté» Keynes, dans un autre grand classique de la Théorie générale, penche plutôt pour le mimétisme seul en oubliant complètement les références rationnelles possibles et donc probablement diverses des agents, avec son allégorie du concours de beauté souvent citéé. Ce qui ne colle pas du tout avec la bourse: dans une situation donnée, la majorité est I « Les spéculateurs peuvent être aussi inoffensifs que des bulles d'air dans un courant régulier d'entreprise. Mais la situation devient sérieuse quand l'entreprise n'est plus qu'une bulle d'air dans le courant spéculatif. Lorsque dans un pays le développement du capital devient le sous-produit de l'activité casino, il risque de s'accomplir dans des conditions défectueuses ». 2d'un Il proposait d'ailleurs de lourdes taxes (une sorte de « taxe Tobin» avant la lettre), sur les transactions boursières. En effet, seuls les coûts de transaction (commissions ou coûts fixes des opérations) limitent les mouvements d'allerretour. 3 « ... la technique du placement peut être comparée à ces concours organisés dans les journaux où les participants ont à choisir les six plus jolis visages parmi une centaine de photographies, le prix étant attribué à celui dont les préférences s'approchent le plus de la sélection moyenne opérée par l'ensemble des concurrents... on emploie ses facultés à découvrir l'idée que l'opinion moyenne sefera à l'avance de son propre jugement ».
136
haussière, la minorité est baissière : où est la «beauté moyenne» ? Il existe toujours une contrepartie dans une tendance majoritaire haussière ou baissière et l'on ne peut parler que d'un mimétisme de la majorité qui ne vit que par son contraire. * Critique de la théorie du mimétisme: encore la nécessaire contrepartie des transactions sur les marchés financiers La question de la contrepartie dans les transactions réapparaît évidemment puisque nous sommes maintenant en train d'étudier l'envers du marché de la monnaie au sens de Keynes. Le maître n'y aurait-il pas pensé? Si, bien sûr. On trouve dans la Théorie générale des références explicites à cette contrepartie 1; sans parler du «cas général» concernant le marché de la monnaie qu'il a voulu éliminer. Il n'empêche qu'à court terme, une dichotomie entre les fondamentaux de la sphère réelle et les comportements de la sphère financière existe souvent; cela ne fait aucun doute avec les bulles qui gonflent et éclatent de temps à autre. Mais le mimétisme est insuffisant et même contradictoire pour constituer le phénomène. Et Keynes l'a remarqué dans la Théorie générale: « C'est seulement dans la mesure où un changement dans les informations est interprété différemment par les divers individus ou affecte différemment les intérêts individuels que l'on constate sur le marché des obligations une activité plus grande des transactions ». Certains2, probablement assez compétents, ont bien compris ce que voulait dire Keynes quand ils remarquent: « Si cette explication - [celle du mimétisme, de la convention et de sa rupture] peut expliquer la variation des prix, elle n'explique pas celle des volumes de transaction. L'augmentation considérable des volumes de transaction ne peut avoir lieu que si les anticipations des uns et des autres sont différentes, ce qui est le contraire d'un instinct grégaire ». Tout est dit: Keynes donnait déjà des verges pour battre sa théorie du mimétisme. Cette nécessaire contrepartie dans les transactions boursières était une constante dans l'analyse des précurseurs de l'analyse I « De même que l'efficacité marginale du capital est déterminée, nous l'avons vu, non par l'opinion la plus éclairée mais par l'évaluation du marché telle que la fait la psychologie de masse... et lorsque l'opinion d'un agent diffère en sens inverse de celle du marché, elle a un motif pour emprunter de l'argent pour de courtes périodes afin d'acheter des créances à plus long terme. Le prix de marché se fixe au niveau où les ventes des baissiers équilibrent les achats des haussiers ». 2 Conseil National de l'information statistique (CNIS), Dichotomie entre sphère réelle et sphère financière, Groupe de travail sous la direction de Jacques Pécha et Jacques Bourday, na 4, février 1992; cité par Bouhours (1993). 137
des mouvements boursiers, tels Bachelier ou plus tard Osborne. Le premier écrivait en 1900, cité par Bernstein: « ... les opinions contradictoires concernant les variations du marché divergent tellement que, au même moment, les acheteurs croient à une hausse des prix et les vendeurs à une baisse des prix ». Analysant les travaux d'Osborne de la fin des années 50 et du début des années 60, Bernstein remarque: « ... en ne réalisant pas... qu'il se fait l'écho de Bachelier, Osborne affirme que les
prix représentent les décisions prises dans ces moments et dans ces moments seulement - où l'acheteur s'attend à ce que le -
prix d'une action monte et le vendeur s'attend à ce qu'il baisse: pour qu'il y ait transaction, il faut une différence d'opinion. Ceci veut dire que, pour l'ensemble du marché, la variation attendue des prix est nulle. Le marché montera de x % ou baissera de x % avec la même probabilité ».
* Pourquoi Keynes a-t-il fait semblant de se tromper? Tentons un procès d'intention. Nous sommes convaincus que Keynes avait parfaitement compris les mécanismes boursiers; le contraire serait curieux. Mais il se rendait probablement compte qu'en explicitant les contradictions des agents et les nécessaires contreparties dans les transactions, il mettrait par terre sa théorie du marché de la monnaie avec L2 macroéconomique fonction de r. Pourtant, quand il notait (voir plus haut) «pour la communauté dans son ensemble il n y a rien qui corresponde à la liquidité du placement », Keynes était en complète contradiction avec l'analyse de son marché de la monnaie. Il n'y a en effet rien au niveau macroéconomique qui corresponde à la liquidité du placement: le jeu ne peut être que celui de vases communicants! Keynes aurait pu se rendre compte en écrivant cette vérité - mais ici, cela l'arrangeait pour défendre sa théorie du mimétisme! - que sa fonction macroéconomique L2 décroissante
avec r était peut-être une fable.
432 - La reprise de la théorie du mimétisme auto référentielle » par André Orléan
ou « finance
* Le mimétisme selon Orléan André Orléan, (1999) dans Le pouvoir de la finance!, reprend toute l'analyse ainsi que le mot et le concept de convention de la Théorie générale. On retrouve tout le raisonnement de Keynes: la rationalité auto référentielle I
Ce livre est J'aboutissement de nombreux travaux dont on trouve les références dans Ja bibliographie du livre de Bruno-Laurent Moschetto (1998). Voir également J'interview d'Orléan (2000). 138
mimétique; les croyances partagées (la convention) ; la règle de la liquidité financière. La nouveauté par rapport à Keynes, ce sont les fonds de pension et leur « pouvoir médiatique» fondé sur la capacité des dirigeants de ses fonds d'imposer, malgré leur faible poids dans le capital des sociétés, une structure organisationnelle des firmes (gouvernance et stock options). C'est le concept d'individualisme patrimonial des actionnaires minoritaires et de leurs organisations. Orléan veut aller plus loin que Keynes « qui, écrit Orléan, a parlé pour la première fois de "conventions financières"». Mais le maître n'aurait perçu qu'une partie du phénomène (les « conventions de continuité» ou « de normalité» c'est-à-dire où les cours varient de façon normale, continue) sans percevoir les «conventions d'interprétation» qu'Orléan propose de théoriser!. Au centre de cette conception réside l'absence de bases solides rationnelles de prévision du futur dans l'incertain non probabilisable, mais surtout la surdétermination des comportements boursiers par le courtermisme. Keynes avait vu la seconde mais, il est vrai, s'en tenait à l'existence de fondamentaux (rappelons qu'il était pour le choix à partir des fondamentaux et contre la diversification); il montrait que la question n'était pas tant la difficulté d'appréhension de la valeur fondamentale que son éventuelle contradiction avec la spéculation à court terme. Orléan estime que la valeur fondamentale ne peut pas être définie si l'on prend en compte l'incertitude radicale de Keynes. Il oppose comme Keynes dans le fonctionnement des marchés financiers, la «valeur fondamentale », l'actualisation des profits futurs, et la «valeur spéculative ». La première correspond à la « spéculation d'entreprise» de Keynes. Elle est axée donc sur la valeur « réelle» de l'entreprise: ses profits futurs actualisés à un taux difficile à définir; les spéculateurs sont alors nommés «fondamentalistes ». Il va de soi que la liquidité du marché permet seule ce type d'intervention. Contrairement à la « valeur fondamentale », la « valeur spéculative» n'est plus fondée sur ces anticipations réelles, mais sur les anticipations des fluctuations elles-mêmes du marché: c'est là qu'intervient le mimétisme et que se place au premier rang la liquidité du marché. Dans le premier cas, la liquidité est un moyen, et les échanges seront rares, car les fondamentaux ont peu de raison de changer tout le temps; dans le second cas la liquidité est une fin, car les anticipations de fluctuations se modifient tout le temps: on cherche à prendre ses bénéfices, à retourner à la liquidité, seul moyen de prendre ses bénéfices, même si la spéculation sur la valeur spéculative I Nous ne développerons pas ici les apports des travaux d'Orléan, sauf en référence à ceux de Keynes. 139
est en contradiction avec ce que l'on croit être la valeur fondamentale. Là encore on voit mal l'originalité d'Orléan par rapport à Keynes. Encore une fois, l'erreur de la théorie du mimétisme provient de la considération de spéculateurs agissant toujours « comme un seul homme ». En 2004, Orléan persiste dans ce point de vue en écrivant: « ...la rationalité autoréférentielle se définit comme un cas particulier de rationalité stratégique [au sens de la NT A, PC] lorsque celle-ci se trouve partagée par tous [c'est nous qui soulignons, PC] les investisseurs ». Peutêtre jouons-nous sur les mots, car plus loin Orléan se reprend: « Telle est la clé du raisonnement autoréférentiel. Elle repose sur l 'hypothèse de d'autonomisation de l'opinion majoritaire en tant qu'opinion majoritaire [c'est nous qui soulignons, PC] ». Mais dans sa conclusion, on retrouve: « Pour l'approche conventionnaliste, la rationalité financière consiste à penser le prix comme résultant des croyances de tous les participants, quand tous [c'est nous qui soulignons, PC] les participants agissent de même ». Orléan est pourtant conscient, comme Keynes, des limites du comportement mimétique. Il évoque en effet la contradiction et les contreparties dans les transactions. Il rappelle, comme Keynes, que la liquidité n'a pas de sens au niveau global, elle n'a de sens que dans la spéculation individuelle, ce qu'il nomme le paradoxe de la liquidité: « ... la préférence pour la liquidité est un désir contradictoire qui ne peut manquer de se détruire dès l'instant qu'il est poursuivi simultanément par tous. La liquidité introduit de ce fait un écart entre la rationalité individuelle et la rationalité collective ». On retrouve encore la contradiction dans la théorie du mimétisme entre le jugement collectif et les opinions individuelles contradictoires 1. La théorie des bulles rationnelles, seulement ébauchée par Keynes, indique que les opérateurs partageant la même fausse opinion et voyant, quand la bulle se gonfle, cette opinion réalisée, continuent la convention: la prophétie, l'anticipation auto réalisatrice. Avec ce panurgisme, chacun est censé se forger sa propre opinion sur celle des autres et non pas sur les références à la sphère réelle qui détermine les fondamentaux. C'est le « marché autoréférent » ou la finance autoréférentielle. Pourtant Orléan cite bien l'intervention de « contrariants» dans la spéculation, il est également gêné pour opposer la « convention de normalité» à la théorie de l'efficience des 1
La reprise de la métaphore du « concours de beauté» de Keynes pour fonder la théorie mimétique, malgré sa formalisation mathématique, ne nous convainc guère plus que la présentation originale de Keynes. 140
marchés qui détermine les cours 1. Orléan reconnaît par ailleurs que la « convention d'interprétation» n'est pas non plus très éloignée de la valeur fondamentale, sauf que cette valeur est filtrée par des modèles d'interprétation, des paradigmes qui peuvent être remis en cause à tout instant. Ces processus induisent l' « individualisme patrimonial» et la jinanciarisation. Il s'agit du dernier chapitre avant la conclusion du livre d'Orléan (1999) renvoyant aux méthodes d'influence des fonds de pension sur le management des entreprises dont ils contrôlent en général une forte minorité. Elle ne passe pas par les Conseils d'administration mais par l'influence médiatique. Mais on peut tout aussi bien y arriver à l'aune de la théorie de l'efficience des marchés.
I « L 'hypothèse d'efficience nous dit que le prix reflète pleinement et correctement toute l'information disponible à l'instant considéré. Mais quel sens donner à " pleinement et correctement" ? Si cela signifie pleinement et correctement relativement aux capacités cognitives des intervenants sur le marché, alors nous ne sommes pas loin de notre propre analyse et de la conception keynésienne ». 141
Cha pitre V Le « principe d'incertitude généralisé» la « double spéculation » sur les marchés financiers, perturbée par la politique monétaire
:
On propose donc de montrer en développant la théorie du taux d'intérêt de Smith par la « double spéculation» sur les marchés secondaires actions et obligations, que la crise financière est le plus souvent la conséquence d'une crise réelle des taux de profit; c'est le premier temps de l'analyse. On doit partir de la constatation suivante: Keynes ne met pas en relation explicitement le marché des obligations avec celui des actions, ou très rarement, comme chez ses pères néoclassiques. Grave oubli. On peut montrer que la spéculation sur les marchés financiers n'a de sens que par le couple fondamental obligations-actions: le taux d'intérêt est déterminé « spontanément» par la spéculation sur les marchés financiers secondaires de l'occasion, à partir du taux de profit (de la rentabilité économique de tous les capitaux)... hors crédit bancaire et politique monétaire. Ce n'est là que « théorie pure », sans «frottements sociaux» des banques. Mais, second temps, ce processus spontané de marché est évidemment perturbé par l'intervention du crédit bancaire et de la politique monétaire. Par arbitrage sur les marchés financiers,
la variation des taux courts du marché monétaire - au sens des
échanges de titres entre les banques pour leur refinancement induite par l'action des banques commerciales et/ou par la politique monétaire, pourra avoir une influence sur les taux longs. Cette politique pourra soit accompagner, soit contrecarrer les tendances spontanées de l'évolution du taux d'intérêt lié au taux de profit, à la rentabilité économique. La question des taux longs, des taux courts et des taux d'intervention des Banques centrales, où des « gourous» (tels Alan Greenspan) interviennent, doit donc être posée. Il s'agit des «frottements ». 143
51 - La détermination du taux d'intérêt à partir du taux de profit par la double spéculation: la « théorie pure », sans les « frottements sociaux» des banques « machines sociales à déthésauriser» On commencera par une analyse « littéraire ». On continuera par la prise en compte du « ratio q » de Tobin (rapport entre la valeur de marché d'un capital et sa valeur comptable) ainsi que par celui de la « création de valeur actionnariale ». On terminera par une formalisation considérant constante la prime de risque désirée par les actionnaires. Ce qu'elle n'est pas: d'où notre « principe d'incertitude généralisé ». 511 - Dans quel sens faut-il prendre la relation entre le taux d'intérêt r et la valeur de marché V des titres? r ~ V (fonction décroissante) ou V ~ r (fonction croissante) ? * Vision orthodoxe: r -7 V Le lien de causalité le plus commun, déjà présenté plus haut, pour lier r et les valeurs de marché V des titres longs (obligations et actions) est celui qui va de r vers V (r -7 V) : si r augmente (versus diminue) pour des bénéfices futurs anticipés donnés des actions, la valeur des actions comme des obligations diminue (versus augmente), V étant le rapport des revenus anticipés sur le taux d'actualisation. Pour les obligations, dans le cas où le remboursement est lointain, cette valeur est le rapport du coupon, parfaitement connu pour des obligations à taux fixes, au taux d'intérêt r, en négligeant la prime de risque sur les obligations. Pour les actions, c'est le rapport des bénéfices financiers anticipés BfA, difficiles à connaître, et du taux de rentabilité désiré rID, égal à r plus la prime de risque 1 désirée par les actionnaires : V = BfA / rID. Dans ce cas, le taux d'intérêt ne peut plus s'expliquer que par la théorie néoclassique du marché des fonds prêtables2 ou par celle du taux d'intérêt variable monétaire induit par la politique monétaire keynésienne. Il est de toute façon exogène au taux de profit moyen non maximisé selon les techniHues néoclassiques et keynésiennes de choix des investissements3. I On prend ici le bénéfice moyen anticipé qui peut être calculé en fonction du taux de croissance annuel des profits g à partir du bénéfice actuel Bf; voir plus haut. Ou par celle des néoclassiques autrichiens, de Menger à Bohm-Bawerk. 3 Voir plus haut.
144
* Vision nouvelle: V ~ r, mais seulement en « théorie pure» Mais on peut inverser l'analyse, dans le cadre d'hypothèses restrictives critiquées plus loin (en particulier l'absence de crédit bancaire et de politique monétaire). On peut montrer, au niveau macroéconomique, qu'une variation générale des profits anticipés BfA, donc des taux de profit, donc des valeurs de marché des actions VA, influence les valeurs de marché des obligations V0 et donc r : la causalité va dans ce cas de VAvers r (V ~ r). Par quel processus? Si, pour un taux d'intérêt r (provisoirement) donné, est anticipée une brusque augmentation (versus une brusque diminution) des BfA, la valeur de ces actions VA augmente (versus diminue), la valeur des obligations V0 va baisser (versus augmenter) par arbitrage. On délaisse (versus on se précipite vers) les obligations] pour les actions (versus on les délaisse); ce qui entraîne une augmentation (versus une diminution) de r. On en déduit qu'une variation des taux de profit anticipée induit une variation dans le même sens de r. Comme chez Smith, mais par la double spéculation sur les marchés secondaires actions et obligations, et avec des taux de profit anticipés et effectifs le taux d'intérêt n'est fondamentalement qu'un avatar du taux d,e profit, ici des rentabilités financières des capitaux propres. A condition que la prime de risque désirée par les actionnaires, RID, ne se modifie pas ou très peu. En effet, rappelons que le taux de rentabilité désiré par les actionnaires pour actualiser BfA, est rID = r + RID, et rappelons que BfA se déduit du Bf actuel par BfA = [(rID f(rID - g)]Bf. 2
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Le schéma qui précède résume la séquence quand le profit anticipé augmente; mais une rétroaction, problématique, apparaît. * Spéculation théoriquement stabilisante, dans la réalité déstabilisante Ce processus devrait induire ensuite une rétroaction, par la hausse (versus la baisse) de r faisant baisser (versus hausser) la valeur des actions qui contrarie l'action initiale et présenterait donc un effet régulateur. Tout boom (versus récession) ferait hausser (versus baisser) à lafois les profits futurs et r : la valeur des actions ne pourrait être très instable sur courte période et n'augmenterait sur longue période que suivant le trend de hausse de l'activité. Pas besoin d'effet Pigoul pour montrer contre Keynes que le boom financier et la crise sont impossibles! La spéculation serait stabilisante, autorégulatrice. Même théoriquement, si l'adaptation de r est immédiate, le moindre cycle de BfA induit un cycle de V, car la variation de r n'est pas proportionnelle à celle de BfA dans la mesure où rID inclut une prime de risque désirée qui peut être estimée grossièrement constante, de toute façon non induite par r, du moins dans un premier temps. Donc, même si les anticipations des nouveaux niveaux de taux d'intérêt en hausse, corrigeant le taux de rentabilité désiré des actionnaires, sont rationnelles sinon parfaites, la stabilisation ne sera pas totale. Le graphique suivant illustre le phénomène à partir de l'hypothèse d'une variation cyclique de BfA sur une somme de périodes. BfA
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I Une baisse générale des prix dans une éventuelle récession augmente l'encaisse réelle (masse monétaire corrigée de l'inflation) : les agents étant plus riches, la demande augmente donc. Et la récession serait donc impossible! C'est oublier les effets sur les revenus et leur répartition ainsi que les anticipations: la baisse des prix incite à penser que le mouvement va continuer; on retarde donc ses achats, ce qui dope la récession.
146
Il n'empêche que l'intervention de la rétroaction de r amortit le cycle de V para rapport à celui de BfA. Cette stabilisation relative n'apparaît pas dans la réalité. En effet, comme pour l' «illusion monétaire» des monétaristes avec Milton Friedman, il peut exister ce que nous avons nommé l' « illusion de la valeur présente (sinon passée) des taux d'intérêt ». Et les cycles boursiers réapparaissent, amplifiée par cette illusion. En effet, un boom des profits anticipé par les actionnaires d'un certain pourcentage va se traduire immédiatement par un boom de V des actions dans une proportion proche (mais non équivalente, par l'intervention de RID) si le taux d'intérêt r pris en compte ne varient pas immédiatement. Puis, progressivement, par les « anticipations adaptatives », toujours à la Friedman, r va grimper, mais avec retard, faisant baisser V. Mais au moindre « profit warning» généralisé, on continuera à utiliser le même r alors que les profits anticipés seront en baisse, ce qui fera chuter V nettement plus que de raison. Grave retard d'adaptation, d'autant plus que c'est justement le moment où les risques de faillite vont peut-être contraindre les banques à hausser réellement les taux courts (induisant un e{fet de levier de l'endettement très négatif, un effet de massue). A la fin de la récession, les taux d'intérêt seront à leur étiage, suivant l'écroulement des taux de profit. Lors de la reprise, le moindre frémissement des taux de profit sera actualisé avec ces faibles taux, toujours avec retard. Et la bulle repartira de plus belle... Le graphique suivant illustre le processus selon la durée du retard d'adaptation de r. Plus le décalage de période est important, plus le processus de rétroaction est déstabilisant].
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1 Ces effets généraux cycliques des retards d'adaptation sont bien connus; il s'agit des « décalages» de RQbertson (entre les revenus obtenus et leur dépense) et de Lundberg, de l'Ecole suédoise, (entre la demande globale et l'offre).
147
512 - Les indéterminations selon le « ratio q» de Tobin et la création de valeur actionnariale
Il n'est pas courant de rapprocher ces deux analyses, la seconde (fin des années 80 et début des années 90) étant beaucoup plus récente que la première (fin des années 60); nous le proposons ici car le rapprochement est évident. * Le « ratio q » de Tobin, les valeurs de marché des entreprises et une technique de choix des investissements Tobin (1969) proposa des avancées dans le cadre keynésien permettant d'analyser le marché secondaire des titres. La monnaie fait partie du patrimoine des agents économiques, c'est un actif sans risque; le reste du patrimoine est constitué des actifs physiques représentant pour les entreprises leur capital économique K financé par des titres (actions pour CP et obligations pour D). La somme des valeurs de marché de CP et D, notée ici VKpeut être différente de la valeur comptable de K. Le ratio ou quotient q (en anglais Tobin 's q) est d'abord une technique de choix des investissements, bien qu'il se présente comme le rapport entre VKet K. Ce ratio ressemble au price ta book ratiol, mais avec des différences notables: d'une part, il inclut tout le capital économique, financé par capitaux propres et dettes; d'autre part, le capital économique doit être réévalué en valeur de remplacement. Le q de Tobin est donc q = VK / K. q apparaît ici comme un indice d'augmentation de valeur boursière de la firme par rapport à sa valeur comptable ou q - 1 l'accroissement relatif de valeur boursière. L'équilibre au sens de Tobin correspond à q = l, quand VK= K. Les décisions de dépense de monnaie pour acquérir soit des titres, soit des actifs physiques, dépendent de la comparaison de leur rendement2. Il s'agit bien dans ce cas du choix des investissements physiques. Mais la valeur de marché de K, pour le moment évacuée, va revenir. Une technique de choix des investissements en gestion financière fondée sur l'analyse néoclassique, est le calcul de la Valeur Actualisée Nette de l'investissement, la VAN déjà rencontrée3. Soit un projet de I
Le rapport de la valeur de marché (le prix de l'action) à sa valeur dans les
livres comptables (<
coût initial K rapportant des profits économiques futurs anticipés BeA, supposés constants jusqu'à l'infini, l'investissement K étant « inusable », donc non amorti: BeA est ici un flux monétaire, un « cash flow» I. La monnaie dépensée pour acquérir K aurait pu être placée en acquisition de titres sur le marché financier secondaire; pour rapporter le même profit, il aurait fallu placer la somme V telle que VreD = BeA, ou V = BeA / reD2. La VAN, pour un taux de rentabilité économique désiré égal au taux d'intérêt sans risque plus la prime de risque économique (rID = r + Re), est dans ces hypothèses la suivanté: V AN = BeA / reD - K. La VAN mesure le gain différentiel entre l'investissement physique et le placement en titres. On calcule souvent un indice de profitabilité - traduction de l' anglo-américain « index of profitability» - par Ie rapport que nous noterons q, car c'est le q de Tobin; on va y revenir. On a donc: q = (VAN + K) /K si q > 1, VAN> 0 et l'investissement est rentable; si q < 1, VAN < 0 et l'investissement n'est pas rentable; si q = 1, VAN = 0 et il est indifférent d'investir ou de placer sa monnaie en titres. 1 - q = VAN / K mesure le gain relativement à l'investissement4. La VAN est dans ce cas, on l'a vu, une fonction monotone décroissante qui peut s'annuler une seule fois: ce qui définit le TIR, le taux interne de rendement, également déjà rencontré, qui renvoie à une rentabilité économique anticipée reA (en général marginale, ici dans notre analyse, il s'agit de la rentabilité moyenne). On obtient facilement dans nos hypothèses5 : TIR = reA = BeA / K. Revenons à Tobin. L'indice de profitabilité n'est rien d'autre que le rapport entre la valeur du placement en titres donnant le même BeA et K. On est donc parti du q de Tobin par la question du choix des investissements, et l'on revient à la valeur de marché de l'entreprise où l'on a investi K. En effet, on achètera maintenant les titres financiers correspondant à K pour I Ces hypothèses réductrices nous permettent quelques simplifications et renvoient simplement au calcul des valeurs de marché des titres. 2 V = 10 / 0,08 = 125 : il faut en effet placer 125 pour obtenir, avec un reD de 8 %, IOde profit. 3 Soit par exemple un investissement de 100 qui rapporte chaque année BeA = 10. Si reD = 8 %, la somme des cash flows actualisés est de 125 (10 / 0,08) donnant une VAN de 25; cet investissement est rentable comparé à l'investissement en titre de 125 donnant le même profit. On a ici VAN =
V - K. S'il n'avait rapporté que 90, la VAN aurait été de -10 et l'on aurait
perdu ce montant. Dans l'exemple numérique proposé, on obtient (100 + 25) /100 = 1,25, soit 25 % de gain par rapport à l'investissement. 5 Dans notre exemple, le TIR de l'investissement de 100 rapportant 10 jusqu'à l'infini est évidemment de 10 %; reA est supérieure à reD (= 8 %) et l'investissement est donc rentable. 149
une valeur VK = BeA / reD: la boucle du ratio q de Tobin est bouclée! Le ratio q selon l'approche précédente peut donc être interprété comme le rapport] q = reA / reD. Ce qui renvoie à l'analyse de la création de valeur actionnariale. * La valeur de marché d'une entreprise et la« création de valeur pour l'actionnaire» On peut donc s'aider, pour mieux s'éclairer du hiatus existant entre la réalité, la rentabilité effectivement réalisée re et le désir de rentabilité reD des capitalistes, de cette nouvelle approche de «création de valeur actionnariale ». Il s'agit maintenant, quand on mentionne la « valeur », de la valeur, la « vraie »... pour les apporteurs de capitaux: les vrais créateurs de valeurs en quelque sorte! Ce glissement de sens est encore plus amusant quand on parle de création de valeur actionnariale, ou de~ « Valeur Economique Ajoutée pour l'actionnaire2»: l'EVA,B),Economic Value Added. Imaginons donc une entreprise (notre illustration précédente) dont le capital économique investi comptable K = 100 « produit» depuis toujours un profit courant de 8, donc une re courante en régime de croisière de 8 %, égale à la reD, désir qui s'était adapté à la réalité. Si elle produit maintenant un profit effectivement réalisé Be de 10, soit une rentabilité économique effective re de 10 %, quelle va être la réaction du marché boursier. Attention, ce dopage des profits ne doit pas être la conséquence d'un investissement nouveau, seulement celle d'une amélioration de la gestion avec les mêmes moyens3. Le CMPC désiré, ou la reD étant de 8 %, l'entreprise bénéficie ainsi d'un surprojit réel par rapport à ses désirs dont le taux est de 2 % (re - reD) de K, donc de 2 pour un K de 100. Ce surprofit revient évidemment aux apporteurs de capitaux (en fait aux seuls actionnaires4). Ce sont ces 2 - et non pas le taux 1 reA = BeA / K, donc K = BeA / reA, et VK = BeA / reD, donc q = VK / K = ~BeA / reD) / (BeA / reA) = reA / reD. V oir Stem (1984), Stewart (1991), Stem, Stewart et Chew (1995). Les auteurs de ce sigle - Stem et Stewart - ont eu le culot d'y ajouter une registered mark! Laurent Batsch (1999) s'insurge avec raison contre ce glissement de sens du mot valeur, sans parler de la registered mark: « Les mots de la valeur, la valeur des mots» ou « Miller et Modigliani auraient-ils
songé à déposer le « weightened avç,rage cost of capital
pondérédu capital, le CMPC - WACC~? ».
-
le coût moyen
D'où la complication des calculs réels (il faut éliminer les éléments non récurrents, l'influence des nouveaux investissements, etc.) qui rendent nécessaire l'intervention d'un cabinet d'experts... D'où la «registered mark». 4 Dans cette analyse,on ne distinguepas l'origine du financementde K : c'est une technique de contrôle de gestion visant à améliorer la rentabilité économique.
150
de 2 % - que Stern et Stewart nomment I'EVA. Si l'entreprise n'avait pas obtenu ce surprofit, elle n'aurait couvert que ses « coûts », dont le coût « normal» du capital; bien entendu, ce « coût» normal du capital inclut la rentabiJité désirée, exigée par les actionnaires. On a donc: EVA = (re - reD) K. Si I'EVA est positive il y a création de valeur pour l'actionnaire, si elle est négative destruction de valeurl. En cas de création de valeur, le cours des titres correspondant VK « doit », selon la théorie, augmenter si l'on suppose que le surprofit n'est pas transitoire. On peut donc actuaJiser cette EVA sur les périodes futures au taux d'actualisation qui est dans l'analyse de la valeur actionnariale toujours le reD présenP. Il s'agit du surprofit actualisé que Stern et Stewart nomment la MVA, la Market Value Added, ou « Valeur Ajoutée de Marché », l'EVA actualisée jus9u'à l'infini avec le « vieux» taux de reD: MV A = EVA I reD. La valeur de marché de l'entreprise en bourse est donc4 cette MV A plus K. Ce n'est rien d'autre, évidemment5, que VK. « Tout ça pour ça! ». Non, le but de l'analyse est d'expliquer, en termes de contrôle de gestion, qu'il faut doper re pour faire augmenter les cours boursiers. * Les limites de l'analyse EVA-MVA et le retour au q de Tobin Le fait de garder la même reD pour actualiser les profits futurs dopés pose question. Au niveau microéconomique dans lequel intervient la méthode EVA-MV A, elle suppose que seule l'entreprise concerné bénéficie de l'amélioration: il est donc fondé de ne pas modifier reD qui se cale à l'équilibre (au sens de Tobin) sur la rentabilité économique courante du secteur. Mais en oligopole, le plus souvent la vraie vie des entreprises concernées par la méthode EVA-MV A, la course aux profits va induire une course poursuite du « toujours plus », chacun, avec
1 Cette « destruction» - les mots sont très forts - peut apparaître alors que l'entreprise est parfaitement bénéficiaire. Si par exemple l'entreprise dégage 7 de profit, elle sera rentable - sa rentabilité comptable étant de 7 % - mais détruira de la valeur pour l'actionnaire qui s'attendait à 8 %. En effet l'EV A deviendra (7 % - 8 %) x 100= - I. 2 Pour une critique plus approfondie de l'analyse EVA-MV A, en particulier le problème de la persistance du même reD pour actualiser l'EV A, malgré la croissance des profits, voir Castex (2003). On va cependant en toucher un mot ci-dessous. 3 4
Ici MV A = 2 / 0,08 = 25.
