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PRINCIPAUX OUVRAGES DEL' AUTEUR
W vie de laboratoire, La Découv erte, Pari s, 1988 (avec Steve Wo olg ar) (première éd itio n ang la ise Princeton Uni versity Pre ss. 1979). Les microbes, guerre et paix suivi de trr éduaions (La Découverte, Poche, 2001, première é dition AM. Métailié, 1984). La scie nce en action, La Dé cou verte , Pa rt s. 19 89 (prem ière édition a nglaise Harvard Univers ity Press, 1987) . Nous n'avons ja mais été modernes. Essai d'anmropologie symétrique, La Découverte, 199 1. A ramis, ou l 'amour des techniques, La Découverte, 1992. Petite réflexion s ur le culte moderne des dieux Faitiches, Les Empêch eurs de pe nser e n rond, 1996. Petites leçons de sociologie des sciences, Seuil, 1996. Paris ville invisible, La Découverte-Les Empêcheurs de penser en rond, 1998 (avec Ém ilie Hennant). Politiqu es d e la nat ure. Comment fa ire entrer tes sciences en démocratie, La Découverte, 1999. L 'espoir de Pandore. Pour une l'ersion réaliste de l'activité scientifique, La Décou v ert e, 2001 (première éd ition a nglaise Harvard University Press, 1999). Jubiler ou les diffi cultés de l'énonciation religieuse, Les Empê c heurs, 2002. W fab rique du droit. Une ethnographie du Conseil d 'Éta t, La Découverte, 2002 . Iconoclash: Beyond the Image Wars in Science, Religion and Art (catalogue de l'expos ition - avec Peter Weibel), MIT Pre ss. 2002. Making Things Public. A tmosp neres of Democracy (catalogue de l'expos itioo - avec Peter We ibel), MIT Press, 2005 .
Bruno Latour
Changer de société Refaire de la sociologie Trad uit de l'anglais par Nicolas Guilhot et révis é par l'auteur
ÉDmONS lA DÉm UVERTE 9 bir, rue Abel-Hovelacque PARISXUI' 2006
Ou vrage initialement publié UlU5 le titre Rt -asll'mbl irlg TM Soc iai. An t mroauction To AClor-Nn wor k: Thi' ory.
l%N 2-707 1-4632-3
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Le Code d. Jo " "",ria< iJu llN;,,,,,U. Il> IHj";I.., 1992 iII",nl it . a .If... x".. ... ..-~ som " """ de • ....,.io... plnale. ,-q.-imanl lo lXal.... r•.,., 1. " !JoIO,,,pie ~ " "lie ooDocxif un. . ..,riutioo d•• 11)'. .... Ikoi<. Or ",,", 1D00.,.,e .' "" géoénl.i< '" doo. " , • • lti..... "",a IS d·" "';';œ "",.., p .",o.,., ..' uœ bai... bmt ale do. od1 ... do liv JXlill' .,.,. la """"bilit' .œme JXlur 1• • ",,",ur . d. c"or d.. IXUVI" a ""veU• • • , do laire Code d. la i...llN;'""IIe, lOut. JtI0t000'" I ", 'l!' collN;~. i"' pale ou ,,"'",lle, Il> ",""''' oovrq;e . " i...nlite ..... outoriuliOll Il> C...... f' ' 'Ii . ' d·.xplOlilalioa droi' de " ,pi. (CIe ZO, me d .. Gnn"'.A~"" " •. 75006 Parisl. To... a il• • fam. do..."rodlrlioO, io..p .... "" !"'rû
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AJa docroronts qlU! j'ai eu la bonne fo rluN d 'aœ ompagllu dans cerlaiMs de k>urs trib ulatiollS.
Remere il' ments
CI! livre a traversé bien des vicfssimdes. L'idée en remonte 10 une
trentaine d'années, lorsque j'eus La chance d'être initié, au Kenya, par Sbirley Strum et ses babouins, ~ la sociologie des primates. En 1996, ïœsqc'o» m'a demandé de tenir 1e<J Conférence~ Leclerc 10 Louvainla-Neuve,j'ai décidé qu 'il était temps de faire la synthèse de ce que m'avaient appri~ Micbel Callon, John Law, Madeleine Akricb, Andy Barry, Annemarie Mo~ Antoine Hennion et bien d'autres 10 propos de ce qu 'il est depuis convenu d 'appeler" Sociologie de la traduction » ou « Théorie de t'acteur-rëseau » . À bien des reprises dans nos rec herches communes, je m'étais aperçu que les lecteurs étaient moins troublé'i par notre conception de la pratique scienti fique que par le sens inhabituel que nous donnions aux termes de «soctat» et d' « explication sociale ». Or, cette conception, bien que souvent appliquée partos de façon, dtsons, curieuse, n'avait jamais fait l'objet d'une introduction systématique. Plutôt que de me lamenter sur le sort de ce monstre échappé du laboratoire de son Docteur Franken~tein,je me sui~ dit qu'il serait plus courtois d 'en livrer aux lecteurs intéressés I'urchïrecrure Intellecmeüe - tût-ce au risque d'en forcer le trait. Ce n'eS! pourtant qu'en 1999, 10 La demande de Barbara Czarniawska, que je l'ai finalement rédigé, après ravoir essayë ~ la London School or gconomtcs au cours des hfvers 1999,2000 et 2001, pui~ donné dans le cadre des Clarendon Lectures ~ la Said B usjness Scbool, durant l'automne 2002. Pendant toute cette période j'ai bénéficié des critiques de nombreux relecreurs que je remercie vivement, cœme si j'ai le regret de dire qu'us n'ont pas toujour~ su trouver le remède aux nombreux œrauts de ce texte !
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Ma œne la plus grande va cependant aux étudiant s en doctorat qui, au fil des année s, ont participé à mes « ateliers dectrure de uese ,.. ns ont été les meilleurs et les plus patients de mes proresseurs dans une di5cipline o ü je n 'ai jamais reçu de diplôme mais à laquell e je n' ai jamais d~sespéré de contribuer. Maintenant que cette concept ion alternative du monde social se trouve présentée d 'une façon raisonnée, les lecteurs pourront décider s'us peuvent J'utiliser sans risque , la transformer de fond en comble, 011 , ptus probablement, la laisser tomber - mais, cette foi s, en toute conn ai ssance de ca use ... Quant à moi, j'ai découvert en écrivant ce livre sous quelles conditions j e pourrais être fier du titre de socïojogue - .
• BiOD If"' j'ai" OD. €visaD' 1. ",,,b; oo,,, o"" ld ... DOlO•. _ fil: O. ojouti 'l"rt'l"0' o. ean> 01, br . ..., fr llŒi oé Il,, n!f~",,,,,o .. coUo dao, 1o di!..... I0...... do l'Iii...,.... c
Introduction Comment recommencer à suivre .. ., 1es associations .
.. ... avant tout, l'amour vif et joye ux du sujet» G. T ARDE
L ' oB/ET de ce livre se laisse facilement résumer : lorsqu e les cherc heurs e n sciences sociales ajoutent l' adjectif .. social ,. à un phén omène, ils désignent un état des choses stabilisé, un ass emblage de lien s qu 'ils peuvent ensuite invoquer, si nécessaire, pour rendre compte d'un phénomène. Il n'y a rien à red ire à cet usage du t erme , tant qu'il dési gne ce qui est déj à assemblé e t qu'il n'implique aucune hypothèse superflue quant à la na/ure de ce qui est assemblé. Les prcblêmes commence nt toutefoi s à surgir lorsque l'adjectif .. sccter » se met à désigner un ty pe de mat ériau , comme si le mot était comparable à des adjectifs comme « mét allique ", « biologique ", « éco no m iq ue ", « m ent al " , .. organis ationne l » ou .. linguistique » . À ce stade, le sens du mot se dédouble, puisqu'il désigne désormais deux choses totalement différent es : d'une part, un mouvement qui se produit au cours d'un processus d'ass emblage ; et, d'autre pm, un in grédient spécifique distinct d' aut re s types de matériaux-. • 00 lroU.en. e ~ ~ ".. 1...H"e . c...... . une r"""e obrO~ é e . et la bib ti,,~ n.pbi e cum ptlte .1. fi~ de l'"""..,.,. Er> 1"'. . 1~1e de '" livre bie~ .",lère "" 1"'''' ~re l ''''''''''I! e p k.. 'l!:rO lble do B. Lal... et E. Hh- ( 199 81, él;ale diopon ill le ... ..... i"" wel> M·_.b,.",, ·I ,.,.... , qui. U.l1e d e c<J01vrir le m m.e I in !Jice • de> ....-r. d. ril1JtU1;n.Jfti.. c""""" .
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Cet ouvrage se prepose de montrer que le soc ial ne peut ê tre pris comme un mat ériel ou comme un domaine particulier ; il conteste le projet d e fournir une " explication sociale " à un état d e c hoses doon é. Bien qu e ce projet ait été fertile et probablement néce ssaire par le pa ssé, il a largement cessé de l' être, en raison du succès même de s scie nces socia les; au stade actuel de leur développement, il n' e st plus poss ible d'jnspecter le s ingrédients qui e ntre nt dans la compos ition des forces sociales . C'es t pourquoi j e voudrais red éfinir la notion de " social " en revenant à son sens originel et e n la re ndan t à nouveau capable d ' en registrer de s co nnex ions inattendue s. Il sera alors po ssible de reprendre l' obj ectif traditionnel de s sciences socia les mai s, cette fois, avec de s outils mieux adaptés à la tâche. Aprè s avoir réalisé de n ombreux travaux sur le s " asserrëlages » de la nature, je crois qu 'il e st nécessaire de re garder d e plu s près et avec plus d e rigueur le contenu exact de cequl se trouve " assemblé" M>US le co uvert de la notion de société . Il me semble que c'est là la seu le façon de rester fid èle à la mission orig inelle de la sociologie , cette « science de la vie e nsemble l ". Un tel pr oje t impliqu e cepen da nt de redé finir Ce qu e l'on e ntend couramment par « socio-logie ", qui signifie par sa racine à la fois latin e et grecqu e e science du social " . L'ex p res sion serait exce llen te , si elle ne p ré sentait deux d éfauts: le mot « socia l » et le mot « science » ! Le s vertus que nous sommes prêts à rec onnaître auj ourd'hui aux en treprises scientifiques e t techniques n' ont que peu à voir avec ce que les fondateurs de s sciences sociales avaient à l'esprit lorsqu 'ils do nnèrent nai ssance à leu rs di sciplin es. Quand la mod ernisation batt ait son plein, la Science avec un grand S constituait une pui ssante impulsion qui devait se prolonger indéfiniment, sans qu' aucune hé sitation ne vienne ralentir soo progrè s. Nos pr édécesseurs n' avai ent p as en v isagé que le dé veloppement d es sciences po urra it le s rendre coextensives a u re ste d es interaction s sociales. Mai s ce
1. C. ' " .xp"' ....o•• " d. L. TbiSv••"'. ~ U... ",i."". do la vi••• ",mbl. d.", 1. mm do ~ (21lM). Co, onl", logiqo. _ 1. . .... mbl••• d. Il . oci' " ' pr ~' con• • d. 1. ""01' _ ." l' . net oPP"" d. 1'0.-.1'" biognpb iQo, , 1• • d. ox lin • • jo"", ...x _ B. LArou• • L '' 'l'0;T J o plJ1IJo," (2001). " B. LATOU • • PoI;';q" " Jo 1. n.'"," ( (9991 _ 'Y'" 'II! longt<ml" ~ . lo _ . ocill!. û:W/oe p'...- Iir..- (,. Ioç<m. do. pr..., i ~ rodJ..-dI<. ... "'0001;;" d", ",im "", ... d", ~lIJIiq""•.
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qu'ils désignaient par e soc iété" a con nu une transformation qui ne fut pas moins radical e, en partie à c ause de la place grandissente occ upée par les résultat s d e la science ct d e la technique. Il n' e st plus du tout évid ent a ujourd ' hui qu 'il existe d es rela tions assez spécifiques pour être appelées « soc iales» et qu' on pou rrait ra sse mbler dans un d omaine particulier qui formerait une « société " . Le social semble désormais dilué: il se trouve à la fois partout e t nulle part. Ni la science, ni la soc iété ne son t donc restées a ssez stabl es pour tenir les prom esses d'uœ e sociolo gie lO forte. Malg ré ce tte double métamorphose, peu de sociolog ues en ont tiré la conclusion ex trê me qui consiste à modifier en conséquence tant l' objet des sciences soc iales que leur méthode . Après bien des déceptions, ils espèrent e ncore atteindre un jour la terre p romi se d e la sci ence véritable d 'un mond e véritablement social . Nul n 'est plus conscient d e ce douloureux dil emm e q ue ceux qui , comme moi , ont pa ssé de s années à pratiquer cet oxymore : la « sociologie de s sciences » . À c ause de s nombreux parado xe s soulevés par ce tte sous- disc ip line auss i viv ace qu e per vers e, mais sur tout à ca use de s nombreu ses transformations du mot " scie nce ", j e crois q ue le temps e st ven u d e trans form er ce qu e l'on e ntend par « social " . Je so uhaite donc mettre a u point une définitioo alternati ve de la « sociologie » tout en co nservant cet utile vocable, et e n restant fidèle,j e l ' e spè re , à sa vocation traditionnelle. Qu'est-ce qu'une société? Qu e sig nifie le term e e social " ? Pourquoi dit-on d e certaines activités qu' elle s o nt une " dim ension soc iale» ? Comment peut-on démontrer la pré sence d e « facteurs soc a ux » à l'œuvre ? Selon quels critères peut-on dire qu 'une é tude de la soc ié té es t une bonne é tude? Co mmen t peut-o n altérer le cours de la société '1 Pour répondre à ces question " o n a retenu deux approc hes tres différentes, don t l'une est passée dan s le sen, com mun alors qu e l' a utre fait l'objet d e cet ouvrage. La première solution consiste à po stuler I' existerce d 'un type d e p hénomène spécifiq ue appelé, selon les c as, « soc ié té ", " ordre soc ial lO, " pratique soc iale lO, " dimension sociale ", ou " struct ure sociale lO. Au cours du siècle écoulé q ui a vu le développement de ces th éorie s, on a j ugé important d e distin guer ce 9
c hamp d'autres domaines tels que I'éc mornie. fa géograp hie, la biologie, la psychologie, le droit, la science et la politique. Un phénomène donn é était dit " social" o u .. releva d e la société " à partir d u mom ent o ù on pouvait le d éfinir en lui ass ignant d es propri été s spécifi ques, pour certa ines négative s - il ne devait pa s être « purement» biologique, lin gui stique, économique, ou n aturel - e t p our d 'autre s, posi tives - il de vait produire, renforcer, e xprimer, maintenir, reproduire ou subvertir l' ordre social. Un e fois ce domaine d éfini, fût-ce en termes très va gues, o n pouvait alors l' utiliser pour rendre compte d'autre s phénomènes sociaux - le social pouvait explique!" le social - et pour fourn ir un certa in type d ' explication qu e d ' aut re s di scipline s é ta ie n t incapable s de d onner , co mme s i le rec ours à d e s .. fac te u rs soc ia u x " po uv a it e xpliq uer les « d imensio ns sociales " d e ph énomènes oon sociaux. Selon cett e p remière façon de voir o n dira, par exem ple, q ue le droit, bien que l' on s'accorde à reconnaître qu'il di spose d'une force prop re, sera it plus co mpréhensible si l'on y ajouta it une .. dim en sion sociale" ; même s i le s fo rces écono m iques dépl oient leur p rop re logique, il e xisterait a uss i des é léments sociaux susceptibles d ' expliqu er le comporte ment q uelq ue peu erratiq ue d e, age nts calc ulateurs ; b ie n q ue la psych ologi e se dévelop pe à partir d e ses propres motif s intern es, o n pourrait a ttrib uer certains d e ses as pec ts le s plus énigma ti ques à de s .. influ ence s soc iales" ; bien que la science soit entraînée par sa pr opr e log iq ue a uto nome, sa qu ête serai t n éanmoins .. re streinte " par les .. limit es scciales » d es scientifiq ues q ui " s'inscrivent dans le contexte social d e leur époque" ; même si l'art demeure largement « indépendant », il n' en sera it pas moins « influ encé » par des « cons idérat ions » socia les et politique s qui pourrait rendre comp te de certains aspects de ses plus fameux c hefs-d' œuvre; bien que la science du management obéisse à ses p ropre s rationalités, il ne serai t pas mauvai s d e cons idérer a ussi les .. as pects socia ux, c ult urels e t politiqu e s " suscep t ibles d' explique r pourquoi certains principe s d' o rg ani sa tion bien étab lis ne sont jamais appliqués dan s la pratique. On po urra it fac ileme nt trou ver d'autre s e xemples, dan s la me sure où cette version de la théori e sociale est devenue laconfig uration par défa ut d e notre logiciel m ental: a) il e xis te un .. contex te" social d an s leq uel s' inscrive nt le s activ ités non 10
sociales; b) ce contexte défini t un domaine particulie r de la réalité ; c) il fournit un type de causalité spéc ifique pour rendre compte des aspects résiduel, que les autres domaines ne peuve nt e x pliq uer (la p sychologie , le d roit , l'éco nom ie, etc.) ; d ) ce domaine est étudié par des chercheurs spécia lisés appe lés sociologues ou socio-ïx} - « x " pouvant prendre la va leur de différentes disciplines ; e) dans la mesure où les agent, ordinaires sont to ujours sit ués «à l' intérieur JO d'un m onde social qui le s dé passe, ils peuvent , au mieux, devenir des informateurs et, a u pire, être aveuglés par des détermination s dont les effets ne sont pleinement visibles que pour l'œil plu , di scipliné des soc iologues ; f) quelles que soient les difficultés que ce ux-ci renco ntrent e n m enant ces ét udes, il leur es t poss ib le d'imiter gross ièrement le succès des sciences naturelle s e n é tant aussi objectifs que les a utres sava nts, grâce à l' usa ge d'instrument , quantitati f, ; g) si ce d egré de certitude se révèle impossible à obtenir, alors il fa ut dével opper des méthodes alternatives qui prennent en ligne de compte le, aspects proprement « humains " , « intentionnels JO ou « herméneutiques JO de ces questions, sans pour autant aband onner la voc a tion sc ie ntifiq ue; e t, e nfin, h) lo rsqueles c hercheurs e n sciences sociales sont soll icités pour donner leur avis d' experts e n in génierie soc iale o u pour accompagner la modernisation , leurs étude s peuvent afficher un certain degré de pertin en ce politique, m ai s seu lement à co nd itio n d'avoir réuni suffisamment de connaissances . Cette configuration par défaut s'es t muée e n sens commun, non seulement pour les soc iolog ues, mai s au ssi pour les acteurs o rd inaires, par le truchem ent des journa ux, de l'enseigne ment supérieur, des partis politiques, des conve rsations de compto ir, des his toires d ' am our, des magazin es de m ode, etc ". L es sciences sociales ont distribué leur défini tion de la société aussi largement que les services publics l' ont fait pour l'électricité ou les abonnements téléphoniques. Proposer des commentaires sur l'inévitable « dime nsio n soc iale JO de ce que nou s faisons « e n soc iété " est devenu auss i banal que d'utili ser un tél éphon e
2. La dirfi..io o m!'me il> le""" « "''',,,.. >, Q"" " m....i... . dé tib<""", .. don. Jo nou pau- l' iml .... e" r lm de . ocmbfeux morQ"""" de oelle .. 0""""" l e o e RI· ... M f.... i
QU' U ' JlIi3e 31 S.
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p ortable, com m an der une bi èr e, o u inv oquer le co m ple xe d'Œdipe - du moins dans le monde industrialisé . Or il exi ste une a utre approc he, beaucou p moins connue, q ui rej ette l' axiome fondam ental de la première. Dans cette nouvelle faço n de voir, 00 affinne que l' ordre soc ial n' a rien de spécifi que ; qu 'il n' existe aucune es pèce de « dimen sion socia le », aucun «contexte soc ial ", aucun domaine distinct de la réalité au quel on pourrait coller l'étiquette" social" ou "société" : qu'aucune « force sociale" ne s'offre à nou s pour " ex pliq uer" l es ph énomènes rés id uels dont d'aut res domai nes n e peuvent rendre compte; que le s membres de la soc iété savent très bien ce qu 'ils font même s' ils ne le verbalisent pa s d 'une façon qui puisse satisfaire les observateurs: que les acteurs ne s' inscrive nt jamais dans un contexte soc ial e t, par conséquent, qu' ils sont tou jours plus q ue d e " simples in format eu rs " : q u' il est abs urde d 'ajouter d es " facteurs soctaux » à d ' autres disciplines sc ien ti f iq ues: que l ' év entuelle pertinenc e politique d 'une « science de la soc iété» n' e st pas néce ssairemen t dé sirabl e ; enfin que, loin d' être un contexte" dans lequ el " tout se trou ve délimité, on de vrait plutôt concevoir la « soc iété" comme un con necteur parmi tant d'autres, ci rculant à l'intéri eur d ' ét roit s cond uits . Cette seconde école d e pensée pourrait p rendre pour s logan, avec un certa in goût de la provocation, la fameuse exclamation de Mme Thatcher (ma is pour des mison s très diffé rentes !) : « La soc iété n ' existe pas r , Si ces deux approches so nt si distinctes, comment peu ven te lles toutes d eux pr étendr e inc arn er une scie nce du soc ial e t revendiqu er l'étiquette de « soc iolog ie" ? À premi ère vu e, elles dev raient être incommen surable s, dan s la mesure où la principal e én igme que la seco nde p rétend résoudre est j ustement ce que la première considère comme une solution : l' existence de liens soc iaux spécifiques qui révéleraient la prése nce cac hée de forces soc ia les spéci fiq ues. Dans la perspecti ve al ternative pr ésent ée ic i, le « social" n' est pas une colle capable d e tout attacher, y co mpris ce que d' autre s colles ne peuvent fa ire tenir, mai s plutôt ce qui est as semblé par de nœnbreux autres types de connecteurs . Tandis que les soc iologues (ou les soc io-économistes, les socio- Iinguis tes, les psychologues soc iaux, etc.) prennent les a grégats socia ux cœn me un donné susceptible d' éclairer l es a spects r ésidu els d e l ' é conomie, d e la linguistiqu e, d e la
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psychologie, du managemen t. e tc ., les c herc heurs qui se rattac hent à cette seconde perspective cons idèrent au contraire le s a gr égat s socia ux com me ce q u' il faut ex pliquer à partir-des ussodations propre s à l'économie, à la lin guistique. à la psychologie. au droit, au management, etc . ' . La fili atirn œ s deux approches apparaît auss it ôt si l' on garde à l'esprit l'étymo logie du mot " social " . Bien que de nombreux spécialis tes pré fére raient a ppe ler " s oc ial " quelque c h ose d 'homo gène, o n peu tre s bien désigner par ce terme d es associations e ntre éléme nts hét érog ènes p uisque, dan s Ie s d eux ca s, le mot a la même orig ine : la racine latin e .iO cius. On peut d onc rester fid èle aux intuitions premi ère s de s scie nces sociales en re défin iss a nt la sociologie n on plus c om me la " sc ie nce du social " - que je noter ai soc ial n" 1 - , mai s com me le suivi d'associations - not é n" 2 '. En prenant ce s e ns particulier, I'épit hète « social" ne d ési gne plu s une c hose parmi d' a utres, co mme un mouton noir au milieu de moutons bl ancs, mai s un type de connexion entre de s choses qui ne sont pas elles-mêmes soc iales . Au premier abord, cet te dé finiti on peut sembler absurde, dans la mesure o ù elle ri squ ede dilu er la sociologie a u point de la faire porter sur n'importe q uel type d' agrégat , qu 'il s 'ag i ~se d e réactions chimiques ou de liens juridiques. de forces atomiques ou de firme s commercia le s, d'organi sme s biologiques ou d'a ssemblées politiques. Mais c 'est justement ce que cette branche alternative de la thé orie soc iale voudrait suggére r puisqu e tous ce s él éments h étérogèn es p euvent se trouv er recombin és d e façon in édite et donn er lieu à d e nou veaux as sembla ges . Loin d ' être une hypoth èse ex travagante, c' e st au co ntraire par ce biai s que nou s faisons tous l' expérience la plus quotidienne de ce que nou s appelons e n fait le " social" : le sens de l'appartenance es t e ntré e n c rise . On co mmerc ia lise un nou veau vaccin : un n ou veau profil p rofes sionnel se trouve mis s ur le march é d e l' emploi ; un
3. l·util;'" l". xP""' ''''. « lIOC iI! ~ ou aut.. apt~ . lIOCiol • PO'" désip, u'IJl l" tv' IIl . 1 d. soloti"". off ~ '" ",. j'owcn. ... i I"if 10 . ui.. Il « ~ mi~ . soureo d·in",nitu&' "Qui PO"" "" Jo &'. ~JOO", . lIOCioux . J. Be me .. ft.. l'' ' >p&;fi",,,,,,,., ""X défi· nitions « boli. "", "- do", Il "'" où. .ODIDIO 00'"' 1. v.rrons. 1.. défiDi. "". « i odiv ~ duali.... . ou « biolo gi", Be , l'' ' p o. voli&,•. Voi. irfro p. S2. 4. A ee. dou x ...... fojoollni pl ,on! p . <J4 ... If 3. 10 >oc "bi. &, ~ d. 1>0... .. mf.. p . l48 011 Ji' 4 poo . dé JigooJl. « l'Jo .
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n ouveau mou vement politiqu e voit le j our ; de n ouvelles planètes son t découvertes hors de notre système solaire; une loi nou velle est vot ée : une épidémie imprévu e s' ahal sur nou s: à chaq ue fois notre conception de ce qui nou s faisait j usqu' ici tenir ensemble se tro uve ébranlée: ItOU S ne somme s même plus certa ins de ce que veut dire « nou s » : il semble que nou s soyons tenus par de s « c onnec tio ns" qui ne r essem blent plu s aux liens soc iau x agréés; le doute plane alors sur ce que n ous sommes censés fair e ensemb le. N ' est-ce pas ai nsi q ue nou s nou s trouvon s face à face, le plus so uvent, avec la dim ension sociale d e notre existence ? C'est justement pou r p rendre acte de ce senti ment de crise et pour su ivre le s nouvelles connex ions qui s' y révèlent qu'il nou s fa ut mettre au point une autre concep tion du soc ial - le sens n° 2. En effet, il faut que celle-ci soit beaucoup plus large que ce qu e l' on d ésign e comm unément par ce terme, et pourtant strictement limitée au suivi d e nouvelles associaüors et à l' archit ecture créée par leurs asse mblages imprevus. C'est la raison pour laquelle j e vais définir le social non comme un domaine spécifiqu e, mais comme un mou vement très particulier de réassociation ou de réassemblage. Dan s cette seconde perspective, il ne faut plus considérer le d roit , par exem ple, comme ce qui doit être expliqué à partir d e la « structure sociale » , qu i viendrait s'ajouter à sa lo giqu e propre ; au contra ire, c 'est la logique prop re au droit qui doit pouvoir e xpliquer certains des traits qui permetten t aux assoc iations de durer plus longtemps et de s'éten dre sur une éc helle plus vaste. Sans la capacité que nou s donn ent les précéd ent> j uridiq ues d ' établir d es con nex ions entre un cas particulier et une loi gé néra le, que saurions-nous de l' opération qui cons iste à replacer un é lément dœm é « dan s un cadre plus large » ' ? De même, on n ' a pas à remplacer la science dans so n e contexte soc ial ", parce que les objets de la science e ux-mêmes con tribuent à disloqu er tout contexte do nné par l'introdu ction d' él ém ent s nou veaux q ue le s laborat oires d e recherche associent de façon imprévi sible. Ceux qui se sont retrouvés pla cé s en quarantaine en raison de l' épidémie d e S A RS ont a p pris à le u rs d ép en s qu 'ils ne
s. P. Ewn; "' 5. 51l.n
.ll.
d.
v, TIw! C"",,,",,, Pbu of Law (1998)
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Le ,..chd: un e pe.. u de chagri n Sl" man tl'l ue Les variations successives du champ lexical du " social .. laissent c laireme nt apparaître une tendance (S . Strum et B. Latou r, "lbe Meanings of Social: from Beboons to Humans .. (1987)) qui va d u plu s gé né ral au plus superficiel. L 'étymolo gie du mot " social .. e>t elle-même instructive . La racine " q-, sequi lui donne le sens premier de ., suivre " . Le latin lOC i/li se rélère à un compagnon, un assocë. La généalogie historique de ce terme fait apparatee, dam les différentes langues, un sens qui est d'abord celui de " suivre quelqu'un .., avant de désigner le fait d' enrôler o u de se rallier , pui s, enfin , ce lu i d'« avoir quelque chose en commun » . L'autre sens de " social .. est d' avoir une part dans une entreprise commerc iale. " Social .. au sens du c ontrat social est une invention de Rousseau. " Social .. au sens de la q uestion sociale est une innovation du xrx- siè<:le. Des terme s proches, tels que" sociable ", se réfèrent aux c ompétences pe rme ttan t aux individu s de vivre en bonne entente en société. Comme le donne à voir cette déri ve du terme, le sens du social se réduit avec le temps. À partir d'une définition orig inelle qui est coextensive à toute assoc iatio n, nou s trouvons désormai s, dans le langage courant, un usage limité à ce qui reste aprës que la politique , la biologie , l'économie , le droit, la psychologie , le management, la technologie, etc., ont prélevé lems part s re specrtves sur les associations. En raison de ce r érrécïssemenr constant du sens (contrat social, œ ese on sociale, travailleurs sociaux, problèmes sociaux), nous avons dé sormais tendance à limiter le social aux sociétés humames et rroderes, et à oublier que le dcmaine du social s'étend hien au-delà Candolle, l'in veJXe~ de la scientométrie - l'utilisation des statistiques en vue de mesurer l'acti vité scientifique - , était, comme son père, un sociologue dei plante'! (Candolle, Histoire deSlCiences 1'/ des
savants Ikpuis deux s i~c1l'l d 'apr ès l 'opin ion des p rindpall'l awdIm ~s ou socil lisscim lifiqUiis, [1987 (1873)]). Le s coraux, les babouins, les arbre s, les abeil les, les fœrmis et les baleines sent eux ausst ausst sociaux. La socio-biologie a bien reconru cene acception étendue du social '. Malheureuse ment, cette entreprise n'a fait q ue cœ finner les pjres craintes que les sociologues dei humains noœnssent quant à l'extension du mot " social " . n est pourtant patfaitement possible d'accepter cene extension sans pour autant donner trop de crédit à la définition très resrrefnre de l'action que de nombreuses thécl"ies socio-biologiques assignent aux organismes.
6. E. O . WIL'DI. Sœ id>io logv. Ih< N<w s ,." h<,i,- ( 19 7SJ.
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pouvaient plu s s' . as socier " à leurs parents et à leurs proches c om me aupar avant à ca us e de la mutati on de ce tte bestiol e révélée grâce à l'i mposant e institution de l' épid émiologie et de la vi rologi e 1 . La religion n' a pas à être . expliquée » par le rôle des forces sociales, dans la mesure où, en vertu de sa définition même, elle relie entre elle s des entité s qui n' apparti ennent pa s d' avance à l'ordre soc ial . Depuis l' é po que d'Antigone, tout le monde sait ce que signifie ê tre m û par des ordres ven us des dieux et qui pessent par-dess us la tête de politiciens comme créon. Il n'y a pas à replacer les organiserio ns dan s un • cadre social plus large », dans la mesure où elles donnent elles-mêmes un sem trè s pratique au fait de s' inscrire dans une situation « plus large "». Après tout, quel voyageur saurait à quelle porte d' embarquement se rendre sans regarder anxieuserners e t à plusieurs reprises l e num éro figurant sur sa carte d' embarquem ent , e nto uré e n rou ge par un e hôtesse ? Faut-il vra ime nt mettre au jour les « forces soc iales obsc ures » cachées derrière la langue de boi s des politicien s, dans la mesure où, sans ce s mêmes di scours. une grande partie de ce que nous voulons désigner par l' appartenance à un groupe di sparaîtrait au ssitôt ? Sans les vers ions contrad ictoires données par les factions q ui se livrent bataille en Ira k, qui saurait distingu er lei; alli és des e nnemis dans les zones « occupées » ou « libérées » de Bagdad ? Et cela vaut dans tou s les autres domaines ". Tandi s que la premi ère approche permettait d' expliqu er c haque activité - Ie droit, la science, la technologie, la religioo, les organisations, la politiqu e, le management, etc. - en la rapportant a ux m êmes agrégats socia ux qui opéreraient derrière elle, il n' y a, pour la soc iologie seconde version. rien derrière ces activ ité s, même si elles peuvent être re liée s d'un e fa çon qui produit - o u ne parvient pas à produire - une société . T el est e n effet le princi pal point de divergence e ntre ces deux interprét ation s de la sociologie : être social ne d ésign e plu s un e propri été a ssurée 7. B. LAIU,JJ.. Pœ """ SUT"'" paix d.. micm"', (2OO l ). BioA QU, !"étudo do> p..1iquos sd o"ifiQ""s .iI four ni l" imp ul.si"" prirril"l0 mon..,t ~ c oU &!finition .l~m.. liv o du "",i il,lIOu, IIOU' y udto.... . ""10",,,.. plu . Dm , D"'I"" no,.. ....... . &!filli b QuatriO..., irrortinol.. q. ilt{Ta, P. 12' . 8. F. a:.:..»<, Th< OrS"ni,i 'W PT~ "'ty
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puisqu ' il s'agit d'un mou vement qui peut éc houer à établir de nouvelles connexions ou à produ ire un assemblage bien fo rmé. Comme nou s allons le découvrir dam; ce livre, après avoir rendu de bons e t loyau x serv ices par le pa ssé , ce qu ' on appelle I' « explica tion socia le» est devenue contre- prod ucti ve parce qu ' elle interromp t le m ouvemen t d' association a u lie u de le poursuivre.
Aux yeux de la secon de approche, les représentan ts de la premi ère o nt tout simplement confondu ce qu 'ils devai ent expliqu er avec l'explication d le- même. fi s comm encent par la société ou d' aut re s agrégats sociaux, alors qu 'il s'agit de conclure par eux; ils pensent que le social est esse ntiellement const itué de liens soc iaux, quand les associations sont faites de liens qui ne sont pas soc iaux par e ux-mêmes; ils imaginent que la soc iologie se limite à un domain e spéci fiq ue, tandi s qu e les soc iolog ues doivent se rendre partout o ù de nouvell es associations hétérogènes voient le jour ; ils pensent que le social se tient toujours là, à leur di sposition, alors que le social n' est pas une catégorie de choses qui seraient visibles ou qu'il faudrait supposer derrière le visible; ils ne démordent pas de l'idée que nous sommes toujours d éjà soumis à la force exercée par la société, a lors qu e notre a ve nir politique repose tout entier sur la tâch e de décid er à nouveau de ce qui nou s ra ssemble. Le social ne peut être saisi que par le s tra ces qu 'il lai sse (au co urs d' épreu ves) lorsqu 'une nouvelle associati on se crée entre des éléments qui ne sont aucu nement .. soc ia ux" par eux-mêmes . En bref, la seconde école prétend poursuivre le travail de connexion et de collecte que la première avait suspendu. C'est pour aider le; enquêteurs désireux de r éassembler le social que ce livre a été écrit. Par souci de clarté, j'appellerai la première approche" sociologie du social" - portant sur le soc ial n" 1 - e t la seconde .. sociologie des associations ,. - sur le soc ial n" 2 (à défaut de pouvoir utili ser le term e peu e uphoniq ue mais précis d' .. associelogle » !J. Au fil des pages, nou s allon s également a pprend re à di stingu er la sociolog ie standard du social d'une sous-famille plus radical e que j'appellera i la sociologie critique w. On peut LO. Sor la di " iIICtiOD OD.... la """olo ~;" cri~"" o, la !IOCiol"!!;,, do la cri~"" , voir L. 8NOT. « l1IO Soco>loKY of Oi.i<:al Capocily • ( 1999) ; .... p l.... ponicul~I1"'''''', l. BOC'A N""~ L '0""'. ' " b ) .." ico """"'" compirna. ( IWOI. S'il
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Chang", de s ociété
définir cette dernière branche par trois caractéristiques : a) elle ne se contente pas de limiter l' enqu ête à la dimension sociale des phénom ènes, com me les sociolog ues o rdinaires, mai s ell e va j usqu'à remplacer l'obj et étudi é par un a utre constitué de relations sociales : b) elle affirme que cette substitution est insupportable aux yeux des acteurs sociaux, qui ont besoin de vivre dan s l' illusion qu' il y a là quelque c hose d'" autre " que du social; e nfin c) elle considère que les objec tions horrifiées des acteurs à I'explicerion sociale de leur action constitue la meilleure preuve de la justen e de ces explications. Je sai s qu e ces é tique ttes ne rendent pa s ju stice a ux nombreuses nuances qui différencient les sciences sociale s qui se trouvent ainsi mises dans le même sac, mai s mon trnitement cavalie r se justifie dans le cadre d'une introduction qui peut se permettre de pas ser rapid ement s ur les terrains connus à condition d' être lent e et précise pour les argum ents peu familiers. On me pardonnera ce manque d'égard s dan s la mesure où il existe d ' excellente s introdu ctions à la socio log ie du socia l, mai s aucune, à ma connaissance, qui concerne cette petite subdivision de la théorie sociale II que l' on a appelée... au fait, comment faut-il l' appel er ? Hélas, l'appellation conven ue est" théorie de l'acteur-réseau " : une expression si malad roite, source de tant de confus ion, et si vide de sens qu ' elle mérite d'être maintenue ! Si l' auteur d'un guide de voyage est libre d' offrir un commentaire inédit sur le pays qu'il a choisi de présenter, il ne peu t guère modifier le nom qui le dési gne couramment, dans la mesure où la signali setion la plus simple est a ussi la meille ure - après tout, le terme e Am ériqu e " a une origine plu s fort uite encore. J' étais prêt à lai sser tcmber ce label au profit d' appellation s plu s sophistiquées, comme « sociologie de la tradu ction ", « ontolog ie de l'ac tan t-rhizome " , ou " sociologie de l' innova tion _, lorsque quelqu'un m' a fait re marquer que l'acronyme ANI é tait tout à fait adapté - du moins dan s la langu e anglaise o ù il veut dire au ssi " four mi" - pour désigner un voyageur myope q ui ne lIl'o pl"fOî' Dé«..oir< d'établir un< eotlli ooio! ovoc 10 sociolDgie du .orlol. je devrai m' op""",r de f"""B pi.. ....."..:. ~ 10 sociol"llie eriD'I"e e' ~ "'B ~ inu..... d' uDe illu· .im ~. I l. 00 'lOuve.-. uo apelÇu ""eJO d... J. LAw, Jif'" Melhod (2004 ). Pour une boIIJIe inlrooU
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peut s uivre de s tr ace s qu ' en les reniflant, e t qui marche à l'aveu gle e t e n groupe : une fourmi éc r iv ant pour d'autre s fourmis, voilà qui correspo nd parfait ement à mon p rojet 11 ! Évid emment, le mieux serait d ' employer le mot "sociologie JO, mai s j e ne peux m'en servir sans inquiétude avant d' avoir reconditionné ses deux m oitiés: le social et la science . Au fur et à me sure que nous avancerons dans c e livre , j ' y aurai pourtant recou rs de plu s e n plus fréquemme nt, réservant l' expression redondante d e " sociologie d u social JO pour désigner le répertoire auquel se limitent trop souvent, selon moi , les au re, c hercheurs . Je reconnais vo lontiers que, dans la plupart des situatio ns, il est n on se ule me nt ra iso nn able mai s a ussi indispensabl e d e recourir à la soc iologie du soc ial, dans la mesure où elle offre un racc ourc i commode permettant de dési gner tous le s composants d éjà acceptés dan s le mond e commun. Il serait a ussi bête qu e prétentieux de s'abstenir d 'utiliser d es notions telle s q ue « IBM », « France », « cu lture Macri », « mobilité a scendante », « totalitarisme », « socialisation » , « classes populaire s JO , "con tex te p olitique JO , "c apital social JO, " downsizing JO , " c o nstruc tion sociale JO, " agent individuel JO, " motivation s inconscient es JO, " pression du milieu JO , etc. so us prétexte que leur composition exacte n' est plus toujours vérifiables. Cependant, dan s des situatio ns où les Innovation s abondent, quand le s fro ntières du groupe so nt incertaine s, quand la gamme d' entités qu'il faut prendre en c onsidé ratioo de vient fluc tuant e, la soc iolog ie du soc ial n' e st plus c apable de trace r le s nouvell e s associations d ' a cteu rs. Le pire serait d e limiter par avance la forme, la taille, l'h étérogénéit é et la combinaison d es associations - le social n" 2. C'est alors qu'il faut remplacer le raccourci co mmode du social par le détoor lmg, ardu et coû teux de s assoc iaucns e n c hange ant également le s tâc hes ass ign ées d'habitude aux soc iologues : il n' e st plus poss ible de réduire le s acteurs au rôle d 'informateurs venant illu strer de façon exemplaire qu elque type d éjà ré pertorié ; il fa ut leur re stituer la
12 J< do is m·Hc...or ici do dHrlldro 1. l'''''iûm OUCI"""DI iDV'" '' ~ coUr q"" jo dKondllh dlUl' B. LAmut.. « 00 Rllcallillg ANT • ( 1999 ). T.. di. '1"0jo pa"';' IW criNo d o .. mti1o '''l',o''Kn y """,pi.. 10 • • , d'umm. jo v • • m aiM
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Chang", de .w ci élê
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réclam~ nt d~ I~ s"d"k'lo:l~ d~ l '~ct~ur-r éw~u
On peut trou ver l 'e ssentiel des références bibliographiques pe rtinente'! sur l'e xcellent sne de John Law, ~ The Actor Net wor k Re source ~ , et bien snr sur le site du Centre de sociologie de l'innovation ". Cette approche trouve ses origine~ dans un beso in de renouvellement de la tMorle sociale suscité par les ét udes sur les sciences et la technologie (M. Callon e t B. ï.aro ur, « u nscrewmg the Big Le viath ans: Ho w Do Actors Macrosrructure Reality ~ [1981D, ma ïs on peut en fait iso ler trois documents fondateurs ( B. Latour, Pasteur, gUfrrt n paa dfr microber 12001 1: M. CalIon, ~ Élément\; pour une sociologie de la traduction: la domesuc aüon des coquilles Saint-Jac ques et de'! marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc~, L 'Annie sociologiqUi', n umlro splcial : La sociolog~ des SC~M'l's et dfr Tf chn iqun , 36, p. 169-20 8 : J. Law, • On the Methode of Long-Dtsrance Control : v esse ts. Na vigat ion and the ponu gue se Route to India ~ 11986bD. Elle prend son essor 10NJue les nonhumains - les microbes, les coquil les Saint -Ja cques, les rochers, et les bateaux - se présentent sous un nouveau jour pour la théorie sociale. Comme j'aurai l'occasion de l'expliquer p. 152 torsq ue nous examinerons la quatrième incertitude, c 'était la première fois que le'! objet~ de la science et de la technologfe devenai ent 11 nos yeux, pour ainsi dire, socïo-compaœt es. Les fondations philosophiquès de cet argument filrent prk entée~ dans la seconde partie de B. Latour ( 1984), bien que sous une forme plutôt ardue. Depots, cette approche s'est développée dans bien des directions et elle a fa it l'objet de nombreuses analyses et crtrtq ues reprises sur le site d e J. Law. Bien qu 'il n'existe pas de véritab le examen d'entrée dans la communauté de s praticiens de l'acteurréseau, on pourrait ce pendant imaginer quelques critères ad MC . Il va sans dire que cette interprétation de la sociologie de l'acteurréseau n'engage que moi: ce livre vise ~ en donner une présentation systëmeuque plutôt que collective. Voici donc quelques-uns de s critères qlll' j' ai trouvés le s plus uti les. L ' un de ces critères concerne le rôle préci~ a~~igné aux nonhumains. Ils doivent être de s aaeers ( voir la dé finition de ce terme p. lOI) et pas simpl ement les support'; malh eureux de projections
13. h"p:IAvww. ~ ."'I'. ,"n ~ ... c.•'ll.c iolo KY!~III.nl""I.n"nh'm. p-.- le p rmi.... hllp:llv.ww.c.;"'1Ll "".frl JlO"I' le !leCOII d .
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symboliques. Mais, par ailleurs, on ne saurait asstmljer leur activité au type d 'agence que l'on a jusqu 'ici assocëe 11 des masers offacl ou des objets nan..els. Si bien qu 'on ne saurait inclure dans le corpus un compte rendu qui ferait usage d 'un type de cau,;a]ité symboliq.te ou naturaliste, quand bien même il prétendrait le contraire. À l'inverse, toute etude qui accorde aux non-humains une forme de présence plus variée que la causalné nantrelle traditionnelle _ mais aussi plus efficace que la causaln é symbolique - peut faire partie de notre corpus, quand bien même ses auteurs ne souhaitent en rien se trouver assocjés acene approche. Ainsi, un ouvrage de ti ologie (comme 1.-1. Kupie<: et P. Sonigo, Ni Dieu ni g~M (2000)) peut très bien se rattacher 11 l'acteur-réseau en raison du rôle actif qu'il accorde au gène. Un autre test c onsiste à vérifier la direcuon dans laqu elle se déploie l'explication. La liste de ce qui est social finit-elle par recouvrir le répenoire limité de ce qu 'on a jusqu'ici utilif.é pour expliquer la plupart des éléments (ou plutôt se passerdexpucaron 11 leur sujet)? Si le social reste sta ble et sen à expliq uer une situation donnée, alors nous n'avons pas forcément affaire 11 une description en termes d 'acteur-réseau. Par exemple, eusst e nrichissante qu 'en soit la lecture pour chacun d 'entre nous, la sociologie de s techniques développée parWiehe Bijk.er (W. Bijk.er, Of Bicycles, Ba re tnes, and Bulbr : TowardJ a Theory of Socio-uchnical Change [1 995]) ne saurait appartenir tout 11 fait au corpus, puisque le soci al y e st constamment maintenu dans un ét at de stabilité et sen 11 expliquer les modalités du changement technologique. En revanche, bien qu 'il ne s 'agisse aucunement d 'un sociologue des réseaux, un ouvrage comme celui W. MacNe ill, Le temps de la peste (197 8), pourrait prétendre y figurer, dans la mesure où les éléme nts 11 associer se trouvent modifiés par l'inclusion de rats, de virus et de microb es dans la d éfinition de ce qu 'un empire doit " coüece r ». De la même façon, un livre comme celui de W. Cronon, Nasu re's MelropoliJ : OIicago and Ihe Gu aI Werl (1991), est sans aucun doute un chefd 'œuvre de méthode, car il ne recourt à aucune force sociale cachée pour expliquer la composition progressive de la métropole ellemême. On peutdire la même c hose du travail de E. Hutchms, Cognilion in Ihe Wild (1995), sur la c ognition distri buée. Ce sont c es critères qui ont rendu une bonne partie de l' histoire des sciences et des techniques importante pour notre progranune, e t qui ont fait de la sociologie de l' an un compagnon de voyage, notamment a ua vers l'Influence de A. HenniOll, ta pasron muricale : une rociologie de la midialion ( 199 3) .
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Chang", de .ociété Un lI"oi~ième critère, plu5 délicat, con~i~te à vérifier ~i l'étude en question vise à r éassemoler le social ou si, au contraire, elle insiste encore sur sa dispersion et sa déconarucdon. On a confondu cette théorie avec ure lnstsranœ posmcœrre sur la critique des " grands recns .. et des po-nts de vue « eorocenc -ques » ou " hégémoniques ... Rien de plus fa ux. La dispersion , la destruction et la dëeonsrrucnon ne sont pas des objectifs à atteindre, mai.~ précisément ce qu'il s'agit de dépasser. Il est beaucoup ptus Important d 'identifier les nouvelles institutions, les nouvelles procédures et les nouveaux concepts capables de collecter et de reconnecter le social (M. CalI on, P. Lascoumes et Y. Barthe, Agir dallS un mm'lde incertain: El.ai sur ia dlmocratie technique [2001]; B. Latour, Politiques de la nature: commelll faire entrer It.! science. en dlmocratie ] 1999D ''.
capacité de produire leu rs propre s théorie s sur le social . Noire devoir ne consiste plus à Imposer un ordre, à limite r le spect re de s entités acceptables, à enseigner aux acteurs ce qu'ils sont, ou à aj outer de la réfle xivité à leur pratique aveugle. Pour reprendre un slogan so uve nt c ritiqué de l'acteur-réseau sur lequ el il me faudra m' expliquer plus loin, il nou s faut .. suivre le s acteu rs e ux- mê mes " . Ce qui revient à doc umente r leu rs innov ations souvent sauvages, a fi n qu'ils nou s ap prennent ce qu e l' existence collective e st devenue entre leurs mains , quelle s méthode s ils ont élaborées pour la maintenir, et quel s récits sont les plus adaptés pour rendre c ompte de s nou velles assoc iations qu' ils ont é té obligés d'établir. Si la sociologie du social fonctionne parfaitement avec ce qui a déjà é té assembl é, e lle lai sse à d é sirer lorsqu'il s' agit de réassembler ceux qui participent à ce qui n' est pa s - pas encore - le domaine du social proprement dit. On peut tenter un parallèle quelque peu bancal avec l'histoire de la physique : la soc iologie du social re sterait .. pré-relativiste " , tandi s que n otre sociologie serait pleinement .. relativiste I l " . En phy sique, comme e n sociologie, dans la plupart d es situatioœ, o rdinai res, quand le c hangement e st lent , un cad re de référence abso lu enre gistre sans déformation in supp ortabl e
Fo,,:e.
l 4. Ü1Ili... eB fu",.h. F . CRAnAULHNAtID. " et faible .... de 1. B,..velle mlu"l'olog ie d", ..; _ .." • (19'91 1. l S. M. CAU.OH. B. urou•. " Pouru,", "",,01"1"' relative"",.. ene", • (I 911 J I.
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l'action discordante de s agents : le paradi gme pré-relati vist e c onvient parfaitement. Mais dès qu e les c hoses s'accélèrent, dès qu e les innovati ons proli fèr ent , d es qu e l e nombre d ' entités se trouve multiplié , si l' on sœsüne à maintenir un point d e repère ab solu, on recueille de s dœm ée s qui n'ont trè s vite ni queue ni tête. S i l'on veut maintenir une eommensurabilité entre les tra ce s laissées par de s c adres de référence voyagean t avec de s vite sses e t de s accéléra ions trop différentes, c'es t à ce moment qu 'il faut opérer une e révolution relativist e JO . Com me la théori e de Iarelativit é est un exemple célèbre de transformation radical e de notre appareillage mental provoqu ée par des que stions extrêmement simple s, elle illustre assez bien la façon dont la sociolog ie de s a ssociations inverse e t gé néra lise la soc io logie du soc ia l. La qu estion se pose alo-s de la façon suivante : si, au début du sièc le d erni er.tes physici ens sont parvenu s à se passer d e la solution d e bon sens qui postulait l'existence d 'un éther absolument rigid e et pourtant ind éfiniment pla stique, les socio logues peuvent-ils découvrir de nouvelle s possibilités de déplacement d'un cadre de référence à l' autre e n abandonnant, à leur tour, la notion de subs ta nce soc ia le c om me s' il s'ag iss a it d'une « h ypo thèse superflue JO ? J usq u' où peut-on aller e n suspendant le bon sens qui postule qu e l' exi stence d'un domaine social offre un cadre de référence légitime pour le s sciences socia les? Dans ce qui su it, nOIL~ a llons n ous intéresser n on p as à la réfutation - prouver qu e les autres théories soc iales son t fausses - mai s à la p rop osition " . Ma position est si marginal e et ses chances d e succès sont si fai bles qu e je n e vois a ucune raison de me montrer trop respectueux d es a lternatives p arfaitement ra isonnab les et s uscep ti b les à tout moment de la réduire à néant Je serai donc opiniâtre et souvent partial dans le but de so uligner autant qu e possible le co ntraste en tre ces deux points de vue . En c ompens ation de ce tte attitude peu équitab le, j'essaierai d ' être a ussi cohérent qu e possible e n
16. Si le lJllit<meAl Q"" je .....ve t la !Ociol",ie du !Io ";al l"' ''' ",mbI..- .. ~ .. , et .. je me mo..... véri..ltemenl d!"aisanl avec la sociol",ie criti'!""- cela A'eS! Q"" prov isoire. u """"'.. velO> , AOtice ~ l oCliol",ie il> ><>ci al. f xi iii... 1"''''- ",e Jo lIOCiol",ie cri~"" Be il>ive ..tendre . ... ' au j ",' t la Cald... i.... lonque na.. obad...... la que";'... do '" pen~ nellce polili,!"e.
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Chang", de . ociété
pou ssant à ses conséquences les plus e xtrêmes la p osition que j ' ai c hoisie d'adopter à titre e xpérimental. L' épreuve cœu istera à voir combie n de nouvelles q uestion, il est possible de form ule r e n m' en tenant coûte qu e co ûte, d parfois aveuglément, à toutes les obligations que Ce nouveau point de départ m' a imposées. En dernière analy se, et en conclus ion de cet ouvrage, il s'agira de savoir si la soc iologie des assoc iations s' es t montrée capable de prendre le re lais de la sociolog ie du soc ial e n suiva n t d es con nexio ns nouvelles , et si elle a pu hériter d e tout ce qu 'il y avait de légitime dan s l ' ambition de construi re une science du social. Com me d'habitude, il reviendra au lecteur de juger du succès de Cette opération. Pour ce ux qui se plaisent à relier une innovation à quelque ancêtre véné ra ble, il n' est p as inutil e d e rappeler qu e ce tte distinction e ntre deux faço ns tr ès di fférentes d e concevoir la tâch e des sciences sociales n' a ri en de nouveau. On la trouve établie dès les tout premiers comme nceme nts de la di scipline (du moins en France), dans la dispute entre Ga briel Tarde et Émile Durkheim qui e n slI1it vainqueur '1. T arde déplorait toujours que Durkheim ait confondu, d'après lui, la cause e t l'effet, abandonnant la tâch e d ' expliquer la société a u profit d'un pfl:!iet politiqu e qui substituait à la compréhension du lien social un objectif d 'ingénie rie soc iale. Co ntre son j eune rival, Tard e aff irmait vigo ureuseme nt que le social ne constituait pa s un domain e parti c ulie r de la ré alité, mai s un principe de connexion ; qu' il n' y avait aucune raison de sé parer le .. soc ial " humain d' autres asseciations, co mme les organis mes biolo giqu es, voire les a/o rnes; qu e, pour d evenir une science sociale, la sociologie n'avait pas besoin de rompre avec la philosophie, et en particuli er avec la métaphysique ; que la sociologie était en fait une sorte d 'interpsychologie li; que l'étude de l' innovation, et tout particulièrement de la scie nce e t de la technique, é tait l' un des terrains les plu s prometteurs dela th éorie sociale; et qu'il fallait reconstruire 17. M otl n! los ',," VlIUX prée u"","n de J. M J1If. Gobrie/ Torde" /0 ~i lo ",!~ ~ Je rhl..,in ( 1970) et 1.. ","hc.. de O. Re )'llil! " B. Ka"cllli. ce n·"" Q"" ""emmen ~ ldce oux n!Odili.en. do. Fm ~d:l o "'" do PO""'' 'Brond. 'l'' ·en 0 pu j"l'" de l"irnportoœ e de T ude, IW poO" qu· .. a )XI p .. lor de ~ laId "m ani a • . liB iII11 oi .. .. lJOuv", a l"exce)· lonto compila."" do T.C- C... . '" 0. C""""", ico'ù .. onJ S ociol lnj1Ju "C' (1969) et )XI '"' un 01"""1" réee.., vu;,- B. U TnJ1, ~ O iibrielTude ...d the liBd " f the S ocial . (2OlU). 18. Pw " A' " . it'''' ~ l" intro·p"ychul"llie• ....- laquollo il fut aVile d o p ord ... V". O . TA ~ ,w-!ludiiJgie "socioiJgie ( 1999 [ 1!l9SJ ).
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l' économie de fond e n comble plut ôt que de l'utiliser c omme une vague métaphore pour décrire le calcul des intérêts. Par-dessus tout, Tard e concevait le socia l non pas comme un o rga nis me mais c omme un fluide en circulation qu e de nouvelles méthodes quantitative s de type ép idé m iologiq ue devaient permettre d e suivre. No us n' avons pas à accepter toutes les particularités de Tarde - e t e lles son t n ombreuses - mais, dan s la galerie de portraits de s éminents prédéce sseurs. il est, avec John Dewey et Harold Garfinkel, l'un des très rare s théoriciens qui ait pensé que la soc iologie pouvait e xpliquer la façon dont la soc iété se maintient comme telle, plutôt qu'une façon d'utili ser l' existence préalabl e d e forces sociales pour expliq uer qu elque chos e d' a utre. Le fait que les sociologues du social aient infligé à Tarde une défaite écrasante, qui l' a réduit pendant un siècle à une existence fanto matiqu e, n e prouve pas q u' il ait e u tcet . Au co ntrai re, cria ne rend le présent ouvrage que plus néce ssaire. Je suis con vaincu que si la sociologie ava it été influencée dans une plus large me sure par Tarde (e n plus de Comte, Marx , Durkh eim et Weber), elle a urait pu devenir une discipline plus pertinente e ncore : à mon sens, e lle di spos e e nco re d e s resso urces n éce s saire s. D'ailleur s, comme nous le ve rron s à la fin d e Cd o uvrage, on peut aisément réc oncilier les deux traditi ons, la secon de se con ten tan t d e repre ndre la tâ che qu e la première a va it cru trop rapidement complétée. Les fact eu rs q ui se trouvaient rassemblés pu- le passé so us l' étiquette" domaine social " ne so nt qu e qu elques-uns des éléments qu'il s'agit, à l' avenir, d'as sembler à l'intérieur de ce qu e j'appellerai 0011 pts une soci été, mai s un collectif.
Gabrl d Tarlk . Un a utre préc uf><e ur po ur une théor ie sociale alterna th'e Gabrie l Tarde (1843-1904) était magtsrat, avant de s'init ier seur à la criminologie et d' entrer au Collège de France, où il fil t le prédécesseur de Bergson. Quelque'J citations suffisent à donner une idée de la distance qui ~pare 1e'J deux courants de pensée qui nous intéressent. Voici la définition que Tarde donne de la llOC iologie: " Mais cela suppose d'abord que Ioule c/wu esl WU' lOCi/ll, que tout phénomène est un fait soci al. Or, il est remarquabl e que la
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science tend, par une suite logique d'ailleurs de ses tendances préc~ dentes, 11. gëneeanser étrangement la notion de société. Elle nous parle de sociétés animales 1... l. de sociërés cellulaires, pourquoi pas de sociétés atomiques? J'allais oublier les sociétés d'astres, les systèmes solaires et seenarres. Toutes res sciences semblent œs trëe s à devenir de s branches de la sociologie. » M 01llldo1ogii! et JlJCioliJgie (1999), p. 58. Il eSi intéressant de noter que Tarde fut pendant de nombreu..'\es enœes chef du Bureau de la statistique au ministère de la Justice et qu' ace titre il crut toujum al1.ant aux monographies qu'aux données quantitatives. Son point de désaccord avec Durkheim concemait en revanche le type de quantum que la sociologie devait identifier. Chose capitale pour notre argument, en généralisant le s monades de Leibniz, mais en l'abs ence d' un Dieu, le projet de Tarde inverse le lien entre le s niveaux micro et macro: « 1. ..] c 'est toujours la même erreur qui se fait jour: celle de croire que, pour voir peu à peu apparaltre ta régularité, l'ordre, la marche logique dans les fait
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19. SOI «u impo....'" v ...... . Lapol&nique T.-de YI Dwi· hoim . (2ll}{ii.
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Mats ~i l'on peut considérer Ta rde comme un ancêtre direc t de la théorie de l'a cteur-r éseau, c 'est parce qu e son meilleur exemple de connexion sociale tient toujours Il l'histoire et Il la ~ociologie des sctenœs : " Quant au monument scientifi que, le plus grandiose peut-être de tous les monuments humains, il n 'y a pas de doute possible, Ct: lui-là s 'est édifié à la pleine lumi ère de l 'histoire, et nous suivons son déve loppe ment Il peu près depuis ses œ buts jusqu' Il nos jours. (.. .J Il n'est pas de loi, il n'est pas de théorie scientifique, comme il n'est pas de système philo\;ophique, q ui ne porte encore écrit le nom de son inven teur. Tout est là d 'origine individu elle, non seul ement tous le" matériau x, mais le" plans, les plans de détail et les plans d'ensemble; tout, même ce qui est maintenant répandu dans tous les cerve aux cultivés et enseigné Il l'école primaire, a débuté par être le secret d'un cerveau solitaire (.. . 1. ,. Lois socialn, p. 125. M ai ~ ~i pour Tarde tout est d'origine individuelle, tout dans l' individu est d'origine infra-indi viduel le. Ce qui 1'tntére sse ce ne sont pas les personnes comme telles, mais les innovations, des quanla de changement doués d' une vie propre: « Voilà pourquoi enfin une œuvre sociale quelconque ayant un caractère à soi pjus ou moins marqué, un produit industriel, un vers, une formule, une idée politique ou autre ap parue un jour quelque part dans le coin d'un cerveau, rêve comme Alexandre la conquête du monde, cherche à se projeter par milliers et millions d'exemplaires partout 00 il Y a des hommes, et ne ~ 'arrête dans ce chemin que refoulée par le choc de sartva je non motns ambitieuse. ,. M o1\i1diJliJgit el sociotogje. p. 96. E nf in , Tarde est de la plus grande utilité pOlU" la théorie de l' acteur-réseau parce qu 'il ne sépare jamais les sciences sociales de la philosophie ou même de la métaphy~ique : « Exister c 'est différer, la différence, à vrai dire, est en un sens le côté subtantiel de" choses, ce qu'eue s ont Il la rois de plus propre et de ptus commun. Il faut partir de uer se défendre d'expliquer cela, à quoi tout se ramène, y compns l'identité d' 00 l'on pan faussement. Car l'identité n'est qu'un minimum et par suite qu'une espêœ, et qu 'une espèce infmi ment rare, de différence, comme le repos n'est qu'un cas du mouvement, et le cerc le qu' une var iété de l'ellipse. Panir de l'identité primordiale, c 'est supposer à l' origine une singularité prodigieusement improba ble, une col'ncidence Impossible d 'êtres multiples, à la fois djs üncts et semblabl es, ou bien l'inexplicable mysëre d' un seul être simple et ultérieurement divisé on ne sait pourquot. ,. M onado logii> et socwlogii>, p. 72-73.
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Pour e xplorer la façon dont la sociologie de l'acteu r-réseau peu t contribuer r éassembler les conne xions sociales, ce livre est organisé en trois parties, de taille inégal e, qui correspondent a ux troi s tâch es q ue la sociologie d u social a co nfo nd ues pour des raisons qui, d' aprè s moi, ne sont plus j ustifiées : P rem ière que sti on : co m me nt dép lo y er le s nombre us e s controverses p ortant sur les assoc iations sans res trein dre par avance le soc ial à un domaine spéc ifique? De uxième q uestion : com ment doc umenter les moyen s qui permettent aux acte urs de susbllise r cev controverses ? Troi sième question : par quelle s procéd ures est-il poss ible de réassembler le social oon plu s sous la forme d'une soc iété, mai s d'un collec tif ? Dans la premi ère partie, nou s verrons pourquoi les sciences sociales sont devenu es bea ucoup trop timorées lo rsqu ' elles déploi ent la com plexité des associations q u'elles renco ntrent et pourquoi no us ne devons pes lim iter a priori les types d'êtres qui peuplent le monde sociat". Co ntra ireme nt à elles, j e voudrai s s uggérer qu ' il es t poss ible de se nourrir des co ntroverses e t d' apprendre à de venir de bons relativistes. L a seconde partie m ontrera com ment il est possibl e d e rendre les connexions sociales traçables e n suiva nt le travail de stabilisation des controverses analy sées dans la première partie. Enfin, nou s verro ns en conclus ion pourquoi il va ut la peine de mener à bien la tâche qui c onsiste à assembler le collec tif, m ais seule ment après avoi r abandonné les raccourcis de Ia « société .. comme de 1'« e xplication sociale ... S'il est vrai que les vis ions de la société offertes par les sociolog ues du social furent surtoœ une façon de garantir la paix civile à l' époque du moderni sme triomphant ", quelle vie collective et quel type de savoir les socio logues des as sociations peu vent-i ls produire, m aintenan t qu e le doute plane s ur la à
<10 cOd 1. 'I"","ioD do l. sociolopo 'l''..O: ve,,"Ir . oc"l '1"" jo vm ..,;"'" d .... çol oovrq;o . 21. « La promio\ro """'''0''''0 il> mo<" scio"" o soci. .. ~ 50 !JOuvo "'n. .. promià o Mi ûoD il> /IUDOOX ",no d ·Emm...,Œ Si"Y ~ ' « QO'OIl"'O'1"" 10 tien ~ lal 1 • . Sioyh (et DOD Com ..) os< ~ p lo mo nl l ' i nvo n"' Ir do """ " ' oc iolOJ i o~. Sor 1. scio""o "",i.lo comme " ",io""o <10 I · OI~ IUIi..o: OII _ iolo • , ". A uœ.E.N. LL.jur~ '.. " Ifs Jm..m.th b lcimeo 10d,, 1e ~n Fr" lIC~ 120(6). VoiJ lmO lœ.""o di...." "", d .... B. K........Nn. P ol ~ 'iqw . th 1""Pril __ .4. "8 "''' GJ",s . " la naWana th b sc.."", social<- (2006). 20. j·.i 1":
croy""o d do quo",","
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modernisati on, bien qu'il soit encore plu s important d'inventer des formes de cohabitation? En recourant à une métaphore cartog raphiq ue, on po urrai t dir e q ue la sociologie de l'acteur-réseau s'efforce de rendre le monde social auss i p lat que possible, afi n de s'assurer qu e l ' ét abl i ssem ent de tout nou veau lien deviend ra cla ire me nt visible 22. À certains égards, cet ouvrage s'iÇparente à un guide de voyage por tant sur un terrain à la fois complètemen t ban al - il ne s' agit de rien d' autre qu e d u mond e social tel qu e nou s l e connaisso ns - e t total em ent e xot iq ue - il nous fa udra a ppre ndre à ralent ir le pas à c haque étape. S' il pe ut se mbler indigne aux yeux de chercheurs série ux de comparer des règles de méthode soc iologique à un guide de voyage, rappel ons courtoisement que les questions .. où aller f » et .. que vaut-il la peine de vo r ?,. ne sont rien d'autreq u' une man ière de traduire en bon français ce q ue le grec nomme pompeusement .. méthode " o u, pire, « méthodologie ». L ' avantage d'une approche « guide de voyage » sur tout « discours de la méthode », c'est qu'on ne peut la confo ndre avec le territoire auquel elle ne fait qu' ajouter sa voix off. On peut c hoisir d'utili ser un guide à bon escient ou de l' ig norer, de le mettre dan s son sac à dos, de le mac uler de café o u de tach es de grais se, de le couvrir de noi es, o u d'en déchirer les pages pour allumer un barbecue .. . Bref, il offre a u lecteur des suggestion> plutôt qu'une sujé tion. Ceci dit, il ne s'agit pas pour autant d'un ouvrage de salon qui s'adresserait sur papi er glacé au visiteur trop paresseux pour partir en voyage; c' est un livre pour praticiens qui a pour ambi tion, une fois qu' ils se seront bien e nlisés, d e leur proposer d'autres repè res . Pour ceux q ue l e déploiement du monde social n'intére sse pas ou qui ne s' y sont pas encore brûl é les doigt s, il apparaîtra, j'en ai peur, complètement opaque.
22. Voir! . "",o nd. J"UIio pour lo
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Comment déployer les controverses sur le monde social
Introduction
Du bon usage des controverses
COMME toute s le s sciences, la sociologie commence par l' étonnement. Bien de s c hoses peuvent provoquer la surpri se, mais c 'est toujours la présence paradoxale de quelqu e ch ose à la foi s invisible e t tan gible, tenu pour acquis e t pourtant su rpren ant, banal mai s d 'une s ubtilité stupéfiante, qui donne le coup d ' envoi d e c ette ten ta tive é tran ge pour d ompter le fau ve du soc ial. « Nous viv on s en groupes qui parai ssent so lide ment établis : comment se fa it-il qu'ils se tran sforment si rapldement " » « Nos action s s ont déterminées par d es e ntités s ur le squell es n ou s n'avons aucun contrô le e t qui semblent pourtant aller de soi. JO .. Il Yaquelqœ chose d' invisible qui nous surplombe, plus solide qu e l'acier et, pourtant d'une d ésarmant e fragilité. JO .. II existe d es forces é tran gem ent sem blables à celles qu ' étudient le s sciences de la natu re, et pourtant qui obéissent à de tout autres lois. JO .. Ce mélan ge é to n na n t de ré si stance e n tê tée e t de co mp lexité perverse semble s'offrir à l'analyse, e t pourtant il d éfie toute a nalyse. JO On a urait du mal à trouver un sociologue qui ne soit pts éb ranlé par l'une ou l'autre de ces perplexit és. Ces én igmes ne sont-elles pa s la source de notre libido sciendi, ce qui nous pousse à consacrer tant d'énergie à les résoudre ? Et pourtant, c omme nou s allons nous e n ren dre c ompte, la distance es t chaque j our plus grande e ntre la c ause de ces é tonnem ent s et les e fforts pour e n rendre compte. Dan s cette première partie je v oudrais montrer q ue, bi en que le s intuition s d e la
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soc iologie soient souve nt justes, les solutions offertes par une définition automatique du soc ial ont ahéré ce que ces intuitions avaient de scientifique et de fertile" C'est pour cela que nous réexaminerons c hacune de ces qu estions , l' une après l' autre, afin de pouvoir reno uveler notre définitim de la société. Au lieu de divi ser le domaine social, comme le font généralemen t de s manu els de sociologie, e n listes d'acteurs, de méthodes e t de domaines déj à considérés comme des membres à part entière, je suis resté fidèle à mes principes relativistes e n o rga nisa nt la première partie de cet o uv rage e n fonction de s type s de controverses portant sur ce qui cunstitue cet univers"Je crois qu'il est po ssible de conserver les principales intuitions des sc iences sociales e n e xa m inant c inq incertitudes majeure s portant 1 : 10) sur la nature des regroupement s: il existe de nombreuses mani ères contradictoires d'assigner une identité aux acteurs ; 20 ) sur la nature des actions : dès qu'on suit lIIl co urs d' action donné, un vaste éventail d'être s font irruption pour en trans former les objectifs initiaux ; 30) sur la nature des objets : il se mble que la liste des entités q ui participent a ux interactions socia les soit beauco up plu s o uverte q u'on ne l' admet général ement; 4°) sur la natu re des faits établis : les controverses se multi plient s ur la natu re des sciences naturelles et leurs liens de plus e n plu s é tranges avec le reste de la société; 5°) et, finalement, s ur le type d' études co nd uites so us l' étiquette d'une science du social, dam la mesure o ù o n ne voit j amai s très cl aireme nt e n q uoi les scie nces sociales se raient empiriques" Si presque tout semble jouer contre la sociologie de l'acteurréseau, c'es t parce que, avant d'avancer dans quelque direction que ce soit, il faut additi onner ces c inq incertitudes, c hacune venant d 'ailleurs rendre la précéd ente plu s int ri gante e ncore, avan t de pou vclr retrouver un peu de bon sens - ce qui ne saurait advenir qu ' à la fin " L a plupart des utili sateurs de cette l. J""; ""O"" Jo ..""" d"« i llC o rt it ~ IIO vq"" oIJ...;OII au « pri llCi"" d "iŒorlitlld< ~ _ por.., quoi( a""' jo""'" pœsilio JHoooœ... oIJ ",M. C_ ""... Ii: ""rrœ.. l"OIKcTV " "''- ' ' ""'" j.....i> ..voU- ce q"" 1"0"""'- ill" "o' "'" pl.J.. < pI6ci >é....... , p:m,- "'''''' "'; lIOII
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l lllroducli rm : d u b rm usage d e< cmur<JW'I'St!s
théori e ont jusqu'ici montr é une patience limitée, e t je ne peux p as leur e n vo uloir puisque le lecteur trou vera dan s ce tte première partie un e list e d'instru ctions q ui visent à r endre l e déplacement plu s coûteux, plus lent et plu s pén ible 1 ... C'est q ue j e veux rompre avec l'habitude qui cons iste à lier les notion s de « soct été », de « facte ur social » et d' « explication sociale » avec une accélération soudaine de la description . Lorsque les sociologues du social prononcent les mot s « soc iété '", «pouvo ir '", « structure," et « contexte '", ils semblent faire un bond e n avant reliant de vastes pans de vie et d'histoire, mobili sant des fo rces titanesqu es, di scernant dan s les cas étud iés autant d' exemples typiques de structures cachées. Même s' il est vrai que les relations soc iales plu s anci ennes sont e mpaquetées de façon à fournir des e xplications toutes faites à bi en des é nigmes, le temps e st pourtant venu d' ouvrir tou s ces e mballages pour examiner avec soin le genre d'expücaton s q u' ils peuvent vraiment fo urnir. Dè s qu 'on souhaite découvrir des acte urs nouveaux et inattendus qui n'œu émergé que récemment et qui ne sont pas encore des membres de plein droit de la « soc iété '", il faut partir vers d'autres destinati ons e t e mporter avec soi un équipement très différent. Comme nous anco s le voir, il y a a utant de di fférences e ntre les deux usag es du terme" social '" qu ' ent re a pprendre à cond uire sur un e auto route déj à o uve rte à la circ ula tion et explorer pour la première foi s le terrain irréguli er qu e devra traverser une route dont le projet a été planifié contre la volonté de nombreuses communautés locales 1. Il ne fait pas de doute que 2. Le. loel"'" p .... diroel....m ' Ot'& e. r.US dem...doit ""'" qn ene m e... e . . POUVlIit . bron a l'" ",," e lbl",;" du soci.l.vec 1. sociol",ie « conven ~o m el le ~ .VO....il c<>mme obj",û "" 1. f .,o> d_ 1.. m.lode . aile.." du . id a '" Jfl()bi~",. . e> t... qne I nlUp<. EDe voy ail du . le. "'pnisotie ", de l''tien .. un COS de défini. on « c""vem""""lle ~ do soci.l - tout . im plement J'IUI'e QU 'elle av';, déP. oulJlié l'innovatio> m~ eu", l rice ~ l aquelle ce ' id. poû , '6tlI;"n, mi. ~ fai", de .. pol itique .vec de. ré.. ""ru•. Or , l'acÛYisme lié et, pl l éDéf1Ùo metll, l a pJ<>~féRÔ OIII de. OQiU isaliOlll ' de mal ad.. ojfu,tIl .. ,. " e ' le 1"'''' d 'im ()\'lltie ns QUi . vai' ob~gé le. p"'lagoni. ",,, il. Y• quelque••nné-lIuN , /"f'.re Sc " ,.,e. Âid.l. ÂCl wi.l m <>nd rht! Po ~ Ih (1999) ; el N . 0ס0lI-.1, iLçons po/iliq"'. Je l"ipidimie de .i'" (2ool). Cel ..emp le prouve .."" qu
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le praticien de l'ac teur-réseau préfère avancer lentement, sur de s petites routes, à pi ed, e t en payant de sa poche tout le coût du d éplacement. Ce c hangement de tempo est dû a u fait q ue, a u lieu d'adopter une pos ition raisonnable et d ' a ssigner WI ordre défini par avance, la soclologle de l'acteur-ré seau prétend être mieux en me sure de trouver de l'ordre apr ès avoir laissé le s acteurs dépl oyer toute la gamme de s c on troverses dans le squelles ils se trou vent pl ongés. Tout se passe comme si l' on disait a ux acteurs : " No us n'allon s pas essayer de VOlIS di scipliner, d e vous faire coller à nos catégories ; nou s allon s vo us lai sser déployer vo s propres monde s ; ce n' e st qu ' ensuite qu e nous vous demand eron s d ' expliqu e r c omme nt vo us e n ê tes arrivés à les érablir. » Autrement dit, la tâche de définition et de mise e n ordre du social doit ê tre laissé e a ux acteurs e ux -mêmes, a u lieu d ' être accaparée par I'enq uêteur. C'est pourqu oi , si l' on v e ut ret rouver un certai n sens d e l' ordre, la meilleu re solution consi ste à tracer de s co nnexio ns entre le s con troverse s e lles-même s plu tôt que d' e ssayer d e décider comme nt rés oudre un e controverse donnée'. La qu ête d' ordre, de ri gueur e t de struc ture n'est aucunement abandonn ée. Elle est seul ement d écalée d 'un d egré supplémenta ire vers l' abstracti on , afin qu e les acteurs puissent d éployer leurs différent s cosmos, aussi contre-intuitifs qu'ils puissent paraître ". C'est ce degré accru d'abstraction dans la théorie sociale qui rend notre théorie d'un abord difficile. Et pourtant, ce dépl ace ment n' e st pes p lus difficile à comprendre que ce que fait une c arto graph e lorsqu ' elle t ente d e reproduire le co nto ur d 'un
4. l ' un d e. me illew . exrmple . d e l, rieho .. e de eOl.'e opproclte e " foumi p Ol L BOU AN'XI et L T1le de .<JUva- tm ",die bcoueœ.p pl... ",l ,,,,,i. , e",ptt le fait '1"" 1"" ~ un, "",il; ~ .ix princip<> de jœtifit;,O:OI> (le. " ~ oo " ",Ik.. do 1!J.. j<' • (BCLrA ~ "" 1 e' E . CHIAPfil.O, IL "'ovIJ"i
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littoral inconnu sur une feuill e de papier. Elle peut certes tenter de donner aux div ers rapports envoyés par les explorateurs un format géom étrique prédéterminé - les bai es doivent avoir la forme de cercles, les caps de triangles, les continents de carrés . Mais, après avoir constaté la confusion de ces relevés dont aucun n' obéit exactem ent a ux for mes prédécoupées, la ca rtographe acceptera avec e mpressement toute proposition de rempl acer la quête de rigueur géométrique par un quadrillage carté sien totalem ent abstrait. S'il paraît terriblement pauvre de relever c haq ue point par sa longitude e t sa latitude, il serait plus stupide e ncore de s'obstiner à ne garder que les données qui correspondent à des fo rmes géométr iques définies à l ' avance .. . Not re cartogra phe utili sera ce q uad rilla ge vid e po ur enreg istrer pati emment l e contour du littoral autorisant dès lors un tracé aussi tortu eux que l'histoire géologique elle-même. De la même façon, l' acteurrésea u pr étend q u' il est possible de tracer des relation s plu s solides e t de découvrir des motifs plu s éc lairants e n prenant acte des lien s entre des cadres de référe nces in stables et change ants, plutôt qu ' en s'efforçant de maint enir la stabilité d'un de ces c adres . L a société n ' est p as p lu s faite d' . ind ividu s ", de • c ultures" o u d' . États-nations ", même . e n gros ", qu e l'Afrique n' est, « en gros » , un cercle, la France un hexagone, ou la Corno uaille ml triangl e. Rien de surprenant dans ce mouvement vers l'abstraction : c haque discipline scientifique me t du temps à développer le type de relativisme adapté à ses donnée s. Pourquoi la sociologie serai t-elle la se ule di scipline à ne pas inventer sa propre voie e t à s'en tenir aux é vidences premi ères ? Maintenant que les géolog ues ont accepté le principe de plaques conti nentales froides et rigid es flottant librement a u-dess us du magma e n fus ion qui s'ép anc he hors de failles océa niq ues profondes, ne disposent-ils pas, si l'on me permet l'expression, d'un terrain plu s fenne ? De même, la sociologie de l' acteurr éseau pr étend q ue nou s parviendrons à construire l e mond e soc ial de faço n beau c oup plu s sc ie ntifiq ue si nou s nou s abstenons d'interrompre le flot des controverses. Nous devon s, nou s a ussi, prendre pi ed sur un terrain solide : en l' occurrence, s ur des sables mouvants . Bien qu' on mette so uve nt en gar de contre le danger de « se ooyer dan s le relativisme » , je prétends a u contraire q u'en doit a pprendre à y nager.. .
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Les métaphores e mp runtées à la c artograp hie 00 à la physique font cependant long feu dès que l'on commence à déployer tout l' éventail d es incertitudes a uxq uelles les soc iolog ues d es a ssociations vont avoir a ffaire. En e ffet, les acteurs semblent avoir une capac ité stupéfia nte à se trouver en d ésaccord avec tout ce que les soc iologues sont censés tenir pour acq uis a u début de leu r travail. Abandonner le c adre de référence fixe qu' offrait l'éther, comme l'ont fait les p hysiciens, semble assez fac ile p:r comparai son avec le lest q u' il nou s fa udra lâch er si nou s voulo ns lai sser les acteurs libres d e déployer toute l'i ncommensurabilité dont ils sont capables dam; leurs manières de fa ire des monde s". Pour reven ir à l'exemple de notre cartographe, tout se pa sse comme si celle-c i devait n on seulement rec ourir à des rele vés provenant de n ombreux voyageurs, mai s encore à de multipl es grilles de p roj ection , comme si chaq ue point requérait so n propre sys tème d e coo rdonnées . Face à une tell e confusion, elle peut décider soit de res tre indre la gamme de s co ntroverses, soit de leu r lai sser lib re cours. Pré -relati vi ste, la première solutio n foncti onne parfaitement, mais elle ri squ e de limiter la soc iologie à de s situations de r outine , fro ides et tranquilles . R elati viste, la seconde solution d evra cartog ra phie r des situations c haudes, actives et extrêmes, mai s à condition qu' on laiss e les controverses se déplo yer ju squ ' au bo ut. La plupart d es diffi culté s a uxque lles se heurte le dévelop pement de nos disclpllnes tien n ent à un refus d' être trop théorique et à une tentati ve déplacée de s'accrocher au bon sens, mêlée à un désir prématuré d' engagement politique. La pire solution serait de tenter un compromis entre ces deux pos itions, dans la m esure o ù les co ntroverses ne sont pa s seulement des nui sance s qu'il s'ag irait de tenir à l' écart, m ai s ce qui permet a u soc ia l d e s ' étab lir e t a ux di fférente s sc iences sociales de contribuer à sa c o nstr uctio n. Telle es t la pos ition e xtrême que je voudrais m' e fforcer de maintenir aussi lon gtemps que possible. Son prin cipal défaut est qu e, tout a u lon g de leu rs pérégr inatio ns, le s lecteu rs dev ront se contenter
6 . EB ""I1m. l" ex""''''OA " ".... /d._i"ll • ,N. Go:n.<JlN, Mo"l,,, dT foin d.. m,.. ,u, (1'W2~ , .. ait appropriO< , i '" A'." PO'"' la ' O = piOCl"' '' fait. ~ ",i lui ." IIMOCIil ... pour l'.... icito! do " mond• • i mp~ ", l d..., .. dlfi1li6oA. N... , _ fi .. pk!, 10 .. 1. (XlIl>lruCliv;"". _ ", il p. 126 _ Il, p . u 10 .. m«U, co ", . rompo ... " mo."lo ''''''1IOllI • "'pilï. _ p. Hl.
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flllroducli M : du bM U.
d'une diète sévère : il leur faudra se nourri r de s c ontro versa; sur le social. Dam; le mond e q ue la sociologie de I'associauon s'efforce d e parc ourir, a uc un d épl a c ement ne se mble possible san, d e coû te uses et pénible s tradu ctions. En choisiss ant de voyager avec la soc iolog ie de l' act eur-ré seau, le le cteur doit se p répare r à marcher trè s lentement ; so n mou vement se ra cons tammen t interrompu, perturbé, stoppé e t dé sorienté par le s cinq type s d'In c ertitude s. Le, soc iolo gues du socia l, e ux, peuv ent se d éplac er rapid ement , e mporta nt avec e ux du pou v oir et de , connexions de façon presque immatérielle, tandis que le pratic ien de J'acteur-ré seau doit cheminer aussi lentement qu 'un termite pour tracer la plus infime connexion. Et pourtant, cette lenteur, cette lourdeur, cette myopie, c'es t la méthode même. C'est pourquoi. à la fin de cet o uvrage, nou s tenterons de résumer ce qui différencie une bonne description d 'une mauvaise e n nou s posant tro is que stion s : a) Toutes le, difficulté, du voyage ontelle, été identiflées ? b) Nou s sommes-nous acqu ittés de l'intégralité du prix qu' entraîne le d éplac ement d'une connex ion à l' autre? c) Le voyageur n' a-t-il pas triché e n acceptant subrepticement de se faire prendre e n a uto-stop par un «ordre social » d éjà e xistant ? Mais, av ant d ' en arriv er là , mon c on seil e st d' emporter aussi peu de bagages que po ssible, de ne pa, oublier de payer son billet, et de s 'attendre à de, retards ...
Première source d'incertitude Pas de groupes, mais de s regroupements
PAR o ù faut-il cœnmencer ? Comme toujou rs in medias res, par le mili eu d e s c hoses . La lec ture d 'un qu otidien ferait -elle l' affaire? P ourqu oi pa s ? Ce po int de dé part en v au t bi en d'autre s. Dès que nou s o uvrons le journal, nou s sommes pris sous une averse, une inondatioo, une épidém ie, une infestation : toutes le s deu x ligne s, un aute ur laisse de s indices qu 'un gro upe est en train d e se fa ire ou de se dé fai re . Ici, c'est le P -D G d ' une grande e ntreprise qui dé plore que, cinq ans après la fusion, les différentes branches de sa soc iété ne soien t pas e ncore pleinement inté gr ées e t se demande com men t " p rom ouv oir une c ulture d'entreprise co mmune s ; q uelq ues li gnes plus bas, on trouv e un a n thro po logue qui ex pl iq ue qu 'il n'y a pa s d e di ff é ren c e « ethn ique » entre le s Hutus et le s Tutsis au Rwanda, mai s qu 'il s' agit e n réalité d'une " différence de classe » « Instrumentalisée » par les autorités c oloniale s puis e naturalisée ,. so us forme de di fférenc e " c utturelle » ; dan s le Courrier d es lecteu rs, un Écossai s nou s rappelle l' " a Uiance gkxieuse » e ntre la France et la re ine Mary d'É co sse, pour ex p liquer pourquoi so n pays ne dev rait pa s céder à l'europhobie des Anglais ; un autre correspondant s' e fforce d' expl iquer pourquoi les jeunes Françai ses de sec onde génération issues de l' immig ratio n algérienne qui se présentent à l' école en portant un vo ile islamiqu e sont consid ér é es par leurs professeu rs co m me d e s " fa natlq ues » q u i 41
Cmlllllt'lIl
dlployer 1", ("OII lrrHle"",
...,
le monde social
• s'excluent e lles- mêmes ,. de la Républiqu e ; dans la section sur l'Europe, on apprend que les fonctionnaires de Bruxelles pensent d e plu , en plus . e n tant qu'Eu ropéen , ,. et ne sont plu , • prison niers de leur o rigine natt onale » ; dans le supplément mu sical, une dispute féroce sur la fréquence de leurs diapasons déchire le, ensemb le, baroque, : rn s'accuse d'« archaïsme », de " mépris de la tradition », ou d' « scad émisrre ,. ; dans la section informatique, un j ournaliste tourne e n dérision l' attachement de s utilisateu rs d 'Apple à des machines d evenue, marginales et propose une « interprétation c ulturelle » de ce q u' il appelle une forme de " technu-fanatisme » ; plu, ba " un éditorialisje prédit que, bien que se, fro ntière, soient relativement récente" l' Irak continuera d' exister e n tant que nation e t ne se divise ra p as e n fonction de s vieux clivages religieux ou de s . runes d'jnfluenœ » historiques ; dans une a utre colonne, I'ecc usaüon selon laquelle ceux qui seraient centre la guerre en Ira k serai ent . a ntiam érica ins ,. est tournée en œrtsion. Bref, ça ne s'arrête j amais : appartenir à un groupe, c'est se trouv er mobili sé pa r de s li ens incertain s, fragiles, contro versés et c rns tamment fluctuants . N' e st-ce pas é trange? Si nous nous conten tions de suivre les indices liv res par no , journaux, l'intuition principale de la soc iolo gie de vrait être qu ' à c haq ue moment le, acteurs se voient tvoposa l'affiliatiun à un groupe . Et pourtant, lorsqu'on lit le, théoricien, du socia l il semblerait que la qu e stkm principale, à la fois la plus im portante et la plu s urgente, c 'est de savoir quelle unité orig ina ire fou rn it le meilleur point de d épart pour commencer une e nq uête sociale. Devons -nous consid érer que le, a gré gat , soc iaux sont con stitués d ' « indivldus », d ' . organisations », de « classes » , de " rô le s », de " traj ectoire , biogra phique , », de " champ, di scu rsifs », de " gène. égoïste s », de • formes de vie ", ou de « ré seaux sociaux» ? Les sociologues n' ont de cesse de désigner une e ntité réelle, solide, prou vée e t bien établie, pour s'en prendre a ux a utres e n c riti q uant leur caractère a rt ific iel, ima ginaire, transit oire, illu soire, abst ra it, Impersonnel o u privé de signification. Devons-nous concentre r no , efforts, se demandent-ils, sur le niveau micro de, int eractions, ou n ous faut-i l co nsidérer le niveau mac rosc opiqu e, à moins qu' il ne soit préférable de partir d'un niveau intermé diaire? De quel s éléments vaut- il mieux partir : d e, march és, d es o rga niserions o u des réseaux ? 42
Prl'lltière source d'incertitude ,'pa< de groupes, mai" des regroupemelllS
Al or s qu e l' expérienc e la plu s cour an te du monde socia l consiste à ê tre so umis simultanément àplusieurs sollicitations de regroupem ent possibles et contradictoi res, il semble qu e la d éci sion la plus important e qu 'il faille prendre avant d e d evenir c hercheur en sciences sociales soit de déterminer au préalable qu els sont le s ingrédients déjà pré sents dans la soci ét é. S'il est assez évident qu e nous n ous trouvons enrOlés dans un groupe à tra vers une série d'interventions qui re nden t visibles ceu x qui clament la pertinence d'un groupe et le pro d 'importance des a utres, tout se passe comme !>i le s sociologues devaient d écréter qu 'il ex iste « dans le monde » un type de groupes qui sera it réel, tandi s qu e le s autres serai ent inauthentique s, obsolètes, artificiels . Alors qu e nous savons pertinemment qu e le monde soc ial se c arac térise avan t tout p ar le fait que des agents y tracent c onstamment des frontières po ur y regrouper d' autres ag ents, le s sociolog ues du social considèrent q ue la caractéri stiq ue p rincipale d e ce mond e rés ide dans l' exi stence indubitable des frontières, indépendam ment de l'identité de ce ux qui le s de ssinent et du type d'outil s qu 'ils e mploie nt. Plu s é trange e ncore : tandis qu e les soc iologues , les économis tes. les historiens, les psychologu es e t les politologues, arm és de leurs articles d e presse , de leurs démonstrati ons, d e leurs cours, d e leu rs rapport s, d e leurs e nquêtes, d e leu rs commiss ions et de leurs statistiques, œuvrent à d éfinir et red éfin ir les groupe s, le s théories sociale s le s plus co urantes font encore comme si l'exis tence de s ac teurs concernés restait indépen dante de cette masse de travail investie p ar le s professionnels o u, pire, com me si cet te bo ucle réfl exi ve in évitabl e empêc hait à tout jamais la sociologie d e d evenir une véritabl e science , Et pourtant, qu i saurait invoquer 1'« inconscient » sans Freud ? Qui po urrait d énoncer 1'« aliénatio n » sans Marx ? Qui se rai t en mesure de s' identifier aux" classes moyenne s aisées" sans le s statistiques sociales? Qui apprendrai t à" se sentir e uropéen " sans les éditoriaux d e la presse proeuropéenn e ? Pour résum er, tandi s q ue le premier p robl ème, pour le s sociologu e s, semble être de choisir un regroupement privil égié, notre expérience qu otidienne , si nous l'écoutons, nous suggère qu'il faudrait plutôt p ren dre comme point d e départ le s process us contradictoi res de formation ou de démantèl ement de grou pes - tâch e à laqu ell e le s sociolog ues contribuent activement. Ou bien nous suivons les soc iolog ues et nous com me nçons notre
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Omllllelll dlplayer I/'S ("(JII lm "",,/'S .lUI" le II\(JlIde soci al
voyage e n déterminant dè s le départ quelle sorte de groupe e t quel niveau d'anal yse doivent retenir notre attention, ou n ou s com me nç o ns no s pérégrin ation s par le s traces q ue laissent d errière e lles le s inn ombra bl es co ntrove rses o ù se trouv ent en gagés le s acteurs eu x-mêmes. Ce premier rés ultat n ou s met devant un cho ix qu'Il faudra refaire plusieurs foi s a u cours de cet ouvrage : suivre le s sociologues ou suivre le social. . . Alors qu' on ne c omp te plus le s e nquêtes sociologique s qui comme rc ent par a ffirmer t'existence d 'un o u de plusieurs ty pes d e reg roupement avant de s'exc use r profu sémen t pour cette limitation quelque peu arbitraire, rendue nécessaire, explique -t-on le plus so uvent, par 1'« obligatio n de limiter sun propos » ou par le « droit d'un scientifique à définir son objet JO, ce n' est pas là le ge nre d' affirmations, d' obligations e t d'excuses avec lesquelle s le s sociolog ues de s a ssoc iations c hoisissent d e commencer. La première so urce d 'incertitude dont nou s devo ns tirer des leçons, c ' e st j ustement qu'il n'y a pes de groupe ni de niveau qu 'il faille privilégier, pes de co mposant pré -établi qui pui sse faire office de point de départ irréfutable ' . Notre tâche ne consiste pas à é tablir - même par so uci de clarté, pour paraître raisonnable ou par obligation de méthode - une li ste stable de s re groupemen ts constituant le social . Bien a u contrai re : nous allo ns d ësuter par le s co ntro v er ses s ur l' appa rt en an ce, y c o mpris bien s ûr le s co ntroverses qui divi sent le s sociologues au sujet de la composition du monde social lui-même . Si quelqu 'un s' avisait de me faire remarquer que le s terme s d e « groupe JO, de « re groupement » et d' « acteur » so nt privés de sig nificerio nje répondrai s q ue c'est exact. Le mOl « groupe» e st si vide de sens qu 'il n'indique ni la taille ni le contenu ; on pourrait l'appliquer à une planète autant qu' à un individu, à Micro soft autan t qu' à ma famille, aux plantes c omme aux babouins . C'es t précisément pour ce la que je l' ai c hoisi.
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Prl'lltière souree d'incertitude ,'pa< de groupes, mai" des regroupemi'lllS
Nous touchons là à un point important du voc abulaire de la soc iologie de l' acteur-réseau, avec lequel je dois familiariser le lecteur des à prése nt afin d' éviter tout e co nfusion e ntre le langag e employé dan, cet o uvrage et le paysage qu e nou s allons traverser. En règle générale. j e préfère recourir au répertoire le plu s vague, le plu s banal, voire le plu s vulgaire, de façon à éviter de le confondre avec les langues multipl es parlées par les acteurs e ux-mêmes, Les soc iologues !hl social, quant à e ux, font e xac tement le contraire : ils s'eâorcem d'employer des termes précis, bi en c hoisis, sophistiqués pour désigner ce q ue les acte urs expriment. Mai s c'est d' après moi ce qui leur fait courir le risque de confo ndre le s deux métalangage s - car les « acteurs auss i » possèdent leur propre métalangage, aussi sophistiqué e t aussi réflexif que celui qui prétend les e xpliquer. En affirmant que les acteurs ne font qu e dissimul er ce qu e le sociologue leur fait dire, o n court le risqu e de ne pl us conserver la variété de ce que di sent les acteurs - la sociolog ie critique, elle, n'hésite pas à parler à la place des acteurs rendus muets par définition . La sociologie de l'ac teur-réseau préfère recourir à ce qu' on pourr ait appeler un infralangage qui reste vide de sens, si ce n' est qu'il permet le déplacement d'un cadre de référence à l' autre. Mo n expérience m e porte à croi re q ue c'es t là un e meilleure façon d e faire résonner le vocabulaire des acteurs - et si cette pratique relèg ue au second rang le j argrn des sciences socia les, j'avoue que cela ne m'inquiète pas le moins du monde 1 . Si je de vais proposer un contrôle qualité pour décider si une description de type acteurréseau est bonne o u mauvaise, il s uffirait de nou s demander si elle permet a ux concepts des acte urs d'être plus fo rts q ue ceux des analy ste s ou si, au contraire, c'est l'analy ste qui fait tout le travail. Dam le cas d'un document écrit, ce la implique un test aussi simple que discriminant: la prose des commentateurs es telle plu s intéressante, au ssi intéress ante ou moins intéressante qu e les citations et documents provenant des .. acteurs e uxmêmes " dont le compte rendu est issu? Si vous pensez que le test est trop facile à passer, c'est que la sociolog ie de l' acteurréseau n' est pas fa ite pour vous.
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Cmllmelll dép/Gye, les CO/I lroW'rses
SUI' /~
nw/ldi> social
Un e list e d es traces la issées par la forlllldion d l' uroupes Les nombreuse s di sp utes a uxquelles se livrent les !IOCiolegu e s et le s ac teurs e ux-mê mes a u s ujet d e s compo sa ntes premières de la société ne doivent pa s nous faire désespérer de s sciences sociales . Si la socio kigle de t' acteur-ré seau ne prétend pas nous apprendre un j our que la soc iété es t" vraimera " faite de petits agents individuels et c alc ulateurs, e lle ne prétend pas non plus qu e, puisqœ tout se vaut , on peut choi sir MJlI candidat selon l'humeur du moment . Au co ntraire, d ie tire de ces incertitudes la conclusion relativ iste, c'est-à-dire scientifique, que ces co n troverses fournissent à l'analyste une ressource essentiel le p our rendre traçable s les co nnex ions sociales . Elle affirme s imp lement qu e , une fois ces nombreux cadres d e référenc e devenus familiers , il sera possible d e parvenir à une compréhens ion a déq uate d e la genèse d u social, dan s la me sure o ù une co nnexion relativiste entre de s cadres de référence co nstitue une m eille u re bas e d e j u g ement o bjectif qu e le s co o rd o n nées absolues (et d onc arbitraire s) suggérées par le bon sens . C'es t pour cette raison qu 'il es t essentiel de ne pas commencer par une déclaratio n du type : e Ie s agrégats sociaux orig inaires sont princ ipalement fait s d e (x) " - e t peu importe si (x) repr ésent e l ' " agen t individuel » , le s " o rganisations » , le s « races », le s " p e tit s g rou pes », le s " É t a t ~ », le s " p e rsonn e s », le s " membre s ", la « volon té de puiss anc e ", la " libid o " , le s « biographies " , le s e c hampi JO, e tc . Notre but n' e st pas de stabili ser le social à la place des acteurs q u'die étudie mai s de lai sser les acteurs. au contrai re, faire le travail de composition du social à notre place ' . S ' il peut sembler à première vue plus facile po ur les socio logu e s de c hois ir un groupe plutôt qu e de c a rtograph ier le s con tro verses sur la formation de tous les groupes, c 'es t l'inverse qui e st vrai : le s controverses laissent beaucoup plus de traces dans leur silla ge q ue des connexions d éjà établies qui, par d éfinition, restent mu ett e s et invi sible s. Si un groupe me nt donné est simplement donné , alors il est mu et et on ne peut rien en dire ; il J. C""""" BOO ' l"'VOB' W du " l"iBtmd lroo", 10 , 'Id'Ie> d. ubili..ooB "'.. ox""" m m ' .... , i Onpa1BrO.. ' mai , "" 1""'_ 1lro ku.di.~ .. qu·""rh . vois Nf ""~ .... di,,; "i"~" w dOploi.""",'
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Premibe SOUl'ce d'incertitude ,' pa< de groupes, mai" de< regroupt'11II'1IlS
n ' engendre aucune tr ace e t ne produit par c onsé quent aucune information , S' il de vient visible, c'es t parce qu' on es t e n train d e le co nstituer o u d e le d émanteler : le s donn ées nouvelles et int éressantes vont alors proli férer. Notre solution consiste à ne plus chercher à dres ser la li ste de s groupements de ba se - tâche qu ' on ne saurait j amai s mener à bien - mai s plutôt la li ste de s é léments toujours p résents dans le s c ontrove rses portant sur le s groupes - ce qui es t beaucoup plus simple, Cette seconde liste est plus a bstraite , certes, dans la mesure o ù elle po rte sur le travail n écessaire à la d élimitation d e tout reg roupement , mai s elle produit au ssi beaucoup plus de donnée s, puisque chaque foi s qu'il es t fait référence à un nou veau groupe , le mécani sme de fabricati on néce ssaire à sa perpétuation deviendra visible, e t par c onsé q uen t tr açable , Tandis que, a près cen t c inquante an s de labeur, le s sociologu es ne se sont pas e ncore mis d' accord sur d e ce qu 'ils d ev raient considérer com me les « v rais " a g régats soc ia ux ' , il est re lativement facile de s' accorder sur le fa it que certa ins éléments seront toujours pré sents dans toute controverse portant sur la formation de groupes - e n y incluant bien évidemment le s disputes universitaires : a) on fait parler les groupes; b ) o n id entifie les a ntigroupes ; c ) o n a recours à d e nouvelles ressources pour rendre leurs fronti ères plus durabl es ; et d) o n mobilise le s profe ssionnels avec tout leu r équipement statistique et intellectuel. Commençons par le premier trait : pour délimiter le s co ntours d'un groupe - peu importe s' il s' agit de le créer ex nihilo ou si mplement d e le réaffirmer - , il fa ut d'abord qu 'il y ait d es porte-parole q ui « parlent a u nom " du groupe et d e son ex istence, perte-parole souvent très bavard s, comme on l' a vu dans l' exemple du journal Qu el que soit l' exemple que l'on prenn e, qu 'il s' agisse de s fé min is te s c alifomiennes pr opriétaire s d e c hiens, de s Kosovers dans l'anc ienne Serbi e, des" chevaliers du Tast evin " dans ma Bourgo gne natal e, d es Acbuars d ' Amazonie, des comptables, d es militants altermondiallstes, des sociolog ues de s science s, du moi, de s trot ski ste s, de la classe ouvrière, de s
. , C«t< i",onitudo .ur lo pol'" il<
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C<>m melll dIp /IJyt', l es CIJII lro ....rs es.lW' I~ m<Jnde s oci al
forces du marché, des conspirations, des « indigènes de la République " , e tc., tous ces groupes ont besoin de pers onnes qui définissent ce qu 'ils sont, ce qu 'ils devrai ent être, ce qu 'ils o nt été. Ces porte-parol e sont constamment a u travail, justifiant l' exi sten ce du group e, invoquant des règ les e t des précédents e t, comme nou s allons le voir, mesurant chaque définition à l'aune de toutes les autres. Les groupes ne sont donc pas des objets silenc ieux, mais plu tôt le produit provisoire d'un brouhaha co nstant o ù s' ex prim e nt de s million s de voix contradictoires définissant des limites et assignant des a ppartenances. Point de gro upe sans une espèce de préposé au recrutement. Point de troupeau de mouton s sans un berger - et son chien, sa canne, ses liasses de certificats de vacc ination, ses montagnes de formulaires destinés à obtenir des subventions e uropée nnes .. . Si vous croyez e nco re qu e les regroupement s existent « par e uxm êmes " , com me par ex empl e celui que constitue 1'« individu » , songe z seulement à la quantité de travail requise pour que chacun d' entre vou s puisse « prendre sa vie en main » . Com bien d'admonestations, d' exhortations faut -il entendre de nos parents, de nos e nseignants, de nos patrons, de nos compagnons, de nos collègues avant d' apprendre qu'il nou s faut dorénavant constitu er un grou pe par nou s-m êmes e t posséder un ego? Et avec quelle rapidité sommes-nous capables d' oublier cette e çon " ! Il s uffit de pen ser à la ma sse de propo s et d' écrits qui ont été investis dans la délimitation de ce t e nse m ble e xtraord inai re : l' Homoœconomicus ". Ainsi, bien que les gro upes semblent tenir par eux-mêmes, la sociologie de l' acteur-réseau n' en considère a ucun sans son cortège de faiseurs de grou pes, de porte-parole et de prépo sés à la cohés ion.
S. C. " Jo gr lUld..... do l" illte' ·p'ychologi. d. TIId. '1'" d' avoir m i> ' B ..1ati0ll 1. d"!" d· i..n""nœ • • l·."lm«l. ÔOD do l"iodivid""li...:"". Cf. G. TAl!lE.. L'opim m " '"
JO"" ( l\lOl 1l9 8\1H ' BO'"
..p""drooo . c.... Q",, " il> d. la "'bjoctivniOll p. ll i. 6. Voir G. T u n E.. Prych ol08i, l c{)ftom iq"' ( 1'Xl2). L ' oov'"l' princip.l ... te K . P p""iOllS " 1.. (1980) ; M CAil.ON. Th, ,[,,"'. élocIJOIIiQ"" t la 8 00' ''' d. Por • • (2004) .. V . !.Hv.. li.-IB fiJlllOC~" , 1.. p-
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Premi~re
source d 'illCt'l1ilWle: pa< de groupes, mais de;; regroup"""'lIl!i
Deuxièmement, à c haque fois qu'il est nécessair e de tracer ou de retracer les frontières délimitant un groupe, les autres so nt sys té mati q ue me nt d ési gn és com me étant v ides, arc haïq ues, dan gereux, obsolètes, etc. On n'affirme jamais un li en qu e par comparaison avec d' autre s lien s concurrents, si bien que la définition de tout groupe implique aussi de dre sser une li ste de s anti groupes. Voilà lJ.I i es t bien commode pour l'observateur, c ar-cela veut dire que les acteurs seron t cons tammen t e ngagés dans un travail ex plicite pour établir la carte d u " contexte social ;0 dans lequ el ils évolueront, offrant ainsi à l'analyste une th éorie pl ein ement dévelop pée du type de socio log ie qu 'il convient de leur appliquer ' . C'es t pour cette raison qu 'il est si important de ne pas définir par avance le type d'agrégats soc iaux suscep tibles de fournir le contexte de tou tes ces c artographies . La délimi tation d es groupes n' est pas seulement l'un e d es c hoses qui occ upent l es soc iolog ues : c'est a ussi l' u ne des tâche s a uxq uelles le s acteurs se livrent co nstamment, les acteurs faisant la sociolog ie pour le s sociolog ues, le s sociolog ues apprenant de s acteurs ce qui cons titue leurs assoc iations . Ce résultat trivial s'oppose pourtant aux réfl exes c ooditionnés des sociolog ues critiq ues : pour e ux, le cadred' ensembl.e échappe a ux acteurs, q ui se rédui sent à d e simples" informateurs " . C'est pour cette raison qu'il faut leur apprendre ce qu 'e st le co ntexte « dans lequel » ils opèrent et dont ils n' aperçoivent qu 'une petite part ie, tandis que l' analys te, perc hé en alti tude, e mbrasserai t tout l'" e nsemble" de sœi regard. Le prétexte qui perme t aux chercheurs d 'occuper le poi nt d e vue de nulle part, celui d e Dieu, vient généralement d e ce q u' ils prétend ent faire de façon" réflexive " ce que le s acteurs feraient « sans y prêter attention ». Mais même cela est douteux. Le peu de savoir raisonné que le s socio logues so nt en me sure d' accumuler es t touj ours e xtrait du processu s ré flexif de formation de groupes prél evé par une opération trè s p roch e du para sitisme. La plupart d u temps, ce q ui passe e n sc iences socia les pour d e la réflexiv ité n' e st q ue l' absence d e pertinenc e de s qu e sti on s qu e l' an aly ste sou lève, en com plet
7. Po""no • 'a développé cola ... ..,; bio. quo Gmi.ul. Vo ir DotllJIllŒO' 10 c u ctlèbro do l' offtliotial , om ollo mctnamo d' A gn ~ ' ft .. critiquo P'" N. K. OHaIN, ~ Harold ond "J"'" , A Ftmi.. .. Nuntivo Untloi"3 • ( l 9'lO1.
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décalage avec ce qui pré occu pe véritablement le s ac teurs" . En rè gle générale, il vaut dore mieux adopter la position p ar défaut s elon laquelle l' observat eur a toujours une boud e d e réflexivit é d e reta rd sur ce ux qu 'il c hoisit d' étudier. Même si ce n' e st pas toujours vrai, rn risquera moins de se tromper qu' en prét endant être plus lucide qu e ceux qu' on étudie . Troisièmement, lorsque des groupes sont formés ou redistribué s, leurs p orte -parole cherchent frénétiquement de s façons de le s définir : leu rs frontière s fra giles doivent être marquées, d élimitées, et fixées pour devenir un peu plus d urables. Quelle qu e soit sa taille, chaque grou pe a besoin d 'un limes, à l'image de la frontière mythologique qu e Romulus tra ça auto ur de ce qui allait devenir Rome . Enc ore une fois, c'es t po ur l' analys te une c hance, puisque toute formation d'un groupe va s'accompag ner ai nsi de la mise a u jour de toute une ga mme d e res sources mobili sées pour ren forcer sa frontière contre les pressio ns contradictoi re s e xercées pa r tous le s a nt igrou pes co nc u rre nts qui menaceraient de la di ssoudre . Et, en effe t, il ex iste mille et une faç ons d'inscrire la définition du groupe de façon plu s stab le e t plus certaine, si stable et si certaine qu ' à la fin il semblera aussi indiscutable qu 'une table o u qu 'un broc. On peut se réclamer d e la tradition ou du droit ; o n peut invent er des hybrid es ét ranges, co mme 1'« essentialisme stratég ique », ou fonder la frontière en « nature » ; on peut même aller chercher un « ronde ment gé nétiqu e " , l'assoc ier avec « le sang et le sol JO, e n faire une « tradition p opulaire ", ou l'enraciner dans le s mœurs e t les habitudes ; o n peut ratt acher le groupe à la liberté , à l' émancipatioo, à l' arti fice , à la mod e, o u à l'histoire. Toujours e st-il qu ' à la fin il sera devenu si difficile de douter de so n existence durable qu'il sera tenu pou r acq uis et n e produi ra plus de trac e, d'é tincelle o u d' information. Le nou vel é lément se trouvera d ésormais e ntièrement hors du monde soci al - au sens n" 2 - même s' il ne d evient qu 'à ce moment l'un de s composants agréés de la soc iété au sen s n" 1. 8. La rMl<xivill! . " .., . " ""' pit ~ 'l"i ",vt, url' ' ~ n ur;. oon inll!",...nr lofS'I" 'i l " ",pOil>< llUX wx obi" " . , qui l',,,nd "" "'.. dtlt""'" lorqu'~ fait oll"ie. d. vonu tpi" <molop 'I"" proll!l'"'" 1.....;iolo~"" de 'oote iol racoon ~ l ·obp:tivito!. Cf A. HI'.NNlON, « V.u u... l'rq;mw'l''' du l oG!. (200J I. H' JllliOll "' n~ J< ",uv. ," d. l'.-...dr< p lOJ.lÔt pau- " lmpl. do rtfi ..ivi1t e"'" .....""iU""" fœm. p",aom.. . l< dc 1. 3nrrunairo frmçlti", , « ~ , '. vm, ., « il , ' ogi' • .
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Première source d'incertitude ,' pas de gro"{H's, mai" de.< regro"{H'l1It'lIl'
Enfin, quatrièmement, parmi le s nombreux porte-parole qui con tr ib ue nt à la d éfinition durable de s groupes, il c on vien t d 'indu re le; sociolog ues, le s sciences sociales, les statistiques et le journalis me. C'est là l'une d es p rincipales di fférence s entre le s deu x éco les de pen sée. Pour le s sociologues du social, la sociologie devrait s'efforcer de deveni r une science, au sens tradi tionnel et dé sintére ssé d'un re gard objectif porté sur un monde e xtérieur qui autoriserait une de scription e n quelque so rte indé pendante d es groupes que le s acteu rs contrib uent à mat érialiser. Pour le s sociolog ues d es as sociation s, toute ét ude d 'un groupe par quelque soc iologue que ce soit est partie int égrante de ce qui fa it exister, durer, décliner o u di sparaître tel ou tel groupement. Dans le monde dé velop pé, il n' existe aucun ag réga t qui n' ait p ou r appen dice qu elqu e instrument, d ocumen t, observa tio n, gé néalogie li é à l' une o u l' autre des sciences sociales. Qu' on ne voie pas là une " limite inh érente » de la di scipline, le s sociologues étant aussi de s « membre s de leur société » et ne pouvant d onc « s 'arracher » à l'e mprise de leurs p ropre s « catégories sociales JO . Il faut simplemen t impu ter cette qualité (et non cette fai blesse) a u fa it qu e le s anal yst es se tro uve nt s ur un pied d ' é galité a vec ceux q u'I ls étudient, q u' ils font exactement le même travail et q u' ils partici pent a ux mêmes tâc hes d e tracer d es liens sociaux, même s' ils emploient des in struments différent s et n ' ont pa s le s même s vocatio ns p rofe ssi onnelle s. Si, dan s la première école , les acteurs et le s observateurs sont dan s d eux bateaux différents, dans la seconde, ils sont dans le même bateau tout du lon g et joue nt le m êm e rôle , à savoir contrib uer à la formation d e groupes. Si le social doit êt re a ssemblé, o n ne sera jamais trop nombreux. Ce n' e st qu ' à la fin de cet ouvrage que nou s tirerons le s co nclusions politiques de ce principe d' égalité fondamen tale e ntre acteurs et observateurs . Malgré le c aractère gross ier et provisoire de cette lis te, e lle nou s apprend d éjà à tracer de nombreuse s connexions sociales, et nou s év ite de nou s retro uve r co nsta mment e nlisés dan s l 'impo ssi bilité de d écider une fois pou r toute s ce qui de vrai t co nstituer l'unité d ' analyse pertinente par laquelle la sociologie de vrait débuter. Ce n'est là toutefois qu'un avantage très partiel de la sociologie de l'acteur-réseau : d'un côté, rou s sommes en effet libéré s d 'une tâch e im possibl e q ui nou s a urait ralenti s : d e l ' autre , il nou s fa ut maintenant prendre e n considération un
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n ombre de c artog rap hies contradic toires bea ucoup plu s gra nd qu e çe que n ous auri ons so u hai té - e t cela va n ous ralentir encore plu s.
Pas d e travail, pa; d e J!;f uu pe Comme nous venons de le voir, le c hoix n ' e st pas e ntre la certitude et la confusion, J'arbitraire de quelque décision a p riori et le mara sme des variations ind éfinie s. Ce qu e rou s av o ns perdu d'un côté - une liste stab le de groupe s - , nou s l' avons regag né de l'autre, puisqu e le s regroupements doivent être constamment faits, ou refaits, e t puisque , au cours de ce proce ssus de c ré ation ou dere -créauon. le s fai seurs de groupes laissent derrière e ux de s trace s qu e l'in format eur peut utiliser comme d es donn ées . Un e façon d ' exprim er cette di fférence consiste à dire qu e le s a grégats sociaux ne sont pas l' obj et d 'une définition ostensille - comme le sont par exemple le s ta sse s, les chats ou le s chaises, qu e l' on peut p ointer du doigt - mai s se ulement d'une définition p erformative , ils e xisteraien t e n ve rtu de s différentes faç ons dont on a ffi rme q u'Il s ex iste nt. Cette distinction e nveloppe toutefoi s toute une série de difficultés d' ordre linguistiqu e et métaphy sique, car j e ne veu x nullement suggérer qu e les groupes ex istera ient e n vertu d'un fi at, o u, pire , en vertu d e simp le s c onve ntions lingu istiqu es, p ar l'effe t d' acte s de parole 9 . J'utili se le te rme de .. performatif JO uniquement pour souligner la distinc tion e ntre des groupes dot és d 'une MI1e d 'inertie et de s groupes dont la coh ésion doit con stamment être maint enue par d es e fforts d e mobilisati on et d ' en rôlem ent. Trop so uvent, e n effe t, le s sociologues du social se plai sent à invoquer 1'« inertie sociale », comme s' il e xistai t quelque part un stoc k de c onne xions dont le 9. NoD 1'" ... _ . q"" 1. Su.J.U'. UJ c,"u'net;,., dr '" r"~" _;o/r (l 99 R~ . ",li.,." IlUS mai> pbol' ... ""' . po",, '" p.l. H""",""', ,, 'Tho Sdr· Villdicoô"" of .ucch &'• ..,. " 'C." D..... Rll.... M io d, .... ""r li: uonlism:, Se m. • dHiIIi l, molldo lIOCi " ... '"m,,, &, boo,· str.,,("o! . • ug""""o' .in.i l·.by... sep....'l.. foi" &'. k,;, soa:.l<•. Un, 5.. ibl, &, moin",DirqllClq"" dl"", C""""" 1·.p'Dt -l·,ump., prt Urt &, Seorlo _ UlI' mao'rillUS," qu·... "',.~... &, fli< . , saur';, t ... dOfilli • •• 'OI;oorir ~ &' . ,,",~. gorio•• du fornlll&5m ,. d , 1. " mv""' ",o .. do. Irld"",",,,,• .lo caOlllO' ''''' p . 10. m" ,. ... Voir p. I S7.
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Premii'r~
sour"" d'inœrlilud~ : pas dt> g"' ''1''''. mais dl'1i r~g"'''IH'1IIi'1Il!i
c apital ne saurait s'éroder que sur de longues période s. Dans la p ersp ective d e la soc io log ie de l'acteur-réseau, en revanc he, lo rsqu e vo us cessez de fai re et de refair e d e s groupes, vous cessez d'avoir des grou pes . Aucune .. force scciale » s'épanchant d'un qu elconque réservo ir ne viendra vo u> aider. Pour le s sociolog ues du social, l'ord re constitue la règ le, tandi s q ue le déclin, le ch angement ou la c réation so nt l'excep tion. Pour les soc iologues de s assoc iations, l'innovati on est la règ le, et ce qu 'il s'ag it d ' expliqu er - les exceptlcns q ui donnent à penser - , " sont le s divers es formes de stab ilité à long terme et à gran de éc helle . Tout se passe comme si ce qui distinguait le s deux écoles éta it co mme une inversion brutale du rapport de la fonne et du fond, du premier et du d euxi èm e plan. Le s co nsé q ue nces d e ce tte in versi on son t éno rmes . Si l'inertie, le caractère du rable, l' étendue, la solidité, l'engagement , la consta nce, l'adhés ion, etc . so nt ce q u' il s'ag it d ' expliqu er, alors on ne peut le faire sans rechercher des vé hicules, des o uti ls, des instruments et des matériaux ca pables de produire une tell e stabilit é - voir la troi sièm e et la qu atri èrne so urces d 'incertitude. Alors que le fait d'invoquer la société a p our le soc iologu e du social la gran de ve rt u de se rv ir sur un plate au cette stab ilité - et en plus, gratu itement - , nous co ns idérons la stab ilité comme ce q ui doit être expliq ué en recourant à de s moyens coû te ux. innovants e t rare s. Mai s su rto u t, n otre thé orie n ou s suggère que, par définition, ces instruments do ivent avo ir une a utre qualit é qu e cd le qui consiste à être .. scciaux ». puisqu 'ils d oivent au gmenter qu elqu e peu l'extension du re groupement da ns l' e space a ins i qu e sa durée dans le temp s. Le problème de tout e d éfinition o stensive du soc ial e st q u'elle ne requiert a ucun effort supp lémen taire pour maint enir les groupes en existence, tandis que l'Influence de l'observateur semble ne compter nulle ment - ou simp lement co mme lUI facteur de perturbation qu 'il s'ag it de minimiser a uta nt q ue possible. Le grand avantage d 'une défini tion performati ve est inverse: elle attire l' attention sur les pratiques néce ssai re s a u maintien co nstant de s groupes et sur la contribution fondam ental e de s ressources dont dispose l'observateur lui-même. La sociologie des assoc iatio ns doit s' acquitter en petite monnaie de dépense s que la socio log ie du socia l semb le pay er d' un stock illimité d e capital .
