UN UNIVERS D'ARTISTES Autour de Théophile et de Judith Gautier
@ L'Harmattan,
2003
ISBN: 2-7475-5417-1
Agnès de Noblet
UN UNIVERS D'ARTISTES Autour de Théophile et de Judith Gautier
- dictionnaire -
Préface de Jean-Philippe Bouilloud Postface de Sylvie Camet
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polyteclmique 75005 Paris France
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALIE
Les Introuvables Collection dirigée par Thierry Paquot et Sylvie Carnet La collection Les Introuvables désigne son proj et à travers son titre même. Les grands absents du Catalogue Général de la Librairie retrouvent ici vitalité et existence. Disparus des éventaires depuis des années, bien des ouvrages font défaut au lecteur sans qu'on puisse expliquer touj ours rationnellement leur éclipse. Oeuvres littéraires, historiques, culturelles, qui se désignent par leur solidité théorique, leur qualité stylistique, ou se présentent parfois comme des objets de curiosité pour l'amateur, toutes peuvent susciter une intéressante réédition. L 'Harmattan propose au public un fac-similé de textes anciens réduisant de ce fait l'écart entre le lecteur contemporain et le lecteur d'autrefois comme réunis par une mise en page, une typographie, une approche au caractère désuet et quelque peu nostalgique. Déjà parus GOMEZ CARRILLO E., L'évangile de l'amour, 2003. De GONCOURT Edmont et Jules, Armande, 2003 NEGRI A., Les solitaires, 2002. GORKI M., En Gagnant mon pain. Mémoires autobiographiques, 2002. REINACH S., Orpheus, 2002. NOIR Pascal, Jean Lorrain: La Dame aux Lèvres rouges, 2001. BAKOUNINE, Confession, 2001. LEFEVRE T., Guide pratique du compositeur et de l'imprimeur typographes, 1999. ANDREAE Johann Valentin, Turris Babel, 1999. GAUTIER J., Le second rang du collier, 1999. AGUETT ANT L., La musique de piano des origines à Ravel, 1999. ANDREAE Johann Valentin, Les noces chymiques de Rosecroix Chrétien, 1998. QUINET E., Mes vacances en Espagne, 1998. ROUSSEAU J., Physiologie de la portière, 1998. ROBERT H., Des habitations des classes ouvrières, 1998. DE FOUCAULD Ch., Reconnaissance au Maroc, 1998.
VOLTAIRE, Facéties, 1998.
PRÉFACE
Une histoire de l'intime
C'est un grand plaisir que d'écrire la préface d'un ouvrage dont on a vu et suivi avec attention la patiente gestation. Le livre d'Agnès de Noblet couvre tout le milieu, intellectuel, artistique et social, qui gravite autour de Théophile et, surtout, de sa fille Judith Gautier. Curieusement, initialement
ce livre a failli ne pas exister en tant que livre, car il n'était pas prévu
sous cette forme. En effet, on préparait
déjà la réédition du deuxième livre des Souvenirs
à l'Harmattan
il y a quelques années
de Judith Gautier, Le Second Rang du
collier (le premier volume s'intitule Le Collier des jours). Agnès de Noblet, compte tenu de sa connaissance du milieu artistique et littéraire de l'époque, avait été pressentie pour en rédiger l'appareil critique, notamment les notices concernant les personnalités mentionnées dans l'ouvrage. De fil en aiguille, vu la documentation
considérable
dont disposait l'auteur,
il a été jugé préférable de rédiger un véritable dictionnaire biographique autour de la famille Gautier. Nous avons donc ici un ouvrage qui peut être pris comme le complément des deux premiers dictionnaire
tomes
des Souvenirs
du XIXe siècle. Par l'érudition l'originalité
de Judith
Gautier,
mais aussi
comme
un
autonome des milieux artistiques et littéraires à Paris dans la deuxième moitié de sa forme,
déployée, par l'ampleur
cet ouvrage
des sources utilisées conlme par
est appelé à faire date auprès de tous ceux qui
s'intéressent à l'histoire de la littérature du XIXe siècle. Il se présente comme un dictionnaire dans Le Collier des jours et Le Second
dont les entrées reprennent
les nonlS évoqués
Rang du collier. Mais, au-delà
niveau, de ce "premier cercle" des connaissances
de ce premier
évoquées par Judith dans ses Souvenirs,
ce sont d'autres personnalités du monde des arts et des lettres autour de la famille Gautier qui sont convoquées par Agnès de Noblet: à l'image même du titre des souvenirs de Judith, de multiples
"rangs" supplémentaires
viennent s'enrichir mutuellement
apparaissent
autour du "collier initial",
rangs qui
et créer un entrelacs dense de relations et d'accointances.
Au final, Agnès de Noblet nous propose
une œuvre complexe,
d'une étonnante
modernité
car elle dépeint à travers ces multiples entrées, qui sont autant de points d'ancrage,
tout un
réseau familial, amical, professionnel et relationnel. Ce n'est pas seulement un dictionnaire classique, où on trouverait une notice biographique concernant chaque personnalité évoquée par Judith Gautier, et qui refermerait chaque entrée sur elle-même;
c'est, au-delà,
un thesaurus ouvert où les entrées se renvoient les unes aux autres, au gré des évocations
6 et des rencontres. En ces temps d'internet, un tel travail est à la fois novateur pour la pratique de l'histoire et profondément actuel. Cette approche, par certains de ses aspects, rappelle indirectement les travaux de micro-histoire tels que les développe Carlo Ginzburg. Ce qui est en jeu ici, c'est l'ensemble des relations entre différents acteurs du théâtre artistique parisien, les amitiés, inimitiés, enthousiasmes, déceptions, projets, réalisations, séductions ou abandons, bref tout ce qui ne se laisse pas facilement appréhender à travers l'étude des œuvres, si centrales cependant pour l'histoire de la littérature. Or tout le travail d'Agnès de Noblet s'établit à la marge des réalisations artistiques, évoquées bien entendu sans cependant pouvoir donner assez de matière pour cette histoire, à travers tout ce qui est autour de la création, dans ce qui nous renvoie à l'intimité de Judith et de Théophile Gautier: articles de journaux, souvenirs, lettres personnelles ou témoignages rapportés. La question que nous pose ici Agnès de Noblet est la suivante: comment faire une histoire de l'intime, de ce qui est aux limites du document? On retrouve les mêmes questions que dans toute histoire centrée non sur les œuvres mais sur les idées, les sentiments, les relations, bref tout ce dont il ne reste que des traces ou des signes: comment reconstituer la validité de ce que l'on avance, discussions, sentiments éprouvés ou relations personnelles? C'est par un travail patient, qui rappelle celui des micromosaïques romaines, que l'auteur essaye ici de reconstituer un tableau d'ensemble, nécessairement incomplet, avec ses manques et ses zones d'ombre. Dans ce travail qui tient aussi de l'archéologie l'auteur, bien souvent, s'abstient de trancher, en présentant des hypothèses sur lesquelles les éléments manquent pour aller plus avant. Même les informations les plus factuelles peuvent être prises en défaut: ainsi, certaines dates sont avancées avec prudence, tant les dictionnaires spécialisés, encyclopédies et biographies peuvent être contradictoires. Sans parler de la coquetterie de certaines (dont Judith Gautier) à se rajeunir, ce qui oblige le chercheur à des ruses de détective pour traquer la vérité. C'est dire l'acribie, le soin scrupuleux dont l'auteur a su faire preuve. Un tel travail suppose une vaste érudition. La documentation qu'a rassemblée l'auteur sur le sujet au cours de ces vingt dernières années est considérable et, par certains côtés, unique, car Agnès de Noblet, en dehors d'une longue pratique des bibliothèques, possède des documents inédits de Judith et Théophile. Il y a en toile de fond plusieurs milliers d'ouvrages de référence, ouvrages historiques, livres de souvenirs, journaux de l'époque, œuvres propres des protagonistes, programmes de manifestations ou lettres. On voit ce que cette étude apportera en complément des travaux classiques sur la littérature du XIXe siècle: c'est une mine d'informations pour les universitaires soucieux de se pencher sur ce milieu si riche. Agnès de Noblet est d'ailleurs connue dans le petit monde qui s'intéresse à la littérature du XIXe siècle: plusieurs contributions à des revues, comme les Carnets de l'exotisme ou la Revue Pierre Loti, des préfaces, dont celle de la réédition du
7 Second Rang du collier dans la collection "les Introuvables" de l'Harmattan, ainsi que des conférences ont jalonné les recherches entreprises par l'auteur ces dernières années.
*** Le XIXe siècle français est, du point de vue littéraire et artistique, d'une richesse et d'un foisonnement qui déconcerte. Face au XVIIIe siècle qui se laisse appréhender autour de quelques pôles (la Cour, les Salons, l'Encyclopédie, la Révolution, etc.), le XIXe propose au chercheur une explosion littéraire (du romantisme au symbolisme), musicale (de Boëldieu à Debussy), picturale (de l'académisme à l'impressionnisme) et politique sans égale. La famille Gautier est ici à l'image de cette effervescence: leur table est effectivement le "dernier caravansérail du romantisme" (Goncourt), où se retrouvent à la fois des écrivains du cru, un général persan (Mohsin Khan), et d'une manière plus générale, tout ce que Paris compte d'artistes et d'intellectuels novateurs. Fille d'un des plus grands écrivains de son temps et d'une cantatrice célèbre, Ernesta Grisi, Judith Gautier, elle-même écrivain, va croiser au cours de son existence tout ce que Paris, voire l'Europe, compte d'artistes et de personnalités célèbres: Victor Hugo et Wagner, avec lesquels selon certains biographes elle eut plus que des relations intellectuelles, mais aussi Pierre Loti, Maxime du Camp, dont elle était la filleule, les Goncourt, Gounod, John Singer Sargent, Robert de Montesquiou, Pierre Louys, etc. L'activité même de Judith Gautier est multiforme: écrivain, elle publie des poèmes (Le Livre de jade), des romans issus de ses rêves exotiques (L'Éléphant blanc, Le Dragon impérial, Iskender, etc.), des pièces de théâtre (dont La Fille du ciel, drame chinois écrit avec Pierre Loti) et des articles. Prosélyte de la musique de Wagner en France, elle fait représenter la Tétralogie dans son appartement du 30 rue Washington, dans un théâtre de marionnettes dont elle assure la réalisation.
Créé à partir des deux premiers volumes des Souvenirs, ce Dictionnaire les prolonge, car ceux-ci s'arrêtent avant le mariage de Judith avec Catulle Mendès, et le troisième volume est consacré à Wagner. Nous avons donc ici une sorte de biographie éclatée, vivante, qui continue sous une autre forme ce que les souvenirs de Judith ont commencé. Gageons que les lecteurs auront grand plaisir à s'immerger dans ce dictionnaire, qui constitue aussi un hommage à lafamille Gautier.
Jean-Philippe
Bouilloud
REMERCIEMENTS
Ce m'est un agréable devoir d'exprimer ma reconnaissance à tous ceux et à toutes celles qui ont bien voulu au cours des années apporter, à divers titres, leur précieux concours à la réalisation de cet ouvrage. Quelques-uns d'entre eux, hélas! nous ont quittés avant son achèvement. Qu'ils soient remerciés avec chaleur de leur assistance. Messieurs A. Quella- Villéger, P. Pierre-Loti- Viaud et Madame, F. Laplaud, J.Ph. Bouilloud, J. Chalon, J.-P. Goujon, G. Bourget, C. Dugas de la Boissonny et Madame, D. Hennocque, Dr R. Fleury, G. et I. Devriès, F. Lesure, J.-L. Meunier, Me Lanquest, J.P. Fourneau, Cdt Pillet, G. de Diesbach, R. Greaves, M. Laurent, F. Ghlamallah, J.P. Clément, duc et duchesse de Rohan, P. Georgel, L. Pareydt, R. Baudelaire, H. Cazaumayou, P. Kyriazidès, Th. Bodin, M. d'Esneval, T. Malthète. Mesdames F. Alvarez de Toledo, K. Meyer-Arend, A. Joly-Segalen, P.-H. Schwartz, A. Roquebert, Lieutaud, J. Sarment, Gaveau, L. Lafforgue, Pieri, E. Chirol, Boitard, G. Lacambre, S. Carnet, B. Hodent de Broutelles, D. Brahimi, B. Niogret, C. Mouchard, M.-L. Van der Pol.
... Nous portons en nous, dans le fond de nos âmes, parcelles innombrables, l'âme de bien des morts, illustres ou inconnus, qui nous ont précédés ici-bas, dans la gloire ou dans l'oubli. Edmond Jaloux, L'Esprit des livres.
A ABOUT, Edmond (Dieuze, Meurthe 1828 - Paris 1885). «Le travail de notre vie ne contribue le plus souvent qu'à défaire notre réputation », écrivit un jour d'amertume cet écrivain polygraphe qui connut pourtant tous les succès d'estime et, même, de scandale. Romancier: on trouve encore dans des collections pour la jeunesse le Roi des Montagnes (1857) et l'Homme à l'oreille cassée (1862) ; homme de théâtre: Guillery (1856), Gaetana (1862) conspuée par la jeunesse frondeuse et antibonapartiste des écoles; polémiste politique et "voltairien": la Grèce contemporaine (1854), la Question romaine (1861) ; critique d'art: six volumes de Salons. .. Plus habile que Gautier sans doute, plus sage peutêtre, plus heureux en tout cas dans la vie pratique, il sut conquérir la fortune, mit sa femme et ses huit enfants à l'abri du besoin, et l'Académie l'accueillit en fin de compte dans son giron, de préférence à Coppée, encore que la mort ne lui ait pas laissé le temps de s'asseoir dans le fauteuil libéré par Jules Sandeau. Élève de l'École normale de 1849 à 1851, il s'y lia - pour toute la vie - avec Francisque Sarcey ; à l'École d'Athènes, avec Charles Garnier; en Italie, avec Paul Baudry. Et avec Arsène Houssaye, Aubryet, Saint-Victor, etc. Dans ce milieu "artiste", tout le monde connaissait tout le monde et About semble avoir conquis la sympathie générale. Dans les Souvenirs de jeunesse de Sarcey, portrait de ce garçon attachant, «le plus vif, le plus pétulant, le plus indiscipliné» de ses condisciples de l'École normale: Jeune, hardi, délibéré, galant, joyeux, plaisant; le front haut, la parole vive, le geste prompt, l'esprit éveillé! [...] Rien n'a pu effacer chez moi le souvenir de [sa] conversation étincelante, ailée, de cet esprit toujours en mouvement,de ce pétillement de mots justes, vifs et plaisants, de cette verve abondante en vues nouvelles, en rapprochements inattendus, en récits fantaisistes, en légendes d'atelier où se jouait une imagination libre et gaie... Comme Gautier, About fréquenta le salon de la princesse Mathilde, mais, en ironiste qui ne pouvait résister à la tentation de faire un "mot", il fut banni de chez elle pour insolence, de même qu'il fut congédié par la Païva à laquelle, regardant le célèbre escalier en onyx de son hôtel des Champs-Élysées, il osa dire: «Ainsi que la vertu, le vice a ses degrés », grossièreté que tel chroniqueur attribue à Prosper Mérimée, tel autre à Émile Augier. Autre relation commune de Théo et d'Edmond: Eugénie Fort, la mère de Toto Gautier. En 1852, elle eut des bontés pour un si brillant jeune homme; ils ne se fâchèrent point et se revirent par la suite. Alice Ozy aussi fut séduite par un Don Juan si vif, si gai, si primesautier. « J'ai toujours été prise par l'esprit », dira-t-elle. À ce moment-là, en 1857, Paul de SaintVictor la courtisait de fort près: jaloux, About l'emmena en Italie. Une fille d'Edmond About épousa Pierre Decourcelle - digne fils de son père Adrien - qui fut président de la Société des Gens de lettres, président de la Société des Auteurs dramatiques et collectionneur avisé des toiles des XVIIIeet XIXe siècles. Les mélodrames d'About faisaient pleurer Margot à l'Ambigu comme à la Porte-Saint-Martin (exemples: Gigolette, 1894; les Deux Gosses, 1896) et ses romans à rebondissements (exemples: Fanfan, 1896; les Deux Frangines, 1903; la Buveuse de larmes, 1908) étaient attendus avec fièvre dans les chaumières où l'on découpait, pour les brocher ensuite, les feuilletons au rez-de-chaussée des journaux qui « avaient eu l'idée, nous dit André de Fouquières, pour capter plus sûrement l'attention du public, de lancer le roman-concours. Ainsi l'on trouvait, posées entre les informations politiques et les faits divers, d'étranges énigmes: Combien Zizi aura-t-elle d'amants? - Madame de Barancey arrivera-t-elle à ses fins avec le marquis de Marans ? -
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Quelle est, des cinq femmes, celle qui mourra empoisonnée? il ? »
- Adhémar se vengera-t-
Le Collier des jours, p. 268. ACHARD. Ce propriétaire de la petite maison du 32, rue de Longchamp, à Neuilly, pourtant « cinq fois millionnaire », ne consentit, nous révèle Bergerat, aucune diminution de loyer, malgré la guerre et ses désastres, bien que le bon Théo ait beaucoup agrandi et embelli l'immeuble. Il ne semble pas que cette "crème" de Gautier lui en eût gardé rancune, à preuve cette information donnée par lettre, de Versailles, avenue de Saint-Cloud, No 3, où il s'était réfugié chez Eugénie Fort, à sa fille Estelle, le 6 avril 1871 : Les journaux de Genève te mettent sans doute au courant des choses étranges et terribles qui se passent en France. [...] Voilà la guerre civile engagée et nous allons faire le siège de Pari s. Vraiment il y a sur notre malheureux pays un esprit de vertige. Les sages même sont forcés par les fous à des actes extravagants. En attendant, c'est la vie la plus intolérable qu'on puisse imaginer. [...] On s'est battu à Courbevoie et au pont de Neuilly. Une balle a traversé le salon de billard de M. Achard et d'autres projectiles ont coupé des branches dans le jardin. Personne n'a été blessé. À propos de M. Achard, ce brave homme, la perle des propriétaires, est mort dans les derniers jours du siège. Notre maison n'a rien eu. [... ] Voilà, pauvre mignonne, la vie que mène loin de toi ton pauvre père. Toujours retenu au moment de partir, je crève d'envie et de rage. [...] Tu me demandes dans ta dernière lettre le nom de la maladie que j'ai dit dans une lettre que tu n'as probablement pas reçue. C'est une pneumonie aiguë compliquée de famine dont j'ai failli mourir sans trop m'en apercevoir tant j'étais affaibli. Mais je vais bien maintenant. Un peu de chaleur et il n'y paraîtrait plus...
Le Second Rang du collier, p. 35, 51. ALARY,
Jules-Abraham-Eugène
Alari,
dit (Mantoue
1814
-
Paris 1891). Musicien
d'origine italienne. Flûtiste au théâtre de la Scala, à Milan, il enseigna ensuite à Paris le chant et le piano. En 1852, il fut nommé pianiste accompagnateur de la Chapelle et de la Chambre de l'empereur. De 1853 à 1870, il exerça en outre les fonctions de directeur de chant au Théâtre-Italien. Alary composa un certain nombre d'œuvres dramatiques, représentées à Florence, à Paris, à Saint-Pétersbourg. On sait quelles sottes cabales, quels sifflets, quels chahuts accueillirent les représentations de Tannhiiuser à l'Opéra de Paris les 13, 18 et 24 mars 1861, données sur l'ordre de Napoléon III sollicité par la princesse ce Mettemich, femme de l'ambassadeur d'Autriche, et quelle fut la déconvenue de Wagner. «Puisque des membres du Jockey-Club ne veulent pas permettre que le public de Paris puisse entendre mon opéra exécuté sur la scène de l'Académie impériale de musique, faute de ne voir danser un ballet à l'heure ordinaire de leur entrée au théâtre, je retire ma partition... » (Lettre au directeur de l'Opéra, Alphonse Royer.) Consultons Servières, cité dans Wagner et la France, ce magnifique ouvrage édité à l'occasion d'une exposition à la Bibliothèque Nationale en l'honneur du centenaire de la mort du compositeur: «Les costumes, dessinés par Alfred Albert, étaient du XIIIe siècle, mais d'un caractère un peu fantaisiste. Ils avaient coûté plus de 50 000 F. Aussi, après les trois représentations de Tannhiiuser, la direction, pour les utiliser, comn1anda-t-elle à Mélesville un petit opéra en deux actes dont l'action se passait en Allemagne au Moyen Âge et où le principal
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A
personnage est un Landgrave de Thuringe. Cet ouvrage, mis en musique par Giulio Alary, maître de la chapelle de la maison de l'Empereur, fut représenté le 30 décembre 1861 sous ce titre: La Voix Humaine. » La Voix Humaine d'Alary n'a pas été maintenu au répertoire et ce titre a été repris par Jean Cocteau pour le texte d'une tragédie lyrique à un seul personnage féminin, un acte mis en musique par Francis Poulenc et représenté pour la première fois à l'Opéra-Comique le 6 février 1959. Jean Cocteau... Cocteau, notre quasicontemporain qui sut ressusciter, dans ses étincelants Portraits-Souvenir, quelques monstres sacrés d'époques lointaines. Les pages consacrées à Mendès, «poète moins lu que célèbre », et à Jane, sa femme, «grande, peinte comme une idole, pareille, derrière l'aquarium de ses voiles et suivie par les volutes écumantes de manches pagodes et de traînes, à un merveilleux poisson japonais », ces pages ciselées, on voudrait les reproduire toutes pour l'enchantement du lecteur. Cocteau ne parle malheureusement pas de Judith qu'il connut cependant, puisque, le jour de la mi-carême 1913, escortant avec Albert Flament et Lucien Daudet la princesse Lucien Murat, fille de la duchesse de Rohan - travestis qui en Pierrette, qui en jeux de dominos -, il parut rue Washington dans son costume favori de Mercure, un costume à l'épreuve du temps... En 1921, Jean Hugo, qui le rencontra à un bal masqué chez la danseuse Caryathis (Mme Élise Jouhandeau), note dans le Regard de la mémoire: «Cocteau porte, comme chaque fois qu'il doit se déguiser, son costume de Mercure, maillot gris, casque ailé et caducée. » Lucien Daudet considéra son hôtesse d'un œil sarcastique. De Judith Gautier, sa collègue à l'Académie Goncourt, Léon Daudet, le frère aîné de Lucien, écrivait bien des années plus tard: « Je la trouvais comme femme de lettres et roucoulante et finement bavarde, fort agréable, mais trop Chinoise en ses récits pour mon goût. Elle ressemblait étonnamment à son père, ayant le même faciès léonin et une invention verbale amusante. Pesant une centaine de kilos, et d'âge déjà avancé, elle joua chez elle, dans un petit appartement cage à mouches, le rôle de Roméo, en collant de satin noir. Un assistant me racontait qu'il croyait assister à une pêche à la baleine.» (La Femme et l'amour.) La satire contre Judith décocha des traits beaucoup plus méchamment acérés. Quelques années après sa mort, celui qui l'interpellait ainsi, en 1910, dans les Paroles diaprées: « Chère grande Judith, admirée entre toutes, / Amie (et qui vaut mieux), déesse, enfant d'un dieu, / Qui laissez, de vos jours, s'orienter les gouttes / Pour en faire un collier de perles peu à peu... », le perfide Robert de Montesquiou, gentilhomme à la susceptibilité exacerbée qui avait toujours quelque rancune ou quelque brouille avortée à remâcher, ne rougit pas de laisser dans ses papiers ce douzain affligeant qui fut publié en 1925 : Un gros éléphant blanc, sacré, vaincu par l'âge, La dèche, les ennuis, l'orgueil, le maquillage, C'est Édith; elle étonne encore les jobards En faisant manœuvrer un Guignol de poupards Assez ingénieux, en écrivant des Iivres Et surtout en pesant cinq cent quatorze Iivres. Avoir été déesse, en descendant d'un dieu, Avoir connu l'amour des mains d'un prince bleu, Du poète inspiré des Chants du Crépuscule, Avoir été la Muse, Omphale d'un Hercule, Avoir aimé Wagner dans son beau, dans son neuf. . . Et ne plus rappeler que le Baron de Bœuf!
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A
(<< Édith
», les Quarante
Bergères.)
Le Second Rang du collier, p. 71-72. Amour souffle où il veut (l'). D'après Maxime Du Camp, Gautier travailla longtemps à cette pièce commandée par Arsène Houssaye pour la Comédie-Française en 1850. Il n'en reste malheureusement que des fragments. Bergerat nous en dit un peu plus au chapitre XIV du premier volume de ses Souvenirs consacré au "Théâtre" de Théophile Gautier, avec quelques variantes par rapport aux textes de Judith et de son parrain. Cette « grande comédie inachevée et qui devait avoir cinq actes avait été commandée à Théophile Gautier par Édouard Thierry pour la Comédie-Française, sur un scénario de Mario Uchard que j'ai encore entre les mains et qui s'intitulait le Nouvel Arnolphe. Le maître s'y intéressa longtemps. Il en exécuta deux actes, dans l'intervalle de la copie [sous-entendu: journalistique]. Delaunay et Mlle Favart venaient, pour l'encourager à la besogne, lui en réciter à Neuilly les passages terminés. Et puis, il abandonna la partie, et nous ne retrouvâmes qu'à sa mort ce qui en a été publié. Il était peu fait pour ces tâches et ne se sentait à l'aise que devant ses idées propres et ses conceptions individuelles. » Le Second Rang du collier, p. 310-312. Archevêque
de Paris. Voyez SIBOUR.
ASCHER, Joseph. Né à Groningue en 1829, ce musicien néerlandais n'a laissé un souvenir impérissable ni comme compositeur ni comme instrumentiste. Compositeur, il produisit
une abondante
musique
de salon
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études,
galops,
etc.
Pianiste,
élève de
Moscheles, installé à Paris à partir de 1849, il officia à la cour impériale. Mort à Londres en 1869. Le Second Rang du collier, p. 115. AUBRYET, Xavier Aubriet, dit (Pierry, Marne 1827 - Paris 1880). Littérateur patronné par Édouard Houssaye, le frère d'Arsène, collaborateur de nombreux journaux, une célébrité de la presse boulevardière, un pilier du Café Riche; conservateur déterminé, disciple de Joseph de Maistre, il y avait des empoignades vigoureuses avec Gambetta. Camarade de collège de Paul Dalloz, il fut son collaborateur au Moniteur et son ami de toujours. Grand ami de Saint-Victor qu'il accompagna en Italie, mais qu'il abandonna bientôt en raison de toutes les "Sainte Famille" qu'il lui fallait admirer à contrecœur. Sa préciosité affectée le fit surnommer "Cocodette des lettres". On a volé beaucoup de mots d'esprit à ce causeur éblouissant. C'est lui qui attribua à Monsieur Prudhomme, mené devant la mer, cette réflexion enviée par Henri Monnier: «U ne telle quantité d'eau frise le ridicule. » De cette même veine prudhommesque et parodique il nourrit un précis d'histoire de France qui s'ouvre sur ces lignes: «Quand Pharamond ceignit la tiare, la France était une vaste solitude paludéenne plus propre aux ébats des canards sauvages qu'au fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles. » La vie politique ne lui étant que déception, s'inspirant d'un titre bien connu de Guizot il disait vouloir rédiger ses
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Mémoires pour nuire à l'histoire de mon temps. Atteint d'une maladie de la moelle épinière, Aubryet mit quatre années à mourir dans d'atroces souffrances, martyre d'autant plus cruel qu'il conserva jusqu'au bout, comme le malheureux Heine avant lui, la pleine maîtrise de son intelligence. Agonisant, il se faisait jouer la Marche funèbre de Chopin. Le Second Rang du collier, p. 147 Au Luxembourg. Poésie de seize alexandrins, écrite avant 1845. « Enfant, dans les ébats de l'enfance joueuse », dit son épigraphe, empruntée à J. Delorme. « Toute petite fille, elle allait du beau Temps / À son aise jouir et folâtrer longtemps [...] Et, trompant les regards de sa mère inquiète, / Au risque de brunir un teint frais et vermeil, / Livrer sa joue en fleur aux baisers du soleil! » La révolte de Judith n'était-elle pas fondée? Le Collier des jours, p. 64. AUSSANDON, Amédée, médecin (1803-1859). Après Judith, il mit au monde Estelle. Cet homme exagéré, comme aurait dit M. Prudhomme, était un familier d'Henri Monnier, d'Alphonse Karr, de Gavarni, de Méry, de Baudelaire, de Feydeau... Comme le dit Judith, il aimait la bagarre. « Musculeux, trapu, avec des mains noueuses, des reins de taureau, bâti à renverser l'obélisque de Louqsor d'un coup d'épaule », au témoignage d'Ernest Feydeau, les voyous agressifs avaient lieu de se repentir de s'être attaqués à lui. Un jour, à la barrière du Combat (notre place du Colonel-Fabien) où étaient organisées des batailles entre divers animaux, Aussandon fut éventré par un ours contre lequel il avait imprudemment lancé son chien; il courut laver ses intestins à une pompe voisine, recousit lui-même l'affreuse blessure... il en réchappa! Dans sa maison de santé, 48, rue Notre-Dame-de-Lorette (à dix numéros de l'atelier de Delacroix), il accueillit par deux fois Gérard de Nerval: en 1849 et en 1850. Peu de temps avant sa mort, à demi-paralysé, ruiné, désespéré, il implorait un secours de Gautier: «.. .Je t'ai toujours aimé de tout cœur et Dieu te bénisse. Adieu, Théophile. » On croit qu'il mit fin volontairement à ses jours, «d'un coup de pistolet au cœur» dit Maxime Du Camp. Une des filles du Dr Aussandon, Esther, ballerine, eut à Londres quelques succès salués dans la Presse par Gautier. L'ayant connue toute petite, il l'appelait gentiment Mlle Moucheron. D'une lettre qu'il lui écrivait vers 1849, extrayons ces lignes révélatrices d'un pessimisme soigneusement celé au public: «Songe que le théâtre est un lieu d'intrigue, de passe-droits, de scélératesse et d'infamie. Là, tout ment, tout trompe, tout trahit: l'œil, la bouche, la parole, le serrement de main, l'éloge et la critique. [...] La soif de la réputation et de l'argent, l'intérêt exaspéré, la vanité en délire et en souffrance y rendent mauvaises les meilleures natures... » De ces natures il en avait étudié beaucoup, de très près, le Théo. Le Collier des jours, p. 2, 41, 125. Avatar, conte paru dans le Moniteur universel, en février-avril 1856. Avec humour, Gautier y exploite un de ses thèmes de prédilection, celui du fantastique lié à l'amour et à la mort. Judith fait allusion à ces deux lignes de la nouvelle: «Le docteur fit les passes,
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accomplit les rites, prononça les syllabes [...], et bientôt deux petites étincelles apparurent au-dessus d'Octave et du comte avec un tremblement lumineux.» Il s'agissait d'opérer le retour, dans son propre corps, de l'âme d'Octave de Saville, transférée auparavant, par l'inquiétant docteur Balthazar Cherbonneau, dans le corps du comte lithuanien Olaf Labinski - et réciproquement -, le pauvre Octave, frustré, n'ayant pu séduire, même sous l'apparence physique de son époux bien-aimé, la vertueuse, la chaste, la perspicace comtesse Prascovie Labinska, rencontrée aux Cascines de Florence et dont il est fou. De la Cafetière (1831) à Spirite (1865), Gautier, grand admirateur d'Hoffmann, a utilisé la forme littéraire du conte, de la nouvelle, pour y couler, non sans une large dose d'autodérision, ses inquiétudes existentielles. Analyses, commentaires occupent nos modernes "gautiéristes" qui traquent dans ces textes ludiques, oniriques, métaphoriques, trop longtemps négligés, les causes et les raisons de la mélancolie angoissée de leur auteur. Les contes de Gautier sont d'une ampleur très diverse; le Nid de rossignols, l'Enfant aux souliers de pain ou le Pied de momie, par exemple, disent en quelques pages ce qu'ils ont à dire; en revanche, Avatar, Jettatura ou Spirite sont des nouvelles plus développées. Quant à Fortunio, le bien nommé "roman incroyable", il est d'une longueur inusitée pour un ouvrage de ce genre, où la verve, le cynisme candide "du Théo" se donnent libre cours. Fortunio, dit la préface - car Gautier a pris plaisir à coiffer d'une introduction cette fantaisie où, joyeusement, il s'est peint tout entier en 1837 - « Fortunio est un hymne à la beauté, à la richesse, au bonheur, les trois seules divinités que nous reconnaissons. - On y célèbre l'or, le marbre et la pourpre. [...] Le roman de Fortunio est bien plus vrai que bien des histoires. [...] Si cependant l'on voulait à toute force donner un sens mythique à Fortunio, Musidora, dont la curiosité cause indirectement la mort, ne serait-elle pas une Psyché moderne, moins la pureté virginale et la chaste ignorance? Nous avons fait Fortunio assez beau, assez comblé de perfections pour représenter convenablement l'Amour; et d'ailleurs tout le monde en cette vie n'est-il pas à la poursuite d'un Eldorado introuvable? .. » Les amateurs du VIle art aux temps lointains du muet savent qu'une actrice française, Jeanne Roques, vêtue d'un indiscret collant noir dessiné par Poiret, fit ses véritables débuts pendant la Grande Guerre dans les films de Louis Feuillade, les Vampires, Judex, y gagnant ses galons de première "vamp" européenne sous le nom de Musidora. Elle tenait ce pseudonyme de Pierre Louys qui fut son amant. « Il avait composé pour la jeune artiste, écrit Cardinne- Petit dans son Pierre Louys intime, ce nom de théâtre dont l'arrangement harmonieux des syllabes ressemblait à un arpège de hautbois.» L'affirmation pourrait sembler crédible, mais c'est faire injure à Pierre Louys, cet infatigable lecteur, ce fin lettré, qui plus est ami personnel de Judith Gautier, de le croire ignorant à ce point des œuvres de Théophile Gautier en général et de Fortunio en particulier. Au reste, ce charmant, ce musical vocable, Musidora, fut également employé par Alphonse Daudet pour en titrer un opéra imaginaire dans l'Immortel (1888), cette atroce satire contre l'Académiefrançaiseet les salons littérairesde son temps, « popotes académiques », foyers, dit-il, de «niaiseries, cocasseries, vilaines petites intrigues» menées par «des pécores prétentieuses» . Le Second Rang du collier, p. 9. BACH, Johann Sebastian, né en Thuringe, à Eisenach le 21 mars 1685, mort, aveugle, en Saxe, à Leipzig le 28 juillet 1750, huitième enfant de Johann Ambrosius Bach
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(1645-1695) et d'Elizabeth Lammerhirt (1644-1694), épousa en 1707 sa cousine Maria Barbara Bach qui mourut en 1720, puis en secondes noces, en 1721, Anna Magdalena Wülken, douée d'une jolie voix de soprano. Assidu au travail comme à ses devoirs conjugaux, il composa une œuvre musicale grandiose et engendra onze fils et neuf filles; sept de ses enfants lui survécurent; quatre de ses fils laissèrent un nom estimé dans l'histoire de la musique. «Bach a mené la vie simple et familière de ces musiciens du XVIIIe siècle qui n'avaient pour la plupart d'autre ambition que de remplir consciencieusement et pieusement les fonctions qui leur étaient dévolues. Il a composé de la musique avec la régularité du laboureur qui trace un sillon. [...] Composer, c'était d'abord pour lui exercer un métier - celui qu'exerçaient à peu près tous les membres de sa famille un métier qui devait lui permettre de vivre et de faire vivre les siens. » Dans son anthologie les Plus Beaux Écrits des grands musiciens, BernardChampigneulle, que nous venons de citer, a recueilli une lettre de Bach, alors cantor de l'église Saint-Thomas à Leipzig, sollicitant l'appui du résident de la cour impériale de Russie à Dantzig en raison des soucis budgétaires qui assaillent ce père de famille nombreuse dans sa charge de directeur de la musique et du chant à l'école Saint-Thomas. « J'ai maintenant ici une situation stable. [...] Mon traitement annuel se monte à environ 700 thalers et il s'accroît en proportion du casuel, qui suit le nombre des enterrements. Mais quand le temps est sain, le casuel baisse: ainsi l'année dernière, la diminution du nombre d'enterrements me fit subir une perte de 100 thalers de casue!. En Thuringe, j'arrivais mieux avec 400 thalers qu'ici avec le double, tant le coût de la vie est excessif... » Le brave homme, sans malice... et modeste! De sa Messe en si, il dira: «Je me suis beaucoup appliqué à cette œuvre; n'importe qui s'appliquera autant fera aussi bien que moi.» Et capable! «Ses ennemis mêmes reconnaissent sa supériorité incontestable de virtuose; l'un d'eux [...] écrit à son sujet: "C'est le plus éminent des joueurs d'instruments. C'est un artiste extraordinaire sur le clavecin et sur l'orgue [.. .]. J'ai à différentes reprises entendu jouer ce grand homme. On s'émerveille de son habileté, et l'on conçoit à peine qu'il lui soit possible de croiser si singulièrement et si rapidement ses doigts et ses pieds, de les écarter et d'atteindre les intervalles les plus vastes, sans y mêler un seul ton faux et sans déplacer le corps malgré cette agitation violente."» (Paul Landormy, Histoire de la musique.) Et inventif! «Il contribue, écrit Landormy, à perfectionner le doigté en généralisant l'emploi du pouce et de l'auriculaire et en préconisant la position recourbée des doigts. Jusqu'au début du :xvme siècle, on ne se servait le plus souvent que de trois doigts, qu'on tenait allongés et mous. [...] L'on trouve cette remarque dans un vieux traité: "Mais que faites-vous du pouce? Vous ne pouvez l'étendre en l'air; en conséquence, il le faut appuyer sur le bois du clavier; là il est en sûreté, il ne pend pas paresseusement, et sert du moins à supporter la main." En outre, J.-S. Bach appliqua au clavecin le jeu lié de l'orgue et préconisa le doigté de substitution. » Wagner: « Les œuvres de Bach reflètent l'histoire de la vie la plus intime de l'esprit allemand. » Saint-Saëns: «Œuvre immense, sorte de cathédrale gothique dont les proportions colossales et les merveilleuses ciselures confondent l'imagination.» (Dictionnaire des auteurs, Laffont.) Il est toujours éclairant de consulter la chronologie. Voyons, par exemple, 1685: Haendel, Georg Friedrich, Halle (Saxe) 23 février 1685 Londres, 14 avril 1759 ; comme Bach - son cadet de moins d'un mois - organiste virtuose, claveciniste, violoniste; comme Bach atteint de la cataracte sur ses vieux jours, mais demeuré, lui, célibataire, naturalisé anglais et inhumé dans l'abbaye de Westminster.
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Musicologues et musicographes ont beau jeu à comparer, pour les opposer, l'œuvre considérable de ces deux Allemands exactement contemporains, également exceptionnels dans l'exercice d'un même art. Autre date remarquable dans les annales musicales: 1722. Cette année 1722 vit naître deux œuvres majeures: Traité de l'Harmonie réduite à ses principes naturels par M. Rameau, organiste de la Cathédrale de Clermont-en-Auvergne, et Der Wolhtemperierte Clavier Preludia Und Fugua Durch Alle Tone Und Semitonia, qui ne sera publié pour la première fois qu'en 1800, ce Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach, préludes et fugues pour instruments à cordes et à clavier, ouvrage fondamental des études pianistiques. « Les gluckistes et les piccinistes ! » Théo fait allusion à une célèbre controverse entre les partisans de l'art musical scénique classique représenté par Gluck (Iphigénie en Aulide, Orphée et Eurydice, Paris, 1774, etc.) et les sectateurs de l'opéra italien traditionnel représenté par Piccini (Iphigénie en Tauride, Paris, 1781, Didon, Paris, 1783, etc.). C'était renouveler la Guerre des bouffons. À l'occasion de la représentation à Paris, en 1752, de l'opéra bouffe de Pergolèse, la Servante maîtresse (la Serva padrona), de violentes querelles opposèrent déraisonnablement tenants de la musique française - avec Rameau, aux tenants de la musique italienne - avec J.-J. Rousseau, qui écrivait: «Les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir. S'ils en ont une jamais, ce sera tant pis pour eux. » (Cité par José Bruyr, la Belle Histoire de la musique.) Le Second Rang du collier, p. 118, 123. Bacio (il). Le Baiser, du compositeur italien Luigi Arditi (Crescentino, Piémont 1822 Brighton 1903), valse brillante pour voix de coloratura dans le style de la valse de Roméo et Juliette (Gounod, 1er acte). La vogue de Il Bacio ne s'est pas éteinte avec la soprano Adelina Patti qui l'avait inscrit à son répertoire, et Nellie Melba après la Patti. Les cinéastes américains le proposent à leurs rossignols préférés: Grace Moore a chanté Il Bacio en 1935 dans Love Me Forever, Jeanette MacDonald dans Cario en 1942, Gloria Jean dans Reckless Age en 1944, etc. Les accents de Il Bacio ne charmèrent pas seulement les salons où des dames à corset fortement baleiné faisaient profiter de leurs talents des auditeurs de bonne volonté. Maurice Talmeyr rapporte qu'en 1870, appelé à vingt ans sous les drapeaux, il fut envoyé pour une période d'instruction de six semaines à l'École Militaire, au dépôt des Grenadiers de l'ancienne Garde impériale où les jeunes recrues étaient débourrées par des vétérans débonnaires. «Le fourrier Derambure, un vieux briscard sentimental, raffolait de musique. Il y avait un piano dans la chambre des sous-officiers, et entre les exercices, dès que le service le permettait, on n'entendait plus dans la caserne que ses polkas et ses mazurkas. La grande valse à la mode était Il Bacio, et Il Bacio, matin et soir, nous arrivait avec ses andante et ses adagio, à travers les portes et les corridors, pendant que nous astiquions nos boutons et nos "godillots"... » Cette anecdote cocasse ouvre les Souvenirs d'avant le déluge de Talmeyr, pseudonyme de Maurice Coste, littérateur bourguignon à l'œil noir, aux reparties fulgurantes, au rire sonore, « le Forain du journalisme... homme de haut talent et de caractère », tel le décrit Léon Daudet dont il partageait les convictions antisémites et antidreyfusardes. Talmeyr fréquenta beaucoup les Parnassiens, encore qu'il jugeât la théorie de l'art pour l'art «l'une des plus destructrices mystifications de ce siècle ». (Figaro, 10 mai 1895.) Nous lui devons un intéressant portrait de Mendès «cordial et accueillant, plein de verve et de gaieté, mais [qui] tenait à régenter et à
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dominer », chez lui, rue de Bruxelles, et rue Mansart, chez Augusta Holmès, sa maîtresse en titre. «Il devait avoir alors largement franchi la trentaine, s'il n'approchait pas de la quarantaine, passait pour avoir été d'une beauté troublante, et était encore joli homme, avec sa chevelure élégamment négligée, d'un blond doré, et sa figure qui visait à celle d'une sorte de Christ, mais d'un faux Christ, d'un Christ suspect, d'un Christ de cabaret. Personne n'était d'ailleurs plus accort, meilleur camarade et n'avait plus d'allant, d'entrain, de vaillance au travail, et n'abattait aussi brillamment autant de contes, de romans, de chroniques et de critiques théâtrales, mais en y poursuivant toujours, ouvertement ou non, son infatigable propagande de démoralisation, l'espèce d'apostolat pornographique auquel il s'était voué. » Talmeyr assure, ce qui a été contesté, que Mendès, franc-maçon, « recrutait avec zèle pour la secte» ; il affirme que Théo, « son beau-père, avait son gendre en horreur et l'avait baptisé Crapule m'embête. Il exagérait, commente Talmeyr heureux d'avoir placé ce méchant à-peuprès, mais lorsque les poètes commencent à se rosser dans les chemins creux du Parnasse, ils n'y vont pas de main académique. » Quant à Augusta Holmès, elle a laissé, « avec le souvenir de sa grande et juste notoriété de compositeur et de pianiste, celui d'un charme et d'un esprit appréciés de tous ceux qui l'ont connue. Belle et d'une aimable simplicité sous une physionomie plutôt fière, enthousiaste d'art et de poésie, et indépendante par sa fortune, comme aussi malheureusement un peu trop par ses idées, elle avait cédé à une séduction dont Catulle Mendès avait le don, et associé son existence à la sienne. » C'est environ ce temps-là que Jean Lorrain vit pour la première fois, Il, rue Mansart, cette «Muse captive, descendue de l'Olympe à l'appel ensorceleur d'un jongleur du Parnasse. [...] On la disait belle comme une Pallas guerrière, farouche comme une Walkure, exclusive en de rares admirations tournant au fanatisme; les indiscrétions de quelques initiés admis dans le sanctuaire allaient même jusqu'à la représenter comme l'intolérante prêtresse d'une religion d'art nouveau, dont la trinité aurait été Leconte de Lisle, Gustave Moreau et Wagner. » Solarienne, comme disait aussi Péladan, « au profil impérieux et pur, éblouissant de pâleur [.. .]. Une telle créature existait! J'étais tué, ébloui, abasourdi!... » (<
Augusta Holmès », 20 avril 1890, Du Temps que les bêtes parlaient. Portraits littéraires et mondains.) Quelquesannéesplus tard, Augusta sacrifia, hélas! sur l'autel d'Éros saphique, «la sublime chevelure blonde» qui avait transporté Lorrain. Très colorée, quasimythologique, la visite rendue par Octave Mirbeau, le futur confrère Goncourt de Judith, au couple adultère, rue de Bruxelles, dans les années 1870, telle qu'il la raconta à Eugène Montfort (cité par Michel / Nivet, Octave Mirbeau): «Derrière la porte, du bruit, des chants, le tumulte, tout à fait, d'une grande débauche de la Décadence [...]. Enfin on se décide. Alors une petite femme échevelée ouvre la porte... J'entre... C'était une orgie romaine. On chantait, on brûlait des parfums, et les poètes vidaient des coupes. Dans la première pièce, je trouve étroitement enlacés sur un divan Mendès et Augusta Holmès... Je ne suis pas effrayé, eux non plus, et je poursuis. Alors, que vois-je? Ceci, allongé sur des coussins, une couronne de fleurs sur la tête, complètement nu et me regardant à travers son binocle, Roujon, cher ami, Roujon !» Jules Renard écrivit un jour (28 mars 1908) dans son Journal: « Mirbeau... il est toujours agréable de l'entendre mentir avec violence. » Le Second Rang du collier, p. 218.
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Bains Peti.t. Théo, fier de sa force physique et de ses perfonnances sportives, se vantait d'avoir fait à la nage la traversée de Marseille au château d'If (trois kilomètres) et retour de même. Externe libre au collège Charlemagne - on avait été obligé de le retirer de Louis-leGrand où, interne, il dépérissait «de froid, d'ennui et d'isolement entre ces grands murs tristes» -, il y faisait sa rhétorique tout en étudiant d'après le modèle vivant dans l'atelier du peintre Rioult, nIe Saint-Antoine, lorsqu'il se prit, raconte Bergerat, «d'une passion très-vive pour les exercices du corps et, notamment, pour la natation. Dans l'entre-temps des classes, il fréquentait assidûment J'école Petit, près du pont d'Austerlitz. Il y conquit bientôt l'insigne de "caleçon rouge", but suprême de ses ambitions de nageur. Sa mère, qui le croyait faible et délicat, ne pouvait s'accoutunler à l'idée des dangers qu'il courait à ce jeu, et plusieurs fois, pendant qu'il s'abandonnait aux délices de la pleine eau, il aperçut une femme pâle et agitée qui, penchée sur le parapet du pont, suivait ses moindres mouvements avec anxiété. .. » D'où l'on voit qu'il avait hérité des alarmes maten1elles. Des inquiétudes d'un autre ordre tracassaient ce père pudique: il jugeait inconvenant que « deux jeunes filles se baigneni au milieu de dix ou quinze gaillards développant leur anatomie ». S'il est banal, œ nos jours, de voir des estivants rnâles et temelles de tous âges, habillés de quelques ficelles, exposer leur corps aux rayons du soleil avant et après la trempette, nos aïeux concevaient de manière toute différente les plaisirs de l'hélio- et de la thalassothérapie. Voyons la jeune Marie de Flavigny en 1826 à Dieppe, station balnéaire lancée par la duchesse de Berry: «Le costulne que nous portions était fort laid; une coiffe. ou serre-tête de taffetas ciré enveloppait et cachait toute la chevelure, un pantalon et un sarrau de laine noire, sans aucun ornement, d'épais chaussons de lisiè.re.Lorsqu'elle sortait du bain, dans sa gaine collante et gluante, la plus jolie femme du monde selnb]ait une monstruosité.» (Daniel Stern, Mes Souvenirs.) En 1890, la baronne Staffe, autorité incontestée des Bons Usages, dispense ses conseils à ta jeune femme de la Belle Époque: «p~u bal, elle ne se décollette pas outrageusement, quoiqu'elle soit la mieux faite Liunl0nde. Vous sentez, après cela, qu'elle ne se rend pas de sa cabine au flot et de celui-ci à celle-là dans certains costumes de bains. Elle jette un manteau sur ses épaules. » Les jeunes fi11esde ce temps, racontait Paul Géraldy à ses auditrices des Annales, « arrivaient le Inatin, sur la plage, avec un grand chapeau, une voilette, des talons L,ouis XV, et saulevaient leur jupe avec leur main gantée. L'autre main tenait une ombrelle. Elles portaient sous leur bras un fade roman enveloppé dans une liseuse. Elles allaient s'asseoir sous une tente, sur un pHant, près de leur famille. On ne pouvait leur faire qu'une cour bien discrète. 1v1ais, conclut-il, on avait alors tant d'imagination!» Gabri01-1JouÎs Pringué, encore enfant, au seuil d'une existence tout affolée de mondanités, contempla, médusé, le bain de ~1me Gauthereau à Saint-Malo, devant une foule dense venue admirer ce spectacle « mythologique» : Un petit coupé noir arriva. ~AmeGauthereau, enroulée dans un burnous blanc, ses cheveux roux emprisoanés dans une résille de pedes, en descendit suivie de sa femme de chambre portant châles et couvertures blanches. ~1meGauthereau, toujours marmoréenne et in1passible, donna son burnous à un domestique. Elle était vêtue d'une longue tunique de flanelle blanche, avec en dessous des pantalons de rnêlne étoffe, les jambes dans des bas de soie blanche, les pieds chaussés de cothurnes blancs. [El1ese jette à l'eau, y évolue avec les grâces d'une sirène.] Cet exercice nautique était de courte durée, elle faisait un signe: une cabine traînée par un cheval s'aljgnait au bord du flot et Mme Gauthereau, en un nouveau saut de voltige, s'y engouffrait. Là, l'attendait sa felnme de chalnbre. [...] Quelquesinstants après,
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le grand valet de pied portant la belle Mme Gauthereau,enfouie dans son burnous blanc, dans ses bras, allait la déposer dans son coupé [...] qui disparut au trot rapide des chevaux à la robe isabelle. Beauté officielle et durable de la Ille République, cette Américaine suprêmement poseuse, née Virginie Avegno en Louisiane, manquait de moelleux. Ferdinand Bac contempla, sans désir précise-t-il, cette personne «figée », qui «ne riait jamais» (Montesquiou), « surhumaine» (Tailhade), «pâle comme la cire, froide comme le marbre» (Waleffe), «teint luisant de porcelaine... yeux de verre» (Lorrain). Jean Lorrain s'est férocement gaussé de Mme Pierre Gauthereau - d'aucuns écrivent Gautreau -, une "grimpette", autrement dit une arriviste mondaine qu'il surnomme Mme Parleydhondemoy tandis que son armateur-banquier de mari, éperdu d'admiration, devient M. Parleydhondelle. Mme Gauthereau passait l'hiver à Paris, dans son hôtel de la rue Jouffroy, et la belle saison à Paramé, au château des Chênes où vécut Céleste Buisson de la Vigne avant d'épouser Chateaubriand en 1793. Lorsque Mme Gauthereau subit des ans l'irréparable outrage, nouvelle Castiglione elle se cloîtra définitivement et disparut, « ensevelie dans le silence et l'oubli ». C'est aux Chênes, en Ille-et-Vilaine, que John Singer Sargent, élève de Carolus Duran, le peintre favori des professional beauties, connu pour flatter galamment ses
modèles, vint faire le portrait de Mme Gauthereau; exposé quelquesmois plus tard au Salon de 1884, la « Vénus républicaine» y fit scandale par sa facture "osée", ce qui poussa cet excellent et généreux ami de Monet, de Gervex, de Whistler, de Helleu, de Rodin, etc., à quitter Paris pour s'installer à Londres avant d'aller travailler à Boston. On pense que Sargent fit en Bretagne la connaissance de Judith, à moins qu'il ne l'ait déjà rencontrée à Paris dans les cercles littéraires et wagnériens. Quoi qu'il en fût, à Saint-Énogat en 1883 il fit d'elle - qui regrettait d'avoir jadis refusé, par insouciance et paresse, de poser pour Lenbach, le prolifique portraitiste munichois - l'objet de plusieurs études sensibles, poétiques, attachantes: quatre huiles, une aquarelle, une sépia, un dessin au crayon, malheureusement dispersés à travers le monde. Le musée Faure d'Aix-Ies-Bains possède la petite toile intitulée « Au bord du ruisseau» qui montre Judith, vêtue de blanc, assise dans l'herbe verte; sa beauté, son sourire inspirèrent visiblement Sargent. La reproduction de l'un de ces portraits illustre le Judith Gautier de Remy de Gourmont paru en 1904 à la Bibliothèque Internationale d'Édition. Dans ce petit volume, le chapitre "Iconographie" recense, outre les œuvres de Sargent, le buste de Judith enfant par Étex, un buste en terre cuite de Judith jeune fille par Cordier, une esquisse grandeur nature par Lecomte du Nouy, deux portraits par René Gérin. À cette liste, ajoutons une eau-forte exécutée par Henri Lefort d'après Judith Gautier dont elle offrit un tirage original à Lucien Descaves en 1894. Au Pré des Oiseaux, Sargent rencontra le peintre japonais Yamamoto, hôte occasionnel du petit pavillon annexe baptisé "la Boîte à cigares" par Robert de Montesquiou qui l'étrenna et où défilèrent tant d'amis de Judith. «Lorsque, parmi eux, il s'en trouvait menacés par quelque créancier, raconte Suzanne Meyer, vite l'amie exquise et sûre les expédiait là-bas où, à l'abri des poursuites intempestives et dans la tranquillité favorable à l'éclosion de nouvelles œuvres, ils évitaient la saisie et parvenaient à se renflouer. Ainsi en advint-il fréquemment du Sâr Péladan. » Accoutumée aux embarras d'argent, la fille de Théo, et comme lui le cœur sur la main! De Judith Gautier, Yamamoto illustra les Poèmes de la Libellule, « traduits du japonais d'après la version littérale de M. Saionzi, Conseiller d'État de S.M. l'Empereur du Japon (Gillot, imprimeur, 1885)... Hors commerce. » - « J'ai eu l'idée audacieuse et un
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peu folle de l'éditer moi-même ce qui complique beaucoup ma sollicitude pour lui », écrivait l'auteur à Philippe Gille pour lui recommander cet ouvrage qu'elle avait déposé au Figaro. Fort originale et très artistique, la plaquette en question, recueil de poèmes uniformément composés de trente et une syllabes, à l'imitation des outas originaux, ne s'adressait, dit un commentaire du Monde illustré (19 mai 1888) « qu'à un nombre restreint d'amateurs. Le texte est joliment encadré de libellules roses, vertes, bleues sur des fonds très pâles d'aquarelle lavés par grandes masses ». À la même époque, Judith écrivait à Juliette Adam: « Chère Madame, M. de Heredia demeure rue Balzac Il bis bien affectueusement» sur un somptueux papier du Japon décoré de grues en vol; de Judith à Pierre Loti, nous connaissons aussi un billet sur papier du Japon orné de poissons gris et bleus sur bandes bleues. Période faste dans la vie de notre écrivain si souvent désargentée? Hôsui Yamamoto, élève au Japon du peintre italien Fontanesi, était venu demander en 1878 des leçons à Gérome. Installé dans un atelier au 28, rue du Faubourg Saint-Honoré, il noua d'utiles relations dans les milieux cultivés de la capitale. Plus tard, il ouvrit à Tokyo une école de peinture. Les Archives du Musée d'Orsay, où le chercheur est accueilli et guidé avec générosité, possèdent le Catalogue de l'Exposition «Paris autour de 1882 ». Musée des Beaux-Arts de Gifu (Japon). 3 novembre - 19 décembre 1982, préfacé par Geneviève Lacambre. S'y trouvent reproduits, avec l'autoportrait de Hôsui, un très gracieux portrait de Judith Gautier par John Singer Sargent, dédicacé par lui « à Monsieur Yamamoto, Souvenir de St. Énogat », et les Funérailles de M. Victor Hugo par Yamamoto, une grande peinture sur soie, prêt du Musée Victor Hugo à Paris. En août 1917, à Saint-Énogat, dans le dernier été de sa vie, Judith tenta encore le crayon d'un artiste et, malgré sa répugnance à laisser d'elle une image de caducité, elle consentit à poser pour son amie Renée Davids qui fit d'elle deux émouvants portraits au charme nostalgique. L'Illustration du 6 décembre 1924 publia de nombreuses reproductions des œuvres délicates de Renée Davids - femme du peintre anglais naturalisé français André Davids, mère d'Arlette Davids, peintre de fleurs - qui connut plus tard des jours tragiques, sa famille tout entière étant disparue en déportation. Le Second Rang du collier, p. 242. BALZAC. «Non è bello et non è brutto, ma Jra le due, piuttosto brutto che bello» (<
1882), sa « blanche et grasse volupté d'amour ». La dédicatairedes Lettres à l'Étrangère,la "blanche et grasse volupté d'amour", n'avait pas que des amis à Paris. Roger Pierrot,
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biographe d'Ève Hanska - "une femme sensuelle, cultivée et complexe" - réfute, dates à l'appui, «l'histoire contée par Octave Mirbeau, prétextant que, pendant que Balzac agonisait, sa femme était dans les bras du peintre Jean Gigoux ». Au vrai, la veuve éplorée patientera plusieurs mois avant de trouver un apaisement à sa douleur dans une brève liaison avec Champfleury; succédera alors, et alors seulement, sa longue intimité avec l'artiste bisontin qui multipliera les portraits de son amie. Rappelons que, belle-sœur de Jules Lacroix par le troisième mariage de l'une de ses sœurs, Ève, membre d'une ancienne famille polonaise très prolifique, sera, entre autres personnalités marquantes de sa parentèle, la tante de la belle et charmante Marie Keller, et la grand-tante de l'élégant R.P.Alex Ceslas Rzewuski, auteur de Mémoires titrés À travers l'invisible cristal (Plon, 1976), qui abandonna en 1932 une flatteuse carrière de portraitiste mondain pour se faire dominicain sous le parrainage de Maritain; Liane de Pougy, princesse Georges Ghika, devenue fort pieuse à la fin de sa vie, le choisit pour exécuteur testamentaire, lui confiant le soin de publier ou de détruire ses Cahiers bleus, "souvenirs qui écrasent mon cœur repentant" ; il les fit paraître en 1977, les coiffant d'une belle préface élogieuse. Et revenons au génial auteur de la Comédie humaine. Pour comparer la mère Saint-Raphaël à Balzac, Judith pouvait se référer au beau portrait de Louis Boulanger, «ce vaillant soldat de l'armée romantique », (exposé au Salon de 1837) comme au daguerréotype, non daté mais postérieur, de Nadar, ou au buste de David d'Angers, sculpté en 1844. Une aquarelle de Grandville, datée de 1840, montre Gautier, puissamment chevelu, caricaturé en compagnie du romancier et de l'acteur Frédérick Lemaître. Ami de longue date, collaborateur de Balzac de 1835 à 1837: «Je travaille à la Chronique de Paris qui est maintenant dirigée par Balzac, qui est un bon gros porc plein d'esprit et très agréable à vivre. » (Lettre à Eugène de Nully.) - il faillit même l'accompagner en Italie en 1837 -, reproduisons quelques lignes du père de Judith, toujours très élogieux à l'endroit de son aîné: «Balzac fut un voyant. Son mérite d'observateur, sa perspicacité de physiologiste, son génie d'écrivain ne suffisent pas pour expliquer l'infinie variété de deux ou trois mille types qui jouent un rôle plus ou moins important dans la Comédie humaine. Il ne les copiait pas, il les vivait idéalement. .. » Ses yeux, dit encore Gautier, étaient « des yeux de souverain, de voyant, de dompteur. » Tous les contemporains de Balzac ont été frappés par le magnétisme de ce regard perçant. Gautier profite de l'occasion d'un article sur Louis Boulanger dans la Presse du 18 mars 1837 pour déplorer une fois encore «l'impossibilité de faire quelque chose de pittoresque» avec les vêtements masculins de son temps. «Il faut convenir que les peintres de portraits modernes sont les plus malheureux de tous les hommes. Jamais, à aucune époque, le costume n'a été aussi contraire au développement des arts du dessin. » À l'appui de son opinion, il remarque: M. de Balzac « a préféré poser en robe de moine à se faire représenter en frac. Le froc, du reste, lui sert habituellement de robe de chambre, sans doute pour une double allusion à ses labeurs de Bénédictin et à son humeur pantagruélique. » Auguste Rodin, partageant l'avis de Gautier, sculpta en 1896 un Victor Hugo tout nu et, deux ans plus tard, drapé dans son froc aux manches flottantes, le Balzacmenhir objet de polémiques d'une violence inusitée. Falguière, lui non plus, ne songea à pantalonner et redingoter un modèle si puissamment ventru. Lorsqu'en janvier 1849 le romancier échoua, tout comme Nisard, à obtenir en remplacement de l'historien Vatout les suffrages de l'Académie française qui leur préféra le comte de Saint-Priest, Sainte-Beuve commenta, sarcastique: « Balzac! Il est trop gros pour nos fauteuils!» Comme Hugo,
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Balzac était réputé joyeux calembouriste: «La critique est Thésée... » Quant au vers de treize pieds, cité par Judith, il « commençait une épopée sur les Incas» et, poursuit Balzac dans son roman largement autobiographique Louis Lambert terminé en 1832, il lui valut au collège de Vendôme où il fut pensionnaire de 1807 à 1813 d'être surnommé par dérision "le Poète". Rappelant la perte de ce "poëme épique sur les Incas, inspiration malencontreuse",
Théophile Gautier note ceci (18 août 1850): « Balzac, il faut l'avouer, n'eut jamais le don de poésie, de versification, du moins;
sa pensée si complexe resta rebelle au rhythme. »
En 1860, la maison Poulet -Malassis et De Broise publia une édition revue et augmentée,
avec un portrait gravé à l'eau-forte par Hédouin, de la monographie consacrée par Théophile Gautier à son génial camarade, Honoré de Balzac. Poulet-Malassis - Claude Pichois a retracé la vie pittoresque et mouvementée de ce dandy contestataire - «ne se contentait pas, écrit Bergerat, d'être un éditeur de la grande ligne des Elzévir, des Plantin et des Didot pour qui nulle pièce d'art ne vaut un livre parfait. C'était en outre un dilettante de lettres et il se ruina délibérément à publier les poètes d'élite qu'il aimait: ces poètes, d'ailleurs, n'étaient rien moins que Théophile Gautier, Charles Baudelaire, Leconte de Lisle et Théodore de Banville, ceux qui restent et grandissent dans le recul du siècle dix-neuvième.» (Souvenirs d'un enfant de Paris.) Et tant d'autres!... quelque trois cents titres au catalogue de "Coco MalPerché" comme le surnommait Baudelaire dans ses bons jours, Baudelaire qui ne cessait de chicaner et de récriminer contre cet éditeur modèle au point de lui arracher un j our ce gémissement: «Nos amis sont nés pour ajouter à nos mérites par les tourments et les ennuis qu'ils nous causent.» À Balzac, Baudelaire portait une admiration qu'il exprime hautement dans son Salon de 1846 : « Vous, ô Honoré de Balzac, vous le plus héroïque, le plus singulier, le plus romantique et le plus poétique parmi tous les personnages que vous avez tirés de votre sein!» -« Chaque écrivain est plus ou moins marqué par sa faculté principale, dit-il dans son Théophile Gautier. Chateaubriand a chanté la gloire douloureuse de la mélancolie et de l'ennui. Victor Hugo, grand, terrible, immense comme une création mythique, cyclopéen pour ainsi dire, représente les forces de la nature et leur lutte harmonieuse. Balzac, grand, terrible, complexe aussi, figure le monstre d'une civilisation, et toutes ses luttes, ses ambitions et ses fureurs. Gautier, c'est l'amour exclusif du Beau, avec toutes ses subdivisions, exprimé dans le langage le mieux approprié. » Le Collier des jours, p. 151. Le Second Rang du collier, p. 54, 270,282. BANVILLE, Théodore Faullain de (Moulins 1823 - Paris 1891). Fils d'un officier ~ marine, le charmant Théodore s'établit à Paris pour s'y consacrer aux belles-lettres. Après quelques recueils de poésie, des pièces de théâtre en vers et en prose dont Gringoire - il en écrivit vingt-quatre au total -, de nombreuses collaborations à divers journaux et revues, les Odes funambulesques, parues en 1867 sous le pseudonyme de Bracquemond, consacrèrent sa réputation de parnassien et de "fantaisiste". Gautier aimait le style de Banville: «De naissance, il eut le don de cette admirable langue que le monde entend et ne parle pas; et de la poésie, il possède la note la plus rare, la plus haute, la plus ailée, le lyrisme.» Banville lui rendait hommage pour hommage: «Le grand, l'impeccable poète [...] perfectionne, embellit, assouplit la langue et, comme jadis Rabelais, l'enrichit de tournures, d'expressions, de mille mots nouveaux... » De Judith, il écrivait: «Elle a reçu le même
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don que le poète des Émaux et Camées; elle a comme lui une beauté olympienne, une âme poétique et toutes les splendeurs de l'imagination et de l'esprit. C'est la même intuition, la même science impeccable, la même magnificence et la même hardiesse de style... » Après sa liaison avec l'actrice Marie Daubrun, la Belle aux Cheveux d'Or de Baudelaire « personne infiniment délicate, fine, pleine d'ironie douce et de bonté », selon Léon Daudet -, Banville épousa, dès qu'elle se trouva disponible par la mort de son mari, une Mme Veuve Rochegrosse, accueillant à son foyer le fils de celle-ci qu'il ne reconnut jamais pour sien et qui devint le peintre orientaliste Georges Rochegrosse, auteur pompier de vastes machines mythologiques et wagnériennes très admirées en leur temps, collaborateur de la Vie Moderne, illustrateur fécond d'œuvres littéraires contemporaines, et dont on se plaît de nouveau, après une longue période de défaveur, à reconnaître l'estimable talent. En mai 1914, au cours de son voyage en Algérie, Judith lui rendit visite à EI-Biar où il s'était fixé. Au sculpteur Cyprian Godebski, plus connu peut-être de nos jours pour avoir engendré la remuante Misia Godebska - successivement Mme Thadée Natanson, Mme Alfred Edwards, Mme José-Maria Sert - que pour les œuvres qu'il nous a léguées, on demanda le monument à la Poésie qui orne la tombe de Théophile Gautier au cimetière Montmartre. Le 25 juin 1875, le jour de l'inauguration de la statue, Banville prononça un discours vibrant dans lequel il exalta la dévotion indéfectible de Gautier à Victor Hugo, «sa croyance dans celui qui était pour lui, comme pour nous, le Pindare et l'Eschyle moderne et le dieu visible de la poésie ». André Gide, déçu par les Souvenirs de Banville - «De la louange; de la louange encore et telle aménité de critique que. .. confiture où, sous l'abondance du sucre, la saveur propre à chaque fruit disparaît» - profite de l'admiration qu'il lui porte néanmoins, pour envoyer un bon coup de griffe à l'auteur d'Émaux et Camées: «J'aime à l'excès cet esprit délicat, perspicace et charmant, plein de poétique malice. Par instants, c'est presque Ariel. Je l'aime pour lui-même et je l'aime contre Gautier, un des plus inutiles péroreurs dont puisse s'encombrer une littérature. » Dans le même ordre d'idées, un certain Edmond Scherer, théologien protestant (protestant comme Gide) et critique français, auteur d'Études sur la littérature contemporaine en huit volumes, illustre la préface de cet ouvrage par une phrase définitive: « Théophile Gautier, c'est-à-dire l'écrivain le plus étranger qui fût jamais à toute conception élevée de l'art aussi bien qu'à tout emploi viril de la plume!» Bergerat en fit des gorges chaudes dans son Livre de Caliban et Leconte de Lisle, écrivant à Heredia le 25 septembre 1882, ne balance pas à traiter de «misérable» ce monsieur qui avait indubitablement conçu des idées très personnelles sur nos écrivains: «Voilà cette grande dinde de Scherer qui déclare, dans le Temps, que Bourget jmite Baudelaire et que Baudelaire est un imbécile. Ce même Scherer avait écrit déjà qu'aucun honnête homme ne pouvait avoir les œuvres de Balzac dans sa bibliothèque et que Molière ne savait pas le français!...» À M. Scherer, opposons Mallarmé dont l'opinion n'est pas d'un poids médiocre; il se reconnaissait, dans sa jeunesse tout au moins, « élevé par Gautier à la plus haute cime de sérénité où puisse nous ravir la Beauté ». En hommage au maître dont la parole est «pourpre vive et grand calice clair », est «pluie de diamant », il écrira son Toast funèbre, publié en octobre 1873 dans le Tombeau de Gautier. De Banville, le futur auteur de l'Après-midi d'un faune disait: « Ce n'est pas un homme, c'est la voix même de la lyre, [...] l'être de joie et de pierreries, qui brille, domine, effleure. » Le gracieux auteur des Camées parisiens s'éteint le 13 mars 1891, 10, rue de l'Éperon, toute proche du Quartier Latin, dans le rez-de-chaussée décoré par son beau-fils où se réunissaient, le dimanche, tant
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de ses amis. Daudet, Coppée, Élémir Bourges, Mallarmé, Mendès, Silvestre, les Margueritte,.oo et Anatole France prend la plume: «Il était charmant. Nous ne le rencontrerons plus, les jours d'été, sous les platanes du Luxembourg, qui lui parlaient de sa jeunesse chevelue; nous ne le verrons plus, pâle, glabre, l'œil agile et noir, marchant à pas menus au soleil, roulant sa cigarette. [.00]Nous ne l'entendrons plus conter des histoires avec l'esprit le plus fin et le plus vif, parlant, les dents un peu serrées, d'une voix qui montait à la fin des phrases et amusait étrangement l'oreille. [...] Les jeunes poètes n'iront plus, dans ce beau jardin de la rue de l'Éperon où fleurissaient en tout temps les camélias bleus, saluer le vieux maître si poli, dont l'âme était fleurie comme son jardin [.. .]. Il est mort jeune à soixante-huit ans: c'était un poète. Que sa tombe soit blanche et riante, et qu'on y plante un jeune laurier! » Elle est, cette tombe, au cimetière Montparnasse où l'on creusa, trois ans plus tard, celle de Leconte de Lisle, le contemporain de Banville à peu de chose près. Poètes l'un et l'autre, cependant aussi dissemblables à tous points de vue que l'aquilon et le zéphyr, et gloires nationales statufiées non loin l'une de l'autre au Jardin du Luxembourg. Retournons au cimetière Montparnasse pour y saluer la mémoire de Georges Rochegrosse, décédé à EI-Biar en 1938; sa dépouille repose dans un tombeau de granit à proximité immédiate de celui des Banville. Le Second Rang du collier, p. 63, 64, 123, 146. BARN!, comte. Au Collier, Suzanne Meyer ajoute cette perle, grain de sadisme juvénile: «Judith n'ignorait pas l'empire qu'elle avait sur son cousin, aussi aimait-elle parfois mettre son amour à l'épreuve. Il se prêtait à toutes ses fantaisies, aussi baroques qu'elles fussent. Un jour, elle eut, en effet, celle de se promener en traînant derrière elle tout comme les enfants - un lapin blanc mécanique que chaque tour de roue faisait mouvoir de façon cocasse. [00.]Le lapin acheté, Judith se plut à le tirer au bout d'une ficelle avec un sérieux imperturbable. L'héroïque vieux cousin, bravant le ridicule, traversa les Tuileries aux côtés de sa belle, prêt à la défendre au moindre signe d'ironie ou de moquerie des badauds amusés. » Charmant vieux monsieur! «Quelque temps encore avant la guerre de 1870, raconte Bergerat, on pouvait [le] voir sur les boulevards user à la fois son vieux veuvage fidèle, et le reste de sa fortune dissipée. Il est constant que le bohème Rodolpho [...] lui fut un guide précieux et expert dans ses navigations sur notre mer d'asphalte et qu'il le pilota dans tous ses ports. » C'est par une lettre bordée de noir que Gautier apprit, en mars 1871, la mort du cousin d'Emesta. La gaminerie saugrenue dont le souvenir semble divertir encore Judith en son âge rassis, ne lui aurait-elle pas été suggérée par cette extravagance de Nerval que racontait volontiers Théo et qu'il consigna dans l'un de ses articles sur le compagnon si cher, « ce bon Gérard, comme chacun le nommait, qui n'a causé d'autre chagrin à ses amis que celui de sa mort» ? - « Il ne concevait pas que des médecins s'occupassent de lui parce qu'il s'était promené dans le Palais-Royal, traînant un homard en vie au bout d'une faveur bleue. "En quoi, disait-il, un homard est-il plus ridicule qu'un chien, qu'un chat, qu'une gazelle, qu'un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre? J'ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n'aboient pas et n'avalent pas la monade des gens comme les chiens, si antipathiques à Gœthe, lequel pourtant n'était pas fou."» (L'Univers illustré, 2 novembre 1867.) À "la pétulance bruyante et grossière" du chien familier, le bon Théo lui-même, chacun le sait, préférait la réserve hautaine du chat.
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Relisons cette page exquise, extraite de sa notice sur Charles Baudelaire, qui souligne l'adoration de l'auteur des Fleurs du mal pour les chats «comme lui amoureux des parfums» : Il aimait ces charmantes bêtes tranquilles, mystérieuses et douces, aux frissonnements électriques dont l'attitude favorite est la pose allongée des sphinx qui semblent leur avoir transmis leurs secrets; elles errent à pas veloutés par la maison, comme le génie du lieu, genius loci, ou viennent s'asseoir sur la table près de l'écrivain, tenant compagnie à sa pensée et le regardant du fond de leurs prunelles sablées d'or avec une intelligente tendresse et une pénétration magique. On dirait que les chats devinent l'idée qui descend du cerveau au bec de la plume, et que, allongeant la patte, ils voudraient la saisir au passage. Ils se plaisent dans le silence, l'ordre et la quiétude, et aucun endroit ne leur convient mieux que le cabinet du littérateur. Ils attendent avec une patience admirable qu'il ait fini sa tâche, tout en filant leur rouet guttural et rhythmique comme une sorte d'accompagnement du travail. Parfois, ils lustrent de leur langue quelque place ébouriffée de leur fourrure; car ils sont propres, soigneux, coquets, et ne souffrent aucune irrégularité dans leur toilette, mais tout cela d'une façon discrète et calme, comme s'ils avaient peur de distraire ou de gêner. Leurs caresses sont tendres, délicates, silencieuses, féminines... (Le Monde illustré, mars 1868.)
Le Second Rang du collier, p. 303-305. BARROILHET, Paul (1805-1871). D'origine basque, ce baryton au timbre magnifique fit ses débuts à Paris dans la Favorite de Donizetti. Il y tenait le rôle du roi de Castille, Alphonse XI, aux côtés de Rosine Stoltz. Admis en 1828 sur la recommandation de Rossini au Conservatoire, il y eut lui-même plus tard une classe de chant. Dans la Croix-deBerny (1845), roman collectif par lettres dû aux plumes conjuguées de Mme de Girardin, Théophile Gautier, Jules Sandeau et Joseph Méry, ce dernier, qui situe une rencontre à l'Opéra, qualifie la Favorite d'« œuvre charmante, pleine de grâce, de passion et d'amour ». Quelques pages plus loin, nous comprenons combien ce même Méry est favorable à l'interprétation de Barroilhet. «Comment trouvez-vous notre baryton? demande la duchesse de Langeac à Roger de Monbert. Il a chanté son air avec un sentiment adorable. » Barroilhet, dont la carrière avait commencé flatteusement en Italie, abandonna la scène en 1847 et se consacra dès lors aux concerts et aux récitals privés. Amateur d'art éclairé, il s'intéressait vivement à la peinture. On dit qu'il constitua et vendit à plusieurs reprises d'estimables collections de toiles modernes. Si l'on avait beaucoup applaudi Barroilhet, c'était par amour véritable du bel canto, car son plumage ne se rapportait guère à son ramage. Qu'on en juge par ces lignes de Duprez, l'illustre contre-ut qui rédigea des Mémoires: « Nous promenant un jour avec Barroilhet sur le boulevard, nous rencontrâmes Perrot. .., qui ne brillait pas pour les avantages physiques. Cette fois-là, il me parut encore plus laid que de coutume; je ne pus m'empêcher de lui dire: "Mon Dieu, mon pauvre Perrot, que tu es laid! - Bah! riposte Perrot, vous êtes donc bien jolis, Barroilhet et toi? - Doucement, fait notre baryton; je ne me crois pas beau, certainement, mais toi, Perrot, et toi, Gilbert, vous l'êtes encore moins que moi." Nous allions nous disputer, quand nous avisons un passant qui paraissait bonhomme. Je m'adressai à lui: "Pardon, monsieur, lui dis-je, si je vous arrête. Veuillez être l'arbitre d'un petit différend qui s'élève entre mes amis et moi et, à l'instar de feu Pâris, décerner la palme à celui de nous trois que vous trouvez le plus laid." Le passant s'arrête et nous examine, puis: "Ma foi, nous dit-il, messieurs, je
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suis trop embarrassé pour choisir." Et il nous tourna le dos en riant.» Auquel de ces garçons visités par le talent et le succès donnerons-nous la palme de la modestie? Du Pygmalion, du partenaire de Carlotta Grisi, Théo fait en 1840 ce singulier éloge: «Perrot n'est pas beau, il est même extrêmement laid; jusqu'à la ceinture, il a un physique de ténor, c'est tout dire; mais, à partir de là, il est charmant... » Poursuivons notre lecture sans nous arrêter à cette disgrâce du ténor: «Il n'est guère dans les mœurs modernes de s'occuper de la perfection des formes d'un homme; cependant nous ne pouvons passer sous silence les jambes de Perrot. [...] Les attaches du pied et du genou sont d'une finesse extrême, et corrigent ce que les rondeurs du contour pourraient avoir de trop féminin; c'est à la fois doux et fort, élégant et souple. .. » Mais Gautier ne revint jamais tout à fait sur ses préventions contre cette « chose hideuse », le « danseur ordinaire, un grand dadais avec un long cou rouge gonflé de muscles; [...] de gros mollets de suisse de paroisse, des brancards de cabriolet en façon de bras, et puis de grands mouvements anguleux, les coudes et les pieds en équerre, des mines d'Apollon et d'Adonis, des ronds de jambe, des pirouettes et autres gestes de pantins mécaniques... Niaise afféterie du danseur français... (1837.) Rien n'est plus abominable [...] que sa lourde charpente virile ébranlée par les sauts et les pirouettes... (1838.) Cet air fade et douceâtre qui rend les danseurs si insupportables... (1840.) Fausse grâce, mignardise ambiguë et révoltante... (1843.) La force est la seule grâce permise à l'homme (1838.)>> Comme le Théo est homme de bonne foi, il reconnaît cependant aux plus doués, aux meilleurs, Jules Perrot, Lucien Petipa ou Arthur Saint-Léon le pouvoir de le charmer; des artistes de ce talent surclassaient de très loin la cohorte des anonymes, simples faire-valoir de la ballerine. Si Gautier se montrait réfractaire aux attraits du danseur mâle, il n'était pas systématiquement béat, cet amateur de convexités féminines, devant le corps de ballet: Et les danseuses, quelle triste population! C'est une misère, une pauvreté de formes à faire pitié: elles sont maigres comme des lézards à jeun depuis six mois; [...] leur buste, à peine perceptible dans le frêle tourbillon de leurs bras et de leurs jambes, leur donne l'apparence d'araignéesqu'on inquiète dans leurs toiles, et qui se démènent éperdument. Je ne sais si vous vous êtes avisé de faire une étude spéciale du cou et de la poitrine d'une danseuse; les clavicules éclairées en dessous font une horrible saillie transversale où viennent s'attacher, commedes cordes de violon sur leur archet, quatre à cinq nerfs tendus à rompre, sur lesquels Paganini aurait facilement joué un concerto. Le larynx, rendu plus sensible par la maigreur, fait une protubérancepareille à celle que fait au cou d'une dinde une noix avalée tout entière, et c'est en vain que l'on chercherait dans la plaine de leurs charmes la moindre rondeur ayant rapport à ce que messieursles poètes nomment dans leur jargon les collines Jumelles, les deux petits monts de neige et autres expressions plus ou moins anacréontiques. Quant aux membres inférieurs, ils sont d'une grosseur tout à fait disproportionnée, de sorte qu'il semble que l'on ait vissé le corps scié en deux d'une petite fille phtisique sur les jambes d'un grenadier de la garde. (La Charte de 1830, 18 avril 1837.) Ces lignes caricaturales présentent un intérêt historique tant nous avons évolué, en plus d'un siècle et demi, au double plan de l'esthétique corporelle et de nos conceptions chorégraphiques, nos merveilleux danseurs classiques partageant désormais la vedette avec leurs partenaires féminines. Le Second Rang du collier, p. 122-123.
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BAUDELAIRE, Charles-Pierre (1821-1867). Cet éternel errant habita Neuilly à plusieurs reprises, d'abord enfant avec sa mère en 1827, puis avec Jeanne Duval, "la Vénus noire", en 1850. En 1860, il demeure 4, rue Louis-Philippe, devenant ainsi le voisin de Gautier. Ils s'étaient rencontrés dès 1842; à l'hôtel Pimodan, dans l'île Saint-Louis, ils participent ensemble à des séances du Club des Haschichins. Les deux poètes s'appréciaient mutuellement, ils nous en ont laissé de nobles témoignages. Comment ne pas reproduire ici la dédicace des Fleurs du Mal que Gautier présenta plus tard en une belle préface: « Au poète impeccable / au parfait magicien ès-lettres françaises / à mon très cher et très vénéré / maître et ami / Théophile Gautier / avec les sentiments / de la plus profonde humilité / je dédie / ces fleurs maladives / C.B. » En 1859, Baudelaire publie chez Poulet-Malassis et De Broise une monographie sur Gautier, pour laquelle il sollicite une préface de Victor Hugo. Sur l'auteur du Spleen de Paris, choisissons ces quelques lignes de Gautier, extraites du Progrès de la poésie française depuis 1830 : Sur les confins extrêmesdu romantisme, dans une contrée bizarre éclairée de lueurs étranges, s'est produit, quelque peu après 1848,un poète singulier [...]. C'est un esprit très-subtil, trèsraffiné, très-paradoxal, et qui fait intervenir la critique dans l'inspiration. Sa familiarité de traducteuravec Edgar Poë, ce bizarre génie d'outre-mer qu'il a le premier fait connaître en France, a beaucoupinflué sur son esprit, amoureuxdes originalités voulues et mathématiques. [...] Baudelaireappartientà Paris où s'est passée sa vie presque entière [... mais] souvent des récurrencesde pensée le ramènentvers l'Inde, son paradis de jeunesse [...]. Si les artifices de la coquetterie parisienne plaisent au poëte raffiné des Fleurs du mal, il ressent une vraie passion pour la singularité exotique. Dans ses vers dominant les caprices, les infidélités et les dépits, reparaît opiniâtrement une figure étrange, une Vénus coulée en bronze d'Afrique [.. .]. C'est vers elle qu'il revient après ses voyages dans l'horreur, lui demandant sinon le bonheur, du moins l'assoupissement et l'oubli [.. .], symbole de la nature ou de la vie primitive à laquelle retournent les aspirations de l'homme las des complications de la vie civilisée dont il ne pourrait se passer peut-être. Dans le Journal pour rire, Nadar, qui n'a jamais passé pour un Zoïle, corrobore d'avance - en 1852 - les souvenirs de Judith sur le comportement parfois très singulier de Charles Baudelaire, «jeune poète nerveux, bilieux, irritable et irritant et souvent complètement désagréable dans la vie pri vée ». Les anecdotes abondent sur ses extravagances soigneusement programmées. De Nadar encore, cette jolie image: «L'étrangeté si naïvement et parfaitement sincère de cet alambiqué Baudelaire, né natif des pays de l'Hippogriffe et de la Chimère.» Les célèbres portraits du poète génial - une série de l'année 1855 - comptent parmi les chefs-d'œuvre du photographe inspiré. Tout comme Gautier, Sainte-Beuve fut secourable à Baudelaire dont il admirait, lui aussi, le singulier, le sombre talent; à sa Muse, il assigne « comme demeure un kiosque bizarre, bâti à la pointe d'un "lointain Kamtchaka" littéraire». Mais, aff1ffi1eHenri de Régnier dans ses Proses datées que nous citons ici, ni Gautier ni Sainte-Beuve « ne prévit l'influence considérable œ l'œuvre de Baudelaire sur la poésie de la fin du XIXe siècle, car si l'école parnassienne n'en releva pas directement et suivit plutôt les directives d'un Leconte de Lisle et d'un Banville, le Baudelairisme fut un des éléments principaux qui détermina la naissance du symbolisme. [...] Hugo seul, peut-être, eut conscience de l'importance profonde de Baudelaire quand il lui écrivit: "Vous avez créé un frisson nouveau."» Outre les photographies prises par Nadar et parfois à partir d'elles, les portraits du poète sont assez nombreux pour que nous nous formions de lui une image probablement conforme à sa réalité physique. La Musique aux
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Tuileries (1862), tableau de Manet ébauché sur le motif, met en scène l'auteur des Fleurs du mal aux côtés de Théophile Gautier, de Champfleury, des peintres Monginot, Balleroy, Fantin-Latour... qui posèrent en atelier pendant une ou deux séances. Manet, Bracquemond, Guérard, Favier, Jeanniot ont exécuté des eaux-fortes où l'on voit les différents états du système pileux de Baudelaire qui s'amusa un jour à se faire teindre les cheveux en vert pour épater Arsène Houssaye, le dédicataire du Spleen de Paris, lequel fut assez cruel pour feindre de n'en rien remarquer, au grand dépit du farceur. Un autoportrait exécuté vers 1845 nous le montre échevelé, moustache en croc; un autre, en 1869, cheveux ras avec mouche et moustache; une toile de Courbet, en 1847, et son Atelier du peintre, en 1855, complètement glabre. Parmi tous ces portraits, un des plus curieux, peint en 1844 par Émile Deroy et conservé au Musée de Versailles
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Bracquemond, le graveur si apprécié de
Goncourt, en fit une superbe eau-forte datée de 1869 - nous présente un Baudelaire pensif, énormément chevelu, index sur la tempe dans une attitude qui lui était familière, d'après ce qu'en dit Gautier. Charles Asselineau commente dans Charles Baudelaire, sa vie, son œuvre, la première biographie du poète parue chez Lemerre en 1869: «Ce portrait nous rend un Baudelaire que peu de gens ont connu, un Baudelaire barbu, ultra-fashionable et voué à l'habit noir... Ajoutez à ce costume des bottes vernies, des gants clairs et un chapeau de Dandy, et vous aurez au complet le Baudelaire d'alors, tel qu'on le rencontrait aux alentours de son île Saint-Louis. » Dans Baudelaire intime, Nadar précise: « ... main gantée de rose pâle, - je dis de "rose". .. » Pour Baudelaire, le dandy est « le représentant de ce qu'il y a de meilleur dans l'orgueil humain, de ce besoin trop rare chez ceux d'aujourd'hui de combattre et de détruire la trivialité. De là naît, chez le dandy, cette attitude hautaine de caste provocante. Même dans sa froideur, le dandysme est le dernier éclat d'héroïsme dans les décadences. Le dandysme est un soleil couchant; comme l'astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie. » (Curiosités esthétiques, cité par Favardin et Boüexière dans le Dandysme.) Bien entendu, la femme sert de repoussoir à cette élite "sublime" du genre humain: «La femme est le contraire du dandy, donc elle doit faire horreur [...]. La femme est "naturelle", c'est-à-dire abominable, aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du dandy.» (Mon cœur mis à nu.) Faisons pour terminer cette remarque, du dernier vulgaire, que, pour soutenir avec dignité sa réputation d'homme élégant, d'homme à la mode, et ne pas tomber dans les douloureux faux-semblants d'un Barbey d'Aurevilly, par exemple, le plus héroïque des "beaux" ruinés, le dandy doit avoir les poches bien pleines et les conserver telles, ce qui est clairement une impossibilité arithmétique. Voici, pour notre information, dressé par Horace Raisson aux beaux jours du romantisme militant dans son Code de toilette, l'inventaire de la commode à linge "d'un jeune homme comme il faut" : «Trois douzaines de chemises, dont une douzaine en toile d'Hollande ou en batiste, une douzaine en toile, pour coucher, et une douzaine en percale ou jaconas pour l'été. Notons ici que le classique jabot est à jamais banni et ne s'agite plus que sur les respectables poitrines des grands-parents. Trois douzaines de cravates, dont une douzaine de fantaisie; six douzaines de faux cols. Six douzaines de mouchoirs, ainsi composées: quatre douzaines en batiste, une en foulards, et une en madras pour la tête. Les pantalons d'été, les gilets de piqué blanc et de fantaisie doivent être plus choisis que nombreux, et toujours au courant de la mode. Quant aux bas, aux caleçons, etc., il n'y a nul inconvénient à en avoir un grand nombre. » Le linge courant d'un garçon simplement convenable et soigneux de sa mise, notez-le bien, pas d'un Brummel! On continua longtemps de compter par multiples de
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douze les dessous jugés nécessaires aux personnes soucieuses d'élégante propreté. Voici, par exemple et pour parler au féminin, le détail du trousseau préparé en 1878 pour Élisabeth de Caraman-Chimay s'apprêtant à entrer en ménage avec Henry Greffulhe : «48 chemises, 24 chemisiers brodés, 2 camisoles, une robe de chambre cachemire, 48 pantalons, 34 jupons, 10 peignoirs, 96 paires de bas, 96 serviettes, 96 mouchoirs. » On voit que le corset baleiné qui, férocement lacé, fera à la comtesse Greffulhe une taille de guêpe, n'est pas compté dans cette production d'ouvroir, étant œuvre de spécialiste. Le soutien-gorge ne se détachera que plus tard de ce corset pour devenir une pièce autonome de la lingerie féminine. Le Collier des jours, p. 239-242, 249. Le Second Rang du collier, p. 21,38,60-68,
147, 177-178, 184,206,266,270.
BAUDRY, Paul, un amoureuxde Judith, qu'elle n'aima point, dit Suzanne Meyer, « et qui se contenta, dans toutes les fresques dont il décora l'Opéra [il y travailla douze ans] de reproduire l'ensemble ou les traits de la jeune femme de ses rêves. » Nous ne saurons pas si Théophile Gautier en était averti ou s'il s'avisa jamais de cette ressemblance, lui qui peu avant sa mort, dans la Gazette ck Paris, 23 janvier 1872, commentait les peintures de Baudry au Grand Foyer de l'Opéra. Comme Armand Silvestre, Benedictus et "d'innombrables autres hommes", elle l'avait "réduit en esclavage", affirme Joanna Richardson, emphatique. Les cinq lettres que nous connaissons de Baudry à Judith - nous avons pu les copier par courtoisie de la Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, qui a constitué un ensemble considérable des lettres envoyées et reçues par le peintre -, ces lettres datées de 1877 ne trahissent aucune passion désordonnée; elles sont gentilles et paisibles. La passion, comme le chagrin, s'était éteinte depuis longtemps sans doute. Paul-Jacques-Aimé Bauchy naquit le 7 novembre 1828 à Napoléon-Vendée, localité créée par l'Empereur, rebaptisée Bourbon-Vendée à la Restauration, redevenue Napoléon-Vendée sous le Second Empire, notre Roche-sur- Yon républicaine. Son grand-père, sabotier en forêt, chouan, et son père après lui élevèrent leurs enfants, fort nombreux, dans le respect des aînés. La famille voulait que le jeune Paul, à l'exemple paternel, cultivât son talent pour le violon, mais sa vocation de peintre s'avéra irrésistible. Aidé par une subvention de sa ville natale, il vint à Paris dans sa seizième année. À dix-neuf ans il obtint sa première récompense officielle. Puis ce fut Rome et la Villa Médicis, le début d'une prestigieuse carrière - peinture de genre, portrait, fresque -, avec des succès sans nombre aux Salons, de nombreux voyages d'étude en Europe et au Proche-Orient, une écrasante besogne menée à bien. Le bon Théo suit dès ses débuts une carrière qu'il annonce brillante. Dans l'Artiste dont il vient de prendre la direction, il commente le 21 juin 1857, le Supplice de la Vestale, la Fortune et le jeune enfant, la Léda, le portrait de M. Beulé, et termine par ces lignes: Si nous avons prononcé à propos de lui le nom de plusieurs grands maîtres, cela ne veut pas dire qu'il manque d'originalité.Il s'est nourri de la moelle des lions, mais il l'a digérée, et sous une apparence de pastiche, il a une personnalité qui se dégagera bientôt de tout élément étranger. - Sa touche est spirituelle et communiqueaux objets représentés les intentions du peintre. - Elle ne rend pas seulement les formes, elle les commente et les interprète. Ce mérite, nous l'avons déjà dit, disparaît de jour en jour. Judith, qui signe Judith Walter un article de l'Entr'acte (10 mai 1865), étudie la Diane de Baudry ; sa minutieuse description rappelle à s'y méprendre le faire de son père.
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M. Baudry est le peintre de notre époque qui recherche le plus la grâce et la beauté, et il respecte encore trop l'art pour faire des concessions à la mode et au succès. Sa Diane, belle et froide comme un rayon de lune, chasse l'amour d'un revers de sa flèche comme un papillon insolent, et le bel enfant rose laisse tomber son arme [.. .]. Pourtant son malicieux sourire indique bien qu'il ne se tient pas pour battu et qu'il reviendra par un autre chemin. La belle chasseresse est debout au milieu des rochers, ses pieds blancs se mirent dans une eau pure; son corps mince et onduleux suit l'impulsion du mouvement délicieux du bras qui tient la flèche; la tête un peu renversée en arrière et de profil a un charme tout particulier, une demiteinte l'enveloppe comme d'un voile léger et lui donne une grâce et une suavité extrêmes; la coloration est chaude, quoique tendre et délicate, les accessoires indiqués sobrement; le grand chien qui boit à droite, le carquois jeté à terre et les quelques tons bleus des iris accompagnent et complètent le tableau sans distraire de l'effet principal. (Reproduit par Claudine Lacoste dans le No 14 du Bulletin de la Société Théophile Gautier.) Judith a-t-elle connu et médité cette mise en garde adressée par Théodore Rousseau, dans une lettre de 1864, à son ami Gautier, hostile au réalisme qui bousculait les traditions les mieux établies: « Vous avez exploré l'art depuis 1830. Comme sur un océan vous y avez doublé bien des caps et passé sur bien des brisans. [...] Prenez garde maintenant, vous étiez, dis-je, sur un océan et un océan a des ports. J'aperçois la pointe de votre barque sur des cascades et les cascades ne mènent qu'à des abîmes. De Papety en Cabanel et de Cabanel en Baudry, on ne tarde guère à être étourdi dans les gargouillades. » (Théophile Gautier. Critique d'art.) En 1875, chez Michel Lévy, avec une préface de Gautier, Émile Bergerat publia Peintures décoratives, de Paul Baudry, au grandfoyer de l'Opéra. En 1912, il consacra tout un chapitre de ses Souvenirs au peintre dont il avait fait la connaissance dans les combles de l'Opéra en construction, alors que celui-ci, accroupi, achevait l'orteil de l'un de ses personnages décoratifs. Un petit corps de bronze, avec des muscles d'acier [...] Je pensai tout de suite, en le voyant, à ces vers de Musset sur Hassan: «- On eût dit que sa mère / L'avait fait tout petit pour le faire avec soin. » [...] Dans les traits du visage [...] tout exprime la volonté. Le menton est carré, fendu au milieu, et s'attache par une courbe énergique à l'oreille; le nez est fort, aquilin, du type romain [...]; il a le front large et développé aux tempes, et les cheveux taillés courts; sous les arcades sourcilières, nettement dessinées, ses yeux dardent, très noirs et très ardents. [...] Baudry sourit, mais je ne l'ai jamais vu rire, quoiqu'il ait de l'esprit à revendre et qu'il aime les bons mots. [...] Il a les mains fines et robustes, le pied petit et l'oreille bien faite [.. .]. Au résumé, Baudry m'a toujours rappelé ces jeunes Florentins hardis, fiers et songeurs qu'aimait à peindre le Bronzino. Bergerat déplore que Baudry n'ait pas « pour Victor Hugo, le plus grand poète de l'univers, l'admiration prosternée que tout artiste doit professer, [...] se ferme volontairement à la splendide lumière de cette révélation lyrique », mais le loue, en revanche, de « son enthousiasme pour Théophile Gautier, qu'il tient pour un prototype de perfection dans l'art d'écrire, ce qui n'est pas si mal juger. Les deux noms qu'il ajoute à celui-là sont ceux de Prosper Mérimée et de Edmond About. Dernier trait de caractère: Baudry est célibataire enragé et farouche. » Parmi les plus connus de ses portraits, mentionnons ceux de Beulé, l'archéologue déjà cité, du général Cousin-Montauban, de About, de M. Guizot, de Madeleine Brohan, ... Bien fâcheusement détruit, celui d'une Belle des Belles ! Jules Claretie transcrit, dans Souvenirs du Dîner Bixio, ce que racontait le général de Galliffet: «
Mme de Castiglione, lui montrant une peinture de Baudry, d'après elle, toute nue. "C'est
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délicieux, comtesse, mais le peintre a dû vous flatter. Etes-vous aussi jolie que cela ?" Elle ne fait ni une ni deux, passe dans la pièce à côté, reparaît nue, complètement, et s'étend sur un canapé, en face de la peinture. La peinture était mieux. [...] Furieuse que l'on trouvât son portrait mieux qu'elle, elle coupilla à coups de ciseaux ce chef-d'œuvre de Paul Baudry.» Très apprécié du duc d'Aumale, Baudry est largement représenté à Chantilly. Parmi ses œuvres décoratives, celle que l'on cite le plus communément, c'est le Jour chassant la Nuit qui décore un plafond du somptueux hôtel que se fit construire la Païva, de 1856 à 1866, aux Champs-Élysées. Le 24 mai 1867, présentés par Gautier, les frères Goncourt y prennent le thé, pour la première fois, en compagnie de Turgan, de Saint-Victor et du maître de maison, le comte Henckel de Donnersmarck, «muet, laid, et bellâtre»; ils sentent tomber sur la table magnifiquement dressée «l'horrible froid, spécial aux maisons de putains jouant les femmes du monde, [.00]Louvres du cul. 00» Le vendredi suivant, ils n'en reviennent pas moins dîner, continuant à promener leurs regards horrifiés sur le décor au luxe agressif qui sert d'écrin à la vieille courtisane. Au salon: «Dans toute cette richesse, rien qui soit de l'art, que le plafond de Baudry. Un semis de dieux, un peu délié; un Olympe disjoint, mais d'une distinction de coloris délicieuse et au milieu duquel se lève une Vénus hanchant sur sa belle cuisse qui est, dans une riante apothéose de chair véronésienne, la plus adorable académie. » Cette puissante gaillarde, c'est la Nuit, et la Nuit, c'est la Païva, représentée par Baudry dans cette glorification de la Femme. Autre modèle, infiniment plus séduisant que la Païva, la délicieuse comtesse de Beaumont, née Castries. Belle-sœur du maréchal de Mac-Mahon, elle eut, paraît-il, des bontés pour Gambetta, le tribun, pour Galliffet, ce reître; un gros chagrin d'amour ayant crevé son tendre cœur, elle s'empoisonna pour finir. À en croire André Germain, qui la compte au nombre des Grandes Favorites, vers 1875 Baudry, "le seul des peintres à la mode qui eut un certain talent", entourait "de sa fervente admiration" cette charmante femme, alors "dans tout l'éclat de sa beauté comme de sa renommée artistique et romanesque." Paul Baudry, grand dévot de Jeanne d'Arc depuis l'enfance, avait accumulé sur la sainte une information considérable dont il ne put tirer, faute de temps, le parti qu'il en espérait pour la décoration du Panthéon. Le travail ne lui laissait guère de temps pour la vie mondaine, on le voit pourtant chez la princesse Mathilde à laquelle l'avait présenté Gautier, comme il le présenta aussi à Mme Sabatier. Lorsqu'il se fait moins assidu chez elle et malgré leurs fréquents échanges épistolaires, la princesse s'en chagrine. En 1868, le 21 février, par exemple, elle écrit à "M. Hébert, Directeur de l'École
française de Rome, Villa Médicis" : « ... Vos amis intimes me traitent assez mal. Cabanel n'a pas mis les pieds chez moi, Baudry est si occupé qu'il ne vient que de très loin en très loin. [...] Gautier dîne tous les mercredis ainsi que les Goncourt, chez moi, les littérateurs ont la cote dans ces moments-ci; ils sont toujours aimables, pleins d'affabilité, de verve. » (Jean des Cars, la Princesse Mathilde.) Il participe aux dîners Magny, aux dîners Bixio. La santé de Baudry s'altère dans l'année 1885. Il meurt à Paris le 17 janvier 1886. Au PèreLachaise, sa tombe est surmontée d'un bronze de Mercié figurant la Gloire et le Bonheur, cet Antonin Mercié, boulimique de commandes funéraires et commémoratives: le tombeau ce Cabanel à Montpellier, le monument de Gounod au parc Monceau, à Paris, etc., et aussi, parmi tant d'autres - coïncidence! - le monument d'Armand Silvestre au Cours-la-Reine, un autre des "esclaves", soupirants éconduits de Judith... Le Second Rang du collier, p. 147, 187, 274, 277.
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BAZIN, Adolphe, dit Rodolpho ou Rodolfo. Nous ne saurions pas grand-chose de cet excellent camarade de Toto Gautier si Bergerat ne lui avait consacré quelques pages dans ses Souvenirs d'un enfant de Paris. Rodolfo, le fils d'un épicier de Passy, triompha donc le 31 août 1863 dans le Tricorne enchanté où il tenait le rôle du valet Champagne, inspirant ces vers à Banville: «Pour finir, louer Rodolpho / N'est pas une chose commode, / Et j'aurais besoin que Sapho / Me prêtât son grand rythme d'ode. / Il est flûté comme un hautbois, / Brillant comme une faulx dans l'herbe, / Et son geste a l'air d'être en bois: / Il est terrible, il est superbe. » Rodolpho conquit cette gloire dans le couplet dû à la verve bachique de Siraudin: «Quand sous la treille / Une bouteille / Blonde ou vermeille / M'a fait asseoir, / Ma foi, j'ignore / Si c'est l'aurore / Qui la colore / Ou bien le soir. » À cette époque, son métier de coulissier en Bourse lui permettait de mener joli train, mais la malchance s'en mêla. « Lorsque je le connus, en 1872, dit Bergerat, il ne subsistait que d'un médiocre poste d'employé au Comptoir d'Escompte que lui avait obtenu Adolphe Gaiffe. C'était d'ailleurs un bizarre personnage, noctambule, alcoolique, joueur comme les cartes, toujours jovial et plein de bonnes histoires boulevardières pour qui le monde habitable commençait au carrefour Drouot pour finir à la place de l'Opéra. Il est à jamais perdu, à grand dommage peut-être, ce type du cynique sentimental, propre au second Empire, et dont Scholl, de son tonneau de Tortoni, aura été le dernier Diogène. » Bergerat raconte ensuite comment Rodolfo fut amené par bonté de cœur et compassion à épouser une malheureuse femme chargée de famille, sa voisine de palier rue de l'Arbre-Sec, et souligne son inépuisable générosité pour plus démunis que lui. Ami des Gautier au temps des jours heureux, Rodolfo demeura leur ami dans l'adversité. Par une lettre de Théo à sa fille Estelle, en date du 9 janvier 1871, 113e jour du siège de Paris, nous apprenons que Rodolfo toussait de conserve avec Zoé et Émilie; tout le monde souffrait de la grippe rue de Beaune où le poète s'était réfugié avec ses sœurs et ses chats pour fuir les canonnades de Neuilly. De chez Eugénie Fort, à Versailles, il lui écrit de nouveau le 19 avril: «Tu me demandes ce que devient Rodolfo; il est resté avec nous jusqu'au 18 mars, jour de notre réinstallation à Neuilly. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis. Les lettres de Paris à Versailles ne passent pas et Rodolfo se trouve, ayant trente-huit ou trente-neuf ans, dans la catégorie de la levée en masse, de dix-neuf à quarante. J'ai laissé à sa disposition le petit logement de la rue de Beaune: peut-être s'y cache-t-il... » Le Collier des jours, p. 86, 111. Le Second Rang du collier, p. 55-57,85,141-142,187,197,211-214,232,314. BAZIN, Antoine-Pierre-Louis (1799-1863). Élève de Rémusat et de Julien, il a publié, entre autres ouvrages, un Théâtre chinois, une Grammaire mandarine... Professeur de chinois à la Bibliothèque royale, puis à l'École des langues orientales vivantes, cet éminent sinologue fut le secrétaire adjoint de la Société asiatique. Ne pas confondre Bazin, Antoine, avec Bazin, François (1816-1878), bien que ce musicien né à Marseille, amusante coïncidence, ait composé le Voyage en Chine - «La Chine est un pays charmant, / Partout des pagodes, partout des clochettes... »- trois actes sur un livret de Labiche et Delacour, joué pour la première fois salle Favart le 9 décembre 1865. Un
critique musical, le compositeur Eugène Gautier, malcontent de la soirée, écrivit: « M. Bazin fait venir ses élèves au Conservatoire pour leur montrer comment il faut faire, et
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il les envoie à l'Opéra-Comiquepour leur montrercommentil ne faut pas faire. » François Bazin, outre une douzaine d'ouvrages scéniques, composa des mélodies sur des œuvres contemporaines. Il mit, par exemple, en musique l'Ondine et le pêcheur, poésie écrite en 1841 par Théophile Gautier sur un thème cher aux romantiques allemands: «Pêcheur, suis-moi; je t'aime. / Tu seras roi des eaux, / Avec un diadème / D'iris et de roseaux! / De ma bouche bleuâtre, / Viens, je veux t'embrasser, / Et de mes bras d'albâtre / T'enlacer, / Te bercer, / Te presser!... » Et aussi les Matelots: «Sur l'eau bleue et profonde / Nous allons voyageant, / Environnant le monde / D'un sillage d'argent... », chanson dédiée comme la précédente à Nathalie Fitzjames, devenue cantatrice après avoir débuté dans la danse à l'instar de sa sœur aînée Louise. Et encore, le Soupir du More: « Ce cavalier qui court sur la montagne, / Inquiet, pâle au moindre bruit, / C'est Boabdil, roi des Mores d'Espagne, / Qui pouvait mourir, et qui fuit!...» Sans oublier qu'il collabora, avec son ami Gautier, au Tricorne enchanté. Le 26 avril 1851, trois jours avant sa mort, l'ancienne favorite des mirliflores du Directoire, celle qui porta dans sa jeunesse l'étiquette de "premier polisson de France", l'intrigante politique, l'épistolière infatigable au style savoureux, Mme Hamelin en un mot, invitée par son amie Mme Victor Hugo devenue depuis 1848 sa très proche voisine rue de La-Tour-d'Auvergne, assiste «à une soirée charmante [...] où elle applaudit avec transports de beaux vers de M. Théophile Gautier mis en très bonne musique par M. Bazin, et chantés admirablement par Battaille.» (Sophie Gay, le Constitutionnel, 9 mai 1851.) Citation empruntée à la captivante biographie par Maurice Lescure de la "Merveilleuse et turbulente Fortunée", Madame Hamelin, une personne vraiment "peu ordinaire". Au Musée Carnavalet, son portrait, peint en 1798 par Andrea Appiani l'Aîné, artiste milanais favorisé par Napoléon, nous pennet d'évaluer le charme et la grâce créoles de Fortunée, née Lormier Lagrave à Saint-Domingue en 1776 ou en 1778, la toute jeune épouse de l'affairiste brouillon Romain Hamelin, au seuil de son existence romanesque. En août 1906, Gabriel Fauré écrivait de Suisse à son fils cadet, Philippe, né en 1889: «Ce n'est pas moi qui songerai jamais à
réfrénertes ambitions musicales... » Il conclut ainsi sa lettre de conseils: « ... trompetoi: il faut commencer par des erreurs. Mais occupe-toi un peu d'harmonie. Lis les premiers chapitres du traité de Bazin ou du traité de Savard. Tous les deux se valent... », faisant allusion au Cours d'harmonie théorique et pratique (1857) de François Bazin et à celui (1853) d'Augustin Savard, lui-même élève de Bazin et pédagogue renommé. Il n'apparaît pas que Fauré et Judith, contemporains à trois mois près, se soient beaucoup préoccupés l'un de l'autre, bien que Fauré ait mis en musique plusieurs poésies de Gautier Seule, les Matelots, Tristesse, la Chanson du pêcheur - et qu'ils aient eu de nombreuses relations en commun. Parmi les plus marquantes et à des titres divers, citons Saint-Saëns, professeur de Fauré à l'École de Musique classique et religieuse de Niedenneyer, la comtesse Greffulhe, le comte Robert de Montesquiou, Jean Lorrain, John Singer Sargent. Sargent a laissé de Fauré un admirable portrait (reproduit dans le Dictionnaire de musique Bordas), postérieur à celui de Mathey (reproduit en couverture de la Correspondance de Fauré); ils traduisent tous deux avec bonheur l'aimable caractère de leur modèle au regard rêveur. Le profil psychologique de Fauré, qui fut adoré de ses amis et de ses élèves, rappelle par certains aspects celui de Gounod. Colette relit les billets qu'il lui écrivait: «Des billets joueurs et gais, tendres... Tendre, il l'était facilement, à dessein de séduire, à dessein de se laisser séduire. L'amitié sans but et sans exigence, avec lui, n'en devenait que plus
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précieuse.» (Mes apprentissages.) Illan de Casa Fuerte, violoncelliste amateur, raconte comment Fauré vint un jour jouer son Élégie chez la marquise de Casa Fuerte, sa ravissante mère: ronronnant, «il ressemblait à un chat, précise Illan, et aimait beaucoup les jolies dames. » (Le Dernier des Guermantes.) La pianiste Marguerite Long nous le montre "un peu volage", possédant "l'art de rompre avec une désinvolture charmante". (Au piano avec Gabriel Fauré, Julliard, 1963, cité par Michel Faure dans son étude marxiste de la société bourgeoise autour de Saint-Saëns, Fauré, Debussy et Ravel, qui aurait estomaqué ces quatre musiciens s'ils avaient pu en avoir connaissance.) Le cœur brisé par la rupture de ses fiançailles avec Marianne Viardot en 1877, marié sans passion en 1883 avec Marie Frémiet qui lui donna deux fils, Fauré ne cessa jamais de courtiser "les jolies dames" ; il lui arriva de se tromper lorsqu'il s'avisa de tomber amoureux de la princesse de Scey-Monbéliard, plus tard princesse Edmond de Polignac, l'une des vingt-deux enfants de l'Américain Isaac Singer, inventeur des machines à coudre qui firent de lui un multimilliardaire en dollars. Elle était la sœur de Paris Singer, le fastueux amant d'Isadora Duncan, le père du beau petit Patrick Duncan, noyé dans la Seine, le 19 avril 1913, avec sa demi-sœur Deirdre, fille de Gordon Craig, et leur nurse, lamentable accident qui émut jusqu'aux plus indifférents. Winnaretta, peintre habile, bonne organiste, brillante pianiste, fut un mécène infatigable à la générosité de laquelle personne ne s'adressait en vain. .. mais aux rudes étreintes viriles elle préférait les amours "sororales" et Fauré se consola avec des personnes moins cruelles. Il était parfois bien étourdi, ce gentil Fauré. À Menton, Litvinne chante Mandoline, accompagné par le maître au piano. « Voici que Fauré, pris d'une funeste distraction, transpose le morceau, au beau milieu... Que faire? M'arrêter? Impossible! Étant très sûre de la mélodie, je le suivis dans sa transposition et par mon sang-froid je sauvai la situation, mais nous arrivâmes à la fin ayant monté d'une tierce! Or, le public n'y vit que du feu... » (Ma vie et mon art.) Ne serait-ce pas à l'occasion de cette Mandoline que Verlaine, mécontent, s'en vint dire à Fauré: « Par quelle indiscrétion vous êtes-vous permis d'écrire de la musique d'après la mienne?» (Mac' Avoy, le Plus Clair de mon temps.) Terminons par cette rosserie de Massenet. Sollicité d'accompagner telle "chevrotante étoile", le perfide se dérobe: « Ma musique ne vous convient pas. Vous êtes faite pour interpréter Gabriel Fauré.» (H.R. Lenormand, Confessions d'un auteur dramatique.) Massenet nous ramène à François Bazin dont il fut, en 1878, le successeur au Conservatoire et à l'Institut. De son bref passage dans la classe de Bazin, Massenet lui garda une rancune inguérissable; le ronronnant bénisseur se laissa aller jusqu'à écrire dans Mes Souvenirs: «Ses savantes et brillantes pérégrinations au pays des Célestes n'avait pas enlevé à son enseignement la forme dure et peu aimable dont je me rappelle avoir eu à souffrir avec lui, car je quittai son cours d'harmonie un mois après y être entré. J'allai dans la classe d'Henri Reber, de l'Institut. C'était un musicien exquis et délicat, de la race des maîtres du dix-huitième siècle. Sa musique en dégageait tout le parfum. » Dans le mince volume de Souvenirs dédiés à ses petits-enfants - d'abord parus dans l'Écho de Paris, puis brochés chez Lafitte -, on relit avec agrément quelques passages relatifs à des personnes intimement liées à la vie de Judith Gautier. Par exemple, au lendemain de la guerre franco-prussienne, dit Jules Massenet, je rencontrai Émile Bergerat, le spirituel et délicieux poète, qui devint le gendre de Théophile Gautier. Théophile Gautier! Quel nom cher aux lettres françaises! De quelle gloire étincelante ne les a-t-il pas comblées, cet illustre Benvenuto du style, ainsi qu'on l'a appelé! Dans une visite qu'il fit un jour à son futur beau-père, Bergerat m'emmena avec lui. Quelle
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inexprimable sensation j'éprouvai en approchant ce grand poète! Il n'était pas à l'aurore de la vie, mais quelle jeunesse encore, quelle vivacité dans la pensée, quelle richesse dans les images dont ses moindres paroles étaient ornées! Quelle variété de connaissances! Je le trouvai assis dans un grand fauteuil, entouré de trois chats. Comme j'ai toujours eu une passion pour ces jolies bêtes, j'en fis aussitôt mes camarades, ce qui me mit dans les bonnes grâces de leur maître. Bergerat, en qui j'ai conservé l'ami le plus charmant, lui apprit que j'étais musicien et qu'un ballet, signé de son nom, m'ouvrirait les portes de l'Opéra. Séance tenante, il me développa les deux sujets suivants: le Preneur de rats et la Fille du roi des Aulnes. Pour ce dernier sujet, le souvenir de Schubert m'épouvanta, et il fut convenu que l'on ferait au directeur de l'Opéra l'offre du Preneur de rats. Rien n'aboutit pour moi. Le nom du grand poète fit disparaître dans l'éblouissement de son éclat la pauvre personne du musicien. Ce récit est confinné par Bergerat dans son Théophile Gautier. Et Massenet s'insurge contre la légende trop répandue: Théophile Gautier qui trouvait, disait-on, que la musique est le plus coûteux de tous les bruits, avait trop connu et estimé d'autres merveilleux artistes pour dénigrer notre art. D'ailleurs, qui ne se souvient de ses articles de critique musicale que sa fille Judith Gautier, de l'Académie Goncourt, vient de réunir en volume, avec un soin pieux, et qui sont d'une rare et étonnante justesse d'appréciation! Massenet avait fait la connaissance d'Armand Silvestre avant celle de Bergerat. Le hasard voulut qu'il fût un jour mon voisin sur l'impériale d'un omnibus, et, de propos en propos, nous descendîmes les meilleurs amis du monde. Voyant qu'il avait affaire, avec moi, à un bon public, et c'était le cas, il me raconta de ces histoires les plus drôlatiquement inconvenantes, dans lesquelles il excellait. Mais, pour moi, le poète dépassait encore le conteur, et un mois après, j'avais écrit le Poème d'Avril, tiré des exquises poésies de son premier volume. [...] Quelques mois après, les amateurs de musique chantaient les fragments de ce poème: "Que l'heure est donc brève / Qu'on passe en aimant !" Poème d'Avril fut édité par Hartmann en 1866. Le 20 novembre 1901, Lucienne Bréval créa Grisélidis à l'Opéra-Comique, alors sous la direction d'Albert Carré, d'après le "mystère" de Silvestre et Morand, "tant applaudi au Théâtre-Français". J'aimais beaucoup cette pièce. Tout m'en plaisait. [...] Quelles joies je me promettais de pouvoir travailler au théâtre avec mon vieil ami Armand Silvestre, connu par moi d'une façon si amusante! Depuis un an déjà, il était souffrant et il m'écrivait: «V a-t-on me laisser mourir avant de voir Grisélidis à l'Opéra-Comique?.. » Il devait, hélas! en être ainsi, et ce fut mon cher collaborateur, Eugène Morand, qui nous aida de ses conseils de poète et d'artiste. C'est encore Lucienne Bréval dans le rôle-titre qui créa Ariane, opéra en cinq actes de Catulle Mendès, à l'Académie Nationale de Musique le 31 octobre 1906. Ariane! Ariane! l'ouvrage qui m'a fait vivre dans des sphères si élevées! En pouvait-il être autrement avec la fière collaboration de Catulle Mendès, le poète des aspirations et des rêves éthérés? Ce fut un jour mémorable dans ma vie que celui où mon ami Heugel m'annonça que Catulle Mendès était prêt à me lire le poème d'Ariane. [...] Rendez-vous fut pris pour cette lecture. Elle eut lieu chez Catulle Mendès, 6, rue Boccador, dans le logis si personnellement artistique de ce grand lettré et de sa femme exquise, poète, elle aussi, du plus parfait talent. [...] Catulle Mendès, qui avait été souvent sévère pour moi dans ses critiques de presse, était devenu mon plus ardent collaborateur, et, chose digne de remarque, il appréciait avec joie le respect que j'avais apporté à la déclamation de ses beaux vers. Dans notre travail commun ainsi que dans nos études d'artistes au théâtre, j'aimais en lui ces élans de dévouement et d'affection, cette estime dans laquelle il me tenait.
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Après Ariane vint Bacchus, opéra en cinq actes, musique de Massenet sur un livret de Catulle Mendès, qui n'eut au Palais Garnier que six représentations, du 2 au 19 mai 1909. Un jour du mois de février 1909, [...] je courus chez mon éditeur, au Ménestrel, au rendezvous que j'avais avec Catulle Mendès. Je me croyais en retard en arrivant et, comme je disais, en entrant, mes regrets d'avoir fait attendre mon collaborateur, un employé de la maison me répondit par ces mots: «Il ne viendra pas. Il est mort!» Je fus renversé à cette nouvelle terrifiante. Un coup de massue ne m'eût pas accablé davantage. J'appris, un instant après, les détails de l'épouvantable catastrophe. Lorsque je revins à moi, je ne pus que dire: «Nous sommes perdus pour Bacchus à l'Opéra! Notre soutien le plus précieux n'est plus...» Les colères que sa critique si vibrante et si belle cependant avaient soulevées contre Catulle Mendès devaient être le prétexte d'une revanche de la part des meurtris...
Le Second Rang du collier, p. 161. BEER, Michel
(Berlin 1800
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Paris 1833), frère de Liebmann
Beer, compositeur
sous le
nom de Meyerbeer, et de Guillaume Beer, banquier et astronome réputé. Très précoce, Michel Beer produisit, outre des poésies lyriques, plusieurs œuvres dramatiques publiées à partir de 1813, parmi lesquelles Struensée (1829), traduite de l'allemand en français par Sainte-Aulaire, passe pour la plus notable. L'ambitieux Struensée, personnage historique, favori de la reine Caroline-Mathilde de Danemark, finit ignominieusement sur l'échafaud après avoir vu ses rêves les plus fous devenir réalité. Le thème plut à Paul Meurice, il en fit un drame - cinq actes et un prologue en vers - représenté à la Comédie-Française en 1888. Le poète Jules Barbier versifia une nouvelle mouture de Struensée et Cécile Sorel fut, en 1901, sur les planches du Théâtre National de l'Odéon, une Caroline-Mathilde très "allurée". En 1901, Céline Seure = Cécile Sorel n'était déjà plus "Bouboule", n'était pas encore tout à fait "notre grue nationale" ; elle ne sera qu'en 1926 la comtesse Guillaume de Ségur qui quittera la Comédie-Française pour le Casino de Paris - « L'ai-je bien descendu? » - avant de tomber enfin dans une ostentatoire dévotion sous les plis d'une bure franciscaine signée Dior. Dans Mes Cahiers bleus, l'avant-dernier commentaire sur "Célimène" de l'excourtisane Liane de Pougy, devenue la dévote princesse Georges Ghika, ne manque pas d'un piquant involontaire: « Cécile n'est pas une grande artiste, pas une artiste du tout; elle est une grande actrice. » Ces deux dames légères, qui finirent légitimement titrées, pieuses et vertueuses, sinon peut-être tout à fait repenties, nous font penser à une phrase de la vipérine actrice Marie Colombier, la bonne amie du romancier exotique Paul Bonnetain, l'ennemie jurée de Sarah Bernhardt contre laquelle elle lança l'immonde brûlot, Sarah Barnum, parlant d'Adèle Courtois, autre lionne alors retirée du Boulevard: « Des balais qu'elle a rôtis, elle a utilisé ce qui restait pour en faire un goupillon.» (Cité par Bernard Briais, Grandes Courtisanes du Second Empire.) Liane de Pougy, née Anne-Marie Chassaigne, avait publié en 1901 une Idylle saphique, roman vécu qui fit du bruit à l'époque, l'histoire de ses amours avec la jeune, riche et blonde Américaine Natalie Clifford Barney, promise à tous les succès, future grande-prêtresse de Lesbos à Paris, l'Amazone si chère à Remy de Gourmont. Idylle saphique est ainsi datée en fin de texte: «Dinard, septembre 1899 - Londres,
avri11900. » D'une lettre de Liane à Natalie: «Nous étions sur la plage de Saint... mais je ne veux pas flétrir d'un nom ce paysage de rêve où nous courions, très près, très près l'une de l'autre. [...] La mer se faisait silencieuse, la nuit assourdissait tous les bruits
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extérieurs comme pour respecter nos ferveurs illusoires [...]. La clarté de tes cheveux, le parfum de cette brise marine. .. » Ces deux jolies femmes amoureuses foulant le sable côte à côte, Judith ne les a-t-elle pas croisées sur la plage de Saint-Énogat - car c'est bien de Saint-Énogat qu'il s'agit -, ne les a-t-elle pas aperçues des fenêtres de sa villa? Dix-huit ans plus tard, Rachilde, romancière prolifique et sulfureuse, femme d'Alfred Vallette, le fondateur du Mercure de France, écrira à Natalie Barney cet in pace méprisant: «Judith Gautier est morte hier. Voilà une figure de moins dans la ronde des Muses. Pourquoi se consacrait-elle toujours à la Chine et l'inventait-elle que pour en faire des relations moins chinoises qu'historiques? Je n'aime ni sa littérature ni sa vie mais lui pardonne tout à cause de son premier époux qui fut Catulle Mendès. Qu'une femme puisse avoir aimé ou toléré ce Juif dépourvu de tout, puisque la seule chose qui lui manquait était le génie, me semble la diminuer. » (Portrait d'une séductrice, Jean Chalon.) L'on s'étonne un peu, puis l'on sourit d'apprendre que l'auteur de ces gentillesses porta lui-même, jadis, vers les années 1880, un tendre intérêt à ce "Juif dépourvu de tout". Auteur d'une belle biographie de Rachilde, Claude Dauphiné évoque son «vif et malheureux engouement pour le célèbre et adulé Catulle Mendès dont on louait la beauté - "beau comme un demi-dieu" s'écriait Armand Silvestre... » Mais qui était donc, dans l'esprit de Rachilde, grande amie de Jane CatulleMendès, seconde épouse du poète, le second époux de Judith? Revenons, après quelques digressions, au nom qui figure en tête de ces lignes; il fut porté par un autre Michel, neveu du compositeur, qui se sentit, lui aussi, des dons musicaux. Olivier Merlin raconte la visite que fit à Rossini le jeune homme désireux de voir passer sur le boulevard, du haut des fenêtres du maestro, le convoi funéraire de son glorieux oncle. Quand celui-ci se fût éloigné, accompagné des échos d'une musique de circonstance: «Que dîtes-vous de cette marche funèbre? demande fièrement l'artiste ingénu. C'est moi qui en suis l'auteur. - Zé dis qué il out mieux valu qué vous foussiez mort et qué, Meyerbeer, il out écrit la marche founè bre ! » Le Second Rang du collier, p. 119-120. BEETHOVEN, Ludwig van (Bonn, Palatinat 1770 - Vienne, Autriche 1827.) Ses œuvres pour piano à quatre mains sont ainsi énumérées dans le Dictionnaire de la musique de Bordas: Sonate, opus 6 (1796-1797); trois Marches, opus 45 (1802-1803); deux œuvres à variations (1791-1804) et la Grande Fugue, opus 134, arrangée en 1826 d'après la fugue pour quatuor, opus 133. Les amours avortées de Beethoven et de la jeune Giulietta Guicciardi, qui trouvèrent en 180lIeur douloureuse expression musicale dans la sonate en ut dièze mineur dite "Clair de lune" (opus 27, No 2), inspirèrent à Judith un poème versifié, la Sonate du Clair de Lune, publié en 1894 par Armand Colin et Cie. Giulietta, devenue la comtesse Gallemberg, exprime ses remords au compositeur: «... au repentir les dieux mêmes / Pardonnent... ». Lui, non: «... si ton nom parvient aux siècles à venir, / Ce sera seulement éclairé par ma gloire. / ... Va-t-en ! Mon cœur est mort. / Il ne peut plus souffrir... » Elle part: «Adieu, cruel, adieu!... Je te quitte à jamais!» Jeu de scène final: « Avec un mouvement de désespoir il se jette sur le piano et reste comme anéanti, tandis que LA SONATE DU CLAIR DE LUNE chante déjà dans son esprit. - Le rideau baisse lentement. » Mise en musique par Benedictus, cette bluette sentimentale, "opéra en un acte", fut exécutée le 19 mars 1892, à la Première Soirée de la Rose t Croix, galerie
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Durand-Ruel, Il rue Le Peletier (300 places - Prix unique: 20 francs), entre la Messe du pape Marcello, de Palestrina, chantée a capella par quarante voix sous la direction de Benedictus, et le Fils des Étoiles, Wagnérie kaldéenne en trois actes du Sâr Péladan, avec une Suite Harmonique d'Erik Satie, haut dignitaire et musicien attitré, avec Benedictus, de l'Ordre de la Rose t Croix du Temple et du Graal. Dita Camacho, la première biographe de la fille de Théo, écrit: « En compagnie de Clermont-Ganneau, [...] elle portait souvent le costume de cet ordre. Céleste Chrétien nous a raconté comment elle passait des heures à
broder les costumes que Judith devait porter. » Au Pré des Oiseaux,le 17 août 1892, le Sâr Mérodack J. Péladan signait la dédicace "À Ma Mère" de son manuel d'ascèse féminine, Comment on devient fée; en 1893, le répertoire de ses œuvres théâtrales comprend un Mystère du Graal, en cinq actes, musique de Benedictus, d'où l'on voit combien, en cette fin de siècle, étaient serrés les liens d'une amitié qui subit ultérieurement quelques secousses. De la fin de l'année 1910 jusqu'en juin 1911, Judith couvrira pour Excelsior les grands événements musicaux parisiens, notamment les trois concerts du Festival Beethoven donnés au Théâtre du Châtelet les 4, 7 et 10 mai 1911. Sa passion pour la musique wagnérienne ne la rend pas sourde à celle du « plus grand compositeur de tous les temps... S'imagine-ton quel vide dans l'âme si l'œuvre de Beethoven n'existait plus? Elle est pour ceux qui la connaissent un palais familier, un jardin de rêves où l'esprit se promène avec délices. On en sait tous les détours et l'on y fait des découve11es, comme dans la nature, sous les effets de la lumière. Mme Pauline Viardot disait, paraît-il, qu'elle aimait mieux Beethoven que ses père et mère. La grande famille de l'art n'est-elle pas, en effet, la plus proche et ne couvre-telle pas d'incomparables largesses?» (Citation: Judith Gautier, Joanna Richardson.) Cette saison 1910-1911, Judith rendra compte également des œuvres théâtrales de Leoncavallo, Ernest Bloch, Massenet, Georges Hüe, Saint-Saëns, Raoul Laparra, Ravel et quelques autres sur différentes scènes, pour finir par la "Tétralogie" à l'Opéra: l'Or du Rhin, la Valkyrie, Siegfried, le Crépuscule des Dieux, premier et second cycles, l'un sous la baguette de Félix Weingartner, l'autre sous celle d' Arthur Nikisch. Mention spéciale pour l'article du 9 décembre 1910: «Les virtuoses du bâton. Siegfried Wagner conduira dimanche un concert à Paris. Mme Judith Gautier expose, à ce propos, le rôle des chefs d'orchestre », suivi, trois jours plus tard, de « Concert Lamoureux. Siegfried Wagner dirige des œuvres de Liszt, de Richard Wagner et de lui-même.» Siegfried n'était pas un inconnu pour les mélomanes parisiens; en mars 1900 on le fêtait chez nous, note l'abbé Mugnier qui le rencontra alors, et le revit au cours de son pèlerinage à Bayreuth, l'année suivante. Le 26 juillet 1901, l'abbé trace dans son Journal ces lignes somptueuses: «C'est de Wagner que Renan aurait pu dire justement qu'il "a roulé les dieux morts dans un linceul de pourpre."» Et il transcrit de péremptoires jugements littéraires d'une Cosima «aux cheveux gris ». Si elle approuve les Lettres d'un voyageur de George Sand, elle ne trouve pas "distinguée" l' Histoire de ma vie. «Elle n'aime pas les Confessions de Jean-Jacques. Elle a connu Nietzsche en 1869. Il était "outrecuidant". Il était toujours malade, avait des maux de tête. Elle a voulu lire Zarathoustra; elle a trouvé cela bête. Nietzsche n'a rien d'originaL.. » En 1911, Siegfried vint dîner dans l'intimité rue Washington, Judith revit avec émotion ce filleul qui ressemblait tant à Richard: même regard, même nez busqué, même sourire, et les mains si belles! Elle retrouve en 1'homme fait «le front énorme, les yeux bleus d'une douceur exquise» de cet enfant né à Tribschen le 6 juin 1869, salué par la foudre et le tonnerre le jour de son baptême auquel elle ne put assister pour cause de guerre
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franco-prussienne, de ce petit Fidi qui s'était un jour oublié sur la robe de sa marraine, après avoir sucé, à la surprise de cette dernière qui le raconte dans le Troisième Rang du collier, un biscuit trempé dans du madère. «Du madère, à cet âge?.. Je n'objecte rien, ayant le sentiment de mon incompétence. » Dans une lettre à sa mère lui racontant cette visite de Siegfried, Suzanne Meyer-Zundel dit qu'il n'avait pas lu ce Troisième Rang, édité en 1909 par Félix Juven, volume tout entier consacré à la visite que rendirent, en 1869, Judith - qui avait organisé cette rencontre -, son mari Mendès et Villiers de l'Isle-Adam à Tribschen, au bord du lac des Quatre-Cantons, où résidaient alors Wagner et Cosima von Bülow, « ce coin de terre béni où j'ai passé de si charmantes heures », disait-elle dans Richard Wagner et son œuvre poétique depuis Rienzi jusqu'à Parsifal (Charavay frères, 1882). Judith offrit donc un exemplaire de son Troisième Rang à cet homme peu curieux et l'on s'interroge sur les raisons d'un désintérêt aussi flagrant - ou bien était-ce l'effet d'une discrétion plus que scrupuleuse? - car, enfin, même si Cosima était sans doute peu encline à raviver pour l'information de son fils les transes de jalousie vécues à cette époque lointaine et tourmentée de son existence conjugale, les relations amoureuses nouées à Bayreuth en 1876 entre Wagner, fort entreprenant, et Judith, émue, n'étaient plus, en 1911, un scoop pour personne. Si quelques-uns de leurs biographes assurent que Judith succomba à la passion de Wagner - passion exprimée dans les lettres conservées à la Bibliothèque Nationale et publiées dans leur intégralité par Léon Guichard en 1964 chez Gallimard - d'autres se montrent plus circonspects et, tout comme Suzanne, Henri de Régnier témoigne que « Judith Gautier se défendait d'avoir cédé aux instances de Wagner, qui étaient allées jusqu'à une proposition d'enlèvement ». N'oublions pas que Cosima d'une part, Benedictus d'autre part, assumaient l'un et l'autre une veille attentive! On se posera les mêmes questions indiscrètes à propos de Victor Hugo et de la fille de Théo et l'on y donnera des réponses également sujettes à caution, car - n'avouez jamais! - Judith s'est amusée d'une curiosité qu'elle se refusa à satisfaire et elle a emporté dans la tombe ses secrets d'alcôve. Reynaldo Hahn, "le musicien de la Belle Époque", qui préférait les Maîtres chanteurs à toute autre œuvre du compositeur et dramaturge allemand, ne fut séduit ni par Bayreuth ni par la famille Wagner; de Siegfried qui l'agace, raconte son biographe Bernard Gavoty, il parle comme du «fruit insipide des amours de Richard et de Cosima: un enfant fait sans plaisir... » Allégation toute fantaisiste! Le chroniqueur Michel Georges-Michel a recueilli quelques piquantes confidences de Siegfried. Au sujet de son père: «J e ne l'ai pas beaucoup connu... j'avais douze ans quand il est mort. [...J Je ne dirai pas que je n'aime pas la musique de mon père. Mais naturellement, aujourd'hui, les musiciens de mon âge doivent réagir contre sa musique, trouver un autre mode d'expression, le contraire peut-être. C'est pourquoi, moi, je reviens à la tradition de la musique française du XVIIIe siècle. Ah ! Boieldieu, Grétry... » Pendant l'été 1927 qui s'acheva pour elle, à Nice, par une mort accidentelle, la danseuse californienne Isadora Duncan termina un livre de souvenirs, My Life, dans lequel elle raconte comment elle fut invitée par Mme Wagner à participer au festival de Bayreuth où elle interpréta la figure centrale des trois Grâces dans la "Bacchanale" de Tannhtiuser, au milieu des membres du Ballet de Berlin. Elle assure que Cosima Wagner, «port majestueux, yeux superbes, nez peut-être un peu trop fort pour une femme, front lumineux d'intelligence », caressa le rêve de la voir épouser Siegfried. Mais pour Siegfried Isadora n'avait qu'amitié - outre qu'elle abhorrait l'idée de contracter des liens conjugaux tandis qu'elle était engagée cet été-là, avec l'historien d'art Heinrich Thode, gendre de
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Cosima, mari de Daniela von Bülow dont il divorça plus tard, dans une intense liaison amoureuse, sans résolution physique. Isadora nous offre quelques commentaires compréhensifs sur les plaisirs gastronomiques mêlés aux joies musicales qui offusquent certains esprit délicats. « J'ai souvent vu le grand Hans Richter entonner des bocks avec sérénité tout en se bourrant de saucisses, ce qui ne l'empêchait pas, aussitôt après, de conduire son orchestre comme un demi-dieu, pas plus que cela n'empêchait les consommateurs qui l'entouraient de tenir des propos d'une portée hautement intellectuelle. À cette époque-là, une maigreur squelettique n'était pas synonyme de spiritualité. [...] La plupart des chanteurs de Bayreuth étaient énormes, mais leur voix nous transportait dans un monde de beauté où vivent les divinités éternelles... » Siegfried mourut le 4 août 1930, quatre mois et quatre jours après le décès de sa mère. Le Second Rang du collier, p. 168, 200-201. BELLOIR. De nos jours encore, la maison Belloir propose ses services: décoration et location de matériel pour réceptions, «l'architecture éphémère à la mesure de vos événements ». Mme de Clermont-Tonnerre commence ainsi son essai sur Robert de Montesquiou et Marcel Proust, certaine qu'aucun de ses lecteurs ne se méprendrait sur le sens de ce "Belloir" qui pourrait cependant fort bien passer pour le nom d'un ébéniste, voire d'une propriété de campagne: « Étonnée, je demandai qui était ce jeune homme singulier, se penchant avec tant d'exagération sur le dossier de la chaise dorée de Belloir où Mme Straus était assise. - C'est le petit Proust, - me répondit-on. » Le Second Rang du collier, p. 141. BERGERA T, Émile collabora sous divers pseudonymes, "Caliban", "l'Homme masqué", "Ariel", "Jean Rouge", aux plus grands journaux de son temps. Chronique, roman, poésie, il se dépensa dans tous les genres littéraires, sans omettre le théâtre pour lequel il se croyait doué, dont il attendait des rentes et qui lui valut bien des déboires après un premier succès - il avait vingt ans à peine - à la Comédie-Française alors sous la direction d'Édouard Thierry, avec Une Amie (première le 9 septembre 1865) incarnée par Madeleine Brohan, un acte en vers d'inspiration byronienne; il ramassa tant de vestes, le pauvre, qu'il put écrire, avec un humour acidulé, ses Ours et fours. Il prétendait vivre "au four le jour" ! En 1896, il fait ses comptes: 12 pièces en 31 ans d'activités théâtrales, soit 35 actes représentés, gain 1,3 f par jour! Son Capitaine Fracasse, comédie héroïque extraite du roman de Théophile Gautier, quatre actes et un prologue en vers, achevée en 1887, publiée par Charpentier en 1890, ne fut représentée par l'ami Antoine, à l'Odéon, qu'en 1896. Inlassablement il entretint le public de ses déconvenues, l'amusant en fait à ses dépens. « Les confidences des gens de lettres, écrit Lucien Mühlfeld dans le Monde où l'on imprime, sont bien les plus insupportables des commérages et il n'est pas trop de tout l'esprit, de la fronde de Bergerat pour raconter ses petits ennuis sans ennuyer beaucoup. » S'il n'était devenu en 1872 le gendre de Gautier, entré par là dans son intimité, le nom de Bergerat serait tombé dans un oubli définitif, mais les spécialistes du "poète impeccable" consulteront toujours avec fruit son Théophile Gautier, peintre (1877), son Théophile Gautier, entretiens, souvenirs et correspondance (1879) et les quatre volumes des Souvenirs
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d'un enfant de Paris (1911-1913). Ces Souvenirs, rédigés sous l'impulsion d'un comité à la mémoire de Gautier animé par Judith à l'occasion du centenaire de la naissance de son père, forment un ensemble décousu mais sympathique, à l'image de ce touche-à-tout, travailleur acharné que bouda la Fortune. Au fil des pages, nous picorons quelques indications biographiques. Émile est né à Paris, le 25 avril 1845, enfant posthume d'un père à la situation mal définie, boulanger peut-être, chimiste selon Vapereau, et d'une demoiselle Peyrot que l'histoire familiale disait apparentée à saint François de Sales. José-Maria de Heredia, ami de Bergerat qui fréquenta familièrement le Parnasse, propageait tout comme un autre le ragot croustillant; il confie à Tristan Bernard: «Au moment de se marier, Bergerat dit à Gautier: "Vous savez que je suis un enfant naturel. - Nous sommes tous plus ou moins des enfants naturels. - Je dois vous avouer aussi que ma mère vit maritalement avec un prêtre. - Avec qui de plus honorable voudriez-vous qu'elle vécût ?" » (Jules Renard, Journal, Il novembre 1893, relayé par Montesquiou dans ses Mémoires.) Au déjeuner qui suivit le mariage religieux d'Estelle avec Émile, le 15 mai 1872, dans l'église Saint-Pierre de Neuilly, Théophile avait placé à sa droite la mère du marié, à sa gauche sa grand-mère maternelle, née Flore Morel, de souche savoyarde, adorée par son petit-fils. Il fait ses premières études chez les jésuites et, demi-boursier à la pension Favart, les poursuit au lycée Charlemagne, rue Saint-Antoine, décroche difficilement son baccalauréat en 1865 et commence sa vie d'adulte par un séjour à Menton, en 1867, pour y soigner ses poumons fragiles; il y fait beaucoup de peinture, elle occupera toujours les rares loisirs de ce grand ami des impressionnistes. Bergerat était encore très mince à l'époque où le peignit Pinchart qui le représente, assis dans un fauteuil, l'air pensif, un peu triste, jolie tête fine avec moustache et léger collier de barbe. (Portrait reproduit dans le Second Empire, de Dayot.) Quelques décennies plus tard, Lucien Métivet nous montre un homme qui a pris du poids, à la mine sévère. (Portrait reproduit dans les Mystères de l'Académie Goncourt, de Jean Ajalbert.) De même, une photographie signée Bari, dans un album Félix Potin, où il n'a pas l'air plus gai. En guise de légendes aux images, voici deux études qui traduisent bien le caractère complexe de notre polygraphe. La première est due à la plume de Séverine. Ni grand, ni petit, la bedaine légèrement ecclésiastique, le torse large, les reins solides; un gros rire qui secoue tout cela en une houle d'ironie batailleuse; le geste court et cependant turbulent; la voix en fanfare; un secouement d'épaules qui rejette les arguments adverses, comme un solitaire se "décoiffe" des chiens; le masquefaunesque, avec, cependant, un nez à la Rabelais, rond et folichon; en tout soi, quelquechose de solide, de franc, de bon, mais d'une bonté pas bête qui ne s'exerce qu'à sûr escient, et un esprit de tous les diables
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c'est
Caliban. Des yeux d'un bleu naïf, comme des yeux de petit enfant, pleins de mélancolie derrière la malice qui les voilent; la lèvre fine, amère, presque féminine, étonnant dans ce visage si bourrument ébauché; le mélange de sauvagerie et de tristesse qu'ont tous ceux qui ont souffert d'injustices trop grandes. (L'Écho de la Semaine politique et littéraire, 13 juillet 1890.) La seconde est signée Léon Daudet. Bergerat est un fantaisiste, qui finit par embrouiller tellement l'écheveau de ses paradoxes ou de ses coq-à-l'âne, que personne n'y comprend plus rien. D'où la rétivité à peine injuste du public à son endroit. Il appelait mon père "Fonfonse", Charpentier "la vieille Charpente" ou "Zizi", Zola "ma Zozole" et tutoyait indifféremment les académiciens, les préfets, les purotins et les directeurs de journaux. Bien que très gai et bon enfant, sautillant et plein de
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verve, il flottait autour de lui une atmosphère mélancolique. Parmi cinquante insanités, j'ai lu de lui un jour une page admirableet poignantesur une pauvre femme de sa famille qu'une erreur criminelle fit enfermer à Saint-Lazare pendant quelques jours et qui en mourut. Ce récit pathétique et simple, d'une grandeur vraie, m'a donné l'idée d'un Bergerat-qui-pleure tout différent du Bergerat-qui-ritentrevu pendant mon enfance et ma jeunesse. Le "Béberge" de mon père m'est apparulà, en éclair, commeune âme de drame égarée dans la farce, comme une sensibilité qui s'ignore, comme un incompris de lui-même. La mêlée en est si confuse que ni dans le roman, ni au théâtre un tel personnage ne réussirait. Il faut se contenter de le regarder manquant sa vie. (Fantômes et vivants, première série.) Après son mariage, poussé au labeur par la nécessité de nourrir sa petite famille, Bergerat fait rapidement bonne figure dans le monde des lettres. Souvenirs d'Antoine qui souhaite obtenir le concours d'un "auteur célèbre [. ..] par ses furibondes campagnes, ses retentissantes protestations contre le régime du théâtre actuel, [... sa] situation considérable au Figaro, son influence" : « Il avril 1887. Hier soir, rue Galvani, aux Ternes. [...] Nous arrivons sur les huit heures, dans la salle à manger paisible où Caliban achève de dîner entre ses deux bébés et Mme Bergerat. Il nous traite tout de suite [Antoine et son frère] avec une cordiale bonhomie et je souris un peu de voir que cet homme nourrit une telle passion pour le théâtre [...]. Cette figure spirituelle tout éclairée de gaieté gamine... » En octobre 1902, harcelé comme le fut aussi Porel par cet auteur toujours insatisfait, il note encore: « Bergerat est un homme terrible qui ne vous laisse pas respirer, mais cela me vaut des lettres si spirituelles et si amusantes que, vraiment, on le ferait presque exprès pour les recevoir. » Les "bébés" vus par Antoine au foyer des Bergerat, qui n'eurent pas d'autres enfants, avaient noms Théophile et Herminie. Théophile, dit Toto, né le 29 janvier 1876, disparu en 1937 sans postérité, ne révéla pas de dons particuliers. Dilettante, après avoir déclaré vers sa douzième année une vocation d'amiral de France, il tâta du Conservatoire et Judith, qui l'aimait bien et lui reconnaissait un beau physique, demanda à Pierre Loti de lui faire donner un rôle dans Judith Renaudin (1898, au théâtre Antoine). Loti s'exécuta gentiment, écrivant à Antoine: «Si le rôle de Daniel Robert n'est pas distribué, vous m'obligeriez particulièrement en le donnant à M. Théo Bergerat qui est d'ailleurs quelqu'un de chez vous. Je vous en prie, à moins de raisons bien sérieuses, ne me refusez pas cela. » Mais le postulant ne fit pas florès sur les planches. Longtemps réfractaire au mariage, Théo épousa la jolie Alice Lecelles, dessinatrice de modes, avec laquelle il se disputa beaucoup; elle lui survécut longtemps, puisqu'elle mourut à quatre-vingt-cinq ans, en 1969. La gracieuse communication par sa nièce, madame Boitard, de documents originaux (interview de Mme Théophile Bergerat, causeries à la Radio, France-Culture, 1957), nous permet de reproduire cette plaisante anecdote racontée par Estelle à sa belle-fille. Désireux de connaître le petit-fils de son ami Gautier, Victor Hugo prie Estelle de venir déjeuner chez lui avec Toto. Alors âgé de quatre ans, Toto est un enfant très mal élevé, affreusement gâté. Ses père et mère essaient de le styler en vue de l'événement. Recommandations, remontrances: «Toto, on se tient bien droit sur sa chaise quand on déjeune chez M. Victor Hugo... Toto, on ne mange pas avec
ses doigts à la table de M. Victor Hugo... » Gifles pour finir et Toto hurle: «J'veux pas y aller, chez M. Victor Hugo, j'irai pas!» Il y alla. Au désespoir de sa mère, malgré la gentillesse de leur hôte et ses facéties pour lui atTacher un mot ou un sourire, Toto,
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intimidé, boudeur, garde la tête plongée dans son assiette. Au dessert, Victor Hugo prend une orange. « Regarde, Toto, je vais t'apprendre à manger une orange!» Victor Hugo avait des mâchoires d'ogre, il broyait les oranges avec leur peau. Cette fois, Toto lève les yeux. Lui, à qui on venait d'enseigner les belles manières, il glapit, indigné: « Goinfre!» -« Ce fut le seul mot qu'il proféra de tout le repas », conclut Estelle. Alice, encore célibataire, vit Judith pour la première fois à Saint-Lunaire, chez les Bergerat, en 1907, à l'occasion d'une nombreuse et élégante réception. Estelle servait le thé dans le jardin. Apparition de Judith, encore très belle, "un port de reine", accompagnée de Péladan, "très brun de teint et de cheveux, redingote amarante et jabot de dentelle, en sautoir une grande chaîne d'or." Parmi l'assistance, Alice nomme Mme Jean Richepin, venue en voisine, David Devriès, l'actrice Ève Lavallière, "yeux magnifiques, regard fascinant", toute vêtue de blanc, avec sa fille Jacqueline, née de sa longue liaison avec Samuel, le directeur des Variétés, celle qui plus tard prétendit être devenue homme par la grâce d'un bistouri. Lavallière à la jeunesse tragique - son père tua sa femme en 1884 avant de se faire justice -, aux nombreuses aventures et qui mourut tertiaire de Saint-François en quête de sainteté, était une grande amie et confidente de Jeanne Granier, la marraine d'Alice. "Jeanne Granier, les seins gonflés de talent", écrivait Jules Renard. Lavallière et Granier jouèrent longtemps ensemble aux Variétés. Alice raconte que, cet après-midi-Ià, son futur beau-père s'éclipsa, avec le peintre Maurice de Lambert et Léon Dierx, pour terminer une aquarelle. Revenu
parmi les invités, Lambert raconta « que Dierx, pour peindre la mer, avait installé son chevalet de manière à tourner le dos à la plage: "Je ne veux pas me laisser influencer par la nature". » Pendant la guerre, Bergerat, contraint après la mort d'Estelle, le 24 décembre 1914, de regagner Paris et de fenner la villa Caliban, alors que Théo était mobilisé à l'hôpital de Saint-Lunaire, confia son fils et sa bru à Judith; elle les hébergea de longs mois au Pré des Oiseaux. Herminie, dite Mimi. Les enfances de Mimi n'ont pas laissé de traces écrites dans les Mémoires de ses contemporains. Elle n'a pas eu l'honneur d'insulter un grand homme, mais a connu la j oie de donner une descendance à ses parents par son mariage avec l'artiste lyrique David Devriès, ténor à la carrière internationale, membre d'une famille vouée à la musique. Il était le fils de Marcel Devriès et de Cécile Dardignac, veuve de Fritz Büsser; de ce premier mariage naquirent deux enfants, dont Henri Büsser, organiste, chef d'orchestre et compositeur, membre de l'Institut depuis 1938. David eut cinq frères et sœurs. De l'une d'elles, Jeanne, «sympathique, bohème; phénomène musical elle chantait par cœur, exactement tout ce qui fut écrit pour la voix féminine », Lucie Delarue-Mardrus fit, dit-elle dans ses Mémoires, le modèle de l'un de ses nombreux et médiocres romans, la Cigale. C'est tant pis pour Jeanne! Inès, autre sœur, épousa Jean Sardou, le second fils de Victorien Sardou, auteur chéri de Sarah Bernhardt, et de Mme, née Anne Soulié, fille d'Eudore Soulié, le conservateur du Musée de Versailles. N'oublions pas leur parente, Mme Fidès Devriès, soprano qualifié de "sublime" par Massenet, "voix incomparable, surtout dans le registre supérieur" au témoignage autorisé de Felia Litvinne. David et Herminie eurent deux fils, Gerald, qui fut le filleul de Benedictus, et Daniel, dit Ivan (prononcer Ivan'), né à Saint-Lunaire en septembre 1909, que Judith tint quelques mois plus tard sur les fonts baptismaux de Saint-Ferdinand des Ternes. Compositeur, Grand Prix musical de la Ville de Paris en 1961, Ivan maintient avec honneur les traditions dynastiques.
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L'un et l'autre nous ont réservé un accueil des plus aimables, répondant à nos questions avec une parfaite bonne grâce, nous permettant d'admirer les reliques qu'ils ont conservées de leurs ascendants Gautier. M. Ivan Devriès se souvenait d'avoir eu peur, enfant, d'une grosse dame vêtue d'une robe bizarre, surmontée d'un volumineux couvre-chef, ce qui rappelle les inquiétudes des jeunes fils de Lucien Descaves. Relisons Pierre Descaves: «Même âgée, elle [Judith] s'habillait de tapageuse et étrange façon, et nous laissait rêveurs, nous, les garçons, par un luxe intempestif d'énormes bijoux, qu'elle ne manquait pas d'arborer chez nous [rue de la Santé] comme à la ville. [...] Nous l'appelions irrévérencieusement la
"sorcière".Elle provoquaiten nous une sortede terreur... » (Mes Goncourt.)David Devriès donnait pendant l'été des récitals en province. Notes de Suzanne Meyer, été 1910: «Il chante dans un concert de charité. Apporte trois places au Pré. Maya assiste au concert avec les Bergerat. A enregistré des disques chez Pathé. [On a repiqué plus tard ces disques en Angleterre.] - 30 août 1912. Devriès, avec sa voix superbe, dans un concert Fanelli à Dinard. - 2 juillet 1913. Devriès de passage à Paris. Venu tout exprès pour chanter une cantate de la petite Lili Boulanger, proposée pour le Premier Grand Prix de Rome.» Elle l'obtint en effet, cette année-là, pour Faust et Hélène. L'amitié joua un grand rôle dans l'existence d'Émile Bergerat. Georges Charpentier, Maurice Dreyfous furent de ses meilleurs "copains" au début de sa carrière; de même Armand Silvestre. En collaboration avec Silvestre, il écrivit Ange Bosani, un drame en trois actes qui atteignit sans gloire vingt-huit représentations au Vaudeville en 1873. Mendès aussi fut l'un de ses bons amis; sans se brouiller avec Judith, Bergerat sut préserver d'excellentes relations avec son beau- puis ex-beau-frère. Vers 1875, ils se rencontraient, passage Choiseul, chez Alphonse Lemerre, l'éditeur du Parnasse contemporain; plus tard, boulevard des Capucines, au "Napo". André Salmon décrit le "calembredainier" Bergerat, "éblouissant chroniqueur" aux savoureux néologismes, l'un des piliers du café Napolitain, à la table de Mendès «qui eut cette sorte de génie, alors qu'il n'offrait que des défauts, d'incarner superbement une sorte de Consul de la Poésie». Bergerat avait quelque mérite à rester fidèle à Mendès; Émile Henriot rapporte ce propos du truculent courriériste: «Je pose une charade. Mon premier est une berge; mon second est un rat; mon tout est un poète, gendre de Théophile Gautier. Savez-vous ce que l'on me répond: "Catulle Mendès". C'est à vous dégoûter de la gloire.» C'est au "Napo", sans doute, que Bergerat se lia avec Courteline, l'intime de Mendès. Quittons l'univers des cafés. L'amitié de Rodin honora Bergerat ; mené pour la première fois au Dépôt des marbres par le peintre Georges Raquette, professeur à la Manufacture de Sèvres, il s'enthousiasma pour le génie du sculpteur, le célébra dans des articles retentissants, ne cessa de prendre fait et cause pour lui contre ses détracteurs. Les Bergerat étaient la générosité même. Ils hébergèrent un temps Mme Soulié, veuve avec ses quatre enfants, avant qu'elle ne trouvât un logis à sa convenance; le cadet de ces enfants deviendra le sinologue George Soulié de Morant, l'élève et le protégé de Judith. À Laurent Tailhade, vieil habitué du Napolitain, ils prêtèrent pendant l'été 1912 leur villa bretonne; Armory raconte dans Cinquante ans de vie parisienne la visite qu'il fit à cet étonnant poète anarchiste, alors marié et père d'une petite fille "qui patrouillait dans le sable". Bergerat s'est expliqué lui-même sur le choix de Saint-Lunaire pour y établir sa résidence estivale. Après de grandes fatigues nerveuses, il était allé se mettre au vert en Bretagne. «Nous y découvrîmes, au hasard des promenades, une petite dune herbeuse et
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solitaire dévalant sur une crique de sable d'or, où les fermiers remisaient les chevaux fourbus et que, de ce chef, on appelait La Fourburie », vocable inusité qui devint, par simple glissement phonétique, la Fourberie. Ayant acheté ce terrain pour une bouchée de pain, il y fit planter des arbres et construire une maison suivant ses goûts sur des plans de Charles Garnier. C'est là, face à la mer, dans son bureau de la villa Caliban, que l'écrivain, heureux, se sentait revisité par l'inspiration poétique. Bergerat avait criblé de ses flèches les "aveugles du Pont-des-Arts" ; néanmoins en 1895, "par jeu" dit-il, il brigua un fauteuil parmi les Quarante, celui de Camille Doucet; le 27 décembre, il sollicite par lettre Pierre Loti de lui donner sa voix; le marquis Costa de Beauregard remporte les suffrages. Il récidive en 1905, contre Étienne Lamy, pour le fauteuil du sculpteur Guillaume, avec le même insuccès malgré le vote favorable de Heredia. De nouveau, il demande à Loti, en septembre 1907, d'appuyer sa candidature au fauteuil de Sully Prudhomme que convoitaient également Jean Aicard et Charles de Pomairols; c'est Henri Poincaré, le mathématicien, qui l'emporta et Bergerat se résigna enfin. Lorsque l'on connut, par le Journal Officiel du 26 janvier 1902, les statuts de la "Société littéraire des Goncourt", Bergerat s'était esclaffé: «Une Académie, oh ! la, la !... Ces académiciens libres seront au nombre de dix, le testament les pensionne d'un revenu de six mille francs par an, chacun d'eux s'entend... »; néanmoins il en fut élu le 21 mai 1919, après la mort de Paul Margueritte. Comment refuser ce pactole quand on est pauvre, presque aveugle, oublié déjà! Mais M. de Goncourt dut se retourner dans sa tombe, lui qui l'avait si bien arrangé dans le Journal: porcin, pignouf, muflard, canaille, pitre, ... « lui, oui, lui, Bergerat ! nous traiter de renifleurs de merde... » - « Je ne connaissais point Bergerat, écrit Rosny aîné. Toujours mal en point, il n'assistait guère aux déjeuners. J'ai vu un vieillard agréable, causeur capricieux et gentil, qui me rappelait d'autres vieillards venus des profondeurs du second empire.» (L'Académie Goncourt.) Bergerat était né dans le quartier des Ternes, encore presque rural. «Prince, parmi la viorne et l'aubours, / Lorsque la ville y dressait ses poternes, / J'ai bégayé mes premiers calembours / Sur l'avenue innocente des Ternes. » Il ne le quitta que pour s'en aller un peu plus vers l'ouest, à Neuilly, à proximité de la maison des Soulié de Morant, dans cette Villa d'Orléans rebaptisée Villa Émile Bergerat par la municipalité. Gros fumeur, il y mourut d'un cancer des poumons le 13 octobre 1923. Article de Marius Richard dans le périodique Toute l'édition, 3 septembre 1938, "Saint-Énogat, la très littéraire": «Le Mercier d'Ern m'a conté les obsèques du gendre de "Théo" auxquelles il assista en compagnie du fils et du beau-fils de l'auteur des Souvenirs d'un enfant de Paris. De la gare de Dinard au cimetière de Saint-Lunaire, trois hommes, en effet, pour toute escorte, ont suivi le convoi du pauvre "Caliban", cheminant sous le vent d'hiver. » Il repose aux côtés de son épouse, Estelle. « Que tu n'es donc pas une bête! Et comme nous leur devons de les aimer, ceux qui nous font rire, puisque sans ceux-là tout le temps on pleurerait! » (Lettre de Nadar à Bergerat, 5 février 1887, pour son envoi du Livre de Caliban, passée en vente le 16 décembre 1988.) Le Second Rang du collier, p. 267, 302. BERLIOZ, Hector (Côte-Saint-André, Isère 1803 - Paris 1869.) Théophile Gautier: « Hector Berlioz nous paraît former, avec Hugo et Delacroix, la trinité de l'art romantique. [. ..] Ce fut une destinée âpre, tourmentée et contraire que la sienne. [...] Dans cette renaissance de 1830, il représente l'idée musicale romantique [.. .]. Ce que les poètes
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essayaient dans leurs vers, Hector Berlioz le tenta dans la musique avec une énergie, une audace et une originalité qui étonnèrent alors plus qu'elles ne charmèrent. » Le bon Théo, écrasé lui-même par la "meule" du journalisme, poursuit, dans le Journal Officiel du 16 mars 1869, avec un accent de compréhension et de compassion tout intimes: Il a fait longtempsle feuilletonde musiqueau Journal des Débats [.. .]. Mais il ne parlait de ses feuilletons si remarquésqu'avec une secrète amertume. Il est douloureuxpour le compositeur de déposer sa lyre pour prendrela plume,pour le poète de nourrir sa poésie avec sa prose, pour le peintre de faire payer ses tableaux par ses lithographies; en un mot, de vivre du métier de son art. C'est une misère que chacun de nous a connue, et ce n'est pas la moins pénible à supporter.Chaque heure consacrée à ces besognes est peut-être une heure d'immortalité qu'on se vole; ce temps perdu, le retrouvera-t-on? et quand l'incessant labeur vous aura, sur le déclin de la vie, procuré quelqueloisir, aura-t-on la force d'exécuter les conceptions de la jeunesse? pourra-t-on rallumer cette flamme évanouie, recomposer ce rêve emporté dans l'oubli? Ce sont là les vrais chagrins de l'artiste au grand cœur. De là venait cette mélancolie tragique, cette mélancolie prométhéennede Berlioz. [...] Le chagrin sculptait de plus en plus profondémentcette belle tête d'aigle irrité, impatient de l'espace et auquel on refuse l'essor...
La métaphore est moins heureuse chez Henri Heine: « Un rossignol colossal, une alouette de grandeur d'aigle. » Revoyons au musée d'Orsay le beau portrait de Berlioz par Gustave Courbet qui fut exposé au Salon de 1850-1851 ; plus sévère, plus triste, pathétique, cette belle tête d'aigle irrité photographiée par Nadar vers 1863. «La musique et l'amour, écrivait Berlioz à un ami, sont les deux ailes de l'âme. » L'amour, l'amour des femmes, éprouva cruellement Berlioz. Épris idéalement dans son enfance d'une Estelle Dubœuf, mais elle l'ignora, et il espéra encore, dans sa vieillesse morose, gagner l'affection de cette sage grand-mère. Amant de la captivante pianiste Ivlarie Moke, mais elle épouse en 1831 Camille Pleyel, le facteur de pianos. Mari de l'actrice irlandaise Harriett Smithson, sa poétique Ophélie, épousée le 3 octobre 1833, mais elle boit, elle engraisse, il l'abandonne en 1842 pour la médiocre cantatrice Maria Recio. Quand Harriett meurt en mars 1854, paralysée depuis quatre ans, la pitié, le remords peut-être, saisit Hector: «Destruction, feux et tonnerres, sang et larmes... mon cerveau se crispe dans mon crâne en songeant à ces horreurs! » Ainsi s'exprime le veuf. Liszt a la condoléance magnifiquement et férocement cursive: «Elle t'inspira, tu l'as aimée, tu l'as chantée. Sa tâche était accomplie.» Le 19 octobre 1854, Hector épouse Marie Recio, mais depuis longtemps il a cessé de l'aimer; les biographes de Berlioz lui voient beaucoup de défauts, à cette Marie, et Wagner, d'ailleurs, fait à son propos une belle crise de misogynie: «Je me demandais si le bon Dieu n'aurait pas mieux fait d'omettre les femmes dans l'œuvre de la création, car elles sont bien rarement bonnes à quelque chose; au contraire, en thèse générale, elles nous sont nuisibles, et, au bout du compte, c'est sans profit pour elles-mêmes.» (Confidence à Liszt.) Marie Recio, dame Berlioz, meurt subitement le 13 juin 1862, à moins de cinquante ans. Deux ans plus tard, Berlioz écrit dans la postface de ses Mémoires: «Je suis dans ma soixante-et-unième année; je n'ai plus ni espoirs, ni illusions, ni vastes pensers; mon fils est presque toujours loin de moi; je suis seul; mon mépris pour l'imbécillité et l'improbité des hommes, ma haine pour leur atroce férocité sont à leur comble; et à toute heure je dis à la Mort: Quand tu voudras!... Qu'attend-elle donc?» Son fils unique, Louis, né de Harriett en août 1834, officier au long cours dans la marine marchande, se rapproche beaucoup de son père après la disparition de sa belle-mère, mais, au Mexique, la fièvre jaune l'emporte en 1867. Et Berlioz s'enfonce dans une solitude plus sombre encore
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et plus farouche. En 1856 déjà, Liszt écrivait de Paris à la princesse Sayn- Wittgenstein tous les deux grands amis, confidents d'Hector: «Je ne sais comment il s'est pris pour s'isoler de la sorte ici. De fait, il n'a ni amis ni partisans, ni le grand soleil du public, ni la douce ombre de l'intimité. » Berlioz: « La foi me manque, et l'espérance, et la charité. » Formule atroce de cet homme de génie, se dessinant ainsi lui-même à l'âge de trente ans: « Un vrai baromètre... un jour bien calme, poétisant, rêvant; un autre jour, maux de nerfs, enragé, chien galeux, hargneux, méchant comme mille diables.» Berlioz, l'outrance, la démesure, l'excès en tout: « Votre tête paraît être un volcan toujours en éruption », lui dit un jour Rouget de Lisle, et Liszt confirme: «cratère de génie ». On avait peur de lui, de ses railleries corrosives, de la malveillance universelle de cet écorché vif. Échantillon, d'une écriture modérée: Hector juge le milieu théâtral parisien sous la monarchie de Juillet: « C'est une succession de mauvaises pièces, saupoudrées de mauvaises mélodies, accompagnées de mauvais orchestres, chantées par de mauvais chanteurs, écoutées par un mauvais public qui, heureusement, ne les écoute pas et les oublie au plus vite.» Théophile Gautier: « Quoique Berlioz fût regardé généralement comme un fou, cependant il inspirait cette terreur que répand autour de lui tout être qu'on sait investi d'une puissance secrète. » La misanthropie de Berlioz ne favorisait guère ses rapports avec ses confrères, ses rivaux. Après s'être reconnus comme compagnons d'infortune, on sait combien furent difficiles les relations entre Berlioz et Wagner, pour ne citer qu'elles, trouvant leur pénible illustration dans les deux déclarations suivantes. Wagner: «Le succès de mes opéras a été une abomination à Berlioz; c'est un malheureux homme.» Berlioz, après les représentations scandaleuses de Tannhiiuser à l'Opéra-Impérial en mars 1861: «On traitait tout haut ce
malheureuxWagner de gredin, d'insolent, d'idiot... Pour moi,je suis vengé. » Schumann a écrit sur Berlioz compositeur ce jugement nuancé: «Il y a dans sa musique beaucoup de choses insupportables, mais aussi d'autres extraordinairement intelligentes, voire géniales. Il me produit souvent l'effet de l'impuissant roi Lear en personne. » Sa femme Clara, tout simplement, trouve l'homme antipathique, «froid, indifférent, morose ». Berlioz, l'auteur de ces œuvres puissantes et somptueuses que sont la Symphonie fantastique (1829), transposition de son amour alors déçu pour Harriett indifférente, le Requiem (1837), Roméo et Juliette (1838-1839), le Carnaval romain (1844), la Damnation de Faust (1846), l'Enfance du Christ (1850-1854), les Troyens (1858 et ss.), Berlioz, l'auteur du charmant Beatrix et Benedict (1860) et de beaucoup d'autres chefs-d' œuvre, écrivit aussi de nombreuses mélodies, en particulier citons les Nuits d'été, sur des poèmes de Gautier. Là, sa musiquetrouva dans la poésie son équivalence, accord qui faisait défaut trop souvent dans les œuvres antérieures,écrit le musicologue Julien Tiersot. [...] Quelques-unesdes pages qui composentcette œuvre comptent parmi les plus parfaites qu'il a laissées. Les plus connues (telle l'Absence) ne sont pas les meilleures; faisons grâce pourtant à l'ingénieuse Villanelle. Mais il est deux mélodies dont la beauté est vraiment supérieure: le Lamento: «Ma belle amie est morte» et Au cimetière: «Connaissez-vous la blanche tombe ». Des maîtres plus récents - Duparc, Chausson, Fauré, avant eux Gounod - ont mis aussi ces beaux vers en musique, et nous ne songeons pas à établir une comparaison entre ces interprétations diverses: qu'il suffise d'affirmer que Berlioz, venu premier, n'a été dépassé par aucun de ces dignes successeurs, et qu'il a déversé dans ces poèmes lyriques les flots d'une mystérieuse harmonie, d'une poésie profonde, d'une pénétrante émotion. Lui aussi était grand poète... (La musique aux temps rOlnantiques.)
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Les spécialistes disent le rôle majeur que tint Berlioz dans l'invention de la langue orchestrale moderne et de la symphonie à programme. Son Grand Traité d'instrumentation (1844) est dédié au roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse. Berlioz trouva, de son vivant, beaucoup plus de compréhension et d'enthousiasme en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Angleterre, en Russie. .. qu'en France et il gardait de la reconnaissance à ces mélomanes étrangers qui l'avaient applaudi avec générosité et chaleur, l'avaient honoré de si belles fêtes. Berlioz n'était pas seulement un musicien, mais un brillant écrivain et il a laissé, dans ce domaine aussi, une œuvre considérable. Le 8 mars 1869, épuisé, le cœur jadis bouillonnant de tant de passions cessa de battre. Le pauvre grand homme avait fait ce rêve irréalisable, maintes fois exprimé: « Si je vivais cent cinquante ans, je finirais par venir à bout de ce
tas de gredins et de crétins! » Le 12, somptueusesobsèques d'Hector Berlioz, officier de la Légion d'honneur, membre de l'Institut - depuis 1856, en remplacement d'Adolphe Adam -, à l'église de la Trinité, dont il était paroissien, habitant au 4, rue de Calais, depuis plus de dix ans. On raconte - car Hector devait se singulariser jusque dans la mort - qu'à l'arrivée du convoi funèbre à Montmartre, les chevaux du corbillard s'emballèrent et vinrent s'abattre au milieu du cimetière. Antoine Elwart, compositeur, musicographe, prononça au nom du Conservatoire l'éloge du disparu, nonobstant ce que celui-ci lui avait déclaré un jour: « Si tu dois faire un discours sur ma tombe, je préfère ne pas mourir. » Ernest Reyer, un fidèle du maître, son réconfort dans les heures noires, conserva précieusement chez lui, dans un médaillon, une boucle de ses cheveux et, pendue au mur, son épée d'académicien. En la contemplant, Reyer se rappelait-il cette boutade acide de Berlioz: «Le public est une huître et je l'ouvre avec mon épée» ? Le Second Rang du collier, p. 173, 175, 256, 257. BER TRAND. Ils étaient trois, les fils d'Henri-Gratien, général comte Bertrand (17731844), grand maréchal du Palais, fidèle compagnon de l'Aigle malheureux en captivité: Napoléon, Arthur, Henri. Ils s'essayèrent tous trois à la carrière militaire. Napoléon, l'aîné, filleul de l'empereur qui tenait la discipline pour la vertu première du soldat, quitta l'armée avec le grade de capitaine après avoir lassé l'indulgence de ses supérieurs par son comportement extravagant, comme le raconte le général Du Barail qui l'a bien connu en Algérie. Arthur, lui, plusieurs fois cassé pour insubordination, merveilleux cavalier, ne dépassa pas le grade de maréchal des logis. Henri, enfin, participa aux guerres d'Afrique de 1836 à 1839, fut aide de camp du général Cavaignac et du prince Napoléon, et il prit sa retraite comme général. L'audace, l'intrépidité de ces casse-cou étaient hors du commun, elles tenaient plus d'une folle témérité que du courage lucide. On ne sait trop auquel donner la palme de l'excentricité. Faut-il préférer Arthur, «bien connu du Tout-Paris qui s'amuse» dira de lui le prince de Joinville, commandant de la Belle-Poule qui ramena de Sainte-Hélène en 1840 les cendres de Napoléon 1er, Arthur et son père étant à bord avec le général Gourgaud, M. de Las Cases, etc.; Arthur, dandy frivole et instable, joueur impénitent, s'arrogeant tous les droits, amant indélicat de Virginie Déjazet, père indifférent du second fils de Rachel, Gabriel-Victor, né en janvier 1848, qu'il se refusa à reconnaître? La vérité nous oblige à confesser qu'à ce jour nous ne savons pas lequel des frères Bertrand séjourna chez le Dr Pinel. Le jeune Normand Jules Boucoiran fut, avant 1830, le précepteur de ces garçons bizarres. De chez les Bertrand et sans quitter l'Indre, il vint s'occuper de
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Maurice Dudevant à Nohant ; en peu de temps il passa au rang de confident de celle qui ne s'appelait pas encore George Sand, puis de factotum et de féal au dévouement éprouvé. Le 7 septembre 1875, George écrivait à Flaubert: « Mes vieux amis meurent avant moi. Un de mes plus chers, celui qui avait élevé Maurice et que j'attendais pour m'aider à élever mes petites- filles, vient de mourir, presque subitement. C'est une douleur profonde... » Si le souvenir de Boucoiran se trouve lié, par son préceptorat, à celui des Bertrand, il en va de même pour Hortense Allart, née à Milan en 1801, qui fit beaucoup jaser les milieux littéraires jusqu'à sa mort, à soixante-dix-huit ans. Léon Séché, que l'on doit toujours citer à propos de cette muse du romantisme à l'orgueilleuse devise, "Souveraine", nous dit qu'Hortense, cousine germaine, par sa mère, de Delphine Gay, se trouva orpheline, célibataire sans ressources ni protection, à l'âge de vingt ans. «Dès 1815 [...] elle avait eu l'audace d'écrire au tsar Alexandre pour le supplier d'adoucir la captivité de Napoléon. Un peu plus tard, ayant appris que l'auguste prisonnier était malade, elle avait offert au général Bertrand d'aller le soigner à Sainte-Hélène. » Ces détails ne furent pas étrangers, sans doute, à son entrée chez Mme Bertrand, qui lui confia l'éducation de sa fille. Elle y resta environ deux ans, pendant lesquels elle écrivit ses Lettres sur Mme de Staël et rencontra "pour son malheur" un jeune Portugais de noble extraction, le comte de Sampayo; il la séduisit, l'engrossa et l'abandoQna. « Si je rencontrais sur mon chemin, écrivit-elle un jour à SainteBeuve, une fille délicate, spirituelle et forte, je lui dirais de faire comme j'ai fait, de suivre noblement la nature [...]. La fille qui combat la nature ne connaît que des tourments.
Affreuse,ténébreuse,toute sa machinese détraque... » Lajeune mère suivit donc sa nature. Sampayo fut remplacé. Les amants les plus honorifiques de la bonde Hortense - elle recherchait avec ardeur le commerce des grands hommes, étant elle-même polyglotte, très cultivée, on dit même "savante", avec un extérieur fort engageant - s'appelèrent de 1829 à 1831 Chateaubriand qu'elle s'en alla débusquer à Rome, appuyée, dit-elle, «du nom de Mme Hamelin », ex-merveilleuse du Directoire et ex-Madame de l'insatiable René; de 1831 à 1836 sir Henry Bulwer-Lytton, biographe de Byron, frère d'Edward BullwerLytton, l'illustre auteur des Derniers Jours de Pompéi, le plus connu de ses nombreux romans dans la tradition de Walter Scott; Sainte-Beuve en 1841, juste le temps qu'il fallut pour planter "le clou d'or de l'amitié" ; avant Sainte-Beuve, un certain Mazzei, Italien, père du second fils d'Hortense. En mars 1843, elle épousa M. de Méritens, architecte, mais aspira bientôt à sa liberté perdue. « Ô mes amants, mes aimables amants, amants d'un jour, de dix ans, amants d'indignation, amants de cœur, combien tout cela revient avec charme à la mémoire quand on vit seule et opprimée!» Ses aventures personnelles nourrirent son abondante production littéraire, médiocre dans l'ensemble, et l'on pense à telle ou telle de ses contemporaines, à Laure Saint-Martin Permon, veuve Junot, duchesse d'Abrantès; à Louise Colet; un peu plus tard dans le siècle à Céleste Vénart, comtesse Lionel de Chabrillan, connue sous le nom de Mogador... que la multiplicité de leurs ouvrages hâtifs ne sauva point de la détresse financière. Parmi les romans autobiographiques d'Hortense Allart de Méritens, les Enchantements de Prudence, le plus connu, paru en 1873, souleva un scandale mémorable. Hortense y mettait en scène, un quart de siècle après la mort de celuici, son séduisant amant sexagénaire le vicomte de Chateaubriand, champion du trône et de l'autel, tout animé de gaieté, de verdeur sensuelle, courant les guinguettes avec sa fraîche, son accorte maîtresse, fredonnant avec elle les chansons de Béranger, cet ennemi du trône et de l'autel, qu'elle lui avait fait connaître. «Aux dieux des cours qu'un autre
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sacrifie! / Moi, qui ne crois qu'à des dieux indulgents, / Le verre en main, gaîment je me confie / Au Dieu des bonnes gens...», ou bien encore: «Quel dieu se plaît et s'agite / Sur ce grabat qu'il fleurit? / C'est l'Amour qui rend visite / À la Pauvreté qui rit. / Les gueux, les gueux, / Sont les gens heureux; / Ils s'aiment entre eux. / Vivent les gueux!» Le monarchiste, aristocrate catholique, et le républicain, plébéien librepenseur, avec Hortense, cette plumitive effrontée, complices de badinage, de libertinage! Barbey d'Aurevilly, dont on n'attendait pas tant de rigorisme, s'étrangla de fureur, mais on sait qu'il haïssait les Bas-bleus, que n'aima point non plus Robert de Montesquiou. Hortense succomba à une rupture d'anévrisme le 28 février 1879; sa tombe est au cimetière de Bourg-la-Reine où elle repose auprès de ses deux fils, Marcus-Napoléon Allart (1826-1901) et Henri Diodati Allart (1839-1862). Le Second Rang du collier, p. 151. BLANC, Charles. Le monsieur B. de la petite Judith était un négociant en vins, le compagnon d'Eugénie Fort chez qui elle habitait, 12, rue de Condé à Paris, cet appartement minutieusement décrit dans le Collier des jours. Ami de longue date, on délibère de savoir s'il avait été son amant. En tout cas, il avait officié en tant que témoin de Charles Fort, le frère d'Eugénie, dans le duel qui avait opposé ce dernier à Gautier en décembre 1836. Théophile junior, à l'origine de ce duel, baptisé le 5 mai 1842, était le filleul de Charles Blanc lequel, au fil des ans, marqua de plus en plus de mauvais vouloir à son encontre, sans doute jaloux de l'amour que lui portait sa mère et irrité d'avoir à subvenir à son entretien. La famille Gautier considérait Blanc comme un ami et, dans ses lettres à sa famille, Théo ne manquait jamais de lui faire adresser ses "cordialités". Le Collier des jours, p. 71. BLUNT, Mrs. Key. Dans la Flèche d'or, roman qui évoque quelques épisodes réels de l'aventureuse jeunesse de l'auteur à Marseille dans les années 1876-1878, Joseph Conrad met en scène un certain J.-K. Blunt, Américain de la Caroline du Nord, dont la famille avait été ruinée par la guerre de Sécession, et sa mère, Mrs. Blunt, celle-là même - d'après le biographe français de Conrad, G. Jean-Aubry - qui persécuta cette bonne pâte de Théo. Inutile de préciser qu'il n'y eut oncques de président des États-Unis du nom de Blunt! À propos de ce "crampon" dépourvu de talent et de tact sinon d'obstination, relisons une page de Gautier cité par Olivier Merlin dans le Bel Canto, effrayant tableau des trésors d'intelligence exigés de la femme désireuse de faire sur les planches une carrière honorable: Il est difficile d'imaginer ce qu'une actrice dépense de finesse, de talent, de patience, de ruse, de machinations pour se faire accorder un rôle et surtout pour l'ôter à une rivale. Chaque couplet, chaque mot est l'objet d'une lutte dont le champ de bataille est l'auteur. Quel art! être bien avec le directeur, avec le régisseur, avec le costumier, avec le souffleur, avec l'avertisseur, et en dernier ressort, sans compter le protecteur, l'amant favorisé, celui qui l'était, celui qui va l'être, les hommes de lettres, les chorégraphes, les compositeurs, les journalistes et les claqueurs ; dire un mot à celui-ci, adresser un sourire à celui-là, être charmante pour tous, ne fâcher personne sous peine d'entendre un chut prolongé partir d'une baignoire obscure, une cabale se soulever en ondes noires dans un coin du parterre; et à travers tout cela, changer dix
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ou douze fois de costumesdans une soirée, réciter sans se tromper un drame, une partition, des mots et des notes, faire des gestes gracieux ou tragiques, donner à son sein les ondulations appropriées à la circonstance, se rouler échevelée au dénouement en ayant soin de ne pas tacher sa robe... L'article d'où est tiré ce passage a paru dans la Presse du Il août 1845, fragment d'une série consacrée par Théophile Gautier à son ami Gavarni de 1845 à 1847: "les Enfants terribles", "les Actrices de Paris", "les Lorettes", "les Étudiants de Paris". Ces feuilletons ont été rassemblés dans un volume publié en 1883 par G. Charpentier, avec un certain nombre d'autres articles dont le disparate étonne, sous le titre Souvenirs de théâtre, d'art et de critique. Ce fourre-tout s'ouvre bizarrement par "Statistique industrielle du département de l'Ain (la France industrielle, mai 1834), s'achève par "les Fouilles du Mont-Palatin" (1870), passant de l'Histoire de la marine [1835] d'Eugène Sue aux "Bonaparte", des Gladiateurs [1865], roman du Major Wythe Melville [à ne pas confondre avec Herman Melville, l'auteur de Moby Dick et autres chefs-d'œuvre] récemment paru dans sa traduction française, à "Plastique de la civilisation" et "Marionnettes", etc., sélection hétéroclite qui nous permet d'apprécier quelques-unes des multiples facettes d'un talent exceptionnellement ductile. Le Second Rang du collier, p. 135-138. BORGHI-MAMO. Adélaïde Borghi, née à Bologne en 1829, épousa M. Mamo à Malte en 1849. Elle fut l'élève de la Pasta qui l'avait découverte. Son beau contralto lui valut des succès, pendant deux saisons, au Théâtre-Italien de Paris et l'Opéra lui signa un engagement de trois années. Le 12 janvier 1857, elle interpréta le rôle d'Azucena dans le Trouvère, représenté pour la première fois à l'Académie Impériale de musique, dans la version française de E. Pacini, en présence de LL. AA. Impériales. L'année suivante, au Covent-Garden de Londres, Pauline Viardot fut à son tour la bohémienne tragique. «Verdi écrivit pour le Trouvère quelques-unes de ses plus belles pages et à juste titre les plus célèbres. L'air final d'Azucena - Sei vendicata, 0 madre, "Tu es vengée, ô ma mère!" - est saisissant dans sa violence. » (Edgardo Pellegrini, dans l'Opéra.) Le Grand Larousse du X/Xe siècle assure que tout le quatrième acte «a été chanté par Mme Borghi-Mamo comme personne avant elle ne l'avait chanté et comme personne ne l'a chanté depuis.» Mme Borghi-Mamo, qui se fit applaudir en Russie comme en Angleterre, reparut au Théâtre-Italien en 1863. Retraitée, elle s'établit à Florence, mourut dans sa ville natale en 1901. Sa fille, Erminia Borghi, soprano, se produisit elle-même au Théâtre-Italien. La petite comédie aux dépens de Mario à laquelle s'est amusée Borghi-Mamo sous les yeux de Judith montre que Giulia Grisi avait quelque excuse à s'abandonner parfois à des crises de jalousie dont des témoins, comme Houssaye par exemple, racontent qu'elles pouvaient aller jusqu'à des explosions domestiques. Le Collier des jours, p. 261. Le Second Rang du collier, p. 77. BOUILHET, Louis-Hyacinthe (Cany, Seine-Inférieure 27 mai 1822 - Rouen 18 juillet 1869), l'alter ego de Flaubert, fut son condisciple au collège de Rouen avant
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d'entreprendre des études médicales selon le vœu de son père qui avait été le directeur principal des hôpitaux militaires de l'expédition de Russie. Il travailla deux années à l'HôtelDieu de Rouen, sous les ordres du père de Flaubert, chirurgien de renom, puis renonça à la médecine pour se consacrer tout entier aux belles-lettres. Madame de Montarcy, drame en cinq actes, en vers, reçut à l'Odéon, en novembre 1856, un accueil très encourageant. l£l Conjuration d'Amboise, drame en cinq actes, en vers, représenté le 26 novembre 1866 sur le théâtre de la Cour à Compiègne par les artistes de l'Odéon, «eut beaucoup de succès et l'auteur qui était dans la loge impériale reçut de l'Empereur et de l'Impératrice des compliments parfaitement mérités. Plusieurs fois pendant la représentation, le Prince Impérial alla vers lui pour les lui transmettre. C'était pour le jeune prince, peu familiarisé avec les grandes tirades en vers, une agréable occasion de changer de place. Enfin la soirée fut bonne pour Louis Bouilhet, et après le second acte, l'Impératrice, en se retirant dans le petit salon qui précède la loge impériale, lui adressa, en passant près de lui, de flatteuses paroles. » (A. Leveaux, le Théâtre de la Cour à Compiègne.) Cependant Bouilhet était un poète de valeur, précurseur des parnassiens, plus qu'un dramaturge inspiré, malgré une abondante production théâtrale dans la lignée romantique. Sa première œuvre poétique, Melaenis, conte romain, parue en 1851, ilIa dédia à Flaubert et fut lui-même le dédicataire de Madame Bovary, première œuvre publiée de Flaubert en 1856. Dans son rapport sur la Poésie française depuis 1830, Théophile Gautier analyse avec sa bienveillance coutumière Melaenis, les Fossiles (1854), Festons et Astragales (1858.) Dans ce dernier volume, écritil, «Louis Bouilhet se livre à tous les caprices d'une fantaisie vagabonde. En de courtes pièces, il résume la couleur d'une civilisation ou d'une barbarie. L'Inde, l'Égypte, la Chine, peintes avec quelques traits caractéristiques, y figurent tour à tour dans tout l'éclat de leur bizarrerie. Les sujets modernes semblent moins favorables à la verve du poëte, quoique Festons et Astragales contiennent quelques pièces personnelles d'un tour vif et d'un sentiment exquis. » - «Louis Bouilhet, selon P. Martino, est un bon exemple de la curiosité des poètes, vers 1850, pour l'érudition antique et orientale. [...] Sa probité artistique fut extrême: comme Flaubert il visait à la perfection absolue de la fonne par le travail. Il apprit le chinois afin de recevoir des poètes d'Extrême-Orient le secret de rythmes nouveaux et de réalisations plus difficiles. Tout son effort a tendu comme celui de Flaubert
à augmenterla puissanceharmonieusedes mots. » Au jeune Guy de Maupassant, le filleul intellectuel de Flaubert, il ne cessait de répéter qu'une centaine de vers suffisent à la réputation d'un artiste s'ils sont irréprochables et s'ils contiennent l'essence de son talent et de son originalité. Il y avait entre Flaubert et Bouilhet, ces deux fort Normands, contemporains à cinq mois près, non seulement une sorte d'identité intellectuelle, mais une ressemblance physique, un maintien, un comportement pareils, bref un air de famille et d'aucuns en ont profité pour mettre en doute l'irréprochable vertu de Mme Flaubert mère. Pourtant, «je dois le dire, la mère de Flaubert n'avait pas du tout la physionomie d'une bourgeoise qui a fait son mari cocu.» C'est Edmond de Goncourt qui nous apporte ce témoignage visuel, d'une valeur générale heureusement contestable. Flaubert et Bouilhet, joyeux compères, alors jeunes, fougueux, expansifs, exempts de scrupules importuns, vécurent ensemble des expériences intimes; leur correspondance en fait foi, dont Michel Larivière, dans À poil et à plume, nous donne un exemple si salace que nous n'osons le copier ici. Un poste de directeur à la bibliothèque municipale de Rouen assurait médiocrement l'existence de Bouilhet quand il mourut à moins de cinquante ans. C'était un
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homme au cœur pur, «pur de toute agression, de toute haine, de toute ambition, assure Banville, n'ayant été mêlé à rien de ce qui rapetisse les âmes ». Tout le monde aimait le brave Bouilhet. Le Second Rang du collier, p. 183,266-269. BOUILLET, Marie-Nicolas (1798-1864). Ce lexicographe a publié plusieurs ouvrages importants. C'est sans doute le Dictionnaire universel d'histoire et de géographie, paru en 1842, qui servait de pupitre à Gautier. On sait que celui-ci était un lecteur boulimique. « Il lisait toute la nuit, assure Bergerat, et, pour se reposer, la journée entière, quand il ne sortait pas, se passait pour lui en lectures. » Aussi, favorisé par sa mémoire phénoménale, avait-il acquis des connaissances encyclopédiques. Aucune spécialité ne le rebutait tant il était amoureux des mots, du mot propre, du mot juste, fût-il rare. « ... les mots! a-t-il écrit, Joubert les estime à leur vraie valeur, et les compare à des pierres précieuses qui s'enchâssent dans la phrase comme le diamant dans l'or. Ils ont leur beauté propre, connue des seuls poètes et des fins artistes.» (Journal officiel, 25 juin 1870.) Son vocabulaire était immense, puisé dans toutes sortes d'ouvrages didactiques, manuels, lexiques, glossaires, dont regorgeait sa bibliothèque. Banville fit référence à cette remarquable érudition dans son discours du 25 juin 1875 à la mémoire de son vieil ami. «Il se rattache à Rabelais par sa puissante envergure, par son respect pour l'esprit et pour la chair et surtout par sa science universelle, car aucune notion ne lui fut étrangère, ni la technique d'aucun art; et si quelqu'un recréa, renforça, revivifia notre poésie et notre prose, toutes les deux malades, énervées et anémiques, ce fut surtout Théophile Gautier qui, sachant qu'on peint avec de la couleur et non avec du sentiment et de la bonne volonté, eut le courage d'étudier les religions, les philosophies, d'apprendre tous les dictionnaires, tous les patois, les mots spéciaux de tous les métiers, et de reprendre en sous-œuvre, sans orgueil et aussi sans infériorité, la tâche gigantesque du père de Pantagruel, de l'Homère français.» (Cité par Bergerat, Théophile Gautier, "Derniers moments".) Le Second Rang du collier, p. 228. BOULE - on écrit aussi Boulle - André-Charles (1642-1732), «architecte, peintre, sculpteur en mosaïque, artiste ébéniste, ciseleur, marqueteur, inventeur de chiffres» selon son brevet professionnel, fut au surplus nommé en 1672 graveur ordinaire des sceaux royaux. Le Roi-Soleil appréciait à leur valeur les mérites des artisans qui honoraient son règne: ils valurent au maître ébéniste, fameux dans toute l'Europe, la rare faveur d'un logement au Louvre. D'une grande perfection technique et artistique, les meubles sortis des ateliers de Boule - mobilier lourd, mais aussi pendules, écrans, écritoires, objets de décoration - sont ornementés à profusion et de toutes les façons imaginables, bois précieux, incrustations de cuivre, nacre, écaille, ivoire... On pasticha beaucoup les meubles de Boule sous le Second Empire. Peu d'amateurs ont de nos jours la bourse assez rebondie pour s'offrir un Boule authentique. Le Second Rang du collier, p. 32.