Ici elle devrait être de 125 = 100 de K + 25 de MVA. L'analyse traditionnelle aurait trouvé la même valeur boursière en actualisant à 8 % le bénéfice réel actuel considéré comme une estimation des bénéfices futurs constants jusqu'à l'infini: 10 / 0,8 = 125. 5 MVA + K = [(re - reD) K / reD] + K = reK / reD = BeA / reD. 151
les techniques du « benchmarking» l, tentant de déceler les causes des bons critères de performance des autres pour améliorer les siens: les reD de ces secteurs sont alors rapidement revues à la hausse. Au niveau macroéconomique qui nous intéresse, la conservation de la reD ancienne n'a plus de sens. Si toutes ou la plupart des entreprises bénéficient d'une EVA née d'une amélioration des profits économiques i1Be, les valeurs de marché au sens de Tobin vont, avec la reD donnée, devenir: V = (Be + i1Be) / reD, et q, avec K = Be / reD, va devenir: q = V / K = 1 + i1Be / Be , avec 1 - q = i1Be / Be
On n'est plus à l'équilibre au sens de Tobin: les valeurs globales de marché sont trop élevées par rapport à la valeur de remplacement du K macroéconomique. La reD s'adaptera pour retrouver l'équilibre, cependant selon le processus de la double spéculation analysée plus haut: elle ne deviendra pas qreD = (1+ i1Be / Be ) induisant V = K. C'est ce que nous allons tenter de préciser maintenant. 513 - Une tentative de formalisation de la double spéculation, avec prime de risque désirée par les actionnaires constante * Au départ un équilibre au sens de Tobin On se place maintenant au niveau macroéconomique; nos hypothèses restrictives sont les suivantes. Toutes les firmes, dont le capital économique total est K, présentent une structure de financement identique mesurée par L = D / CP; elles obtiennent la même rentabilité économique re (par l'égalisation des taux de profit économique par la concurrence). Nous sommes « en équilibre» statique au sens de Tobin où les valeurs de marché des capitaux sont égales aux valeurs comptables. Au départ, toutes les données suivantes se reproduisaient en effet depuis moins l'infini: il n'existe donc pas de taux de croissance des profits (g = 0) induits par des investissements ou des améliorations de la gestion. Le bénéfice économique de tous les capitaux économiques K (donc financés I On analyse les performances des entreprises du secteur (performances techniques, économiques, financières, de gestion des ressources humaines, etc.) pour tenter d'améliorer ses performances propres. Des cabinets font les études pour les entreprises ayant décidé de se comparer, J'entreprise participant au benchmarking obtient la comparaison de ses critères avec ceux de la concurrence, mais évidemment sans connaître qui sont les meilleurs et les moins bons. 152
par capitaux propres CP et empruntés ou dettes D, tels que CP + D = K) est Be ; la rentabilité économique est donc re = Be / K. La concurrence entre les capitaux est « pure et parfaite », au sens des marchés efficients. Les actions correspondant à CP et les obligations renvoyant à D sont cotées en bourse. Les profits financiers des actionnaires Bf sont totalement distribués en dividendes. Il n'existe pas de création monétaire par le crédit bancaire; il n'existe donc qu'un seul taux d'intérêt r : le taux long. La valeur de marché des actions VA est sa valeur fondamentale calculée par le rapport entre Bf et le taux de rentabilité désiré des actionnaires rID = r + RID, RID étant la prime de risque désirée des actions. Selon cet équilibre statique, Bf est le bénéfice économique moins les intérêts versésl : Bf = Be - rD = (re - r À)K. On a donc VA=(re - r À)K / (r + RID). La valeur de marché des obligations V0 est le rapport du revenu obtenu divisé par le taux d'intérêt r, soit Vo = r D / r = D (évidemment !) = ÀK. Considérons d'abord, selon les analyses traditionnelles, r en tant que variable exogène: on en déduit alors rID pour une prime de risque financière RID donnée. On montre facilemene que rID = r + RID = re + (re - r) L qui n'est rien d'autre que la rf effective calculée par la formule de l'effet de levier: si la rID est la rf effectivement réalisée, on se trouve à l'équilibre au sens de Tobin (VA + V0 = K), les actionnairesayant dans ce cas pris la réalité pour leur désir. Pour toute autre valeur de rID, VAest différente de K, supérieure à K si rID < rf, inférieure à K si rID > rf: déséquilibres au sens de Tobin. * Le calcul du taux d'intérêt induit par la valeur de marché des actions à l'équilibre de départ Revenons à notre approche où V -7 r. Supposons maintenant la prime de risque RID toujours donnée donc supposé fixe (pour le moment...) mais r à déterminer, avec toujours rID = r + RID, pour retrouver l'équilibre au sens de Tobin. Pour un taux d'intérêt r quelconque, on se trouve en général encore en déséquilibre au sens de Tobin. Selon nos hypothèses où rest une conséquence de la rentabilité économique anticipée re, et pour retrouver l'équilibre où les valeurs de marché sont égales aux valeurs comptables, il faut VA = (1 - À)K et V 0 = ÀK et VA + V0 = K. Ainsi, r devient une inconnue induite par re, de I À mesure la part des dettes dans le capital économique À = D I K. À peut s'exprimer en fonction du levier L : À= L I (1 + L), L étant le levier DI CPo 0J.1a en effet Be - rD = (Be I Ke - rD I Ke) Ke = (re - r À)K. 2 A l'équilibre au sens de Tobin, VAest égale à CP, avec CP = (1 - À.)K ; V0 étant évidemment égale à D. A cet équilibre, VA = CP = (1 - À.)K. Or, VA = (re - r À.)K I rID = (I - À.)K, il vient (re - r À.)I rID = (l - À.). En reprenant À= L I (I + L), on aboutit à notre relation. 153
telle façon que VA= (re - r À)K / (r + RID) = (1 - À)K. Ce r d'équilibre se trouve facilement: r* = re - RID / (l + L), décroissant avec la prime de risque].
* Le calcul du taux d'intérêt induit par la valeur de marché des actions après augmentation anticipée des profits, Bf devenant BfA Que se passe-t-il, à partir de cet équilibre, si une augmentation de rentabilité est anticipée, sachant que le taux d'intérêt d'équilibre r* des dettes a été obtenu pour notre équilibre statique depuis moins l'infini. Si re augmente de AreA anticipé, on peut trouver dans les mêmes conditions un nouvel équilibre avec le r* + ~r* corres~ondant, en supposant À,ou L inchangés2. On trouve la solution où Ar* est bien une fonction croissante de ~reA, avec donc une VA supérieure et une V0 inférieure à l'ancien équilibre4. Encore une fois, l'ancien taux d'intérêt r*, ainsi donc que celui de rentabilité financière désirée défini par rID = r* + RID peuvent persister dans les calculs des investisseurs, compte tenu de l'illusion de la valeur présente ou passée. Alors VA sera plus élevé et V0 inchangé: les valeurs boursières globales sont alors supérieures à K. Ce déséquilibre n'est pas tenable, car la rentabilité de VAapparaîtra en chute libré : VAbaissera jusqu'à obtenir le maximum de rentabilité, celle du nouvel équilibre avec rID = r* + ~r* + RID.
Les conséquences de la double spéculation sont ainsi formalisées. Sur le papier... * Marchés financiers « inefficients » et « principe d'incertitude généralisé» Ce processus théoriquement possible est dans la réalité inconcevable: les évolutions des profits anticipés dépendent I Illustrons avec K = 100,CP = 50 et D = 50, doncÀ= 0,5 ou L = I; Be = 10, donc re = 0,1, 10 % ; RID = 0,05, 5 %. On en déduit un r* = 0,1 - 0,05 /2= 0,075 soit 7,5 % et rID = r* + RID = 12,5 %. On vérifie que VA= 100 x (0,10,075 x 0,5) / 0,125 = 50, Vo = 50 et VA+ Vo = 100. 2 La nouvelle VA devient (reA + MeA) K / (r* + M* + RID), toujours avec RID constante, V0 devenant r* À,K/ (r* + M*), avec VA+ V0 = K. 3 Les calculs, pénibles, ne sont pas donnés ici. 4 Reprenons l'illustration. Avec MeA = + 0,02, soit + 2 %, on obtient r* + M* = 0, 0907 soit 9,07 % qui a augmenté en gros du même pourcentage que reo On vérifie encore que VA= 100 x (0,12 - 0,075 x 0,5) / (0,0907 + 0,05) = 58,6; Vo = 41,4 et VA + Vo = 100. Avec Bf= 12 - 0,075 x 50 = 8,25, la rentabilité de VA est alors de 8,25 / 58,6 = 0,141 soit 14,I %, que l'on ne peut pas retrouver par la formule de l'effet de levier qui ne concerne que les rentabilités des valeurs comptables. 5 V A= 100 x (0,12 - 0,075 x 0,5) / (0,075 + 0,05) = 93,0 ; V 0 = 50 et VA + V 0 = 143. Avec Bf= 12 - 0,075 x 50 = 8,25, la rentabilité de VAest alors de 8,25 /93 = 0,089 soit 8,9 %, très inférieure à celle de l'équilibre. 154
des secteurs et il existe dans ces secteurs un grand nombre de firmes. L'efficience des marchés ne peut exister, non à cause du mimétisme, mais à cause d'une information parfaite impossible à trouver dans la réalité. Pour chaque firme, la valeur de marché actuelle des actions, le taux de rentabilité effectif actuel, le taux d'intérêt et la prime de risque financière désirée sont évidemment connus: « la bourse ne se trompe jamais ». Et même si elle se trompe, elle détermine bien ces variables à chaque instant. Cette spéculation, régulatrice ou non, rend néanmoins pratiquement indéterminable la variation exacte de ces variables, par le calcul à partir des « fondamentaux ». Et, en raisonnant par récurrence, la première valeur de marché n'était certainement pas la bonne! Où est l'incertitude encore plus radicale que celle de Keynes? Pour lui, c'est l'avenir qui est incertain, non probabiIisable. C'est évident, ne serait-ce que par le taux de croissance annuel g des profits anticipés déterminant BfA à partir de Bf; mais aussi par la variabilité de la prime de risque désirée: sa réalité n'est que le résultat de l'effet de levier de l'endettement. Pour nous deux contraintes supplémentaires apparaissent. La première est l'information « réellement» imparfaite. La seconde, liée à la première, est que si r présent est connue, même en oubliant l' « illusion de sa valeur présente », son avenir est radicalement incertain. En tenant compte de l'illusion mentionnée, le taux d'intérêt est lui-même à chaque instant indéterminé. On peut donc généraliser, en le forçant quelque peu, le principe d'incertitude de la physique quantique de Heisenberg, le taux d'intérêt r remplaçant l'électron: quand on connaît r, on ne sait pas où il va ; quand on sait où il va, on ne sait pas ou il est. Ce principe d'incertitude de Heisenberg, devenu notre « principe d'incertitude généralisé» aux économies financières, est empiriquement démontré par la théorie financière moderne. Même avec la théorie des marchés efficients, on l'a rappelé plus haut, avec les rapprochements entre les mouvements browniens et la théorie de la marche au hasard (random walk), reprenant les intuitions géniales et les démonstrations mathématiques de Bachelier d'il y a un siècle. Ce qui n'était pas démontré, c'était l'incertitude radicale de la notion de taux de rentabilité financière désirée par la circularité à la Smith entre re et rID = r + RID. Mais le principe d'incertitude généralisé ne s'arrête pas là. La fameuse prime de risque RID est en fait parfaitement instable, contrairement aux calculs de probabilité tentés pour la déterminerl, et contrairement aux formalisations que nous I Calculable par des statistiques, des coefficients (3,etc. qui font les délices de la théorie financière moderne... 155
venons de tenter où nous supposions sa constance. Elle n'est d'ailleurs pas une prime de risque, sauf au niveau de son « désir », mais, quand l'on retrouve la « réalité », elle retrouve sa vraie nature: un simple différentiel de rentabilité effective dû à l'effet de levier de l'endettement. Et les désirs s'adaptent...
156
52 - La double spéculation est perturbée par le crédit bancaire et la politique monétaire, entre autres: les «frottements sociaux » Si la spéculation boursière sur les marchés actions est alimentée par le crédit bancaire, qu'advient-il du taux d'intérêt? Il est rabaissé selon le modèle LM ou, mieux, selon notre modèle ER, qui résout la question de la répartition entre niveaux des taux longs et courts. Rappelons que, comme dans le modèle IS LM original de Hicks (IS LL), le r d'équilibre est à la fois le taux court et le taux long. Mais IS ER reste encore un modèle statique d'équilibre, bien éloignée de la réalité. Si la masse des crédits bancaires augmente immédiatement, alors que celle des profits anticipés n'augmentera par définition que plus tard, le taux d'intérêt doit baisser à court terme car la masse des profits économiques actuels est alors ramenée à une masse de capital plus élevée. Mais à terme le sens de variation du taux d'intérêt est indéterminé: les profits futurs vont-ils augmenter, relativement, plus ou moins que la masse des nouveaux crédits bancaires? Encore l'indétermination... Donc, la tendance «spontanée» du libre jeu des marchés et de la concurrence entre les capitaux est largement surdéterminée par les interventions de la politique monétaire, exogène au processus décrit, qui peut l'accompagner ou le contrecarrer. Les taux d'intérêt courts peuvent augmenter si la politique monétaire craint une inflation par les actifs et le danger d'une bulle spéculative (politique monétaire de la Fed en 1998-2000). La politique monétaire accompagne alors la tendance spontanée des marchés financiers à la hausse des taux longs et s'ajoute à la régulation. Toujours sur le papier, car les spéculateurs gardent en mémoire les anciens taux bas et pensent que les profits vont monter jusqu'au ciel. D'où les difficultés qu'eut Alan Greenspan à faire se dégonfler la bulle pour obtenir un atterrissage en douceur: le « soft landing» fut une peu brutal: un« quasi-crash» en 2000-2001. Si, à l'inverse, les perspectives optimistes de rentabilité sont accompagnées d'une politique monétaire laxiste (pour accompagner les besoins de financement nés des investissements nouveaux de la course aux profits), les taux courts pourront baisser, freinant par l'arbitrage la hausse des taux longsl ; dans ce cas, par l'effet de levier de l'endettement, le boom sur les actions sera dopé sans ou avec peu de vases communicants avec les valeurs de marché des obligations. Dans I
La valeur de marché des obligations baissera moins que selon la seule
réaction
spontanée
à la hausse
des actions.
157
le cas d'une croissance boursière établie sur des anticipations de croissance de la rentabilité économique qui se réaliseront, le boom boursier accompagnera cette croissance (ce fut le cas aux Etats-Unis avant 1929). Mais attention à ne pas renverser la vapeur si l'on craint une bulle spéculative finale. Dans le cas d'une bulle spéculative dès le départ du processus, elle éclatera rapidement, comme la dernière bulle de la E-Economy en 2000. Dans les deux cas, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, et la modification de la répartition des revenus entre le travail et les capitaux entraînera toujours une crise: celle de la demande effective de Keynes. 521 - Marchés financiers et crédits bancaires: banques « machines sociales à déthésauriser»
les
* Typologie théorique: financement direct par les marchés financiers ou financement indirect, intermédié par le crédit bancaire? La question du financement est simple: comment financer ses dépenses? Premier choix: soit en achetant directement à crédit, soit en tentant d'obtenir de l'argent liquide. Deuxième choix: on peut soit s'autofinancer, en obtenant des «cash flows» internes, soit recourir à un financement externe. Il existe enfin, troisième choix, deux types de financements externes: le financement indirect par crédit bancaire intermédié par les banques; le financement direct par les marchés financiers. John Hicks est à l'origine, de la typologie théoriquel : «Economie d'endettement versus Economie de marché de capitaux». Le premier type renvoie à une économie où le financement, indirect, est effectué par l'intermédiation du crédit bancaire. Au contraire, dans le second, le financement est assuré par mise en relation directe des offreurs et demandeurs de financement. Economie d'endettement est la traduction de Overdraft Economy (<<économie de découvert bancaire») opposée à économie de marché de capitaux (ou de marchés financiers), traduction d'Auto Economy, où les «fonds propres2 » sont mis en avant, bien que le financement de marché par émission de titres de créances, surtout les obligations, fasse partie de ce type de financement. I FOnTIaliséeen 1974, au début de la crise ou de la fin des Trente glorieuses, par le Britannique John Hicks (1974, 1988) dans La crise de l'économie keynésienne. 2 Christian Saint Etienne (1987 ; 1990 ; 1998) insiste sur ce qu'il nomme une économie de fonds propres. 158
Le financement direct est censél s'effectuer par transfert d'épargne de ceux qui ont trop de monnaie pour leurs besoins actuels (agents à capacité de financement) vers ceux qui n'en ont pas assez (agents à besoin de financement). Là aussi deux possibilités: soit le recours aux prêts, soit celui aux capitaux propres. Les titres, reconnaissances de dettes et droits de propriété correspondants, sont soit non négociables sur un marché, soit négociables sur les marchés de capitaux (pour les titres longs les marchés dits de capitaux, les bourses, avec les marchés obligations et actions; pour les titres courts les marchés dits monétaires). Au financement direct s'oppose donc le financement intermédié qui s'effectue par le crédit bancaire ou quand les banques, les Agents Financiers, les AF, achètent aux Agents Non financiers, aux ANF, des titres sur le marché2. Avant Hicks, Gurley et Shaw (1960, 1974) opposèrent théoriquement ces deux types de financement, mettant l'accent à la fois sur la mutualisation des risques par les intermédiaires financiers et leur possibilité de création monétaire. On remarquera tout de suite un problème de vocabulaire qui en dit long sur les certitudes des économistes de la monnaie: financement intermédié doit vouloir dire que les banques jouent le rôle... d'intermédiaires entre les déposants de liquidités et les emprunteurs. Quand les banques offrent des crédits, on a l'impression qu'elles prêtent de l'argent en monnaie fiduciaire déposé par les Agents Non Financiers, les ANF, à capacité de financement aux ANF à besoin de financement; selon la théorie monétaire orthodoxe récente, elles sont censées créer toujours de la monnaie3. Par le crédit bancaire, elles jouent le rôle d'intermédiaire entre les emprunteurs et... elles-mêmes: l'intermédiation est donc une « fausse intermédiation » : ce ne 1
Mais cette « épargne préalable» peut provenir d'un crédit bancaire: on
emprunte pour acheter en bourse. 2 C'est de plus en plus ce que font les banques qui se financent sur les marchés financiers, de capitaux et monétaires, ce qu'on appelle en général la marchéisation. 3 Elles créent en fait de nouveaux moyens de paiement puisque, dans notre exemple, le déposant peut faire des chèques d'un montant couvert par son dépôt (monnaie scripturale) tandis que le bénéficiaire du crédit bancaire peut dépenser la monnaie fiduciaire obtenue. Une banque peut d'ailleurs prêter de l'argent qu'elle ne possède pas, c'est son métier, en ouvrant un compte au bénéficiaire du crédit, donc directement en monnaie scripturale: les crédits font les dépôts. Est-ce de la « vraie» ou de la « fausse» monnaie? Peut-être la banque n'a-elle fait qu'accélérer la vitesse de circulation de la monnaie. On peut penser, répétons-le, que les banques ne sont que des « machines sociales à déthésauriser» même l'argent qui ne leur est pas offert en dépôt; voir Castex (2003 et 2007). Leur jeu est risqué, mais il est peu probable que les déposants en monnaie fiduciaire veuillent tous récupérer en même temps tous leurs dépôts. La question et les incertitudes de la réponse sont encore d'actualité à l'aube du troisième millénaire. 159
sont pas les dépôts qui font les crédits (<<deposits make loans») mais les crédits qui font les dépôts (<
I
Ce serait, selon les analyses d'Anton Brender et Florence Pisani (2001)
l'explication principale du marasme japonais depuis une décennie. 2 Voir pour une analyse plus approfondie, Castex (2006); ces taux que nous avons calculé à partir des données de la comptabilité nationale sont supérieurs aux taux « officiels» publiés par les autorités monétaires ramenant les crédits bancaires au total des financements de marché: ils passent d'environ 71 % à moins de 40 % actuellement. Le taux d'intermédiation au sens large qui inclut la «nouvelle intermédiation» (financement de marché passant par les banques et les assurances) est plus stable mais en légère baisse. 160
522 - Politique monétaire, taux courts, taux longs et valeurs des actions * Les taux d'intérêt peuvent-il vaner sans la «double spéculation» ? Il existe une seule possibilité à ce phénomène: la politique monétaire, et pas n'importe laquelle: celle dont l'instrument est celui des taux directeurs choisis par la Banque centrale où d'autres interventions, cependant sur la seule liquidité bancaire. D'autres instruments de politique monétaire existent, par exemple l' «open market », pure opération de marché qui consiste en achats ou ventes par la Banque centrale de titres sur les marchés financiers. Théoriquement, il peut s'agir de titres longs, essentiellement des obligations de la dette publique détenus par les ANF ; Keynes recommandait quelquefois cette intervention monétaire généralisée allant jusqu'à proposer des opérations sur les actions. Dans ce cas, la Banque centrale peut faire augmenter, en achetant en masse et donc en injectant de la masse monétaire du public, la valeur de marché qes obligations et faire ainsi baisser directement les taux longs. A l'inverse, en vendant, en «reprenant des liquidités », en «asséchant la liquidité» du public, elle fait baisser la valeur des obligations et augmente, encore directement, les taux longs. Ces instruments théoriques qui contrôlent donc directement la masse monétaire, celle détenue par les ANF, correspondent exactement à la politique d'offre de monnaie, contrôlée par les autorités monétaires centrales, que prône la théorie keynésienne du marché de stock de monnaie: c'est la gestion de la masse monétaire M qui induit les variations du taux d'intérêt (long) r. Dans ce cas M -7 r. Mais ces opérations ne furent en fait jamais (ou rarement) effectuées: elles renvoient trop à une ingérence des Banques centrales, souvent dans les mains de l'Etat du temps de l'interventionnisme, sur les marchés financiers privés. On ne retiendra pas cette proposition «révolutionnaire» de Keynes, même dans la politique monétaire interventionniste. En fait les opérations réelles dites d'open market concernent essentiellement sinon exclusivement les titres monétaires courts des marchés monétaires (interbancaires et ouverts aux ANF), détenus par les banques commerciales. Les Banques centrales font alors varier la liquidité des banques, pas celle des ANF (autrement dit pas la masse monétaire détenue par eux): la monnaie qu'elles détiennent en réserves, à ne pas confondre avec la masse monétaire. Il n'y a alors aucune influence directe sur la masse monétaire M définie par celle détenue par les ANF (<
prêter plus ou moins et ainsi influencer M. On parle néanmoins encore de « politique monétaire de masse ». En Europe de l' « Euroland », le taux d'intérêt est en fait directement contrôlé (entre une fourchette définie par un taux plancher et un taux plafond), et c'est donc la liquidité des AF qui en est déduitel. Le niveau de la liquidité bancaire est en fait la conséquence d'une «politique de taux» qui, toujours indirectement, induit M. C'est exactement le contraire du schéma keynésien où r est induit par M: dans la politique monétaire habituelle, r ~ M. * La politique monétariste contre la politique monétaire keynésienne Malgré la réalité de la politique monétaire, selon toutes les théories orthodoxes, celle de Keynes comprise, la monnaie est exogène: la masse monétaire est le résultat d'un choix institutionnel; elle est offerte par le crédit bancaire et contrôlable par la Banque centrale, elle induit le taux d'intérêt. C'est donc une politique de masse monétaire, le taux d'intérêt étant la variable cible: pour relancer (ou freiner) l'activité économique. La politique monétaire keynésienne est une politique discrétionnaire (à la discrétion des autorités politiques) et contracyclique. Tandis que l'on passait de la dominance de l'économie d'endettement à celle de l'économie de marché de capitaux, on est passé de cette politique à la politique monétariste de règle voulant seulement juguler l'inflation: il ne faut pas que la croissance de la masse monétaire soit supérieure à celle de l'activité économique anticipée en volume. Les Banques centrales, évidemment indépendantes, doivent annoncer, selon Milton Friedman, ce taux de croissance et s'y tenir. Les deux faces du même Janus libéral en termes monétaires. Dans ce cadre, les politiques monétaires ont profondément évolué: le monétarisme a pris le pouvoir pour éviter tout excès. Directement par une politique de masse monétaire, on tente de réduire sa croissance pour casser l'inflation, quitte à faire grimper les taux d'intérêt réels à des niveaux induisant de graves récessions2. Ce furent des échecs cuisants: la vision monétariste feint d'ignorer, selon le postulat néoclassique dit 1 Il ne s'agit d'ailleurs pas de véritables opérations de marché, avec achats ou ventes fermes de titres, mais de « prises en pension» (technique de la Banque centrale européenne) où les titres sont des sortes de gages de liquidités fournies ou épongées. 2 Au début des années 80 aux Etats-Unis, en fait dès 1979 sous l'influence du patron de la Fed de l'époque: Paul Volker (le prédécesseur de Greenspan), avant la présidence de Reagan. Au début des années 90 en Europe, par la peur de l'inflation en Allemagne suite à la réunification, et pour préparer le passage à l'Euro; mais dans ce dernier cas par une politique de taux.
162
« d'homogénéité », l'effet de la variation de la quantité de monnaie sur le taux d'intérêt réel (comme sur toute variable réelle). Pourtant ce dernier aura tellement bondi en 1980-1981 aux Etats-Unis, en 1991-1992 en Europe, que ce qui devait arriver arriva. Certes un contrôle strict de l'inflation, mais surtout une hausse des taux réels induisant la baisse des investissements, de l'activité et la hausse du chômage. Cet effet par la demande expliquant sans doute la désinflation; pas la mécanique quantitativistel ! * Du radicalisme de quelques keynésiens au «pragmatisme» américain actuel Certains opposants radicaux de Keynes, avec la monnaie endogène, pensent au contraire que les banques ne font que répondre à la demande de crédit du public: la quantité de monnaie est une conséquence de l'activité économique elle même, c'est le sens de l'expression monnaie endogène. C'est de plus le niveau des taux d'intérêt qui explique celui de la masse monétaire (politique de taux). La politique monétaire peut être menée «sans monnaie »2: par le contrôle direct du taux d'intérêt. Le contrôle de l'inflation mais aussi du niveau d'activité et de l'emploi peut s'effectuer par une fonction de réaction des Banques centrales. S'agit-il d'un retour au keynésianisme, paradoxalement dans l'une de ses visions radicales, ou d'un pur « pragmatisme» typique de la direction de la Fed états-unienne par Greenspan et son successeur? La plus connue des fonctions de réaction est la « règle de Taylor », de l'économiste américain J. B. Taylor (1993), qui fixe le taux d'intérêt à choisir rT (avec T comme Taylor) en fonction du taux d'intérêt réel neutre3 rN, plus l'inflation anticipée PA. On y rajoute deux réactions aux deux sources possibles d'inflation (ou de déflation...): c'est là que le pragmatisme rompt avec le monétarisme. La première renvoie à l'inflation par la demande, pierre dans le jardin monétariste qui ne considère l'inflation que comme phénomène purement monétaire (excès de création de monnaie): Taylor
insère ainsi, en plus, de
rN
+ PA, 50 % de la différence entre
l'écart de la croissance en volume du PIB noté Y à sa tendance quand les capacités sont pleinement utilisées YPEG Enfin, I Ces remèdes de cheval prirent néanmoins le plus souvent la forme plus douce de la désinflation compétitive où le but à peine caché était le rétablissement des profits au détriment des salaires (avec le fameux « théorème de Schmidt », ('ex-chancelier social-démocrate allemand, selon lequel « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain) ». 2 Creel et Sterdyniak (1999) dans La politique monétaire sans monnaie. 3 Sans inflation et sans déséquilibre, rT = rN. 163
seconde réaction, est additionnée à la formule, 50 % de l'écart
entre l'inflation observéep et l'inflation objectif admise PO' rT
= rN + PA + 0,5 (y - YPEc)+ 0,5 (p -
PO)
Cette relation consiste donc à choisir le taux d'intervention en fonction des deux variables économiques inflation et croissance du PIB (y - YPECétant défini comme « output gap») selon ses préférences pour l'inflation ou le niveau de l'activité et de l'emploi. Il vaut peut-être mieux revenir à une politique discrétionnaire - lire contracyclique, régulant par le taux d'intérêt l'activité économique - que garder une politique de règle à la Milton Friedman où le seul objectif est la lutte contre l'inflation, quel que soit le taux d'intérêt qui s'en déduit. Dans ce cas, les taux d'intérêt courts de ce qui ressemble à un marché monétaire, mais très régulé par la Banque centrale, peuvent alors varier indépendamment des transactions sur le marché obligataire. Et seuls les « canaux de transmission» des taux courts vers les taux longs feront, par arbitrage, varier la valeur des taux longs des nouvelles obligations émises. 523 - Théories et pratiques des relations entre taux d'intérêt, taux de profit et cours boursiers: première approchel * V -7 r : relation inconnue des théoriciens modemes La théorie financière moderne semble ignorer totalement l'existence et la prédominance depuis une dizaine d'années2 de la liaison V -7 r. Un exemple de cet aveuglement: le livre de Brender et Pisani (2001). On s'attend, au paragraphe intitulé Des taux d'intérêt des obligations aux cours boursiers, à ce que la question soit au moins posée. Que nenni! Ces deux auteurs écrivent seulement: « Le cours des actions, rappelons-le, est étroitement lié à celui des obligations ... Le lien entre marché des obligations et marché boursier est clair: toutes choses égales par ailleurs, une baisse du cours des obligations ou une hausse du taux d'intérêt implique une baisse du cours des actions... [et vice versa] ... Les mouvements de taux d'intérêt ont donc toute raison d'affecter les indices boursiers. L'évolution des seconds reflètent, pour une part, l'information contenue dans celle des premiers ». Parfait résumé de la théorie du taux d'intérêt (réel) par le marché néoclassique primaire des fonds prêtable pris comme une évidence, et en oubliant le I L'approche principale sera effectuée dans la troisième partie de ce livre pour les trente dernières années en France. 2 Voir plus loin donc. 164
marché secondaire. Comment peut-on être à ce point aveuglél et ressasser les litanies ancestrales des néoclassiques qui ne voient, erreur que répéta Keynes, que le marché des obligations et préfèrent se crever les yeux devant la dominance du marché des actions. Comment peut-on garder des œillères ou des lunettes noires, quand, depuis 1998, les taux longs suivent presque parfaitement le niveau des cours des actions dans le sens V ~ r! Cet aveuglement n'est plus du domaine de la théorie économique et financière, mais du divan des psychanalystes... * Quelques repères théoriques dans I'histoire de la pensée économique ancienne concernant la liaison entre les taux d'intérêt, les taux de profit et les valeurs de marché des actions: des contradictions non résolues Le premier économiste à trouver une relation positive entre le taux d'intérêt et la rentabilité est Petty qui, par ses statistiques ou « arithmétique politique» à la fin du XVII siècle, à partir de la rente foncière, voit une liaison qui permet de préfigurer l'indétermination du taux de rentabilité désiré par les investisseurs et de la valeur de marché des actions2. Cantillon semble également considérer une liaison positive entre le taux d'intérêt et la valeur des titres. Selon Etner toujours, Cantillon remarque qu'en cas de spéculation sur les titres (en 1720 sur les actions de la Compagnie de la Mer du Sud), on emprunte à n'importe quel taux et cette « demande de monnaie» fait croître le taux d'intérêt (par une approche encore mercantiliste ). Par contre Turgot anticipe (bien que compagnon de route des physiocrates), à partir d'un raisonnement mercantiliste qui sera repris par Keynes, et/ou d'un raisonnement pré néoclassique, la « baisse tendancielle du taux d'intérêt» que l'on trouve avec des nuances et des effets contraires chez Marx. Encore d'après Etner, « C'est, écrit Turgot, l'abondance des capitaux qui anime toutes les entreprises, et le bas intérêt de l'argent est tout à la fois l'effet et l'indice de l'abondance des capitaux ». I
À moins que cet aveuglement ne réponde au désir des actionnaires qui
réclament - en opposition à leurs collègues nouveaux obligataires - que les Banques centrales « fassent quelque chose» pour relancer les cours boursiers: Il Coupez les taux l, Cut, cut 1». Par contre les anciens obligataires ont également intérêt à ce que les taux d'intérêt diminuent, ce qui dope la valeur de marché des obligations anciennes... 2 Selon Etner (2000), Petty raisonnait en considérant que la rente de la terre devait faire vivre une génération d'environ 20 ans; ce qui revenait en gros à un taux de capitalisation de 5 % qu'il assimilait au taux d'intérêt. La valeur de la terre en tant que capitalisation d'une rente sera reprise, pour tout capital induisant des revenus, par les classiques. En effet, le prix de la terre s'élèvera pour un taux d'intérêt donné, si s'élève la rente foncière prévue dans l'avenir; inversement, le taux d'intérêt devrait suivre la rentabilité de la terre et le prix de celle-ci rester constant. 165
C'est en France qu'une théorie non monétaire des crises apparut; il s'agit de l'embryon d'une théorie financière de la crise: celle de Clément Juglar (1862), déjà entrevu. Juglar décrit les crises mais explique également le boom par le bas taux d'intérêt qui permet d'emprunter pour spéculer sur les actions et détermine en passant la quantité de monnaie. Le point principal mis en valeur n'est plus la politique monétaire ou le laxisme naturel des banques qui créeraient trop de monnaie, comme le montrera Wicksell, mais les forces réelles de l'économie par l'intermédiaire des marchés financiers. Il met presque à l'endroit ce que Keynes passera son temps à mettre à l'envers: pour Keynes c'est l'offre de monnaie, pour un comportement de demande donné, qui fera varier le taux d'intérêt, alors que sa demande de monnaie pour motif de spéculation est bien « l'envers» du marché financier limité aux seules obligations. Pour Juglar, le bas taux d'intérêt est liée à la spéculation et détermine la masse monétaire, mais il ne déduit pas vraiment le taux d'intérêt de la spéculation sur les marchés boursiers: il en reste ainsi à la relation r -7 V. Alfred Marshall pensait-il également à une détermination du taux d'intérêt par autre chose que la simple productivité marginale du « capital nouveau» ? Ce n'est pas impossible. Il élabore, selon Pribram (1983, 1986), en 1887, à la fin de la Grande dépression, une théorie selon laquelle le taux d'intérêt peut influencer le niveau des prix: « Pour Marshall, écrit Pribram, l'évolution des prix dépend directement du mouvement du taux d'escompte, le taux d'escompte moyen dépend du taux d'intérêt moyen, et ce dernier est exclusivement déterminé par la rentabilité des affaires ». On ne peut trouver meilleure défense du point de vue de Smith et de notre point de vue: Marshall reprend en fait, de par ses influences classiques, la théorie du taux d'intérêt dépendant du taux de profit - « la rentabilité des affaires» avec donc taux de profit ~ V ~ r. Le « paradoxe de Gibson» est probablement la principale référence au débat r -7 V ou V -7 r. Ce paradoxe est le suivant, souligné par Keynes qui lui attribue ce qualificatif, Gibson l'ayant mis en valeur: logiquement, un taux d'intérêt bas doit relancer l'activité, et inversement. Or après 1850, le taux d'intérêt est relativement élevé par rapport à la croissance et l'activité en hausse; de même pendant la dépression longue de la fin du XIXe siècle, le taux d'intérêt est relativement bas, toujours par rappol1 à la croissance - peut-être sous l'influence des politiques monétaires contracycliques proposées par exemple en Angleterre par Marshalll - et rebondit avec l'expansion qui recommence en 1895. Pour Gibson et son I Cependant,
Marshall jugeait le taux d'intérêt 166
anormalement
élevé...