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Omllnelll dép/ayer les CIJIIlrowrses ""
I~
II\(Jnde social
En mettant en relie f les m oyens pratiques investi s dan s la délimitation de s groupes et dans leur entretien, nous rencontrou s une différence de p rocédure qui marqu e une diverg ence n ette - ce n ' est p a s la d ernière ! - e n tre le s au toroute s qu' empruntent le s sociologues du social et te s sentiers tortueux qui travers ent les r égions qu e nous so u haitons cartographier. T out dépend e n effet de ce que l'on désigne so us le te rme de « moyens ». Le s enquêteurs de la première école s'excla ment : " Il nou s faut d etoute évid ence partir de q uelq ue put, par conséquent pourquoi ne pas c ommencer par définir la soc iété c omme un ensemble cons titué de l'agrégat (x) - par e xemple l'individu calculateur, ou le champ, ou la classe ? » Les autres affirm ent avec autant d ' énergie : « Lai ssons les acteurs fai re letravail à n otre place . Ne définissons pas pour e ux ce qui cons titue le sociall» Ce s démarche s divergentes s'expliquent parle fait que, a ux yeux du premier groupe de c hercheurs, le c hoix d' un point d e départ n ' e st pas abs olument cr ucial, dan s la me sure où le m onde social exis te toujou rs déj à. À leur s yeux, m ettre e n exer g ue le s «classes" plutôt qu e le s e Indivl du s », l e s « nauons » plutôt que le s « ctasses ». les e trajectoires biograp hiques " plutôt qu e les « r ôl es socia ux ,., o u le s " ré se aux sociaux » plutôt que le s « organisations » ne change rien au food , d ans la m esure o ù le s c hem ins finiront de tout e façon par se recouper, puisqu'ils ne sont que des façons quelque peu arbitrai te s d e de ssiner le con tour du m ême gros a nimal - de la m êm e façon qu 'il est possible d ' attraper le proverbial élép hant du conte indi en par la jambe, l'oreille, la tro mpe, ou les défenses. La situation est toute différente dam le cas de la sociolog ie de l' act eur-rés eau , puisqu e ni l' existence de la société ni celle du soc ial ne son t données de prime abord. Il faut au contrai re les discerner à traver s d e subt ils ch angemen ts dans la façon d e co nnecter des ressources qui sont encore à ce stade non sociales . Ainsi, e n fonction du point d e départ sélectio nné, o n aboutira à des dessins absolument inc ommensurables d'animaux complètement différents. Pour la première école, la société est toujours là, j eta nt tout son poid s derrière tout véh icule s usceptible de la transporter; dans la seconde approche, les lie ns soc iaux doivent être tracés par la circulation de différents véh icules dont aucun ne saurait remplacer l'autre.
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Prl'lltière SOUJ'ce d'incertitude ,' pa< de sroupes, mai" des resroupelnellL<
Si, par e xemple, un informateur affirme qu'il vit " dans un monde ordorn é par Dieu » , une telle affirmation n' est pas vraim ent di fférente de celle d'un a utre in fœmat eur expliquant q u' il est " dominé par les forces d u march é». pui sque c hac un de ces termes - « Dieu » et le « marché » - ne sont que de simples « express ions » du même monde social. Mai s, pour le sociolog ue de l'ac teur- résea u, il y a là une différence énorme, insu rmontable, incommensurable . Une association avec Dieu n 'est pas remplaçable par une a utre association; elle est absolument spécifique et ne peut être réconciliée avec une expression associa nt le s forces du m arch é qui, à le ur tour, se réfèrent à un schéma totalement différent de ce lu i que de ssine raient, pa r e xemple, des liens j uridiques . Les sociolog ues du social disposent toujours d'un trois ième terme, un maître vocabulaire apparemm ent aussi stable q u'absolu dan s lequ el il leur est pos sible d e traduir e l es vocabula ires des i nformate urs , un étalon q ui ag irait comme une sorte de caisse de compensation pour le s tirages in stantanés d' explication s qui ont toutes en commun la même qualité première : celle d' ê tre faites en social -le social n" 1. Les sociologues de la seconde école, en revanc he, ne disposent pas d' une telle devise. Le term e " social ,. - ,. 2 - ne peut rie n r em placer, il ne sa urai t mi eux ex pri mer q uelq ue c hose d' aut re, il ne saurait se substituer - sous quelque forme que ce soit - à aucune autre chose. Il n' est pas la mesure commune de toutes choses, à l'i mage d'une carte de crédi t acceptée presque partout. Ce n' e st qu 'un m ou vemen t qu e l'on ne pe ut saisir qu'I ndirectement. lorsqu e se produit un léger c hangem ent dan s une association préexistante q ui se renouvelle ou se tran sforme. Loin d' être une denrée stable et certaine, le social n' est qu 'une ét ince lle occasionnelle produite par le glissement, le c hoc, le léger déplacement d'au tres phénomènes, non sociaux . Faut-il e n conclure que les tenants de l'acteur-réseau vont devoir prendre a u sérieux les moindres nu ances e ntre les di fférentes façons qu ' ont les gens de " faire le social ,.? J' en ai peur.
M édiateurs contre Int ermédiaires
On pourrait atténuer les di ffér ences entre les deux écoles d e pen sé e e n di sant q ue to us les sociolo g ues s'accorde nt
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Omllllelll diplayer II.'S ("(J/\ /mW'TSI.'S SUI' le II\(JlIde .ocial
.. naturellement JO sur le fait que les groupes sont nécessairement façonnés e t refaçonnés sous l'effet de quelque moyen non social, el q u'aucun regroupement ne saurait se perpétuer sans être e ntretenu. Tout le monde sem d' accord pour dire, par exemple, que les festivals populaire s sont nécessaire s si l' on veut « restaurer du lien socia l » ; qu e la propagand e est indi spen sabl e pour " ranimer JO les passions liées aux " identités nati onal es JO ; que les traditi ons so nt régulièrement .. inventée s JO ; qu'il est bon pour une e ntreprise de di stribuer un journal si elle e ntend .. créer un sentiment de loyauté JO ; q ue sans ét iquettes et sans codes barre s, il serait trè s diffi cile de « ca lculer » un prix ; que le s « fessées » ne peuvent pas nuire à l'apprentissage de la « responsabilité " chez l' m fant; que sans un totem, il serait difficile aux individu s co mposan t une tribu de co mp re nd re qu 'ils so nt " membres JO d u même clan, et ai nsi de suite. Nos d aviers d' ordinat eurs vomissent à Ilot conti nu ce genre d' expression s. Mai s leur effet dépend de la façon dont nous compre nons précisément des façons de parler qui foot toutes allusion à la « fabricatim » des groupes . Pour les soc iologues du soc ial, de telles e xpressions désignent les nombreux avatars du même ordre soc ial ou les di fférent s o utils à trave rs lesqu els il se " re prése nte JO o u se " reproduit JO ' 0. À leu rs yeu x, les " force s social e s JO so nt touj ou rs déj à pré sentes en coulisses, si bien qu e le s moyen s nécessai re s à leu r m anife stati on co m ptent beau coup ce rte s - mais pas tant que cela ... Or, pour les sociolog ues des assoc iations. ces moyens font toute la différence , puisqu 'il n'y a pas de société donnée a u commence ment, pas de rése rvoir de lien s, pas de grand pol de colle pour collertous ces groupe s. Si le festival n' a pas lieu main tenant ou si le j ournal n' existe pl us aujourd' hui, on perd tout simplement le gro upe, qui n' est pas une construction e n attente d' être re staurée, mai s un mou vement qui a besoin d' être conti nué. Si un dan seur cesse de danser, la dan se est finie. Peint . Aucune inertie ne viendra prolonger le spectacle. C'est pour cette ID. u . ,,"'"
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Premibe source d'incertitude,' pa< de groupes, mai" des regroupellli'lIl!i
l in m omen t rurdien de Du rkheim Comme le montrent ces citations d'un pas->age célèbre de Durkheim sur le rôle des totems, la différence entre un médiateur et un intermédiaire est SlIbtile, Le totem exprime.. -ne groupe, facilitet-il sa cohésion, ou est-il ce qui permet au groupe d 'exister en tant que groupe? C'e5t l'hé5itation même de Durkheim qui est tardienne : « Qu 'un emblème soit, pour toute espèce de groupe, un utile centre de ralliement, c'est ce qu 'il es. inutile de démontrer, En exprimant l'unité sociale sous une forme matérielle, il la rend plus sensible 1\. tous et, pour cene raison déjà, l'emploi des symboles emblématiques dut vite se généraliser une foi~ que l'idée en ün née, Mai5 de plus, cette idée dut jaillir sporaanérrera des conditions de la vie commune ; car l'emblême n'est pas seulement un proceœ commode qui rend plus clair le sentiment que la société a d 'ellemême: il sert 11 faire ce sentiment ; il en est lui-même un élément constitutif ,. Les formes Illmenrairl'$ de la vie religieu.
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rai son qu'il é tait néc essaire d'introduire la di stinction e ntre os te nsif e t performa tif : l' objet d'une d éfinition os tens ive d em eure, quoi qu 'il arrive, à l' index d e cel ui qui le montre du doi gt. Mai s l'obj et d'un e d éfinition performative dl sparaît des qu 'il cesse d' êt re « performé » - ou s' il demeure , c' est que d'autres acteurs ont pris le relais. Et ce relai s, par définition, ne peut ê tre le " monde soc ial" puisque c'es t précisémera ce monde qui doit ê tre relayé. Pour utiliser deux des rares term es tec hniq ues a uxquels j'aurai besoin de recourir dan s Cel o uv ra ge d 'introduction, la situation c hange du tout au tout se lon qu ' on co nsidère le s moy ens d e produire le social comme des intermédiaires ou des médiateurs. Au départ, la bifurcation peut sembler né gligeable, mais il nous faut pourtant essayer de nous familiariser avec e lle dès maintenant , dan s la mesure o ù elle restera notre pierre d e to uche tout a u lon g du parcours. En effet, si nom suivons l' un ou l' autre d e ces deux sens, IIOll S finirons par aborder des territoire s complètement di stincts, comme nou s le verrons à la fin de ce livre - si le lecteur est suffisamme nt patient pour aller jusque-là ! Un intermédiaire désigne, dans mon vocabulaire, ce qui véhic ule du sen s o u de la lorce sans transformaiœ : d éfinir ses entrées, ses inputs suffit à d éfinir ses sorties, ses outputs. À toutes fins utiles, 00 peut cœ udé rer un intermédiaire noo seulement comme une boite noire, mais comme une boîte noire qui compte pour un, même si e Ue se compose intérieurement de plu sieurs parties . En revanche, on ne saurait comptabiliser des m édiateurs comme de slmpies unités ; ils peuvent compte r pour un, pour zëro. pour d e grands nombres, ou pour une infinit é. Leur input ne permet jamais de prédire vra iment leur oll/put : il faut à chaque fuis prendre en compte leur spécificité I l . Le s médiateurs transforment, traduisent, distordera, e t modifiera le sens ou les éléments qu'ils sont censés transporter. Quel que soit le degré de complication d'un iraermédiaire, il prend e n praliquela lorme d 'une unité - voire d 'un rem,
l I. Le l ait ",'il l ail)., ai....., 1.. ",l .. io~ . OM'" 1.. OIW... .. 1.. olfo " . ·oxigo rio~ d ·oxt..or<1,...ir.. Avon' ",olo lis .·.it ' Wri. ~ oxtrairo I"~n"' p' o ""iii", p_ IIl"'n du li . , .... _ "'0 Vo" '" JI' ail .w';' H ....-go' do l ·o." l. Iaguno • ·h.it p" uno do...i"",. do "'" dO",lopl""""'""- Le. "'u"'" .. ).,. 0110" ~o " JIll qu' ""o r"i()~ n!<m",""o", d 'i'"""Jll'!'''' do. lvi"' ''''nJ'. Cob. 0" mU do. ~V
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pu isqu' on peut ais érœra l' oubl ier. Qu el que soit le degré de simplicité apparente d'un médiateur, il peut devenir plus complexe; il peut se d éployer dan s d e multipl es directions q ui vont modifier tou s le s comptes rend us contradictoires qu e l'on don nera d e son rôle. On peut par exemple co ns idérer un ordinateur en état de marche co mme un bon exemple d'intermédiaire ccmpliqué, tandi s qu'une banale co nversa tion peut se muer en c haîne de médiateurs terriblement co mplexe, où les pass ions, les opinions e t les attitudes bifurquent à chaque nouveau tournant . Mai, s'il tombe e n panne, ce même ordinaleur peut devenir un médialeur atrocement co mp lexe, a lors qu 'une conférence int ern ationale de trè s h aut niveau peut devenir simplement co mp liquée !il elle ne fa it qu' enté riner de s déc isions venu es d'ailleu rs 11. Comme nous allons le découvrir peu à peu, cette incertitude permanen te quant à la nature intime des entités - se comportent-elles comme d ei; intermédia ires o u comme des médiateurs ? sont-elles compliq uées o u co mp lexes? - est la source de toute s les autres Ircerruudes que nous allons décider de suivre. Une fois cette définition posée, on comprend pourqu oi il ne s uffit pa s a ux soc io logues de rec onnaître qu 'un groupe e s t constitué, e repecduit JO, ou «construit JO à travers une multitude d e moyen s et expri mé à travers un grand nombre d ' outils. En fuit , lorsqu ' on voit ce que la plupart de s soc io logues ap pe llent « cœisuucüœ ». il n' e st pas certain qu 'ils ae nt j ama is bâti quelque c hose d'aussi simple qu'une c abane, sans parler de la e société JO (nou s reviendrons plu s longuement sur ce point p . 126). La véritable différence e ntre le s deux écoles de pensée d evient visible lorsqu e le s « moy en s JO o u le s «o utils" e mployés d an s la « consuucüon » sont traités comme des médiateurs et non plus co mme de simples int errn édiaires, Si cela revient à couper le s c heveu x e n quatre, c 'es t que la nuance qui distingue au début le s directi ons e mpru ntées par le s deux sociologies es t e n effet aussi mi nce q u' un cheveu! Après tout, si le s physicien s o nt étécepabies de se débarrasse- d e l'éther, ce fut ap rès avoir d émêlé, eux a ussi, bien de s subtilités ...
L2. """run u uge de coUe di otinclio n eJllJe ç ompJ ex ~ .. çumptiç oti<JII , voir s . SnUM '" B. Lu
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C"",melll dt'p/ay'" les CIJII lro ....rses ""
I~
II\(Jnde social
La nuance peut sembler oise use, mais ses effets sont radicaux. Supposons p ar e xemple qu 'une différence soc iaje « s'exprime" o u « se projette" à travers une nouvdl e mod e : si cette nouveauté - di sœs le brillant d e la soie plutôt qu e cel ui du nylon - e st cons idérée comme un intennédiaire vé h icu lant fid èlement une significa tim sociale - « la soie est réservée aux classe s deminantes : le nylon e st pour les cl asses dominées " - , il es t alors vain d' é voquer le n ature du matériau: celui-ci n ' a é té mobilisé qu 'à des fins d 'illustration. Même en l'absence de tout e différence c himiq ue entre la soie el le nylon, la différence sociale entre le s dominants et les dœnu és n'en aura it pas moin s existé; elle n' a é té qu e « repré senté e» ou « ré fléch ie » par un bo ut de ti ssu demeuré tntalement indifférent à sen transport. Si, au co ntraire, les différence s de c omposition chimique et de fabricatioo sco t traitées comme a utant d e médiateu rs, il se peut alo-s que, fa ute d e t elles nuances matéri elles d e la texture, du to ucher, de la couleur ou d e l'éc lat de la soie et du nylon, cette différence socia le-là n ' aurait pa s du tout existé ll. C'est cette dlstinctiœt infinitésimale entre le s médiateurs e t le s intermédiaires qui va produire , au b out du compte, toutes les différence s dont nous aurors besoin pour distinguer les d eux types d e sociologie. Pour résum er cette o pposition d'un e faço n grossière, o n peut dire q ue le s sociologues du social croient en un seul type d' agrégats sociaux, peu de médiateurs, et beaucoup d'intermédiaire s ; pour la soci olog ie de l'acteur-réseau, il n 'y a pas d ' agré gat soc ial privilégié, il y a en re vanche un n ombre indéfini de médi ateurs, e t la transformatioo de ceux-ci en intermédiaires fidèles ne constitue pas la règle, mais une exception rare d ont l' expli cation e xige un travail sup pléme ntaire - travail qui pa sse généralement par la mobili sation d'un plus grand nombre encore de médiateurs " ! On ne saurait imaginer deux poiras de vue plu s opposés sur un même objet. Il es t étonnan t de voir qu e les principaux courants de la sociolo gie n e partagent pas cette intuition fOndamentale, alors qu e j'ai affinné pl us haut qu e la sociologie d e l' act eur-réseau n' était rien d' aut re qu e la repris e de s principal e s amb iti ons de s sciences Ll. l'w, r hi ..,;'" "",io-çhimi'l"e du "Yb .. voir 5 . HANIlLE'>:, MlJn : Th< Slory tf a F.shion R",olio lion ( 2000). Voir ."",i 1. bi0ll'''I'hie de C<>co Cbonel por A. MAIl'EN. Cha",/ : ,t W",,,,," tf H" 0><" (19911. 14. CotIe ..obi.&Uli.ald... c
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Prt'lftière JilJ UJ'ce d'inœrtitude : pa< dt! groupes, mais des regroupemi'/W
sociales . Si l' on n ' a pas reconnu plu s tôt la parité fonc ière en tre les ac teu rs et les sociologues eng agés dans des controverses p ort ant s ur le s groupes , c 'est q ue la sociologie a été trop tôt engagée dan s une entreprise d' ingénierie sociale. Dès le d ébut , il Ya eu une sorte de confus ion de s étapes : en décidant qu e leu r travail co ns ista it à définir la co mpos ition du monde social, le s sociologues du milieu du XI X' siècle on t repris à leur compte les tâche s de la p olitiqu e "'. Si celle-ci se d éfinit, comme n ous le verrons pl us tard, comme la compos ition p rogressive d u mond e comm un, ce rtai ns sociolog ues, la ss és pi!" la période révolutionnaire, o nt trouvé une façon de co urt-circuiter ce proce ssu s de co mpos ition lent et difficile, et décidé de décrét er eux- mêmes qu ell es étaient les unités socia les les plus pertinentes. Le p lus simple était év idemment pour eux de se débarrasser des définition s les plus ex tra vagantes et l es plus imprév isi ble s q ue le s a ct eurs p ro po saient d e l eu r p rop re «contex te social " . Les penseurs de la soc iété ont a ins i commenc é à j ouer les législateurs, fo rtemen t e ncouragés dan s leur en treprise pa r l 'Éta t, engagé au même moment dans un processus brutal de moderni sation " . Le pire, c 'es t qu e ce ges te de législation p ou vait passer pour un e p reuve de créativ ité scienti fiq ue, dans la mesure o ù, d epuis Kant , les scienti fiques se croient autorisés à " con struire leur propre objet » . Pour toutes ces ra isons, le s ac teurs humain s ont a insi été réduits a u rô le de simp les informateu rs se co ntentan t de rép ondre aux qu estions du sociologue j uge, ce qui é tait cens é produ ire une discipline aussi scien tifique que la c himie ou la p hys iq ue ". Sans celte impérieuse obligation de jouer un rôle I ~.
S... la pla ce de. seienee. sociale. panDi le. se ie.., e. de ~ u v e . "" me n ~ voir P. NAKIU, NoiulJJ1ce Je 10 ""lice mOO",,, (2003); .. l'. AUlREN, Lei IUT;"" e' lei ",,,,Ju Je 10 science sociale '" Fronce (2flOI'i) ; B. KAiS INTI, Politique de l 'e'jJri' ( 2006) .. hi... ..... M . Fw<:A1,1T,NoUlIJJ1U Je '" biopoliliq.e ( ~). 16. k repr ends ici de. a'Juments do.. Z. BAU ....N, ju; ,;"" of Po"", oJem iry ( 199 2), • dOll n ~ II. fo nwJ.io n 1. pi.. ch i ... e. diffi!",Œi 1.. « Mgi!lateon • de . «i (ri"" ~. Si Torde es' si in......."" c 'est p.~d.~me" p uce QU' il. a hité. """""" G.-fi l plu. wd , le n'JIe de l ~gislat "'r. 17. L ' ~ p i " ~ mo l o p e des seie..,es soc ial ", a~!J obsédée po. ce "'~me ~ d.oi' de l'obso", . e... ~ déli oirle ' YI'" d'e.. ité . IIIlXQ""n.. il. ..- ait 1I(lU., ce " ' _ """"'PU< lui· mo!me une ~""n ll" ph'lœoph'e des sei...e", empr un1l5e, d. ", le ClOi fi..., ,,:.... moins, ~ n .. eljOil: atiOll de II. jIlysiQ"" pu G . ",. B",helanl . q. P. BO<mIllur, l .oC . OlA M!IOU DON e< 1.oC. P""'UON, IL ""'ier J e socio lo&" e ( 19t1!l~ Qui esl pre"l"" exd... i""""'lll cOll .n ui ' ....- la ]it~"",]itie de . >ci... c", de B",heb.nl. D e >l dm q"" ""'l chlUlll"""''' dm. la """"OJOion
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p olitiqu e, les soc io log ues n'aurai ent jama is osé lim ite r la premi ère so urce d'incertitude en se coupant du travail explicite et réfl exi f effectué par les ethnométhodes des acteurs e ux-mêmes. Dan s la m esure o ù il s devaient s'intéresser a ux cultures prémoderne s et où ils n ' étai ent pa s autant tenus d 'imiter le s sciences naturelles, le s anthropologues ont été plus chanceux et laissèrent le s acteurs dépl oyer un monde beauc oup plus riche - au prix, il es t vrai, d'une n otion de représentation quelque peu condescendante. À bi en d es égards, la soc iolog ie d e l' acteur-réseau n' est q u' u ne tentati v e pour pe rmet t re aux membre s des sociétés co ntemporaines de se définir en bénéficiant de toute la latitude o fferte par le s ethnologues. Si, comme j e le prét ends, « nous n' avons jamais é té modernes JO, la soc iologie pourra it finalement devenir aussi fin e que l' anthropologie " . Je prétends qu ' av ec l'éq uipement extrêmement léger q ue je v iens de d éfinir, nou s sommes maintenant prêt, à tirer p rofit d e la première source d 'incertitude. Pour des ra isons sc ientifiq ues, politique s et même morales, il est fondamental que le s enquêteurs ne défini ssmt pa, à reveree e t à la p lace des acteurs ce que so nt les compos antes du monde social. Le lecteur int éressé peut commencer d ès maintenant à rele v er les nombreus e s façons contradictoires d'évoq uer, d' effacer, d ' allo uer et de redistribuer les agrégat, sociaux. Certes, cette leçon n' est que négative, mai s e lle cœisütue une façon efficace d 'inverser la pulsion po litiq ue qui démange tant de sociologues critiques. Il es t peut-ê tre temps de remettre sur ses pi eds la célèbre fœ-mule de Marx : « J usqu' ici les sociolo gues o nt transf orm é le monde d e plusieurs faço ns: le temps est v enu de l'interpréter. ,. Mais, pour l' interpréter, il nou s faut abando nner l'idée bizarre se lon laquell e tous le s langages sera ient s usceptibles d ' être tradu its dans l'idiome déjà éta bl i du soc ial. Une telle propédeutique es t im portante. dans la me sure OÙ, comme nous allons le voir dans le prochain c hapitre, le s agrégats sociaux ne so nt pas néces sairement co nstitués de li ens humains. f iii< d~j ~ 6c,;, !lUI ""n. Q'I",tio. do _ JI';""" _ .. ddillitio... "'" ..., dOp"""",lK. if. B. LAIot' •• N,." n '"vOILl j . "''';' I r' >n<>l",,,, (1991) - , j . Jo lai,," ici do oOO! Ifi. do .... COII""."''' !IUI la lbéorio IIOCW. Q'I'W1. oIl<..-"";"" ~ Jo m o<1or. itl! .,ti ~ ...i' _ l'ou,," .,tig •• o. ~ ..., U"" lnI., fomlOû"" p".. ll~l. d• • o'ro 00ll0pologi.. .. ",ciolo& io ... Jo ljll""iOll do l 'u mo! d. ou de. IOOIIdo •. 18. Bio. Q'I.
~".I ..
Deuxième source d'incertitude Débordés par l'action
LEplu, so uvent. nous utili sees le terme
social " pour désigne r ce q ui est d éjà assembl é et fonctio nne comme un tout, sans nous montrer trop regardants sur la na/ure exacte de ce q ui a été collecté, ra s sem blé et e mpaq ueté. Lorsqu e nou s di sons q ue qu el qu e c hose « es t socia l " o u « po s sede un e d ime nsio n sociale ", nous mobilisons un e nsemble de trelt s qui , pour ai nsi di re , march ent au pa" mêm e si le s élément, d e cet e nsemble provi ennent d 'un peu parto ut. Cet usag e d u terme est parfaitement ecceptabletant que nous ne confondons pes la phrase: « Le social est ce q ui tien! ensemble" avec celle-ci : « Le social est un matériau particulier " . La p remière phrase signifie simplement que nous nous int ére ssons d ' abord à la liaison d es éléments q ue la routine a re groupés, tandi s q ue la seconde d ési gne une sorte de substance dont la caracté ristiq ue maj eure est qu 'elle est d ifférente d 'autre s mat ériaux. Dan , ce c a" o n suppose q ue certai ns assemblages seraient fuit, d' une matière sociale au lieu d 'une mati ère physiqu e, b iolog ique ou économ ique, à la manière des mai sons q ue le s T roi s Petits Coc hons avai ent construites en paille , en bois ou e n pierre. Afin de ne pas confondre ces d eux sem, total em en! disti ncts du mot « social ", nous devons aborder une d euxi ème so urce d'incertitude, portent cette lOi, sur la nature h étérogène d es ingrédien ts q ui entrent dans la composition de s liens sociaux - le social n" 2. «
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Omllllelll dép/ay'" les CIJII lrowrses "" le I/I(JlIde social
Lorsque nou s agissons, qui d'autre agit en même temps que nou s ? À combien d' entités fai sons-nou s appel ? Co mment se fait-il q ue nous ne faison s jamais Ce qu e nou s voulons? Pourquoi sommes-nous tou s sous l' emprise de torees qui ne dépend ent pas de nou s? Telle est l'intuition la plus ancienne et la plu s légitime des sciences sociales, celle qui n' a cessé de fasciner les observateurs depuis que les foules, les masses, les moyennes statistiques, les mains invisibles e t les pulsions inconscientes se sont mi ses à re mplacer le s pas sion s e t les rai son s, sans parler des anges et dei; démon s qui avaient ballotté j usque-là nos humbl es personne s. Dans le chapitre précédent, nou s avons appris à tracer les connexions soc iales en utili sant les pi stes inattendu e s que laissent derri ère elles les controverses portant sur la formation des groupes ; les soc iologues e t les acteurs se trouvaient sur un pied d' égalit é puisqu e les uns com me les autres se posaient fondam ental ement lei; m êmes q uestions : comment savons-nous de quoi le mond e socia l est fa it ? No us devons maint en ant apprendre à exploiter une deuxième source d'incertitude, plus fondamentale e ncore, qui se trouve au cœur de toutes les sciences soc iales : l' action n' est pas transparente, rien ne se fait sous le plein contrôle dela conscie nce. C'est bien cette vénérabl e source d'incertitude que nou s avions voulu raviver à travers l'exprèssion bizarre d' « acteur-réseau» : l' action croise, noue, fusionne de s so urces in attendue s qu'il faut appre ndre à lentemen t démêler. Que nous ne soyons j amais seuls à agir, il suffit de quelqu es e xemples po ur nou s le rappel er. Vos diplômes universitaires vous o nt t ellem ent éloig nés de vos parent s q ue vo us e n êtes arr ivés à être embarrassés par leur apparente stupidité: or, en lisant des travaux de sociologie critique, vous réalisez que c'est là une expérience commune à toute une génération de jeunes e n pleine « ascension sociale ", issus des «classes pop ula ires" mais privé s de «ca pital social" : c'es t alors qu e vou s commencez à vou s demander qui vou s a éloigné de votre mili eu familial, qui a façonné vot re voix, vos manière s et votre apparence d'une façon si différente des leurs. Peut-être s'agit-il d'un animal é trange qui n' a parti e liée avec personne e n particuli er e t dont personne n' est responsable : une véritabl e force, à n'en pas dout er, un habitus peut-être. Vou s p ensez êt re a moureuse d e votre fut ur com pag non? Voi ci qu e vous lise z un e ét ude 64
Deurii'1III' (fOU rre d ';l1Ci'rliludi',' J,lb<>rdh par " oct;""
s tatis tiq ue sur le mariage dans laqu elle so n âge, sa taille, ses re venus, ses diplômes, la distance en tre la ville qu'il habi te e t la vôt re correspondent, à peu d e c hose près, à une moyenn e représe ntant les a spirations a moureuses d e milliers d ' autre s jeunes femme s au même moment. Qui e st donc amoureux ? D 'autres, à co u p sûr, un e forme d'exi stence étra nge et inconnu e qui ne vo us res semble pas, qui n ' a pas d'yeux, de bouche, ou d' oreill es, mais qui a bien pourtant un comportement. Les villa ges 00 Bourbonna is semble nt po nct uer le paysage d 'une faço n al éatoi re, j usq u'au jour o ù un a rchéolog ue met a u jour le s ancien s réseaux routiers et co mpren d que tou s le s habitat s correspondent trè s e xac tement à la di stanc e que parcou rt en un jour une légion romaine, Q .Ji accéé ces implantations à cet en droi t? Quelle torce s'es t e xercée? Comment Cés ar pourrait-il e ncore agir à tra vers le paysage co ntemporain ? Existe-t-H un alien, doté du pouvoir so uterrai n et durabl e q ui consiste à faire e cbcisir lib rement JO par le s co lons la place même qu 'il leur a assignée ? Là encore, vous vous interro gez , et vous le faites encore plu s lorsque vous vo us aperce vez, e n suivant les cours de la Bourse un matin, que dix millions d'ac tionnaires ont vendu les même s titr es auj ourd'hui. co mme si vot re es p rit collect i f s'était d ét erminé so us la contrainte exercée par la main invisibl e de quelqu e géant diss imulé, Au cours de la kerme sse de l' école, vous vo us dem andez pourquoi tou s les parent s se ressemblent si étra ngement : même s vê te me nts, mêmes bij oux, même façon d'a rticu ler le s mot s, même s ambitions pour leurs enfants , Qu ' e st-ce donc qui n ous fa it faire la mêm e c hose a u même m oment ? Au co urs de l' histoire lon gue et variée d e leu rs disciplines, les sociologues, le s hi storiens, le s géographes, le s lin gui ste s, le s psychologue s et le s éco no mi ste s o nt d û - à l 'insta r de leurs co llèg ues de s sciences naturelle s - multipli er ce qu' on pourrait appeler le s fo rmes d 'existence - pour traduire l'intr aduisible « agenc)' JO anglai s - a fin d e rendre compte de la complexité, de la diversit é et de l' hét érog énéité de l' action, Chaque science a d û trouver un moyen de dome stiquer ces nombreux aliens qui s' invitent sans prévenir dans tout ce que n ous faisons, La sociologie de I'acteur- r ésear n' a d'autre but que d e reprendre ce tte tra dition e t cette intuition: l'ac tio n es t toujours d épassée o u d ébord ée, reprise par d ' autre s, di stribu ée dan s un grand nombre d e formes d'existeœe sans visage, œ qui
lui donne touj ours un aspect mystérieux. Nous ne sommes pas seuls au monde. " No us faisons JO, " Je fais JO , autant de nids de guêpes. Comme l'a dit Rim baud, " Je e st un a utre JO . Et pourtant il y a un go uffre béant, insurmontable, abyssal, entre cette intuition - l' action e st d ébord ée - et la conclusion habituelle selon laquelle c'est une force sociale qui aurait pris le contrôle . T andi s que la soc iologie de l'acteur-ré se au e n ten d reprendre le premi er que stionnement, e lle veut e mpêc her qu' on pa sse trop v ite à la réponse : e lle veut d émontrer qu ' entre la prémisse et la concl usion la conséquence n' est pas bonne, qu 'il ex iste un abîme qu 'il faut se garder de comble r. Pou r qu e le s sciences sociales retro uvent leu r énerg ie premi ère, il est essentiel de ne pas ass imile r toute s les formes d' existence qui débordent l'action à une d' entre elles seulement, qui serait faite en soc ial - la" société JO , la " c ulture JO , la e structure JO, les " champs JO , les " individ us JO , peu importe le nom q u'on lui donn e. L' action doit rester une surprise, une médiation, un événement. C'est pour cette raison qu 'il nous faut commencer, encore une fois, non pa s par les " déterminations de l'ac tion par la soci ét é JO , le s " c apacités de c alc ul de s individus JO, ou le " pouvoir de l'inc onscient» comme nou s le ferions d ' ordinaire, mais par le caractère sous -d étermin é de l'action, par lei; incertit udes et les controverses portant sur « qui » agit lorsque « IIOUS » agissons - sans pouvoir décider si cette source d'incertitude tient à l' observateur ou à l' acteur. Si n ous devons accepter l' intuition cen trale des sciences sociales - sans quoi il serait absurde de se c onsidé rer comme un " socle »-log ue - , il nous fa ut donc procéd er avec la plus grande prudence pour exti rper le poison sécrété lorsqu e l'Intuition j uste se tran sforme en une int erprétation fau sse ou en tout cas trop rapide : « quelque chose de social » aurait déclen ché l'action . Contrairement à ce que tant d' " e xplications sociales " semblent suggérer, non seulemen t le s deux arguments ne découlent pas l' un del'autre, mais ils so nt e n totale contradiction : c'e st justement parce qu e ce qui nou s fait agir n 'est pas d e nature socia le, qu'il est possible de l'a.fSocier de façrn inédite 1 .
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Un act eur n ' a git pas : oil le /ait a gir Un "acteur _, au sens o ù le terme est utili sé dan s l'expression" acteur-réseau _, n 'est pas la so urce d 'une action, mais la cible mou vant e de tout un essaim d 'entité s qui fonde nt sur lui . P our retro uver ce lte m ul ti pl icité, la solutio n la plus s im ple consis te à réactiver les mé taphore s liées au ter me d' acteur lei que je rai utilisé jusqu ' à présent, sans lui donner de sens préc is. Ce n' e st pas un ha sard si cette expression, tout comme celle d e " personne " , vient d e la scène. Loin de désigner une so urce d ' acti on pure et immédi ate, ces deu x notions renvoient à d e s é nigmes aussi v ieilles que l' insti tut ion du théâtre elle-mê me - comme l' a montré Jean-Paul Sartre dans son fameux portrait du garçon de café qui ne perçoit plus la différence e ntre so n moi " a ut he nt iq ue _ et so n" rôl e social _ 1. Ut iliser l e term e d ' " acteur _ impliqu e q ue l'on ne simplifie pas trop vite celui q ui pas se à l' action, puisqu 'un acteur sur scène n ' est jamais seul à agir: d ' emblée la performance théâtrale nous place devant un im broglio où la question du sujet de l'ac tion devient insondable. Dès que la rep résen tation c ommence, c omme Erving Goffman l' a si souve nt montré, tout devient troubl e : est-ce pour de vrai, o u pour d e faux l ? La réaction du p ublic ccmpte-t-elle ? Qu ' en est-il de l' éclairage ? Qu e fait l'équipe en coulisses ? Le me ssage du dramaturge est-il co nvenablemen t tra nsmis, ou irrémédiable ment bâclé ? Le person nage est-il bien ren du ? Et, si tel est le cas, par quelle quali té de " jeu _, quels procédés ? Qc e font ses partenaires ? Où est le scuffle ur ? Des q ue nous acceptons de filer la m étaphore , le term e d'acteur diri ge not re a ttention vers un e redistributio n cœnplète de l'action et nous rappelle qu' elle n' e st jamais une affaire co hérente, co ntrôlée, rondement menée, dont les contours seraient bien définis. Par défini ti on, l'ac tion n'es t jamais localisabl e m ais toujours d istacale ' . Si l'o n dit qu'un acteur est un acteu r-réseau , c'est d'abord peur so uligner à q uel point l'origine de l' action est so urce d' incertitude - il faudra, le momen t venu, s' intéresser au terme « r éseau » . L ' action est
2. l '~ P: sode . " ,. .... d.", J.·P. Su n r.. L ·llr•• r 1. nllJ1I l ( 19.3 ). 3. Voir 1.. Bornl" . "" .:temp. , du , E . GŒ1MIlN, Ln mi.. en !IC;"' '' la vie q_ i. Jioml« I973). 4. C""""" 1. pmjXIl< F. OX».!.N, 111< Or8"'. Z;"8 P,opo,ty o!Co"""",,;ron{}#l {2 00l~
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O mllllelll dlployer 1", ("OII lro"""",..., le /IIOnde . ocial
toujou rs empru ntée, distribuée, suggérée, influ encée, dominée, trahi e, traduite . Comme Jé sus sur la c roix, c 'est de s acteurs que l ' on d evrait toujours dire : « Pa rdo nne -leur, Pè re, ca r Il s ne savent pas ce qu 'ils Iont » (Luc, 23:34). Ma is cette controverse souvent vive sur la source de l'action ne nou s autori se nullement à nou s p récipiter pour lui a ssig ner une origine, e n prenant par e xemple le s « forces globales de la soc iété JO, les «calc uls transparents du soi », le s « p ass ions du cœur JO, 1' « int entionnalité de la personne JO , le s « scrup ules qui rong ent la conscience morale », les e lÔles que nou s a ssignent le s a tten tes sociale s », ou la « mauvaise foi » . L ' in certitude doit res ter l'incertitude tout du long parce que nou s ne vo ulons pa s tirer hâtive me rt la conclusion que les acteurs pourraient ne pas savoir ce qu'ils font mais que nous autres , les soc iologues , n ous « savons bie n » qu 'il e xis te un e force sociale qui leur « fai t faire » des c hoses sans qu 'ils y pensent. À ce stade, inventer une pulsion sociale, un inconscient, ne manquerait pa s de réintroduire cet éther du social dont nous cherchons à nou s pa sser. Non pas que le; acteurs savent ce qu'ils font e t que le s sociologues ne le savent pas. mais parce que le s uns comme les autres doivent rester s urpris asse z longtemps par l'identité des participants a u d éroulement de toute a ction s' ils e ntende nt les as se mbler à nouveau. À l'inverse d e s socio log ues ord ina ires, c 'e st p récisément parc e que le soc ia l n' e st p as encore cons titué ou parce qu 'il convient de le réassembler que le s sociologues de s associatio ns doivent s'attac her à suiv re toutes les trace s d es hésitations que ressentent le s acteurs e ux-mêmes quant aux « pulsion s JO qui le s font agir. C'est la se ule façon de rendre à nouveau fertil e l'intuition qui est au cœ ur de no s di scipline s - avan t qu ' elle ne de vienne l'affirma tion s téri le de l'action sempiternelle d'une fo rce fa ite en socia l - n" 1. No us de vons d o nc prendre à nouveau pour fondation solide une so urce d'Incertitude et d'h ési tati on : c ette fois -c i, l ' a bîme d e perpl e xité o ù nous plon ge toujours l' origine de l'action. De même que, nou s venons de le voir, le s acteu rs sont co nstamment soll ic ités par d ' autre s pour e ntre r ou sortir de groupes e n formation (première incertitude), ils n'arr êtera pas de p roposer de s comptes rendus c ontradictoire s pour rendre co mpte d e leur action d d e celle des a utres . Là e ncore, d ès q ue la d éci sion d e a'engager dans cette direction e st
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Deuxième soorr:t d'inœrliludt> : J,lb,mlh par "ac/irm
prise, le s traces de viennent innombrables et aucune étude ne s' arr êtera par manque d'informati on s ur ce s c o ntroverses . C haque entretie n, c haq ue r écit, c haq ue cours d'action , a ussi triviaux qu 'ils soi ent , fourniront à l'observat eur un éventail s tupéfi a nt d' entités qui rendent com pte du pourquoi et du co mment d'un e action donnée. Les soc totogues tomberont de sommeil bien avant que les acteurs ne cessent de les inonder de données. L ' e rre ur à év ite r sera it d' écouter de faço n dist rait e ces production s tortueuses, e n la issant de côté les terrnes Ies plus étranges, les plu s baroques et les pla, inhabituels, pour ne suivre que ceux qui ont cours dans l'arrière-monde du soc ial. Hélas, ce tte erreur est si commune qu' elle passe pour la plus rigoureuse des méthodes scientifi ques e t qu' elle produit la plupart des artifices impliqués dan s les a nalyses sociologiq ues. Lorsqu'un c r im inel dit : « Ce n'est pa s ma faut e, j'ai e u d e mau vai s parent s », faut-il dire qu e « c' est la société qui e n a fait un crim ine l », ou qu ' « il essa ie d' échapper à sa propre culpabilité en la diluant dans l' anonymat du social JO - comme Mme Thatche r n'aurait certainement pas manqu é de l' obs erver ? Mais le c riminel n' a rien dit de tout cela; il a seulement dit : « J' ai eu d e mauvai s parent s. JO Si nous pre no ns cet te affi rmat io n a u série ux, « mauvais parent s » ne se traduit pas automatiquement en quelque chose d' autre, et certa inement pas en « société » - " le criminel, notons-le, n' a pas parlé non plu s de " mè re castratrice ... . . Il nous faut résister à l'idée qu'il existerait quelqu e part un dictionnaire o ù tout le vocabulaire bigarré des acteurs serait traduit par un nombre restreint d' entrées dan s le lexique social ' . Pour pratiquer la sociolog ie de l' a ssociation, il fa ut avoir le co urage de ne pas remplacer une express ion inconnue par un terme déjà répertorié. C'es t là qu'apparaît toute la différence, scientifiq ue, politique e t même moral e entre les deux sociolo gies. La difficulté ne fa it qu e s' acc roître lorsqu'un p èlerin nous dit : « Je suis venu jusqu' à ce monastère parc e que la Vierge
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e " puf .. t...., .. exprimée p u ].. ~ ' D"'Iu'ib c< "".. d ' ~ "" de. « poû eDts ~ ou des « d ~ l i D q u ' D ts ~ po u. deveDi. des « u.. ~ e " des dn>~ ues ~ . Cf. E. Go.' OIlce . (2002], .iJui W''e.. dhcloppf l. STh".,." " D"'8 "'" II! difi ho ll:.llo1ai, ( 199 1). JIW.JI C<
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Marie m' y a appelé. " Combien de temps l'enquêtrice doit-elle se retenir de sourire d'un air suffisant, e t de remplacer le mode d' exi stence de la Vierge par l'illusion .. évidente" d'un acteur qui « prend prétexte " d'une icône religieu se pœ r « occ ulter " sa propre d éci sion d' entendre des voix ? Les sociologues répond ront : « Aut ant que l'exige la polite sse " , car se gausser e n présence d'un informateur ne fait pas partie des bonnes manières - même pour une soc iologue c ritique. . . Mais il n' en sera pas de même pour une adepte de l' a utre école, qui devra, q uant A d Ie, a pprendre Adire: .. Je dois me retenir au ssi longtemps q u' il me sera po ssible, afin de saisir l' occasion que nous offre le pèlerin de prendre la mesure des diverses entités qui sont simultanément Al' œuvre clans le monde. " S'il es t possible de découvrir que la " Sainte Vierge " est aujourd' hui capable de faire prendre le train A des pèleri ns et de les a mener Avai ncre tous les scru pules q ui les retiennent c hez e ux, c'est bel et bien un miracle ". Lorsqu'une célèbre soprano affi rme : « C'est ma voix qui me dit quand j e doi s commencer et quand j e dois m 'arrêter de chanter », le sociolo gu e ordinaire s'e mpre sse de c oncl ure qu e voilà bien 1' « e xemple typiqu e " de la .. fa usse consc ience " , les artistes é tant toujours e nclins - c'est bie n co nn u - A prendre leur propre c réation pour le fétiche qui les fait agir 1 ! n ne s' agit donc pas d' écouter la chanteuse mai s, plutôt, de la « li bérer de sa prop re illusion » en ayant le courage d'exposer ses mensonges, dont elle n' est bien sût-pas responsable . À bas les Muses et autres é trangers sans papiers ! Et pourtant, la soprano a bien expliqué q u'ell e parta geai t sa vie avec une voix qui lu i faisa it fai re certaines c hoses. Sommes -n ous capables de res pect er cette étrange façon de parler ? Car elle est très préci se, trè s révélatrice, trè s sig nificative, et auss i trè s émouvante. Ce qu'il faut e ntendre par une e nquête, n' est-ee pas précisément le fait d' être touché, é mu, c'est-A-dire, c omme le dit l' é ty mologie, mis en mou vement par la; in formateu rs'?
6 . Jo "'p"",d. ici 1. lIIOjl;,lrlIlo " . ,m œ""
7. Cf- Juli. V. ",dy d. o. 10 film do B. MON' A1NG EON . IL chon l po... IJ11I dl:.lo Audio
8. PJincip o d o m khod o foo d"",m,.lo qu o ""US avom ' l'l'Ti. d o moitIo li"", d o J. FAVn:r,'lAADA, IL. """"'. la """" . Ii! ....., ( 197 7).
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Deurièllll' sourr:t d 'inœrliludi' ,' J,lbo,dh par l'aclirm
La le ç on difficile qu e nous devons apprendre e s t l' exact con tra ire de ce qui e st e ncore e nseigné part out so us le nom d' « explication sociale JO : nous ne devon, pa, substituer à une ex pression surprenante mai, précise le répertoire bien connu du soc ial qu'elle est ce nsée occulte r. Nous d evon> éviter de faire comme si le , acteur, ne dispo saent que d'un seul langage tandis que l'analyste disposerait e n plus d'un métalangage dans lequel le premier serait « e nchâssé JO , Comme je l'ai dit plus haut, mieux vaut faire la sup position que les observateurs n' ont le droit qu 'à un infralangag e , d ont le rôle se borne à les aider à devenir attentif> au m étalangage pleinement développé que po ssèdent le , acteu rs eux-même, et qui fournit toujours un compte rendu plu, réflexif des p ropos qu 'ils tiennent. Dans la plupart des c as, le s e xplications soc iales ne sont que des ajouts superflus qui, au lieu de révéler les forces qui se tiennent derrière ce qui est dit , ne ïont, comme Garfink el n'a jamai s cessé d e le montrer, que dissimuler ce qui a été vraiment s uggéré 9 , fi ne sert à rien de justifier ce tte pratique sou, prétexte qu e le , sciences naturelle s ne cessent elles au ssi d'aj outer de s e ntités c ac hées pour rendre co mp te de s phénomènes : lorsque les naturalistes invoquent des e ntités invisibles, c'est pour rendre compte des détail , le, plus d élicat , de l' objet étudié, pa, pour détourner le regard face à de, information> embarras santes avant de le s remplacer par d'autre s moin s récalcitrante, ! Bien sû r, il y a de s rais ons tout à fait respectable s qui e xpliquent cette confusion de de voir, comme je l'ai déjà brièvement indiqué : l' a genda politique d e nombreux sociolog ues a pris le contrôle de leur libido sciendi. Il, e n sco t venu, à considérer qu e leur tâche ne co n sistait pa , tant à fai re l'inventaire de , mode , d' e xi stenc e à l'œuvre dan> le mond e, qu ' à pourch a s ser le s nombreu ses forc e s qui , à leurs yeux, e ncombrent la soc iété e t maintiennent les gm s dans un é tat d'aliénation - le s " Sainte s Vi erg e , JO et le s « fétiches JO figurant parmi le , premier, c o upable" Le travail d ' émancipation auquel les soc iologues cro ie nt devoir se co ns acrer le s pou sse à ra réfi er d ' abord le nombre d 'entités acceptab le" Redéfinis sant leur, droit, et leur, décw,.,y ",. le. "",mt... de 1. lIOCitt~ l""oM,." .... voc.t>ol. ;,- . cunpllt CI lZl' lIlM- ie ", d . l. dh , k'l'J'Ù Iew- p,m",".'" de <Xml'"mâ-. l.ur 1'"" 1'"' comp" """"''''. 9 . Un•• oh,., ......bode COlI"'"
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de voirs, ils se rnettera alors tranquillement à décider, à la place de ces acteurs dors ils devraient apprendre à déployer les univers, q uelle e st la list e d es êt res qui doivent, à leurs yeux, co mposer le mond e social. Et tout cela au nom d' une politique d ' émancipation ! On voit mal pourtant la vertu d'un proj et qui commencerait par s'épargner le travail de compos itio n en retranchant artificiel lement du monde la plupart de s e ntités qu'il va falloir assembler . Cette habitude d' ajouter trop vite de s forces dissimulées fait couri r un autre risque, celui de glisser de la sociologie d u social à la sociologie c ritique 10 . Cette so us-discipline d e la sociologie croit scien ti fiq ue d e re mplacer le s donn ée s pa r de s forces soc ia les déj à rasse mb lées dan s un paquet ag e qu e la ro utine oublie de rou vrir. Mais le pire, c'est qu' elle se croit plus scien tifique e ncore lorsqu ' elle p rend les réac tions indignées de ceux qui font l' objet d 'une " explication " comme la preu ve d e la vérité in supportabl e d e l' interprétation critiq ue q u'elle p ropose. À ce stade, la sociologie cesse d'être empirique pour devenir « vampirique » . Il es t v raiment tra gique pour le s sciences sociales qu' elles n ' aien t pas tenu compte de cette leçon e t que les soc iolog ues critiques c on tinuent de c onsidé rer comme leur trésor ce dont il s devraient plutôt avoir honte: confondre ce qui occ ulte le s données a vec ce qu ' elle s ré vèlent. Qu alifi eri e z-vou s d e « scientifique » une di scipline qui mett rait de côté l'Inform ation préci se offe rte par le travail de terrain pour lui s ubstituer d' autres in stance s, des forces inl'isibles, e xpliquant de s c hoses qu e le s acteurs n'on t pas dites e t qu'ils réfu tent avec véhémence ? Pour une fois, ce 1\OOt le s sociologues des associations qui font preuve d e sens commun. Selon e ux, les controverses sur ce qui nou s fait ag ir doivent être déployé e s j usq u'au bou t, quelle qu' en soit la di fficulté, de fa ço n à ne pa s sim plifier à l' a van ce la tâ ch e d'asserœler plus tard le c ollectif. Ce la ne ve ut pas dire qu'il fa ut s'abs tenir à tout jamais de fai re référe nce à d es variable s cachées, o u q ue nou s d evon s
10. La ,od ol0i i. oriti" "" ..i', ...p""Jou .Io, IOl!l"" l.. limilO ' """"ptabl.. d. la thSorlo , œ i. 1o jur; .,. '.~ pol'" "" l '..;,;,,,,"" d. l. , œ ;ou . " oo",id!". oum"", plo , nlollo .,.. l'. xi ""."" do ..'" 10 "' '''' , Y oumprl , do dmi~ d. la nligiOll, d. l " oooomio. d. Il sri• ...,. 00 d. l. r d ..,d ogi. , "" " oi ""otrl!»•• i",i. i ~v",... l '",d ", d. l''XptiO'';OII a ~ rlli", do , "'.on .. llUI' d. viot;'"", d'iDo';,. ,. A "" " . , il ." impoo. , ib!. do d"' ~ III "",ioIog io criti.q"" do, tJ.ro.-i.. ~ ",mpl«. : ""_ f",ioo. ~ p l.... • xne"", .:: . ptb """ a do la pl,,", oxuim. ..iva'.
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Deuxième SOU"'t d'inœrliludi',' débordés par l'aclirm
c roire que les acteurs font l'e xpé rie nce clai re et dis tinc te d e qu elque ego cogito qui se tiend rait aux comm andes de leurs act ions, Bien a u contraire, nou s venons d e vci r q ue l'intuition la plu s forte des sciences soc iales porte s ur le fait q ue nou s sommes a me nés à fa ire d es choses par d es entités s ur lesquelles nous n' avons aUL'Un contrôle. Dans le prochain chapitre, nous a urons de nombreu ses occas ions de voir comme nt l' action se distribue parmi des agents dont seul un petit nombre resse mblent à des humain s ''. La raison pour laquelle nou s souhaitons faire preuve d e prudence e n ralentissa nt I'usa gede l' explication sociale, vient de ce que l'appel aux tœces invi sibles rend a ujourd' hui impossible le contrôle du matériel en quoi elles sont faites, Expliquer quelque c hose par le rec ours à la « soc iologie instanran ée » est de venu une évi dence, co mme la «psyc hanalyse instan tanée » . Les comme ntaires q u'elles déc lenchent sont aussi impossibles à examiner, à tester et à réparer qu' un o rdinateu r, C'est parce q ue le s uccès même des explica tions soc iales en a fait des produits bon marché qu 'il nous fa ut re ndre leur e mplo i plu s diffi cile, a ugme nter le coût de leur app licatio n e t accroître le contrôle qualité sur ce qui constitue une force cachée Il,
Une enq uête d e m étaphysique a p pliq uée Si nous ap pelons métaphysique la discipline inspirée par la tradition philosophique qui entend définir l'équipeme nt de base du mo nde commun, alors la métaphysique appliquée est ce sur q uoi dé bouch ent les controverses sur les e ntités q ui nous font ag ir, pui squ ' elles ne cessent de peupler le monde de nouvelles forces et d' en contester d' autre s ". La question est alors de savo ir I I . A 1. fiD do 1. ""ooDdo p.rt io, DOU' foroD' OODD.i...D" av" , 1. fi~",ro du « pl..",• • . 12. Co• •i~Dif;" . ....i qu '..,o P"" .!I.. 0-.;10':0 n OD."'.. qu 'Olr simplo"",". p..--dŒTi5 0 ou de l'on";"ur. ~ od'lD0m6lhodol os."" JIll' " 011' dt.m m u . fomil" ri..!••_ 10 ot l.. fo,molo « "" ....i. l''' .. morqlJo! ~ ,", D'' '' . 11",,, no"'.... Olr ' ''O_ 'U Wl< w ,,", h .. poo=i t '-PL 1J. l.o pl",.." d... ' /...:" ''';''D' f_"'O,",IIl<'" t l' id
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c om men t e xp lorer la mé taphy sique de s ac teurs, L a r épons e apportée par les soc io logues du soc ia l a cons isté à prét endre s'absten ir de toute métaphy sique et à couper les ponts avec la pbiloscpbie. cette d iscipli ne fantaisiste et n on emp irique q u i re présen tera it, à le u rs ye ux , la pet ite e nfa nce de s scie nces soc ia les dé sormai s parvenue s à maturité , En limitant de fa ço n drastique l'ensemble de s en tités « réellement agiss antes JO dans le monde, ils ont cru affranchir les acteurs de leurs propres illu sions , a planir la voie q ui m ène à la mod erni sation, préparer le terrain pour une ingéni eri e sociale à grand e éc helle " , Il n'y a rien d'étonnant à ce que ce programme de recherches a it fini dan s une impasse, Comme le s anth ropologue s n'oot cessé de le montrer, les acteurs se livrent constamment aux co nstructions m étaph ysiqu es les plus absconse s e n redéfinissant tous les él éments q ui composent le monde, Seul un chercheur formé à la gym nastiq ue co nceptuelle offerte par la tradition philosophiqu e peut se mon trer assez rapide, assez fort, assez a udacieux et assez so u p le pour enreg istrer lab orieu sement ce qu 'ils on t à dire, L' ori gine de l' action est probablement le probl ème le plus difficile de la philosophie ; comment des e nquêteurs pourraient-ils comp rendre les mots d' une fe mme a u foyer, d' un e mployé d e b ureau, d 'un pèleri n, d' un c rimind, d 'une soprano. d 'un P-OO, s' il n 'y ava it a ucun H egel , a ucun Ari stot e, a ucu n Nietzsche, a ucun Dewe y ou a ucun Whitehead pou r leu r ven ir en aide ? Ces auteurs n' ont-ils pas accompli un travail én œ me pour c larifier ce que peuven t être un acteur, une forme d' existence, une entité? Cela ne veut nullem ent dire que les p hilosophes en sauront plus, iront plus loin et se montreront plus profonds q ue les sociologue s, ni qu 'ils fourniront à la soc iologie ses « fonde ments » ou qu'ils en feront la « métathéorie » , Ma is en co upant le s sciences sociales des réservoirs d'innovation philosophique, on s' ass ure que personne ne sera en mesure de re lever les innovati ons mé taphy siques proposées par les acteurs o rdi nai res - qui d épas sent
14. Umox"",," li p ifi<; otif doo.... cooluliOll 110"'. " fouJ1li p. l' « bi>toi.. ,.,.; ~ • d.. Ihlœolh" do Rondoll Co nin. (R. COUIN'. Th< Soci olo gy tf f'lUlo~"1 19911 D. Il • • " oIi", ~ aocu. morne" q"" 1.. "'~o""""'. dOllI il « <xpliq"" . 1.. idé.. 0111• • ,/Serv. do. <100. .."". d' o'l""",n.. . "Wlémo ir.. coo;.m.. <ç. '" '.s< .... société, co qu' e>l ..... irI0",,1IC. , co u. grtl""'" S ' IIir.., ~rne métal.~ '-l!. """ ",>ri _1. ",c" ln" 1_ poorplUior d. " ,,,, 1<. "' ~o~ •• do r hl""iro n. """'.... ... ....,... CIl' ",. l'o. ofowDi 011••xpi"",',, IIOCW. _ '" "'• • • "2 _ do 1. "" Jililo>oJfIi• •,
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Deuxième :fourre d 'il1Ctrliludt>: dlt",rdh par " aclirm
sou ven t c elles des philosophes professionnels. La situation ne fait qu 'empirer lorsqu e les soc iologues, non se ulement s' abstiennent detoute métaphysique. mais cons idèrent cœnme leur devoir de S'e n tenir à un e liste d'agen ces extrêmem e nt limit ée, et ne ce ssent de traduire la production indéfin iment variée des acteurs dan s ce lexique rudimentaire. Alors que les acteurs ont toujours au feu plusieurs philosophi e s, les soc iolo gues pensent qu 'ils doivent s' en te nir à quelque s-une s seulement ; alor s qu e le s acteurs peuplent le monde d e forme s d' existence tres diverses, le s sociologues du socia l leur ex pliq uent de quels éléme nts le monde e st « réellement » compo sé. Je sais bien qu'ils se livrent à cet exercice pour de nobles raisons, mai s cela ne me ra ssure pas . Il y a d'autre s moyens de prouver son utilité politique qu e se montrer critique à la place des ac teurs ainsi « libér és " du joug d es puissance s a rchaïq ue s. Même si cel a devait mener à un e b onn e politique - ce qui n' est pas le cas, co m me nous le verron s - , une telle attitud e sera it quand même de la trè s mauvaise science. Il e x is te bi en e n ten du une rai son d'ordre pratique , plu s respectable, pour limiter à l'avance la liste des forces qui font agir les acteurs. Si l' on écart e l' obsession des sociolo gues pour la politique d'émancipation, il faut bien mesurer la difficulté qui M: présente dès qu'on veut suivre leur prolifération, Demander à de s enquêteurs de se livrer à cie la métaphysique appliquée et les en voyer trotter derrière le s acteurs, voilà qui es t bien ardu . Et pourtant, si les formes d' existence so nt innombrable s, le s control'erses à leur sujet o nt l' élégance d e se mettre en ordre d ' ell esm êmes. La solution e st la même qu e peur la so urce d 'incertitude précédente : bien qu'il exi ste un nombre indéfini cie regroupement s, il éta it po s sible de dre sser une liste de s prise s pour perme ttre au sociologue de passer d'un proce ssus de formation de groupe à l'autre . De même , il e st pos sible de proposer un nombre limité de prises permettant de suivre la façon dont les act eurs c rédi tent o u discréditent une e nti té dans le s co mptes rendu s qu'ils font de ce qui le s amène à agir. Cela peut semb ler paradoxal (b ien qu e ce paradoxe devrait s' atténuer au fil de la lecture ), mai s le fai t de s'appuyer sur les c ontr overses constitue une méthode beaucoup plus sûre qu e le travail improbabl e qui consiste à établir a priori, et à la place des act eurs, quel s groupes et qu elle s formes d 'existenc e seront
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II\(JlIde social
dés ormais artoris és à remplir le monde soc ial. Une fois e ncore, le déplacement d'un c adre de référenc e à l' autre offre plus de liberté de mouvement qu e tout point de v ue abscl u o u arbitraire. Et, pour reve nir de nouveau à la métaphore du guide de voyage, la liberté de mouvement est essentielle - même si elle oblige le vo yageur à se d éplacer encore plu s lentement !
Une liste pour enregjstre r les con t roverses sur les sou rces d e l'a ction Bien qu e IIOU S ne sach ions j amai s avec ce rtitude ce qui nous fait agir, nou s pou v ons définir une li ste d'attributs qui so n t touj ours pré sents dans les arguments con tradictoires p our rendre co mpte d 'un cours d ' action donn é : a) le s formes d ' existen ce sont définies par des comptes rendu s : b) elles reçoivent une figu ration particulière; c) elles s'oppo sent à d ' autre s formes co nc urrentes; d) enfin, e lles s'accompagnent d 'une th éorie ex plicite de l'action. En premier lieu, le s e n tités con trove rsées se pré sen tent toujours dans un compte rendu comme faisa nt o u fa isant fa ire qu elque c hose : elles int roduisent une certai ne di fférence dan s une situa tion donn ée, e n transformant A en B à travers de s épreuves C " . Sans comptes rendus. sans épreuves, sans diffé rence s, sans transformation d'une situatio n donnée, sans cadre de référence détectable, on ne peut jamais dire d'une e ntité qu ' elle ag it . Une for me d ' exi stenc e in vi sibl e qui ne produi t a uc une di ffére nce, aucune tran sformati on, qui ne laisse auc une trace et qui n e fi gu re dans a ucu n co mpte re ndu n ' e st p as une form e d ' existence. Un point, c 'est tout. Ou elle est agi ssante ou elle ne l'est pas. Si l'on fait mention d'une force, il faut rendre comp te de so n action e t, pour ce faire, il faut spéc ifier plu s ou moins la nature de s épreuves et celle do trace s observables qu ' die s o nt lai ssées - ce q ui ne veut pas dire q u' il faut se limiter aux acte s de langage, la parol e n ' étant qu e l'un des nombreux cœnpo rtements ca pables de produire un co mpte rendu, et l'un de s moins
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Deuxièllll' . ou n;t d 'inœrliludi',' d,lbordh par /'oclirm
fréque ras 1• • Celle définition peut sembler évidente, e t pourtant il faut bien la rappeler à ceux qui ne cessent de peupler leur récit de forces sociales invi sibles q ui ne sont repérables par a ucune épreuve particuli ère et qui ne font l' objl1 d' aucun compte rendu préci s. Dam la sociologie de l'acteur-réseau, il n' est pas permis d' affinner : « Personne n'en fait mention, je n'ai aucu ne preuve, m ai s j e sais qu ' il y a un ac te ur cac hé à l' œ uvre da ns les coulisses . " Cela, c'est de la théorie du complot, pas de la théorie sociale. À c haq ue fois q u' un soc iolog ue affir me la présence d'une force pour expliq uer un phénomène, il doit le démontrer par une é preuve préci se, qui , en plu s, doit être fréquemment reno uvelée; il ne peut se contenter de la pos tuler une fois pour toutes. Si une force sociale ne dispose d' aucun véhicule pour se dépl acer, elle n'avancera pas d'un centimètre, elle ne laissera pas de trace , ell e ne fig urera dan s a ucu n doc ument. M ême pour détecter la présence de Polonus derrière la tapisserie qui devint son linceul , il a bien fa llu que Hamle t entende le co uineme nt d'un rat. Deuxièmement, c'est une c hose de sentir la présence d' une force cachée, c'en est une autre , tout à fait différente , de la figu rer. Ce q ui agit revêt toujours, da m le compte rend u q ui e n est fait, une certai ne co nsistance, une apparence qui lui donne une certaine forme et des contours , a ussi vag ues soient-Ils. La figuratim fait partie de Ces termes techniques qu 'il me faut intro duire po ur parer aux ré flexes pavloviens de l'. e xplicatio n sociale " , parce qu ' il es t néc essaire de c om pre ndre que le s figures sont lcin de se limiter a ux formes a nthropomorphiques. Enco re une fois, la science sociale doit accepter de deveni r plus abstraite. Conférer l' anonymat à une entité, c'est la figurer aussi exactement que si on lui donne un nœn , un nez, une voix ou un visage. La seule différence est qu ' elle de vient idéomorphi que plutôt qu'anthrop omorphique. Les agrégats statistiques obtenus à partir d' un q ues tionnai re auxquel s o n donne une étiq uette - co mme par exe mple les types A et B q ue l' on obtient e n recherchant les causes des maladies cardio-vasculaires - sont
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tout aussi c oncrets que « mon voisin colérique au teint c ouperos é qui est mort samedi dernier d'une crise c ardiaque en plantant ses navet s parce qu'il a man gé trop d e graisses " . En term es d e figuration, dire que e la c ulture interdit d 'avoir d es enfants en dehors du mariage » requiert autant de tra vail que l'affirmation « ma futu re belle-mè re veut que j'épou se sa fille ». Ce rtes, le premier type de figur ation (anon yme) es t différent du second (ma belle-mère ), mais tous deux donnent une figure, une forme, un ha b illa g e, de la cons ista nce à un e e nti té qui m 'interdit o u m ' oblige à faire certaines chose s. Du poinl de vu e d e la figuration, rien ne j ustifie de dire que le premier cas est une « abstraction sta tist iq ue » tandi s qu e le seco n d sera it un « a ct eu r concret" . Les agents indi viduel s ont, e ux aussi, besoin de figurations abstraites. L orsque les gens se plaignent des « h ypostas es " de la société, ils ne d evraient pas perd re d e vu e le fait q ue « ma belle-mère " , elle a ussi, est une hypostase ... - d e mêm e que le s personnes douée s de sens meral, les agents ca lcu lateurs, tout a utant que la fameu se Ma in Invisible. C'est très préci sément le sens de s mots « acte ur" et « personne" : nul ne sai t e xactemen t combien de forces sont s imultané ment à l' œuvre dan s lIII individu donn é : et, à t'Inverse, perscene ne sait combien d 'individualit és se trouv ent pot entiell em ent recél ée s dan s un nuage de points statistiques. La figuratio n leur donne une forme, mai s pa s nécessairement à la manière d'un portrait lisse qui serait l' œuvre d'un peintre fig uratif. Pour faire leur travail, les sociologues devraient pouvoir faire preu ve, lorsqu'ils « dessinent " les acteurs, d' une variété é gale à celle d es d ébats sur la figuration dans l'art moderne et contemporai n. Pour rompre avec l'influ ence de ce qu 'on pourrait appeler la « sociologie figurative », la sociologie de l' acteu r-re seau utili se le terme technique d'a ctant, qu ' elle e mpr un te à l'étude d e la littérature . Voici, par exemple, quatr e faço ns de donner figure à un même actant : « l' im périalism e tend vers l' unilatéralis me ", « les État s-Unis souhaitent se retirer de l' ONU ",« Bush Junior so u ha ite se retirer d e l'ONU », « de nomb reux officiers d e l' armée américa ine et deux douzaine s de chefs de file n éœonservateurs veul ent se retirer de l' ONU " . Le fait que la première soit une caractéristique structurelle, la deuxi ème une e ntité institutionn elle, la troisièm e un individu et la quatri èm e une nébul euse d 'individu s est évid emm ent lourd d e conséq uences pour le styl e 78
Deuxi ème SOU"'t d 'il1Ctriiffldt>: dé/" " dés par "oclifJII
de compte rendu qui en es t fait, mais elles offrent toutes une figuration différente des mêmes actan ts . Aucune n' est p lus "réaliste " , plus" concrète " ," abstrait e" o u artificielle qu'une autre. Elles m ènent seulem e nt à la stabilisati on de di ff érent s groupes et contribuent ainsi à réduire la première incertitude que nou s avons appri s à repé rer plus haut. La gra nde diffi culté à laqu elle la sociologie de l'acteur-réseau doit faire face consiste à ne pas se laisser intimider par le type de figuration : les idëo-, techno- o u bio·morphismes sont des morphismes, tout autant qu e l'incarnation d'un actant sous la forme d'un individu singulier. Parce qu 'ils ont affaire à des fictions, le s théoriciens de la littérature ont bénéficié dan s leurs recherc hes sur la figuration d'une plus grand e liberté qu e leurs collèg ues des sc ie nces soc iales, notamment lorsqu'ils ont e u recours à la sémiotique ou a ux différ entes sciences du di scou rs. Dans un e fabl e , par exemple, le même actant peut être am ené à agir par le truch ement d'une baguette magique, d'un nain, d'une pensée traversant l' esprit d'une fée, ou d'un chevalier tuant deux douzaines de dragons 11. De la tragédie grecque à la bande dessin ée, les r omans, les dialogues de théâtre et le s films offrent un vaste domaine o ù nou s apprenons tous à fair e des commentaires plu s o u moins sophistiq ués s ur ce qui nous fait agir l'. C'est pour cela que, une foi s sais ie la différence entre l'actant et l' acteur, des phrase s deviennent pleinement comparables même si elles véhic ulent des théories du social aussi différentes que, par e xemple, celles -ci : " v ous ê tes m û par vos intérêts de classe " , " Ça, c'est du pur conformisme sccial » , " Je ne suis pts la simple victime d e la struct ure social e,., ,, V ou s vous laisse z guider par la routin e ». « Tu es appelé par Di eu », « Moi fai s ce qu e moi veux " , « Nou s dev on s ca lculer no s avantages à l' euro prè s " , 17. n llO ""... 1"" ''''IOré d. di", QU' 10 oo:;iol", io do l'o. ~ ..,· ré""ou . .. r . qn ·oO'",n. 1• • .. ~ u " "''''''''' 10. ~x~ •. Po.., UllO .ytI 1h ~"" d", ,,"wux . lIssiQU'" d... 10 do....... do 10 sémiotiq"", voir A . l . Go.ü""" • • l . CWJ.rt<, Simiotiq... (19 79) ; pour WI' Jft.. JUtiOlll rée. .... voir J. FOHTANIlil, Slmioti.,o. J . disœ.rs (199!l). ( 8 . p OlU q""IQU'" mapUfiQU" .x,,,.~ d. la tiboJlé métaphysiq"" d", sémio.kio.... voir L M AJ. ~ . Opoeitl J. 10 p.i"'. " (19 89) ; L M AJ. ~. Do. po woir. J. l"i.... 8' .O b....- (1992); .' L MAIDI, On R"" ...-. n"'tiOJl (2001). Bion QU' i1 ",it un . nn.mi d.. sémiotid ' l1lomti Povol. dam. t voir Il li btné d. """"""" ," m«mpornblo d<mt jooi...n. 1 héori.ion . do 10h é .....'" ; T. l'AV..... I1Jp."'Ù do roman (2003).
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C"", melll dIp /aye r les CIJII lrowrses.lUl" le monde social
« Je suis tenu par le respect des n o-mes soc iales" ou «Le c apitalisme a bon dos " . Ce son t seulement différentes façons de fair e fai re d e s choses a ux acteurs, dont la divers ité e st pl einem ent d éployée, sans avoir à distingu er à l' avance les " vrai es " fermes d' existence des « fausses », et sans le s traduire toutes dan s le seul lexique du social. Autrement dit, l'infralangage de la sémiotique protè ge con tre les tentations du métalangage de la soc iologie . C'es t pour cela que la soc iologie de l' acteur-réseau, de même qu ' ell e n'a pas voulu se couper de la philosophie la plus spéc ulative , n'a pas voulu se pri ver d es secours d e la th éorie litt éraire, dont elle a emprunté moins le j argon que la liberté de mou vement. Noo pa s que la sociologie soit de la fiction, ou que le s théo rici ens de la littérature en sac hent plus long que les sociologues, mai s parce que les différents mondes fictifs, inscrits sur le papi er, perm ett ent à J'enquête u r d ' acqu érir la souples se et la portée n éce ssair es à l' étude d u mond e réel 19 . Ce n ' e st qu e par la fré quentatio n a ssidue de la littérature et de s analyses littérai re s que le s socio logues de s assoc iat ions pourront dev enir moin s raides, moins guindés lors qu'ils doivent retracer les aventu res des étranges personnages qui viennent peupler le monde social . C'est grâce à elle q u' ils pourront faire preuve d ' autant d'inventiv ité linguistiqu e qu e les acteurs qu 'ils s'efforcent de s u ivre - d'autant que les acteurs li sent eux aussi beaucoup de romans et rega rdent souvent Ia télé, app ren ant ainsi co mment rendre comp te de leurs actions ! Ce n'esr qu' en comparant constamment de s rép ertoires d' action complexes que les soc iologues seron t capables d ' enregistrer des donn é es - un e tâch e q u i se mble toujou rs très di fficil e a ux y eux d e s sociologues du social, q ui croient devoir fdtrer tout ce qui ne res semble pa s d ' emblée à un « acteu r social » uniforme. Prendre acte et nœi filtre r, décrire et n on discipliner, c'es t la Loi e t les Proph ètes. . . T roisi èmement, les acteurs so nt également engagés dans la critiq ue co ntin uelle d 'autre s formes d'ex iste nce, coupables à leurs yeux d ' être fa usses, archaïq ues, abs urdes, irrationnell es, o u illusoires. De la même faç oo que la production performative de s groupes donne à voir, IXJUf le plus grand bénéfice de l'enquêteur, l'ensemble des antigrou pes qui composen t leur monde soc ial, les co mptes rendu s qu' ils font des fo rmes d' existence ne cesse nt 19. q . T. PAVE.L, Uniwrs '" IaJkli"" (1986J.
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Deurièllll' $ourr:t d';nœrlil«di>,' d,lbordh par "oct;""
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Pu\\ ers au s u.1 11
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l' entreprise
Dans son roman Gain, Richard Power; (I99 8, p. 349-350) fait le portrait du P-DG d 'une grande eneepree au moment où il tente de faire un discouno pour motiver son équipe: chaque version de ce qu'est IUle entreprise pour son représentant ajoute à la diffiCIIlté de détecter la namre exacte de cette personne morale. « Faire du bénéfice, Faire du bénéfice sans arrêt. Faire du bénéfICe 11. long terme, Gagner sa vie, Faire des choses, Faire des choses de la façon la plus économique qui soit. Fa ire le plus de choses pos.~ible, Faire des choses qui durent le plus longtemps, Faire des choses pour aussi longtemps que possible, Faire des choses dont les gens ont besoin, Faire des choses que les gens désirent Faire dé sirer les gens , Offrir des emplois Intéressants. Offrir des emplois sers . Donner aux gens des choses à faire, Faire quelque chose, NOWT ir le plus grand nombre, Promouvoir le bien-être général, Contribuer à la défen se commune. Accroltre la va leur des acrtons ordinaires, Verser un dividende régulier, Augmenter la valeur neue de l'entreprise , Défendre les intérêts de tous les actionnaires , crotrre. Progresser. Se développer, Augmenter le savoir-faire, Augmenter le chiffre d 'affaires et abaisser les ccœs. Faire le travail à moindre coût. S'engager effICocement dans la compétition, Acheter bas et vendre haut. Améliorer ce que l'humanité a reçu en partage , Produire le prochain cycle d'innovations technologiques, Rationaliser la nature. Améliorer le paysage. Briser l'espace et arrêter le temps. Vo ir ce dont t'esoeœ humaine es! capable. Quitter le s lieux avant que le soleil ne s 'éteign e. Rendre la vie un peu plus facile. Rendre le s gens un peu plus riches. Rendre les gens un peu plus heur eux. Construire un avenir meilleur. Reverser qu elque c hose dans la cagnotte. Faciliter la circulation du capital. Préserver l'entreprise. Faire des affaires. Rester dans la course. Parve nir 11. donner un sens aux affaires."
d 'ajouta de nouvelle s entités e n même temps q u'elles e n ret irent d ' autres, cons idérées com me illégitimes. Ainsi, J'ob serva teu r p eut p ro fit er du fa it qu e c ha que acteur va d e ssiner le s conto urs de la métaphysique e mpirique à laquell e ils sont tou s deux confro ntés . Soit les affir mations suivantes : « Je refu se de me ran ger à l' opin ion com m une, q ui est de toute façon de la pure propa gand e e ; " VOUS pe nsez exac tement ce qu e p ense la
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génération à laquelle vou s appartenez" ; « La struc ture soc iale es t un terme vide de signification, il n' existe que des actions indi vidu elles ,, ; « Dieu ne s' adresse pas à vou s, ce so nt les imam s qui parl ent en son nom e ; " Les forces du march é son! beaucoup plus int elligente s que le s bureaucrates » ; « Ce lapsus révélateur a trahi votre incon scient » ; « J' aime mieux protéger le s s au mons qu e le s humain s 10 " . T out se pa sse c o mme s i ces phrase s opéraient autant d'additions ou de so ustract ions dans la li ste d es e ntités acceptées co mme légitimes. La seule c hose qui pui sse int errompre l'enqu ête est la décision, de la part de l'observateur, de chois ir parmi ces motifs ceux qui semblent le s plu s ra isonnables . Cela ne veut pas dire que le s observateurs seraient rélhlits à l' imp uissance, c onstamment tenus e n laisse par leurs informateurs, mais que, s' ils en tendent proposer à leur tour une métaphysiqu e alternative, ils doivent d 'abord se confro nter aux co nstructio ns d e mondes de ceux q u' ils étudient. Et il ne leur suffira pa, d'affirmer qu' eux, les enquêteurs, ont enfin d écou vert ce qui fait rée lle ment ag ir le s a cteurs a uxque ls ils s' adre sse nt. Il ne leur suffira pli'> non plus de déguiser cette tœme particulière d'ignorance volontaire so us prétexte de réflexivité. Trop so uven t, e n e ffet , le s soc iolo gues - et en particulier les sociologues critiq ues - se compo rte nt comme s' ils étai ent d es observateurs « réflex ifs » et « distanciés » confro nté s à des acteurs « naïfs », « non critique s » et « non réflexifs ». En fait, la plupart du temps, l' observateur se co ntente paresseusement de traduire les nombreuses express ions de ses informateurs dans le vocabulaire uniqu e des forces sociales auquel il e st habit ué. Sous le prétexte d e faire œuvre d e scie nce, l' enqu êteur se born era à réaffirmer ce dont le monde social est fait; pendant que le s acteurs , eux, se co ntenteront d' être indifférent s aux analyses que l'on a fa ites d'eu x. Sans vergogne, les sociologues tireront de cette indifférenee la co nc lusion que le s acte urs sent aveugles à ce qui le s détermi ne l' ! À aveugle, aveugle et d emi. 20. la d<m~'" citation . st . xtrlIi'" d< C G........OUA, " La mi"" . n CO"" mviro"".. monta!o commo pri",,;po d· . """iatio• • (2 00S). 21. Et. comm. 000. 1. verron. lo rsqo . noo...., on••Ihi",. 1. dnqoièmo so",.. d ·;"".Jti'od.. d an, 1.."" ",,,, oil la Jrho.œ on l ·opiIIio. de> "" " '" "" modifi..., • • œ. 1. C0DI(U "., ~ d. l·.nquè"''''. il. n. sor>! 1"" do viri..blo. B'Or>! 1"" f! la !IOCiologi. d. ['. ..... -d, .... _ n ·. P" ~ è rèlI,..m biè .. il n 'y ...."""" <;booco pau qu·.... lOU. lIOCiologi. ~ lIOCiaI ail 0"" qu. r Ollqu. ponill. "". politiqu• .
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Deurii'1III' sourr:e d ';nœrliludi>,' dé/m,db par "act;M
Enfin, quatrièmement, les acteurs sont tout à fait capables de proposer leurs propres th éories de l 'act ion afin d' expliqu e r com me nt les formes d' ex ist ence m ani fest ent leurs effets 11, M éta physici e ns ag ue rris e t pl ein em ent réflexifs , le s acte urs - tel est du moins le réglage par défaut que propose de chois ir la sociolog ie de l'ac teur-réseau - po ssèdent eux a ussi leur s propres mé tat hé orie s s ur la faço n don t le s e nt ités agissent, théories qui laissent le plu s souvent le mé taphysicien traditionnel totalement stupéfait. Le pl us souvent en effet, les acteurs ordinaires s'engage nt dan s des controverses q ui ne visent pas seulement à déterminer quelle est la tœme d' exi stence qui prédomine, mais aussi comment son influence peut se manifester, Là e ncore, toute la différence consiste à décider si cette force - une fo is do tée d'une e xistence, d'une figur a tion et de forces rival es - doit être trait ée comme un intermédiaire ou comme un m édiateu r, Selon la décision de l ' analy st e, o n abouti ra à des comptes rendus totalement différent s l l , Il est fo ndamenta l pou r la suite de notre pro po s de bie n comprendre qu e cette di fférence tra verse toutes les forme s d' existence, quelle que soit leur fig uration , En effet, le cho ix d'une figuration ne permet pas, en lui-même, de prédire q uelle sera la th éorie d e l'action invoqu ée : ce n' est pas le type d e figures qui compte, mai s la gamme de médiateurs que l'on peut déployer, C'est ce qui a tant contribué à semer la confus ion dans les débats e ntre les différents courants des sciences sociales : on a trop insisté sur la question de savoir quelles formes d' existence il fallait privilégier - la figuration - , au détriment de la qu estion: comment chac une parvient -di e à agir? - l'apparition des médi ateurs, Or, dans un compte rendu donné, on peut trè s bien faire que l' expression usée « l' état des forces productives dé termine l'état des représentations sociales » de vienne 22. Jœqu'ici. 1", .oriotOJIl'" on' con.ido",: qu' il 0"" d. 1.1l< d...oi, do im>ltaDl!"",'" t l'",,,,,.. p.rmi 10. l'', ticip. '''' o, do. ires. Vo ir L THtvrn OT, ~ Whicb Rolld to Follow ~ The M.. û Compexi.y or ... "Eq>iwed" Humani.y • (2lXl2) e' L T!ffiv rnar, L 'or.;'o ""
''''Ji'''''
p"'NI (2006). 23. Comme d .. . la pre.œ.. "'''ce d'iJre,,;.ode, le . !IOC.,I0 ~ ... r. Jfiilo>oJfi.. e' (e. p 'ycllolo~", v' " ici POP'" ...... io... alX c
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C<>m melll dIp /IJyt', les CIJII Iro .... rses "" le IfI(JlIdt> social
plus a c/ive, c'e s t-à-dire engen d re un p lus gra nd nombre d e médiateurs qu'une phrase apparemment beauc oup plus locale, concrète, « vécue " et « existentielle " telle qu e « l'action individuell e est toujou rs intentionn elle " . L'intentio nnalité, si elle e st utilisée pour véhicu ler du sens en tant qu'intermédiaire, fera bien moins que le plu s abstrait et généra l « état des forces productive s " , à co nd ition que cette agence so it traitée comme un médiateur 1< . L a figur atio n e t la th éorie de l'ac tion sont donc d eux é léme nts dis ti ncts s ur notre liste et ne doivent pas être confondues. Si cela d evait se p rodui re, l'enqu êteur serai t tent é d e privilégier certa ines perso nnific atio ns so us prétexte qu' elle s sont « plu s corcrètes » que d ' autre s « plus ab straites ». et il retombe rait ainsi dans le rôle législatif e t disciplinaire des soc iologues du soc ial e n abandonnant la terre ferme du œlauvisme ë .
Com ment faire faire qu elque chuse il qu elqu'un Si nous décidons d' accepter cette deuxième so urce d'incertitude, la soc iolog ie de vient alors une discipline qui res pecte le processus de dislocation inhérent a u fait d e fai re fa ire quelqu e chose à quelqu'un. La plupart des th éories d e l' action m éconnai ssent une telle dislocation parce que le seco nd terme est rendu p rév isible par le p remier : « Donnez-moi la cause et j e vou s d onn erai l' effet. " Ma is tel n' e st pas le c as lor squ e le s deux terme s so nt traités comme des médiateurs . Naturellemen t, dans le cas d es int ermédiaire s, il n'y a a ucu n my stère puisqu e le s inputs permettent d e prévoir les outputs d e façon relativement fia b le : il n'y a rien, dans l' effet, qui ne soit auss i pré sent dans la cause. Mai s cette façon apparemment scientifique de procéder es t, e n ré al ité, touj ou rs pr obl ématique . Si l' input permettait 24_ iL dOJ'. pootmod" "", ~ j"i",i. " . ur 1• •pIcifiqur. 1. k>col .. 1• •ing\ll.i.. ~ 1"'''' oorrqi .. .... 1jO' "; do, ,and.. qu ·o. ~ o..d Réd ' . 1"'' '' fi.iI p. d"".." lib.. (Xl" ' " ~ plu. do voix .gi "'._ U.., fois " '''''". 10 dift..",.. n. '" .i... P" au . iv..... d.. fi "" .. ob", .., .. m ai, d la popootiOll ..l.:i"" d. rn\di..,o" ~ ljOi 1'011 d' . xi. ",,2'_Ali. d. d" """" o.. diff6..",. .. il.""" f ..., ua orit!« d. qualit6 " xturlli: ljOi . "" . do """ """ , pour .i",i di.., 1. do",io! . d . O:"" li", m6d""'ors par"WO",ux irulJnl!diair... WlO "'''' do t1."'DOm!r.. d", oo",!,,'" ",lido. "x'urh_ CIl"""" DO'" 1. VŒrom ... ' XlIlIIinont 1. dnquim.. d ' iŒ",ilud., ..la d ovion"'" la p i"", d . d' "". f<Jl1nO d'objertivit6 , la protif6..m0ll d", obj. w",,, _
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toujours de prévoir l' ou/put , autant ignorer le s effets et ne prêter attention qu' à la c ar se, où tout ce qu'il y a d'intére ssant e st déj à contenu - au moin s e n puis sance, Dans le cas d es médiat eurs, la situation est différent e : le s ca uses ne permettent pas d e déduire les effets, dam la mesure où elles ne font qu'offrir de s occastons. définir d es circo nstances et établir de s préc édents. Par conséquent, bien de s inconnues surprenante s peuvent surgir dans l'intervalle J' , Une telle distinction affecte tou s le s actan ts, qu'il s'agisse de ceux dont la figuration semble" abstraite JO - comme l' " état de s force s productives » - ou de ceux dont la personnification semble plus « concrète » - comme « mon ami e J ulie » , Tant qu' on le s trai te c omme des c ause s simplemen t v éhicu lées par de s intermédiaire s, le s vec te urs ch a rgés de déployer leurs e ffets n'ajouteront rien à l' affaire , Dam; cette th éologie étrange et très a rchaïque, les ca uses so nt censées produire des effets ex nihilo, Mais, si l'on consid ère ces vecte urs comme de s médiateurs qui m ett ent à leur tou r d' autre s médiateurs en mouv ement, il e n d éc oule de s s itua tions imprévisible s puisqu ' elle s font faire d'autres choses que celles qui é taient attendu es. On dira, e ncore une foi s, qu e je coupe le s ch eveux e n quatre mai s, très vite, o n ne peut plus superposer les deux cartographie s qui vont résulter de cette minu scule différence entre traiter les actants comme de s médiateurs ou comme des int ermédiaire s. La première solution c onsiste à c ar tog raph ier un monde c omposé d'un petit n ombre d'agence s, qui laissent un sillage de c onséquence s qui ne sont jamais a utre chose que d es effets, des expressions o u des reflets d e quelque c hose d 'autre, La seconde sol ution , privilégiée par la sociologie de t' acteur-réseau. de ssine un monde fait de concaténations d e médiateurs, dont on peut dire que c haque point est 26. Cela ' .. te vnli do", 1. "'" d >péri",,,,. , OOlllDlO DW' [' ''''' ' wri. 10. t",~. '1'" H_ 'Y Coll;" . li " " • ..,u", ~ la ",i ", (H. C(llIN<. Cm"lling Ord". R"' ~ C Ol ., n OM InJ.cr'OlI ;" SeioM'fic Procr,co 1 1 9 8 ~J : .i",i QO' llOD il<' Dior OOV" ~ " GrOY'ry', ShadJ w : 7M Marchf« Gravi rOl.,,,,, 1 Waw, { 20041 ~ ma;' 00 .... 1' 0""0'" 1. dosaipO:"" ~ [''''''''D 0...... dllll' 10. suo"" ", ..-.;..1 1.. h;Uo Sto"l"" li IIO
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pleinement agissant 17. Par c onséquent. la question centrale qui se pose aux scie nce s soc iale s es t de décider si e lles d oi vent s'efforcer d e d éduire, à partir d'un petit nombre d e causes, le plus grand nombre possible d ' effet s déjà présents in potentia , o u si e ll e s d oivent a u cont ra ire re mplacer a uta nt d e c au se s qu e possible par une a ssociaüon d 'octant s - tel est le sens technique que nous donnerons plu s tard au terme " ré seau " . Cette di stinction peut sembler inu tile ment co mpliquée : il suffit pour l' instant de la simplifier à l' aide d 'une vignette. On acc use so uvera Ie s sociologues, pour se moquer d ' eux, d e trait er leurs personnage s « comme autant de marionnette s » manipulée s par le s force s socia les. Mai s il se trouve que le s marionnettiste s, c omme le s sopranos, on t de s idées très différentes quant à ce qui fait faire des choses à leu rs marionnettes ou à leur voix. Bien que le s figurin es semblent olIrir l'exemple le plus extrême d e causalité directe - il s uffit d e suivre les ficell es - , les marionn etti ste s se co mportent rarement co mme s' ils exerça ient un contrôle absolu SIIT celles dont ils tirent le s ficelle s. Ils co nfesseront bien des choses é tranges, e t diront par e xemple : " Mes marionnettes me suggèrent so uvent de faire des choses auxqu elle s j e n'aurais jamais pensé par moi-même l'. ,. Lorsqu'une torce e n manipul e une a utre, cda n e veut pas dire qu 'il s'agit d 'une cause produisan t d e s effets ; e lle peu t a ussi fourni r l ' o cca sion pour qu e d' aut re s choses se mett ent à agir. La main qui se cache dans l' é tymologie latine !hl terme " manipuler » indiqu e tout autant un c on tr ôle a bso lu qu 'un ma nqu e total de controle . Qui tire le s ficelles , alors? Eh bien, le s marionnettes tout a utant q ue leu rs marion netti stes. Ce qui ne veut pas di re qu ' di es contrôlent leurs maît re s - ce qui reviendrait seulement à inverser l' ordre de la c ausalité - , pa s plus qu' on ne s ' en ti rera par le recours à la dial ectique . Cela signifie simple men t qu' à ce s tade de n otre e nquê te la que stion int ére ssante n' e st pas de savoir qui agit e t comment, mais d e passer de la certitud e à l'incertitude quant aux so urces d e l'action . Dès q ue nou s dépl oyons tout e la gamme d e controverse s concernant le s actant s, nous retrouvons la pui ssante de O D de C'''''' OJ1>OOitiOIl foldamontale , voir F. :loJLu/ÇH\I1I.1, IL IDCœlllai,... th Dn e"", (2003J. 2 8. q . V . Nwn<, 1h<~ C1Y' Lifr of P"""". (1lD2J. 27.
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intuition qui se trou ve aux origines des sciences soc iales . Ainsi, lorsq u'on les accuse de traiter les acteurs «comme des marionnet tes " , le s sociolog ues d evrai ent y voi r un compli me nt, A condition q u' ils multipli ent les ficelles et se préparent Ade continuelle s surprises en matière d' action, de co ntrô le et de manipulation. « Traiter le s ge ns comme de s mari onnettes » ne devient une imprécation que lorsqu e cette proliférati on de médiateurs es t transformée en une seule torce - le soc ial IT' 1 - dont l'effet e st simplement véhiculé, sans d éformation a ucune, Atravers une lon gue c haîne d ' int erm édiaires. L'intuition ori ginale e st alors perdue de vue pour de bon. Il est d' autant plus important de garder à l'esprit cene di stinc tion entre intennédiair e e t médiateur, que la soc iologie a touj ours été e ncomb rée - comme nou s aurons l'occas ion d e le voir à plusieu rs repri ses dan, la seconde partie - par le préjugé selon l equ el il existe un sec te ur pa rtic ul ie r d u d omain e soc ial o ù l' action sera it " co rcrète » : la « parole » plus que la « langue », l' " événement » plus que la " structu re » , le nive au " mi cro » plu s qu e le n iveau « m ac ro ",1' « indiv id u" plu s qu e les « ma ss es _, 1'« interac tion " plus qu e la « société _, o u, a u contraire, les «classes " plus q ue 1'« individu _, le « sens _ plu s qu e les « forces _, la « p ratiq ue" plus qu e la « théo rie ", le s « personnes morale s » plus que les « personnes phy siqu es », et ains i de su ite . Mai s si I'acüœr est dlslocale, elle n' appartient à aucun sec teur en particulier ; elle est distr ibuée , différenc iée, mu ltipl e, disloquée, et e lle res te une énigme tant pour les en quêteurs q ue pour les acteurs 20. Cette précision nous aidera A ne pas confondre la sociolog ie de l'acteur-réseau avec l'un de s nombreux co urants polémique s qui ont invoqu é la « co ncrétude » de l' individu et de so n actio n porteu se d e sens, inte ntionne lle e t int ersu bje ctive, contre le s effets « anonymes, froids e t abstraits _ de la « déterminatioo par le s struc tures sociales _ o u contre la «manip ulation fro ide et technique _ d es individu s par la matëre, au d étriment d u mond e 29. lo. discipirl.. do Il ''''1", 0:"" " . i' '''''' ~ 00 " di. tribUl!o ~ ont l''doitemont montré cola. o, 1", .. ",lt ... lOlX'I""h 0110 , !IOIIt p.-vo...", "'.. impo l!aJU POO' la !IOCiolopo do l ' oc ~ Il(· """ "- g . li. HlJTOlli' , Co&"itioft .. 'h o w ad (I 9liS) ; J. LA1/!., C,,!ni lirn and ProcJico ( 19 88) ; L. S LOIMAN, Pions and Si od  CJ'''''' ( 1 9 87 ~ lo nhtioo . .... Jo IOciolt> gi.. "" r .""",.. &.eou " " " . . . .u "'C
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C"",melll dép /GY'" les CIJII lro ....rses.lW' le "",ndt> s oci al
véc u . Inspirés la plupart du temps par la phénoménologie, ces mou vements de réforme ont hérité de ses défauts: ils sont e n effet incapabl es d'i magin er une m étaphysiqu e dam laquelle il y a urait d'autres actants qu e ceu x qui impliqu ent des intentions humain es ou, pire, ils opposent l 'action humaine au sim ple « effet matériel » des « objets naturels » qui ne sa uraient, selon e ux, agir : le s o bjets matériels, selon ces co urants de pensée, peuvent avoir un « corrportemera » (behavior) mais pas véritabl ement une action puisqu'il n'y a pes d'intention 10. Et pourtant , un e sociolo gie « interprétative . es t tou t autant un e soc io logie du social que les vers ions « objectivistes » ou « po sitivi stes » qu' elle prétend remplacer: elle cro it seulement qu ' en introduisant un certains type s d'actants - les personnes, l' intention, le sentiment, le travail, les interacti ons face à face - " 0 obtiendra automatiquement des sources d' action plu s rich e, plu s humain e, plus concrète. Cette croyance dam les vertus du « monde vécu » constitue un cas typique de ce qu e Whit ehead a ppelle « une fo rme déplacée d' esprit concret • . En effe t, un compte rendu peuplé d'fndivida s peu t s' avérer, au bout du compte, plus abstrai t qu'un compte rendu qui ne serait cœnpos é que d' acteu rs collectifs . Une boule d 'ivoire qui e n heurt e une a utre sur le feutre vert d'un e table de billard peut di spo ser d'un co urs d' action tout a uss i pré ci eux qu 'une « pe rsonne » portant son « rega rd » sur le « riche monde humain " d'un autre « visage porteur de sens" dans la salle enfumée du pu b. Ce n' est probablement pas ce que dirai ent les ph énoménologues ni les sociolog ues du social , mais écoutons alors ce qu e les joueurs e ux-mêmes ont à dire a u sujet de leur « comportement» à eux, et de 1'« action intentionnelle » imprévisible des boules de billard. Eux, en tout cas, les j oueurs, fero nt faire, à l' interac tion de leurs boules e t des humains, des acrobaties métaphy siques pou rtant s tric te ment interdites par la th éorie q ui veut q u' il existe une différen ce radi cale e ntre .lU Malll" de ""mbr... x "'for.. vi....' ~ " cOllcll." Il sociolop . do I"oc"'..,o.."".. "' la pbé o"","oolop. (voir oot&ll>lDOo' D. [1ilJI< "' E. SfUNc i poids f <10 . ",,,,,,.. Io>....m,,, do l' I<:rioocboz J", p/>tllOméllOlolI''''' B cOl J .", de'ICrip
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Deuxième sourr:t d 'il1Ci'rliludt>: dlt",rdh par /' aclirm
1'" actio n inte ntion ne lle" et le " comporte men t stric te men t o bjec tif " ". L à e ncore, le s sociolog ues o nt trop so uven t confonde le rôle de l' enquêteur avec celui d e q uelque prédicateur politiq ue a ppelant à la di scipline et à l' émancipatioo. C 'est quand on est face à de telle s situations qu'il faut décider de s droit s et de s devoirs de l'enquêteur. Ou bien nou s décidon s de suivre les anal yste s, qui ne disposent que d'une seule mé taphysique pl einement dé velop pée, ou bien n ou s dé cidons d e "suivre les acteurs e ux- mêmes ", q ui en o nt plus d 'une à leur dispos ition. On ne pa rvient pas a u concret en pri vil égiant une fi gurati on plutôt qu e d' au tre s à la place de s acteurs, mai s e n s'efforçant d ' augmenter d an s le s co mp tes re nd us qu e n ou s donnons de leur action la part reùuive que les médiateurs occ upent par rapport aux int ermédiaires. C'es t à cette p roportioo, au fond , q ue l' on reconnaîtra toujou rs une bonne étud e d e soc iologie de l'ac teur- réseau. De m êm e q ue, comme nou s l 'avon s appris dan s le chapitre précédent, il ne fallait surto ut pas favoriser un groupe plutôt qu'un a utre, de même l' erreur à commettre serait de décider d' emblée quelle est la so urce de ce qui nous fait agir . À la pl ace des notions de "concret" e t d' " abs trait" qui ne so nt a ucunement superposables à d es types particulie rs d e pe rsonna ge, il nou s faut préférer d es qu estion s transvers al es: Quelle s formes d'ex istence sont invoqu ées ? Quelles figuratio ns reçoivent-elles? À tra vers quel mode d 'actio n so nt-elles mi ses en œu vre ? Sommes-nous face à de s c auses véhiculées par de s intermédi aire s, ou d evant une concatén atio n de médiateurs ? L' acteur-ré seau n' e st ri en d'autre qu e cette théorie q ui a décidé d e se fier a ux indig ènes plus q u' a ux sociologues, auss i bizarres que so ient le s métaphysiqu e s appliquées dans le squelle s ils nou s e ntraînent - et biza rre s, elles le so nt e n effet, comme nou s allons le voir !
l I. El col. m. l lll ~ 10 dH..... ,"u eirn.. d o co110 di.1inetion p or H. COUI N' .. M. Ku 'Dl. 1ItI! SMp< of Âcr" m. W1Iar H."",n aM M:Jchl",. Cali Do ( 1998).
Troisième source d'incertitude Quelle action pour quels objets ')
Q UAND nom agissons, d' autre s forces passent à l'action : telle est la première source d' étonnement à l'origine de la soc iologie. Mai s il en existe un e deuxième, dont l' importance e mpirique, éthique, politique es t e ncore plus frappante : le monde social es t ma rqué par de telles asymétries q u'il ressem ble a u paysage tourmenté d e la haut e montagn e : ces asy mét ries so nt si fo rtes q u'aucune dose d' enthou siasme, aucun appel a u pouvo ir du libre arbitre, a ucun bon esprit ne peuvent les faire disparaît re par un coup de baguette magiqu e : les inégalités pès ent d'un poids aussi énorme que celui des pyramides : leur inerti e entrave l'ac tion individ uelle à un point tel qu' on ne peut s'empêc her de prendre la soc iété pour une entité spécifiq ue, sui generis. Tout c hercheur qui nierait l'existence de ces inégalités et de ces différences sera it un nigaud o u un abominable réactionnaire; en bref ignorer le poids des inégalités sociales serait aussi grotes que que de nier l' influence de la pesanteur. Comment pouvons- nous rester fidèles à cette intuition tout e n affirmant , comme je viens de le faire avec le s deux premières sources d 'incertitude, qu e les gro upes sont « con stamment » performé s et que les actants sont « sans cesse » controversés? N' est-il pas naïf de prétendre transformer un es pace soc ial très inégal en un terrain ni velé où apparemment chac un disposerait de la même capacité de déployer sa prop re m éta phy siqu e? La sociologie de l'acteur- réseau n' est -elle pas l' un des symptômes 91
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de cet esprit lib éral qui proclame, enver s e t c ontre tout, que c hac un dispose des même s c hanc es - et tant pis pour les p erdant s l ? " Qu e fai tes- vous don c , av ec votre p réte nd ue th éori e, pourrait-on nou s demander avec une certaine exaspération, du pouvoir et de la domination? » Mais c' est justement pa rce que nou s voulons expliquer ces asymétr ies que nou s ne nous p ouvons pas nous conten ter de le s rép éter - e t m oins e nco re de les prolong er sans modification aucune . Une fois encore, no us ne voulon s pis confondre la cau se et l' effet, ce qu 'il faut expliquer avec I'explicaion. C'est pourquoi il est si important d' affirmer que le pouvo ir, comme la société, est le résultat final d'un processus. et non un réservoir, un stock ou un capital qui fournirait automatiquement une e xplication . Le pouvoir et la domination demandent à être produits. fa briqué s, composés 2. Oui , les asymétries exist ent, mais d' où viennent-elles et de quoi sent-elles faites ? S'ils veillent fourn ir une réponse à cette question fondamen tale, les sociologues des associations doivent prendre une décision tout au ssi drastiqu e que lorsqu 'ils vo ulaie nt puiser à la deuxième source d'incertitude. C 'es t parc e que n ous voulo ns rest er fidèles à l 'intuition ori ginelle des sciences social es qu e nou s devo ns rejeter avec qu elq ue véh émence la solution im possible qui nou s es t proposée, et qui cons iste à po stuler que la société est d' emblée in égal e et hiéra rchique : qu ' elle pèse de façon disproportionnée sur certains de ses composants ; qu' elle a tout les attributs de l'inertie. Affirmer que la domination broie les corps et les âmes est une chose: mai s c'en est une autre de co nclure qu e ces hiérarchi es, ces as ymétries, ces inerties, ces pouvoirs et ces cruautés Mlntfaits d'un matériau lui-même social. Non seulement a ucune co ntinuité lo gique ne relie ce second argumenl au premier, mais, comme nou s allons le voir, ils sont e n total e contradiction l'un avec l' autre. De même que le détournement de l' action par des forces ext érieures ne signifi e pts q ue 1. Du . IL 1f0 1N/! 1 "rl" ~ dIl <",ira/il.... ( 1 999 ~ L. BoI.... ..n etE. (lIi_pel k> OII<expi i. dterneo••d",.. t « "'proche. 1. """iok>,ie de I".«e",·""'o. Voir . o.. l l'",""!oe dll,!;loMe pon k pu P . MIJ.ûWSi'-J et E . Nn; ·1iliA1<, « M.,-\;e " M ode Re '" • (:lOlX). D 000. f..,ka ."'0<1",
1.
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.1.
Troi" ème sourœ d'il1ct'niludt>: quelle action pow qU<'u objel.< ?
ces forces son t e lles- mêmes soc iales, l'exis tence d' asymétri es dans la distribution des ressources n'implique pas que ce lles-ci scient engendrée, par d e> asymétries sociales. C'est même exactem ent j'inverse: si l'on peut produire des a symétri es eussi frappante s, c'est la preuve que so nt entrés en j eu de s acteurs qui ne sont pa s eux-mêmes faits en matière soc iale . Il est donc temps de faire subir à l' explication sociale ce que Marx prétendi t faire avec la dialec tiq ue de He gel: la remettre sur ses pieds.
Élar/!; ir la /!;a m me d es acteurs Ju squ'ic i, j'ai insisté princ ipalement sur la distincti on entre " soc ial JO a u sens d e " liens soc ia ux JO _ le soc ial n" 1 - " " M)cia l " a u sens d ' " a ssociations JO - le social n" 2 - e n gardant à j' e sprit le fa it q ue cette seconde acception est plu s p ro ch e de j ' ori gine é tymo log iq ue . L a plupart du temps, « social » dé signe un certa in type de lien: le tenne se réfère à un domaine spéc ifique, une sorte de matériau , comme la paille, la boue, la c orde, le bois ou l'ac ier. En théorie, on pourrait e ntre r dan , un supermarché imaginaire et se di riger vers le rayon des " liens sociaux JO , tandi s qu e d ' autres al lées seraient ac halandées en lien s « m atéri els », « bio log iq ues », « psychologiques » et « économiques ». Pour la sociolog ie de l' acteu r-ré seau, comme n ous le savons désormais, la définition lhJ terme est différente: il ne dési gne pas un domaine de la réalité ou un objet particulier, mai s il se réfèr e à un mouvement, un dépl acement, une trans formation, une traduction, un enrôlement Il s' agit d'une as socia tion entre de s entité s qu ' on ne peut aucunement dire socia les a u sens ordinaire du tenne, excepté durant le bref Instant au co urs duquel e lles so nt redi stribuées . Pour filer la métaphore du supermarch é, nous dirons désormais que relè vent du " social" non pas tel ray on o u telle all é e , mai , le s multipl e s modifi cation s a pportées à j' organi sa/ion des marcha ndises rassemblées al cet endro it - leur packaging, leur étiquetage, leur prix - parce que ce s nombreu x peti ts déplacemen ts révèlent à l' ob servateur le s nou velles combinaisons qui so nt e xplorées e t les voies qui seront suivies (ce qui sera plus tard défini c omme un " r ésear ,,) 1. Aux
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yeux de l' acteur-ré seau, par conséq uent, " social» désigne un type particulier d'a ssociati ons e n tre de s t o ree s jusque -là " inassociées " " . Une foi, pos ée cette seconde acception du " social ,. com me « associatio n ", nou s comprenons ce qui causait, chez les sociologue , du soc ial, un e tell e conf usion : il> devaient utili ser le même adjectif pour désigner deux types de phénomènes radicalement distincts : d'une part, le s int erac tions local es, transitorres, face à face, entre a gent, d épourvu, d ' équipement - que j e vais dor énavant désigner par social n" 3 ; et , d 'autre part, une force durable qui permet d' expliquer pourquoi ces mêmes interactions temporaire s pouvaient se prolonger et s 'étendre - c 'est no tre soc ial n° 2 maintenant bien repéré. S'il es t parfaitement raisonnable de désigner par le terme " soc ial» le phénomène e n e ffet partout présent de, relations face à face, il est pour le moins bizarre d 'utiliser l e mêm e term e pour désig ner un ph énomène exactement contraire : une « force " sociale capable de stabiliser ces même, interactions d ans le temps et d ans l' e spa ce. Privée des moyens pratiques permettant d' expliquer cette stabilisation, une telle " Iorce » soc iale ne serait rien d'autre qu 'une tautologie , un tour d e pa sse-pa sse, un e invoc ation magiqu e - c'es Ie social n" 1. Pass er de la reconnai ssance d es int eractions à l'existence d 'une force sociale est, une fois de plus, une co nclusion qui contredit le, prémis ses. Cette distinction en tre le social n° 3 - les interac tions locales face à face - et le soc ial n° 2 - ces même s interactions rendu es stables e t durabl es - e st d'autant plu, importante qu 'il e st d evenu difficile d 'i sol er dan , le, société, humaines ce q ue l' on pourrait appeler l' équipement social de ba se. Com me nous le verrons dans la seconde partie lorsque nou s critiq uerons la notion d' " int eractions locales ", c'es t dans le s soc iétés non humaine s (chez les fourmis, c hez le s loups e t surtout c hez le s singes) qu'il e st possible de concevoi r un monde social presque e ntièrement en ge ndré par une imbrication d 'interaction , face à face. Bien qu'il soit omniprésent au ssi chez le s humains, cet équ ipe ment
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soc ia l de base - le soc ial n" 3 - Yj oue un rôle néanmoins limité . Aucun c herc h eur n' a j amai s imaginé d' expliquer le s sociétés humain es avec le seul répertoire d es babouins o u d es lou ps. Ils font donc tou s a ppel a u social n" 2, c'est-à -d ire a ux associations du rable s et de grande envergure qui sont fa ites de quelque chose d ' autre. Ma lheureusement, ce quelque chose res te ind étec table auss i longtemps qu' on n'a pas so umis à l'examen la notion de force sociale. C'es t pourqu oi, avec la sociologie de l'acteur-réseau, nou s al lons limiter la notion d' interaction à une sp hère tres restreinte e n c herchant à nou s passer complèt ement de la notion é larg ie - le social n" 1 - , à moins qu ' on ne décide de l'utili ser co mme une sorte d e s ténogra ph ie commode po ur résumer d'un mot ce qui a déjà é té assemblé 1 . Pour résumer ce poin t délic at : gardo ns le soc ial au sens d'interaction face à face et o ub lions pour un temps le soc ial a u sen s d' une force q ui serait elle-même sociale. Autrem ent dit, o n ne peut dir e d ' aucun e associatio n q u'elle est à la fo is du rable et soc iale ... Le principal avantage que j e trouve à mett re de côté la notion de force soc iale - n" 1 - e t à la remplacer par des int eracti ons brè ves - le soc ial n" 3 - , c'e st que, à c h aque fois que n ou s voudrons ex pliq uer l' extension dan s le temps et da ns l' e space d 'une int eracti on qu elconqu e, il va nou s fal lo ir e n d étecter les moyen:rpratiques. Oui, il existe bien des lien s du rables, mai s ce la n e veut pa s dire qu 'ils so nt co nst itué s d 'un maté ri au soc ia l - bien a u c ontraire. N ous allons enfin pouvoir déc ou vrir le s instruments qui maintiennent les liens en place ; révéler l' ingéni o sit é con sta m me nt requis e po u r mo bil i s er d e s so urces nou v elles d ' as sociation : mesurer le prix à payer pour le p rolon gement de toute int eraction. En levant la confusion de la force soc ia le, il est dé sormai s po ssible de di stinguer, dan s la notion c omposite de " soc iété », ce qui relève de sa durabilité e t ce qui rel ève de sa substance ' .
S. Po", W1. p",mim. fOlJD.lI.ioo d• • " UJUJOOJIl, voi, s. SnllM .. B. LAIaa, " lb. M. ..iJlp ofS œ ..l : hom Bobro... to Human, ~ (1987). 6 . Du . 1. ... de la ~ OII complexe d. « _ .... " j' iii di";~ UI! .. " aliu! .né';",,", d. "'0 llfIito! ; 10, deux o'. lloion' 1'" ",..mbI.. "",lp "n' de phil""'l'hi. (if. B. LATOlJl, Po ~ riq.u dl! la 110111'" {l m il . Lam...... . t.> Vl IIi. ~ POP'" de Jo .od . o! , .. cap. d~ Jo d.... n' ..di..... J'O' .. _&i.Ilil., JnlIi ""'..., >al moUV llll"'~ .s..- 1. &", d • • d...x " . 011..""" " voi, p. 1S7 .. Jb6.
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En considérant l'équipement soc ial de base _ soc ial n" 3 - , on s' aperçoit aisément que les conne xions qu'il es t capable de tisser sont toujou rs trop fragiles pour s upporter le poids qu e les sociolog ues e ntende nt donner à leur définition du soci al n" 1. Laissée à elle-même, une relation de pouvoir qui ne mobilise que des compétences sociales se limiterait à des interactions brèves et transitoires. Mais où a-t-on déjà vu une telle situation '1 Même les bande s de babouins, bien qu' ils se rapprochent le plu s du monde id éal inventé par de nombreux sociolo gues, n' offrent pas un exemple au ssi extrême. Comme Hobbes et Rousseau l' ont remarqué il y a longtemps, le plu s costaud des géants peut être vaincu durant son sommeil par un nain : pas de coalition assez robuste qui ne puisse être débandée par une coalition encore plu s large. Quand le pou voir es t e xercé p our de bon, il n' est pas composé de li ens sociaux; q uand il doit compter sur des liens sociaux, il ne s'exerce pas longtem ps. Si bi en q ue lorsque les sociolog ue s se réfère nt aux « liens socia ux " , ils dev rai ent toujours avoir à l' esprit quelque chose qui a du mal à s'étendre dans le temps et dans l'espace, qui n' a pas d'inertie propre e t qui es t constamment renégocié - le social n" 3. C'est précisé ment parce q u' il est si difficil e de maint enir des asymét ries, d' établir durabl ement des relation s de pouvoir et de faire valoir des in égalités qu 'il faut constamment œuvrer à transférer les lien s frag iles et ra pidement défait s vers d'autres types de lien s - le social n° 2. Si le monde social se compos ait d'interactions locales, il offrirait un aspec t provisoire, instable et c haotique, e t non pes ce paysage fortem ent di fférencié qu e les références au pouvoir et à la domination prét end ent expliquer. Dè s qu'il ne prend plu s garde de maintenir la di stinction entre l' interaction sociale de base et les moyens non sociaux mobilisés pour la prolonger quelque peu , l'o bservate ur r isq ue de croire que c'es t e n invoquant les forces soc ia les qu' il fourn ira une explication. Les sociologues diront qu e, lorsqu 'ils invoqu ent la durabilité des liens socia ux, ils introduisent qu elque chose qui po ssède réellement la durabilité, la solid ité et l'inertie nécessaire s. La « socié té ", les « nonnes soc ia les " , les « lois sociales ,., les « s truc tures ,., les " mœur s soc ia les », la "c ulture " ou les « règles " , disent-i ls, sont d'un acier assez tremp é po ur expliq ue r l' emprise q u'elles o nt s ur nou s e t l e paysag e accidenté dan s lequel IX>US peinon s tou s. C'est e n effet
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une solution commode, mais qui n' explique p as d' où leur vient cette qu alité d' « ac ier " qui permet de renforcer à ce point les con nexions fragil es perm ises p ar le se ul équipement s ocial d e base. C'est là q ue les sociolog ues, dam un mouvement Inconsidéré, risquent de prendre un mauvai s virage en prétendant qu e la du rabilité, la solid ité et l'inertie de ce tte ïœce sociale provien nent de la durabilité, de la solidité e t de l' inertie de la soc iété e lle même ! Ils peu vent même aller encore plus loin e t prendre ce tte tautologi e non pas peur la plus ex trême d es contradictions, mai s pour ce qu'H faut admirer le plus dan s la force miraculeuse d 'une société qui est, selon eu x, sui generis, ce par qu oi il faut bien entendre, si le latin a un sem , qu' elle est capab le de s' engendrer e lle-même ' . On me dira qu e ce tte façon de parler est inoffensive , qu ' ell e se rt d e raccourci pour d écrire ce qui est d éjà a ssemblé. Je c rois d ésastreuses , a u co ntra ire , le s conséq uences d 'un tel argum ent. L a tent ation de viend ra trop forte de parle r du monde soc ia l co mme s' il existait d ésormais une formidable force capab le de donner aux asymétries ép hémères le carac tère durable e t e xtensif qu e le s simp les interac tions soc iales - le soc ial n° 3 - n , sa uraient leur don ner d'elles-mêmes . C'est alors qu e l'on inversera le s causes e t les e ffet, et qu ' on perdra d e v ue les moyen , pratiques mis en œuvre pour faire tenir le social - le social n° 2. Ce qui a commencé co mme une simple co ntusion d' adj ectifs aura débouché sur un proje t radicalement différent: à ce b as monde s' aj outera un arrière -monde tout auss i insais issable qu e le paradis d e l' anci enn e th éolo gie chrétienn e - à ceci près qu 'il n ' offre a ucun e spoi r de rédemption ... Le , s ocio logue , du socia l so nt-il> assez bête, pour ne p a , dé celer un e telle tautolo gie dan> leur raiso nnemen t? S ont-il> vraime nt en lisés dans la croyance mythiqu e e n un autre monde , qui se tiendrait derr ière le monde réel ? Croient-ils vraiment en c e tte é tra n ge con t ra d ict io n logi qu e d 'une soc i ét é qui
7.c. CA'T'OIlAlllS, L 'iN ri/llli"" i.....gimin th la soci'''' ( 1 9 7 S~ t .,od co "';",nne""'D,hll.d " si'; o. du !IOCiaI.