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BRAGA, Gaetano (1829-1907) que son grand ami Barbey d'Aurevilly - il lui envoyait ses œuvres avec des dédicaces chaleureusement flatteuses - appelait "l'homme des Abbruzzes", se trouve ainsi croqué par Goncourt au cours d'une soirée de musique chez la princesse Mathilde, en présence de Gounod "au masque de philosophe cynique": «Un curieux tableau que la tête du bon polichinelle de Braga, toute branlante contre le manche de son violoncelle, comme une tête de polichinelle sur la rampe d'un guignol.» C'était le 28 mai 1890, une semaine tout juste après une exhibition de danseuses japonaises. « De vraies soirées de gala que les soirées du mercredi, autrefois si intimes!» Goncourt rencontre aussi, rue de Berri, un autre fidèle de la princesse, violoniste fort apprécié sous le Second Empire, compositeur et musicographe, Eugène Sauzay. A. Augustin-Thierry cite Sauzay parmi l'équipe de professeurs auxquels l'altesse, consciente des lacunes de son instruction, avait demandé de remédier; Jules Zeller, par exemple, recommandé par SainteBeuve, lui faisait quotidiennement un cours sur l'histoire contemporaine; Sauzay lui enseigna le peu qu'elle sut du piano et tenta de lui enseigner les rudiments de son art, mais ses efforts furent impuissants à réformer le goût de son élève pour les flonflons. « Qui nous sauvera de la grande musique? demande-t-elle un jour, devant l'Opéra, à Arsène Houssaye, alors directeur du Théâtre-Français. - Moi, je donne des tragédies, Princesse, c'est encore plus endormant! » (Ferdinand Bac, la Princesse Mathilde.) Reynaldo Hahn dira bien plus tard à l'Université des Annales, non sans quelque exagération, que la musique sérieuse ne tenait aucune place rue de Berri: «De temps en temps, on ouvrait le piano, ce qui n'était pas une petite affaire, car il fallait le débarrasser de cent objets massifs et enlever de nombreuses draperies qui le recouvraient, comme le tombeau d'un sultan. Puis l'on demandait à la bonne Mme Conneau de chanter la Sérénade de Gounod, ou la Chanson ancienne de Sauzay, que cet allègre vieillard accompagnait au violon avec des pizzicati vigoureux. Très rarement, Diémer ou quelque autre virtuose jouait un petit morceau, et c'était tout.» Lui aussi conférencier aux Annales, Abel Hermant raconta à ses auditrices comment, présenté à la princesse par le comte Joseph Primoli - arrière-petit-fils de Lucien Bonaparte, le frère cadet de Napoléon 1er-, il eut un jour, rue de Berri, l'occasion d'entendre « un de ces orchestres napolitains en habit rouge et en pantalon blanc, qui exécutaient les chansons populaires de leur pays. La Princesse les avait fait venir sans doute par pure bonté; on les avait relégués le plus loin possible, et invités à ne pas troubler les conversations par trop de bruit...» Lorsqu'ils commencèrent à ranger leurs instruments, Hermant vit la princesse Mathilde s'avancer dans le salon vide. «Elle ne jugeait pas suffisante la gratification qu'elle avait fait remettre aux Napolitains et voulait y ajouter un remerciement. Elle vint jusqu'au pied des marches, et dit à ces braves gens deux ou trois phrases en italien. [...] Puis [...] elle leur fit coup sur coup plusieurs courtes révérences avant de s'en retourner, du même pas lent et majestueux, vers ses invités.» Jolie leçon de courtoisie! Voici encore quelques "Notes" du Journal d'un musicien de Reynaldo Hahn,
tout jeune mais déjà mordant: « Hier, dîner chez la princesseMathilde. » Il énumère: la comtesse de V..., «vieille dame d'intelligence limitée », égérie de Charles Yriarte (il écrit: Iriarte) « pontifiant et satisfait », le vieux comte Benedetti, sourd, Mme de Galbois «dont l'esprit, plus que jamais, flottait dans le néant, la nerveuse Rasponi, Marcel et moi.» Marcel, c'est Marcel Proust, son amant d'alors. «Le père Sauzey [pour Sauzay], vieillard plein de verve et d'amabilité, m'a parlé de musique d'une façon intéressante et de Chopin avec une admiration affectueuse. » Poursuivons: «La conversation, pendant près
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d'une heure, a roulé sur le chant; ce qu'on a pu dire de niaiseries est inconcevable. La princesse, pourtant, était amusante avec ses indignations contre les chanteuses "dont les veines du cou se gonflent", contre "l'air endormi" que gardent dans la vie les abonnés du Conservatoire, etc. Elle émet des opinions d'une simplicité fruste [il veut dire rustique] avec une bonhomie bourrue.» Quoi qu'il en fût de ses préférences personnelles, docile à la mode, depuis son mariage jusqu'en 1870 la princesse Mathilde avait donné de somptueuses fêtes aux dilettanti sincères ou affectés. Rue de Courcelles, on avait applaudi tour à tour les plus belles voix du moment, Louis Lablache et Duprez, Pauline Viardot, Mme MiolanCarvalho, en attendant Gabrielle Krauss, la Patti ou Christine Nilsson; Liszt s'y fit entendre, Gounod, Saint-Saëns, Massenet y dirigèrent leurs œuvres. À la Belle Époque, des amateurs très éclairés, comme les Edmond de Polignac, les Saint-Marceaux, la marquise de Saint-Paul et quelques autres providences des compositeurs et de leurs interprètes maintinrent avec munificence dans leurs salons les rituels de la grande musique. Le Second Rang du collier, p. 78. BRANDUS, Louis (t 1887), racheta en 1846 à l'éditeur de musique Maurice Schlésinger, fondateur de la Gazette musicale, sa maison de commerce et son magasin, rue de Richelieu, à Paris. Au cours de son deuxième séjour en France financé par Liszt, Wagner y rencontra son confrère allemand Meyerbeer - début de juin 1849 - avant de fuir, à Rueil, près de la Ferté-sous-Jouarre, l'épidémie de choléra qui sévissait alors dans la capitale. Le 16 mai précédent, un mandat d'arrêt avait été lancé contre Richard Wagner, maître de la chapelle de la Cour, pour sa participation au mouvement insurrectionnel de Dresde, la capitale saxonne où il s'était installé en 1842 avec Minna, sa femme. La Maison Brandus édita en 1883-1884 les cinq Sérénades d'Augusta Holmès, écrites peu avant la rupture définitive de sa longue liaison avec Catulle Mendès. Le catalogue des œuvres d'Augusta Holmès (avant 1867 sous le pseudonyme de Hermann Zenta), dressé par Gérard Gefen, ne compte pas moins de 176 numéros (beaucoup d'inédits) qu'il classe suivant ces rubriques: musique instrumentale, œuvres pour solistes, chœurs et orchestre, pièces vocales avec accompagnement divers, pièces à plusieurs voix avec accompagnement de piano, mélodies pour voix seule et piano. Opus 108 : le célèbre Noël, gravé par L. Grus en 1884, "chanson populaire" diffusée par Henri Lemoyne & Cie: «Trois anges sont venus ce soir / M'apporter de bien belles choses; / L'un d'eux avait un encensoir, / L'autre avait un chapeau de roses / Et le troisième avait en main / Une robe toute fleurie / De perles d'or et de jasmin / Comme en a Madame Marie. / .../ Retournez au ciel, / Mes beaux anges, à l'instant même; / Dans le ciel bleu / Demandez à Dieu / le bonheur pour celui que j'aime! » Paroles et musique de Holmès. César Franck en utilisa la mélodie dans un choral, hommage à celle qui fut, tardivement, son élève en composition et se dit toujours son disciple. « Ce Noël qui chante dans toutes les mémoires, si joliment empreint de grâce naïve et pastorale», écrit René Pichard du Page, et Reynaldo Hahn qu'il cite dans son étude sur la musicienne versaillaise: «Ce don si rare de l'accent populaire, peu de musiciens l'ont eu à l'égal d'Holmès, et c'est à lui qu'elle devra l'immortalité véritable, celle [...] qui survit au nom même qu'elle a illustré. » En effet, les compositions orchestrales de Holmès, fougueuses, déclamatoires, tonitruantes - «Par Hécate, supplie l'ami indéfectible, l'ancien soupirant Saint-Saëns à l'occasion des Argonautes (1880), par le cœur et le sang des
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victimes, de grâce, une autre fois, un peu moins de trompettes! » - ces Odes, ces Hymnes, ces Suites lyriques et symphoniques reposent sur les rayons des bibliothèques musicales sans espoir de réveil malgré le succès remporté à leur création. Augusta possédait la fibre héroïco-patriotique qui plaisait alors et elle voyait grand. Exemple, l'Ode triomphale en l' honneur du Centenaire de 1789 - quatre exécutions sur un gigantesque théâtre agencé tout exprès dans le Palais de l'Industrie
-
mobilisa
plus de douze cents personnes,
chœurs et
orchestre. Des quatre opéras d'Augusta, seul fut représenté au Palais Garnier la Montagne noire, avec des interprètes parmi les meilleurs: MM. Alvarez, Renaud,..., Mmes Bréval, Héglon,... ; douze représentations du 8 février au 26 avril 1895, œuvre favorablement accueillie par le public, assassinée par la critique. Reyer écrivait dans le Journal des Débats: « Franchement, nous ne souhaitons pas ouvrir les portes de nos théâtres et de nos opéras à des femmes auteurs. » En contrepoint à cette loyale déclaration d'hostilité, une
remarquedéfinitivede Schopenhauer: « La femme n'a ni le sentiment ni l'intelligence de la musique: ce n'est chez elle que pure singerie. » Ceci dit dans le sens indiqué par Joseph de Maistre: «Les femmes qui veulent faire les hommes ne sont que des singes. » Mélomane vigilant, «Loti cite, parmi les compositeurs chantés dans les harems au début de notre siècle, Wagner, Saint-Saëns, Chaminade, Augusta Holmès. Il connaissait bien cette dernière [...], il avait déchiffré ses mélodies. En juillet 1899, il la remercie: "J'ai chanté les exquises choses que vous m'avez envoyées, et je les aime tellement qu'il me semble, quand je les chante, que ma voix devienne beaucoup plus vibrante et plus douce" » (Loti en son temps - Colloque de Paimpol, 1994), cette voix qu'il souhaitait cultiver avec le baryton Maurice Renaud ci-dessus nommé. Chez Alphonse Daudet, il chante des mélodies de Schubert, de Grieg, à moins que des invités ne reprennent en chœur l'himéné tahitien ou le gwerziou breton dont il les régale. Goncourt commente l'une de ces soirées: «Loti [...] chante jusqu'à minuit, accompagné sur le piano par Mme Daudet, chante, en faisant des effets de cuisse rocaille, des chansons bretonnes qui ont l'air du Dies irae sur le biniou. » (Journal, 3 avril 1892.) Léon Daudet a raconté à plusieurs reprises ces soirées musicales chez ses parents. On voit passer à Champrosay Felia Litvinne, alors en puissance d'époux, « qui chantait la mort d'Y seult avec cette puissance vocale qui fait trembler les cristaux des candélabres et semble devoir se propager avec le temps, sous forme d'ondes chroniques gravitantes », Emma Calvé, «accompagnée par Massenet, qui avait la coquetterie, lui, l'auteur de Manon, de jouer des morceauxentiers de Carmen.. » Et voici Mme Holmès, magnifique au piano,..., accompagnée de son vieux et fidèle ami Glaser qui l'admirait respectueusement et l'appelait "la Déesse". Elle chantait avec emportement, d'une voix profonde et déchirante, ses pathétiques compositions légendaires ou irlandaises. Elle chantait toutes baies ouvertes en été, sans souci d'érailler son "diamant"; et son style bien à elle, captivant, dominateur, donnait l'impression de la Sirène. [...] Ses expériences, ses désillusions, les amertumes et les ardeurs de son existence passaient par son contralto dramatique, mêlées aux plaintes lointaines des noyés, aux sifflements de la tempête. Le démon de Bayreuth l'avait marquée de son empreinte, mais en lui laissant son originalité d'océanide, de fille véhémente de l'air et de l'eau. Quand elle se taisait, les ondes sonores mettaient quelques minutes à s'apaiser. Elle se retournait, souriant de ses traits réguliers, empâtés, implacables, et laissait sur le piano une main, belle encore, où brillait une pierre glauque. Alors on entendaitun bruit bizarre, qui tenait du gloussement et du hennissement. Le papa Glaser manifestait ainsi son enthousiasme. (La Femme et l'amour. - Fantômes et vivants. )
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«Un drôle de bonhomme que ce Glaser, écrit Goncourt le 25 août 1895, traducteur aux Affaires étrangères... », enthousiaste de Holmès «en tout bien tout honneur », père légitime d'un fils «beau comme Antinoüs qui est le secrétaire de Péri vier. .. » Dans la Légende du Parnasse contemporain (1884), Mendès raconte la visite que fit chez lui, dans sa misérable chambre de l'Hôtel du Pérou, dit du Dragon-Bleu, près de la rue Dauphine, Emmanuel Glaser, poète hongrois, venu lui présenter François Coppée: Je l'avais rencontré, dit-il, « cinq ou six mois auparavant, pendant un voyage dans le duché de Bade, sur les bords du Neckar, par une nuit d'été. Vagabond, il suivait la rive du fleuve en chantant des chansons de son pays d'où il était venu à pied, - une sorte de Glatigny madgyare, - et nous nous étions liés tout de suite. Les pauvres diables ont de ces sympathies; il me disait des vers de Petoeff Sandor, je lui récitais des odes de Banville! Plus tard, à Paris, où j'ai eu
l'honneur de traduire son premier livre de vers, nous nous étions retrouvés... » Mendès l'introduisit au National où il assura, à partir d'octobre 1869, la rubrique de politique étrangère. De Bayreuth, le 26 juin 1874, Cosima Wagner écrivait à Judith, la congratulant de sa séparation d'avec Catulle: «Depuis l'institution du mariage, je ne crois pas qu'une femme se soit séparée de son mari pour d'aussi bonnes raisons, ni d'aussi belle façon; je trouve parfait que vous soyez demeurée au logis et que Mr. M. ait eu à s'en aller, non vous, c'est bien plus convenable ainsi [.. .]. Je vous félicite aussi, en seconde ligne, de vous être débarrassée du pigeon crasseux Glaser... »La Vie Heureuse du mois d'août 1908 publie cet entrefilet: «Ph. E. Glaser. Le Mouvement littéraire. Ne Volume 1907. (Ollendorf et Cie, éditeurs.) M. Ph. E. Glaser publie pour la première fois l'excellent répertoire des livres de l'année qu'il forme de ses chroniques de Figaro. Ce petit ouvrage, très complet, sera extrêmement utile à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'esprit... » André Theuriet, familier d'Augusta Holmès depuis sa triomphante jeunesse, la décrit dans Mademoiselle Guignon (1874) sous les traits de Mira Strany, cantatrice hongroise hautaine, fantasque, assoiffée "de domination, de gloire, d'applaudissements" et parfaitement cruelle avec les malheureux épris de sa beauté: «Les hommes, disait-elle, veulent être asservis; plus on leur appuie le pied sur le front, et plus ils nous adorent. » À la fin de sa vie, Augusta Holmès tirait de ses leçons de chant et de piano le plus clair de ses revenus et déclarait avec
humour: « Les leçons, c'est le pain, les mélodies, ce sont les côtelettes. » Superstitieuse, elle portait au doigt une améthyste qu'elle ne quittait jamais. «Lorsque cette pierre se détachera de l'anneau, aurait-elle dit, ma dernière heure sera proche.» La pierre tomba. Quelques jours plus tard, le 23 janvier 1903, victime d'une crise cardiaque, Augusta Holmès, protestante convertie sur le tard à la religion catholique, rendit son âme à Dieu. Elle est enterrée à Versailles, légataire de sa bibliothèque et de ses œuvres. Lors des obsèques, précise Gérard Gefen, biographe de Holmès, Saint-Saëns « exécuta une paraphrase de la première mélodie de son amie: la Chanson de chamelier. Sur le monument érigé à sa mémoire au cimetière Saint-Louis qui est dû au ciseau d'Auguste Maillard, il fit graver ces deux vers d'Augusta: "La gloire est immortelle et la tombe éphémère; / Les âmes ne font point d'adieu.. ." » Le Second Rang du collier, p. 119. BRUNSWICK, Charles-Frédéric-Auguste-Guillaume, duc de (Brunswick 1804 Genève 1873). Son père avait trouvé la mort tout près de Waterloo, en 1815, et il perdit sa
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mère quelque temps plus tard. Une enfance ballottée, une éducation décousue expliquent pour une part les fâcheux aspects de ce personnage caractériel. Affichant des mœurs déréglées, suscitant le mépris par un comportement insupportable, au Brunswick qu'il gouverna à partir de sa majorité, en 1823, il se rendit très vite impopulaire, puis odieux. Après une révolution qui mit sur le trône ducal son frère cadet Guillaume, il se réfugia en 1830 à Paris. Il y fit construire dans le quartier Beaujon, pour la plus tapageuse de ses maîtresses, une amie d'Alice Ozy, la danseuse soi-disant espagnole Lola Montès (née à Limerick, Irlande, en 1818, morte à New York en 1861), son fameux hôtel rose qu'il faisait de temps en temps repeindre en d'autres couleurs, au gré de ses caprices. Pour garder ses fabuleux trésors, outre une meute de dogues, il avait requis les services d'effrayants Nubiens. « Son jardin était clos de grilles dont les barreaux tournant sur un axe, mettaient en branle à la moindre alerte tout un système de sonneries », nous apprend André Billy dans sa Vie de Balzac. Résidant fréquemment en Angleterre et sujet au mal de mer, il revint un jour de Londres en France à bord d'un ballon de Nadar, ce qui parut une excentricité nouvelle. Dans son roman le Crépuscule des Dieux (1884), Élémir Bourges s'inspira de cette bizarre personnalité pour raconter la déchéance d'un petit potentat allemand, Charles d'Este, duc de Blankenbourg, et de sa famille. La référence à Wagner et à son œuvre est constante dans ces pages amères où noirceurs, scélératesses, brutalités, perversités, dépravations passent les limites du vraisemblable. À Bayreuth, le 17 août 1876, le duc de Blankenbourg, vieilli, poussif, - le duc du roman - assiste à la création du Crépuscule des dieux, dernière partie de la Tétralogie, sous la direction de Hans Richter; il s'assoupit et médite dans un demisommeil, récapitulant ses malheurs Ainsi, cette race superbe qui avait tenu autrefois l'Allemagne entière sous son joug, et brillé par les plus grands hommes en tous genres, des rois, des empereurs, des saints, finissait dans un abîme de boue sanglante, avec des bâtards, des incestueux, des voleurs et des parricides. [...] Au milieu du profond silence,une marche solennellese déroulait, la marche de la mort des Dieux, car le héros Siegfriedvenait d'être tué, et tous les Dieux mouraient de cette mort. Et le Duc écoutait, stupéfait, cette lamentationfunèbre, qui l'étonnait par une horreur et une majesté surhumaines.Il lui semblait qu'elle menait le deuil de ses enfants, le deuil de lui-même, et le deuil des Rois, dont il voyait l'agonie en quelque sorte, et le crépusculede ces Dieux. Le 18 mars 1884, Edmond de Goncourt écrit à l'auteur de cette fresque lyriquement et tragiquement sinistre: « Je viens de lire le Crépuscule des Dieux et je vous dirai que cette lecture m'a donné sur les personnages modernes que vous faites revivre une sorte de vision shakespearienne; une vision qui m'a pris et charmé par quelque chose de la grandeur folle et de la fantaisie démoniaque des rois et des princes du merveilleux imaginateur anglais.» Le duc de Brunswick - le vrai, le réel -, chassé de France par l'invasion prussienne, se réfugia à Genève, dont il fit l'héritière de sa fortune, si considérable qu'il n'était pas parvenu à la dilapider complètement en dépit de ses extravagances. Le Second Rang du collier, p. 292-294. Burgraves (les), drame historique de Victor Hugo. Le château rhénan de Hepenheff, dans lequel se réunissent les pairs et les vassaux du burgrave, "plein de clairons, de chansons et de huées", est devenu un lieu de débauches et de ripailles. «De mon temps, dans nos fêtes, / Quand nous buvions, chantant plus haut que vous encor, / Autour d'un bœuf entier
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posé sur Ull plat d'or... » Ainsi s'exprinle l'aïeul Job, le burgrave chenu, haranguant les jeunes barons cruels et dissolus rassemblés dans l'ancienne galerie des p011raits seigneuriaux. Les Burgraves de Victor Hugo et la Lucrèce de François Ponsard furent mis en répétition dans l'hiver de 1843. Par réaction antiromantique, on faisait le plus grand éloge de Lucrèce pour Inieux démolir la pièce de Hugo et provoquer sa chute. «Inquiets pour les Burgraves, écrit Gautier dans son Histoire du romantisme~ Vacquerie et Meurice allèrent demander à Célestin Nanteuil trois cents Spartiates ~:éterminés à vaincre ou à mourir plutôt que de laisser franchir les ThclTI10pyles à l'armée barbare. Nanteuil secoua sa longue chevelure toute crespelée et tout annelée d'un air profondément mélancolique, et répondit en soupirant à Vacquerie qui avait pOl1éla parole: "Jeune homme, allez dire à votre maître qu'il n'y a plus de jeunesse! Je ne puis fournir les trois cents jeunes gens." Bien des années s'étaient écoulées déjà depuis les belles soirées d'Hernani, où toute la jeunesse semblait se ruer d'un seul élan vers l'avenir, ivre d'enthousiasme et de poésie... » En avril 1843, faute des trois cents braves, les Burgraves sont copieusement conspués au Théâtre-Français, tandis que Lucrèce triomphe à l'Odéon et que ses partisans nonlment l'honnête Ponsard chef de l'École du bon sens. Sainte-Beuvedécrète.: « Les Burgraves,c'est puéril et gros... » et le Inarquis de Custine: «'fout est faux dans cette pièce, l'I-listoire, l'art dramatique, le cœur humain~ les caractères, la conception, le style. Enfin rien n'est ce qu'il devrait être: et cependant l'ouvrage n'est pas commun; une certaine sève de génie coule dans les vers et nIontre ce que l'auteur aurait pu faire dans un plus beau siècle; c'est une cristallisation d'eau trouble. » Une comète venait de traverser le ciel parisien et le Charivari s'amuse: «Hugo, lorgnant les voûtes bleues, I Au Seigneur demande tout bas / Pourquoi les astres ont des queues / Quand les Burgraves n'en ont pas.» (Légende d'une lithographie de Laurent Jan.) Pour Heine, méprisant, les Burgraves, c'est de "la choucroute versifiée". Les deux hommes ne-s'estimaient guère et, une amabilité en valant une autre, Victor Hugo écrira un jour: « Henri Heine, Allemand et cul-de-jatte. Des ailes dans l'esprit; l'envie et la haine dans la Golonne vertébrale. Desinit in JJ10nstrum.» i\pr~S le four des Burgraves, Hugo n'écrivit pJus jamais pour la scène. Pour Je centenaire du poète national. .. ce siècle avait deux ans..., la Comédie-Française, sous la direction de Jules Claretie, remonte les Burgraves. Le 26 février 1902, ~1me Julia Bartet - à près de cinquante ans et plus que janlais divine remporte un trioniphe dans le rôle de la douce Régina: «Elle est exquise de pureté et de jeuncsse et sa présence met une note claire dans ce sombre drame tout bruissant du fracas des épées géantes et des farouches ambitions. Décoratifs et nlugissants~ Mounet-Sully et son frère Pau], sociétaires de longue date, font naturellenlent partie de la distribution. Le troisième acte achevé, on couronne de laurier un buste- de Victor Hugo dû an ciseau de 1\1.Falguière. Deux muses, personnifiées par Mmes Bartet et Segond-Weber, l'une tout en blanc, l'autre tout en noir, récitent des poèn1es du grand disparu. Enfin, exécution de la Alarseillaise pour parachever l'apothéose. Jean Hugo rapporte que sa grand-tante Adèle assistait au spectacl~, « mais on ne nous la nlontra pas. [...] Revenue de la Barbade en 1872, [elle] vivait dans une Inaison de santé, à Suresnes. Quand mon père lui rendait visite, elJe confondait les générations et le prenait pour Charles flugo, son frère. Elle ne donnait guère d'autres signes de déraison. Ell~ allait souvent au concert avec sa dame de compagnie... » - (, À l'issue de la représentatjon, les petits-enfants de Victor Hugo, "Georges et Jeann~" (M. Georges Hugo et MUle Jean Charcot) offrent un souper aux artiste~ de la Comédie-Flançaise et de l'Odéon) dans l'hôtel de M. Charcot, rue de )j
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l'Université. » (Albert Dubeux, Julia Bartet.) Léon Daudet avait conservé le souvenir de ces fêtes du centenaire hugolien et de la reprise des Burgraves, "chute noire": «Ce fut la panique de l'ennui. Si le drame ne s'acheva pas "au milieu des huées", comme le burg qui fait son décor, c'est parce que le public avait fui. Seul, au milieu de l'orchestre, debout, tel un vieux cacatoès en larmes et alarmes, Mendès battait des ailerons et acclamait les infortunés acteurs, qui revinrent ainsi le saluer, lui seul, trois fois. C'était beaucoup pour un
unique pochard. » (Parisvécu.) Il convient de toujours lire Léon Daudet- dans la louange ou l'éreintement - avec la plus vigilante circonspection! Un quart de siècle plus tard, le 24 février 1927, à l'occasion d'un gala au profit de la Fondation Victor Hugo, le Palais Garnier affichait les Burgraves, drame lyrique en quatre actes tiré de l'œuvre du poète, musique de Léo Sachs, sous la baguette de Paul Paray. Suzanne Balguerie, soprano préféré de Gabriel Pierné, brillante interprète des héroïnes wagnériennes, incarnait ce jour-là Guanhumara, l'effrayante sorcière imaginée par Hugo. Le Second Rang du collier, p. 306. CABANEL, Alexandre (Montpellier 1823 - Paris 1889), le peintre "pompier" par excellence du Second Empire, en grande faveur aux Tuileries, membre de l'Académie des Beaux-Arts en remplacement d'Horace Vernet, commandeur de la Légion d'honneur en 1884. Le 21 avril 1875, Goncourt dîne avec lui chez la princesse Mathilde: «Je ne l'aime pas, cet homme, avec sa petite moustache grise frisottée, qui ressemble à une moustache de vieux chat. Il a dans la physionomie quelque chose de perfide, et une élégance presque gandine s'allie mal à sa tournure de garçon étalier. Il est à la fois commun et prétentieux. » Et allez donc! Cabanel peignit de vastes machines pseudo-historiques, comme l'effarante «Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort» (1887, à Anvers), et mythologiques, comme «la Naissance de Vénus» (1863, musée d'Orsay, à Paris). La déesse de l'Amour, parfaitement rose et poncée, s'offre tout de son long à nos concupiscences, ourlée d'écume, bercée par les flots bleus sous un vol de chérubins joufflus. En 1879, William Bouguereau, également inspiré par l'académie féminine, exposera lui aussi une « Naissance de Vénus» ; ilIa verra voguant vers nous dans une coquille nacrée, verticale et non plus horizontale, un peu moins rose mais tout aussi consentante aux outrages. Zola trouvait à la Vénus de Cabanel des airs de lorette en pâte d'amande, d'ailleurs délicieuse à son goût. De Cabanel, le Musée d'Orsay possède également le très beau portrait (1873) de la comtesse Keller, devenue plus tard, après son divorce, marquise de Saint-Yves d'Alveydre par son mariage avec le fameux théosophe et occultiste Laurent Saint-Yves, d'ascendance bretonne, marquis par décret papal. Passionné par les expériences spirites, il rendit visite, dans son refuge de Jersey, à Victor Hugo, initié en septembre 1853 par Mme Émile de Girardin aux techniques encore mal connues des tables tournantes, découverte récente des salons parisiens. De la comtesse Keller, Polonaise de grande allure, née Marie-Victoire de Risnitch, nièce d'Éveline Hanska par sa mère Rzewuska, :Édouard Schuré loua "l'esprit supérieur", n'hésitant pas à l'inscrire dans la valeureuse cohorte des Femmes Inspiratrices qu'il chanta lyriquement. Schuré (Strasbourg 1841 - Paris 1929), avocat de formation, écrivain polygraphe d'une immense culture, est connu surtout, de nos jours, par un ouvrage paru en 1889 et fréquemment réédité, les Grands Initiés, une esquisse de l'histoire secrète des religions. Judith le rencontra à Munich, durant l'été de 1869, le jour
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même où elle fit la connaissance de Liszt, chez une amie très chère de Cosima von Bülow, la gracieuse comtesse Schleinitz, femme du ministre de la Maison royale de Prusse. Elle y remarqua, dit-elle dans le Troisième Rang du collier, « la belle tête d'Édouard Schuré à l'air inspiré, un peu absent» . Wagner appréciait ce fervent admirateur: «J e déteste les Alsaciens, excepté le seul Schuré, qui a reçu mon absolution absolue.» (Lettre aux Mendès, 12 décembre 1873.) Au cours de ce séjour munichois, les Mendès, Villiers de l' Isle-Adam, Hans Richter, autre wagnérien inconditionnel - il deviendra l'un des meilleurs chefs d'orchestre de son temps -, inopportunément tombé amoureux d'Augusta Holmès alors en coquetterie avec l'abbé Liszt (Qu'en pensait Catulle, amant encore secret de la belle ?) et Schuré se réunissaient le soir pour jouer des charades chez Franz Servais (SaintPétersbourg 1846 - Asnières 1901), compositeur, autre wagnérolâtre, qui passait pour le fils de Liszt... on prête beaucoup aux riches! Par suite du mariage de sa sœur aînée avec Cyprien Godebski, Servais se trouva devenir l'oncle de Misia aux trois mariages, admirée, toute jeune pianiste, par Liszt et par Fauré, Misia, la grande amie de "Coco" Chanel, l'égérie de Serge Diaghilev, « la seule femme au monde, disait-il, que j'aurais pu aimer», Misia à laquelle Ravel dédia sa Valse fameuse et qui eut un jour l'occasion d'applaudir, en une représentation privée de la Walkyrie, les marionnettes de Judith comme l'a raconté Pierre Louys, en juin 1894, dans la Revue Blanche des frères Natanson. De même que Judith, de même que Catulle, Schuré paiera son tribut au maître vénéré en consacrant à sa vie et à son œuvre un Richard Wagner paru en 1875. Judith lui enverra son Troisième Rang du collier (réédité en 1943 par le Mercure de France sous le titre: Auprès de Richard
Wagner.Souvenirs 1861-1882), « où se reflètent et se jouent, répondra Schuré, les couleurs merveilleuses de votre âme... » Il qualifiera de «vrai tour de force la fidèle et lumineuse traduction de Parsifal» qu'elle ne manqua pas non plus de lui adresser. Schuré fut, avec Paul Bourget, l'un des cinq membres français de la Gobineau Vereinigung, association fondée en 1894 à Strasbourg - elle sera dissoute en 1919 - pour sauver la mémoire du comte Arthur de Gobineau (décédé à Turin le 13 octobre 1882), écrivain, philosophe, voyageur, diplomate de carrière, «le plus grand méconnu du XlXe siècle» (Jean Mistler, cité par Jean Boissel), toujours accueilli à bras ouverts par les Wagner à Bayreuth, dans le confort feutré de la Villa Wahnfried (traduction incertaine: Illusion de la paix ou Apaisement des illusions ?). Sur la demande de Cosima, Judith s'occupera de savoir si un éditeur accepterait d'envisager une réimpression de l'Essai sur l'inégalité des races, épuisé chez Firmin-Didot, et Gobineau se dira pénétré de reconnaissance pour ses bontés. Adepte œ Schuré, lecteur d'Éliphas Lévi, Gustave Moreau à l'esthétisme fin-de-siècle, épris de modèles délicieusement androgynes, se rangeait lui-même parmi les Grands Initiés. Jean Lorrain célébra ses «étincelantes aquarelles... où s'érigent, pareilles à de grands lys gemmés, de sveltes Salomés ruisselantes de pierreries ». De son atelier, 14, rue de La Rochefoucauld à Paris - une voie qui faisait frontière entre la Nouvelle Athènes et le quartier Saint-Georges -, essaimèrent nombreux ceux qui furent les Fauves; Surréalistes et Abstraits se réclamèrent de ce visionnaire. Judith, peu suspecte de modernisme et qui ne goûtait guère les Impressionnistes, manifesta un véritable engouement pour Moreau, homme d'ailleurs très secret, ennemi du tapage, répugnant à la publicité, assez misogyne pour déclarer: «L'intrusion sérieuse de la femme dans l'Art serait un désordre sans remède.» En 1866 déjà, dans la Gazette des Étrangers, en 1876 dans le Rappel, commentatrice du Salon, Judith avait analysé ses impressions face aux œuvres du peintre
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symboliste. À Robert de Montesquiou, ami de Moreau, elle écrivit qu'ayant enfin rencontré l'artiste en personne, elle l'avait jugé « absolument délicieux ». Elle lui envoie ses livres avec de chaleureuses dédicaces, par exemple [skender (1886): «À mon très admirable ami Gustave Moreau». Elle recommande à son attention de jeunes peintres méritants, dont René Gérin, amoureux effarouché de sa mûrissante protectrice à laquelle l'avait présenté Pierre Louys; il fit d'elle un portrait exposé en 1893 à la Galerie Petit. Judith remercie Moreau de ses vœux de Nouvel An, assurant l'aimer« d'un cœur fidèle et reconnaissant» ; elle « serre la main du magicien-poète », elle baise ses «doigts divins ». Moreau répond en évoquant la bienveillance et l'exquise bonté de Judith, âme si élevée, si noble intelligence. Le musée Gustave Moreau conserve cette correspondance, preuve, s'il en était besoin, que l'apparente froideur de Judith n'était qu'un masque posé sur une sensibilité toujours prompte à s'émouvoir. Revenons à Schuré ! L'un des chapitres de ses Femmes Inspiratrices et Poètes Annonciateurs (1908) est intitulé Charles de Pomairols, Psychologie de l'amour paternel. Au même Pomairols, son ami, il rendait hommage dans les Grandes Légendes de France (1892): «... à vous qui avez montré, dans votre Lamartine, l'Âme française embrassant l'horizon de toute l'Humanité, je dédie ce livre qui cherche l'Âme celtique à sa source.» Candidat obstiné et toujours malheureux à l'Académie française, malgré une œuvre abondante récompensée par le Prix Montyon en 1890 et l'appui de Loti sollicité par l'entremise de Judith, Pomairols (Villefranche-de-Rouergue 1843-1916) était un écrivain spiritualiste, «poète de la pureté» (Barrès), «un cœur qui rêve et qui pense» (Mendès), « un Sully-Prudhomme père de famille et campagnard» (Lemaitre). Judith se lia avec le ménage Pomairols ; elle fréquenta beaucoup ces amis de Leconte de Lisle jusqu'à la guerre de 14. Les Pomairols reçoivent, le samedi, dans leur belle demeure du XVIIIe siècle, l'hôtel Kinski, 59, rue Saint-Dominique, que Judith honora d'une trentaine d'alexandrins. On y joue la comédie de société, on y applaudit poètes et poétesses: la roucoulante Roumaine Hélène Vacaresco, voisine de Judith rue Washington, répandue dans les milieux littéraires et politiques; la baronne de Baye - sa fille Yvonne s'entiche de Maurice Rostand qui préfère Cocteau et ses petits amis; la duchesse de Rohan, cible des quolibets de Montesquiou: «Et son désir d'écrire est un petit besoin », etc. Lucie Wilhelm y chante des Poèmes de jade de Judith Gautier, musique de l'auteur; Loti, Myriam Harry comptent parmi les auditeurs. Loti, Judith, nous les retrouvons en juin 1912, dînant ensemble chez Mme Guillaume Beer à Louveciennes, dans une poétique "folie" du XVIIIe siècle jadis hantée par André Chénier, le pavillon de Voisins, où cette spécialiste de la littérature italienne s'installait dès les beaux jours après avoir fermé son hôtel parisien, 34, rue des Mathurins. Née à Florence en 1870, Elena Goldschmitt avait épousé un neveu de Meyerbeer, le richissime Guillaume Beer. Femme de lettres sous le nom de Jean Dornis, elle publia entre autres ouvrages, vers et prose, Un Celte d'Alsace, la vie et la pensée d'Édouard Schuré (Perrin, 1923), « brillant volume [qui] a fourni un aperçu génial de mon effort littéraire et artistique », dira Schuré, reconnaissant, à son amie et biographe. Leconte
de Lisle, auquelelle consacraplusieurslivres de souvenirs,l'a chantée sous le nom de « la Rose de Louveciennes». Égérie de sa vieillesse, sa « Di vine», c'est chez elle, à Voisins, qu'une pneumonie emporta le poète, le 17 juillet 1894. Enveloppante et câline, accoucheuse de confidences intimes ce qui lui vaudra ce surnom malicieux: «Instant suprême », Elena suscita bien des passions. Paul Deschanel en fut follement épris. Edmond Rostand, autre dandy, si jeune encore, si fringant, déjà tout auréolé de gloire et d'honneurs
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publics après le fantastique succès de Cyrano de Bergerac (première à la Porte-Saint-Martin : 27 décembre 1897) et de I'AigIon (première au Théâtre Sarah-Bernhardt: 15 mars 1900), las des ferveurs conjugales, trouvait bien de l'agrément, lui aussi, à serrer Elena de trop près. Ouvrons ici une parenthèse pour interroger Judith Gautier sur Rostand par l'intermédiaire du journaliste Amédée Boyer: «Edmond Rostand? Je n'ai vu jouer de lui que la Princesse lointaine. Le sujet est, ma foi! joli. Mais j'entendais mal les vers. Heureusement, car j'aurais beaucoup souffert, ce qui est d'ailleurs arrivé lorsque je les ai lus. Inutile de vous dire que je ne suis allée voir jouer ni Cyrano de Bergerac ni l'Aiglon, et que je n'irai pas. Je n'éprouve pas la moindre curiosité. Puis je me méfie toujours beaucoup de ces bruyants succès. Mon opinion est faite d'avance sur ces œuvres-là: pour qu'on les célèbre de la sorte, c'est qu'elles ne doivent pas contenir beaucoup de beautés, la beauté possédant l'ingrate vertu d'effrayer et d'effaroucher...» Hargneuse, ce jour-là, Judith? Propos bien tranchants, amusant contraste avec l'enthousiasme boursouflé de son ex-époux: «C'est par le romantisme théâtral, délicieux, joyeux, déchirant, tendre, éblouissant, tout-puissant, qu'Edmond Rostand a charmé et dompté la France, lui a reconquis le monde... Il était certes légitime et heureusement fatal que, voué plus que tous les siècles au triomphe, le XIXe siècle, commencé en un poète tel que Victor Hugo, s'achevât par un poète tel qu'Edmond Rostand.» Extraites du Mouvement poétique français de 1867 à 1900, ces louanges de Catulle Mendès ne furent pas oubliées par Rosemonde Gérard dans son Edmond Rostand. Fermons la parenthèse et retrouvons Mme Beer. Elle louchait, paraît-il, cette charmeuse. À propos de son portrait par La Gandara, l'écrivain Robert d'Humières décrit «ses yeux en boutonnières de caleçon, le nez à la friandise, et la bouche pareille à un croupion de colombe ». Veuve en 1913, elle se remaria en 1916 avec un officier de la Coloniale, le gentil poète Alfred Droin, assidu chez Judith entre deux campagnes lointaines; elle survécut jusqu'à la Libération. À ce dîner de juin 1912, chez Mme Beer, participaient aussi deux convives bien connus de Judith. L'un était l'élégant, le charmant Gabriel-Louis Pringué, assis à côté d'elle, un jeune voisin de Bretagne; durant la guerre, de sa jolie malouinière de Dinan où Liszt allait jadis jouer du piano lorsqu'il séjournait à La Chênaie, chez Lamennais, Gabriel-Louis vint chaque semaine, à cheval, rendre visite à sa vieille amie de Saint-Énogat. L'autre était Gabriele D'Annunzio, en veine d'anecdotes cyniques sur ses razzias féminines; il se lève de table pour exhiber ses jarretelles ornées de boucles diamantées à son chiffre en disant haut et clair le nom de la donatrice. « Mon enfant des landes bretonnes, que pensez-vous de cet aventurier de la gloire? demande Judith à Pringué qui raconte cette scène dans Trente Ans de dîners en ville. Son talent n'a tout de même pas besoin de tant de bruit [... et elle] faisait à Pierre Loti, qui se trouvait placé en face d'elle un petit signe de connivence amicale et de compréhension secrète. De son œil de verte aurore boréale, Loti considérait l'Italien et demeurait silencieux, comme perdu dans un rêve.» En proie à un accès de patriotisme délirant qui n'échappa point aux malicieux auteurs du Dictionnaire de la bêtise, Loti écrira en 1918 dans l'Horreur allemande ces lignes sur Richard Wagner: « Son infatuation germanique lui fait prendre pour illuminée et digne de passer à la postérité n'importe quelle suite incohérente de sons que, à des moments de fatigue, il a cru entendre glapir au fond de son trop énorme cerveau de dégénéré. » Judith appartenait alors au royaume des ombres où rien de terrestre ne pouvait plus l'affliger, sinon sa patiente amitié aurait-elle survécu à des déclarations aussi extrêmes? Il paraîtrait exagéré de prétendre, comme le firent certains fournisseurs d'échos mondains dans la presse de
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l'époque, que D'Annunzio fut un familier de l"'entreciel", rue Washington, mais il est vrai que, probablement piloté par Montesquiou, il vint y apporter un exemplaire de son Forse che si, forse che no [Peut-être que oui, peut-être que non] enrichi de cette flatteuse dédicace datée du "Solstice d'été 1910": «À Madame Judith Gautier, à la parfaite magicienne èslettres, ce livre sans douceur est offert en admiration de son âme, de son art et de ses yeux.» Ce roman, traduit par Donatella Cross, pseudonyme de Mme de Goloubev, l'ardente maîtresse en titre du poète en ce temps-là, parut d'abord en feuilleton dans la Grande Revue, alors dirigée par Jacques Rouché, puis en volume chez Calmann-Lévy. Pour son personnage d'Aldo, le frère incestueux d'Isabella, le "jeune dieu déchu", D'Annunzio s'était inspiré du très séduisant Casa Fuerte, son disciple esthète, son "Fratello". Étrange clin d'œil du destin! Cet Illan, marquis de Casa Fuerte, dont la beauté et le charme ravirent Judith pendant l'été 1917, celui-là même qui, assis à son chevet et bavardant avec elle, la vit soudain exhaler son dernier souffle. .. Le Second Rang du collier, p. 147. CALLERY, Joseph-Marie (1810-1862). Membre de la mission en Chine conduite par l'ambassadeur marquis de Lagrenée qui débarqua à Macao en août 1844 et arracha au Céleste Empire l'autorisation pour les missionnaires catholiques d'y répandre librement leur religion, Callery ne fut pour autant jamais sacré évêque, n'étant pas lui-même un missionnaire au sens religieux du terme. Sous le Second Empire, il devint secrétaireinterprète attaché au ministère des Affaires étrangères. Parmi les nombreux travaux de ce sinologue distingué, citons un Dictionnaire encyclopédique de la langue chinoise, paru en 1842. Le Dictionnaire franco-chinois auquel travailla Tin-Tun-Ling demeura inachevé. Joseph Méry, auteur de plusieurs volumes sur l'Extrême-Orient qu'il ne connaissait que par érudition, écrivait à l'occasion de la mort de M. de Lagrenée en avril 1862: «Les poètes regretteront toujours l'ancienne Chine mystérieuse et inabordable, l'empire du Cathay, tombé de la lune et fermant ses portes aux Européens railleurs. Encore un coup de pioche dans l'isthme de Suez, tout le monde ressemblera à tout le monde. » (Musée des familles, septembre 1862.) Nostalgique déjà en 1838, il envoyait à Théo un poème titré "Adieu à la Chine": «Plus de ces beaux pays, d'un lointain fabuleux! / Adieu le fleuve Jaune et tous les contes bleus!... » Le Second Rang du collier, p. 160-163. CAPECE MINUTOLO DI SAN VALENTINO. Dans les Souvenirs d'un Enfant de Paris, Bergerat confirme longuement le récit de Judith. Les bureaux de la Vie Moderne, journal hebdomadaire illustré, artistique et littéraire, fondé en avril 1879, disparu en décembre 1880, étaient installés au 7, boulevard des Italiens. Dédaigneux et raide, le duccaissier, "cerbère à triple gueule", trônait dans l'arrière-boutique donnant sur le passage des Panoramas. Alphonse Daudet, alors occupé des Rois en exil, vint un jour à la Vie Moderne pour le seul plaisir, en lui offrant un pourboire, de faire sortir de ses gonds le vieux et atrabilaire gentilhomme napolitain. Le Second Rang du collier, p. 300-303.
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Capitaine Fracasse (le). Ce roman de cape et d'épée, publié en feuilleton d'abord, puis en deux volumes par Charpentier en 1863, a enchanté, continuera d'enchanter - espéronsle! - des générations de jeunes et de moins jeunes lecteurs. «Roman du passé. [...] Roman de la mélancolie: il y a loin des splendeurs de Fortunio, de son palais des Mille et Une Nuits, au château de la Misère; il Y a loin des frénésies amoureuses habituelles aux héros de Gautier à la résignation de Sigognac, à son platonisme, que Gautier à présent connaissait trop bien. Quand il écrit le roman d'amour de son héros, il vient de revoir Carlotta; un passé d'amour brûlant lui remonte au cœur.» (Théophile Gautier, Anne Ubersfeld.) Gautier ne négligeait point de faire lui-même, le cas échéant, la promotion "orientée" de ses bouquins, comme il appert de cette amusante lettre à Charles Monselet, journaliste friand de bonne chère, auteur d'une Cuisinière poétique parue en 1859, un épicurien lequel, à en croire les cancans des Goncourt, vivait avec une carmélite défroquée, sortie du couvent parce qu'elle y était mal nourrie. Mon cher Monselet, Accepte ce Fracasseillustré, et parles-en dans les papiers où tu reluis comme une casserolede cuivre bien écurée dans une cuisine flamande. Considère cet ouvrage au point de vue gastronomique; l'absence de nourriture y est déplorée amèrement, et, quand la bonne chance ramène les mets succulents, et les bons vins, ils sont célébrés avec non moins de soin que les charmes de l'héroïne. Protège ces goinfres, ces ivrognes et ces canailles variées; saupoudre-les de quelques mots spirituels en guise de muscaderâpée. À propos de muscade, on en mettait partout du temps de Boileau; on n'en met plus nulle part aujourd'hui; le monde dégénère. Adieu; soigne ton bedon et ne t'efforce pas de le contenir au majestueux, comme cet imbécile de Brillat-Savarin. De Fracasse, Mendès tira l'argument d'un ballet, et Bergerat le sujet d'un drame, objet d'un interminable litige entre Porel, alors directeur de l'Odéon, et le pauvre Bergerat qui ne s'y vit enfin représenté - fort mal, à en croire Jules Huret (Loges et coulisses) - qu'en 1896 dans une mise en scène d'Antoine, le fondateur du Théâtre-Libre. N'oublions pas un Capitaine Fracasse, opéra en cinq actes et six tableaux produit en 1878 au Théâtre-Lyrique, œuvre périssable d'Émile Pessard, honnête compositeur, ancien élève de François Bazin, qui fut au Conservatoire le professeur d'harmonie de Maurice Ravel, et arrêtons là une énumération qui, aussi bien, nous mènerait jusqu'aux adaptations cinématographiques contemporaines. Maxime Du Camp parle dans ses Souvenirs littéraires de la genèse du Capitaine Fracasse. « Dans le principe, ce ne fut qu'un titre donné par Gautier à un éditeur [Renduel, en 1836] pour placer en annonce sur la couverture d'un volume. L'idée première différait essentiellement de celle qui a été mise à exécution. [...] Ce fut un roman d'Eugène Sue, dont j'ai oublié le titre [...J, qui lui fit renverser la donnée qu'il s'était proposée. Il écrivit le premier chapitre sans trop se douter de ce qui devait suivre; les feuillets s'accumulaient lentement, l'intrigue se nouait un peu au hasard, mais avec cet imprévu et cette franche allure qui n'ont manqué à aucune de ses œuvres; il nous apportait son manuscrit au fur et à mesure, car son nouveau roman était réservé à la Revue de Paris qui ne le publia jamais pour la raison qu'elle fut supprimée [par décret, en 1858] avant que le Capitaine Fracasse eût terminé ses aventures.» Bergerat met, lui aussi, en évidence la part prépondérante de l'improvisation dans l'œuvre romanesque de son beau-père. Nous ne pouvons citer que des fragments du savoureux "Sixième Entretien" de son Théophile Gautier:
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Nous causions un soir avec le maître de ce fameux roman, la Belle-Jenny, dans lequel il s'est plu à accumuler les péripéties les plus extraordinaires et, notamment, [...] cette bizarre expédition à Sainte-Hélène entreprise par quatre jeunes gens pour arracher Napoléon des griffes de Hudson Lowe; - et comme je lui signalais l'effet d'étrangeté produit par ce livre, au milieu de tous ceux qui composent son œuvre [...]: "On ne sait pas assez, me dit-il le plus sérieusement du monde, à quel point j'ai toujours été jaloux de Paul Féval et même de Ponson du Terrail! Je suis né pour écrire des romans-feuilletons, et l'on s'est obstiné à faire de moi un critique, je ne sais pourquoi. C'est la fatalité de ma vie d'avoir été perpétuellement dévoyé par les circonstances. Toutes mes vocations ont été contrariées, oui, toutes! À l'heure qu'il est, j'aurais écrit quelque chose comme trois cents romans, et j'aurais cinquante mille Ii vres de rente et six chevaux dans mes écuries. [...] - Ainsi, repris-je, c'est afin d'obéir à une vocation contrariée pour le roman-feuilleton que vous avez, sous le titre de la Partie carrée, publié la Belle-Jenny dans la Presse [20 septembre - 15 octobre 1848]? - Voici comment cela s'est passé. La Presse donnait alors chaque matin, par tranches, je ne sais plus quel macaroni littéraire dont tous les abonnés, prétendait Girardin, se pourléchaient les babines. Il nous embêtait, Girardin, avec ce feuilleton! [...] "Le garçon qui me ficelle ce roman sait son métier, et quand il aura fini, je serai diablement embarrassé." Moi, superlativement agacé, je dis à Girardin: "Vous voyez bien qu'il ne le sait pas, son métier! car, s'il le savait, il ne finirait pas! Le génie en ce genre est d'être interminable. Si jamais on me demande un romanfeuilleton, à moi, j'exigerai qu'on me garantisse dix ans de trois cent soixante-cinq jours, sans interruption et à douze colonnes par numéro, afin de ne pas être gêné dans les dialogues." C'est alors, continua gaiement le maître, que l'imprudent me défia de lui fournir seulement douze feuilletons en douze jours, sans intervalles ni relâche. Je relevai le gant, comme bien tu penses, au nom de la littérature outragée en ma personne, et voilà comme la Jenny est venue au monde. Un matin j'allai à la rédaction, je pris une plume et j'écrivis à tout hasard le premier mot qui me passa par la tête, soit Partie carrée. Il est probable que j'en avais une en vue pour le soir. Et ce fut tout. Quand le prote descendait me dire: "Monsieur Gautier, il y en a assez pour aujourd'hui", je partais déjeuner. Au douzième feuilleton, Girardin me fit appeler: "Eh bien, vous devez être éreinté? Mais vous avez gagné votre pari; le roman est fini? - Fini? C'est comme il vous plaira, du reste. Pour moi, il n'est pas encore entamé; je puis aller ainsi jusqu'à la consommation des siècles et la prochaine conjonction des astres. Cela m'amuse et j'étais né pour ce métier. Est-ce que l'abonné ne trouve pas qu'il en ait pour son argent? Mon cher, me dit Girardin, c'est ça et ce n'est pas ça ; l'abonné ne s'amuse pas franchement, il est gêné par le style." Tout à la fin de sa vie, ce paradoxal Théo rêvait d'écrire, en collaboration avec ClermontGanneau aidé d'une nuée de secrétaires-tâcherons, le Vieux de la Montagne, une histoire horrifiante tissée autour des sinistres exploits de la secte musulmane hétérodoxe des Haschischins ou Assassins qui sévit en Perse au temps des Croisades, un thème et un titre qui avaient déjà séduit le dramaturge Latour de Saint- Ybars : sa tragédie en cinq actes échoua au Thé âtre- Français en février 1847, malgré le talent déployé par Mlle Rachel dans le rôle de Fatime, fille d'Hassan, émir des Assassins. «Quelque temps après, conclut Bergerat, M. Clermont-Ganneau revint de Jérusalem mais le maître était déjà bien malade, car il ne lui parla même pas de ce Vieux de la Montagne qui devait nous faire tous millionnaires et rester comme expression suprême du roman-feuilleton. » Judith reprit ce titre pour le roman historique situé en Terre Sainte qu'elle publia en 1893 chez Annand Colin. D'après la relation de ses derniers moments faite par le marquis de Casa Fuerte, c'est en lui parlant de ce livre qu'elle rendit soudain le dernier soupir. Dans quelle mesure fut-elle inspirée par les
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broderies verbales de son père sur un thème qui enfiévrait leurs fantasmes d'Orient? Par malheur, nous l'ignorons. Quant à la Belle-Jenny aux invraisemblables péripéties et rebondissements dont certains nous mènent jusqu'au pays des Mahrâttes, tenons pour assuré que Judith prit ses premières leçons d'indianisme - cosmogonie, théogonie, art statuaire, botanique... - au fil de ses pages chatoyantes. Grand lecteur des travaux de ces remarquables orientalistes que furent Anquetil-Duperron, Chézy, Burnouf, Barthélemy-Saint-Hilaire et leurs émules, Théophile Gautier s'amusa à dépenser, dans cette œuvre particulièrement insolite sous sa signature, des trésors d'érudition avec des trésors d'imagination. Le Second Rang du collier, p. 102-107. Caprices et zigzags, volume paru en 1852. Dans cet ouvrage, Gautier a repris Un tour en Belgique, récit de son voyage en compagnie de Nerval dans le courant de l'été 1836, grâce à l'argent arraché à l'éditeur Renduel pour « les Confessions galantes de deux gentilhommes périgourdins », roman historique proposé par les deux compères qui n'en fournirent jamais que quelques pages. Il s'agissait d'aller contempler chez eux les maîtres de la peinture flamande et de découvrir de nouveaux Rubens, car... les Rubens du Louvre avaient enthousiasmé Théophile: « La vue de ces belles femmes, aux formes rebondies, ces beaux corps si pleins de santé, toutes ces montagnes de chair rose d'où tombaient des torrents de chevelures dorées, m'avaient inspiré le désir de les confronter avec le type réel [...] ; j'allais au Nord chercher la femme blonde. » Ce voyage en Belgique fut le premier de tous ceux qui menèrent Théophile Gautier au-delà de nos frontières. Pour mémoire, voici les autres - sauf erreur ou omission - par ordre chronologique. 1840: Espagne, avec Eugène Piot. 1842 : Londres, pour la création anglaise de Giselle; retour par la Belgique. 1843: Londres, pour la création anglaise de la Péri au Théâtre Royal de Drury Lane. 1845: Algérie en compagnie de Noël Parfait. 1846: Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Angleterre; Espagne en compagnie du député Alphée Boutron de Vatry pour le mariage du duc de Montpensier avec la fille cadette de Ferdinand VII. 1849 : Londres, avec Gérard de Nerval, les Lhomme et le peintre Charles Landelle pour l'Exposition chinoise. Gautier y fait la connaissance de Marie Mattei. Retour par la Belgique. Excursion de deux semaines, pendant l'été, en Espagne, Bilbao, pays Basque. 1850: Italie en compagnie de Louis de Cormenin, Venise où les rejoint Marie Mattei, Florence, Rome, Naples. 1851: Londres, pour l'Exposition universelle. 1852: Gautier retrouve Ernesta et la petite Estelle à Constantinople après escale à Malte, à Syra, à Smyrne. Retour par Athènes, Corfou, Trieste et Venise. 1854 : Allemagne: Munich, Dresde. 1856: Espagne. 1857: de nouveau l'Allemagne. 1858 : Suisse, Allemagne encore et Pays-Bas. 1858-1859: premier voyage jusqu'à SaintPétersbourg par Berlin, le Schleswig, Hambourg, pour la mise en route de l'ambitieux projet, les Trésors d'art de l'ancienne Russie. 1861 : second voyage en Russie en compagnie de Théophile Gautier junior et Olivier de Gourjault: Saint-Pétersbourg, Nijni-Novgorod, Moscou. Gautier s'arrête au retour à Saint-Jean, la propriété de Carlotta Grisi, près de Genève. Il y fera plusieurs séjours par la suite. 1862: Londres, pour l'Exposition, avec sa famille, et Algérie pour l'inauguration du chemin de fer Alger-Blidah. 1864: au mois d'août, Espagne. 1868: Italie au mois de septembre: Milan, Venise, Parme, Gênes. 1869 : court séjour à Venise avec Carlotta Grisi, sa fille Ernestine, et Estelle. Enfin, cette même année 1869, voyage officiel en Égypte, pour les fêtes de l'inauguration du canal de
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Suez: le Caire et Ismaïlia. Retour par Naples, Rome et Genève en décembre. Et ce fut l'Année Terrible. Servi par l'acuité de sa vision, sa mémoire phénoménale, sa prodigieuse érudition, Gautier raconte les péripéties de ses voyages en de longs feuilletons publiés dans les journaux avant d'être repris, souvent remaniés, en volumes. Des éditions récentes, enrichies de savants commentaires, d'éclaircissements qui augmentent considérablement leur intérêt, en rendent la lecture accessible et profitable aux curieux d'un monde à jamais disparu, découvert et décrit par un auteur particulièrement soucieux d'objectivité. « Nous nous réduisons autant que possible à n'être qu'un œil détaché comme l'œil d'Osiris sur les cartonnages de momie, ou celui qui arrondit ses noires prunelles à la proue des barques de Cadix et de Malte. » (Journal Officiel, 17 janvier 1870.) Plus tard, il écrit encore ces lignes révélatrices de son éthique personnelle d'écrivain reporter, à vocation première refoulée: « Nous aimons beaucoup les voyages de peintres, quand ils doivent quitter le crayon ou le pinceau pour la plume. L'habitude d'étudier la nature, de se rendre compte des formes et des couleurs, de mettre les objets à leur plan, leur donne une sûreté et une justesse de description qu'atteignent difficilement les littérateurs. Voir, il semble qu'il ne faille pour cela qu'ouvrir les yeux; mais c'est une science qu'on n'acquiert que par un long travail. Bien des gens, de beaucoup d'esprit d'ailleurs, à qui rien n'échappe du monde de l'âme, traversent l'univers en véritables aveugles. » (Gazette de Paris, 30 janvier 1872.) Le Second Rang du collier, p. 118. CASTELLANE, comtesse Jules de. Au Livre LXII du cinquième tome de ses Confessions, Arsène Houssaye écrit: «En 1848 [...] on se demandait si l'esprit n'allait pas faire faillite dans le chaos politique. Le premier salon où on se retrouva fut celui de la comtesse de Castellane qui recevait tous les mondes. [...] On jouait la comédie chez elle et on soupait. C'était charmant: le faubourg Saint-Germain avait le bon esprit et la bonne grâce de donner aux comédiennes leurs coudées franches. Mlle Rachel et Mlle Brohan [il s'agit ici d'Augustine] entre autres vivaient là en très bonne camaraderie avec les duchesses. Il fallait la main de fée de Mme de Castellane pour faire ce miracle. » En l'honneur de sa jeune et brillante épouse, née Villoutreys, Jules de Castellane, gentilhomme fastueux, avait encore embelli l'hôtel, au 112, rue du Faubourg-Saint-Honoré, qu'il avait acheté en 1829. Il y avait aménagé, avec le concours du prestigieux peintre décorateur Ciceri, un théâtre de quatre cents places, doté d'une machinerie digne d'une salle publique et qui mérita les éloges de Théophile Gautier. Amateurs et professionnels rivalisèrent là d'entrain et de talent jusqu'aux dernières années du Second Empire. À la mort de Jules de Castellane, on ferma l'hôtel. Il fut démoli en 1923. L'amour du théâtre était, chez les Castellane, un trait de famille. « Le maréchal de Castellane [cousin de Jules], si sévère sur la discipline, est aussi un grand seigneur qui aime le monde, la société des femmes jusqu'à la fin de sa vie et donne des fêtes originales. Sa femme joue la comédie, il la joue lui-même, lorsqu'il n'est encore que colonel, et la fait jouer à ses officiers.» Ces lignes sont empruntées à la Société française du XVIe siècle au XIXe siècle par Victor Du Bled, qui consacre plus de deux cents
pages de ce volumeà « la Comédie de société»;
il s'arrêtelonguement sur les spectacles
proposés par le comte Jules et la rivalité opposant les comédiens amateurs réunis par Mme Sophie Gay à la troupe de la duchesse d'Abrantès - Abracadabrantès, disait Gautier. La Gloire du vicomte de Launay. Delphine Gay de Girardin, biographie de la belle Muse due à
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la plume d'Henri Malo, compte quelques pages amusantes sur le théâtre Jules de Castellane et sur ce phénomène social particulier que fut au XIXe siècle ce que l'on appela aussi le "théâtre de paravent". René Jasinski, qui étudia avec minutie les Années romantiques de Th. Gautier, analyse longuement dans ce volume Mademoiselle de Maupin. «Pourquoi, s'interroge-t-il, ces considérations sur la comédie romanesque, et ce théâtre de salon soudainement improvisé [au chapitre XI]? L'on a cité avec raison l'article du Monde dramatique [23 mai 1835] où Gautier vantait les représentations données chez le comte de Castellane. Le faste et le charme de ces soirées l'avaient en effet ravi, et il concluait: "Il serait bon qu'il y eût une scène où des gens du monde essaieront devant des gens du monde de réaliser mille fantaisies délicates que repousse l'optique du théâtre ordinaire." Mais il ne faut pas oublier que le Doyenné réalisa lui-même ce programme et que ces rôles appris, ces répétitions, ces costumes et ces décors, tout ce branle-bas pittoresque entremêlé de coquetteries et de madrigaux n'est si bien dépeint que pour avoir été pris sur le vif. » Le Second Rang du collier, p. 224. Celle que j'aime à présent... Ce poème fut inspiré par la gracieuse Cydalise qu'aimèrent à la fois Camille Rogier le peintre et Théo, au temps déraisonnable du Doyenné. Elle mourut de tuberculose au printemps de 1836, humble fleur anonyme du pavé parisien, vivement remplacée dans le cœur de Théo - faut-il dire le cœur? Il pleura à sanglots, et n'y pensa plus - par la brune, vigoureuse et pugnace Victorine. Elle avait, cette discrète Cydalise, «toutes les vertus de l'emploi, mince, pâle, les yeux bistrés [nous dit Houssaye, les yeux chinois, nous dit Nerval], penchée en saule pleureur, ne parlant que par monosyllabes.» Chinoiserie parut dans l'Hommage aux Dames pour 1835. Ne résistons pas au plaisir de relire cette ravissante bluette. Ce n'est pas vous, non, madame, que j'aime, Ni vous non plus, Juliette, ni vous, Ophélia, ni Béatrix, ni même Laure la blonde, avec ses grands yeux doux. Celle que j'aime à présent est en Chine; Elle demeure avec ses vieux parents, Dans une tour de porcelaine fine, Au fleuve Jaune, où sont les cormorans. Elle a des yeux retroussés vers les tempes, Un pied petit à tenir dans la main, Le teint plus clair que le cuivre des lampes, Les ongles longs et rougis de carmin. Par son treillis elle passe sa tête, Que l'hirondelle, en volant, vient toucher, Et, chaque soir, aussi bien qu'un poète, Chante le saule et la fleur du pêcher. L'Hommage aux Dames est un exemple de keepsake, « type d'ouvrage qui fera fureur à cette époque, écrit Laurent de Gouvion Saint-Cyr, petit livre joliment présenté offert en "signe
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d'amitié". Les darnes en raffoleront. Contenant un texte de lecture facile ou poétique, illustré de channantes vignettes ou de gravures anglaises, ce petit livre-souvenir sera généralement recouvert de satin ou de moire claire et conservé dans un étui. On le trouvera négligemment abandonné à la vue de tous, sur une étagère, au milieu de coquillages ou de boîtes de dragées. Les premiers keepsakes feront leur apparition en France vers la fin de la Restauration. Le tout premier aurait été le "Forget me not" publié chez Ackermann en 1830. Il sévissait alors un véritable snobisme pour tout ce qui était anglais.» (Le Romantisme dans l'art du X/Xe siècle.) Comme son père, Judith eut les honneurs du keepsake, encore que la vogue dont jouît cette formule se fût beaucoup affaiblie depuis le milieu du siècle. Voici, par exemple, dans Étrennes aux Dames * 1881, entre Amours éternelles d'André Theuriet et Paris de Julia Daudet, le Ramier blanc, fragment, de Judith Gautier. Voici, dans Étrennes aux Dames pour l'An 1883, l'Île de Chiloë. Sur un thème insolite dans l'œuvre de son auteur, le channe berceur et caressant, la grâce rêveuse de ce poème en prose, très supérieur, nous semble-t-il, à sa poésie versifiée, nous incite à le reproduire dans son entier. L'Île de Chiloë Là, depuis les siècles du monde, il pleut. Lentement, une pluie chaude descend avec un cliquetis monotone. Les flots doux de l'Océan Pacifique déferlent sans bruit; leur azur pâlit sous la brume près des rives molles de cette île mélancolique et tiède. Une grande opale dans le ciel blanc, tel est l'astre qui éclaire Chiloë, à travers la pluie qui tombe. Rien de stable, rien de solide sous cette ondée immémoriale; le sol est un marécage; l'arbre le plus haut, un bras d'enfant l'arracherait. Rien de défini, nulle forme précise; une buée chaude monte de la terre et enveloppe l'étrange forêt. À quelque distance, on ne voit qu'un brouillard bleu, et de vagues formes d'arbres qui semblent un brouillard plus intense. Tout près, des fougères arborescentes, telles qu'il en poussait sur la jeune écorce du monde, s'élancent ainsi que des fusées et évasent la gerbe de leurs feuillages nébuleux. On distingue aussi des lianes ruisselantes de pluie, qui descendent d'une haute branche en laissant pendre de longues chevelures vertes, puis vont se rattacher dans la brume à un rameau qu'on ne voit pas. Il pleut; nul oiseau ne rompt de son voIles minces fils de la tranquille averse; aucune gazelle, par son passage, ne décharge les branches lourdes d'eau. Seulement, parmi les hautes herbes, quelques mouvements de reptiles, et, sous les larges feuilles luisantes étendues sur les flaques d'eau, la carapace d'un crustacé, être étrange des temps anciens, que la nature dédaigne et ne refait plus. Je ne sais pourquoi je voudrais pleurer dans cette île (pleurer sans cause car je n'ai nul chagrin), au milieu de la pluie perpétuelle qui confondrait sur mes joues ses gouttelettes avec mes larmes. Je voudrais pleurer aussi longtemps que la pluie tombera dans cette île mélancolique, où il pleut depuis les siècles du monde, aussi longtemps qu'il pleuvra dans l'île brumeuse de Chiloë qu'entoure l'Océan Pacifique.
Judith Gautier En 1902, la revue Minerva publia Lnndes et Marines d'André Suarez, écrivain austère, amoureux de la Bretagne. Parmi ces textes de différente ampleur, voici la Pluie. "Temps de
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Brest. En juillet.": «Il pleut depuis des jours... L'espace et l'ennui se contemplent. L'ennui et l'océan sont confondus. La pluie tombe fine, intarissable, proche de la mer comme les larmes de la paupière. La pluie descend sans hâte, sans répit. [...] Sur le triste horizon, le ciel est lourd, bas, blême. [...] Des vapeurs lasses se lèvent comme à regret, et se disloquent lentement, fumées d'un navire invisible. [...] La pluie descend sans hâte, sans repos. [...] les petites grenouilles grouillent sous les branches basses; [...] La pluie tombe en mesure, aveugle, égale, intarissable. Tout est trempé d'eau. Sur les arbres penchés, la pluie fait sa musique monotone. [...] l'ennui de cette pluie qui file. [...] Il pleut depuis des jours. ..» En vérité, la mise en parallèle de ces deux poèmes en prose, de longueur comparable, révèle de troublantes analogies et l'on nous permettra de penser que Suarès avait lu l'Île de Chiloé, qu'il en avait admiré la facture et aimé la musique répétitive. Revenons pour finir au bon Théo auquel tant de compositeurs demandèrent l'inspiration. Manuel de Falla, qui naquit à Cadix en 1876, vécut longtemps en France et mourut en Argentine en 1946, écrivit trois Mélodies sur des vers de Théophile Gautier. En octobre 1909, sensible à l'intérêt qu'elle portait à son œuvre, il sollicita et obtint de Romaine Brooks, le peintre qui vécut une longue liaison avec Natalie Clifford Barney, l'autorisation de lui dédier Chinoiserie. Deuxième mélodie, sur les Colombes: Mon âme est l'arbre où, tous les soirs, comme elles, De blancs essaims de folles visions Tombent des cieux, en palpitant des ailes, Pour s'envoler dès les premiers rayons. Enfin, tout naturellement, la pimpante Seguidille stimula l'inspiration du compositeur hispanique: Un jupon serré sur les hanches, Un peigne énorme à son chignon, Jambe nerveuse et pied mignon, CEilde feu, teint pâle et dents blanches; Alza! olà! Voilà La véritable Manola.
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Chanter, danser aux castagnettes, Et, dans les courses de taureaux, Juger les coups des toreros, Tout en fumant des cigarettes; Alza! olà! Voilà La véritable Manola.
Le Second Rang du collier, p. 161.
CHAMPFLEURY,
Jules
Fleury-Husson,
dit Fleury,
puis (Laon 1821 - Sèvres
1889). Littérateur et romancier réaliste, réputé surtout pour son don aigu d'observation. Il compta, avec Théophile Gautier, parmi les premiers et peu nombreux amis français de Wagner. Auteur d'études artistiques, biographiques et esthétiques, Champfleury fut directeur de la Manufacture de Sèvres. Jules était un humoriste. Ne résistons pas à cette anecdote
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contée dans le Grand Larousse universel du X/Xe siècle: « Un jour, M. Champfleury se sentit pris d'affection pour une filleule d'Eugène Delacroix dont il avait fait connaissance en soirée. L'écrivain, voulant se marier vite et ne pas réfléchir plus longtemps, écrivit la lettre suivante: "Mademoiselle, Si vous croyez, comme on l'a dit, qu'un être non marié ressemble à une moitié de ciseaux qui ne peut rien faire sans son autre moitié, je vous offre mes sympathies, mon amitié et mes efforts pour couper ensemble, du mieux qu'il sera possible, l'étoffe de la vie." La future répondit d'une manière plus laconique encore: elle envoya une paire de ciseaux. Trois semaines après, le mariage avait lieu. » Après la mort ce Balzac, Champfleury saisit l'opportunité de consoler la veuve du grand homme, mais rompit sans tarder avec cette grosse dame mûre et, paraît-il, despotique. En juillet 1856 d'évidence il était attiré par les femmes plus âgées que lui
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notre homme est surpris par un
garde-champêtre, dans les blés de Meudon, en flagrant délit d'atteinte à la pudeur - amende: cent sous - avec Louise Colet. (Rien n'est plus divertissant que les frasques de cette Muse incandescente racontées par M. Jean-Paul Clébert.) Du Camp, résidant alors à Chaville, dut venir au secours de ces tourtereaux bucoliques, bouclés à la mairie du lieu. Grâce à Nadar, photographe, caricaturiste, et à Gustave Courbet qui fit vers 1853 le portrait de son ami Champfleury, nous connaissons bien ce visage ingrat, morose et pensif, aux traits comme taillés à la serpe, orné d'une moustache découragée. Les "rigolos", souvent, sont des mélancoliques. Et nous le retrouvons aisément, assis, les bras croisés, sous le portrait du maître vénéré, au milieu d'un groupe d'artistes et de littérateurs - Baudelaire, Manet, Whistler parmi les plus connus - dans le tableau de Fantin-Latour (au Musée d'Orsay) Hommage à Delacroix, dont Théophile Gautier fit un éloge réticent: «Puisque nous en sommes à ce cénacle de peintres qu'on nomme réalistes, nous ne savons trop pourquoi, car ils ne nous semblent pas serrer la réalité de fort près, et sont plutôt des fantaisistes en laid que des imitateurs exacts de la nature... » (Le Moniteur universel, 25 juin 1854.) Le Second Rang du collier, p. 297. Chant du grillon. Une partie de cette poésie, en vers pentasyllabiques, parut dans la France littéraire en 1832 ; l'autre partie, en vers octosyllabiques - celle que récite la petite Judith - parut dans le même journal en 1835. Eugène de Mirecourt, auteur dans ses Contemporains d'un article haineux sur Théophile Gautier, «l'un de ces poëtes embourbés dans la fange terrestre, [...] ogre-rimeur qui n'aime que la chair fraîche », est cependant désarmé par le Chant du grillon, « petit chef-d'œuvre ». Un conte de Gautier paraphrase en prose ce thème légendaire du grillon au foyer. S'ennuie-t-il de sa réclusion ou savoure-t-il au contraire "toutes les voluptés du nonchaloir et du bien-être chez soi" ? (Même sujet dans les Contes de Noël de Dickens.) Sous différents titres, cette œuvrette exquise parut plusieurs fois jusqu'à s'appeler définitivement l'Âme de la maison. L'auteur se revoit, enfant, un soir d'hiver, dans le prieuré de son oncle le chanoine, assis devant un feu clair, auprès de sa jeune amie Maria. « J'aimerais bien être grillon, dit la petite Maria en mettant ses mains roses et potelées dans les miennes, surtout en hiver; je choisirais une crevasse aussi près du feu que possible, et j'y passerais le temps à me chauffer les pattes. Je tapisserais bien ma cellule avec de la barbe de chardon et de pissenlit; je ramasserais les duvets qui flottent en l'air, je m'en ferais un matelas et un oreiller bien souples, bien moelleux, et je me coucherais
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dessus. Du matin jusqu'au soir, je chanterais ma petite chanson de grillon et je ferais cricri; et puis je ne travaillerais pas, je n'irais pas à l'école. Oh ! quel bonheur!... » Le Collier des jours, p. 236. CHARLES X (Versailles 1757 - Goritz, Frioul 1836), petit-fils de Louis XV, frère puîné de Louis XVI et de Louis XVIII. Jetons un coup d'œil sur l'espace de temps compris entre la naissance de Théophile Gautier et la mort de sa fille Judith, un peu plus d'un siècle fertile en bouleversements politiques, en changements de régime, et relevons quelques dates en guise d'aide-mémoire. Gautier naquit le 30 août 1811, sous le PREMIER EMPIRE, cinq mois après la naissance du roi de Rome, fils de Napoléon 1er et de Marie-Louise d'Autriche, le futur duc de Reichstadt héros de l'Aiglon, drame en vers d'Edmond Rostand (première à Paris le 15 mars 1900). PREMIÈRE RESTAURATION monarchique et bourbonienne: Louis XVIII, ex-comte de Provence [1814-1815]. Retour de Napoléon empereur, les CENTJOURS [20 mars - 28 juin 1815]. SECONDE RESTAURATION: Louis XVIII [18151824] ; Charles X, ex-comte d'Artois [1824-1830]. MONARCHIE DE JUILLET: LouisPhilippe 1er, roi des Français, ex-duc de Chartres, fils du duc d'Orléans, Philippe-Égalité le régicide [1830-1848]. DEUXIÈME RÉPUBLIQUE: présidence du prince Louis-Napoléon Bonaparte [25 février 1848 - 2 décembre 1852]. SECOND EMPIRE: le même sous le nom de Napoléon III [1852-1870]. TROISIÈME RÉPUBLIQUE, proclamée après le désastre de la guerre franco-prussienne [1870-1940]. Et voici la liste nominative des présidents de cette Troisième qui se sont succédé de 1871 à 1917, année où mourut Judith Gautier, assortis de l'épithète dont les a plaisamment ornés Adrien Dansette, historiographe des chefs de l'État français - avec le sous-titre caractérisant les grandes lignes de leur action. «Adolphe Thiers, "le Bref', ou la dictature de la persuasion (17 février 1871 - 24 mai 1873). Maréchal de Mac-Mahon, "le Preux", ou l'échec de régence républicaine [24 mai 1873 - 30 janvier 1879]. Jules Grévy, "le Ladre", ou le premier président républicain [30 janvier 1879 - 2 décembre 1887]. Sadi Carnot, "le Grave", ou le président modèle [3 décembre 1887 - 24 juin 1894, assassiné par l'anarchiste italien Caserio]. Jean CasimirPerier, "l'Irrésolu", ou l'autorité velléitaire [27 juin 1894 - 16 janvier 1895]. Félix Faure, "le Vert-Galant", ou le Président-Soleil [17 janvier 1895 - 16 février 1899]. Émile Loubet, "le Brave", ou le règne de la bonhomie [18 février 1899 - 18 février 1906]. Armand Fallières, "le Gros", ou la sagesse élyséenne [18 février 1906 - 18 février 1913]. Raymond Poincaré, "le Hutin", ou «la coutume» présidentielle [18 février 1913 - 17 février 1920]. » (Histoire des Présidents de la République.) C'est sous le septennat d'Émile Loubet que fut fondé, en 1904, le Prix "Vie Heureuse" «dans le but d'encourager les lettres et de rendre plus étroites les relations de confratemité entre les femmes de lettres». Il devait être attribué annuellement «au meilleur ouvrage de l'année, imprimé en langue française, que l'auteur soit un homme ou une femme, qu'il soit écrit en vers ou en prose, qu'il soit roman, mémoires, drame, etc. » Le jury du Prix se composait initialement de vingt et un membres, à savoir: Mmes Juliette Adam, Arvède Barine, Théodore Bentzon, Jean Bertheroy, C. de Broutelles, Pierre de Coulevain, Alphonse Daudet, Delarue-Mardrus, Dieulafoy, Claude Ferval, Judith Gautier, Lucie Félix-Faure-Goyau, Daniel Lesueur, Jeanne Marni, Jane Catulle-Mendès, comtesse Mathieu de Noailles, Georges de Peyrebrune, Marguerite Podarowska, Gabrielle Réval, Séverine, Marcelle Tinayre. Mmes Pierre de
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Coulevain et Arvède Barine donnèrent rapidement leur démission et Mme Duclaux fut appelée à faire partie du Comité. Toutes ces dames n'ont pas retenu au même titre l'attention de la postérité en dépit de leur notoriété à l'époque où elles se réunissaient statutairement une fois l'an en réunion plénière. Relevons dans la liste alphabétique cidessus le nom de Mme Félix-Faure-Goyau. Elle était la fille du président de la République Félix Faure, un père qu'elle adorait et qui l'avait chargée de s'occuper des secours distribués par l'Élysée. Fils d'artisan, apprenti mégissier à Amboise, député du Havre où il avait fondé une entreprise commerciale prospère, Félix Faure faisait honneur à son heureux prénom. De belle prestance, élégant, assez fastueux, il succomba sans prestige «dans l'exercice de ses délicates fonctions », ironise Lucien Descaves. (Souvenirs d'un ours.) En ouverture de son alerte satire de la Belle Époque, 1900, Paul Morand raconte les obsèques, le 23 février 1892, du galant président. Très juponnier, il avait conquis sans peine les faveurs intéressées d'une Liane de Pougy procurée par Arthur Meyer, le directeur du Gaulois - seule allusion de la princesse Ghika à ce lointain partenaire: «J'appartiens à la Société des auteurs depuis exactement le jour de la mort de Félix Faure, j'ai oublié la date.» - L'Odéon lui avait fourni une Cécile Sorel déjà piaffante et décorative, à la veille de gagner ses galons de Célimène. Et caetera. Félix Faure mourut de congestion cérébrale à l'Élysée, au cours d'un tendre tête-à-tête avec une aventurière aux multiples aventures croustillantes, rocambolesques, "Meg" Steinheil, épouse du peintre verrier Adolphe Steinheil, le neveu par alliance de Meissonier, mari complaisant qui périt de mort violente en 1928, fait divers appelé "l'énigme de l'impasse Ronsin". Les échotiers, Jean Lorrain en tête, s'en donnèrent à cœur joie. Mme Steinheil, « la pompe funèbre» - « Sur la peau, quelle belle fin pour un tanneur! »... Oraison funèbre, par Georges Clemenceau: «Ce n'est pas un homme de moins, c'est une place de plus. » On n'ose tout citer. Bien cruel, lorsqu'on ne parvint plus à leur cacher la vérité, pour la malheureuse veuve, si convenable, et ses deux filles, Lucie et Annette, amies d'enfance de Marcel Proust. Sur le lit de mort du romancier, sa gouvernante Céleste Albaret oublia de lui mettre aux doigts, comme il le lui avait fait promettre, le chapelet rapporté pour lui de Jérusalem par Lucie Faure, dont la vie entière fut un apostolat. «La beauté, l'idéalisme et la foi soutiennent toute l' œuvre de Mme Goyau.» Parlant l'anglais et l'italien, elle avait appris le latin, le grec et le russe pour parfaire une vaste culture dont témoignent ses études sur Newman, sur Dante, ses récits de voyage. En 1893,
elle épousa l' historien GeorgesGoyau « dont le catholicismefervent s'allie à de très nobles aspirations sociales », écrit Jacques Chastenet dans la France de M. Fallières. Léon Daudet est mal disposé à l'égard de Goyau, «petit singe d'académie et de patronage, souffreteux, malingre et haineux» (Paris vécu), et André Germain lui fait écho: «Lucie Félix-FaureGoyau, pauvre géante sentimentale, n'était qu'une douce et innocente créature, mais son petit homme de poche, son petit Goyau de mari, était quelque chose d'inquiétant et de compliqué. Pieux et intrigant, dévot et ténébreux, plein, à la fois, de chapelets et de manigances, c'était, pourtant, par amour qu'il avait demandé en mariage la fille pompeuse et riche de feu le Président de la République. Mme de Noailles s'égayait beaucoup à la pensée de leurs ébats conjugaux, si difficiles: "S'épousent-ils quelquefois? me demandait-elle. [. ..] En somme, ce ménage, c'est le pou sur la feuille de catalpa". » (La Bourgeoisie qui brûle.) Consœur dangereuse, Anna de Noailles! Le 15 juillet 1913, dans la Vie Heureuse, Marie Duclaux signait un article attendri sur son amie Lucie: «Elle était comme une des héroïnes de Dante, "une dame aux yeux de pitié"... » Intime et biographe de Mme Félix-
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Faure-Goyau, J.-Ph. Heuzey a publié quelques-uns des articles chaleureux parus après la mort de cette femme de bien. Armand Fallières, natif de Nérac, en Lot-et-Garonne, où il possédait le petit domaine vinicole du Loupillon, «haute stature, vaste corpulence, toupet ondulé, barbe où un peu de poivre se mêle à beaucoup de sel, bonhomie non exclusive de dignité, forte pointe d'accent gascon» (J. Chastenet), nous intéresse particulièrement, puisque c'est dans les jardins de l'Élysée, en juin 1906, pendant son septennat, que Suzanne Meyer "retrouva", dit-elle, Judith Gautier à l'occasion d'une garden-party en l'honneur du roi du Cambodge, Sisowath 1er, avec sa troupe de danseuses, jeunes ballerines khmers qui enthousiasmèrent Rodin au point qu'il les «suivit jusqu'à l'Exposition Coloniale de Marseille pour essayer de capter, par le dessin et l'aquarelle, sans, à son avis, toujours y réussir, le secret de leur hiératisme et la grâce étrange de leur race. » (Judith Cladel, Rodin.) Nous savons, par une lettre de Suzanne à sa mère, que le peintre de la vie mondaine Jean Béraud, élève de Bonnat - un des amants fugaces de Sarah Bernhardt vexée par une infidélité (!) du Dr Albert Robin, témoin de Proust dans son duel contre Lorrain et de Régnier dans son duel contre Montesquiou - que Jean Béraud présenta Fallières à Judith au Salon de 1906. Il paraît normal que le président de la République ait convié une orientaliste française réputée à rencontrer ce potentat asiatique, tout récent successeur de son frère Norodom. Dans l'été qui suivit, Judith et Suzanne firent en Bretagne plus ample connaissance avant de se lier d'une étroite amitié. De quelque façon que l'on retourne le problème, l'arithmétique oblige à dénoncer comme... mettons abusif le titre donné par Suzanne à son livre de souvenirs: Quinze ans auprès de Judith Gautier. Le Second Rang du collier, p. 189. CHARPENTIER, Georges. Né en 1846, Georges - Zizi dans l'intimité parce qu'il zézayait - était donc adolescent encore lors de la grande fête rue de Longchamp, à Neuilly. Il était le fils de Gervais Charpentier (1805-1871), le fondateur de la "Bibliothèque" qui porte son nom et le directeur de la Revue Nationale, dans les bureaux de laquelle Gautier rédigea le Capitaine Fracasse. Michel Robida, apparenté aux Charpentier, dessinateur et homme de lettres, écrit dans Ces Bourgeois de Paris: «La tradition familiale conte que l'éditeur Gervais Charpentier enfermait Théophile Gautier pour l'obliger à travailler. Verrouillé dans une pièce de la librairie, alors installée quai de l'École, Théophile Gautier, couché de tout son long par terre, un cigare éteint à la bouche, un sac de dragées à portée de la main, noircissait des feuillets qu'il éparpillait autour de lui.» L'influence considérable exercée par Gervais Charpentier sur le monde de l'édition est parfaitement résumée dans un ouvrage riche d'enseignement pour le lecteur curieux des diverses manifestations artistiques, mineures et majeures, nées du mouvement romantique. 1838 sera une année importantepour le livre romantique.L'éditeur Gervais Charpentier décide de briser les prix en ramenant de 7,50 francs à 3,50 francs la Physiologie du mariage de Balzac. Pour cela, il réduirale format in-8° en in-18 en utilisant un texte plus compact. Son initiative sera aussitôt suivie par d'autres éditeurs qui n'hésiteront pas à abaisser progressivement le prix des ouvrages. En 1860, on trouvera de bons textes offerts à 3,20 francs et même un franc. Désormais, le livre sera à la portée du plus petit bourgeois, sinon de l'ouvrier. À la suite de l'initiative prise par Charpentier, la physionomie de l'édition française allait changer. En 1840, on constate, d'abord, une désaffection de la clientèle pour
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les nouveautéslittéraires que certains éditeurs comme Souverain, Baudry, Paulin continuent à publier en in-8° au prix de 7,50 francs le volume. C'est alors que les auteurs offriront leur production aux journaux qui verront ainsi augmenter considérablement leur tirage. Grâce aux feuilletons, les auteurs continuerontà être bien payés tandis que les lecteurs trouveront au jour le jour, en plus des informations, la nouveauté qui leur plaît. Mais la formule lancée par Charpentier continue à porter ses fruits. En 1842, on peut lire sur la couverture d'une nouvelle édition de Volupté [Sainte-Beuve] la mention "À meilleur marché que les contrefaçons belges". Grâce à ces éditions, le commerce de la librairie se transforme radicalement. Les cabinets de lecture perdent rapidement de leur importance tandis que les efforts des éditeurs porteront sur le commerce de détail en librairie. Habitués jusqu'alors à ne recevoir que des ouvrages déjà vendus, les libraires se hasarderont désormais à constituer des stocks et ils n'ont que l'embarras du choix car l'imprimerie a maintenant les moyens de satisfaire à la demande. (Laurent de Gouvion Saint-Cyr,le Romantismedans l'art du X/Xesiècle.) Gervais Charpentier, révolutionnaire dans le monde de l'édition en "cassant" les prix, parallèlement à son contemporain Émile de Girardin, révolutionnaire dans le monde de la presse, avec son journal à deux sous. Georges succéda à son père Gervais à la tête des Éditions Charpentier et publia notamment les écrivains naturalistes. L'une de ses filles, Georgette, épousa le coquet Abel Hermant dont elle divorça en 1893, académicien en 1927, condamné à la réclusion perpétuelle après la guerre de 40 pour avoir écrit dans la presse parisienne collaborationniste pendant l'Occupation. Jeanne, une sœur de Georgette, eut Edmond de Goncourt pour parrain. Léon Daudet, dans Fantômes et vivants, décrit le patron de la "Bibliothèque Charpentier" : il «était le meilleur, le plus accueillant et le moins commerçant des hommes. Ses auteurs étaient ses amis. Il avait la mine ouverte, l'âme généreuse...» Georges Charpentier, l'ami des impressionnistes, fondateur de la Vie Moderne, en confia la rédaction à Émile Bergerat. Égrenant ses Souvenirs de la vie frivole, Abel Hermant écrit de son ex-beau-père : «La peinture l'attirait plus que l'édition. C'était le temps des peintres. Illes connaissait tous et ne cachait pas le faible qu'il avait pour eux. Il connaissait aussi tous les gens de lettres; et il les fréquentait, il les recevait chez lui le mieux du monde, mais comme on reçoit sa famille parce qu'il le faut bien: les peintres étaient ses camarades ou ses amis d'élection. Il avait récemment créé un journal illustré pour marier les arts du dessin avec la littérature, et cette union n'avait pas été heureuse, du moins matériellement. [Allusion à la Vie Moderne.] Il doutait en général du succès de ses entreprises: le succès n'aime pas que l'on doute de lui. Il avait de la mélancolie et de la timidité. Il avait, je pense, durement senti, durant toute son enfance et sa première jeunesse, l'autoritéd'un père terrible, le pire caractèrede Paris, disait-on. » C'est au mariage de Zizi avec Marguerite Lemonnier, au début du printemps de 1872, que Gautier, témoin du fils de son éditeur, accompagné d'Estelle, fit la connaissance de son futur gendre. Le 14 mai 1872
- les fiançaillesavaientété menéestambourbattant - Zizi était témoin au mariage d'Émile et d'Estelle, avec MM. Henri Dela, fonctionnaire au ministère des Finances, pour le premier, - Eugène Giraud et Claudius Popelin, les peintres intimement liés à la vie de la princesse Mathilde, pour la seconde. Le Second Rang du collier, p. 103, 105, 106, 147, 302. CHASSÉRIAU, Théodore (Saint-Domingue 1819 - Paris 1856). Vers la fin de sa vie, le bon Théo n'avait plus le courage d'accompagner ses amis jusqu'à leur dernière demeure,
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mais en octobre 1856, profondément attristé, il suivit jusqu'au cimetière Montmartre le cercueil de Chassériau. « Il dort maintenant à l'ombre du sépulcre, l'ardent artiste qui aimait tant le soleil, et que l'Afrique nous renvoya ivre de lumière, fasciné de couleur, éperdu de la vie du désert. Abd-el-Kader, Bou-Maza, le bey de Constantine étaient ses amis. Aussi, un Arabe en grand burnous noir, à la chéchia retenue par des cordelettes en poil de chameau, suivait son convoi avec la gravité de la douleur orientale, et de sa main brune tatouée des versets du Coran, jetait de l'eau bénite au cercueil. » (Le Moniteur universel, 13 octobre 1856.) Chassériau, précoce élève d'Ingres, n'avait que quatorze ans lorsque Gautier le remarqua dans l'atelier de l'illustre peintre et l'invita au Doyenné, dans ce «vieil appartement dont les fenêtres donnaient sur des terrains pleins de pierres taillées, d'orties et de vieux arbres », notre actuelle place du Carrousel. Les Jeunes-France du Cénacle l'effrayèrent quelque peu par leur débraillé, mais il s'épanouit vite à la chaleur de leur enthousiasme. « J'ai vu naître sa jeune gloire rayon à rayon », dit Théo qui à tout autre préférait le dessin que Chassériau fit de lui en costume grec, vers 1840. En 1849, Théo le présenta à Alice Ozy, dévoreuse d'hommes, capiteuse sirène à l'impeccable anatomie comme nous pouvons en juger par les portraits que peignit Chassériau pendant leur liaison qui dura deux ans. « À trente ans, Théodore Chassériau avait un grand air de distinction. Il était d'une taille élevée. Il portait toute la barbe, qui était noire et extrêmement soignée. Le timbre de sa voix était plein d'harmonieuses sonorités. Il s'exprimait dans un langage choisi, très pur. Instruit, correct dans sa mise, élégant sans affectation, cavalier infatigable, il obtint tous les succès qu'accorde le monde à ses favoris. » (Aglaüs Bouvenne, cité par Jean-Louis Vaudoyer dans Alice Ozy ou l'Aspasie moderne.) Travailleur acharné, séducteur irrésistible, Théodore trouvait encore le temps et l'énergie de mener une vie mondaine très active. Théo et lui se retrouvaient, par exemple, dans les salons de la remuante princesse Belgiojoso et de Mme de Girardin. C'est chez la première, contestataire née, "princesse révolutionnaire" si chère à M. Mignet, de l'Académie française, que Chassériau fit la connaissance de Bou-Maza, chef arabe rebelle condamné à une captivité dorée en France. Sollicité par la seconde, auteur d'une Judith, tragédie créée le 24 avril 1843 au ThéâtreFrançais, Chassériau dessina pour Rachel des costumes d'une somptuosité et d'un goût parfaits. En 1845, Ali-ben-Hamet, calife de Constantine, séjourne à Paris; au Salon, par une curieuse coïncidence, son portrait équestre par Chassériau voisine avec le portrait de Moulay-Abd-el-Rahman, sultan du Maroc, par Delacroix auquel on ne cessa de comparer son jeune confrère pour le louer ou le blâmer. En 1846, sur l'invitation du calife, Chassériau se rendit en Algérie. « Je vis, écrit-il, dans les Mille et Une Nuits. » Ce voyage aggravala maladie pittoresquede l'artiste. L'Orient est dangereux, surtout l'Orient barbaresque; il fait naître un vertige que nous concevons très bien, l'ayant éprouvé par nousmême. Au milieu de nos civilisationseffacées, cela produit l'effet d'un mardi-gras en carême, d'un carnaval en plein soleil et d'une mise en scène d'opéra dont l'auteur ne veut pas se nommer: ces vestes brodées, ces ceintures hérissées d'armes, ces selles bosselées d'or, ces longs fusils ornés de corail, ces burnous blancs aux plis majestueux, ces chevaux ardents et maigres, aux narines roses, aux crinières teintes de henné, tout cela trouble et jette dans une ivressebizarre. Peu de ceux qui ont vu ce spectacle,même parmi les plus robustes, y résistent complètement; chacun en revient un peu musulman dans son cœur, et il arrive parfois en pays chrétien, lorsqu'il pleut et que les bourgeois sont trop laids dans la crotte, de penser aux minarets de Constantine, aux fantasias des douairs arabes, et de dire à mi-voix: il n'y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. (Théophile Gautier, la Presse, 25 mai 1852.)
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Gautier s'enorgueillissait de posséder non seulement les seize eaux-fortes d'Othello, mais aussi Petra Camara, Danaé, Diane et Actéon. En hommage à Chassériau dont il était devenu l'élève et l'intime ami, Gustave Moreau brossa l'émouvant Jeune Homme et la Mort, exposé au Salon de 1865. Ce souvenirresté fidèle à un artiste que le monde n'a pas connu quand il le possédait et dont la valeur sera appréciée plus tard, nous a profondément touché. Théodore Chassériau, que nous aimions tendrementet dont la fin prématurée a été un des grands chagrins de notre vie, était, certes, digne de cueillir ce rameaud'or, emblème de la gloire, si la mort jalouse ne lui avait glacé la main. Pendant qu'il marche la tête illuminée de son rêve, le pâle fantôme se balance derrière lui dans ses voiles funèbres, et un petit génie, sur le devant du tableau, souffle la flamme d'un flambeau; cependant les fleurs s'épanouissent, les oiseaux volent comme de vivantes pierreries, et piquent d'étincelles de saphir et de rubis les ombres indécises du fond où tremblent de vagues feuillages.L'éternelle nature ne prend le deuil pour personne; que lui importent la gloire, le génie, la jeunesse! (Théophile Gautier, le Moniteur universel, 9 juillet 1865.) Il nous plaît de penser que l'amitié de Judith pour Gustave Moreau relaya l'amitié de son père pour Théodore Chassériau. Un petit-fils de celui-ci, le baron Frédéric-Arthur Chassériau, écrivain basque, mécène, l'un des fondateurs de la Société des peintres orientalistes, laissa des Souvenirs sur Pierre Loti et Francis Jammes, publiés en 1937 ; ami, sincère admirateur de l'un et de l'autre, il les fit se rencontrer pour la première fois en 1895, dans sa villa Calaoutça, aux environs d'Hendaye. Loti préfaça Deuil de fils, paru en 1893. Arthur Chassériau, dandy à monocle, tenta le crayon caricatural de Sacha Guitry, artiste en tout genre supérieurement doué pour la charge. Peintre de genre, d'histoire et de portraits, orientaliste, dont les œuvres sont dispersées dans différents musées à Paris et en province, Théodore Chassériau s'est aussi distingué dans la décoration murale, qu'il traita à l'huile et non à fresque comme la plupart de ses confrères. À Saint-Merri en 1844, à SaintRoch en 1854, à Saint-Philippe-du-Roule en 1856, trois églises parisiennes, il exécuta sur commande de vastes compositions que nous pouvons encore admirer alors que le criminel incendie de la Cour des Comptes, en mars 1871, a dévoré la majeure partie des tableaux qu'il y peignit dans le grand escalier, entre 1844 et 1846; pour comble d'infortune, une inondation noya dans une réserve du Louvre le peu qu'on avait pu en sauver! « Un jour que j'étais dans la rue de Lille, debout devant les décombres noircis, raconte Maxime Du Camp, je vis venir Théophile Gautier, appuyé sur le bras d'un de nos amis communs. Ah! le pauvre Théo! Comme il était changé! tirant la jambe, appesanti, la joue pendante, les paupières bouffies, la pâleur du visage plus profonde que de coutume, les lèvres entr'ouvertes comme pour un cri d'indignation [...]. Il marcha jusqu'au palais du Conseil d'État; il gravit péniblement l'escalier rompu par les flammes, encombré par les débris tombés des voûtes et, regardant les restes des peintures de Chassériau, il y chercha une image qui lui était chère; il la découvrit presque intacte, par miracle protégée contre le pétrole, et il eut un mouvement de joie. Longtemps il resta à la contempler, comme si sa jeunesse évoquée au milieu de ces murs écroulés lui eût apparu et lui eût parlé des choses d'autrefois. .. » Le poète était alors réfugié avec ses sœurs dans un misérable logement, rue de Beaune, où il rédigeait ses Tableaux de siège. Aux côtés de Rachel, muse de la Tragédie, le peintre avait figuré Carlotta Grisi, muse de la Danse. «Écartant les pariétaires aux longues chevelures et chassant les ramiers dont ces vestiges étaient devenus l'empire, le
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vieux poète d'Albertus avançait vers la fresque mutilée de Chassériau comme vers quelque rendez-vous mélancolique et secret », brode gracieusement M.-P. Boyé, l'auteur de la Mêlée romantique. Le Second Rang du collier, p. 34. CHA TEAUBRIAND, militaire, voyageur, diplomate, académicien, pair de France, ministre d'État, ambassadeur de France, journaliste pamphlétaire, éternel opposant. .. «Républicain d'instinct, démocrate de tendance, anarchiste de tempérament, farouchement attaché à l'amour de la liberté, il s'était donné une fois pour toutes à la religion catholique et à la monarchie légitime », écrit M. Jean d'Ormesson, auteur de Mon dernier rêve sera pour vous. Une biographie sentimentale de Chateaubriand. Et toujours écrivain parmi les vicissitudes de sa carrière politique et les complications de sa vie privée - «J'ai erré de naufrage en naufrage» -, écrivain somptueux, parmi les plus grands de notre histoire. Sa carrière littéraire, commencée en 1797 avec l'Essai historique sur les révolutions, publié à Londres, s'acheva avec la Vie de Rancé, ouvrage paru en 1844. Jean d'Ormesson, analysant la biographie de Chateaubriand par Ghislain de Diesbach: «Charmant, insupportable, passionné, novateur, inlassablement imité et pourtant inimitable, Chateaubriand est vivant parmi nous parce qu'il est d'abord un style.» (Le Figaro littéraire, 19 octobre 1995.) Né à Saint-Malo -le dernier des dix enfants de René-Auguste de Chateaubriand et d'Apolline de Bédée - un jour de violente tempête d'équinoxe, le 4 septembre 1768, François-René, chevalier puis vicomte de Chateaubriand à la mort de son père en 1786, s'éteignit à Paris, 112, rue du Bac (aujourd'hui numéro 120), le 4 juillet 1848, sous les yeux aveugles de Mme Récamier. Le défunt reçut sur son lit de mort la visite de Victor Hugo, qui assista aux obsèques, le 8 juillet, dans l'église des Missions étrangères, à quelques pas du domicile de l'illustre gentilhomme entré peu à peu dans la décrépitude et le délaissement, sinon l'oubli,
des générationsmontantes. « Il ne me reste, avait-il écrit l'année précédenteen se séparant du manuscrit de ses Mémoires d'outre-tombe confié à l'un de ses exécuteurs testamentaires, qu'à m'asseoir au bord de la tom be; après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l'éternité. » Transporté en Bretagne, après une dernière messe à Combourg, son cercueil fut déposé avec les honneurs officiels civils et militaires, le 19 juillet, sous une dalle de granit orgueilleusement dépourvue de toute inscription, sur l'îlot du Grand-Bé, au large de Saint-Malo, à quelques kilomètres de Dinard par-delà l'embouchure de la Rance. Pendant le dernier été de sa vie, Judith écrivait à Paul Biver: «Je tripote mon théâtre, quand je n'amasse pas les documents pour le quatrième rang [de son Collier]. La récréation, c'est de lire les mémoires de Chateaubriand... » À Léon Hennique : « Je relis les mémoires d'Outre-Tombe pour me remettre en train... Croyez-vous que la guerre finira jamais? » Dans l'Histoire du romantisme, elle pouvait lire ces lignes de son père, assorties d'une restriction si partiale qu'elle prête au sourire: «Chateaubriand peut être considéré comme l'aïeul ou, si vous l'aimez mieux, comme le Sachem du Romantisme en France. Dans le Génie du Christianisme, il restaura la cathédrale gothique; dans les Natchez, il rouvrit la grande nature fermée; dans René, il inventa la mélancolie et la passion moderne. Par malheur, à cet esprit si poétique manquaient précisément les deux ailes de la poésie - le vers; - ces ailes, Victor Hugo les avait, et d'une envergure immense, allant d'un bout à l'autre du ciel lyrique. Il montait, il planait, il décrivait des cercles, il se jouait avec une
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liberté et une puissancequi rappelaientle vol de l'aigle. » Ou encore, dans les Progrèsd£ la poésie française, à propos des Contes et poésies de Mme Ackermann: «Elle appartient à cette école des grands désespérés, Chateaubriand, lord Byron, Shelley, Leopardi, à ces génies éternellement tristes et souffrant du mal de vivre, qui ont pris pour inspiration la mélancolie. Désillusions, amertumes, lassitudes, défaites mystérieuses, tout cela est voilé par un pâle et faible sourire, car cette douleur a sa fierté. Lara et le Giaour ne se lamentent pas bourgeoisement. » Ce "mal du siècle" dont Gautier l'accuse d'être en France l'inventeur, Chateaubriand vieilli le déplorait lui-même: Si René n'existait pas, je ne l'écrirais plus, s'il m'était possible de le détruire, je le détruirais. Une famille de René poètes et de René prosateurs a pullulé; on n'a plus entendu que des phrases lamentables et décousues; il n'a plus été question que de vents et d'orages, que de maux inconnus livrés aux nuages et à la nuit. Il n'y a pas de grimaud sortant du collège qui n'ait rêvé d'être le plus malheureuxdes hommes; de bambin qui à seize ans n'ait épuisé la vie, qui ne se soit cru tourmentépar son génie, qui, dans l'abîme de ses pensées, ne se soit livré au vague de ses passions; qui n'ait frappé son front pâle et échevelé, et n'ait étonné les hommes stupéfaits d'un malheur dont il ne savait pas le nom, ni eux non plus. Dans René j'avais exposé une infirmité de mon siècle; mais c'était une autre folie aux romanciers d'avoir voulu rendre universelles des afflictions en dehors de tout. [...] Une maladie de l'âme n'est pas un état permanent et naturel: on ne peut la reproduire, en faire une littérature... (Mémoires d'outre-tombe, lIe partie, livre II.) Les opinions de ses contemporains sur le caractère de Chateaubriand sont contrastées. Simple, amène, enjoué même lorsqu'il se sentait en confiance et que son amour-propre n'était pas en jeu, il se gourmait, se "drapait" dans le cas contraire et Villemain d'écrire: «De près, il attirait peu. Une habitude de fierté polie, trop souvent glaciale, de longs silences, une sorte de rêverie ou de distraction apparente, au milieu du plus vif intérêt s'agitant autour de lui...» (M. de Chateaubriand, 1858.) Mme Victor Hugo: «M. de Chateaubriand était toujours tel qu'il [Victor Hugo] l'avait vu le premier soir, d'une politesse glacée au fond; on se heurtait à un caractère dont rien ne pouvait ployer la roideur ni diminuer la hauteur; on éprouvait plus de respect que de sympathie; on se sentait devant un génie, mais non devant un homme.» (Victor Hugo raconté par un témoin d£ sa vie.) Sainte-Beuve fut, en 1836, le témoin ironique d'une visite de Lamartine à l'Abbayeaux-Bois, Mme Récamier d'autant plus empressée, d'autant plus aimable pour l'auteur tout nouvellement remis en vedette par la publication de Jocelyn et désarmant de fatuité, que Chateaubriand, mordant un coin de son foulard, ne desserrait pas les dents. À peine le poète
avait-ilpris congé que Chateaubriand« éclata tout d'un coup et s'écria, comme s'il eût été seul: "Le grand dadais!" - J'y étais et je l'ai entendu. » (Chateaubriand, cité par Édouard Herriot dans Madame Récamier et ses amis.) Lamartine se vengea: «De ce Rubens du style, je n'ai jamais estimé très haut que la palette. Il n'était pas assez simple de cœur et de génie pour moi... mais c'était une grande sensibilité littéraire, et le plus grand style qu'un homme puisse avoir en dehors du naturel, le génie des ignorants... » Parlant officiellement devant le cercueil de son grand aîné à l'Académie française, Jean-Jacques Ampère se tira avec élégance d'une tâche malaisée: « Sa mélancolie demeurait reléguée dans les hautes régions de sa fantaisie et se cachait peut-être dans les secrètes profondeurs de son âme; mais elle ne troublait jamais l'agrément de son commerce, et ceux qui arrivaient jusqu'à M. de Chateaubriand étaient un peu émerveillés et un peu surpris de trouver chez lui une gaîté douce, une facilité charmante, une aimable sérénité.» Le célèbre portrait par Girodet-
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Trioson en 1808 nous montre François-René, figure pensive et sévère aux lèvres pincées, chevelure en tempête, le coude appuyé sur une ruine antique pour dissimuler sans doute une épaule plus haute que l'autre... car, de cet homme de très petite taille (1,62 m), le peintre disait que la nature "l'avait raté bossu". Un croquis d'Achille Devéria pousse jusqu'à la caricature le visage en lame de couteau, la lippe dédaigneuse, les yeux mornes d'un Chateaubriand caduc. En 1846, Eugène Manuel rend visite au «poète d'Amélie, d'Atala, de Cymodocée, le voyageur infatigable, le politique passionné... Il ne lui restait rien de beau que ses grands yeux bleus, qui semblent se mouiller facilement de larmes, et qu'il levait sur nous avec une sorte de douceur étonnée... » - «Tel le portraictura quelque temps après le peintre Étex dans cette saisissante image où la vieillesse semble faire face à une éternité qu'elle vient de découvrir. » (Henry Bérenger, Chateaubriand.) Tel il fut, cet "Homère de la mélancolie" - expression de John Lemoinne -, tel il plut; parangon du héros romantique, il disposait de moyens plus subtils qu'une stature avantageuse pour séduire ses "Madames", comme disait Céleste, "la Chatte", vicomtesse de Chateaubriand, victime d'un mariage de convenance bâclé par Lucile, la sœur adorée de François-René lequel, de son propre aveu, «ne se sentait aucune qualité de mari». Les femmes l'aimèrent à la folie, ce volage, y compris la sienne, torturée de jalousie impuissante; la gloire de leur inconstant, menteur, égoïste amant assure par réverbération la survie de leurs ombres charmantes. Faut-il rappeler quelques noms par ordre d'apparition dans le tableau de chasse de l'Enchanteur? Voici Charlotte Ives, l'Anglaise; Pauline de Beaumont, l'amie de Joubert; Delphine de Sabran, marquise de Custine, la châtelaine de Fervaques; Natalie, duchesse de Mouchy, dont Mme de Boigne rapporte ce propos ingénu: « Je suis bien malheureuse! Aussitôt que j'en aime un, il s'en trouve un autre que j'aime davantage », cette pauvre Mouche qui finit par perdre l'esprit; Juliette Récamier, l'amie de cœur de Mme de Staël, celle qui "aurait voulu tout arrêter en avril..." ; Cordelia Greffulhe, comtesse de Castellane, "fort jolie et très spirituelle dame", selon Sainte-Beuve, une passion brûlante... Passons les résignées comme la duchesse de Duras, les bonnes fortunes annexes comme Hortense Allart... Mme de La Tour du Pin eut cette formule: «Il ne craignait pas le sérail. » Le 19 août 1917, lecteur dévot des Mémoires d'outre-tombe, "devenus son bréviaire" (G. de Diesbach), l'abbé Mugnier traçait dans son Journal ces lignes exaltées, bien propres à flatter les mânes du mélodieux vicomte: «Chateaubriand, c'est l'amour sous toutes ses formes, acuité, volupté, intensité, insatiabilité, orgueil, jalousie, désir - l'amour gouffre, l'amour dévoré et dévorant. Le Cantique des cantiques de la passion, dont la dernière strophe est la mort prévenue, recherchée, la mort de tout ce qui limite l'amour, la mort de Dieu et la fin du monde. L'amour dans l'incendie de tous les Walhalla. Amour-sommet, amour-abîme, amour-anarchie qui détruit l'objet aimé, qui détruit tout ce qui existe. On n'a jamais été plus radical, plus logique et plus fou dans l'ordre sentimental. » Le Collier des jours, p. 198. CHATILLON, Auguste de (Paris 1813 - 1881), personnalité originale aux dons multiples, exposa pour la première fois au Salon de 1831. Mêlé à la fougueuse jeunesse du Cénacle, familier du 3, impasse du Doyenné, il y contribua à la décoration du salon avec son Moine rouge "lisant la Bible sur la hanche cambrée d'une femme nue", tandis que Gautier fournissait un Déjeuner sur l'herbe, Théodore Rousseau deux paysages, Chassériau
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une Diane au bain, etc. Dès ce temps, une indéfectible amitié le liait à Nerval. Bien des années plus tard, se relayant avec Gautier, Arsène Houssaye, Maxime Du Camp, il allait à Passy chez le Dr Blanche, l'aliéniste, désennuyer le pauvre Gérard qui réclamait des visites. Le 26 janvier 1855, il assuma la pénible tâche d'annoncer au Dr Labrunie le suicide de son fils. Comme le peintre attitré des Hugo, Louis Boulanger, il nous a laissé de beaux portraits de cette famille, notamment la poétique image de Léopoldine à douze ans, en 1836 ; pour le Roi s'amuse, drame historique de Victor Hugo, représenté en novembre 1832 au ThéâtreFrançais, il se fit même dessinateur de costumes. De 1844 à 1851, Chatillon séjourna aux États-Unis où il travailla beaucoup. Peintre, mais aussi sculpteur et lithographe, il devint sur le tard, curieusement, l'ami et collaborateur du caricaturiste André Gill, mort fou à quarante-cinq ans, en 1885. Peintre, mais aussi poète, ses deux œuvres les plus connues sont À la Grande Pinte et la Levrette en paletot, "pièce à dire", dite partout, avec un succès retentissant: «Ça doit s'manger la levrette, / Si j'en pince une à huis clos... / J'la frai cuire à ma guinguette. / J't'en fich'rai, moi, des pal'tots !...» Dans les Progrès de la
poésiefrançaise, Gautier cite le nom de son vieil ami « dont les vers pourraient parfois être pris pour de vieilles ballades ou d'anciens chants populaires, tant le sentiment est vrai et la forme naïve ». Arsène Houssaye nous apprend que le pauvre Chatillon «mourut de faim, sans dire un mot à ses amis, s'enveloppant d'un linceul d'oubli, dans une baraque de la rue Fontaine ». Dans ses Mémoires de la vie littéraire, J.-H. Rosny aîné rapporte une anecdote qu'il raconta à Judith, sa consœur de l'Académie Goncourt - qui n'aimait guère pourtant que l'on débinât ses amis, étant de ces personnes très ennuyeuses, comme dit Oscar Wilde, qui refusent de dire du mal des gens - sur l'égoïsme avaricieux de Hugo refusant un secours au malchanceux Chatillon dans la détresse: «Le richissime Victor Hugo, prétextant ses propres difficultés pécuniaires - pour cinquante francs! - terminait ainsi sa lettre: "Chacun gravit son Golgotha!..." Sur quoi un ami de Chatillon écrivit - et publia: "Ami, je ne puis rien pour vous, / Que vous proclamer poète / Sous le front ayant la tempête. / Maintenant tirez-vous de là. / Chacun gravit son Golgotha. / On ne peut pas me tirer de carotte. / Imitez-moi, cher ami, je golgothe, / Oui, tout doucement je golgothe."» Ceci semble bien n'avoir été que calomnie, puisque, le 17 décembre 1867, Hugo écrivait à son fils Charles: « Châtillon, qui a fait les vilains vers bêtes que je ne lui pardonne pas, m'a demandé secours. Je lui envoie 50 frs. sans lui laisser ignorer que je sais sa mauvaise petite action. » À moins qu'il n'y ait eu quelque relation de cause à effet entre la publication de ces méchants vers et l'envoi, réflexion faite, des cinquante francs? Disons, pour lui rendre justice, que Hugo, qui supportait de lourdes charges personnelles, fut impitoyablement harcelé par toute espèce de quémandeurs. Cette même année 1867, le bon Théo était intervenu auprès de M. de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts, en faveur de son vieil ami: «Comte, mon protégé, peintre, sculpteur, poète, / A tenu, sans profit, ciseau, lyre et palette; / Dans un artiste seul vous en obligez trois, / Et cent francs par talent, ce n'est pas trop, je crois.» La supplique satisfaite, il rend grâces: «Pour chaque vers Byron touchait une guinée; / Vous payez mon quatrain d'un prix plus généreux, / Et de ce laurier d'or ma muse couronnée / Le détache et le tend à l'ami malheureux. » Judith hérita du portrait de son père par Chatillon. Théo affectionnait cette représentation de lui en dandy romantique: «Voilà comme j'étais à vingt-huit ans; c'est là l'image que je voudrais laisser de moi, elle est d'une ressemblance absolue. [...] La réputation vient tard en général et on ne laisse de soi qu'un masque flétri et déformé par les fatigues et les peines de
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la vie. Cela est absurde. Passé trente ans, on ne devrait jamais laisser faire son portrait. » Suzanne Meyer raconte une visite, au Pré des Oiseaux, de Paul Deschanel et de sa femme, une petite-fille de Camille Doucet. Dans les années 1905-1910, ils louaient pour l'été une villa à Saint-Lunaire. Paul Deschanel, de l'Académie française depuis 1899, l'homme politique, si pimpant, si adonisé que Rochefort l'avait surnommé Ripolin et que, de son nom, on fit cette méchante anagramme: Dans la peluche; Deschanel, le bourreau des cœurs, l'habitué des ruelles de la baronne de Poilly, de Mme Beer, de Mme de Loynes, de la comtesse Diane, pour ne citer que ces belles; Deschanel, promis, le pauvre, à la risée populaire, lorsqu'on le retrouva une certaine nuit de mai 1920, président de la République tombé de son sleeping, errant pieds nus sur la voie ferrée du côté de Montargis: «Il n'a pas abîmé son pyjama, / C'est épatant, mais c'est comme ça ! / Il n'a pas abîmé son pyjama, / Il est verni, l'chef de l'État! » Au Salon de 1913, son portrait par Aimé Morot rendait justice à la finesse de ses traits comme à l'élégance de sa tenue. Donc, Judith, qui adorait le travesti, reçut les Deschanel assise dans son fauteuil sous le portrait de son père « auquel elle s'identifia merveilleusement. Ce fut une impression inoubliable! » conclut Suzanne. Ce tableau de Chatillon enrichit les collections romantiques du Musée Carnavalet. Le Second Rang du collier, p. 110. CHOPIN, Frédéric (1810-1849). 1810: millésime heureux dans les annales musicales du XIXe siècle: le 1er mars, naissance en Pologne de Chopin; le 8 juin, naissance en Saxe de Schumann. (Pour mémoire, le Il novembre de cette même année, naissance du prédécesseur de Chopin dans le cœur infatigable de Sand, Alfred de Musset.) Et Liszt, qui sera l'ami de Chopin et de Schumann, viendra au monde dès l'année suivante, en Hongrie. C'est par une bien grosse étourderie que, dans son Roman d'un grand chanteur (Mario de Candia) (Bibliothèque-Charpentier, 1912), Judith écrit: «Chopin était né en Italie, d'un père français, en 1810, comme Mario. Ils étaient de vieilles connaissances, précise-t-elle, car ils s'étaient souvent rencontrés chez George Sand à Paris.» Fryderic-Francizsek - FrédéricFrançois Chopin est né à Zelozowa Wola, non loin de Varsovie. Son père, français, émigré de Lorraine en 1787, avait épousé une Polonaise, Justine Krysanowska ; leur premier-né fut en 1807 Ludwilla- Louise, puis vint Frédéric, avant deux autres filles. Louise fut toujours la préférée de son cadet dont elle aura la douleur de fermer les yeux. Enfant prodige, mais non pas forcé en serre chaude, le jeune pianiste s'épanouit dans une atmosphère familiale, gaie, chaleureuse et cultivée. Quelques jours avant son huitième anniversaire, le 24 février 1818, a lieu son premier concert public au palais Radziwill, à Varsovie, chez le prince gouverneur de Posnanie, compositeur estimable qui lui accorde sa protection. Ayant mené de front ses études scolaires et musicales
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piano, composition
-, Chopin
voyage en Allemagne,
en
Autriche. Il est à Vienne en 1830 quand éclate l'insurrection polonaise, promptement et impitoyablement écrasée sous la botte russe. Voilà Chopin contraint à l'exil, coupé de ses racines, voué pour la vie à la nostalgie de sa patrie meurtrie. Paris l'accueille en 1831 ; le 26 février 1832, il Ydonne, salle Pleyel, son premier concert. Mais un récital improvisé en soirée chez le baron James de Rothschild, auquel il vient d'être présenté par le prince Valentin Radziwill, le lance d'un trait dans la meilleure société mélomane où l'on fête ce dandy talentueux aux manières parfaites. Les salons se le disputent, il s'y produit beaucoup
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et plus volontiers qu'en public qu'H n'a pas, dit-il, comme Liszt, les moyens "d' assomn1er". Il gagne surtout sa vie en donnant des leçons particulières, haut cotées. Quand Sand, vers la fin de l'année 1836, jnvitée à l'Hôtel de France par Liszt et Marie d' pigol1lt, rencontre paur la prtml~re fois le frêle Chopin - «Ce monsieur Chopin, c'est
unejeurJeîille ? 'f) - d~ quelle expérienceaJnoureusece dernierest-il pourvu? À Varsovie, il s'était silencieusement épris d'une de ses condisciples au Conservatoire, Constance Gladko\vska. En 1836, à Dresde, ii a demandé timiden1ent Marie 'Vodzinska en mariage... sans autre suite qu'en gros chagrin muet. IJ est plus à l'aise avec les garçons. Lettres à Titus Woyiechowski, son cRrnaradede jet~nesse: «Aime-nloi, mon bien-aimé. Tends tes
lèvres à ton ami. » -
«
Donne ta bouche. » Etc. TÜus, un grandcostaud, homme de plein
air, fait savoir qu'il n' apprécje. guère ces D1ignardises.Chopin: «J'aurais beau oindre mon corps des parfums les plus rares de Byzance, tu refuserais encore de fil'embrasser si je ne savais t'y contraindre pill' un~ sorte d'attraction n1agnétique. Il y a dans la nature des forces
secrètes...
>~ Sans preuve, on
a crédité Chopin d'une brève liaison avec son élève, la belle,
la très libre Delphine Potoçka, née Komar, l'ol1sicienne distinguée. Quoi qu'il en fût, sans prétenticn à une carrière d~ séducteur, il confessait e.n 1837; «Si quelqu'un désirait me Inettre en lisières, je serais très content. » Sand, remise des affres de sa passion pour ~1usset, peu en1pêc~éc par SGI1a~11antdu llJOment, le beau Mallefille, fondit sur cette proie délicate : « Il n'est pas dans Ina nature de gouverner lTIOnêtre par la raison qU(L~dl'amour s'en emp3re », et l'~tnpùrta, snitée de Ivlaurjce et de Solange, jusqu'aux Baléares Majorque, chartreuse désaffectée de Valldernosa - pour une lune de nliel froide et pluvieuse qui faillit être frneste à la sa!lté r,récaire du 'jeu!l~ cotnpositeur. La liaison Sand-Chopin, vécue entre Paris et Nohant, ~.lurera une dizaine d'années, de 1838 à 1847, aussi harmonieuse qu'il éHÜt possihle entre un grRnd ~erveux ombrageux, souffreteux, et la placide, la~naternel1e ron1ancière, du reste '~fine écouteuse)' de par son excellente culture ITlusÎcale. George, de Frédér].c : «Ce pauvre aIllant de l'in1possible... Son âme est toute poésie, toute nlusiquc Doux, enjoué, ~;h~J1nantdans le Inonde, Chopin malade était exaspérant da.11S l'a!nitié exclusi ve... Son esprit ~t!1it~corc.hé vif; le pli d'une feuille de r03e, l' ombre d\~ry !~louche ]~ faisaient saigner... », or, Sand refusait qu'on prît «des m{)uches pD1Jfdes éliphanc_~». Leurs contt~[nporains, quelle iInage se faisaient-ils des deux hércs de, cette hÜ:toirecopie':s'~nlent CO~lTIi;ntée? Quelques fOffilules choc. CHOPIN: «Un divin aris~or.rate,!~~llarchz.nge fé111i:1ÎnL~UXailes prismatiques» Liszt. - «Le mauv~ds gê'nie de G~org0 Srnd, son vampire mor~l, sa croix» Micr-je\vicz. -- «Il se meurt toute sa vie» Daniel i\1..1ber.- ~
«Hornnle exquis.par le. cœljr el je n'ai pas besoin de dire par l'esprit» ~
Delacroix.
SAND: «tfrès orgueilleuse en amour et très bonne en amitié» Buloz. - «Un cimetière» Sandeau. - « Un van1pire, une goule» PLstolphe de Custine. - «Victime d'un bourreau sans pitié» Mjckiewicz. - «Cette latrine... Je Prudhomme de l'immoralité» Baudelaire. - «Elle est grande, généreuse, dévouée, chaste; elle a les grands traits de l'holnine; ergo, elle n'est pas feITJme» Balzac. - ,( Quel brave homnle... et quelle bonne fen1rne ! ~> Tourgueniev. - «Fen1me, très fenlme... belle ârne, grosse croupe» SainteBeuve. - «Ifonune dans la tournure, le langage, le son de la voix et la hardiesse des expressions Vigny. - « Inlpossible d'être n1eil1eurefemme et meilleur garçon à la fois» 'fI
Théophile Gautier. En tout cas, COlTImel'écrivait justement Marie d'Agoult,
«deux
natures
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antipodiques ». Depuis belle lurette, l'amour ardent a fait place à une tendresse toute platonique, mais la tendresse elle-même s'est découragée, usée par les menus accrochages, les griefs additionnés, les conflits, même, de domestiques, les commérages aggravés des uns et des autres. Maurice, un homme fait maintenant, renâcle devant les interventions de Chopin, aussi discrètes soient-elles, dans les affaires familiales. Le mariage brusqué de Solange, blâmé par Chopin qui ne la soutient pas moins en toute occasion contre sa mère, avec Clésinger, le grossier "tailleur de pierre", met le feu aux poudres et précipite une brouille qui sera définitive rupture. George en souffrit, s'en remit; Frédéric, on peut dire qu'il en mourut. Inspiration tarie, il ne composa plus. La tuberculose fit d'effrayants progrès dans un organisme ravagé par le zal, ce spleen polonais, ce regret intense qui renferme, selon Liszt, toute l'échelle des sentiments, depuis le repentir jusqu'à la haine. Les événements de 1848 et les bons offices de Miss Jane Sterling, une Écossaise de ses élèves, généreuse, dévouée et assez amoureuse de Chopin pour songer unilatéralement au mariage, l'incitèrent à entreprendre un voyage outre-Manche, après un ultime concert, salle Pleyel, le 16 février 1848, devant un auditoire trié sur le volet. "L'Ariel du piano" passe sans profit pécuniaire appréciable plusieurs mois en Angleterre et en Écosse, trimbalé de château en château, de récital privé en récital privé. «Est-il possible de s'ennuyer autant que je m'ennuie?» Il rencontre, dit Judith, Mario et Grisi. «Il n'avait qu'un souffle de vie et n'avait plus la force de marcher. Son valet de chambre était obligé de le monter et de le descendre dans ses bras. Chopin était à cette époque si amaigri qu'il ne pesait pas plus qu'un enfant. » Un billet de Chopin (48, Dover Street, Piccadilly, Londres) à Solange Clésinger atteste la bonne intelligence qui régnait entre le pianiste anglais et le ténor italien: « Pardonnez mon style - le style c'est l'homme. Mon style est bien bête. J'ai donné une matinée. Le beau monde y était - Mario a chanté 3 fois - j'ai joué 4. Cela a eu du succès cela m'a rapporté 150 guinées - il n'y avait que 150 places et la veille toutes ont été prises. » De retour en France, fin novembre 1848, à peu près moribond, il lui reste moins d'un an à souffrir, choyé par un entourage navré. Le bien-aimé Titus ne peut, hélas! se rendre à son appel, faute de passeport, mais Louise, la sœur chérie, accourt au chevet du malheureux. Il meurt le 17 octobre, 12, place Vendôme. Clésinger moule son masque et sa main gauche; c'est lui qui sera chargé du monument de Chopin, au Père-Lachaise (lIe division) où repose le corps du compositeur. Son cœur est transporté en l'église Sainte-
Croix, à Varsovie. « Repose en paix, belle âme, noble artiste! L'immortalité a commencé pour toi... », écrit Gautier, et Schumann: « L'âme de la musique a passé sur le monde. » Le Second Rang du collier, p. 257. CLAUDIN, Gustave (1823-1896), romancier et journaliste. Au Café Riche, 16, boulevard des Italiens, Claudin, arbitre des élégances du Second Empire et qui "plastronna aux Tuileries", déjeuna pendant quarante ans et tint ses assises boulevardières, comme s'exprime Bergerat qui nous le montre, "ce fidus Achates" de Paul de Saint-Victor, d'habitudes immuablement casanières dans le cercle inscrit par son domicile, 27, rue Le Peletier, la Comédie-Française, la Librairie Nouvelle, le Café Riche et le Figaro. Il lui en fallait sortir, cependant, et "passer les ponts" pour se rendre, quai Voltaire, au Moniteur, où il fit longtemps, avec Saint-Victor, l'intérim de Gautier lorsque celui-ci partait en voyage. Dans Mes Souvenirs. Les boulevards de 1840-1871, ce gentil mémorialiste parle du bon
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Théo avec affection. « On peut dire qu'il était blasé d'Idéal, tant il l'avait médité, admiré et atteint lui-même dans ses œuvres. Il restera, celui-là, le poète des élégants et des délicats. Il eut ce mérite très rare d'avoir su écrire aussi bien en vers qu'en prose [...]. Il est tout à la fois créateur et critique. On lira toujours avec plaisir les belles luttes qu'il dut soutenir pour faire triompher le romantisme en littérature et en peinture. C'est par la brèche ouverte par sa plume que Victor Hugo, Alexandre Dumas, de Vigny, Delacroix et Decamps sont montés à l'assaut. Gautier, en accomplissant cette tâche, fit un effort magnifique de talent. C'était le plus doux des hommes... » Les Goncourt, qui firent la connaissance de Claudin - au Café Riche, naturellement - le 4 juillet 1857: «courriériste de Paris quelconque, qui sort de chez Béranger, dont il est le filleul... », n'en parlent que pour le plaisir, semble-t-il, de le dénigrer. En revanche, beaucoup moins guindé, Louis Sonolet - «une des silhouettes les plus sympathiques du Paris d'avant-guerre », dira Roland Dorgelès préfacier de la Vie parisienne sous le Second Empire - campe un Gustave Claudin «aussi fin gourmet et enragé chasseur de cotillons que spirituel colporteur de potins». Le Second Rang du collier, p. 89, 147. CLERMONT-GANNEAU, Charles-Simon (Paris 1846 - Paris 1923), membre de l'Institut, professeur au Collège de France. Devenu un très docte orientaliste après de fortes études, sa carrière consulaire le conduisit en divers pays du Proche-Orient. À la Bibliothèque Nationale, l'énumération de ses ouvrages et de ses communications occupe trois pages du catalogue des imprimés. Chargé de missions archéologiques françaises et anglaises en
Palestine, il y fit de notablesdécouvertes. « Ma chère Judith, / Où demeureM. Ganneau ? On me dit que c'est l'homme actuellement le plus fort en archéologie palestinienne. J'aurais besoin d'avoir avec lui une forte conférence. / Ton vieux / Gustave Flaubert / t'embrasse. » Doué d'un coup d'œil infaillible pour déceler les pièces douteuses, Clermont-Ganneau se divertit malignement à dénoncer les fraudes archéologiques de trafiquants sans scrupule, comme le Pentateuque de Schapira, antiquaire à Jérusalem, le père de Myriam Harry, qui mettra volontairement fin à ses jours à Amsterdam; elle raconta l'histoire à sa façon dans ses romans lourdement autobiographiques. Ridiculisant sans pitié un certain nombre de savants européens, suscitant de mortelles inimitiés, il dévoila la supercherie de la prétendue tiare de Saïtapharnès - scandale énorme! et celle de la "collection moabite" avec 1 700 numéros de faux grossiers dont le plus saugrenu était peut-être "la pipe d'Astarté". (Louis Jalabert, les Études, 60e année, tome 174, No 5.) Caractère entier, enclin à la mélancolie, mais sujet à des accès de franche gaieté, voire grivoise, et "toujours pétillant d'esprit" selon Suzanne Meyer, lorsqu'il se sentait en confiance entre amis. Parfois décrit comme un ours, Clermont-Ganneau n'en fréquentait pas moins le salon du général de Ricard, «le berceau du Parnasse et le nid primordial de bien des futurs académiciens; c'était pour mes dix-huit ans, écrit Mme Alphonse Daudet, le Temple même de la poésie.» Il compta au nombre des collaborateurs de la Revue du progrès et de l'Art (Louis-Xavier de Ricard, Catulle Mendès, fondateurs), ainsi que de Rive gauche (A. Cournet, R. Luzarche, fondateurs), qui publièrent quelques-uns de ses poèmes. «A vec sa tête long-barbue, au profil assyrien, il semblait venir du lointain Orient et, au contraire, il se préparait à y faire ces expéditions scientifiques qui ont illustré son nom, même en dehors du monde restreint des "compétents". » (LouisXavier de Ricard.) Quand il ne paraissait pas le dimanche chez Judith, c'est qu'il s'était rendu
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au Collège de France où Gaston Paris recevait, dans la maison de Guillaume Budé, toute sorte de personnalités: historiens comme Gabriel Hanotaux, littérateurs comme Paul Bourget, hommes politiques français et étrangers dont quelques-uns pouvaient être utiles à sa carrière. M. Thierry Bodin a mis en vente une lettre de Judith à Gustave Ollendorff - elle n'a jamais marchandé son appui à ses amis et s'entremettait avec zèle en leur faveur auprès des puissants du jour - dans laquelle nous relèverons cet intéressant passage d'une lettre recopiée de Nono: «Si j'avais à ma disposition un crédit sérieux, je pourrais faire de grandes choses en Syrie, soit comme fouilles, soit comme acquisitions d'antiquités car les deux moyens doivent marcher de front [. ..]. La méthode actuelle qui consiste à attendre dans un cabinet de conservateur que la montagne vienne à vous est une méthode idiote. L'on n'achète que les rebuts des musées étrangers ou, si l'on met la main sur une belle pièce, on la paie des prix fous. [...] - Lockroy vous a-t-il parlé formellement et nommément de moi, ou bien est-ce vous qui lui avez suggéré mon nom? [Etc.] » Dans Poésies, Judith lui dédia sa Légende arabe: «Il y avait dans Ecbatane / Une très hautaine sultane...» Leur correspondance fut toujours active et l'une des toutes dernières lettres de Judith, au désespoir de la mort de Fanelli, est adressée à Nono: elle est datée du 7 décembre 1917. Oui, une amitié de toute une vie! Le père de Clermont-Ganneau était une sorte de fou génial, né aux environs de 1800 d'un père chapelier. Alexandre Dumas père nous le décrit gandin, habitué du Café de Paris dans les années 1830-1831, joueur, grand amateur de chevaux et de femmes. Il s'improvise phrénologue consultant. Terrassé par une grave maladie, il dépouille le vieil homme, se fait prolétaire en blouse et sabots, ouvre un atelier de sculpture et fonde une religion, l'évadisme (d'Ève et Adam), dont il est le dieu vivant, le Mapah (de Mater et Pater). Il prône l'androgynisme, unité des principes mâle et femelle dans la nature, de l'homme et de la femme dans la société avec primauté du féminin, et publie son évangile, l'Arche de la Nouvelle Alliance. Maxime Du Camp raconte: «Je le rencontrai une fois dans l'atelier de Gleyre ; nous discutâmes, et comme j'avais eu la naïveté de lui citer une phrase du sermon sur la montagne, il croisa les bras, me regarda en face et s'écria: "Sachez que je ne tiens pas plus compte de Jésus-Christ que d'une crotte d'oiseau sur la corne d'un bœuf." Je n'insistai pas. » Cet homme intraitable abandonne sa femme pour se consacrer à son Église; les bouleversements de 1848 dispersent ses adeptes parmi lesquels il compta Éliphas Lévi et Flora Tristan "qui s'intéresse de très près à lui", écrit Évelyne Bloch-Dano dans sa toute récente biographie de "la Femme-Messie" ; il quitte notre bas monde en 1851. Privée de ressources, Mme Ganneau s'était faite lingère pour élever son fils et lui assurer la meilleure instruction possible. Autoritaire, très possessive, la digne femme lui vouait un amour exclusif, il lui rendait un véritable culte et demeura célibataire, faisant ménage avec elle. Quand elle mourut, âgée de cent huit ans, pendant la Grande Guerre, la solitude de Nono se fit plus amère, il sombra dans un ennui morose et dans la misanthropie. Le lecteur curieux des préoccupations et des méthodes de travail d'un archéologue de terrain à la fin du siècle dernier trouvera d'intéressants détails sur les fouilles de la ville palestinienne de Geser, retrouvée par Clermont-Ganneau, dans les Peuples étranges (G. Charpentier, 1879), ouvrage de Judith Gautier, où se trouve reproduit un article paru dans le Journal Officiel du 14 octobre 1875 sous la signature de F. Chaulnes, l'un des deux pseudonymes utilisés au début de sa carrière d'écrivain. Le Second Rang du collier, p. 82, 125, 159, 187, 199,238, 284-285.
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COHEN, Hermann (1820-1871), le Puzzi des Lettres d'un Voyageur de George Sand, élève de Liszt que ce dernier accueillit chez lui à Genève, dans l'été de 1835, au profond déplaisir de Mme d'Agoult voyant ainsi brisée l'intimité de son "ménage" avec Franz. Il était si fluet, si gracieux, ce Puzzi, qu'à Chamonix, à l'hôtel de l'Union en août 1836, l'aubergiste, ébahi par l'aspect insolite des exubérants voyageurs descendus de la diligence les Fellowes (Liszt et Marie) et les Piffoëls (la falnille Sand) avec leurs escortes -, l'appelait la Jeune Fille. Liszt fit nommer cet adolescent pianiste virtuose au Conservatoire de musique de Genève, tout nouvellement créé. Par la suite, il fallut s'en séparer. Journal de Marie d'Agoult, 29 juillet 1839 (reproduit par son biographe Charles Dupêchez) : « Franz va reconduire Puzzi à Livourne. Jusqu'au dernier jour, il se montre personnel, parcimonieux, gourmand, nonchalant. Durant tout le temps qu'il a été avec nous, il n'a pas trouvé à dire un mot aimable à personne. J'ai la conviction qu'il restera toute sa vie un médiocre et désagréable personnage. » Jugement sévère confmné par la déplorable conduite d'Hermann et son existence dissolue, associée pendant un temps aux débauches de Musset, jusqu'à ce que, bien des années plus tard, la grâce divine ne foudroyât ce mauvais sujet pour en faire un carme déchaussé en 1851. Le Père Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement devint en 1871 aumônier en Allemagne des prisonniers de guerre français. «Il mourut à Stettin en 1871 de la petite vérole qu'il avait contractée en soignant nos blessés », notera la comtesse d'Agoult dans ses Mémoires. Et Sand, laconique, dans son Agenda: «Sa mort rachètera sa vie.» Dans une vitrine du musée de la Vie romantique, à Paris, 16, rue Chaptal, le profil du jeune Puzzi, modelé en médaillon par David d'Angers, voisine avec ceux de Liszt, Musset, Sand, Luigi Calamatta le graveur et lithographe, et Raoul-Rochette qui fut le grand-père maternel de Mme Maurice Sand, née Lina Calamatta. Le musée de la Vie romantique, au cœur de ce quartier que l'on nomma la Nouvelle-Athènes, occupe un charmant petit hôtel, construit en 1830 par et pour le peintre Ary Scheffer. Cet homme austère, laborieux, d'origine allemande et hollandaise, féru de musique, était un admirateur passionné de Pauline Viardot, "l'irrésistible laide" à la voix double, « hermaphrodite» dit Gautier, «cette voix qui part de l'âme et va à l'âme» dit Sand; d'elle, Scheffer fit un émouvant portrait. L'illustre cantatrice lui rend fréquemment visite en voisine, comme le font aussi George Sand et Chopin, du square d'Orléans, à courte distance de promenade, ce véritable phalanstère d'artistes qu'ils habitent, jusqu'à leur rupture, de 1842 à 1847, la première en étage au numéro 5, le second au rez-de-chaussée du numéro 9. Tout le gratin des Lettres et Arts de l'époque fréquenta l'atelier de Scheffer: Rossini, Delacroix, Géricault, Tourgueniev, Jules Janin... Héritière du peintre, sa petite-nièce Noémi, fille d'Ernest Renan, femme de l'écrivain philologue Jean Psichari, mère d'Ernest Psichari tué sur le front belge le 22 août 1914, tint elle-même, rue Chaptal, un salon littéraire ouvert à Anatole France, Puvis de Chavannes et autres sommités des débuts du XXe siècle. Revenons un instant à Hermann- Puzzi pour mentionner l'image que nous en a laissée l'artiste, né Belge, Alfred Stevens. Dans "le Peintre aux billets" (article reproduit dans Triptyque de Flandre Diptyque de France), Montesquiou décrit « le Pianiste Hongrois, petit portrait, ensemble distingué et flamboyant, d'un blond jeune homme, aux cheveux longs et drus à la Liszt, au visage finement ombré, une transcendante étude laquée en pleine pâte, où le luisant palissandre de l'instrument, la musique entr' ouverte et le lisse clavier, la culotte gris-perle ornée de broderies, le tabouret d'un rouge de géranium, sont ébauchés et entièrement rendus en quelques touches toutes puissantes. Stevens a peint ce tableau en une heure et demie (le
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temps ne fait rien à l'affaire), d'après l'accompagnateur de Rémenyi, le violon célèbre. » Dans un autre chapitre de ce même recueil, Montesquiou, dont on connaît l'attrait pour les artistes de la modernité, créateurs de l'Art Nouveau comme Gallé, le maître verrier et ébéniste nancéien, ou Lalique, "le Gallé du bijou", salue la mémoire de Carriès, mort à moins de cinquante ans. Si Stevens était un amateur éclairé des bibelots d'Extrême-Orient, Carriès, lui, les étudia avec le souci d'en pénétrer les secrets techniques; sculpteur et céramiste, il renouvela l'art du grès émaillé polychrome. Très apprécié de Montesquiou, il lui fut présenté par Judith Gautier. Connaissait-elle Carriès en raison de leur intérêt commun pour le Japon ou parce qu'il était en relation avec Auguste Vacquerie dont il a laissé un très beau buste? « La même année, si je ne me trompe, que parurent au Salon les impressionnantes têtes de Carriès, écrit Montesquiou, un volume de vers fit son apparition, lui comme elles prônés par Judith. Ces vers morbides et faisandés, de sujets et de manière, en contenaient de beaux, qui me parurent beaux et l'étaient, notamment ceux-ci, à propos d'Antinoüs: "Le front étroit et bas et les larges prunelles/Qu'ont les êtres passifs aimés des dieux pervers." Je désirais connaître l'auteur, et Judith s'y prêta, pour ce poète, comme elle l'avait fait pour ce sculpteur. » Les Mémoires du comte Robert détaillent les suites plutôt déplaisantes de cette rencontre, entre Jean Lorrain voyant, provocateur, et Montesquiou champion toutes catégories des complications, susceptibilités, piques, griefs, fâcheries. Sa très chère cousine Greffulhe elle-même, objet pourtant d'une admiration persévérante «Beau lis qui regardez avec vos pistils noirs» - et d'une affection sincère, fut un jour victime de cette humeur vindicative qu'elle découragea aussitôt avec humour: «Vous me semblez en train d'essayer une brouille avec moi. Je vous le déconseille, vous n'y réussiriez pas et cela ferait du temps perdu que vous pouvez, sur ce terrain-là, mieux employer avec d'autres. » Le tempérament de Judith était aux antipodes des humeurs difficultueuses de l'irascible gentilhomme. - «Si j'ai cessé de vous voir, c'est que j'ai pour habitude, et même pour loi, écrit-il à Natalie Barney à propos de l'attachement manifesté par celle-ci pour Lucie Delarue-Mardrus, quand j'ai vu se lier deux personnes que j'ai mises en présence d'en sacrifier une pour ne pas les perdre toutes les deux. »- Judith s'entremit donc de bonne grâce entre Gustave Moreau et Jean Lorrain qui raffolait des œuvres du peintre symboliste, comme lui passionné d'occultisme. Nous savons par une lettre de Jean Lorrain à Judith, passée en vente à l'Hôtel Drouot le 18 juin 1982, qu'il vint lui lire les poésies dédicacées à Moreau dans l'Ombre ardente et les poèmes à elle-même dédiés... «Vous qui ressemblez toujours à ses terribles et immobiles déesses. [...] Je baise vos longues mains pâles comme du jade. » Une autre lettre prie Judith de venir le retrouver dans l'atelier de La Gandara, alors son voisin à Auteuil. Le très bel Antonio de La Gandara mourut en 1917, la même année que Judith, au numéro 22 de la rue Monsieur-le-Prince où nos édiles parisiens ont apposé une plaque à sa mémoire. Il est amusant de constater que les plus chers et les plus courus des peintres mondains à Paris au début du XXe siècle, étaient des étrangers à l'éblouissante carrière internationale. Par ordre de naissance, et parmi les plus en vogue, voici: Giovanni BOLDINI (1845-1931), Italien comme son nom l'indique. (Portraits de: Verdi, Whistler, comte Robert de Montesquiou, Willy, marquise Casati, comtesse Guy de Martel, alias Gyp, Cléo de Mérode, Réjane, princesse Marthe Bibesco, madame Jean Hugo,.. .). John Singer SARGENT (1856-1925), Américain. (Portraits de : Judith Gautier, madame Gauthereau, la Duse, madame Helleu, Carolus-Duran, Mrs. Kate Moore, docteur Pozzi, marquise d'Espeuilles, née Bassano,...). Antonio de LA GANDARA (1862-1917), de père espagnol
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et de mère anglaise, élève de Gérome. (Portraits de: princesse A. de Caraman-Chimay, comtesse Mathieu de Noailles, comte Robert de Montesquiou, Jean Lorrain et sa mère, Ida Rubinstein, Polaire, donna Maria de Galèse - l'ex-femme de D'Annunzio,.. .). Philippe Alexius de LASZLà DE LOMBOS (1869-1937), Hongrois naturalisé anglais. (Portraits de: duchesse de Rohan, beaucoup de Gramont, comtesse Greffulhe, comte Robert de Montesquiou, baronne Robert de Rothschild, comtesse Jean de Castellane,...). Ignacio ZULOAGA y ZABALETA (1870-1945), Espagnol, élève à Paris de Gervex et de Carrière. (Portraits de: comte et comtesse Jean de Castellane, comtesse Greffulhe, Maurice Barrès, comtesse Mathieu de Noailles, Manuel de Falla, Lucienne Bréval,.. .). De WINTERHALTER (1805-1873), Allemand, à FOUJITA (1886-1968), Japonais, citons encore Charles CHAPLIN, Anglais naturalisé français, les MADRAZO père et fils, Espagnols, Romaine BROOKS, Américaine, VAN DONGEN, Hollandais, sans épuiser pour autant la liste de ces portraitistes étrangers ou de souche étrangère qui connurent la vogue en France depuis la Restauration jusqu'à l'après-guerre de 14. Jacques-Émile BLANCHE (1861-1942), le fils du Dr Antoine-Émile Blanche l'aliéniste, autre élève de Gervex, fut peut-être le plus valeureux de leurs concurrents autochtones auprès du gratin mondain, artistique, littéraire, de ceux que l'on désignera plus tard par les trois lettres V .I.P. (Portraits de : marquis de Castellane, Corisande de Gramont, baronne Robert de Rothschild, comte Robert de Montesquiou, Ida Rubinstein, Nijinski et, aussi, Oscar Wilde, Pierre Louys, André Gide, Jean Cocteau,...). Peintre dont les toiles garnissent toute une salle du musée des Beaux-Arts de Rouen, chroniqueur d'art, écrivain talentueux qui fréquenta chez Judith Gautier, Blanche était assez mauvaise langue et de manières assez efféminées pour qu'avec cruauté on le surnommât "la vipère sans queue". «Le portrait est l'une des grandes réalisations de l'art occidental, et ceux qui ont traversé le temps nous rapprochent de nos aïeux. Il appartient au modèle qui l'a voulu, et vaut d'abord pour le temps où il est fait. [...] Le modèle nous fait partager sa vie dans un temps révolu [...] Le portrait mondain représente l'accomplissement de notre civilisation dans ce qu'elle a de plus rare. Comment ne pas aimer ces poses et ces élégances - tous ces signes distinctifs d'une noblesse
séculaire? » (PatrickChaleyssin,la Peinturemondainede 1870 à 1960.) Le Second Rang du collier, p. 257. Complainte de Sainte-Hélène. On la désigne communément par ce titre: «Sur le rocher de Sainte-Hélène ». Avec «la Colonne », «Il reviendra, le petit Caporal », « Vive à jamais la redingote grise» ou encore « Honneur à la patrie en cendres », ce fut une favorite parmi toutes les chansons que fournissaient à profusion, sous la Restauration, aux nostalgiques du Premier Empire et de l'Épopée napoléonienne, les Desaugiers, Brazier, Debraux -l'auteur
d'un Fanfan la Tulipe que fredonna la France entière
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et autres Béranger.
La révolution de février 48 qui chassa Louis-Philippe de son trône suscita la vocation de leur cadet, Pierre Dupont. Gautier parle longuement de ce dernier dans les Progrès de la poésie française: «La chanson politique de Pierre Dupont contient plus d'utopie que de satire, plus de tendresse que de haine. Il rêve la fraternité, la paix universelle, l'accession de tous au bonheur. Selon lui, le glaive brisera le glaive et l'amour sera plus fort que la guerre. » Théo déplore l'oubli dans lequel s'enfonça rapidement la mémoire de ce modeste qui chanta rustiquement "les grands bœufs blancs tachés de roux", de ce lyrique qui crut à la
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poésie lorsque tout le monde se tournait vers la politique: «Ce coup d'aile vers l'azur manque à la chanson de Béranger, d'un tour si net d'ailleurs et d'un rhythme si entraînant. » Et de louer Gustave Nadaud d'avoir renouvelé avec bonheur la formule du genre populaire que notre bon Théo définit bien joliment: «La chanson est une muse bonne fille qui permet la plaisanterie et laisse un peu chiffonner son fichu, pourvu que la main soit légère; elle trempe volontiers ses lèvres roses dans le verre du poète où pétille l'écume d'argent du vin de Champagne. À un mot risqué elle répond par un franc éclat de rire qui montre ses dents blanches et ses gencives vermeilles. Mais sa gaieté n'a rien de malsain, et nos aïeux la faisaient patriarcalement asseoir sur leurs genoux. Maintenant qu'on est plus corrompu, la pudeur est naturellement plus chatouilleuse... » Dans son copieux recueil à la Mémoire de la chanson. Du Moyen-Âge à 1919, Martin Pénet fait la part belle à Béranger, à Nadaud, à Pierre Dupont, etc. On s'amuse d'y trouver aussi le nom de deux amis proches de Judith Gautier. Armand Silvestre, parolier de la Vague, valse d'Olivier Métra (1875): «Mon bien-aimé tu veux donc que je pleure / Aussi longtemps que gémira la mer! / Le flot qui passe, hélas, emporte l'heure / Et l'heure qui fuit, mon espoir amer! / Que je meure, que je meure! / Loin de toi, loin de toi... / Que mon sort est amer, que mon sort est amer!» De Silvestre encore l'Amour s'en vient, l'amour s'en va (1889), adaptation de la célèbre chanson napolitaine Funiculi-Funiculà, sur la musique de Luigi Denza. Et Jean Lorrain, avec Fleur de berge: «I m'app'lait sa gosse, sa p'tit' môme, / Dans l'jour, en bateau, / I m'prom'nait la nuit, fou d'ma peau, / I m'caressait fallait voir comme, / C'était un gars, c'était un homme », sur une musique d'Yvette Guilbert qui l'interpréta elle-même pour la première fois, en mars 1893, au Concert-Parisien, 10, rue de l'Échiquier, futur Concert Maya!. La verve épicée de Lorrain plaisait à la fameuse "diseuse fin de siècle", "la Sarah Bernhardt des fortifs" aux longs gants noirs, immortalisée par Toulouse- Lautrec; elle chanta avec succès quelques-unes de ses poésies plus ou moins vénéneuses, comme celle-ci, la Morphinée: «Oh! la douceur de la morphine! / Son froid délicieux sous la peau! / On dirait de la perle fine / Coulant liquide dans les 0 s ! » On sait que Lorrain, auteur des Contes d'un buveur d'éther, s'adonna avec assiduité aux stupéfiants, éther, morphine, opium; il en mourut, de façon bien cruelle. Comme Marie Dubas le fera après elle, Yvette Guilbert exhuma des textes du Moyen Âge et, comme Félicia Mallet ou Eugénie Buffet parmi ses interprètes les plus connues, elle défendit le répertoire populaire, réaliste avant la lettre. Cependant, note René Baudelaire dans la Chanson réaliste, « elle fut beaucoup plus grande dans le répertoire dramatique que dans des chansons légères comme "le Fiacre" [paroles et musique de Xanrot] ou quelque peu grivoises comme "Partie carrée" [paroles et musique de Marcel de Lihus] qu'elle disait avec beaucoup
d'esprit. » Dans l'Art de chanterune chanson, essai illustré en trois parties dédié"en toute affectueuse amitié" à Mme Dussane, de la Comédie-Française - "la technique", "les textes", "l'esprit artiste" -, Yvette Guilbert a condensé sa longue expérience. Dès le début du petit volume, cette phrase clef: «L'art du comédien au service d'une chanteuse sans voix, qui demande à l'orchestre, ou au piano, de chanter pour elle, voilà quel est mon art [.. .]. Artistes, mes amis, je vous en livre tous les secrets. » Yvette Guilbert signa le prologue des Fêtes galantes, un des nombreux albums - les Amoureuses, les Maîtresses, Belles de nuit, etc. - dans lesquels Ferdinand Bac croquait les "petites femmes" de Paris; avant Toulouse- Lautrec, il avait dessiné pour elle quelques affiches. Il exercera plus tard ses talents dans de tout autres directions, se distinguant en particulier comme créateur de jardins. À
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l'occasion de la nomination de Judith Gautier dans l'Ordre de la Légion d'honneur, ce "Prince 1900", comme le surnomme son éminent biographe Ghislain de Diesbach, lui adressa un dessin humoristique en couleurs. Il était si prodigue de ces œuvrettes faciles que beaucoup de ses "victimes" n'en faisaient aucun cas. Judith, elle, conserva ce témoignage de leurs bonnes relations, au demeurant dépourvues de chaleur. Le Second Rang du collier, p. 310. CORMENIN, Louis, baron de La Haye de (Paris 1821 - Joigny 1866). D'une famille d'origine franc-comtoise, son père, Louis-Marie de Cormenin, né en 1788, filleul du duc de Penthièvre et de la princesse de Lamballe, l'amie de la reine Marie-Antoinette, fournit une longue carrière politique. Conseiller d'État, baron, puis vicomte héréditaire en 1826, membre de l'Institut en 1855, il fut assez habile pour traverser sans trop d'encombre les divers régimes qui se succédèrent en France au cours du XIXe siècle. Sous le pseudonyme de Timon, il se fit redouter comme pamphlétaire. À partir de 1865, il se consacra à des œuvres sociales. Justine Gillet, sa femme, lui donna un fils unique, Louis - le parrain d'Estelle
Gautier - qu'il eut, au soir de sa longue vie, la douleurde voir mourir en 1866. Louis, de son mariage en 1854 avec Mlle Dora, eut deux enfants: Roger (1854-1918) et Louise, sa cadette de quatre années, qui épousa Oudinot, duc de Reggio, un descendant du maréchal de France. C'est en 1842 que Cormenin fut présenté à Gautier lors d'une rencontre fortuite sur le Boulevard. En 1845, ils se revirent en Algérie. Cormenin était le famulus de Maxime Du Camp et celui-ci aurait voulu l'entraîner en Orient avec Flaubert - l'exact contemporain de Louis, à cinq mois près - mais «j'avais compté sans son père, qui fut inflexible. J'eus beau n'épargner ni arguments, ni supplications, Timon hocha la tête, me traita d'écervelé et me déclara que je n'avais qu'à attendre que son fils eut terminé son droit... » Gautier, lui, sut convaincre en 1850 cet homme sévère qui dénoua les cordons de sa bourse et Cormenin partit pour l'Italie avec Théo au début du mois d'août. Il se trouva ainsi être, à Venise, le témoin des amours passionnées de Gautier et de Mme Marie Mattei, née à Perpignan en 1818, la pauvre "hirondelle", veuve en 1872, morte à Nice en 1902 dans la solitude et le dénuement. Eldon Kaye a publié les Lettres de Marie Mattei à Théophile Gautier et à Louis de Cormenin, qui fut le confident et l'intermédiaire dévoué, discret, des amants séparés. Ces lettres révèlent une personnalité extrêmement attachante, sensible, mélancolique, enthousiaste et. .. scrupuleuse. Ayant rompu avec Gautier en 1852, non par lassitude, mais
par horreur et remordsde leur "doubleadultère"- « Vous avez écrit le mot fin sur mon corps la veille de votre départ pour l'Orient» - elle voyagea pour se distraire de son chagrin, elle voyagea en Europe, en Égypte, au Proche-Orient, et l'on ne sait plus guère que sa triste fin. Jusqu'à son mariage, Cormenin resta très proche de ses amis parisiens. Gautier, à Ernesta alors en voyage: «Cormenin m'aime plus qu'un frère, ce que je lui rends... Louis me vient voir tous les jours et passe presquetoute sa vie avec moi... » (Lettres des 17 et 27 février 1852.) Ensemble, Gautier, Arsène Houssaye, Du Camp, Cormenin fondent la Revue de Paris, nouvelle série, dont le premier numéro paraît en octobre 1851. De temps à autre, Cormenin prêtait sa plume à Gautier. Il était, naturellement, un des visiteurs dominicaux de Mme Sabatier; en l'absence de Gautier, parti pour Constantinople, c'est à Cormenin, son remplaçant au feuilleton de la Presse, qu'elle s'adresse pour obtenir des billets de théâtre. En avril 1853, Gautier et Du Camp se rendent à Joigny pour les obsèques
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de Mme de Cormenin mère. À Carlotta, Théo écrit le 22 novembre 1866: «Louis de Cormenin est mort, mardi matin 20 novembre, à Joigny après de longues souffrances. [...] J'avais toujours conservé pour lui beaucoup d'affection. [...] C'était mon élève comme Saint- Victor. Je lui avais donné tous les secrets littéraires. Il pensait et il écrivait comme moi et si son indolence que ne stimulait pas le besoin d'argent l'eût permis, il se fût fait une brillante réputation.» L'article consacré par Gautier à son ami défunt dans le Moniteur universel du 22 juin 1868 sera repris dans Portraits contemporains: «Sa tête avait une physionomie arabe qu'il se plaisait à faire remarquer et ressortir parfois, en l'encapuchonnant d'un burnous en temps de bal masqué. [...] Le fond de son caractère était la bienveillance. Jamais il n'y eut humeur plus égale, et l'on peut dire cela d'un ami, quand on a passé avec lui des mois entiers en voyage sans le quitter d'une heure. Quel charmant compagnon c'était, et comme nous eussions volontiers fait le tour du monde de conserve! » Le Collier des jours, p. 126, 176. DALLOZ, Paul (1829-1887), fils du juriste Désiré Dalloz (auteur avec son frère Victor CÙl fameux et monumental Répertoire de jurisprudence générale), parent d'Alfred Marne, imprimeur et éditeur à Tours. Directeur du Monde Illustré et autres journaux. Avec Turgan, gérant puis directeur du Moniteur universel, 13, quai Voltaire. Dalloz, esprit ouvert aux nouveautés scientifiques, "travailleur acharné" bien que "jeune, riche et beau garçon", était, nous dit Claudin, un artiste égaré dans la politique: «Il fut l'un des premiers à s'occuper des bronzes, des cloisonnés, des porcelaines et des étoffes de la Chine et du Japon.» Le 27 décembre 1875, présenté au poète par Saint-Victor, Dalloz dîne chez Victor Hugo. De cette soirée, Edmond de Goncourt nous a laissé une description très réussie que nous ne pouvons malheureusement citer en entier: Le dîner ressemble assez à un dîner donné par un curé de village à son évêque. Il y a une gibelotte de lapin, suivie d'un rosbif, après lequel fait son entrée un poulet rôti. Autour de la table sont assis Banville, sa femme et son fils, Dalloz, Saint-Victor, Mme Juliette [Drouet], Mme Charles Hugo, flanquée de ses deux enfants, son diable de petite fille [Jeanne] et son doux petit garçon aux beaux yeux veloutés [Georges]. Hugo est en verve. Il cause d'une manière bonhomme, charmante, s'amusant de ce qu'il raconte et coupant de temps en temps son récit d'un rire sonore [...] Dalloz, avec le tact qui le caractérise, s'est mis alors à parler bêtement des choses psychologiques toutes nouvelles, qu'a apportées Dumas fils au théâtre. Là-dessus, Banville s'emporte et, d'une voix stridente et coupante, lui demande qu'il lui indique n'importe quoi qui ne soit pas dans Balzac... Et tout le monde, à la suite de Banville, tombe sur ce pauvre gobe-Dumas. [...] On sort de table. Banville et moi allons fumer une cigarette dans l'escalier, avec la promesse d'un fumoir dans un avenir prochain. Nous retrouvons Hugo dans la salle à manger, debout et tout seul devant la table, préparant la lecture de ses vers: une préparation qui a quelque chose de la manipulation préventive d'une séance de prestidigitation où le prestidigitateur essaierait dans un coin ses tours. Et voilà Hugo s'adossant à la cheminée du salon [...] Il est curieux à voir lire, Hugo! Sur la cheminée, préparée comme un théâtre pour la lecture et où quatorze bougies, reflétées dans la glace et les appliques de Venise, font derrière lui un brasier de lumière, sa figure, une figure d'ombre comme il dirait, se détache, cerclée d'une auréole, d'un rayonnement courant dans le ras rêche de ses cheveux, de son collier blanc, et transperçant de clarté rose ses oreilles fourchues de satire.
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Irrité par la réussite exemplaire de Dalloz, Goncourt note méchamment: «Cet homme est comme le cloaque de toutes les idées reçues dans le bas monde et de tous les vieux clichés d'imprimerie. » Paul Dalloz était, par son mariage, le beau-frère de l'acteur puis directeur de théâtre Fleury. Fleury, de son vrai nom Francis de Plunkett, issu d'une famille irlandaise installée en Belgique, un ami d'Henri Rochefort et son témoin en plusieurs duels, avait une autre sœur, Charlotte-Marie, dite Eugénie, Mme Doche, femme d'un violoniste distingué qui mourut du choléra à Saint-Pétersbourg en 1849. La beauté blonde de cette actrice du Vaudeville - très précoce elle s'y produisit dès 1837 et jusqu'en 1860 -, concurrencée par celle de sa grande rivale Adèle Page, lui valut l'intérêt du prince-président. Louis-Napoléon était l'inconstance même, aussi vite rassasié qu'inflammable. «11 se monte la tête pour un chat coiffé pendant une quinzaine de jours. [...] Puis, quand il y est parvenu [à ses fins], il se refroidit et n'y pense plus », disait Mérimée. Parmi les théâtreuses aimées du public, Rachel, du Français, Alice Ozy, des Variétés, Eugénie Doche en surent quelque chose. Mme Doche ne détela que fort tard. Dans les Pas effacés, Robert de Montesquiou le confirme, parlant de François Coppée: « Ses "Intimités" sont très jolies, lesquelles notent, avec une minutieuse délicatesse, entrecoupée de naïves prétentions au naturalisme, des phases amoureuses de sa liaison avec Mme Doche, la première Dame aux Camélias, qui, elle aussi, avait été fort jolie, qu'il aimait beaucoup, bien qu'elle ne le fût plus guère, et même devenue très vieille. Méry Laurent la remplaça, [...] cette grosse blonde des grands jours du Deuxième Empire, qui les aimait de ce module. [...] Mallarmé fut le caniche de ses vieux jours, dont Hahn était, lui, le bichon harmonieux. » Méry Laurent, dite "le Paon" ou "Bel Oiseau" ou encore "Toute la lyre", le modèle préféré de Manet, une amie tutélaire de Villiers de l'Isle-Adam, une bonne amie de Gervex, de George Moore, du Dr Robin, une tendre amie de Mallarmé, une amie fidèle d'Augusta Holmès que lui présenta le poète de l'Après-midi d'un faune. «L'étrange fille, si bonne », au jugement de J.-K. Huysmans, initiée dès la fin de son adolescence aux "réalités" de l'existence par le vieux maréchal Canrobert chez qui sa mère travaillait comme lingère, après un passage raté à l'Ambigu en 1873 dans Mademoiselle Trente-Six Vertus, piètre drame en cinq actes d'Arsène Houssaye, fut distinguée et richement entretenue par le Dr Evans, ce dentiste américain fort en vogue à Paris auprès duquel l'impératrice Eugénie trouva aide et assistance pendant les journées tragiques qui suivirent le désastre de Sedan. Ainsi la petite Histoire galante ne cesse de s'entremêler avec la grande Histoire du XIXe siècle. Le Second Rang du collier, p. 18, 125. DAMON. Le 3 juillet 1845, Gautier quitte Paris pour l'Algérie avec Noël Parfait. Du 24 juillet au 4 août, il participe à une expédition militaire conduite en Kabylie par le maréchal Bugeaud contre deux lieutenants d'Abd el-Kader. Le 7 août, il rassure par lettre ses parents: «Nous avons été facilement héroïques et nous avons versé plus de sueur que de sang. [...] Cette mémorable expédition [...] nous a fait pénétrer dans des endroits où nul Européen n'a mis le nez: nous avons supporté la vie militaire avec une grande aisance... » Enchanté de son voyage, il ne rentra à Paris que le 7 septembre. Entre temps, il avait reçu cette lettre de Carlotta Grisi: Cher, vous voilà servi à souhet! une charmente petite fille a fait son entrée dans le monde le 25 du mois d'aout. Elle resambleinfiniment à son père et si elle y resamble en esprit
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ce sera le plus charmant chef doeuvre que le bon Dieu et fait. Emesta se porte parfaitement pour son état - et si elle ne fait pas d'imprudance cela iras à merveille. Elle vous ambrasse de tout cœur, et moi je cuette un prompt retour et vous suis votre amie toute dévouée. Carlotta. Heureux événement pour les parents? Voire! On sait combien Emesta redoutait qu'une grossesse vînt entraver le cours de sa carrière artistique. L'encombrant bébé est aussitôt placé en nourrice. Sa mère semble bien déprimée, qu'encourage Théo: « Ma bonne Ernesta, nous serons encore heureux autrement qu'en rêve. Soigne-toi bien, car tu es la prunelle de mes yeux. » Heureux événement pour Judith? Relisons la première page du Collier des jours:
« On m'a raconté que j'avais montré beaucoup de répugnance à venir au monde: [...] je me refusais obstinément à faire mon entrée dans cette vie [.. .]. Je me suis souvent fait raconter par ma mère cet incident qui me semblait prophétique et exprimait si bien l'opinion que je devais avoir, plus tard, de l'existence. » La passion réciproque qui lie ce bébé récalcitrant à sa nourrice, Damon, a pour repoussoir la froideur qui préside aux rapports de la mère biologique et de son enfant. La violence du ressentiment de Judith contre sa mère éclate dans ses deux romans non-orientaux, à tendance autobiographique, Lucienne (1877) et Isoline (1882), et jusque dans l'une des nouvelles qui composent les Cruautés de l'amour, "André Ivanovitch", avec cette phrase sans ambiguïté: «Je n'ai jamais connu ma mère, [...] la sœur de Katia fut ma nourrice, elle lui ressemble, et je crois retrouver près d'elle cette chère femme que j'ai tant aimée. » Au seuil de la vieillesse, Judith n'aura toujours pas liquidé ses complexes enfantins, ni réglé ses comptes avec sa mère, comme il apparaît dans ses Souvenirs où jamais Ernesta ne tient le beau rôle. En quelques lignes, pourtant, son gendre tard venu, Bergerat, réhabilite la réputation de cette femme dépréciée dans son propre foyer, certainement maladroite dans son comportement journalier: «Elle renonça très tôt à la carrière lyrique pour se consacrer à l'éducation maternelle de ses enfants. Elle tint le sceptre de la maison du poète jusqu'au jour où, sur une querelle de famille, elle le laissa aux sœurs triomphantes [...]. C'était la meilleure et la plus honnête des femmes... » Telle était aussi l'opinion d'Arsène Houssaye! Quant au pessimisme foncier de Judith, Suzanne Meyer en porte témoignage, qui parle de "son infinie tristesse devant les réalités de l'existence" : Elle n'avait foi qu'en l'amour des bêtes qui ne se dément pas, ne vous déçoit pas et jamais ne vous trahit. [...] Aussi avec les bêtes seulement devenait-elle "humaine" et tendrement démonstrative. [...] - «Quelle mère incomparable tu aurais été! [...] - Il n'est certes aucun sacrifice queje n'eusse consenti pour assurer à un enfant l'existence la plus heureuse afin de compenser le malheur de lui avoir donné la vie.» Puis elle ajoutait: «Je suis sûre de pouvoir faire le bonheur de mes bêtes, mais je n'aurais pu répondre d'assurer celui d'un enfant: c'est pourquoije n'ai pas voulu en avoir.» Et elle me citait la profonde pensée de Chateaubriandavec laquelle elle se trouvait en parfait accord: «Après le malheur de naître, je n'en connais pas de plus grand que celui de donner la vie à un homme. » Ce catégorique refus de la maternité pose un gros point d'interrogation. On a remarqué que Judith pâtit constamment de maux divers pendant les premières années de son mariage. Outre de probables raisons psychologiques, deux hypothèses d'ordre physique peuvent être avancées à ce sujet: soit contamination par Catulle Mendès qui souffrit dans sa jeunesse d'accidents vénériens, mais n'en fut pas moins un père prolifique; soit - nous avançons cette seconde hypothèse encore plus risquée avec toute la prudence nécessaire - refus actif de la procréation par procédés abortifs, selon une lecture possible de ce billet de Judith, "aux tennes émouvants et mystérieux", remarque Claude Vanderpooten qui le publie dans sa
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biographie du professeur Pozzi, cet éminent chirurgien, fondateur de la gynécologie moderne: «30 rue Washington. Très cher ami, pourquoi vous donner tant de tintouin? Venez donc tout simplement manger la soupe avec moi le soir que vous voudrez avec montre sur la table comme autrefois... Vous pourrez enfin déposer sur mon cœur la croix que je vous fais porter depuis si longtemps. À vous.» Ce billet non daté (Judith est toujours brouillée avec le calendrier) se rapporte de toute évidence à la remise de la Légion d'honneur - fin décembre 1910 - par Pozzi, commandeur de l'Ordre depuis 1905 - à sa vieille amie Judith, toute nouvelle chevalière. Pour confirmation, une note des Cahiers intimes de Suzanne. Le professeur Pozzi invite, dit-elle, Maya à l'une de ses conférences: « Il a la fameuse décoration qu'il veut venir lui porter un de ces jours. Si ce n'est pas un bijou, Boni et moi irons en commander une toute petite en diamants qu'elle pourra porter en soirée. » On devine avec quel sourire mi-moqueur mi-attendri Judith raconta à sa "filleule" la courtoise proposition de Wagner: « Il me demanda si je ne voulais pas un fils de lui. Vous avez Siegfried, lui répondis-je. J'avoue que j'aurais, maintenant, aimé avoir un fils de Wagner - je te l'aurais donné comme époux. » Denise Brahimi a longuement, brillamment, analysé dans Théophile et Judith vont en Orient ce refus de la maternité physique chez Judith, ses conséquences et, corrélativement, la nature de son affection pour Suzanne. L'amour qu'elle avait reçu dans sa jeunesse, de Damon, sa chérie, Judith le redonna, pour ainsi dire, à Suzanne dans sa vieillesse. Le Collier des jours, 4-22, 25-26, 29, 31-34, 36, 38-41, 42, 45, 84, 122, 146-148, 271272. DANTE. Durante Alighieri, dit Dante, naquit à Florence le 8 mai 1265, mourut, en exil, à Ravenne le 14 septembre 1321. Le plus grand des grands poètes qu'ait produit l'Italie, selon l'opinion unanime, un des plus grands de tous les temps. Bien que marié et père de famille, l'amour de jeunesse éprouvé pour Beatrix Portinari, déjà sublimé dans la Vita Nuova commencée vers 1292, inspire encore la Divina Commedia commencée vers 1307 ; c'est sous la conduite de Beatrix, devenue symbole de la science divine, que le poète pénètre dans le paradis et parcourt ses différentes sphères jusqu'à l'instant suprême "où il se connaît comme un réceptacle de l'amour de Dieu pour Dieu, comme une image vivante de la divinité." La personne physique de Dante est assez bien connue, grâce à son masque mortuaire qui servit à modeler des effigies en terre cuite, d'une part; à la description de son fervent biographe Boccace, le fidèle ami de Pétrarque, d'autre part : Dante était d'une stature moyenne et, quand il parvint à l'âge mûr, il cheminait un peu courbé. Il avait la démarche empreinte de gravité et de mansuétude, toujours il était vêtu de draps assez fins, ajustés comme il convenait à son âge. Il avait le visage long, le nez aquilin, les yeux plus grands que petits, le menton allongé, sa lèvre inférieure débordait la lèvre supérieure. Il avait le teint brun, la barbe et les cheveux épais, noirs et crépus; la figure était mélancolique et pensive. [...] Dans ses habitudes publiques et domestiques, il était admirablement retenu et modeste, plus que tout autre courtois et civil. Il buvait et mangeait peu et constamment aux heures réglées; il louait les mets délicats et s'alimentait de mets communs. [...] Il parlait rarement à moins qu'on l'interrogeât, néanmoins, quand il le fallait, il était très éloquent, avec une prononciation excellente et prompte.
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Du vivant même de Dante, enfin, Giotto fait de son ami et protecteur un portrait peint à fresque, retrouvé sous un badigeon dans l'ancienne chapelle du podestat, au Bargello, à Florence. Depuis lors, depuis Raphaël et Vasari jusqu'à Cornelius - ce peintre allemand dont Gautier décrivit longuement et critiqua sévèrement les œuvres vues à Munich - de nombreux artistes figurèrent un Dante bien reconnaissable à son maintien majestueux comme à son costume, robe longue et chaperon, caractéristique du Moyen Âge. Énumérons, par exemple, des peintres et lithographes français: Ary Scheffer, Delacroix, Henri Delaborde, Albert Barre, Curzon, A.-B. Glaize, Gustave Doré... ; anglais: Rossetti, Henry Holiday... panni ceux que connut ou put connaître Théophile Gautier. Théo... a-t-il lu, vraiment lu la Divine Comédie, c'est-à-dire a-t-il pris le temps de méditer sur cette œuvre difficile en l'honneur de laquelle Hugo fait ronfler ses grandes orgues: «Dante a construit dans son esprit l'abîme. Il a fait l'épopée des spectres. Il évide la terre; dans le trou terrible qu'il lui fait, il met Satan. Puis il la pousse par le purgatoire jusqu'au ciel. Où tout finit, Dante commence. Cette œuvre est un prodige. Quel philosophe que ce visionnaire! Quel sage que ce fou!... Ce que Juvénal fait pour la Rome des Césars, Dante le fait pour la Rome des Papes; mais [... ] Juvénal fustige avec des lanières, Dante fouette avec des flammes; Juvénal condamne, Dante damne. » Flaubert, lui, est un homme simple: «On n'ose pas dire que ça vous embête. ..
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Le Second Rang du collier, p. 88. DARDENNE DE LA GRANGERIE. La dédicataire du sonnet fameux, les Poètes chinois. .., reçut l'hommage d'un second sonnet en forme d'énigme: «Martyre, fleur, joyau, vertu, parfum, beauté / Tout cela simplement veut dire Marguerite. » Elle était la petite-fille du duc de Persigny, propriétaire du château de Chamarande où Théo séjournera en juillet 1866. Née Suzanne du Clozel à Saint-Loup, dans l'Allier, en 1847, elle perdit son mari en 1873. "Meg" se fit un nom dans les lettres sous divers pseudonymes. Le Prix Lambert 1890 récompensa Belle et Bonne Histoire d'une grandefillette, "touchante histoire de mœurs" d'Alix Valtine. Outre Pensées d'automne, recueil paru en 1882, et Pensées d'un sceptique, en 1886, citons le Passé de Claudie, roman publié en 1884 sous le nom de Philippe Gerfaut. Dans un accès récurrent de fureur jalouse contre Popelin, la princesse Mathilde déclarait un jour à Goncourt: « Il y a six ans, il trottait beaucoup. Il a revu dans ce temps de vilaines femmes, Mme Feydeau, Mme Dardenne de la Grangerie. » (Goncourt, Journal, 30 septembre 1882.) Auteur de souvenirs sur le Siège de Paris, Francisque Sarcey, "l'Oncle" fameux par ses critiques littéraires et dramatiques du Temps, parle avec éloges de l'action de Dardenne de la Grangerie - alias Marcus dans les journaux de province - au sein de la Société des ambulances de presse, où il se dépensait, en collaboration avec Armand Gouzien: «Chamarré d'or, aimant la représentation jusqu'à faire sourire, mais prodigieusement actif, mais dévoué, mais spirituel, et tel qu'il fallait être pour mener à bien, avec les parlementaires prussiens, ces longues et délicates négociations de l'enlèvement des morts.» Armand Gouzien, Judith, "l'unique Parnassienne et l'Olympienne", le rencontrait chez Leconte de Lisle. Un fragment du Collier recueilli par Suzanne Meyer débute ainsi: «Armand Gouzien demande ma collaboration pour un nouveau journal, la Revue des Lettres et des Arts dont Villiers de l'Isle-Adam est le directeur. » Au vrai, fondateur de cette gazette, Gouzien en était l'administrateur en titre et le seul patron. Environ ce temps-là,
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Albert Glatigny, le famélique poète des Vierges folles et des Flèches d'or, lui écrivait: « Si vous voyez Catulle [Mendès], saluez-le de ma part et rappelez-lui qu'il a promis de venir me voir. Le voyage coûte sept francs. Catulle dépense souvent un louis pour une pute; qu'il remplace la pute par le chemin de fer.» (Cité par Joanna Richardson.) Étonnant touche-àtout, Gouzien, ce «Breton pur sang [...] avait la vigueur de sa race; il en avait la sincérité, la noblesse d'âme et le sentiment profond. Seulement, singulier contraste, il remplaçait la mélancolie bretonne par une sorte de méridionalisme oriental. [...] Tout d'abord, il s'était cru destiné, par sa vocation véritable, aux études scientifiques. Il fit de la médecine. Puis il fit de la musique. Et puis il fit de la littérature... Il était capable de faire ce qu'il voudrait. Mais il s'aperçut que les arts l'amusaient plus que tout le reste; et s'il n'a laissé que le renom d'un amateur, c'est qu'il aimait trop tous les arts pour se consacrer tout à l'un d'eux. C'était un homme supérieur, d'un grand charme et très généreux de nature. » (Claudin, les Souvenirs d'un peintre.) Musicien, on cite de lui des mélodies chinoises dont Ferdinand Bac dit que la Cour impériale raffolait, et l'on chante toujours sur un accompagnement de son cru la ballade de Saint-Nicolas recueillie en Ile-de-France par Nerval: «Ils étaient trois petits enfants / Qui s'en allaient glaner aux champs...» Joumaliste, critique dramatique et musical, il apporte son concours à la Gazette de Paris, à l'Événement, au Gaulois. Au Figaro, il est, en collaboration avec Arnold Mortier, le "Monsieur de l'orchestre" signataire des "Soirées théâtrales". «Bon garçon par tempérament », dit de lui Gaston Jollivet, il fut particulièrement lié avec Victorien Sardou, avec Félicien Rops qu'il accompagna dans sa famille en Hongrie. Puvis de Chavannes bénéficia de son admiration fanatique. Wagnérophile, hugolâtre, il dut à Lockroy de devenir inspecteur des Beaux-Arts. Goncourt dîne avec lui, le 29 novembre 1885, chez Hugo: «Gouzien, c'est un garçon qui apporte dans un dîner la bruyance d'un commis voyageur, qui serait garçon de noce dans un repas de mariage. » - «Gouzien, écrit Bergerat qui lui consacre quelques pages dans ses Souvenirs, avait son couvert mis à demeure à la table du poète qui l'aimait beaucoup, c'était visible. Il se plaisait à cet extatisme dont il était l'objet et que son cher convive corroborait d'un exercice magnifique de la fourchette. Victor Hugo voulait qu'on mangeât bien chez lui et nul ne faisait plus d'honneur que l'optimiste éperdu à la cuisinière du poète. Mais ce qui le lui rendait indispensable, c'était la hardiesse des à-peuprès qu'il osait risquer entre un verre et l'autre. Victor Hugo établissait une grande différence entre le calembour, bête ou hébété comme dit André Chénier, et l'à-peu-près, où il retrouvait à son gré un peu des assonances de la rime. L'à-peu-près le déridait, car il était très gai, en dépit de la légende et il ne prisait rien tant que la joie. Or, dans ce genre de facéties, Gouzien était formidable... » Dans Fantômes et vivants, Léon Daudet cite Armand Gouzien, "le musicien aux airs innombrables", parmi les compagnons de promenade, à Guernesey, du poète exilé. C'est là que mourut cet homme chaleureux; Jean Hugo se fera l'écho des radoteries locales: «L'on racontait que le musicien breton Gouzien, après avoir joué la partition de la Vie parisienne, une nuit, à Hauteville House, était mort à l'aube.» Nous devons à cette prétendue victime des sorcelleries posthumes d'Offenbach une reconnaissance éternelle pour avoir contribué, au temps de ses besognes humanitaires avec Dardenne de la Grangerie, à détourner du musée du Louvre la fureur incendiaire des communards. Dans l'Impressionnisme et son époque, ce monumental ouvrage que l'on ne saurait trop consulter, Sophie Monneret évoque le témoignage de Léonce Bénédite, l'historien d'art qui fut le conservateur du musée du Luxembourg à partir de 1896: «Léonce Bénédite, qui l'a bien
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connu, signale que Gouzien a posé pour le Déjeuner sur l'herbe de Manet le personnage figurant à gauche du tableau. » Est-il besoin de rappeler la stupeur indignée avec laquelle fut accueillie cette toile, "exhibition triste et grotesque", que nous admirons aujourd'hui bien paisiblement au musée d'Orsay? Le Second Rang du collier, p. 235, 240-241,313,326,331. DAVID D'ANGERS, Pierre-Jean David, dit d'Angers, du nom de sa ville natale (1788-1856). Statuaire. Il modela plus de cinq cents médaillons d'après ses contemporains illustres, parmi lesquels, en 1845, l'année même de la naissance de Judith, Théophile Gautier. De Nodier, il fit aussi un buste. C'est à l'Arsenal que le peintre Boulanger vint présenter, en 1828, le jeune poète Louis Bertrand, dit Aloysius par coquetterie néo-gothique, qui ne fut connu que posthumement par son Gaspard de la nuit, fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, grâce aux efforts conjugués de ses amis David d'Angers, Victor Pavie et Sainte-Beuve. David fit du malheureux sur son lit de mort à l'hôpital Necker, le 28 avril 1841, un portrait au crayon conservé au Musée d'Angers, puis, tout seul, par un violent orage, il marcha derrière le corbillard des pauvres qui emmenait le corps au cimetière de Vaugirard comme il le raconta en détail dans une émouvante lettre à Sainte-Beuve. Victor Hugo appréciait les "colosses radieux" de David. Louant « le front vraiment monumental»
de l'auteurde Hernani « qui couronnaitcommeun frontonde marbre blanc son visage d'une placidité sérieuse », Gautier ajoute que ce front «n'atteignait pas, sans doute, les proportions que lui donnèrent plus tard, pour accentuer chez le poète le relief du génie, David d'Angers et d'autres artistes; mais il était vraiment d'une beauté et d'une ampleur surhumaines; les plus vastes pensées pouvaient s'y écrire; les couronnes d'or et de laurier s'y poser comme sur un front de dieu ou de césar. » Pour célébrer son maître et ami, le bon Théo n'était jamais chiche de majestueuses hyperboles. David d'Angers fut enterré au PèreLachaise, où beaucoup de monuments funéraires sont enrichis de ses œuvres, tels les médaillons de Gohier, président du Directoire, de Dulong, le chimiste, du naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire, tels les bustes en bronze d'Honoré de Balzac et du philosophe Jean Reynaud, telles les statues du général Gobert, du maréchal de Gouvion Saint-Cyr. Plus tard dans le siècle, les bustes en bronze des sculpteurs Claude Vignon et Jean Carriès, par euxmêmes, vinrent orner les sépultures de leurs auteurs. Le tombeau de David d'Angers n'offre aucun embellissement de ce genre aux yeux du visiteur qui ne manque pas de s'en étonner. Le Second Rang du collier, p. 294. DELABORDE, Henri, né Élie-Miriam, naquit à Paris le 7 février 1839, il y mourut le 9 décembre 1913. Pianiste virtuose et compositeur, il parcourut l'Europe puis se fixa à Paris où il devint, en 1873, professeur de piano au Conservatoire. Marmontel nous a laissé son portrait dans Virtuoses contemporains (1882): «Sa tête énergique et puissante est bien posée sur une solide charpente: le front est développé et proéminent, le nez légèrement busqué; le regard, franc et ouvert, a parfois des éclairs incisifs ou scrutateurs; la bouche est souriante, mais malicieuse. Au demeurant, une physionomie artistique teintée d'une légère nuance rabelaisienne, comme le compositeur aux inspirations fougueuses est doublé d'un sceptique, ayant approfondi l'existence et ses tristesses.» (Cité par Rémy
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Stricker, Georges Bizet.) Il était, avec le compositeur Ernest Guiraud, à Bougival le voisin et l'ami des Viardot et de Tourgueniev. Très lié avec Georges Bizet - né à Paris le 25 octobre 1838, l'élève génial de Marmontel, de Zimmermann, de Gounod, de Fromental Halévy, mort à Bougival le 3 juin 1875, trois mois tout juste après la première si décevante de Carmen au Théâtre National de l'Opéra-Comique, cette étincelante et sulfureuse Carmen, d'après la nouvelle de Mérimée, dont on qualifia à l'époque la musique de "nuageuse et labyrinthique" -, Delaborde assista le malheureux compositeur dans son agonie brutale et entoura de soins dévotieux sa veuve, Geneviève, fille de Fromental Halévy, le très célèbre auteur de la Juive (1835), et de Mme née Léonie Rodrigues-Henriquès qui passa de longues années en maisons de santé pour troubles mentaux. Par sa mère, Geneviève Halévy était la nièce de Mme Joseph Foa, romancière spécialisée dans la littérature pour la jeunesse, et la cousine germaine de l'auteur dramatique William Busnach. Elle avait épousé Bizet le 3 juin 1869. Delaborde s'en était épris, non sans quelque réciprocité semble-t-il. Au Musée d'Orsay, le portrait de Mme Georges Bizet peint en 1878 par Jules-Élie Delaunay nous révèle une jeune femme à l'apparence souffreteuse, lèvres charnues, vastes yeux inquiets dévorant un visage blême. Cette grande charmeuse aux nerfs fragiles, pétillante d'esprit, épousa en secondes noces l'avocat Émile Straus, que l'on disait fils adultérin de James de Rothschild. Le salon de Geneviève Straus ex-Bizet - boulevard Haussmann d'abord, puis 104, rue de Miromesnil,
où régna Marcel Proust
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fut l'un des plus brillants,
des mieux achalandés de Paris. Amoureusement captivé par l'hôtesse, Guy de Maupassant a peint ce milieu "artiste" dans Fort comme la mort, roman à clefs paru en 1889 - on y reconnut par exemple la princesse Mathilde dans le personnage de la duchesse de Mortemain - ; l'année suivante, dans Notre Cœur, où il représenta Geneviève Straus sous les traits de Michèle de Burne. Pour finir, relevons deux titres de Théophile Gautier dans la liste des poésies qui inspirèrent des mélodies à Georges Bizet, Absence: «Reviens, reviens, ma bien-aimée; / Comme une fleur loin du soleil, / La fleur de ma vie est fermée / Loin de ton sourire vermeil... », et la Fuite, duo entre Kadidja et Ahmed: «Au firmament sans étoile / La lune éteint ses rayons; / La nuit nous prête son voile; / Fuyons! fuyons!... », toutes deux composées en 1872, l'année même de la mort du poète. Le Second Rang du collier, p. 167, 187, 191. DELACROIX, Eugène (Saint-Maurice, Seine 1798 - Paris 1863), peintre, lithographe auteur d'un des plus beaux livres romantiques, le Faust de Gœthe (1828) ; neveu du peintre Riesener lui-même fils du célèbre ébéniste du XVIIIe siècle; apparenté aux Berryer; commandeur de la Légion d'honneur; membre de l'Académie des Beaux-Arts... après sept échecs! « Il y a trente ans que je suis livré aux bêtes », disait-il un jour, conscient de son génie si contesté, à Théophile Silvestre. Décédé en son logis de la place Furstemberg nous pouvons le visiter avec son atelier transformé en musée - à peu de distance de l'église Saint-Sulpice où il peignit à fresque, de 1853 à 1861, la chapelle des Saints-Anges. Les toiles citées par Judith figurèrent toutes deux au Salon de 1850. A-t-elle oublié le Saint Jérôme signalé par Delacroix lui-même dans son Journal comme "donné à Gautier"? Bergerat nous informe que Théo tenait le Combat du Giaour (d'après lord Byron) d'Alice Ozy qui elle-même l'avait reçu de Victor Hugo, « et pour un baiser, disait la légende ». Le chef notoire de l'école romantique, le héros de la jeunesse artiste après la mort prématurée de son
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grand ami Géricault, suscita les controverses les plus passionnées. Maxime Du Camp et Edmond About, par exemple, le premier détracteur, le second thuriféraire, s'opposèrent violemment par voie de presse à son sujet. Baudelaire évoque des "correspondances". Poésie: «Nul après Shakespeare n'excelle comme Delacroix à fondre dans une unité mystérieuse le drame et la rêverie»; musique: «Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, / Ombragé par un bois de sapins toujours verts / Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges / Passent comme un soupir étouffé de Weber. » - « Jamais, écrit-il encore, couleurs plus belles, plus intenses, ne pénètrent jusqu'à l'âme par le canal des yeux. » Gautier était, lui aussi, un fervent admirateur: «Quel admirable metteur en scène que Delacroix! quelle science des groupes! quelle agitation passionnée, quel effet saisissant et pittoresque!. .. » - « Jamais artiste plus fougueux, plus échevelé, plus ardent, ne reproduisit les inquiétudes et les aspirations de son époque; il en a partagé toutes les fièvres, toutes les exaltations et tous les désespoirs; l'esprit du XIXe siècle palpitait en lui. Vous retrouverez dans la moindre de ses toiles le reflet de cette flamme vague qui nous a brûlé jadis. » - «Ce qui frappe en voyant dans son ensemble l'œuvre de M. Delacroix, c'est l'unité profonde qui y règne. L'artiste porte en lui un microcosme complet.» De cet enthousiasme, Delacroix lui témoignait personnellement sa reconnaissance: «Cher ami et bon confrère... » Or, à la date du 17 juin 1855, Delacroix fait dans son Journal le procès œ ce "bon confrère" : «Il prend un tableau, le décrit à sa manière, fait lui-même un tableau qui est charmant, mais il n'a pas fait un acte de véritable critique; pourvu qu'il trouve à faire chatoyer, miroiter les expressions macaroniques qu'il trouve avec un plaisir qui vous gagne quelquefois, qu'il cite l'Espagne et la Turquie, l'Alhambra et l'Atmeïdan de Constantinople, il est content, il a atteint son but d'écrivain curieux, et je crois qu'il ne voit pas au-delà... Ni enseignement ni philosophie dans une pareille critique.» Rappelons au sujet de ce reproche souvent adressé à Théophile Gautier que la civilisation de l'image telle que nous la vivons était encore à venir; la description des œuvres analysées présentait de l'intérêt pour l'immense majorité des amateurs qui n'avaient pas la possibilité d'un contact visuel avec elles. Tout à la fin de sa vie, le grand peintre épris d'Orient écrivait dans son Journal cette note qu'on croirait sortie de l'encrier de Théo: «Le premier mérite d'un tableau est d'être une fête pour l'œil.» George Sand n'est qu'admiration: «Delacroix est un artiste complet. Il goûte et comprend la musique d'une manière si supérieure qu'il eût été probablement un grand musicien s'il n'eût pas choisi d'être un grand peintre. Il n'est pas moins bon juge en littérature et peu d'esprits sont aussi ornés et aussi nets que le sien. » Delacroix, l'ami indéfectible de Chopin, apparaissait souvent comme un être dédaigneux, caustique, à l'abord réfrigérant. On sait qu'il passait à tort ou à raison pour être le fils naturel de Ta11eyrandavec lequel il offrait une ressemblance physique certaine. Gautier, qui le comparait à un maharadjah de l'Inde ayant reçu à Calcutta une parfaite éducation de gentleman, décrit vers 1830 «son teint olivâtre, ses abondants cheveux noirs, ses yeux fauves à l'expression féline, ses lèvres fines et minces, un peu bridées sur des dents magnifiques et ombrées de légères moustaches, son menton volontaire et puissant [...], physionomie d'une beauté farouche, étrange, exotique, presque inquiétante. » Il voit en lui « un curieux mélange de scepticisme, de politesse, de dandysme, de volonté ardente, de ruse, de despotisme.» La photographie de Delacroix par Nadar prise en 1858 révèle une personnalité vigoureuse - qui en douterait? - et sévère, à la misanthropie trahie par les yeux méfiants, mi-clos, la bouche étroite et serrée dans une moue méprisante. Faux-
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semblant, pudeur d'un être introverti! assure Baudelaire, le comparant à Mérimée «pour la tenue extérieure et pour les manières... C'était la même froideur apparente, légèrement affectée, le même manteau de glace recouvrant une pudique sensibilité et une ardente passion pour le bien et le beau, c'était, sous la même hypocrisie d'égoïsme, le même dévouement aux amis secrets et aux idées de prédilection. » Plaidoyer pro domo sua? Les admirateurs de la Liberté guidant le peuple, toile de Delacroix exposée au Salon de 1831 et que le Louvre s'honore de posséder, savent que le peintre, auteur de plusieurs autoportraits, s'y est figuré sous les traits du jeune étudiant au fusil. Les paroissiens de l'église Saint-Paul-SaintLouis, à Paris, savent-ils, eux, que Victor Hugo posa en 1827 pour le Christ au Jardin des Oliviers, peinture de Delacroix, devant lequel ils se recueillent peut-être? Les coquilles des bénitiers, nous apprend le Guide bleu de Paris, ont été offertes par le poète à cette même église où jadis Mme de Sévigné venait dévotement ouïr les sermons du Père Bourdaloue. Le Second Rang du collier, p. 33. DELAUNA Y, Louis-Arsène. Né à Paris en 1826, pensionnaire dès 1848, puis sociétaire de la Comédie-Française en 1850. Il fut, paraît-il, "le jeune premier le plus accompli de tout Paris. .. un véritable amoureux" et, souvent, associé dans ses triomphes à Mlle Favart. Le 13 octobre 1861, par exemple, au théâtre de Compiègne, dans les Caprices de Marianne, cette ravissante fantaisie de Musset jouée par "les Comédiens ordinaires de l'Empereur", ils s'étaient fait applaudir par Guillaume III, le roi des Pays-Bas, assis entre l'empereur et l'impératrice. Le mois suivant, dans le même théâtre et dans une autre pièce de Musset, On ne badine pas avec l'amour, tout récemment créée, Delaunay fut un charmant Perdican, Mlle Favart une délicieuse Camille, tandis que Coquelin assurait "le chœur des vieillards" ! Le destin voulut qu'une petite Julia Regnault de sept ans, grâce à sa grand-mère employée au vestiaire de la Comédie-Française, eut par On ne badine pas avec l'amour son premier contact avec le théâtre et ses prestiges. «C'est par Musset dont elle sera plus tard l'interprète idéale, écrit son biographe Albert Dubeux, que Julia Bartet aura connu la première révélation de l'art. Elle voit ainsi tout le répertoire de la Comédie-Française et les grands artistes de la troupe: Delaunay, Provost, Bressant. [...] Un soir, en voyant Delaunay, que ses parents connaissaient, faire son entrée sous un costume pimpant, elle s'écrie tout haut: "Ah! voilà monsieur Delaunay! Mon Dieu, comme il est gentil !" Et toute la salle de rire et de se retourner, tandis que la pauvrette, rouge de confusion, voudrait rentrer sous terre.» Comme Théophile Gautier dans le Moniteur du 25 juin 1867, surlendemain de la reprise de Hernani au Théâtre-Français - « Delaunay a joué Hernani avec une rare intelligence...» -, Adolphe Racot couvre le comédien d'éloges pour son interprétation du rôle-titre: «Dans Hernani, il a étonné. L'œil est à la fois doux et moqueur; la voix, métallique et très haute, fait vibrer avec un art égal les cordes de la tendresse et de la haine. L'ancien répertoire possède en Delaunay un marquis devant lequel
Molière se pâmeraitd'aise et que Dangeausaluerait.- Dieu le garde du ventre! » (Portraitscartes , No VII.) Retraité de la scène en 1887, Delaunay professait la déclamation dramatique au Conservatoire, rue du Faubourg-Poissonnière, lorsque Marguerite Moreno y fut admise à l'âge de dix-sept ans: « Delaunay, encore alerte et séduisant, malgré les années, exigeait de ses élèves une tenue, une élégance qu'il considérait, avec raison, comme indispensables dans notre carrière. Il était toujours prêt à donner des exemples en jouant lui-même les scènes
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qu'il faisait travailler, en mimant des attitudes, en expliquant minutieusement une situation dont il détachait les points importants de sa voix nasale et ensorcelante. Il aimait qu'on l'imitât.» Eugénie Buffet, la célèbre "goualeuse" de la Belle Époque, née à Tlemcen en 1866, se dit, elle, bien reconnaissante des leçons du vieux comédien. «C'est à Delaunay que je dois cette sûreté de diction que les plus grands critiques se sont plu à reconnaître en moi. » Le fils de Louis-Arsène, Louis Delaunay, appartint lui-même dès 1890 à la Maison de Molière; sociétaire en 1905, il prit en 1916 une retraite prématurée. Le comte Fleury, son voisin à Versailles, a recueilli les Souvenirs de M. Delaunay, de la Comédie-Française, fourmillant d'anecdotes sur une période particulièrement riche en personnalités théâtrales fracassantes, d'Edmond Got à Mounet-Sully et Albert Lambert, de Mlle George à Mme Réjane, du Dr Véron à Jules Claretie... Le volume s'achève par ce paragraphe: « C'est Musset qui m'a fait sortir de pair, et c'est par des vers du poète aimé, du poète de l'éternelle jeunesse et de l'éternel amour qu'il m'a été donné de dire le dernier des derniers adieux au public. Quand, il y a cinq ans, d'augustes souverains, amis de la France, reçurent un somptueux accueil dans le palais de Louis XIV, à Versailles [8 octobre 1896, sous la présidence de Félix Faure, Nicolas II et son épouse], on vint chercher dans sa retraite le vieux sociétaire, et on le força à vaincre hésitations et scrupules; une dernière fois il murmura quelques vers de son poète: une Soirée perdue. Mussettiste j'avais été,
mussettisteje restais jusqu'à la fin. » Delaunaymourut deux ans après avoir tracé ou dicté ces lignes, le 22 septembre 1903. Le Second Rang du collier, p. 310-311. DENTU, Édouard (Paris 1830 - Paris 1884), libraire, éditeur, directeur de la Revue européenne. De 1879 jusqu'à sa mort, président du Dîner des Gens de lettres fondé par le baron Taylor qui fut militaire, commandeur de la Légion d'honneur, membre de l'Institut, sénateur, inspecteur général des Beaux-Arts et un philanthrope animateur de multiples institutions charitables. C'est Taylor, de souche flamande et irlandaise, ce grand voyageur artiste, qui ramena d'Égypte l'obélisque de Louqsor offert par Méhémet Ali à Louis-Philippe en présence duquel on l'érigea, le 25 octobre 1836, au centre de la place de la Concorde, à Paris. On lui doit plusieurs séries de Voyages, notamment les Voyages pittoresques et remarquables dans l'ancienne France, vingt-quatre volumes grand in-folio, Paris, 1820-1863, illustrés par Isabey, Géricault, Ingres, Horace Vernet, Fragonard, Viollet-le-Duc, Ciceri, Dauzats et le baron lui-même, ancien élève de Suvée; pour mener à bien cette immense entreprise, il s'adjoignit M.-A. de Cailleux et Charles Nodier. Nommé en 1824 commissaire royal auprès du Théâtre-Français, «il se fit remarquer, dit Larousse, par une grande largeur d'idées et une impartialité bien rare au milieu des querelles littéraires, en ouvrant notre première scène à l'école romantique. M. Taylor n'était point routinier; familiarisé avec la littérature anglaise et ses hardiesses, il ne pouvait que bien accueillir des hommes tels que Victor Hugo et Alexandre Dumas. Il fit représenter Hernani... » Le Second Rang du collier, p. 223. DIAZ DE LA PENA, Narcisse-Virgile (Bordeaux 1807 - Menton 1876). Peintre français, admis pour la première fois au Salon à l'âge de vingt-quatre ans, après une
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existence traversée de cruelles épreuves. Le malheureux ayant dû se résigner à l'amputation d'une jambe à la suite d'une morsure de vipère, on l'appelait "le peintre-pilon". Sa Vue d'Orient ornait, entre autres toiles, le salon des Gautier. Théophile qualifiait cet ami d'Ernest Hébert de "prestigieux coloriste". Il arriva qu'un soir, au cours d'un dîner chez un banquier peu au fait des discordes au sein de l'école française de peinture, Ingres, furieux d'avoir été invité avec Delacroix, s'en prit vivement à lui - «Le dessin, monsieur, c'est la probité! Le dessin, monsieur, c'est l'honneur! » - et quitta prématurément la compagnie. Parfait homme du monde, Delacroix demeura impassible; Diaz, soucieux de réconforter la maîtresse de maison atterrée et frappant du plat de la main sa jambe de bois: «Madame, c'est un vieux bonze! Sans le respect que je vous dois, je lui aurais passé mon pilon au travers du corps.» Ce qui détendit l'atmosphère. Diaz était «infiniment bon », écrit Nathalie Reymond, biographe de Degas et de Monet. Ayant fait la connaissance de Renoir en forêt de Fontainebleau pendant l'été 1864, il «se prit d'amitié et même de compassion pour le jeune rapin désargenté: il mit à sa disposition le compte qu'il avait chez le marchand de couleurs afin qu'il s'y approvisionne sans souci en tubes et en toiles ». Auguste Renoir célébrait Corot entre tous les peintres de l'école de Fontainebleau: « J'ai tout de suite compris que le grand bonhomme c'était Corot. Celui-là ne passera jamais. [Mais] mon amour allait à Diaz. Il restait à ma portée. Et puis j'aime bien lorsque dans un paysage de forêt on dirait qu'il y a de l'eau. Et, chez Diaz, souvent on sent le champignon, la feuille pourrie et la mousse.» Dans sa jolie préface à la Dame aux camélias de Dumas fils - jolie parce qu'attendri autant qu'il osa se le permettre, parlant d'une horizontale objet de scandale, «un ornement inutile, une fantaisie, un jouet frivole qui se brise au premier choc, un produit brillant d'une société expirante, un oiseau de passage, une aurore d'un instant» - Jules Janin indique parmi les peintures suspendues dans le salon de Marie Duplessis, Il, boulevard de la Madeleine, avant la vente aux enchères publiques du 24 février 1847, plusieurs «tableaux de Diaz qu'elle avait adopté une des premières, comme le peintre véritable du printemps de l'année. » Avant de se joindre au groupe des peintres de Barbizon où l'attirait son ami Théodore Rousseau et de se consacrer à la seule évocation des paysages sylvestres, Diaz avait accordé beaucoup de soins aux Vénus et aux Adonis amoureux, ce qui explique son succès chez les dames légères. Lucas- Dubreton se fait l'écho d'un incident, rapporté par Viel-Castel comme par les Goncourt, survenu entre Rachel et sa bonne camarade du Théâtre-Français, Mlle Nathalie, qui venait de lui enlever Émile Augier et, en échange, lui avait fait porter, rue Trudon, une toile de Diaz, "le sousFragonard du moment" : « Rachel jugea vraiment ce Diaz trop peu gazé et le renvoya à sa chère amie avec ce mot: "J'aime souvent le déshabillé d'un esprit charmant, je ne puis admettre cette nudité que l'Arsinoë de Molière aimait tant. Je ne suis pas prude; mais pourquoi vous priverais-je d'un tableau que je serais obligée de cacher, moi?" Ce "moi" sonna désagréablement aux oreilles de Mlle Nathalie qui, prenant sa bonne plume, répondit: "Chère et grande camarade, Je suis une folle, presque une impie d'avoir cru mon petit tableau digne de votre hôtel. Mais au moins ma sottise m'a valu un précieux renseignement sur la sincérité de votre pudeur. Permettez-moi de défendre ici notre répertoire comique, que vous invoquez un peu à contresens. C'est justement dans les tableaux qu'Arsinoë n'aime pas les nudités: Elle fait des tableaux couvrir les nudités, / Mais elle a de l'amour pour les réalités. Je reprends donc mon petit Diaz, un peu confus de son excursion téméraire, et je cache sa confusion dans mon alcôve où M. *** seul peut le voir."