paradoxe: taux de profit ~ V ~ r. On retrouve là les contradictions entre le mouvement spontané des taux d'intérêt, à la Smith, et l'intervention des politiques monétaires. Mais les mouvements longs des taux d'intérêt que semble percevoir Gibson sont contraires à ceux perçus généralement, par exemple par Kondratieff qui correspondent mieux au point de vue keynésien qu'à celui de Smith. La théorie économique enseignait au contraire - et continue au début du troisième millénaire - que le taux d'intérêt bas correspondait aux phases d'expansion et le taux élevé aux phases de dépression, par l'aspect coût de r. L'énigme devient facile à résoudre si l'on comprend l'influence très « classique» du taux de profit sur le taux d'intérêt, donc de la hausse de la valeur des actions qui induit celle de r; elle reste une énigme pour les néoclassiques et Keynes qui ne voient dans le faible niveau du taux d'intérêt que la cause de la hausse de l'investissement et de celle de la valeur des titres. L'énigme persiste évidemment, par la double nature de r: coût et rentabilité,. mais se résout par la dialectique du couple formé par la mécanique théorique de la double spéculation sur les marchés financiers et lesfrottements sociaux du crédit bancaire. * Qui domine, depuis soixante ans, de la double spéculation où V ~ r où de la politique monétaire où r ~ V ? Ça dépend encore Toute la question est évidemment de distinguer les périodes où r ~ V de celles ou, au contraire, V ~ r domine. On le tentera donc dans la partie suivante pour la France et les EtatsUnis; on en reste ici à un niveau essentiellement théorique. Mais il semble évident que sur longue période (de 1945 à la fin du siècle), le schéma keynésien correspond à celui du dernier cycle Kondratieff: V ~ r, sans aucun doute. Pendant les Trente glorieuses, les taux d'intérêt réels étaient bas et les taux de rentabilité corrects, malgré un partage de la valeur ajoutée favorable aux salariés. La bourse existait certes, mais son rôle dans l'économie d'endettement était mineur, sinon négligeable. Car les politiques monétaires keynésiennes correspondaient à une volonté politique d'euthanasie des rentiers. Pendant les trente années de plomb, du début des années 80 jusqu'à la fin du XXe siècle, il y a inversion de la conjoncture économique et des politiques monétaires. Les taux déterminés par la politique monétaire en général « monétariste », et donc élevés (sauf chez le « pragmatisme» américain des années 90 et suivantes), ont induit une croissance molle et un chômage élevé. L'inflation forte de 1975 au début des années 80 avait porté les taux longs nominaux à un niveau très élevé; la désinflation compétitive leur permis une baisse, mais seulement à partir de 1992-1993, quand les politiques 167
monétaires se furent assouplies. Quant aux taux de profit dont il faudra préciser l'évolution, il s'agit de savoir s'ils sont liés ou non au taux d'intérêt: les premiers induisent les seconds. Le mélange des deux liaisons rend difficile la vérification empirique statistique du sens des relations de cause à effet. Gibson semblait l'avait perçue dans le « bon sens» : théorique. Mais en contradiction avec les tendances des cycles Kondratieff; Marx et Hilferding (1910, 1970)1 voyaient aussi plutôt l'effet inverse pour fonder leur dénégation de la liaison de Smith entre taux de profit et taux d'intérêt, pour refuser au taux d'intérêt son origine réelle: ils avaient vu les frottements. Enfin, les marchés financiers sont encore plus compliqués: la substitution entre actions et obligations n'est évidemment pas la seule possible, il est possible, répétons-le, d'emprunter par crédit bancaire pour acheter des actions et de rembourser les crédits en les revendant, etc. L'euphorie des actions peut gagner bizarrement une partie du marché des obligations si l'arbitrage n'est pas direct, et autres complications: le marché de l'or valeur refuge ou les taux de change. Par exemple, début 2008, la forte baisse du dollar états-unien peut entraîner une réticence aux achats des obligations américaines par les économies qui regorgent de dollar (la chinoise, par ses exportations, les pays pétroliers, grâce à la manne financière née du troisième choc). On demandera ainsi un taux d'intérêt élevé pour compenser le glissement prévu de la devise américaine: la hausse des taux longs pourra alors accompagner une baisse des taux de profit et des valeurs boursières si la crise se prolonge. Et l'on retrouvera r (à la hausse) -7 taux de profit et V (à la baisse) ! * Premières vérifications empiriques des liaisons entre r, taux de profit et V : encore des énigmes De toute façon, l'éventuelle relation V -7 r ne vient donc, à notre connaissance, à l'esprit de personne; surtout pas des tentatives de vérification empirique sur des séries statistiques. Pas un mot dans le monument de Hower et Silla (1963, 1996) A History of Interest Rates (Une histoire des taux d'intérêt) où pourtant leur évolution est analYsée depuis la plus haute antiquité en passant par le Moyen Age.
On constate d'ailleurs
-
malgré la prohibition des prêts à
intérêt. .. - une baisse assez régulière des taux réels du XIIIe siècle (autour de 8,5 %) jusqu'au milieu du XVIe (autour de 4 %), une remontée ensuite jusqu'à la fin du XVIr, puis une tendance de baisse régulière jusqu'au début du XXe (autour de 2,2 %). Ce qui confirmerait la théorie des saint-simoniens, de I Voir plus haut. 168
Proudhon, dans une certaine mesure de Marx et enfin de Keynes, de la baisse du taux d'intérêt sur très longue période. Selon Bénassy-Quéré (1998), « Le lien négatif entre les taux longs et le cours des actions en France» est à peu près vérifié depuis une quinzaine d'années, sauf pendant les périodes de forte expansion (1986-1988). Cette période correspondait comme par hasard à la bulle et à la crise de 1987. Autre question: empiriquement, le taux d'intérêt présente en fait une influence réelle sur l'investissement bien plus faible que les approches néoc1assique et keynésienne ne lui en accordent au niveau théorique. Ce qui peut étonner les orthodoxes mais nous sied parfaitement: le taux d'intérêt est à la fois un coût et une rentabilité; mais surtout une rentabilité... Les modèles économétriques utilisés constatent cependant une certaine sensibilité de l'investissement au taux d'intérêt réel. Selon J. B. Taylor!, une augmentation d'un point du taux d'intérêt réel fait diminuer à court terme l'investissement de 0,2 à 0,9 % selon les pays; mais à moyen terme, la sensibilité passe à environ - 4 % dans la plupart des pays, probablement par les effets récessionnistes généraux qui agissent indirectement sur l'investissement. C'est donc la politique monétaire qui prend encore le dessus sur la liaison à la Smith. Un modèle de la Fed indique qu'une augmentation d'un point du taux d'intérêt (nominal à court terme) fait baisser l'investissement d'environ 0,2 à 0,3 points selon les pays la première année, un peu plus la seconde année et presque rien la troisième année. Qui croire? Mais, contre ces corrélations négatives, mais contradictoires, dues aux phénomènes de demande, par l'intermédiaire de l'investissement, apparaît une corrélation positive à long terme du taux d'intérêt et de la croissance, par l'offre. C'est donc le « paradoxe» de Gibson. Paradoxe apparent; en effet en longue période, les taux d'intérêt réel longs sont censés se rapprocher du taux de croissance économique en volume, élevés en phase d'expansion, faibles en phase de récession ou de stagnation. C'est ce type de liaison positive qui est mis en avant dans les modèles de croissance; ces modèles se heurtant au phénomène souvent dominant des taux courts de la politique monétaire! On peut donc s'étonner de cette remarque suivante du livre de Bénassy-Quéré (op. cit.) notant une corrélation positive « à l'encontre de la théorie» entre le taux d'investissement (le ratio FBCF / PIB) et le taux d'intérêt réel en France comme aux Etats-Unis de 1985 à 1997 ; ce « défi économétrique » n'est pas expliqué. L'effet de l'accélérateur d'investissement où ce dernier augmente en période d'expansion beaucoup plus vite que la demande globale - si l'on est en plein-emploi des I
D'après Agnès Bénassy-Quéré
(op. cit.). 169
capacités - ainsi que les politiques monétaires restrictives qui font grimper le taux d'intérêt en cas de surchauffe économique, expliquent en partie ce paradoxe. * De quelques lueurs théoriques anciennes expliquant les énigmes: le taux d'intérêt coût et le taux d'intérêt rentabilité Ce qui est néanmoins étonnant, c'est que cette corrélation se vérifie sur une période d'une quinzaine d'années et est en contradiction avec les modèles mentionnés plus haut. Ce « défi économétrique» peut donc être facilement levé si l'on abandonne la vision unilatérale du taux d'intérêt comme seul déterminant de l'investissement, comme coût, si l'on pense à sa rentabilité anticipée, bref au taux de profit au sens classique ou marxiste. En poussant le bouchon plus loin, il n'est pas interdit de penser que, malgré les recommandations théoriques (erronées) que les gestionnaires sont censés utiliser, le choix des investissements ne s'effectue que peu selon le taux d'intérêt et beaucoup selon les perspectives de rentabilité futures, ellesmêmes liées aux rentabilités actuelles. On retrouverait à la fois le point de vue de Keynes qui privilégie à r le TIR-EMAC et le nôtre, par l' « illusion de la valeur présente », non plus du taux d'intérêt, mais du taux de profit. Car le taux d'intérêt dont la hausse (versus la baisse) provoque la chute (versus la hausse) de l'investissement et, par l'effet de la demande, celle du niveau d'activité et des profits, est induit en même temps par l'offre, par le taux de profit qui est lié à l'activité. La « règle d'or» de l'accumulation du capitall néoclassique2, fondée sur l'offre, indique - sous des tas d'hypothèses - que le taux d'intérêt réel r est égal au taux de croissance économique g, lui-même égal au taux de croissance de la population ou de l'emploi e cumulé à celui du progrès technique
t : r = g = e + t. Dans ce cas, le paradoxe
apparent
disparaît: une forte croissance induit un taux d'investissement croissant et un taux d'intérêt en hausse. On retrouve le point de vue classique du taux de profit et de la prime de risque de Smith: plus la croissance est forte, plus le taux de profit est élevé, et avec lui le taux d'intérêt. Cette règle semble se vérifier grossièrement, toujours selon les données fournies par Bénassy-Quéré (ibid.), dans la plupart des pays sur le dernier quart de siècle. Et aucun «défi 1
Il s'agit essentiellement des travaux de Solow concernant les modèles de croissance. 2 On retrouve également la liaison positive entre taux d'intérêt (taux de profit) et taux de croissance dans les modèles de croissance keynésiens, d'HarrodDomar (ou Harrod et Domar) à Joan Robinson, en passant par Kaldor ou Kalecki. Mais la vision est souvent plus pessimiste sur la possibilité d'une croissance équilibrée et régulière, singulièrement chez Robinson avec son Il âge de plomb
ii.
170
économétrique » n'est mentionné. Elle est presque parfaitement vérifiée aux Etats-Unis (2,9 % de croissance moyenne annuelle du PIB de 1970 à 1996 pour un taux d'intérêt réel annuel moyen de 2,8 %) et au Royaume-Uni (respectivement 2,2 % et 2,3 %). La France présente sur la même période une croissance moyenne annuelle du PIB de 2,5 % mais un taux d'intérêt réel moyen de 3,5 %; pas si mal pour les rentiers au pays du prétendu laxisme monétaire, il est vrai transformé en rigueur monétaire sur la plus grande partie de la période analysée. On verra plus loin que, pour la France, un écart béant (où r réel> g) apparaît effectivement entre le début des années 80 et la fin des années 90, singulièrement entre la fin des années 80 et le début des années 90. Ce qui explique l'écart moyen de plus d'un point en faveur du taux réel depuis 1970. Ce sont évidemment les politiques monétaires de rigueur qui sont en cause; elles ont induit des taux de rentabilités économiques et financières inférieures au taux d'intérêt longs nominaux (jusqu'en 1996). Bref, échec sur les deux tableaux: faible croissance, chômage et faibles rentabilités, sauf celle des rentiers: une politique économique des rentiers. La règle d'or, avec ses exceptions qui la confirment, milite donc en faveur du taux d'intérêt rentabilité. Les modèles keynésiens « néocambridgiens » de croissance (notamment de Kaldor et Robinson) mettent en avant la demande et sont, répétons-le, plus pessimistes sur les possibilités de sentiers de croissance réguliers de l' « âge d'or », indiquant à l'inverse une possibilité d' « âge de plomb» : les trente années de plomb... Les modèles économétriques les plus courants fondent l'investissement dans son aspect conjoncturel sur le modèle d'accélérateur flexible où la demande est le principal argument. Mais la profitabilité au sens de Tobin (et Malinvaud)l est également un argument des fonctions d'investissement; on aboutit à des modèles accélérateur-profit. Et l'on retrouve l'étroite corrélation entre le taux d'accumulation et le taux de profit, aussi étroite que celle entre le taux de croissance et celui de l'investissement2. La question de la liaison entre le taux d'intérêt et l'investissement est donc à revisiter si on pense que la croissance induit des taux de profit et donc des taux d'intérêt élevés alors que les taux d'intérêt élevés sont censés casser à la fois investissement et croissance. La seule solution à ce dilemme et qui en est le moteur est la dynamique du cycle économique et des politiques, dont les politiques monétaires. I Voir Castex (2003). 2 Voir Jean-Marie Le Page (1991) et ses références à une étude de l'INSEE, in Rapport sur les comptes de la nation, 1988. Mais les données de l'analyse ont plus de vingt ans : il faudra les actualiser. 171
« On peut observer beaucoup, simplement en regardant! » 1
TROISIEME PARTIE LA CRISE FINANCIERE DE 2000-2008: CONSEQUENCE DE LA CRISE REELLE DEPUIS 1999
Combien pèsent les marchés financiers? Les actions sont négociées, après leur émission sur le marché primaire, sur le marché secondaire de la bourse compartiment actions. Les Etats-Unis représentent environ2 30 % de la capitalisation boursière mondiale (et environ 25 % du PIB) ; suivent le Japon avec plus de 7 %, le Royaume-Uni avec près de 7 %, la France avec plus de 4 % talonné par Hong Kong et l'Allemagne. La Chine pourrait représenter 5 à 6 % et l'Inde près de 3 % de cette capitalisation boursière. La capitalisation boursière américaine est donc un peu supérieure au niveau de son PIB3; mais les transactions annuelles sur le marché secondaire (NYSE + Nasdaq) tournent autour de dix fois le PIB. Les émissions nouvelles sur le marché primaire par les sociétés non financières, nettes des rachats de I Remarque du prix Nobel de physique Leon Lederman; ou reprise de Lénine « l'âme vivante du marxisme: l'analyse concrète d'une situation concrète ». 2 Source: Conférence de Michel Vigier pour la société d'expertise comptable Syndex, mars 2008. Compte tenu de la volatilité des cours, il ne s'agit ici que d'ordres de grandeur. Voir également Pastré et Vigier (2003). 3 19 KG$ (milliers de milliards de dollars) pour le regroupement du NYSE (New York Stock Exchange) et d'Euronext avec un PIB des Etats-Unis autour de 14 KG$. La capitalisation boursière dans le monde tournerait autour de 50 à 60 KG$ (en gros le PIB mondial), avec des émissions annuelles moyennes sur le marché primaire depuis le début des années 90 d'environ 4,5 KG$ : moins de 10 % de la capitalisation actuelle. 173
leurs propres actions par ces sociétés l, sont de l'ordre de seulement 2 % du PIB en Zone Euro (3 % entre 1999 et 2001, presque rien entre 2002 et 2005) et de - 1 % aux Etats-Unis, par Ie buy back, (- 5 % en 2006 et 2007). La rotation des actions sur le marché secondaire est de l'ordre de plusieurs fois le PIB, les émissions nouvelles de quelques pour cent du PIB : les transactions sur les valeurs de l' « occasion» écrasent celles sur le « neuf ». On voit mal un taux d'intérêt déterminé par ce marché primaire, fût-il fondé sur la productivité marginale du capital: c'est la double spéculation sur les marchés secondaires actions et obligations qui fait le poids. Les émissions de dettes (obligations et autres véhicules, dont la tritrisation des crédits bancaires2) représentent annuellement depuis 2004 30 KG$ au niveau mondial: cinq fois les émissions d'actions. Pendant les années 90, le niveau était trois fois plus faible. Les marchés précédents sont les marchés de capitaux longs; les autres marchés financiers sont les marchés monétaires et des changes.
1
Il s'agit
du il buy back il pennettant
surtout de doper les cours boursiers:
moins d'action pour le même dividende à distribuer. 2 Voir plus loin. 174
Chapitre VI La crise bancaire des subprimes et ses effets sur les LBO
On ne présentera donc en premier lieu que la crise bancaire des subprimes considérée comme un accident purement financier, conséquence des politiques monétaires laxistes et de leur retournement. Ses conséquences réelles crèvent les yeux, par la contagion sur les marchés bancaires, boursiers et monétaires et un possible « crédit crunch» (restriction des crédits bancaires). Mais aucune référence à l'économie réelle qui en est la cause profonde: la course aux profits dans une phase où les taux de profit baissent. En second lieu, on dévoilera la technique du « LBO », du « Leveraged Buyingout» que nous traduirons en français par « Reprise d'entreprise boostée par effet de levier », ou REBEL. Cette technique s'est développée de façon extravagante sur les cendres de la première alerte financière de 2000-2003. La méfiance envers la bourse, les taux d'intérêt au plus bas, des perspectives de profits peu réjouissantes sur des entreprises quelquefois en bonne santé mais marginalisées dans des secteurs ou des niches que les grands groupes ont choisi de délaisser: tous ces facteurs ont fait bondir une véritable martingale. Avec elle, on peut gagner à tous les coups (ou presque...), même avec des taux de rentabilité économique simplement correct mais n'atteignant pas les « 15 % minimums exigés» par la bourse avant le krach de 2000. Cette martingale, on l'aura compris, est celle de l'effet de levier qui renvoie encore aux relations du taux de profit et du taux d'intérêt.
175
61 - La crise financière crise bancaire 1
des subprimes et la
611 - Le développement des crédits immobiliers «aux pauvres », apparemment sans risque, par la« titrisation »... * Le boom de l'immobilier en particulier aux Etats-Unis Les bas taux d'intérêt qui ont suivi la crise boursière de 2000 à 2003 ont permis un boom de l'immobilier, pas seulement aux Etats-Unis mais singulièrement dans ce pays. Ce bas niveau des taux est soit la conséquence de la chute des taux de profit induite par la crise réeIle après 2000 (en fait une stagnation de l'activité plus qu'une récession), soit ceIle de la baisse des taux directeurs de la Fed pour lutter contre l'éclatement de la buIIe boursière, soit les deux à la fois... Le cas des subprimes (<<subprime mortgages» ou prêts hypothécaires à «sur risque») est particulier. C~tte crise (subprime mortgage meltdown) fut déclenchée aux Etats-Unis en 2006 par un krach des prêts hypothécaires à hauts risques. EIle fut révélée au monde début 2007. Cependant, eIle ne se transforma en crise bancaire, financière et boursière mondiale qu'à partir de l'été 2007 et surtout début 2008. * Que sont ces subprimes ? Ce sont des prêts immobiliers aux ménages qui, dans des conditions normales de marché, ne pourraient accéder à la propriété compte tenu de leur capacité de remboursement insuffisante induite par leurs faibles revenus: en un mot des prêts aux « pauvres» ; ce qui partait d'un bon sentiment... En langage plus technique des personnes « aux scorings de crédit insuffisants »... On leur offre des taux très attractifs mais variables et avec une « surprime» de risque, tenant compte de leurs faibles revenus, taux effectifs bien cachés par un faible taux d'appel (maintenu sur une période de 1 à 3 ans) et sur une période de remboursement longue. Le taux révisable est indexé sur le taux directeur de la Fed; il est majoré d'une « super prime de risque» (<<subprime »2) qui peut être très élevée. Certains prêts sont nommés « Ninja» : « No income, no job or asset» (pas de revenu, pas d'emploi ni d'actif à mettre en garantie). Pour les banques, le risque de I Ce rapide aperçu est le fruit de quelques lectures de journaux et revues et de quelques parties de surf sur la Toile. On a négligé les articles rassurants, privilégié les approches critiques et retenu en particulier les articles de Frédéric Lordon (2007). On a également utilisé la conférence (op. cit.) de Michel Vigier. 2 Les crédits immobiliers « normalement risqués» sont les crédits « prime ».
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défaut (non remboursement du crédit) est donc élevé par construction. Mais dans un marché immobilier en boom, d'ailleurs boosté par ces opérations, la récupération des liquidités ne semblait a priori pas poser de problème: les banques apparaissaient garanties par la vente des logerpents hypothéqués. Ce marché s'est largement développé aux EtatsUnis à partir de 2001, dopé donc par la chute des taux directeurs de la Fed. Au milieu 2007, un peu moins de la moitié (47 %) du stock de prêts immobilier états-uni en concernait les crédits bancaires ordinaires (<<prime conventional »), 20 % les classes moyennes aisées (<< jumbo »), le reste, soit un tiers, les prêts aux « pauvres, dont seulement 10 % du total en subprimes au sens strict (le reste concernant les logements de type HLM ou assimilé) : tous les crédits à risque ne sont pas des subprime, mais le risque s'étend maintenant aux autres catégories. * La « titrisation» des crédits immobiliers Les banques, pour se refinancer, ne gardent pas leurs crédits immobiliers: ils les titrisent, c'est-à-dire transforment les crédits bancaires non négociables de leur actif en titres négociables I sur les marchés, lesquels vont donc se promener partout. Les banques «structurent» ces crédits en « véhicules de financement », en petits paquets de titres obligataires offerts sur les marchés financiers. Le risque se dilue, et les banques se refont donc en plus des liquidités leur permettant de continuer à prêter. C'est un avantage selon la théorie financière libérale: des créances non négociables deviennent liquides, améliorant la diversification des portefeuilles et disséminant les risques. Vertu toute théorique: ce n'est vrai qu'à condition que l'évaluation de la « qualité» du « gisement initial» (les crédits bancaires) reste correcte. Ce phénomène se développe pour les crédits bancaires depuis le début des années 90 et se généralise depuis le début du millénaire. Ces titres récupèrent évidemment les risques de défaut mais, en contrepartie, présentent des rendements élevés qui les compensent pour l'investisseur ayant peu d'aversion au risque (en particulier les Hedge funds), mais aussi les Fonds de pension pour doper à la marge leurs rendements. Ces titres « structurés» sont offerts par tranches homogènes de couple risque-rentabilité. On les nomme « RMBS » (Residential mortgage backed securities, titres adossés à des crédits immobiliers hypothécaires). Début 2007, le marché des créances immobilières titrisées aurait atteint un volume I
Il s'agit également, en partie, d'une astuce des banques pour contourner les « ratios prudentiels» de la réglementation de « Bâle Il » : en vendant leurs crédits titrisés, ils récupèrent des liquidités et peuvent ainsi prêter encore. 177
comparable à celui des bons du trésor américains; on précisera plus loin cette importance. En outre, ces opérations de titrisation vont être réitérées. Certains investisseurs vont émettre des titres dérivés des titres RMBS déjà dérivés des crédits bancaires. Ce sont les CDO (Collateralised debt obligations), avec plusieurs tranches de risque: de la tranche supérieure la moins risquée dite « Investment grade» à la tranche la plus risquée dite ((
Equity»
ou plus clairement (( toxic waste» (déchet toxique).
On a noté plus haut l'explosion des émissions de dettes, dont les obligations ordinaires. La titrisation elle-même (AssetBacked Debt) tourne annuellement dans le monde (en fait anglo-saxon), de 2004 à 2007, autour de 7 KG$ (9 KG$ en 2006): 1,5 fois les émissions d'actions. Ces émissions étaient presque inexistantes au début des années 90 mais ont régulièrement augmenté: 1,5 KG$ en 1997, 3,5 KG$ en 2003. Environ la moitié de ces émissions concerne les prêts hypothécaires (c'est-à-dire les Mortgage-backed debts). L'Europe (essentiellement le Royaume-Uni) ne compte que pour une faible part (en 2006 autour de 0,6 KG$). La dette financière des Etats-Unis représente actuellement plus de 100 % de son PIB, elle est donc supérieure à sa capitalisation boursière. Ce sont les banques qui en sont essentiellement créancières: les crédits bancaires titrisés par les unes étant souvent rachetés par les autres. 612 - ... puis le retournement * L'effet de la remontée des taux directeurs de la Fed Mais quand les taux des crédits bancaires remontent, en 2004-2006, par la tension sur les taux monétaires voulue par la Fed] pour lutter contre le danger d'un nouvel emballement boursier, et par la relance du taux de profit, les taux et donc les remboursements s'alourdissent. Les défauts de remboursement conduisent les banques à faire vendre les logements acquis et hypothéqués. Ce qui renverse dès 2006 la tendance du marché immobilier2. Et les banques ne retrouvent pas leur liquidité; mais continuent de plus belle la chasse aux bénéficiaires de subprimes, avec des commissions juteuses pour les intermédiaires. . . Ce type de prêt passe de 120 G$ en volume en 2001, 200 en 2002 et 600 en 2006. L'encours des prêts immobiliers aux Etats-Unis aurait atteint en 20068,4 KG$ (plus de quatre fois le I La Fed a progressivement relevé son taux directeur de 1 % à 5,25 % entre 2004 et 2006. 2 Le marché immobilier américain a perdu en moyenne aux alentours de 20 % de début 2006 à l'été 2007. 178
PIB de la France et plus de la moitié de celui des Etats-Unis), dont 10 % pour les subprimes au sens strict, environ 1 KG$, et trois fois plus pour les crédits immobiliers aux « pauvres» en général: bref entre 1 et 3 KG$ de crédits à risque... En flux de nouveaux prêts, les subprimes auraient représenté en 2006 près du quart des prêts immobiliers. Que la Fed augmente d'un iota ses taux directeurs et l'édifice s'écroule. Les nouvelles acquisitions se font plus rares et la bulle immobilière commence à se dégonfler, les « pauvres» bénéficiaires des crédits subprimes ne pouvant assurer leurs échéances sont contraints de vendre; et la plusvalue attendue se transforme en moins-value, répercutée sur les banques. Les quarts de point supplémentaire de relèvement de taux d'intérêt par la Fed peuvent sembler infimes; sauf qu'à l'autre bout de la courbe des risques, le taux des crédit immobilier aura pu doubler, passant de 6 % à près de 12 %, avec un effet direct sur les mensualités: 14 % des emprunteurs subprimes sont ainsi défaillants au premier trimestre 2007. De un à trois millions d'Américains pourraient devoir vendre leur habitation. * L'aveuglement des agences de « rating », puis leur panique Les agences de « rating» (les grands: Moody's, Standard & Poors, Fitch) évaluant les risques des titres d'emprunt, n'ont rien vu venir. Ou ont fait semblant. Il est vrai que près de la moitié de leur chiffre d'affaires en 2006 concernait l'évaluation de ces produits structurés. « C'est qu'il est difficile, écrit Lordon (2007), quand on est si proche de la finance, et qu'accessoirement on vit à son crochet, de crier "casse-cou" quand tout le monde s'en met plein les poches... Catastrophiquement procycliques là où elles devraient être contracycliques, les agences laissent faire à la hausse... et se mettent, paniquées, à réviser dès que le retournement s'amorce, contribuant ainsi à le changer en effondrement ». La bulle ne se dégonfle plus, elle éclate. Jusqu'en décembre 2006, les indices des prix des « subprime RMBS » se tenaient autour de 100, avec un petit effritement dès novembre pour les nouveaux prêts obtenus en 2006. En juillet 2007, les prix de marché avait chuté de moitié; en janvier 2008 le RMBS des titres aux «ratings» les plus bas (<
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613 - ... et la contagion
* De la crise bancaire à la cd se boursière Au moindre cri d'alarme, la contagion se répand comme une grippe. Plus personne ne veut plus acheter les CDO, les dérivés de crédits subprime et prime: leur valeur sur les marchés s'écroule. La contagion est rapide sur les marchés actions quand ceux-ci prennent conscience (fin août 2007 et surtout début 2008) que la crise bancaire est profonde. Les crédits bancaires à haut risque sortis par la porte de la tritrisation reviennent par la fenêtre: les fonds de gestion des banques traitent évidemment des produits structurés dérivés de ces crédits et spéculent sur les marchés actions. Les provisions pour risque s'accumulent (sur les titres dérivés des subprimes mais aussi sur les actions), et les banques font face à des problèmes de liquidité. * L'aggravation de la crise bancaire: 1'« assèchement» du marché interbancaire Soluble quand tout va bien par le refinancement sur le marché interbancaire, le risque est devenu tellement grand que ce dernier s'assèche. La Fed a beau baisser, et de façon brutale, les taux directeurs, cette mesure n'empêche pas les taux courts, en particulier le taux au jour le jour, l' « overnight », de se tendre, par le brusque saut de la prime de risque. Il en fut de même pour les durées plus longues. En Europe continentale, le taux de refinancement interbancaire à 3 mois est en général supérieur au taux directeur de la BCE de 0,15 % à 0,20 % (en langage financier « de 15 à 20 points de base») : c'est la prime de risque (spread en anglais) du marché interbancaire. Fin 2007, ce spread frôlait les 100 points de base: 1 %. La forte hausse, à partir du mois d'août 2007, des taux à court terme auxquels se refinancent les banques, constitue un vrai risque pour leur équilibre financier: « L'envolée des taux du marché du refinancement bancaire ... , devenus supérieurs aux taux des prêts sans risque à long terme, [constitue] une situation intenable pour les établissements financiers », écrit le 15 septembre un journal spécialisé. En effet, certaines banques en arrivent à emprunter à des taux élevés pour refinancer des crédits qu'elles ont accordés précédemment à des taux moindres. D'autres sources de refinancement étaient disponibles pour les banques, en particulier l'émission de « papier commercial» (ABCP, Asset-backed commercial paper, titres à courts termes adossés à des actifs financiers, dont les dérivés de subprimes). Grâce à ces ressources, les banques pratiquaient la transformation de ces crédits à court terme à taux bas en crédits 180
à long terme à taux plus élevés (encore un effet de levier), par des «conduits» ou «véhicules ~> particuliers, les SIV (Structured investment vehicles). A la première alerte, le refinancement par ABCP devenait impossible, de même que le refinancement sur le marché interbancaire garanti par ces actifs. Tous les secteurs financiers liés à la multiplication des petits pains par l'effet de levier entrent en crise, en particulier le secteur de la Private Equity et singulièrement les opérations de LBO. On y reviendra. Le passage de la crise bancaire à l'économie réelle est rapide: les crédits à l'économie se raréfient, malgré la baisse des taux directeurs de la Fed (pas de la BCE...). Dans un monde en «surliquidité» (plutôt en sur épargne, répétons-le), la liquidité bancaire s'effondre! * La difficile évaluation des pertes au niveau mondial dues à la crise des subprimes Il n'existe en fait aucune évaluation fiable, car les marchés dérivés de la titrisation sont en fait bloqués! En voici une, avec répartition en p'ourcentage des 600 G$ de pertes évaluées « prudemment» I.