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monde s ocial
s'e ngen drerait e lle- mê me'? Bien sûr qu e n on , puisqu e, e n pratiqu e, ils n'utilisent pas vraiment cette nedon. e t qu' ils ne sont donc jamais confrontés à la oontradiction inh érente à l'idée d'une « a utoprod uction " de la société. S'Ils parvi ennent ainsi à n e j amai s tirer la conclusion logique que leur argument est contradictoire, c'est qu'ils en font un usage plu s lâche: lorsqu'ils invoqu ent le c ar ac tère dur a ble de certai ns agrégats socia ux, consciemmen t ou non ils prêtent touj ours aux liens soc iaux faibles le poids exercé par une mas se de« c hoses " non sociales . Ce sont toujours des c hoses - et j' utilise maint enant ce term e dans un sens fort - qul, dans la pratiqu e. viennent " matérialiser » une " société » fragile. Si bien que lorsqu e les sociolog ue s parlent de " pou voir de la soc iété " , ce qu' ils ont à l'esp-it n' est pas la soc iété elle-même - ce qui serait e n effet tautologiq ue - mai s une sorte de précipit é de toutes les e ntités mobi lisées préc édemm ent pour rend re le s asy mét rie s un peu plus durables 9 . J' admet s que ce raccourci n' est pas tautologique, mai s il est dangereu sement trompeur, pui squ' on ne di spose plu s d'aucun moyen e mpirique pour savoir commea toutes ces forces à l'origine non sociales ont é té mobilisées - e t, pire encore, il n' existe plu s a ucun moyen de savoir si toute cett e c harge acc umul ée est encore active aujounl'hui. Entre les main s des spéciali ste s de l ' " ex plica tio n socia le », l'idée de socié té s'es t récemment tran sformée en un gigantesque bateau porte-conteneurs sur lequ el aucun inspecteur n' est autorisé à monter, et qui permet aux sociologues d'importer des marchandises clandes tin es à travers les fro ntière s sa ns av oir à se so umettre à un examen public. La soute est-elle pl eine o u vide? Le chargement est-il en bonne condition? Est-il frais ou pourri? On ne peut que fa ire de s suppos it ions, un pe u comme à propos des armes de des truc tion massive dans l'Irak de Saddam Hussein.
S. lA' _ "' ..,pi"ll . .. ",n,; di!1\! p ..-oon llin. """'n 00"""" on. do. OIlf"iÇ..ri";'I"" m~"'" do soci.l: cf- B. BU N " Sod .l llf• • • BOOlSlnI Pl"'d In dœûoo ~ ( l 9!ln L ·a.I"'JJ1oti"" t l' lIIl.,fo,lllatio. "" ~vido"""" .. 10 .mo'" .""' ..........",n•. I.. IOl"'''''' POO"'''' "1'1""'''''''"''' 0.0 iov."'«.n mafi ~", d. fontlafioo Qui n. 5Oil po. 1. rq>rl .. do la divi"". l...r",,". 9. Don. 1. , ,",oode porfi•. 000. "" "00' '1'" ot<'" toutolOlio . xi.," iii... mai. '1"·.n. intliqoo 10p-éoooœ 01lOhi!. Il> Coop . Potift'l'" , la .-.Iotioo p ,.-.doXilI. Il> oi"'Y". IV,", 10 R ~ b1 iq.., . ...till ...,
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Troi" ème SOUI'ct' d" l1Ct?n,1Udi' : quelle llCfirm pour quels objets ?
La soc iologie de l'acteur-réseau n' entend pas engage r une p olémique avec les soc iolog ues du soc ial, mais simple ment multipli er le, occasions de détecter rapidement le, ccntradictian, dam; lesquelles il, ont pu tomber. C'est la seule façon de les o bliger courtoisement à revenir a u re levé de, moyen> non soc iaux - social n" 2 - qui sont mobilisés chaque foi, qu'ils invoquent le pouvoir des explications sociales _ social n" 1 10. Notre thé orie ne cesse de poser la question suiv ante : pui sque c haq ue sociologue. e n pratique, c harge les lien , sociaux q u' il in voqu e d 'un fo rt poids de c ho se s dont se ule la pr ésence expliq ue la capac ité de ses lien> à s' étend re dam le temp s e t l' espace, pourquoi ne pa, le fai re e xplicitement plutôt qu e subrepticement? Notre slcgan e suivez les acteurs e ux-mêmes JO devient plut ôt e suivez les acteurs au moment o ü ils se frayent un che min à trave rs le, c hoses q u' il, o nt dû ajouter aux co mpétences sociales de base afin de rendre plu, durabl e, des interaction> constamment fluctuante, » . C'est à ce niveau que la véritable différence entre la soctologie des associ aicns e t la sociologie du soc ial saute aux yer x. Jusqu 'ici, il se peut que j ' aie e xagéré les différences entre les deux po ints de v ue . Apr ès tout, de nombreux coura nt s de, scie nces soc iales pourraient accepter de prendre pour point de départ le, deux premiè re , source s d'incertitude (no tam ment I'anthropulogie. qui n'e st qu 'un autre nom pour désigner ce que j 'ai appelé plus haut la m étaphysique appliquée, et, bien e ntendu, l'ethnométhodologie). Le fait d' ajouter des controverses n'altère pa, véritable me nt l e type d e phénomèn e, q u' il, entende nt étud ier : il est seulement plu, di fficile d'en dresser la liste. Mai , l ' éca rt va m aint en an t se cre user, puisque nou s n ' all on s pa s limiter à un réperto ire défini à l' avance ce dont le, acteurs ont be soin pour gé né re r de s asy mé tr ies sociales : nou s allo ns accueillir comme des acteurs de plein droit des e ntités que plus d'un siècle d' explication , sociales o nt explicitement exclues de l' exist ence collective. Il y a deux raison, à cela : d'abord, parce que l' équipement social de base - le social n" 3 - ne fo nne 10. Da... l' a w e d", oq:""; "';o" .. il "" impoli ... de ""bern... le> oompt e> re nd"" 1.. "'lOumen" el III oirculllooD d", forme. d/l. qu' UD< .ul>lupe i.. rod<.tit .ub"'ptioe"",.. le ,, ~ "" ...ima] • de l · o ~ ...i ...io. ene ·mtme . Cf. B. CZ.....NIAW... A• ..t Narra , j.. ..tpprooch 10 O'l"nillllio n S",di.. (lml ; F. CO<JOI;N. &'hinki"1 lhe Theory of0'IIll1~ ",ri"na! C"",""l11 " alkill ( 19931.
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C<>mmelll dlpllJyt" II.'S CIJ/I lmW'TSI.'S.IUI' le monde .ocial
I...,s buboui ns de S h lrle~' Sl r urn Po ur comprendre le lien entre les compétences sociales fonda rœntates et la notion de sccéie, un détour par l'étude de s singes et des primates est né ce ssaire. En re venant sur la preœrêre conférence consacrée à l'étude de s babouins qu'el le ava it organi sée en 1978 dans un château pres de New Yor k., Shirley Stmm écrit: '" Et pourtant, je savais que mo n travail offrait un portrait des sociétés de babou ins qui n'allait pas emporter I'edhéslon de tous . J 'avais découvert, à ma plus grande surprae. qu 'il n'y avait pas de hiérarchie des mâles dœnjnants ; que les habouins avaient des stratégies sociales; que la finesse l' empertait sur larœœ ; que les compétences et la réciprocité sociales prenajenle pas sur l'agression. C'était le débtl de la politilfJe sexuelle : les mâles et les femelles se faisaient des fa veurs en échange d'autre s faveurs. Il apparaissait que les babouins devai ent travailler dur pour créer leur monde social, mais leur façœ de le créer les rendait apparemment plus « aimables " que les humains. Il s devaient se prêter une attention réciproque pour as.\ .tI"el" jeur survie La pl us élélœntain: la p o ecuon et les avantages q ue la vie en groupe offre à l'indi vidu - mais aussi la ptus élaborée , marquée par de s sraiëgtes socia les de co mpétition et de défense . S' ils semblaient « aimables », c'eSi aussi perce qœ. cemalrelœnt aux humains, aucun membre de La Pump1wwe [c'était le nom donné à ce groupe 1 n'était en position de contrôler les ressources fondamentales: chaque babouin avan sa P"Cflre nourrirure, sen eau.sa place à l'ombre, et il assuras ses propres besojns vitaux. L'agression pouvee certes servir à exercer une contrainte, mais elle était comrre un fauve enchaîné. La toilette, la p"oximité, la benne volonté social e et la coopération éraleru les seuls moyens qu 'un babouin avait à sa deposition pour marchander ou faire pessron sur un autre babouin. Et tous ces aspe cts renvoyaient à 1'« amabilité » , à l'affiliation, et non à l' agression . Les babouins étaient e gentils .. les uns avec les sucres ]XlTCe qu'un tel coupœterrenc ~ait teu alMi essentiel pour leu- survie que l'air qu'ils respiraient 011 la nourriture don ils se nourri.sssalent. J' avais découvert un nouçet aspect, revorutonnatre, de la société des baboutns - revoiunomatre, en fait, pour IOule société animale[arnats décrite. Les conséquence s en étaient vertigi neuses. J' affirmais que l'agresston n'e xerçait pas me lnû œnœ ausss<J omnipré sente ou importante qu 'on l 'avait pensé sur l'évolution, et que les stratégies sociales ainsi qu e la réciprocité étaient des facteurs extrêmement important';. Si les babouins en étaient c apables, alors les precurs eurs de nos premiers ancê tres humains devai ent l'être eux ausst . .. S. Stmm, Presque humain. Voyage cheZ les babouins ( 1990), p. 200.
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Troi" ème SOW'Cf' d 'i"""nituJe: IfUt'lie ac/ion pow qU<'/s objets ?
qu'un p etit so us-ens emble des assoc iations qui composen t les sociétés; deuxièmement, parce que le supplément de force qui semble r ésid er dam; l'invoc ation d 'un li en social - le social n" 1 - est, au mieux , un raccourci commode, au pire, une dangereuse tautologie. Si le s sociologues avaient e u le privilè ge d'ob serve r plu s att entivement les babouins sans cesse affairés au rapi éçage de leur e str ucture soc ia le" touj ours en train de se détric oter, ils a u raient me suré la difficult é d e m aint enir les asymétries sa ns a ucune a utre ressource q ue les interaction s face à face. Chez les babouins, oui, en effe t, la tautologie du social est à l'œuvre : le s lien s sociaux sont faits de liens sociaux Il . Partout ailleurs, c 'est le pouvoir exercé par des e ntités qui ne dorment pas e t des asse c iations qui n e se défont pas qui permet au pouvoir de durer plus longtemps d d ' étendre son e mprise - mais, pour e n arriver là, il faut utiliser bien d ' autr es mat ériaux q ue la seule a grégation socia le. Cela ne veut pa s dire que la soc io log ie du social soit inutile, mai s se u lemen t qu ' elle s 'ap plique mieux a ux singes qu' aux humains...
Les ohjets a us.<;i participent à l'ad ion Difficil e d' atténuer la di ffé renc e entre le s deux éco les d e pensée: dè s que l'on commence à douter de la c apac ité des liens soc iaux à s' éten dre durabl ement, le rôle des objets devient enfin central V, En revanch e, d ès q ue l' on croit les a gré gats soc iaux capables de se maint enir en v ertu des « force; social es " q ui les soutiennent, on perd de vue le s obj ets puisque la force magique et tautologique de la soc iété suffi t à assurer la co hés ion, littéralement, d e quelque chose à partir d e rien. Il es t diffic il e d' imaginer une inversion plus complète du fond e t de la forme, un changement d e paradigme pl us radical . Et c'est bien e n e ffet
1 1. Sur l> 1106011 food"""'...le d ' ~ outil. !IOCw.x • diez l.. bol>:>wD' HamadJy . .. voir H. Ku....' a. v;"J< sing.. (1 993). 12. B. LA TœJ., ~ U... . œiolo,!;ie ' U1' objel 1 . (19941. Noo . O li ~ "IOD ' le terme ~ objeh ,Ollll1l< '"' . imple figu ..... io"l" '.0 p"",haio ,h"l'Kro....... de .mm""", les ~ fri n di'l""é •• . D D'y ""'YeDd' IIIler Jio. vi"', ",i"l"" ,et '"'''''Ile iollOdoit t t' .......·ré. ..o en dhelq>p.." ",cce" ivem en' les d nq SOUlCes d' inc..,i,ude. V <>i.-
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pour cette raison que la sociologie de l' acteur-réseau a d'abord attiré l' atten tion !J . Non seul ement, comme nous l'avons vu ,l'aetion e st toujours d ébord ée par d es forces nou velle s, mai s elle M: trou ve a ussi déplacée ou déléguée à différents types d 'acteu rs capables de la transporter plu s loin à tra v ers d 'au tre s mod alité s d 'action, d'autre s types de matière s ". Au premier abord, il peut sembler banal de ré introduire le s obje ts dans le déroulement normal d'un cours d 'action . Après tout, il ne fait aucune doute q ue les bouilloire s " font bouillir » F'eau, q ue le s coutea ux " coupent ,. la vi ande, que le s paniers « contiennent » le s provi sions, que le s mart eaux « enfoncent» le s clous, que le s garde-fous « empêc hent » les tous e t le s e nfants de tomber, que les verrous " interdisent » l' accès d'une pi èce à de s vis ite urs impo rtuns, qu e le savon .. dis sour » la saleté, q ue le s e mplois du tem ps .. répartiss enr » les salles de cours, q ue les étiquette s d e prix .. aident » Ie s ge ns à faire des calculs, et ain si de su ite . Ces verbes ne désignent-ils pas de s actions? Comment ces activités si humbles, si banales, si répandues pourraient-elles apprendre quoi que ce soit au soc iologue ? Et pourtant c'est le cas. La principale rai son pour laqu elle le s objets se sont vu refuser tout rôle j usq u' ici n' était pas seulement li ée à la définition du social utili sée par le s sociologues, m ai s aus si à la d éfinition même de s acteurs e t d e s actants qu e l' on avait c hoisi de privilégier . Si l'action se limite Cl p riori à ce que fon t des humains dotés d'une " int en üonnalit é » e t d'une " int ellig ence » . il e st di fficile d e voir com ment un mart eau , un pani er, un groom mécaniqu e, un c hat, un tapi s, une tasse, une list e o u une étiquette peuvent véritablement agir. Ils peuvent ex tse r dans le domaine des « pure s » relations « matérielle s » et « causa les ». mais p as dans le domaine .. r éflexif » e t " sym bclique » de s 1J. ÜI:l "" .."",i' oomp",nd", coU lbéorio oa 1. si(Ol'" '" œ, ~'" p",,,œ,,,,, ' 0' " ''' ' d'ia"oIti,o~ "O""JJI '" 1<, group",", 1'",,';0". Su , OU"" 1'''''1<''''''' ''' ''' '" .-M";, immtdi..."",,,, • OD , or la ,""".., ito "'0....0 ~ , di'l""io:fii "",Ol!riols. o'o" .).-di", ~ o".-... ~ ,. B. LAxuo., ..t, om" , " . l'omo.,dn udlni~." ( 1992 1·
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Troi..ü me SOW'Cf! d'illCf!l1i ludi> : quelle action pour quels objet.< ?
relations soc iales . En revanche, si nou s nou s en tenons à notre déc ision de co mme ncer par les contro verses p ortant s ur le s for mes d' e xist ence participant à un cours d' action , alors toute chose qui vient modifier une situation donnée en y introduisant une différence devient un acteur - ou, si elle n'a plIS e ncore reç u d e fi g ura tio n, un act a nt. Par conséq uent, la qu estion qu'il convient de poser a u suj et de tout agent est tout simplem ent la suivante : introduit-il ou non une différence dans le déroulement de l'ac tion d'un autre agent ? Existe-t-il un e é pre uve qui permette à un observate ur de détecter cette di fférence ? La répon se de hm. sens devrait être un « oui »franc et massif. Si vou s pouvez, en gardant votre sérieux, affirmer que frapper un clou avec ou sans marteau , faire bouillir de l'eau avec ou sans bouilloire, faire des courses avec o u sans panier, march er dan s la rue avec ou sans vêtements, zapper les programmes de la télé avec ou sans télécommande, fa ire ralentir une voiture avec ou sans ral entisseur, garder à j our un inventaire avec ou sans liste, dirig er une entreprise avec o u san s comjxablllté sont exactement semblables; que le fait d'introduire ces légers détail s ne change e rien d' important " à la réalisation de ces rêches. alors vo us ê tes prê t à a bandonner ce bas monde e t à entamer votre tran smigration vers la Plan ète Lointaine du Social. pour to u, les autres membres de la société, il y a bien une différence qui appar aît à l'épreuve, et ces di spositifs so nt par consé que nt, selo n notre définition, des acteurs ou, plu s précisément, des participants a u déroulement de l'action e n att ente d'une figurlllion. Bien e ntendu, ce la ne veut pa s dire que ces parti cipant s « déterminent " l'ac tion, que les paniers e causent » l'achat de provisions ou que les marteaux e imposent " le fait d' enfoncer d es clous . Un tel renversement de la di rection dan s laqu elle s'exerce l'influence ne serait qu'une faço n de transform er les obj ets e n causes dont les effets seraient véhiculés par une action humaine, qui serait dès lors limitée à une simple chaîne d'interm édiaires. Cela signifie plutôt q u' il dcit exister de nombreuses nuances métaphysiques entre la causalité pleine et la pure inexi stence. Outre le fait de « déterminer " et de servir d' « arrièrefond de l' action humaine ", les c hoses peu vent autoriser, rendre pos sible, e ncoura ger, mettre à portée, permettre, suggérer, 103
CmlllIIl'lIl dt'pIIJ}'t'r II.'S CIJ/I l mveTSI.'S sur le nwllde . ocial
influ encer, faire obstacle, interdire, et ainsi de suite " , La soc iologie de l'ac teur-réseau n' est pas fondée sur l' affinnation vide d e se ns selo n laqu ell e les objets a girai ent " à la place " des acteurs humains: elle dit seulement qu 'aucune science du social ne saurait exister si l'on ne commence pa s par examiner a vec sérieux la que stion des entités participant à I' acüon. même si cela doit nous amener à admettre des éléments que nou s appellerons, fa ute de mieux, de s non-humains. Co mme toute s le s autre s ex pressions de mon in fralang age, celle-ci est, par elle- même, privée de sens : elle ne désigne ni un domaine de la réalité, ni non plus des petits elfes coiffés de chapeaux rouges qui agiraient au niveau atom ique, mai s simplement ce que l' observateur doit se préparer à o bserver s' il ve ut rendre compte du ca ractère durabl e e t e xtensif de toute interaction " , Le projet de la soc iolo gie de l' acteur-réseau consiste simplement à a ugmenter la liste des participants, à e n rrxxlifier la morphologie et la physionomi e, à trouver un moyen de les faire ag ir comme un tout. Pour les sociologue s des associations, la nouveauté ne tient pas tant à la multiplicit é des objets que toute action mobilise sur so n passage - pe rso nne n' a jamais nié qu 'il y e n ait des millie rs - mais à I'élévenon de ces objets a u rang d'acteurs de pl ein droit, qui permettent d'expliq uer la morphologie acc identée du paysage que j'ai pri s comme point de départ: l'abîme des inégalités, les asymétries manifestes, l' exercice écrasant du pouvoir. C'est de cette surprise que les soc iologues des associations veulent partir, plutôt que de cons idérer, comme le font la plupart de leurs collègues, que la qu estion est de toute évidence résolue, qu e les obj ets. ne font rien , du moins rien de comparable I S. C . .. po u' Quoi la ooûoo d. ~ pro mi ss ioo ~ (uffordu n co) iOlfoduilf dao . 1. G . G IlSON, 1M fro l. S icol Appr.udl li! Viruol PU cIO'l, iL. obj".I dllll' l ',,,,,ion ( 1993). 16. L'OXJB"'o'iOB non·J""",,"" .-oxre Q""lQ"" peu m ..-",,"' pu UB mthJtll'OC'B' tri '!",,- J'ai oxliiq..o am .urs, '" dltait Qu'il oonvlootbi, d• • uh .~, ,,,, rl . oo ~ 1o b""",in' BOB-bUmaiB ~ 1. dicbotomi. i." n m Oll, IlbI. ' B' " 1. l' obj.. (cf- B . L Arou .. Po ~Ii~ .. d< lu n"'u " fl 999D. ÜI:I ~ doit cœ«œ , ... p\cifio p" UB dom";"" o_"lliq"" , m m .n. '" COll",n , d. " "'PI",... ...., 0- ' diff&-m."" <XBl"",Oloi lo. Pour lBl l'"">nmlI c<>mpl.. d .. . oI.Btiœ., lBuoainrJnon. bt>mlli.... Voil P. ~ «n.A, Par.a.1d lUIur,,' cul""" (2 00'i).
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Troi.-û llll' sowœ d 'illcerti ludi' " quelle ac/hm pour quel.< objet.< ?
ni même d e connec/able avec l' action soc iale humaine , et qu e s' il arrive qu 'ils " e xp riment " des relations de pouvoir, qu'ils " sy mbolisent " d es hi érarchie s sociales, q u' ils" ren forc ent " d es in égalit és, qu 'ils " véh icul ent " du pouvoir, q u' ils " objectivent » l'inégali té ou qu'il s « réifie nt » le s relation s de ge nre, ils ne sauraient être à l'orig ine de l'activité socia le.
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défl nllk> n HS)' ",ét rl'lu ~ d ~s ack urs
Un bon exemple d 'une définition asymétrique d es acteurs est celle que propose Durkheim lorsqu'il écrit, dans les R~gIH : " Panni les choses, il faut comprendre, outre les objets matériels qui sont incorporll Ala société, les produits de l'activité sociale antérieure, le droit constitué , les mœurs établies, les monuments littéraires, artistiques, etc, Mais il est clair que ce n'est ni des uns ni des autres que peut venir l'impulsion qui détermine le s transformations sociales: c ar Ils ne recèlent aucune puissance motrice, Il y assurément lieu d'en tenir co mpte dans le s explications que l'on tente, Ils pèsent, en effet, d 'un certain poids sur l'évolution sociale dont la vitesse et la diroction même varient suivant ce qu'il s sont ; mais i l~ n'ont rien de ce qui est nécessaire pour la mettre en branle. Ils sont la matière Alaquell e s ' appliquent les forc es vives de la société , mais ils ne dégagent par eux-même s aucune force vive, Reste donc, comme facteur actif, le milieu proprement humain » (R~gles de la mh hode socw logiqiU, édition F lammation, 1988, commentée par J,-M, Berthelot, p, 205),
Voilà qui m' a touj o urs surpris : comment se fait -il qu e, en dépit de ce phénomène ma ssif, la sociologie soit restée pourtant, si l'on ose dire ,,, sans objet JO '1 n est plu s surprenant encore de songer que ce tte discipline es t née un bon sièc le ap rès la ré volution industrielle , et qu ' elle s' e st d éve loppée e n parall èle avec le s évolutions techniqu es le s plu s e nvahi ssantes d ep uis le néolithiqu e , Encore plus é tra nge : co m ment ex pliquer qu e tant de socio logues se vantent de considérer la « s ignification socia le » au lie u de s " se ules" relations matéri elles , la " dimension s y mb o liq u e " à la place d 'une «c ausa lité gross ière" '1 À l'image du sexe à l' ère vlctœienn e, le s objets sont partout et o n n' en parl e jamai s, Us ex istent, certes, mais o n ne leur accorde pas
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une pensée, une pensée sociale . Comme d'humbles se-vi reurs. ils vivent aux marges du soc ial, font tout le tra vail, mais ne so nt jamais a utorisés à se p rése nter e n tant qu e tels. Il se mblerai t q u' ils ne disposent d' aucun e ouvert ure, d'aucun accès, d'aucun point d ' entrée qui leur permett rait de venir se fond re dan s l' étoffe dont le re ste des liens sociaux est tissée. Plu s les penseurs radi caux veulen t attirer l'attentio n sur les humains situés e n marge ou à la périphé rie, moins ils parlent des objets. Comme frappés d'un c harme, ils restent endormis, gardi ens de quelque c hâteau enc hanté. Et pourtant, dès q u' ils sont libérés de ce sort, ils commencent à frém ir, à s' étirer, à murmurer ; ils essaiment en toutes direction s, ébranlant ainsi les acteurs humains qu'il s réveillent de leur sommeil dogmatique. Serait-i l trop pu éril de dire que la soc iologie de l' acteur- réseau a j oué pour e ux le rôle du Prince Charmant ? Quoi q u' il e n soit, c'est parce qu ' elle est un e sociolog ie" orie ntée-objet JO, po ur reprendre une belle expre ssion de l'informatique, à l'usage d'humains eux-mêmes orientés-obj ets que cette école de pensée a d' abord été remarquée - e t qu'il vaut la peine de lui cons acrer ce tte introduction.
Les ohje ts ne laissent de traces que par intermittence À première v ue, il est vrai qu 'il peut sem bler difficile de prendre acte du rôle des objets e n raison de Tincommensurahitùë apparente e ntre leur mode d'action et la conception traditionnelle des liens socia ux. Mais les sociolog ues du social se sont mépri s sur la nature de cette incommensurabilité : (Bree que les objets sont incommen surables, ils en ont conclu qu'il faut les distinguer des liens sociaux proprement dit, sans voir qu'il fallait parvenir à la conclusion précisément inverse : c' est parce qu'ils sont incommensurables que les objets ont é té d' abord choisis! S' ils é taient au ssi fragiles que les compétences sociales qu'ils doivent étaye r, si leur qualité matérielle était la même, qu 'aurait-on à y gagner ? Babouins nou s étions, babouin s nou s serions restés 11 !
17. C<" 1. tou« 1. /or "" d< 1. 'yŒM .. !modé< .... i. ,oujou" ...",tb< d< A. Lu<x-G:uJ.I!AN, IL 8""
B. UTOUJ. .. P. UM..f
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Troilièl1ll' 'OU1'CI' d 'il1Cl'rti l«di' " queUe ac/hm pour que/.< objel.< ?
La force qu'une brique e xerce sur une autre, le mouvement d'une roue autour d'un axe, l'effet d'un levier sur une masse, la démultiplication inve rsée d'une force par l' interméd iaire d'une poulie, l'effet du feu sur le phosphore: il est vrai qu e toutes ces modalités d'actions semblent appartenir à des catégories qui sont si manifestement différentes de celle qu'un signal« stop » peut e xercer sur un cycliste ou une foule sur l'esprit d'un individu , qu' il semble parfaitement raisonnable de ranger les e ntités matérielles et les e ntités sociales sur deux rayons distinct s, Raisonnable, mais abs urde une fois que l'on s'est a perçu q u' une action humaine peu t e nchaîner e n qu elques minut es, par exem ple, l' ordre de po ser une brique, la réaction chimique du ciment et de l'eau, la force d'une poulie sur la corde par un mouvement de la main, le c raque me nt d'une allumette pour allumer une ci garette offerte par un collèg ue d e c hantier, etc, À ce niveau, la disti nction apparemment rai sonnable e ntre le matériel et le social devient précisément ce qui brouille l' enquête visant à déterminer comment une action collective est po ssible, À cond ition é videmment que par « collective » nous e ntendions non pas une ac tion effectuée par des fo rces soc iales homogènes, mais au contraire une action rassemblant différents types de forces qui sont assoc iées précisém ent pa rce qu 'elles sont di fférentes " , C'est pourquoi le terme « collectif » remplacera dorénavant celui de « société » - désignant l' assemblée des entités déjà rassemblées, dont on croit qu' elles sont faites en social ,« Collectif' », e n re vanche, va désigne r le proj et c ons istant à assembler de nouvelles e ntités qui n' ont pas encore été collectées et dont il est évident, pour cette raison , qu' elles ne so nt pas faites d'un mat ériau social au sens n° 2, Tout cours d' action dessine une trajectoire qui traverse des modes d' existence totalement é trangers les uns aux autres, artic ulé s précisémen t e n raison de ce tte hétérogénéité, L'inertie sociale et la pesanteur o nt beau sembler indépendantes l'une de l 'autre , o n voit bie n q u'elles se mêlent des q u' un g roupe d' ouvriers se met à constru ire un mur de briques: leurs chemins
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18. l' • • jeu d. la di""". "" 1. 10\10 ex"'" do . IIO.-h..... m. co...... d.. lUe ' ' '''d.li.",. CD ' sc ience " .Ji ou. Ic Dom dc ~ CODU"".... d. Bull ». Voir H . 0UlN, ClS. YI'AllJ';Y, ~ Epi molo gical OIrl:<• • ( 19921 , ai.,,; qu. M . CAlLOH et B. L
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v o nt bi ent ôt se s ép ar e r, mai s uniqu ement apr ès la fin d e s travaux ; pendant qu' on co nstru it le mur, il ne fait aucun doute q u'elles so nt liées. Comment ? C'est l' enquêt e q ui le d éterminera. La soc iolo gie d e l' acteur-réseau prétend simplement q ue nou s ne devons pa s co ns idérer comme close à l' avance la questi on des connex ions entre d e s acte urs h été ro gène s, et que le terme de « social» a p robablement quelque chose à voir avec le réa ssemblage de nou veaux types d ' acteurs. La thé ori e affirme q ue si nous so uhaitons no us montrer un peu plu s réalistes q ue les sociologues e rais onnables ,., nou s devon s accepter le fait q ue la continuité propre a u déroulement d'une action sera rarement fa ite de co nnex ions d 'humain à humain (ce à quoi suffira it de toute faço n l' équipement social de base - social n" 3) ou d' obj et à obj e t, mai s se dé pl ac er a probablement en zi gz aguant de s hum ains a ux non -humain s. Pour b ien prend re la mesure d e cette th éori e, il e st important d ' ob server qu' elle n ' a rien à vo ir avec une " réco ncillatiœt » de s terme s de la fameuse dichotcmie sujet/objet. Distinguer a p riori des liens « mat ériels » et de s liens « sociaux » avant de les asse c ier à nou veau n ' a pas plu s d e sens que de rendre c omp te du dé roulement d 'une bataille en imaginant d 'un côté un groupe d e soldats et d ' offi cie rs nu s comme de s vers et de l' autre tout un attirail - de s tank s, de s fu sils, des rapport s, des uniforme s pour ens uite affi rmer q u'« il y a bi en sûr un certa ine re lation (d ialec tique ) e ntre les deux " '9. Il faut répondre ré solument: " M ais n on, pas du tout! Il n ' exi ste aucune rel ati on en tre le monde "m atéri el" et le monde "social", parce qu e cett e d istinction est elle-mê me un pur art efact :Il. " Rejeter cette di stinction 19. VOU r excollm' D. V ~l)G!AN , Th. (1IoIII!nl" L.."ch lNiTliOll (1'.1%). • Mai. j , pm..;' '1" ',n "'" plo"ll",n' , ,,llï" """"Il! <10", 10, docu"", lllS olf..,.n, " , n "''''''b''' d ", t edUli'l""" j, """,",i, sutfI>alDtr" " mai!Jisn- 1.. dI.. ~ , tedmiq..., 'p.li ln, l'''',,,,,_ ",n' d, furrnul" d", 'l'''',oom "",iolop 'I"'" Aprè, ""'~ ,,·... iI l, ",mp" n ... ""' "' bumaill '1" 'il h lh;, exJi iq",,,, .. j' avili lU flllll>l!o JlO. ~ lx >=>.ad' i""l"'ctiu . d, lx phu.fotrD< d, lu"""",,,,. A p ~ .. oi, .. l,ur "1'1"'n. "" l' bour, du l'',ur "",iim< ilI'pecli"" ~ (p. ~2 8~ Oil "" lx di ljoŒoon , .... l ' i ~,,,"",ri, " lx " " iol"l"' 1 20. le, l''yolo l''e, oll! l1lO""" 'fie ~"'" "" """voou.,,"'~ de doux moi, 1"'" di>!i ''l''e' l<, ""'" vo""",' , i..e..iolUlol, do, "",uve"""," lIOn i.. ",,6ll11 ""lx. le , I.....m , el 10, <>Ilj ,", faitdistitrcu : voU- O. Hf., i/" 'iOII olisl. d'''''''"".""", " iM~ b~ion (1997), « D . SJuT>U , D . Pnw.ct<.. A .J.Pouw:>: , C""",I C"8 ",tiOll ( 1'I9!I ~ Mil"
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Troi.-ü me sowce d 'il1cel1iludi>: qu<'lIe ac/hm pour qu<'/.< objet.< ?
n e revient pas à é tablir une « relation" qu elc onque e ntre un r am assis de so ldats e t un amas de matériel: e lle cons is te à remettre e n qu estion tout cet assemblage et à le redistribu er de fond e n comble. Il n'y a pas une seule situation empiriq ue dan s laquelle l' exi stence de deux agrégats cohérents et homogènes. par exemple la « technologie " et la « soci ét é " , aurait un sens . La sociologie de l'ac teur-reseau ne cons iste pas - je répète: ne co nsiste pas - à établir quelqu e a bsurde « symé trie e ntre les hum ain s et le s non-humains " . Être symét riq ue, pour nou s, signifie simplement ne pas im poser a priori une fa usse asymétrie entre l' action humaine intentionnelle et un monde matériel fa it de relat ion s causales . Il e xis te des divi sion s qu e nou s ne devrions j amai s tenter de c onto urn er, de dépasser, ou de surmo nter dial ectiqu ement. Il es t aussi absurde de vouloir les a ttaq uer qu e de continuer, à l ' âge du Blùzkrieg , de vo uloir assiéger des c hâteaux forts l'. Cet intérêt pour l' objet n' a rien à voir avec un privilège donné à la m ati ère « o bjective " , par o ppos itio n a u ca ractère « subjec tif" du langage, des symboles, des valeurs ou des sentiments. Comme nous le verrons lors qu' il nous faudra assimiler la prochai ne source d'Incertltude.Ta « mai ëre » c hère à la plupart de ceux qui s'auroproclamem « matérialistes" n' a pas grandchose à voir avec le type de force, de causalité, d' efficacité et d'obstination propre s aux actants non humains: elle n' est qu'une interprétation politisée de la causalité. Pour assimiler la troisième source d' incertitude, il nous faut parvenir à e nregistrer la forme particuli ère d' existence de toutes sortes d'objets. Or, dan s la mesure où la plupart des sciences sociales limitent l'objectivité à des rô les secondaires, il est très difficile d' étendre le rô le des objets participant aux interaction s sociales à d' autre s supports.
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e ux aussi matériels, tels que les inscriptions de toutes sortes, les documents, les graphes, les fichi ers, les agrafes, les cartes, les outils orga nisationnels, b ref, les technolo gies int ellectu elles 11. Au contraire, dès que les non -humains vont se voir accord er une certa ine liberté de mouvement s, l' éventail des actants capables de participe r a u dé roulement de l' action va s'élargir de façon prodigieuse e t ne sera plu s limité à la seule mati ère imaginée par ceux qui croient que les termes de " réificatioo ,., de " chosification ,. et " d'objectivation,. sent des étiq uettes in famant es. Si la sociolog ie de l ' act eur-réseau est d'un abord si difficile, c' es t parce qu' elle prétend pan:ourir toute la gamme des as sociations en ignorant tout à fait la loogue guerre entre l' objet et le sujet. Et pourtant, les soc iologues du social ne sont pas fo us . Ils a vai ent de bonnes r aisons d'hésiter avant de suivre le fl uide social partout o ù il va se faufiler. fi est e n effet difficil e, il faut le reconnaître, de comprendre qu e notre enq uête doit prendre e n com pte à la foi s la co nti nu ité et la di scontinuité de s mode s d' action: tantôt nou s devons suivre le tissu sans couture entre des entité s pourtant comp lètement hétérogènes ; tant ôt, nou s devons accepter que ces mêmes participants à un même cours d' acti on red evi enn ent complèt em ent incommensurabl es. Aux yeux d e l' o bs ervat eur, le fluid e social n' a pa s l ' exis t ence continue d'une substance : il apparaît brièvement par les traces qu'il laisse, comme on saisit les particules phy siques par le fai scea u de trajec to ires qu ' ell es dé posent dan s un détec teur du CERN. en commence avec des assem blages qui semblent famili ers, o n finit av ec des asse mblages total ement inédit s. Aucun doute, dès qu e l ' on com mence à ajouter des non-humain s à la liste des liens sociaux agréés, cette oscillation rend très délicat le tracé des associations. Prenons quelques e xemples . Si vous rencontrez un berger e t son c hien, cel a é voquera pour vous les rel ations soc iales . Mais si vous voyez ce même troupeau derrière des barbelés, vou s vous 22. la ' <>pli';"" distrila>œ. le savoir eo .i.. otim. l"bistoire de. <eçb...,klp .. i_Keon ti..,ire .. la 1IOÇir>lt>p e do . ",iea:;e . odmilli>tntiv.. .. la rompt .. bi~ll! soc ilole ba. une . sa moni ère. mu lû p~~ 10 p m"", d' objets impiQ""' doo. r enoo,; "" ..mp:llene et 'l'.w e de> iII...... li "" •. Ce l''''g . ""..... 'l"i vi.. ) m.~J;'li ... 1.. te.booklgi.. 0"" mall!rioll.. re monte . J. Goon, UJ "" iSOll ! ,. phiq. , ( 1979) a.C. Bow>;.... et SI.. Sru . Sorl ing 71I ing' 0.' : Clauifical",n and / b Ûl meq ....nc.. i 19'99) ; P. ~~TnlOI-E, « A. """"ting for God • ( 1IXJ4) ; oimi 'P'" [' ""vIIIlle d&oJIIloi. oI"";'I"e de M. Foœ ~lJLT . Nai15allC< th b .~"; q"" ( 1963).
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demandez où son t p ass és le berger e t son ch ien - pourtant, si les mout ons d emeurent sa ge men t dans le pré , c'es t qu e les barbelés remplacent bien les aboiements du c hien : qu 'un barbelé ait remplacé lUI ch ien, voilà bien une relation sociale, et pourtant le c hien e t le barbel é son t inc ommensurabl e s aus si bi en av an t qu ' après cette con nexion. Si v ous voilà d evenu, d evant votre tél évis eur, un paress eux prostré s ur so n divan , c ' e st e n grand e partie grâce à la télécommande qui vous permet de za pper d 'une c haîne à l' autre - essayez par vous-même: jetez la télécommand e d voyez letemps q ue vous pass erez à vo us d éplacer e ntre le divan et le téléviseur... - et pourtant il n'y a pa s de ressembla nce entre les ca uses de votre immobilité et la part de votre action véhiculée par un signal infrarou ge, même s' il es t évide nt qu e vot re comportement est rendu possible par la télécommande. Entre un co nducteur qui ralentit aux abords d'une école pa rce qu'il a vu le panne au « 3 0 kmlh » et un co n ducteur qui r ale ntit parce qu'il veut prendr e soin de ses amor tis seurs e n pas sant sur le ral enti sseur, la di fférence est-elle importante? Oui e t non. Oui, pui squ e , d ans le p remie r cas, l'o béis san ce d u conducte ur p asse p ar la moralité, les symboles, la signalétique, les bande s blanc hes, tandi s tp.le , dans l' autre, e lle p asse à travers la m êm e li st e, m ai s à laqu ell e il faut ajouter un dos d ' ân e e n béton bien solide . Mai s, en même temp s, la différence n ' est pa s si grande : dans les deux cas, les conducteurs ont obéi à qu elqu e chose de plus fort qu' eux, même si le premier a fait p reu ve d'un rare altruis me - s'ü n' avait pas ral enti , la loi moral e lui a urai t fendu le cœur - , le second à un égoïsme largemen t répan du - s' il n' avait pas ralenti, le ral entisseur aurait démantibul é ses amortisseurs. Devons-nous dire qu e la p remière connexion est sociale, morale et symbolique, et la seconde obj ective et mat érielle ? Bien sûr qu e non. Mais si nou s disons qu 'elle s so nt toute s deux également soc iales , comment allons-nous justifier la différence e ntre l' obéissance à une loi moral e et la résistance méc aniqu e d es amorüsseurs ? Bien q u'elles ne se re ssemblent pas, elles ont bien pourtant été rossemblées ou associ ées par le travail des ingénieurs de la voirie. On ne peut p as se dire soc iologue e t d écider de ne s uivre qu e cert ai nes assoc ia tions - les liens moraux , j urid iq ues et sy mboliq ues - e n s' arrêtant p ile d e s III
qu 'une rela tion de nature physique vient se glisser e ntre le s autres. Voilà qui rendrait toute enquête imposs ible 11. Combien de temps est-il possible de suivre une connexion soc ial e sa ns q u' un o bjet ne vie nne prendre le rel ai s? Une minute ? Une heure? Une microseconde? Et pour combien de temp s ce rela is va -t-il rester vis ible? Une minute ? Une heure ? Une microseconde ? Une chose es t certaine : si nous interrompons notre travail de terrain à c haque rel ais, al ccœ e nœanr notre attention exclusivement sur les connexions déjà rassembl ées, le monde social deviendra immédiatement opaq ue, com me drapé dam; ce s étrange s brumes automna les qui ne laissent entrevoir que des frag ments de pay sage. Et pourtant, nou s ne pouvo ns pas demander aux soc io log ues de se faire e n plu s ingénieurs , artisans, producteurs, designers, architectes, managers, promoteurs , d e. : à travers toutes ces existences intermittentes , ils n' en finiraient j am ai s d e s uivre leu rs acte urs! Il nou s fa ut don c prendre les non -humains en cons idération uniquement dans la mesure o ù ils deviennent commensura bles avec les lien s sociaux, et accepter, l' instant suivant, leur incommensurabilité fondamental e 2< . Voyager e n utilisant cette autre définition du " soc ial » exige d'avoir le s nerfs solides. Il n' es t pas s urprenant q ue les sociologues du social recul ent devant la difficulté ! Mais le fait qu 'ils aient eu de bonnes raisons de ne pas suivre ce s oscillations ne veut pas dire qu 'ils aient eu raison. Cela signifie seulement que la sociologie a besoin d'un outillage plus complet.
B. 0..... la m ~ où r ... " "U' la ",,, i<> ~ ,gi. do r .., ...,-d. ...u d· M indi m ...." . t la "",..Utf.. il B"" 1'" irIuti.. do '''1'1"'1« Qu' il yod. 00""'" .. ison. démmlogiqu", 1"'''' jouir d ..... 1ibrné do mou v....." au moins Npiivo.... . ~ ",1" crion Voi, M. CAu.oN. " StJu.!;gl.. and N.goû .:i""•• (l9Hl). ÜJI lnJUV. ... do IItHlh tux ""'''' . ox.mplo. dm . B . urou,. 1'.~~. I.fOlLI Jo :wr:iol"lli< d .. (19%). 24. Voil ~ qui n. sm. quo l·..': vité blll1llli"" (dmt il '" p«>t Q"" 1", tlroetion> ",;.,.wh atmwé (ou • voulu atlriw...) t la fabri catio. ", t l ·lOili"';"" do co' objot ; .i l'or> "" '" 'opor~ 1'" ~ CO ",n•• la """c bi",, ro.~ totlIiOIJlO" inconrpr6h... tibl•. • ( M . Wobor, ltrll, p . l2~ Sui. "". défini':"" do. moyo• • ot do. fi.. qui .. •ot alm ltn. ... pat. t f "" la n<:tiœ. do rnMi.-. : 10 p"'h1m.0, av "" los maclJin . c·. .. '1"·.n.. "" "'.. ju <junai. do. Im)' .
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Troi.-û llll' sOW'ce d'il1cel1iludi> .. quelle acIirm pour qUi'/.< objet.< ?
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d l' s ttue üons pour r end re visibl e II' r ôle d es objets
En explorant le s n ouvell es assoc iations qui composent l e social, nou s devon , accepter d eux exigences contra dictoire, : d 'une part, nou s ne voulon s pa s d 'un sociolog ue qui se limite aux liens soc iaux; d'autre part, nee s ne demandons pas à l'en quêteur de de venir un technicien spécialisé. Une solution c onsiste à s'en tenir à la nou vell e d éfinition du social com me fluid e qui d evi ent vi sibl e seulement lorsqu e de nouvell es assoctatons sont fabriqu ée s. T el es t le « terrain » prop re d e la soc io logie d e l' acteur-ré seau, même s' il ne s'agit pa s d'un domaine particu lier, mais plutôt de moments brefs, de ch angements de phase, qui peuvent se produire à tout moment n' importe où. Heureusement et a u grand so ulagement d e, e nquêteurs, ce, situations ne sont pas a uss i rar e, q u'on pourrait l'imagin er. Il suffi t, pour qu' on pui sse rendre compte de la pré sence de, obj et , parti cipant à l'action , qu'i ls sInscnvent dam de , co mp tes ren dus . S' ils n e produis ent aucun effet vi sible s u r d 'autre s agents, ils n' offriront aux observateurs aucune donnée: ils re steront silencieux, cesseront d' être d es acteurs et , litt éralement, ne pou rront lB' être p ris en compte. On dira qu e c'était d éjà le ca, avec les deux première s sources d'Incertitude : pa s d ' épreuves, pa, de compte> rendus, pas d'Information. La recherc he est pourt an t plus dé lic at e d ans le cas de s o bjets, puisque le fait d e produire leurs e ffe ts avan t de devenir muets est précisément ce en quoi ils excellent, comme l' a observé Samuel Butl er. Une foi ~ ac hevé, le mur de briq ue, ne subit plu, a ucune ép reuve permettant sa mi se en mots - même si le groupe de maçon s continue à parler et si d e s graffitis p rolifèrent sur sa surface; une foi , remplis, les questionnaire s imprimés demeurent à j amais dars les archive s, déconnecté s de toute intention humaine , ju squ ' à ce qu 'un historien vienn e les re ssuscit er. C'est e n vertu de ce lien singulier qui les raltach e clairement aux action, humain es que le s objets passent rapidement du statut de médiateurs à celui d'intermédiaires, et que, par une bizarre arithmétique, ils passent de un à zéro à une infinité e n fonction du moment e t quel que soit par ailleurs le nombre de parties qui les composen t vraiment. C'es t à cause de cette difficulté particulière q u' il faut inventer des stratagèm es pour les fai re pa rler, c'est-à-dire pour leur fai re produire
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de s descriptions d' eux-même s, des scriptx de ce qu'ils font faire aux autre s _ humains ou non-humains 1l . Là encore, la situation n' est pas si différente que peur le s grou pes et les formes d 'existence dont nous avons parlé a uparavant, dam; la mesure où le , humain> aussi, il faut apprendre à le, faire parler en inventant de, situations artif k ielles afin de rendre visibles leurs acti ons et leurs performance s (nous reviendrons sur ce point e n abordars la c inquième so urce d'Incertitude). Il re ste tout de même une différence: une fois qu' il, so nt redevenu, des médi at eurs, il est difficile d 'arrêter le> humain , ; un 1101 d e d onn ée , ininte rrompu se met à ja ill ir, tandi s q ue le, objets, quelle, que soe nt leu r importance, leur efficacité, la place qu 'il, occ upent ou leur néce ssité, tendent à s'effacer trè s rapidement, interrompant ainsi le flux de données - et plus ils so nt important s, plu, ils di sparai ssent rapi dement. Cela ne s ignifie pa, qu 'il s cessent d ' a gir, mai , q ue leur mode d ' acti on n' e st plu s connecté de f açon visible a ux lien> socia ux habituel , puisqu' on a reco uru à de, force, choisie, préci sément parce qu' elle s diffé raient de s forces soc iales déj à rassemblées. Les actes de langage semblent toujours comparables, continus, c ontigus e t compatibl e, avec d ' autre s actes de langage ; l' écriture avec l'éc riture; l'interaction avec l' interaction; mai , les objet, ne sont susceptible , d'être associés l' un avec l'autre o u avec de, liens socia ux que momentan ëmerü", Rien de plu, normal, puisque c'est par l' intermédiaire de leurs formes hétérogène s d' existence que les liens soc iar x vont pouvoir emprunter de; firme s complètement différentes - normal , mai , trompeur. Heureusement.te s occasion, ne manquen t pas o ù cette visibilité momentanée est suffisamment nette pour que l' on puisse en rendre compte de faço n satisfaisante . Comme c'est à propos de ces questions que le s résultats de la sociologie de s science s et de s techniques sont le; plus com us, j e peux passer rapidement 71. 2 S. M. Ax 1IC1;' "
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Troi",ème s OW'ct' d 'illct'rti ludi' " quelle action poor qUi'/s objets ?
La première solution consiste à étudier les innova /jolll' dans l'atelier de l'artisan, dans l' unité de conce ption de l' ingé nieur, dans le laboratoire d u scientif i q ue, dans les panel s du responsable du marketing, c hez l 'usager, ain si qu e les nom breuse s controverses sociutechniques. Sur ces sites , il est facile de voir que les objets mènent une vie multiple et complexe à travers des réuni ons, des pla ns , des es q uisses, de s ré gula ti on s e t de s épre uvea " . Ils s' y présentent totale ment mêlés à d' autres formes d'existence q ue l' on n'a aucune peine à qualifier de sociale. Ce n' e st q u' une fois e n place qu'Il s di sparai ssen t du c ha mp de vision. C'est pourquoi l' étude des innovations et des controve rse s est l'un des lieux privilégiés o ù les objets pe uvent être maintenu s plus longtemps dans leur rôle de médiat eurs visibles, di stribués et fo rmalisés dans des co mptes rendus ava nt de devenir des inte rmédiaires apparemment invisibles et asociaux. Deuxièmement , même les in strument s les plus usuels, traditionnels et silencie ux cessent d' être tenus pour acquis lorsque s' en approchent des usager s que la distance re nd ignorants et maladroits - ce peut être a) la distance dans le temps, comme les archéologues qui doivent reconstruire les outils de civilisation s di sparues ; b) la distance dans l'espace, q uand des et hnolo gues doivent co mprend re des mode s d' action sur la matière avec lesquels ils ne sont pas famili ers, e nfin c) la di stance en termes de compétence, comme quand nous sommes mis en face de techniques nouvell es dont nous ne connaissons rien. Bien que ce s agencements techniques ne c onstitue nt pas e n e ux-mê mes des innovation" comme dans le premier cas, le résultat, du moins pou r l' observateur, est le mêm e: il voit dai remenl que des parti cipants nouveaux, étranges , exotique" arc haïque s ou my stérie ux foot Irruptkm dam un cours d'action donné. Au COUnl de ces c onfrontatio ns, le s objets de viennent des médiateurs, au moins provisoirement, ava nt de disparaître à nouveau dans le savoir-faire, l'habitude, o u I'œsolescence. Quiconque a essay é de comprendre le manuel d'utilisation d'un meœte nouveau o u d'un appareil Inconnu sait combien de temp s et de peine il faut
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Cmlllllt'lIl dlpllJ}'t'r II.'S CO/I lrove TSI.'S sur le I1IOl1di' social
consacrer à assembler le; pièce s d'un puzzle qui paraît so uvent un inextric able labyrinthe 29. Le troisième type d'occasion e st celui qu ' offrent le; accid ents , les pannes et le s grèves : soudain, d es intermédiaires silencieux deviennent de véritab les médiateurs ; même les objets , qui sembla ient encore, une minute auparavant, totalement automatiques, autonome s et privés d' agents humains, sont maintenant e ntourés de foules d'humains lourdement éq uipés qui se dépl ace nt frénét iq uement. Ceux qui on t v u la navette Colu mbia , le di spositif humain le plus sop histiq ué ja mais as semblé , d evenir e n l' e space d 'un instant une pluie de d ébris s' abattant sur le Texas, comprendront la rapidité avec laqu elle le mode d ' existence de s objets peut basculer. Heureuse me nt, si j ' ose dire, pour l' ac teurréseau, la p rolifération récente d' objets « à risque JO a multiplié le s occasions d ' en tendre , de voir et d e sentir ce qu e les objets font lorsqu'ils d écomposent d ' a utres acteurs le. Qu 'il s' a gis se d e l'am iante, des OGM, de s ép idé m ies, des tre mblements de terre ou de s particules relâchées par le s moteurs die sels, il semb le qu e les e nquête; officielles se multi plient, facilitant é no rmément le trav ail de s s ociologue s p u isq u'elles é tab lissent po u r e ux, e n quelqu e sorte, la cartogra p hie é to nna nte de ce qu e le s li en s sociaux so nt devenus quand ils so nt étendus de toute s parts par le s di spo sitifs technique s. Là encore, ce n ' e st pa s le manque de matériau qui sa urait mettre un terme aux études en co urs ". Quatrièmement, lorsqu e les objets se so n t retiré s une foi s p our toute s à l' arrière- p lan, il e st touj ours p ossible - qu oique plus difficile - de les ramener à la lumière du jour e n recourant à d es a rc hives, d es documents, d ei; m émoires, d es collec tion s de 29. VOU DA. NOO<MAN. 11IL PrycholoO
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Troi/ü me sOW'ce d ·il1ceni ludt> .. IfUt'lle ac/ion poor qU<'/s objet.< ?
musée, e tc ., afin de reproduire artificiellement, comme à travers le compte rendu des hi storiens , l' état de crise qui a présidé à la naissance des machi nes, des o utils et des instruments 11. On peut discern e- Edison derri ère c haque am poule, mai s derri ère c haq ue microprocesseur se tient l' énorme et anonyme entreprise Intel. Je croi s qu'on peut cons idérer comme acquis que l'histoire et l'e thnologie des techniques ont subverti à tout jamais la façon dont les historiographies soc iales e t c ulturelles devraient ê tre co nstruites ". Il n'y a pas j usq u' a ux plu s humbl es e t a ux plus a nciens o utils de pierre retrouvés dan s les gorges de l'Olduvai en Tanzanie qui n' aient été transform és par les paléontologues en médiateurs re sponsables de l' évolution de 1'« homme anatomiquement moœme » . Enfin, lorsqu e tout le reste a éc houé, la fiction constitue une res source susceptible - par l'intermédiaire de l'histoire contrefact uelle, des expériences , et même de ce q u'on peut a ppeler la « scientifletion » - de ramener les obj ets solides d'aujourd'hui a ux états fluides dans lesquel s leurs liens a ux humains redevienn ent , sinon vis ible s, du moins pensables e t imaginabl es. L à e nco re, les sociolog ues ont beauc oup à apprendre des artistes li . Quelle qu e soit la solution retenu e, les terrain s ét udiés par les socio logues de l' act eur-rés eau o nt démontré qu e ce n' est pas à cause du manque de données, mai s plutôt par manque de vo lonté qu e l'on n' étudie pas le rôle de s objet s dan s la formation des as socianons . Une fois qu' on a levé l' obstacle conceptuel qu e représente le basculement qui les rend tantôt commensurables et tantôt incommensurabl es avec les cours d'action humains, tou s les probl èmes restant s ne scot plus que des q uestions empiriques, et pas des questions de principe - « A-t-on vraiment le droit de "confondre" les humains et [es non-humains? » . Nou s .12. la . oolop. ; Hu"'.. est . ussi ~ l'oripne de l' oxlftssi"" ~ ""u ..., """, ,,, . ~. Voir T P. HI.o;H... . ~ The S lIIlX de pœ "'" ",. lx 'Cilllco-frtion rmd J'OO,ibl uoVllildfcioif de Ricn-d Po ....... œmmeranonci.. d. l' étude de , ",icDee.. pu mple d .. , Gab ,,,, 2.2 ( I99 S1.
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dép/GY'" les CIJII lrowrses "" le /IIOnde social
avons laissé derrièr e nou s la frontière infranchissable si gn alée par de s Colon nes d' Hercule qu i e mpêc h ai e n t le s sc ie nces soci a les d e d épass er le s limit e s étroites d e s li ens socia ux - social n° 1 et 3. Le!I sociologues peuvent e nfin rattraper ceux, le s « humains anatomiquement moderne s » , qui se sont étab lis il y a des dizaines de milliers d'année s au-delà des limite s étro ites qu e les sciences sociales leu r ass ignent en mêlant intimement leur e xistence à ce lle de s c hoses.
Qui a oublié les rejatfuns d e POUHlir ? Nous somme s maintenant m mesure de mettre le doigt su r la faiblesse des soc iologues du soc ial qui agacent tant les tenants d e l' act eur-réseau : il s prétendent toujours être fid èles à l'intuition centrale de leur di scipline, sans jamais parvenir pour autant à expliquer l' origine de s a symétries. Le mot « social » renvoie soit à de s int eractions locale s, face à face, trop éva nescentes pour pouvoir e x pliquer les asy mé tries - le soc ial n° 3 - , soit à l' invoc ation tautolo giqu e d e force s qui re stent magiqu es tant qu ' on ne se p répare pas à enregistrer le nombre d ' objets dont ces forces devai ent se charger - le social n" 1. Si le s ex p licat ions socia les risquent de cac her ce qu ' elle s prét endent pourtant révéler, c'est dan s la me sure où elles demeu ren t tr op so uvent " sans objet ,,1' . Les soc iologue s se limitent trop souven t à un monde soc ial dénué de dispositifs tec hniques, m êm e si, comm e chac un d' entre nous, ils peuvent rester surpris par le côtoiement constan t, l' intimité continuelle, la contig uït é profonde, la relation pa ssionnelle, le s attachements multiple s qui o n t lié le s primat e s a ux obj e ts depuis plu sieu rs million s d 'anné e s . No tre socio logie prétend simp le men t prendre e n comp te ce tte évi dence qu otidi enne afin d' expliquer le pouvoir e t la domination au li eu d e s'en s ervir pour ex pliquer d' autre s
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lS. Memo .. om....."" t ..... proliféRliOll d·obje.. d .. . r . de Simmel, d ·Eli • • e' de Morx. leur l'',,, ,e ,,,e ne ,U/fi' 1'" t peser ,or le soci. l Toor 1. difJér...ce ~e '" t 1. h ,omdo.. ih 10.. ro. ...l:Jée. O'où ]nk e..o:é d· lIjoor. o,," ","; ~mo iŒeltitooe (voir l, II"ChoiD clI.p" .e) t cen e ",i co",,,m, le ' YI'" d',flicocilé,' t cd le qlli porrro plo, u ni ... rl • .-.définitiOll de Jo potilirie d'eu mpr . uh util", gi.e .ur lo.eM f",il iciol S/qJin g tf r ech,.,iJgv (1999].
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Troi...èlllt' SOW'CI! d'il1Ci'rti ludi> " quelle acIirm pour que/.< objel.< ?
phénomène s sans avoir compris de quel poids de c hoses il fallait d'abord le s composer. C'es t p ourqu oi, pour définir la qualité d 'un compte rendu d e type ecteur-réseeu. ürou s faud ra vérifie r trè s scr up uleuse me nt si le po uvoir e t la dom in atio n so nt ex pliq ués par la multipli cité d' obje t s plac é s au ce ntre d e l'analyse et transportés par de s vecteurs qui devront être empiriquement vi sible s - e t n ou s ne n ou s sa tisferons pas d 'une version qui ferait du pouvoir e t de la domination eux-mêmes le mystérieux coœeneur o ü selogerait ce qui met e n mouvement le s participants. Suivre les liens sociaux même lorsqu'ils se fraient un chem in à travers de s objets non soc iaux peut se révéler diffi cile pour de s raisons qui n' ont rien à voir avec la théorie. Les soc iologues on t e u de sérieuses rai sons de patrouiller constamment sur la fro nti ère sépara nt le domai ne e sy mbo liq ue » du d omain e .. naturel » : un bo n - c'est-à-d ire un mau vai s - arg ument polémique. Afin de se creuser une niche, ils ont abandonné au début du XIX' siècle le s choses et les obj ets aux scientifiques et aux ingéni eurs. La seule façon de re vendiqu er un peu d'auton omi e é tait d'abandonner les vas tes territoire s qu'ils avai ent cédés et d e travailler avec acharnement le lopin d e terre qui leur avait été assigné et qui ne cessait d e rapetisser: le .. sens ,., le s « symboles », 1' « intention », le « langage » . Lorsqu'une bicyclette heurte un caillou, di sait-on , il n'y a là rien de social. Mai s lorsqu 'un cyclis te dép a sse un sig ne s top, c'es t du social . Lor squ 'un nouveau standard téléphonique es t installé, rien de social . Mais lorsqu' on se met à di scuter d e la couleur des poste s télép hon iq ues, ça le d evi ent, puisqu e ce c hoix co mporte une « dimension hum ain e » , pou r parler co m me le s d esigners. Lorsqu'un ma rt eau s ' a ba t sur un clou, rien d e soc ia l. Mai s lorsque l'image du marteau es t croisée avec celle d'une faucille, le voilà admis dans le domaine soc ial, puisqu'il pénètre da ns 1' .. ordre symboliq ue ... Chaq ue objet se trouvait ai nsi scindé e n deux, le s scienti fiq ues et les in génieurs se taillant la part du lion - effic acité, causalité, connexions matérielle s - et laissant le s mi ette s au x spécialis tes du « soc ial » e t de la dim ensi on .. humaine .. . Par c onséquent, toute allu sion de la soc iologie de l'ac teur-réseau au " pou voir des objets ,. sur le s relati ons soc iales constituait pour le s sociologues d u social un rappel douloureux d e l'emprise d es a utres di sciplines .. plus scientifiq ues » sur leur
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indé pendance - sans parler des subventions - et sur les territoires qu'ils n' étaient plus artcns és à traverser librement. Mai , le, polémique, e ntre les di sciplines ne produisent pa, de bons concepts. seulement de, barricades construites avec le, débri s di sponibles. Lo rsqu'une sit uation es t divi sée en un e composante matérielle à laquelle s'ajouterait comme un appendice une comp osante soc iale, une c hose est certa ine : il s' ag it d'une division artificielle imposée par des disputes disciplinaire, et non par une exigence empirique. Cela signifie seulement que la plupart de, données se sont volatilisées, et qu ' on n'a pas suivi le cours d' action jusqu'au bout. Relever à la foi s du « matériel » et du « social » n' est pas une bonne façon d' exi ster pour les objets : il s' agit simplement d'une manière de les séparer artificiellement e t de rendre totalement mystérieux leur mode d' exi stence (XOpre J6 • Il serait injuste de reprocher aux ,euls sociologue, de s'êt re accroc hés dan s un bu t polémique à une seule métaphysique pa rmi toute s celles qui é ta ie nt disp onibles. L eu rs « c hers collègues ,. des sciences dures s'efforçaie nt e ux aussi d' affirmer qu'il n' y avait qu' « une façon ,. d'agir pour tous les objets matériels: « déterminer causalement IO le mouvement d' autre, objet s. Comme no us le verrons dans le prochain chapitre, ils n' accordaient au soc ial aucun rô le, si ce n' est cel ui d'intermédi aire « tran sportant » fidèlement le poids camai de la matière. Lorsque le social se voit accorder un emploi aussi ingrat, la tentation es t g ran de de réagir de façon disproportionnée et de faire de la matière un simple intermédiaire « tran sportant » fidèlem ent o u « reflétant » le, agences sociales. Comme d'habitud e avec ce, polémique, interdisciplinaire s, la sottise nourrit la sottise . Afin d' éviter de tomber dans le piège du « déterminisme technique », il es t tentant de défendre avec acharnement le « déterminisme soc ial», qui devient à son tour si e xtrême (la machine à vapeur devient par exemple un «si mple reflet " du « capitalis me a nglais ,,) q ue même l' ingénieur le plus o uvert d' esprit se trans fo rme en déterministe technique farouche , accompag nant ses exclamations au sujet du « poid s des contraintes matérielle s » de virils coups de poing sur la table. Gesticulations qui n' ont bien 36. r .. i ~", hid
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sûr d'autre s effets que de pou sser le plu s modéré de s sociologues à insister de façon p lus véhémente e ncore sur l' imp urtance de la " dimension disccrsive »". Ces disputes restent stériles parce qu 'il e st irréaliste de devoir chois ir entre ces po sition s, Il serait vraiment incroyable que le s millions de participants au déroulement de IIO S actio ns ne fa ssent leur e ntrée dans le monde soc ial qu' à traver s trois mode s d' existence , e t Irois seulement : comme" infrastructure mat érielle » qui " déterminerait JO le s rapport s socia ux, ce q ui e st le cas dans le s différente s fo rmes d e mat ériali sme marxi ste ; com me « miroi r » qui se co ntentera it de « reflé ter» les di stinction s sociales, a insi qu' on le voit dan s la socio log ie critique de Pierre Bourdieu ; ou comme arrière -plan de la scène sur laquelle le s acteurs sociaux humains occ upent le s rôles p rincipaux, comme d an s l'interactionni sme d ' Ervin g Gottm an. Naturellement, a uc un d e ces mod es d'entrée d es objets dans le collectif n' e st erroné, mai s il s n e représen tent que de s façons p rimitive s de rassembler le s faisceaux de liens qui tonnent le collectif. Aucun d' entre e ux ne suffit à décrire le s n ombreux e nchevê tre ments d'humains e t de n on-humains. Parl er de" c ult ure mat érielle » ne serait pas non plus d 'un grand secours, puisqu e, dans ce cas, les objets seraient simplement co nnectés les uns ali l autres de façon à form er une co uche homogène, une coofiguration moins plausible encore que celle o ü les humains seraient liés les uns aux autres par la seule entremise des liens sociaux, De toute façon. les objets ne sont jamais asse mblés d e façon à former un autre domai ne et , m êm e si tel était le cas, il s n e seraient ni faibles ni forts - leur rôle se limiterait à « reflé te r » le s v al eurs sociales ou à faire fi gure d e d écorum 1" , À n' en pa s douter, leur acti on est beauco up plu s variée, leurs e ffe ts plus ambigus, leur pré sence plus lar gement distribuée que ne le suggèrent ces répertoires re streints, Il suffit, pour obtenir la preuve de cette multipl icité, de regarder de plu s
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37, Voir 10. oxomplo. do louo a. P"'''''prions of'M Envi"'......nt 12000) . nsi QI>< 1<. Ift mi~ .. dil;ç.... im•• 0soilé<5 l''' 1.. volom<. do Bij lo. , "'p';", . du . W . Bun.. o' J. LAw, Slupi"l! T« hnoiJgy-Boi/ding Sœi0'Y ( 1992): w.E. BJjJgi:ol Sv...... ( 19 117J , o, W. BUK"' , OfBio",/<s . Botd'",. ond B.b. ( I99 SJ. 38. PouJ uoo 'l'mho\'odo ... d _ voU B. LA1(U1. " P.lU'ON"",,,- De 1. p'Ihinoirt OIU mi~ih OOIil'iq .... ( I994J.
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près ce que font réellement les objets dans les textes de s auteurs mentionnés plus haut : ils déploient de nombreuse s autres façons d' a gir pour le s objets qu e celles que leur accorde la philosophie d e la matière p ropre à ces a ute urs . M êm e e n tant q u'e nti tés textuelles, le, objet> débordent du cadre que leur fi xent leu r, créateurs et leur, Interm édiaire s pour devenir de, médiateurs :l9. Mais, pour re ten ir cette leçon, il faudrait se donner une bien plus g ra nde liber té de manœu vre et cesse r de sép arer les ac tions humaine, et non-humaine" com me si cette séparation avait la même vertu scientifique, morale d même théolo gique que celle de Descartes entre la res extenso et la res cogitant - et pourtant Descartes lai ssait ou vert l' étroit condu it de la glande pinéale, que les soc iologues du social ont sectionné. Il e xis te to utefois une rai son plus import an te e nco re pour refu ser é nergiquement le rôle assig né a ux objets par la sociologie d u soc ial : il v ide d e tout .'100 sen> l' invocation de, relations d e pouvoir et de, inégalité, sociales. Parce qu 'il> mettent de côté le , moy ens pratique s, c'est-à -dire le, médiateurs par l' entremi se d esqu els l' inertie, la durabilité, l' asymé trie, l'extens ion et la domination so nt produites - le soc ial n" 2 - , e t parce qu' ils confonde nt tou, ces di fférent, moyen , avec la fo rce v ide d e l'in ertie sociale - social n" 1 - , ce scot les sociolo gues ordinaire , qui occultent le, véritable, causes de, inégalités lorsqu 'ils se montrent négligents dans leur usage de, explications sociales . S' il Ya un c as oil le fait de confondre la c ause e t l'effet fait véritablement la différence, c 'es t bien lorsqu'il faut fournir une explication a ux verti gineux effets d e la domination. Bien sûr, o n peut toujours invoqu er Ia « domination scciele " comm e un raccou rci co mmode, mai s il est trop tentant d'utiliser ce pouvoir au lieu de l'expliquer, ce qui est très exactement le problème avec bien de, donneu rs d' « e xplications sociales" : dans leur quête d' explications p uissantes, n' e st-ce pas leur soif de pouvoir qui se manifeste? Si, comme le dit le proverbe, le pouvoir absolu corrom pt absolume nt, alors l'utilisation gratuite du concept d e pouvoir par tant de théoricien s critiques le s a abso lument co rrompus -
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pour le moins, il a renœ leur discipline redondante, e t leur polit ique imp uiss an te . Comme la « vertu dormitive de l'opium" ridi culi sé e par Mo lière , le « pouv oir " n e se conten te pas d ' endormir l' analyste, ce qui n' a pts tant d 'importance, mai s il tente aussi d'ane sthé sier les acteurs - ce qui constitue un véritable crime politique. Cette science p rétendument rationnelle, m oderne, pos iti ve n ourrit e n so n se in le fan tôme le p lu s archaïque e t le plu s magique qui soit : une société auto-engendrée, auto-explicative. À l' éch eveau d e moyens visibles et modif iables mi s e n œuvre pour produire du pouv oi r - le soc ia l 0 ° 2 - , la sociologie, et en particulier la sociolog ie critique, a trop so uvent substitué un moode invisible, immobile et homo gè ne lhJ pouvoir e n soi <0. Les e xplications puissantes, e lles aussi, doivent ê tre contrebalancées : en sociologie comme e n politique, pas d e pouvoir sans contre-pouvoir. L'accusation d 'avoir o ublié les « relation s de pouvoir " et le s « in ég alité s soc ia les », ce n ' e st pa s co ntre la socio log ie d e Pacteur-réseau qu'il fa ut la porter, mai s bien plutôt co ntre la soc iologie du soc ial . Si nous so uhaitons retro uver cette intuition vénérable e t justifiée de s sc iences soc iales - le pou voir es t inégalement di stribué - , il nou s faut a ussi ex pliq uer comm ent, et par quel s moyen s inattendus, la domination e st d evenue ~ e fficace, par quels véh icu les elle continue de se transporter. C'est en effe t la seule façon de pouvoir lutter contre e lle. Mais, pour ce faire, il faut accepter une quatri ème incertitude, o uvrir un quatri ème sac d'embrouilles - qui se ré vé lera, cette fois-ci, une véritable boîte d e Pandore.
40. lA' d. "im lnJI .... l ontOju. d. Miohol Fooc ...lt Immt.. ~ '1".1 poill' il ." f ",il. d·OI:Hi.. cotte ~"'" "".."""" Il'. ' 1l p.u, prkis 'J'. lu i don, 1. dOcompositi"" • • 0Iytiti"" d.. petin iIIpOdio.IU dOllt 1. pouvoi•• " rom".,*, .. 1"'....... m· ' ... pl... criti'J'. vis·"vi, d., .xp.ie.don, soc iol"". El po.lt'on~ dis Q"" FooClloit. ft. trlIdoi~ il." itoJtll!. dioumollt dov,,"u cob i 'J'i • « .. vélO . 10 ' .. latin... do pouvoir 'l"i '" "'nai...t duriJn cb"'luo .ctivill. j u"l" ..... plu, ioofJo. ,ive, : la f olio. l·bi , toi otu..n• • 1. "Xll.~ '1"'il fwt comb la motiomd·oxpli. coJial "",iolo trè, ~ .. gi.<JU lIII"" : mlm. 1. ~&li.o do FooClll ~ n· . l"" ...trI ~ omp1rdJ .. u... toll. inVOniOll.
Quatrième source d'incertitude Des faits indiscutahles aux faits disputés
P AS d e gro upe , m ai s d e s re gro u pe me n ts co nt in ue ls ; pa s d 'acteu r, mai s de s rœmes d' existence qui le font agir et dont on comprend mal l'origine et la force; pas d'interacti on face à face, mai s de longues c haînes de médiations à tra vers de s objets de toute nature dont la présenc e pa sse b rusq uement du v isib le à l'invisibl e : tell es so nt les trois première. so urces d 'incertitude s ur lesquelles il nou s fa ut nous appuy er pour s uivre le fluide soc ial à tra vers ses formes toujours changeantes et provisoire s. Ju squ 'ici, notre hypoth èse pouvait rester mal gré tout gross ièrement compatible avec les e xigences de ce ux qui définissent le social comme une sorte de mat ériau . Certes, e lle ex ige un travail plu s im portant: il faut rallonger la list e d es acteurs d d es formes d' existence ; approfondir le s conflits qui portent sur une multi tude de métaphysiques pratique s ; abandonner la division artifi cielle e ntre les dimensi ons soc ia le e t " t echnique JO d 'une s ituation d onné e ; tr averser d es d omaine s r areme nt v is ités j usq u' ici; d écider que ces so urces d 'incertitude so nt plu s féconde; et, final ement, plus objectives q ue [es points de départ a bso lus ; e nf in, se fa ire à l 'idée inh abituelle qu 'il v a fall oi r partager le métalangage, la théorie sociale et la réflexivité avec les acteurs eux-mêmes, émancipés du rôle de simple" informateur JO . Mais enfi n, jusqu 'ic i les péré grinati ons qu'impose notre point d e d é part ava ient beau so rti r d es sentiers batt us, elles n ' exi g eai ent aucune tran s fo rm ati on fondam ent al e d e la
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d ém arche scientifique e lle - mê me . Après tout, la soc io logie pouvait re ster une sc ience même s'il allait lui falloir payer un prix plus élevé qu e prévu , visiter des sites inettendus, encaisser plus d e relerivit é et déployer plus de philosophi es contradictoires qu'il ne sembl ait n éce ssai re à premiè re vu e. Au bil an , abando nner l' éther de la société pour se nourrir de s contro verses n'apparaît pas co mme un sacrifice trè s douloureux. On se fait trè s rapidement à de n ou velle s habitude s de pensée. Mal he ure use me nt , nous ne somme s pas au bout d e no s peine s. No us allons aborder une q uatriè me source d 'ince rtitud e, qui va nous amener vers le s difficultés le s plus épineu ses de la sociologie des a ssociatio ns. ainsi qu e ven; sm point de départ : la soc iologie des sciences . Les « é tudes sur le s sciences ", qu e l'on appelle e ncore so uvent e n France science studies, faute d'un bon éq uivalent, ne so nt au fond qu e la traduction commode en a nglais du mOI grec e épist émologie ,. ' . Après avoir, dam; le mOI co mposé « socio -logie », douté du préfixe « socin » , le tour est venu du suffixe « logie » . Ce n' e st qu ' au terme de ce tte double ré visi on qu e nous se rons final ement en me sure d' employer à n ouveau cette appellation de façon positive et sans trop d'états d ' âm e. Mai s, co mme les probl èmes v ont se multiplier, il est préférabl e , une fois e ncore, de ralentir avan t de recouvrer plus tard une plus grande liberté de mouvement.
C onsr r ucüvtsme, pas eonsrrucnvtsme .w cial La soci ologie de l'acteur- réseau est l'histoire d 'une expérien ce entamée de faço n si dé sinvolte qu 'il a fallu un quart de siècle po ur en redresser le co urs et prendre toute la mesure de sa sign ific ation. T out a c ommencé assez mal, avec l' usage malheu reux de l'express ion " c onstruction sociale de s faits scientifiq ues " . Nous som mes maintenant e n me sure d e co mprend re pourqu oi le terme " social ,. pouvait prêter à tant de malentendus, l. Uc . exp ic.ôn . ... o!ri.",.. f mi.. pu rf;;oll: d '&t;mbourl (A. pn;u lNO. Th< M0tW" ofProcri" , {19'9'iD; "ui QIlC Il d lt".. ioion Q,", K. K..,rr·C 'Ilo",,, dG, 11: . ",i""e.. ( K. KNOU. -CmNA. Epi" " .." Cul..". { l 99\l1l.
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Qwllrième . ource d 'illCerlilUdi' : de. [WI' indi"ewabl... au< [ailS dJ.,pwés
puisqu 'il n ' établissait aucune distinction e ntre deux significations totalement différentes du même mot: une sorte de matériau - social n" 1 - et un mouvement pour a ssembler d es e ntités nouvelle s qui n e so nt pas elles-mêmes, e n tout cas pas e ncore, des membres à part entière du soc ial - ce que j'ai qualifié de social n" 2. Mai s pourquoi l'introduction du mot « construction" a-t-ell e produit une confusion e ncore plu s gran de '1 En donnant le s raisons de cette difficulté, je vais d' abord préc iser po urquoi j'attache tant d 'importance au c ha mp restrei nt de la sociologie de s sciences : ce domai ne a renouvel é le sens de tou s le s mot s qui composent cette petite ex press ion inno cente, ce qu ' e st un fa it, ce qu' e st une scie nce, ce qu' e st une co nstruction, e t ce qui es t soc ial. .. Pas mal pour une e nquête conduite de façon si inexpérimentée ! En bon français, dire q ue q uelq ue c hose est construi t veut dire q u' il ne s ' a git pas d'un mystère venu d' o n ne sait où, mai s q ue la chose en que stion a une orig ine plus humble, mai s aussi plus vi sible et plus int ére ssante. D'habitude, vi siter des chantiers de construction p résen te le grand avant age d' offrir un point de vue à partir duquel on peu t dir ectement observer les connexions e ntre les hum ain s et les non -humain s. Une fois qu e les visiteurs o nt les pieds e nfoncés dans la boue d' un chantier quel conque, ils o nt normalement la chance de voir se métamorphoser par le tra vail le s p rop riété s de s uns comme de s eutres ", Cela est vrai non seulemen t de la science, mais de tous les autres ch antiers , le cas le plus c lair é tant celui qui se trouve à l' origine de cette métaph ore, à savoir les mai son s et les bâtiments cons truits pa r le s arc hitectes, le s maçon s, la; urbanist es, les a gent s immobiliers et le s propriétaire s J . Cela vaut aussi pour le s pratique s artistiques'. Le « making Of » de toute entreprise - films, grattedei, fai ts, réunions politique s, rituels initiatique s, haute couture, c u isine - off re un point de vue s uffis ammen t di fféren t de la vers ion offic ielle ; non se ule ment il vous co nd u it d an s le s
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coulisses et vous fait découvrir les compétences e t les trucs des praticiens, mais il offre la chance assez rare d'avoir un aperçu sur l'émergence d'une c hose nouvelle dont la temporalité devient clairement marquée. Mai s ce qui est encore plu s important, c'est que la visite d'un site de construction s uscite le sentiment, aussi troublant que réconfortant, que les choses pourraient être différentes, ou du moins qu' elles p ourraient encore rater - sentiment que l'on éprouve moins profondément de vant le résultat final , au ssi bea u o u impres si onnant soit -il, fa ute d'e n comprendre l'histoire et, pourrait-on dire, le suspense. Par conséq uent, le terme de « constructio n » semblait a u départ idéal pour offrir une vers ion plus réalise à ce qu'on veut dire quand une c hose « tient l> . En effet, dans tous les domaines, dire que « quelque c hose es t construit l> fut toujours associ é à une apprécietion de sa rob ustesse, de sa qualité, de son style, de sa d urabilité, de sa valeur. Tant et si bien qu e personne ne pren drait la peine de dire qu 'un gratte-ciel, une centrale nucléaire, une sculpture ou une automobile sont « construits » : c'est trop évide nt p our qu ' on le souligne. Le s vraies ques tion s qui se posent seraient plutôt: Quelle es t la qualité de sa conception? Quel est son degré de solidité? Ju squ ' où l' objet est-il fiabl e ? Est -il d urable ? Combien coûte-t- Il ? Partout, qu 'il s'agisse de technologie, d'ingénierie, d'architecture ou d' art, « constructi on » a f ini pa r deveni r sy nony me de « rée l », a u poin t de permettre d' enchaîner aussitôt sur la question suivante et bien plus intéressante: la c hose e n qu estion e st-elle bien o u ma l construite? De prime abord, il nou s semblait évident - à nou s, les sociologues de s sciences - que, s' il y avait un site de cons truction auq ue l s'appliquait parfaitement la notion de construct ivisme, c 'étai t celui des labor atoire s, de s in stituts de recherche, de s grands instruments, des vestes institutions scientifiques . En effet, mieux e ncore que l' art , l'nrchitecture o u l' ingénierie, la science offrait les cas les plu s extrêmes d' artifidalité totale et d' objectivité totale se déployant en parallèle. Il ne fai sait aucun doute que les laboratoire s, les accélérateurs de particules, le s télescopes, le s statistiques national es, les ssrellires, les ordinateurs géants et les collectio ns de spécimens é taie nt bien des lieux arti ficiels, fa br iqués d e main d 'homme, dont il fall ait fa ire l'hist oire comme o n fait celle des cat héd rales, d es processeu rs o u des
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Qwllrième sou"'e d 'illCerlirudi> : MS[WI' indi .•cwuhlt«
dispulés
locomotives. Et pourtant, il é tait tout aussi clair que les produits issus de ces sites artificiels et coû teux constituaient les résultats les plus certa ins, les plus objec tifs , les plus ass urés jamais obten us par l'ingéniosité collective des humain s. C'est pour cette raison que nou s avons commencé, avec un grand enthou siasme, à utili ser l'express ion « construction des fait s » pour décrire ce phénomène frappant où l'urtificialité e t la réalité marchaient si clai rement du même pas - Dire que la science était e lle a ussi «construite» procurai t les m êmes frissons q ue tou s les autres « mnking.l of » : nou s passion s derrière la scène; nous apprenion s les tours de main des praticien s ; nous ass istions à l'innovation en tra in de se faire; nous prenions la mesure des risques qu ' ell e comportait; surtout nou s é tions e nfin mis face à cette intri gue étonnante: la fusion des formes d'existence humaines e t non humain es. En regard ant le film q ue no s collèg ues d e l 'histoi re des scie nces tournai ent pour nou s, nou s pouvion s ass iste r, séq ue nce a près séq ue nce, a u s pec tacle le plu s in croy abl e : un e sér ie d' épisode s é pous to ufla nts a u cours desqu els la vérité se trouvait produite, sans qu' on soit j amai s sûr du résultat. En termes de suspense, l' histoire des sciences battait tout ce qu ' Hollywood pouvait imagin er. La science devenait à nos yeux plu s q ue simpl ement objective; elle devenait intéres sante, aussi inté re ssante qu ' elle l' ét ait pour ses praticien s engagés dans les risque s de sa production 1. Mal he ureuse me nt, cet enthousias me fut de courte dur ée et prit fin lorsqu e nou s nous aperçûmes que, pour certains de nos collègues des sciences sociales comme des sciences naturelles, le mot «co nstr uction " ava it une tout a utre si gnificat ion q ue celle du sens commun. Dire que quelque cho se éta it « construit » signifia it pour e ux que celle c hose n' ét ait « pa s vraie » ! N os collèg ues semblaien t partir de l' idée é trange selon laqu ell e il fallait se plier à ce c hoix i~robable : d'un fait donné il fallait dire soit q u' il était réel et non constru it, soit, s'il était artificiel el
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AVIl" Jo, ... ,.,lio.... " ","i.,,·hig • ombi"",,,, do , ",.,mou . ij .n;, impo""; !JIo do p",lld", 1"0 • 1. l i bido scimdi do. pn licio", : mi. '" prO""", do pmœit Ii... l, .. pollUo m'. v oit t .. di 'I",,,.tiom >lrom moyom do , ' intiR "", ~ la ",iOŒO bo n do l 'injOŒliOll p< " ~", iq",, : " 0 ' 0" vrai , dOllo VOe f ail ( (99 1) .
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construit, qu'il était inventé, imaginé, biaisé, faussé, Non seulem ent un e tell e id ée ne p ouvait s'accorder avec les h abitudes courante, de parler quand nou s di sion s d'une maison q u'elle était "bien construite JO, d'un logici el qu 'il étai t" bien conç u JO, o u d'une statue qu ' elle éta it « bi en sculptée ", mai s elle venait se heurter à ce que nous obse rvions dans les laboratoires : les deux attribu ts - ê tre inventé e t ê tre objectif - allaie nt toujours de pair, Si l'on se mettait à couper en deux les comptes rendus sans couture qu e nou s produision s sur la fabrication des faits, l' ém ergence de la science devenait tout bonnement incompréhensible, Les fa its étaient des fait s - c'est-à-d ire des fait s exacts - parce qu'ils éta ient fabriqués - c'est-à-d ire qu'ils émergea ient dan s des situations artifici elles, Chaque scientifique que nous suivions mettait d'ailleurs sa fierté à établir la conne xion entre la qualité de saconstrucüon et la q ualité de ses données, Ce lien fort constituait en fait son principal moti f de gloire, Et si les épisté molegues ava ient pu oublier une telle év idence, l'étymo logie éta it là pou r nou s le ra ppeler ", Si nou s é tions tou t à fa it prêts à répondre à la question vraiment intéressante : ce fait scientifique est-il bien construit ou mal construit, nous n' éti ons certainement pas dis posés à nou s pli er à l'alternative abs urde : " Choisissez ! Soit un fait est réel, soit il est fabriq ué! JO Pourtant, il éta it devenu rapidement clair que si nou s voulions cont inuer à utili ser le terme de « construction ». il nous fall ait combattre sur deux fronts à la fois : contre les épistémolog ues qui continuaient à prétendre que les faits , " bien sûr JO, n' étaient pas construits - ce q ui avait a utan! de sens qu e de dire q ue les bébés nai ssent dans les c ho ux - et contre nos " c hers collèg ues " qui semb laient impliquer que ~i les fait s étaient construits ils n ' étai en t pa s plus cons ista nts que de s fé tiches - avec celle é tr ange faç on de croire qu e les fétichis te s " croient JO en leurs fétiches 1 , À ce stade, il aurait peut-être é té préférable d' abandonner total ement le terme de " construcüœ JO - s urtout dans la mesure o ù le met " socia l JO avait ce m ême b, S. ns P''''' de Ga,mn B",hel.rd Qui • ",uven' insi,té ,u, c"te double "J"DOlope e' QIlIi ne , ' es<j.m.;' 1.... de mtJIIIU'" le C iJ,", '~" anificiel " lIUom de mule pnli'l"e .....Ie _ ....me , 'il , ',sr serv i de c" . ",men. pour , en<>ce plu, difficile 1. rec"" ..,c~"" des ne,.,.. e' de IeUrcOllIeXIe. 7. S.. ce poiD. de l'in. ... iœ. de la c.-"l' .. ce po< 1.. ", cial.. "' ;,- P. 338 " B. U TOOJ. . P" ilt rlfhitm ,., " c.~. de, dl."" Faüic/oe, ( 19'l 61.
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effet de provoquer la fureur de nos lecteurs tout aussi sûrement que la muleta du torero... Mais au fond pourqu oi l'abandonner ? Il avait tou s les avantages dont je vien s de parler, et, e n plus, il mettait parfaitement l'accent sur cette sc ène centrale où les humains et les non -humains se confondaient en échange ant leu rs propriét és. Dans la mesure où la nouvell e théorie sociale que nous é tions e n train d'inventer visait à renouvel er au ssi bien la défini tion de l' ac teur soc ial que celle du fa it objectif, nou s n'avions au cune rais on d ' aband onner cette vue imprenable sur ces c hantiers de con struction où se produisait si inten sément cette double métamorphose des associations et de s certitudes. C'est pourquoi j'ai pensé qu'il éta it plu s approprié de faire pour le constructivisme ce que nous avions fait pour le relativisme : alors qu' on brandissait contre nous ces termes comme des Insultes. ils étaienl issu s d'une tradition beaucoup trop honorable pour ne pts être revendiq ués comme un étendard, et m ême fièrement as sumés . AITès tout, ce ux qui nou s reprochaient d' être des relativiste s se rendaient -ils bien compte que l' opposé serait l'ab s olut is m e " ? Et ce ux qui n ou s reprochaient d' être des constructivistes n'auraient certainement pas souhaité s' apercevoir que la position opposée, si les mot s avai ent un sens, serait celle de fondomeruuli.•tes 9. À première Vue, il aurait d û être facile de redonner un sens robuste au terme si galvaudé de « constncüon » : il nous suffisait de recourir à la nouvelle définition du « soc ial " présentée dans les premiers c hapitres de "et ouvrage . Aj outer le terme " social " a u terme " constructivis me " perve rtit complètement le sen s de ce dernier - de la même façon q u' une République soc ialiste ou islamique est le contraire d 'une République ... Autrement dit, il ne faut pa s confondre le « co nstructi visme» avec le " constructi visme social JO , qui e n est l'opposé. Lorsque nou s disons qu'un fait es t construit, nous voulons simple ment dire que nou s rendons compte d'une réalité objective solide e n mobilisant dive rses e ntités dont l' as semblage pourrait éc ho uer - c ' e st le social n° 2 . L e « cons tru c tivis me soci al », e n re van che, implique de re mplacer ce don t ce lle réa lité es t 8. o. su.:.., Soc ;" Iogi< dl! la "giq.. 00 Ifs ,;"' iI.. dl! l"ipist'mologi< ( 1982). 9. B. UT
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constituée par un autre matériau, e n l'occ urr ence le social n° 1, dont elle serait" véritablement " composée . Par cette substitution, le compte rendu de la genèse hétérogène d'un e construct ion est remplacé par un a utre compt e rendu portant sur la mati ère soc iale homogène dont elle est constituée . Afm de re mettre le co ns truc tiv ism e sur pied, il suffi t de voir qu'une foi s qu e "social. prend le sens d'« asscciaüon » . l'idée même d'une co ns tr uction faite de matériau soc ial s'é van o uit. Pour qu e n'importe quelle constructio n soit possible, il faut q ue les e ntités non humaines jouent un rôle de premier ordre, et c'est précisément ce que nous voulion s dire dès le départ en employant ce terme plutôt inoffensif. Mais cette opération de sauvetage n' était pes suffisante tant que les autres sciences soc iales e n conservaient une conception si différent e. Dans la mesure o ù la " co nsrr ucticn » n' avait jamai s signifié pour nous la réduction à un seul ty pe de mat ériau, notre erre ur fut de ne produire que très lentement des anticorps pour nou s prémunir contre l'accusation de réduire les faits à de " simples . construc tions - adjectif qui e n dit long sur l' état d' esprit des sciences sociales . Puisqu 'il était é vident, à nos yeux, qu e l' expression de "construction sociale » exigea it d e prêter une att ention ren ouvelée à to ute s les r éalités hét érog èn es engagées dans la fabricatio n d'un éta t de fait donn é, il nou s a fa llu des a nnée s pour réagir de façon adéquate aux th éorie s absurdes auxqu elles on tentait de nous associer " . Bien que le constructivisme mt pour nous synonyme de p lus de réalisme, nos collèg ues, fér us de c ritiq ue sociale, nou s acclama ient parfoi s pour avoir montré qu e " mime la science, c'est de la fc œai se » ! Il m' a fallu longtemps pour réaliser le danger contenu dans une e x pre ssio n qui, entre les m ains de no s « meilleurs a mis ", semblait se confondre avec une revanche sur la solidité des faits scientifiques e t une mise à nu de leur prétention à la vérité. Ils semblai ent suggérer que nou s fai sions pour la science ce qu 'ils étaient si liers, e ux, d'avoir fuit pour la religion, l'art, le droit , la
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c ulture, e t tout ce en qu oi n ous cro yio ns dur co mme fer : la réduire en poussière en montrant qu' ell e é tait fabriqu ée de toutes pi èces. Ils associaient l'artificialit é de la constr uction avec un défidtd e réalit é... Pour q uelqu' un qui n' avait pas été formé dan s le cadre de la sociolog ie c ritique, il é ta it assez di ffi cile d'imaginer que des chercheurs pourraient avo ir le culot d'utili ser l'explication causale comme une preuve de ce que les phénomène s gu ' ils devaient e xp liq uer n' avaient pas d' ex istence réelle ! A notre corps défendant , le constructivisme était devenu synonyme de son opposé : la d écon struction. Le re spect des m édiations ava it tourné au plus banal iconoclasme. Dan s ces conditions, il n' est pas étonnant que l' enthousiasme qui nous animait en montrant la « cors trucüon soc iale des fa its sc ie nt ifiq ues JO se soit heurté à la fure ur des acteur s concernés! Pour les physi ci en s, trancher d es controverses complexes sur la géom étrie des trou s noi rs, ce n' est pas d u tout pareil que de s'entendre « expliquer » par un sociologue invoquant des « luttes de pouvoir entre clans de physiciens ». Pour une âme pi euse, le fait de s'adresser à Dieu en prière n' est pas du tout la même c hose que d'er uendre e expliquer JO cette invocation par la « personnali sation de la société JO q u'elle viserait en fait. Pour un j uriste, obéir à la Co nstitution o u céder à de pui ssant s lobbies s'abritant derrière le droit sont deux choses non seulemen t différentes, mai s diamétralement oppo sée s. Pou r un e couturière travaillant dans la mode, couper du velours épais et brossé est une chose ; rendre visible la e distinction soci ale JO en es t un e autre. Pour le membre d' un c ulte, la di fférence e st de taille entre se lier à l'existence d'une divinit é et s'entendre dire qu ' on adore un fétiche de boi s. Dans tou s ces ca s, la substitution du social à un autre matériau est vécue par les acteurs comme une catastrophe à laquelle il s'agit de s'opposer avec véhémence - e t ils ont bien raison ! Si toutefois le terme e soc ial JO n' était pas utili sé pour remplacer un mat ériau par un autre - social n" 1 - , mai s plutôt pour déployer les associations qui o nt rendu sol ide et durabl e un état de choses donné _ social n" 2 - , d' aut re s th éorie s de la société deviendraient peut -être acceptabl es par ceux qu' on prétend étudier e t respec ter. La qu estion de venait de plu s e n plus e m barr ass a nte : comme nt so us le m ême mot de «construc tio n JO le s sciences socia les pouvaient -elle s promouvoir d eux programm es d e
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recherche au ssi complètement antagonistes ? Peu à peu , nou s avons é té obligés d' accepter l' idée qu'il y avait quelque c hose de profondément défectueux non seulement dan s la philosophie des sciences dominante, mais aussi dam les théories de la société couramment utili sées pour rendre compte des domaines autres que la production scientifique . C'est ainsi que les théoriciens de l'ac teur-réseau furent peu à peu perçus soit comme trop radicaux - on les accusait de s'uusquer e même ,. aux faits avérés et de ne pas " croire " à la " Nature " o u à la" réalité extérieure" ; soit co mme trop naïfs - ils manquaient d' esprit c ritiq ue et croya ient alors à la capacité agi ssante de « choses réelles » qui existeraient « par elles-mêmes » ' ", Et c'est vrai: la soc iologie de l' acteur-réseau ne visait rien moins qu' à transformer l' ensemble du répertoire critique e n aba ndo nna nt à la fo is l' usage de la Nature et l'usage de la Société, pui sque ce répertoire avait été invent é pour redoubler ce qui " se pas sait vraimem » par un a utre monde qui existera it « derrière » les ph énomènes socia ux. Mai s, pour se libérer de telles habitudes de pensée, il faut ré interpréter cette expérience conduite assez inconsidérément, je le reconnais volon tie rs , qui visait à rendre compte de la production des sciences naturelles par les sciences sociales. Au bila n, comme nous le verrons, il n' ét ait pas si absurde d' agiter des chiffo ns rouges au milieu de cette corrida : aprè s tout, c'est ainsi qu 'on triomphe parfoi s des bêtes sauvages ...
L ' he ureux
naufra~e
de la
sodolo~ ie
des sciences
Qu'on me permette d'abord de di ssiper un malentendu chez ceux qui ne sont pas familiers avec notre champ de recherche : on présente souvent la soc iologie des sciences comme l'extension de la soc iologie du soc ial à un nouvel objet : les pratiques scientifiques. Après avoir ét udié la reli gion , les luttes de classe, la politique, le dro it, les c ultures populaires, l'usage des d rogue s, l 'urbani sm e, la c ulture d' ent repri se, e tc., le s socio logues ori tiqu . fut fOlllluM. ~ 1'""" .. iOll de la« &"orre de> ",i.moe • • ""T). Pt... U R aperçu de la , ,,,,,,,,de oriO:"",. voir H. D:>lU<' Ot S. v .....u n . « Epillt<mOlopoiil OIrum • ( l 9\l2) ,S. SçRMH.J. , « Th. E'8~mtb BN mm. or BNIIO ~"'" • (l 9\l la) ; S. WO<:LG'Jl, • l1Ie Tlnl '" Tedm<>Iogy in Soci. S1udi... "f Soi.no • • «(99 l ). ll . La
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Quatrième s""rr:~ d 'illartitudi' : d", faits illdi.<ewables aux faits dispwés
n 'auraient, à e n c ro ire ce tte ve rsion, aucune rais on valide de s' arrê ter devant ce qui distingue les sociétés c onte mporaine s : la sci ence et la technologie. Dam; c ette pe rspective, le s laboratoires et les instituts de recherche ne sont rien d ' autre qu e l es entrée s suivante s à cocher sur une liste de s domaine s qu e l' on p eu t abord er a ve c l' outillag e n ormal de s sc ie n ces socia le s - o utillage qui a , prétend -on, renc ontré part out aill eurs un « immense succès JO . Telle é tait l'opinion la plus rép andue y comp ris c hez les collègues avec qui nous av ion s commencé nos e nq uête; de s années auparavant , connus sous le nom de « sociologue s de s connaissance s scientifique s » (sociolagists of scientif ic kno wledge, SS K, o u , plu s vag ue me n t : science and lechn%gy st udies, STS 11). Si j' avais e u à éc rire une intr oduction à la soc iolog ie de s science s, j'au rais été heureux de me ranger sous cette bannière !J . Mai s, dan s la me sure o ù je m' efforc e de d éfinir la sociologie d e l' acteur-ré seau, il me faut montrer comment elle s ' es t extra ite de la sociologie de s science s en tirant des concl usion s opposées non se ulement pour la science, mais au ssi pour la thé orie soc iale . La soc iologie de s ass ociations n ' est pas ce d omaine de s sciences sociales qui se rait e nfin parvenu à étend re ses méthode; à l' activité scienti fiq ue, puis au reste de la société, mais la bra nche (o u plutôt le petit ramea u) où se retrouve nt ce ux qui ont accepté de me surer dam quelle mesure ils ont échoué àfoumir une explication sociale des faits scientifiq ues'. Les c he rche urs qui se rec onn ai ssent dans la soc io log ie d e l' ac teur- rése au so n t principalement ce ux qui , a près une trentaine d ' ann ées de soc tolo gie d es scie nce s, so nt pa rvenus à une co ncl usio n totalem ent différent e de celle de leurs co llègue s les plus proche s et le s plus émérites. Tandis qu e ces derniers ont jugé qu e la théorie sociale fonctionna it même à p ropos de /a science. nou s avons c onclu que , e n bloc au ssi bien qu ' en dé tail, la théorie sociale a si radicalement éc houé lorsqu ' elle a vo ul u s'appliq uer à la scie nce qu 'il l::t Bi ", ",e " D' oie ;'mois ulilis< c.. t tiqœ,r., i",'e"",,' porce qu'elle. "",inûe... •eIII' lOI oxi * ""e le. diffo!le... doouiae . qu'elJe. dev .e.. di"""ar., je . 'ai "'C!ID mol ~ dire 'l"c 1• •ori(~(. i e de l' ",".,,·r""" u ", l~ e du domai.., II(Ipclt eo ""I I.is STS, PO'" lICielllce, ~lm ol"ll ;" , .oc itll! . I l . n eo exi. ", plu. ieu rs. Voir M. BlAG>:>U, The Science S, .di.. Neoder (1999); M. BlO;'OlI . SciellCe in -'"x ir". (2004), e. r..... çai .. "'pt"' "Unt d.. k ole. de !""'.te d iff&'l U"', D. Vl""'" LA locioloSie d" (199S) ; M. CUo
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es t sage de postu ler qu' elle a touj ours échoué, y c ompris dans les autr es domaine s qu ' elle pr étendait av oir si brillamment « expliqués JO . Si l' on n e peut e étendre JO à la science les explications sociales , c'e st qu ' elles ne se sont jamais ap pliq uées non plus aux autres domaines. Si la sociologie entend ému ler quelqu e peu le statut de science - un obj ectif auquel nou s souscrivons - , elle doit affronter ce t obstac le avec détermination. Pour bien montrer que ce t argument n' e st pas un paradoxe c re ux, il m e fa ut dire pourquoi nou s avon s d û a band onn er la position de no s a mis - bi en évidemment !IllIls sacri fier l'amitié et l' étroite collaboration qui nous liaient ! En fait, le développement de la sociolog ie de s sciences a abouti à quatre conclusions - je me permets d'ignorer la c inquième, dont l'existence est d' aill eurs douteu s e, sel on laqu ell e la science se ra it un e " fiction sociale pareill e à toutes l es a ut res fiction s sociales JO , puisq u'ell e ne porte a ucun int érêt à l'élaboration d 'une science soc ia le et n' a de toute faço n pas la moindre idée de ce qu' est une fiction " . La première position est tout à fait prévisible: la sociologie des sc iences devait échouer p uisqu' on ne peut fOWTIir aucune explication sociale d e la science cbjective ; les faits et les théories sent trop obstinés, trop techniqu es, trop réels, trop intemporels et trop é loignés de s intérêts socia ux et hum ain s. Tenter de fournir une explication sociolog ique de la science est une contrad c üœ dans les termes pui sq ue, par définition, ce qui est scientifique est ce qui a échappé aux corsrainres étroites de " la société JO - ce par quoi o n e ntend d' habitud e les id éolo gies, les passions pol itiq ues, le s humeu rs subjective s, et a utres facteurs de m ême farine. L'cbjectiv ité scientifique, d'ap rès cette position, restera toujours le roc sur lequ el toutes le s a mb it ions de la s oc iolog ie so nt vou é e s à s' éch ouer, la p ierre d'achoppement qui n' en finira jamais d' humi lier sa fierté. T elle est la principale réac tion chez la plupart des philosoph es, d es épistémolog ues et, étrang ement, ch ez la majorit é d es sociologues : il peut y avoir une sociologie du savoi r, d es 14. J·.i 50"""" vu COl ~ .",uuûon. moi. je n·.i jllmois lu '1"" Q"" ce .oit 'l"i iii' oxp.~ ci~me", fOlmul~ "'" .II'''''"'~ QI . . •• pas empkh
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QualrièlM . oun;e d 'illCerlirudi' : M ' [WI' indi"ewables aw faits di,'pwés
pseudo-sciences, de la c royance, des aspects supe rficiels de la sc ience - d'après le clic hé .. les sc ientifiques sont aussi des humain s " - mai ~ pis des aspects cognitifs, objectifs et éternels des résultats irréfutables de la science ' $. Exeunt les sociologues. Mo ins extrême, la deuxième conclus io n peu t se formuler ainsi : si elle veut réus sir et établir sa respectabilité, la socio logie devrait s' e n tenir aux éléments que la pos ition précédente juge avec raison supe rficiels. Ainsi, la sociologie des sc iences devrait se limiter aux trajectoire; professionnelles, a ux instituti on s, à l ' éthique , à la vulg ari sation a uprès du pu blic, a ux s ystèmes de réc ompense, aux déb at s juridiques, e tc. Elle ne dev rait propo ser d'établir « certaines relat ions » entre certa ins fac te urs .. cog nitifs " e t ce r taines dimensions .. sociales ,. qu'avec la plu s grande prudence, et sans trop y insister. Tell e es t la position propre à la sociologie des scientifiq ues (par opposition avec la soc iolo gie des scie nces) q u'ont pu proposer, pa r exemple, Robert K. Merton, puis Pierre Bourdieu ' 6 . La troi sième co nclusion est celle à laquelle parviennent la plupart de nos collègues de la soc iologie des sciences : à leurs yeux, les soc iologues qui s' e n tiennent à la position précédente so nt beauco up trop timorés, Quant à ce ux q ui o nt prédit avec délec tati on l ' échec d e tout e ex plicatio n scientifiqu e de la science, ils ont embra ssé une forme d' ob scu ranti sme, n' ayant d ' aill eurs j am ai s pu produi re une seule rais on valide pour laqu elle la science elle- même ne saurait ê tre é tudiée scientifiquement !J . Pour les c hercheurs appartenant au courant .. SSK " e t, plu s généralement, .. STS ", les aspects cognitifs et techniques de la science, dam l'ensemble, se prêtent parfaitement à un trai te me nt sociolog ique . C el a dem and e de l'imaginati on , un e certaine capacité d'adaptation et de la prudence, mais les outils du métier sont suffisamme nt adéquats - même si des questions l~ . OD l'''ul <m o"", 1. veniOD 1. p.o. i"em ~ e'" de ce'" l""ilioDP" dé lioo< ",ieoe.. ill""", co'"' di ";""OOo. q P . Boou n.l,f, Scit na dl! b scie,.,e" Tlflex;"';" (2001). 17, D. Bux., Soc "'''gie dl! la " giq... ( 1982) , H.M. et T. PlNŒ, P""",.
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délicates de réflexivité et de réalisme peuvent donner le vertige e t des maux de cœur à cer tains li . C'est cette posi tion qui es t dev enue , à juste titre, le sens comm un des sociolog ues des sciences. Quant à nou s, nous avons tiré une quatrième conclus ton. totalement différente, de la même expérience - ou plutôt, di son s que le " nou s JO que j ' emploie dans cet ouvrage se compose de ceux qui ont tiré les conséquences suivantes" : - une sociologie rigoureuse de la science est parfaitement pos sible -contre les philosophes des sciences et e n accord avec l' en semble de nos collèg ues qui se reconnaissent dan s la sociologie des sciences : - une telle sociolog ie ne sa urai t se limite r au conte xte supe rficiel et soc ial de la science - contre ceux qui entendent limiter les a mbitions de leur disciplin e à l' étude des scientifiques et q ui se détournent volontairem ent des contenus techniques et cognitifs: - la pratique scientifique est trop « dure » pour se lai sser aborder par la théorie sociale ordinaire : il faut donc e n élaborer une nouvelle, qui soit au ssi capable d'apporte r un éclairage nouveau a ux s ujets « mous JO - contre nos collègues de la sociolo gie des sciences qui c hoisissent d'ignorer la menace que leurs propre s travaux funt peser sur leur discipline d'origine 20. Je ne prétends pas qu 'il s'agisse de la seule conclusion, néce ssaire e t iné vitable, à l'a venture e xcitante de la soc iologie des sc ie nces ; j e di s se ule me nt que , p our devenir un tenant de l'acteur-réseau, il faut tran sformer l'impossibilité de fournir une explication convaincante des fait s scientifiq ues e n la preuve, non pas que la sociolog ie des sciences était destinée à échouer, mai s : TM V~ry lM. (19 !l8J. Woolg_ . · ...
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qu e c' e s t l' ensembl e de s th é orie s d e la soci ét é qu ' il fa u t reprendre l'. Dans la me sure où il n' y a pas d'expérience décisive ni e n physiqu e ni e n scciclogie.je ne peux démontrer qu' il s'ag it d e la se ule façon de proc éd er, mai s je peux toutefoi s a ffir mer qu' en thant profit de cet échec - aucune exp licatio n sociale de la sc ience n ' e st possible - il d evi en t po ssible d ' ouvri r un e nou vell e perspective : le social n' a jamais rien ex pliqué puisque c'es t lui qu ' il s'agit d'exp liquer . Autrement dit, c'es t la n otion m êm e d'explication sociale q ui e st e n cause. Ainsi , q uand nes collè gues pré lèrenl a ffirmer e L'explication sociale d e la science a écho ué pa rce qu' ell e est co n tra d tctoire » - p o sition un e t deux - ou « Puisqu ' elle a si bien marché aille urs, co ntinuons à travailler c omme à l' accoutumée ,. - position trois - , la soc iologi e de l' acteur -réseau prop ose une tout autre leç oni« Ce t échec complet constitue une occasion form idable, puisqu 'il va peut-être permettre d e rem ettre la théorie sociale sur ses p ieds . ,. D e m êm e qu e le s pères de l' É gli se vo yaient d an s le péché d 'Adam ce tte fclix culpa qui ava it mené à la Réd emption. j'ose dire que l'échec des e xplications soc iales de la science représente une c hance sans précéden t po ur la théorie soc iale... Si je n e peux pas p rouver cette int erprétati on e xtrê me de J'expérience qu e nous avons menée, elle n' est pas frivole po ur autant, co nune si nou s av ions simp lement voulu « épater le bo urgeoi s » . Il existe, en effet, une excellente rai son pour laquelle le cas de la science devait faire éc houer si totalement la thé ori e sociale : c 'es t e n fait la première foi s qu e d es socio log ues ét udiaient v raiment vers le haut. Ju squ 'à ce q u'on se mette à scruter att entivement le s labora toi re s, le s di spo sitifs technique s et le s orga nisations de marché s, on se co ntenta it de prendre po ur argent comptant l'existence de s trois Grâces du modernisme : l' Objec tivité, l' E fficaci té e t la Profitabilité. Les sociologues avaient pris la mauvaise habitude de n' étudier qu e les pratiqu es q ui difJéraient de ces positions par d éfaut : c ' e st d e la seule irrati onalit é qu 'il convenait d e rendre 21. Cr "",'d'onh I""'rnl' f>cil<m<'" " ou. di.I"'''''' do lire bim do. ouvrage' Qui se ' ''.!l'JO 000. la b ""';he ANT, d .. . la me""" où e«'" "'éorie d OL! 06lioée b e l>:>...... el ""...fORllOSe eo« métlodolop'e ~ p:>lyvale,,'" el """·"'moi...."",ep:ible d'~lre « ''l'p. ~ QuOe • t . ·impolte Quel domain e .... . Qo' elle -'Obi" e 1lOC000e modi ficalio n (voi, l' io"',· lude p. lliS). A r l m ..e . ncmbre de tnInux d'hi"oire d .. ",ione... " d ... ted.li",.. I""'mU"" '" ",,,,,ndique, de la !IOCiolop'e de 1·IICteUl·....... .
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C""'nIelll dlplayer les CIJII lroW'rses.lW' le monde social
co mp te . À la différence de la déviation, le droit c he min de la rai s on n ' a besoin d 'aucune e xplic ation soc iale." . Comme la rationalité elle-même n ' était ja mais pri se pour objet, o n n' avait jamais cherché à vérifier si une ex plication sociale de qua q ue ce so it tenait debout ou non . Même lœsqu'H s'agissait d' étudier d e s magnat s de l'industrie, de s art istes gén ia ux, de s stan d e c inéma, de s c h a mp ions de box e o u d es h omme s d'État, o n pou vait toujou rs stigmatiser les informateurs des sociologues, e n d épit d e leur stat ut so uve nt s u péri eu r, e n a ffi rma nt qu 'ils manquai ent de ratio nalité, d'ccjectivit é. d e réflexivité, d e scientifi cité, ou, tout simplement, de titres universitaire s... Ainsi, et malgré leurs dénégation s, le s soc iolog ues avaient toujours porté leur regard vers le bas, pui squ e le pou voir de la science restait de leur côté e t n' était pas lui-même so umis à l'examen. La religion, la c ulture populaire, les myth es, les march és, le s entrepri ses - et mêm e les œuvres d 'art - n' apparai ssai ent jamais a uss i forts que la science du social, qui ava it pour vocatio n de re mplacer toute s ces choses molle s par le m atéri au dur de s agréga ts soc ia ux cac hés, leur p ou voir, leur struct ure et leur inertie . Le s e ng re nages d e l'explanans a vai ent touj ours é té forgés dan s un acier plus d ur que ceux d e l'explanandum : pas étonnant qu'Il s moulinai ent si facilement d e s preu ves et qu'il s produisaient des donnée s sans trop d ' effcrt ... Jamai s par exemple le s âmes relig ieuses n' ont crié leur colère lorsqu ' en les " expliquait soc ialement JO . Qui les aurait écoutées de toute faço n? Au mieux, on aurait vu dans leurs sanglots une preuve supplémentai re de ce q u'elles ne supportaie nt pas d e voir leu rs illusio ns et leurs archaïs mes exposés par la lumi ère froide de s faits sociaux « durs » . Et on a ura it dit la même chose si le s homme s po litiques, le s pauvres, le s ouvriers, le s fermiers et le s art is tes s'étaie nt plaints d'ërre « replacés dans un con te xte soc ial JO . Et qui aurait prêté l'oreille à trois sièc les d' objections ég renés pif ces adorateurs venus des T ropiques qu ' on acc usait si
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22. C es! I ~ 1. """tribUÛOD œ. priŒi"" de . ym!trie de Dovid BIoor. Qui de roml"" ovec l"illfil... ce plUÙY"""'" d·u,," !!OCiD",;;e du >aVoir ~mill! ~ l"inmOlll oli""". Il.
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QualrièlM ' oun:e d'illCtrliludi' : di'S [wu indi.ewables au< [aiu di,'pulés
lé gèrement de fétichisme ? Peut-être tou s ces" e xpliqués JO ont-ils hau ssé le s épaules en grommel ant, mais e n tout cas ils ne se so nt jamais retournés contre les sociologues. Qui a urait donc so ngé à vérifier l' efficacit é d es ex plications sociales ? Certainement pa s le s sociolog ues critique s, notamment parce que leurs « explications » portaient toujours sur de s préoccupations qu'ils tr ou vai ent supe rflues e t que de toute façon ils ne partageaient pas - Si bien que non seulement l'explication sociale ne renc ontrait jamai s de contre-exemple, mai s son acide n'avait aucune diffi culté à diss oudre a ussi le s q uest ions q ue le s sociologues n' avai ent au cune ra ison d e prot éger, puisqu'ils s'effo rça ient, dans leur visée d' émancipation presqu e prophétiqu e, d'aider le s gens à s'en libérer - e t c'étaient justemenr la religion, la magie, la c ulture populaire, la politique ! Qu el é vénement aurait pu le s tirer de leur somme t dogmatique ? Et si c'était le ronronnement discret d e l'air conditio nné des laboratoi res ? On me pardonnera peut -être cette envolée lyrique : à me s yeu x, c 'était là le point d' Archimède dont la théorie sociale avait besoin ! L' activité scientifique co nstitue un défi totalement différent de tous le s précédents, e t c'es t pour cela que n ous avons commeœ é par là - mêm e si, pour des rairon s d ' ordre pédagogiqu e , j e ne la fai s figurer ici qu ' en qu atrième position . Le p roblème, c'est qu e le s sociolog ues ne sont pa s seu lemen t attaché s à la science, c'est aus si le seul bien qu'Illeur reste après le c ruel désenchantement que le modernisme a fait subir à tous les vieux idéaux. En plus de l'objec tivité. de l' un iversalité e t de la scientificité, il ne reste pas grand -chose à qua ils pourraient se raccroc her. Leur seul e spoir, c'est d e devenir d ' authentiqu es scientifiques. Or tout change avec la sociolog ie de s scie nces : le s sociolog ues doiv ent d orénav ant é tud ier vers le hau t quelque c hose qui se ré vèle bien plus dur e t p lus fo rt qu' eux . Pour la première fois, l'explanandum rés iste e t se met à é mousser le s e ngrenages de ï'explanans. Autre avantage im prévu : ceux qu ' on étudie, le s c hercheurs scienti fiq ues, font e ntendre leu rs protestations haut et fort - et, cette foi s-ci, elles ne v iennent pa s de Bali, de s ghett o s, de s stud ios télévi sés, de s co nseils d' entreprise ou de s assemblées politiques, mais de s fac ultés voisines dans le s même s uni versités, de la part de collègues qu e l'on renc ontre dan s les même s j u rys, le s mêm es co mités et qui décident des mêmes subvention s...
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L e m oment es t d onc final ement ven u de men er dans le s sciences soc iales une e xpérience qui n' avait jamais été tentée auparavant : q uelle preuve avons- nees d e la valid ité d 'une explication sociale al quand nou s étud ions un objet qui nou s dom ine; b) quand le s réactions de ceux que nou s étudions ne peuvent plus être ignorée s ; c) quand leur « capita l social» est infiniment plus important que celui des e nquêteurs; d) quand les objets arxqu els il s'agit de subs tituer une « force soc iale JO so nt de toute évidence plu , forts, plu, variés , plu, durables q ue cette puissance soc iale s upposée le s ex pl iq ue r; el q ua nd ce ux qui m ènen t l'enq uête a ussi bien que ceux qui en so nt l' obj et tiennent les vérités dont il faut rendre compte pour le seul bien pour lequel il vaut la peine de se bsnre ? Après deux siècles au cours desquels on s'était trop fac ilement acquitté de la tâche d' expliquer le comporte ment et les croyance, d e fermiers, de pauvre" de fétichistes de fanati qu es , d e prêt re s, d ' avo cat s et d 'homme s d ' a ffaire s dont la colère é ta it rareme nt e nte nd ue, et à fo urn ir de s ex p licat ions qu ' on n e pou vait j amai s exam iner à la lumi ère de ce qui éta it e xpliq ué, n ous all ions finalement voir si oui ou non le soc ial po uvait exp liquer qu oi que ce soit d'autre. L es c himis tes, les ingéni eurs d u spatial, les physiciens o nt l' habitude de voir leu rs Iaboratores ex ploser, mai s il a fallu attendre longtemps avant d e pouvoir mener dan s le bureau d 'un socio logue une expérience assez risq uée pour avo ir une chance d 'échouer ! Et, cette fois, ce fut l'explos ion. Aprè s une semaine dans le laboratoire de Roger Guillemin il y a tren te ans, je me so uviens à quel point la concl usion s' imposait à moi: le social ne sac rait remplacer le plu, petit poly peptide. le cai llou le pus infime, l' él ectron le pl us ino ffens if, le babouin le plus domestiqu é. L e s objets de la sc ience peuvent ex pliquer le soc ial, j ama is l'Inverse. Aucune expérience n ' était plu s frap pante que celle à laqu ell e j'assistais de mes p ropre s yeux : l'explication sociale s'était év aporée . Je ne di, pas q ue cette ex périence doit être réservée à la soc iolo gie d es sciences : bien d' autres b ranc hes des sciences soc iales on t fa it le même effort, en particulier le s études de ge nre, le s queer studies, une pa rtie de s cultural studies, e t le gros d e J'anthropologie. Mai s es t-il vraiment malhonnête de dir e que ces tr a vaux ri squ ai ent d e re ster périphériqu e s, mar gin aux e t exot iques a ussi lon gtemps q u'on pouvait toujou rs leur opposer l'objec tiv ité scient ifiq ue, q u i, elle, était censée échapper à ce 142
Qwmièlllt'! sourr:e d 'illCerlirudi> : dl's [WI' indi.'CUlabl...
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genre de traitement ? Le service rendu par la soc iologie de s scie nces aux branches voisines des sciences sociales me paraît être d e les avoir allégées de cet étalonnage qui rendait ces disclpllnes, par comparaison, sinon marginales du mans tout simplement « spéciales ». Aprè s la sociologie de s scie nc es, c ' es t c haq ue science soda le qui peut prendre pour objet un objet d'étude situé dorénavant au-dessus d' elle 11.
Se passe r d e toute e xpfiea tkm so d a le Toute la difficulté était de comprendre la port ée de cette expérience e t cel a prit du temps . Par lui-même, le mécontentement de cert ains scie ntifiques con tre la sociologie des sciences ne suffit pas à lui donner un sens. Autant que j'en puisse juger, ils ont souve nt conclu de nos recherches qu'il ne fallait pas laisser les doigt s des so ci o log ues maculer la bl a ncheur de leur sclence " ... mai s les conclusions qu'ils ont tirée s des interactions avec nou s, c'est leur affaire : s' ils n'ont pas su en tirer parti, tant pi s pour e ux : étudier vers le taus n'a jamais voulu dire se soumettre au programme de ceux que l' on examine. Cela ne nou s a pas e mpêc hés, nous, de tirer de leur réaction indignée une leçon capitale : ils ont cru que nou s passions, en tentant d'expliquer leur travail, à côté de l' essentiel. C'était peut-être injuste à notre é g ar d mai s peu importe , c ar leur réac tion sig na la it que , lorsqu'une e xp lic ation sociale est fourni e, quelque chose d e louc he est probablement toujours en train d e se passer. Au lieu d'associer deux e ntités l'une avec l'autre, nous risquons de substituer l'une à l'autre: la recherche nécessaire de la causalité se mue, du mo ins aux yeux de ceux que l'explication ind igne, en une entreprise toute différente, dangereusement proche de la prestidigitation.