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Augier sans doute ne fut pas étranger à cet insolent billet. Quant à Rachel biographe -, le jour où elle écrivit, elle se trompa de secrétaire ou eut peut-être fier à ses seules lumières. » L'Artiste publia, dans sa livraison de juin 1877, des œuvres de Diaz", article signé Judith Gautier. L'année précédente, elle compte du Salon
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Moreau, Benjamin Constant, Puvis de Chavannes,
conclut son le tort de se "Exposition avait rendu
etc. - dans une série
d'articles parus dans le Rappel du 2 mai au 2 juillet 1876, renouant ainsi avec la critique artistique du Salon de 1866 - Moreau, Courbet, Gérome, Bonnat, Doré, Herst, Hébert, Carpeaux, Popelin, etc. -, cinq articles parus dans la Gazette des étrangers du 7 mai au 7 juillet 1866 sous le pseudonyme de Judith Walter. Jules Claretie, indigné par les Mémoires du comte Horace de Viel-Castel, édités à Berne en 1882, où l'auteur, dit-il, a déshabillé les femmes, déshonoré les hommes, et qu'on s'arrachait, naturellement, relève au fil des pages diffamantes cette réflexion: «Diaz ne sait pas dessiner, Diaz n'a jamais fait un tableau. C'est un barbouilleur. » Il note: «Le cœur de M. de Viel-Castel se soulève en voyant à la boutonnière de Janin et de Gautier le ruban de la Légion d'honneur... Théophile Gautier et Jules Janin ne sont pour le comte Horace que des "laquais de la littérature" ... Diaz aussi est décoré. » À propos de décoration, Claretie remarque ceci qui nous surprend autant que lui: «M. Albert Delpit donnait récemment, dans le journal Paris, le nombre total et la liste des poètes, romanciers, critiques ou auteurs dramatiques récompensés officiellement depuis le 4 septembre 1870. Il Yen a treize, dix chevaliers de la Légion d'honneur, deux officiers, un grand officier. Puis, à côté, le total des peintres: cent seize! Quatre-vingt-huit chevaliers, vingt-quatre officiers, trois commandeurs, un grand officier. La disproportion est extraordinaire.» (7 mai 1882.) Élève de Diaz, Aglaüs Bouvenne, archéologue, dessinateur, auteur de notices historiques sur divers monuments français, grava une série d'ex-libris dont il se constitua, dit Vapereau, une riche collection et qui réunissait en grand nombre le nom de célébrités contemporaines: Victor Hugo, Théophile Gautier, Catulle Mendès, Octave Uzanne, etc. En 1879, il fit paraître un joli in18 illustré de ses eaux-fortes: Victor Hugo, ses portraits et ses charges catalogués. Le 21 août 1893, Goncourt, en compagnie d'Alphonse Daudet, s'en va en landau rendre visite à Nadar,dansl'ancien monastèredevenusa demeureen forêtde Sénart. « C'est l'heure de la verdoyante. Dans le jardin, autour de l'absinthe, un monde hétéroclite d'hommes et de femmes, parmi lesquels je reconnais le vieux famulus de la maison, Bouvenne.» Entre autres œuvres d'art, il remarque une lettre de Manet, «au bas de laquelle sont trois prunes, lavées à l'aquarelle, qui sont des merveilles de lavis et de coloriage artiste. Et au milieu du pittoresque bricabracant de la maison apparaissent et disparaissent les dents blanches, les noires faces riantes, les madras de couleur de deux négresses, qui sont la domesticité du photographe. » Gaston Jollivet ouvre ainsi le chapitre XI de ses charmants Souvenirs d'un Parisien, "Le Théâtre" : «Ce qui réveilla Paris de la torpeur où il vivait au point de vue théâtral depuis les jours sombres de la Commune, ce fut l'éclatant triomphe qu'obtint aux Folies- Dramatiques, en 1872, la Fille de Madame Angot, opérette due à la collaboration du compositeur Lecocq et des librettistes Clairville, Siraudin et Victor Koning. [...] Gagné par la contagion, l'Opéra qui sommeillait reforma alors sa troupe de chanteurs et de cantatrices. On courut applaudir Faure et les artistes qui l'entouraient dans le Don Juan de Mozart et la Coupe du roi de Thulé du compositeur Diaz, le fils du paysagiste. » Eugène Diaz de la Pefia dont la notoriété ne lui a guère survécu, également auteur d'un Roi Candaule, opéra-comique
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sur des paroles de Michel Carré représenté le 9 juin 1865 au Théâtre-Lyrique, a écrit, paraîtil, d'agréables romances et mélodies vocales. Le Second Rang du collier, p. 33. DORÉ, Gustave (Strasbourg 1832 - Paris 1883). Le 31 août 1862 les Goncourt, relatant la fête anniversaire de Théo à Neuilly et le feu d'artifice qui la termina, donnent des détails complémentaires au récit de Judith: «Doré faisait une charge superbe de Courbet [le peintre] - un saltimbanque peint par un autre - et chantait sa chanson, air, musique et paroles de Courbet: L'Institut, / C'est des trous du cul. » Fils d'un ingénieur des Ponts et Chaussées, Gustave commence ses études à Strasbourg où il s'imprègne de l'architecture "gothique", les poursuit à Bourg-en-Bresse, puis à Paris au lycée Charlemagne à partir de 1847.À l'âge de quatre ans déjà, cet enfant surdoué, comme on ne disait pas à l'époque, se sert habilement d'un crayon. Ses premières lithographies sont publiées en 1844! Dès 1847, il collabore au Journal pour rire de Charles Philippon. Son extraordinaire facilité, sa virtuosité exceptionnelle, son immense labeur - tous les superlatifs lui conviennent stupéfieront toujours les professionnels. Il est dessinateur, graveur, peintre, sculpteur, dessinateur "voyant", graveur "inspiré", admiré de Courbet, de Van Gogh, de Redon... Il voyage en Europe, ouvre en 1868 à Londres, où il est fort prisé, la Doré Gallery. Illustrateur de la Bible, de Rabelais, de Dante, de Cervantès, etc., il s'intéresse tout autant à ses contemporains: Balzac, la comtesse de Ségur (Nouveaux Contes de fées), About, Hugo, Gautier (le Capitaine Fracasse), etc. Voilà pour le métier. Pour le plaisir, il y a la gymnastique, la danse, la prestidigitation, le jeu, pratiqué à Bade où il se ruine de conserve avec Méry et le pianiste Anton Rubinstein, la dive bouteille et... les femmes, bien entendu. Ce charmant garçon à l'entrain communicatif - «un gai, un fou, un enfant », dit Claudin - plaît au beau sexe. De sa vie amoureuse, retenons quelques liaisons marquantes avec des impures de haut vol. Cora Pearl, Emma Crouch de son nom légal, beauté anglaise onéreuse au tableau de chasse flatteur, une des protégées du vorace duc de Morny, introductrice en France de l'art du maquillage moderne, "le dernier mot de la luxure", mais plus tendre, nous apprend Houssaye, pour ses chevaux que pour ses amants. Alice Ozy, au visage si candide, ancien modèle de Chassériau, la pulpeuse amie de Théo et de quelques autres. Sarah Bernhardt qui l'intercala en 1874 dans ses affections entre le rugissant Mounet-Sully et Victor Hugo; il fut l'un de ses professeurs de sculpture; le Chant, dû au ciseau de Sarah, fait pendant sans ridicule, sur la façade du casino de Monte-Carlo, construit par Charles Gamier, à la Danse de Doré. La vie mondaine de Gustave est également très animée. On le voit partout, à la Librairie Nouvelle, au Café Riche, chez Mme Cassin, 1, rue de Tilsitt, où quelques nababs l'avaient aidée à réunir une superbe collection de tableaux. Chez l'auteur dramatique Ernest Legouvé, l'ex-amoureux transi de la Malibran; il y rencontre Meyerbeer, Gounod, Sardou qui le dépeint « étrange, nerveux, taquin, paradoxal et coloré, mais chaud et vrai ». Chez Wagner, rue Newton, présenté par Émile Ollivier, le gendre de Liszt. Chez Mme Drouyn de Lhuys, la femme du ministre des Affaires étrangères de Napoléon III; à l'un de ses bals costumés, Doré se produit en "Campagne mouillée de pluie", paré d'échantillons botaniques divers avec "des insectes dans le nez". Chez Hetzel, mais il n'illustra pas Jules Verne comme on le dit parfois à tort. Chez Nadar, admiratif: « Ce Doré qui fatigue la louange et laisse l'hyperbole sur les dents. » Chez les Louis Viardot où
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il est toujours reçu de bon cœur, que ce soit en voisin rue de Douai, au château de Courtavenel dans la Brie ou à Bade où la cadette de la Malibran a fait construire une splendide villa. Chez Francisque Sarcey, ami de jeunesse. Chez Rossini, qui mourut dans ses bras. Chez Offenbach où on le voit marcher sur les mains au cours d'une réception, au grand scandale des Goncourt. Chez la princesse Mathilde comme à Compiègne: il fait partie de la première série des invités de l'empereur. Chez About, ancien condisciple de la pension Jauffret, à Paris, du temps que Doré était "timide, joufflu et rose". Bref, dans tous les milieux on accueillait à bras ouverts ce joyeux luron. Doré ne vit pas, le 3 novembre 1883, l'inauguration de son beau Monument à Alexandre Dumas, érigé place Malesherbes et, depuis lors, chaque jour salué par l'auteur de la Dame aux Camélias, domicilié avenue de Villiers: «Bonjour, papa!» Doré était mort d'une affection cardiaque le 23 janvier précédent, laissant, écrit Bénézit, des tableaux (gigantesques), d'innombrables lithos, dont la très célèbre Rue de la Vieille Lanterne (1855) - que rappelle aussi une belle aquarelle de Jules de Goncourt -, émouvant hommage à Gérard de Nerval, quarante-cinq groupes, statues, bas-reliefs, motifs décoratifs, et plus de cent mille dessins sur bois... cent mille! Le Second Rang du collier, p. 147, 185-186, 190. DU CAMP, Maxime (Paris 1822 - Baden-Baden 1894). Son père, Théodore-Joseph, né à Bordeaux en 1793, chirurgien militaire puis membre de la Société de médecine, appelé à une brillante carrière, meurt en 1824. Orphelin de père à treize mois, Maxime perd sa mère en 1837. Il poursuit ses études jusqu'au baccalauréat et prend des leçons de peinture. Mais il se sent des semelles de vent et fait, en 1844-1845, un premier grand voyage de dix-huit mois qu'il racontera dans Souvenirs et paysages d'Orient (1848). À Paris, avec son ami d'enfance Louis de Cormenin, Paul de Molènes, Arthur de Gobineau et quelques autres, il avait fondé une association fantaisiste, dite «les Cousins d'Isis», faussement secrète et gaiement tapageuse. Ouvrons une parenthèse, retrouvons-nous un quart de siècle plus tard, dans l'été de 1866, à Saint-Gratien où séjournent, invités par la princesse Mathilde, le ménage Gobineau et leurs deux filles, Diane, née en 1848, et sa petite sœur Christine. L'anecdote, peu connue, est racontée par M. Faure- Biguet : Comme [Diane] regardait un livre à images dans un petit salon, elle avait aperçu soudain Gautier qui s'y glissait pour respirer à l'aise un instant. Au même moment, un domestique passait avec un plateau de sorbets. Gautier en avait pris un, et plongeant aussitôt dans la crème glacée sa cuillère avec impétuosité, contenant et contenu filèrent dans un fauteuil. Sa soucouped'une main et sa cuillère de l'autre, le bon Théo était resté un moment effaré devant le désastre, puis s'était éclipsé rapidement dans l'espoir que personne n'avait rien vu. Il ne se doutait pas qu'une malicieuse petite fille, enfouie dans un vaste canapé, se tordait de rire en l'observant derrière un livre. Eugène, le maître d'hôtel, ne put contenir son indignation, et dit à la princesse qui l'interrogeait: «Ah! je ne comprends pas comment Son Altesse peut inviter des gens comme çà ! » Fermons la parenthèse. C'est très précisément le 21 janvier 1848 que Du Camp fit la connaissance de Théo, car, la veille, Cormenin écrivait: «Mon cher poète, Je te préviens que demain j'irai chez toi pour te présenter mon ami Maxime Du Camp qui désire te remercier de l'attention bienveillante avec laquelle tu as lu son bouquin. Tu demeures dans des quartiers tellement exagérés qu'il est bon de préparer ses visites à l'avance... » Théo
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habitait alors rue Lord-Byron, au quartier Beaujon... au diable Vauvert ! Dans ses Souvenirs littéraires parus en 1882-1883 - il publiera aussi, en 1890, une copieuse étude, Théophile Gautier - Maxime atteste son long attachement à Théo: « Je fus de son intimité et je l'ai tendrement aimé quoique nous eussions des façons de voir qui n'étaient pas souvent
pareilles. » Théo enviait « bassement », lui écrit-il en 1850, le bonheur de Maxime auquel une jolie fortune permettait de donner libre cours à sa soif de découverte:
«Je
claque
d'ennui. .. Je me sens mourir d'une nostalgie d'Asie Mineure. » De ses pérégrinationsdes années 1849-1851 avec Flaubert, Du Camp rapporta Égypte, Nubie, Palestine et Syrie, le premier ouvrage au monde qui allia la typographie au daguerréotype grâce à l'immense collection de photographies prises par l'auteur, précurseur en ce domaine, en dépit de la fragilité, du poids et de l'encombrement du matériel alors disponible. Racontant familièrement cet immense voyage dans ses Souvenirs littéraires, Du Camp n'y présente pas toujours son compagnon d'une manière favorable, mais ce que les biographes de Flaubert continuent à lui reprocher plus amèrement encore, c'est d'avoir révélé au grand public les terribles crises d'épilepsie auxquelles le malheureux était sujet et qu'il cachait avec soin. Chevalier de la Légion d'honneur à titre militaire après les journées de juin 1848 où il fut blessé dans les rangs de la garde nationale, les travaux archéologiques de Maxime Du Camp lui valurent le grade d'officier, à titre civil, en 1851. Poète, Du Camp, dans les Chants modernes, se voulut l'aède du progrès scientifique, et Gautier l'en raille gentiment: « Il chante les féeries de la matière, le télégraphe électrique, la locomotive, ce dragon d'acier et de feu [...]. Heureusement, parmi les Chants modernes se sont glissées un certain nombre de pièces charmantes, variations délicieuses sur ces trois thèmes anciens: la beauté, la nature et l'amour, qui jusqu'à présent ont suffi aux poëtes peu curieux de nouveautés. » Grand reporter, Du Camp suivit en 1860 l'aventure italienne de Garibaldi, mais en amateur et à ses frais - ilIa raconta dans Expéditions des Deux-Siciles (1861) - ce qui lui donna de rencontrer à Naples Dumas, chargé de fouilles à Pompéi. Critique, Du Camp traita des Beaux-Arts aux Expositions universelles de 1855 et 1867, et fit plusieurs Salons. Romancier, son œuvre la moins oubliée peut-être date de 1853: le Livre posthume. Mémoires d'un suicidé. Journaliste et historien, Du Camp publia, entre autres études sociales, de 1869 à 1875, une considérable enquête sur Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie. Mais Souvenirs de l'année 1848 (1876), les Ancêtres de la Commune, l'Attentat Fieschi (1877) et, surtout, les Convulsions de Paris (1878-1880), histoire au jour le jour œ la Commune, soulevèrent contre lui des fureurs parmi lesquelles celles d'Henri Rochefort atteignirent un paroxysme. Beaucoup d'autres témoins de cette période excessive partageaient les opinions de Du Camp, hostiles comme lui aux communards incendiaires, mais il semble que les haines politiques se soient focalisées sur ce parangon de «l'Ordre bourgeois», «diffamateur des héros de mai», «conservateur irrécupérable», devenu si impopulaire que l'Académie française, dont il faisait partie depuis 1880, jugea plus prudent, crainte d'émeutes, de charger à sa place son confrère de l'Institut, l'auteur dramatique Émile Augier, de prendre la parole aux funérailles de Victor Hugo. Maxime avait été fort beau dans sa jeunesse, assure Jules Claretie. «Il était grand, élancé, très élégant de manières, les cheveux frisés et grisonnants, gai, aimable... », telle connut dès avant la guerre de 70, tel le décrit Georges Clairin dénommé affectueusement Jojotte, l'ami intime d'Henri Regnault, le portraitiste chéri de Sarah Bernhardt après avoir compté au nombre de ses amants transitoires. «Il habitait, raconta Clairin à Beaunier qui mit en forme ses Souvenirs d'un
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peintre, dans la maison de mon père [62, rue de Rome], un appartement où il avait fait d'un vaste atelier son cabinet de travail et sa bibliothèque... Il devint notre ami. C'était un homme fort brillant. » Ce beau cavalier, dont Pradier fit le buste exposé au Salon de 1851, ne manqua point de succès féminins, des moins relevés aux plus flatteurs; il en entretenait par lettres Flaubert avec une crudité, une muflerie confondantes et que l'on veut croire exagérées à plaisir pour renchérir sur les obscénités de son correspondant. Robert de Montesquiou parle méchamment d'une de ses parentes: «Elle avait été la bonne amie de Maxime du Camp et cela me la gâtait.» Goncourt laisse clairement entendre qu'il fut un temps dans les bonnes grâces de la princesse Mathilde... jusqu'à quel point? Dans le cœur toujours ardent de la quinquagénaire Mme Gabriel Delessert, née Valentine de Laborde, la femme du préfet de police tuteur de Morny, une bien gracieuse personne à en croire son portrait par Horace Vernet, il supplanta ses grands aînés, l'écrivain Prosper Mérimée, et Charles de Rémusat, l'homme politique historien, eux-mêmes successeurs du philosophe Victor Cousin. Sous le prénom de Viviane, Maxime fera d'elle l'héroïne de son roman les Forces perdues. Avec le fils de Valentine, le jeune Édouard Delessert - l'un des tout derniers, tendres et charmants amis de Marie Duplessis, la Dame aux camélias, morte à vingt-trois ans en 1847 -, Du Camp pouvait s'entretenir de photographie, leur passion commune. À partir de 1862, partageant sa vie laborieuse entre Paris et Baden-Baden, il joua dans le ménage de M. Émile Husson, rentier, et de sa femme Adèle un rôle analogue à celui de Tourgueniev auprès des Viardot, dans une relation triangulaire satisfaisante pour toutes les parties. Gardons-nous d'oublier Mme Sabatier et les dîners des jours heureux où Maxime prenait place à la gauche de la maîtresse de maison, «cette belle, bonne, intelligente et charmante femme que nous adorons tous... nympharum pulcherina.» L'affection qui unit ces deux-là paraît, d'après les lettres de Maxime qui nous ont été conservées, avoir été calme et tendrement chaleureuse. À en croire Suzanne Meyer-Zundel, Judith, conscientedès son adolescencede son « calamiteux» pouvoir de fascination sur les individus de sexe masculin, aurait suscité chez son parrain Maxime Du Camp «un sentiment plus que simplement affectueux [...] "C'est lui qui, un jour, m'apporta cette bague fameuse." Et Judith, raconte Suzanne, me fit examiner le sceau de Toutmès III, roi de la plus ancienne dynastie d'Égypte, que l'on fait remonter à 8 000 ans. "Lors de son exhumation, mon parrain retira l'anneau du doigt de la momie". » Admirable sans-façon! Chez Juliette Adam, boulevard Malesherbes, le 20 février 1887, lors de la mémorable rencontrede Judith-Cléopâtreet de Loti-Osiris,la fille de Théo, « robe éclatante copiée d'un papyrus, cheveux noirs noués en casque, yeux de velours », s'était parée, tout naturellement, de l'anneau du pharaon. Lorsque José-Maria de Heredia, familier du salon de Judith, et vice versa, son contemporain à peu de chose près, se présenta aux suffrages de l'Académie française - il y fut accueilli par son ami François Coppée en mai 1895 -, Du Camp reçut de celle qu'il avait tenue sur les fonts baptismaux ce billet non daté, griffonné et d'un tour plus que dégagé: « Mon cher Parrain, Car tu l'es encore, bien que tu sois un parrain très vague mais que j'aime toujours, de loin. Eh bien, je te renie pour parrain si tu ne votes pas pour Hérédia à l'Académie. Je suis bien sûre que tu voterais pour lui sans moi; je te dis cela tout de même et j'irai, un de ces jours te demander de me l'affirmer. Ce qui sera un joli prétexte pour t'embrasser et voir si tu reconnais encore/Judith/dite Ouragan
ou Chabraque/30rue Washington. » Maxime Du Camp mourut à Baden-Badenle 8 février 1894 et fut inhumé au cimetière Montmartre de Paris quatre jours plus tard. Sans
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descendance, il institua pour légataires universelles les deux filles de son ami, Maître Fovart, notaire à Paris, trisaïeul et prédécesseur de Maître Lanquest qui nous a aimablement autorisée à reproduire cet autographe inédit de Judith. Cinq années plus tôt, à l'occasion de l'élection - 26 février 1880 - de Maxime au trente-troisième fauteuil académique libéré par le décès du littérateur Saint-René Taillandier, Judith lui avait envoyé ses félicitations d'une plume rapide mais beaucoup plus caressante: «Mon petit parrain chéri, je suis bien contente ce matin puisque j'apprends que tu as triomphé et je t'embrasse tendrement. » Nous cueillons «ce petit billet plein de spontanéité» dans l'ouvrage récent consacré à Maxime Du Camp. Un spectateur engagé du X/Xe siècle par M. Gérard de Senneville qui s'est attaché brillamment à réhabiliter la mémoire diffamée de «ce reître littéraire tenté par toutes les originalités de la vie moderne» Uolie formule de Jules Claretie), témoin curieux et lucide de son époque, travailleur infatigable, « véritable précurseur dans des genres qui occupent aujourd'hui un large espace à l'étalage des libraires, le journalisme d'enquête, l'histoire contemporaine et les livres de photographies ». Le biographe, charmé par les qualités multiples et diverses de son héros, conclut: «Oui, ce fut une belle vie que la
vôtre, Monsieur Du Camp! » Le Collier des jours, p. 126. Le Second Rang du collier, p. 266, 269. DUMAINE, Louis-François Person, dit (1831-1893). Il se lança dans la carrière théâtrale après avoir été, vers la fin de 1848, le secrétaire d'Alexandre Dumas. Acteur de mélodrame, grand premier rôle du Boulevard auquel on a pu reprocher une diction emphatique, il fut directeur de la Gaîté de 1865 à 1868 et directeur de l'Ambigu de 1869 à 1870. Dans les débuts difficiles de Thérésa au café-concert, il arriva au brave Dumaine de l'aider de ses deniers, et la grande chanteuse populaire, créatrice du genre qu'illustra après elle Yvette Guilbert, se souvint toujours de cette générosité lorsqu'elle eut elle-même l'occasion d'aider un ou une camarade dans la débine. La sœur de Dumaine, Béatrix Person, se fit, elle aussi, un nom sur les planches. Dumas père s'était intéressé de très près à l'actrice en devenir. Le 21 février 1847, pour l'inauguration du Théâtre-Historique, boulevard du Temple, il lui avait fait donner et elle joua le rôle de la reine-mère Catherine de Médicis dans la Reine Margot, cette pièce immodérément copieuse qui tint son public en haleine de six heures du soir à trois heures du matin: « Vers la fin, écrivit Gautier dans son Histoire de l'Art dramatique, dans les courts entractes, on se regardait comme sur le radeau de la Méduse. » - « Âgée de dix-neuf ans, elle était bien jeune pour cet emploi, remarque André Maurois, mais l'amour d'un grand homme pose les couronnes sur des fronts inattendus. » Mélingue, le superbe et gentil Mélingue aux charmes duquel Marie Dorval fut assez sensible pour déchirer le cœur de Vigny - ceci se passait en 1838 -, Mélingue, peintre et sculpteur de talent, qui incarna plus tard avec panache Lagardère dans le Bossu (Paul Féval), Fanfan la Tulipe (Paul Meurice), Don César de Bazan dans le Ruy Blas de 1872 à l'Odéon, etc., jouait le rôle masculin vedette de la Reine Margot. Laferrière, "l'éternel jeune premier", qui faisait partie de la distribution, auteur d'attrayants Souvenirs, parle de cette inauguration du Théâtre-Historique: «Ce fut le premier essai de grande mise en scène. Tout ruisselait d'or, de velours, de soieries et de plumes au vent. Les décors, brossés par Chambon et Despléchin, les maîtres d'alors, évoquant avec somptuosité les intérieurs royaux, les coins
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pittoresques du vieux Paris, les bouges sombres et les forêts touffues, ces masses de personnages, ces cortèges étincelants, ces chasses, ces processions, étaient considérés comme l'expression suprême de l'art dramatique. Ce tourbillon bruyant et magnifique fit grosse impression. » Ce passage est cité, dans Fantômes et souvenirs de la Porte-SaintMartin, par Jacques de Plunkett, héritier attentif d'une tradition familiale de première main. Le Théâtre-Historique périclita vite sous la direction brouillonne d'Alexandre Dumas. Fermée en 1849, la salle fut occupée par le Théâtre-Lyrique, où brillait toujours Mélingue, jusqu'à sa démolition en 1862 pour cause de remaniements haussmanniens. À propos de Laferrière, ci-dessus nommé, "l'interprète rêvé pour les héros tourmentés par le fameux mal du siècle", Plunkett raconte comment cet acteur, "péchant par orgueil", dut quitter le théâtre de la Porte-Saint-Martin, alors dirigé par Crosnier - il y rentra plus tard sous la direction de Harel -, pour avoir refusé une "panne" dans Marion Delorme. « Apprenant ce refus, Victor Hugo, surpris, blessé, le convoqua chez lui, place Royale, où il le reçut avec une extrême froideur. "Sachez, Monsieur, lui dit-il, que dix vers de Victor Hugo ne se refusent jamais, car ils restent !"» Le poète ne nourrit jamais aucune incertitude sur l'immensité de son génie et le sentiment de sa grandeur ne fit que croître avec les années, ce qui en agaça plus d'un. D'où, un soir, à sa propre table, cette candide question du Père: «Je me demande parfois ce que je dirai à Dieu quand je serai en sa présence?» Et la réponse éclair d'Aurélien Scholl, l'impertinent: « Vous lui direz: "Mon cher confrère..." » Le Second Rang du collier, p. 326. DUMAS père, Alexandre (Villers-Cotterêts 1802 - Puys, près Dieppe 1870), petit-fils du marquis Davy de la Pailleterie et de Cessette Dumas, esclave noire de Saint-Domingue, fils du brave et malheureux général Thomas-Alexandre Dumas (1762-1806), "l'Horatius Coclès du Tyrol" tenu en disgrâce par Napoléon 1er, et de Marie-Louise Labouret. La vie de Dumas, cet autodidacte, ce bourreau de travail aux trois cents volumes - aidé par bon nombre de collaborateurs dont le plus connu est l'historien Auguste Maquet, suivant une recette accommodée plus tard par Willy -, est un feuilleton picaresque raconté avec une verve grossissante dans les vingt-deux volumes de ses Mémoires (1852-1854). Il a abordé tous les genres, Dumas père, le roman historique, le théâtre, le grand reportage, la politique. .. jusqu'aux dictionnaires de cuisine! Des fortunes gagnées, des fortunes perdues, dilapidées, des dettes gigantesques, des procès, des voyages, des épisodes guerriers, des maîtresses - douze enfants naturels, tous de mères différentes - jusque dans un âge où l'abus devient blâmable... «Lui qui porte un monde d'événements, de héros, de traîtres, de magiciens, d'aventuriers, lui qui est le drame en personne, croyez-vous que les goûts innocents ne l'auraient pas atteint? Il lui a fallu des excès de vie pour renouveler sans cesse un énorme foyer de vie », écrivait George Sand. En marge du merveilleux portrait photographique qu'il fit de Dumas, Nadar note: « Six pieds tout à l'heure, en buste moins qu'en jambes. Elles sont d'un dessin merveilleux, et il aime les montrer. Un cou de proconsul. Le teint bistré clair. Le nez fin. L'oreille microscopique. L' œil bleu. Les lèvres lippues à la mode de la Mésopotamie, pleines de méandres. De cet ensemble, une irradiation
magnétique,des effluvesirrésistiblesde bienveillanceet de cordialité... » Le grand cœur de Dumas eut l'occasion de se manifester à la mort de Marie Dorval avec laquelle il avait vécu jadis quelques semaines heureuses, légères. Il était là, 38, rue de Varenne [s], lorsqu'elle
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rendit le dernier soupir. Nulle plaque, hélas! rue du Bac où elle habita en plusieurs endroits ou rue de Varenne, dans le VIle arrondissement parisien, ne rappelle au passant cette enfant de la balle devenue l'admirable étoile du drame romantique, son idéale interprète. « Tout était passion en elle, témoigne George Sand qui fut de ses intimes, la maternité, l'art, l'amitié, le dévouement, l'indignation, l'aspiration religieuse et, comme elle ne savait rien modérer, rien refouler, son existence était d'une plénitude effrayante, d'une agitation audessus des forces humaines. » Et Gautier: «Jamais on ne vit au théâtre une actrice plus profondément féminine. Quoiqu'elle ne fût pas régulièrement belle, elle possédait un charme suprême, une grâce irrésistible. [...] Comme elle était sympathique et touchante, comme elle intéressait, comme elle se faisait aimer, et comme on la trouvait adorable!... » Dans les bras de son gendre, l'acteur René Luguet, homme d'une sublime abnégation, le dimanche 20 mai 1849 elle expira, l'actrice excessive, d'épuisement, de misère, du dédain d'un public désaffectionné, de la mort précoce de son idolâtré petit-fils Georges. C'est en partie grâce à l'activité généreuse de Dumas, à ses articles réunis dans une petite brochure parue en 1855 à la Librairie Nouvelle, la Dernière Année de Marie Dorval. 50 centimes pour son tombeau, que l'on put, après exhumation de sa sépulture provisoire, enterrer décemment la pauvre femme au cimetière Montparnasse; une croix de bois enchâssée dans une croix de pierre porte cette inscription navrante: « Marie Dorval morte de chagrin. » Cher Alexandre Dumas, avec sa bonté foncière, ses appétits boulimiques, son œuvre «éclatante, innombrable, multiple, éblouissante, heureuse... », ainsi qualifiée par Victor Hugo, de cinq mois son aîné dans le siècle. Balzac, Hugo, Dumas, trio sans pareil dans l'histoire de la littérature, des surhommes, des goliaths qui demeurent les plus populaires de nos grands romantiques. On ne lit pas sans amusement, dans les Souvenirs de Céleste Albaret recueillis par Georges Belmont, les conseils de Marcel Proust à sa jeune gouvernante: «Il faut lire» pour se meubler l'esprit et il lui prescrit les Trois Mousquetaires. «Cela m'a passionnée. Nous en avons parlé plusieurs fois, le soir. » Elle ne dit pas si elle a suivi les aventures des inséparables Athos, Porthos, Aramis et d' Artagnan dans Vingt Ans après, puis dans le Vicomte de Bragelonne, le roman du crépuscule de ces héros chers au cœur de Robert-Louis Stevenson. Après Dumas, Proust recommande Balzac: «Vous verrez comme c'est beau! » Vaste programme! «Romans: pervertissent les masses. Sont moins immoraux en feuilletons qu'en volumes. Seuls les romans historiques peuvent être tolérés parce qu'ils enseignent l' histoire. » (Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.) Victor Hugo ne peut se rendre à Villers-Cotterêts où l'on a transféré, depuis Neuville-lès-Dieppe, la dépouille d'Alexandre Dumas pour y être inhumée, selon son vœu, dans la terre de sa jeunesse. Le 15 avril 1872, il écrit à son cher confrère Dumas fils une longue, une belle lettre. ... je veux de moins être près de vous par le cœur. [...] Alexandre Dumas séduit, fascine, intéresse, amuse, enseigne. De tous ses ouvrages si multiples, si variés, si vivants, si charmants, si puissants, sort l'espèce de lumière propre à la France. Ses qualités sont de toutes sortes et innombrables. Pendant quarante ans, cet esprit s'est dépensé comme un prodige. Rien ne lui a manqué; ni le combat, qui est le devoir, ni la victoire, qui est le bonheur. [...] Votre père et moi, nous avons été jeunes ensemble. Je l'aimais et il m'aimait. Alexandre Dumas n'était pas moins haut par le cœur que par l'esprit; c'était une grande âme bonne...
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Nul n'ignore qu'à l'occasion du bicentenaire de sa naissance, exhumé pour la seconde fois, Alexandre Dumas, le génial créateur de tant de héros populaires, a rejoint en majesté son ami Hugo sous le dôme du Panthéon. Le Second Rang du collier, p. 207. DUMAS fils, Alexandre (Paris 1824 - Marly-le-Roi 1895), né de Catherine Labay, couturière, qu'il chérissait. De son père, dont la vie surabondante finit par le chagriner, il disait: « Mon père est un grand enfant que j'ai eu quand j'étais tout petit.» Plus tard, en une formule percutante: « Il avait du génie comme un éléphant a une trompe. » Après une jeunesse très libre, Dumas fils sentit la nécessité de s'assagir: « Ne sachant rien faire, je fis de la littérature.»
Entre tant d'autres comédies de mœurs à thèse moralisatrice
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relèvement des femmes tombées, le sauvetage des femmes perdues... - il fit de la Dame aux camélias, roman larmoyant écrit en 1848, une adaptation pour le théâtre qui alla aux nues, en décembre 1852, au Vaudeville. On y pleura beaucoup sur les amours contrariées d'Armand Duval, garçon de bonne famille - incarné par Charles Fechter, jeune amant de Virginie Déjazet qui le recommanda pour cet emploi -, et Marguerite Gautier, courtisane à la mode - dont le rôle, retiré à la jolie Anaïs Fargueil pour cause de sottise exagérée, fut confiée à "la petite Doche... col de cygne, taille de roseau". Télégramme de Dumas fils à Dumas père, alors à Bruxelles: «Grand, grand succès! Si grand que j'ai cru assister à la représentation d'un de tes ouvrages!» Réponse de Dumas père à Dumas fils: «Mon meilleur ouvrage, c'est toi, mon cher enfant!» La misogynie d'Alexandre, marié deux fois, pourvu de deux filles, augmenta avec l'âge... et l' expérience peut-être. George Sand avait reporté sur le fils l'affection qu'elle avait pour le père, mais la dévotion filiale qu'il manifestait à l'auteur de Lélia ne détourna nullement Alexandre de tenir des propos esclavagistes à l'encontre des filles d'Ève: «La Femme est un être circonscrit, passif, instrumentaire, disponible, en expectative perpétuelle. [...] C'est un ange de rebut. La nature et la société se sont donc entendues et s'entendront éternellement, quelles que soient les réclamations de la Femme, pour que la Femme soit sujette de l'Homme. L'Homme est le moyen de Dieu, la Femme est le moyen de l'Homme. Illa sub, ille super. Il n'y a plus à y revenir...» Et pour mieux river leur clou aux féministes, l'affirmation massue: «
L'émancipation de la femme par la femme est une desjoyeusetés les plus hilarantes qui
soient nées sous le soleil. » Judith s'est toujours refusée aux médisances écrites, scrupules qui ne ligotaient en aucune façon les Goncourt; nous apprenons par leur Journal en date du 10 mars 1864 ce que pensaient réellement d'Alexandre junior les petites Gautier. En visite rue de Longchamp à Neuilly, ils y trouvent l'auteur tout récemment applaudi de l'Ami dEs femmes, « maigri, le front fuyant, les cheveux en brosse, le menton rentré, quelque chose de pointu, de fondu - qui me laisse à peine reconnaître cette grosse figure bouffie de santé et de suffisance d'autrefois - l'œil nuancé d'égarement. Il se met à se faire tirer la bonne aventure de sa main par Desbarolles, se confesse à lui, lui dit qu'il a souvent des tristesses, des désespoirs à se jeter par la fenêtre. [...] Les deux filles de Gautier me disent qu'elles le prennent souvent en horreur à cause de sa pédagogie, de sa manie de leur dire des choses désagréables, de les reprendre, de les sermonner. Il est maintenant presque toujours chez Gautier, dont il est voisin.» D'ailleurs homme d'honneur et de générosité malgré ce profond pessimisme qui le faisait désespérer de l'espèce humaine. La princesse Mathilde eut
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la preuve de cette bonté foncière lorsque, craignant le pire, elle s'enfuit à Dieppe après l'effondrement du régime impérial dans l'intention de s' y embarquer pour l'Angleterre. Dumas fils résidait alors dans sa propriété de Puys, village tout proche du chef-lieu normand, où son père allait rendre l'âme quelques semaines plus tard - on l'inhuma sur place avant de transférer sa dépouille à Villers-Cotterêts. Suivant le conseil de Dumas fils dont elle se trouva bien, Mathilde se rendit en Belgique d'où elle revint à Paris en juin 1871, comptant sur le bon vouloir de M. Thiers, qui lui portait amitié, pour l'y autoriser après coup. Puis, comme le précise Jean des Cars, Dumas s'emploie à sauver du désastre, rue de Courcelles, les objets d'art que la Commune s'apprêtait à détruire, et à rendre possible ce retour d'exil qui pouvait sembler prématuré. Il est assidu rue de Berri comme à Saint-Gratien. Le Il février 1875, la princesse assiste à sa réception sous la Coupole. Le 3 novembre 1883, on la remarque aux côtés de Mme Maurice Lippmann, la fille aînée de Dumas fils, à l'inauguration, place Malesherbes, du monument offert par Gustave Doré à la mémoire d'Alexandre Dumas père, où viendra, plus tard, le rejoindre la statue d'Alexandre Dumas fils, œuvre de Saint-Marceaux. « Jusqu'en 1942, précise le Guide bleu de Paris, on y voyait aussi la statue du général Alexandre Dumas, père et grand-père des deux écrivains: il fut un moment question de donner à la place le nom de "place des Trois Dumas". » Le même Saint-Marceaux avait sculpté le mausolée de Dumas fils au cimetière Montmartre. Il y voisine, surprenant clin d' œil du destin, avec la tombe de Marie Duplessis, celle qui fut la Dame aux Camélias, qu'il aima et qui le fit bien souffrir. .. en 1845 ! Alexandre Dumas fils était mort le 28 novembre 1895. L'Écho de Paris du lendemain publia un éloge dû à la plume d'Henri Bauër, son demi-frère, né en 1851 des œuvres d'Alexandre Dumas et de madame Anna Bauër. «Il portait en soi cette force impérieuse: la volonté [.. .]. Nul n'a exercé une influence plus profonde dans le sens de la rédemption et de la pitié... » (Cité par André Maurois dans les Trois Dumas.) Bergerat fut son ami: «La première fois que j'ai vu ce grand Parisien qui mettait de l'esprit dans la bonté, ce fut aux obsèques de Théophile Gautier, cimetière Montmartre. Le discours qu'il prononça devant les restes du poète de la Comédie de la Mort qu'il avait beaucoup aimé, était empreint de cette émotion mâle et
domptéeoù se signe l'âme des forts... » Plus avant dans ce même chapitre des Souvenirs d'un enfant de Paris: « On sait que "l'Ami des femmes" se piquait de graphologie» et de chiromancie « qu'il pratiquait en expert. » Disciple d'Adolphe Desbarolles, présenté par lui à Mme de Thèbes, Dumas fils fut le maître et le protecteur de la célèbre pythonisse qui tint longtemps cabinet de voyance au 29, avenue de Wagram. Fine mouche, intuitive, douée d'une grande pénétration psychologique, elle fit un certain nombre de prédictions vraiment surprenantes. Emma Calvé rapporte, exemple troublant, qu'ayant un j our étudié les mains de Mata Hari, la danseuse hollandaise soi-disant hindoue ou javanaise, inventrice du striptease et qui, lancée par l'imprésario Gabriel Astruc, fut la coqueluche de Paris dans les premières années du siècle, Mme de Thèbes lui « dit en confidence: "Cette pauvre fille est née sous des étoiles néfastes, elle mourra de mort infamante." [...] Tout le monde sait que Mata Hari, convaincue d'espionnage, a été fusillée à Vincennes pendant la guerre. » Il arrive néanmoins qu'un excès de précision chronologique nuise à la crédibilité de ses prophéties. Exemple tiré des Prédictions de Madame de Thèbes, septembre 1914: «Mort de Guillaume... 29 septembre. Révolution à Berlin... 2 octobre. Entrée des Français à Berlin. .. 22 octobre. Fin de la guerre... 7 novembre. Durée de la guerre... 3 mois, 5 jours.» (Recueilli par G. Betchell et J.-C. Carrière, Dictionnaire de la bêtise.) Dans le
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salon très achalandé de cette chiromancienne au style sobre, de bonne compagnie, Adolphe Brisson - le mari d' Yvonne Sarcey, sa collaboratrice aux Annales - vit, parmi les moulages en plâtre des mains de Zola, Drumont, Coquelin, Sarah Bernhardt, Christine Nilsson, etc., la main d'Alexandre Dumas père unie à la main de sa jeune et scandaleuse maîtresse, Miss Mennken, époustouflante aventurière américaine, et celle d'Alexandre Dumas fils, « pieusement placée dans un coffret de cristal». Le Il septembre 1891, Leconte de Lisle, en villégiature à Puys avec le Dr Pozzi et la famille de celui-ci, souffrant de la chaleur et de "l'atroce sérénité du ciel", écrit à Heredia une longue lettre (reproduite par Ibrovac) bien révélatrice de son humeur bilieuse. Entre autres passages déprimants: ... Nous ne sommes allés que deux fois à Dieppe. C'est une petite vieille ville sale qui sent le poisson d'une façon déplorable. Pourquoi est-elle à la mode? Peut-être parce que rien n'est bête comme la mode. Au moins est-ce une bonne raison. Mais Puys, c'est autre chose. Je me suis réconcilié avec Puys. D'ailleurs, toutes les villas sont à vendre. Dumasn'habite plus la sienne qui est vide et attend un acheteur. Or, Dumasn'étant plus ici, tout le monde s'en va. Si le Sar Péladan lui succédait,tout Paris s'y précipiteraità sa suite. Avez-vous remarquéque si tous les imbéciles ne sont pas des excentriques,il est fort rare qu'un excentrique ne soit pas un imbécile? [...] J'en ai assez de tous ces petits idiots prétentieux; ils ne m'irritent même plus, ils m'ennuient à mourir. Un vrai poète, un excellent artiste tel que vous, mon ami, me console heureusementdes inepties de ce misérable temps... Par quel miracle de patience, de prudence, de silence, Judith Gautier parvint -elle à conserver ses amis malgré tant de susceptibilités réciproques, froissements, vanités blessées, voire animosités déclarées entre ceux-là qui lui étaient les plus chers: Wagner / Hugo, Hugo / Leconte de Lisle, Leconte de Lisle / Péladan, Lorrain / Montesquiou, Montesquiou / Régnier, ... ? L'Affaire Dreyfus elle-même ne semble pas l'avoir fait sortir de sa bienveillante neutralité, quelles que fussent leurs opinions, à l'endroit des personnes de sa connaissance. Le Second Rang du collier, p. 20, 33, 47, 187, 193, 207, 232, 277. ÉRARD, Gaveau, Pleyel, facteurs de pianos et de harpes, trois illustres dynasties françaises. Sébastien Érard (1752-1831) fonda la première, Joseph-Emmanuel Gaveau (18241893) la deuxième, et Ignace Pleyel, d'origine autrichienne (1757-1831), la troisième. Érard et Gaveau fusionnèrent en 1959 et s'allièrent par la suite à Pleyel pour exploiter un marché en régression. Jusqu'en 1859, la Maison Érard était établie rue du Mail, No 13, à proximité de la place des Victoires. Vers 1852, au No 9, habita Nerval. Joseph Turgan, infatigable polygraphe, consacra à la manufacture Érard une étude parue en 1888 dans les Grandes Usines de France. Pour son premier concert public à Paris, le 20 mars 1832, Chopin choisit les Salons Pleyel, rue Cadet; c'est encore chez Pleyel, dans ses nouveaux Salons de la rue Rochechouart, ancêtres de l'actuelle Salle Pleyel, rue du Faubourg-Saint-Honoré, qu'il se produisit en public à Paris pour la dernière fois, le 16 février 1848. Le directeur de la firme était alors le fils d'Ignace, Joseph-Stephen-Camille Pleyel (1788-1855), époux épisodique de la très talentueuse, très belle, très coquette, très libre Marie Moke, pianiste virtuose, l'ex-fiancée de Berlioz. Chopin déclara un jour: «Quand je suis mal disposé, je joue sur un piano d'Érard et j'y trouve facilement un son tout fait. Mais quand je me sens en verve et assez fort pour trouver mon propre son à moi, il me faut un piano de Pleyel. »
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Une nièce du "patron" Sébastien, Mlle Céleste Érard, "divinement belle", épousa le Calabrais Gaspare Pacifico Spontini, l'illustre auteur de la Vestale sur un livret de VictorÉtienne de Jouy, œuvre très applaudie à Paris en 1807, cette Vestale, "opéra oublié" que Maria Callas revivifia superbement à la Scala de Milan en 1954. Fixé en France à partir de 1803, Spontini fut tout à tour directeur de la Musique particulière de l'Impératrice, directeur du Théâtre-Italien, compositeur de la Musique ordinaire de Louis XVIII qui lui octroya des lettres de naturalisation. Frédéric-Guillaume III lui offrant un pont d'or, Spontini quitta Paris pour Berlin; il y demeura vingt-deux ans. En 1821, ministre plénipotentiaire de la France auprès du roi de Prusse, Chateaubriand rencontra le Directeur général de la musique, tout nouvellement installé, et s'amusait encore, dans les Mémoires d'Outre-Tombe, au souvenir des difficultés d'élocution de son épouse, l"'agréable" Mme Spontini: «Elle semblait expier la volubilité du langage des femmes par la lenteur qu'elle mettait à parler. Chaque mot, divisé en syllabes, expirait en syllabes. Si elle avait voulu dire: "Je vous aime", l'amour d'un Français aurait pu s'envoler entre le commencement et la fin de ces trois mots. Elle ne pouvait pas finir mon nom, et elle n'arrivait pas au bout sans une certaine grâce. » Rivalisant avec les instruments Érard, Gaveau, Pleyel, les pianos Herz connurent la vogue au milieu du XIXe siècle. La manufacture des frères Jacques et Henri Herz voisinait avec la salle des concerts Herz, 48, rue de la Victoire à Paris, où se produisirent de nombreux virtuoses, tel le jeune Offenbach désireux de faire connaître au grand public ses talents de violoncelliste. Pianiste, compositeur, né à Vienne (Autriche) en 1806, naturalisé français, auteur d'une Méthode pianistique estimée, inventeur du Dactylon, appareil à délier et à fortifier les doigts, Henri Herz enseigna au Conservatoire de Paris de 1842 à 1874. Il Y fut le professeur de l'étonnante Marie Jaëll. Alsacien comme elle, Louis Laloy écrit dans la Musique retrouvée: «Non loin de là [Wissembourg], la fille d'un cultivateur était destinée par l'ambition de sa mère à devenir une pianiste de profession. Elle se nommait Marie Trautmann; devenue par son mariage avec un artiste autrichien Mme Marie Jaell, elle a été applaudie dans les concerts avant de se consacrer à l'enseignement, où elle a dépassé l'empirisme pour construire un système d'éducation non seulement musical, mais esthétique, fort digne d'intérêt... » À cette pianiste scientifique, enthousiaste des théories de Schuré, née en 1846, morte à Paris en 1925, Catherine Pozzi la fille du chirurgien -, son élève, porta une admiration passionnée comme en témoigne son Journal. Henri Herz, mentionné dans tous les dictionnaires de musique, acquit des droits d'un autre ordre au souvenir de la postérité en contribuant à lancer sur orbite une dégrafée célèbre sous le nom de Païva. Elle l'avait rencontré en 1841 à Ems, ville d'eaux à la mode. Ce joli garçon très courtisé était un gibier de choix pour Thérèse Lachmann. Née en 1819, ou quelques années plus tôt, dans le triste ghetto de Moscou, épouse à seize ans d'un pauvre petit tailleur français tuberculeux, Antoine Villoing, qui lui avait fait un fils décédé à vingtcinq ans et qu'elle ne revit point, elle avait abandonné mari et enfant pour courir l'aventure à travers l'Europe - on retrouve sa trace à Constantinople, à Vienne -, mue par son horreur œ la misère, des humiliations subies et sa farouche volonté de puissance. Les griffes plantées dans cet amant flatteur, grâce auquel elle devint une excellente pianiste et la mère d'une petite fille morte à douze ans, elle ne le laissa aller que ruiné. Réduite derechef à la prostitution de bas étage, mais soutenue par Esther Guimond, une cocotte de ses amies, nippée à neuf par une rivale de Palmyre, la couturière Camille, elle s'en alla outre-Manche se refaire une santé financière, puis opportunément veuve de Villoing, mort à Paris en
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1849, convola en 1851 avec le marquis portugais Francisco de Païva, bientôt congédié, personnage douteux suicidé en 1872. Le titre restait acquis, même si les boulevardiers s'égayèrent du nom: « Qui paye y va ». Après quelques captures éphémères s'offrit enfin une proie des plus juteuses, des plus succulentes, le Prussien Guido Henckel von Donnersmarck, son cadet de deux lustres, un bel homme apparenté aux Hohenzollern, fabuleusement riche; après une longue liaison, il lui conféra par légitime mariage, en 1871, le titre de comtesse et il l'aimera jusqu'à conserver son cadavre dans un cercueil de cristal après son décès par hypertrophie du cœur, "elle qui n'en eut jamais" ! Un hôtel place Saint-Georges, en face de celui où demeurait M. Thiers avec ses trois Dosne - sa bellemère, sa femme, sa belle-sœur -, l'hôtel des Champs-Élysées, numéro 25, construit sur l'emplacement du Jardin d'Hiver - actuellement le siège du Travellers Club de Paris - et le château de Pontchartrain acheté aux d'Osmond furent successivement les temples fastueux d'une déesse de Cypris plus cupide, plus dure, plus brutale, plus méprisante que beaucoup œ ses consœurs, plus calculatrice aussi que, par exemple, sa rivale en folles dépenses ostentatoires, l'Américaine Élisa Parker qui passait pour être la femme de Musard, le chef d'orchestre. La vie de Thérèse Lachmann, soi-disant fille d'un frère du tsar de toutes les Russies - pas moins! - est un roman vécu dont elle falsifiait les chapitres à sa guise sans convaincre ni troubler les convives de choix, artistes, écrivains, hommes politiques, reçus à sa table avec munificence. Truffes, foies gras, primeurs éclos en toute saison dans ses serres de Pontchartrain, vins des meilleurs crus, appâtaient ces messieurs très portés sur la gueule - Thérèse ne tolérait chez elle que le sexe mâle - et qui n'avaient aucun scrupule à dauber l' hôtesse dès leur sortie à l'air libre. Théophile Gautier fut parmi les premiers à fréquenter la Païva, "en copain", du temps de sa pire détresse, et aussi parmi les derniers: «Je prends votre pied dans ma main et le porte à mon front en guise de servage » (cité par Loliée), jusqu'à la guerre de 70 à la suite de laquelle la Païva, qu'on accusa d'indiscrétions au profit de la Prusse, tenta d'inciter Gambetta à rencontrer le chancelier Bismarck. Juliette Adam fulminait: «Une espionne! Une gueuse!» La princesse Mathilde, outrée de l'attrait exercé par la courtisane scandaleusement enrichie sur son propre troupeau de familiers: « Une drôlesse! Une impure! Une fillasse ! » - « Elle parle, elle pense, elle hait comme un homme », disait-on de celle dont on cite ce propos: «La vertu n'aura été et ne sera toujours qu'un voile trompeur et un masque. C'est la dissimulation qui mène le monde. » «Si elle n'est pas la fille du diable, soupirait avec rancœur l'un de ses intendants de Pontchartrain, elle doit être sortie de l' œuf d'une serpente couvé par un vautour.» Goncourt, l'honnête Bergerat, Gaston Jollivet parmi d'autres, font de la Païva vieillissante, lourde, roide, fardée à l'excès, cuirassée de bijoux, de cette femme d'une intelligence supérieure mais cynique, sans grâce ni douceur, un portrait effrayant. Robert de Montesquiou nous la montre chez Nadar, en 1880, dans un face à face qui ne laisse pas d'intriguer: Nadar, un de ces noms qui ne vieillissent pas plus que les hommes qui les portent. Celui-là toujours debout dans l'incandescente vareuse rouge qui tenta Carolus Duran, assortie à l'inextinguible flamme de la chevelure rousse; en la haute vigie de l'intelligence toujours en éveil et de la mémoirejamais endormie.De beaux et curieux souvenirs se lèvent pour moi sous l'N zigzaguant de l'aéronaute célèbre; dirai-je "de l'illustre photographe"? N'est-ce pas chez lui, en effet, que nous vîmes préluderla cessation du malentendu attaché aux œuvres de Wagner, et les entachant? Le bonnet des gâte-sauce acharnés contre Lohengrin reçut là sa
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première sérieuse atteinte. En cette hospitalière et artistique demeure,on apprit à penser et à comprendre que les plus que légitimes rancunes patriotiques n'avaient rien à voir avec les œuvres d'art; et ce fut comme toujours une femme qui effectua ce miracle: j'ai nommé Mme Judith Gautier. Aucunêtre épris de nobles manifestations légèrement ésotériques n'a perdu la mémoire de ces soirées en 1880, un peu équivalentes à des messes de néophytes chrétiens dans les catacombes,et où, pour la première fois, la fille aînée de Théophile Gautier m'apparut bien belle. Elle portait une étrange robe taillée dans un ancien cachemire des Indes d'un fond vert; et sous une toque arrangée d'un seul lophophore son visage lunaire s'arrondissait et s' apâlissait entre les deux étoiles en turquoises de ses larges pendants d'oreilles. Une autre apparition - terrible, celle-là - tranchait sur l'auditoire cornposi te ; l'ex-Païva, hideuse sous son masqueflétri aux yeux de crapaud enlaidi encore d'un chapeau charmant, et éclairé de deux solitaires infernaux contrastant avec les célestes étoiles azurées de Judith, magnifique et pure. (Autels privilégiés, février 1895.) Pour finir, ce détail mobilier qu'on croirait tiré d'une fiction naturaliste: après le retour, fermement conseillé par les autorités françaises, des Donnersmarck en Silésie où mourut Thérèse en 1884, l'hôtel des Champs-Élysées et la propriété de Pontchartrain liquidés, son lit, le lit fameux de la Païva en acajou massif surmonté d'une femme nue et qui avait coûté son pesant d'or échoua dans un bordel de grand luxe, rue des Moulins. Toulouse-Lautrec, le génial nabot habitué des lieux, ne se fit pas faute - comment, du moins, ne pas inventer la scène? - d'en éprouver complaisamment l'élasticité. Le sujet nous invite à faire une petite incursion dans la chambre à coucher de quelques dames de la haute bicherie - espèce en voie de disparition dès le début du XXe siècle -, ce saint des saints dont le lit est l'autel du sacrifice et des offrandes, leur "champ de manœuvres" selon Barbey d'Aurevilly, "mon album", disait drôlement Alice Ozy. Dumas fils, telle qu'il l'a vue de ses yeux éblouis, décrit la couche de Marie Duplessis, modèle de la Dame aux camélias, dans son entresol du Il, boulevard de la Madeleine à Paris: « Un magnifique lit de Boulle posé sur une estrade avec des cariatides de dix pouces à chaque pied, représentant des faunes et des bacchantes. Les colonnes plates de ce lit sont surmontées d'aiguières entrelacées de vignes au milieu desquelles se jouent des amours.» (Micheline Boudet, la Fleur du Mal.) Alors maîtresse d'Aurélien Scholl, la Barrucci, après le dîner dans sa luxueuse demeure de l'avenue des Champs-Élysées, pilote les frères Goncourt jusque dans sa chambre: «C'est une grande boîte toute capitonnée, ouvragée, frangée de satin feu à liseré de couleur pensée - un de ces prodigieux ouvrages de tapissier dont on ne peut s'imaginer le prix! Il Ya un lit Louis XVI assez large pour que le Pactole y couche; et dans le fond du lit, à la tête, une horrible copie de l'horrible Vierge à la chaise de Raphaël. Bonne place pour ce chef-d'œuvre! » (Journal, 8 novembre 1863.) Et voici le lit de la pseudo-comtesse Valtesse de la Bigne - dite Rayon d'or, dite l'Union des peintres, modèle de la Nana d'Émile Zola (1879) et de la Reine-Soleil, une fille de la glèbe de Harry Alis (1885) -, ce lit nostalgiquement et tendrement évoqué par Liane de Pougy dans Mes Cahiers bleus et qui connaîtra une destinée autrement chic que le lit de la Païva, puisque, restauré pour l'exposition "Rêves d'alcôves" en 1955, nous pouvons encore l'admirer au musée des Arts décoratifs: «Conçu par Édouard Lièvre dans un style Renaissance, c'est un lit de parade, posé sur deux marches et entouré d'une balustrade en bronze digne du Roi-Soleil. Ce chef-d'œuvre a la particularité d'être en bois, garni de peluches puis recouvert d'un décor de bronze et surmonté d'un dôme majestueux. Un cupidon vole au-dessus du chevet, soutenant une lampe [...]. Des plumes, de la peluche bleue, des couronnes d'or et des drapés à l'antique, des branches de thyrse, emblème de Bacchus, et un
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baldaquin impressionnant [...]. Son V et les trois roses, armoiries de la véritable famille de la Bigne, sont portés par des anges sous des couronnes de comte.» (Y olaine de la Bigne, Valtesse de la Bigne - lecture très divertissante !) Le "tatafouillon" de ces beautés, comme disait Théophile Gautier, était à l'avenant de la somptuosité de leur couche. Jean Cocteau en a été fasciné. J'ai vu, moi qui vous parle, Otero et Cavalieri déjeuner à Armenonville. Ce n'était point une petite affaire. Armures, écus, carcans, gaines, baleines, ganses, épaulières, jambières, cuissards, gantelets, corselets, licous de perles, boucliers de plumes, baudriers de satin, de velours et de gemmes, cottes de mailles, ces chevaliers hérissés de tulle, de rayons et de cils, ces scarabées sacrés armés de pinces à asperges, ces Samouraïs de zibeline et d'hermine, ces cuirassiers du plaisir que harnachaient et caparaçonnaient, dès l'aube, de robustes soubrettes, semblaient, raides, en face de leur hôte, ne pouvoir sortir d'une huître que sa perle. [00'] Un monocle, des guêtres et des moustaches blanches, un grand âge et une grande fortune permettaient de prétendre à de tels vis-à-vis. L'idée de déshabiller une de ces dames était une entreprise coûteuse, qu'il convenait de prévoir à l'avance comme un déménagement... (Portraits-Souvenir.)
Le Second Rang du collier, p. 32, 191. Esméralda, jeune héroïne du premier grand roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris (1831), récit "gothique" foisonnant, «éclatante résurrection du Moyen Âge et, en même temps, poème tragique de la Fatalité. » (Gaëtan Picon, dans le Dictionnaire des Œuvres... ) Petite danseuse bohémienne, un peu sorcière, victime de l'amour qu'elle inspire irrésistiblement aux hommes de son entourage, Esméralda connaît un sort affreux, comme il se doit pour une parfaite conclusion romantique. Victor Hugo en personne tira de son œuvre un livret que Louise Bertin -la fille de l'omnipotent directeur du Journal des Débats, Bertin Aîné, modèle d'un portrait fameux par Ingres (1832) - mit en musique, aidée, dit-on, par Berlioz. Créé le 14 novembre 1836, Esméralckl, poème en quatre actes, n'eut que six représentations à l'Opéra de Paris. Mme Victor Hugo consacra quelques pages à la genèse et à la chute d'Esméralckl. « Les journaux furent d'une violence extrême contre la musique. L'esprit de parti s'en mêla et se vengea sur une femme du journal de son père. Alors le public siffla...» Il siffla la musique, il siffla aussi les inconvenances du livret, sans compter les insuffisances du décor, mais "le témoin", en toute solidarité conjugale, n'en
souffle mot. Le paragraphefinal de ce chapitre est assez curieux: « Le roman est fait sur le mot ananké ; l'opéra finit par le mot fatalité. Ce fut une première fatalité que cet écrasement d'un ouvrage qui avait pour chanteurs M. Nourrit et Mlle Falcon, pour musicienne une femme d'un grand talent, pour librettiste M. Victor Hugo et pour sujet Notre-Dame de Paris. La fatalité s'attacha aux acteurs. Mlle Falcon perdit sa voix; M. Nourrit alla se tuer en Italie. Un navire appelé Esméralckl, faisant la traversée d'Angleterre en Irlande, se perdit corps et biens. Le duc d'Orléans avait nommé Esméralda une jument de grand prix; dans une course au clocher, elle se rencontra avec un cheval au galop, et eut la tête fracassée. » Infortuné duc d'Orléans! les chevaux ne lui portaient pas chance. On sait que l'héritier du trône se fractura le crâne sur le pavé de Neuilly, le 13 juillet 1842, le cocher ayant perdu la maîtrise des chevaux attelés à la calèche du prince en route vers les Tuileries où l'attendait pour déjeuner la reine Marie-Amélie. À sa sœur Rosalie, Mme François Buloz, née
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Christine Blaze, la fille aînée du critique musical aux Débats et autres journaux "Christinette" l'appelait George Sand qui aimait beaucoup la jeune épouse du directeur de la Revue des Deux Mondes -, écrivait le Il septembre 1838: «Nous avons assisté à la Première de Benvenuto Cellini, cet opéra qui a fait un fiasco qu'on ne peut comparer qu'à celui de La Esméralda et je ne sais si je ne préfère la musique de mademoiselle Bertin à celle de Berlioz! Jamais on n'a entendu de gâchis semblable... » Etc. (Cité par Mme MarieLouise Pailleron, née Buloz, historienne de la Revue des Deux Mondes.) Une demi-douzaine d'autres Esméralda de divers compositeurs n'obtinrent guère plus de succès. En revanche, Carlotta Grisi créa le 9 mars 1844 au Her Majesty's Theater de Londres et mena au triomphe la Esméralda, ballet en trois actes et cinq tableaux, musique de César Pugni, livret et chorégraphie de Jules Perrot qui assuma lui-même le rôle de Gringoire. «Carlotta, écrit un critique du Times cité par Serge Lifar, biographe de la Grisi, a créé une image parfaite de la Esméralda, gracieuse, tendre et passionnée », telle que l'imaginait déjà Théo dans ce poème adressé au tout jeune Jehan Du Seigneur, "l'air doux, modeste et timide comme une vierge", un camarade du Petit Cénacle, occupé à sculpter un groupe représentant Esméralda donnant à boire à Quasimodo: Alors, devant les yeux de ton âme en extase, Chatoyanted'or faux, toute folle de gaze, Commeaux pages d'Hugoton cœur la demanda, Avec ses longs cheveuxque le vent roule et crêpe, Jambe fine, pied leste et corsage de guêpe, Vrai rêve oriental, passe l'Esméralda. Histoire du romantisme. Lifar indique que les plus grandes danseuses du XIXe siècle inscrivirent à leur répertoire ce ballet, lequel, dit-il à tort, ne fut jamais représenté en France, puisqu'il fut repris au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 24 décembre 1856, avec Mme Scotti dans le rôle-titre, et Théophile Gautier ne se fit pas faute, une fois encore, d'encenser sa bien-aimée Carlotta: « Qui n'a pas été amoureux d'Esméralda après la lecture de Notre-Dame de Paris? Qui n'a vu passer dans ses rêves ce fantôme charmant paré de toutes les beautés et de toutes les perfections? Aussi est-ce pour une danseuse un rôle terrible et dangereux comme Célimène pour une actrice. Carlotta Grisi l'a dansé pourtant, et personne ne s'est souvenu, en la voyant si blanche, si rose, si blonde, avec ses yeux couleur de violette et sa bouche en fleur, que l'Esméralda du poète était fauve et dorée comme une fille d'Égypte, et faisant miroiter des éclairs bleus sur sa chevelure de jais! Elle l'a dansé comme personne ne le dansera. Quelle grâce ailée! quel charme irrésistible! quelle précision et quelle souplesse!» En 1848, Fanny Elssler dansa à Moscou la Esméralda, avec Jules Perrot dans le rôle de Gringoire et Marius Petipa dans celui de Phœbus, le capitaine des archers. «Tous les amateurs de ballet se souviennent du succès de cette œuvre, écrit Marius Petipa dans ses Mémoires. Le rôle principal y étant tenu par une artiste de la dimension de Mme Elssler, pouvait-il en aller autrement? Ce rôle était vraiment fait pour elle et son interprétation était inimitable. Toutes les Esméraldas que j'ai eu l'occasion de voir, depuis, me paraissent de pâles copies en regard de son souvenir. » Ivor Guest, étudiant le sort réservé aux ballets de Jules Perrot - Faust, Catharina, la Naïade et le pêcheur, le Corsaire, Esméralda et Giselle -, indique que, malgré suppressions, ajouts, modifications de toute sorte apportés au fil du temps, Esméralda reste encore assez proche de sa conception originale. En Union soviétique,
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dit-il, ce ballet a été produit sur différentes scènes par plus de trente chorégraphes et il figure toujours au répertoire. On sait combien Gautier était sensible à la beauté, tout particulièrement à la beauté mariée à la grâce féminine... et Fanny Elssler, avant le règne sans partage de la Grisi, aimanta son attention de 1836 à 1839. Nous n'avons que l'embarras du choix de citations révélatrices. Elssler, «la plus jolie de toutes les danseuses qui ont foulé le plancher de l'Opéra... (La Charte de 1830, 28 novembre 1836) -, la plus belle des femmes qui sont maintenant au théâtre... » (Le Messager, 4 mai 1838.) Fanny Elssler, ballerine autrichienne qui se produisait généralement avec sa sœur Thérèse, née à Vienne en 1810, conquit la célébrité par son interprétation de la provocante cachucha espagnole. L'on a comparé souvent Fanny Elssler à la Diane chasseresse. Cette comparaison n'est pas juste; la Diane, toute divine qu'elle soit, a un certain air de vieille fille revêche; l'ennui d'une virginité immortelle donne à son profil, d'ailleurs si noble et si pur, quelque chose de sévère et de froid... Si Mlle Elssler ressemble à autre chose qu'à elle-même, c'est assurément au fils d'Hermès et d'Aphrodite, à l'androgyne antique, cette ravissante chimère de l'art grec. Ses bras admirablement tournés sont moins ronds que des bras de femme ordinaire, plus potelés que des bras de jeune fille; leur linéament a un accent souple et vif qui rappelle les formes d'un jeune homme merveilleusement beau et un peu efféminé comme le Bacchus indien, l'Antinoüs ou la statue de l'Apolline; ce rapport s'étend à tout le reste de sa beauté que cette délicieuse ambiguïté rend plus attrayante et plus piquante encore. Ses mouvements sont empreints de ce double caractère; à travers la langueur amoureuse, la passion enivrée qui ploie sous le vertige du plaisir, la gentillesse féminine et toutes les molles séductions de la danseuse, on sent l'agilité, la brusque prestesse, les muscles d'acier d'un jeune athlète. Aussi Mlle Elssler plaît-elle à tout le monde, même aux femmes qui ne peuvent souffrir aucune danseuse. (Le Messager, 4 mai 1838.) On l'a compris, Fanny Elssler réalisait aux yeux de Théophile Gautier, "ce gaillard si humain" selon la juste expression d'Ivor Guest, l'idéal de sexualité ambivalente qu'il avait littérairement personnifié en Mademoiselle de Maupin.
Le Second Rang du collier, p. 193. ÉTEX. Reçue il y a quelques années au Pré des Oiseaux par son très aimable propriétaire, le commandant Pillet, nous avons pu admirer, considéré comme le trésor de ces lieux, le buste de Judith à neuf ans par "le vieux sculpteur démagogue". Complétons et précisons les souvenirs de l'auteur du Collier des jours. Antoine Étex, Tony pour les amis, né à Paris en 1808, mort à Chaville en 1888, élève d'Ingres et de Pradier, peintre et sculpteur à l' œuvre surabondante, passionné d'architecture, fut la cible de critiques acerbes censurant sa froideur, son manque d'émotion, mais Théophile Gautier lui fut plus que bienveillant. À propos du modèle d'un groupe colossal, Caïn et sa race maudite de Dieu, exposé en 1833, il lui prédit un brillant avenir; en 1840, il proclame son buste de Charlet «un chef-d' œuvre comme ressemblance, science du modelé et travail du marbre. David d'Angers n'a rien fait de mieux», et qualifie le buste d'Alfred de Vigny d'« irréprochable morceau de la statuaire contemporaine ». En 1833, M. Thiers, pour la décoration de l'Arc de Triomphe, avait passé commande de bas-reliefs à trois artistes en renom. Rude exécuta le Départ des volontaires en 1792, surnommé la Marseillaise; Cortot, l'Apothéose de Napoléon; Étex fournit deux groupes allégoriques, la Résistance et la Paix qui ornent en effet la face
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orientale du monument de l'Étoile. Le premier volume de la Correspondance générale de Théophile Gautier, éditée par Mme Claudine Lacoste-Veysseyre - minutieux et impressionnant travail d'érudition - à la Librairie Droz, reproduit un billet d'Étex à Théo le conviant à pousser, le 5 octobre 1842, "jusqu'à la rue de l'Ouest, n° 48" pour y retrouver quelques camarades. Étex fut parmi les premiers à s'établir dans ce quartier de Montparnasse devenu si cher aux artistes du XXe siècle. Étex, littérateur, a écrit un certain nombre d'ouvrages énumérés dans le Grand Larousse du X/Xe siècle qui ne lui consacre pas moins de quatre colonnes pleines; citons en particulier ses études sur Paul Delaroche, Ary Scheffer, James Pradier. En 1877, Dentu a publié ses Souvenirs d'un artiste, dans lesquels Étex raconte le fameux bal costumé d'Alexandre Dumas qui marqua le Carnaval de 1832 et ne se termina qu'au grand jour par une farandole monstre dans les rues avoisinantes du quartier Saint-Lazare. La sultane en titre, "très belle personne avec des cheveux noirs et des yeux bleus", était alors Belle Krelsamer, au théâtre Mélanie Serre, située par ordre d'apparition dans le sérail de Dumas après Mélanie Waldor, avant Ida Ferrier; elle incarnait Hélène Fourment, la seconde, la pléthorique épouse de Rubens. Le maître de maison avait revêtu un costume Renaissance copié d'un carton de l'époque. Parmi les célébrités de tous les mondes et de tous les milieux qui vécurent cette folle nuit, Tony Étex - il ne fut pas toujours vieux et bourru! - confiant en sa fraîcheur, en sa minceur juvéniles, travesti en Andalouse avec dentelles noires et bijoux de jais, souliers de satin, mantille, grand peigne espagnol et œillets rouges dans les cheveux, jouait coquettement de l'éventail, minaudant, fleuretant et intriguant tout le monde, mais personne ne démasqua la fraude, pas même Dumas, pas même Déjazet - en Madame Du Barry - Déjazet "à la langue si déliée, à la voix si lutinante", jalouse comme beaucoup d'autres invitées du succès de cette sémillante et mystérieuse inconnue. «À nulle époque, comme le dit M.-P. Boyé, les artistes ne s'amusèrent davantage et, cependant, ne travaillèrent plus. Cette frénésie tient du miracle. » Les promeneurs qui s'en vont méditer dans cet immense champ du souvenir qu'est la nécropole parisienne du Père-Lachaise peuvent voir, autour du tombeau de Géricault (12e division, avenue de la Chapelle), un bas-relief dû au ciseau d'Étex; il lui a été inspiré par le Radeau de la Méduse, le chef-d' œuvre du jeune peintre rouennais, exécuté en 1819. Antoine Étex avait un frère cadet, Louis-Jules (1810-1889), artiste lui aussi, élève de Lethière et d'Ingres, qui exposa au Salon jusqu'en 1876. Dans sa biographie de Clotilde de Vaux, André Thérive, décrivant le logis transformé en musée d'Auguste Comte, le père fondateur de l'École positiviste, au numéro 10 de la rue Monsieur-le-Prince, à Paris, écrit: «Dans le petit salon... le buste de Comte par Antoine Étex, tête maigre et serrée par les muscles, domine un haut secrétaire. Sur les panneaux [...] pendent des toiles variées, la plupart hideuses: le peintre L.-J. Étex ne valait pas son frère le sculpteur. » Néanmoins, soyons reconnaissants à ce peintre médiocre de nous avoir laissé une charmante image de la pauvre Clotilde, Mme de Vaux née Marie, morte de consomption en 1846, la trentaine à peine révolue, et promue Vierge-Mère de la Religion de l'Humanité par son amoureux fou d'une passion inconsolable. On peut visiter dans le Marais, au 5 de la rue Payenne contigu au 7 où elle trépassa, le Temple de la Religion de l'Humanité, créé à sa mémoire par les adeptes de l'École Positiviste du Brésil, et relire dans nos florilèges de citations quelques heureuses formules frappées par cette douce, par cette pitoyable jeune femme dont le destin semble reproduire celui de la poétesse Élisa Mercœur, qui n'obtint que bien maigrement de la littérature - son roman Lucie (1845) - et du journalisme - ses chroniques dans le National
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d'Annand Marrast -les ressources qu'elle en espérait et qui lui faisaient cruellement défaut; à propos de la société, par exemple: « Ses institutions sont respectables, comme le labeur des temps. - Il n'y a pas de plaisirs supérieurs à ceux du dévouement. - Il est indigne des grands cœurs de répandre le trouble qu'ils ressentent... » Peu d'années avant la mort de Comte, Sardou franchit le seuil de la demeure du philosophe, il trace de celui-ci un effrayant portrait, reproduit par G. Mouly dans la Vie prodigieuse de Victorien Sardou: «Il ne fallait pas voir longtemps le pape du positivisme et l'entendre causer pour démêler dans cette tête froide, sèche et sans bonté, et dans ce langage glacial et insupportablement personnel, dans la naïveté même avec laquelle il étalait son adoration de lui-même et de sa méthode, un égoïsme, un despotisme, un fanatisme doublés d'un orgueil sans égal. Je sortis avec un parfait dégoût du personnage, de sa doctrine, de ses disciples et de toute la boutique. Et j'envoyai le positivisme à tous les diables.» Il est certain que l'intransigeance, le dogmatisme d'un homme génial que l'éminent docteur aliéniste Esquirol dût soigner jadis pour effondrement psychique n'avaient fait que se durcir avec l'affreux chagrin de la perte de son égérie et les difficultés matérielles qui ne cessèrent de l'assaillir malgré une besogne forcenée et les subsides fournis par des amis charitables ou des sectateurs enthousiastes. Le Collier des jours, p. 258-259. FA VART, Pierrette-Ignace Pingaud, dite Maria (1833-1908), grande jeune première dramatique du Second Empire. Débute à la Comédie-Française à quinze ans, la quitte en 1881 après y avoir joué cent soixante-cinq rôles, sans pour autant renoncer à la scène, en France comme à l'étranger. Paul Foucher, le beau-frère de Victor Hugo, la juge délicieuse, Arsène Houssaye l'appelle la muse du sentiment. Delaunay, son partenaire dans les années 1860-1870, loue son intensité dramatique, de même que Gautier, analysant Julie, drame en trois actes d'Octave Feuillet, représenté au Théâtre-Français en 1869, qui vaut un triomphe à l'actrice. Le 25 juin 1867, commentant dans le Moniteur la reprise de Hernani ou l'Honneur castillan, Gautier se remémorait les acteurs présents sur la scène du Théâtre-Français, trentesept ans plus tôt, à la tumultueuse première du drame hugolien: le vieux Joanny (Ruy Gomez de Silva), Firmin (Hernani), Michelot (don Carlos), auxquels succédaient respectivement, le 21 juin 1867, Maubant, Delaunay, Bressant. «Mademoiselle Mars ne pouvait prêter à la fière et passionnée dona Sol qu'un talent sobre et fin, préoccupé des convenances, plus fait d'ailleurs pour la comédie que pour le drame.» En revanche, Mademoiselle Favart «est la véritable dona Sol; hautaine et soumise à la fois, faisant plier sa fierté devant l'amour, et se révoltant contre la galanterie: aventureuse et fidèle comme une héroïne de Shakespeare, elle a au dernier acte une agonie digne de Rachel. » Maria Favart et le père de Judith se connaissaient personnellement. Un tableau de Gustave Boulanger rappelle l'inauguration, le 14 février 1860, du palais pompéien du prince Jérôme, allée des Veuves - notre avenue Montaigne - par une représentation du Joueur de flûte, comédie en un acte, en vers (première en 1850), d'Émile Augier, pour lequel Gautier avait rimé un prologue, la Femme de Diomède. On y voit, au second plan, le bon Théo, vêtu d'un peplum, couronné de roses, en conversation avec Mlle Favart. L'empereur et l'impératrice honoraient ce jour-là de leur présence le frère de la princesse Mathilde. Adolphe Racot, homme de lettres issu de la basoche, ami de France, de Mendès, de Louis-Xavier de Ricard, d'Emmanuel Chabrier, ..., comme eux un habitué du salon de la pétulante Nina de
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Callias, a l'éloge chaleureux; pour lui, Favart, c'est «la déesse de la grâce pudique et contenue, la fée des larmes et du sourire. Seule dans cette capitale du monde qui pourtant possède Mlle Fargueil, la prêtresse du drame terrible, elle incarne [...] la femme avec tout son cœur, toutes ses faiblesses, tout son amour... » et il déplore, dans son Portrait-Carte, que le répertoire moderne ne lui ait guère offert de rôles dignes de son talent. Conférencière à l'Université des Annales, Gyp, septuagénaire, se souvenait encore avec rancune d'une représentation de On ne badine pas avec l'amour où «l'éternelle Favart persistait à être Camille », la jeune et orgueilleuse héroïne de Musset. «Lorsqu'à la fin de la pièce, elle criait: "Adieu, Perdican!" je me disais qu'à la place de Perdican j'aurais été bien
content... » (Conferencia, 15janvier 1924.) La future Gyp, Sibylle Riquetti de Mirabeau, arrière-petite-fille de Mirabeau-Tonneau, avait alors seize ans - première robe longue, première approche d'une représentation théâtrale - et cette "éternelle Favart", trente-trois ans! Ailleurs, Gyp se moque encore de sa voix nasillarde, «larmoyante et prétentieuse, insupportable de pose et de médiocrité». Il est bien rosse, s'il est authentique, ce mot que l'on prête à Émile Perrin, l'administrateur du Théâtre-Français, refusant un rôle de tendron à l'actrice déclinante: « Madame, je vous regarde vieillir!» Les appréciations du talent de Mlle Favart deviennent avec le temps de moins en moins flatteuses, jusqu'aux cruels commentaires de Goncourt: «Sa mine de mouton qui rêve », de Sarah Bernhardt,
l'incommodepensionnairede M. Perrin: « Cette horrible femme noire au grand nez... Un long buste, pas de jambes, des mains affreuses avec du ventre aux doigts...» Marguerite Moreno, qui joua souvent avec Mlle Favart en tournées, confesse qu'elle était irrémédiablement démodée en fin de carrière. Tandis que la comédienne Mlle Favart, Maria, déjà oubliée, s'enfonçait au royaume des ombres, une homonyme, la divette Mlle Favart, Edmée - de qui le nom restera lié à Ciboulette (Robert de Flers, Francis de Croisset, Reynaldo Hahn, 1923) - s'apprêtait à monter au firmament de l'opérette. Fille de la chanteuse Zélie Weill, Edmée Favart ne remporta pas seulement des succès dans les œuvres légères de Charles Lecocq, d'Offenbach ou de Claude Terrasse, mais se fit aussi applaudir à l'Opéra-Comique, où Ferdinand Bac, amoureux de la musique de Mozart, l'entendit le dimanche 21 septembre 1919 dans le rôle de Chérubin, des Noces de Figaro. «Elle fut, écrivait-il ce soir-là dans son Livre-Journal, la maîtresse de mon ami tant regretté, Josselin, duc de Rohan. » Le Second Rang du collier, p. 141. Favart, salle. Parce que les orgueilleux "rossignols" ultramontains n'entendaient pas être confondus avec leurs humbles compatriotes, baladins du boulevard dit des Italiens, ils exigèrent de lui tourner le dos et c'est pourquoi la salle Favart s'ouvre assez bizarrement sur l'exiguë place Boïeldieu, cette place où, le 27 juillet 1824, naquit Alexandre Dumas fils. Elle tient son nom de Charles-Simon Favart, poète, acteur, auteur dramatique, créateur de la comédie musicale, et de son épouse, Justine Duronceray, actrice, cantatrice, danseuse, femme de lettres, ensorcelante personne dont les charmes enflammèrent le galant maréchal de Saxe; repoussé, il persécuta vilainement ce couple harmonieux. Au retour de son voyage aux États-Unis qu'il raconta dans Offenbach en Amérique. Notes d'un musicien en voyage, Jacques Offenbach s'inspira de cette histoire véridique pour composer, sur un livret de Chivot et Duru, un opéra-comique en trois actes, Madnme Favart, qui compta près de
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deux cents représentations après sa première mondiale sur la scène des Folies-Dramatiques, le 28 décembre 1878. Du premier acte, dans une auberge, à Arras, au troisième acte, au camp de Fontenoy, au soir de la victoire sur les Anglais et les Hollandais, nous voyons la comédienne se transformer, pour échapper aux assiduités de l'amoureux et vindicatif maréchal, en sentinelle, en soubrette, en noble dame, en duègne..., dans un tourbillon de quiproquos et d'imbroglios drolatiques. Ne pas confondre Justine avec Pierrette Favart, née un siècle après elle, sociétaire du Théâtre-Français à partir de 1854 et qui n'avait avec elle d'autre lien de parenté que d'avoir été adoptée par Antoine Favart, lui-même petit-fils de ladite Justine. La troupe d'opéra italien obtient droit de cité à Paris dès 1802. De 1820 à 1870, les artistes du bel canto, adorés du public, se voient contraints de déménager à maintes reprises: rue de la Victoire, rue de Louvois, salle Feydeau, salle Favart, Odéon, enfin salle Ventadour - rue Méhul- inaugurée en 1841, où ils demeurèrent jusqu'à la guerre franco-allemande. Au lendemain des Trois-Glorieuses, le maestro Rossini habita dans les dépendances de la salle Favart, hébergé par son directeur, Carlo Severini; ce malheureux périt dans le premier incendie du théâtre, le 14 janvier 1838. Reconstruite en 1840, la salle Favart brûla de nouveau le 25 mai 1887, lors de la sept cent quarante-deuxième représentation de Mignon, l'opéra-comique d'Ambroise Thomas, faisant deux cent quinze victimes - morts, blessés, disparus - parmi les spectateurs pris de panique. La troisième salle Favart, celle que nous connaissons, fut inaugurée le 8 décembre 1898. Le Second Rang du collier, p. 72. Favorite (la), opéra en quatre actes de Gaetano Donizetti, créé à l'Académie royale de musique, salle Le Peletier à Paris, le 4 décembre 1840. Le livret était d'Alphonse Royer, Gustave Vaëz et Eugène Scribe, d'après le Comte de Comminges (1790), pièce de Baculard d'Arnaud. L'invraisemblance de l'intrigue ne rebuta jamais les mélomanes, à preuve le constant succès de l'ouvrage. À la première, Barroilhet, baryton, fut très applaudi, de même que le célèbre ténor Gilbert-Louis Duprez et Rosine Stoltz, l'impérieuse, l'altière maîtresse en titre du directeur de l'Opéra, Léon Pillet, successeur de Duponchel, qui avait pour ses exigences la plus déplorable des faiblesses. Remarquée pour la première fois à Paris, en 1838, dans Guido et Ginevra de Fromental Halévy, Rose Niva dite Rosine Stoltz, "d'une plastique de déesse" si l'on s'en rapporte à l'aimable compositeur Auber amateur éclairé du beau sexe, possédait un contralto incorrect et inégal, mais beaucoup d'intensité dramatique au service d'une volonté d'acier. "Prima donna très puissante" au dire de Banville d'ailleurs fort critique, elle était réputée pour sa jalousie féroce et agissante, non seulement à l'encontre de ses rivales cantatrices, mais de tout talent capable de lui porter ombrage. Aussi son déplaisir fut-il violent lorsque Carlotta Grisi, succédant à Lise Noblet deux mois après la création de la Favorite, s'attira la faveur d'un public enthousiaste dans le divertissement du deuxième acte, aux côtés de Lucien Petipa. Gautier, déjà tout subjugué, écrit le 7 mars1841 : « Elle danse aujourd'hui merveilleusement. C'est une vigueur, une légèreté, une souplesse et une originalité qui la mettent tout d'abord entre Elssler et Taglioni; on reconnaît les leçons de Perrot. Le succès est complet, durable. Il y a là beauté, jeunesse, talent - admirable trinité!» Et Jules Janin, plus sobre mais élogieux lui aussi: «Elle est jeune, elle est jolie, elle est élégante; dans sa manière de s'élever dans les airs et de retomber souplement, il y a un charme indéfinissable... » Cette même année 1841, le
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28 juin, Carlotta créait Giselle, entrant pour toujours dans la légende du ballet et le cœur des ballettomanes. La facilité légendaire du gentil Donizetti est illustrée par l'anecdote suivante. Un soir, après dîner, chez le comte de Bassanville. Ses hôtes, devant s'absenter pour satisfaire à quelque obligation mondaine, laissent le compositeur devant son papier réglé et un plein pot de café noir. À leur retour, trois ou quatre heures plus tard, Donizetti somnole au coin du feu, ayant commencé, poursuivi et mené jusqu'à son terme le quatrième acte de la Favorite, un des mieux venus de son œuvre. Bassanville, un "lion" du Boulevard, avait épousé demoiselle Anaïs Lebrun, à qui l'on doit les Salons d'autrefois et, devancière œ la baronne Staffe, un Code du cérémonial. Guide des gens du monde dnns toutes les circonstances de la vie, à l'enseigne de MM. Lebigre-Duquesne frères, 16, rue Hautefeuille, à Paris. Le catalogue de ces éditeurs proposait des réalisations étonnantes comme ce Voyage autour du monde sans l'emploi de la lettre A, par Jacques Arago (in-18, 20 centimes, franco), ou encore cette «Grande Lithographie impériale, véritable tableau patriotique, représentant LES ANGES DE LA FRANCE: l'Impératrice Joséphine, femme de Napoléon 1er, la reine Hortense, mère de S. M. Napoléon III, l'Impératrice Eugénie» (42 x 58 centimètres, un franc). La plume de la comtesse de Bassanville, non contente d'enseigner les bonnes manières aux adultes, travailla infatigablement à l'instruction enfantine "amusante" : les Petits Savants, les Primeurs de la vie (ou les bonheurs, joies et douleurs de la jeunesse),
le Monde et ses merveilles,...
Ce n'est certainement
pas un contraignant blanc, mais parfume d'une moralité
souci pédagogique qui incita Judith Gautier à écrire les Mémoires d'un éléphant
une commande de son éditeur Colin. L'avant-propos de l'auteur candide ce résumé de l' histoire: Les anciens racontent que les éléphants ont écrit des sentences en grec et que l'un d'eux, même, a parlé. Il n'y a donc rien d'invraisemblable à ce que l'éléphant blanc dont il s'agit ici, le fameux Iravata, si célèbre dans toute l'Asie, ait pu écrire ses mémoires. L'histoire de sa longue existence tantôt glorieuse, tantôt misérable, à travers le royaume de Siam, l'Inde des maharajahs et des Anglais, est d'ailleurs pleine d'imprévu et des plus curieuses. Après avoir été presque une idole, Iravata devient un guerrier; il est fait prisonnier avec son maître qu'il délivre et sauve de la mort. Puis il est jugé digne d'être le gardien et l'ami de la merveilleuse petite princesse Parvati, pour laquelle il invente d'extraordinaires jeux et qui le réduit en un doux esclavage. On verra comment un vilain sentiment, qui se glisse dans le cœur du bon éléphant, si sage d'ordinaire, le sépare pour longtemps de sa chère princesse, le jette dans les aventures de toutes sortes et lui cause de cuisants chagrins. Mais enfin, il retrouve sa fidèle amie et le pardon lui rend le bonheur. Paru en 1894 sous forme d'un luxueux in-quarto illustré par Mucha avec ornements par P. Rut y, le volume fut plusieurs fois réédité en format réduit dans la Bibliothèque du Petit Français et distribué à titre de Prix Municipal aux écoliers méritants de la Ville de Paris. Le 29 décembre 1893, Pierre Louys écrivait à sa vénérable amie: «... Vous savez ce que je pense de l'Éléphant; c'est un délice... » (Les Autographes, Thierry Bodin, Frimaire 1997.) Pendant la guerre, Judith écrivit Un général de cinq ans, conte inspiré par le petit garçon de la famille belge réfugiée qu'elle hébergeait à Saint- Énogat et qui fut publié en 1918 et 1920 par Berger-Levrault, avec des images d'Alice Bergerat. Pour compléter ce panorama des activités éducatives de Judith et parce qu'elle est inédite, croyons-nous, voici la copie d'une brève allocution qu'elle prononça en 1911 devant quelque trois cents étudiants réunis en banquet, avenue Hoche, sous la présidence de Porto-Riche, et des invités parmi lesquels
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on remarquait le prince Roland Bonaparte, la comtesse de Martel, M. Blum, conseiller d'État et sa femme, Madeleine Lemaire et sa fille, Séverine, Marcelle Tinayre. Merci, chère et charmante assemblée, de m'avoir appelée parmi vous. l'en suis aussi joyeuse que fière et profondément touchée de ce témoignage de sympathie. C'est aussi, aujourd'hui, pour vous tous, une fête différente des autres: pour la première fois, des jeunes filles sont présentes au banquet fraternel. Les étudiantes s'associent aux étudiants et c'est une date importante qui s'inscrit sur le livre de l'Histoire. Ouvrir vos rangs à vos gracieuses camarades, c'est la meilleure façon de servir leur cause - déjà gagnée d'ailleurs - c'est proclamer, une fois de plus, l'égalité du savoir et du mérite, et faire taire tout soupçon d'une rivalité qui, certainement, n'a jamais existé, car la jeunesse, toujours, est généreuse. Laissezmoi la saluer en vous, cette jeunesse qui est la véritable royauté, surtout cette jeunesse studieuse qui a pour sceptre l'avenir du monde; elle peut, peut-être, nous donner tout, car, à notre époque, l'avenir est gros de miracles. Croyez fermement à la toute-puissance de la science, persuadez-vous que rien n'est impossible, et ne redoutez pas l'imagination qui pressent et devine: les plus merveilleuses découvertes - on en a bien des preuves - ont tout d'abord été rêvées par les poètes. Croyez-le, ne perdez jamais la foi et l'ardeur de l'action et, pour cela, gardez bien la jeunesse. N'écoutez pas ceux qui prétendent qu'elle passe vite. Ceux qui la perdent, c'est qu'ils ne la possédaient pas vraiment. L'intelligence et le génie n'ont pas d'âge. Les grands hommes - j'ai eu le glorieux bonheur d'en connaître quelques-uns - tous, gardent intacts l'éclat et le charme de la jeunesse. Ils ont la violence du vouloir, l'intensité et la fraîcheur des impressions et, souvent même, la gaieté et la candeur de l'enfant. Soyez comme eux. Activez ardemment la flamme de votre esprit en opposant aux coups de la vie maussade l'enjouement et l'ironie. Travaillez à réaliser nos espoirs en arrachant à la nature jalouse les trésors qu'elle vous disputera. Et pardonnez-moi de vous avoir fait ce petit sermon au lieu, comme je l'aurais voulu, de vous chanter un hymne à la jeunesse.
Le Second Rang du collier, p. 118. Fée aux Roses (la). Sur le thème oriental de la Fée aux Roses, Jacques Fromental Halévy, de son vrai nom Élias Lévy, le futur beau-père de Georges Bizet, composa un opéra-comique - paroles de Scribe et de Saint-Georges - représenté pour la première fois en 1849. Un magicien persan, Atalmuck, souhaite se faire aimer de sa ravissante esclave, mais Nérilha, reine et fée souveraine des roses, ne peut et ne doit aimer que ses roses, la tendresse humaine lui étant interdite sous peine de perdre jeunesse et beauté. Il va sans dire qu'elle succombe aux charmes du prince de Delhy, subit le châtiment promis et, après sortilèges, métamorphoses et péripéties merveilleuses, finit par épouser son beau prince. Le Collier des jours, p. 249. FEYDEAU, Ernest-Aimé (1821-1873). Mérimée traduit moins obligeamment que Judith le "joyeux orgueil" qui rayonnait de sa personne: «... fort beau garçon, mais qui m'a semblé d'une vanité par trop naïve », d'une telle qualité, cette vanité, commente Maxime Du Camp, son ancien condisciple à la pension Goubaux, rue Blanche, qu'elle en était inoffensive. Il disait: «Nous sommes trois, Hugo, Flaubert et moi.» Du "caudataire" de Flaubert, les Goncourt se gaussent: «... une infatuation, une admiration cE soi, une satisfaction et un renflement de si bonne foi et si naïvement insolente qu'elle
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désarme.» (Avril 1857.) - «C'est un sot que notre ami Feydeau.» (Août 1867.) Baudelaire, qui s'amusait à exaspérer ce garçon glorieux et jobard, écrit à Mme Sabatier, la Présidente: « Je serais moins troublé pour dire à Hugo: "Vous êtes bête" que pour dire à Feydeau : "Vous n'êtes pas toujours sublime".» Bien sûr, Baudelaire jalousait la fracassante réussite de "Fanny, immense succès, livre répugnant, archi-répugnant", qu'au rebours admiraient Sainte-Beuve ou Barbey d'Aurevilly. Publié en 1858, annonciateur du naturalisme, ce roman raconte sous forme de confession la jalousie morbide d'un amant à l'endroit du mari de sa belle, sujet outrageux - la jalousie conjugale étant seule licite -, sans compter certaine scène très "osée" où ledit amant, embusqué sur un balcon, est le témoin torturé des ébats du couple légitime. Thome Feydeau, ancien officier des armées napoléoniennes, eut deux fils: Ernest et Alfred. La famille Feydeau était très lié avec le dessinateur Gavarni, célèbre par sa collaboration au Charivari, et, par lui, fit la connaissance de toute l'intelligentsia de la Restauration. Dès sa jeunesse, Ernest côtoya Henri Monnier et Alphonse Karr, Balzac et Vigny, Liszt et Gautier et tutti quanti. Pour vivre, il se fit coulissier, une sorte d'agent de change, ce qui ne l'empêchait pas d'ambitionner la gloire littéraire. Au prix d'un labeur titanesque, il mena de front sa carrière de boursier - il se ruina plusieurs fois à la suite de spéculations hasardeuses - et sa carrière d'écrivain. Romans, pièces de théâtre, journalisme, mondanités, il suffit à tout, vaille que vaille, mais ne retrouva jamais le succès foudroyant de Fanny. Ayant une foi inébranlable dans son génie, il était d'autre part trop pressé pour cent fois sur le métier remettre son ouvrage. Dans son livre Théophile Gautier. Souvenirs intimes, paru en 1874, il confesse cette erreur contre laquelle Théo le mettait en garde et qui lui coûta sans doute une notoriété plus durable: « Tu ne saurais jamais assez te méfier de la facilité que tu as à enchaîner les mots les uns aux autres. » En 1847, Ernest épousa Inès Blanqui, nièce du socialiste auteur de la maxime fameuse "Ni Dieu ni maître". Elle mourut en 1859. Deux ans plus tard, victime d'un coup de foudre, le veuf convola avec une ravageuse beauté - beauté "merveilleuse", selon Juliette Adam, "poitrine excitante", selon les Goncourt - Lodzia ou Léocadie Zelewska, friande jui ve polonaise de vingt et un ans à la réputation fort écornée. Les viveurs de l'époque colportèrent cette rosserie d'Aurélien Scholl: «Madame Feydeau aime tellement son mari qu'elle prend les maris des autres pour ne pas user le sien. » Deux enfants naquirent chez les Feydeau: Georges et Diane- Valentine. Georges (1862-1921), le vaudevilliste au comique irrésistible, l'humoriste dont la renommée a complètement supplanté celle d'Ernest, le Don Juan misogyne, le noctambule triste, l'intoxiqué des salles de jeu, l'amoureux de la peinture expressionniste. On prêtait à l'appétissante Léocadie, avant comme après les épousailles, des sympathies très vives pour deux demi-frères: Louis-Napoléon et le duc de Morny. De ses trois pères putatifs, Georges, tout à la fin de sa vie, choisit l'empereur. En 1889, il épousa la très belle et dispendieuse Marie-Anne Carolus-Duran, fille du portraitiste alors en pleine vogue; elle lui donna quatre enfants, une fille et trois garçons. En 1919, un divorce rompra cette union de deux êtres inaptes à la vie banalement rangée et qui se seront beaucoup et longuement entre-déchirés. Diane- Valentine (1866-1942). Martyrisée dans son enfance par son frère, enfant gâté brutal, elle demeura célibataire, une « amazone au cœur d'homme, dont l'amitié avait du prix », dit Maurice Rostand qui la connut dans l'entourage de Sarah Bernhardt. M. Henry
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Gidel, biographe et spécialiste de Georges Feydeau, indique qu'elle fut l'une des meilleures amies de Colette et tint un magasin d'antiquités bien connu. Frappé d'hémiplégie en 1869, à demi-paralysé, complètement désargenté, le malheureux Ernest connut des moments particulièrement cruels pendant la guerre de 70. La paix revenue, il fut un des plus fidèles visiteurs de Théo, lui-même confiné par la maladie à Neuilly. C'est en fiacre que Feydeau dut se rendre au cimetière Montmartre, le 25 octobre 1872, pour saluer la dépouille mortelle de son vieil ami. Il remarqua qu'il n'y avait pas de poêle sur le cercueil, mais seulement un drap noir et deux branches de palme poétiquement disposées. «Les larmes coulaient de mes yeux et je me sentais le cœur en déroute.» Le 29 octobre 1873, une rupture d'anévrisme foudroyait Ernest Feydeau. La frivole Léocadie convola en secondes noces avec Henry Fouquier, homme politique et journaliste de talent. De ce mariage naquit en 1877 une fille, Henriette; devenue la jolie Mme Marcel Ballot, elle égaya certains loisirs d'Edmond Rostand; après son divorce d'avec Yvette Saint-Martin, une Bretonne dont il avait eu deux enfants, le Dr Thierry de Martel, second fils de la femme de lettres Gyp, épousa civilement en 1931 cette demi-sœur des enfants d'Ernest Feydeau; on sait que le Dr de Martel, "gloire chirurgicale française", se donna la mort en juin 1940 à l'arrivée des Allemands à Paris. Léocadie survécut à son fils Georges. Dans les Feux de la mémoire, livre de souvenirs aussi fin, discret, distingué qu'elle l'était elle-même, Mme Edwige Feuillère, l'inoubliable interprète de Giraudoux, de Cocteau, de Claudel, écrivait: «C'est surtout Alain Feydeau qui est devenu ma mémoire. Dès l'âge de douze ans, le petit-fils du célèbre vaudevilliste a commencé à collectionner les photos d'actrices... » M. Alain Feydeau, de la Comédie-Française. C'est l'occasion de puiser dans l'arsenal de nos proverbes: « Bon chien chasse de race ». Le Collier des jours, p. 245. Le Second Rang du collier, p. 147, 266, 269-271. FLAUBERT, Gustave, naît le 21 décembre 1821 à Rouen où son père est professeur de clinique et chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu. «L'amphithéâtre de l'Hôtel-Dieu donnait sur notre jardin; que de fois, avec ma sœur [Caroline], n'avons-nous pas grimpé au treillage, et, suspendus entre la vigne, regardé curieusement les cadavres étalés. Le soleil donnait dessus, les mêmes mouches qui voltigeaient sur nous et sur les fleurs, allaient s'abattre là, revenaient, bourdonnaient.. . Je vois encore mon père relevant la tête de dessus sa dissection et nous disant de nous en aller.» (Lettre à Louise Colet, 7-8 juillet 1853.) Il meurt à Croisset, le 8 mai 1880, dans une maison qui sera démolie deux années plus tard; il reste de la propriété un pavillon situé au bord de la Seine où l'écrivain se retirait parfois pour travailler et qui servait de demeure à l'ami Bouilhet lors de ses fréquentes visites. D'ascendance champenoise du côté paternel et normande du côté maternel, Flaubert, qui comptait parmi ses aïeux des médecins, des armateurs, des explorateurs, le pacifique Flaubert, haute taille, larges épaules, œil bleu, forte voix, s'imaginait complaisamment
charrierdu sang vikingdans ses veines. « J'ai au fond de l'âme le brouillarddu Nord que j'ai respiré à ma naissance; je porte en moi la mélancolie des races barbares avec ses instincts de migrations et ses dégoûts innés de la vie qui leur faisaient quitter leur pays pour se quitter eux-mêmes. [...] J'ai toujours eu pour eux une sympathie tendre comme pour des
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ancêtres. » (Lettre à Louise Colet, 13 août 1846.) «Lorsque je fis sa connaissance, écrit Maxime Du Camp, Gustave Flaubert avait vingt et un ans. Il était d'une beauté héroïque. Ceux qui ne l'ont connu que dans ses dernières années [...] ne peuvent se figurer ce qu'il était au moment où nous allions nous river l'un à l'autre par une indestructible amitié. » De mai à août 1847, les deux compagnons parcourent ensemble, à pied, la Touraine, l'Anjou, la Bretagne et la Normandie. Ensemble, d'octobre 1849 à juin 1851, ils visitent l'Égypte, la Nubie, l'Asie Mineure, la Turquie et la Grèce. En 1858, du 12 avril au début de juin, pour préparer ce qui deviendra Salammbô, Flaubert fera en Afrique du Nord son second voyage outre-mer. Avec deux autres intimes, Flaubert échangera une correspondance d'une surprenante gaillardise - des "porqueries" selon le plaisant néologisme de Gautier -, Alfred Le Poittevin et Louis Bouilhet. La sœur de Le Poittevin, Laure, fut la mère de Guy de Maupassant, l'élève chéri et le disciple de Flaubert. Des femmes qui traversèrent la vie sentimentale de celui-ci, citons Mme Élisa Schlésinger, femme de l'éditeur de musique, passion mutuelle restée, croit-on, insatisfaite; Louise Colet, passion satisfaite en 1846, attestée par une correspondance sans ambiguïté aucune pendant quelques années. Louise Colet, jolie femme à scandales, maîtresse affichée de Victor Cousin, bas-bleu impécunieux, auteur d'innombrables ouvrages en tout genre, décrira son fougueux amant «comme un buffle indompté des déserts d'Amérique ». Irrité des nouvelles aventures de la "Vénus œ marbre chaud" avec Musset, Vigny, Champfleury et quelques autres, excédé des poursuites intempestives de cette femme "collante", Flaubert lui écrit en mars 1855 une lettre œ rupture définitive que la muse déçue apostillera: «lâche, conard, canaille ». Autre maîtresse: Louise Pradier, dite Ludovica, femme du sculpteur James Pradier qui fut l'amant de Juliette Drouet et le père de sa fille Claire. De Mme de Loynes née Jeanne Detourbey, l'égérie de Jules Lemaitre, Flaubert fut amoureux; la dame aux violettes ne passait pas pour farouche: «Je baise vos jolies mains, vos jolis pieds et tout le reste, et suis votre Gve Flaubert. » On a prétendu que, se fût-il montré moins timide auprès de la princesse Mathilde, il aurait pu l'attendrir. Une amitié précieuse entre toutes dans la vie encombrée œ Flaubert, celle qui le lia à George Sand; en 1869, il fit deux séjours à Nohant chez celle qui l'appelait son "vieux troubadour aimé" ; on l'y revit, en larmes, le 7 juin 1876, pour l'enterrement de la Bonne Dame de ces lieux. En juillet 1869, Flaubert abandonna le 42, boulevard du Temple, qu'il habitait depuis octobre 1855 lors de ses séjours à Paris, pour emménager au 4, rue Murillo. Ses invités du dimanche s'appelaient Goncourt, Renan, Daudet, Zola, Taine, Sainte-Beuve, Mendès, Bergerat, Tourgueniev, Dumas fils, Heredia, Coppée, ... Ces mondanités périodiques le délassaient de la solitude de son gueuloir œ Croisset, où il travaillait toujours "dans la désolation" comme le déplorait George Sand et dans un tœdium vitae vraisemblablement augmenté par l'angoissante maladie nerveuse épileptiforme qui l'accabla très jeune. Sa mère, qui l'avait jalousement adoré et vivait avec lui, mourut le 6 avril 1872, il fut plus triste encore. À ses obsèques, le Il mai 1880, on vit Goncourt, Popelin, Daudet, Zola, Heredia, Banville, Coppée, Bergerat, ... Maxime Du Camp, malade, n'était pas là. Le Petit Larousse cite quelques-unes des œuvres les plus connues de ce «prosateur soucieux de la perfection du sty le. ..» dont Alexandre Dumas, stupéfait d'une contention si étrangère à son génie propre, disait: «Flaubert? C'est un géant qui abat une forêt pour faire une boîte»: Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), l'Éducation sentimentale (1869), la Tentation de Saint-Antoine (1874), Trois Contes (1877), Bouvard et Pécuchet (1881). Léon Daudet: «Maupassant, il l'adorait
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expansivement, comme il faisait tout.» George Sand: «Exubérant de personnalité. » Bergerat: «Romantique, truculent, hugolâtre.» Anatole France: «Vaste, éclatant et sonore. » Jules Lemaitre fait une synthèse en trois points: «1 ° il était grand, fort, haut en couleur, et ressemblait, avec sa moustache tombante, à un pirate débonnaire; 2° il était bon, d'une candide et délicieuse bonté; 3° il semblait incapable de parler d'autre chose que
de littérature. » (Les Contemporains,8e série.) Le Collier des jours, p. 249, 268-270. Le Second Rang du collier, p. 147, 169-171,266-269. Fleur des champs et fleur des salons. La polka, originaire de Bohême, cousine de la mazurka et de la cracovienne, se joue et se danse sur une musique bien rythmée à deux temps. Le Grand Larousse du X/Xe siècle lui consacre quelques lignes amusantes: « Introduite en France vers 1844 ou 1845, la polka, on peut le dire, obtint un véritable triomphe et fut adoptée d'emblée par toute la société. Ce fut plus qu'un succès, ce fut une rage, un délire, une fureur. [...] Bientôt on ne vit plus que la polka, on ne jura plus que par la polka et tout fut à la polka, robes, chapeaux, vêtements et le reste. L'air sur lequel on la dansait alors et qu'on assurait être celui de la polka nationale cessa rapidement de suffire aux amateurs. Il fallut que nos musiciens se missent à la besogne pour lui donner des rivaux, et bientôt des milliers de polkas couvrirent les pupitres de milliers de pianos. .. » On procéda par la suite à d'étranges combinaisons, à des unions contre nature: on inventa la scottish espagnole, on polka la scottish! «Les vibrantes touches de bois du piano-forte affectent terriblement nos nerfs, gémit Henri Heine, et la grande mélodie tournoyante, la polka, nous donne le coup de grâce. » La mère Fulgence et les "vagues professeurs" de piano n'étant pas parvenus à décourager définitivement les aptitudes artistiques de Judith, elle devint la musicienne accomplie que l'on sait. Elle dansait à la perfection, souple et légère malgré sa corpulence, et, assure Pierre Descaves, « elle avait chanté avec grâce. Il ne fallait pas qu'on la priât beaucoup pour qu'elle se fît entendre, mais devenait encore plus intéressante quand elle commentait ce qu'elle venait de chanter. » Sa voix parlée, toute pareille à celle de son père, disait-on, essayons de l'imaginer - puisqu'il semble bien que soient perdus les rouleaux de cire qui enregistrèrent des conversations avec Clermont-Ganneau - en consultant Laurent Tailhade : « voix chaude, bien timbrée... » ; Henri de Régnier: «chaude, un peu sourde, traînante... » ; Léon Daudet: «très élevée, mais douce... »; Pringué: «douce et claire... un murmure de cristal... en mineur [qui] semblait une éternelle confidence» ; un journaliste anonyme: « lente et mélodieuse... ». - « L'Eurythmie, disait-elle un jour à Suzanne Meyer, mot qui signifie harmonie dans l'ordre et la proportion, devrait être la loi des artistes. [...] Elle devrait même résider dans toutes nos actions.» Judith n'abandonna jamais la pratique du piano. Jeune mariée, en quête d'une occupation lucrative, elle écrivait à son père avec prière de la recommander à Dalloz, se proposant de déchiffrer au clavier des partitions musicales pour en faire la critique dans une chronique hebdomadaire, au Moniteur, par exemple. Pendant le dernier été de sa vie, à Saint-Énogat, elle consacrait un après-midi par semaine à jouer à quatre mains, comme elle le faisait jadis avec Estelle, avec une jeune amie du voisinage, Nelly Schaeffer. «Toutes les symphonies de Beethoven étaient ces jours-là passées en revue, écrit Suzanne, mais on en revenait toujours à la huitième, la
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préférée. » Nelly retournée à Paris à la fin de l'été, pour la remercier d'un bouquet de soucis, fleur qui figurait dans le blason des Gautier, Judith lui adressait ce quatrain: Ces fleurs que j'aime sont deux fois préférées Venant de votre course à travers l'or des blés, Elles chantent un chant de rêves étoilés Par ces notes d'azur sous vos doigts déchiffrées. Mais elle avait répondu, en 1914, au questionnaire d'un journaliste: «Ma fleur préférée? Le bleuet. Pourquoi? Je n'en sais rien. L'envoi le plus agréable? D'ordinaire à Pâques celui de tout un jardin de branches en fleur, qui met vraiment le printemps chez moi. » Le Collier des jours, p. 187, 188. FO R T, Eugénie, la Tatitata de Judith. À peine sorti de l'adolescence, Théophile Gautier se faisait une idée assez juste de ses facultés amoureuses; elles commanderont les rapports déconcertants qu'il entretint avec les femmes de sa vie. Relisons la préface de Mademoiselle de Maupin, double amour, titre prémonitoire: La jouissance me paraît le but de la vie et la seule chose utile au monde. Dieu l'a voulu ainsi, lui qui a fait les femmes,les parfums, la lumière, les belles fleurs, les bons vins, les chevaux fringants, les levrettes et les chats angoras. [...] J'ai vingt-deux ans; je ne suis pas vierge. Hélas! on ne l'est plus à cet âge-là, maintenant, ni de corps, - ni de cœur, - ce qui est bien pis. - Outre celles qui font plaisir aux gens pour la somme et qui ne doivent pas plus compter qu'un rêve lascif, j'ai bien eu par-ci, par-là, dans quelque coin obscur, quelques femmes honnêtes ou à peu près, ni belles, ni laides, ni jeunes, ni vieilles, comme il s'en offre aux jeunes gens qui n'ont point d'affaire réglée, et dont le cœurest dans le désœuvrement. [...] Je n'ai jamais demandé aux femmes qu'une seule chose, - c'est la beauté; je me passe très volontiers d'esprit et d'âme. - Pour moi, une femme qui est belle a toujours de l'esprit. Etc. Ces femmes "qui font plaisir pour la somme", la "Vénus commode", comme il disait, Théo ne les fréquenta guère; il y gagna de ne pas attraper la vérole, fatale à tant de ses contemporains. Quant à son pucelage, ses biographes croient savoir qui le lui fit perdre: ce fut, en 1829, l'épouse,
née en 1793
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"ni jeune, ni vieille" -, d'un receveur des douanes à
Paris, d'où les relations inter-familiales. Séparée de son mari en 1817, Mme Émilie- Lucie Damarin tenait, depuis 1825, une librairie au 69, rue Saint-Louis-au-Marais (actuellement 97, rue de Turenne) ; en 1838, elle ouvrit un cabinet de lecture au 18, rue du Pont-auxChoux. Serait-ce par Gautier que le sculpteur Préault fit la connaissance de cette aimable personne qui figure dans la série de ses médaillons en bronze? Théo l'aimait bien, son initiatrice; ils continuèrentà se voir pendantdes années, sans ardeurexcessive de part et d'autre, alors même que notre jeune amant était depuis belle lurette fort occupé ailleurs. Il commence en effet dès l'année 1830 à courtiser Eugénie Fort. Habitant alors avec sa famille place Royale (notre place des Vosges) - c'est là qu'il écrivit sa Maupin, surveillé de près et encouragé par son père -, on prétend qu'ils se rencontrèrent fortuitement, en voisins, au hasard d'une promenade. Mais tout en contant fleurette à Eugénie, émancipé enfin de la tutelle familiale, il dispute à Rogier les faveurs de la Cydalise. Et voici qu'après avoir résisté plusieurs années aux sollicitations de son amoureux. Eugénie s'abandonne à la fin du mois de février 1836. Début mars, Théo rend compte de l'événement au cours d'une longue lettre à son ancien condisciple du lycée Charlemagne, Eugène de Nully, alors en mission en Algérie: «Suivant tes dignes conseils j'ai en fin finale dépucelé récemment la chère
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Eugénie; cela m'a assez amusé; au moins je n'aurai plus ce remords sur la conscience. Ma pauvre Ninette-Ninon Cidalise (sic) est très malade, très malade et j'en suis très affligé car j'ai eu bien du plaisir avec elle, et je crains fort de n'en plus avoir; au contraire, envoie-moi quelques pots de couleur locale...» Etc. Une goujaterie confondante, à laquelle nous repenserons quand le bon Théo qualifiera avec persistance la mère de ses filles: "Ernest la dinde", "la grosse dinde", "la dinde énorme" ; il est vrai qu'il glissait ces gracieusetés sous les yeux d'Apollonie Sabatier à laquelle il écrivait des billets truffés d'obscénités "hénaurmes", sans parler de sa fameuse Lettre [pornographiqueJ à la Présidente, datée de Rome, 19 octobre 1850. Pauvre Eugénie, pauvre Cydalise aussitôt remplacée par la combative Victorine, « une belle fille brune, bouche de pourpre, yeux d'enfer [...J, crinière et griffes de lionne» (Houssaye), «une beauté robuste aux bras forts» (Gautier), mais, forts ou pas, ils ne surent retenir ce volage: «Les bras d'une femme, ce qui lie le mieux sur la terre, à ce qu'on dit, sont pour moi deux bien faibles attaches, et je n'ai jamais été plus loin de ma maîtresse que lorsqu'elle me serrait sur son cœur. - J'étouffais, voilà tout.» Quelque quinze ans plus tard, Marie Mattéi, la belle Italienne bisexuelle, saura allumer dans ce cœur somnolent les flammes dévorantes de l'amour-passion. Pour l'heure, Eugénie se trouve enceinte. Quel embarras! Théo vit alors et pour quelques années encore avec Victorine; il commence à être connu comme écrivain, gagne bien sa vie, ce qui lui permet d'entretenir largement cette voyante maîtresse. Eugénie, issue de petite bourgeoisie commerçante, née à Paris le 6 juin 1812, "belle, pensive et douce, la vraie muse du poète" selon Houssaye, telle que l'a peinte Bard - il nous a laissé aussi un portrait de Carlotta Grisi -, Eugénie accouche d'un garçon le 29 novembre 1836. La famille Fort demande réparation. Théo ne se soucie pas d'épouser - il n'épousera jamais - et préfère courir le risque d'un duel à l'épée avec l'un des frères d'Eugénie. Arsène Houssaye, témoin de Théo avec Eugène Piot en cette affaire, n'était pas trop fier: « Nous sentions bien que nous ne représentions pas la bonne cause, ni par le droit ni par le cœur. » Après quoi, le séducteur récalcitrant consentira à reconnaître son fils. C'était bien le moins! La famille de Théo regretta toujours ce mariage manqué, considérant la mère de Toto comme sa véritable épouse, et il arriva qu'Eugénie, sûre de son droit moral, se fasse appeler Madame Gautier! Du reste, elle ne joua pas les veuves éplorées, cette charmante femme, et trouva quelques consolations par la suite: Joseph Autran peut-être, avec lequel on la vit beaucoup à Marseille; Edmond About sûrement; Charles Blanc vraisemblablement, qui assure sa vie matérielle et chez qui elle habite, 12, rue de Condé, à Paris, cet appartement décrit par Judith. Quoi qu'il en fût, elle ne cessa jamais de voir le père de son fils, de correspondre avec lui, voire, pendant la guerre, de le loger à Versailles. Il n'apparaît pas qu'elle lui ait tenu rigueur de ses dérobades, de ses multiples liaisons. On ne se fâchait pas avec Théo. Nous constaterons une même indulgence de Mme Lhomme. Anne Ubersfeld fait, à propos de Lucile Damarin, cette remarque: «11 semble que la profondeur du sentiment amoureux ait presque toujours fait défaut d'un côté ou de l'autre, et le plus souvent des deux côtés à la fois dans les relations de Gautier avec l'autre sexe. Comme si l'amour total, il ne pouvait pas plus l'inspirer que le ressentir. » Et plus loin: « Lucile Damarin, Eugénie Fort, deux femmes dans la vie et les rêves de Gautier, deux femmes aussi dissemblables que.possible: toujours il y aura dans la vie et dans l'œuvre de Gautier cette double fixation antithétique à un double idéal féminin. » En 1857, Eugénie entreprit de rédiger son Journal (que publie le Bulletin de la Société Théophile Gautier). Elle l'abandonnera à la mort de Théo auquel elle survivra neuf années.
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Le 12 février 1861, elle y écrivait tendrement, mélancoliquement: «Nous nous promenons au soleil en causant... de quoi?.. c'est à ne pas croire... Du regret de n'avoir pu vivre ensemble, de la belle et bonne existence que nous eussions menée. Lui fût devenu riche, moi bien heureuse. Je dis ceci aujourd'hui, mais ces conversations reviennent souvent entre nous. Pauvre Théo, à qui la faute? .. » Le Collier des jours, p. 68, 71, 75, 239. FRAGONARD, Jean-Honoré (Grasse 1732 - Paris 1806), grand prix de Rome en 1752, très lié, en Italie, avec Hubert Robert. Des fariboles inventées pour satisfaire, en la détournant, la légitime curiosité enfantine devant certaines œuvres un peu lestes, les Goncourt nous donnent à propos de l'Escarpolette du même Fragonard un exemple similaire: au jeune Delécluze, futur critique d'art, on expliqua « que c'était une femme qui avait un cauchemar. Certaines pudeurs sont une question de mode et de temps.» (Journal, 12 décembre 1856.) Les Goncourt, amoureux passionnés du XVIIIe siècle, font un
intéressantparallèle entre Diderot et Fragonard: « Chez tous deux, même feu, même verve. Une page de Fragonard, c'est comme une peinture de Diderot. Même ton polissonnant et ému; tableaux de famille, attendrissement de la nature, liberté d'un conte libre. Tous deux se jouant de la forme précise, absolue, de la pensée ou de la ligne. Diderot, parleur sublime plus grand qu'écrivain; Fragonard, plus dessinateur que peintre. Hommes du premier mouvement, de la pensée jetée toute vive et naissante aux yeux ou à l'idée.» (Journal, 7 décembre 1859.) Au fameux "Grenier" figuraient la Lecture de Fragonard, d'après la sépia du Louvre, et la Culbute, bistre original. Jules burina quatre eaux-fortes d'après cet artiste qui fut l'amant préféré de la Guimard avant leurs grosses chamailleries. Entreprenant la biographie de la jolie danseuse à l' œil fripon, Edmond retrouva donc l'occasion de parler de Fragonard qui l'avait représentée allégoriquement en Terpsichore, chez elle, dans le grand salon de son ravissant et fastueux hôtel, quartier des Porcherons. La belle carrière de Fragonard sombra en 1789; la Terreur le ruina. Seul, pauvre, usé, «il eut froid, il eut faim; la maladie vint, puis la mort », écrit Larousse au terme d'un long article. Avec Sophie Arnould, chanteuse de l'Opéra, œuvre conjointe des deux frères - "Juledmond" comme dit Wanda Bannour- publiée en 1857, et la Guimard en 1893, Edmond s'intéressa encore à deux autres artistes tapageuses, leurs contemporaines: la cantatrice Madame SaintHuberty, assassinée près de Londres en 1812 avec son second mari, le comte d'Entragues, et Mademoiselle Clairon, dite Frétillon, actrice de la Comédie-Française, qui mourut la même année - 1802 - que son élève Arnould, Sophie Arnould aussi célèbre pour son esprit de repartie que le fut Madeleine Brohan un siècle plus tard. Mme Edwige Feuillère raconte dans les Feux de la mémoire qu'elle rechercha l'ombre de la Clairon à Anspach où l'amour du margrave l'avait faite toute-puissante pendant dix-sept années. Mais nul ne se souvenait plus de l'impérieuse favorite. On finit par découvrir une trace de son long séjour dans la principauté bavaroise: un pâtissier y confectionnait encore, suivant une recette transmise de père en fils, un petit pain spécial dit "à la Claironn". Et la glorieuse Feuillère de conclure malicieusement: « N' est-il pas émouvant, consolant, de penser qu'après une vie vouée aux grands rôles, on puisse, en enjambant deux siècles, se perpétuer dans un petit pain? » Le Collier des jours, p. 207.
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FRANÇAIS, François-Louis (1814-1897). Fils d'un aubergiste de Plombières, ce jeune Vosgien connut des débuts pénibles avant de pouvoir s'adonner à la peinture. Paysagiste d'un classicisme fort apprécié par le jury des Salons, il y exposa pour la première fois en 1837. Baudelaire a dit de lui: «C'est un Corot moins naïf, plus rusé.» L'Académie des Beaux-Arts l'accueillit en son sein en 1890. Octogénaire, ce bon vivant amoureux de la nature et de ses fruits déclarait d'une voix de stentor, boulevard Montparnasse, devant Ferdinand Bac «qu'il buvait ses quatre absinthes par jour et qu'il ne connaissait point de meilleures recettes pour vivre longtemps.» Il était onze heures du matin, raconte le mémorialiste: «Français entraînait Harpignies vers la terrasse du café voisin. Je les vis partir. Deux géants de la forêt. À peindre sans cesse des arbres, ils étaient devenus eux-mêmes de vieux arbres. L'écorce était rugueuse et lézardée, mais, solidement campés, ils bravaient encore les tempêtes.» (De Monsieur Thiers au Président Carnot.) Henri Harpignies, plus jeune que son confrère de deux ou trois ans, mourut en 1916. Les Goncourt, ces délicats, lesquels semblent bien y avoir pris eux-mêmes de l'agrément, assurent qu'il se complaisait "dans les contes de merde." Le peintre John Lewis Brown, français comme son nom ne l'indique guère, un spécialiste des chevaux, raconta à Ambroise Vollard, le fameux marchand de tableaux de la rue Laffitte, l'anecdote suivante: «J'étais allé voir un jour Harpignies. Après m'avoir montré des paysages: "Venez par ici", me dit-il d'un air un peu mystérieux. Et il me conduisit dans sa chambre à coucher. Une superbe créature dormait, étendue dans le lit, nous tournant le dos. "Regardez-moi ça", dit Harpignies. Et il découvrit une magnifique paire de fesses. "Croyez-vous que c'est tentant pour un peintre?.. Et il faut que je sois paysagiste !" » Louis Sonolet raconte avoir dîné, un jour, chez Dinochau au quartier Bréda, avec Henri Murger et quelques artistes peintres, dont Harpignies. Murger, l'immortel chantre de la vie de bohème, ce travailleur consciencieux auteur d'un mot sublime: «Il y a des années où l'on n'est pas en train. » Bien que très malade déjà, il n'en était pas moins, ce soir-là, éblouissant de cocasserie. «
Qu'il était donc drôle, ce forcenécitadin, asticotantsur la belle nature Harpignies, qui, en
sa qualité de paysagiste, était assez excusable d'en dire du bien. Feignant de l'approuver, Murger prit un air rêveur et, comme en se parlant à lui-même: "Cela doit être, observa-t-il, reposant pour l'esprit et le corps, quand on a travaillé toute la journée son champ, de revenir le soir chez soi avec sa charrue sur l'épaule."» Un Bas-Meudon de Français représentait chez Gautier, à Neuilly, l'école de Fontainebleau. Ils se connaissaient de longue date, Français faisant partie, dans les années 1840, des dîners mensuels qui réunissaient peintres et hommes de lettres chez Fernand Boissard, hôtel Pimodan, dans l'île Saint-Louis, où Théo loua un appartement, quelques mois, en 1848. «Dans le salon, rapportent les Goncourt, meuble en damas blanc et or: on se réunissait en longues causeries agitant l'art et la littérature; tandis que dans un autre on faisait de la musique... » (Journal, 1853.) Le Second Rang du collier, p. 147. FRANÇOIS II de BOURBON (1836-1894), roi de Naples et des Deux-Siciles, le dernier souverain de sa dynastie. Peu avant son accession au trône, en 1859, le duc de Calabre épousa Marie de Wittelsbach, duchesse en Bavière (1841-1925), sœur de l'impératrice Élisabeth d'Autriche - assassinée à Genève le 10 septembre 1898 par l'anarchiste Lucheni - et de la duchesse d'Alençon - brûlée vive le 4 mai 1897 dans
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l'incendie du Bazar de la Charité - panni les plus illustres des huit enfants de cette famille si grandement éprouvée. Chassé de ses États par Garibaldi - auquel Alexandre Dumas père et Maxime Du Camp vinrent prêter main-forte -, il quitta Naples le 6 septembre 1860 pour se réfugier à Gaète. Après une belle défense où s'illustra la reine - "l'Héroïne de Gaète" - et la capitulation de la ville assiégée par les Chemises rouges, le couple royal, hôte du pape, vécut à Rome. La chute des États pontificaux en 1870 les contraignit à un nouvel exil. Ils s'installèrent à Paris, dans l'hôtel de Vouillemont, rue Boissy d'Anglas, où le roi déchu mourut en 1894. L'on devine sans peine à quelle recommandation Antonino Capece Minutolo dut sa fortune momentanée. Victor-Emmanuel II, de la Maison de Savoie, devint roi d'Italie en 1860. Fondateur de l'unité italienne, il re galantuomo aux terribles moustaches en cornes de taureau, aux mœurs et aux allures des moins distinguées, avait donné la main de sa fille Clotilde - une vertu, et fort pieuse - au prince Napoléon, fils du roi Jérôme, alias Plon-Plon - un libertin, et un athée. Mariés en 1859, ils firent souche et le chef actuel de la Maison impériale est leur descendant direct. Outrageusement trompée par son mari, la digne, l'ennuyeuse princesse Clotilde, tout occupée de ses enfants et de bonnes œuvres, n'en avait pas moins le cœur royalement placé. Ghislain de Diesbach raconte ceci: « ... le 4 septembre 1870, tandis que l'impératrice Eugénie, cachée au fond d'un fiacre, courait se réfugier chez son dentiste [le Dr Evans], la princesse Clotilde quitta Paris, seule dans une voiture découverte attelée à la d'Aumont avec la grande livrée de la cour. C'est en cet équipage superbe qu'elle traversa la place de la Bastille, houleuse et hostile: cette apparition hautaine subjugua la foule qui, au lieu de lui faire un mauvais parti comme on aurait pu s'y attendre, s'écarta respectueusement sur son passage et lança même quelques vivats. Elle avait sauvé l'honneur de la Maison Impériale. » (Les Secrets du Gotha.) Le Second Rang du collier, p. 300. FREZZOLINI, née Erminia Nencini, Mme (Viterbe 1820 - Paris 1884.) Elle fut l'élève, entre autres excellents professeurs, de Manuel Garcia, second du nom, le frère de la Malibran laquelle avait décelé chez la jeune Erminia les promesses d'un heureux talent. La beauté de sa voix, son tempérament exalté, l'agrément de sa plastique enchantèrent les Parisiens pendant plusieurs années à partir de 1853. «C'est une cloche d'or dans un beffroi incendié », écrivait Paul de Saint-Victor, assidu aux Italiens. La musique de Verdi trouva en Frezzolini une interprète idéale. «On raconte qu'avant la représentation des Lombardi [à la Scala, en 1843] Verdi alla voir la Frezzolini dans sa loge. "Soyez sans inquiétude, lui dit la belle cantatrice. Je mourrai en scène s'il le faut, mais nous triompherons !"» (Artistes et Amis des Arts, Henry Roujon.) À la fin décembre 1856, Victorien Sardou va entendre Il Trovatore avec Frezzolini, Marietta Alboni, Mario, Graziani: «Gratiani [sic] excellent. Mario a eu de beaux moments. Alboni, toujours la même, belle voix mais rien de plus, pas plus artiste que ma botte, une cruche qui résonne bien et décidément ce n'est pas assez. Frezzolini, admirable. Celle-là a usé sa voix à force de passion, mais c'est chanté avec l'âme. C'est senti, c'est beau! » Un vieil abonné du théâtre San Carlo, à Naples, où Emma Calvé incarna en 1888 la Traviata de Verdi, Lucie de Lammermoor de Donizetti et l'Ophélie de Hamlet, opéra d'Ambroise Thomas, lui raconta cette anecdote extravagante: « J'ai connu la Frezzolini. À une certaine époque de sa carrière, elle avait signé un contrat pour une tournée en Amérique du Sud. Le jour où elle devait débuter, elle apprit que son fiancé,
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demeuré en Italie, l'oubliait volontiers auprès d'une amie. Folle de jalousie, elle résolut de venir auprès de lui, à tout prix, et s'emparant du passeport et du manteau de sa camériste, elle s'échappa de son hôtel pour courir au port où un navire devait justement lever l'ancre pour l'Europe. Ce coup de folie lui coûta un million de lires de dédit. C'est beau, la passion!» Une "note" désabusée de Reynaldo Hahn, passablement injuste pour ses contemporains: « La Frezzolini, dans la cavatine de Rigoletto, chantait deux fois la coda. Voilà qui en dit long sur l'abondance qui régnait dans le chant à ces époques bénies; non que ce passage soit particulièrement difficile, mais le fait de le recommencer montre un désir, un besoin, un plaisir de chanter qui a disparu depuis que l'art du chant est devenu un métier de manœuvre. » De Marietta Alboni, la "cruche" sonore de Sardou, Tourgueniev qui l'entend à Paris dans la Semiramide de Rossini, en décembre 1847, écrit à Pauline Viardot (elle ne dut guère s'en affliger !): «...le timbre de sa voix est excessivement doux et insinuant, mais pas d'énergie, pas de mordant. Comme actrice, elle est nulle; sa figure placide et grasse se refuse à toute expression dramatique; elle se borne de temps en temps à froncer péniblement le sourcil... Les Parisiens en sont enchantés...» On crédite la princesse de Mettemich de cette image: «Une belle vache qui a avalé un rossignol.» Et Victor Hugo note: «Mme Hamelin dit de Mlle Alboni: "C'est du velours qui chante." » (Choses vues, 16 janvier 1848.) Théophile Gautier ne cèle pas son ravissement - depuis Mademoiselle de Maupin on connaît son attrait pour les grâces androgynes: «Une voix si féminine et en même temps si mâle! Juliette et Roméo dans le même gosier! Une fauvette et un ramier sur la même branche! » Née le 6 mars 1823 en Ombrie dans une famille nombreuse, formée au Conservatoire de Bologne, l'ample contralto de la jeune Marietta, la facilité et la richesse de sa vocalisation séduisent Rossini qui la prend sous son aile et lui confiera maints rôles par la suite, en dépit de l'insuffisance de ses moyens scéniques, d'une corpulence qui tourna peu à peu à l'obésité et de sa trop grande complaisance aux "agréments" alors à la mode que lui permettait sa virtuosité technique. Un jour qu'elle s'était ainsi livrée sans retenue à ses roulades et trilles personnelles sur une musique de Rossini, le maestro, présent dans l'auditoire, lui fit beaucoup de compliments et lui demanda de qui était ce beau morceau qu'elle venait d'interpréter avec un art si consommé. Judith Gautier, dans sa biographie de Mario, trace ce portrait de la cantatrice débutante d'après un auteur anglais: «Marietta Alboni était grande, de formes massives. Sa tête, bien posée sur un cou bien dessiné, était un peu petite pour sa taille. Ses cheveux noirs et brillants, coupés courts, se mariaient bien à son teint mat. Sa voix aux modulations à la fois fortes et caressantes, était très étendue; ses intonations étaient d'une correction parfaite; elle chantait avec une étonnante facilité qui lui valut, dès le premier soir, un plein succès. » Elle ajoute: « Alboni se lia intimement avec Mario et Grisi et les vit fréquemment à Paris où elle se retira d'assez bonne heure après avoir épousé le comte Pepoli. » Ce mariage fut consacré le 21 juillet 1853. Pour complaire à son mari, l'Alboni cessa de se produire dans toute l'Europe. Veuve en 1867 du malheureux Carlo Pepoli devenu fou et que l'on dut enfermer, elle se remaria en 1877 avec un officier de la Garde républicaine, Charles Zieger. Elle chantait encore en concert, de temps à autre, assise sur un siège assez vaste pour contenir son abondante personne, qualifiée par Goncourt, qui note sa présence chez la princesse Mathilde le 3 avril 1878, de "Gargamelle joviale". Elle mourut le 23 juin 1894 dans sa propriété, la Villa Cenerentola, à Ville-d'Avray, mais c'est le PèreLachaise qui recueillit ses cendres. Reconnaissante de sa générosité en faveur de l'Assistance
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publique, la Ville de Paris a donné son nom à une rue de Passy. Nous avons cité Judith Gautier. N'oublions pas qu'un tout jeune rimeur, Catulle Mendès, à la veille de "monter" à Paris pour y gagner ses éperons, avait publié en août 1859, dans la Revue de Toulouse, "la Fleur qui chante", un sonnet enthousiaste dédié à l'illustre Marietta. Le Collier des jours, p. 261. GAIFFE ou GAÏFFE, Adolphe-Ernest, journaliste, né à Mulhouse en 1830, collabora de 1849 à 1859 à l'Événement, la feuille des fils Hugo, puis à la Presse. De fort besogneux qu'il était dans les années 50 et pique-assiette au dire des Goncourt - dans leur roman à clefs, les Hommes de lettres (1860) rebaptisé Charles Demailly (1868), ce "Rubempré des coulisses" est Florissac, comme Gautier est Masson, etc. -, il sut saisir la fortune aux cheveux et devint l'opulent propriétaire du château d'Oron, dans le canton de Vaud, en Suisse. Dans sa jeunesse "beau comme Endymion et capable de rendre la lune rêveuse" d'après Claudin, "le plus beau des enfants des hommes" d'après Victor Hugo, les femmes ne lui furent pas cruelles. Une anecdote scabreuse qui le met en scène avec la Païva demeure attachée au nom de Gaiffe. L'avarice de la châtelaine cousue d'or et "magnifiquement haïe" de Pontchartrain était sordide au point qu'elle imagina de punir ses jardiniers coupables de négligence: cinquante centimes par feuille morte oubliée dans les allées, amende encaissée par la patronne en personne! Laissons à Bergerat l'entière responsabilité de sa version des événements subséquents: Les gens d'esprit et d'affaires qui hantaient chez elle résolurent de venger les pauvres diables et, comme ils en cherchaient le moyen, Adolphe Gaiffe le trouva. Il paria qu'il "l'aurait à l'œil". C'était la quadraturedu cercle, ni plus ni moins. Mais outre qu'il était beau comme Antinoüs, il avait la joie inventive des bons drilles gaulois et ne s'endormait pas sans avoir relu son conte de La Fontaine. "Soit,je veux bien, lui dit-elle, et pour une fois, n'est-ce pas, quoiquemes principes me l'interdisent. - Oh! en ami? souriait-il, en simple ami, sur le sopha de Crébillon. - Oui, vous êtes pauvre, je le sais, et on m'accuse d'être froide. Marmoréenne seulement. - Eh ! bien, voyons, venez avec douze billets de mille francs, estce trop, douze? - C'est pour rien, merci." Le lendemain il se présenta et, jetant les douze papiers soleil sur le guéridon: "Vous me traitez en poète. Comptez, avant. - Non, pendant," fit-elle. Il y avait une bougie rose près de l'autel. Elle prit le premier billet de la liasse et languissamment, du bout des doigts l'approcha de la flamme. "Ne perdez pas de temps, cher ami, au douzièmetout sera fini. Rien ne va plus vite que le feu. Voyez du reste !" Et le banknote flamba. Au onzième, le sopha de Crébillon n'avait plus rien à raconter. "Il en reste un, cocoriqua le vainqueur. - Oui, mais c'est trop ou trop peu. - Non, dit Gaiffe, il est faux, comme les onze autres, mais quel chef-d'œuvrede gravure!" Les jardiniers étaient vengés. (Souvenirsd'un enfant de Paris.) L'histoire, on s'en doute, fut largement diffusée sur le Boulevard par ces vertueux redresseurs de torts! L'allusion au sopha de Crébillon paraît inintelligible si l'on ne sait pas que Crébillon fils a commis, entre autres œuvres licencieuses chères au public de son temps, certain roman "exotique" titré le Sopha, dans lequel ce meuble, possession d'une darne indienne insatiable d'expériences voluptueuses, joue le rôle que l'on devine. Baudelaire dédicaça à Gaiffe un exemplaire de sa plaquette sur Théophile Gautier, leur ami à tous deux. Le 30 janvier 1865, Théophile assistait en personne au mariage de sa filleule, la danseuse
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Marie Vernon, avec Adolphe Gaiffe, unIon qui ne pouvait que resserrer les liens de sympathie entre les deux hommes. Le Second Rang du collier, p. 147. GAINSBOROUGH, Thomas (1727-1788), peintre anglais, grand rival de sir Joshua Reynolds. Gainsborough, fils d'un tailleur du comté de Suffolk, fut l'élève du graveur français Gravelot qui, à Londres, avait fondé une école; constatant les aptitudes du jeune homme et devinant son talent, Gravelot favorisa de tout son pouvoir les débuts de sa carrière. L'œuvre de Gainsborough compte quelque deux cents portraits d'une grâce délicate et une centaine de paysages, plus une vingtaine d'eaux-fortes et d'aquatintes. Le Louvre possède trois de ses toiles. Théophile Gautier fait appel au souvenir de Gainsborough lorsqu'il veut définir la manière "romantique" d'un paysagiste tel que Paul Huet par exemple: «Il conçoit la nature largement, par grandes masses et avec un effet décidé, un peu à la manière de l'école anglaise, des Gainsborough, des Constable, des Turner, il fait jouer le soleil et l'air avec plus de liberté qu'on n'en prend aujourd'hui, et sacrifie beaucoup de détails et de vérités partielles à ce que nous appellerons "l'expression du paysage". - Il avait la main hardie et légère, et il peignait avec la liberté d'un Constable ou d'un Gainsborough.» (Ln Presse, 10 mai 1848. - Journal officiel, 18 juin 1869.) Fin avril 1862, Gautier, critique chargé de la section des Beaux-Arts par le Moniteur universel, s'en va avec Dalloz, son directeur, inaugurer, visiter et commenter à Londres l'Exposition universelle - sa petite famille l'y rejoindra quelques jours plus tard, comme le raconte Judith. D'où, du 4 mai au 10 juin, une série de dix articles dans lesquels il détaillera tour à tour les beautés de Hogarth, Reynolds, Lawrence et Gainsborough. Le Second Rang du collier, p. 132. GAMBETTA, Léon (Cahors 1838 - Ville-d'Avray 1882), avocat fougueusement éloquent, homme politique de gauche à la carrière mouvementée. C'est l'homme qui proclame après Sedan la déchéance de Napoléon III, l'homme qui, le 7 octobre 1870, quitte en ballon Paris assiégé pour soutenir la résistance militaire. Gambetta, c'est aussi « le cléricalisme, voilà l'ennemi!» Mme Juliette Adam, la consœur de Judith au comité du Prix Femina- Vie Heureuse, fut longtemps son égérie. Très critiqué en raison de ses manières dictatoriales, le grand tribun renonce en 1882 à son mandat de député. Il meurt de septicémie après s'être accidentellement blessé par balle dans sa maison des Jardies, à Villed'Avray, un drame qui fit couler beaucoup d'encre. On flaira tout aussitôt la machination policière, l'assassinat politique, hypothèse que n'infirme nullement la grande pompe républicaine qui solennisa ses funérailles, ni les pleurs officiels versés sur la dépouille de cette encombrante personnalité; en 1920, son cœur a été déposé au Panthéon... «Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante.» Parmi les innombrables portraits du célébrissime borgne, trop flattés ou caricaturaux suivant la couleur politique de leurs auteurs, favorisons ces quelques lignes de Sarah Bernhardt, bien insoucieuse d'appartenance partisane: «Je voyais souvent Gambetta chez Girardin, et c'était une joie pour moi d'écouter cet homme admirable. Ce qu'il disait était si sage, si pondéré et si entraînant. Cet homme au ventre épais, aux bras courts, à la tête trop grosse, prenait quand il parlait une
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auréole de beauté. [...] Quand, fatigué de la politique, il parlait de littérature, c'était un channe unique: il savait tout et disait admirablement les vers...» Au Café Riche (16, boulevard des Italiens) il éblouissait Claudin "par des prodiges de mémoire. Il savait par cœur les livres de Rabelais et les principaux discours de Mirabeau qu'il récitait accompagnés de gestes magnifiques." Émile Ollivier, cité par André Bellessort (la Société française sous Napoléon Ill) évoque "sa voix étendue, sonore, aux pénétrations insinuantes et aux caresses persuasives." Alphonse Daudet, qui nous le montre "non pas gros, mais carrément taillé, le geste tutoyeur", raconte la première rencontre de Rochefort, petit employé aux bureaux de l'Hôtel de Ville, et de Gambetta à l'hôtel du Sénat, rue de Tournon, que le futur auteur des Lettres de mon moulin, Tartarin, etc., et le futur ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de la Défense nationale habitaient dans leur jeunesse impécunieuse. «Ils ne se parlèrent point; je les vois [au dîner, à table d'hôte] chacun à un bout, séparés par toute la longueur de la nappe et tels déjà qu'ils demeureront: l'un serré tout en dedans, le rire sec et en long, le geste rare; l'autre qui rit en large, crie, gesticule, débordant et fumeux comme une cuve de vin de Cahors.» La physionomie d'Henri Rochefort intriguait Daudet: « Vous connaissez cette tête étrange, écrit-il dans Trente Ans de Paris, telle alors [vers 1860] qu'elle est restée depuis, ces cheveux en flamme de punch sur un front trop vaste, à la fois boîte à migraine et réservoir d'enthousiasme, ces yeux noirs et creux luisant dans l'ombre, ce nez sec et droit, cette bouche amère, enfin toute cette face allongée par une barbiche en pointe de toupie qui fait songer invinciblement à un don Quichotte sceptique ou à un Méphistophélès qui serait doux... » Et tel nous le reconnaissons dans les œuvres de Rodin, Marcellin Desboutin, Jan van Beers, ..., et les nombreuses charges de l'époque. Vingt ans plus tard, Mme Alphonse Daudet rencontre, chez l'éditeur Charpentier, l'exdéporté, "cet étrange communard" aristocrate, l'ami de Louise Michel, alors rédacteur en chef de l'Intransigeant: «Les cheveux presque blancs se dressent crépus sur la tête et une finesse de race, un channe de regard, le mouvement des mains nerveuses complètent une physionomie des plus exceptionnelles. » En 1895, au retour d'un nouvel exil à la suite de l'aventure boulangiste, «il n'a pas vieilli ni changé, si ce n'est son étrange mèche de clown, plus blanche, plus enlevée, plus frondeuse que jamais. C'est toujours cette conversation étincelante, tout émaillée des souvenirs les plus variés et que j'assimile à celle d'Aurélien Scholl, un autre charmeur. Ils représentent pour moi ce qu'on appelait autrefois le Boulevard, c'est-à-dire les gens informés, au courant de tous les potins, mais aussi des opinions parisiennes, et qui savaient exposer légèrement des choses graves, tirer de l'esprit de tous les pavés et joindre à la plus belle ironie une bonhomie souriante.» (Souvenirs autour d'un groupe littéraire.) Judith a bien connu le bouillant pamphlétaire. Nous savons par les Souvenirs d'un enfant de Paris de Bergerat que Rochefort, amateur d'art - et de dominos! - réfugié à Londres après son évasion rocambolesque de Nouméa en 1874, puis installé à Genève jusqu'à l'amnistie de 1880, avait été le premier acheteur d'une toile de Pinchart. De ce fait, il était entré en relation avec Carlotta Grisi. «Nous avons posé, écrit Bergerat, de beaux double six à Saint-Jean tandis que la tante Carlotte brodait, dans un coin, au tambour, ces tapisseries à fleurs interminables dont elle était la Pénélope.» Malheureusement les foisonnants Mémoires de ma vie de "l'imprécateur par excellence" ne disent rien de ces rencontres-là. Entre 1905 et 1910, chez Mme Valsamachi, amie grecque intime des reines de Grèce et de Roumanie, Judith rencontrait un Rochefort «fabriqué d'acier; ses yeux: des vrilles pénétrantes », consigne Suzanne Meyer dans son journal
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inédit. Un jour, chez leur amie commune, ce vieil homme à la mémoire intacte déclame "œ chic" le fameux sonnet de Victor Hugo à Judith. À propos d'un certain vernissage, Suzanne note que Judith et "l'éternel opposant" ont bavardé ensemble pendant une demi-heure. Sans doute Judith n'ignorait-elle pas, et Rochefort le lui avait-il rappelé, qu'il y avait eu jadis projet de collaboration entre Théophile Gautier et lui. Sur la recommandation de M. de Chilly, directeur de l'Ambigu, Rochefort, alors journaliste au Charivari (16, rue du Croissant), auteur de vaudevilles à l'instar de son père, avait travaillé à un scénario sur le thème de la célèbre nouvelle parue en 1857, Jettatura. La collaboration en demeura à ce stade. « M. Rochefort ne revint plus à Neuilly. » Et Bergerat, qui narre la chose dans son Dixième Entretien, poursuit: «À propos de M. Rochefort, je dirai que Théophile Gautier n'avait pour la politique et les politiqueurs que des mépris et encore des mépris; il les tenait pour les derniers des derniers des êtres pensants. [...] C'était sa seule haine.» Si Judith ne nourrissait pas contre la gent politicienne des sentiments aussi outranciers, jamais à notre connaissance elle ne manifesta le moindre attrait pour un engagement politique personnel. Le Second Rang du collier, p. 164. GANNEAU.
Voyez CLERMONT-GANNEAU.
GARNIER, Jean-Louis-Charles (1825-1899), l'illustre architecte de l'Opéra de Paris, "ville dans la ville", décrété d'utilité publique par Napoléon III en 1860, solennellement inauguré le 5 janvier 1875 par le maréchal de Mac-Mahon, président de la République. En 1869, Carpeaux a coulé en bronze le buste d'un Garnier à l'aspect juvénile, le visage aigu encadré d'une exubérante chevelure crêpelée. Vingt ans plus tard, Jules Lemaitre définira prestement « M. Garnier, cet homme sympathique, tumultueux et confiant, qui porte si bien les toasts et qui a fait un si bel escalier dans un si vilain Opéra». Garnier avait fait la connaissance de Gautier en 1850, en Italie; ils se retrouvèrent en Grèce avec About, et aussi à Constantinople. Monte-Carlo, Vittel, Nice avec son Observatoire, le Cercle de la Librairie à Paris, témoins de l' activité dévorante de cet artiste qui ne répugnait nullement à des tâches moins prestigieuses comme le théâtre miniature du Cercle Pigalle qu'il s'amusa à construire sur les plans du Grand Opéra, ou même mineures comme un escalier intérieur à double révolution, boulevard Malesherbes, dans l'hôtel d'une célèbre lionne du Second Empire, l'une des dernières maîtresses de Napoléon III, la rousse et ruineuse Valtesse de La Bigne, Valtesse, l'amie des artistes, que peignirent Gervex, Manet, Jacquet, Édouard Detaille dont, cocardière, elle collectionnait les tableaux à sujet militaire et qui poussa la complaisance jusqu'à lui confectionner toute une série de portraits de ses nobles aïeux les seigneurs de la Bigne, Valtesse, professeur ès-galanterie de la jeune Mme Pourpe, alias Liane de Pougy, en rupture de liens conjugaux. Pour Théo, Garnier dessina les plans du modeste pavillon de Villiers-sur-Marne où se retira Ernesta avec ses vers à soie; pour les Bergerat, ceux de la villa Caliban à La Fourberie (Saint-Lunaire). Le 26 octobre 1867, Gautier écrivait À Charles Garnier. Réponse à une invitation à dîner, une Épître monorime de soixante-dix vers rimant en ton, amusant exemple de la virtuosité du poète qui excellait aux bouts-rimés comme aux acrostiches et signe de la solide affection qui unissait les deux artistes. Judith resta en rapport avec le vieil ami de sa famille sous la conduite duquel elle
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avait visité avec son père le Palais Garnier en cours de construction - ce «rêve d'une cocotte », écrivait Tourgueniev, méprisant. Elle lui envoyait ses livres, il se déclarait « fier d'avoir une amie ayant autant de talent que vous ». En 1885, Garnier fut chargé de mettre en deuil, pour les funérailles de Victor Hugo, l'Arc de Triomphe; il s'acquitta de cette tâche avec panache et lyrisme. Consultons le Victor Hugo de M. Alain Decaux : De la corniche située à l'opposé de la Marseillaise de Rude, un immense crêpe noir tombe en diagonale. Sous l'arche qui fait face aux Champs-Élysées - seule ouverture restée libre
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on a
dressé le catafalque, surélevé de douze marches, si haut qu'il touche presque la voûte. Au sommet, les initiales V. H. - immenses. Que n'a-t-il pu les considérer, Hugo! Elles étaient à sa mesure. De chaque côté de l'Arc, [...] deux oriflammes noires aux étoiles d'argent. Tout autour, sur le rond-point, deux cents torchères et lampadaires brûlent en plein jour: ce qui, imprimera le Rappel, "jette sous les crêpes noirs une lueur étrange et funèbre". [...] Après 9 heures du soir, [...] spectacle quasi irréel, comme surgi de quelquepoème des Orientales: seul le côté droit de l'Arc de Triomphe est éclairé. Des lampadaires émane une clarté verdâtre. Au pied du cénotaphe,rangés en double haie équestre, des cuirassiers brandissent des torches dont la flamme se reflète - à l'infini - sur les cuirasses et les casques. Le vent s'est levé: les draperies, les voiles funèbres, les oriflammes, se gonflent, se tordent, comme les chevelures d'immenses pleureuses. Sans nul doute, Garnier s'affirma en cette circonstance comme un metteur en scène de génie. Membre de l'Académie des Beaux-Arts (1874), commandeur de la Légion d'honneur (1889), ce joyeux compagnon était un habitué du foyer des artistes, à la Comédie-Française; Marguerite Moreno - une "bonne amie" de Mendès après sa rupture avec Augusta Holmès et qui racontait crûment à Colette les défaillances amoureuses de l'incorrigible poivrot -, Moreno nous l'y montre, Charles Garnier, septuagénaire vivace, «agitant les longues mèches blanches qui pleuvaient de sa tête... rapin endurci et gamin éternel ». Aucun indice n'incite à penser que Judith Gautier se soit jamais rencontrée avec Marcel Schwob, le délicat auteur, entre autres, du Livre de Monelle, qui épousa Moreno en 1900 après une longue liaison passionnée. Dommage! ils auraient en tant de raisons de sympathiser. Étudions la biographie de Schwob dans le bel ouvrage de Sylvain Goudemare. Beaucoup d'amis communs. Jean Lorrain: le 18 novembre 1896, Jules Renard remarque chez Schwob « un portrait de Jean Lorrain avec ses yeux enflés et dont les paupières ressemblent à des capotes de diligence, lâches, et qui retombent toujours.» Pierre Louys. Henri de Régnier. Le Dr Pozzi, présenté par Robert de Montesquiou, "le chirurgien des âmes littéraires" aux soins duquel se confièrent ou se confieront Louise Ackermann, Leconte de Lisle, Judith, Lorrain, Montesquiou lui-même... Montesquiou qui offrit à Schwob un petit chien japonais si rare qu'on n'en connaissait que trois exemplaires en France, celui-là même qui mit un jour à mal, de ses dents aiguës, les belles bottines neuves d'Anatole France totalement absorbé par la conversation... ce petit chien-là, bien vivant, et un magnifique chat en céramique tout exprès modelé pour l'auteur de Spicilège. Autre point commun entre Judith et Schwob : l'amour des animaux. La ménagerie de Schwob ne manquait pas d'originalité. Moreno raconte qu'il autorisait sa grande amie Colette à jouer chez lui, dans cet appartement de la rue Saint-Louis-en-l'Isle, No Il, qu'il occupa de 1903 jusqu'à sa mort à trente-huit ans après de multiples déménagements, «avec un de ces animaux étranges qui bondissaient, rampaient ou volaient autour de son immobilité forcée [de tempérament valétudinaire, Marcel Schwob était très malade] : une chauve-souris, un loir, un lézard, un chat, un écureuil, des chiens, une colombe poignardée, un cardinal, un faucon, des poissons, un
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singe! Il consentait même à laisser entre ses mains ses oiseaux familiers, de petits masques-de-fer, gros comme des mésanges.» Tout comme Judith (et Mme Arman de Caillavet), c'est le dimanche après-midi qu'il recevait de préférence ses amis. Autre coïncidence amusante: la présence auprès de Schwob d'un valet-barbier-factotum chinois, en costume national, natte comprise, ce Ting-Tse-Ying, venu en France à l'occasion de l'Exposition universelle de 1900, figure originale de l'île Saint-Louis et qui fit avec son maître le voyage jusqu'en Océanie sur les traces de Robert-Louis Stevenson. Notons également l'intérêt porté par Schwob à Rabelais, si présent à l'esprit de Théo comme à celui de Judith; sous le pseudonyme de Loyson-Bridet, référence directe au père de Gargantua, il collabora dès la première heure à la Revue des études rabelaisiennes. Autre occasion de rapprochement: le père de Marcel Schwob, Isaac-George Schwob, fut à Rouen le condisciple de Flaubert et de Bouilhet. Plus tard, journaliste attaché au Corsaire, il rencontra Gautier, "le Grand, l'Impeccable Théo". En 1896, l'éditeur Ferroud demande à Marcel Schwob de présenter, pour une édition de luxe illustrée par Rochegrosse, ce conte de Gautier, la Chaîne d'or ou l'amour partagé, paru chez Charpentier en 1867 dans un recueil œ ses Nouvelles. «Schwob, écrit Goudemare, a accepté d'autant plus agréablement que "l'Impeccable Théo" fait partie, spirituellement, de sa famille, et que ce conte se prête parfaitement à son esprit d'érudition. Il analyse la source historique du conte, "Athénée, Livre XIII, chap. LXVII", remerciant Gautier d'avoir fait revivre cette histoire: "Et comme la cité parfumée de l'odeur des roses et des pins, la tendre histoire de Bacchis et de Plangon aurait été effacée de la terre si Théophile Gautier ne l'avait amoureusement recueillie. Il la transporta pour la faire refleurir; il précisa les contours un peu frustes de ses personnages, et les éclaira de lumières magnifiques et vivantes." » Pour clore le sujet, donnons la parole à José-Maria de Heredia, cité par Albalat dans ce pittoresque passage: Heredia avait l'admiration franche, presque brutale; mais il savait, quandil fallait, faire ses réserves. Aimait-il un livre, il le criait sur les toits et vous forçait à le lire. C'est ainsi qu'il nous révéla les romans de Judith Gautier et de Léon Cahun, résurrections historiques d'une fauve intensité. «Comment! s'écriait-il, vous ignorez Cahun et Judith Gautier?... Lisez cela. C'est un monde!...» Ces jugements déroutaient certains jeunes gens pour qui la littérature se résumait à Rimbaud,Tinan, Baudelaireet Verlaine. Léon Cahun, plus oublié encore de nos jours que Judith Gautier, d'une érudition étourdissante, philologue, orientaliste, grand voyageur, qui fut conservateur de la Bibliothèque Mazarine, était l'oncle paternel très aimé de Marcel Schwob qui lui dut beaucoup, le disait haut et fort. Hélas! l'écrivain et son œuvre passent comme l'herbe! Le Second Rang du collier, p. 147. Gastibelza.
Voyez MONPOU.
GAUTIER, Charles-Marie-Théophile, dit Toto, surgit un beau jour à Neuilly devant les petites Gautier adolescentes, présenté par l'ami Adolphe Bazin comme leur frère: « Notre frère!... On ne nous avait jamais parlé de lui. [...] Il était notre frère, sans être le fils de notre mère, ce qui nous parut singulier, sans nous préoccuper davantage... » Le lecteur le plus crédule sourira: tant d'invraisemblances en si peu de lignes, à croire ces demoiselles idiotes! Comprenons que l'auteur du Collier des jours, obligée de faire entrer
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Toto, jusque-là absent, dans la saga familiale, entendait ainsi éluder par d'improbables allégations le délicat problème des relations inter-parentales. Fils de Théophile Gautier et d'Eugénie Fort, né à Paris le 29 novembre 1836, Toto est reconnu de mauvaise grâce par son père le 7 décembre suivant. Il fait ses études à Henri IV; c'est sous l'unifonne de ce collège que Judith, dit-elle, le voit pour la première fois. Il n'y est pas mauvais élève. Le 20 août 1845, Pierre Gautier, le père de Théo alors en Algérie, lui écrit avec malice: «Ton fils a été couronné au collège Henri 4. Il a eu le 2e prix de sa classe te voilà déjà dépassé par ta descendance, tu n'as jamais eu qu'un accessit [pas tout à fait exact !] ; il a été caressé par les personnes qui présidaient à la distribution... » Il n'est aucunement question dans cette lettre de la toute proche venue au monde de Judith, mais l'on sait que la liaison de Théo avec Emesta ne plaisait guère à ses parents qui avaient donné leur affection à Eugénie; le moment venu, Judith saura fort bien apprivoiser ce grand-père sévère et si dévoué. Le récit de la première rencontre des trois enfants Gautier, textuellement repris par Suzanne Meyer, dans Quinze ans..., se trouve assorti sous sa plume d'une étonnante infonnation: «Théophile, sur qui Judith avait fait grande impression, lui adressait peu après [?] ces quelques vers où perçait un sentiment indéniable qu'il eût, paraît-il, à combattre assez sérieusement» : Je veux à la beauté faire un temple en mon cœur. Un pur profil de sphinx taillé par la jeunesse Dans le granit. Un œil amoureux et moqueur, Irrésistiblement cruel, c'est la déesse Trônant sur son autel. Et c'est toi, toi, ma sœur, Honteux, fatal amour, que j'en nomme prêtresse!
« L'amour? disait Judith déçue et méprisante. Une crise de l'instinct à laquelle les poètes ont mis des ailes. » Autre acrostiche sur le nom de Judith, signé Armand Silvestre (28 juin 1882), également reproduit par Suzanne: J'irai sur la montagne, étrange pèlerin, Une lyre à la main comme autrefois Orphée, Dire ton nom d'or pur à ce siècle d'airain, Immortelle, jadis d'hyacinthe coiffée, Toi qui fus tour à tour, être cher et maudit, Hélène et Cléopâtre avant d'être Judith. Elle enchaîne sur "ce spirituel rondeau" de Jean Richepin, daté du 28 juin 1875 : Votre beau thé, moins doré que vos yeux, Votre thé vert, fleuri, délicieux, Qui vaut quasi dix mille francs la livre, Moins que la fleur de vos yeux il enivre Et fait rêver qu'on part pour d'autres cieux. J'ai bu les deux arômes précieux Et jusqu'au jour, dans mon lit, soucieux Il m'a donné des fanfares de cuivre, Votre beau thé.
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Je vous voyais passer parmi les Dieux Dans un grand char aux flamboyants essieux, Et sous la roue en or, n'osant vous suivre, J'ai mis mon front et j'ai cessé de vivre, En bénissant, écrasé, mais joyeux, Votre beauté.
Banville, le pointilleux auteur du Petit Traité de poésie française, admet que, dans le
rondeau, « on a le droit de se permettremême... le calembour! partout ailleurs justement exécré.» Après cette digression en hommage à Judith, revenons au jeune Toto, doux, aimable, désireux de bien faire, mais indolent, et qu'il faut sans cesse aiguillonner dans ses entreprises; en dépit d'excellentes résolutions, il abandonnera ainsi le droit en fin de première année. Peu attiré par les enfants - trait de caractère dont héritera Judith -, son père s'intéresse activement à Toto dès lors qu'il s'agit de lui ouvrir une carrière. Ayant tiré un bon numéro, le jeune homme échappe au service militaire. Il quitte la rue de Condé, domicile de sa mère et de son parrain Charles Blanc, emménage rue de Beaune, et s'essaie au journalisme. Son nom commence à apparaître dans l'Artiste en 1857 (chronique dramatique), puis dans le Courrier du dimanche (rubrique bibliographique), le Moniteur universel et quelques autres feuilles. Le voyage commun en Russie servit beaucoup à resserrer les liens père-fils. De Saint-Pétersbourg, Théo écrivait en décembre 1861 à sa "chère Âme", Eugénie Fort: « ... De loin comme de près, je t'aime inaltérablement. [...] Toto est gentil et bien sage. - La chasteté et l'économie règnent dans l'établissement... » Journal des Goncourt, 21 février 1864: «11 paraît qu'un très curieux spectacle est le travail dominical du feuilleton de Gautier au Moniteur. Le père fait la tête et la queue de l'article. Le fils, tout encombré de bouquins, pioche l'historique et les dates du milieu: "Ah ça ! Ne te fous pas dedans, avec les dates, comme l'autre fois !" lui dit à tout moment son père.» Grossièreté verbale et toute amicale réservée aux intimes du poète! Les mêmes Goncourt, 29 avril 1869, chez la princesse Mathilde; Gautier raconte l'histoire truculente de ses amours avec une "femme-panthère". « Sur le divan, son fils, le fonctionnaire, me dit : "V'là encore mon père lancé! - Mais allez donc le tirer par la manche! - Ah ! vous ne le connaissez pas. Il est capable, comme au spectacle quand il dort et que je le réveille, de me répondre tout haut: Merde !" » Reprenons l'histoire chronologique de Toto. Il envisage de se lancer dans le commerce des tableaux, de briguer quelque poste dans l'Administration. Eugénie suit de près ses efforts, navrée de son instabilité. « J'ai pour mon fils, écrit-elle le 27 janvier 1860 dans son Journal, une affection qui se rapproche de l'amour...» Deux ans plus tard: « Toto vient ce matin; il est toujours préoccupé par le manque d'argent heureusement que j'ai toujours un louis à son service. Et pourtant il a beaucoup de travaux mais il a tant de peine à se mettre en train... » Sans ressources personnelles, pour atténuer sa permanente gêne financière, Eugénie s'est mise à traduire des romans anglais. Toto, lui, se spécialise dans la traduction de l'allemand. Sa production littéraire comprendra les Contes bizarres d'Achim von Arnim préfacés par Théophile Gautier (1856), Wilhelm Meister de Gœthe (1861), les Aventures du baron de Munchhausen (1862), plus une œuvre originale, un volume de nouvelles, la Baronne Véra (1885). Enfin le voici "casé". En août 1867, il est nommé sous-préfet d'Ambert. Invité en novembre par le préfet du Puy-de-Dôme, son père écrit joyeusement à Estelle, de Clermont-Ferrand "chez le patron de Toto" :
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Je t'écris officiellementsur un papier de préfectureà vignette impériale. [...] Nous sommes là comme des coqs en pâte. [...] le préfet a trois voitures et quatre ou cinq chevaux. C'est comme un petit roi de département. Toto est là-dedans comme l'enfant de la maison. Il a séduit le chien et le petit garçon; il ne peut faire l'apprentissage de son métier en de meilleures conditions. Mardi nous irons à Ambert car Toto fait ses visites aux autorités, en habit noir et cravate blanche, avec un sérieux parfait, conduit par son patron... En 1868, le voici chef du bureau de la presse au ministère de l'Intérieur. Les Goncourt se gaussent: «Ironie des choses, Gautier fils, le fils de Mademoiselle de Maupin, mis subitement à la tête de la police administrative de la presse parisienne... » Autrement dit, patron de la censure! En 1870, Toto est nommé sous-préfet à Pontoise. Sa position paraissant désormais assurée dans l'Administration, il songe à fonder une famille. Le 26 février 1870, il épouse Élise Portal, «une bonne fille, peu démonstrative, mais également aimable », juge Eugénie. Écho de la famille, Jean Tild écrit dans Théophile Gautier et ses amis: «
... jeune
femme charmante qui manifestait
à son beau-père la plus
respectueuse tendresse, affection qui était d'ailleurs réciproque.» Surviennent guerre et défaite. Inféodé au régime impérial, craignant le pire, Toto s'enfuit à Londres où Élise accouche d'un fils le 18 décembre 1870. C'est en Belgique que Théo fait la connaissance du petit Paul: «L'héritier présomptif est radieusement beau, très raisonnable et a déjà beaucoup d'esprit. Il est conforme et même supérieur aux descriptions », mande-t-il à ses sœurs en juin 1871. Tild raconte «qu'il s'amusait à rouler [son petit-fils] sur le tapis, en lui prodiguant d'une voix caressante tout un chapelet de gros mots, selon une tradition orientale qui prétend qu'on porte ainsi bonheur aux enfants. Superstitieux, l'aïeul croyait fermement à l'efficacité de cet étrange moyen pour conjurer le mauvais sort.» La princesse Mathilde, qui a fait au bébé l'honneur d'être sa marraine, continue à couvrir Toto de sa protection. Il demeure dans la mouvance bonapartiste en devenant le secrétaire de Rouher, ce fidèle de Napoléon ln qu'il s'en allait consulter à Chislehurst; natif de Riom, Rouher l'accueillit d'autant mieux qu'il ne pouvait ignorer les fonctions officielles exercées naguère dans le Puy-de-Dôme par son nouvel assistant. Toto décède en 1904. Judith, qui travaille à la Fille du Ciel, prend quelque retard dans sa correspondance avec Pierre Loti; elle lui écrit en juin sur un papier de deuil à large bordure noire comme on en voyait encore avant les années 40 qui ont rendu caducs tant de rites funéraires: «La maladie et la mort de mon frère m'ont empêchée de vous répondre plus tôt.» Élise Portal se remariera avec le fils du jurisconsulte Trolong, président du Sénat sous le Second Empire comme le fut Rouher après lui. Demeuré fils unique après la mort précoce d'un petit frère, Paul fit des études de médecine. « Le docteur Paul Théophile-Gautier, écrit André de Fouquières en 1954, vient œ mourir plus qu'octogénaire. [...] Il évoquait souvent le souvenir de ses deux tantes: l'impérieuse Judith qui, l'âge venu, chairs abondantes et croûlantes dans son fauteuil, paraissait s'ensevelir dans une méditation dédaigneuse, et la douce, la gentille Estelle. » Son fils Pierre, ingénieur au ministère des Armées, arrière-petit-fils du poète, mourut sans descendance.
Le Collier des jours, p. 273. Le Second Rang du collier, p. 55-57, 69, 95, 140, 142, 144, 158, 167, 171, 187, 195, 251,261,294,298.
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GAUTIER, Émilie. Bergerat aimait bien sa tante par alliance, à preuve le portrait qu'il en traça au premier tome de ses Souvenirs: «Théophile Gautier [...] avait deux sœurs, qu'avant la guerre il entretenait à Montrouge, en vieilles demoiselles. L'une d'elles, Émilie, qu'on appelait Lili, était charmante encore lorsque je la connus, et son frère ne se lassait pas de rappeler à tout propos qu'elle avait été jolie comme les amours. Toujours gaie et souriante, elle allait et venait, distraite, myope, l'esprit ailleurs, se cognant à tous les meubles et préoccupée avant tout de ne pas laisser les oiseaux du jardin manquer du pain quotidien "qu'on leur doit puisqu'ils chantent". Lili, influencée par le milieu romantique où elle ne laissait point d'avoir grandi, était la littéraire. Elle s'était même essayée à composer des vers qui, à dire d'expert, "n'étaient pas du tout d'une fichue bête". Comment une si aimable fille avait-elle coiffé Sainte-Catherine, c'est ce dont Théophile lui gardait doucement le secret, et nul autre que lui ne l'aura su sur la terre. Il y avait là un "sonnet d'Arvers". Je ne me flatte pas d'en avoir percé le mystère, mais à certaines allusions rapprochées de certains faits, il m'est souvent venu à la pensée que le drame de la rue de la Vieille-Lanterne n'était pas étranger à ce fidèle veuvage et que le bon Gérard de Nerval n'avait pas été pleuré, dans la famille, que par son ami de jeunesse. » Nous imaginons aisément l'éducation reçue par Émilie et par sa sœur cadette Zoé, en conformité avec les usages de leur époque et de leur milieu, une éducation formatrice de bonnes ménagères soucieuses du bien-être de leurs proches - "... une femme en sait toujours assez / Quand la capacité de son esprit se hausse / À connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse" - qui les vouera, en raison des revers de fortune successifs de M. Gautier père - "Sans dot" ! - au sort peu enviable de vieilles filles dépourvues de moyens d'existence propres, hors d'état de se prendre ellesmêmes en charge. Dès avant la mort de leurs parents, Théo assuma avec élégance le rôle de chef de famille, pourvoyant de son mieux à leurs besoins. Il leur arriva de se plaindre, pourtant, et le pauvre homme ressentit douloureusement certains reproches faciles à déduire de cette lettre navrante: Saint-Pétersbourg, 17 décembre 1858 Mes chères sœurs, Je reçois vos trois lettres à la fois. [...] Tout mon regret est de n'être pas plus riche et de vous donner si peu. Je réponds de vous à nos chers parents morts, et, moi vivant, vous aurez toujours ce que je n'ai pas eu besoin de vous promettre, car vous saviez, sans que j'aie dit un mot, que je le tiendrai jusqu'au dernier soupir. [...] Figurez-vous la nécessité de faire de la copie l'esprit bourré par toutes ces inquiétudes; celle en outre d'être gracieux, amusant et gai avec une foule de gens, et vous jugerez si je passe mon temps d'une manière agréable ! Vous savez dans quel dégoût et quel ennui je suis des hommes et des choses; je ne vis que pour ceux que j'aime, car, personnellement, je n'ai plus aucun agrément sur la terre. L'art, les tableaux, le théâtre, les livres, les voyages mêmes ne m'amusent plus; ce ne sont pour moi que des motifs d'un travail fastidieux, car il est toujours à recommencer. N'ajoutez pas à tous ces chagrins des phrases comme celles qui terminent l'une de vos lettres, ou je me coucherai par terre et me laisserai mourir le long d'un mur sans plus bouger. Vous avez eu une bonne pensée, en allant rendre visite à nos chères tombes, de mettre des fleurs sur le marbre de Mme de Girardin. Celle-là m'aimait bien et je pleure toujours sa perte. J'ai été bien triste le 2 novembre en pensant à tous ceux qui ne sont plus. Il faisait presque nuit à midi; le ciel était jaune, la terre couverte de neige, et j'étais si loin de ma patrie, tout seul, dans une chambre d'auberge, essayant d'écrire un feuilleton qui ne venait pas, et d'où dépendait, chose amère, la pâtée de bien des bouches, petites ou grandes. Je
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m'aiguillonnais, je m'enfonçais l'éperon dans les flancs, mais mon esprit était comme un cheval abattu qui aime mieux recevoir des coups et crever dans ses brancards que d'essayer de se relever. Je l'ai pourtant fait, ce feuilleton, il était très bien. J'en ai fait un, le dimanche que notre mère est morte, et il a servi à la faire enterrer. Pardonnez-moide vous écrire des choses si tristes, mais votre lettre m'a navré. Je vous dis la vérité pour que vous compreniez bien et ne doutiez jamais de moi, de loin ou de près. Aux autres,je suis obligé de déguiserles choses. Vous avez, comme moi, des cœurs éprouvés par l'adversité et vous savez souffrir sans vous déshonorer par des plaintes inutiles. Moi, je suis comme le sauvage attaché au poteau: chacun le pique pour arracher un cri, un frémissement; mais il reste immobile. Personne n'a la satisfaction de l'entendre geindre. Ayez donc bon courage. J'ai tâché d'arranger les choses et je vais faire en sorte qu'on vous donne votre pension, hélas! bien maigre. D'ici à peu de jours, il y aura une solution complète; [...] À vous du fond de l'âme. «J'en ai fait un, le dimanche que notre mère est morte... » C'était le 26 mars 1848. ILl Presse du 27 mars publia l'article de Gautier, une critique de l'Auberge des Adrets et de Robert Macaire. (L'Auberge des Adrets, mélodrame de MM. Benjamin Antier, Saint-Amand et Paulyanthe, créé le 2 juillet 1823 à l'Ambigu-Comique, repris en 1832 à la Porte-SaintMartin, complété en 1834 par Robert Macaire, première aux Folies-Dramatiques, pièces dans lesquelles le génie bouffon de Frédérick Lemaître atteignit des sommets.) LouisPhilippe avait perdu son trône et, par contrecoup, la famille Gautier ce qui lui restait de sa modeste fortune. Encore fort endetté après les déconvenues de son voyage en Espagne dont il avait espéré monts et merveilles, Théo dut vendre tout ce qu'il put brader de son luxe passager, son joli coupé "œil de corbeau", ses deux minuscules et fringants poneys Rose et Blanche avec leur harnachement. (Allusion littéraire? Le premier roman de Mme Casimir Dudevant en collaboration avec Jules Sandeau avait été publié en 1831 sous le titre Rose et Blanche, par Jules Sand); Eugène Sue avait prénommé "Rose" et "Blanche" les deux orphelinesde son roman-fleuve,le Juif errant, paru en 1844-1845.)«Ce fut pour nous un amer chagrin », écrira-t-il plus tard dans sa Ménagerie intime. Lili, "la littéraire", assumait volontiers les devoirs de la correspondance, active entre tous les membres du clan. À titre d'exemple, voici l'une de ses lettres à Judith (Fonds Lovenjoul, Institut de France) qui nous offre bien des perspectives sur le caractère de l'une et de l'autre. Judith est alors en séjour chez sa marraine Carlotta avec sa mère et sa sœur; le père voyage en Russie; les tantes ont été requises à Neuilly pour y prendre soin de la ménagerie. Nous suppléons à une ponctuation quasiment inexistante. Neuilly, 25 août 1861. Belle Judith, voici venir ton année 17ème. Nous faisons pour toi des vœux sans nombre. Te souhaiter la bonté serait [illisible] et vain: la bonté de cœur est en toi et puis voilà que tu deviens sage entre les plus sages. Que de grâces nous avons à te rendre, charmante enfant: tu as laissé cette affreuse paresse qui nous rend triste malgré nous. Comme tes chères étoiles vont te regarder avec amour du haut de ton paradis bleu! [...] Continuez à bien soigner votre musique. [...] Revenez le plus vite possible, chères colombes! Mirza, les chats, Mistigris, les fleurs, les arbres et nous donnent leurs pattes à baiser. Ta tante Zoé et moi nous vous embrassons bien tendrement. Écrivez-nous le plus que vous pourrez! Long, large bonsoir et bonne nuit L. Gautier En cet été 1861, c'est la même chanson dans toutes les lettres de Judith à ses tantes: «
Dieu que je m'embête!...
Je m'embête idéalement... Je m'ennuie à crever... Genève est
151 décidément l'ennemi mortel de la gaîté...
»
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Les tantes doivent lire avec délectation la prose
vengeresse de leur nièce contre cette Carlotta qu'elles détestent. Nous respectons l'orthographe et la ponctuation qui restèrent toujours assez fantaisistes chez Judith. Genève 7 septembre 1861 Mes chères Tantes Je ne vous ai pas écrit pour ne pas vous redire sur un autre ton que je m'ennuie et que je voudrais revenir je vous l'ai déja dit et ici il n'arrive aucun événement c'est toujours la même chose. Si on ouvre une fenêtre qu'on a pas l'habitude d'ouvrir c'est une affaire d'état mais ça ne doit pas vous intéresser beaucoup. Tu ne peux pas t'imaginer la tristesse monotone de ce local c'est une maison où les pendules et les chandeliers sont couverts d'un gaze, les fauteuils ont des housses et sont rangés symétriquement au milieu de la chambre autour du table où quelques albums sont majestueusement ouverts, tout est à sa place. C'est froid, guindé et bourjois, tu dois te figurer, la salle à manger est superbe on y dîne silencieusement assis sur de belles chaises dans de belles assiettes mais il y a aussi peu de sel dans la soupe que dans la conversation. Nous avons été faire une excursion dans les montagnes de Savoie mais ce n'était pas amusant à cause des différents grognements dont on nous poursuivait. Je me disais tout le temps, si nous étions avec nos tantes quel joli voyage nous ferions, nous allons si bien ensemble. [...] si on hasarde timidement que c'est ennuyeux de rester trois heures dans une chambre d'auberge on vous appelle rognes et la tante commence un discours qui commence toujours par "une jeune fille doit obéir..." Quel affreux pays [...] Je vous embrasse et je voudrais bien vous avoir dans ma poche
Judith En contraste avec ces récriminations juvéniles, le soulagement d'un homme ami du repos et excédé des criailleries de son harem. De Russie, le 5 septembre, Théo à ses sœurs: «Notre petit ménage [Toto et lui] est excellent. Jamais de maussaderie ou de mauvaise humeur. La bande va toujours comme un seul homme. Voilà un mois que nous n'avons adressé la parole à une femme! Aussi quelle union, quelle tranquillité, quelle fraîcheur! Les petites m'ont écrit deux gentilles lettres. Leur mère en est très contente. Espérons que tous ces caractères maussades ou revêches finiront par s'harmoniser et que tout ira bien.» À Ernesta, dans le même temps: « Je ne te dirai pas d'être bonne avec elles [leurs filles], tu l'es, mais sois un peu caressante et gracieuse. Câline-les et montre que tu es sensible à leur changement de conduite. Tu sais, dans la famille, nous aimons à être gâtés. C'est un défaut, mais il prouve un cœur tendre et fier; en nous rabrouant l'on n'obtient rien de nous, qu'une résistance invincible.» Née à Paris, rue Vieille-du-Temple, le 14 janvier 1817, Lili, qui avait été victime d'une attaque, à Neuilly, en 1872, peu avant la mort de son frère, disparut
en 1880.Bergeratraconte sa pitoyable fin: « La tante Lili mourut paralysée, à Montrouge, le cou encerclé d'un collier attaché à l'espagnolette d'une fenêtre pour lui maintenir la tête qui, comme à Henri Heine, dévalait sur la poitrine. Elle riait, dans ce carcan, et sa sœur, plus qu'à demi folle, nous résumait tout le drame de la maladie et de sa douleur par cette simple constatation: "Voilà dix-sept jours que la chatte ne mange plus, là, dans son panier, dix-sept jours, dix-sept!..." » Le Collier des jours, passim. Le Second Rang du collier, p. 84-85, 103, 105, 167, 189.
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GAUTIER, Estelle. La virtuosité de Théophile Gautier, à la fin de sa vie surtout, s'exerçait volontiers à résoudre d'effrayants problèmes métriques, tel ce sonnet-acrostiche à bouts rimés sur le nom imposé d'Estelle qu'il écrivit, assure Bergerat, en un quart d'heure. En ces yeux fiers et noirs que la grâce tempère Sous un rideau de cils dérobantleur secret, Tout un monde est caché, mystérieux,concret, Et que voudraiten vain deviner un Ampère. L'amour présomptueux n'y pourrait lire: espère. Leur sérieux profond, inconnu de Lancret, Exprime clairement que nul ne les vaincrait. Graves, dans l'idéal est leur point de repère. Aux rivages du Gange où sont les éléphants, Un rajah la voudrait attirer, plein d'astuce: Tagahor de Delhi qu'éventent des enfants. Il dit: Pour reine, ô belle, il faudrait que je t'eusse, Et c'est pour t'enrichir que partout nous pillons Rubis, perles, saphirs, roses et papillons. Ce fut une vie singulièrement discrète que celle d'Estelle Gautier, née à Paris le 28 novembre 1847, le "Monstre vert" de son célèbre papa. Elle passe, effacée, dans les Souvenirs de ses proches, ayant connu, enfant, l'amère surprise de se voir soudain reléguée au second plan, dans le foyer où elle régnait jusqu'alors sans partage, par l'intronisation d'une sœur aînée - mise en nourrice, elle, depuis sa naissance -, une sœur aînée au caractère
violent et dominateur qui ne
tarda
guère à capter l'attention paternelle. Elles subissent
ensemble, avec honneur, les effets d'une éducation plutôt cahoteuse et elles émergent ensemble de l'adolescence. Mais, toujours, Judith tient la vedette. Exemple, cette réflexion de Mme Juliette Adam qui les voit au Théâtre-Lyrique: «Judith, merveilleusement belle et Estelle charmante.» (Mes premières armes, citée par J. Richardson.) Et Estelle charmante! Edmond de Goncourt, ce vieux garçon, s'est laissé charmer..., le cas est assez rare pour être signalé, proclamé! Journal, à Saint-Gratien, les 26 et 27 octobre 1871 : Pendant que la princesse [Mathilde] parle, Estelle Gautier, agenouillée à ses pieds, l'entoure de gestes de caresse. Rien de plus étrangement gracieux que cette fille à la masse noire de cheveux, à la figure de mime, à la fois muette et parlante, à la gravité antique dans de l'indolence turque. [...] Un mystère que la fille de Théo, cette Estelle poussée dans un milieu si canaille, grandie dans la parole rabelaisienne de son père et l'immoralité philosophique de la maison. On n'est pas plus jeune fille, dans le sens délicat et chaste du mot; et cela avec une originalité. La charmante femme pour un homme intelligent, avec la compréhension, qu'on devine en elle, des choses de l'intelligence, avec la secrète compréhension de son esprit de ce qu'aime l'esprit de l'homme! Et par là-dessus, le joli objet d'art à regarder, avec son doux clignotement de paupière sur son œil sans point lumineux, son sourire vague, sa vie en dedans, qui la fait par moment comme absente, enfin ce quelque chose de bizarre, d'étrange, d'exotique, qui est en elle. En juillet 1866, après le drame du mariage Mendès, Théo écrivait à Carlotta: «Mes sœurs sont merveilleuses. Estelle est très douce, très sage, mais si indifférente et si vague. Elle ne dit pas quatre mots par jour, en dehors de oui et non. Bien qu'elle ne soit pas précisément
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malade, la vie chez elle est faible, endonnie, languissante. » Et ilIa prend pour modèle d'un portrait de "la Mélancolie". Lisons la lettre suivante de Villiers de l'Isle-Adam à Théophile Gautier, nous serons édifiés sur les motifs de l'apparente apathie de la pauvre Estelle. Se pourrait-il que Théo n'ait eu jusqu'alors aucun soupçon d'une idylle en cours qui devait s'achever de lamentable façon et que personne n'ébruita par la suite? Paris, 3 janvier 1867. Monsieur, Je suis profondément pénétré de chagrin; mais la situation n'a pas d'issue, je suis forcé de le reconnaître. Malgré ce que j'ai tenté, ma famille me refuse tout: consentement et argent nécessaire; je ne puis pas gagner ma vie avec le genre de talent que j'ai, enfin ce n'est qu'obstacle et impossibilité. Or je ne veux rien de personne. Je ne voulais qu'Estelle, et la tranquillité de vivre. Mais puisque je ne peux pas l'avoir, il faut que je me retire. C'est là mon devoir pour elle et pour moi. C'est depuis que j'ai vu l'impossibilité que j'ai interrompu mes visites chez vous. Veuillez me pardonner le décousu de tout ceci: je suis malade et je n'ai jamais de ma vie été si triste, et je n'avais jamais regardé les choses comme je les vois maintenant. Adieu, Monsieur: je vous admire et j'avais pour vous des sentiments d'affection. Je vous prie de comprendre ce que je fais en ce moment. Je n'ai pas le courage de dire adieu à Estelle. Voyez vous-même ce qu'il faut, et trouvez les paroles pour cela, si c'est possible. Moi, j'y renonce. - À dater de ce moment, elle est libre. Quant à moi, je ne reviendrai pas sur ceci. J'emporte le souvenir de la plus loyale et de la meilleure enfant à laquelle un homme de cœur puisse donner son nom, sa vie et son avenir. Ce n'est pas ma faute si je renonce à ce bonheur; c'est la nécessité, dans ce qu'elle a de plus amer, qui m'y oblige absolument. Recevez, Monsieur, l'expression de mes sentiments de profonde douleur et veuillez, encore une fois, comprendre ce qui arrive.