Immobilier d'entreprise 17%
SIV ("V éhicules")
sur ABC? 13%
~""
Immobilier résidentiel hors subprimes 17%
""
Crédits à la
Subprimes 41%
8% LBO 4%
Sur un total de 600 G$
I Celle de EXANE BNP PARIBAS, début 2008, sur la base d'une « mild and short recession ». Une note précisait: « en cas de récession plus sévère (et/ou de dégradation plus forte de l'immobilier), les pertes pourraient être plus sévères ». En avril 2008, le FMI évalue les pertes totales à près de 1 000 G$, environ 2 % du PIB mondial ou le tiers du PIB français... 181
614 - La folie des banques, pas la folie des politiques monétaires * La « mauvaise» politique monétaire de la Fed, « laxiste» puis ne répondant pas au désir des spéculateurs en accusation? Ou la folie des spéculateurs? La crise actuelle serait, pour les libéraux, la conséquence structurelle du laxisme monétaire de la Fed états-unienne et de son gourou Alan Greenspan. Trop de baisse des taux auraient induit le processus des crédits subprimes. C'est faux! ! Certes, la gestion pragmatique de Greenspan avait fait chuter les taux directeurs après 2000; mais ils remontèrent ensuite pour contrecarrer la nouvelle bulle boursière: c'est cette remontée qui a enclenché la crise des subprimes. La crise serait aussi, à l'inverse, la conséquence conjoncturelle de la politique de son successeur Ben Bernanke. Ben Bernanke n'est en effet pas intervenu en début de crise par la baisse générale des taux directeurs (sauf par des injections massives de liquidité et la baisse du taux d'escompte), car son intervention serait apparue comme une caution aux errements bancaires, Et les spéculateurs de regretter « Magic Greenspan ». La crise des subprimes, ce n'est pas la faute aux bas taux d'intérêt, c'est la faute aux aventures des banques, certes permises par les bas taux, et déclenchée ensuite par leur hausse. Bien sûr, comme chez Wicksell, Hayek, Fisher et les autres, si les taux« monétaires» étaient restés « à l'équilibre» égaux aux taux « naturels» (voir l'analyse et le vocabulaire de Wicksell), rien ne se serait passé. Les financiers qui auraient bien vu leurs pertes nationalisées dès l'été 2007, n'avaient donc pas de mots assez durs contre Ben Bernanke qui, contrairement à Alan Greenspan, n'avait pas immédiatement «coupé» les taux d'intérêts. Il a beaucoup attendu, pour faire respecter une « morale» financière probablement, mais en mésestimant le risque systémique global. Il n'est donc intervenu massivement que début 2008. On ne suit pas Lordon qui, curieusement avec les libéraux, affirme « .., que cette longue tolérance monétaire aux excès de la finance n'a pas été complètement étrangère à la formation et à l'accumulation des risques qui crèvent aujourd 'hui telles des bulles >?, 1 «... imagine-t-on l'état de l'économie mondiale après l'effondrement de 2000 si la Fed n'avait pas décidé d'agir avec détermination» écrivent Fitoussi et Laurent (2007). 2 On le suit mieux dans sa prévision de la fin d'été 2007. « Quant à M Bernanke, il semble pour l'heure plutôt d'avis de laisser les opérateurs les plus imprudents supporter les conséquences de leur inconséquence. Mais il ne faut pas s 'y tromper. Cette position du banquier central n'est tenable que si les défaillances demeurent localisées. Qu'elles "coagulent" et précipitent un 182
* Accepter ou punir l' « aléa moral» ? La « faute aux aventuriers de la banque », c'est la question de l' «aléa moral» et des « externalités ». L'expression aléa moral ou «hasard moral» est la (mauvaise) traduction de l'anglais « moral hasard» (déjà peu clair). II s'agit en fait d'un « risque comportemental» au détriment d'autrui, comportement qui induit des « effets externes» ou « externalités négatives ». Tentons de traduire. Dans sa signification générale, la question de l'aléa moral renvoie à une situation d' « incomplétude de l'information» dans un contrat entre un mandant (dit « Principal») et le mandataire (dit « Agent» : on aura reconnu la théorie de l'agence). Le comportement d'aléa moral a été repéré dans les contrats d'assurance: un « assuré tout risque» aura un comportement plus risqué qu'un non assuré, au détriment de l'assureur. Pour le cas particulier qui nous intéresse, l'externalité négative est que des faillites privées des banques commerciales peuvent se transformer en crise générale. L'aléa moral est le risque comportemental de ces banques qui se sentent couvertes par l' «assurance» du Banquier central (qui baisse ses taux et agit en tant que « prêteur en dernier ressort ») en cas de danger de faillite, pour éviter une crise générale. Quand tout va bien, on privatise les profits, quand tout va mal, on nationalise les pertes. Ledit aléa moral, le risque comportemental au détriment d'autrui, n'a que peu de rapport avec la question morale au sens le plus banal. Quelques beaux parleurs s'y sont laissé prendre en confondant moral et aléa du même nom 1... Mais quand même, l'aléa moral porte peut être un nom que l'éthique ne jugerait approprié... Punissons donc les banques fauteuses de troubles: qu'eUes fassent faillite! C'est en gros la position de Lordon: une critique acerbe des méfaits de la spéculation financière qui rejoint la morale commune, la « morale déontologique ». Et qui propose des solutions: la forte régulation. Mais pour d'autres, les « conséquentialistes », le danger économique et social de la punition est trap grand: l'action publique doit certes prendre en compte les règles, mais aussi les conséquences de leur application.
« risque de système ii - c'est-à-dire, par effet domino, d'effondrement général -, et il n'aura pas d'autre choix que d'intervenir, et massivement ii. On le suit encore: « C'est bien là d'ailleurs le plus insupportable dans les méfaits de la finance, toujours encouragée à aller trop loin, c'est-à-dire au-delà du seuil où les autorités ne peuvent plus se désintéresser de ses infortunes et doivent plonger pour lui sauver la mise - la parfaite prise d'otages ii. Avec un Etat providence pour les preneurs d'otages. Nous ne dénoncerons pas ici le principal. On peut le trouver sur la Toile... 183
* Une seule solution: la régulation à l'ancienne Dans un artic1e\ Lordon (2007) précise sa pensée, notamment en proposant «Une politique monétaire "dédoublée" pour contrer la spéculation ». Les Banques centrales ne disposent en effet que d'un seul taux d'intérêt directeur pour deux objectifs. Le premier objectif est d'influencer l'économie réelle avec un r faible en tant que coût et une bonne courbe des taux, « normale », avec taux courts inférieurs aux taux longs. Restons keynésiens: pour assurer une croissance forte, le plein-emploi, et pourquoi pas l'euthanasie des rentiers. Le second objectif, parfaitement contradictoire avec le premier selon Lordon, serait de freiner l'euphorie spéculative; ou au contraire d'éviter la crise boursière2. Lordon propose donc, entre autres mesures de régulation, de dédoubler le taux d'intérêt3. Cette proposition peut apparaître totalement utopique. Elle l'est dans notre monde d'économie capitaliste de marché déréglementée et financiarisée. Pourtant, elle l'était moins quand une grande partie des taux longs étaient « bonifiés », subventionnés, Bref, du temps de l'économie avec Etat providence. Une autre proposition est de séparer le refinancement des banques commerciales par la Banque centrale entre celui des crédits à l'économie à un taux « économique» et celui des crédits à l'activité de marchés à un taux « spéculatif ». Et pourquoi pas revenir à la séparation entre les banques de dépôt (et de crédits à court terme) et les banques d'affaires, d'investissement financier. Ce qu'a fait après le krach de 1929, nous rappelle Lordon, le New deal de Roosevelt avec le Glass Steagall Act. Bref, un retour à la régulation du bon vieux temps des Trente glorieuses, avant la loi bancaire de 1984 et même les réformes bancaires de la fin des années 60. Ce serait la moindre des réformes; qui la fera? I Sur le site Internet du Monde diplomatique, 2 « On sait le choix, écrit Lordon (op, cit.), qu'a fait la Réserve Fédérale sous la présidence d'Alan Greenspan: la croissance réelle et la bulle financière. Mais c'est un calcul à courte vue et qui est voué aux heurts d'un stop and go qu'on croyait disparu depuis les années 1970, mais qui revient sous une autre forme: pendant la croissance la bulle bat son plein... jusqu'à l'effondrement spéculatif dans lequel peut se trouver entraînée l'économie réelle par le canal de la contraction du crédit lorsque les banques, mitraillées de mauvaises créances, arrêtent brutalement les frais et pour tout le monde ». 3 Lordon propose en effet: « Un dédoublement de l'instrument (le taux d'intérêt), dont on réserverait chaque déclinaison à un groupe d'agents spécifiques: un taux pour l'économie réelle, un taux pour les amateurs de montagnes russes spéculatives? Rien n'empêcherait dès lors de conserver un premier taux d'intérêt dit "économique" pour les agents de l'économie productive, et d'en attribuer un second dit "spéculatif' à l'usage exclusif de la finance de marché ». Ou comment « Frapper la finance, préserver l'économie ». 184
62 - La crise des LBO et de l'effet de levier 621 - Le LBO, ou REBEL: une technique «rebelle », développée surtout après la crise boursière de 2000-2003, mais en grave crise depuis la crise bancaire de 2007-2008 * Le LBO (Leveraged Buyingout) est un cas particulier mais dominant du « Capital investissement» On parle souvent de capital transmission par LBO, le rachat s'effectuant avec peu de capitaux propres (CP) et beaucoup d'endettement, de dettes (D), le plus souvent par crédit bancaire, quelquefois par levées de fonds sur les marchés obligataires. On oppose le financement coté en bourses (ou « Corporate finance») au financement non coté, le « Capital investissement », ce que les anglo-saxons nomment «Private Equity» : Capitaux propres «privés », par opposition à capitaux propres nés de l'appel public à l'épargne. Il ne doit pas être confondu avec le capitalisme des entreprises appartenant à des capitaux familiaux ni avec les «Fonds de pension ». Le LBO n'est qu'une forme particulière de ce capital investissement qui renvoie aux entreprises capitalistes non cotées en bourses mais dont le financement s'effectue par recours à du capital financier organisé (CP et D). Le private equity doit lui-même être distingué d'autres institutions financières. Les Fonds de pension gèrent les retraites par capitalisation 1 ; ils investissent surtout dans des entreprises cotées, mais sans volonté de contrôle, cependant aussi (pour répartir les risques), dans des obligations et les dérivés de subprimes. Les Hedge funds, ou Fonds spéculatifs investissent sur un horizon à court terme, le plus souvent sur des actions, mais en général également sans volonté de contrôle des entreprises, ils sont également censés jouer sur l' « arbitrage» sans trop de risque. Le capital investissement est formé de la séquence suivante correspondant au cycle de vie des entreprises: Capital risque (qui concerne les débuts de vie des entreprises) ; Capital développement (pour les entreprises déjà en croissance, avec fort potentiel) ; « REBEL », LBO donc (pour les entreprises en phase de maturité mais qui font face à des problèmes économique et/ou de financement) ; Capital retournement (pour les entreprises en difficulté, souvent en phase de déclin, I Les retraités sont dans ce cas des rentiers; mais pas plus que les retraités de la retraite par répartition. Dans les deux cas, ces « rentiers» ont néanmoins travaillé: ils ne sont pas à « euthanasier », Les « réformes» des retraites par répartition s'en occupent... 185
mais avec possibilité de rebond). La technique du LBO est la principale branche du capital investissement (en gros, actuellement en Europe, les deux tiers du capital investissement). Les entreprises de capital investissement, dont celles qui mettent en place les LBO, sont soit des sociétés indépendantes, soit des filiales de banques ou de compagnies d'assurance. Elles lèvent des fonds propres! mais elles s'adressent également aux banques pour un financement par dette. L'horizon des opérations est le moyen terme (de 3 à 7 ou 8 ans). La technique du LBO est en effet « rebelle », pour quatre raisons dont les trois premières sont liées. Elle est en décalage avec la dominance de l'économie de marché de capitaux, car elle retrouve l'intermédiation du crédit bancaire. Elle n'est ainsi pas soumise aux règles d'information imposées en cas de financement sur les marchés publics organisés (singulièrement par capitaux propres) : les bourses. Elle est par conséquent non soumise aux obligations d'informations du public en général, dont ses salariés. Elle est enfin, un substitut aux marchés financiers depuis la crise boursière de 2001-2003 ; mais se trouve elle-même en crise depuis la crise bancaire des subprimes. * Une technique rebelle à la généralisation de l'économie de marché de capitaux, par son retour à l'économie d'endettement par l'intermédiation du crédit bancaire Il s'agit bien d'une rébellion, car le libéralisme préfère, on l'a déjà indiqué, l'économie de marché de capitaux (propres) à l'économie d'endettement (par crédit bancaire). Dans la première, rappelons-le, les entreprises trouvent leurs capitaux par financement direct, sans l'intermédiation du crédit bancaire. Ce n'est le cas dans les LBO que pour la partie capitaux propres (minoritaire dans le financement) ; cependant ce n'est qu'un marché financier « privé », de gré à gré. Dans la seconde, les entreprises trouvent leurs capitaux par financement indirect, par l'intermédiation du crédit bancaire: c'est le cas dans le LBO pour la partie financée par dette (très majoritaire donc dans le financement ). * Une technique rebelle, par l'absence d'information financière publique L'organisation des marchés financiers suppose un certain niveau d'information (dite transparence) et de contrôle de la part des gérants et gendarmes de ces marchés (par exemple en I En France à travers des FCPR (Fonds Communs de Placement à Risque), des FCPI (Fonds Communs de Placement dans l'Innovation), des FIP (Fonds d'Investissement de Proximité). 186
France l'AMF, l'Autorité des marchés financiers qui a absorbé l'ex-COB, Commission des opérations de bourse). Or les opérations de LBO sont par nature très rebelles à cette transparence et au contrôle car, ne faisant pas appel à l'épargne publique mais aux banques et à des apporteurs de capitaux risqués non cotés, elles n'y sont pas (encore) soumises 1. Cet inconvénient de non-transparence pour le public n'en est pas un pour les apporteurs de capitaux propres, car ces derniers se connaissent bien au sein du private equity; et le secret des affaires reprend tous ses droits. Qu'en est-il pour la part dominante du financement: le crédit bancaire? La question de la transparence se pose théoriquement peu: les actionnaires des banques sont censés savoir lire leurs bilans; sauf l'évaluation des dérivés de la titrisation et les engagements hors bilan... Il s'agit donc plus d'une question de contrôle que d'information. Or, la réglementation bancaire est déjà forte en termes institutionnels; elle devrait donc pouvoir contrôler indirectement les opérations de LBO. Cependant, la régulation des risques de liquidité et d'insolvabilité est globalement laissée à des ratios prudentiels recommandés par les accords de Bâle (<
I Cependant, au Royaume-Uni, de loin dominant en Europe pour ce type de financement, une réforme de l'obligation d'information est en cours suite à la crise des subprimes. D'autres pays suivent, dont les très libéraux Pays-Bas. La question de l'approfondissement de la réglementation se pose en fait partout. En France, seul le groupe parlementaire du Parti communiste avait proposé une commission d'enquête parlementaire et des réformes donnant des pouvoirs accrus à la CDC, la Caisse des dépôts et consignation. 187
Certains syndicats, comme la CFDT, qui ne s'opposent pas par principe aux opérations de LBO, revendiquent néanmoins cette transparence pour les salariés. Il s'agit au moins d'avoir accès aux plans de développement ou « Business Plans », d'agir sur l'environnement juridique (garantir par la loi l'information) et de faire émerger l'idée d'une « RSE et DD « (Responsabilité sociale de l'entreprise et Développement durable) dans les LBO). Ils proposent également une meilleure réglementation des banques, une notation extra financière des investisseurs, notamment en vue du placement de l'épargne salariale. D'autres sont plus offensifs, comme la CGT et le « Collectif LBO» qui en émane. Ils sont opposés par principe aux LBO et n'y voient que le nouvel avatar du capitalisme du XXI" siècle. Ces opérations, par la « tyrannie» de la recherche du « cash» à tout prix, se solderaient surtout par des restructurations (lire dégraissages et licenciements), une vision courtermiste, une pression élevée sur les salariés et le management, pour le plus grand profit des apporteurs de capitaux. La « vérité» est à rechercher, de façon critique, entre ces deux tendances. * Le choc de la crise actuelle Cette technique est néanmoins en pleine crise financière depuis l'été 2007. Le développement accéléré Gusqu'en fin 2007) des LBO n'est en fait que le résultat de la crise boursière déclenchée en 2000 : la méfiance envers les marchés financiers a fait se tourner les investisseurs vers le private equity en général et le LBO en particulier. Cependant, au niveau mondial, les LBO s'étaient déjà développés avant 20001 : ils représentent environ 30 % des fonds d'endettement levés par regroupements de banques (crédits dits « syndiqués»). Dans le même temps, la baisse des taux d'intérêts rendait attractif, par l'effet de levi~r de l'endettement, le recours au financement bancaire. A l'inverse, avec la crise bancaire de l'été 2007, les taux courts bancaires se sont fortement relevés; surtout, le refinancement des banques sur le marché monétaire fut complètement bloqué. Deux des opportunités qui avaient fait le bonheur des opérations de LBO (bas taux d'intérêt et perspectives économiques correctes) sont donc en train de se transformer en menaces; à la méfiance envers les marchés financiers boursiers s'ajoutent celle des investisseurs en LBO. Ce tarissement des sources de financement, singulièrement bancaires, va sans aucun doute freiner le développement ou le redressement d'entreprises saines ou en difficulté financière. 1 Un peu moins de 200 G$ en 1995, autour de plus de 500 G$ de 1998 à 2000, chute à 400 G$ en 2001 mais bond régulier jusqu'à plus de 1 800 G$ en 2007. 188
-
622 Les acteurs financiers d'un LBO
et les mécanismes
économiques
et
* Les acteurs et les capitaux engagés Six acteurs fondamentaux interviennent dans un LBO, organisés selon le schéma qui suit: l'entreprise Edite « cible» qui est cédée ou rachetée par LBO, son management M, entrant en relation avec un fonds d'investissement FI qui crée une société Holding H, propriétaire de E. Le financement de H est assuré par deux types de capitaux: d'une part des capitaux propres CP détenus par un Investisseur I en capital risqué, avec participation du fonds d'investissement FI et du Management M ; d'autre part des dettes D trouvées en général chez une banque B. Un septième acteur, nouvel investisseur NI, interviendra à la « sortie », lors de la revente (à un industriel, à un financier, mise en bourse, au ... LBO secondaire). Le rôle de mise en relation
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Le FI joue un rôle central, pas seulement de mise en relation mais aussi de « partenariat» avec le M de E, également étroitement surveillé par B ; FI est (grassement) rémunéré pour ses différents « conseils ». Les financements peuvent être plus complexes, avec des fonds intermédiaires entre CP et D (fonds dits « mezzanines »). L'investisseur en CP peut prendre plusieurs formes: les Fonds de pension diversifient leurs portefeuilles en plaçant une partie de leurs actifs rapportant, mais avec un risque supérieur, une rentabilité dopée par l'effet 189
de levier; les Hedge funds n'hésitent pas non plus à intervenir en période faste. K est le capital économique correspondant à la valeur du rachat de Epar H en LBO. K peut être différent de la valeur fondamentale de marché avant restructuration et nouveau Business Plan, car l'entreprise rachetée E peut être « en difficulté ». Cependant, ce n'est pas toujours le cas: les difficultés peuvent n'être que des difficultés de financement (endettement important mais ne remettant pas en cause la rentabilité économique). CP sont les capitaux propres totaux amenés essentiellement par I, mais aussi par FI et M. D est la dette bancaire, avec D = K - CP ; elle peut être remboursée « in fine» (ce qui était d'ailleurs de plus en plus courant dans les opérations de LBO). Le levier L est le rapport D I CP ; il va évidemment jouer de façon considérable sur les rendements des apporteurs de CPo * Les rentabilités financières des capitaux propres de l'opération Le taux interne de rendement (TIR) des capitaux propres et les rentabilités comptables nettes sur la durée de l'opération sont les principaux critères de performance. Le TIR des CP est le seul réel critère de rentabilité; il tient compte de l'actualisation des flux de trésorerie ou « cash flows» obtenus après la revente: profits de la cible E versés en dividendes à H moins les intérêts versés à B, plus le produit de cession à NI. C'est la rentabilité financière annuelle moyenne des capitaux propres engagés. Ce taux renvoie à un taux moyen net annuel de rentabilité et peut être comparé au taux de rentabilité désiré par les investisseurs. Les rentabilités comptables nettes sont les ratios profits nets dégagés (profit de la cible E versés en dividendes à H moins les intérêts versés à B plus la plus-value de cession à NI) ramenés aux capitaux propres CPo On constate alors deux doubles « effets de boostage » de la rentabilité comptable nette des capitaux propres d'un LBO: « effets économiques» et « effets de levier financier ». L'effet économique est lui-même double. Le capital économique K de E et de H présente d'abord une rentabilité économique comptable nette de l'activité. Mais K est également rémunéré par la plus-value de cession. Cette rentabilité économique totale est ensuite boostée par les effets de levier. Une opération de LBO présente en fait deux effets de levier. Le premier effet de levier est celui, traditionnel, de l'endettement jouant sur la rentabilité de l'entreprise cible E par les dividendes versés; il joue sur la holding H endettée auprès de B. Ce premier effet de levier va d'abord permettre à la holding H, très endettée, de multiplier la rentabilité 190
économique de E pour obtenir sa rentabilité financière. Le second effet de levier est la conséquence de la plus-value à la revente; il va, pour les mêmes raisons, multiplier la « survaleur économique» de revente (la différence entre la valeur de revente V au nouvel investisseur NI et la valeur K du capital économique de E rachetée par H)... et s'ajouter au premier. Sans les deux effets de levier, l'opération de LBO aurait peu d'intérêt: H non endettée ne recevrait que la rentabilité économique et la survaleur économique, sans multiplication... D'où la martingale du LBO, à condition que r soit petit. 623 - Les « surperformances
» théoriques des LBO
* Le LBO et ses ratios clés Le premier ratio caractéristique des LBO, sans compter le levier fiscal du montage entre la cible E et la holding H, est sans doute l'effet de levier de l'endettement. Il dépend, on l'a vu, de la structure de financement, donc du levier, de la rentabilité économique et du taux d'intérêt. Souvent de l'ordre de 1 il Y a quelques années (50 % de D et 50 % de CP), il atteignait souvent 4 (80 % de D et 20 % de CP) en 2006 et 2007. Le deuxième ratio pris en compte est la capacité de remboursement de H, donc la capacité de E à générer des flux de cash versés en dividendes à H puis reversés, en tout ou partie, en intérêts et remboursements à B. On appelle « multiple» dans les opérations de LBO le rapport entre la dette D et le « flux de cash» dégagé annuellement. Ce « cash flow», si l'on se cantonne à la seule activité d'exploitation, est nommé en français l'Excédent brut d'exploitation (EBE) et en anglosaxon Ie Earning Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization (EBITDA): le profit avant intérêts, impôts et amortissements. Plus le rapport D / EBITDA est grand, plus longue sera la durée de remboursement de la dette. Le troisième ratio clé, résumant mais précisant les deux précédents, est donc le TIR qui reste l'objectif final de rentabilité d'un LBO (à condition que le risque de nonremboursement de la dette ne se soit pas manifesté...). La culture dominante du cash dans les LBO met souvent au second plan la rentabilité des capitaux mis en œuvre comme critère de performance suivi régulièrement. Pourtant, cette rentabilité économique est boostée par les investissements qui dépensent du cash mais augmentent la plus-value finale de l'opération. Il ne fait aucun doute qu'une contradiction, somme toute bien classique, apparaît fondamentale dans les opérations de LBO: celle entre la rentabilité, dopée par la plus-value de revente et le risque de non remboursement par l'investissement du « cash ». 191
* Le LBO serait la structure d'organisation capitaliste la plus performante, selon la théorie de l'agence Certaines analyses considèrent le LBO comme la structure de gestion la plus efficace des entreprises capitalistes. Cette proposition a plus de vingt ans; elle est due à M. Jensen (1986), l'un des grands théoriciens américains de la finance. Elle renvoie à la théorie de l'agence rencontrée plus haut. La structure de financement (rapport des capitaux propres et des dettes) peut, selon cette théorie, influencer l'efficacité de la gestion et notamment les choix des investissements pour les actionnairesl. Le LBO en est le meilleur exemple car à la théorie générale de l'agence s'ajoute celle du «free cashflow» ou cashflow libre. De quoi s'agit-il? Une partie du cash flow est utilisé pour les investissements jugés rentables, c'est-à-dire dont la rentabilité est supérieure ou égale au « coût du capital» (CMPC). Le remboursement aux prêteurs étant en général contractuel; on considère donc que le free cash flow est la partie du cash flow qui peut être distribué aux actionnaires: c'est sa partie « libre ». En effet, avec par exemple un CMPC de 10 %, pourquoi distribuer 100 aux actionnaires si ces 100 investis peuvent rapporter 15 %! Autrement dit: «Deux tu l'auras valent mieux qu'un bon tiens », avec le risque afférent. Précisons le « multiple» mentionné plus haut, c'est en fait le rapport entre D et le cash flow libre qu'il faut prendre et non pas D / EBITDA. En 2000, ce multiple était le plus souvent de l'ordre de 5 ans, il serait en 2006-2007 de 10 ans selon Noël Goutard (2007) : «Comme l'on dit : beaucoup de liquidités chassent peu de proies ». Le cash flow libre est distribué par l'entreprise cible E à ses actionnaires, la holding H, qui rembourse les banques. On retrouve la contradiction mentionnée plus haut entre le montant des investissements dans E qui doivent augmenter la valeur de l'entreprise lors de sa revente et les contraintes de versement de dividendes pour rembourser la dette. Il y a donc en fait deux exigences « tyranniques» du LBO, celle de la rentabilité, celle du cash, facteur de risque de faillite. D'après Jensen néanmoins, la contrainte du remboursement de la dette, l'épée dans le dos du risque de faillite, va booster l'efficacité de la gestion des managers. Il y aurait alors là la meilleure des gouvemances où les managers, les banquiers et les apporteurs de fonds propres seraient les plus soudés. Cependant, d'après une étude de Standard & Poor's (S&P), la moitié de l'échantillon de 36 I Rappelons qu'il existe bien une structure optimale de financement maximisant la rentabilité financière des actionnaires mais qu'i! n'existe par contre pas, selon le théorème de Modigliani et Miller, de structure optimale de financement minimisant le CMPC.
192
opérations analysées en Europe n'aura pas atteint ni ses objectifs de croissance des revenus, ni ceux de remboursement de la dette. S&P voit dans cette seconde évolution le principal facteur de risque, notant que le multiple D I EBITDA serait passé de 5,2 en 2005 à 6,6 en 2007 - une évolution nettement moins marquée que celle indiquée plus haut par Goutard. Ce qui est plus préoccupant, c'est que les créanciers auraient été plus arrangeants en 2007 que lors des années précédentes sur les ratios d'alerte contractuels (dit « covenants ») imposant le remboursement par anticipation de la dette. Or, de plus en plus, les dettes étaient remboursées « in fine» et non amorties sur la durée de vie du LBO; ce qui multiplie encore les risques. Il est vrai néanmoins que les TIR des opérations de LBO ont toujours été supérieurs à ceux des autres opérations financières. Avec une moyenne de 18 % de 1996 à 2004, et le creux général de la crise boursière, les opérations de capital investissement surperformaient sans aucun doute. Mais à quel risque... * Le poids économique des sociétés françaises en LBO Il est loin d'être négligeable. Selon divers recoupements, son poids tournerait actuellement autour de 5 % tant en terme d'emploi (autour de 1 M sur 17 M dans le secteur privé) qu'en terme de contribution à la valeur ajoutée. Comparé au poids des sociétés du CAC 40, ce n'est pas un nam. grossière du poids des entreprises
Evaluation
10%
9%
de LBO en Frnnoe
Probablementaulour de 5 % en terme de Valeurajoutée
6% 5%
0% Chiffre
80%
60%
d"affaires
privé
Evaluation grossiére du poids des entreprises de LBO comparè à celui du CAC 40 Les entreprises de deux
60%
en LBO sont un peu moins
fois plus intsnsives celles
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Emploi LBO I Emploi secteur
LBO I PIB
en travail
que
du CAC 40
33%
20% 0% Chiffre d'affeires LBO I Chiffre d'affaires
CAC40 193
Emploi
LBO I Emploi
CAC 40
* Le poids social des LBO L'AFICI (le « MEDEF» du capital investissement) est à l'origine d'une étude dont l'échantillon analysé semble représentatif; les conclusions de cette étude sont cependant critiquées par les « anti LBO ». Les opérations de LBO concernent très majoritairement des PME: près de 70 % des entreprises en LBO entre 2003 et 2005 réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 50 ME ; plus de 80 % ont un effectif inférieur à 500 salariés. La croissance annuelle moyenne du chiffre d'affaires des entreprises sous LBO est de 5,6 % contre 0,7 % pour la moyenne nationale et 2,5 % pour les 50 plus grandes entreprises. Pour 2006, la croissance est de Il,1 %, contre 5,7 % pour les sociétés du CAC 40. Cette croissance est plus due à une hausse des effectifs (4,1 % en moyenne annuelle, contre 0,6% pour la moyenne nationale et 0,8 % pour les 50 plus grandes entreprises) qu'à celle des gains de productivité. En 2006, la croissance des effectifs sous LBO serait de 6,6 %, contre 1,6 % pour l'emploi du secteur privé en général et - 0,4 % pour les sociétés du CAC 40. Les entreprises sous LBO auraient créé des emplois même dans les régions à cet égard sinistrées (Nord et Est). Les autres critères de performances sociales seraient également à l'avantage des LBO. La progression moyenne des salaires serait de 3,3 % par an dans les entreprises sous LBO contre 2,9 % pour la moyenne nationale. Les taux moyens d'absentéisme (5,1 % avant les LBO et 4,6 % après) et de turnover (12 % avant et 10 % après) y sont nettement plus faibles. Les dépenses de formation ramenées à la masse salariale sont en croissance, mais bien légère (2,15 % avant le LBO, 2,35 % après). Pour 13 % des entreprises sous LBO, le temps de travail a été diminué. Enfin, 55 % des salariés des entreprises intéressées se déclarent favorables à l'opération de LBO qui les a affectés, 35 % se déclarent neutres, seulement 10 % y sont défavorables: 4 % reprochent surtout « de ne pas y avoir participé» (comme investisseurs intéressés aux bénéfices) ; 4 % sont « inquiets ou ne comprennent pas» ; 2 % le rejettent « par principe ». Il est vrai que l'opération de LBO aura sorti l'entreprise cible, I Association Française des Investisseurs en Capital. Elle a confié au cabinet Constantin Associés une étude sur l'emploi et l'impact social du LBO en France. Il s'agit d'un complément à l'analyse sur (( Le poids économique et social du Capital Investissement en France» de novembre 2006. (( L'objectif est de fournir une analyse objective sur l'évolution des conditions sociales des entreprises sous LBO et de les comparer à la pratique des entreprises françaises ». Les performances données ici concernent, sauf mention contraire, la période 2003 à 2005. 194
souvent en réjouissantes. 624
difficulté,
- « La fête
est finie...
de
perspectives
encore
moms
»1
* La fin des TIR de rêve, par la hausse des taux Les TIR exceptionnels (de 35 à 50 %, mais, on l'a vu, avec une moyenne très inférieure), c'est fini. Les taux moyens vont probablement retrouver ceux de la bourse, mais avec drapeaux en berne pour les deux investissements: les rentabilités financières à plus de 15 %, c'est fini, dans les deux cas. On « exigera» moins. Ces taux étaient permis par l'effet de levier de l'endettement exceptionnel, avec les bas taux d'intérêt, mais les banques assèchent les crédits car elles ne peuvent plus les titriser sur les marchés financiers: plus personne n'en veut, ou à vil prix; la « syndication» consistant à répartir les risques est ainsi bloquée. Les opérations avec peu ou sans garanties pour les banques, très prisées dans la période d'euphorie (<
donc devant nous, en 2008 : des entreprises ayant du mal à rembourser leur dette pourraient être reprises par de vrais « rapaces» se nourrissant de cadavres, les fonds de retournement spécialistes de reprises d'entreprises « en difficulté ». « L 'hécatombe pourrait être néanmoins de toute autre ampleur si la crise financière se propageait à l'économie réelle» : autre conclusion de la fin de la fête.
196
Chapitre VII Les profits peuvent-ils aller mal quand la bourse va bien?
La première approche sera celle de l'analyse fouillée de l'exemple français des Sociétés non financières (SNF). Elle permettra de montrer que la baisse de leurs « profitabilités »1, déjà perceptible tendanciellement dès le début des années 90, après la forte reprise qui a suivi les deux premiers chocs pétroliers, s'accélère depuis le début du troisième choc pétrolier en 1999. On serait étonné que le cas français ne puisse se retrouver, avec des particularités, dans les autres pays capitalistes développés. La crise des profitabilités précède donc la crise boursière et financière déclenchée en 2000. Par contre, si, d'un côté, tout va mal depuis 1998 pour les SNF, le fond de l'économie réelle, tout va encore au mieux pour les dividendes des actionnaires... Seconde approche: les types de liaisons entre les taux d'intérêt et les valeurs boursières dont l'évolution est mesurée par celle de l'indice CAC 40. Un biais semble apparaître: les actions cotées ne représentent qu'une infime partie des SNF ; et le CAC 40 que nous utiliserons pour évaluer V une faible partie des sociétés cotées. Et avec beaucoup de sociétés internationalisées, dont le groupe pétrolier Total, la première capitalisation d'Euronext, grandement influencé par le boom pétrolier depuis 1999. Ce biais n'est qu'apparent: l'indice boursier français le plus large (le SBF 250) évolue de façon presque identique au CAC (voir le graphique qui suit). Depuis 1989, le boom boursier ne faisait aucun doute (avec des soubresauts), malgré des profitabilités en stagnation: un I Une profitabilité, généralement appelée « taux de marge» (mais avec divers avatars), raJ1lène un profit à un flux d'activité (ventes ou production, « valeur ajoutée»). A ne pas confondre avec une rentabilité, un profit ramené à un stock de capital.