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Com ment ce tour de passe-passe se produit-il ? Il survie nt lorsqu 'une série d' expressions comple xes, uniqu e, spécifique, variée, multiple et ori ginal e se trouve remplacée par un terme sim ple , ba nal, homog èn e et polyvalent so us prétexte qu e le second « expliquerait » le premier. Ainsi, lorsque vous essayez de rapporter la révolution médicale introduite par Loui s Pasteur à un petit e nsemble de termes résumant le Second Empire ; ou lorsque vous vous efforcez de rendre compte de la Chambre à Arles de Van Gogh à l' aide d'un pet it nombre d'expressions à tout faire empruntées à la sociologie de l'art. Ce qui comme nce comm e la recherche class ique et total ement respectab le d'une e xplicat ion finit par substitue r Te xplanans à ïexplanandum. Tandis que les autres sciences ne cessent d'aj outer des causes aux phénomènes, la soc iologie est peut-être la se ule discipline dont les " causes" peuvent avoir l' étrange effet de fai re disparaltre les phéno mènes q u'elles sont ce nsées expliq uer! Telle est la leçon que j'ai cho isi de tire r des « guerre s des sciences » : les scientifiques nous ont fait prendre conscience du fait qu'il n' y avait pas la moindre ch ance pour que le type de forces soc iales que nous utilisions jusque-là comme des causes puissent avoir pour effets les r ésultats objectifs qu e nous c he rchions à expüq uer " . Non se ule ment parce q ue nous a urions manqu é de re spect aux chercheurs - auquel cas nou s aurions pu igno re r leurs prétentions, voi re m ett re un po int d'h onneu r à déboulonner leurs prétentions 26 _ mai s parce qu ' il n' existe aucune continuité e ntre les causalités que nou s mettions e n avant et les objets q u'elles devaient engendrer. Mai s l'essentiel n' était pas là : grâce a ux réact io ns des sci e ntifiques , q ue nou s n e 25. J'ompl"i e l" oxpre",im « l U"'''' de••d eoco. ~ 1"''"' dé, il " " ' ",,'e 1. gammo de r /:oclia u avec l ~""l l< . l<• • d _if",,,,,. <0. tIOcueiUi 10. h ude. gio de. toiotlOo. 0' le. opi talo• .....-. "'''lue), le. pub tic .. tim. de. « l ue, no " sciolltifiq"". ~ "n' oomo li",. Jo .., loi. '1"0 C"","",D",' CO '1"0 j"l:onv oh dm . Ln vi< th bboralOiu oa 1979 m ohjo cnnfo.", QUOl ' u..,!;o du ,it", « c m . ""rom soci. l< ~ I"' uvoit ind ui", on "'''''"' de. locto,",. PO" O!lolltif. ~ CO Que jo me'''; . alti... "'.lH O""1Il _10 !IOCial a' 2. 26. C'ost co 'l''i • ",ndu 1. cn~ 'I"0 .i di ng' ''''''''' u """'in de démystifie, dc""... la meiU",,,, h i"" """d 'u llly"" de '" protOr:"- or de ne P'"' avoir ~ OMolldro le. cri . do p'ote'lO tioo de coux '1" 'il in'erpr~1r ~ cmlresclW , " ' ''' OD sc .... p.'" d. n. 10 ' 010 de l 'ie""""l.." COUl'lleux , ",ul ~ « peleO, • los my.~'''' """Iueh le. ~n. a dinaiJ", "'.. nain ... ",,' a'''c!J ~ •. Su.- cotte ...tlu"p<>~'8ie d o l'ioon
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pouvions ignorer dans la mesure où ils s'enaquaiers à des faits autrement plus « durs » que les nôtres e t occ upaien t des postes unive rsitaires dan gereusement p roch es de ceux q ue nous occ upions, nou s avons progre ssivement réalisé - dan s la mesure où n ous y ënons dispos és - que cette substitution habi le avait pu se p roduire d e façon inobservée dan s tous les a utres do mai nes d es sciences sociales, y compris lo rsque nou s étudiions vers le bas et non vers le haut. Si tel éta it le cas, ce n ' était plus seulement la sc ience mai s la théorie sociale dans son entie r qu i av ai t toujou rs prétendu invoqu er des forces sociales moins solides qu e le s objets dont il fa lla it rendre com pte - fétiches, cro yances, relig ions, cu ltures, arts, droit, marché s. Même lorsqu e auc un acteur ne protestait violemmen t et qu'aucune alarme ne reten tissait, c ' e st de façon fraud uleuse que la mét hode scie ntifiq ue des socio logues semblait vo ler « de succès en succès » à la satisfaction générale. La soc iologie de l'ac teur-réseau n e postule pas que dans tous les a utres dœnaines les sciences sociales savent ce qu' ell es font et que seul le domaine des sciences et de s techn iques requ iert une stra tégie partic ulière parce qu' il serait d'un plus grand poids et d'un abord plus difficile. Ell e affirme au contraire que, pu isqu e les expl ications sociales d e la science o nt échoué si lamentabl ement, e lles ont d û échouer partout a ille urs, la science n ' étant « spéciale » que dans la me sure où ses pratic iens n' ont pas laissé les sociologues traverser leu rs pl ate s-bandes e t détruire leu rs objets à coups d ' « ex plications sociales ,. sans fai re entend re haut et fort leur mécontentement. En fait, nou s nou s en apercevons rétrospectivement, ailleurs aussi, bien sûr, les " informateurs ,. on t touj ours résisté, mais d'une manière que leur statut in féri eur rendait moins criante. Ou bien, lorsqu e cette résistance n e pa ssait pa s inob servée, le théoricien crit ique se co nte ntait d' ajouter la fureur des «expliqués " à ses données e t d' en faire une pr eu ve s up plémen taire du fait que les " acte urs n aï fs ,. s'accrochent à leurs petites illusion s, y compris lorsqu 'ils sont mi s en face des réfutations le s plus évide ntes . Ce n' e st donc pa s qu e les scientifiques so n t plus réca lcitrants que d ' autres: la sociologie des sciences n ous a simplement fait décou vrir qu' il a urait d û e n a ller ai nsi pa rtout , q u' il s'agisse d es sciences
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sociales ou des sciences naturelles 17. Comme nou s le verrons plus loin, notre travail de sociologues consiste à générer des faits obstinés et récalcitrants, ainsi que des objecteurs passionnés qui résistent aux explications sociales. En fait, la bonne sociologie a toujours su qu'elle étudiait vers le haut 18 • Une telle prise de conscience permettrait-elle enfin de faire marcher la scien ce s oc ia le sur « la voie sû re d 'une science » , pour reprendre l'expression de Kant ? Cela reste à voir. À ce stade, il est clair que la pratique savante fait partie du prool ème , en même temps qu'elle livre une partie de la solution. Aucun e science sociale n'est désormais possible, d'après moi, si elle ne s'appuie pas sur une sociologie de la science assez assurée pour savoir e xtra ire le poison de l' explication sociale - c e qui passe pour de l'" épistémologie des sciences sociales » n'étant trop souvent que l'accumulation de tous les défauts del 'épistémologie d de la sociologie combinés. Pour que cet argument soit fécond , et non pa s une façon d'illustrer comment un excès de réflexivité viendrait scier la branche sur laquelle la sociologie des science s serait assise, un peu plus de travail est nécessaire. Si nous souhaitons continuer nos pérégrina/ions, il nou s faut pleinement assimiler la découverte - j e ne vois aucune raison de m'abstenir de ce terme grandiose - qu'on ne doit pas confondre l'explication d'un fait social avec le remplacement de ce fait parune matière elle-même sociale. Toute la difficulté tient à la notion de « substitution " . Je suis parfaitement cœscient du fait que même le plus positiviste des sociologues du social objectera bien évidemment qu 'en donnant , par exemple, une explication sociale de la ferveur religieuse, il n'a jamais « vraiment voulu » remp lacer littéralement les statues, l'encens, les larmes, les prières et les pèlerinages par un 27. Je a·. uroi. j. m. i••u nogoçier ce p....ge .. ", 1. SU""" .. . L 'invenli"" Jes .cience. JW!dernes ( I99 J) . Poor 011 e ""; d· intelJUt otion de . 011 n;' OII n e m e n ~ cfB. LArou• • « How to T.1k . I>:>ot the Body ~ ~ (2004). 2 8. C." ~ l"i.. uitiOll déci"". qo·"'t d ·.mbIo. Harold G.-fin el. Et il , ·.pt de l"di· tude co""c ~ poot ~"Ioe .,... 1", . un . sociolOJoe•. dan. 10 me. ote oil il est ra.. qu."" _ ob...-v... or",i.", mlill~oi.-i.. ..,~ .. théo ri. 1IOCIi 1.le. C ·. >! ce qui h it d. l"fuq ui..... J ·one lhiarie Je '" prlJl i q.. de Pie"" Bourdieo "" O
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" matériau " tel qu e la "c ohé sion soc iale ", qui se c ache rait " derrière . les volutes de fumée. Il affirmera que les soc iologu e, ne so nt pa, , i bête, el que ce qu 'il a" réellement voulu dire », c'e st q u'il dcit exister, " d errière . les divers es expérie nce, relig ieuse" une force plus puissante et plus profond e que l' on peut ass igner à la « société » et qui explique pourquoi la ferveur religieu se persiste " malgré le fait. que les e ntités mobilisées à travers les prière s (les dieux e t le s divinités ) n' ont pas d ' « existence réelle • . Dan s la mesure o ù, pour p-endre un autre exemple, tes objet, de l'art n' ont pas de propri été> intrins èq ue" le , pa ssion> auxque lles il> donnent lieu doivent bien provenir d'une a utre so urce qui permettra de ren dre compte de l'intérêt durabl e des ge ns pour les chefs-d' œuvre. Ainsi, le s sociologues ne « veu len t pa~ vra imen t dire " qu 'il est p ossibl e de rendr e visibl e une force sociale q ui « prendrait la place . des di eux el d es divinit és o u q ui v iendrait ~' « ajouter. aux œuvres d' art , mai s seu lement que cette force est ce qui leur co nfère une existence durable en l'absence de ce qui apparaît aux acteurs trop naïf, comme la c hair solide et substantielle de leurs di vinités ou de leurs c hefs-d' œuvre. Obs ervon s q ue, co ntrairement à ce qui se produit d 'habitude dan, le, sc iences naturell e" le tra vail d ' expli cati on ne co mmerce qu 'ap rè s avo ir introduit une profonde 5U5picion quant à l' existence même des objets don t il s'agit de rendre compte. Les théorici ens critiques aj outeraient qu'une tell e révélation au sujet des en tités soc iales serait insupportable, dans la mesure où elle détruirait pour d e bon l'illusion néces saire q ui permet à la soc iété d e maintenir so n « voile d e fausse conscience • . Si bien qu' à le s écou ter, le s force s soc iales jouen t un rô le bi en co mp lexe : e lles sont à la fo is ce qu 'il faut postuler po ur exp liquer tout le reste et ce qui doit, pour maintes raisons, rester invisible, tout à fait c omme l'éther de I'anc ieme physique, qui devait ê tre à la fois in finim ent rig ide et infinim ent élastiq ue . Rien d ' étonnant à cela : comme l' éth er d es phy sicien " le social de s sociologues est un artefact ca usé par le même manque de re lativité dans la description. Le passage est d'un abord délicat. Dès que l'on commence à poser d es qu esti ons naïve s su r le po ids qu' on doit vraimen t donn er à une explication sociale, o n nou s dit d e n e pas prendre a u sens " littéral . l' exi stence de forces sociales, puisque a ucun
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C<>m melll dtptayer les CIJII lrowrse<.lW le ,",,/Ide social
sociologue raisonnable n'a jamais prétendu qu'il pouvait substituer la société aux objets qu'il a pour mission d'expliquer . Les sociologues diraient plus volontiers q u'Ils s'efforce nt d' expliqu er des phénomènes peu familiers pif des causes familières ou , comme dans ces sciences naturelles qui leur tiennent tant à cœur, des phénomènes familiers par des causes peu familière s. Soit, mais la difficulté vient du double sens du terme " soc ial " , que nous avons déjà indiqué : derri ère l' affirmation é pistémologique in offen siv e ex pl iq uan t qu 'il fa ut dénicher les ex plications social es se tient l ' affirmation o ntologiq ue selo n laquelle ces ca uses doivent mobiliser de s î otc ev f aites de matériau soc ial. Pour des ra isons qui seront éclairc ies dan s la seconde partie de cet ouvrage, e xpliquer n' e st pas un mystéri eux tour de force cognitif, mai s une entreprise très pratique de cons truc tio n de mond es qui consiste à con necter des e ntités entre elles, a utrement dit tracer un réseau. C' est pourquoi notre discipline ne peut partager la philosophie ordinaire de la ca usalité en vigueur dans les sciences sociales : pour nou s, à chaq ue foi s que 1'00 affirme qu'un élé ment A est reli é à un élément B, on assiste à la genèse du soc ial lui-même. Si la mis e en cause que je fais des explication s sociales peut sembler inju ste, aveugle et obsessionnellement littéral e, c'est parce qu e j e ne veux surtout pas confondre l' assemblage du collectif avec un simple passage en rev ue des e ntités déj à assemblées o u avec un fai sceau de liens sociaux homogènes. Il est dore essentiel de détecter aussitôt que possibl e le moindre ri sque de tour de passe -p asse dans la façon de composer le collectif. M'accusera-t-on d'injustice si je di s q ue la plupart des explicaions sociales, a ux mains de nos cootempora ins, sont devenues de pieu ses et cre uses répétitions? Qu'il est beaucoup plus va in d' en appe ler à l'arrière-moode de la société qu'à la promesse d'une vie dans l' au-delà? Si l'on me trouve inju ste, qu' on m' explique alors pour de bon ce q ue font les sociologues lorsqu'ils di sent qu 'une force sociale se ti ent « derri ère les a pparences illu soi res " et const it ue la « chose même » doot sc. lI « réellement » faits les dieux, le s arts, les loi s, le s m arch és, la p sych ologi e e t le s cro ya nces , bien qu ' elles ne « remplace nt p as réell ement " ces phénomènes ? Qu ' on m' expliqu e ce que c'es t que cette e ntité qui occ upe le premi er rôle tout e n ne taisant rien ? De quelle sorte d'absence/ présence s'agit-il là ? Cela m e semble plu s myst éri eux e ncore
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Quatrième . oun;e d 'illCertirudi' : M' [WIS indi.ewables aw [ailS di,'pwés
que le dogme de la Sainte Trinité, et je ne suis pes plu s rassur é lorsqu e c'es t ce mystère-là qui es t censé e xpliquer la religion, le droit , l'art, la politiq ue, I'éccoomie, les e mpires, b ref tout ce qui existe - et même la Sainte Trinité ! Je ne c rois pa, qu' on n'ait le droit, devant ces difficulté s, de s ' abriter derrière l'idée que la socio lo gie n ' est pas la philo sophie, qu e le s thé orie s so n t oiseuses, les bons soc iologues ayara d'autre s c hats à foue tter que de couper le s c heveux e n quatre, trop absorbés qu' ils son t par de s que stions empiriq ues ou par le s tâches, autrement pressante s, de l' émancipation . Si la sociologie doit se rabattre sur des positions anti-intellectuelles dè s que les choses se corsent, pourquoi devrait-elle se cons idérer comme une science? C'es t arrivés à ce point qu' il nous faut c hoisir de prendre les c hoses au pied de la lettre, de n ous montrer naïfs e t myopes. Re fuser d e n e comprend re qu ' à moitié est pa rfois une vert u. Après tout, le s pbyslcle ns ne se sont d ébarrassés de l' éther q ue lorsque l'un d' entre e ux se montra a ssez borné pour demander co mment la petite aiguille d'une horloge pouvait bien se " superposer " à la grande : il avait c hoisi, à la différence de tous le s autres, de ne pas le savoir H . Sans vouloir manquer de re spect. je propose d e faire la mêm e chose à propos d e ce grand my stère d e l' éther social. Tout le mond e semble savoir ce qu e signi fie " relier» la religion à la société, le droit à la société, l' a rt à la société, le marché à la société ; tout le monde trouve évide nt de comp re ndre qu 'une c hose puisse ê tre à la to is « derri ère » quelqu e chose d'autre qu'elle e renforce ,., tou t en re stant e invisible » et e d éni é » : eh bien, moi pas ! Mo n e sprit volontai rement étroit me suggère q ue si l'on dit qu 'un élément social A " cause » l' exi stence de B, C et D , alors non seulement il doit être capable de reproduire B, C et D , mai s il doit aussi rendre comp te des différences entre B, C e t D, sauf si l'on peut montrer que B, C et D sont la même c hose, auqu el cas leurs di fféren c e s dev ie nnent négligeable s. Or, si l ' on parcourt le corpus de l'histoire sociale et si l'on prend note du nombre de choIes que " le s mêmes torees sociales » sont censées causer, qu'il s'agisse de l'« émergence de l'État moderne », de 1'« ascension de la petite bourgeoisie » . de la « reproduction de 29. Voo-A. ElNSru N, RLloI/ivU (l19 20) 19 '561 . Puu-..., ...,.. ... m " e en "" mode cotie f
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la domination sociale _, du « pouvoir des lobbi es indu striels », de la « main invisible du marché _ ou des « interactions individu elles _, reco nnaisso ns qu e le rapport pe ut êt re cel ui d'une ca use pour des million s d'effets P . Mai s une ca use est une cause est une cause. Cet acteur pri s pour une cause est-il capable de rendre com pte de s diffé rences qui di stinguent des milli on s d' effets - et, si tel es t le cas, puis-je reproduire les conséquences B, C e t D lors que je c hoisis de prendre A comme une cause ? Ou bien ai -je le d roit de considérer que les petites différence s e ntre ces milli on s d' é vénements so nt négligea bl e s - auquel cas, si j e m 'en tiens à la cause A, j'explique tout ce qui est important, aux perturbations près ? Dans les deux cas, on peut e n effet substituer, à toutes fins utiles, la cause A aux milli ons de consé quences B, Cet D . Mais quand es t-ce le cas ? Avec 1' " ascension de la petite bourgeoisie _, puis-je vraiment saisir ce q ui s' est pas sé en Angl eterre, e n France et e n All emagne e ntre le XY' et le XX' siècle ? Le « feedback a utomatique de la main invi sible » me permet-il vraiment de co mprendre les millions d'interactions économiques qui ont lieu dans le monde ? Armé de la loi de la pes anteur, puis-je vraiment saisir tout ce qui rel ève d es interacti on s e ntre les plan èt es com me du mouvement du pendule de la vi eill e horlo ge de ma mère ? Est-ce qu e la « société » ou le « marché » contiennent in p otentia ce qu 'il s sont cen sés causer ? « Bien sûr qu e non, répo ndra it le chœ ur unanime des soc iolog ues, nous n 'avons j amais fait nôtre une philosophie causale aussi stupide . Mais alo rs, suis-je e n droit de de man der , q uel rôl e précis ass i g nez-vo us a ux " force s sociales" ? _ Bien entendu, j e suis en train d'inventer une expérience qui n' a j amais été menée, dans la mesure où ceux qui é tud ient la société n' ont jamais e u l'i ntention de tester leurs causalités de façon si bru tale . Ils concéderaie nt volontiers que la pesante ur social e n' est pas la pesanteur newtonienne. Pou ssés dan s leurs
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QUd/rihne s"" rr:~ d 'illCl'rlilude : d", faits illdi.<culables aux f aits di.
retranc hements, je c rois qu'ils se défendraient e n disant qu' ils ont voulu imaginer une forme de causalité plus modeste, plus flou e e t plus incertaine: un «certai n type de relations " et de « corrélattors " entre différent s « facteurs " . Mai s o n ne peut pas se permettre d' être flou sur un sujet pareil: quelle est la nature exacte de la relation que l' on imagine entre un fac teur social et un autre phénomène ~ C'es t à ce stade qu'il nous fant rec ourir de nouveau à la di stincti on décisi ve e ntre inte rmédiai res et médiateurs, q ue nous avons abordée plusieurs fois, L' élément B, dont l ' émergence est déclen chée par un fac teur donné , es t- il traité ccm me un médiateur, ou est- il conçu comme l'intermédiaire d'une force re layée par un « facteur » qui la laisserait intacte ~ Nous de vons à nouveau nous montrer très pragmatiques et aussi myo pes que possibl e: nou s ne so mmes pas e n train d' aborder des q uestions épistémologiques grandioses, nous parlons simplement. matériellement de véhicules, de mo uvem ent s, de déplacem ent s et de sys tèmes de tran sport ". Nou s devons rester de véritable s têtes de mule. Si quelque « fac te ur social" est transporté par des intermédi aires, alors tout ce qui importe vraiment se trouve contenu da m' lefa cteur, pas dans les intermédiaires. Il peut s' y substit uer à toutes fins utiles, sam la moindre perte. Si la soc iété ex pliq ue la reli gion, alors la société s uffit. Si la société explique le droit, alors la société s uffit. Si la soc iété explique la science, alors ... À ce s tade, plu s rien ne tient de bout. Pourquoi ~ Parce que dans ce cas, et seulement da ns ce cas, il était d' emblée clair pour les observateurs co m me pour les in format eu r> q ue le s « fact eu rs " ne sa uraient relayer a uc une action à travers un événement réd uit au statut d'intermédiaire. Oui, Einstein a connu une jeunesse turbulente et a dit que sa théorie éta it « révolutionnaire " et « relativis te " , mais cela ne vous conduit pas jusqu ' à son utilisati on des équations de Maxwell, seulement quelque part aux en virons n . Oui , Pasteur était q uelq ue peu réactionnaire et adorait I'tmpérarice Eugénie, mai s cela ne vous mène pas loin
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J l. Cdn,... ~ ""'"011''''' 10 , o.. ill! , 'l"i ..... donC!' oo p:> uiblo, do> ',",0011"'" Q"" l' lM .....• bl.~ o intoml"',ûr du oollooû r ' 00' 1. ro o do 1. ,ocio.. . jo' qg ' ici ..por"o, indOfmimont _ cf. p. H S. 32. Pow \Dl oxemplo d ... iquo do 00110 expli,,",ion, VoD LS. Rlu..... Ein n~in LI 1. conf~/ d.. 8""""'ti= O OOS).
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dam sa bac tériologie, même si ces fac teurs" ne so nt pas sans liens l> avec, par exemple, son rejet de la génération spontan ée ". lorsqu 'ils doivent transporter d es explicerions sociales dans le sa nct uai re d e la sc ience, le s fac teurs o nt la fâc heuse tend anc e à tomb e r e n panne sèc he! N atu re ll em en t, cela a toujours été le cas pour le transport de toute s le s autres ex plications dans le s divers sanct uaires du droit, de la religion, de la tec hnologie, de s marc hés et de s s ubjec tivités . Mais, avant la sociologie des sciences, o n ne s'était pas aperçu de la rapidité avec laquelle tournait l' ai guille d e la j a uge ... Ja mai s cond uite dam; le domaine de la théorie sociale, l'expérience qui co nsiste à clarifier ce qu e reco uvre réellement le terme d ' explication soc iale, nous l' avons menée tous le s jours dans notre petit ch amp de recherc hes, dans tous nos articles sur l' histoire e t la soc iolo gie des scie nce s naturelles . Voilà pou rquoi l' étude des sciences d evrait servir, d ' après moi , de laboratoire pour toute la sociologie : grâce aux tentatives d ' explication socia le de s faits scientifique s durs, nous allons enfin savoir ce qu'Ils ont tous vou lu dire jusqu'id par " soc ial l> . C'est le moment de faire le grand saut : hic Rhodus, hic salta .
T rad uctiu n co ntr e tr ansport Nous voici parvenus sur le véritable lieu de naissance de ce qu' on a ap pelé la " soc iologie de l' acteur-réseau l> ou, plus précisément, la " sociologie de la trad uction l> - une a ppellation qui n ' a malheureusement jamais pri s ni e n a nglais ni e n fra nçais. Comme j e l' ai souligné, cette th éorie est née lorsque nous avons réa lisé q ue qu elque chose d'inhabitu el s 'é ta it p rodui t d an s l' histoire e t la soc iologie de s faits scientifiques : l'explication sociale ne parven ai t pas plus à pa sse r dans le s fai ts qu 'un c hameau par le c has d 'une ai guille. NOlI!\ avons franchi le Rœ lcon, à me s yeux du moi ns, lorsque nou s avons été obligés de considére r tour à tour trois objets qui
J J. g . 1< oU OYI''I''< p....,llll! d.", J. F....lH """W. Sorio108"" J .. COlI"""""<S ..,i 'l'iq , (2lD3) .
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QWl/rième source d 'illCerlirudi> : MS[WI' indi ,,,:wab/...
dispwés
n' étaien t pas clairement sociaux jusque-là (des microb es, des coquilles Saint-Jacques et des massifs de coraux), e t qui pourtant s'obstinaient à occ uper la position étrange d' être cssoci ës a ux formes sociales déjà répertoriées q ue nous nous efforcions d' expliquer l' . De deux choses l'une : ou bien faute de faire partie des membre s bien documentés de la société, ils étaient rejetés hors de la théorie sociale, ou bien ils y é taie nt acc ueill is, mais al ors, dan s ce cas, il fallait modifier profondément le concept mêm e d u .. social " . La soc iologie de l'ac teur-réseau est née, pourrait-on dire, quand il fut décidé de suivre la seconde solution .
QU Hnd 1", cU'l u ill", SH in l -,IHc'l u", de ~' I~ n nent des acteurs il part enne re
Michel Callon décrit dan s son article de t 986, " Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication de s coquil les s ame-r acques e t d es marins- pêc heurs en haie de Saint-Brieuc " (L'Armlf s oc iol og ique, 36, p. 169-2(8), rune de ces disputell écologiques devenues maintenant si fréquentes: la pêche à la coquill e Saint-Jacque s est l'objet de vigoureux connus à la foi s sur la connaissance précise du mode de reproduction de ces coquillages par les océanographes du CNEXO, sur l'exploitallon par les marinspêcheurs de la ressource en voie de disparition, sm l' organisation très c omplexe d 'un marché saisonnier. La tentation était grande à l'époque, en utilisant les ressources disponible s, de considérer que, pour étudier un tel cas, il fallait d 'abord " sojgneusemem distinguer" les " aspects" biologiques, techniques, culturels, économiques e t enfin sociaux de ces controve rses, même si l'enqu ête montrait un enchevêtrement des institutions savantes, des organisations de pscreurs. des dispositifs permettant la formation des prix, ete. Or Callon décide, au contraire, de voir à quoi ressemblerait son terrain a) si l'on tt' attachait aucun privilè se particulier au vocabulaire social - .. principe d 'agnosticisme " - ; h) si l'on s' efforçait d'utiliser les termes qui ser vent à décrire le s humains pour décrire
'14. Voir B. LAt'Ola , ILs micrro.... 8 """ " paix ( 19S4) , l . LAw , « 00 lb: Memod . of Lon,.Di.taDe< CODtrol V....l. Novil"tiOD . nd the Po''''luese Roule ., lndi. » {19 86b ) , et, bieD . a r, l ' m iele de Mich el CallOD . ur 1. . .oquill.. SoiD'.lo. que .. • t::l&r>m.. pour WIe "' cio logie de ID DO&"'OO , (1986), que je n\owne dom r p. 20", ici 1", deln _ IIP"''' ... iv ","" .
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C<>mmelll dép/GY'" les CIJII lro ....rses.lW' le IIIOlIde social
auss i res coquilles et vice vers a - principe de symétrie - , et enfin c) si on laissait les assocïenoes se déployer librement sans les interromp re sous préte xte qu' elles mêl ent des genres d'êtres qui n'auraient pas dU se tn'!langer - « principe de libre assoctatjon ». On dit des pêcheurs qu'ils IlOIlt « attachés » à leur méder, peut-on dire des coqunes qu'el le s « sanecœnr » plus ou moins aux collecteurs que les scennrqces. ins pirés par les méthodes japonaises, ont es.~ayé d'tmplanter ? Inverserrent, peut-on faire migrer les termes utilisés pour désigner des états de la namre afin de définir ïes seratégie
Pour prendre cet exemple devenu rapidement cé lèbre, on peut concevoir qu' il e xiste certaines reùuions entre les pêcheurs, les océanographes, les satellites e t les coquilles Saint-Jacques de la bai e de Saint -Brieuc , ces relations fo nt fa ire a ux a utres des choses inatt endues - c' est la définition d'un médiateur qu e nou s avons déjà renco ntrée à plu sieurs repri ses. Y a-t-il un élément dans ce tte conca té natio n qu e l'on pui sse dé signer com me « social » ? Non. On ne saurait clarifier ni le Ioncnornemenr des satellites, ni les mœurs des coquilles Saint-Jacques e n aj outant quelque chose de social à la description. Le social des sociologues appa rat'! ain si com me ce qu 'il a toujou rs été, à savoir quelque chose de superflu, un arr ière-monde totalement redondant qui n' ajoute rien au monde réel, si ce n' est des questionnements artificiels - tout comme l' éther, avant la théorie de la relativité, permettait aux physici ens de re-décrire la dynamiqu e sans rien lui ajouter sinon des difficultés s upplém entaires. C'est la premi ère étape : le social - au sens n° 1 - a di sparu D'un autre côté, on peut se dem ander s' il exis te un seul élément dan s la chaîne ainsi déployée dont on puisse dire qu'il es t non social, au sens o ü il appartiendrait à un monde distinct de celui de s assoc ia tions , par e xe mple un monde « matériel objectif JO, o u un monde « symbolique subjectif JO, o u e nco re un domaine de " p ures pensées JO . Non , bien évidem me nt. Le s
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QualrihN' s""rr:~ J 'illCl'rlilude : Ji'S ftlits illJi.<cula bll!S aw: f aits Ji.
c oqu ille s Saint-Jac ques font f aire de s c hoses aux pêc heurs, de même que le s file ts immergés e n mer offrent aux c oq uille s une occas ion de s' y attac her, o u q ue l'océanog raphe rassemble le, c o q ui lles Saint- Ja cq ue s et le s pê cheurs e n collecta nt de, données. Le, tro is p remière s incertitude, nous ont appri s que l' étude de toutes ces relations peut se révé ler difficile d 'un point de vue e mpirique, mai s qu' elle n' e st plu s interdite a priori par de s « objections évidentes JO c omme de dire que « le s c hoses ne parlen t pas JO ou q ue e seuls les humain , so nt doués d 'inten tion s JO . Par conséq uent. le social ne se trouve dans encnn maillon de la chaîne en particulier, il n'est pa , une ctose parmi d ' autre s choses, mai , il peut circuler partout comme un mou vement qui me t e n relation de s é léments non soc iaux . C'es t la deuxième étape : le social - au sens rï" 2 - es t de retour SOIIS la forme de I'assoctaion. No us ne savo ns pas e nco re comment tou, c e s a ct eurs so nt connectés, mais nou s pouvon s d ésormais ado pter comme rég lage par défaut, avant que l'enquête ne commence, le principe se lon lequel to us le s acte urs que n ou s a llons dépl oyer peu vent se tr ou ver associ és de telle sorte qu'ils font agir les autres . Ils y parviennent, non pas à titre d'intermédiaire, fidèle, trans portant une force qui re sterait tout du long semblable à elle -même , mai s en entraînant de s transformations manifestée s par les nombreux événements inattendus déclenchés chez les a utre s médiateu rs qui le s suivent tout au long de la c haîne. C'est ce que j 'ai appelé le « princ ipe d'jrr éducticn JO, qui ré sume la signific ation philosophique de la sociologie de l' acteur-réseau : une ccncai énatlon de médiat eurs n e de ssine pa, le; même; connex ion, et n e requiert pa s le même type d' explication s qu 'un cortège d'intermédiaire s tran sportant une cause J' . Lorsque le s sociolog ues des sc iences, al suivant ce pri ncipe, e ntrepre nne nt de ren dre c ompte de la thé orie de la relati vité d'Ein stein , de la bactériologie d e Pa ste ur o u d e la themxxlynamique de Lord Kelvin, ils doivent tracer des connexio n, entre des entité s qui sont tota lement différente s de ce que l' on consid éra it j us q ue-là comme un e c haîn e d ' explication> sociales. Ces au teurs a ffir me nt qu 'un fac te ur es t un acteur a u se in d'une
1.
P.,,_ '".., m im>b os kait ...ivi d'""" 'OC«ldo pani..
3S. Rapp . lo<>II q "" &\oro sur hOl ... l"'u lu• • lrrl dllClimu ( 198 4), m m
'l''i 05h 00",' J.
philu"'l'bi. do cos n!llcaux.
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Cmllmelll dt'ptayer tl.'S CO/II"'''''''I.'S sur t~ nw/ldi> social concaténation d' acteurs, et n on pas une ca use suivie par une chaîne d'intermédiaires. Dès qu'ils adoptent cette position. à leur plu s grand e s urp rise, le s d ét ails pratiqu e s du cas d' étude se mettent à expliq uer en partie le contexte qui était s upposé ex pliquer ce lui-c i! Soudain, à travers le nouveau traceu r de maladies infectie uses, c'est la bact érie de Pa steur qui semble expliquer ce que pouvait vouloir dire, dans la France du Second Empire, ê tre « socialement comec t é » : on ne pratique plu s du tout la même solidarité avec des gens contagieux q u' avec des pauvres car un pauvre porteur de mic robes peut V O lIS tuer, vou s et vo s e nfants, quelle que soit, par aille urs, la dureté de votre cœur. La direction de la causalité entre ce qui doit être expliqué et ce qui fourn it une e xplication n' e st pas simplement inversée, mais tout bonnement subvertie : c'es t la contagion e lle- même qui rede ssine l'espace social ... L'Empire britannique n' e st pas seulement « de rrière » les expérie nce; télég raphiqu es de Lord Kelvin: celles-ci lui fourni ssen t une capacité de projection, un temps de réac tion plus rap ide et une durabilité qu 'il n' aurait jamais eus sans les frê les câbles posés au fond de s océans. La science de Ke lvin crée e n partie l' Emp ire, qui n' e st plu s relé gué à l' a rrière- p lan comme une e ntité my stérieu se q ui le manipulerait à son insu, mai s qui doit une portion de son ex istence com posite à d es câbles tél égraphiqu e s tra nsformés en véritables médiateurs lé . C'est ce renversement de la causalité dont la soclologle de l' acteu r-ré seau s'est e fforcée de prendre acte, d'abord dans le domaine de la science et de la technologie. puis partout aille urs JI . Et c'es t là qu' elle a glané l'idée étran ge selon laqu elle le social était ce qu 'il fallait ex pliquer, e t non ce q ui constitua it l' explication . Nou s avo ns tous alors co mmencé à nous po ser de s question s : à forc e de multiplier les médiateurs, il n'y aurait bientôt plus be soin d'une soc iété qui se tiendrait e derriè re ,. e ux 1" . .16. Voir C S"!rll . t N. W" ... En"r:Y "lld Empir< (1989) ; . insi qu. D.R H....."u :". Th< T",/œ/Ls tf PI"O/Jr<1S (19 88). 37. Ur>< foi••.., or• .•n bi."'i",• • n .n!bropo lnlli' • • n biSloiro d. r . .. ", d.", 1. b ...i...... hi"",.,., '''''' 1. 100II<10 fai-"';,la mô"'" cb"",. Po ... u••",mpli: .XlJa<JiQ"" d·"" m......:"'. voir c. G~ ....u. G, u frm"" J" " 1.. l'Ors ( 1992). P""r u.. ...lIly.. <10 Jo CIO; .....,. d.. qui r>< pri ,"l'I"' ''' p u d· 6chon•• voir A OwUJ.. U. y",bI. ih, m"""J"rs (1989). 38. S; .ou , , y;o.. . u co n lli u co d. Gllbri.1 T oni. pl. , '0<, lIOU ' . ou, ..rio.. ~llJlIi bim do, cffort>. ou d o moim n· , ... ",,,,...,.., l"" cu l pfI l1ld<. 'P'" no... . 6 """ lIOcialo .
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QualrièlN' s ou"'e d'illCtrliludi' " di'Sfaits indi.ewabtes au< faits di'pulé.
Com me je l'ai di t dan s l'introduc tion, l'usage du terme " social » pee r désigner un tel processus es t justifié par l'étymolo gie la plu s reculée d u mot socius , " q uel q u' un q ui sui t qu elqu 'un d' autre », un "compagnon de route », un " associé », Pour désigner cette chose qui n' est ni un acteur parmi d' aut re s, ni une force qui se tient derrière tou s les acteurs et qui serait trans portée par certains d' entre eux, mais une connexion qui véhic ule, pour ainsi dire, des transformations, nous utilisons le terme de t raduction - le terme délicat de " réseau » sera défini a u c hapitre suivant comme ce qui est tracé par ces trad uctions dan s les com ptes rendu s des chercheurs 19, Le terme de tradu cti on acquiert ainsi un sens technique : une relation qui ne véhicule pas de causalité, mais qui indui t la coexistence de deux médiateurs, S' il apparaît qu'une forme de causalité es t transportée de façon routini ère et prévi sibl e, c'est la preuve que d' autres médiat eurs o nt été mi s e n place afi n de rendre ce d éplacement fluid e e t prévi sible (comme nous le verrons dans la seconde parti e), Je ne saurais exprimer plus clairement le but de cette socio logie des associati ons : il n' y a pas de société, de domaine soc ial ni de liens sociaux, mais il existe de s traductions ent re d es m édiateurs suscept ibles de génére r de s associa tions qu i peuvent être tracées, Nous allon s a pprend re dan s ce qui s uit à accentuer le contraste entre un compte rendu qui utilise le « social » dan s son acception traditionnelle, et celui qui vise à déployer des chaîne s de médiateurs, Se familiariser avec la soc iolog ie de l'ac teurréseau n' est rie n d'autre que se sms ibiliser aux différences e ntre les di mension s littéraire, scien ti fiq ue. morale, politique d e mpirique des deux types de comptes rendus,
L ' e xpérience m èn e plus loin Ce qui peut sembler réellement c boquant da ns cette définition de l' associatio n n' est pas seulement l'étrange signification qu ' elle assigne au terme « social », mai s aussi la place inhabi tuelle qu' elle accorde aux objets dit s « natu rels », Et pourtant , il fa ut dissoudre sim ulta nément le s deux e xtré mités de cette c haîne, le soc ia l com me le na turel. Ceux qui définissent la 39. M . CalIOII '" ..
n.. oxpticit
,,- Ln tmd..,'ion (H"",'" //l ) { 19741.
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C<>m1lll'1Il dép/GY'" les COII lroWTSes
SUI' I~
mondi> social
I)u rkhd m coun-e le pra am HI lsrn~ Personne n 'offre de preuve au~ ~i saisissante du lien étroit entre la définition de la société et la théorie de la science que Durkheim, lorsquil entreprend de critiquer le pragmsusme, qui représentait alors une philosophie nouvelle, Vo ici co mment Il entamait sa première leçon de 1914"" : « Quelle s sont les raisons qui m'ont amené à choisir le sujet de ce cours? Pourquoi l'ais-j e intitulé" Pragmatisme et Sociologie ~ ? C' est d'abord Pacrualtré du Pragmatisme, qui est à peu près la seule théorie de la vérité actuellement exi.~ tante, C'est ensuite qu'il y a dans le Pragmatisme un sens de la vie et de l'action qui lui est commun avec la Sociolog ie; les deux tendances sont filles d 'une même époque, Et pourtant, pour les conclusions du Pra gmatisme, je n 'ai qu'éloigne ment. n y a donc intérêt à marquer les position~ œspecnves des deux doctrines , Le prob lème soulevé par le pra gmat tsrre est en effet fort grave, Nous assistons de nos jours à un a,.aut contre la Raison, à IUle véritable lutte à main arrrk [citation probable de James : le Pragmatisme se dr esse tout armé dans une attitude de combat contre le s prétentions et contre la oërnoœ du Rationalismel, De sorte que l'intérêtdu problè me est triple : 1° C'est d ' abord un intérêt gén éral. Mieux que toute autre doctrine, le Pragmatisme est capable de nous faire sentir la nécessité de rénover le Rationalisme traditionnel; car il nous montre ce que celui-ci a d'insuffisant. r C'est ensuite un intérêt national. Toute notre culture française est à base essentie lle ment rationaliste , Ici le xvm- siècle prolonge le Cartésianisme, Une néga tion total e du Rationalisme constituerait donc un danger: ce serait un bouleversement de toute notre culture nationale, C'est tout l'esprit français qui d evrait être transformé ~i cette forme de l'irrationalisme que représente le Pragmati.~ me devait être admise, 3· C'est enfin un intérêt proprement phnosopnrqce. Ce n'est pas seulement notre culture , c' est tout l'ensemb le de la tradition philosophique, et cela dès les premiers temps de la spécula tion des
40. l. rerr..-ci. Bnmo K" "",,; d'avoi.- .lin! mo. ","'JÛOII ...,- ee texte. o.",;. q"" j . l '.i lu, j . o..... ffr. P-'" d. 1. le""',", ~ . F......;, • obsorœ, 1• • l",oos d. Il . ociologi. d.. ",ioDee . , .,'" . st di. P" Dodhoim , 10 Rtplil ~ ", .. la Fnnee , 10 Jo nô<>....li"". m " dJ ... du mm. p.'... PoUf lUIO kud. d. "" ct>omp . eionliflq.... l. ·M. llI-.J.nmar. O. M.U TlN.' C . CluNET. Savoirs " savant< (2 00s).
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philosophes, qui - à une excepti on près dont il sera question tout 11 l'heure (la Sop hi.~tique) - est 11 tendance rationaliste. Ce serait donc lills<;i à un renversement de toute cene tradition qu'il faudrai t procéder si le Pragmatisme était valab le [... ]. ,. (Pragmalinn~ el sociolog i~, COUl'i inédit prononcé à la Sorbonne en 1913 -1914 et re struë par Armand Cuvillier d'après des notes d'étudiants, Vrin, Pari s, p. 27-29.)
sociologie de l'acteur-réseau comme une sociologie .. ét endue a u x non -humain s » co m pre n ne n t rarement ce tte sy m étr ie - comme si le s non -humains n' avaient pa s eux-mêmes subi une transformation aussi profonde que celle qui touche le s acteurs soc iaux. En effet, si on n' écarte pas le soc ial aussi bien que la nature, notre travail d e terrain resterait vain : quelle s qu e soient les nouv elle s connections que nous tracerion s, certaines agences s'arrogeraient le label « socia l » et d 'autre s le label « natu rel », leur incommensurabilité retro uvée renda nt le de ssin de ce que nous appelons de s connexions soc iales impossible à tracer. La façon dont e lles so nt associées sera perdue pou r de bon : le s coquille; Saint-Jacq ues replonge ront dan s le s profondeurs océaniqu es des faits naturel s, matériels, objectifs d non int en tionn el s, tandi s que le s pêcheu rs se ra ssemble ront d am la baraque miteu se à l' entrée de laquelle il est écrit « réservé aux humains doté s d'jraenticnnalit é » . Pendant ce temps, les soc iologues reviendront bredouille de leur terrain, avec leurs données a ltérées par une dichotomie qui contred it la pratique même dont ils e ssayaient de rendre compte : les poissons et les pêcheurs ne s ' oppo sent pa s co mme le « naturel » et le « social », 1' « objet » et le « sujet », le « matériel » et le « symbolique » - et les océano graphes e ncore moins. Il ne faut pa'> confondre la théorie soc iale et le kantisme. Pour rendre cela possible, il nous faut libérer le s état s de faits d e leu r réduction par la .. Nature », tout com me il nou s fa ut libé re r le s objets et le s cho ses de leu r « ex plica tion » par la soc iété . Sans ce double mou vemen t, notre argument n'e st g uère plu s qu'un retour au matérialisme c lassique. qui s ' apparente à une .. soc iologie de s ingénieurs » à laquelle il ne manque même pas so n .. déterminisme technique » . Le problème e st que, s' il est déjà di fficil e de prouver qu e le social e st un a rtefact produit par
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C<>mmelll dlptlJyt', les CO/Ilrowrses SUI'
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nw/ldi> . ocial
l'application d 'un conc e p t inadapté de c a us alité, il es t plu s délicat encore de montrer qu 'il faut aussi se d ébarr asser de la .. Nature " . Les réactions d e stupéfaction plus o u moins indi gnées qu 'a suscitées a u fil d es a nnées la sociologie d e l'acteurré seau démontrent qu e ce poin t est difficile et le s chances de réuss ir assez minces. C'es t à ce niveau que la quatrième source d'incertitude peut n ous venir e n aide . Si nous accep tons de tirer aussi le s leçons de s controverses portant sur le s non -humain s, nous nous rendons vite compte qu e les fait s indiscutables (ce qu e l'anglais nomme d 'un tenue diffkile à traduire : matters of fa ct) ne décrivent pa s plus ce dont le monde natu rel est peuplé qu e le s tenue s « social », .. s y mbo lique " et .. di scursi f " n e d é fini s sent le s acteurs humains ni le s multipl es fo rmes d 'existence qui les fon t agir . Cela n ' a rien d 'étonnant , puisqu e la .. Sociét é " et la .. Nature " n e d écrivent pas des domaines d e la réalité ; ce so nt plutôt d eux collecteurs inventés simulta nément, pour de s raisons largement pol émique s, au XVlf siècle " . L ' empirisme , conçu comme une distinction n ette e ntre d'une p art le s impre s sions des s ens e t d ' autre part la fac u lté de ju g er , n e peu t c er ta ine m en t p a s prétendre fournir une d escription complète de ce à q uoi .. il nous faut être attentifs dans l' expérience <1 " . Heu reusement, afin de poursuivre rotre projet, nous n ' avons pa s à abo rder de front ces grandes que stions ; ilnous faut se ulement faire preuve d'une certaine ouverture d' esprit lorsqu e le s assoc iations qu e n ous suivo ns nous forcer ont à renc ontrer de s ê tres a ppa rtenan t à l' an ci en répert oire d e la nature. À notre grande surpri se, une fois qu e la frontière artifici elle séparant le social du naturel est abolie , le s entité s non humaine s se montrent c apables de revê tir de s apparence s s urpre nante s. S i frapp er à
4 1. S", celt e I ",, ~u e bi uoiu , je De peux qu·orieDter le loc telll" ven 5 . S>!Al'lN et s. SCIlAJ'1U.. iL Uvi lJlh on " '" P""f" d .ir (199.1). Le lieDeo'", 1• • ociolOJie et 1. mode",i ...i"" e u" f on qu· il e " iml"' ....hle de d ~ ~ leJ CO' Doo O." . Voir U . !lf.'-"", A. GIn"m. et S. LAs<:1I. R' Jlu i"" Mod , rni, . ~ m ( 1 99 ~); Z. BA lJW.N. POeD. moJllrf d m . L DA'IroN. « Th. F. " ...I Sm!;ibi.lily • (1988). et J. R"'''''. Sdi'nco in fhr ),gr
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Qwmièlllt'! s ou rce d 'illCerliludi' : M S[WI' indi.• ewab/...
dispwés
coups de pierre peu t se r évéle- util e pour fai re revenir un idéaliste à la raison, en géologie les roche s on t une histoire plus variée, plu s incertaine , el plu s o uverte; elles d éploi ent d es for mes d ' existence beaucoup plus co mplexes qu e le rôle étroit q ue leur as signent le s compte s rendus empiristes .". Les bureaux en acier offrent une bonne occasion aux réalistes en colère de fra pper du poing sur la table au n om des "contraintes matéri elle s JO afin de ramener les sociologues à la réal ité, mais en métallurgie l'ac ier lamin é est à l'origine de casse-tête si nombreux s ur le calc ul d e sa résistanc e mat éri ell e qu 'il n ' exi ste pre squ e a ucu n rapport entre ce que les philo sophe s po sitiviste s et le s scientifiques maté rialistes appelle nt la « matière » et ce qu' en disent le s véritables matériologues". Le cours inflexibl e du déterminisme génétique permet peut-être aux soc io- bi ologistes d e ridiculise r le rêve socialiste d 'une humanit é meill eure, mais , pou r la biogénétique , l es gèn es jou ent d es rôles si contrad ict o ires , obéis sent à d e s signaux si opposés et sont « faits » d 'influence s si nombreu se s qu 'il est bien diffi cile de le s limiter à la seu le fon ction de river définitivement le bec à un adversair e " . Les ordinateurs peuvent certainemen t servir de réclame à ce qu' il y a de plus branché, il n ' empêch e q u' en inf ormat ique le s proc e sseurs o nt besoi n d'institution s gigant esqu es pour qu e leurs performance s soient à la hauteur d e leur réputati on d e « ma chine s fo rme lles 0 0 » . P artou t, la multipli cité e mpirique d ' ag ent s a u parava nt " naturels JO déborde la limite exiguë des matters offut:t. Pour le dire autrement, il n ' existe aucune relation directe e ntre le fai t d ' être réel et le fait d 'être indiscutable. Aux yeux de l ' acteur-ré seau, l' e mpirisme n' apparaît plu s comme le socle de gran it sur lequel reposerait tout le reste, mai s comme le rendu au fond très pauvre de l' expérience. C 'est pourqu o i il sera it un peu a bs urde d e vo ulo ir" dépasser JO c e tt e pauvreté en s'éloigl'UUlt de l'expérience matérielle au profit, par exemp le, d e la " ric he subj ectivité humain e JO . Au contrai re, o n
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d • • l. HAcr.lNG, bllu ",it-na"
,1. ~ " ( 2 00 J ).
« .Voir P. lfJ<'l.N, EnI,,,.n ma/ilr. (2lJO IJ. lA' "'rmo do « m"'riolopo .
0" d.
Fn,,>;oi. Da,., ~00 4S. Voir E. Fox.K>uH, IL .itc" dIl gt'" (200J) , S . ~ rr, • Es " sc ir nfiJiq.. l inl " m ond• • (::!lOO), . insi
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ne d épasse les limi te s de l'empiris me qu' en se rapp rochant de s formes d' exis tence va riées dont té moigne nt le s matériaux ". No m; ne sommes donc plu s obligés d e combatt re le réduction msme en « ajo uta nt" à la description quelque « aspect " humain , symbolique, subject if ou social, puisque le réductionn isme, pour commencer, ne rend pa s j ust ice a ux faits obj ectifs. Ce qu 'on peut appeler le « premier " e mpirisme es t parvenu, pour des raisons politiques, à obscurcir les nombreux tours et détours de l'objec tivité, el à réduire le s non -humains à l'omb re d'eux -mêmes. Loin de « posséder l'objectivité ", 1er. positiviste s ressemblent plutôt à ces propriétaires absenté iste s qui ne savent que fa ire de leurs lati fundia . Or il se trouve que nou s, en socio log ie de s sciences, nou s savons trè s b ien quoi e n faire ... T elle es t la grande ch ance de la soc iologie de l'acteurréseau : les nombreux pli s de l'objectivité dev iennent v isibles. En tout ca s, o n ne peu plu s le s ignorer d ès q u' o n s'a pproch e un pe u plus près de l' endroit où l' on oblige ce s nou velle s forme s d ' exi stence à se manifester, à savo ir le s laboratoire s scie ntifiqu e s o u, à défaut , ces poin ts de c o ntac t de plu s e n plu s fréquents par où le s laboratoire s e ntrent e n relation intime avec la vie quotidienne. Décidément, les pcs ltivistes n' ont pas été très inspiré s de faire des « faits " le s composa nte s é lé me ntai re s à partir desquelle s co nstru ire leu r cathédra le de certitude. Ils ont cru qu'Il s ' agissa it là du matériau le plus primitif, solide, irréfu table et indi scutable, auquel tout le re ste pouvait se rédu ire, alors qu ' il y a plu s d'un problème dans la mati ère solide qu' il s o nt pri se pour fondati on". L' étymolo gie elle- même a urait déjà d û le s faire frémir : co mment un fa it pourrait-il êt re auss i solide, s' il es t a ussi co n stru it ? Com me le m ont re l' en qu êt e la plu s somm a ire da ns le s lab oratoire s le s plus primiti f s, et c omm e Ludwik Fl eck l'a dém on tré il ya lon gtemps, le s faits sont
4 7. Le " u Bnj>D,babI, il<.
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Mlianl il< fOW1lI 1"011 de> la SOIi"ll! QlAOO (2001) . • 8. Do>cidleim "" fot 1'" li'" "ba_œux Io""l"'il pn-.pœa il< Ir.. ... " 1", fai.. SOIi_ux œ QU' , ,, u "" cl>., .., corn"", d ", c!xI.. . >, p.O,,!,,' œ.,.i , " "",ioJ. ce QU', ,, 011 voillo "", _in<men' le. \ro i! OOOC"!'" 1.. pl... txUro v=./i., in"", _in. '" mal lt.bi i! de la pbib"'I'bie 1 ",dY,... n<mple. d , œ Qoi . rive
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QualrièlN' s""rr:~ d 'illCl'rlilude : dn faits illdisculables aux fa its dispwés
ce rtaineme nt la co ns truc t io n la m oins primiti ve , la plu s complexe, la plu s élaborée e t la plus collective qui soit " ! L'intérêt de la sociologie de l'acteur-réseau ne consiste pas seulement à libérer les acteurs humains de la prison du social, mais au ssi à fo umir aux objets naturels l'occasion d' échapper au confinement étroit auquel le premier e mpirisme condamne les mal/ers offact "". C'es t ce que j 'ai toujours trouvé si rafraîchi ssan t dans la sociologie de s sc ie nces : ava nt sa naissance , la conve rsation e ntre les philosophes, les sociologues et les politolo gues au sujet de la délimitat ion adéq uate de la e Na/ure JO et de la « Société » prenait toujours pour e xemple des objets vie ux comme le monde - des cailloux, des paillassons, de s vases, des tasse s e t de s marteaux - , des c hoses de venues com munes depuis le Néa nde rtal, tout à fa it respectabl es bi en sû r, mai s, com me nous l'avon s v u da ns le c hap it re précédent , nous y sommes tellement habit ués q u'dies ne lais sent plus detrace et ne pe uvent donc plu s réappara ître sous la forme de médiateurs Il . La di scussion prend un tout a utre rythme lorsqu'on introduit non pas des faits indi scutables (des mal/ers offact) mais ce que j'appellerai désormais des fails disputés (pour traduire l' anglais moners of concernv . Ces fames d' exi stence réelles , objectives, aty piq ues, discutées, e nco re incertaines et, surtout, intéressantes, doivent être sais ies moins comme des objets que comme des rassemble men ts l 1 . On ne peut pa s trait er de ca lculs complexes comme des pots à eau; on ne peut pas faire avec les organismes génétiquement modifiés sur la paillasse des laboratoires ce qu ' on fait avec des paillasson s ; o n ne peut pas traiter la ph ra se : « Le Gul f Stream risqu e de di sparaîtr e JO comme l' énoncé « L ' eau bout à 1()() degrés » l:l . Et c'est de ce contra ste que se nourrit justement la quatri ème source d'incertitude : la cartographie des controverses scientifiques portant sur les faits .9. Voir L l'1J'o;. G of SI• .., 1 • ( 2lJl)l) et ........." Il. LArw. , P. WEJIl..... Maling 1714"11' P~ 1k (2OOS). 5 1. Souf h:.n " "",Il> .n"" 10. ","m. ' Xl"tt"" ~ ••",bé""lJ'. " .. œ. ..b"'lJ"'~"'" Voi. P. UJ.o
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C<>m1lll'1Il dép/GY'" l es cmI/roWfS es SUI' I~ mondi> soci al
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l~ réuct ioll de "" ltSS~ rll1 ~ll d é pl ,t ~n t l ~ ,)'ph lll, S4
Médecin du ghetto de Lw6w pendant la guerre, forcé par les nam à travailler sur un vaccin contre le typhus, déporté à Auschwitz, émigré en lsr~l apr~s la guerre , pesstonrë autant par la recherche en science que sur les sciences, l'auteur se prête plutôt mat à l'accusation de « retartvtsme s qut sert d'habitude à clore toute djsc nssïon sur « l'influence du contexte social » sur la science. Non seulement il sait de quot il parle, mais rien dans sa démarche ne se prête à une critique du caractère assuré, indubitable, indiscutable des $,;ultats de la recherche biologique. Loin d·etre le précurseur de l'explication sociale des sciences, Fjeck invente, en tâtonnant, ce qu'on pourrait appeler un ~mpiriJme collee/if. « Si l'on comprend par "fail" quelqru chose de f LXe, de prouvl, alors 011 ne troeoe de fail que danr la lCÎl'nce des manu els » (p. 2 17). « Les troa qaarts au moim, la IOralili peul-lire, du COlll<'1IU de la SC ;"lIU s01ll c01ldiliormlr el pe uvent l ire e:rpliqu l s par l 'hi sloire de la pe nsée, la psycholog ie el la socio log ie de la pens ëe » (p. 44). Mai s c 'e st malheureusement ce que les sciences sociales se gardent de saisir: " ToJLl' ces perue urs form lr à la sociologie el aUT humanilis [il cite Lévi-Bruhl ] - a uss i ava ncüs qu e so ie nl leurs rlflexio ll!J commt'nem cependant une erreur caracllrinique,' ils onl «n trop grand respect; une sone de dlflrenre retlgieuse po-r les faits scienlifiquer» (p. 87). Et pourtant, Red: s' intéresse eë s peu au contexte social (IUle seule note de (roi ~ lignes sur la Première Guerre mondiale !) : c'est pour expliquer le COllU'1IU et pa s le contenant de s sciences qu'il a besoin du terme « collectif de peILSIe » . « Une Ih/orie de la col1Jl
lm"
S4. J< "'JUlld, 'l''< p « l« d< llano WwY•• R< d d lIIIO Kft , JlI'. Rrl d .. , DOl'"
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li,.,,,,, >. p. 1
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X U I.
direClement l'objet. Si seulement il n'y avait pas de société, comme nous saurions davantage et surtout plus rapidement! Or, ce n'est pas du tout la leçon que tire Fleck : « Si nous dlfini.u oru WI colkcrif th fJ<'ruü comme la communaull tUS pnso11Ms qui Ichangenl des idl n ou qui intuagillenl intellectuellemenl, alors nOlLf renoru en lui le vec teur du dlveloppemenr hi srorîqru> d 'un diJmaine de pms ëe. d 'un l iai du lavoir dllaminl el d 'Wlllal de la c ulru"" c'es r-à-diu d 'WI sryle de pensee particulier. C'esr ainsi que le collulif d e pnuü apporte l 'illmeni manqumll de la relatiem cnercnëe » (p. 74). Fleck fait du collectif l'. élément manquant ~ qui assure la qualité des résultats. Le collectif n'entre pas en scène comme ce qui vient biaiser lei données immédiates dei sens, mais comme ce qui permet, au contraire, de les authentifier. Dans la phrase suivante: «u " ns el le car<1i'r~re vlridique de la connais.lance p roduite par Schaudinn [l 'un de s découvreur s du sptrochêre responsable de la ~yphili~1 reposent donc dans la communaull th JUrsonnu qui, en interagi nanr intellecrru>lIemenr eI.en seule III rIrculatkm de la pensü à l' inll rieur du collectif pauvan f aire Ima ga la cert itude des inculiludes pr ëcauüonneuses .. (p. 207). Oui, c 'e st bien de certitude qu'il s'agit Jamai s il ne viendrait à r' esprn de Fle çk de brandir le collectif pour réduire ou rabaisser l'activité scientifique.
d isputés devrait nous perm ettre de renouvderde fond en comble la scène même de l'emp irisme - et par conséquent la délim itation du « naturel » et du « social » . Un moode naturel composé defaits d iscutés ne ressemble pas à ltII monde fait de fails indi.\"Cwables, et on ne peut dooc pas l'utiliser aussi aisément comme toile de food sur laquelle se détacherait l 'ordre social .. symbolique-humainintentionnel ... C'est pour cett e raison que ce qu'on pourrait
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appeler le " deuxième " empirisme ne ressemble pes du tout au premier : sa science, sa p olitique, son esthétique et sa moral e ne so rs pa, celles du pas sé, li reste tout aus si réel et objecti f, mais il e st plus anim é, pl us loquace , plus actif, plu s diversifi é et surtout moins immédiat qu e l' autre. Il n'y a ce pendant rien de radical ou de révolutionnaire dans le passage du premier e mp irisme au deuxième . Le p assage d 'un monde à l'autre n'a p as e xigé de s praticiens de l'ac teur-réseau beaucoup d'Ing énio sit é. d e courage o u d ' originalité : dan s leu rs laboratoires, c'est tous les jours que les scientifiq ues d les ing énieurs rende nt la production de s fait s plus vi sible, plus risquée, plus co ûteuse, plus di scutable, plus intére ssante, et d 'une plus grande pertinence pour le public . Il suffit de jeter un simple cou p d 'œil s ur n 'imp orte qu el périodique techniqu e po ur le comprendre : le s ci-devant fuit, indiscutable s pouvaient bien rester silencie ux, seccetenter d e servir de s upports muet s à des exclamatien s comme « les faits sont là ! » , mai s les faits disputé s, eux, ne cessent pa s de produire de s donnée s en tous ge nres et nou s ne risquons pas de manqu er de terrains pour suivre leur transformation . Si quelqu e c hose peut décourager les sociologues des associalions, ce n' est pas le p rofond silence d 'une " Nature JO muette qui rendrait leurs enq uêtes impossible s et les obligerait à s'en tenir au domaine « sy mbolique », ma is le flot d 'informations, dans le monde contempo rain, sur les différentes modalités d 'ex istence de s faits disputés . La qu estion est plutôt de sa voir comment n ous pouvons n ous montrer à la hauteur de la tâche qui no us attend et rendre justice à cette ma sse toujours croissante de données.
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pear neu s aid er à d épjoyer jes faits disputés
Une fois e ncore, la solution cons iste à apprendre commen t se nourrir de s incertitudes, d non à d écider à l' avance à qu a doit re ssem bl e r l' am eublem ent du mond e. L ' enqu ête p eut se prolonger aussi longtemps qu e IIOUS apprenons à décontaminer le co ncept de Nature, comme nous l' avons fait pour le co ncept jumeau de Société l l . Dans cette notion compos ite, n ous avons
ss. U oo.-o UJIO foi•• ço tnIvo~ MvoloWf dam B. LAT! o. f lIil oJ'"i'. Jo
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Qua lrièlN' s ou n:e d 'illCerliludi' " di'S fi1lts indi.ewables au< fa its di,'pulés
maintenant appris à bien séparer les associations - le social n" 2 que n ous avons gardé - d'une substance fait e d'un matériau social - le social n" 1 que nou s avons rejet é, De même, dan s la notion a ussi composite de « nature " , nou s allons détach er d 'un cô té sa fonction de déploiement de la réalité - que nom; allon s co nserver - et rejeter cette autre prétention à unifier prématurément e t s an s débat l' ensemble des fa its indiscutable s, de s muners of f aa, L' opération es t la même : si nou s avons appris à ne pas tirer de l'idée d' as sociation cette con séq uence erronée que le s phénomène s sociaux seraient fait s d 'un mat ériel lui-même soc ial, nous n'aurons pa s de peine à comprendre que l'on ne doit pa s tirer de la pré sence de s non-humains dam toute s nos relati ons la cons é q ue nce qu ' ils so n t d e s fa its indiscutable s - le squ els ne so n t rien qu 'une pâle c op ie des tans disputé s, comme n'importe qu elle ét ude de sociologie des science s suffirait à le prouver. Prenons quelques exemples de ce contra ste, Le s spermatoz oïde s étaient jusqu'ici c onsid ér és co mme de s petit s macho s obstinés qui nageaient vigo ureusement vers un ovule c omplètement passif; ils so nt désormais attirés, enrégimen tés et s éduits pa r un œuf dont la forme d ' existence d evient ac tuelle ment s i subtile qu 'il peut distinguer le bon sperme du mau vai s a fin d e le sélectionner - ou du moins cela fait -il auj ourd'hui l' objet de débats en physiologi e du d évetoppement " . Le s gè nes éta ient censés transporter l'information servant au codage de s protéines , mais on cons idère aussi qu'fjs sont e n c onc urrence le s uns avec le s a utres pour s'approvis ionner e n nourriture, ce qui rend totalement cad uque la métaphore du trans fert d 'information - o u du moins cela fait-il l'objet de débats chez certains g énéticiens ' 1 , On pen sait que le s chimpanzés étaient d' aimable s partenaire s soc iaux c onformes à l'image rousseau iste du bon sauvage, mais ils apparaissent aujourd'hui c omme des cré atures far ouchement compétitives, capables d'élaborer des co mplots machiavélique s e t même cou pables d 'assassinat s - o u du moins c ela fai t-il l' obj et d e débats e n pnmatoto gi e". L a c ouch e ara b le était S6. Voir, d.... s. SnllM • • L. FWIGAN, Pr ima.. Encoon ..rs (2 000 ~ 10 .bopi"" d. Z TANG-Mr.J.TM2.. ~ Paradipm ODd Primo.", '" P. 2tiO-274. S7. l .·J . KUI'I oc " P. SONXlO. Ni D i... n i gtM (2000) , E. FoJ< . KallJ. . u nl ~ du mlt",, !liJ rLl Jo", ILl r r"I"JI J. '" IXol"l il ( ) 9'}9). SR. F. c.; W AM.. La poliliq", d o ch""'anzl ( 19!ll. ! 199 S] ).
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Omllllelll dlpl"yer 1", I;OII lm """", ..., le /IIOnde social
jusqu 'ici censée se composa d'une masse compacte de mati ère inerte organisée e n horizons de différentes couleurs que le s pédolo gue, ap pre naient à carto graphie r ; a ujourd' hui, elle grouille d 'un si grand nombre d e micro-œganl sm es qu e seuls les mic rozoolo gues peuvent expliquer cett e jungle miniature - o u du moins cela fait-il l'objet de débats chez certains pédo log ues "', On pensait que le s o rdinateu rs é taien t de s tupides m achine s numérique s, mai s il semble maintenant qu'ils acquière nt ce tte capacit é à travers un e nsemble sai sis sant de signa ux matériels a nalogique, qui n' ont a ucun rapport avec le calc ul fonnel - 0 " du moins ce la fait-il l' objet de débats chez certains théoriciens du calcu l informatique «.J. Une telle multiplicité ne veut pas dire que le s scieraifiques ne savent pas ce qu'ils font et que tout n' es t que ficti on, mai s plutôt qu e la sociologie de, science, a su d écomposer avec exactitude ce que la notion d e fait, indiscutables avait a malgamé trop vit e par une uniflcatiun hâtive : à savoir la réalité, l'un ité et l'Indiscu tabilité 6'. Lorsqu'on cherche la premi ère, on n'obtient pas auto matiqu ement le s deux autre s . E t ce la n'a rien à voir avec la « flexibilité interpré tative JO qui permettrait de posséder sur la « même JO c hose de « multipl es point, de vue JO : c 'est la chou elle -mi me à qui on laisse dépluyer sa multip licité - ce qui permet de l' appréhender à parti r de di fféren t , poi nt s de v ue, avant qu ' elle ne soit éventuelle ment unifiée plus tard, selon le, c apac ités du c ollectü". Il y a plus de tœme s d'existence dans le e plurivers JO, pour reprendre la belle e xp ression de William Ja rne" que ne l' imaginaient le, philosophe s et le, savants. D'un point d e v ue ét hique, sciemiflque et pclitique.T'argument principal est que lorsque IIOU , pa, sons du monde de, fait s objectif, au c hantier de s faits disputé s, de la science faite aux sciences e n action, nou s ne pouvons plus nous c ontente r ni de l' irulifférence vis-à-vis de la ré alité qui accompag ne le s rrarltiples représentati ons « sy mbol iq ue s JO d e la « même " nature, ni de 59. A R UfUAN "' M. DoI.. Diff'''nc.. ;'' M<1l ~ ci... 9\l8~ "' A . M · Mid' ,," (2lD3). 62. Tollo 0" 1. ~~ o sil"'"'ü", 0",," 10 l''..... oœmis..... .,.. o"':t œ vo ir oj...... do l> ..... kip)io ~ ~ "" "",lido ""ifil! pu œ. « ~nnd. 'kit> >. .. la " " " k,p. d. r.etrw.. ~ ~i ~"id1.-•• muk " lioil~ ..... i """",..... p"p iht d .. dI"""J. .. P" .....)....,'" d.. bumailt5 ~ii"" IJlI1.-.'" 1.. dl""" •.
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l'unification prématurée que fournit la notioo de « nature ... En faisant entrer les nombreux résultats scientifiques dam le Zl)O des formes d'exist ence q ui sont simultanéme nt à l' œuvre dan s le monde, nou s avons franchi un autre Rubicon , celui qui mène de la métaphysique à l'vntvlogie o~ . Si la théorie sociale tradition nell e refus ait de s'a vancer dan s la premiè re, elle rec hignera probablement e ncore plus à s'enfoncer dans la seconde, qui lui rappell e trop sa propre enfa nce philosophique . Et pourtant, si nou s voulons conti nuer noire voyage, il nou s faut a pprendre à nage r aussi dans ces eaux tourmentées. Passer de la métaphysique à l' ontologie implique de soulever à nouveau la que stion de savo ir ce dont le monde réel est réellement co mposé. Tant qu e nou s res tons dans la métaph ysique, nous courons le ris que de déployer trop f acilement les mondes - a u pluriel - des act eurs, dan s la m esure o ù ils pourraie nt pass er pour a utant de représentations de ce qu'est re monde au singulier. Mais si nou s acceptions d' en rester là, t ût-ce par c uverture d' esprit, nou s n' aurion s pas avancé d'un centimètre, et nou s nou s ret rou verions à la case départ de l'e xplica tion sociale - c'es t-à- dire dans l'idéali sme kantien. On ne saura it trop souli gne r ce dan ger , s urto ut si l ' on remarque q u' une bonne dos e de condescendance peut souvent imprégner la tolérance des cherche urs envers les croyances les plu s folles. L'ouverture d' esprit dont font preuve, par exemple, les anthropol ogues au sujet des cos mologies « des autres .. est largement due à cette solide convic tion que ces représentations n' ont a uc un véritable rapport a u monde des motters offacto Il peut exis te r, dira-t-on , d es milli e rs de faç on s d 'imagin er comme nt les li ens de paren té peu vent faire naître des enfants, mais il n'y a qu'une seure physiologie du développement capable d' expliquer comment les bébés se forment dans l' utérus . Il y a des milliers de faço ns de concevoir un po nt et de décorer ses travées, mais la pesanteur n' exe rce ses forces qu e d'une seule manière. Selon cette visio n traditionnelle, la multiplicité des représentations, vo ilà le domaine des sciences sociales ; l'unité
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63. Je "" proual. .uiv.. d", dtfi.. ':oo. do.m' l'bi."".. 1000l:"e el lDOoveme"'e de ce>' 'dan. ce '1"; ...,;••1'" OII e " la mime c1.,.e 'lue Il • m."l'hy'i'lt>e > , ~ œpllit dtl ai.lpœ. '1'" alY IIj w .. Il '1"""000 de l'lm • • Il drn.c de la vo'rit•.
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m<Jnde social
du monde réel, voilà le royaume des sciences naturelles. Le relati visme c ulturel n' est poss ible que grâce à l'absolutisme éprouvé des sciences naturell es. Si les sciences sociales admettent si faci lement de mettre a u pluriel le terme de cosmologies, c'est parce qu' elles savent bien, en leur for intérieur, qu'il n'y a en réalité qu 'une cosmolog ie, la leur, ou plutôt ce lle de s sciences naturelles. Telle es t la position sur laqu elle retombent toujours les débats sans fin qui ont cours en tre, par e xem ple, géogr aphie hum ain e et physique, anthropol ogie physiqu e et c ult urelle, psychiatrie biologique et psychanaly se. arch éologie mat érielle et arc héo log ie interprétative, et ainsi de suite : multi-culturali,me d'un côté, mono-naturalisme de J'aut re. Or, c'est précisément cette solution de bon sens que la sociologie de l' acteur-réseau souhaite rendre intenable "'. Avec une telle séparation - d'un côté, une réalit é unifiée et, de l' autre, de multipl es int erprétati on s de cet te r éalit é - , la conti nuité et la com mensura bilité de ce que nou s a ppelons les assoc ia tions disp araîtraient immédiat ement: le multiple suivrait le cours mouvementé de l' histoire, tandis que la réalité resterait intacte, vierge, et à l'écart de toute hi stoire humaine. Et pourtant, passer des obj ets sociaux a ux objets naturels n'impliqu e auc unement le passag e d'un e multiplicit é vertigineuse à une unité pacifiant e. En franchissant ce seuil interdit par tant de sciences socia les entre natu re et soc iété, nou s allons d'un répertoire appauvri d'intennédiaires à un ensemble controversé de médiateurs. n se trouve en effet que les controverses p ortant s ur les ontologies sont tout au ssi int éressant es et tout a ussi disput ées q ue les controverses m étaphysiques, à cette différence près: al q ue la question de la vérité (comme nt le monde est- il vra iment fait ?) ne peut être ignorée en adoptant J'attitude blasée du re lativisme commun : et b) ne peut pas non plus être simplifiée d 'avance en tapant vigo ureu sement du poing sur la table pour montrer que « les faits sont là ,. et qu' il n'y a pl us à discut er ~' . Même une fois q ue la réalit é a fait son e ntrée e n scène, la qu estion de sen unité reste o uverte :
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M.U de l'.nthropol0lie moni. .. de Descol. est ve~o, ""'r récenoner<, a ppone r OB bonne cb""p"'''''' du, le poid, lel_ir de ce , P. !:K'O:'riel « oMoi"l!ie , • m B de "'weler IIIl le
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Qua lrièlN' s""rr:~ d 'illCl'rlilude : dn ft1its illdi.
encore faut-il rassembler et composer le monde commun. Autrement dit, mal gré l'expression couran te, « les faits ne sont pas encore là »... Comme nom; le verrons à la fin de cet o uvrage, c'est en ce point que les sciences sociales pourront regagner la pertinence politique qu' elles semblent avoir perdue en abandon nan t l' éther du social et l'usage automati sé du répertoire critiq ue qu 'il rendait di sponible . Il n ' existe pas d'ar rière-m onde qui pui sse faire office de tribunal où comparaîtrait ce bas monde ; c'est dan s ce dernier, dan s ce seul monde, q ue se tiennent e n ré serve de nombreux aut res mondes qui peuvent a spirer à devenir un - ou qui ne le deviendron t j amai s, selon le travail politique et scientifiq ue d'assemblage que nou s serons capables de fair e. Heure use me nt, peer faire notre travail de soc iolog ues, nous n' avon s pas à résoudre d'un coup toutes ces questions é pineuses. No us n'avons pas m ême à déploy er l' en semble de s fo rmes d' exi stence qui se manifestent à travers les faits en chantier. Il nous faut simplement nou s ass urer que leur diversité n' est pas prématurément refermée par une version hégémonique d'un type spéc ifique de faits é tablis qui voudrait se faire passer pour les données réelle; de l' expérience - et cela vaut bien sûr pour le « pouvoi r JO , la « soc iété », a ussi bien q ue pour la « matière » o u la « nature ». Une foi s encore, la sociologie de l' acteur-ré seau passe d'abord par un apprenti ssage négatif. Une liste des c hoses à faire nous aidera à recouvrer la prise empirique dont nou s avons besoin, au moment où les difficultés consid érables que présente cette théorie pourraient nou s a mener à perdre notre c hemin. Premièrement, repérer les lieux de controverses o ù s' élabore la recherche scientifiq ue et technique possède le gra nd avantage d'attirer notre attention sur la fabrication de s faits, co mme l'étymologie l'indique, e t sur la présence, au même moment, de proto- faits q ui cohabitent sous des formes et des degrés d' achèvement très di fférents M . Tandi s q u'on occ ultait ces différences sans aucun scrupule lorsque ces faits étaient utili sés comme les « m atériaux de cons truction élémentaires » du « monde » a u singulier, elle; fournissent des ma...«es d'informations dès qu' on 6~
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C<>mmelll dép/GY'" les CIJII lrowrses.lUl" le I/I(JlIde social
les réintroduit dans leurs" fabriques " , à savoir les Iabœ atoires e t les instituts de recherche. La soc iolog ie des sc iences offre désormais de nombreuses procédures qui permettent de suivre les faits a u COUI"!l de leur production et de multipli er les sites o ù ils ne sont pas encore devenus des maners of f act fro ides et routinières. Deuxièmement, ces sites ne se limitent plu s aux laboratoire s : c ' e st la grande vertu de s scienc es e t des techniques conte m po ra in es. Elles se so nt éte nd ues à de si nombreu x contexte s, dan s un e intimité toujou rs plus étroite avec la vi e quotidienne et les préoccupations ord ina ires, qu 'il est difficile aujourd'hui de suivre un processus quelconque dans les sociétés indu stri elles sans tomber sur un de leurs effets 61. Plus la science e t la technol ogie s'étenden t, plus e lles permettent de tracer phy siqu ement, avec une facilité et une précisi on touj ours plus grandes, les liens sociaux. Nous n'avon s pas sim ple ment l e World Wide Web pour matériali ser les relations : nous sommes au milieu d'une infrastructu re matérielle qui nou s faci lite énormément le trav ail, à nou s autres sociologues des science s, e t qu' on pourrait appeler le World Wide Lab. Troisi èmement, les expériences et les controverses qu e suscitent les sciences et les techniques offrent une occasion uniqu e de vérifier en continu ce que peut vouloir dire pratiquement, pour des c he rcheurs à la paill as se, la diffé rence entre ce que j'ai appel é la métaphysiqu e e t l'ontologie. L' organisation mème de la science - à travers les recherches de financement, les e xpédition s internationales, les congrès de sociétés savantes, les publica tio n s, les co ntrove rses m édiatisée s, les co nfé rences d e conse nsus - fourn it à l' observateur une source d'information continue sur la façon dont se po se la question de l'ontologie: c omme nt passer de la multiplicité des p ositions à l' unité"s ? C ' est dans les institutions sc ie ntifiq ues qu e n ou s p ou vons accéder avec le plus d e fad lit! à ce q ue peut vouloir dire une e nq uête com me la nôtre , qui a po ur a mbitio n d' accroître la gamme des formes d' exi stence et d' explorer de s th éories de 67. El c. poi.. fut. Olé d/! , 10 do!but do l' IIJU""'.. ....-Io " ",K>klp. do la lriB> ctio... M. C AUDN (50... 1. di•.l , UJ ><;"11« " OH rlu.... (19!l9).
68 . Voir , "Ir 10 di!bat coDco",_ l. , d6chou .udhi l 'i""""D" difficu lo! po ur f .....," "" al c<Elnliro po ..- IIi"," q>tia .., Y. B Ym, IL l'.,,,,,oir J'inJjc~ .ion (2 006).
""''el'" 1.,
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QualrièlN'
so"rr:~
d 'illCerliludi' " dn faiu indi"ewabll'S au< fa iu di,'pulé s
l'action alternat ive , sa ns abandonner pour a utan t la qu ête d e l'unité " , Pour le dire autrement, la pratique sc ie ntifiq ue est comme la d rosophile de la théorie sociale : elle nous o ffre une v e rsion a mpli fiée d e ce qu ' on peut e nsuite ét udier dan s des domaines beaucoup plus inacce ssible s ; en apprenant à respecter le va -et-vien t des ontologies dam le s sites scientifiques. on peut e ns uite s ' atta quer à de s sujets p èus diffi ciles, p our le squels la que stion de la réalité a é té tout simplement é touffée par le p oids des explicatio ns sociales 1<, Contrai re ment a u préjug é commun d es sciences sociales, comparée à d ' aut res domaine s, la science est d 'un abo rd plus aisé , puisque le s d ébat s c once rna nt le s détours de l' obj ectivit é y sont plus aisément traçable s, Quatrièmement, s ans qu e le s soc io logues de s sc ienc es y soien t pour quelqu e c hose, l' intensité c roiss ante des contro verses portent sur le s " c hoses naturelle s JO a rendu pu bliquement v isible la di fférence e ntre les faits établis et le s faits en c hantier, les matters of fact et le s matters of concem. La différence entre la réalité et l'unité devient tangible, par exemp le, lorsque d e s tribunaux d oi vent ju ger à p artir de s sa vo irs co n tes tés d e s e xperts; lorsqu e des c he fs d'État doivent prendre des décisions portant s ur des ph éno mèn es neurels ; lorsqu e d es conférences d e c onsen su s so nt o rga nisées a fin d e stabili ser une controverse géopolitique; lorsque de s scientifiq ues reprochent par voie de pres se à leu rs pairs de ne pa s avoir suivi le s protocole s appro prié s ; lorsqu e de s discu ssions publiques p ortent sur l' év olution future du Gulf Stream, e tc, Alors qu e, pour parler de s scie nces, il fallait a uparavant c hoisir entre réalisme et constructivisme, e ntre réalité et fiction, cœn me si c'était la se ule qu estion int ére ssante , il est désormais po ssible de di stinguer deu x types de procé dure s: celle s qui produi sen t d e s réa lité s - m aintenan t a u pluriel - e t celles qui mènent à la stabilité et à l' unité " , Pour utiliser le s riche s co nno ta tions de cette é tym olo gie s ouve n t o ubliée : le s obj ets so nt clairement et pu bliquement redevenus
~9 .
L fW:>: ING, COlI", ,,, ir " " r bi _ nJu ( l 9S9 , P. GAu D<, ,t ilLli ,'achh
" plri m ct!' (2002) : B. LAro~ .. L " spoir il< PlJ1Ioon (2001). 70. 00 trouv ,. . u'"' iDu"ntiom uol< d.. , "''' ~ , ud, d, la .. Iit;iomQui p"'d l, Dioc il,I dIo risq ... (::!IJœJ.
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de s choses, c 'est-à- dire de s sujets de dispu te au centre d' assemblées virtuelles 11. J' en ai a ssez dit, je crois, p our montrer qu e ce qui a limité j usqu'Ici le s e nq uêtes sur les sc iences n' est pas le manque de donnée s o u le s difficulté s techniques, mai s le s pré supposés qui le s re n da ien t a priori impo ssibles. Même si c es o bs tacle s sembla ient formi d ables, dans la me sure où ils p ortent sur le s deux principaux défauts de s sciences sociales - le c oœ ep t du « social JO et le concept de« science JO - , nous avons prouvé que, une fois ajoutée une q uatriè me so urce d 'incertitude a ux troi s premières, ce s objectio ns n ' étaient qu e des tigres de papier. Ce qui est ce rta in, c ' e st que le domaine empirique ainsi dévoilé est si vas te, si gratifian t e t si varié qu ' on a peine à c roire qu e le s sciences soc iales se so nt interdit d'y pénétrer . Si la tr oisième source d 'incertitude leur a permis d e se mettre a u niveau d e s « hum ain s a nato miq uement mod ern e s JO q ui o nt p art a gé leur exis tence avec de s artefacts depui s de s ce ntaines de milliers d ' années, il est peut-être temps, grâce à la qu atrième incertitude, qu e les soc iologues renou ent avec un monde qu e le s dernière s ré v olutions sc ien tifiques et indus trielles o nt rempli de fa its disput és, En tout ca s, si nous d evio ns définir le contrôle qualit é d 'une d e sc ription faite selo n le s principes de l' acteur -ré seau , nou s devrions nou s as surer a) qu ' aucune entité nouvelle n ' e st intro du ite dans le ré cit co mme un fa it indiscutable , mais touj ours d ' a bord c o mme un fai t di s puté ; b) qu e s i la c o ntro ve rse co nti nue, cela n' est pas d û à un affaiblissement de la prise e mpiriqu e o u à une forme paresseu se d e relati visme, mais plutôl à la complexité même des faits en tra in de naître ; c) qu e l' a ssemblée , l'institution ou l'instrument qui en assurent la stabilisation durable sont clairement signalés; e nfin, d) que l'on repère bien les proc édure s qu i permettent de suivre le pas sage de la multiplicité - ce qu e j'ai appelé la métap hysique - à so n unificati on progre ssive - l' ooto lo gie. Héla s, s' il ne faut qu e quelque s heu re s po ur se débarra sser de s obstacles qu e dre sse la sociologie du social (le temps de lire le s 72. C. j.u ~ 'Y1D01"liqu, • ~. ~ iii• • d~v. lopp< p ar H.i,*,Uor mai . do fllÇOD plu . H ~ .... p..- M S .., .. in Sr...., (l 9!l7) et .y .. ImOliq"""'" .œ.. "", ,,,bi~ in B. LATOLll • • P. W ma.. Mold"l( lJI in8S P.!>Iic ( 2OO'i1.
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QWl/rième source d 'illCerlirude : di's [WI< indi
c hap itres préc éderas l), le plus diffic ile reste à faire . Ce n' e st que lorsqu e les obstacles concep tuels so nt levés que les véritabl es difficultés apparaissent : comment rédiger un campee rendu q ui soit à la hauteur d es perspectives qu e se donn e la sociologie des associations . Tel est le nouveau défi - le dernier, espérons-Ie qu 'il IIOUS faut maintenant re lever avant de nou s mettre en route pour de bon.
c-,
Cinquième source d'incertitude Rédiger des comptes rendus ri squés
C ETTE in troduction
à la socio logie de Pacte ur-r ésea u commence à ressembler à une nouvelle illustration du paradoxe de Zénon, comme si c haque segment était c haque fois divisé par une nouvelle série de médiateurs dont c hac un demanderait à être p ri s e n compte. " No us n' arri ve ron s jamais à bo n po rt! Comment pouvons-nous absorber auta nt de controverses ? Nou s pouvons profiter d'une source d'incertitude, pe ut-être de deux, mais certainement pas de quatre d'un co up! » La tentation est g ra nde d' a bandonner par dése sp oir et de se rabattre sur de s théories sociales plus raisonnables qui feraient la démonstration de leur bon sens en igno rant la plupart des sources d'incertitude qu e nou s avo ns parco urues. Malh eureu sement , je n' ai e nco re trouvé aucun moyen d' accélérer les choses : ce type de science pour ce type de soc ial doit être aussi lent q ue la m ultip licit é d' objec tions et d' obje ts dont il faut rendre compte e n suivant les c haînes d'assoc iations; aussi coûteu x qu'il le faudra pour suivre les médiateu rs qui prolifèrent à c haq ue ras ; au ssi réflexif, aj usté et sophistiqu é q ue les acte urs q ui collaborent à l'élaboration de tous ces liens nouveaux. Cette di scipline nouvelle doit se montrer capable d' enregi strer les différences, d'ab sorber les multiplicités, e t de remettre l'ouvrage sur le métier à c haque fois qu' elle ab orde un nouveau cas. Non, déc id ément, il n' y a pas d'au tre c hoix : il nous fa ut e ncaisser avec co urage les qua tre sources d' ince rtitude, l'une a près l' autre, c hac une ajoutant a ux
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C<>mllll'Ill dtp /<>yer les ron /ro
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le /IIOnde social
précédentes son type particulier de difficulté s. Si J' on se privait d'une se ule d'entre e lles, c'es t tout notre projet qui s'écroulerait. Je contes se pourtant mon embarra, : n'est-Il pa, finalem ent contre- prod ucti f d 'abandonner le raccourci commode de s ex plica tions sociales de co uper indéfiniment le s cheve ux en quatre s ur ce qui constitue un groupe? De ru ser avec les intermédiaire s pour qu 'ils se compo rte nt c omme de s médiateurs ? De prendre acte des idi osyncrasie s le s plus bizarres c he z le s acteurs les plu s humble> ? De dre sser la longue li ste d er. objets pren ant part à l 'action? Enfin d ' abandonn e r l'arrière-plan solide de s fait s indiscutable s pour le s sables mouvants des fait s co ntro versés? N ' e st-il pa, ri d ic ule d 'affinn e r que le s en quête urs d oi v ent .. suivre les acteurs e ux-mêmes ,., alors qu e le s acteurs e n que stio n s'éga ille nt dan s toute s les di rections comme un ess aim d 'abeille s q u ' un en fa nt ca p ric ie ux 'l' ra it ven u d éran gé ? D'ailleurs, qu el ac teur faut-il pré férer ? Lequel faut -il suivre, et pen dant co mbien d e temps ? Et si cha que ac te ur est lui -même co nstitué d 'un a utre essa im d ' abeille s se dispersant dan s toute s le s directions , où diable faut-il arrêter ? Rien ne saurait être aussi s tupide qu 'une méthode qui met un p oint d'honn eur à ê tre si méticuleuse , si radicale , si étendue et , i .. o rie ntée objet ,. q u'elle e n d eviera totalement imprati cable. Ce n'est plu, de la sociologie, c'est une co urse de lenteu r, une grève du zèle! Le s maît re s zen pe uvent méditer sur les nombreuses én igmes de leur disci pline aust ère , mai s pas l' auteur d'un traité de sociologie: ou bien le proje t qu ' il prop ose est faisable et abordable , ou bien il faut le traîner en j ustice pou r publicité menson gère ...
NUD S écr fvuns d es textes, neu s n e regardons pas à travers un e vitre He ure use me nt, il existe une solution pour nous tirer de toute> ces difficultés , une sol utio n q u i, comme toutes celle , qu e j' ai p ro po s ée s ju sq u'à main ten ant , es t p ragmatique: n ou s n e parviendron s à retomber sur no s pied , qu ' en cootin uant à nous n ourrir d' ince rtitu des . Si nou s voulons avoir une ch ance d e mettre de l'ordre dans tou tes le s controverses déj à menti onnées, il nous falf ajouter une c inq uième et dernière so urce d'incertitud e, q ui concerne cett e fois la démarche d'a nalyse elle -mime.
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L' idée es t tout simplement de faire passer au pre mier plan le travail qui consiste à écrire des rapports. Comme le lecteur l' aura d ésormai s compris, la sol ution aux c rises du relativism e es t d' all er toujours plu s loin dans la relativit é - c'est-à-dire, nou s l'avon> maintenant compris, dan> l' établissement de relations . Toutes choses étant égales par ailleurs, il faut acc epter pour notre programme le modèle d' Einstein, lors qu'il décida d'aborder, non pas la nobl e question de l'éther, mais le problème apparemment limité et banal de savoir comment une personn e équipée d'une règle et d'un c hronomètre pouvait intercepter un signal é mis par une autre personne équipée d'une règ le et d'un chro nomètre . On ne demande pas l'impossible, comme Çil fallait que le lecteur passe- d'un seul saut pérille ux, de ses représentations mental es aux quatre sources d'incertitude précédentes : demandons-nous plutôt à quelle activité nous nous livrons lorsque nous affirmons tracer des co nnexio ns sociales. Ne so m mes-no us pas, tout simplement, en tra in d' écrire des comptes rend us ? M ai s q u' e st-ce qu'un co mpte re ndu 1 ? Il s'agit le pl u s souvent d'un teste, d'un e petite ram e de papier épaisse de quelques centimètres e t noircie par un rayon laser. Il peut ê tre com posé d e 10 (XX) mot s et il ar rive qu 'il ne soit lu q ue par q uelq ues personn es , so uvent un e dou zain e, o u qu elqu es centaines si nou s somme s vraiment chanceux . Une thè se de qu elque 5 0 00 0 mot s sera lu e pa r un e demi -dou zain e de personne s (si vous avez de la chance, même votre jury de thèse e n aura lu des parties !), et lorsqu e je dis ", lue '", cela ne signifie pas '" comprise '", " utili sée '", " recon n ue '", mais plutôt .. feuillet ée '", '" vagu em ent regard ée '", '" mentionn ée '", .. citée '", « remi sée quelque part dan s une pile » . Au mieux, nou s aj outons un compte rendu à tous Ceux qu i sont é mis au même moment dans le domaine que nous avons é tudié . Et, bien s ûr , une tell e é tude n' est j amais complète : nous commençons au beau mili eu des c hoses, in medius res, poussés par nos collègues, contrai nts
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p ar n os demande s de subventions, sans financement adéq uat, é trangla. par les échéances; n ous avons ignoré ou IMI compris la plupart des c hoses qu e nous avons ét udiées : nous avons pris le film e n train , et il continuera lorsqu e nous a urons d éjà q uitté la salle . Ce que nous pouvons bien faire sur le terrain - mener de s entre tie ns, fa ire remplir des qu e stionnaire s, prendre des note s et de s photos, tourner de s vidéos, p arcourir de la documentation, se traîner d'un air gauche - n' e st pas clair pour le s personnes avec qui nous n'aurons partagé qu' un bref instant. Ce qu ' att end ent d e nous les clients (centres de rech erche s, ad ministrations, conseils d ' admini stration, ONG) qui nous y ont envoyés reste entouré de my stère tant est sinueux le chemin qui a condu it au choix de tel inve sti gateur, de tel sujet, de telle méthode, de tel site, e tc . Même lorsqu e nous n ous trou vons e nfin au c œur des ac tivités, avec nos y eu x el no s o rei lles grands o uverts, nous p a sson s à côté d e l' es sentiel .. . : o n nous expliq ue le lend emain qu e nous avo ns tout raté, que des événements cruciaux se sont produits quelque s minute s auparavant, juste à cô té, aprè s qu e nous somme s parti s fourbus, notre magn étophone inerte faute de batteries. Mê me quand n ous travaillons assidû ment les choses ne vo nt p as mieux : a p rès qu elqu e s moi s, nous v oilà s ub mergés par un flot d e donn ées, d e rapport s, d e tran scri ptions, d e tabl eaux , d e stati stique s et d'articles. Comment donner un sens à ce ca pharnaüm au fur et à me sure qu 'il s'entasse sur notre bu reaux, qu 'il remplit d'innombrabl es disqu ettes ? Hélas, le rapp ort reste à éc rire, et n ou s fai sons tout p our re tarder ce tte délic a te opération . Le co mpte re nd u d'e nquête p ourrit s ur pie d tandi s que nou s ess uyons les remontrance s d es direct eurs de thèse, d es finan ce urs et de s clients, les plainte s de no s proche s et de no s enfants qui nous vo ient farfouiller dan s ce tte sombre ma sse de donnée s dans l'espoir d'éc lairer le monde . Et lorsqu ' on commence vraiment à écrire, et à trou ver finalemen t une certaine satisfac tion, il faut sacrifier d'énormes quantités de donn ées qui ne sauraient trouv er pl ace dan s le s q uelques pages q u'on nou s o ff re pour publication. Oui, la recherche est frustra nte! Et po urta nt, n ' e st-ce pa s la vo ie de toute chair? Au ssi grandio se qu e so it la p erspect ive , au ss i sc ie ntifi que qu e soit la démarche, aussi sévères que soient les exigences, aussi av isé qu e soit le direct eur d e th èse , le rés ultat d e l'enq uête - dans 99 % d es cas - sera un rapport prépar é sous les contrai ntes le s plus
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Cinquième s ourr:t d 'iIlCl'rliludi>: rMigl'T des Contples rendu.< risqués
e xtrêmes, portant sur un sujet imposé par certains collègues pour des raisons qui resteront, pour l'essentiel, inexpliquées 1. Et c'es t trè s bien ainsi, pa rce qu ' il n 'y a pas de meilleu re faço n de proc éder. Les traités méthodologiq ues peuvent bien rêver d'un autre monde: un ouvrage sur la sociolog ie de l' acte ur-réseau écrit par des cherc heurs du type termit e pour d'autre s termites n' a pas d'autre but que de les aider à creuser de petites galeries dans la terre poussiéreuse - la seule dont nous disposions . Faire pisser a u premier plan la manière d' écrire des rapport s irritera probablement ceux qui affirment savoir ce dont le social est fait. Ils préféreraient de loin res sembler à leurs collègues de s sciences « dure s » et s'efforcer de comprendre l' exi stence d'un phénomène donné sans a voir à prendre e n cons idér atio n la matière écrite du rapport. Comme ils aimeraient entrer e n contact direct avec la chose étud iée e n ne passant q ue par le médium transparent d'un idiome technique clair d dénué d'ambiguûés ! M ai s nou s a utres qui a vo ns é té form és à la sociolog ie de s sciences, nou s n' avon s pas besoin de faire semblant d'igno rer l'importance qu'il faut donner à l'épaisseur d'un texte donné, à ses em bûc hes, à ses dangers, à son opac ité, sa résistance , sa mutabilité, son tropi sm e, à cette faço n retorse qu ' a le travail d' écriture de vous faire dire les choses qu e vou s ne vouliez pas dire et de vou s empêc her de dire les choses que vou s vouliez ... Nous savons trop bien que, même dan s les sciences « dures », les auteurs s'essaient maladroitement, e ux aussi, à mettre par éc rit des faits controversés qui ne cessent de leur éc happer . Il n'y a aucune rai son plausibl e pour q ue nos comptes rendus à nous soient plus tran sparents, plu s direct s, pl us immédiats qu e le s ra pports en proven ance des laboratoire s de sciences e xac tes 1. Puisque nous savons maintenant que la fabrication et l'artificialité ne sont pas con tra ires à la vérité e t à l'objec tiv ité, nou s n' avons aucune raison d'hésiter à faire passer au premi er plan la médiation même du texte. Mai s, pour cette m ême rai son , nou s
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n ' avon s pas à abandonner, so us prétexte que n ous accordo ns beaucoup d'attentioo à la machinerie textuelle, le but tradi tionnel de, sciences d ' att eindre l' obj ectivité. Comme ceux q ue rédi gent nos collèg ue, de, sciences exacte" no , text e, doivent être à la fois artific iels et précis: d 'autant plus précis qu 'ils sont artific iels. La différence ne pa sse pa s donc entre ce ux qui savent avec certitude et ceux qui écrivent de s texte s, e n tre le s espri ts • scie ntifiques JO e t. littéraire s JO, entre l' . esprit de géométrie JO et 1' . es pr it d e finesse " , mai s entre ceux qui écrivent de mauvais texte s et ce ux qui e n éc rive nt de bons'. Au lieu d ' op po ser sciences naturelle s et sociales. mieux va ut nou s demander: quel est le bon montage expérimental. quel est le bon compte rend u d' expérience ? Loin d' être superficielles ou superflues, ces que stions sent décisives pour toute science du social. Pour le dir e de façon provocatrice: la bonne sociolog ie doit êt re b ien éc rite; faute de quoi , elle sera incapable de fa ire paraître le social. La qu e stion n' est donc pa s de savo ir s' il faut opp o ser d e s texte s « objectifs » à de s texte s « s ubjectifs ». Il existe de s texte s qui foot semblant d'être objectifs parce qu'ils feig nent d' imiter ce qu'ils c roient être le sec ret des sciences naturelle s ; et il e xiste d ' autre s texte s qui so nt bel et bien objecti fs parce qu 'ils retracent d e, objets avec a ssez de soto pour qu e ceux-ci pui ssent objecter à ce qu ' on dit sur e ux. C'est parce que la sociologie de l'acteu rrésea u prétend rafraîch ir la s ignification de ce qu ' e st une science et de ce qu' est le • soc ial JO , qu' elle doit aussi renou veler notre conception de ce qu' e st un compte rendu objectif. L'adj ectif ne renvoi e pas ici aux faits indiscutables (avec leu rs prétention , à l' . objectivatio n " froide et d ésint éress ée) mai s a ux site, actifs, Intéressants et co ntroversés où se co nstruisent les faits disp uté s (les maners of concems. Il y a donc au moins deux façons pour un texte de prétendre à l'objec tivité : soit pIF l' intermédiaire d'un style objectiviste - quand bien même il ne mettrait sous le s yeux a ucun objet ! - , soit par l' assemblage de nombreux objecteurs - m ême sa n, la moindre intention d e pa rodier le sty le objectiviste ...
4. Du . u. li.... par ai Heun f....,m .., lIIlI 1'<1<"'"'" de J'bi ..,. . (Hia' ''e, rltilOriq.... r" elrW {2OOl D. c . ", Ginzb "'J ie """"" de . 1c<>nd li.. [... deux c«l• q"" "'.. Jo Ilu!.OIiq"" " la .. ft",."" , cen" "",,,, dM_ce bula_ Malo.
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Cinquim.e SOU n;t
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C 'es t p ourqu oi je me permets d e d emander p ourquoi le s texte s d e scie nces soc iales so nt so uven t si mal écrits. J'y vois d eux rai sons: d'abord, parc e q ue le s c he rcheurs e n sci ence s sociales c roient devoir redoubler d ' efforts pour imiter les écrits mal ficelé s de s scientifiques: ensuite, parce que, contrairement à ces derniers, ils se gardent bi en de co nv oq uer dam leurs ra pports des acteurs assez récalc itrants pour venir int erférer avec leur éc riture bâclée. En effet, quel q ue soit leur manque d e q ualité littéraire, les c he rc he urs e n sci e nce s naturelle s sero nt toujours forcé s d e prendre en co ns id ération au moins certa ines de s bizarrerie s de leu rs obj ets récalc itrants. Mais, à l'inverse, il semble que seuls les soc iologues du soc ial - tout spéc ialement le s soc iologues c ritiques - soie nt c a pa bles de rec ou vrir c om plè te me nt le comportement d e leu rs in formateu rs sous leur propre métalan ga ge. M êm e si le s scie ntifiq ues des sciences dit es d ures se donnent un mal fou pour être aussi illettré s que po ssible, les faits di sputé s inondent leurs écrits de si belle manière qu 'ils fini ssent par transformer de s articles pr étendument e nnuyeux de physiqu e, d e bi ologie e t d 'hist o ire naturelle e n de fa sc inants opér as - comme l' ont si bien montré le s ét ud es littéraires sur l' écriture scientifiq ue ' . Les sociologues , quant à e ux, parviennent très so uvent, au prix d 'immens e s effo rts , à être ennuyeux pour de bon ! Paradoxalemen t, il semble qu 'il faille traiter le s humains avec beauc oup plus de délic atesse que le s non-humains parce qu'il est p ius diffi cile d' enre gistrer leurs nombreu se s objections, les personn es ayant l' étrange faculté d ' o béi r à ce q u'on dit d' elle s, ce q ui n' est jamai s le cas d e s objets mat éri el s ". C'est peu t -être là la seu le véritabl e différen ce e ntre le s science s « dure s » et le s science s « molle s » ou plutôt « souples » : on ne peut j amais é touffer tout à fait la voix de s n on -humains, mais celle de s humains , oui. .. Voilà pourqu oi la question de ce qui fa it un bo n co mpte rend u revêt pour les sciences sociales une
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importance beaucoup plus grande que pour les sciences natu relle s . Si le fait d'introduire I'e xpress io n « co mpte rendu t extuel ,. dan s un di scours de la méthod e peut sem bler de la dynamite, ce n'est pa, parce qu' il fait vol er en éclats les prétentien s des chercheurs à l'objectivité: c'est parce qu'il détruit à j amais le droit des sociologues à mal écrire, M1U~ le prétexte de r édiger e comme les vrais scientifiques JO . Dans la mesure où les sociologues des sciences ont pu repérer à de nombreu ses reprises la lente ém ergence de l' objectivité dan s les écrits scientlflq ues, Ils se so nt libérés d 'un grand fardeau : la pom pe de la pros e prétendue objectivante " , C'est parce qu'ils ne vivaient pas dam l'omb re d'une objectivité d' emprunt qu'il s ont pu e xplorer d'autres façons de rendre l' objet rétif à leurs comptes rendus écrits. Mettre a u premi er plan la dimension textu ell e des activités scientifiq ues n' est pourta nt pas sans danger. En effet, pour les ge ns peu fam iliers a vec la soc iologle des sciences ou avec la sémiotiq ue, di re d'un co mpte rend u que c'es t un text e, c'es t paraître confesse r qu'il s' agit d'une " histoire JO, d'un " simple r écit JO . Contre ce tte attitude scep tiq ue e t blasée, j' utilise au contrai re I'ec presston compte T"t!ndu pour désigner un texte qui a justement refus é de laisser de eût/ la question de sa véracit é ' . Je sais que j e vai s contre le sens commun. La tentation est fœ-te, en effet, de confondre la notion de compte rendu et de « simple récit JO, e t ce d'autant plu s qu' on trouve même des c herc he urs - si l' on peut utili ser pour e ux ce terme honorable - PO"' affirm er q ue les sciences sociales ne génèrent " que JO des récits, e n ajoutant parfoi s : « comme en littérature JO 9. Un peu comm e
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7. On no ma'"l""" ~ I. lto""' ''' p" do .omm' ob ' 8. L ' "'0 rnn.vooo d ... . lnroo. d '" œco"n/œility • (10 fu' do un do. ,omp"") ,"', Gorfinkol mai. oossi Slf.llS, La pol~iq ", ti-, grandi ( l99l ) , M. ..tcco,,",;,,! . 1IJ Sd." .. (l99'~ Poor url ca•• " core plo. t ro" " otK, voir P. Q.rAYnaŒ, ,, Ac cOlm .~ fo. God .(~) . 9. C
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d es j ou eurs de football qui marqu eraient un but co ntre leur p ropre camp, ces humani st es so p his tiqués on t c omme nc é à utilis er le s mots «réc its " et « d isco urs " pour dire qu 'il n'y a pas d ' écriture véri d iq ue. Co mme si l' abs ence d 'un Texte absolu vo ula it dire qu e tous le s texte s sont également relatifs! Et, bien s ûr, tous ce ux qui veulent dénigrer les sciences sociales ont sauté s u r t'occasio n. puisqu e c' es t c e qu 'i ls n ' a v aient c e s s é de prétendre: « Les sociologues ne font que raconter de s histoires ; il est temps q ue certain s l' avouent e nfin. " Or, a ffirmer que les scie nces socia les réd ige nt d e s co mptes rend us écri ts es t une chose (toutes les science s de ce tte Terre font la même chose et c ' e st pour ce la qu'elles se fini ssent toute s par un suffixe en -Iog ie ou- graph ie) ; mai s ce lie u c ommun ne permet à personn e de conclure qu ' on ne peut éc rire que des histoiresficth 'es . D'abord, une telle a ppréciation trahit une totale ignorance d u dur labeur des auteurs de fict ions. CaIX qui , en anthropolog ie, en soc iologie o u dans le s cultural studies, se targuent d ' « éc rire de s récits fictifs » sera ient bien in spiré s de se montrer au moins aussi discipliné s, aussi captifs de la réalité , lW ssi obsédés par la qualité du texte qu e de bons éc rivains . Ils ne voient pas qu e si le s scienc es sociales étaient de toute façon «des fictions _, elle s d evra ient se so umett re à de s ép reuves plus ex igeantes e ncore qu e c ell es qu 'ils attri b uent a ux sciences ex pér ime nta les. S i vo u s o bjecte z : « M a is qu ' e st -ce qu 'un bo n écrivain? ». j e vo us demanderai: « Qc'est-ce qu'un bo n scientiflque ? _ À ces deux que stions, il n ' existe pas de réponse toute faite. Il y a plu s grav e: un compte rendu qui se satisfait d'êrre « une histoire " est un co mpte rendu q ui a perdu sa principale so urce d 'incertitude: il ne se soucie plus d' être précis, fidèle, intére ssant o u objectif : il a abando nné tout projet de traduire le s quatre so urces d'i ncertitude que nous avons passées e n revue j usqu'à pré sent. Et pourtant, aucun c he rc he ur e n sciences sociales ne peut se prendre pour un scientifique et éviter le risque d ' fai re un rapport vrai et complet sur sen sujet d 'étude. Ce n ' e st ras parce qu e vous devenez att entifs à l'écriture qu e VOlIS devez aban donner la recherche de la vérité . À l'inverse, ce n ' e st pa s parce qu 'un tex te est fade e t e nnuyeu x qu 'il es t fiable. Les sociologues
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C<>mmelll dép /GY'" /.... COII I"'WTS"" "" /e monde . ocial
c ro ient tr op so uvent qu'un « style o bjectif " - par qu oi ils entendent d' habitude quelques trucs grammaticaux co mme la forme passive. le e nou s " de maj esté, l.1 de nombreuses noi es de bas de page - parvi end ra miracul eusement à d éguiser l'abs ence d'obj et s et d'obj ecteurs. La sauce épais se du « style objectif » ne peut occulter trè s longtemps l'abse nce de viande; mai s si vous e n avez la c hair, alors vous pouvez à volonté c hoisir ou non de l' assaisonner... Les comptes rendu s textuels sont tes laboratoires des sciences sociales et , si l'on doit se lier à ce parallèle, c' est justement en ra ison de la nature a rtific ielle des labo ratoi re s qu ' on pe ut parvenir à l' objecti vité - à condition d'être constamment et obsess io nn ellement attentif à la détec tion des artefacts. Par consé quent, affirmer qu'un rapport de sciences soc iales es t un co mpte rendu textuel ne veut pas dire qu e l' on souhaite affaiblir son rapport à la réal ité mai s, au co ntraire, qu e l ' on souhaite accroître le nombre de précaution s qu'il faut prendre, ainsi que les co mpé te nce s ex igée s de s e nq uê te urs. Co mme on l ' aura compris, je l' espère, depuis le début de ce livre, toute l'opération consiste à rendre la production d' objectivité plu s difficil e e t non pas moins. fi n'y a aucune raison pour qu e les sociologues des associations abandonnent cette contrai nte lorsqu'ils abandonnentla sociologie du socia l et Iorsqu 'ü s introdui sent dan s la di scu ssion ce tte cinquième source d'incertitude : le proces su s d' écriture propre à leurs e nquêtes . En fait, c'est l'inverse : si le soc ial e st un fluide qui circ ule selon cer taines modalités - le social n" 2 - , et non un arrière-monde qu e seul le regard désintéressé d'un savant extral ucide peut percer à jour - le rodai n" 1 - , alors il peut être transmis par certains dispositifs bien c ho isi s - )' comp ris de s textes, des ra ppo rts, de s co mpte s rendu s, ou da> traceurs quelconques. Plus e xactement : le social peut être transmis ou ne pas l'être. Comme cel a arrive souvent pour les expériences de Iabcratolre, les compt es rendu s textuels peuvent e ux au ssi échouer 10. À lire les sociologues du social 00 a trop souvent l'impression qu'ils essa ient simplement de « fixer un monde sur le papier », 10. Lu .p "'JroIor;IJ'" lprl , dIJ p inci"" do r.....filbilitl! do P"!1"" " .llio'" bioD, ,.;"';, d o r 10........ 0 au IOJl o lui .."m. do rmdro exp/ id lO' 10. o
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CiIlijWèml' SOI : rMigtr der Contpll'!i rendu< risqués
comme si une tell e activité ne risquait j amais d' échouer. Mais alors, comment pourraient-ils réussir ? Si l'on ignore ou, pire, si l' on d énie la médiation si traîtress e et si particulière d e J' écriture, le mende qu 'ils c herc hent à saisir restera toujours invis ib le. Quels que soient le s efforts qu'Ils a ient pu prodiguer a u co urs de leu rs enquêtes pour être auss i rigou reux que po ssible, leur compte rendu textu el se soldera par un échec : ri en, en elfet, n e parviendra à faire miraculeu sement sauter le réel dans le texte. Les sociolog ues de s associations se livrent à une ex périence b ien di fférente. Pour e ux la qu estion d evi ent la suivan te : la mat érialité d 'un rapport écrit, d 'une hi stoire, ou plutôt d 'une fic tion - il n 'y a a ucu ne rai son do rén avant pour s'a bsten ir d'utili ser un terme si p roche de la fabrication des faits - , peut-ell e prolonger un peu p lus l'exploration des connexions soc iales? Autrement dit , le sort du compte rendu écrit est en conti nuité avec celui d e tou s les média teu rs et non pas - comme avec l'a utre école en co mplète rupture. Une chaîne n' e st j ama is plus forte que son maillon le plus faible : si le socia l est une série de trace s, a lors on peut le re-tracer ; s'il es t une asse mblée, on peut le ré-assembler. Alors qu'il n ' existe aucune conti nuité matéri elle entre la soc iété du soc iologue d sen co mpte rendu textu el - d ' où les contorsions sur la m éthode, la vérité et J' en ga gement politique - , 0 0 peut mettre en continuité ce que fait le social _ au sens n° 2 et ce que peut fa ire un tex te - du moins un bon texte.
Mals qu'est-ce qu 'un réseau , à la tin ? Comment définir un bon texte ? Ce qui nou s préo ccu pe ici n ' est pas le be au s tyle. Quelle qu e soit l'attenti on que n ou s mettons à écrire, n ous resterons touj ours, hélas, de simples soc iolo gues ; no us ne sercns jamais capables qu e d'imiter de loin le tal ent d es éc riva ins, de s poètes , d es auteurs d e théâtre et d e roman . Nou s avons donc beso in d 'une pierre de touche moins délicate. Cho se étrange, c'est précisément la recherc he de cette pierre de touche qui va n ous aider à définir enfin le terme le plu s déroutant de tous ceux que n ous avons utilisés jusqu'ic i. Je dir ais q u' un bon co mpte rend u est un co mpte rendu q u i t race un réseau.
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Cmlllllt'lIl dIp/IJ}'t'r II.'S ("(JII lmW'TSI.'S sur le
nwllde . ocial
Une préclsl un le r rnin ul0l<:lq ue au suj et d .,,; r ésea u,. Le terme de e réseau »est si ambigu que nous aurions dlll'abandonner il y a bien longtemps même si nous l 'utilisons dans une tradi tion qui ne devrait pas être confondue avec deux autres directions de recherches. L'une est, b ien entendu , celle qui se réfêre à des réseaux technique s: réseau électrique, ferroviaire, canalisation s, internet , etc. La seconde es! utilisée en sociologie de s organtsattons pour introduire une différence entre les organeauons. les marchés et les Élal~ (R Boyer , « The Redlscovery of Networ ks - Pas! and Prese nt - An Bconomisr's Perspective _ (2004)). D.lns ce cas, les réseau" constituent une façon in fo rmell e d'associer des agents humains (M. nrsnovener.« Economie Action and Social Structure : The Problem of Bmœdedness "11 9851). Lorsque M . Casretts utili se le tertre ( M . Casretls, W soô/ri en ri seaux / 200 11), le s deux accepti on s se trouvent con fo ndues putsqœ le réseau devient un mode d'organisation privilégié grâce à la portée même des technologies de l' infonnation . C'est auss i en ce sens que L. Bo ltanski et E. Chiapello l'utilisent pour œ üntr une nouvelle tendance du mode de production capitaliste ( L Boltanskr et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisml' [ 1999D. M a ïs l'autre tradition, 11 laquelle nous nous so mm es toujours référé'J, est celle de Diderot dans IL rive de d'Alembert ( 1769), qui compte vingt-sept occurrences du terme « réseaux _. C 'est là q ue l'on peut trouver une variété três parœuu ëre de matérialisme actif et diS!ribué dont Deleuze, à travers Bergson, es! le représentant le ptus récent ". Voici un exemple: « Bordeu. - Pour aujourd'hui vous VOIL~ cone me reaœ celle -ci. Une femme tomba 11 la suite d 'une couche dans l'état vaporeux le plus effrayant ; c 'étaient des pleur s et des ris involontaire s, de s étouffements, des co nvulsio ns, des gonflements de gorge, du silence morne, des cris aigus, tout ce qu'il y a de pis : cela dura plusieurs années. Elle aimait passonnëoenr. et elle c rut s'apercevo ir q ue son amant, fatigué de sa maladie, commençait à se détacher ; alors elle résolut de guérir 011 de pér ir. Il s'établit en elle une guerre civile dans laquelle tantôt c'était le maJ"lre qui I'emporrah, tantôt c' étaient les sujets. S'il arrivait que l'action des filet s du réseau mt égale à la réaction de leur ori gine , elle tombait c o mme morte ; on la
I l . S ...- 1. pb ilc ""pb i. uticulou-. d . 1. m 'u.-. rnu Did..-OI . Dithror' . Du a ... 1990.
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if- W . AN"" R,", N.