Auguste Villiers de l'Isle-Adam. Sans doute la "réalité" d'Estelle avait-elle déçu un amant de l'impossible. «L'idéal féminin, pour Villiers, s'incarne en un rêve de grâce mystérieuse et d'idéalité surnaturelle. Les femmes qui apparaissent en ses poèmes ont une étrangeté extra-terrestre: leurs yeux sont mélancoliques comme les claires nuits d'automne, leurs mystérieux visages sont d'une immatérielle pâleur, et leurs voix musicales ont un timbre si profond qu'elles semblent parler au cœur de nous-mêmes.» (Henry Bordeaux, Âmes modernes, 1895, cité par F. Clerget.) Lorsqu'Estelle fit au mariage de Georges Charpentier, en 1872, la connaissance d'Émile Bergerat, du genre bon vivant, l'antithèse d'un Villiers, nous espérons qu'elle avait effacé jusqu'au souvenir de ce bizarre, de ce génial, de ce piteux soupirant. Goncourt continue à s'intéresser à Estelle, il est furieux, il est jaloux! Dimanche 12 mai 1872. Je vais savoir des nouvelles de Théo à Neuilly. [...] Dans l'atelier du haut, le jeune ménage Bergerat cherche la place de son lit, consultant les uns et les autres. Je me prends un peu à rougir pour la jeune mariée, de l'exhibition en public de ce meuble, sur lequell 'imagination des visiteurs l'étend déjà dans une pose conjugale. Je trouve de bon goût l'interdiction anglaise de la chambre à coucher de la jeune mariée. Mercredi 15 mai 1872. Aujourd'hui a eu lieu le mariage d'Estelle, la fille de Théo, à l'église de Neuilly, encore toute trouée des éclats d'obus de la Commune.
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Au Dominus vobiscum, Théo s'est levé et a répondu au curé par un beau salut, avec le geste bénisseur d'un grand prêtre de Jupiter. La mariée était charmante, d'une beauté plus intelligente, plus spirituelle, plus artistique que la beauté des mariées de tous les jours. Elle avait une couronne d'oranger qui n'était pas bête, et de vraies fleurs, piquées dans la ruche de son col, fleurissaient joliment de blanc sa peau rose thé. On a festiné, en sortant de l'église, autour de trois grandes tables, où nous étions enchevêtrés dans les jupes de vieilles femmes bizarres, un peu moustachues, très fort pastellées, avec toutes sortes de vieilles diableries dans leurs yeux émerillonnés par le champagne. Un peu de tristesse montait toutefois sur la gaîté artificielle et de commande, à voir la figure maladive de Théo, à voir le marié, la trogne allumée par le vin, une serviette sous le bras, vaguer derrière les convives. Il est désespérément commun... Du reste, pour les gens superstitieux, les mauvais présages n'avaient pas manqué. On s'était cogné à l'église contre le convoi d'un amiral espagnol, dont la tenture portait un grand G, et la mariée cassait son verre au déjeuner. Dimanche 2 juin 1872. Rien ne donne l'idée de l'infériorité de la femme comme l'aveuglement bête et bas de ses coups de cœur. Comment une créature belle comme la fille de Gautier, et avec une intelligence dans cette beauté, peut-elle s'éprendre d'un goujat comme Bergerat ? La crapulerie du nouveau marié est telle que la sœur de Théo, qui a vu dans la maison la fine fleur des bohèmes et des gens mal élevés, dit qu'elle n'a jamais rencontré "une âme aussi peu monsieur". Théo lui-même en est assez choqué pour ne vouloir le laisser sortir, le laisser se produire dans la société qu'il voi t, avant de l'avoir fait passer, dans le huis clos, à un cours d'éducation et de bonnes manières. À partir de son mariage, la vie d'Estelle se confond avec celle du brave homme, honnête et laborieux, que fut Émile Bergerat.
Le Collier des jours, p. 121, ... passim. Le Second Rang du collier, passim. GAUTIER, Jean-Pierre. De son père, Théophile Gautier a laissé une miniature de facture maladroite qui le fait paraître peu séduisant - visage en lame de couteau, bouche pincée, menton pointu -, et de sa mère un pastel plus habile que l'on peut croire ressemblant, tous deux reproduits dans la biographie de Théophile Gautier par Tild (Jean Tild, fils de Maurice Dreyfous, cet ami de Théo parmi les plus intimes et, en quelque sorte, son exécuteur testamentaire). Jean-Pierre Gautier, né à Avignon le 30 mars 1778, était le fils de Jean-Antoine, lui-même né à Avançon, près de Gap. On dépeint Jean-Antoine, "ouvrier en soie", comme un rude gaillard, brutal et fort en gueule; après la naissance de ses deux enfants, Pierre et Mion, il abandonne sa femme Marguerite en Avignon, emmenant avec lui son premier-né. À Avançon, celui-ci apprend les rudiments avec un oncle ecclésiastique, futur évêque constitutionnel, puis acquiert une solide culture classique au collège des Jésuites d'Avignon. Il entretiendra l'amour des belles-lettres tout au long de sa vie; peu d'années avant sa mort, encore avide de s'instruire, il se mettra à étudier l'anglais. Excellent latiniste, il éveillera aux beautés de Virgile son fils Théo; dans une lettre à son père datée du Il août 1825, abondante en références à l'antiquité gréco-latine, celui-ci n'hésite pas à citer au long quatre vers de la Septième Bucolique. «Si j'ai quelque instruction et quelque talent, c'est à lui que je les dois », écrira-t-il, reconnaissant, dans son
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Autobiographie (1867). Si Judith décrit son grand-père comme un être sévère, qu'en fût-il de sa grand-mère qu'elle n'a pas connue? Nous ne lisons pas sans méfiance ces lignes de Bergerat, nourries du folklore familial: « Est-ce à la beauté majestueuse de sa mère et à son type hautain et froid qu'il faut attribuer la terreur superstitieuse que Théophile Gautier a toujours eue pour elle? Toujours est-il qu'il ne se familiarisera jamais avec elle et la traita jusqu'à la fin plutôt comme une reine que comme une mère tendre, qu'elle fut d'ailleurs plus que personne. Mme Gautier était en extase devant son fils. Elle ne savait rien de plus beau que lui; c'était une idolâtrie. Théophile racontait qu'ayant un jour reçu de son père une légère chiquenaude, il était allé trouver sa mère et il l'avait sommée de se séparer d'un homme qui l'avait battu, lui, son fils! Et quand Pierre Gautier était rentré, il avait surpris la pauvre femme occupée à faire ses paquets; il eut une peine extrême à la calmer, et peutêtre même fit-il des excuses. » Elle était née Antoinette-Adélaïde Cocard, fille d'un factotum de la famille Montesquiou, propriétaire du domaine de Mauperthuis (Mauperthuis, en Seineet-Marne, que Théo écrira Maupertuis, et Judith après lui). Autre château des Montesquiou, Artagnan, en Bigorre - où Robert de Montesquiou ira se réfugier en 1914 pour y écrire ses élégies guerrières et répétitives, les Offrandes blessées, qu'il fera parvenir à Judith. C'est là que Pierre Gautier est présenté à Antoinette-Adélaïde, dite Adèle, par l'aînée des sœurs Cocard, Joséphine, comtesse de Poudens, d'une modeste famille également "cliente" des Montesquiou, également royaliste avec ferveur; c'est là qu'ils se marient le 5 décembre 1810, c'est là, croit-on, qu'ils conçurent Théo, né à Tarbes neuf mois plus tard. Pierre Gautier y était employé à la direction des Contributions directes, service du cadastre. En 1814, grâce à la protection de l'abbé de Montesquiou, alors ministre de l'Intérieur de Charles X, il est nommé chef de bureau aux octrois parisiens et vient s'installer dans la capitale, rue Vieille-du- Temple. Il déménage en 1822 pour la rue du Parc-Royal, No 4; en 1830, pour la place Royale, No 6 ; en 1834, enfin, nommé receveur des octrois à la Barrière de Passy, dite aussi Barrière des Bonshommes - un important pavillon construit par Ledoux, quai Debilly, sur la route menant à Versailles, notre avenue de New-York -, il s'y fixe et ne le quittera, mis à la retraite en juillet 1848, que pour Montrouge, 31 ter, route de Chatillon. Choyé par ses filles célibataires, heureux de la notoriété grandissante d'un fils dont il avait su jauger les dons, les aspirations, les qualités et les défauts - son indolence notamment et auquel il ne marchandera ni encouragement ni appui, cet homme intègre, veuf depuis le mois de mars 1848, mourut le 22 août 1854. En voyage, la correspondance de Théophile avec son père était active et abondante comme en témoigne la longue lettre, en date du 12 août 1840, de P. Gautier à Théo, son "très cher ami" alors en Espagne. (Correspondonce générale, Droz.) Bien des années plus tard, Marie Mattei fit cette confidence au vicomte Spoelberch de Lovenjoul : « Théophile Gautier, à la mort de sa mère qu'il adorait, eut un chagrin profond. Il resta toujours très reconnaissant à Mme de Païva qui venait le chercher à cheval et cherchait à le distraire, en lui faisant faire le tour du bois de Boulogne sans lui dire un mot, et qui, sans l'arracher à sa douleur, le forçait ainsi inconsciemment à sortir de luimême. Cette façon délicate de traiter sa peine l'avait beaucoup touché. Il fut le témoin de son mariage. Quand son père mourut, sa douleur fut moindre; il ressentit surtout l'impression que dans notre duel à tous contre la Mort, il était découvert, et que plus
personne avant lui ne devait être frappé. » (MarieMattei, Lettres à Théophile Gautieret à Louis de Cormenin.) Les prétentions nobiliaires des braves Gautier, fondées sur l'hypothétique égarement de l'honorable aïeule Cocard qui aurait légué du sang bourbonien à
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Mme Pierre Gautier, et autres interprétations historiques de fantaisie sont gentiment puériles et Théo n'y faisait allusion qu'avec un demi-sourire; en revanche, le sang-froid, l'héroïsme de son père furent bien réels lors de l'évasion des prisonniers en Avignon, sous la Terreur, racontée à Judith par sa tante Zoé. «Parmi les suspects ainsi sauvés par Pierre Gautier, écrit Bergerat, se trouvait le chevalier de Port de Guy, dont Victor Hugo a parlé dans les Misérables. Il resta fort attaché à la famille de son sauveur, et à sa mort il léguera en souvenir à la sœur de Pierre [Mi on] toute sa vaisselle plate, qui était fort belle, si j'en juge par les pièces que Théophile Gautier en avait conservées. » Dans son autobiographie, Gautier conte un souvenir d'enfance lié à ce galant homme: J'ai su lire à l'âge de cinq ans et, depuis ce temps je puis dire, comme Apelle: Nulla dies sine linea. À ce propos, qu'on me permette de placer une courte anecdote. Il y avait cinq ou six mois qu'on me faisait épeler sans grand succès; je mordais fort mal au ha, he, hi, ho, hu, lorsqu'un jour de l'an le chevalier de Port de Guy [...] me fit cadeau d'un livre fort proprement relié et doré sur tranche, et me dit: "Garde-le pour l'année prochaine, puisque tu ne sais pas encore lire. - Je sais lire", répondis-je, pâle de colère et bouffi d'orgueil. J'emportai rageusement le volume dans un coin, et je fis de tels efforts de volonté et d'intelligence que je le déchiffrai d'un bout à l'autre et que je racontai le sujet au chevalier à sa première visite. Ce livre, c'était Lydie de Gersin. Le sceau mystérieux qui fermait pour moi les bibliothèques était rompu. (L'Illustration, 9 mars 1867. Portraits contemporains.)
Le Collier des jours, passim. GAUTIER,
Judith
La fille du poète est dédaigneuse et belle, Elle hait nos cités et, loin du sol natal, S'envole et va songer, ses rêves, beaux comme elle, Ont l'étrange splendeur du rêve oriental. Une princesse, une reine d'Orient au visage de lune, aurait dit Hafiz, aux yeux de lotus, eût dit Bhartrihari, au front de jade, eût dit Li-Taï-Pé, telle nous apparaît, offrant dans sa pâleur, dans le calme et la royauté de ses traits, dans ses yeux clairs d'une étrange douceur, le mystère et la hiératique splendeur de l'antique beauté orientale. Mais comme les images grecques de l'Isis d'Égypte, à cette beauté singulière d'un monde exotique et lointain, elle sait unir encore la ligne tranquille et le profil désespérément pur d'une médaille syracusaine. [...] L'ensemble de sa personne est dépeint par un vers antique: "Incessu patuit dea" . « Sa démarche révéla une déesse. » Anatole France cite ce vers de Virgile, qu'il applique à Judith Gautier, en un long article paru, sous la signature de François Bazin, dans le Calendrier des Dames françaises pour l'An de Grâce 1883. Trois décennies plus tard, dans Que lques fantômes de jadis, Laurent Tailhade termine une étude nécrologique sur cette "belle indifférente", "bienveillante et sereine" : Incapable d'accéder à la moindre notion usuelle, n'ayant le sens de l'heure ni la notion de l'argent, Judith Gautier a vécu dans un rêve, comme la princesse des contes bleus. Elle a aimé la musique, les pays lointains, bizarres et décoratifs. Sans doute, son esprit évaporé comme un parfum, hors des terrestres maisons, emporté sur l'aile d'un dragon noir et or, s'est envolé parmi "les Immortels qui aiment boire"; elle s'entretient posément, sous les arbres fleuris d'un printemps éternel, avec le doux Li-Taï-Pé, avec Se-ma-sïam-iu, poétesse au teint d'orange, et, comme disait le gentil semeur de belles rimes, Charles Cros:
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Maintenant elle est auprès De Fô-hi, dans les prés frais Où les sages s'en vont tous, À l'ombre des grands cyprès, Rire et boire avec les fous. Au vieux cimetière de Saint-Énogat bercé par l'incessante rumeur de la mer bretonne et mitoyen du Pré des Oiseaux, une dalle de granit gris. Sur cette dalle, gravés, un nom: JUDITH GAUTIER, une date: 1917, et, bien insolites en ce lieu, quelques élégants caractères chinois (traduction: "la Lumière du Ciel arrive"). Au pied de cette même dalle, une autre épitaphe: SUZANNE MEYER-ZUNDEL 1882-1971. Judith, "le chef-d'œuvre de son père" Théophile Gautier, est décédée subitement, à soixante-douze ans, d'une thrombose coronarienne, dans sa petite propriété de Saint-Énogat qu'elle n'avait plus quittée depuis la déclaration de la guerre. Cette retraite n'était pas une solitude, Suzanne, sa "filleule d'art", vivait toujours avec elle. Dinard, la ville toute proche, n'était pas un désert; pour y être moins intense qu'avant-guerre, la vie sociale demeurait active. L'arrivée des réfugiés, l'afflux des blessés sollicitaient toutes les bonnes volontés et Judith, secouant son indolence physique, mit sa générosité sans calcul au service des uns et des autres. Suzanne rapporte cette phrase de la Supérieure des Sœurs de la Providence à ses religieuses discutant entre elles de l'opportunité d'un service religieux à la mémoire d'une paroissienne qui ne fréquentait pas l'église: «Sommes-nous certaines d'avoir pratiqué comme elle la Charité? » Quelques dates clefs, quelques étapes repères d'une existence totalement vouée à l'art et la littérature. 24 août 1845: naissance à Paris de Louise-Judith, fille de Théophile Gautier, écrivain, poète, et d'Emesta Grisi, cantatrice. 1851 : baptême, parrain: Maxime Du Camp, écrivain; marraine: Carlotta Grisi, ballerine. 1852-1854: pensionnaire dans une institution catholique. Surnoms: Ouragan - Catalepsie. Apprentissage du chinois avec le lettré Tin-Tun-Ling. Premier article dans l'Artiste du 15 janvier 1864. Refuse de devenir une princesse persane; épouse le 17 avril 1866, Catulle Mendès. Premier volume, poésies traduites du chinois, 1867. Premier roman publié en volume, 1868. Première rencontre avec Wagner, juillet 1869. Première rencontre avec Victor Hugo, octobre 1869. 22 octobre 1872, mort de son père. Prix littéraires: Lambert, 1876; Née, 1898; Maillé-LatourLandry, 1904 ; prix du Concours Rossini, 1888. 1895 : mort de sa mère. 1904: participe à la création du jury du Prix Femina - Vie Heureuse. Élue à l'Académie Goncourt le 28 octobre 1910. Chevalier de la Légion d'honneur par décret du 29 décembre 1910. Printemps 1914: courte visite au prince d'Annam en Algérie. Dernier article dans le Figaro, 23 décembre 1917. Décès au soir du 26 décembre 1917, à 10 heures, par une violente tempête mêlée de neige. Le lendemain, tous les feuillages qu'elle avait fait couper, et la crèche qu'elle avait dressée dans un coin vitré du salon qui donnait sur la mer, lui servaient de chapelle ardente. Et les pieux petits personnages d'étoupe, de glaise et de chiffons entouraient son cercueil de leurs mains jointes et de leurs visages étonnés. [...] En ce sombre Noël de l'année 1917, cette mort passa bien inaperçue. Malheur aux poètes, aux littérateurs, aux artistes qui sont morts dans leur lit pendantces quatre années de guerre. Leur oraison funèbre n'aura pas été longue! Pour peu qu'ils fussent vaniteux, ils ont dû être bien déçus! Mais Judith Gautier n'avait aucune vanité. Cette façon de disparaître - cette façon prompte et discrète - était tout à fait de son goût. Vivante, elle n'avait jamais recherché ni la réclame ni le bruit; morte, elle a échappé à
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la lumière brutale de la publicité, et le puéril adieu des petits hôtes de sa crèche lui a certainementsuffi. (Jérômeet Jean Tharaud, le Tombeaude Judith Gautier.) Apollinaire, Henri de Régnier et quelques autres saluèrent eux aussi la disparition de celle qui déclarait un jour avec un juste orgueil: «Indépendante j'ai vécu, indépendante je vieillis, indépendante je mourrai... », mais plus encore que les hommages publics nous touche cette lettre de Mme Élémir Bourges aux sœurs Margueritte. 9 janvier 1918: «L'année a passé pour moi avec un grand chagrin; j'ai pleuré à chaudes larmes l'amie exquise qu'a bien voulu être pour moi Judith Gautier que j'ai tant vue l'automne dernier, en l'aimant et en l'admirant toujours plus profondément. Son sourire doit éclairer le Nirvana, puisque c'est le Paradis de son choix.» De l'abondante production littéraire de Judith Gautier, s'il ne devait subsister qu'un seul ouvrage, ce serait à coup sûr les trois volumes du Collier des jours, « le récit du seul voyage qu'elle ait fait dans le royaume des réalités... Il y transparaît sous les plis du voile l'enchantement d'une jeunesse radieuse. » (Émile Bergerat, le Figaro, 8 janvier 1918.) Et Joanna Richardson d'affirmer: «Le Collier des jours est écrit avec la verve, le plaisir et la tristesse d'une évocation spontanée, [...] est davantage qu'un autoportrait de son auteur ou qu'une anthologie séduisante de son époque. C'est une contribution importante à l'histoire littéraire.» Certes faut-il regretter l'imprécision chronologique de ces Souvenirs. Judith à Loti, en mai 1890: «Moi qui partage votre horreur pour les choses noires, dont on ne parle pas, je nie le temps. Les dates, les chiffres s'échappent de ma mémoire comme d'un crible. Vous me comprendrez et ne rirez pas de mon autruchisme.» Mais la grâce, l'humour, la tendresse souriante qui baignent ces mémoires d'une jeunesse consumée nous font déplorer que les circonstances aient empêché leur auteur d'égrener plus avant les perles de son collier et d'ajouter à sa galerie de portraits. Sans doute n'y aurait-on trouvé aucun de ces détails croustillants auxquels se divertit l'amateur d'histoires pimentées: ce n'était pas du tout le genre de notre mémorialiste! Loin de s'abandonner à ces confessions débridées chères à tant de nos auteurs contemporains, Judith n'a jamais fait sur sa vie amoureuse que de demi-confidences plus ou moins teintées de malice. A-t-elle ou non cédé aux effusions de Hugo, de Wagner, séducteurs déjà bien usés? Nos biographes, divisés sur cette question palpitante, en sont réduits à des hypothèses fondées sur une interprétation toute personnelle de documents - correspondances, souvenirs, voire racontars - qui n'enlèvent nullement notre conviction. Ne tranchons donc point, respectant ainsi la réserve de Judith, et rappelons ici la mémoire de ceux qui furent sans conteste, du moins pour un temps, de ses intimes. Tout d'abord, son mari. Catulle Mendès. S'il faut en croire Suzanne Meyer, c'est d'une façon peu banale que Mendès formula sa demande en mariage. La première fois que Mendès vint dans la maison de Neuilly, consentit un jour à me raconter Judith - ce sujet pour elle étant toujours resté délicat - mon père le tutoya à propos d'une cigarette qui achevait de se consumer entre ses doigts. «Attention, Catulle, tu vas te brûler les griffes. » Lors de sa seconde visite, mon père, qui avait une fluxion, se trouvant par trop laid, refusa de le voir. La troisième fois, il se fit accompagner par son ami Barbey d'Aurevilly, celui-ci avec mission de distraire et d'occuper mon père, tandis qu'à la faveur d'un quatre mains Mendès devait me faire une déclaration en règle. À brûle-pourpoint, il me dit: «Demandez à votre père - c'est la seule faveur que je sollicite de vous - s'il consentirait à ce que je vous épouse.» Ceci dit sur un ton dominateur et impérieux qui n'admettait pas de réplique. Il s'ensuivit encouragements de mon père, visite des parents, quand, tout à coup, brusque
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revirement, d'inquiétants renseignements parvenus aux oreilles de mon père le firent changer d'attitude: «Revenez dans un an », fut sa réponse. Mais Mendès ne l'entendit point ainsi... Et Judith, pas davantage, pour son malheur! Dans l'intervalle de rencontres plus ou moins hasardeuses (aux Concerts Pasdeloup notamlnent), une correspondance clandestine se noua entre eux. Tin-Tun-Ling fut circonvenu: «Tin- Tun-Ling, écrit Judith, est entré dans ma chambre avec un grand livre de poésies chinoises; tes lettres étaient dedans et les chauvessouris se sont envolées.» Ernesta aussi, imprudemment, prit en pitié les amoureux. Catulle trouva encore le moyen de faire parvenir à sa belle quelques Lettres d'amour - "très exquises et très précieuses" (Ricard) - sous le couvert d'un prétendu Olivio dans les numéros des 30 novembre et 9 décembre 1865 de l'Art, un journal fondé par Louis-Xavier de Ricard. Mendès, séducteur-né, déjà expert en stratégie amoureuse, se montrait tour à tour tendre ou cruel et Judith se désolait, l'innocente, des caprices de son soupirant, non sans quelque prescience du futur. « Est-ce drôle que nous nous disputions toujours. Quel ménage infernal nous allons faire. Il faudra nous museler.» Le charme physique de Mendès émouvait Judith. «Je te défends de pleurer avec des yeux comme les tiens, méchant. Tu n'as donc aucun respect pour la beauté? Je t'assure que j'ai gardé un éblouissement dans les yeux de t'avoir vu... » - « Moi, je voudrais un peu de tes cheveux, n'est-ce pas qu'ils sont jolis? On ne peut s'empêcher de penser au soleil quand on les regarde... » - « Comme tu es beau, tu rendrais la lune jalouse... » Catulle était, il est vrai, très joli garçon dans sa jeunesse; en témoignent les eaux-fortes de Desmoulin qui ornent les volumes de ses Poésies publiées en 1892 dans la Bibliothèque-Charpentier, l'une, datée de 1863, montre un fin visage glabre; une autre, datée de 1876, un profil délicat orné d'une barbe mousseuse. Il inspirait alors à Banville cet agréable Camée: Avec son jeune visage apollonien, et son menton ombragé d'un léger duvet frissonnant que n'a jamais touché le rasoir, rien n'empêcherait ce jeune poète d'avoir été le prince Charmant d'un des contes de madame d'Aulnoy, ou mieux encore d'avoir été dans la Sicile sacrée, à l'ombre des grêles cyprès et du lierre noir, Damoitas ou le bouvier Daphnis, jouant de la syrinx et chantant une chanson bucolique alternée, si ses yeux perçants et calmes, et sa lèvre féminine, résolue, d'une grâce un peu dédaigneuse, n'indiquaient tous les appétits modernes d'un héros de Balzac. Son front droit, bien construit, que les sourcils coupent d'une ligne horizontale, est couronné d'une chevelure blonde démesurée,frisée naturellement, et longue comme une perruque à la Louis XIV... (Le Figaro, 10mai 1866.) Une vie d'excès en tout genre - femmes, travail, alcool, éther - n'altéra que lentement cette attrayante physionomie. Issu d'une famille de sephardins venue au XVIIIe siècle du Portugal en Aquitaine pour s'y consacrer à des activités bancaires, Mendès naquit à Bordeaux le 12 mai 1841. Fin latiniste, son grand-père Abraham avait appelé son fils Tibulle; dans le même esprit, Tibulle, époux juif de la catholique Suzanne Brun, nomma son petit garçon Catulle. Après avoir beaucoup voyagé en Europe, les Tibulle Mendès se fixèrent à Toulouse où Catulle fit d'excellentes études, complétées par un séjour à Heidelberg et à Munich, avant de "monter" à Paris, tout jeune encore, pour y conquérir la gloire. «De ce que je suis né à Bordeaux, j'aime le soleil, et de ce que je suis né au mois de mai, je suis poète.» Poète, certes, mais aussi nouvelliste, romancier, critique, auteur dramatique, "Gargantua des lettres", comme le dit Elisabeth de Gramont, il a tout abordé, tout essayé et..., véritable caméléon, tout imité avec, dit Vapereau, choqué, "la préoccupation d'effets littéraires singuliers ou d'excitations érotiques". Il déclarait volontiers ne pas écrire "pour les petites
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filles dont on coupe le pain en tartines". Poète, il commença par une phase indianiste, "esbroufe" pour "elnbêter le bourgeois", assure Adolphe Racot. Et Vermersch de le tancer: «Trop d'açokas, monsieur Mendès, trop, beaucoup trop! Qu'est-ce que cela nous fait à nous le Bandhîra, la Gangâ, Vaçû, les Dévas, le Mangou, l'astre Tchandra, les Maharshis, les Cûdras, les Malicâs ? Voyons, n'écrivez-vous que pour la douzaine de petits camarades qui à vos soirées se renversent sur le dossier de leur chaise et se pâment à la lecture de vos vers? » (Le Hanneton, 12 août] 866.) Pour être un grand écrivain, à ce "sorcier du verbe" comme disait ...~natoleFrance, il nlanquait, selon Charles Le Goffic, la qualité essentielle: la personnalité. Toute sa vie il refléta: Hugo après Musset, Leconte de Lisle après Hugo, puis Gautier, Baudelaire, Banville, I-Ieine,Rostand, etc., pêle-mêle ou à la file. Mais une si prodigieuse faculté d'assimilation [...1 n'est pas banale du tout. Elle suppose un métier extraordinaire. [...] Il Y eut au moins un genre où il fut maître du premier coup et presque sans effort: i'odelette galante, le conte libertin. Là fut son vrai domaine, parce que justement il n'y fallait que de J'esprit et du tour, nulle émotion personnelle. » (Ombres lyriques et romanesques.) Jules Tellier est tout à fait du même avis: «Il est adlnirab!e dans les bagatelles », éloge bien restrictif au regard des ambiiions de notre écrivain à tout fajre. Connne sa virtuosité, la fécondité de Mendès était remarquable, sa puissance de travai] peu commune. «Catulle est étonnant, renlarquait Mallarmé, on pourrait le réveiHer à n'importe quelle heure de la nuit, il aurait toujours prêtes deux cents lignes de copie.» Colette nous le montre, à ['Écho de Paris - il en était alors le directeur littéraire - ajustant le texte de son article journalier selon les besoins de la Inise en pages: «Il écrivait en parlant, en buvant, en fumant. [...] Volubile, blanc et fondant comme cire, Catulle 11endès ne cessait pas d'écrire. Des jeunes femmes lumineuses venaient s'asseoir dans l'ombre de Catulle. En écrivant, il les saluait de noms caressants et compliqués: "Oiselet qui vous posez sur la branche sans qu'elle
ploie..." » Etc. Comme il était enclin à se vanter de ses conquêtes,Willy, intrépidefaiseur de calembours, l'affubla de cet à-peu-près: le Vain du Rein. On se rappelle la phrase de Baudelaire: « l'aime ce Mendès, il a tous les vices.» Et la fOIm_ulede Sainte-Beuve: « Miel et poison. » Étrange personnage, attirant et repoussant, il fut porté aux nues, il fut traîné dans la boue. Témoin à charge, voici L,on'ain: «Srphus aux cheveux d'ambre, aux yeux de mauvais ange, / Est gras, blême et malsain comIue un grand nénuphar. / Poète de Lesbos, ses vers sentent le fard, / Le cold-cream et parfois un parfum plus étrange... » Dans les Célébrités contemporaines, une caricature de Sem, sous-titrée de ce quatrain: «
Catulle autrefois)en vers très moraux, / Chanta le rnoineau chéri de Lesbie; / Catulle,
aujourd'hui, nouvelle manie, / Préfère chanter l'anlour à Lesbos.» Tailhade: «Mendès tenait boutique de perversité. [...J Il Y préconisait de nouvelles Paphos. [...] Bel artiste et praticien miraculeux, il jonglait avec les vices inlaginaires de ses "monstres" parisiens... » Donnay : « le Jules Verne de Lesbos. » Rosny Aîné: «Insolent, lyrique, saoul, cynique et incohérent... » Jules Renard: ( la pédérastie dans le geste, un ruffian de lettres, un être
malfaisant.» André Gide, dans son Journal:
«
On s'explique mal aujourd'hui [1930]
l'extraordinaire célébrité que, de son vivant, i] avait pu atteindre. Il s'étalait alors partout;
il
régnait, il avilissait tout ce que touchait sa plullle, qui prétendaittoucher à tout... » Avec délectation, Goncourt se fait l'écho de médisances fort déplaisantes sur l'homme de plaisir Mendès. De tous les détracteurs du poète Léon L)audet est sans doute le plus cruel; à propos des vers de ~1endès sur la tendresse Inanifestée par Victor Hugo à ses petits-enfants,
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il écrit: «Mendès, sur un sentiment vrai, fait l'effet d'une limace sur un fruit.» En janvier 1889, à propos d'Isoline, puis de la Reine Fiammette, Jules Lemaitre: «Catulle Mendès, équivoque et somptueux magicien des lettres. [...] qu'il est charmant! qu'il est plein de séductions et de caresses! - Génie essentiellement voluptueux et féminin... grâce secrète et dangereuse... lascive... enlaçante... intime et profonde sensualité... partout cette odeur de baiser... », et Henry Bauer, analysant cette même Reine Fiammette : « ... poète inspiré et précieux, le joaillier d'une forme rare et subtile, le merveilleux ouvrier d'une langue brillante, aux mots taillés à facettes, aux épithètes imagées et éclatantes...» W aleffe:
«L'homme
est brûlant
d'intelligence,
serviable,
enthousiaste,
charmant.»
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«Pauvre Mendès, s'exclame Maurice Rostand, comme on est injuste pour lui! » Personnalité considérable dans le monde des lettres étant donné sa position prépondérante à l'Écho de Paris et au Journal, il accordait une large bienveillance aux jeunes talents qu'il détectait avec sûreté, d'ailleurs très vaniteux de ses propres dons. Nul n'aurait mis en doute son courage physique. Pour un mot, une critique, une plaisanterie mal venue, il courait sur le pré où il risquait fort bien dans sa fougue désordonnée, déplorable duelliste, de se faire tuer par un accident heureusement rare dans ces rencontres d'honneur qui pullulèrent jusqu'en 14. D'autant plus courtisé qu'il était craint, Mendès devint, dirait-on de nos jours, un "incontournable" de la vie parisienne; dans un dessin charge, Cappiello le comptait « parmi les
personnalitésles plus connues de la Belle Époque: Rostand, Sarah Bernhardt,
Victorien Sardou, François Coppée, Doucet, la Belle Otéro, le ministre Combes, Catulle Mendès, Me Labori, Boni de Castellane, Jaurès », curieux salmigondis! Répondant en mai 1906 à une enquête de Femina sur la littérature féminine, relevons cette déclaration de Catulle, peu valorisante pour ses deux épouses, celle du passé, Judith, (le divorce ayant été prononcé le 28 décembre 1896 à la demande et aux torts du mari), et Jane, l'épouse du présent: «La femme écrivain demeurant au foyer, mais n'est-ce pas le rêve? Comme autrefois nos mères filaient la laine, elles filent du rythme et de l'harmonie, voilà tout. Elles sont la joie de la maison et, restant les compagnes, les associées, me rappellent les oiseaux en cage qui chantent pour égayer le temps.» Catulle aimait spécialement les oiseaux... N'empêche!
Entre ses deux mariages
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sans compter
les extra, bien
sûr
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Mendès
poursuivait sa liaison avec Augusta Holmès. Bon gré, mal gré, elle lui donna cinq enfants au cours de leurs dix-sept années de vie commune, dont "treize années de malheur" comme elle le dira plus tard avec rancune, enfants dont l'éducation fut entièrement prise en charge par Catulle aidé de sa sœur, Mme Debar, Augusta tout entière absorbée par la conduite de sa carrière musicale et n'ayant aucun goût pour les épanchements maternels. À savoir: Raphaël né en mai 1870, Hughette le 1er mars 1872, Claudine en juin 1876, Hélyonne en septembre 1879, Marthian né et mort vers 1881. Raphaël, de santé délicate, doué pour les arts plastiques, mourut trop tôt pour donner sa mesure; Hughette repoussa l'amour de Courteline, ce dévotieux ami de Mendès, pour épouser un homme de plume, CaillardBelle; Hélyonne, elle, choisit Henri Barbusse, promis à un tumultueux avenir littéraire et politique (Le Feu, journal d'une escouade, prix Goncourt 1916, ... Staline, 1935); Claudine, la seule à manifester du goût pour la musique, se maria avec un jeune poète ami de Raphaël, Mario de La Tour Saint- y gest. À la fin de 1885, Catulle et Augusta, naguère "d'enthousiastes amants" (d'une lettre de Mendès à Chabrier), se séparèrent définitivement: « Ce n'était plus charmant entre eux », commenta Mallarmé, confident du poète. La vie de Catulle s'encombre alors d'une certaine Mésange, quinze ans, qu'il traîne par les cheveux
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lorsqu'il en est mécontent. Gheusi, lui rendant visite, 18, rue Berlioz, est choqué de l'entendre parler de cette adolescente maîtresse devant ses trois filles aux regards angéliques telles les a peintes Renoir - "adorables, délicieusement mal élevées". Vint le tour de Marguerite Moreno; la liaison dura cahin-caha, ponctuée de querelles, deux ou trois ans, avec, là encore, naissance d'un garçon mort en bas âge. Le 9 juillet 1894, Goncourt notait: « Catulle Mendès a fait reconnaître les enfants qu'il a eus d'Holmès par son père, en sorte qu'il se trouve le frère de ses enfants; et l'enfant qu'il a eu de Moreno, il l'a fait reconnaître par son fils, ce qui fait qu'il est à celui-ci je ne sais quoi. » Sans doute Catulle eut-il à cœur de reconnaître lui-même et de légitimer son septième enfant puisque, à Chatou, le 8 juillet 1897, il épousa Jeanne Mette, qui, la même année, accoucha de leur fils Primice. Divorcée d'un M. Boussac, confectionneur-drapier de Chateauroux, elle avait eu un fils; prénommé Marcel, il deviendra le richissime roi du coton, promoteur de Christian Dior, propriétaire connu de tous les turfistes, époux de la merveilleuse diva Fanny ReIdy. Le commerce n'attirait en rien Jane, passionnée de poésie... et de poètes. Cette jolie femme tomba-t-elle amoureuse de Catulle, ex-Adonis défraîchi de plus en plus négligé, voire débraillé et malodorant, son aîné d'un quart de siècle, ou bien, résolue à faire carrière dans les lettres, choisit-elle en lui, délibérément, un parrain puissant, malgré le mépris qu'il affichait pour les filles d'Ève? « Il n'y a pas de femme qui vaille un beau vers! » Déclaration de Mendès à Heredia, trois mois après son mariage avec Judith, rapportée par Henri de Régnier - cet aristocrate si bien élevé - lequel exprime sans ambages, dans l'intimité de ses Carnets, son horreur de "l'immonde Mendès: une cervelle de couille". Jane se peignait exagérément le visage, d'où le sobriquet de "gardien du fard" dont on gratifiait son époux exaspéré. Elle s'habillait "comme une sorcière", assure Berthe Cleyrergue, l'intendante de Natalie Barney. À une représentation de l'Iphigénie en Tauride de Jean Moréas, en 1903, Salmon la vit « enveloppée des pieds à la tête d'un flot de gaze verte, analogue à celle dont les charcutiers
enveloppentleurs victuailles,crainte des mouchesl'été venu. » (Souvenirssansfin.) Inutile de multiplier cruellement les citations sur les extravagances vestimentaires de Mme Mendès. Elle n'en était pas moins de grande allure, majestueuse. Jacques Porel, le fils de Réjane, nous montre dans ses Souvenirs Mendès arrivant au Napolitain «comme un brick dans un port, avec son drôle de Cronstadt, sa tête de Gambetta de la bohème, et ce foulard blanc qui avait l'air d'une mouette prise à son cou. Derrière lui, le dépassant d'une tête, sa femme, très belle, mais blafarde et songeuse, qui avait l'air de sa propre effigie pour le Musée Grévin. Mon Dieu, qu'elle était pâle, que son regard était sombre et lointain! ... » Jacques Porel et Primice étaient alors tous deux élèves au lycée Janson de Sailly. Le 23 avril 1917, à vingt ans, Primice était tué sur le front, en Champagne. Pour le dédicataire de l'Enfant: «Mon tout petit enfant, ma grâce, mon oiseau, /.../ Que mon cœur étendu te garde avec les ailes / Des rêves, des douceurs, des charmes, des secrets! », sa malheureuse mère écrivit alors une émouvante Prière sur l'Enfant mort. On dit que, de ce deuil-là, elle fut inconsolable. Elle avait quelques années plus tôt subi celui de son mari, mort d'une façon atroce. Las de la cohabitation conjugale, songeant à divorcer, il s'était installé dans une petite villa, à Saint-Germain-en-Laye, en la seule compagnie d'une gardienne-servante. De cette retraite, il se rendait fréquemment à Paris pour son travail ou ses plaisirs. Dans la nuit du 7 au 8 février 1909, en gare Saint-Lazare, il s'installa dans un compartiment vide; lorsque le train ralentit sous un tunnel à proximité de la gare de SaintGermain, Catulle, assoupi sans doute, drogué peut-être, se crut arrivé à destination, ouvrit la
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portière, tomba sur le rail où le train, reprenant de la vitesse, l'écrasa. Affreuse, sinistre mort! Jean Cocteau, très lié avec Catulle et averti du drame, se rendit aussitôt à la maison mortuaire, envahie par la foule. « Dierx pleurait. Un drap recouvrait le corps mutilé et des cierges éclairaient un visage d'une beauté admirable. Un visage de mort retrouve les angles de l'adolescence. [...] Mendès mort ressemblait à Henri Heine... » Le 10 février, Mendès fut inhumé au cimetière Montparnasse et Jane ne parla plus que du Grand Broyé. Au moins le malheureux n'eut-il pas le chagrin de la mort de son petit Primice, qu'il adorait, dit-on. Jane chercha et trouva bientôt quelque consolation dans les bras d'Anatole France, "veuf' depuis peu de Mme Arman de Caillavet, et qui eut du mal à la décramponner après s'être engagé par faiblesse et désarroi dans cette médiocre aventure. Elle s'en alla alors à Rochefort tourner autour de Loti - 16 mars 1913: « Je reste seul dans la mosquée avec la belle Madame Mendès... » - avant d'entreprendre D'Annunzio, à l'instar de Marcelle Tinayre, Hélène Vacaresco ou Marie Scheikevitch et autres. « Ce fut une rage, écrira Natalie Barney citée par Jullian, la femme qui n'avait pas couché avec lui devenait ridicule. Mais lui courait
après Illan de Casa Fuerte. » Après les Charmes(1904) et le Cœur magnifique (1909) dont Jean de Gourmont fera une critique élogieuse - «Sa voix est pure et d'une belle sonorité, grave et sensuelle. » (Muses d'aujourd'hui) -, Jane, que Rodin se plut à nommer sa "chère grande maîtresse d'Art", publia quelques autres recueils poétiques et rédigea le livret d'Espafia, ballet en un acte d'Emmanuel Chabrier, créé le 3 mai 1911 à l'Académie nationale de musique. Critique dramatique à la Presse, Mme Catulle-Mendès collabora également au Gaulois, à la Vie Heureuse, à la Fronde, etc. Conférencière, elle alla jusqu'en Amérique latine parler de la poésie et des poètes français. Et elle serait tombée dans un oubli définitif bien avant sa mort, survenue en 1955, si elle n'avait fondé deux prix littéraires: le prix Catulle Mendès et le prix Primice Catulle-Mendès. Personne ne nous a raconté comment se comportaient entre elles les deux épouses de Catulle au comité du Prix Vie Heureuse, en revanche, Henri de Régnier fut témoin d'une rencontre de Judith avec son ex-mari. «J'ai vu un soir M. chez Leconte de Lisle. Il y avait là Judith Gautier. Elle était sur un fauteuil, caressant sa petite chienne japonaise, Mousmé. Mendès la salua. Ils ne se parlèrent pas. » (Les Cahiers.) Benedictus. Un homme étonnamment discret, ce M. Louis Benedictus, "compositeur" absent des dictionnaires de musique, voué tout entier, dans une sorte d'anonymat, au service de Judith Gautier. Nous savons qu'il composa des musiques de scène pour plusieurs des œuvres de son idole, qu'il transcrivit les Musiques bizarres à l'Exposition de 1899, publiées chez G. Hartmann et Cie, et les Musiques bizarres à l'Exposition de 1900, chez OllendorffEnoch. Nous avons sous les yeux, extraites du Magazine français illustré, sa Séré11£1de florentine sur une poésie d'Henri Cazalis - «Étoile dont la beauté luit / Comme un diamant dans la nuit... » -, et une Épiphanie sur des paroles de Leconte de Lisle - « Elle passe, tranquille, en un rêve divin, / Sur le bord le plus frais de tes lacs, 0 Norvège!... » - On lui doit aussi quelques mélodies inspirées par Ronsard et Théophile Gautier. Au total, un bagage bien léger! Dans notre exemplaire du Voyage artistique à Bayreuth (8e édition), guide pratique élaboré par Albert Lavignac, professeur d'harmonie au Conservatoire de Paris, figurent, avec de fascinantes illustrations et mille autres détails pratiques bien amusants, la liste "approximative" des Français venus, par passion wagnérienne ou par snobisme, aux représentations du Théâtre des Fêtes de Bayreuth, depuis l'origine jusqu'en 1902. En 1876 -
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on donnait la Tétralogie -, nous trouvons le nom de Benedictus (L.), sans qualificatif, avant Gautier (Mme Judith), écrivain, Gouzien (A.), journaliste, Holmès (Mlle A.), compositeur, Mendès (Catulle), écrivain, Saint-Saëns (Camille), compositeur, Schuré (M., Mme Édouard), Widor (organiste), etc. Alors que Judith et Catulle Mendès figurent encore dans la liste des pèlerins de 1892, Benedictus (Louis) n'est plus mentionné; son neveu Benedictus (Édouard), sans étiquette, le sera en 1899. Où, comment Judith et Benedictus (Boni, par surnom) se sont-ils connus? Chez Leconte de Lisle, peut-être? Ou par l'entremise de Catulle? Ou par celle de Villiers de l'Isle-Adam, leur ami commun? C'est en 1873, en tout cas, que se noua entre eux une liaison qui, bon an mal an, ne se défit qu'à la mort de Judith. Récit de Judith rapporté par Suzanne: Quandau début de mon mariage nous fûmes appelés à faire une série de conférences et de reportages à Vienne, j'y gagnais le choléra. Épidémie qui fit de grands ravages. Je fus affreusement malade. Les médecins décidèrent mon renvoi immédiat à Paris. Ce ne fut pas Mendès qui me raccompagna.Devant pareille désinvolture,Benedictus, révolté, se chargea de me ramener, à demi-mourante, à Paris. Je n'oublierai jamais ce service rendu avec tant de dévouement. Dans l'appartement voisin de celui que nous occupions à Vienne, mais plus somptueux, Mendès avait en effet installé son amie et maîtresse, Augusta Holmès.» (Quinze Ans. .. ) Judith ajoute que Benedictus n'aspirait qu'à lui donner son nom, lorsque leur mariage devint légalement possible; l'expérience Mendès la dissuada de tenter le sort une seconde fois. Et Benedictus dut se contenter de vivre dans l'ombre de sa Dame, l'aidant dans tout ce qui pouvait être de son ressort, veillant sur elle sans ostentation, parfois un peu encombrant comme il le fut aux yeux d'un Richard Wagner amoureux!. .. Assurée de ce désir de lui être agréable, Judith n'hésitait pas à utiliser les compétences de son sigisbée... non sans quelque condescendance. Lettre à Pierre Loti, juillet 1903, pendant l'écriture de la Fille du Cie l : «Il faudra pas mal de musique. Je fais déjà travailler mon collaborateur des Musiques Bizarres qui a l'habitude. Donnez-nous les renseignements que vous savez pour l'orchestre. Je n'oublierai pas les unissons de flûte. Je vous enverrai d'autres airs quand j'aurai le temps de les copier... » Suzanne Meyer, qui le supplanta peu à peu dans l'intimité quotidienne de Judith, rend hommage à son inlassable complaisance et trace son portrait physique: «Grand, fort, bel homme, l'ami avait un type oriental, aux traits assyriens, à la peau blanche et mate, cheveux noirs [ce qui lui en restait alors!], yeux noirs et vifs, forte tête au grand front. » Elle souligne son caractère emporté et poursuit: D'une rare érudition, tant littéraire - on pouvait le feuilleter comme un dictionnaire - que musicale, il interprétait de mémoire et dans la perfection les opéras de Wagner, les symphonies de Beethoven, possédait à fond toutes les œuvres des Grands Maîtres: Chopin, Gluck, Mendelssohn, Weber. [...] Les dimanches des Rameaux, c'est toujours "Boni le Dévoué" qui, se levant à l'aube, apportait à l'amie des brassées de branches fleuries: amandier,pêcher, cerisier, dont elle aimait - par masses - à orner ce jour-là son salon. [...] Il se chargeait aussi de toutes les courses, allant à la recherche des objets les plus hétéroclites: cheveux pour ses poupazzi, tissus ou fantaisies selon les goûts et les idées de l'amie: aucune difficulté ne le rebutait! Il s'était délibérément institué son protecteur dans la vie. » Willy aiguisa sa malice contre ce brave type: «Judith Gautier vivait là [rue Washington] en compagnie d'un hollandais amorphe, voix de chapon, barbe teintée d'acajou, le gros compositeur (?) Benedictus dont on n'entendait jamais une note de musique. Personne ne s'en plaignait. » (Souvenirs littéraires.) Hollandais naturalisé français, Benedictus descendait
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du philosophe Baruch Spinoza (Baruch, en hébreu, signifiant Béni, d'où "Benedictus" et "Benoît"). Son père s'occupait de la taille et du commerce des diamants, mais Benedictus, inapte aux affaires, s'orienta vers la culture intellectuelle. Nous sommes affligés de ne rien savoir de ses années de formation. Où fit-il ses études littéraires et musicales? Le fait qu'il sut assez d'allemand pour envoyer à Wagner des poèmes en cette langue nous donne peutêtre une indication? Son neveu Édouard, filleul de Judith, aurait pu nous instruire à ce sujet, mais il n'en fit rien, à notre connaissance. «Laissez-moi mon petit philosophe, disait Judith qui aimait beaucoup l'adolescent, je vais m'occuper de lui.» Il fit outre-Rhin de fortes études de chimie. Extraordinaire échantillon de savant bohème que cet Édouard Benedictus, écrivain, journaliste, décorateur, peintre, musicien, dandy, ami de Fargue, de Ravel, de Mauclair, de Rouveyre,... et bienfaiteur des automobilistes puisqu'on lui doit l'invention du verre Triplex. Une plaque apposée rue des Vignes, No 73, où il mourut en 1930, rappelle à notre souvenir les titres de cet homme universel. Une fois marié, il venait encore fréquemment voir Judith, rue Washington, avec sa femme Marguerite, à laquelle Coco le perroquet portait une démonstrative affection. Louis Benedictus commença à souffrir des yeux dès avant la guerre de 14 et perdit complètement la vue. Son dernier rendezvous avec la femme de sa vie est pathétique dans la sobriété du récit de Casa Fuerte: Judith vient d'expirer. Une des bonnes alla prévenir Benedictus. Louis Benedictus était un très vieil ami de Judith. Musicien, fin lettré, il s'était installé à Saint-Énogat afin de vivre à l'ombre de cette femme pour laquelle il avait une profonde adoration.Aveugle depuis plusieurs années, il pénétra dans la chambre à tâtons. La voix coupée par les sanglots: «Où est-elle? Où est-elle? répétaitil. Je veux la voir! » Je le dirigeai vers le Iit et il posa ses mains tremblantes sur le masque de la morte. » (Le Dernier des Guermantes.) Suzanne Meyer, héritière de Judith, "aussitôt les scellés levés et les affaires d'héritage réglées", recueillit Benedictus au Pré des Oiseaux. Il mourut à l'hôpital de la Providence, à Dinard, à la fin de l'année 1921, et repose, à Saint-Énogat, tout à côté de Judith. Pierre Louys. On nous pardonnera de faire figurer quelque peu abusivement Pierre Louys parmi les intimes de Judith, car cette intimité - d'ordre sentimental - ne dura que quelques semaines et n'engagea selon toute apparence que Judith elle-même, mais elle fut à l'origine d'une longue relation amicale entre ces deux personnalités si dissemblables. Des documents généreusement communiqués par le Dr Robert Fleury et par Jean-Paul Goujon nous éclairèrent sur l'importance de cette relation et orientèrent notre réflexion. Jugeons sur pièces. Épisode initial, 19 juin 1891, une lettre du tout jeune directeur de la Conque, dont chaque numéro devait s'ouvrir sur des vers d'un poète célèbre. Leconte de Lisle lui a remis, dit-il, «le haut et pur poème que vous me donnez pour la Conque. Ce sera un admirable frontispice, et je suis tout fier de le publier. Permettez-moi de vous remercier encore du grand honneur que vous me faites.» Il s'agit de l'Amrita des dieux (la Conque, No 6,
1er août 1891), beaucoupplus tard reproduitdans les Poésies de Judith: «Dans la nuit merveilleuse au cœur du ciel posée / La lune resplendit, pleine de l'Amrita, / Qui, des pressoirs divins, en limpide rosée, / Sang clair des astres mûrs, lentement s'égoutta... » (Les Rites divins, À la mémoire de Leconte de Lisle.) 6 mars 1892, agenda de Louys : « 4 h. Judith. » En 1892 paraît Astarté - vingt-cinq poèmes sur la femme et sur l'eau. De Louys à Judith, 1er juillet 1892: «Madame, Ah! quelle exquise surprise j'ai eue en
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voyant votre nom au bas d'un article sur ma pauvre Astarté et que vous avez eu délicieusement tort de citer des vers à l'appui de vos éloges; tout le monde aura pu juger combien ils sont immérités et combien vous êtes aimable! Daignez agréer, Madame, mon plus humble hommage. » Peut-être Judith songea-t-elle dès lors à modeler cette "Astarté" qui orna plus tard les demeures de Louys. Début de l'année 1893, acrostiche de Louys sur le nom de Judith. Je vous offre un encens né dans son encensoir, Une fleur, un parfum qui sera mort ce soir, Destin de votre rêve aux champs de Césarée. Il est doux, et la fleur est belle; mais un dieu Tiendrait moins bien que vous ce frêle sceptre bleu, Hommage d'un fidèle à votre main sacrée. Autre mouture qu'on imagine envoyée à titre propitiatoire après une lettre de Judith, agacée des atermoiements de son jeune admirateur: «V otre chambre vous attend depuis longtemps dans le petit pavillon du Pré-aux-Oiseaux..., si elle ne vous plaît pas, nous en chercherons une autre, hors des murs... J'espère que vous apporterez toute une malle d'acrostiches pour étouffer ma rancune. » Je vous offre un encens né dans son encensoir, Une fleur, un parfum qui sera mort ce soir, Daignez le trouver doux sans regarder qui donne. Il est digne d'orner un autel, mais quel dieu Tiendrait si bien que vous ce frêle sceptre bleu, Hommage d'un pécheur à la main qui pardonne. Louys passa à Saint-Énogat la seconde quinzaine de juillet. Il écrit à Heredia qu'il y trouva Mme Gautier travaillant à un roman, Benedictus à un opéra-comique et le Sâr Merodak "à son salut". Nous connaissons un exemplaire du Prince de Byzance, drame romanesque en cinq actes de Péladan paru chez Chanuel en 1896, qui porte sur la couverture cette dédicace manuscrite: «À Pierre Louys, en souvenir des heures amicales de Dinard.» Encouragé par l'exemple de ses laborieux aînés, Louys s'attelle à la seconde version de sa Chrysis, un drame commandé par Sarah Bernhardt, devenu l'Esclavage, puis Aphrodite. Mœurs antiques, roman publié en 1896 par le Mercure de France et que lança un article dithyrambique de François Coppée dans le Journal. À Cardinne-Petit, pendant un temps secrétaire de Louys alors confiné dans son sanctuaire du Hameau de Boulainvilliers, celui-ci raconta: Judith Gautier, chez qui j'avais été passer mes vacances en Bretagne, m'apprit un jour que les jeunes filles de Plougastel et de Quimperlé, dès qu'elles se trouvaient en âge d'aimer, ont une coutume bien curieuse pour attirer ou repousser les prétendants éventuels. Elles portent une bague d'argent dont le chaton a la forme d'un cœur. Si la pointe du cœur est tournée vers l'ongle, cela signifie que tous les espoirs sont permis. La pointe, au contraire, tournée vers le bras, indique que la jeune fille est engagée. N'est-ce point adorable? J'en fis ce petit poème que vous trouverez dans Bilitis, sous le titre: «La bague symbolique ». Ainsi Judith apporta-t-elle sa collaboration aux Chansons de Bilitis, prétendument traduites du grec par P. L., parues en 1895 à la Librairie de l'Art Indépendant. Aux heures de détente, les sujets de conversation ne manquaient pas entre les quatre habitants du Pré des Oiseaux, rapprochés par de communes admirations: Théophile Gautier, Victor Hugo, Flaubert, Gustave Moreau, Wagner... Wagner, inépuisable objet d'enthousiasme! En 1891 et en 1892, Louys s'était rendu à Bayreuth; en 1893, le festival faisait relâche. À Judith, qui
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lisait alors le Voyage d'Urien, nouvellement paru, Louys pouvait aussi décrire l'auteur, André Gide, son condisciple et grand ami (pour quelques années encore!) de l'École Alsacienne en 1888. Très joli garçon fort soigneux de son apparence, timide, spirituel, fou de musique et de littérature, érudit précoce, attiré par les langues orientales... et ami des chats, Louys émut le cœur de son hôtesse plus que mûrissante. De retour à Paris, il reçut une lettre que nous reproduisons en entier, la croyant partiellement inédite. Le matin, le soir, et beaucoup de fois dans la journée, je vous regarde sans avoir pu décider encore si c'est avec plaisir ou aggravation de peine. Il doit y avoir des deux, sans cela je n'y retournerais pas si souvent. Les chiffres magiques ont été compris, sinon crus tout à fait, et je trouve l'image exquise malgré ses cheveux trop noirs; elle est ce que j'ai de plus cher maintenant. Les jours passent tout de même. Septembre est déjà mordu. Reviendrez-vous? Je n'ose le croire et je pense à hâter mon retour, dès que le temps deviendra maussade, sinon tout sera évaporé peut-être, et nous ne nous reconnaîtrons plus. J'ai rêvé de vous cette nuit. Cela m'arrive; mais je vous défends à vous de me parler en rêve et vous savez bien pourquoi. Travaillez-vous? Le roman est-il fini? moi il m'est impossible de rien faire. Je suis retombée dans une apathie noire, d'où je contemple une lueur très douce mais très pâle. Le tarot même n'est pas fini; c'est long. J'ai encore deux cartes à faire, vous l'aurez bientôt. Nous essayons de la photographie au magnésium. Si quelque chose est bien je vous l'enverrai. Au revoir, bientôt, ne m'oubliez pas encore
Walkure triste Quelques lignes de George Moore nous semblent offrir un commentaire approprié: « ... cet amour qu'une femme âgée éprouve pour un jeune homme qui lui est quelque chose de moins et de plus qu'un fils. Comme un reflet d'été demeure sur un visage d'automne, dans une semblable affection flotte une sensation d'amour. [...] Il Y a un charme dans une telle affection qu'ignoreront toujours les natures conventionnelles!» (Mémoires de ma vie morte.) Le gracieux madrigal de Judith ornant un exemplaire des Poèmes de la Libellule qu'elle offrit à son visiteur trahit en peu de mots une sensualité bien éveillée: «À toi je l'adresse / Cette branche aux tendres fleurs. / Seul qui sait l'ivresse / Des parfums et des couleurs / En mérite la caresse. » Louys s'était dérobé poliment à une situation devenue gênante par un départ anticipé et les choses reprirent peu à peu le cours d'un aimable commerce. Envoi de friandises, visites, échange de billets et d'éditions originales de leurs dernières œuvres... Le 15 mai 1899, une grande nouvelle: «Madame. Si je n'ai pu aller rue Washington depuis plusieurs semaines, c'est qu'un grand événement se préparait. J'ai le bonheur de vous annoncer mes fiançailles avec Louise de Heredia. Croyez bien qu'en dehors de toutes les raisons que j'ai eues de désirer ce mariage, je suis très heureux d'épouser une jeune fille qui est votre amie. Voulez-vous, Madame, ne jamais douter de mon affectueux et profond respect?» L'élection de Judith à l'Académie Goncourt le ravit, l'enchante. Au théâtre, Judith applaudit Aphrodite, puis la Femme et le Pantin d'après le roman dont Louys lui avait adressé en 1898 le premier exemplaire "en témoignage d'admiration, d'affection et de respect". Les années s'accumulèrent, distendant les liens. Au printemps de l'année 1916, Judith reconnut sur une enveloppe inattendue la belle écriture bouclée de Louys. «Chère Madame, Chère et Grande amie, où êtes-vous? je vis dans une solitude absolue, je ne vois personne, je ne sors plus du tout depuis quelques mois et vous ne savez peut-être pas
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combien je pense à vous, à votre œuvre, au "Pré des Oiseaux", à votre père, à tout ce qui vous touche?.. » Il lui annonce sa Poëtique en trois pages. «Soyez assez bonne pour m'écrire sans attendre cet article. J'ai pris un simple prétexte pour vous demander de vos nouvelles. Votre très respectueux et affectionné. » Réponse, le 26 mai 1916: «Ami bien cher! C'est là que je suis depuis le commencement de la guerre. Votre souvenir est bien vivant en ce lieu où vous devriez revenir s'il vous est resté sympathique [...] Moi aussi je pense bien souvent à vous et vous reste fidèle à travers le long désert semé de rares oasis. Si celle du Pré vous tente, elle vous attend. Vous y trouverez encore des chats noirs et même des blancs et maintes choses nouvelles. Quel plaisir d'attendre une œuvre de vous et de savoir que vous travaillez! Tout passe, l'Art robuste seul a l'Éternité. À bientôt.» Deux semainesplus tard, ayant reçu ce texte paru dans le Mercurede Francedu 1er juin 1916 : «J'ai lu, relu, médité vos pages... » Louys avait consacré, dit-il, quatre cents heures de travail à cette Poëtique qu'il considérait comme une sorte de testament spirituel, la quintessence de son art. « Écrivez à l'écart. Signez. Rentrez dans l'ombre. Le Verbe seul est illustre. [...] Solitude. Fierté... » L'envoi à la fille de Théophile Gautier de cette œuvre difficile ne doit assurément pas être tenu pour un hommage banal. Suzanne Meyer-Zundel. Pendant les dix dernières années terrestres de Judith, l'affection rayonnante et réciproque qui l'unit à Suzanne donne à celle-ci une place de choix parmi les intimes. Dans son livre de souvenirs, abusivement titré Quinze Ans auprès de Judith Gautier - à consulter avec circonspection -, Suzanne raconte longuement comment, installée temporairement à Paris avec sa mère pour y présenter à un concours ses œuvrettes florales en mie de pain colorée, elle fut présentée à Mme Gautier, rue Washington, par le prince Karageorgevitch. Premier contact, coup de foudre. De son regard s'échappait une profonde mélancolie avec quelque chose d'extrêmement lointain... d'indéfinissable... son expression laissait deviner une âme désabusée que les amertumesde la vie, sans l'avilir, avaient rendue plus noble, plus généreuse. Opposition très spéciale: le noir lustré de ses cheveux laissait ressortir la blancheur marmoréenne de la peau. Ses attitudes et ses traits purs, d'une merveilleuse régularité, achevaient de lui donner l'aspect d'une statue grecque. Ce mêmejour fut prise et arrêtée ma détermination: conquérir à tout prix l'amitié de cette femme que je sentais si complète, si accomplie. Par un hasard providentiel, elle retrouve Judith sur les pelouses élyséennes à l'occasion de la visite à Paris de Sisowath, roi du Cambodge, puis, par une improbable coïncidence, en Bretagne l'été suivant, la famille Meyer ayant loué pour la saison une villa à Saint-Lunaire. Les Meyer-Zundel, Alsaciens fortunés, avec des intérêts en Russie - le grand-père de Suzanne avait créé à Moscou une importante manufacture de tissus imprimés -, étaient établis à Mulhouse. Suzanne, avant-dernier rejeton d'une famille de sept enfants, y périssait d'ennui. «Par quelle issue sortir de cette existence négative, terne, végétative, pareille à celle des mollusques agrippés à leur rocher? » Son instruction, dans une province annexée par l'Allemagne, avait été assez négligée et, de son propre aveu, son éducation laissait beaucoup à désirer. « Je n'avais jamais eu à subir dans la vie aucune contrainte. » Suzanne ne fait aucune allusion à son père, et sa mère, elle la dépeint indulgente à tous ses caprices. Au Pré des Oiseaux, cet été-là, assidue visiteuse, Suzanne poursuit obstinément la conquête de Judith, et Mme Meyer invita de bonne grâce à déjeuner la nouvelle amie de sa fille. L'arrivée en landau de Mme Gautier dans ses voiles à l'orientale, escortée de deux messieurs
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chinois, à la villa Bon-Abri de Saint-Lunaire, ne suscita pas, l'on s'en doute, que des commentaires favorables de la part de tous les membres d'une famille très conventionnelle. Suzanne franchit tous les obstacles, gagna sa mère à sa cause, éveilla l'intérêt attendri de Judith et, dès lors, l'intimité se resserra entre une femme d'expérience, sexagénaire au cœur en sommeil, et cette fougueuse jeunesse qu'elle se plut à former. «Ne jamais cesser de meubler son esprit, enseignait-elle, d'acquérir de nouvelles connaissances et de marcher continuellement vers la perfection. » Mme Meyer aurait pu prendre ombrage de l'influence grandissante de Mme Gautier sur l'esprit de sa fille; il n'en fut rien. Et Judith vint « terminer un automne splendide dans notre campagne en Alsace, où Benedictus vint la rechercher après qu'il eût passé lui aussi quelques jours chez ma mère. » Cette "campagne" était une belle propriété rurale à Niedermorschwiller ; elle fut dévastée pendant la Seconde Guerre mondiale. Les deux dames se quittèrent enchantées l'une de l'autre. À Mme Meyer, qui accepta en définitive l'installation permanente de Suzanne rue Washington, Judith dédia son poème lyrique la Belle Aude (Poésies) et ne cessa au cours des années suivantes de la remercier de son inépuisable générosité, traduite par toute espèce de cadeaux: «Amie très chérie... Je vous aime infiniment... Je vous embrasse bien de tout mon cœur reconnaissant.
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»
On a peine à croire à quelque duplicité, gêne ou réticence que ce soit dans
les sentiments ainsi exprimés de part et d'autre. Le temps s'écoulait dans une entente parfaite entre Suzanne / Suzon plongeant hardiment dans les délices de découvertes quotidiennes et Judith / Maya animée d'un dynamisme nouveau, revigorée, comme régénérée. Il arrivait à Suzanne, toute en démonstrations spontanées et chaleureuses, de souffrir de la froideur apparente de son mentor; elle a noté les réflexions de Maya à ce sujet: «L'amitié, voistu, est une chose si pure, si belle en soi, reposant sur le dévouement, calme, invariable, et la vérité réciproque qui en fait une chose plus noble, plus sincère, plus sûre, plus rare que tout autre sentiment. [...] elle peut fort bien se passer de manifestations extérieures... » Et de citer Montaigne et Gœthe. Suzanne devenue son bâton de vieillesse, Judith ne pouvait plus se passer d'elle. Pour lui faire plaisir elle acceptait les invitations du gratin et l'imposait à ses côtés, ce qui n'enchantait pas tout le monde mais ravissait la jeune provinciale, très faraude, selon sa propre expression, des belles relations ainsi acquises. Rythmées par le déplacement rituel en Bretagne jusqu'à la déclaration de guerre à partir de laquelle Judith abandonna complètement la rue Washington, les années conduisaient inexorablement nos deux inséparables à la séparation finale. Durant l'été 1917, Judith eut la joie de revoir Péladan, venu exprès à Dinard pour y rencontrer sa vieille amie... Moins d'un an plus tard, ils seraient tous deux rayés du nombre des vivants. Le Sâr était accompagné de son égérie, Édith de Gasparin, une fervente wagnérienne, fille du comte et de la comtesse Agénor de Gasparin, de confession protestante hautement proclamée, passionnés de voyages et d'expériences spirites. Par Péladan, auquel elle était assez attachée pour le soutenir affectivement et matériellement de tout son pouvoir, elle avait noué avec Mme Gautier des relations assez agréables pour se rappeler à elle de temps à autre. Le 7 janvier 1916, par exemple, Judith la remercie de son "ingénieux souvenir", exactement arrivé le Premier de l'An: «Je vous désirerais moins lointaine et j'aimerais tant causer avec vous...» À Dinard, cet été-là, Mlle de Gasparin et Mme Élémir Bourges, excellentes amies, s'étaient donné rendez-vous. .. et cette dernière manqua de peu de se noyer un beau jour, à l'émotion générale. Dernier événement d'importance dans la vie de Judith, elle fait la connaissance d'un prince charmant d'illustre lignage, petit-neveu par sa mère de l'impératrice Eugénie, un grand
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ami entre beaucoup d'autres de Lucien Daudet, de Marcel Proust, de Montesquiou, un wagnérien passionné admirateur de Fanelli, un disciple de Péladan, ... extrêmement beau, de surcroît: le marquis de Casa Fuerte. L'attraction est spontanée, la fascination mutuelle. De retour à Paris, il envoie une dépêche: «J'ai laissé le meilleur de moi entre vous deux, quelque chose d'indéfinissable m'habite, je vous ai vues cinq fois et c'est plus que toute une vie. Filialement, fraternellement. IlIan.» Sa présence providentielle, quelques mois plus tard, au lit de mort de Judith aida puissamment Suzanne à surmonter sa détresse. Ensemble ils choisissent le dernier lieu de repos de Mme Gautier, ensemble ils vivent les heures cruelles de son inhumation. Illan reparti, Suzanne trouva quelque soulagement à comptabiliser les messages de condoléances de ses flatteuses relations; en trois jours, mande-t-elle au prince d'Annam - "Très cher Prince et bien cher ami "-, elle a reçu soixantetrois lettres et quarante dépêches... Ayant épuisé cette abondante correspondance, elle entreprend d'exprimer sa peine sous forme poétique. L'imprudente! Sa vanité enfantine la poussa à publier le résultat de ses épanchements. La Gloire de l'illusion qui parut en 1920 aux Éditions hispano-françaises (382 pages) s'ouvre sur cette déploration datée du 26 décembre 1917 : Ce jour, la mort creusa son effroyable abîme, Et, traîtresse, étendit sournoisement ses lacs, Pour la faire passer de la vie au trépas, Et féroce, accomplir encore un nouveau crime! Entends, pouvoir fatal; puissance qui supprime, Ose donc te nommer! Monstre dont les appâts Pour toi sont les vivants, qu'aucun de tes repas Ne saurait assouvir! Tu choisis ta victime Avec raffinement: l'être beau, génial Ou la rare vertu; te montres infernal, Atroce, révoltant! Ah ! ma sublime amie,
Tu l'as bien su trouver, malfaiteur, assassin, Toi l'horrible cynique engendrant l'infamie, Quand tu vins l'étouffer de ton osseuse main! Submergée par une inspiration logorrhéique, Suzanne en attribue le mérite à « Gautier, Grisi, Judith! À vous trois, chères ombres, / À la faire éclater vous emplissez ma tête, / Sans cesse la comblant de rythmes et de nombres, / De pieds d'alexandrins, sans que le flot s'arrête!» À Judith encore: «En quarante-cinq jours sous ton souffle divin, / Oui, quatre-vingt sonnets qu'il me fallut écrire...» Les Goncourt notaient un jour: «La versification est à la poésie ce que la discipline est au courage.» Suzanne survécut cinquante-quatre ans à la providence de sa jeunesse. La famille Meyer-Zundel, ruinée par la révolution bolchevique, et Suzanne, très indépendante, n'ayant jamais songé, semble-t-il, à gagner sa vie en quelque emploi rémunéré, se vit contrainte de réduire toujours davantage un train de vie déjà modeste. Son mariage, peu enthousiaste, avec un Belge, Max Delecosse, déplorable conseiller financier, fut de courte durée. « Mon plus beau voyage avec lui, confia-t-elle à sa nièce et filleule Violette, fut mon voyage de divorce.» Héritière de Judith, elle vendit ses appartements de la rue Washington, le cinquième étage sur rue
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d'abord, le second sur cour ensuite, où Mme Gautier recevait jadis ses consœurs du Prix Vie Heureuse - il fut plus tard racheté par Violette -, enfin le Pré des Oiseaux; après la guerre de 40, "économiquement faible", elle n'y conservait plus que la jouissance du jardin et du petit pavillon de l'entrée. C'est là qu'elle mourut, seule, dans la nuit du 21 février 1971, à quatre-vingt-huit ans. Mme Meyer-Arend, qui la connut dans son grand âge, nous a dit la gentillesse de celle que tout le monde appelait Tant'Anne: «Gaie, enjouée, aimant la compagnie, gourmande, malicieuse, candide, croyant aux forces spirituelles et ne disant jamais de mal de personne.» Suzanne avait été une sportive accomplie, bonne cavalière, excellente nageuse. Passionnée par la conquête de l'air, amie de Guillaumet, de Mermoz, elle aurait souhaité franchir l'Atlantique Sud à bord d'un appareil de l'Aéropostale, mais l'autorisation ministérielle lui fut refusée. Jean Mermoz, venu lui rendre une rapide visite au Pré des Oiseaux, devait y faire un plus long séjour... mais la mer l'engloutit aux commandes de son hydravion Croix-du-Sud avant la réalisation de ce projet. De Judith à Mermoz par le truchement de Suzanne, une rencontre qui eût enchanté celle dont une des toutes dernières joies fut le copieux repas qu'elle put offrir en ces temps de disette, avec le concours empressé de la population locale, à l'équipage d'un hydravion enlisé à marée basse au pied du Pré des Oiseaux. Lettre de Judith en réponse aux remerciements du commandant Georges Guierre, du Centre d'Aviation Maritime de Tréguier, un ami de Pierre Loti... comme par hasard. «6 décembre 1917. Bien chers oiseaux, Avec angoisse, nous vous avons entendus, l'autre nuit. [...] Cette amitié naissante avec des séraphins est bien belle et terrible aussi et va nous causer bien des tourments. Comment pouvez-vous croire que l'on vous méconnaît? Tout le monde éprouve pour vous au contraire une admiration fanatique. J'espère bien que vous considérerez désormais la petite maison où les quatre Keroubs sont descendus comme à vous et que vous y viendrez souvent. En toute cordialité. Judith Gautier. » Le Collier des jours, passim. Le Second Rang du collier, passim. GAUTIER, Marie-Dominique, dite Mion, diminutif méridional de Marie ou Marion. Elle devait être une bien sympathique personne, cette tante Mion, à en croire le portrait coloré que nous en a laissé Judith d'après ses souvenirs d'enfant. Fille de Jean-Antoine Gautier et de sa femme née Marguerite Gérard, sœur cadette du grand-père de Judith, célibataire, elle vécut en Avignon avec sa mère, laquelle, décédée en 1821, lui léguera sa modeste maison, 128, rue Calade. Elle entretenait d'excellents rapports avec sa famille "montée" à Paris: active correspondance, visites mutuelles, petits cadeaux qui fortifient l'affection. «La tante me soigne comme un objet rare », écrit, à sa cadette Zoé, Lili Gautier en villégiature chez Mion au printemps 1836. «Le soleil est superbe, le ciel plus bleu qu'à Paris. Avignon est une ville dans mes idées, toute remplie de vieilles maisons avec des écussons où l'herbe pousse dans les vieux trous... - La tante Mion est vraiment incroyable, elle trotte comme un lapin blanc, elle n'est jamais fatiguée. Je parle avec elle de nos chers Parisiens, quoique je pense, tu sais, beaucoup plus que je ne parle, trouvant souvent les paroles inutiles... - Je suis soignée comme une chose précieuse... » On peut lire ces lettres dans les Souvenirs de Bergerat. «Le léger bruit d'âme en est charmant, commente le mémorialiste, et c'est à l'auteur de Cœur Simple que l'on pense en les
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lisant », allusion à l'un des Trois Contes de Flaubert (parus chez Charpentier en 1877). Idéaliste, sentimentale, enjouée, Mion avait certainement bien des affinités de caractère avec cette gentille nièce, si débordante de tendresse pour les siens - pour les gens et pour les chats! En 1845, en route pour l'Algérie, laissant à Paris Ernesta grosse de huit mois, Théophile s'arrête une journée chez sa tante et marraine. Le 7 juillet, il prend le temps d'écrire à sa mère: « ... J'ai vu la sœur de Papa, autrement dit ma tante elle est fort bien conservée et m'a reconnu tout de suite. sa maison est encore plus petite que celle de Maupertuis si c'est possible. Je l'ai trouvée beaucoup moins barbare que je ne me le serais imaginé. elle tient une espèce de petite maison bourgeoise où il y a cinq jeunes gens très gentils et très honnêtes qui m'ont fait le meilleur accueil. mon buste [par Dantan Jeune, vraisemblablement] est placé sur une tablette d'acajou dans la salle à manger et fait un effet superbe; elle a été très enchantée de me voir et m'a montré une lettre de moi à l'âge de six ans et demi. Le temps est magnifique. .. » Etc. C'était un billet à l'orthographe impeccable, une petite merveille, un miracle... à six ans et demi! Le voici, on en jugera. «Bonne Grand'Maman. Je suis charmé du désir que tu témoignes de me voir, si je n'étais si petit, je n'ai que six 1/2 ans; je ferais de bon cœur le voyage; et quoique mon Papa dise souvent que je suis un petit diable, je suis sûr que mon bon cœur, qu'il ne me conteste pas, ferait que tu me trouverais bien gentil et ma tante aussi et que je serais votre bijou aussitôt que vous me connaîtriez. Je vous embrasse de tout mon cœur qui est ce que j'ai de meilleur. Votre petit garçon Théophile.» En novembre 1850, au retour de son voyage en Italie, excursionnant en Provence avec Marie Mattei et Louis de Cormenin, Théo renouera connaissance avec Mion. Post-scriptum d'une lettre de Théo à son père, alors en séjour chez sa sœur: «Mille choses affectueuses à Mion que j'aime comme une bonne et brave créature. » (Mai 1851.) À la mort de Tante Mion, en 1860, Théo héritera de sa maison d'Avignon qu'il mettra en location et léguera lui-même à sa fille cadette. Le Collier des jours, p. 99-105, 206, 207. GAUTIER, Théophile, "écrivain français", né à Tarbes le 30 août 1811, mourut à Neuilly, au matin du 23 octobre 1872, d'une maladie de cœur compliquée d'albuminurie et d'une immense lassitude, fourbu d'avoir écrit « quelque chose comme trois cents volumes, ce qui fait que tout le monde m'appelle paresseux et me demande à quoi je m'occupe. » Il se
comparaitvolontiers,écrit Maxime Du Camp, « à un cheval de course attelé à une charrette de moellons. La charrette, c'était cette corvée hebdomadaire chargée de vaudevilles, de pantalonnades, de turlutaines et de drames épais qu'il fallait accomplir, à heure fixe, sous peine de jeûner et de faire jeûner les siens. Un jour, il me disait avec la mélancolie souriante qui lui était familière: "Je crois que je suis l'héritier légitime de Gautier-sans-avoir. Il m'a légué sa pauvreté et sa mauvaise fortune. Comme lui je n'ai ni fief ni aumônière pleine; comme lui j'ai guidé la croisade vers la guerre sainte de la littérature et comme lui je mourrai en route sans même apercevoir de loin la Jérusalem de mes rêves."» Qu'il était loin le temps de ses explosions de juvénilité lors de sa traversée de la Vieille-Castille: « J'étais réellement enivré de cet air vif et pur; je me sentais si léger, si joyeux et si plein d'enthousiasme que je poussais des cris et faisais des cabrioles comme un jeune chevreau; j'éprouvais l'envie de me jeter la tête la première dans tous ces charmants précipices, si azurés, si vaporeux, si veloutés; j'aurais voulu me faire rouler par les cascades, tremper
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mes pieds dans toutes les sources, prendre une feuille à chaque pin, me vautrer dans la neige étincelante, me mêler à toute cette nature, et me fondre comme un atome dans cette immensité.» Hélas! «Mes vers sont des tombeaux... / Chacun est le cercueil d'une illusion morte... / Beaux rêves avortés, ambitions déçues, / Souterraines ardeurs, passions sans issues, / Tout ce que l'existence a d'intime et d'amer.» La guerre, la défaite, la Commune l'avaient comme écrasé, consumé. «Tout se lamentait en lui, écrit encore Du Camp. Il ne se sentait plus la force de lutter; il disait: "Je vis par habitude, mais je n'ai plus envie de vivre."» La mort, miséricordieuse, vint le prendre doucement dans son sommeil. Edmond de Goncourt, qui n'avait pas manqué de décrire peu charitablement l'alourdissement physique du poète, l'engourdissement progressif de son cerveau, nous a laissé de sa dernière visite rue de Longchamp, le 24 octobre, une image impressionnante, émouvante aussi: Bergerat m'a fait entrer dans la chambre du mort. Sa tête, d'une pâleur orangée, s'enfonçait dans le noir de ses longs cheveux. Il avait sur la poitrine un chapelet, dont les grains blancs, autour d'une rose en train de se faner, ressemblaient à l'égrènement d'une branche de symphorine.Le poète avait ainsi la sérénité farouche d'un barbare ensommeillé dans le néant. Des ressouvenirsdes figuresde pierre de la cathédrale de Chartres, mêlés à des réminiscences des récits des temps mérovingiens, me revenaient, je ne sais pourquoi. La chambre même, avec le chevetde chêne du lit, la tache rouge du velours d'un livre de messe, une brindille de buis dans une poterie sauvage me donnaient tout à coup la pensée d'être introduit dans un cubiculum de la vieille Gaule, dans un primitif, grandiose, redoutable, tragique intérieur roman. Et la douleurfuyante d'une sœur,dépeignée,aux cheveuxcouleur de cendre, une douleur retournée vers le mur avec le désespoir passionné et forcené d'une Guanhumara, ajoutait encore à l'illusion. » Des scènes violentes entre famille Grisi et famille Gautier troublèrent ces jours de deuil. Prévenu par un télégramme de Mendès, Hugo répondit aussitôt: «C'était prévu et c'est affreux. Ce grand poète, ce grand artiste, cet admirable cœur, le voilà parti. Des hommes de 1830, il ne reste plus que moi. C'est maintenant mon tour. Cher poète, je vous sers dans mes bras. Mettez aux pieds de Madame Judith Mendès mes tendres et douloureux respects. » Mais, fatigué, trop ému peut-être, il ne vint pas se mêler à la foule qui suivit le cercueil de son intrépide féal de la rue de Longchamp à l'église de Neuilly - où Jean-Baptiste Faure apporta son précieux concours à la chorale paroissiale - et, de là, au cimetière Montmartre. Un détachement de chasseurs à pied accompagna le défunt, chevalier de la Légion d'honneur, tout au long des cérémonies. Devant la tombe de Gautier, Alexandre Dumas fils, qui l'aimait beaucoup comme le souligne Bergerat, prononça un discours au nom de la Société des auteurs dramatiques, Augustin Challamel un autre au nom de la Société des gens de lettres. Et l'on se dispersa. Le monument funéraire de Gautier, surmonté par la suite d'une statue de Calliope due au ciseau de Cyprian Godebsky, s'enrichira encore de ces quatre vers gravés dans la pierre, dernière strophe d'une de ses poésies de 1837, justement titrée la Dernière Feuille: L'oiseau s'en va, la feuille tombe, L'amour s'éteint, car c'est l'hiver. Petit oiseau, viens sur ma tombe Chanter, quand l'arbre sera vert! Le 19 octobre 1873 paraît dans la Renaissance cette annonce: «Théophile Gautier [...] laisse des livres d'une forme achevée et le souvenir d'une vie que le soin de l'art a rempli
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tout entière. Nous avons eu la pensée de consacrer à la Mémoire de ce Maître un Monument littéraire renouvelé de ces Tombeaux que les Poètes du seizième siècle élevaient à leurs morts illustres. En des jours lointains, on sera touché sans doute, en feuilletant ce livre, de voir que tant de poètes, français ou étrangers, séparés d'habitude, d'esprit et de langage, se sont réunis pour louer une existence paisible et une œuvre exemplaire.» C'est le poète Albert Glatigny, le bon, le pauvre Glatigny si proche lui-même de la mort - ')oyeux, familier, conteur de bouffonnes histoires, [oo.] fou de passion pour son art", tel le décrivait son ami Mendès dans la Légende du Parnasse contemporain -, qui en avait eu l'idée approuvée par Banville. Quatre-vingts écrivains concourent à ce Tombeau. Le recueil, tiré à petit nombre, paraît chez Lemerre en 1873. Il s'ouvre par le splendide hommage de Victor Hugo et contient l'édition originale du célèbre Toast funèbre de Mallarmé. Nous croyons être agréable à nos lecteurs en leur permettant de trouver ici quelques extraits de ces compositions si diverses. À tout seigneur, tout honneur! Hugo, d'abord, dont nous ne pouvons, hélas! reproduire que de brefs passages. Ami, poète, esprit, tu fuis notre nuit noire. Tu sors de nos rumeurs pour entrer dans la gloire; Et désormais ton nom rayonne aux purs sommets. ............................................................... Je te salue au seuil sévère du tombeau. Va chercher le vrai, toi qui sus trouver le beau. Monte l'âpre escalier. Du haut des sombres marches, Du noir pont de l'abîme on entrevoit les arches; Va! meurs! la dernière heure est le dernier degré. Pars, aigle, tu vas voir des gouffres à ton gré; Tu vas voir l'absolu, le réel, le sublime. Tu vas sentir le vent sinistre de la cime Et l'éblouissement du prodige éternel. .. Passons, car c'est la loi; nul ne peut s'y soustraire; Tout penche, et ce grand siècle avec tous ses rayons Entre en cette ombre immense où pâles nous fuyons. Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule! V oici un sonnet de Leconte de Lisle: Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière, De la couleur divine au contour immortel, Et de la chair vivante à la splendeur du ciel, Dors en paix dans la nuit qui scelle la paupière. Voir, entendre et sentir? Vent, fumée et poussière. Aimer? La coupe d'or ne contient que du fiel. Comme un dieu plein d'ennui qui déserte l'autel, Rentre et disperse-toi dans l'immense matière. Sur ton muet sépulcre et tes os consumés Qu'un autre verse ou non les pleurs accoutumés; Que ton siècle banal t'oublie ou te renomme;
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Moi, je t'envie, au fond du tombeau calme et noir, D'être affranchi de vivre, et de ne plus savoir La honte de penser et l'horreur d'être un homme. Et l'apport de José-Maria de Heredia: Sans craindre que jamais elle soit abattue Dans un marbre ignoré, dans un divin métal, Le Poète a sculpté lui-même sa statue. Il peut rire du Temps et de l'homme brutal, L'insulte de la ronce et l'injure de l'herbe Ne sauraient ébranler son ferme piédestal. Car ses mains ont dressé le monument superbe À l'abri de la foudre, à l'abri du canon: Il l'a taillé dans l'or harmonieux du Verbe. Immortel et pareil à ce granit sans nom Dont les siècles éteints ont légué la mémoire, Il chante, dédaigneux de l'antique Memnon; Car ton soleil se lève et s'illumine, ô gloire! Quatre lignes d'Anatole France: Gautier, doux enchanteur à la parole fière, Habile à susciter les contours précieux Des apparitions qui flottaient dans tes yeux, Tu fis avec bonté ton œuvre de lumière. La première strophe d'une sonnet de l'Anglais Swinburne: Pour mettre une couronne au front d'une chanson, Il semblait qu'en passant son pied semât des roses, Et que sa main cueillît comme des fleurs écloses Les étoiles au fond du ciel en floraison. Catulle Mendès ne manqua point - élégance, impudence ou simple opportunisme - de joindre sa pierre au monument édifié en hommage à feu son beau-père, «l'un des plus grands noms dont se puisse enorgueillir le plus grand des siècles poétiques» : Jeunes vierges, versez, avec de belles poses, Versez des fleurs! Celui qui dort dans ce tombeau Aima d'un noble amour les vierges et les roses. Jeune pâtre, conduis ton docile troupeau Vers ce tertre! Celui dont les lèvres closes Paissaient les rythmes d'or sur les hauteurs du Beau. Sur ce front éclairé, vivant, d'apothéoses, Allume, ardente nuit, ton multiple flambeau! Cygnes, pour ce chanteur chantez, doux virtuoses! Mais tous, vierges et fleurs, pâtres, étoile, oiseau, Ne pleurez pas, malgré la plus juste des causes, Car celui qui dort là dans un blême lambeau Sut regarder sans pleurs les hommes et les choses.
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par ces trop courts fragments du Toastfunèbre de Stéphane Mallarmé: Salut de la démence et libation blême, Ne crois pas qu'au magique espoir du corridor J'offre ma coupe vide où souffre un monstre d'or! Ton apparition ne va pas me suffire: Car je t'ai mis, moi-même, en un lieu de porphyre...
......... Si ce n'est que la gloire ardente du métier, Jusqu'à l'heure dernière et vile de la cendre, Par le carreau qu'allume un soir fier d'y descendre, Retourne vers les feux du pur soleil mortel!
.. o vous tous! oubliez une croyance sombre Le splendide génie éternel n'a pas d'ombre
.. Le sépulcre solide où gît tout ce qui nuit Et l'avare silence et la massive nuit.
Le Collier des jours: passim. Le Second Rang du collier: passim. GAUTIER, Zoé. Bergerat ne ressentait pas la même sympathie pour sa tante Zoé que pour sa tante Émilie, il s'en fallait de beaucoup. Zoé formait à Émilie un contraste violent. Aussi brune que l'autre était blonde, trapue et vigoureuse que son aînée était svelte et alanguie, elle incarnait à souhait le type mâle de l'ascendance, elle y représentait l'avignonisme du père, Pierre Gautier, d'abord, et ensuite de l'aïeul, Gautier d'A vançon, citoyen redouté de la ville des Papes. La légende familiale représente Gautier d'Avançon comme une sorte d'homme des bois (Gautier, d'ailleurs, en vieux langage, a ce sens étymologique), qui vivait pendant la Révolution dans une retraite du mont Ventoux, d'où il lapidait les soldats des proconsuls. Zoé était de cette trempe, et si Théophile avait eu encore des créanciers, sous son règne, elle leur eût bellement fait choir la Victoire du Parthénon sur la tête. [Cette Victoire du Parthénon dont le buste ornait le pignon de la maison des Gautier, à Neuilly.] Le poète avait pour elle une tendresse singulière, ethnique, d'abord, et romantique ensuite. L'École de 1830 a toujours incliné à la femme nature, un peu ignare et ne demandant qu'aux vertus comme aux défauts de son sexe la clef de sa domination sur les intellectuels. [...] Zoé, figure toute balzacienne et sorte de Cousine Bette réalisée, s'était peu à peu emparée d'un pouvoir familial que le poète vieilli avait laissé tomber en quenouille. Elle menait la maisonnée. Il l'avait surnommée: Langue de coq et, par abréviation méridionale: Langue de cô, à cause de sa puissance de bavardage invincible, et qui s'activait dès l'aurore... (Souvenirs d'un enfant de Paris.) Les Goncourt, qui décrivent avec une dédaigneuse condescendance la "maison de plâtre" de Gautier, son décor, son style de vie, affectent de ne voir dans les deux demoiselles, ses sœurs, qu'un couple indifférencié de souillons. 29 juin 1866: «Dîner à Neuilly, chez Gautier, dans la maison d'Emesta et de Judith, la femme actuelle de Catulle Mendès. La maison est encore sens dessus dessous de la rupture [entre Théo, Ernesta et Judith] et du déménagement. À table, Gautier, ses deux vieilles sœurs, sa fille Estelle, joliment orientale, le vrai Chinois, son professeur, et Éponine, une chatte noire aux yeux verts, qui mange à
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son couvert aux côtés d'Estelle. Ces deux sœurs, ces deux femmes vieilles, qui semblent avoir renoncé à être femmes, aux cheveux dépeignés, aux corps perdus dans une sorte de blouse sans forme de robe, feraient un beau type à étudier et qui a échappé à Balzac. » 14 mars 1872, Edmond rend visite à Théo, très malade, qui exprime une fois de plus le « dégoût de son métier [...]. Pendant qu'il parle, tour à tour, l'une de ses sœurs, de ces vieilles à tignasse grise, au torse maigre, flottant dans la flanelle sale d'une vareuse, entre sans qu'on l'entende, s'assied une seconde, donne une caresse au petit chien blanc ou à la noire Cléopâtre, puis disparaît, pendant qu'Estelle promène une sorte de mélancolie orientale, une curiosité ennuyée, des rideaux de l'alcôve de son père à la fenêtre qui donne sur la rue. » Entre ces deux dates du Journal, la guerre franco-prussienne et les désordres de la Commune avaient donné aux sœurs Gautier des occasions de manifester leur dévouement. Lili, par exemple, réfugiée à Versailles avec son frère et sa sœur, ayant profité d'une accalmie dans la canonnade qui balayait Courbevoie et le pont de Neuilly pour se rendre rue de Longchamp, s'y était trouvée bloquée par la recrudescence des tirs, contrainte de se réfugier "en cave". Heureusement pour la maison! De Théophile à sa fille Estelle: « ... Dans notre maison de Neuilly, il y a eu un commencement d'incendie causé par un obus. Lili l'a courageusement éteint avec l'eau du réservoir. Sans cela, tout brûlait. L'obus avait éclaté dans le lit de mes sœurs. La cuisine et la salle à manger ont été traversées par des boulets. Il n'y a rien dans ta chambre ni dans la mienne. Au plafond de l'atelier, seulement quelques balles... » Nous entendons à nouveau parler de la vaillance des vieilles demoiselles dans cette lettre de Théo à Judith, datée de Versailles, 3 mai 1871, intéressante à bien des égards puisqu'elle montre l'évolution de la situation familiale après la grande crise de 1866. Chère Enfant, J'ai été bien touché de ta lettre. Eh ! quoi, tu penses au vieux Sachem abandonné et tu as assez d'âme pour imaginer que le père pourrait bien manquer d'argent et crever un peu de faim dans ses exodes. Cette idée, toi seule l'as eue et je t'en remercie; tout le monde, c'est plus commode, fait semblant de croire que je regorge d'or et que je me porte comme le Pont neuf. Toi, créature originale et bizarre, tu t'inquiètes de mon sort. Il est vrai, tu t'en souviens, que dans mes ennuis je t'ai longtemps appelée mon dernier espoir. Garde ton argent, cher cœur, garde-le pour toi, j'ai trouvé une veine de copie qui convient à la situation - des articles sur le Versailles de Louis XIV - restituant l'ancien état du palais, et dans quelque temps, je serai remis à flot; seulement donne la pâtée à la maman pour quelques jours, jusqu'à ce que je puisse lui refaire sa pension, cela ne tardera pas. Paris va bientôt, il faut l'espérer, rentrer dans l'ordre, et nous pourrons reprendre la vie humaine, car nous menons une existence de sauvages. N'essayez aucune sortie, le mieux est de se tenir coi encore quelque temps, ce ne sera pas long. Remercie Ernesta des chaussettes, qui me sont parfaitement arrivées et qui vont comme des gants. L'héroïque Lili est toujours en cave: elle n'a pas voulu quitter la maison, qui, déserte, serait impartialement pillée par les ennemis ou les amis imbus des mêmes doctrines en fait de butin. Dans quelques jours nous irons la délivrer. Nous recevons des nouvelles de Neuilly de temps en temps, et Zoé, accompagnée d'un sergent de ville, y a fait une visite des plus périlleuses avec une bravoure que n'auraient pas eue bien des hommes: voilà Zoé transformée en Bradamante et en Marphise avec l'armure de moins et les bombes en plus. Qui l'eût dit ! rien de tout cela n'a l'air vraisemblable et le siège de Paris par les Français a l'air aussi chimérique que le siège de Pékin par les Chinois du Dragon Impérial. À propos du Dragon Impérial, il y a ici une petite société de mandarins et de raffinés qui voudraient bien le
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178 lire, rassasiés qu'ils sont des bulletins de guerre du Gaulois. Si tu pouvais m'envoyer bouquin, tu me et leur ferais plaisir. Où des chaussettes passent, passera bien ce livre. Je t'embrasse de tout cœur,
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Ton père, Théophile Gautier. Les sœurs de Théophile ne se quittaient jamais, pour ainsi dire, encore que, dans leur printemps, Lili s'en fût allée, sans Zoé, chez la tante Mion en Avignon, et, beaucoup plus tard, en mai 1868, Lili encore, sans Zoé, avec Théo à Genève d'où s'ébranla vers Chamonix et le mont Blanc une caravane composée du poète, de sa sœur, de sa fille Estelle, de Carlotta avec Ernestine. Est-ce à dire que Zoé, la "redoutable Zoé" comme s'exprime Bergerat, était d'humeur plus casanière encore que sa sœur aînée? Zoé-Louise-Françoise Gautier, née à Paris le 12 mars 1820, mourut à Montrouge en 1885. Prié de se joindre au groupe d'hommes de lettres organisateurs des funérailles de Victor Hugo décédé le 22 mai 1885 à 1 heure 27 de l'après-midi, Bergerat adressait ce billet à Catulle Mendès: «Très volontiers si la mort de Zoé ne nous force pas d'être à Montrouge derrière un autre corbillard, car elle se meurt en ce moment et nous nous succédons à tour de rôle auprès de son lit. Quant aux fonctions, aucune, je vous prie. Je suivrai parmi les humbles et là est ma vraie place de toute façon. » (Reproduit par André Billy dans l'Époque 1900.) Ce fut, au total, une vie bien morne que celle des sœurs de Théo, rancies dans leur célibat et la détestation des Grisi, qui se vengèrent de leur longue soumission à un père autoritaire par une dévotion exclusive, possessi ve, au bénéfice - au détriment? - d'un frère célèbre dont la fermeté de caractère n'était pas la qualité dominante. Le Collier des jours, passim. Le Second Rang du collier, p. 84, 85, 103, 105, 164, 167, 189. GÉRARD, Jules. Il raconta ses aventures cynégétiques algériennes dans la Chasse au lion (1855) et le Tueur de lions (1858), ouvrages plusieurs fois réédités. En quelques années il abattit un grand nombre de ces fauves mangeurs d'hommes, ce qui lui valut des Arabes ce surnom: le Terrible Franc. Chargé de mission par la Société Royale de Géographie de Londres, il quitta l'Angleterre en 1863 pour explorer le centre de l'Afrique. C'est donc peu de mois avant ce départ qu'il fréquenta les Gautier. Dans une amusante lettre adressée de Londres à l'une de ses tantes (rue du Grand-Montrouge, 64, Montrouge), Judith raconte: «Dimanche nous avons été faire une visite à un photographe non pas pour faire nos portraits mais pour visiter son établissement.» L'atelier est garni de matériel varié: instruments de musique, et Judith joue du tambour; collection de fleurets, et Judith s'essaye à l'escrime: « J'avais à faire à un rude adversaire figure-toi que j'ai eu l'honneur de croiser le fer avec Jules Gérard le tueur de lions aussi j'étais embrochée à chaque passe. Avec un autre Monsieur j'ai été plus heureuse, je l'ai attrappée [sic] plusieurs fois en pleine poitrine voilà la première fois que je me suis amusée en Angleterre... » (Fonds Lovenjoul, Institut de France.) Ancien officier de spahis, chevalier de la Légion d'honneur, né à Pignans dans le Var en 1817, Jules Gérard subit de cruels déboires au cours de cette expédition et finit par se noyer en 1864, dans sa tentative désespérée de traverser à la nage le fleuve Yong, en Afrique occidentale, entre Guinée française et Sierra Leone. À l'époque où s'illustrait Gérard, la chasse aux grands prédateurs, lions et panthères, était bien autre chose qu'un sport excitant pour oisifs fortunés, ce qu'elle deviendra plus tard. Preuve en est dans la croix de la
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Légion d'honneur accrochée "pour services exceptionnels" sur la poitrine d'Ahmet-benAhmar, un indigène qui fit des miracles avec son antique fusil à pierre. «Jamais, dit l'échotier de la France illustrée du 22 janvier 1887, "l'exceptionnel" de la Chancellerie n'a été plus clair et plus vrai. Ce tueur émérite a couché deux cents lions sous les balles et n'a pas volé son surnom de "carabine d'or". Le lion dévore, par an, pour 10 000 fro de bétail. Son domaine royal en Afrique s'étend depuis l'Atlas jusqu'au Cap de Bonne-Espérance et du Sénégal à la Nubie. S'il vient au monde les yeux ouverts, il vit la gueule et les griffes ouvertes. Il est solitaire, car il lui faut toute une montagne pour demeure et toute une forêt pour garde-manger. Il est audacieux mais magnanime aussi. Les défrichements le font reculer, le sifflement des locomotives répond au rugissement de ses flancs. La civilisation le chasse; la carabine de Ben-Ahmar le tue. Adieu, lions! » Le Second Rang du collier, p. 126, 128. GÉROME, Jean-Noël, peintre, statuaire. « Pour éviter que, dans l'avenir, sept villes ne se disputent l'honneur de m'avoir donné le jour, je déclare que je suis né à Vesoul. Aucun prodige n'eut lieu le jour de ma naissance. [...] Le siècle avait alors vingt-quatre ans. [...] Je mourus très vieux, exempt de toute infirmité.» (Gérome, Notes autobiographiques, 1876, citées dans Artistes et Amis des arts par Henry Roujon qui fit, le 4 novembre 1905, son éloge funèbre devant leurs confrères de l'Académie des Beaux-Arts). Ayant ainsi conjuré le sort, Gérome expira, octogénaire encore dispos et chargé d'honneurs, pendant son sommeil, celui dont Théophile Gautier écrivait en 1847: «Il faut marquer de blanc cette année heureuse. Un peintre nous est né, il s'appelle Gérome. Aujourd'hui je vous dis son nom, je vous prédis que demain il sera célèbre.» Un quart de siècle plus tard, le bon Théo commente le buste en bronze de Gérome par Carpeaux, « chef-d'œuvre de la plus étonnante nouveauté [. H]. Certes notre ami Gérome n'a pas l'air tendre, et sa physionomie, qui pendant sa jeunesse rappelait celle de César Borgia, s'est empreinte, pendant ses longs voyages aux pays du soleil, d'une certaine férocité orientale; mais cependant il dépose parfois sa ceinture de pistolets et de yatagans, et chez lui, l'homme du monde charmant, le Parisien, succède à l'Arnaute.» (Le Bien Public, 2 juin 1872.) Fils d'orfèvre, disciple favori de Paul Delaroche qu'il suivit en Italie, Gérome se mit ensuite à l'école de Gleyre, puis devint « le centre de cette petite corporation de la rue de Fleurus [No 27], où les néogrecs travaillaient dans la verdure et les chansons», avant d'entreprendre la série de ses pèlerinages en Turquie, en Grèce, en Égypte... Il n'en rapporta pas seulement d'innombrables croquis et études qu'il exploita plus tard, mais le goût d'un décor oriental composite dont il s'entoura d'abord au 70 bis, rue Notre-Dame-des-Champs - dit, pour cette raison, la Boîte à thé - et au 65, boulevard de Clichy - démoli pour faire place au lycée Jules-Ferry - que Felia Litvinne trouva fort à son goût "artiste" lorsqu'elle s'y installa après la mort de Gérome. « L'Inde et la Syrie, écrit André de Fouquières, la Renaissance italienne et allemande imposaient le cadre le plus discordant à la mélodieuse Felia. Elle y avait ajouté des masques chinois, des icônes, des samovars sur des tables mauresques, ce qui n'améliorait rien. » Judith Gautier y vint un jour déjeuner et put déchiffrer les poésies chinoises peintes aux murs sur fond bleu encadré de panneaux rouge laqué, ornementation qui n'était ni pour la surprendre ni pour lui déplaire, elle qui avait poussé l'amour de l'Asie jusqu'à faire ériger un torii sur ses terres bretonnes!
L'Illustré Soleil
du Dimanche
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Journal des Familles,
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hebdomadaire de grand format, publia en page de titre, dans son numéro du 15 octobre 1899, l'interprétation gravée d'une photographie de Gérome par Dornac - cheveu court, moustache en croc, regard sévère, blouse blanche de travail - devant la maquette de la statue équestre de son ami le duc d'Aumale, soldat et historien, dont le monument commémoratif allait être inauguré au domaine de Chantilly, légué par le prince à l'Institut de France. Robuste, de belle humeur, agréable causeur, «un Alceste cordial» le définit Claretie, Gérome était laborieux, probe, d'un académisme irréprochable, et violemment hostile aux innovations de ses cadets, Manet, Degas, Monet, Renoir ou Rodin, d'où la condamnation sans appel de Léon Daudet qui le rencontrait chez Mme de Loynes: «... fabricant de navets de saindoux qu'il affublait de noms antiques..., - quinteux..., tranchant et absurde dans ses jugements... » (Paris vécu. - Salons et journaux.) Joli exemple de rosserie, de rosserie confraternelle entre deux membres du Dîner Bixio, rapporté par Jules Claretie (8 janvier 1886): «Meissonier: "Qui va-t-on nommer comme vice-président à l'Institut 7" Gérome : "Bonnat." - Meissonier: "À quel propos 7 C'est donc un peintre 7" - Gérome: "Oui... maintenant."» Cet infortuné Bonnat, souffre-douleur de Degas: «Alors, monsieur Bonnat, toujours dans la peinture 7» Sans doute Gérome savait-il adoucir cette humeur belliqueuse dans ses relations avec les femmes. Louis Sonolet conte cette aimable anecdote: l'impératrice Eugénie «aimait à décorer elle-même d'un pinceau fantaisiste certains meubles ou les panneaux de quelque petit salon. Un jour qu'à Fontainebleau elle se livrait à cette occupation avec la collaboration de ses dames du palais, on annonça le peintre Gérome. Aussitôt elle le fit appeler et lui confia palette et pinceaux. Enchanté de se mêler aux jolies travailleuses, il rehaussa de sa touche savante les panneaux commencés par sa souveraine. Que sont-ils devenus, ces panneaux 7...» (La Vie parisienne sous le Second Empire.) Professeur, avec Falguière, Mercié et Auguste Cain, de la duchesse d'Uzès, née Mortemart, douée pour les arts, il a laissé d'elle un beau portrait en costume de vénerie. Rachel, Sarah Bernhardt, LoÏe Fuller confièrent elles aussi à cet artiste en vogue le soin de traduire pour la postérité, sur la toile ou dans le marbre, leur grâce et leur beauté. Entre Gautier et Gérome, les relations semblent être demeurées dans un registre de simple courtoisie, ce qui n'empêcha point telle œuvre du second de réveiller la gauloiserie du premier. «À Gérome, sur son Almée. Dans un café plus noir qu'un antre, / En rang d'oignons sur un bahut, / Six coquins regardent un ventre / Qui danse tout seul le chahut. / Avec ce ventre ferme et lisse / Qu'agite un tordion subtil/Plus d'un galant, sans la police, / Irait bien trinquer du nombril.» (Cette toile fut exposée au Salon de 1864.) Les nombreux disciples français et étrangers de Gérome le chérissaient, assure Roujon, d'un amour filial. Parmi eux, un préféré, Aimé Morot. Consultons le Guide du Musée d'Orsay (niveau médian, arts et décors de la Ille République): «Le goût du réel et de la vérité historique poussée à son extrême se retrouve dans l'étonnant groupe des Gladiateurs; cette première sculpture du peintre Gérome, que l'on avait longtemps crue perdue, fut utilisée par son gendre, lui aussi peintre et sculpteur, Aimé Morot, afin de rendre hommage
à Gérome
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qu'il a représenté, précisément,
sculptant les Gladiateurs - incluant
ainsi le groupe original de Gérome dans sa composition!» En épousant la fille de M. Goupil, éditeur d'estampes et marchand de tableaux, Gérome avait fait pour sa carrière un choix avantageux. « Il a vu, dit Larousse, ses peintures popularisées par d'innombrables reproductions et vendues à des prix énormes aux collectionneurs. » En épousant la fille de Gérome, Morot entra de plain-pied dans une existence dorée qui lui permit d'assouvir sans
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contrainte sa passion pour les voyages et pour les bêtes sauvages. Amoureux des grands fauves, ses modèles de prédilection, tout comme le comte d'Ourches il avait installé à son domicile parisien, Il, rue Weber, une lionne dont les rugissements ameutaient ce quartier paisible qu'un python fugueur entreprit un jour d'explorer paresseusement. À Dinard, où il avait fait construire la villa Ker-Arlette, du nom de sa fille, il entretenait, selon un recensement de Suzanne Meyer, un lion, un guépard, un chimpanzé, le dénommé Kiki, ouistiti "grand comme la main", soixante-dix-huit vipères, des oiseaux de volière... Cette familiarité de Morot avec les grands fauves avait incité Chauchard, le richissime fondateur des Magasins du Louvre, l'Empereur du Blanc, le généreux bailleur de fonds d'Alice Ozy malgré sa pingrerie bien connue, à lui commander le dessin de la gueule de lion qui ornait son hôtel, 5, avenue Vélasquez, et servit de marque de fabrique sur les étiquettes du Louvre. Judith Gautier, très liée avec les Morot, eut la surprise de découvrir que Brahim, leur domestique arabe, avait servi cinq ans chez Pinchart en qualité de modèle et d'homme à tout faire. Les liens étaient nombreux entre Judith et le ménage Morot, beaucoup de relations et d'excellents amis leur étant communs: les Raymond Poincaré, les Paul Deschanel, Felia Litvinne, les Edmond de Rothschild. .. et Pierre Loti, Morot ayant fait partie, au printemps de 1889, de la mission Patenôtre au Maroc. Le 8 novembre de cette même année, Aimé Morot et sa femme, dûment travestis, assistent à la grande fête arabe organisée par Loti dans sa maison de Rochefort. Gheusi s'amuse et nous amuse d'une scène bouffonne à laquelle Morot fut mêlé en spectateur. En février 1899, il rentre avec le peintre belge Grimberghe d'une expédition de chasse en Abyssinie; le pavillon du paquebot qui, de Suez, va les rapatrier en France, est mis en berne en hommage à Félix Faure qui vient de passer de vie à trépas. À la stupéfaction de Morot, les passagers, coloniaux parfaitement au fait de l'actualité métropolitaine, viennent en file indienne offrir leurs condoléances à Grimberghe..., amant affiché de la jeune Cécile Sorel que l'on savait avoir été "distinguée" par le défunt président. D'ailleurs "Bouboule", en demi-deuil, signifia son congé au brave Grimberghe qui, selon Gheusi, se consola quelque temps "dans la musique d'État" en allant porter ses hommages à la sculpturale Lucienne Bréval, si chère à Léon Daudet. Morot, ce "coupable peintre" - ainsi le désigne André Germain, déplorant le goût rétrograde de ses parents pour les pompiers: Bonnat, Carolus-Duran, Hébert, Helleu, Ziem, etc. -, vendait à prix d'or les images bien léchées de ses modèles mondains, très applaudies par la critique. Exemple, dans Femina, 1er décembre 1906, sous la signature de Jean-José Frappa, à propos du portrait de Madame Aimé Morot et de sa fille par Aimé Morot: «Si vous voulez un portrait peint avec vigueur, ne sacrifiant rien à la mode, dans lequel vous serez délicieusement ressemblante, un peu grave dans un riche intérieur, mais calme et comme hors des tumultes énervants de la vie, adressez-vous au maître Aimé Morot.» (Les peintres de la beauté.) Il le campe parmi ses fauves, «petit, trapu, vif ». Né à Nancy en 1850, Morot mourut, commandeur de la Légion d'honneur, le 12 août 1913. Élève des Nancéiens Thiery et Sellier, peintre d'histoire, de batailles, de figures, animalier, grand prix de Rome en 1873, l'Institut le choisit en 1898 pour succéder à Gustave Moreau; en 1900 il fut nommé professeur à l'École des Beaux-Arts. L'Annuaire des Grands Cercles et du Grand Monde 1905 indique qu'il était membre du Cercle de l'Union artistique - dit familièrement "les Mirlitons", puis "l'Épatant" - alors sous la présidence du marquis de Vogüé, Léon Bonnat présidant la commission de peinture qui avait Carolus-Duran, peintre, et Antonin Mercié, statuaire, pour vice-présidents -, et du Saint-Hubert-Club de France, où il retrouvait
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aussi Bonnat, son confrère de l'Institut, sous la présidence d'honneur de la duchesse d'Uzès douairière. Le Second Rang du collier, p. 33. Giselle ou les Willis, ballet fantastique en deux actes sur un argument tiré par Théophile Gautier et Vernoy de Saint-Georges d'une légende allemande rapportée par Henri Heine dans ses Riesebilder, musique d'Adolphe Adam, chorégraphie de Jean Coralli avec la collaboration anonyme de Jules Perrot. Première triomphale à l'Opéra de Paris le 28 juin 1841. Dans la Presse du 5 juillet, Théophile Gautier écrit en forme de lettre « À M. Heinrich Heine» un feuilleton très détaillé sur l'œuvre et sa représentation, n'omettant personne hormis lui-même dans sa distribution des éloges: M. de Saint-Georges, « homme d'esprit », puis Carlotta Grisi, Adèle Dumilâtre et Caroline Forster, «les trois grâces de l'Opéra », Petipa «gracieux, passionné et touchant », Coralli pour sa chorégraphie «d'une élégance et d'une nouveauté exquises », Adam pour sa musique « supérieure à la musique ordinaire» de cette sorte d'ouvrage, Ciceri «qui n'a pas encore son égal pour le paysage». M. Ivor Guest, érudit anglais, auteur d'une belle biographie de Jules Perrot et de nombreux ouvrages sur l'art et l'histoire du ballet, écrit en introduction à sa compilation de textes de Théo sur la danse, éclairés de notes discrètes mais bien précieuses: L'attitudede Gautier envers le ballet était celle d'un poète et d'un artiste, nourri en plus par sa grande expérienced'auteur de livrets. [...] Il avait aussi acquis une intime connaissance de l'art de construireun ballet, unique parmi les critiquesde son temps. [...] À cette époque, il arrivait souvent que les ballets soient montés sur des scénarios dramatiquespassablement complexes qui, assortis d'un dialogue, auraient pu convenir pour des mélodrames ou des opéras-comiques. Mais Gautier avait compris les dangers de cette tendance, qui faisaient ressembler les ballets d'action, surchargés d'intentions dramatiques,à des pièces interprétées par des sourds-muets. Dans ses livrets, il entreprit de suivre une ligne moins triviale, s'appuyant sur sa vision poétique, amenant des situations se développant naturellement par la danse et le mouvement. Gautier écrivit l'argument de six ballets qui furent représentés, les cinq premiers d'entre eux à l'Opéra, le sixième à la Porte-Saint-Martin: Giselle (1841); la Péri (1843) ; Pâquerette (1851); Gemma (1854); Sacountalà (1858) et Yanko le bandit (1858). Six autres scénarios, achevés ou à l'état d'ébauches, n'eurent pas cette chance: Cléopâtre (1838), définitivement égaré; la Statue amoureuse (vers 1853); le Mariage à Séville (vers 1870), inspiré d'un tableau du peintre catalan Fortuny; le Preneur de rats de Hameln (1870-1871) et la Fille du roi des aulnes, d'après Gœthe, dont Massenet devait écrire la musique; enfin un projet qui, selon Bergerat, restera au stade de l'intention, une féerie qui eût été adaptée de l'Amour des trois oranges de Carlo Gozzi - cette fable théâtrale dont Serge Prokofiev tira un opéra représenté à Chicago en 1921. Seule voix discordante ou presque dans le concert de louanges qui salua Giselle, celle de Richard Wagner, alors correspondant de l'Abend-Zeitung de Dresde, spectateur grognon de la représentation du 28 juin: «Nous autres, Allemands, nous n'avons pas besoin de "wilis" ; un seul bal du grand Opéra de Paris suffit pour nous jeter aux bras de la mort par la danse.» Wagner jugeait l'art chorégraphique un divertissement déplorablement frivole. Serge Lifar a publié en 1942, sous le titre Giselle.
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Apothéose du ballet romantique, une étude approfondie de ce chef-d'œuvre que toutes les étoiles jusqu'à nos jours ont voulu inscrire à leur répertoire. Le Collier des jours, p. 129. GLINKA, Mikaïl Ivanovitch (Smolensk 1804 - Berlin 1857), propriétaire noble du gouvernement de Smolensk-Serov, fonctionnaire du service des Postes, est le fondateur de la musique russe classique moderne, l'inspirateur de Dargomyzski et du Groupe des Cinq Balakirev, Cui, Moussorgski, Rimsky-Korsakoff et Borodine. Il est accusé de dilettantisme par Tchaïkowski, qui avoue cependant l'avoir "adoré" dans sa jeunesse. «Lisez ses mémoires, écrit-il en juillet 1878 à sa protectrice Mme Veuve von Meck, et vous verrez qu'il ne travaillait qu'en amateur, à loisir, quand l'envie l'en prenait. Nous sommes fiers de Glinka mais forcés de reconnaître qu'il n'a pas accompli la tâche que lui imposait son génie. Ses deux opéras, malgré des beautés merveilleuses et absolument originales, pèchent par de frappantes inégalités de style. À de pures et ravissantes beautés succèdent des naïvetés, des banalités enfantines... » La Vie pour le tsar, grand opéra national, créé à Saint-Pétersbourg en 1836, met en scène les exploits patriotiques du moujik Ivan Soussanine. En 1842, second opéra féerique et d'un orientalisme novateur, Ruslan et Ludmilla, d'après Pouchkine. Berlioz accueille chaleureusement Glinka à Paris en 1844, inscrit avec succès ses œuvres au programme des concerts du Cirque d'Été et lui consacre plusieurs articles élogieux. Liszt était enthousiaste, lui aussi, des compositions de cet épigone du romantisme qu'on a pu appeler "le Berlioz russe". Ses mélodies sur des poèmes de Pouchkine trouvèrent en Mme Louis Viardot une interprète qui tint à les faire connaître dans l'Europe entière après avoir charmé dans leur propre langue ses auditeurs russes. Très cultivée, douée comme sa sœur avant elle pour l'art pictural et comme elle polyglotte, Pauline Viardot parlait couramment l'espagnol, l'italien, l'anglais, l'allemand... et le français, cela va sans dire. Née à Paris, 96, rue de Richelieu, le 18 juillet 1821, tenue sur les fonts baptismaux à SaintRoch par la princesse Prascivia Galitzine et Ferdinand Paër, directeur du Théâtre-Italien, elle était le troisième et dernier enfant de Manuel deI Popolo Vicente Garcia, né à Séville en 1775, mort à Paris en 1832, ténor parmi les plus illustres de son temps, compositeur fécond mais assez médiocre, incomparable pédagogue mais brutal - il dressa sa fille Maria avec férocité -, et de Joachina Sichèz di Mendi, décédée en 1865, une Andalouse qui se destinait au couvent avant de succomber aux charmes du bouillant tzigane. Leur premier-né, Manuel, venu au monde à Madrid en 1805, mort à Londres en 1906, baryton sans avenir sur les planches, se consacra à l'enseignement et fut professeur de chant au Conservatoire de Paris; inventeur du laryngoscope, il publiera Mémoire sur la voix humaine (1840), le Traité complet de l'art du chant (1841), Observations physiologiques sur la voix humaine (1851) ; Jenny Lind, le merveilleux "rossignol suédois", compta parmi ses élèves; la femme de Manuel, Eugénie Mayer (1818-1880), soprano lyrique, fit une honorable carrière en Italie et en France. Après Manuel, second du nom, Maria Felicia, promise à un destin exceptionnel; elle naquit à Paris, 3, rue de Condé, le 24 mars 1808, se produisit pour la première fois dans les salons de la comtesse Merlin. Son soprano dramatique lui valut des triomphes à Londres, puis à New York où elle épousa pour son malheur, en dépit des objurgations de ses parents, un affairiste douteux du nom de François-Eugène Malibran, triste sire âgé de cinquante ans qui la ruina et la battait, dit-on. Séparée de Malibran en
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1827, leur mariage annulé en 1835, elle put enfin épouser son amant, le talentueux et charmant violoniste belge Charles de Bériot, né à Louvain en 1802, mort aveugle à Bruxelles en 1870; élève de Baillot et de Viotti, il eut lui-même pour élève le virtuose Henri Vieuxtemps. Quand la Malibran subit - car ce fut soudain, violent, immédiat - le coup de foudre pour Bériot, il venait d'être plaqué par Henriette Sontag, la soprano allemande, sa grande rivale au théâtre... ainsi s'entrecroisent les fils du destin! Victime d'un accident de cheval alors qu'elle est enceinte, atteinte d'un traumatisme crânien qu'elle se refuse à faire soigner pour ne pas inquiéter son mari, la délicieuse Malibran meurt à Manchester le 23 septembre 1836, laissant un fils légitimé, Franz, né en 1832. D'un second mariage, Charles de Bériot eut un autre fils prénommé Charles Wilfrid - on confond parfois ces demi-frères; c'est Charles Wilfrid qui se fit une réputation de pianiste et coproduisit avec son père une Clef du piano; la petite histoire galante a retenu que la jeune Marie Colombier eut des bontés pour ce Charles Wilfrid. À Laeken reposent les cendres de celle qu'immortalisa la muse de Musset. N'était-ce pas hier qu'enivrée et bénie Tu traînais à ton char un peuple transporté, Et que Londres et Madrid,la France et l'Italie, Apportaient à tes pieds cet or tant convoité, Cet or deux fois sacré qui payait ton génie, Et qu'à tes pieds souvent laissa ta charité? ...... Ce qu'il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive, Ce n'est pas l'art divin, ni ses savants secrets: Quelque autre étudiera cet art que tu créais,
C'est ton âme, Ninette, et ta grandeur naïve, C'est cette voix du cœur qui seul au cœur arrive, Que nul autre, après toi, ne nous rendrajamais. Stancesà la Malibran,XI, XVIII. Théophile Gautier connaissait personnellement Maria Malibran pour avoir été convié à sa pendaison de crémaillère, en 1829, 46, rue de Provence, en compagnie de Rossini, Lamartine, Hugo, Dumas, Delacroix, Bériot... Il est à la Renaissance, rue Ventadour, le 15 décembre 1838, quand Pauline Garcia, après s'être produite avec succès en Belgique et en Allemagne, puis dans les salons parisiens comme il était alors d'usage et notamment chez Mme Jaubert où Musset la trouva à son goût, donne son premier concert public. Pianiste remarquable, un temps élève de Liszt qui fit battre son cœur, elle avait dû pourtant se soumettre non sans amertume à la décision maternelle, eu égard à sa voix puissante, à la tessiture exceptionnellement étendue, cette voix singulière, "double", qui lui permettra plus tard d'incarner avec aisance de nombreux rôles travestis: «Comme ta sœur, tu seras cantatrice. » - «Et pourtant, dira-t-elle un jour à Léon Séché, c'était un crève-cœur pour moi de renoncer au piano pour lequel je me sentais une vocation irrésistible. » Le bon Théo l'entend aussi dans l'Othello de Rossini, rôle de Desdemona, et dans la Cenerentola du même, où la Malibran avait connu l'un de ses plus vifs succès. Une étoile de première grandeur, une étoile à sept rayons a fait briller sa charmante lueur virginale aux yeux ravis des dilettanti du Théâtre-Italien; un nom qui est une auréole luisait autour de cettejeune tête, le nom de Malibran Garcia si heureusement morte au plus beau jour de sa vie, écrasée sous les fleurs et les couronnes du public. Cette préoccupation planait sur
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toute la salle, et l'entrée de Pauline Garcia était attendue avec une anxiété frémissante. Une salve d'applaudissements lui a montré, dès son premier pas sur la scène, que la gloire de sa sœur morte n'était pas oubliée et que la dynastie des Garcia régnait toujours sur les oreilles. [...] Le timbre [de sa voix] est admirable, ni trop clair, ni voilé; ce n'est pas une voix métalliquecomme celle de la Grisi, mais les tons du médiumont je ne sais quoi de doux et de pénétrantqui remuele cœur.L'étendueest prodigieuse. [...] La note est toujours attaquée avec une grande netteté, sans hésitation ni port de voix, cette dernière qualité est rare et précieuse. Elle est excellente musicienne... Si la nature avait gâté Pauline sur le plan vocal, elle l'avait lésée par ailleurs. «Elle est laide », jugeait crûment Adolphe Adam, et Saint-Saëns: «Elle n'était pas belle, elle était pire.» Nicole Barry, qui nous a donné de la cantatrice une biographie attendrie, écrit justement: «À considérer le succès immédiat qu'obtient Pauline dès qu'elle paraît sur scène, on est tenté de croire que sa laideur n'est qu'un mythe. Elle l'est si l'on pense que la beauté d'une femme tient non seulement à son physique mais à sa personnalité. Elle ne l'est pas si on la réduit à une simple organisation de la matière. » Peut-être l'ossature du visage manquait-elle de finesse, peut-être les lèvres étaient-elles trop épaisses et les yeux trop globuleux, mais de ces traits ingrats rayonnaient l'intelligence, l'enthousiasme, la bonté; telle, laide selon les critères esthétiques de l'époque et infiniment séduisante, elle charma George Sand qui lui voua une affection passionnée. Cette rencontre eut dans la vie des deux femmes d'importantes conséquences. Nous en voulons privilégier: primo, le mariage de Pauline, favorisé pour ne pas dire arrangé ou combiné par George; secundo, la publication de Consue 10. La quarantaine aimable, homme de grande culture littéraire et artistique, hispaniste renommé - sa traduction de Don Quichotte passe encore pour être des meilleures -, républicain convaincu, anticlérical, grand chasseur devant l'Éternel, modeste et bien élevé, Louis Viardot est directeur du Théâtre-Italien lorsqu'il épouse, le 18 avril 1840, la jeune Pauline qui s'y fait ovationner. Il donne sa démission afin de suivre la future diva dans ses tournées et continuer ses travaux personnels dans les musées d'Europe qu'il sera ainsi conduit à visiter et à décrire. En 1841, avec George Sand et Pierre Leroux, il fonde la Revue indépendante. Né à Dijon le 31 juillet 1800, il meurt à son domicile, rue de Douai, le 5 mai 1883, pleuré par Pauline qui l'a soigné avec un inlassable dévouement. Consuelo est un roman de George Sand, publié à Paris en 1842; en 1843, la Comtesse de Rudo/stadt donnera une suite encore plus mélodramatique, et fâcheusement encombrée des théories politiques exaltées de Pierre Leroux, aux aventures bizarres vécues en Bohême par Consuelo, ce "laideron" avait osé écrire Sand de son héroïne éponyme avant d'en faire une cantatrice pleine de grâce et parée de toutes les vertus, Consue 10 de mi alma, "Consolation de mon âme"... Le roman nous intéresse encore par son amusante mise en scène de compositeurs plus ou moins liés à l'intrigue, Bach, Haendel, Porpora, Marcello, Hasse, Glück, Haydn, des sopranistes Farinelli et Caffarelli, du grand poète italien Métastase... avec, au détour d'un paragraphe, un bon coup de patte à qui de droit: «Il était de la véritable espèce de poëtes: c'est-à-dire qu'il pleurait plus volontiers devant les autres que dans le secret de sa chambre, et qu'il ne sentait jamais si bien ses affections et ses douleurs que quand il les racontaitavec éloquence.» Schématiquement, nous pourrions ainsi traduire la vie sentimentale de Pauline Viardot: Franz Liszt, jeune professeur très chéri mais indifférent; Alfred de Musset, séducteur professionnel déconfit et furieux; Louis Viardot, vieux mari respecté, imperturbablement présent; Maurice Sand, soupirant déçu; Ivan
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Tourgueniev, ami obstiné, amant à éclipses; Charles Gounod, fervent amoureux, très aimé, très ingrat; Ary Scheffer, amoureux transi, ami sévère et vénéré; Julius Rietz, chef d'orchestre allemand rugueux, follement aimé sans réciprocité; Hector Berlioz, passionnément et vainement épris... Du mariage de Pauline avec Louis Viardot naquirent quatre enfants: Louise, en 1841 - "mon grizzli de filleule", disait Tourgueniev -, cantatrice, compositeur, femme au caractère difficile, qui laissera un volume de souvenirs: Une famille de grands musiciens. Mémoires de Louise Héritte- Viardot (Stock, Paris, 1923) ; Claudie en 1852, peintre; Marianne en 1854, vainement aimée de Gabriel Fauré; Paul en 1857, violoniste virtuose particulièrement apprécié de Gounod, chef d'orchestre, auteur des Souvenirs d'un artiste (Fischbacher, Paris, 1910). Mais, ce fils, a-t-il été conçu par Louis... ou par Ivan au plus haut période d'une tendresse envahissante que ne repoussa pas toujours Pauline? Paul n'eut jamais, non plus que nous-mêmes, de certitude à cet égard, mais penchait plutôt, en raison de certains indices, pour une filiation illégale. Ivan Tourgueniev, "le bon Moscove" comme l'appelaient ses amis Gautier, Flaubert, Renan, ..., ce cosmopolite faible, ondoyant, généreux, ayant fait de Pauline le centre de son existence, vivra auprès d'elle chaque fois que l'opportunité lui en sera donnée; elle n'hésitera pas à adopter la jeune Pélagie, qu'on appellera Paulinette, une fille naturelle du romancier née en Russie en 1842. Le 2 septembre 1883, quatre mois après Louis Viardot, Tourgueniev mourut d'un cancer de la moelle épinière à Bougival, dans la datcha qu'il avait fait construire aux Fresnes, la propriété des Viardot, achetée plus tard par Gaby Morlay; sa dépouille, honorée d'obsèques nationales, repose en terre russe. «Et maintenant, écrit Pauline à un ami, je suis dans la tristesse jusqu'à la fin de ma vie. » Elle vivra encore vingt-sept années. Les Fresnes vendus ainsi que l'hôtel de la rue de Douai, elle s'installe en 1884 au 243 du boulevard Saint-Germain, avec vue sur la Seine et la place de la Concorde, et reprend peu à peu le cours de ses activités: réceptions, soirées musicales, leçons, récitals privés. Litvinne, par exemple, vient solliciter les conseils de cette "animatrice incomparable", ditelle. Autre élève de Pauline, Mme Jean Cruppi, née Crémieux, apparentée à la mère de Proust, belle-mère du sculpteur Paul Landowski, en littérature Louise Dartigue, mentionnée ici parce que, comme Judith, elle siégea au jury du Prix Femina. Gabriel Astruc écoute Pauline et la considère avec respect: «La grande Pauline Viardot, qui chanta Orphée [de Gluck, en 1859, au Théâtre-Lyrique] dans la version du ténor. [... Son] visage sévère personnifiait la Tragédie lyrique. Ses sourcils froncés, les cernes de ses yeux, son regard noir sous ses lourdes paupières, et les deux plis verticaux qui barraient ses joues de chaque côté des lèvres, rappelaient le masque de la Tragédie antique. Sa diction parfaite suppléait aux insuffisances d'une voix dont son grand âge ne laissait subsister qu'un harmonieux murmure. » (Le Pavillon des fantômes.) Mmes Louis Viardot et Catulle Mendès s'étaient trouvées ensemble à Munich en août 1869, pour la répétition de l'Or du Rhin avec Liszt, Saint-Saëns, Villiers de l'Isle-Adam, les Holmès père et fille, tous fervents wagnériens, et s'étaient apparemment perdues de vue, témoin ce billet cérémonieux de Pauline à Judith: « 8 mars [?], 48 rue de Douai [avant 1884, donc]. Madame, je suis libre le 19 au soir, et me mets avec plaisir à votre disposition. Recevez, je vous prie, Madame, mes compliments les plus distingués. » Pauline Viardot, musicienne consommée, était l'auteur d'un certain nombre de compositions, opéras, opérettes et de quelque quatre-vingt-dix mélodies et chansons, dont trois sur des poèmes de Théophile Gautier: Sérénade ("Sur le balcon où tu te penches... "), Lamento ("Ma belle amie est morte... "), Villanelle ("Quand viendra la
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saison nouvelle.. ."). Nous ignorons ce que fut l'entretien des deux femmes et les suites qu'il put avoir; nous savons en revanche que Paul Viardot, accompagné de sa femme et de sa fille Alice, venait fréquemment égayer de sa bonne humeur la rue Washington. Léon Daudet, cet ogre réjouissant, sans pitié pour une bonne part de l'humanité souffrante, se trouve désarmé par la gentillesse de Paul Viardot, sa «haute, large, puissante fantaisie, adéquate à son aspect sympathique. [...] Sa généreuse gaîté [. ..], sa verve magnifique et sans cesse renouvelée, le rendaient cher à tous et à toutes. Il me rappelait, par endroits, Armand Gouzien et sa bienveillance généreuse. [...] Au piano, [...] c'est un autre Viardot, un inspiré du son, le regard perdu, le torse rejeté en arrière ou courbé sur les notes avec amour et se grisant de son propre génie évocatoire. Tant qu'il y aura des Viardot, des Risler, des Bellaigue, les maîtres de la musique ne seront jamais morts et leurs voix ranimées viendront éveiller les ancêtres innombrables engourdis en nous-mêmes.» (Salons et journaux.) Serait-cede Paul que Judith tenait l'anecdotecontée dans son Roman d'un grand chanteur? Dans le cours de l'année 1849, Mario de Candia reprenait le rôle de Jean de Leyde, dans le Prophète de Meyerbeer, rôle créé le 19 avril à l'Académie royale de musique, rue Le Peletier, par le ténor Roger: «Comme il avait le front fort haut, il abaissait la ligne de ses cheveux par une couche de fard habilement disposée. Mme Viardot jouait certain soir le rôle de Fidès qu'elle avait créé et qu'elle jouait à merveil]e. Après son fameux air "0 mon fils", elle s'approche de Jean, lui prend la tête entre ses mains et dépose un baiser sur son front. Quand Mario leva les yeux, il aperçut sur la lèvre supérieure de Mme Viardot deux moustaches bien dessinées! Elle avait emporté une partie de ses cheveux d'emprunt!... À grand' peine il retint un fou rire et sotto voce la supplia de ne pas se retourner vers l'auditoire. Tant bien que mal, la cantatrice effectua sa sortie, le dos au public! » La France doit à Mme Louis Viardot de posséder un trésor. En 1889, elle légua au Conservatoire de Paris la partition autographe de Don Juan, "à la condition formelle qu'elle n'en sorte jamais". Trente-cinq ans plus tôt, à Londres, sacrifiant ses plus beaux bijoux, elle l'avait achetée à un prix exorbitant. Admis à contempler chez elle ce joyau inestimable, Rossini tombera à genoux et Tchaïkowski, plus tard, en aura les larmes aux yeux. «C'était, dira-til, comme si j'avais serré les mains de Mozart lui-même et bavardé avec lui. » Le Second Rang du collier, p. 200. GŒTHE, Johann Wolfgang (Francfort-sur-le-Main 1749 - Weimar 1832). Les Souffrances du jeune Werther, roman épistolaire au dénouement tragique, paru en 1774 puis remanié en 1782, connut un succès foudroyant suivi d'une vague de suicides par désespoir d'amour, déplorés par l'auteur lui-même. On conçoit que cette lecture ait complètement dépassé l'entendement d'une petite fille. Les vignettistes s'emparèrent avec allégresse d'un thème aussi prometteur; Tony Johannot, "l'enfant gâté de l'École Romantique", illustra Werther, il illustra Faust. L'exemplaire de Werther que feuilleta Judith était un produit typique de la bibliophilie du XIXe siècle, un de ces volumes revêtus d'une fragile couverture gaufrée et colorée aujourd'hui vendus à prix d'or. Non, Gœthe n'a pas écrit au jeune Gérard; Mirecourt et Gautier sont responsables de cette légende. C'est dix ans seulement après la mort du poète de Weimar que Nerval connut la bonne opinion que le grand homme avait de sa traduction parue en 1828: «Je n'aime plus lire le Faust en allemand, mais cette traduction française agit de nouveau avec fraîcheur et vivacité.» (J.-P. Eckermann,
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Entretiens avec Gœthe dans les dernières années de sa vie - 1838 -, cité par Pierre Petitfils dans son excellente biographie de Nerval.) Gœthe fut l'une des grandes admirations de Gautier qui fait constamment référence à son œuvre. « Quel temps merveilleux! écrit-il en évoquant les années de sa jeunesse dans Histoire du romantisme . Walter Scott était alors dans toute sa fleur de succès, on s'initiait aux mystères du Faust de Gœthe, qui contient tout, selon l'expression de madame de Staël. [. ..] On découvrait Shakespeare sous la traduction un peu raccommodée de Letourneur, et les poëmes de lord Byron, le Corsaire, Lara, le Giaour, Manfred, Beppo, Don Juan, nous arrivaient de l'Orient qui n'était pas banal encore. Comme tout cela était jeune, nouveau, étrangement coloré, d'enivrante et forte
saveur!»
De même, dans un article à la mémoire du peintre Camille Roqueplan: « Il
régnait dans les esprits une effervescence dont on n'a pas idée aujourd'hui: on était ivre de Shakespeare, de Gœthe, de Byron, de Walter Scott, auxquels on associait les gloires naissantes de Lamartine, de Victor Hugo, d'Alfred de Vigny, d'Alfred de Musset...» À propos d'Eugène Delacroix et de l'admiration que lui portait Gœthe, Théo trouve des épithètes neuves: « le Jupiter de Weimar, le poëte marmoréen, le grand plastique. » À la fin de sa vie, songeant aux incertitudes de sa propre vocation, il le cite longuement: Gœthe l'impassible a connu ces agitations, ces tentatives, ces travaux pour s'assimiler un nouveau moyen d'expression, et dans ses épigrammes de Venise il écrivait: "J'ai essayé bien des choses, j'ai beaucoup dessiné, gravé sur cuivre, peint à l'huile; j'ai aussi bien souvent pétri l'argile, mais je n'ai pas eu de persévérance,et je n'ai rien appris, rien accompli. Dans un seul art je suis devenupresque un maître, dans l'art d'écrire en allemand [.. .]. Que voulut faire de moi la destinée? [...] Un poëte? elle aurait réussi à en faire un de moi si la langue ne s'était pas montrée absolument rebelle." Puissions-nous, après tant d'années de labeur et de recherches poussées en divers sens, être aussi devenu presque un maître dans un seul art, dans l'art d'écrire en français! Mais de telles ambitions nous sont interdites. Conclusion d'une modestie trop exagérée pour être tout à fait sincère! Même à propos de nos frères inférieurs dont il léguera l'amour à Judith et qu'il peignit de façon délicieuse dans Ménagerie intime, Théo fera référence à Gœthe: «Ils [les chiens] ont des regards si profonds, si intenses, ils se posent devant vous avec un regard si interrogateur, qu'ils vous embarrassent. Gœthe n'aimait pas ce regard qui semble vouloir s'assimiler l'âme de l'homme et il chassait l'animal en lui disant: "Tu as beau faire, tu n'auras pas ma monade !"» Une dernière citation qui atteste, s'il en était besoin, la culture "gœthienne" de Gautier. Critiquant en 1837 la danseuse Louise Fitzjames - qu'il n'aimait pas - et louangeant en 1844 la Taglioni, interprètes successives du ballet dans l'opéra le Dieu et la bayadère, sur une musique d'Auber, il écrira: « La ballade de Gœthe, dont M. Scribe a tiré le Dieu et la bayadère, est un chef-d'œuvre de poësie ; on la dirait écrite par un brahmane dans les grottes d'Elephantà ou dans la grande pagode de Jaggernauth, tant ce puissant génie avait la faculté de l'assimilation. [...] Sa fantaisie souveraine a parcouru tous les temps et tous les pays. Sans cesser d'être Gœthe, il a été tour à tour Homère, Hésiode, Hàfiz, Sùdraka, Shakespeare, Calderon, Beaumarchais, Voltaire, Jean-Jacques et même Cuvier.» Gautier eût souscrit avec enthousiasme à cette formule de Thomas Mann qui parle de Gœthe comme l'un de ces "génies de la moisson merveilleuse" dont se nourrit l'humanité... et les compositeurs en particulier! Songeons à Schubert, à Schumann, à Brahms, à Loeve, à Richard Strauss, ... en Allemagne; à Boïto - Mefistofele, 1868, ... en Italie; à Gounod - Faust, 1859 -, à
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Ambroise Thomas - Mignon, 1866 -, à Massenet - Werther, 1892, ... en France, etc., parmi les plus connus du public mélomane. Le Collier des jours, p. 210, 211, 266. GONCOURT, Edmond-Louis-Antoine et Jules Huot de, d'ascendance lorraine. Huit années séparent la naissance d'Edmond, à Nancy, le 26 mai 1822, de celle de Jules, à Paris, le 17 décembre 1830. Le cadet, syphilitique, atteint de paralysie générale, succombe à trente-neuf ans, le 20 juin 1870, dans leur maison d'Auteuil, 67 (alors 53), boulevard de Montmorency, à Paris. Son frère aîné, «la Veuve », dépareillé, inconsolable, misogyne, hypocondriaque - « Je vomis mes contemporains» - lui survit jusqu'en 1896, il meurt le 16 juillet, d'une congestion pulmonaire, à Champrosay chez les Alphonse Daudet. Edmond et Jules, «les bichons» de Flaubert, "fleur humaine à deux cotylédons", écrit Jules Claretie en 1882, demeurés célibataires, couple inséparable dans la mort comme ils l'étaient dans la vie, dorment côte à côte de leur ultime sommeil au cimetière Montmartre, ce campo santo où reposent plusieurs des intimes: Gautier - "qui pleurait à seaux à l'enterrement de Jules" (lettre de Flaubert à George Sand) tandis que les cheveux d'Edmond blanchissaient littéralement à vue d' œil -, ce bon Théo, mort en 1872 ; Renan, mort en 1892; Zola, qui les y rejoindra en 1902. Aussi étroitement associés dans leurs activités littéraires qu'ils le sont dans la vie quotidienne puisqu'ils vont jusqu'à partager la même maîtresse, les Goncourt, mettant peu à peu au point, en "mosaïstes du langage" qu'ils se veulent, une "écriture artiste" maniérée, papillonnante, bientôt démodée, furent, après avoir tâté du journalisme, romanciers "réalistes", historiens spécialistes du XVnIe siècle, dramaturges ulcérés de ne conquérir au théâtre que de piètres succès d'estime assortis de recettes dérisoires, historiens d'art enfin
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Jules étant lui-même un aquarelliste et un aquafortiste de talent - et
l'on sait qu'ils furent parmi les pionniers du japonisme en France. Plus qu'aucune autre de leurs œuvres, le volumineux Journal, "documents humains", "tranches de vie", chronique prétendument objective de "la vie littéraire" dans la seconde moitié du XIXe siècle, assure la pérennité de leur souvenir, tout comme les Mémoires du comte Horace de Viel-Castel, observateur perfide de la société parisienne, demeure le seul ouvrage généralement cité et consulté de ce littérateur. Commencé en commun par les deux frères le 2 décembre 1851, le jour même du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, le Journal s'arrête le 3 juillet 1896, treize jours seulement avant la mort d'Edmond, sur des potins mondains rapportés avec verve par Robert de Montesquiou au vieux Maréchal des Lettres toujours friand d'anecdotes présumées authentiques, des plus anodines aux plus graveleuses, que Jean Lorrain, entre autres, se faisait un malin plaisir de lui fournir en abondance. Goncourt savait bien qu'il y a danger à vouloir tout dire: «La vérité absolue sur les hommes et les femmes rencontrés le long de mon existence se compose d'une vérité agréable dont on veut bien; mais presque toujours tempérée par une vérité désagréable, dont on ne veut absolument pas.» Il se décida pourtant à publier de son vivant une partie, mais très expurgée, du Journal (neuf volumes de 1887 à 1896) offrant selon lui la vérité agréable qui fut extrêmement désagréable à beaucoup de gens et lui valut beaucoup d'ennuis. « L'autre vérité, qui sera la vérité absolue, viendra vingt ans après ma mort.» Méfiants à juste titre, ses exécuteurs testamentaires et héritiers littéraires - l'Académie Goncourt en la personne de ses membres - s'opposèrent longtemps à une divulgation grosse de multiples
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complications. En 1956 seulement commençala publication intégrale du Journal. Second "outil d'immortalisation" conçu en commun par les deux frères et méticuleusement forgé par Edmondau terme de longuesméditations: l'Académie Goncourt,financéeaprès le décès du testateur par la vente des superbes collections manuscrits précieux
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tableaux, objets d'art, estampes, livres,
qui faisaient de la villa d'Auteuil
«une
boîte hermétique,
un coffret
d'Extrême-Orient au plafond drapé» (Henri Duvernois), «un musée du haut en bas. Avec toutes ces chinoiseries, commente Jules Renard au sourire pincé, on se croirait dans une des plus riches huttes de l'Exposition universelle. » (Journal, 8 mars 1891.) Le 21 décembre 1903, l'Académie, officiellement reconnue après de longs débats juridiques où s'illustra Me Raymond Poincaré, constituée de dix écrivains français auxquels une rente était censée assurer l'indépendance de leur vote, attribua pour la première fois son prix annuel "au meilleur ouvrage d'imagination en prose paru dans l'année". Et depuis lors, chaque année jusqu'à nos jours, nous avons au mois de décembre l'occasion de nous remémorer l'article 1er des statuts de l'Académie: «Elle a pour but d'encourager les lettres, d'assurer la vie matérielle d'un certain nombre de littérateurs et de rendre plus étroites leurs relations de confraternité.» Ô candeur! À la mort de Jules Renard en mai 1910, coopté après la disparition de Joris-Karl Huysmans en 1907, les neuf membres en exercice de l'Académie Goncourt étaient Octave Mirbeau, les deux frères Rosny, Léon Hennique, Paul Margueritte, Gustave Geffroy, Léon Daudet, Élémir Bourges et Lucien Descaves. Sur proposition de ce dernier, Judith Gautier fut élue le 28 octobre 1910 par sept voix contre deux à Paul Claudel. C'était à travers elle honorer son père dont l'Académie française se repentit officiellement en 1971 d'avoir repoussé la candidature, c'était saluer un talent reconnu par Goncourt luimême: «Il n'y a que deux femmes qui écrivent le français, Judith Gautier et Mme Alphonse Daudet. » Pourtant, il n'avait pas toujours été aimable: «On n'est pas plus grue, plus bécasse que cette femme de talent. Elle jabote d'une manière imbécile sur un tas de choses qu'elle connaît par ouï-dire... », écrivait-il le 7 juillet 1872, après avoir dîné à Neuilly. Huysmans, contempteur des "Amazones bleues", n'aurait pas refusé, peut-on croire, sa voix à Judith qu'il admirait au témoignage de Myriam Harry «autant pour la pureté de son style hérité de son père que pour la dignité de sa vie isolée.» Dans son curieux roman À rebours, paru en 1884, il consacrait quelques lignes charmantes à « ce délicat Livre de Jade dont l'exotique parfum de ginseng et de thé se mêle à l'odorante fraîcheur de l'eau qui babille sous un clair de lune, tout le long du livre.» L'élection de Judith retentit fortement dans la presse. On rappela que Mme Deshoulières, appelée à faire partie de l'Académie d'Arles, affiliée à l'Académie française tout nouvellement fondée sous la protection du cardinal de Richelieu, fut, stricto sensu, la première académicienne de France, et que la Société des Gens de lettres avait montré l'exemple en élevant, à titre exceptionnel, et deux fois seulement en cinquante ans, des femmes parmi les membres de leur comité: George Sand et Mme Daniel Lesueur. Le 1er mai 1945, l'Académie Goncourt élut Colette: «Mon vœu de recevoir une femme parmi nous, en remplacement de Judith Gautier, était exaucé », écrit Lucien Descaves dans le chapitre terminal de ses Souvenirs d'un ours. Il n'y avait fallu qu'un peu moins de trente ans! Judith fit à un journaliste cette rassurante déclaration: « Je ne suis pas féministe et ne serai pas à l'Académie Goncourt l'avocate partiale des femmes de lettres. Je tiens les écrivains des deux sexes en une égale estime et ne considère en eux que les mérites sans me préoccuper de leur
enveloppe humaine. » Elle dit aussi: «J'ai vécu toujours dans la retraite, dans le silence
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obstiné, autant par goût que par orgueil, et que par timidité... Au jeu des tarots je tire toujours le nombre neuf qui symbolise la solitude et on a dit souvent que j'habite une tour d'ivoire... » Dans cette affirmation têtue d'une vie recluse, la part de vérité s'amenuisait au fur et à mesure que les honneurs venaient à une Judith soi-disant stupéfaite, «grasse, tanguante, cordiale, primesautière », telle que la voyait Rosny aîné; «bienveillante et sereine», dit Laurent Tailhade, avec «une aménité sincère, un très noble penchant à voir les hommes et la vie en beau. » En 1904, sa nomination au comité du Prix Vie Heureuse patronné par les Éditions Hachette et appelé à devenir le Prix Femina, formé de vingt et une puis de vingt-cinq femmes de lettres chargées de décerner un prix annuel en espèces, l'avait contrainte déjà à sortir de sa coquille. Sous la présidence de la comtesse Mathieu de Noailles, Mme Juliette Adam étant doyenne d'âge - et Mme Jane Catulle-Mendès consœur de Judith au sein du jury! -, le prix inaugural échut à Myriam Harry pour la Conquête de Jérusalem; en 1905, c'est le Jean-Christophe de Romain Rolland qui fut distingué; etc. Il semble que ces dames aient fait en général des choix heureux. André Billy alla rendre visite à la nouvelle académicienne Goncourt: «Dans son appartement de la rue Washington, au décor exotique, parmi ses chats et ses chiens, Judith avait l'air d'une vieille impératrice byzantine ou chinoise, hiératique et taciturne, immobile et comme figée dans son embonpoint, que dissimulaient mal des soieries à ramages multicolores. Malgré tout, malgré ses airs de tireuse de cartes, on se rendait compte qu'elle avait été très belle. Son profil resté pur, son teint resté mat et ses yeux noirs faisaient encore une forte impression. ..» Des yeux noirs! ces yeux couleur de bière blonde que Dumas fils comparait à "du raisin mûr, vert en dessous avec des reflets dorés", ses "yeux de lion", disait Lucie Delarue-Mardrus. Il est vrai que Maurice de Waleffe, un intime de Judith pourtant, les a vus noirs lui aussi, de même que Remy de Gourmont, de même que Saint-Georges de Bouhélier qui en rajoute: "extraordinairement noirs", et que Willy, témoin suspect car Judith n'avait guère de sympathie ni pour lui ni pour Colette, sa femme, et les a reçus beaucoup moins qu'il ne s'en vante. Henri de Régnier, authentique habitué de la rue Washington, décrit des yeux bruns, Mathilde Mauté, future Mme Delporte, ex-Mme Paul Verlaine, des yeux violets... Fragilité du témoignage oculaire! La rente annuelle allouée aux membres de l'Académie Goncourt arrondit agréablement l'escarcelle de Judith toujours impécunieuse. Certes, de l'Académie française elle avait reçu trois prix littéraires, mais honorifiques plus que substantiels: le Prix Lambert, en mai 1876, pour l'Usurpateur, roman japonais qui devint la Sœur du Soleil, en «témoignage d'intérêt à Mme Catulle Mendès qui, privée de tout appui, n'a pour vivre que le produit de ses travaux littéraires et qui se recommande en outre par le souvenir de son père»; en février 1898, sur rapport de l'ami Gaston Boissier, secrétaire perpétuel, le Prix Née, de 500 francs, pour l'ensemble de son œuvre; et le Prix Maillé-Latour-Landry, de 1 200 francs, en juin 1904. Ce même jour, Catulle se vit attribuer le Prix Calmann-Lévy pour son étude sur le Mouvement poétique français de 1867 à 1900. (Registres des procès verbaux de l'Institut.) Il Y eut aussi le prix, gagné au Concours poétique d'Épernay, sur le vin de Champagne, pour une Ode de
neuf quatrainsdodécasyllabiques: «11n'est jamais, sans toi, de fête, ô liqueur blonde... » (Poésies, Badinages.) Dans les derniers jours de 1910, un grand ami de Leconte de Lisle, le professeur Pozzi - le séduisant modèle en robe de chambre rouge de Sargent, la coqueluche des salons, l'irrésistible charmeur aux amours éclectiques, «l'Amour médecin », dit Mme Aubernon, « sultan par la barbe, houri par l' œil », dit Mme Colette », «le prince
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du bistouri », dit Myriam Harry, qui sera assassiné en 1918 par l'un de ses patients, mécontent - Pozzi vint rue Washington, dans l'intimité, fleurir du ruban rouge de l'Ordre National de la Légion d'honneur le sein gauche de Judith. Le décret datant du 29 décembre 1910, le brevet fut enregistré le Il avril suivant sous le numéro 82 448: «Madame Gautier, Louise, Judith, Femme de lettres, né (sic) le 25 août 1850 (sic)... » Pour fêter son amie académicienne et légionnaire, la duchesse de Rohan, née Verteillac, donna le jeudi 15 décembre 1910 un grand dîner en son bel hôtel parisien, 35, boulevard des Invalides (il a été démoli en 1954). Le menu, calligraphié sur carte céruléenne à tranche dorée, fut conservé par Suzanne Meyer. Voici: «Consommé Princesse / Potage à l'Écossaise / Petites Timbales Napolitaines / Truites Saumonées Sauce Cardinal/Culottes de Bœuf Richelieu / Foie gras de Strasbourg à la Gelée / Macédoine Mimosa / Poulardes Truffées / Salade de Saison / Céleris à la Moelle / Glace Nesselrode / Royaux / Chester Cake». À propos de ces agapes propres à épuiser les fourchettes les mieux aguerries, plaignons les gourmandes de la Belle Époque, ficelées jusqu'à la suffocation dans leur corset rigide et félicitons Judith, bien à l'aise pour digérer dans ses amples robes d'inspiration orientale, d'avoir refusé les contraintes d'une mode martyrisante. La marée des lettres, des fleurs et des visiteurs porteurs de félicitations submergea la nouvelle légionnaire, occupée d'ailleurs à corriger les épreuves de ses Poésies et à mettre la dernière main à un groupe de poupées asiatiques, cadeau de Noël à la duchesse de Rohan (elles sont actuellement conservées au château de Josselin). Le Il février 1911, les Français d'Asie convièrent Judith à un banquet préparé en son honneur. Entre beaucoup de ses amis membres de cette association - Claude Farrère n'en était pas encore le président -, elle y retrouva son grand admirateur, l'étonnant comte Albert Puy ou de Pouvourville, ex-officier de cavalerie, exadministrateur du Tonkin, initié au taoïsme sous le nom de Matgioi, "Œil du Jour", apôtre d'un usage contrôlé de l'opium, auteur de nombreux ouvrages d'érudition orientaliste. Cet habitué de "l'entre-ciel" a bien joliment parlé des petits compagnons de Judith dans l'article nécrologique que publia le Gaulois du 29 décembre 1917: Satan le chat aux yeux verts, Juliette la couleuvre qui buvait son lait à table dans une soucoupe, s'enroulait autour d'un vase à fleurs de saké et « qu'un jour d'humidité froide, étant déjà dans la rue pour rentrer chez moi, je retrouvai dans la poche de mon pardessus, frileusement lovée autour de mes gants fourrés. » C'était, dit encore Pouvourville, « l'Extrême-Orient [...J qui présidait à ces soirées rares, à ces causeries fermées et précieuses, où, devant la cheminée couverte des "Aubussons chinois", Heredia disait des sonnets non encore imprimés et où, du fond mystérieusement obscur du salon, s'élevaient les harmonies merveilleusement nouvelles de Widor et de Benedictus.» À partir de cette époque, en dépit de son attrait toujours revendiqué pour la claustration, Judith se lança dans les mondanités: réceptions, spectacles, conférences, vernissages... Suzanne, allègre, remuante, décidée, curieuse de nouvelles et brillantes relations, l'y poussait de tout son pouvoir et ne quittait plus d'une semelle celle que ses nouveaux intimes appelèrent désormais Maya - Maya, illusion, fantasmagorie, mais aussi énergie créatrice des divinités védiques -, surnom adopté d'un commun accord par Judith et sa jeune amie dont elle était devenue tout à fait dépendante. Au début de l'été 1917, le marquis de Casa Fuerte était, à Dinard, l'invité de son ami et professeur de violoncelle Joseph Salmon. Celui-ci souhaitait le présenter à Mme Gautier, auteur du livret d'un opéra de Fanelli, Seraphitüs-Seraphîta (Animus-Anima), d'après l'étrange récit de Balzac, inspiré de Swedenborg et publié en 1835. Casa Fuerte rapporte les propos de son hôte: «Il faut
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que vous fassiez non seulement la conquête de Judith Gautier, mais aussi celle de Suzanne Meyer... et ce n'est pas facile! Elle a l'air d'un bouledogue prêt à sauter à la gorge de tous ceux qui s'approchent de son amie; de plus il faut que vous fassiez la conquête de Fanelli, ce qui n'est pas facile non plus. .. » Illan réussit son examen de passage et l'on sympathisa, écrit-il, dès le premier instant. Voici le rapide portrait qu'il trace des deux femmes dans ses Mémoires, près de quarante ans après cette première rencontre: Judith, «petite, forte, elle ne ressemblait pas à une créature de notre Occident européen: plutôt à une divinité asiatique. Un visage de Bouddha empreint de sagesse orientale. Et une très grande bonté, une extrême sensibilité.» Suzanne: «Grande et souple, masculine d'allure, avec ses yeux bleu acier, ses sourcils très marqués et curieusement dessinés, ses pommettes saillantes, elle avait aussi quelque chose d'oriental, [...] plutôt mongol.» Après la mort, alors si prochaine de Judith, Illan, fort intéressé tout comme Suzanne par "les perceptions extraphysiques" (titre d'une conférence qu'il fit à la Sorbonne) et les phénomènes spirites, demeura en rapport avec celle-ci. À son retour d'Amérique après la Seconde Guerre mondiale, il lui rendait encore visite dans son deuxième étage sur cour, 30, rue Washington, où elle s'était installée au début du siècle pour demeurer à proximité immédiate de son idole. Le Second Rang du collier, p. 96-101, 107, 147. GOUNOD, Charles. Il naquit à Paris le 17 juin 1818, rue de l'Éperon, No 10, au rezde-chaussée, dans l'appartement même, décoré par son beau-fils Rochegrosse, que Banville habita à partir de 1863. Il mourut place Malesherbes, No 20, le 17 octobre 1893, dans son bel hôtel où la baronne de Lassus-Saint-Geniès tint à honneur de conserver pieusement le piano et le grand orgue de son illustre père, avec ses manuscrits, ses partitions, ses portraits et son buste modelé par Carpeaux. Tout comme Liszt son aîné de peu, et bien que dans un style moins héroïque, ondoyant du sacré au profane et du profane au sacré, Gounod aima Dieu, la Musique et la Femme... ardemment! Grand Prix de Rome en 1839, choyé par Ingres à la Villa Médicis où il se lie d'une fraternelle amitié avec le peintre Ernest Hébert, il subit fortement l'influence de Lacordaire, l'ex-disciple de Lamennais, dominicain à l'éloquence enlevante. Il compose alors une Messe solennelle; il en écrira plus d'une douzaine au cours de sa vie, avec d'autres œuvres d'inspiration religieuse admirées par SaintSaëns, mais où l'on sent davantage, dira un critique musical, «l'amour que la foi, l'émotion lyrique que l'émotion mystique ». Même opinion robustement exprimée par Huysmans qui parle, dans En route, de "déculottages mystiques". En revanche, sa musique d'opéra (les trois ouvrages maîtres: Faust, 1859, Mireille, 1864, Roméo et Juliette, 1867) ressemble fort, parfois, à de la musique d'église. De retour à Paris, Gounod obtint le poste d'organiste et de premier ténor à la chapelle des Missions étrangères et devint externe au séminaire de Saint-Sulpice, étudiant en théologie, autorisé même à porter la soutane. Il aspira à la prêtrise dans l'un de ces puissants élans de mysticisme qui le soulevèrent de temps à autre, puis, en 1848, « quittant l'habit pour lequel je n'étais pas fait, je rentrai dans le monde. » Voilà! Il était grand temps. Ce gentil garçon au regard rêveur, tel que le dessina Ingres en 1840, était dangereusement perméable aux grâces féminines, d'ailleurs plus séduit que séducteur. Il tomba aux pieds de chacune de ses belles interprètes, l'une après l'autre. Bizet qui fut son élève - on vit Gounod pleurer à son enterrement, mais il faut dire que cet hypertrophié du sentiment avait la larme facile - eut à son endroit une formule
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absolutoire: « Il a une nature qui ne résiste pas. » Mme Hensel, née Fanny Mendelssohn, la sœur adorée de Félix Mendelssohn-Bartholdy, pianiste accomplie, le juge «passionné et romantique à l'excès... d'une expansion extraordinaire... caractère faible, nature impressionnable ». Sardou n'hésite pas à le décrire comme «un peu fou... enthousiaste à faire dresser les cheveux sur la tête. Les bourgeois doivent le trouver poseur, mais je suis convaincu que sa manière bizarre de parler et d'agir est tout simplement l'effet d'une conviction ardente, et avide de sympathie, et d'un besoin naïf d'épanchement. » Edmond de Goncourt nous donne quelques échantillons de ce parler bizarre: «Mme Bizet était encore une fillette de quinze ans et s'apprêtait à prendre sa première leçon de piano avec lui, quand il lui dit : "Faites votre archet et donnez une note lilas, dans laquelle je puisse me laver les mains." C'est encore Gounod qui, à la représentation de Manon [Massenet, 1884], terminait l'éloge d'un morceau par cette phrase abracadabrante: "Enfin, je le trouve octogone. J'allais justement le dire! " ripostait spirituellement Mme Bizet. » Et encore ceci: « Une définition supercontentieuse du nommé Gounod: il appelle la cathédrale de Milan une cathédrale en fa majeur. » (Journal, 20 janvier 1886, 10 mai 1887.) Mais il savait aussi, avec des mots banals, faire un compliment délicat, comme en reçut Liszt, assis à côté de lui au Trocadéro où l'on répétait sa Légende de sainte Élisabeth: «Cela est écrit avec de saintes pierres.» Liszt, invité un jour chez Gounod avec Wagner, y rencontra pour la première fois son grand admirateur Baudelaire. Tout comme ce dernier, avec quelques bémols néanmoins, Gounod admirait Wagner et la "Musique de l'avenir"; Wagner méprisait Gounod et sa "musique de lorette". "Musique de lorette", "fadeurs sucrées" aidant ou nonobstant, la gaieté de Gounod, son exubérance, son tendre cœur inflammable, son charme indéniable lui valurent nombre d'affections féminines en réponse à des adorations quasi extatiques. Comme tous les jeunes artistes que transportaient sa beauté physique et la splendeur de sa voix, à Versailles il courtisa Augusta Holmès. Il désespéra Pauline Viardot - c'est elle qui l'orienta vers le théâtre -lorsqu'il épousa Anna Zimmermann, la fille de son professeur de piano au Conservatoire. Il désespéra Anna lorsqu'il se fit enlever par la blonde et sémillante Mistress Georgina Weldon, cantatrice anglaise du genre agrippant; parti pour un séjour de deux semaines outre-Manche, il en revint quatre ans plus tard, en 1874, tout pimpant, tout heureux de réintégrer le foyer conjugal aux bras d'amis énergiques, pas repentant pour un sou: « Je te rapporte, chère amie, un torse irréprochable. » Non pas vraiment hypocrite, mais un papillon à sincérités successives. De Rome, la duchesse Colonna écrivait en 1869 à sa mère qui lui recommandait de ne pas recevoir le compromettant Gounod: «Il est dans un haut degré de sagesse et m'a presque fait des excuses pour m'avoir autrefois exprimé des sentiments un peu mondains. » Ce qui est une atténuation sensible puisqu'en 1867 il clamait son amour à «la plus adorée des femmes»! Elle modèle son buste et celui d'Hébert, alors directeur de l'Académie de France, lui aussi amoureux de cette belle personne - tenté par elle à tout le moins comme le furent, le sont, le seront Thiers, Carpeaux, Mérimée, Napoléon III, Regnault, Cherbuliez... et quelques dizaines d'autres soupirants, épouseurs potentiels ou simples galants pour le mauvais motif, très généralement repoussés car Adèle éprouvait tour à tour, nous dit son talentueux biographe, Ghislain de Diesbach, le besoin d'être désirée et le plaisir de se refuser. La duchesse en question, née Adèle d'Affry (1836-1879), d'une noble famille suisse, veuve à vingt ans après huit mois de mariage, statuaire, et désargentée, exposait sous le nom de Marcello. Théo, qui raffole de ce genre un peu facile des comparaisons, la baptise
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"la George Sand de la sculpture". À l'Exposition universelle de 1867, section des États pontificaux, il déplore l'affèterie générale des envois et déclare à la jeune artiste: «Parmi tous ces Romains, il n'y a qu'un homme, et c'est vous.» À Rome, en 1869, la duchesse, dévorée d'activité, s'employait à deux œuvres majeures, l'une et l'autre exposées au Salon de l'année suivante: le buste bicolore - bronze et marbre - dit du Chef abyssin, actuellement au Musée d'Orsay, et la grande Pythie de bronze, choisie par l'ami Charles Garnier pour orner son Opéra; elle s'y tord toujours sur son trépied, sous le grand escalier à double révolution, dans les convulsions de l'inspiration prophétique. Il semblerait que Gounod, de caractère un peu flottant, fût attiré par des femmes à l'énergie virile. C'est ainsi qu'aux Nouettes, dans l'Orne, où il séjourna à plusieurs reprises - il Y noircit, par exemple, les premières portées de son Faust -, il était fasciné par le dynamisme "à la Dourakine" de son hôtesse, la comtesse de Ségur, née Rostopchine; elle était la mère de Gaston, le futur prélat, le contemporain à deux ans près de Gounod avec lequel il s'était lié au séminaire de Saint-Sulpice. Comme Pauline Viardot et tant d'autres compositeurs, Gounod, auteur de quelque deux cents mélodies, mit en musique des poèmes de Gautier: "Où voulez-vous aller?" (Barcarolle), "Primavera" (Premier sourire du printemps) et "Lamento" (Ma belle amie est morte...). Dans ses Poésies, Judith recueillit "Fragment d'un monologue lyrique", dix-neuf lignes rescapées du projet de livret d'opéra demandé par Gounod et inspiré par la Sacristine de Nodier dont elle parle dans le Collier des jours. Gounod et Judith se connaissaient assez pour qu'il pût lui dire, dans un moment de confiance, conscient de sa détresse intime: « Ce qui vous manque, c'est que vous êtes seule cérébralement... seule de votre espèce. » - «Elle eût voulu conquérir les hommes par son cerveau uniquement et méprisa, affirme Suzanne Meyer, le rôle intempestif que venait toujours jouer auprès de ses admirateurs masculins l'attrait physique. » À en croire Jean Renoir, biographe de son père, cette façon de voir les choses découragea Auguste Renoir. «Certaines réflexions teintées d'admiration et de mélancolie me portent à supposer que quelque chose se passa entre mon père et Judith Gautier, la fille de l'écrivain. Il me décrivait avec enthousiasme cette "amazone". "Elle me recevait dans une pièce décorée à l'arabe, dont le sol était jonché de peaux de lion. Et dans ce décor, elle trouvait le Inoyen de n'être pas ridicule. C'était la reine de Saba!..." Mélancoliquement, il admettait qu'une femme trop brillante n'est pas faite pour un peintre. "Notre métier est fait de patience, de régularité, ça ne marche pas avec les grands éclats du romantisme." Renoir, le sage, comprit qu'une telle femme devait être "suivie", était faite pour dominer. .. » Croyons qu'il ne garda pas rancune à la Balkis de sa jeunesse puisque, bien des années plus tard, il dédicaça À Madame Judith Gauthier [sic] une reproduction photographique (épreuve originale) du portrait de Wagner qu'il fit à Venise un an avant la mort de celui-ci. Évoquant ainsi Renoir, qui fut un grand ami des Bergerat - il fit les portraits d'Estelle, du jeune Théo; celui de Mendès aussi; il exposa au Salon de 1890 le portrait des trois filles nées de la conjonction Mendès / Holmès -, nous n'oublions pas Gounod. Alors maître de chapelle à Saint-Eustache, il avait distingué parmi les choristes un tout jeune baryton et se prit pour lui, nous dit Jean Renoir «d'une sorte de passion». Il eût voulu pousser son éducation musicale et le faire entrer dans les chœurs de l'Opéra pour débuter une prometteuse carrière de chanteur, mais Renoir choisit une voie différente. Cléo de Mérode, ravissante danseuse de renommée internationale - à ne pas confondre avec ces gourgandines aux amours tarifés, humbles "petites dames qui matelassent" (expression de la comtesse Greffulhe) ou Phrynés de haut vol comme le brelan
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maître de la Belle Époque, Caroline Otéro, Émilienne d'Alençon, Liane de Pougy -, Cléo était petit rat à l'Opéra quand elle eut l'occasion d'observer Gounod aux répétitions de Roméo et Juliette en novembre 1888. Dans le Ballet de ma vie, un livre passionnant, elle se souvient: «Cet auteur glorieux depuis près de cinquante ans était resté très simple et plein de bonhomie. Il avait une figure fraîche et rose, à l'expression aimable et sereine. Parfait exécutant, lui aussi [comme Saint-Saëns], il se mettait au piano pour accompagner les répétitions de son ballet, et, bien que très âgé, il jouait avec une vigueur, un brio étonnants. C'était un régal de l'entendre... » Félia Litvinne, qui fut une des plus fameuses interprètes wagnériennes - Judith et elle communiaient en deux passions : Wagner et l'Extrême-Orient - raconte dans Ma vie et mon art qu'elle rencontra un jour "l'adorable Gounod" à l'Opéra: « Oh! maître, quel chagrin de ne pas chanter Marguerite! Je suis trop forte [.. .]. - Eh bien, répondit-il, une Gretchen peut être en chair. [...] Et le maître me pressa chaleureusement dans ses bras.» On s'amusa toujours des fureurs d'embrassade du démonstratif Gounod. «J'étais si heureuse, conclut Litvinne, et je chantai ce rôle, longtemps et partout, en français, italien et russe.» Si amène que fut Gounod, l'amateurisme musicall 'horripilait; il aurait souhaité réserver l'enseignement du piano aux seuls futurs professionnels; il y eut polémique dans la presse. À une pauvre darne tremblante d'oser interpréter une de ses œuvres devant l'auteur: «Oh! maître, j'ai tellement peur! - Et moi donc! » rétorqua le bourru occasionnel. Membre de l'Académie des Beaux-Arts (1866), grand officier de la Légion d'honneur (1880), Gounod s'acheminait tranquillement vers la fin de sa vie terrestre. Jules Claretie rapporte qu'il répétait souvent: « Je suis en paix avec le monde et avec Dieu. » Le Second Rang du collier, p. 263. GOURJAUL T, comte Olivier de. Ce contemporain de Toto n'a laissé d'autres traces durables dans l'histoire littéraire que ce voyage en Russie accompli à titre de "paysage" aux côtés de Théophile Gautier. Celui-ci nourrissait alors l'espoir de gagner "des ors", espoir, hélas! pitoyablement déçu puisque l'ambitieux projet des Trésors d'art de la Russie ancienne et moderne, album d'héliogravures dont le poète devait rédiger le texte d'accompagnement, avortera par suite de la faillite de l'éditeur. Dans l'esprit d'Alexandre II, favorable au projet pour des raisons d'ouverture politique et culturelle à l'Ouest, cet ouvrage de prestige servirait à contrebalancer, voire à effacer, la fâcheuse image donnée du pays par Astolphe de Custine dans la Russie de 1839, livre paru en 1843 et plusieurs fois réédité avec un succès considérable. Gautier arriva à Saint-Pétersbourg le 10/22 octobre 1858; il quitta l'empire des tsars le 11/22 mars 1859, Y retourna avec le seul Toto en août et septembre 1861 pour tenter sans succès de sauver les Trésors... De ces pérégrinations résultera la publication du Voyage en Russie (1866), volume formé en partie des articles parus dans le Moniteur universel de 1858 à 1861. Lors du premier voyage, dans une lettre écrite de Moscou à Ernesta au retour d'une excursion à Nijni-Novogorod -« sur la Volga en bateau à vapeur. Trois cents lieues de descente et autant de remonte. [...] nous sommes restés quinze jours sans nous déshabiller et nous coucher dans un lit...» - Théo n'a
qu'éloges pour ses jeunes acolytes: « La petite bande vit dans la plus parfaite union et va toujours ensemble comme les canes aux champs: le premier va devant, le second suit le premier et le troisième va le dernier. Toto, comme le plus maigre, ouvre la marche, il est
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d'ailleurs chargé de porter la parole; Olivier vient ensuite et moi après...» Les liens d'amitié résistent souvent mal aux aléas des voyages et du temps, mais ils demeurèrent solides entre les Gautier et Gourjault. En 1867, à la fin de l'été, étant en séjour à Saint-Jean chez Carlotta, Théo mande à Emesta qu'il rentrera à Paris le mardi matin: «Si Bœuf-enChambre pouvait venir déjeuner mardi à Neuilly avec Toto, cela me ferait plaisir de voir au débotté ces deux Auvergnats... » Gautier négligeait volontairement le reproche toujours semblable suscité par ses Voyages. Sa très chère Delphine de Girardin l'avait formulé déjà quand parut Tra los montes en 1843. - On s'amusa beaucoup de ce Tra inconnu de la langue hispanique: il fallait Tras pour dire à peu près "Par-delà les montagnes". - «Théo, en Espagne, il n'y a donc pas d'Espagnols? » Théo s'en explique avec son gendre Bergerat : Je voyage pour voyager, c'est-à-dire pour voir et jouir des aspects nouveaux, pour me déplacer, sortir de moi-mêmeet des autres. Je voyage pour réaliser un rêve tout bêtement, pour changer de peau, si tu veux. Je suis allé à Constantinoplepour être musulman à mon aise; en Grèce, pour le Parthénon et Phidias; en Russie, pour la neige, le caviar et l'art byzantin; en Égypte, pour le Nil et Cléopâtre; à Naples, pour le golfe de Pompéi; à Venise, pour SaintMarc et le palais des doges. La voilà, ma méthode. [...] S'assimilerles mœurs et les usages des pays que l'on visite, voilà le principe; et il n'y a pas d'autre moyen pour bien voir et jouir du voyage. [...] Ils me disent: Dans votre Russie, il n'y a pas de Russes! Parbleu, pourquoi faire? Est-ce queje les ai vus, les Russes? J'étais Russe moi-même à Saint-Pétersbourg comme je suis Parisien sur les Boulevards! La capitale des tsars, fondée en 1703 par Pierre le Grand à l'embouchure de la Neva sur le golfe de Finlande "pour avoir une fenêtre sur l'Europe", construite suivant les plans de l'architecte français Alexandre Leblond, avait fasciné Gautier par sa miraculeuse beauté. Dans une prose ailée, il décrit ce moment inoubliable où surgit à ses yeux «entre l'eau laiteuse et le ciel nacré, ceinte de sa couronne murale crénelée de tourelles, la silhouette magnifique de Saint-Pétersbourg dont les toits d'améthyste séparaient par une ligne de démarcation ces deux immensités pâles. Rien n'était plus splendide que cette ville d'or sur cet horizon d'argent, où le soir avait les blancheurs de l'aube. » Le Second Rang du collier, p. 90, 167, 171-172, 187,203,232. Gringoire, Pierre. Personnage de poète bohême et famélique dans le roman médiéval de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, publié en 1831, "grand, maigre, blême, blond, jeune encore quoique déjà ridé au front et aux joues", très librement et anachroniquement inspiré œ Gringoire ou Gringore, individu réel, né en Lorraine ou en Normandie entre 1475 et 1480, qui mit sa lyre au service de Louis XII et composa nombre d'œuvres dramatiques et violemment satiriques dans le goût de son époque. Théodore de Banville emprunta ce type, en toute candeur, à son maître vénéré Victor Hugo auquel il dédia cette gracieuse comédie, Gringoire, un acte en prose joué pour la première fois à la Comédie-française le 23 juin 1866, avec Coquelin dans le rôle-titre. Hugo eut toujours la louange aisée et flatteuse. De Bruxelles, dès le 27 juin, il écrit à son dévot admirateur: «Mon cher poète, vous avez eu un grand succès, comme on sait que j'aime les bonnes nouvelles, c'est la première chose qu'on me dit au débotté... Je vous applaudis, votre Pierre Gringoire a, je le sais, tout ce qui fait l'œuvre accomplie. Vous avez, c'est-à-dire, nous avons une comédie de plus. Vous êtes le poète doublé de l'artiste. Bravo donc à votre style, à votre verbe, à votre grâce, à votre
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philosophie masquée de fantaisie et de gaîté!... Je suis heureux de votre triomphe, je n'en suis pas jaloux... Je vous embrasse dans votre succès. À vous, "ex-imo" V. H.» (Cité in la biographie très fouillée de Théodore de Banville par Raymond Lacroix.) Au rebours du satisfecit hugolien, ce gentil Gringoire de Banville provoqua l'ire de Leconte de Lisle. Le "grand Bhagavat" n'avait pas de sarcasmes assez méprisants pour fustiger les "poètes à gages", ces "pensionnés qui faisaient cracher leurs plumes aux marges des ministères". Lorsque parut le Recueil des pièces trouvées aux Tuileries après le 4 septembre, on apprit avec stupeur que «non seulement Leconte de Lisle touchait les douze cents francs alloués par un ministère bonapartiste, mais [qu'] il était un pensionné de la Maison de l'Empereur, un de ceux que les Républicains d'alors flagellaient de cette épithète: "les mendiants de Badinguet" ». Fernand Calmettes, auquel nous empruntons ces lignes, pour défendre la mémoire du jacobin pur et dur, du libertaire de 1848, du hautain parangon de l'intégrité morale, pour expliquer la fâcheuse contradiction entre ses dires et ses actes, inventa cette savoureuse mais obscure formule: «Leconte de Lisle était une sorte d'inconscient véridique. » Est-il besoin de dire que si les vrais amis furent atterrés, les autres. .. ? Au sein de "la confraternité des lettres, cette haine vigilante", on rit beaucoup. L'envie mariée à la suffisance habite, hélas! beaucoup de cœurs dans cette « république des lettres où cependant chacun s'évertue à nuire, non seulement par vanité ou représailles, mais pour le plaisir seul de chagriner autrui », assure Laurent Tailhade, particulièrement virulent à l'encontre de son prochain. (Petits Mémoires de la Vie.) L'auteur du célèbre mélodrame Les Deux Orphelines, le fondateur du musée qui porte son nom, au 59, avenue Foch, où nous pouvons encore admirer ses collections d'objets d'art extrême-orientaux, Adolphe Dennery, aurait prononcé cette phrase ingénue: « Je ne vais jamais voir la pièce d'un confrère. Si elle est mauvaise, ça m'ennuie, si elle est bonne, ça m'embête. » (Fouquières, Mon Paris et ses Parisiens.) Bergerat cite Sardou: «On ne fait pas l'éloge d'un confrère pour le grandir, mais pour pouvoir dire d'un autre qu'il est petit.» Scène de la vie littéraire parisienne rapportée par Jules Renard, aussi caustique d'ailleurs envers lui-même qu'envers ses semblables, Renard, l'écorché vif: «De Heredia, dans un salon, lançant à toute volée le quadrige de ses postillons, s'écriait: "Mais c'est admirable, l'Aphrodite de Pierre Louys ! Depuis Flaubert, on n'avait jamais rien vu de pareil. C'est le meilleur roman qui ait paru depuis cinquante ans." Aussitôt Paul Hervieu et Vandérem fichent le camp. "Ils sont étonnants, ces romanciers! dit de Heredia. On ne peut pas faire l'éloge d'un roman devant eux." Mais quelqu'un: "Monsieur de Heredia, est-ce que Pierre Louys n'a pas aussi fait des vers? Oui, mais, entre nous, il a eu tort, car ses vers sont franchement médiocres."» (Journal, 21 avril 1896.) C'est à Bergerat encore que nous emprunterons le... mot de la fin. « Au banquet à deux louis par tête que les six cents fils de Victor Hugo lui offrirent au Continental en l'honneur de la reprise d'Hernani à la Comédie-Française, [...] le Père, un
peu troublé,promulgual'adage mémorable: "Dans con-frères,il y a frères..." » (Souvenirs d'un enfant de Paris.) Le Second Rang du collier, p. 193. GRISI, Carlotta naît le 28 juin 1819 à Visinida, petit village lombard proche de Mantoue; elle meurt dans sa propriété genevoise de Saint-Jean, le 20 mai 1899, entourée de sa fille Ernestine, de son gendre Pinchart, de ses petits-enfants. «Sa mort passa tout à
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fait inaperçue, écrit Serge Lifar. L'époque utilitariste des années quatre-vingt-dix avait complètement oublié l'une des reines du romantisme. On ne relève qu'un seul article nécrologique dans l'Éclair du 26 juin 1899 » et il le reproduit d'après Émile Bergerat : J'ai pu causer parfois, seul à seule, sous les marronniers, avec la darne aux yeux de violettesdu maître à qui elle avait inspiré un amour tellement profond qu'il domine son œuvre et lui arracha son dernier soupir. Lorsquenous en devisions à voix basse, comme dans une chapelle en ruines, elle se flattait d'en avoir été l'objet, mais s'en étonnait davantage, j'allais écrire qu'elle n'en revenait pas. Personne n'eut l'âme moins romantique que Giselle, Wili dI Hartz rêvée par deux poètes et réalisée par une petite bourgeoise balzacienne de la maison dI Chat-qui-pelote.Ce qui la touchait le plus, c'était le souvenir des ouvrages qu'il avait écrits, non sur elle, mais pour elle et qui lui avait valu les plus beaux triomphes de sa carrière si prématurément terminée. Pour le reste, elle n'en gardait que l'émotion coquettement pudique d'un ami trop empressé qui s'était trompé d'autel et avait distraitement porté sur le sien des fleurs destinées à une autre. Elle ne croyait encore qu'à cette méprise. J'ai vu là combien il est sujet à caution l'axiome psychologiquequ'aucune femme ne se trompe à l'amour qu'elle inspire puisque les dernières lettres qu'il traça, d'une main mourante, sont celles qui forment le nom de Carlotta, la dame aux yeux de violettes. À trente-quatre ans, elle avait abandonné les planches, sans renoncer pour autant à toute discipline ou entraînement physique, ce qui lui permit de conserver jusqu'à un âge avancé une silhouette juvénile. Maurice Dreyfous nous a laissé de cette dame mûrissante un joli croquis: «Pour avoir une juste notion de ce qu'une femme peut mettre de grâce et de jeunesse dans sa démarche, il faut avoir vu marcher Carlotta. À plus forte raison était-elle inimitable quand elle dansait. Je crois être, à l'heure actuelle, l'un des derniers qui puissent se vanter d'avoir vu danser Carlotta Grisi. Je me hâte d'ajouter qu'elle était en robe de ville, en jupe longue, et valsait, sans plus de prétention, avec sa propre fille. Du jour où je l'ai vue, j'ai acquis la sensation et le sentiment de n'avoir qu'une seule fois, dans ma vie, vu une femme danser. Je me suis souvent demandé ce que cela pouvait être quand Carlotta, encore toute jeune, dansait dans le ballet de Giselle ou dans celui de la Péri. » (Ce que je tiens à dire.) À sept ans, sa mère l'inscrit à l'école de danse de Milan; trois ans plus tard, elle est première danseuse du ballet d'enfants à la Scala, alors que Fanny Cerrito est première danseuse chez les jeunes filles. Surmenée, la pauvre petite "craque" et l'on hésite: faut-il en faire une chanteuse plutôt qu'une danseuse? La Pasta, charmée par la limpidité de sa voix, lui promet un brillant avenir dans cette nouvelle carrière; plus tard la Malibran voudra, elle aussi, la persuader d'opter pour l'art lyrique. La danse l'emportera en définitive, mais Carlotta persista longtemps à chanter en scène. Gautier analyse cette voix: «agile, claire, un peu aiguë, faible dans le médium, mais elle la conduit avec adresse et méthode, c'est une très jolie voix de danseuse. Beaucoup de cantatrices qui ne dansent pas n'en savent faire autant.» Une voix de danseuse, le compliment est mince. Albéric Second rapporte, en 1845, que Carlotta «chante en s'accompagnant sur le piano. Ses voisins qui l'entendent chanter et ne la voient pas danser, prétendent qu'ils sont doublement à plaindre, - et pour ce qu'ils ne voient pas, et pour ce qu'ils entendent.» Après deux ans de tournées en Italie, Carlotta, alors âgée de quatorze ans, a la chance de rencontrer à Naples, où il se produit au San Carlo, un danseur élève et héritier spirituel de Vestris, un partenaire apprécié de la Taglioni, Jules Perrot, futur chorégraphe - ou choréauteur selon le néologisme forgé par Lifar - des plus inspirés. Leur association devient une liaison profitable aux deux parties de ce contrat dans lequel Perrot donna plus d'amour qu'il n'en reçut. Il semble bien que
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Carlotta, esprit positif, attachée aux biens matériels, fut toujours immunisée contre les élans irrépressibles de la passion. Ils passent dorénavant pour mari et femme de la même façon qu'Ernesta fut longtemps désignée sous le nom de Mme Gautier. Perrot, né à Lyon le 18 août 1810, de Jean Perrot (1788-1857) et de Mme née Laurence Rochas (1788-1871), entra très tôt, comme Carlotta, dans la carrière chorégraphique. Fasciné par les performances acrobatiques de Charles Mazurier - fameux pour son rôle de Jocko ou le Singe de Brésil à la Porte-Saint -Martin en 1825 -, Perrot développe ses qualités physiques avec une énergie farouche. Après Londres (où le futur Napoléon III se montrera, en 1839, "le plus tenace" des admirateurs de Carlotta, d'après ce qu'elle raconta à Bergerat) et Vienne, Paris accueille avec enthousiasme le (faux) ménage. Le 8 avril 1837 naît, au village d'Auteuil, une fille baptisée le surlendemain à l'église de la paroisse «Marie-Julie [.. .], fille de M. Joseph Perrot et Dlle Adélaïde Joséphine Grisi, artiste [.. .]. Le parrain est M. Jean Perrot, grandpère paternel de l'enfant, et la marraine est Dame Marie Grisi, qui a signé avec le père... » Dame Marie Grisi, l'omnipotente, la redoutable Mammina, généralement détestée par l'entourage de ses filles! Marie-Julie, aussitôt confiée, croit-on, à ses grands-parents Perrot, vécut obscurément; quand elle vint réclamer, après la mort de Carlotta, sa part de l'héritage maternel, ce fut, rapporte M. Ivor Guest, auteur d'une biographie très fouillée de Jules Perrot, une stupéfaction à Saint-Jean; également ignorée de ses demi-sœurs Perrot nées en Russie, demeurée célibataire, elle disparut en 1901 et repose à Lyon, dans la tombe familiale des Perrot. Pauvre Marie-Julie! Revenons à Carlotta pour esquisser les grandes lignes de sa vie sentimentale, très secrète. L'usure des liens affectifs entre Perrot et elle, accentuée par Mammina, augmentée par des mésententes d'ordre professionnel, aboutit à la dislocation du couple. À Paris, Carlotta, abandonnant à Perrot leur appartement du 42, rue Richer, s'installe en 1842, avec sa mère et Ernesta, rue de Trévise. On parla d'une idylle entre la danseuse et son partenaire dans Giselle, le très beau Lucien Petipa, créateur du rôle d'Albert-Loys. Entre temps, Théophile est tombé amoureux de Giselle, «fraîche comme une fleur, légère comme un papillon, gaie comme la jeunesse et lumineuse comme la gloire.» Albéric Second ironise: «Il prend des leçons quotidiennes de Mlle Carlotta Grisi. Le fait est que M. Théophile Gautier ne pouvait choisir une plus charmante maîtresse de ballets.» En 1844, Carlotta fait une fausse couche. L'année suivante, l'assiduité d'un riche baron de Vidil qui l'escorte dans ses tournées fait jaser. Carlotta danse alors principalement à Paris, à Londres et à Saint-Pétersbourg où elle retrouve Perrot; peu rancunier, il a conservé de bonnes relations de travail avec son ancienne élève, continuant à régler pour elle des pas et des ballets qui la portent au zénith. En 1850, elle fait à Paris la connaissance du prince Léon Radziwill, mélomane averti; ils se retrouvent en Russie. En 1854, elle décide de mettre fin à sa vie de ballerine, donne le jour à Léontine, alias Ernestine, et s'installe à Saint-Jean «où elle vit en fermière », assure cocassement Larousse. Parmi les œuvres nombreuses qu'elle interpréta avec un succès constant, outre Giselle, la Péri, Esmeralda et le pas de deux de la Favorite, figurent Zingaro, 1840 (chorégraphie: Perrot) où Gautier la vit pour la première fois, la Jolie Fille de Gand, 1842 (chorégraphie: Albert), le Diable à quatre, 1845 (chorégraphie: Mazilier), le fameux Pas de quatre (Taglioni, Cerrito, Grisi, Grahn, chorégraphie: Perrot), Paquita, 1846 (chorégraphie: Marius Petipa), la Filleule des fées, 1849 (chorégraphie: Perrot). La Grisi se produisait aussi dans le monde. Voici, dû à la plume du Vte de Launay, un écho du Carnaval 1844 chez la comtesse M... [erlin?]: «À une heure du matin, une vive
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agitation se manifesta dans la fête... Mademoiselle Carlotta Grisi venait d'y paraître... On se rangea en cercle, on grimpa sur les fauteuils dorés, sans égard pour leur damas respectable, et il se fit un grand silence [...]. Mademoiselle Grisi, semblable en cela à Mademoiselle Rachel, est beaucoup plus jolie dans un salon qu'au théâtre. Elle a dansé la tarentelle d'une manière charmante et au bruit d'applaudissements frénétiques. » En 1847, la carrière de Perrot prend un tournant décisif; il souscrit un engagement de danseur, mime et maître de ballet aux Théâtres Impériaux et va s'établir à Saint-Pétersbourg, prenant ainsi la relève de Didelot, génial précurseur du romantisme chorégraphique qui y officia de 1801 à 1811 et de 1816 à 1819, et ouvrant la voie à Saint-Léon, le mari de Fanny Cerrito, danseur, chorégraphe, pédagogue, excellent violoniste de surcroît, qui lui succéda à SaintPétersbourg pendant une décennie à partir de 1859. Les Théâtres Impériaux, c'était principalement à Saint-Pétersbourg le Bolchoï (de l'adjectif russe bolche, plus grand) qui abrita le ballet impérial de 1739 à 1889 avant qu'il n'élise domicile au théâtre Mariinsky ou théâtre Marie, créé en 1860 ; à Moscou, « le Maleyï ou Petit Théâtre, fondé en 1824, et le Bolchoï
qui
[...]
fut fondé en 1776 et subit
de multiples
incendies
et d'incessantes
reconstructions jusqu'à devenir en 1856 le théâtre actuel. » (L'Art du ballet en Russie 17381940, somptueux album édité à l'occasion d'une exposition des collections du Musée théâtral et musical de Leningrad à l'Opéra de Paris Garnier en 1901.) En 1850, Perrot épousa la jeune Capitolina Samovskaya, qui semble n'avoir eu aucun lien particulier avec le monde du théâtre, une anomalie dans ces familles d'artistes; deux naissances viendront combler l'heureux foyer: celle de Marie en 1851 et celle d'Alexandrine en 1853. Parmi les visiteurs étrangers, Perrot eut le plaisir d'accueillir au Bolchoï, le 16 novembre 1858, Théophile Gautier venu applaudir Amalia Ferraris dans Éoline, ou la Dryade (musique de Pugni sur un livret inspiré de Musaüs, chorégraphie de Perrot.) Le Journal de Saint-Pétersbourg publiera les compliments du voyageur: «Le triomphe de Mme Ferraris a été complet, et les Russes sont difficiles en fait de danse: ils ont vu Taglioni, Elssler, Cerrito, Carlotta Grisi, sans compter leurs propres danseuses, jeune armée chorégraphique qui sort de leur Conservatoire, un des mieux tenus du monde, alerte, assouplie, disciplinée à merveille... » En 1861, fatigué, en mauvais termes avec le nouveau directeur des Théâtres Impériaux, Perrot doit prendre une retraite forcée, heureux malgré son amertume d'avoir gagné l'estime de Nicolas 1er et de son fils Alexandre II. Les Mémoires de Marius Petipa témoignent d'une aventure similaire et d'une égale ingratitude de la Russie à l'égard d'un chorégraphe de génie congédié après cinquante-sept ans de labeur sous le règne de quatre tsars. De retour à Paris avec sa famille, Perrot habite rue des Martyrs de 1861 à 1879, sauf intermède à Genève pendant l'Année terrible, puis au 52, boulevard Magenta. L'oisiveté lui pèse, heureusement Mérante, nouveau maître de ballet à l'Opéra, demande à son excellent ami Perrot d'assurer quelques classes. Et c'est ainsi que Degas eut l'occasion de peindre ce vieil homme en blouse au centre d'un essaim de jeunes personnes en tutu, toile que l'on peut voir au Musée d'Orsay. Le gros bâton noueux sur lequel s'appuie Perrot lui servait, non pas à assurer brutalement la discipline, comme on serait tenté de le croire, sachant le caractère impatient et emporté du maître, mais à frapper le sol pour obtenir un peu de silence de ces demoiselles et scander la musique d'accompagnement. «La famille Perrot, écrit Ivor Guest, passait les vacances d'été sur la côte bretonne, d'abord à Saint-Énogat, près de Dinard, plus tard, de l'autre côté de l'estuaire de la Rance, à Paramé, dans une villa moderne à trois étages », cossue, "les Sapins". C'est là que mourut Jules Perrot, le 19 août 1892, jour anniversaire
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de ses quatre-vingt-deux ans; sa dépouille, ramenée à Paris, fut inhumée au cimetière du Père-Lachaise. - Nous n'avons pas trouvé le moindre indice d'une quelconque relation entre Judith et les Perrot! - L'iconographie relative à Perrot et à Carlotta serait indigente si, par chance, la grande époque du ballet romantique n'eût coïncidé avec celle d'une nouvelle technique, la lithographie, gravure sur pierre, moins coûteuse, plus rapide que la gravure sur cuivre. Ce procédé, détrôné par le daguerréotype et rendu caduc par l'avènement de la photographie, tenta des artistes comme l'Anglais A. E. Chalon, les Français Grevedon, Lami, A. Deveria notamment, séduits par les performances révolutionnaires des danseurs et danseuses de la nouvelle génération. Nous leur devons l'image exquise de créatures vaporeuses, irréelles, désincarnées - nous parlons des femmes -, sans pesanteur sur des pieds amenuisés, effilés jusqu'à l'absurde. À ce propos, on a beaucoup débattu une palpitante question: Qui a inventé la pointe? Réponse: Personne, elle s'est imposée d'elle-même aux ballerines soucieuses de se faire toujours plus légères, plus aériennes. Parmi les pionnières, l'on cite Istomina, russe, Gosselin, française, Brugnoli, italienne, Taglioni enfin, dans la Sylphide. Serge Lifar écrit: Les chaussons à bouts renforcés datent, approximativement, de l'époque de Giselle. Avec Marie Taglioni, les danseuses avaient commencé à faire des pointes, mais elles n'étaient pas aidées en cela, comme le sont nos ballerines d'aujourd'hui, par le point d'appui du bout renforcé. [...] Marie Taglioni et Fanny Elssler portaient des chaussons de danse souples, comme ceux du danseur; elles les rembourraient elles-mêmes de coton pour diminuer la fatigue et la douleurphysique résultant d'une longue station sur les pointes. Carlotta Grisi commence à porter des chaussons à bouts renforcés et arrondis (nécessitant un équilibre beaucoup plus précis que les chaussons d'aujourd'huiqui ont un bout ferme et carré, auquelon peut reprochermême d'alourdirles lignes - le pied de la danseuse donne, parfois, l'impression de s'enfoncer dans le sol, au lieu d'en effleurer seulement la surface). Les contemporains ont unanimementloué les pointes d'acier de Giselle et nous savons que dans la Péri, elle traversait toute la scène en diagonale sur les pointes, preuve d'une technique sérieuse. (Carlotta Grisi.) Laissons à Théo le dernier mot sur ce pied, sur cette jambe de Carlotta qui lui marcha si délicieusement sur le cœur: « Son pied, qui ferait le désespoir d'une maja andalouse, et qui mettrait la pantoufle de cendrillon par-dessus le chausson de danse, supporte une jambe fine, élégante et nerveuse, une jambe de Diane chasseresse, à suivre sans peine les biches inquiètes à travers les halliers. » (Les Beautés de l'Opéra. Giselle.) Le Collier des jours, p. 126-132, 135-137, 173, 178, 181,237,238,251,252,257. Le Second Rang du collier, p. 247, 262, 276, 299, 319, 325, 326. GRISI, Ernesta Giuseppina Jacomina (Visinada, Istrie, 25 octobre 1816 - Paris, Il décembre 1895.) La carrière théâtrale d'Ernesta Grisi a certainement pâti de l'inévitable comparaison avec les fracassants succès remportés par sa cousine germaine Giulia Grisi, soprano, par sa sœur cadette, Carlotta, danseuse. Malgré une timidité paralysante et divers accidents de santé, elle ne renonça pas volontiers à l'espoir de voir triompher son contralto passionné sur les scènes européennes, au Théâtre-Italien de Paris, en Italie, en Angleterre, en Belgique et jusqu'à Constantinople, sans compter les nombreux concerts auxquels elle prêta son concours. Dans la Presse des 2-3 novembre 1838, Théophile Gautier trace ce portrait de la jeune cantatrice: « Elle est petite, assez potelée, la figure pleine et ronde, un peu courte, les yeux très beaux avec des prunelles vert de mer et des sourcils noirs en pinceaux; le nez
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manque de noblesse, la bouche est venneille et s'épanouit assez gracieusement, les bras sont d'un galbe élégant. » Portrait complété dans le même journal, cinq ans plus tard, presque jour pour jour: «. .. Dans ces prunelles transparentes et profondes, je reconnais les couleurs de l'Océan. Il ne faut pas trop s'y mirer, le vertige pourrait vous prendre. Mon cœur se trouble... Que disais-je donc? - Qu'Aphrodite, née du ciel et de l'écume de la mer, avait les prunelles de cette teinte où l'azur des flots et l'or du soleil se fondent également... » Le travesti qui seyait à merveille à la svelte silhouette d'Emesta et sa voix "mâle" éveillaient les phantasmes érotiques de Gautier, bien connus depuis Mademoiselle de Maupin (1835). Bref, il tombe sous le charme. En novembre 1843, leur liaison est avérée par une liste des passagers français débarqués en Angleterre: Emesta y est désignée comme "l'épouse" de Gautier. Trois pièces d'Émaux et Camées reflètent l'amour naissant du poète. Que tu me plais, ô timbre étrange! Son double, homme et femme à la fois, Contralto, bizarre mélange, Hermaphrodite de la voix! C'est Roméo, c'est Juliette Chantant avec un seul gosier; Le pigeon rauque et la fauvette Perchés sur le même rosier; ....................................