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rêve et une belle contradiction à la Marx tendance Groucho... Le bond est fantastique de 1995 à 2000, il est vrai accompagné d'une certaine reprise des rentabilités financières. La réalité reprend ces droits depuis 2000, avec un premier plongeon du CAC 40 ou du Dow Jones en 2000-2003, un rebond de 20032004 à 2007 (les Etats-Unis étant en retard sur l'Europe), un second plongeon en 2007-2008 (mais qui n'atteint pas l'abîme de début 2003) : encore un « double dip ». Courbes reconstituées de deux indices boursiers français depuis 15 ans
CAC 40
1993
1995-1996
2000-2001
2003
2007-2008
On vérifiera qu'à partir de la fin du XXe siècle, c'est bien la hausse, versus la baisse, de la valeur des actions qui expliquent la hausse, versus la baisse, des taux d'intérêt longs: V ~ r. Auparavant, sur le long terme avant 1998-1999, c'était plutôt la hausse, versus la baisse, des taux longs qui expliquaient la baisse, versus la hausse, de la valeur des actions: r ~ V. Bref, un double renversement de la liaison. La politique monétaire et l'inflation perturbaient fortement, jusqu'au début du XXI" siècle, la liaison établie par Smith. On la retrouve donc depuis une dizaine d'année. Est-ce la conséquence de la libération des marchés financiers (mais elle aura mis le temps à se réaliser...) ? Est-ce la conséquence de la crise réelle et financière elle-même? Où les Banques centrales ne font-elles que suivre sur cette période, les tendances du marché, malgré le volontarisme évident de la Fed, suivi en freinant des quatre fers par la BCE ?
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71 - Profitabilités en stagnation puis en baisse, boom des dividendes 711 - De quelques précisions de vocabulaire et première approche * Le jargon de la comptabilité nationale Quelques mots sont nécessaires à propos du jargonl de la comptabilité nationale, ou macrocomptabilité, avec les sigles correspondants. Il s'agit d'abord du vocabulaire concernant la production et la répartition du revenu entre travail et capitaux engagés. La Valeur ajoutée brute (VAB, approche du Produit intérieur brut, le PIB) rend compte du flux de richesse produite; c'est la production (P) moins les consommations intermédiaires (CI) nécessaires à cette production et produites par d'autres entreprises... ou importées. Cette richesse se partage selon deux types de répartition. Première répartition: la « répartition primaire» entre les deux facteurs, considérés comme productifs, le travail et le capital. Donc, d'une part, la Rémunération des salariés (RS/, d'autre part les «profits économiques» de tous les capitaux économiques engagés K, financés par deux types de capitaux: d'un côté les capitaux ou fonds propres CP apportés par les propriétaires (pour faire rapide les actionnaires dans les sociétés anonymes), de l'autre les dettes D. On doit distinguer les profits économiques bruts des profits économiques nets. Le profit économique brut est mesuré par l'Excédent brut d'exploitation (EBE) déjà rencontré. Le profit économique net est l'Excédent net d'exploitation (ENE) : c'est l'EBE moins la consommation de capital fixe (CCF), appellation des macrocomptables pour les dotations aux amortissements des «microcomptables ». La comptabilité nationale indique bien ces CCF mais les «oublie» dans la séquence d'analyse de la production, répartition et dépense des revenus. Pourquoi? D'une part, elles ne correspondent pas à I Ces nouveaux mots du jargon sont ici identifiés en italique. 2 Les données présentées ici trouvent essentiellement leur source dans les publications de l'INSEE: Institut National des Statistiques et Etudes Economiques; ces données ont été retraitées par nous. Compte tenu des divers «changements de base », elles ne doivent être prises que comme des approches statistiques des phénomènes. Voir Castex (2006), Macrocomptabilité de la France, Le capitalisme des trente années de plomb; elles sont ici revisitées et actualisées. 3 Mais aussi les impôts liés à la production nets de subventions d'exploitation, pour une part faible mais non négligeable.
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des sorties effectives ou potentielles de monnaie. D'autre part, ce sont des charges évaluées selon les durées de vie estimées des actifs immobilisés et leur répartition dans le temps puis « dotées» dans le compte de résultat. Leur montant n'étant donc que la conséquence d'un choix comptable, il est plus prudent de raisonner en valeurs brutes 1. Les profits économiques rémunèrent donc tous les capitaux engagés, avant impôts sur les bénéfices. Ils sont ensuite répartis entre les deux types d'apporteurs de capitaux: les intérêts nets versés pour D, les dividendes et autres revenus de la propriété pour CPo Il s'agit encore d'une répartition primaire, mais des profits économiques entre les deux types de capitaux apportés. La différence entre les profits économiques et ces affectations est le Solde des revenus primaires, profits économiques conservés par les entreprises, solde brut dans la séquence proposée par la comptabilité nationale. Apparaît ensuite la « répartition secondaire» des revenus, avec essentiellement les prélèvements en impôts sur les bénéfices2 ; il reste le Revenu disponible égal pour les sociétés à leur Epargne; encore soldes bruts selon la comptabilité nationale. Il faut également insister sur le partage des profits entre capitaux propres et dettes. La distinction entre soldes bruts et nets doit sans aucun doute être effectuée: on ne peut se contenter des seuls soldes de profits bruts, malgré les biais qui les caractérisent, car ce sont les profits nets qui vont en dividendes dans la poche des actionnaires ou en « réserves ». Nous proposons une distinction supplémentaire, malheureusement non mise en relief par la comptabilité nationale: celle entre la répartition des profits économiques entre D et CP, avec l'apparition des profits dits « financiers». Les profits financiers n'appartiennent qu'aux propriétaires des CP, bref aux actionnaires. Le profit financier brut est la « Capacité d'autofinancement» (CAF), terme incontournable du jargon de la gestion financière non calculée par la comptabilité nationale. C'est l'EBE moins tous les transferts aux prêteurs, au fisc (et divers\ mais avant les dividendes nets3 versés aux propriétaires. Le profit financier net ou « Résultat net» (RN) est la CAF moins la CCF. I
2
La VAB répond au même choix.
Et d'autres petits mouvements, dont indemnités moins primes d'assurances et prestations mo ins cotisations sociales. 3 Il s'agit des dividendes versés par les SNF moins les dividendes qu'elles reçoivent, entre maisons mères et filiales dans les groupes. Ces dividendes nets sont versés aux ménages actionnaires (et autres propriétaires), aux banques, etc.
200
Ces profits financiers sont ensuite, soit distribués en dividendes et autres revenus de la propriété, soit conservés dans les sociétés. Ces profits conservés sont donc, pour les profits financiers bruts, l'Epargne brute (EB), nommée par les gestionnaires « Autofinancement» ; pour les profits financiers nets, il s'agit de l'Epargne Nette (EN), nommée par les gestionnaires le « Résultat net conservé ». L'EB est ensuite investie en « capital fixe» ou Formation brute de capital fixe (FBCF) et en variation des stocks; le solde est nommé la Capacité (si positif) ou le besoin (si négatif) de financement!. * Les profitabilités, brutes et nettes Les profitabilités sont à la base des rentabilités mais ne sont pas les rentabilités! Il ne faut pas confondre profitabilités et rentabilités des capitaux. Au risque de se répéter, les premières renvoient au rapport d'un flux de profit quelconque sur le flux de niveau d'activité, en général mesuré par la VAB. Les secondes ramènent un flux de profit au stock de capitaux investis correspondant. Les profitabilités « économiques », brutes ou nettes, sont en général calculées, en macrocomptabilité comme en gestion financière2, par les ratios EBE3 et ENE / VAB. Les profitabilités « financières », brutes ou nettes, sont en général calculées par les ratios CAP et RN / VAB. Les tableaux qui suivent donnent l'analyse traditionnelle de la comptabilité nationale selon la séquence qu'elle propose, ainsi que les deux analyses de la gestion financière, en soldes bruts et nets, pour les seules SNp4. On y a adjoint les principaux taux de profitabilité qui vont nous intéresser. Les deux années 1998 et 20065 n'ont pas été choisies simplement à titre d'illustration. 1998 est en effet la dernière année du boom économique réel après la crise de 1993, deux ou trois ans avant le krach boursier de 2000-2001. )
À ne pas confondreavec la capacitéd'autofinancement.
2 La gestion financière parle néanmoins plutôt de « taux de marge opérationnelle» en ramenant l'EBE mais le plus souvent l'ENE aux ventes et nonàlaVAB. 3 Ledit « taux de marge» calculé par la comptabilité nationale, et sur lequel toute la communication est centrée, est le taux EBE / VAB. 4
Les SNF sont les entreprises marchandes sous forme de sociétés, à
l'exclusion des sociétés financières (SF), c'est-à-dire les banques, assurances et autres institutions financières, et les entreprises individuelles. Ces entreprises (en général PME, Petites et moyennes entreprises, ou TPE, Très petites entreprises), n'étant pas sous forme juridique de sociétés, sont comptabilisées avec les ménages. La VAB des SNF compte pour plus de la moitié du PIB. s 2006 est la dernière année publiée par l'INSEE dans ses Comptes de la nation; on connaîtra les résultats de 2007 à la fin du printemps 2008. 201
L'analyse des ratios bruts des SNF par la comptabilité nationale, avec un seul taux de "profitabilité" Exemples de 1998 et 2006 % de la VAB Années p
1998 235% -135% 100% -67,6% 32,4% 5% 8% -8% -14% 22,5% -6% 16,8% -17% 0,3%
- CI =VAB - RS et divers = EBE, "taux de marge" + Intérêts reçus + dividendes et divers revenus reçus - Intérêts versés - dividendes et divers revenus versés
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- Impôts et divers = Epargne brute - FBCF et divers = C(B)F
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-CCF
Var. points 2006 252% 16% -152% -16% 100% 0% -1,7% -69,3% 30,7% -1,7% 5% 1% 14% 6% 0% -8% -23% -10% 17,8% -4,7% -7% -2% 10,3% -6,5% -18% -2% -8,4% -8,2% -15,2%
1,9%
L'analyse des ratios bruts des SNF par la gestion financière, avec deux taux de "profitabilité" Exemples de 1998 et 2006 % de la VAB Années p - CI =VAB - RS et divers =EBE, "profitabilité économique
brute"
+ Intérêts reçus
- Intérêts
versés
- Impôts et divers CAF, = Capacité d'autofinancement, "profitabilité financière brute"
1998 235% -135% 100% -67,6%
Var. points 2006 252% 16% -152% -16% 100% 0% -1,7% -69,3%
32,4% 5% -8% -6%
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-1,7% 1% 0% -2%
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20,1%
-3,0%
= C(B)F
-6% 16,8% -17% 0,3%
-10% 10,3% -18% -8,2%
-3% -6,5% -2% -8,4%
-CCF
-17,1%
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1,9%
- dividendes et = Autofinancement
divers
revenus
versés
nets
= EB
- FBCF et divers
202
L'analyse des ratios nets des SNF (seulement à partir des profits) avec deux taux de "profitabilité" par la gestion financière, exemples de 1998 et 2006 % de la VAB Années p
1 998 235% -135% 100% -67,6% -I7,1%
2 006 Var. points 252% 16% -152% -16% 100% 0% -69,3% -1,7% -15,2% 1.9%
15,3% 5% -8% -6%
15,4% 5% -8% -7%
= Résultat net, RN (approche), "profitabilité financière nette"
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4,9%
- dividendes et divers revenus versés nets = Résultat net conservé (approche)
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-10% -4,9%
- CI
=VAB - RS et divers - CCF =ENE, ''profitabilité économique nette" + Intérêts reçus
- Intérêts
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L'investissement financière:
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* Les principaux taux de croissance et les cycles économiques, longs et courts La croissance de l'activité est mesurée traditionnellement par celle de la VAB. Les taux moyens annuels de croissance en volume de la VAB des SNF caractérisent deux phases typiques du dernier cycle long Kondratieff. La fin des Trente glorieuses est celle d'une croissance annuelle très forte, de 7 % (fin de la phase A du dernier cycle Kondratieff). Les années qui ont suivi le premier choc pétrolier de 1973-1974 puis le deuxième de 1979-1980, les trente années de plomb, présentent des taux en chute libre, autour de 2,5 % pendant la crise pétrolière, 2,7 % pendant le contre-choc pétrolier de 1986 à 1998 et seulement 2 % depuis 1999 (phase B). Mais des cycles courts Juglar apparaissent nettement au sein de ces deux phases, d'une durée proche de la décennie. 203
Taux annuels de variation en volume de la VAB des SNF 12% 10% Reprise 1983-1989
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Ces évolutions s'analysent en tenant compte à la fois de celle de la production P et des CI. Les cycles de P correspondent en gros à ceux de la VAB, mais avec quelques différences 1.Le cycle du taux de croissance annuel en volume des CI est également très marqué, et avec des fluctuations plus amples2. Les prix du brut, influençant ceux des CI, sont, on l'aura compris, les causes principales de ces évolutions. L'évolution des CI va donc venir perturber, surtout après 1998, les bases traditionnelles de l'analyse du partage de la VAB entre travail et capital, avec le « taux de marge» habituel des comptables nationaux EBE / VAB. La VAB se partage donc ensuite entre la rémunération du travail RS et les profits bruts d'exploitation; l'EBE. Les cycles du taux de croissance annuel en volume de la rémunération des salariés RS3 (déflaté ici par l'indice des prix du PIB) confirment le cycle Kondratieff et les Juglar. Mais à partir de 1999, le taux de croissance moyen annuel de la RS est supérieur à celui de la VAB : 2,5 % contre 2 %. Ce qui pourrait laisser penser et dire que les salariés sont «responsables et I
P augmente un peu plus que la VAB après 1999 : ce sont les cycles des CI
qui sont à l' œuvre pour expliquer ceux de la VAB, singulièrement 1998. Bref, les conséquences du troisième choc pétrolier.
depuis
2 Outre les cycles indiqués plus haut, on constate des différentiels de variation avec celles de la VAB et de P. Le taux moyen de croissance des CI est plus faible à la fin des Trente glorieuses que celui de la VAB ; il lui est équivalent pendant la crise des deux chocs pétroliers; il lui est inférieur pendant la période qui a suivi en 1986 le contre-choc pétrolier; enfin, il lui est très supérieur à partir de 1999. 3 Et impôts sur la production nets des subventions d'exploitation. 204
coupables» de la dégradation des profits pendant la crise du tournant du XXIe siècle. C'est en fait un peu plus subti1... Taux de variation en volume de la RS (et divers) des SNF 112%
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Les fluctuations du taux de croissance annuel en volume de l'EBE sont très amples, le profit économique formant un solde qui encaisse à court terme tant les embellies que les périodes difficiles. Il encaisse par exemple de plein fouet la crise actuelle: le taux annuel moyen de croissance en volume de l'EBE n'est que de 1,5 % (pire que pendant la crise de 1975 à 1985, avec 1,8 %) contre 4,4 % pendant la période du contre205
choc pétrolier. Plus rien à voir en tout cas depuis les trente années de plomb avec le taux de 7,2 % de la fin des trente glorieuses. 712 - Le partage de la valeur ajoutée et les taux de profitabilité : analyse à long terme * Le « taux de marge» traditionnel et la description du passage de l'EBE à la CAF La description statistique ne pose guère de problème, les continuels « changements de base» de l'INSEE mises à part. Le « taux de marge» EBE / VAB semble à long terme fluctuer autour d'une constante: le partage est d'environ un tiers pour l'EBE et deux tiers pour la RS et impôts nets sur la production. Cette constante, dite « constante de Bowley», avait déjà été remarquée vers 1900 pour l'Angleterre du XIXe siècle par le Britannique Bowley. Elle est confirmée en France pour le XXe siècle par les travaux de Thomas Pikettyl (1994, 1997 et 2001). Sur le graphique suivant, à peine perçoit-on le creux de 1975-1985 et l'amélioration de la période post 1986 comparée à celle de la fin des trente glorieuses. Cependant, ce qui est vrai en tendance de très long terme ne l'est plus dans la conjoncture; et quelques points de VAB représentent des montants considérables au niveau économique et social. Evolution à long terme du partage de la VAB des SNF .
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I En particulier par son travail publié en 2001 : Les Hauts revenus en France au 20e siècle: inégalités et redistribution, 1901-1998. 206
Nous avons tenté l'analyse au niveau global français (EBE de l'économie / PIE) depuis 19491. On retrouve la constante de Bowley, avec des taux supérieurs à ceux des SNF compte tenu de l'EBE des entreprises individuelles (en fait « revenu mixte ») qui inclut la rémunération du travail de l'entrepreneur. Compte tenu de l'échelle des ordonnées, la « constante» de Bowley apparaÎt... très fluctuante avec deux creux profonds: au début des Trente glorieuses; entre 1975 et 1985. Approche de l'évolution du "t,lUXde marge" de l'économie nationale: (EBE + revenu mixte) II'IB, 1949 à 20M,
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On reviendra plus loin de façon plus approfondie sur l'analyse des différents taux de profitabilité dont le « taux de marge» traditionnel n'est que l'un des avatars. * L'affectation des profits bruts de tous les capitaux: de l'EBE à la CAF L'EBE des SNF est donc affecté d'abord aux prêteurs (intérêts nets), aux propriétaires des CP (dividendes et autres revenus de la propriété), à l'Etat en impôts sur les bénéfices et en divers mouvements. L'une des caractéristiques les plus criantes de l'évolution de cette affectation est le double mouvement suivant. D'une part, les dividendes reçus et versés entre SNF maisons mères et filiales (par construction égaux au niveau macroéconomique) qui étaient presque inexistants avant le début des années 70, I Voir Castex (2006). 207
augmentent ensuite puis explosent après la crise de 1993. D'autre part, les intérêts nets versés aux banques et ménages (hors les intérêts entre mères et filiales donc) sont en hausse jusqu'au milieu des années 90 puis se tassent. Encore par un double effet: en premier lieu, jusqu'au milieu des années 90, par la hausse du taux d'endettement et des taux d'intérêt (qui soit suivent l'inflation, jusqu'en 1986, soit, avec la désinflation, sont dopés par les politiques monétaires de rigueur à la fin des années 80 et au début des années 90) ; en second lieu, par la baisse du taux d'endettement et des taux d'intérêt ensuite. Les transferts
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208
Le partage de l'EBE pour obtenir la CAF apparaît ci-dessus, après annulation des dividendes versés entre mères et filles. La fluctuation de la part de l'EBE dans la VAB apparaît déjà plus clairement avec ce premier zoom, ainsi que la plus forte fluctuation de la CAF ramenée également à la VAB. Il faut cependant aller plus loin que l'analyse du seul « taux de marge» EBE / VAB pour comprendre l'évolution des diverses profitabilités. 713 - La discrète rupture des taux de profitabilité bruts et nets depuis dix ans: les salariés sont-ils « responsables et coupables» de la baisse des profitabilités depuis 1999 ? * La fluctuation des taux de profitabilités brutes, la relative stabilité de 1989 à 1998 puis la baisse depuis dix ans Commençons, en développant un peu la tradition de la comptabilité nationale, par les taux de profitabilité bruts. Evolution
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Les deux profitabilités brutesl, l'économique (EBE / VAB) et la financière (CAF / VAB), plus ou moins parallèles, s'écroulent et rebondissent selon la conjoncture: écroulement après les deux chocs pétroliers, rebond par le passage de la politique de relance keynésienne à celle de la rigueur ou de 1 Seul le premier, le « taux de marge}) fait, rappelons-le, partie des traditions macrocomptables... On remarquera que le boom à partir de 1962-1963, perçu par le ratio (EBE global + revenu mixte) / PIB apparaît peu pour les SNF. Biais statistique ou réalité? 209
l'austérité vers 1982-1984 puis le contre-choc de 1986. Le niveau des trente années de plomb est légèrement supérieur à celui des Trente glorieuses. Depuis 1999, la remarquable embellie des années 90, par rapport à l'abîme de 1982, s'est muée en baisse, certes discrète mais bien réelle. Malgré les discours sur les profits fabuleux (et biens réels) des sociétés du CAC 40 : le bosquet des leaders cache mal la forêt des sansgrade.
* Les salariés sont-ils «responsables et coupables» de cette baisse? À l'origine de l'accélération des volontés de « réformes» (contre-réformes libérales), circule l'idée, on l'a déjà évoquée, selon laquelle les salariés seraient responsables et coupables depuis une décennie de la baisse des profitabilités, comme lors de la crise de 1975-1985. Ce n'est pas le cas, malgré l' « évidence statistique ». Certes, le « ratio» RS / VAB est en hausse depuis 1998 et EBE / VAB en baisse; mais il faut se méfier des ratios 1.C'est le troisième choc pétrolier à partir de 1999 qui est en fait à l'origine de cette chute. La hausse des coûts pétroliers a fortement plombé la part de la VAB dans la production en gonflant la part des CI : perte de trois points depuis 1998. Une partie du revenu produit a ainsi été transféré aux pays producteurs de pétrole, ce qui rend dans ce cas peu significative l'information donnée par la hausse du ratio RS / VAB. On perçoit bien les deux choçs successifs (1999 puis après 2004) par l'évolution du ratio CI Energie / CI. de 1998) Le troisième L'lwc pétrolier (uprès le petit contre-chuc est lu C'lIIse principule de lu h'lIIs"" de CI/l'... et de la buisse corrélutive de VAR / P J 998 65%
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Les salariés ne sont « ni responsables ni coupables» de la chute depuis 1998 des taux de profitabilité bruts. Le responsable est le choc pétrolier et la dynamique de l'économie mondiale. Si l'on calcule la part de la RS et des profits bruts en les ramenant à la production P, on constate que la part des salaires est en baisse. Mais les profitabilités économiques et financières brutes, EBE et CAF ramenés à P sont également en baisse. La somme des points perdus par les salaires et les profitabilités correspond] au gain de points des CI dans P. La baisse de la rémunération des salariés dans la production: les salariés ne sont ni responsables ni coupable.. de la baisse de la part des profits depuis 1998 29%
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Sur plus longue période depuis 1960, les deux profitabilités ENE / VAB et RN / VAB, encore plus ou moins parallèles, s'écroulent et rebondissent selon la conjoncture. Mais la chute en fin de période est plus accentuée compte tenu de la hausse de la consommation de capital fixe (CCF) dans la VAB et l'EBE réduits par les CI pétrolières. L'importance
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Plus généralement, la hausse tend ancielie de la CCF amoindrit l'écart positif entre les profitabilités nettes de la période des trente années de plomb et celle des Trente 212
glorieuses. N'en déplaise aux économistes «critiques» qui opposent ces deux périodes en mettant les phares sur la forte baisse de la part des salaires dans la VAB, et le bond corrélatif des profits (bruts. ..), l'écart n'est pas criant pour les profitabilités nettes entre les deux périodes. On est par contre obligé de reconnaître que les tentatives du libéralisme pour doper les profits se heurtent à des inerties sociales fortes que la volonté de « réforme» tente de combattre. Evolution mesurés
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En outre, si une baisse tendancielle depuis 1989 apparaît bien pour la profitabilité mesurée par ENE / VAB, elle est moins évidente, pour le moins, pour RN / VAB : ce ratio était en forte hausse depuis la crise de 1993 jusqu'au pic de 1998, mais la chute fut plus sévère ensuite. Ce sont essentiellement la baisse des taux d'intérêt et le désendettement] qui expliquent la forte amélioration de RN / VAB avant 1998. Le boom boursier de 1995-2000, et la reprise après 2004 (il est vrai grâce aux politiques monétaires et budgétaires étatsuniennes), est en partie le résultat de jeux sur les distributions de dividendes qui ont dopé la bourse et, depuis 1999, caché la chute des profitabilités2: les profitabilités nettes n'ont pas rebondit entre 2004 et 2006. I On y reviendra avec la tentative de quantification de l'effet de levier de l'endettement sur toute la période analysée. 2 ... et celle des rentabilités des capitaux. 213
714 - Le boom des dividendes et ses effets, pervers ou non
Tout allait bien pour les profits de 1994 à 1998, et tout allait très bien pour les dividendes reçus par les actionnaires. Tout va mal pour les profits depuis 1999, mais tout va encore très bien pour les dividendes. * L'effet ciseaux des salaires et des dividendes Le relatif équilibre des années antérieures à 1989 entre salaires et dividendes versés est rompu. A part lors de la crise de 1993, les actionnaires (il est vrai plus nombreux, en nombre comme en valeurs des actions possédées) se goinfrent: les salaires en volume (hors inflation) ont été multipliés par 1,6 entre 1982 et 2006, les dividendes par 5,3... Le rapport dividendes / salaires bruts, auparavant autour de 10 %, passe à 15 % à la fin des années 90 et à 20 % en 2006. L'effet ciseaux des salaires et des dividendes nets versés. indices de volume (Indices 100 en 1960)
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De 1960 à 1988. les salaires bruIs augmenlent comme les dividendes: il sonl mullipliées par 3, suil prés de 4 % eu muyeune annnelle : mais ies saiaires slagnent Jlarlir de 1980 "
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* Profits distribués et profits conservés Le résultat net conservé ramené à la VAB tend ainsi à fortement diminuer depuis une vingtaine d'années (sauf avant la crise de 2001), et devient négatif à partir de 2004, retrouvant les affres de la première crise pétrolière. Lc résultat nct conscrvé, négatif lors de la Pl'cmièrc crise pétrolière, est en chute depuis 1998 et redevient négatif par le bond des dividendes, en % de la VAB
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Le taux de distribution (ou «payout» ratio), c'est-à-dire le ratio dividendes versés / RN, était stable (autour de trois quarts de RN) jusqu'à la fin des années 90. Il bondit depuis, les fonds de tiroir (les « réserves» de RN distribuables) ayant été vidés. 215
On fauche le blé en herbe; or les dividendes non distribués sont censés être plus rentables pour l'actionnaire, étant investis (ou remboursant les dettes) que le flux de cash versé: «deux tu l'auras vaut mieux qu'un bon tiens ». Ou les actionnaires sont débiles en votant la récupération de leur cash, ou ils comprennent que les rentabilités futures ne sont pas réjouissantes: « un bon tient vaut mieux que peu de choses tu auras »1. Pas tout à fait: l'évolution récente de la dynamique de l'investissement ne fait pas apparaître une chute de l'accumulation du capital depuis 1998, au contraire. Au niveau macroéconomique, ce que les SNF donnent d'une main, ils la reprennent de l'autre par des augmentations de capitaux propres. Ils continuent donc en fait à investir: les fortes distributions jouent néanmoins leur rôle de dopage de la valeur des actions; ce qui permet de faciliter les augmentations de capital. Cependant, ces mouvements d'aller-retour entre les SNF et leurs actionnaires s'expliquent également par le développement du rôle des marchés financiers: certaines entreprises distribuent et investissent peu, d'autres investissent en augmentant leurs capitaux propres; autrement dit, les actionnaires opèrent constamment une réallocation de leurs capitaux. Ln bnisse tendaucielle des taux d'investissement (nvec I = FRCF + vnriation des stocks) : II VAB et II EB (ou II Autofinancement)
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I C'est la théorie du free cash flow (cash flow libre) déjà entrevue: les actionnaires ne se distribuent le « cash flow» (bénéfice avant amortissements) en dividendes que si les bénéfices éventuellement conservés n'augmentent pas leur rentabilité future. 216
Réallocation probable des capitaux certes, mais le taux d'investissement, part de la VAB investie en capital fixe (en gros les « machines », mais aussi les terrains, les logiciels, etc.) et en stocks \ est cependant en baisse tendancielle depuis trente ans. Il est passé d'environ 25 % à la fin des Trente glorieuses à environ 18 % depuis les trente dernières années, avec un creux à 10 % lors de la crise de 1993. Le petit rebond après 1998 doit en outre être relativisé car la VAB se tasse sur cette période. Pourtant, les sociétés de services remplaçant les industries devraient être moins gourmandes en « machines»; ce n'est cependant pas le cas, on y reviendra. Ces investissements représentaient environ deux fois l'autofinancement à la fin des mêmes Trente glorieuses, mais seulement autour de 1,3 fois ensuite pour remonter à 1,4 fois en 2005 et 1,8 fois en 2006. Le biais possible de ce ratio est évident: c'est l'autofinancement en chute qui le dope!
I Dans le jargon donc: Formation brute de capital (FBC) = Formation brute de capital fixe (FBCF) plus ou moins variation des stocks. 217
72 - La double inversion de la liaison entre les taux d'intérêt longs nominaux r et les valeurs de marché des actions V Rappelons que si la valeur de marché des actions augmente, pour une rentabilité financière désirée rID donnée, par anticipation de hausse des profits, la valeur de marché des obligations va baisser par arbitrage. Ce qui entraîne une augmentation de leur rendement. Ces rendements ne sont rien d'autre que les taux longs r du marché: V -7 r. Bien entendu, les spéculateurs doivent tirer plus vite que leur ombre pour bénéficier de cette opportunité; car évidemment, à la fin du processus, les retardataires vendent leurs obligations à bas prix et achètent les actions à haut prix! Cependant, rappelons-le encore, on doit sortir des hypothèses théoriques où seuls existent les marchés financiers secondaires actions et obligations, sans intervention du crédit bancaire. Mais la relation traditionnelle inverse r -7 V est également possible. Lequel de ces deux processus théoriques contradictoires possibles, r -7 V ou V -7 r, est-il dominant dans la période des trente dernières années? 721
- À long terme
la France
r ~ V: vérification empirique pour
En France, de 1971 à 1998, la corrélation négative entre V (mesurée par le CAC 40 et sa reconstitution avant 19872) et les taux d'intérêe longs r se vérifie sans beaucoup de doute. Mais des anomalies apparaissent souvent, singulièrement lors des bulles boursières et de leur éclatement, par exemple avant et après 1987 et après 1999. On aura compris que pour ces anomalies, V -7 r, car la corrélation est positive entre V et r, ce qui est impossible dans le sens r -7 V. Une anomalie aussi intéressante est celle de la période 1992-1995 où la forte chute de r (passant de 10 % à 7,5 %) correspond à une légère diminution de V. Cette anomalie n'a rien à voir avec un I « Buy low, sell high and go golf» n'est-elle pas la devise des bons spéculateurs.. . 2 Le CAC 40 a été mis en œuvre après le krach de 1987. Mis en place par la Compagnie des agents de change, d'où le « CAC », il signifie maintenant, après la disparition des agents de change, Cotation assistée en continu... Pour l'analyse de long terme, nous avons évidemment « inflaté » le CAC 40. 3 Il s'agit des taux nominaux, avant leur érosion par l'inflation qui donne les taux réels (voir plus loin): en effet, les spéculateurs jouent avec les taux nominaux de rentabilité des actions. 218
processus spontané de marché: elle tient au revirement de la politique monétaire européenne (plus exactement à celui de la politique de la Buba, la Deutsche Bundes Bank, suivie par la France et l'Europe) : la fin de la folie des taux directeurs élevés. A long terme r -> JI, dans le sens d'une fonction --~
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722 - Par contre, depuis 1999 le phénomène s'inverse parfaitement... en France comme aux Etats-Unis * Une tendance nette en France depuis 1999...
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Une rupture fondamentale apparaît en effet en 1998-1999, avec la fin de la bulle boursière, son éclatement, la nouvelle bulle et son nouvel éclatement. On trouve encore des anomalies, mais dans l'autre sens, surtout de 2003 à fin 2005 où le CAC 40 est en hausse quand r reste relativement stable ou en baisse. * .. .confirmée au milieu 2007 et au début de 2008, par l'éclatement de la nouvelle buUe En France,
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En effet, la liaison positive entre V et r depuis la crise boursière de l'été 2007 et le début de 2008 est on ne peut plus claire. Par la même mécanique, depuis fin mars le rebond boursier se traduit par un rebond de r, avec un parallélisme presque parfait. Il est vrai que r diminue moins que V jusqu'en janvier 2008 : les tensions sur les taux courts interbancaires dus à la crise bancaire dont la gravité avérée est l'une des causes du krach boursier, avec des perspectives encore plus probables d'aggravation de la crise réelle, y sont sans doute pour quelque chose. Tensions fortes que la politique monétaire de la Fed ne parvient pas à endiguer, malgré ses deux baisses phénoménales de début 2008 (deux fois 1,75 %) ; mais toujours avec le silence assourdissant de la BCE. Ces tensions perturbent les phénomènes spontanés de la double spéculation sur les marchés actions et obligations. Mais qui oserait encore affirmer que c'est la dynamique propre, pendant cette période, du marché obligataire qui déterminerait no
les taux longs ou que ces derniers ne sont que le reflet des taux courts! * Cette rupture est confirmée par le cas américain Il en est de même aux Etats-Unis, mais avec une volatilité moins grande de l'indice Dow Jones (traduit ici en CAC 40 pour faciliter la comparaison). On remarquera d'ailleurs la relative stagnation de Wall street en 2004 et 2005 alors que le CAC 40 rebondissait nettement. Les taux longs sont en outre relativement stables depuis le milieu 2006, avec une petite baisse et un rebond, malgré le relèvement des taux courts, tandis que le Dow Jones grimpait fortement Uusqu'au milieu 2007...). Les achats d'obligations d'Etat par les excédents de dollars à l'étranger ont fait grimper leurs cours et détendu les taux. Aux Etats-Unis égalcmcnt depuis près de 10 ans, V --> r, avcc une volatilité boursière moins forte ( u'cn Euro e
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* Première tentative d'explication du retournement La bulle puis son éclatement avec la crise semblent doper le processus de la double spéculation, comme lors de la crise boursière de 1987 (anomalie à r -7 V). Les taux longs sont bien devenus une conséquence des taux de profits anticipésl. La liaison V -7 r ne met en fait en relation que les taux de profits anticipés, par l'intermédiaire de V. Est-ce également le cas pour les taux de profit effectifs, déjà réalisés? I On constatera d'ailleurs que J'anomalie rencontrée entre 2003 et fin 2005 pour la liaison V -7 r correspond exactement au passage de J'éclatement de la première bulle à la naissance de la seconde. 221
Contrairement à la période longue 1978-1998, la politique monétaire semble ne pas contrecarrer le processus de la double spéculation; elle pourrait même apparaître procyclique. Ce qui suppose que l'on se penche également sur cette question.