Cinquièmi' 'OU"' t d ""C1'rliludi>,' rMigl'r dl'S Compll'S relldu, mqld.
portait sur son lit où elle restait des heure" entières sans mouvement et presqu e sans vie ; d ' autres fois elle en étai t quin e pour des lasshudes, une dHaillance générale, une extinction qui ~e mbl ait devoir être finale. E lle persista six mois dans cet état de lutte. La révolte commençait toujours par le" ti let ~ ; elle la sentait arriver" (Diderot (1769]1976). Il est clair que le terme " réseau » n'a rien à voir avec le sens n° 1 du mot social, qu'il ne se limite pas aux liens humains et se rapprochede la définition de la .. socëre » erdes .. rayons imitatifs ,. chez Tarde (B . Karsenti, « L' imitation : Retour sur le débat entre Durkheim et Tarde » [2002J).
l' entends par là une chaîne d' actions où chaque participant es t trait é à tous ég ards comme un médi ateur. P our le di re trè s simp lement : un bon c ompte rend u, dans n otre op tique, es t un récit, une description ou une proposition dans le squ els tous le s acteuI'!ifont quelque chose au lieu , si j'ose dire , d e rester a ssi s à ne rien fa ire, d e transporter des e ffets sans le s tra nsformer. Chaque maillon du texte peut devenir une blfurcatiœt, un événe ment, ou l'origine d'une nouvelle traduction. Dès que les acteurs so nt traités non plus comme de s interm édiaire s, mais c omme de s médiateurs, ils rendent le mou vement du soc ial visible aux yeu x du lecteur. Grâce a ux p rocéd és d'éc riture, a ussi nombreu x et inventifs qu ' on voudra, le social peut ainsi redevenir cette e ntité circular ite - le social n" 2 - , et non plus la li ste touj ours répétée de s entité s déjà répertoriées dans les d éfinitions antérieures de la soc iété I l . Dans n otre vers ion de s sciences soc iales, un texte es t d onc un te st , o u plutôt le te st c ruci al, qui p orte a) s ur le nombre d'acteurs qu e l'auteur est capable d e traiter e n médiateurs, et b) sur la distance le long de laqu ell e il parvient à mener le social rendu de no uveau visible aux yeux des lecteurs. Ain si, le réseau ne dé sign e pa s une chose qui se trouverait là et qui aurai t vaguement la forme d'un e nsemble de p oints interconnectés, comme le .. réseau " téléphon ique , le .. réseau " autoroutier o u le .. r éseau » de s é go uts. Ce n' e st rien d 'autre qu 'un indicateur de la qualité d'un texte rédi gé au sertir d'une e nq uête
12. C' ... ce ",'"n "",, • "bi '" imiofiq... d. u n, ( 1976 J.
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sur un sujet donné ". Un réseau qualifi e le degré d' objectivité d'un récit, c'es t-à-dire la c apac ité de ch aque acteur àfaire f aire d es c hoses inattendues a ux a utres acteurs. Un bon text e met a u jour d es réseau x d ' act eurs lorsqu'Il perm et à cd ui qui l'écrit d e trac er un e nse mble d e rela tio ns d éfini e s co m me a uta nt d e trad uctions. À l'inverse , com me nt dé finir un mau vais com pte rendu textuel '1 Dans un mau vais texte, se ule une poignée d' acteurs seront dési gnés comme les ca uses de tou s le s autre s, lesqu els n'au ront d'autre fonction q ue de servir d'arri ère-plan o u de relai s pour de s séries causa les. Ils auro nt beau ges ticu ler pour fai re office de personnage s. ils n'auront aucun rô le dan s le scénario, puisqu'ils n 'agir ont pas (so uve no ns- nous que si un ac te u r n 'introduit a uc u ne di fférenc e , ce n' est p a s un ac teu r) . S e contenter de véhiculer une force venu e d'aill eu rs et simplement tran sportée d ' un point à un autre n e suffit donc pas à e ngendrer des acteurs . Un mauvai s compte rendu réduit le s trad uctio ns à d e simples dépla cement s sans transformation ; il ne fa it qu e transporter des caus alités à tr avers de simples int ermédiaires. Ainsi es t sûremen t mau vai s un compte rendu qui n' a pas é té produit d 'une mani ère o rigina le, ajustée à ce cas e t à lui seul, rendant compte à d es lect eu rs particuliers de l' existence d ' informateurs particuliers " . Il est standard, anonyme, général; il ne s ' y pa sse rien ; on n'y tro uve que des clichés reprenant ce qui a déjà é té assemblé so us la forme passée !hl soci al . C'es t à ce niveau que le contraste littérair e en tre la soc iolo gie d e l'acteur-réseau et la sociologie du social - et, mieux e ncore, la sociologie c ritiq ue - e st le plus accentué. Aux yeux de la première, un co mpte rendu composé de quelque s causes g lo bales q ui e ngen dre nt u ne ma sse d' effet s sera cons idéré comme un compte rendu fai ble e t im puissant, qui se borne à rép éter e t à transporter une force soc ia le déj à assemblée, s ans c herc h er à savoir d e quoi elle est faite et sans trouver lei; véhic ules s upplémentai res qui permettrai ent d e les trans porter. Le Il. FIl co " "". <' "" 1"~'I"ivolo'" de Il Doôon d'~ .B!'I" otion "";que ~ 'l"e [""" or"""e chez 10 ' elhoom"'t.>dob8""" t b. dim "" 'l"e J• • ocio. de al e"l''''ion. .. ",'on , ' "" ''''l''in~ !Il ,."&~ dOl pile de >al MpI<>i.o-
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Onquièml' sourr:t d"lIctrt' t«dl> : rMigtr dl'S comptes rendu.< risquh
texte a be au inv oquer des kyriell es d' agents sociaux, c'es t comme si rien ne se passait. puisque le principe de leur assemblage rest e inconnu d le prix de leur expansion n' a pis été pay é. Quelle que soit leur figurat ion, ils n' agissent pas. Dans la mesure où le texte n' a pas perm is de tracer le ré-a ssemblage de nouveaux agréga ts, tout se passe comme si le monde social n'avait p as accédé à l'existence. Et, bien que la définitioo courante du soc ial semble s'afficher partout - le social n° 1 - , notre définiti on du social n' a pu faire so n a ppa ritio n. À t 'Inve rs e, la définition courante du social doit d' abord disparaître pour q ue no us puissions retracer la nôtre - le social n" 2. Il est difficile d'imaginer contras te plus saisissant : ou la société, ou un réseau. La noti on de réseau permet ainsi pour nous de vé rifier la quantit é d' éner gi e, de mou vement et de s pécifici té que nos comptes rend us d' expérience sont parve nus à saisir. Le réseau est un conce pt, et non une chose: c'est un ou tt q ui aide à décrire qu elque c hose, e t non ce qui es t décrit. Pour e m pru nter à l'histoire de l' art une co mpara ison, il entretient avec le sujet traité la même relation que le quadrillage de la perspec tive e ntretient avec un tableau figuratif : les lignes que le peintre esquisse e n premier vont e n effet lui permett re de projeter e nsuite un objet tridimensionnel sur la surface à deux dim ensions de la toile ; mais elles ne sont pas ce qu 'il faut peindre, se ulement ce qui a permis a u pe intre, avant qu'il les efface o u les reco uvre, de donner l' impress ion de profondeur en trois dimensions sur une surface e n deux dimensi ons. De la même façon, un réseau n' est pas ce qu i es t représ enté dans le texte, mai s ce q ui pré pare le texte à prendre le relais des act eurs considérés comme des médiateurs. C'est pourquoi il est très poss ible de rendre compte en termes d'acteur-ré seau de sujets qui n' ont aucunement la forme d'un réseau au sens technique du terme - une symp honie, une lég islatio n, un rocher ramené de la lune, une g ravure - e t, malh eureu sem ent , à J'In ve rse . o n peut parfaitem ent éc rire à pro pos de réseaux techniques - télévi sion, téléphones, satellites, réseau commerc ial - sans fournir le moins du monde un bon compte rend u en termes d' acteur-réseau. On m' objectera que j ' exagère quelque peu d'utiliser le mot .. réseau JO pour définir la qualité littéraire d'un compte rendu. Je concède q u' il ne ressemb le pas à d ' aut res termes q ue j'ai pu utili ser j usq u' ici, tel s qu e gro upe, acte ur, act a nt, fluid e o u 191
C<>mmelll dlployer les I;OII lro"""es .wr le I1IOl1di' social
non-humain, délibérément c ho isis en rai son de leur absenc e totale de signification. Celui -ci, au c ontraire, est beaucoup trop riche! Si une certaine confusion a p u avoir lieu - et c 'est entièrement de not re faute - , c'est parce qu e certa ins objets précédemment décrits par notre sociologie étaient des réseaux au sem; technique du terme (la métrol ogie, le métro, le s téléphone s), et parce que , lorsque ce terme fut introduit il y a vi ngt-c inq ans, Internet n'avait pas e ncore frappé - pas plus qu'Al-Qaida... Si bien q ue le mot « réseau JO con stituait alors une nouveauté q u' il était loisible d ' opposer à« société JO, « institution "," cult ure». « champs », etc., autant de notion s souvent co nçues comme de s surfaces, de s chaînes de causalités alignant de s fait s indiscu table s le s uns derrière le s autre s. Auj ourd'hui, ce pendant, le s ré seaux so nt devenus la rè gle , e t le s surfaces l'exceptio n : la notion a donc perdu d e so n tranchant. Et po urta nt il faut bien faire é merger le co ntraste e ntre ce qui fait proli férer les média teurs - le résea u au sens de l' acteur-réseau - et ce qui tran sporte sans effo rt a p pare nt d e s e nsem bles s ta b ilisés d'intermédiaire s - le réseau au sens banal'l . Qu el que soit le terme que nous retenons, il fau t qu' il puisse dés igner des flux de traduction s. Pourquoi ne pas utiliser le terme « résea u JO , puisqu'il e st déj à établi et d orénavant solidement relié par un trait d 'union au mot « acteur » tel que j e l' ai précé demment redéfini? De toute façon, en dehors de l'usage, aucun voc able n ' est adéquat. Par a illeu rs, la mé taph ore matérielle ini tiale , celle de Diderot, rec ouvre trois aspects im portants que je ve ux mainteni r e n rec ouran t à cette ex p ress ion : al un ensemble de points se trouvent connectés, ces connex ions sont physiquement traç abl e s, on peut le s s u ivre emp ir iquement; b ) e ntre les co nnexions il y a de s vides, com me le sa it tout pêc heur qui jette son filet à l'eau ,.; c) entretenir ces connexions e ntraîne une dépense, un effort, comme le sait tou t pêc heur qui répare son filet sur le quai. l~.
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Cinquième s ourr:t
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rMigl'T d l'1i COlltpII'1i rtlldw risqués
Si l'on veut que ce terme soit conforme à nos intentions, il n ou s faut aj outer une quatrième c a rac tér is tiq ue qui , j e le co ncède, bo usc ule qu elque peu la m étaphore initial e : no s rés eaux n e sont pas fait de câ bles d e nylon, de mots, o u de qu elque s ubsta nce durable : ils ne sont que la trace que lai sse derriè re lui le déplacement d'un véhicule, d 'une traduction, d'une circ ulatio n. Autrement dit , vous pouvez suspe ndre vos filets à poisson pour qu'ils sèc hent, mais vous ne pouvez p as suspendre un acteur- réseau sur une corde à linge ... La faiblesse de la notion de réseau est e n partie du e a u fait qu ' elle a donné lieu à des représentations visuelles assez pauvres. L a représentat ion graphiq ue de s résea ux, pe rçu s com me de s e mbranc hements ray onnan ts d' où partent des lignes qui les relient à d' autres points qui ne sont eux-mêmes rien d'actre que de nouvell es connexions, a fourni un éq uival ent grossier mai s fidèle de ces associations " . Elle avait pour avantage de définir la spécificité non pas en termes de contenu substantie l, mai s à travers une liste d' associations : plu s lUI po int est connecté, plus il est individualisé. Ces graphiques avaient cependant l' inconvéni ent d' être sommaires d'un point de vue visuel, e t de ne pouvo ir a ppréhender les mouvem ents. Pourtant, ces limites pos sèd ent un a vantage ce rta in : la pauvr eté de la représentation graphiqu e e mpêche l' enquêteur de confondre son infralan gage a vec le s riches objet s ainsi repré sentés : la carte n' est pas le territoire . Au m oins ne co urt-on p as le risque d'imagin er que le monde se co mpose de points e t de ligne s, tandis qu e les sociolog ues du social semblent trop souvent croire qu e le monde e st fait de gro upes sociaux, de sociét és, de c ultures, de règles, alors q ue ces termes désignent le plu s souvent les dispositifs de représe nta tion graphique qu'ils ont mis au point pour donner sens à leurs données. En tout cas, pour apprendre à tracer un acteur-réseau, il faut ajouter, aux nombreu ses traces lais sées par le fluide social , cette 17. C·. .. l. c.. <10 . p",mi. .. ""ci!> uximap"" d ..... M. CALlU<, J. LA", Cl A. RlI'. Mo[f1in! lM D)'n""';c."Sei",,,, /IIId T<ehnol"!"j (19!l6). n .xi. .. .ujourd·hui d. Domh...u x ..., ... . d i . po . i' if> lraph i qu",. q . A. CAMH OSlo, P . KEAn No et A. MooOl,JTO)v. « M' Winl Colloborotiv. Work . r-.l ln ,"",,,,,ciOll in Biomedici.., ~ (200.). Co.nid..... c""""" "". ",p.o_lOtio.. cc"" VioiOll Il. .. "' ... . " co..."" 00""'"' un. Ih bori •• cil. OODOti'U' .... aide fo""idohlc t r ""lnetion. P. n. a W JIJI" ~ "' . cf- G. TllL. « C..
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Cmlllllt'lIl
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nouvelle so u rce de médiateurs: le comp te rendu éc rit, qui va perme ttre ou non de rendre le soc ial à nouveau visible. Dans un compte rendu e n term es d'acteur- r éseau. la proportion relative d es médiateu rs vis-à-vis d es int erm édiaires a ugmente. J' appelle une telle de scription un compte rendu risqué, dam la mesure où il peut très bien éc houer - il échoue d ' aill eu rs la plupart du temps - puisqu 'il ne peut écarter ni l'arlificialilé complète de l'entreprise. ni son ambition de parvenir à la p récision et à la véracité. Quant à sa pertinence politique et à l'utilité q u' il peut avoir pour le s a cteurs e ux- mêmes, elles so nt moins certai nes encore, co mme no us le verrons en conclusion. Autrement dit, toute la que stion est d e savo ir si l ' événement du soc ial peut s'étend re j us qu'à l'é!.·énement de la lec ture pour le lecteur à tra vers la médiation d'un tex te . T el es t le pr ix à paye r pou r parvenir à l' objectivité - terme q ue j'a imerais redéfinir comme le rassemblement v irtuel d es producteurs d 'objections.
Re tou r a ux ton da mente ux : une li,lt' d t' ca r nets
À ce stade, la meilleu re façon de p rocéd er et d e se nourrir d e cette cinq uième so urce d'incertitude est tout simplement d e tenir un j ournal d e tous no s mouv ement s. y com pris d e ce ux qui co ncemen t Ia p roduction même du compte ren du. Ce n' e st ni pour les be aux yeu x de la réflexiv ité épis témique. ni par une sor te d'indulgence n arc issique, mais parce que dé sormais to ut fa it pa rtie des données : tout, d epuis le premier coup d e téléphon e à un in formateur potentiel, le premier rendez-vou s avec le direct eu r de thès e, le s p remière s corre ctions qu 'un client a a pportées à un p roj et de t tna ncement. le premier usag e d 'un moteur de rec herc he, la premi ère liste d' éléments à coc her dans un que stionnaire. Conformément à la lo gique de not re int érêt pour le s rapport s et la comptabilité « ri te, il pe ut être util e d ' énumérer le s di fférent s carnets q u' il fa ut tenir à jou r - ct 1"'" importe désormai s qu 'ils soient manuel> ou num érique s " , Le p remi er carnet d ev ra fa ire ornee de ca rnet de bord de l' enqu ête. C'es t la seule façon de documen ter le s transformations 18_r .. ib" Ir 1<ml " do • oarnrt•• de fal"n plO"Ôl m lo.r.Jitm",,,. pui!.q u· ~ . J""lv
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Cinquièml' sourr:t d"I1<:1!rt,tuJe : rMiger des comptes rendu.< risqué.
qu e l'o n s ubit en se déplaçant au co urs des terrains. L es rendez- vous, les réactions des autres vis-à-vis de l'enquête, la s urprise é pro uvée fac e à l ' étranget é du terrain, etc., tout cela devra être consigné au ssi rég ulière ment que possible. San s cela, on perdra de vue l' expérience artificielle qui cons iste à aller sur le terrain et à se mettre en présence d'une nouvelle situation. Il faut que, même des années plus tard, il soit poss ible de savoir comme nt l'étude a é té conçue, quelles pers onnes ont é té re ncontrées, q uelles sources o nt été co nsultées, etc., le tout étant préci sément daté. Il faut consacree un second carnet à la collecte de l'information, de telle sorte qu'il soit possible de clas ser toutes les entrées par ordre c hronologique t out en les rassemblant dans des catégori es destinées à évolua vers des fichiers e t de; sous-fichie rs de plus en plus raffin és, Il existe aujourd' hui de nombreux logiciel s q ui satisfo nt cette ex ige nce co nt radic to ire, mai s l es a nc iens comme moi ont énœmément appels du trava il ennuyeux consis tant à reporte r des données s ur des fiches bristol. .. Quelle que soit la solution retenoe, le passage d'un cadre de référence à l'autre se trouve grandement facilité si le; données peuvent rester inaltérées tout e n étant susceptibles d' être reclassées de multipl es façons. C'est la seule manière de procéd er pour qu ' ell e. soie nt a uss i flexible s et art iculées que la question qu'il s'agit d'affronter. Il faut toujours avoir à portée de main un troi sième carnet, destiné aux ess ais d' écritu re ad libitum. CÀ! ne saurait parvenir à dépl oyer de façon adéquate des imbroglios comple xes sans un 1101 continu d' esqui sse s et de bro uillons. Il serait malad roit de c roire que le travail se divise en une première période, a u cours de laquelle on se contenterait d' accumuler des données, suivie d'une seconde, au cours de laquelle on commencerait à écrire. La rédaction d'un rapport est une affaire trop risquée pour se plier à une distinction e ntre l' e nquête e t la rédaction. Ce qui se sort spo ntanément du clavier d'ordinateur, ce sont des géné ra lités, d es clic hés , de s définition s à tout faire, des compte . rendu s remplaçables, des idéal -type s, des explications pui ssantes, des abstractions, bref, les matériaux qui permettent de rédiger sans le moindre effort les textes de la soc iologie du soc ial ,9. Pour 1~ _ V90- d'u tilo. ptki.iom "" co "" in1 d ....
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(2002).
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contrer cette tendance, il faut redoubler d' efforts pour enrayer cette éc riture automatique. Il n ' est p as p lus facile de découvrir le bon compte rend u q ue de savoir quel est, dan s une expérience d e laboratoire, le bon prot ocole. Mai s les id ées, les para graph es, le s m étaphore s et le s astuces littérai re s peuvent surgir de faço n inattendu e au co urs d 'une étude: si on ne leu r réserve pa s une place ou un débouché , ils seront perdus ou, p ire , ils viendron t giJcher le dur labeur d' accumulation des données e n mé langeant le métalangag e des acteurs et celui d e l'observateur. C'est par conséq uent une bonne habitud e qu e de réserver un espace sé paré a ux nombreuse s idées susceptibles de IIOU S pa sser par l' e sprit, même si elles ne trou veront un usage qu e de s ann ées plus tard. Il n' e st p as m au vai s n on p lus de te nir so ig neuse men t un quatri ème type de carnet de bo rd pour consigner les effets qu e le compte rendu rédi gé a p roduit s sur les ac teurs do nt le mond e a été d éployé o u unifié. Cett e seconde expérience, q ui s'ajoute au travail de terrain à proprement parler, est déci sive si l' on ve ut éva luer la façon dont un co mpte rend u co ntribue à a ssem bler le social. L' étude peut b ie n ê tre te rm inée, mai s l'e xpérience continue: le n ouve au co mpte rendu ajoute so n action performative à tout es les a utres, ce qui produit a ussi d es données . Cela ne veut pas dire q ue ceux qui o nt fait l' obj et de l'ét ude o nt le droit de ce nsurer ce qu e l'on a éc rit à leur propo s, ni qu e le sociologue s'arroge le p ri vilège fo rm ida ble d 'ign orer ce que ses « infcrmateurs » rétorquent au dépl oiement des forces invis ibles qui les font ag ir. Cela signifie plutôt qu'une nou velle négociation s'engage pour décider des in grédient s qui e ntreront o u non dans la composition d u morxl e comm un ll. Dans la mes ure o ù un co mpte ren du risqu é p eut ne s'avérer pertinent que beauco up plus tard, il faut soign eu sement conserver le s trace s qu'il lai sse dans so n sillage. Le lecteur sera peut-être déçu de voir qu e les grandes qu estions qu e nous avons ét udiées j usq u'à présent s ur la formation d es groupes, les formes d'existence q ui nous font a gir, la méta physique e t l ' ont olo gi e d oiv en t ê tre abordées à l 'aide d e
20. Da... 1. "" d. l· Olep! ';",.. """.. PO' 1. sod olop . n" scio.., ... II ,'y • ", ' ~ voir 1. Iop' d. "'ml" ",i , '." éco oM • • !JO los p.mih" . l'''hlic otion. ,,' 10 « ~ O'IJ" dos .d rn o", • . Etpoonan~ çanm. j.l·.imonu-li d .... .., çbopi.lr'p~ rn~ " . '" or'" "'1'6rio""...nit P'""''' JlIOfit. si . n••·av';, p" é~ miOOti'U"lD'''' oOllsignéo.
J'IiI "''''''' ..
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Cinquii'ml' sourr: t d ';lICerl;Iudi',' rMiger dl'S Compll'S relldu.< risqué.
re ssources aussi prosaïque s qu e de s petits c arnets qu 'il faut avoir sur soi pendant la procédure totalement artificielle du tra vail de terrain et des e nq uêtes. Mai s il a été averti au préalable : il n'y a rien à découvrir de plus gran diose, et il n' exi ste pas d e raccourci. Aprè s tout, Archim ède n' avait be soin qu e d'un point fix e pour soulever le monde; Einstein n'équipa ses observateurs qu e d 'une rè gle et d'un chronomètre , pourqu oi auri ons-nous besoin d'un é q uipe me n t plu s lourd pour ramper à travers le s co n d uits so mb res et étroit s trac és par des termites aveugles? Si vous ne so uhaitez pas prendre de note s et VOlIS appliquer à le s écri re, la s ocio log ie n ' e st p a s pou r vo us : ce so nt le s se u les faço ns d' acc éder à un peu plus d ' objectivité. Si l' on me dit qu e ces comptes rendu s textuels ne so nt pas e sutûs amrneu scientifiques » . je répliquerai e n disant que s'ils n' ont pas l' air scientifiqu es , parc e qu 'ils diffèrent d es clic hés vé h ic ulés pa r cet adjectif, il s so nt susceptib les d ' être rigoureux selon la seule d éfi nition qui m 'intéres se ici : ils s'efforcent d ' appréhender avec la plus grande précision po ssible de s objets récalcitra nts à travers un dispositif artificiel, même si cette e ntreprise peut trè s bien se révéler vaine . Si se ule me nt une frac tion de l'énergie dé pensée dan s le s sciences sociales pour commenter na; é minents prédécesseurs était convertie e n description de terrain ! Comme nous l' a appri s Garfinkel : il s'agit touj ours de pratique s « aIl the wa)' down » .
Déploiement,
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pa s c rtëque
Allonger de façon désordonnée le co mpte rendu d ésordonn é d'un monde d é sordonné appara îtra diffi cilem ent co mme un e activité grandiose. Mais nous ne recherchons pes la grande ur : le but est de p roduire une science du soc ial qui soit adaptée à la spéc ific ité d u soc ia l, tout com me le s autre s science s o nt d û mettre a u point de s strata gè mes nouveaux et artificiels afin de ca pturer fidèlement les phénomène s qu ' elles so uhaitaient sais ir. Si le soc ial est qu elque chose qui circule et qui ne de vient visib le que lorsqu'il se reflète à travers la concaténation de médiateurs, c 'est cela que nos com ptes rendus textu els doi vent répliquer, c ultiver, induire et ex primer. Le travail consiste à déployer le s acteurs en tant que réseaux de médiations - d ' o ù le trait d 'union 197
Omllllelll dép /ay'" les CIJII I"'Wrses "" le I/I(JlIde s ocial
dans l' expre ssion " acteur-réseau " . Le déploiement n'e st pas la même ch ose qu'une " simple description ", ni que le " dévoilem ent " d es " forces sociales à l'œuvre " d erri ère les acteurs; il ressemble plutôt à l'amplification d 'un petit échantilloo d 'AD N par la méthode dit e pe R 11 . Et d' ailleurs qu 'y a -t-il de mal avec le s « s imples de scriptions " 11 '1 Un bon texte n' e st jamais un portrait sans médiations de ce qu' il décrit - pas plus qu'un portrai t. du re ste 13 . Il s' inscrit toujours dan s une ex périence artificiell e visant à répliqu er et à accen tuer le s tra ce s d écl ench ées pa r d es épre uves a u co urs desquelle s les acteurs deviennent des médiateurs. ou le s média teu rs se tran sforment en intermédiaires fiable s. De toute faç on, ri en n' e st moins naturel que d'aller sur le terrain pour y de venir aussi invisibl e qu'une mouche sur un mur, distribuer des questionnaires, dessin er des cartes, exploiter des arc hives, e nregistrer d es e ntret iens, jouer le rôle d 'un observate ur participant , c omp iler de s stati stique s, o u s'embarque r sur Goog te afi n de trouver son chemin sur Internet. Décrire, in scri re, raconter et écrire des rapports de fin d' enquête sont des opérations aussi peu naturelles, aussi complexes e t aussi e xigeantes que de disséquer d es drosophiles o u d'envoyer un télescope dans l'espace. Si les expériences de Faraday vou s semblent étra nges et artificielles, qu ' en est-il de s expéd itio ns ethnographiques de Lévi-Strauss ? Si vous tro uvez que le laboratoire de Lord Kelvin est artificiel , quid d e Ma rx rédige ant des note s de bas de pa ge dan s la British Library : de Freud demandant à de s gens de se laisser aller aux a ssociations d 'idée s s ur son div an v ien nois; o u d e Ho ward Becker ap prenant le jazz afin d e pouvoir prendre d es rot es sur le s musiciens de j azz ? Le simple fait de consigner quelqu e chose sur papier représente déj à une immen se tran sformation, qui exige autan t d'adre sse e t d'artifice que de peindre un paysag e ou de provoquer une ré action biochimique complexe . Aucun chercheur
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CiIlijUièml' sourr:e d';lICertiludi',' rédiger des comptes rendu.< risqués
ne devrai t se sentir humilié de s'en tenir à la description: elle es t, au contraire, la plu s haute et, surtout, la plu s rare des réalisations. Mal gré cela, j e crai ns qu ' on ne trouve pas suffisant de s'en tenir à la description. tant que nous ne lui avons pas « aj outé " cette autre chose que l' on appelle souvent une « explication » de ce qui a été décrit. Et pourtant. I'cpposition entre description et e xplication epparnenr. elle aussi, à ces fau sses dichotomi es qu'il conviendrait d' abandonner - surtout lorsque ce sont les « explications sociales " qu ' on veut tirer hors de leu rs mai sons de rep os ... S oit les ré seaux qui renden t p ossibl e une situatio n donnée sont pleinement déployés - e t, dans ce ca.", aj outer une explication serait superflu - , sou nou s « ajoutons une explication " qui fera intervenir un a utre acteur o u un autre facte ur, auqu el cas cela signifie qu' il faut étendre la descrlptlon un peu plus loin. Autrement dit, si une description a besoin d'une explicatio n, c'est un e mau vai se desc ri ption ! La se ule exceptio n conce rne les situations rela tivement stables où certains acteurs j ouent e n effet le rôle d'intermédiaires pl einement déterminés - et par conséquent pleinemeœ " exphq ués » - et, dan s ces cas simples, e n effet, le cadre traditionnel, pre-relativiste, suffit tout à fait. S'il faut ê tre si méfiant e nve rs les e xplications « ajoutées " à la description, c'est parce qu'elle s fournissent I' occasjon à la sociologie d u socia l d'introduir e s ubreptice ment ~e~ ca uses redondantes. Dès qu'un site donné est re plac é e à l'intérieur d'un cadre de référence ». tout devient beauco up trop vite rationnel, les explications com mencent à affluer trop facilemelll. Le dang er es t d' autant plus grand que c'es t souve nt le moment que choisissent les sociologues critiques. touj ours à J'affût, pour prendre le contrôle des explications sociales et remplacer les obj ets dont il s'agit de rendre compte par des " torees soc iales" à tout faire, que les acteurs seraient trop niais pour voir ou dont ils ne pourrai ent s uppo rter le dé voilem ent. Il e n va donc des sciences sociales comme dei; « rapport s prot ég és » : s'en tenir strictement à la description garantit contre le risque de transmettre des explications .... Là encore, les sciences sociales sont victimes de leur propre effort pour se confo rmer à une vision faussée des sciences nature lles, comme ~i la description était touj ours trop parti culière, trop idiosyncrasiqu e. trop localisée. Et pourtant, contrairement
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Omllllelll dipl"yt'r 1", ("OII lro"""",
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le IIIOlIde . ocial
au pro verbe scolastique, il n'y a de science que du particulier 201. S'il faut é tablir des connexions e ntre des sites, cela doit se faire à trave rs plus de descriptions, et non e n s'embarquant soudai n sur des véhicules tout-terrain comme la Société, le Capitalisme, l'Empire. les Normes, l'Individuali sme, les Champs, et ains i de suite. Un bon texte devrait provoquer chez un bon lecteur la réaction suivante : " Plus de détails, s' il vous plaît, je veux plus de détails. " Dieu es t dan s les détails, co mme tout le reste - y compris le Diable ! C'est le caractère même du social qu e d' être spécifique. Tout le j eu consiste à vi ser non pas la réduction , mai s l'irréductibilité. Comme Gabriel Tard e ne se lasse jamais de le dire : « Exister, c'est différer. » On l' aura compris, .. déployer " signifie que, dans le rapport qui conclut l'enquête, le nombre d' acteurs augmente; l'éventail d'actant, Çélargit; le nombre d' objets qui contribuent à stabili ser les grou pes et les agences e st multiplié ; les controverses portant s ur le s faits di sputés sont enfin cartographiées. Seuls ceux qui n' ont jamai s essayé d' écrire sur les médiateurs plutôt qu e s ur les intermédiaires dir ont que c'es t là une tâche aisée, quelque c hose qui se rés ume à la .. simple de scription " . Pour nous , a u co ntrai re, c haq ue nouvel objet exige a u moins a utant d'inventi vit é q u' une expé rience men ée e n laboratoire - ct 1. réuss ite y est tout aussi rare . S i nou s y parvenons - ce qui n' est pas automatiq ue et ce qui ne s' obtient pas simplement en aj outant .. docteur en sociologie" au ba., d'une sig nature - , un bon compte rendu fera sortir le social d'une performal Îon, au sens o ü cert ain s participants, à t ravers la médiation co ntroversée d e l' a uteur, seront ossembtës o u rassembl és. Un tel résultai, malgré les appare nces, est loin d' être négligeable. Le problème est que les sociologues passent trop souve nt de l'hubrÎ.\· - c hac un d' entre e ux rêv an t d' ê tre le Newton de s sciences soc iales ou le Lénine du c hangement social - au désespoir : ils se reproch ent de simplement accumuler des rapports, des récits et des statistiques que .. personne ne llt " . Mais le choix
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200
Cinqwème sou"'e d 'iIlCl'rliffldt>: rMig", dl« Contpll« rendu.< risquh
e ntre la maîtrise totale et le manqu e de toute pertinence es t un choix superficiel. Dése spérer de ses propres textes n'a pas plus d e sens qu e d e vouloir, lorsqu' on e st responsable d 'un laboratoire d e c himie, êt re util e a ux méd ecins. Comm e toujours, se rendre pertinent pour d ' autre s, c 'est le rés u ltat d'un travail trè s particulier d'intére ssement. Un rappo rt est int ére ssant ou non en fonc tion de la quantité de tra vail inve stie dans le but d'uuére sser. c'es t-à-dire de le placer en tre les besoins, les désirs, les volontés d ' autre s a gents 2'1. Or, rien ne prouve a priori que la sociolog ie n e soit pas intéressante pour d 'autres ; pourquoi partir perdant ? A u co ntra ire, c 'es t ce qu e ré vè le le c umu l d es c in q so urces d'incertitude que nou s avons pa ssé en revu e: De quoi le soc ial es t-il fa it? Qu'e st -ce qui agit lorsqu e n ou s agissons ? À qu el type de regrou pement appartenons-nous ? Qu e voulons-nous? Qu el type de mond e sommes-nous prêts à partager ? Toutes ces q uestions ne sont pas soulevées uniqu em ent par les cherch eurs, mai s aussi par ceux qu'ils étud ient. Et s' il est arrogant de penser que nou s, les sociologues, co nnaissons la réponse di ssimulée aux acteurs, il serait stupide de croire que eox, les fameux" zacteurszeux-m êmes ». la connaissen t. Le fait est que personne n' a les r éponses - et c'est pourquoi elles doiv ent être mises e n scène, stab ilisées et révisées par cette collectivité virtu elle qui ne peut ê tre convo quée qu e pa r d e s scie nces soc iales é nerg iq ues et constamment rafraîch ies ~. Ceux qui se dé sespèrent de leu rinuti lité ne comprennent pas que les sciences sociales so nt indispensables au travail de réassemblage du social. Sans e lles, n ous ne saurions pas ce qu e nou s avon s en commun, nou s ne connaîtrions pas les li ens q ui nous a ssocient, nou s n'aurions a ucun moyen d e savo ir comment vivre dans le même monde. Pa r conséq uent, devant l' ampleu r de la tâche, tout artifice visan t à découvrir les réponses à ces questions sem le bien venu.y compris cette modeste contribution que peut apporter le docu ment d 'un sociolog ue. L' échec n' est pas plus sûr q ue la réussite e t il va ut certai neme nt la peine d ' e ssay er. C'est précisément parce que le s cinq sources d'incertitude sont enchâssées le s une s 2 S. La "",ioklpe
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C<>mmelll dt'pIIJ}'t'r II.'S CO/IlroveTSI.'S sur le IIIOlIde .ocial
dans le s autres qu'un rapport écrit par un mode ste collègue qui ne porte même pas de blouse blanche peu t faire une différence . Rien ne prouve e n effet qu 'il ne peut pas offrir une mise en scène provi soire des connexions qu 'il e st parvenu à d éployer ni fournir un site artificie l (le co mpte rendu textuel risqué) susceptible de répondre pour un auditoire parti culier à la que stion du m onde com mu n. R as semblé s autour du « laborato ire" textuel, le s auteurs comme le s lecteurs peuvent c ommencer à rendre visibles les d eux mécani sm es que nous a pp rendro nt plus tard à disti nguer: celui qui porte sur le nombre d ' entité s à prendre e n compte - co mbien sommes-nous? ; celui qui porte sur l'unification du monde à habiter -c- pouvons-nous co hab iter ê"? Bien sûr, ce n' e st qu'un texte fait de feuilles de papier macul ées par un jet d' encre ou brillées par un rayon laser ; mais, e n même temps, il s' ag it d 'une préci euse petite in stitution qui repr ésent e. o u pl us exactement qui pré sente à nouveau le social à tou s ses participants, q ui le performe, qui lui donne une forme. Ce n' e st peu t-être pa s beaucoup, mai s demander plus signifie souvent qu' on se co ntentera de moins. Beauc oup de « p uissantes e xplications" peu vent se ré véler moins c on vaincantes que des e xplications plus faibl es. S'inq uiéter d e l' efficacit é potentielle d es text es sociologiq ues revient à a ffic her so it un manqu e de mod estie soit un manqu e d ' ambition. À tout prendre, le succè s de la diffu sion mondiale de s science s sociales est au moins aussi frappant que l'expansion des sciences naturelle s e t des di spositifs technologiqu es. Peut-on sures timer le c hangement que représente le fait, po ur chacun d ' entre nous, d ' appartenir d ésormai s à un " genre " , grâc e a ux texte s éc rits par le s c herc heuses fémini ste s ? Qu e saurions-nous au sujet de 1'« Autre » sans les co mptes rendus de s anthropolog ues? Qui pourrait se me surer à son pa ssé sam le s arché ologue s e t le s hi storiens ? Qui pourrait navigue r sans le s géographes? Qui aurait un inconscient sans les psychologue; ? Qui saurait q u' il y a réalisation de p rofit o u non !\lUIS le s comptabl es ? Certes, les comptes re nd us écrits semblent offri r d e s pa sserell e s bi en fragile s pour a ller d 'un cadre d e référence à t'autre , et pourtant leur efficacité ne saurait être égalée par le s e xplications soc iales plus grandioses e t plus puissantes qui sont 27. Ce.
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III dHinitiœ do l. pdili'P"'. B. LAXUl. Pol~ io ~.
Cinquii'ml' .ourr:t d"lICerliludi',' rMiger dl'S Compll'S relldu, risquJ.
Une rel'1l mrna ndallon
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À la dernière page de son dernier livre, lequel ponait justement sur la sociologie de la science, Pierre Bourdieu définit la difficulté, pour le sociologue, d' atteindre le fameux point de vue de Dieu, après s'être purifié de toutes les perspectives singulières grâce à l'application extrême de la réflexivité, Il s'agit probablement de la version la plus honnête jamais fonnulée du rêve de la sociologie critique, « Comme il [le sociologue 1doit se garder d'oubl ier ausst que si, comme n 'importe quel autre savant, il s'efforce de contri buer à la construction du point de vue sans point de vue de la science, il est, en tant qu 'agent social, prL~ dans l'objet qu 'il prend pour objet et qu'à ce titre il a un point de vue qui ne coïncide ni avec celui des autres ni avec le point de vue en survol et en surplomb de spectateur quasi divin qu'il peut atteindre s 'il accompli t les exigence'> du champ, Il sait par conséquent que la particularité des sciences sociales lui impose de travailler (comme j'ai essayé de le faire pour le cas du don et du travail dans U. M ldi rarioru pa.caI~1IlIn) à construire une vérité scientifique capa ble d 'in tégrer la vision de l'ob servateur et la vérité de la vtston pratique de l'agent comme point de vue qui s'ignore comme tel et s'éprouve dans l'illusion de l'absolu» (Bourdieu 12001], p, 222),
censées le s humilier. Ce n' est p as parce que le soc iologue ne peut occ uper la place du Dieu o mniscient des sciences sociales qu 'il doit rester p risonnier dans la cell ule obscure de so n point de vue, Nous n ' avons pa s à choisir entre le paradi s et l' enfer, Il suffit de parcourir un paysage d'Afrique pour se co nvaincre que la leçon de s termites va droit au c œur de s praticiens de l' acteur-réseau : s ans quitter le s é troites ga leries qu ' elle s mâch onnent dans la glaise , d ies vont pourta nt très loin",
Que faire de l'acteur-réseau? Interlude sous forme de dialogue-
UNbureau à la Londoo School of Economie s en fin d ' ap rès midi, par un sombre mardi de février, avant d ' aller prendre un ve rre au Beaver's Retrea~*. On en tend frapper à la porte un coup discret mai s insistant. Un é tudiant se faufile dans le bureau. L'Étudiant: - Je vous d érange ? Le Professeur: - Pas du toul. De toute façon, ce sont mes heu re s de permanence. Entrez, asseye z-vo us. E, - Merci. p , - Eh b ien .. . J' ai l'i mpressio n qu e vous ê te s un peu perdu? S , - Oui, c 'est v rai. Je dcis vou s avouer q ue j'ai d es diffic ultés à appliquer la théori e del'act er r-réseau à mon étude de cas sur le s œ ganisatiœts. p , - Pas étonnant - e lle ne peut s ' appliquer à quoi que ce soit! E , - Mai s 00 n ous avait appris... je veux dire .. . ç a a l' air d' être le d ernier c ri . Vou s vou lez d ire q u'elle est ré ellement inutile?
• 0' illleriudo • foit l"ob;" d·"". p.lltic. ':oDd.", LJ R. ·..... J. MAUSS. No,"" """". "'p i> pou.- I'. ",," i etio. d 'A bi. CaiDo5 ", PbiliWO a. o.oi al, • • y "WO" '" q""l" " " modif,e (Ndl). .. Pub .. lié 'l'',,rim.. 05'•• do Jo LES.
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C<>mmelll dép/GY'" les CIJII lroWTSes.lUl" le III(Jl\ib> social
P": - N on, elle peut ê tre utile , mais seulement si e lle ne s'« appliqu e " pas à quelqu e chose. E , - Désol é. Vou s n' êt es pas en train de m e jouer un tour zen, o u quelqu e c hose comme ça, non? Jedoi s vous avertir, je ne suis qu'un simple doctœant en sciences des organisations, alors n'attendez pas de moi ... Et en plus, toutes ces théories fran çaises, ce n' est pas trop mon truc : j 'ai juste lu un bout de Mille Pla/eaux mais je n'ai pas réussi à comprendre grand-chose. P: - Désolé. Je ne voulai s pas faire le malin, j uste vous dire qu e l' ANT* con stitue avant tout un a rgument nl ga/if. Elle ne dit rien po sitivement sur quoi que ce so it. E, - Mais alors qu'est-ce qu ' elle peut faire pour moi ? p , - La meilleure c hose qu' ell e peut fair e pour vous, c'es t de vous obliger à dire quelqu e chose du genre : « Lorsqu e vos in formateurs mêlent dan s une même phrase organisation, hard ware, psychologie et politiq ue, ne comm encez pas par trouver qu'ils ont tort de tout mélanger ; essayez a u contra ire de suivre les associa/ions qu'ils font entre ces éléments qui VOIJ..> aura ient semblé totalement incompatibles les uns avec les autres si vous aviez suivi la définiti on usu elle du social." C'est tout. L'ANT ne peut pas vou s dire positivement e n q uoi co nsiste le lien en qu estion. E , - Mai s alors pourquoi est-ce qu ' elle s'appelle « théorie » si elle ne dit rien des choses que nous analyso ns? p , - C'es t une théorie - e t même, j e pense, une théori e solide - mai s une théori e qui port e sur la fa çon d' étudier les c hoses o u, mieux , sur la faço n de ne pas les ét udier. Ou e ncore s ur la faço n de lai sser a ux acteurs un certai n e space pour s'exprimer. E , - Vou s voul ez di re qu e le s autres théories socia les ne permettent pas cela ? p , - Oui, d'une certaine façon . El. cela e n rai son même de ce qui fait leur force : d ies sont excellentes pour dire des choses positives s ur ce qui consnt ue le mond e social . Dan s la plupart des cas, c'est parfait, les ingrédient s sont connus, leur nombre peut res ter suffis am ment limité. Mais ça ne marche pa s lorsque les choses changent rapidement, lorsqu e les assoc iations nou velles • Comme le dialogue r.e d &<JOl1e m An gletene, f a i pM rommyme _ lequel rolUlUl"acror ' Mory.
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,.""",t
loi. ANT p.
Que faire de l 'aeteur ...éfea
sont trop surprenantes e t, j 'ajouterais, ça ne marche justement pas dan s les domaine s dont on s'occ upe ici, les th éori es de l' organi sation , les sciences de l'in formation , le ma rketing, les études sur t'entreprise, la sociologie des sciences et des techniqu e s. L à, les frontiè re s so nt trop fl oue s. C'es t pour ces nouveaux dœnatnes que vou s avez besoin de l'ANf. E , - Mais mes agents, mes acteurs. je veux dire les gens que j'étudie dans l'entreprise, ils forment un grand nombre de réseaux. Ils sont connectés avec beaucoup d' aut res c hoses, ils sont partout à la fois... P , - C'est j ustement le problème. Vou s n' avez pas besoi n de la sociolog ie de l' acteur-ré seau pour dire cela : n'importe quelle théorie soc iale peut le faire aussi bien. Vous perdri ez votre temps en reprenant cette argumentation exotique simplement pour dire q ue va; in formateu rs sont pris dan s un réseau social de relat ion, d'influence, d'éc hange. E , - Mais ils le sont bel et bien ! Ils fonne nt un résea u! Regard ez, j'ai tracé Mlf ce schéma les différent es connexions qui les reli ent: puces informatique s é talo ns, é ducation, argent, récompenses. pays, c ultures, salles de réunion, tout, quoi. Je n' ai pas décrit un réseau , selon vous? P: - Pas nécessairemeot. Je vous accorde qu e tout cela est terriblement confus, et c'est largement de notre faute - le terme que nou s avons inventé est assez horrible ... Mais vous ne devez pas cœuondre le réseau tel qu' il est représenté dans la description que vous en donnez et le r éseau qui est utilisé pour faire cette description. E, - Pa rd>n ? p , - Mais o ui ! Vous serez d'accord POUf dire que dessiner avec un cra yon, ce n' est pas la même chose que de dessiner la fo rme d'un c rayo n . C 'es t p areil avec ce terme a m big u de «réseau " . Avec la soc iologie de l'ac teur-réseau, vous pouvez décri re q uelque c hose qui ne ressem ble pas du tout à un réseau - l' étal mental d'un individu, la mu sique baroq ue, un perscnnage de fiction : à l'inverse, vous pouvez décrire un résea u - de métro, d' égout, de téléphone - qui n' est pas du tout dessiné en termes d' acteur-réseau. Vous confondez tout simplement l'objet e t la méthode. L'ANT es t une méthode, e t une méthode essenti ellement négative : elle ne dit rien sur la/ orme de ce q u'elle penne! de décrire.
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C<>mmelll dIp /IJyt' , les crmlmW'rses sur le IIIOlIde .ocial
E , - C' est déroutant! Mais les c adres supérieurs de mon entre prise. à IBM, es t-ce qu ' ils ne fer ment pao; un beau réseau , révélateur et signlflcatlf ? P: - Peut-être, je veux dire s ûrement, o ui - et alors ? E , - Alors, j e peux le s étudier avec l'ANT ! p, - Encore une fois, peut-être que oui, peut-être que non. Cela dépend enti èrement œ œ que vo us permettez de faire à vos ac teurs, ou plutôt à vos actan ts . Ë tre connec té, interc onnecté, ê tre hétérogène , œ n' e st pas suffisant. Tout d épend du type d'action qui se d éploie e ntre les uns et l es a utres. En anglai s, c'est plus clair : d am « network " il Y a « net », le fil et, et « work », le tra vail. En fa it, n om au rio ns du dire « worknet » a u li eu d e " network JO . C'es t sur le labeur, le mou vement, le flux e t le s c ha ngemen ts qu ' il fa ut me ttre l'acce nt . Mais nous som mes coi nc és avec ce terme d e " ré sea u JO et tout le monde pense qu e nous parlons d e l'Intern et, d u Web o u d e q uelq ue c hose comme
ça. E , - Yom vo ulez dire qu 'une fols qu e j'ai montré qu e me s ac teurs so nt liés les uns aux autres so us la forme d'un rés eau, je n 'ai p as p our autant mené une re cherche conforméme nt à la sociologie de l' act eur-réseau ? P": - C'est exacte ment ce qu e je veux dire. L'ANT c'es t davanta ge le nom d 'un crayo n ou d 'un pinceau qu e celui d 'un objet qu 'il faudrait de ssiner ou peindre. E , - Mais lorsqu e je VOlIS ai dit que ]' ANT é tait un outil et qu e je vo us ai demandé s'il p ouvait ê tre appliqu é, VOlIS vous ê tes exclamé qu e vous n 'étie z pts d' accord ! p, - Parce q u' il ne s'agit pas d'un outil - o u plutôt perce qu e les outils ne sont j amai s de « simp les " outils prêt s à l'usage: ils modifIent touj ours les obj ectifs qu e vo us avez à l' e sprit. C'est çe que le terme " ac teur JO signifie . La sociologie de l'ac teurréseau (je vo us accorde que ce terme est bizarre) vo us permet de produire certai ns effe ts q u'aucune a utre th éorie sociale ne vous aurait j amais pe rmis d ' att eindre. C'est tout don t je peu x me porter garant. C'est une ex périence très co mmune : essayez de de ssiner avec un crayon à mine ou avec un morceau de charbon, vo us sentirez la dlfférence : c uire une tarte au four à gaz ou au four élec trique. ce n' e st p as la même c hose. E , - Mais ce n' est pas ce q ue veut mon directeur d e th èse ! Il ve ut lUI cad re dan s lequel mettre mes données.
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Que faire
d~ l ·aCl~ur ... éf~11<j
? fnlerludt> xoo< ftm"l!
d~
diaJo!fUl!
p , - Si vous voulez stocker davantage de données, ache tez un plus gro s disque dur ... E , - Il dit toujou rs: .. Il vous falf un cadre. JO p , - Al or s, comme ça, vo tre directeur fa it donc dans le co mmerce de tableaux ? C'est vrai que les cadres, c'est j oli: doré, blanc, sc ulpt é, baroque, en al uminium, etc . Mai s avez-vous déjà rencontré un peintre qui aurait commencé son c hefd'œuvre en cho isissant d' abord le cadre ? Ça paraîtrait un peu étrange, non? E , - Vous j ouez avec les mots. Par .. cadre JO, j e veux dire une théorie, un argument, une perspecti ve générale, un conce pt - quelque chose qui permette de donner un sem; aux données. On en a toujou rs besoin. p , - Mais non, ce n' est pas vrai ! Dites-moi: si un cas X est un simple exemple de Y, qu ' est-ce qui est le plus important à étudier : X, le cas spéci fique, o u Y, la règl e générale? E , - Probablement v. .. mais X aussi, pour vérifier s' il est bien une application de . .. en fait, les deux, j ' imag ine . p , - Moi je parierai s sur Y, dans la m esu re o ù X ne vous apprendra rien de nouveau. Si quelqu e c hose n' est rien d'autre qu'un .. exemple JO d'une loi générale, étudiez plutôt directement cette loi généra le... Une étude de cas qui a besoin d' être complétée par un cad re explicatif, c'est une ét ude de ces qui a été mal choisie au départ ! E , - M ais il faut touj ou rs placer le s c hoses dan s leu r contexte, non ? p , - Je n' ai jamais compris ce que ça veut dire, un contexte. Un cadre rend une pe inture plu s agréa ble à regarder. il peut aider à mieux diriger le regard, à accroître la valeur du tableau, mai s il ne lui ajoute rien . Le cadre, ou le contexte, c'est précisément l'ensemble des facteurs qui ne changent rien aux données, ce qui re lève d'une connaissance comm une à leur sujet. Si j'émis vous, je me passerai s de cad re, q uel q u' il soit. Décrivez simplement l'état de fait sous la main . E , - « Décrivez se ulement » ! Excusez-moi, mais n' est-ce pa s terriblement naïf ? N' est-ce pas là exac tement cette sorte d' empiri sme, ou de réalisme, contre laquelle on nous a mis e n garde ? Je pensai s que votre argument était, comment dire ... plu s sophistiqué que cda.
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p , - Parce que vous pensez que décrire, c'es t fscile ? Vous devez confondre description et success ion de clichés . Pour cent livre s d e com mentai res, d'argumentation, d e glos es, il y a seulement un ouvra ge d e description Décrire, être attentif a ux états de choses concre ts, trouver le seul com pte re ndu adéquat d'une situation donnée - j'ai toujours trouvé ce la in croy abl ement e x igea nt. N'ave z- vou s jamais e nte n du parler d'Harold Garfinkel? E , - Là, je dois dire qu e je suis perdu. On nous a expliq ué qu 'il y avait deux sortes d e sociologie . une sociologie interprétativ e et une so cio log ie objectiv is te . À j ' évidenc e, V OliS ne voulez pas dire que vou s appartenez au type objectivi ste ? p , - Bi en sûr que si, j 'm suis ! Oui, e t à tous points de vue ! E , - Vous ? Mais on nous avait pourtant dit que vous é tiez un e sorre de relativi ste ! Vou s avez été cité com me a ffi rmant qu e mêm e les scie nces naturell es ne sont pas obj ectives ... DOlIC, d e toute évidence vous êtes favorable à une sociologie interpréta tive, à la multiplicité de s points de vue et de s perspective s, bref à tout cela . p , - Pourqu oi perdre son temps avec le s soc iologies interprétative s ? Non , a u co ntra ire, je crois fe rme me nt qu e le s sciences naturelle; o u sociales sont obj ective s - co m ment peurrait-il en être autrement? Elle s traitent toutes d 'obj et s, non ? Je di s s im ple me n t qu e c e s obj ets peu v en t être un peu plu s comp liqués, multiple s, com ple xes , e nc hevêtrés qu e ce qu e le s " objecti vis tes " , com me vou s le s appelez, aimeraient qu 'ils soient. E , - M ai s c'est exactement ce q u'affirment les sociologies « interprétative s " , non ? p , - Oh non , p a s du tout. Ell es di raient qu e le s d é si rs humains, le s significatio ns humaines , le s intentions humaines, e tc ., introduisent une" fle xibilité interprétative " dans un monde d ' obj et s infl exible s, d e " relati on s purem en t ca us ales ", d e "connexions strictement mat érielle s " . Ce n' est pas du tout ce que je dis . M oi, j'affirme que cet ordinateur-là, sur ce bureau, cet écra n, ce cl avi er, en tant qu'obj et s , cette institution où nou s som mes , so nt c ons ti tu és d e mul tiple s ni veaux, e xac temen t com me vous l' êtes vou s-même qui ê tes a ssis ici : votre c orps, voire langag e, vos qu estion s. C'est l' objet lui -mêm e q ui ajoute d e la multiplicit é, o u plutôt la c hose, 1' " ass emblage " . Lorsqu e 210
QUi'fai", de l'aetew.,.t'se(JiJ, ? Interlude sous forllli' de dialoSUi'
vous parlez d'herméneutique, quelles que soient le s précautions qu e vo us pren ez, vo us p ouvez toujours parier que, qu elque s minut es plus tard , q uelqu' un ajoutera in évitabl em ent: mai s, bien év idem ment, il existe aussi d es c hoses" naturelles _, "objective s » qui, elles, " ne sont pa s int erprétées ». E ' - C'e st exactement ce que j'allai s dire ! Il n'y a pa s seulement de s réalités objec tives, il y e n a aussi de subjec tives ! C'es t pourquoi nous avons besoin de s deux types de thé orie s... p, - Vo us voyez! C'est fatal : " non seulement mai s au ssi _. C' est toujou rs le m ême pi ège. Soit vo us généralisez cet argum ent à toute s choses, mais alors il devient inutile - " interpréta tion » d evient un sy nonyme d ' " objectiv ité » - , soit v ous ne l' appliquez qu' à une seule dimension de la réalité, sa dimension humaine, e t là vous êtes coincé, dans la me sure où l'objectivité est toujou rs d e l'autre côté d e la barrière. Et peu im porte alors le côté qu ' on préfère, puisqu e d e toute façoo il est hon; d e portée. E , - Mai s vou s n'iriez pa sjusqu' à nier que vous vous placez toujours à un certa in point de vue, que la sociologie de l' acteurré seau es t e lle aussi s ituée, qu e vous ajoutez un autre niveau d'interprétation, une perspective ? p , - Non, pourquoi je le " nierai s JO ? Mais quelle im porqui e st es sentiel avec un point d e vue, c'est précis étance ? ment que l' on peut en changer! Pourquoi en rester pri sonnier? De la po sition qu 'ils occupent sur la Terre, le s astro nomes ont une perspec tive limitée, par exemple à Greenwich, I'Ooservatoire en bas de la rivière en partant d'ici - vous de vriez y aller, c ' est fabuleux. Eh bien, e n c ha ngea nt de perspective grâce à div ers instruments, télescopes, satellites, ils so nt d ésormai s capa bles de tra cer la carte de la di stribution de s gala xies d an s tout l'univers. Pa s mal , non ? Montrez-moi un point de vue, et je vous montrerai trente -six mani ère s d' en c h anger. Écoutez : pourquoi vo us ne laissez pas tomber toute cette oppos ition e ntre " point d e v ue _ et " vue de nulle put " ? Et aus si cette di fférence e ntre" int erprétatif _ et e objectiviste » ? Lai ssez tomber l'herméneutique et revenez à l' obj et - ou plutôt à la cho se. E , - Mais je sui s toujours limité par mon point de vue situé, par ma perspective, par ma prop re subjectivité? p , - Vous ê tes vra imen t obstiné! Qu'e st-ce qui vous fait penser qu ' " adopt er un point d e vu e JO signifie " êt re limité JO ? o u être spécial em ent " subjectif JO ? lorsqu e VOlIS fait es d u tourism e
ce
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C""'1IIl'1Il dépIGY'" les CIJII lroW'rs.... .IW' le monde social
et qu e vous suivez: le panneau " Belv édère à 3 km JO ou « Panorama " ou « Bella vi sta ", lorsque vo us atteign ez enfin ce site à vous couper le so uffle, dam q uelle mesure cela constitue- t- H une preu ve de vos " limites subjectives JO ? C'es t la c hose ellemême, la vallée, le , somme ts, le s ro ute" qui vo us o ffre ce tte prise. cet accès. cette saisie. La meill eure preuve e n est q ue d eux mètre s plus bas, vo us n e verriez rien à ca use des arbre s ; même chose deux mètre s plus haut à ca use du parking. Et, néanmoins, vous avez la m ême « s ubjec tiv ité JO limit ée, vous avez exactemen t le même " p oint de vue JO ! Si vous pou vez avoir différents points de vue sur une statue, c ' est parce qu e la statue e lle-même est e n troi s dimen sions et vous pe rme t, o ui, vous p enn et d e tourn er a utour. Si une c hose rend poss ib le cette multiplicité d e po ints de vue, c'es t qu ' ell e es t tr ès comp lexe, intriqué e, bien organisée, et be lle, oui, objectivement belle . E , - Mai s ri en, à l'évidence, n' est objectiv ement beau. La beauté doit être subjective... Les goû ts et les couleurs... Je suis encore perdu. Pourquoi pa sson s-nous tant de temps dan s ce tte École, à co mbattre l'objectivisme, alors? Ce qu e vou s dit es ne peut p as ê tre vrai . p , - C'es t pa rce qu e le s c hoses qu e le s gens ap pell ent « obj ectives" ne sont le plus souvent qu'une série de cl ichés. Je vous ferais remarquer q ue nous manquons toujours tragiqu ement de descriptions ; nous ne savons toujours pas ce que so nt un ordinateur, une routine informatique, un système formel, un th éorème , une entreprise, un march é. Nous n e savons pre sque rien de ce tte chose qu e vo us êtes en tra in d' étudi er, l'orguni.\·ution. Comment pourrions-nou s être ca pab les de la distingu er de la subjectiv ité? A utrement dit , il Y a d eux façons de c ritiq uer l'objectivité : la premi ère consiste à s'éloign er de l'objet pour adopter le point de vue subjectif humain. Mai s moi, ce dont je parle, c'est le mouvement Inverse : du retour à l'objet. Pourquoi lai s serions-nous le droit d e d éfinir l'objectiv ité à d es idiot s? ! L' obj ecti vité n' e st p as la propri é té pri vée des pos itivis tes . La de scription d'un ord inateur est bien plu> riche et plus intéres sante si e lle est faite par Alan Turin g qu e par Wired Magazine , n on ? Comme nous l' avons vu e ncours hier, une usine de savon décrite par Richard Powers dans Gain est beaucoup plus vivante q ue celle q ue vous po uvez lire d an s l es ét udes d e ca, d e la
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QUi' faire de l'acleur.réselJJj ? interlude sou. for"", ü dialogUi'
Harvard Bu siness School. Je vous l'ai dit, le but du j eu, c'es t de reven ir à l'empirisme. E , - Mais je suis q uand m êm e toujou rs limité par ma p ropre perspective. p, - Bien sûr que vous l' ête s, mai s encore une fo is : e t a lors ? N e croyez pas à toutes ces fo utaises s ur le fai t d 'êtr e " limi té " à votre pr opre perspective. T outes les scie nces on t inventé de s m oyens pour se dépla cer d 'un point de vu e à un a utre, d 'un cadre d e référence à un a utre. Pour j'amour du Del, c'es t ce que l'on appelle la relativité. E , - Ah ! Vous avouez donc que vo us ê tes un relativiste ! p , - Naturellement, qu' e st-ce que j e pourrai s être d ' autre ? Si je veux être un scientifique et atteindre l'objectivité, je doi s ê tre capable de naviguer d'un c adre de référence à l'autre, d'un point de vue à l' autre. Sans de tels dépl acements, je serais limité pour d e bon dan s mon point de v ue étroit. E , - v ous assoc iez donc objectivité e t relativisme ? p , - Plutôt « relativ ité ", oui, bien sûr. Toute s le s scie nces font la même c hose. Les nôtres a ussi. E , - Mais alors en quoi consis te votre façon de changer de point de vue? P": - Je vous l ' ai dit, notre bu sin e ss à n ou s, ce sont le s d escription s. Tous les autres font du trafi c de clic hés . Enquêt es, so n dages, trava il de terrain, archives, documentair es, tous les moyens sont bon s - on y va, 00 écoute, on apprend, 00 pratique, o n devient compétent, o n modifie oos conceptions. C'est vraiment très simple : ça s' appelle le tra vail de terrain. Un bon travail de terrain produit touj ou rs de nombreuses descriptions nou velle s. E , - Mai s j'ai déjà d es la s d e descript ions ! Je m e noi e dedans. C'est ju stement mon probl ème. C'est pourqu oi je suis perdu et que je croyais qu' il serait utile de venir vous voir . Est-ce que l 'ANT pe ut m ' aide r avec cette m a sse de donné e s ? J' ai besoin d' un cadre expl icatif! p , - « Mon Royaume pour un cadre e xplicatif ! " C'es t très émouvant. Je crois que j e comprends votre dé sespoir. Mai s non, l' A NT est parfaitement inutil e pour cela. Ell e a pour principe q ue ce soot les acteurs e ux-mêmes qui font tout, même leurs p rop res cadres explicatifs, leurs propre s théorie s, leurs propre s co ntextes, leurs p ropres métaphy siques et même leurs p ropres o ntologies ... 2 13
C"", melll dlplayer II.'S
CIJIIIn" ... rsl.'S.lUI" 1... ,",,/Ide social
Bref, la seule direction à suivre, j ' en ai peur, c'est : e ncore plu s de descriptions. E , - Mai s les descriptions, c'est t rop long. Je veux a ussi expliquer. p , - VOlIS voyez? C'est là oùje suis en désaccord avec la fonnatirn dispen sée en sciences sociales. E , - Vous ne croyez pas que le rôle des sciences soc iales ce soit d' offrir une explication des données qu'ell es accumulent? Et vou> VOlIS d ites scientif i q ue et objecüviste ! p , - Je dirai s q ue si votre description a besoi n d'u ne explication, c'est que ce n'est pas une bonne descrtptlœt. voilà tout. Seules les mauvai ses description s ont be soin d'une explication. C'es t vraiment très simple . En quoi consiste une " e xplication », le plus souvent? A ajouter un acteu r afin d'apporter aux acteurs déjà d écrit s l' én ergi e nécessaire qui leur manque pour agir. Mais si vou s avez ai nsi besoin de rajouter un acteur, c'est que vot re résea u n' était pas com plet, et si les acteurs déj à assem blés n'ont pas assez d' énergie pour agir, alors ce ne sont pas des " acteurs ,., des médiateurs, mais plutôt des intermédiaires, des dupes, des marionnettes. Us ne font rien, donc ils ne devrai ent pas figurer dan s la description. Je n' ai jamais vu une bo nne desc ription qui a urait ensuite besoin d'un e ex plication. Par contre, j'ai lu un gra nd nombre de mauvai ses descriptions a uxquelles une addition massive d' « explications » n' avait rien ajouté. El là, l' ANT n' est d'aucun secours... E , - C'es t très per turbant. J' aur ais da m' en douter - les a utres ét ud iants m 'avai ent prévenu qu 'il valait mi eux ne pas touch er à toutes ces hist oires d'ANT, même avec des pi ncett es ... Et maintenant vous ê tes en tra in de me dire que j e ne devrai s même pas essaya d' expliquer quoi que ce soit. p , - Je n' ai pas dit ça. J'ai simplement dit : soit votre e xplication es t pertinente e t, en pratiqu e, cela revient à faire entrer en jeu un nouvel acteur dans la description - et c'est simplement qu e le réseau est plu s éte nd u que vou s ne le pensiez - , o u alo rs cet acteur pos tiche ne change rien, et c'est que vous vous êtes simplement trempé en ajoutant quelque chose qui n'avait pas à être là, qui n'aide ni à la description ni à l' explication . Et si c'es t le cas, laissez- le tomber. E , - Ma is tou s m e> camarade> se servent d'ex press ions telles qu e " la cult ure d' entreprise IBM ,., o u " l' isolationnisme 214
Que faire
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britannique » . o u « les contra intes du marché JO, o u « l' intér êt indi viduel JO OU" le capital culturel JO . Pourqu oi est-ce que moi j e devrai s me priv er d e toutes ces explication s contextuelles ? P: - Eh bien! Gardez-l es si ça vous amuse, mai s j e ne c rois pa s qu' elle s expliquent quoi que ce so it - utilisez-le s comme décorations ... Au mieux e lles va lent pour tou s le s acte urs, e lles so nt donc superfétatoires puisqu' elles ne permettent pas de fair e apparaître une différe nce e ntre e ux. Au pire, e lles n oient tou s les a ct eu rs q u i présentent vraim ent de l'int érêt d an s un d élug e d 'act eurs sans int érêt. En règ le générale, le contexte ne vaut rien. C'es t juste une mani ère d ' arrêt er la di scu ssi on qu and on es t fatig ué ou qu ' on a la flemme de la continuer. E , - Mai s c'es t e xactement mon probl ème: m'arr êter. Il faut que je finisse cette thèse. Je n'ai plu s que huit mois. Vous n' arrêtez. pas de m e di re: " enco re pius de d escriptions » . mai s c 'est co mme Freud et ses séa nces : l' an aly s e int ermina bl e. Quand est-ce qu ' on s'arrê te? Me s ac te urs, j'en a i partout ! Jusqu' où est-ce que j e doi s le s s uivre? C'est quoi, une de scripti on complète? p , - Voil à une bonne question parce que c'est une question pratiqu e. Comme je le dis toujou rs: « une bonne th èse est une th ès e fini e JO . Mai s il y a une a ut re manière d 'en fin ir qu e d ' « ajouter une ex plication » ou de « rep lacer dan s un cadre ». E, - Laquelle, a lors ? p , - Vou s vous arr êt ez quand vo us avez écr it vos 50 000 mots, ou j e ne sais plus combien ici à la LSE, j ' oublie toujou rs ce qu 'on vous demand e. E , - Oh ! Bravo! Donc, ma thès e e st fini e q uand ell e est terminée ... Ça, c'es t vraiment utile, merci infiniment! Je me sens vra iment so ulagé ... p, - Ravi de vo us l'entendre dir e ! Non, série usement, vo us n ' ête s pas d' acc ord s ur le fait qu e toute méthode dé pend de la taille et du type de texte q ue vous vous êtes e ngagé à rendre ? E , - Mai s ça, c'est une limite teuuelle . ça n' a rien à voir avec la méthode. p , - Ah bon ? C'est là où j e su is en total désaccord avec la façon dont on forme le s doctorarss e n sciences sociales . Écrire des texte s a tout à voir avec la méthode. Ce dœu il s' agit, c 'est écrire un texte d e tant de mots, en tant de mois, pou r tel montant d ' all o cation, a p puyé s u r tant d ' entreti en s et tant d'h eu re s
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Commt'1Il J,lp/oyer les COII lro""TSes.lUl" le monde social
d'observation, tant de documents. C' e st tout. v ous n'avez rien de plus à faire . E , - Mai s bien sûr qu e si : j'apprends, j' étudie, j'explique,je critique, je... p , - Mais tOI.lS ce s objectifs grand ioses, vous les réa lisez par l' écriture, non ? E , - Bien sûr, mai s c'est juste un outil, un moy en, un e manière de m'exprimer moi-même. p , - Il n'y a pa s d' outils, pas d e moyens. Un texte a une épaisseur . Ça, c'es t vrai men t un précepte de base de l' ANT. E , - Je suis dé solé, profess eur, mais, je VOlIS l' ai dit, je n'ai j amai s beau coup inve sti dan s toute s ce s hi stoi re s avec le s Français c hics. Je peux écrire des lign es d e programm e en C et même en C ++, mais je ne donne pas dans Derrida, la sémiotique ou ce genre de tru cs. Je ne crois pas du tout que le monde soit fa it avec d es mot s, avec des récits . p , - Pas la peine d' être sarcas tiq ue . Ça ne sied pas à l' ingénieur qui est en vou s. El, de toute manière, j e ne crois pas à tout ça non plus. Vou s me d emandez com ment o n fait pour s'arrêœr. e t je VOlIS dis juste que le mieux que VOlIS puissiez faire, en tant que doctorant, est d'ajouter un texte à une situation donnée, un texte qui, en l' état, sem lu par le jury de thèse, et peut-être par q uelq ues- uns d e vos informat eurs, et d eux o u trois a utres doctorants. Rien de bien e xtra vagant dans tout ça. C'es t juste du gros bon se ns . La première solution pour s'arrê ter est d' ajouter un « cadre » o u une « explication " . L' a utre, c'est d ' écrire le derni er mot du derni er c hapitre de votre fichue thèse . E, - J' ai une formatio n de scientifique ! Je suis ingénieur e n systèmes d 'in formati on - je ne s uis pas v enu é tud ier le s organisations pour laiss er tomber tout ça. Je suis simplemen t prêt à ajouter à ma fonnation d'ingéni eur des institutions, de s gens, des mythe s, du social, quoi. Je suis même prêt à appliquer le principe d e « sy métrie " , comme vou s dit es, à tout ça. Mai s ne m e dit es p as qu e la scie nce, ça co ns is te à rac onter d es bell e s hi stoire s. C 'est ça qui est difficile avec VOI.lS. Un jour vou s êtes comp lètement cbjectivis te. d m ême d' un réalisme naïf - « j uste décrire " - , et le lendemain vous vous montrez complètemen t relativiste - « racontez de belles histoires et filez » . C 'e st vrai ment terribl ement français, non? 216
QUi' faire de / 'aCleW' ...éseau ? fnler/r<de s ous fo rme de dialo gUi'
p , - Et vous, vous seriez terriblement quoi ? Ne soyez pas sot. Qui vous a parlé de « belles histoires ,. ? Pas moi en tout cas . Je v ou s a i d it que vo us étiez e n train d' éc rire un e thèse d e doctorat Vou s ne pouvez pas dire le co ntra ire? Et a prës.je vous a i dit que Cette thèse de tant de mots - qui sera le seul rés ulta t palpable de votre séjour parmi IIOU S - a de l'épa i....seur. E, - C'est- â-dire ? p , - C'es t-à-dire que ce n' est pas une vitre transparente, qui fe rai t passer sans d éformation l'information s ur ce q ue vous ét ud iez. Il n'y a jamais d 'information mais seulement de La tran sformation, ou de la traduction si vous préférez. Je suppose que vous êtes d'accœd avec cette devi se de mon co urs? Eh bien, ça doit ê tre vrai également pour votre thèse, non ? E , - Peu t-être, mais e n quoi est-ce que ça peut m' aide r à ê tre plu s scientifiq ue. c' est ce q ue je voudrais savoir ? Je ne veux pas abandonner les contraintes de la science. p , - En ce la que ce texte, selon la manière dont il est écrit, sa isira o u ne saisira pa s le résea u d ' act eu rs que vous vo ule z é tudier. Dans notre discipline, le texte n' e st pas une histoire, une belle histoire, c'es l'équivalent foncti onnel du laboratoire. C'es t là o ù o n fait des te sts , de s expérie nces et des simulations. Selon ce qui s' y passe, il y a acteur o u non , il y a réseau ou non. Et ça dépend entièrement de la manière précise dont il est écrit - et chaque sujet nouveau exige d ' être tra ité d 'une manière nouvelle par un texte spécifique, complètement spéc ifique . La plupart des texte s en sc iences soc ia les sont mortellement plat s. Il ne s'y passe rien. E , - Mais le programme d e notre Écol e doct orale ne parle j amais de « texte s » . On nou s dit qu 'il fa ut étud ier le s organisa tions, mais pas d 'écrire sur e lles. p , - C'es t bien ce que je vous dis : vous ê tes mal forma. ! Ne pas apprendre aux doctorants à écri re leur thè se, c'e st c omme de ne pas apprendre aux c himistes à faire de s expériences. C'est pourquoi je n' ensei gne plus rien d 'aut re q ue le travail d ' écriture. Je ne cesse de répéter la même chose : « Décrivez, écrivez, d écrivez, écrivez. » E , - Le problème, c 'est que ce n' e st pas du tout ce que veut mon directeur de thè se ... Il veut que me s é tudes de cas soient gé néral isables. Il ne v eut pas d e « simple de scription ,.. Donc, même si je fa is ce q ue vous dit e s, j'aurai une belle de scription
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d'un état de c hoses d onné, et après ? Aprè s, il faudra touj ours que je resitu e le tout dans un cadre, que je trouve une typologie, q ue je compare, q ue j'expliq ue, et q ue je gén éra lise, C'est pour ça q ue je commence à paniquer. p , - fi n ' y aurait à paniquer que si le s acteurs ne faisa ient j uste ment pa, ç a toute la j ourn ée. activement, réflex iveme nt, obsessimnellemen r : e ux aussi ils c ompare nt, ils produisent des typologies, ils fixent des n ormes, e ux aussi ils répandent leurs machine; o u le urs o rga nlsaticns, leu rs idéolo gie; o u le urs états d'esprit. Vou s voulez être le seul à fai re d es c hoses int elli gente s, alors qu ' eux ne sera ient qu 'une bande de demeu ré s. Vou s avez à décrire ce qu'ils font pour se développer, se mett re en re lation, comparer et s' organise r. Il ne s' agit pas d'une nouvell e couche qu'il faudrait rajouter à la .. simple description JO . N' e ssayez pas d e basc uler de la d escription à l' explication ; contentez-vous d e prolonger la d escription. Faite, d u Tarde. De toute faço n, ce q ue vous pensez de votre entreprise n' a que peu d 'intérêt par rapport à la que stion de savoir co mment cette compagnie est parvenue à se dével opper. E , - Mais si les ge ns que j'observe n' agissent pas- s' ils ne se font pa, d e co mparaisons actives, d e standardisation, d'organisation , de gé néralisation" qu'est-ce q ue je fai s? Je serai coincé! Je ne pourrai pa s ajouter de nouvelle s explicatio ns. p , - Vo us ête s vra iment extraord ina ire! S i vos acte urs n ' a gi ss en t p as, il s ne lai sser ont pas de tr ace ; vo us n'aure z aucune infirmation e t donc, de toute façon, vous n' aurez rien à dire... E , - Vou, vo ulez dire q ue s' il n' y a pas d e trace, je ne peux rien dire d ' eux ? p , - Incroyable ! Il n'y a que le s sociolo gue s pour réag ir c omme ça. Est-ce que vo us vous poseriez ce genre de que stion e n c himie, e n biologie, e n archéologie ? Elle paraîtrait c omplè te ment idiote. Il faut v raime nt a ppartenir aux scie nces sociales pour s' ima giner q u'on peu donner une ex plication même q uand il n' y a a ucune information! E st-ce que VOlI S êtes vra iment prêt à inventer de s donnée s ? E , - Non, bi en sûr, mais quand même, je voudrais ... P , - Bon. Vous ê tes quand même plu s raisonnable que beaucoup d e no , collègues. S' il n'y a pa, de trace et pa, d 'informa tion , alors il n' y a pa, d e descri ption et o n se tait. Ne faites pa, d e 218
QUi' faire de l'acleur.,éselJ1j ? interlude sou. forllli' de dialogUi'
r emplissage. C' e st co mme la c arte d'un p ays a u x vr sièc le : personne n' y a é té, ou personne n' en est revenu : alors, au nom du Ciel, lai ssez-la en blanc : Terra ircognau. E , - Mai s, et les e ntités invisibles q ui agissent de mani ère cachée? p , - Si elles agissent, elles lai ssent une trace ou une autre, donc vous avez de l' information et. donc vous pouvez en parler. Sinon, boucl ez-la. E , - M ai s si elles so nt réprim ées, déni ée s, réduites a u silence? p , - II n'y a rien au monde qui puisse VOlIS autori ser à dire qu ' elles sont là sans apporter la preuve de leur pré sence. Cette preuve peut ê tre indirecte, e xigeante, compliquée, mai s elle es t indisp ensabl e. Le s choses invisibl es so nt invisibles. Point. Si elles font bouger d' autres choses et qu e vous pouvez le montrer, alors elles sont vi sibles. Point, encore une fois. E , - La « preuv e », la « preu ve » . Q u' es t-ce que c'es t qu'une preuve, de toute façon? Est-ce que tout ça n' est pas terriblement pos itiviste? P": - Mais j'espère bien ! À quoi sert- il d' affirmer qu ' il existe d es c ho ses actives mai s dont o n ne pe ut pas prouver qu ' ell es font q uelque chose? J'ai bien peur qu e vous ne preniez la théorie socio logique pour une théorie du complot - même si, j e suis d' accord, c'es t à peu prè s le niveau où sont tombé es, aujourd'hui, la plupart des théories critiques e n sciences soc iales . E , - Mais si je n' ajoute rien, je me borne à répéter ce que di sent les acteurs. P": - À q uoi ça vous avancerait d' ajouter des entités invisibles qui agissent sans lai sser de traces et qui ne modifient en rien un état de choses? E , - Mais il faut bien que j' apprenne aux acteurs quelqu e c hose qu'ils ne savaient pas ! Sino n, à quoi boo les é tudier? p , - Vou s, les soc iolo gues d u social, vous m e sidé rerez toujours. Si VO lIS ét udiiez les fourmis plutôt qu ' IBM, est-ce q ue vous vous attendriez à ce que votre étude apprenne quoi que ce soit aux fourmis? Bien sûr que non; elles savent, et vous pas ; ce sont elles les professeurs. e t vous l'étudiant. C'est à vous-même que vous e xpliquez ce qu' elles font, pour votre propre bénéfice o u pour cel ui des a utres e ntomologistes, pas pour d ies, q ui s'en moqu ent comme de l' an q uarante. Qu' est -ce q ui vous fait croire
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qu'une étude est toujour s censée apprendre quelque c hose aux gens é tudiés? E , - Mai s c'est tout le proj et des sciences sociales ! C'est pour ça que j e s ui. ici, à la LSE: pour critiq uer J'idéologie managériale, po ur dégonfle r tous le s mythes des techn ologies de l'information , pour acquérir une posture critique sur la technique et s ur J'idéologie du march é. San s cela, croyez- moi, je serais toujours dans la S ilicon Valley et j e me ferais bien plu s de blé - enfin, peut-être pas en ce moment, parce que la bulle internet es t e n train d ' exploser ... mai s, bon, en tout cas il faut q ue je pui sse fournir un peu de compréhens ion réflexive aux gem ... p , - ... qui, bien sûr, avant que vou . n' arriviez, n' étaient pas réflexifs ! E , - En un sens, o ui. Non ? Ils fai saient de. c hoses, mai s sans savo ir pourquo i. Qu ' est-ce qui ne va pas là-dedan s ? p , - Ce qui ne va pas, c'est que ça ne vo us conte rien. Quand les soc iologues parlent de « ré flexivité JO, ça consiste simplem ent, le plus souvent, à poser des q uestions complètement à côté de la plaqu e à des ge ns qui se posent d' autres qu e sti on s auxquelles le cherc heur n' a pas le plus petit début de commencement d' une ré ponse. La réflexi vité n' est pas un droit inné que vous posséderiez j uste parce que vous êtes à la L'iE ! Vou s et vos informateurs. vo us ave z des préoccupations différent es. Quand elles se rec oupent, c'e st un miracle, et, co mme vous le savez peut-être, les miracl es sont rares ... E, - Mai s si je n' ai rien à ajoute r à ce que disent les acteurs, comment est-ce que je pourrais être critique? p , - Bigre ! Tantôt vous voulez expliquer et jouer au savant, e t aussitôt après vo us voulez démystifier, c ritiquer e t jouer au militant. .. E , - r allai s dire: tantôt vous êtes un réa liste nwf - retour à l'objet - , et aussitôt après vous dites que vous voulez j uste écrire un te xte qui n'ajout e r ien, et qui se conte nte d' être à la traîne de vos fameux « acte urs e ux-même. JO . C'est cœnplëtement apolitique. Je ne vois rien de critiq ue là-dedan s. p , - Dites-moi donc, m onsi eur le D ém ystificat eu r, comment donc allez-vous obtenir un point de vue criti que sur vos acte urs? Je sui. impati ent de le savoir. 220
QUi' fai", de l 'acreUF ...é<eau ? Interlude sous fr>r"", de diairJgUi'
E , - Seuleme nt si j ' ai un cadre e xplicatif. C'est ce qu e j'étais venu c herc her ic i, mais, manifestement, ce n' est pas la sociologie de l' acteur-réseau qui me le donnera. p, - Et j e m' en réj ouis ... Votre cadre, j e suppo se qu'il est caché aux yeux de vos informateurs e t que votre étude va le leur révéler? E , - Oui , bien sûr. C'est ce q ui doit faire toute la valeur de mon travail - du moins, je l' espère. Ce n' est pas la description , puisqu e tout le monde sait cela de toute façon, mais l' explication, le contexte qu 'ils n' ont pa, le temps de voir, la typolog ie ... Vou s voyez, ils sont trop occupés pour avoir le temps de réfléc hir. Ils ont le nez sur le guidon. Voilà ce que j e peux apporter, et, au fait, je ne vous l' ai pas dit, mais la boîte, IBM, es t intéressée et prête à me laisser accéder à ses dossiers et à me payer pour ça ! p, - Tant mieux pour vous ... Ce que vou s êtes en train de me dire, c'est qu' avec vos six moi s de terrain vous êtes capable, à vous tout seul. j usteen écrivant quelqu es centaines de pages, de produire plu s de connaissances q ue les 340 ingénieuTh et la direction que vous avez étud iés? E , - Peut-ê tre pas « plus JO de connaissances, mais différentes, oui, je l'espè re . N' est -ce pas ce que je de vrais viser ? N' est -ce pas pour ça qu e je s uis dan s ce métier ? p , - .Je ne suis pas sûr de bien compre ndre dans quel type de métier vous ê tes, mais en quoi le savoir que vous produisez es t-il différent du leur ? C'es t toute la question. E , - C'est le mêm e type de savoi r q ue dan s tout es le s sciences, la même manière d' expliquer les choses : en remontant du cas particulier à la cause e t, une fois que je connais la cause, je peux générer l'effet comme une conséquence . Qu 'est-ce qui ne va pas là-dedans ? C'est comme se demand er ce q ui va a rriver à un pendule qui a quitté sa position d'origine ; si j e connais la loi de Galilée, je n'ai même plu s besoin de m'intéresser à un pendule conc ret; je sais e xac teme nt ce qui va se passer - à condition d'omettre les pert urba/ions, bien sûr; p , - Bien sûr, bien sûr ! Donc, ce que vou s espérez, c'est que votre cadre e xplicatif soit à votre é tude de cas ce que la loi de Ga li lée est au m ou vement du pendule - moins le s pert urba/ions ...
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SUI'
le monde social
E , - Oui, j 'imagine, quelqu e chose dans ce genre, même si c'es t moins scientifiquement ri goureux, naturellement. Pourq uoi ? n y a qu elqu e c hose q ui ne va pas ? P": - No n. Ça serait s uperbe. Mai s e st-ce faisable? Cela suppose que, quoi que fasse un pendule concret, il n' apportera aucune information nouvelle à la loi de la chute des corps. La loi contient in polen fia tout ce qu' il y a à savoir sur l'état de c hose que représente le pendule. Pour parler comme les philosophes, le cas concret n' est donc q ue la réalisa/ion d' une potentialit é qui était déjà là. E , - Est-ce que ce n' est pas là une explicat ion idéale ? p , - C 'est préci sément le problème: c'est un idéal , et au carré. C'es t l' idéal d'une e xplication idéale. Je doute sérieusement que les e mployés de votre e ntreprise se conduisent de la sorte. Et je suis bien persuadé qu e vous ne pourrez pa, définir la loi de leur comportement qui vous permettrait de présenter tout ce qui se passe cœn me la réalisation in concreto de ce qui était déj à là à titre de potentialité. E , - Moins les perturbations... p , - Oui, oui, oui, cela va sans dire... vo tre mode stie es t admi rable ... E , - Vou s vous moqu ez: de moi ? Pourtant, chercher ce type de cadre me semble faisable ... p , - Et, même si ça l' était, est-ce que ça serait souha itable ? Ce que vous ê tes en train de me dire, en réalité, c'est que les acteurs ne comptent tout simplement pas dans votre description . Il s ont seulement réalisé une pot entialité - à q uelq ues déviation s près. Ce q ui veut dire qu'ils ne sont pas del; acteurs du tout, mai s simple ment les porteurs de forces qui passent à travers eux. Et, donc, vous avez perdu votre temp s à décrire des gens, des objets, des lieux qui ne sont rien d'autre, e n effet, que des intermédiaires passifs, puisqu' ils ne font rien par e uxm êmes. Le temps que vou s avez passé s ur le terrain n'a servi à rien . Vous auriez dû aller direct ement à la cause. E , - Mais c'est à ça que sert la science . Justement à ça : découvrir la structure cachée qui explique la conduite des agents, qui sem blent agir mais qui e n fait ne sont que les doublu res de quelqu e c hose d'autre . p , - Ah , vous ê tes donc s tr uct ural iste! Enfin sorti du placard ... Del; « doublures ", c'est com me ça qu e vou s appelez
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dialogue
vos ac te urs; et vous prétendez en même temps appliqu er, comme vou s dites, la socio logie de t' acteur-résea u. C 'est pou sser l' écl ectism e un peu lcin ! E , - Et po urquo i est -ce que je ne pourrais pas faire le s deux ? Si l' ANT a le moindre contenu ecientifq ue. il faut bien qu ' elle sou structuraliste. p , - Est-ce que vous avez remarqué que dans « acte urréseau» il y a le mot acteur ? Pouvez-vou s me di re quel ty pe d ' action mèn ent les fig ura nts dan s le s ex plic at io ns structuralistes? E, - Oui, bien sûr. Ils remplissent une fonction, c'est ce qui es t vra ime nt rigou reux avec le structura lisme, s i j'a i bi en compris, Tout autre agent dans la mêm e position serait obligé de faire la même chose... p , - Ainsi , pa r définition, un fi gurant est e nt ière ment remplaçable par un a ut re? E , - Oui , c'est ce qui fait la force de cette explication. p , - M ai s c'es t a uss i sa t atbtes se. com me nt ne le voyez-vo us pas ? Et ce q ui la rend radical ement incompatible avec l' ANT . Un acteur qui es t remplaçable ne compte pas. Pour moi ce n' est to ut simplement pas un acteur. Si les mots ont un peu de sens, un acteur c'est préci sément ce qui ne peut pas être remplacé par qui que ce soit, c'est un événement unique, irréductible à tout autre. Sauf, nsrurellemeu, si vous le rendez commens urable à un autre grâce à un e procédu re de standardisat ion - mai s m ême cela suppose un tro isième acteur, un troisi ème événement. E , - Donc, ce que vo mi êtes en train de me dire, c'est que l' A NT n' est pas une science ! p, - Pas une science struc turaliste, ça c'es t sûr. E , - Ça revient au même. T oute science... p , - Non ! Les sciences de l' organisation, la soc iologie des sciences et des techniqu es, la gestion, les sciences de l'information, la sociologie, la géographie, l' anthro pologie, quell e que soit la discipline, elle ne saura it, par définition , s'appuyer sur une ex plicat io n structurali st e, puisque j' in fo rma tion, c'est de la transformati on. E, - « De s systèmes de transformation », c'est exactement ce dont s'occ upe le structural isme.
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p , - En aucune manière, mon ami, puisqu e, dans le structuralisme, rien n' est réellement transformé, traduit. Combiné oui, pas tran sform é. Vou s n'ave z pas l'air de m esurer la di stan ce abyssale qu'il y a entre une struct ure et un réseau Une struct ure, c'est juste un réseau sur lequel on ne po ssède qu'une information trè s rudimentaire . C 'est tres utile quand on est pre ssé par le temps, mais ne me dites pas que c'est plus scientifique . Sije veux qu' il y ait des acteurs dans mon compte rende , alors il faut qu' ils fassent des c hoses, ils ne peuvent pas se contenter d' être des figurants o u des doublures. Et s' ils foot q uelq ue c hose, il fa ut que ça fasse une différence. Si leur introduction dans le réc it ne fait pas de différence, lais sez-les tomba et recommencez la descrip tion à nouveaux frais. Ce que vous voulez, c'es t une science sans objet. E , - Vous d vos récit s... Des histoires plein es de rebondi ssements, c'est ça q ue vous voulez ! Mci je parle d' explication, de savo ir, de posture critique, pas d' écrire des scripts pour un épisode de Friends, p , - Parl ons de rebondissements, justement. Vous voulez qu e vos quelques centai nes de pages tassent un e différ ence, non ? Bon, da ns ce cas, il vou s faut faire la preuve qu e votre description de ce qu e foot les gens, lorsqu'Ils e n auront connaissance, fasse une différence dans leur manière de faire les choses . C 'est cela que vous appelez une position critique ? E , - Je suppose que oui. P , - Bien ! À quoi cela peut-il leur servir, je voudrais que vo us me l' expliqui ez, ~i vo us leur parlez de causa lités qui ne c hangent rien à ce q u' ils font parce q u'elles sont trop générales ? E, - À rien, bien sûr. Je veux parler de causalités réelles . p , - Mais ça ne leur servira à rien non plus, parce que si ces causes réelles e xistaient, ce dont je doute fort, elles n' aurai ent p as d'autre e ffet que de tra ns former vos informateu r s e n doublures d' autres ecteurs, que vous appelez fonction, struct ure, etc. Il s ne sera ient don c plus des acteurs mais des d upes, d es marionnettes - et même moins que des marionnettes, parce que les marionnettes forcent les marionnettiste s à fai re plein de c hoses inattendues. Au mieux, vous leur permettez d'introduire une légère perturbation, comme le pendule concret qui n'aj oute q ue de petit s frottements. E , - ... 224
QUi' f ailY' d~ l 'acr~lU "' és~(JJJ, ? Interlude s oos ftm ne d~ maingue
p , - Maintenan t, e xpliquez- moi donc où est la gr ande ur politique qui c ons iste à transformer le s gens qu e vou s avez étud iés en figurant s inoffensifs et inactifs des fonctions cac hées q ue vo us seul êtes à même de détecter ? E , - Hum, vous avez une telle manière de renverser tout ce qu ' on dit. .. j e ne suis plus trop sûr, maintenant. Si les acteurs prenaient conscience des dét erminati ons qu' on leur impo se ... s' ils de venaient plus conscients... plus réflexifs . .. leur degré de conscie nce ne serait pas un peu plus élevé ? Ils pourraient alo rs prendre leur sort en main. Ils y verraient plus clair, non? Et si c' est le cas, alors, oui, j e cro is que je peux le dire maintenant, grâce à moi, a u moins en parti e, ils seront davantage acte urs, disons plus pleinement acteurs. p , - Bravo. bruvissimo ! Ainsi, un acteur, c'est pour vous une sorte d' agent total ement dét erminé, plu s J' occupant d 'une fo nct io n, plu s un z est e d e pertu rbation , plu s un peu d e consc ience fourni e par des sociologues éclairés? C 'est horrible, tout simplement horrible... Et ces gens veulent fa ire de J'ANf ! Après les avoir déchus de leur rang d'acteurs pour e n faire des figurants, vous voulez leur donner le coup de grâce en apportant généreuse ment à ces pauvres gaillards la réflexi vit é q u'ils possédaient avant et q ue vo us leur avez ôtée e n les assaisonnant à la sauce structura liste. Superbe! Ils étaient des acte urs avant que vous ne veniez avec votre « explication » - ne me dites pas que c' est votre é tude qui va les rendre tels. Beau travail, monsieur l'étudiant ! Un bourdieusien n' aurait pu faire mieux... E , - Vo us n'ai mez peut-être pas Bourdieu, il n' em pêche q ue c' était un véritable scientifique, et qu 'il était pertinent e n poli tique. Manifestement, vous n' êtes ni l'un ni l' aut re .. . p , - Merci . Voilà à peu prè s trente ans que j'étud ie les liens e ntre scie nce et politique, alors je ne me laisse pas facile ment intimider par des discours qui prétendent é tablir quelle science est « politiquement pertinente JO . E , - J' ai appri s à ne pas me laisser impressionner par des arguments d'autorité, alors vos trente ans d' étude ... p , - Touché. Mai s votre question éta it : « Qu ' est-ce que je peux faire avec la soc iologie de l'acteur-réseau ? JO J'ai répondu : pas de l'e xplica tio n struc turaliste . Les deux e ntre prises sont complèteme nt incom patibles . Ou bien vo us avez des acteurs q ui réal isent des potentialités d ce ne sont pas du tout des acteurs, o u
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alors vous avez des acteurs qui actualisent des virtualités (ce sont des express ions empruntées à Deleuze, soit dit en passant), mai s alors cela ex ige des textes tout à fait spéci fiqu es. Les rapports que vou s entre tenez avec ce ux que vo us ét udiez e xige nt de s re nco ntres trè s rares pour devenir efficaces - j e su ppose que c'est ce q ue vous voulez dire lorsque vous parlez de « pos ture c ritique » e t de « pertinence politique » ? E, - Mais alors nou s sommes d'accord ? v ous aussi, vous voulez avoir une posture critiq ue. p , - Qui, peut-être, mais je suis sûr d'une c hose : ce n' est pas automatique e t, la plu part du temps, ça risqu e d' échou er. Com me nt voulez-vou s qu 'une étude, que deux cents pa ge s d'entret iens et d' observation s fassent la différence, d'un coup, juste comme ça ? Pour de venir pertinent, il faut tout un ensemble de circonstance>, extraord inaires . C'est un événement. Pour cela, il faut mett re a u point un protocole incroyablement original. Et ça, c'es t aussi peu automatique que l'expérience de Galilée avec son pend ule, ou que celle de Pasteur avec le viru s de la rage. E , - Et q u'est-ce q ue je dois faire? Prier e n attendant un miracle? Sacrifier un poulet ? p , - Mais pourqu oi donc voulez-vous que ceux qui pourraient être conce rnés par votre petit texte minu scule le trouvent nécessairement plus pertine nt qu e, disons, un gigantesqu e laboratoire de phys ique? Regardez tout ce qu'il faut pour que, je ne sais pas, moi, les puces de la compagnie Intel'v deviennent indispensable; da ns les tél éphones portables. Et vou s voulez que tout le monde puisse avoir le label « LSE'M inside ,. ou « sociologie cri tique in side » sans fatigu e. Pour de venir pe rtine nt il fa ut travailler. E , - Ju ste ce dont j 'ai besoin : e nco re plus de travail ! p , - Mais tout est là. Si une argumentation es t automatique, prête à l' avance, bonne à tout faire, alors il est impossible qu ' elle soit scientifique. Elle est tout simplement ho rs de propos. Si une é tude est réellement scientifique, il faut qu' elle ait pu échouer. Reli sez Popper. E , - Voilà qui est rassurant , vraim ent. Ces! gentil à vous de me rappeler que ma thèse pourrait rate r ! p , - v ous confondez science et po sition de maîtri se. « ê tre e n m esure d e perdre le ph énomène est essentiel à la pratiqu e
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QU<' faiN! de l'aetew.,éfeaiJ. ? Interlude sou. forllli' de diaJ08U<'
scientifique ' . " Dites-moi : pou vez-vous seulement imaginer un seul sujet auqu el la soc iologie de Bourdieu, par e xemple, dont vou s êtes si friand , pourrai t ne pas s'appliq uer? E , - Mai s je ne pe ux pas ima giner un seul suj et a uquel l' ANT pu isse s'appliquer! p , - Formidable, vous avez raison, c'est exactement ce que je pense ... E , - Je ne vous disais pas ça comme un compliment. .. p , - Ma is moi je le prends pou r un v ra i complime nt Rendre une explication en sciences sociales pertinente pour ceux qu ' o n étud ie, c'est a uss i rare q u ' un e bonne expérie nce e n sciences naturelles. E , - Puis-je respectu eusement vous faire remarqu er que, avec toute votre philosophie de la science, si vert igine use ment s ubtile, vous ne m ' a ve z touj ou rs. pas dit comment finir ma th èse ... p , - Vou s étiez si pressé d' ajouter des cadres explicatifs, du contexte global et de la structure sous .jacente à vo s « simples descriptions " que VOlIS ne pouviez guère m' éc outer. E , - Mais quelle es t la différence e ntre un bon et un mau vais texteANT ? P : - Ah ! ça c'est une bonne qu estion . E , - Enfin ? p , - Enfin ! R épon se: la m êm e qu' ent re un bon et un mau vais laboratoire, ni plu s ni moins. E , - Bien, d' accord ! hum... merci... Cétait gentil à vous d 'acc epter d e me parl er. Mai s, tout compt e fai t, plutôt q ue l' A NT ... je crois plutôt q ue je vais utiliser la th éorie systémiq ue de Luhmann comme ca dre théorique sous -jacent - ça a l'a ir bien , l' uutopoiesis et tout ça. Ou peut-être un peu des deux ...
P, - ... E , - Vous n' aimez pas Luhmann '1 p , - À votre place, je ne m' en servirais pts comme" cadre sous-jaœnt ", non . E , - Mais j'ai l'impre ssion qu e votre type de « science » implique de rompre avec toutes les règ les qu' on nou s apprend en sciences sociales .
1. q H. GAlllNXEl... &hrom"Inlo ~ ·. Progr"'"
{2002~
p. 21>4.
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C"",melll JIp /IJyt', les CIJII lroW'TSes.lW' le monde social
p , - Je préfère rompre avec elles et suivre mes acteurs. Au bout du compte, comme vous le disiez, je suis un réaliste naïf, un positiviste. E , - V ou s savez ce q ui sera it vrai m e nt bien ? Pui squ e personne ici n' a l' air de comprendre l'ANT, vou s devriez écrire un guide. Comme ça 00 serait sûrs que nos professeurs savent de quoi il s'agit e t... je ne veux pes être mal élevé ils hésiteraient davantage peut-être à nous pousser là-dedans si vous voyez ce qu e je veux dire. P ·. - C, est a· ussi grave que ça ?. E , -Enfin, moi, vou s savez, je suisjuste un doctorant. Vou s, vous ëtes professeur. Vou s avez beauco up publié, vou s pouvez vous permettre de faire des choses que je ne peux pas faire . Il faut bien que j'écoute ce que me dit mon directeur de thèse. Je ne peux pas vous suivre trop loin. P : - Pou rquoi venir m e voir, alors ? E, - J' avoue que, depuis une demi-heure, j e me po re la même question . ..
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Comment retracer .. ? 1es assoclat tons .
Introduction Pourquoi le social est-il si difficile à dessiner ?
C ELA d evrait être la chose la plus facile du mond e : n ou s sommes tou s pri s dam de s int eractions sociales ; nou s vivo ns tous e n société; e t nous sommes tous de s animaux c ulturels : e t pourtan t ces liens restent é lusifs . Dans le s pages qui préc èdent. j'ai avancé co mme rai son q ue ladjectif' e social » s'est mis à d ésigner deux pb éncmènes radicalement différents: une substance. un type de matériau - ce que j'ai appelé le social n" 1 - , et un mouvemell1 qui re lie de s ingrédients qui ne sont pa ~ (en tout cas pas e ncore) de nature soc iale - c'es t ce que j' ai appelé le soc ial n" 2 1. Dans le s deux cas, le soc ial disparaît : si on le consid ère comme un scllde, il perd sa capacité à s'assccie- ; si on le considère comme un fluid e, il disparaît à nou veau parce q u'il ne M: lais se apercevoir que brièvement, au co urs du bref in stant où d e nou velle s associations vie nne nt as sem bler le collect if . S i l'objet de s sciences sociales semble facile à localiser, à première vue, e n raison de l'omniprés ence massive e t évide nte de l'ordre social, il semblerait maint enant que l'oRJOSé MIt v rai : il n'y a rien de plus di fficile à saisir q ue le s con nections sociales : elles ne se lais sent détecter que lorsqu'elle s sont modifiée s. Il en est
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du soc ial comme de la perception pour le s physiologistes; pour res sentir quelqu e c hose, il faut qu'il y ait de c onstants mouve ments et ajust ements ; cela e st v rai de la v ue et de l'ouïe, mai s aus si du go ût. de j' odorat et du toucher 1. Si par exemple vous tenez la main de quelqu'un en res tant parfaitement immobile, a u bout d e qu elque temps vo us ne s en ti re z r ien d e plus qu 'un e ngourdissement assez dépl aisant - quand bien même ce serait la main d'un ê tre c he r ; pas de mou vement, pas de sensation. On peut dire la même c hose du « sens du social • ; pas de nouvelle associatio n, pas de prise. C'est pourquoi il m ' a fa llu opposer deux différents types de méthode s pou r réact iver la perception et l' enregi strement d e s li ens soc iaux . L a première, que j 'ai ap pelée « soc io log ie du social», tente de maintenir aussi fermement et aussi longtemps qu e pos sible l'unité d' éléments qui so nt co mpo sé s, d ' après d Ie, d 'un matériel hcm o gêne. L' autre, q ue j'ai bapt isée la « sociolo gie de s assoc iation s », s'eff orce d ' explorer les con troverses portant sur le nombre d ' éléments hétérogènes qui pe uvent être assoc i és dans un co urs d' action donné. Dans le premi er c as, nous savons plus ou moins de quoi est fait le monde soc ial - il est fait « de. soc ial. Dans l' autre, il nous faut toujou rs comme ncer e n ne suchan: pas de q uoi il se com pose. Ainsi, co mme le pharmak.on de s Grecs, la qu ête du social devient soit un remède, so it un puissant poi son, en fonctio n de son dosage et de sa posologie ; distillée en petite s doses administrées avec discernement, elle permet à l' observateur de détecter les nouvelle s associations qui doivent constam ment se redéfinir pour a ssembl er un collecti f toujou rs menacé d e d ispari tio n ; mais si vous lai ssez le s élé ments rassemblé s d épasser leur « date de péremption », ils commenceront à moi sir et, s i vo us VOlIS obstinez à le s ingérer, vo us risquez l'empoisonnement... C'es t que vo us ave z confondu l'établissement d'une relat ion avec un type de matériau spécifique ; le social ex pliq uerait le social . Vou s êtes e ntré dans un monde qui n ' e st plu s e m piriq uement sa isissable , un monde qui cou rt le r isque d ' êt re rap ideme nt envah i pa r les fé e s, le s dragons, le s héro s et le s sorci ère s de la soc iolog ie critique.
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fntroductirm : pourquoi le 50cial e.lt ~I 5i difficile à ([,>5.I!/Ii'r ?
Mai s co mment se fait-il que le même adjectif pui sse avo ir deux sign ifica tions total ement opposées ? J e crois p ou voir l ' expliqu er par le fa it qu e l es sciences sociales o nt poursuivi simultanément troi s objectifs di fférents: a) rendre compte des différentes manière s dont le socia l est ingénieu sement constru it par ceux qui y prennen t part ; b) mettre fin aux co ntro verses portant sur le social e n limitant la gamme d' entités à l' œuv re dans le monde ; e t c) essayer de résoudre la " question soc iale" e n offrant une sorte de proth èse à l' action politique. Il n' y a rien à redi re à ces o bjec tifs, da ns la me sure o ù la soc io log ie, la « science de la vie ensemble ", doit en effet s' acquitter des tro is tâches suivantes : a) déployer toute la gamme des controverses sur le. associations poss ibles ; b) montrer par qu els dis positifs pratiq ues ces controverses se trouvent stabi lisées dan s l'espace et le tem ps ; et enfin c) définir les procédures acceptables pour composer le co llec tif en se rendant util e à ceux qui ont fa it l' obj et de l'étude . Si ces trois tàches sont légitimes, il est e n revanche impossibl e de les réal iser toutes les trois de front: il faut respecter strictement l' ordre de leur succession. Si vou s confondez la deuxième avec la première, par exemple, vou s allez vous a utoriser à cro ire que votre principal devoir cons iste à restre indre - à l'avance et à la place des acteurs - le nombre d'incertitudes dans lesqu elles vous craignez que les gens ordinaires ne se perdent . Cel a veut d ire que vous vous chargez vous-même de rédui re le nombre de r eg roupem ent s poss ib les, de limiter le nombre d ' act ant s, d' exclu re a utant d'objet s non humain s qu 'il vous plaira, de vous en tenir à une stricte divi sion du trava il entre les sciences socia les et les sciences naturell es e t, enfin, de croire fermement que la sociologie est une discipline scientifique autonome. Après un tel trai tement , il n' e st plu s possible de t race r le s ci nq so urces d'incertitude dont nou s venons de mesurer l 'im portance. Les choses se corsent lorsque vous confondez le troi sième objectif - l' utilité politique - avec les deux autres . Pour de s ra isons certes parfaitement respec tables liées aux nécessités de la modernisati on, à un proj et d' émancipation e t aux vraies difficultés de l' enqu ête e mpirique, vou s vous mettrez à substituer à la composition du collect if par les acte urs e ux- mê mes votre pro pre
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Omllllelll "'tracer /'" a.«ocialirJII.< ?
définition de ce qui doit le s tenir rassemblés. Vous commencez à décider ce qu' e st une société e t dans quelle direction e lle doit évoluer. Bien qu e j e sois certai n qu'une telle strat égi e int ellectu elle ait été féconde du temps d e Comt e, de Spencer, d e Durkheim ou de Panons , elle e st aujourd ' hui désa streuse : lorsqu'une ex plicat ion sociale est avancée, il n'y a plus aucu n moyen de savoir si c'est par suite d'une véritable avancée e mpirique, d'une stan dardisation rendue néce ssaire, d'une tentative d'ingénierie sociale, o u par simple pare sse int ellectuelle. Avec la confusio n d e s troi s tâches s ucces sives qu e les sciences sociales doive nt bien avoir à c œur d ' a ssurer, le social est devenu opaq ue a u m oment m ême o ù il se mble g éné reu sement fournir a u ta n t d' explications qu' on en voudra, e t à de s prix imbattables. Si nou s vo ulo ns res ter fid èle s au proj et d 'une scie nce d u social :-- maintenant que les term es" science JO et " social JO o nt été tous deux revus et corrigés - , il nous faut dépasser cet te co nfus ion sans a bandon ner aucun de s troi s o bjectif's initi aux. Aprè s avoir montré, dans la première partie, c omment nou s pouvions déployer la capac ité des acteurs à p roduire des mondes, e t avant d' a ffronter dans la concl usion la délicate questi on de l'intérêt politique, je m e propose maintenant d e montrer qu 'il est possible d e suivre la r ésohaion des co ntroverse s san s confondre une telle enquête avec le s deux autres. Oui, le s controverses sont closes et le s in certitude s sont limité e s, mai s, là a ussi, par le s acteurs e ux- mêmes laissant derrière e ux de nombreu se s tr ace s e mp iriq ues qui ne demandent qu' à ê tre rel evées avec plus ou moins d e rigu eur. Oh q ue nou s laisson s a ux act eurs le soin d e résorber, pour ain si dire, leur propre désordre, il devient possible de di scerner un certa in ordre qui n ' a plus rien à voir avec le s efforts de l' ob servateur pour limiter à l' avanc e l' ét endue d e s disputes. Malheure usement, s' il est déj à si difficile de dépl oyer les c inq sources d 'incertitude, il es t e ncore plus d élicat d e s uiv re les moyens mis e n œuvre pour le s sta biliser . Au cours d e cette nouvelle recherche, plus encore qu ' auparavant, je cours le risque d ' être enco re plus inju ste avec la « socio log ie traditionnelle » : c'es t en effet I'existeœe même de la soc iété ou, plus généralement, d'un domaine ou d'une sp hère du social, qui, d'après moi, a rend u le social indétectabl e. Cett e fois, cependant, le problème ne vi ent pas d e l' ambig uilé du term e " social JO, mai s d 'une
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Introduction : pourquoi le social en ~I si difficile à des"ner ?
confusion, e ntre te nue dè s les dé bu ts d e la soc io logie, e n tre t 'ussembtage du corps polilique e t l'assemblage du colleclif. M êm e si les d eux opératio ns ont d e nombreux points comm uns, elles doivent, pour réussi r, être soig neusement di stin guées. Po ur le dire de faço n très gross ière, la soc iété, cette invention du XIX' siècle, est une étrange figure de trans itio n qui mê le le Léviathan du xvur siècle et le collectif du xxr sièc le 1. Placée devan t l'exige nce de re mplir deux tâches à la fois, c'est-à-dire d e rendre le collectif traçabl e et d e jouer le rôle d' un substitut de la politiq ue, la notion de société n'a jamais pu s ' acq u itte r co nvenablement ni de l' une ni de l' autre. L ' exi stence supposée de la société a empêché l'émergence d'un collectif bien assembl é et a déjoué les efforts visant à définir l'étrange espèce de corps institué qu e les activ ités politiques de vrai en t ê tre capables de gé nérer. Mêm e si elle n e dev iendra clai re qu'à la fin de cet o uvra ge, il est poss ible de formuler simplement la raison de cette inj onc t ion contrad icto ire : en vertu de sa natu re , o n d oi t touj ours supposer que le corps politique, bien que virluel e t lolal , est au fond loujours déjà là. Il n'y a là rien que de très n ormal, puisqu'il doit résoudre le problème insolubl e de la représentation politiqu e, en faisant e n sorte q ue le multiple devienne un et qu e l' un se fas se obéir de la multitude. Seille l'actioo politique est capable de tracer, par un mou vement circulaire co ntinu, cette asse mblée vi rtue lle e t totale qui se trouve constamme nt en danger de se d iss oudre complète men t '. C'es t ce qu e Wa lt er Li ppman a désig né so us le t erm e pa rfait emen t appropri é defa ntôm e, de Public Fa ntôme ' . Au moins d epui s le myth e d u contrat social, le
.1. S.., l 'in,,,,,,lion do 1• ..,lion do socié". voir B. Kilm m . « Auto ritt !",ovoir", o<>eiblli • (20031 " M. FwçAU.~ . « lljiJlI! Jif",d" 1. , ocil" • (19971 . 4. 10 " moovo"",,' p ra'oi", ~ prolR . l ·énor>ci. lion poIili q"". voir Il LArool, " Er ,; 1' 0' p m u ' o. 1"'0 po litiqoo t . {2002 1 ", bio• •ar l'oovn...o c! n , iq"" do B . M .....~ . Princip.. d . I ,""" ".,.".,.n l TOp""",IJl;f (I 99S) .iosi ""0 10 très bo. o lu ,", .pp lUOm"", .. o.iqoo"",", di "",. ib lo o' l1li110;'", .," 10 wob do Fooe ...lr, . or Jo
s..,
p.nII ,,';• • M. F OUÇAULT. Di scal,u.1I<1 Tn ,..
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ç""'IIIt'IIlIY'lra œr II.'S aS"'clalirmS ?
c orps politique a touj ours été un problème, p our reprendr e l'expression utilisé e par John Dewey dans sa réponse à Lippman, un fantôme perpétuelle ment a u berd de la dl ssohaion complète. Il n' a jamais été conç u pour devenir une substance, un être, un domaine sili generis qui a urait ex isté en deçà, de rrière et au-de là de l' action politique. Tou s le s lecteu rs de Hob bes ont été frappés, à la lecture de son proj et de L évi athan, par la frag ilité de c e « dieu mortel » et par la r apidi té a vec laquelle il pou vai t se décomposer. Comme c hac un pouvait le vo ir, ce géant avait des pieds d ' argile. Mais, dè s qu e vo us fa ite s du mode d ' exi stence du Public - a u sem de Dewey - celui de la soc iété afi n de vo us épargne r la rêche délicate et c ontradictoire qui c onsiste à la c onstit uer par d es mo yens pol itiques, o n ne sa is it plus safragilit é comme un problème compris et vi sible par tou s ' . Le co rps poli tiqu e métamorphosé e n société e st supposé tenir par ses propre s forces, m ëme en l'absence de tou te activité politique 1 . Bien qu 'il res te invisible, le co rps politique géant est d ésormais censé avo ir le s pieds solidement ancrés dans un rob uste piédestal. T outes le s difficultés que l'o n renc ontre e n essayan t d e sa isir le social p rovi ennent de c et improbable tour de fo rce métallurgiqu e: prétendr e coule r dans le bron ze la forme mou vante du Public Fantôme ! Alors que le corps politique devait sans cesse être tracé par la forme si particuliè re d ' énonciati on politique, la soc iété es t toujours déjà là, quoi qu' on tasse et qu'on le veuille ou non. Et le pire , c' e st q ue , a u lieu d 'y v oir une co nt rad ic ti o n o u une im po ssibilité te chniqu e, le s soc iolog ue s o nt v u d an s c et te pré sence fantomatique la m eilleu re p reuve du mystè re de s on e xi ste nce. Ce qui n ' ét ai t qu 'un fant ôme a ssez inn oc ent es t de venu al or s un vam pire; le Lé viathan s'e st tr an sformé e n Hydre. Et pourtant, il n'es t pas très difficile de voir qu'une e ntité dont l' existence e st toujou rs donnée d ' avance est exactement le 1'& • • " ,,,..jour. l. pudui' d'" ,," t p"'lIV' d·a ..... "' • • do'tilli da.u r imp<Jnanto ,~'" d. D. LlNIiAlllT, « La ft,,,,. &, l'l!o., . 0 dOmoc"" »( 2lI04} b. J'ai dtcidé &, ..."'" l'i1.."iti.. ptmtlr . '" &, BIWmlUI "" "''', d . l'io". .' " d . Jo sociolugi. c,,"""" ,00, ,"" do p"Ii'.,..o. q. "L ilJlUMAI<, Int.... liolLl of Po, ..od"" ily ( 1992). 7 . q J. DEWEV , IL pllhli<:~' ' " probl.'m
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l ntroduct irm : [!O W'quoi le social e.lt ~I s i diffi cile à dt>'''lU'r ?
c ontraire de ce qu'il faut pour assembler le c ollectif : si e lle est déjà là, les moyens pratiques mis en œuvre dans sa composition ne so nt plus traçables ; si elle e st totele.Ies moyens pratiques mis en œuvre pour la totaliser ne so nt plu s vi sible s ; si ell e est virtuelle, les moyens pratique s mis en œuvre pour la réaliser, la visualiser et la rassembleront disparu du champ de vision. Aussi longtemps que l' ombre de la société obscurcira le collec tif, et dissimulera ce lle, plu s ancienne enc ore, du Lé viathan, aucune scie nce du soc ial ne saurait se d évelopper ' . Pour le dire de façon plus grossière: so it vous avez la société, soit v(,~.I" avez la sociolo gie. Le s deux ne peuvent coe x is te r, com me Gabriel Tarde l' avait bien vu en voyant sa discipline naissante évoluer dan s une mauvaise direction, qu 'il as s ociait cl aire me nt à l' éco le de Durkheim. Natur ellement , tous les soc iolo g ue s sont parfaitement conscie nls de cette faibless e intrinsèque de la notion de société, et c ' est pour cela qu'ils se sont efforcés. chacun à sa façon, d'en limiter le danger 9 . Ils affinneront tou s que la société est une réalité virtuelle, une cosa mentale, une hypostase, une fiction. Mais, en laissant le co ncept à s a place, t ût-ce pour en faire la c ritiq ue, il s n' ont jamais pu faire a utre c hose que de s' aména ger une petite niche à l' intérie ur du corps virtuel et total doot ils a ffi rmaient la non -existence! Ainsi, par lUI étrange retournement du destin, la société e st-e lle devenue à la foi s ce qui éta it toujours soumis à la critique en tant que fiction e t ce qui était pourtant toujours déjà là e n tant qu'horizon ind épassable de toutes les di scussion s sur le monde social ". Quelle qu e soit la sol utio n, elle a toujours éc ho ué, o u plutôt elle s'est éc ho ué comme une 8. « L'idtal démoli~. d . III ", ci ~ • W . t1PPMAN, 1M Phan," ," P wIJ/u: (199) (1 9Z7J), P. IJ1. 9. "'''' UII' lUlilly'" "". ... de l'éUl IO:'œl de . voir N. GA""- Th< " . ..,... c i. lIC" r.ociah ! (9921) . , daM 1''''1:''''''' '' d. lubm an « IIIC....... la . o
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baleine sur la plage - oui, un Léviathan à l' intérieur duquel les soc iologues ont tenté, comme Jonas, de s' aménager un abri de fort une : depois qu elqu e temps, l'od eur de ce monstre e n putréfaction est d evenue in support abl e. Il n 'y a ura pas moyen d e renouveler la théorie sociale auss i longtemps qu ' on n' aura pas nettoyé la plage et qu 'on ne se sera pas complètement débarra ssé de la malenconrreose notion de société. Pour ce faire, il nous faut e xtraire, de cette notion mal formée, aussi bien le corps politique qu ' elle a usu rpé, que le collectif dont elle n'a fait j usqu'Ici que ralentir l' é mergence Il . Pour nous qui nous occupons de sociologie des sciences, il n 'y a rien de surpre nant à ce que la société se dresse s ur le c hemin de la soc iologie co mme de la politique, puisqu e nou s avons détecté précédemment comment la nature j ouait un rôle exac tement semblable et symét rique. Les deux monstres sont nés a u cours de la même saison et peur la même rai son : la nature assem ble les non -humains en le s séparant des humains ; la société rassemble les humains en les séparant des non -humains. Comme je l'ai montré longuement ailleurs, tous deux sont des monstres jumeaux mis au monde po ur é to uffe r dans l'œu f la possibilit é mêm e d'une compos ition vertueu se du collectif 11. Ma is, paradoxal ement , s' il est relat ive ment facile de montrer l'histoire politique de la natu re, dans la mesure où la différence entre les faits indiscutables et les faits di sputés saute aux yeux, la société p osëde un e so rte de présence plu s m assi ve . plu s ass urée, plu s obvie . Il sem ble que le go uffre e ntre le soc ia l comme association - social n" 2 - et le social comme substa nce - social n" 1 - soit plu s difficile à détecter. Le monde soc ial paraît vouloir rég ner là où le monde naturel a dû renon cer à une gra nde part de sa souveraineté. À tel point qu' on a même pu voir, dans mes propres efforts visant à rédu ire le pouvoir de la nature, un projet pour renforcer celui de la soc iété! D' où le mal encontreux sucees de la notion de e construc non sociale » qu e j'ai e xa mi née plu s haut. Et pourtant , il n'y a pa s I I. 1'00, oxp iq"" prlŒlI"" i ""., h ,o"
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fntroductirm : pourquoi I~ xocial e.rt ~I xi difficil~ à dI-.....lU'r ?
d' échappatoire: ap rès la n ature, c'es t la soc iété qui doit disparaître, sans quoi n ous n e serons jamais c apables de réas sembler le collectif. Co mment pouvons- nous a vancer et rendre le social à nouveau traçable ? En su ivant la même stra tégie que dans la premiè re partie. Dans notre quête du social, nou s a llons devoir déployer toute la gamme de s contro verses, au lieu de décider nousmême s du meilleur point de d épart. Une fo is e ncore, il n ou s faudra être plus abstraits et plu s relativi stes q ue no us ne nous y attendions . Mai s, cett e fois, je prendrai comme point de d épart la diffi culté que semblent rencontrer le s sociolog ues eux-mêmes lorsqu 'I ls cherchent à fa ire débuter leu rs enquêtes au bon endroit. En choisiss ant cette voie détou rnée, n ous allo ns décou vrir que les deux collec teurs qu'ils ont c hoisis sont tout simplement absents, d an s la me sur e o ù ils o nt confond u un p robl èm e spéci fiq ue - com me nt ré soudre le s relat io ns poli tiqu es de l 'Un e t du M ultip le - avec un a utre : comment co mposer le collectif. Cette décou verte nOlI Spermettra d'échapper une bonne fo is pour toutes à l'obsc urité que projette e ncore une notion de soc iété e n voie de d ésh érence et, avec lUI peu de c hance, nou s parviendrons à rendre le fluid e social enfin reconnai ssable.