Après Contralto,
Et dont la voix dans sa caresse, Réveillant le cœur endormi, Mêle aux soupirs de la maîtresse L'accent plus mâle de l'ami! Cœrulei Oculi et Tristesse en mer: ... Mais une femme dans sa mante Sur le pont assise à l'écart, Une femme jeune et charmante Lève vers moi son long regard.
Dans ce regard, à ma détresse La Sympathie aux bras ouverts Parle et sourit, sœur et maîtresse. Salut, yeux bleus! bonsoir, flots verts! La correspondance conservée des débuts de la liaison entre Théo, amoureux déçu de Carlotta, avec la sœur de celle-ci, éclaire quelques moments de leur intimité croissante. Ernesta, de Rouen: (27 février 1844) ... Écris-moi, donne moi de tes nouvelles, ca me fait tant de plaisire a recevoir tes lettre que si tu le voyes tu n'en seures pas aussi avare. Adieu, mille baisers de tout cœur de ton affectionnée amie.. . (9 mars 1844.) Mon cher ami, je m'empresse de te dire que les choses vont très bien, que j'ai eu des peurs innutiles, ca a retarde jusqu'a aujourd'hui pour m'effraier: ainsi je t'attendrai Lundi en huitte, Adieu je t'embrace comme je t'aime. L'échange de lettres en avril indique toujours les mêmes soucis - « ... j'aimerai encore mieux fair un enfant, que de perdre ma vois...» -, énumère les moyens suggérés ou essayés pour échapper à une grossesse indésirable. Craintes non fondées ou conjurées en ce
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printemps 44. On sait qu'Ernesta accouchera de son premier enfant, Judith, le 25 août 1845. Puis vint la naissance d'Estelle et la poursuite de cette liaison sur des bases conjugales. Les lettres de Gautier à Ernesta témoignent d'une sincère et paisible affection. Était-il d'autant plus gentil qu'il trompait sans trop de vergogne cette femme à laquelle il ne pouvait reprocher aucune infidélité, aucune apparence, même, de légèreté "coupable", la pauvre Ernesta malheureusement douée d'un tempérament impulsif et violent dont les explosions rebutaient sa petite famille? Plus intelligente, plus douce, plus diplomate, plus maligne, eût-elle retenu davantage le cœur vagabond du poète? (Paris, Il avril 1844.) ... Viens donc me voir. Le plus tôt sera le mieux. Pauvre chatte, ta lettre m'a troublé et touché plus que je ne saurai dire; elle est bonne, naïve et dévouée comme toi. Tu as un cœur charmant.. . (Paris, 12 août 1849.) ... Je suis content que ta voix revienne, puisque son absence est un chagrin pour toi; cher petit oiseau, tâche de rattraper ton ramage. Mais pas d'efforts surtout, laisse faire la nature. Adieu, je te baise amoureusement sur toutes tes bouches et vais me remettre à mon feuilleton. (Paris, octobre 1851.) ... Chose adorée, il paraît que mes souhaits de bonheur pour toi ne sont pas exaucés, car jamais succès ne fut désiré plus ardemment que le tien. Mais si tu permets cette parole - livre-toi entièrement et ne crains pas de trop donner. Je mène une existence fort triste, je travaille et je m'ennuie. Tu me manques horriblement... (Paris, 17 février 1852.) ... Judith va très bien; elle devient gentille et douce, elle Ii t couramment, commence à écrire et sera une bonne petite fille. Rien de mauvais ne peut sortir de toi, mon cher ange... (Munich, 10 juillet 1854.) ... Je regrette beaucoup que tu ne sois pas venue; tu me manques considérablement. Enfin, nous aurons peut-être plus tard assez de monnaie pour ne pas nous séparer. . . (Paris, 19 novembre 1856.) ... J'ai vu avec chagrin que tu avais été enrhumée. Cela ne m'étonne pas. Nice doit être le climat le plus malsain de la terre puisque tous les imbéciles, maniaques, poussifs et touristes, y font pousser l'affaire. Il n'y a pas de pays plus agréable que Paris comme température, surtout dans la mauvaise saison. Soigne-toi bien, chère mignonne. . . (Paris, 30 décembre 1856.) ... Cela m'attriste un peu, je l'avoue, et il faut tout le respect que j'ai pour ta liberté pour te laisser ainsi loin de la maison. Mais tu as aussi ton idéal d'artiste et je comprends que tu veuilles faire usage de ton talent. Maintenant mes affaires sont arrangées de façon à te rendre l'existence agréable et facile, sans ces laides préoccupations d'argent qui gâtent tout. Tu seras heureuse dans ton nid aussitôt que tu voudras y revenir à côté de moi et de nos chères petites. J'approuve ton idée d'aller à Milan et je t'aiderai dans l'exécution de ce projet.. . (Saint-Pétersbourg, 18 février 1859.) ... À toi de cœur et mille baisers. Je ne te fixe pas de jour pour mon arrivée, mais ce sera bientôt... C'est bien long et c'est bien court: long pour le cœur, court pour ce qu'il y a à faire. Crois, pauvre chatte, que ton absence m'est aussi douloureuse que la mienne peut l'être pour toi. Moi qui suis si triste, même quand je te possède, songe combien je dois être gai à huit cents lieues, tout seul, car l'amabilité de mes compagnons ne te remplace pas et tu es le seul être que j'aime au monde... Tout allait donc cahin-caha, mais avec décence et courtoisie, dans la petite maison de Neuilly. Il faudra le soutien apporté par Ernesta à l'idylle de Judith avec Mendès pour faire sortir Théo de ses gonds. Il fulmine dans une longue lettre écrite de Saint-Jean, chez Carlotta, en mars 1866.
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Ma chère Ernesta, Ta lettre m'a fait plaisir en ce qu'elle m'apportait de tes nouvelles, et peine par la démarche très grave que tu as prise sur toi de recevoir à la maison monsieur Catulle Mendès en mon absence. [...] Dans l'état de folie où vous êtes toutes, Judith se perdra par sa volonté, non par la mienne. J'aurai résisté jusqu'au bout à ce que je regarde comme un acte de démence à tous les points de vue. Mais quelle position m'as-tu créée par cette fatale condescendance? Quelle sera mon attitude dans une maison où mon autorité de père de famille est méconnue par la mère et les filles? [...] Il faut malheureusement qu'à travers ces insanités, je gagne ma vie, la vôtre, celle des personnes qui dépendent de moi et que je vous crée à la sueur de mon front ce loisir de faire des sottises. [...] moi dont vous ne tenez aucun compte, et sur le cœur duquel vous marchez avec une tranquillité effrayante. [...] Tu prétends que sans cette concession, Judith serait sortie à ton insu et l'aurait vu seule, chose encore plus dangereuse. Si tu ne restais pas - permets-moi de te le dire - assise toute la journée à côté d'un tas de chiffons, dans le couloir où tu passes ta vie, si au lieu de croupir là de dix heures du matin à sept heures du soir, tu allais et venais par la maison, tu montais à l'atelier, tu jetais par la fenêtre un coup d'œil au jardin, tu verrais si tes filles font ou non des équipées au dehors et tu empêcherais leur sortie par ta surveillance. Vous m'avez trouvé très indulgent, trop indulgent même, sur beaucoup de choses, mais pour ce qui est de mon nom et de mon honneur, vous me trouverez inflexible. Vous en faites vraiment trop bon marché et vous me forcerez, à mon grand regret, à quelque décision irrévocable et suprême. J'ai rempli avec amour, abnégation et dévouement mes devoirs envers vous tous; j'ai aussi des devoirs envers moi que je ne dois pas oublier. Je n'y pensais pas. Vous m'en faites souvenir. Je vous embrasse le cœur navré. «La tension atteint son paroxysme, s'achève par la tenible défaite du père, écrit Sylvie Calmet dans Parenté et création. Acculé à l'acceptation puisqu'il sait que dès sa majorité Judith épousera Catulle Mendès, il anticipe l'échéance redoutée en paraphrasant le consentement: "J'ai éprouvé le sentiment d'un Roi qui signe son acte d'abdication et de déchéance."» Ernesta paya au prix fort cette tourmente domestique. Après vingt-deux années de vie commune avec Théo, leur séparation fut définitive. Elle partit s'installer à Villiers-sur-Marne; ils ne se revirent plus qu'occasionnellement, à Genève chez Carlotta, au mariage d'Estelle. .. Désormais les sœurs Gautier tiennent solidement le ménage du poète qui s'abandonne à leur férule, non toutefois sans se préoccuper de la vie matérielle de l'exilée à laquelle il verse une pension. Dans leur animosité insane contre les Grisi, ces vieilles filles allèrent jusqu'à vouloir refuser à Ernesta et à Carlotta de revoir une dernière fois le pauvre Théo à l'agonie, ce pourquoi, d'après Bergerat, Judith "faillit étrangler" Zoé. Emesta finit ses jours dans une maison de santé à Auteuil. Portraicturée par Léon Riesener, le cousin de Delacroix, et par Bonnegrâce, élève de Gros, les photographes Nadar et Barenne nous ont aussi laissé des images d'Emesta Grisi. Un pastel de Théophile Gautier, qui fut exposé dans la Maison de Balzac en 1983-1984 et ressemble fort au pastel de Riesener, la représente aussi peut-être. Aucun de ces portraits ne figure dans l'inventaire des biens de Théophile Gautier dressé après décès par Me Fovart et reproduit dans le Bulletin de la Société Théophile Gautier, No 10, 1988.
Le Collier des jours, passim. Le Second Rang du collier, passim.
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GRISI, Giuditta, est née à Milan le 28 juillet 1805 d'un père officier d'état-major au service de la France; il était le beau-frère de Mme Grassini, l'illustre contralto, la radieuse créature qui s'attira les bonnes grâces de Napoléon envers lequel elle ne fut pas cruelle et triompha à Paris durant le Premier Empire, notamment dans le rôle-titre de Didon, un opéra de Paër. Mezzo-soprano, Giuditta - «grands yeux bleus pensifs, bouche au dessin voluptueux, nez allongé, chevelure brune» (Bergerat, Souvenirs d'un enfant d£ Paris, d'après un portrait) -, fut applaudie à Vienne, en 1826, dans une œuvre de Rossini, Bianca e Faliero 0 Il Consiglio dei tre, qui avait été mal accueillie à Milan le 26 décembre 1819. Après de nombreux succès en Italie, Giuditta fut engagée en 1832 au Thé âtre-Italien de Paris où elle retrouvait sa petite sœur Giulia ; elle y débuta dans la Straniera (l'Étrangère, Bellini) avec un demi-succès, mais les dilettanti approuvèrent son interprétation de Romeo dans I Capuletti e i Montecchi (Bellini), de Malcolm dans la Donna dellago (Rossini), d'où l'on voit que le travesti lui convenait à merveille. De retour en Italie dès 1833, elle épousa en 1834 le comte Barni, riche aristocrate milanais, abandonnant complètement le théâtre, ses pompes et ses œuvres. Elle décéda très jeune encore, cinq ans plus tard, à Robecco, près de Crémone, laissant le souvenir d'une artiste brillante à la voix difficilement maîtrisée malgré les leçons de l'excellent professeur que fut David Banderali, mais douée d'un profond sentiment musical et d'une incontestable présence scénique. Le Second Rang du collier, p. 303. GRISI, Giulia. Née à Milan le 28 juillet 1811, la sœur cadette de Giuditta était dans tout l'éclat de sa beauté célèbre quand Théophile Gautier l'aperçut dans une loge de la salle Favart où l'on donnait le Mosé de Rossini: «... Tamburini / Le basso cantante, le ténor Rubini / Devaient jouer tous deux dans la pièce; [. ..] : ... elle se tenait dans l'immobilité, / Regardant devant elle avec simplicité, / La bouche épanouie en un demisourire, [...] / Ni plumes, ni rubans, ni gaze, ni dentelle; / Pour parure et bijoux, sa grâce naturelle; / Pas d'œillade hautaine ou de grand air vainqueur, / Rien que le repos d'âme et la bonté de cœur.» Les quatre-vingts premiers vers de cette poésie parurent le 20 octobre 1837 dans le Figaro ("Galerie des belles actrices") ; complétée dans la Comédie d£ la mort, "la Diva" compte cent dix vers. Dès lors, Gautier ne se contenta pas de contempler la vénusté de Giulia, il devint l'un de ses plus chauds partisans, l'un de ses plus fanatiques auditeurs: Après Malibran, Grisi. La reine est morte; vive la reine! Elle ne chante peut-être pas aussi bien, mais elle a les plus beaux yeux du monde, un profil de Niobé et des mains d'une pureté et d'une transparenceroyales. [...] La Grisi a ce rare bonheur d'être à la fois une belle femme, une grande cantatrice et une admirable tragédienne. [...] Si vous aimez le vrai chant italien, simple, large, d'une facilité toujours heureuse, d'une justesse toujours sûre, le chant d'un gosier humain et non le gazouillis d'une flûte, si vous voulez entendre comment l'amour, la colère, l'indignation et la douleurse mêlent aux mélodies des grands maîtres et comment ce qui n'était qu'un opéra devient tout à coup une tragédie et un poëme, il faut aller au ThéâtreItalien un soir de Sémiramisou de Norma. Théo raffolait de l'italien; s'adressant à l'Alboni - qui fut très liée avec Giulia et Mario - à propos de Fidès dans le Prophète de Meyerbeer, il disait: « Comment ferez-vous pour vous tirer de nos syllabes sourdes, de nos e muets, de nos intonations nasales, vous, accoutumée
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à ce bel idiome du Midi, doux comme le miel, suave comme un baiser de femme, près duquel nos affreux jargons du Nord font l'effet de coassements de corbeaux enroués et sautant dans la neige?» Consultons Arsène Houssaye, potinier assez objectif: «Théophile Gautier est amoureux des trois Grisi: Julia [sic], Carlotta, Ernesta» et, encore, chez Rachel, un soir où soupaient aussi Jules Janin, Saint-Victor, Albéric Second, Fiorentino, Jules Lecomte, Mme de Girardin, Clésinger, le prince Napoléon: «Théophile Gautier partit en guerre contre les ténors et contre tous ceux qui font du bruit sous prétexte de chanter. "Taisez-vous, lui dit Mme de Girardin, quand vous étiez amoureux de Julia Grisi, sur un signe de ses yeux, vous vous seriez métamorphosé en rossignoL"» L'auteur des Confessions, Houssaye lui-même, est ébloui par les yeux plus que par les oreilles: «Le triomphe de Julia Grisi est peut-être plus grand par sa beauté sculpturale que par son génie de cantatrice. Quand elle apparut, on parlait encore de la Catalani devenue la reine des salons de Florence; de Mlle Sontag qui ne jouait plus qu'un rôle, celui de la Contessina; ou de la divine Pasta, fille des dieux, douée de toutes les beautés. Grisi les fit oublier toutes. [...] Dès qu'elle paraît, on l'admire; dès qu'elle chante, on l'aime.» Il y avait des réfractaires à cet engouement. En janvier 1839, Barbey d'Aurevilly exhale sa méchante humeur contre George Sand dans un Memorandum et il enchaîne: « Il n'y a rien de juste, rien de vrai dans la réputation des femmes depuis Sapho jusqu'à cette Grisi qu'ils vantent, cette cantatrice maussadement belle et à laquelle ils ont créé. .. le plus impertinent orgueil.» Giulia, élève de Giuditta Pasta et du comte Marliani, achève ses études à Bologne et y débute à seize ans dans la Zelmira de Rossini; le maestro lui prédit un brillant avenir. Florence, Pise, Milan se disputent cette toute jeune soprano. À la Scala, elle personnifie Adalgise dans Norma, de Bellini, mais c'est à Paris, aux Italiens, le 8 décembre 1835, qu'elle incarne pour la première fois la belle druidesse elle-même, un rôle qui fut, si l'on nous passe cette métaphore, le cheval de bataille de sa glorieuse carrière, parallèlement menée à Paris et à
Londres. « Norma et Grisi ne font qu'un, écrit Gautier, c'est l'idéal réalisé.» Cependant, toute sa vie Giulia fut torturée par le trac: «Oui, dit encore le bon Théo, cette vaillante Grisi, qui d'un regard jette à genoux tout un peuple d'Assyriens, tout un collège de druides à barbe blanche, tremble de peur devant vous et moi, devant cette collection formidable d'êtres inoffensifs qu'on appelle le public.» En 1836, elle épouse Gérard de Melcy dont une décision de justice la sépare promptement. En 1839, elle ouvre la saison de Londres dans Lucrezia Borgia, de Donizetti; un ténor encore novice doit s'y produire, auquel la prima donna apporte avec un chaleureux empressement aide et assistance. «Quand Mario de Candia, le plus beau des Almavivas, et Julia Grisi, la plus belle des Rosines, se rencontrèrent, ce fut une conjonction d'astres; fatalement ils devaient se jeter l'un sur l'autre.» (Houssaye, Confessions.) Comme il devait être séduisant, ce couple superbe, chantant dans le Barbier son amour tout neuf sous le masque des héros rossiniens ! Le décès du comte de Melcy leur permit d'officialiser leur union en 1845. Ensemble, Mario et Giulia parcourent l'Europe et "tournent" même aux États-Unis, ce qui n'empêche pas l'énergique cantatrice de mener à bien six grossesses, six filles dont trois seulement survécurent à l'enfance. Les huit quatrains des "Joujoux de la morte", écrits par Théo en mémoire de la petite Bella-Maria, datés d'octobre 1860, parurent le 10 novembre dans la Revue nationale et étrangère. « La perte de ses enfants avait enlevé à Grisi tout son courage. Elle résolut de dire adieu au théâtre. Elle consentit cependant, sur les instances qui lui en furent faites, à chanter à Londres Norma. Lorsqu'elle en vint au moment où Norma doit égorger les deux
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enfants endormis, elle ne put surmonter l'émotion qui l'accablait et donna libre cours à ses larmes. L'auditoire, plein de pitié pour la mère éplorée, garda un silence respectueux. Bientôt la Diva se ressaisit et termina le rôle avec sa maîtrise coutumière, mais elle comprit que c'en était fait de sa carrière. La soirée d'adieu eut lieu au Crystal Palace le 31 juillet 1861.» (Judith Gautier, le Roman d'un grand chanteur.) Avant de quitter l'Angleterre, Mario et Giulia, marraine d'Adelina Patti baptisée pour la circonstance, assistèrent à son mariage avec le marquis de Caux. À cinquante ans, l'embonpoint avait triomphé de Giulia, que George Sand, bien des années auparavant déjà, furieuse contre elle d'une manœuvre tendant à nuire à la jeune carrière de Pauline Viardot, avait maltraitée: «Vous tordrez le cou, j'espère, écrivait-elle à sa protégée, à cette grosse oie... » Sollicitée sans mesure, sa voix s'altérait gravement, le public le lui fit savoir. En 1855, elle reparut au Théâtre-Italien, dans Semiramide, sur cette scène où elle avait si longtemps régné. Paul Foucher, louant la Sontag d'avoir su économiser «cette voix de marquise qui ne s'était dépensée discrètement que pour le plaisir de quelques intimes de salon », écrit dans Entre cour et jardin: « Henriette Sontag fut plus heureuse que cette pauvre Erminia Frezzolini, que nous avons vue cherchant dans son gosier râlant les débris de sa voix, quand tout restait encore entier chez elle, le génie et la beauté. Henriette Sontag ne rencontra pas ces affronts réservés à Giulia Grisi couronnant encore du diadème vert de Norma son admirable tête - dynastique par la renommée, - pour aller mendier en vain un applaudissement à la fin de son air Casta diva, suivi uniquement de chuts cruels. Glorieux fantômes de l'art égarés dans le monde des vivants, repoussés par l'orthodoxie musicale... » Rubini, lui, avait sagement décidé de prendre sa retraite avant que sa réputation ne se trouvât ternie: «Il est temps, puisqu'il est trop tôt. » Quittant, avec de lugubres pressentiments, leur luxueuse villa Salviati, sur une colline d'où la vue embrassait Florence, en octobre 1869, Grisi, avec ses filles Rita, Cecilia et Clelia, se prépara à gagner Saint-Pétersbourg où Mario était engagé pour la saison hivernale. « Peu avant Berlin, écrit Judith, le train dérailla à cause d'une épaisse couche de neige qui obstruait la voie. La locomotive dégringola une pente, tirant après elle la voiture où se trouvaient Mario, Grisi et leurs enfants. Personne ne fut blessé, mais tous les voyageurs furent contraints de gagner la ville à pied. » Mario s'en tira avec un rhume, mais Giulia, victime d'un grave refroidissement, dut s'aliter. Forcé de la quitter, la mort dans l'âme, pour honorer son contrat en Russie, Mario ne la revit pas vivante. Elle expira à Berlin le 25 novembre. Giulia Grisi, marquise de Candia, repose au cimetière du PèreLachaise, auprès de ses chères petites Giulia, Angiolina et Bella-Maria. Une soixantaine d'années plus tard, semblable accident de chemin de fer, entre Cannes, où elle avait passé les fêtes de Noël, et Paris, coûta la vie à la Pavlova, "le Cygne immortel". Forcée de quitter son wagon-lit en pleine nuit, l'illustrissime danseuse contracta pendant cette promenade forcée une pneumonie qui l'emporta, le 23 janvier 1931, à la Haye d'où devait démarrer une nouvelle et sans doute triomphale tournée dans les pays nordiques. Le Collier des jours, p. 3, 181, 261. Le Second Rang du collier, p. 70-80, 249. GRISI, madame, née Maria-Marietta Boschetti, épouse de Vincenzo Grisi, modeste employé au Cadastre milanais; de leurs quatre filles les deux dernières seules, Ernesta et Carlotta, ont été retenues par l'histoire littéraire et artistique du XIXe siècle. «Petite,
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trapue, l'air rébarbatif et grognon », ainsi que la décrit Judith dans le Collier, Mammina c'est son surnom familial - paraît bien avoir généralement suscité de l'antipathie. Elle prit fermement en main le destin de Carlotta, au double plan professionnel et... sentimental, en bonne gestionnaire personnellement intéressée à la rentabilité maximale des talents de sa fille la mieux douée. Sa mort à Genève, chez Carlotta, le 5 novembre 1862, n'affecta guère ses petites-filles, à lire les quelques lignes indifférentes du Second Rang, mais cette date nous permet de fixer l'âge de Judith - dix-sept ans sonnés - quand lui fut confié le "gouvernement de la maison". Théophile n'oublie pas sa "belle-mère" dans cette charmante lettre écrite à Carlotta en mai 1866, une année si triste pour lui qui perdait d'un coup Judith et Ernesta alliées en leur révolte contre son autorité de père de famille, nostalgique évocation de "ce beau temps où j'ai été si malheureux" ; Théo vient de revoir Giselle à l'Opéra, dansé par la jeune Adèle Grantzow : Ce ballet qui me rappelle tant de souvenirs me trouble toujours profondément. Je songe aux belles années qui ne sont plus, à tout ce qui est resté de ma vie aux buissons et je me reporte en idée à ces représentations où je me tenais debout contre le portrait de votre chaumière ou de votre tombe, guettant au passage un petit sourire, un petit mot amical et tenant un manteau pour vous le jeter sur les épaules quand vous rentriez dans la coulisse. C'était moi qui vous reconduisais après la chute du rideau et les rappels jusqu'à la porte de votre loge. Hier je me suis senti à plusieurs reprises venir les larmes aux yeux à certaines phrases de musique qui se rattachaient à certaines circonstances oubliées et qui revivaient si tendrement et si douloureusement à la fois que mon cœur se gonflait dans ma poitrine et m'étouffait. Il me semblait qu'en passant de la salle au théâtre, j'allais vous trouver avec Mammina et Annette, entre les feuilles du paravent où vous vous mettiez de la poudre de riz et rajustiez votre coiffure au miroir. Enfin, pour maîtriser mon émotion, je me suis dit: ton souvenir est toujours vivant; le rêve de ta jeunesse, ton âge mûr le continue, et si tu ne peux aller voir Giselle dans sa chaumière de toile peinte, tu peux trouver Carlotta Grisi dans sa villa de Saint-Jean où elle te recevra avec le même sourire gracieux qu'elle t'accueillait autrefois dans cette bienheureuse coulisse de gauche où était son domicile de Reine de la vendange et de Wili. Profitons de ce que nous avons si peu de chose à dire de Mme Grisi mère pour indiquer quelle opinion Théophile Gautier se formait du ballet, cette forme artistique qui retint si continûment son attention et connut dans l'Europe romantique une vogue extraordinaire pour s'abâtardir dès les années soixante, avant son splendide renouveau et son regain de faveur au XXe siècle. Un ballet est une symphonie visible; les gestes, ainsi que les notes de musique, n'ont pas un sens bien précis, et chacun, sauf une signification générale, peut les interpréter à sa manière. C'est un rêve muet qu'on fait tout éveillé et auquel on met des paroles. Le public travaille sur le thème fourni par l'auteur ou le chorégraphe, et le brode des mille variations de sa fantaisie, ce qui fait d'un ballet le spectacle le plus matériel et le plus idéal à la fois. Selon la disposition d'esprit, ce peut être une suite de pirouettes et de gambades plus ou moins gracieuses, ou le plus ravissant poème - celui qu'on n'écrit pas.» (ln Presse, 21 février 1848, feuilleton consacré à la création, à l'Opéra, de Griseldis ou les Cinq Sens, ballet-pantomime en trois actes - livret: Dumanoir, chorégraphie: Mazilier, musique: A. Adam - avec Carlotta Grisi, Lucien Petipa et Berthier.) Le ballet est [...] l'œuvre la plus synthétique, la plus générale, la plus humainement compréhensible qu'on puisse entreprendre, c'est la poésie mimée, le rêve visible, l'idéal rendu palpable, l'amour traduit en tableaux, la grâce rythmée, l'harmonie condensée en figures, la musique transportée du son à la vue. C'est un hymne sans paroles à la rotation des sphères et
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au mouvement des mondes que Platon entendait gronder dans l'espace...» (La Presse, 15 octobre 1849, feuilleton consacré à la création, à l'Opéra, de la Filleule des fées, balletpantomime en trois actes - livret: Saint-Georges, chorégraphie: Perrot, musique: A. Adam et A. de Saint-Julien - avec Carlotta Grisi et Perrot.) Variation tout utilitaire sur le même thème, due à la plume autorisée du Dr V éron, directeur de l'Opéra de 1831 à 1835 : La Sylphide [chorégraphie de Filippo Taglioni], avec ses vols nombreux et le grand talent de mademoiselle Taglioni, le Diable boiteux [chorégraphie de Jean Coralli], pièce féerique avec le charmant talent de mademoiselle Fanny Elssler, ont obtenu un succès populaire et durable. Les drames, les tableaux de mœurs ne sont pas du domaine de la chorégraphie; le public exige avant tout dans un ballet une musique variée et saisissante, des costumes nouveaux et curieux, une grande variété, des contrastes de décoration, des surprises, des changements à vue, une action simple, facile à comprendre, mais où la danse soit le développement naturel des situations. Il faut encore ajouter à tout cela les séductions d'une artiste jeune et belle, qui danse mieux et autrement que celles qui l'ont précédée. Quand on ne parle ni à l'esprit ni au cœur, il faut parler aux sens et surtout aux yeux. (Mémoires d'un bourgeois de Paris.) Sans vouloir multiplier les citations, nous ne résistons pas à ce contre-pied comique d'une lettre d'Ivan Tourgueniev à Pauline Viardot: «Paris, samedi 29 avril 1848. [...] J'ai été voir les Cinq Sens, ballet. C'est inimaginablement absurde. Il y a, entre autres, une scène ce magnétisme (Grisi magnétise M. Petipa pour lui faire naître le sens du goût) qui est quelque chose de colossal en fait de stupidité. Il y avait beaucoup de monde, on a beaucoup applaudi. Grisi a fort bien dansé, en effet. Mais c'est ennuyeux, un ballet - des jambes, des jambes et puis des jambes, ... c'est monotone. »
Le Collier des jours, p. 135, 136, 174, 175, 237, 238, 251. Le Second Rang du collier, p. 262, 264. GRUAU, Félix, commandant. Gérant de l'entrepôt de vins de Charles Blanc à Montrouge. Sa femme, Charlotte-Pauline HalIez, fut la marraine de Toto Gautier. Elle mourut en mai 1858. Le Collier des jours, p. 90. GUADALCAZAR, marquise de. Ce nom sonore est encore porté de nos jours par une bourgade mexicaine, riche en mines d'argent. La "mirobolante" marquise qui effraya la pauvre Judith au couvent de Notre-Dame de la Miséricorde - du côté de la rue Mouffetard, en plein cœur du vieux Paris écolier -, était une amie de Carlotta Grisi. Dans son Théophile Gautier, Bergerat raconte que cette «spirituelle et aimable dame espagnole, gracieuse comme on l'était au siècle dernier dont on la croyait contemporaine », joua rue de Longchamp avec Théo une charade à deux personnages sur le nom de Cléopâtre, en présence de Carlotta, laquelle, costumée en reine égyptiaque de fantaisie, vint à la fin des trois tableaux - clé, 0, pâtre - réciter quelques vers improvisés pour la circonstance: « Je suis le mot de la charade / Qu'on vient de jouer devant vous. / ... Mon nom longtemps troubla le monde / ... / Cherchez bien. - Je suis cette reine / Qui buvait des perles dans l'or, / Et dont la beauté souveraine / Fait rêver le poëte encor. / ... Sans regret j'ai fui le Nil jaune / Pour le Léman aux flots d'azur, / Et cependant j'avais un trône! / Un fauteuil en
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Suisse est plus sûr! / Je fais la rime d'idolâtre, / Et je mourus par un aspic; / Mais ce n'était pas au théâtre: / Nul ne sifflait dans mon public!» - «Théophile Gautier raffolait des charades: il en inventait de charmantes, à l'interprétation desquelles prenaient part, sous sa direction, tous les membres de sa famille et ceux de ses amis qui tombaient chez lui au moment où on les organisait. » Et Bergerat trouve des accents superlatifs pour louer le talent de Théo acteur: «Je l'ai entendu plusieurs fois jouer, en petit comité ou même en famille, des scènes d'Hernani ou de Ruy BIas, et c'était bonnement admirable. Mais là où il défiait toute comparaison avec n'importe quel comédien, et je connais les plus adroits, c'était dans la comédie. [...] Le maître trouvait d'ailleurs dans l'emploi de ce talent une de ses récréations favorites... » Plusieurs témoignages attestent chez Judith, digne fille de son père, une aptitude naturelle à incarner des rôles de composition, parfois même au pied levé, comme il arriva, entre autres exemples racontés par Suzanne Meyer-Zundel, au mois de février ou de mars 1909. Lettre de Judith à Émile Vedel: «Si vous m'aviez vue, ces jours derniers, on devait jouer pour une œuvre de charité la Tunique merveilleuse. Voilà qu'au dernier moment, un acteur malade manque au rôle principal et tout rate si je ne joue pas le rôle! Je le joue. 0 ciel! Je disais tout le temps: "Si Vedel me voyait, c'est pour le coup qu'il aurait peur." C'était encore un Chinois ridicule, barbu, trognard, à lunettes. J'étais abominable, mais j'avoue que j'ai eu beaucoup de succès. Ce fut mercredi dernier au Théâtre Fémina. Vous devinez quelle perturbation cela a été dans ma vie. Le fil du Collier en a été rompu... » Lettre de Louys à Judith: «Chère Madame, Je sais tout. Depuis vingt ans vous jouez tous les soirs sous un nom supposé et certainement illustre. Vous avez vingt ans de planches et de triomphe. Jamais vous ne me ferez croire que ce merveilleux talent, cette habitude de la scène et cette belle indifférence sous l'ovation qui a accueilli votre entrée, vous sont venus tout naturellement le jour de vos débuts. Vous avez été extraordinaire. J'avais avec moi mon ami Claude Farrère qui publie aujourd'hui même un roman d'Extrême-Orient [la Bataille] et qui connaît bien les Chinois pour les avoir vus chez eux. Il avait voulu vous être présenté pour vous dire toute son admiration, mais nous avons longtemps attendu derrière la loge n° 5 qui était infranchissable et jalousement gardée... Je passe tout de même cette lettre dans la serrure. Votre respectueux ami P. L.» La duchesse de Clermont-Tonnerre - fine fleur du gratin, mémorialiste alerte aux idées "avancées" qui portait gaillardement ses divers surnoms, gentil comme Allégresse, cursif comme BoumBoum ou majestueux comme Madame de Jupiter-Grondant, une amie intime de Natalie Clifford Barney -, la duchesse, donc, ne conçut apparemment aucun soupçon: «Chère Madame, Nous avons été voir et entendre la Tunique Chinoise mercredi dernier à Fémina. J'ai d'autant plus goûté cette intéressante évocation de la vie de la Chine que nous y avons passé 2 mois l'an dernier. [...] Quel plaisir ce serait, pour M. de C. Tonnerre et pour moi que de parler un peu de ces régions que vous connaissez si bien!...» Claude Farrère participe au nécrologe publié le 6 janvier 1923 par le Gaulois du dimanche, «À la mémoire de Judith Gautier », dans lequel Christian Melchior-Bonnet a réuni, avec les excuses de Pierre Loti, trop malade pour écrire à cinq mois de sa propre mort, les signatures de Gustave Geffroy, président de l'Académie Goncourt, de la duchesse de Rohan (<< le joyau de la personnalité de cette femme était la bonté. Ses amis l'adoraient... »), de la comtesse œ Noailles (<< elle éblouissait mon cœur... »). Le lauréat du prix Goncourt de l'année 1906, attribué aux Civilisés, se souvient encore de cette pittoresque soirée: «Je n'ai d'elle qu'un souvenir: une après-midi d'autrefois, j'étais par hasard à Paris entre deux campagnes
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lointaines; et mon maître Pierre Louys m'emmena à Fémina, où, ce jour-là, Judith Gautier jouait, dans je ne sais quelle pièce de son écriture, le rôle d'un vieux Chinois débonnaire et philosophique. Je ne vis pas Judith Gautier; je ne vis, tout de bon, qu'un vrai vieux Chinois... ou du moins je le crus tel tant il était admirablement imité. La pièce jouée, Louys m'entraîna aux coulisses. Mais Judith Gautier avait fermé sa porte, ne nous reçut pas, nous cria des choses gentilles à travers l'huis. Et voilà comment je n'ai point connu la
magicienne... Mais je l'aime passionnémentcomme j'aime son père... » Farrère- de son nom patronymique Charles Bargone - aurait pu rappeler ici qu'enseigne de vaisseau embarqué en 1903-1904 sur le Vautour, aviso stationnaire de l'ambassade de France sur le Bosphore, alors que son commandant, le capitaine de frégate Julien Viaud, alias Pierre Loti, travaillait
à la Fille du Ciel en va-et-vient
de correspondance
avec Judith
Gautier
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d'Istambul à Paris et de Paris à Istanbul -, il fut le premier lecteur du manuscrit, comme il le raconta dans son Loti, et le premier informé après les auteurs eux-mêmes des critiques saugrenues de Sarah Bernhardt, qui exaspéra Judith par ses belles paroles et sa duplicité de directrice de théâtre. Henri de Régnier, lui, envoya un sonnet, publié pour la première fois dans ce cénotaphe journalistique: Salut à vous, poète et fille de poète, Qui portâtes, Judith, le beau nom de Gautier! D'un rameau filial au patemellaurier N'entreprîtes-vous pas d'ajouter la conquête? Belle d'une beauté que la gloire complète, D'un doigt magicien on vous vit éveiller L'impérial Dragon qui vit dans l'encrier. Les Muses, vos neuf sœurs, Judith, vous firent fête. L'Asie entre vos mains mit son lotus fleuri; La Perse en vos beaux yeux reconnaîtra Péri. Votre royaume unit le Japon à la Chine. Tandis qu'autour de vous flotte comme un halo, Attestant que les dieux vous ont faite divine, L'hommage de Wagner et de Victor Hugo. merveilleuse, pièce en un acte de Judith Gautier, avait été jouée pour la première fois à l'Odéon le 14 janvier 1899; elle fut publiée luxueusement dans le recueil titré le Paravent de soie et d'or (Fasquelle, 1904), avec le Ramier blanc, la Batelière du fleuve bleu, la Tisseuse céleste et quelques autres contes asiatiques, auparavant parus dans des périodiques.
La Tunique
Le Collier des jours, p. 135. Guido e Ginevra ou la Peste de Florence, opéra créé à l'Académie Royale de musique le 5 mars 1838. Fromental Halévy avait mis en musique un livret d'Eugène Scribe d'une noirceur particulièrement effroyable. La très jolie romance: «Pendant la fête une inconnue / Vint l'an dernier charmer ces lieux. / Depuis ce jour sa douce vue / Remplit mon cœur, remplit mes yeux... », légèrement transposée par les vieilles demoiselles
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Gautier, fut chantée dans tous les salons. Pour Théo, elle était «une des plus ravissantes mélodies que M. Halévy ait jamais produites. [...] Écrite dans le ton mélancolique par excellence, elle est suave, douce et naïve et Duprez la chante avec un art inexprimable... » (La Presse, 12 mars 1838.) En 1870, dans le rôle de Ginevra, Gabrielle Krauss, Viennoise au grand soprano dramatique, enthousiasme Gautier: « Qu'elle était belle, la grande artiste, pâle comme le marbre des monuments qui l'entouraient, les prunelles dilatées, les cheveux épars, la bouche entrouverte, la chair frissonnant au contact du tombeau.» (Cité par Charles Dupêchez, Histoire de l'Opéra de Paris.) Le Collier des jours, p. 120. GUIGNES, Chrétien-Louis de (1759-1845). Sinologue, fils du savant orientaliste Joseph de Guignes. Il passa dix-sept ans de sa vie en Chine, chargé de missions officielles. Après son retour en Europe, il publia en trois volumes in-quarto Voyage à Pékin, Manille et l'île de France (1801) et ce Dictionnaire chinois, français et latin dont Judith loue la belle typographie. Le Second Rang du collier, p. 203. GUILLAUME de LORRIS, né vers les débuts du XIIIe siècle à Lorris, dans le Gâtinais, mort aux alentours de 1250, auteur de la première partie du Roman de la Rose, longue d'environ 4 000 vers, une sorte d'Art d'aimer, et certes il fallait beaucoup d'acharnement à la jeune Judith pour parvenir à saisir le fil des allégories galantes de ce contemporain de Saint Louis. Épître de Théophile Gautier «À mon ami Eugène de N***: Ne t'en va pas, Eugène, il n'est pas tard; la lune / À l'angle du carreau sur l'atmosphère brune / N'a pas encore paru: nous causerons un peu [...] De nos auteurs chéris, Victor et Sainte-Beuve [...] et d'Alfred de Vigny [...] Et d'Alfred de Musset et d'Antoni Deschamps / Et d'eux tous dont la voix chante de nouveaux chants; / Des vieux qu'un siècle ingrat en s'avançant oublie, / Guillaume de Lorris, dont l'œuvre inaccomplie, / Poétique héritage, aux mains de Clopinel / Après sa mort passa, monument éternel/De la langue au berceau... » (Poésies, 1830.) Eugène de Nully, condisciple de Théo au lycée Charlemagne, fit en Algérie une carrière administrative où le servit sa connaissance de l'arabe et du berbère; il mourut en 1852 après une détention de plusieurs années dans un asile psychiatrique. Antoni Deschamps, comme son frère aîné Émile, appartient à l'histoire du romantisme naissant; comme le pauvre Nully, comme l'infortuné Nerval, il connut les affres de la noire neurasthénie et la sollicitude éprouvante des médecins aliénistes. Esprit Blanche le compta au nombre de ses patients; il écrivait à Théophile Gautier le 1er mai 1848 « Maison de santé du Docteur Blanche, Quai de Passy, rue de Seine 2 - Mon cher Maître, Voulez-vous être assez aimable pour me faire dire par Antony quel jour vous voudrez bien venir dîner avec nous. Votre tout dévoué. Blanche.» Ce dernier avait transféré en 1847 son établissement de Montmartre à Passy. Écrivain, traducteur de Dante, de Shakespeare, collaborateur de nombreux journaux, doux mélancolique à la santé chancelante, Antony ou Antoni, né à Paris en 1800, décédé à Passy en 1869, titrait Résignation un recueil de ses poèmes: «Depuis longtemps je suis entre deux ennemis; / L'un s'appelle la Mort, et l'autre la Folie; / L'un m'a pris ma raison, l'autre prendra ma vie; / Et moi, sans
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murmurer, je suis calme et soumis. » C'est dans le salon de leur père (t 1826), rue SaintFlorentin, qu'Émile et Antoni firent la connaissance de toute la crème Jeune-France avant de s'intégrer au Cénacle avec plus de modération que beaucoup de ces bouillants novateurs. Émile, né à Bourges en 1791, poète, attacha son nom à des traductions d'auteurs allemands: Gœthe, Schiller, Uhland, Schubert (lieder) ; anglais: Shakespeare (Roméo et Juliette, Macbeth), Walter Scott (lvanhoé) ; espagnols (le Romancero); russes même. Avec Victor Hugo, il fonde en 1824 la Muse française. Il travaille avec Henri de Latouche, Scribe, Vigny, Jules de Wailly, Castil-Blaze, Alary, Berlioz,... En 1828, sa préface à ses Études françaises et étrangères agite le monde littéraire. «La forme n'est rien, mais rien n'est sans la forme », écrivait-il un jour à Armand Silvestre, formule-choc qui ne pouvait qu'entraîner l'adhésion des jeunes Parnassiens. Malgré la multiplicité de ses travaux et l'influence conciliatrice exercée par cet homme de bon sens sur des esprits échauffés par des querelles d'écoles, l'Académie repousse obstinément sa candidature. Fonctionnaire au ministère des Finances retraité en 1848, Deschamps ferme son salon très fréquenté de la rue de la Ville-l'Évêque et se retire à Versailles où il meurt, aveugle, octogénaire, en 1871. Parlant de lui et de sa remarquable pondération en ces temps passionnés, Catulle Mendès trouve cette expression imagée: Émile Deschamps, «la lueur douce de la farouche aurore
romantique. » Le Collier des jours, p. 218.
HAFIZ. Shams ed-Din Muhammed, poète lyrique persan, naquit et mourut à Chiraz au VIlle siècle de l'hégire (v. 1320-v. 1389). Son surnom signifie "le Gardien", sousentendu: du Coran. Le Grand Larousse du X/Xe siècle propose une version hypocrite des vers d'Hafiz cités par Judith: « Si cette jeune beauté de Schiraz voulait accepter mon cœur, je donnerais les villes de Samarcande et de Bokhara pour la noire éphélide de sa joue.» La grâce délicate de sa poésie lui mérita cet autre surnom, Chekerleb, "Lèvre de sucre", tandis que ses allégories mystiques lui valurent un troisième surnom, Lissam Elgaïb, "Langue mystérieuse". Après sa mort, on rassembla ses œuvres dans un recueil appelé divan. Le divan, professe Larousse, est une collection de pièces arabes en vers ou en prose, particulièrement celles rassemblées depuis la mort de l'auteur. Gœthe s'inspira d'Hafiz, qui compta nombre d'imitateurs, dans son Divan oriental-occidental, publié en 1819. CommeGœthe sur son divan À Weimar s'isolait des choses Et d'Hafiz effeuillait les roses, Sans prendre garde à l'ouragan Qui fouettait mes vitres fermées, Moi, j'ai fait Émaux et Camées. Théophile Gautier, 1852. Dans un fragment du Quatrième Rang du Collier des jours - resté à l'état d'ébauche et
recueilli par Suzanne Meyer - Judith cite le premier quatrain de ce poème qui en compte quatre: « Depuis la déclaration de la guerre, dit-elle, je suis hantée par une strophe de mon père qui ouvre le volume d'Émaux et Camées:
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Pendant les guerres de l'Empire, Gœthe, au bruit du canon brutal, Fit le Divan occidental, Fraîche oasis où l'art respire. «Les guerres de l'Empire! Napoléon! Tant de sang, tant de gloire, qu'en reste-t-il ? C'était, comme disent les Chinois, la lueur et la fumée d'un incendie. Le Divan occidental, lui, n'a pas eu de déclin, il a gardé sa fraîcheur et son charme. Cette œuvre, quand on rouvre le livre qui semblait frivole, fait encore entendre sa voix gracieuse accompagnée discrètement par la "Guzla". Tandis que le grand fracas s'est tu et n'a plus laissé de trace du sang, hélas! et de la fumée. C'était l'oasis paisible qui était durable et le poète avait raison de fermer sa fenêtre pour ne pas entendre le bruit du canon brutal.» Quelques autres paragraphes, écrits de même, à chaud, pendant l'été 1914, se font l'écho de la consternation générale. Le 1er août, dans l'après-midi paisible, sous le soleil qui brûle un peu, au clocher de SaintÉnogat tout à coup le tocsin s'est mis à sonner. La Guerre! la Guerre! On ne voulait pas croire aux rumeurs. De tous côtés on courait vers la petite place du bourg. Des ouvriers ont quitté leur ouvrage, ils ne le reprendront pas, des ménagères toutes pâles et pleurant déjà. Monsieur le Curé traverse la place. « C'est par ordre, dit-il, que j'ai fait sonner le tocsin.» Il pleure aussi. [...] Et voici le clairon de ville qui accourt sur sa bicyclette. Il s'arrête et sonne. n annonce ordinairement les objets perdus; ce qu'il proclame aujourd'hui est terrible, tellement disproportionné avec ses ordinaires fonctions! La nouvelle foudroyante glace le sang, crispe le cœur. C'en est fait de la liberté de vivre. [...] C'était la pleine saison, le mois d'août, le joyeux repos sous le chaud soleil; les familles en vacances sont éparpillées au gré des fantaisies, les jeunes gens voyagent. Vite les rappeler, les rejoindre, les avoir au moins quelques jours encore, avant le nouveau départ, pour beaucoup sans retour. Les maisons se ferment, les hôtels se vident, cette petite ville, si animée à cette époque, se fait déserte. C'est comme au passage d'une catastrophe cosmique. [. ..] Il me semble être victime d'une injustice. J'ai subi à l'autre extrémité de la vie la guerre de 70, les désastres, Sedan, le Siège, la disette, le froid, la Commune. C'était assez! Comme une évocation de fantômes, ces jours lointains se relèvent et défilent dans mon esprit avec une réalité cruelle. Faut-il donc les revivre encore? [...] Il fait trop beau, l'air est trop doux, la mer traîne sa plus exquise robe de satin bleu. On se persuade que la nature par le contraste veut insulter à nos tristesses. Hélas! Elle nous ignore comme elle s'ignore elle-même... [...] À Dinard, à l'Hôtel Royal réquisitionné, on a prié de déménager les quelques voyageurs qui restaient encore; il va devenir un hôpital militaire pour les blessés. Les blessés! Que cette certitude est douloureuse, cruelle! Toute cette jeunesse robuste et intacte encore, avant le premier coup de fusil on prépare d'avance les lits où on les couchera bientôt tout sanglants. L'Humanité en est donc là? C'est la même qu'à l'âge du silex, [mais] avec des armes perfectionnées. C'est le moyen de s'entre-détruire que les hommes ont surtout perfectionné depuis leur origine. [...] Il Y a encore beaucoup d'enfants sur la plage qu'ils animent de cris et de jeux; ils brandissent de nombreux drapeaux français, russes ou belges, construisent des forteresses, armés de fusils de bois; ils s'alignent et font des marches militaires, jouent à la guerre, aux blessés, aux morts! Et cela est pénible et serre le cœur de voir ces inconscients terribles singer la bataille, tandis que leurs pères, dont beaucoup ne les reverront pas, sont à la vraie guerre. (Pendant les jours sanglants.)
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Très vite affluent les convois de blessés et des troupeaux de réfugiés, hagards, misérables. Le 18 octobre, Judith écrit à Péladan : ... Je ne sais pas quand nous rentrerons, les trains marchent mal, on espère toujours que survienne un événement qui changera la situation et il ne survient pas. Nous hospitalisons trois Belges, échappés de Charleroi. Qu'en faire maintenantqu'il n'y a plus de Belgique. Quel horrible cauchemaril semble que tout soit submergé dans le sang. Il y a 8 mille blessés à Dinard. J'aimerais bien vous avoir ici pour retrouver l'impression que les cerveaux existent encore et que peut-être l'art surnagera... En novembre 1915, quêtée par la baronne Surcouf, "la beauté de Dinard" auteur de quelques romans, Judith répond qu'elle aimerait pouvoir l'aider pour ses soldats, «mais j'ai tant donné de livres aux blessés que je n'en ai plus un seul et je crains que mes éditeurs ne rechignent à m'en envoyer d'autres. Je tâcherai cependant de les attendrir encore... » Elle tente sa chance auprès de l'ami Bourrelier: ... Au commencementde la guerre on réclamaitdans les hôpitaux d'ici des livres pour les blessés. Emportée par le premier élan d'enthousiasme, j'ai saccagé ma maigre bibliothèque, puis des poilus inconnus m'ont écrit souvent du front pour me demander des livres de moi, comment refuser? Tant quej'en ai eu j'ai donné maintenant je suis aussi dépourvue que la cigale par la bise. Vous devinez queje voudrais quelquesvolumes de moi et même quelques autres. C'est juste au moment où dans cette grande solitude j'aurais le loisir de lire queje n'ai rien à me mettre sous l'œiL.. Présidente de l'Œuvre des blessés au travail, section de Dinard, elle reçoit des Armées les remerciements - respect et reconnaissance - de ceux qu'elle a choyés de son mieux. Exemple: « J'ai pas mal voyagé depuis le jour où je suis sorti de votre charmante maison, Madame, chargé de fleurs et de regrets. .. », longue lettre de Jean Mairet, du 8e d'infanterie. Et voici des nouvelles d'un certain lieutenant Edmond Valéry Giscard - son fils fera parler œ lui - qui marivaude à l'adresse de Suzanne: « ... J'ai eu la joie d'être récemment cité à l'ordre de l'Armée et c'est sous la protection de la palme légère agrafée à ma vareuse, juste à l'endroit du cœur, que je vous demande, Mademoiselle, votre main à baiser.» À Mme Eugène Simon, femme de l'ancien consul de France en Chine auteur de la Cité chinoise parue en 1890, elle parle en janvier 1916 de ses poupées patriotiques, deux Victoires exposées à Paris, de l'Héroïque Laboureur, très applaudi. «Théo Bergerat qui a maintenant une situation dans une entreprise de cinéma est envoyé dans le Midi. [...] Je suis bien contente de savoir que votre santé est bonne et que la fatigue vous repose. Je suis un
peu comme cela et ne peux vivre sans rien faire... » À sa demande,Felia Litvinne vint à Dinard chanter pour les blessés. Une lettre du 20 juillet 1917 à Rosny aîné, alors trésorier de l'Académie Goncourt, nous renseigne sur le poids des charges qu'elle s'imposait bravement: ... Pour mes dettes, ami, je vous demanderaide me faire crédit quelquessemaines. Je traverse en ce moment un passage difficile. Vous savez peut-être que voici cinq ans... cinq ans! j'avais résolu de faire vivre un grand artiste (et sa famille) pour lui permettre de réaliser une belle œuvre. Les pauvres, seuls, ont de ces accès de folie. Et la guerre?... Suzanne m'aidait de sa petite fortune; mais elle dépend de l'Alsace et de la Russie. Alors?.. Il Y a six mois, ne pouvant plus rien de loin, j'ai fait venir ici ces quatreréfugiés! [...] laissez-moi sortir de ce pétrin, n'est-ce pas?
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Quelques mois plus tard, cette dette "Fanelli" se retrouvera au passif de sa succession. Occupée à soulager de son mieux l'humanité souffrante, Judith ne négligeait pas pour autant nos frères inférieurs: tous les animaux de la commune venaient chercher pâture au Pré des Oiseaux. «Que voulez-vous, disait-elle à Bergerat qui le rapporte dans son article nécrologique du Figaro (8 janvier 1918), les bêtes ne trompent ni en amour ni en amitié. Il n'y a qu'elles d'honnêtes. » Le Second Rang du collier, p. 199, 282. HÉBERT, Ernest (1817-1908). Fils d'un notaire grenoblois apparenté aux Beyle - ce qui faisait de lui le petit-cousin de Stendhal -, Hébert fut à Paris l'élève de David d'Angers et de Paul Delaroche tout en poursuivant des études de droit. Premier grand prix de Rome, pensionnaire de la Villa Médicis sous la direction d'Ingres, ses envois au Salon ne lui valent que des succès d'estime jusqu'en 1850 où la Mal'aria asseoit sa réputation. «Si la Mal'aria est une belle œuvre, écrit Gautier dont le salon s'orna des Pifferari dans une grange du peintre dauphinois, c'est que la fièvre émane de la toile et qu'on éprouve le poids du ciel, de l'eau, de l'air; on se sent oppressé par l'odeur pestilentielle; l'artiste a littéralement peint le mauvais air.» Grâce maladive, charme languissant... "le peintre vert", disait Élémir Bourges. Dès lors, Hébert poursuit une carrière extrêmement laborieuse, mais comblée de toutes les récompenses, de tous les honneurs possibles. À deux reprises, de 1867 à 1873, de 1885 à 1891, il dirige l'Académie de France à Rome. Il se lie d'amitié avec toute l'élite artistique de l'époque, peintres, sculpteurs, musiciens et notamment, parmi les intimes, Gounod, et Bizet qui partage son admiration pour Wagner. Péladan, le premier biographe d' Hébert, note: «Ce qu'il y a de plus enviable dans cette existence, c'est la chaleur d'affection qui la pénètre, l'échauffe et l'éclaire. Tout le monde aime Hébert, privilège plus rare que le génie. L'homme étonne autant que l'artiste.» La princesse Mathilde, entre autres, l'aime tendrement - affection réciproque -, lave des aquarelles en sa compagnie et reçoit ses conseils sans regimber. Hébert achève en 1867 le portrait de son hôtesse à SaintGratien et Gautier d'improviser un sonnet-madrigal: « Parfois une princesse pose / Hébert du moins s'en est vanté. .. » Jusque dans son grand âge, Hébert demeura un portraitiste à la mode, très sollicité par les belles dames, bien qu'il leur imposât la fatigue d'une bonne trentaine de séances de pose, au moins. Maurice Rostand se souvient de ces innombrables séances, auxquelles fut contrainte sa mère, alors en séjour estival à Saint-Prix, localité proche de Saint-Gratien. C'était en 1901. En grande toilette, l'épaule nue, diamants aux oreilles, Rosemonde devait se tenir longuement et strictement immobile sur un tréteau, dans l'atelier aménagé pour le peintre chez sa vieille amie. «Hébert, coiffé d'un bonnet, la palette en main, n'était pas particulièrement commode et il portait la tenue légèrement, mais mondainement bohème des peintres qui habitent chez les princesses. [...] Hébert léchait et pourléchait sa toile. Parfois, des invités de marque risquaient timidement une réflexion, sur quoi Hébert fronçait les sourcils, qu'il avait broussailleux, n'acceptant de conseils que de sa femme, beaucoup plus jeune et plus grande que lui et qui le dominait tendrement de sa silhouette de Walkyrie. [...] Parfois la princesse venait elle-même, s'exprimant dans ce langage dru et cru qui nous amusait extrêmement, car cette vieille dame, très impérieuse, prononçait des mots que notre institutrice anglaise nous eût assurément défendus. [...] Le château nous impressionnait beaucoup. La princesse aussi. Jamais nous
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n'avions vu une personne aussi ridée, mais on nous persuadait qu'il y avait le regard de Napoléon dans son vieil œil de ouistiti impérial.» (Confession d'un demi-siècle.) Ce "nous" désigne, évidemment, Maurice et Jean, son jeune frère, et la "Walkyrie" qu'Hébert avait épousée en 1880, Gabrielle d'Uckennann, d'une famille originaire de Thuringe; Mathilde s'était liée avec la jeune Allemande d'une affection toute maternelle. Hébert, "le peintre des âmes", jolie fonnule de son ami Jules Claretie. Des "âmes", il en a peint, sauf erreur, deux cent soixante-deux, plus cinq autoportraits, selon la liste établie par son second biographe et héritier, René Patris d'Uckermann. Il n'y est pas mentionné le portrait d'Estelle Gautier, « admirable pièce d'art, nous apprend Bergerat bien placé pour le savoir, le seul tableau que le maître [Théo] eût dans sa chambre, au-dessus du pupitre à copie». Dans un feuilleton de la Presse (27 mai 1852), analysant trois œuvres de son ami Hébert qui y étaient présentées, Gautier saisit l'opportunité de nous livrer sa réflexion sur l'art du portrait: À le considérer du point de vue de la philosophie et de l'art, le Portrait est une des attributions les plus importantes de la peinture, quoiqu'en France, sous le régime des idées académiques, il ait été dédaigné et négligé, comme trop naturel sans doute; en effet, qu'y a-t-il de plus beau que d'abstraire une physionomie humaine et de la représenter sur ce fond d'ombre vague qui sert de passe-partout au Portrait, avec ses lignes, sa couleur, son costume, son attitude physique et morale, ses passions, ses pensées et sa vie, écrites dans un pli de la lèvre, dans un froncement du sourcil, dans une ride de la joue? Un portrait fait par un grand maître ne résume-t-il pas souvent tout une époque, et n'en dit-il pas plus sur elle que les historiens et les chroniqueurs? [...] Le portrait n'exige-t-il pas [...] les plus hautes qualités de l'art, le dessin, le modelé, la couleur, l'intelligence extérieure et intérieure du personnage reproduit, un génie de composition particulier? car c'est une grave erreur de croire qu'une figure seule ne demande pas de composition, sans parler de ce mérite de la ressemblance qui a manqué quelquefois à de très illustres artistes: ainsi, contrairement à l'idée reçue, qui semblerait classer cet art au second rang, personne n'est trop grand maître pour faire un bon portrait; les plus hauts montés dans le ciel glorieux de l'art se sont essayés en ce genre et y ont produit des merveilles à mettre à côté de leurs plus belles œuvres. En 1905, Aimé Morot peignit un beau portrait de l'artiste glorieux vers la fin de sa longue vie. Le lendemain de l'anniversaire de ses quatre-vingt-onze ans, le 4 novembre 1908, Ernest Hébert s'éteint dans sa maison, devenue musée, de La Tronche, près de Grenoble.
Le Second Rang du collier, p. 147, 186, 272. HEINE, Harry, Heinrich, Henri (Düsseldorf 1797 - Paris 1856). Il lui sera beaucoup pardonné parce qu'il a beaucoup souffert, celui qui écrivait en 1849: «Je ne suis plus à présent qu'un pauvre Juif mortellement malade, une image consumée de la détresse, un
malheureux! » Victime du tréponème pâle comme Baudelaire,comme Aubryet, comme Daudet, et tant de ses contemporains qu'on essayait de soulager par des palliatifs barbares... un martyre qu'il subira huit années avec un stoïcisme, un courage héroïques, le corps torturé et l'esprit lucide, se moquant aussi cruellement de lui-même qu'il se moquait d'autrui et plaisantant jusqu'à son dernier souffle. À sa femme en pleurs, qui priait Dieu de pardonner les péchés du mourant: « N'en doute pas, ma chérie, il me pardonnera, c'est son métier. » N'en concluons pas trop vite à une dérision impie, car Heine, réfractaire à l'esprit de dévotion, était sensible à la beauté de la poésie religieuse. Juif converti par nécessité
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politique au protestantisme, apostasie de pure fonne, il a toujours en matière de foi oscillé entre des opinions contraires, de même qu'en politique. Heine, homme de contrastes, d'après Gautier, son meilleur ami français: «Il était tout à la fois gai et triste, sceptique et croyant, tendre et cruel, sentimental et persifleur, délicat et cynique, enthousiaste et plein de
sang-froid, tout, exceptéennuyeux. » Quandil vint s'installer à Paris en 1831, en proie, comme il le fut toute sa vie, à un inguérissable amour de jeunesse et à des difficultés pécuniaires sans cesse renaissantes, Heine, neveu pensionné du richissime Hambourgeois Salomon Heine, son oncle, était déjà en Allemagne l'incomparable, le célébré poète du Buch der Lieder (Livre des Chants), des Reisebilder (Tableaux de voyage), et aussi l'écrivain politique libéral et progressiste honni des Prussiens. Accueilli par Buloz à la Revue des Deux Mondes, Heine y publia dès 1832 des études sur la religion, la philosophie et la littérature gennaniques, la grande affaire de sa vie, déclara-t-il plus tard, ayant été «de travailler à l'entente cordiale entre la France et l'Allemagne. » Il n'a pas eu à déplorer l'échec tragique de ses efforts sur lesquels, du reste, il s'abusait totalement, puisqu'il eut le talent de s'attirer les inimitiés des deux parties. Heine, personnalité brillante mais sarcastique et vindicative, susceptible, d'ailleurs peu sûre, n'avait aucune des qualités requises du diplomate. Même des amitiés sincères et précieuses, il n'avait de cesse de se les aliéner par des plaisanteries corrosives. Pourquoi poursuit-il Meyerbeer, «Monsieur l'Ours », de ses sarcasmes? Parce que son compatriote n'a pas envoyé le coupon de loge demandé. Il s'étonne que Béranger, publiquement traité de polisson, lui batte froid. Dans un pamphlet qui lui vaudra un duel - Théo s'entremit dans cette affaire pour tenter de la régler pacifiquement - sa violence de langage franchit les bornes généralement respectées: « Il n'est pas d'occupation plus agréable que de suivre le convoi funèbre d'un ennemi.» Cette férocité lui est aussi naturelle, dit-il, qu'il est naturel à un champignon d'être vénéneux, et la gentille Mme Jaubert, l'amie de Musset, qui fit la connaissance de Heine en 1835, de lui trouver des excuses « en constatant qu'il disait souvent des méchancetés sans autre intention que de les dire, et non avec l'intention de nuire. » - «L'esprit le plus sceptique et le plus railleur qui ait existé », reconnaît Théo, mais aussi «scepticisme attendri et sensibilité moqueuse». .. de quoi nourrir la verve bouffonne d'Atta- Troll (1847) comme l'émouvant lyrisme du Romancero (1851). Les meilleures traductions, fussent-elles celles de Gérard de Nerval, ne pourront que trahir l'auteur: poésie traduite, « clair de lune empaillé », selon la fonnule de Heine. À son arrivée à Paris, précédé d'une flatteuse réputation, Heine avait vu s'ouvrir devant lui les cercles et les salons littéraires les plus cotés. Il fit la cour à la princesse Belgiojoso, l'étonnante et si pâle exilée italienne, alors maîtresse de l'historien Mignet ; George Sand lui caressa rêveusement les cheveux sans répondre à sa flamme; il connut Sandeau, Balzac, Berlioz, Hugo, Musset, Dumas, Mérimée, et Wagner qui lui emprunta la légende du Hollandais Volant, et Michelet, etc. De Musset, il disait: «C'est un jeune homme de beaucoup de passé.» De Dumas, il aimait la personne et les œuvres qu'il lisait ou se faisait lire: « Ce mulâtre m'amuse... il est prodigieux! Son imagination dépasse la mienne. » Il fréquentait" famillionnairement" chez le baron de Rothschild. Le 6 janvier 1843, il tira les Rois chez Buloz avec huit de leurs amis et la toute jeune Rachel. En novembre de cette même année, il rencontra Karl Marx et sa femme, installés à Paris, rue Vaneau, se lia avec eux, et la poésie n'eut rien à gagner de cette relation. Le 31 août 1841, Heine épousa Crescence-Eugénie Mirat, née en 1815, fille de cultivateur, «avec qui, écrit-il à sa sœur, je me dispute journellement depuis six ans ». C'était une ancienne
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vendeuse de chaussures, une belle et brave femme sans instruction, joviale, bruyante, sotte, « oisive d'esprit» selon l'agréable expression de Mme Jaubert, querelleuse et dépensière; « elle joint, ironisait Nadar, à la beauté de Vénus l'intelligence de l'oie et la douceur de l'âne rouge! » Elle soigna avec dévouement son mari si longtemps grabataire; il l'appelait Mathilde, l'aimait physiquement, en était maladivement jaloux; sa voix de fauvette le ravissait; veuve, elle vécut dignement et mourut en 1883. Dans les derniers mois de sa vie, le cœur épuisé de Heine trouva un regain d'ardeur pour chérir Élisa Krinitz, une jeune Allemande, pianiste de concert, connue plus tard en littérature sous le nom de Camille Selden; il l'appelait sa "Mouche"; elle lui servit de secrétaire et adoucit l'interminable agonie qui prit fin le 17 février 1856, 3, avenue Matignon. Le 20 février, l'enterrement eut lieu sans cérémonie, suivant les désirs du défunt, au cimetière Montmartre. Mignet, Dumas, Gautier étaient là, au milieu d'une importante colonie allemande. Le 25 février, Delacroix notait dans son Journal: Feuilleton admirable de Gautier sur la mort de Heine [dans le] Moniteur de ce jour. Je lui écris: Mon cher Gautier, votre oraison funèbre de Heine est un vrai chef-d'œuvredont je ne puis m'empêcher de vous complimenter. Son impression me suit toujours, et il ira rejoindre ma collection d'excerptœ celebres. Eh quoi! votre art, qui a tant de ressources que le nôtre n'a pas, est-il donc cependant, dans de certaines conditions, plus éphémère que la fragile peinture? Que deviendront quatre pages charmantes écrites dans un feuilleton entre le catalogue des actions vertueuses des quatre-vingt-six départements et le narré d'un vaudeville d'avant-hier? Pourquoin'a-t-on pas averti quelqueshommes zélés pour les vrais et grands talents? Je ne savais pas même la mort de ce pauvre Heine: j'aurais voulu sentir devant cette bière qui emportait tant de feu et d'esprit ce que vous avez si bien senti. Je vous envoie ce petit hommage, moins pour les obligations queje vous ai d'ailleurs, que pour le plaisir triste et doux que j'ai eu à vous lire. Mille amitiés sincères. Le Second Rang du collier, p. 60. HENRI IV. La mésaventure à laquelle Théophile Gautier fait allusion est ainsi résumée dans le Guide bleu de Paris: «Le 6 juin 1606, Henri IV et Marie de Médicis ayant failli se noyer en prenant le bac (la Reine, dit L'Estoile, "but plus qu'elle ne voulait"), l'accident décida de la création d'un pont de bois », lui-même remplacé par un pont de pierre construit sur les plans de l'ingénieur Perronet de 1768 à 1772, sous Louis XV comme le dit justement le bon Théo, célèbre parce qu'il était le premier qui ne fût pas en dos d'âne. Ce deuxième pont fut détruit en 1935 pour laisser la place à celui que nous connaissons aujourd'hui. Quant à la statue équestre du Vert-Galant - auquel Judith trouvait tant de ressemblance avec le comte Barni - qui orne depuis 1818 la place du Pont -Neuf, elle est l'œuvre du fondeur Lémot. Ce double Pont-Neuf, qui franchit les deux bras de la Seine à la proue de l'île de la Cité, est, dit encore le Guide bleu, le plus célèbre, le plus populaire et le plus ancien pont de Paris nonobstant son nom. C'est Henri III qui en posa la première pierre, le 31 mai 1578. Depuis quatre siècles, il n'a cessé d'inspirer écrivains et artistes. Le Second Rang du collier, p. 87, 305. HEREDIA,
José-Maria
de. 22 novembre 1842, la Fortuna, cafeyère, île de Cuba
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2 octobre 1905, château de Bourdonné,près de Houdan (Seine-et-Oise): entre ces deux
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dates, entre ces deux lieux, vécut un écrivain au nom connu de tous les écoliers de France et de Navarre qui ânonnèrent les Conquérants: «Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, ... », l'auteur d'un seul recueil de sonnets (cent dix-huit au total), mais immortel malgré les réserves de critiques pinailleurs, une sorte de Légende des siècles petit format, les Trophées, édition originale chez Alphonse Lemerre en février 1893 après une gestation de quelque trente années, témoignage sans pareil d'un poète magnifiquement doué et totalement acquis à la théorie de l'art pour l'art, comme Flaubert, comme Gautier "qui avaient érigé le principe esthétique en règle morale". «Je pense que la correction de la forme est une vertu », disait Théophile Gautier. «Correction fut pour les disciples synonyme de perfection.» (Ibrovac.) L'on ne s'étonne pas que Heredia, parnassien convaincu, se soit déclaré l'élève de Leconte de Lisle auquel le lia une réciproque estime doublée d'une chaude amitié. Ils avaient cette particularité d'être créoles, nés l'un et l'autre sous les tropiques et d'y avoir vécu une partie de leur jeunesse, Leconte de Lisle à Bourbon, notre Réunion, dans l'océan Indien, Heredia à Cuba, île des Antilles alors espagnole, détail biographique qui ne fut indifférent ni à leur inspiration poétique, ni, sans doute, à la splendeur de leur verbe. «Toi, je t'aime, lui dit d'emblée Théophile Gautier auquel on présentait le jeune poète, parce que tu as un nom héroïque et sonore et que tu fais des vers qui se recourbent comme des lambrequins héraldiques. » Le bon Théo savait par cœur certains sonnets de Heredia et celui-ci, au témoignage de Henri de Régnier, admirait chez son aîné le «souci de précision élégante et de scrupuleuse exactitude, [...] une langue riche mais toujours appropriée, [...] une strophe étroite et bien ajustée, [...] le sobre raccourci de pensées et de métaphores. » (Portraits et souvenirs.) Comme Gautier, Heredia feuilletait assidûment lexiques et glossaires, mais, contrairement à lui, il était un bibliophile averti, d'où l'amusante anecdote rapportée par Bergerat: «Je vois encore son étonnement, d'ailleurs ravi, écrit-il de son beau-père, lorsque José-Maria de Heredia vint le prier de mettre sa signature sur un exemplaire d'Émaux et Camées de la première édition de Poulet-Malassis. - Mais le deuxième est bien plus complet, lui disait-il, Charpentier y a ajouté des pièces qui n'avaient pas paru dans la Revue des Deux Mondes. Est-ce que vous avez des livres pour ne pas les lire? » Le succès foudroyant des Trophées, qui valut à son auteur le Grand Prix de Poésie de l'Académie française, en agaça plus d'un. Si Mendès applaudit - « La journée où j'ai pu lire ensemble les sonnets de José-Maria de Heredia a été une de mes plus heureuses» Henri Becque, l'auteur dramatique, trahit son dépit: «Monsieur de Heredia! C'est un homme qui compte. / Il a fait deux ou trois sonnets de plus qu'Oronte!» Ou ceci, d'Alphonse Daudet, rapporté par Goncourt: «Chez nous tous, c'est l'idée qui appelle le mot; chez Heredia, c'est le mot qui donne naissance à l'idée. » Le gentil Banville, lui, ce dévot de l'Art pour l'Art, ne compte pas parmi les jaloux: «0 vous pour qui toujours le ciel s'irradia, / Véronèse des mots flambants, Heredia! » Lorsque Gautier déclarait préférer à tout autre ce vers de Racine: «La fille de Minos et de Pasiphae », lorsqu'au dîner Magny il s'exclamait: «Taine, vous me semblez donner dans l'idiotisme bourgeois à propos de la poésie, lui demander du sentimentalisme! La poésie, ce n'est pas ça. C'est une goutte de lumière dans un diamant, des mots rayonnants, le rythme et la musique des
mots... » (Goncourt, Journal, 22juin 1863),il s'exprimaiten Parnassien. Le Parnasse [...] est un romantisme froid, impersonnel et hautain, surtout quand ses poètes sont Leconte de Lisle et M. de Heredia son disciple. Ce mouvement nous délivra très heureusementdes lacs poétiquesaux flots harmonieux, des jeunes filles pâles au regard fatal,
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des jeunes hommes larmoyants, des faux désespérés dans le genre de celui qui exhale dans la Nuit d'Octobre des plaintes si naïves, [...] Rien n'est plus choquant que ces pleurs et ces confidences publiques. Il faut entendre réciter cela pour comprendre les nécessités de la réaction parnassienne: ce fut un mouvement de pudeur. (Remy de Gourmont, Promenades littéraires.) C'est bien ainsi que l'entendait Heredia. Dans son discours de réception à l'Académie française, il déclarait: «Ces confessions publiques, menteuses ou sincères, révoltent en nous une pudeur profonde. .. Le poète est d'autant plus vraiment et largement humain qu'il est plus impersonnel.» Ou, cursif, entre amis, à propos de Francis Jammes: «Il est certain que cet animal-là est poète. Mais, moi, le sentiment, je m'en fous.» Quelques dates et quelques faits, maintenant, quelques jalons biographiques. D'une famille espagnole aux ancêtres illustres, Don Domingo de Heredia, planteur aux Antilles, père de quatre enfants d'un premier mariage, épousa en secondes noces Louise Girard, française d'origine normande, de laquelle il eut quatre enfants, José-Maria le dernier-né. Emmené en France par un grand ami de sa famille, ex-planteur, Nicolas Fauvelle, il fait ses classes à Senlis à partir de 1851 ; bachelier en 1858, il retourne aux Antilles où il poursuit ses humanités, revient à Paris avec sa mère, s'inscrit à l'École des Chartes, en sort hors rang à titre étranger en 1865
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il ne recevra qu'en 1893 ses lettres de naturalisation
française -, tout en suivant des cours
de droit. Dans le même temps, il se mêle à la jeunesse éprise de littérature, collabore à plusieurs revues. Assez fortuné pour n'avoir pas à se soucier du pain quotidien, cordial, franc, chaleureux, il attire généralement la sympathie. Le voici chez Lemerre, passage Choiseul, "cet entresol du Parnasse", décrit par le poète auvergnat Gabriel Marc, un jeune
parent de Banville:
«
Tout
tremble:
c'est Heredia / À la voix farouche et
vibrante, / Qu'en vain Barbey parodia. / Tout tremble: c'est Heredia, / Heredia qu'incendia / Un rayon de mille huit cent trente!» On le voit chez Mallarmé, rue de Rome, il fait, dit George Moore, "dans l'assemblée paisible une éclatante apparition; un cyclone de l'océan Indien ne fut pas autrement entré...". Chez Leconte de Lisle, boulevard des Invalides, plus tard boulevard Saint-Michel, où l'on se rendait le samedi, selon le mot œ Heredia rapporté par le journaliste Jules Huret, "comme les Musulmans vont à la Mecque." Chez Mme d'Agoult, chez la baronne de Poilly où il présente Montesquiou à Leconte de Lisle, chez la comtesse Diane et la princesse Mathilde, chez les Mendès, chez Victor Hugo, et Banville, et Flaubert, etc. Il est partout et partout accueilli à bras ouverts, ce "cheval emballé qui respecte les objets d'art", dira Anatole France, "l'excellent poète qui est tout éclat et toute sonorité, qui pétille, crépite et rayonne sans cesse." (La Vie littéraire.) Son portrait physique, par Brisson: « La taille souple, la voix caressante et chaude, le teint mat et doré des gens de son pays, la barbe soyeuse, la chevelure indomptée, il semblait un grand d'Espagne peint par Vélasquez ou Van Dyck.» De son bégaiement, il savait tirer le meilleur parti pour amplifier la résonance des sonnets qu'il aimait soumettre aux critiques amicales. 1867: José-Maria épouse Cécile-Louise Despaigne, de souche nantaise, née à Cuba, une beauté imposante qui lui donnera trois filles: Hélène en 1871, Marie en 1875, Louise en 1878. Après avoir habité avenue de Breteuil, puis rue de Berri, les Heredia s'installent en 1885 au Il bis, rue Balzac, où se tinrent les fameux samedis littéraires qui furent comme une survivance des samedis de Leconte de Lisle. Tout en polissant
longuement ses vers - « Un sonnet sans défauts vaut seul un long poème », disait Boileau -, Heredia ne néglige pas la prose. De 1877 à 1887, il fait paraître en quatre volumes chez
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Lemerre, avec d'érudits commentaires, la traduction de la Véridique Histoire de la conquête de la Nouvelle Espagne par le capitaine BernaI Diaz de Castillo, doublement couronnée par l'Académie française; en 1894, la Nonne Alfarez, traduction du récit de Catalina de Erauso, l'extraordinaire religieuse basque deux fois échappée de son couvent pour courir l'aventure, déguisée en homme, jusqu'au Nouveau Monde où elle disparut un beau jour, mystérieusement. Outre préfaces, comptes rendus critiques, discours, articles nécrologiques, etc., il s'emploie à ressusciter la mémoire d'André Chénier; malheureusement, sa belle édition des Bucoliques, dédiée à son ami Louis de Fouquières, le meilleur spécialiste du poète des Ïambes, ne paraîtra qu'en 1905, peu après sa mort. Le 22 février 1894, en remplacement du publiciste Charles de Mazade, Heredia est élu au IVe fauteuil de l'Académie française; Coppée le reçoit sous la Coupole le 30 mai 1895. Le récipiendaire porte l'habit vert de Leconte de Lisle, offert par la veuve du poète. Lorsque Henri de Régnier, le 18 janvier 1912, sera intronisé à son tour parmi les Quarante, il portera au côté l'épée d'académicien de son beau-père Heredia que celui-ci tenait lui-même de son maître vénéré Leconte de Lisle. Une adolescente émerveillée assiste à la séance académique du 12 juin 1902, au cours de laquelle Heredia reçoit le marquis de Vogüé. Vogüé prononce son
"remerciement"comme il est d'usage. « QuandM. de Heredia se leva à son tour,je fus tout de suite séduite par sa belle prestance, sa figure fine encadrée d'une superbe barbe à peine grisonnante, ses yeux étincelants. [...] Un léger accent exotique donnait à la voix un charme enchanteur. [...] Je voulus lire les Trophées. On jugea cette passion innocente et on me fit présent d'une belle édition avec un portrait de José-Maria. Et ce fut mon premier amour! » Ainsi s'exprime la Ctesse Jean de Pange, la sœur de Maurice et de Louis de Broglie, tous deux futurs Immortels. Heredia avait un ennemi intime, redoutable: le baccara! Ses pertes au jeu compromirent gravement sa fortune, au grand dam de ses filles qui vivaient désormais le drame des demoiselles à marier sans dot. Aussi fut-il heureux d'accepter - après Mendès, avant Régnier -la direction littéraire du Journal, puis, en 1901, le poste d'administrateur de la Bibliothèque de l'Arsenal, ce qui permit à sa famille d'emménager - à l'étroit - dans le vieux bâtiment de la rue de Sully. Reportées aux dimanches, les réceptions rassemblaient anciens et nouveaux visiteurs, toujours accueillis avec une "affabilité admirable". Une santé fragilisée par une maladie stomacale, une surdité croissante attristèrent les dernières années de cet extraverti. Le 14 juillet 1905, en séjour à Bourdonné chez des amis, il termine une bien jolie lettre à sa fille Marie: «... Que la vie est malheureusement courte pour un poète
lyrique qui aime la beauté des choses... » C'est là que "se fermèrentà la lumière de France ses yeux qui s'étaient ouverts aux clartés éclatantes du ciel des Tropiques". (Henri de Régnier.) Heredia repose, près de sa mère tendrement aimée, au cimetière de Notre-Dame-deBon-Secours, sur la colline qui domine Rouen, où le rejoignirent sa femme, sa fille Hélène et son gendre Maindron. La proximité géographique de leurs demeures parisiennes facilitait les rencontres entre Judith et les Heredia. Mme de Chizeray-Cuny, l'amie de ses vieux jours, rapporte ces propos de Mme Henri de Régnier: «Nous allions souvent la voir [Judith]. Ses fêtes nous enchantaient, car elle montrait des marionnettes ravissantes, qu'elle fabriquait et habillait elle-même. Pendant les représentations, elle animait tous les personnages; le vieux musicien [Benedictus] jouait du Wagner, et, dans les coulisses, des amis chantaient l'opéra choisi. [...] Eh bien, malgré quelques coupures musicales indispensables, c'était magnifique! [...] Il nous semblait voir, par le petit bout de la lorgnette, les héros des légendes se rapprocher de nous, grâce aux remous irrésistibles des
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grandes ondes wagnériennes... » Judith s'amusa à faire la grimace "à mourir de rire" exigée pour son admission dans la Canaquadémie fondée par la pétulante Marie, dite Maricotte, écho parodique de l'Académie française où vient d'entrer Papa Dia, comme l'appelaient ses filles. Parmi les "Canaquins", Régnier et Louys, Philippe Berthelot, Léon Blum, Proust, Valéry, ... Joyeuses réunions rue Balzac et pique-niques au vert pendant la belle saison. Voici, conservé à la Bibliothèque de l'Institut de France avec quelques autres, un billet de Judith aux demoiselles Heredia: «Chères Mignonnes, M. et Mme Natanson acceptentils apporteront la truite et le raisin. [...] Le petit Lebey, effarouché, hésite. Voilà ce que Louys m'écrit. Avez-vous du nouveau? Mille choses tendres.» Nous ne pouvons ici qu'évoquer brièvement la vie des sœurs Heredia à l'affection mutuelle compliquée par leurs aventures amoureuses, voire leurs rivalités matrimoniales. Marie, qui a déjà commencé sa carrière littéraire - elle sera brillante, cette carrière - en publiant anonymement des poésies dans la Revue des Deux Mondes, avertit Judith de ses fiançailles avec Henri de Régnier. Du Pré des Oiseaux: « Chère Marie, amie très aimée, je ne sais dire combien je suis heureuse de votre bonheur. La nouvelle que vous me donnez me fait l'effet d'une de ces choses rares et ravissantes qui n'arrivent presque jamais tant elles sont rares et parfaites. Certes je vous aime tous les deux et je vous embrasse très tendrement, vous, lui et toute la belle et chère
famille. » Judith assiste au mariage, le 17 octobre 1895, à Saint-Philippe du Roule. En septembre 1898, autre billet: «De tout cœur mes félicitations à la jeune mère, au jeune père, aux jeunes grand père et grand mère, aux jeunes tantes qui doivent être ravies, et tous mes vœux au nouveau venu qui s'appelle, je le devine, José-Maria de Régnier. Son horoscope est bon: né sous le signe de la Balance, il sera bien équilibré et ami de la justice. Son génie est Omphta, sa pierre la sardoine, sa couleur le pourpre. Il aimera le grand air, la chaleur humide et les oiseaux. Je vous embrasse tous bien tendrement.» Hélas! Marie, amoureuse d'un Louys ondoyant et velléitaire, n'avait consenti à ce mariage qu'en raison de la fortune obérée de son père dont Régnier, chevaleresquement, régla les dettes, et le nouveau-né, Pierre, surnommé plus tard "Tigre", était l'enfant de Louys, son parrain officiel. Adoré de sa mère prête pour lui à toutes les indulgences, riche de dons variés mais léger, fantaisiste, bambocheur, il mourra prématurément, alcoolique, le 1er décembre 1943. Régnier ne peut ignorer les nombreuses liaisons masculines
de Marie
-
les deux plus
éclatantes: D'Annunzio, Henry Bernstein - ni, probablement, ses liaisons féminines, moins indiscrètes. Régnier et Marie conservèrent cependant, jusqu'à la mort, en 1936, de ce mari si bien élevé, des rapports décents. Marie survivra à toute sa famille, puisqu'elle ne disparaîtra qu'en 1963, vieille dame désargentée, mais, encore et toujours, vive, malicieuse, séduisante. En 1918, l'Académie française avait décerné son Grand Prix de littérature à Gérard d'Houville, alias Mme Henri de Régnier, pour ses poèmes, ses essais et ses romans. Le Séducteur, paru en 1914, dédié à Pierre de Régnier en souvenir de son grand-père Heredia, est encore de nos jours une lecture délicieuse et nous approuvons pleinement ces lignes, rapportées par le Dr Fleury, d'Edmond Jaloux dans le Gaulois, Edmond Jaloux qui fut en
1908une passade de l'inconstanteMarie: « Ce mélangede tendresse,d'émotion franche,de poésie en même temps familière et nostalgique, de rêverie amoureuse, de compréhension de la nature avec quelque chose de mystérieux, d'inquiet et de fugitif, c'est le talent même de Gérard d'Houville. Dès qu'on lit une de ses pages, on la reconnaît à son air insouciant, indolent, plein d'une mélancolique paresse, à son art d'animer un paysage, de rendre la couleur d'une fleur, la fuite d'une rivière ou le geste d'une femme. » Si Marie - la Mouche
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de Louys - connut une existence tourmentée, certes, mais triomphante en quelque sorte, ponctuée de succès littéraires et de conquêtes "flatteuses", sa sœur cadette Louise, dite Loulouse, vécut bien difficilement sa vie de femme mariée au volage Pierre Louys qu'elle avait littéralement enlevé en s'offrant à lui un jour de printemps 1899, après avoir longtemps et vainement soupiré pour Marcel Prévost. Elle paya fort cher cet acte audacieux: l'union fut malheureuse. Totalement négligée par un Louys noctambule et confiné dans ses recherches érudites ou licencieuses, malade, sans ressources, Louise trouva une consolation en la personne de Gilbert de Voisins. Divorcée, elle épousa celui-ci en 1915. Après avoir passé des années à Arcachon pour y soigner sa tuberculose, choyée par son second mari, elle revint mourir à Paris en 1925. Hélène de Heredia, d'une beauté junonienne comme sa mère, l'aînée des trois sœurs, la plus raisonnable, la plus pondérée, se maria le 29 juillet 1899, déjà "vieille fille" à l'aune de l'époque. Judith n'avait pas manqué de se manifester: « Ma chère Hélène, Je ne connais votre fiancé que par son beau roman, Saint-Cendre, que je lisais l'an dernier en partant pour la mer, et qui a enchanté mon voyage, mais je vous connais, vous, et c'est lui surtout que je félicite d'avoir su vous conquérir. Je fais, de tout mon cœur, des vœux pour qu'il vous rende un peu du bonheur que vous lui donnez. Mille choses à vos chers parents. Je vous embrasse bien tendrement.» SaintCendre, paru en 1898 aux Éditions de la Revue Blanche, Blancador l'Avantageux (1900) et quelques autres, romans de cape et d'épée situés en France au temps des guerres de religion, sont dues à l'homme étonnant que fut Maurice Maindron. Fils du sculpteur Hippolyte Maindron - sa Velléda de marbre au jardin du Luxembourg remporta un beau succès de scandale -, Maurice est un homme d'une curiosité universelle, à la prodigieuse érudition. Il ne faudra pas moins de huit pages à Dominique Bona, biographe des filles Heredia, pour énumérer les titres, les talents, les œuvres de cet ethnologue, entomologiste, globe-trotter chargé de missions scientifiques, amateur d'armes éclairé, romancier à succès... Un rude homme et un homme rude qu'on redoutait pour son humeur atrabilaire, carrément agressive; ses beaux-frères le détestaient. Définitif sur la supériorité virile. À cette question posée dans la Vie Heureuse: «Quelles qualités peuvent au mieux contribuer au bonheur d'une femme? », il répond le 15 août 1908: «Les femmes modernes qui cherchent le bonheur et qui croient le trouver dans les satisfactions de l'ambition et l'affirmation de l'indépendance, sont des êtres hors du plan de la nature. [...] En dehors du rôle d'épouse et de mère, tout dans la condition de la femme est vain.» Malheureusement Hélène, épouse, ne sera jamais mère, opérée en 1904 par l'ami Pozzi. Autre aspect du caractère à multiples facettes de Maindron, un humour... particulièrement gaillard, à en croire Waleffe. Notre homme, alors célibataire, habitait déjà 19, quai Bourbon, sur les quais de Paris, où Hélène viendra s'installer, un appartement bondé de panoplies. Une nuit, la police alertée par des cris de détresse, y trouva Maindron fumant paisiblement sa pipe devant une armure agitée de soubresauts; on en extirpa, «rose comme la chair d'un homard qu'on tire de sa carapace, une petite femme nue, jeune péripatéticienne du boulevard, qu'il avait fait monter chez lui et s'était amusé à griser de champagne. Puis, la petite endormie, il n'avait rien trouvé de mieux, pour la dégriser, que de la boucler des pieds à la tête dans cette armure... » À la même époque, à cette même adresse qui fut la sienne de 1899 à 1913 jusqu'à son internement dans un asile d'aliénés, Camille Claudel, barricadée dans ses deux ateliers du rezde-chaussée, commençait à détruire ses œuvres à coups de masse. Intraitable, travaillant jusqu'à l'extrême limite de ses forces, Maindron lutte avec héroïsme contre une maladie
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cruellement inexorable; il meurt chrétiennement le 18 juillet 1911 après avoir confié Hélène à son grand ami Doumic. D'un premier mariage, Doumic avait un fils et une fille, ils lui donnèrent quatorze petits-enfants, plus un gendre, Louis Gillet, historien et critique d'art; lui aussi, bien sûr, sera de l'Académie française, cette annexe familiale! Le veuf Doumic épousera la veuve Maindron en septembre 1912. Rue du Pré-aux-Clercs, No 10 bis, Hélène s'installa dans une quiétude satisfaite, aux côtés d'un époux sans foucades, homme d'ordre et de devoir. Doumic est élu à l'Académie française en 1909 au fauteuil de Gaston Boissier grâce à la voix d'Edmond Rostand, venu tout exprès de Cambo pour assurer le succès de son ancien professeur du collège Stanislas. En 1916, succédant à Francis Charmes, il prend la direction de la Revue des Deux Mondes, qu'il dirigera d'une poigne vigoureuse dans les voies du Beau et du Bien, ne laissant passer aucun texte sans l'avoir mesuré à l'aune d'une stricte moralité et corrigé, si nécessaire, suivant ses exigences de critique au credo explicite: "clarté, mesure, bon sens et bon goût". Cette austérité laborieuse en rebute plus d'un. Goncourt: "un imbécile du nom de Doumic"; Léon Daudet: "un larbin à manuel" ; Tailhade : "nullité constipée et rageuse" ; Ferdinand Bac: "compassé, lettré, pédant". En tout cas, collet monté, à coup sûr, pour ne pas dire bégueule, et l'on ne lit pas sans gaieté ce verdict rapporté par Élisabeth de Gramont à propos des romans de D'Annunzio dont Doumic décourageait la fréquentation: « Une femme qui lit un roman n'est déjà plus tout à fait une honnête femme. » Son contemporain Jules Lemaitre est bien d'accord, qui n'hésite pas à conseiller une correspondante soucieuse de la culture littéraire de sa pupille de vingt ans: «Bibliothèque pour une jeune fille: l'Imitation, l'Introduction à la vie dévote, un peu de Lamartine, un peu de Victor Hugo, les romans de Jules Verne. Et rien du tout, si elle veut.» Doumic meurt en 1937, chargé d'honneurs, Hélène en 1953, avant-dernière représentante sur terre de cette tumultueuse famille Heredia de la branche française. Le Second Rang du collier, p. 271. Hermann.
Voyez COHEN.
HERST, Auguste-Clément, né à Rocroy, en 1825, paysagiste, peintre de marines, excellent aquarelliste. En juillet 1865, à Vevey, toujours nostalgique de sa vocation avortée de peintre, Théo, en contemplation des «bleus impossibles» du lac, écrivait à Ernesta : « Herst lui-même y perdrait sa cendre d'Égypte, son bleu minéral, son cobalt, son outremer, son indigo...» Sollicité jadis de participer avec George Sand, Nodier, Balzac, Alphonse Karr, Méry, Nerval, Arsène Houssaye, Musset, Feuillet et quelques autres, à un keepsake - formule panachée à la mode du temps - le Diable à Paris (illustrations de Gavarni et Bertall, J. Hetzel, 1845), Gautier avait écrit un article humoristique, "Feuillets de l'album d'un jeune rapin", y donnant libre cours à sa verve technico-lexicographique. Après de longues, de fastidieuses études en atelier, toute originalité créative prohibée, un beau matin « quand j'ouvris ma fenêtre [...] je vis que les arbres étaient verts et non couleur de chocolat, et qu'il existait d'autres teintes que le gris et le saumon... » Il s'habille et court chez le "papetier" : « Je rentrai chez moi riche de toutes les couleurs du prisme. Ma palette, qui jusque-là n'avait admis que ces quatre teintes étouffées et chastes, du blanc de plomb, de l'ocre jaune, du brun rouge et du noir de pêche, auxquelles on me permettait quelquefois
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d'ajouter un peu de bleu de cobalt pour les ciels, se trouva diaprée d'une foule de nuances plus brillantes les unes que les autres; le vert véronèse, le vert de schéele, la laque garance, la laque de Smyrne, la laque jaune, le massicot, le bitume, la momie, tous les tons chauds et transparents dont les coloristes tirent leurs plus beaux effets, s'étalaient avec une fastueuse profusion sur la modeste planchette de citronnier pâle... », toutes ces « couleurs séditieuses proscrites par l'Institut », dira-t-il encore dans son Histoire du romantisme. Et voici - Théo s'amuse - un échantillon du parler d'un jeune romantique à pourpoint de velours, enthousiaste de Rubens: «Quelle superbe chose! comme c'est tripoté! comme c'est torché! quel ragoût! quelle pâte! quel beurre! il est impossible d'être plus chaud et plus grouillant. » Herst fut le maître d'Armand Point, «peintre de figures et de portraits, aquafortiste,décorateur.Il a produit, dit Bénézit, d'intéressantsbijoux d'art moderneet créa
en 1893 la communauté"Hauteclaire"qui renouvelacette forme d'art. » Il était le père officiel - de Victor Point, filleul de Bourges, Victor auquel s'intéressait - très paternellement - Philippe Berthelot, le jeune et brillant lieutenant de vaisseau héros de la Croisière Jaune Citroën, amant désabusé de l'actrice Alice Cocea sous les yeux de laquelle il se tua, le 8 août 1932, à Agay, de deux balles dans la bouche. Ami et voisin de Point à MarIotte, près de Fontainebleau, Élémir Bourges a bien connu l'ancien professeur des petites Gautier et l'on est en droit de supposer que Judith et Bourges l'évoquèrent, un jour ou l'autre, à l'Académie Goncourt. «Toute grandeur est fille de la solitude.» Gisèle Marie, fille d'Aristide Marie qui fut l'exécuteur testamentaire d'Élémir Bourges, a inscrit cette formule lapidaire de Joséphin Péladan en tête du chapitre I du volume qu'elle bâtit autour de la Correspondante inédite de Bourges avec Armand Point. Sous la pression de ce dernier, affilié à la Rose t Croix du Temple et du Graal, Bourges donna son adhésion à cet ordre fondé par Péladan et le comte Antoine de La Rochefoucauld, "archonte", le principal commanditaire de l'entreprise. «Quelques années plus tard, il est vrai, les exubérances verbales de Péladan, ses manifestations bruyantes accompagnées d'une publicité trop tapageuse (pour l'époque), quoique d'une désarmante ingénuité, ne pouvaient convenir aux rigides conceptions de l'œuvre d'art sur lesquelles l'ascète de Samois [Bourges] avait établi sa règle de vie. Elles l'exaspérèrent au point qu'il en arriva à s'éloigner définitivement de Péladan. » Ces lignes traduisent la parfaite équité de Gisèle Marie; elle a parlé avec mesure et sympathie du Sâr, de son œuvre qui pâtit désastreusement mais inévitablement des travers, outrances et ridicules de sa jeunesse. Judith aussi, pour faire plaisir à son ami Péladan, adhéra un temps à la Rose
t
Croix,
bien qu'elle
s'affirmât
libre-penseur.
N'était-ce
pas là encore un substantiel sujet de conversation avec Élémir Bourges, d'ailleurs fervent admirateur de Wagner et de Victor Hugo? L'orientaliste Alexandra David-Néel, dont "le lumineux destin" inspira à Jean Chalon une captivante biographie, fut moins indulgente que Gisèle Marie pour Péladan. Dans le Sortilège du mystère, paru trois ans après la mort de cette intrépide centenaire, tout en reconnaissant quelques mérites à l'auteur de l'Amphithéâtre des Sciences mortes, elle se moque de ses "déclarations ampoulées, à base de notions scientifiques et morales périmées et erronées", de sa "vanité curieusement puérile"; elle fustige surtout le troupeau "des dévots du sâr, [...] coterie de snobs visant à se distinguer du vulgaire.. .". «L'entourage du sâr, dit-elle encore, se recrutait [...] plutôt parmi une élite intellectuelle - intellectuel n'étant pas toujours synonyme d'intelligent... » Après avoir rappelé les deux mariages de l'écrivain, Alexandra David-Néel conclut ainsi:
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La dernière fois que je vis Péladan, ce fut au «Mercure de France ». C'était le « jour» de Rachilde, l'auteur bien connu, femme du directeur de la revue: Vallette. Je causais dans le salon où se tenaient les dames, tandis que les hommes fumaient dans le cabinet de travail de Vallette. Ce dernier, qui savait que je connaissais le sâr, vint me trouver. «Péladan est là, me dit-il. Voulez-vous le voir? » Dans l'embrasure de la porte ouvrant sur le cabinet de travail, j'aperçus Péladan au milieu d'un groupe de visiteurs. Plus de chevelure ébouriffée, de barbe taillée à la manière des mages sur les stèles assyriennes, plus rien d'un sâr Grand maître de la Rose-Croix du Temple et du Graal, simplement M. Joséphin Péladan. Péladan est mort à Neuilly-sur-Seine, près de Paris, le 17 juin 1918, âgé de soixante ans. Une intoxication alimentaire par des fruits de mer compliquée de septicémie lui fut fatale. Apollinaire, que la grippe dite espagnole allait emporter lui-même avant que ne se terminât cette année 1918, écrivit dans le Mercure de France du 1er août un article nécrologique que n'aurait pas désapprouvé, croyons-nous, Judith Gautier, l'amie secourable: Écrivain singulier, mystique et sensuel, savant et ingénieur, Joséphin Péladan méritait des destinées plus brillantes que les siennes. Ce catholique convaincu, mais catholique à la façon des papes de la Renaissance, n'a pas toujours été compris. Il était lui-même d'une impitoyable justice pour ce qu'il ne voulait pas entendre. D'autre part, si la pensée est chez lui très ornée et élevée, elle est souvent incertaine et son style est moins haut. Il n'écartait pas toujours le paradoxe facile. Ce mage de l'esthétisme, cet amant des arts morts, ce héraut d'une décadence hypothétique, restera une figure singulière, magique et religieuse, un peu effacée, un peu ridicule, mais d'un grand attrait et d'une infinie délicatesse, un lys d'or à la main. Au cimetière des Batignolles, dans le XVile arrondissement parisien, l'extraordinaire tombeau historié du Sâr, en céramique multicolore, chef-d'œuvre de tape-à-l'œil, ne manque pas de méduser le passant non averti.
Le Second Rang du collier, p. 202. HILLEMACHER. Le 10 avril 1904, Maurice Donnay, de retour "d'une visite aux Hillemacher", transcrit cette anecdote: Hillemacherme raconte une petite histoire qui est à l'origine de la haine que Saint-Saëns avait vouée à Richard Wagner. C'était à Bayreuth. L'auteurde Samson et Dalila avait été reçu avec beaucoupde cordialitépar l'auteurde Lohengrin. Prié de se mettre au piano, Saint-Saëns joue la Danse macabre. « Tiens, une valse! » dit Wagner à une darnequi se trouvait à côté de lui et qui était Judith Gautier. Et, se levant à demi, il esquisse le geste d'inviter sa voisine à danser. Dans une glace, suspendueau mur au-dessusdu piano, Saint-Saëns a vu le geste. Il s'arrête, ferme le piano avec un bruit sec... et voilà un ennemi de Wagner. (J'ai vécu 1900.) Amusant potin que Hillemacher - Paul, assurément - ne pouvait tenir que de Judith ellemême! Elle s'était liée avec le compositeur Paul Hillemacher par l'entremise de la femme de celui-ci, née Reine Lhomme. « Amie d'enfance de Judith, rappelle Suzanne Meyer, [elle] était la seule avec moi à jouir de l'amical privilège du tutoiement. » Habituée avec son mari des réceptions dominicales de la rue Washington, excellente musicienne, Reine participe activement aux représentations du Petit Théâtre. En 1894, par exemple, dans la Walkyrie, elle chante "les malheurs de Siegelinde d'une voix délicate et tendre", rapporte Pierre Louys ; au Palace, en mars 1907, devant une nombreuse assistance des plus élégantes, elle est l'une des interprètes de Tristane, triptyque en vers de Judith, "touchante légende d'amour", avec David Devriès, de l'Opéra-Comique, et quelques autres artistes, musique de
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scène de Benedictus, "fête d'art offerte par le comité du prix Vie Heureuse". Judith dédie les cinq quatrains de "Ghazel" (Poésies) à Reine et Paul Hillemacher : Ah ! cesse, rossignol, de crier ton tourment Et de te plaindreaux nuits des rigueurs de la rose. N'as-tu pas son parfum, insatiable amant, Quand près de sa beauté ton aile se repose? Dans les années qui précédèrent la guerre, lorsque le temps était favorable à la promenade, Judith se faisait souvent conduire, avec Suzanne, en auto de louage au bois de Boulogne; après avoir nourri de pain les canards et les cygnes du lac, elles allaient prendre le thé chez les Paul Hillemacher, 24, rue Saint-James, à Neuilly. Les dictionnaires de musique ne séparent pas les frères Hillemacher. Il y a un demi-siècle, André de Fouquières parlait d'eux comme de compositeurs déjà oubliés. Paul, né en 1852 (tI933), élève de Bazin, et Lucien, né en 1860 (tI909), élève de Massenet, fils du peintre de portrait et de genre Eugène-Ernest Hillemacher, décidèrent en effet de travailler en étroite collaboration, adoptant une signature commune. Gheusi: «Les deux Hillemacher, deux médailles disparates dans une seule frappe, avec une écriture technique à se mettre à genoux devant elle.» (Cinquante ans de Paris.) Il écrivit pour eux le livret d'Orsola, drame lyrique en trois actes, représenté cinq fois au Palais Garnier au cours des mois de mai et juin 1902. Mais leur opéra féerique, le Drac, d'après le drame de George Sand et Paul Meurice, créé à Karlsruhe en 1896, ne fut représenté à Paris pour la première fois que le 29 juin 1942, sous la direction de Louis Fourestier. Dans le Pavillon des fantômes, Gabriel Astruc note ceci: «Les musiciens du Chat Noir s'appelaient Claude Debussy, Charles Levadé, Erik Satie, Charles de Sivry, les frères Hillemacher. » Il est amusant de trouver unis dans une même énumération ces deux noms: Debussy et Hillemacher. Outre qu'ils habitèrent la rue Washington dans leur jeunesse - les Hillemacher au 32, Debussy chez sa mère, au 30 où il commença à écrire Pelléas et Mélisande, on put accuser ce dernier de plagiat au détriment des premiers. Lorsque, tout jeune encore, il travaillait au service de Mme von Meck, la protectrice de Tchaïkovski, Debussy ne se fit pas scrupule, assure Victor Seroff, de faire passer pour son œuvre à lui la mélodie des frères Hillemacher sur un poème de Sully Prudhomme, Ici-bas tous les lilas meurent, qui fut même publiée sous son nom après sa mort. Paul Hillemacher, auquel sa cantate Judith (coïncidence !) avait valu le Grand Prix de Rome en 1876, et Lucien auquel sa Fingal avait valu le Grand Prix de Rome en 1880, cosignèrent une biographie de Charles Gounod, parue chez Laurens en 1905. Dans les Cahiers 1887-1936 d'Henri de Régnier, édités et complétés de notes substantielles par François Broche, nous lisons à la date du 3 août 1930 un bien curieux paragraphe. Régnier y parle des Hillemacher, souvent rencontrés,
dit-il,
rue Washington
chez Judith
Gautier
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il y était
assidu
dans les
années 1893 et 1894. Se trompant de date et sans la nommer, il évoque le séjour à Venise - c'était en 1850 - de Théophile Gautier avec Marie Mattei: « Cette femme mariée eut une fille [elle en eut trois de son mari et les biographes de Marie avaient perdu leurs traces] qui épousa un M. Puget et qui veuve, avec une fille aussi, se remaria avec M. Hi11emacher. » Il s'agit là de Lucien, le cadet. Régnier, portraitiste souvent cruel, n'aimait pas M. Hillemacher, «malveillant, hargneux, avec une mauvaise figure d'envie et de dénigrement ». Il «traitait durement» sa petite belle-fille. Celle-ci se lia avec Louise de Heredia. Sous le nom de Renée Parny, elle se fit une réputation d'actrice, notamment aux côtés de Sarah Bernhardt, épousa Jean Gounouilhou, fils du directeur de la Petite Gironde;
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Suzanne Meyer note qu'il vint séjourner, ce Gounouilhou, au Pré des Oiseaux. Il mourut prématurément. Veuve, Renée Parny remonta sur les planches, eut une liaison avec Pierre Louys, se fit un temps antiquaire avant d'épouser Jérôme Tharaud. Elle devint ainsi la voisine de Judith en Bretagne, les Tharaud possédant à Mihinic-sur-Rance une propriété baptisée les Auffrenays. Il n'en reste plus rien, les Allemands l'ayant incendiée "par haine des frères Tharaud", selon Pringué qui écrivit de jolies pages sur la vie délicieuse que menaient là les frères Tharaud et "leur femme", comme il ne se permettait pas de le dire mais que répétaient les méchantes langues. L'enchaînement de ces rencontres apparemment fortuites donne à rêver! Et de qui Régnier pouvait-il tenir ses informations sur la filiation de Renée Parny, sinon de la fille de Théo qui ne cessa jamais de s'intéresser à la petite-fille de Marie Mattéi ? Le Second Rang du collier, p. 111-112. HOFFMANN, Ernst-Théodore-Amadeus (Konigsberg 1776 - Berlin 1822). «La musique ouvre à l'homme un empire inconnu, qui n'a rien de commun avec le monde sensible qui nous entoure. » Le Prussien qui écrivait ces lignes, homme aux dons multiples - il fut juriste, caricaturiste, peintre, chef d'orchestre, compositeur, écrivain -, ne serait guère connu chez nous si Offenbach n'avait écrit ses Contes d'Hoffmann (œuvre complétée par Ernest Guiraud), opéra-comique en quatre actes; si les compagnies de ballet du monde entier ne tenaient à honneur d'inscrire à leur répertoire Casse-Noisette sur la musique de Piotr- Illitch Tchaïkowski, et Coppélia ou la Fille aux yeux d'émail sur celle de Léo Delibes; si le Kappelmeïster Johannès Kreisler que l'amour conduisit à la folie, l'insociable héros de Kreisleriana (1814) n'était le porte-parole de ses conceptions musicales qui influencèrent profondément Robert Schumann le romantique. Hoffmann souffrait de son apparence physique, de ses amours désillusionnées, de ses embarras d'argent; valétudinaire à quarante ans - comme son compatriote Heine il mourut du tabes dorsalis dans les abominables souffrances que connurent tant d'autres victimes de la syphilis -, il se réfugia dans un monde fantasmagorique, fait de rêve et de réalité mêlés. «Je suis, disait-il, pareil à ces enfants nés le dimanche qui voient des choses invisibles aux autres hommes.» Hoffmann, gros fumeur, intrépide buveur, noctambule invétéré, et - en dépit de ou à cause de? - un travailleur acharné, auteur de vingt-cinq volumes en moins de neuf années. Biographes et commentateurs relèvent son influence sur Wagner qui lui emprunta quelques thèmes; sur le Villiers de l'Ève future; sur Nodier sensible à son imagination, son originalité, sa sensibilité, sa grâce; sur Baudelaire; sur George Sand: «Hoffmann n'a rien conçu au hasard; il n'a créé des êtres surnaturels qu'en outrant la réalité d'êtres très bien observés; il n'a fait intervenir le diable dans ses extases que comme un principe philosophique... » Dans l'opinion de Gautier, ce «fantastique Hoffmann... est un grand génie, mais un génie malade ». À Bamberg, en Bavière, où il était l'homme à tout faire du théâtre local, il se lia avec Weber et avec Meyerbeer alors à l'aube de leur carrière. Jean-Paul Richter fut de ses intimes. Ses amis s'appelaient La Motte Fouqué, Chamisso, le fuligineux Dr Koreff, tous frères de Saint Sérapion comme ils avaient baptisé leur coterie. Hoffmann passa la majeure partie de son existence dans une Europe bouleversée par les guerres. L'on note avec intérêt qu'à Dresde, capitale de la Saxe où il s'établit quelque temps, Hoffmann vit de ses yeux Napoléon, alors victorieux, rire de bon cœur à une représentation du Barbier de
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Séville avec Talma et Mlle George. Quelques mois plus tard, c'était la défaite; Hoffmann revit l'empereur: «Il avait un effroyable regard de tyran. Il criait d'une voix de lion: "Voyons !" à son aide de camp.» (Cité par Jean Mistler.) Les traductions de Toussenel (Contes), de Xavier Marmier (Contes fantastiques), de Champfleury (Contes posthumes) firent connaître Hoffmann aux lecteurs français. Le Second Rang du collier, p. 175. HOUSSA YE (autre orthographe légitime de ce nom patronymique: Housset), Arsène (Bruyères, Aisne 1815 - Paris 1896), rejeton d'une famille terrienne alliée aux d'Aguesseau et aux Condorcet. Ses innombrables portraits - au crayon, à l'eau, à l'huile, en marbre sans compter les caricatures, fréquemment reproduits par la gravure, restituent une personnalité dont son passeport nous fournit le signalement: «Taille, un mètre soixanteseize centimètres. Front: haut. Cheveux: blonds. Sourcils: châtains. Yeux: bleus. Nez: aquilin. Bouche: rouge. Barbe: blonde. Visage: ovale. Menton: rond. Teint: clair. » Telle vit Théo au Salon de 1833. Le lendemain même de cette première rencontre, à laquelle assistait Nestor Roqueplan qui fit une belle carrière d'homme de lettres et de Boulevard, Arsène déjeunait à Passy, barrière des Bonshommes, chez les parents de Théo. Ce dernier, indulgent, l'étiqueta poète après avoir entendu ce tout jeune homme, légèrement éméché, réciter: «Quand ma bouche amoureuse / Baisa / La blanche et savoureuse Rosa, / Ma main vive et galante / Cherchait / Ce que la nonchalante / Cachait.» Sur ces entrefaites, raconte Arsène, survint Gérard Labrunie, qui n'était pas encore Nerval, et « ce fut avec lui comme avec Théo une amitié à la vie à la mort. Hélas! la mort les a pris avant l'heure. » Ensemble ils vécurent au Doyenné la vie inimitable de la bohème galante, puis chacun des membres du jovial phalanstère prit son essor pour le meilleur ou pour le pire. Au soir de sa vie, Arsène entreprit de rédiger les six tomes de ses Confessions. Souvenirs d'un demi-siècle 1830-1890. Au fil des chapitres, d'ailleurs fort décousus, on croise Théo à tout bout de champ. Théo et la Cydalise. Théo et la Victorine. Et Eugénie Fort
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«C'eût
été pour lui le salut dans la vie que de l'épouser.
» - Et les trois Grisi:
Julia, du temps où Théo en était fou - « On sait que Julia Grisi le renvoya à Carlotta Grisi, qui le renvoya à Ernesta Grisi, fort à propos, car c'était la meilleure. Avec elle il eut deux filles, dont l'une a la beauté junonienne, l'autre le profil affiné d'une nymphe de la Renaissance. » On voit ensemble Arsène et Théo chez la princesse Belgiojoso, muse politique à la pâleur spectrale qu'on disait alors plus éprise de George Sand que de Musset; chez Mme de Girardin, spectateurs des séances de tables tournantes; chez Alphonse Karr que Louise Colet affolée de passion avait un jour entrepris de poignarder avec un couteau de cuisine - qui offrit à Théo son premier cigare; chez Rachel; chez Jeanne Detourbey, qui devint Mme de Loynes; chez la Païva; chez la princesse Mathilde; place Royale, chez Victor Hugo à qui Gautier présenta Houssaye; et caetera. Après Théo, au nombre de ses amis les plus intimes, Arsène nomme Jules Sandeau, Edmond About, et le corpulent critique Jules Janin. Évoquant pêle-mêle tout ce qui eut un nom dans les lettres et dans les arts pendant cinquante ans, ce noceur séduisant, enrichi par quelques coups de bourse heureux et d'intelligentes opérations immobilières, cet amphitryon aux nombreux domiciles et aux fêtes somptueuses, n'a garde d'omettre les dames de petite ou demi-vertu. Il ne rencontrait guère de cruelles parmi ces "jolies filles qui ne se défendent point à la Vauban",
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ce qui ne l'empêchât point de se marier deux fois. Mais, heureux dans ses amitiés et dans ses entreprises en général, le pauvre Houssaye se vit cruellement frappé dans ses affections familiales. En 1847, Gautier étant son témoin à Saint-Thomas d'Aquin, il épouse l'exquise Fannie Bourgeois de La Valette. Leur petite Edmée meurt à trois ans et Fanny elle-même, en décembre 1854, à vingt-huit ans, d'une maladie de cœur. Henry, né en 1848 de cette union, deviendra un historien spécialiste de Napoléon 1er, et l'Académie française, qui a refusé son père, l'élira en 1894 au fauteuil de Leconte de Lisle. Arsène tente de se consoler « Je ne puis vivre sans la compagnie des femmes» - avec une jeune actrice et chanteuse protégée d'Alexandre Dumas, amie de Mlle George et de Jeanne Detourbey, cousine de la Malibran, Maria Garcia, au désespoir de François Ponsard, son amoureux. Abandonnée par Arsène, elle meurt de chagrin en décembre 1862, six mois après le mariage de l'inconstant avec Jane della Torre, beauté péruvienne; à Saint-Louis d'Antin, Théo est, avec Delacroix, témoin d'Arsène; et dans les rues comme dans les salons, on chante Ay Chiquita I, romance inspirée par cette déchirante passion: « On dit que l'on te marie, / Tu sais que je vais en mourir. / Ton amour, c'est ma folie, / Hélas! je n'en puis guérir... » Deux ans plus tard, Théo est encore aux côtés d'Arsène pour l'inhumation de la malheureuse Jane, morte quelques jours après la naissance d'Albert, le second fils d'Arsène. Dans le Figaro, un
folliculaire osa un atroce à peu près: « Cette barbe blonde est une barbe bleue. » Ce n'est pas tout. Environ le même temps, Arsène perdit une sœur. Une autre sœur, très chérie, Cécile, Mme de Bonnemain, veuve d'un sous-préfet victime du choléra à Toulon en 1864, fut emportée par une lame de fond, le 10 octobre 1870, à la pointe de Penmarc'h; un pigeon du Siège apporta l'affreuse nouvelle à Houssaye. À vingt-quatre ans, Albert expire dans les bras de son père... Heurs et malheurs domestiques, activités mondaines, pourchas amoureux, frivolités ne remplirent pas l'existence entière de Houssaye. Il avait pris pour devise « Travail et plaisirs ». Avec un zèle jamais démenti, sous son propre nom et sous divers pseudonymes, il fit œuvre de littérateur, même si l'on pense à tort ou à raison qu'il fût un poète sans inspiration, un romancier et un dramaturge médiocre, un historien négligent, un critique d'art superficiel, un mémorialiste sujet à caution, un journaliste et un patron de presse insuffisant. Quel que soit le jugement que l'on ait porté sur son abondante production, nul ne peut nier le succès remporté par sa verveuse et piquante Histoire du 41e fauteuil de l'Académie française, qui ne lui fit pas que des amis, comme bien l'on pense, mais: Qu'importe, disait ce philosophe, «pas un seul de mes ennemis ne serait digne d'être mon ami!» En 1849, sur les instances de Mlle Rachel appuyée par le Dr Véron, Houssaye avait été nommé administrateur de la Comédie-Française; main de fer dans gant de velours, il y ramena l'ordre et la prospérité malgré une virulente cabale des sociétaires. Démissionnaire en 1856, on créa pour lui une place d'inspecteur général des musées de province. Au fil des années, Houssaye eut le chagrin de voir disparaître un par un tous les témoins de sa jeunesse. Il n'en demeura pas moins un homme délicieux, sans amertume, un beau vieillard toujours tiré à quatre épingles, soigné, parfumé. Coquet assurément, Arsène Houssaye, il le fut toujours, mais se refusant en vrai dandy à toute excentricité. Marylène Delbourg-Delphis cite les Confessions: Beauvoir, Albéric [Second], Gavarni et moi, nous contrastions avec les autres romantiques par notre habillementrigoureusementà la mode du jour, presque à la mode du lendemain. Nous trouvions très bien queThéophile Gautier eût une redingote à brandebourgs pour être mieux étoffé; que Gérardde Nerval s'habillât à la Werther; qu'ÉdouardOurliac eût des bottes à la
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Souvarof. Mais nous pensions qu'on pouvait être un très bon romantique en s'habillant comme tout le monde, en mettant le chapeau sur le coin de l'oreille et en renversant outre mesure le revers de l'habit. Les romantiques abracadabrans se moquaient de nous et nous appelaient "muscadins" - or "muscadin" avait cessé de désigner une extravagance vestimentaire jamais atteinte pour simplement signifier "réactionnaire". Un vendredi 13 avril de l'année 1888, au dîner des Spartiates, Goncourt voit «le vieil Houssaye semblant d'une année plus jeune que l'année dernière, dans le chinchilla de sa barbe et de ses cheveux». François Coppée souligne la grâce exquise de son accueil, et Marguerite Moreno, qui le connut octogénaire, le charme suranné de sa courtoisie et de «cette bienveillance de vieux pécheur à laquelle personne ne résistait. [...] Il ne parlait jamais de lui, jamais non plus du passé, il laissait aux autres le soin de raconter les étranges aventures et l'immense travail qui avaient occupé sa vie.» Un jour, au Jardin de Paris, établissement situé à l'emplacement de notre Petit Palais, Moreno le vit occupé à complimenter en termes choisis Jane Avril, l'étoile du cancan, la gambilleuse enivrée du Moulin Rouge, cette "Mélinite" qu'adora Toulouse-Lautrec, "légère, fragile, mélancolique". Moreno raconte que, trois ans avant sa mort, Houssaye eut à subir une grave maladie. Guettant son dernier soupir, une bonne sœur égrenait son chapelet près de son lit; soudain, ressuscité, le moribond prononça, distinctement articulée, cette phrase impeccable: « Ma sœur, y a-t-il encore du pâté de foie gras? Je crois qu'il conviendrait que je mangeasse. » «Ces années volées à la mort, poursuit Moreno dans Souvenirs de ma vie, Arsène Houssaye les employa à jouir encore de la vie, [...] fixant ses yeux, qui étaient devenus du bleu opaque des yeux de tout petit enfant, sur les jolis visages dont ils essayaient de suivre les contours, aimant la beauté, adorant la littérature, et fier encore quand une jeune voix prononçait tendrement son nom! » Le Second Rang du collier, p. 68, 147. HUGO, Charles, le troisième enfant de Victor Hugo, après le petit Léopold mort tout bébé et Léopoldine accidentellement décédée avec son mari, avant François-Victor mort de tuberculose et Adèle qui disparaîtra, célibataire, après un long internement dans un asile d'aliénés. L'avenir dira que c'est lui, Charles, et lui seul, qui assurera une postérité au poète. Une esquisse généalogique succincte de la famille Hugo nous paraît trouver ici une place favorable et justifier quelques redites en faveur de la clarté. Jean-Philippe Hugo, cultivateur à Baudricourt (Lorraine), marié en 1707 avec Catherine Grandmaire, engendre sept enfants, dont: Joseph, né en 1727, qui a douze enfants en deux mariages, dont: Léopold-Sigisbert, dit Brutus, général, comte de Siguenza (17731828), et Louis, général (1777-1853). Marié en 1826 avec Marie Pineaud, Louis est le père de Léopold (1827-1866), maire de Chameyrat en Corrèze, et de Marie (1834-1906) ; veuve de Léon Chirac (1823-1854), Marie finit ses jours au Carmel de Tulle. Léopold-Sigisbert
(15 novembre
1773
-
18 janvier
1828), le général comte
Hugo,
épouse le 15 novembre 1797 la Bretonne Sophie Trébuchet (19 juin 1772 - 27 juin 1821), troisième enfant de Jean-François Trébuchet (1731-1783), nantais, capitaine au long cours, et de son épouse Renée-Louise Lenormand du Buisson. Un frère de Sophie - ils étaient huit
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frères et sœurs - fut l'un des lieutenants du sinistre Carrier, le noyeur de Nantes. Du mariage de Léopold et de Sophie naquirent trois fils: * Abel, le 15 novembre 1798, décédé le 8 février 1855; ** Eugène, le 16 septembre 1800, décédé le 20 février 1837; *** Victor, le 26 février 1802, décédé le 22 mai 1885. Veuf, le général comte Hugo épousera en secondes noces sa vieille maîtresse Catherine Thomas (5 novembre 1783 - 21 avril 1858) après une existence conjugale difficile, hachée de longues séparations, avec Sophie Trébuchet qui vécut, elle, une tragique histoire d'amour avec le général Fanneau de Lahorie, né en 1766, le parrain du petit Victor, compromis dans le complot du général Moreau, recueilli, caché par elle impasse des Feuillantines, emprisonné, puis mêlé au complot du général Malet contre l'Empereur et fusillé au camp de Grenelle le 29 octobre 1812. * Abel Hugo (1798-1855), écrivain, épouse le 20 décembre 1827 le peintre d'histoire et de portrait, ex-professeur de dessin d'Adèle Foucher, Julie Duvidal de Montferrier (1797-1865) dont il eut un fils, Léopold (1828-1895), filleul de Victor Hugo; la conduite blâmable de la femme de ce Léopold, épousée en 1855, et la mort de la petite Zoé, leur fille, affectent gravement son psychisme fragile. ** Eugène (1800-1837), second fils de Léopold-Sigisbert, souffre très jeune d'une instabilité mentale qui inquiète sa mère. Atteint d'un accès de folie furieuse le jour même du mariage de Victor, son cadet, avec Adèle Foucher... qu'il aurait aimé en secret suivant une thèse controversée. Il meurt à l'asile Saint-Maurice de Charenton. *** Victor-Marie, conçu au sommet du Donon, dans les Vosges, "Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole..." (Besançon, 1802 - Paris, 1885), épouse le 12 octobre 1822 Adèle Foucher qui lui donnera cinq enfants: Léopold, né à Paris le 16 juillet 1823, meurt en nourrice à Blois, chez son grand-père le général Léopold Hugo, le 10 octobre de la même année; Léopoldine, dite Didine, née à Paris le 28 août 1824, périt noyée le 4 septembre 1843 dans l'estuaire de la Seine, au cours d'une promenade en voilier, avec Charles Vacquerie, qu'elle avait épousé le 15 février de la même année; Charles, dit Charlot, né à Paris le 2 novembre 1826, décédé à Bordeaux le 13 mars 1871 ; Victor, dit Toto, dit François-Victor, né le 21 octobre 1828 à Paris, décédé à Paris le 26 décembre 1873, sans postérité; Adèle, dite Dédé, née à Paris le 28 juillet 1830, internée à Saint-Mandé, puis à Suresnes où elle décède le 21 avril 1915. Charles (1826-1871). Deux plaisants souvenirs de son enfance. Avril 1833. Victor Hugo s'amuse à sténographier un "discours" de son Charlot: «Didine, tu sais que dans la classe [. ..] il y a [...] une grande table où il y a tout plein de grands garçons; eh bien, alors, il y a à cette table-là un grand garçon, qui est joliment méchant. Il ne sait jamais ses devoirs. Quand on va à la promenade, on le met au piquet toute la journée. Le piquet, c'est un arbre
qu'on passe toute la récréation là. » (Choses vues.) Et l'on rappelle avec attendrissementtel instant mémorable comme celui-ci, consigné par Richard Lesclide dans Propos de table. .. : Le grand poète ThéophileGautier, le plus cher disciple du maître, très familier dans la maison, [...] raconteque son concierge a fait couper la queuede son chien. On s'apitoie à propos de cette cruauté, quoiqu'unassistantfasse remarquerqu'une croyancepopulaire veut que les chiens aient au bout de la queueun ver qui leur ronge le tempérament. Après un moment de silence, Théophile demandeà Charles qui le regarde de ses beaux yeux: "Aimerais-tu, toi, qu'on te coupât la queue ?" Charles vivement: "Z'ai pas de queue !" Réflexion faite, bébé rougit:
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"Ze sais pas si z'ai une queue, mais ze veux pas qu'on me coupe rien!" Et quels bons rires du père! Père attentif et charmé, futur grand-père exquis qui définissait ainsi le Paradis: «Les parents toujours jeunes, les enfants toujours petits!» Hélas! sur notre boule terraquée, comme disait Gautier, les enfants grandissent. Charlot, physiquement vigoureux, turbulent, mais paresseux en classe, ne fut ni un écolier ni un étudiant modèle, ce qui tourmentait sa famille. Autre sujet d'alarme: la fièvre typhoïde qu'il contracte pendant l'été 1846. En 1847, pour lui épargner les rigueurs du service militaire, son père - qui y avait échappé luimême au titre de lauréat des Jeux floraux - lui paye un remplaçant. Charles se plaît dans le monde des coulisses où sa belle tournure et sa gentillesse lui valent d'agréables moments. À vingt ans, il s'éprend d'Alice Ozy qui le trouve "beau comme Mario". Ils vivent quelques semaines charmantes. Elles éveillent en Charles une certaine verve poétique, mais inspirent aussi à ce garçon mal nippé et sans le sou quelques velléités de coquetterie. Plus tard, Alice raconta: Son rêve, quand il fut devenu mon amant, était de mettre une chemise blanche chaque jour, et non pas seulement deux par semaine. Son père, après avoir refusé, finit par lui dire que ce serait un supplément de dépense pour la maison, mais que, s'il voulait renoncer à la côtelette que chacun mangeait au déjeuner, on appliquerait les cinq sous à son blanchissage. Charles consentit. Un jour que Victor Hugo, très pressant, mettait le monde à mes pieds et offrait de faire tout pour moi, je lui dis: "Rendez-lui sa côtelette !" Variation d'Alice sur le même thème: Le pauvre garçon avait un chapeau ignoble. Un jour, ne sachant comment m'y prendre pour lui en donner un, nous convînmes, Gautier et moi, j'attendais du monde, que, le soir, Gautier, très myope, irait s'asseoir, comme par malheur, sur le chapeau de Charles, que je devais placer à un endroit convenu; et, bien vite, c'eût été l'occasion d'en faire chercher un autre chez le chapelier d'en face. Le soir (il y avait chez moi des Arabes amenés par Castellane, Chassériau, des Anglais... beaucoup de monde) Gautier entre; il avise un chapeau placé en évidence sur un canapé, et va s'asseoir consciencieusement... Grand émoi! C'était un chapeau tout neuf, à un Anglais, qui se fâche... Pauvre Charlot! C'était un redoutable rival que son père, auteur de ce quatrain fameux sur le lit d'Alice: Platon disait, à l'heure où le couchant pâlit: « Dieu du ciel, montrez-moi Vénus sortant de l'onde! » Moi, je dis le cœur plein d'une ardeur plus profonde: «Madame, montrez-moi Vénus entrant au lit ! » et de ces lignes si blessantes pour l'amour-propre de ses conquêtes: «Je pense des femmes comme Vauban des citadelles. Toutes sont faites pour être prises. Toute la question est dans le nombre des jours de tranchées. » (Carnets.) Des lettres navrées, très dignes, de Charles à Mlle A. Ozi, bd Poissonnière, No 6, nous n'extrairons que ce passage révélateur de la détresse d'un jeune homme encore candide: ... Pourquoi avoir brisé d'un seul coup toutes vos promesses et toutes mes espérances? Pourquoi avoir écrit cette lettre à mon père? D'une part le fils avec un cœur pur, un amour profond, un dévouement sans bornes; d'autre part, le père, avec la gloire. Je ne vous en blâme pas, toute femme eût fait comme vous; seulement vous comprendrez que je ne suis pas assez fort pour supporter toutes les douleurs que me prépare votre amour ainsi partagé! [.. .] Je ne veux pas qu'il y ait, dans mes paroles, même l'apparence d'un reproche. Je ne vous reproche rien. Je me plains, voilà tout. [...] Adieu et merci. Soyez heureuse avec lui, quoiqu'en
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vous souvenant qu'il ne vous aimera jamais plus queje ne vous ai aimée et queje vous aime encore. Merci, merci, merci... Si léger, si accommodant qu'il fût, ce pied-tendre, c'était là une expérience amère et impropre, assurément, à conforter le respect dû au chef de la tribu; Judith s'étonnera un jour d'entendre Charles, dans le feu d'une discussion politique, traiter son père, qui ne fit qu'en rire, de "crétin de génie qui croit en Dieu et en Napoléon". La Révolution de 48 met un sceau à ces éphémères amours. Alice Ozy part pour Londres; Lamartine offre à Charles, qu'il employa quelque temps comme secrétaire, un poste à la légation du Brésil, refusé par Victor Hugo au nom de son fils; le 31 juillet, paraît le numéro spécimen de l'Événement, directeurs Charles et François-Victor Hugo. 30 juillet 1851: Charles, condamné à six mois de prison ferme pour son article contre la peine de mort, est écroué à la Conciergerie où François-Victor le rejoint quatre mois plus tard. Puis viennent le bannissement de Victor Hugo, l'exil et l'installation dans les îles anglo-normandes. À Jersey, Charles révèle d'extraordinaires dons de médium au cours des séances de table tournante et fait parler la Bouche d'ombre. Avec Vacquerie et Toto, il explore les possibilités des différentes techniques photographiques sur papier, sur verre; c'est à son talent d'opérateur que nous devons l'image "inspirée" de Victor Hugo écoutant Dieu au sommet d'une falaise. Fin octobre 1855, expulsés de Jersey pour avoir apposé leur signature au bas d'une Déclaration insultante pour la Couronne anglaise, Hugo et ses fils quittent Marine-Terrace, près de Saint-Hélier, et gagnent Guernesey où la famille entière se reconstitue... sans oublier Juliette Drouet. En août 1859, le Moniteur publie le décret d'amnistie sans condition de tous les condamnés politiques: «Quand la liberté rentrera, je rentrerai », déclare noblement Victor Hugo, en écho aux "Ultima Verba" des Châtiments (2 décembre 1853) : « ... si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla; / S'il en demeure dix, je serai le dixième; / Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là!» Oui-da! mais depuis longtemps déjà un vent de révolte agite les siens qui se disent victimes d'une véritable séquestration et cherchent à s'évader le plus possible de Hauteville House, où le "tyran" comme s'exprime Charles -, qui continue à produire chef-d'œuvre sur chef-d'œuvre, tient fort étroitement serrés les cordons de sa bourse. Las de cette vie recluse et mesquine, de la médiocrité de ses amourettes insulaires, Charles décide de se trouver une gentille petite épouse agréablement dotée. L'élue sera Alice Lehaëne "jolie et douce", à peine sortie du couvent, filleule de l'éminent philosophe et homme politique Jules Simon. Ils se marient le 17 octobre 1865 à Bruxelles, où ils se fixent. Bruxelles, 14, place des Barricades, désormais port d'attache du clan Hugo. Y habitent François-Victor, le jeune ménage Charles et Mme Victor Hugo, plus rarement, quand elle n'est pas à Paris. Le proscrit volontaire de Guernesey ne fait guère qu'y toucher barre à l'occasion de son voyage annuel avec Juliette ou de certains événements heureux comme le baptême, en juillet 1867, du premier-né des Charles, Georges, qu'une méningite emporte, hélas! le 14 avril 1868. Le 16 août suivant, un second petit Georges voit le jour, dernière joie pour Mme Victor Hugo qui meurt quelques jours plus tard. Jeanne, sœur cadette de Georges, vient au monde l'année suivante. La beauté de Charles - «Charles est grand, fort, superbe, avec des yeux flamboyants. Il parle très haut.» (Judith Gautier) - était plus remarquable que son talent d'écrivain «Charles, ébouriffé, superbe comme il le sera toujours, mais insignifiant.» (Mme Alphonse Daudet). C'était, écrivit Léon Daudet dans Fantômes et vivants, «un bon vivant ardent et batailleur, que l'inactivité assoupit et tua, et qui n'a pu donner toute sa
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mesure.» Antithèse de son cadet, il ne cesse d'inquiéter ses parents. Toujours à court d'argent, il ne se fait pas scrupule de monnayer les autographes et les dessins qu'il parvient à extorquer, voire à chiper à son illustrissime père. Des cercles de Spa où il s'en va jouer, plein d'espoir, avec Alice et Henri Rochefort, il revient toujours plus fauché que les blés. Hugo découvrira plus tard, consterné, l'ampleur des dettes qu'il avait contractées dans l'apaisante perspective, sans nul doute, d'un juteux héritage. Au demeurant, cordial, sympathique, et s'employant avec succès à lubrifier les rouages souvent grinçants de la cohabitation familiale. En mars 1871, il est à Bordeaux, avec son père élu député à l'Assemblée. Déçu, Hugo donne très vite sa démission. Le 13, à la veille de leur départ pour Paris, victime d'une hémoptysie foudroyante, Charles succombe au cours d'un trajet solitaire en fiacre. Le 18, au Père-Lachaise, autour de la tombe Hugo où l'on va enfouir son cercueil, "la foule était tellement compacte qu'il était presque impossible de faire un pas". Ce même jour, des furieux exécutent à Montmartre les généraux Lecomte et Thomas; c'est le boutefeu de la Commune. Ô Charles! je te sens près de moi. Doux martyr, Sous terre où l'homme tombe, Je te cherche, et je vois l'aube pâle sortir Des fentes de ta tombe. ..... Et pendant qu'à genoux je pleure sur mon seuil, Deux petits enfants chantent.
...... Moi-même un jour, après la mort..................... Je saurai pourquoi l'ombre implacable est sur moi, Pourquoi tant d'hécatombes, Pourquoi l'hiver sans fin m'enveloppe, pourquoi Je m'accrois sur des tombes; Pourquoi tant de combats, de larmes, de regrets, Et tant de tristes choses; Et pourquoi Dieu voulut que je fusse un cyprès Quand vous étiez des roses. L'Année terrible. Jeanne a l'air étonné; Georges a les yeux hardis. Ils trébuchent, encore ivres du paradis. L'Art d'être grand-père. Malgré les mises en garde de son beau-père qui n'aimait pas beaucoup la personne de cet exsecrétaire de Renan en Syrie, journaliste, homme politique d'extrême-gauche - il sera plusieurs fois ministre, du Commerce, de l'Instruction publique, de la Marine et, à ce titre, le lieutenant de vaisseau Pierre Loti en délicatesse avec sa hiérarchie se recommandera personnellement à sa bienveillance -, la veuve de Charles épouse Édouard Lockroy le 3 avril 1877, promettant au poète de ne jamais quitter son foyer, la seule pensée d'avoir un jour à se séparer de ses petits-enfants lui déchirant le cœur. D'après ce que Georges, scandalisé, raconta à Léon Daudet, Lockroy garda, de l'hostilité de Hugo à son mariage, une solide rancune, lui manifestant en public une antipathie «dont les signes sautaient aux yeux », confirme Talmeyr, le persécuta jusqu'à lui manquer grossièrement de respect. Par
son mariage, en 1891, avec Jeanne Hugo, fille de Charles et d'Alice, -
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la splendide Jeanne
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Hugo, avec son merveilleux nez, un nez de grande race, à la Victor Hugo» (Jules Renard), « éblouissante» (Louis de Robert) -, Léon Daudet était devenu le beau-frère de Georges; son intimité avec sa belle-famille lui inspirera la Tragique Existence de Victor Hugo, une sorte de pamphlet qu'on ne peut lire sans méfiance ni sans gaieté. Divorcée en 1894 de Daudet qui se remariera en 1903 avec sa cousine Marthe Allard, Jeanne épousa deux ans plus tard Jean Charcot, l'explorateur des régions polaires, le fils de l'éminent neurologue; divorcée une seconde fois, elle devint enfin la femme de Michel Negroponte de qui elle s'était éprise vingt ans plus tôt. Venons-en maintenant aux péripéties matrimoniales de Georges, le frère de Jeanne. Comme elle, il a reçu une éducation exclusivement laïque et assez molle pour ne pas trop contraindre ses penchants hédonistes. Pour commencer, il épouse Pauline Ménard-Dorian,
issue d'une opulente
famille
aux idées avancées
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père
industriel dans l'armement, député d'extrême-gauche, mère, née Aline Dorian, agressivement athée, anticléricale jusqu'à la caricature, antimilitariste bien sûr - puis, divorcé, il convole avec Dora-Charlotte Dorian, une cousine de Pauline, - « délicieuse tête au charme slave» (Goncourt), épouse divorcée de Jean Ajalbert; elle est la fille de Charles-Louis Dorian, député de la Loire, et de l'explosive Tola Dorian, née princesse Mestchersky, trois fois
divorcée, femme de lettres - « folle et hystérique Russe» (Goncourt)- ; c'est elle, comme le raconte Arsène Houssaye au cinquième tome de ses Confessions, qui, en 1884, venait en phaéton enlever le vieil Hugo, enchanté, au galop de ses chevaux fougueux. Georges plaqua Dora comme il avait plaqué Pauline. «Le masque et la carrure de son grand-père» (Jules Renard), « gros et fleuri et tout à fait caressant» (Goncourt), cet homme si heureusement doué tant pour les lettres que pour les arts, qui a laissé de jolis souvenirs sur son cher Papapa, Mon grand-père (1902), et comme il avait servi dans la Marine, Récits d'un matelot (1895), de qui les dessins, les caricatures révèlent un talent qui lui vaut de figurer au Bénézit, cet homme de faible volonté gâcha sa vie. Il mourut d'une congestion pulmonaire, le 5 février 1925 à Paris, dans une chambre minable, ruiné, criblé de dettes. Descendant en ligne directe de "ce héros au sourire si doux", le général Hugo, Georges eut trois enfants: une fille, Marguerite, et deux garçons. Jean, l'aîné, peintre autodidacte, décorateur de théâtre, acteur et témoin de la vie tumultueuse des années folles, et François, l'orfèvre, perpétueront l'un et l'autre la lignée Hugo et ses traditions artistiques. Né à Paris le 19 novembre 1894, Jean décède le 22 juin 1984 au Mas de Fourques, près de Lunel, dans l'Hérault, hérité de sa grand-mère maternelle. Il avait épousé en 1919 Valentine Gross, peintre, graveur de renom, dont il divorça... tradition familiale, mais sans drame pour une fois! En 1947, second mariage avec Lauretta Hope-Nicholson. Jean Hugo, modeste, délicat, tendre, amusé, nous a laissé un précieux livre de souvenirs, le Regard de la mémoire, bourré d'attrayants portraits: Proust, Cocteau, Satie, Auric, Picasso, Dullin, Jouvet, Maritain, l'abbé Mugnier, Max Jacob, etc. Et le voici, crayonné lui-même par Jean Chalon dans son Journal de Paris: Lundi 3 novembre 1975. J'ai enfin rencontré [oo.]Jean Hugo, l'un des rares hommes que Louisede Vilmorin ait vraiment aimés. Jean Hugo a maintenant quatre-vingts ans, des yeux magnifiques, le profil d'Anubis, une crinière blanche, et le bedon de son ancêtre Victor vieillissant. Un peu sourd, mais moins qu'il ne le laisse croire... C'est un homme du XIXe siècle égaré dans le nôtre et qui ne s'en porte pas plus mal, vivant à Fourques comme un patriarche insouciant. Le Second Rang du collier, p. 306, 307, 308.
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HUGO, François-Victor. «Madame la Baronne VICTOR HUGO est heureusement accouchée d'un Garçon. Monsieur le Baron VICTOR HUGO a l'honneur de vous en faire part. La Mère et l'Enfant se portent bien.» Ainsi fut annoncée la naissance à Paris, rue Notre-Dame-des-Champs, No Il, le 21 octobre 1828, de Victor Hugo, second du nom, baptisé à Saint-Sulpice le 5 novembre. Parrain, son oncle Victor Foucher; marraine, sa sœur, Léopoldine... qui ne sait pas encore signer! François-Victor, dit Toto en famille, sous ce prénom de plume adopté pour éviter toute confusion, se signala dans les lettres par sa monumentale "traduction littérale" des Œuvres complètes de Shakespeare et du Théâtre apocryphe de Shakespeare, qui précède de peu la traduction des Œuvres de Shakespeare par le polygraphe Émile Montégut, un des plus assidus collaborateurs de la Revue des Deux Mondes et du Moniteur universel. En avril 1856, Auguste Vacquerie écrit, de Hauteville House (Guernesey), sous la forme d'une lettre à son neveu Ernest Lefèvre: «Une singularité de cette traduction de Shakespeare, c'est que ce sera une traduction de Shakespeare; les autres traduisent la traduction de Letourneur. Celle-ci ne connaît que l'édition originale, elle supprime ce que les éditions modernes ont ajouté et restitue ce qu'elles ont supprimé, elle rétablit l'esprit et la lettre, elle abolit cette stupide division en cinq actes dont Shakespeare ne s'est jamais douté, elle n'emmaillote pas ce géant dans les
langes de la tragédie! » (Profils et grimaces.)Labeur considérablesalué par l'oncle Paul Foucher: «Il était impossible d'employer plus utilement, plus noblement, plus heureusement les loisirs d'un bannissement volontaire qui l'enlève à la France et le sépare d'une famille qui l'aime et le regrette. En vivant avec Shakespeare, il a pu ne pas se croire exilé: l'art est une patrie universelle.» (Entre cour et jardin.) Maurice Barrès, qui fut présenté à Hugo par Leconte de Lisle, a une pensée pour François-Victor en évoquant la mémoire de Georges-Manuel Theotocopuli, fils du Greco: «J e songe au fils de Victor Hugo, François-Victor, qui, pour grandir encore la gloire de son nom, se consacre au service de Shakespeare et l'honore comme une des sources de son père.» (Greco ou le secret de Tolède.) Léon Daudet exprime sa sympathie pour les deux fils Hugo. Du cadet, il écrit dans Fantômes et vivants: «François était un érudit, d'apparence flegmatique, sentimental au fond. Pour tromper l'ennui de l'exil, il avait entrepris une besogne de bénédictin, cette traduction de Shakespeare qu'il mena à bonne fin, avec un plein succès, grâce à sa vive intelligence et à sa connaissance parfaite de la langue anglaise.» Refusant l'hypocrisie victorienne, François-Victor eut l'honnêteté d'admettre que sur les cent cinquante-quatre sonnets du poète élizabétain, vingt-cinq furent inspirés par une femme et tous les autres par un homme. En guise de préface à la traduction de son fils, Victor Hugo écrit et publie en 1864 son éblouissant William Shakespeare, un "Mage" qu'il place dans la cohorte des "hommes-océans", treize esprits qui eurent la puissance de s'élever à "cet effrayant promontoire de la pensée, d'où l'on aperçoit les ténèbres". Le 14 août 1836, Théophile Gautier livrait, dans la Chronique de Paris, son sentiment sur la traduction littéraire à propos d'une œuvre d'Hoffmann, interprétée par M. Massé Egmont: Il a traduit en conscience le mot sous le mot et dans un système de neutralité scrupuleuse. J'aime beaucoup mieux ses germanismes de style qu'une inexactitude. Une traduction, pour être bonne, doit être en quelque sorte un lexique interlinéaire; d'ailleurs c'est une fausse idée de croireque l'élégance y perde, et quandelle y perdrait, c'est un sacrifice qu'il faudrait faire. Un traducteurdoit être une contre-épreuvede son auteur; il doit en reproduirejusqu'au moindre petit signe particulier, et comme l'acteur à qui l'on a confié un rôle, abdiquercomplètement sa
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personnalité pour revêtir celle d'un autre. Outre la connaissance profonde de deux langues, il faut toujours de l'esprit et quelquefois du génie pour être un bon traducteur: c'est pourquoi il y a si peu de bons traducteurs.
Le 21 avril 1864, les frères Goncourt s'en vont dîner à Neuilly. «Une espèce de maison d'ouvrier artiste, une de ces maisons gênantes, où le manque d'aplomb des meubles vous donne un manque d'équilibre. Les chaises ont trois pieds, les cheminées fument, le dîner est en retard et la Grisi grogne toujours. Les filles ne causent absolument que du chinois qu'elles apprennent. Quant à Gautier, il plane dans ses phrases. » Après le repas, Théo lit quelques pages du William Shakespeare de Victor Hugo. « "C'est un géant sans ouvrage, nous dit-il, c'est le cauchemar d'un titan." À nous, les phrases d'Hugo ne semblent plus des phrases, mais des aérolithes: quelques-unes tombent du soleil, les autres tombent de la lune.» Pauvre François-Victor! La vie ne lui fut guère clémente. Élève de l'institution Jauffret, puis du collège Charlemagne, tout jeune directeur de l'Événement avec son frère Charles, il fut, comme lui, emprisonné avec Meurice, gérant du journal, pour délit politique, mais élargi plus tôt que prévu, le 3 février 1852, sur ordre de l'empereur Napoléon-le-Petit -, mesure de clémence interprétée par Victor Hugo comme une perfidie à son encontre. Amoureux fou d'une jeune actrice, Anaïs Lievenne, qui - comble de scandale - entretient de sa poche ce garçon démuni, il est contraint par son père de s'en séparer et se résigne à partager avec lui, à Jersey, puis à Guernesey à partir de 1855, la vie austère des proscrits. Équitation, billard n'épuisent pas les forces d'un homme si jeune encore; il ne partage pas l'engouement des siens pour les tables tournantes; alors il s'engouffre dans le travail, il enseigne le latin et l'anglais à sa sœur Adèle à laquelle il porte une particulière attention, et se morfond jusqu'au jour où il fait la connaissance de la fille d'un architecte guernesiais, la douce, charmante, fragile Emily de Putron. Il renaît à la vie et à l'amour. Elle répond à ses vœux, ils se fiancent, on fixe la date du mariage... mais la phtisie galopante emporte la tendre Emily le 14 janvier 1865. François-Victor, abandonnant le "pèrissime" sur "l'île maudite", se fixe alors, avec sa mère et Charles, 14, place des Barricades, à Bruxelles qu'il ne quittera plus jusqu'en 1870. Réservé, presque renfermé, pudique, sensible, il était l'opposé de son aîné, le gros Charlot extraverti. Sa santé préoccupait sa famille. Adolescent, en 1842, on l'avait cru perdu au cours d'une maladie pulmonaire; en 1847, il souffre d'une fièvre typhoïde, qui atteint aussi Mme Victor Hugo. Tuberculeux, venu à Paris pour se confier à la science du Dr Béni-Barde, après de longues souffrances il succombe à une pneumonie le 26 décembre 1873, au numéro 20 de la rue Drouot, soigné jusqu'à son dernier souffle avec le dévouement le plus affectueux par sa belle-sœur Alice. Le père stoïque, auquel on aurait voulu épargner cette épreuve, marche deITièrele corbillard jusqu'au cimetière de l'Est (Père-Lachaise). Louis Blanc prononce l'éloge funèbre. Le premier jour de l'année nouvelle, Hugo écrit dans son carnet: « Et maintenant, à quoi suis-je bon? - À mourir. - C'est ainsi que j'entre dans l'année
1874... » Le Second Rang du collier, p. 38, 306. HUGO, Mme Victor. Un soir à dîner, dans son «petit hôtel assez moisi au No 50 de l'avenue d'Eylau, rapporte Léon Daudet affirmant tenir le propos de Georges Hugo, au dessert Victor Hugo fit, à propos de bottes, cette déclaration: "Tous les grands hommes ont
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été cocus. Bonaparte a été cocu. Je l'ai été." La gêne des invités pantois fut extrême; car depuis bien des années, l'histoire Adèle-Sainte-Beuve était assoupie. » On s'employa avec hargne, avec acharnement, à la ressusciter, cette histoire, pour lapider à qui mieux mieux la femme adultère. Malheureuse Adèle! «Si j'avais su, évidemment! / J'aurais agi tout autrement! » aura-t-elle pu répéter, comme dans la chanson, avec le recul posthume, celle qui écrivait avec modestie: «Lorsqu'on s'est trouvé mêlé aux actions d'un personnage illustre, si obscur qu'on soit, l'histoire nous donne une place dans le fond du tableau qu'elle fait de l'homme glorieux. » Que n'est-elle restée dans la pénombre qu'elle souhaitait! Mais parce qu'elle trompa son mari, après sept années d'une union apparemment sans discorde, avec le meilleur ami du ménage - scénario classique et, certes, tout à fait blâmable -, les hagiographes du poète lui dénient en bloc toute espèce de beauté, de charme, d'intelligence, de finesse, ce qui n'est guère flatteur pour Victor Hugo lui-même qui la désira fougueusement, l'épousa par amour et, en fin de compte, lui accorda son pardon. Si l'on veut un exemple de l'opprobre dont elle est accablée, voici une ligne de Jean Gaudon dans son introduction au second volume de la Correspondance familiale de Victor Hugo: «Entre l'oie blanche d'hier et cette femme calculatrice, dominée par un égocentrisme monumental, il y a cinq maternités. » Où comment l'esprit vient aux filles? Mais ce n'est point du tout ce qu'entend nous dire M. Gaudon! MM. Barthou, Decaux, Escholier, etc., sont beaucoup plus modérés, conscients que ce n'est point grandir le mari que d'abaisser la femme, mais il faudra attendre la publication chez Plon en 1985, sous la direction d'Anna Ubersfeld et Guy Rosa de Victor Hugo raconté par Adèle Hugo (texte intégral du manuscrit d'Adèle, qui fut revu, expurgé, corrigé par Vacquerie et Charles Hugo sous le titre Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie et parut en 1863 sans nom d'auteur), pour lire sous la plume d'Irène Frain et d'Yves Gobin une critique vraiment équitable, une appréciation sans a priori défavorable des mérites de Mme Hugo, malgré sa faiblesse coupable pour l'indiscret auteur du Livre d'amour. Malgré Sainte-Beuve, donc, l'unique "faute" d'Adèle, malgré Juliette Drouet, Mme François Biard et les mille e tre de Victor, leur correspondance atteste le respect que les époux ne cessèrent de se manifester mutuellement; tant d'épreuves, de chagrins, de deuils partagés contribuèrent, semble-t-il, à créer ou recréer entre eux un climat de tolérance et de confiance, peut-être même d'affectueuse compassion. Si «le mariage rend le mensonge absolument nécessaire pour les deux parties» comme le prétend Oscar Wilde, ils en usèrent l'un vis-à-vis de l'autre avec la courtoisie de gens civilisés. Notons au vol que l'écrivain irlandais, en séjour à Paris au début de l'année 1883, vint dîner un soir chez Victor Hugo, mais le grand vieillard somnolait et les convives s'entretenaient à mi-voix dans une ambiance dévotieuse. Voici, pour compléter celui qu'en a tracé Judith, quelques croquis d'Adèle. Par le diplomate hongrois comte Rodolphe Apponyi qui la voit chez les Girardin le 17 mars 1836 : « Parmi tout ce monde, il y avait aussi Mme Victor Hugo, personne très commune quant à son extérieur, belle pourtant. Elle parlait beaucoup, mais avec esprit, avec un peu trop de recherche peut-être. Néanmoins, tous ces messieurs paraissaient beaucoup l'apprécier. Mme Gay m'a dit qu'elle aimait mieux le mari que la femme, ce qui ne m'étonne guère, car Mme Gay ne me fait pas l'effet d'être indulgente pour les femmes. » Par Barbey d'Aurevilly qui voit Adèle vers 1840, avec "toute la littérature", à la première d'un drame au théâtre de la Renaissance: «jolie, piquante, mais la façon d'une courtisane et ayant toujours l'air de poser pour les vignettes des livres de son mari.» Rappelons entre parenthèses que la politique brouillera cet irritable gentilhomme et Victor Hugo; il
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éreintera férocement les Contemplations, les Misérables, les Chansons des rues et des bois, ... Par Champfleury: « J'ai eu le plaisir de voir dans son intérieur, vers 1847-1848, celle qui passait pour l'héroïne du Livre d'amour. C'était une personne de grand air, avec les plus belles épaules du monde. La figure était pleine de bonté et cependant il y avait dans tout l'ensemble de la femme une sorte de majesté espagnole. » Majesté évidente dans le grand portrait de Louis Boulanger que l'on peut voir au musée Victor Hugo, place des Vosges; on y a rassemblé une abondante collection de l'iconographie relative aux Hugo, parmi laquelle l'œuvre peint de Mme Victor Hugo, qui avait un joli talent d'amateur, n'est pas le moins attachant. L'ami Gautier est sensible à cette prestance de la jeune femme. En 1837, le portrait de celle-ci par Auguste de Chatillon a les honneurs du Salon. Répondant à Mme Hugo qui le prie d'user de son influence pour le faire accrocher en meilleure place « ... cela aidera la carrière d'un jeune homme qui a besoin d'un peu de succès pour vivre... » - il écrit galamment: Quant à ce qui regarde votre portrait, Madame,je n'en ai rien dit dans mon premier article où je n'aurais pu lui accorder que quelquesmots et que je veux donner une longue fanfare en son honneur.Il est presque aussi beau que vous, et votre miroir doit en être singulièrement jaloux car c'est un vol qu'on lui a fait. J'arrangerai de mon mieux ce filou de Châtillon, croyez, Madame,queje suis tout heureuxde vous faire ce petit plaisir et rendre en même temps justice à un bien bon camarade.Je baise le plus respectueusementdu monde vos belles mains royales. Jetons un coup d'œil sur la famille Foucher. Adèle est le troisième enfant de Pierre Foucher, un Nantais ami de longue date des Trébuchet, et de sa femme née Anne-Victoire Asseline. Elle vient au monde le 28 novembre 1803, succédant au premier-né, Prosper, accidentellement décédé à l'âge de quatre ans, et à Victor né en 1802, précédant Paul né en 1810 et Julie née en 1822. Pierre Foucher, royaliste de cœur, qui fit carrière dans l'administration militaire, rédigea des Souvenirs, 1772-1845, publiés en 1929. Son fils Victor, auteur de plusieurs savants ouvrages, fut un brillant magistrat. Paul, très laid dit-on, parfaitement gentil, ami d'enfance et de collège de Musset, fut un écrivain abondant, journaliste, critique; outre le livret du Vaisseau fantôme et celui de Paquita, ballet créé par la Grisi, il écrit en collaboration avec Victor Hugo deux drames: Amy Robsart représenté à l'Odéon en février 1828 et Notre-Dame de Paris (1850), cinq actes et quinze tableaux, sans parler d'une bonne trentaine d'autres pièces où l'on trouverait sans doute des scènes estimables. Quant à Julie, la petite dernière, orpheline de mère à cinq ans, elle vécut en pension à Montmirail, puis, admise à la Maison d'éducation de la Légion d'honneur, elle y fit ses études, y enseigna jusqu'en 1858. À Hauteville House où elle trouva asile après avoir été abandonnée par son peu recommandable mari, le graveur Paul Chenay, elle assura longtemps, par moitié avec Juliette Drouet, le secrétariat de son beau-frère Hugo qui terrorisait, selon Léon Daudet, cette femme discrète, timide, effacée, "petonnante", mais très ferme en ses convictions religieuses. À Mme Alphonse Daudet venue lui rendre visite, à Paris, «dans le plus modeste et restreint intérieur: - J'ai voulu revenir ici, me dit-elle, mourir dans mon pays, faire mes dernières promenades dans ce jardin du Luxembourg où je jouais toute petite fille. » En 1863 parut chez Castel, éditeur à Paris, DESSINS de Victor Hugo gravés par Paul Chenay, texte par Théophile Gautier (28 pages, 25 dessins). Hugo, mal satisfait du travail de son beau-frère par alliance, avait exigé qu'il refasse l'entière série des bois. Quelques extraits de ce texte de Gautier qui, déjà, en 1838, avait écrit dans la Presse un article sur Monsieur Victor Hugo dessinateur:
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Que de fois, lorsqu'il nous était donné d'être admis presque tous les jours dans l'intimité de l'illustre écrivain, n'avons-nous pas suivi d'un œil émerveillé la transformation d'une tache d'encre ou de café sur une enveloppe de lettre, sur le premier bout de papier venu, en paysage, en château, en marine d'une originalité étrange, où, du choc des rayons et des ombres, naissait un effet inattendu, saisissant, mystérieux et qui étonnait même les peintres de profession. [...] Le poète possède cet œil visionnaire dont il parle à propos d'Albert Dürer; il voit les choses par leur angle bizarre, et la vie cachée sous les formes se révèle à lui dans son acti vi té merveilleuse. [...] Ce regard qui dégage de l'aspect naturel l'aspect fantastique, Victor n'en est pas moins doué à l'endroit de l'architecture. Il rend aussi bien la terreur froide des ruines que l'horreur secrète des forêts. À son génie se mêle quelque chose du génie de Piranèse [.. .], dont les noires eaux-fortes donnent la sensation du rêve et du cauchemar. [...] Il est inutile d'insister plus longtemps sur cette faculté extraordinaire. Tout le monde a lu et relu NotreDame de Paris qui, on peut le dire, a sauvé l'art du moyen âge en France et donné à l'architecture une impulsion lyrique... (Souvenirs de théâtre d'art et de critique.) En 1902, Paul Chenay publia Victor Hugo à Guemesay, un livre de souvenirs qui le brouilla avec tous les admirateurs du poète.
Adèle. Au soir des noces de Pierre Foucher, alors greffier du conseil de guerre, son supérieur hiérarchique, le jovial capitaine Léopold Hugo, jeune marié, trinquant avec lui, prononça cette phrase célèbre dans les annales familiales: «Ayez une fille, j'aurai un garçon, et nous les marierons ensemble. Je bois à la santé de leur ménage. » Les Foucher et les Hugo ne se perdirent pas de vue. En 1808, à Naples où Sophie à bout de ressources, emmenant ses trois fils, rejoignit sans plaisir son époux alors colonel du Royal-Corse et gouverneur d'Avellino, elle retrouve les Foucher. Pierre est maintenant inspecteur des vivres pour l'Italie; Adèle a cinq ans. Quand Sophie, au printemps 1812, rentre d'Espagne d'où Victor rapportera d'inoubliables souvenirs, Adèle va sur ses dix ans. Chef du bureau de recrutement au ministère de la Guerre, Pierre Foucher habite avec sa famille - et y demeurera après avoir été mis à la retraite, ce qui lui permettra d'héberger pendant deux ans le jeune ménage Hugo - à l'hôtel de Toulouse, 37, rue du Cherche-Midi, siège des conseils de guerre. Lorsque Sophie, officiellement divorcée depuis le 3 février 1818, décide après plusieurs déménagements de s'installer 18, rue des Petits-Augustins (notre rue Bonaparte, à la hauteur de l'école des Beaux-Arts), elle continue d'aller passer ses soirées chez les Foucher, avec Eugène et Victor, devenus tous deux étudiants en droit - et plus préoccupés de poésie que de jurisprudence. Finis les jeux et les brutalités enfantines, Adèle a maintenant passé l'adolescence. L'inévitable se produit, Adèle et Victor s'éprennent l'un de l'autre sous les yeux aveugles de leurs parents, et se le disent, et se l'écrivent. C'était parler mariage. Mais la générale Hugo, mère excessive, "consternée", refuse tout net son consentement. Adèle, "témoin", écrira tristement plus tard: «Mme Hugo ne revint plus à la maison [.. .]. Elle mourut peu après. [...] On dirait que c'est partout la loi à la nuit de suivre le jour. Nous nous aimions et la nuit est venue. L'amour a délié la longue amitié; notre jeunesse a séparé les vieux amis.» Ce n'est qu'après la mort de Sophie, en juin 1821, et avec la bénédiction paternelle, que Victor obtient la main de sa bien-aimée, après avoir entretenu avec elle une correspondance, longtemps clandestine, qui nous a heureusement été conservée... et que, plus tard, les critiques analyseront en toute subjectivité selon le regard qu'ils porteront sur la suite de cette histoire. Le mariage d'Adèle et de Victor sera béni le 12 octobre 1822 en l'église de Saint-Sulpice, Vigny étant l'un des témoins du conjoint. Les
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années qui suivent la fameuse bataille d'Hernani et la naissance d'Adèle - la seconde Adèle, filleule de Sainte-Beuve - voient une impressionnante éclosion d'œuvres hugoliennes, en prose et en vers: Notre Dame de Paris et les Feuilles d'automne (1831), le Roi s'amuse (1832), Lucrèce Borgia et Marie Tudor (1833), Angelo, tyran de Padoue et les Chants du crépuscule (1835). C'est aussi, pourtant, une période de déchirements familiaux. Après une longue résistance, Adèle s'est abandonnée à la passion de Sainte-Beuve, lasse peut-être des "matins triomphants" de Victor après cinq maternités rapprochées. Au XIXe siècle, l'éducation sexuelle des jeunes personnes bien élevées ne ressemblait en rien à celle des lycéennes d'aujourd'hui; pour tout dire elles arrivaient au mariage en état de complète innocence. Relisons là-dessus les mises en garde de George Sand! Or, la nuit même de leurs noces, Victor, resté vierge jusqu'à cette heure tant attendue, prouva sa flamme par neuf fois - il les a comptées! - à une Adèle éperdue, épuisée. Il n'était pas très délicat en tel domaine, ce mari qui écrivait: «L'homme a reçu de la nature une clef avec laquelle il remonte sa femme toutes les vingt-quatre heures.» Adèle fit des confidences à SainteBeuve. «Homme grossier », note celui-ci, en perpétuelle et douloureuse oscillation entre admiration pour le poète, affection pour l'ami, haine du rival. Dans la vie de Victor, tourmenté, malheureux, entre alors, irrésistible, Juliette. Juliette et Léonie. Reine et servante prosternée aux pieds du poète et ne cessant un seul jour pendant un demi-siècle de revendiquer ce titre, cinquante années d'un esclavage consenti malgré quelques révoltes vite étouffées, vingt mille lettres où l'amour est conjugué à toutes les lignes avec une abondance, une verve, une impudeur, une fantaisie, une véhémence inégalées, vingt mille cris et soupirs passionnés de Juju à son Toto... qui n'en méritait pas tant, car Roméo, boulimique de chair féminine, ne cessa jusque dans la caducité de tromper sa Juliette! Comme Sophie Trébuchet, Julienne Gauvain est bretonne; née à Fougères le 10 avril 1806, orpheline de père et de mère, elle est recueillie par son bon oncle Drouet, le garde-côtes, dont elle prendra le nom plus tard, l'assortissant du prénom de Juliette. Après une enfance buissonnière et sept années d'une bonne éducation dans une institution religieuse à Paris, nous la retrouvons - après quelles aventures? - dans l'atelier de Pradier. Modèle et maîtresse du sculpteur, elle lui a donné une fille, la petite Claire qui mourra de tuberculose, à vingt ans, en 1846. Désireuse d'échapper à la bohème, Juliette tente de se faire un nom sur les planches; protégée par Harel, l'amant de Mlle George, on l'applaudit à la Porte-Saint-Martin, à l'Odéon, moins pour son talent que pour sa plastique. Ses amants ne comblent pas le vide de son cœur - on cite le graveur Pinelli, le journaliste Alphonse Karr, le peintre Charles Séchan, le richissime boyard Pavel Demidoff, beau-frère de la princesse Mathilde, l'auteur dramatique Fontan... Subsides d'amants et cachets de théâtre insuffisants au luxe d'apparat nécessaire à la réussite de sa carrière, elle s'endette avec insouciance. Et nous voici en mai 1832: un soir de bal, Victor Hugo aperçoit Juliette pour la première fois: «Blanche avec des yeux noirs, jeune, grande, éclatante. / Tout en elle était feu qui brille, ardeur qui rit. /
...
Elle allait et passait
comme
un oiseau de
flamme... (Les Voix intérieures, XI.) Le 2 février 1833, Juliette, aux côtés de Mlle George et de Frédérick Lemaître, paraît à la Porte-Saint-Martin dans le petit rôle de la princesse Negroni. Lucrèce Borgia va aux nues et Théophile Gautier cisèle ce ravissant médaillon:
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La tête de Mlle Juliette est d'une beauté régulière et délicate qui la rend plus propre au sourire de la comédiequ'aux convulsionsdu drame,le nez est pur, d'une coupe nette et bien profilée: les yeux sont diamantés et limpides, peut-être un peu trop rapprochés, défaut qui vient de la trop grande finesse des attaches du nez, la bouche, d'un incarnat humide et vivace, reste fort petite, même dans les éclats de la plus folle gaîté. Tous ces traits, charmants en eux-mêmes, sont entourés par un ovale, du contour le plus suave et le plus harmonieux; un front clair et serein comme le fronton de marbre blanc d'un temple grec couronne lumineusement cette délicieuse figure; des cheveux noirs abondants, d'un reflet admirable, en font ressortir merveilleusement,par vigueur du contraste, l'éclat diaphane et lustré. Le col, les épaules, les bras sont d'une perfection tout antique chez Mlle Juliette, elle pourrait inspirer dignement les sculpteurs, et être admise au concours de beauté avec les jeunes Athéniennes qui laissaient tomber leurs voiles devant Praxitèle méditant sa Vénus. (Victor Hugo.) Il ne pensait pas si bien dire! Léon Noël a rendu à merveille le charme pensif de Juliette dans sa lithographie de 1832, si délicieusement romantique, un charme auquel Victor ne résista guère. Le soir du mardi gras 19 février 1833, ils célébrèrent leurs noces charnelles dans un délire dionysiaque. Leur liaison, que la mort seule rompit, connut bien des larmes, des fureurs, des ruptures et des raccommodements. D'une poigne de fer, Victor dompta peu à peu celle qu'il installa dans sa vie et imposa à sa famille en qualité d'épouse parallèle. Comme l'épouse légitime, elle dut tolérer les "extra" lorsque la méchanceté des choses ou des gens l'obligeait à ouvrir les yeux sur les trahisons de Victor. À l'inquisition de sa maîtresse follement jalouse il opposait une habileté diabolique, et il fallut que la blonde Léonie d'Aunet fasse parvenir en juin 1851 à la malheureuse un échantillon des lettres incandescentes que Hugo lui envoyait depuis sept ans pour qu'elle prît conscience de son infortune. Sept ans! Le cœur brisé, elle lisait, tracées de la main adorée et adressées à une autre qu'elle-même, ces déclarations brûlantes, sans équivoque possible: «Ô, toi que j'aime, mystérieuse épouse de ma nature et de ma destinée, vois-tu, dans les moments où je pénètre dans toi, où nous sommes moralement et physiquement tellement mêlés l'un à l'autre que nous ne faisons plus et que nous ne sommes plus en réalité qu'un seul corps, qu'une seule âme, dans ces moments-là, je voudrais mourir... » Le flagrant délit d'adultère constaté dans une chambre meublée du passage Saint-Roch, le 5 juillet 1845, sur requête du mari, M. François Biard, entre Léonie d'Aunet, femme Biard, et M. Hugo, membre de l'Académie française, pair de France, ami de la famille royale, divulgué à mots couverts par la presse avait fait scandale. La pairie rendant la personne du coupable inviolable, Hugo rentra chez lui, l'oreille basse, tandis que l'on enfermait Léonie à Saint-Lazare. On imagine ce que l'aventure suscita de réprobations et de railleries. Commentaire de Lamartine: « J'en suis fâché, mais ces choses-là s'oublient vite. La France est élastique; on se relève même d'un canapé. » Voilà pour Victor. Léonie, elle, passa trois mois derrière les barreaux, dans une affreuse promiscuité. Mme Hugo, qui espéra quelque temps avoir trouvé en Léonie un antidote à Juliette, vint en personne la réconforter et noua avec elle des liens d'amitié... peine perdue du reste! Mme Hamelin raconte: «L'autre jour, je voulais arracher à Biard une mainlevée pour commuer Saint-Lazare [la prison pour femmes] en Sacré-Cœur [un couvent de religieuses]. Il bondissait de rage. Ses cornes se dressaient sur sa tête ! Je lui dis gaiement: "Mon voisin, il n'y a que les rois et les cocus qui aient le droit de faire grâce. Prenez le bon côté de la chose." Ma foi, il éclata de rire» et consentit au transfert de Léonie. Louis-Philippe convoqua à Saint-Cloud l'époux outragé, le chapitra, le persuada de retirer sa plainte contre Hugo, lui commanda un tableau. Conclusion parisienne: « Ce
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sont ses fresques qui lui ont fait oublier les frasques de sa femme. » Léonie n'était pas la première venue. À l'âge de dix-neuf ans, bénéficiaire d'une autorisation exceptionnelle de la Marine royale, elle embarqua sur la corvette la Recherche en mission d'exploration dans les régions arctiques et fut la première femme à fouler les glaces du Spitzberg. Elle passait alors pour être la femme de François Biard, peintre officiel de l'expédition à laquelle participait Xavier Marmier, historiographe, avec une équipe d'artistes et de savants. Rentrée à Paris en 1839 après un voyage éprouvant de Hammerfest à Berlin à travers la Laponie encore à peu près inexplorée, Léonie y connut la célébrité; comme Mlle d'Angerville qui, après l'humble Marie Paradis en 1808, conquit le mont Blanc en 1838, elle pouvait dire: « On me nommait folle au départ, on m'appelait héroïne au retour. » De François Biard, devenu son époux légitime en juillet 1840, elle eut deux enfants dont la garde lui fut retirée après le malheureux épisode du passage Saint-Roch. Le coup d'État de décembre 1851 trancha dans le vif des hésitations de Hugo entre ses deux maîtresses concurrentes, dans l'expectative de sa décision finale. La conduite "héroïque" de Juliette, organisant avec intelligence et sangfroid l'évasion du proscrit de Paris à Bruxelles, lui assura un triomphe complet sur sa jeune rivale, la "Duchesse Thérèse", la "femme aux cheveux dorés" (les Contemplations, Toute la Lyre). Divorcée, rejetée par la société, sans ressources personnelles - Victor Hugo la secourut sur ce point sans parcimonie -, Léonie pensa à utiliser les lettres qu'elle avait écrites à son frère pendant ses pérégrinations nordiques et publia avec succès en 1854 Voyage d'une femme au Spitzberg, huit fois réimprimé jusqu'en 1855; une réédition récente, présentée par Wendy S. Mercer, nous permet d'apprécier les qualités diverses de la femme et de l'écrivain. Hector Malot, le fécond écrivain connu surtout de nos jours pour son roman Sans famille, aïeul d'Agnès Thomas-Maleville qui lui a récemment consacré une attachante étude dont nous détachons ces lignes, la rencontra en 1856: «Grande, assez beau corps, désinvolte et hardie, parole sûre et prétentieuse. » Elle adopta le pseudonyme Thérèse de Blaru pour signer une œuvre littéraire, romans, nouvelles, pièces de théâtre, qu'on affecta avec persistance de tenir pour négligeable. Léonie d'Aunet mourut en 1879 ; elle est inhumée à Ville-d'Avray. Son fils Georges fit carrière dans la Marine, puis dans le corps consulaire. Marie, sa fille, héritière des dons littéraires maternels, signait "Étincelle" ses chroniques dans la presse et, du nom de son second mari, "baronne Double" ses autres écrits. Juliette ne survécut pas très longtemps à Léonie, dévorée par un cancer généralisé, elle mourut à petit feu; Bastien-Lepage nous a laissé d'elle l'image pathétique d'une vieille dame exsangue, décharnée, aux portes de la mort. Elle expira le Il mai 1883, avenue Victor Hugo, trois mois après avoir célébré ses noces d'or avec le magnifique tyran qui n'aura pas la force de suivre son cercueil jusqu'au cimetière de Saint-Mandé où elle repose auprès de sa fille Claire. Sur sa tombe, on fit graver ces vers de Victor Hugo: « Quand je ne serai plus qu'une cendre glacée, / Quand mes yeux fatigués seront fermés au jour, / Dis-toi si dans ton cœur ma mémoire est fixée: / Le monde a sa pensée. Moi, j'ai son amour. » Adèle et Adèle. Au fil du temps, l'animosité de Mme Hugo contre cette Juliette incontournable s'était usée au point que ces ennemies échangèrent en décembre 1864 de bien jolis billets. «Nous célébrons Noël aujourd'hui, Madame. Noël est la fête des enfants et, par conséquent, des nôtres. Vous seriez bien gracieuse de venir assister à cette petite solennité, la fête aussi de votre cœur. Agréez, Madame, l'expression de mes sentiments aussi distingués qu'affectueux. Adèle Victor-Hugo. » - «La fête, Madame, c'est vous qui
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me la donnez. Votre lettre est une douce et généreuse joie; je m'en pénètre. Vous connaissez mes habitudes solitaires et vous ne m'en voudrez pas si je me contente aujourd'hui, pour tout bonheur, de votre lettre. Trouvez bon que je reste dans l'ombre, pour vous bénir tous, pendant que vous faites le bien. Tendre et profond dévouement. J. Drouet. » En janvier 1867, lors de son dernier séjour à Guernesey, Adèle s'en vint voir Juliette chez elle, à Hauteville Féerie. De Juliette à Victor, le 24 janvier 1867: «Il est probable que je profiterai de ce beau temps pour rendre ma visite à Hauteville House. Mon empressement à remplir ce devoir de politesse tient à la déférence que je me fais honneur de professer pour ton admirable femme... » Femme de bon sens, ce bon sens platement bourgeois qu'on lui a tant reproché, Adèle adhérait, semble-t-il, à l'opinion de Chateaubriand: « Il suffit de tenir bon dans la vie pour que les illégitimités deviennent des légitimités. » Elle nous a livré quelques réflexions à ce sujet: «Je conçois qu'il y ait une barrière entre les ménages réguliers et les ménages irréguliers, cela parce qu'en général les femmes non mariées viennent d'un monde peu retenu. Je n'aime pas le masque, mais je tiens au voile. Le fond, je ne le discute pas, mais je veux l'apparence. Mme A. .. est d'apparence aussi légitime que possible. Son dévouement, son amour des siens l'ont sacrée. [...] Cette morale, qui n'est pas celle du monde, est la mienne... » Elle se pennettait de penser par elle-même, cette sotte "désespérément raisonnable"? Mais oui! Elle allait même jusqu'à critiquer son seigneur et maître. En juin 1852, on mettait aux enchères le mobilier du proscrit, 37, rue de la Tour-d'Auvergne, une vente vaillamment déplorée par Théophile Gautier dans la Presse du 7 juin; l'expertise préalable réserva bien des déceptions. De quel œil, amusé ou courroucé, Hugo lut-il à Jersey cette semonce d'une épouse dressée à tenir ses comptes au centime près? «Tu as une mauvaise entente du mobilier parce que tu n'achètes en général que des étoffes usées, des porcelaines écornées,
fêlées,cassées... Il n'y a pas de plus mauvaise spéculationque le bric-à-brac... » L'avenir d'Adèle, en particulier, confrontée depuis son adolescence au souvenir toujours saignant de l'aînée incomparable, de Léopoldine la préférée, préoccupait vivement sa mère. Ses lettres à Victor traduisent ce souci, hélas! trop justement fondé. Ma petite Adèle est pâle et maigre. [...] Elle se voit dans l'âge d'être mariée, et le moment de l'être semble s'éloigner plus quejamais. [...] À tout autre on peut dire: attendez. Mais pour une pauvre fille, attendre c'est vieillir, enlaidir et rendre le mariage plus difficile. [...] Ma petite Adèle est ma plaie véritable... » - « .. . Vous avez tous les trois votre vie occupée, ma fille seule perd sa vie, elle est désarmée, impuissante, je me dois à elle. Un petit jardin à cultiver, de la tapisserie à faire, ne sont pas une suffisantepâture pour une fille de 26 an s ... » - «Tu as dit ce matin en déjeunant que ta fille n'aimait qu'elle. [...] Adèle t'a donné sa jeunesse sans se plaindre, sans demander de reconnaissance et tu la trouves égoïste. J'appelle ton attention là-dessus, mon ami, pour que tu réfléchisses...» -« Pour Adèle, tout est préjudice,et c'est parce queje sens là tout ce qu'il y a à réparer, queje me dévoue absolument à cette pauvre enfant, ce n'est pas tant chez moi la mère qui agit que la justice. Superbe formule! Obstinément Adèle I revient à la charge et obtient de temps à autre l'autorisation d'emmener Adèle II faire une escapade hors des solitudes de l'exil. Elle organise des entrevues avec de possibles épouseurs, en vain, hélas! C'est une singulière personne, cette seconde Adèle. Elle est grave, douce, séduisante. Alphonse Karr la voit le 29 juillet 1852, de passage au Havre avec sa mère, "belle comme une statue antique", sa chevelure "noire" splendide la couvrant d'un "manteau". Elle se juge elle-même avec
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complaisance, se décrit dans son Journal «ravissante, éblouissante, ... incomparable, idéale... » et note: «... beaucoup [d'hommes], presque tous m'ont fait la cour.» À Guernesey, plus recluse encore qu'à Jersey, elle tombe gravement malade, manifestation somatique spectaculaire d'une détresse psychologique qui porte, depuis que l'on sait en détecter les symptômes, le nom de schizophrénie, cette maladie qui avait déjà conduit à Charenton son oncle Eugène. Mal inspiré, le médecin consultant préconise le repos et la suppression des longues séances de piano auxquelles s'adonnait avec passion sa jeune cliente. Privée du seul moyen d'expression qui lui reste avec son journal intime, Adèle s'enfonce, se mure dans le silence. La gravité de son mal-être, le dérangement croissant de son esprit échappe à son entourage. Elle vit en secret le roman
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inventé de toutes pièces -
de ses amours avec un militaire britannique, le lieutenant Penson, rencontré à Jersey chez des amis communs, venu en visite à Hauteville House. En janvier 1863, sans en souffler mot à quiconque, elle s'embarque à Port-Saint-Pierre pour Plymouth dans l'intention d'y retrouver Penson. Elle écrit successivement à ses parents qu'elle est à Londres, qu'elle a épousé Penson - elle en informe également quelques relations guernesiaises -, qu'elle l'a suivi à Halifax, sa nouvelle garnison canadienne, enfin qu'elle n'est pas encore mariée mais que cela ne tarderait guère. On apprendra de sa logeuse qu'elle va chaque jour à la caserne pour tenter de voir la victime de ce harcèlement - elle lui rendra la vie impossible jusqu'à compromettre sa carrière - et que, pour le reste, elle mène "une vie claustrale, parlant peu, ne recevant aucune visite." Adèle, qui vit des subsides envoyés par son père, annoncera par deux fois son retour, puis cessera d'écrire. En février 1872, une certaine dame de la Barbade, Mme Céline Alvarez Baâ, la ramène à Paris. Victor Hugo profite de l'occasion pour goûter de ce mets exotique: « la primera nigra de mi vida », consigne-t-il dans ses carnets secrets, tout remplis des initiales de ses conquêtes (que Faguet baptise courtoisement "quelques écarts de jeunesse égarés dans son âge mûr") et du relevé des "gratifications" dont il récompense leurs "bienfaits". En 1908, Jules Claretie, toujours attaché au souvenir de Victor Hugo, rendit visite à Adèle dans la maison de santé où elle finira ses jours; il la trouva "très propre et très coquette", nota sa "voix métallique", ses paroles "brèves, hostiles". Née en 1830 au deuxième jour des Glorieuses, Adèle mourut à quatre-vingt-cinq ans le 22 avril 1915. Quelques articles de presse signalèrent le service funèbre célébré le 24 à Saint-Sulpice, en cette même chapelle de la Vierge où ses parents s'étaient mariés près d'un siècle auparavant; on l'inhuma à Villequier auprès de sa sœur et de sa mère qui avait été si douloureusement impuissante à lui venir en aide. Au moment où Dédé, basculant dans la démence, s'élançait à la poursuite de ses chimères, Mme Victor Hugo s'occupait à Paris, avec son fils Charles, d'affaires éditoriales: les Misérables, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Après ce nouveau drame familial, elle se détache de plus en plus de Hauteville House, qui lui avait été imposée par ukase conjugal ainsi qu'elle le rappelait nettement à Victor en 1857 : « Tu as choisi Jersey comme résidence, j'y suis allée. Jersey devenu impossible, tu es venu à Guernesey sans me dire: te convient-il d'y demeurer? Je n'ai rien dit, je t'ai suivi. Tu t'es fixé définitivement dans Guernesey en achetant ta maison. Tu ne m'as pas consultée, moi, pour cet achat. Je t'ai suivi dans cette maison. Je te suis soumise, mais je ne puis être absolument esclave. Il y a telle circonstance où l'on a besoin de la liberté de sa personne... » Intolérable revendication d'une "féministe de pacotille", comme dit M. Gaudon? Fixée à Bruxelles auprès de Charles et d'Alice, elle séjournait volontiers à Paris, y retrouvant les vieux amis de sa jeunesse, et Sainte-Beuve parmi ceux-
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là, savourant les agréments culturels et mondains de la capitale, ayant enfin conquis l'autonomie nécessaire à son équilibre. Il lui fut épargné, à elle, de voir mourir ses deux grands fils. Devenue presque aveugle, souffrant d'hypertension, quelques jours avant de retrouver son mari à Bruxelles, elle lui écrivait en juillet 1868 : « Quant à moi, dès que je te tiendrai, je me cramponnerai à toi sans te demander ta permission. Je serai si douce et si gentille que tu n'auras pas le courage de me déserter. C'est la fin de mon rêve que de mourir dans tes bras. » Carnet de Victor Hugo, 27 août 1868: «Morte ce matin à six heures et demie. Je lui ai fermé les yeux. Hélas! Dieu recevra cette douce et grande âme. Je la lui rends. Qu'elle soit bénie! » À Villequier, où elle fut enterrée selon son vœu, sa tombe porte cette sobre inscription: ADÈLE FEMME DE VICTOR HUGO. Le Second Rang du collier, p. 172, 306, 307. HUGO, Victor-Marie (Besançon, 26 février 1802 - Paris, "en son avenue", 22 mai 1885.) « Ce siècle avait deux ans! Rome remplaçait Sparte, / Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte [.. .]. Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, / Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, / Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois / Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix [. ..]. Cet enfant, c'est moi...» Ego Hugo. «Je veux être Chateaubriand ou rien.» (Hugo.) - «L'ange Victor.» (Sophie Gay.) - «L'enfant sublime. » (Chateaubriand.) - « Ta muse est constamment sublime dans ce que j'ai vu. » (Général Hugo.) - « C'est Homère, c'est le Cid enfant. » (Mme Hamelin.) - «Deviens le grand œil fixe ouvert sur le grand tout. » (Hugo.) - « Ne croyant ni au diable ni à Dieu je crois en vous. » (Louise Michel.) - « Tu es immense.» (La Tragédie, parlant à Hugo.) «Victor Hugo écoutant Dieu.» (Légende d'une photographie du poète.) - «Di vin maître... » (Judith Gautier.) - «Sublime messie, Christ bien-aimé... » (Juliette Drouet.) - « Le poète des vapeurs, des nuées, de la mer, le poète des fluides.» (Théophile Gautier.) - «Il y a des hommes-océan.» (Hugo.) - «L'Homme-Montagne.» (Banville.) «Monumental imbécile.» (J.-H. Rosny) - «Bête comme l'Himalaya.» (Leconte de Lisle.) - « Peuples! écoutez le poète! / Écoutez le rêveur sacré. » (Hugo.) - «Le plus grand inventeur lyrique que la poésie française ait eu depuis Ronsard.» (Sainte-Beuve.) « Gigantesque trompette-major. » (Barbey d'Aurevilly.) - «Victor Hugo seul a parlé: le reste des hommes balbutie.» (Jules Renard.) - «Je vous aime comme on aime un héros. » (Baudelaire.) - « Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide. » (Hugo.) - « Il est dans la nature à moitié corps. Il a de la sève des arbres dans le corps.» (Flaubert.)« Toujours au premier rang, toujours le poète immense et la forme souveraine. » (George Sand.) - « Que d'hommes en un être unique! Ô géant, que d'hommes en toi!» (Hugo.)« Une espèce de saltimbanque et de jongleur.» (Renan.) - « L'impeccable jonglerie de sa métrique. » (Huysmans.) - « Mon corps décline, ma pensée croît; sous ma vieillesse, il y a une éclosion... Je suis adolescent pour l'infini.» - «Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme, / Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.» « L'homme est triste le soir. » - « Il est temps que je désemplisse le monde. » (Hugo.)«Les tours de Notre-Dame étaient l'H de son nom.» (Vacquerie.) - «Il était le vers personnellement. » (Mallarmé.) - « Jamais le pouvoir de tout dire n'a été possédé et exercé à ce degré. » (Valéry.) - «L'inspiré par excellence. » (Claudel.) - «Le plus grand poète
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français, Hugo, hélas! » (Gide.) - « Il s'est nourri de son siècle. Il fut une sorte de parasite gigantesque. » (H. de Régnier.) - «L'incontestable souverain de ce siècle.» (Sartre.) «Ce fou qui se prenait pour Victor Hugo...» (Cocteau.) - Etc. «Combien de grands hommes, écrivait un jour de gaieté Ernest Renan, ont dû la célébrité au nom que, par hasard, ils ont reçu de leurs parents!» Hugo, Victor, « quatre syllabes parfaitement symétriques deux à deux comme pour mieux entrer, sur le rythme, dans la mémoire de la postérité ». (Fernand Gregh, cité par Alain Decaux dans sa monumentale biographie de notre poète national.) Rosny aîné se délectait à raconter l'histoire du futur général Hugo s'en allant à la mairie de Besançon déclarer la naissance de son troisième fils. «Quel prénom dois-je inscrire? - Victor. - Bien! Nous disons donc Victor... Victor Hugo... Oh! Compliments!» Et le secrétaire, illuminé, se levait d'un bond pour serrer la main d'un papa aussi favorisé des dieux. Cette plaisanterie amusa-t-elle Judith, consœur de Rosny à l'Académie Goncourt? Elle fit la connaissance de Hugo le samedi 2 octobre 1869, à Bruxelles. Alors en séjour chez les Servais, à Hal, et ayant appris l'arrivée prochaine du poète en provenance de Guernesey, elle lui demanda audience par lettre et reçut, pour elle et son mari, une invitation à dîner à l'hôtel du Grand Miroir. Au premier étage, raconte-t-elle dans un fragment de ses Souvenirs recueilli par Suzanne Meyer, «on m'ouvrit la porte d'une chambre dans laquelle une table était dressée [...]. Victor Hugo était là, assis auprès d'une dame qui, sous ses jolis cheveux blancs, ressemblait à une marquise poudrée. Il vint à moi avec empressement et me parla tout de suite de mon père, puis il me présenta à la dame, Madame Juliette Drouet. Je sais: c'est elle qui, choisie pour sa beauté, créa jadis le rôle de la princesse Negroni dans Lucrèce Borgia. Une corbeille de violettes de Parme embaume la chambre. Je n'ai pas très bien le sentiment que c'est Victor Hugo qui est devant moi. Ce cadre banal lui convient si peu, cette chambre étouffée, ce lit bateau, ces meubles d'acajou, ces rideaux verts, ce garçon d'hôtel, la serviette à la main, qui circule et débouche les bouteilles, contrarient et déconcertent l'admiration. Victor Hugo donne tout d'abord l'impression d'être un marin, un loup de mer avec sa barbe courte, ses cheveux blancs taillés en brosse, sa carrure robuste. Très simple, très affable, la voix bien timbrée, il a un sourire charmant, aux dents toutes petites, presque enfantin... » Le dîner se prolongea fort tard. Commentaire de Juliette: « Ils sont charmants, ces jeunes gens, mais un peu trop englués de wagnérisme...» Il est équitable de noter que l'hugolâtrie des Mendès agaçait passablement les habitants de Tribschen. Judith: Quand Victor Hugo, après le 4 septembre [1870], revint d'exil, l'ayant vu une fois à Bruxelles,j'allai le saluer à son arrivée à la gare du Nord. Il y eut une foule délirante qui fit un accueilfrénétiqueau grand exilé et se rua vers lui d'une telle poussée qu'elle faillit l'étouffer. Il m'avait offert son bras et serrait le mien nerveusement.À grand'peine, nous pûmes gagner un petit café, en face de la gare, et monterun étage. Là, le Maître entra dans une pièce étroite et je pris la résolution de barrer la porte à tout prix. Adossée au chambranle, j'étendis une jambe en l'arc-boutantdu pied. Je ne savais pas y avoir une telle force car nul ne put ébranler l'obstacle. Dès qu'il eut un peu repris haleine,Victor Hugo me parut très calme et maître de son émotion. Il me parla sur un ton de galanteriecharmante et me redit ces vers d'AndréChénier: "... C'est toi qui, la première, / Ma fille, m'as ouvert la porte hospitalière." Je livrai passage à Paul Meurice qui était parvenu à franchir la foule qui menaçait de faire crouler l'escalier. Il dit au Maître qu'il devait absolumentharanguerle peuple qui attendait sa parole et il ouvrit la fenêtre sur la place d'où montaune clameurimmense.C'est de cette fenêtre que Victor Hugo prononça d'une voix haute et sonore son discours de bienvenue aux Parisiens. - On me dit que, pendant
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le siège, malgré la disette, Victor Hugo tenait table ouverte. À cause de cela, je n'allai pas le voir et cette réserve me valut le fameux quatrain qui fut tant reproduit : Si vous étiez venue, ô belle que j'admire, Je vous aurais offert un dîner sans rival. J'aurais tué Pégase et je l'aurais fait cuire Afin de vous servir une aile de cheval. Un soir, à table, le Maître improvisa cet autre quatrain: Je lègue au pays, non ma cendre, Mais mon bifteck, morceau de roi... Belles, si vous mangez de moi, Vous verrez combienje suis tendre. Citant ce même quatrain, Richard Lesclide, journaliste et romancier bordelais ami de Mendès, qui fut de 1876 à 1881 le secrétaire de Victor Hugo et qui a recueilli les Propos de table de celui-ci, ajoute: «Toutes les femmes présentes baissèrent les yeux.» - « À cause de cela, je n'allai pas le voir... », formule volontairement ambiguë? En 1872, accompagnés de Catulle ou en cachette de lui, Judith et Hugo se virent beaucoup plus qu'il ne convenait à la jalousie alarmée de Mme Drouet. Judith le reconnut explicitement plus tard: «Victor Hugo était sérieusement épris de moi. Il me faisait une cour d'écolier... Il voulait absolument que j'aille le rejoindre à Guernesey et c'est avec véhémence qu'il m'y engageait. [...] "Laissez-vous tenter. Si vous ne pouvez venir avec votre père, venez avec votre mari. S'ils ne peuvent ni l'un ni l'autre, venez seule. Je serais bien heureux de seITer leurs mains et de baiser vos pieds, Madame". » Théo était trop malade pour voyager, la tante Lili venait d'avoir une attaque, ..., bref, Judith n'alla point à Guernesey. Le 12 juillet 1872, Hugo écrit pour elle le beau sonnet, Ave, Dea, moriturus te salutat (Toute la Lyre, V, XXVI.) : La mort et la beauté sont deux choses profondes Qui contiennent tant d'ombre et d'azur qu'on dirait Deux sœurs, également terribles et fécondes, Ayant la même énigme et le même secret. Ô Femmes, voix, regards, cheveux noirs, tresses blondes, Vivez, je meurs! Ayez l'éclat, l'amour, l'attrait, Ô perles que la mer mêle à ses grandes ondes, Ô lumineux oiseaux de la sombre forêt! Judith, nos deux destins sont plus près l'un de l'autre Qu'on ne croirait, à voir mon visage et le vôtre. Tout le divin abîme apparaît dans vos yeux, Et moi je sens le gouffre étoilé dans mon âme. Nous sommes tous les deux voisins du ciel, Madame, Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux. Suzanne Meyer nous offre cette intéressante variante, peu connue: Sur vous tremble un reflet des clartés éternelles. Vous avez la grandeur vénérable du Beau. Les fleurs pour le rêveur sont parfois solennelles Et la blancheur des lys console le corbeau.