222
Chapitre VIII Liaisons ou contradictions entre taux de profit, taux d'intérêts longs et taux d'intérêt courts?
Les taux d'intérêt longs semblent une conséquence des taux de profit économiques; et les deux sont en baisse tendancielle depuis plus de vingt ans, et singulièrement depuis 1998. Cependant, les taux directeurs sont intervenus pour tenter d'enrayer le boom puis la crise depuis la même date. Ils n'ont fondamentalement fait que suivre le mouvement spontané de la double spéculation. Pourtant il ne s'agit pas ici de se faire l'apologue des néolibéraux qui prétendent que les politiques d'intervention ne sont que procycliques. On constate en effet de temps en temps des « grands écart»: d'une part, entre les valeurs boursières et les taux courts (l' « énigme» qu'Alan Greenspan décela en 2005) ; d'autre part, entre les taux courts et les taux longs «( inversion de la courbe des taux» annonciatrice de crise). Les politiques monétaires restent en partie efficaces: elle peuvent à la rigueur tenter de soigner la crise, elles ne peuvent la prévenir. Et l'on retrouve le point de vue de Keynes: pour lutter contre une crise grave, il faut mettre en œuvre une politique budgétaire ambitieuse. Les américains le font (encore leur pragmatisme), les européens s'y refusent (encore leur monétarisme ).
223
81 En France, les taux d'intérêt longs semblent une conséquence des taux de profit économiques, les deux en baisse tendancielle depuis plus de vingt ans, et singulièrement depuis 1998 La théorie de Smith se vérifie-t-elle ? Cela dépend encore de la période analysée. Les statistiques récentes concernant la France et les SNF permettent d'éclairer partiellement et de préciser les données de ce débat. Il faut d'abord analyser l'évolution de la structure de financement (importance relative des capitaux propres et des dettes financières nettes) des sociétés analysées. 812 - La financiarisation
des SNF
Cette dernière doit être mise en relation avec l'évolution taux d'intérêts nominaux et réels.
des
* Taux d'intérêt nominal et taux d'intérêt réel, le cas des taux longs Le taux d'intérêt réel rr peut être approché, on l'a indiqué \ par la «relation de Fisher» qui, pour un taux d'inflation p, donne, avec r le taux nominal: rr = r - p. Avant 1980, les taux longs réels étaient nuls et même négatifs, à cause de l'inflation. Ils ne redeviennent positifs qu'après cette date par la hausse brusque des taux longs2 alors qu'apparaît la désinflation. Ils culminent à un palier autour de 6 % entre 1987 et 1995, puis s'érodent très régulièrement pour atteindre 1,5 % en 2006 (r à 4 % et p à 2,5 %).
1 Voir plus haut. Le calcul exact renvoie à un calcul d'indice tel que 1 + r, = (l + r) / (l + p), mais la relation de Fisher, évidemment plus simple, est une bonne approche pour des petits taux. 2 Résultat, rappelons-le, de la politique monétaire états-unienne d'ultra rigueur (lutte monétariste « intégriste» contre l'inflation) de la fin des années 70 et du début des années 80 qui a fait exploser les taux, courts et longs. Cette politique fut à l'origine de l'une des plus graves crises économiques et financières américaines, exportée dans le monde entier: elle fit certes baisser l'inflation, mais en brisant la demande et en dopant le chômage. Elle fut rapidement abandonnée pour une politique moins intégriste. Mais il faudra attendre la crise financière de 1987, premier fait d'armes réussi d'Alan Greenspan, pour que la politique monétaire états-unienne redevienne pragmatique. 224
inflation et r long réel
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des SNF, sans aucun doute
Les sociétés non financières... se financiarisent, et à deux niveaux. D'abord, la part des capitaux économiques K (capital fixe, stocks et divers, réévalués, c'est-à-dire en valeurs de marché) dans le total de l'actif des bilans, est en baisse depuis trente ans alors que celle des actions (et autres droits de propriété), tant à l'actif (participations dans des filiales et trésorerie placée en actions) qu'au passif (fonds propres sous forme d'actions) est en hausse, sauf depuis 2000, par l'éclatement de la bulle. On notera cependant un creux pour les seconds et un palier pour les premiers entre 1991 et 1995 : effet de la crise de 1993. La financiarisation
des sociétés non financières
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Ensuite, un cycle apparaît, moins visible dans l'analyse précédente sauf par les actions du passif. La part des capitaux propres CP nets du passif (actions passifs plus réserves moins actions actifs) dans le total CP + D, après une baisse relative jusqu'au milieu des années 90, est en fOlie hausse alors que celle des dettes financières nettes des créances D se contracte, après une hausse; d'où un ratio d'endettement, le fameux levier (gearing en anglais) L = D ! CP qui grimpe puis chute. Evolution
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La principale rupture s'effectue donc en 1993-1994, paradoxalement au moment même où les taux d'intérêt nominaux et réels fondent et où les profits, en baisse depuis le pic de 1989 car touchés par la glissade jusqu'à la crise de 1993, 226
vont rebondir: la course aux fonds propres est lancée, dopée par la bulle financière qui s'annonce. * ... mais le paradoxe n'est qu'apparent Rappelons-le, les valeurs boursières V stagnent en France de 1990 à 1995 tandis que les taux longs diminuent fOliement. Ce qui est en complète contradiction à la fois avec r ~ V et V ~ r. C'est tout simplement la politique monétaire de l'époque qui « perturbe» notre « double spéculation» seulement envisageable dans un monde ... sans politique monétaire! Cet épisode a déjà été évoqué, mais il faut y revenir. Il s'agit du passage de la politique monétaire de rigueurl depuis la fin des années 80 à une politique plus souple qui n'a pourtant pas évité la crise de 1993 déclenchée par la première. Mais pourquoi un paradoxe seulement apparent? Pour les SNF demandeuses de capitaux, il aurait été judicieux, avec la forte baisse de r, de recourir de plus en plus à l'endettement, pour doper les rentabilités financières des actionnaires par l'effet de levier. Mais pour les investisseurs en bourse, les obligations devenaient chères avec des taux de rendement (taux d'intérêt longs) en baisse: ils se tourneront donc vers les actions, quitte à laisser de côté un effet de levier juteux. De plus, le retournement des taux d'intérêt courts pouvait n'être jugé que provisoire; le risque d'effet de massue était toujours suspendu au-dessus des entreprises qui en avaient grandement pâti. Et le boom boursier s'est déclenché, en parfait accord avec le bond des profits. Jusqu'en 1998. Le risque de bulle a été pris, en voulant éviter le risque de l'endettement: encore une liaison créatrice entre taux de profit et taux d'intérêt. 813 - Les rentabilités économiques et financières nettes des capitaux: baisse tendancielle ou conjoncturelle du taux de profit économique net? Cette première approche calcule les rentabilités en ramenant les profits économiques nets2 (ENE) et financiers nets (RN) aux valeurs réévaluées données directement par la comptabilité
I
La réunification de l'Allemagne et ses dangers d'inflation a entraîné une
politique monétaire de hauts taux d'intérêts, suivie par la France dans le cadre de la préparation du passage à l'euro: c'est l' « époque de Maastricht». 2 Nous n'analyserons ici que les rentabilités économiques et financières nettes, celle qui intéressent directement les apporteurs de capitaux, malgré le peu de fiabilité des calculs des profits nets ENE et RN. 227
nationale. Ces valeurs sont proches des valeurs de marché! ; on y reviendra plus loin. * La rentabilité économique nette, en érosion tendancielle depuis 1989, mais surtout en baisse depuis 1998, par l'érosion de la profitabilité et surtout par la chute de la productivité du capital La rentabilité économique nette re = ENE I K apparaît en baisse, avec des fluctuations, depuis le pic de 1989 (il est vrai après l'abîme de la crise pétrolière des deux premiers chocs...). La baisse de la "productivité apparente" du capital VAB / K cst surtout à l'originc
de la baisse du taux de rentabilité économique nette EIVE / K (en valeur de marché) depuis 1998 Profitabilité économique nettc ENE / VAB
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C'est l'érosion de la productivité apparente du capital économique VAB I K qui en est la cause profonde, surtout après 1998 : elle passe de 0,37 en moyenne du milieu des années 80 à 1998 à un peu plus de 0,25 en 2006. Cette chute se cumule avec l'érosion de la profitabilité économiqué. En 2006, la rentabilité économique nette (autour de 4 %) est ainsi près de quatre fois plus faible que la profitabilité correspondante (autour de 16 %).
I Les méthodes de réévaluation ont varié selon les changements de base de l'INSEE. Ce qui affaiblit tous les résultats des analyses; mais on ne possède pas de séries plus fiables. La tautologie arithmétique ENE / K = ENE / VAB x VAB / K prétend expliciter deux facteurs de la rentabilité: c'est la formule « Du Pont de Nemours », promue depuis des lustres par le groupe chimique américain et fort utilisée en gestion.
228
L'érosion de la productivité apparente du capital, surtout depuis 1998, signifie la croissance de son inverse, le coefficient de capital K / VAB. Autrement dit, l'accumulation du capital est plus forte que la richesse qu'elle crée. Et ce mouvement, très net depuis 1998, est une tendance en fait à l' œuvre depuis 1989. On ne peut pas ne pas penser à la baisse tendancielle du taux de profit de Marx, au moins depuis près de vingt ans, induite par la croissance de la composition organique du capital. * Les mêmes conclusions se déduisent de l'approche marxiste, par l'érosion du « taux d'exploitation» largement compensée par la hausse de la composition organique du capital La composition organique est approchée ici par le rapport entre le stock de capital économique K et le flux annuel de rémunération des salariés RS 1.K / RS est en hausse tendancielle et bondit depuis 1998: elle explique surtout la baisse tendancielle de la rentabilité économique depuis 19892. Les évolutions des approches du "taux d'exploitation" ENE / RS et de la "composition organique du capital" K / RS expliquent celle du taux de profit ENE / K (en valeur de ma."ché)
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I Pour Marx, c'est le rapport, en valeurs travail, entre le stock de capital constant (machines et matières premières), dit « capital constant C », et le stock de salaires avancé en début de période, dit « capital variable V ». Notre approche ramène un stock à un flux de RS : c'est la notion de rotation des capitaux (évoquée précisément par Marx) mentionnée plus haut, singulièrement le rapport entre le stock V avancé et le flux de salaires de la période, qui rend le problème délicat. On a encore une tautologie arithmétique: (ENE / RS) / (K / RS) = ENE / K. Mais elle peut être considérée comme une analyse des deux facteurs influençant la rentabilité. 229
Le taux d'exploitation des salariés ENE / RS (après une remontée remarquable depuis les profondeurs de 1982) était en légère baisse de 1989 à 1993 puis rebondissait; il est en contraction nette et régulière depuis 1998. La théorie de la suraccumulation du capital de Marx, où, rappelons-le, la baisse du taux d'exploitation s'ajoute à la hausse de la composition organique pour faire baisser le profit dans la conjoncture, pourrait apparaître vérifiée pour la dernière crise. Ce n'est pas si sûr, bien que la lecture du graphique semble l'imposer, pour deux raisons. La première est que l'évolution est donc parfaitement inverse de 1993 à 1998, lors de la phase du petit boom réel qui a suivi la crise de 1993 : hausse du taux d'exploitation, stagnation à la baisse de la composition organique, et donc hausse conjoncturelle du taux de profit. L'évolution de 1998 à 2006 semble donc plus la conséquence de la crise que sa cause. D'autant plus que l' «armée de réserve» n'a pas disparu pendant cette période, malgré quelques effets cosmétiques récents (baisse officielle d'environ un point du taux de chômage). On retrouve néanmoins, une hausse de la composition organique (ou, ce qui est équivalent, une baisse de la productivité du capital); les deux s'expliquent cependant plus par une baisse du taux de croissance de la VAB due au troisième choc pétrolier que par des investissements massifs. Le processus n'est donc pas celui de la fin des années 60: la hausse de la composition organique du capital où la baisse de sa productivité était apparue dès 19691 comme une cause profonde de la crise, près de cinq ans avant le déclencheur immédiat que fut le premier choc pétrolier. La seconde raison de la remise en cause de la théorie de la suraccumulation comme cause de la crise est, on l'a vu plus haut, que le ratio taux d'exploitation EBE / RS cache la « non responsabilité et la non culpabilité» des salariés dans la baisse des profits, due essentiellement au troisième choc pétrolier qui a obéré à la fois la part de RS et de l'EBE dans la production. D'autant plus que les très hauts revenus croissants des managers inclus dans la RS induisent à la hausse des inégalités entre les salaires petits et moyens d'un côté, élevés de l'autre. La théorie de la suraccumulation reste encore ainsi une hypothèse hasardeuse quant à la responsabilité de la croissance de la part des salaires dans la VAB ou de la décroissance du taux d'exploitation. Il n'empêche que la hausse tendancielle de la composition organique est remarquable depuis trente ans et est une explication structurelle de la tendance à la baisse des taux de I Voir, entre autres, Castex (2006). 230
profit. De toute façon, les capitalistes éprouvent les plus grandes difficultés à la compenser en augmentant le taux d'exploitation, sauf de 1982 à 1989, mais après un remarquable étiage. On a probablement plus affaire, pour ce qui est de la rentabilité économique (le « taux de profit» économique de tous les capitaux engagés) à des cycles qu'à une « baisse tendancielle » (hypothèse de Marx) sur le très long terme. On se gardera de trancher la question pour la période qui nous occupe; toutefois, la tendance à l'augmentation de la composition organique du capital ne doit pas être balayée d'un revers de main sur les trente dernières années. Elle fut simplement contrecarrée par les fluctuations du taux d'exploitation. Bref, l'analyse de Marx n'est pas à écarter; elle se vérifierait d'ailleurs 1 à très long terme (sur deux siècles), malgré toute la prudence induite par l'incertitude des séries statistiques sur le temps long. * La rentabilité financière nette des valeurs de marché Ramenant le résultat net (RN = CAF - CCF) aux seuls capitaux propres des actionnaires, elle évolue de façon assez différente de la rentabilité économique nette, car elle est soumise à l'effet de levier de l'endettement où jouent à la fois le niveau des taux d'intérêt et l'endettement relatif. Les cvc\es de la rentabilité
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Elle est nulle ou négative lors du creux de 1981-1983 et les cycles sont plus marqués que ceux de la rentabilité économique nette: en particulier la crise de 1993 apparaît plus profonde (hausse des taux d'intérêt et endettement croissant), et la reprise I
Voir encore Castex (2006 et 2007). 231
jusqu'en 1998 plus visible (pour les raisons inverses). C'est l'effet de levier qui est en effet à l'œuvre. 814 - Les corrélations entre, d'une part, la rentabilité économique nette re et la rentabilité financière nettes rf et, d'autre part, les taux d'intérêt longs r, dépendent étroitement de la période analysée, d'abord de 1988 à 2006 * Valeurs réévalués (proche des valeurs de marché) et valeurs non réévaluées (proche des valeurs comptables en « coûts historiques» Il faut préciser avant tout comment sont valorisés les capitaux (économiques, financés par CP + D, ou seulement propres, CP). Les valeurs de marché représentent en général le double (avec de fortes fluctuations) de celle des valeurs comptables: on parIe des price ta book ratios mentionnés plus haut, rapports entre les prix des actifs et leur valeur dans les livres comptablesl. Ces price ta book tournent autour de 2: 1,7 pour K et 2,4 pour CP, mais avec de fortes fluctuations, surtout par les cycles des valeurs de marché des actions (3,3 lors du pic de 2000, 2 lors du creux de 2003).
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I Cet écart devrait s'amenuiser avec les nouvelles normes comptables internationales appliquées en France (dites IFRS, « International Financial and Reporting Standards il : Normes internationales financières et de rapport de gestion) où les postes comptables ne sont plus évalués en « coûts historiques il mais en «juste valeur il, proche des valeurs de marché.
232
* re et r: la forte corrélation et l'effet ciseaux avec retournement au milieu des années 90 La corrélation est très élevée entre re et r depuis 1988, cependant, l'inversion entre r et re ne s'effectue qu'en 19961997, avec auparavant un effet de levier négatif.
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Les rentabilités économiques brutes et nettes re (en valeur de marché et comptables) sont donc en baisse depuis plus de vingt ans (mais avec un rebond après la crise de 1993) ; elles sont très corrélées à r, singulièrement depuis 1998. On ne retrouve pas les niveaux des taux de re désirés par les plus gourmands des grands groupes du CAC avant 2000, les fameux « 15 %» en rentabilité comptable, mais on s'en approchait en 1988 et 1998, avec cependant des taux de marché d'environ la moitié compte tenu du price to book ratio. La re de marché ne dépasse r qu'à partir de 1996 ; ce qUI n'est pas sans importance. * rf et r : corrélation plus faible mais même retournement Les corrélations sont plus douteuses avec les rentabilités financières rf, sauf pour celle en valeur de marché, et surtout depuis 1998. Les taux de rêve furent dépassés en 1989 et avant le krach de 2000 pour les rentabilités financières comptables, avant les périodes de vaches maigres. Encore une fois, si les rf comptables apparaissent toujours juteuses, avec des creux à à peine moins de 10 %, les rf de marché sont bien plus faibles (cf. encore le price to book ratio), tournant sur longue période autour du niveau des taux longs: inférieures avant 1996, à peine supérieures après. 233
La constatation des fortes fluctuations de rf permet de corriger l'approche d'Adam Smith et de comprendre pourquoi les rf sont mal corrélés à r. On l'a indiqué plus haut au niveau théorique: c'est en fait la rentabilité économique re qui est à la base des taux longs r, pas les rentabilités financières qui sont influencées par la structure de financement et l'effet de levier de l'endettement. L'analyse empirique consolide ce point de vue. Le taux d'intérêt longs l'et les rentabilités financières If sont moins étroitement corrélés
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* L'effet de levier de l'endettement: le retournement au milieu des années 90 Les rentabilités financières se déduisent donc des rentabilités économiques par la fameuse formule de l'effet de levierl. Les rf constatées devraient correspondre à cette formule; ce n'est pas tout à fait le cas, mais pas loin2 ! L'effet de levier corrigeant re pour obtenir rf, le différentiel entre la rentabilité économique re et le taux d'intérêt r multiplié par le levier L, donc (re - r )L, apparaît toujours négatif avec la rf de marché constatée. Avec la rf théorique, on constate le passage d'un effet de massue à un effet de levier positif, ce passage ayant lieu vers 19953. Depuis la fin des années 80, I Rappelons-le: rf = re + (re - r)L, avec L (le levier) = D / CPoL'effet de levier est (re - r) L : le différentiel multiplié par le taux d'endettement. 2 On a calculé les valeurs théoriques de rf en fonction de l'effet de levier avec les r et leviers L constatés: les rf théoriques sont de fait peu différentes des rf constatées, supérieures en moyenne de 0,7 %. 3 Beaucoup n'ont pas vu tout de suite le retournement. Ainsi le groupe Total communiquait encore à cette époque, alors que son re était en redressement et 234
l'effet de levier est négligeable, malgré les fluctuations du levier constatées plus haut. Ce n'est pas le levier L lui-même qui est négligeable: il augmente jusqu'au milieu des années 90 puis diminue en restant néanmoins important. C'est le différentiel de taux re - r qui tend vers zéro: tout simplement car les taux d'intérêt longs se calent sur les rentabilités économiques de marché, avec une prime de risque proche de zéro induisant un effet de levier proche de zéro ! Notre redécouverte de la corrélation étroite entre re et r, et en fait entre rf et r quand les marchés financiers sont libéralisés n'est pas un scoop en ce qui concerne la corrélation: l'arbitrage sur les marchés financiers interdit un décalage entre les taux de rendement des obligations et ceux des actions, à la prime de risque près. Ce qui est plus étonnant, c'est la tendance à l'égalisation des taux longs sans (trop de) risque et de la rentabilité économique effectivement réalisée, la « prime de risque économique» disparaissant. Mais si l'on suppose que la prime de risque n'existe que dans les désirs « ex ante» des apporteurs de capitaux, qu'elle n'est qu'un différentiel effectif « ex post» dû à l'effet de levier, le paradoxe disparaît: les actions ayant tellement augmenté, le différentiel tend vers zéro! La « prime de risque existe» encore, mais seulement par rapport aux rentabilités comptables. La corrélation entre re et r ne fait donc aucun doute sur les dix dernières année: Smith revisité par notre interprétation par la double spéculation auraient donc raison. Pas si vite: corrélation n'est pas raison. Les orthodoxes pourront toujours prétendre que re = r + Re ; et avec Re la prime de risque économique tendant vers zéro! Sauf à être convaincu que le taux d'intérêt n'est qu'un morceau du profit global dans un circuit macroéconomique et non le résultat d'un équilibre des marchés microéconomiques. Mais ce renforcement de la théorie de Smith et de celle de la double spéculation n'apparaît qu'entre 1988 et 1998, surtout après cette date: auparavant, la corrélation entre re et r n'existait pas plus (au contraire) que celle entre r et les valeurs de marchés V analysée plus haut.
r en chute (un peu comme tout le monde), sur la nécessaire baisse de son « taux d'endettement », facteur de risque. Il versait un maximum de dividendes en actions et non en cash (pour renflouer ses fonds propres et ménager sa trésorerie, bref pour baisser son ratio D / CP). Brusquement, mais avec deux ans de retard, il communiqua sur son « levier» (son « gearing »), facteur de dopage des bénéfices des actionnaires. Il ne versait plus ses dividendesen actionset commençaitune politiquede rachat (<
815 - L'absence de corrélations entre, d'un côté les rentabilités économiques re et financières nettes rf et, de l'autre, les taux d'intérêt longs ravant 1988, corrélations retrouvées ensuite: les perturbations de la double spéculation par l'inflation et les politiques monétaires
L'effet de levier, selon les rf nettes de marché, constatée ou théorique, était fortement négatif de 1975 à 1985, car les taux d'intérêt nominaux atteignaient des sommets, poussés par l'inflationl. Il n'y a donc pas de corrélation sur cette période entre re et rf d'une part, r d'autre part; elle est même parfaitement négative en début de période, jusqu'en 1983. La corrélation apparaît brusquement entre re et r à partir de la fin des années 80 mais reste faible, quoique croissante, entre rf et r. Elle n'est donc évidente qu'à partir de 1998; ce qui explique le retournement de la liaison entre r et V à la même époque. Uu elTet de levier (rI'
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Le graphique qui suit précise les coefficients de corrélation entre les taux de profit re et rf théorique de marché et r, calculés sur toute la période à partir d'une année donnée, avec 1978 comme année de base. De 1978 au milieu des années 80, la corrélation est négative. Le retournement de 1984 à 1986 est frappant pour la corrélation entre re et r, mais il faut attendre les années 90 pour celle entre rf et r. Les coefficients de corrélation marché et les taux longs: corrélations en fin de période
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Apparaissent en fait desdites primes de risque (différences entre les rentabilités re et rf théorique d'un côté, r de l'autre) très négatives jusqu'au milieu des années 90, moins négatives jusqu'à la fin des années 90, positives mais peu élevées et tendant vers zéro ensuite. Il y a un « avant» et un « après» le milieu des années 90. En France donc, cesdites primes de risque que chacun voyait évidemment positives dans ses désirs (et dans la théorie financière...) auront donc passé leur temps dans le rouge jusqu'il y a plus d'une dizaine d'année! Pendant les trente glorieuses, les rentiers prêteurs frileux étaient enthanasiés, pour le plus grand bonheur des salariés et des entreprises. Pendant les trente années de plomb, du moins jusqu'à la crise à partir de la fin du XXe siècle, les entreprises et les actionnaires héros preneurs de risque furent euthanasiés par les rentiers. Sans parler des salariés et chômeurs. . . Lesdite.~ "primes de risque", plus exactement les différences entre les rentabilités économiques et tinancières de marché et les taux longs
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Mais les actionnaires avaient un gros lot de consolation: le boom boursier. Qu'importe le taux de profit si les gains en capital sont au rendez-vous, pour longtemps. Encore une schizophrénie; qui se termine par une douche froide: les rentiers et actionnaires risquent de se retrouver tous les deux euthanasiés par la crise. Et les salariés et chômeurs paieront encore les pots cassés. La politique économique ultralibérale et monétariste, en France puis en Euroland, au moins jusqu'au milieu des années 90, est-elle « responsable et coupable» de ce gâchis? Ce n'est pas tout à fait l'objet de cet ouvrage. Mais on doit envisager sur la période récente l'articulation des mouvements spontanés des taux longs et ceux des taux directeurs des Banques centrales. 238
82 - Taux taux du monétaire crise, elle
longs, taux courts, taux directeurs et marché monétaire la politique peut à la rigueur tenter de soigner la ne peut la prévenir
821 - Taux longs et taux courts d'intervention Banques centrales
des
* Selon la théorie financière dominante, les taux longs seraient la conséquence des taux courts, donc des taux directeurs Une objection évidente à la réinterprétation de Smith de la théorie du taux d'intérêt par la double spéculation boursière est que la bourse est évidemment sensible à la politique monétaire: les frottements sociaux des « banques machines sociales à déthésauriser » influencées par la politique monétaire perturbant la théorie. On revient évidemment à la liaison orthodoxe habituelle r -7 V ? Et les taux longs suivent, théoriquement plus élevés que les taux courts car les prêts longs sont plus risqués. La théorie financière de l'explication des taux longs par les taux courts est en fait un peu plus subtile, mais elle induit la même conclusion: les taux longs ne peuvent s'expliquer qu'à partir des taux courts; autrement dit les taux de base seraient bien les taux courts. Cette « transmission» des taux courts vers les taux longs s'effectue encore par l'arbitrage: si l'on peut emprunter à court terme à 5 %, pourquoi les taux à long terme seraient-ils très éloignés de 5 %, à la prime de risque près tenant au risque lié à la durée de l'emprunt. Bref, les taux longs ne seraient qu'une conséquence des taux courts, donc influencés par la politique monétaire; c'est tout simplement la théorie de Keynes de la détermination de r par le marché monétaire. Et le gourou Greenspan, l'ex-patron de la Fed en aura joué à loisir avec sa politique monétaire pragmatique. Mais il existe des exceptions... : il est des périodes où la hiérarchie des taux (et la « courbe des taux» correspondante) s'inverse, inversion annonciatrice de crise! Mais l'explication orthodoxe est toujours monétaire: une politique de lutte contre l'inflation augmente fortement les taux courts, par l'intervention des taux directeurs. Face à cet « effet d'annonce », les anticipations d'inflation sont à la baisse. Compte tenu de cette anticipation, les taux longs nominaux baissent. Et la hiérarchie des taux s'inverse. CQFD. Et le signe annonciateur de crise, pourtant constaté avec de très rares exceptions, reste en fait théoriquement inexpliqué. 239
Cette théorie se refuse évidemment à envisager la théorie revisitée de Smith d'une autonomie des taux longs par rapport aux taux courts, r étant une variable réelle déduite du taux de profit par la double spéculation. Il ne vient à l'esprit de personne que la crise est peut-être tout simplement annoncée par la baisse de la rentabilité économique induisant celle des taux longs! Cependant (que c'est compliqué !...), les taux de profit ne sont pas indépendants de la politique monétaire! Une politique de rigueur anti inflationniste faisant augmenter les taux courts est souvent un déclencheur de crise, comme, par exemple, peu avant 1929 et à la fin des années 70 et au début des années 80 aux Etats-Unis, avant 1993 en Europe. C'est alors le processus keynésien qui est à l'œuvre, selon la vision r ~ V... qui peut ensuite induire V ~ r. Incertitude généralisée? * Et si les taux courts ne faisaient fondamentalement que suivre les taux longs depuis le milieu des années 90 ? On entend d'ici les hurlements des orthodoxes: encore un délire hétérodoxe! Attendez. Revenons sur notre « avant» et notre « après» mentionnés plus haut. Avant. En France, les taux d'intérêt nominaux longs « anormalement hauts» induisaient donc le plus souvent jusqu'à la fin des années 90 une action négative sur les cours boursiers des actions: les taux d'intérêt se présentaient essentiellement comme un coût pour les entreprises; et notre théorie de la double spéculation développant l'analyse du taux d'intérêt par Smith ne pouvait s'appliquer. Pourquoi des taux anormalement hauts? Deux causes qui se sont succédées: l'inflation (de 1975 à 1985) puis les politiques monétaires de rigueur (de 1985 à 1992). Et pendant ce temps, les taux de profit, d'abord en déprime (de 1975 à 1985), ne rebondissaient qu'insuffisamment (de 1985 à 1989), pour rechuter, justement à cause des politiques de rigueur monétaire (de 1989 à la crise de 1993). Après. Puis la relation s'est inversée: une inflation maîtrisée, des politiques monétaires plus souples, la première étant à l'origine des secondes. Les variations des valeurs de marché des actions induisaient une variation de r dans le même sens; il est vrai surtout après 1998, sous l'influence de la crise réelle. Et malgré la persistance des politiques monétaires du pragmatisme états-unien, plus ou moins suivies par la BCE. En fait, ce furent des politiques d'accompagnement des mouvements spontanés des marchés financiers. Nous ne remettons pas ici en cause les sages politiques monétaires d'Alan Greenspan et de son successeur Ben Bernanke, maintenant souvent accusés d'être à l'origine de la crise actuelle. Greenspan géra efficacement la crise boursière de 240
1987, et le boom boursier de 1995-2000, contraint cependant d'utiliser des hausses de taux directeurs de plus en plus visibles pour s'opposer à la folie de la bulle boursière: l'atterrissage en douceur qu'il souhaitait fut un peu rude, par la particularité de la bulle de la Nouvelle économie. Greenspan a en outre sauvé (provisoirement?) le capitalisme mondial depuis la fin des années 90. Puis il remonta les taux d'intérêt courts aussitôt que s'annonçait la nouvelle bulle vers 2004, suivi par Ben Bemanke. Mais force est de constater que ces politiques monétaires ne sont bien en fait depuis 1995, que l'accompagnement volontariste des forces spontanées du marché, l'effet d'annonce des taux directeurs rendant simplement visible pour les spéculateurs ce qu'ils voyaient très mal, la tête dans le guidon des actions sans regarder l'évolution des taux longs, laissés dans les mains des amateurs d'obligations moins risquées. Voulant lutter contre le gonflement de la bulle (de 1997 à 2000), puis contre son éclatement (de 2000 à 2003), les politiques monétaires ne firent en fait qu'accompagner les forces du marché: taux d'intervention élevés dans le premier temps quand la bulle se gonflait en induisant la hausse des taux longs; taux d'intervention à la baisse, comme les taux longs suivant le marasme boursier. Et le même cycle sur 2004-2007 puis 2007-2008. Est-ce à dire que les politiques monétaires ne sont que pro cycliques, donc inutiles sinon perturbatrices? Notre « hétérodoxie» ne reviendrait-elle pas à simplement retrouver l'ultralibéralisme des monétaristes et des Nouveaux classiques? 822 - L'efficacité des politiques monétaires persiste, mais avec combien de limites et d'énigmes * Les taux directeurs d'intervention et leurs limites, le cas de la BCE Définissons d'abord ces « taux directeurs ». Les taux directeurs de la BCE, ceux qui orientent les taux courts (rCT) du marché monétaire définissent un tunnel qui encadre théoriquement les taux du marché monétaire, principalement interbancaire. Le « refi », le taux directeur de refinancement (base de la communication de la BCE) est en gros une moyenne entre le taux le plus bas (celui des dépôts des banques commerciales à la BCE) et le plus haut (celui des prêts au jour le jour de la BCE à ces banques commerciales). Les interventions de la Fed sont un peu différentes mais comparables. 241
Une forte hausse des risques de refinancement interbancaire, comme depuis la crise des subprimes, peut très bien voir les taux interbancaires bondir et sortir du tunnel, car ces différents taux supposent des primes de risque « normales ». Une marge, un «spread» considérable peut donc apparaître entre ces taux directeurs et les taux interbancaire quand les risques de faillite sont tels que le marché interbancaire est asséché. On l'a vu, la seule politique qui reste aux Banques centrales est d' « injecter» directement des liquidités, c'est-à-dire de prêter aux banques devenues illiquides, les politiques de taux devenant inefficaces ou même dangereuses car risquant de doper d'inflation par les coûts. Ce que firent BCE - qui n'a toujours pas touché au niveau de son refi - et Fed depuis juillet 2007, et à plusieurs reprises. Les taux directeurs
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* Le différentiel positif entre les taux longs et les taux courts En Europe, le refi est en effet inférieur aux taux longs, bien que s'en rapprochant quelquefois, singulièrement en 2007 et 2008 : on n'est pas loin de l'inversion de la hiérarchie des taux. Le refi est le plus souvent décalé dans le temps par rapports aux taux longs. Il suit en fait avec grand retard les taux longs quand la bulle s'enfle jusqu'en 2000; il ne réagit que tardivement à la crise boursière du printemps 2000 alors que les taux longs avaient anticipé la baisse dès janvierl. Ils les précèdent par contre après son éclatement en 2001 et 2002 : il faut attendre le milieu de 2003 pour que le minimum du refi qui a chuté à 2 % paraisse efficace sur les taux longs. Ce qui J
Voir plus haut les corrélations
positives entre r et V depuis 1999. 242
signifie qu'une politique monétaire de baisse drastique des taux pour contrer une crise déjà déclenchée n'est pas inutile, d'autant plus que les taux longs ont nettement moins diminué que le CAC 40 après l'éclatement de la bulle1. La politique monétaire états-unienne fut beaucoup plus réactive, et dans les deux sens; on ne la détaillera pas. Cependant des énigmes se font jours, des deux côtés de l'Atlantique. Taux longs,
et taux courts ,CT dirigés par la BCE (son ",efi")
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* L'énigme ou « conundrum» d'Alan Greenspan pour les EtatsUnis, et le cas européen L'inversion de la hiérarchie des taux eut lieu aux Etats-Unis en 2006, et avec l' « énigme d'Alan Greenspan» déjà décelée début 2005: les taux longs américains restaient « anormalement» bas malgré les hausses successives des taux d'intervention de la Fed, après leur baisse pour contrer le krach de 2000-2001, pour éviter donc un second boom boursier qui avait toutes les « chances» de se transformer en krach; ce qui arriva en 2007-2008... Cette énigme s'expliquait pourtant facilement si l'on suit notre théorie, car Wall Street stagnait sur cette période, étant probablement sensible à cette politique monétaire: V en stagnation -7 r stagnane. Ici théorie et frottements se conjuguent. L'énigme européenne, peu ou pas remarquée, est un peu différente. Du milieu 2003 à fin 2005, les taux longs I Voir également plus haut. 2 Contrairement à l'Europe (voir plus haut les mouvements du Dow Jones et du CAC 40) où la BCE n'augmenta ses taux directeurs, toujours avec retard, que fin 2005 : ce qui dopa les bourses actions européennes dès fin 2003. 243
continuaient leur baisse alors que les taux directeurs restaient scotchés à 2 %, ce qui renvoie néanmoins à l'énigme de Greenspan. La principale énigme en Europe, déjà évoquée, est le retour sur cette période de la liaison négative entre r et Y ; r -7 Y, dans le sens d'une fonction décroissante. En effet, la bourse avait rebondi en Europe, peut-être soumise à l'effet retard des bas taux directeurs. Mais on ne peut ignorer l'autonomie relative du marché des obligations: une forte demande, non liée à la spéculation sur les actions, peut faire monter leurs cours et donc baisser les taux longs. On va retrouver cette explication pour les Etats-Unis. Les optimistes voulurent voir dans l'inversion américaine (moins nette en Europe) une exception, explicable par moult facteurs. Dont la forte demande des obligations d'Etat étatsuniennes par les pays asiatiques exportateurs qui regorgeaient de dollars, et les faibles anticipations d'inflation: la théorie néoclassique traditionnelle selon laquelle le taux d'intérêt n'est que la conséquence du marché primaire des obligations. Pas question d'anticiper une crise: il est des exceptions (très rares. ..) à cette règle. Ces optimistes se sont encore trompés: la crise de 20072008 est bien là. La baisse tendancielle des taux longs n'est bien que la conséquence de la baisse réelle des taux de profit, probablement aux Etats-Unis comme ailleurs.