Le monde social est plat
LES usagers de s sc iences socia les o nt l ' air de tro uver trè s simple d' assembler, d'invoquer, de convoquer, de mobiliser et d' expliqu er le social par le soc ial; les pratici ens des sciences soc iales, au contraire, savent combien c'es t difficil e et coû teux. a rdu e t surprena nt. Le social " recue » est celui qui est déj à reg rou pé, tandi s qu e le soc ial" difficile » est cel ui qui doit encore apparaît re, se faire j our en assemblant des éléments qui ne re lèvent pas (en tout cas pas encore) du répertoire habituel. En fonction des traceurs que nous décidons de suivre, nous nous e m barquerons pour des voyages très di ffér ents . Il se mble q u'avec leur définition du social les sociologues d u social aient délim ité un vaste domain e q ui n' entretient a ucune relation av ec la carte dont nou s allons avo ir besoin pour notre définition du soc ia l. Je ne di s pas seulement que les cartes di sponibles sont incomplètes, mais qu' ell es désignent des terr itoires aux contours si différents qu' ell es ne se superposent même pas : c'est à croire q u' il s'agit d 'une a utre pl an èt e ! La tâch e qui nou s a ttend ne consiste pas à nou s rendre e n des lieux moins touristiques q ue l'on rejoindra it en suivant des sentiers moins re battus, mai s à dessiner un paysage totalement différent. Il va sans dire que cela ne va pas accé lérer nos dépl acements : la co urse de lent eur commercée dans la première partie va se ralentir e ncore ... P ui sq ue l'enje u n' est autre q ue la topogra phi e m êm e du social, il n' y a a ucun moy en de décider de not re itin éraire sans 241
C""'1IIl'1Il relraœr /'" a.«IOCialirJIIX ?
comprend re le principe de projection que les sociologues du socia l ont utili sé pour dessiner leurs cartes . Ce n' est qu'en sais issant la causes de leurs dérives q ue nous comprendrons pourquoi ils ont proposé de lui donner de si improbables conto urs. Lorsque nou s commençons à poser cette question, nou s réa lisons à quel point leur péri ple a d û être ardu: tout se passe en effet comme si qu elqu e c hose les avait obligés à se dépl acer cons tammen t entre deux sortes de sites - l' interaction locale et le contexte global - do nt c hac un se révélait si p eu acc uei lla nt q u' ils devaiert le quitter aussi vite que possibl e. Adam et Ève n' ont été chassés que d'un se ul paradis, mai s les soc iolog ues du soc ial, moins chanceux que leurs ancêtres. ont dû quitter success ivem ent d eux a ires d e repos, chac une située a ux a ntipodes de l'autre, pour ne plu s cesser de passe r de l' une à l'a utre. Nou s devons comprendre la dynamique de cette double expulsion si nou s voulons échapper à leur destin . T out sociologue sait très bi en que les interactions soc iales face à face - le socia l n° 3 - ne forment pas un hm point de départ , du moins pour les humains. Lorsqu e, pour une raison o u pour une ame, vous entrez sur la scène d'une irteraction quelconque, vous vous rendez très vite compte que ce n' est pas vous l ' auteur de la pièce, que vo us voilà em barq ué dans une vas te product ion qui vous dépasse tout à fait. Un enfa nt qui apprend à parler découvre un langage déj à constitué dans l' usage compétent qu ' en fait sa mère ; un plai gnant convoq ué devant le j uge découvre un édi fice j uridiq ue solide ment établi et un Palai s de Ju stice aussi vieux que Paris ; un ouvrier qui se tue au labeur toute la j ournée dans un ate lier découvre assez rapidement que son destin a été scellé par des agents invisi bl es q ui se cac hent derri ère les murs d'un bureau situé à l' autre bout des loc.aux ; un marcheur souffra nt d'une e ntorse découvre dans le cabinet de son médecin les particularit és de sm ossature et de sa physiolo gie, bien ant érieures à son acc ident; aiguillooné par les q uestions d'un ethnologue, un « intormareur » local découvre que la plupart œ ses habitudes de pensée viennent de lieux et d' agent s sur lesqu els il n' a a ucun contrôle. Et ai nsi de suite. Les int eractions ne sont pas un pique-niqu e où toute la nourriture aurait été apportée par les parti cipant s, mai s plutôt une réception donnée par des m écènes anonymes q ui cet tout organis é j usque dans les
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12 IItr>llik social est phu!
moindres détail s - les places elles-mêmes pouvan t ê tre assignées par un majordome attentif ou autoritaire. Il es t don c tout à fa it exac t de dire q ue tout e int eraction donnée semble débo rder d' élém ents déjà inscrits dans la situation, provenant d'un a utre temps, d'un a utre lieu, et générés par une autrefo nne d'existence. Cette intuition forte est a ussi vieille que les sciences soci ales . Comme nous l' avons observé auparavant, l'ac tion es t toujours disloquée, articul ée, déléguée, traduite. Par conséquent, si un observateur veut rester fidèl e à la direction indiquée IBr ce débordement, son regard sera détou rné de toute interaction donnée et diri gé vers d'autres lieux, d 'autres temp s et d'autresfo rmes d 'existence qui semblent avoir façonné l' interaction. T out se passe co mme si un fort couran t d' air c hassait toute personne qui aurait voulu demeurer sur la scène locale de l'interaction face à face. Le problèm e est de savoir comment procéder à partir de là. C'est à ce carrefour que la confusion entre le corps politique et la soc iété menace de nou s fa ire dévier de notre course. Bien qu 'il y ait toujours , dans toute interaction, la marque des pointillés qui pourraient nous mener vers l'entité virtuelle, totale e t préexistante q ui semble ex pliquer l'interaction qu' il nou s a fallu q uiner, c'est j uste ment ce c hemi n q u' i l ne faut pas prendre: si cette enti té est virtue lle, qu ' elle le reste! Le s sociolog ues devrai ent s'abstenir d' aller là o ù l'action po litiq ue doit po ursuivre sa route. Oui , les interactions sont débordées par d'autres acteurs ; non, ces acteurs ne for ment pas un contexte qui les e ntourerait. Comme nou s l'avo ns v u en mai ntes occasions, il y a souve nt un gou ffre béant e nt re les intuitions co rrectes des sciences sociales et les solutions étranges qu ' elles propo sent. C'est encore la même chose ici: o n a co nfo nd u la proj ection du Pu blic - notion de poli tiqu e - e t la prééminence de la socié té - notion de science soc iale . Il es t vrai que l' un comme l' autre jouissent d'une existence virtuell e, mais pas de la même façon. Le Public représente une ex hortation constante à reprendre la tâche impo ssible de la politique, tandi s que la socié té n' est rien d' aut re qu'une façon de di ssimuler le travail de compo sition en faisant comme s' il était déj à achevé: la soc iété est là, au-dess us de nos têtes . Si bien que, lorsqu e les e nquêteurs commence nt à se détourner des sites locaux , puisqu e, de toute évidence, la clé des interact ions ne s'y trouve ras - ce q ui est tout à fait vrai - , ils 24 3
C<>mllll'/Il relroœr les aJ:llS?
c ro ien t devoir diri ger leur att ention s ur le e c ad re » au sein duquel les interactions sont suppos ées s' insérer - e t c'est là que les c hos es co mme nce nt à prendre une mauvai se tournure. En partant d'un bon réflex e - éloig nons- nous des int eraction s loc ales ! - il s finissent , pour repre ndre le célè bre titre de Sam uel Butler. a u pays d' Erewhon, c' est-à-dire de Nullepart . Cette dynamique a é té si profondément enrac inée par ce nt ci nquante ans de sciences soci ales qu' elle (rend aujourd'hui les ain; d'une migration de masse sur des a utoroutes construites à grands frai s et balisées de signalisations sur lesquelles on peut lire: « Co ntexte , 15 km . P rochain e sort ie. » L ' habitude de se rendre a u Co ntexte, une fo is déçu par les interaction s locales, est devenue si instinctive qu'il est difficil e de voir qu' elle est sans issue . Après un bref trajet san s e nco m bres, ces a utoroutes se volatilisent sans prévenir. À Co ntexte, on ne trouve pa, de place pour se garer.. . Peut-on vraiment remonta de l' acte de langage qui est cel ui de l'enfa nt à la « struct ure » du langage ? D e la plainte déposée a u « système» du droit ? De l'atelier d'usine a u « m od e de production ca pitalis te » o u à 1'« e m pi re » ? De l'entor se du patient à la « nature » du c orps? Du ca rne t de l' ethnologu e à la " cclture » de tel peuple particulier ? Db; q u'on soulève ces q uestions, la répons e devient une série e mbarrassée de « non, oui, peut -être ». Certes, la structure du langage n' est parlée par personne en particulier, et pourtant c' est à partir d' elle que sont générés tous les actes de parole, bi en que la façon dont la parol e c roise la lan gu e soit re st ée, depuis l ' époque de Sa uss ure, un mystère insondable ' . Le système du droit ne se tient null e part e n particu lier, et pourtant il est invoqué de façon non moins my stérieu se à chaq ue procès, même si l' on reconnaît à chaque fo is qu 'il doit représenter une totalisation toujours recommencée 1 . Le capitalis me es t ce rtaine me nt le mode de production dominant, mais personne n'imagine q u' il existe un homuncu/us aux comma ndes, m ême si de nombreux événements semblent obéir à une stratégie
1. Pour ..., oxODl(lI. parmi d·. .."" d·..., c.. oùl.
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1.. Bé"",OOl
" ",cn.RI. d ~ 1~'Il'. cf. Â . DmANfl .. C. Go:x>wLN. R. d1 inking COft1<XI (1992~ 2. q N . lui......"". ..t Sacio"'pal / 7JIo.ry if L ...· (198S); III frança is on "" ..", lu-. • L ·u oilé d o .yMè mo j oridiqoo • (19 8/1).
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Le mrmdi> social t'•• 1 plal!
implacable J . L a connaiss ance du co rps es t ce qu i per met de diagnostiquer des pathologies spécifiques. bien qu' il soit é vident qu e c'est à partir d u ca, singulier q ue l'In formation devient pertinente ". Une c ult ure est à la fois ce qui fait agir le s gens, une ab straction complète créée par le regard de l' ethnologue, et ce qui est généré au cours des interactions par l'inventivité inépuisable de s participants ' . Même si elles sont bien ce que toute e nquête se doit d' atteindre pour donne r sens aux interactions locales, les structures semblent offrir une aire de repos aussi confortable qu'un tal us d'orties . . . D'où la r épo nse gê née que l' on obtie nt sur ces fa me ux « contextese : il e xis te qu elque c hose qui rend l'interaction p ossible e n apportant s ur la scène la plupart des ingrédients néce ssaires, mais ce « quel que c hose JO es t à la fois p résent en coulisses et bien trop abstrait peur e n faire quoi qu e ce scit. La structure est à la fois tres puissante pour expliquer et pourtant beaucoup trop faible et trop lointaine pour avoir une quelconque efficacité . Ce dont on attend qu' elle donne la véritable source de tout ce qui es t « réel JO e t « concret " semble manqu er tout à fait de réalité ! C'est pour cela que les sociologues, comme s' ils éta ie nt parvenu s a u bo ut d' un élastiq ue é ti ré au svl loin qu e possible , se ret rou ven t soudai n p ropuls és da ns la direct io n oppo sée, tuyant Ies « aspects stru cturels pro fonds » pour se précipiter à nouveau vers les interaction s plu s « réelles » et plus « conc rè tes " . Une second courant d'air, un second tourbillon, non moins violent que le premier, éloigne maintenant tout visiteur du contexte et le ramene in exorablem ent a ux sites. locaux de la pratiqu e. L' histoire récente des sciences sociales n' a-t -elle pes é té en grande parti e une oscillati on pénible e ntre des pô les opposé.. l'un plu s structurel et l' autre plus pragmanque " ? Malhe ure use me nt, s'efforcer, au retour, de coller à la scène loc ale n' offre auc une solutio n, puisqu e le s fo rces qui avaient re pou ssé les e nq uêteurs, à l' aller, sont toujou rs présentes : il est J. q. P. Ma owsxl. Modlin< Dr",m, (2001); M CAUilN. ~ Essai . ur (a ...,0:00 do oadr.o-dObonl....,ol . «(999). •. q S. H IJ. 'lÇ RA~ D.. « lŒ Manufac..", ofBod io. iD S"'''''1
~
(1991) ; A. MoL, Th,
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toujours aussi év ide nt que ce qui es t .. réel " e t .. corc ret » n ' e st p as enti êremeru contenu dans Cel; interactions face à face. Tiraillé dan s deux directions o pposées, l' enquêteur se trou ve dans une situati on impossible : lorsqu 'il s' e n tient a ux int eractions, il se trouv e dan s l'obligation de s 'en éloig ner e t de « re placer le s choses dans leur contexte » ; mai s lorsqu'il att eint fin alement ce contexte structuran t, on lui demande de quitter ce niveau abstrait pour re venir vers la .. vie réelle JO, l' .. éc he lle humaine ", le s sites " vécus " . Mai s si la .. structure" est une abstraction, l' interaction e n e st une a utre! Si l' une est plus réelle et plus concrète, l' autre l' e st aussi - l ' autre p ôle, touj ours l'autre pôle . Cette injonction c ontrad ic toire serait assez troublante pou r ég arer n'importe qu el en quêteur. Platon affirmait qu ' il fallait s' é lever depuis les ombre s illusoire s e t matérielle s vers les idées réelles et immat érielle s. Mais qu e se passerait-Il si, avec tout a uta nt d e rai son, un a nti- P lato n vous c o nd uisait da ns l'autre direction, depuis les idée s ab straites ve n; le monde local, réel et matériel ? Vous seriez écarte lé par cette alternance brutale entre un cadre au sein duquel il faut situer les interactions - dans la soc iété - e r un mouvement violent visan t à en finir avec le s .. grands c adres de référence JO d à revenir à l' environn ement local et individuel dans lequ el le s c hoses .. se passent vraiment JO et MJlIt .. vrai ment vécue s » . Le va -et -vient d 'une balançoire est amusant, mai s seulement un moment, et certainement pas au point d' être pris de n ausée . . . Si se ule ment ce ba lancement verti gineux pouvait s' arrê ter. On a appdé cette alternance co nti nuelle le " probl èm edel'acteur et du système JO o u le " débat micro/mac ro JO . La qu estion est d e savoir si l' act eu r est « dans » un système ou si le systè me est « fait » d' a ct eu rs q ui inte ra gi ssen t. D 'habitude , la stra té gie consis te à p oliment prendre ac te du problème , d éclarer qu ' il s' a git d 'une qu e stion artific ielle , pour e nsuite s' amé nager une niche confo rtable à l' intérieur d e ce qu 'on prét end n' être qu 'un d ébat acad émiqu e e n imaginant un compromis raisonnable entre le s deux positions 1 . Mai, si vou, découvrez le juste milieu entre deux positions également absurdes , co mment vous a ssurer qu e 7 . PIlI1IlIi ).. Bomh.. u," , "",.mv, .. voi.- ,P. llo uu ....t J, E
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Le mrmdi> .",cial est plal!
cette tierce position n' est pas e ncore pl us inconsistante ? Faut-il rechercher un rouveau compromis entre acteurs et système, ou c hercher ailleurs ? À premi ère vu e, 1' " acteur-r éseau " semble constituer un bon ca nd idat a u compromis : la solution toute prête consistera it à prendre en cons idéra tion à la fois l' acteur et le sys tème dans lequel il es t e nchâssé - ce qui e xplique rait le trait d'union. Cette solution paresseuse viendrait s' ajouter à toutes celles qui ont déj à été proposées pour réconcilier les deux principal es exig ences des sciences sociales : les interaction s sont débordées par des structure s qui leur donnent leur forme; Cel; structures restent ellesmêmes trop abs traites aussi longtemps qu ' ell es n' ont pas été situées dans des e xemples, mobilisées, réalisées ou incarnées dans quelqu e interactioo locale e t véc ue . La tentation es t d'autant plu s grand e qu e la dial ectiqu e, comme les sirènes d'Ulysse, offre gén éreu sement toute sa gam me de boucles pour e mballer e t fi celer de tel s compromis ; on dira simulta nément des acteurs qu'il s sont tenus par le contexte et qu'il s le maintiennent e n place ; du contexte qu'il es t à la fois ce qui fait agir les acteurs e t ce qui es t constitué e n retour par l'ac tion des acteurs. Avec des gestes circ ulai res del; deux mains, c hac une tournant de plu s e n plus vit e dan s la di rection opposée à l' autre, il est ai nsi pos sible de donner l'apparence d'un argument raisonnable en imaginant une connexion entre deux sites dont l' existence demeurera pourtant aussi problématiqu e qu' avant ! Les penseurs dial ectiqu es ayant le chic pour faire disparaître les artefacts en affirmant que les con tradict ions o nt été « dépassées " - leur parole magiq ue pour dire " camo uflées " o u " escamotées " . Encore une fois, il n ' est pas difficile de voir pourquoi ils restent m alg ré tout si conva incants. bien que leurs main s relient des sites sans consistance: il es t bien vrai qu'on ne peut dessiner la notion politique du Public que par un mou vement de boucl e qui ressemble au cercle dialec tiqu e ' . Mai s ce « la sso " indispensable po ur dessiner le lim paradoxal qui unit les citoyens à leurs représentants perd toutes Sel; vertus lorsqu' on le confond avec la relation d'un acteur au système « à l' intérieur » duquel il se trouverait. La qu estion de l'ac teur e t du s ystè me n' e st que la p rojec tion
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8. q. B. CA'lSIN. L '4Jt1 'o p/lisJi~", (I99S). Sur la n"'Om d~ d' • • B. U TOCfJ. . L"'''Pmr dr P"ndon (200l~ Jo , ch'l'""'" 7 "' 8.
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maladroite, sur le plan de la théori e soc iale, des relations paradoxal es que les citoyens entretiennent avec leur république. C'est pourqu oi la sol ution e nvisagée par la sociolo gie d e l' acteur-réseau, malg ré son a ppellation q uelque peu malencontreu se, n' a rien à voir avec une quelconque tentative de proposer un nouveau compromis entre le niveau micro et le niveau macro, ou l' acteur e t le système - e t moins e nco re avec une tentati ve de pou sser la balançoire si fort que sa traj ectoire finira par décrire des cercles dialectiqu es! Pour suivre le cours de notre a rgument , il est au contraire es sentiel de ne pas essayer de finasser en trouvant un éq uilibre encore plu s sophistiqué entre les deux clichés des sciences sociales . Nous ne di sons pas que les interacti ons n' existent pas vra ime nt tant qu ' ell es n' ont pas é té " replacées » dans un contexte, ni que Je contexte n' existe jamais vrai me nt parce q u' il est touj ours " exem pl ifié " à trav e rs la pratiqu e individuell e. No n, nou s di sons que la diffi cult é même que l' on éprouve lorsqu 'en essaie de s'en tenir à un lieu cons idéré comme local ou à un lieu cons idéré comme le contexte du précédent révèl e un autre mouvement, enuèemenr différent de celui que l'on suit d'habitude . Notre solution consiste à prendre a u sérieux l'impossibilité de rester trës longtemps dan s l'un o u dan s l ' autre d e ces deux site s. Là enco re, il nous fa ut nou s montrer a ussi bornés, au ssi littéraux, au ssi pos itivis tes et au ssi re lativ istes que po ssible. S'il n' y a pas moyen de rester sur ces lieux, cela veut simplement dire qu' on ne peut pas s'y rendre, soit parce qu' ils fi' existent pas, soit parce qu'il s e xistent mais ne peuvent être atteints avec le véhicule qu e fournit usuellement la soc iologie. De même que nous avons décidé dans la première partie de tirer profit des controverses au lieu de les trancher, il devrait être possibl e de tirer profit de cette oscillation incessante des sciences soci ales e ntre des pôles opposés et d'app-endre ainsi la véritable to pographie du social. La sociologie d e l'acteur-r ésea u n' est a utre q ue cette déci sion d e saisir le " Grand Problème ,. des sciences socia les comme une ressource . Elle s uppose que le réflexe d' évitement affiché à deux reprises par les sociolog ues - e n passant du local au global, puis lhJ niveau mac ro au niveau mi cro - n' est pas le s ym ptô me de qu elqu e m alheu reu se faib lesse de leur part , mais un symptôme très im portant de ce q ue ces li eux ne sont q ue l e rell et d 'un ph énomèn e ent iè re ment 248
Le mrmdi> social est plal!
différent. De même qu 'un c he val peut sentir l' a pproc he d 'une falai se avant Mm cav alier, il nous faut suivre l'intuition de , sociologues, mais oon la solution qu 'il> ont proposée avec leur définition du soc ial . Une fois e ncore, la sociologie de l'acteurréseau entend re ster fid èle à la tradition tout en la libérant du poison qui l'a tant affaiblie. Bien que le corps politique soit une ombre, un fantôme, une fiction produite par le mouvement en boucle de l'action politique , cela ne signifie pas que le monde social o ffre le même aspect é théré . Comme nou s le verrons par la suite, la politique n ' est qu 'un moyen de compose r le c olle ctif": e lle ne s au rait fournir le sché ma g énéral d 'une soc iologie de, asso cia tio ns . Mai s, comme le, observateurs o nt utilisé la société pour courtcirc uiter la politique, ils n'ont jamais é té en me sure de distinguer le s différent, pay sag e, dessin és par ce, div ers traceurs. Obséd é> par l 'idée d 'ac céd er a u tout e n co urt-c irc u itant le, tâche s politiques, ils ont rendu beaucoup plu s difficile la compositio n du collectif Comme la natu re, la société est un a ssemblage prématuré : il faul situer les tâches d e oomposition, oon pa, derrière nou s e t e n amont, mais devant nou s e t e n aval. Contrairement à ce que dit Platon dans la Rép ublique, il n'y a donc pas un, mai s au main> troi s « Oro, Animaux » : le Corp s Politique, la Société, le Collectif. Mai s pour rendre visible s ce, différentes bêtes, pour distinguer leurs mouvements, suivre leur éthologie, identifier leur écologie, il faut encore une foi , refuser d'être int elli genl . Il fa ut rester aussi aveugle qu 'un termite afin de soigneuxemera .. m ésinterpréter JO le s sens habituels du terme « sœ ial ». Il nou s faudra voyager à pied et nous en tenir à la décision de re fuser d ' emprunter tout véhicule plu s rapid e. Oui , nou s devrons suivre l'idée que le s interactions sont débordées par bien d 'autre s ingrédients déj à e n place, provenant d ' autre s temps, d'autre , lieux et d'autre , actants ; oui, nou s devron s nou s faire à l'id ée de nee s déplacer vers d 'autres site, a fin d e d écouvrir les participants d'une interaction. Mais, dè s que nous n ous é loigneron> de celle-ci, nou s devrons ig norer le, panneaux géant, a nnonçant .. Ven; le Contexte JO ou .. Vers la Struct ure JO ; il nou s faudra tourner à angle droit, quitter le s autoroute s, e t nous ré sign er à em p ru n ter un petit sen tie r a uss i é tro it qu 'une piste muletière.
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Bien que le s sociologues soie nt fier s d'avoir ajouté du volume à la platitude de s interactions, il semble qu'ils aient é té trop vite en besog ne. En tenant pour acq uise cett e troisième dimen sion - ne serait-ce que pour al critique r J'extstence -c-, il s ont retiré de l' enqu ête le principal phénomène de s sciences socia les : la p rodu c ti on m ême d e loc alit é s, d e dim en sio n ne ment s e t d' échelle s. Il s' agit e n vérité d 'une que stion de c artograp hie . À c ause de la présence soes-jacente du corps politique, les soc iologue s o nt pen sé q ue la soc iété o ffrait une troisième dimension dans laquelle toutes les interactio ns d evaient trouver leur place. Cela expliq ue leur consommation immodérée d'image s tridi mensionnelle s: sphères, pyramides, monuments, système s, organi smes, organisations . Pour résister à ce tte tentation d' ajouter une trois iè me dimen sion, j e v ais proposer une pr oj ection e n seulement deux dimensions, en m' efforçant d' aplalir a utant qu e possible l' espace social. Pour filer la métapho re topographique. tout se passe cœnme si nous devions reproduire dans la théorie soc iale le merveilleux livre Flatland, qui s'efforce de nou s fa ire vivre, nous qui sommes des animaux en trois dimensions, dans un monde bidimensionnel uniquement c onstitué de lignes: aussi étrange que cela puisse sembler, no us devons, e n th éori e sociale, c roire à la th éorie de la Terre Plate 9 ! C'est la seule façon de voir co mment le s dimen stonnements sont produits et c omment il s so nt maintenus. Tout se pa sse comme s i le s cartes que nou s a lé gué es la tradition avaient été froi ssées et mise s en boule: il nou s faut les ex traire de la corbeille à papier e t les aplatir du revers de la main j usq u'à ce q u'elles red eviennent lisibles e t utili sables. Si cette « remis e à plat JO peut semb ler paradoxale, e lle c onstitue la se ule faç on de déplie r ce qui éta it plié, d e m e sure r à n ou v eau la distance rée lle qu e doit tra cer chaque assoc iation. Le but de ce tte seconde partie est de pratiquer une sorte de gy mnastiq ue correct ive. Nou s al lo ns p rocéder e n trois étapes: a) nous allons d ' abord resituer le global afin de mettre un te rme au x a u toma tis me s qui mèn ent de l'in te ra ction a u « Contexte » ;
9. r ail .. . ici r exp ...i<>n ( 1996).
250
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r.;,- • • lh.. ..n ... ivre d· Edw in ABBOT1.
F/iII/lJ1I d
U mrmdi> social esl p/al !
b) nou s all ons e ns uite redis tribuer le local afin de co mprendre pourqu oi l' interac tion es t touj ours un e total e abstraction; et, e nfin, c) nou s al lons connecter les sites qu e les deux étape s précédentes auront mis au j our, en montrant les différent s » ëtucules qui définis sent le rodai comme association 10. Une fois que nous arrens es quissé ce tte topographie alternative, il sera fina lement possible de discuter de la pertinence politiqu e de la sociologie sans confo nd re la société déjà constituée avec le cercle toujou rs à reprendre d u Public. Ce n' est q u'à ce moment que le collectif aura finalement assez d' espace pour se réa ssemhter et que nou s aurons été tour à tour fidèles aux troi s tâches success ives de la sociologie .
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10. Pw, . ui",. co'" •• !",ruo. il POU' fi.. d. lir. B. LATOU. "' li. HIRMANT, Par" vi l ~ inl'i.lil>k ( l 9981"" , mi.ux , d. co.""IIO'1. !ir. d. P"U vith illVi.l "' ~ ImolO_ I.. oor.n.. 00 l'. . .""Vo. ül",tnIi.. .. do. m m.• • pIJ lnan/:n .. d'« apIa-
rn..m>o" •.
Premier mouvement Locali ser le global
LEpremier exercice de notre petite gymnastiq ue corrective est assez simple : il nou s suffit d 'établir quelles sont les connexions continues qui mènent d'une interaction local e jusqu 'aux lieux, aux moments et aux actants par l'intermédiaire desqu els un site local donn é a été mis en action. Autrem enl dit , il nou s faul s uiv re le c hemin trac é par le p roces sus d e dél égation o u de traduction pr ésent é d ans la premi ère partie. Comme nou s l' av ons appris d an s les pages qui précèd ent, cc dépl oiement peut prendre la forme d'un réseau, à coodition de vérifier à chaque fois que la distance qui sépare un site de l' autre soit bien « payée », si l'on pe ut dire, par un e série d e tran sformations o u de traducti on s, qu ' elle soit assurée par d'auth entique, médiat eurs et non par d e simples Intermédiaire s. Ain si, nous re ndrons vi sibl es, maill on après maillon, les longue s chaînes d'acteurs qui re lient un site à l' autre. C'est peut-être difficile du point de vue e mpirique, mais nous ne de vrions plu s rencontrer à ce stade d' obstacle théorique majeur. Malh eureu semera, ce serait sans compter sur la difficulté d e trouver la bonne direction une foi s parvenus au carrefour dont j'ai parlé plu, haut: les deux routes, nou s le savons, ont le même point de départ - é loignons-no us des interacti ons local es, le soc ial n° 3 - , mais n' ont pes le même point d'arrivée, pui squ e l'un e m ène a u Contexte, à la Structure, alors q ue c'est le social n" 2 q ue nou s vo ulo ns attei nd re . Co mme nt fa ire ? Le P eti t
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Omllllelll re/racer /'" a.«ocialitms ?
Chaperon rou ge parviendra-t-il à bon port ? Comment peut-on cheminer en sécurité d'un médiateur à l'autre sans être avalé tout cru par le Grand M échant Loup du Contexte Social? n nous faut trouver un stratagème pour faire diverger les deux théories sociales, en laissant la sociologie du social poursuivre son chemin tandis que la sociologie des associations devrait parvenir à dessiner des cartes routières de plus en plu s précises. Point n'est besoin d'avoir une grande c ulture en topologie pour réaliser que les deux sociologies ne diffèrent pas se ulement par leur point d'arrivée, mais aussi par le type de déformation qu'elle s autorisent : lorsque vous replacez un site local « à l'intérieur » d'un cadre plu s large, vous êtes obligé de fa ire un bond puisque vous introduisez désormais une discontinuité, une rupture entre le contenant et le contenu, entre le local et le global. Que se passerait-il si nous nous interdisions toute rupture, toute déchirure, pour permettre uniquement les courbures, les étirements et les compressions? Po urrions-nous alors nous rendre mnJ" .rolution de conunuité de l'interaction locale aux nombreux acteurs qui délèguent leur action ? Le point de départ, ainsi que tous les autres points qui ont une action sur lui, se trouverait désormais côte à côte : une connexion apparatîtrait sous la forme d'un pli. Ce qui importe pour notre projet, c' est que, dans une topographie faite de plis et non plus d'emboîtements, toute action doit être transportée d'un site à l'autre et donc, de toute évidence, a besoin d'un véhicule pour la transpœter de même qu'un chemin pour s' y rendre. Dans l'autre paysage, le contexte et l'acteur qui s' y trouvait inséré étaient si incommensurables, la brèche qui les séparait si difficile à comble r qu'il n'y avait aucun moyen de déceler le mystérieux véhicule par l'intermédiaire duquel l'action pouvait se transporter ' . Si l'on permet qu 'un site soit " e nchâssé JO " à l'intérieur JO d'un autre site, on autorise alors l'ajout de la troisi ème dimension , cell e de la société, et c'est tout le château de Merlin qui surgira de nouveau du lac. C'est pour être sûr de mettre fin à cette magie que nous devons nous as surer qu'aucune dimension supplémentaire ne viendra s'ajouter à notre car te. C'est pour cela qu'il faut continuer obstinément à 1. Sau f ~ mvm' ..- I"une de. ooIu'<>R> hybride. que cene . eflic ,",e. de l'hobi. " .
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Premier 1IlOO \'t'me/ll : locaJuer le global
aplatir le paysage. Si un site donné doit subir l'influence d' un autre site, il doit trouver les ressources pour cela; la tyramie de la distance a pparaît à nouveau très clairement. Comme chaq ue connexion doit s' acq uitter de l'intégralité des coêts du déplacement, les act eurs sont maintenant comptables de leurs acte s et donc vi sible s. Po ur ré véler ce paysage inédit, il nou s faut inventer une série de p rises pour maintenir le territoire bien à plat e t obliger tout candidat à un rôle plus " global _ à se tenir à côlé du site" local _ qu 'il prét end expliq uer, plutôt que de le vo ir sauter par-d essu s ou par-derrière dans une autre dimensi on . Je va is m e co nte nter dan s ce qui s uit de fa ire un inventai re sommaire de ce s instrument s permettant d'accroît re, slj'ose dire, la parfaite " platitude _ de ma théorie. .. Les manuel s de sociologie sont organisés autour de différent s sujets - la fa millecles instltutlonsv les États-nation s, les march és, la sa nt é, la d évian ce , etc . - qui r ésum ent le s nombreuses décis ions pri ses par les soc iologue s s ur la liste standardisée des ingrédients nécessai re s au m onde so cia l (liste s qu' on ré vise de temps e n temps seulement). En re vanche, tous les tenues que j e vais prepos er ne sont rien d'autre que des stratagèm es spécifiq ues pour résister à la tentation de rejoindre d'un bond le niveau global. En rai son de la nature co rrective de notee gymnas tiq ue, les vertus de ces concepts sont d' abord négatives ; ils appartiennent à notre inf ralangage, comme les termes volontairement vides de " groupes _, d' " acteurs _, d' " agence _, de " traducti on " et de " fluide " . Comme la notion de réseau, ils ne désignent pas ce qui est cartographié, mais la f açon de cartog raphier q uelq ue c hose à partir d'une nouvelle d éflniticn du territoi re ; ils fo nt partie de l' équipement é ta lé sur le bu re au du géographe qui lui permet de projeter des formes sur le papier. C'es t po ur cela que les notions que je vais passer e n revue ne diront rien de substantiel de l'es pace social ; elles ont pour seule fo nctio n de permettre a ux soc iolog ues de pouvo ir à nouveau réasserœler le fluide social, de la m ême faço n q ue les e ntomologistes app rennent à co nstru ire de s petits ponts où doivent passer les fourmis pour pouvoir les compter sans interférer avec leurs déplacements 2. 2. Vg ir J. PA' nI'LS " J.. l. ~ ~O, From /nJi viJl< oI '" CD I/un", 8 , hi" ,;", " Soc ial /n=:tl ( 1987 ) , D. GJ.rnI.,tn.ll m 110Ft (l m).
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C<>m1lll'1Il
re/racer
les a.«ocialitm.. ?
Du panoptique li
l ' oli ~optiqu e
La myopie volontaire d es prati ci ens d e l'acteur- réseau l eur donn e une certai ne supé riorité sur les observateurs dont le regard p erç ant em brasse tout l 'hori zon. No n se u leme nt ils p eu vent peser de s qu estions bêtes et grossières. mai s ils peuvent le fa ire collec tivemen t e t avec obstination . Le premier type d' outil es t celui qu e l' on obtient en p osant la questi on naïve : « Où sont les struct ures v » Je s uis consc ient du fait q ue cette qu estion géographiqu e trahit une terribl e absence de bonnes mani ères mai s, e n tant que soc io logue d es sciences, je su is habitu é à touj ours fournir le s condition s de production Indispensable s à chaq ue savoir scien tifiq ue ". Mê me les lingui ste s, par exemp le, on t besoin d'un b âtiment, d'un bureau, d'une institution, d'un départem ent , d e boîtes d ' archive s, d 'un hébergement, d 'u ne cafetière et d 'un e ph ot o copi eus e p our p ouv oi r ra ss embl er tou s l e s é léments, ex tra its de milliers d'Interactions locale s et de millions d ' a c te s d e lang ag e, qui leu r p erm ettent d e s'a p p liq ue r à la reconstruction d'une struc ture linguistique'. Et on peut dire la même chose de s juristes: le sys tème du droit es t compilé grâce à d es classeurs, d es b ibliothèq ues, d es réunions, etc ". Il n 'y a pas j usq u'à Karl Marx, a ssis da ns la British Library. qui n ' ait besoin d 'un coin de table po ur assemb ler les formidables forces du ca p itali sme. Pas plus qu e le langage ou le droit, la physiologie ne v it une existence mystérieuse et é thérée : elle est toujours produite qu elqu e part, dans tel ou tel laboratoire de l'INSERM, dans un manu el dont l' édition a été récemment révi sée, dans le cabinet d 'un m édecin, a près qu 'une conférence d e consens us a modifi é la procédure standa rd pour soigner le s roulure s de cheville . La cu lture n ' agit pa s subreptkement dans le dos de ~ ac teurs : ce tte production des plus sublimes est manu facturée dans des lieux et des institutions spéc ifiques, qu ' il s' agisse des bureaux désordonn és du d erni er étage de la maison d e Marshal Sahlins sur le
rk._
3. l'ma un. ",.. .ti"" do ", _ i oli>or la ",i...,,". if. D.N. W lNG'II'OHE., PIllIi"1l S ei".", in lu Plo", (200.1). 4. S. Amoox. Ln rai..,.,. " b"1l"8' ' ' ILs ,.,.. 0.... ( l 999). S. M . M u ~ .. A. i'on.
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Premier '""" \'t'melll : locali<er le glr>l>al
c ampus de l'Université de Chicago, UlI de s é no rme; Area File s déposés au laboratoire du Collè ge de Pranc e ' . Il se peut que le s autre s sociologues c ho isisse nt d 'ignorer ce s sites de production comme a utant d'Intermédiaire s. transparents , puisque, d'aprè s leur épistémologie, il s ne j ouent d ' autre rôle qu e ce lu i de révé ler le s « structure s fon da mentale s » de s action s humaines. Mais le s historiens e t les soc iologue s des scie nces leur acc ordait toute leur att ention. Depuis que noe s avons décidé de voir comment le s différente s disciplina; produisaient leu rs faits disputé s, nous devons (rendre e n con sid ération toutes le s moda lit és pratiqu e s par le squ elle s o n p roduit de s savo irs s ur le s action s d ' au trui. E st-ce du re lativisme? Je l' e spère bi en, e t même de la relativité ! Si aucun signal ne voyage plus vite qu e la lumière , aucun savoir ne voyage sans sc ientifiques, sans laboratoires ni sam; fragile s c haînes de réfé re nces. L' intérêt q ue nous po rto ns ac es humble; moyen s n' est pas dicté par un soupçon sur la véracité de ces struc ture s ou par qu elque va in désir de réfle x ivité : ils offrent le s parfait s rrccee rs pour découvrir le type de rel ations e ntre le niveau micro e t le niveau macro. S' il a fallu rec onfigurer la totalité de l'es pace e t du temps physiqu es après avoir découvert qu e deux signaux ne so m jamais é mis de faço n absolument simultanée, ima ginez les tran sformations d e l' espace et de s temps sociaux une foi s qu e nous aurons replacé c haque structure à l'intérieur de ses conditions locale s de production ... Dès qu ' on so u lig ne l' impo rta nce de s site s locaux ail son t élabo rée; le s struc tures dites globales, c'e st toute la topographie du monde social qui s' en trou ve modifi ée. e M aco » ne dé sign e plu s un sit e plus large o u plu s l'CIS te dan s lequ el le niv eau « micro » serait enc hâssé com me un e pou pée russe, m ai s un autre lieu, tout a ussi loca l, to ut auss i « mi cro » , qui se trou ve connecté à d' au tres plll" un v éhicu le précis qu i transporte un type préc is de traces . D'aucun site on ne pe ut dire qu 'il e st « plus grand » qu 'un autre , mai s o n a le d roit d ' affirmer qu e ce rtains bénéfic ient de connec to ns beauco up plu s fiable s avec beaucoup plus de site s. Ce changement de perspective a pour effet saluta ire
6. Po"" u"" . ",IJ'l'" .....orioli.r '"' l. h bria>ooD '"' l".lKŒ"I",lllJio. roir~" ""voux clauiquo, do G.W. Snn;' N
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Çmlllllt'lIl lY'lraœr
II.'S a S"'cllll/mlS ?
de préserver la platitude du paysage, puisque ce que la soc iologie pré-relativi ste situait aupara van t e au -de ssu s » ou ., e n dessou s ,. se trouv e maintenant côte à côte et au mêm e niveau qu e les a ut res sites qu ' on prétendait avant « sur plomber » o u « inclure ». Ce qui ressort maintenant beaucoup plus clairement, ce sont toutes les connexions, tou s les conduits. tou s les moyens de transport e t tous les véhicules reliant entre eux les différents sites . C'es t ce qui fait leur ïœce, mais aussi, comme nous allons le voir, leur fragilité 1. Si vous coupez le lien q ui attach e une structure à son a pplicerion, rien ne se passe : elle restera intacte, précieu sement re pliée dans son my stérieux e mpyrée; mai s s i vo us coupez les connex ions d'un site structurant à un site structuré, il s 'a r rl!tera tout simple ment de structurer quoi que ce soit! Parvenus à ce stade, n' essaye z pas de vous montrer intelligent s, ne sautez aucune étape, ne c hangez pa s de véhic ule : si vou s le fait es, vous all ez manquer l' em branchem ent et vous ne pourrez pa s tracer le nouveau pay sage. Gardez le nez co llé a ux pi stes et suivez-les. Termites vo us êtes, termites vous resterez ! Si vous vous e n tenez obstinément à la décision de retracer une pis te co ntinue plutôt qu 'une piste discontinue, une nouvelle c haî ne de montagnes se dessinera peu à peu, un massif q ui va partager tout a ut re ment les préc édents sites de l' ., interacti on locale » et du « contexte globa l ». Ce massif, lui au ssi, a ses sommets, ses va llées, ses failles et ses pentes vertigineuses, mais si vous voulez vous rendre d'un site à l' autre, c'es t là toute la différence, vous devez payer le prix de la relation, de la con nexion, du déplace ment et de l'information : pas d' asc ens eurs, pas d' accél érateu rs, pas de raccourci s. Par exemple, les millions d' actes de langage qui compo sent un dictionnai re, une gra mma ire ou un e structure linguistique à l'intérieu r d'un dé partemen t de lingui stique o nt é té e xtra its d'ac tes de langage singuliers qu' il a bien fallu e nregistrer, transc rire, classer de mille façons, e n utilisant à c haque fois des technologies intellectuelles di fférentes ' . Que la structure delalan gue n ' agi sse sûrement pa s e n douce « derrière » c haque acte de parole ne signif ie pas qu ' elle soit l'in vention arb itra ire de
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Premil'r 11101"''''Il1o''111 : localul'r le global
lingui stes " locaux" e nfermés dans leurs bureaux : cela veut seulement dire que la struc ture de la langu e es t une inscription reliée , connect ée, associée à tou , le, acte, de lan gage selon des modalit és qu e l' enquête se doit de découvrir. Oui, bien sûr, il peut y avoir une certaine re lation entre le bureau du linguiste et ce qui es t parl é « en dehors » , mai s co mment pouvez-vou s imaginer que cette relati on e xiste sans conne xions e t sans coûts, sans un va-et-vient constant le loog des conduits qui mênenr vers le bureau des lingui stes e t qui en re ssorte nt ? Ces relations à doubl e sen s sont d' ailleurs d'autant plus fortes et d'autant plus fréqu ente s que la structure de la langue est de venu e l'un de s équipements de base de tou s les locuteurs: n' est-ce pas l'appren tissage de la grammaire qui permet à c haque mère scolarisée de corriger les fau tes de français de ses enfants? On voit bi en que tou s les lieux de travail unive rsitaire - la tanière de l' anthropologue, le laboratoire du phys iologiste, la bibliothèqu e d u j uriste, le bureau du sociologue. le stud io de l'architecte, le cabinet du consultant - commence nt à prendre, dans le compte rendu de l'observate ur, un e forme e n é toile : de nombreu se s lignes e t conduits convergent vers un centre ou rayonnent à partir de lui . Le Grand Méchant loup d u Contexte croyait pouvoir aval er une int eract ion, mai s pas ces formes e n réseau : il s'emmêlerait dan s le, l?lis et le, replis de ce filet de rétiaire ! A partir du moment où nous suivons cette piste sans dévier, n ous voyons apparaître une n ouvelle relation top ogr aphiqu e e ntre ce que nous appelliore précédemment le niveau " micro " et le niveau « macro " . Le mac ro n' est ni « a u-œssus » ni « e n dessou s " des interactions : il vien! s'ajouter à elles comme une autre co nnexio n, qui le s alime nte et q ui s'en nou rri t. On ne co nna ît pa s d' au tre façon de parv enir à de s change ments d 'échelle reloüve. Et cette même façon de voir produira le même " eplatis semeru " quel que soit le « mecrosne » choisi : à c haque fois le travail de terrain révélera la présence de situerions locales qui deviendront autant de réseau x de connex ion, e n étoile à tra ve rs lesquel s voy agen t di fférents véhicule s (tra ns po rtant divers types de documents, d'inscriptions ou de matériaux). Ce qui était vrai des comptes rendu s écrits des soc iolog ues à la fin de la premi èr e partie es t au ssi vrai de tou s le s autre s producteurs de struct ure : Ils jettent tou , de petits pont s destin és à combler la dis ta nce introduite par des cadres d e référence
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disparate s . La nature ex ac te d e ces entités m obiles n 'a pas d 'importance à ce stade : l' enquête statuera dans c ha que c as qu els sont les véhicules et quel s so nt les docum ent s particuliers. Ce qui compte, c ' est la possibilité pour l' enquêteur d 'enregistrer cette forme rétic ulaire partout où cel a est po ssible, au lieu d' avoir à trier le s donnée s pour en faire deux amas distincts: l'un qui serait local, e t l'autre, global - pour ensuite les c oncilier par d es com prom is plus ou m oins habil es. Rac on ter un e hist oire d ' acteur-réseau signifie qu' on est devenu capable de capt urer ces nombre uses connexions sans les bousiller d b> le d épart e n d écidant a priori ce qu ' est la « véritable dimension » d 'une int eraction ou d 'un agréga t soc ia l. Comme ce la d evrait être clair à pr ésent, ce tte th éorie es t avant tout un principe de projection abstrait permettant de déployer Ioule forme, e t ron une décision a rb itra ire s tip ula nt le t ype de to nne qu e la c art e d evrait e nregistrer. Ce que j'ai appelé autrefo is les centres de calcul fournit une illustration saisissante de cette forme en étoile 9. Il se peut que le c apitalisme, par e xemple, soit une mtité insaisissable dotée d'un " e sp rit" pr opr e, mai s un e sa lle de ma rché à Wall Stre et se trouv e bien reliée a u " mo nd e e nüer » par d es c o nd uits a ussi expédi ti fs qu ' étroit s qui transport ent des milliards d e bit s d 'information par seconde, qui , une foi s digérés par les traders. sont instantanément répercutés sur le s écrans Reuters ou Bloomber g qui e nreg is tren t toutes le s transactions, avant d ' être ren voyés au " re ste du monde » (du moins le monde connect é) afin de d éterminer la valeu r nett e d e qu elqu e portefeuille " . Un e fois ces conduits pris en compte, nous avo ns le c hoix entre deux itinéraire s: nous pouvons co ntinuer à croire que le capita lisme fonctionne subrepticement comme « infra stru cture » de toute s les transactions du monde e t, si tel es t le cas, il n ous faut sauter de l'évaluation local e de la valeur d'une en trep rise particulière à son " contexte" e n c hangeant d e véhicule en co urs d e route, e n
~ ........ "";, B . LAI'CKIJ.. Ln sc;'-,.,• • n or ' " n ( 19 89). ID. Cf- K. KNOH · CEU . A .. U. B. uroo:;n. " G1ohlll Mi;;rœ .nr' u,", : The Vi n ... l .'lo<;;.,r;., . or Finlri " M..t. " . (2002) ; F . MUNU. A, " o.. """,Ill!. COIND: o.It:orilml", » (2œ.) ; D. MAdC fNZlf.. An EnJ" ' . IlOl. Coma. (~ 1""1 ,,,,) ; V. ~u. " l .. fomml .. d o m ..-c M • (2003) ; P . Ma o w , ,,,, Moch i", Du oms (200 1) ; A . l.o.VSIION '" N. ~PT. M OII'!" S,." . (19%) ; '" bien quoique pubi.i~ ~ y • lOi IIikl• •G. TAlŒ. f'1nIr:loJlJgi< i", mmiq... ( 1 902 ~
9 . Po... llII ' IlOfillitiOll
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Premier '""" \'t'me/ll : localiser le global
pas sant les vitesses, e t en n ous envolant vers des considérations stratosphériques . Ou nous pouvons décider de continuer à pied le travail e n étudiant cette même sal le de marché d e Wall Street sans changer de véhicule, ne serait-ce que pour voir o ù va nous mener un e tell e d écisi on . Le pa ys age qu i se d essiner a sera complètement différent e n fonction du choix qui sera fait et de la d éfinitioo de; traceu rs. Il en ira de m ême pou r la marge de manœuvre dont nou s di sp os er ons: le c apita lis me d e la pr emière thé orie n' a pa s d ' enn emi plausibl e putsqu'H est « parto ut JO, mai s une salle de marché à Wall Street a de nombreu ses co ncurrentes à Shanghaï, Francfort o u Londres : une panne d' ordinateur, le co up so urno is d'un concurrent, un résultat inattendu, une variable né gli gée dans une forrnule de fixatioo de prix, une procédure de comptabilité ri squée : il n' en fa ut pas plus pour qu 'un profit obscène ba scule dans des pertes spectacu laires . Oui, la place de Wall Street est connectée à de nombreux endroits et, en ce sens, mai s e n ce sens se ulement, elle est « plu s envah issante JO, plu s puissant e, plus eng lobante . Mais, non, ce n' e st pas un site plus vaste, plus grand, m oins local, m oins interactif ou m oins intersubjectif qu e le cen tre co mmerc ial de Mou lins, o u qu e les é ta ls bru yant s e t odorants d u march é de Bouaké, en Côte d ' Ivoire. Ne restez pas obsédés par le capita lisme, mais ne restez pa s non plus rivés à l'écran de la salle de marché: suivez le s connexions : c'es t cela : « Suivez le s acteurs eux-mêmes . JO Mê me là, à Wall Street, à la Corneille, a ucune objectival ion froide n' a eu lieu , a ucune rai son s upérieure n ' a pris le de ssu s. Pa rtout, d e s termites aveug les s'affaire nt à mouliner des donné es: co ntin uez à s uivre leurs galeries, aussi loin que cela vous conduira. On retrouve l e même c han geme nt d e topographie lo rsqu e vous remplacez IUle structure my stérieu se par de s sites pleine ment visibles et e mpiriquement traçables. Une organisation n' est e n aucun c as « plus gra nde" qu e ceux qu' elle org anise . De m ême que Bill Gat es n' est pas physiqu ement plu s grand que l'ensemble de ses employés, la grande entre prise Microsoft e llemême n' e st pas un grand bâtiment où s' a britera ien t de p etits agents individu el s. Il y a e n revanche un certain type de mouvements q u i les trav ersent tous, dont q uelq ues- u ns se ulement
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co mmencen t e t fini ssent dans le bu reau de M. Ga tes '" . C'es t parce qu'une organisation s' apparen te e ncore moins que le corps politique à une société qu' ell e n e se compose q ue de mouve m ent s, reli é s par la ci rc u la tion cons tan te d e doc u men ts, d'histoire s, de comptes rendu s, et de pa ssions. Ce n' e st pas parce qu 'un bureau est tra versé par de s connex ions plu s longue s, plus r apides e t p lus int ense s qu 'il es t plus spac ieux pou r autant 12. Suivre de s piste s con tinues n'e st pas la même chose que franc hir d 'un bond la di stance qui nou s sépare de la structure. S' en tenir à ce q ui est vis ib le et sais issable ne revient pas à se repaître d' ag ence s invisibles. Re ster à bord d'un seul type de véhi cule tout du long n' e st pa s la même chose qu ' accepter de s'embarquer dans des modes de transport plus rapides e t pl us e xotiques . Il n'existe aucun lieu dont on puisse dir e qu' il n' e st pas local. Si l' on dit d e q uelq ue emplacement q u' il est e d élocalisé " , cela veut dire q u' il est pa ssé d 'un lieu à un autre li eu, et non d e quelque part à nu ll e part . « N ' e st-c e pa s là du bon sens? » murmure le termite de l'acteur-réseau qui continue de suivre sa piste avec résoluti on et aveuglement. On peut dir e qu'une é tude trace un acteur-réseau si, au lieu d ' ordonn er les acteurs e n term es d e niveau mac ro et d e niveau mi c ro, o n d écide, qu ell e qu e soit l eur taille, d e rem placer l es acteurs par des sites locaux et reliés entre eux. Le s deux arguments sont essentiels, et justifient pleinement la pré sence du trait d'union : le premi er (l'ac teur) manife ste l'espace confiné dans lequ el tous les grandioses ingrédi ents qui composen t le monde commencent leur incu bation ; le second (le réseau ) doit pouvoir e nregistrer les véhic ules, les trace s, les pi stes, les types d 'information par le biai s desquels le monde est amené à l'intérieur de cet espace, et expliquer comment, après y avo ir été tra nsformés, ils son t renvoyés à l'extérieur de ces murs é tro its . C'es t pourquoi le e réseau " accolé par le trait d'union ne figure pas ic i la pré sence subrept ice du contexte, mais d ésigne ce qui relie le s II. P.lIIlO.< ÙO"",... c.h "" .,. .. "" . bâtilœn.. . "" .....""' .. malt;n! la mélafb.... d. la ' tru ClII" l"isQIl< aucun bi ': "",,,, n·",t jamoi, visilt. in lOl o . . coo" d. 50 c""'truc':"" ou,," "'" u6li wio• . q E . Rœ&i< d", mise' . n ""b"... A Y""EVA, « Sclliinl Up ..d Dow n ~ (200S). 12. Un pufllil "".mpl. do la fk on dit;>11* Goodw ;" ft Suchm... V 00- F. BIIlJN ·CWIN. « Fonrul oting Pl .... . «(996).
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Premil'r ""'" W'me lll : locali<1'r le global
ac teurs entre eux. Au lieu d'ajouter, comme le fait la notion de conte xte, une dimension supplémentaire qui donne du volume à une description sans cela trop restreinte et trop plate, la ooIion de réseau permet à toutes les connections de rester bien à plat côte à côte et de s' acquitter, si 1'00 peut dire, de la totalité des « co ûts de tran saction » nécessaires à l'établisseme nt d'une liai son . Il n' y a dm c pas à ajouter une macrosociologie à une microscc iologie : il e xiste plutôt deux façons totalement différentes d' envisager la relatio n mic ro-macru : la première e ngend re une série de pou pées rus ses - ce q ui est petit est co nte nu dan s ce qui est plu s gra nd; la seconde mesure le nombre des connections - est petit ce qui est peu connecté, est grand ce qui l' est davantage. Ce n' est pas un hasard si la soc iologie de l' acteur- réseau a commerc é avec l'étude de la pratique scientifique. Dès que l'on veut t rou ver un exe mple éclaira nt de ce que l'aband on de la d isti nction mic ro/mac ro permet à la th éœie soc iale, les sciences offre nt d'exce llents modèles. Non se ulement, comme je l' ai dit plus haut, elles sont plus faciles à tracer, mai s elles donnent l' exempl e le plu s e xtrême de la façon dont de minu scules innovations peuvent de venir, en fin de parcours, une caractéristique « mac ro JO du mon de « entie r JO !J . Les scie nces n' ont pas de dimension, o u, plutôt , s' il y a une c hose qui explique assez mal leur pui ssance, c' est bien leur tout e petite taille. Ce n' est donc pa. fortuitement que Tarde, lorsqu'Il voulait donne r de sa théorie de s « r ayons imitatifs JO une illustration frappante, se tournai t vers la sociologie des sciences (qui pourtant à l'époque n' existait pas) : o n peut . di sait -il, suivre sam interruption les liens indirects et pourtant assignables e ntre le cabi net florentin de Galilée a u XVf siècle e t ce qu e chaq ue éco lier a pprend lo rsqu ' on lui enseigne à ne pas se fier à se s sens quand ce ux-ci lui suggèrent que le soleil se couc he au c ré puscule " . L' éc helle qui permet de
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juger de l' impac t d'un laboratoire es t, p otenliellemenl, infiniment petite ou immens ément grande . C'es t pourquoi l'analyste com mettrait une grave erreur s' il he mettait à fixer par avance et pour d e bon l'échelle et les niveaux d e son étude. Si toute s le s di scipline s scien tifi ques. et même ces « scie nces ca mérales » so uvent mép ri sée s telle s que la co mptabilité. le management. l'o rgan is atio n. off re nt de s e xemples si é tonn ants. c'es t que. comme les drosophile s des généticiens. e lles dement à voir une version exagérée d e ce qui se pa sse part out ailleurs de façon moins facile à retracer. Comme no us l'avons vu dan s la première partie. plus la science et la technologie se développent. plus il devient fac ile de repérer physiquement le s liens sociaux. Tout se passe comme si les satellites. le s fibre s op tiques. les c alc ulateurs. les flux de données. le s réseaux internet. par le dé veloppement mêm e d eleur éq uipement mat ériel, avaient pissé a u crayo n rouge d es lignes e n pointillé q u'on discernait mal auparavant l'. Ce qui est vrai de s laboratoires et de s bureaux est auss i vrai de tous le s autres sites liants ou structurants : le pa ssage progre ssif du niveau micro au niveau macro es t de venu traçabl e sans qu' on ait à c hanger pour autant de méthode. Pour d ésigner la premi ère catégorie de ces points d e repère. je propose d 'utiliser le mOI oligoptique comme terme génériqu e. en réservant l' expre ssion « centres de calcul » aux sites où de s calculs, au se ns littéral et n on seulement métaph orique. son t ren dus possibl es par le format mathématique ou du moins ari thmétique des documents qui y arrivent e t e n repartent " , Comme le sait tout lecteur de Mich el Foucault. le « panopt ique " . cett e prison id éale permettant une s urveilla nce tot ale d es d étenu s im aginée au début du XIX' siècle par Jeremy Bentham. est res té une utopie. c'est-à-dire un lieu de nulle part qui a surtout servi à
N'i"'l"""' , "ela ",/fi. "'",. "'" "'" hé .. ';011 , "'" ""'" "iOll ;,,"'me .. iJldivid""De, D' , ocio" par .. """ . ~ G. TunE.. iL,I,,;' 5OCiole.. p. 81-88. [S . Le . outih QuaWutir. "'nde 1a e"""", plusvrn lWjourd' lNi . Voir P. KU TI"" et A . CAMI 00$1>. Bi"",d i<:01 Plalj"' ( 200.1). 16 . L 'é.ude ",..ée du fom".!i """ p,,,met de di llli" I"'" le . deux ".u otio... Voi, C. ROiI mT AL, UJ Irome d e 1'/viJenc , (200.1 ) ; D. KAI, n , D,.. ",iII& Th, ,,,i.. Âp o" (2lXlSl , ... d'_", p.t, l'étude de. do,... .... " des ",,,,,,,,,me . féal,"'e p..- C. JAUl'o. L " mpin de, CIl "" (1992). Sud'm a o uo:t " e l' eXl'''''' ioo « ,",0,,",' de "oonliooû oo » 1"'''' .. ,, "'" . '" le••""",.. pnli'l"" du lieu de ....Vllil. '1"'e lle "OII "~" "omme "" ''l'-:e bybRie f.i' de f<no "', de <>I[ "'Is , de ~iq"". d'0fJl ...... i<m .. d'inI,.... io",. Voi,F. 1lJ.1JN-CmTAN " o L. 1M Worlp/œ , P~ ec l ( 19911.
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Prel/li", 1IIOU""1IIt'1Il: l
nourrir la double pathologie de la paranoïa totale e t de la mégalomanie absolu e 11 . ex ce n' est pas l'utopie que nous rec herc hons, mai s des lieux bie n co ncrets s usce ptibles d ' être complètement étudiés . C'est précisém ent le cas des oligoptiques puisqu'ils font exacte ment l'o pposé des panoptiques : ils ne voient que trop peu de choses pour alimenter la mégalomanie de l' inspecteur ou la paranoïa de l' inspecté, mais ce qu'ils voient, ils le voienl b ien - d' où l'usage de ce terme grec pour désigner un ingrédient qui est à la fois indispensable et disponible en petites q uantités (comme dans les « oligo-éléments JO des magasins bio) . Les ollgoptiques di sposent de vues parfaites mai s étro ites sur la totalité (connec tée) - à cond ition que les connex ions tiennent le coup. Il semble que rien ne puisse menacer les vues totales que l'o n rêve d' a voir depuis les panoptique s, e t c' est pour cela qu ' ell es sont tant Irisées par les sociologues qui rêvent apparemment d' occu per le cent re de la pri son de Bentham ; mai s, e n revanche, il suffit de la plu s petite bestiole IXJur obstrue r la vue qu' on a depuis les cligo ptiques . On peut parfois identifier assez facilement ces sites, quand les connexion s ph ysiqu es en ass urent le traçage, comme dans les la borat oire s : il es t pa r e xem ple évide nt q u' un ce ntre de command em ent milit aire n' e st pas « plus grand JO e t « plus englobant » que la ligne de front, à des milliers de kilomètre s, où les soldats risquent leur vie. Mais il est cla ir qu'un tel quartier général ne peut tout commander e t contrôler - comme son nom l' indique - qu 'autant qu ' il res te connect é au théâtre des opérations à tra ve rs une circulation incessant e d'in formations dan s les deux directions. Dan s ce cas, la bonne topographie ne consiste donc pa s à inclu re les lignes de front « à l'intérieur » d'une sorte de pouvoir surplombant, mai s de locali ser jes deux et de le s connecter à l'a ide de diverse s sortes de c âbles bien alimentés (ce qu'on appelle justement logistique ou «connectique ») JO. Tout soldat , toa com mandant, tout historien militaire
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17. Il <st d oir QIr B
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s av en t à quel point c e n' est p as une tâche facil e '9. Ce que j'entends par .. aplatir le paysage JO, c' est prendre c onscie nce de la fragilité de ce, connexion s. Il arrive parfoi s que ce, forme, e n étoile soient plu, difficile , à détecter: le bureau d'un rédacte ur en chef ressemble à un centre de commandement militaire, mais un peu seu lement, pui sque tout ce qui y e ntre e t en sort n' e st pas aussi formaté et c o ntraignant qu 'un ordre ou une rè gle d' engagement l' . Dans d ' autre, ca, e ncore, les connexio ns so nt à peine visibles : ain si lorsqu ' on demand e dan , q ue l bu reau o nt été produi ts le « complexe d'Œdipe », la « go uvernance », le « re -eng ineerin g » o u le « capita l social ». Et pourtant, là encore, on pourrait suivre des pistes et dessiner une c arte, comme par e xemple celle d es di verse s théorie s s ociale s c ontrad ict oire s qui voya ge n t à traver, Pari s. M ême si elle, semblent immat éri elle" e lle, sont phy siquement trans portées à travers letravail d e terrain , le, q uestionnaire" le, bureaux de statistiques, le, polémique, universttaire s. le s art icles de j ournaux, le s co nversations de café et le s demandes de subvention, avant de re venir par le biais d' éditoriau x, de manu els, de représ entants de s partis politiques, d e co mités de grévis tes et de c ellule s de crise, où certains partici pant, e n font usa ge pour déc ider qui ils so nt et à quel ty pe de gro upe , ils appartien nent. Comme nou s l' a appri s la première so urce d 'incertitude, il es t difficile auj ourd'hui de fa ire partie d'un groupe sans l' aide d'un soc iologue, d'un statistic ien ou d'un éditorialiste . Que sait-on du .. c apital c ulturel JO, de l' .. individuaHsm e méthodologique JO, de 1' .. inertie organisationnelle ,., du « tkJ\1msizing JO , du .. ge nre JO, du .. principe de précaution » san, pa sser d ' abord par un c en tre de recherc he , ll? Lorsqu'on a a ffa ire à de, trac eur, a us si évanesce nt" il peut s' avérer plu s 19. P"'" llI>e délllO"" " oo u h ite de "",iu de "",i're. voir 1. KffiJAN. Th< Mo.. of dtb . ou MJje< do, ""'U" do d",.nr'''' u m....ve o/Ji-e lm exemple fnlW"llt de. limi"" Ilux'l"dle. se b",,,..,, ""'." le. mâlIli>ore. du « reprd ~ e' de III « V;';'lII • . q. H. Bux, D i<ar"' 'W Iraq {2004J. Le ch jouruux , w. U """'-N. P olJlic Opiniorl (1 9nl; P"'" le. A C >W<111 eX""I'le da", U "" 11>'<1 ~rir do C",i OIIî.l ... { 1 999~ ."''I0'i l , ", i~ " ,,,, IIl lin éJ.......... mllJl'-ll'''''''' comme .. . ~ui do 'l ui lew p ernle< do c<mjlt' endre comm en' 1.. enu epfi, .. "'ilir.en' 1.. noovell .. thboIi.. ,oci"', _ y cornp ri, III , ,,,,..dope do l' ... e... 1
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Premil'r
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w melll : localul'r le global
difficile d e de ssiner la car te, puisqu e le s tr ace s peuven t ê tre moins marqu ées, e t les c onne xions souvent int errompu es. Mais cela vaut pourtant la peine au moins d ' e ssayer, afin d e ne pas donn er l'impression q ue nou s pourrions être " placé s dan s une catégorie » à peu de frais l l . Pour en fini r avec ce premier type de prise: même si la que stion semble vraiment bizarre à première vue - pour ne pas dire d e mauv ais goû t ! - , le premier réflexe d e l'ac te ur-résea u, lorsqu e qu elqu'un parle de " système JO , d ' " a spect global JO, d e « str uct ure JO, d e « société JO , d ' « e mpire JO , d'« éc o no mie mondiale », d'« organ isation », c' e st de demander : " Dan s quel bâtimen t ? D an s qu el bure au ? P a r qu el co u loir pe ut-on y arriver ? Qu els co llègue s ont é té mis au couran t ? Co mmen t l' a-t-on c ompilé II ? " S'ils acceptent de suivre c e conseil, les e nq uêteurs seront surpris par le nombre de s ites et de cond uits qui a ppa rai ssent dès q ue d es q uestio ns a uss i vul gaire s sont sou levées : le pay sage social se met à rapidement changer. Et, co mme les voyageurs ne manqueront pes de le remarquer, on n' a pas du tout la même impress ion quand 00 pénètre à l' intérieur de pyramides d'une hauteur vertigineu se dont 00 ne c ompren d pas le dimemionn ernent - le social n" 1 - et qu e l' on parcourt ces surfaces plat es o ù les tentative s pour établir d es connexions rares et fragiles en modifiant leur échelle relative - le social n" 2 se repèrent auss itôt. C 'est ce tte différence topographique qui e xp liquera (d an s la concl usion ) pourq uoi le s deux thé orie s soc ia les n'aspirent p as n on plus au même type d e pert ine nce politiq ue.
Panoramas Et pourtant, on ne peut nier que l'ombre d'une é norme pyremid e sociale s'éte nd b ien a u-des sus d e nos têtes. La réaction e st automatiqu e, c'est un r éflexe pavlovien : d ès q ue no us parlon s de société, nous im aginons une sphère ou un monument ma ssif,
22 Voir L. BOU AN' XI, iL. codr.. (1 9!l2) . in. i ",. ... ~ rni 'n ...""'" d. ThSvmot ",ri. fab.r .. ion d• • clU!!"';... !IOCio «OIIomi"'.... ' 'l'uttu!;'', l' .-.icI<, do"" ... cl..• .u,.•.• l
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C<>m lnelll re/racer les a.«ocialitms ?
quelqu e chose en tout cas d'aussi gros qu'un énorme cénotaphe. Qu elles que soien t mes critiques de ce genre de topographie, on dira toujours qu 'il existe bien quand même une troi sième dimen sion, une hi érarchie verticale. Il n'y a ri en à faire : j'aurai beau multiplier les pri ses, re localise r tant que je veux les oligoptiques. au ssitôt, sam aucun effort, on se mettra à « res üuer » les localités dont je parle « à l' in térieur. d'un cadre plu s vaste, au ssi sûremera qu'une lettre dans un casier à courrier . Il n'exisre aucun moyen d e combattre directem ent ce préjug é, dan s la mesu re o ù il constitue, depuis plu s d e deux siècles, la position par d éfaut de no s systèmes d' exploitation : de quelque mani ère qu 'on la conçoive, quand on pense à la soc iété, c'est qu'on pense quelque c hose à plu s grande échelle. Et pourtant, c'es t précisément cette pos ition par défaut qui rend imposs ible le dépl oiement d'une sociologie relativi ste. Le problè me est q ue l es sociolog ues utili sent la notion d' échelle comme l'une des nombreu ses variabl es dont ils o nt besoin pour configure r leur e nquê te avant qu' elle ne débute, tandis qu e l'éc he lle es t ce à quoi parvi ennent les ac teu rs e n s 'éc helonnant, en s 'espaçant et en se coruextualisaru mutu ellement grâce a u transport inces sant d e traces spécifiq ues par d es véhicules spécifiques l.<. ll n'y aurait pas grand intérêt à s'éc hiner depuis le début à res pecter ce que font les acteurs eux-mêmes si, en fin de parcours. nou s refusions de leur accorder leur principal pri vilège : la capacité de définir l' échelle relative des mondes dans lesqu els ils son t impliqués. Le travail de l'observateur n' est pas d' imposer une éc helle absolue. Comme le sait tout lecteur d e la th éorie d e la relativité , les cadres de r éf érence absolus n' engendrent que d'horribles d éformation s, ruinant tout espoir de superposer des documents dan s un format lisible, tandi s que les « mollu squ es de référence . (c'es t le terme utilisé par Eins tein), j usteme nt parce qu 'ils so nt « m ous ., perme tten t aux physiciens d e se d éplacer d' un cadre d e référence à l' autre sinon confo rtablement, du moin s sans solutio n d e contin uitê 15 . Soit le 24. La no"". de 0'"
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Premier
11IOO ... melll:
locali<er le global
soc iologue se montre inflexibl e, et le monde devient un véritable ca pharna üm ; soit il est assez soup le, et le monde finit par se mettre en o rdre. Là e ncore, les tâches d u relativisme e mpirique s' apparentent à celle s de la murale. C'est parce qu 'il semb le impossible d' éradiquer le préjugé qui veut qu e nous v ivions a u sein d 'un cad re de référence absolu que j 'ai d û inventer un sec ond type de prise artificiel le. Tant que nous ne dénichons pa s le s offic ines où le « so mmet » , la « ba se », la « totalit é » et la " global ité » 50lIt mis e n scè ne de façon a ussi co nv a inc a n te, la te nta tion d e s au te r d'un b ond dan s le « coruexte » ne diminu era pas e t l'ac t iv ité de s ac teu rs qui co ns iste à engendrer de s éc he lles n ' au ra jamais a ssez de place pour se déployer; le pay sa ge socia l ne sera jamai s assez plat pour rendre pleinement vis ible le coû t de la connexio n e ntre divers véhicules. On cro ira toujours qu e la société peut se main tenir sa ns être constamme nt p roduite , a ssemblée, collectée o u mainterare , qu ' elle se tient, po ur ainsi dire, derrière nous plutôt qu e devant nou s, co mme une tâche qui no us attend, que ce gros a nimal n'a besoin d ' aucun fourrage pour se maintenir en vie... Comme nous l' avons vu au début de ce livre , ce n' e st pas au soc iologue de décider, e n se substituan t aux acteurs, que ls so nt le s gro upes qui co mposen t le monde ni quelle s force s les font ag ir. Son travail consiste à mettre a u point une ex périe nce a rtificielle - un rapport, une histoire , un récit, un compte rendu dan s laqu ell e cette div ersi té p eut être pl ein em ent dépl oyé e. Même si cela peut semb ler ét range à première v ue, il e n va de même avec l'échelle : il ne re vient pas au soc iologue de décider si une interaction donnée se situe a u niveau « mi cro », et une a utre a u niveau " me so ,. o u " mac ro » . Les ac teurs inve stissent tro p d'ingéni osité et dépensent trop d' énergie dans la modific ation de l'éc hel le relati ve de tous le s autre s acteurs pour que de s sociologues puissent s'accorder sur un standard étab li une foi s pour toute s. S' il y a une c hose qu ' on ne peut pas faire à la place de s ac teurs, comme l'ont montré L. Boltanski e t L. Th évenot, c'est bien de décider o ù ce ux-ci se situent s ur une échelle qui va du plu s petit a u plus grand, parce q ue, à c haq ue étape de leu rs n om breuse s tentat ive s p our j us tifier leu r com po rteme nt, il s peuvent soudain mobiliser l'humanité tout entière, la France , le ca pitalisme et la Raison, tand is qu 'une minute plu s tard ils so nt 269
c apables de n égocier un compromis local 16. Pour l' enqu êteur confronté à des c hangements d' échelle si bru squ es, la salle soluti on c o nsiste à faire d e ce changement lu i-même sa principale donnée et à établir q uels scot les moyens pratiqu es qui permettront ensu ite d' étendre, par un proce ssus coûteux de standardisa lion, la validité toujours relative de cette « mesure abso lue » . Le c hange men t d' échelle e s t donc une proue sse qu'il fau t laisser à l'acteur . Bien que ce soit la con tribution la plus ancienne et, selon moi , la plu s d écisive de la sociologie de l'acteurréseau 17, je n'ai jamais rencontré personne q ui accepte de jeter ne serait-ce qu 'un coup d'œil sur le paysage a insi dévoilé - pa s plus, si l'on me permet de fa ire ce parallèle, que Galilée n' a pu c on va incre ses" chers e t re specté s collègue s JO de re gard er à travers so n télescope de fortune u ... S'il en es t ainsi, c'e st parce qu e nou s avons tendance à considérer l' échelle - les niveaux macro, meso, micro - comme un zoon bien réglé. C'est un peu comme dan s ce liv re superbe mai s superbement tro mpeur, Les puissances de dix, où chaque page e st illustrée d'une photographil." d'un ordre de magnitude inférieur à celui de la p récé dente, d epuis la Voie lactée j us qu' a ux bri ns d 'ADN , a vec , à mi-di stance, la photo reconœissable d e d eux jeunes gens en train d e piq ue-niquer sur un pré qu elqu e part a u bord du lac Su périeur 19. Une micro seconde de réflex ion suffi t à réaliser que ce montage est trompeur - où faudrait-il placer un appareil photo pour qu'il p uisse e ncadrer toute la gal axie ? Où e st le microsc ope c apable d' être mis au point sur cette cellule d'ADN particulière plutôt q ue su r celle-là ? Qu ell e règle perm ettrai t d ' e spacer le s im ag es d e façon si r égulière ? L'assemblage e st beau mais tout le monde sem d'accord qu'il induit en erreur. Or, on peut dire la 26. L BcLTUIS"l ft l. T!Œ..."''':rr. lk l.j.,lificlJlio n ( 19'911. 27. q. M. C All.()N ft B. LAT(>\J ~ . « U"""..wil:>g "" Bil lLviothoD » (19 81 ~ 2 H. Tanl. a '" Jo me"", . x]>5ri....,.. lui do,.. 011 a "" '1". l' ~"""'. am·zoom ..v,," iii. ou p; y:>ig. ,Il< Il con",... o!v i ~ rr. d. 'ou", !héo';" lIOCialo , ,, R. muq""L 10 po " ul .. o.,."", impliqu o Pil eo • • 06 0.. C""'"rIos ,Il< 1""1 ",,1'" , 'oW ui•• 'P.. , sé"",,' M . DIl:> ~ , 10 gr .. d i.d", 10 pctil. 29. P . MOLlI""", ILs p. itsa,.,.. .. dix { 198 SI.
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Premil'r /IIoIH ..melll: localul'r le global
même c hose de s e ffets de zoom dans le domaine soc ial, à ceci prè s qu e, dans ce c as, ils n'apparaissen t plu s co mme un j oli procéd é artistiqu e, mai s comme l'injonction la plus natur elle, valid ée par le plus solid e bon sen s! N ' e st-il pas évident q ue l'entreprise IBM est « plus grande» que sa ïœce de vente? Que la France est « plus vast e » que l'École de s Mine s, qui est ellemême " pl us granœ » que moi ? Et si nou s imaginons qu'IB M e t la France on t la même forme e n é toile que la salle de command ement dont il était qu estion auparavant. qu'allon s-nous faire de s orga nig rammes représentant la struct ure d ' IBM, d e la carte de France, de l' image du globe terre stre ? E st-ce qu'il s ne repré sen tent pa s, de toute év ide nce, le « cadre» tellement plus vaste dan s lequel il conv ien t de " situer » le s " é léments de plu s petite taille" ? N' e st-il pas parfaitement sensé de dire que l' Europe es t plus grande qu e la France , q ui est plus grand e q ue Pari s, q ui est plus grand qu e la ru e Danton , qui est elle-m ême plus grand e qu e mon appartement? Ou de dire que le XX' siècle est le cadre « à l'intérieur duquel » la Seconde Guerre mondiale a « eu lieu » ? Qu e la bataille de Waterloo, dans La Ctanreuse de Parme, es t un événemen t beauc oup plus important que la percep tion qu' en a Fabrice del Don go ? Même si les lecteurs pouvai ent p rêter une o reille bienveilla nte à notre so ci ol o gie lo rsqu ' elle prét end p ropo ser un e nouv elle topo graphie, il s ne vo udro nt plu s e n écouter davantage si elle se met à offen ser a ussi stupidement le bon se ns . Y a- t- il rien de plus r ais onnable qu e d e vouloir " remettre le s choses dans leur cadre » ? J e suis b ie n d' acc ord q u' il s'agit d e se ré gler sur le sens comm un: je s uis é galement bien d ' accord qu e les acteurs e uxmême s ne cessent de replacer le s choses dans leur co ntexte : j e di s seu lement qu'il faut m ettre au premier plan Celle activité d' " enc adrerœnr » e t de con textualisation, e t que cela ne saurait se faire tant qu' on prend pour ar gent comp tant un tel effet de zoom . Déterminer à l' avance l' échelle reviendrait à s'en tenir à une mesure unique et à un cadre de r éf érence absolu : mai s ce que nou s voulons me surer, c'est le travail de mesure lui-même ; ce que nou s vouon s suivre à la trace, c'est ce tra vail de déplace ment d'un cadre de référence à l' autre. Une fois e ncore, les soc iologue s du soc ial ne sont pas assez abstrai ts ; ils c roient d evoir s'en tenir a u bo n sem, alors qu e, s' il y a q uelq ue c hose qui d émontre un manqu e total de bon sens, c'est bien d 'imagi ner un 271
C""' 1IIl'1Il re/racer les Ill'Iocialimu ?
" zoom soc ial" comme si, lors lhJ tournage d'un film, on voulait faire un traveling sans caméra, sans rails, sans plateau sur roues, sam le travail de coordination de toute une équipe. Un zoom q ui vis e à ordonner les choses dan s une hi érarchi e continue, comme l' emboîtement de poupées ru sses, est touj ours le résultat d 'un script soigneuse ment mis a u point par quelque rég isseur. S i vou s en doutez, allez visiter le parc d' attr actions d'Universal Studios à Ho ll ywood . Le s " hauts " e t les « bas ", le « local " e t le " globa l » ne sont jama is donn és, toujours produits. Rien d' extraordinaire là-dedan s, puisqu e nous avons le fréquent spectacle de situations où la taille relative s'est trouvée renversée en l'espace d'un instant - par des grèves, des révolutions, de s coups d'État, des crises. des innovati ons, des découvertes. Les événements diminuent ou s'élargisse nt sans pré venir ; ils rétrécissent o u se relâch ent à une vit esse fulgurante. Ils ne ressem ble nt j amais à des vête me nts bi en rang és do nt l es taill e s s'aligneraient proprement de S à XL en passant par M et X. Et pourtant, il sem ble que nou s ne soyons j amai s prêts à tirer les conséq uences de nos observatio ns quotidiennes, obsédés qu e nou s sommes par le ges te qui cons iste à " re place r les c hoses dans leur comexte » . Et, a u fond, pou rquoi ne pas rendre compte très scrupuleusement de ce geste lui-même ? Avez-vou s jamai s remarqué , lors des conférences de soc iolog ie, des meetings politiques et des discu ssions de comptoir, le mouvement des mains que font les gens lorsqu'ils invoqu ent le « tableau général » dans lequ el ils se propos ent de replacer ce dont vous venez de parl er de sorte q ue cela" coue » avec des ent ités a ussi faciles à sai sir q ue le " capita lisme tardif », le " dé veloppement de la civ ilisation ». I' « O cciden t », la " m od ernité », I' « hi stoire humain e », le « pos t-colonialisme " ou la e globalisation s ? Leurs ges tes ne sont j amais plu s amples que s'ils caressaient la courbe généreuse d'une citrouiUe ! Je vais e nfin vou s montrer la véritable taill e du " social" dan s toute sa grandeur: e h bien, il n' est pas si gros que ça . .. Il ne le de vient que sous l ' effe t de ce mouvement quelque peu grandiloq uent et du ton doctoral avec lequel il est fait référence au « tableau général " . S'il Y a une chose qui ne relève pas du bon sens , c 'es t bi en de prendre une ci trouille, serait-elle de taill e respectable, pour la « société tout entière " . Le s douze coups d e minuit o nt sonné pour ce ty pe de th éorie
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Premil'r
mOIHi'IIIt'IIl:
loca/ill'r le global
sociale, e t la belle calèche s'es t à nouveau tran sformé e en ce qu' elle aurait touj ours d û rester: un membre de la famille des Cucu rbuaceue . Je suis odieux, je le sais, mai s avec la bienveil lance d'un c hiru rgien q ui incise prestement qu elqu e douloureuse verrue . .. H ne faut pa s confondre la taille et le zoom avec la connectil'ilé. Soit ce site de taille modeste es t reli é à de nombreux autres sites par de nombreuses conne xions, de la même façon qu'une sall e de marc hé de Wall Stree vient d'un ensemble d' élément s q ui fi nisse nt par ti sser des économies d' envergure mondiale - et, dans ce cas, je veux être conva incu que ces connexions existent, j e veux, comme saint Thomas, en toucher les canaux, éprou ver leur solidité, tester leur réalisme ; ou ce sile n' est reli é à rien et, dans ce cas, s' il y a une c hose que ce geste menaçant ne saurait faire, c'est bien de m' obliger à croire q ue ma petite description « locale " a été « encad rée " par q uelq ue c hose de « plus gra nd ». Cet argument, c'est vrai, j e ne peux pas, comme on dit, « l' encadre!" », mais j e suis prêt à étud ier très scrupuleusement l'encadre ment lui-même, et à transformer cette ressource automatique en un sujet d' enqu ête nouvelle e t fasc inante . C'es t par la sc énansaüon de cet effet de zoom q ue le social des sociologues a fait son e ntrée sur scène ; c'est par elle qu 'il a acq uis ce pouvoi r de pro cu re r le ca dre dans lequel le s inte ra cti on s locales seraie nt « e nchâssées »; c'est par elle qu'il fini t par e xercer cette puissante fascination sur l'esprit de c haque acteur . Si puissante que, lorsqu'une thé orie alternative se prop ose de nou s débarrasser de cette e mprise, c'est comme si Dieu était mort une seconde fois - et il Y a d'ailleurs plu s d'un point commun entre ce Dieu dont on nou s annonce toujours la mort et la po sition que le sociolog ue démiurgique rêve parfois d'occuper. Car, e n fait, le Grand Récit n' est rien de plu s qu'un récit : ce que les Anglais invoqu ent quand ils demandent « Where is Ihe big picture ?" n' est en effet q u' une picture, une image, un mm. On est alors e n droit de se d emand er dan s qu ell e galerie ce tableau est exposé; dans quel cinéma ce mm est projeté; à quel public il s'adresse. En soulevant obstinément de telles questions. je propose d'appeler panoramas ce nouveau type de pri ses e mpiriques . Contrairement aux oligoptiques, les panoramas voient tout , comme le suggère l'étymolog ie, mai s, d'un a utre côté, ils ne voient rien puisqu' ils se contentent de montrer une image pei nte
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(ou projetée) sur le mur d'une salle e ntiè re ment f ermée sur l'extérieur. La métaphore provient de ces so rtes de fresques in ventées a u dé but du XIX' siècle, dont les des cendant e s a ujourd 'hui sont les salles de cinéma Omnimax qu ' on rencontre parfois prè s des mu sées des Sciences ou des centres commerciaux l U. Le mot grec pan, « tout », ne veu t pa s di re qu e ces images e rœrassent « le tout JO , mais, au contraire, qu' elles viennent rec ouvrir un mur dans une pièc e aveu gle, sur lequel une scène parai"! totalement cohérente parce qu ' elle est projetée sur un écran circ ulaire de 360". La cohére nce totale est leur grande force; c'est aussi leur talon d'Achille. Où pouvon s-nou s les trouver, ces panorama." maintenant que ceux que Walter Benjamin a rendus célèbres ort é té presqu e tous d étruits ~ Partout: c haque fois qu'un éditorialiste de poids fait le tour d e la .. sit uatio n général e JO ; qu 'un liv re propos e à nouveau le récit des o rigines du monde, depuis le Bi g Ban g jusqu'au président Bush; qu 'un manuel de sociologie offre une vue cavalière de la modernité ; que le P-DG d'une gra nde entre prise réunit ses actionnaires; qu'un scientifique célèbre passe e n revue, à l' attention du g rand p ublic , l' .. é ta t ac tue l de la science JO; qu 'un militant expliq ue à son compag nm de cell ule la .. longue histoire de l' exploitatim JO ; q u' une architecture puissante - un e pl ace, un gra tte -ciel, un escalier monumental vous remplit d'admiration et d' effroi H . Parfois, ce sont des réalisations splendides, comme le Pala u o della Ragione à Padoue (oui, le Palais de la Raison !), grand hall municipal e ntièrement recouvert d'une fresqu e qui déploie toute la mythologie classique et c hrétie nne ai nsi qu'un calend rier de tou s les événements civ iques et de tous les corps de métier. Parfoi s, ce ne sont que de s am o nce lle me nts de clic hés , co mm e dan s le s intri gu e s comple xes des thé oriciens de la conspiration . Il arrive qu 'ils offre nt de s programme s e ntiè re ment nouveaux, c om me lorsqu ' on propo se un aut re Grand Récit sur la .. fin de l 'hi stoire JO , le .. c hoc des civilis ations" o u la .. société du risque » . Il arrive au ssi qu'il s aient eux-même s sur l'histoire :10. Su, l"bi "oi.. de
çe m Nlia du """ " ~Ie , voi, $ . Œ YThJ.MAN,
Th< POI.Jrama : Hislory tf. M..... MN "''' (1997) : B. CoMMfNT, IL Xl'" si'do d..p..."'. ... , (199.1) : " bie. ... W . BENJAMN, Th< ,t",...... P"'i OCI (20021 . l I. Su.- le (i....... e l'.,cIlll
p«1""", ""..
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Premil'r /IIoIH'emelll: loca/ul'r le global
univer selle une influ ence d écisive , lorsqu'ils p roposent un e relec ture c omp lète du Zeùgeist. comme avec la Phénoménologie de l'esprit o u le Manifeste du Parti com muniste, Tout e la pui ssance d e ces dlspcsitlfs vient d e qu' ils résolvent as tucieusement la qu estion de la mi se en scène de la totalité, de la mi se e n ordre de s haut s e t de s ba s, de l' ench â ssement de s niveaux e mic ro »; « meso ,. e t« macro » . Mais ils ne le fon t p as en multipliant les comexions à doubl e se ns avec d'autre s sites - comme c'est le cas av ec les sa lles d e comman dement, le s ce ntres d e calc ul et , plus gén éral ement, le s cl igoptiq ues Il. Il s obtiennent la cohérence en de ssinant une image san s lacune s qui donne au spectateur l 'impression saisissante d' être pl einement immergé dans le monde réel sans aucune médiation artificiell e, sans auc un flux d'information coû teux en p rovenance ou à destination d e l' extéri eur. Al ors q ue les oligoptiq ues ne cessent d e révéler la fra gilité d e l eurs co n ne x io ns e t l eur manqu e d e contrôle sur ce qui se trouve hon de leur portée dans le s intersuces du ré sea u q u'il s d e s sin ent, le s panoram a s d onnent l'Impre ssion d'un contrôle total sur ce qui es t surveillé, même s' ils sont totalement aveugles e t si ri en n 'entre ou n e sort de leurs mu rs - sa uf d es spec tateu rs int éres s és o u d écon cert é s. Le s confo nd re ave c l es oligop tiq ues r evi endrait à confondre un épisode de bataille géré depuis un ce ntre de commandement de l' armée américaine à Tampa, en Floride, avec le même épisode relaté sur 1F l , où l' on peut voir un gé néral à la retraite pontifier sur le s nou velles du fro nt. Le premier compte rendu, réaliste, es t taraud é par la consci ence ai guë d e pouvoir deven ir irréel , pour p eu qu e les comm unications soient i nterromp ues; le second, même s' il es t marqué par un grand sens de s réalités, n ' a auc un moyen de no u s fai re voir s' il est fictif ou non . La plupart du temps, c'es t cet excès de cohérence qui trahit l'Illusion . Bien qu 'ilne faille p es prendre ces panoramas trop au sérieu x. d an s la me sure o ù d e s co m ptes re nd us a us si totali sants e t complets peuvent devenir le; points d e vu e le s plus av eugl es, le s plus locaux et les plu s partiaux, il n' en faut pa s moin s le s étud ier trè s attentivement puisqu'ils offrent la seule occasion de voir " toute l'histuire » justement com me une lotalité. Il ne faut p as 32. P. SInm• •• awellll « gbbe. > . dom P. SLon.R_ ru,. SpM m •• "" ....... 2 : Globf'n ( 1999) (en voie de lTi
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Çmlllllt'lIl lY'lraœr II.'S a>:
considére r avec mépris les visions globalis antes de ces Grands Récits comme des actes de mé gal omanie professionnelle, mais il tau les ajoute r, comme tout le reste, à la multiplicité d es sites que nou s souhaitons déployer par no> enqu ête, ll . Loin d' être le lieu où tout se noue, comme dam le, rêves de leur> metteurs en scène, ce sont d 'autre , sites locaux qu 'il faut additionner à tou , les autres sites locaux qui ponctuent le paysage aplati que nous ess ayorJ.'i de cartographiee. Mais, même après une telle réduction , leur rôle peut se révéler décisi f puisqu'Ils permettent a ux spectateurs, a ux a uditeurs et a ux lecteu rs d ' être équipés d 'un désir de tutalité et de centralilé. Ce sont ce, puissant es hi stoire s qui IIOU , livrent les métaphores que IIOU , utilison s pour d ésigner ce qui nous « lie tous e nsemble JO, les pass ions que nous sommes cens és partager, le contour général de l'architecture sociale, les Grand, Récit, q ui o nt donné sens à notre vie collective. C'est dan s le; limit es étroites qui sont le, leu rs que nou s nou s rangeons a u bon sens qui veut que le, interaction s prennent place a u sein d 'un con tex te « plu s la rge » ; qu'il y ait un « haut » et un « bas JO; qu'il Y ait un niveau « loc al JO e nchâssé dans un niveau « global " ; e t qu'il y ait peut-être un Zeilgeist doot l' esprit. justement, reste à trouver. Ainsi le statut de ce, panorama, est ét rangement a mbigu : il, sont à la fois ce qui devrait vacciner contre le, tentation> de la tnt alisa ti on - pui sq u'Hs so n t bien év ide m me n t lo caux e t confinés dans des pièces aveugles - et, en même temps, ce qui offre un avant-goût d'un monde plu s unifié . Ils recueillent, ils encad rent. il, o rdo nnent, il, structurent, il> o rganisent ; il> sont à l' ori gine d e ce qu ' on ente nd par un zoom bien rég lé. Ain si, même s' üs nou s prennent au piège, il> nou s préparen t néanmoins a u tra vail politique qui nom a ttend. Grâce à leu r, nombreux effe ts spéciaux, ils offrent com me une ava n t-prem ière du collec tif avec lequel il s' agit pourtant de ne pas les confondre . Com me nous co mmenço ns à nous e n rendre co mpte, il y a H. Jo"" Treodl • "",",lit 10 IIOmœe de "' hd;.po.itir. de "" Dec", "' ''''''';ble. d·exi''... don. une . i" .. ~m hi" ,n 'l"e dm,.,. el co"""",, il. pouv...,' p,od uire '" Q,,·il ' WCDc dc. c"''''''P''''''''. Cf. J. T1EsçH, « Meclwtieol R,....,.ici .... , Eapoeen of .... e A~ilic ial Pon dise ~ (2lXIl ~ Cp",.î' (iO. QU·011 1.. , ,,,1. ,,, • ["iD""i"" d· ", il i,.,.....r coM", ...... lieu de ..,; ..., 1", voie . " ,..fIdic" ir", de le...-cimllaliD. _ cf. 10 >ecti.m ....-1", &Iooclo œD"",.,u. Voif lIOn bel .lid e . Ü>"""ll...... . i 2OO'S ) d .... le curieux liv", du ...tIn< " ' m.
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Premi", """" ....melll : locaJu", le glabal
néanmoins toujours un risque de prendre la cons truction de ces panoramas pour la tâche p olitique beaucoup plu s difficil e qui consiste à composer progressivement le monde comm un. Voir l e. th éori es socia les proj etée s sur les éc ra ns d e ces salles Omnimax est une chose; faire de la politique en est une a utre . La « soc iété $ui generis » de Durkheim, les « systèmes autopoïétiqu es JO de Luhmann, 1'« économie symbolique JO de Bourdieu ou la « modernité réflex ive JO de Beek sont d' excellents récits s' ils nou s préparent, une fois la projection terminée, a ux tâch es politiqu a de la compcelticn. Ils no us fowvoieraient si nou s les prenions comme autant de descriptions de ce qu ' est vraiment le monde commun. Au mieux, les pano ramas offrent une vi sion prophétique du collectif; au pire, ils n' en sont que des subs tituts très élo ignés . L 'une des ambi tion s de la sociologie de l' act eur-réseau est de conti nuer à profiter de la tendance proph étiqu e q ui a tou jours été assoc iée aux sciences sociales, mai s d' escorter à nouveau les Grand s Récits à l'intérieur des salles où ils sont projetés et d' où il ne fa ut plus les lai sser sœttr". Là encore, par conséquent, le praticien de l' acteur-résea u se fait volontairement aveu gle afin de continuer à poser les mêmes question, brutales et vul gaires, à c haque fois qu' une hiérarchi e parfaite entre di fférent es éc he lles se t rou ve mi se en scène: « Dan s qu elle salle? D an s quel pan oram a ? À trav ers quel médium ? Qui est le metteur en scène? Combien ça a coûté? » Dès qu' on soul ève cette seconde série d'interrogati ons, on verra surgir à c haque étape une multitude de sites actifs e t complexes, parfoi s d'une grande beauté. Si vou s en doutez, essayez, à titre d' exercice, de localiser les endroits, les salles, les scè nes o ù l'on proj ette ce film à gra nd spectacle : la « mondialisation » . Vou s vou s apercevrez bientôt que la globa lisation n' est qu 'une forme de provincialisme vantard partagé par un petit nombre de gens grâce à la pr olifération d'un n ombre incons idéré de _I.. ,. . 1\ « gI ooauverses » ...
J • . la ori' Ij ",tin rk;<> Ilevienne..... peJfl."" ~ . QU'IJII _jo ute le> po..oonma. au P'Y"lle , la multiliioioé n 'est 1"" UDe Ilenrée ra",. V...loir eŒO<e ~ en rajol>teh da", la déoo llS""o' ion. o'est _voir _"llDé la tklle d ' u stmbl 'l! e. Vllir "",",lu ';lJII. lS. Sur 1. loooli. .ion dOJ. globol, voU no1amm
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C"", melll rnroœr les a.
Après l'inj oncti on " Ralentissez ", n otre sociologie e n propose désormais deux autres: " Bottes de sept lieues interd ites " ; " Remettez tout à plat " ! Ces trois con seils se renforcent mutu ellement, puisque c'est seulement lorsqu' on a ura mesuré toute la distance qui sépare différent s points d'un territoire que l' on conna îtra les coûts de transaction dont il faut s'ac quitter pour les rej oindre. Comment un marcheur pourrait-il évaluer à l'avance le temps qu' il lui faudra pour atteindre le sommet d'une montagne si d es lignes i som étri qu es n' on t pas été tracées a u préalable, une par une, sur la carte ? Comm ent pourrion s-nou s prendre la mesure de la tâche politique qui nou s attend si l' on n' a pas, au préalable. pris la mesure des distances qui séparent des points de vue incommensurables ?
Deuxième mouvement Redistribuer le local
ENéq u ipa nt le s en q uête urs de diffé rent s instrument s ( les oligoptique s et le s panoramas). nou s leur avons permis de loca liser le global e t de le reconûner dans les c irc uits au sein desquel s il se déplace dars les deux sens . Dœénavant, dès que le besoin d e s'éloigner d es interaction s locales se fera senti r, a u lieu d e bond ir par quelqu e sa/Jo mortale vers l'arri ère-monde invisible du co ntexte social, j'ai proposé que l' on se mette en chemin vers [e s n ombreux s ites où le g loba l, le s tructurel et le total son t a ssemblé s av ant de s'éte ndre à l'exté rieu r par l' entremi s e de câ blages, de conduits, de logistique s spécifiques . Si l'on persévère dan s ce travail , les effet s de hiérarchie et d'asy métrie resteront bien toujou rs sensibles, mai s on verra d ésormais par q uels procédés ils émergent de localités a ssignables re liées entre e lles par des chaînes éga lement reconnaissable s empiriquement. Rien ne n ou s e mpêche d'ailleurs d'utiliser maintenant l'express ion c ritiquée plus haut de « cœuexte ». puisqu e le s e ffets de conœxtuaüsation so nt désormais identifiés à l'intérieur d es oligoptiques et d es panoramas . Les v éhicules q ui transportent les e ffets de co ntexte o u de structure sont maintenant, si j'ose dire, muni s de plaque s d 'immatriculation et flanqués de signalétiq ues claires, un peu co mme s' ils étaient des camions de dém énagement. .. Et nou s savons au ssi que, de temps e n temps, les contextes so nt collectés, a dditio nnés et mi s e n scène à l' inté rieu r d e sa lles spécifiques, so us la forme d e panorama, cohérents q ui ajoutent
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Cmllmelll n'tracer II'S aSfocilllirms ?
leurs nombreux e ffets structurants e t contradictoires aux sites qui doivent être e ccntextualisés » et « structurés " . Il va sans dire qu 'il n' existe a ucun e ndroit où peuvent s'additi onn er tous ces s ites - du moin s pa s e ncore . Il se rai t don c stupide de demander « à quelle » super-mega-macro-structure ils appartiennent - de la même faç on qu 'il e st devenu vain, après la thé orie de la relativité, de vouloir d étecter le vent d'éther « à travers lequel» la T erre se déplace rait. Il n' existe a ucun lieu globalisant e t tot alisant o ù, pour prendre a u hasard quelque s exemples, la sall e d e com mande me nt du St ra te gie Air Co mmand, le parterre de Wall Street, la carte de la pollution a quatique, le Bure au du rece nseme nt, la salle d e p re sse d e la diplomatie vaticane e t le; Nations unies se trouveraient réunis et add itionnés. Et si quelqu'un s' y essayait - comme je suis e n train d e le fai re dans ce para graph e - , il n' aboutirait qu 'à un autre site - ce para gra phe lui -m êm e - , a uq uel o n ne peut accéder que par un au tre parcou rs indirect, et qui n' e st connect é a u x au tres que d e fa çon lâ ch e, sa ns pouv oir e n au cun cas prétendre les « e nchâsse r " ou le s « surplomber" . Si un lieu en tend dominer tous les autre s pour de bon, il n' y a rien à redire, mai s qu 'il se pr épare alors à payer tou s les accessoires néce ssai res pour atteindre chac un d el> aut res sites q u' il prétend inclu re et en g lober, e t pour éta blir avec e ux ces sortes d e re la tio n co ntinue, onéreuse et à double sens qui permettent le dimension nement - et s'il préten d le faire sans s'acquitter de la fac ture jusqu ' au d ernier centime, c 'es t qu 'il s'ag it d'un panor am a. M ê me si Leibni z ne l' a jamais précisé, il faut faire qu elque s heures supplémentai res pour qu 'une monad e puisse se mettre à reflé ter la sourde présence de toute s le s autre s. M ai s re-cor ue xtua üser le contex te n' e st q u'un a spec t d e l'exercice de gymnas tique corrective qui doit nous réapprendre à marcher dan s ce p a ys age que j e so uh aite volo ntairemen t aplati r. Il nou s faut maintenant comprend re pourquoi le s interac ti on s lo cales consti tuen t mal gré tout un point d e d épart au ssi in sati sfaisant puisque, co mme nou s l' avons vu dans l'introduc tion de cette partie, la plupart de s ingrédient s qui le composent semblent venir d'ailleurs e t se tro uver déjà en place. Même s' il allait dans la mau vaise dir ection , le réflexe qui a po ussé le s sociologues à s'éloig ner d es interaction s pour aller voir d errière, a u-dessus ou en d essou s d ' ell es d 'où pouvaient bien provenir le s
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composants de l' ac tion, n' en provenait pes moirs d'une intuition valide . Par consé quent. si le premier mouvement que nous venons de faire ne fai sai t q ue pri vilé gie r les " interact ion s locales JO, nous n'aurion s pas beaucoup avancé. C 'est que nous n'avons encœe fait que la moitié du chemin; ce n' est pas en nou s agrippant au slogan « localiser le global » que nous e xpliquerons ce qu' est le " local JO , surtout si, comme nous l' avons vu à maintes reprise s, l'action se trouve toujours " di s-loq uée JO, c'est-à -d ire" déplacée " o u " traduit e JO . Au contraire, nou s aurions tout perdu !il, après avoir reconflguré ce qui fai sait figure de « contexte global », il nous fallait retomber sur cet autre site favori des sciences sociales : les interaction s face à face e ntre des ê tres humains individuels, intentionnels e t réflexifs - cette soc iabilité de base que nous avons appel ée le social n" 3. Si J'aller simple qui mène des interaction s a u contexte n 'aboutit null e pa rt, comme nous l' a vons vu , il n'y a a ucune raison pour que le retour aux sites locaux se révè le plu s fécrnd. Loin de faire toucher le sol aux « hypo stases sociale s », nous n'aurions fait que passer d'un artefact à un autre 1. Si le global n' a pa.~ d' existence coœr ère - si ce n' est lorsqu ' on le raccompag ne dans ses petits conduits et sur les nombreuses fresques o ù il est proj eté - , le local n' en a pa, oon plus. Si bien qu 'il nou s faut maintenant nou s poser la m ême question qu ' aup ara vant, mai s à l'envers: Cumment le lucallui -même est-il engendré? Cette fois, ce n' est plu s le global qui doit être localisé, c'es t le local qui doit ê tre re-dispatch é et redistribué. S' il est si important de men er cet te opé ration symétriq ue, c 'est q ue, fo is ces de ux gestes de gymna stique correc ti ve accom plis tour à tou r, un phénomèn e e ntière me nt différent pou rra venir enfi n occuper le premie r plan: not re a ttentio n commencer a à se porter s ur les " connec te urs JO qui pourront 1. n . .. . ...,. t"",no'" d. voi, '1"" mol"", a . finkol ....i,ui . .. c.... di. lir-.:oon . wo 1. fonnol et l'illfo",",l , " Sol.. le m nodi ol de . 1Ici• ••" . 1IOIi&l... or l' t ,. ~ c0'P'" <*' ... bibliOJ"plli... il . 'y ••..,un ord.. d. ", .. co "",o!tu<*' d.. cho.... les . ....prise. <*' ' rlCb..-dl••• IIC"""" IIOCWo ' (,;b""..., ....- d... dt,.; ], te......... <*' . ,.,li· vitt. qllOlidicm ", qui ..DIbI<", dt... pt.. circm... ""i.1s _ 1< p.ci.. l·.oo,.I:IncO, 1. plui"'''... (s ic). A li"" <*' ..mMo , Jo . IICr llC" lIOIialo . 0" mi .... poli.. <*' . poli. ûq"". or <*'. rno!d"Jd", d·. ...ly.. fo utl<. CoU",·ci ..cmiiJ",,,,rl,,, d/gi. . « lIJlI'a1O l. p"OIIV' ~ co..,..;.. . . H. G AlilN x..... Ethno",,'/nlolo8y 's Proll"'''' (2 002~ p. 95.
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C<>mmelll n'Iracer II'S as,,-,<;ial/""S?
alors, et alors se ule me nt, circ uler li brement sa ns jamais se trouver tiraill és entre les lieux improbables du • coraexte » ou de l ' . interaction ,.1 . Lorsque ces deux mou vements sero nt accompli s simultanément , l e monde social com mencera à se transformer pour de brn.. Il prendra une fonne nouvelle et plu s plau sible ; une forme qui nom; permettra peut-être de voyager sans secousses, sans rupture brusque, sans c hangement de véhic ule ou de méthode ; une forme qui permettra e nfin le travail d'assemblage, de collecte d de composition.
Articulateurs et lucalisateurs
Dire que c haque interaction locale es t. tormatée » par de nombreux éléments qui sont déjà e n place ne nom; dit rien sur l' ori gine de ces éléments. Et pourtant , nou s savons déjà d' où ils ne viennent pas : ils ne proviennent pa s d'un conte xte g lobal, d'un cadre totalisant, ou d'une structure profonde . Nous venons justement d'y aller: il n' y a rien à voir là-bas, si ce n' est l'ombre du corps politique - qu'il nou s faut laisser de côté p our plu s tard. Bien qu'il soit purement négati f, ce résultat perme! de défric her le c hemin qu 'il va nou s fa lloir parcourir. Nou s somme s m aintenan t lib re s de c hercher un a utre che mine ment, plu s co nt in u e t plus facile à enreg is trer e m piriq ue ment, afin d' atteindre les lie ux d' où semble nt pro venir le s ingrédients nécessaires aux interacti ons. Certes, si aucune étiquette, aucun code barre, a ucun label rouge, a ucune a ppellation contrôlée ne nou s aident à suiv re lel> . acteurs eux- mêmes ,., il ex iste ce q u'on a ppelle da m; le domaine Industriel une excellente traçabilit é entre les sites de production des interactions locale s, à condition que nous n' oubliions p as la leçon de la première partie e t que nous utilisions à bon esciera les cinq sources d'incertitude. Les sentiers sinueux qu ' empruntent la plupart des composant s d'une interaction donnée sont tracés, nou s l'avon s a ppris plus haut, par la multiplication. la mobilisation , l'implication et l'incorporation d' acteurs non humains. Si l' on ne pennet pas à 2. U mi..
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'JiIo!rol0ll"' do P«er SJo"'nlijl 0" UII0 outre r""" B do l''''''''iv.. co«o uloca&.. ial ; <SI porticuli.. P. SLoTE>lOlJ " Ü","n SpM",
Deuxi h 1U' mo,..."", <'n1 : r edi ,l1ribul'r le local
l' enquêteur d' exercer une sorte de droi t de p oursuite s ur les multipl es formes d' existence qui composent une interaction, la qu estion du local et du global redevi ent in soluble, Mai s, dès qu e les agents non humains entrent dans l'équation , o n voit apparaître un ense mble de connections qui sont aussi différentes de celles que nous avons déployées dans la section précédente que la ci rculation sanguine l' est du sys tème nerveux 1 . L'intuition e xac te qui suggère que les ingrédi ents de la situation se trouvent « déjà ,. en place tandi s q ue nou s ne faisons qu ' « occ uper" une position prédéterminée «à I'mt érieur » d'un o rdre préformaté . es t toujours produit e, par, littéral em ent, d'autre.f choses : d' aut re s sites, d ' aut re s m oment s, d ' autres ac te urs, d' aut re s agents qui sont. su mobiliser, Pli[" des c hangements parfois subtils, parfois radicaux, un vaste répertoire de formes d' existence qui ne sont pas (pas e ncore) sociales . Autrem ent dit , les act ions d' autrui cooti nuent de se dérouler à distance, mais par le biais de nouveaux type s de médiateurs . Paradoxalement, ce n' est qu ' à co nd ition de lai sser le social traverser des form es d' exi stence non soc iales qu'on va pou voir le rendre visibl e. Ce processus de délégation, de dislocation e t de traduction n' est jamais plu s clai r q ue dan s le cas des objets mat ériels - à partir du moment où nou s comprenons la" mati ère " dan s le sens large élargi que j'ai donn é plus haut (vo ir p. 157 ). D ' ailleurs, lorsque nous parlons sans y pen ser de l' " arc hitecture d'un e soc iété " , des « pili ers de l'ordre public ", de 1'« infrastructure économique ", du «cadre légal ", du « tissu soc ial " , e tc., nous utili son s des term es e mpru ntés à l' archit ecture, à la métallurgi e, à l'industrie textile o u a ux art s pl asti qu es. Pourquoi ne pas prendre littéralement ce que signifie le fa it qu'une interaction encadre , str uc ture ou en localise une a utre? T ant que nou s utilisons ces métaphores de façon figurée, nou s ne voyons pas ce qui pourrait relier un lieu à un autre par l' intermédiaire d'un étalonnage, d'un formatage o u d'un patron. Nou s pourrion s conti nuer à c roire qu e le seul moyen de délaisser la scène locale co nsiste à sauter dans le contexte , ou, inversement, qu'il fa ut improviser sur-le-champ, et uniqu ement à partir de la sociabilité 3. Du. "'" 05..,,1. ... rlo poIitiqu. d", . IlUX , lP. LI. BOO1IlI <' La p.l>Ii:isati?n d....aIH (2004). mantu porto. m1'" •
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Omllllelll "'tracer /'" a.«ocialirJII.< ?
ordinaire - le social n° 3 - , tous les ingrédients qui e ntrent dans la composition des interacti ons face à face ' . Mais, dès que nous act ivons pour de bon les métaphores techniques, la connexion entre les sites locaux devient vi sible, même si elle provi ent d'un gra nd nombre de matériaux différent s. De toute façon, cette hétérogénéité ne représente plu s pour nou s une difficulté de principe, puisque nou s avons appris à rendre commensurables ces mat ériaux incommensurables : nous savon s que les obj ets ont l' étran ge capacité d' être à la fois compatibles avec les compéten ces soci ale s à certai ns moments déci si fs, e t, le m oment suivant, totalement étrangers au réperto ire de l' action humaine - c' est ce que nou s avons appri s en suivant la troi sième source d'incertitude. Ce re nverse ment rend l'enq uête plu s di fficile, certes, mais pas au point de rompre la trame du social que nou s suivons comme noire fil d'Ariane. En effet , ce q u'on a ppelle une « interaction local e JO est e n réalité l' assemblage de toutes les autres interactions locales di stribuées ailleur s dans le temp s et dan s l' espace, interaction s qui font sentir leur influence sur la scène dans la mesure où elles sont relayées par le truchement d'acteurs non humains. Ce sont ces effets de présence de cenams li eux tran sportés dan s d'autres q ue j'appelle des c tticuùueu rs o u des toc atiuueurs' , Prenons un exemple parfaitement banal: si vous vous trouvez dan s un amphithéâtre, assis sur une chaise et entouré d' étudiant s assis en rangs bien ordonnés e n train de vous éc outer, je n'aurai besoin qu e d'une demi-j ournée de travail dans les archives de J'université pour découvrir que, q uinze a ns auparavant et à deux cents kilomètres de là, un arc hitecte dont j'aurai retrou vé le nom et dont j ' aurai déniché les modèles preparatoires a déterminé au centimètre prè s les spécifi cations de ce lieu. Il n' avait pas la moindre idée du fait que VOlIS tiendriez aujourd'hui un séminaire, e t pourtant il a plus ou moins anticipé un espec t du script auqu el une telle scène devrait œéir : il faudra q u'on pui sse entendre la
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DeuxihN' m""~""'enl : redistrioo", le local
voix de I'oraœur ; il sera placé sur une estrade; il devra pouvoir faire face à des étudiants dont le nombre maximum, les besoins d ' e space, et d ' autr es exigence d e poids , d e taill e et d e c ubage d ' air, au ront d û être pri s en considération. Rien d ' étonna nt à ce que, quinze aJL~ plus tard, lorsque vo us pénétrez Mlf cette scène. vous ayez le sentiment que vo us ne l' avez pa s totalement créée et que la pluplll1 des c hoses dont vous avez besoi n pour agir se tro uvent déjà sur place ' . Rien d' étonnant puisque cet es pace a bien été co nç u à .. VOS " m e sure s - un .. vo us " génér iq ue, certes, mai s n ' e st-ce pas quand m ême une large partie de vous? Certes, aucun aspect de cene structure - et j e peux maintenant utiliser ce terme sans hé sitation car il ne contient plus rien de caché ni de disc ontinu - ne .. détermine " ce que vous allez dir e, ni même l'endroi t où vo us allez vo us asseoir. Vous pourriez d écider de vous lever, d e ma rch er en lon g et e n large entre les tabl es, o u de jouer le rôle du profes seur soixame-h uuard en rassemblant le s chaises afin de former lUI cerc le moins « a utoritaire » : a ucune arch itec ture d 'intérieur, si bien co nçue q u' elle soit, n ' empêchera les étudiants de s'endo rmir dè s que vous aurez ouvert la bouche... Mais le fait que de s é léments maté riels sur pl ac e n e .. d ét ermin ent " pa s un e ac t io n n e pe rmet pa s d e concl ure qu 'ils ne produisent aucun effet. N ou s nou s sommes désormais familiari sés avec une gamme d' action s beaucoup plus variées que le s deux ex trêmes onto log iques de l'être et du néant. Prenez une minute pour jauger tout ce qui permet à un profe sseur d'interagir avec ses étudiants sans avoir à trop subir le bruit de la Ol e ou d es foules q ui se massent dan s le cou loir en altendant le cours suivant. Si vo us doutez d e la capacité de transport q ui permet à tou s ce s humble s médiateurs de rendre cet endro it local, ouvrez le s port e s et le s fenêtre s et voyez donc si vo us po uvez co ntinuer à e nse ig ner qu o i que ce so it. Si vo us n ' êt e s p a s convainc us, essayer de tenir un séminaire au milieu d'une foire a rtist iq ue avec d es enfa nts q u i crient et d es haut -parleu rs qui c rac he nt de la musique tech ro ... Le résultai s'impose : si vous n ' êt e s pa s rigoureusement « encadré » par d ' autre s actants qui o nt été a me nés silencieusement sur la scè ne, ni vo us ni vo s étudiants ne pouvez vous concentre r ne serait-ce qu'une minute 1>.10 npronf. U. le b_ do M. A """01 , • 0,"'''''"11 niq"" • • (1987).
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C""'IIIt'IIl IY'lraœr II.'S aS"'cllll/mlS ?
s ur ce qui es t sup posé se passer .. localement " . En d'autre s termes, qu'arriverait-il si l' on obtenait pour de bon l'intersubjec tivité - le social n° 3 - en e nlevant, les unes après le; autres, toutes les traces d' interobjecth'iJé - le social n° 2 ? Dans la plupart des cas, il est a ssez fa cile de rétablir le s connexions horizontales, contin ues et vérifiables entre le s rêves, les projets de quelqu'un d 'autre habitant une autre époque et un autr e lieu, e t la situation locale de face-à-face o ù vous vous trouve z maintenant, vos étudia nts et vo us. C'est un autre lieu q ui a permis au site de devenir une localité, à trave rs la médiation dé sormai s silenc ieuse de plans, de spéc ifica tions , de bo is, de ciment, d'acier, de vern is et de peinture; à travers le travail des nombreux ouvriers et artisans qui ont depuis longtemps abandonné la scène , parce qu 'ils ont lai ssé aux objets le so in de prolongee leur action in absem ia ; à travers l'action de sponsors dont le; généreu ses donations so nt peta -être com mé mo rées par quelque plaque de bronz e. Le s localités sont localisées; le s places sont pla cées ; le s site s sont situés ' . Et po ur qu 'ils le demeurent, pour que vous puissiez avec vos étudiants demeurer da ns ce lieu , il faut que, derrières les porte s, des myriades de personnes conti nuent d' assurer la maintenance du bâtiment. Par con séquent , loin de voi r dans l'int eraction face à face une a utochtunle primordiale qui serait « tellement plu s concrète" que des « contextes abstrait s », il faut au contraire la cons idérer comme le terminus d'un grand nombre de formes d'existence qui conve rgent sur eUe. À la relati on i ntersubj ectl ve e nt re le profes seur et le s étud ia nts , il fa ut ajouter l'inte robj ecti vité qui a d éplacé le s action s à tel point que quelqu'un d'aut re, habitant un autre lieu et une autre époque, continue d'y ag ir à travers des connexions souve nt indirec tes mas pourtant pleinement traçables ". Cela ne veut pa~ dire que ce site éloigné appartient à quelque mystérieux contexte, mai s q u' o n est parvenu à faire saill ir e ntre ces d eux lieu x - le st udio de l ' architec te et la salle de co urs 7. R. KOOUlA'l "' B. M..u. S.... U. M . di WII. u.,y . ulr/J.u.,y (1 99~ ). 8. A o,.. ditio~ qu' il .x;"t< <1< , ""hi v" hi. " 1l0h;0"1' plu. <1< l''i.., PO'" , ,,,,,... UI:Ii .. 1<. , ..,""xil... . ED:",. u.., fois. , '."
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DeuxièlN' mouvement: redistribuer le l""al
d 'auj ourd'hui - un autre c irc uit à travers lequ el de s m asse s d ' entité s com mencen t à c irc ule r. Bi en qu ' il n' existe aucune « structure cac hée sous-jacente JO, cela ne ve ut pas dire q u' il n' exi ste pas de gaba rits structurants qui circ ulent à travers d es réseaux repérables, et dont le s tec hn iq ues sont les manife sta tions matérielles le s plus év identes - les technique s de papier e t, plu s généra leme nt, le s te chnol ogie s intelle ctu elle s jouan t d'ailleurs un rôle aus si c apital que les e ngrenages, le s leviers ou le s réaction s c himiq ues . Plus encore qu ' après le premie r mou vement de rectification , ce sont dé sormais le s véhicules, le s mouve ments, le s déplacements et la traduction entre le s lieux plutôt que le s lieu x eux-mêmes qui occupent d ésormais le premier plan. Si le s sites locaux ne c msnruenr pas un bon point de dé part, c'e st parc e que c hacun d' eux es t e ncadré et localisé par d'autre s - y comp ris, bien sûr, le stud io de l'architecte que j'ai c hcis i comme l' ori gine provisoire de mon exemple. Nous comprenons maint en ant pourquoi il nous a fallu co mme ncer, pou r repre ndre la fameu se expres sion d'Horace : in mcdias res, « au beau milieu de s c hoses JO . La c irculation est première, tandis que le paysage " dan s le que l JO c irc ule nt le s a gen ts e t le s modèl e s d e toute s sortes vient après . C'est probablement la plu s ancienne intuition de s sciences societes, ce qui le s a poussées à proclamer que le s phénomène s socia ux étaient objectifs, tra nscendants, œnnipré sent et sui generis . Co mme d 'habitud e, l'intuition éta it ju ste, mai s il était difficile d' en prendre ac te tant que la circulation du soc ial était confondue avec l'émergence de la soc iété - e llemême confond ue par erreur avec le corps politiq ue. Le fait q ue l' échelle ne dépende pas d e la taille absolue, mai s du nombre et de s qualités des distributeurs et de s art iculateurs e st quelque chose que j'ai appris il y a bien des années, lorsque j ' ai e u la c hance de suivre Shirley Stru m e t ses singes . Quand je l' ai renc ontré e à la première « c onfé re nce sur le s babouin s JO jamais o rganisée, dan s un luxueux manoi r près d e New York, elle n'était qu 'une jeune scie nti fiq ue qui était parvenue à habi tuer de s singes sauvages à marcher quotidiennement a u milieu de s chercheurs . Auparavant, le s enquête urs qui ob servaient le s babouins de loin et dans l' habitacle séc urisant d'une Jeep avaient relevé de n ombreu se s c ar actéris tiques intéressante s, mai s ils avaient s itué le s face à face a go nivtlq ues « à l'intérieur JO d e structures absentes - a ppliq ua nt a insi a u babouin le b.a.-bade la
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C<>m nlelll1't!/raœr [1« a.
s oc iolo gie humain e . À ce tte ép o que, le s soc ié té s animal e s é taient, par e xemp le, censées posséder une hi érarchie de dominance rigid e" dans laqu elle" les mâl es devai ent " trouver leur place " . Or, a u cours d e ce colloque, Shirley parvint à démontrer qu e le s babouins ne chercha ient nullement à se situer dan s une " hiérarchie » de dominance, mais se po saient plutôt une question que tous les animaux cherch aient à résoudre e n s' éprouvan t les uns les autres à travers des face à face agooistiques soigne usement contrôlés 1. En d 'autre s term es, la qu estion d e la gen èse des effets structurants était so ulevée à la fo is par Strum et par les j eune s mâle s explorant la nature du groupe qu'il s so uhaitaient rej o indre ' o. Et, chose étrange, aus si bien les mâle s immigrants que Shirley découvraient progressivement, à travers une série d' épreu ves, qu e c ' étaient les femelles e t non les mâles qui, à travers leurs int eractions qu otidienn es, finissai ent par créer une sorte d e hi érarchie d e domi na nce a ssez d urable qui était rest ée jusque-là invisible au regard des observateurs (es sentie llement mâle s), trop é loignés pour détecter ces épreuve s su bt iles. Le résultat, c'est qu e, en suivant Shirl ey suivant ses babo uins, je me retrouva is, au mili eu de s sp le nd ide s pays ag es du Ke n ya , à p re nd re un e leçon d e th éorie soc ia le : co mme une so rte d e Garfin kel des si n ges, Shirley es saya it d e c o m p rend re l e s babouins qu ' elle libérait progressivement de leu r rôle sempiternel d'« idiot s cu lturels », afin qu'ils puissent pa sser au stade de " membres" c apables d'actions réflexives. En un mot, le s babouins étaient co mpétents, soc ialemen t compétents " . S'il Ya une erre ur de théori e sociale à n e pas commettre, c'est d e fai re co mme si le s babouins avaien t trouvé un rôl e a u sein d'un e struc ture pré existante - le social n" 1 - , mai s il sera it tout aus si erroné de supposer qu'il s se contentent d'Interagir le s uns avec les autres au sen s du soc ial n" 3 . T out se passe plutôt comme si ces petits animaux à fourrure parvenai ent à mouliner a utant d e social qu e leurs observateur> et vivai ent dan s un mond e 9 . S. ST7.UM, « ",,-,IIi " ie c., min..c. UIDJI,ii Babooo . , ... AIIeJ1l .:i"" Viow • ( 19 82 ) ; voira""i l ' . rr.