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Quand les ombres font voir ce qu'elles ont en elles, Vous en sortez lumière, aube, rayon, flambeau. Ô Judith, vous avez déjà dans vos prunelles Les astres que j'aurai bientôt dans mon tombeau. Au début de cette même année 1872, Sarah Bernhardt a de haute lutte arraché, trente-quatre ans après sa création par Louise Beaudoin, maîtresse de Frédérick Lemaître et aux côtés de celui-ci, le rôle de la reine Dana Maria de Neubourg dans Ruy Bias. Comment voit-elle son auteur, la pétulante actrice? «Son aspect était lourd, quoique très actif; son nez était commun; son œil était paillard; sa bouche, sans beauté; sa voix seule avait de la
noblesse et du charme. » Mais après le long travail des répétitions et au soir de la première, triomphale, Sarah voit d'un œil plus complaisant l'homme prosterné à ses genoux: «Il était si beau ce soir-là, avec son large front auquel s'accrochait la lumière, sa toison d'argent drue, tels des foins coupés au clair de lune, ses yeux rieurs et lumineux.» - «Elle est adorable, déclare Hugo, conquis, elle a des mouvements harmonieux et des regards d'une irrésistible séduction.» Guettée par la pauvre Juliette qui ne sait plus où donner du soupçon, Sarah devient l'une des madames de l'inusable faune. «Il était charmant, le monstre. Et si spirituel, et si fin, et si galant: d'une galanterie qui est un hommage, non une injure. » Affriolant indice, Hugo, qui dans ses notes intimes croit devoir maquiller d'espagnol ses frasques amoureuses, note: «Beco de boca.» Autre note, équivoque (traduite de l'espagnol), le 2 novembre 1875, après une visite de l'actrice: «On n'aura pas fait l'enfant. » En 1877, Sarah sera dans Hernani une ravissante et inoubliable Dona Sol. Hugo lui offrit une tête de mort ornée d'un poème et une larme de diamant. «Cette larme
que vous avez fait couler, lui écrit-il, est à vous et je la mets à vos pieds. » La galanterie du poète - Judith et Sarah usent du même mot -, cette courtoisie délicate à l'égard des femmes, de toutes les femmes quelle que fût leur condition sociale, était l'un de ses meilleurs moyens de séduction. Judith, comme Sarah et tant d'autres, s'y laissa-t-elle prendre... tout entière? Le 14 avril 1874, voici un autre poème dédié à « Madame J*** » : Âme, statue, esprit, Vénus, Belle des belles, Celui qui verrait vos pieds nus Verrait des ailes. À travers vos traits radieux Luit l'espérance; Déesse, vous avez des dieux La transparence. Comme eux, vous avez le front pur, La blancheur fière, Et, dans le fond de votre azur, Une lumière. Pas un de nous, fils de la nuit, Qui ne vous sente, Dans l'ombre où tout s'évanouit, Éblouissante!
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Et, le lendemain
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V ous rayonnez sous la beauté; C'est votre voile. Vous êtes un marbre habité Par une étoile. même, Nivea non frigida : Elle prouve que la blancheur N'ôte à la femme Aucune ivresse, aucun bonheur, Aucune flamme; Qu'en avril les cœurs sont enclins Aux tendres choses, Et que les bois profonds sont pleins D'apothéoses;
Qu'une femmefait en tout lieu Son doux manège Et que l'on peut être de feu
Étant de neige. Ce qui donne à penser qu'il y eut plus qu'un baiser affectueux (ose., notera Hugo en latin dans un carnet secret, c'est-à-dire osculum ou oscula, baiser ou baisers) entre l'insatiable Olympio - «La chair de la femme! argile idéale! ô merveille!» - et sa fervente admiratrice. La personnalité de Judith - indolence physique jointe à une grande vivacité intellectuelle - allumait le désir des hommes et, par corollaire, la méfiance des femmes. Robert de Bonnières, le mémorialiste, soulignait déjà, chez Judith jeune fille, «cette beauté antique que son père avait tant aimée. Avec cela, je ne sais quoi de sauvage dans ces étranges yeux jaunes et, dans ses attitudes, l'abandon fatal d'une esclave d'Orient.» Calmettes, le biographe de Leconte de Lisle qui la vit beaucoup chez celui-ci, souligne que «cette grâce d'attirante langueur rendant sa splendeur plus humaine» lui valut de nombreux, de vifs, d'ardents hommages. Le romancier dauphinois Léon Barracand, leur ami commun, "adorateur discret" de Judith, eut l'occasion de la voir dénouer son opulente chevelure: «De leur masse fluide, raconte Calmettes, "l'unique Parnassienne" fit jaillir les étincelles qu'elle secoua, du peigne, sur la main de Barracand en une pluie de minuscules étoiles. » Comment ne pas être ébloui, charmé! En août 1870, Théodore Aubanel, le poète provençal qui rencontra les Mendès au cours de leur passage en Avignon, la décrit « admirable, jeune, grande, brune, pâle, avec l'embonpoint et la nonchalance d'une femme d'Orient. Il faudrait voir cette femme-là couchée sur une peau de tigre et fumant le narghilé». Elle prenait soin d'accentuer ce style exotique. Mme Alphonse Daudet, qui ne les aimait guère, décrit « Catulle splendide, avec une auréole de cheveux soyeux, un peu efféminé, un peu affecté; Judith, tel un personnage de paravent, ou un kakemono japonais, le visage peint en blanc et les yeux cerclés de kohl». En 1870, on parlait déjà de mésentente dans ce ménage mal assorti; en 1874, la séparation était chose faite, officielle et définitive. Mort du père très chéri, faillite de l'union à laquelle il s'était si violemment opposé, années d'épreuves... Sans aucun doute, la tendresse amoureuse du vieil ami de Gautier fut-elle pour Judith un dérivatif et un réconfort dans sa détresse, mais Juliette souffrit et garda une rancune opiniâtre à la "belle inspiratrice" de son Toto si continûment infidèle. Remontant le cours du temps sur
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un demi-siècle, Judith raconte comment elle avait imaginé de personnaHser son premier envoi à Victor Hugo auquel elle voulait faire hommage du Livre de jade. S'inspirant de la traduction, par un mandarin de passage, de son propre prénom en caractère chinois -lu-ti-te, "Gracieuse et primordiale Vertu" -, elle fit avec Tin-Tun-Ling une transcription phonétique du nom du poète, "pôle et soleil de la littérature": Vi-ke-to-rhu-ko, "À l'Exilé triomphant qui marche avec gravité en disant de grandes choses inflexibles". Réponse du grand homme: «À Ju-ti-te. J'ai votre livre, et sur la première page je vois mon nom écrit par vous et devenu hiéroglyphe comme sous la main d'une déesse. Le "Livre de Jade" est une œuvre exquise et laissez-moi vous dire que je vois la France dans cette Chine et votre albâtre dans cette porcelaine. Vous êtes fille de poète, fille de roi, reine vous-même et plus que reine, Muse. Votre aurore sourit à mes ténèbres. Merci, Madame, et je baise vos pieds. Victor Hugo. » La phraséologie de Hugo écrivant aux femmes est quasi stéréotypée. À titre de comparaison voici l'une de ses nombreuses lettres à Louise Colet, l'ex-maîtresse de
Flaubert qui lui écrivaitjadis: « Tu donneraisde l'amour à un mort» avant d'en rabattre: « Je communie en vous sous les deux espèces; femme et poète. Vous êtes admirable. [...] Vous êtes muse et déesse, ne craignez pas d'aller nue. [...] Je baise vos pieds.» Petits pieds, pieds blancs, pieds nus, talons étoilés, pied sur l'échelle des anges, ... pied féminin, phantasme érotique de l'époque! Le Dragon impérial inspira à Hugo quelques lignes moins impersonnelles, mais l'avait-il lu? Il lisait peu. «Quel art puissant et gracieux est le vôtre. Cette poésie de l'Extrême-Orient, vous en avez l'âme en vous, et vous en mettez le souffle dans vos livres. Aller en Chine, c'est presque aller dans la lune. Vous nous faites faire le voyage sidéral; on vous suit avec extase, et vous fuyez dans le bleu profond du rêve, ailée et étoilée. » À la vente de la bibliothèque de Montesquiou, en avril 1924, passa
un billet du maître à propos des Peuples étranges: « 22 mars 1879. Je serais, Madame, plus étrange que vos peuples si je ne finissais par me mettre à vous lire et à vous écrire. Laissez-moi vous dire combien je suis avec vous, que je suis charmé et que je baise très humblement vos pieds. » De toute évidence, ce billet était un cadeau de Judith au comte Robert. Il raconte, dans les Pas effacés: «Elle m'avait proposé de me présenter à Victor Hugo et j'avais objecté bêtement: "Qu'est-ce que je lui dirai?" Elle me répondit spirituellement: "Demandez plutôt ce qu'il vous dira !" Tout de même, on en resta là. Quand la suprême visiteuse fut venue, je ne voulus pas avoir tout perdu, je demandai à porter des fleurs. Nous arrivâmes [...] au pied d'un lit sans rideaux, dans une petite chambre tendue de vilain damas rouge, sur lequel ne se détachait en fait de symbole religieux qu'une médiocre statuette de la République. À peine aperçûmes-nous la tête glorieuse, perdue dans les fleurs... » De cette tête glorieuse, Carjat, un vieil ami du poète, nous a laissé une émouvante, une magnifique photographie. Clairin, qui a dicté à Beaunier des pages charmantes sur l'hôte si accueillant de la rue de Clichy et de l'avenue d'Eylau, éprouva de sa mort « la plus vive tristesse. L'idée qu'allait disparaître à jamais cette tête extraordinaire me désola.» Autorisé à dessiner le gisant, il fit de son rapide croquis «une aquarelle pieusement exacte». Judith put, quant à elle, prendre le moulage de la tête du patriarche et elle en fit une cire d'une ressemblance frappante, paraît-il, répertoriée dans le catalogue des œuvres peintes ou sculptées de Mme Gautier (les Célébrités d'aujourd'hui) par Remy de Goncourt, ce fin lettré très admiratif de ses talents multiples. Le sculpteur Dalou, un ancien proscrit, Bonnat et Falguière vinrent eux aussi reproduire le masque de l'illustre défunt, tandis que Rodin, prévenu par Paul Meurice, arrivait malheureusement trop tard.
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255 Suprême Beauté o morts! pourquoi, sitôt votre souffle exhalé, Quand une main pieuse, en tremblant, vient de clore Vos yeux, voit-on, ainsi qu'une aube pâle, éclore Sur vos traits la beauté du lys immaculé? Celui qui vous survit, sous les pleurs accablé, Lorsque de l'agonie émerge cette aurore, Croit saisir un signal: «l'au-revoir» qu'il implore, Jeté, du seuil de l'inconnu, comme une clé. Cette beauté des morts, lumière souveraine Qui rajeunit leur face et qui la rassérène, Qu'est-elle? .. Le reflet de l'immortalité? Ou bien l'apaisement de la chair torturée, La paix de la matière à jamais délivrée De l'âme, et que reprend l'insensibilité?..
Judith Gautier. Poésies.
Le Second Rang du collier, p. 38,51, 125,286,306,309,315. HYPATIE, femme de grande beauté et de grand savoir, appartint à l'école néoplatonicienne d'Alexandrie. Instruite dans les sciences exactes par son père Théon, mathématicien réputé, elle rédigea des commentaires sur le canon astronomique de Ptolémée. Elle n'avait pas atteint la quarantaine lorsqu'elle fut lapidée, au printemps de l'année 415, par une horde haineuse de chrétiens fanatisés. Dans ses Poèmes antiques, Leconte de Lisle a célébré la docte Hypathie - avec cet h supplémentaire à l'orthographe usuelle -, martyre païenne. « Elle avait droit à être invoquée par lui au commencement de ses poëmes et il lui devait bien le premier de ses chants. Il a comme elle le regret de ses dieux superbes, les plus parfaits symboles de la beauté, les plus magnifiques personnifications des forces naturelles, et qui, déchus de l'Olympe, n'ayant plus de temples ni d'adorateurs, règnent encore sur le monde par la pureté de la forme. À l'antique mythologie, le poëte moderne, qui eût dû naître à Athènes au temps de Phidias, mêle les interprétations platoniciennes et alexandrines... » Théophile Gautier, qui écrivait ces lignes nostalgiques dans le Tableau des progrès de la poésie française depuis 1848, ne partageait pas totalement le mépris de Platon - «de même qu'un singe est toujours singe, de même une femme, quelque rôle qu'elle joue, demeure toujours femme, c'est-à-dire sotte et folle» - et le mépris des Anciens en général à l'encontre de la gent féminine, bonne tout au plus aux soins du gynécée, «fragilitas, impudentia, imbecillitus sexus ». Comme Théon, bien qu'avec moins de rigueur, il avait pris plaisir à éveiller l'intelligence de ses filles aux splendeurs du firmament. Bergerat a publié dans son Théophile Gautier (Troisième Entretien) un sonnet écrit par son beau-père à Genève, chez Carlotta Grisi, un soir d'été où celui-ci, dit-il, s'était élevé à une grande hauteur de vue et avait fasciné son auditoire par ses perceptions cosmogoniques. «Je ne sais, ajoute-t-il, révérencieux, rien de plus admirable que ce sonnet. »
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256 Sur un coin d'infini traînant son voile d'ombre, La terre obscure allume à l'éternel cadran Sirius, Orion, Persée, Aldébaran, Et fait le ciel splendide en le rendant plus sombre. On voit briller parmi les étoiles sans nombre L'énorme Jupiter dont un mois vaut notre an, Et Vénus toute d'or, et Mars teint de safran, Et Saturne alourdi par l'anneau qui l'encombre. À ces astres divers se rattache un destin. Jupiter est heureux, Mars hargneux et mutin, Vénus voluptueuse et Saturne morose.
Moi, mon étoile est bleue et luit même en plein jour, Près d'une oreille sourde à mes soupirs d'amour, Sur le ciel d'une joue adorablementrose! Sur une boucle d'oreille en turquoise. À ce morceau d'inspiration toute de fantaisie anacréontique fait écho une déclaration de Judith: « J'ai raté ma vie. J'étais faite pour lire dans les astres. Le seul grand homme de ce temps, c'est Flammarion. » - « Ses yeux, fort beaux, reflétaient une sorte de déception », assure Pierre Descaves qui rapporte ce propos, Pierre, fils de Lucien Descaves, le confrère de Judith à l'Académie Goncourt. « Elle vivait un rêve; elle s'était installée dans un songe; c'était la princesse des contes bleus.» La Pluralité des mondes habités (1862) et, par la suite, les nombreux ouvrages de vulgarisation de Flammarion eurent en leur temps un fracassant succès, une diffusion mondiale. Doué d'une exceptionnelle précocité - « n'ayant pas plus de quatre ans quand il fit voir à des marmots de son âge une éclipse de soleil dans un baquet d'eau », racontait son frère Ernest, l'éditeur, à Goncourt, et l'on pense aux investigations entomologiques d'un Jean Rostand encore tout petit garçon -, d'une curiosité, d'une ouverture d'esprit hors du commun, cet autodidacte « a fait descendre le ciel sur la terre et mis à la portée de tous les merveilles que les mathématiciens des observatoires gardaient dans leurs lunettes.» (Dans l'intimité des personnages illustres 1865-1905, Éditions M. D.) Goncourt, en compagnie des Daudet, lui rendit visite, le 18 août 1893, à son observatoire de Juvisy-sur-Orge: «Un monde un peu fantastique, dans ce milieu légèrement magique, autour de cette lunette, qui a dedans des fils d'araignées, d'araignées qu'on fait jeûner, pour que leurs fils soient tout à fait ténus et deviennent des diviseurs de riens indivisables, lunette dont la gravitation fait comme le bruit d'une usine céleste. » Peu soucieux de suivre la voie ecclésiastique envisagée pour lui par ses parents, Flammarion se maria deux fois. L'une de ses épouses, Gabrielle, était la fille du sculpteur Renaudot dont la toute jeune fiancée, Maria Latini, avait posé pour la Salomé d'Henri Regnault qui figura au Salon de 1870. Spiritualiste, la profession de foi de "Flam" peut ainsi se résumer: «Nous avons cherché Dieu. La nature, expliquée par la science, nous l'a montré. Il est là, comme la force intime de toute chose.» Ces lignes sont extraites des souvenirs de Mme Bory d'Arnex, mémorialiste, sous le nom de Jacques Vincent, de son propre salon, 10, avenue du Bois-de-Boulogne, où se retrouvait, avant la Grande Guerre, tous les jeudis autour d'une table renommée, le gratin parisien littéraire, politique, diplomatique, artistique. Parmi les
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dîneurs les plus assidus, dit-elle, furent Leconte de Lisle, Édouard Schuré, Heredia, Anatole France, le journaliste Blowitz, Camille Flammarion. Citons encore les Berthelot, J.H. Rosny Aîné, le peintre Benjamin Constant qui fit le portrait de l' hôtesse, agréable Flamande alors que son mari, lui, était originaire du canton de Vaud, Flament, Gregh, Ferdinand de Lesseps,... Marguerite Eymery, dite Rachilde, amie d'adolescence de Flammarion qui fut témoin de son mariage avec Alfred Vallette en 1889, le dépeint sous le nom transparent de Flammaraude dans la Marquise de Sade, «le pied impatient, la tête renversée, dans une chevelure de comète, lançant des paradoxes, affmnant des histoires folles et pourtant d'une clarté éblouissante. [...] Savant du merveilleux, plus merveilleux écrivain encore. Surtout charmant de physionomie. » Et conférencier ovationné. Et célèbre pour ses voyages scientifiques en ballon. Et passionné de parapsychologie, président de la Société des spirites de Paris après Alan Kardec, poursuivant des expériences de médiumnité avec la fameuse Eusapia Paladino qui stupéfia D'Annunzio. La liste est impressionnante des relations de Flammarion - savants: Branly, Gustave Le Bon, Pierre et Marie Curie, ... ; littérateurs: Sardou, Jules Verne, Albert Lacroix, Conan Doyle, ...; artistes: Pauline Viardot, Emma Calvé, LoÏe Fuller, Mata Hari, ..., tant et tant d'autres venus le consulter à des titres divers. Maurice de Waleffe, admirateur de la superbe bibliothèque de Flammarion, fait le point sur ce baroque exemplaire des Terres du ciel relié en peau humaine qui fit beaucoup jaser. Il interroge le vieux maître: « Je ne l'ai jamais vue. C'est une jeune dame de Bordeaux, morte de la poitrine à vingt-huit ans. Sur son lit de mort, elle fit promettre à son médecin de découper la peau de ses épaules, pour en relier le volume qui l'avait consolée et qu'elle le chargeait de me porter en souvenir d'elle. Je l'ai reçu pieusement, avec un infini respect. » À Paris, Flammarion habitait rue Cassini, No 16 ; il y demeura de 1874 jusqu'à ce jour radieusement ensoleillé où la mort vint sans tumulte prendre dans son fauteuil ce prodigieux vieillard de quatre-vingt-trois ans. À l'autre bout de Paris, ce même jour 4 juin 1925, elle emportait également Pierre Louys. Ami de Flammarion, ami de Judith, de Mendès et d'Augusta Holmès sans parti pris dans leurs querelles, Saint-Saëns lui aussi s'intéressait aux étoiles. Le gentil Massenet, "chantre de l'amour", alors président de l'Institut et de l'Académie des Beaux-Arts, dans un de ces lénifiants discours prononcés aux séances publiques annuelles des cinq académies, s'exprimait ainsi: «De façon générale, et mon illustre ami Saint-Saëns ne me contredira pas, lui qui est un des membres les plus actifs de la Société astronomique de France, à laquelle il confie volontiers ses pensées sur l'histoire du firmament -, de façon générale, dis-je, les musiciens ont toujours été attirés vers ce concert des astres dont parle le divin Platon...» Massenet avait installé un petit observatoire dans sa "campagne" d'Égreville, en Seine-et-Marne. Massenet et Saint-Saëns achetaient leurs télescopes chez le même fournisseur, un certain M. Ballot. Camille SaintSaëns, un original à l'esprit mordant et redouté, auteur de quatrains "narquois" (riment avec "grivois") à l'encontre de ses confrères de l'Institut. Exemple, parmi les plus anodins, les chiens: «On coup' leur queue et leurs oreilles. / Ça leur donne un chic épatant. / Serions-nous d'un'beauté pareille / Si l'on nous en faisait autant?» (Gheuzi, la Danse sur le volcan.) Saint-Saëns, un irascible qui n'aimait point qu'on l'embêtât. Persécuté d'invitations par la marquise de Saint-Paul, une "ex" du prince Napoléon, excellente pianiste mais hôtesse encombrante qui avait mérité, semble-t-il, ce surnom désobligeant de "serpent à sonates", exaspéré, Saint-Saëns, raconte Ghislain de Diesbach dans Proust, finit « par lui envoyer sa carte de visite avec cette réponse, écrite d'une plume
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rageuse: "Merde, re-merde et re-re-merde !" Belle joueuse, elle a fait encadrer cet autographe incongru. » Saint-Saëns avait coutume de passer ses vacances dans les pays de soleil où il prétendait conserver, sous le nom de M. Badois, un illusoire anonymat et vivre en liberté, loin des maîtres-chanteurs, ses amours déviantes. Georges Clairin nous le décrit en Égypte, durant l'année 1895, trottinant gaiement sur un bourricot de Louqsor à Karnak ou remontant nonchalamment le Nil à bord d'une dahabieh, éventail en main, dans ce réjouissant attirail : le chef coiffé d'un casque colonial blanc ceinturé de tulle vert comme en portaient alors les dames touristes de l'agence Cook, une longue robe japonaise, et les pieds à l'aise dans des babouches. Durant le jour il méditait, somnolait, jouait d'un piano qu'on avait embarqué pour son plaisir, notait au voIles chansons des bateliers indigènes. «La nuit, de temps en temps, il me réveillait pour me donner une leçon d'astronomie... » Lorsque Judith rendit visite, en mars 1914, à Maurice Chabas dans son immense atelier de Neuilly, ils parlèrent peinture et... mécanique céleste; comme sa fille Germaine, l'aimable peintre était féru d'astronomie. Élève, avec son frère cadet Paul-Émile, de Bouguereau et de Robert-Fleury, Maurice Chabas avait participé, de 1892 à 1897, aux six salons de la Rose t Croix organisés par Péladan suivant des règles ainsi formulées: Les Rose t Croix veulent détruire le Réalisme. Ils rejettent toute scène militaire, patriotique, anecdotique, orientale, rustique ou sportive. Par contre l'Ordre encourage les sujets tirés du dogme catholique, l'interprétation des théogonies orientales, les allégories décoratives, et le nu sublimé.Pour les Rose t Croix, le mot « étranger» n'a pas de sens. Pour l'architecture, commecet art a été tué en 1789, le Salon n'accepte que des restaurations ou des projets pour des palais féeriques. Enfin, ultime « règle magique », aucune femme n'exposera jamais parmi les Rose t Croix. (Nonobstant cet ostracisme et par dérogation spéciale sans doute, Mme Gautier y exposa bel et bien deux ouvrages de ses mains: Peau d'âne, statuette à mi-corps, et Kundry, hautrelief, cire colorée, "la sauvage et mystérieuse Kundry, [...] la messagère des chevaliers du Graal", avait écrit Judith dans Richard Wagner et son œuvre poétique.) Des compositions spiritualistes de Chabas, Bénézit cite, entre autres, "Vagues d'âmes déferlant aux pieds du Christ, centre d'amour". Résolument opposé au cubisme "et autres folies", il se trouvait en concordances esthétiques avec Judith. Aussi brouillonnes et décousues qu'aient été les études "scientifiques" de celle-ci dans son âge tendre, elles avaient laissé quelques traces jusque dans son âge mûr; il lui en était resté un attrait permanent non seulement pour les étoiles, mais pour certains autres compartiments de la connaissance, à preuve ces deux extraits de lettres, l'une à Remy de Gourmont: «Grand Ami, je suis folle du silex et de l'art préhistorique... » (1908), l'autre à la duchesse de Rohan: « Chère Amie, Savez-vous donc que j'ai un commencement de collection préhistorique? Cette molaire superbe en devient le point central... À quel mastodonte était-elle avant d'être pierre? Est-elle tertiaire ou quaternaire? Graves questions que je creuse dans le vide... » (1910). De cet intérêt, Rosny aîné nous apporte un témoignage oculaire: «S on appartement [rue Washington], bas de plafond, sur-encombré de tapis, de bibelots chinois, hindous, turcs, même préhistoriques, était un bric-à-brac séduisant, et sentait gentiment la bohème... » Le Second Ràng du collier, p. 195.
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ISABELLE II, reine d'Espagne (1830-1904.) Ce n'est plus en touriste, comme dans son premier voyage en Espagne de mai à septembre 1840 avec son ami le collectionneur "antiquaire" Eugène Piot, que Théophile Gautier se rend à Madrid en 1846 en compagnie du député mosellan Alphée Bourdon de Vatry, mais en qualité de "reporter" pour la Presse, relayée par le Musée des familles. Le même jour, 10 octobre 1846, on célèbre en effet à Madrid le mariage de Marie-Louise-Fernande de Bourbon (1832-1897) avec le duc de Montpensier (1824-1890), cinquième et dernier fils du roi des Français, Louis-Philippe, et celui de sa sœur aînée, Isabelle, reine d'Espagne depuis 1833, avec son cousin l'infant don François d'Assise, duc de Cadix (1822-1902.) Pour raison d'État et malgré sa répugnance, on imposa pour époux à cette toute jeune fille un garçon si peu doué pour le devoir conjugal qu'on l'appelait Paquita dans l'intimité. Souvenir d'une décevante nuit de noces: «Que penser d'un homme qui avait sur le corps plus de dentelles que moi?» Or, par quelque taquinerie du destin, cette souveraine était douée d'un appétit sexuel exigeant. Empruntons aux Secrets du Gotha de Ghislain de Diesbach un échantillon de la gourmandise royale. «Aimable ogresse avide de chair fraîche, [elle] déclarait à un jeune musicien: "J'adore votre musique, mais je suis un peu sourde; approchez-vous, là, plus près de ma cuisse!..."» Pour évaluer l'ampleur de cette... hanche hospitalière, relisons ce passage d'une lettre de Mérimée (1869): «Il est faux de dire que ses bras sont gros comme le corps; tout au plus sont-ils comme des cuisses dodues. » Très vite, la reine était devenue prodigieusement corpulente, telle nous la montre un cliché sans complaisance de Nadar. Chassée de son pays par la révolution de 1868 suscitée par une politique gouvernementale maladroite, Isabelle II vécut principalement à Paris, avenue Kléber, dans son Palais de Castille, entourée de sa Cour et de son favori ordinaire, l'ancien ministre Marfori. Elle y organisait des fêtes mémorables, comme celle - qui fit date - qu'elle offrit au shah de Perse, Nasser-ed-Dine. Soucieuse de confort, elle avait fait installer un des premiers ascenseurs alors en service; malheureusement, le jour de la fête inaugurale, l'ex-souveraine se trouva bloquée, coincée dans l'encadrement des portes battantes; tournant la tête vers un ambassadeur invité qui la suivait sur les talons, elle lui cria sans façon un seul mot: « Empuja ! Pousse!» Nous devons l'anecdote à Ferdinand Bac. En voici une autre, rapportée par Pringué. La reine séjournait chez le prince et la princesse Amédée de Broglie, dans leur somptueux château de Chaumont-sur-Loire où se succédaient, dit-il, "les hôtes les plus illustres de l'Europe et du monde civilisé": «Comme le maître d'hôtel venait annoncer que Sa Majesté très catholique était servie, la souveraine obèse, malgré l'aide déférente du prince, ne put réussir à sortir des capitons de son fauteuil. On appela les enfants, descendus pour dire bonsoir, à la rescousse. Ils tirèrent sur les pieds d'arrière du siège, d'où la reine émergea non sans peine. Elle était spirituelle. Elle remercia en ces mots: "Il est plus rapide de quitter un trône qu'un fauteuil de Chaumont!"» Pour épargner à cette lourde personne l'épreuve de gravir des marches lorsqu'elle venait lui rendre visite, la princesse Mathilde descendait faire la conversation dans son landau. «C'est une bonne femme, assurait-elle, et très drôle. Elle n'a jamais fait souffrir que ses ressorts. » On imagine que l'impératrice Eugénie faisait parfois, ou souvent, les frais de l'entretien, elle, la descendante des Guzman y Palafox, qui avait été jadis une des demoiselles d'honneur de la princesse Isabelle le jour de son mariage, tandis que sa mère, comtesse de Montijo, duchesse de Pefiaranda, devenait l'année suivante Camera Major, la plus haute charge féminine de la Cour. Gaston Jollivet raconte que Henri Rochefort "ayant écrit un article tout à fait exempt
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de convenance sur la reine Isabelle" reçut un cartel du jeune Lorenzo Alfonso, originaire de Cuba, très en vue dans le Paris mondain des années 1860-1870, lame réputée dans les salles d'armes. « Sur le terrain, le pamphlétaire eut la main droite traversée. Il serra cordialement avec l'autre celle que lui tendait son adversaire. » (Souvenirs de la vie de plaisir.) Il ne dit pas comment la reine remercia son preux féal. «Certain jour, une petite porte s'ouvrait devant un visiteur solitaire qu'on avait prié à dîner dans une stricte intimité. C'était le mari de la reine, son cousin Don François d'Assise, dont elle vivait séparée et qui venait en même temps percevoir la pension que lui allouait une épouse dont le cœur était occupé ailleurs. Puis, Don François s'en retournait, toujours solitaire, dans sa villa d'Enghien où il coulait paisiblement une existence de prince-consort mis à la retraite. Il y mourut en 1902 et, deux ans plus tard, la reine le rejoignait dans l'au-delà, demandant à être ensevelie dans l'habit de... franciscaine. "À tout péché miséricorde !"» conclut dévotement André de Fouquières auquel nous empruntons ce passage. (Mon Paris et ses parisiens. Les quartiers de l'Étoile.) Entre autres enfants dont l'exacte filiation paternelle lui échappait parfois dans ses moments de distraction, cette excellente personne mit au monde Alphonse XII, qui régna de 1874 à 1885, et elle fut ainsi la grand-mère d'Alphonse XIII, fils posthume d'Alphonse XII, mari de la princesse Victoria-Eugénie de Battenberg, roi d'Espagne de 1896 à 1931. Le Second Rang du collier, p. 212. «Je contemple un moment... ». Cette citation liminaire des Souvenirs de ma vie est tirée de Pensée de minuit, poème de vingt-quatre sixtains dont l'autographe est daté de janvier 1832. Une minute encor, Madame, et cette année Commencée avec vous, avec vous terminée Ne sera plus qu'un souvenir. Minuit: voilà son glas que la pendule sonne, Elle s'en est allée en un lieu d'où personne Ne peut la faire revenir. [...] Un autre pas de fait dans cette route morne De la vie et du temps, dont la dernière borne, Proche ou lointaine, est un tombeau; [...] Ma poésie, enfant à la grâce ingénue, Les cheveux dénoués, sans corset, jambe nue, Un brin de folle avoine en main, Avec son collier fait de perles de rosée, Sa robe prismatique au soleil irisée, Allait chantant par le chemin. Et puis l'âge est venu qui donne la science [...] La tête de l'enfant n'est plus dans cette tête Maigre, décolorée, ainsi que me l'ont faite L'étude austère et les soucis. [...]
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Cela fut écrit, nous avons bien lu, au début de 1832; c'est un poète tout juste sorti de l'adolescence qui s'amuse à polir ces lignes désabusées. Du reste, il n'en est déjà plus à faire des gammes. À l'automne de cette même année 1832, augmenté des Poésies, quarante-deux pièces publiées en 1830 dans un premier recueil qui ne s'était point vendu, paraît Albertus ou l'Âme et le Péché, légende théologique. Éloges et critiques saluèrent le mince volume. René Jasinsky (les Années romantiques de Th. Gautier) rapporte plusieurs de ceux-ci et de celles-là. « Le Journal des Femmes, dit-il, sous la plume dévouée de Mélanie Waldor, vanta la fraîcheur des premières pièces, non sans bientôt s'attrister au pessimisme des dernières: "La poésie de M. Th. Gautier, contre l'ordinaire de notre poésie actuelle, est riche de fonds; beaucoup d'idées et peu de pompe dans les mots lui donnent quelquefois une couleur dantesque, dont le charme grave et profond fait souvenir qu'il y a bien plus que de l'avenir dans ce poète de vingt ans". » Au mois de mai 1832, Théo avait écrit à cette femme de lettres connue dont le salon rivalisait avec celui de sa contemporaine et ex-amie, Mme Ancelot: «Madame, excusez-moi de ne pas venir aujourd'hui; je suis si prodigieusement en retard pour mon pauvre poème que je n'ai pas un moment à moi. [...] Je n'ai chez moi qu'une première épreuve, si sale, si maculée, si pochée d'encre et de corrections que je n'oserais vraiment pas vous la mettre sous les yeux - je compte en avoir une meilleure demain - je m'empresserai de vous la porter. [Elle habitait alors au 84 de la rue de Vaugirard.] Je cherche une belle phrase pour finir - quelque chose qui soit convenable et pourtant pas trop banal si cela se peut, comme je ne trouve rien, vous aurez la bonté, n'est-ce pas? de vous contenter de celle-ci. Théophile Gautier ». De ce ton plus que cavalier, on voit que Mme Waldor ne tint pas rigueur au freluquet qu'on persista longtemps, dans son entourage, à surnommer Albertus. Puis vinrent les Jeunes-France, Romans goguenards et Mademoiselle de Maupin... Les critiques littéraires n'avaient pas fini de s'occuper de Gautier. Le Collier des jours, p. 1. Jettatura, conte noir paru dans le Moniteur universel de juin-juillet 1856. Le malheureux Paul d'Aspremont est, sans le savoir, un jet tatore. Prenant peu à peu conscience du pouvoir maléfique de son regard, il finit par se brûler volontairement les yeux, mais il n'en a pas moins provoqué la mort de la femme aimée et la mer roulera dans ses flots le cadavre d'un désespéré. L'histoire est parfaitement sinistre, on n'y trouve plus trace de l'humour qui pimentait encore Avatar, paru seulement quelques semaines plus tôt dans le même journal. Comme Avatar, comme Arria Marcella auparavant (Revue de Paris, 1er mars 1852), Jettatura donne à Gautier l'occasion de revisiter en esprit l'Italie qu'il avait parcourue en 1850 avec Louis de Cormenin. En 1852, de retour de Constantinople, il repasse à Venise, accompagné d'Ernesta et d'Estelle, le petit "Monstre vert", mais sans la présence si chère de Marie Mattei la magie n'opère plus, tout lui semble triste, décoloré, sale, mort; le 22 septembre, il écrit à l'ami Cormenin: «Revenant d'Athènes, Venise m'a paru triviale
et grotesquementdécadente... » Hélas! Au début de son [talia (une partie fut publiée en feuilleton dans la Presse du 24 septembre au 18 octobre 1850, une autre du 12 septembre au 15 novembre 1851), il avait écrit: « Chaque homme, poète ou non, se choisit une ou deux villes, patries idéales qu'il fait habiter par ses rêves, dont il se figure les palais, les rues, les maisons, les aspects, d'après une architecture intérieure, à peu près comme Piranèse
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se plaît à bâtir avec sa pointe d'aquafortiste des constructions chimériques, mais douées d'une réalité puissante et mystérieuse. Qui jette les fondements de cette ville intuitive? Il serait difficile de le dire. Les récits, les gravures, la vue d'une carte de géographie, quelquefois l'euphonie ou la singularité du nom, un conte lu quand on était tout jeune, la moindre particularité: tout y contribue, tout y apporte sa pierre. Pour notre part, trois villes nous ont toujours préoccupé: Grenade, Venise et le Caire. » Le Second Rang du collier, p. 296. JOHANNOT, Tony (Offenbach 1803 - Paris 1852), issu d'une famille protestante expatriée en Allemagne lors de la révocation de l'édit de Nantes. François Johannot père était peintre de fleurs, manufacturier de soieries, et le premier graveur qui imprima sur pierre de la musique. Contraint de quitter le duché de Hesse par suite du mauvais état de ses affaires, il s'établit en France, le pays de ses ancêtres, où il importa les techniques de la lithographie dans laquelle passèrent maîtres ses trois fils, Charles (1798-1825), Alfred (1800-1837) et Tony. Alfred et Tony signaient "Johannot frères" les œuvres nées de leur étroite collaboration. Ils travaillèrent en un temps où l'image connaissait une vogue extraordinaire, le lecteur en réclamant toujours davantage; on ne commencera à se lasser des vignettes qu'à partir de 1850, 1830 ayant marqué le début des grands illustrés romantiques. Les lithographes ne pouvaient suffire à la demande. «Le goût pour l'image est tel, écrit L. de Gouvion Saint-Cyr, que beaucoup d'éditeurs commencent par faire exécuter par un artiste des illustrations, demandant ensuite à un écrivain de concevoir un texte en fonction des images. Ce sera le cas de l'Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, illustré par Tony Johannot avec un texte de Charles Nodier. Ou encore du Voyage où il vous plaira, dont les dessins de Johannot inspireront Alfred de Musset. [...] Il [Johannot] illustrera, en vingt ans, 150 ouvrages et plus de 3 000 vignettes. Il fut, entre autres, l'illustrateur de Balzac, de Victor Hugo et d'Eugène Sue », et exécuta de nombreux travaux pour Hetzel. Cette activité surabondante ne l'empêcha pas de mourir dans la misère, au numéro 26 de la rue de Bruxelles; ses amis - ils étaient nombreux - se cotisèrent pour lui procurer des funérailles décentes. C'est dans cette même rue que, cinquante ans plus tard, au numéro 21, Zola expira, asphyxié dans son sommeil par les émanations d'une cheminée accidentellement bouchée. Alexandre-Évariste Fragonard et son fils Théophile-Étienne, Alexandre Désenne, Célestin Nanteuil, Camille Rogier, Jean Gigoux, Auguste Raffet, Léon Noël, pour être moins connus du grand public que Gavarni, Daumier, Doré ou le Suisse Topffer, ce "précurseur" de la bande dessinée, n'en sont pas moins dignes de figurer au panthéon des lithographes romantiques. Nous ne pouvons les citer tous, mais nous n'aurions garde de passer sous silence le plus charmant peut-être de ces talentueux artistes, l'interprète inspiré des violences et des langueurs romantiques, Achille Devéria (1800-1859). Achille, né dans une famille nombreuse - trois fils: Théodule, marin, Achille et Eugène, peintres, et quatre filles -, épousa la délicieuse fille de Charles Motte, un imprimeur renommé, dont il eut sept enfants. La maison des Devéria, ex-numéro 5, rue Notre-Dame-des-Champs, était toute voisine de celle des Hugo qui de 1827 à 1830 habitèrent à l'ex-numéro Il de la même rue, ce qui favorisa l'intimité des deux ménages. Achille nous a laissé nombre de ravissantes images de la famille Hugo: Adèle, jeune mère avec le petit Charles sur ses genoux, Abel, Victor en 1829... Toute la jeunesse artiste de Paris se pressait chez les Devéria, comme
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chez les Nodier à l'Arsenal, y recevait l'accueil le plus chaleureux; on lisait, on peignait, on dansait, à la belle saison on se promenait dans le jardin. Devant le plus brillant auditoire qu'on pût rêver, Hugo y lut en avant-première
Un duel
sous Richelieu,
qui deviendra Marion
Delorme, sur le thème de la courtisane réhabilitée par l'amour vrai, modèle que devra plus tard, bon gré mal gré, incarner Juliette Drouet. Et Achille, par un labeur acharné, titanesque, parvenait à assurer le bien-être de cette joyeuse maisonnée, qu'il fallut pourtant, un jour, transférer rue de l'Ouest, tout nouvellement ouverte. Le 30 novembre 1895, Goncourt s'en fut visiter l'exposition "Centenaire de la lithographie": «Achille Devéria, parmi de nombreux portraits de Mérimée et de Dumas père. » Et tant d'autres planches de ce délicat artiste qui nous restituent les traits de Lamartine, Vigny, Musset, Liszt, le comédien Samson, Rachel, Marie Dorval, la Malibran, miss Plunkett, ... Le Collier des jours, p. 210. Josué. Ouvrons la Bible. Le Livre de Josué, X, 12, 13: «C'est alors que Josué s'adressa à Yahvé, en ce jour où Yahvé livra les Amorites aux Israélites. Josué dit en présence d'Israël: "Soleil, arrête-toi sur Gabaôn, et toi, lune, sur la vallée d'Ayyalôn !" Et le soleil s'arrêta et la lune se tint immobile jusqu'à ce que le peuple se fut vengé de ses ennemis. Cela n'est-il pas écrit dans le livre du Juste? Le soleil se tint immobile dans le milieu du ciel et près d'un jour entier retarda son coucher.» Josué, successeur de Moïse, chef des Hébreux, serait né en Égypte et mort en Palestine treize cents ans avant Jésus-Christ. Gautier adressa son Josué arrêtant le soleil ou, du moins, ce qu'il nous en reste (quatorze alexandrins et dix octosyllabes), au printemps de 1839, à Meyerbeer: «Je vous envoie ces vers, à peine ébauchés, comme monstre ou patron... » En octobre 1842, Meyerbeer qui avait perdu cette poésie et l'avait trouvée « fort belle» en fit réclamer une copie à l'auteur, « plus disposé que jamais à la mettre en musique». (Lettre à Théophile Gautier de Marie Escudier, fondateur-directeur avec son frère Léon de la France musicale, rivale de la Revue et Gazette musicale de Maurice Schlesinger.) Meyerbeer déçut un autre poète, Gérard de Nerval. « Du plus loin que nous le connaissions, écrit Théo dans la Presse du 27 janvier 1855, il avait sur le chantier une certaine Reine de Saba, drame énorme [...] qui, un instant, dut être mis en opéra à l'intention de Meyerbeer... » Gautier précise ailleurs que Meyer-Beer (sic), de Berlin, voulait faire de cette Reine de Saba «un rôle de soprano à faire tourner la tête à toutes les prime donne. Mais il n'y a pas eu moyen.» Le compositeur, qui partageait son temps entre la France et l'Allemagne, repartit pour Berlin, oublia la Reine de Saba dont le thème fut repris par Gounod: sur un libretto de Barbier et Carré, il en fit un opéra créé à Paris en 1862. Infortuné Gérard qui rêvait d'offrir un rôle en or à sa bien-aimée Jenny! En 1875, on représenta au Hoftheater de Vienne une autre Reine de Saba, Die Konigin von Saba, opéra en quatre actes dû à l'inspiration de Kàroly Goldmark qui vaudra à ce compositeur hongrois une renommée internationale. Le Second Rang du collier, p. 120-121. JULIEN Noël, dit Stanislas. Né à Orléans en 1797, il mourut, commandeur de la Légion d'honneur, à Paris en 1873. Philologue, orientaliste élève de Rémusat, professeur au Collège de France, conservateur des collections chinoises à la Bibliothèque Impériale, etc. Il
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avaÜ appris le latin et le grec en autodidacte; il connaissait la pJupart des langues d'Europe; après le chinois, il aborda le mandchou er le sanscrit, et ses traductions, réputées fidèles, lui valurent l'estime de tout le monde savant. Pendant de ]ongues années il travailla à son monumental dictionnaire chinois, malheureu~enlent inachevé. Ce sin010gue élnérite «déchiffrait à lnerveille les Inanuscrits les plus obscurs et débrouillait des dialectes
invraisemblables,mais la languecourantelui delneurait interdite }>, confiait Judith à Raoul Aubry. Humilié devant Tin-Tun-Ling, Stanislas Julien tentait, dit-elle, de le déconsidérer dans l'esprit des Gautier. (Le Temps, 25 novembre 1910.) En 1837, il avait fait paraître un Résumé des principaux traités chinois sur la culture des mûriers et l'éducation des vers à soie. Est-ce dans ce volume qu'Emesta apprit les rudiments de la sériciculture? Ou bien dans le Yo-san-Fi-Rok, Histoire secrète de l'éducation des vel:~à soie, dont Judith, dans les Peuples étranges, donna un compte rendu sans dire qui était l'auteur de la traduction dont eUe parle. Cet ouvrage japonais, «que toute magnanerie devrait posséder~ commence par un résumé des traditions séricicoles des Chinois. L'art d'élever les vers à soie est venu au Japon de la Chine et de la péninsule Coréenne, les Japonais ne l'oublient pas... » Le Second Rang du collier, p. 160. KHEY AM. Omar Khayyam, selon la graphie nonnaHsée (vers 1050 - 1123), le plus illustre des poètes persans, astronome, mathématicien, philosophe d'un pessinlisme profond qui l'incline à l'hédonisme. Son Rubaiyyat compte plusieurs centaines de "quatrains". Une première traduction française partielle parut en 1857. Dans le Moniteur universel du 8 décembre 1867, Théophile Gautier en parla avec enthousiasme. «Rien ne ressemble moins à ce qu'on entend chez nous par poésie orientale, c'est-à-dire un amoncellement de pierreries, de fleurs et de parfums, de comparaisons outrées, elnphatiques et bizarres, que les vers de Kéyam. La pensée y domine et y jaillit par brefs éclairs, dans une forme concise,
abrupte, elliptique... » Voici encore, dans le Progrès de la poésie française depuis 1830, étude faite par Gautier pour le ministère de l'Instruction publique à J'occasion de l'Exposition universelle de 1867, ces lignes consacrées, après Mme Ackermann et son œuvre aux accents désespérés, à Mme Blanchecotte - totalement oubliée. de nos jours malgré l'estime que Sainte-Beuve portait à son talent -, l'élève et l'amie de Lamartine, l'humble couturière aux poésies dolentes, qui a su « se donner une instruction rare chez une femme ». Par «son accent profond et personnel» elle fait, dit-il, penser à Marceline Desbordes-Valmore. Mme Blanchecotte «a contribué comme COl Tectrice à la publication des Quatrains de Khèyam, un poëte persan d'un mysticisme lyrique encore plus raffiné que celui de Hafiz et de Sadi [lisez Saadi] ». Le 1er novembre 1870, accablé par le désastre national, le bon Théo commentait encore le Rubaiyyat chez Brébant, le restaurateur du boulevard Poissonnière. Les 17 et 30 janvier 1875, le Journal Officiel publia les Poètes persans, deux articles signés F. Chaulnes, le pseudonyme adopté par Judith tout au long de sa collaboration à ce journal, de 1875 à 1878. Nous retrouvons le texte de ces articles dans les Peuples étranges, recueil aux sujets disparates paru chez Georges Charpentier en 1879. Parmi les poëtes persans, celui qui nous paraît le plus digne d'admiration après Saadi est Kheyam, ce philosophe fataliste et sceptique [oo.]doué de l'esprit le plus audacieuxet le plus singulier qui soit. Ce mystique ivrogne, qui exalte sans relâche les vertus du vin et s'enivre désespérémentpour ne pas se sentir vivre, étonne et effraye par son dédain irrémédiable pour
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tout ce qui est et ne sera plus. "Puisque la vie s'écoule, dit-il, qu'importe qu'elle soit douce ou amère; puisque l'âme doit passer par nos lèvres, qu'importe que ce soit à Nichapour ou à Bélkh. Bois donc du vin, car après toi et moi, la lune bien longtemps encore passera de son dernier quartier à son premier, et de son premier à son dernier." Kheyam, comme tous les Persans d'ailleurs qui, lorsqu'ils boivent du vin, ont l'air d'avaler une potion amère, n'aime pas la liqueur pour elle-même, mais seulement à cause de l'ivresse qu'elle procure. Souvent aussi l'ivresse dont il parle est celle que procure l'amour de Dieu. C'est dans ce sens, à ce qu'il paraît, qu'on doit interpréter ce quatrain étrange déjà illustre et qui devrait servir d'épitaphe au sublime ivrogne qui l'a conçu: "Je veux boire tant et tant de vin que l'odeur puisse en sortir de terre quand j'y serai rentré, et que les buveurs à moitié ivres de la veille qui viendront visiter ma tombe puissent, par l'effet seul de cette odeur, tomber ivres-morts." Le gentil, le modeste "gazetier-rimeur" Raoul Ponchon, successeur de Bergerat à l'Académie Goncourt où il fut élu le 29 octobre 1924, avait placé en épigraphes à son recueil de poèmes bachiques, la Muse au cabaret, dédié à ses «très chers amis Jean Richepin et Maurice Bouchor », ces deux distiques: «0 quatrains de Khèyam ! Quel vin d'or il me verse, / Cet ivrogne subtil, fougueux et souriant!» Jean Richepin, Mes paradis. - « De toute éternité, Dieu, par sa prescience, / A su que je boirai... » Maurice Bouchor, le Songe de Khèyam.
Le Second Rang du collier, p. 282, 283. KOCK, Charles-Paul de (1794-1871), fils posthume d'un banquier batave guillotiné à Paris en 1793. Romancier populaire à la verve gauloise, d'une inépuisable fécondité comme Pixérécourt, ce "Corneille du boulevard", comme Eugène Sue, Alexandre Dumas, Ponson du Terrail et autres feuilletonistes du XIXe -, il écrivit plus de deux cents volumes et il y avait émeute en librairie, paraît-il, le jour où paraissait une œuvre nouvelle. Sa vogue s'étendait dans toute l'Europe et jusqu'aux États-Unis où l'on publia, pour aiguiser l'appétit du public, cette ineptie: les Amours de George Sand et de Paul de Kock... qui ne se connaissaient pas. Théophile Gautier commente, le 28 juin 1847, Un père d'occasion, joué au Palais-Royal par Luguet et Leménil : En allant voir un vaudevillede M. Paul de Kock, on est toujours sûr de rire, non pas de ce rire délicat qui voltige un instant sur les lèvres et disparaît, mais d'un gros rire épanoui, d'une jovialité un peu grossière; - qu'importe après tout si l'on a ri ? M. Paul de Kock, que des auteurs qui ne le valent pas affectentde déprécier, a certainement le don du comique; c'est un Molière de bas étage; il sait animer ses personnages d'une vie brutale; ses caricatures, quoique charbonnéesavec un tison sur un mur raboteux,ont de l'accent et de l'humour. Il ne lui a manquéque le style pour exister tout à fait. Sa nouvelle pochade du Palais-Royal a de la rondeuret de l'abandon; c'est de la grosse et bonne bêtise, qui vaut mieux, selon nous, que les entortillagesprétentieuxet les drôleries laborieuses. (L'Art dramatique en France...) Cet auteur imprévu, qui faisait, dit Remy de Gourmont, les délices de Renan et de Francisque Sarcey, écrivit aussi d'aimables et tendres chansons recueillies dans Bulles de savon. Très casanier, Paul de Kock passa toute sa vie, en famille, entre sa propriété de Romainville, où il mourut, et son entresol du 8, boulevard Saint-Martin. Eugène de Mirecourt confImle les souvenirs de Judith: «On l'a vu rester cinq heures de suite à sa fenêtre [.. .]. Immobile comme un Turc qui fume sa pipe, [...] il regarde passer les omnibus, les cabriolets,les bonnesd'enfants,les tourlourous,les marchandsde coco et les actricesde
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l'Ambigu.» (Les Contemporains.) N'est-ce pas Maxime Du Camp qui s'amusa dans les premiers de l'engouement de Grégoire XVI pour l'auteur de la Laitière de Montfermeil, du Cocu, de l'Homme aux trois culottes, etc. ? En 1844, écrit-il dans ses Souvenirs littéraires, Paul Delaroche, le gendre d'Horace Vernet, entreprit le portrait du Saint-Père, sur commande de la reine Marie-Amélie. «La première fois que le pape posa devant lui, il lui dit: "Connaissez-vous Paul de Kock?" C'était en effet le seul auteur français que le pape appréciât. »Le fils de Charles-Paul, Paul-Henry (1819-1892), débuta de bonne heure dans la carrière des lettres, comme son père, et fit preuve de la même abondance, mais d'une veine moins enjouée. Vapereau cite une bonne trentaine de romans en plusieurs tomes, énumération suivie de la locution redoublée: etc., puis «une série de compilations dont les titres indiquent suffisamment la valeur»: Histoire des cocus célèbres, ... des farceurs célèbres, ... des femmes infidèles célèbres, ..., «dégoûtantes histoires d'alcôve », commente Larousse, sans compter drames et comédies tels que l'Eau et le feu en collaboration avec son père, la Vie des roses avec Théodore Barrière ou Il n'y a plus d'enfants avec Ernest Blum. Jean-Claude Caron, auteur d'un volumineux ouvrage sur les Étudiants de Paris et le Quartier latin (1814-1851). Générations romantiques, fait référence au Roi des étudiants d'Henry de Kock (1844) à propos de la grisette que chanta Béranger, cette grisette, charmante compagne de l'étudiant, qui fleurit au début de la Restauration avant de se métamorphoser en lorette décidément vénale: « Lisette, ma Lisette, / Tu m'as trompé toujours; / Mais vive la grisette! / Je veux, Lisette, / Boire à nos amours.» Cette infidèle Lisette que l'opulence a dorée: «Comme ils sont loin ces jours / Où, dans votre chambrette, / La reine des amours / n'était qu'une grisette! / Eh non, non, non, / Vous n'êtes plus Lisette. / Eh non, non, non, / Ne portez plus ce nom.» Caron cite Théophile Gautier, indulgent préfacier d'un album de quarante-sept dessins de Gavarni, paru chez Hetzel en 1846, les Étudiants: «Ces jeunes fous qui dansent, fument et font l'amour, c'est tout bonnement l'avenir de la France... », et les grisettes du Quartier latin, ces «bonnes filles [...] qui travaillent peu, dansent beaucoup, se nourrissent d'échaudés et s'abreuvent de bière.» À la fin de sa vie, le bon Théo, nostalgique, s'attendrissait sur cette variété parisienne éteinte: Certes, les grisettes de Paul de Kock n'ont pas l'élégance de la Mimi Pinson d'Alfred de Musset, mais elles sont fraîches, gaies, amusantes, bonnes filles, et aussi jolies sous leur bonnet de percale ou léger chapeau de paille, que les museaux maquillés de bismuth et plaqués de fard Hortensiapour lesquellesse ruinent maintenant les fils de famille; elles vivaient de leur travail, pauvrement, avec l'insouciance des oiseaux aux bords de leurs gouttières: mais leur amour n'avait pas de tarif, et le cœur, chez elle, était toujours de la partie. Cette gentille espèce a disparu avec beaucoup d'autres bonnes choses du vieux Paris, qui ne vivent plus que dans les romans, à tort méprisés, du vieux Paul de Kock, dont le nom survivra à bien des célébrités du moment, car il représente avec fidélité, avec verve et rondeur, toute une époque évanouie. (Journal officiel, 23 mai 1870. Portraits contemporains.) Le Second Rang du collier, p. 171, 286, 287, 336. KRA TZ, Arthur (1831-1911), d'origine alsacienne, auditeur au Conseil d'État de 1855 à 1866. Eugénie Fort, la mère de Tata, déçue par le comportement de Charles Blanc, son pourvoyeur de fonds, qui verse dans l'alcoolisme et la mauvaise humeur, se prend au début
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des années 1860 d'une affection plus que maternelle pour l'aimable Arthur, assidu chez elle où il joue du piano pour la distraire. Demeuré fidèle à ses souvenirs de jeunesse, il viendra encore, quelques années avant sa mort, rendre visite à Judith, rue Washington. Le Second Rang du collier, p. 147, 185. KREISLER.
Voyez HOFFMANN.
LABLACHE, Luigi (Naples 1794 - 1858). Italien de père marseillais et de mère irlandaise, très belle basse chantante, il triompha à sa première apparition aux Italiens de Paris, le 2 novembre 1830, dans Il Matrimonio segreto, opéra en deux actes de Cimarosa, sur un livret de Bertati. Il devait se produire chez nous jusqu'en 1851. D'un remarquable embonpoint, gai, sympathique, chaleureux, d'excellentes manières, il était fêté partout, chez Mme Récamier comme chez Mme de Girardin. Cette dernière voyait en ce bon Lablache «un condor aux ailes immenses qui daigne chanter comme un rossignol ». La Malibran l'honorait de son amitié; la reine Victoria goûtait beaucoup son talent, et Lablache partageait sa saison entre Londres et Paris. À l'âge tendre de dix-huit ans, enterrant une vie de garçon peu édifiante, Lablache avait épousé la fille d'un acteur, Teresa Perotti; il lui fit treize enfants. L'une de ses filles épousa Thalberg, le pianiste virtuose rival de Liszt. Théophile Gautier, qui vient d'applaudir la célèbre basse dans la Cenerentola (Cendrillon), le mélodrame bouffe de Rossini créé à Rome en 1817, écrit dans la Presse du 4 novembre 1839 (article repris dans l'Histoire de l'art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, Hetzel, 1858) : « C'est à la fois le plus gros et le plus grand chanteur du monde. [...] Une seule fleur de son prodigieux habit de lampas vert et blanc couvrirait facilement deux hommes ordinaires. Chaque année il devient plus énorme et plus vif; son poids augmente sa prestesse; il va, vient, gambade et frétille avec une merveilleuse légèreté.» Dans sa biographie de Mario de Candia, Judith n'a pas manqué de raconter cette cocasse anecdote liée à la mémoire de Lablache: «Ce grand chanteur, qui était un splendide colosse, logea pendant quelque temps à Paris dans un appartement situé au-dessus de celui du fameux nain qui s'intitulait: le général Tom-Pouce. Un jour, un visiteur, se trompant d'étage, s'en fut sonner chez l'illustre chanteur qui, lui-même, ouvrit la porte. "Le général Tom-Pouce, s'il vous plaît? - C'est moi, monsieur, répondit Lablache de sa voix formidable. - Mais... je croyais... balbutia le visiteur stupéfait. - Ah ! oui, je vois, s'écria Lablache en riant, mais, chez moi, je me mets toujours à mon aise !" » Quelques années après avoir pris sa retraite, Lablache mourut dans sa villa du Pausilippe, aux environs de Naples. Sa dépouille fut enterrée, suivant sa volonté expresse, à Maisons-Lafitte, localité qu'il avait longtemps habitée et dont il avait beaucoup apprécié les charmes. Le Collier des jours, p. 3. LACROIX, Jules (1809-1887), poète et romancier, à ne pas confondre avec Octave Lacroix, littérateur né en 1827, secrétaire de Sainte-Beuve de 1851 à 1855, avant Jules Troubat qui servit l'illustre critique de 1861 jusqu'à la mort de celui-ci. La traduction en vers de Macbeth par Jules Lacroix date de 1830. Il se fit aussi connaître comme traducteur de Sophocle et comme dramaturge avec des pièces à trame historique. Jules Lacroix était un
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habitué de la librairie de François-Noël Thibault, sise depuis 1853 au 9, quai Voltaire. Anatole, le fils de François-Noël, qui adopta le nom d'Anatole France, se souviendra des visites de Jules Lacroix à la boutique paternelle où venaient fureter et bavarder nombre de personnalités curieuses d'Histoire, comme les Goncourt ou Paul de Saint-Victor. Jules Lacroix, beau-frère de Balzac par son mariage en 1851 avec Caroline Rzewuska, sœur aînée d'Ève ex-Mme Hanska, était le frère cadet de Paul Lacroix. En 1832, l'année même de la chute du Roi s'amuse d'un certain Hugo - un poète presque anonyme encore malgré le fracas de Hernani en 1830 et le scandale d'un offensant pourpoint rose, Théophile Gautier, 'jeune homme frileux et maladif" écrivait-il de lui-même, trouvait à faire rimer ce nom sonore avec "indigo" (Albertus et l'âme ou le péché, sonnet VII) -, Paul Lacroix signait "P.J. Jacob, membre de toutes les Académies" Vertu et tempérament, une "histoire de la Restauration" dans laquelle ce blanc-bec impertinent s'aventurait à définir la vertu comme "un tempérament plus ou moins négatif ". Le Bibliophile Jacob fut un érudit boulimique de belles-lettres comme on en rencontre à toutes les époques de la vie culturelle française. Un autre porteur du patronyme très répandu de Lacroix, Albert Lacroix - "Lacroix (A.), Verboekhoven et Cie, Librairie internationale, 15, boulevard Montmartre, maisons à Paris, Bruxelles, Leipzig et Livourne" -, le fameux éditeur belge, eut sur l'existence de Judith Gautier une influence déterminante puisqu'il fut à l'origine de son installation en Bretagne. Voici l'histoire telle qu'on peut la reconstituer à partir de récits quelque peu divergents. En octobre et en décembre 1856, Albert Lacroix se rend à Guernesey pour y parler avec Victor Hugo des Misérables qu'il publiera quatre ans plus tard, avant les Travailleurs de la mer en 1866. Portrait de Lacroix par Hugo: «Petit homme fluet, très remuant, très épris de littérature et aussi très lettré, plein d'une verve endiablée, la physionomie très éveillée, avec des yeux malicieux embusqués derrière un binocle qu'il assujettissait sans cesse sur un nez un peu bombé et effilé, la figure tout embroussaillée de favoris roux.» (Victor Hugo, Hubert Juin.) Sensible aux beautés de la nature, Lacroix mourut en 1903 ou 1904 dans un petit village de Savoie où il avait coutume de passer ses vacances. Nous tenons ce renseignement d'Édouard Peyrouzet, auteur d'une Vie de Lautréamont, intéressé par la personnalité de l'éditeur belge, car, bien avant les surréalistes qui s'en réclamèrent, Lacroix avait flairé le génie de l'énigmatique Isidore Ducasse et entrepris de publier ses Chants de Maldoror, littérature "exaspérée, féroce, démoniaque", dira Remy de Gourmont, ébouriffé, dépassé. Cet éditeur entreprenant, courageux, plusieurs fois condamné - amendes et prison pour publications subversives, surchargé d'affaires souvent désastreuses, se plaisait donc à la montagne, à la mer aussi. À l'occasion de son voyage aux îles anglo-normandes, il découvre la modeste bourgade de Saint-Énogat (Ille-et-Vilaine), sa situation exceptionnelle devant un horizon marin de toute beauté, sa longue grève de sable doré, y séjourne à plusieurs reprises, s'y plaît et décide de se lancer dans une spéculation immobilière. Les guides de la Côte d'Émeraude indiquent qu'il traça le lotissement du front de mer et, dans un premier temps, y fit construire des "bicoques" destinées à la location. Sur ces entrefaites, ayant égaré un manuscrit de Judith, il lui offre, en compensation, un séjour estival dans l'une de ces maisonnettes; en compagnie de Leconte de Lisle, familier des rivages bretons et, comme elle, excellent nageur, elle profite de l'invitation. Un soir, chez les Lacroix, elle signe à l'étourdie certain papier en circulation parmi leurs amis et se retrouve "propriétaire à l'improviste" d'un lopin de terre en bordure de plage, sur lequel commenceront bientôt à s'élever les fondations de sa villa. Bon gré mal gré, il fallut s'endetter pour honorer cet
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engagement inconsidéré. Lorsque, des années plus tard, le Pré des Oiseaux, ainsi nommé en souvenir de Walter von Vogelweide, personnage des Maîtres Chanteurs, avec un grand G fièrement incrusté dans la maçonnerie d'une des cheminées, devint habitable, Judith y passa tout le temps qu'elle pouvait dérober à ses obligations de journaliste. Selon Dita Camacho, elle y travailla aux Jeux de l'Amour et de la Mort, assez fade roman d'amour occidental, paru en feuilleton dans le Rappel en 1876 avant d'être publié en 1877 chez Calmann-Lévy sous un titre nouveau: Lucienne. Le 27 janvier 1878, Cosima Wagner terminait une longue lettre à Judith: «Adieu, ma chère propriétaire - que n'avez-vous acheté votre terrain à Bayreuth! Nous vous remplacerions bien la mer...» Albert Lacroix s'était proposé de lancer une collection intitulée "les Grandes Amoureuses" : « Chaque biographie formera un petit volume de luxe, grand in-18 jésus, sur papier vergé, avec gravures, eau-forte ou héliogravure, tirées en couleur hors texte...» Il sollicita la collaboration d'écrivains réputés, Jean Richepin, un habitué de Saint-Énogat, Barbey d'Aurevilly, les Houssaye père et fils, Mendès, Armand Silvestre, Leconte de Lisle, Mme Alphonse Daudet, Banville, ... Villiers de l'Isle-Adam, dès avant 1876, fournit trois textes qui échouèrent dans les cartons de l'éditeur. Judith, quant à elle, reçut commande d'une quinzaine d'essais; en 1874 et en 1875 parurent la Femme de Putiphar et Iseult, sauf erreur les deux seuls publiés par "c. Marpon et E. Flammarion, libraires, A. Lacroix, éditeur". Judith se conforma au souhait de ce dernier: «Quelle que soit la passion retracée, ce sera avec réserve, sobriété, convenance, dignité. » Les ardeurs de la pauvre Mme Putiphar, ses tentatives de séduction, les dérobades du pudique Joseph sont décrites avec une décence extrême. On retrouvera la Femme de Putiphar, sous le nom de Zuleïka, dans Fleurs d'Orient (1893), recueil de nouvelles historiques; Judith en profita pour supprimer une longue citation du Roman de la momie habilement incorporée dans le texte, et pour ajouter, in fine, une édifiante moralité. Claudine Brécourt-Villars a choisi deux pages de cette Femme de Putiphar pour représenter Judith Gautier dans son Écrire d'amour. Anthologie de textes érotiques féminins (1799-1984). Dommage! Pour peindre amour, cette "folie persécutrice" anathématisée par l' le médecin aliéniste Moreau de Tours - une relation de son père dans les années 1845 -, Judith a trouvé des accents autrement musclés, échos d'une expérience vécue jusqu'à la cruauté? Exemples: « Que peut-on contre l'amour? Je sais à quel point il vous dompte, moi qui en vain ai essayé de te haïr. Oui, tu les as éprouvées, ces tortures aiguës, ces attentes sans but, ces rêves fiévreux, ces espoirs qui ne veulent pas mourir, tu les as connus ces sanglots qui ne soulagent pas, ces larmes qui brûlent comme une pluie de feu... » (L'Usurpateur, tome II, p. 144.) - «C'est d'abord une obsession, allant jusqu'à la souffrance: l'être aimé s'empare tyranniquement de l'esprit, en chassant toute pensée qui n'est pas lui, son image est comme peinte sur vos yeux, son nom monte à vos lèvres sans cesse. Une inquiétude, une fièvre vous tourmente à toute heure, et il semble qu'on soit dans l'impossibilité de vivre.» (L'Inde éblouie, p. 212.) - «Quand j'étais tigre, ivre de faim, / C'était toi, la tendre gazelle / Qui fuyais au désert sans fin... / Pour vivre il me fallait ta vie. / Un désir fou creusait mes flancs... » (Poésies, Au gré du rêve.) Le Second Rang du collier, p. 137. LAFITTE, Alexandre, né et mort à Paris (1830-1877), l'un des nombreux musiciens qui s'inspirèrent des poésies de Théophile Gautier, de Berlioz à Henri Duparc, en passant par
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Allyre Bureau, François Bazin, Offenbach, Pauline Viardot, Bizet, Fauré, tant d'autres alors et plus tard. On ne saurait trop souligner l'influence de cet organiste sur la vie de Judith Gautier. D'une part, ne fût-ce que par hasard, il éveilla sa conscience musicale; d'autre part, il fut à l'origine de l'intérêt - ô combien généreux! - qu'elle porta à Fanelli. Bien que chargé déjà d'une nombreuse famille, Lafitte avait adopté ce jeune Bolognais orphelin, devenu son élève favori. Il le fit entrer au Conservatoire, où Delibes lui ouvrit sa classe. Voué à de "petits boulots", Fanelli devient pianiste de restaurant, timbalier aux Variétés, graveur et copiste de musique. C'est à ce titre qu'il soumet la partition de son propre poème symphonique, Thèbes, à Gabriel Pierné, lequel, intéressé par la nouveauté impressionniste de cette instrumentation, le met à son programme du Concert Colonne, le 17 mars 1912. D'autres œùvres de Fanelli, toutes composées avant 1893, suscitèrent le vif intérêt de certains, mais, plus généralement, les critiques ironiques des journalistes spécialisés: "boursouflure. .. monotonie... impuissance..." Suzanne Meyer informe sa mère que, si Pierre Lalo "éreinte" Fanelli, Florent Schmitt, en revanche, a fait sur lui "un article épatant". Mme Alexandre Lafitte, Alphonsine, était venue, dans les années 90, présenter Fanelli rue Washington où il interpréta au piano quelques-uns de ses Tableaux symphoniques d'après le Roman de la momie, soulevant l'enthousiasme de Judith qui racontera dans le Suicide d'une âme (l'Intransigeant, 30 mai 1913) la disparition, puis la réapparition chez elle, en 1912, de ce compositeur en faveur duquel elle se dépensa sans compter. La dernière œuvre de Fanelli fut probablement celle qu'il écrivit en 1913 sur un poème de Judith, la Vierge de Prompt-Secours, scène mystique (Édition de luxe, par souscription, chez Mme J. Gautier). Et l'ultime article de Judith (le Figaro, 13 décembre 1917), fut une déploration de la mort subite de Fanelli, à Paris, rue Saint-Guillaume, à la fin du mois de novembre de cette année-là. Il laissait une veuve et deux enfants, Estelle et Marius, encore au stade de leurs études. Dans ses Mémoires, Illan de Casa Fuerte a raconté comment il leur vint en aide au cours de ces journées tragiques. «La disparition de Fanelli, écrit-il, fut un terrible choc pour Judith... » L'oubli, ce second linceul des morts, comme le dit si bien Lamartine, aurait complètement enseveli le pauvre Fanelli s'il n'avait été ainsi mêlé à la vie d'une bienfaitrice qui crut en son génie. Judith savait assez de musique pour la noter au besoin. C'est ainsi qu'elle communiqua à Fernand Clerget, qui la reproduisit dans sa biographie de Villiers de l'Isle-Adam, la mélodie créée par ce dernier sur la Mort des amants de Baudelaire. Notons au passage que Judith et Villiers avaient projeté d'écrire, en
collaboration,un roman par lettres qui tourna court presque aussitôt du fait de « la nature de Villiers, si capricieuse et si impatiente de toute contrainte », écrira Judith, en avril 1893, dans le Mercure de France. Coppée a tracé une image saisissante de Villiers, habité par l'inspiration musicale. La scène se passe, en 1865, chez Catulle Mendès, dans son appartement de garçon, rue de Douai, au milieu d'une foule de jeunes écrivains. « ... Tout à coup un jeune homme aux yeux bleu pâle, aux jambes vacillantes, mâchonnant une cigarette, rejetant d'un geste de tête sa chevelure en désordre et tortillant sa petite moustache blonde, entre d'un air égaré, distribue des poignées de main distraites, voit le piano ouvert, s'y assied et, crispant ses doigts sur le clavier, chante, d'une voix qui tremble mais dont aucun de nous n'oublierajamais l'accent tragique et profond, une mélodie qu'il vient d'improviser dans la rue, une vague et mystérieuse mélopée qui accompagne, en en doublant l'impression troublante, le beau sonnet de Charles Baudelaire: «Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères, / Des divans profonds comme des tombeaux, etc.» Puis, quand tout le
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monde est sous le charme, le chanteur, bredouillant les dernières notes de sa mélodie ou s'interrompant brusquement, se lève, s'éloigne du piano, va comme pour se cacher dans un coin de la chambre et, roulant une autre cigarette, jette sur l'auditoire stupéfait un regard méfiant et circulaire... (Souvenirsd'un Parisien.) De Judith, compositeur, nous ne connaissons, outre l'accompagnement des Poèmes de jade, que deux morceaux: Caresse, valse lente (Devambez, 1905), et les Cygnes sauvages, chez le même graveur, sur un texte de la poétesse chinoise Ly-y Hane, déjà paru dans le Livre de jade (avec quelques variantes dues aux nécessités pro sodiques ): «Le vent souffle avant l'aube sur les treillis de ma fenêtre; / Il interrompt et emporte mon rêve... / Sur le crêpe de ma robe j'ai gardé la pluie de mes larmes. / D'une chiquenaude je chasse ces gouttes amères vers les cygnes du fleuve! / Les beaux cygnes du fleuve pour qu'ils les emportent là-bas! » - «Vous savez, dit un jour Mme Gautier au chroniqueur Amédée Boyer venu l'interroger, que je me suis consacrée à la musique autant qu'à la littérature... » Après avoir énergiquement condamné le modernisme de Louise, "roman musical" de Gustave Charpentier qui connaissait alors un triomphe à l'Opéra-Comique, elle lui parle des Musiques bizarres à l'Exposition de 1900, ouvrage tout nouvellement paru chez Ollendorf et Enoch, sous une couverture en couleurs de Jeanniot, introduction et paroles de Judith Gautier, musique transcrite par Benedictus. «Monsieur Benedictus, précise Judith dans ses commentaires, qui déjà en 1889 publia avec un si grand succès le premier recueil des Musiques bizarres, a réalisé ce tour de force de saisir au vol l'insaisissable musique qui n'est jamais écrite, de la fixer et d'en rendre à merveille le charme enveloppant, l'harmonie cristalline et comme mouillée.» Les textes de Judith, analysant et commentant les musiques égyptienne, malgache, indo-chinoise, javanaise, chinoise, sont abondants, parfois assez techniques. Au passage, de bien jolis croquis de la fameuse actrice japonaise Sada Yacco dans la Ghesha et le Chevalier (ce drame, dans la traduction de Judith, sera représenté en 1901 au théâtre des Mathurins et recueilli dans ses Paifums de la pagode), de Cléo de Mérode à "la jolie silhouette de guêpe d'or", de "l'exquise Loïe Fuller, fleur du feu, reine du prisme", etc. Les transcriptions musicales de Benedictus ne recueillirent pas que des éloges. Bornons-nous à citer Paul Dukas (Écrits sur la musique, Paris, S.E.F.I., 1948): "Si peu bizarres", en réalité, ces musiques orientales? On pourrait croire que «tous ces Madécasses, ces Chinois, ces Égyptiens ont étudié le traité de Reber.» En revanche, les notices descriptives de Mme Gautier reçoivent son approbation: «Elles sont poétiques, documentées sans pédantisme, et révèlent, malgré leur tour familier, l'écrivain de grand style qui les a signées.» Dans Appels d'Orphée, André Cœuroy consacre tout un chapitre au "roman wagnérien" français. Avant de parler de l'influence wagnérienne sur les poètes symbolistes et les écrivains naturalistes, il cite entre autres Gautier et Nerval, Villiers de L'Isle-Adam, Péladan, Catulle Mendès et Champfleury, et Baudelaire, ..., parents, amis, relations de Judith. De quel œil navré, courroucé, eût-elle lu cette conclusion pessimiste du musicographe, en 1928 : «Sur la planche où sont rangées les vieilles lunes silencieuses, énorme et pâle a pris son rang la vieille lune de Wagner », elle qui déclarait à Boyer à la fin de son interview: « Oser mettre des revendeuses de quatre-saisons dans un opéra-comique, c'est galvauder la musique. Il est vrai que nos compositeurs actuels ne sont que des pygmées
à côté du grandWagner.Ah !Wagner... » Déclarationexagéréepeut-être dans la forme que lui donna Boyer, mais... seulement exagérée! «Les passions musicales, écrit Henry Roujon, ont été de tout temps, ainsi qu'il convient à des passions, d'une superbe
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injustice.» Dans sa jeunesse, disciple aveuglément soumise à son gourou, Judith n'osait encore se fier à son propre goût, ce qui nous vaut cet amusant passage du Troisième Rang du collier. Elle interroge Wagner « à propos de Mendelssohn: les œuvres de Mendelssohn exerçaient sur moi une séduction qui durait malgré mon exclusivisme wagnérien, ce dont j'avais un peu honte. » Réponse du maître: «Mendelssohn est un grand paysagiste et sa palette est d'une richesse sans pareille. Personne comme lui ne transpose en musique la beauté extérieure des choses. La Grotte de Fingal, entre autres, est un tableau admirable. Il est savant, consciencieux et habile. Pourtant il n'arrive pas, malgré tous ces dons, à nous émouvoir jusqu'au fond de l'âme: on dirait qu'il ne peint que l'apparence du sentiment et non le sentiment lui-même... » Peu soucieuse de passer pour une femme à la page, totalement dépourvue de ce snobisme debussyste si cruellement dénoncé par l'ami Lorrain dans les Pelléastres (1910), Judith demeura fidèle à son amour de jeunesse, laissant à d'autres -la comtesse de Mercy-Argenteau, la comtesse Greffulhe, la princesse de Polignac, Misia Sert, Coco Chanel, Ida Rubinstein, par exemple, mécènes fortunées parmi les plus agissantes - l'honneur d'épauler les compositeurs révolutionnaires des temps nouveaux. Néanmoins, elle se laissa séduire par la modernité de la musique enregistrée qui bouleversa à jamais les rapports entre professionnels et dilettantes. Rappelons que, huit mois avant l'Américain Thomas Edison et son projet de "phonographe", Charles Cros avait déposé une demande de projet pour le "paléophone" à cylindres. Étonnant Charles Cros! Frère cadet de l'inventif verrier et céramiste Henri Cros, il naquit en 1842 à Fabrezan dans l'Aude, mourut à Paris en 1888 ; le cimetière Montparnasse abrite ses cendres. Que ne fut-il pas, ce Charles Cros? Philosophe, physicien, chimiste, orientaliste - il apprit l'hébreu et le sanscrit -, grand ami des impressionnistes, en relation avec tous les cénacles artistiques et littéraires de la capitale, zutiste, célébrité du Chat-Noir, inventeur du monologue de salon, genre bien particulier dans lequel excella Coquelin Cadet, ce «grand garçon blond, [...], aux lèvres gourmandes, aux petits yeux bleus pleins de malice, au nez sensuel, nez de renifleur et d'écornifleur. Il avait beaucoup de succès auprès des femmes; c'est le privilège des comiques. » (Maurice Donnay, Mes débuts à Paris.) Sa réputation d'humoriste - dans la lignée de Jules Renard et de Jarry - nuisit à sa renommée. On se souvient toujours du
fameux Hareng saur: «Il était un grand mur blanc / Nu, nu, nu / Contre le mur une échelle / Haute, haute, haute / Et par terre un hareng saur / Sec, sec, sec... »; Cabaner mit le poème en musique et Charles Cros le chanta en 1879 au Club des Hydropathes : «J'ai composé cette histoire / Simple, simple, simple / Pour mettre en fureur les gens / Graves, graves, graves, / Et amuser les enfants / Petits, petits, petits.» Et l'on aurait tendance à mésestimer son poétique Coffret de santal (1873) dédié à Nina de Villard dont il fut l'amant avant d'être supplanté dans les faveurs de la dame par le peintre Franc Lamy. Nous savons par le journal intime de Suzanne Meyer que Judith s'amusa à enregistrer de sa propre musique - ces valses, peut-être, que Émile Vedel l'entendit un jour improviser au piano? - sur des rouleaux de cire qu'elle offrit à la duchesse de Rohan. Ne quittons pas les frères Cros aux multiples talents sans préciser qu'ils étaient trois: Charles, Henri, déjà nommés, et Antoine. Dans Souvenirs d'un Parisien, Coppée évoque «le docteur Antoine Cros, médecin et poète, qui persécutait tout le monde avec le plessimètre de Piorry, et le statuaire Henri Cros, l'auteur des belles cires polychromes. "Antoine ausculte et Henri sculpte", disait un triolet de Valade. » Cet Antoine, adepte convaincu des avantages de la percussion médicale, hérita d'un titre ronflant et burlesque, puisqu'il devint le troisième roi
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de Patagonie, succédant à Aquilès 1er - un certain Laviard - lui-même héritier d'Antoine Tounens, devenu en 1860, motu proprio et "par la grâce de Dieu", Orélie-Antoine 1er, roi d'Auricanie et de Patagonie, avoué périgourdin mort dans l'indigence en son village natal de Tourtoirac (Dordogne) après avoir vécu d'invraisemblables aventures au Chili où il se rendit plusieurs fois et où il tâta de la prison. Dans sa préface au Voyage en Patagonie du comte Henry de La Vaulx (1901), Heredia relate ses rencontres, vers 1863, avec l'extravagant utopiste dans les bureaux de la Revue française: «olympien, fatal et barbu, [...] éloquent et barbare. [...] C'était un grand hâbleur et, à vrai dire, un Gascon truffé. [...] Il nous étonna et nous divertit. [...] Me sachant poète lyrique, il me promit le gouvernement de la Terre de Feu qu'il devait conquérir. » Le Second Rang du collier, p. 107, 113, 115, 187, 199. LA ROUNAT, Charles Rouvenat de (1818-1884). Connu pour sa collaboration, entre autres journaux, à la Revue de Paris, un roman, la Comédie de l'amour, de nombreux vaudevilles. Il signa de connivence avec Gautier la Négresse et le Pacha, cette parade imaginée pour mettre en valeur les talents clownesques de Maria Martinez. La Rounat, alors co-directeur de l'Odéon avec Paul Porel-Ie mari de Réjane de 1893 à 1905 -, accueille un jour Bergerat venu lui soumettre le manuscrit de l'une de ses pièces: «Il est impossible que l'homme à qui Théophile Gautier a confié l'une de ses filles soit une sacrée foutue bête! » C'était le Nom et ce fut un four, ni le premier ni le dernier. Aimée Tessandier, la brune et volcanique actrice girondine qui fut, en 1885, treize ans après Mme Fargueil créatrice du rôle, une inoubliable Rose Mamaï dans l'Arlésienne de Daudet (musique de scène et chœurs de Bizet), parle de M. de La Rounat dans ses Souvenirs: «Homme poli, fin, bon garçon, [il] n'avait point, de son propre aveu, de plus agréable plaisir que de se mêler à nous au foyer, de plaisanter, de badiner. [...] Et l'un de ses constants efforts fut de maintenir une aussi parfaite harmonie. [...] Entre Porel et La Rounat, la vie à l'Odéon était un Paradis. Ah ! comme on y a travaillé de bon cœur, avec bonne humeur dans cet Odéon de jadis!» Avec bonheur, dit-elle encore, «je retrouve les noms de trois personnes adorables: Mme Judith Gautier, Alphonse Daudet et François Coppée. [Elle joua le Passant de ce dernier, avec Sarah Bernhardt, pour une soirée à son bénéfice.] Ce fut lors des représentations de cette exquise japonaiserie qu'est la Marchande de sourires que je connus Judith Gautier. Quand j'évoque ce nom, tout sourit aussitôt en moi.» Tessandier incarnait Cœur-de-Rubis, la courtisane démoniaque. Elle fait œ Judith un portrait bien différent ~ ceux qui la dépeignent peu loquace, froide, distante, ennuyée. Parmi les femmes-auteursquej'eus l'occasion de fréquenterun peu, Mme Judith Gautier est, avec Mmes Daniel Lesueuret Séverine, l'une de celles qui m'ont laissé le souvenir le plus charmé. Je croyais qu'une femme de lettres devait être forcémentune femme savante, visant "À citer les auteurs, à dire de grands mots / Et clouer de l'esprit à ses moindres propos." Eh bien, pas du tout! Pas le moindre pédantisme de sa part. Au contraire, je la sentais pleine de naturel, de tact, aimant à parler de riens, à bavarder comme toutes les autres femmes. Que de fois elle me fit raconter les débuts de ma vie! Comme cela l'intéressait! Possédant d'innombrables souvenirs elle-même, elle excellait à provoquer les souvenirs d'autrui. Et elle avait un art d'écouter! Elle s'apitoyait,riait, prenait tant de part aux récits qu'on eût dit qu'elle les vivait. Cela devenait un plaisir de parler devant elle
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plaisir qui n'est surpassé que par
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celui de l'entendre causer à son tour. Elle apporte, en effet, dans ses moindres propos, toute la fraîcheur, toute la grâce, toute la tendresse de son âme; nos conversations devenaient d'émouvants et jolis voyages aux mille haltes à travers le passé ou vers l'avenir... Cette Marchande de sourires, en cinq actes et deux parties, avec musique de scène par Benedictus, qui « demeure inscrite, notera Bergerat, dans le livre d'or des centièmes », avait été montée avec beaucoup de goût et de somptuosité par Porel et créée le samedi 21 avril 1888. L'ayant adaptée du chinois - nous en reconnaissons l'intrigue dans le conte de Ro-IanTan longuement analysé dans les Peuples étranges - et transposée dans un milieu nippon, Judith avait auparavant confié à ses marionnettes, sur la scène de son Petit Théâtre, à SaintÉnogat, le soin de tester l'impact scénique de cette œuvre touffue. Jules Lemaitre en fit une critique des plus favorables: «Madame Judith Gautier, une sincère artiste qui porte un grand nom et pour qui "le monde sensible existe" presque autant qu'il exista pour son illustre père, a gardé, du Théâtre japonais dans sa Marchande de sourires, la simplicité, la violence, la férocité des sentiments et des passions, le romanesque naïf des aventures et la poésie pittoresque des détails; elle y a ajouté, étant de bonne race latine, de la clarté, de la noblesse, et aussi le sentiment de la mesure et l'art de la composition.» (Impressions de théâtre.) Les formes généreusement convexes de Judith inspirèrent au jeune Cappiello une œ ses premières caricatures. Dans la Vie parisienne du 9 février 1907, il montrait la directrice du Petit Théâtre, énorme dans une sorte de peignoir, le profil ovin, une de ses figurines asiatiques en main, «cherchant un nouveau sujet de comédie dans sa collection». Cet Italien de naissance, français d'adoption, rénovateur de l'affiche publicitaire après Chéret, "croqua" inlassablement pendant plus de quarante ans les personnalités parisiennes en vue, notamment théâtrales. Yvette Guilbert, Jeanne Granier, la grande Sarah, Polaire, Mistinguett, excitèrent tour à tour sa verve satirique. On le craignait un peu, mais il était
sans méchanceté. Litvinne : « Un jour, je dis au maître Cappiello: Je n'ai pas encore eu ma caricature... j'avoue que j'ai très peur! - Il me répondit: "Je ne peux pas vous caricaturer après vous avoir vue dans Alceste." » Il habitait 73 bis, avenue Niel, avec sa femme, d'une éclatante beauté; née Meyer, elle était la sœur de Mme Paul Adam qui entra en religion après son veuvage, et de Mme Lucien Mühlfeld, devenue Mme Pierre Blanchenayen 1925, à la fois encensée et férocement brocardée, dont tout le gratin littéraire fréquenta assidûment le salon pendant l'entre-deux-guerres. C'est Forain, le cruel dessinateur, Forain qui avait lancé ce surnom approprié au physique de la dame - visage ravissant, buste sculptural, coxalgie: "la Belle Otarie" ; Catherine Pozzi, sans indulgence pour l'activité souvent indiscrète de Mme Mühlfeld, préférait "Oie-Soleil" ; les nombreuses amies étaient enchantées! Le Second Rang du collier, p. 165. LA VALLIÈRE. Françoise-Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière, est née à Tours le 6 août 1644, décédée à Paris le 6 juin 1710 au Carmel de la rue SaintJacques où elle avait pris le voile en juin 1674, supplantée peu à peu par la Montespan dans le cœur de Louis XIV après lui avoir donné quatre enfants - deux seulement survécurent à leur bas âge - légitimés par le roi. Douce, charmante, pathétique La Vallière, qui tenta plusieurs fois le pinceau de Mignard! Dans ses Souvenirs de la vie frivole, Abel Hermant s'étonne de la singulière façon qu'on avait encore de tout cacher aux enfants: «Il y avait
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comme cela, environ la fin du Second Empire, une foule de choses sans le moindre intérêt et sans aucune conséquence possible, bonne ou mauvaise, desquelles on faisait mystère aux enfants parce que, disait-on, elles ne les regardaient pas.» Mais ce mystère, lorsqu'il s'agissait de choses importantes, ne pouvait avoir que des répercussions traumatisantes. « Je fus prise en traître », écrit Judith à propos de sa transplantation brutale au couvent. Prenant d'ailleurs bientôt pleine conscience de la faiblesse du caractère paternel asservie aux diktats de la famille Grisi, elle nourrit en son cœur une rancune tenace à l'encontre de ses parents. C'est sans doute à la rentrée de 1852-1853 qu'on coffra ce sauvageon chez les Dames de la Miséricorde, ce pourquoi il avait fallu penser à ce tardif baptême qu'on leur administra - à elle et à sa sœur - de façon inopinée sans autre explication et, apparemment, sans grande préparation catéchistique. Un peu moins de deux ans plus tard, on retire Judith du couvent aussi soudainement qu'on l'y avait déposée. Récapitulons quelques-unes des surprises qui ponctuent déjà cette jeune existence! Séparation d'avec Damon, sa nourrice adorée, "catastrophe [...] subite et cruelle, [. ..] trait de foudre dans une nuit noire". Rue Rougemont, découverte de sa sœur Estelle: «On ne m'avait jamais parlé d'elle [...] et je ne savais pas que j'avais une sœur. Elle ne s'en doutait probablement pas plus que moi et me regardait d'un air extrêmement surpris... » Imaginons aussi ce que put penser, de quelle frustration eut à souffrir la jeune Estelle, jusqu'alors la petite reine du foyer, l'unique objet des attentions de ses père et mère, confrontée à cette aînée dominatrice surgie de nulle part! Pendant toute leur adolescence commune, la mélancolie d'Estelle s'alimentera à un douloureux sentiment d'infériorité. Après la révélation d'une sœur, voici, sans plus de préliminaires, la révélation d'un grand frère qui n'était pas le fils de leur mère: «On ne nous avait jamais parlé de lui...» Limogeage de l'institutrice: «On ne nous explique rien.» Déménagement de la rue de la Grange-Batelière vers Neuilly: «Nous ne savions pas où nous allions... » Demande en mariage de Mohsin- Khan: «Un mystère planait sur cette démarche. Je ne m'expliquais pas pourquoi on ne m'en disait rien...» Ou du secret érigé en méthode éducative! Le Collier des jours, p. 157, 274. LA VOIX, Michel-Henri (1820-1892). Ce charmant érudit, passionné de musique jusqu'aux larmes, assidu au Théâtre-Italien, épris d'art musulman, amoureux des landes bretonnes fleuries de bruyère rose, fut conservateur des médailles à la Bibliothèque Impériale, lecteur au Théâtre-Français, collaborateur du Journal asiatique et de plusieurs organes de presse. Grand ami d'Alexandre Dumas fils, il fut témoin à son mariage, le 31 décembre 1864, avec Nadejda Knorring, veuve du prince Alexandre Naryschkine. D'après
Goncourt,il était l'ambassadeurintime, « chargé d'affairespour les missions secrètes» de la princesse Mathilde. À Saint-Gratien, en juin 1882, chez la princesse avec laquelle elle voisinait en Seine-et-Oise, étant propriétaire du château d'Accosta, la comtesse de Beaulaincourt dîne avec quelques invités et M. Lavoix, « vieux bonhomme fort aimable», écrit-elle à la duchesse de Talleyrand, ajoutant: « Cette maison de la princesse Mathilde est aussi l'une des dernières où l'on aura causé. La politique y est interdite et les puérilités modernes en sont écartées; le train est fort simple...» Cette Mme de BeaulaincourtMarIes, née en 1818, marquise de Contades à dix-huit ans avant son remariage, veuve, en 1859, avait gaiement rôti le balai dans son jeune temps. Le comte Fleury, par exemple -
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élégant, mondain, prodigue, officier de spahis avant de devenir l'aide de camp de Napoléon III et le président du Cercle Impérial - ou encore le marquis de Coislin - celui-là la pourvut indiscrètement d'un fils qu'elle reconnut et éleva dans ses jupons en dépit des réactions scandalisées du Faubourg Saint-Germain - pouvaient témoigner de son hospitalité libérale. Consultée par Mlle de Montijo, future impératrice, sur un point litigieux de casuistique amoureuse, Mme de Beaulaincourt résumait en une formule lapidaire son aimable philosophie: «Mieux vaut un remords qu'un regret. » À Paris, 12, rue de Miromesnil, cette dame spirituelle, diserte, libre de propos, recevait la Cour et la Ville. Mérimée échangea avec elle une correspondance captivante. Proust, qui la connut à la fin de sa vie, mettait à contribution avec délices sa mémoire sans défaillances; George Painter consacre deux pages à Mme de Beaulaincourt, principal modèle de Proust pour la Madame de Villeparisis de la Recherche... «Elle observait, note-t-il, la carrière de Boni, son petitneveu, d'un œil sardonique: "On a l'impression d'être dans un aquarium de marbre rouge, avec des poissons d'or pour laquais", disait-elle après une visite au Palais Rose de l'avenue du Bois, "et il faut voir Boni et sa femme monter leur grandiose escalier, avec des plumes de paon piquées dans leur derrière! " » La richissime et plutôt vilaine Anna Gould, fille d'un magnat du chemin de fer - il périt dans un duel à la locomotive contre l'un de ses rivaux -, l'impérieuse Américaine qui s'était payé pour mari, le 4 avril 1895, ce ravissant aristocrate français au blason dédoré, le comte Boniface de Castellane, n'avait guère de chances, sans doute, de séduire cette vieille parente goguenarde. Mme de Beaulaincourt, en effet, était ellemême une Castellane, née du futur maréchal de ce nom et de Cordelia Greffulhe, célèbre par ses liaisons coupables avec le comte Molé, avec le vicomte de Chateaubriand. .. L'excentricité du maréchal de Castellane, engagé à seize ans, vétéran de toutes les grandes batailles du Premier Empire, était aussi notoire que l'inconduite de son épouse. On prétendait, rapporte le général Du Barail, qu'il chérissait tellement l'uniforme et les hochets de la gloire militaire «qu'il couchait avec son bâton de maréchal »... ce qui fait penser à Guizot, Guizot le Doctrinaire, le sévère Guizot; sa vénération pour son Grand Cordon De La Légion D'Honneur l'incitait à ne le quitter que dans des occasions hors du commun; un matin on retrouva le Grand Cordon dans le lit de la princesse de Lieven, cette bonne amie de Mettemich. Des nombreuses anecdotes qui coururent sur le fantasque Castellane, militaire "fana", galant homme, ami des plaisirs terrestres, retenons celle-ci: «On raconte que le maréchal de Castellane, alors colonel [de hussards], passant devant le vignoble de ClosVougeot, fit porter les armes à sa troupe.» (Arthur Meyer, Ce que mes yeux ont vu.) Le Journal (1804-1862) du maréchal (cinq volumes, Paris 1895-1897) fut publié par les soins de sa fille Sophie, comtesse de Beaulaincourt. Celle-ci avait deux frères, Henri et Pierre. Henri de Castellane épousera Pauline, fille de la duchesse de Dino. Pierre, lui, s'amourachera déraisonnablement de Marie Duplessis, entrant ainsi en rivalité directe avec son beau-frère Contades, Henri de Contades, le premier mari de Sophie... «On ne sait, se demande Micheline Boudet qui a raconté d'une plume légère la Véritable Histoire de la Dame aux camélias, si, pompeux et gourmé, le [futur] maréchal de Castellane a trouvé glorieux de voir
l'un de ses fils et son gendre soumis à la plus célèbre hétaïre de son temps. » Le Second Rang du collier, p. 29-33.
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Légende des siècles (la).« J'eus un rêve: le mur des siècles m'apparut...» La première série en deux volumes, sous-titrée « Histoire - Les Petites Épopées », parut chez Hetzel dans les tout derniers jours de septembre 1859. À propos de la mémoire phénoménale de Gautier - sur n'importe quel sujet, art, histoire, linguistique, géographie, anatomie..., ses amis disaient: « Il n'y a qu'à feuilleter Théo! » - Du Camp raconte: Le jour où furent publiés les deux premiers volumes de la Légende des siècles, je dînais en sa compagnie dans une maison tierce; nous étions là plusieurs lettrés, tous alliés, de plus ou moins près, à la tribu romantique, admirant Victor Hugo et comptant bien trouver dans la nouvelle œuvre un régal des plus savoureux. [...] On ne parla que du talent d'Hugo, qui semblait se transfigurer et ajouter à sa poésie des formes plus belles encore, plus imprévues et plus fortes. [...] Gautier nous dit : "Il faut passer aux preuves; je vais vous dire les Lions." Et, de cette voix blanche, sans inflexion, monocorde pour ainsi dire, les yeux fixes, comme s'il lisait de loin dans un livre visible pour lui seul, il récita les cent cinquante-huit vers de la pièce, ne se reprenant pas une fois, n'hésitant jamais et ne se trompant pas d'une syllabe. Nous étions étonnés; on lui dit: 'Tu as donc appris cela par cœur?" il riposta: "Non, je l'ai lu ce matin, en déjeunant." (Théophile Gautier.) Le 29 avril 1868, Victor Hugo écrit à son thuriféraire: «Cher Théophile, je viens de lire vos pages magnifiques sur la Légende des siècles. J'en suis plus qu'ému, j'en suis attendri. Les douces voix arrivent encore dans ma solitude. Notre jeune affection est une vieille amitié. [...] Comme poète, vous êtes une voix de l'idéal; comme critique, vous êtes une voix de la gloire. [...] Où votre critique sème sa parole, le laurier pousse.» Étudiant les
règles de la mécanique poétique « dont toute la science se trouve réunie en un seul livre "La Légende des Siècles" de Victor Hugo, qui doit être la Bible et l'Évangile de tout versificateur français» (Petit traité de la poésie française), Banville, le "divin Banville" comme disait Mallarmé, portait lui aussi au pinacle le poète de Booz endormi. Il termine par cet envoi sans ambiguïté sa Ballade à Victor Hugo, père de tous les rimeurs : «Gautier parmi ces joailliers / Est prince, et Leconte de Lisle / Forge l'or dans ses ateliers; / Mais le père est là-bas, dans l'île.» Toujours magnifique, le grand pontife lui asséna un jour ce los suprême: « Les plus beaux vers que j'ai faits, mon cher Banville, c'est chez vous que je les ai appris. » Remy de Gourmont n'hésita point, dans ses Promenades littéraires, à chagriner les hugolâtres à tous crins: « L'idée de la Légende des siècles appartient à Leconte de Lisle. Et non pas seulement l'idée, car les Poèmes Antiques et les Poèmes Barbares, s'ils ne servirent pas de modèle, servirent de guide à Victor Hugo. En toutes ses œuvres, Hugo eut des initiateurs; il n'a guère créé que sa langue; il n'invente pas, il reprend et refait: Vigny lui inspire son théâtre; Lamartine, ses poésies intimes; Eugène Sue, ses romans sociaux; Leconte de Lisle, enfin, son épopée fragmentaire, la Légende des siècles. » Émile Faguet, qui fut, corroborant le jugement d'Edmond Scherer, si cruel pour Théophile Gautier: « Il périra, je crois, tout entier », ne professe pas, semble-t-il, sur Victor Hugo une opinion très éloignée de celle de Gourmont: « Il est bon, il n'est nullement nécessaire qu'un poète ait des idées », et appuie fermement l'avis de Banville: «Quiconque veut étudier la rythmique française peut ne lire que La Fontaine et Hugo, et négliger tout le reste », d'ailleurs Hugo, «ne sachant pas être créateur d'âmes, [...] magnifique metteur en scène de lieux communs, dramaturge pittoresque, romancier descriptif, lyrique puissant, froid quelquefois, épique supérieur et merveilleux. » (Études littéraires sur le dix-neuvième siècle.) Dans les "Commérages" de Tybalt (1912), Laurent Tailhade fera entre Hugo
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"orateur" et Gautier "artiste" une comparaison défavorable au premier: «L'entassement de vocables, de noms propres qui, dans l'auteur des Contemplations, masque souvent une idée insignifiante ou banale, étonne la curiosité plus qu'il ne satisfait l'intelligence. Un plaisant a pu dire avec quelque raison que la Légende des Siècles est le Bottin de la mythologie comparée. » D'une lettre signée Mennessier-Nodier dont Mme Gaveau - arrière-petite-nièce de Vacquerie par la sœur de celui-ci, Mme E. Lefèvre - a bien voulu nous donner connaissance, il appert que, de toutes les œuvres de Victor Hugo, la Légende des siècles avait la préférence de son vieil ami Théophile Gautier. À Croisset, Flaubert, toujours résonnant au verbe hugolien, rugit de bonheur: «Quel homme que le père Hugo! Sacré nom de Dieu, quel poète! Je viens, d'un trait, d'avaler les deux volumes. [...] J'ai besoin de gueuler trois mille vers comme on n'en a jamais fait. [...] Le père Hugo m'a mis la boule à l'envers. Quel immense bonhomme!... » (Lettre à Feydeau.) Le Second Rang du collier, p. 51, 125. LELEUX, Adolphe (1812-1891), peintre de genre, extrêmement fécond. Dans les années 1833-1834, il fut l'un de ces joyeux drilles qui décorèrent le salon Pompadour de Camille Rogier, impasse du Doyenné, où étaient venus habiter aussi Gérard de Nerval, Arsène Houssaye et Théophile Gautier. Celui-ci ne manque pas de signaler avec éloge les envois de Leleux au Salon à partir de 1837. Dans la Presse du 3 avril 1846, il écrivait: «Un amour sincère de la nature, une franchise à toute épreuve, une recherche du vrai, quel qu'il soit, tels sont les signes distinctifs du talent de M. Adolphe Leleux: sa peinture est saine, forte, solide, douée de toutes les simples et rudes qualités du paysan: jamais personne ne fut moins académique et d'une originalité plus vierge. [...] À dater de son premier tableau, notre peintre n'a pas dévié d'une ligne de la route qu'il s'était tracée, et sur laquelle on ne court pas le risque de s'égarer. - Il s'est adonné à la représentation des types rustiques et s'est fait le Léopold Robert de la Bretagne et des Pyrénées. [...] La vie champêtre [...] lui a fourni des thèmes en abondance et des costumes naïvement pittoresques... » Nous voyons le nom ~ Leleux associé à ceux d'Abraham, de Doré, de Jean-Paul Laurens, de Rosa Bonheur, etc., illustrateurs des Chansons choisies et Chansons légères de leur ami commun, Gustave Nadaud. Les Muletiers espagnols de Leleux furent mis en vente après la mort de Gautier, comme toute la collection de peintures qui ornaient les murs de la maison de Neuilly et tous les livres qui chargeaient les rayons de sa bibliothèque. C'est le 8 octobre 1831 que parut, dans le Mercure de France du dix-neuvième siècle, le premier article de critique d'art ~ Théophile Gautier: « Buste de Victor Hugo ». La France littéraire de Charles Malo publia son premier "Salon" en mars 1833, et le Bien Public son dernier "Salon", inachevé pour cause de maladie, en quatre feuilletons du 28 mai au 17 juin 1872. Pendant les quarante années qui séparent ces deux dates extrêmes, Gautier collabora à une foule de publications stables ou éphémères, abattit dans cette spécialité - «La critique, dit-il, est une espèce ~ cicerone, qui vous prend par la main et vous guide à travers un pays que vous ne connaissez pas encore» - une besogne titanesque. Une partie seulement de ses articles ont été brochés en volumes de son vivant, d'autres collationnés et publiés à titre posthume; beaucoup sont quasi introuvables de nos jours; espérons que la réédition de ces volumes permettra aux amis de Gautier un accès plus facile à son œuvre. La capacité de Gautier critique d'art, fortement mise en doute par les générations postérieures, ne fut nullement méconnue en son
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temps. Président de la Société Nationale des Beaux-Arts en 1863, vice-président du Jury de peinture aux Salons des années 1864, 1865, 1866, 1868 et 1869, il fut nommé en 1870 membre du Conseil supérieur de l'enseignement des Beaux-Arts. Disons quelques mots des tribulations géographiques souffertes par le Salon au XIXe siècle. Avant la chute de LouisPhilippe, «les artistes étaient admis à recevoir dans les salles du Louvre l'hospitalité du souverain. Chaque année, six mois avant la date de l'inauguration officielle, le Salon Carré et la Grande Galerie étaient fermés rigoureusement. Devant les tableaux des vieux maîtres, les charpentiers dressaient une muraille de planches, où s'accrochaient les toiles contemporaines. Ce système impratique et dangereux, dont le moindre vice était de priver le public pendant quatre mois de la jouissance des chefs-d'œuvre du passé, durait depuis plus d'un siècle. [...] Il fallut qu'une Révolution, en renversant une dynastie, rendît les Tuileries disponibles, pour que les artistes puissent avoir un toit. [...] Le Salon de 1849 trouva donc asile aux Tuileries. En 1850, 1851, 1852, on l'installa au Palais-Royal, dans des baraquements improvisés par l'architecte Chabrol. Mais, à partir de 1852, il fallut céder la place au roi Jérôme et à sa famille. Il fut décidé que le Salon de 1853 aurait lieu au Faubourg Poissonnière, dans l'ancien local des Menus Plaisirs, [...] dans les maisonnettes délabrées où avaient vécu Gossec et Méhul.» (Henri Roujon, Artistes et amis des arts.) Une exposition universelle internationale ayant été décidée pour l'année 1855, il n'y eut pas de Salon en 1854. En 1855 il se tint au Palais de l'Industrie, en 1867 au Champ-de-Mars. À côté du Salon officiel, le Salon des Refusés. Bisannuels de 1853 à 1863, les Salons sont redevenus annuels à partir de cette date. Le Grand Dictionnaire universel du X/Xe siècle (Larousse) n'a pas consacré moins de sept pleines colonnes à l'histoire agitée du Salon, depuis sa première édition sous Louis XIV en l'an de grâce 1667 jusqu'en 1875, ce Salon dont l'organisation sélective provoquait immanquablement les commentaires aigres-doux des journalistes et les récriminations furieuses des artistes déçus dans leurs espérances. L'accrochage plus ou moins favorable des toiles était un autre sujet d'irritation, chaque peintre ambitionnant pour lui-même les honneurs de la cimaise. Le Second Rang du collier, p. 33. LHOMME, Alphonse Jean Denis, né vers 1813, épousa le 24 avril 1845 ReineFélicité Courtet, dite Régina. Née à Paris le 12 janvier 1826, elle y décéda en avril 1886. Son mari, négociant en métaux pondéreux, l'avait précédée de vingt ans dans la tombe. Les pages consacrées par Judith à Mme Lhomme mettent en évidence les rapports privilégiés de tendre respect entretenus par Théo avec cette personne délicieuse, inspiratrice de la poésie d'Émaux et camées titrée "Camélia et pâquerette" : On admireles fleursde serre Qui loin de leur soleil natal, Comme des joyaux mis sous verre, Brillent sous un ciel de cristal. ........ À l'abri de murs diaphanes, De leur sein ouvrant le trésor, Comme de belles courtisanes, Elles se vendent à prix d'or.
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280 .......................... Mais souvent parmi l'herbe verte, Fuyant les yeux, fuyant les doigts, De silence et d'ombre couverte, Une fleur vit au fond des bois.
o.......... Sans toucher à son pur calice Qu'agite un frisson de pudeur, Vous respirez avec délice Son âme dans sa fraîche odeur.
Et tulipes au port superbe, Camélias si cher payés, Pour la petite fleur sous l'herbe, En un instant, sont oubliés! Hommage daté de Londres, juin 1849. Comme Judith elle-même, on a longtemps cru que Gautier et les Lhomme s'étaient rencontrés par hasard sur le City of London qui les transportaient vers l'Angleterre, en mai 1849, pour une visite de l'Exposition chinoise. Erreur! Reine Courtet avait dix-sept ans quand elle écrivait, au début de l'année 1843, de bien caressantes choses à ce séducteur déjà mûrissant. J'ai cru tout ce que vous m'avez dit ai-je eu tort? [...] Je suis jalouse vous seul devez savoir des penséesqui ne sont que pour vous. [22 janvier]. - Oh mon roi (puisqueje suis ta reine, n'es-tu pas roi ?) j'aime tes lettres, j'aime tes longs regards de velours, oh mon espagnol. [...] Adieu,j'ai bien peur de n'être plus de marbre pour bien longtemps. [23 janvier?] - Je suisjalouse du passé [...] prenez gardeje veux tout ou rien. Souvenez-vousde ces paroles elles exprimenttout ce queje veux et tout ce queje donne en échange. [...] malgré tous je t'aime je baise tes lèvres et je me souviens. [27 janvier]. - Mon Fortunio, je suis comme les petites fleurs bleues, plus je te vois plus je t'aime. [...] Ah! la douce chose que d'aimer, que d'être bercée dans tes bras des heures entières, que de sentir tes lèvres effleurer doucement les miennes, si doucement que c'est plutôt un souffle qu'un baiser... [13 février]. Très précisément dans le même temps qu'il cajole cette toute jeune amoureuse, Théo entame un flirt avec une mystérieuse Aimée C***, que l'on croit pouvoir identifier avec une Mme de Brabant dont on ignore tout, qui lui écrivait le 18 janvier 1843 après l'avoir rencontré au bal: «... Jamais ma coquetterie n'a été plus flattée que d'avoir attiré votre attention car vous l'avouerai-je, une des choses qui m'avait décidée à aller à cette soirée était l'espérance de vous y rencontrer... » Une semaine plus tard: «Ainsi toutes mes volontés sont les vôtres? Savez-vous que c'est une douce chose que le bonheur? [...] Puisque je ne puis vous voir tous les jours, il faut tous les jours que vous m'écriviez tel est mon bon plaisir, vous me trouvez royale j'aurai donc des exigences de reine mais si les reines demandent, elles donnent aussi. .. » Voilà un homme fort encombré de jupons, semble-t -il, ce qui ne l'empêche pas de faire la cour à la belle Alice Ozy, de la troupe des Variétés; elle cède à ses avances pendant l'été 1843 - ce qu'elle niera plus tard - et ne tiendra pas les prouesses viriles de Théo en grande estime, elle qui ne manquait pas d'éléments de comparaison: «C'était un cérébral », déclarait-elle un jour. Une solide amitié naîtra sans rancœur de leur expérience estivale. En novembre de cette même année 1843, Théo, décidément insatiable, s'en va rejoindre Ernesta Grisi à Rouen et entame avec elle une vie quasi conjugale qui ne prendra fin qu'en 1866 avec le mariage de Judith. N'oublions pas que
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de la sœur d'Emesta, Carlotta la fuyante sylphide, Théo est tombé amoureux dès son premier voyage à Londres en mars 1842. Et qu'Eugénie Fort a droit à tous les égards. Et que Marie Mattei va surgir à Londres, pendant ce séjour de juin 1849, bouleversant durablement notre volage. Théo, un pauvre diable couvert de femmes! De Constantinople, il écrira un jour à l'ami Cormenin: «J'ai mis mon cœur en plusieurs morceaux qui me tirent de tous les côtés... » Anne Ubersfeld commente: «On n'a jamais mieux dit la schize du cœur qui fait le malheur de Théophile. » - «Étrange Théophile, dit-elle ailleurs après avoir cité une jolie lettre de Victorine à son ex-amant, éveillant chez les femmes qui l'ont aimé si peu de rancune et un sentiment maternel vivace et persistant. Comme si l'on ne pouvait ni l'aimer passionnément ni le haïr, ni le tenir pour vraiment adulte et responsable... » Que se passa-t-il entre Théo et Reine Courtet devenue Mme Alphonse Lhomme? S'étaient-ils perdus de vue, retrouvés, jamais vraiment quittés? Mystère! En mai-juin 1849, ils voyagent donc ensemble et, à Londres, logent à la même adresse. De
Londres, le 18 (?) août 1851,Théo écrira à Régina : « ... je suis à cet hôtel Sablonière où nous avons passé de si heureux jours. Je suis tout près de la chambre que vous occupiez et j'ai revu le petit canapé de cuir noir dans lequel nous avons fait de si longues causeries et mangé tant d'oranges... » En cette fin de printemps 49, les Lhomme et Gautier auxquels s'est joint Gérard de Nerval heureux d'échapper au choléra qui sévit à Paris, sont accompagnés par le peintre Charles Landelle. Élève de Paul Delaroche et d'Ary Scheffer, il offrit à Théo, en remerciement d'élogieux articles dans la Presse, sa Jeune Mauresque et fit de lui deux portraits. L'un, daté du 14 juin 49, pour lequel Gautier posa de profil, coiffé de son fameux bonnet rouge orné d'un gland d'or, est reproduit dans le volume des Lettres de Marie Mattéi à Théophile Gautier et à Louis de Cormenin. Il était très beau à cette époque, notre Théo, et c'est encore très beau que le verra Auguste Clésinger en 1853, qui fit de lui un dessin au crayon noir rehaussé de rouge reproduit dans la biographie de Gautier par Anne Ubersfeld. Théo et Ernesta sont invités chez les Lhomme, dans leur propriété de l'Abbaye cr l'Eau, près de Chartres, où séjournera aussi l'ami Landelle. Le 8 janvier 1850, Régina met au monde un enfant de sexe masculin; le 19, Théo écrit à Alphonse: « ... une visite à Chartres malgré l'hiver ne m'effraie nullement [...] je me souviens très bien d'avoir promis de donner un prénom au petit ange qui se préparait pendant notre voyage et je tiendrai ma promesse qu'il soit fille ou garçon. » Le déplacement est repoussé de quelques mois. De Régina, hôtesse attentive, à Théo, le 20 juin: «. .. Je vais faire provision de tabac et de thé, - pendre le hamac, étaler des nattes. - Enfin tout ce qui vous est indispensable pour travailler sérieusement. Ici, pas de sonnettes, recueillement absolu... » Elle espère Nerval, qui ne viendra pas: « Pour l'ami Gérard, liberté entière comme sous la monarchie. Vive la république!... » Le 21, de Théo: «Chère Félicité, Je partirai lundi [...] et je resterai quelques jours avec vous après m'être livré à mes fonctions baptismales. [...] Je tâcherai malgré mon ignorance de ces sortes de choses de ne pas être un parrain trop ridicule... » Le 25 juin, le bébé reçut le double prénom de Théophile -Félix; il mourut au mois d'août. D'un commun accord, les spécialistes de Gautier pensent qu'il était le père géniteur de cet enfant; le XIXe siècle fournit de nombreux exemples de ces parrainages... hypocrites. L'escorbarderie trompa-t-elle le père officiel ou bien était-il averti et sagement résigné? Aucune trace visible d'animosité entre ces deux hommes, ils se retrouvent à Venise avec Régina durant l'été 1850. Les lettres connues de Théo à Mme Lhomme sont à peu près exemptes de ces gauloiseries dont il se plaisait à régaler telles personnes moins respectées et
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leur correspondance ne laisse rien deviner de leur longue... accointance. Pour le piquant contraste d'inspiration et d'écriture avec Camélia et pâquerette en hommage à Régina, voici trois quatrains dédiés par Théo à Ozy. Pentélique, paros, marbres neigeux de la Grèce, Dont Praxitèle a fait la chair de ses Vénus, Vos blancheurs suffisaient à des corps de déesse!... Noircissez, car Alice a montré ses seins nus! Sur la rose pompon de la bouche d'Alice Le jour vole un sourire, abeille au dard méchant; Le soir l'abeille fuit, et tendre et sans malice, La rose désarmée embaume le couchant. Herschell et Leverrier, ces dénicheurs d'étoiles, Cherchent des astres d'or au sombre azur des soirs; Mais moi, sur ton beau flanc que nuagent tes voiles, J'ai dans un ciel de lait trouvé deux astres noirs!
Le Second Rang du collier, p. 108-109, 111-113. LISZT, Franz (1811-1886). On fait beaucoup de musique dans les salons du XIXe siècle, de la pire parfois, de la meilleure le plus souvent, d'excellents amateurs s'y font entendre et l'on y reçoit avec empressement, moyennant de gros cachets, les virtuoses de passage. Il arrive aussi que l'on cherche à exploiter leur talent; c'est ainsi qu'en juin 1837, à SaintGratien, chez le marquis de Custine, on applaudit Chopin improvisant sur les thèmes proposés du Ranz des vaches et de la Marseillaise: « C'était sublime!» écrit Custine à Sophie Gay. Chopin finit par être excédé de l'indiscrétion de certains amphitryons au point
de répondreà l'un d'eux "de sa voix la plus étouffée" : « Ah! monsieur, je n'ai presque pas dîné. » Liszt, qui raconte l'anecdote dans son Chopin, reçut lui-même un compliment inattendu chez la princesse Mathilde, à la fin d'un récital improvisé. Parmi l'auditoire enthousiasmé, Eugène Labiche, connu pour son exécration du piano, «se tenait coi. Quelqu'un le poussa du coude et lui dit : "Voyons, voyons, vous avez l'air de bouder. Allez féliciter le maître! - Vous croyez? C'est qu'il est capable de recommencer. - Mais non! Mais non! Et puis cela fera plaisir à la princesse." Labiche se lève en soupirant, fend le cercle qui entourait Liszt encore assis devant le clavier et lui frappant sur l'épaule, de sa voix la plus aimable: "Eh, eh ! Vous devez être content, petit tapoteur." » Tout finit dans un rire général. (Gaston Jollivet, Souvenirs d'un Parisien.) Georges Clairin décrit l'abbé Liszt qu'il vit beaucoup à Rome, en 1869, dans l'atelier de Regnault alors occupé à peindre cette Salomé qui enthousiasma Gautier: «bien bâti, maigre, sec, un air de tzigane, un Méphistophélès hongrois. Une tête d'aigle, un nez en bec d'aigle, et des yeux d'aigle... Un homme délicieux et bizarre... fort indépendant de caractère; et nerveux, emballé. Du reste gai, bon enfant. » Clairin poursuit: «Dumas fils m'a raconté qu'étant jeune il rencontra Liszt à Marseille. Ils se lièrent d'amitié. Un soir, ils dînèrent ensemble, excellemment: la bouillabaisse, le champagne, etc. Ensuite, les voilà très en train. Ils se promenèrent, à la nuit tombée, par les rues marseillaises. Liszt se jucha sur les épaules de Dumas. Ils étaient fort grands, tous les deux. Superposés, ils faisaient un prodigieux géant. Leur jeu consista,
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ce soir-là, à enlever les écriteaux des "appartements à louer"... Liszt et Dumas!» Cela se passait en 1844 dans la vieille cité phocéenne où Joseph Autran, le poète, et Joseph Méry, "le fantasque et déconcertant Méry", animaient un plaisant milieu artiste égayé de jeunes beautés sociables. Liszt avait alors trente-deux ans. Il était né le 22 octobre 1811 à Raiding (Hongrie), fils d'Adam Liszt, intendant du prince Esterhazy, et d'Anna Laager, une jeune Autrichienne. Son père lui enseigna les rudiments de l'art musical. Pianiste précoce, il se produisit en public dès l'âge de neuf ans, fut à Vienne l'élève de Czerny pour le piano, de Salieri pour l'harmonie et la composition. Ambitionnant pour lui une catrière internationale, son père souhaitait le faire entrer au Conservatoire de Paris, mais Cherubini, l'Italien Cherubini se retrancha derrière le règlement qui refusait l'admission d'étrangers et Franz demanda des leçons à Paër et à Reicha tout en commençant une carrière de concertiste. En France, en Angleterre, en Suisse, il s'emploie à consolider sa réputation de virtuose; elle grandit avec sa renommée de séducteur. «Ton talent t'assure contre l'imprévu. Ton cœur est bon et tu ne manques pas d'intelligence. Toutefois je crains pour toi les femmes: elles troubleront ta vie et la domineront. » Ainsi avait prophétisé son père avant de rendre le dernier soupir à Boulogne, en août 1827. Après une chaste idylle avec Caroline de SaintCricq, son élève, qui épousa M. d' Artigaux par ukase paternel, un intermède voluptueux avec Adèle de La Prunarède et autres distractions mineures, Franz enleva, malgré les objurgations de l'abbé de Lamennais et au grand scandale de toute la société bien-pensante, la comtesse Charles d'Agoult, née Marie de Flavigny (1805-1876), en littérature Daniel Stern: «Vous n'êtes pas la femme qu'il me faut, vous êtes la femme que je veux. » Mme d'Agoult domina - si l'on peut dire - une large tranche de sa vie. De leur longue, romantique, orageuse liaison naquirent trois enfants: Blandine (1835-1862), Mme Émile Ollivier; Cosima (1837-1930), Mme Hans von Bülow, Mme Richard Wagner après son divorce; Daniel (1839-1859) - et trois romans à sensation: Béatrix ou les Amours forcés (1839) de Balzac; Horace (1841) de George Sand; Nélida de Daniel Stern, illustrant les étapes d'une amitié et d'une brouille célèbres avec le couple Sand-Chopin. La princesse Nicolas Sayn-Wittgenstein, Polonaise née Carolyne Ivanovska (1819-1887), très liée avec Delphine Potoçka, l'amie de Liszt et de Chopin, domina - si l'on peut dire - à partir de 1847 une autre tranche, la dernière, de la vie de l'illustrissime compositeur; elle ne survécut que sept mois à celui dont elle avait désespérément voulu faire son époux et mourut à Rome dans une studieuse retraite, "matriarche" d'une Église catholique qui mit d'ailleurs à l'Index une partie de ses innombrables ouvrages conçus dans la fumée des cierges et des cigares. Dans le même temps, des admiratrices incandescentes assiègent, assaillent et capturent allègrement un cœur qui ne demande qu'à s'affoler pour elles. Parmi les plus marquantes des favorites de Franz, citons la princesse de Belgiojoso, née Cristina Trivulzio, avant qu'elle n'abandonne sa cohorte de soupirants parisiens pour se consacrer corps et âme à la cause de l'unité italienne; - l'inconstante Marie Pleyel; - Lola Montès la volcanique, aventurière plus que danseuse, aimée de Louis 1er de Bavière, faite par lui comtesse de Lansfeld "pour services rendus à la Couronne", cette couronne qu'il fut à cause d'elle contraint de déposer; - une amie de Lola, la douce Marie Duplessis, si jeune disparue, ravissante "biche" du Boulevard, l'original de la Marguerite Gautier de Dumas fils (la Dame aux camélias) et de la Violetta de Verdi (la Traviata)... Cet Orphée qui marchait dans un vent de gloire subit pourtant et au moins une mortification. À Saint-Pétersbourg et à Moscou en 1843, il fit une cour pressante à Ève Hanska; elle lui résista, troublée
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cependant par sa bouche "séraphique... au suave contour"; peu accoutumé à la vertu féminine, il l'accusa de pruderie; Balzac trembla. Voici encore la comtesse Olga Janina, une Cosaque tumultueuse détenninée jusqu'aux simulacres de suicide; et la baronne Olga de Meyendorff, née princesse Gortschakoff, dite la Chatte Noire; bien d'autres sultanes en ordre successif ou simultané autour du maître adoré, à Weimar comme à Rome, à Budapest et autres lieux, et de féroces jalousies parmi les tendres disciples. Apaisant, Liszt disait: «Elles s'aiment en moi.» La princesse Carolyne, vieillie, laide, résignée depuis longtemps à toutes les trahisons, soupirait: «Cela gâtera votre biographie », et,
gentimentnarquois, Borodine se permettaitde l'appeler « ma vieille Vénus». Sans repentir efficient, le splendide papillon confessait: «Ma vie n'a été qu'un long égarement du sentiment de l'amour, singulièrement mené par la musique, l'art divin et satanique à la fois: plus que tous les autres, il nous induit en tentation.» Encore y fallait-il de l'appétit et une bonne santé. Pour une remarquable musicienne élève de Chopin, fort admirée de Rossini, amie de Musset, de Delacroix, l'inspiratrice de la Symphonie en blanc majeur de Gautier, "la cathédrale de l'Amour" de Heine, Liszt éprouva une profonde affection: Marie Kalergis, née comtesse Nesselrode, Mme de Moukhanoff en secondes noces. Victor Hugo
écrivait, en octobre 1850 : « Mme Kalergi [sic]est une belle Russe à la mode, blanche et gaie, grande comme un grenadier, avec des fossettes comme Mme de Pompadour, jouant du piano avec les plus belles mains du monde, ayant pour situation politique d'être amoureuse de Cavaignac, fille naturelle de M. de Nesselrode, femme d'un Grec condamné aux galères pour viol, passant pour espionne, recevant la meilleure compagnie de Paris. [. ..] Elle recherche fort les écrivains et les artistes.» (Choses vues.) Judith Gautier fit sa connaissance, en août 1869, à Munich où elle était venue en compagnie de son mari et de Villiers de l'Isle-Adam pour la générale de l'Or du Rhin, à laquelle assistaient également Saint-Saëns et Augusta Holmès. Elle l'entendit jouer un nocturne de Chopin et nota avec l'outrecuidance de la jeunesse: «Elle a certainement du talent, mais il me semble que, dans son jeu, elle exagère la fantaisie, l'abandon, le rubato enfin. » À cette même réception chez la comtesse de Schleinitz, Judith rencontra pour la première fois Liszt dont la longue soutane noire la "stupéfia" : «Quelle majesté tempérée de bienveillance... » écrira-t-elle dans le troisième volume de ses Souvenirs. Le chapitre est amusant; il décrit les regards assassins des dames présentes vers Judith qui monopolise l'attention du maestro auprès duquel elle plaide avec fougue la cause de Cosima, alors séparée de Bülow et vivant, à Tribschen, en concubinage avec Wagner. Liszt dit à Mme Mendès qu'il se souvient d'elle enfant. À cette époque, le virtuose était en butte à l'ironie des critiques pour ses poses théâtrales, ses gesticulations, ses effets exagérés, son amour des décorations, le fameux sabre enrichi de pierres précieuses offert par la noblesse hongroise: «Entre tous les guerriers, Liszt est seul sans reproches, / Car malgré son grand sabre, on sait que ce héros / N'a vaincu que des doubles-croches / Et tué que des pianos. » À quoi le bon Théo rétorquait: «Il nous semble qu'un artiste ne doit pas et ne peut pas avoir l'air d'un marchand de chandelles; ses goûts, ses mœurs, ses pensées impriment nécessairement à sa physionomie quelque chose de particulier... Il Y a aussi une autre manie non moins ennuyeuse, c'est de jouer d'un instrument quelconque, les bras collés au corps avec la face morte et des yeux de poisson cuit... » Depuis ces temps fracassants, l' homme avait connu des deuils, des amertumes, des déboires, il avait évolué vers plus de simplicité et la caricature due à la plume de Catulle Mendès, sous les traits de l'abbé Glinck, dans son
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roman le Roi vierge paru en 1881, semble bien outrée. Son inépuisable générosité lui valut, comme il est d'usage, beaucoup d'ingratitudes, et Berlioz ne fut pas le moins oublieux des services rendus, comme aussi Wagner à qui Liszt avait tant donné. « Tzigane et franciscain»,
se qualifiait -il. Croyant
fervent, de foi profonde,
ayant connu
dans sa
jeunesse des crises mystiques, il avait sollicité et reçu les ordres mineurs en 1865. Au fil des ans, le virtuose, le chef d'orchestre, le critique musical s'était effacé devant le compositeur de musique symphonique et de musique religieuse que l'on reconnaît désormais, après l'avoir longtemps méconnu, voire méprisé, comme l'un des plus novateurs de son siècle. Après leur rencontre à Munich, Liszt demeura en rapport avec la fille de Théo, témoin cette lettre de Juliette Drouet, en juin 1878: «Chère Madame Judith, M. Victor Hugo serait heureux que M. Liszt qu'il aime et qu'il admire depuis si longtemps vînt dîner avec lui demain samedi... » Elle le retrouva à Bayreuth en septembre 1881 ; en 1886, peu de temps avant sa mort, il lui offrit son portrait, dédicacé à «Judith Gautier, son très affectionné serviteur». Honoré de distinctions officielles tout au long de sa vie, commandeur de la Légion d'honneur, Liszt se déclarait flatté "à l'improviste" d'avoir été nommé, en juin 1881, membre correspondant de l'Institut de France. Il usa ses dernières forces, nomade invétéré, en voyages incessants sur les routes d'Europe et se trouvait à Bayreuth lorsqu'une pneumonie le terrassa en pleines messes wagnériennes qu'aucun événement ne devait troubler. .. Frau Wagner, la Grande Veuve, y veillait inexorablement. Il mourut le 31 juillet 1886 et fut porté en terre, sans pompe, sans musique, dans le cimetière de cette petite ville bavaroise. Sur sa pierre tombale, on grava les derniers mots qu'il avait prononcés à l'instant de rendre son âme à Dieu: «Ich weiss dass mein Erl6ser lebt - Je sais que mon Sauveur vit. » Le Second Rang du collier, p. 257. LIVRY, Emma Émarot, dite Emma (Paris 1842 - 1863). Marie Taglioni, l'étoile mythique du ballet romantique, l'inimitable Sylphide, inspectrice des classes et du service œ la danse à l'Opéra depuis l'été 1859, s'intéressa vivement à la toute jeune ballerine. Pour elle, elle régla, sur un argument de Vernoy de Saint-Georges et une partition d'Offenbach, le Papillon, représenté pour la première fois, devant l'Empereur, le 26 novembre 1860. Le goût exquis, la décence, la légèreté bondissante d'Emma Livry dans le rôle de Farfalla y firent merveille. Mme Taglioni avait le talent de son élève en telle estime qu'avant de regagner l'Italie, elle lui offrit son portrait, au bas duquel elle avait tracé cette ligne: «Faites-moi oublier, ne m'oubliez pas!» Le 15 novembre 1862, au cours d'une répétition générale de la Muette de Portici, opéra d'Auber (créé en 1828), à laquelle assistait Eugénie Fort, témoin de ce drame, le tutu de la malheureuse s'embrasa aux becs de gaz de la rampe. «En un instant, raconte Judith Gautier dans le Roman d'un grand chanteur, les flammes l'environnèrent et, folle de terreur, elle courait autour de la scène... Mario eut la présence d'esprit de prendre la pauvre enfant dans ses bras et d'essayer d'étouffer les flammes de ses mains. Son dévouement fut inutile.» Emma Livry, après des mois d'atroces souffrances, succomba à ses brûlures le 26 juillet 1863, mort déplorée par Gautier dans le Moniteur du 2 août. «Elle ressemblait trop au papillon; ainsi que lui, elle a brûlé ses ailes à la flamme, et comme s'ils voulaient escorter le convoi d'une sœur, deux papillons blancs n'ont cessé de voltiger au-dessus du blanc cercueil pendant le trajet de l'église au
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cimetière. Ce détail, où la Grèce eût vu un poétique symbole, a été remarqué par des milliers de personnes, car une foule immense accompagnait le char funèbre. Sur la simple tombe de la jeune danseuse, quelle épitaphe écrire, sinon celle trouvée par un poète de l'Anthologie pour une Emma Livry de l'Antiquité: "0 terre, sois-moi légère, j'ai si peu pesé sur toi !" » Ce lamentable accident incita les directeurs de théâtre à mieux protéger les sources d'éclairage de leurs salles. Elles avaient déjà causé, en décembre 1844, la mort atroce de la pauvre petite danseuse anglaise Clara Webster lors d'une représentation à Londres de la Révolte au sérail (Philippe Taglioni et Théodore Labarre) ; quelque dix ans après ce drame, douloureusement affecté bien qu'il n'y ait pas assisté, Gautier évoquera sans la nommer, au chapitre VIII de Jettatura, la grâce de cette jeune ballerine qu'il avait remarquée à Drury Lane à la fin de la saison 1843, «ce visage doux et mélancolique, cette pâleur délicate que ne rougissait jamais l'animation de la danse, [...] ces épaules d'une chasteté virginale. [...] Un soir, la danseuse, emportée par le vol circulaire d'une valse, rasa de plus près cette étincelante ligne de feu qui sépare au théâtre le monde idéal du monde réel; ses légères draperies de sylphide palpitaient comme des ailes de colombes prêtes à prendre l'essor. Un bec de gaz tira sa langue bleue et blanche, et atteignit l'étoffe aérienne. En un moment la flamme environna la jeune fille, qui dansa quelques secondes comme un feu follet au milieu d'une lueur rouge, et se jeta vers la coulisse, éperdue, folle de terreur, dévorée vive par ses vêtements incendiés. » Jean-Auguste Barre fit d'Emma Livry une statuette fort gracieuse; inspiré par la légèreté aérienne des ballerines, il sculpta de même Marie Taglioni, Fanny Elssler, et la toute jeune bayadère Amany, laquelle fascina durablement Gautier: "sculpture mignonne", dit celui-ci, amateur de l'art délicat de Barre, un élève de Cortot. Puisque nous mentionnons ici la charmante, la merveilleuse Taglioni, qui fut avant Carlotta Grisi la partenaire de Jules Perrot l'Aérien, celle "qui marchait sur un champ de blé sans en courber les épis", rappelons qu'elle avait épousé religieusement à Londres en 1832, puis civilement à Paris en 1834 le comte Alfred Gilbert de Voisins (1804-1863), commissaire du gouvernement auprès du Théâtre Italien, un protestant qu'on a décrit comme un bourreau des cœurs, mariage d'amour béni en 1836 par la naissance d'une fille - elle épousera en 1852 un prince Troubetzkoï - suivie malheureusement assez vite par une séparation de fait entre des conjoints désenchantés. Cependant, comme il n'y eut point divorce, Georges, dit Youri, né à Munich en octobre 1843 d'un "mal au genou" de Marie Taglioni, porta le nom de son père officiel. Marié en 1876, il eut de sa femme Sozonga Ralli, Anglaise d'origine grecque, un fils né à Paramé (llle-et-Vilaine) en 1877, mort à Paris en 1939. Prénommé Augustus, ce petit- fils de la Taglioni est entré à plusieurs titres dans l'histoire littéraire du XXe siècle, puisqu'il fut poète, romancier, compagnon de Victor Segalen au cours de ses voyages en Chine, et qu'il épousa en 1915 la femme divorcée de Pierre Louys, née Louise de Heredia. Dans Les Miens, un charmant ouvrage autobiographique, Augusto Gilbert de Voisins a parlé avec émotion de son accueillante, de sa tendre "bonne-maman" qui lui donna beaucoup d'attention et enchanta son enfance de délicieuses causeries. «Une très vieille darne qui jamais ne fut jolie mais dont l'expression demeure séduisante. - "J'étais laide, j'avais les bras trop longs... " - de cette légère disgrâce on faisait une grâce de plus en comparant ses bras trop longs à des guirlandes. - Son charme composite est fait d'austérité tranquille, de douceur, de quelque malice qui passe dans les yeux, mais surtout d'une paix sereine dont l'influence rayonne alentour. - Il naissait d'elle une ambiance exquise, faite de douceur, de philosophie, de tranquille gaîté: ceux qui l'approchèrent à cette époque, ceux surtout qui
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furent ses amis, en subirent le charme prenant. Mon père l'adorait, ma mère disait que son seul regard donnait de l'apaisement. Comment ne l'eussé-je pas aimée? - J'ai conservé d'elle un souvenir merveilleux... » Née à Stockholm, membre d'une nombreuse et célèbre famille d'artistes italiens, protestante par sa mère suédoise, née Sophie Edwige Karsten, Marie Taglioni - une fois retirée de la vie active, vers 1845, elle vécut longtemps à Venise et sur les bords du lac de Côme où elle élevait ses enfants - mourut chez son fils, à Montolivet, près de Marseille, le 27 avril 1884, dans sa quatre-vingt-unième année. Sa dépouille fut transférée et inhumée au Père-Lachaise; elle y repose, nous dit son minutieux biographe Léandre Vaillat, dans la sépulture des Gilbert de Voisins dont la lignée directe s'est éteinte avec Augusto, Augusto qui rejoignit en 1939 dans sa dernière demeure la chère bonne-maman de son enfance heureuse. La danse d'école, discipline de fer, exige de ceux et de celles qui visent à l'excellence un entraînement physique si intense, une telle dépense de volonté que l'on peut parler d'une véritable ascèse. Les efforts harassants consentis pendant de longues années sont-ils responsables de l'exceptionnelle longévité de beaucoup d'artistes de haut niveau en des temps où l'espérance de vie était considérablement moins favorable que de nos jours? Le père de Marie Taglioni, Filippo Taglioni, est mort à 94 ans; Salvatore, le frère de Filippo, à 79 ans. Rappelons, par exemple (avec erreur possible d'une année comptée en trop), Auguste Vestris, mort à 82 ans; Antoine Bournonville, à 83 ans; Jules Perrot, à 82 ans; Marius Petipa, à 92 ans. Chez les dames, Mlle de La Fontaine, morte à 83 ans; Fanny Cerrito, à 92 ans; Lucile Grahn, à 86 ans; Caroline Rosati, à 79 ans; Léontine Beaugrand, à 83 ans; Virginia Zucchi, à 83 ans; Olga Preobrajenska, à 91 ans; Carlotta Zambelli, à 91 ans; Tamara Karsavina, à 93 an s ; Martha Graham, à 97 ans... Terminons ce nécrologe non limitatif par une danseuse qui, pour n'avoir pas fait une longue carrière de ballerine au sens académique du terme, n'en fut pas moins une "étoile" à la célébrité internationale et parvint, elle aussi, à un grand âge: Cléo de Mérode, qui n'abandonna l'Opéra pour les théâtres de variétés qu'après y avoir fait toutes ses classes; elle mourut à 94 ans. Enfin, pour le plaisir de ranimer un instant son souvenir, cette fleur sauvage de la Galice, Catherine Otero, la Belle Otero, l'Espagnole sulfureuse qu'un seul fandango dansé chez Véfour lança à Paris, disparue à 96 ans. Le Second Rang du collier, p. 297. Lucrezia Borgia, opéra en un prologue et deux actes de Gaetano Donizetti. Le livret de Romani est tiré de la tragédie de Victor Hugo, Lucrèce Borgia, publiée en 1833. Représenté pour la première fois à Paris en 1840, au Théâtre-Italien, Mario y avait pour partenaires Tamburini, Lablache et Giulia Grisi. L'ouvrage avait été créé le 28 décembre 1833 à la Scala de Milan; à cette occasion, innovant dans la disposition de l'orchestre, Donizetti regroupa autour de lui, chef conducteur assisté du premier violon, les instruments à cordes jusque-là dispersés, inaugurant ainsi une formule généralement adoptée depuis lors avec quelques variantes. La merveilleuse, parfois reprochable fécondité de Donizetti est attestée par ce chiffre: soixante-quinze partitions lyriques en vingt-cinq ans, d'Enrico di Borgogfl£l (1818) à Sébastien de Portugal (1843), de l'opera seria à l'opera buffa, parmi lesquelles Lucia di Lamermoor (1835) et la Favorite (1840), d'une part, et l'Elisir d'amore (1832), la Fille du régiment (1840) et Don Pasquale (1843), d'autre part, conservent encore la faveur du public mélomane. Dans la Callas. Une vie, de P.-J. Rémy, de superbes photographies de
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Piccagliani nous restituent la beauté de la cantatrice dans le rôle-titre d'Anna Bolena qu'elle ressuscita à Milan en 1957 et 1958, opéra créé dans cette ville en 1830. Du même Donizetti elle interpréta et enregistra également sur disques Lucia et la Pauline de Poliuto (Polyeucte), représenté pour la première fois au San Carlo de Naples en 1848. Nous avons sous les yeux une lithographie, non datée malheureusement, d'un Donizetti jeune homme, à l'agréable et souriant visage très allongé, le menton glabre enfoui dans un col montant aux oreilles, vaste front, chevelure en tempête à la Chateaubriand, joli garçon, en contraste avec son inséparable ami Adolphe Adam, le pauvre Adam, moins gâté par notre mère Nature, que Cherubini, Florentin naturalisé Français comme son illustre ancêtre Lulli et dont l'affabilité n'était pas la vertu dominante, avait accueilli au Conservatoire par cette exclamation vexante: «Ah! Ah! qué zé lé trouvé bien laid!» (Galipaux, Ceux que j'ai connus.) Adolphe Adam, le condisciple d'Eugène Sue au collège Bourbon - deux garnements complices dans la dissipation, farces et attrapes en tout genre -, l'aimable compositeur, exélève de Boieldieu, sur la musique duquel les plus brillantes étoiles danseront Giselle jusqu'à la fin des temps, et qui abusa lui aussi de ses talents d'improvisateur. Auteur des Souvenirs et des Derniers Souvenirs d'un musicien, il nous a laissé ce portrait: «Donizetti était grand, avait la figure franche et ouverte et sa physionomie était l'indice de son excellent caractère. » La quarantaine sonnée, Donizetti avait laissé pousser sa barbe en collier à la mode du temps, et son humeur s'était assombrie après la perte de sa femme et de ses deux enfants emportés par le choléra. Le pauvre homme connut une fin lamentable: atteint de paralysie générale progressive, interné dans plusieurs établissements successifs, soumis à d'inutiles traitements, il mourut, totalement inconscient, à Bergame où il était né cinquante ans auparavant, le 8 avril 1848. «Donizetti, écrit Adam, a fait assez pour la France pour que nous le comptions parmi les compositeurs français. [...] Tous ses rêves s'étaient réalisés; gloire, honneurs, richesses, il avait tout obtenu; son nom avait rempli le monde... » Mais il n'était plus qu'une ombre au royaume des morts où il avait rejoint le mélodieux Bellini, disparu en 1835. «Des trois grands Italiens qui étaient venus connaître la gloire à Paris, un seul restait vivant, qui s'était gardé de se consumer dans les fièvres du génie puisqu'il avait arrêté toute composition lyrique à trente-sept ans: Gioacchino Rossini.» (O. Merlin, Quand le Bel Canto régnait sur le Boulevard.) Gaetano Donizetti avait un frère, Giuseppe, également né à Bergame, également musicien, qui fit carrière en Turquie et mourut à Constantinople en 1856. Au cours de son grand voyage en Orient (1843), Nerval rencontra à Péra ce Donizetti alors chef de la musique du sultan, comme le rappelle André Cœuroy dans Appels d'Orphée où il consacre des pages chaleureuses au mélomane Nerval, dilettante éclairé, ce fou qui prêchait la sagesse. « Gérard, dit-il, aimait la musique pour elle-même et, en l'aimant avec simplicité, il n'a pas peu contribué à sa diffusion dans le monde le plus dédaigneux qui fut alors du domaine sonore, le monde des écrivains. Il habituait les gens de lettres à ne plus considérer la musique comme une tâche en marge des plaisirs de l'esprit.» C'est pendant la fête musulmane de Baïram que Nerval assista à un concert où la musique du sultan exécuta sous la direction de Giuseppe Donizetti «des marches fort belles, en jouant à l'unisson, selon le système oriental ». Gérard va entendre au théâtre, sur les hauteurs de Péra, Buondelmonte, un opéra du Sicilien Giovanni
Pacini: « Les Arméniens, les Grecs et les Francs composaient à peu près tout le parquet, et à l'orchestre seulement on distinguait quelques Turcs, de ceux sans doute que leurs parents ont envoyés de bonne heure à Paris ou à Vienne; car si aucun préjugé n'empêche, au fond,
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un musulman d'aller à nos théâtres, il faut songer que notre musique ne les ravit que médiocrement; la leur, qui procède par quarts de ton, nous est également incompréhensible, à moins d'être pour ainsi dire traduite dans notre système musical. Les airs grecs ou valaques paraissent seuls être compris de tous. Donizetti avait chargé son frère d'en recueillir le plus possible, et les utilisait sans doute dans ses opéras. » Le Collier des jours, p. 261. MADARASZ, Victor de (Cselnek, Hongrie, 1830 - Budapest 1917). Élève de l'École des Beaux-Arts et de Léon Cogniet, ce peintre spécialisé dans les sujets historiques exposa de 1861 à 1869 au Salon de Paris. Dans une lettre à Catulle, avant leur mariage, Judith écrivait: «C'est un homme absolument loyal que Madarasz, fier, convaincu et malheureux, grand seigneur dans son pays, il meurt de faim à Paris par amour de l'Art et par entêtement.» N'est-ce pas lui, dînant chez Gautier le 4 mai 1865 aux côtés de son compatriote Remenyi, ce «peintre exotique qui a, jusqu'aux genoux, des bottes de sept lieues et des yeux volés à un jaguar»? Après avoir énuméré les convives de ce repas
cosmopolite, les Goncourt achèventjoliment le tableau: « Tout le temps du dîner, Gautier et Ernesta ont l'air de jouer une farce italienne, en se menaçant grotesquement de se casser des assiettes sur la figure; et la plus jeune des deux filles, Estelle, se repose une mouche sur la joue, en se servant, pour miroir, du manche de sa fourchette.» D'une quinzaine d'années plus jeune que Madarasz, un autre peintre hongrois remporta de brillants et fructueux succès à Paris avec de théâtrales compositions bitumeuses à sujets historiques ou religieux qu'il exposa au Salon, de 1870 jusqu'à la fin du siècle. Mihaly Munkaczy (du nom de la localité où il naquit en 1844), chevalier, puis officier, puis commandeur de la Légion d'honneur, un grand diable tout dégingandé, "cousu d'or" (Léon Daudet dixit), et sa femme, la veuve d'un général épousée à Paris en 1872, une "montagne de chair", donnaient des fêtes fastueuses dans leur bel hôtel, 53, avenue de Villiers. En avril 1886, Mme Alphonse Daudet y rencontra Liszt, qui logeait alors chez son compatriote; les deux hommes étaient liés d'amitié. «Sous les déformations de la vieillesse, le dos courbé, le nez exagéré, les sourcils buissonneux, peut-être l'ancienne beauté du grand musicien apparaît-elle encore, mais non cette séduction qui fit, dit-on, tant de victimes. Et lui, dans un Paris transformé si changé pour lui, que retrouve-t-il de ces anciennes belles? Les applaudissements même doivent lui sembler autres, et l'accueil: tout se transforme. » Le portrait du compositeur par Munkaczy figurait à la vente de l'atelier du peintre, le 4 juin 1898. Atteint d'aliénation mentale, Munkaczy mourut aux environs de Bonn en 1900. On s'étonne un peu que Judith Gautier, résolument misonéiste et qui se prétendait ennemie du naturalisme - au moins jusqu'à sa nomination à l'Académie Goncourt! - ait fréquenté l'œuvre de Maupassant, ce compagnon de débauche de Catulle Mendès. Et pourtant... en juillet 1938 est passée en vente chez Ronald Davis une lettre autographe, signée de l'auteur de Boule-de-Suif, à Judith, en date du 9 juillet 1890: «Votre jugement sur mon dernier roman "Notre Cœur" m'a causé un très vif plaisir dont je veux vous remercier. Outre la satisfaction qu'il m'a procurée par les compliments qu'il contient, il m'apportait la joie d'être ainsi jugé par une artiste comme vous qui avez reçu de votre père ce grand don du sens et de l'art littéraire devenu si rare aujourd'hui... » Cet échange de fleurs n'avait-il pas pour cause essentielle la dévotion qu'ils affichaient tous deux pour Flaubert? Au journaliste Amédée Boyer, Judith, au
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tournant du siècle, confiait son peu de goût pour la littérature contemporaine, mis à part Loti et Louys envers lesquels elle se reconnaît partiale. «Que voulez-vous! Je m'en tiens à Shakespeare, Victor Hugo, Leconte de Lisle, mon père bien entendu, Balzac, Flaubert. [. ..] Balzac a inventé et épuisé avec du génie le moderne dans le domaine de l'art; tout le reste est un mauvais délayage de la Comédie humaine que je relis une fois par an. [...] Zola? Je puis vous dire que le livre que je préfère de lui, c'est la Curée. Je ne vous cacherai point ma profonde admiration pour l'homme. C'est un grand et noble cœur et, dans l'Affaire Dreyfus, il a été absolument héroïque, et d'autant plus méritant qu'il ne nourrissait aucune ambition politique. [...] J'ai toujours vu avec peine des écrivains se mêler de politique. Une de mes tristesses a été de voir notre grand Victor Hugo s'y essayer. Et, bien que j'admire toutes ses œuvres, je préfère celles exemptes de polémiques, comme les Misérables. » Cette déclaration de Judith en faveur de "l'homme" Zola l'a peut-être dispensée de porter un jugement moins favorable sur "l'écrivain", si crûment naturaliste. L'obstination du romancier de la Curée à se présenter à l'Académie française faisait ricaner ses détracteurs; il abandonna de guerre lasse après son vingt-troisième échec en mai 1899, battu par Paul Deschanel, au fauteuil d'Édouard Hervé, fondateur et directeur du journal conservateur le Soleil, qui n'a guère retenu l'attention de la postérité, sauf pour sa rencontre sur le pré avec Edmond About qu'il blessa légèrement. On s'amusait d'une "ballade" due à la plume véhémente, trop souvent nauséabonde, de Laurent Tailhade, ennemi acharné de Barrès, œ Loti, de Lorrain, de Péladan parmi beaucoup d'autres Mufles, et qui lui valut maints duels deux douzaines environ, dit Raynaud: «Bourget, Maupassant et Loti / Se trouvent dans toutes les gares. / On les offre avec le rôti, / Bourget, Maupassant et Loti. / De ces auteurs soyez lotis / En même temps que de cigares: / Bourget, Maupassant et Loti / Se
trouvent dans toutes les gares. / Achetez aussi du Zola, / Ça sert dans les water-closets. » Tailhade, athée, anarchiste, nihiliste, éventuellement sodomite en dépit de ses trois mariages, morphinomane, mais de rapports agréables, "à l'occasion serviable et généreux". Très lié avec Armand Silvestre, connu au temps de leurs études communes à Toulouse. Mondain, dandy, "assez snob" même d'après son beau-frère Kolney, assidu aux banquets littéraires si nombreux au tournant du siècle. Le 9 décembre 1893, au soir de l'attentat de Vaillant qui lança une bombe dans l'hémicyle de la Chambre des Députés - bilan: quatrevingts blessés -, Tailhade s'écria au banquet de la Plume: «Qu'importent les victimes, si le geste est beau! Qu'importe la mort de vagues humanités, si par elle s'affmne l'individu! », propos recueilli et diffusé par le journaliste Huret. On s'en indigna. On en plaisanta lorsque, moins d'un an plus tard, Tailhade perdit un œil dans l'éclatement d'une bombe à retardement au restaurant Foyot, 33, rue de Tournon. «Et je ne regretterai pas un instant ni mes rudes souffrances, ni les bizarres ironies de ma destinée, si mon sang répandu peut, comme une rosée féconde, hâter seulement d'un jour la germination de l'idée nouvelle. » Dans son Livre d'Or, la comtesse Diane, qui recevait, rue d'Amsterdam, une société mêlée où se distinguaient Sully Prudhomme, Pierre Loti, José-Maria de Heredia, a noté ces deux réponses de Tailhade. Question: «De quoi se souvient-on toujours? - De ce qu'on n'eut jamais.» Question: «Qu'est-ce que le pardon? - La noblesse du mépris.» Singulier bonhomme! Lénifiantes, les années de la maturité le virent renoncer peu à peu à ses théories les plus subversives. Le Second Rang du collier, p. 92-96, 187, 189, 249-253.
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Madelonnettes (les). Au numéro 6 de la rue des Fontaines-du-Temple, paroisse SaintNicolas-des-Champs, dans le me arrondissement de Paris, il reste un vestige, un pan de mur, de ce qui fut le couvent des Filles de la Madeleine, dites Madelonnettes, "fatal tombeau des amourettes", fondé au XVlle siècle par une âme charitable. On y cloîtrait diverses catégories de pensionnaires: filles publiques perdues de vices, endurcies dans le péché, filles repenties aspirant à la régénération et "réinsertion sociale", jeunes personnes déshonorées par de vils suborneurs et bouclées là sur prière de leur famille pour cacher leur honte, tout ce petit monde plus ou moins récalcitrant rondement mené par les Filles de Saint-Michel, des bonnes sœurs à poigne. Après avoir connu bien des avatars, converti tour à tour en prison publique, antichambre de la guillotine, maison d'arrêt pour hommes, puis pour femmes et mineures délinquantes, l'ex-couvent des Madelonnettes, illustré par le séjour forcé de Ninon de Lenclos en 1657, fut démoli en 1868. Ninon de Lenclos! Ninon, coupable d'avoir causé bien des chagrins à Mme de Sévigné en séduisant son mari d'abord, son fils ensuite, une charmeresse inusable mais qui, pleine de probité, n'aurait jamais fait commerce de son corps selon une légende réduite à néant par Roger Duchêne, auteur d'une biographie gracieusement titrée Ninon de Lenclos ou la manière jolie de faire l'amour. Jean de Tinan, amoureux à son tour, semble-t-il, de l'aimable libertine, écrit avec tact: « La vie de Ninon est une suite de parenthèses ouvertes et fermées par la volupté.» Elle disait, cette personne d'excellente compagnie, au salon fréquenté par la Cour et la Ville, que la beauté sans la grâce est un hameçon sans appât. Elle disait que la beauté ne doit que servir d'enseigne aux autres qualités. N'étant, précisait-elle avec justesse, ni fille ni repentie, pour expier sa conduite licencieuse, à la maison des Filles Repenties elle eût préféré un couvent de cordeliers. « Fi ! la vilaine. .. » s'exclama Anne d'Autriche, informée de la gaillardise et qui, du reste, bien que se disant "extrêmement offensée" des mœurs scandaleuses de Ninon et des leçons d'athéisme que venaient prendre chez elle trop de jeunes gens, la fit élargir promptement des Madelonnettes pour l'exiler à Lagny, près de Meaux, dans un couvent à la règle plus souple où elle eut permission de recevoir des visites, dont celle de la reine Christine de Suède, en route pour la Savoie et l'Italie, de passage dans la localité. Si la plaisanterie sur les cordeliers réputés paillards est, hélas! apocryphe, la réclusion de Ninon est, elle, historiquement prouvée. Une rencontre fortuite amena Judith à relire madame de Sévigné. En 1911, la ville de Vitré inaugura dans son jardin public une statue en marbre de la divine marquise, due au ciseau du sculpteur rennais Emmanuel Dolivet, et l'occasion parut bonne à la propriétaire de la Chocolaterie de Royat, «À la Marquise de Sévigné», pour une opération publicitaire autour de cette gente dame qui écrivait au XVIIe siècle: «Je pris avant-hier du chocolat pour digérer mon dîner, afin de bien souper; et j'en ai pris hier pour me nourrir et pour jeûner jusqu'au soir: voilà de quoi je le trouve plaisant, c'est qu'il agit selon l'intention.» M. Arthur Conte place Mme Rouzaud, Clémentine, parmi les "hommes d'affaires" répertoriés dans le chapitre XIV de son livre le Premier Janvier 1900. Fille d'un modeste confiseur d'Auvergne, épouse d'un mineur, elle lance, dit-il, son chocolat pour la première fois en "crottes" au cours des fêtes de ce premier janvier. Judith, sollicitée, s'attelle à la tâche avec alacrité. Malheureusement le manuscrit traîne plus de deux ans chez Devambez. Enfin ce dernier donne en octobre 1912 l'achevé d'imprimer aux Lettres inédites de Madame de Sévigné recueillies par Judith Gautier et illustrées par Madeleine Lemaire. C'est un luxueux volume in-quarto raisin, format inusité, de 70 pages. En tête, un portrait de Mme de Sévigné héliogravé sur chine, d'après Nanteuil, et quarante
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compositions originales de Madeleine Lemaire, «cette fée dont le pinceau jette sur les pages les roses avec leur rosée» (Anatole France, préface au premier livre de Proust, les Plaisirs et les jours, 1896), hôtesse accueillant avec grâce, 31, rue de Monceau, le ToutParis mondain, artiste, lettré, dans son atelier-salon agrandi d'un jardin dont sa fille Suzette faisait avec elle les honneurs. Les douze cents exemplaires numérotés sur papier vélin, hors commerce, seront offerts par Mme Rouzaud à la crème de ses clients et fournisseurs. Judith a imaginé un bref retour de son héroïne dans le monde pour elle stupéfiant du XXe siècle qu'elle décrit à sa fille, Mme de Grignan. Nous allons à sa suite de surprises en frayeurs, de l'hôtel Carnavalet à Vitré, en passant par Versailles et le château des Rochers, au moyen d'engins automoteurs magiques pour une ressuscitée du XVIIe siècle. Judith profite de ce pastiche agréable, soigneusement travaillé, pour louer les talents de Mmes Bartet et Segond-Weber, et d'Albert Lambert fils dans Andromaque, à la Comédie-Française, et pour jeter au passage des fleurs aux Rohan, à Pierre de Nolhac, à Paul Deschanel. Le 13 janvier 1913, Suzanne Meyer écrivant à sa mère - ce qu'elle faisait quotidiennement - signale une visite de la belle Mme Rouzaud, venue remercier Maya des Lettres "exquises" qui lui ont valu de nombreuses félicitations. Sacha Lachat-Berlioz, un Genevois arrière-petit-cousin du compositeur romantique, fondateur en 1932 d'un cercle, "Le Monde et la Ville" - devise: "Tout pour l'Élite, la Tradition, la France", patronage honorifique de trois académiciens: Louis Bertrand, Henry Bordeaux, Henri de Régnier -, a rencontré Mme Rouzaud à l'occasion d'un dîner à la Maison des Journalistes, date non précisée mais qu'on peut estimer située dans les années 30. Il évoque ce souvenir dans À l'ombre de Marcel Proust. Lucie Delarue-Mardrus, «femme très sympathique parce que très sincère», était 1à : « J'avais présenté son œuvre; elle avait invité ses amies: Germaine de Castro, excellente musicienne, et Madame Rouzaud [il écrit "Roubaud"], propriétaire de la fameuse maison de thé: "La Marquise de Sévigné", qui avait apporté une dizaine de boîtes de chocolats pour distribuer aux convives.» Feuilletons la Vie Heureuse, revue bimensuelle mondaine et féminine éditée par Hachette: 15 janvier 1908, rubrique "Actualités". Côte à côte, deux annonces publicitaires parmi d'autres: la Chocolaterie de Royat, pourvoyeuse de "délicieuses friandises", et la Phosphatine Falières, "aliment exquis". Judith en célébra les mérites dans deux petits contes, non datés, illustrés en couleurs par le peintre japonais R. Isayama. Conte chinois: la Source d'or de la santé. « L'enfant, cette plante délicate qui boit la vie si avidement, s'étiole ou fleurit selon la source qui s'offre à ses lèvres. Révéler les bienfaits de la Phosphatine Falières aux jolis bébés chinois, qui ne demandent qu'à prospérer et sont souvent si chétifs à cause d'une hygiène déplorable, c'est une œuvre d'humanité, qui nous vaudra, de toute la Chine nouvelle éprise de progrès, une reconnaissance profonde.» (Avant-propos à l'histoire de Petit-Printemps et de Tige-deBambou, sa jeune amie.) Conte nippon: Aventures de Momotaro. «Quel plaisir de faire connaître aux délicieux petits Mouskos japonais la Phosphatine Falières. Ils vont tous devenir, grâce à elle, semblables à leur fameux héros légendaire, dont nous allons vous narrer les hauts faits. » Née Rochechouart de Mortemart, ne menant en rien «l'existence précaire et contentieuse de l'homme de lettres» (gémissement un jour arraché au gentil Coppée), la duchesse d'Uzès prêtait elle aussi sa plume à l'éloge de cette même Phosphatine en prélude à Histoires de chasse (1907). Sans être toujours tourmentées par des difficultés de trésorerie comme la fille de Théo, les personnalités de l'époque ne répugnaient nullement à livrer leur photographie à des collections comme les fameux albums Félix Potin ou
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Chocolat Guérin- Boutron, et leur signature à des textes parfois bien pauvrets: «Voici les premiers grands froids, soyez donc assez aimable pour m'envoyer une nouvelle provision de Pastilles Géraudel. Compliments. Sarah Bernhardt. » (Le Monde illustré, 26 janvier 1899.) Ou encore, de la même, cette proclamation qu'une affiche de Mucha colporta dans la capitale: « Je ne trouve rien de meilleur qu'un petit Lu, oh! si, deux petits Lu !» Cléo de Mérode fait d'une pierre deux coups: «À Lefèvre-Utile. Chaque matin une page de Lulu, un verre de Mariani avec un biscuit Lulu, et danseuse je suis légère jusqu'au lendemain. » C'est du perdurable Petit-Beurre Lu qu'il s'agit là et d'un vin tonique dont la vogue s'essoufflera après la Grande Guerre. Judith reste exotique en toute circonstance... Indienne: «L' Amrita d'immortalité que les Dieux Hindous vont boire dans la lune, doit avoir le même goût que le vin Desiles », et même, avatar inattendu, péruvienne: « Oh ! surprenant effet de la sainte Coca, / À peine ai-je goûté deux doigts du Vin Magique / Que, devenant soudain prêtresse de l'Inca, / J'entonne, en Quichua, le verset liturgique! » (Album Mariani, II, 1896.) La liste est interminable de ceux qui, en vers, en prose, ont célébré ce breuvage réconfortant, même lorsqu'ils n'en usaient point. Juliette Adam: «Buveuse d'eau et bien portante, voilà de faibles mérites pour louer le plus tonique des vins: celui de coca », ou le "fils" de la bonne dame de Gif, Loti: « Je ne bois jamais de vin; c'est mon excuse pour ignorer même celui de Mariani que tout le monde connaît. Mais je consens à figurer dans cette galerie, puisque j' y ai été devancé par tant d'amis et d'amies qui me sont très chers », et il y figure dignement, en habit vert, son bicorne sous le bras. Augusta Holmès fait habilement sa publicité dans la publicité: «
C'est avec le plus grand plaisir quej'exprime à M. Mariani toute ma reconnaissance pour
la force que j'ai due à son merveilleux vin de Coca pendant les travaux de l'Ode Triomphale et de l' Hymne à la Paix. » Jean Lorrain cultive la rime en ni: «Le vin Mariani / effroi de la neurasthéni / e, au poète rajeuni / fournit la rime à l'infini », comme aussi Robert de Montesquiou avec ce mince distique: «Nommez Mariani! Nommez Mariani! Avec ce vin divin je n'en ai pas fini », mais qui n'en parlera pas moins, dédaigneux, des « derniers figurants des annuels volumes de Mariani vers lesquels on voit perpétuellement se hausser les candidats à la célébrité, brandissant leur autographe flatté de célébrer les mérites d'un produit qui leur offre l'occasion de se mettre en lumière. Et les duchesses versées dans la littérature, et les comédiennes devenues comtesses fraternisent à la faveur du flacon généreux qui réconcilie les castes.» (Le Temps, 9.1.1910, reproduit dans Splendeurs et misères du dandysme.) « Le pape, le pape lui-même, s'indigne Louys qui refuse de s'immortaliser dans l'Album, a donné son approbation en échange de bouteilles!» (Pierre Louys, J.P. Goujon.) «Chaque année, raconte Simon Arbellot, le Gaulois, partageant cet honneur avec le Figaro, publiait l'album du vin Mariani, supplément où figuraient les photos des plus éminentes personnalités de l'année. Moyennant quoi, il y avait toujours, chez le secrétaire de rédaction, un petit verre de Mariani pour les amis.» Joseph Uzanne, aidé de son frère Octave, assurait la responsabilité de cette publication à laquelle aurait collaboré pendant un temps Georges Verlaine, le fils du poète, avant de devenir employé du Métropolitain. L'Album des célébrités contemporaines, beau joueur, accueillait l'hommage burlesque d'un Courteline, poète du vers libre: Mariani Pour la massedes médicaments que le progrès fabriqua,
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De l'arsenic à L'arnica, Caca!. .. Rien ne vaut ton vin de coca. Le 21 août 1911, il se produisit à Paris un événement ébouriffant, inouï, énorme, impensable: le vol de la Joconde dans le Salon carré du Louvre. Comme d'autres commerçants à l'affût de l'actualité, Mme Rouzaud sauta sur cette occasion inespérée d'exploiter l'émotion collective et Robert de Montesquiou cria au scandale en reproduisant cet entrefilet publicitaire: «Pareille en cela à bien des héroïnes antiques ou modernes, la Joconde n'aura jamais été aussi populaire, hélas! que depuis son enlèvement. Ainsi, les dernières créations de A. Rouzaud, multipliant son image, célèbrent, à leur tour, le chefd' œuvre de Léonard, et l'on peut voir désormais, dans les luxueux magasins dédiés, Boulevard de la Madeleine et Rue de Sèvres, "À la Marquise de Sévigné", la mystérieuse Mona Lisa sourire aux divines friandises dont elle est la parure et qui feront la joie des gourmands collectionneurs. » (Majeurs et Mineurs.) Parce qu'il avait employé un temps, par charité, à titre de secrétaire, certain personnage douteux nommé Géry-Pieret, le pauvre Guillaume Apollinaire, soupçonné bien à tort de complicité dans le larcin, croupit en prison pendant dix jours. Le véritable coupable, un certain Vincenzo Perugia, peintre en bâtiment natif de Lombardie, se dévoilera deux ans plus tard en "restituant" à Florence l'œuvre intacte du Vinci. On imagine que cette péripétie affecta Judith: lorsque, membre de l'Académie Goncourt depuis le 28 octobre 1910, elle vota pour la première fois, parmi ses confrères du jury du prix, elle avait donné sa voix à Apollinaire pour l'Hérésiarque et Cie, recueil de contes fantastiques, qui échoua contre De Goupil à Margot, histoires de bêtes de Louis Pergaud. Sut-elle jamais que, dans les Marges, la revue d'Eugène Montfort, masqué sous le pseudonyme de Louise Lalanne, Apollinaire s'était bien moqué d'elle et de ses consœurs en littérature féminine, Anna de Noailles, Lucie Delarue-Mardrus, Colette ? Voyons la suite des choix de Judith. En 1911, elle contribua au succès d'Alphonse de Chateaubriant (Monsieur des Lourdines), fortement recommandé par Georges Clemenceau, puis en 1912 à celui d'André Savignon (les Filles de la pluie) - elle lui aurait préféré le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier pour lequel elle vota aux premiers tours. Pendant la guerre, elle donna par correspondance sa voix à Henri Barbusse (le Feu), à Adrien Bertrand (l'Appel du sol). En 1917, à deux semaines de sa mort, ses candidats, Marcel Nadaud, J.-J. Frappa et Jean Giraudoux furent tour à tour mis en échec par Henri Malherbe avec la Flamme au poing. Pierre Descaves se faisait vraisemblablement l'écho de son père, Lucien Descaves, lorsqu'il écri vait dans Mes Goncourt: « La fille du grand Théo se tint sagement à l'écart des petites querelles intestines de l'Académie Goncourt. Et même certains chroniqueurs ont pu lui reprocher un conformisme confinant à la facilité. » C'est donc très gratuitement, assurait-il encore, que certains critiques ont parlé « de son influence tyrannique au sein des Goncourt et de la dictature qu'elle y aurait exercée! » Les activités de Judith au Comité du Prix Vie Heureuse et ses devoirs d'académicienne Goncourt la plongeaient au cœur de la production littéraire la plus récente, et l'on ne relit pas sans amusement l'interview accordée à Amédée Boyer quelques années plus tôt: «Je ne saurais vraiment vous dire grand' chose sur la direction actuelle de la littérature. Je n'ai aucune opinion, m'étant fort peu occupée, même pas du tout, des œuvres contemporaines. J'ai bien fait la critique littéraire et artistique, mais je suis un très mauvais critique. Je suis toute d'instinct: je subis et ne raisonne pas. Puis
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j'oublie tout de suite ce que j'ai lu, à moins d'avoir été frappée par quelque œuvre superbe. Et, vous l'avouerai-je, je ne l'ai été jusqu'ici par aucune œuvre moderne. Si c'est là une opinion, concluez vous-même! » Le Second Rang du collier, p. 59. MARIO, pseudonyme de Giovanni di Candia. Le 20 octobre 1901, le Figaro publiait une lettre adressée à Gaston Calmette (la future victime de Mme Caillaux), son directeur: « ... J'écris en ce moment la biographie de mon père, le comte de Candia, plus connu sous le nom de Mario, et j'ai pensé que parmi vos nombreux abonnés il en existe peut-être encore qui l'ont connu et seraient à même de me fournir des souvenirs, des détails, des anecdotes le concernant. Mon père a débuté à Paris en 1838, où il avait déjà passé quatre ans avec les réfugiés patriotes italiens, exilés comme lui pour avoir aidé l'Italie à briser ses chaînes. Il entra alors au théâtre et devint le ténor favori des Parisiens. Comme il eut un grand nombre d'amis français, j'ai l'espoir...» Etc. Signé: Cecilia-Maria Pearse, née de Candia, ... Cecilia, « la douce et timide Cecilia» de Judith. En 1912, à la Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur, paraissait le Roman d'un grand chanteur (Mario di Candia), par Judith Gautier, d'après les "Souvenirs" de sa fille Madame Cecilia Pearse et la version française de Mademoiselle Ethel Duncan. Avant-propos de Judith: «La grande cantatrice Giulia Grisi, compagne bien-aimée de Mario de Candia, était la cousine germaine de ma mère. Nous fûmes donc toujours en relations intimes avec ces illustres artistes et dès mon enfance, l'éclat de leur gloire, alors dans tout son rayonnement, intéressa et charma ma jeune imagination. C'est pourquoi j'ai pris plaisir aujourd'hui à transcrire et à présenter au public les "Souvenirs" que ma chère cousine mistress Cecilia Pearse vient de publier en Angleterre avec un si grand succès, en y joignant ceux que j'ai conservés de mes très illustres et affectionnés parents. » Alors qu'elle mettait au point, une dizaine d'années après le Second Rang du collier, cette biographie, en y insérant tout un chapitre textuellement reproduit du Collier pour regonfler sans doute un volume un peu maigre, il revint à la mémoire de Judith un épisode cocasse de la carrière de son modèle. Pour illustrer la fascination que Mario exerçait sur son auditoire - beauté physique, beauté vocale -, elle raconte: «Il chantait un soir dans un concert la "Chanson de l'Amoureux", d'Alary, très populaire à cette époque. Comme il chantait avec passion le second couplet: "Ah! viens au bois, folle maîtresse, / Au bois sombre et mystérieux; / Ah ! viens au bois...", une jeune femme se leva tout à coup et d'une voix extasiée s'écria: "Je viens, je viens !"» Giovanni, né à Cagliari en 1810, était issu d'une ancienne famille dalmate fixée en Savoie puis établie en Sardaigne. Son père, don Stefano, marquis de Candia, militaire comme tous ses parents mâles, était attaché à la maison de Savoie par un loyalisme sans faille. Tout naturellement, il fit entrer son fils à l'Académie militaire de Turin. Giovanni s'y lia avec Cavour, avec leur aîné Mazzini, les futurs apôtres du Risorgimento, qui le convertirent aux idées libérales nouvelles, source de dissensions irrémédiables entre don Stefano et lui. À Gênes, il est le juvénile aide de camp de S.A.R. la duchesse de Berry; en 1832, lorsqu'elle quitte l'Italie dans l'espoir romantique de soulever la France contre Louis-Philippe, le lieutenant de Candia est affecté auprès de son père, alors gouverneur de Nice. Le conflit est inévitable entre deux hommes également intransigeants sur le point d'honneur et d'opinions politiques opposées; il s'envenime au point que le jeune officier, menacé de dégradation et d'emprisonnement, se
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résout à fuir. En 1835, après une évasion digne d'un roman de cape et d'épée - maîtresse éplorée, manteau couleur de muraille, boudoir secret exquisement parfumé, déguisement haillonneux, fureur des flots -, il débarque à Marseille, libre mais déshonoré aux yeux des siens, avec, pour viatique, cette parole d'une chiromancienne de hasard: «Je vois sur ton front les lauriers de la gloire. » Giovanni revit sa mère, la très belle donna Caterina, après la révolution de 1848 et l'amnistie accordée aux exilés, il ne revit jamais son père, décédé avant cette date. À Paris, le déserteur est accueilli à bras ouverts dans le milieu des patriotes italiens rassemblés autour des Belgiojoso; il fait chez eux la connaissance de toutes les sommités du moment: lady Blessington, George Sand et Musset, Balzac, Heine, son compatriote Manzoni, ... Cependant, il faut vivre. Giovanni donne des leçons d'escrime, d'équitation; il modèle pour les vendre des statuettes imitées des tanagras; sa vie durant il occupera ses loisirs avec ce qui lui fut un gagne-pain en ces temps démunis. Après un voyage décevant à Londres, il projette d'aller tenter sa chance outre-Atlantique alors même qu'elle tourne en sa faveur à Paris. Une rencontre de Meyerbeer et de Duchâtel, directeur de l'Opéra, qui l'entendent chanter chez la comtesse Merlin, le conduit, non sans réticences, à envisager une carrière théâtrale. «Lorsqu'on se remémore, écrit Judith, d'une part, les préjugés de caste de la noblesse et, de l'autre, ce qu'était le théâtre à cette époque, on peut aisément comprendre les répugnances de Giovanni. Sur le continent, les acteurs et les chanteurs n'étaient jamais reçus dans la société. Ils formaient une classe à part et jamais on n'avait entendu dire qu'un homme ayant une classe sociale reconnue fût allé grossir leurs rangs. [...] Sa décision une fois prise, il ne perdit pas de temps et se mit à l'étude avec ardeur. Il travailla la diction avec Michelot, de la Comédie-Française, la science vocale avec Bordogni, du Conservatoire, et l'opéra-comique avec Ponchard. Meyerbeer aussi lui donnait de temps en temps des leçons.» Rubini, l'idole des habitués de la salle Ventadour, l'encouragea vivement. Prêt à sauter le pas, après avoir pris, dans une lettre à sa mère, l'engagement - qu'il respecta scrupuleusement - de ne jamais chanter en professionnel dans son propre pays et de changer de nom, il adopta celui de Mario, en hommage au général romain Caïus Marius. Et Mario il demeure pour la postérité. Ses débuts ont lieu, rue Le Peletier, le 5 décembre 1838, dans une reprise de Robert le Diable, de Meyerbeer. Théophile Gautier - ils n'avaient pas encore noué connaissance - écrit: « ... beau jeune homme à l'œil noir, au profil bien dessiné, à la taille élégante, tel enfin qu'on rêve un jeune premier. [...] Voix fraîche, pure, veloutée, d'une jeunesse et d'un timbre admirables. C'est comme un rossignol qui chante dans un bosquet. [...] Le caractère de son talent est essentiellement élégiaque. [...] Trois tonnerres d'applaudissements ont prouvé au débutant la satisfaction du public.» Ayant gagné ses éperons à Paris, Mario s'en va en province pour acquérir de l'expérience. En 1839, un engagement au King's Theatre l'attire à Londres, il y rencontre Giulia Grisi. On a dit de lui: «Il vint, il chanta, il conquit.» Il conquit le public, il conquit Giulia; à partir de cette saison-là, sa vie se confond avec celle de la cantatrice. Mario attachait une grande importance à l'élégance vestimentaire, il dessinait lui-même ses costumes de scène après étude de documents historiques. Son talent en ce domaine était réputé au point que la comtesse de Castiglione, raconte Judith, lui demanda «de lui composer un costume "qui révélerait son cou et ses épaules, ses jambes et ses pieds" qu'elle avait fort beaux. Le pauvre Mario fut d'abord légèrement embarrassé pour concilier la décence et les exigences de la comtesse. Il dessina enfin un costume oriental qui excita l'admiration de tous. [...] Dans une autre occasion - enchaîne Judith qui s'amuse -, elle
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imagina de s'habiller en bohémienne et, pour sa robe, choisit une étoffe sur laquelle des cœurs étaient semés. Il y en avait un peu partout. L'impératrice Eugénie la complimenta, ajoutant toutefois: "Comtesse, votre cœur n'est-il pas placé un peu bas ?"» Bien que l'unanimité se fit sur sa jolie tournure et sa fière prestance, Mario se chagrinait de sa taille, trop exiguë à son gré; après bien des tâtonnements, son bottier parisien imagina de garnir ses chaussures de ressorts en caoutchouc et « le nouveau système ne
tarda
pas à se répandre
partout », note Judith qui n'a sûrement pas manqué de penser à son ami Pierre Loti, martyr des mêmes artifices de la coquetterie masculine. La mort de celle qui lui avait donné trente ans de bonheur détermina Mario à prendre sa retraite. Le 5 mars 1870, il chanta pour la dernière fois à Saint-Pétersbourg, dans les Huguenots, au milieu de l'émotion générale. Ses adieux à la scène anglaise eurent lieu dans la Favorite, à Covent-Garden, le 19 juillet 1871. De retour en Italie, il vendit la villa Salviati, à Florence, trop pleine du souvenir de Giulia, d'ailleurs trop grande pour lui désormais, ses filles commençant à voler de leurs propres ailes, fit encore une tournée de six mois aux États-Unis en 1872-1873, puis s'établit à Rome. Adoré par ses amis, adulé par les bénéficiaires de son inépuisable générosité assortie d'une bonne grâce charmante, Mario eut le bonheur de voir accomplie l'unité de l'Italie, cette croisade qu'il avait menée jusqu'au bout avec ses amis politiques. Il succomba d'une crise d'angine de poitrine le Il décembre 1883; sa dépouille fut transférée sur un vaisseau de guerre jusqu'au Campo Santo de Cagliari. «Toute sa vie, il avait déploré de n'avoir pas, lui, l'ancien officier, combattu pour sa patrie. Du moins il l'avait servie par son travail et sa fortune. [...] Personne ne fut plus applaudi, plus fêté que lui. Cependant, cette idole d'un public enthousiasmé, ce patriote dont l'Italie entière pleurait la perte, était resté un gentilhomme simple, confiant, au cœur noble et généreux, et tel il avait vécu, tel il s'en était allé dans l'éternité.» Ainsi s'achève le Roman d'un grand chanteur. Mrs Ethel Duncan, traductrice des "Souvenirs" de Mrs Pearse, et sa sœur Mabel étaient d'excellentes amies de Judith; elles avaient fait sa connaissance en 1899 et la voyaient à Paris comme à Dinard où elles passaient les vacances d'été, faisant ensemble, à l'occasion, des excursions dans les environs. Ethel appréciait l'enjouement de la fille de Théo, sa merveilleuse jeunesse d'esprit. « Elle aimait s'entourer de jeunes gens. Nous connaissions tous ses amis, et quand elle accepta de rendre compte des concerts du samedi et du dimanche pour le journal Excelsior, bien que souvent elle envoyât quelqu'un à sa place les dimanches, car elle recevait de deux heures à minuit, c'était souvent à des cours donnés par des célébrités [?] qu'il lui fallait se rendre. Elle nous envoyait un mot nous demandant de venir chez elle et d'y jouer les maîtresses de maison jusqu'à son retour vers cinq heures.» (Cité par Joanna Richardson.) Mme Violette Meyer nous a indiqué qu'Ethel, professeur d'anglais au lycée Racine, amie de Charles Maurras, prit sa retraite à Nice après la mort de Mabel dont les propres souvenirs restent malheureusement inédits. Le Collier des jours, p. 3, 261. Le Second Rang du collier, p. 71-78. Marronniers de la terrasse (les). Premier quatrain d'un poème qui en comporte quinze, publié le 1er août 1866 dans la Revue du X/Xe Siècle. Ce poème est titré dans Émaux et camées "la Fleur qui fait le printemps". La fleur en question, c'est la violette et, la violette, c'est Carlotta à qui le pauvre Théo, furieux, désolé, écrivait le 21 avril 1866,
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quatre jours après le mariage de Judith arraché à son consentement et qu'il prévoyait désastreux: «Je joins à cette lettre les vers sur les Marronniers de la terrasse, pour vous montrer que j'ai encore ma tête à moi, et qu'il n'est pas besoin que le sieur Catulle Abraham Mendès fasse mon feuilleton au Moniteur comme les journaux l'annoncent. Dieux! que je m'ennuie, que je suis dégoûté, navré, et que je sens le besoin d'un bain d'azur à Saint-
Jean!... » En conclusion d'une lettre suivante: «N'êtes-vous pas la grâce, le sourire, le parfum, la joie, la vraie fleur de Saint-Jean?... » La propriété, nous dit Serge Lifar, « se composait d'un délicieux hôtel Louis XVI, rempli de meubles rares et des souvenirs artistiques de l'étoile, et d'un chalet suisse, plus petit et plus intime, où elle habitait généralement avec sa fille. La villa Grisi n'existe malheureusement plus. Elle a été démolie pour faire place à un nouveau quartier de Genève. » C'est à Saint-Jean que Bergerat, auquel Lifar emprunte littéralement ces lignes, nous montre Carlotta aux jarrets d'acier entretenant sa fonne physique au cours de longues promenades, soit en ville d'où elle rapportait toute sorte d'emplettes inutiles, soit autour de la terrasse, ou bien, brodant, assise au coin de la fenêtre. « Je ne l'ai jamais vue pour ainsi dire que penchée sur le canevas. [...] Cette petite sexagénaire, silencieuse et pensive, et piquant obstinément la toile cirée de fleurs et d'oiseaux de laine, elle avait tenu Paris au bout de son orteil. Il n'était princes, hauts traitants, que dis-je, maîtres de la terre qui n'eussent jeté leurs titres, leur or, voire leurs sceptres à ses pieds. Elle pouvait, si elle l'avait voulu, comme ses rivales aériennes, se laisser passer au doigt l'anneau royal et achever ses jours dans une cour au faste asiatique, et c'était elle qui tout d'un coup, de sa voix d'Italienne, au timbre dramatique, s'écriait en se tournant vers sa fille: "Ah! mon dieu, Ernestine, je n'ai plus de laine verte pour les feuillages !"...» Une "Vue de Saint-Jean", aquarelle par Théophile Gautier, et "les Marronniers de Saint-Jean" par Émile Pinchart, figurèrent à l'exposition organisée en 1942 par Serge Lifar au Musée des Arts décoratifs, Pavillon de Marsan: «Le Ballet et la Danse à l'époque romantique 1800-1850 ». Dans ses Souvenirs, Émile Bergerat parle d'abondance et avec chaleur de ce Pinchart (né à Cambrai en 1842, il a disparu en 1920) "au nom prédestiné", le pinchart étant un léger siège pliant adopté par les peintres de plein air, avec lequel il se lia fraternellement dans l'entourage d'Auguste Glaize, dit le Vieux pour le distinguer de son fils Léon, soit rue de Vaugirard où le père Glaize patronnait un phalanstère de joyeux artistes du pinceau et de l'ébauchoir, soit dans sa "campagne" de Rosebois, à La Ferté-sous-Jouarre. « Émile Pinchart [...] était [...] le plus doué des élèves de Gérome, et peintre jusqu'au bout des ongles. On s'arrachait ses esquisses, merveilles de coloris, transparentes, harmonieuses et d'une finesse de ton sans égale. [...] Il avait été ouvrier encadreur, gagnait sa vie à ce travail et, comme il était tenu d'y consacrer sa journée entière, il prenait sur la nuit pour peindre, au clair de lune, dans son galetas. [...] Peut-être dût-il à Gérome lui-même, qui était très bon sous ses apparences de palikare, la joie de vendre ses premières toiles à l'éditeur Goupil, toujours est-il qu'il avait lâché l'encadrement et qu'il avait un atelier. » C'est chez le jeune ménage Bergerat, rue de Trévise, dans un appartement à la Mimi Pinson déniché par Mendès après la mort de Gautier, que leur grand ami Pinchart tomba sous le charme d'Ernestine. Elle y était là en visite avec sa mère Carlotta Grisi. «Ernestine tenait son charme de sa double origine italienne et polonaise, mais la Slave dominait en elle, caractérisée par une folle chevelure blonde dont les gerbes indociles ne semblaient obéir qu'à la carde du vent. Élevée tendrement par une mère idolâtre, [...] elle ne savait point [...] ce qui, dans la vie, sépare l'idéal du rêve. [...] Que cette enfant de la Péri
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devînt la femme du peintre encore inconnu et pauvre comme Job qu'était Émile Pinchart, il y avait peu d'apparences. Carlotta projetait pour elle quelque union plus princière [.. .]. Mais elle était sous le talon rose de sa fille. [...] Et le mariage fut conclu. [...] Il eut lieu à l'église Saint-Eugène [. ..], dont Raoul Pugno tenait les orgues à quatre pattes. Il nous inonda d'harmonies nuptiales. Le déjeuner de noces [...], ce fut chez Brébant qu'il développa ses fastes. » En 1866, le 12 mars, Villa Grisi, Théophile Gautier avait composé le Merle qu'il dédicaça à Mlle Léontine Grisi - "Un oiseau siffle dans les branches /... / Qui rit de ta philosophie, / Beau merle, est moins sage que toi!» Léontine, débaptisée, pouvait davantage encore s'enorgueillir du sonnet "À Ernestine Grisi" composé le 21 juin 1870 par le bon Théo quittant Saint-Jean: «Oh! quelle âme charmante et quel bon petit cœur! / Dans sa naïveté comme l'esprit pétille, / Et que de sentiment sous son rire moqueur! / D'une adorable mère, oh oui! c'est bien la fille, / Et j'entends en latin l'Amour, craintif encor, / Dire: «0 mater pulchra, fllia pulchrior !» Monsieur Ivan Devriès a bien voulu nous montrer une peinture à l'huile exécutée par Pinchart le jour même de la mort de Gautier; elle représente un coin de sa chambre, meublé de deux corps de bibliothèque - nous avons vu l'un d'eux à la Bibliothèque Arturo Lopez de Neuilly; de dos, le fauteuil que le poète ne quittait plus depuis quelques jours et dans lequel il rendit le dernier soupir. Spécialisé dans le portrait et la peinture de genre, le gendre de Carlotta fut aussi un orientaliste dont les œuvres estimées passent de temps à autre en salle des ventes. Voici une curieuse - roublarde? - note de Montherlant, rédigeant son autobiographie à la troisième personne: «En 1910, il a été très impressionné par un tableau exposé au Salon des artistes français d'un peintre nommé Pinchart, représentant une petite Bédouine du Sud tunisien, le menton appuyé sur son amphore. C'est autour de cette petite Bédouine que se cristallisera depuis cette époque son imagination, et c'est toujours à travers elle qu'il recherchera et retrouvera l'Afrique. » (Pierre Sipriot, Montherlant sans masque.) À Genève, Pinchart créa, sous son nom, un Atelier d'affiches et de reproductions artistiques. En 1913, son dépositaire à Paris, Grumbach, organisa une exposition des œuvres de Pinchart à laquelle Mme Gautier, sa cousine germaine, rendit visite; commentaire succinct de Suzanne: «6 mars 1913. Maya va voir ses toiles, très jolies peintures, des bédouines. Trouvent facilement acquéreurs.