244
CONCLUSION Nos conclusions seront différentes de celle du rapport de 2004, intitulé Les crises financières!, du Conseil d'analyse économique (CAE), création du gouvernement Jospin maintenu après les changements politiques. En toile de fond se trouvent les crises internationales (crises jumelles bancaires et de change) qui ont précédé la crise boursière de la Nouvelle économie de 2000. Les auteurs sont plutôt des économistes fort critiques du capitalisme et partisans d'un certain interventionnisme, mais fort édulcoré. Interventionnisme surtout dominé par la théorie néoclassique des cas d'interventions quand le marché ne peut s'équilibrer spontanément (externalités et biens publics ici), avec quelques échappées plus keynésiennes. Ce que résume l'Introduction de Christian de Boissieu2 : « Dans cette affaire, il n'est guère besoin de justifier l'intervention de l'Etat (au sens large, y compris des banques centrales indépendantes), tant les externalités sont foisonnantes, et tant la stabilité financière est devenue, à côté de la stabilité monétaire, un bien public désormais mondial sous l'effet de la globalisation financière ... ». S'y ajoutent l' « appel à une meilleure transparence de l'information» mais aussi « la nécessité pour la politique monétaire de mieux prendre en compte, à côté de son objectif de stabilité des prix, la stabilité financière et les prix des actifs financiers, immobiliers... », nouveau bien public. Manière fort élégante de tenter de convaincre les intégristes monétaristes3 en prenant en compte, outre l'inflation «ordinaire », celle dite « par les actifs» (financiers et immobiliers). I Robert Boyer, Mario Dehove, Dominique Plihon en sont les auteurs; au rapport proprement dit sont adjoints des commentaires et des compléments, dont celui d'André Orléan, analysé plus haut. 2 Il est le vice-président du CAE, son président étant le Premier ministre. 3 C'est là que monsieur Trichet, le patron de la BCE ne sera pas d'accord qui vient de nous rappeler que les Banques centrales n'ont qu' « une seule boussole ii. Et que pense-t-iI des « Banques centrales indépendantes ii en tant qu' « ...interventionde l'Etat (au sens large... ii? 245
Dans ce rapport, les crises sont analysées surtout dans l'optique des crises bancaires selon les théories monétaires du cycle, mais sans jamais s'y référer explicitement (sinon par l'un de ses avatars récents: l' « accélérateur financier ». Les phénomènes de contagion se réfèrent par ailleurs plus ou moins directement à la théorie du mimétisme ou de la finance autoréférentielle d'André Orléan. Selon ces auteurs, la fragilité financière est due à « un emballement du crédit qui déclenche un mécanisme d'accélérateur financier qui se propage à différents marchés... ». Selon l'analyse par l'accélérateur financier, les outils utilisés sont plus sophistiqués que ceux de Wicksell ou de Hayek asymétrie d'information entre la banque et l'emprunteur, comportement stratégique de ce dernier et aléa moral, risque de faillite en cas de « choc» défavorable, en particulier sur la productivité, sur la croissance réelle de l'entreprise emprunteuse. Les anticipations sont rationnelles, emprunt aux outils de la Nouvelle école classique (NEC) des analystes néokeynésiens l, avec des conclusions fort proches des modèles ultralibéraux de la théorie des cycles réels, des Real Business Cycles (RBC). Les crises financières, d'origine monétaire donc, seraient d'autant plus graves que leur procyclicité entrerait en résonance avec celle des autres actifs. Le crédit bancaire serait toujours procyclique, tant dans les phases d'expansion que dans celles de récession2. Cette procyclicité est renforcée par les biais psychologiques et institutionnels renvoyant aux apports de la finance comportementale et de l'économie expérimentale où les phénomènes passés continuent à influencer la perception du futur. Que penserait Keynes, après son autocritique du Treatise (fondant sa Théorie générale), de cet aboutissement des néokeynésiens? Il s'agit en effet de simples reprises des théories du Crédit Cycle: « Old wine in new bottles» (Du vin vieux dans de nouvelles bouteilles) pour reprendre la critique de Milton Friedman envers ses successeurs de la NEC. La crise réelle, par exemple la baisse du taux de profit, comme cause des crises financières semble en dehors des paradigmes de l'analyse. Ce n'est pas notre point de vue. Les banques et la politique monétaire interviennent sans aucun doute sur les taux d'intérêt et les taux de profit quand le taux d'intérêt est considéré comme un coût, selon le circuit keynésien par l'intervention de la demande. Mais c'est oublier I Ben Bemanke a participé aux recherches sur Ie « Financial Accelerator », dès 1999. 2 Le modèle d'accélérateur financier retrouve les conclusions du Fisher de 1933 de la déflation par la dette. 246
que le taux d'intérêt est aussi une rentabilité déduite du taux de profit selon le point de vue de Smith retrouvé par la théorie de la double spéculation sur les marchés actions et obligations. C'est cette contradiction fondamentale qui est à la base de notre travail et de nos conclusions. * Proposition d'un changement de paradigmes Selon les néoclassiques, le taux d'intérêt est donc déterminé par le marché primaire des obligations (le marché des fonds prêtables): c'est une variable réelle. Mais pas un mot du marché secondaire. Pas un mot non plus du taux de profit, sauf la masse de profit pur et sauf, un siècle après les fondateurs, les rentabilités désirées par les épargnants: le taux d'intérêt plus une prime de risque. La « loi» de l'offre et de la demande est une légende: c'est la plomberie d'un circuit économique que les économistes doivent étudier, non pas des marchés qui n'existent que pour les « marchés aux poissons» du fils Galbraith, avec certes des « effets» de l'offre et de la demande. Les seuls marchés véritables sont ceux des titres, actions, obligations, titres monétaires: l'exemple que Walras généralise par erreur aux biens et services. Ce sont ces marchés financiers qui répartissent les rentabilités entre les différents apporteurs de capitaux (CP et D), répartition « perturbée» par le crédit bancaire. Mais la production des rentabilités s'effectue dans le circuit macroéconomique. Même si l'on croit à leur efficience, les valeurs de marché des actions et des obligations ne sont que des marches au hasard, des random walks. Et l'entrepreneur néoclassique indépendant des actionnaires est une autre légende: avec celle-ci, le choix des investissements ne maximise jamais le taux de rentabilité économique moyen qui est la cible des capitalistes; sauf par hasard au niveau microéconomique et à l'équilibre théorique de long terme, quand le profit pur aura disparu. Mais le profit pur néoclassique doit inclure, outre le revenu des managers, celui des actionnaires sous leur aspect « entre-preneur» de risque, après avoir déduit de leur rentabilité financière le taux d'intérêt sans risque. Avec la théorie néoclassique (comme d'ailleurs avec celle de Keynes), les investisseurs utilisent un outil erroné pour choisir leurs investissements dans les entreprises. Et depuis près d'un siècle et demi! Cette erreur ne persiste que parce que les investisseurs continuent à croire à cette légende, ne voulant pas remarquer la circularité du taux d'intérêt: coût et rentabilité. En oubliant que Keynes évoquait également un taux d'intérêt fondé sur la productivité marginale du capital qu'il voyait baisser à long terme, selon lui, le taux d'intérêt est essentiellement une variable monétaire déterminée par son marché de la monnaie. Autre légende: la demande de monnaie 247
pour motif de spéculation décroissante du taux d'intérêt au niveau macroéconomique; Keynes feignait de ne pas comprendre que la spéculation sur le seul marché secondaire des obligations supposait une nécessaire contrepartie dans les transactions. Ce qui rend caduque sa théorie du mimétisme ou de la finance autoréférentielle d'Orléan pour expliquer la dynamique boursière: il y a bien des «effets» mimétiques, mais pas de « loi» mimétique. Pour les néoclassiques, le taux d'intérêt est le taux long, mais il est possible de passer des taux courts aux taux longs en généralisant l'offre et la demande de fonds prêtables aux emprunts courts. Mais quid du crédit bancaire qui « crée» de la monnaie? Pour Keynes, c'est selon: le taux long quelquefois (dans son analyse de l'investissement et de la spéculation), le taux court et/ou long (pour fonder son marché de la monnaie qui suppose la spéculation sur les obligations longues...). Un doux mélange toutefois résolu par le modèle IS LM originel de Hicks; à condition d'assimiler l'offre de crédit bancaire à de l'épargne préalable longue et la demande de monnaie (une thésaurisation) à une demande de fonds prêtable pour l'investissement immédiat, sans l'autre légende de Keynes du finance motiv. La science économique moderne est d'une rigueur redoutable avec son modèle IS LM canonique à prix fixes (devenu à prix variables et utilisé comme outil par presque tous les économistes) fondé, soit sur une légende (LM déduite de la demande de monnaie macroéconomique - thésaurisation pour motif de spéculation décroissante avec r), soit sur un quiproquo.. . Selon Smith réinterprété, le taux d'intérêt n'est qu'un sousproduit du taux de profit économique (et non pas de la rentabilité financière des propriétaires) : le taux de profit moins une « prime de risque », en fait le taux de profit moins l'effet de levier de l'endettement, éminemment variable avec la structure de financement. On sait, depuis le théorème de Modigliani et Miller, qu'il n'existe pas de structure optimale de financement minimisant la légende du coût moyen pondéré du capital: les taux de profit (dont le taux d'intérêt) sont des rentabilités pour les apporteurs de capitaux, même s'ils peuvent apparaître comme des coûts pour les entreprises. Mais que sont les entreprises, sinon des institutions dominées par les actionnaires héroïques et les prêteurs plus frileux, bref les capitalistes! Mais que faire avec la théorie de Smith des deux taux d'intérêt, longs et courts? Marx avait raison d'hésiter face à la théorie de Smith, car si le taux d'intérêt est bien un « morceau» du taux de profit, il peut fiuctuer par l' «effet» de l'offre et de la demande, l'épargne pouvant être substituée par le crédit bancaire. Les 248
banques sont des « machines sociales à déthésauriser », même la monnaie thésaurisée par les agents non financiers. Force est effectivement de constater le miracle de la « création monétaire », ou de l'accélération de la vitesse de circulation de la monnaiel par le crédit et le refinancement par l'émission de monnaie centrale de la Banque centrale prêteuse en dernier ressort. Sans ce miracle, le capitalisme serait resté dans l'enfance. Seule la théorie de la « double spéculation », développant en l'amendant la théorie de Smith, peut expliquer la détermination du taux, d'intérêt qui reste bien un sous-produit des taux de profit. A condition de tenir compte, en développant Marx, de l'intervention du crédit bancaire et des gourous de la politique monétaire le contrôlant, dans les mains de Banques centrales indépendantes ou agents directs de l'Etat. Bref, la théorie ne fonctionne que dominée par les frottements sociaux. Le taux d'intérêt long r est déjà soumis, comme la valeur de marché des actions V, au « principe d'incertitude généralisé », par la circularité de V calculée par r, mais avec V ~ r ~ V ! r, mais également V, deviennent l'électron du principe d'incertitude de Heisenberg en physique quantique. Mais r ~ V par la politique monétaire: l'incertitude devient « radicalement» radicale! Autrement dit, malgré tous les efforts scientifiques, l'économie restera politique. * La cause des crises: monétaire ou réelle? Deux paradigmes s'opposent, pour les mouvements longs tendanciels ou les vagues Kondratieff comme pour les cycles Juglar des affaires. Selon les théories du cycle monétaire ou du Credit Cycle, c'est la création monétaire qui induit la baisse du taux d'intérêt monétaire, produit de l'inflation puis un retournement. Si la hausse des taux peut s'expliquer en fin de période d'expansion, par un risque bancaire croissant, la baisse des rentabilités doit être recherchée dans la sphère réelle: le surinvestissement ou l'épargne forcée (Hayek) sont des explications insuffisantes. Les théories réelles des crises mettent surtout en avant les taux de profit: état stationnaire des classiques Ricardo et Malthus, baisse tendancielle du taux de profit de Marx et les différentes crises de suraccumulation. Cependant, Keynes, après Malthus, insiste sur le rôle de la demande (sous consommation et sous investissement) mais croit percevoir, après les saintsimoniens, Proudhon et les fabiens, une« baisse tendancielle » du taux d'intérêt. I Le doute persiste, sauf pour J'orthodoxie dominante depuis une trentaine d'années.
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La « vérité» des crises semble se trouver au carrefour de la sphère monétaire et de la sphère réelle, étroitement imbriquées et non dichotomisées. Selon deux mécanismes. Le premier concerne la baisse de la demande qui ne peut s'expliquer sans la thésaurisati on de certains agents (entreprises et ménages) induisant une déthésaurisation équivalente d'autres agents (les entreprises qui voient leurs stocks invendus se gonflerl). A l'inverse, une déthésaurisation dopant la demande, boostée par le crédit bancaire, fait fondre les stocks non désirés des entreprises, ce qui induit pour elle une thésaurisation2. Le second mécanisme est celui des marchés financiers et de capitaux: avec notre double spéculation où « l'argent» sous sa forme monnaie est l'intermédiaire obligé des échanges. Et la monnaie, cette « insignifiance, simple lubrifiant, voile» est bien plus que cela: la recherche du refuge de la liquidité est incontournable en cas de crise, c'est-à-dire pour chaque spéculateur individuel, tous les jours3. Sans parler de «la» crise. Toutefois, celle-ci est toujours d'origine réelle: la baisse des taux de profit. * La crise réelle depuis la fin du XXe siècle Il a donc fallu attendre la fin des années 90 pour que la libéralisation financière et la détermination de r dans le sens V -7 r dominent les effets de la politique monétaire, elle-même dominée au niveau mondial par le pragmatisme américain. Notre analyse concernant l'inversion des liaisons entre Vet r à la fin du XXe siècle ne résout pas la question empirique: il est possible de penser que la «bonne liaison à la Smith» ne correspond qu'à des phases de bulle et de leur éclatement (ce qui était déjà perçu dans les « anomalies» du temps long). Cette liaison pourrait à nouveau disparaître; par exemple avec un retour en force des politiques keynésiennes si les politiques monétaires restaient impuissantes. Keynes le répétait: des bas taux d'intérêt ne suffisent pas à relancer l'investissement si les taux de profit anticipés sont pessimistes; ou « on ne fera pas boire un âne qui n'a pas soif»... Et rien de tel que de bonnes perspectives pour relancer activité, emploi, taux de profit... et taux d'intérêt. Et vice versa. La crise financière n'est, comme toujours, que le symptôme apparent de la crise réelle des taux de profits selon une optique I
Ces entreprises ont donc plus déthésaurisé pour payer leurs facteurs de production que les flux de cash correspondant à leur ventes ne leur ont permis de re-thésauriser: elles déthésaurisent donc en mouvements nets. Sur cet aspect non développé ici, voir Castex (2003 et 2007). 2 C'est-à-dire des flux de cash entrants supérieurs aux flux de cash sortants pour rémunérer les facteurs de production. Dans le jeu boursier, comme « à chat perché », on peut toujours se sortir d'un mauvais pas en retrouvant la liquidité: « dire pouce ». 250
« de l'offre» ; mais aussi, selon l'optique « de la demande» qui freine, par la croissance des inégalités de revenus entre travail et capital, l'expansion du niveau d'activité, obéré dans les pays riches par la ponction de la rente pétrolière des pays exportateurs de pétrole. Avec un paradoxe évident. La crise des subprimes et des LBO est évidemment une crise bancaire analysable, avec ses conséquences, selon la théorie monétaire du cycle. Mais c'est un gros arbre qui cache la forêt: la bulle immobilière et des LBO n'est que la conséquence de la première alerte, bien « réelle» (déclenchée par le pavée dans la mare de la Nouvelle économie) de 2000-2001 où les taux de profit formaient la vague de fond. La crise financière commence souvent par une crise bancaire: c'est le cas en 2007-2008, pas en 2000-2001 où la bulle Internet puis le « Il septembre» furent des éléments perturbateurs d'une crise réelle à ses débuts. Quand la crise réelle s'annonce, mais avant l'éclatement de la bulle boursière, les taux des crédits bancaires augmentent sur le marché monétaire par l'augmentation des risques de défaillance des emprunteurs. La seule politique monétaire quand s'annonce une crise, pour contrer la hausse des taux bancaires, serait de baisser rapidement les taux courts. Avec deux contraintes. Quand le marché monétaire interbancaire est presque asséché, comme aujourd'hui avec les risques collatéraux des crédits subprimes « titrisés» se promenant dans la nature, cette intervention peut être un cataplasme sur une jambe de bois: malgré la baisse des taux directeurs, les risque de défaillance sont trop élevés pour qu'elle se traduise dans les taux cOUlisinterbancaires. Ce serait de plus aller droit dans le mur: cette politique est impossible car elle doperait la bulle selon la réaction traditionnelle des spéculateurs! Certes, elle évite le krach; mais c'est peut-être reculer pour mieux sauterl. Les Banques centrales ne peuvent réguler les dérèglements capitalistes quand une crise s'annonce. Rajoutons: elles doivent attendre le bain de sang pour, éventuellement, agir!
I
À maintes reprises depuis l'été 2007, les Banques centrales ont injecté des liquidités sans baisser à la fois leurs taux directeurs, ou en baissant des taux particuliers peu médiatisés. C'est un symptôme de panique, comme l'intervention de «prêteur en dernier ressort» pour éviter des faillites bancaires, ou comme la nationalisation de la Northern Rock britannique, après son sauvetage par la Banque d'Angleterre. Sans parler de petites banques en faillites achetées pour une bouchée de pain par les plus grosses, recapitalisées par les Fonds souverains... 251
* Taux de profit, taux d'intérêt, crise Une cause de fond est donc à l'origine de ces phénomènes: la contradiction de la double nature du taux d'intérêt qui est à la fois un coût et une rentabilité. C'est un coût pour les investissements: sa baisse par la politique monétaire (interventionniste keynésienne) permet la relance en cas de récession après le déclenchement de la crise en dopant les investissements (et la consommation). Bien que le choix des investissements n'ait pas besoin des taux d'intérêt pour maximiser la rentabilité économique (pour obtenir l' « optimum social» de l'ensemble des capitaux), le taux d'intérêt intervient toujours par l'existence de l'alternative entre l'investissement et le placement. Et par l'effet de levier, les actionnaires bénéficient de l'euthanasie des rentiers, même, pour des taux très bas, quand le choix induit une rentabilité économique inférieure à l'optimum: malgré la diminution du gâteau taux de profit économique, les actionnaires en obtiennent une plus large part; et y gagnent donc quand les rentiers y perdent. Par ailleurs, choisir l'investissement en égalisant le taux d'intérêt (plus exactement donc la rentabilité économique désirée) à la productivité marginale du capital en taux (pour les néoclassiques) ou au TIR-EMAC (pour les keynésiens) maximise bien la masse de profit pur de l'entreprise (profit pur de l'entrepreneur néoclassique et des actionnaires!). Et c'est cette masse de profit2, après effet de levier, qui, actualisée, détermine la valeur fondamentale des actions. Or, les spéculateurs choisissent le plus souvent le rêve des gains en capital (celui des plus-values boursières) que la réalité de leur taux de profit moyen effectif. Rappelons néanmoins (après Bachelier et Samuelson) que l'espérance mathématique des plus-values est nulle à long terme au niveau macro économique, la rentabilité économique des capitaux se calant sur le taux de croissance de l'économie en volume. Cependant, les actionnaires preneurs de risque bénéficient sur le long terme d'un bonus par rapport aux apporteurs de capitaux moins risqués: c'est la règle des « 6 % pour les actions, 3 % pour les obligations, 1 % pour les titres monétaires »3. Empiriquement, le risque paie en moyenne; ce qui amoindrit les théories de Bachelier et Samuelson mais est conforme à la théorie de Smith ou à celle de la double spéculation, par l'effet de levier de l'endettement. I Différence entre le profit économique total et les intérêts servis, dont ceux correspondants aux capitaux propres. 2 Ou le dividende versé: on a déjà évoqué la controverse. 3 On peut penser, répétons-le, que le taux de profit économique est une moyenne pondérée de ces différentes rentabilités, correspondant donc en gros au taux de croissance de l'économie en volume.
252
Il n'empêche que le rêve de plus-values et les désirs de rentabilités financières élevées à l'origine des bulles retrouvent vite la réalité des taux de profits effectifs. Et la bulle éclate. Mais le taux d'intérêt est aussi et surtout une rentabilité dont le niveau est la conséquence du taux de profit et de la dynamique boursière sur le double marché secondaire des actions et obligations. Et Keynes trouve ses limites, répétonsle: r n'est pas fondamentalement déterminé par le marché monétaire mais par le taux de profit, comme chez Smith. Les « bons coups» des spéculateurs anticipant une hausse des profits risquent de se métamorphoser en « mauvais coup », par la hausse de r rétroagissant sur V. Rarement pour eux dans le court terme car ils continuent à raisonner selon rCT -7 V, en ignorant V -7 r. Autre mauvais coup: quand la bulle éclate, les taux longs chutent et les banques tendent les taux courts sur le marché monétaire pour répondre à la baisse des taux de profit augmentant les risques de défaillance des emprunteurs... et leurs propres risques. Ce fut l'une des critiques, fort justifiée, de Marx à la théorie de Smith; mais il ne distinguait que très mal, comme Keynes, les taux courts et les taux longs. Apparaissent alors de nouvelles contradictions: celle entre les taux courts et les taux longs, celle des taux directeurs tentant de contrarier le pessimisme des banques... Et ce n'est pas facile, La Fed le tente début 2008, mais sans grand succès; la BCE faisant le mort. Cette contradiction des deux aspects du taux d'intérêt est également à envisager sur le temps historique. Pendant les Trente glorieuses et bien après, le taux d'intérêt était fondamentalement un coût. Il n'avait rien à voir avec les rentabilités et était déterminé non pas par les marchés financiers mais par les politiques monétaires, « laxistes» puis «de rigueur ». En effet, pendant la première période, de gloire, le taux d'intérêt volontariste, orienté par les Banques centrales « keynésiennes» et dans les mains de l'Etat, était faible ~t dopait la croissance, selon l'optique par la demande. A l'inverse, pendant la période qui a suivi, jusqu'au début des années 90, quand le taux d'intérêt des Banques centrales devenues « monétaristes » et indépendantes de l'Etat (singulièrement la BCE, contrairement au pragmatisme de la Fed, après le monétarisme de la fin des année 70 et du tout début des années 80) augmentait par une volonté de lutte antiinflationniste, il freinait la demande et donc l'activité. Toutefois, la politique monétaire n'est pas seule en cause pour expliquer l'inversion de la dominance des deux aspects du taux d'intérêt: celle de coût se transformant en celle de rentabilité. C'est fondamentalement la libéralisation, et singulièrement la libéralisation et la globalisation des marchés 253
financiers (objectifs des Etats et non pas contrainte « naturelle », contrairement au discours idéologique dominant) qui transforme le taux d'intérêt en tant que coût en taux d'intérêt en tant que rentabilité. Pas complètement, car les politiques monétaires (et budgétaires) orientent encore le niveau d'activité, du moins grâce au pragmatisme états-uni en ; mais il semble que depuis une dizaine d'années, ces politiques suivent fondamentalement l'évolution spontanée des marchés financiers. Le volontarisme perdure toutefois, mais avec combien de mal, dont l'énigme de Greenspan! Malgré ces contradictions, les politiques monétaires et les effets de la financiarisation, tous les taux d'intérêt, longs et courts, restent une part du « gâteau taux de profit », même si ces parts fluctuent avec les effets de l'offre et de la demande sur les marchés financiers. On penche plutôt, on l'aura compris, vers la théorie de la valeur travail de Smith, développée par Marx, et du profit part non rémunérée du travail des salariés. La crise n'est pas que financière, elle est fondamentalement réelle, car le profit est « réellement» extorqué aux salariés productifs, la sphère financière n'assurant que sa répartition entre les différents types de capitaux. La dominance, selon la théorie marxiste, du « capital financier» sur le « capital industriel» doit être revisitée dans cette optique. Keynes notait déjà en 1936 les limites de la politique monétaire en cas de crise grave: il est par nature difficile de jouer avec les deux faces de Janus des taux d'intérêt. Ce jeu est d'autant plus difficile dans la conjoncture actuelle proche de la stagflation où disparaît le dilemme entre l'inflation (et la relance économique) et le chômage. Avec le troisième choc pétrolier maintenant avéré, le danger de stagflation nous ramène à une possible impasse dans laquelle le premier choc nous poussa il y a plus de trente ans. Baisser les taux directeurs, donc augmenter la masse monétaire par le crédit bancaire pour relancer la demande, pourrait doper l'inflation. Avec ou sans théorie quantitative de la monnaie des libéraux: l'inflation par la demande des keynésiens est une autre courroie de transmission. Les hausser pour freiner la seconde pourrait ralentir la première. Il en est peut-être de même pour les politiques budgétaires qui, si elles veulent soutenir la demande effective, risqueraient de relancer l'inflation par la demande... On en parle encore peu, mais on en reparlera. Seul Trichet et la BCE ont, pour le moment, opté pour ne regarder que la boussole de l'inflation, la « reprise étant au coin de la rue ». Qui peut affirmer définitivement que la politique européenne est mauvaise, compte tenu du danger d'inflation, surtout avec l'embellie de la fin de printemps sur les marchés financiers. Les Cassandre continuent cependant à susurrer que le pire reste 254
possible: les américains n'auraient pas tort... Pourtant, les politiques interventionnistes, même si elles renaissent de leurs cendres, sont comme le poignard de l'amouf... * La mesure de « l'efficacité de la lutte de classes des rentiers» en France par l'écart entre le taux d'intérêt et le taux de croissance (1' « E-ic ») et la très forte corrélation de l'E-ic et du taux de chômage Ce titre sibyllin et l'E-ic doivent être explicités. D'après la théorie économique, le taux de rentabilité économique réel et le taux d'intérêt réel (r moins taux d'inflation) que nous noterons cependant ici «i », pas seulement pour revenir à notre langue maternelle, doivent donc se caler à long terme sur le taux de croissance annuel en volume du PIB que nous noterons ici « c» comme croissance. C'est cet écart (donc « E ») entre «i» et «c» que nous baptiserons l'E-icl; et c'est une mesure de «l'efficacité de la lutte de classes des rentiers », en points favorables ou défavorables à ces capitalistes contre les salariés. L'E-ic est en France le plus souvent très positif sur les trente dernières années: le match fut gagné sur cette période par les épargnants héros de l'abstinence, sauf 1999-2000 et surtout depuis 2004 où l'E-ic positif s'amenuise et tend vers zéro. Il était par contre largement perdu à la fin des Trente glorieuses: le hic pour eux, avec un écart très négatif. Le retournement, brusque, dû surtout à « i », date de 1980-1981. Taux de croissance du PIB "c" et taux d'intérêt l'écart entre "i" et "c" oul'E-ic
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I Nous avons évité l'anglais qui aurait donné Gap entre r et g, ou G-rg... C'est un peu grinçant et à connotation policière; et l'écart entre i et c, l'E-ie, fait penser au hic de la politique économique après les Trente glorieuses... Selon un dictionnaire: il Hic: ... Fam. Nœud, principale difficulté d'une affaire: voilà le hic! ». Un peu d'humour ne fait jamais de mal... 255
Attention, ce «critère de performance» ne peut être généralisé aux actionnaires, car on a vu que les taux de rentabilité économiques et financiers nets étaient inférieurs à « i » sur la période des trente années de plomb. A l'inverse, les (beaucoup plus rares) actionnaires ne s'en sortaient pas si mal dans la période précédente, grâce à la politique keynésienne et singulièrement la politique monétaire de taux bas. On note souvent une corrélation entre le taux de croissance économique et le niveau de l'emploi (mesuré ici par 1 - taux de chômage au sens du BIT - Bureau international du travail - en France). Elle est en fait statistiquement correcte, sans plus. Une certaine
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effets de répartition des revenus et des effets sur le niveau de l'emploi. Encore une légende à pourfendre: celle selon laquelle on ne peut bien partager que ce qui a été bien produit; les « partageux» (en général les plus pauvres) ayant du mal à comprendre cette « évidence ». Tout montre au contraire, depuis plus d'un demi-siècle, que les « antipartageux » étaient euthanasiés par le boom et ont à l'inverse bénéficié de la croissance molle. On comprend mieux pourquoi les apporteurs de capitaux préfèrent la vision dite « stockholders» (celle des porteurs d'actions ou plus généralement de titres financiers) à la vision « stakeholders » (celle des porteurs d'enjeuxlou des parties prenantes). Selon la première vision, les marchés en général et financiers en particulier sont les garants de l'optimum économique (au sens de Paréto, en oubliant que cet optimum n'assure pas forcément la justice sociale2). Selon la seconde vision, il faut organiser avec un consensus social le partage des revenus, en utilisant la technique de la production-répartition des « surplus de productivité )}. Laissons de côté une analyse fine de l'évolution des inégalités en s'en tenant au rapport entre l'E-ic et le taux de chômage. Honni soit qui mal y pense, mais la corrélation est étroite, très très étroite, entre le bonheur des épargnants et le malheur des salariés depuis les trente années de plomb. Et, bien sûr, inversement auparavant. Double malheur depuis trente ans: le premier pour les chômeurs, le second pour les revenus de ceux qui ne sont pas au chômage et qui ne bénéficient pas des rentabilités des rentiers qui s'enrichissent en dOlmant. Il paraît en effet que les revenus des capitaux augmentent un peu plus que les revenus salariaux... La corrélation est en effet étonnamment remarquable entre l'E-ic et le taux de chômage sur longue période4 : l'E-ic fortement négatif à la fin des Trente glorieuse correspond à un taux de chômage faible (mais loin d'être nul). Le renversement est on ne peut plus précis: 1980-1981 : le chômage continue son petit bonhomme de croissance, mais l'E-ic devient positif, très brusquement. Le petit boom de la seconde moitié des années 80 fait baisser l'un et l'autre; ensuite, le chômage I Enjeu au sens des mises des jeux de société. 2 D'où les interventions de l'Etat (impôts de redistribution et subventions) admises par l'économie néoclassique dite du bien être (la Welfare Economies) ; interventions à ne pas confondre avec celle de {'Etat Providence des keynésiens. 3 Cette technique eut son heure de gloire pendant les Trente glorieuses. Qui en parle encore? Sauf quelques tentatives, par exemple de la CFDT, vites avortées. 4 Nous ne sommes remontés que jusqu'à 1967, et avec des données estimées pour « i » avant 1971 : notre courage de chercheur avait trouvé ses limites. 257
apparaît comme une conséquence, avec plusieurs mois de retard, de l'E-ic. La politique monétaire de grande rigueur de la fin des années 80 jusqu'en 1992 a entraîné la crise de 1993 ; son assouplissement et la relance qui a suivi jusqu'à la crise boursière de 2000 a induit une forte baisse du chômage. La crise de 2001 à 2003 ayant cassé la croissance a dopé l'E-ic et le taux de chômage. Depuis 2003, l'écroulement de l'E-ic tendant vers zéro et devenant même légèrement négatif (par celui de« i» suivant celui des taux de rentabilité...) n'a que peu d'effet sur le taux de chômage. La crise est bien là. « On peut observer beaucoup, simplement en regardant! ». Il est d'autres «ratios» mesurant la lutte des classes (inégalités, rapport salaires dividendes, etc.), mais ce dernier résume bien, au cœur de notre sujet, la situation des trente années de plomb et son aboutissement. La corrélation
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est très, très étroite entre le taux de chômage le bonheur des uns et le malheur des autres...