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Deuxième m"""emenr : redi.
tout aussi complexe - le social n° 2. Et pourtant, il y a clairement une différence d' équipement: alors que c hez les babouins tout se fait par le truch em ent d e, compétence, sociales ellem ême, - ce qu e les prlm atologu es a ppelle nt de, « o util> sociaux » - , cette même tâche fondame ntale pour tester, réaliser et engendrer la vie sociale, l'observate ur humain la pratique avec un lourd appareillage de technologies intellec tuelles. Alors que les primates doivent déchiffrer le sens des interactions avec pour seuls o util, les int eraction s elles- mêmes : q u' ils doivent d éci d er q ui est a mi et q ui est e nnemi, q ui est proche et qui es lointain, qui e>l mené et qui est meneur, sam utili ser d ' aut re ressource que le, mimiqu es, les grognement" le, lien s comp lexe, de toilet tage; qu' ils n' ont, autrement dit, que leur corps pour marqu er les autres corps. la situation est bien différente pour la primatole gue q ui essaie d e faire sens d e, mêm e, comporteme nt, : elle in scrit les nom, prop re, q u'elle a donné, de chaque babouin dan s des carnets de note, dresse des tableaux statistiques accum ule de la do c umen tati on, prélè ve d e , éc hant illo n, sa ngu ins , d e s e mpreintes génétiques, bref, elle profite de toutes sortes d'aides visuelles et matérielle, 11 . Les babouins comme la primato logue font le m êm e travail : faire tenir un ordre social, mai s, il faut bien le reconnaî tre, avec d'autres ressources. Quelle est donc la différence entre les singes et les humain s, une fois rejeté le gouffre e ntre natu re et culture, l' instinc t e t la réflex iv ité, l ' " idi o t c ulturel " et l'agent intentionnel compétent? Dars les descriptions qu' en faisait Shirley, les babouins s'apparenraieu dangereusement aux humain> , et pourtant je n' étai s pa, prêt, malg ré le ti tr e d e son livre, à me co nsidérer « presque " co mme un babouin. Ou plutôt, tout dépendait désormais de ce qu' on ente nd par ce " pre sque » . On pourrai t dire, de façon assez superficielle, que la différence la plu s évidente passe par la technique . Les babouins ne sont pas complèteme nt privés d' instr ume nts de stabilisation, mai s le fait est q ue, m êm e >i les mâles d évoilent leurs formidabl es canines, si le, femelles exhibent leur, arr ière-trains irré sist ib le, (a u moins pour le s mâles bab oui n> !), ils n ' on t pa s
.,u
12. Je n pl"'De que ,,' e .. <e!le ...,ilio. qui III ~ l'oripœ de • • ,!;U......" l' " " ,,,,,-. ,-heBU, voU M. CAll.O N. B. LAT<JUl, « Un"''''''', in g the Big Levwn"" • • (198 1) ; B.LArou• •S. SnuM. « Hum.. Social Orip•• • ( 1986).
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C<>mllll'/Il relraœr les aJ:
d'autres outillages, pour maintenir leurs compétences soc iales, qu'un surcroît de compétences soc iales . Les chimpanzés disposent de certains o utils ", mais les babouins n'ont q ue des "outils socia ux JO, à savo ir leur corps l entement tra nsformé par de s années de séduction, de toil ettage et d' apprentissage j ournalier de la vie comm une . En un sens, les bandes de babouins pourraient véri tablement fournir l'occasion d'une e xpérience natu relle idéale permettant de vérifier ce qui se produ it lorsqu e les compétences sociales se limitent stricte ment a ux compétences sociales - le social n" 3. Dan s ce cas, les part icipant s ne disposent d'aucune technique qui leur permettrait de « constru ire » la « superstructure » de leur « soc iété ». Dan s la mesure où ces termes archi tecturaux sont e ntièrement métaphoriques pour e ux aussi bien que pour les observateurs, les babouins doive nt consac rer un tem ps a pparemment excessif à réparer constamment le frag ile « édifice JO soc ial, à étab lir sans cesse ses hiérarchies boiteu ses, à déterminer tou s les jours qui mène le groupe dans la quête chaq ue j our recommencée pour la nou rriture. Ils ne peu vent j amai s se r ep oser, ni agir les un s s ur les a utres à distance. Lorsqu' il leur arri ve de le faire, c'est par l'entremise haut ement complexe de coalitions intersubjectlves plu s subtiles enco re. Si les différent es façons qu ' ont les babouins de remédier chaq ue matin a u rapide déclin de leur ordre socia l res tent vis ibles, c'est en raison du plus petit nœnbre d' outils qu'ils ont à leur disposition. Les babouins font tenir le social grâce à des interactions sociales plus complexes, alors que nous recourons à de s inte racti on s qui sont lég èrement moin s sociales, et d' une ce rtai ne ma nière légèrement m oins complexes, mêm e si elles peuvent être plus compliquées, c'est-à -dire fa ites d'un plu s gra nd nombre de plis " . Mais il y a une autre façon d'utiliser ce merveilleux exemple des primates non humains pour e n faire une sorte d' étal onnage des théories du social . L' une des conclusions qu' on peut e n tirer est qu e l'Int eraction face à face - le social n" 3 - n' est jamais le bon po int de départ si l' on veut tracer les lien s soc iaux, que ce
1J. W. C. Mdluw. Ch,"'I'''''''' M.lLriol C~h" (1992)_ 14. s..- Jo difU..""e eJO.. le comp iljU~ el le cœnplexe . voir S. SnlJM" B. LAI'OOJ.• • The MeaniJli cl Social . (198 7i_POla" .. dliftnitioo de. outil> ",cia llX. roi.- H_ K!.J""""'< Vi<, dl! , ing<> (1993 i_
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Deu:ri~1IU'
nlO''''''''''..u : ,,,diltrilxu', 1" local
soit dans le cas des humains comme dans celui des singes : dans tous les cas, en effe t, d' autre s formes d' existence ne cessen t d' interférer avec ce s connexions. Dam tou s les cas, l' action e st disloquée, diffract ée, re-confi gurée, redi stribuée, sans parl er du fait qu ' elle doit recourir à des co uches succe ssives de médiations qui s'ajoutent le s unes aux autres . Le s babouins recou rent e ux auss i à une sorte de e technologie intellec tuelle », que les tra vaux récents en primatol ogie ne cessent de multiplier: leur territoire, le COlin> d e c haq ue interaction , la traj ectoire des a mitiés et des coal itions, la variation p rogrammée d e la taill e, du sexe, de s caractéristiques anatom iques, e tc . C'est cette int erféren ce co nstante de la part de s actio ns d ' autrui qui fa it de la vie dan s un grou pe de s inges un e nvironnemen t second aire tout auss i difficil e, aussi sélec tif et aussi e xigeant qu e l'environ nemen t primaire, celui d es ressources ct de la compét ition d es préda teu rs. Un singe q ui ne démontre pa, assez d' intell igence sociale est exclu tou t auss i rapidement que s' il ne parvenait pa s à trouver de la nou rriture ou à s'accoupla . Les humain s ont eux a ussi vécu dans un e nvironne ment a ussi exigeant, au ssi sélec tif e t auss i difficil e, mais const itué d'un pl us grand nombre de médi ateurs, d ' aiguilla ges et de e dl slccateurs • qui rend ent les int eraction s local es e nccre moins locales 'J. On l' au ra maint enant compris, si le co ntexte constitua it un point de départ si improbable, il en est exactement de même de s int eraction s face à face. La différence n e passe p lus en tre des singes « simples. e t des humains hautement e complexes » . mais plutôt e ntre des singes complexes qui se so nt, si j'ose dir e, liés, roulés ou pliss és a u sein d e nombreus es e nti tés - pay sag e, p réd at eu rs, group es - et d es hum ain s compliqu és qui se sont, quant à eux, lié s, roulés et p /issé:r au sein d ' entité s plu s nombreu ses encore, certa ines d ' en tre elles ayant le grand avantage de res ter en place, e t donc de simp lifier, tout au moins localement, le travail de mise en ordre. Chez les humains plus q ue chez les singes , l'Int erférence, la re-directio n, lad élégation et l' art ic ulation deviennent vi sibles et no us offrent ai nsi un bien meilleu r point de départ que le s interaction s face à face .
s.
1 Celle oWJOd>e de Jo ""hmlope comme ",",onde ....,.. e " au c....- de A. Laa· G s. H"""",-B"~ Wœ/d (2lJ04 ).
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Omllllelll "'tracer
/'" a.«ocialitms ?
L e lieu improbable d es interactions fa ce il fa ce Chose étrange, à ca use du préjugé qui nous pouss e à croire qu e les int eractions locale s sera ient" pl us concrètes " q ue l e contexte, il se peut qu e le lecteur ait plus de facilité à se débarrasser du g lobal qu e du local. Pour lutter co ntre ce préjugé, nous de vons re venir à la n otion de figuration que j ' avais introdui te en e xamin an t la seco nde so urce d ' incertitude: le même ac tan t, rappel on s-le , peut r ecev oir d e s figurati on s di fférente s (voir p . 7 8) . Bi en qu e l' habit ude d e li re d es hist oire s pui sse nou s amener à accorder plus de plausibilité à de s personnages indivi du ali sés, figu re r un p ersonnag e requ iert exactement autant de " travail sémiotique JO, si on peut dire, que figurer un COIICqJt ou une personne moral e. C'es t pour cette raison qu e, même si n ous d evons re ster sensibl es a ux petites di fférences d e figurati on, il ne faudrait pas o ublier q ue nous devons, en bcns relativistes, re ster indifférent s à l' échelle. Et pourtant, la croyance en l' exi stence d 'individus est si profond ément enracinée, du moin s so us no s latitude s occ identales, que nou s p ourrions con tinuer à croire qu e la critique à laqu ell e j e viens de me livrer doit é pargner le moi : " Cr itiq uons le contexte, d ' accord, mai s pas l'individu ". " Il serait d onc prud ent , à cause d e cet te réaction d ' apparent bon sens, de co nsacrer plu s de gymnastique corrective à la redi stribution du local qu' à la locali sation du global. C 'est pourquolje vai s rapidement lister tout ce qu e l' interac tion individu elle, malgré ce qu ' on att end d' elle, ne peut aucunement fourn ir . Là e ncore, la leçon de l'act eur-rése au sera excl usivement n égati v e , dan s la m esure o ù j e c herche se ulement à d éploy er s uffisam me nt le social pour qu' on puisse à nouveau l'assembler. 1°) Aucune interaction locale n' e st isotopique: ce qui ag it au même m oment dan s un lie u d onné pr ovien t, n ous l' a vons co mpris, de n ombreux autre s lieu x, d e n ombreux a utres moments, et d ' actant s h étérog ènes. Si no us voulions p roj eter s ur une carte géographiqu e classique le s connexions qui rel ient un amph ithéâtre universitaire à tous le s autres s ites qui y agi ssent au même moment, il nous faudrait dessiner un den se faisceau de flèches pour inclure par e xemple la forêt d' où proviennent les 16. Cto. lIU1Icoumen,de rindivid01 . ,.... ""'p.o:tyllllle dam Il mythologie d01 cb>ix , . iOllllet ",;,qu·elr i""l... au"'; ltIIe l"ydlol"lie et ltIIe cop.;'" """tisé...
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INuxième m"",,,,'IIIo"nl: redi.
meuble s, le bureau administratif c h ar gé de l'attribution de s sal les, l'atelier qui a imprimé le plan grâce auquel n ous avons trouvé l' amphi , l'appariteur qui vrill e a u bon usag e des lieux, et ainsi d e s uite " . Et c ette carte ne serait pas un exercice futil e, puisque chacun de ces sites éloignés continue bien, d'une façon irremplaçable, à anticiper et préfonnater cet amphithéâtre, en transportant à travers tou te une variété de médiums la mas se de s gabarits qui en ont fai t un e ndroit spéc ifique - e t qui c ontinuen t à le faire tourner. 2°) Aucune interaction n' e st synch ronique : il e st possible que le bois du bureau provienne d'un arbre planté dan s le s année s 1950 et abattu il y a deux an s : le vêtement de l'enseignant a été tissé il y a cinq ans, tandis que l'agitation neuronale remonte à un e milliseconde, et que l'aire d e son cerveau c ons acrée à la parole existe depuis une centaine d e milli ers d' années (ou peutêtre moins: il s'a git d 'une question vivement disputée parmi les paléontolo gu es). Quant aux mot s qu'il utili se, ce rt ains son t d'origine étrangère et ont été introduits en français il y a quatre sièc les, tandis que telle règle de grammair e sera plus ancienne enc ore; la métaphore qu'il c hoisit n'a que six ans, mais tel trope rhétorique remont e à Cicéron: en revanche, le clavier de l' ordinateur s ur lequel il a préparé son int ervention a été tout récemment défourné de chez Apple, bien que certains métaux lourds qui re ndent possible le bon fon ctionnement de cert ains de ses contacts durent autant que l'univers. Autrement dit, le temps e st toujours plissé JO, si bien que l'idée d'une int eraction synchroniqu e o ù tou s les ingrédient s a uraient le même â ge et le m ême rythm e e st d énuée de sens - même pour les babouins. L' action n e peut j amai s se dérouler qu' en d éléguant le fardeau d e s connexions à de s entités dotée s d'autre s formes de temporalité. 3°) Les int eractions ne so nt pas synopliques : en tout point d'un cours d' action, seules quelques-une s de s e ntités qui y participent sont visibles à un moment donné. L' en seignant peut croire
17. Je ...i . id un exemple pft!'-IogiQue ';mple. m il;' on ""uc ... '" '" "'JXI""r ... "hapitre J do B. LArou. el E. H UMANT. P.ri~ v~" invisible (199!i). C'",c ""o
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ç""'lIIt'lIl lwraœr les a.
qu 'il occ upe le devant de la scè ne, mais cela ne veut pas dire qu'il n' y a pas d'autres formes d' exi stence à l'œuvre: cela veut seuleme nt dire qu 'il n' e st pas possibl e de les additionner. Le meuble de bureau ne fait pas partie du cours jusqu' à ce que le professeur le prenne COlJUTIe un exemple de design ; et pourtant, ce meuble, il fai sait bien quelque chose avant qu'on le poirue du doigt : il donnait fo rme à l' interac tion, il la cadrait. Et ce tte affiche qui annonce le séminaire en précisant le lieu e t l' heure, même si personne n'y a fait référence, elle a ussi agit, puisq u'elle a men é les étud iants e n c e li eu. Et pourtant , si nous vo ulio ns recenser tou s les ingrédients de cette scène, nou s serions bi en incapable s de le fa ire, dan s la mesure où il n' exi ste a ucun moyen de tous les souligner e n même terres. soit parce qu'ûs sont trop nombreux, soit parte qu' ils font partie de machineries compliqu ées q ui sont néc essairement soustraites a u regard quand elles remplissent efficacement leur rôle d'intermédiaires . Combien d' entités di stinctes devrait -on compta' dan s ce microphone ? Et dan s le corp s de l' en seignant ? Et dans l' organisation de cette école ? Quoi que vous fassiez, quel que soit le nombre de fois que vous refassiez le compte, jamais vous n' obtiendrez le même c hiffre, parce q u'à c haque fois des agents différents deviendront visibles tandis q ue d' autres se ront retou rnés à leur incognito. 4°) Les interacti ons ne sont pas homogènes: nou s l' avons bien compris, puisque les relais qui ass urent le déroulement de l' action n' ont j amais la même qualité matérielle tout au long. R egardez à travers com bie n de formes d' existence il a fallu pas ser pour aller du cabinet de l' architecte, il y a quin ze a ns, à la salle de cours d'aujourd'hui. Lorsqu ' on projett e des dia posi tives s ur un écran, à travers combien de composants successifs faut -il pa sser depuis le clav ier numéri sé d'un PowerPoint, le sig nal analogique du pr oj ecteur, avant que tout ce la soit de nou ve au tran sformé e n bou illie par les onde s cé ré brales d' étudiants à demi assou pis ? Alcrs que les sociolog ues trouvent tellement gratifia nt de parvenir e nfin, grâce a ux interaction s individuelles, au face-à-face des humains entre eux, c' est le contra ire qui devrait constamment nous surprendre : la multi tude de participants non humains, non subjectifs e t non locaux qui s'ussemblent pour contribue r au déroulement de l' action à travers des ca na ux qui ne ressem bl ent e n rien à un lien soc ial, même s' ils sont tous des assoc ier ions.
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5° ) Si l'on me permet de recourir à la métaphore de; lignes de pre ssion que nous voyons sur les c artes météo, le s interactions ne sont pa, isoba riques : ce rta in, partici pant, imposen t leu r p r ésence avec force, ex igent d'être entend us pli> en con sidé ration, tandi s qu e d' autre , ne sont plu> que de , routine, relayée, pa r de , habitude , co rpore lle, san s aucune visibilité. D'autre , e ncore font figure de boîte s noire s et prennent la forme de dispositifs matériels que se uls c onnaissent de s ingénieurs de quelque lointaine usin e d'Asie et, un peu plus vag uement, un de, technicien, de l' équipe de maintenance quelqu e part sur le camp us q ue l' on appelle en ca, de difficulté. Nom savon, d'ailleurs qu e le , médiateur, et le , intermédiaires n ' exerceront pa s la même pre ssion : alors que le s intermédiaires ajouten t de la prévisibilité à un cours d' acti on, le s médiateurs peuvent bru squement le faire bifurquer de façon inattendue. Le, situations c hangent a ussi rapi d ement qu e la pression barométriq ue : une panne q uelconq ue, le micro qui ne marche plu " l' ordinateur qui tomb e en p ann e, l' en seignan t qu 'un virus indispose. et la dlstributiœt relative de , ac teurs de p remier et de second plan se modifie aussitôt . On ne contrôle jamais une situation beaucoup mieux qu e le climat. Pa , étonnant qu e le , sociologues aient e u l'i ntuition qu e le, int eractions débordaient de toute part : c'est v rai! Et pourtant cela ne ve ut pa , dire qu ' elle , so nt tenue , en place par un co ntexte qu elconque qui le , surplomberait et le, placerait so m; l'emprise de quelqu e Iœce struc turelle cac hée. Cela veut simplement dire qu ' elle s sont c ons tamme nt travaillées p ar un n ombre verti gineux d e participants qui disloquent le tracé net de leu rs frcn tlêre s de multiples façon" les redistribuent et e mpêc hent d e prend re pour point de départ un emplacement dont on pourrait dire qu 'il 'l'rait
local » . On l' lllI ra compris : la relativité e n sciences soc iales re sterait une affaire relativement simple si nous n' avions qu' à localiser le glo bal ; mai s ell e ne d evient véritableme nt pe rtinente qu e lorsque c'est la terre fer me d u local qui s 'éva po re elle au s si. Dan s la plupart de, situatio ns. l' action est déjà soumise à l'interférence d ' enti té s h ét érogène , qui n ' on t p a , toute , la m êm e pr ésence locale, qui n' app artiennent p as à la même temporalité, qui ne so nt pas toutes visibles au même moment e t qui n' exercent pas la même poussée s ur l' action. Le terme d ' e Interaction JO n' était (U' mal choi si, si ce n'est qu ' on a largement sous-estim é «
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C<>m llll'/Il relraœr [", aJ:
le n ombre et le type d'« actions " ainsi que l'envergure de leurs " inter »-relations. Étendez n'importe quelle interaction indi vidu elle : vou s d éploi erez. à coup sûr un act eur-r éseau. Il y a bien sûr une excepti o n : c 'est lorsqu ' on revient à un langage moins rigou reux et qu 'on abando nne la tâche diffi cile qui co ns iste à su ivre, pour le s besoins d 'une enquête, tou te s le s interférence s. Dans ce cas , il es t parfaitement accep table d e parl er de " str ucture" et d' " interaction face à face " : n ou s avons affai re à des situatio ns plus routi nières : nous recou ron s à un c a dre de ré fé ren ce pré -relativi st e. Dan s cette sorte d e rac courci , de s té nograp h ie, on di ra qu 'une « structure » es t simp lement un acteur-réseau au sujet duquel nou s n' avons que peu d'informations e t d on t les participan ts sont s i tranquill es qu ' au cune n ou vell e informati on n' e st néc e ss aire ; qu 'une " interaction " est si nett em ent encadrée par d es localisateu rs q ui se compo rte nt e n intermédiaires q u'on peut cons idérer, sans fai re de dlfflcultés, qu ' elle « a lieu localement ». À force de parcourir la liste de ce que le s int eractions face à face n e sauraient offrir, ce n' est pas sans une certaine suspici on qu' on regarde le s e ffo rts pour e nrac iner la soc iologie dans les relation s int ersubjectlve s, le s calculs individuel s, o u l'intention nalit é personnel le 19 . Il doit ê tre maint enant a ssez clair que la notion d 'interaction locale n ' est pa s plus fondée en réa lité que celle de structure globale. Rétro specti vement, un tel rés ultat rend plus bizarres e ncore le s tentati ve s, si fréqu entes dans l' h istoire des sciences sociales , de parvenir à une sorte de comp romis en tre le contexte global et l'interaction , dan s l' espoir d e négoci er une " troisième voie ", plu s subt ile encore, entre l' " acteur " et le « système ». Ce s projet s ont autant de sens que ceux de s compilateurs de la Renai ssance qui s'efforça ient s incèrement de ca librer les date s de la mythologie grec que sur celle de la Bible: le juste mili eu e ntre deux mythologie s reste une mythologie ... Mai s, si nou s suivons le s trace s lai ssées par les acteurs non humain s, nous comprenons d ' où vi ent l' impres sion parfaitement e xacte d' êt re « p ri s dan s un c a dre ». Chaqu e site loc al est
19. C e .. pt. " ceh "'" l"in ",...iv ", de Raymond Boudai. dopui.. R. BON. Tro U lM , "d"l0 ~ {1992l ",ponoil ""mme }fi poO" de dé pan .. ptm pl... oo le. ""',." pt"" de . ,..; ."... mélbodoklp 'l"""
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bien tocutis ëe n effet par une nu ée de localisateurs, de distributeurs, de déviateurs, d'aruculateurs - peu importe le terme que l' on retiendra. Le rôle de l'interobjectivité est bi en d'introduire dan s le; interaction s local es une dislocation fondamentale. Quel sens aurait l' échelle relative sans I'Interobj ectivité ? Comment aurion s-nou s consc ience d' être des petit s participants à l'intérieur d'un orœe des c hoses e plus général" si, par e xemple, nous n' avi ons pas l' habitude, comme à New York, de déambul er le long de rues a ussi sombres et profondes qu e des ca nyons, qu ' on dirait creusées à même la messe da gratte-ciel ? Se senti r petit dépend larg ement du nombre d' aut res personnes, di stribuée s dan s le tem ps et dans l' espace, qui ont préformé un site à l'attention du visiteur anonyme e n train de se dépl ace r. La taille es t rel ative, e n effet - relative au soin avec lequel elle u élé conçue et avec lequel elle reste encore e ntret enue. Mai s cela ne sig nifie pas qu e nou s sommes réellement des " petits JO participants « à l'intérieur » d'un quelconque cadre . Combien de foi s faudra -t-il qu' on nou s rappelle cette pénible leçon? La plus consternante des preu ve s e xpér ime nta les e n a récemment été ap portée lors qu' un gro upe de fanatiques, équipés uniquement de quelqu es c utters et d'un manuel de navigation aérienne, o nt défait ce qu e d' autres avaient si soig neusement constru it, de tdle sorte qu e les ombres allongées et parfoi s oppressante s que les Tours jumelles projetaient s ur les avenues étroites de Manhattan ont di sparu en l'espace de quelques haires, bien que l'ombre obscure de la mort continue de hanter les lieux sur lesqu els se tenaient les bâtiments q ui o nt été dét ruits. A près un tel événement, ne devri on s-nou s pas être extraordinairement sensibles à la fragilité des éc helles relatives? La construction de l' échelle revêt une signification radicalement différente si nous n'y voyons qu'une vague métaphore qui " e xprime ». " reprod uit» e t " refl ète » la " structure soc iale" toujours prés ente, o u si, à l' inverse, on reconnaît q ue rien ne sa urait ê tre plus g rand, au sens littéral , qu e ce qu e l' on peut constru ire au moyen de l' architectu re et de la technologie - au sens large. Dans la tradition sociologique, la société est forte et rien ne saurait la détruire, puisque son existence es t ass urée sui generis; dans l' autre vers ion de la th éorie sociale, e lle est si fragile q u'elle doit êt re construite, réparée, dépann ée et, surtout, faire l'objet de soins . Ce; deux cartes du social dessinées à l'aide
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de traceurs sociaux différents - outre qu' ils donnent lieu à des comptes rendus impossibles à supe rposer - dé bouchent sur des esthétiq ues, des ét hiq ues et des politiques bien di stinctes.
Co m m ~ n t
,e défaire d u mJl ku ' oc lai
n y a un fétiche, un deu.! ex machina, dont les nouveaux sociologue'! fOllt usage conune d'un Silame ouvre-Io~ chaque foi~ qu'us sont embarrassés, et il es! temps de signaler cet abus qui réellement devient inquiétant. Ce talisman explicatif, c'est le milieu, QJand ce mot es! lâché, tout est dit. Le milieu., c'es ta formu le à toutes fins dont l'illusoire profondeur sert à recouvrir le vide de l'idée, Aussi n'a-t-on pas manqué de nous dire, par exemple, que l'origine de toute évolution sociale doit être exc lusive ment demand ée aux propriétés "du milieu social interne" , - Or, qu' est-ce que cela peut bien ê tre, les propriétés du milieu social interne ou externe, si ce n'est tout ce qui est contenu de notiOll~ et de souvenirs, d'aptitude'! et d'habitudes au fond des cer veaux réunis en société? Certainement, je le ses, par le seul fai t que le'! hommes a gi~s ent en masse et non ul .tÎ1lg u /i, dans le cas de la foule impulsive notamment, du régiment montant à t'assaut, et aus.~i bien dans le cas où la pensée des autres hommes en bloc et non individuellement envisagés se présente li. l' esprit de l'individu et l'impressionne comme tell e - dans tous Ce'! cas, c'est-à-dire à chaque instant de la vie sociale, la notion de milieu social a une réelle signification, M ais il faut entendre par Ill. que chacun de ceux qui sont actionnés et impre-ssionnés par le milieu fait partie du milieu qui actionne et impressionne ses semblables, Qua nt à ce milieu- fantôme, que nous suscitons à plaisir, à qui nous prêtons toutes sortes de merveilleuses verne s, pour nous d epenser de reconnaître l' exuœ nce des génies réels et réellement b ienfaisants par qui nous vivon.s, en qui nous nous mouvons, sans qui nous ne serions rien, expulsons-le au plus vite de notre science , Le milieu., c'est la nébuleuse qui, de près, se résout en étoiles distinctes, de très inégale grandeur, J'aperçois bien de'! individus qui mutuellement s'tnnuencenc ou dont le'! uns se modèlent sur les autres : nulle part je ne les vois nager ensemble dans cene sorte d'aunosphëre ~ubtile et imaginaire qu'on appelle afnst, et qui, comme l'é ther en physique, mats avec beaucoup moins de raison, serait lefaclOlum en sociologie,» (G, Tarde 1189 8], «
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« Les deux elëmems de la sociologie », in Éludes de Pry c/wlogie SM/ale, Paris, Giard et Brière, p. 79-80) >c.
Pfu~-ins
Aucun e ndroit n' e st suffisamment dominant pour ê tre global, ni assez ramas sé s ur lui-mêm e po ur être local. Tant qu e nous nou s efforçons d'util iser les interactions locales ou la struct ure, ou une sorte de co mpromis entre le, deux, nous n' avons aucune c hance de tracer le s associations - et pl u, le compromis es t intelligen t, p ire sera le rés u ltat, pu isqu e nou s ne ferio ns qu e prolonger la c royance e n deux concepts vides de sens . C'est pourquoi je m' obli ge à me montrer aussi borné q ue possible e n multipliant le s pri se; q ui nou s permettront de ré sister à la tentation de répartir ce que font les acteurs en deux boîte, - le local et le g lo bal - , c e q ui m ettrait immédi at emen t un terme a u déploiement de leurs itinérai res pleins de tours et de détours. Si n ou s plaç ons un n ombre suffisa nt de ces pr ise s, nou s com mençons à d essiner sur notre carte un to ut a utre relie f, q ui coupe à a ngle droit le s c heminements q ui faisaient précédemment l'aller et le retour du local au g lobal, comme si, par quelque étra nge opéra tio n cartographique, nous avions lentement méta morphosé la c arte d'un bassin hydro graphique: tou t se passe comme si nous nou s efforcions de faire couler du nord au sud qu elque rivière qui s'écoulait jusque-là de l' est ven; l'ouest. Ce q ui frappe le plus dan , ce bouleversement topographique, c'est que le, élément, qui faisaient a uparavant figure de « local » et de « glob al » ont tous maintenant pri s une forme en é toile - sur notre grille de projection, bien sûr, et non pas " dans la réa li té • . Le s sites o ù s'éla bore le conte xte resse m ble nt désormais a ux Inte rsection s de nomb reuse s pi stes sur lesqu elles d es documents vcot et viennent, mais le, sites de construction du local prennent eux aussi l'aspect de multiple, carrefours ver, le squel s le s mod èle s et le, formats circulent. Si nous prenon s au 20. Je """ '''''., E
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C"", melll re/racer les a.«ocialitms ?
sérieux ces deu x for mes ré ticulaires, alors l' ancien paysage s' ap la tit pour de bon, puisque ces deu x forme s é toilées n e peuvent être ordonn ées verticalement à l'intérieur d'une structure tridimensionnelle. Elles se trouvent maintenant côte à côte, c ha q ue mouv ement obligeant l'ob servateur à en suivre le s contours sans aucune interruption ou solution de continuité, tout comme dans l'espace bidimensionnel imaginé par Edwin Abbott dans son FiaI/and. Les mouvements e t le s déplacements sont premiers; les sites el les formes ne vi enn ent q u'en second. Si bien q u'à la fin l'opération q ui consiste à locali ser le glOOal el à redi stribue r le local n' e st pa s aussi di fficil e qu' ell e semblait l' être à première vue . AITès quelqu es minutes pour s' y habituer, le nombre de traces devi ent si élevé qu 'ils vous faudrait être aveu gle pour ne pas les suivre . Les sites ne diffèrent plu s par la form e o u la taill e, mai s par la direction d es mouvement s d e va-el-vient el, comme nou s le verron s, par la nature de ce qu 'ils transportent : information, traces, marchandi ses, plan s, formats, modèle s, liens, e tc. Ce sont désormai s le s sites mythiqu es du local et du global qu'il devient difficile de situer sur une carte . " ex. donc ces îles enc hantées pouvaient-elles bien se situer? " No us demerdon s-nou s avec s urprise. La rai son pour laqu elle il est si important d'apprendre à naviguer dan s cet espace plat est que, dès que nou s parvenon s mieux à nou s co ncentrer sur ce q ui ci rc ule, nou s identifi ons de nombreuses e ntités dont les déplacements é taient à peine visibles auparavant puisqu'elles n' étaient pas censées circuler du tout : nou s al lons devenir capables d' examin er des phénomènes beaucoup plu s slbtils q u' il fallait a uparavant e ntreposer dan s le sanctu aire de la s ubjectivité, en ra is on même de leur appare nte évanescence . De même qu'un paysage à découvert, bien sec et couvert d'une couche de poussière révèle les traces laissées par les animaux qui l'ont traversé, nous sommes peut-être en mesure de détecter des e ntités mobil es qui, dan s les fourrés touffus de la sociologie du social, ne laissaient a ucune trace. Parmi ces traces, nou s allons pouvoir acc order une importan ce parti culière à ce qui permet aux acte urs d ' interp réte r l'env ironneme nt dan s lequ el ils sont placé s. Qu el qu e soit le nombre de cadres que déversent les localisateurs e t qui permettent de formater un environnement, q uel q ue srit le nombre de documents q ui vont el viennent e ntre cet e nvironnement el les
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o ligoptiques, la distance res te infranc hiss able qui sépare le s acteurs gén ériques préformatés par ces mouvements et le dé roulement d'une action menée par des participants indi viduolis és et plein ement impliqu és. Nou s faisons tous cette expérience banale lorsque nous essayons de comprendre même le mieux réd igé des modes d' emploi. Quel que soit le nombre de personne génériques pour lesquelles il a é té conç u, vous commencerez certainemen t à gro mmeler, après avoir passé quelques heures sur le schéma d' assemblage de tel o u tel a ppareil numérique, que vous n'ave z pas été prévu, vous personn ellement , dan s la liste de ceux pour qui ce produit à été dessiné ! En mesurant la di stance qui vo us sépare d'In struction s qui ne s'adressent à personne en partic ulier, vous avez péniblement pri s consc ience de ce que D on Norman a appelé 1'« abîme de l'exéc ution 1 1,. . Il serait donc vain d'ignorer que l'intuition était j uste q ui voyait dan s les interactie ns face à face q uelq ue c hose de plu s « co ncret ,., q ui se dé roule à l ' échell e de la « réa lité vécue », et qui mobili se des individus personnali sés. Bien e ntendu, cette se nsation di sparaît aussit ôt lorsque les soc iologues du soci al substituent à cette saine intuition l'action occ ulte de q uelque structure invisible - et d'ailleu rs, à ce stade, pe rsonne e n particulier n' agit de q uelque manière que ce soit! M ai s elle di sparaît égale ment lorsque les interactionniste s prétendent s'appuyer sur un acteur intentionnel et personna lisé, mais sans pour autant dissoudre le cadre « dans lequel» les participants seraient censés déployer leur compétence . À leurs yeux, il faut qu 'un agent humain rende intelligible un monde d 'objet s par e ux- mêmes dénués de tcœe signification Dan s les deux cas, nou s revenons à la case départ, puisqu'il nou s faut choisir entre un sens dénué d' objet et un objet dénué de sens. Mai s, il faut bien l'avouer, cette intuition ser ait également perdue si les acteurs é taie nt sim plement localisés pa r des forces é mana nt d' autres sites et par l'entremise de techniques matérielles o u intellec t ue lles, sa ns ê t re e ux- mê mes capab le s d 'i nterprét e r e t de comprendre le s propositions faites par leur env ironnement 11. 21. D. NœMAN. TItI! P"",/t:!l!1fV of E",rydly 11Iing> (1988 1' M. AurI! el D. 1louL· un ~ Lr lIlOII< d'
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Cmllmt'1Il
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C'est pourquoi n ous de vons de venir sens ibles à de s traceurs plu s é lusifs que ceux que nous avons e xaminés jusqu 'ici. Reprenon s l' exemple un peu banal d e la salle d e cours que nou s avons utilisé plus tôt. Quel qu ' ait pu être le soin apporté à sa conception, il n' en deme ure pas moin s néce ssaire pour le s enseignants et le s étudiants d'y apporter beaucoup d' eux même s s' ils veulent savoir ce qu' ils vont y faire. S'ils n' y transp ortaien t p as avec e u x un cert a in é q u ipe me nt, le s ac teu rs humain s re steraient incapabl es d 'interpréter ce q ui est donné, même au milieu du cad re le mieux conç u. Ils re steraient a us si indifférents à la signification du site, comme di sai t Malraux, « qu'un singe rôdant sur le temple d 'Angkor ». Il nou s faut donc ajou te r qu elque c hose, m ai s qu oi e t comment? Nous savons déj à ce que nous de vons éviter de faire si nou s voulons conti nuer à " a platir '" le paysage tout du long: n ou s ne devo ns pas f ra nchir d 'un bond la dista nce q ui nou s sépare d 'un a utre « niveau » o u d 'un autre « type » de ressource . Et pourtant, ce serait là la stra tég ie la plus sûre, la plus aisée, la plu s rais onnable . Mais, com me le lecteur l'a ura dé s ormais compris à ses dépens, je ne cherche pas à ê tre rais onnable ! Je c herche à men er une expérience d e pensée q ui ne se révélera payant e q ue si e lle e st men ée j usq u'au bo ut : pouvo ns- nous maintenir tout du Img un point de v ue qui s'abstient de jamais recourir aux répe rto ires du locaUglobai et de l' acteur/système ? E st-il possible de ré s ister à la ten tation ? Une fois e ncore, j e n ' e ssaie pas de décrire de faç on subs ta ntielle o u pos itive ce qu ' e st le paysa ge, mai s simplement de trouver des moyen s de ré sister à la tentation d' interrompre la d escription. D 'habitude, pour co mbler 1'« abîme de l' exécution », Ia solution consiste à changer de vitesse et à introduire brusquement la " subjectivité '", l' " intenti onnalité » et l' " intériorité '", ou du moins à invoquer une sorte d' " é quipement mental '" . Si l'encadrement social" de l'extérie ur '" n' est pas s uffisa nt pour ac hever un cours d' actio n donné, alors il fa ut bien q ue les re ssourc e s restantes proviennent de « l'intérieur » o u de l 'interacti on de s participants humains localement a ssemblés. À ce stade, le po siti visme cède la place à l'herméneutique e t le s soc iologues passent p" [..... v&i1ahl", moli_ ",,,,_ '''1C<s([ 9\O).
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le relais aux psychol ogues et aux cognitivistes , tandis qu e les soc iologues struc turaux basc ulent pour un temps dans la soc iolo gie int erprétative. Mai s si l'on tol ère ce saut méthodologique, la pi st e qu e l' on s'est efforcé de suivre sans rupture depuis le début sera soudaine ment interr ompu e ; la carte aplatie sera à nouveau froissée ; la scène de l'acteur subjectif individuel di sposant e d'une certaine marge de manœu vre » « à l'Intérieur » d'un sys tème le dépassant de beauco up sera réactivée; les deux terr itoires mythiqu es d u local et d u global seront à nouveau redessi nés ; le c hâteau de M erlin surgira à nouveau du lac. Si bien qu' en acc ord avec notre myopie volontaire nous devons continuer à tâtonner dans l' ob scurité jusqu ' à ce que nou s trouv ions une autre prise. La question que nous devons nous poser es t donc la suivante : o ù so nt les a utres véhic ules tra nsporta nt l ' indi vi dualité , la subjectiv ité, la personnalité et l' intério rité? Si nou s a von s pu montrer que les sites tant cé lébrés du local et du global éta ient fait s d'ent ité s e n circu lat io n qui allaient aille urs et vena ient d' ailleurs, pourqu oi n e pas pos tuler que les su bjectivités, les justifications, les pulsions inconscientes, les indi vidualités et les personnal ités circulent elles aussi 11 ? Or, dès qu e nou s soulevons cette qu estion tout à fait é trange mai s in évit abl e, de nouveaux types de pri ses se multipli en t qui perme tte nt de re pre ndre l' enquête. On pourrait les appeler des subjectiveurs, des persannalisateurs ou des individuallsate urs, mais je préfère le terme plus neutre de ptug-ins. merveilleu se mé taphore e mp runtée à notre nouvell e vie s ur le Web. Lorsque vo us atteignez un site du cyberespace. il arrive souvent q ue vous ne voyiez rien appara ître à l'écran, jusqu'au moment où un a vertissement amical vous suggère que vous « ne di spo sez pas des plug-ins requis » ; on vous demande alors de " télécharger » un bo ut de logiciel, qui, une fois installé sur votre système, vOlIS permettra d'activer ce q ue vou s é tiez in ca pa bl e de voir auparavant 1<. Si cet te 2 3. M. ÂU >;R, M. B. PA'VEU , C" ........ nI b "" """n« v;"nt alU!' ......... ( 199 6 ~ Th, Bady MlIkip" (200.1) : C CU""M , « Onool0pc'" (]uJrrography ~ (1 99l5), et M. WINANl."I., « Th ~ "' .t ]JrOtM '" • (2lJ01) ""'.. "" . ob"",. lI.... fllÇ
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m étaphore du plug-in es t pour moi si parlante, c'est parce que la compétence ne vous est plus donnée d'un bloc, mais qu'ell e vous parvient par morceaux et par paq uets d'in formation. Point n' est besoin d'imaginer un hurnain e e n gros " , doté d'intentionnalité, fa isant des calc uls ratio nne ls , se senta nt res po nsa ble de ses fautes, ou angoissé par sa destinée mortelle. Au contraire, vous réalisez que, pour obtenir des acteurs humains " complets " , il faut plutôt les composer à partir de nombreu ses couches successives, dont chac une est e mpiriquement distincte de la suivante. L' acteur compéte nt se compose désormais de pelotes o u, pour emprunter à nouveau la terminologie du cybere space. de patches et d'applets, dont on peut locali ser I'œtgtne préci se grâce à un moteur de recherche avant de les télécharger et de les e re-egistrer un un " . Comme nou s l'avons v u à de nombreuses reprises a u COUl"!i de ce livre, les technologies de l'information nou s permettent de tracer les associations d'IUle façon qui éta it impensable auparavant. Non pa s pa rc e qu' elle s subvertisse nt la vieille société c oncrè te de s « h um ains " , e n n ou s tra nsfor mant e n c yborgs formels ou e n fantôme> e pos thumains JO , mais précisément pour la raison opposée : elles rendent visible ce qui a uparavant n' était présent qu e de faço n virtuelle. À des époq ues plu s reculées, la co mpétence était une affaire assez my stérieu se qui se lai ssai t difficilement tracer ; pour cette ra ison, il fallait la commander, pour ainsi dire, d'un seul tenant e t e n gros. Dès que la compétence se laisse compter e n bauds e t en bytes dans des modems e t des ro uteurs , dès qu ' elle peut être é pluc hée couc he après l'autre, elle s' o uvre a u travail de terrain. Chaqu e pellic ule laisse derrière elle une trace qui dispose d ésormais d'une origine, d'un label , d'un véhicule, d' un circuit, parfoi s même d'une facture, d'un c op yrig ht e t d'un prix 26 . Grâc e aux technique s de ê
awlU1l.Î'
mon.
2S. C.". "",kiptici'~ d oi.. dG , la m~"pl.". de n 'l'i""m"". do..' Th"'._ d..... 10 lis"'. Cf L T1ItVINOT. ~ Whi<;h Rood '" Follow ~ (2002). 26 . La digilll.li.at>,. mar.oi"" de . umb.. ux 'l'pu de docume ... "",,1Tiil u1Jrir t Tud. ur<> ..v.,ch. 1" ,"l ulI"". LlI P "' vre ' ~ de•• ""isli'l''''' disl""'ible. ~ l. fin dl 1I1ll" . il\:;l. n. Jl<"lT"'ui. p" d. valider "" . :tiF "'" d ·un. ~ o!pid~miuDp , • pui.. ~ pui.. . D. " i.. ini.<E'. los f m•• • • 1• • foi" . Cf R. Ronu. .. In/"'"a1ion Po ~ 'ics <>II rht! W, I> (2lJOSJ. Su,I '-iI' d.
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Deuxième mou,",'" ,,'1Il : r~di,
l'information, nou s pouvons comprendre que produire l'équipement d'un humain n'est jamais une question de tout ou rien, mais plutôlle résultat provisoire de tout un assemblage de plug-lns aux provenances les plus diverses. Former un tout réaliste n'est pas un point de départ incontestable, mais la réalisation provisoire d'un as semblage compo site 11. De même que la division du travail par les industries e t les bureaucraties a aidé Durkheim e t Weber à tracer leur propre définition des liens sociaux, les technologies de l'information nous aident à prendre la mesure du travail impliqué dan s la fabrication de l'acteur. Il est maintenant beaucoup plus facile de ne pas le considérer co mm e un sujet doté d'une sorte d'intériorité primordiale, portant son regard sur un monde objectif fait de choses brutes auxquelles il devrait résister ou à partir desquelles il devrait concocter quelqu e brouet symboliq ue. NolIS pouvons désormais observer e mpiriquement comment un corps anonyme et générique est transform é en personne: plus le s offres de subjectivité s'abattent sur vous avec intensité, plus vous obtenez de l'intériorité 111. Les sujets ne sont pas plu s autochtones que les interactions face à fac e. Ils dépendent e ux au ssi d'un flux d'entit és qui leur permettent d'exister. Être un .. acteur JO, c'est se retrouver finalement désign é par un regroupement artificiel et empiriquement traçable: ce qui auparavant n' était vrai que du Léviathan vaut désormais pour c hacun de ses « compo sa nts » individuels. Ce résultat aura plu s tard son importance pour notre définition de la politique. Certains plug-ins se laissent assez facilement tracer: il e n va ainsi de tous ces document s officiels et juridiques qui « vous JO oouv.oux ~ """,•• voU lot CAll.ON, « Lo. mMilodo. d' ana/y'" d •• p ond . """'... . . . l 2OO1 ). 27. PiD.qu.O. H!Jl~",u .Ho w L b . LLofl20001. M.is prnb. It ". don, 00. qu" " qœ .. ~ cOI>;h", IIUlkip.", ct de C"" "IIr.;'n ...iŒi"'l• • ' ow~qu. 10 mi ",... if· F. CUin' de """ difJ....... voir S. Ha..,""uD., .. Porforming Sox.. ud Gon~... in Modic o! ",,,,Œ• • ( l998 l. 28, l'im>leric ~ 'y,"h èr . con'.c" .. ' ~ ' """".., ... li~.. , t choc"". ~ "" coocho' : u"" .... tin.., "" dMi.., • l. briDonco ~ nylon, un . p"',.midi • lx "'fnrtion d. la lumi"". ",,1. , . b.v. .. roux , u"" ou ndu n!ùi " • • d. , CQlI", .. . imi dc ...., .. Camo. d'hahi.1U~ , .. l!aIiu p &m , « M ""U. . ... un. nrnxt1'tixli..tion d. co qui n'-8"m, ..qui, p . l ..' IIlit< .. m.oridl• •.
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d ésignera comme é tant quelqu 'un. Si vous doutez de la capacité de ces humbl es techniques de papier à produire en partie des quasi-sujets , essa yez de vivre dans une grand e vill e europée nne comme un «étranger sans papiers » o u de vou s soustrai re aux griffes du FB I à la s uite d'une erreur d' orthographe dans votre nom. D'aut re s véhicul es, il est vra i, lai ssent une trace si frêle qu' ils sem blent presque immatériel s mai s, si nous ne dévions pas de notre course, nous par viendrons à les suivre quand même: essayez de compter combien de clic hés e n circ ulatio n il vous faut a bsorbe r a vant de dispos er de la com pét e nce nécessair e à l' expression d'une opinion a u sujet d'un film , d'IUle conna issa nce , d 'une di spute o u d 'une po sition politique. S i vo us commencez à sonder l' origine de chacune de vos idiosync ras ies, ne serez-vo us pas capa bles de dépl oyer , là encore, la même forme e n étoile qui vou s obligera à vou s report er sur une multitude de lieux, de perscnn es, d' é poq ues et d'événements q ue vou s aviez complètement oubliés? Telle inflexion de la vo ix, tell e express ion inhabituelle, telle démarche, telle posture, tel s tics, ne peut-on pas les tracer e ux aussi, un à un 19? Et puis il y a la question de vos sentiments. Ne vous ont-ils pas é té donnés ? « Qui saurait aimer s'il n' avait pas lu de roma n, ? " Comment sauriez-vous à quel groupe vous appartenez sa ns tél éch arger constamment certa ins des cl ichés culturels dont tout le monde vou s bombanie '~ ? SaIL'; la lecture avide d'Innombrables magazines de mode, sauriez-vous faire un gâteau, mettre un préservatif, co nso ler votre amante, faire un brushing, défendre vos d roits, ou chci sir les bons vêtements ? Oui , les magazin es sont décid ément bie n util es. Mai s, bien sür, si vou , prenez c haq ue ru briq ue comme I' « express ion » d'une obsc ure force sociale, leur effica cité di.. . paraît. D 'un autre côté, si vo us vous souvenez qu'il n'y a rien au-delà ni e n dessous, qu'il n'y a pas d'arrièremonde du social, alors n' est-il pes juste de dire que toutes ces rubriques composent une partie de votre si précieuse intimité? Nou s avons désormai s une certai ne familiarité avec ce phénomène, qui ne devrait plus appara ître comme un paradoxe : c'est
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29. q. J.e . SC~MlTT, La ,~ i,on al qLli. expliqore l'impoct ~e de .. poy dJ.ol"ll ie e.u&ioruée de L. S. VYtllNU, Mind in Soci"y ( 19 78).
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DeuxièllU' mo,wemenl: redirtribu", le local
précis ément lorsqu e la soc iété dans so n e nsemble disparaît que l'on peut faire pass er au premi er plan tout ce qui ci rcule" en d ehors " et nom; vient " d e l' extéri eur " . À conditio n q ue nou s ajoutio ns un a utre flux , un a utre ci rcuit, à tra vers lequel les plug-ins toumissent a ux acteurs de s outils su pp lémen ta ires - o u i, lit té ral ement, m atériellemen t, d e s s uppléments d ' âme - qui so nt né ce ssaire s à l' interp rétatio n d'une situation donnée l' . Ainsi un supermac h é vo us a-t-il préformaté pour d evenir un consom mat eu r, mai s se ule me nt un consommateur génériq ue. Pour vous trans former e n consom mateu r actif et intelligent, vo us devez a ussi ëtre équ ipé d 'une faculté de calcul et de choix. La soc iolog ie du social ne disposait que de deux so urces pour e xpliquer ces compétences : soit vous étiez né avec ce t é qu ipe me nt qu i fa is ait d e vo us un être humain - co m me s i l ' é volu ti on d a rwini enn e avai t pré adapt é l e s humain s, d epuis l'aube des temps, à fai re du shopping dan s d es supermarchés en optim isant les ca lcu ls de prix - , soit c'éta it l' emprise puissante de quelque infra structure économ iq ue qui faisait de vous un consommateur averti. Mais, avec la nouvell e topographie que nous esquissons, il devient poss ible d'indiquer une a utre source d e com pétence qui se trouve à portée de main: il existe d es plug-ins qui circ ulent et a uxq uels vous pouvez souscrire, que vo us pouvez télécharger en un instant afin d ' œquérir une co mpétence local e et provi soire - comme la carte à puce rechargeabl e de votre téléphone portable. Si vo us co ncevez le s s upe rmarc hés d e ce tte façon, une gamm e d ' outils vert igine use com mence à prendre d u reli e f, chac un d e ces o uti ls vous permettant de fai re des calculs d e façon plus co mpétente . Même lorsqu'Il s'ag it de prendre une déci sion a uss i banale que de choisir un type de jambon en tranche s, vou s avez à votre disposition de s douz aine s d' instruments de me sure qui feront de vous W1 consommateur averti - les é tiquettes, les marq ues, les codes barre, le s c haînes d e pclds et de mesure, les indices , les prix , les journaux d e consommateurs, les conversation s avec d ' autre s chalands, le s publicité s, ete. ll . L ' e ssentiel est
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.11. pou"l""i 10 lIOÛ"" d'bobin... proposé. pli' Bourdi.u, u.., fo is '1"'.u• • " ém ..dp
~'''' 32. f . CocalY, U", soc",,"gi_ do poctagi"l! (2002).
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CmlllIIl'lIl
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que vous maintenez cette c ompétence mentale e t cognitive aussi lon gtemps que v ou s sousc rivez à c e t é qu ipeme nt. Vou s ne l' emportez pa, avec vou , : d ie ne vou , appartient pes- Il be peut qu e VOlI S l' ayez qu elque peu assimilée mai s, mêm e pour parvenir à ce tour de force, il vou s faudra télécharger un autre plug-in ! S i vou , essaye z d e faire un calcul rationn el en vou, tenant à disuuu:e de cet équipemen t - en décidant par e xemple d' acheter Universal Panoramas afin de de venir la World Company - , il se peut q ue vo u, n'ayez rien d 'autre à votre dispositio n pour prendre cette « macro-décision JO que des esü maüœs gros sière s gribouillée, sur le dos d'une enve loppe; vou , n' au rez plu, en votre posse ssion la co mpétence vou s permettant d ' être un tant soit pe u rati onnei l l . Là e ncore, il es t beauc oup plus sensé e t ré ali ste de co ntou rner le s d eux s ite s qu e son t le s forces du marché et l' agent individu el. Le, fac ultés cognitive, ne résident pas «en nou s JO, mai, elles se tro u vent di stribu ée s à trav ers l' environn ement format é, qui n ' est pa s seulement con sti tué d e loc ali sateurs mai s aussi d e nombreuse s propositions c apables de produire, su r le tas, de s c ompétence s grâce à de n ombreuse s petites technologie s int ellectuelles " . Bien qu ' di es nou s viennent d u d ehors , elles ne sont pas dérivée, de qu elque my st érieux contexte : c hac une d'entre elles a IUle hi stoire que l' rn peut tracer empiriquement, avec plu, o u moins de difficulté . Chaque patch arriv e avec son propre
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DeuxièlN' mOUH'IIIenl : redirtribul'r le local
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M ~ rcel
Une sorte de révélation me vint li. l'hô pital. J'é taïs malade li. New Yorx . Je me demandais où j'avais déjà vu des demoiselles marcltant ccmrœ mes tnnrm eres. l'avais le te~ s d'y n!fléchir. Je trouvai enfin que c'était au cinéma. Revenu en France, je remarquai, surtout à Paris, la tréquenœ de cette démarche ; les jeunes filles étaient françaises et elles marchaient auss; de cette façon. En fait, le s modes de marche américaine, grâce au cinéma, comrrençae nt à arriver chez nous. C'était une idée que je pouvais généraliser. La posioon des bras, celle des mains pendant qu'on marche forment une idiosyncrasie sociale, et non simplement un produitde je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presque entièrement psychiques. E xe mple : je crois pouvoir reconnaltre aussi une jeune fille qui a été élevée au couvent. Elle marche, généralement, les poings fermés. El je me souviens encore de mon protesseor de troisième m'interpellant: "Espèce d'animal, tu vas tout le temps tes grandes mains ouvertes l" Donc il extste également une éducation de la marche. ,. Marcel Mauss, « Les techniques du «
ccrrs » (1936) .
véhicu le, dont on peut cartographier la forme, le coû t et la circulation - co mme l'ors si bien montré les hi storiens de la comptabilité, les anthropologues e t le s psychologues cognitivis tes . S'il y a qu elque c hose q ui ne se trouve pas " dan s s I'agem, ce sont bien ces nombreu se s couches d e g én éra eu rs d e compétence q u' il nou s faut sam ce sse télécharger afi n d'acquérir provi soirement une sorte d e frag ile fa culté d ' a gi r. Voilà ce qui dev rait être l'avan tage d'un paysage aussi aplati : lorsque j'avance une telle affirmation, cela ne veut plus dire qu' il me faut recourir à l' autre solution, symét riq ue. et dire que, «bien sûr », c'e st un " co ntexte social » q ui le, fait tenir. Au contra ire, dire q u'elles circ ulent à tra vers leu rs propres co ndu it, signifie qu' elle, ne v iennent plu, ni du co ntexte, ni de la subjectivité de l' acteur, ni, en l' occurrence , d'un astucieux compromis e ntre les deux. Mais qu' en est- il de moi, de moi-même, e nfin de mon ego? Ne suis-je pt" a u fond d e mon cœ ur, dam; le s circonvol utions d e mon cerveau, dans le sanct uaire de mon â me, dan, la vivacité d e
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C<>mmelll retracer tl'Ji lll
mon esp rit, un " individu " ? Bien sûr qu e j ' en s uis un , mai s seulemen t à part ir du moment où j' ai é té individualis é, spiritualisé , int ériorisé. fi e st v rai qu e la circ ulation d e ces " subjectiveteu rs " s'avère so uvent diffi cile à tracer. Mai s, si vou s partez à leur recherc he, vous le s trouverez partout : des flot s, de s pluie s, de s essaim s de ce qu 'on pourrait appeler de s psychomo rpiles, dans la me sure où ils vo us donnent littéralemen t la fo rme d'un psychisme. Considé rez par exemple le s convers ations amoureu ses . Si vo us doutez d e l' e ffic acité de ce genre de tran sport, faites l' expérience : essayez un peu d e vivre sam; d ies et voyez avec quelle rapidité ce « vou s » - oui, le « vou s » primordial - dépérira ". Non, décidément, il n'y a pa s jusqu' à l' amour - l'amour s urtout - qui ne puisse ê tre conç u c omme ce qui provient de l' e xtérieur, c omme ce présent miracul eux qui vous fait le don d 'une précieu se int éri ori té. Et c'e st bien d e toute év idence cet te façon d e survenir d e l' extérieur comme un don imméri té qui est c ons ta mme nt repris d ans le s poème s, le s chansons et le s tableaux, pour ne pa s parl er du cortège ininterromp u d'anges, de chérubins, de putti, de flèche s e t de c arquois don t l' existence objec tive - oui, objective - doit elle aussi ê tre prise e n compt e. Même l' amour doit avoir so n propre véhicul e, se s techniqu es spécifiques , ses circ uits , ses éq uipements, tout autant qu'une salle de marché, un quartier général ou une usine. Bien sûr, le médium sera différent, de même que la nature de ce qui est transporté, mas la forme générale abstraite sera la même - e t c'e st cette forme purement thé oriqu e que je souhaite pour l' instant sai sir. Po ur reconfigurer e ntièrement les fro ntières e ntre la sociologie et la psychologie, il n'y a qu 'une solution : faire venir de l' extérieur chaque entité qui habitait aupara vant l' ancienne inté riorité , n on p as c o mme une c o ntr ain te n égat iv e " limitant la subjec tivité ", mais comme un offre positive de subjectivation liI . Dès q ue nous procédon s de la MX1e, ce q ui était jusq u' ici un ac te ur , un participant , une personne , un individu - 1"'" .1 5. n oxis« ' '"' co
">j<" un oorpur; lil' ....'" ",,""in' lIIIIis , ip>ific,d. Œ!",is l"ouvr~o
cl.... qoo do D. Œ Rooo>MCM" (L'o" ' ''' '' I"lkcid-nt \1972 ))j0"l0't
M i ll< ""'-nari", ( 19 86 ~ 36. ~ , d mli.
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DeuxièlN' m",..."",enr : redis:ri""", le local
importe so n n om - prend la forme en étoile que n ous avens déjà observée lorsqu e nou s avons relocalis é le global e t redistribué le local. Il faut a ssembler un grand nombre d e formel> d ' existence pour qu 'un a ct eur de vienne tantôt un individ u, un e person ne, tant ôt un pion, une non-entité. Chaque compéten ce logée dans le s tréfonds silencieux de votre intériorité doit d ' abon:l provenir de l' e xtérieur, avant de se sédimenter lentement dans une c ave soigne usemen t c onstruite, don t les portes doivent ê tre scru puleusement scell ées l'l. Rien de tout cela ne constitue un don né. Les int ériorités sent constru ites d 'une façon tout au ssi com pl iq uée que la c ha mb re d 'Horus placée au cœ ur de la p yram ide d e Chéops. La vieille devi se empiriste n' était pas si déplacée: nihil est in intel/eclu, quod non sù ptius in sensu (l'esprit ne conçoit ri en qui ne se trou ve auparavant dans les se ns), même s' il faut e n modifi er quelque peu le sens, j ustement : un s ujet ne possède r ie n qui n e lui a it d ' a bord été do n né. D'une certa in e fa ço n, n' e st-ce pas là la plus anc ienne intuition de s scie nce s sociales : « N ' avons-nou s pa s été façonn és d e lextérieur " » Seulement voilà, dan s ce tte questi on é nigmat ique , tout dépend ce qu' on en ten d par le terme apparemment innocent d'« e xtérieur » .
Des acte u rs a ux a tta cheme nts N' avons pas subrepticement dérivé de Charybde en Scylla ? Qu e veut-on dir e en affirmant que tout ce qui individu alise, ce qu e j'ai appelé les psychomorph es, v ient d e l' extéri eur ? Ai-je combatt u si farouchement la dichotomie globalllocal pour finir par la ré instaurer sous sa forme la plus anc ienne : l' opposition rebattue entre l'Intériorité et l' extériorité? Quel immense pas en
p. l. !hm.. pk.. d _ d. la" moll "" MJj. ... Malf;'" co '" '•• dit FOIr wl~ 1", doux .on' p"",ll~ ". , . , non çon""diçtoi",• . Mai. a""un d•••• OUVnlI " B' a ~ plu d>! 1• • ço",,"" . ",ç"",,"vu d ·~'I" ip<mo'"'. Mo. ...."' . mi.ux ",. "'. H i" o iu th la ux... lili (1 9 8-1).
H. DuA ""im a IIlOIIItII! ""mm." to""" 1• • çotél ori", lor;iqu• ••, l''',,,,o,,,,n•• d. l"ir"Lériori" ~ .. i"" d ' u ~ façon ou d ' u ~ a""" la """"cûon ., l'irl..riorisaO:on do ['o1tb riori.. . Mai. o•• prl. t .,11 Sba. lor;io ot la >OÇ.,Io~ • . pu,;o '" do çomJllU"', "" "" l"in~ l• • d.... ",,,,,,• • d. la ooç;olo~. , G . T .umo; IL! l oS i~ .. ,oci. l. ( 189) )) " E. OU<J<>!H " .. M. M""" , « De '1""I'lu", formol prlmitivu do d .... fk.i Oll • ({l9Œ ] 1% 81.
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Cmllmelll "'tracer /'" lll
arrière: retom ber sur le fonds de commerce qui alimen te la dispute e n tre la psychol ogie e t la soc iologie! Est-ce qu e n ous voulons vraiment revenir à l' époque où les acteurs étai ent con sid érés com me a utant d es marionn ett es, manipul ées malgré elles par autant de ficelles invisible s? À qu oi bon no us être débarrassés de s structures globale s e t de s interactions fa ce à face si c'est pour noyer la subjectivité la plus intime dam de s champs de forces anonyme s ? L' ac tion sans ac teurs! La subjectivité sans sujets! Retour aux glorieuses an nées 1960 ! Qu'aurions-rous à y gagn er? Eh bien, c'est précisément là q ue la sociologie de l' acteur-ré seau peut se révéler avantageuse. À force d ' aplatir le pay sage socia l, comme j e vie ns de le faire, la significa tion de l'e xtériorité e lle-même a be aucoup c ha ngé : elle n' e s t p lus constituée par la société - ni , rappelons-le, par la nature. En se d ébarrassant à la Jois d'un e subj ectivité in sai sis sabl e et d 'une struct ure inassignabl e. il d evi ent peut-être pos sibl e , e nfin, d e mettre au premier plan le flux des autres conduits, plus subtils, qui nou s permettent de devenir de s individus et d ' acqu érir une intéri orité " . Lorsq ue l'on suit ces espèces de médiateurs " p orte-suje t " ou psychomorpbes, la difficulté vi ent du fait qu e, da ns la mesure o ù ils provi enn ent de l ' " extérieur :0, il s semblen t t ra nsporter le s mêm es types de contraintes qu e celles que le s sociologues du social attribuaient à leu r définition de la sociéré " . Et en effet, ét ant donné ce qu ' ils e ntende nt p ar e e xtériorité » , à savoir la force c ontra ignante du contexte ou la détermination c ausale de la nature, il n 'y avait pas la moindre c hance pour q ue Cel> média tien s puissent d époser q uoi q ue ce soit d e posi1iJ à l'Int érieur d e l' acteur. Les force s structurelles devaient faire le gro s du travail - à qu elques ajustements marginaux prè s, lai ssé s aux indi vidu s. Dans leur thé orie fan tas tique de l'action, c'était la se ule façon qu e le s soc iologues avai en t imaginée p our qu e la ficelle du marionn ettiste pui sse a ctiv er la marionn ette. Mai s nou s n' avons plus a ucune raison de nous lai sser intimider par cette
difJ"',.".
.18. Ave, son ouvraB" , 0 Iroi. yolu""", '0' 1<. typo. de ' p ~ "" , Pe.", S Io.,... d~ k D"'" ofb, one m.!ujil... ~ la foi . J'Ii """" , t Dovlùrioe poor kb'l'P'" ~ la didlotomie in."'ieor/, ntri...,. q. P. SLOTEIlD~" &""".. SiN'" /// (2l)Q'i). 39. Voir l, . tnv wx m UDIeBint d u "qu' . illilil! . pu A. _N. i'U.llT_ClHJ.«lH'r, Ln ~ "" " T1IC ri "" M l'iII ul~pnc< dolU l 'ilUuoclion loc iol. (1979) , . ... i <1'" 50 dol lieD qu' fail Pi '-8'" ....., la .héorie soci ~ et l'épistémol"llie.
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étrange façon de concevoir l' importation d'une force e xtérie ure, puisqu e nou s avons dé celé deu x e rreurs success ives dans la notion d e sociologie du social : un , la définitio n de la ca use ; d eux, le véhiculequi devait tran sporter l' e ffet. Nou s avons également appris à corriger ce, de ux erreurs : n ou s savons qu e le, médiateurs ne so nt pa, de, causes et que, sans transformations ou traduc tions , un véhic ule ne saurait transporter aucun effet. La rel ation e ntre le s marionne ttiste s e t leu rs marionnettes est beaucoup plus ,li>tile": le loog des ficelle>, il se passe q uelq ue chose qui permet aux mari onnette s de bouger. La stérile divisiœt du trava il entre la psychologie et la sociologie peut co mmencer à se modifier une foi , qu ' on a di ssou s la défini tioo de 1'« extériurité » et qu' on l'a remplacée par la circulation des plug-ins . Si aucun d' entre e ux ne dispose d'un pouvoir de dé termination, il s peu vent e n reva nc he fai re fa ire q uelq ue c hose à q uelqu' un. Nou s sommes désormais e n me sure de réunir ces deux points et de reconfig urer de fond en combre la notion d ' extériori té: l'" extérieur » n'est plus s itué au même endro it et so n influe nce s'exerce à travers une thé orie de l'action totalement différente. L' extériorité n' e s t pas un contexte « fait de ,. force, sociales et il ne « détermine » pa, l' intério rité. La conséquence la plu, calamiteuse de la notion de contexte vena it de ce qu ' elle nous o bligea it à a do p ter un systè me d e co mptabilité à double entrée, de telle sorte que tout ce qui prove nait de l'extérieur était déduit de la somme totale d'ac tion ass ignée aux agents et à leur « intériurité ,.. La conclusion de ce bilan comptable était inévitable: plus vou, ajoutiez de m s vou,faisant agir de l' extérieu r, mo iru vou, a gissiez vous-même. Et, si vou, so uh aitiez, pou r qu elque raiso n mo rale o u pol iti que , sauver l'intention, l'initiative et la créativité de t'acteur, la seule faço n de faire consistait à acc roître la somme totale d' action e n p rovenance de l'intérieur e n coupant certains fils, refu sant ainsi tout rôle à ce qui était perçu com me a utant d e « c haîne, ,., d e «contrai nte, ex térie ure, ,., de .. limi tes à la llbert é », etc . Soit vo u, étiez un sujet lib re, soit vo u, v iviez dans un ass ujettissemen t abject. Et, bien évidemment, les socio logue, critiq ues ont renforcé cette tend ance puisqu 'ils ne pouvaient pas parle r de 40. VoU- ml< p. 8~ . ... i~. B. tAKUl • F• .,.,,-oIFJO""-" D. l. D,tiœ d • • &.ea~ coU. d'.,,,,bo,,,,, .. . (20001.
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« force exté rieure JO du s ocial, si ce n' est e n se c omp laisa nt à dénoncer le s «contraintes é troites JO que le « poids anon yme de la sociét é JO faisait subir à la « liberté individu elle JO . Mai s c et étrange paysage n'a plu s d e raison de nous déprimer. L' ex tériorité ne ressemble jamais à ce véritable désert de Gobi qu' avaient inv enté le s s oc io log ues du co ntex te, pa s plu s qu ' elle n' e st s im p le me nt peuplée de faits indiscutable s. L'intéri orité ne resse mble jamai s à un sanc tua ire re culé e ntouré par le s ea ux glacées d es forces sociales , comme une île déserte e ncerclée par de s requins a ffamés "'. L'i ntérieur et l'extérie ur, co mme le haut et le ba s, sont de s résultats et non des causes ; le travail du soc iologue ne co ns iste pa s à leur fix er de s limite s à l' avance 42. La différence e ntre le s deux théorie s ne tient pas seulement au nombre d'attachements, mais aussi à la théorie de l'ac tion qui relie ces attac hes . Nou s avons déjà v u q ue si la métaphore de s mari onnettes n' était pas appropriée, ce n' e st pas parc e qu ' ell es éta ient activée s par de nombreu se s fi celles tenu e s d 'une main fe rme par de s m ari onn ettist e s, mai s en raison d e l' argument improbable selon lequel ces ficelles ne faisaient que répercuter la domination sans aucune traduction. Bien sûr que le s marionnette s sont so umises à dei; attac hements! Mai s cela ne sig nifie e n a ucun cas que, pour les affranchir, il faud rait co uper toute s le s corde s... La seule façon de « libérer » les marionnette s cons iste, pour le marionnetti ste, à être un bon marionnettiste. De la même faç on, ce n'es t pas le nombre de connexions qu'il n ous faut diminuer pou r atteindre final ement le sanctuaire de la subjectivité . Au co ntra ire, com me William Jamesl'a magnifiquement démontré, c' e st en multi pliant le s co nnexio ns avec l' ext érieur que l' o n a une chance de comprendre la faço n dont not re intériorité a été co nstituée ' .1. Il vo us faut souscrire à un grand nombre de subjecriveurs pour de venir un sujet, vo us de vez télécharger bien de s individualisateurs pour devenir un indi vidu - de la même façon qu 'il nous fallait, au c ha pitre précé den t, un gra nd nombre de
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4 1. 0 dtpl ""....... vi. .. ",mplA!la , Ln COlI .... gion d<, i,*,,, ( 1996). 4 3. l ' oU\'JJIg' cl."i~ . "" c. p oc. . .... d· • • x1& iOl intio o • ","""",. W. 1.MES. Trail! th p , ycho/qji< (2lXl3).
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localisateurs pour obtenir un lieu singu lier, e t un grand nombre d'oli gopuqu es pour arriver à fair e d'un site le c on te xte qui .. œ mi nait » d ' autres sites. Ce n' est qu e lors qu ' on parvient à ign orer complètement l' alternative entre l'acteur et le système - attention: j e ne di s pa s dépasser, réconcilier ou résoudre mai s bien ignorer - que l'objet le plus important de la sociologie se laisse enfin discerner. Tell e a é té la plus grande contribution de Tarde, à la fois con tre l' organicisme d e Spencer et la société d e Durkheim. Il a clairement énoncé l' obligation , pour le sociolog ue, d e faire naître une intra-psycholog ie à travers les nombreu ses médiation s offertes par l' inter-psychologie, celle-ci étant conçue comme la tête de pont de celle-là ". Nous ne parvenons à un e intra-psychisrœ » qu' en é tablissant des relations avec beauc oup d' .. e xtrapsychi sm es " , o u ce q ue l ' on pourrait a ppeler d es substance s gén ératric es d' esprit, d es psycho -tropes, o u e ncore - pour emp loyer une autre express ion désignant le s entités génératrice s d' âme - de s psycho-gêner . &1 t &noi. ~ e r
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comme un figurant provisoire. Si ce terme laisse à désirer, ce n ' est pas parce qu'il se réfère aux humains - nou s avons appris à ignorer c ette limite - mai s parce qu 'il désigne une source d 'initiative o u un point de départ , en tout cas l'origine d 'un vecteur orienté vers une fin. Bien entendu, lorsque la sociologie du social était dominante, il était important d'In sister sur le, acteurs, l' activité, l'initiative, l'interprétation, l'improvisation, la justification. les interactions, et ainsi de suite, parce que la seule activité que le contexte rendait possible était celle d 'une cau se à la recherche de c onséquence s, d 'un médiateur c herc ha nt de s interm édiaires passifs pour répercuter fidèlement se, force , propres. Mais tel n'est plus le cas avec la sociologie de l'acteurréseau: la théorie de l'action elle-même est différente, puisque nous nous intéressons maintenant à des médiateursfrusant faire des c ho ses à d 'autres médiateurs. .. Faire faire » n' est pa, la même chose que .. ca user » o u « faire » : l'expression recèle en son sein une dupli cation, une dislocation. une traduction qui modifient d'un coup tout l'argument. Il était auparavant impossible de relier un acteur à ce qui le faisait agir, sans être accusé de le e domiœr », le« limiœr » ouI' .. asservir » . Ce n'est plus le ca s. Plus il a d'attachements, plus il edste ; plus il y a de médiateurs. mieux c'est ~ . C'est l'acteur, qui est rest é jusqu'à pré sent un point, un atome , une source, qu'il faut d ésormais aplatir et obliger à prendre lui aussi la même forme en étoile. Comment nommer ce nouvel é lé me n t « aplati » et « redistribu é » H ? Ce qui e s t .. amené à agir » ; ce dont le .. d éclenchement décl enche l'action 'Il ,.? Pourquoi ne pas parler d'acteur-réseau? Je sais que cette expression demeure étra nge parce qu' elle pourrait tout aussi bien désigner l'opposé, à savoir une solution au dilemme acteur/système que nou s venons de rejeter. Mais l' expression e st déjà prête à l'emploi, e t, après tout, elle n' est pas si mal c onç ue : 4 7. An d ... " u••,'''-', Un ... dé,; I ....' .. que f iii . ...y~ do "';';r • • ,• .,,,,,,-,,,,, ~ 1·.xp....ioD do fOrl"". ~ liIiO:d1. ~. B. LArou.. P, li u " Jluirn (19 96 ). Cf li. QOMAU ", A. H>.! "'b1..) (voi.- AJ. Go.llMA<'A. J. « J. ÜltJJ.Y1.s ( 1 979 ~ Sbniotiq.. ( ) 9 79~ ai",i ",. "os los roçhon:b", do J)ucrot. UD f...iU._1!'" fooillO bie. q... seul.me'" b ,;tB" iq... du ~me prnb)l,me d_ Jo !IOCiolor;ie pro' , 'inspirer ave<: "" _ ..... prof• . O. l:XJçRo'r, IL Ji" .. 1. dis (1984). 49. q . F. J]JUJ>.N, Trou• .. r'Jfi=iII (19\l!i ).
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DeuxièlN' m OUH'm enr :
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le local
un acteur-réseau es t ains i ce qui est amené à agir par un va ste réseau étoilé de m édiateu rs qui le traversent. Il doit son exis tence à ses nombreux liens: les attac hes sont premi ère s, les acte urs viennent en second. Cert es, une telle expression sent le .. sociologi sme », mai s seu lement dans la me sure où nous attachons tro p d'importance à 1'« être » et pa s assez à 1'« avo ir ». Comme Tarde l'a souligné il y a longtemps, la famille du verbe « avoir" e st beauc oup plus riche que la famille du verbe" ê tre " parce que, av ec c ette d erni ère, vou s ne connaissez ni le s fro ntières , ni la direction: posséd er e st au ssi être pcsséd é ; être attaché signifie à la fois tenir et être tenu ~ . La possession et tous ses synonyme s sont de s express ions tout à fait appropriées pour redéfin ir ce que se rait une .. marionnette soci ale JO . Les fice lles so nt touj ours là, mais elles véhiculent de l' autonomie ou de J'ass ujettissemen t e n fonction d e la /açon do nt d ies scot tenues " . À partir de maint enant , lo rsqu e nou s parl eron s d' ac teur, n ou s d ev ron s tou jours ajouter le vaste ré seau d ' attaches le faisant ag ir. Quant à l' éman cipatio n, e lle ne sign ifie pa s « affranch i de s liens », mai s bien attaché . En dépit des critiques que j ' ai adressées à la notion de soc iété - par oppositio n à ce q ue j'appelle le collectif - , une solution plu s rad icale e nco re co nsiste rai t à co ns idérer ce s fa isceaux d'acteu rs-ré seaux de la même façon que Whitehead considé rai t le terme de « société ». Pour lui, le s soci étés ne sont pa s l' assemblage de liens sociaux - c omme Durkheim ou We ber pouvai ent le s imaginer - mai s de s fa isceau x d' entité s compos ites qu i persistent dans le temps et dan s I'espace". Pour reprendre se s propr es term es, une société a besoin d e nouvell e s associat ions so. • To.. . III p ükl sq>hi.. . . . .. f..db< .in",,·ici ... 1< V""'" bu. 0010. la Mfmin. . ""mM.il la pion . phi l<>'''I'hil<. décOU\'ric. OD l'''U' affi"""c q"".•1. 11< . ok ~ f..dé• ...,-1. _ ho  v"; , . bim d ", d ~ &'11<•• b im d ", pill iœm " d. r "'P0 ...,-plllco a..,aioDl .11 ..i ll•. Do œ prillCi(>< j< impoosilt. (i, déœ..it IJ.. " Ill< III .uŒilit< (i, Il Jo D'~Illi Oll d. Jo Ualilo! <:ulli<"",. du JroIId. , Dili" ..,"" .xi""De' '1'" Jo Mai. 1"'''''' d'abor d co 1""",,10< : ''J" ai" COOII"" bi' furlda""'D.I, l'," « l'oy"'" """ do""• • ~ la fo ;" corn m< iD" p.n lt... . G. TuN., Monadologi' " . œio iJgi, ( 1999 1 1 89SJ~ p. 86. SI. Tan!. ' De"'" , .. UD ...... U d'au<&Ol pl... iDdiviih:1, d 'au<.., pl 1, 'l'''il . u pl... riCI>< ' D dé" <miDaO:ons nwl.û pl.... \'licite., impossibl<•• p"voit fomwl8 . V..O D. DEAH ' H, « Un op<œlo
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p our persister dans son être. Et, bie n e n te ndu, un tel tra vail requiert le recrutement, la mobilisation, l'enrégimenterœnt e t la traduction de bien d' autres associations - et peut-être de tout l'univers . Si cette définition généralisée des soc iétés est saisissante, c 'est parce qu' elle reconflg ure entièrement le sens de la subjectivité et de l'objectiv ité : un sujet, c 'est ce qui est présent ; un objet, ce qui était pré sent. De telle sorte que tout assemblage payant le prix de so n e xistence dans la devi se forte de la mobilisation et de l' extension e st, o u plutôt a une subjectivité. Cela est vrai d 'un corps, d'un e in stitution , et même d 'un événe ment historique, toute s choses qui so nt pour Whitehead de s « orga nisme s » . La su bjectiv ité n' e st pa s un e p ropri ét é d e s â mes humaines mais du fait même d' être rassemblé - à supposer que le rassemblement perd ure, bien sûr , Si nous pou vions adopter cette si gnification très étend ue du terme .. société JO, alors nous serio ns à nouveau en mesure de comprendre ce que Tarde avait à l' e sprit lorsqu'il disait « que toute chose e st une société, que tout phénomène est un fait social ' 1 » .
Troisième mouvement Connecter les sites
il faudrait repre ndre la fable du lièvre et d u tortue pour en faire celle du lièvre et du termite ... Le premier personnage saute, court, bondit, dort, se ré veille e t fait des cabrioles, sûr qu'il est de gagner la course et de remporter le prix ; l'autre ne dort jamais, chemine sans cesse, mâcbonnant tout d u long, ne s" a utori se a ucune pa use et conti nue de creuser d e minu scul es galeries qu 'il parcourt dans tou s les sens et dont les paroi s ne sont rie n d'autre qu 'un mélange de glaise et de salive. Et pourtant, n' est-il pas rais onnable de dire que le termite, au grand dam du lièvre, va gagner '1 En nous e n tenant obstinément à la noti on d'un paysag e plat et e n nou s don nant des pri ses chaqu e fois qu e se fait sentir la tentation de donner du volume a u social, nou s avons mi s en lumière des type s de connexions dont l'existence se dérobait j usque-là au regard - même si tout le monde sentait qu 'il fallait bi en qu' elles e xis tent. En refusa nt de rej oindre le contexte d'un bond, de nous enfermer dans le local ou d' occuper toute position intermédiaire, noire compte re nd u n' est-il pas e n train de restituer une vi sion d u social rarement v ue a uparavant ? Dans l'introduction de la seconde parti e, nou s avons vu que l' alternance abrupte entre le niveau micro et le niveau macro, l'ac teur e t le système, n'é tait pas une carac téristique centrale de la soc iologie, mais plutôt l'omb re que le corps politique projetait sur la notion de sociét é. C'est pour écarter ce pi ège q ue nou s avons imaginé deux solutions pour mettre un terme à l'impulsion D
ÉCIIJÉMENT,
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C""'IIIt'IIlIY'lraœr II'X <J.«ocialiollS ?
qui déportait l' observateur so it de l' interac tion loc ale vers le global, soit de la structure abstraite vers la pratique située . Le premier déplacement replaçait le global, le contextuel et le structurel à l'intéri eur de site; con finés, nou s permettant ainsi d' ide ntifier les circulations à dooble sens qui permettent à ces sites de se rendre importants pour d' autres sites . Le second mouvement transformait c haque site en terminus pro visoire d'autres sites distribués dans le temps et dans l'es pace, c haque localité devenant ai nsi la résultante de formes d' exist ence ag issant à distance. À plusieu rs repnses. Te lecteur a été préve nu : ce n' est q ue lorsque ces deux exercices de gymnas tique corrective eurent été pratiqués avec ass iduité qu 'un troi sième phénomène apparaîtra, le seul qui mérite les effo rts d'abstraction que nous avons d û faire jusqu 'ici. Il est temps pour le termite de venir décroc her sa récompense. Que se passe-t-il lorsque nous pratiquon s les deux gestes - localiser le globa l et distribuer le local - simultanément? Chaq ue fo is qu'il faudra établir une conne xion, nous devrons d'abord établir un nouveau conduit pour qu'il transporte un nouveau type d' entités qui devront circuler « à I'mr érieur » de; canaux, transportant , si l' on peut dl re. fe « ërrrenstonnerœm » d' autres lieux. Dès q u' un site prétendra porter sur un a utre site, il aura besoin d'un moyen de transport pour véhiculer ces moyens d' action sur toute la di stance à parcourir ; pour contin uer à ag ir, il faudra qu 'il maintienne une connexion plu s ou moins durable. Inversement, c h aq ue lieu pour ra ê tre cons idérée co m me le ter m ina l de nombreu x moyen s de trans po rt, l e ca rrefo ur de nom breu x cond uits, le dépôt provi soire d'un grand nombre de véhicules. Transformés pour de bon en acteurs -ré seaux. les localités passent main tenan t à J'arrière-plan : ce sont les chem in>, les moyen s de transport et les connexions qui occ upe nt le premier plan. Nous nous retrouvons devant une superpos ition de différe nts types de liai sons, tout aussi e ntremê lés et d ive rsifiés que ce ux q u' un a natomiste pourrait voir e n coloriant simulta néme nt tous le s cond uits ne rv eux, veineux, lymphatiques e t hormon aux qui mairnierment I'organisme vivant. « Réseaux admi rables » (retia mirabilia) es t l'expression que les hist ologistes emploient pour décrire ces formes e xtraordinaires ré vélées par le microscope. Le soc ial ne semble-t-il pas, désormais, a ussi adm irable q ue le corps humain ? La sc ie nce sociale ne pourrai t-elle pas, com me la
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Tr oisièm e lIIOuwmelll: cr>llllt'Cler [1« »tes
philosophi e c hez Whitehead, non seulement commencer mais aussifinir par l'étonnement? Il est clair, je l' espère, q ue cet a platisse ment volontaire ne sig nifie pas q ue le mond e des acteurs se trouve lui -même aplati. Au contraire, ils di sposent final ement d' assez d' e space pour déployer leurs propre s opérations contrad ictoires : le changement d' échelle, le zoom, l'enchâssement, la " mise e n panorama JO, l'individualisation, e tc . La métaphore du monde pl at n' était qu 'une façon pour les observateurs de ne pas confondre leur travail avec le labeur de ceux q u' ils suivaient. Si le sociologu e se charge de décider à l' avance et a priori de l' échelle dan s laqu elle s'inscrive nt tous les acteurs, alors l'essentiel du travail qu'ils doivent faire afin d' élablir des connexions va se dérober au regard ; ce n' est qu' en se forçant à parcourir un espace sans rupture que l' observateur POWTa détect er d e nregistrer l' activité nécessaire pour e ngendrer des différences de taill e. Si la métaphore géograph ique est désormai s un peu usée, la mét aphore comptable fera tout aussi bien l'affaire - même si j'en ai peutêtre déjà trop abusé. Il va devenir poss ible de s'acquitter intégrale me nt des coû ts de tra nsact ion encourus pour déplacer, connecter et assembler le social, et de rési ster à la tentation de croire qu e la mise à l'échelle, l' emboîtement et l'effet de zoom s'obtiennent sans dépenser d ' én ergie, sans recruter d' aut re s entité s, sans établir de connexions coûteuses. Quelles que soient les métaphores, leur rôle consiste seulement à nous aider à compenser le poids de l'inertie sociale : elles ne font partie, rappelons -le, que de noire in fralangag e. Une foi s e ncore, tout se pas se comme si la sociologie de l'acteur-réseau ne situait pa s la théorie au même niveau que les sociolog ues du social. Ce que ces derniers appellent théorie, c'est une vis ion pos itive, subs tantielle e t synthétique des compos ants du soc ial - e t il arri ve souven t que ces co mptes rendu s so ient d'une grande force suggestive. Avec la sociologie de l' acteur-réseau , nou s pousson s la théorie à un niveau supérieur d' abstraction: elle devient une grille négative, vide, relativiste, qui nou s permet de ne pa s synthétiser les composants du social à la pl ace de l'ac teur. Dans la mesure o ü elle n' est j amai s substantielle, elle ne possède jamais la puissance e xplicative des autres type s de comptes rendus, mais, précisément, tout est là : les explications sociales sont d e no s jours deve n ues tr op co mpactes, trop
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C<>mmelll re/racer les a."'''Ôali""s?
automatiques ; elle s semblent avoir dépassé, e t de loin, leur date de péremption - le s e xplic ations c ritiques depuis plus longtemps e ncore. On a e mballé tell ement d 'ingrédients d ans le s notion s d e société, d 'indi vidu, d e co gnit io n. de marché, d' empire, de structure, d' interactions face à face, qu'il est devenu a uss i impossible de le s d éball er que de li re le s centaines d e milliers de ligne s de codes qui corœosenr le sys tème d'exploitation d'un ordinateur - sans parler de le réécrire ! C'es t pourquoi nous devon s nous a ssurer que toute s le s e ntités ont bien été redistribué e s, d émêlées et, si l' on peut dire, " dé -socialisées " - au sens du socia l n" 1 - afin que l'on puisse entreprendre pour de bon le travail qui consistera plus tard à les réassembler de nouveau - au sens du social n" 2. L'intérê t de cette gy mnastiqu e, c'est de faire passer le lecteur, pour continuer le s métaphores péd estre s, d e l 'automobile à la march e à pied : o ui, e n e ffet, nou s devons réapprendre à mettre un pied devant l' autre, et recommencer ... sans jamais être autorisés à sauter ou à co urir, sans nou s lai sser prendre en douce en auto -stop. et cela jusqu'au bout ! Je tâcherai de montrer dans la conclusion pourqu oi cette habitude de procéder pas à pas re vêt une importance particulière non seulement pour la science, mai s a ussi pour la politique. No us so mmes maint en ant e n posit io n d 'abo rde r troi s nouvelles que stions : 1°) la première consiste à d étecter le type de connecte urs qui permettent de convoyer de s forme s d'existence su r de grandes di stanc e s e t à compre ndre pourquoi il s formatent le soc ial de façon si e fficace; 2°) la deuxième qu estion porte sur la natu re de s actants ainsi transporté s et nou s incite à donner un sens plus préci s à la notion de médiateur que j 'ai utilisée jusqu' ici ; e nfi n, 3°) si l' argu men t concerna nt le s co nne xions et le s connec te urs es t ju ste , il de vrai t ê tre possible d' affronter une conséq ue nce logique qui n' aura pas manqu é d 'intriguer le lecteur: Qu 'e st-ce qui se tient entre ces connexions? Qudle e st l ' étendue de n otre ignorance au s ujet du social? En d ' autre s terme s, quelle est l' étendue de la terra incognito que no s cartes de vront laisser vierge?
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Tr oisième lIIOuvemelll : cr>llllt'Cle r /1« »IeS
Des n orm al i\ a tions a UI> énoncés culleci a nts Après nous être trop so uvent lam ent és du fait qu e le rodai d es sociolo gues était si mal e mballé, q u' il n ' était p a s possible d'In specter sa compcs ltiun. de vé rifie r la fra jcheur de ses ingré di en ts , il es t temp s de co ns id érer po sitivement le s efforts d éploy és jusq u'je t par les sciences humaine s p ou r rendre le soc ial reconnaissable. Mais, avan t d'aller plus loin, procédons à un petit te st p our voir si nous sommes ca pables d ' abord er un s ujet impliquan t d e toute évidence la notion d'éc helle, .ian s préju ger nous-mêmes des dimen sions respectives d ' aucun de s agents situés le long de la chaîne. Cela nou s permettra de vérifier si l' agilité que nous avons acquise par nos e xe rcices nous donne maintenant assez de soup lesse pour éviter le local autant qu e le global. Considérez par ex emple une série d e photos qui représent ent un e é lectrice, appe lon s-la Alic e, depuis le moment où elle M: prépare à aller vo ter aux éjecto ns législative s de 1997, pu is entre dans l' isoloir, met so n bulletin dans l' ume, assiste au dépouillement par les scrutateurs, assis te à la séance de s chaînes de télévision pour regarder e nfin, a ussi surpri se qu e ravi e, le camembert qui présent e le ré sultat s ur son éc ran ' . Il ~'agit d ' aller de la première à la dernière en essayant de déterminer ~i l'une est plus lo cale ou plus g loba le qu e le s au tre s. Sur la p remière, on voit Alice lire les articles l1J Monde afin de déterminer le parti pour lequel e lle va vo ter . On ne saurait c onsidé rer qu e ce tte photo es t .. lo cale " pour la se ule raison q u' Alice e st en train d e lire le journal, se ule, e n prenant son petit déj eun er : la mêm e éd ition du qu otidien est lu e a u m ême momen t pa r d e s cen ta ines d e millie rs d e p ersonne s ; Ali ce est bo mba rdée pa r un fl ot d e clichés, d'arguments. d' édi toriaux e t d' opinions à partir desquels elle doit se faire un avis . Mais on ne sa urait n on plus dire que la d erni ère ima ge , qui résume le s résultats de la journée électorale, soi t globale , sous p rétexte qu e la répartition des s iège~ qui apparaît à la télévision mont re un précipité de « la France entière » (avec le résultat surprenant, so uvenons-nous, d'une victoire de la 1 Po... n dhol""I"" "''' pi.. ompr, voir B. LAnm .. E. HItlMANT, Paril. villi! invi· .ib /. (19'981 '" ...,- [0 ww www, ~"''''' ·/''o",.n '' d ll.pitn 2. plon 28. On ""'" . ....... l'oxpOn.nœ ...rdo no_ax _ .. , ch.pit.. , do co .."'.
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Cmllmelll "'tracer /'" lll
gauc he) : sur la télévision dans l'appartement d'Alice, cet é ve ntail n'est large que de quelques centimè tres. Ainsi, dès que nous prenons conscience qu ' aucune d es images qui s'enchaînent dan s ce photomontage n' est plus petite ou plu s grande qu 'une a utre, la caractéristique principale de leur cunnectivifé devient pleinement vis ible - bien qu'une mi se en page unique ne permette pes de la saisir l ! Il Ya bien quelque c hose qui circule ic i de la première image à la dernière : dans l'isoloir, l' opini on d'Alice se transfonne e n un bout d e papier cert ifié par sa signature pui s, e n présence d'assesseu rs, placé dan s une urne où il devient nombre entier dans le décompte des scrutateurs dont la somme est trans mi se au bureau ce ntral du mini stère d e l' Intéri eur afi n d' être ajoutée à d' autres additions après des procédures de doubl e vérification . Quelle es t la relatio n en tre la e pe ti te » Alice e t la " France e ntière JO ? Ce chemin, o uvert par cet in strum ent, rend physiquement pos sible le fait d e collecter, à travers la ci rculation de technologies de papier, un lien entre Ali ce et la France, un lien dont la traçabilité méticuleuse a été lentement mi se au point au cours de deux siècles d'histoire politique violente e t de réforme. contestées du droit de vote J . Créer un abîme artificiel e ntre 1' « int eracticn » et le " comexte » occ ulterait la machin erie co mplexe qui établit des connexions conti nues entre les sites, dont aucun n' est de soi-même grand ou petit. Maintenant que nous avons validé sur cet exemple que nou s savions suivre les mouvements sans plu s pa.~ ser par le petit ou par le grand, nous pouvons nous concentrer sur ce qui circ ule de site e n site: les premie rs véhicules à prendre une grand e netteté sont ceux q ui répondent a u nom trop banal de / onnes ' . Peu d e termes sont plu s amb igus, et pourtant il s'agit là du type de questions que not re sociologie nous permet de cons idérer sous un nouveau jour puisque, d'habitude, on donne ŒJ formalis me une descripti on forme lle et non matérielle ' . Attention: si vous 2 . C O" Jo priŒipal _TI""" do B. u.T'OOl. .. P. Wl!.I....... k Olloc lœh (2002) , "" . 0 ,omtd;., .0 d éliolJl '*>. i....,.,. Q"" 1"" '*>. flots d ·i"'"tos. 3. q B. u.'f'OOJ.", P. Wl!.I.......M<>t ing 17Iin8' P...,/îc (2lXlS 1; lA'. HllIJ.nN. L"o..,.,oro p"b ~ C l''' N ,,,,n Ul in ( J999). 4. t l"o'frl '1"" Jo ..."., ~ "'" • u doit plOl ~"" ,0"","" o. ' )'DoBymo do ~ 1",,01. ~ . Q"" ""'"' ovm ••loondmO< doo. 10 oh"l'itro pré<>Sdm t ' . " "; p""",," l"oxJR ' ..... d' ~ i. ",rip M. Su ."" d m . Élb",n rs J'hiIloi", d.. ",ion«.
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o ub liez qu e les botte s d e sep t li eu es son t inter dite s dans c e monde que j 'ai volonta irement aplati, le forma lisme de vient à lui -m ême sa prop re d escription: vous allez vous mettre à donner une desc ription formelle du formalisme - et Dieu sait si de tel s e ffo rts ont é té nomb reux ! Mai s, dè s que vou s observez qu e chaque site doit s' acquitter d 'un co ût pour se connecter à un autre site à tra vers un dépl acement, la notion de forme revê t une signification trè s concr ète e t trè s pratique: une forme es t tout simplement ce q ui permet à qu elque c hose d ' être transporté d 'un site à un a utre. La forme devi ent alors l'un d es plus importants types de traduction. Ce dépl acement de l'idéal au m atériel peut s'é ten dre à la n otion, de venu e s i imp ortante auj ourd'hui, d'inf ormation. Fournir une information, c omme l' étymologie l'indiqu e assez, consiste à mettre quelqu e chose e n forme ' . Mais le terme prend d ésormais une co nnotation matéri elle et pratique: il peut s'a gir d 'une coup ure de journal, d 'un do cument, d 'un rapport, d 'un co mpte rendu, d'une carte, de n'importe quelle chose qui réalise ce tour de force de transporter un site dans un autre sans déformation mais à travers de s trans formations massives 1 . Re gardez, dan s le cas d'Alice, combien d e métamorphose s a con nues son opi nion : et pourtant elle a bien été fid èlement comptée - "" suppo sant qu 'il n'y ait pa s eu de fraudes quelque part le long de la chaîne. C ' e st pour prendre acte de ces exigences contradictoire s du formalisme que j 'ai proposé, il y a longtemps, l'express ion de e mobile s immuables ë » . Une foi s encore, l'activité ( 1989) .. bi"" >lb- le. prernien InIvoux d e Denida. 1. CUuo:OA. De 1. 8 , . """,,' 010p e ( 1967). 6. La lm ~ e frmJçair.e offre le gnnd e f o"", III mô"'" " ymologie '1'"' k>gie soot l"()Çhe, 1 7 . 0 existe DŒ ..... dm:e li" .... "'e ",. la« mali~", de ld mme • . Ci.,n... pan.,uli.. F. DA(lOONn. t eril. re el ieOTl o!NJph ie (197.) ; E. EU N, ru <. Lo ri w>!.'iOTl Je I"i""riml ( 199 1) ; J. aox,v, 4J roi
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scientifique offre de nombreux e xemples de transport par transfor mation : depuis le travail sale e t puant des taxid ermistes « nat ura lisant" des spécimen> rares ' , j usqu'aux tâch es plu s nobles, m ai s tout a ussi pratiqu es, d ' écrire des éq ua tio ns, e n passant par la construction d'appareils statistiques ou même la mod est e collecte de cou pures de j ournau x ou d'archives de toutes sortes . On sait auj ourd'hui donner du form alisme une description matérielle qui nous permet de prendre très au sérieux, quel qu e soit le medium, la capacité des formes - conç ue d'une façon a ussi physique que possible - d'établir des connection s, sans pour autant verser dan s l'idée que les tœmaüsme s sont euxmêmes pa ssibles d'une description formelle 10. Première conséquence importante de l' attention apportée à la traçabilité matérielle des mobil es immuables : elle va nous aider à localiser ce qu e la sociologie du social considérait comme si important depui s ses o rigi nes et nou s permettre a insi de fai re amende honorable pour la façon cavalière avec laquelle j'ai traité mes aînés et mes maître s. Je peux maintenant confesser que, tout au long de ce livre , ce n' es t p as sans scr upule que je me suis montré si critique de la mani ère dont les sciences sociales abordai ent la qu estion du formatage. En vérité, la sociologie du social a été un e réu ssite ad mirable : elle nou s Il permis à tou s d ' " avoir » une soc iété dan s laqu ell e nou s pui ssions vivre " . Bien que ces sociologies offrent souvent une mauvaise théorie du social qui int erromp t le trava il d'assem bl age du soci al - n" 2 - , je savais depuis le début que c'est précisément la rai son pour laqu elle enes parviennent si bien à le performe r, c'est-à-dire àfomwte r les relations. Leur faiblesse est préci sément ce qui fa it leur force, ou, plutôt, la force avec laquelle elles interviennent sur le social est ce qui les re nd si peu mani ables lorsqu' il s' agit de le réassembler . Par co nséquent, tout bien considéré, les critiques de la sociologie du soc ial sont déplacées si elles o ublient de considérer leur extraordi naire efficacité qui P""'" po, des "'... fo.....O:""•. Voi, r ortid . fondo...., d. L 'THt~ mO:mal Eco logy ~ ( 1 9 89) . 10. H. O;u1I<<, A.rll'icial &p.rI ( 19W1 , don> M' Cloll. zing P,oof(2lJ0 1~ M", ,,"ozi. off.. de IlOmm,o x exrmp. es '''U''O:h d. la ricbe"'" d· o"" ",-d"",ripti Oll œ. lor..... li" ",,_ " Ol cœnmr P. GAu'iOH, /magr tJNl u,gic {19971~ I l. VOU A. o. ' ROSl.~ ' . Lo po liriq .. J" g' OM ' nomb rr, (I 99JJ ; T.M. P""TU. T, .." in N........" ( I99S1, N. W" ... Thr Vol... . of Prrc ~ i "" tJlIl1 Etac'i _ ( I99 S1.
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Troisièm e lIIOuvemelll : cr>llllt'Cler les ,gle$ quand il s'agit de pr oduire une type particulier de liaisons: le stoc k d'ass ociations stabilisées qui, à tout moment, c onstitue ce que j'ai appel é le social n" 1 et que no us pouvons maintenant ,an, dan ger remettre, littéralement, à sa place. Il n'y a rien de mal à former, formater ou infonner le monde social !" . Rep ro ch e r a u x sc ie nces socia le, d ' être formelle , re viendrait à c ritiquer un dictionnaire parce qu' il range le s mou de A à Z, ou un p harmac ien perce qu'il me t de s é tiquettes sur se s bocaux et ses fioles. Stabiliser le, ci nq so urces d 'incertitude e st un travail aussi im portant que cel ui q ui consiste à le, lai sser ouvertes, Autant il serait périlleux de confondre ce, deux tâche" autan t il serait ridicule, MlU, prétexte que l ' on a c omplété la premi ère, de ne pas mener à bien la secon de . Au contraire, une fois que le travail de déploiement de s controverses portant sur le mond e social e st pleinement amorcé - comme c 'était le ca, dan , la première partie - , il faut reconnaître l' importance d éci sive de la seconde tâche: a ssurer de, fro ntière" établir de, catégories, stabilise r le , a rran ge men ts Il . S i le fai t de limiter à l'avance et à la place de l'ac teur la gamme de s e ntités susceptibl es d'habit er le monde soc ial constituerait une grave e rre ur méth odolo giqu e, il serait tout a ussi path étique d 'ignorer le s effort, constants que le; acteurs d éploi ent pour rest reindre j ustement le répertoire des actants et limiter la gamme de, co ntreverses . Une foi s encore, même s ' il res semble à une scie. le seul slogan viable c 'est : .. suivre les acteurs e ux-mêmes " ... Oui, il fau t le s s uivre lorsqu 'ils m ultip lien l les e ntités, mai s a uss i lorsqu'Ils le s raréfient. Nou s d evon , maintenant apprendre à respecter le, tœmal isateurs, le, classificateur" le, catégonsateurs et le, comptable, de toute s sorte, de quantité s, tout comme il nous a fallu auparavant apprendre à le s rejeter parce qu'Ils interrompaient prématuré ment le tra vail d'association et de composition . Je reco nnais que cette nouvelle gymna stique correct ive peut nous d onn e r de,
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courbatures, mais personne n'a dit que la pratique des sciences soc iales sera it indolore ! Si le s ac teurs s' a ffai rent à plu sieurs c hoses e n m ême temps, n e devon s-nou s pas no us montrer aussi so uples, a ussi flexibles et a ussi a giles qu ' eux ? Si les sciences sociales per{ onnent le social, alors il faut suivre ces forme s avec autant de soin que le s controverses . cela est tout particulièrement vra i maintenant que n ous ne co uro ns plus le ris que d e con fon dre une telle é tude du formalisme avec sa propre de scription formelle. Les formalis mes n' ont " perd u " a ucune riche sse ; ils n ' on t " o ubl i é » aucune dimension humain e, conc rète o u vécue; ils ne sont ni « fro ids » ni « sans cœur », pas plus qu 'ils ne so nt privé s d 'un « vi sage humain ». Suivre l' élaboration, le p erfec ti onnement, la di ssémination e t la maintenance d e s m obiles immu abl e s n e n ou s é loigner a pas un e secon de de s gal eri es étroites d e la pratique " . S'il Y a une opposition qui ne nou s relient plus, c'est celle q ui tent erait d' opposer la sociologie po sitive à la socio log ie interprétative. Une foi s qu ' elle s ont été soigneusement restruées. leurs intuition s révè lent deux aspects success ifs des assemblages soc iaux " . Nous suivrons avec beaucoup plus de fac ilité la stabilisation des controverses si nou s fai son s passer au premier plan la notion c rucial e de normalisatùm : o n pourrait dire que la sociologie du social circu le d e la même façon que le s norme s physique s ou, e ncore plus précisément, on pourrait com parer les sciences soc iales et la métrologie. Avant la sociologie des sciences e t, e n particulier, la soc iologie de l' acteur-réseau , la standardisation et la m ét rolo gie co nstitu aient d es spéc ialit és poussiéreu se s e t dédaig nées. Rien d' étonnanl à cela, puisqu e leurs m erveilleu ses réalisatio ns éta ient rendues parfaitement invi sible s par le fossé séparant le local et le global, fossé dont nous savons désormai s 1• . Pou, un ou"'p l< .ip .:licllif. voir G.C . BoWJa hle.".e ...e t la pmi",e d> çolcw.
l ' . w ""I œ noo••",ons affilire .u p... mo. '''''' re",,,,idérero,,, tl< nooveau 1< l " r-.l av os' . e de la PO WOII de GufiBkni , " l'etllJmnétOOdolol"' aWJ" hœ de cette .. xli« ob""ûve de. hi" soci.1lX co mme otan. un o ... li..û on p" û ",o comnœ do ch.",o , oeiotO . procOdiJI' u.iquomea. et e . û hemc • •••oujoun .. p arto ut, du tnvlÛl de ' ...,rnhre.. uœ , ....lisation .''''renomm. n. "'renomm' tl<scriptihle. ~it< locale"",.. et d. mlUli~ .. eJd>~œ. ... , ..\kho .. ..", p<JMibititO d 'oSv",",,1l de di ";· mu lotion, Inétl>:Hlologio et le rI' oohlil! de Dodhoim • (2OOl ~ p. 44 J .
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qu 'il e st artifi ciel. Dès que le s sites mythiqu es du local e t du global s'évanouissen t, apparais sent e n plein milieu de la scène l'Importance déci siv e des étalons, des norm es, des standards , de s be nchma rks, et le s a vantages immen se s qu e nous ti ron s d e la métrologie - au sen s le plus large du terme . Prenons par exemple le cas du kil o de platine qu e le Bureau international de s Poids et mesures c onserve jalousement dans un profond c aveau dans le Pa villon de Bre teuil, au parc de S èvres . E st-c e une c o nve ntion? Oui . E st-c e un objet mat ériel ? Oui. E st -c e une i nst it ut io n intern ationale ? Une fois e ncore, o u i. Rep ré sente-t-ilI'extrérnité d 'une chaîne métrol ogique, le modèle idéal auquel sont comparée s toute s le s autre s cop ies de qu alité inférieure au c ours d'une cé ré monie solennelle qui se tient tous le s deux ans ? À nou veau, oui. Il n' y a aucun doute qu ' il s'agit là d'un hybrid e. Et pourt ant , c e sont pré ci s ément ces ent ités déroutantes qui permettent au x rés eaux métrolog iques du mond e entier d ' avoir une définition commune des « poids et mesure s » . Une ré fére nce m ét rolo giqu e c omm e le kil og ramm e e st -e lle locale ou globale ? Locale, puisqu ' elle réside touj ours quelque part e t qu' elle c ircule à l' intérieur de boîtes spéc iales, grâce à de s signa ux s pécifiq ues, à ce rtai ns moments déterminés, e n s uivant des protocoles spéci fiq ues 16 . Est-die globale ? Bien sûr, puisque sans le s unités métrol ogique s co mme le watt, le newton, l' alun, l' ampère, c ' e st-à -dire sans le Système international d 'unité s, il n' y aurait rien de glob al, dan s la me sure où o n ne disposerait nulle part du .. même " temps, de la .. même " di stanc e, du .. même" poids, de la .. même " inten sité du courant électrique, d e s .. mêmes " réactifs c hi miq ues, de s .. mêm es " matériau x biolo giqu e s de ré fére nce, ete . Il n ' y aurait au cun fondement, a u cu n repère; tous le s s ites sera ien t v érit abl ement incommensurables . Ce tte fameuse que stion de la relativ ité qui semble intimider tant de mond e , le s norm e s e t la mét rol o gie la ré solvent fort 16. Il ex"," dt. or....i. UDe ricbe lil"r......, . ur l"en eD.i,., pnlliqœ œ. """.ux • ' '''''''IX le. ""-Odllllh. Vo;,- K. A Lœ-I-, ~ A Rev olorit,• ., Me llO" e • (I 99S) ; R. ù.NNlNO Cooa.ANE, M.."" .. jor Pm !", 11976} : A. Mr.u..un. IL, .. ",. "u J/lILf '" co<"J~ liai;'" (1996) ; F. MHAl.n. ~ L ' '''J> rio! do. i..ttume 10prnductio. de Simon Scb ille. , 5 . SoIMIHI., . A _ nom"", M IlIi T ime . 119!l8) ; 5. SoIM~,. A Man..c.... "'Y of OHM . ( 199 1h ).
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pratiquement : pou von s-n ou s o b te n ir une s o rte d'ac cord universel Il ? Bie n sûr que oui ! À condition de parvenir à branc her notre instrum ent local s ur l'une des nombreus es c haîne s mét rolo giqu es dont il e st possible d e déc rire inté gralement le réseau matériel, et dont on peut même déterminer assez préci sément le coû t JO. À co ndition qu'il n'y ait auc une inte rruption, aucune rupture , aucun fossé ni aucune incertitude tout au long de la transmission : toute l'affaire de la métrologie , c'est précisé ment la traçcbilhé ! L' interdictio n de toute di scontinuité - OC qu e demande obstin ément la mét rologie - , c'est exactement ce dont la sociologie de l'acteur-réseau a besoin pour tracer la topograph ie sociale ... Notre théorie sociologique a fait de la métro logie l'exe mple paradigma tiqu e d e ce qu ' e st une extension universeûemenüocate - en é vitan t pourtant de jamais passer ni par le local ni par l'universel. Les co nditio ns prati q ues requises par l' ex te nsion de l'unive rsalit é s' o ffrent désorm ais à l'exa men empirique. Il n'est pa s fortuit qu e le s historiens de s science s a ient co nsacré autan t de travaux à l' exten sion située et matérielle de s univer sels. Étant d onné tout c e que les modernisateurs avaient inve sti dans la notion d 'universalité , c'e st là un vé ritable tour de fo rce. Dès qu e l' on prend l' exemple de la métrolo gie scientifiq ue et de la standardisatio n comme une référe nce pour suivre la circulation de s universau x, on peut procéder de la même manière po ur de s firmes de c irculation moins traçable s et moins matérialisées : la plup art du temps, le s agents parviennent à une forme d e coordi nation à travers la di ss émination d e quasi-!;tandards. La métaphore se laisse aisément filer pour de nombreux types d e trace s : dans qu el état serait l'activit é économique sans le s codes c o mp ta bles e t le s modèl e s pratiqu e s ? Si vo u s pa ss ez p a r e xe mp le du for ma t c omp ta ble n ord- amé ric ain au for ma t de l' Union e uropéenne, vo us offrez aux inve stisseu rs de s é quipemen ts différe nts pour le s aider à fai re leu rs calculs: des e ntreprise s e uropéennes rentable s vont passer dan s le rouge , tandi s
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qu e d'autres passeront dans le vert " . Bien e ntendu, ceux qui c roient que l' économi e est une infrastruc ture ne se laisseront pas im pressionn er par cette e petit e di fférence . de comptabilité ; ils diront qu ' elle est négligeable comparée à 1'« impact réel . des force s économique s et, com me on dit, des « fondame ntaux " . Mais ceux d' ent re nou s qui oot compris ce que veut dire effectuer un calc ul, e xternaliser certains éléme nts e t en internaliser d' autres afin, littéralement, d' en rendre compte, vont prendre très au sérieux les moindres détails de cette « dispute technique . : expliq uer ce q u'est un profit, un c hiffre d' affaires o u un bénéfice dépend entièrement de ce genre de subtilités 10. Si le s economies (en tant que cho se) sont la résultante de l' éconumie (en tant que discipline), comme Michel Callen l' a soutenu, les modestes instruments de papi er qui permettent la coordination vont passer a u premier plan D'aut res modes de circulation des standards peuvent sembler plu s ténus, même si leur traçahilité reste assez bonne aus si longtemps que l' ob servateur ne lai sse pas l'Irruption des « explications soc iales " couper son fil d'Ariane. Comment pourriez-vous con naî tre votre « ca tég or ie sociale " sans l' é norme tra vail effect ué pif les institutions statistiqu es q ui contribuent à calibrer, sinon à standardiser, les catégo ries de revenu s ? Com ment peut -on se reconnaître co m me un membre des « classes m oyennes aisées ", un « yuppi e ", un « bobo " o u un e « racaille " sans lire les j ournaux et sans regarder la télévision ? Comment pourriez-vous connaître votre « profil psychologiqu e . sans un surplus d' études statistiq ues, de réunions professio nnell es, de co nfé re nce s de co nsens us? Comment un psychiatre peut-il placer tel ou tel patient dans une catégorie sans le O SM l l ? Il ne sert à rie n de di re que ce s ca tégo ries sont 19. q. 1.. , .odords
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arbitraires, conventionnelles, floues ou, au co ntraire, délimitées de façon trop stricte ou trop irréaliste : elles résolvent de façon pratiqu e le p robl ème d e l' ext ensi on lo cal e généralisé e d 'un e standa rdisation à travers la circ ulation d 'un doc ument traçabl e - même si la métaphore de l'inscription finit, j e le confesse, par s'estomper quelque peu. N 'a llons pas critiquer le s catégories. en disant qu' ell es sont injustes parce que le s pui ssants s'en serven t pour mutiler 1'« ineffable inr éf orit é » de s « personnes réelles » . C' est plutôt la circ ulat ion d e quasi-standard s qui permet à d es actants anonymes et isol és d e devenir progressivement , couche après couc he, comparables et commensurables - ce qui rend c erta ineme nt co m pte, pour une gra nde partie, de ce que peut sig nifier" ê tre humain ,. . Cette me sure commune dépend bien sûr de la qualilé de ce qui es t transf éré. La question n' e st pas de combatt re les catégories, mai s plutôt d e se d emander: " Cette catégorie contribue-t-elle à vous ass ujettir o u à vous subjectiver ? » Comme nous l'avons vu à la fin du chapitre précédent, la liberté ne co ns iste pa s en l'absence d' att achements mai s à s'affranchir des mauvais attachements. Dès qu' on la considè re de cette façon, nous commençons à percevoir les services co nsidérables qu e la sociolog ie du social peut r endre à n otre e nq uête, fût -ce à so n in su . Ell e a re nd u traçable cette portion du socia l - le socia l n" 1 - qui va se trouver stockée et stabili sée, tout à fait de la même manière que les nou velle s tec hn iques de l' information, la métrologi e, le s bureaucratie s e t, de façon p lus générale, la dissémination d es standards d e toutes sortes ont rendu visible le coû t de la producti on d 'universalit és. C'est pourquoi les sciences sociales so nt tout au tant une partie du problème qu'une solution: elles ne cessent de bra sser le co Uectif. Le s étalons qui définissent, pour le bénéfice de chac un, ce dont es t fait le social lui-même peu vent être tén us, mais il n' en son t pas moins puissants. Les th éorie s qui di sent ce qu ' e st o u ce que doit d evenir une société ont joué un rôle très important en a idant les acteurs à d éfinir leurs pos itions, leu rs identité s, le s façon s dont il s doivent se justifier, et le type de forces auxq uelles ils peuvent se soumettre. S i le s sc iences naturell es comme la ph ysique ou la c h imie on t trans formé le m onde , les sc ie nces soc iales n ' ont-elle s pas transformé plu s e ncore ce qu e signifie pour les hum ain s le fait d 'être comectés socialement les uns a ux autres? Les acteurs peuvent télécharg er
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ces th éorie s auss i ai sément qu e d es fich ier s mp ô . E t, bi en en ten du, l' idée qu e « nous so mmes membres d'une société » , q ue nous d evons « rendre d es comptes ., qu e nous avo ns un e " respon sa bilité j u ridiq ue » , qu e « le genre est différent du sexe » , qu e « n ou s a vo ns une responsa bilité à l 'égard d e la p ro chain e g éné rati on », qu e nous av o ns « p erdu du c ap ita l social », e tc., c irc ule à travers des con duits qu e les histori ens de s idées peuvent rec onstruire pre squ e aussi précisément qu e leu rs collègues le font pour l'h eu re internati o nale, l' ohm, le mètre , la comptabilité e n partie double , o u l' extension des standards ISO 9 000 . Le s th éo rie s sociologique s n e so nt p a s d erri ère ou e n surp lomb : ell e s occupe nt a u co ntra ire le tou t premie r plan; c hac une s'efforce de s'étendre ou, comme Tarde l' avait observé, « rêve comme Alexandre la conquête ŒJ monde • . Même si une th éori e sociolog ique donn ée atteignait une position hégémoniqu e, elle n e se rait jamai s plus univ erselle qu e le m ètre e t, comme lui, e lle n e survivra it pa s une minut e de plu s qu e le s chaînes métrologiqu e s sur le squelle s il repose 11. Dès qu e n ous acquérons ce tte n ou vell e compétence cartographiqu e, n ous p ou vons l' utiliser p our ab order d'autres c onduits, qui ne so nt pas matériali sés de façon conti nue par d es appareils d 'État mai s dont les mouvem ent s produisent néanmoins le m êm e effe t. Les énoncés cotlectants jouent exactement le même rôle, à co nd itio n qu e nou s ne les utili sion s pa s simp lement co mme s' ils « représ entaient " ou « déformaient " des forces soc iales e xistan tes. Ainsi, l'expression médi évale Vox populi, vox Dei ne se contente pts d'« exp rimer " une croya nce pop ulaire largem ent répandu e e n la sagesse éternelle d u peup le. Comme l' a montré Alain Boureau , il est pos sible de rendre compte de la plu~art de s occurrences de ce t ac te de lan gage au co urs du Moyen Age, de de s siner la forme réticulaire de ses usages, e t de montrer qu e, c haque fois qu ' il a é té prononcé , il a modi fié , ne serait-ce qu e légèrement, la distribution d es rôles et d es pouvoirs entre Deus, populus, vox et rex H. La premi ère so urce d 'incertitud e nous a 22 Alrun tw, do for", ,oflo xif B'OS< nk ossai", 1""" ' W~ q"" co principe . la ,octoJ"Iiio do Tanlo 0< . 10 lIOC.,b gio do J'""", ,,, ...!.,,,.,, o n o · ~ mo. A..,,,,,o "",,6011 priviJé, iéo••",un c.... do ,Hé ",,,,o . b!inw "" sont oxi,,"' 1""" cot 23. &1 p u. do A. 8o.JJ..... U, « l 'IId'l!0 Vo x ,...,.,lIIi. l<'X D, i • ( I992 J. ' SOD "'opifi",• • QIloJ OlMo[ '''''1;' • ( I990J. voir r oxomplo mod<mo "ffon F 10 """' 0 . ... v:iro..... moDt . d .,.. F. OiA.VCI1N. L 'inwn ri"" .. / ', m·iron...mr nl , n (2oo3J. Po", "".