»
Le Second Rang du collier, p. 321. MARTINEZ, Maria (La Havane, Cuba, vers 1826 - après 1882.) C'est l'année du baptême longtemps différé - «Pourquoi si tard?» s'interrogeait l'auteur du Collier des jours - de Louise-Charlotte-Ernestine et de Julie-Alice-Stella, alias Judith et Estelle Gautier, que leur père s'intéresse à la "Malibran noire", surnom que les Anglais devant lesquels elle se produisit à Londres jugèrent saugrenu. Indulgent, désireux de lui venir en aide, le bon Théo loue dans la Presse sa voix de soprano, vibrante dans l'aigu, veloutée dans le médium, sonore dans le grave. Il s'entremet pour lui faire obtenir des auditions. Il s'amuse à lui écrire dans sa langue natale, tout en s'excusant de ses fautes grammaticales et syntaxiques: «... pero usted es une persona tan fina que usted entendra todo.» Il l'introduit chez ses amis. Ernest Reyer nota les séguedilles qu'elle vint chanter rue Frochot, chez Mme Sabatier en s'accompagnant de la guitare. Aux Variétés, le 27 décembre 1851, elle crée la Négresse et le Pacha, bouffonnerie dans le goût des turqueries lancées au XVIIIe siècle par le théâtre de la
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Foire, qui ne recueille qu'un maigre succès de curiosité. Gautier et La Ronnat l'ont signé conjointement A1i-Bilbot-Ben-Salmigondis. ÉchantiHon d'un dialogue entre le sultan de Bagdad, son vizir et la modiste parisienne ("parigoten serait mieux dit, mais le mot n'était pas encore inventé) Palmyre qui s'adresse au premier en l'appelant Boum-Boum: Abou- Kasar: Surtout pas de nlicmac ; Sois bien sage et fidèle, Car au Tigre en un sac J'te frais jeter ma belle. Kalabalik : Son cœur bat, fait tic tac; Elle sera fidèle Car elle a peur du sac, Chose bien naturelle. Palmyre: Ça m'donn' dans l'estonlac Comme un coup, et ça m'gèJe, Quand il parle de son sac, Des os jusqu'à la moëlle. L~ 17 février 1852, Théophile dùnne d'affligeantes nouvelles à Ernesta alors en tournée à
Constantinople:
«
La négresse barbote dans la misère. » En 1852, en 1853, elle parvient
à survivre en donnant quelques concerts de musique populaire espagnole. Dans la Presse du 30 mai 1853, Gautier rend compte de l'un de ses spectacles: «Elle a dansé en 'Taie Espagnole havanaise, suppléant le manque d'acquis par la grâce naturelle et le profond sentiment du rythme. » La pauvre Maria sombra dans l'indigence. Il semble qu'elle finît par trouver un protecteur en la personne d'un certain Ponce de Léon, musicien espagnol, et qu'elle quittât Paris vers 1881 ou 1882 ; on n'y entendit plus parler d'elle.
Le Collier des jours, p. 176. MA THILDE, princesse. Naît à Trieste, le 27 mai 1820, de Jérôme Bonaparte, le plus jeune frère de Napoléon 1er, roi de Westphalie, puis, en exil, prince de Montfort (17841860), et de Catherine, princesse royale de Wurtemberg (1783-1836). Enfance cahotée, négligée, encore que très sévère. À Arenenberg, en Suisse, résidence de la reine Hortense, rencontre Louis-Napoléon - le futur Napoléon III -, idylle, projets matrimoniaux avortés. 1er novembre 1840 : épouse à Florence le boyard Anatole Demidoff, prince de San Donato (Moscou 1813 - Paris 1870), union malheureuse dénouée par le tsar Nicolas 1er en 1846. Liaison affichée avec Émilien de Nieuwerkerke (1811-1892) jusqu'à la rupture en 1869. Quasi-maîtresse de maison à l'Élysée jusqu'au mariage de son cousin avec Eugénie de Montijo en 1853. Habite le somptueux hôtel offert par son ex-prétendant, 24, rue de Courcelles. En 1853, achète le château de Saint-Gratien, aux bords du lac d'Enghien, expropriété du marquis de Custine. À la chute de l'Empire, quelques mois d'exil à Bruxelles. Habite, à Paris, au 24, brièvement, puis au 20, rue de Berri. Liaison affichée avec le peintre émailleur Claudius Popelin (1825-1892) jusqu'à la rupture en 1889. Meurt à Paris le 2 janvier 1904. « Ainsi qu'elle l'avait souhaité, on la mit dans son cercueil avec ses perles blanches aux oreilles, le portrait de Napoléon, une rose, un œillet, une image de la Vierge et son crucifix» (La Princesse Mathilde, Marguerite Castillon du Perron), rite funéraire émouvant tant il reflète certaines facettes de cette personnalité vigoureuse et contrastée. Le 26 juin 1847, Victor Hugo la rencontre dans un salon parisien; dès le lendemain, il en
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trace cet alerte croquis: « Elle est de la classe des grosses jolies femmes. Elle est blanche, grasse, fraîche. C'est une beauté à la fois commune et royale. On en pourrait faire à volonté une superbe poissarde ou une magnifique reine. C'est très imposant et très appétissant. Elle a de beaux bras, de belles épaules, un beau cou, les yeux petits mais vifs et doux. Elle m'a paru franche jusqu'à la naïveté, avec de l'esprit. Elle rit souvent, comme toutes les personnes qui ont de belles dents. Elle a la bouche grande. Elle déteste Lamartine.» Ses amours furent pour Mathilde de cruelles expériences. Demidoff, monstrueusement riche à qui Jérôme, père indigne, toujours perdu de dettes, l'avait vendue, était une brute sadique; Nieuwerkerke, le "beau Batave", directeur des Musées nationaux, chambellan de l'empereur, membre de l'Institut, surintendant général des Beaux-Arts, sculpteur médiocre en dépit de ses titres ronflants, enivré de sa soyeuse barbe blonde et de ses succès féminins, la traitait avec désinvolture et la trompait sans vergogne; Popelin, si doux, si dévoué, si prodigue de protestations passionnées, la trahissait - du moins crut-elle en avoir la preuve - sous son propre toit. Est-ce pour compenser ces désillusions que l'Altesse Impériale s'adonna et se consacra aux joies de l'amitié? Généreuse, et coquette, et longtemps désirable, elle se plaisait aux "amitiés voluptueuses"; violente, elle n'hésitait pas à rompre brutalement lorsque son orgueil dynastique ou sa fierté féminine se sentaient blessés, quitte à le regretter trop tard. Ainsi d'Edmond About, coupable d'impertinence; ainsi de Sainte-Beuve et de Taine, politiquement décevants; ou de Sardou, l'auteur insolent de Madame Sans-Gêne (1893). Mais elle supportait avec bonhomie qu'un Jules de Goncourt l'embrassât subitement "comme dans une attaque nocturne" et, vieille dame déjà, elle racontait gaiement que Blanchard l'entomologiste, son contemporain à peu de chose près, avait perdu la tête: « Ce vieux cochon a voulu me pincer les fesses! » Au lendemain de la mort de l'altesse, les convives du dîner Bixio échangent à son sujet des propos rapportés par Jules Claretie : « Galliffet parle de la princesse Mathilde, que Sardou n'a pas voulu voir mettre en bière, la mort caricaturant la beauté. Le général ne la voyait pas du temps de l'Empire. On avait la consigne de ne pas fréquenter chez elle. À Compiègne, un jour, ilIa rencontre: "On me dit que vous êtes un polisson! - Et je ne demande qu'à le prouver à Votre Altesse !" Elle était encore fort belle et, en riant, elle dit autour d'elle: "Savez-vous l'audace de Galliffet ?" » Aristocrates, artistes, politiques, savants, écrivains défilèrent chez Mathilde pendant plus d'un demi-siècle. Parmi les peintres, Hébert et Eugène Giraud - sa vieille Giraille -, amis de jeunesse à la fidélité indéfectible, étaient en outre les professeurs de la princesse, élève appliquée dépourvue de talent, hélas! bien qu'elle se soit voulue d'abord une artiste au milieu de ses pairs, et Robert de Montesquiou se gaussait d'« un éventail peint par Son Altesse et dont on n'a jamais bien pu savoir s'il représentait des rognons de veau ou des orchidées ». Parmi les écrivains, comme Flaubert Gautier fut un peu amoureux - parfois un peu trop amoureux - de la bonne princesse, payé de retour par une vraie tendresse grosse de bienfaits. Elle aime à le voir assis à ses pieds, les jambes croisées à la turque, elle aime entendre la voix douce et monocorde de son "bibliothécaire par décret impérial" réciter les sonnets qu'il compose en son honneur ou débiter des histoires agréablement risquées. L'indulgence de Mathilde est grande pour son poète préféré. Un jour d'été, Théo s'oublie jusqu'à se promener tout nu dans la rosée matinale de Saint-Gratien; quelques dames, à leur fenêtre, s'étonnent; avertie, Mathilde, soucieuse de ne pas vexer le grand distrait par une semonce directe, a cette idée ingénieuse d'offrir des gandouras à tous ses invités masculins pour "l'intimité du matin et du soir". Néanmoins, prévoyante, elle ne manque pas de le
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chapitrer avant une visite d'Abd-el-Kader: «Lorsqu'il sera là, faites-moi le plaisir de ne pas vous déguiser en arabe. Vous auriez l'air de vous foutre de lui.» En 1871, Mathilde s'attriste de la lassitude et de la mélancolie de Théo. Elle ne sait comment le réconforter, le gâter. Quand la maladie de cœur s'aggrave, elle lui rend longuement visite à Neuilly. Pour elle, il s'efforce encore de bouffonner. Le 22 octobre 1872, il demanda à la voir: « J'accourus, je le trouvai agonisant, presque sans souffle. Je lui pris la main que je serrai. Il me rendit mon étreinte. Ce fut tout.» Elle pleura. Théo mort, Mathilde s'inquiéta de Flaubert. «Princesse, c'est bien à vous de m'avoir écrit. Vous avez pensé que je devais avoir bien du chagrin. Rien n'est plus vrai. Pauvre cher Théo! c'était le meilleur de la bande, celui-là, un grand lettré, un grand poète et un grand cœur. Il vous aimait beaucoup, Princesse, et vous faites bien de le regretter. [...] C'était le plus cher de mes amis intimes; je le respectais comme un maître et je l'aimais comme un frère. » Mathilde ne reportait ni sur le ménage Mendès ni sur les jeunes mariés Bergerat la chaleur de sympathie qu'elle dispensait au bon Théo; à ces quatre-là, elle préférait Toto, qui lui devait tant, et sa femme; ils dînaient régulièrement chez elle. En 1866, Gautier avait présenté à la princesse le tout jeune François Coppée. Poète encore obscur, Coppée connut en janvier 1869, à l'Odéon, un fracassant succès avec le Passant, bluette sentimentale interprétée par Mme Agar et Sarah Bernhardt. Dans l'été qui suivit, relevant de maladie, il fut hébergé durant quelques semaines heureuses à Saint-Gratien. Il a laissé, dans ses Souvenirs d'un Parisien, des pages émues sur l'hôtesse attentive, «amie admirable, parfaite, [...] d'une intelligence si complète et si prompte, d'un caractère si délicieusement aimable et si virilement sûr, d'un cœur si noble et si haut.» Toute triste, lasse et désabusée qu'elle fût après la mort de Popelin, la vieille altesse continua d'ouvrir largement ses salons démodés et l'on continua de lui rendre visite, par habitude ou par curiosité. Parmi cette élite artiste, intellectuelle et mondaine - les Rohan, le Dr Pozzi, Anatole France, Heredia, Léon Daudet (de tous les dîneurs le plus caustique), les Régnier, etc., avec lesquels notre Judith avait entretenu ou entretenait des relations plus ou moins étroites - quelques célébrités attirent plus fortement notre attention. Par exemple, en 1898, rue de Berri, Augusta Holmès présente Reynaldo Hahn à son ex-amant Catulle Mendès; habitué des soirées musicales de la princesse, Reynaldo, vêtu d'un beau costume de velours noir tout neuf, y avait fait ses "débuts d' artiste" à l'âge de six ans; la Carmélite, paroles de Mendès, musique de Hahn, naîtra de cette rencontre. Marcel Proust vient, en curieux passionnément attentif, présenter ses devoirs à la vieille princesse, "monument historique de la vie parisienne", relique du temps perdu. Le 1er juin 1903, Pierre Loti fut le dernier "nouveau" à franchir les portes du numéro 20, rue de Berri, portes qui se fermeront définitivement aux visiteurs l'année suivante: « Dîné chez la vieille princesse Mathilde, dans la stricte intimité, mais toujours au milieu d'une grande magnificence impériale, avec partout des aigles et des abeilles. » (Journal intime.) La princesse Mathilde s'éteint donc le 2 janvier 1904, dans sa quatrevingt-quatrième année. Elle est inhumée à Saint-Gratien. Comme on peut s' y attendre, l'iconographie de celle qui mérita le surnom de "Notre-Dame des Arts" est abondante, elle nous montre la princesse - et son cadre - à tous les âges, depuis sa jeunesse triomphante jusqu'à sa mélancolique vieillesse, portraits à l' huile, pastels, aquarelles, lithographies... Retenons entre autres les noms de Carpeaux, qui sculpta en 1862-1863 son buste en majesté, couronné d'un diadème à l'aigle impériale, de Maurin, Watts, Gavarni, Giraud, Lami, Hébert, Doucet... En mai 1861, exposé au Salon, son grand portrait d'apparat par
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Édouard Dubufe inspire à Théophile Gautier ces lignes quelque peu embarrassées, citées par Jean des Cars dans son excellente biographie de celle «qui fut un miroir du génie français, non seulement sous le Second Empire, mais aussi, fait souvent gommé, sous la Ille République»: «La critique se trouve vis-à-vis de Monsieur Dubufe dans une position difficile. Les portraits de femmes qu'il expose plaisent au public, peu soucieux des qualités sévères et du grand art. [...] Cette flatterie, nécessaire peut-être, mène parfois les peintres de High Life jusqu'au mensonge par trop visible [. ..]. Le portrait de S. A. I. Madame la princesse Mathilde a cet air de faste qui ne messied pas à la peinture d'apparat. Les accessoires, architecture, draperies, consoles meublent richement le fond; l'aspect général en est agréable. Mais la tête ne rend pas la beauté tranquille et la sérénité bienveillante du modèle. S. A. I. la princesse Mathilde est assez artiste elle-même pour ne pas exiger des tons roses; elle permettrait au besoin des ombres et des méplats. » Le Second Rang du collier, p. 107. MEISSONIER, Ernest (Lyon 1815 - Paris 1891), membre de l'Institut. «Je signe Meissonier, d'une seule "n", le Meissonnier à deux "n" est un orfèvre de Louis XV », disait-il rageusement. Un siècle après sa mort, il aurait bien des occasions de revendiquer cette "n" unique. Pensons au "h" intempestif, une erreur de prote, qui défigura tenacement le patronyme de Théo! Or, l'erreur perdure et -le croirait-on possible? - on la trouve encore accrochée au nom de Judith. La réputation de Meissonier est tombée plus bas dans l'estime de nos contemporains que sa gloire n'était montée aux nues de son vivant. L'exagération d'une mode inconstante est manifeste dans l'un et l'autre cas. Peintre de genre et de batailles, un des plus chers de son époque, on prônait sa conscience, sa minutie dans le détail. Commentaire de Gautier, réticent: «M. Meissonier a son originalité et son cachet; ce qu'il a voulu faire, il l'a fait complètement. Quand un tableau sort des mains de M. Meissonier, c'est à coup sûr qu'il ne peut être poussé plus loin. Et, en effet, il peut
alorsdéfierle monoclede l'amateurle plus difficile... » Commentaire de Gavarni, brutal: « Il a l'œil si photographique... ce n'est pas de ma part un compliment!» Commentaire de Goncourt, grossier: « ... des chiures de mouches. » Mais d'autres connaisseurs, et non des moindres, Delacroix, Odilon Redon ou Van Gogh, par exemple, lui trouvaient des qualités. Bavard quand il était de bonne humeur; râleur; brutal par timidité; un brin glorieux, conséquence de débuts difficiles: un ami lui annonce qu'on va baptiser de son nom une rue parisienne: «B on! vous m'avez fait rater mon boulevard!» Ouverte en 1881 dans le quartier Wagram, la rue Meissonnier a été baptisée en 1894... avec deux "n" ! Dans les années 1840, demeurant 15, quai de Bourbon, avant de déménager à Poissy, Meissonier vint en voisin chez le peintre musicien Ferdinand Boissard de Boisdenier, hôtel Pimodan, 17, quai d'Anjou, participer aux fameuses séances du club des Haschischins, noua avec Apollonie Sabatier et son cercle de familiers des liens très étroits, au point d'être le parrain d'une enfant que Boissard avait eu de la sœur de la Présidente, la toute jeune AdèleIrma, dite Bébé. Il avait épousé en 1838 la sœur du peintre verrier Steinheil, intime amie d'Apollonie. De cette dernière, qui tentait les peintres, il fit au moins quatre portraits... de petits formats. Attaché à l'état-major de Napoléon III pendant la campagne d'Italie, Meissonier l'accompagna encore comme peintre officiel au début de la guerre de 70, et le Siège de Paris le vit colonel à la tête d'un régiment de marche où il eut Édouard Manet pour
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lieutenant. Il adorait porter l'uniforme - Napoléon 1er était son idole et son modèle -, avait adopté le langage et les façons directes du soldat. Bergerat le rencontra en 1860 chez Émile Augier: «Meissonier, c'était une barbe sur deux bottes... » Dans les tout premiers jours de janvier 1890, Meissonier, malade déjà, affrontant le froid et la pluie, accompagna au cimetière de Neuilly le cercueil de la Présidente. Il mourut le 31 janvier de l'année suivante. Le Second Rang du collier, p. 180, 182. MENNESSIER-NODIER. Marie-Antoinette-Élisabeth Nodier, née dans le Jura en 1811, était la fille unique de Charles Nodier. Tous les jeunes poètes invités par son père à l'Arsenal courtisaient la sage, gracieuse, spirituelle pianiste aux yeux rieurs, aux doigts "si agiles et si sûrs" comme l'écrit Dumas. S'accompagnant elle-même, «elle chante, écrit Marcel Bouteron, sur un air de sa façon, des poésies d'Émile Deschamps, de Fontaney ou même de Sainte-Beuve que publie... la Revue des Deux Mondes» : Oh ! Que son jeune cœur soit paisible et repose, Que rien n'attriste plus ses yeux bleus obscurcis. Pour elle le sourire et les larmes sans cause, Pour moi les vrais soucis. ............ Pour moi, ne plus lire à sa face pâlie Les signes orageux d'un ardent avenir; Pour elle les trésors de la mélancolie, La paix du souvenir.
...................................................... Un sommeil sans remords avec l'essaim fidèle Et les songes légers d'un sommeil sans effroi; Amour! abeille d'or! oh ! tout le miel pour elle, Et l'aiguillon pour moi. Sainte-Beuve, Stances. Antoine Fontaney, apprenti diplomate, s'éprit d'elle avant de séduire et d'enlever Gabrielle, la fille aînée de Marie Dorval, au désespoir de cette dernière, moins disposée à tolérer les écarts de conduite de sa fille qu'à s'y jeter elle-même. Parmi les amoureux les plus fervents, Félix Arvers écrivit sur l'album de Marie le fameux sonnet au charme languide qui fit à lui seul toute sa réputation: Mon âme a son secret, ma vie a son mystère, Un amour éternel en un moment conçu: Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire, Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su. Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu, Toujours à ses côtés et pourtant solitaire, Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre, N'osant rien demander et n'ayant rien reçu. Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre, Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre Ce murmure d'amour élevé sur ses pas;
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A l'austère devoir pieusement fidèle, Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle: « Quelle est donc cette femme? » et ne comprendra pas. Arvers, Mes heures perdues.
Plus tard, Marie le décrira, ce «type raffiné d'Athénien, [...] spirituel jusqu'à l'inspiration, modeste jusqu'à l'ingénuité, [...] qui affectionnait en fils Charles Nodier.» L'adorateur le plus enthousiaste de Marie était le bibliothécaire de l'Arsenal, Charles Nodier lui-même. «Quelle joie pour un père, s'écriait-il, de se sentir surpassé par sa fille!» Pour lui constituer une dot, il sacrifia sa précieuse bibliothèque. Il demanda à être enseveli dans son voile de mariée. On songe à Victor Hugo et à l'amour ardent qu'il portait à Léopoldine.On songe au major Holmes, le père d'Augusta Holmès, "janissaire" de sa fille, tellement soucieux de la virginité de cette jeune personne au caractère volontaire et indépendant qu'il lui arrivait, dit-on, de coucher en travers de sa porte. On songe aux liens étroits, passionnés, conflictuels de Judith avec son père, disséqués au scalpel d'une fine psychologie par Denise Brahimi dans Théophile et Judith vont en Orient et par Sylvie Camet dans Parenté et création. "Notre-Dame de l'Arsenal", comme l'appelait Hugo, épousa en 1831 un fonctionnaire des finances dont elle eut beaucoup d'enfants. «M. Ménessier [sic] était plutôt le fils que le gendre de M. Nodier », écrivait Mme Victor Hugo dans l'Événement du 9 janvier 1849. « Quant à Mme Ménessier, [...] c'était la jeunesse, c'était la vie, c'était le mouvement, c'était le pétillement de l'œil, du geste et de la phrase. Et avec cela un tact exquis, une mesure extraordinaire, une entente incroyable de toutes les choses œ la vie, depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites. Une habileté inouïe à tirer parti de tout et à exploiter tout, un chiffon comme une répartie. Elle faisait envie aux duchesses dans des étoffes qu'une femme de chambre eût dédaignées. La toile à son poignet valait plus cher que la dentelle à celui des autres. C'était elle qui habillait ses robes. Ses rubans avaient ce l'esprit. » ("Intérieurs contemporains. Charles Nodier." Article reproduit dans Victor Hugo raconté par Adèle Hugo.) Mme Jules Mennessier-Nodier - double nom qu'elle avait adopté - composa des romances, malheureusement, « dans le ciel de la romance, auprès des astres de Loïsa Puget, de Pauline Duchambge et de Monpou, l'étoile de Marie Nodier n'est qu'une étoile de deuxième grandeur. Un débutant essaya, vers 1840, de prendre rang dans l'illustre constellation en composant quelques couplets sur des paroles d'Émile Deschamps; mais ce jeune étranger, un certain Richard Wagner, renonça bien vite à cette ambition insensée, fort heureusement.» (Marcel Bouteron, Danse et musique romantiques.) Elle écrivit des poésies, des nouvelles, collabora aux publications pour la jeunesse qui foisonnaient déjà. En 1867, elle publia Charles Nodier, épisodes et souvenirs de sa vie. Mme Jules MennessierNodier mourut à Fontenay-aux-Roses, âgée de plus de quatre-vingt-dix ans. Presque jusqu'à son dernier jour, dit une gazette locale, on l'apercevait, dans son coquet pavillon, «à la place qu'elle affectionnait deITièreune fenêtre, son visage fin, pâle, comme transparent, penché sur un journal, sur un livre ou sur un ouvrage de mains.» Citant l'auteur anonyme de cet article nécrologique, Charles Le Goffic ajoute que cette Muse exceptionnelle avait fait de sa sagesse une séduction, qu'elle sut rendre la vertu piquante et qu'elle conserva jusque dans l'extrême vieillesse le secret de cet art difficile. (Ombres lyriques et romanesques.) Le Second Rang du collier, p. 294.
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MÉ R Y, Joseph (1798-1865), romancier, nouvelliste, auteur dramatique et «poëte charmant, / Que Marseille la grecque, heureuse et noble ville, / Blonde fille d'Homère, a fait fils de Virgile. » (Voix intérieures, À des oiseaux envolés, Victor Hugo.) Collaborateur et ami de Nerval, de Gautier, de Reyer, fort apprécié de Mme de Girardin, de Marie Dorval, de la Taglioni qu'il escorta en Angleterre, et de beaucoup d'autres. Après une jeunesse aventureuse, "vouée à la dissipation", il aborda avec entrain tous les genres littéraires et n'en fut pas moins accusé de mollesse, de même que Gautier qui a loué dans les Progrès de la poésie française son habileté métrique, le "timbre d'or" de ses rimes. Les Goncourt, qui firent sa connaissance en 1864 chez la princesse Mathilde, ont pu comparer à celles de Loti ses descriptions imaginées de l'Inde. D'ailleurs, nous dit Mirecourt, «Méry a vu la Chine comme il a vu l'Inde, par révélation et sans quitter son cabinet de travail. » La conversation de ce Parisien du Midi
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comme Léon Gozlan, comme Nestor Roqueplan,
comme Joseph
Autran -, si laid, le pauvre homme, que des confrères charitables l'avaient affublé de ce sobriquet "le Christ des singes", sa conversation était éblouissante, pleine de charme et d'humour. Gautier, qui s'en allait en Algérie pour la première fois en compagnie de son secrétaire et ami Noël Parfait, laissant à Paris Ernesta grosse de sept mois et qui accoucha œ Louise-Judith, sa première-née, avant le retour du père vagabond, fit halte à Marseille au début du mois de juillet 1845; il a parlé, lui aussi, des "Capoues" de cette conversation "enivrante" : « Le feu d'artifice commençait dès le matin sans craindre le soleil, et c'étaient des bombes, des fusées et des bouquets d'esprit à se détacher sur la plus pure lumière comme des diamants sur un fond d'or! Méry [...] improvise des romans, des sonnets, des tragédies, des poèmes ad libitum; il sait toutes les histoires, toutes les géographies, toutes les musiques, toutes les littératures. Il nous a décrit la Chine mieux que sir Henri Pottinger, et l'Inde mieux que William Bentinck ou lord Elphinston. C'est lui qui raconte aux voyageurs les pays qu'ils vont voir. » (Le Voyage pittoresque en Algérie.) Jules Claretie: «J'ai vu, après un dîner [...] Dumas père, agacé des fusées, des pétards et des bombes qu'avait, du potage au dessert, tiré Méry avec une prodigalité d'artificier millionnaire, prendre son chapeau, au moment du café, et, vexé, laisser la place à ce Ruggiéri marseillais.» D'ailleurs, Dumas lui rendit justice dans ses Mémoires: «Méry sait tout, ou à peu près tout ce qu'on peut savoir [...]. Méry n'est jamais fatigué, Méry n'est jamais à sec. [...] Il est savant comme l'était Nodier; il est poète comme nous tous ensemble; il est paresseux comme Figaro et spiritueL.. comme Méry. » Un Méry qui ne joua jamais les pontifes. Il raconta lui-même comment, arrivé fort en retard à un dîner prié chez des amis, il résolut, pour sauver la situation, de faire une entrée sensationnelle dans la salle à manger où les dîneurs étaient attablés. «Gardant mon chapeau et mon pardessus, j'enfourche ma canne sous les yeux d'un valet ébahi, je me jette dans la salle dont je commence à faire le tour avec des hop! hop! à dada! d'un écuyer de cinq ans. Tout en galopant, j'examine les visages des convives, et je m'étonne de n'en reconnaître aucun. Enfin, me voici en présence du maître de la maison, qui me regarde avec de grands yeux... Fatalité! Ce n'était pas là mon amphitryon. Je m'étais trompé d'étage avec la niaiserie d'un héros de Paul de Kock. [...] Je ne vis d'autre parti à prendre que de finir comme j'avais commencé. Cavalcadant de plus belle, je gagne la porte entr' ouverte et je m'y précipite. » De cette aventure drolatique qui cadre si bien avec le caractère du facétieux écrivain, P.-B. Gheusi crédite postérieurement avec moins de vraisemblance le peintre-sculpteur Gérome. (Cinquante Ans de Paris, I.) Méry ne souffrait d'aucune timidité superflue à en juger par cette anecdote, difficile à croire
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en l'état présent de nos mœurs et qui amusa Guy Breton, le malicieux auteur des Curieuses Histoires de l'Histoire. «Un soir de juillet 1846, le spectacle de l'Opéra fut interrompu [. ..] par [...] Méry qui se tenait au balcon. L'orchestre comprenait, entre autres, deux cors qui, ce soir-là, jouaient terriblement faux. Incommodé par le bruit que faisaient, au-dessous de lui, ces deux instruments, Méry se leva et appela le chef d'orchestre: "Monsieur Habeneck !" Toute la salle se retourna, y compris le chef d'orchestre et tous les musiciens. "Monsieur Habeneck, reprit Méry, nous vous donnons huit cent mille francs pour avoir des cuivres. Ayez la bonté de m'extirper ces deux cors que j'ai à mes pieds."» Joseph Méry, notre joyeux Méridional, perdit peu à peu la vue. À Bade, dans les salles de jeux qu'il fréquentait assidûment, Gustave Doré et Claudin, qui raconte la chose, lui servaient de caniches. Citant la Chasse au chastre, roman de Joseph Méry paru en 1853, parmi ce qu'il appelle des "chefs-d'œuvre particuliers", Jean Galtier-Boissière - petit-neveu du savant, peintre et poète Louis Ménard - a écrit: La postérité ne confirme pas toujours le verdict des contemporains et il arrive qu'elle déboulonne les célébrités les plus prestigieuses d'une époque. De combien d'écrivains couronnésen leur temps des lauriers du génie ne reste-t-il aujourd'hui que le nom! Qui lit en l'an 1946 l'abbé Delille que ses contemporains égalaient à Virgile? Ou ce Nepomucène Lemercier, auteurtriomphant d'un Agamemnon dont l'histoire ne retient qu'un beau trait de caractère, son refus à Napoléonde la Légion d'honneur? Et qui connaît encore les plus grands succès de librairie du siècle dernier: le Mérite des femmes, de Legouvé; les Mémoires du diable, de Frédéric Soulié; Fanny, cet authentique chef-d'œuvre d'Ernest Feydeau ou Monsieur, Madame et Bébé, de Gustave Droz, dont cent éditions n'épuisèrent pas la vogue à la fin du SecondEmpire? Du moins a-t-on généralement retenu le nom de ces auteurs à succès. De Méry, le nom même a sombré dans l'oubli. Il est bien vrai, conclut André Billy citant son confrère, «que l' œuvre entière de Méry est tombée dans l'oubli avec son nom, et c'est un des cas les plus propres à nous faire réfléchir sur les vicissitudes de la gloire littéraire. » (Propos du samedi, 2 novembre 1946.) Un autre exemple de cette désaffection de la postérité, contre laquelle M. Lawrence A. Joseph s'est efforcé de lutter par une étude exhaustive de sa vie et de son œuvre, nous est offert par Henri Cazalis (1840 -1909), médecin, écrivain, poète sous les pseudonymes de Jean Caselli ou Jean Lahor, lié à toute l'école parnassienne. En novembre 1865, il écrivait à son ami intime Mallarmé: «J'ai passé une journée charmante chez Mendès, où j'ai été présenté à Dierx, Heredia, Mérat. Dierx et Heredia ont lu de beaux vers; j'ai dit un sonnet; enfin, j'ai été très bien reçu... » L'année suivante, il sera de même aimablement accueilli par le jeune ménage Catulle-Judith, il fera chez eux la connaissance de Villiers de l'Isle-Adam et de François Coppée. Collaborateur du Parnasse, il subit, ce pauvre Cazalis, les foudres de Barbey d'Aurevilly dont L. A. Joseph ne manque pas de nous donner un échantillon prélevé dans les Trente-sept Médaillonnets du Parnasse contemporain (Nain jaune, 10 novembre 1866): «On tombe à pic de l'azur brûlant dans une flaque de neige quand on passe de M. Stéphane Mallarmé [...] au doux et mélancolique M. Cazalis, qui nous parle du corps lilial de sa maîtresse à nous donner froid dans le dos. [...] M. Cazalis imite M. Hugo quand M. Hugo se détend, comme M. Ricard l'imite quand il se gonfle. L'un le boursoufle, et l'autre l'aplatit davantage... » Voici enfin les deux quatrains d'un sonnet titré Méry l'enchanteur, consacré par le tout jeune Cazalis, épris d'orientalisme, fasciné par l'hindouisme, à la gloire de ce polygraphe dont il subit fortement l'influence:
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La vie est un roman fort ennuyeux à lire: Oh ! Sejgneur, que n'est-elle un roman de Méry ? Le ciel aurait alors un éternel sourire: Tout aurait de l'esprit, - jusqu'au pren1ier n1ari. Un djinn, sans contredit, lui montra l'art d'écrire, Et son institutrice etait une Péri. Il sait si bien causer, il sait si bien les dire, Ces beaux contes d'amour où l'Inde a refleuri. (L'Abeille impériale, journal de la Cour, 1er novembre 1860.)
Le Second Rang du collier, p. 121. MEURICE, Paul (1820-1905). Mort aveugle, à quatre-vingts ans passés, dans son hôtel parisien, 24~ rue Fortuny, ce républicain de bonne foi consacra la nlajeure partie de ses forces et de son talent à la gloire de Victor Hugo, auquel l'avait présenté Auguste Vacquerie. Meurice, Vacquerie, deux noms indissociables dans l'histoire politico-littérrnre du XIXe siècle, les Gémeaux de la constellation hugoliennc. Exécuteur testamentaire loyal et zélé, Meurice usa ses dernières années à la publication de l'édition définitive de l'œuvre du grand homme et à l'aménagement du Inusée de la place des Vosges, à Paris, ex-place Royale, No 6, lieu de pèlerinage toujours fréquenté de nos jours, où Victor Hugo demeura plus de quinze ans, pendant la période la plus brillante de sa carrière. On l'ouvrit au public en juillet 1903. « Avec une dévotion filiale et une patience de bénédictin », écrit un chroniqueur du temps, M. Paul Meurice a rassemblé là les plus précieux souvenirs du poète, meubles, objets, ITlanuscrits, dessins... «autant de reliques ». On a pu faire de lui cet éloge mérité, pJein de sous-entendus vengeurs: «U n tel ami vaut mieux qu'une veuve.» L'hugolâtrie de 11eurice était proverbiale. Lorsque le Gaulois fit paraître en février 1902, pour le centenaire de la naissance de Hugo, Un soir à Hernani, le vieillard, ému~ écrivit à Edmond Rostand: «Que c'est élégant et charmant! Et vous mettez mon nom en tête de ces admirables v~rs! Je suis confus. Je suis ravi. De tout mon cœur, merci! » Quand Charles et François-Victor Hugo créèrent en 1848 l'Événement, quotidien qui dura vingt-huit mois, Meurice, tout dévoué au "pèrissime" et à sa famille, en devint le rédacteur en chef et le gérant, ce qui lui valut, en 1851, pour parution d'un article subversif, de faire neuf mois de prison, sans préjudic~ de la lourde amende à payer. À partir de 1869, il milita de même au Rappel; il s'y occupa principalement de la critique littéraire et dramatique, car ce publiciste, fervent admirateur de Shakespeare, était fou de théâtre. Seul ou jumelé avec celui de Théophile Gautier - ils se tutoyaient -, d'Auguste Vacquerie, d'.~lexandre Dumas, de George Sand, son nom fut à l'affiche des salles une bonne vingtaine de fois. Il produisit en outre quelques romans et quelques poésies qui n'ont pas laissé un souvenir impérissable. Le père de Meurice, orfèvre de son état, avait épousé la veuve d'un ce ses confrères, Frome.nt; c'est ainsi que Menrice se trouva être le frère utérin du célèbre joaillier François-Florent Froment-Meurice, louangé par Victor Hugo dans les Contemplations (I-XVIII): «Nous sornmes frères: la fleur / Par deux arts peut être faite. / Le poète est ciseleur. / Le ciseleur est poète.» Le vicomte de Launay écrit:
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« M. Froment-Meurice dont Victor Hugo a célébré le talent dans de délicieuses stances, et qu'il appelle le Michel-Ange du bijou, fait complètement oublier la richesse de la matière par la beauté du travail. Ses parures sont si artistement jolies, qu'on ose les accepter comme si elles n'étaient pas précieuses. » À la mort de Froment-Meurice, Gautier écrivit, dans la Presse du 4 avril 1855, un très joli article nécrologique. En 1843, Paul Meurice épousa Palmyre Granger (1819-1874). Baudelaire, en relations de sympathie avec Meurice, avait beaucoup d'affection pour sa femme; lorsque le malheureux poète, mortellement malade, fut hospitalisé chez le Dr Duval, rue du Dôme, Mmes Édouard Manet et Paul Meurice venaient lui jouer du Wagner pour le distraire de ses souffrances. Sans enfant, Palmyre accueillit avec bonté les trois filles naturelles de son infidèle époux: Marie-Pauline, dite Paule (1857-1929), mariée en 1881 à J.-F.-G. Montargis; Marie (1860-1937), mariée en 1887 à H.-E. Ozenne, et Marthe-Pauline (1863-1955), mariée en 1888 à Albert Clemenceau (1861-1927), frère de Georges, notre "Tigre" vendéen. Seule Marthe donna une descendance à Meurice. Judith, très liée avec celui-ci et avec Palmyre, aimait beaucoup Paule et ses sœurs, surtout Paule qui lui rendait son affection au point de lui écrire longuement d'Italie pendant son voyage de noces. (<< Italie: doit se voir immédiatement après le mariage. » Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.) «Je ne puis vous dire, mandait Judith à ses Chers Amis Meurice,combienla lettre de Paule est charmanteet comme elle m'a fait plaisir... » Leur amitié était solide et durable puisque Paule vint, rue Washington, le 18 janvier 1911, féliciter Judith, tout nouvellement décorée de la Légion d'honneur. En 1869 et 1870, le Rappel publia trois articles de Judith Mendès sur Wagner et sa musique; du 2 mai au 2 juillet 1876, en douze feuilletons, le Salon de Judith Gautier. Les onze lettres ou billets de Judith à Meurice conservés au musée Victor Hugo témoignent de leur affectueuse familiarité: «Cher ami. .. Votre toute dévouée... Je vous embrasse.. . Vous êtes gentil tout plein... » Le 12 décembre 1912, Judith visite pour la première fois le musée Victor Hugo avec l'émotion que l'on devine au souvenir ravivé du maître vénéré qui vécut là de 1832 à 1848, et du père tant aimé qui, de 1831 à 1834, habita au second étage de l'immeuble contigu, où il écrivit Mademoiselle d£ Maupin. Ne quittons pas Meurice avant d'avoir rappelé cette singulière histoire racontée par Jean Lorrain (de son vrai nom Paul Duval, né à Fécamp en 1855, mort à Paris en 1906), poète, romancier, journaliste, à Edmond de Goncourt qui la rapporte dans son Journal, le 4 septembre 1892. L'été de ses seize ans, Lorrain s'était fait, à Fécamp où elle passait ses vacances - nous savons par une lettre à Wagner qu'elle y habitait 197, rue aux Juifs - le patito de Mme Catulle Mendès, déjà bien désenchantée de son mariage. Plus tard, orphelin de père, il se trouva fort démuni, malgré ses débuts d'écrivain. «C'est dans cette position difficile [...] que Judith lui proposait un mariage littéraire qui devait lui faire gagner beaucoup d'argent. Il s'agissait pour lui d'épouser une fille de Meurice, qui se trouvait être une protestante si parfaite qu'elle glaça de suite ses velléités de mariage. Et quand il apprit qu'elle était une fille naturelle, ce fut pour lui un prétexte qu'il saisit aussitôt pour rompre. » Vrai ou faux? On sait, d'une part que Lorrain ne cachait guère son attrait physique pour les personnes du sexe masculin, d'autre part que, pour amuser le vieux Goncourt friand de cancans, il ne se faisait pas faute, tout comme le romancier des bas-fonds Oscar Méténier, de pimenter ses anecdotes plus ou moins véridiques. Quoi qu'il en soit des fiançailles avec la petite Meurice, l'attachement romantiquede l'adolescentpour la belle Judith - une « passionnette », traduit Goncourt se lit dans les nombreux poèmes qu'il lui a dédiés. Elle eut sur sa jeune carrière une
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influence détenninante. Elle lui révéla Victor Hugo, Leconte de Lisle... Ils demeurèrent en rapports confiants - c'est Judith, par exemple, qui le présenta à Montesquiou, à Gustave Moreau des peintures symboliques et décadentes duquel il raffolait - et l'on a remarqué que jamais le chroniqueur ne l'a prise pour cible des sarcasmes qu'il ne ménageait à personne, aux femmes et aux femmes de lettres moins encore. Peu d'écrivains du XIXe siècle se sont abstenus de clamer leur hargne contre leurs consœurs. Eugène Delacroix décrétait un jour: «Le pantalon féminin est une insulte directe aux droits de l'homme.» (Cité par Yvonne Deslandres.) Censément, comme le pantalon à leurs jambes agiles, la plume d'oie ou d'acier devait rester l'apanage de leurs mains capables et fortes. Barbey d'Aurevilly n'avait pas de mots assez cinglants pour flageller ces femmes qui se détournent d'elles-mêmes et de leur véritable destinée (selon l'équation: vertu = famille, enfants) pour ambitionner "la gloriole de la ponte des livres": «L'orgueil, ce vice des hommes, est descendu dans le cœur de la femme qui s'est mise debout pour montrer qu'elle nous atteignait et nous ne l'avons pas remise à sa place, comme un enfant révolté qui mérite le fouet. Alors, impunies, elles ont débordé. Ç'a été une invasion de pédantes.» Le "paternalisme" de Gautier nous paraît à peine moins contempteur; sa critique gentiment ironique lui donne l'avantage sur Barbey œ faire d'une pierre deux coups: « Qu'importe, après tout, qu'une femme barbouille quelques mains de papier. Est-il donc nécessaire que l'homme conserve le monopole d'écrire des billevesées? Pour notre part, nous aimons tout autant une femme qui écrit, un bas-bleu, qu'une femme qui joue du piano et étudie toute la journée des variations plus ou moins impossibles de Hertz [sic].» (Cités par Jean Larnac.) Mme Victor Hugo, si modeste pourtant - «Je ne suis pas un écrivain. - Ce que j'ai de mieux à faire, c'est d'être la servante des esprits qui m'entourent... » - s'élève contre cette prétention masculine: « On dit de la femme qui écrit que c'est un bas-bleu, qualification qui en elle-même ne présente aucun sens, mais qui veut dire: être amphibie, non classé dans la société, ni homme ni femme, qui n'est pas assez homme pour en avoir les facultés, pas assez femme pour en avoir le charme et la grâce, être ridicule, enfin... Il est temps de prouver la déraison et l'illogisme de ces sottes railleries qui pleuvent sur les femmes dites auteurs. » (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo.) Le Second Rang du collier, p. 147, 306, 308. MEYERBEER, Giacomo (Berlin 1791 - Paris 1864), de son vrai nom Liebmann Beer, fils d'un banquier israélite, héritier d'un riche parent dont, par reconnaissance, il adjoignit le patronyme au sien. Enfant prodige, pianiste virtuose élève de Clementi. Condisciple et ami de Weber. Compositeur très habile, allemand pour l'harmonie, italien pour la mélodie. On l'a porté au pinacle, on lui a dénié jusqu'au talent: «Je réduis au zéro absolu la valeur spécifiquement musicale de Meyerbeer », écrit Wagner. «Après le Crociato, j'ai encore compté Meyerbeer au rang des musiciens; après Robert le Diable, j'ai hésité; mais, à partir des Huguenots, je le range sans façon parmi les écuyers du cirque Franconi », écrit Schumann; de toute évidence, avec son quadrille de patineurs à roulettes du troisième acte, le Prophète ne pouvait le faire changer d'avis et, le jour où il assista à cet opéra, il se contenta de tracer dans son Journal une croix mortuaire. Meyerbeer ne mérite sans doute ni cet excès d'honneur ni cette indignité. Théophile Gautier indique discrètement en peu de mots ce qui a fait sa gloire et ce qui en marque les limites: «Meyerbeer, outre ses
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éminentes qualités musicales, possède au plus haut point l'instinct scénique. Il se pénètre de la situation, il s'attache au sens des paroles, observe la couleur historique et locale du sujet. D'autres l'ont égalé par l'invention ou le style, aucun ne l'a dépassé en effet dramatique, nul n'a su trouver mieux la note qui s'allie au cri de la passion.» Jean GaudefroyDemombynes, co-signataire de le Romantisme dans la musique européenne, qui cite cette dernière phrase, tient Gautier pour "un très grand critique", Gautier qui écrivait au lendemain de la chute de Tannhiiuser à Paris: « Moi qui ne suis qu'un âne en musique, j'avais trouvé Tannhauser très beau.» Dans un divertissant chapitre de ses Contemporains, Eugène de Mirecourt raconte que Meyerbeer, « original et distrait de sa nature, parle seul en marchant et tient son parapluie tout grand ouvert quand le ciel est d'une sérénité parfaite.» Le 4 octobre 1863, première tentative du Géant, on ne signale qu'une faible brise; le 18, un vent de sud-ouest, pas de pluie: le parapluie de Meyerbeer qu'il tenait à deux mains, était-il ouvert ou fermé? Mirecourt nous dit aussi que Meyerbeer craignait beaucoup les chats - les cachait-on quand il allait voir les Gautier? -, qu'il pouvait être aussi négligé dans sa toilette en temps ordinaire que faraud dans les grandes occasions, le torse surchargé de cordons, de crachats, de médailles jusques et y compris la Croix du Sud, envoyée par "l'empereur de Rio-Janeiro", et Alexandre Dumas, surpassé et humilié, de grogner en l'apercevant: «Voilà le maestro et son calvaire!» Toujours au dire de Mirecourt, on aurait relevé de curieuses coïncidences entre l'état de la santé publique et les œuvres de Meyerbeer. « À ses diverses apparitions en France, le choléra nous est venu chaque fois à la suite d'un opéra nouveau: en 1832, à la suite de Robert le Diable; en 1849, à la suite du Prophète; en 1854, à la suite de l'Étoile du Nord... » Quand la musique de Meyerbeer se fait entendre, remarque un feuilletoniste, « cela présage nécessairement un fléau. Ce n'est pas un musicien, c'est le diable.» Jettatore, comme Offenbach? Les Huguenots ne déclenchèrent aucune épidémie. Cet opéra en cinq actes sur un livret de Scribe, représenté pour la première fois à l'Académie royale de Musique, salle Le Peletier, en février 1836, "merveille de contrepoint dramatisé" (Berlioz), connut un succès foudroyant et une vogue persistante. Le 21 mars 1903 on en fêtait au Palais Garnier la millième représentation. Seul le Faust de Gounod offre une statistique à peu près semblable durant la même période. Pierre Loti, de religion protestante, affectionnait particulièrement les Huguenots, dont l'action tourne autour des préparatifs de la Saint-Barthélemy et se termine par le massacre du 23 août 1572. «Sa voix de baryton était suffisamment travaillée pour qu'il ait interprété avec succès le rôle de Raoul de Nangis dans une représentation partielle des Huguenots. [...] Le spectacle fut donné à Rochefort, le 30 juillet 1912, en l'honneur de la princesse de Monaco, devant une centaine d'invités, dans la salle gothique de la maison de Loti où une petite scène avait été aménagée pour la circonstance.» Rendant compte de l'événement, l'Illustration loue "la voix souple et habilement conduite" de Pierre Loti, "son jeu scénique plein d'aisance et d'exactitude". De cet interprète sexagénaire, le critique de l'Illustration note la jeunesse d'allure: "Alerte, preste, fringant, séduisant, il paraissait vingt ans à peine." » (Loti en son temps. Colloque tk Paimpol). D'excellentes photographies prises en cette circonstance montrent que l'éloge est trop exagéré pour être crédible. Rossini et Meyerbeer ne s'aimaient guère. .. litote! Au cours des réceptions musicales qu'il organisait chez lui, à Paris, Meyerbeer ne donnait à entendre que du Meyerbeer. Un soir qu'il se plaignait de fatigue, Rossini lui lança aimablement cette phrase qui fit sourire: «Vous vous écoutez trop!» Meyerbeer louait, à ce que racontaient les mauvaises langues, des dormeurs
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bénévoles pour ronfler aux représentations des œuvres de son rival italien. À la seconde de Sémiramis, aux Bouffes, en 1854, on se montrait un spectateur, bien carré dans une avantscène, apparemment plongé dans un profond sommeil. «Laissez donc! dit Jules Sandeau, présent à l'orchestre, à ses voisins scandalisés. C'est Meyerbeer. Il s'économise un dormeur.» Ce même Meyerbeer, on le vit à l'Opéra, en mars 1861, distribuer aux antiwagnériens des sifflets à roulette, plus résonnants que les clefs creuses alors chargées de signifier le déplaisir des mélomanes. Le 2 mai 1864, l'illustre compositeur s'éteignait en son logis parisien, 2, rond-point des Champs-Élysées. Dans un corbillard attelé de six chevaux, on le conduisit en grande pompe jusqu'à la gare du Nord drapée de noir. Chœurs, musique, discours, puis le train l'emporta vers Berlin où l'attendaient des cérémonies grandioses. L'Europe prit le deuil et Rossini écrivit un "Chant Funèbre". Le Collier des jours, p. 249. Le Second Rang du collier, p. 119-122. MICHEL-ANGE. Michelangelo Buanorroti naquit à Caprese, une localité proche de Florence, en 1475 et mourut à Rome en 1564. Génie universel comme Léonard de Vinci, Toscan lui aussi et son cadet d'une vingtaine d'années, il fut peintre, sculpteur, architecte, poète. Dès avant son voyage en Italie - 1850 - les références à Michel-Ange sont nombreuses dans l' œuvre de Théophile Gautier. La puissance de l'artiste semble, dès l'abord, l'avoir plus frappé que conquis: «Un sculpteur m'a prêté l'œuvre de MichelAnge, / La chapelle Sixtine et le grand Jugement; / Je restai stupéfait à ce spectacle étrange / Et me sentis ployer sous mon étonnement. / Ce sont des corps tordus dans toutes les postures, / Des faces de lion avec des cols de bœuf, / Des chairs comme du marbre et des musculatures / À pouvoir d'un seul coup rompre un câble tout neuf... » (Cariatides.) Judith nous donne à penser que Préault fut ce prêteur de gravures. Le 27 juillet 1849, Théo publie dans la Presse un article vibrant sur les envois de son ami au Salon et pourfend les "vieilles perruques de l'Institut... juges prévaricateurs... faux prêtres du beau" qui si longtemps lui barrèrent les portes de l'exposition; parlant du Silence, demi-ronde bosse, version en bronze du médaillon en pierre qui orne le mausolée de Jacob Roblès au cimetière israélite du Père-Lachaise, non loin du tombeau de Rachel: «.. .assurément une des plus hautes conceptions de la statuaire moderne et l'on peut dire que depuis Michel-Ange
on n'a rien vu de plus terrible et de plus saisissant. » Picorons quelques épithètes, formules, expressionsdans l'œuvrepoétique et critique de Gautier: « ... tes damnés gigantesques,/ 0 pauvre Michel-Ange... » (La Chanson de Mignon.) - «Comme Buonar[r]oti, le peintre gigantesque...» (Terza Rima.) - À propos de Marie Dorval: «.. .ces génies qui vieillissent en devenant plus sauvages, plus ardents, plus altiers, plus féroces, exagérant toujours leur propre caractère, comme Rembrandt, comme Michel-Ange, comme Beethoven. » (La Presse, 1er juin 1849.) - À propos de M. Ingres: «Si forts que soient les géants de Michel-Ange, ils ne traduisent pas encore toute l'énergie de sa pensée. [...] L'œuvre colossale de Michel-Ange... », car «l'art n'a pas pour but de rendre la nature et s'en sert seulement comme moyen d'expression d'un idéal intime. » (Le Moniteur universel, 12 et 14 juillet 1855.) - À propos de Carpeaux et du fronton du pavillon de Flore au Louvre: «... deux figures athlétiques dans une pose violemment tourmentée, malgré son repos apparent, avec des exagérations de muscles à la florentine, qui rappellent le Jour et le
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Crépuscule, si singulièrement symbolisés par des hommes à tournures d'Hercule sur les tombeaux des Médicis de Michel-Ange. » (Le Moniteur universel, 3 août 1866.) À propos de Hugo et de ses Contemplations: «L'âme triste du poëte cherche les mots sombres, mystérieux et profonds, et elle semble écouter dans l'attitude du Pensiero de Michel-Ange "ce que dit la bouche d'ombre".» (Les Progrès de la poésie française, 1868.) Dans son article "Du beau dans l'art" (l'Art moderne), Théo disserte sur le trait: « Le trait, quoique ce soit une chose abstraite et de pure convention, ou peut-être à cause de cela, suffit aux conceptions les plus élevées, aux plus nobles besoins de l'art. Donnez à Michel-Ange un bout de fus[a]in et un coin de muraille, et en quelques traits il va faire naître en vous l'idée du beau, du grandiose, du sublime, d'une façon si vive, que rien ne pourra dépasser l'impression de ce charbonnage. Ce grand artiste lui-même n'obtiendra pas de plus grands effets dans un tableau achevé. Entre sa pensée et le public, il n'y a eu que le signe graphique le plus indispensable, et cette simple ligne vous a introduit dans le monde gigantesque, au milieu des créatures surhumaines qui peuplent l'âme du peintre.» Et voici comme un correctif à tant de mâle puissance: «L'œuvre de Michel-Ange se présente tout d'abord à l'esprit comme une consécration de la force. Mais, quand on l'étudie, on s'aperçoit bientôt que ce Titan de la peinture a une grâce suprême, - la grâce des forts! Il possède une élégance hautaine, une coquetterie grandiose, un charme surhumain, et, dans sa sévérité même, une volupté féminine indéfinissable. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder, sur les tombeaux des Médicis, les figures étrangement belles et d'une fascination si puissante de la Nuit et de l'Aurore, et, au plafond de la Sixtine, Ève, d'une incomparable beauté, [...] irrésistible tentatrice pour qui Adam dut perdre le paradis sans regret. D'autres personnages de pendentifs et de voussures ont cette grâce fière qui fut comme l'aristocratie et l'insolence
du Beau. » (Cité par Bergerat,Galeriecontemporaine,1878.) Complétons ce florilège par quelques variations sur un même thème, qui ne font pas référence explicite au maître florentin, mais expriment le credo invariable de Théo tout au long de sa carrière: .. .l'art est plus beau, plus vrai, plus puissant que la nature; la nature est stupide, sans conscience d'elle-même, sans pensée, sans passion; c'est quelquechose d'insensible et de morne qui a besoin, pour s'animer, que nous lui prêtions l'âme et le souffle.» (La Presse, 24 mars 1837.) - « De tout temps il a existé, en peinture, deux écoles: celle des idéalistes et celle des réalistes. La première ne voit, dans les formes que la nature met à sa disposition, que des moyens d'exprimer l'idéal, c'est-à-dire le beau [...]. D'éléments épars, elle crée l'harmonie, et sous l'humain, elle fait transparaître le surhumain [.. .]. La seconde, prenant le moyen pour le but, se contente de l'imitation rigoureuse et sans choix de la nature. Elle accepte les types comme ils sont et les rend avec une trivialité puissante. L'autre école a l'âme, celle-ci a la vie...» (La Presse, 15 février 1851.) - «L'art n'est pas fait pour dogmatiser, ni pour enseigner, ni pour prouver: son but est de faire naître l'idée du beau; il élève la nature humaine par son essence même: lire des vers, écouter une mélodie, regarder un tableau ou une statue est un plaisir intellectuel déjà supérieur, et qui détache de la grossière réalité des choses.» ("La Néo-Critique", l'Artiste, 14 février 1858.) -« La morale de l'art consiste à élever l'âme par la rechercheet l'habitudedu beau [.. .]. Le torse de la Vénus de Milo est plus moral que toute l'œuvre de Hogarth.» (Le Moniteur universel, 20 juillet 1859.) « Le beau, qu'on ne l'oublie pas, est aussi vrai et même plus vrai que le laid, puisque le laid n'est que l'accident et la déviation de l'archétype. (Le Moniteur universel, 4 juillet 1866.) Le Second Rang du collier, p. 164.
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Misérables (les), roman en cinq parties - Fantine, Cosette, Marius, l'Idylle rue Plumet, Jean Valjean
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annoncé comme "épopée sociale de la misère" et paru en dix volumes
chez
Lacroix, à Paris, du 3 avril au 30 juin 1862. Victor Hugo l'avait mis en chantier dès 1845. On donne souvent Honoré de Balzac, Eugène Sue et George Sand pour les trois écrivains "penseurs" qui auraient exercé la plus forte influence sur la manière de Hugo aux prises avec cette énorme machine socio-humanitaire. Éponine, chatte très distinguée bien que "portée sur la gueule" - « Souvenez-vous que vous êtes une personne », lui disait son maître pour l'inciter aux bonnes manières - eut une postérité nombreuse et, si l'on peut dire, littéraire. André Fontainas, le poète et critique belge, décrit dans Mes souvenirs du symbolisme les clients fantomatiques de la Librairie de l'Art indépendant, Chaussée d'Antin, où évoluait discrètement son directeur-éditeur, Edmond Bailly: «Des formes indéfinissables passaient confusément, étrangères aux préoccupations habituelles des hommes. [. ..] Les hôtes habituels de ce lieu si dérobé aux agitations vaines de l'intérêt et des basses ambitions n'en troublaient guère le silence
[...]. De
ces hôtes, le plus silencieux
était un magnifique
chat
noir, de la race d'Éponine, la chatte illustre de Théophile Gautier, qui, durant de longues années, s'arrangea de façon à fournir de ses descendants, aussi irréprochablement noirs, indolents et fatidiques qu'elle-même, les foyers des poètes et de ceux qui les aimaient. » Henri Mondor, le biographe de Mallarmé, consacre toute une page à Lilith, favorite du poète, «fille de la chatte de Théodore de Banville et petite-fille d'Éponine, la chatte de Théophile Gautier, pour laquelle Baudelaire avait fait des vers.» Sans parenté avec cette Lilith-là, une autre Lilith de robe noire voua à Judith un amour exclusif; après la disparition de sa maîtresse adorée, "errant comme une âme en peine et ne cessant de rôder autour de sa tombe", elle se laissa mourir de faim. Cette bête farouche et excessive aux étranges prunelles d'or pâle était la fille de Crevette, chaton sauvé in extremis de la noyade par le petit Théo Bergerat, devenue une mère accomplie qui se reproduisit « pendant douze ans avec une déconcertante ponctualité », assure Suzanne Meyer. Il y eut Satan, il y eut Tanit, Infante, Bleue, Bébé et Pépé, et Démone, mère adoptive et nourrice sèche du "délicieux" Si-Khan, ainsi nommé d'après le roi de Siam, etc. Le généalogiste le plus minutieux y perdrait la tête. L'on n'est pas surpris d'apprendre qu'une forte odeur de pissat résistait aux parfums d'ambre et de santal dont Judith aspergeait ses coussins. Michel Georges-Michel, ce potinier, rapporte - à ce qu'il dit - les propos d'Édouard Benedictus, le filleul de Judith: «... lorsque je quittais [sa] demeure, j'étais suivi, dans les rues, par tous les matous du voisinage. » Les chats cohabitaient bon gré mal gré avec les chiens, la gent canine ayant toujours eu une large part des affections œcuméniques de Judith. Nous connaissons un Panurge qui participa au séjour à Hal, en Belgique, chez les Servais, après les événements de Lucerne et de Munich, et une Grimace qui jouait du piano, se couchait au nom de Ponsard et se dressait sur ses pattes de derrière au nom de Hugo; celui-ci emmène sa petite-fille, 50, rue des Martyrs, voir ce toutou si merveilleusement savant: «Judith a donné à Jeanne une poupée chinoise, et elle m'a donné une poupée française.» (Choses vues, 1872-1873.) Plus tard, voici Mousmé, chienne japonaise "au corps glabre et comme truffé", nourrie de violettes et de lilas, si intelligente, si raffinée que sa maîtresse voyait en elle la réincarnation d'une princesse orientale. Et Bibelot, petit terrier émotif que les déplacements périodiques entre ses domiciles breton et parisien remplissaient d'angoisse tant il craignait d'être abandonné quelque part. Au Pré des Oiseaux subsiste une plaque de ciment gravée du nom chinois des chattes et des chiennes favorites de Judith enterrées dans le jardin.
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Son père l'eût approuvé qui écrivait chez la princesse Mathilde: «Avec raison, sous cet ombrage, / On a fait des tombeaux aux chiens, / Car, s'ils n'avaient parfois la rage, / Ils vaudraient mieux que des chrétiens. » Anne Ubersfeld transcrit cette extraordinaire lettre de Théo à Victor Hugo, remarquable et attendrissante à plus d'un titre: Paris, le 29 décembre 1870. Cher et vénéré Maître, Celui qui n'a aimé et adoré que vous dans toute sa vie, vient, les larmes aux yeux, vous prier de sauver par une de vos paroles toutes-puissantes une pauvre et charmante bête qu'on veut mener à l'abattoir. Votre bonté, universelle comme la bonté divine, a pitié de la bête comme de l' homme. Il s'agit de mon cheval, que j'ai préservé jusqu'à présent. Dites un mot pour lui à M. Magnin ou au général Le Flô, et vous obtiendrez sa grâce. Si je ne vais pas vous supplier moi-même, c'est que je suis retenu dans une chambre par un rhume qui frise la fluxion de poitrine. Vous qui avez l'âme aussi tendre que grande, et qui, terrible comme Jupiter foudroyant, avez sur la vie les scrupules d'un Brahme, faites qu'on épargne ce pauvre être innocent. Je suis sûr qu'au moins vous ne rirez pas de ma douleur. Il faut agir promptement. Je n'ai qu'un répit de 24 heures. La bête est chez M. Deligne, avenue Malakoff, No 16 inscrite sous mon nom. Je suis honteux de déranger Olympio pour si peu de chose; mais il pardonnera cette hardiesse à son ancien Albertus, à son page romantique des jours d' Hernani. Beso a ud las manos.
Théophile Gautier. Hugo agit sur-le-champ, sauva le condamné. Dans un fragment du quatrième volume jamais achevé de ses Souvenirs, Judith rapporte le geste exemplaire du père de Franz Servais, importuné dans sa chambre par le vrombissement d'une grosse mouche, parvenant à grandpeine à la capturer. «Triomphant, il ouvrit une fenêtre pour expulser le monstre. Il pleuvait à verse. Pouvait-il chasser d'un lieu bien clos un être vivant en le jetant brusquement dans cet abîme de froid et de nuit? Il referma la fenêtre, ouvrit la porte d'une autre chambre et y lâcha son bourdonnant ennemi.» Sensiblerie maniaque ou respect, compassion bouddhique pour toute créature, fût-elle la plus humble? Chez Judith se succédèrent ou vécurent en bonne intelligence Ammon, le bélier noir originaire de Noirmoutier qui, selon Suzanne "s'asseyait dans les fauteuils", toute sorte de reptiles tortues, couleuvres, lézards apprivoisés -, toute espèce d'oiseaux exotiques ou indigènes: le corbeau Wotan; le fameux Fidi, ce merle étourdiment tombé dans une soupière auquel, avec une patience inlassable, à l'aide d'un pipeau, Judith enseigna quelques mesures wagnériennes des Murmures de la forêt que finirent par siffler ses congénères alentour; le perroquet amazone Coco, au rire tonitruant, qui chantait "J'ai du bon tabac" et qui se laissait benoîtement tourmenter par le minuscule Kiki, un ouistiti offert à Suzanne par le peintre Morot ; les quatre canards sauvages, réfugiés au Pré des Oiseaux pendant la guerre, sauvés de la convoitise générale et pour l'agrément desquels Judith fit construire un bassin. Sans oublier Hécate, la mignonne pipistrelle, engluée dans un papier tue-mouches, délivrée, soignée: « Elle vécut, écrit Suzanne, dix-sept mois dans un petit garde-manger et en était arrivée à perdre ses mœurs de chauve-souris. Éveillée le jour, elle dormait la nuit et buvait dans un coquillage en humant l'eau à la façon d'un petit cheval... » La peu bavarde Judith savait, à ses heures, captiver un auditoire. Léon Daudet le confirme dans Vers le roi: «Elle racontait languissamment d'admirables histoires de bêtes et de gens. C'est ainsi qu'ayant acheté une carpe magnifique, pour un dîner de douze personnes, elle n'avait pas eu
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le courage de la voir occire et plonger dans le court-bouillon. Elle l'avait conservée, dressée, domestiquée, si bien que la carpe la connaissait et marquait, quand elle s'approchait, sa joie par des bonds et culbutes dans la poissonnière. Judith Gautier [...] menait une existence à la fois mélancolique et féerique, ainsi que dans un conte allemand du début du XIXe siècle. Je la situais dans une petite cour germanique, au milieu d'animaux parlants, et servie par des gnomes en casaque dorée. » Le Second Rang du collier, p. 315. MOHS lN-KHAN fut le dédicataire d'lskender, publié en 1886: «À Son Excellence le Maréchal / Mohsin Khan / Moïnul Mulk, ministre de la Justice à Téhéran / Hommage d'une amitié fidèle / Judith Gautier» et il reçut d'elle mission de remettre au shah de Perse un exemplaire de ce volume. En remerciement, le Roi des Rois fit envoyer à Judith un splendide diamant, monté en bague, choisi dans son fabuleux trésor. Héritière de cette bague, Suzanne Meyer, pressée par le besoin, se vit contrainte de la vendre; un ami des jours heureux d'avant-guerre s'en rendit acquéreur... ce qui allégea un peu le sacrifice. Nasser-ed-Din, né en 1830, fut assassiné en 1896. La presse française de l'époque rappela que le shah avait confié, en 1860, la réorganisation de son armée à nos officiers et que nos savants, nos artistes reçurent toujours auprès de lui le meilleur accueil. Il connaissait bien Paris, y étant venu à l'occasion des expositions universelles de 1873, de 1878 et de 1889, où la somptuosité de son costume - aigrette en diamant sur le bonnet d'astrakan, épaulettes et boutons faits de pierres précieuses, armes de parade étincelantes de joyaux - et le faste ce sa suite enthousiasmèrent les badauds, tandis que ses manières paraissaient plutôt étranges et passablement brutales à ses hôtes européens. Par Suzanne Meyer, nous savons que MohsinKhan mourut dans les bras de celle qui avait repoussé son amour. «Pendant son dernier séjour en France, lui raconta Judith toujours splendidement dédaigneuse des dates au grand dam de nos curiosités, tombé malade dans un hôtel des Champs-Élysées, alors que ses pensées allaient toutes vers moi, j'étais au Pré des Oiseaux - dont lui aussi fut un des hôtes. Mise au courant de ces faits, je n'hésitai point à faire le voyage pour venir recueillir le dernier soupir de l'incomparable ami.» Petit addendum à l'intention des lecteurs auxquels l'arabe ne serait pas familier. Mohsin
= Bienfaiteur;
Moïnul-Mulk
= Appui
du royaume;
Nasser-ed-Din = Victoire de la Foi. Na'ouzou, etc. : le verset 98 de la sourate XVI, "les Abeilles", dit précisément: «En récitant le Coran, implore la protection d'Allah contre Satan le Lapidé! ». Bien avant les amplifications horrifiques de son père, Judith savait à quoi s'en tenir sur la fin légendaire des épouses orientales indociles, elle qui, toute jeunette encore, récitait par cœur les Orientales. La lune était sereine et jouait sur les flots. La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise, La sultaneregarde, et la mer qui se brise, Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots. . ............ Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes? Ni le noir cormoran, sur la vague bercée, Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé D'un lourd vaisseau rampant sur l'onde avec des rames.
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Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots. On verrait, en sondant la mer qui les promène, Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine. La lune était sereine et jouait sur les flots. Victor Hugo, Clair de lune. 20 septembre 1828.
Le Second Rang du collier, p. 234-246, 282-283, 331-334. MONPOU, Hippolyte (1804 - 1841). Organiste, compositeur d'opéras, on le connaît surtout pour ses charmantes mélodies sur des textes de poètes romantiques qu'il interprétait lui-même en concert et dans les salons, « le Berlioz de la ballade », disait Gautier dans son feuilleton du 2 décembre 1867. En septembre 1841, quelques semaines après la mort de Monpou - décédé à Orléans, inhumé au Père-Lachaise après une cérémonie funèbre célébrée en l'église Saint-Rach -, il lui avait consacré un long article. Élevé à l'école de Choron, il avait beaucoup étudié la musiquedes grands maîtres du seizième et du dix-septième siècle. Il en avait contracté un certain goût d'archaïsme, un style figuré contrastant fort avec les habitudes modernes. [...] Pendant longtemps, Hippolyte Monpou [...] fut regardé par les bourgeois électeurs et éligibles comme un furieux qu'on avait tort de laisser chanter sans muselière; quand il s'asseyait au piano, l'œil en feu, la moustache hérissée, il se formait autour de lui un cercle de respectueuse terreur: aux premiers vers de l'Andalouse [Alfredde Musset, Contes d'Espagne et d'Italie], les mères envoyaient coucher leurs filles et plongeaient dans leurs bouquets, d'un air de modeste embarras, leur nez nuancé des roses de la pudeur. La mélodie effrayait autant que les paroles. Peu à peu, cependant, l'on finit par s'y faire; seulement on substituait teint à sein bruni, et l'on disait: «C'est la maîtresse qu'on me donne» au lieu de: «C'est ma maîtresse, ma lionne...» qui paraissait, en ce temps-là, par trop bestial et monstrueux. [...] Parmi beaucoup de titres attendrissants, voici Piquillo, Joli Cœur, Si j'étais petit oiseau, la Chaste Suzanne, etc. Évoquant dans le Livre de Caliban la mémoire de Monpou avec celle de Loïsa Puget et autres compositeurs de gracieuses chansons, Émile Bergerat s'exalte: « Vous qui crûtes à la romance, soyez assis auprès de Schubert, père des lieds, sous le vent des cythares célestes. Car vous semiez de l'idéal, en somme... » Gastibelza, le poète grec Papadiamantopoulos, alias Jean Moréas, aimait à le réciter en faisant rouler les r: «Gastibelza, l'homme à la carabine, / Chantait ainsi: / Quelqu'un a-t-il connu Dana Sabine, / Quelqu'un d'ici... / Chantez, villageois, la nuit gagne / Le mont Palau... / Le vent qui vient à travers la montagne / Me rendra fou...» Cette «guitare profondément espagnole de Victor Hugo, mélodie sauvage et plaintive », disait Gautier, fut l'une des dernières inspirations de Monpou, au destin prématurément tranché. Un Gastibelza, ou le Fou de Tolède, musique de Maillart sur un livret de Dennery et Carmon, fut créé à l'OpéraNationalle 15 novembre 1847, et le bon Théo assiste à cette séance inaugurale du CirqueOlympia transformé en théâtre lyrique. Dans son copieux feuilleton du 22 novembre (recueilli dans l'Histoire de l'Art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, 5e série, Hetzel, 1859), relevons ce joli passage: Gastibelza est une de ces chansons folles et décousues dont les images se succèdent avec l'incohérence du rêve, et qui, malgré la puérilité bizarre des détails, vous troublent profondément et vous laissent pensif des heures entières. Cette guitare ressemble, à s' y méprendre, à ces romances populaires faites par on ne sait qui, par le pâtre qui rêve, par
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l'écolier en voyage, par le soldat sous la tente, par le marin que berce la mer paresseuse. Un vers s'ajoute siècle par siècle au vers balbutié; l'oiseau, au besoin, souffle la rime qui manque, et peu à peu, avec l'air, le soleil, le ciel bleu, le gazouillis de la fauvette et de la source,le bruit de la rosée qui se détache des branches, la chanson se trouve faite, et les plus grands poëtes la gâteraient en y touchant. C'est dans la carrière lyrique de M. Victor Hugo une merveilleuse fortune que d'avoir trouvé Gastibelza. Toutes les fois que nous entendons ce refrain: Le vent qui vient à travers la montagne, nous voyons se dérouler devant nos yeux les crêtes neigeuses des sierras, et, sur le chemin qui côtoie le précipice, s'avancer par file la caravane des mulets caparaçonnés de couvertures bariolées et talonnés par les arrieros au chant guttural. Le vent souffle par folles bouffées dans notre tête comme dans la chanson, et, quoiqu'il ne vienne pas du mont Palou, il nous rend malade et nous donne la nostalgie de l'Espagne. Louis, dit Aimé Maillart, plus que par Gastibelza ou Lara, nous est encore bien connu par les Dragons de Villars, opéra-comique en trois actes sur des paroles de Lockroy et Cormon, représenté pour la première fois à Paris, au Théâtre-Lyrique, le 19 septembre 1856; la câline Romance de Sylvain chante toujours dans nos mémoires: «Ne parle pas, Rose, je t'en supplie, / Car me trahir serait un grand péché! / Nul ne connaît le devoir qui me lie, / Ni le secret en mon âme caché... » Dans le rôle de Rose Friquet, l'héroïne aimée de Sylvain, Mme Galli-Marié fut vivement applaudie à la reprise des Dragons en 1869 ; Mme Galli-Marié, qui avait mené au triomphe, en 1866, la Mignon d'Ambroise Thomas, l'admirable interprète de Bizet dans le rôle de Carmen en 1875, remarquée dès 1862 par Berlioz. Il écrivait à Mme Viardot: elle «a une certaine intelligence dramatique et une voix moins pointue que la voix de toutes ces mésanges qui piaulent et sautillent sur les planches de notre second théâtre.» (Lettres et manuscrits autographes. Documents historiques. 27 novembre 1990.) Maxime Du Camp rappelle ses souvenirs de pensionnaire au collège Saint-Louis, où il fut horriblement malheureux: «Parmi les hommes dont nous étions entourés à Saint-Louis, il en est un que nous aimions et que nous regardions avec respect: c'était l'organiste de la chapelle. Parfois, le dimanche et les jours de fête, nous l'apercevions, vêtu de son habit bleu à boutons d'or, marchant avec lenteur et la tête penchée. Sa chevelure et sa moustache blondes, son regard triste, rendaient plus mate encore la pâleur de son visage un peu bouffi. La musique dont il accompagnait la grand'messe était originale et avait une sorte de tendresse qui nous charmait. Je me souviens d'un 0 Salutaris qui ressemblait à une plainte entrecoupée de sanglots. Cet homme était Hippolyte Monpou. » Le Collier des jours, p. 264. Le Second Rang du collier, p. 43. Mon Rocher de Saint-Malo. Sous ce titre et sur une mélodie de Loïsa Puget, Adolphe-Clair Le Carpentier, musicien qui se consacra à l'enseignement du piano, arrangea une Récréation, la vingt-deuxième du Premier Livre de son Cours pratique du piano. « Le Petit Suisse» est la huitième Récréation de ce même recueil, assidûment pratiqué au temps où toutes les jeunes personnes comme il faut - et les autres de même, pourvu que leurs parents fussent animés pour elles de quelque ambition sociale - se devaient de pouvoir toucher peu ou prou le clavier d'ivoire et d'ébène aux applaudissements d'un auditoire résigné. Relisons le Roman d'un enfant. Pierre Loti, attendri, se remémore au soir de sa vie
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les heures enchantées de La Limoise et la grande amie de sa jeunesse, Lucette Duplais : « Elle s'était amusée à m'apprendre le piano, de très bonne heure, en cachette, en surprise, pour me faire exécuter un soir, à l'occasion d'une solennité de famille, l'air du Petit Suisse et l'air du Rocher de Saint-Malo.» - «Saint-Malo dans son port tranquillement regarde / Mille rochers debout qui lui servent de garde », écrivait un jour M. de Vigny. La compositrice Louise-Françoise dite Loïsa Puget, née à Paris en 1810, beaucoup plus que Sophie Gail, Pauline Duchambge ou Marie Nodier, acquit une belle renommée grâce à ses romances qu'elle interprétait elle-même dans les salons romantiques où triomphait cette forme musicale brodée, selon le précepte de Marmontel, sur un sujet "naïf et attendrissant". P. Meissonnier, éditeur de Loïsa Puget, tira de cette vogue un substantiel profit. Voici, par exemple, un Album de Mademoiselle L. Puget, paroles de G. Lemoine. Douze chansons (paroles et musique) ornées chacune d'une gravure hors-texte sous serpente par Nanteuil, Devéria, Mouilleron et quelques autres... vers 1835. Loïsa Puget épousa son parolier, Gustave Lemoine, devenant ainsi la belle-sœur de l'actrice Rose Chéri - Mme LemoineMontigny, femme du directeur du Gymnase - qu'elle aimait tendrement, assure Mirecourt, dès avant leur mariage réciproque. Avec son mari, Loïsa Puget signa plusieurs centaines de ces gracieuses chansons. Philippe Musard et Johan Strauss s'y intéressèrent assez pour en arranger plusieurs en quadrilles. Loïsa Puget s'essaya au théâtre, mais elle n'y connut que de maigres succès. Elle mourut à Pau en 1889. Au fil des générations successives, le recueil pédagogique de Le Carpentier s'est trouvé relégué dans le classeur des partitions démodées au profit de l'Album à la Jeunesse, opus 68 (1848) de Robert Schumann (A. Durand et fils, éditeurs), précédé des Conseils aux Jeunes Musiciens, traduction par Franz Liszt, révisé par Gabriel Fauré. Nous avons encore dans l'oreille. .. et dans les doigts «le Gai Laboureur », numéro 10 de ses 43 Récréations de difficulté progressive. Nés avant Le Carpentier, l'Italien Clementi, auteur du Gradus ad Parnassum (première édition de 1817 à 1826), et l'Autrichien Czerny furent, eux aussi, des pédagogues remarquables, leur enseignement conduisant l'élève des rudiments jusqu'à la virtuosité pianistiques. Quant à la Méthode rose, de nos jours familière à tant de novices du clavier, elle est diffusée avec succès depuis un siècle par l'éditeur de musique Van de Velde. Le Second Rang du collier, p. 200. Monsieur, prune de. Variété de grosse prune ronde, qu'on appelle aussi, plus brièvement, une monsieur. Elle a donné son nom à une certaine nuance de violet. Le Second Rang du collier, p. 36. MONTAGNAC. Nom d'un fabricant de Sedan. Il lança sur le marché des tissus épais pour vêtements d'hiver. Ne pas confondre le montagnac avec le sedan, drap fin, uni, généralement noir, utilisé au XIXe siècle pour les vêtements civils de cérémonie. Ce complet de velours assorti d'un bonnet à la Dante Alighieri atteste que Théophile Gautier n'avait pas totalement abandonné dans son âge mûr l'aimable fantaisie vestimentaire de sa jeunesse s'il avait dès longtemps renoncé aux extravagances capillaires dont témoigne son autoportrait daté de novembre 1831. Il s'en est expliqué dans l'Histoire du romantisme en traçant le portrait de Petrus Borel dit le Lycanthrope, comme Théo transfuge de la peinture à la littérature,
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l'excentrique auteur de Rhapsodies (1831), de Champavert, Contes immoraux (1833), de Madame Putiphar (1839), entre autres productions littéraires au style "frénétique", bousingot exemplaire, figure dominante du Petit Cénacle: Une barbe fine, soyeuse, touffue, parfumée au benjoin, soignée comme une barbe de sultan, encadrait de son ombre noire ce pâle et beau visage. Une barbe! cela semble bien simple aujourd'hui, mais alors il n'yen avait que deux en France: la barbe d'Eugène Devéria et la barbe de Petrus Borel! Il fallait pour les porter un courage, un sang-froid et un mépris de la foule vraiment héroïque! Entendez bien, non pas des favoris en côtelettes ou en nageoires, ni une mouche, ni une royale, mais une barbe pleine, entière, à tous crins; quelle horreur! Nous admirions,nous autres imberbes ne possédant qu'une légère moustache aux commissures des lèvres, cette maîtresse toison: nous avouons même que nous, qui n'avons jamais rien envié, nous en avons été jaloux bassement, et que nous avons essayé d'en contre-balancer l'effet par une prolixité mérovingienne des cheveux. Petrus portait les siens très-courts, presque en brosse, pour laisser toute l'importanceà sa barbe. Nous pouvions donc chercher de ce côté-là quelque chose de nouveau,de singulieret même d'un peu choquant. Un quart de siècle plus tard, Nadar a photographié Théo coiffé de cette étrange calotte molle à gland dont parle Bergerat, qui nous montre son beau-père assis sur un pliant, dans la rue œ Longchamp, bavardant avec parents et amis. «Les rares passants qui traversaient la chaussée s'étaient accoutumés à voir au milieu des siens cet Oriental aux longs cheveux bouclés, vêtu de bleu, la jambe repliée au bout de laquelle se balançait une babouche... » L'ami Nadar, bonhomme, écrivait: « Des gens qui n'ont rien de mieux à faire l'ont querellé pour ses cheveux, pour son nez, et on a même raconté qu'il se présenta un jour à sa porte dans un costume tellement négatif et en dehors des mesquineries de notre civilisation que le garde municipal qui lui apportait le ruban de la Légion d'honneur ne sut où ni comment le lui attacher. Facéties! Chacun a le droit de s'habiller ou de ne s'habiller point comme il lui convient, et les fantaisies esthétiques d'un écrivain si plastique ne regardent que 1ui. » C'était avec bon sens que, dans l'intimité, Théo s'affranchissait des exigences trop contraignantes de la mode en endossant des vêtements amples qui seyaient à sa corpulence, mais Liphart, le baron von Liphart, collaborateur de la Vie Moderne, qui a laissé des portraits à la plume de Flaubert, de Saint-Victor, des Goncourt, ..., l'a vu d'une correction impeccable, en redingote ou en pelisse à col de fourrure. Néanmoins, jamais il ne put se contraindre à enserrer son cou puissant dans l'instrument de torture inventé par le XIXe siècle, cette cravate de mousseline à un, deux, et même trois tours où les bourgeois enfouissaient leur menton glabre entre les pointes empesées de leur col de chemise. Gautier était réfractaire à l'uniformité désolante du costume masculin: « Les hommes [...] ont tous l'air de hannetons trempés dans l'encre; il semble que, depuis la Révolution, le deuil soit œ rigueur pour les Européens. Nos efforts sur ce point, en 1830, ont été vains et l'habit noir a triomphé du Romantisme. » En revanche, lecteur assidu de la Vie parisienne de Marcelin, "ce Moniteur de la fashion", il approuvait sans réserve la toilette féminine du Second Empire, le "tatafouillon" comme il l'appelait plaisamment: « Les femmes [...] ont secoué jusqu'au joug de la mode et s'habillent selon leur beauté propre, en vue du milieu où elles doivent briller, et après une étude approfondie devant le miroir des avantages qui, en elles, doivent être mis en relief. Une femme ne s'habille jamais pour elle-même, rarement pour son amant, mais toujours pour une rivale. Il en résulte que rien n'est plus charmant que cette variété de formes et de couleurs, et qu'à aucune époque le thème féminin n'a fourni aux
321 artistes des variations aussi étincelantes et des développements aussi originaux.» Théophile Gautier.)
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Le Second Rang du collier, p. 88. MONTESQUIOU, abbé de. Descendant d'une famille dont les origines connues remontent au XIe siècle et qui s'illustra dans nos annales politiques et militaires, FrançoisXavier-Marc-Antoine de Montesquiou-Fezensac naquit au château de Marsan, près d'Auch, le 13 août 1755; il y mourut le 5 février 1832. Il embrassa l'état ecclésiastique sans zèle particulier, semble-t-il. « C'était un homme d'esprit, dit le maréchal de Castellane cité par José Cabanis dans son Charles X, un prêtre qui n'était pas dévot le moins du monde; il ne remplissait aucune fonction de son ministère, il était cependant vêtu en abbé.» Et Chateaubriand: « Descendant de Clovis, abbé peu pratiquant... » Sa carrière politique fut toute dévouée aux Bourbons. Son éloquence était persuasive, sa modération bien connue. Le Dr Véron fait un curieux parallèle entre Talleyrand, ministre des Affaires étrangères, et l'abbé de Montesquiou, ministre de l'Intérieur de Louis XVIII: «M. de Montesquiou et M. de Ta1leyrand étaient divisés sur tous les points; antécédents, mœurs, conduite, convictions, tout contribuait à entretenir un antagonisme déclaré entre ces deux prêtres de la même Église. [...] Tous deux ils appartenaient à d'anciennes et illustres familles; l'un et l'autre pouvaient prétendre aux plus éminentes dignités de leur ordre. Ils se suivaient toujours de très-près dans leur élévation aux charges publiques; seulement M. de Talleyrand était un aîné, et il ne prit les ordres qu'à cause de sa claudication; l'abbé de Montesquiou était un cadet. » (Mémoires d'un bourgeois de Paris.) Pair de France, ministre d'État en 1815, nommé d'office par le roi membre de l'Académie française en 1816, ce qui embarrassa cet homme conscient de ses insuffisances, il reçut en 1817 le titre de comte, en 1821 celui de duc. Béranger profita d'une loi restrictive sur la liberté de la presse présentée par l'abbé pour satiriser: « Qu'un ministre qui s'irrite / Quand on lui fait la leçon, / Lise tout bas ma chanson, / Qui lui parvient manuscrite. / Riez-en avec moi. / Ah! pour rire / Et pour tout dire, / Il n'est besoin, ma foi / D'un privilège de roi!» On prétend que ses subordonnés récitaient pieusement ce distique paru dans le Nain Jaune: «Opérez un miracle et faites, ô mon Dieu! / Que l'abbé Montesquiou devienne un Montesquieu. » Guizot, ce protestant qu'il nomma à la surprise des ultras secrétaire général de son ministère, traça de son patron un portrait nuancé: « L'abbé de Montesquiou était d'un caractère ouvert, d'un esprit agréable et abondant, prompt à la conversation. [...] Homme parfaitement honorable, d'un cœur plus libéral que ses idées, d'un esprit distingué, éclairé, naturel avec élégance, mais léger, inconséquent, distrait, peu propre aux luttes âpres et longues, fait pour plaire, non pour dominer... » Il était de santé fragile, ami du repos. Dans les Pas effacés, Robert de Montesquiou reproduit une partie de cette pochade. Un chapitre entier de ses Mémoires est consacré à la correspondance de l'abbé, son arrière-grand-oncle - «Judith Gautier m'a donné une mèche de ses cheveux» - avec Pierre Gautier dont il avait fait le gérant de sa fortune qu'il perdit en jouant à la hausse en 1830, tout comme son factotum également mal inspiré qui vit fondre la sienne dans la même spéculation. On y constate le vif intérêt que l'aimable gentilhomme portait au jeune Théophile. Cet intérêt ne signifie d'aucune manière que l'abbé de Montesquiou eût attenté à la vertu de Mme Pierre Gautier et fût le père naturel du futur poète, balivernes, légende propagée sous le manteau à laquelle
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s'opposent des dates d'une évidence irréfragable. Parmi la cinquantaine de lettres acquises des sœurs de Théophile par le vicomte de Spoelberch et le choix qu'en fît le comte Robert, citons cet extrait du 29 décembre 1828: «J'oubliais les étrennes de M. Théophile, qui mérite bien qu'on se le rappelle. Je ne veux pas perdre l'avantage d'avoir commencé une bibliothèque, dont il tirera, un jour, un grand parti. » Bergerat écrira, au siècle suivant, que son beau-père n'était pas "fort bibliophile" et se désintéressait des livres une fois lus, au milieu desquels les chattes venaient faire leurs petits. «À sa vente posthume, les seuls livres de sa maigre "librairie" qui atteignirent à quelque prix un peu élevé furent ceux qu'il tenait d'un legs de l'abbé duc de Montesquiou, l'un des rédacteurs de la Charte et ministre de la Restauration, qui fut protecteur de la famille Gautier.» En 1828, l'abbé remercie et félicite personnellement Théophile du tableau de la Sainte Famille qu'il lui a envoyé pour étrennes. Enfin, ceci, qui est véritablement prophétique, au père de l'adolescent encore indécis sur sa vocation: « Ne faites plus d'objections à monsieur Théophile. Ses réponses sont sans répliques, parce qu'elles sont inspirées par un goût si prononcé et un sentiment de ses forces qui suppose le génie. Laissez-le aller, en soignant cependant sa santé, autant que vous le pouvez; mais il est impossible que ce désir d'apprendre et ce goût si vif qui est né avec lui ne le mène pas au grand. Je vous félicite d'avance de ses succès, parce que je les regarde comme infaillibles. » Le 28 juillet 1830, fâcheuse date pour un début littéraire, paraissaient les Poésies de Théophile Gautier, 192 pages in-12, sous couverture rose, en vente chez Rignoux et Mary, passage des Panoramas, aux frais de M. Gautier père. Ne quittons pas l'abbé de Montesquiou sans mentionner ses relations amicales avec la famille Vigny. Alfred de Vigny, alors capitaine au 55e de ligne en garnison dans le Béarn, l'abbé s'occupa de le marier avec une aristocratique demoiselle de cette province, B. de F., qui repoussa ce prétendant sans "espérances" ; quelques mois plus tard, le 8 février 1825, au temple de Pau, il épousait sur un coup de tête miss Lydia Bunberry pour une longue pénitence conjugale. Le mémorialiste des Pas effacés consacre un autre chapitre à son aïeule née Louise Le Tellier de Montmirail, la petite-fille du grand Louvois, mariée à ÉlisabethPierre, baron puis comte de Montesquiou-Fezensac, pair de France, la gouvernante du roi de Rome, sa Maman Quiou. Elle en était adorée et, pour la renvoyer de Vienne où elle l'avait suivi en 1814, il fallut user de ruse et le tromper. On sait que "la layette" revenait de droit à la gouvernante des Enfants de France. «C'était, écrit son arrière-petit-fils, une montagne, vraiment tout un névé de lingerie, aux linons brodés et rebrodés, aux dentelles un peu jaunies. Tous, nous avons été élevés là-dedans, mes cousins et moi; car le fils de "Maman Quiou" en avait partagé les pièces entre ses belles-filles. Il m'en reste un béguin, dont le tissu arachnéen disparaît sous la broderie [...]. J'avais aussi un imperceptible chausson découpé, joli comme une capsule de rose; cette rose fut le pied de l'enfant aux destins effeuillés qui a inspiré Rostand. Aussi, ai-je offert le petit objet, saturé de grands souvenirs, à Sarah Bernhardt, le jour de la première de "l'Aiglon". J'ai cru comprendre, depuis, qu'elle a cru devoir elle-même l'offrir au poète. Elle a bien fait. Ce fut le remercier, de ma part, pour son salut à ma grand'mère, sur la fin de son ouvrage, quand il évoque devant les yeux du jeune homme agonisant le baptême de l'enfant "porté par Mme de Montesquiou". .. » Le Collier des jours, p. 87. Le Second Rang du collier, p. 197.
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Morte amoureuse (la). Conte fantastique et macabre publié les 23 et 26 juin 1836 dans la Chronique de Paris. Romuald, pauvre prêtre de campagne, envoûté par le fantôme de la courtisane Clarimonde, vampirisé par cette fascinante beauté, «vit en rêve toutes les nuits une vie de damné, une vie de mondain et de Sardanapale». Conclusion affligeante: « Voilà, frère, l'histoire de ma jeunesse. Ne regardez jamais une femme, et marchez toujours les yeux fixés en terre, car, si chaste et si calme que vous soyez, il suffit d'une minute pour vous faire perdre l'éternité.» Judith versifia sous le même titre un "opéra fantastique en trois actes et cinq tableaux", publié dans ses Poésies. En 1852, Clarimonde revint visiter Théo sous le nom d'Arria Marcella. À propos du Capitaine Fracasse, Du Camp écrit: «Gautier est bien moins un romancier qu'un conteur; la plupart de ses nouvelles, Fortunio entre toutes, représentent la cristallisation de son propre rêve. [...] Que l'on se rappelle ce Tiburce qui est le héros de la Toison d'or. "Souvent il restait des journées entières sur son divan, flanqué de deux piles de coussins, sans sonner mot, les yeux fermés et les mains pendantes." Le portrait est frappant de ressemblance; c'est Gautier, tel que ses amis l'ont connu, immobile dans sa rêverie, c'est-à-dire dans le travail intérieur. Comme Tiburce encore, il était hardi en pensée, timide en action. C'est là, en effet, un des traits les plus saillants de sa nature; son imagination sans frein était neutralisée par une timidité extrême et par l'horreur de l'action; c'était un contemplatif qui se contentait d'assister au dévergondage de son esprit: peut-être était-ce simplement un sage qui savait que la fiction est supérieure à la réalité. » (Théophile Gautier.) Le Collier des jours, p. 118. Mo s è, "Moïse et Pharaon ou le passage de la Mer Rouge", drame lyrique sacré en quatre actes de Rossini, version remaniée, sur un livret de Balocchi et Étienne de Jouy, d'un Moïse créé en 1818 à Naples d'après un argument de Tottola et qui avait remporté un triomphe au Théâtre-Italien en octobre 1822. Première représentation le 26 mars 1827 à l'Opéra de Paris. Oubliés les sobriquets péjoratifs inventés par les confrères jaloux, "Signor Crescendo", "Signor Vacarmini"... Rossini remporte tous les suffrages, ceux du public comme ceux des critiques moins faciles à séduire: « Il est question de rien moins que d'une révolution lyrique accomplie en quatre heures par le Signor Rossini. Désormais le hurlement français (hurlo francese) est banni pour toujours. On chantera à l'Opéra comme on chante au Théâtre-Italien.» (Gazette de France.) Moïse fit une forte impression sur Théophile Gautier comme sur Stendhal et comme sur Balzac. En novembre 1852, au retour de son voyage en Orient, le poète des Nostalgies d'obélisques
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un thème proposé de Luxor
(Louqsor) même par Maxime Du Camp - retrouve son enthousiasme pour ce Mosè in Egitto : Certes, s'il y eut jamais sujet poétique et grandiose, c'est celui-là. La délivrance d'un peuple opprimé quittant la terre d'esclavage pour la terre promise, sous la conduite d'un prophète inspiré de Dieu, quel admirable thème à développer! Et pour fond à cette action, la mystérieuse Égypte, avec ses énormités architecturales, ses allées de sphinx accroupis, ses avenues d'obélisques, ses monstrueuses idoles à têtes d'animaux, ses temples aux panneaux d'hiéroglyphes, aux colonnes grosses comme des tours, ses stèles bariolées, ses syringes s'enfonçant dans le granit rose des montagnes, ses hypogées où dorment, couche par couche, des nations de cadavres embaumés, ses processions interminables de prêtres coiffés du
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pschent et portant sur leurs épaules la bari mystique, tout cet aspect funèbre et sacerdotal qui étonne et confond l'esprit à travers tant de siècles écoulés... Le canevas tracé, il n'y avait plus qu'à développer dans le Roman de la momie! L'incroyable facilité de Rossini, de notoriété publique, est bien illustrée par cette anecdote, d'ailleurs inexacte mais vraisemblable, que raconte Stendhal. Par suite d'un fâcheux détail dans la mise en scène du passage de la mer Rouge, le public napolitain de la première, au théâtre de San Carlo, s'était esclaffé. Un jour, sur le midi, Rossini «paressait dans son lit, comme à l'ordinaire, donnant audience à une vingtaine d'amis, lorsque, pour la plus grande joie de la société, parut le poète Tottola lequel, sans saluer personne, s'écria: Maestro! maestro! ho salvato l'atto terza. - E che hai fatto ? etc. "Maître, maître, j'ai sauvé le troisième acte. - Eh ! que diable as-tu pu faire, mon pauvre ami? - [...] Maestro, j'ai fait
une prière pour les Hébreux avant le passage de la mer Rouge. E lavoro d'un ora..." » Rossini parcourt le texte de ladite prière: Dal tua stellato soglio..., "De ton trône étoilé..." « E lavoro d'un ora, he ! Hé bien, si tu as mis une heure pour écrire cette prière, moi, je vais en faire la musique en un quart d'heure. - À ces mots, Rossini saute de son lit, s'assied à une table tout en chemise, et compose la musique de la prière de Moïse en huit ou dix minutes au plus, sans piano, et la conversation continuant entre les amis, et à très haute voix, comme c'est l'usage du pays. » (Vie de Rossini.) On a souvent reproduit la réponse œ
Donizetti à qui lui demandait: « Est-il vrai que Rossini a écrit le Barbieren treizejours? - Mon Dieu, pourquoi pas? Il est si paresseux!» blanchisseur, et je la mettrai en musique. » (Rossini.)
- «Donnez-moi
une liste de
Le Second Rang du collier, p. 72. MOZART, Wolfgang Amadeus (Salzbourg 27 janvier 1756 - Vienne, Autriche, 5 décembre 1791) séjourna trois fois à Paris. La première fois en 1763, avec son père et sa sœur Nannerl, excellente pianiste; pendant cinq mois, hôtes du comte d'Eyck, ambassadeur extraordinaire du duc de Bavière, ils logent dans l'hôtel de Beauvais, rue François-Miron, numéro 68. En 1766, au retour d'une immense et fructueuse tournée en Europe, la famille Mozart ne s'y arrête qu'un mois, pendant lequel l'enfant prodige est derechef fêté et cajolé par les grands de ce monde. Au troisième voyage, en revanche, accompagné seulement de sa mère, les déconvenues, les mécomptes accablent celui qui n'apparaît plus comme un charmant petit phénomène. Pour comble d'infortune, Wolfgang a la douleur de voir mourir sa mère; les obsèques d'Anna-Maria Mozart ont lieu dans l'église Saint-Eustache le 4 juillet 1778; une plaque nous y rappelle sa mémoire; sans doute enterrée aux Porcherons, cimetière désaffecté un siècle plus tard, ses ossements doivent se trouver enfouis quelque part sous la rue du Faubourg-Montmartre, à moins qu'ils n'aient été empilés avec des millions d'autres dans les Catacombes. Treize années après la mort d'Anna Mozart, la dépouille de son fils sera jetée à la fosse commune de la capitale autrichienne. Nous sommes si accoutumés à croire, comme Wagner, que "son prodigieux génie l'a élevé audessus de tous les maîtres" que nous avons de la peine à imaginer le dédain qu'on manifesta longtemps pour sa musique, "consciente et amoureuse fusion de l'expression et de la beauté". (Adolphe Boschot, la Lumière de Mozart.) Exemple: le 15 décembre 1840, on célèbre aux Invalides le retour des cendres de Napoléon 1er,ramenées de Sainte-Hélène par la frégate la Belle-Poule, sous le commandement du prince de Joinville; Victor Hugo, témoin
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oculaire, raconte en détailla cérémonie, il note: « Le Requiem de Mozart a fait peu d'effet. Belle musique, déjà ridée. Hélas! la musique se ride; c'est à peine un art. » (Choses vues.) À cette assertion brutale, opposons celle-ci, plus fine, de Rossini: « La musique est un art fugitif, ce qu'admirait une génération, une autre le dénigre », d'ailleurs valable pour toutes les expressions artistiques, c'est la loi d'injustice. Gautier assurait un jour que "la musique est, de tous les arts, celui qui vieillit le plus vite". (Histoire de l'art dramatique, 5 juillet 1843.) À propos de Don Juan, "l'opéra des opéras" disait encore Wagner, Jean Chantavoine cite avec éloge Théophile Gautier: «On trouve des notes très justes dans les feuilletons musicaux qu'il écrivait pour la Presse - pendant quarante ans et qui ont été réunis en six volumes. [...] Assez éclectique, sa critique musicale est bien le reflet de l'opinion générale du public cultivé d'alors, car elle marque un penchant caractérisé pour la musique italienne. [. ..] Il fut capable cependant de discerner ce que les origines germaniques de Mozart ajoutaient à sa culture italianisante: "Sous ses notes divines le libertinage de Don Juan s'humanise, prend de la tendresse et de la mélancolie. Un rayon bleu de clair de lune germanique luit parmi l'âpre soleil des paysages d'Espagne." (Moniteur Universel, 28 novembre 1864.)>> (Le Romantisme dans la musique européenne.) Futur auteur de Mozart sur un livret de Sacha Guitry, agréable pastiche du compositeur qu'il adorait et dont il conduisit les œuvres avec panache, Reynaldo Hahn lisait les poésies de Gautier, à preuve la gracieuse mélodie qu'il broda autour d'Infidélité: «Voici l'orme qui balance / Son ombre sur le sentier; / Voici le jeune églantier, / Le bois où dort le silence; / Le banc de pierre où le soir / Nous aimions à nous asseoir. / Voici la voûte embaumée / D'ébéniers et de lilas, / Où, lorsque nous étions las, / Ensemble, ô ma bienaimée! / Sous des guirlandes de fleurs, / Nous laissions fuir les chaleurs. /...1 L'air est pur, le gazon doux... / Rien n'a donc changé que vous.» En comité restreint, il interprétait lui-même ses œuvres - et d'autres - avec un talent qui lui valut l'approbation de la vieille Mme Viardot: «J'aime comme vous chantez. Oui, oui, c'est simple, c'est bien.» (Notes. Journal d'un musicien.) Reynaldo Hahn rencontra Judith Gautier au cours d'une soirée, organisée par la duchesse de Mecklembourg, qu'il qualifie de "cauchemar burlesque". Après un dîner dans un salon d'hôtel [7] en tête à tête avec la duchesse qui ne cesse d'aller et de venir au cours du repas pour mettre la dernière main à sa toilette, arrive soudain Mounet-Sully: « On est venu dire que la voiture était avancée et nous voilà tous en route pour aller assister dans un quartier lointain [7], chez des particuliers [7], à une représentation de marionnettes donnée par Judith Gautier. [...] Séance inénarrable devant un public entassé et composé de gens bizarres [7]. La pièce, jouée par des marionnettes, était de Judith, drame japonais [7] assez confus avec musique de Bénédictus [sic]. C'était interminable et il faisait une chaleur atroce. [...] Enfin, à la seconde même où j'allais m'endormir, la duchesse s'est levée brusquement sans souci de troubler la représentation et après un geste d'adieu très aimable à la grasse poétesse, s'est frayé fièrement un passage vers la sortie, suivie de Mounet et de moi, gênés et ahuris...» (Journal..., sans date.) Ce croquis décevant trahit la mauvaise humeur de son auteur. Reynaldo Hahn - l'élève préféré de Massenet, le petit ami de Saint-Saëns et de Proust, l'adorateur de Cléo de Mérode et de Liane de Pougy, le compositeur de l'Île du rêve (première représentation en 1898) sur un thème tiré du Mariage de Loti... Peut-être faut-il attribuer cette mauvaise humeur à son attachement, à sa dévotion proclamés pour Sarah Bernhardt avec laquelle Judith fut en difficulté au sujet de la Fille du ciel, ou, plus encore, à ses relations avec Augusta Holmès
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et avec Catulle Mendès, son librettiste de la Carmélite (sujet: les amours de Louise de La Vallière et de Louis XIV), œuvre lyrique créée à l'Opéra-Comique le 16 décembre 1902 avec Emma Calvé et Muratore, de Scarron, musique de scène en 1905, avec Coquelin, et de la Fête chez Thérèse, ballet en deux actes créé à l'Opéra le 13 février 1910, avec Carlotta Zambelli dans le rôle-titre. Bernard Gavoty (pseudonyme journalistique: Clarendon) parle des "vers de mirliton" de Mendès que l'auteur des Chansons grises et autres cycles de mélodies mit en musique: «Naguère, au temps des églantines, / J'avais des peines enfantines... » Poursuivons: «Mon cœur se gonflait sans raison / Sous les lilas en floraison. / À respirer les chauds calices / Je goûtais d'amères délices; / Sous les étoiles, pâle et coi, / Je pleurais sans savoir pourquoi. / Et maintenant je pleure encore / Le long du soir, comme à l'aurore; / En hiver, sur le blanc grésil, / Sur les roses, pendant Avril, / Mes larmes tombent à toute heure: / Mais je sais bien pourquoi je pleure! » Gavoty n'avait pas tort! Le Supplément musical de l'Illustration (23 février 1896) offrit aux âmes sensibles cette mélodie, chant et piano, avec décoration de fleurs en guirlande et angelots fessus. Le 28 août 1897, l'Illustration proposait derechef un texte de Mendès, arrangeur d'un poème de Tourguénev (sic) sur une musique de Camille Erlanger: Fédia, mouture russifiée de notre «Pauvre soldat revient de guerre Tout doux...» En 1896, Dupont avait édité les Six Poèmes russes d'Erlanger. La collaboration Mendès-Erlanger donnera naissance au Fils de l'Étoile, drame créé à l'Académie Nationale de musique (Palais Garnier) le 17 avril 1904. Autre conjonction: Mendès-Bruneau, Bruneau, le compositeur élève de Massenet, grand ami de Zola, critique musical du Gil BIas, puis du Figaro. Les Lieds de France "Avec dix Musiques d'Alfred Bruneau & dix Dessins de Raphaël Mendès" sont dédiés par l'auteur « À Alfred Bruneau Qui, de quelques-unes de mes humbles chansons en prose, a fait d'exquis poèmes en musique. C.M.» Penthésilée, reine des Amazones « La reine au cœur viril a quitté les cieux froids / de la Scythie... » - poème symphonique accompagné de chant, fut également le fruit de cette coopération. La qualité soporifique des marionnettes du Petit Théâtre de Judith Gautier n'a été dénoncée à notre connaissance que par Reynaldo Hahn. Bien entendu, elles n'étaient pas les seules à charmer les Parisiens et les Parisiennes sensibles à la poésie de ces figurines. Francisque Sarcey évoque: «. .. le théâtre minuscule de la galerie Vivienne, où le poète Bouchor, aidé de quelques-uns de ses amis, poètes comme lui, Richepin, Ponchon et d'autres encore, nous donna des spectacles délicieux où il n'avait pour artistes que des marionnettes taillées dans le bois et construites par M. Signoret. Ces mystères, celui de Tobie, de Noël, de la Légende de Sainte-Cécile, attirèrent dans cette petite salle tout ce que Paris compte de fins lettrés, de femmes élégantes et de snobs. Car les snobs viennent partout à la suite des grands succès. » (Paris vivant. Le Théâtre.) Dans Mes souvenirs du symbolisme, André Fontainas parle avec éloge de ce petit Théâtre de Maurice Bouchor et, aussi, du "délicieux théâtre de marionnettes" du compositeur Claude Terrasse, rue de Milan, où l'on joua, dit-il, le Paphnutius de Hroswitha et Ubu-Roi d'Alfred Jarry, "avec un effet prodigieux" ; Vuillard, Bonnard, Roussel, Ranson, les peintres nabis, ne dédaignaient pas d'en brosser les décors et d'en manœuvrer les petits acteurs. Paul Ranson, dans son atelier, 25, boulevard du Montparnasse, avait lui-même construit son propre théâtre de marionnettes sculptées par Maurice Denis et Georges Lacombe; on y représenta les sept pièces éditées en 1902 sous ce titre: l'Abbé Prout, Guignol pour les vieux enfants. Administrateur de la Comédie-Française, Jules Claretie se souvenait d'avoir régné, sous l'Empire, sur des marionnettes bien agréablement dociles; il invitait sa toute
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jeune voisine de la rue de Paradis-Poissonnière, la petite Louise Delabigne, future grande Valtesse de la Bigne, à venir applaudir sur ses tréteaux Ruy BIas et Hernani. Ce ne sont là que quelques exemples, parmi lesquels les théâtres d'ombres tinrent une place de choix, ces "ombres" fameuses, comme celles d'Henri Rivière qui firent courir le public au Chat-Noir œ Rodolphe Salis; merveilleusement ambiguës, elles appartiennent elles aussi à l'univers du rêve et de la poésie. Alfred Jarry conclut sa conférence du 21 mars 1902 devant un public bruxellois: «Les marionnettes seules dont on est maître souverain et créateur, car il me paraît indispensable de les avoir fabriquées soi-même, traduisent, passivement et rudimentairement, ce qui est le schéma de l'exactitude, nos pensées. On pêche à la ligne - du fil de fer dont se servent les fleuristes
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leurs gestes qui n'ont point les limites de la vulgaire
humanité [...] et les actions qu'on leur prête n'ont point de limites non plus. » Le Second Rang du collier, p. 123. MUSSET, Alfred de (Paris 1810-1857). Au petit jeu des amants célèbres, la compagnie répond, unanime: «Héloïse et Abélard, Roméo et Juliette, George Sand et Musset! » L'affaire, étalée, disséquée sur la place publique, a fait couler des torrents d'encre, alors et depuis. L'époque romantique mettant volontiers son... cœur à nu, Sand écrit Elle et lui (1859) qui présente une image révoltante du défunt poète. Le frère d'Alfred réplique aussitôt par Lui et elle, également polémique. Ce frère, Paul de Musset, épousa plus tard Aimée d'Alton, gentille personne qui, autrefois, en 1837, avait adoré Alfred. Des passades, des amours plus ou moins heureuses de Musset, on cite encore, au fil des ans, Mme Jaubert, née Caroline d'Alton-Shée, sa "marraine" qui l'avait si joliment baptisé "le Prince Phosphorus de Cœur-Volant", Pauline Garcia - elle n'était pas encore Mme Viardot -, en concurrence dans le cœur inflammable du poète avec l'esbroufante princesse Belgiojoso et la tragédienne Rachel, Louise Colet, l'actrice Mme Allan-Despréaux - «C'est un labeur que de se laisser aimer par lui. [...] L'excès voilà sa nature, soit en beau, soit en laid », écrivait celle-ci, fine psychologue -, des grisettes, des prostituées aussi, accueillantes au malheureux, si charmant, si séduisant dans sa blonde jeunesse, désormais sombré, à intervalles de plus en plus rapprochés, dans des crises d'éthylisme avilissantes. Voici Musset, au printemps de sa vie, dessiné par Lamartine, son grand aîné: «C'était un beau jeune homme aux cheveux huilés et flottants sur le cou, au front distrait plutôt que pensif, des yeux rêveurs plutôt qu'éclatants, une bouche très fine, indécise entre le sourire et la tristesse; une taille élevée et souple, qui semblait porter, en fléchissant déjà, le poids encore si léger de sa jeunesse, un silence modeste et habituel au milieu du tumulte confus d'une société joyeuse de femmes et de poètes [à l'Arsenal] complétaient sa figure. » (Cours familier de littérature.) Le voici, dans son âge mûr, vu par son cadet Maxime Du Camp: «Il avait alors quarante-quatre ans; de sa beauté passée, il n'avait conservé qu'une admirable chevelure blonde que dorait le reflet des lumières; le visage allongé était amaigri; des rides précoces accusaient les traits; le front avait de la grandeur; mais la lèvre inférieure semblait amollie et donnait à l'ensemble une sorte d'impression d'hébétude; la main, belle et soignée, rassurait parfois les boucles des cheveux. Le costume, et surtout la façon de le porter, avait quelque chose de suranné qui sentait le vieux dandy. » (Souvenirs littéraires.) Peu importent les faiblesses de l'homme disparu, l'écrivain demeure, son théâtre ressuscite, les amoureux, les délicats, les âmes vibrantes le lisent, rient et pleurent avec lui.
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« Un des plus grands poètes de notre époque », assure Heine, qui ne fut pas toujours tendre pour lui. Et Du Camp, à propos des Nuits immortelles: «Tant qu'il y aura une France et une poésie française, les flammes de Musset vivront. » Et Barbey d'Aurevilly:
«
...
son
génie tout en âme, le plus puissamment humain et le plus puissamment moderne, le plus nous tous enfin, qui ait jamais existé.» Et Gautier: «Sa sensibilité nerveuse, mêlée de dandysme et de raillerie, sa négligence pleine de grâce, son vers facile marchant parfois tout près de la prose et se relevant comme un oiseau d'un rapide coup d'aile, son rire trempé de larmes, son scepticisme si frais, si candide et si attendri encore dans ses blasphèmes et ses désespérances devaient séduire et séduisirent en effet la jeunesse.» Quand enfin, le 12 février 1852, l'Académie française élut Musset à sa troisième candidature en remplacement d'un Dupaty tombé dans les oubliettes de la littérature, sa lyre était définitivement brisée. Il mourut cinq ans plus tard, le 2 mai 1857, à quarante-sept ans. «Mes chers amis, quand je mourrai, / Plantez un saule au cimetière. / J'aime son feuillage éploré; / La pâleur m'en est douce et chère / Et son ombre sera légère / À la terre où je dormirai. » Si l'affluence fut grande à l'église Saint-Roch, le lundi matin 4 mai, pour le service funèbre - Gautier était là parmi ses pairs, Lamartine, Vigny, Dumas, Mérimée,
... -,
derrière le corbillard le cortège s'amenuisa
peu à peu jusqu'au
Père-Lachaise
où l'inhumation de Musset ne rassembla guère plus de vingt-cinq à trente spectateurs désolés. Le 23 mars 1858, on transféra sa dépouille dans le monument où reposaient ses père et mère; devant ce tombeau, orné d'un buste d'Alfred dû au ciseau de son ami Auguste Barre, viennent chaque jour encore se recueillir nombre de pèlerins. Le "nécrosophe" Bertrand Beyern, grand arpenteur de cimetières, remarque que «les saules dépérissent avec obstination au bas du Père-Lachaise. Il convient donc de les remplacer souvent, mais ni la variété des espèces ni la pugnacité des jardiniers» ne parvient à maintenir durablement leur ombre trop légère sur les cendres du poète. Par un curieux hasard, la sépulture du baron Haussmann, de l'Académie des Beaux-Arts, se trouve à quelques pas de celle de Musset. Le puissant préfet de la Seine faisait partie de la poignée de fidèles venus rendre un dernier hommage au poète qui avait été son brillant condisciple au collège Henri-IV (futur lycée Condorcet) et demeurait son ami, à Musset "l'enfant du siècle", auteur de cette phrase si mélancoliquement romantique: « La vie a passé comme l'ivresse passagère d'un songe. » Le Second Rang du collier, p. 324-325. NADAR, Gaspard-Félix Tournachon (1820-1910), dit Nadar par aphérèse de la première syllabe et apocope de la troisième, remplacée par la terminaison argotique dar. Cet homme génial fut journaliste et chroniqueur, romancier et mémorialiste, caricaturiste auteur du célèbre Panthéon-Nadar (1854) malheureusement inachevé où devaient figurer les portraits-charges de douze cents personnalités contemporaines, photographe hors de pair et aérostier enthousiaste. Il connut Théo, "cette crème de Gautier", bien des années avant de le retrouver à Londres, avec Carlotta, en 1851, pour la Great Exhibition et il demeura son fidèle ami. Théophile Gautier, l'homme, vu par Nadar: «Le fond du caractère de l'ami Théo est une indulgence vague, indifférente, somnolente. Il n'est pas de ceux qui vont aux galères pour les autres, assurément, mais il a cette vertu essentielle de l'égalité de caractère et de rapports. Gautier est une relation sûre [.. .]. Il a prouvé du reste qu'il était capable d'une affection profonde avec ce pauvre et doux Gérard de Nerval [.. .]. Gautier est d'une grande
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timidité; c'est par-dessus tout l'homme incapable de ce qu'on appelle des démarches: Faro da se... » (1858.) Nadar, le technicien du Panthéon, vu par Gautier: « Nadar est le nom de fantaisie d'un homme sérieux, dessinateur pour rire; il a vécu dans la familiarité des poètes, des littérateurs, des vaudevillistes, des comédiens, des peintres, des statuaires, des compositeurs... Il possède un musée de cinq ou six cents charges (peut-être plus, peut-être moins) de personnages remarquables à un titre quelconque. Ces charges, à travers l'exagération nécessaire, sont de véritables portraits intimes, sans emphase, où ressort le trait principal, le tic particulier de la physionomie; ce n'est pas le caprice de Goya, la fantaisie de Cruikshank, l'humour d'Hogarth; c'est le daguerréotype avec un objectif qui déforme légèrement les lignes pour les rendre comiques.» (La Presse, 7 juin 1853.) Comme tant d'autres, Théo, Ernesta, Judith, Estelle posèrent, successivement ou ensemble, devant les appareils de Nadar qui nous a laissé d'admirables traductions de la beauté épanouie de l'aînée des deux sœurs. Ayant longuement réfléchi aux contraintes techniques et aux possibilités esthétiques de son métier, il répondit par avance aux critiques de son ami Baudelaire, dans le Salon de 1859, contre le portrait photographique: «N'est-il pas un peu temps d'en finir avec ce reproche, que le photographe ne peut donner comme le peintre le sentiment intime et artistique de son modèle? La photographie se donne raison à ellemême. Maintenant, n'est pas psychologue qui veut, et les peintres eux-mêmes le savent bien. » (Musée français-anglais, octobre 1856, cité par Roger Greaves.) Nadar associa son fils Paul, un filleul de Georges Sand, à ses affaires, ce qui n'alla pas sans graves difficultés de tous ordres. Le père avait des idées sociales et politiques avancées, le fils était conservateur. Le père détestait d'autant plus Wagner, rencontré en avril 1860 en compagnie de Baudelaire, "personnage antipathique, la mine à la fois obséquieuse et arrogante", que celui-ci l'avait méchamment caricaturé dans Une Capitulation, grossier pamphlet contre la France vaincue; brave homme, il n'en prêta pas moins le hall de son établissement, 51, rue d'Anjou-Saint-Honoré, pour les six soirées wagnériennes, concerts pédagogiques organisés par Judith Gautier en mars et avril 1880, avec le concours de Gabriel Fauré, André Messager, Camille Chevillard, le gendre de Lamoureux, qui assuraient entre autres l'accompagnement pianistique des solistes sous la direction de Benedictus. Paul, lui, était un fervent wagnérien. Habitué du salon de Judith, rue Washington, on s'amusait de ce que cet homme de belle taille comme son père pût à peine s'y tenir debout. La première ascension du Géant, "aéroscaphe" haut de quarante-cinq mètres, eut lieu le dimanche 4 octobre 1863, devant deux cent mille curieux; le voyage se termina piteusement à Meaux cinq heures plus tard. Le second envol, du Champ-de-Mars, exactement deux semaines après le premier, finit au Hanovre par un atterrissage dramatique et la quasi-destruction du mastodonte. L'épave réparée, le Géant reprit l'air quelques fois encore avant d'être rendu au néant. En 1870, Nadar jouera un rôle décisif dans l'utilisation des aérostats pour des missions militaires et postales. Gambetta emprunte l'Armand Barbès pour quitter Paris en état de siège; George Sand, Victor Hugo parrainent deux autres ballons. Goncourt, que n'adoucit pas la fièvre obsidionale, note le 19 novembre: «Ici, on gonfle un ballon captif. Nécessairement est présent le roux Nadar, avec une casquette d'officier de marine, un raglan à tournure militaire, se remuant, se démenant, se faisant visible à tous, et de toute sa personne, disant au public: "Regardez-moi bien, moi, le vrai, le seul, l'unique Nadar !" » Le jour de l'enterrement de Théo, Ernest Feydeau vit marcher Nadar, «l'excellent garçon si sympathique », derrière le cercueil, à la suite du fils de Gautier et de ses deux gendres, au
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milieu d'une foule d'environ trois cents personnes, «toujours reconnaissable à sa haute taille et à son air délibéré. Il marchait à grands pas au milieu des autres, la tête nue, les cheveux au vent, portant un pardessus léger sur son épaule gauche.» Toujours original, Nadar! À cette époque et pendant longtemps encore, un passant sans couvre-chef attirait l'attention... et les quolibets des gamins, à plus forte raison, en cérémonie, denière un corbillard! Léon Daudet, qu'il appelait gentiment son Dauduchon, nous montre, comme Goncourt, le vieux Nadar dans son Ermitage en forêt de Sénart, entouré « de sa femme et de sa smalah, invités, bohèmes, serviteurs et parasites des deux sexes, ânes, chevaux, oiseaux, chiens et chats. Imberbe et moustachu, habituellement vêtu d'une vareuse rouge, roux de cheveux, puis roux mêlé de blanc, puis entièrement blanc, haut et solide, puis voûté légèrement, d'une gaieté perpétuelle, babillarde et communicati ve, le chroniqueur ascensionniste photographe était un de ces robustes témoins de trois générations qui deviennent de plus en plus rares. Il avait beaucoup usé et abusé de la vie, rendu sa noble compagne bien malheureuse, et il en avait un satané remords, et il ne perdait pas une occasion de se frapper la poitrine à ce sujet, sans cesser pour cela de suivre une fantaisie qui avait été débridée, et qui demeurait vagabonde. [...] Il Ya beaucoup de Nadar dans le Caoudal de Sapho. » (Fantômes et vivants.) «J'ai connu l'univers entier, écrivait Nadar, sans trop mentir, au soir de sa vie, et j'ai eu les amitiés les plus hautes, les plus intimes: tous les
hommes célèbres du temps, le bonheuret l'honneurde ma vie. » Né au 195de la rue SaintHonoré, à Paris, le 6 avril 1820, Gaspard-Félix Tournachon s'y éteignit au 49 de l'avenue d'Antin (notre avenue Franklin-Roosevelt). Ses cendres sont au Père-Lachaise. Un minuscule square de la butte Montmartre étiqueté "Nadar" rappelle, chichement, sa mémoire aux Parisiens. Mais Jules Verne et les illustrateurs de la collection Hetzel des Voyages extraordinaires l'ont immortalisé dans De la Terre à la Lune (1865) où le lecteur reconnaîtra ce zélateur passionné du "plus lourd que l'air" sous le nom et les traits de Michel Ardan accolement de "Michel", prénom du fils de Jules Verne, avec l'anagramme de "Nadar". Le Collier des jours, p. 176. Le Second Rang du collier, p. 121. Naissance de Henri IV (la), célèbre tableau d'Eugène Devéria (1808-1865), fort admiré au Salon de 1827. Pour le tout jeune peintre, une célébrité immédiate, fracassante, malheureusement éphémère. «Eugène Devéria a été un des grands noms du romantisme. Un instant, mais rien qu'un instant, il a été un rival de Delacroix. » (Charles Blanc.) Quand il s'agît, pour Gautier, de rédiger la notice nécrologique de Devéria et de «jeter quelques fleurs romantiques sur son cercueil », c'est à Robelin qu'il s'adressa pour obtenir des détails sur « cet artiste que tu as beaucoup connu ». Dans l'atelier d'Eugène, que partageait Louis Boulanger, l'architecte avait été de toutes les fêtes, notamment de ce bal masqué où Musset, mince, pâle et blond, fit son apparition costumé en page, "tout resplendissant d'une grâce juvénile", tel que le vit un jour Lamartine. Le portrait d'Eugène, frère cadet d'Achille, par Gautier dans le Moniteur du 13 février 1865, vaut d'être reproduit dans son entier, tant il caractérise le rapin d'une époque « tout agitée de passions littéraires, de systèmes d'art et de nouveautés esthétiques », ce rapin joyeusement provocateur que fut lui-même, jadis, le bon Théo:
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C'était alors un beau jeune homme, de grande taille, d'une sveltesse robuste, à la mine fière et hardie; il portait les cheveux coupés en brosse, des moustaches retroussées en croc, une longue barbe pointue, "effroi du bourgeois glabre". La barbe, si généralement admise aujourd'hui, paraissait encore à cette époque une chose farouche, barbare et monstrueuse. Mais les peintres romantiques ne tenaient pas à réaliser l'idéal du parfait notaire; ils recherchaient tout ce qui pouvait les distinguer des philistins. Eugène Devéria avait le goût des ajustements fastueux comme un Vénitien du seizième siècle. [...] Ne pouvant porter tout à fait le costume de son talent, il essayait de modifier l'affreux habit moderne. Ses fracs évasés, rejetés sur les épaules, faisaient miroiter de larges revers de velours, et dégageaient la poitrine bombée par des gilets en forme de pourpoint. Ses chapeaux rappelaient le feutre de Rubens. De fortes bagues avec des pierres gravées pour chaton, d'épaisses chevalières d'or brillaient à ses doigts, et quand il allait dans la rue, un ample manteau drapé à l'espagnole complétait ces élégantes excentricités pittoresques. Ces fantaisies de costume sembleraient étranges maintenant, mais alors on les trouvait naturelles: - le mot artiste excusait tout, et chacun, poëte, peintre ou sculpteur, suivait à peu près son caprice. Bien des années plus tard, Georges Clairin racontait à André Beaunier: «Nous étions élèves de l'école des Beaux-Arts, Regnault et moi, lorsqu'un jour, ô merveille! une commande nous arriva. [...] Il nous fallait un atelier, un grand atelier. Ce fut boulevard Saint-Michel, à peu près en face de l'École des mines. Les murs étaient peints en rouge sang de bœuf. L'ancien atelier de Devéria: Devéria avait fait, dans cet atelier, cette Naissance de Henri IV qui le dispensa de la conscription... » Ils y mirent un piano, au clavier duquel se succédèrent familièrement Saint-Saëns, et Gounod qui chanta là, en avant-première, son Roméo et Juliette, et la fascinante Augusta Holmès dont la voix "divine" bouleversait ses auditeurs jusqu'aux larmes, jusqu'à la stupeur. «Ah! quelle effervescence de jeunesse et d'admiration généreuse!. .. »
Le Second Rang du collier, p. 190. NAPOLÉON III, Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, empereur des Français, né et baptisé aux Tuileries le 20 avril 1808, mort en exil à Camden-Place, Chislehurst (Angleterre) le 9 janvier 1873. Fils - au moins officiel - de Louis Bonaparte, roi de Hollande, comte de Saint-Leu (1778-1848) et - avec certitude - de Hortense de Beauharnais (1783-1837), belle-fille de Napoléon 1er. Écolier allemand, agitateur en Romagne (1831), capitaine d'artillerie helvète, émigrant forcé aux États-Unis après l'échauffourée de Strasbourg (1836), prisonnier et évadé du fort de Ham après l'affaire de Boulogne (1840), proscrit à Londres, député siégeant à l'Assemblée nationale... Élu président de la République en 1848, le prince-président, à la suite d'un coup d'État et de deux plébiscites, est proclamé empereur le 2 décembre 1852. L'année suivante, il épouse, par désir amoureux et faute d'avoir pu en faire sa maîtresse, Eugenia Maria de Montijo de Guzman, comtesse de Teba (Grenade 1826 - Madrid 1920) ; elle lui donne le 16 mars 1856 un fils, Napoléon-EugèneLouis, prince impérial - le seul enfant légitime d'un homme prolifique -, qui sera tué sous l'uniforme anglais au Zoulouland le 1er juin 1879, sans postérité. À partir de son mariage, Napoléon III, l'impératrice et la Cour partagent leur existence entre Paris, Fontainebleau, Saint-Cloud, Biarritz, résidence d'été, et Compiègne, résidence d'automne. C'est là que de dix jours en dix jours se succèdent les fameuses "séries", c'est là qu'Augustin Filon, précepteur de Loulou, le jeune prince impérial, a «vu l'Impératrice exercer, dans toute leur
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complexité, ses difficiles devoirs de maîtresse de maison. D'abord, il fallait dresser les listes d'invitations, combiner les séries, de façon qu'elles continssent un nombre à peu près équivalent de grands seigneurs, d'illustres cosmopolites, de diplomates, d'artistes, de savants, de jolies femmes et de membres de l'Institut. Il fallait doser ces éléments pour obtenir un mélange homogène, tenir compte des rancunes, des incompatibilités, chercher la variété et les contrastes, tout en évitant les jalousies et les frictions... » - «C'est, disait Eugénie elle-même, le problème du chou, de la chèvre et du loup. » Alors partait vers les élus, dans une grande enveloppe cachetée de cire rouge, le carton de papier glacé rose, tellement convoité, signé du duc de Bassano: «Par ordre de l'Empereur, le grand chambellan a l'honneur de prévenir [Untel] qu'il est invité à passer [X] jours à Compiègne, du [tant] au [tant]. » Telle fournée était plus cotée que telle autre. «Êtes-vous, Madame, de la série élégante? - Non, Madame, répond aigrement l'interpellée, je suis de la vôtre! » Également programmées, les réjouissances de l'après-midi - promenades en forêt, visites guidées par Viollet-le-Duc à Pierrefonds alors en cours de restauration, chasses à courre... Si la journée était maussade, pluvieuse, la bibliothèque du Palais offrait ses vingt-quatre mille volumes à l'appétit des lecteurs. Le soir, petits jeux de société, bouts-rimés, proverbes, charades, tableaux vivants dont Octave Feuillet, l'organisateur des spectacles, avait la charge, cartes, danses au son du piano mécanique - une valse, une polka, une mazurka, il ne connaissait que trois airs et l'on tournait la manivelle à tour de rôle..., les prétendues "orgies" dénoncées par l'Opposition, "Sodome et Gomorrhe", disait en riant la spirituelle princesse de Mettemich de ces inoffensives et parfois bien mornes distractions. Une ou deux fois par saison, représentation par les meilleures troupes des scènes parisiennes; il Y en eut au total quarante-neuf de 1852 à 1869. On applaudissait MM. Samson, Prévost, Got, etc., Mmes Déjazet, Favart, Rose Chéri, les Brohan, etc., et l'on relève avec amusement en 1853 le nom d'Alice Ozy dans un rôle insignifiant d'un vaudeville oublié; en 1861 celui de Léonide Leblanc, hétaïre aux amours célèbres et politiquement éclectiques avec le duc d'Aumale et avec le prince Jérôme. Après les divertissements obligés auxquels les souverains mettaient généralement un terme rapide, on se réunissait par affinités électives dans les chambres pour causer et fumer sans façon jusqu'à une heure avancée de la nuit. Comment croire que le bon Théo se soit "morfondu" pendant trois jours, reclus derrière sa porte close, au sein d'une communauté de soixante personnalités ou plus dont beaucoup étaient de ses relations, voire de ses amis? À Compiègne, on vit défiler Vigny, Musset, Sandeau, Ponsard, About, les Dumas, Sardou, Sainte-Beuve, Bouilhet, Flaubert qui admit s'y être beaucoup amusé, le fielleux Viel-Castel, l'avantageux Nieuwerkerque, et caetera. Et des peintres, des musiciens, des médecins, des inventeurs, des savants, car l'empereur, dit un contemporain, « considérait comme un devoir d'encourager les hommes de mérite à divers titres par des attentions aimables et flatteuses.» En septembre-octobre 1869, c'est la princesse Mathilde qui fit les honneurs de Compiègne en l'absence de l'impératrice partie inaugurer le canal de Suez avec Gautier - qui se luxera ou se cassera le bras gauche, dès l'appareillage du Mœris... un vendredi! et se trouvera ainsi privé de la croisière sur le Nil -, Chennevières, Louise Colet, Berthelot, et beaucoup d'autres reporters. Eugénie et Mathilde, toutes deux jalouses, passionnées, impulsives, excessives, se détestaient. Quelqu'un les a décrites, lors d'une rencontre inopinée chez un fourreur, comme "deux phoques sur une banquise". À Compiègne, Mathilde se rendait en service commandé, comme son frère Jérôme, si turbulent, si incommode, si imprévisible, si publiquement
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critique de la politique de son impérial cousin, et les courtisans louvoyaient de leur mieux entre les puissances antagonistes. Gautier, pensionné de l'empereur, attaché au journal gouvernemental - fonctions officielles et sympathies bonapartistes lui coûteront un fauteuil à l'Académie - et requis par Dalloz, avait rimé deux grandes "tartines" à l'occasion de fêtes impériales. Le Moniteur du 17 mars 1856, entièrement consacré à l'événement, publiait une Nativité de Théophile Gautier, vingt-quatre strophes célébrant la venue au monde du prince impérial; le 15 août 1865, un poème plus long encore dédié "À l'Impératrice". « Ces pièces officielles sont très difficiles et dangereuses à faire », écrivait Théo, de Genève, à ses sœurs. Il s'agissait d'honorer la souveraine sous le patronage de laquelle était placé l'ensemble des œuvres françaises de bienfaisance. «Il n'y a pas d'inconvénient, commente Théo, à louer une belle femme qu'on a connue dans le monde, et qui a le malheur d'être devenue impératrice, sur sa bonté, sa charité et sa pitié pour les crimes innocents de l'enfance. » Il tâche de ne rien oublier, les Cartouches en herbe, les Vierges folles qui s'en vont sans lampe dans la nuit, les mourantes repenties et tout ce pauvre peuple dolent réconforté par «la consolatrice / De toutes les afflictions. . . Pen sive, auguste et maternelle... », sans omettre « Ce regard que chacun implore, / Qui luit sur tous comme un flambeau... Ce regard plus touchant encore / Quand il a rencontré le Beau... Et votre main d'où tout ruisselle, / Sur le sein de Rosa Bonheur / Allumant la rouge étincelle, / Fait jaillir l'astre de l'Honneur!... » - «J'ai tenté de ne pas être trop plat, et je pense avoir réussi... » Hélas! Devant la corvée incontournable, l'Inspiration s'est enfuie à tire-d'aile. À l'effondrement de l'Empire, Gautier, accablé par les malheurs du temps et les difficultés de sa propre position, eut une attitude parfaitement digne, en contraste avec celle d'un Viollet-le-Duc, par exemple, un favori du régime désormais vilipendé, bénéficiaire d'une exceptionnelle faveur à la Cour et qui s'empressa de donner toutes les marques d'un républicanisme ardent, bel exemple d'ingratitude parmi les plus vilains de l'Histoire anecdotique. En fait, Théo ne se préoccupait guère de politique - «La politique exaspérait Gautier », affirma Du Camp -, fidèle à ses déclarations de jeunesse: «Je renoncerais très joyeusement à mes droits de Français et de citoyen pour voir un tableau authentique de Raphaël, ou une belle femme nue: -la princesse Borghèse, par exemple, quand elle a posé pour Canova, ou la Julia Grisi quand elle entre au bain. [...] Qu'importe que ce soit un sabre, un goupillon ou un parapluie qui vous gouverne! - C'est toujours un bâton... » (Mademoiselle de Maupin, préface, 1835.) Son tempérament rêveur, placide, nonchalant ne le portait pas, sauf, jadis, dans l'effervescence juvénile et seulement pour des coups d'éclat littéraires, aux attitudes héroïques: « Je déclare formellement que [...] pour rien au monde je ne me battrais en duel, ayant naturellement peur des coups autant et plus que tout autre.» (Les Jeunes-France, Romans goguenards, préface, 1833.) Homme de mœurs paisibles, ennemi du désordre, il était reconnaissant, sans platitude, au régime qui l'avait pensionné, mais c'est à la princesse Mathilde, sa bienfaitrice, son amie, qu'il avait prêté serment d'allégeance. Tout comme lui - tel père, telle fille - Judith ne choisissait pas ses relations en fonction de leur couleur politique. Elle était, en ce domaine au moins, aussi affranchie que possible de préjugés, de partis pris et même... de convictions. Consacrons, pour finir, quelques instants à cette petite énigme de l'histoire anecdotique du Second Empire, la "dictée de Compiègne". Dans le Figaro littéraire du 7 juin 1958, Maurice Parturier en contestait et la paternité à Mérimée, et le lieu où il l'aurait proposée au couple impérial et à ses invités - les Metternich, Alexandre Dumas, Octave Feuillet, ... - un soir
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où l'on s'ennuyait ferme à la Cour. « Nous ne connaissons pas l'auteur, ou les auteurs, des différentes versions de la dictée dite de Compiègne, mais nous avons, ce me semble, la preuve que cette dictée n'est pas de Mérimée.» Voici, pour les amateurs de traquenards orthographiques, l'une de ces versions. Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l'amphitryon, fut un vrai guêpier. Quelles que soient, quelque exiguës qu'aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu'étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d'en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée, alors qu'ils ne songeaient qu'à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires. Quoi qu'il en soit, c'est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s'est laissé entraîner à prendre un râteau, et qu'elle s'est crue obligée de frapper l'exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés; une dysenterie se déclara, suivie d'une phtisie. Par saint Martin, quelle hémorragie! s'écria le bélître. À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, ilIa poursuivit dans l'église tout entière.
Le Second Rang du collier, p. 211-215. NASSER-ED-DIN.
Voyez MOHSIN-KHAN.
NERV AL, Gérard de - Gérard Labrunie, dit (1808-1855). «Je Veuf, l'Inconsolé,
/ le Prince d'Aquitaine
à la Tour abolie:
suis le Ténébreux, le
/ Ma seule Étoile est morte,
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et mon luth constellé / Porte le Soleil noir de la Mélancolie. » Le cœur se serre à évoquer le destin de Nerval, El Desdichado, le Déshérité, le prosateur ailé, le poète visionnaire, le cabaliste, retrouvé pendu, à l'aube glaciale du 26 janvier 1855, dans la sinistre ruelle de la Vieille-Lanterne, près du Châtelet. Malgré la thèse du crime crapuleux soutenue par ses proches, le suicide semble avéré. Ayant voulu forcer «ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible », le réel lui échappa, il perdit pied au seuil de l'inconnaissable. Rôdaient dans son esprit égaré le spectre de la folie, la terreur de nouveaux enfermements dans des asiles d'aliénés. «Je n'ai plus le goût du vin de la vie », disait-il tristement. Les mains amies n'avaient plus le pouvoir de retenir cet errant, ce noctambule, ce nomade que Gautier comparait joliment à une hirondelle, à un martinet des tours. Après la naissance de Gérard, à Paris, le 22 mai 1808, on le met en nourrice et son père, médecin militaire de la Grande Année, emmène sa jeune femme en campagne. Elle meurt de la grippe infectieuse en Silésie le 29 novembre 1810. L'orphelin est élevé dans sa famille maternelle, en Valois, doux pays de l'ancienne France qui lui inspirera des pages exquises. Rendu à la vie civile en 1814, le Dr Labrunie reprend son fils. Gérard fait ses études au collège royal Charlemagne; il s'y lie avec Théophile Gautier, qu'il retrouve plus tard au petit Cénacle et au Doyenné. En 1828 il acquiert la notoriété avec une traduction du Faust de Gœthe qui ravit Berlioz. Contraint par son père de faire des études de médecine, il les néglige pour mener la vie d'un bohème des lettres. Ami de Victor Hugo, fougueux combattant à la bataille d'Hernani, il fait la connaissance de tout ce qui a un nom dans la littérature et dans les arts. Et il tombe amoureux de Jenny Colon, artiste lyrique, une enfant de la balle, née, elle aussi, en 1808. Dans les Belles Femmes de Paris, Théo la décrit du
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type blondo et grassoto. Quand Nerval s'éprit d'elle, elle était déjà mère de plusieurs enfants; il lui fit, dit-on, une cour ardente après l'avoir longtemps adorée dans une contemplation muette. Fut-il récompensé? « Le rêve, a-t-il écrit, est un habit tissé par les fées et d'une délicieuse odeur. » Jenny, son inspiratrice, sa déesse, son idole, son tourment inapaisé... À Bruxelles, interrogée un jour à ce sujet par Théo, elle lui répondit qu'elle n'avait vu Gérard qu'une seule fois quand il vint lui offrir d'écrire pour elle la Reine de Saba. «Ne m'accusez pas de l'avoir fait souffrir: quand celui qui aime est muet, celle qui est aimée est sourde.» - «Gautier de qui je tiens l'anecdote, écrit Du Camp dans ses Souvenirs, raconta cette conversation à Gérard, dont la réponse fut étrange: "À quoi cela aurait-il servi qu'elle m'aimât?..."» En 1838, elle épousa le flûtiste Leplus, mourut en 1842. Des femmes passèrent dans le cœur brisé de Nerval, comme la romantique Marie Pleyel, l'ancienne passion de Berlioz, mais il ne cherchait plus en elles, décevantes, que le reflet de Jenny. L'érudition de Gérard, polyglotte, est prodigieuse. Sous différents pseudonymes il écrit dans bon nombre de journaux, relaie Gautier dans la Presse, collabore avec Alexandre Dumas à des œuvres théâtrales. Vagabonde en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Angleterre. Héritier d'une modeste fortune, la dissipe en chimériques projets, en dépenses extravagantes, en secours à plus démunis que lui: l'argent lui est ennemi. Après une première crise de démence en 1841, part, guéri, pour son grand Voyage en Orient: îles grecques, Égypte, Syrie, Liban, Constantinople. «Au Caire, il s'était marié. Il avait acheté au rabais une Abyssinienne du plateau de Gondar et l'avait épousée. Lorsque je lui disais: "Comment était votre femme ?" il me répondait de sa voix douce: "Elle était toute jaune. - Et qu'en avez-vous fait? - Ah! voilà! nous ne nous comprenions pas très bien; elle m'a beaucoup battu, et je l'ai répudiée."» (Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires.) On croira plus volontiers la version suivante, extrait d'une lettre de Gérard à Théo, 2 mai 1843 : « .. .Le Fonfrède [son compagnon de route] est assez convenable. Il a acheté une esclave indienne [...]. Cette femme coûte très cher et nous ne savons plus guère qu'en faire. On a d'autres femmes tant qu'on veut. On se marie à la cophte, à la grecque, et c'est beaucoup moins cher que d'acheter des femmes, comme mon compagnon a eu la muflerie de le faire. Elles sont élevées dans des habitudes de harem, et il faut les servir: c'est fatigant.» Second internement en 1853, puis crises et séjours en maisons de santé se multiplient. Conscient de sa déchéance, se hâte d'écrire encore, de rassembler en volume vers et proses ça et là éparpillés. Les Filles du feu paraissent en 1854. «J'ai fait mes premiers vers par enthousiasme de jeunesse, les seconds par amour, les derniers par désespoir. »Aurélia ou le rêve et la vie, inachevé, est en quelque sorte son testament. La photographie, si souvent reproduite, que Nadar a faite de son pitoyable ami quelques semaines avant sa mort, le montre affaissé, bouffi, front dégarni, paupières lourdes, vieilli avant l'âge. «Portrait ressemblant, mais posthume », dit Gérard affligé de cette image de lui-même. Mais Gérard a été jeune, il a été séduisant, tel l'atteste le médaillon modelé aux temps légers du Cénacle par Jehan Du Seigneur, statuaire, tel l'a représenté Alexandre Lebour dans un portrait exposé au Salon de 1833, avec celui de Pierre Touzet, dit Bocage, l'acteur, un vieil ami de Nerval, Bocage «beau comme Phœbus Apollon» au jugement de Heine, Bocage tellement acclamé en 1831 dans l'Antony de Dumas aux côtés œ Marie Dorval - « Elle me résistait, je l'ai assassinée! » -, ce même Bocage qui, à Nohant, dans les bras de George Sand, fit la soudure principale, si l'on ose ainsi s'exprimer, entre les deux grands règnes de Michel de Bourges et de Frédéric Chopin. Bocage, alors directeur de
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l'Odéon, le Second Théâtre-Français, y fit représenter en 1850 le Chariot d'enfant, pièce "indienne" en cinq actes écrite par Nerval en collaboration avec Joseph Méry, malgré le fiasco de leur précédent travail en commun: De Paris à Pékin, énorme "machine" d'abord retardée par le succès de François le Champi - pièce tirée du roman de George Sand et créée en 1849 dans le même théâtre -, puis interdite par la censure. Au terme de cette existence disloquée, les restes mortels de Gérard, suivis par quelque trois cents personnes parmi lesquelles Maxime Du Camp vit marcher Théophile, le visage blême, décomposé par le chagrin, fut conduit jusqu'au champ de repos éternel du Père-Lachaise. Gérard de Nerval: «Modeste, doux, naïf, bienveillant, affectueux.» (Nadar.) «Âme tendre, timide, mélancolique et rêveuse.» (Eugène de Mirecourt.) «Rien de l'égoïsme artiste ne se trouvait en lui. Il était toute candeur enfantine, il était d'une délicatesse de sensitive, il était bon, il aimait le monde entier. » (Henri Heine.) « Cher et doux bohémien de la prose et des vers! admirable vagabond dans le royaume des Muses! Il se passionnait pour les livres de ses amis bien plus que pour ses propres livres. Il était prêt à tout quitter pour vous
suivre. » (Jules Janin.) « Il est mort, on peut le dire, de la nostalgie du monde invisible. » (Paul de Saint-Victor.) «Cet esprit si charmant, si ailé, si lumineux, si tendre, s'est évaporé à jamais; il a secoué son enveloppe terrestre comme un haillon dont il ne voulait plus et il est entré dans ce monde d'élohims, d'anges, de sylphes, dans ce paradis d'ombres adorées et de visions célestes qui lui était déjà familier.» (Théophile Gautier.) Célestin Nanteuil, le délicat graveur - il illustra les Jeunes-France de Gautier -, un ami intime de Victor Hugo, rapporta ce détail aux Goncourt: «Dans sa misère, il [Gérard] avait un tel goût du luxe, qu'il se faisait des épingles avec du papier d'or.» Oui, le cœur se serre... « Mais, assure Houssaye, ce n'est pas la misère qui a tué Gérard de Nerval. Comme disait Hetzel: "Gérard n'est pas homme à s'inquiéter de si peu que de manquer de tout." Théophile Gautier a donc eu raison d'écrire: "Le rêve a tué la vie." » En souvenir de cet ami très cher, une fontaine en vieux rouen qui lui avait appartenu ornait la salle à manger des Gautier, à Neuilly. Le Collier des jours, p. 266. NIOBÉ. La mansuétude n'était guère pratiquée par les habitants de l'Olympe, non plus que la modestie par Niobé, fille de Tantale et sœur de Pélops... à moins qu'elle ne fût sa fille. Sa généalogie reste incertaine, comme le nombre des enfants qu'elle donna à Amphion le porteur de lyre, de douze à vingt suivant les auteurs grecs qui s'affligèrent de son histoire. Quoi qu'il en fût de cette robuste fécondité, elle en admirait sans vergogne les fruits au point de se comparer avantageusement à la déesse Latone qui, elle, n'avait donné naissance qu'à un seul garçon, Apollon, et à une seule fille, Diane. Latone, toujours glorieuse d'avoir pu supplanter un temps Junon dans le lit de Jupiter, ulcérée et furieuse de l'outrecuidance de Niobé, chargea sa propre progéniture de l'accomplissement de sa vengeance en tuant ces enfants trop encensés, ces douze ou ces vingt - à ce point, peu importe le nombre! Apollon et Diane s'acquittèrent diligemment de la tâche, à coups de flèches, sur le mont Sipyle, au sud de la mer Noire. Niobé, hors d'elle, folle de désespoir, obtint du maître des dieux la faveur d'être changée en rocher, demeurant à jamais la figure emblématique de la douleur maternelle et un sujet d'inspiration pour les artistes, tel Niobé et les Niobéides, groupe de dix-huit statues au musée florentin des Offices, œuvre, croit-on, de Praxitèle aidé
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de Phidias, longuement décrite et étudiée par Louis Viardot. Le compositeur Giovanni Picini fit représenter en 1826 au San Carlo de Naples, avec la Pasta dans le rôle-titre, une Niobé dont on cite toujours une cavatine particulièrement bien venue. Théophile Gautier, quant à lui et avant Leconte de Lisle, s'attendrit en vers sur le chagrin éternel de ce "fantôme de marbre" : Tes larmes, en tombant du coin de ta paupière, Goutte à goutte, sans cesse et sur le même endroit, Ont fait dans l'épaisseur de ta cuisse de pierre Un creux où le bouvreuil trempe son aile et boit. o symbole muet de l'humaine misère, Niobé sans enfants, mère des sept douleurs, Assise sur l'Athos ou bien sur le Calvaire, Quel fleuve d'Amérique est plus grand que tes pleurs? Niobé. (Le Figaro, 1er février 1838.)
Le Second Rang du collier, p. 91. NODIER, Charles-Emmanuel (Besançon 1780 - Paris 1844). «Ce qu'il y a de plus extraordinaire peut-être dans le besoin de l'extraordinaire, c'est que c'est, de tous les besoins de l'esprit, celui qu'on a le moins de peine à contenter.
» (Nodier, Ossianisme.
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Examen
critique des Dictionnaires.) L'imagination débordante de Nodier lui permit de contenter avec usure ce besoin de l'extraordinaire, non seulement dans ses romans fantastiques, mais dans ses contes ravissants, pleins d'un humour délicat - et Judith, dans son âge tendre, dut lire la Fée aux miettes, Trésor des Fèves et Fleur des Pois, Histoire du chien de Brisquet, etc., sans comprendre la portée philosophique de ces courts chefs-d'œuvre -, mais aussi dans ses ouvrages prétendument historiques, dans ses Souvenirs de partisan politique truffés de contre-vérités et d'affirmations extravagantes. Cet historien suspect, à la jeunesse aventureuse, était aussi entomologue, philologue, journaliste, poète... Que n'était-il pas? Extrêmement précoce, dès l'âge de seize ans il avait été nommé bibliothécaire adjoint de sa ville natale où son père exerçait la profession d'avocat. En avril 1808, il épousa Désirée Charve, fille d'un juge de Dôle, mariage heureux, union bénie en 1811 par la naissance de Marie, future Mme Mennessier. Le 29 décembre 1823, sur la recommandation de son ami le baron Taylor, il fut nommé bibliothécaire à l'Arsenal. Le 14 avril 1824 eut lieu, dans son appartement de fonction, une grande réception, prélude à ces réunions dominicales qui rassemblaient chez lui, causeur éblouissant, hôte bienveillant et chaleureux, toute la jeune classe romantique, écrivains: Hugo (qui l'accompagna à Reims, en mai 1825, pour le sacre de Charles X, et à Saint-Point, chez Monsieur de Lamartine, trois mois plus tard), Lamartine lui-même, Vigny, Musset, Dumas, Sainte-Beuve, ..., et leurs muses, Louise Colet, Marie Dorval, Marceline Desbordes-Valmore, Sophie Gay et sa fille Delphine, Mme Victor Hugo, Mme Tastu, ... ; musiciens, peintres, sculpteurs... Achille Devéria et Tony Johannot rencontraient là leurs ravissants modèles: épaules nues, robes de faille, de taffetas, d'organdi aux plis luisants, ornées de manches à gigot, à béret, à l'éléphant, à la folle, coiffures échafaudées, piquées de peignes d'écaille, rehaussées de fruits, de fleurs, de plumes, frisures, accroche-cœurs ou anglaises, boucles "repentirs" dansant le long des joues
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roses. David d'Angers vint un jour présenter Adam Mickiewicz, le patriote polonais réfugié à Paris, qui ne pouvait certes s'imaginer qu'il serait lui-même nommé en 1852 bibliothécaire en ces lieux. Pour l'hôte si accueillant, Alfred de Musset évoquera plus tard Les beaux jours et les courts instants Du bon temps, Lorsque, rassemblés sous ton aile Paternelle, Échappés de nos pensions, Nous dansions. Gais comme l'oiseau sur la branche, Le dimanche, Nous rendions parfois matinal L'Arsenal... Alexandre Dumas, complètement séduit, nous a laissé le portrait physique de son ami: «Non seulement Nodier était amusant à entendre, mais il était encore charmant à voir; son corps long efflanqué, ses longs bras maigres, ses longues mains pâles, son long visage, plein d'une mélancolique sérénité, tout cela s'harmoniait [sic], se fondait avec sa parole un peu traînante et avec cet accent franc-comtois... » Un jugement de Sainte-Beuve sur Nodier, patron
de la "grande boutique
romantique"
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ainsi
Musset
appelait-il
le Cénacle de
l'Arsenal: «Ce qui caractérise son personnage littéraire, c'est de n'avoir eu aucun parti spécial, de s'être essayé à tout de façon à montrer qu'il aurait pu réussir à tout, de s'être porté sur maints points à certain moment avec une vivacité extrême, avec une surexcitation passionnée, et d'avoir été vu presque aussitôt ailleurs, philologue ici, romanesque là, bibliographe et werthérien, académique cet autre jour avec effusion et solennité, et, le lendemain ou la veille, le plus excentrique ou le plus malicieux des novateurs: un mélange animé de Gabriel Naudé et de Cazotte, légèrement cadet de René et d'Obermann, représentant tout à fait en France un essai d'organisation dépaysée de Byron, d'Hoffmann, Français à travers tout, Comtois d'accent et de saveur de langage, [...] donnant la main de Bonneville à M. de Balzac et de Diderot à M. Hugo... » (Portraits littéraires.) Et cette gracieuse broderie de Lamartine: « Il joue avec son génie et sa sensibilité comme un enfant avec l'écrin de sa mère. Il perd les pierres précieuses dans la salle. » (Cité par Gauthier-Ferrières, introduction aux Contes fantastiques, Bibliothèque Larousse.) De Nodier, Versailles possède un beau portrait par Paulin-Guérin et Besançon un dessin du même artiste: ils rendent bien l'un et l'autre l'aspect un peu lunaire, l'air absent de cet ondoyant personnage. Membre de l'Académie française depuis le 24 octobre 1833, le pauvre Nodier était bien malade lorsqu'il reçut la visite de Balzac qui y briguait un fauteuil: «Eh! mon ami, vous me demandez ma voix, je vous donne ma place. J'ai la mort sur les dents.» La mort l'emporta le 27 janvier 1844. Le 14 mars, Prosper Mérimée lui succéda, élu par dix-neuf voix contre quatre à Vigny. Dans une lettre à sa vieille amie, Mme de Montijo, le nouvel académicien, contraint de préparer l'éloge de son prédécesseur, dévoile le fond amer de son cœur: « Il m'a fallu lire les œuvres complètes de Nodier [...]. C'était un gaillard très taré, qui faisait le bonhomme et avait toujours la larme à l'œil. Je suis obligé de dire dès mon exorde que c'était un infâme menteur. Cela m'a fort coûté à dire en style académique... » Gautier, lui, ne se préoccupait que du conteur sans pair; de Genève, en septembre 1866, il écrivait à Estelle, son "cher petit monstre vert" : « Tu t'adonnes à Charles Nodier. Rien de plus pur,
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de plus suave, de plus tendre que ce charmant écrivain, si mystérieusement oublié maintenant et dont on ne prononce pas le nom deux fois par an, même parmi les lettrés. Ainsi va la gloire... » - « J'ai pu la prendre pour thème d'un livret d'opéra », dit Judith de "la Sacristine", ce conte de Nodier également titré "Légende de Sainte Béatrix" dans les Contes de la veillée. Elle n'est pas allée très loin dans son effort, néanmoins n'a pas voulu en perdre le fruit, représenté par trois quatrains d'alexandrins et sept octosyllabes publiés dans ses Poésies sous le titre "Fragment d'un monologue lyrique demandé par Ch. Gounod": «C'est la dernière nuit avant le vœu suprême... / Hélas! hélas! mon cœur défaille!... » À partir de 1901 et jusqu'à sa mort en 1905, José-Maria de Heredia, nommé administrateur de la Bibliothèque de l'Arsenal à la suite de l'auteur dramatique Henri de Bomier, reçut les jeunes écrivains de son temps avec ses vieux amis parnassiens dans le salon où se pressaient jadis les étoiles du romantisme, et Judith emprunta à son tour le chemin de la rue Sully. Le Collier des jours, p. 211. Le Second Rang du collier, p. 294. Nono. Voyez CLERMONT-GANNEAU,
Charles.
Odalisque à Paris (l'). Voyez RIMSKY -KORSAKOFF. OFFENBACH, Jacques (Cologne 1819 - Paris 1880), juif allemand arrivé en France en 1833 et parisianisé comme l'était Henri Heine. Nadar, fasciné par la maigreur trépidante du maestro, écrivait: «Au physique, Offenbach a du coq croisé de sauterelle et mâtiné de
crevettegrise. » La musiquepétillanted'Offenbach,symbole de la fête impériale, a ravi de génération en génération les amateurs de musique légère. Depuis son grand succès aux Bouffes-Parisiens, les Deux Aveugles, en 1855, jusqu'aux Contes d'Hoffmann à l'OpéraComique, en février 1881 - triomphe posthume, hélas! - Offenbach composa quatre-
vingt-sept pièces. Faut-il citer Orphéeaux Enfers (1858), la Belle Hélène (1864), la Vie Parisienne (1866), la Grande-Duchesse de Gérolstein (1867), la Périchole (1868)? Les noms d'Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, ses librettistes, et celui d'Hortense Schneider, la flamboyante diva aux amants royaux si nombreux qu'une "copine" envieuse lança le surnom fameux "Passage des princes", ces trois noms sont indissolublement liés à la gloire d'Offenbach. Quant à sa réputation de jettatore, qui tenait en partie à sa maigreur squelettique et au feu de ses prunelles derrière le lorgnon d'or, en partie à son esprit de feu follet - on le caricaturait au galop sur son violoncelle -, elle effrayait Musset tout autant que Gautier. Musset avait fait la connaissance d'Offenbach chez Houssaye en 1847, d'où l'exquise Chanson de Fortunio composée pour une représentation du Chandelier (Musset, la Revue des Deux Mondes, 1835, Comédies et proverbes, 1840), en août 1848: «Si vous croyez que je vais dire / Qui j'ose aimer, / Je ne saurais, pour un empire, / Vous la nommer...» Il l'évita soigneusement par la suite. Adolphe Boschot, musicographe, biographe de Théo, assure que Berlioz partageait la mauvaise opinion générale. «Pour qualifier Offenbach, dit-il, Berlioz n'emploie qu'un seul mot, celui de Cambronne. Mais il l'écrit en caractères grecs. » Les Trois Baisers du diable renforcèrent encore la méfiance des superstitieux. Après l'incendie du Ringtheater, en prologue à une seconde représentation des
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Contes d'Hoffmann à Vienne, fin 1881, qui fit plus de quatre cents victimes, les directeurs de théâtre se refusèrent longtemps à réinscrire cette œuvre à leur programme. La partition originale des Contes d'Hoffmann fut consumée dans le terrible incendie de la salle Favart, le 25 mai 1887. Ce genre de coïncidences n'était pas fait, certes, pour laver de tout soupçon la mémoire d'Offenbach. Gautier nourrissait en fait, depuis le mois de décembre 1864, contre le prétendu jeteur de sorts, un grief bien réel. L'auteur de la scandaleuse Mademoiselle de Maupin, l'ex-combattant
de la bataille d'Hernani
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«À
la porte, les vieilles perruques!
À
la guillotine, les genoux! » - écrivait, tout rechigné, au sortir du théâtre des Variétés où la Belle Hélène commençait sa triomphale carrière: « La Belle Hélène froisse nos admirations et nos croyances d'artiste; quoiqu'une révélation céleste ait renversé leurs autels, les dieux sont encore les dieux de l'art et, chercher à ridiculiser les héros d'Homère, c'est presque blasphémer. Pour nous, les dieux de l'Olympe et de la mythologie vivent encore... » Banville, comme Jules Janin, se déclare outré, lui aussi, par cette « œuvre de haine judaïque et israélite contre la Grèce des temples de marbre et lauriers roses ». Victime de la même répugnance, Alphonse Daudet avait eu, au dire de son fils Léon, «un frisson de poète à la première de la Belle Hélène où les dieux de l'Olympe bafoués et le grincement de l'archet d'Offenbach [lui] parurent un présage de catastrophe. » Le 5 octobre 1880, dans la nuit, le père de l'opérette, le trépidant "Mozart des Champs-Élysées" comme l'avait appelé Rossini, exhala son dernier souffle, chez lui, 8, boulevard des Capucines. Ce jour-là - raconte S. Kracauer, l'un de ses biographes -, le vieil interprète d'Offenbach, l'acteur comique Léonce, vint de grand matin chez le portier prendre de ses nouvelles: «Monsieur Offenbach est mort tout doucement, sans s'en apercevoir », lui dit le brave homme. « Ah !
fit gravementLéonce,il sera bien étonné quand il s'en apercevra... » Le surlendemainde sa mort, après un office riche en musique à l'église de la Madeleine où les curieux s'écrasèrent, le maestro est inhumé au cimetière Montmartre; Meilhac viendra lui tenir compagnie dixsept ans plus tard. Herminie, la femme d'Offenbach qu'il avait épousée en 1844 et qui lui a donné quatre filles et un fils, lui survivra jusqu'en 1887, gardant le souvenir attendri d'un mari pourtant bien volage. Parmi ses maîtresses connues, avant et après Hortense Schneider, citons Rachel, Marie Cico, Zulma Bouffar dont il eut deux enfants, Valtesse de la Bigne... «On pourrait à coup sûr multiplier les exemples tant était floue la frontière entre le demi-monde et les coulisses des théâtres. Pour une Louise Théo et une Jeanne Granier qui déclinaient les propositions libertines, très nombreuses étaient les actrices qui voyaient dans le commerce de leurs charmes le prolongement logique de leur canière artistique... », écrit J.-C. Yon, auteur d'une biographie exhaustive de ce compositeur né prussien et naturalisé français en 1860. Malgracieux, Wagner formule son verdict sur "l'individu le plus international du monde" et, ma foi! nous en prenons tous, ou peu s'en faut, pour notre grade: sa musique « dégageait une odeur de fumier [où] tous les cochons d'Europe étaient venus se vautrer. » Consolons-nous de ces dures paroles avec un jugement plus clément, celui de Saint-Saëns: « L'opérette est fille de l'Opéra-Comique, une fille qui a mal tourné; mais les filles qui tournent mal ne sont pas toujours sans agrément. » Un certain Offenbach, neveu du compositeur, avait trouvé du travail à Femina. Créée par Pierre Lafitte, Femina (sans accent sur l'e), «la revue féminine la plus importante du monde entier - Modes, Littérature, Couleurs, Élégances », 9, avenue de l'Opéra, Paris, était largement ouverte à Mme Judith Gautier. Le 15 juin 1903, par exemple, elle y publiait « Une fête chinoise chez Pierre Loti», racontant en détail la journée du Il mai qu'elle
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avait vécue à Rochefort en compagnie de M. Shui-Chun-Shao, neveu du ministre de Chine à Paris, et de M. Liao-Shy- Khong, jeune lettré de l'ambassade. Le 1er juin 1906, elle y vantait les œuvres en mie de pain colorée de la Fée aux fleurs, primées au "Concours de la jeune fille" en 1904, récompensées en 1905: «Cette année, Suzanne Meyer expose au Salon des Artistes français une merveilleuse moisson de chèvrefeuille disposée en surtout de table, et un petit bouquet de myosotis - des "Ne m'oubliez pas" - qui ne peuvent se faner et feront rêver les amoureux. » Autre création de Pierre Lafitte, Excelsior, le premier grand quotidien photographique; dans son numéro fondateur du 16 novembre 1910, paraissait « le Conflit des compositeurs» de Mme Gautier, début de sa collaboration à ce journal où sa signature côtoyait, entre autres, celles de Maurice Leblanc, frère de la cantatrice Georgette Leblanc, le père, en 1914, d'Arsène Lupin, gentilhomme cambrioleur; d'Henri Duvernois ; d'Henri Barbusse, avant sa conversion au bolchevisme; de Maurice de Waleffe: « À Femina, écrit-il, j'eus, pour ma part, l'idée d'ouvrir une tribune ou plutôt un confessionnal de "cas de conscience féminins", dont je me fatiguai vite, mais Henri Duvemois qui le reprit après moi y trouva sa femme, l'écuyère Rita deI Herido [Erido], impressionnante beauté espagnole avec laquelle il avait d'abord correspondu anonymement pendant plusieurs mois! » Ces braves courriers du cœur!... Les Éditions Pierre Lafitte s'étaient transportées en 1907 au 90, avenue des Champs-Élysées où on avait, en sous-sol, aménagé le théâtre Femina. Femina, magazine bimensuel, offrait désormais à ses abonnés un supplément illustré, Musica, avec encart musical, dont la maquette avait été créée par Gabriel Astruc. Gendre de l'éditeur de musique Wilhelm Enoch, Gabriel Astruc, directeur-fondateur de Comœdia en 1909, homme-Protée, né en 1864, mort en 1938, «fut tour à tour - dit la prière d'insérer de son livre de Souvenirs, le Pavillon des fantômes -, journaliste, éditeur littéraire puis musical, organisateur de revues, impresario. Fondateur du Racing-Club de France, "inventeur" des saisons des Ballets Russes de Diaghilev, il fit construire le Théâtre des Champs-Élysées dont il fut le premier directeur "pour la gloire de Bourdelle et de Debussy", écrira, bien des années plus tard, avec amertume cet homme si souvent insulté pour son appartenance à la race de David et ses choix musicaux éclectiques. C'est sous son règne qu'eut lieu, en mai 1913, lors de la saison inaugurale, la création houleuse du Sacre du Printemps» d'Igor Stravinski, saison qui s'ouvrit le 31 mars 1913 avec le Benvenuto Cellini de Berlioz pour s'achever sur une débâcle financière et un dépôt de bilan, le 12 octobre 1913, avec une "pathétique" représentation de Boris Godounov, opéra de Moussorgsky d'après le drame de Pouchkine, ce Boris dans lequel avait triomphé Feodor Chaliapine, le baryton-basse russe aux fabuleux cachets qui ne furent pas pour rien dans la ruine d'Astruc. Le 7 octobre 1912, Offenbach neveu, qui avait quitté Femina pour le secrétariat particulier d'Astruc, s'en vint converser rue Washington avec Mme Judith Gautier. Leur entretien porta sur le Théâtre des Champs-Élysées, en construction avenue Montaigne d'après les plans révolutionnaires des frères Perret - béton armé, trois salles superposées, façade de marbre blanc avec une frise de quatorze mètres de long et cinq hautsreliefs que Bourdelle dédiera "À Apollon et les Muses", décoration intérieure par les meilleurs artistes de l'époque. «On y représentera, écrit Suzanne Meyer, opéras, drames, musique en concurrence avec l'Opéra. Il ouvrira, dit-on, en février 1913. On a pensé à la Fille du Ciel, peut-être, et à quelque chose de Fanelli, par exemple la Marche triomphale de Pharaon faisant son entrée à Thèbes, ou le ballet du Roman de la momie. » Projets mortsnés, espoirs chimériques! Astruc eut-il même connaissance de la démarche de son
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secrétaire? A-t-il jamais pensé à Fanelli ou bien l'idée lui aurait-elle été vaguement suggérée par Gabriel Pierné qui voulait du bien à ce compositeur ignoré ou méconnu, sinon obscur? Cela est bien douteux! Astruc, en tout cas, n'en dit mot dans ses mémoires. Le Second Rang du collier, p. 297-298. OURCHES, comte d'(1787-1867), "dernier disciple de Mesmer", occultiste d'une rare érudition, possesseur d'une précieuse bibliothèque consacrée aux sciences ésotériques. Ourches est l'exacte graphie de son patronyme, raccourci par Judith. Nous sommes redevables à Mme Anne-Marie Lefebvre d'une analyse très fouillée, dans le Bulletin de la Société Théophile Gautier (No 15, 1993), des rapports que Gautier, l'auteur bien informé d'Avatar, de Jettatura et autres contes fantastiques, entretint avec les milieux spirites dans lesquels Honorine Huet, médium elle-même, introduisit en 1856 les petites Gautier. Chez la comtesse Dash, aux Batignolles, chez Mme de Girardin, rue de Chaillot, initiatrice de Victor Hugo dans l'art d'interroger les esprits, Théo assista à des séances d'hypnotisme, de magnétisme, de tables tournantes. Il y a gros à parier que les fillettes, débarrassées de leur étrange gouvernante, ne respectèrent pas le secret demandé sur leurs visites rue Salneuve, aux Batignolles, chez le comte d'Ourches, zoophile passionné au point qu'il avait entretenu à Bougival une lionne favorite, au grand dam de ses voisins qui le contraignirent à s'en défaire. D'ailleurs, avec sa tête ronde et son poil fauve, il ressemblait lui-même à un lion de façon frappante, paraît-il. Dans son Histoire de la magie, Éliphas Lévi qualifie le comte d'Ourches de « premier parmi les fantaisistes de la magie. [... Il] consacre sa vie et sa fortune aux expériences magnétiques.» Il confirme le sabbat des esprits autour de cet illuminé et la sarabande de son mobilier. Éliphas Lévi, le "sorcier" de Judith! Arrêtonsnous un instant sur ce très curieux, très savant personnage et profitons-en pour voir, par le truchement d'un regard aigu, Mme Catulle Mendès dans sa triomphante maturité. Éliphas Lévi. Journal, Edmond de Goncourt, dimanche 28 décembre 1873: «Au convoi de François Hugo, nous sommes accostés, Flaubert et moi, à la sortie du PèreLachaise, par Judith. Dans une fourrure de plumes, la fille de Théo est belle, d'une beauté étrange, presque effrayante. Son teint est d'une blancheur à peine rosée, sa bouche découpée comme une bouche de primitif sur l'ivoire de larges dents, ses traits purs et comme sommeillants, ses grands yeux, où des cils d'animal, des cils durs et semblables à de petites épingles noires, n'adoucissent pas d'une pénombre le regard, donnent à la léthargique créature l'indéfinissable et le mystérieux d'une femme-sphinx, d'une chair, d'une matière dans laquelle il n'y aurait pas de nerfs modernes. Et la jeune femme a pour repoussoir à son éblouissante jeunesse, d'un côté, le Chinois Tsing à la face plate, aux yeux retroussés, de l'autre, sa mère, la vieille Grisi, qui, dans son ratatinement et son raccourcissement, ressemble à un vieux singe phtisique. Puis, afin que tout fût bizarre, excentrique, fantastique dans la rencontre, Judith s'excusa auprès de Flaubert de l'avoir manqué la veille: elle était sortie pour prendre sa leçon de magie - oui, pour prendre sa leçon de magie!» Quelques jours auparavant, le 4 décembre, Victor Hugo avait noté dans ses carnets: «Mme Mendès m'a amené son sorcier, qui n'est autre que l'abbé Constant, jadis mari de la belle Claude Vignon, aujourd'hui occupé de Kabbale sous le pseudonyme d'Éliphas Lévi, petit homme à barbe blanche. » Alphonse-Louis Constant, dessinateur, écrivain, mage, guérisseur, né à
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Paris, 5, rue de l'Ancienne-Comédie, en 1810, fut un enfant sage, puis un jeune homme pieux et rangé. Ayant reçu au séminaire d'Issy les quatre ordres mineurs, il s'enticha au seuil du sacerdoce des beaux yeux d'une demoiselle Adèle Allenbach, future actrice de variétés, et lâcha une prometteuse carrière ecclésiastique pour l'existence plus attractive d'un gourmand des biens terrestres. À son palmarès de Don Juan célibataire, une personnalité notable, Flora Tristan, figure de proue du féminisme, descendante de l'empereur aztèque Moctezuma II par son père, grand-mère du peintre Paul Gauguin par sa fille, Aline Chazal, charmante jeune personne à laquelle s'intéressa George Sand (celle-ci n'avait en revanche que peu de sympathie pour Flora), Aline qui devint la femme du journaliste Clovis Gauguin. En juillet 1846 Constant épousa Noémie Cadiot; elle abandonna sept ans plus tard le domicile conjugal; devenue la femme de l'homme politique Maurice Rouvier, on la connaîtra sous le nom de Claude Vignon, femme de lettres, sculpteur; c'est à son fils, le peintre impressionniste Victor Vignon, que Flora léguera ses manuscrits et documents qu'il publiera en partie. À trois reprises, Constant fit de la prison pour des publications jugées subversives. Ami, condisciple d'Alphonse Esquiros le socialiste, vieille connaissance de Gautier, il se mit à l'école du fameux mathématicien mystique polonais Hoëne Wronski. Se lia avec Alexandre Dumas père dont il illustra quelques œuvres, avec le chiromancien Desbarolles. Par Judith connut Mendès, par Mendès connut Villiers de l'Isle-Adam, etc. De proche en proche, il étendait ainsi le cercle de ses relations mondaines, ce qui lui pennettait de sélectionner ses élèves en sciences ésotériques, Mme Veuve Balzac, par exemple. Quant à Judith, il la connaît de longue date. De 1857 à 1864, il tient boutique de magie 19, avenue du Maine. Il s'installe ensuite au 155, rue de Sèvres, d'où il ne bougera plus jusqu'à sa mort, le 31 mai 1875, des suites d'une maladie de cœur. C'est de là qu'il écrit à Judith, adepte inconstante, le 29 juin 1874, cette lettre si tendrement fleurie où l'on voit qu'il s'inquiète de ses chagrins: Que devient ma belle déesse antique? Que fait ma ravissante jeune amie? Son autel domestiqueest-il encore debout? a-t-il été brisé par la foudre? S'il était en marbre comme son cœur ou divisé par un trait de scie, s'il était en bois comme les arbres qui donnent les rosiers et les roses? oh la scie conjugale! je la connais... bref donnez-moi de vos nouvelles,je vous ai dit qu'autrefois j'avais peur de vous regarder c'est-à-dire de vous aimer. Maintenant le mal est fait; je vous ai regardée et vous m'oubliez! je ne vous dis pas queje voudrais en faire autant, mes souvenirs y perdraient trop: faites donc l'aumône de quelques lignes (je n'ose pas dire d'une visite) au vieux sorcier qui vous adore. Je baise respectueusement vos belles mains. L'intérêt de Judith pour la Rose t Croix Catholique du Sâr Péladan, l'amitié efficace qu'elle témoigna à celui-ci malgré ses outrances, leur sympathie intellectuelle ne s'expliquent pas seulement par leur adulation commune de Wagner, mais aussi par l'initiation ésotérique que l'auteur du Livre de la Foi nouvelle reçut dans les années 1870. Affligée de bronchites fréquentes et graves, de maux de reins, d'estomac, de torturantes névralgies faciales, Judith souffrit toute sa vie d'une santé délicate. À l'aube du siècle nouveau, se croyant proche de sa mort, elle voulut laisser une sorte de testament métaphysique en la forme d'un mince volume in-8° qu'elle fit imprimer à ses frais, sans date, nom d'auteur ou d'éditeur, et distribua à quelques rares élus. Dita Camacho, dans sa thèse sur Judith Gautier, résume ainsi les seize articles - ou chapitres, ou paragraphes tant ils sont brefs - du Livre de la foi nouvelle, système cosmogonique qui n'est pas sans rappeler l'Eurêka de Poë, analysé par la
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jeune Judith en 1864, et aussi le Parsifal wagnérien, le Pur qui revient au pur: «À l'apparition d'un univers, les deux pôles de la nature, l'esprit et la matière existent. L'esprit, en descendant dans la matière, se sacrifie, mais de ce sacrifice naît la conscience de l' homme. Et l'homme peut par sa conscience et sa volonté obtenir la délivrance; "tous ses efforts doivent tendre à réaliser son diamant - que tu peux appeler âme". » - «L'âme, enseignaitelle à Suzanne, serait cette perfection de l'homme que nous devons arriver à nous créer afin qu'elle puisse [par un effort de] notre volonté, au moment de la mort, se dégager de nousmêmes, [...] de la matière. » Imprégnée de philosophie orientale, Judith avait fait sienne la morale de Lao-tseu: « La perfection consiste à être sans passions pour mieux contempler l'harmonie de l'univers », apophtegme cité dans le Dragon impérial. Un philosophe catholique de nos amis entend, dans le Livre de la foi nouvelle, un écho des grands romantiques allemands, Schopenhauer, Schelling, Nietzsche: «On y trouve bien cette connotation essentielle: le savoir n'est pas une possession, mais la contemplation d'un mystère. .. » et il évoque Socrate: «Une volonté non de force mais de patience et qui se nommerait Amour. » Son Exc. Yu-keng, Ancien Ambassadeur de Chine à Paris, écrivit à l'auteur, son amie: «Moi, Yu-keng, j'exprime ici ce que m'inspire le Livre de la foi nouve lle : Pao [le principe, la voie] peut, à travers le mystère, communiquer avec le ciel. Seul le savant cherche à approfondir le pourquoi de ces deux extrêmes: le Commencement et la Fin. Sublime comme le dragon, Judith Gautier a compris le secret de la naissance et de la mort et mis d'accord le Bien et le Mal. On écoute sa voix pareille à celle du vent dans les sapins. Elle s'étendra dans l'avenir et sera éternellement entendue. » Le Second Rang du collier, p. 12-14. PASDELOUP, Jules-Étienne (Paris 1819 - Fontainebleau 1887). Issu d'une famille de musiciens, élève de Bazin et de Carafa, il obtient le premier prix de piano au Conservatoire en 1834 et occupe différents postes avant de fonder en 1852 la Société des Jeunes Artistes du Conservatoire. Une décennie plus tard, décidé à consacrer tous ses efforts à faire connaître la musique classique dans les classes sociales défavorisées, il inaugure au Cirque Napoléon les Concerts Populaires dominicaux - le prix des places variant de 0,75 à 3 francs - qui drainent des foules d'amateurs peu fortunés mais passionnés. Parce qu'il joue des œuvres nouvelles allemandes, on l'applaudit ou on le conspue; wagnérophiles et wagnérophobes entretiennent un chahut permanent. Après la guerre de 70, Pasdeloup attendra près de dix ans avant d'inscrire de nouveau Wagner à ses programmes. La Librairie Hachette publia en 1912 un recueil d'essais critiques d'Henry Roujon, successeur de Gustave Larroumet à la direction des Beaux-Arts, membre de l'Académie française, beau-frère de Jean Marras - poète familier du salon de Leconte de Lisle - et, comme lui, fidèle ami de Villiers de l'Isle-Adam, de Mendès, d'Augusta Holmès dont il conduisit le deuil avec quelques intimes, le 30 janvier 1903, en l'église Saint-Augustin. Dans la notice consacrée à Ernest Reyer, à propos de l'exécution d'une scène de Sigurd au concert Pasdeloup en 1873, Roujon note cet amusant contrepoint aux souvenirs de Judith: C'était là que se réparaient un peu les grandes injustices. Brave père Paseloup! Je sais des gens, peut-être profanes mais animés d'un zèle sincère, qui lui doivent ce qu'ils ont goûté de musique au sortir du collège. Qu'il était donc délicieux de faire la queue devant le Cirque d'hiver, par une jolie petite neige, pour pénétrer aux places à quinze sous! Des raffinés
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prétendent que le fondateur des Concerts populaires avait plus de ferveur que de maîtrise; que sais-je? Pour ma part, j'ai toujours été trop incompétent pour apercevoir cette nuance, et je m'en félicite aujourd'hui. Je profite de mon ignorance pour rendre hommage, sans arrièrepensée, à la mémoire du chef d'orchestre bienfaisant qui a aimé la grande musique et les petites gens. Quels beaux après-midi! On avait très chaud, d'abord parce que la salle du Cirque était mal aérée, et aussi parce que les passions y bouillonnaient. Les esprits révolutionnaires prétendaient écouter tranquillement cette nouveauté formidable, l'Ouverture de Rienzi. Les réactionnaires sifflaient dans leurs clefs; nous poussions des hurlements sympathiques, et nous prétendions insolemment faire bisser. Pasdeloup aimait à haranguer les multitudes. Dans une allocution chaleureuse, il proposait un moyen terme: le morceau litigieux serait repris en fin de la séance; ses admirateurs auraient ainsi satisfaction, et il serait loisible aux adversaires de se retirer. C'était la solution de l'équité; aussi avait-elle le privilège d'exaspérer plus encore la conscience publique. Les deux partis se réconciliaient un instant pour huer Pasdeloup abondamment. Il s'en montrait surpris. Ce musicien croyait à la justice des foules; aussi n'a-t-il pas fait fortune. Judith raconta dans le Troisième Rang du collier comment elle fut amenée à incarner "l'illustre Pasdeloup dirigeant un concert populaire" dans une charade à trois personnages sur le mot tarlatane, jouée à Tribschen en 1869, devant Wagner et sa maisonnée. Deuxième syllabe: Je me suis fait une barbe avec des écheveaux de soie jaune et j'ai endossé un habit noir à Wagner. Servais doit se multiplier pour figurer le public, le municipal, etc., - tandis qu'au loin Richter [au piano] est l'orchestre. On s'accorde en donnant le la avec une insistance toute particulière; puis on attaque le prélude de Lohengrin. Pasdeloup, selon sa coutume, fait le dos rond, plisse sa bonne figure, dans la rouille pâle de la barbe, étend les bras dans un geste de supplication et d'apaisement, pour obtenir des pianissimi remplis de mystère, et l'orchestre obéit de son mieux. Mais l'accord ne règne pas dans la salle; des murmures, des chuts, et bientôt une altercation, des gifles, un tumulte, - comme il arrivait si souvent, en ces tempslà, au Cirque d'Hiver. - L'orchestre s'interrompt, le municipal traîne dehors le tapageur et Pasdeloup fait un discours au public. Lors de ce même séjour à Lucerne, Judith dit à Mme de Bülow - Cosima - être allée dixhuit soirs de suite, au printemps 1869, du fond de Neuilly au Théâtre-Lyrique, place du Châtelet, pour y applaudir Rienzi, sans jamais en avoir manqué l'ouverture, ce qui donne la mesure de l'engouement des Mendès pour la musique wagnérienne. La concurrence de Lamoureux et de Colonne finit par acculer les Concerts Populaires à la faillite en 1884. Judith n'en dit mot dans le Collier des jours, mais elle ne pouvait ignorer un épisode vécu en commun dans leur jeunesse par son parrain et le futur chef d'orchestre. Lorsque Maxime Du Camp reçut, faubourg Poissonnière, au cours de l'insurrection de juin 1848, la blessure à la jambe qui lui valut la croix, prix de son « dévouement courageux [...] pour la défense des lois et de la liberté », l'un de ses camarades de la garde nationale porteurs de la civière sur laquelle on l'évacua n'était autre que... Pasdeloup! Du Camp le cite nommément dans ses Souvenirs de l'année 1848. De mars à juin 1869, la Vogue parisienne publia, sous la signature de Camille d'Ivry, une série de Croquis féminins parmi lesquels "Judith Mendès", crayonnée au soir d'un de ces dimanches militants: «Quand elle passe sur les boulevards revenant de ces concerts où la jeune vaillante défend Wagner contre les mécréants, elle trace un sillage lumineux, et l'on s'inclinerait presque devant elle, pieusement, comme devant Hélène. .. Elle a la plastique beauté d'une strophe de son père. Comme une princesse de légende, les fées sont venues à son baptême. Julia Grisi lui a dit: "Tu seras belle."
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Carlotta: "Tu seras charmante." Théophile Gautier: "Tu seras poétique." Mieux que poétique, elle est la poésie... Elle a la science d'une mandarine et la gaieté d'une Parisienne.» Anatole France, qui n'accorde ici aucun don heureusement prophétique à Ernesta, se montra constamment enthousiaste de la beauté et du "génie" de Judith, sous son nom propre comme sous ce pseudonyme de Camille d'Ivry. De son mariage de convenance, le 28 avril 1877, avec Valérie Guérin de Sauville, une jeune personne au caractère déjà râpeux, était née, le 1er mars 1881, une fille, Suzanne. Boutet de Monvel, qui illustra Nos enfants (Hachette, 1886) de Mme Arman de Caillavet, a portraicturé la petite fille du temps qu'elle était écolière chez Mlle Tellier, 52, avenue des Ternes, une institution libre proche du domicile de ses parents, rue Chalgrin, où, selon André de Fouquières, «la fille du peintre La Gandara faisait des bâtons sur l'ardoise de la fille du cuisinier de l'ambassade d'Angleterre. » Après la séparation des France, légalement divorcés en 1893 mais en conflit ouvert depuis plusieurs années déjà, Suzanne est confiée à sa mère. La belle-fille de Mme Arman, Mme Gaston Arman de Caillavet, née Jeanne Pouquet, rapporte: « Mme Arman accueillit avec bonté Suzanne France, pauvre enfant ballottée entre des parents désunis, et l'emmena faire un voyage en Italie en 1900. Mme de Martel nous a raconté que France, après son divorce, déjeunait chez elle à Neuilly tous les dimanches avec sa fille qu'il lui laissait. Mme France venait dîner et remmenait l'enfant. Il arriva un jour à Mme France d'oublier et le dîner et sa fille, laquelle dut passer la nuit à Neuilly sans que personne de sa famille s'en inquiétât... » Mme de Martel reçut aussi Suzanne, en été, à Lion-sur-Mer, où elle retrouvait Nicole, la dernière des trois enfants de la romancière, après Aymar, qui devait mourir au Soudan en 1900, et Thierry, le futur "d'Artagnan de la chirurgie". Nicole « avait quatre ans de plus que la fille d'Anatole France, Suzon, que Gyp décrivait dans son Trio turbulent comme "mince, fragile (...), des yeux magnifiques et une masse de cheveux d'un blond chaud. L'air très intelligent." Suzon avait elle aussi de l'affection pour Gyp. "Elle ne cesse de me parler de vous avec l'accent d'un respectueux attachement", lui écrivait France en 1892. "Vous lui avez donné, Madame, de longues heures d'or dont le souvenir la charmera encore." » (Willa Z. Silverman, Gyp. La dernière des Mirabeau.) Suzanne, qui vit avec sa mère devenue Mme René Dussaud en 1900, épouse le 10 décembre 1901 le capitaine Henri Mollin, aide de camp du très anticlérical général André, l'homme des "fiches" qui furent à l'origine d'un des plus retentissants scandales de la Ille République au temps du combisme, sous la présidence de M. Loubet. Divorcée, elle s'éprend, à vingt-trois ans, du frère d'Ernest Psichari, le tout jeune Michel, encore potache. Fureurs de l'une et l'autre familles, amours difficiles, contrariées, assez vite lézardées, mais un bébé, Lucien, est venu au monde et le mariage forcé, suivi d'une rupture immédiate, a lieu le 28 avril 1908 "tout à fait dans l'intimité", en l'absence d'Anatole France brouillé avec sa fille et qui refusa durement par la suite de faire connaissance avec ce malencontreux petit-fils. Les papiers intimes de Suzanne Meyer-Zundel, que l'amitié de sa nièce et filleule, Mme Lucienne Meyer-Favre, disparue en 1992 dans sa quatre-vingt-dixième année, nous a permis de consulter, indiquent la présence de Judith à cette cérémonie confidentielle. Faut-il penser que Judith, pitoyable comme Mme Arman, comme Gyp, s'est intéressée à la petite Suzanne tiraillée entre ses père et mère? Nous en sommes réduits aux hypothèses. Suzanne mourut, un peu plus d'un an après Michel Psichari, décédé sur le front en avril 1917, victime de la grippe espagnole, cette terrible épidémie qui ravagea l'Europe à la fin de la guerre, emportant Apollinaire le 9 novembre 1918 et Edmond Rostand le 2 décembre, après
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Suzanne le 28 octobre. Irréconcilié avec elle, France fut au désespoir. «Je n'ai pu lui donner le dernier baiser. Mais je l'ai du moins accompagnée au cimetière. » (Cité par M.-C. Bancquart.) Il avait souhaité jadis, au tournant du siècle, qu'elle épousât Marcel Proust, bien peu enthousiaste à cette perspective! Le 6 novembre 1918, l'abbé Mugnier note dans son Journal: «J'avais écrit, le 2 novembre, deux lignes de condoléances à Anatole France à l'occasion de la mort de sa fille, Mme Michel Psichari. Il m'en remercie en me disant qu'il
est plus éloignéde mes croyances quejamais. » La revue néerlandaiseMaastafpublia dans son numéro d'août-septembre 1980, dont nous devons à M. Ivan Devriès l'aimable communication, un long article de Rudolf Bakker, «Judith Gautier of: de laatste der romantici ». Son moindre mérite n'est pas une copieuse iconographie, notamment la dernière photographie connue de Judith, fièrement campée en août 1917 sur la plage de Saint-Énogat, sa longue jupe chassée par le vent, l'épuisette en main. Page 76 figure la reproduction d'une caricature de Félix Régamey, «Apothéose de M. Pasdeloup », parue le 12 décembre 1869 dans Paris-Caprice. On y voit la Muse Euterpe, sous les traits de Judith Gautier costumée en japonaise, tenant d'une main le Livre de Jade, de l'autre une couronne au-dessus du chef d'orchestre en action, sous l' œil de Glück et de Wagner, tandis que les "pompiers" vaincus s'enfuient sous les applaudissements et les quolibets des wagnerolâtres. D'une famille d'artistes, collaborateur de nombreuses feuilles satiriques, Félix Régamey fut un grand voyageur. Dans les années 1876-1877, il accompagna en Extrême-Orient Émile Guimet et illustra ses Promenades japonaises. Les études asiatiques de Félix Régamey enrichirent les sections ethnographiques de l'Exposition universelle de 1878. Joanna Richardson signale qu'il écrivit un pastiche de Madame Chrysanthème... en devancier des malicieux Ernest La Jeunesse ou Paul Reboux et Charles Muller qui parodièrent à leur tour le style et le ton "inimitables" de Pierre Loti. Saint-Saëns, sans doute l'un de ces "raffinés" contestataires dont parlait Roujon, nourrissait une rancune tenace à l'encontre du père Pasdeloup, accusé par lui d'avoir, dans une sorte de situation de monopole, farouchement barré la route à la jeune École française au profit de la musique classique et germanique jusqu'à ce que la malheureuse issue de la guerre franco-prussienne l'ait amené, "par intérêt", à changer son fusil d'épaule. On ne lit pas sans quelque incrédulité ces lignes au vitriol publiées dans Portraits et souvenirs bien des années après la mort du coupable: «Il lui faisait bien payer l'appui qu'il lui prêtait [à l'École française contemporaine] par sa brusquerie, sa tyrannie, sa prétention à toujours savoir mieux que l'auteur comment un morceau devait être exécuté. "Je ne me trompe jamais, disait-il; quand on aime la musique comme je l'aime, on ne peut pas se tromper." De fait, il l'aimait sincèrement, passionnément, autant que sa nature peu artistique le lui permettait; ce grand amour, ainsi que des services rendus à l'art, qu'il serait injuste de méconnaître, lui feront pardonner bien des choses, et on ne peut lui reprocher son incapacité dont il n'avait pas conscience. Elle était immense.» Les concerts Pasdeloup n'étaient pas seuls à drainer les mélomanes parisiens "dans le vent". Francisque Sarcey, "l'oracle des honnêtes gens" qui ne l'était guère, lui, dans le vent, ne voit que sectarisme et snobisme chez ces mordus, il en informe ses lecteurs: Je ne vous mènerai point aux concerts du Conservatoire,pour l'excellente raison qu'il faut être le petit-fils d'un ami d'Habeneck pour y avoir entrée. Ceux qui vont là sont des pontifes de l'art, qui sentent la grandeur de leur mission et qui exercent un sacerdoce. Ils savent à quels endroits il convient de se pâmer, à quels autres ils doivent dodeliner de la tête; ils ont
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348 conscience d'être les servants d'une religion et ils communient avec le plus implacable de tous les orchestres dans l'admiration des œuvres les plus consacrées. Ils ne sont que cinq cents et se connaissent tous. Ils célèbrent entre eux les mystères de la grande musique. Aux concerts Lamoureux, tous convaincus. Lamoureux lui-même plus convaincu que tous les autres. Wagner est Dieu et Lamoureux est son prophète. Tous les musiciens vont chez Lamoureux, toutes les femmes du monde et c'est à qui renchérira sur l'enthousiasme. On serait regardé d'un mauvais œil si l'on se permettait des degrés dans l'admiration. Il y en a d'ailleurs quelques-uns qui sont très sincères. On les reconnaît à ce qu'ils font moins de simagrées que les autres. (Paris vivant. Le théâtre.)