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Il ne faut cependant pas s'étonner de cette corrélation étroite; peut-être un peu plus du coefficient de corrélation très élevé. Elle correspond simplement au point de vue keynésien. Quand les rentiers perdent le match, les salariés profitent des vaches grasses, avec peu de chômeurs; quand ils gagnent le match, ils profitent cependant des vaches maigres et les salariés qui travaillent se serrent la ceinture, devenant quelquefois « nouveaux pauvres ». Tandis que les chômeurs, malgré leurs indemnités (responsables de ce chômage selon les 258
ultralibéraux...) rejoignent 1'« armée de réserve» qui est vieille comme le capitalisme. De méchantes langues pourraient plagier le titre de Boukharine: L'économie politique du rentier. Ils évoqueraient alors « la politique économique du rentier» pour caractériser la politique monétariste qui a dominé la période des trente années de plomb. On en connaît même qui rajouteraient: la politique économique du social-libéralisme... Les deux périodes caractérisant l'E-ic sont on ne peut plus claires; elles indiquent en outre que la théorie de Smith est largement dominée par les fameux frottements de la politique monétaire. Ceux-ci semblent disparaître depuis 1999. Il est piquant de remarquer que l'E-ic moyen des quarante dernières années est proche de zéro et que la crise du début du XXI" siècle semble rétablir l'équilibre tendanciel entre « i » et « c », conformément à la théorie économique traditionnelle. L'E-ic : évolution depuis quarante ans: une moyenne nulle, conformément à la théorie économique, mais deux périodes bien marquées
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* Les « working richs », ou « les riches qui travaillent» Michel Husson (2008), montre que le modèle états-unien de forte croissance était fondé sur la consommation des « riches ». La part du revenu global des 10 % les plus riches atteignait en 2006 50 %, exactement comme avant 1929, (contre 40 % à la fin de la Première guerre mondiale et autour de 33 % de 1945 à 1975). Cette très forte croissance s'accompagne du déficit extérieur et est la conséquence de l'effet de richesse (boom des actions, boom immobilier... du moins jusqu'en 2007). Les américains - mais pas tous donc - consomment près des trois 259
quarts du PIB américain (71.6 % en 2008 contre 67,1 % en 1998) ; et le PIB américain représente donc un peu moins du tiers du PIB mondial. La croissance mondiale (dont la chinoise et l'indienne) est nourrie par cette goinfrerie. Husson en déduit que ce modèle est intenable, malgré la forte baisse du dollar. En effet, plus généralement, de nouveaux riches profitent également de la dernière période. Certains cessent d'en profiter: les actionnaires dont le taux de rentabilité en stagnation depuis vingt ans puis en baisse depuis 1999 était cependant compensé par les plus-values boursières en capital, avec le désagréable creux de 2000 à 20oi. C'est fini (sauf le petit rebond depuis fin mars; mais pour combien de temps ?). Les « working richs » continuent néanmoins d'en profiter; tous les responsables du « travail d'inspection et de direction» ne gagnent pas plusieurs centaines de SMIC par mois, comme les patrons du CAC 40, mais leur vie reste belle. Et pas seulement aux Etats-Unis, toujours à l'avant-garde du progrès où est né ce concept de working richs, ceux-là qui sont peut-être « responsables et coupables », on l'a déjà noté (mais trop discrètement), de la croissance de la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée depuis 1999. Bien que rangés dans le camp du travail contre les rentiers par Keynes, ils semblent rester peu convaincus par ses recommandations que l'on rappelle: il s'agirait en fait pour eux «... d'aménager les impôts directs de manière à affecter au service de la communauté, sur la base d'émoluments raisonnables, l'intelligence, le dynamisme et la capacité administrative des financiers, entrepreneurs et tutti quanti (qui certainement aiment assez leurs métiers pour que leur travail puisse être obtenu à bien meilleur marché qu'à présent) ». Ces dites « classes moyennes» (dont ne font pas partie les conducteurs de TGV et les professeurs certifiés de l'enseignement secondaire, n'en déplaise à François Coppé) tirent les marrons du feu. Aidés en France par un « Omniprésident » qui leur a offert un beau « cadeau fiscal ». * Un changement de paradigmes de la théorie économique est-il possible « grâce» à la crise? Le troisième choc pétrolier et la croissance industrielle fantastique des pays émergents est à l'origine de la crise actuelle du capitalisme, commencée il y a près de dix ans. Elle aura peut-être la même conséquence que deux des précédentes sur la théorie économique. Celle de 1929 a renversé la théorie libérale néoclassique et promu la théorie interventionniste keynésienne. Celle de 1975 eut l'effet exactement inverse, par 1
Voir le graphique
de la page 198.
260
les contradictions qui viennent d'être mentionnées des politiques monétaires et budgétaires en conjoncture de stagflation. La crise qui se développe depuis près de dix ans aura peut-être les mêmes effets sur la pensée économique, mais dans l'autre sens. On l'espère; on peut malheureusement en douter. On recommande à cet égard la lecture de Comment les économistes se sont trompés de James Kenneth Galbraith (2000). « De quoi alors s'occupe la science économique moderne? écrit-il, Il semblerait que ce soit surtout d'elle-même... ». La fin de l'article est géniale. Se référant à Lord Kelvin, l'inventeur du zéro absolu - et peut-être pas seulement en physique... - qui affirmait, il y a un plus d'un siècle, que les objectifs de la physique étaient définitivement atteints, le XXe siècle ne pouvant apporter que quelques détails, James K. Galbraith rappelle que cinq ans plus tard apparaissait la relativité restreinte puis la mécanique quantique. Il termine: «Si une révolution théorique avait lieu, ces économistes seraient-ils capables de la reconnaître? on peut en douter. Avoir raison ne compte pour pas grand chose dans ce club ». On aura noté l'utilisation du conditionnel pour rapprocher la crise actuelle de celle de 1975-1985. La situation est en effet différente aujourd'hui de celle de la fin des Trente glorieuses, une fenêtre restant peut-être ouverte. Depuis plus de trente ans, les économies occidentales ne sont pas en plein-emploi, malgré les artifices des calculs du chômage dans les pays présentant actuellement une vitrine correcte, et ne sont pas bénéficiaires de taux de croissance élevés. Un choc inflationniste par les coûts pétroliers (et des matières premières) peut être largement amorti: il le fut depuis 1999, il n'apparaît que depuis que le baril frôle ou dépasse les 100 $, avec en plus le boom des prix de produits agricoles 1. Voilà la fenêtre, mais très grillagée. En absence d'efficacité certaine des politiques monétaires, une seule solution existe encore.. ., iconoclaste pour le néolibéralisme dominant (quoique.. .) : le retour aux bons vieux déficits budgétaires à la Keynes. Ce qui n'effraie pas les américains va faire hurler les européens, de gauche comme de droite, qui ont définitivement enterré le keynésianisme : il ne s'agit plus de dépasser la limite de 3 % du PIB pour le déficit budgétaire mais maintenant d'atteindre zéro. Quel aveuglement! I
Il ne manquait plus que les émeutes de la faim pour compléter le sombre
tableau: une crise financière, l'Irak, l'Afghanistan et l'Iran, le Moyen-Orient, le Pakistan, Ben Laden, Chavez et Poutine, les tibétains et les chinois... plus une crise frumentaire. Il ne manquerait plus qu'un rigolo dise « S'ils n 'ont plus de SMIC, qu'ils mangent leurs stocks-options! Ii. 261
On attend donc de nouveaux Keynes et de nouveaux Roosevelt. Ou alors, comme en 1968, « une seule solution... » pour lutter contre l' « horreur économique» 1 et libérer I'humanité, toute I'humanité. * La Chute ici, le rebond là-bas, et la révolution? Si Chute il y a ici pour les pays capitalistes matures, sinon en phase de déclin, elle est en grande partie due au boom extraordinaire des pays émergents de là-bas, singulièrement la Chine et l'Inde et leurs près de trois milliards d'habitants. Par l'intermédiaire du troisième choc pétrolier, mais surtout par leur extraordinaire dynamisme. La crise du capitalisme du « Centre» n'est probablement pas que celle du taux de profit en baisse, baisse tendancielle ou seulement conjoncturelle due à ce qui se passe là-bas? Elle est donc due au développement du capitalisme à la « Périphérie ». L'analyse marxiste du sous-développement, dite « Centrepériphérie », des années soixante-huit est sans doute un héritage qu'il faut renier: les pays capitalistes sous-développés dominés se sont développés! D'abord en Extrême-Orient, grâce en grande partie au Japon, avec ses « Dragons» et ses « Tigres» (de la Corée - du Sud... - à la Malaisie). Mais quel soixantehuitard adepte de la « GRCP» (la « Grande Révolution Culturelle et Prolétarienne» pour ceux qui auraient oublié) aurait pu admettre que le capitalisme pas encore sorti par la grande porte serait rentré par la fenêtre « du communisme le plus pur» ! Le hippie ou baba cool « faisant la route» de l'Inde quarante ans après y trouvera encore de la misère mais ne reconnaîtra pas le pays. Le développement capitaliste en Chine est pour le moins particulier... Il est en partie endogène, même si une importante partie de la production industrielle nouvelle est destinée à l'exportation. Il est aussi le résultat des délocalisations et des investissements étrangers. La Chine s'est éveillée; mais quand le prolétariat chinois s'éveillera... La Chine est probablement le maillon faible du capitalisme mondial, comme celui du capitalisme despotique russe d'avant 1917. Des Cassandre (encore !), lui prédisent un krach boursier et bancaire et pensent d'ailleurs que les taux de croissance sont surestimés. Mais on peut aller plus loin que cette approche financière et économique.
1 Référence à L 'horreur économique de Viviane Forrester (1996), après La Violence du calme, de 1980. 262
En Russie, ce furent les ex-féodaux « modernistes» et le Tsar lui-même, par l'abolition du servage (en 18611) qui tentèrent le développement capitaliste, avec les capitaux étrangers (les emprunts russes). Mais ce développement fut surtout dopé par la libération de la paysannerie quand Lénine2 comprit qu'elle formerait le gros de l'armée révolutionnaire et que le développement capitaliste russe serait fondamentalement endogène. En Chine, ce sont les ex- « communistes» qui sont devenus capitalistes despotiques, faisant passer leur fusil de l'épaule gauche à l'épaule droite, comme dans la Russie actuelle. Dans les deux cas, on peut se référer à la théorie du « mode de production asiatique» de Marx, développé par Karl Wittfogel3 (1957, 1964), où le « despotisme oriental» donne une transition capitaliste bien particulière. Rappelons que Wittfogel finit par caractériser l'URSS stalinienne comme un capitalisme despotique d'Etat. Mais malgré le développement de mégalopoles comme Shanghai, « les campagnes encerclent encore les villes ». Quel est l'avenir: la Commune de Shanghai écrasée comme en 1927 ou la Longue marche qui a suivi et finit par conquérir le pays en 1949 ? Rosa Luxemburg (1913, 1969), toujours opposée à Lénine, en particulier sur la question de l'impérialisme, voyait au contraire dans la question des débouchés extérieurs le talon d'Achille du capitalisme: ce dernier est contraint par les débouchés de sa production. Quand le monde entier sera capitaliste, il ne pourra plus survivre: il n'y aura plus d' «extérieur»! C'est sa «vision catastrophiste» de la Révolution. C'est grâce aux débouchés extérieurs de la production chinoise que le capitalisme s'y développe. Suffiraitil d'attendre? Mais le problème n'est évidemment pas qu'économique et géopolitique. Revenons « au centre ». I Au même moment eut lieu aux Etats-Unis la seconde révolution dopant le développement capitaliste (la guerre de Sécession) et la Révolution Meiji au Japon. Avec la Russie, trois pays émergents. , 2 Lénine (1893) l'avait entrevue dans l'un de ses premiers textes (A propos de la question dite des marchés) en affirmant que le capitalisme pouvait se développer de façon endogène en Russie: la question des débouchés dans un pays arriéré et à population très pauvre ne se posait pas. D'autres textes plus connus développeront cette position, en particulier Le développement capitaliste en Russie, où Lénine s'appuie sur les schémas de la reproduction du capital de Marx, schémas vertement critiqués par Rosa Luxemburg (1913, 1969) qui reproche à Marx de reprendre de fait la loi de Say, en négligeant en particulier le rôle de la monnaie. Mais Lénine ne comprit vraiment qu'après la Révolution de 1905 qu'i! fallait s'appuyer sur la paysannerie pour gagner la Révolution « prolétarienne ». Voir Castex (1971; 1975; 1977 ; 2003). 3 Le despotisme oriental. Etude comparative du pouvoir total. 263
* Liberté, servitude, libido, risque Jean-Jacques Rousseau, dans Les Confessions, notait: « L'argent que l'on possède est l'instrument de la liberté,. celui que l'on pourchasse est celui de la servitude ». Servitude des exploités, mais aussi servitude des bénéficiaires, éphémères, des booms boursiers. Selon Bernard Maris (1999), pour Keynes le capitalisme ne serait qu'un exutoire de l' « abondante libido» : pourquoi est-on capitaliste? dit Keynes, parce qu'on n'a pas eu la chance, d'être un artiste, un savant, un écrivain; faute de mieux, on se fait capitaliste, « ...et il vaut mieux exercer son despotisme sur son compte en banque que sur autrui» se résout Keynes. Maris, entraîné par son lyrisme, corrige néanmoins le tir: « Certes, sauf que le capitalisme, tout facétieux et joueur qu'il est, fait travailler les autres ». Ce jeu plein de libido des capitalistes va très loin; son risque aussi va très loin. Si l'on suit Georges Bataille (1933), qui reprend de façon créatrice les thèses de Marcel Mauss (19231924, 1993) sur le don, ce risque dépasse la seule volatilité des profits des investisseurs se transformant quelquefois en pertes, retrouvant la pratique primitive du « potlatch» 1. Celui qui étale sa richesse de façon ostentatoire2 attend en fait un contre don de valeur supérieure. Mauss lui-même, rappelé par Bataille, indique que « L'idéal serait de donner un potlatch et qu'il ne fut pas rendu ». En langage moderne, le don attend sans aucun doute le contre don: l'investissement en capital attend sa reproduction plus un profit ou un intérêt. Mais il existe le risque de ne pas retrouver ce contre don, lié à la notion de risque de perte selon l'approche de Bataille, connotant probablement un fantasme de mort3. Le jeu économique ne serait qu'un ersatz du jeu guerrier: « Une sorte de poker rituel, àforme délirante, comme source de la possession. Mais les joueurs ne peuvent jamais se retirer fortune faite: ils restent à la merci de la provocation. La fortune n'a donc en aucun cas pour fonction de situer celui qui la possède à l'abri du besoin. Elle reste au contraire fonctionnellement, et avec elle le possesseur, à la merci d'un besoin de perte . 4démesurée qui existe à l'état endémique dans un groupe SOCia»I . Eros et Thanatos: on passe facilement du bling-bling à la mort. Mort que l'on retrouve chez Keynes dans la volonté I Selon Mauss en effet, dans son Essai sur le don, le don et le contre don sont des rites centraux des sociétés archaïques. Dans la pratique du potlatch, le don est apparemment gratuit, montrant cependant le rang et le prestige du donateur. Souvent, cette richesse est d'ailleurs détruite. 2 « La consommation ostentatoire» de WebIen (1899, I969) dans sa Théorie de la classe de loisir, s'appelle maintenant l'effet « bling-bling ». 3 Ou un complexe de castration si on lit BatailIe entre les lignes. 4 C'est BatailIe qui souligne. 264
d' « euthanasie des rentiers ». Cette obsession (car s'en est une), cette volonté de mort sur autrui, viendrait peut-être d'une éventuelle névrose obsessionnelle si l'on en croit Freud (1907, 1974) dans L 'homme aux rats, la diagnostiquant sur un patient en 1907, bien avant de connaître Keynes qu'il n'analysera pas... Une autre caractéristique de cette névrose est, selon Freud, celle de l'an~oisse de l'incertain: l'incertitude, « radicale» de Keynes. Freud note le premier aspect, la volonté de mort: « ... un trait de superstition chez notre malade, je veux parler de la toute puissance qu'il attribue à ses pensées, à ses sentiments et aux bons et mauvais souhaits qu'il pouvait faire. On serait tenté de déclarer qu'il s'agit d'un délire dépassant les limites d'une névrose obsessionnelle ». On ne peut donc s'empêcher de penser à la volonté de mort que Keynes voue aux rentiers. Freud envisage également le second aspect, l'incertitude: « Un ... besoin psychique commun aux obsédés ..., est celui de l'incertitude dans la vie, du doute. La formation de l'incertitude est une des méthodes dont la névrose se sert pour retirer le malade de la réalité et l'isoler du monde extérieur La prédilection des obsédés pour l'incertitude et le doute devient chez eux une raison d'appliquer leurs pensées à des sujets qui sont incertains pour tous les hommes et pour lesquelles nos connaissances et notre jugement doivent nécessairement rester soumis au doute. De pareils sujets sont avant tout la paternité, la durée de la vie, la survie après la mort... )}. Or Keynes est l'un des premiers économistes à avoir mis en avant l'incertitude absolue, radicale, après sa thèse sur les probabilités de 1921. La monnaie est pour lui le meilleur moyen de se protéger contre cette incertitude, car elle est non risquée - en valeur nominale,
si on laisse de côté l'inflation - contrairement aux titres financiers. La psychanaljse est riche d'enseignements sur la monnaie et le capitalisme. On peut se demander si l'aveuglement des spéculateurs n'a pas quelque chose à voir avec l'aveuglement œdipien, encore un complexe de castration. Sans parler de l'aveuglement des théoriciens de l'économie.
I Voir Castex (2003 et 2007). Freud rappelle qu'en allemand, rat se dit il Ratte» et dividende ou remboursement il Rate» (comme en anglais « rate »). Il oublie de mentionner il Rat », conseil, avis et il Rdtsel », devinette, énigme. 2 Considérations théoriques de L 'homme aux rats. 3 Par exemple les rapports de l'argent et de la merde, celui des rapports de la névrose obsessionnelle, en fait la fixation selon Freud au stade sadique-anal, et du despotisme capitaliste perçu par les psychanalystes allemands (et le plus souvent juifs) sous la pression de l'analyse du cas nazie. Voir Castex (2007). 265
Au moment même où nous effectuons les dernières corrections des épreuves de ce livre, Ben Bernanke de la Fed commençait à s'émouvoir du danger d'inflation tandis que Jean-Claude Trichet de la BCE annonçait une possible hausse des taux directeurs en juillet. Il est vrai que le troisième choc pétrolier, méprisé par la plupart des économistes, rappelons-le, jusqu'en fin d'année 2007, devient un « super-choc »" avec le pire peut-être devant nous: 150 $ le baril en juillet? A quand les 250 $ annoncés par le Russe Gazprom ? Mais la Fed semble en outre répondre à la BCE : une hausse des taux directeurs en Europe (taux actuellement déjà deux fois plus élevés que les taux américains) ne peut qu'accélérer le plongeon du dollar, toujours parfaitement en relation (inverse) avec les prix du brut en dollars... Que le dollar plonge comme récemment (1,58 $ par euro) et le brut explose; que le dollar se redresse et le brut s' effritte. A ce premier jeu du chat et de la souris s'ajoute donc celui entre la BCE et la Fed qui, avec le Trésor états-unien, tente le sauvetage du dollar. Qui tirera le premier des deux patrons des deux Banques centrales? Le tout sous les yeux probablement narquois des pays émergents et pétroliers avec leurs réserves en cette ex-devise forte. Les bourses qui s'étaient reprises depuis fin mars (belle embellie «confirmée» en France par la surprise des performances économiques du premier trimestre 2008), recommençaient à replonger, avec des dangers de récession de plus en plus évidents aux Etats-Unis. La quadrature du cercle pour lutter contre La Chute est vraiment d'actualité.
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SIMON H. A., A Behavioral Model of Rational Choice (Un modèle comportemental du choix rationnel), Quaterly Journal of Economics, vol. 69, 1955, pp.99-118. SIMON H. A., A Formal Theory of the Employment Relationship (Une théorie formelle de la relation d'emploi), Econometrica, vol. 19, 1951, pp.293-503. SIMON H. A., Organisation and Markets (Organisation et marchés), Jou/71al of Economic Perspective, vol. 5,1991, pp.25-44. SISMONDI J-C. S. de, Nouveaux principes d'économie politique, 1819. Réédition Calman-Lévy, Paris, 1971. SMITH A., Wealth of Nations..., 1776; traduction française, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, version abrégée, Idées, Gallimard, Paris, 1976. STERN J. M., Accounting and stock price (Comptabilité et cours boursiers), in SEELEY M., (ed.), The Guide to Maximising Shareholder Value (Le guide pour maximiser la valeur de l'actionnaire), 1984. STERN J. M, STEWART G. B., CHEW D. H., The EVA Financial Management System (Le système de gestion financière par l'EVA), Journal of Applied Corporate Finance, vol. 8, n° 2, summer 1995, pp.43-45. TAYLOR J. 8., Discretion versus Policy rules in Practice, (Politique monétaire discrétionnaire ou de règle dans la pratique), Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, n° 39, 1993. TOBIN J., A General Equilibrium Approach to Monetary Theory (Une approche par l'équilibre général de la théorie monétaire), Journal of Money, Credit and Banking, février 1969, pp.15-29. WALLERSTEIN I., The Capitalist World Economy (L'économie capitaliste mondiale), Cambridge University Press, 1979. WICKSELL K., Geldzin und Güterpreise, Iéna, 1898; traduit en anglais seulement en 1933 et publié en 1965, Interest and Priees (Intérêt et prix), Augustus M. Kelley Publishers, Reprints of Economies classics, New York, 1965. Cette théorie sera reprise en 1906 dans le second tome qui sera traduit en anglais en 1934 : Lectures on Political Economy, Routledge and Kejan, 1935 (voir ci-dessous). WICKSELL K., Lectures on Political Economy (Leçons sur l'économie politique), 190 I -I 906 ; traduit en anglais, Routledge and Kejan, 1935. WILLIAMSON O. E., Market and Hierarchies, (Marché et hiérarchies), Free Press, New York, 1975. WITTFOGEL K. A., Oriental Despotism, A Comparative Study of Total Power, Yale University Press, 1957; traduction française: Le despotisme oriental, Etude comparative du pouvoir total, Collection Arguments, Les Editions de Minuit, 1964.
272
SOMMAIRE INTRODUCTION
7
PREMIÈRE PARTIE TAUX DE PROFIT ET TAUX D'INTÈRÊT
25
Chapitre I Théories des taux de profit et des taux d'intérêt, sans ou avec liaison Il - Le classique Smith et Marx: liaison ou non entre le taux de profit et le taux d'intérêt?
30
-
III Théorie du taux d'intérêt de Smith, taux de profit moyen moins prime de risque 112 - Marx un peu pour... mais surtout contre Smith, par l'intervention des taux courts bancaires
30 32
12 - Théories néoclassiques et absence du taux de profit effectif: le taux d'intérêt est la seule rentabilité 121 - Les néoclassiques et les deux approches du taux d'intérêt r déterminé par le « marché des fonds prêtables » 122 - Les néoclassiques et leur « marché des fonds prêtables » : fondamentalement le marché primaire (dit« du neuf») des obligations
13 - Keynes et le profit né de la valeur travail, mais sans évoquer un taux de profit, Keynes et le taux d'intérêt variable monétaire 13 I - La face bien cachée du Keynes radical: la valeur travail et le profit rente de rareté 132 - Le taux d'intérêt chez Keynes: il détermine l'investissement, mais pas tout seul, un peu comme chez les néoclassiques 133
- Le
taux d'intérêt
21 - Critique de la théorie néoclassique et de la Corporate finance taux de profit
- Le
taux de profit
économique
moyen
de la Corporate
42 45
fable de la fonction
55 58 58 63
22 - Contre lafable de lafonction LM et le modèle IS LM, une tentative d'analyse de la liaison entre taux de profit et taux d'intérêt par le modèle IS ER
- La
42
finance:
le« taux de rentabilité désiré»
221
40
que les néoclassiques
fondateurs ont tenté de cacher n'est pas maximisé selon les techniques de choix des investissements; il en est de même pour les keynésiens 212
37
48
monétaire
Chapitre II Taux de rentabilité ou de profit au pluriel, dont le taux d'intérêt: critique des théories financières
- Le
37
chez Keynes:
une variable essentiellement
211
25
LM et donc du modèle
IS LM
222 - De la reconstruction. Un modèle de transition statique: IS ER (Investissement Epargne, Emploi Rentabilité) 273
67 67 72
23 - L'effet de levier de l'endettement et les trois rentabilités: rentabilité économique, taux d'intérêt, rentabilité financière 231 - L'effet de levier de l'endettement: une simple identité comptable 232 - Les capitaux comme coûts et le CMPC 233 - Pour ou contre le théorème de Modigliani-Miller? 234 - De la schizophrénie du désir et de la réalité au retour à l'entité
79 79 81 83 87
DEUXIEME PARTIE CYCLES MONETAIRES ET/OU REELS, BULLES BOURSIERES, THEORIE DE LA « DOUBLE SPECULATION» 93 Chapitre III Ondes longues, tendances longues et cycle des affaires: causes monétaires et/ou réelles? 31 - « Ondes longues il et « baisses tendancielles il du taux de profit et du taux d'intérêt 311 Kondratieff et les ({ Long waves» : explication monétaire ou explication par les innovations? 312 La ({ crise» tendancielle du capitalisme ou sa maturité, par la baisse du taux de profit et du taux d'intérêt
-
93 96 96 100
32 - Théories du cycle monétaire: la prépondérance du taux d'intérêt 104
321 - La variété des théoriesmonétairesdu cycledes affaires
104
33 - Théories réelles des cycles: la prépondérance du taux de profit 331 - Marx, taux de profit et suraccumulation 332 - Keynes et la sous-demande (insuffisance de l'investissement et sous-consommation)
111 III
322 - Une interprétation des mystères de Knut Wicksell 323 - La théorie monétaire du cycle chez Fisher 324 - La théorie monétaire du cycle chez Hayek
Chapitre IV les marchés financiers et les bulles: des mécanismes propres relativement détachés des cycles réels
105 107 109
115
121
41 - La valeur fondamentale des actions existe-t-elle ? 411 - Une ({formule» simple 422 - Deux points de vue opposés et une synthèse?
122 122 124
42 - La théorie néoclassique des « marchés efficients il : la valeur fondamentale des actions existe mais la bourse est une « marche au hasard ii 421 - De la prévision possible à la prévision impossible des cours de bourse des actions
128
422
- De
la concurrence
128
pure et parfaite sans conflits
aux contradictions entre les différents capitaux et les managers dans la théorie financière ({moderne»
130
43 - La théorie du mimétisme et son développement: la «finance autoréférentielle ii 43 I Le mimétisme selon Keynes
133 133
-
274
-
432 La reprise de la théorie du mimétisme ou « finance auto référentielle » d'André Orléan
138
Chapitre V Le« principe d'incertitude généralisé» : la « double spéculation» sur les marchés financiers, perturbée par la po litique monétaire
143
51 - La détermination du taux d'intérêt à partir du taux de profit par la double spéculation, : la « théorie pure », sans les « frottements sociaux» des banques « machines sociales à déthésauriser » 144 511 - Dans quel sens faut-il prendre la relation entre le taux d'intérêt r et la valeur de marché V des titres? r -> V (fonction décroissante) ou V -> r (fonction croissante) ? 144 512
- Les
indéterminations
selon
le « ratio q » de Tobin
et la création de valeur actionnariale 513 - Une tentative de formalisation de la double spéculation, avec prime de risque désirée par les actionnaires constante 52 - La double spéculation est perturbée par le crédit bancaire et la politique monétaire: les« frottements sociaux» 521 - Marchés financiers et crédits bancaires: les banques « machines sociales à déthésauriser » 522 523
- Politique - Théories
monétaire, taux courts, taux longs et valeurs des actions et pratiques des relations entre taux d'intérêt,
148 152
157 158 161
taux de profit et cours boursiers: première approche
164
TROISIEME PARTIE LA CRISE FINANCIÈRE DE 2000-2008 : CONSÈQUENCE DE LA CRISE RÉELLE DEPUIS 1999
173
Chapitre VI
La crise bancaire des subprimes et ses effets sur les LBO
61 - La crise financière des subprimes et la crise bancaire 611
- Le
développement
des crédits immobiliers
62 - La crise des LBO et de l'effet de levier
- Le
623
- Les
LBO, ou REBEL:
176
« aux
pauvres », apparemment sans risque, par la « titrisation »... 612 - ... puis le retournement 613 - ... et la contagion 614 - La folie des banques, pas la folie des politiques monétaires 621
175
176 178 180 182 185
une technique « rebelle »,
développée surtout après la crise boursière de 2000-2003, mais en grave crise depuis la crise bancaire de 2007-2008 185 622 - Les acteurs et les mécanismes économiques et financiers d'un LBO 189 « surperformances
624 - « Lafête est finie... »
» théoriques
des LBO
191
195
275
Chapitre VII
Les profits peuvent-ils aller mal quand la bourse va bien?
71 - Profitabilités en stagnation puis en baisse, boom des dividendes 7 I I - De quelques précisions de vocabulaire et première approche 7 I 2 - Le partage de la valeur ajoutée et les taux de profitabilité : analyse à long terme 7 I 3 - La discrète rupture des taux de profitabilité bruts et nets depuis dix ans : les salariés sont-ils« responsables et coupables» de la baisse des profitabilités depuis 1999 ? 714 - Le boom des dividendes et ses effets, pervers ou non 72 - La double inversion de la liaison entre les taux d'intérêt longs nominaux r et les valeurs de marché des actions V 72 I
-À
long tenne r
->
V : vérification
empirique pour la France
722 - Par contre, depuis 1999 le phénomène s'inverse parfaitement... en France comme aux Etats-Unis
Chapitre VIII Liaisons ou contradictions entre taux de profit, taux d'intérêts longs et taux d'intérêt courts?
197 199 199 206 209 214 218 218 219 223
81 - En France, les taux d'intérêt longs semblent une conséquence des taux de profit économiques, les deux en baisse tendancielle depuis plus de vingt ans, et singulièrementdepuis 1998 224 8I 2 - La financiarisationdesSNF 224 8 I 3 - Les rentabilités économiques et financières nettes des capitaux: baisse tendancielleou conjoncturelledu taux de profit économiquenet? 227 814 - Les corrélations entre, d'une part, la rentabilité économique nette re et la rentabilité financière nettes rf et, d'autre part, les taux d'intérêt longs r, dépendent étroitement de la période analysée, 232 d'abord de 1988 à2006 815 - L'absence de corrélations entre, d'un côté les rentabilités économiques re et financières nettes rf et, de l'autre, les taux d'intérêt longs r avant 1988, corrélations retrouvées ensuite: les perturbations de la double spéculation par l'inflation et les politiques monétaires 236 82 - Taux longs, taux courts, taux directeurs et taux du marché monétaire: la politique monétaire peut à la rigueur tenter de soigner la crise, elle ne peut la prévenir 821 - Taux longs et taux courts d'intervention des Banques centrales 822 - L'efficacité des politiques monétaires persiste, mais avec combien de limites et d'énigmes
239 239
CONCLUSION
245
BIBLIOGRAPHIE
267
SOMMAIRE
273
276
241
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