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appris que même un léger changement dans les façons de parler d es groupes véh iculait une théorie soc iale di ffér ente, com me c' e st le c a s ave c cette ex p re ssio n haut ement in st abl e qui im plique, comme un relie f à la surface d' un camée, toute une interprétation de s lien s entre la théologie et la politique. Ces énoncé s collectants ne sont pas de s cas rares et exotiques . Songez à ce qui se passe lors qu' un Américain s'exclame fièrement « Ici, c ' es t un pays libre ! JO ou lorsqu'un Français réplique " On est en République, quarxl même ! JO . Co nsid érez le nombre d e positions q ui se trouvent modifiées lorsqu e le s b ureaucrates européens invoquent le « principe de précaution » contre la définition américa ine de la pri se de risqu e 1• . Songez aux réactio ns d'un pu blic du Moye n-Orien t lorsqu e vous parlez d'« ax e du Mal JO ou qu'un islamiste plaide en faveur de la " réou verture des portes d e l'interprétation 1;l " . No n seulement les énoncés colleetant a trac ent d e nouvelle s co n n ex io ns, mai s il s offrent d e nouvell es théories, hautement é laborées, de ce que co nnecter veut dire 1• . Ils performent le social a u point de proposer a ussi des thé ories réflexives du soc ial lui-même . Tel est le pou voir des " justification s " analysées par Boltanski et Th évenot : e lles n' ont pas d e grand eur propre, mai s elles lai ssent dan s leur sillage d es " éc helles d e grand eur JO, dans la mesure o ù e lles permettent aux gens de se situer dan s des hiérarchie s et d 'y classer les objets de la di scorde. Chaque fois qu'une expre ssion e st utili sée pour justi fier une action individu elle, n on seulement e lle formate le soc ial, mais e ll e o ffre aus si un e de scription d e sec on d ordre portant s ur la façon d on t le s m ond es soc ia ux dev ra ie nt ê tre
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24. Voi< le lnvail de Jim D..tw• ....- l'ex"", "'OII ~ pillcipe de prk lWÛOII • d.... le. i", . nces eoropOm"'" : J. DUT"'''' ~ T.kinl Ri,b with .... e Ptecouliono'Y Princilie ~
(200'\1. 2S. R AsLAN. Nt; r;oJ bMl God .. Th. 0rir;i1Ll, evo"' ''en, .nd FMI"'" of/ st.Jm (200S). 26 . Pou, ... ' ''l''r!>< "'""l'le de lx c.pacité cOllReC6"" de, _ m,,," .. voir M. 8AxAN· M U .. Forme, Je l' ''".''';en i 1991). Timo.... y MlTOIEU. iRiol" pem_ • d .. mm.:/5 c<>Ilectao..., le jXlIlvoU- <1< fŒlD• • ge <1<, le gi... i"",noa""lle , .
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formatés 11. C'es t précis ément parce que l' échelle n' est pas une caractéristique fixée du social que ces énoncés collec tarus j ouent un rôle si important. D b; qu' on leur permet ne serait-ce que de représent er, réifi er o u o bjectiver q uelq ue c hose d' autre - PM exemple le conte xte social qui se trouve derrière eux - , leur effic acité cesse d' être vis ible. Mai s dès qu'il s sont à nouveau pri s co mme autant de s tandards circ ulant le long de frêles chaî nes métrologiques, ils deviennent la source de ce que nous appel ons " être en société " . San s énoncé collectant, com ment pourrait-on jamais réassembl er le collectif ?
Les m édiateurs, enfin Maintenant que nous savons comment naviguer à travers un pay sage a pla ti tout e n re pérant avec soi n la circ ulation des format s ém is en partie par la socio logie du social, la prochaine étape s'avère difficile mais logique: le pouvoir métrologique des sciences soc iales - soc ial n° 1 - es t précisément ce qui les empêc he d'aborder le social entendu comme assoc iations - le social n° 2. C'est j ustement puce q u' il parvient si bien à calibrer e t à canoniser des définition s stabilisées du soc ial qu 'il re nco ntre les plus grande s difficultés pratiques à se sais ir des nouveaux entrants qui sont constamment import és dan s le cours des co ntrove rses . Plus vous parvenez à définir le soc ial " ancien ", moins vous parvenez à enca isser le " nou veau " . La situation est tout à fait identique dan s les domaines techniques de la métrologie: bi en qu 'ils permettent à tou s les a utres laboratoire s de coordonner eurs di spositifs, ils ne sont pas par euxmêmes à l' origine de trè s nombreu ses découvertes - même s' ils s'empressent d'utiliser toute avancée pour améliorer de quelques nouvelles décimal es la précision de leurs chaînes d'instrum ents ", Heureusement, la sociologie du social ne représente pas
27.l. BOLr AN '''' e' L TREn""• • De 1. j".lI ijic.'iOfl ( 1991 ). L . ,ociologie de Bol... m '" corn""", po.... W1e JDJi ti ~ do pbi k" 0l'hie hJlti , e' po.... l' lOllre JDJi ti ~ d 'o,", oO! e' ""0' '" dBe ... de Jo "",""'Je . 28. Voir R.C. COO
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plu s toute la soc iologie que la métrologie n' est toute la science : le social n° 1 dont la soc iété es t faite ne représente qu'une partie des associe üons - le social n° 2 - dont se compose le collectif. Si nous voulon s r éa s sembler le social, il est nécess aire d e détecter, outre la circulation et le formatage des liens sociaux tel s qu 'ils sont traditionnellement conç us, la circ ulation d' autre s type s d' entités. Cette dé tection devi ent déj à plu s aisée si nou s sa vo ns com ment ne pas confo ndre le social déjà assemblé avec le travail de réassemblege. et lorsq ue nou s a pprenons à ne pas remplacer les entités que nous recherchons par quelque chose qui serait lui même en oufait de social. En localisant la circulation, la production, le form atage e t la métrologie du social à l' intérie ur de conduits étroits, expans ifs e t coûteux, nous avons à tout le moins o uvert un espace dan s lequel d' autres ty pes d' entités peuve nt commencer à circuler plu s librem ent Mais, si nou s souhaitons profit er de cette petite « fenêtre d' opportunité », il nous faut modifier le réglage par défaut de no s e n quê tes . N ous ne de vons pas partir du principe suiva nt : " Co nfrontés à un objet, ignorons son contenu pour considérer plutôt les aspects sociaux qui doivent l' entourer :>, mais de celuici : e Ccnfrcntés à un objet, porton s d'abord notre attention s ur les a ssociaü ons dont il se co mpose, et cons idéro ns, dan s un deuxième temp s, les diverses manière s dont elles peuvent avoir éventue lleme nt renouvelé le ré pertoire s ta ndardisé des liens sociaux. :> En d'autres termes, ce qu'il nous faut comprendre, c'est pourquoi les sociologues sont si timid es lo rsqu'il s'agit de rencont rer les e ntités non sociales qui viennent co mposer le monde social. alors que cette rencontre, bien que troublante, est néanmoin s qu otidienne. Tou t se pa ss e com me si nou s ne pou vions supporter de regarder e n face ces phénomènes surprenan ts qui ne cessent de proliférer dès que nous sentons que la vie collective est e n trai n de se d élite r. Po urq uoi faut -il que , confrontés, pa r exemple, à un nouveau mouvement religieux, nou s ayons tendance à limiter rotre enquête à ses « dimension s sociales », considérant même comme une vert u scientifique le fait de ne pas é tudier la rel igion elle-même? Confrontés à la sc ience, po urquoi notre première réaction es t-elle de nou s en tenir poliment a ux " id éologies qui vienn ent la biaiser " au lieu de prendre e n compte J'objectivité elle- même? Pourquoi faut-il
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qu e, e n e nq uêtant sur l'art, nous nous limitions à" ce qui est soc ial JO dans l' ap préc iatio n d'un c bet- d'œ uwe, sans c onsidérer les a utre s so urces d' où sa valeur pourrait bien provenir ? Lorsqu e nous ét udions l' économie , pou rquoi hésitons -nous tant à plon ge r au cœur de notre attac hement pa ssiœmé pour le s biens et nou s limiton s-n ous poliment, en soc iologues, à cette « dimen sion sociale JO dans laquelle le s c alc u ls " puremen t ra tio nnels" semblent «encas tr és JO ? Et ainsi de suite . T out se p asse comme si notre p remière réaction consistait à n'accueillir le s assoc iations qu e si elles o nt été préalablement drapées d 'un manteau de liens soc ia ux; co mme si nou s ne po uvions j amai s accepter de parler aux véritable s personnage s, mai s se u leme nt aux forc e s sociales qui e n seraient les mandants. À une époque qui n' e st p as réputée pour sa c hasteté, une telle pruderie est assez e xtrao rdinaire : " A vant de vous aventurer plu s loin dan s le palai s d e s sciences sociales, di ssimule z vos a ppâts d erri ère le tchador des ex plications soc ia les »; « Cachez, cachez, s' il vo us plaît, ces • •. • . •. • 1 a ssocranons qu e je ne saurais v orr t » ... Bien qu e n ou s soyons inondé s qu otidienn ement p ar d e nou veaux e ntran ts qui so nt, de toute évidence, c andidats à l'existenc e com mune, pourq uoi nous obsti no ns- no us à ne conserver qu e la li ste étroite des membres b ien doc u mentés? Un e tel le limitati on avait un sens au temps de la modernisati on: il était logique, afin de marquer une rupture avec le pass é, de limiter à l'a va nce le s composa nts de la société à un p etit nombre de p ersonoc graJae. Mais cela ne signifie p as qu e la soc iologie ait a ccept é pour touj ou rs d' être privée d ' o bjet s, c 'est-à-d ire une di scipline scientifique, la se ule d e son espèce, sa ns objet. Re specter la puissance de formatage de la sociologie du social est une chose, mai s se restre indre à la métrol ogie en délai ssant la dé c ouverte de n ou veaux phénomène s e n es t une autre. Comment pourrions-nous appeler " e mp irique JO une discipline qui ne retient des données que celles qui so nt susceptibles d ' être e mbal lées dan s des" ex plications societes JO ? Il n' y a pts besoin d' avoir beauco up de co urage ou d 'imagination pour vo ir qu e, une foi s l'hypothè se du moderni sme écarté, une telle attitude n ' a plus aucun sens scientifique, politique ou même moral. Considérez par e xemple ce qu i se produirait si vous abordiez l ' étud e de la reli gion tout e n maintenant l' an cien ré glage par défaut. Le s â mes pieuses font malh eureusement preu ve d 'une
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mystérieuse obstination à parler comme si elles étaient liées à des es prits, des di vini tés, des voix, des fant ômes, etc. qui les font agir. Bien entendu, toutes ces e ntités n' ont a uc une existence dan s le projet de l'o bse rvateur, puisqu'elles n' apparti ennent pas a u soc ial n" 1, ce réperto ire limité des être s dont l' existence a été établie au départ. Que faire alors de ce que les acteurs ne cessent obstiné ment de désigner comme des « êtres réel s " ? On ne peut que les affubler de guillemets, mettre leur e xistence e ntre parentb ëses, et ch ercher d'aut res sources qui ne peuvent , de toute év idence, que provenir de l'es prit du c roya nt. Puisque ces e ntités n' existent pa s mais sont néanmoins « pri ses pour » une réa lité, e lles doivent donc prov eni r de l'intérieur du cervea u o u de l'esprit individu el de ceux qui croient e n ce qui n'existe pas pour des raisons qui r estent à découvrir.. . Voilà qu' on invente une premi ère fa ntas magorie : o n a littéral em ent invent é la croyance :M ! Mais les divinités, les esprits et les vo ix réd uits a u for intérie ur semblent mener, malgré l' ob servateur, une vie bien étriquée. Ces ê tres sont trop précis, trop techniqu es, trop innovants ; ils se déplacent de faç on trop sauvage; ils débordent de toute évidence la capacité individuell e d'invention , d'imagination et d' auto-illusion . Et les acteurs o rd inaires continuent d'affi rmer avec insistance qu 'ils sont pou ssés à agir par ces entités rée lles qui co nti nuent à e xister « en dehors » d' eux ! L es prétendu s c royants insistent, et s'enferrent, et s'obstine nt : non, non. on ne peut les réduire à de simples objets de croyance : il faut, après tout, q ue ces e ntités viennent de l' extérieur et non pas du fcr intérieur. Faut -il pour autant accepter leur existence réelle? Mai s non, puisqu'elles n' existent pas - c'es t appare mment, dan s toute cette enquête, le seul « fait avéré ». Quelle est donc la se ule réalité qui soit e xtérieure à l' individu tout e n ayant le pou voir de donner l' apparence de l'existence à des phénomènes qui n' exi stent pas ? La réponse, nou s ne le savons, hélas, que trop bien , c'est bien sür : la société, ce socia l fa it d e matériau soc ial, ce social n" 1. À ce stade, une seconde fantasmagorie, encore plu s fo lle que la première, sort de la méthode même de l' étude en 29 . L'idée que lo clOYOŒe e u " De in ti' '''.,. m"d..,., liée de lo l''' ~ '''''' de l' Ku"" de l"iC«loc..... e el d e 'œ, le rép "'oIL, /c",",cwh (2002) .
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c ours : cette soc iété qui n'existe p a.s, c'es t elle qui es t néanmoins ch argée de donner de la c hair à toutes ces euués qui, e lles non plu" n'existent pa, mai s auxqu elles croient pourtant to us ce, malh eureux induit , e n erreur sur l'existence d e; di eux ... Qu ell e comédie. Et tout cela au nom de la bonne science et du sérieux univ e rsitai re ! P endant Ce temps le , pe r sonn e , ordinaire , s'obstinent tranquillement à affirmer qu ' elle s so nt p ous sées à agir par de s e ntités réelle s dont la vie es t e xtérieure à la leur... Toute science doit mettre au point des instrum ent, risqu és et a rtificiels pour rendre I'observareor sensible à de nouveaux type, de ph énom ène s. N ' e st-il p a s év id ent qu 'il est em piriquemen t absurde de refuser de rencontrer le s forme , d'existence qui pousse nt les gens à agir ? Pourqu oi ne pes pren dre au sérieux ce qu e les ge ns s'obstinent à dire ? Pourqu oi ne pas suivre la direction qu 'ils indiqu ent lorsqu'Ils montrent du doigt ce q ui le, " fai t a gir " ? Un p rove rbe chinoi s (certa inement apoc ryphe) dit qu e « lo rsque le sage mont re la lune du doi gt , l 'idiot regarde le doigt ». Je n 'arrive pa s à accepter l'idée qu'on puisse avilir le s sciences soc iales au p oint de créer des discipline s en tières p our rendre les cherche urs volontairemen t idiots... Pourqu oi ne pas accept er de dire q ue ce qui compte dan s la religion, c'es I'ex istence d'un type d 'êtres q ui font a gir le, gens commetout croya nt n ' a j amai s cessé de l ' affirmer "'? Ce réglage de l' enquêt e ne serait-il pa , plu, empirique, peut-ê tre plus scientifique, en tout cas plus re spectueux, et surto ut beaucoup plus économique. qu e l' invention de d eux domain es qui n ' existent p es : l'es p rit du croyant d'une part, et, d' autre part, le royaume illusoire du social qui n'aurait d e solidité qu ' en s'app uyant s ur d'autres illusions ? Qu 'y a - t- il d e si scie n ti fique d an , le fa it d e cro ire à la « croyance » ? Si l'o n accep te d e mod ifi er le s ré glag es par défau t, et d e prendre dor énavant en considé ration d' abord l'objet, e t se ulement e nsuite le social standardis é, il y a bien sû r une difficulté. Je ne suis pa, suffisa mment naï f p our croire q ue la th éorie d e l' acteur-ré seau puisse éc happer au de stin de toute théo rie: la pensée ne résout j amai s les problème" elle le , reco nfigure . Pour qu 'une telle rencontre avec de s obje ts puisse avoir lieu , p our qu e l'objet de s sciences soc iales soit e nfin visible, il faudrait acc order '10. E. O ..W UŒ.. U> 8 "''''' th b Vit'g< ( ::!l:lœ).
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un minimum de droi ts civils à d'autre s mode s d' existence, en acceptant de les laisser siéger, e ux auss i, au côté de s membre s plus a nciens. Mais, si l' on faisait preuve d 'un tel laxis me ontologiq ue, ce serait l'indignation c hez le s sociolog ues du social, une « sa inte colère » saisirait le s sociologues critiques : ne sont -ils pa s j usteme nt flers d' avoir di ssou s tou s le s objets réels qui ne so nt pas soc iaux, d' a voir déniaisé les croy ances illu soire s de s acreurs j e Faut-il vraiment que n ous invoquions de nouveau le s dieux lorsqu'tt est que stion de religion ; les chefs-d' œ uv re lorsqu ' on a nalyse l' art ; le s faits objectifs lorsqu ' on ét udie la science ? N' e st-ce pa s là préci sément l' ob stacle que le s sciences sociales se targuent d ' avoir enfin surmonté? Invoq uer l' exi stence d'autre s mode s d' existence, c'es t la démarche la plus réac tionnaire, la plus rétrograde, la plu s archaïque ! JO C'est parvenu e n ce point que la sociologie d e l' acteur-réseau pas se o u casse : pouv on s -nous a nticiper un e science socia le qui prenne (l U sérieux les êtres qui f ont agir les gens? La sociologie peut-elle devenir empirique, au sens où elle re specterait l' étrange nature de ce qui est e donné dans l'expérience JO, comme le s zoologues le font a vec le s zoos e t les bo ta nis tes avec leurs herbiers ? Pouvon s-nou s tracer les lien s sociaux qui fassent d 'un être non social à un a utre, a u lieu d e remplac er toutes le s e nt ités qui peuplen t le monde par de s e rsa tz « taillé s dans » un m atéri au social? Plus simple encore : les sce nces socia les peuvent-elles avoir un objet réel ? Avant de ré pondre avec sanstacüon « bien sûr que non ! JO, pren ez une minut e pour im agin er l'effet qu' aurait s ur la sensibilit é d e oos instruments le fait d e c hanger leur réglage par d éfaut en co ns idé rant que le s objets, oui, le s êtres qui n ous font agir, sont premiers, au lieu de filer en douce leur cherc her de s ex plica tions sociales . Comparez. e nsuite cette démarche à la façon dont la religion a é té maltraitée dans l'e xe mple que je v ie ns de mentionner. Prenez par exemple les c hefs-d'œ uvre l' . La religion mise à part, aucun domaine n'a été autant saccagé et ma ssacré par la sociologie critique que la socio logie de l' art. On a expliqué chaque sculpture, chaque tableau, chaque plat de la haute cuisine, c haque rave party e t c haq ue ro man par le néant de s fac teurs l I. roi dfjil mccJ'~ dom .. !IOCioklr;i' do. "'",De",.
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soc iaux qui se « cac haient derrière " e ux. Par une triste inversion de l' allégorie platonicienne de la Caverne, tous le s objets qu e le s a mateurs ont appris à ad mirer o nt ét é remplacé s par d es marionn ette s projetant d e s ombres soc iales supposées être la seu le « réalité vraie » qui se tiendrait « derrière » ou « de ssous » l' appréciation de l'œuvre d' art . Nulle part l' explication sociale n' a autant j oué le rôle d'un roi Midas inversé, transtœmanr l' or, l' argent, le diamant e n poussiè re. Et pourtant, dans le cas de l' art com me dans le cas de la religio n, si l' on écoute ce q ue disent le s amateu rs ordinaire s, o n verra q u' ils prennent le temps d' expliquer pourquoi et comment il> sont profondément attachés , mus et affectés par le s œuvre s d' art qui leur « font » senür de s cho ses. Imp ossible ! Interdit ! Être affec té ne pe ut ê tre qu'une simp le a ffectation H . Qu e de vri on s-n ous donc fa ire si n ous devion s gard er les a nciens réglages? Eh bien, là e ncore, comme pour la religion , co mme pour la science , co mme pour la politiqu e, l' emprise « scientifique » de s sciences sociales forcerait le s gens à s'être bercé s d'Illusion s à propo s d'œuvre s sans co ntenu : une foi s de plus, le s voilà transformé s e n c royants! Et à nouve au, c omme touj ours, certains d' entre e ux, rendus furieux par l' irrév é re nce d es " e xplications sociales " , von t s' av a nc e r pour d éfendre le " ca ractère sac ré" d e l'œuvre d 'art co ntre le s barbare s de la sociologie . Et malheureusement - car la pente est ra ide et l'issue inévitable -c- nous finirons par osciller mollement entre le point de vue " interne " e t le point de vue " e xterne " , l' e sthé tique et les e xplications sociales, jusqu' à finir comme de s bébés dan s le bac à sable ",
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T oute cette prét ention scien tifique n ' a bien sû r p as la moindre prise e mp ir ique, puisqu e le s ê tres auxqu el s n ous so mmes att ach és par la médiati on d es œuvre s d 'art, s' ils ne res semblent jamais au social d es soc iolog ues, ne ressemblent pas plus à l'" objet » isolé de l' e sthétique avec son" noyau intrinsèque » d'« ineffable beauté » . Tandi s qu e l'ancien paradigme supposait un jeu à somme null e - tout ce que perdait I'œuwe d'art é tait gagné par le social, tout ce que perdai t le social ven ait s' ajouter à la « valeur intrinsèque " d e l' œ uv re d 'art - , le nouveau paradigme rend possible une situation ga gnant/gagnant : plus il y a d' attachements, mi eux on se porte"'. N ' est-ce pa s là une expérience de s plus communes? Vous sortez d'un film ; un de vo s amis attire vo tre att ention sur un aspec t qu e vous n'aviez p as re levé; vo us êtes ainsi am ené à vo ir qu elqu e c hose qu e vo us n ' auriez pas vu sans vot re a mi . Qui a donc relevé cet a spec t subtil ? Est-ce vous o u vot re ami ? La qu estion e st absurde. Qui sera it assez stup ide pour déduire de la somme totale d ' actions l'influ en c e qui co ns iste à/aire voir qu elqu e cho se? Plu s d'influence s il y a, mi eux c'es t. Et si vo us parvenez petit à petit à faire re ssentir l' influence c umulée de la qualité des éc lairages, d es p rocéd ures d u march é, du jeu d es acte urs, des go ût s d e s producteurs , etc., la qualit é e int ern e " d e l' œ uvre n' en sera pas diminu ée p ou r au ta nt : e lle s'en trou v era au co ntra ire renforcée 11 . Plus il y a d'« affluence », mi eux c 'est 1" . Il est contre- intuitif de vouloir distingu er « ce qui vient de s observateurs " et« ce qui vient de l'objet " , quand la rép onse e st évide mment d e se « laisser emporter par le courant " . L'obj et et le sujet peuvent bien exist er, mai s tout ce q ui e st int éressant se produit en amont et en aval ; il suffit de suivre le courant. Oui, décidé ment, suivez le s ac teurs eux-mêmes, ou plutôt ce qui le s fait agir, à savoir les mode s d' existence. La définition pré -relativiste du soc ial faisait pa.~ser au premier plan le participant humain puis, aprè s qu ' on e ut nettement sa uté .1 4. Voir A HINN"" .. G. Tu.. «u ,.,olt du vi... Po.., m e sociol"lie <*' l"". trr>000·· • (2l)Ol J. 00 lIOUVe... d .... 1e mai", ~ _ del.·L. KiluNll , Thr RtformaJo,n tf Ih< /""'! ' (2004) . un< dnexion ' ll<5i profonde '1"" délainé" . ur '" 'l'''' l''' u'<*',,,,nir l"hl5toi", de l" .. Quand eDe p ... d ... séri... x les métaplty. iQu." de. ",,",un . .1 '. Le ,..item"n' QU" «rtain. bi .rori"n. de l"." (. in.i S. Au n •. L·."U" J , (l 99lJ) IIIU d'lefs-d· ",,_ off", UBeX ",n. . . m:>dl!le de lRiteme.. du 5O ciol. mm.e pour _xQui. ne '" l.is.... on..- • •ucune tbbŒ ie 5OcioI.ogiQue . 36. J·e"'IWnte ce _ " li""" ~ A. YANEVA. « L ·affbeŒe de. obj'" • (2ool J.
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dans une autre dimensi on, dans un autre niveau, le monde soc ial qui se tenait touj ours au-delà. Rien ne pouvait interférer avec les humain> q ui n' était pas composé d e li ens sociaux a u sen> n" 1. Telle était l'étiquett e d e cette étrange diplomatie. Av ec notre nouvelle définition, c'est tout l'inverse : les participant s humain s comme le contexte ont basculé dan s l'arrière-plan et ce qui prend désormai s du relief, ce sore les médiateurs dont la prolifération engendre, parmi d'autres en tités, ce qu' on pourrait appeler des qu asi-obj ets et d es q uasi-s ujets. Pour reprendre e n I'tnversant une analogi e astronœnlq ue plu tôt malh eureuse et d éjà frag ilisée par l'usage que Kant en a fa it, plutôt que d ' avoir des objets tournant autour d' agrégat s sociaux comme dan s la soc iologie pré relativiste, nous voyons maintenant div ers types d'attachement qui occu pen t désormais le cen tre de l' univers soc ial . Peu importe les limites d e la métaphore: c'est à un tel chan geme nt d e perspective qu e la sociologie d e l' acteur-réseau souhai te contribue r: les objets, les mode s d ' existence, le s con te nus et le s attachements, voilà les composants qui doivent occuper le centre du monde soc ial, et non l' agen t, la personne, le membre ou le participant - pas plus que la soc iété ou l' un de ses av ata rs . N' est-ce pas là une m eilleure façon d e rendre la sociologie, pour r eprendr e une a utre ex p ressio n d e Kant , e nfi n ca pable d e « marcher sur la voie sûre d 'une science »? L e lecteu r se so uvie ndra pe ut-ê tre qu e, d an s les toute s premi ères pages de ce livre, lorsqu' il m' a fallu esquisser la différence entre la sociologie chi social et la soc iologie des associati on s, j'ai dit , en suiva nt Tard e, q ue la première ava it tout simpleme nt confo nd u l ' explan an s avec l ' ex plan andum e n prenant la société pour la cause des as sœiaüons bien qu' elle ne so it que leur consé quence . Au mom ent où j e l' ai formulée, cette distinction tranchée ne pouvait convaincre puisqu' ell e secontentait d'inverser la direction de l'efficacité causale. Je peux maintenant donner une définition plu s précise: il existe bien d'autres façons d e retracer l'ensemble d es associations e n d ehors d e la d éflnitiœt étroite qu' en donnent les liens soc iaux standard isés. Je pourrais bien sûr me contenter encore de la version simplifiée de cet argument e t affirmer, par e xemple, ce que j 'ai souvent fait, que ce ne sont pas les facte urs soc iaux qui expliquen t la science, mai s le contenu scientifiq ue q ui explique la forme d e son propre conJexte : que ce n' est pas la domination sociale qui
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exp lique le droit, mas le s pratiques juridique s qui définissent ce qu' être obligé veut dire ; que ce n'es t pas la technologie qui es t « dét erminé e socialement " , mai , plutôt le , t echnique, qui rend ent le, liens sociaux durabl e, et étend us ; qu e le, calc ul, écono m iq ues n e so n t pa s « e ncas tré, » d an s le , re la tio ns sociales m ai , qu e ce so n t le , ca lc ul> d e, éc o no mi ste s qui donnent aux acteurs la fac ulté de se comporter de façon économique , e t ainsi de suite . Bien que chac une de ces inversims soit acceptable du point de vue de la sociologie de l'acteur-r éseau. elles resteraiera cependant partielle" dan , la me sure o ù elle, lais seraient intacte, le, po sitions respectives de ce qui explique et de ce qui doit être expliqué, se co ntentant de substituer l'une à l'autre. Comme je l'avais indiqué au début: ce n' e st pas le soc ial - , "1 - qui rend c omp te de s assoc iatio ns, mais le; associations qui ex pliq uent le soc tel. Or, maint enant que nee s avon, l'habitud e d e voyager à pied dam ce pay sage volontairement aplati , ce, deux positions o nt di sparu en même temps que le besoin même d ' avancer une explic ation sociale qui vien drait piocher dans le stoc k de liens soc iaux stabilisés : le soc ial n' est pas un lieu , une c hose, un domaine ou un type de matéri au , mai s le mou v ement p rovi soire qui v a d'association s e n nouvelle, as so ciaüon s. Ce ch ang ement d e topog raphie nous permet maint enant de pré senter les même , argument, MllI , un j our plus Intéressant, même s ' il paraît nettement plus risqué. Nous pou vons com mencer à ménager, pour ainsi dire, de s piste s d'atterrissage permettant à d'autre s forme s d'ex istence d ' entrer à leur tour dan s l e collect if, d e, mode , d' e xi stence tout auss i complets, omnip résents, respectables et empiriques que le social de, sociologues mai , que ces dernier, n ' ont pa , l'habitude de suivre avec asse z d'obstination. Il ne s' agit pa.~ seulement de dire que le droit, par e xemple. ne saurait ê tre e xpliq ué par l' infl uence de s forces soc iales qui s'exercent sur lui ; car il ne serait pa, non plu, exact de dire que le droit doit ex pliquer à so n tour ce qu'est la sccié é, puisqu'il n' y a pas de soci éë à expliquer . .. Le droit a bien mieux à faire : il doit c irculer à traver, le pay,age pour associer de, entités d 'une f açon j uridique . La science, bien e ntendu, ne saurait s'expliquer par son contexte soc ial, mais il n'y a pas non plu s à l' utiliser pour ex pliq uer le; composants d e, relaion s sociale>. Elle a ussi a bien d ' autre , c hoses à fai re : l'une d ' entre elles co nsiste à circuler
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partout, e n liant de s e ntités d ' une f açon scientifique. Et, bien qu ' il serait vain d' expliquer la reli gion comme une all é gorie fanta stique de la société, faire le contrai re ne serait guère mieux , puisqu e la rdigion ne vi se pas même à expliquer la form e de la soci été . Ell e aussi a de s choses be aucoup plus import ante s à faire : elle doit en l' occurrence ra ssembler le s mêmes entités qu e le droit ou la science mais les relia de fa çon religieus e. Puisque le fait d' expliquer la p olitique par le p ouvoir e t la domination es t un argumen t o iseux, il n'y aurait guère de sens à se contenter de I'Inverse- : la politique doit s'acquitter de tâche s bien plus fondamentales, et notamment tracer sans cesse le contour paradoxal du corps politique d 'une fa çon p olitique . Et o n pourrait dire la même c hose d'autre s espèces de connecteurs qui so nt maintenant sur le devant de la scène, dans la me sure où ce so nt leurs déplacem ents qui tracent le s connedons social es - ex pression qui , comme nou s le savo ns, ne sig nifie pas « des connexio ns faite s d e soc ial », m ai s d e n ouvelle s associa tions e ntre de s éléments non sociaux. Nous arrivons à la partie la plu s difficile : déplacement, oui, mais de quoi? Qu e ve ut-o n dire lorsqu e l'on p arle de e faç ons ,. religieuses, scientifiq ues, tec hniques, économiq ues et politiqu es d' engendrer d es a ssociatio ns? Et comment cela pourrait -il être co mparable avec le s trace s lai ssée s par 1e5 définitions calibrées de s li ens sociaux ? C 'est ici que l' analo gie a vec la révolution copernicienne p eut paraître un e uphém isme; c ' e st ici qu e se produit la véritable rupture avec toute so rte de science e sociale ,. si nous ne modifions pas pour d e bon le sens de cet adjectif - et c 'est ici qu e le s qu elqu es lec teurs q ue je sui s parvenu à garder jusqu'à maintenant vont sûrement décider d' abandonner à j amai s ce tte théorie mon strueu se 11. Pour co mprendre ce que j e co ns idère comme le but ultime de la sociologie de l'ac teur-réseau, il nous fa ut lâc her hors de leurs c ages de s e ntités auxquelle s on a vait j usq u' ici stric tement interdit d ' entre r sur scène, et leur
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permettre de rôder à nouveau de par le monde JO. Quel nom pourrai s-je leur donner ? Enti té s, ê tres, o bjets, c hoses; peut-êtr e faut -il s' y référer comme à des invisibles J'I. Je leur donn e le nom technique de mules d' existence o u enco re de régimes d'énonciation . Mais, comme c'est l'obj et d'un aut re livre et que j e n' ai pas heu reu sement à défendre cet argument ici de façon po sitive, j e peux me contenter d' en signaler la direction et d'Indiquer pourqu oi nou s continuo ns à minimi ser nos c ha nces d' être «objecti fs JO lorsqu e nou s nou s fions t rop à la socio lo gie du social. Aucune âme pieu se n'a jamais accepté de se voir réduite a u s tatut de simple « croyant » , alors pou rquoi agir comme s i la c royance était la seule façon d' expliqu er la reli gi on ? Aucun amateu r d' art n' aj amai s oscillé entre la e s ubjectiv ité JO e t l' " objectivité JO , alors pourq uoi entraîner toute la sociologie de l'art dan s cette impasse artificiell e ? A ucun ingéni eur n'a jamais di stingu é pour de bon l ' assemblée de ses ma chinati on s e t l ' a ssemblage de ses machines, a lors pourquoi ex pliq uer le s c hoses comme s' il fal lait d'abord bien sépare r la soc iété et la technologie ? Aucun c he rcheur de laboratoire n' a jamais é té confronté à un objet " donné JO indépendamm ent du travail nécessaire pour le " rendre vls ible », alors pourquoi fai re comme si l' alternative que représe ntent le « réa üsme » et le « cœistructivl sme » éta it intére ssante ? Aucun j uriste n' a jamais eu affaire à la seule dominati on, alors pourquoi prétendre que la distinction entre les procédures formelles et les forces soc iales réelles est importante ? Si le terme " e mpiriq ue " signifie " fidèl e à l' ex périence JO , alors pourquoi diabl e ne pas respecter une bonne fois ce qui est donné le plu s couramment dans l'expérience la plu s ord ina ire ? J' ai peut-être rec ouru trop souvent à la métaphore de la relativité, mai s le parall èle est saisissant : abandonner l'explication sociale est comme abandonner l'éthe r ; rien n' est perdu sinon un artefact qui rendait impossible le développement d' une science J8. n .. peut Q U ' u ~ ",no 'Iitiv""", • pu pla.oor SOI moi lor !lljOo je "'jo"; . muto /0"'0 ""dl ~ (if- la douximo "'....,., d' inc m .udol, il 0" mainl
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r m i, ième 1IIOUl'l'1IIt'1Il: cf>ll1lt'cler /1« »tes
e n obligeant les observateurs à inventer des entités aux attributs contradictoires e t en les rendant aveugles à celles qui existent. Il m e semble que le principal avantage de l'étran ge démarche qu e je propose est qu ' elle permet a ux sociologues de sais ir empiriquement ce que font tous les parti cipants. Ce n' est qu'après avoir replacé les explications sociales dan s la fabrication et la di ssémination de standards que l'on peut finalement mettre en e xergue les autres modes d' existence qui rassemblent le collec tif à leur façon. Les médiateurs nou s oot finalement révél é leur véritable nom : « No us som mes des mod es d ' exi stence, des êt res qui rassemblent et assemblent le co llectif de façon aussi extensive que ce que vou s avez appelé jusqu'ici le social en vous limitant à une seule version standardisée des assemblages ; si vous voulez suivre les acteurs e ux-mêmes, alors vous devez nom; suivre nous a ussi. " Lorsqu e vous commencez à VOlIS rapport er a ux médiateurs de façon si scrupuleuse, vous vous rend ez compte q ue seul un petit nombre d' entre eux peuvent se satisfaire du répertoire onto log ique qu'offraient les deux collecteurs précédents - la société et la nature . Le dr oit, la sc ience, la reli gi on, les économies, les psychologies, les mo ralités, la politique, la techniqu e et les o rga nisat ions sont tous susceptibles d' avoir leu rs propres mod es d' exi stence et leur propre mode de circulation. La pluralité des mondes habités peut bien être une hypoth èse hasardeu se, mai s la pluralité des mode s d' existence dan s notre monde es t tout simplement un donné <0. y a-t-il une seule raison pour que la sociologie continue à l' ignorer " ? Le probl èm e es t q ue les sciences sociales n' ont jamais osé être réellement e mpiriques, parce qu'elles croyaient toujours q ue leur premier devoir était de s'engager simultanéme nt dan s le va ste proje t de la modernisation. Chaque fois qu'une enquê te commenç ai t un peu sérieuse ment, elle se trouvait suspendue à mi-course par le besoin d' acquérir une certaine pertinence politiqu e. C'est pour cette raison q u' il est si important de séparer ce , .. nd• .p.1r.. ou1<>nan... hé gldJ.&: p. >Cft obSlinoti<>n ' ~ O" 1IpM... da.o . llII métal .. ~"II' .mJl'Ullo! ~ UDO O. rt.lliDO biologi•. 40. C . "
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C<>m melll retracer [1« a.«ocialimu ?
qu e j 'ai appelé auparavant les tr oi s objectifs s uccess ifs de s sc iences soc ia les : a) le dépl oiement de s c ontrovers es ; b) la stabllise tion d e ces mêmes controverses, et c) la recherc he d'efficacité politique. Mais, avant qu e no us n' abordions cette derni ère que stion, celle de l' épistémologie politique, j e dois souligner un dernier a spect surprenant, celui qui m' a probablement poussé à écrire Cd ouvrage . Con trairement à toutes les autres prises que je suis parvenu à mettre e n place dans ce chapitre, celle-c i va mettre un terme à la continuitédes ré seaux, à la terra fenna des trace s et des inscriptions. Ell e va nou s ram ener àla m er, à l' océan d e notre ignorance.
Plas ma : les m ass es manqu an tes
Quel so u lagemen t ! No u s ne som mes pas « en » soc iété - pa s plus que nou s ne sommes « dans » la nature . L e social n' e st pas un horizon impalpabl e à l'int éri eur duqu el viendrai t s' insc rire c hacun de n os ges tes; la soc iété n' a pas cette présence o mniprésente, om nisciente q ui surveille c hacun d e no s mouvement s et sonde c hac une de nos pensées les plus sec retes. comme le Dieu o mn ipotent de s a ncie ns ca téch is mes. Lo rsqu e n ou s acceptons de dessiner le paysage aplati pour lequel j 'ai proposé une liste d'acce ssoires, de tru cs, de grilles e t de prise s, le soc ial - ou du moins la fraction du social c alibrée, stabilisée et standardi sée, le social n" 1 - se met à circ uler à l 'intérieur d e cond uits étroits, q ui sont sus ceptibl es d e s'étend re grâce à un supp lément d'Instrument s, un surcroît de dépense et une multiplication de s canaux. La totalité, c 'est-à -dire le systématique et le struc turel, n ' e st pas ignorée, mais plutôt soigneusemen t raccompagnée à l' intérieur de l'une de s nombreu ses salles Omnimax qui offrent d es panorama s com plets d e la société - et nou s savons d ésormais qu e plus le spectacle e st im pressionnant, plus Il a fallu refermer soigneusement la salle sur elle-même. La société n' e st pa s ce grand toot « dan s lequ el » tout le res te se trouve enchâssé, mais ce qui voyage" à travers JO tout le reste, e n calibrant des connexions e t e n offrant aux e ntités qu'ell e renc ontre une occ asion de commensurabilité. Nous d evrion s maint enant apprendre à nc us e raccorder JO a ux canaux sociaux comme nou s raccordon s 348
Tm i.
notre télévision au câble . La soc iété ne couvre pas tout, pao> plus que le World Wide Web n' est véritablement .. worldwide " . Mai , la q uestion suivante devient alors si simple, le prochai n pa, si in évitabl e, la conséquence si logique qu e j e s ui, certain que chaque lecteur parvenu à ce point le, a déjà anticipés. S ' il est vrai, comme l' affirme la sociologie de l'acteur-réseau, que le paysage social relè ve de cette topo graphie réticulaire e t plate, que les ingrédients qui constituent la soc iété circ ulent à l'intérieur de cond uit, é troit" qu 'y a-t- il entre le, mailles d'un tel circ uit ? C'est là, e n dé p it de se, no mbreux défaut" que la métaphore du réseau demeure si puissante : contra irement à la substance, à la surface, au domaine et aux sphères qui remplissent c haque centimètre de ce qu'ils relient e t délimitent, les file ts ou les rés eaux laissent tous la; éléments qu' ils ne relient pas dans un étal de non-connexion. Une toile, un filet ne soot-Hs pa> faits e n premier li eu d'espaces vides ? Une fois q u' o n est parvenu à faire circuler à travers le pay sage. à l'Instar d'un métro ou d'un o léoduc, quelque chose d'aus si englobant, d'aus si enve loppant que le .. contexte social ", on ne peut éviter de se poser la question s uiva nte : qu' e st-ce qui n' e st pas racc ordé à ces forme s étroite> de circulation ? Dès qu e la question est soulevée, tout se pesse comme si l'on avait affaire à un renversement complet du fond et de la forme, du premier et du second plan . Dès que l'on replace l' en semble du monde social à l'intérieur de se, prop re , c haînes métrologiques, on voit surgir l' immensité d'un nouveau paysage. Si le savoir du soc ial se limite aux galeries de termites dan , lesquelles nou s avon, voyagé, qu e savons-nous de ce qui se trouve en dehors ? Pa, grand-c bcse. D'une certaine façon , c'est la conséquence de notre déci sion de donner une description matérielle du formalisme . Si le formalisme ne saurait donner une description complète de lui-même, cela implique que, pour compléter tout acte de formalisme, vous devez lui ajouter quelque chose q ui viendra d'ailleurs et q ui, par définition, ne sera pa, formel. C'est la grand e leçon de Wittge nstein : impossible de décrire par un en semble de règle, ce qui est impliqué dan s le fait de suivre de, règles. Comme d'habitude, c 'es t Garfinkel qui offre la définit ion la plu s forte de l' .. e n- de ho rs" auqu el nou s de vons faire référence pour compléter tout COUl"!i d' action: .. Le domai ne de> c hose, dont o n ne saurait rendre compte e n terme, d'AF [a nalyse formelle] est 349
C"",melll re/racer les D.
d'une en vergure astron omique massive, tant en termes de dimensions que de variété'l. " Même s'il n'a pas pris la me sure de l'importance véritable d e la standardisation, la métaphore q ue propose Garfinkel n 'est pas une exagération : le rapport d e ce qu e nou s savons formater sur ce que IIOU S ignoron s est en effe t astronomique. Le soc ial tel qu' on le conço it habitu ellement ne représe n te qu e qu elqu e s pe tits points co mpa ré au n ombre d'associations nécessaire s pour réaliser ne serait-ce que le ges te le plus infime'J. On trouve le m êm e étonnement dans d e nombreux courants de la th éorie sociolog ique : l'action ne tombe jamais j uste. C'est par exemple la grande vertu, pour ne pa s dire le charme, de la façon dont Howard Becker rend compte de s pratiqu es soc iales . Ses descriptions ont beau re ster toujours inc omplêtes, ouvertes, h ésitantes, commencer a u milieu d es c hoses et se terminer sans a ucune raison particulière, ce n'est pas là une faibles se de sa pm, mai s le rés u ltat de l ' attention extrême q u'il porte a ux a léas de l' expérience". Pour apprendre IUle mélodie, diriger un orche stre, il fa ut prendre la me sure d 'un grand n ombre de fra gm ents d' ac tions n on acqui s e t n on coordo nnés . C'est auss i la raison pour laqu elle , pou r ci ter une a ut re école d e pensée, Laurent Th évenot a d û multipli er les différents régimes d ' a ction po ur seu lemen t co mmencer à abo rder le s co mportements le s plu s simp les. Dès qu ' il fa ut fournir une de scription noo formelle du formalisme, c haque penseur devi ent un n ou veau Zénon e t doit multiplier le s étapes intermédiaires ad infinilum. C'es t aussi pour cela q ue John Law, lorsqu 'il a'eûœce de donn er sa propre d éfinition de l'acteur-réseau, so uligne q ue « la métaphy sique altern ativ e su p pose qu e l ' en-deho rs est d éb ord ant , e xcess if,
42. H. GAmNtl1., Elhm_rhodology', PI'O/Iram (2 002 ~ l'. lOI. H. no", uo passale .t.lp! fi.,t de "'" demie, hre. Gorfi""d . ffirme Q"" ""'" le. ",,," I",pl ,, gnndillle, de l' O "'o'. de 1 lhode. de 1. noisoo. de l' "'DOII u Do...elle , de l'Olme . .... "'ml" . de l'e'l'",e, du lieu. de 10 po ,; tio .. de Jo cm",ie",e. de 1. €uJ.. Ar, World.! ( 1 9 82~
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Troisième lIIOuvemelll : " mllt'eler les
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é nergétique, un e nsemble de p otenti ali tés non déterminées et un flux qui, e n dernière analyse, reste irdéc idable " '" . Mai s o n n e s'étonnera pts q ue ce soit Tard e qui ait form ulé d e la façon la plu s radical e cette intuition s ur le fond néce ssaire à l' émergence de toute ac nvit é' ". C'est la conséquence de son Inversion de s liens entre le grand et le petit, à laquelle j'ai déj à fait ré férence dans le s chapitres préc édents : le grand (les Éta ts, les organis ations, le s marché s) es t une amplificerion. mais aussi une simplif k ation du petit. Seul Tarde pouvait s ubvertir autant le se ns commun e n disant tranquillement : " Il Ya en généml plus d e lo gique dan s un e phra se qu e dan s un di scours , dans un di scours que dans une suite ou un groupe de di scours ; il Y en a plus dans un rite spéc ial qu e dans tout un credo : dans un article de loi qu e dans tout un code, dans une théorie scientifique p artic ulière qu e dans tout un c o rps de sc ience; il Y e n a plus d an s c haque travail exéc uté par un o uvrier que dan s l' en semble d e sa conduite -<1. » Avec ce principe, nous ne de vons pa s co ns idérer qu e le niveau macro inclut le niveau micro, mai s qu e le micro est cons titué d'une prol ifération d' entités inc ommensurables -s- ce qu'il appelle des " monade s » - qu i ne pr êtent qu 'un se ul de leu rs att rib uts, une " façade d'elles- mê mes '", à la constitution d'un e totalit é p rovisoire. Le petit fait tenir le grand . Ou , plutôt , le grand pourrait à tout moment so mbrer à nouveau dans le petit dont il a émergé et auquel il ne pourra qu e retourner. Quelle qu e soit l'exp ression qu e l'o n re tient, il semb le qu ' on n e puisse accéder à aucune comp réhens ion du social n" 2 si l'on ne prête pas atte ntion à une a utre série d e ph éno mèn es no n formatés. Tout se pass e comme si, à un certain moment, il vous fallait q uitter la terre ferme et vo us aventurer en mer". J' appelle ce t arrière-plan le plasma, c ' e st-à-d ire ce qui n ' e st p as e ncore formaté, p as e ncore me suré , p as e ncore soc ialisé, pas e ncore en g agé dans de s c haînes métrol ogiqu e s, e t p as enco re
4 S. J. LAw,A.j'" M" hod : Mf.., in S>ni". . il 902), (l n o. 4 7. G. Tuoo, LJ is soc iah (1999), l'. I l S. 4S. Av"" 50 p,ila .up bi. do l"oxpli oil>uun des onvolupp'" d. n. IO"luollo. nuu. "'''''''''' mu. o",," .u. _ br . Qu·"lo ",il uh diffi!..... do la d","' '';''' do. n!.. ",x, ma ",""'o qu·il trou"" d ·. iU ...... . ano!mi",o • 1_ P. Slolm!Yl (' lOlJ1lil ..... d....,-iplial . ,.,,,,,no 01r.... do 00 Qui IDOaj"" 'wi""'" ~ ob"!",, OI-.nplO ..... ID.
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C""'1IIl'1Il
re/racer [es lll'IocialirJIIX ?
co uver t, s urveillé, mobilisé ou s ubjec tivé <9. Quelle e n es t l'étendue? Prenez un plan de Londres e t imaginez que le monde social q ue no us avons visit é j usqu' ici n' occupe p u plu s de place qu e le métro. Le plasma serait tout le rest e de la vill e, tous ses bâtiments, ses habitants, M:S climats, ses plantes, ses chats, ses palai s, sa garde à cheval. Oui, Garfinkel a ra ison, cela est « d'une envergure astronomique massive, tant en termes de dimensi ons que de variété » . Une fois qu e nou s avon s pri s la m esure de tout e l ' étendue couverte par le plasma, nou s pouvon s remettre à la place qui leur revient les deux intuitions opposées de la sociologie positiviste et de la sociologie interprétative : oui, il nou s faut tourner notre attention vers l'en-dehors afin de rendre compte de n'importe quell e action, et, oui, il existe une flexibilité indéfini e des interprétation s qu e l ' on p eut donner d e ces act ions . Ma is cet en-dehors n' est pas taill é dan s un mat ériau social - c'est tout l'inverse - et l'interprétation n' est pas une caractéristique a ux individualités humaines - bien a u contraire . Pour interpréter un com porte me nt, il n ou s faut y aj outer quelqu e c hose - ce qui ne veut pas dire que nous devons c hercher un cadre social pour qu e l'addition tombe juste. Les soc iologues avaient bi en sûr rai son de recherch er un "en-dehors », mai s celui qui nou s intére sse ici ne res semble en rien à ce qu'il s s' attendaient à trouver, puisqu'il est privé de toute trace d'habi tant soc ial calibré. Ils avaient rai son de cherc her" quelque chose qui se cache œ rrière » , mai s ce quelque chose ne se trouve pas derrière, pas plus q u' il n' est simplement caché. Il s'agit d'une réalit é interstitielle qui n' est pas faite d'un matéria u social . Ce quelque chose n' est pas caché, mais simplement inconnu. Il ne sera it pas mauvais de lui donner l'étiquette de « social n" 4 » et de l'ajouter ainsi aux trois autres . Cela ressemble à un vaste arri ère-pays fournissant les ressources nécessaires au déroul em ent de chaq ue action , llll peu à l'i mage de la campagne qui fait viv re l es habitants des vill es , o u, mi eux e ncore, des masses manquantes dont le cosmologue doit postuler l' exi stence afin d' équilibrer dan s ses calculs le poids de l'univers.
49. Vo iJ E. DIDIhIl• • D. l" bdiantilkm t la pqmlation . (:lOOI), pmu rtmalIjuahl. W pl..m a avant qu'il DO ",il lIa",tOlm ! • • ch itr.. ..
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exomp l.
Si nou s voulons int erpréter un c omportement, nou s d evons donc nou s morner c apables d' en accep ter un grand nombre de version , différentes, ce qui ne v eut pa, dire qu'il faut revenir a ux int eractions locales - le social n" 3 . J' ai critiq ué à plusieurs reprise, le, phénoménologue" et peut -être aussi le s humaniste s, pour leur tendance à croire que le s int eraction> face à face, le, agents individu els e t les ac teurs int entionnels fourniss aien t un site plus réaliste e t plus vivant que les vaine s abstractions de la société. Bien qu' ils ai ent e u raison d'insister sur le s incertitudes , il s se sont trompé, lorsqu'ils o nt voulu localiser leu rs so urces . Le , humain, capables d 'intention, le, personne s douée s d 'intimité, le s âmes dotée s d'individu alité ne sont pa s le s seu ls agents interprétatifs dans un monde de fait s indiscutables p rivés de toute s ign ific ation . Ce qu e l' on en ten d ici par « int erpr éta tions _, " flexibilit é » et " fl uidité _ n' est qu 'une façon d e prendre acte du vast e en-de hors q ue tout e act ion doit inv oquer afin de se dérouler - ce social n" 4. Cela n'e st pa s vrai de s seu les actions humaines, mai , de toute activ ité . L'herméneutique n'e st pes un privilège des humains mai s, p our ainsi dir e, une propriét é du monde lui- même. Ce derni er n' e st pas un continen t solide de fait s ponctué d e qu elqu es lacs d 'incertitudes, mais un vaste océan d'incertitudes pars em é d e quelqu es îlot s d e forme, calib rées et stabilisées. En savons-nous véritablement si peu ? Nous en savons moin s e ncore . Paradoxalement, ce tte ignorance « as tro no mique _ e xp lique beaucoup de choses . Pourqu oi de redoutables armées di sparai ssen t-ell es en un e se maine? Pourqu oi d e s em pires e n tie r" co m me l ' empire soviét iq ue. s'éva no uissent -ils e n quelques moi s ? Pourquoi de, entre prise, qui s'étendent sur toute la surface du globe font-elles faillite après la publication de leurs dernières p revisions trimestrielles ? Pourquoi les même s e ntreprise s passent-elles en moins d'un an d'une situation alarmante à d e s p rofit s é norme, ? Pourquoi d es citoyens tranquill es se tran sforment-ils en fo ules révolutionnaires, o u po urq uoi d e m orn e s rassem blemen ts d e ma sse deviennent-ils so uda in d e joyeu se s assemblées de citoyens lib res 10 ? Pourquoi arrive -t -il 50. VoirIe ""péfi lllt d<><»me iJe de H..... Fuœ"" Vi'*"8rams tf ~ Nrvol..",... 1991 .. ["anicl< d·An. Miljld i d B. LArouR" P. WEIl" "', Mot;"" lJIinS' Poblic (2OO'l1·
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Commt'1Il re/racer les lll'IocialiOllX ?
qu'un individu sans qualités passe soudainement à l'action après avoir r eçu qu elqu e obscure information ? Comment se fait-il qu 'un musicien si platement académiq ue soit so udai n poss édé par le rythm e le plus frénétique ? Les gén éraux, les éditorialistes, les dirigeants, le s observateurs et les morali stes di sent souvent que des changements si abrupts ont quelque chose d'impalpable e t d e lab il e. C'es t trè s e xac te men t l' é tymolo gi e du term e « plasma " .. . Cela ne veut pas dir e que l' architec ture robu ste de la société soit e n train d e s'effondrer, ni qu e le Grand Léviathan ait des pi eds d 'argile, mai s qu e la société comme le Léviathan circulent à l'intérieur de canaux étroits; qu' afin d'être efficacement activés, il leur faut recourir à un nombre indéfini d'ingrédi ents e x traits du plasma qui les e ntoure . Ju squ 'ici, j' a i trop insisté sur la continuité - le social n" 2 - , qui ne peut s'ob tenir qu ' à travers d es connexions traçabl es qu 'il faut toujou rs consid érer par rapport à un arri ère-plan beaucoup plus vast e fait d e di scontinuité s - le soc ial n° 4. Ou, pour le dire a utrement, il faut faire naît re un e soc io log ie d ont le s intuition s co n trad ictoires seraient m aint enu e s : nou s dev ons nou s montrer c apa bles d e prendre en compte à la fo is l' inertie formidable des structu res sociales et la fluidit é incroyabl e q ui leur perm et d ' exister: mai s celle-ci est le v éritable milieu qui permet à cd le- là de circ uler. Pour chaque actio n que j'ai pu décrire jusqu'ici, il fa ut ajouter un immense répertoire de masses manquante s. Elle s sont néces s a ires à l' équilibrag e de s comptes rendu s, mai s e lles so n t manq uan tes . La bonne n ou v ell e es t qu e tout l'attirail soc ial n ' occupe pas beaucoup d e place ; la mauvai se e st q ue nou s ne savons pas bea ucoup d e c hoses sur cet en-dehors . Et pourtant, pour chaque action formatée, localisée et continue dont on puisse rendre compte, il existe une réserve, une année de réserve, un terri toire immense - quoi qu' il ne s'agisse ni d'un terri toire ni d'une armée - où e Ue se découl e. Le lecteur c ompren d maintenan t peut-être pourquoi j'a i cri tiq ué av ec tant d ' obstination la sociologie d u social: elle forme un paquet dont le contenu ne se lai sse pa s a isément inspecter. Si j'ai tant insisté pour qu ' on ne co nfonde pa s le social en tant que société avec le social comme association, c'était pour qu e cette ré serve devienne finalement
S l. Voirl 'iDdex d.. , B. CA","-N. L" tff" ""p!l;'liqW ( l 99S).
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mobilisable. Comment une action politique serait-elle possible si elle ne puisait pas dans ces virtualités en auers e ? Il se peut q u' il ex iste des lois du monde social, mai s elles occ upe nt une place très di fférente de celle q ue la tradition leur assignait. Elle s ne se cachent pas derri ère la scère ou au-dessus de nos têtes, elles n'exi stent pa s avant l'action mai s apr ès elle, elles se situent en dessous des participants e t au p rem ier p lan . Elle s ne couvre nt p as. n'incluent pa s, ne rassemblen t pas, n' expliquent pis : elles circ ulera, elles formatera, elles sta nda rdi sent , elles coordo nnent, elles doivent êt re expliquées. Il n'y a pa s de soc iété ou, plutôt, la soc iété n' est pas le rom par lequel on peut désigner l'intégralité du terrain. Nou s pouvon s reprendre tout depuis le début et rec ommencer à explorer le vaste paysage dans lequel les sciences soc iales se sont jusqu 'ici conte ntées d' établi r qu elques têtes de pont. L' ère des gra ndes explorations peut donc s'ouvrir à nouveau peur la sociologie, à condition que nou s gardions à l' esprit ce mot d' ordre: ne pas f aire de remplissage . Pourquoi devrion s-nou s nou s montrer impatients avec cette di scipline ? La soc io log ie est une sc ie nce n ou ve lle , la dernière-née d'une famille nombreuse composée de nombreux frères et sœ urs plus âgés . On peut comp rendre q u'elle ait d' abord tenté d'imiter leur ré ussite e n reprenant leur dé finit ion de la science et du social. Il faut du temp s pour trouver sa voie.
Conclusion De la société au collectif - peut-on réassemb ler le socia l ')
L "ALffi RNAll YE que j'ai proposée dans ce livre est tellement simple qu'on pourrait la ré sumer par une brève énumération : a) la question du soc ial é merge lorsqu e les liens dans lesquels nou s som mes pris co mmence nt à se défaire : b) ce so nt le s mouvement inattendus d 'une associaüon à l' autre qui permettent de dét ecter le soci al ; c ) ces mouvements peuvent être suspendus ou, au contraire, repns : d) lorsqu'Ils SOIlt suspendus d e façon p rématurée , apparaît le socia l tel qu'on le co nç oit d'habitude - fi" 1 - , stock de participants déjà agréés, .. acteurs sociaux JO ou .. membre s JO d'une .. société JO ; e) lorsqu e que le mouvement vers le collectif reprend so n cours, il trace le social (au sens n" 2) à travers de nombreuses entité s non sociales qui sont susceptibles. par la suite, de devenir œ s membres réguliè rement enregistrés; f) s' il e st prolongé de façon systématique, ce s uiv i peut ab outir à la d éfinition partagé e d 'un monde c ommun - ce que j 'ai appelé un c ollec tif: mais g) si l'on ne m et e n plac e aucune procédure pour le rendre co mm u n, cet as semblage peut tre s bien éc houer; en fin, h) la sociologie se laisse mieux définir comme l'une de s disclpllnes par lesquelles le s participants s' e ng age nt explicitement à ré as se mbler le c ollectif. Malgré le to n trè s général de ce t ouvrage, l' objectif que je m'étais fixé au début demeure malgré tout restreint : e n tirant les leçons de la sociolo gie des sciences, aprè s avoir modifi é au ssi
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Chang", de société
bien le sens du mo t " social" qu e celui du m ot " science ", peut-on reprendre le projet d'une science du social '1 Comme j ' en avais averti le lecteur a u début , je n' ai pas essayé dan s ce livre d' être juste et impartial: j'ai voulu tirer de façon au ssi cohérente que possible toutes les conséquences de mon étrange point de départ. Nous sommes maintenant arrivés au terme de notre voyage . Nous pouvons déj à conclure que le social n° 1, tel qu'rn le définit d 'habitude, n' e st qu 'un moment particulie r dan s la longue hi stoire des assemblages, une forme tran sitoire s uspend ue e ntre la quête du corps politique d'une part et, de l' aut re, l'explora tion du collectif Le gra nd projet qui procura son impulsion à la soc iologie du social, depuis ses origines au mili eu du XIX' siècle jusqu ' à la fin du siècle dernier, est désormais à bout de souffle . Mai s il n'y a auc une raison de désespérer. Au contraire, cela veut simplement dire qu 'un a utre proj et, a ussi a mbitieux qu e lepréc édent , doit prendre le relais. Puisque la sociologie du social n' est qu'une façon parmi d' autre s de parvenir au collectif la sociologie des assoc iations reprend la mission de collecter ce qu e l'idée du soc ial a laissé e n suspens . Afin de rendre justice aux efforts de nos prédéces seurs et de rester fidèles à leur tradition , nou s devon s faire nôtre leur objectif, com prendre pou rquoi ils ont pu penser qu'il ava it été prématu rément atte int, e t voir comment il pe ut être poursuivi avec de meilleures chances de succès. Sij' ai pu sembler injustement sévère avec les anciennes définition s du social, c'est seulement parce q u'dies o nt e u récemm ent plu s de di fficultés à reprendre le travail d' exploration du monde commun. Le problème vient de ce qu'il est trè s difficile, une fois de nouvelles as sociations stockées et emballées sous la forme des forces sociales, d'inspecter leur contenu, de contrôler leurs dates de péremption, et de vérifier qu' elles possèdent réellement les véhic ules et l'énergie nécessaires pour tran sporter s ur toute la distance ce qu ' di es prét endent expliquer. Comme nou s l' avons vu au cours du chapitre précédent, il ne s'agit pas pour autant de nier le pouvoir de formatage des sciences sociales. Au contraire, c'est précisément parce qu' elles parviennent si bien à cal ibrer le monde social qu' elles se prêtent mal à suivre les assedations nouvellement tracées par des e ntités non sociales. Le répertoire qui se révèl e si com mode lorsqu 'il s'agit de trou ver
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Omri....;""
son c he min à travers l'état stable d'une soc iété est ce lui-là même qui vous paralyse en temps de crise. La tentation est trop grande de s' en tenir alors a u r épertoire d es m embres d e la société ayant des doc uments e n règle d d ' éliminer des donn ées cell es qui ne cadrent pa s. Or, en reprenant le projet de s scie nces socie tes. en le ramenant à l' étonnement orig ina ire, on peut redevenir sensibles à des types d'assemblages inusités. Lorsque n ous pensions ê tre modernes. n ous pouvions n ous contenter des deux collecteurs de la société et d e la nature. Mai s il nou s faut aujourd'hui nou s pencher à nouv eau sur ce dont no us sommes faits, en étendant le réperto ire des liens a ins i que le nombre d ' a ssociations bien a u-de là de s liste s dan s le squell e s le s expl icat ions sociales se contentent de puiser. À tout moment, la science, la reli gion, la politique, le droit, l'éc onomi e, les organisations. etc ., offrent des ph éno mènes q ue nou s devon s à nou v eau lai sser no us intriguer si nous voulon s co mprendre le type d ' entités dont les collectifs so nt s usce p tibles d e se composer à l' avenir. Pu isq u' il semb le d ésormais que le s deux co llecteurs ne so nt plu s assez vastes pour nous contenir, il est temps de remettre l'ouvrage sur le méti er. B ien qu e l' idée de r epr endre le tr a vai l de tr aça g e d e s connexions pour le rediri ger vers tou s les objets q ue le s soc iolo gues du soc ial avaient cru rai sonnable de laisser de côté puiss e s usc iter c hez ces derni ers un certa in em barras, j'ai pourtant maintenu la contin uité avec la socio logie de l' acteur-réseau. Il y aura peut-être des désaccords méthodologiqu es e t quelqu es grincemen ts de dents, mais la compatibilité logic ielle, comme 00 dit sur le marc hé des p rogramm es, a été mainten ue. Le cas d e la sociolog ie cr itique est di fférent. Comme o n le sa it, j'ai réservé celle étiquette à ce qui se passe lorsqu' on ne se co ntente pa s de se limiter au co nte xte socia l en dél ai ssan t le s contenus. comme le s autres écoles, mai s lorsqu ' on ass ure en plu s que le s contenus eux-mêmes ne so nt faits que de lien> soc iaux. Ce courant devient d' autant plus inquiétant lorsqu e c'est la réaction indi gnée de s acteurs q ui est pri se, non pour l ' occasion d e sa is ir ce qu 'une telle ré duc tion a forcé ment d'in exa ct , mai s co mme la meilleu re preuve qu 'il s'ag it là de la seule démarche sc ientifique possibl e ... Si le s objets ne so nt faits qu e de lie ns sociaux, et si l'on suspen d cette so urce de fals ification - les objectioos de ceux q u'on croit avcir « ex pliqués » - , il est a lors d ifficile d e maint enir q uelq ue compatibilité q ue ce soit avec la
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soc iologie de l'acteur-réseau. Malgré ses pr étentions à la scientificité e t à l'objectivité, la soc iologie c ritique ne peut ê tre une sociologie - au sens q ue je donn e m aint enant à ce terme puisqu'ell e semble ne dis poser d'auccn moy en de renouveler son équ ipement afi n d ' assurer un suiv i des éléments non sociaux. Co nfro ntée à de nouvelles situations et à de nouveaux objet s, elle risque simplement de répéter qu'ils sont tissés à parti r lhl même petit nombre de forces déjà répertoriées : le pouvo ir, la domination , l'ex ploitatio n, la légitimation , la fétichisation, la réification , I'cbjectlvatlce. Le d roit est peut-êt re socialement construit, mai , la re ligion a ussi, l' économie, la po litique, le sport, la mora lité, l' art ; tout ce qui se compose du même matériau: seul varie le nom du " champ JO . Le problème, avec la sociologie c ritique, c'est qu' elle ne peut j amais manquer d' avoir raison. Parvenu à la conclusion, je doi s néanmoins affro nter cet te façon de faire de la c ritique sociale, dans la mesure o ù derriè re la question apparente de ce qui fait la bonne sc ience se cache celle, bea ucoup plus délicate, de la pert inence politique. Si la première suscite des passions. la seconde laisse libre cours à la rage - et la rage aussi doit être respectée. Comme il est a pparent dan , la structure même de ce livre, j'ai d it q ue, , i nou s voulions nous montrer fidèl es à l'ex périence du socia l, nou s devions mene r à bi en , et successi ve ment, troi s o bjectifs distin cts : le déploiement d' ab ord, la stab ilisat ion ensuite, et enfin la composition. Il nous faut d' abord apprendre a) à déployer les controve rses afin de jauger le nombre de ceux q ui po urra ie nt participer à tout asse mblage futur (P rem ière Partie) : b) no us devon , ensuite coller à la façon dont le, acteurs e ux- mê me s s tahilise nt ces incertitud es e n co nstru isant des formats, de, standard, et des mét rologie s (De uxième Partie) ; e nfin, c) nou s voulo ns voi r co mment les assem blages ainsi consti tués peu vent renouve ler notre sentiment d' appartenance au même collectif. Je d evai s r epou sse r j usqu'à la fin le moment d'indiquer comment cette trcisiême tâche pouvait être menée à bien: il estte mps d' affronter celle question d ' épi stémologi e politique.
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Omdusilm
Q uet type d ' épi\ tém ologie politiqu e ?
Après avoir fait amend e honorabl e pour avoir trait é trop lég èrement la sociologie du social en re localisant son formidable pouvoir de formatage. il me faut maintenant revoir le jugement que j ' ai porté sur la soc iologie cr itique . Son e rre ur n' était pas d' attaquer les croyances des acteurs, mais de le faire au mau vais moment, avant q ue les a utres tâch es de la sociologie n'aient été m en ées à bien. Je reproch e à la socio lo gie c ri tiq ue d'avoir confondu la société et le collectif. Son erreur n' était pas de viser à la politique, ni de confondre la science et la politique, mai s de donner une définition de la science e t de la p olitique qui ne pou vait qu' échouer, puisqu ' ell e ne se souciait pas de commencer par évaluer le nombre d' entités à assembler. En s'obstinant à dire qu e le social ne se compose qu e de q uelq ues types de partici pant s, les socio logues critiques ont sous-estimé la difficulté du rassemblement comme de la compo sition. Ils n'ont pas pri s le soin d' observer que la politiqu e avait peu de chances de succès si la liste des membres habili tés à composer le monde soc ial se trouvait à l' avance drastiqu ement réduit e. Au fil des pages, j'ai montré à plu sieurs reprises qu ' on ne pouvait pas multiplier le nombre d' entités, suivre leur métaphy sique sophistiquée, prendre la mesure de leurs controverses tout en s'efforç ant simultanément d' exclure la plupart d' entre elles sous pré texte qu' elles seraient imaginaires, arbitraires, obsolèt es, arc haïques, idéologiqu es o u trompeu ses. N ée so us des a uspices peu favorables, la sociologie s'est efforcée d'imiter les sciences natu relle s alors que celles-ci éta ient au sommet de leur scientisme, et de court-c ircuiter le proc essus politique afin de répondre aux appels urgeras e n fave ur d'une solution à la question sociale. Mais, e n réalisan t un e fusion prématurée de la science et de la politique, elle n' est jamais parvenue à expliquer de qu el matériau non social le social se composait, et elle n'a j amai s eu le loi sir d'élaborer sa prop re conce ption de la science. Les sociologues n' avaient pas tort d'agir ainsi; il, ont simplement pensé qu'utiliser « le soc ial JO e t, en particulier, la soc iété pour définir le monde commun les rapprochait de la solution. Ils voulai ent avoir leur mot à di re sur les q uestions politiques de leur temps, int ervenir dan s le progrès rapid e de la modernisation, o u
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pour le moins appliqu er les lois de leurs science s à l' ingénierie soc iale . A uss i respectables q ue puissent semb ler Cel> rai son s elles ne doivent cependant pa, suspendre le travail de déploiement et de co llecte de , associatio ns . S i l' on ne co mmence pa s par ouv rir, d éf ragmen te r et inspe cte r ce qui doi t ê tre as sem bl é. on n e parviendra plu s à l' assemb ler . Pas b esoin de talen ts h ors du commun ou d'une grande luc idité politique pour réaliser que si vous devez combatt re une force invisible , int raçable. œnniprésente et totale , VOl!!> serez impuissant et ra pidement défa it. On ne peut espérer modifier une situation donnée qu e , i les forces sont co nstituées de liens plus petits, dont on peut tes ter la rés istance e n les prenant un par un . Pour le dire sans détou rs: s' il existe une soc iété, alors aucune politique n 'est possible 1. Si bien que , contrairement à l'Impression première, il ex iste une tension forte e nt re la rec he rc he de p ertin enc e politiqu e et la produc tion d'explications soc iales. Ou, pour le moin s, rien ne ga rantit qu e la sociologie critique vo us donnera automatiquement un ce rta in tranchant. Comme j e l'ai signalé plu sieurs fois, le grand danger de la sociologie c ritique e st qu ' ell e n'échoue jamais dan , ses ex plication" et c' e st pour cette raison qu ' ell e court toujou rs le risqu e de devenir emp iri q uement v ide et po litiq uement o ise use . Il est important de lai sser ouv erte la poss ib ilité d e l ' échec, puisque c ' e st la se ule façon de maintenir la qualité de la démarche scientifiqu e et la p ossibilité qu' e lle de vienne politiquement pertinente. La définition de la soc iologie q ue j'ai propos ée ici en m'In spi rant d e la sociologie d e s science, d evrait pouvoir rev endiqu er non seulement une prise emp irique renouve lée sur le réel, dam la me sure où e lle se rend partout où vo nt les nouvelles associations au lieu de s'arrêter à la fro ntière du soc ial tel qu ' on l' entend habi tuelle ment; mais e lle doit pouvoir aus si se révéler politique ment pertine nte dan s la moure o ù e lle a ffronte à nouveau la q uestion de l'assemblage e ntre les nouveaux participants et tous le s n ouv eau x can d idats à l'e xis te nce co mm u ne qu ' elle es t parvenue à dépl oy er. Ce c ha ngeme nt re qu ie rt u n rég lage 1. Je p!DI!T1lli.. ici 1''''11''''''''' de BIWllWln. PO"- qui la , o:;r ' ~ • ~,~ iDV.....e lIfill de ..m ploc," lo l1", kl1iautOire. q Z . BAU....,.,.. Po ,rm(Jd"n ~y .nd., DilCOn· " ,,"(1 997).
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C"" d ....;'m
simultané de la science e t de la politique puisqu e l' étude de la science el de la soc iété nous a appris à ne pas .. voir double l " . L'idée n' est pas de recherch er désespérément une science objective du social , ni non plu s, e n a bandonnant le rêve d'une science désintéressée, de laisser les sciences sociales s' engloutir àj amais dans la cuisine politique. Le proj et cons iste plutôt à tenter une autre distribution des rôles entre science e t politique. T oute la difficul té consis te en ceci : que veut dire é tudier quelque chose si cela ne consiste plu s à osciller e ntre le rêve du d ésint éressement el le rêve opposé de l'engagement? À ce stade, il n' est pas inutile de souligner qu'on a reproché à la sociologie de l'acteur-réseau de commettre deux fautes symétriqu es e t contradictoires : la première est d'avoir mis de la politiqu e partout, y compris dans le sanctuaire inviolé de la science et de la technologie ; la seconde est de se montrer si indifférent e a ux in égalit és et a ux Iates de pouvoir q u'elle n' offrirait a ucun levier critiq ue - se contentant d'une coll usion avec les pouvoirs en place ". Bien que ce s deu x accusa t ions devraient s'ann uler mutu ellement - comme nt peut-on é tendre à tel point le règne de la politiqu e e t en même temps faire si peu pour elle ? - , elles ne sont pas nécessairement contradictoires. Dan s la mesure o ù la gauche a toujou rs e u recou rs à la scie nce pour ren forcer son proj et d ' ém ancipati on, politiser la science revient en effet à priver les exploités de leur seul moyen de redre sser l'équilibre en convoquant l' obj ectivité e t la rationalité'. Bien qu'il faill e dénoncer les fausses sciences quand elles ne sont rien d'au tre que de l 'idéologie mal dég uisée, les sciences objectives, une foi s purifiées, peuvent offrir, di t-on , la se ule cour d' appel capab le d'arbitrer toutes les disputes. Seuls les réactionnaire s se réjouira ient d'un affaiblis sement des pouvo irs de la ra ison ; sans elle, 2. C·." I".xp.... ion qu ·utilisen. s. Shopin • • s. ScholI., don, u U>i. lh .n " 1. P""'P' d air ( l 99 l ). L ·o'pi>lémol"l!ie poIi ti",. la "'p""iti.. d. , pouvoin . .... 1. 5titi",• . Sm Jo dHin il.,. d. '0'" c"' ""'... .. voi. B. LAY'OO1, L" <>poi, dl! Pald",
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( 2001). l . q A .O. S("""'" • • J. Bu;,...,..,., ["'pa" . ,u inul"c,,,,/h. (199 7); L. WJNNU.. Upon Ope ni"ll the Block Box ond Hn di"ll Il Empty ~ (199.1) : P. M llOW' ''' .. E. Na:· KNAH. ~ M ut.., M od. A "'" • (2lXl4 ). •. Au "'''''' d.. 'pisod.. p. /oi, ... po q... r... me• • 10 "'_ c..... Jo !IOC.,lop. d", ICie"". , • • O
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Chang", de société
les parias sont livrés aux " purs " rapports de domination - et, à ce petit jeu , les agneaux se feron t dévorer beaucoup plus vit e q ue le s loups. En remettant a ux puissant s les clefs d'un e science p oli ti sée, la sociolo g ie d e l ' ac teu r-rés eau se résume à un e « sociologie d'ingénieurs » ou, pire, à un groupe de consultants apprenant à ce ux qui ont été affranc his du pouvoir di sciplinaire de la raison à de venir encore p lus machiav éliens, e ncore p lu s c yniques, e ncore plus indifférents à la distinc tion de la science e t d e l 'idéol ogie . Au nom d e l' e xten si on d e s résea ux, o n s'empresse d e recouvrir du derni er prêt-à-porter l' empereur dont il faudrait au contraire d énoncer bien haut la nudité ' . La socio logie de l' acteur-ré seau n' e st rien d' autre qu 'une forme élarg ie de machiavélisme . Ce s c ritiques m' ont toujours laissé songeur . Il me semble au contraire qu e les tenant s du progrès ne d evraient pas s'enfermer dam la th éorie sociale la moins apt e à accommoder le urs divers proj et s d' émancipation. S 'il n'y a aucun moyen d'inspecter et de défra gmenter le contenu des force s sociales, si elles restent inexp liqu ées ou éc ras antes, on re ste dans l' impuiss ance. Répéter qu e derri ère le s différents e njeux se cache la pr ésence indiscutable du mêm e syste me, d u m êm e em pi re, d e la mêm e tot ali t é m ' a toujours se mblé un cas e xt rê me de ma so chi sm e , un e faço n perverse de s'assurer une défait e ce rta ine tout e n savo urant le sentiment doux -amer d 'une supériorité politiquement correcte . N ie tz sche avait bro ssé le p ortrait immortel de l'" homme du re ssentiment " : il visait un c hrét ien ; un soc iologue critique ferai t tout a ussi bien l'affaire. N' e st-il pas évident que se ul un éc heveau de lien s faibles, d e co nnexions co nstruites, artificielles, assignables, de scriptible s et surprenantes offre la se ule façon d'en visager un combat ? Quant à la T otali té, on ne peut que se prosterner devant e lle ou, ce qui es t moins avoua ble, rê ve r d'occ upe r sa pos ition de p ou v oir absol u. Je crois qu 'il serait beaucoup plus prud ent de dire qu e l'action n' est possible qu e sur un terrain qui a été ouvert, mis à plat et red imensionné de telle sorte que le s format s, le s structure s, la globallsation et le s totalité s y circulent à l'intérieur de S.l. puximio! en"" b .
IL
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Omdusifm
conduits é tro its, e t où, pour c hac une de leurs applications. ces é léme nts doivent toujours faire appel à une foule de ressources qui peuvent à tout moment leur manqu er. San s cela, il n'y a pas d e politique possible. p uisqu'on n'a jamais gagné a ucune bataille sans recou rir à d e nouvelle s com binais ons et sans profit e r d ' occasion s tot al ement in attendues. No s prop re s actions ne peu vent « faire la différence " que dans un monde f uil d e difJérenees. Mai s n' est-ce p as là, précis ément, la topographie du social qui se dessine lorsque nou s pratiquons les trois mouvements que j'ai proposés dans la deuxi ème partie? Lorsque nou s att irons l'attention sur le « plasma », ne découvrons -nou s pas une année de réserve dœu la taille est « astrœtomiquerrent supéri eure JO, co mme H . G ar finke l le di sait, à ce qu ' elle d o it com ba tt re? M ais alors les c hances d e l'e mpor ter son t plu s im portantes - et les occasions de nourri r le masoc his me se font plu s rares... Ce n' est pas la di stance c ritiq ue que nous d evon s rec hercher, mai s la proximité critique". Il m e semble qu e s'il a é té di fficile d e spécifier e n q uoi consiste le projet politique de l'ac teur-réseau - e t par conséquent ses manquements, ainsi que la façon d' y remédier - , c'est parce qu'il faut modifi er e n même temps la défi nition d e ce qu e signifi e pour une science sociale le fait d e devenir politiquement pertinente T. La politique est une affaire ben trop sérieuse pour être laissée aux mains de ce ux qui prétendent décider, par quelqu e privilège de naissance, de ce qu'ell e doit être .
Une dlsclpllne parmi d 'aut res En affirmant que la sociologie critique a confondu la science e t la politique, la dernière c hose que je souhaite es t évidemme nt de revenir à la sépara tion class ique de la politique et de l'épistémolo gie. Une telle c hose serait d' ailleu rs tout à fait étrange d e la part d'un sociologue des sciences! Je ne peux donc pas prét endre 6. Voir. M. WAl2.U. U. critiqlU! '0<'10/. (1 996). 7 . Vo;,- M. CAu.oH , ~ Ni i...Dec..",1e.g"S'!. lIIi iII.,Declo el N", V. RA u liAl..IloA, ~ Uo 1<.0. de Omo . ( 19991. 00 lroUVon l' """n6el do 1'&IJ""",ntair o moUo de (' . .."'(1<<10.01. "",o(ll\ • dom m o ..... vi.= Imouv.... o de Micbe( fax AULr (Dit, "lcTi ..- ( 1954· 1971)) ,,,... 1 Il 994].. p. '061.
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que se munir d'un projet politique n' e st pas l'affaire d'une science respectable - même si les deu x héros que j' ai chois is, G. Tard e et H. Garfinkel, ne sont (Us connus, c'est vrai, pour leur ferveur militant e 1... Toutefoi s, I'oppcsition e ntre une scie nce détachée, désintéres sée et objective, et une action engagée, mili tante et passionnée perd tout son sens dès que l' on considère le formidable pou voir de cotteae de toute discipline scientifique - e t le fait qu' elle soit" naturelle JO ou " soc iale JO n' y c hange rien. À tout prendre, ce scot les sciences sociales qui devraient s'efforcer d'imiter le pouvoir d'assemblage des sciences naturelles. L ' épistémologie politique n' est pas une façon d' éviter que des « cons idérations politiques mesquines » viennent « polluer » la bonne science, ni d' empêcher les positivis tes de .. se cac her derrière l' objectivité JO . Dans la mesure où personne ne sait ce qui relie des acteurs confrontés a ux cinq incertitudes examinées dan s la premi ère partie, il nous faut certai neme nt, pour e ngendrer le co llectif, un effort conce rté, artificiel, origina l et ambitieux en reco urant à un ense mble spécifiq ue de disciplines. Mai s il faut comprendre ces disciplines de la même façon que la chimie, la physiq ue, la mécaniqu e, e tc., c'est-à-dire comme autant de tentativ es de rassembl er d'une faço n systématiq ue les nouveaux candidats à la formation du mond e. À ce stade , on ne peut éviter le pa rallèl e avec les sciences natu relles, car les deux type s de science doi vent refuser l'idée que le travail d'assemblage a déj à é té mené à bien. Dans un autre ouvrage, j ' ai montré que la nature partage cette carac téristique avec la société !. Sous la même " réalité ext érieure». la nature réalise en fait la fusion dedeux fonctions différentes : d'une (Urt, la multiplicité des êtres qui compo sent le monde ; et, d'aut re (Urt, l'unité de ceux qui sont as semblés au sein d' une totalité unique e t indiscutée. Invoquer le réalisme n' est j amais suffisant, puisque cela implique de me ttre dans le même sac de mul ti ples fait s di sputé s mélan gés à des faits in di scutables préalablement et prématurément unifiés. Si bien que, lorsque les gens doutent de l' exi stence de la « nature » et de la « réalité extérieure », vou s ne savez j amai s s' ils s'en prennent à l'unification prématu rée de s 8. Sul la potitIj... d. T.d<, Voil "",,,,roi. L. SAu«lN. Lape",ù l'''~riq''' .. Gabriel
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fait s disputés sous l'hégémonie des malters offael, ou s'ils refusent de prendre e n compte la multiplicit é des e ntités révélées par les sciences. Autant le premier cas de figure est indispensable. a utant le second est tout simplement stupide. Pour déballer ce paquet-cadeau de la natu re et permettre un examen public de MJn contenu, j'ai pro po sé de di stinguer deux questions: la première qui concerne la multiplication des entités avec lesqu ell es nou s de vo ns coe xis ter combien sommes-nous ? - et la seconde, rigoureusem ent di sti ncte, qui consiste à décider si les agré gats assembl és forment o u non un monde vivable - pouvon s-nous vivre ensemble? Les sc ientifiques, le s hommes politique s, les artistes, le s m orali ste s, les économistes, les législateurs doivent mettre leurs divers talents à contribution et affro nter ces deux questions. Ces différents rôles ne se di stingu ent pas pu les domaines auxq uels ils s'appliq uent, mais seulement par les différentes compétences q u' ils a ppliquent au même domaine, à l' image de différent s COIpS de métier - électric iens, charpentiers, maçons, arc hitectes et plombi er s - qui travaill erai ent SUCcess ive ment ou e n parall èl e à l'édification du même bâtiment. Tandis que la tradition distinguait le bien comm un (une q uestion q ui occ upa it les mœ altst es) du mond e commun (un donn é naturel), j'ai propos é de remplacer la « politique de la nature » par la composition progressive d 'un monde commun . Aprè s les div erses crises écolog iques, cela m'apparaissait comme la seule façon de redéfinir la science et la politique, et de mener à bien les tâches de l'ép isté mologie politiq ue. Nou s pouvons maint enant voir ce q ue les deux collecteurs de la société et de la nature ont de semblable : l'un comme l' autre offrent l ' exemple de tentatives prématu rées pour co llecter un monde commun au sein de deux assemblées opposées 10 . C'es t ce que j 'ai appel é, en recourant à une métaphore j uridique pour décrire les réalisation s ccnjcintes de l'épistémolo gie politique, la Constinu ùm moderne. Il faut dore appliq uer la redéfinitio n de la politique comme compos ition progressive d'un monde commun aux assemblages précédent s de la société et à ceux de la nature.
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La diffic ulté tie nt au fait qu' une rupture de symétrie intervient ici, e t c'est la raison pour laquelle il serait tout à fait délétère de confo ndre cette nouvelle définition de la politique avec la sociologie c ritique. Tandis que les objets récal cit rants du ci- deva nt domain e naturel demeurent en plein milieu de la scène quo ique le s scientifiques puissent dire à leur sujet, le s sujets récalcitrants de la ci-devant société semblent se prêter très bien au domptage : ils se plaignent rarement lorsqu'une «explication" suffi t à régl er leur cas, o u du moins il est rare que leurs plaintes soient a ussi scrupuleusement enregistrées que celles des obj ets " . Bien plus que le domain e des scienc es naturelles, c ' est le domaine de s sc iences soc iales qui a trop souvent tendance à ressembler au paysage imaginé par les scie ntistes : morne e t vide, peuplé de mat/ers ojJad et parcouru par de rigoureuses c haînes de ca usalités! Et pourtant , dans un cas comme dans l'autre, ce qu'il faut ras sembler - à savoir les membres des anciens assemblage s de la nature et de la société que j'ai a ppe lés de s m édiateurs, des o bjets e t de s mode s d' existence - ne ressemble ni aux faits indiscutables de la nature, ni aux acteurs sociaux de la soc iété. Pour bien comprendre cela, nou s devons garder à l' esprit le fait qu e se comporter comme un fait indiscutable, une mat/er oj [act; n'est pa s un mod e d' exi stence « naturel » mais, de façon assez étrange, un anthropomurphisme '1. Les choses, les chaises, les c ha ts, les tapis e t les tr ous noirs ne se c omportent jamais comme des faits; mais, e n revanche, il arrive que les humains le fa ssent, pour d es rai sons politiq ues, a fi n d e rés ister a ux e nq uêt es. Si bien qu 'il es t abs urde d e vouloir" trait er le s humains comm e des choses » . Au pi re, cela reviendrait à le s placer sur un pied d 'égalité avec d'autre s faits di sputés, ceux de la physique, de la biologie, de l'informatique, etc . Mais alors on ne fera qu'ajouter de la co mple xité à de la c omplexité. Loin I I. Poo, ,,,,e comp.'; "'B W 0"""""'" .. lif de. ""li' ", hwnaiJle . et BOIl humai"" .. "'Dv . Dr.o; ' ll'l". Nai!WJ1lce J ..... e tII'm ie itll {~ "t iq lU! 1 1 996~ et 1. STfNGUS. L 'inWnlirn J .. .. ;" ne .. "",ti-'N' ( 1993) ; JlO
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d'èrre « abai ss és d'un nive au », le s « humains objec ti v és » se trou veront au co ntraire élevés au niveau des fourmis, de s chimpan zés, des mic roproce ss eu rs et des particules ! Comme nous so mmes désormais en mesure de le voir, être « tra ité co mme une c ho se» ne c on siste pa s à se trouver « réd uit » à d e s imp les maners offact, mais à être autorisé à vivre une v ie a ussi délurée qu e celle des faits dispu tés. Le réductionnisme n' e st pas un péché dont on de vrait s' abstenir, ni une ve rtu à laquelle il faudrait se tenir avec résolution : c'est une impossibilité pratique , dans la me sure o ù le s éléme nts aux qu els un « n ivea u su pérle ur » se trouve rédu it seront tout au ssi co mp lexes que le « niveau infé r ieur » . S i se ulemen t le s hum ain s pla cé s entre le s mai ns de s soc iolog ue s c ritiques po uv aient ê tre traité s a ussi bien qu e les baleine s en z ool ogie , le s gè nes en bi ochimie, les babouins e n primatologie , les sols en pédolog ie, les tumeu rs en ca ncérologi e, ou les gaz en thermody namiqu e ! Au moins, on respectera it leur métaphysique co mp lexe, on recon naîtra it qu 'ils so nt récalcitrants. leu rs objections trouveraient à se déployer, et leur multi plicité serait acceptée . Oh o ui, s' il vo us plaît, traite z les humains c o mme des c hoses; offrez-le ur au moins le de gré de réalisme qu e vous êtes prêt à accorder a ux humble s fait s : mat érialisez-les et, o ui, réifiez-le!; a utant qu 'il VOU!; e st possible ! À l' inverse, sous sa forme naturelle ou soc iale, réactionna ire o u progres siste, le positivisme n ' a pas tort, dam la mesure où il o ublie la " co nscie nc e humaine » e t décide de s' en tenir aux « données brutes ,. . 1\ a tœt d'un point de vue politique . Il a trop rapidement réduit le s faits disput és à l'él:at d e masers of faet, et c ela sans p roc ès équ itable. Il a c o nfond u l es d eux tâ che s du réa lisme : la multiplicité et l'unification. Il a brouillé la distinction entre le fait de dép loyer le s a sso ciation s et ce lu i d e le s rassembler e n un c ollec tif. C'es t ce qu' ont senti à juste titre les défens eurs d'une sociologie herméneutique , mai s sa ns savoir comme nt se so rtir du piège , tant leurs idées sur les scie nces natu relle s et le monde mat ériel éta ient bizarres. Comme les réducttonntstes. ces ennem is qu 'ils adœent haïr, ils n ' ont pa s compris ce que peut signifier pour une science - sociale o u naturelle d' avoir un projet politique. D' où la fausse alternative e ntre, d'un c ôté , ê tre un sc ie ntifique « d ésint ére ss é » et, de l' au tre , être « socialement engag é » . C'est pour c ette raison q u'il e st él:onnant de vo ir q u' o n a so uvent acc usé la soc iolog ie de s a ssociati ons
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d'êrre « uniquement de scriptive " e t« privée de tout projet politique ", alors que c'est au c ontraire la soc iologie du social qui n' a cess é d'osciller féb rilement e ntre une science d ésint éressée qu ' elle na j amal s pu p roduire, et un e n ga ge me nt politiqu e qu' elle n'a jamai s pu ré ussir. Pour sortir de ce faux dilemme, il faut plutôt co nvoq uer deux autre s e nsembles de proc édure s : un premier e nsemble qui rend visible le déploiement del> ecteurs : e t un sec ond qui rend l' unification du collect if e n un monde commun acceptable a ux yeux de ceux qui vont s' y tro uver unifi és . C'est à cause du premier en semble que la soc iologie de l'acteu r-réseau ressemble à une science d ésintéressée qui combat le beso in qu ' a la sociologie de légi férer à la place de l'ac te ur; c'es t à c ause du second qu' on devrait s' apercevoir qu'ell e s' apparente à un e ngagement politique , dans la mesure o ù e lle c ritiq ue la production d 'une science d e la sociét é supposée invisible aux yeux d e, « informateurs ", a ins i que le, p rét entions d 'une avant-g arde à d éteni r le vra i savoir. Nou s so uhaitons nuus montrer plus d ësint ëress ës que ne le permettait le projet d 'ingénierie sociale de la sociologie traditionnelle, puisque nous poursuivons le s controverses beauc oup plu, loin qu ' elle ; mai , nous voulon, a ussi être beaucoup plus engagés que ne le permettait le rêve scien ti ste d 'un regard d ésint ére ssé. Et pourtant , le déploiemen t de s quat re sources d'incerti tude que nom avons examinée, précédemment permet quelque c hose qui se rapproche du désintéres sement, tandi s que l'engagement e st rendu poss ible par la c inquième so urce d'incertitude, qui contrib ue à assembler e n partie le collect if, c'est- à-dire à lui donner une a rène, un forum, un e space, une re présentation , à travers le medium - souvent trè s mod e ste - d'un compte rendu risq ué qui n'est la plupart du temp s qu 'une intervention fragile, so uvent réduite à la lé gère institution d'un texte . Ainsi, é tudier re vient toujours à faire de la politique, au sens o ù cette activité collecte o u compose ce dont le monde commun est fai t. La que stion délicate est de découv rir qu ell e sorte de co llecte et quelle sorte de cœnpo sition so nt néce ssaires. C'est là où il faut encore accent uer le co ntraste e ntre la soc iolog ie de l' acteur-réseau e t la soc iologie du soc ial. Nous affirmons qu'il ne revient pas aux soc iologues de résoudre le s controverses qui porte nt MIr les matériaux dont le monde social e st composé. mai , à ses futurs participant" et qu' à tout moment le « paquet " que
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forment le s liens soc iau x e x istan ts doit pouvoir faire l' o bjet d'une inspection publique. Cela signifie qu e le s deux tâche s qui con sistent à prendre en compte et à mettre en ordre doivent êt re rig oureu sem ent séparées. Le test consiste maint enant à voir qu elle s sc ie nces sociales parvi ennent à m aint enir ce tte di stinction. De la géograp hie à l' a nthropologie, de la comp tab ilité à la sc ience politique , de la linguistique à t'écono mie, toute s le s di sciplines commencent com me autant d e façons d e juxtaposer le s ingrédi ents du collectif, avant d ' en faire un tout cohé rent. « Étudier » qu elque chose n' est jamais l' équivalent de porter un regard désintére ssé sur l'objet pour ensu ite, en co nformité avec les principes dévoilés par les résultats de la recherche, s'engager dans l' action. Chaque di scipline con tr ib ue plutôt à étendre la gamm e des entités à l'œuvre dam; le mond e, tout e n tran sformant sim ulta néme nt certaines d ' entre elles e n int erm édi aire s stab les et fiabl e s Il . Ainsi, les économistes ne se contentent pa s d e d écrire quelque infra stru cture éc onomique qui existerait depuis la nuit des temps : ils révèlent qu e les acteurs disposent d e fac u ltés d e c alc ul dont ils n 'avai ent pas e ux - mêmes consc ience, e t ils s'uss ure m qu e cert ai nes d e ces nouv elle s compétences se fondent dam le sens comm un par l'int ermédiaire d 'un grand nombre de dispositifs pratique s, tels qu e le s co mptes co urants, le s droits de propriété, le s ticket s de caisse et d'autre s p /ug-ins. Comme nous l' avo ns vu, le s sociologues du social ne se sont pa.~ se ulemen t contentés de " découvrir :0 la société; ils se so nt toujours ac tivement e ngagés dam la multiplicati on des con nex ions e ntre d es acteurs qui ne savaient pas a uparavant qu e de s « forces sociale s » les reliaient les uns au x autres, et ils ont auss i fourni à Ces derniers de nombreuse s façons de se regrouper. Le s p sycholo gu e s p eu plent le p sychisme d e ce nt aines d e nou velle s e ntités - le s neurotransmetteurs, l' inconsc ie nt, le s module s cogn itifs, le s perversi ons, le s habitud es - e n même temps qu 'ils en stabilisent ce rtaines so us la fo rme d ' él ém ents routin iers de notre sens co mmun. Le s géographe s sont à la fois ca pables de représenter une variété irréductible de rivières, de montagnes ou de villes, e t de créer un e spece habitabl e à l' aide de c artes, de concepts, de lois, de territoires e t de réseaux. On voit Ll . Tel e " .. id"",,",,,,, le poi'" <"" J1111 d e M. F
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apparaître ces mêmes activités instrumentales dans la langue des lingui stes, l' h istoire de s historiens, la diversité c ulturelle d es anthropolo gue" etc. Autrement d it, sans la di scipline économique , pas d ' économie ; san> la sociologie. pa, d e société; sans la p sych ol o gie. pa, de psychisme ; sans la géogra ph ie, pas d ' e spac e. Que sau rio ns-n ous du pa ssé san, le s histon ens ? Comment aurions -nous accès à la struc ture du langage sans le s g ram ma iriens? T out co mme la toi le tissé e par l' a ra ignée, l'économisation e st ce q ui e st p roduit par les économis tes, la socialisation ce qui est produit par la sociologie, la psychologisation ce qui est produit par la psychologie, et la spatialisation ce qui est produit par la géograph ie. Cela ne signifie pas que ces disciplines ne sont que de pures fictions qui inventeraient leur matière à partir de rien. Cela veut simplem ent dire q u'elles so nt, comme l eur nom l'indiqu e, de s disciplines : chac une a choisi d e d éployer un type de méd iateur spécifique et a privilégié un certa in type de stabilisation, ce qui les amène à peupler le mond e d e diffé rents type s d'habitant s biens rodés et pleinement formaté s. QJ oi que fasse un c hercheur qui écrit sen compte rendu, il es t déj à pris dans cette activit é. Cela ne const it ue pa s un défau t d e s sciences soc ia les, comme s' il était dommage qu' ell es ne puissent s'extraire de cette boucle infern ale, mai s qu' ell e s sont co mme toute s les a utres sc iences : e ngagées dan> l' activité de multiplier le s forme s d'exis tence et de so umettre certaines d' entre e lles à une discipline. En ce sens, pl us une science est désintére ssée, plus elle es t engagée et politiquement pert inente. L' activité constante q ue d éploient le, sciences sociales pour faire exister le social et pour façonner le co llectif en lUI tout cohérent représente l' e ssentiel de ce qu' « étud ier» le social veut dire. Chaque co mpte rendu qui vien t s'ajouter à cette masse représente une décision sur ce que le soc ial de vr ait ê tre, c'es t-à-dire sur ce qu e de vrai ent être les nombreuse s métaphy siques et l' o ntologie sing ulière du mond e comm un On com pte aujourd'hui peu de processus de constitution de groupes qui ne soient équ ipés d'In strumen ts fourn is par les économ istes, les géographes, les anthropologues, le s histor iens et les soc iologues, qu i espèrent apprendre com ment le s groupes so n t cons titués, qu elle s sont leurs fro ntiè res e t leurs fonctions, et quell e est la m eilleure manière de les maintenir en existence. Il serait absurde pour une science sociale d e vouloir
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éc hap per à ce travail incessant. En revanche, il es t fort sensé de s'efforcer de le faire bien .
Une a utre définition de la com pos it io n politiqu ~ Mais, à la fin, quel est donc le projet politique de l'ac teurré seau ? Dans la me sure où cette petite école n' e st rien d'autre qu 'une tentativ e compliq uée de revenir à la surprise qu e l'on éprouve lorsque le social se d élite, la se ule façon de prendre acte de ce qu e IIOU S entendo ns par politique e st de se tenirau plus prè s de ce tte expérience initiale - expérience à laqu elle nous nous é tions peu à peu d ésensibilisés du fait de l' his toire récente des sciences soc iales . Il est facile de voir com ment, a u COUIT> du XIX' siècle, ce sentim ent était co nstam ment réveillé par l'émergence inatt endu e des ma sses, de s foules, d e l' in dustrie, de s ville s, de s e mp ires, de l'hygiène, de s média s et de s inventions de toute s sortes . Para doxalement, cette sensation aurait d û ê tre plus forte e ncore au cours du siècle suivan t, avec ses c atastrophes e t ses innovations, ses m a ssacre s de ma sse et ses crises écologiq ues, la p résence obstinée des grands nombre s. S'il n ' en a pas été ainsi, c'est à cause de s défmitions même s de la société et de s lien s sociaux, qui s'efforçaient d 'ab sorber qu elque s éléments tout en excluant une foule de c andida ts . Là où régnait le modernisme, il é tai t très difficile d' examiner un tant soit peu la co mpos ition du social de façon sérieuse ", La sociologie d e l'acteur-réseau n' a pes d 'autre b ut, une fois les d eux collecteurs d e la nature et d e la société simulta nément écartés, que de se rendre à nouveau sens ible à la difficulté d ' a s semble r de s col lectifs co m posés d 'un si gran d n ombre de membre s. On pourrait maintenant reformuler ainsi le senti ment de crise qu e les sciences sociales tentent toujou rs d 'enre gistrer: une fois qu e vo us étendez la gamme des e ntités, les nouvelle s associations ne tonnent pa s un assemb lage viab le. C'est là où la politiqu e e ntre à nouveau en scè ne, à partir du moment où elle se 14 . J 'ai . .. . y< d. ...h i , colle difficulto! d lUl' B. 1.Ar oo. , NolIS n ' al'01lS ja.., ;'- '" .. ad"",n (l99I). o. ",. hrmgo, Ioll>
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définit comme l' intuition que la seule prolifération des assoc iat io ns n e s uffit pas, qu 'une au tre tâche co mmence, qu ' elle s d oivent a uss i êt re composées afin d e dessiner un mond e comm un " . Pour le meilleur o u pour le pire, contrai rement à sa sœur l'anthropologie, la sociologie ne s'est jamai s satisfa ite de la pluralité de s métaphy sique s : elle a aussi besoin d ' aborder la que stion ontologique de l 'unité de ce monde c omrœn. Cette fois, cependant, e lle doit le fair e non plus à l' intérieur de s panoramas que j'ai d écrits plus haut , mai s à l'extéri eur et pour d e bon. Il est donc parfaitement j usti fié de dire q ue la sociologie ne saurait se satisfaire de « simplement décrire » de s associatio ns, et qu' elle ne saura it se contenter du spectacle de la pure multiplicité de s n ou velles conne xions . Ell e doit s' acqu itter d'un autre d evoir pour mériter pl einement l'appellation. pour reprendre encore une fois le résum é de L Th évenot , d e" science de la vi e e nsemble JO : expression bi en paradoxal e car, si la sociologie e st une science, qu ' a-t -elle donc à voir avec la « vie ensemble » ? : s ' il faut co habiter, qu ' avon s-nous be soin d'une science l.? R éponse : à ca use du n ombre de nouveaux c andidats à l'existence commune et des limites étroites des collecteurs que l'on avait imaginés jusqu ' ic i pour rendre cette cohabitation vivable. Dan s l 'interlu d e, l'ét ud ian t de la LSE tant intrigu é pa r J'acteur-réseau avait raison de rechercher la pertinence politique ; il en va de même pour tou s les j eunes ge ns qui s' inscriven t, pleins d ' e sp oir, d an s les d ép artements d e scie nces politiqu es, de soc iologie des scie nces, d' études féministes e t de cultural studies, d ésireux d e développer une dé marche critique, d e " fai re la di fférence " , e t d e rendre le mond e plus viable. Leurs propos sont peut-être naïfs, mai s il est difficile d'imaginer comment on peut se prétend re soc io log ue et, en même temps, faire comme s'ils ne nourrissaient qu'un rêve d'adolescents. Se moqu er de ceux qui veulent, fût-ce dans le s c afés, " c hanger la société ", voilà le plu s sûr signe qu' on a perd u son âm e d e c herc heu r. Dè s lors q ue le d ésir d ' engagement politiq ue ne se co nfond plus avec le s deux autres tâches; dè s lors que le recrutem ent d e nouveau x ca nd idats à la vi e co llec tive n ' e st plu s 1S. Voir le BOmOlO R de Co""..:, m /itiq ...-, « Pn tiqo.. CO!liDOpoIiliqu.. œ. dro i' • i 2004j· 16. L TmvI.NOT. « U"" ",i",« de la vie eBotmbl< d .... je IOOIIde • (2004 j.
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interr ompu , le désir brûlant de détecter, d'accueillir et d'héberger de nouvelles e ntités n' est pas seulement légitime, il est probablement la seule ca use scientifique et politique qui vaille la peine d'être défendu e. Faut-il do re changer la sociét é ? Oui , mai s dan s tou s les sens de ret infinitif. Les termes « social » et « nature » recouvraient deux projets totalement différents qui traversaient ces assemblées mal convoquées : le premier traçait des conne xions e ntre del> entités inattendues, d le second cherchait à empaqueter ces connex ions dans un ensemble un peu robuste. L' erreur ne consistait pas à essayer de faire deux choses à la foi s - toute science est au ssi porteu se d'un projet politique - mai s à interrompre le premier projet en raison de l' urgence imposée par le seco nd. La sociologie de l'acteur -réseau es t simpleme nt une faço n de dire que la tâche consistant à assembler un mond e com mun ne saurait êt re men ée à bien si l' on ne poursuit pas aussi l' autre tâch e bien au-d elà des limites étroites imposées par la clôt ure prématurée de la sphère sociale . J'ai touj ours e u de la peine à c roire qu ' il fa llait a bsorber auj ourd'hui e xac tement les mêmes ty pes d' acteurs , le même nom bre d ' entit és, les m êm es es pèces d' êtres, e t les m êm es mod es d'existence, dansles mêmes types de collecteurs qu e ceux de Comte, de Durkheim, de w eber ou de Parson s - d' autant que la scie nce et la technologie me parais saient avoir massivement multiplié les participants qu'il fallait fondre dans ces creuse ts. Oui, la sociologie es t la science des masses d'immigrants, mais qu e faites-vous lorsque vous avez affaire si multan ément à des électrons et des électeurs, des OO M d des ONO ? On ne met pas ces nouveaux vins dan s ces vieilles outre s. C 'est la raison pour laquelle j'ai défini le collectif comme une expansion de la nature et de la société, et la soc io logie des association s comme la reprise de la soc iologie du soci al. V oilà ce qu e je con sidère comme le proj et politique d e l'A NT, ce que j'entends par une quêt e de pertinence politique. Une fois menée à bien la tâche consistant à explorer la multiplicité des fonnes d' exi stence, on peut enfin soulever cette nouvelle question: Quelles assemblées pour ces nouveau x assemblages ? Nous devons prendre garde à ne pas confondre cette formulation avec une autre, tout à fait similaire mai s qui nous m ènerait à un proj et bien di fférent. Souleve r une question politiqu e revient,
la plupart du temps , à révéler la présence, derrière une situation d onnée, d e force s qui é tai en t jusque-là cac hées. M ais vou s risqu ez alors d e retomber dan s le pi ège d es explications sociales qu e j 'ai critiq uées, et de faire exact ement l'invers e d e ce q ue j'entends id par de la politique. v ous utili seriez le même vieux réperto ire de lien s sociaux déj à regroupés pour « expliquer " les nou velles associations . Bien qu 'il puisse sem bler qu e vous parliez d e politique, vous ne parlez pas politiquement : vous ne fa ites q u'étend re plus loin encore le m êm e petit répertoire d e fo rces d éjà s tan dardisées . V ou s prene z peut-être plai si r à formuler cette « explicatim forte " , mai s là me paraît j usteme nt le risque : votre plai sir même signale que vous souha itez parti c iper à l 'expansion du pou voir, et non à la recomposition de son contenu. Même si vos propos peuvent é voquer un discours politiqu e, vou s n' ave z pas m êm e commencé à affronter la tâch e politiqu e qui vou s incom be, pui sque vou s n' av ez pas tent é d 'as sembler les cand ida ts au sein d 'une nouvelle assemblée adaptée à leurs exigences spécifiques . « Ivre de pouvoir " est une e xpression qui ne sied pas seule me ra aux généraux, aux présidents, aux P-DG, aux savants fous e t aux patrons . EU e peut aussi s'appliq uer à ces sociolog ues q ui confondent l' expansion d es explications fortes et la com position d u collectif. Ces! pour cette ra iso n qu e l ' act eur-ré seau a touj ours eu pou r sloga n : « Abstenez-mu s du pouvoir " , c'est-à-dire ab stenez-vou s aut ant que possibl e d'utiliser la notion de pouvoir, au cas où, loin de toucher la cible que vous visiez, elle se retournerait contre vous et vos explications. Personne n' a le droit d e proposer une explica tion pui ssant e san s re spect er la séparation et l' équili bre d es . . 11 pouvOIrs . En d ernière analyse, il y a donc un confl it - pourquoi le cac her '/ - e ntre faire de la sociologie critique et ê tre politiquement pertinent ; e ntre la société e t le collec tif. Retracer les liens d ' airain d e la n écessit é ne suffit pas à explorer les poss ib les. Mais, pour peu q ue nous acceptions de nou s d ésintoxiqu er d es e x plica tio ns fo rt e s de la sociolo gie criti que, la m oti vation l 7. """rlm .~mt>I'" et _ """""'" p' JI"one éhbOliaiOll de la DotiOll déci ,i"" d'« ..",mlté e ~. voi r B. LArou. et P. WEI. "" Molin! Th", ! . ,,"b~c {2lXl2J. Si je v"; , tropvite dlUl' ce"" ..,""Ju..... , je me "'''''''''' do ",.voy..-)., ' Iecoeun t ce .Vle ... tPo~ri~. u M '" '0".,," oimi
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C""d....i<m
politique peut prendre un sens différent e t pl us spéc ifique : nou s c herchons à prendre ac te de la n ou veauté des assoc iations e t à donner à leur assemb lage une fame légitime. Finalement, d e façon a ssez étrange, se ulela fraîcheurtoujo urs reno u ve lée de s résu ltats obtenus par les sciences socia les peut garantir leur pertinence po litique . Jamai s ce t argument n' a été auss i bien d éfendu qu e lorsqu e John Dewey a p osé sa propre d éfinition du Public " . P our qu 'une sc ience soc iale de vienne pertinent e, e lle doit avoir la capacité d e Ile renouveler - " "' q ual ité q u'elle n e sa urait acquérir si la soc iété e st censée Ile tenir « derrière » l'action politique. EUe doit auss i se montre r ca pable de pa sser du petit nombre au grand nombre, et inversement - " " proce ssus qu e l'on simplifie beaucoup en le décri vant e n terme s d e repr ésentation du corps politiq ue J' . S i bi en qu e le tes t d e l'int érêt politique d evient un peu plus facile à surmonter : il faut pratiquer la sociologie d e tell e sorte qu e les ingrédients composa nt le co llect if soien t rég u lièrement re no uve lés. Fray ez un c hem in au pro c e s su s de c o m pos itio n p ou r qu 'il puis se se déroul er jusqu' à son terme, p uis parcourez-l e à n ouveau en vo us ass uran t que le n ombre, les modes d' existence et la rés istance de ceux qui sont ai nsi assemblés ne so nt pas trop ais ément mis d e côté. Chaque lecteur e st désormais e n mesure d e décid er du type de théorie socia le le plus à même d ' att eindre ces objectifs. La touche di stinctive que nous apportons co ns iste simp lement à souligner les mécani sme s de stabilisation, afin de con trec arrer la transformation prématurée de s faits di sputés en faits indiscutabl es, e n maners offact. La sociologie de l' act eur-réseau a ffirme q u' il est possible d e mettre un term e à cette confusion, de di stingu er le tra vai l de déploiement de celu i qui co ns iste à unifier, et d' énoncer le s procédure s pour un traitement en bo nne e t du e forme, transforman t ainsi ce que signifie, pour une science soc iale, le fait d' être p olitiqu ement plus pertinente et plu s scientifiqu e 10. En ce liens, nous partageons le vif int érêt d e nos prédécesse urs pour la science et la politique, bien q ue nous nous e n 18. l. DI\IIEY. L. p"blic" u . prabUm .. (200.1) o, l"imponan. commentai.. do l. lA"" L ''l' ini>n Pw./iq ... " ",n dJlbIo (2 000). 19. l. Dl'wu, Ex","",c. ond N"'"r< (1 'ISli). On vol . ~ Q..,l pei.. 1. DotioD do rtnox ~ viti! doit ~ vo )..,r pour iŒ)"'" la upriM p. l.. !lCi...co. ><>ci ol• • fllÇo... dOll' 01)• • crompogDO 10 meu, ,",u..' m /m od o rn.•....,b1•• le "'cial 20. M. CAllU< . P . LA..,o:Jt.M;, .. Y . B.....nu.. A.gir dan.! "n ...".u incmoin (2lJOl).
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éc art ions par le s méthodes qui permettent le déploiement e t le travail de collec te. J usqu' ic i, la soc iologie du social ne s'es t p as particulièrem ent so uciée de proposer des procédure s explicites permet tant d e distinguer les d eux tâch es du d éploi ement et du rassemb lement. Nous prét endons seulement être un peu mi eux équipés pour effectuer ces deux mouvements opposés et complémentaires, dans la mesure où l'émergence d'une soc iologie de s sciences têtu e a modifi é n otre conception de ce qu ' e st la science et d e ce qu ' est la société . À force d e demander : « Peut-on suivre les ecteurs e ux-m ânes?" - règl e d e mét hode sociologiq ue-, nous allons finir par une règle politique ou, mi eux, écolog ique : « Peut-on co ha biter avec le s acte urs d ans un même mond e commun? " Il e x is te un li en , du m oins à m es yeux, en tre la fin de la mod ernisati on et la d éfinition d e l' act eur-réseau à laquell e je me s uis livré. Si nou s avio ns été mod ern es, nous po urrions nou s co ntenter d'ignorer tous ces examens de conscience et toutes ces subtilités. Nous pourrions reprendre à notre co mpte le s tâche s de la modernisation e t nous e fforcer de parvenir à une science désintéressée et/ou à une p olitique fon dée sur la science . En e ffet, la sociologie du social a touj ours été très li ée à la supérior ité d e l'Occident - y com pris, b ien sûr, à la honte res senti e d evant tant de puissan ce et d'hég émonie . Par co nséque nt, si vous pens ez vra iment qu e le futur monde commun sera mi eux composé en recourant aux collecteurs de la nature et de la société, la sociologie de l' acteur-r éseau es t tout à fait superflue . Ell e ne peu t devenir int éres sant e qu e si ce q u'on a appelé depuis qu elqu es t emps l ' . Oc cident" d écide d e repen s er la mani è re d e se pré senter au re ste du monde, appe lé à le dépa sser bientôt en puissance. Aprè s avo ir pris ac te de la fa ibles se récente et soudaine de l' ancien Occident, e t c herc hé par qu els moyens il pourrait survivre un peu plu s longtemps so us le soleil, n ous de vons é tablir avec les a utres d es connexions q ue les collecteurs « nature " et • société» ne sa uraient plus as surer. Ou , pour utili ser un autre terme ambigu, nous devon s nou s mettre enfin sérieusement à la cosmopolitique 1'. 2 1. Ag .. n. où co ' OIIDO 0" d"olow
dijd ",,;riO.
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Omd....üm
J' ai bien consc ience de ne pas en avoir assez dit pour fonder
véri tablement tous ces arguments. Ce livre n' est qu'une introduction vi sant à aider le lecteur int éressé à tirer le, censéq uences de la sociologie des sciences pour la théori e sociale. Il ne me revient pas de dire si quelqu 'un finira par fa in: usage de ces savoir-fa ire dans un domaine o u dans un autre. Mai s, au moins, personne ne pourra dépl orer le fai t qu e le projet de la sociologie de l'acteur-réseau n' a pas fait l'objet d'une présentation systé ma iq ue ... : j'en ai même volontairement fait une cible si facile qu 'il n'y a pas besoi n d' être un ti reur d' élite pour l' atteindre ! En tout cas, je crois avo ir tenu ma promesse, en me montrant suffisamment partial pour tire r toute s le, conséqu ences d'une position de départ relativement improbable. Et p ourtant , j e ne parvi en s pas à m e débarrasser tot al ement de l'Impression q ue les position , extrêmes que j'ai adoptées tiennent q uand même du se ns commun: à une é poque o ù la qu estion de l' app artenance traver se un e crise aigu ë, il ne faut plu, simplifier outre mesure les tâche, de cohabitation. Les cand idats qui frappent aux portes de nos collec tifs sont désormais e n si grand nombre, es t-il si absurde depr érenœe réviser l'équipement de nos di sciplin es pour le> rendre à nouveau sensibles a u ta page q ue font ces nouveaux e ntrants? Est-il donc si vai n de vouloir leur faire une place légitime ?
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SOma. ZOtiRABlCHVU, F. (2003), Le voca· bulai.... d~ lN k llu . E lHp'e' , Pori, .
Table
Remerciements
5
Introductiun. Com men t r ecommencer il s u tvre les ass ociations ?
7
I / COMM ENT D t PW YER LES CONTROVERSES S UR LE MONDE SOCIAL
Introduction: du hon usa ge d es cont rov ers es
33
Première SlIU TCt' d 'ince rtitude: pes d e gnmpes, mais d es regroe pe me në, Une liste de s trace s lai Mées par la fonnation
41
de groupes
Pa s de travail , pas de groupe Média eurs contre intermédiaire s Deu xième suun e d'incertitude : d ébord és par "action Un acteur n'agit pas : on le fait agir Un e e nq uête de métaphysique a ppliq uée
46
52 55
63 67 73
399
Une liste pour e nregis trer les c ontrove rses sur les so urces de l' action Com ment faire fai re q uelq ue c hose à q uelqu' un T r u isième suu rce d ' incertitud e: quelle act iu n puur qu e ~ uh,Ït'ts ? Élargir la gamme des acte urs Les objets aussi partic ipent à l'action Les objets ne lai sserx de traces que par intermittence. Une li ste de situations pour rendre visible le rôle de s objets Qui a oublié le s relations de pouvoir? Q ua t rlêsue so u r ce d 'incertitude: des fa il'! i nd i~'IIta hies a u" fa il'! dispu tés Construct ivis me, pas co nstructivis me social L 'heureu x naufrage de la sociologie des sciences Se pa sser de toute ex plicatio n sociale Traduct ion contre transport L' expérience mène p lus loin Une liste pour nous aider à déployer les faits dl sput és .
76 84
91 93 101 106 11 3 118
125 126 134 143 152 157 166
Cinq u ième su u rce d 'incertitude : r éd iger d es com p tes r endus r isqués Nous écrivons de s textes, nous ne re gardons pas à travers une vitre Mai s qu ' e!>t -ce qu 'unréseau, àla fin ? Retour a ux fondamentaux : une li ste de carnets Dép loiement, non plis critique
178 187 194 197
Q ue faire d e l'acteur-rés eau ? Int erlude s ous forme d e dial o~u e
205
177
II / COMMENT RETRACER lES ASSOCIATIONS ? Introduct ion : p uu r q u ui le s ocia l es t-il s i difficil e à dessi ner?
400
231
LI' mond e s ocia l est plat!
241
Premier- m ou vement : loc aliser- II' ~Iobal Du panoptiqu e à I'cligoptique Panorama s
25 3 256 267
Deu xième mouv ement : r edtstrfbuer II' local............... Articulateu rs e t localisateurs Le lieu improbable de. interactions face à face Plug-ins De. acteu rs aux attachements
279 282 292 299 3 11
Troisi ème mouv eeueut : connecter les sites Des normalisations aux énoncés ccllectants Le. médiateu rs, e nfi n Pla sma : les ma sse. manquante.
319 323 335 348
Co ncl usio n. De la société au collectif - peut-on r éassembler Il' s ocia l '.' Qu el type d' épistémologie politique ? Un e discipli ne parmi d ' autre. Une a utre d éfinition de la composition politique
357 36 1 365 373
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38 1