Le Second Rang du collier, p. 167-169. Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre, prénommé Jacques-Henri, né au Havre en 1737, mort à Éragny-sur-Oise en 1814, après une vie de voyages et d'aventures, le "Raphaël des îles de l'Inde", comme dit Sainte-Beuve. Ce roman, idyllique et pathétique sans pathos, qui a pour cadre l'île de France, l'actuelle île Maurice, est le chef-d'œuvre de son auteur; il a connu des éditions innombrables, au sens propre du terme, il a été traduit dans toutes les langues. Bernardin de Saint-Pierre a fondé le genre du voyage littéraire, on a pu dire que toute la littérature exotique est contenue en germe dans son œuvre descriptive. «Il a frayé, dit M. Bellessort dans son Dix-huitième siècle et romantisme, la voie de Chateaubriand. Mme de Staël le place entre Rousseau et l'Enchanteur. Son nom viendra naturellement à nos lèvres quand nous lirons les premiers romans de Loti.» Il n'est pas surprenant que Théo ait été séduit par l'art délicat d'un écrivain élégant, doué de l'œil d'un observateur artiste, d'un œil de peintre sensible aux formes et aux couleurs, objectif dans sa traduction du pittoresque, sobre dans sa transposition stylistique. Bergerat corrobore les dires de sa belle-sœur, montrant du même coup que Théo partageait le libéralisme de ses propres parents en matière de lectures enfantines: «Dès qu'il sut lire, vers cinq ans, on lui mit entre les mains les livres qu'il désirait, et entre autres Robinson Crusoé, qui fit sur son esprit une vive impression. Deux dessins de lui, longtemps conservés dans la famille, et exécutés à l'âge de sept ans, prouvent qu'à cette époque il connaissait Estelle et Némorin, car ils représentent ces deux héros de l'idylle florianesque. Puis vint le tour de Paul et Virginie, qui a été toute sa vie le livre le plus admiré par Théophile Gautier. Pour ma part, je ne l'ai jamais entendu parler qu'avec une émotion communicative de ce roman qu'il considérait comme une des plus pures productions du génie.» (Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance.) À douze ans, interne au collège Saint-Louis à Paris, VictorHenri de Rochefort -Luçay, le futur pamphlétaire tant redouté de la Lanterne et autres brûlots antigouvernementaux virulents, ne s'intéressait, dit-il, «qu'aux choses sentimentales. Je fondais en larmes à Paul et Virginie que je lisais et relisais en cachette, ce livre étant banni du collège à cause de sa profonde immoralité. » Une pudeur aussi pointilleuse n'était pas de mode chez nos bons romantiques et les parents de la petite Léopoldine Hugo - elle venait, à huit ans, d'entrer comme externe au pensionnat de Jeunes Demoiselles, 16, place Royale -, ne songèrent point à froncer le sourcil lorsque Sainte-Beuve, son "cher Saint de Beuve", lui offrit un exemplaire de Paul et Virginie. En 1852, on inaugura au Havre une statue de David d'Angers; Bernardin de Saint-Pierre, coulé en bronze, y était représenté assis, tenant un manuscrit sur lequel on lisait: «Paul et Virginie ». Leur touchante idylle inspira une
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étonnante quantité d'adaptations scéniques et l'on alla jusqu'au théâtre de Guignol verser des torrents de lannes. Du vivant même de Bernardin de Saint-Pierre, par exemple, JeanFrançois Le Sueur, musicien admiré de Berlioz, composa Paul et Virginie ou le Triomphe de la vertu, opéra-comique dont la première eut lieu le 3 janvier 1794, en pleine Terreur. Avant-première du ballet romantique, Paul et Virginie, un ballet en trois actes réglé par le chorégraphe Gardel sur une musique de Kreutzer, obtint en juin 1806 un franc succès à l'Opéra. Paul et Virginie de Barbier et Carré, musique de Victor Massé, opéra représenté au Théâtre Lyrique en 1876, semblait clore la liste jusqu'à ce que Erik Satie s'intéressât au même thème sur un texte de Jean Cocteau et Raymond Radiguet, la mort l'empêchant de mener à bien l'opéra commencé. Dans ses Nouveaux Profils de musiciens - où l'on peut lire, entre autres, une copieuse étude sur Augusta Holmès qu'il avait personnellement connue "dans son coquet appartement de la rue Mansart", Holmès, "beauté saisissante" au talent "absolument viril", exempt de ces "mièvreries qui, le plus souvent, sont le défaut de tout talent féminin" -, le critique musical Hugues Imbert, soulignant l'enthousiasme manifesté par Reyer pour Berlioz et son œuvre, écrivait: «On sait que, dans son testament, Berlioz n'oublia pas Reyer. Il lui laissa son Paul et Virginie, annoté par lui et dont les marges sont littéralement couvertes de remarques et d'exclamations. La page finale du volume porte cette annotation de la main de Berlioz: "En somme, livre sublime,
déchirant, délicieux,mais qui rendrait athée, si on ne l'était pas. H. B." » Le libraire éditeur Henri-Léon Cunner, fin lettré, publia en 1838 un admirable Paul et Virginie suivi de la Chaumière indienne, fleuron de l'édition romantique illustrée. C'est à Cunner que l'on doit la célèbre série en neuf volumes des Français peints par eux-mêmes pour lesquels il sollicita la collaboration des meilleurs graveurs sur bois et lithographes de l'époque qui y ont trouvé, dit Larousse, "honneur et profit" : Pauquet, Delacroix, Grandville, Tony Johannot, Gavarni, Daumier, Français, Steinheil-Daubigny, Meissonier, Alexandre de Bar, Bertall et quelques autres, sur des textes humoristiques de Balzac, Borel, Karr, Gozlan, Janin, Soulié, Nodier, etc. Émile Bergerat raconte: Lorsque Curmer eut l'idée de sa publication: Les Françaispeints par eux-mêmes, il s'adressa à Balzac pour avoir de la copie. Le grand romancier mit à sa collaboration cette condition que l'ouvrage contiendrait une étude sur lui, Balzac, et que cette étude serait faite par Théophile. [...] Curmeraccepta. Aussitôt Balzac de courir rue de Navarin, où Gautier demeurait, et de lui annoncer la commande.Elle tombait à la maison comme une alouette rôtie du ciel. Cette étude sur moi, lui dit Balzac, sera payée cinq cents francs. Théophile l'eut vite achevée et portée à l'éditeur, mais avec sa timidité ordinaire il n'osa point demanderson salaire. Huit jours, puis quinze se passent, pas de nouvelles de Balzac. Enfin un matin il le voit arriver. "Je ne sais commentte remercier, lui dit son ami, ton étude est un chef-d'œuvre.Comme j'ai pensé que tu pouvais avoir besoin d'argent, je t'apporte la somme convenue." Et il lui aligna deux cent cinquante francs. "Mais, risque Gautier, j'ai cru que tu m'avais dit cinq cents. J'aurai mal compris.- Pas le moins du monde,je t'ai dit cinq cents. Mais réfléchis un peu! Si je n'avais pas existé, tu n'aurais pas pu dire de moi tout le bien que tu en as dit, c'est clair. Donc, pas d'article de toi, pas d'argent. Je prends la moitié de la somme comme sujet traité et je te donne le reste comme auteur traitant. N'est-ce pas juste? - Comme Salomon lui-même", fit Gautier, qui, bien des années après, en me racontant l'histoire, trouvait que Balzac avait eu parfaitement raison. (Théophile Gautier.) Dans Graziella (1849), Lamartine a dit tout le bien qu'il pensait de Paul et Virginie, publié en 1787; et Chateaubriand, qui favorise la note intimiste, nous offre cette gracieuse
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analyse: «Le charme de Paul et Virginie consiste en une certaine morale mélancolique, qui brille dans l'ouvrage, et qu'on pourrait comparer à cet éclat uniforme que la lune répand sur une solitude parée de fleurs. Les personnages sont aussi simples que l'intrigue; ce sont deux beaux enfants dont on aperçoit le berceau et la tombe, deux fidèles esclaves et deux pieuses maîtresses. Ces honnêtes gens ont un écrivain digne de leur vie: un vieillard demeuré seul dans la montagne, et qui survit à ce qu'il aima, raconte à un voyageur les malheurs de ses amis sur les débris de leurs cabanes... Cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait aux grandes scènes rustiques d'Hésiode, d'Homère et de la Bible; mais elle rappelle quelque chose d'ineffable, comme la parabole du Bon Pasteur. » Le Collier des jours, p. 248. PAUTHIER, Jean-Pierre-Guillaume (Besançon 1801 - Paris 1873). Membre de la Société asiatique de Paris. Il publia des recueils de poésie avant de se consacrer entièrement à l'étude des langues orientales. À en croire Anatole France (La Vie littéraire, Ille série), il « savait le chinois mieux que le français. Il avait gagné, je ne sais comment - ajoute le malicieux auteur - de petits yeux obliques et des moustaches de Tartare. » Le Pavillon sur l'eau, projeté dès 1840, écrit en 1846, est une charmante histoire d'amour entre Tchin-Sing et Ju- Kiouan, dans la province de Canton. Elle se termine par cette phrase désabusée du bon Théo: «Les noces se firent; la Perle et le Jaspe purent enfin se parler autrement que par l'intermédiaire
d'un reflet.
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En furent-ils
plus heureux,
c'est ce que nous
n'oserions
affirmer; car le bonheur n'est souvent qu'une ombre dans l'eau.» - «Lorsque j'eus l'honneur de le connaître, poursuit Anatole France dans son article sur les Contes chinois, M. Guillaume Pauthier étudiait spécialement les agronomes chinois, lesquels, comme on sait, sont les premiers agronomes du monde. D'après leurs préceptes, M. Guillaume Pauthier sema des ananas dans le département de Seine-et-Oise. Ils ne vinrent pas.» M. de Balzac, contemporain de M. Pauthier, ne semble pas avoir étudié les agronomes chinois; il n'en rêva pas moins, lui aussi, d'acclimater les ananas en Seine-et-Oise, dans sa propriété des Jardies, 14, rue du Chemin-Vert, commune de Ville-d'Avray, un terrain déclive à ce point que « Frédérick Lemaître, venu là en visite, garda pendant toute la visite deux pierres à la main pour caler ses pieds dès que son hôte s'arrêtait. » (André Maurois, Prométhée ou la vie de Balzac.) Aucune maçonnerie ne pouvait empêcher le mur de soutènement de s'écrouler chez le voisin, en aval, ce qui contraignit en fin de compte le propriétaire des Jardies à acheter ce terrain... d'épandage. «C'est cher, disait-il, mais c'est égal, on est toujours bien heureux de pouvoir s'écrouler chez soi. Mon pauvre mur pourra du moins mourir dans son lit. » (Cité par André Billy dans sa Vie de Balzac.) On dirait de l'Alexandre Dumas père! Cent mille pieds d'ananas, un calcul facile à faire par multiplication des bénéfices automatiques, la fortune sous peu... L'ami Gautier était le confident de ces mirifiques anticipations: «Pour Balzac, les cent mille ananas hérissaient déjà leurs aigrettes de feuilles dentelées, au-dessus de leurs gros cônes d'or quadrillés, sous d'immenses voûtes de cristal: il les voyait; il se dilatait à la haute température de la serre; il en aspirait le parfum tropical de ses narines passionnément ouvertes; et quand, rentré chez lui, il regardait, accoudé à la fenêtre, la neige descendre silencieusement sur les pentes décharnées, à peine se détrompait-il de son illusion... » (Balzac, Portraits contemporains.)
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Le romancier habita les Jardies de 1837 à 1841. Léon Gambetta y est mort à quarantequatre ans, le 31 décembre 1882, dans ce qui avait été la bicoque du jardinier de Balzac et où il demeurait avec sa maîtresse, Léonie Léon. Fermons cette parenthèse agricole. Ancien élève d'Abel Rémusat comme Stanislas Julien, Guillaume Pauthier entretint avec ce dernier de détestables rapports qui le conduisirent en 1841 à démissionner de la Société asiatique. Dans sa jeunesse, pendant son service militaire au 55e Régiment de ligne, le destin l'avait placé sous les ordres du capitaine Alfred de Vigny; les deux hommes sympathisèrent. On sait que, par la suite, Vigny s'intéressa vivement à l'hindouisme et au bouddhisme, alors que Pauthier ne négligea la poésie que pour suivre une vocation plus pressante. Leur commerce confiant se poursuivit jusqu'à la mort du poète qui légua à l'orientaliste son épée d'académicien. Également féru de poésie, en relations suivies - et bien favorables, selon Vapereau, à sa réputation - avec divers chefs du mouvement littéraire de son époque, le peintre lithographe bisontin Jean Gigoux, dit Pou-Gris en raison de son affligeante laideur, ami et portraitiste de Vigny, se lia également avec Pauthier, son compatriote franc-comtois, Jean Gigoux, l'ami de Nodier, l'ami de Balzac, l'amant de Mme Balzac... Neveu de Pauthier, Louis-Xavier de Ricard, le fondateur avec Catulle Mendès du Parnasse contemporain, l'auteur des Petits Mémoires d'un Parnassien, rédigea la notice biographique parue en tête du Catalogue des livres chinois composant la bibliothèque de feu Guillaume Pauthier, Paris, 1873. Le Second Rang du collier, p. 161. Paysage. Réminiscence du Venise de Musset, ce petit poème de quatre quatrains porte en épigraphe un vers de Virgile. C'est là, nous dit René Jasinski dans l'édition Nizet (1970) des Poésies complètes de Théophile Gautier, un «souvenir de Mauperthuis, en Seine-etMarne, où Gautier enfant passait ses vacances », ce Mauperthuis, ex-propriété des Montesquiou, que Théo décrit dans Mademoiselle de Maupin, « ... assemblage de bâtiments construits à différentes époques avec des pignons inégaux et une foule de petits clochetons ». Pour l'église de Mauperthuis, Théo, âgé de dix-sept ans, peindra un Saint Pierre destiné à décorer le maître-autel. Sa vocation est encore incertaine: encouragé, loué par l'abbé de Montesquiou, sera-t-il peintre, sera-t-il poète? Aux premières pages de l'Histoire du romantisme, entreprise au soir de sa vie et que la mort interrompit, Gautier nous parle de cette indécision de sa jeunesse: Placé à l'y du carrefour,nous hésitions entre les deux routes, c'est-à-dire entre la poésie et la peinture, également abominables aux familles... Notre vocation littéraire n'était pas encore décidée [oo .]. Notre intention était d'être peintre [oo .]. Bien des fois nous avons regretté de ne pas avoir suivi notre première impulsion. On voit ce qu'on a fait, et la réalité toujours sévère vous donne votre mesure, mais on peut rêver ce qu'on aurait fait bien plus beau, bien plus grand, bien plus magnifique; - la page a été noircie, la toile est restée blanche, et rien n'empêche d'y supposer, comme le Frenhœffer du Chef-d'œuvre inconnu de Balzac, une Vénus près de laquelle les femmes nues du Titien ne seraient que d'informes barbouillages. Innocente illusion, secret subterfuge de l'amour-propre qui ne fait de mal à personne et qui console toujours un peu: il est doux de se dire, quand on a jeté le pinceau pour la plume: Quel grand peintre j'aurais été! Pourvu que nos lecteurs ne soient pas de notre avis et ne trouvent pas aussi que nous eussions mieux fait de persister dans notre première voie!
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Pour Judith, point d'hésitation sur le choix du seul travail qui lui permît d'assurer sa matérielle, comme on dit; nonchalante, elle écrivait par nécessité plus que par goût peutêtre, et son indifférence "presque hostile" pour l'œuvre littéraire achevée a été remarquée par plusieurs de ses amis. Anatole France: «Jamais femme, je crois, ne laissa voir un si naturel mépris du succès et fut si peu femme de lettres.» Ses loisirs, hors de toute préoccupation lucrative, elle les consacrait à des occupations artistiques. Citons encore Anatole France: Elle est profondémentmusicienne.Personne ne connut mieux qu'elle l'oubli des heures dans le monde indéterminédes idées musicales.[...] Elle a le goût et le sentiment de la peinture. Les murs de son salon sont couverts d'animaux bizarres peints par elle dans le goût des kakemonos japonais, et qui trahissent à la fois son goût enfantin des images et son intelligence mystique de la nature. Quant à son talent naturel de sculpteur, il étonnait ses amis, bien avant qu'elle signât avec M. H. Bouillon le buste de Théophile Gautier qui vient d'être inauguré à Tarbes [le 2 juillet 1911].Je me rappelle avoir vu la maquette d'une pendule, dans laquelle madameJudith Gautier avait déployé,ce me semble, une habileté merveilleuse à grouper les figures. C'était une sphère terrestre, sur laquelle les douze heures du jour et les douze heures de la nuit, figuréespar des femmes, se livraient à tous les travaux de la vie. [...] Chacune de ces petites figures était charmante d'attitude, et le groupement en était parfaitement harmonieux... Dressant le catalogue de l'œuvre peint et sculpté de Judith, Remy de Gourmont signale en 1904, outre cette maquette de pendule, des bustes en plâtre (Richard Wagner, Victor Hugo, le prince d'Annam, ...), des cires, des statuettes... quinze numéros au total. Au chapitre des peintures, décors pour le "Petit Théâtre", quatre éventails à sujets wagnériens, une série de Soleils couchants en mer, esquisses à l'aquarelle. Du 25 novembre 1983 au 26 février 1984, les visiteurs de la Maison de Balzac, 47, rue Raynouard, purent voir une bien intéressante exposition: Dessins d'écrivains français du X/Xe siècle. Y figuraient plusieurs œuvres de Théophile Gautier et quatre aquarelles de Judith, représentant toutes les quatre un paysage marin, avec ou sans bateau. L'une d'elles (0,088 x 0,116), collage sur fond d'aquarelle, porte ces inscriptions manuscrites: «Succès, Santé, Bonheur» et, plus bas, «avec ses très affectueux souvenirs. Judith Gautier. » Commentaire: «Ce collage [...] est une carte de vœux traditionnelle dans ses intentions, mais très inventive dans son procédé de fabrication. Telle une Vénus sortie des eaux pour encourager la matérialisation des souhaits, cette figurine découpée dans un illustré distribue son bouquet de vœux. La formule du collage est surréaliste avant la lettre, et le thème de carte postale fut appelé à une fortune qui ne s'est pas encore démentie. » (Catalogue de l'exposition, préfacé par Claude Pichois.) Dans cette même exposition figuraient treize œuvres de cet étonnant dessinateur que fut Victor Hugo, et Mme Jacqueline Sarment, conservateur du Musée Balzac, commente: « L'œuvre graphique de Victor Hugo évalué à près de 3 000 pièces est l'un des plus célèbres du XIXe siècle. Théophile Gautier porta sur lui un jugement que l'on retrouve sous la plume de tous les critiques: "Victor Hugo, s'il n'était pas poète, serait un peintre de premier ordre; il excelle à mêler, dans des fantaisies sombres et farouches, les effets du clair-obscur de Goya à la terreur architecturale de Piranèse..."» Etc. Pendant l'été 1885, Léon Daudet visita Hauteville-House en compagnie de Georges Hugo. Aucune indulgence n'habitait le gros Léon à l'endroit du "plésiosaure de Guernesey", décédé quelques semaines auparavant, et sa description de l'historique demeure est, l'on s'en doute, colorée d'un partipris aveuglant. Nous voici
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au troisième étage, le look out vitré: trois pièces exiguës, étouffantes en été, glaciales en hiver, ornées de panneaux peints [.. .], où Hugo couchait et travaillait sur un matelas au ras du sol. Car il vivait dans une inspiration perpétuelle, assailli par tous les démons du rythme, de la métaphore, de la syntaxe, se délivrant d'eux sur des bouts de papier de toutes formes et de toutes couleurs, à l'aide de l'écriture et du dessin. Sa méthode de dessinateur, très conforme à sa méthode de poète, consistait à jeter de l'encre sur du papier, puis à modeler et développer le hasard de la tache, en y laissant jouer la lumière par les blancs. Il avait le pâté sublime. Néanmoins ce procédé le contraignait à représenter invariablement des burgs au clair de lune, des pendus également au clair de lune, ou des grotesques à longue barbe, tels que "son ami de cœur nommé Goulatromba, Homme de qui jamais un juron ne tomba".» (Fantômes et vivants. ) «L'écriture et l'image sont deux sœurs qui se jalousent parfois mais qui, loin d'être ennemies, se complètent. » (Serge Fauchereau, Peintures et dessins d'écrivains.)
Le Collier des jours, p. 68. PELLARIN, Charles (1804-1883). Ex-chirurgien de marine, journaliste, disciple de Fourier et spécialisé en économie, ce praticien réputé pour son dévouement se fixa à Montrouge à partir de 1850. Le Collier des jours, p. 96. Péri (la), ballet-pantomime en un acte, argument de Théophile Gautier, musique de Burgmüller, chorégraphie de Coralli, créé à l'Opéra de Paris le 17 juillet 1843, avec Carlotta Grisi et Lucien Petipa. On a repris plusieurs fois la Péri avec des chorégraphies différentes, sur une musique de Paul Dukas. Le ballet met en scène Iskender - Alexandre le Grand - en quête du lotus d'immortalité, et les péris, ces fées de la mythologie iranienne. Judith fit d'Iskender le héros de son "histoire persane", que Banville tenait pour une œuvre hors ligne. « En notre France qui a eu de si grandes femmes, écrivait-il dans le Cil Blas du 4 juin 1886, je ne pense pas que nulle ait été supérieure à l'auteur d'lskender. Je n'ai su dire ni pourquoi j'aime ce livre, ni en quoi il est beau, ni ce qu'il y a dedans, je me suis borné à crier d'admiration, mais n'est-ce pas là tout ce que sait faire un vieux rime ur inutile?.. Les livres de Mme Judith Gautier ressemblent à ceux de Théophile Gautier, mais l'auteur du Dragon Impérial et de la Sœur du Soleil n'imite nullement son père et n'a pas besoin de l'imiter, étant parfaitement semblable à lui.» Iskender s'ouvre, en guise de préface, par un sonnet de Leconte de Lisle, l'Orient. «... Le vivant souvenir de la patrie antique / Fait toujours, dans notre ombre et nos rêves sans fin, / Resplendir ta lumière à l'horizon divin. » L'Iskender de Judith, disait l'auteur des Poèmes barbares, «c'est une sorte de conte de fées, sorti des Mille et Une Nuits, brillant de style et d'imagination ». Théophile Gautier n'avait épargné aucun soin pour faire de la Péri une offrande digne de la reine de son cœur. Dans l'article qu'il écrivit, pendant les journées insurrectionnelles de février 1848, à la mémoire de Prosper Marilhat, ce malheureux peintre féru d'orientalisme, sombré dans la folie et décédé en 1847, relisons ce passage pittoresque et charmant qui en apporte la preuve: «J'avais écrit pour Carlotta le livret de la Péri, et, pour cette œuvre muette, je voulais apporter toute l'exactitude matérielle possible. J'allais donc chez Marilhat faire
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provision de couleur locale; une sincère admiration, chaleureusement exprimée de ma part, une bienveillance reconnaissante de la sienne, avaient établi entre nous des rapports qui, pour n'être pas fréquents, n'en étaient pas moins cordiaux. Il m'ouvrit tous ses cartons avec une inépuisable complaisance, me dessina ou me permit de calquer les costumes dont j'avais besoin, et me prêta même une petite guitare arabe à trois cordes, au ventre en calebasse et au long manche d'ébène et d'ivoire, qui servit à la Péri dans sa scène de séduction musicale. [...] Aujourd'hui [...] la guzla rapportée du Caire par Marilhat qui la prit des mains d'une gawhasie, après avoir résonné à l'Opéra sous les doigts frêles de Carlotta Grisi, se trouve dans un coin de l'atelier de Fernand Boissard, où son emploi est de poser pour les mandolines moyen âge. » (L'Art moderne, Michel Lévy frères, 1856.) Les lignes citées par Judith à propos de la Péri sont extraites d'un long article de Gautier, paru dans la Presse du 25 juillet 1843, sous la forme d'une lettre adressée "À mon ami Gérard de Nerval, au Caire". En voici un autre passage, expression, parmi tant d'autres, d'une incurable, d'une quasi obsessionnelle "préoccupation de l'Orient", selon les termes mêmes du pauvre Théo, cette "préoccupation" dont hérita sa fille aînée, quoique sous une forme distincte. On n'est pas toujours du pays qui vous a vu naître, et alors, on cherche à travers tout sa vraie patrie; ceux qui sont faits de la sorte se sentent exilés dans leur ville, étrangers dans leurs foyers, et tourmentés de nostalgies inverses. C'est une bizarre maladie. L'on est comme des oiseaux de passage encagés. Quand le temps du départ arrive, de grands désirs vous agitent et vous êtes pris d'inquiétudes en voyant les nuages qui vont du côté de la lumière. Si l'on voulait, il serait facile d'assigner à chaque célébrité d'aujourd'hui non seulement le pays, mais le siècle où aurait dû se passer son existence véritable: Lamartine et Vigny sont anglais modernes; Hugo est espagnol-flamand du temps de Charles-Quint; Alfred de Musset, napolitain du temps de la domination espagnole; Decamps, turc asiatique; Marilhat, arabe; Delacroix, marocain. L'on pourrait pousser fort loin ces remarques justifiables jusque dans les moindres détails, et que viennent confirmer même les types de figures. Toi, tu es allemand; moi, je suis turc, non de Constantinople, mais d'Égypte. Il me semble que j'ai vécu en Orient, et lorsque pendant le carnaval je me déguise avec quelque caftan et quelque tarbouch authentique, je crois reprendre mes vrais habits. J'ai toujours été surpris de ne pas entendre l'arabe couramment; il faut que je l'ai oublié. En Espagne, tout ce qui rappelait les Mores m'intéressait aussi vivement que si j'eusse été un enfant de l'Islam, et je prenais parti pour eux contre les chrétiens.
Le Collier des jours, p. 129, 130. PÉTRARQUE, Francois (Francesco Petrarca). Octave de Saville, le héros d'Avatar, se meurt d'amour pour son inhumaine comtesse et se confesse au Dr Cherbonneau : «J'adressais à l'idole absente - lui fait dire Théophile Gautier - mille déclarations d'une éloquence irrésistible. J'égalais dans ces apostrophes muettes les plus grands poëtes de l'amour.
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Le Cantique des cantiques de Salomon
avec son vertigineux
parfum oriental et
son lyrisme halluciné de haschich, les sonnets de Pétrarque avec leurs subtilités platoniques et leurs délicatesses éthérées, l'Intermezzo de Henri Heine avec sa sensibilité nerveuse et délirante... » Pétrarque est né à Arezzo le 20 juillet 1304. Chassé de Toscane à la suite de troubles politiques, son père s'installe en Provence. Francesco, le futur humaniste, le diplomate, le glorieux poète qui contribua à fixer la langue italienne, y fait une partie de ses études, poursuivies à Bologne. En 1326, il reçoit les ordres mineurs; par l'octroi de
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quelques bénéfices, cet état ecclésiastique lui assure une vie matérielle aisée. Il séjourne à Paris, Liège, Cologne, Rome, Parme, Naples, Milan, Padoue, Venise, mais entre-temps il revient s'établir plus ou moins longuement dans le Vaucluse. C'est là qu'il rencontre l'inspiratrice de ses sonnets, de ses chansons, de ses triomphes: «Laure, remarquable par ses vertus propres et longtemps célébrée dans mes vers, est apparue pour la première fois à mes yeux en l'an de grâce 1327, le 6 avril, en l'église Sainte-Claire d'Avignon. Et dans la même ville, au même mois d'avril, le 6 également, mais en l'année 1348, elle a été arrachée à la lumière du jour. .. » Demeurée longtemps mystérieuse au point qu'on la crut une figure allégorique, on s'accorde désormais à identifier cette vertueuse personne avec Laure de Noves, mariée à quinze ans, en 1325, avec Hugues de Sade auquel elle donna onze enfants avant d'être emportée par la peste noire. «Sa taille était élevée, sa démarche pleine de séduction et de majesté. Des cheveux d'un blond doré, un teint éblouissant de blancheur qui se colorait aux émotions du cœur... - Je vois, je pense, brûle et pleure. Elle, qui me détruit, est toujours là, devant moi...» Pour son soulas, il rencontra heureusement des dames moins sages puisqu'il fut le père célibataire de deux enfants - un garçon et une fille, nés de mères différentes. Pétrarque mourut subitement le 19 juillet 1374, dans sa paisible et studieuse résidence d'Arquà, en Vénétie. Près de cinq siècles plus tard, le souvenir de Pétrarque s'impose à l'esprit du fin lettré que fut le marquis de Custine, songeant à aménager une galerie hémicirculaire dans l'hôtel qu'il vient d'acquérir au prix fort, rue de La Rochefoucauld, numéro 6 (actuel numéro 2), l'ancienne demeure du sculpteur Pigalle. Toute la société parisienne s'y rue, oublieuse d'un fâcheux scandale de jeunesse, pour jouir de la chère succulente, du charme, de l'urbanité, de la culture raffinée de l'hôte, ce grand voyageur, éventuellement pour solliciter de sa générosité un secours pécuniaire. Chez Nodier, Custine avait fait la connaissance de Louis Boulanger. En 1833 il commande au jeune peintre devenu son ami une grande toile décorative: ce sera le Triomphe de Pétrarque. Théophile Gautier et la Victorine, Arsène Houssaye, peut-être le journaliste Hauréau personnellement sollicité par Théo, modèles bénévoles, posent devant Boulanger. Victor Hugo publie « Écrit sur la première page d'un Pétrarque» : Quand d'une aube d'amourmon âme se colore, Quandje sens ma pensée, ô chaste amant de Laure, Loin du souffleglacé d'un vulgairemoqueur, Éclore feuille à feuilleau plus profonddu cœur, Je prends ton livre saint qu'un feu céleste embrase. Chantsdu crépuscule. Enfin posée rue de La Rochefoucauld, l'œuvre déploie sur huit mètres de long une imposante procession, représentant l'apothéose de Pétrarque à Rome, le 13 avril 1341 : « Escorté par le peuple romain, le poète revient du Capitole. L'Enthousiasme, les Grâces, la Rêverie, représentées par de jeunes filles, l'accompagnent dans le char; les Muses l'entourent, et l'élite de la noblesse, des poètes, des savants, des guerriers, complète son cortège. » Au jour inaugural de l'immense tableau, il y eut fête et afflux de célébrités. Chopin se mit au piano. Gautier récita son long poème en terza rima, paru dans l'Ariel du 30 avril 1836 : le Triomphe de Pétrarque, dédié à Louis Boulanger. Beau cygne italien, roi des amours fidèles, Poète aux rimes d'or, dont le chant triste et doux Semble un roucoulement de blanches tourterelles;
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. Je te reconnais bien; oui, c'est bien toi, poète; Le camail écarlate encadre ton front pur Et marque austèrement l'ovale de ta tête.
...................................................... Rêveur harmonieux, tu fais bien de chanter: C'est là le seul devoir que Dieu donne aux poètes, Et le monde à genoux les devrait écouter.
.................................................. Sur l'autel idéal entretenez la flamme, Guidez le peuple au bien par le chemin du beau, Par l'admiration et l'amour de la femme.
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.........................
Faites de la musique avec la voix plaintive De la création et de I'humanité, De l'homme dans la ville et du flot sur la rive. Puis, comme un beau symbole, un grand peintre vanté Vous représentera dans une immense toile, Sur un char triomphal par un peuple escorté: Et vous aurez au front la couronne et l'étoile!
Astolphe de Custine fut le dédicataire de l'Auberge rouge, une nouvelle de Balzac, et de l'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly, qui traça du marquis ce joli portrait: «J'aime infiniment M. de Custine dont l'esprit et le talent se distinguent par un piquant infini qui ne l'abandonne jamais. Il est charmant et noble, et simple de manières comme le dernier des grands seigneurs, et il pratique la grande hospitalité à l'anglaise avec le naturel et l'abandon italiens. Il cause comme un homme qui a connu Mme de Staël et qui a gardé le parfum de cette rose de feu de la causerie. C'est l'arbre à fruits de l'anecdote. Il faut le voir au dessert, tirant toute l'Europe, personne par personne, de sa poche et la déballant autour de sa table devant laquelle nous buvons, dans des coupes de forme antique rapportées d'Italie, du Monte Fiascone, ce vin dont Grégoire XVI aimait à griser sa vieillesse, dans cette salle à manger que Balzac a décrite et dans laquelle l'ombre de cet énorme et ravissant artiste doit revenir pour nous écouter. » (Reproduit par Élisabeth de Gramont dans son Barbey d'Aurevilly, une biographie du Connétable, "ce fier Normand", qu'elle offrit à Suzanne Meyer-Zundel « avec [son] meilleur souvenir ».) Au XVIIIe siècle, l'abbé de Sade, Provençal descendant de la prolifique Laure chantée par le poète toscan, rédigea des Mémoires pour la vie de François Pétrarque (Amsterdam 1764-1767, 3 vol. in-4°). Correspondant de Voltaire, cet épicurien, ce libertin était peu fait pour prêcher la vertu à l'un de ses neveux qu'il hébergea quelque temps, à savoir Donatien, le futur marquis de Sade de sulfureuse mémoire. Descendante directe du "Divin Marquis", son arrière-petite-fille, autre personnalité marquante de la famille: LaureMarie de Sade, comtesse Adhéaume de Chevigné, que Proust poursuivit sans succès de ses amabilités et qu'il voulut immortaliser dans le personnage - d'ailleurs composite - d'Oriane, duchesse de Guermantes, à la grande fureur de cette aristocrate impérieuse, et "forte en gueule" disait Anna de Noailles. Fille de Laure-Marie, Marie-Thérèse de Chevigné épousa en premières noces Maurice Bischoffsheim - de la famille des puissants banquiers juifs,
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mécènes et philanthropes, rivaux des Rothschild -, puis, veuve, en secondes noces, l'écrivain Francis de Croisset, de son vrai nom Franz Wiener, d'origine belge. Du premier mariage de Marie-Thérèse de Chevigné naquit Marie-Laure Bischoffsheim - on n'avait garde de laisser tomber aux oubliettes le prénom de la célébrissime ancêtre -, qui devint vicomtesse de Noailles par son mariage, en 1923, avec Charles de Noailles. D'illustre famille liée à toute l'histoire politique, militaire, diplomatique de la France, ce Noailles était l'arrière-petit-fils de Natalie de Noailles, duchesse de Mouchy, cette pauvre "Mouche", maîtresse adorée de Chateaubriand pendant quelques années avant de sombrer dans la folie; sa grand-tante, la comtesse Mathieu de Noailles, née Anna de Brancovan, sera la première femme à recevoir la cravate de commandeur de la Légion d'honneur pour son œuvre littéraire. Que de célébrités dans ces deux lignées! Marie-Laure n'entendait pas déchoir sur ce plan. Laurence Benaïm a retracé la vie de cette anarchiste de luxe, extravagante, affolée de modernité, amie et mécène des écrivains, des peintres, des musiciens les plus provocants de son époque - née en 1902, elle mourut en 1970 -, écrivain, peintre elle-même. «On lui pardonnait ses excès à cause de sa truculence et de sa débordante vitalité. (...) Sa curiosité était sans limite... » - «Nature très singulière, avait jugé l'abbé Mugnier, assez éberlué. Tous les sangs sont dans le sien. » Propriétaire du manuscrit original des Cent Vingt Jours de Sodome, elle avait fait relier l'ouvrage de son aïeul dans « une de ces peaux argentées qui servent à confectionner les souliers du soir» et, cachottière, écrit son biographe, le dissimula « dans une boîte à biscuits. »... La vicomtesse du bizarre! Le Collier des jours, p. 206. Pierrot posthume. « Pierrot, pendu par des corsaires, est tombé vivant du gibet; mais, bien convaincu de sa mort, dont tout le monde l'assure, il rentre comme une ombre dans sa maison, ne se croyant pas le droit d'empêcher les amours d'Arlequin et de Colombine. Il se proclame mort, fait son oraison funèbre et son épitaphe; puis, ayant consulté le docteur, il se croit rendu à la vie et reprend sa femme, tout en exigeant que son ami Arlequin ne quitte pas la maison.» Tel est, reproduit dans le Bulletin de la Société Théophile Gautier, numéro 2, le résumé de la pièce autorisée par la Commission d'examen, numéro d'ordre 8 065 du 29 septembre 1847. Cette arlequinade - un acte en vers - à laquelle collabora Paul Siraudin fut créée au Vaudeville le 4 octobre suivant. Le 22 octobre, Hugo écrivait à Théo: «... Je crois que j'en sais tous les vers par cœur! Je ne connais rien de plus charmant que votre prose si ce n'est votre poésie. Je ne sais pas si je suis votre poète, mais à coup sûr vous êtes le mien. Je me sens vers vous de ces élans qu'il me semble que Virgile avait pour Horace.» Chacun n'était pas de cet avis. Nous avons sous les yeux une caricature du Charivari (Galerie-Omnibus, No 6) : Gautier-Pierrot, à califourchon sur le dos d'Arlequin, porte en bandoulière son encrier en forme de pot de chambre, étiqueté "vase étrusque" d'où émergent deux plumes d'oie ébarbées. Légende en forme de quatrain: «L'arlequinade est donc votre forme choisie... / Gautier, ne restez pas à dada sur ce tic, / Et pour faire un instant rire le bon public / Ne faites pas ainsi pleurer la poésie! » Le Vaudeville reprit le 30 août 1864 l'inoffensive bluette dont une apostrophe un peu crûment misogyne avait alerté la sensibilité des censeurs: «Ah! les femmes!. .. Pourquoi faut-il que nous soyons / Toujours acoquinés après leurs cotillons! / Tout irait mieux, si Dieu ne t'avait fait d'un geste / Sortir du flanc d'Adam, côtelette funeste! »
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Comme plus tard à Judith qu'il déçut, le théâtre n'apporta guère de satisfactions personnelles à Gautier, ni sur le plan de la renommée, ni sur le plan des "ors", et sa contribution à la littérature dramatique se réduisit, en somme, à peu de chose. Son premier essai est un "mistère" intitulé Une Larme du diable, publié chez Desessart en janvier 1839 et ainsi résumé par Robert de Montesquiou: Deux jeunes filles, assistées et surveillées par leurs anges gardiens invisibles, travaillent pieusement à de gentils ouvrages et laissent paraître la pureté de leur cœur. Là-haut, dans les régions éthérées, le Maître du Monde s'étonne, et presque tonne du retard des deux Messagers Célestes qui paraissent enfin et attestent la candeur de leurs protégées. Satanas ose alors se risquer dans le Paradis et parie de débaucher les tendrons; le Seigneur accepte: si Dieu gagne, le Diable lui rendra des âmes éprouvées; si le Démon l'emporte, le Ciel lui fera don d'une goutte d'eau. À la suite de ce pari, les tentations commencent pour les fillettes. En route pour la messe, elles rencontrent le séducteur qui, sous forme de colporteur, de saltimbanque ou de galant, les attaque vainement et, sans succès, les assiège. Dans l'Église, l'assaut redouble: livres érotiques substitués aux missels, déclarations chuchotées à l'oreille, tout cela échoue au cœur du temple; mais la clairière est plus propice, et l'esprit de malice obtient un rendez-vous de chacune des jeunesses, Alix et Blancheflor, que voici en grand danger de se perdre. Elles vont rentrer dans leur chambre; sur l'ordre de son Maître, Asmodée vient d'emplir ce lieu d'un si voluptueux effluve, que les meubles se mettent à s'énamourer les uns des autres, et que le fauteuil fait une déclaration à la bergère, tandis que le pot du Japon cherche à violenter la carafe. Un tel philtre n'est pas sans agir sur nos amoureuses: chacune à son tour va retrouver Satan dans la clairière; elles sont à la fois si tendres et si naïves qu'une émotion s'empare du Maudit; le délai de la gageure expire sans marquer la chute de l'innocence, et le pleur sincère échappé au Lucifer le rafraîchira du moins durant l'Éternité. (Majeurs et mineurs.) Vient ensuite, en 1843, le Voyage en Espagne; sifflé le premier soir aux Variétés malgré l'excellent comique Hyacinthe dans le rôle du héros Désiré Reniflard, et la coruscante Alice Ozy dans le rôle d'une soi-disant Espagnole, le Voyage en Espagne remporte cependant un succès d'estime avec trente-quatre représentations. Après le Tricorne enchanté, la Fausse Conversion ou Bon Sang ne peut mentir, que la Revue des Deux Mondes publie dans son numéro du 1er mars 1846: «La petite comédie, commente Anne Ubersfeld, un peu archaïsante, comme tout ce que fait Gautier au théâtre, est jolie et mériterait d'être jouée. Toujours se lit en filigrane la préférence donnée à l'art sur la vie.» Sur un canevas de Noël Parfait, le compagnon du voyage en Algérie - en 1852, à Bruxelles, Noël Parfait, proscrit, se mettra au service d'un autre homme de lettres, Alexandre Dumas, proscrit lui aussi -, la Juive de Constantine, fin 1846, à la Porte-Saint-Martin, tient l'affiche durant vingt représentations, mais déroute le public et suscite des critiques furibondes. L'année suivante, Regardez, mais ne touchez pas 1 (variante: Ne touchez à rien I) fait un four à l'Odéon. L'Amour souffle où il veut fut la dernière tentative scénique de Théophile Gautier. Farces, bouffonneries, pantalonnades... Pauvre Gautier, qu'il était inaccessible, l'idéal si poétiquement - et prolixement - énoncé jadis dans Mademoiselle de Maupin: Il est un théâtre que j'aime, c'est le théâtre fantastique, extravagant, impossible, où l'honnête public sifflerait impitoyablement, dès la première scène, faute d'y comprendre un mot. [...] Un rideau d'ailes de papillons, plus mince que la pellicule intérieure d'un œuf, se lève lentement après les trois coups de rigueur. La salle est pleine d'âmes de poëtes assises dans des stalles de nacre de perle, et qui regardent le spectacle à travers des gouttes de rosée montées sur le pistil d'or des lis. - Ce sont leurs lorgnettes. [...] Les personnages ne sont d'aucun temps ni d'aucun pays; ils vont et viennent sans que l'on sache pourquoi ni
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comment; ils ne mangent ni ne boivent, ils ne demeurent nulle part et n'ont aucun métier; ils ne possèdent ni terres, ni rentes, ni maisons. [...] Les habits sont les plus extravagants et les plus fantasques du monde [...]. Comme ce qu'ils débitent est amusant et charmant! Ce ne sont pas eux, les beaux acteurs, qui iraient, comme ces hurleurs de drame, se tordre la bouche et se sortir les yeux de la tête pour dépêcher la tirade à effet. [...] Tout se noue et se dénoue avec une insouciance admirable: les effets n'ont point de cause, et les causes n'ont point d'effet. [...] Ce pêle-mêle et ce désordre apparents se trouvent, au bout du compte, rendre plus exactement la vie réelle sous ses allures fantasques que le drame de mœurs le plus minutieusement étudié. - Tout homme renferme en soi l'humanité entière, et en écrivant ce qui lui vient à la tête, il réussit mieux qu'en copiant à la loupe les objets placés en dehors de lui [.. .]. Dans ce théâtre écrit pour les fées, et qui doit être joué au clair de la lune, il est une pièce qui me ravit principalement: - c'est une pièce si errante, si vagabonde, dont l'intrigue est si vaporeuse et les caractères si singuliers, que l'auteur lui-même, ne sachant quel titre lui donner, l'a appelée Comme il vous plaira... Sans doute est-ce dans Une Larme du diable que Théo se laissa aller avec le plus de liberté à sa verve poétique, surréaliste avant la lettre. Cette fantaisie est conçue, écrit Bergerat, « sur le modèle des comédies populaires et religieuses du moyen âge, à la façon de Pierre Gringoire, et il met en scène les personnages usuels de Satanas, du Bon Dieu, de la Vierge Marie, de Magdalena, puis, bien avant Chantecler, un chœur de lapins, un colimaçon, une rose, des papillons, et jusqu'à une armoire, un fauteuil et une carafe. Le silence même y parle: - Je n'ai pas de langue et suis muet de naissance, et pourtant tout le monde me comprend et si l'auteur de cette triomphante comédie avait un peu plus recours à moi, il aurait conservé l'estime du Constitutionnel et de son portier.» Bergerat poursuit: «La Larme du diable a été représentée sur un théâtre de marionnettes, chez Judith Gautier, la fille aînée du poète, il y a quelques années, par des comédiens de bois et de carton, et les privilégiés qui ont pu l'entendre en ont gardé un souvenir d'art ineffaçable. » Relisons aussi, dans la biographie consacrée par Bergerat à son beau-père, ce paragraphe de conséquence si l'on songe à l'une des activités préférées de Judith jusqu'à son dernier jour. Dans son enfance
heureuse avant le collège - les Gautier habitaient alors rue du Parc-Royal, dans le Marais, actuellement rue de Béarn -, Théophile «passait son temps à construire des guignols de carton, et à en peindre les décors. Son goût pour la peinture lui vint du plaisir qu'il prit à ces barbouillages. Du reste, il a toujours aimé à composer des toiles de fond et des portants de coulisses. Il excellait à confectionner pour ses enfants de petits théâtres à marionnettes, et il n'avait pas de plus grand bonheur que d'en brosser la décoration. » Héritière des goûts et des talents paternels, Judith composait elle-même les décors de son Petit Théâtre, des décors si réussis qu'en 1907 ou 1908, par exemple, les Arts Décoratifs exposèrent trois de ses tableaux pour la Walkyrie. Le théâtre poétique du bon Théo garda longtemps la faveur d'un public pourtant "archi-blasé, difficile à contenter", comme en témoigne cette page de l'acteur Félix Galipaux: «La première fois que j'eus l'honneur et l'inoubliable joie d'approcher Eugène Labiche, ce fut à la soirée que donna Mme Aubernon de Nerville (laquelle servit de modèle à Pailleron pour sa duchesse de Réville du Monde où l'on s'ennuie et dont s'inspirèrent feu de Flers-Caillavet pour établir la duchesse de Maulévrier de l'Habit vert) dans son somptueux hôtel de l'avenue de Messine. Cette soirée [...] eut lieu le 4 mai 1883. Devant un auditoire comprenant, au hasard de mes souvenirs, Alexandre Dumas fils, Anatole France, Brunetière, Jules Lemaitre, Paul Hervieu, Alb. Vandal, de Porto-Riche, Marcel Prévost, Dorchain, etc., etc., je venais de jouer ce pur bijou de Théophile Gautier:
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Pierrot posthume... » Judith eût-elle été présente à cette représentation, Galipaux l'eût sans doute nommée. La despotique Lydie, qui avait, à table, l'habitude de régler à coups de sonnette les conversations sur thèmes imposés, recevait le moins de femmes possible, surtout si elles étaient appétissantes: «Je donne à dîner, disait-elle, pas à aimer et les femmes sont un sujet sur lequel les hommes n'ont que trop tendance à s'étendre. » Le Second Rang du collier, p. 140-149. PINEL, J.-P., né en 1800, neveu du célèbre aliéniste Philippe Pinel (1745-1826), bienfaiteur des malheureux fous soumis jusqu'alors à des traitements barbares, inhumains. Le Dr J.-P. Pinel avait installé au château Saint-James, 16, avenue de Madrid, à Neuilly, dans un parc superbe, une maison spécialisée dans la cure des maladies nerveuses et mentales. Au tournant du siècle, cette clinique de grand luxe était dirigée par le Dr Semelaigne: il y accueillit et y soigna en 1899 le peintre Henri de Toulouse-Lautrec, victime d'une crise aiguë de delirium tremens. L'établissement disparut en 1921. Le Second Rang du collier, p. 23, 91, 149, 198. POE, Edgar Allan (Boston 1809-Baltimore 1849), poète et conteur nord-américain au génie tourmenté et douloureux, « profond comme le ciel et comme la mer, ... jongleur merveilleux» au style « serré comme les mailles d'une armure». (Baudelaire.) Ses Tales of the Grotesque and Arabesque, parus aux États-Unis en deux volumes (1840, 1845), furent rassemblés en partie et superbement traduits par Baudelaire, après la mort de leur auteur auquel il s'identifiait volontiers, sous le titre d'Histoires extraordinaires. Le Scarabée d'or compte parmi les plus remarquables de ces récits fantastiques. Eureka ou Essai sur l'univers matériel et spirituel, conte cosmogonique, parut aux États-Unis en 1848. Le Moniteur universel publia l'analyse critique de Judith Walter dans son numéro du 29 mars 1864 et il y avait déjà très longtemps, à coup sûr, qu'elle ne portait plus de jupe courte, d'où le ton à la fois cérémonieux et alambiqué de son correspondant. Le Second Rang du collier, p. 38, 52, 65, 156. POPELIN, Claudius (1825-1892), élève de François-Édouard Picot et d'Ary Scheffer. Peintre, il exposa au Salon de 1852 à 1867, mais ne se fit remarquer, notamment du roi Louis II de Bavière qui lui passa commande, qu'assez tardivement. Émailleur, il écrivit des ouvrages techniques sur les arts du feu, des traductions du latin et de l'italien. Poète, il fit paraître plusieurs volumes de vers. Vers sa trentième année, Popelin s'éprit de Blandine Liszt qui refusa sa main - elle épousera le 22 octobre 1857, à Florence, l'avocat Émile Ollivier. À cette époque, octobre 1855, Daniel Liszt écrivait à sa "chère Magnolette", surnom de Marie Sayn-Wittgenstein, la fille de Carolyne: «Je suis allé l'autre jour chez M. Scheffer avec Popelin... » Scheffer, vieil ami de Liszt, avait fait en 1853 le portrait de Marie lors de la brève visite faite à Paris par le compositeur avec la princesse Carolyne, la fille de celle-ci et Wagner qui rencontra Cosima pour la première fois 6, rue Casimir-Périer, où Mme Patersi de Fossombroni avait en charge l'éducation des enfants de Franz retirée à leur grand-mère paternelle, soupçonnée, à tort semble-t-il, de laxisme à l'endroit de
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Mme d'Agoult. Wagner ne remarqua guère que la timidité de cette jeune fille de quinze ans. Consolé de sa déception sentimentale, marié, Claudius Popelin engendra Gustave, né en 1859, lui-même peintre de genre et de portraits, prix de Rome en 1882. Claudius Popelin raconta à Flaubert qui le répéta à Goncourt qui le nota dans son journal le 7 février 1875 : « Lorsque la rupture de la Princesse [Mathilde] avec Nieuwerkerke avait été officielle, la Princesse avait reçu de Dumas une lettre, une lettre d'ailleurs bien tournée. L'auteur de la Dame aux Camélias se proposait comme remplaçant, disant à l'Altesse qu'une femme comme elle, avec un homme comme lui, devait conquérir le monde. » Quelles qu'aient été les raisons de Dumas fils
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conquérir un siège au Sénat, comme le suggère Goncourt?
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cette cour épistolaire ne séduisit pas l'Altesse et c'est Popelin, présenté rue de Courcelles par Gautier en 1865, qui finit par remplacer Nieuwerkerke dans le cœur blessé mais toujours vibrant de Mathilde. Au début de 1870 la liaison était connue au point que le faux bruit courut un peu plus tard d'un mariage morganatique. Le dévouement de Claudius - un veuf, mince, blond, discret, charmant, tout le contraire du vaniteux, de l'égoïste surintendant des Beaux-Arts - aux petits soins pour sa Dame, est total. Il est naïf, bon, patient, il adore les enfants, au rebours de Mathilde: « Je préfère en commencer cent que d'en finir un seul! » Néanmoins, indulgente aux fantaisies puériles, elle s'amusa un jour de voir l'un de ses très jeunes invités arroser un tapis pour en faire pousser les fleurs. Auprès de la princesse vit la jeune Corse Maria Abbatucci, pupille chérie de Mathilde. Cette dernière soupçonne à la longue une intrigue amoureuse entre sa jolie protégée et son amant. Après des années d'atermoiements, de scènes atroces, la princesse chasse la petite Abbatucci en 1889, rompt avec Popelin et, désespérée, renonce aux joies et aux tourments amoureux. Popelin meurt d'une crise cardiaque à son domicile, 7, rue de Téhéran, le 7 mai 1892, au terme d'une soirée passée en compagnie de son fils et de Maria. En proie aux affres du remords pour une violence jalouse qui n'avait peut-être pas d'objet réel, la princesse Mathilde ne se consola jamais. Le Sonnet I de Gautier à Popelin parut en 1866, le Sonnet III en 1870. Claudius réplique superbement: «Ton sonnet, Théophile, en son magique essor, / Triomphant et paré comme un beau prince antique, / Sur un trône d'ivoire, au-dessous d'un portique, / Couvre de son manteau quatorze marches d'or... », écho peut-être involontaire de cette phrase claironnante de Théophile rapportée par Maxime Du Camp: «Mes vers sont des cavaliers d'or qui galopent sur un pont d'airain.» Comme le firent également Anatole France et Banville, François Coppée dédia un sonnet à son ami Popelin : « ... Des arts charmants sont nés dans le secret du feu, / Comme y seraient éclos des œufs de salamandre. / C'est là que Limosin et Bernard Palissy / Ont cueilli le laurier qu'après eux tu viens prendre, / Claudius, et le vieil Hermès te dit: Merci.» ("Kabala", le Cahier rouge, 1873.) Goncourt n'avait garde de négliger le talent de Claudius. Dans l'inventaire qu'il fit de sa bibliothèque, le 14 décembre 1894, il énumère un exemplaire de Manette Salomon orné de deux émaux de Popelin; sur une reliure, «le profil de mon frère précieusement dessiné par Popelin dans l'or de l'émail noir»; sur un exemplaire de Un Livre de sonnets, par Claudius Popelin, le portrait de l'auteur, à l'aquarelle, par son fils Gustave. Non content de le célébrer poétiquement, Popelin, en 1868, fixa aussi dans l'émail le portrait profilé de José-Maria de Heredia vêtu d'une cuirasse à la mode du XVIe siècle, celle du grand ancêtre aragonais, "l'aïeul fier et mélancolique", le fondateur de Carthagène aux Indes Occidentales, le conquistador Pedro de Heredia. En avril 1888, un journaliste du Figaro, venu rendre visite à Judith, rue Washington, vit chez elle, parmi ses trésors, un
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Puvis de Chavannes, un Baudry, des Sargent, un médaillon de Popelin: conservé sa "très docte Hypathie".
Judith avait
Le Second Rang du collier, p. 195, 235. POUDENS, Henri de (1817-1863). Proche parent des Gautier par son ascendance maternelle. En juin 1844, Théo rendra visite à ses cousins gascons et, parcourant à cheval la Chalosse, il séjournera tour à tour dans leurs propriétés de Brassampouey, de Saint-Criq et de Poudens, mais sans aller jusqu'à Artagnan, où il fut conçu, ni à Tarbes, la ville de sa toute petite enfance où il ne passera qu'en 1860, mais qu'il n'avait jamais complètement oubliée. « On doute de la mémoire des enfants. La mienne était telle et la configuration des lieux si bien gravée, qu'après plus de quarante ans j'ai pu reconnaître, dans la rue qui mène au Marcadieu, la maison où je naquis. Le souvenir des silhouettes de montagnes bleues qu'on découvre au bout de chaque ruelle, et des ruisseaux d'eaux courantes qui, parmi les verdures, sillonnent la ville en tous sens, ne m'est jamais sorti de la tête, et m'a souvent attendri aux heures songeuses.» (Portraits contemporains.) Ayant reconnu la demeure de ses trois premières années, il s'en fut, incognito, au collège de la ville «qui se vantait de l'avoir possédé », voir son pupitre d'écolier, « religieusement conservé », qu'on proposait à l'admiration des touristes. «Le recteur tint à honneur de me conduire lui-même, raconta Théo à Bergerat. [...] Il me montra sur le pupitre des éraflures et des sillages de canif faits par Théophile Gautier et qui lui avait valu sans doute bien des punitions. [...] il me reconduisit en me racontant vingt anecdotes authentiques qui me parurent concluantes à moimême et desquelles il résultait que j'avais été un élève prodigieux et la gloire de son collège. Un Philistin se serait donné le plaisir facile d'arracher bêtement à ce brave homme ses illusions. J'en eus d'autant moins envie que je les partageais. Je le quittai sans lui révéler qui j'étais. Au fond, le recteur avait raison, [...] le mensonge est bien plus amusant que la vérité et il est quelquefois plus vraisemblable... » (Théophile Gautier.) Poudens viendra luimême à Paris, « suivi d'une précieuse barrique; Théophile et ses amis lui feront fête, écrit René Jasinski, avec lui on explorera les dessous pittoresques de la capitale, des lettres plus
tard s'échangeront.» Par exemple,en septembre 1849,Henri de Poudens, le remerciantdes "mille bontés" dont il lui était redevable, demandait à son "cher Théo" de lui procurer le moyen de "voir la fameuse Rachel" qui devait se produire dans Bajazet. Remarque incidente: entre autres reliques dont le beau portrait de Rachel par Amaury-Duval, la Comédie-Française conserve un mince soulier de satin crème rebrodé d'or que la jeune interprète du rôle de Roxane porta dans cette tragédie de Racine où elle connut à la fin de l'année 1839 un ardu mais complet triomphe. «Ainsi, conclut Jasinski, Gautier ne perdra pas contact avec la Gascogne, et les premiers chapitres du Capitaine Fracasse s'y relieront étroitement.» (Les Années romantiques de Th. Gautier.) Les guides touristiques des Hautes-Pyrénées ne manquent pas de signaler aux visiteurs du Jardin Massey, à Tarbes, le monument commémoratif de Gautier, dû à la collaboration de Judith et de Bouillon, et la maison natale de Laurent Tailhade, proche de la maison natale de Théophile Gautier, son grand aîné. Au cours de la cérémonie organisée le 2 juillet 1911 pour fêter le centenaire du poète, devant son buste couronné de fleurs - juché sur un haut piédestal, il avait été dévoilé en 1890 -, le maire de Tarbes prononça une allocution, regrettant l'absence de madame
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Judith Gautier à cette fête dédiée à la mémoire "de son illustre père dont elle conserve le pieux souvenir", et Tailhade fit un discours. Le Collier des jours, p. 87. PRÉAULT, Antoine-Auguste (1809-1879). Non, il n'était pas joli, l'ancien amoureux de la tante Zoé, comme le prouve telle charge de Gustave Doré, titrée "Diogène". Les Goncourt le voient chez Flaubert, le 7 avril 1861, «avec sa voix aigrelette, et sa mine futée, ses gros yeux de grenouille. » Alice Ozy, un jour, à la prière de Théophile Gautier, livra son pied nu au sculpteur, jugea son admiration excessive: «Je crus que ce gros enthousiaste couperosé, aux yeux saillants, allait tomber d'apoplexie.» Le bronze symbolisant la Comédie humaine dont parle Judith, qui fut exposé au Salon de 1861, était un exemplaire unique, à moule perdu, de 66 centimètres de haut sur 30 centimètres de large, une miniature pour Préault ! Ce romantique ardent se plaisait aux œuvres colossales. « Je ne suis pas pour le fini, je suis pour l'infini» était sa devise. «Je hais l'inertie, l'ineptie, les platitudes consacrées; j'adore le feu, le mouvement, la liberté et je cherche à m'élever de la boue aux étoiles. Je fais faire la queue de paon à mon cœur et à mon cerveau. » Georges Clairin souligne dans ses Souvenirs la réputation de farouche indépendance de Préault, sa haine affIm1ée des académies. Il avait de l'esprit à revendre. Préault n'aime point James Pradier dont on dit qu'il est "le dernier des Grecs": «Tous les matins, Pradier part pour Athènes, et le soir il arrive rue Bréda. » Préault, familier du salon de Louise Colet, rue de Sèvres - il y avait présenté Gautier -, se moque en 1854 des mines gourmées d'Alfred de Vigny, amoureux défraîchi de la darne de céans: Vigny, c'est «la momie aux longs cheveux d'ardoise ». Présenté à M. de Nieuwerkerque, raconte Bergerat, ce "confrère" lui demande s'il était parent de «cette mauvaise gale de Préault qui en vomissait sur tout le monde? - Parent, non, c'est un autre moi-même. Mais il ne vomit que les jours d'indigestion, aux séances de l'Institut, par exemple, monsieur le comte. » Ce franc-parler, ces mots à l'emporte-pièce, cette insolence le font redouter. À Théophile Silvestre qui recueillait des réparties amusantes pour en nourrir les colonnes satiriques de l'époque: « Je t'en supplie, disait Préault, attribue mes mots à Chamfort. Je ne trouve plus un buste à faire!» Il ne manquait point, cependant, de bons principes: «On ne discute, disait-il sagement, qu'avec les gens de son avis, et seulement sur des nuances.» Le tout est d'appliquer les bons principes dans la vie courante, mais Préault ne pouvait apparemment contraindre sa nature, qui le portait à des manifestations d'une incroyable impertinence. Parmi ses amis, citons la Présidente - Apollonie Sabatier - et Baudelaire avec lequel il entretint d'excellents rapports, qui l'estime "dans la conversation un rude jouteur", et Alexandre Dumas père qui lui commande des statues pour son "château" de Monte-Cristo, à Bougival, et Nadar aussi. Louis Veuillot remarque un jour de l'année 1856: «Je dîne ce soir chez Nadar avec un fol nommé Préault. » Quant à Gautier, il ne cessa de soutenir avec ardeur, par voie de presse, son vieux camarade de jeunesse: «Préault tient en sculpture la place que Delacroix tient dans la peinture: leurs talents ont beaucoup d'analogie. C'est la même passion exaltée, la même verve, la même furie d'exécution, le même sentiment de la
couleur. » La manière de Préault, dit-il encore, « n'a rien de commun ni de banal. C'est une manière à lui tout à fait neuve et inédite, pleine de sauvagerie et de fougue, fauve, brutale et cependant pathétique et moite de larmes.» (Salon de 1834.) «Il sait se faire obéir de
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l'argile et du bronze, et malgré des incorrections et des manques, il finit par écrire puissamment sa pensée.» (Salon de 1853.) Contre ses confrères corsetés d'académisme prudent, Préault eut ce joli mot: « Il leur manque la folie du pouce. » Dans le cadre de sa Saison romantique, le Musée d'Orsay a présenté au printemps 1997 une superbe exposition des œuvres de cet "excessif'. Outre ses sculptures monumentales, toute une collection de médaillons permit aux visiteurs des salles Préault de contempler les profils de nombreuses personnalités de l'époque: Mme Victor Hugo, Vacquerie, les Paul Meurice, Rachel, etc. Le Second Rang du collier, p. 33, 164-166, 277. Présidente, Princesse***.
la. Voyez SABA TIER. Voyez RIMSKY -KORSAKOFF.
Prudhomme, Monsieur Joseph, personnage d'Henri Monnier (1799-1877), type du bourgeois louis-philippard, solennel, ridicule, parfaitement content de lui et de l'ordre des choses, besicles d'or sur le nez et ventre avantageux cerné de breloques. Monnier, peintre, lithographe, écrivain fécond, qui avait le physique de l'emploi et l'amour des planches, l'interprétait lui-même de façon désopilante dans ses Scènes populaires. Obsédé par sa créature, il finit par incarner son propre personnage. Alphonse Daudet, qui déclina une offre de collaboration, fait de "cet Attila de la bêtise bourgeoise" un cruel portrait dans Trente Ans de Paris. «Joseph Prudhomme, dit Théophile Gautier dans la Presse du 20 février 1855, c'est la vengeance d'Henry [sic] Monnier; il s'est dédommagé sur lui des ennuis, des contrariétés, des humiliations et de toutes ces petites souffrances que les bourgeois causent aux artistes, souvent sans le vouloir. [...] Balzac, qui faisait le plus grand cas de Monnier, a essayé d'introduire Prudhomme dans sa Comédie humaine sous le nom de Phellion (voir les Employés). Phellion sans doute est beau avec sa tête de bélier marqué de petite vérole, sa cravate blanche empesée, son vaste habit noir et ses souliers à nœuds barbotants ; mais sa phrase: "Il se rendra sur les lieux avec les papiers nécessaires", ne vaut pas: "Ce sabre est le plus beau jour de ma vie !"» Commentant ses Odes funambulesques, Théodore de Banville précise dans quel sens il nous faut entendre ce mot haï: bourgeois. Je partage avec les hommes de 1830la haine invétérée et irréconciliable de ce qu'on appelait alors "les bourgeois", mot qu'il ne faut pas prendre dans sa signification politique et historique et comme signifiant le tiers état; car, en langage romantique, "bourgeois" signifiait l'homme qui n'a d'autre culte que celui de la pièce de cent sous, d'autre idéal que la conservation de sa peau, et qui en poésie aime la romance sentimentale, et dans les arts plastiques la lithographie coloriée. Aussi ne devra-t-on pas s'étonner de voir que j'ai traité comme des scélérats des hommes fort honnêtes, d'ailleurs, qui n'avaient que le tort (et il suffit !) d'exercer le génie et d'appartenir à ce que Henri Monnier a justement nommé "la religion des imbéciles". Replaçons dans son contexte historique le "sabre" fameux de Monnier / Prudhomme, "ce type monstrueusement vrai", selon Baudelaire. Monnier vient de recevoir l'arme symbolisant sa promotion au grade de capitaine de la Garde nationale, il remercie: « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie; à la tête de votre phalange, Messieurs, je jure de soutenir, de défendre nos institutions et, au besoin, de les combattre.» - «Que ce fût
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mystification permanente ou possession véritable, écrit Paul de Saint-Victor, il semblait même avoir pris les idées de son personnage et parler sérieusement sa langue. Sans sourciller, sans se dérider, avec un sang-froid qui déconcertait, il vous lançait au visage des périodes et des aphorismes... » dont voici quelques plaisants échantillons. «Ôtez l'homme de la société, vous l'isolez. - Ce sont toujours ceux qui ont le plus besoin d'argent qui en ont le moins. - Il y a des cancaniers qui veulent me porter tort en disant que je suis plus riche que je ne suis; c'est faux. Je n'ai que ce que je possède. » Chez Mme Sabatier, rue Frochot, où Monnier, son voisin de la rue Bleue, était assidu, on l'avait nommé président d'âge des dîners hebdomadaires. Ce titre honorifique est bien oublié, tandis qu'Apollonie porte toujours, dans la petite histoire littéraire et artistique, celui de Présidente. Le Second Rang du collier, p. 95. PUVIS DE CHAVANNES, Pierre (Lyon 1824 - Paris 1898). Après la mort de Gautier, on vendit le Jesu et Magdalena de son fervent ami Puvis, jusqu'alors pendu, au salon de la rue de Longchamp, "dans un demi-jour favorable". Les « décors assez cocasses, une scène où il y a juste la place d'un soufflet et d'un coup de pied» (Goncourt) de Pierrot Posthume furent, hélas! perdus. Admis pour la première fois au Salon en 1850, Puvis travailla sans bruit et présenta Concordia en 1861. « D'un seul coup il est sorti de l'ombre, écrit Gautier, la lumière brille sur lui et ne le quittera plus. [...] M. Puvis de Chavannes est donc parfait? Eh ! mon Dieu! non; mais voilà un peintre qui naît; ne le tuons pas tout de suite; laissons-le faire. Nous le critiquerons plus tard, quand il n'aura plus que des
qualités. » (Le Moniteur universel, 25 mai 1861.)Le bon Théo n'ignorait pas que d'aucuns blâmaient sa bénignité; son souci de ne pas décourager les talents en gestation est ici manifeste. Ce n'est guère qu'en 1876 que Puvis remporta une adhésion presque unanime avec Sainte-Geneviève et Saint-Germain, peintures murales pour la décoration du Panthéon à laquelle il travaillera jusqu'à sa mort. Parmi ses admirateurs figurent Saint-Victor, Leconte de Lisle, Banville, Baudelaire, ...; parmi ses détracteurs, About, Goncourt, virulents! Puvis n'en a cure, va son chemin solitaire. « J'adore l'art, dit-il, partout où il se manifeste, je n'ai pas d'autre loi ni d'autre dieu. » Il était heureusement nanti d'une fortune suffisante pour n'avoir à supplier marchands ni amateurs. Dans son atelier, Il, place Pigalle, il peignait, dit drôlement André de Fouquières, des «nymphes pâles et ennuyées d'avoir à se dévêtir sous l'œil implacable de la femme du maître, l'altière princesse Cantacuzène.» Suzanne Valadon compta au nombre de ces nymphes et, parce qu'elle avait été un modèle de Puvis, Utrillo, né en 1883, se prétendit toujours le fils de celui-ci. Nous connaissons la princesse Cantacuzène - Maria - non seulement par le portrait que fit d'elle, en 1883, celui qui ne put l'épouser que beaucoup plus tard, et par la Sainte Geneviève veillant sur la Ville endormie du Panthéon, mais par deux toiles de Chassériau dont elle fut l'ultime inspiratrice: elle posa pour lui la Vierge de l'Adoration des mages et la Vierge de l'Adoration des Bergers. C'est du reste chez Chassériau que Puvis rencontra cette muse austère, plus âgée que lui. En 1890, Rodin sculpte le buste de Puvis, «l'homme que j'admirais le plus et un homme d'une telle parfaite distinction [.. .], homme du monde accompli ». Le 16 janvier 1895, Rodin ânonne dans sa barbe un discours devant les six cents convives du banquet monstre organisé à l'hôtel Continental, rue de Rivoli, à l'occasion des soixante-dix ans du peintre glorieux. (Rien que des hommes, la présence de
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consœurs, fussent-elles renommées, risquant de nuire, jugèrent les officiels, au prestige de la solennité.) Après son mariage, Puvis quitte la place Pigalle, où il demeurait depuis 1851, pour l'hôtel particulier de sa femme, 89, avenue de Villiers, mais elle tombe malade peu après et meurt en août 1898. Désemparé, Puvis de Chavannes ne lui survécut que deux mois. L'une des œuvres de Puvis, Ludus pro Patria (1882), inspira à Augusta Holmès une "Ode-Symphonie", vaste composition "tricolore" en quatre parties, accueillie avec faveur par les mélomanes parisiens en 1888. Le musée d'Amiens s'enrichit du beau portrait d'un Puvis de Chavannes méditatif, devant ses Muses au Bois Sacré, par son meilleur ami, le peintre graveur Marcellin Desboutins que Degas représenta assis aux côtés de l'actrice Ellen Andrée dans l'Absinthe, et Manet dans l'Artiste, en 1876-1877. Ce talentueux et sympathique bohème, aussi chevelu que l'un de ses modèles, le Sâr Péladan, nous a laissé une merveilleuse galerie de ses contemporains plus ou moins illustres. Père de neuf enfants, il fut le grand-père d'une certaine Marcelle Desboutins
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dite Fraisette
- qui devint par son
mariage avec Marcel Bourgeois la belle-sœur de Mistinguett, notre légendaire reine du music-hall disparue en 1956. Admirons que Jeanne Bourgeois appelée à devenir, comme l'écrivait Colette, «Mistinguett, propriété nationale », la petite Jeanne aux aurores d'une étourdissante carrière, ait pu profiter des leçons - chant, danse - d'une ex-actrice de vaudeville nommée Alice Ozy. Pierre Puvis de Chavannes, en relation suivie avec la famille Gautier, fut aussi très attaché à la douce Eugénie Fort; dans les années 60, elle s'en allait, au bras de Théo, lui rendre visite dans son atelier et il venait chez elle, familièrement, bavarder avec cette excellente amie. Fils de Geneviève Bréton, l'ex-fiancée d'Henri Régnault, et de l'architecte archéologue Alfred Vaudoyer, disciple, ami d'Henri de Régnier et amant de sa femme, Jean-Louis Vaudoyer, dans un long article paru à l'occasion du centième anniversaire de la naissance du père de Judith, cite l'Iconographie générale de Théophile Gautier, d'Henri Boucher, de parution alors récente, qui ne recensait pas moins de cent soixante et onze portraits du poète selon les techniques les plus diverses, parmi lesquels la figure peinte par Puvis de Chavannes dans la fresque qu'il exécuta en 1872 pour l'escalier de l'Hôtel de Ville de Poitiers. « Elle représente, écrit Vaudoyer, sainte Radegonde retirée dans un couvent, donnant asile aux poètes et protégeant les lettres contre la barbarie des temps. Là, au premier plan, à gauche, Théophile Gautier est assis dans une large chaise de pierre. Il porte la robe blanche et le manteau sacré. L'attitude est simple et magnifique. L'œil est noble, affectueux. Au-dessus du poète, s'arrondit l'arceau fin d'un portique, et des figures de femmes passent entre des colonnes, comme des Muses voilées. L'azur du ciel caresse les branches d'un olivier, les lis d'un bouquet, et remplit la scène entière d'une immense quiétude. Ne peut-on pas imaginer que voilà Théophile Gautier, délivré des attaches terrestres, et réalisant sur le seuil du bois divin son rêve trop ambitieux, mais enfin exaucé? » Judith vit sans aucun doute cette œuvre, présentée au Salon de 1875, mais nous ignorons malheureusement si elle cautionna les préférences du jeune écrivain, futur académicien. Du 10 mai au 26 juillet 1865, l'Entr'acte, journal dont Gautier était le directeur, publia une série d'articles de Judith consacrés au Salon de l'année; elle y analyse des envois de Puvis - son Ave Picardia nutrix -, de Baudry, d'Hébert, de Meissonier, de Cabanel, de Wyld, de la princesse Mathilde, de beaucoup d'autres. En 1866, dans la Gazette des Étrangers, en 1876, dans le Rappel, notamment, Judith s'affirmera critique d'art pictural européen, comme dans l'Artiste en juin 1877: «Exposition des œuvres de Diaz ». Relisons Esthètes et magiciens, essai d'une prodigieuse érudition sur l'art fin de siècle dû à
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Philippe Jullian, cet "esthète aux Enfers" de qui M. Ghislain de Diesbach a retracé d'une plume amie l'existence tourmentée. Nous y trouvons de multiples références à Puvis de Chavannes comme à Gustave Moreau. Puvis est l'anti-Moreau; sa chimère est un cygne qui ne quitte pas les eaux froides et c'est probablement au sujet de son confrère académique que Moreau a noté ceci: «Aujourd'hui les boulevardiers, les coureurs de japonerie, d'art exotique et rare, raffolent de cet art austère qui est la continuation directe des rhétoriques et des poétiques démodées, rajeunies en cela seulement qu'elles ont l'aspect prétentieux d'un cilice couleur de cendre au milieu d'une bacchanale. » Au Salon de 1881, le plus fervent des admirateurs de Moreau, Huysmans, croit devoir saluer Puvis, mais de mauvaise grâce. Verlaine, lui, a été touché pour des raisons sûrement bien éloignées des intentions du maître. Plus trouble, Puvis de Chavannes eût été le Burne-Jones français. Son équivalent allemand (et trouble) fut Hans von Marées. Mais, on s'en souvient, des reproductions de Sainte Geneviève veillant sur Paris ont orné pendant des années les chambres des jeunes filles. Le paradis de Péguy est sûrement décoré par Puvis, et l'Annonce faite à Marie [Claudel] relève également de ce symbolisme épuré. « Une peinture crépusculaire, écrivait Huysmans, une peinture de vieille fresque mangée par des lueurs de lune, noyée par des masses de pluie. C'est peint avec du lilas tourné au blanc, du vert laitue trempé de lait. [...] En dépit des révoltes que soulève en moi cette peinture quand je suis devant, je ne puis me défendre d'une certaine attirance quand je suis loin d'elle. »
Le Second Rang du collier, p. 141-143, 147, 187,274. RABELAIS,
François
(Chinon v. 1484/1495 - Paris 1553), par anagramme Alcofribas
Nasier, auteur de la Vie inimitable du Grand Gargantua,père de Pantagruel.C'est dans ce roman, paru en 1535, que se trouve le distique fameux: «Mieux est de rire que de larmes écrire, / Pour ce que le rire est le propre de l'homme.» De ce Tourangeau, tant admiré de son "pays" Honoré de Balzac comme de Chateaubriand, Hugo, Flaubert ou Michelet, de
« cet esprit, et rare et subtil, / Charmant, jovial et gentil » (épigraphed'un portrait édité au XVIIe siècle par un sieur Moncornet), l'œuvre luxuriante regorge de formules heureuses, d'aphorismes passés en proverbes, et sa verve torrentielle ne pouvait qu'inciter Gautier à exploiter plus encore notre richesse linguistique. Cité par Jasinski dans les Années romantiques de Th. Gautier, Saint-Victor écrivait en 1853, à l'occasion d'une nouvelle édition - la troisième - des Grotesques, initialement et partiellement parus en articles dans la France littéraire de Charles Malo à partir de 1834: «L'illustre poète possède à un degré presque égal le don du beau et l'imagination du burlesque. Il sculpte des dieux et des déesses avec la pureté d'un statuaire d'Athènes; il cisèle et vernit des magots avec la fantaisie d'un porcelainier chinois. [...] Il Ya du sang et de la chair de Rabelais dans ce talent marmoréen. Personne de notre temps n'a la gaieté plus franche, la fantaisie plus riche, le rire plus retentissant et plus large. Son comique a ce tour ample et grandiose, pareil à une belle draperie relâchée, qui élève la Bouffonnerie à la dignité de Muse, et donne à sa verve la démarche lyrique d'une orgie sacrée. [...] Théophile Gautier possède cette hilarité profonde, intense, intérieure, fertile en pensées joyeuses et en paroles jubilantes, qui caractérise les fils de Rabelais et d'Aristophane. Sa plaisanterie a quelque chose d'exorbitant et de rare qui transportel'espritdans un monde comiquesupérieur... » Dès l'adolescence, Théophile lisait
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et relisait Villon, Rabelais, jusqu'à les savoir par cœur, il y goûtait déjà la saveur d'une langue drue, non encore corsetée par les rigueurs puristes du Grand Siècle: «Enfin, Malherbe vint. .. » Bergerat écoute parler Gautier: Les idées naissent duchesses,même dans une mansarde.Avec leur prétendu goût classique qui, sous prétexte que l'idée est belle toute nue, consiste à la vêtir d'une feuille de vigne et à la produire au bout d'une corde, on marchait tout droit au style télégraphique et au bulletin. Victor Hugo n'a fait 1830 que pour enrayer cette dégringolade de la langue: sa forte main a retrouvé dans l'ombre des temps la main puissantedu vieux Ronsard, et il a renoué, par-dessus deux siècles de boileautismeaigu, les fécondes traditions de la Renaissance. Mon rôle à moi dans cette révolution littéraire était tout tracé. J'étais le peintre de la bande. Je me suis lancé à la conquête des adjectifs; j'en ai déterré de charmants et même d'admirables, dont on ne pourra plus se passer. J'ai fourragé à pleines mains dans le XVIesiècle, au grand scandale des abonnés du Théâtre-Français, des académiciens, des tabatières-Touquet et des bourgeois glabres, comme dit Petrus [Borel]. Je suis revenu la hotte pleine, avec des gerbes et des fusées. J'ai mis sur la palette du style tous les tons de l'aurore et toutes les nuances du couchant; je vous ai rendu le rouge, déshonoré par les politiqueurs, j'ai fait des poëmes en blanc majeur. [...] - Je ne sais pas ce que la postérité pensera de moi, mais il me semble que j'aurais été au moins utile à la langue de mon pays. Il y aurait ingratitude à me refuser, après ma mort, ce modeste mérite de philologue. Judith elle aussi, après son père, s'intéressa au "beuveur très illustre... bon gaultier et bon compagnon", à preuve la lettre, reproduite par Suzanne Meyer, qu'elle adressa à Antoine, directeur de l'Odéon: « .. .Je veux vous faire connaître un projet que vous pourriez réaliser, s'il vous intéressait, mieux qu'aucun autre. Le compositeur Fanelli [...] a, sur trois chapitres de Rabelais que j'adapte à la scène, composé une musique prodigieuse de gaîté, de bouffonnerie et de science. Rien ne serait plus original et plus nouveau que l'exécution de cette œuvre facile à monter et qui dure environ une heure et demie. Le titre serait tout simplement: Trois Chapitres de Rabelais. [...]» Et celle-ci, à Jacques Rouché, tout nouvellement nommé à la direction de l'Opéra: «Vous avez annoncé, Monsieur, des concerts de musique française; comme Fanelli ne dira jamais rien de lui-même, je veux vous signaler aussi quelques chapitres de Rabelais qu'il a mis en musique avec une verve et une gaîté toutes rabelaisiennes. Sans la guerre, ces scènes auraient été exécutées à l'Odéon et même jouées, car on peut les jouer.» Nous croyons pouvoir dater la première lettre de l'année 1912, la seconde de décembre 1915. Rouché répondit courtoisement: «Je suis touché que vous ayez eu la gracieuse pensée de me mettre au courant de vos travaux. Une œuvre de vous est toujours de haut intérêt. Voulez-vous demander à M. Fanelli ce qu'il pourrait me donner pour mes matinées? Un fragment? Quant à penser à des œuvres nouvelles pour 1919 ou 1920... ce n'est peut-être pas le moment? Que de choses, que de mois nous séparent de cette époque; et aussi quels changements ne verrons-nous pas! Je pense que vous désirez le retour de votre manuscrit et je vous le fais parvenir... [Etc.] » Quels changements, en effet, et quels événements! De Fanelli, Judith Gautier et Rouché, seul ce dernier vit la fin de la guerre... Qu'est devenu le manuscrit des Trois Chapitres de Rabelais? Existe-t-il encore? Dans quelles archives enfoui? Le Second Rang du collier, p. 287.
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RACHEL, Élisa Félix, dite (Münf, Suisse, février 1821 - Le Cannet, 4 janvier 1858). Pauvre Rachel! C'est à bon droit qu'elle s'attristait du goût de ses contemporains pour les avantages plantureux, car elle avait la poitrine "étroite et pauvre" comme le confirme sans galanterie son premier amant déclaré, le peu ragoûtant mais utile Dr Véron, ancien directeur de l'Académie royale de musique de Paris, alors administrateur-gérant du Constitutionnel. « Rachel? Une femme plate!» dit Jules Janin aux Goncourt en 1852. Musset: «Ceux qui ne se représentent une reine de théâtre qu'avec une encolure musculeuse et d'énormes appâts, noyés dans la pourpre, ne trouveront pas leur affaire; la taille de Mlle Rachel n'est guère plus grosse qu'un des bras de Mlle George.» (La pauvre George était devenue éléphantesque; Sarah Bernhardt, toute petite fille, l'aperçut un jour aux Tuileries assise sur deux chaises.) Le comte Apponyi, qui loue la tenue parfaite, simple et décente, de la jeune Rachel en société, note à son tour: «Elle joue d'inspiration et produit par son jeu admirable un effet merveilleux, d'autant plus étonnant qu'elle a tout contre elle, son organe, sa figure, sa taille petite et chétive.» (D'après un passeport conservé, elle mesurait 1, 60 m.) Cette disgrâce physique n'empêcha point Rachel, qui se jugeait laide avec son front proéminent et ses yeux enfoncés, de parcourir durant le peu d'années que le destin lui accorda une vaillante, une éclectique carrière amoureuse - de Musset à Ponsard, du prince de Joinville à Louis-Napoléon Bonaparte et à son cousin Jérôme, en passant par quelques autres dont le puissant directeur de la Presse, le mari de sa chère amie, Mme Émile de Girardin - parallèlement à une éblouissante carrière théâtrale que suivit Théophile Gautier, vigilant et charmé. Dans son remarquable Rachel. «J'ai porté mon nom aussi loin que j'ai pu... » Sylvie Chevalley n'a pas cité Gautier moins de trentetrois fois. Feuilletons cette biographie pour y grappiller quelques lignes tombées de la plume laudative du bon Théo. 1845, Virginie, tragédie en vers de Latour de Saint- Ybars : « Mademoiselle Rachel paraît dès le premier acte et ne quitte pas la scène. Quelle tragédie ne réussirait pas avec cela! Si vous saviez quels plis chastes et purs font dessiner à sa blanche tunique ses mouvements si nobles, ses gestes si contenus! Comme son œil est d'un noir profond dans son masque de marbre pâle! comme la ligne de son cou, un peu amaigri, s'attache avec élégance à ses épaules! et quel luisant flot de cheveux coule de chaque côté de ce front si intelligent et si plein de volonté!...» 1846, Jeanne d'Arc, tragédie en vers d'Alexandre Soumet, création de Mlle George en 1825: «... Une divine mélancolie alanguissait ces yeux habitués aux noirs regards tragiques, et la résignation chrétienne ployait ce front de marbre que la fatalité antique n'a jamais pu courber; la transformation était complète. [...] Personne ne pensait, en l'écoutant et surtout en la regardant, aux tirades de M. Soumet.» Le trait est cruel, heureusement pour lui l'académicien Soumet avait rendu l'âme l'année précédente! 1846 encore, Phèdre. Rachel avait joué pour la première fois la tragédie de Racine le 21 janvier 1843: «La jeune tragédienne a produit plus d'effet encore que d'habitude; c'est un spectacle émouvant et sublime que celui de cette lutte de la volonté contre la défaillance physique. Plus l'actrice est pâle, plus le regard a de noire profondeur; plus les lignes de sa belle tête s'amaigrissent, plus elles laissent transparaître le feu sombre de l'âme.» Nadar fit de Rachel dans ce rôle
une photographieadmirable. 1847,Athalie, de Jean Racine: « Mlle Rachel possède ce don suprême qui fait les grandes tragédiennes, l'autorité. À sa vue seule, on comprend sa puissance; dans son maintien, dans son geste, dans son regard, on reconnaît une reine. » 1849, le Moineau d£ Lesbie, un acte en vers d'Armand Barthet, création à l'occasion de la
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retraite de Mlle Anaïs: «Mademoiselle Rachel [...] a profité de l'occasion pour montrer combien elle est jeune, souriante, gracieuse, coquette, et profondément féminine; elle a produit un effet de beauté telle qu'en la regardant on oubliait de l'écouter. Quel regard velouté! Quel rose et blanc sourire! Quelles souples ondulations du cou! Quelle élégance vraiment antique! Et comme cette grappe de raisin, ces grains d'or, ces fils de perle, cette tunique rose aux plis fripés ainsi que les draperies de Phidias lui allaient admirablement! [. ..] Elle sortit, ravissante et ravie, avec une aisance triomphante, des rôles tragiques où l'envie, qui ne pouvait pas lui contester cette maîtrise, affectait de la confiner.» Gautier, critique dramatique, tout comme Gautier critique d'art, donne à "voir", il semble que sa myopie légendaire ait aiguisé ses facultés visuelles; ses descriptions - décors, costumes sont toujours minutieusement détaillées et l'on sait quelle attention il portait aux atours féminins. Voici Rachel dans le rôle éponyme de Judith, drame en vers de Delphine de Girardin, "la Muse française", joué à la Comédie-Française en 1843. Après avoir loué le décor conçu par Cambon et les costumes de Rachel dessinés par Chassériau, il s'attarde sur celui qu'elle portait à l'acte de la tentation: «Sa robe rose pâle, constellée d'or, son manteau de pourpre, heureuse association de nuances, son écharpe orientale chamarrée de dessins et de broderies merveilleuses, les cascades de perles qui ruissellent de son cou sur sa poitrine et ses épaules, la magnificence biblique de ses pendants d'oreille et de ses ornements de tête la rendaient la Judith la plus noble et la plus splendide qu'un poëte et qu'un peintre pussent rêver. » Née dans une famille de colporteurs juifs errants et faméliques, il fallut une succession de hasards miraculeux, de bonnes volontés désintéressées et d'un travail opiniâtre pour conduire Rachel, de la rue où, enfant misérable, elle chantait en tendant la main aux passants jusqu'au panthéon des gloires de la scène. Les noms de Choron, ancien directeur de l'Opéra, fondateur d'une école de musique, de Saint-Aulaire, professeur d'art dramatique, de l'excellent acteur et pédagogue Samson jalonnent les années d'apprentissage. M. et Mme Adolphe Crémieux, d'autre part, en l'accueillant comme leur fille dans leur honorable foyer, lui donnèrent l'éducation qu'elle ne pouvait recevoir au sein de sa famille. Si Mlle Mars, surnommée "le Diamant", avec laquelle Rachel eut de nombreux démêlés, attacha son nom au répertoire de la comédie, Rachel contribua, elle, à faire revivre la tragédie, sans démériter toutefois dans le drame où triomphait Marie Dorval. «Quel événement littéraire! s'exclamait Béranger. Corneille et Racine ressuscités devant un public continuellement empressé à courir voir un si grand miracle!» Il ne faisait que traduire l'engouement général. «Pour être dans le mouvement intellectuel et mondain, il fallait pouvoir dire qu'on avait entendu le grand Lacordaire prêcher à Notre-Dame et vu jouer Rachel au Théâtre-Français.» (A. de Faucigny-Lucinge, Rachel et son temps.) Le snobisme n'expliquait pas tout dans cet enthousiasme ridiculisé par certains chroniqueurs antisémites et Mme de Girardin écrivait avec bon sens: «Mlle Rachel obtient un succès mérité; les triomphes factices n'ont pas cet ensemble et cette durée. » Mlle Rachel, dont Stendhal, peu suspect de niaiserie, écrivait en 1839: «Elle a un génie qui me confond d'étonnement. » Interprète inspirée de nos grands classiques, Rachel travaillait avec un égal scrupule les œuvres modernes. Ernest Legouvé, de l'Académie française, le collaborateur survivant de Scribe avec lequel il avait connu de grisants succès à la scène, parlait toujours et jusque dans sa verte vieillesse avec attendrissement, avec reconnaissance de cette actrice sans pareille: «Quelle artiste! quelle merveilleuse nature de théâtre! Il suffisait de lui indiquer ce qu'on voulait pour qu'elle le réalisât de façon à vous éblouir. On lui donnait un
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sou, elle vous rendait un louis! » Déclaration aimable mais imprudente et qui dût prêter à sourire, car la rapacité de Rachel, de notoriété publique, devint, si l'on peut dire, la tarte à la crème des échotiers. Meyerbeer, son coreligionnaire, disait méchamment, si l'on en croit Mirecourt: «Mlle Rachel est riche et l'art, Dieu merci, ne l'inquiète guère, les millions ont toute sa sympathie. » Notons à sa décharge qu'elle était sans trêve aiguillonnée par une famille nombreuse et particulièrement avide, vivant en grande partie à ses crochets: Jacob, son redoutable père; Esther, sa mère, l'ancienne revendeuse à la toilette; ses sœurs: Sarah, l'aînée, une bonne fille mais bambocheuse et grossière; puis Rebecca, la plus aimée, qui mourut de phtisie à vingt-quatre ans; Lia, actrice; Raphaël, seul garçon parmi toutes ces filles; et Dinah, qui joua les soubrettes au Théâtre-Français jusqu'en 1882. De ses tournées en Europe, de Russie, d'Angleterre, ambassadrice de la culture française accueillie avec des honneurs inouïs, Rachel rapportait beaucoup d'argent, beaucoup de bijoux. .. jamais assez! De fréquentes défaillances de santé auraient dû commander la prudence, pourtant, en 1855, après la cabale organisée par les détracteurs de Rachel pour lui opposer l'actrice italienne Ristori, Raphaël, impresario improvisé, se mit en tête d'aller ramasser aux États-Unis des monceaux de dollars. La tournée, désastreuse, dut être interrompue avant son terme. Rachel, malade, épuisée, prit quelque repos à La Havane. De retour en France, il ne fut plus question de remonter sur les planches. Un séjour en Égypte, une lente croisière sur le Nil ne pouvaient reconstituer un organisme totalement délabré. Rachel succomba à une tuberculose pulmonaire que l'on traitait alors avec des moyens dérisoires. Elle laissait deux fils. L'aîné, Alexandre-Antoine, né en 1844, fut reconnu par son père, le séduisant comte Alexandre-Joseph Walewski, né en Pologne des amours de Napoléon 1er avec la comtesse Marie Walewska; le second, Victor-Gabriel, né en 1848 de la liaison de Rachel avec Arthur Bertrand le mauvais sujet, portera le nom patronymique de sa mère. Attentive à leur éducation, elle veillera à ce qu'ils fissent de bonnes études. Alexandre fut diplomate et mourut en 1898, consul général à Turin; Victor-Gabriel fit carrière dans la marine; résident de France en Afrique équatoriale, il décéda à Brazzaville en 1889 ; Martial-Piéchaud signale la vaillance de l'un et de l'autre pendant la guerre de 70. Au soir même des obsèques de Rachel au Père-Lachaise auxquelles il assista, le Il janvier 1858, au milieu d'une foule considérable, Gautier écrivit une déploration émue: «Aucune actrice mieux que Mademoiselle Rachel n'a rendu ces expressions synthétiques de la passion humaine personnifiée par la tragédie sous l'apparence de dieux, de héros, de rois, de princes et de princesses, comme pour mieux les éloigner de la réalité vulgaire et du petit détail prosaïque. Elle fut simple, belle, grande et mâle comme l'art grec qu'elle représentait à travers la tragédie française. » (Portraits contemporains.) « Quand je veux causer avec son ombre, écrivait Dussane dans un livre ravissant, Reines de théâtre, je vais rendre visite au plus beau de ses portraits, dans un de nos foyers [à la Comédie-Française]. Ce n'est pas la Rachel au teint bistre, bizarrement enroulée dans un fourreau rouge, qui domine le palier de l'Administration; ce n'est pas non plus la froide effigie en draperie vanille et lilas qui trône à notre grand foyer. Mais dans le premier vestibule, celui qu'on appelle, je ne sais trop pourquoi, le jardin d'hiver, une Rachel en robe de velours noir, délivrée des pompes théâtrales, et, aussi, privée de leur secours. Elle est pensive, douloureuse, quoique souriante. Le visage est à l'apogée d'une beauté que la vie a sculptée; les yeux sont profonds, fiévreux déjà, et une sorte de sourire désespéré enveloppe les traits purs qui vont bientôt s'émacier. Rachel simple, Rachel contemplant son court et brillant passé, Rachel condamnée mesurant
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son plus court avenir, Rachel revenue de tous les assauts, de toutes les victoires, de toutes les ivresses, Rachel brûlante encore et déjà glacée: c'est cette Rachel qui parle à mon cœur.» On peut voir, au Musée de la vie romantique, à Paris, le pied de Rachel et l'empreinte de ce pied sculptés dans le grès; on y conserve aussi un encrier en bronze doré, en forme de main, dédicacé par Rachel à Émile Augier; sur le couvercle figure la devise de l'actrice: "Tout ou rien". J. Lucas-Dubreton révèle qu'elle faisait broder sur ses jarretières une autre formule: "Honni soit qui point n'y pense !" Alfred de Vigny, à qui elle avait fait tenir son portrait en 1851, écrivait un jour à Philippe Busoni, en évoquant la mémoire de Marie Dorval qu'il avait si passionnément aimée: «Les pauvres actrices, on ne saurait trop les gâter, les couronner et les bercer comme des enfants, car elles n'ont qu'un jour. » Le Second Rang du collier, p. 166. RADZIWILL, Léon (Varsovie 1808 - Paris 1885), prince du Saint-Empire, aide de camp et officier des Armées du Tsar, appartenait à une puissante famille lithuanienne illustrée dès le XIVe siècle par Nicolas Radziwill, palatin de Wilna - radzi: qui conseille, will: abréviation de Wilna. Ces Radziwill fournirent à la grande Histoire des personnalités flamboyantes, guerriers à la bravoure homérique, diplomates, artistes. Léon, «le jeune prince étranger, pâle et blond », le gentil interlocuteur de Judith chez sa tante, 13, rue de Trévise, entra, lui, dans la petite Histoire par sa liaison avec la créatrice de Giselle, à laquelle il offrit galamment, cadeau vraiment "princier", la propriété de Saint-Jean. Non, il ne fut pas « le mari de Carlotta Grisi qu'il épouse après son divorce d'avec Jules Perrot », comme le veut une légende pudibonde trois fois erronée, mais, de même que Perrot avant lui, il lui fit une fille. Née le 26 mai 1855 et déclarée sous le nom de Marie-Léontine Sainte- Hilaire, rebaptisée plus tard Ernestine par sa mère soucieuse d'effacer jusqu'au souvenir haïssable de son amant polonais, elle épousa le 15 mars 1875 le peintre ÉmileAuguste Pinchart. De leurs trois enfants, Léon, Carlotta-Paule et Marthe, naquit une postérité abondante qui s'honore de sa double filiation. Le Journal des Goncourt nous offre à point le récit de leur soirée du 29 mars 1862 où ils virent Théo exécuter ce "Pas des créanciers", évidemment transposé du folklore russe, qui effrayait sa famille. «Après dîner, nous poussons jusque chez Gautier, à Neuilly, que nous trouvons encore à table, à neuf heures, fêtant le prince Radziwill, qui dîne, et un petit vin de Pouilly, qu'il proclame très agréable. Il est très gai, très enfant. C'est une des grandes grâces de l'intelligence. L'on se lève de table, l'on passe dans le salon. L'on demande à Flaubert de danser l'Idiot des salons. Il demande l'habit de Gautier, il relève son faux-col; je ne sais pas ce qu'il fait de ses cheveux, de sa figure, de sa physionomie, mais le voilà tout à coup transformé en une formidable caricature de l'hébétement. Gautier, plein d'émulation, ôte sa redingote et tout suant et tout perlant, son gros derrière écrasant ses jarrets, nous danse le Pas du créancier. Et la soirée se termine par des chants bohêmes, des mélodies terribles dont le prince Radziwill jette admirablement les notes stridentes et rugissantes. » Le Collier des jours, p. 174. Le Second Rang du collier, p. 259.
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RAPHAËL, Raffaello Sanzio, dit (Urbino, 1483 - Rome, 1520). Judith se réfère évidemment au séduisant portrait de Raphaël, conservé à la galerie des Offices, au Vatican, qu'il peignit de lui-même à l'âge de vingt-trois ou vingt-quatre ans. Théophile Gautier: « Raphaël, virginal, [...] cherche dans la nature les formes qui se rapprochent le plus de son type préconçu; il choisit les plus belles têtes de femmes et de jeunes filles, il épure leurs traits, allonge les ovales de leurs figures, amincit leurs sourcils vers les tempes, arque leurs paupières et leurs lèvres pour les faire coïncider avec le sublime modèle qu'il porte au-dedans de lui-même. [...] On peut dire que nulle vierge ne l'est autant que la madone de Raphaël. [...] Peignant la Galatée, [il] se plaignait de ne pas rencontrer de modèles qui le satisfissent; il se servait d'une certaine idée qu'il avait en lui.» Du même peintre et dans ce même article titré Du beau dnns l'art (l'Art moderne, Michel Lévy frères, 1856), Gautier cite la Transfiguration, qu'il put admirer au Vatican, comme "un morceau admirable", et commente une douzaine de définitions du beau formulées par différents auteurs pour conclure: «Le beau dans son essence absolue, c'est Dieu. Il est aussi impossible de le chercher hors de la sphère divine, qu'il est impossible de trouver hors de cette sphère le vrai et le bon absolus. Le beau n'appartient donc pas à l'ordre sensible, mais à l'ordre spirituel. » Gautier profite de cet article consacré à l'œuvre posthume de Topffer, Réflexions et menus propos d'un peintre genevois, pour revenir, vingt ans après sa fracassante préface-manifeste de Mademoiselle de Maupin, sur l'école de l'art pour l'art, « formule devenue célèbre par des polémiques sans intelligence et sans bonne foi. [...] L'art pour l'art veut dire non pas la forme pour la forme, mais bien la forme pour le beau, abstraction faite de toute idée étrangère, de tout détournement au profit d'une doctrine quelconque, de toute utilité directe... » Pour conclure, «s'il nous faut à toute force une définition du beau, acceptons celle de Platon: "Le beau est la splendeur du vrai." » Le Second Rang du collier, p. 74. REMENYI, Édouard, violoniste hongrois, né en 1828 à Minkole, décédé à San Francisco en 1898, obtint des triomphes tant par son interprétation fougueuse de la musique folklorique magyare que par son habileté à se faire valoir. Les connaisseurs lui reprochaient sa façon cavalière d'agrémenter les maîtres classiques par des additions de son crû. On voit qu'il transcrivit pour son instrument aussi bien la musique pianistique comme cette Polonaise de Chopin ou les Rhapsodies hongroises de Liszt dont s'émerveille Gautier, qu'une œuvre orchestrale comme la Marche de Rakoczy, air national des Magyars, introduite par Berlioz dans la Damnation de Faust (1846). Paris l'avait vu passer en 1852 à son retour d'Amérique où il avait trouvé refuge après le soulèvement de la Hongrie contre l'Autriche, en 1848-1849, avant qu'il n'entreprenne en Allemagne une tournée de concerts avec le jeune Brahms pour accompagnateur au piano, tournée qui s'achèvera chez Liszt, à Weimar. De 1854 à 1859, nommé violon solo de la reine Victoria, il séjourna en Angleterre. Amnistié en 1860, il put retourner dans son pays natal. Les Goncourt voient les gens avec moins de bonhomie que l'hospitalier Théo. « Il y a ce soir [à Neuilly], à côté de Flaubert, de Bouilhet, de nous, un vrai Chinois avec ses yeux retroussés et sa veste de velours groseille, le professeur de chinois des filles de Gautier. Il y a un peintre exotique, qui a, jusqu'aux genoux, des bottes de sept lieues et des yeux volés à un jaguar. Il y a le violoniste hongrois Reminy [sic], avec sa tête glabre de prêtre et de diable; il y a son
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accompagnateur, un petit bonhomme gras et douteux, éphébique et féminin, avec sa tête d'Alsacienne, les cheveux blonds, en baguettes, tombant droit de la raie du milieu de sa tête, en redingote allemande de séminariste, dans l'ouverture de laquelle se flétrit un peu de lilas blanc - tapette étrange et inquiétante... » (4 mai 1865.) On peut voir au musée Victor Hugo, place des Vosges, le portrait de Remenyi coiffé d'un tarbouk. En 1854, accompagné de son compatriote émigré, le comte Alexandre Téléki, Remenyi s'en était allé aux îles Anglo-Normandes saluer le poète des Châtiments, qui saisit l'occasion d'envoyer à Liszt une carte postale: « Le proscrit de Jersey serre la main à l'Orphée de Weimar. » Si l'Orphée de Weimar appelait Remenyi "le Paganini hongrois", on le surnommait lui-même "le Paganini du piano-forte". Comparaison superlative depuis que Niccolo Paganini (né à Gênes en 1782, mort à Nice en 1840, inhumé à Parme en 1896 après quelques macabres péripéties) avait médusé les foules par son inimaginable virtuosité jointe à une étrange apparence: longue silhouette déhanchée, maigreur phénoménale, pâleur cadavéreuse que sut admirablement rendre Delacroix. On le disait fils du diable, et que l'une des cordes de son instrument était faite des intestins d'une maîtresse assassinée. Rossini, comme tout un chacun, succomba à l'envoûtement: « Je n'ai pleuré que trois fois dans ma vie. La première fois, ce fut lors de la chute de mon premier opéra. La deuxième fois, ce fut au cours d'une promenade en bateau, lorsqu'une dinde truffée tomba à l'eau. La troisième fois, ce fut en entendant jouer Paganini. » Le Second Rang du collier, p. 256. RÉMUSAT, Abel (1788-1832). Orientaliste d'une éblouissante érudition. Moins heureux que Judith, on lui avait refusé dans sa jeunesse la communication des dictionnaires chinois de la Bibliothèque nationale et il étudia sans maître. En 1811 commença la publication de ses nombreux et austères travaux sur l'histoire et les langues de l'Extrême-Orient. Docteur en médecine en 1813, sa thèse portait sur les pratiques de la science médicale chinoise. Le choléra emporta Rémusat prématurément, mais chargé déjà de tous les honneurs officiels. Il fut l'un des fondateurs de la Société asiatique, la présidant jusqu'à sa mort. Juste Olivier, un jeune Suisse qui visita Paris en 1830 et laissa une relation détaillée des multiples rencontres qu'il y fît, nous montre M. Rémusat au physique: « C'est un homme de taille un peu audessous de la moyenne à larges épaules, d'une tournure assez peu gracieuse, les cheveux sont noirs, longs et très rares. [...] Il a de larges sourcils noirs et des yeux vifs et assez grands. » Nous lisons plus loin: « J'ai entendu émettre le soupçon que M. Abel Rémusat, pas plus que les autres qui s'en vantent, ne sait le chinois. Pour ma part, je crois que cette opinion n'a aucun fondement.» Etc. Sans doute, comme M. Julien, M. Rémusat, tout savant mandarin qu'il fût, n'avait-il pu acquérir la pratique de la langue chinoise populaire. Et ce qui précède nous amène à parler d'un protégé de Judith Gautier, George Soulié de Morant (18781955), passionné comme son grand aîné par les thérapeutiques extrême-orientales. À la faveur d'une villégiature estivale à Saint-Énogat, la famille Soulié était entrée en rapport avec la propriétaire du Pré des Oiseaux où le futur auteur - entre beaucoup d'autres traités, traductions, poèmes, romans, essais - du célèbre Précis de la vraie acuponcture chinoise (Mercure de France, 1934) devint l'élève de Tin-Tun-Ling. Judith s'était prise d'affection pour le petit Georges - le s sera supprimé, de Morant sera ajouté plus tard -, elle le conseilla, l'orienta, encouragea sa vocation précoce de sinologue. En 1901, il partit pour la
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Chine où il occupa divers postes jusqu'à son mariage en 1911 ; il y retournera en mission spéciale pendant la Grande Guerre. Nommé en 1906 à Yun Nan Fou (l'actuel Kouen-Ming) consul délégué, il finit par s'y morfondre. Judith écrivit en sa faveur à Philippe Berthelot, l'éminence grise du Quai d'Orsay, un visiteur occasionnel, avec sa femme, de "l'entre-ciel", rue Washington: « ... Je tiens à ce que vous sachiez combien je m'intéresse à ce cher ami et que je suis cause qu'il est en Chine.» En juin 1914, c'est Mme Raymond Poincaré, la très chère, que Judith sollicite en faveur de Soulié, désireux de recevoir la croix dans la promotion du 14 juillet. Lors de ses congés, il était assidu chez Judith, tant à Paris qu'en Bretagne. Soulié de Morant savait tourner un compliment; de Pékin, qu'il visitait pour la première fois en 1901, le futur diplomate écrivait flatteusement à son mentor sédentaire: «On revit à chaque pas le Dragon Impérial. » Le Dragon Impérial, écrit Anatole France, « un livre tout brodé de soie et d'or, et d'un style limpide dans son éclat. Je ne parle pas des descriptions qui sont merveilleuses. Mais la figure principale, qui se détache sur un fond d'une richesse inouïe, le poète Ko-Li-Tsin, a déjà ce caractère de fierté sauvage, d'héroïsme juvénile, de chevalerie étrange que Judith Gautier sait imprimer à ses principales créations et qui les rend si originales. L'imagination de la jeune femme est cruelle et violente dans cette première œuvre, mais elle a déjà et définitivement cette chasteté fière et cette pureté romanesque qui l'honorent. » Dès le Livre de Jade, « Judith Gautier avait trouvé sa forme; elle avait un style à elle, un style tranquille et sûr, riche et placide comme celui de Théophile Gautier, moins robuste, moins nourri, mais bien autrement fluide et léger. Elle avait son style, parce qu'elle avait son monde d'idées et de rêves. Ce monde, c'était l'Extrême-Orient, non point tel que nous le décrivent les voyageurs, même quand ils sont, comme Loti, des poètes, mais tel qu'il s'était créé dans l'âme de la jeune fille, une âme silencieuse, une sorte de mine profonde où le diamant se forme dans les ténèbres. Elle n'eut jamais pleine conscience d'elle-même, cette divine enfant. Gautier, qui l'admirait de toute son âme, disait plaisamment: "Elle a son cerveau dans une assiette." [...] Elle n'a pas vu la Chine et le Japon; elle a fait mieux: elle les a rêvés et elle les a peuplés des enfants charmants de sa pensée et de son amour.» (1890, la Vie littéraire, quatrième série.) En 1886, le Petit Bottin des Lettres et des Arts, répertoire fantaisiste des écrivains notoires de l'époque, définissait ainsi l'auteur des Peuples étranges: «Judith Gautier, princesse chinoise... » Dans ces Peuples étranges, ont été rassemblés, sous le titre général "Notes sur la Chine", les articles de F. Chaulnes parus dans le Journal Officiel du 29 octobre 1875 au 9 juillet 1876. « En Chine, écrit Judith, la poésie c'est la clef magique qui ouvre toutes les portes, la marque de noblesse devant laquelle se courbent les fronts les plus hautains, le privilège céleste qui rend inviolable celui à qui il a été confié. [...] L'empire du Milieu est le paradis des poètes. La poésie semble aussi antique en Chine que la Chine elle-même. [...] Les vers, dit Confucius [.. .], sont des pensées, des sentiments que l'on éprouve intérieurement et qui se produisent au dehors. » Nous savons par Suzanne Meyer que Judith caressa longtemps le projet, non réalisé, de faire un parallèle entre Gœthe et Confucius; le 30 décembre 1912, rue Washington, Hennique et Péladan, débattant de questions philosophiques, parlaient avec elle de ces deux grandes figures. Dans ses "Notes sur la Chine", Judith traite savamment de Li-taï-pé et de son disciple Thou-fou, deux poètes dont la gloire a traversé les siècles et que le Livre de jade avait déjà fait connaître à ses lecteurs. Li-taï-pé a, dans ses vers, une forme originale et brève, qui se joue des difficultés, un style coloré aux images rares et choisies, plein d'allusions, de sous-entendus et souvent d'ironie.
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Ainsi que le poète persan Omar Kéyam, il s'enivre passionnément, chante le vin, seul consolateur, et jette comme un linceul pailleté d'or, les voiles de l'ivresse, sur les amertumes de cette vie et l'appréhensionde l'autre. [...] Thou-fou a des admirateurs qui le déclarent l'égal de Li-taï-pé et même le préfèrent à celui-ci. Avec moins d'étrangeté, moins d'imprévu, ses poésies sont aussi pittoresques que celles du grand ami, qu'il saluait pour son maître; elles sont plus aisément traduisibles, ayant plus de naturel, de clarté, de tendresse compatissante, d'émotion devant les douleurs de l'humanité. Moins chinoises, peut-être, elles sont plus universelles,plus près de nous. (Le Livre dejade, prélude.) Cet ouvrage de jeunesse fut plusieurs fois réimprimé du vivant même de Judith. En 1911, Eragny Press publia à Londres un choix de poèmes extraits de ce recueil, sous la forme d'un album de vingt-sept pages ornées de sept compositions et de douze ornements en couleur et en or dessinés par Lucien Pissarro, gravés sur bois par Lucien et Esther Pissarro. Impression en rouge, gris et or, reliure en cuir souple. Tirage à cent vingt-cinq exemplaires: cent quinze sur japon au prix de cent francs, dix sur parchemin véritable au prix de deux cent dix francs, tous numérotés à la presse et portant imprimé le nom du souscripteur. Cette description, copiée du bulletin de souscription, indique une édition de grand luxe, destinée aux bibliophiles. Lucien Pissarro, que Judith connaissait personnellement, le fils aîné de Camille, peintre comme son père, illustrateur, lithographe, imprimeur et éditeur, s'était fixé en Angleterre à partir de 1893; Esther, sa femme, l'assistait dans ses travaux. Judith composa de la musique sur quelques-uns de ces Poèmes de jade. Lucie Wilhelm se produisit à plusieurs reprises dans ce répertoire; par exemple, en mai 1914, au cours d'une conférence de Laurent Tailhade sur l'œuvre poétique de Mme Gautier. L'étonnante Georgette Leblanc, soprano lyrique aux toilettes toujours superbement excentriques, la compagne ultra-décorative de Maeterlinck, vint un jour interroger l'auteur compositeur sur la meilleure interprétation possible de ces poèmes qu'elle souhaitait chanter à Londres. M. Benoît-Jeannin, auteur d'une biographie très fouillée de Georgette Leblanc, indique que Gabriel Fabre, un mélodiste né à Lyon en 1862 dont le nom et les œuvres sont tombés dans l'oubli, mit en musique des poèmes de Théophile et de Judith Gautier que Georgette interprétait au cours de récitals privés ou publics, mêlés de causeries, tant à Paris et en province qu'en Angleterre. Armory raconte qu'au Soleil d'Or, place Saint-Michel, ressuscité du Cancan fameux où se produisit toute la génération symboliste, Gabriel Fabre, s'accompagnant lui-même au piano, chantait ses illustrations lyriques des poèmes de Maeterlinck. «Sa musique, ajoute le mémorialiste, était d'une rare qualité. » La raison de Fabre, accablé de malheurs domestiques, s'égara, il s'éteignit dans un asile. Judith sut-elle jamais que Victor Segalen avait emporté son souvenir jusqu'au cœur de la Chine? Le 29 août 1909, quelque part à l'ouest de Pékin, le voyageur écrivait à sa femme: «Augusto [Gilbert de Voisins] en est à sa vingtième pipe pour collection. Pas encore fumé une seule. Sa plus belle, je l'ai nommée Judith. Parce qu'elle est de jade. Tu vois la relation, Judith Gautier, etc. » À peine plus âgé que Soulié de Morant et Segalen exactement contemporains, le critique musicologue, orientaliste, Louis Laloy, écrit dans la Musique retrouvée: « .. .je dois la première idée de mes travaux sur la Chine aux récits d'un parent [.. .] qui avait voyagé jusque-là dans sa jeunesse et me fit don de la grammaire d'Abel Rémusat...» Entre autres ouvrages, Laloy publia des Notes sur la musique cambodgienne (1907) et la Musique chinoise (1910). Il serait étonnant que Judith Gautier et Louis Laloy ne se fussent jamais rencontrés, ni à l'Exposition Universelle de 1900, ni lors
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de la visite du roi Sisowath à Paris, en juin 1906, par exemple. Il semblerait incroyable que Judith n'eût pas eu la curiosité d'aller voir, en 1911, au Théâtre des Arts alors sous la direction de Jacques Rouché, la pièce adaptée par Laloy d'un drame chinois du XIIIe siècle, le Chagrin au palais de Han. En tout cas, aucune allusion de l'un ni de l'autre ne nous autorise jusqu'ici à penser qu'ils eussent porté quelque attention à leur œuvre respective. Le Second Rang du collier, p. 161. RENON. Madame Félix Renon, la Mme R... du Collier des jours, était une des relations d'Eugénie Fort; celle-ci la nomme fréquemment dans son Journal et l'assiduité de cette amie fidèle lui paraît parfois pesante. Marie, sa fille, l'exacte contemporaine de Judith, était la filleule d'Eugénie Fort et de Théophile Gautier. On la destinait à une carrière de ballerine ou de comédienne, elle fut ballerine sous le nom de Marie Vernon. Ses débuts à l'Opéra datent de 1862. Après le tragique accident qui coûta la vie à Emma Livry, on lui confia le rôle muet de Fenella, dans la Muette de Portici (musique d'Auber sur un livret de Scribe et Delavigne). Lors d'une énième reprise de cette œuvre rue Le Peletier avec la danseuse Eugénie Fiocre, en février 1865, Théophile Gautier, qui avait encouragé sa vocation, donne un souvenir attendri à sa filleule, cette douce, poétique et belle Marie Vernon, si touchante dans le rôle de Fenella. Sa grâce modeste, craintive, suppliante, et qui semblait presque demanderpardon de son charme, ses grands yeux bleus plaintifs, où entrait tant de lumière lorsqu'elle les levait vers le ciel, sa beauté délicate, immatérielle et suave, son attitude de fleur penchée et son tendre air de victime, en faisaient l'idéal du personnage. Avec quel sentiment, quelle passion et quelle douleurelle mimaitce rôle dejeune fille séduite et trahie que son malheur même eût dû rendre sacrée et mettre à l'abri de tout outrage. Son désespoirmuet tirait des larmes des yeux les plus durs. Mais le théâtre ne la verra plus, cette adorable Fenella! Une union heureuse a fait tomber à tout jamais sur elle le voile de la vie privée. (Le Moniteur universel, 27 février 1865.) Le Collier des jours, p. 68. REYER, Louis-Antoine Rey, dit Ernest Reyer (Marseille 1823 - Le Lavandou 1909), élève, au Conservatoire, de sa tante, Mme Louise Farrenc, pianiste réputée, fut un compositeur tout à tour très applaudi, puis très critiqué, voire dénigré et tombé, de son vivant même, dans un injuste discrédit. Son Sigurd, préfiguration des Nibelungen wagnériens, fut cependant représenté deux cent cinquante fois sur la scène de l'Opéra Garnier de 1885 à 1935. Dans le rôle de Brunnhild s'illustrèrent Mmes Rose Caron, grand soprano dramatique, "beauté de rêve et de mystère" chère au cœur de Georges Clemenceau, et la blonde Félia Litvinne, née Françoise-Jeanne Schütz, naturalisée française en 1893 par son mariage avec le docteur Depoux, belle-sœur de l'admirable basse Édouard de Reszké. La Salammbô de Reyer, d'après le roman carthaginois de Flaubert, connut cent quatre-vingtquinze reprises, dans ce même Opéra Garnier, de 1892 à 1943. Reyer était très lié avec Théo, ils se rendirent de conserve à Wiesbaden, en 1857, pour y applaudir Tannhiiuser. Son prédécesseur à l'Institut, Félicien David, un disciple du Père Enfantin, était l'auteur du Désert (1844), ode-symphonie, et de l'opéra Lalla-Rookh (1861) sur un thème oriental
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adapté par l'écrivain anglais Thomas Moore et qu'utilisèrent également Spontini d'abord, Anton Rubinstein plus tard. Comme David - qui avait lui-même succédé à Berlioz -, Reyer, méridional, nostalgique peut-être de l'Algérie où il vécut huit années de sa jeunesse avant d'abandonner sans esprit de retour les tâches administratives auxquelles on le voulait contraindre, était féru d'exotisme musical. Outre Salammbô, il écrivit les partitions du Sélam, scènes d'Orient, de Gautier, ode symphonique exécutée au Théâtre-Italien en 1850 ; de Sacountalà, livret de Gautier, chorégraphie de Lucien Petipa, ballet-pantomime en deux actes dansé à l'Académie impériale de musique le 14 juillet 1858 en présence de l'impératrice; la ballerine italienne Amalia Ferraris y fit un triomphe. Sur un argument de Gautier et Méry, Reyer composa aussi Maître Wolfram, opéra-comique en un acte joué au Théâtre-Lyrique en 1854. Bibliothécaire de l'Opéra, critique musical au Journal des Débats où il succéda à son maître et intime ami Hector Berlioz auquel il vouait un véritable culte, il eut l'occasion d'y féliciter Judith Gautier, couronnée au concours Rossini de 1888 pour les Noces de Fingal. D'allure martiale, les yeux vifs, la figure barrée d'une grosse moustache, la voix rude, impérative - il ne cessait de grommeler, se rappelle Cléo de Mérode qui le décrit redoutable à ses interprètes, cassant, moqueur -, on l'appelait plaisamment "le colonel" et il s'en plaignait, assurant qu'il méritait bien du "général". Excellent et loyal ami, d'un Bizet, par exemple, ne dédaignant pas de mettre son savoir musical au service d'un humble chansonnier comme le Lyonnais Paul Dupont, ce bourru, « aigri, dit l'un de ses biographes, par des années d'incompréhension et d'isolement », n'en était pas moins redouté pour son esprit caustique et ses mots à l'emporte-pièce. L'aimable Massenet, par exemple, écrit benoîtement: «Reyer, mon meilleur, mon plus fidèle ami... » C'est pourtant ce meilleur ami qui le baptisa «l'auteur d'Esclarmonde où l'on s'ennuie », par allusion aux deux pièces d'Édouard Pailleron, le Monde où l'on s'amuse (1858), le Monde où l'on s'ennuie (1881). «Massenet n'arrive pas à la cheville de Wagner », assure tel mélomane. « Il y arrive, il y arrive! » se récrie le meilleur ami. « Je ne me souviens plus de l'avoir jamais vu autrement qu'en colère », assure Bergerat. Furieux, Reyer l'était contre les musiciens de salon qui lui gâchaient ses soirées; ses récriminations ne furent pas étrangères à la création, en 1893, d'un impôt sur les pianos. Irascibilité bougonne compensée par un humour des plus réjouissants qui n'épargnait pas sa propre personne. André Germain, le "fils du Crédit lyonnais", l'époux éphémère d'Edmée Daudet, fille d'Alphonse, filleule d'Edmond de Goncourt, parle des « quatre cheveux blonds attardés» du compositeur qui fréquentait chez ses parents. Reyer ne laissait à personne le soin de se moquer de sa calvitie. «Comme je suis extrêmement chauve, - écrivait-il à Georges Bizet, de Bade, le 23 août 1862 à quelques heures de la première représentation de son Erostrate, opéra sur un poème de Méry et Pacini -, j'ai peur, un crâne chauve étant très éclairé par le lustre, que les gens placés derrière moi aux galeries supérieures ne me lancent
des pois avec des sarbacanes.» Reyer professait une grandeadmirationpour Glück et pour Weber. À propos de Weber, Maurice Donnay rapporte cette boutade caractéristique du vieux grognon: « Monsieur Reyer, vous qui êtes musicien, est-ce vrai que la Dernière Pensée de Weber est de Weber? - N'en doutez pas, Madame. Tous les musiciens ont une Dernière Pensée. x... en aura une, et je la connais. - Vous la connaissez... comment? - Parce qu'elle sera sur un air connu.» Du même écrivain, dans J'ai vécu 1900, ce savoureux potin: «"Oh! monsieur Reyer, écrivez-moi votre nom sur mon éventail! - Mais certainement. (Reyer écrit son nom.) - Ah ! si vous étiez gentil, vous ajouteriez une ligne.
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- Mais certainement." Et il écrit "7, rue de la Tour d'Auvergne" », son adresse. Déplorons que Reyer, auteur estimé de Quarante Ans de musique (Paris, 1909), recueil de ses comptes rendus journalistiques, humoriste pince-sans-rire, n'ait pas mené à bonne fin ce traité signalé par Théophile Gautier dans son Histoire du romantisme et demeuré à l'état de projet: « De l'influence des queues de poisson sur les ondulations de la mer. » Le Collier des jours, p. 176. Le Second Rang du collier, p. 119, 169. RICARD, Louis-Gustave (Marseille 1823 - Paris 1873). Le Salon de 1850, puis celui de 1855 où le portrait d'Apollonie reparut à la cimaise, donnèrent à Théophile Gautier
l'occasion de louer le talent de Ricard, « petit-fils de Van Dyck»:
«Il nage, ce portrait,
dans une blonde atmosphère de joie et de soleil. Ces beaux cheveux, bruns lorsqu'ils sont lustrés d'ombre, dorés lorsqu'ils pétillent dans un clair rayon, jouent légèrement sur son front, comme soulevés par un souffle amoureux; ses narines roses respirent ardemment la vie et ses lèvres purpurines semblent s'ouvrir pour un sourire ou un baiser. Le col souple et rond, où Vénus a tracé de son ongle les trois plis qui forment son collier, fait valoir une poitrine que le marbre a rendu célèbre. [...] Quel goût romanesque et bizarre d'ajustement dans cette robe noire aux crevés cerise qui rappelle les toilettes des portraits de Bronzino. » Edmond About: « C'est une de ces œuvres provocantes qui arrêtent les yeux au passage et les forcent d'admirer. » Le petit bichon de la Havane, rapporté d'Italie, était un don d'Alfret Tattet, l'un des amants de Mme Pleyel, l'un des amants de Virginie Déjazet, dandy ami intime d'Alfred de Musset que lui avait présenté Félix Arvers. Ricard, favorisé d'un agréable physique, homme discret et solitaire - «J'aime l'ombre, l'intimité », écrivait-il à Mme Sabatier peu de temps avant sa mort prématurée. Charles Yriarte, le fécond littérateur,
nous apprend que « ses distractions,après le travail assidu de la journée, sont les causeries ailées, le soir, autour de la table de thé; [...] il a quelques rapports comme causeur avec Théophile Gautier. » Grand copiste de chefs-d' œuvre dans tous les musées d'Europe, Ricard se spécialisa dans l'art du portrait - Paul de Musset, Demidoff, Fromentin, Ziem, Gustave Moreau, etc. - et notamment dans les figures féminines. Parmi celles-ci, nous citerons la baronne de Poilly (1831-1905) parce qu'elle fut une des meilleures amies de Judith « dont le physique un peu lourd était la réplique du sien, écrit la duchesse de Clermont-Tonnerre, née Élisabeth de Gramont. Elle avait les yeux de la nuance des rivages armoricains et la chaleur du sang des Tropiques» léguée par une aïeule créole des Îles. Elle était la fille du marquis du Hallays-Coëtquen, gandin célèbre par ses duels, clubman assidu au Théâtre-Français et aux Italiens. À dix-sept ans, Annette du Hallays épousa le comte de Brigode, qui mourut promptement, se remaria en 1860 à un diplomate, le baron de Poilly (1821-1862), se retrouva veuve tout aussi vite. Belle parmi les belles du Second Empire, dame d'honneur de l'impératrice qu'elle accompagna à Suez, étoile du théâtre de Compiègne, le destin d'Annette fut d'aimer l'amour sans fausse honte; elle alla jusqu'à tenter de dégeler Louis II lors d'une fête aux Tuileries, en 1867, à l'occasion de l'Exposition universelle, mais aux femmes de chair le roi de Bavière préférait les femmes de pierre. Son plaisir fut de charmer la société nombreuse et choisie qu'elle conviait à des bals parés ou costumés et à des réceptions intimes dans son petit hôtel encombré de la rue du Colisée, No 34, où elle donnait aussi à voir la comédie, de même qu'en son beau château de Folembray, non loin de Laon. Sur son
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théâtre, le 3 juin 1880, Mmes Pasca et Barretta, assistées de M. Volny, interprétèrent, en beaux costumes authentiques, sur une musique de Benedictus, le Ramier blanc, comédie chinoise à trois personnages de Judith Gautier, laquelle dédia plus tard Tristane, une pièce pour marionnettes parue en 1910 dans la Revue de Paris, «à la mémoire de ma chère amie» la baronne de Poilly. C'est chez la baronne qu'eut lieu, en 1869, la première lecture du Passant de François Coppée qui s'empressa de flamber pour sa pétulante hôtesse; il lui donna son manuscrit avec la chanson autographe de Massenet. C'est chez elle - il en avait été amoureux sous la Restauration, la revit avec joie et devint, rue du Colisée, son commensal attitré - que Barbey d'Aurevilly, "décoratif et grandiloquent" (Montesquiou), donna l'exemple d'une robuste courtoisie d'Ancien Régime; à la ravissante marquise de Galliffet, toute confuse de s'être assise par inadvertance sur son chapeau: «Plaignez-le, Madame, car il n'a pas connu son bonheur! » réplique le Connétable des lettres. C'est chez elle que l'on rencontrait, parmi beaucoup d'autres relations de Judith, le piaffant Robert de Montesquiou, Leconte de Lisle l'olympien et son disciple Heredia, le vieil Arsène Houssaye toujours exquis, les fameux Drs Robin et Pozzi qui connurent bibliquement l'un et l'autre Sarah Bernhardt, le charmant prince Edmond de Polignac, compositeur, Guy de Maupassant en quête de documents vécus, et le jeune Bourget affolé de mondanités, et le jeune Paul Deschanel toujours admirablement bichonné, et leur contemporain Jean Lorrain que l'entreprenante Annette invita lui aussi à Folembray et qui l'en remercia par des méchants ragots. C'est à Folembray - totalement détruit à la fin de la Première Guerre mondiale -, propriété de son fils, le comte de Brigode, qu'elle mourut et fut enterrée après une fin de vie morose. Autre salon parisien, autre amie de Judith qui se plaignait un jour à Cosima Wagner d'en manquer, Mme John Bowes aux merveilleux yeux de saphir dans un visage ingrat. Née Coysevox de Saint-Amand, arrière-petite-fille du grand sculpteur, elle épousa en premières noces un Suisse, le comte de Curten ; veuve et remariée, elle hérita de son second époux - heureusement décédé au cours de la procédure de divorce intentée contre elle pour délit de "conversation
criminelle"
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une immense
fortune
qu'elle
légua à des œuvres
charitables. Alphonsine Bowes, à laquelle Judith dédicaça Isoline, roman breton (Charavay, 1882), avec son "hommage affectueux", était fort amie de la famille Hugo; habituée de Guernesey, elle offrit par testament au musée Victor Hugo une aquarelle et une photographie enrichie d'un autographe du poète. À ces grosses dames de sa connaissance, Mme Sabatier, la baronne de Poilly, Mme Bowes ou la duchesse de Rohan, envahies comme elle par "la panne", Judith, toujours impécunieuse, proposait son Élixir égyptien qui l'aidait elle-même à perdre du poids, assurait-elle contre l'évidence, mais le profit restait mince, sans jeu de mots, et ne remplissait guère son escarcelle. Elle fondera encore quelque espoir sur un Lait de Vénus bénéfique pour la peau, malheureusement pour notre curiosité elle n'a pas divulgué ses recettes. Très fidèle, très sûre en amitié - tous ceux qui l'ont bien connue ont souligné cet aspect, si rare, de son caractère -, la nonchalance de Judith, héritée de son père et qui s'accrut avec l'âge, ne la portait guère à augmenter le cercle de ses intimes. Si «sa beauté demeurait intacte, écrit André Fontainas, son corps s'était encore épaissi. [...] Idole placide, indulgente et inspirée, il émanait d'elle un charme bienveillant et ses
amis l'adoraient. » Quelquesfausses notes, néanmoins, dans un concert de louanges! Le jeune Stéphane-Georges de Bouhélier-Le Pelletier, écrivain connu plus tard sous ce pseudonyme: Saint-Georges de Bouhélier, le fondateur du Naturisme, alors âgé d'une
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vingtaine d'années, en séjour estival avec sa mère à Saint-Énogat (en 1895 probablement), ne garda pas de ses visites à Judith Gautier un souvenir ému, ni même bien agréable! Ma mère, qui recherchait la supériorité, s'était prise pour cette femme d'un vif engouement. Cette dernière qui la fascinait lui rendait en indifférence son idolâtrie. [...] La beauté n'était pas absente de ses traits royaux. [...] À Saint-Énogat elle vivait dans la solitude. Son corps alourdi par la graisse ne semblait à l'aise qu'au milieu des coussins de soie et dans de profonds fauteuils. Il lui arrivait de passer des heures avec nous, mais on ne l'entendait guère. Ma timidité aggravait la situation. Ma mère, qui n'était pas non plus très expansive, ne rompait pas plus que moi le silence. Chacun suivait le cours de ses pensées, sans faire attention aux autres. [...] Cette femme d'une grande réputation passait [au Pré des Oiseaux] la saison des chaleurs en compagnie d'un compositeur plutôt singulier qui s'appelait Bénédictus. Ce personnage avait une figure d'abyssin et une voix d'eunuque. Judith Gautier s'accommodait de lui mais sans rien lui témoigner. [...] Sa vie de femme avait commencé jeune. Dans les plis de sa robe traînaient des légendes... » (Le Printemps d'une génération.) D'Adolphe Boschot, quelques lignes étonnantes dans sa biographie de Théophile Gautier: «Judith Gautier, fille du poète, fut souvent [vers 1910] notre voisine de fauteuil aux répétitions générales de l'Opéra-Comique: plus d'une fois nous lui parlâmes de son père. Elle l'admirait mollement, ce qui nous déçut ou plutôt nous choqua. Mais alors elle était âgée, lasse, et à demi-détachée de la vie... » Léo Larguier n'est pas plus séduit que Boschot. Ayant dédié à Judith sa biographie de Théophile qu'il avait rédigée à l'occasion du centenaire de la naissance du poète, en 1911, il est invité à lui rendre visite, rue Washington. Il s'y
rend, le cœur battant.
«
Un enthousiaste de Gautier, un romantique de beaucoup d'esprit et
d'originalité, rapporte Suzanne dans une lettre à sa mère, forte tête rappelant un peu celle de Balzac. » Et lui: Je tirai un large ruban de soie bleu pâle qui servait de cordon de sonnette, une soie chinoise brodée de fleurs et de papillons. Derrière la porte, un carillon d'argent et de cristal m'annonça, et une vieille servante me pria d'attendre Madame au salon. [...] En attendant Mme Judith Gautier, je songeais à l'admirable jeune fille qu'elle avait été dans la maisonnette de son père, rue de Longchamp, à Neuilly. [...] Une portière s'écarta. Judith Gautier était devant moi. Je m'inclinai. C'était une grosse dame en peignoir et je crus entrevoir le masque lourd et glabre de son père. [...] Alourdie et comme sommeillante [.. .]. Elle m'offrit un siège, mais d'une voix lointaine, trop sourde et comme perdue, elle m'entretint surtout de son beau-frère Émile Bergerat, qu'elle n'avait pas l'air d'apprécier énormément. J'étais déçu à pleurer. Je songeais à d'antiques histoires de la mythologie, à ces sveltes nymphes que les dieux irrités enfermaient sous l'écorce des arbres et il me semblait que cette grosse dame servait de prison à la belle jeune fille de Neuilly! » (Cité par Joanna Richardson.) L'entrée de Suzanne Meyer dans l'existence de Judith insuffla à celle-ci un regain de vitalité. Heureuse d'avoir conquis la confiance et la tendresse de celle qu'elle admirait sans réserve, Suzanne fit beaucoup pour égayer le salon de la rue Washington, lequel, du reste, avait toujours été ouvert à la jeunesse. Exemple: visite, le dimanche 1er avril 1894, de Jean de Tinan, vingt ans à peine, présenté peut-être à Judith - "charmante, très femme" - par Louys, peut-être croisé chez Heredia; il remarquera sur une table, parmi d'autres livres d'édition récente, des œuvres de Louys, de Gide. (Aimable communication de J.-P. Goujon.) Rencontre qui ne manque pas de piquant si l'on pense à Mendès, ex-époux de l'une, examant de l'autre: Tinan, tout nouvel auteur de Un document sur l'impuissance d'aimer, était, en effet, dès cette époque assez lié avec Augusta Holmès pour qu'elle lui eût offert une copie manuscrite de son fameux Hymne à Éros qu'il fit reproduire en tête de ce mince
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volume. Assurément, la participation de Judith au comité du Prix "Vie Heureuse" en 1904, plus encore son élection à l'Académie Goncourt en 1910 la mirent, ou remirent en vedette et la rue Washington vit alors un afflux de troupes fraîches, accueillies les bras ouverts, se mêler à la vieille garde: le marquis d'Argenson; le comte Henri de Saussine, très lié avec Montesquiou; André-Ferdinand Hérold, beau-frère d'André Fontainas, un intime de Louys ; Alphonse de Chateaubriant, qui dut beaucoup à Judith; les frères Tharaud. «Elle avait la passion de l'intimité, de l'amitié, ont-ils écrit. Son grand plaisir et son seul luxe - qu'elle achetait par beaucoup de privations dans la semaine, car elle était peu fortunée -, c'était de recevoir ses amis tous les dimanches et de tenir, ce jour-là, table ouverte... » Et Léon-Paul Fargue, grand ami d'Édouard Benedictus ; le 29 décembre 1912, Mme Lucie Gallimard, la mère de Gaston Gallimard, écrivait au fantaisiste poète: « Je crois, si j'écoute la chronique parisienne, que vous êtes retenu aux pieds, du moins au salon de la romantique Omphale Judith Gautier... » Désireux de présenter au jury Goncourt ses Poèmes, œuvre parue cette année-là à la N.R.F., Fargue en offre à Judith un exemplaire de luxe (nous nous référons à J.-P. Goujon, biographe du "Piéton de Paris"), confiant d'obtenir sa voix avec celles de Rosny aîné, de Descaves, d'Élémir Bourges, mais au terme de débats houleux, le 4 décembre 1912, le prix couronnera les Filles de la pluie, d'André Savignon. N'était-ce point par souci propitiatoire que Fargue, "ce gentil garçon très sympathique" - ainsi jugé par Suzanne Meyer -, se disait, rue Washington, enthousiaste de Fanelli? Énumérer les relations de Judith dans les premières années du siècle nous entraînerait trop loin, cependant attardons-nous quelques instants sur deux de ses plus fidèles commensaux, l'un et l'autre très proches de son cœur. Bogidar Karageorgevitch. Ce rejeton de l'illustre maison des Karageorg, cousin germain du roi Pierre 1er de Serbie, vint au monde à Belgrade le 25 décembre 1861 / 6 janvier 1862 - coïncidence de sa naissance avec la fête orthodoxe de la Nativité, d'où son prénom Bogidar "don de Dieu", devenu plus tard "Bogi d'art" pour ses camarades d'atelier, puis "Bijou d'art" pour les dames. Il mourut de la fièvre typhoïde le 2 avril 1908 à la clinique des franciscaines de Versailles. Judith Gautier assista à son enterrement au PèreLachaiseet déploracette disparitionprécocedans la Revue de Paris (1er juin 1908). Leur première rencontre avait eu lieu, dit-elle, au foyer de l'Odéon, le soir de la répétition générale de la Marchande de sourires, en avril 1888. Elle décrit sa voix musicale, sa grâce particulière, «quelqu'un de rare et de précieux ». Elle souligne «une contradiction déconcertante dans le sourire malicieux de la bouche étroite, dans le regard aigu, moqueur et gai, des brillantes prunelles, bleues comme les fleurs de lin [...] avec tous les signes qui présagent un mysticisme exalté, un idéalisme qui méconnaît presque le réel. » Ayant fait la connaissance de Suzanne Meyer en Suisse, c'est Bogidar qui l'amena chez Judith - en 1904 d'après Suzanne, plus probablement en 1905 ou 6 -, exerçant ainsi en toute innocence une influence majeure sur la vie future des deux femmes. Bogidar, inséparable de Marie Bashkirtseff, dite Moussia, jusqu'à sa mort prématurée; elle fit de lui un joli portrait (Musée national de Belgrade). Catherine Pozzi, la fille du chirurgien, note, elle, férocement dans son Journal: «Je le méprisais pour sa douceur.» Adorateur de Sarah Bernhardt, escorte de Louise Abbéma. Se lance dans la vie parisienne avec ardeur, fait la connaissance de tout ce qui compte dans les lettres et les arts. Milite en faveur de Wagner, de Gustave Moreau. Voyage. Visite le prince d'Annam en Algérie. Se lie d'une longue amitié avec
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François Coppée. Se fait apprécier de Juliette Adam. Voit beaucoup Aimé Morot. Devenu le "satellite" de Pierre Loti, son factotum, son imprésario, avec quelques brouilles occasionnelles, c'est lui qui poussera un Loti récalcitrant à recevoir à Rochefort le peintre neuchâtelois Edmond de Pury, d'où les deux portraits exécutés en 1895. Artiste raffiné, musicien, peintre, exposant en mars 1893 au Salon de la Rose t Croix, melnbre de la Société des Beaux-Arts, orfèvre, relieur, journaliste, conférencier... Traducteur polyglotte, il met en forme les souvenirs de son amie Loïe Fuller, Quinze Ans de ma vie, préface d'Anatole France (Félix Juven, 1908), parus quinze ans avant la version anglaise qui ne mentionnera plus le nom du prince. Personnage très attachant, ce Bogidar, merveilleusement doué, mais trop dispersé, semble-t-il, pour acquérir une maîtrise incontestable dans aucun domaine, touche-à-tout et gagne-petit, perpétuellement fauché. A-t-il manqué de chance, puisqu'il ne manquait ni de talent ni de courage? Affligé d'une mère ambitieuse et tracassière, de santé physique délicate, il souffrit de crises dépressives dont il se plaignait fréquemment. Aucune liaison amoureuse masculine ou féminine, stable, qui eut donné du bonheur à cet esthète tourmenté, ne semble avoir été connue de son biographe, S.K. Pavlowitch. À défaut de bonheur, il éprouvait du plaisir à voyager et la Revue de Paris, la Nouvelle Revue, la Revue hebdomadnire accueillaient volontiers ses reportages. «En 1896, écrit Judith Gautier dans son article nécrologique, je ne sais quelles circonstances heureuses permirent au prince de faire un voyage aux Indes. » Ce qui est sans doute une antiphrase, car elle dut bien y mettre la main! De Paris, à titre documentaire, Bogidar emporte l'Histoire de la littérature hindoue de Jean Lahor et la Conquête du paradis. Dans la préface de ses Notes sur l'Inde (1899), il notera ceci: « Dès mon premier pas sur le sol indien et jusqu'à mon départ, ce fut toujours le livre de Jean Lahor qui fut mon guide, qui me renseigna sur tout ce que je voyais; ce furent les personnages de Judith Gautier qui s'évoquaient à chaque crépuscule, à chaque clair de lune, apparus dans la poussière de midi, chantant dans l'ombre parfumée des nuits...» Cinq années plus tard, le jeune Soulié de Morant appréciera, lui aussi, dès son arrivée en Chine, l'étonnante puissance d'évocation orientale de la sédentaire Judith. Paul Diver. Tout jeune encore - il est né en 1886 à Villiers-le-Bâcle,
près de Versailles
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Biver entre dans la sphère de Judith Gautier quelques années avant la guerre. La première lettre que nous connaissions d'elle à lui date de février 1909. Se sont-ils rencontrés chez les Pomairols dont il fréquentait les thés poétiques du samedi? Se sont-ils connus par l'intermédiaire de Charles Géniaux ou d'Alphonse de Chateaubriant, relations communes? Quoi qu'il en soit, il est fort assidu rue Washington, «Maya fait les 36 volontés de Paul Biver », écrit Suzanne. Ensemble ils font des promenades, visitent des musées. En 1910, à l'Exposition des Arts décoratifs, elle le recommande à Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts. En décembre de cette année-là, elle prie Loti de lui envoyer un autographe en faveur de Biver, «un ami que j'aime bien ». En juin 1912, elle écrit à Rodin pour lui annoncer la visite du jeune homme. Etc. Retirée en Bretagne pendant la guerre, elle lui demande et en reçoit une foule de services, ils sont en correspondance fréquente. Le comte Paul Biver - titre papal -, beau physique, grand, mince, distingué, héritier d'une jolie fortune, camérier du pape et chevalier de Malte, avait fait de fortes études en plusieurs pays. Licencié ès sciences, docteur ès lettres, diplômé de l'École du Louvre, il se spécialisa dans l'histoire de l'art et fit paraître un certain nombre de monographies
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érudites: l'Église abbatiale de Westminster et ses tombeaux, 1913 ; Histoire du château de Meudon, 1923; l'École troyenne de peinture sur verre, 1935,... Catholique fervent, il consacra la majeure partie de sa fortune à établir la congrégation des Serviteurs de Jésus et œ Marie, fondée par l'abbé Lamy, à l'abbaye d'Ourscamp, dans l'Oise, qui avait été fortement endommagée par les bombardements de 14. Décédé en 1952, inhumé au cimetière de Jouyen-Josas, commune dans laquelle il possédait une propriété, il repose dorénavant par dérogation spéciale dans la chapelle de l'abbaye, sous une pierre tombale scintillante, en pierre bleue du Labrador. Cet homme de bien vécut dans la nuit du 19 novembre 1924 une expérience peu banale. Dommage que Judith soit disparue trop tôt pour n'en avoir rien su! Biver avait fait la connaissance de l'abbé Lamy en 1924. Dans un opuscule, que nous tenons de l'amabilité d'une nièce de Paul Biver, est décrite la carrière de l'humble prêtre: naissance au Pailly, diocèse de Langres; oblat de Saint François de Sales; directeur à Troyes de l'Œuvre de la jeunesse; vicaire à Saint-Ouen; curé de La Courneuve où il mérita le surnom de "curé des chiffonniers" ; retraité en 1923 ; mort en 1931 chez son ami Biver, à Jouy-en-Josas. On l'a souvent comparé au saint curé d'Ars, Jean-Baptiste Marie Vianney. Or, Biver étant en visite chez l'abbé dans sa petite maison du Pailly... Laissons la parole au témoin. À dix heures un quart, je suis au lit et j'éteins ma lumière. Il se passe peut-être deux ou trois minutes, et, à travers les deux portes, qui sont légères, j'entends une conversation animée dans la chambre du vieux prêtre. Trois voix d'hommes y prennent part, nettes et distinctes au possible dans le silence absolu de la nuit. Ce phénomène m'intrigue immédiatement au plus haut point [.. .]. Personne [...] n'a monté l'escalier depuis quej'y suis passé. Ses marches de sapin sont si légères et la maison si sonore que, de ma chambre,j'y distinguerais les pas d'une souris. D'autre part, vingt minutes auparavant, en quittant le vieillard sur le seuil de sa chambre, j'ai vu celle-ci libre de tout occupant. Le P. Lamy parle de moment en moment, répondant à un interlocuteur dont la voix est nette, chaude, d'un timbre très viril et très agréable [.. .]. Par discrétion, je n'ose quitter mon lit pour écouter à la porte. Le troisième interlocuteura une voix un peu plus sourde [...] ; ses paroles sont plus rares et dites sur un ton moins péremptoire. [...] Au bout de sept minutes environ, la maison retombe dans le silence [.. .]. Le lendemainmatin [...], je pose la question: «Mon Père, hier soir, après m'avoir dit bonsoir, vous avez parlé. J'ai aussi entendu d'autres voix... C'étaient les saints anges?» Il sourit et me répond: «Peut-être bien. Ils sont la consolation du soir.» [...] Dans la journée, à de nouvellesquestions queje lui pose, mon hôte me répond que j'ai entendu les voix de saint Gabriel et de son ange gardien. [...] « Ne dites un mot de ces choses queje n'ai passé le pont de l'au-delà. » Gabriel! L'archange Gabriel! Le plus haut placé dans la hiérarchie des cohortes célestes, avant Michel, Raphaël et quatre autres aux noms moins connus. Gabriel n'a pas l'habitude de se déplacer pour des vétilles. D'après les Écritures, c'est lui qui vint annoncer à la vierge Marie sa future maternité; d'après la tradition musulmane, c'est sous sa dictée que Mahomet écrivit le Coran. Maurice Magre s'est intéressé au récit de Paul Biver dans son livre les Interventions surnaturelles, concluant ainsi le chapitre sur "les anges du soir de l'abbé Lamy": « Une longue vie de désintéressement est la meilleure préparation pour obtenir ses merveilleux entretiens du soir et en tout cas avant de douter de leur réalité, il faudrait, pour juger sainement, avoir réalisé dans sa vie la même pureté qu'il avait réalisée dans la sienne.» Puis il enchaîne sur les anges d'Éliphas Lévi. Ne séparons pas Biver de son ami, le marquis La Font de Savine, Réginald, "si gentil, si plein d'attentions, si
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solarien", assidu comme lui chez Judith. C'est La Font de Savine qui assuma les frais de la plaque commémorative apposée sur l'immeuble de la rue Washington et continua à aider Suzanne, fort démunie, en lui achetant le diamant [skender, apporté à Judith par Mohsin Khan de la part du shah de Perse. Voici encore Zoltan de Havas de Guehmeure, aristocrate hongrois; présenté à Judith, chez les Pomairols, par le marquis d'Argenson, il s'empressa de lui raconter par quelle sorte de miracle il la connaissait d'avance, ses succès scolaires ayant été récompensés là-bas, dans son lointain pays, par des livres de prix signés Judith Gautier! À plusieurs reprises, il séjourna au Pré des Oiseaux. Toujours sensible à la jeune beauté et grâce viriles, Judith modela d'après lui un buste et un médaillon grandeur nature. Paul Biver fit somptueusement relier en un seul volume les trois tomes des Souvenirs de Judith Gautier, enrichis de quatrains inédits de l'auteur formant envoi. Judith lui offrit le manuscrit de son drame biblique Abisag, daté de mars 1912, écrit à la mémoire de Gustave Moreau (Catalogue Laget, No 69, 1987); il sera publié posthumement dans les Paifums de la pagode. Pour une raison qui nous reste obscure, après tant d'années d'amitié confiante, il y eut grande fâcherie de Maya contre Paul Biver en janvier 1917. Suzanne épousa si bien les griefs de Maya qu'elle ne le nomme qu'en passant dans Quinze Ans. .. Le Second Rang du collier, p. 182. RIMSKY -KORSAKOFF, princesse, née Barbe Mergasov, venue de SaintPétersbourg à Paris avec ses fils et son amant Wladimir Zweguintsef, décédée à Nice en 1877, la princesse*** de Judith. À la cimaise du Musée d'Orsay, le puéril visage de cette charmante évaporée, peint par Winterhalter en 1864, s'offre à notre examen. Tous les chroniqueurs de la fête impériale ont parlé d'elle. Voici le portrait qu'en trace Louis Sonolet
dans la Vieparisienne sous le Second Empire, au chapitre "les Reines d'élégance" : « Très grande, de formes pures et harmonieuses dans leur opulence, elle séduisait surtout par une admirable carnation, mais son visage aux superbes yeux noirs abrités par d'épais sourcils était déparé par un nez légèrement camard et une bouche trop lippue qui lui prêtait quelque chose du type Kalmouck. » Il poursuit: «Son origine véritable avait provoqué beaucoup de racontars. On n'avait jamais vu son mari à Paris. Il existait cependant et était authentiquement le petit-fils de ce général Korsakoff que Masséna avait battu à Zurich. Sa femme vivait loin de lui, d'une extraordinaire existence cosmopolite et elle semblait posséder le don d'ubiquité, car on la voyait dans la même saison à tous les bals de Vienne, Berlin, Pétersbourg et Paris.» Nous savons que, si son décolleté était fort alléchant, sa jambe n'était pas moins admirable, remarquée pour son agrément aux Tuileries, le 9 février 1863, où Barbe Dimitrievna parut en Salammbô, d'après l'héroïne de Flaubert, son travestissement préféré. Une autre fois, déshabillée de gaze verte, elle se fit applaudir en Mer agitée. (Ce n'est pas une coquille typographique!) On la vit encore, très sûre de sa plastique, en Vérité, costume peu onéreux mais qui scandalisa les dames. On la signale, l'été, avec la Cour, à Biarritz; Mérimée qui l'y coudoya en 1866 lui trouve "beaucoup de chien". (Lettre du 15 octobre à Mme de Beaulaincourt.) À Bayonne, elle a commandé, à ce que l'on raconte, « des cheveux d'un mètre vingt centimètres pour les faire sécher sur sa tête
après s'être baignée. » Des costumes de bain vraiment trop succincts lui attirent d'ailleurs une remontrance de l'impératrice. Elle a apporté quatre-vingt-quatre toilettes pour son mois; la voici aujourd'hui « en robe citron jaune et noir avec des bas bleus et un chapeau
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tourte...» Un clubman assure qu'elle se fait habiller par M. Worth en "Plaisir des hommes"... Nous savons aussi que l'empereur Napoléon III, dont la chair était faible, goûta quelques heures ou quelques jours, parmi tant d'autres expérimentations exotiques, à ce piquant et fantasque spécimen slave. S'imaginant alors tout permis, son audace crût à l'égal du "culot" de la Castiglione; comme celle-ci et à sa courte honte, elle se vit expulser des Tuileries où elle prétendait participer à une soirée officielle sans y avoir été invitée. Marie Bashkirtseff signale dans ses Carnets intimes, à la sortie de la messe du dimanche 27 mai 1877, accompagnée de son fils, «la fameuse Mme Rimsky-Korsakoff qui vient finir ses jours à Nice. » L'Odalisque à Paris parut pour la première fois dans la Liberté du 4 mai 1867. Le Second Rang du collier, p. 216-225. ROBELIN, Charles (v. 1796 - 1887). Bergerat relate les derniers moments de Théophile Gautier, le 23 octobre 1872 : « La seule personne en dehors de la famille qui assista à cette mort admirable fut un vieillard de soixante-seize ans, M. Charles Robelin, son plus vieil ami. Il tenait dans ses mains les mains refroidies du poëte, et, par une sorte d'instinct machinal, allait de temps en temps se réchauffer à la cheminée et revenait prendre les doigts du mort, comme s'il eût voulu suppléer à la chaleur qui les abandonnait.» Attachante personnalité que ce Robelin, à qui l'on ne peut reprocher qu'une admiration trop exclusive pour le style néo-gothique! Architecte - sous Louis XIII, un Robelin de ses ancêtres le précéda dans cette profession -, il contribua à la restauration de la basilique de Saint-Denis. En 1825, il avait été chargé, sous le contrôle de Ciceri, de la décoration intérieure de la cathédrale de Reims, pour le sacre de Charles X, puis Mgr de Rohan lui confia la restauration de la cathédrale de Besançon. Robelin se fait accompagner au départ par le jeune peintre Louis Boulanger et propose aussi le voyage au grand ami de Louis, Sainte-Beuve. Le trio visite la Bourgogne avant de se séparer en Franche-Comté. L'année suivante, à Paris, le jeune poète vaudois, Juste Olivier, vient rendre visite à Sainte-Beuve qui lui parle de leur visite de Dijon. « J'étais avec Boulanger et un architecte, Robelin. Ce dernier surtout était très-hardi. Il entrait dans les allées... je n'aurais jamais osé. Il s'introduisit dans une, aperçut quelque chose et nous appela: "Hé! hé ! voici quelque chose !" et Boulanger se mit à copier. .. » Robelin, aimable et gai, le regard malicieux, fut tout mêlé à l'effervescente jeunesse du Cénacle patronné par Victor Hugo et devint la providence des amis qu'il conservera toute sa vie. À Neuilly, dans le pavillon à tourelles qu'il s'était fait construire rue Saint-James, il reçoit beaucoup: Mme Hugo - elle invite chez lui et fait son portrait -, Charles Hugo avec Boulanger, Devéria, Vacquerie, les Gautier, les Dumas père et fils... Toujours serviable, d'une inlassable complaisance, il prête non seulement son argenterie et ses verres - « Si vous aviez des couteaux, ils ne seraient pas de trop », ajoute Mme Hugo à une requête de ce genre - mais aussi de l'argent, beaucoup d'argent parfois, à Hugo notamment qui ne s'acquitte pas volontiers de ses dettes. Notre-Dame de Paris a bénéficié de l'aide technique de Robelin. Autre solliciteur, Dumas père. Avec Boulanger, Robelin a été témoin de son mariage religieux en l'église Saint-Roch, le 5 février 1840, avec Ida Ferrier, légitimation qui parut bizarre après plusieurs années d'une liaison houleuse dont le vaillant trousseur de jupons se déclarait excédé; interrogé sur cette apparente incohérence, Dumas répondit, à ce que raconta René Luguet: «Mon cher, c'est pour m'en débarrasser!»
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Claudin rapporte une anecdote probablement controuvée, mais si bien dans la manière du mélancolique Vicomte qu'on la souhaite authentique. Chateaubriand, aux côtés de Villemain, alors ministre de l'Instruction publique, signa le contrat de mariage; considérant tristement Ida « qui avait des choses considérables à mettre dans son corset - : Voyez, ditil à Roger [de Beauvoir], ma destinée ne change pas et, en ce moment, tout ce que je bénis tombe.» Ce charmant Roger, il fit, dit-on, cocu, très vite, l'ami Dumas. Vingt ans plus tard, en 1860, Alexandre Dumas père, alors tout à son aventure garibaldienne, prie par lettre son vieux Robelin de lui trouver un petit appartement garni pour Émilie Cordier, enceinte de ses œuvres. Judith - Mme Mendès - ne se fait pas faute non plus de recourir à Robelin et sur un ton bien désinvolte! Après lui avoir demandé de porter un paquet de copies à Houssaye pour la Revue du X/Xe siècle - elle est alors en villégiature à Barbizon -, elle ajoute: «Faites ma commission le plus tôt possible et renvoyez-moi par le retour du courrier le manuscrit ou l'argent en un bon sur la poste.» Il est aussi question d'un manteau: « ... qu'on me l'envoie par le chemin de fer ou apportez-le vous-même. Bien à vous.» (Lettre reproduite dans le Bulletin de la Société Théophile Gautier, No 3, 1981.) On ne peut s'empêcher de trouver une relation de cause à effet entre ces lignes du Journal de Cosima von Bülow recevant Catulle et Judith à Tribschen, le 16 juillet 1869: «Le soir, nous avons la famille Mendès (M. Villiers [de l'Isle-Adam] est également présent). Cette famille est très étrange, si mal élevée que j'en suis gênée, mais en même temps, ils sont si gentils. .. » et cette remarque, tendrement admirative, de Théo parlant de sa fille aînée à Goncourt: «On l'a élevée comme un petit chien qu'on laisse courir sur la table... » (Journal, 7 février 1872.) À l'appui de tels propos, ces lignes, encore, d'Eugénie Fort, la Tatitata de notre turbulent Ouragan, dans son Journal, le 7 janvier 1857: «Judith a passé la journée avec moi. J'ai été étonnée de l'ignorance de cette fille de douze ans bientôt. Quelle mauvaise tenue, quelle tournure, mal peignée, mal habillée, elle a le sinisme [sic] de la famille, j'aime autant qu'elle ne soit pas à moi. Du reste, intelligente, mais sans principe, sans direction. Pauvre enfant!» Ruiné par la guerre de 1870 qui le prive du loyer de ses nombreux immeubles à Paris et ailleurs, réduit à une situation critique, Robelin se vit «contraint de demander secours à Victor Hugo, à qui il était si souvent venu en aide autrefois! nous dit M.-P. Boyé dans la Mêlée romantique. La chose paraissait naturelle. Mais le dieu qui avait perdu la mémoire répondit à son compagnon de toujours: "Vos embarras ne sont rien près des miens." » Robelin finira ses jours entre sa fille Berthe, son gendre, le colonel Cazotte, et ses trois petites-filles. Le Second Rang du collier, p. 48, 191, 208, 232, 305, 306. ROBERT-HOUDIN, Jean-Eugène Robert, dit (1805-1871). Il naquit à Blois d'un horloger qui souhaitait faire de son fils un notaire, mais Jean-Eugène, suivant son irrésistible vocation, devint un savant et un artiste expert en horlogerie, en mécanique, en électricité. Illusionniste hors de pair, rénovateur de l'escamotage et de la prestidigitation, on le considère comme le promoteur de la "magie" moderne. "Monté" à Paris en 1830, il s'y installe et épouse Cécile-Églantine Houdin dont il accole le patronyme au sien pour créer le pseudonyme sous lequel il se fait connaître, et il travaille à inventer des boîtes à musique, des jouets animés et toutes sortes de dispositifs mécaniques auxquels s'intéressent les ingénieurs. En 1845, il ouvre au Il, rue de Valois (une plaque commémorative y est
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apposée), le Théâtre des Soirées Fantastiques où, en costume bourgeois, sans effets faciles, sans esbroufe, il stupéfie l'assistance par ses tours de passe-passe et la présentation d'automates comme son Voltigeur au trapèze, petite merveille de mécanique qui fonctionne encore de nos jours. En Allemagne comme à Buckingham Palace devant la reine Victoria, il connaît les succès les plus flatteurs. Aux Expositions universelles de 1839, 1844, 1855 et 1859, des médailles récompensent ses ingénieuses machines. En 1853, il se retire près de Blois, sur la rive gauche de la Loire, et fait du Prieuré Saint-Germain une demeure et un parc enchantés, entièrement truffés de... disons de gadgets électriques au point que les bonnes gens du pays, éberlués, effrayés, l'accusèrent de sorcellerie. À l'instigation du maréchal Randon, le gouvernement, en 1856, le chargea d'aller se mesurer, en Algérie, sur leur propre terrain, avec les sorciers arabes, très hostiles aux Français; Robert -Houdin y réussit à souhait, au point de passer lui-même pour un marabout aux yeux des indigènes. Au retour de cette périlleuse mission, il rédige ses Confidences d'un prestidigitateur (1858), puis les Tricheries des grecs dévoilées (1861) et les Secrets de la prestidigitation (1868). La lecture de ces livres décida de la carrière prodigieuse d'un jeune serrurier américain, Ehrich Weiss, qui devint le fameux "Roi de l'évasion" sous le nom de Harry Houdini, choisi en hommage à son illustre devancier ès-magie et en guise de porte-bonheur. Georges Méliès (1861-1938), illusionniste habile à l'imagination fertile, s'étant rendu acquéreur en 1888 du Théâtre Robert-Houdin, 8, boulevard des Italiens, y présentait des spectacles de magie. Il se trouvait là, au cœur même de la capitale, dans le voisinage du Grand Café, 14, boulevard des Capucines, où eut lieu, au sous-sol dans une petite salle prétentieusement appelée Salon Indien, le 28 décembre 1895, devant trente-cinq spectateurs médusés, la grande première publique du Cinématographe Lumière, dix films de deux minutes chacun. Méliès, invité la veille à une séance privée avec une poignée de savants, de professeurs et de photographes, comprit sur-le-champ l'importance de la nouvelle invention; les frères Lumière refusant de lui vendre leur appareil, il parvint, bricoleur de génie, à fabriquer son propre matériel et commença à produire de courtes bandes cinématographiques, tournées soit en extérieur, soit chez lui, à Montreuil, dans un studio construit pour les besoins de la cause, et projetés sur la scène exiguë du théâtre Robert-Houdin dans l'intervalle des spectacles de magie. Avec sa seconde femme, Jehanne d'Alcy, il en était le principal acteur. Méliès: «On a souvent dit de moi: "Prestidigitateur émérite, il obtint en joignant la prestidigitation à la cinématographie des vues fantastiques très personnelles." Or je n'empruntai guère à la prestidigitation que la tenue, les attitudes, la netteté du mouvement, la sûreté de main, la précision des repérages. Je fis appel à des moyens qui peuvent se répartir en six grandes classes: les trucs par arrêt, les truquages photographiques, les trucs de machinerie théâtrale, les trucs de prestidigitation, les trucs de pyrotechnie, les trucs de chimie.» Cité par René Jeanne et Charles Ford dans leur Histoire encyclopédique du cinéma; ils notent qu'un seul homme parmi tous les sceptiques avait entrevu l'avenir radieux du cinématographe: «Armand Silvestre qui, à peine sorti du sous-sol du Grand Café, l'avait répandue [cette nouvelle] dans les salles de rédaction et les cafés du Boulevard. Mais Armand Silvestre était
poète: les cafés et les salles de rédaction [...] avaient souri à ses vaticinations... » Le cinématographe, que l'on croyait tout juste bon à agrémenter quelques fêtes foraines, "explosa" avec la violence que l'on sait. Floué, volé, dépouillé après un désastreux voyage aux États-Unis, Méliès, roi de la fantasmagorie, créateur de rêve, pionnier du VIle Art auquel nul mécène ne songea à tendre une main secourable, du reste piètre homme d'affaires,
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gagna chichement le pain de ses vieux jours en vendant ballons, hélices en Celluloïd, sucettes et rubans de réglisse aux jeunes voyageurs de la gare Montparnasse où sa femme avait ouvert une petite boutique qu'elle tînt de 1922 à 1932. Les heurs et malheurs de Méliès l'enchanteur ont été racontés avec beaucoup de tendresse par sa petite-fille Madeleine Malthête-Méliès qui vécut auprès de lui une grande partie de sa jeunesse. La cinématographie, cependant, progressait à pas de géant dès les premières années du XXe siècle. En France, le nom des frères Pathé, de Léon Gaumont entrait dans l'histoire des techniques novatrices. Un jour de 1911, Judith se fait conduire, en voiture automobile de louage par son chauffeur habituel Maurice, au Kinemacolor pour y voir "l'Apothéose de l'Empire des Indes". « Photos en couleur animées, cinéma dont les films ne sont pas peints après coup, écrit Suzanne Meyer. Fêtes du Couronnement, le roi [Georges V], la reine [Mary], défilés fantastiques, chars gigantesques tirés par des éléphants aux harnais somptueux, chameaux, chevaux par milliers... L'on revit entièrement la Conquête du Paradis. L'illusion de se promener dans les Indes est vraiment complète. Maya n'a pas été étonnée, car tout cela elle l'avait vu dans son imagination.» En 1913, Judith / Maya coiffe d'une préface l'Inde éblouie, réédition de la Conquête du Paradis. C'est toujours avec une amère rancœurque l'on se redit que si le colossal empire des Indes appartient aujourd'hui à l'Angleterre au lieu d'appartenir à la France, c'est par la faute, la très grande faute de Louis XV et de ses ministres, qui l'ont pour ainsi dire refusé, quand, par ignorance, méfiance et avarice, ils ont disgracié le grand Français qui, le premier, avait formé le projet grandiose de donner l'Inde à son pays. Les Anglais ont de tout temps rendujustice à Dupleix et proclamé ses mérites et son héroïsme; ils reconnaissent qu'ils n'ont fait, eux, que reprendre son projet - ils ont prouvé qu'il était bon, - et que, si Dupleix n'avait pas été brisé par ceux qui devaient le soutenir, au moment où il touchait au succès, c'est la France qui serait aujourd'huimaîtresse de l'Inde. [...] On sait à peine les noms du marquisde Bussy Castelnau, du major de La Touche, du comte d'Auteuil, du chevalier de Kerjean, qui exécutaient la pensée de Dupleix avec tant de dévouement et d'ardeur; ils méritaient cependant, mieux que beaucoup d'autres plus célèbres, de n'être pas oubliés. L'histoire de cette grande aventure française, dans ce pays plein de merveilles et de crimes, où Musulmans, Hindous et Européens sont aux prises, est tellement mouvementée, dramatiqueet brillante, queje n'ai eu qu'à la prendretoute vive pour former le plus romanesque des romans. [...] [...] Le présent livre se termineau moment où la gloire et la puissance françaises sont à leur apogée,où l'Inde éblouie, charméeet subjuguéepar la valeur, la générosité et la grandeur de ceux qui représentaientla France, était prête à se donner fraternellementà Elle. Passionnée par son héros, Judith Gautier avait publié en 1912 Dupleix. Pages d'histoire (Vincennes, les Arts Graphiques), récit, à l'usage des enfants, de la vie aventureuse du gouverneur des établissements français de l'Inde, le grand rival de La Bourdonnais. Une édition illustrée parut à Londres l'année suivante. Mme Richardson, la biographe anglaise de Judith, qualifie cette œuvrette de "récit fervent et chauvin" ; les sentiments patriotiques de la fille de Théophile y paraissent, certes, d'une évidence à crever les yeux! Elle partageait cet intérêt pour notre aventure coloniale avec le créole de l'océan Indien, Leconte de Lisle, qui, dans l'Indefrançaise, article paru en 1857, faisait déjà l'éloge de Dupleix et du marquis de Bussy, blâmait Lally- Tollendal, critiquait violemment les Anglais, le gouvernement de Louis XV et la Compagnie des Indes. Judith écrivait un jour à l'auteur d'une critique de la
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Conquête du Paradis ces lignes témoins du sérieux avec lequel elle documentait ses fictions historiques: « Les petites querelles, dont vous me menacez, m'inquiètent un peu, car elles me donnent à penser que vous croyez, peut-être, que j'ai écrit légèrement, quand, au contraire, j'ai étudié, pendant près de sept années, cette histoire si compliquée, avant de la débrouiller...» (Catalogue Librairie Saffroy, No 1856, juillet 1984.) Le 28 décembre 1881, une lettre de Cosima Wagner à Judith confirme ces longues recherches préalables à l'écriture du roman: « J'apprends, lui disait-elle, que vous êtes dans les Indes. » Le Second Rang du collier, p. 186. Rodolfo. Voyez BAZIN, Adolphe. Roman de la momie (le). Publié en 1858, il débute par ces lignes: «M. Ernest Feydeau, Je vous dédie ce livre, qui vous revient de droit; en m'ouvrant votre érudition et votre bibliothèque, vous m'avez fait croire que j'étais savant et que je connaissais assez l'antique Égypte pour la décrire; sur vos pas je me suis promené dans les temples, dans les palais, dans les hypogées, dans la cité vivante et dans la cité morte; vous avez soulevé devant moi le voile de la mystérieuse Isis et ressuscité une gigantesque civilisation disparue. L'histoire est de vous, le roman est de moi; je n'ai eu qu'à réunir par mon style, comme par un ciment de mosaïque, les pierres précieuses que vous apportiez. » Ernest Feydeau, en collaboration avec son frère Alfred, publia, de 1856 à 1858, Histoire des usages funéraires et des sépultures des peuples anciens, ouvrage paru en vingt-deux livraisons. De la première de ces livraisons, consacrée à l'Égypte, Gautier fit une élogieuse critique dans le Moniteur et s'en inspira pour inventer l'histoire de la belle Tahoser, la fille du grand-prêtre Pétamounoph, reine d'Égypte après la mort de Pharaon, noyé dans les eaux de la mer des Algues, refermées sur lui et sur son armée alors qu'il poursuivait les Hébreux en fuite sous la conduite de Mosché (Moïse). Enregistrons ce satisfecit de Georges Clairin, touriste heureux en Égypte au cours de l'année 1895: «J'avais emporté le plus beau livre de Gautier, ce Roman de la momie, qui est magnifique et charmant. Je le fis lire à mes amis égyptologues; et ils me dirent que c'était remarquable d'exactitude. Non seulement on y trouvait la vérité connue à l'époque où écrivait Gautier; mais encore les découvertes ultérieures n'avaient rien révélé qui le contredît. Moi, peintre, je vérifiais la justesse de la couleur, les paysages authentiques... » Et Clairin d'applaudir au don miraculeux d'évocation que Théo léguera à sa fille. Relisons ce Camée de Banville, daté de 1868, au temps où l'ami Nadar rendait lui aussi hommage, par la photographie, à la triomphante beauté de Judith Walter: Voyez comme les nobles lignes de ce visage primitif, auquelnos yeux rêvent les bandelettes sacrées, ressemblent à celles des plus purs bas-reliefs d'Égine! La ligne du nez continue celle du front, comme aux âges heureux où les divinités marchaientsur la terre, car il a été donné au poète que ses filles fussent véritablement créées et modelées à l'image de sa pensée. Les cheveux noirs sont légèrement frisottants et crespelés, ce qui leur donne l'air ébouriffé; le teint d'un brun mat, les dents blanches, petites et espacées, les lèvres pourprées d'un rouge de corail, les yeux petits et un peu enfoncés, mais très-vifs, et qui prennent l'air malin quandle Rire les éclaire, les narines ouvertes, les sourcils fins et droits, l'oreille exquise, le col un peu fort et très-bien attaché, sont d'une sphynge
tranquille et divine, ou d'une guerrière de
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Thyatire, dont la beauté simple, accomplie et idéalement parfaite ne peut fournir aucun thème d'illustration aux dessinateurs de La Comédie Humaine. Telle fut sans doute aussi cette mystérieuseTahoser, que le poète nous montre coiffée d'un casque formé par une pintade aux ailes déployées, et portant sur la poitrine un pectoral composé de rangs d'émaux, de perles d'or et de grains de cornaline. Étrange ajustement adopté par Judith, en Cléopâtre, chez Juliette Adam, le 20 février 1887. L'arrière-petit-fils de cette dernière, M. Jean-Pierre Fourneau, nous a montré une image, malheureusement très pâlie, de Judith photographiée par Nadar à cette occasion. D'après une épreuve de cette photo interprétée par Gaston Vuillier, le Monde illustré du 19 mai 1888 publia un agrandissement de la tête de Judith où sont mis en valeur les détails de la parure inspirée du Roman de la momie. Dans Une nuit de Cléopâtre, nouvelle parue dans la Presse en 1838, où l'on voit le jeune pêcheur Meïamoun, version africaine de Ruy BIas, le héros œ Victor Hugo, "ver de terre amoureux d'une étoile", payer de sa vie quelques heures d'un bonheur fallacieux aux côtés de la reine d'Égypte, Théophile coiffait d'un épervier l'envoûtante séductrice. Léon Bakst, le décorateur génial des Ballets russes de Diaghilev, eut une autre idée. Lorsque, le 2 juin 1909, sur le plateau du théâtre du Châtelet, on démaillota la reine Cléopâtre de ses douze voiles impalpables, l'assistance haletante d'une curiosité longuement attisée par la presse découvrit Mme Ida Rubinstein, hiératique, en équilibre instable sur de hauts patins. «Elle portait une petite perruque bleue avec, à droite et à gauche du visage, une courte natte d'or. » (Jean Cocteau.) «Tout son corps, y compris le visage et les mains, était couvert d'une peinture vert turquoise clair qui rehaussait le côté décoratif de sa composition.» (Bronislava Nijinska.) «Ce qui me ravit, c'est la ressemblance de la Reine d'Égypte avec la Reine de Saba de la Tentation, dont elle porte merveilleusement les cheveux poudrés de poudre bleue.» (Robert de Montesquiou.) « La séduction aiguë et cruelle de son visage, sous sa chevelure bleue, la hardiesse et l'ingéniosité de ses draperies transparentes, ses attitudes, ses ondulations, son être tout entier, dégagent une sorte de magie et composent un ensemble de beauté à la fois traditionnelle et morbide qui fascine, qui hante le souvenir et dont on ne trouverait peut-être l'équivalent que dans certaines pages de la Tentation de Saint-Antoine. » (Reynaldo Hahn.) Gautier et Flaubert unis encore, dans la mémoire des spectateurs, par le miracle de l'Art! Nous empruntons ces citations à Jacques Depaulis, auteur d'une récente et remarquable biographie d'Ida Rubinstein, personnalité fascinante demeurée énigmatique à bien des égards. En ce jour tant attendu de la première de Cléopâtre, Judith faisait-elle partie du public enfiévré, elle qui verra souvent la richissime et mécène danseuse russe en compagnie de Montesquiou, son cicerone attitré dans le monde des salons? Nous le supposerons avec vraisemblance. En mai 1911, Ida tient la vedette dans le Martyre de saint Sébastien, texte de Gabriele D'Annunzio - il est fou des longues jambes de son interprète -, musique de Claude Debussy. Quelques mois plus tard, elle écrit au comte Robert: « J'aurais bien voulu jouer Mademoiselle de Maupin le printemps prochain, en même temps que Salomé [d'Oscar Wilde]. Je sais que cette idée vous est chère (elle est la vôtre) et je suis sûre que vous voudrez bien m'aider à la réalisation. Comment faire pour éviter Mme Gauthier [sic] et confier l'œuvre à Bataille?...» (50ctobre 1911.) Embarrassé sans doute, Montesquiou consulte Bergerat qui s'étonne à bon droit: « Il me paraît aventureux d'oser produire une Maupin théâtralisée et saccagée sous le lustre, une Maupin de Gautier sans Gautier. ..» et suggère, naturellement, de recourir à sa belle-sœur. «Le projet va échouer », conclut M. Depaulis
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qui a exhumé cette bizarre correspondance. Notons que l'exubérant roman de Gautier à la célèbre préface, datée de mai 1834 - manifeste de ses théories de l'art pour l'art basées sur une éthique et une esthétique toutes païennes - inspira, entre autres curiosités, au cinéaste Mauro Bolognini le Chevalier de Maupin (1965), film italo-franco-hispano-yougoslave où se produisit Robert Hossein. Et que Victor Massé, l'auteur charmant des Noces de Jeannette, composa, sur un livret de Jules Barbier d'après Théophile Gautier, Une Nuit de Cléopâtre créée le 25 avril 1885 sur la scène de l'Opéra-Comique. Les ballettomanes de la Russie tsariste connaissaient à merveille les possibilités scéniques des œuvres de Gautier. Dès l'année 1842, Giselle avait été donnée à Saint-Pétersbourg. Dans la même ville, en 1862, création de la Fille du Pharaon, d'après le Roman de la momie, sur un argument de J. SaintGeorges et M. Petipa, musique de C. Pugni, chorégraphie de M. Petipa. Et nous ne saurions oublier qu'en 1909, la Première des Saisons russes à Paris débuta avec le Pavillon d'Armide, drame chorégraphique inspiré d'Omphale, histoire rococo, conte que Théophile écrivit en 1834 dans le registre onirique qu'il affectionnait. Le livret était d'Alexandre Benois, la musique de Nicolas Tcherepnine, la chorégraphie, les costumes, la mise en scène de Mikaïl Fokine. À la répétition générale du 18 mai, sur la scène du Châtelet, devant un public des plus brillants - la fine fleur parisienne -, Tamara Karsavina incarnait la sémillante marquise du XVIIIe siècle descendue de sa tapisserie pour séduire le timide jouvenceau personnifié par Michel Mordkine. Nijinski jouait le rôle de l'esclave d'Armide. Proust était dans la salle; il nota: «Célèbre et génial danseur [.. .J, jeune fou au visage pastellisé, au regard en extase [.. .J, je restais ébloui - ainsi que je l'aurais fait devant un papillon égaré au milieu d'une foule - à suivre des yeux dans l'air les arabesques qu'y traçait sa grâce naturelle, ailée, capricieuse et multicolore. » (Cahier 39, cité en introduction au Journal de Nijinski, Gallimard.) Deux ans plus tôt, en 1907, au théâtre Mariinky de SaintPétersbourg, Nijinski avait déjà dansé le Pavillon d'Armide avec une partenaire promise à tous les succès internationaux au cours de son éblouissante carrière de prima ballerina assoluta, la délicieuse, l'incomparable Anna Pavlova. Le Collier des jours, p. 243-245, 262-263. Ronde des Porcherons (la). Ce morceau est extrait d'un gracieux opéra-comique en trois actes, les Porcherons, musique d'Albert Grisar sur un livret de Thomas Sauvage et Lurieu, qui fut représenté en janvier 1850 sur la scène de l'Opéra-Comique. Mlle Darcier y fit un triomphe; elle chantait adorablement, paraît-il, "l'amant qui vous implore..." Dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle, la belle société allait s'encanailler aux Porcherons, faubourg parisien, vaste plaine maraîchère fort peu construite encore, où abondaient les guinguettes. Sur l'air "L'aut'jour à Fanchon, j'dis: ma fille.. .", le chansonnier Desaugiers, abusivement assis par Arsène Houssaye dans le quarante et unième fauteuil de l'Académie française, célébra les restaurants fameux du quartier: L'on m'a dit qu'au Rocher d'Cancale, L's Épicuriens mangiont, buviont Et chantiont; Puisquej'somm'un tas d'bouff la balle, Dans ces Porch'rons Si fameux en lurons,
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Au Pied d'Cochon d'main j'les installe... Oui, nom d'un chien! J'veux t'être épicurien. On a gardé aussi le souvenir du cabaret Ramponneau, ex-Grande-Pinte, du nom de son habile et jovial patron, qui pouvait traiter jusqu'à six cents clients dans ses immenses salles: C'est là qu'un robuste plaisir N'a jamais le temps de languir. Ton bruyant, gros ris, cris et tapage, Sauts, lippées et grand bavardage, La chanson et le quolibet, Les tons aigus du coup d'archet, De vinot le pot ou la pinte Que l'on vide là sans contrainte, Tout cet ensemble divertit Qui n'a souvent sol ni crédit. Les Porcherons, Chant VII. Les impures de haut vol s'exposaient à y coudoyer non seulement des consœurs moins chanceuses mais aussi les habitués du menu peuple, d'où ce couplet d'époque: C'qui doit apprendre à ben des filles Qui vont chez Ramponneau pour faire les gentilles À n'pas mépriser les p'tites gens De peur d'y rencontrer leurs parents. Ce cabaret disparut en 1851. Le décor avait déjà prodigieusement changé, l'urbanisation allait bon train. En 1836, l'église Notre-Dame-de-Lorette est achevée. À l'ouest, à peu de distance, on commence à construire l'église de la Trinité; les premiers travaux datent de 1863, elle est terminée en 1867. Dans ce quartier neuf s'agglutinent étudiants, poètes, artistes en devenir, toute une population masculine plus ou moins désargentée heureuse d'y trouver, avec des loyers à bon marché, abondance de jeunes personnes d'humeur enjouée, baptisées lorettes par un Nestor Roqueplan heureusement inspiré... La lorette à l'âge de l'insouciance, avant qu'elle ne tombe trop souvent, hélas! dans la prostitution de trottoir, la lorette si bien croquée par Gavarni, si bien chantée par Gustave N adaud : Oiseau volage, Sur mon passage, À chaque fleur j'arrête mes désirs; Et puis frivole, Mon cœur s'envole. ............................................
Je suis coquette, Je suis lorette... L'ancienne rue des Porcherons porte maintenant le nom de rue Saint-Lazare.
Le Collier des jours, p. 187, 218-220. ROSSINI, Gioacchino (Pesaro 1792 - Paris 1868). Dans l'œuvre considérable du fils illustrissime de pauvres musiciens ambulants, fixons quelques jalons: l'Italienne à Alger (1813), le Barbier de Séville (1816), Othello ou le Maure de Venise (1816), la Pie voleuse
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(1817), Sémiramis (1823), Moïse (1827), le Comte Ory (1828), Guillaume Tell (1829), Petite Messe solennelle (1864), et faisons la part de la pétulance, de l'arrogance juvéniles de Judith jetant l'anathème sur la musique italienne et le bel canto incarnés en Rossini - tout l'opposé à tous égards de Wagner qui prétendait ne voir en lui qu'un "gros épicier farci de mortadelle" - et, d'ailleurs, représentés à domicile par Ernesta Grisi, une mère à l'autorité et à la violence mal supportées. Depuis 1857, "le Cygne de Pesaro" et sa seconde femme, Olympe Pélissier, épousée en 1846 après la mort d'Isabelle Colbran, étaient installés à Paris, 2, rue de la Chaussée d'Antin, où logèrent également à cette époque Winterhalter et les grands-parents de Jean Cocteau. «Rossini, raconte celui-ci dans Portraits-Souvenir, terrifiait ma mère. Mon grand-père la poussait le matin dans sa chambre à coucher, porteuse d'un panier d'œufs. Sur le piano, elle apercevait une suite de perruques destinées à l'œuf monumental qui émergeait des couvertures et des édredons. Ces perruques, en haut des supports, allaient de la chevelure courte à la chevelure longue. Le maître les portait les unes après les autres jusqu'à la visite fictive du coiffeur. » Rossini avait ensuite choisi rue de la Pompe, à Passy, parce qu'il avait la forme d'un piano à queue, un terrain sur lequel il fit construire une agréable villa. Dès le printemps venu, à partir de 1863, le couple s'y installait. À Paris comme à Passy, le samedi était jour de réception pour les vieux et les nouveaux amis: Alexandre Dumas père, Méry, Delacroix, Gustave Doré (il dessina Rossini sur son lit de mort), Pillet-Will le banquier, les Auber, Meyerbeer, Verdi, Liszt, Gounod, des prime donne, des ballerines, Mario, ..., tant d'autres, tous! On s'écrasait ces jours-là pour goûter la conversation si spirituelle du maestro aux réparties fameuses. «J'avais de la facilité, j'aurais pu arriver à quelque chose.» Son étrange requête d'un couplet permettant d'orchestrer la "tendresse militaire" illustre l'humeur badine de Rossini en ses vieux jours, après de longues périodes dominées par des troubles nerveux. «Rossini était doué pour la musique patriotique, écrit drôlement lord Derwent, quand il était d'humeur à en faire et qu'elle n'était pas commandée exprès », à preuve le facétieux Canon antisavant à 3 voix sur
un rythme martial dédié « Aux Turcos par le Singe de Pesaro» et l'Hymne à Napoléon III avec accompagnement à Grand Orchestre et Musique Militaire. Les sujets d'inspiration les plus insolites pour ne pas dire farfelus excitaient la verve du malicieux Italien, tel cet Hallali du faisan, chanté par les chœurs de l'Opéra de Paris qu'il dirigea lui-même au soir d'une journée de chasse à tir, le 16 décembre 1862, à Ferrières, près de Meaux, chez son ami le baron James de Rothschild, auquel l'empereur - un excellent fusil - faisait l'honneur d'une visite. En cette circonstance cynégétique, Napoléon III était vêtu d'un "costume de couleur sombre et ressemblant pour la forme au costume national breton". Le tableau de l'après-midi se monta à mille deux cent trente et une pièces! Aux funérailles de Rossini, commandeur de la Légion d'honneur, en l'église de La Trinité, Mmes Marietta Alboni, Adelina Patti, Christine Nilsson et Gabrielle Kraus chantèrent ensemble son Stabat mater, triomphalement créé à Paris en 1842. Ce même jour, au Duomo de Florence, Giulia Grisi, Mario et Graziani exécutèrent aussi le Stabat en hommage à leur vieux maître et ami très cher. Les cendres de Rossini ont été transférées en 1887 du Père-Lachaise à l'église Santa Croce de Florence. «J'ai délibéré, avait écrit Rossini dans son testament, de laisser à la France, de qui j'eus un si favorable accueil, le témoignage de ma reconnaissance et du désir de voir perfectionner un art auquel j'ai consacré ma vie. » - « De sa ville natale de Pesaro il faisait son héritière, à charge de fonder un conservatoire de musique et de faire construire à Paris une maison de retraite pour recueillir les déshérités et les invalides de l'Art, français et
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italiens. La Villa Rossini, située 5, rue Mirabeau, à Auteuil, dans l'enclos de l'institution Sainte-Périne, existe toujours.» (Olivier Merlin, Quand le Bel Canto régnait sur le Boulevard.) Autre preuve de cette reconnaissance, ainsi décrite dans une publication de l'Institut de France: « M. Rossini a légué à l'Académie une rente de six mille francs pour la fondation de deux prix de trois mille francs chacun, à décerner à la suite d'un concours entre artistes français, le premier à l'auteur d'une composition de musique lyrique ou religieuse, le second à l'auteur de l'œuvre poétique destinée à être mise en musique, avec les conditions ci-après: "L'auteur de la composition de musique lyrique ou religieuse devra s'attacher principalement à la mélodie. L'auteur des paroles sur lesquelles devra s'appliquer la musique et y être parfaitement appropriée devra observer les lois de la morale." L'Académie, dans la séance du 14 janvier 1888, a choisi la pièce de poésie intitulée les Noces de Fingal, par Mme Judith Gautier.» Admirons la clause de sauvegarde dressée par le vertueux Rossini contre les égarements et dépravations des futurs "paroliers" ! Judith - elle recueillit plus tard les Noces. .. dans son volume Poésies - partagea le prix avec le compositeur BlasMarie Colomer retenu le 1er juin 1889, par la section musicale de l'Académie des BeauxArts, pour sa partition sur ce libretto lyrique en trois parties. Les amoureux du bel canto ne sont pas les seuls à vénérer la mémoire du maestro. Les gourmets doivent à ce sybarite la recette somptueuse du Tournedos Rossini: filet de bœuf sur canapé, truffes et foie gras. Gastronome averti, Rossini donnait volontiers des consultations d'ordre culinaire et diététique. À une dame anxieuse d'apprendre comment neutraliser les relents de l'oignon après un repas de haut goût, il répond: «Eh bien, mangez de l'ail, chère amie!» Nous avons nommé les deux épouses du maestro; on aimera peut-être trouver ici quelques renseignements sur ces belles qui captivèrent son cœur au point de les lier aussi intimement à sa vie. Isabella Colbran, cantatrice espagnole, née à Madrid le 2 février 1785, débute au concert à Paris en 1801, cinq ans plus tard en Espagne. Sa voix de soprano colorature dramatique, d'une exceptionnelle étendue, la fait ovationner en Italie. À Milan, en 1808, le remuant impresario Barbaja la remarque, s'éprend d'elle, la fait engager au théâtre San Carlo: elle en sera pendant une décade la grande prima donna. Rossini, amoureux de son interprète favorite, la souffle à Barbaja ; le 16 mars 1822, elle devient la femme légitime violente et terriblement dispendieuse - du compositeur qu'elle suit à Paris; elle abandonne la scène dès 1824, sentant défaillir ses moyens vocaux. En 1837, séparation légale du couple. La Colbran se retire alors à Bologne, où elle meurt le 7 octobre 1845. Quant à Olympe Pélissier, elle n'est pas une artiste, mais une femme entretenue, très chèrement entretenue. En 1830, Eugène Sue était alors, écrit Mirecourt cité par Jean-Louis Bory, « le Périclès d'une Aspasie fameuse, aussi charmante que spirituelle, douée d'une éducation parfaite et d'une science du calcul extrême. Beaucoup d'élégants personnages de la Restauration les plus nobles et les plus riches ont pavé d'or le boudoir de cette beauté
mathématique. » À Paris, 23, rue de La Rochefoucauld,à Ville-d'Avrayl'été, elle tient salon. Balzac y paraît, qui n'a pas encore conquis la renommée; on raconte qu'il est tombé amoureux, qu'il a proposé le mariage, qu'il a été sèchement repoussé, ce dont il se vengera dans la Peau de chagrin en décrivant l'antipathique comtesse Fœdera, "femme sans cœur". Aux yeux d'Olympe, Horace Vernet a plus de charmes que Balzac; il peindra sa maîtresse sous les traits de la Judith de Judith et Holopherne, toile exposée au Salon de 1831. Et voici Rossini, excellent ami de Sue comme il était excellent ami de Barbaja, qui s'attire à son tour les bonnes grâces d'Olympe. Proie tentante pour cette personne avisée, elle saura le
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capter et le retenir jusqu'au conjungo. «Elle était économe et très bonne ménagère... [il] trouva la paix dans la société de cette femme qui n'était plus attrayante, qui avait elle aussi un passé et qui connaissait le prix de la tranquillité. » (Derwent, Rossini.) Jusqu'à la fin, Rossini lui témoigna une affection constante, non exempte de rosserie occasionnelle comme lorsqu'il comparait l'important appendice nasal de sa moitié à "une tour épargnée par le temps et dressée au milieu des ruines". Après Balzac, Sue se vengera d'Olympe en faisant d'elle la Sarah Mac Gregor des Mystères de Paris... représailles posthumes d'hommes de lettres! Le Second Rang du collier, p. 122-124. ROTHSCHILD. D'excellentes relations s'établirent ainsi et se poursuivirent entre le puissant financier israélite James de Rothschild (Francfort-sur-le-Main 1792 - Paris 1868), consul général d'Autriche à Paris, fondateur de la maison de banque française, et le poète qui rêvait sans espoir de lui acheter l'aimable île de Puteaux; Gautier ne vécut pas assez pour contempler le désastre: en 1882, l'implantation des usines De Dion ruina totalement son aspect gracieux de jardin parsemé de "folies". Lorsque Théo, affaibli par le souci et les privations de la guerre de 70, subit les premières attaques violentes de sa maladie de cœur, les Rothschild, continuant leurs bons offices, lui dépêchèrent leur médecin, le Dr Worms, qui prescrivit une cure de lait intensive. James fut assez habile pour affermir sa fortune sous les régimes successifs que connut la France au XIXe siècle, malgré les innombrables libelles diffamatoires, souvent abjects, lancés comme des brûlots contre sa personne, son attachement au judaïsme, le pouvoir offensant d'une richesse immensurable. Il recevait avec munificence - est-il besoin de le souligner? - et la Cour et la Ville dans l'une ou l'autre œ ses propriétés, notamment dans son domaine de Suresnes, pillé et incendié en 1848, ou, en pays briard, dans son gigantesque château Renaissance de Ferrières, agrémenté d'une synagogue privée, qu'il fit construire de 1855 à 1859. Son fils aîné, Alphonse, en hérita; Guy, arrière-petit-fils de James, faute de pouvoir l'entretenir, finit par le donner à l'Université de Paris. Parmi les nombreuses anecdotes qui coururent sur l'habileté en affaires de "Beau James", ses libéralités calculées ou non, ses brutalités de satrape encore mal policé, celle-ci n'est peut-être pas tout à fait apocryphe. Un monsieur important - on précise: le duc de Morny - est introduit dans le bureau du banquier. Tête baissée, le nez plongé dans ses papiers, ce dernier grogne: « Prenez une chaise!» Mortifié, le monsieur important s'indigne, arguant de ses titres et de son importance. Sans s'émouvoir, sans lever les yeux, James bougonne alors: «Prenez deux chaises! » À sa mort, Edmond, le cadet de ses quatre fils, devint le chef de la branche française. Consolidant encore sa position prééminente dans La Famille, il épousa sa parente Adelheid (Adélaïde) de la branche allemande. (Il est difficile de se retrouver dans la généalogie des Rothschild parce qu'ils portent les mêmes prénoms de génération en génération et ajoutent à notre confusion en épousant, pour une bonne moitié d'entre eux, une cousine ou une nièce.) Edmond, fabuleusement riche, fut non seulement un travailleur acharné, un inépuisable mécène tant pour les Gentils que pour ses coreligionnaires, mais aussi un prestigieux collectionneur d'œuvres d'art. Son domicile, 41, rue du Faubourg-Saint-Honoré (actuellement résidence de l'ambassadeur des États-Unis), était, écrit Goncourt, «l'hôtel le plus princier que j'ai encore vu à Paris». Et comme le luxe des livrées, la somptuosité du décor donnaient des
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aigreurs à M. de Goncourt, il ajoutait que la cuisine était exécrable, l'hôte, «tête chevaline à la laideur inintelligente », incompétent en gravures: «Les gens riches peuvent devenir des amateurs, ce seront toujours de pauvres amateurs.» Le Louvre a recueilli en don d'Edmond de Rothschild, providence de nos musées et de nos établissements publics, plus de vingt mille de ces gravures méprisées par son atrabilaire homonyme. Ils fIrent connaissance le 28 décembre 1887 chez Mme Émile Straus. M. Émile Straus était l'avocat préféré des frères Rothschild de cette génération; on chuchotait sous le manteau que leur père James n'était pas pour rien non plus dans la venue au monde d'Émile. À Boulogne, la splendide propriété des Edmond, Bellégu, est devenue parc public et l'on y a construit l'hôpital Ambroise-Paré. La disparition de James et de Théo ne mirent pas un terme aux cordiales relations Rothschild-Gautier. Lorsque les ressources bien médiocres de Judith ne lui permirent plus d'assurer toute l'aide pécuniaire souhaitée au besogneux compositeur Fanelli et à sa famille qu'elle avait prise sous son aile, elle eut recours à la générosité d'Edmond; il ne déçut point son attente. Au début de décembre 1917, elle lui écrivait de Saint-Énogat: «Je ne peux pas vous laisser ignorer que le grand artiste Fanelli, pour le sauvetage duquel vous nous avez si noblement aidées, vient de mourir subitement d'une crise cardiaque. C'est pour ma constante amie, Suzanne Meyer, et moi un affreux chagrin à travers tous les chagrins dont est tissée la vie en ce moment...» Et, le 13 décembre, à
quelquesjours de sa propre mort: « 0 ! cher, admirableet très aimé, grâce à vous je peux apporter un adoucissement à la vie de ces trois malheureux écrasés de chagrin... [Mme Veuve Fanelli et ses deux enfants.] Voici la quatrième année que je n'ai pas quitté un instant ce coin breton où vous êtes venu une fois! Ma fidèle Suzanne m'a aidée à endurer vaillamment la solitude. Elle est éprouvée aussi, la plus grande partie de sa petite fortune étant en Russie et en Alsace! Mme Morot, il y a quelque temps, nous a donné de vos nouvelles verbales, ce qui nous a été bien précieux, car toutes deux, nous vous aimons bien profondément. » Membre de l'Académie des Beaux-Arts depuis 1906, le baron Edmond comptait beaucoup de peintres - Bonnat, Hébert, Henner... - parmi ses familiers, et, au nombre de ceux-ci, Aimé Morot, grand ami de Judith. Fondateur des colonies juives en Palestine, embryon de l'État d'Israël, archéologue averti, c'est à ce titre que le baron finança de nombreux chantiers de fouilles et Clermont-Ganneau bénéficia d'une part de cette manne. Les liens se resserrèrent encore entre Judith et les Rothschild après la découverte d'une parenté entre les filles de Mario et de Giulia Grisi, ses amies d'enfance, et la baronne Edmond, d'ailleurs excellente musicienne. Edmond de Rothschild mourut nonagénaire dans son château de Bellégu. En 1954, sa dépouille et celle de sa femme furent transportées selon leur vœu en Israël et inhumées au mémorial de "Ramat Hanadio", "la colline du Bienfaiteur", sépulture équitablement nommée car, comme l'avait écrit Prévost-Paradol de James, la bienfaisance d'Edmond était digne de sa fortune. Le Second Rang du collier, p. 236, 239, 245. Rouge et le noir (le), chef-d'œuvre de Marie-Henri Beyle (1783-1842) paru en 1830, plusieurs fois remanié par l'auteur et que Balzac classera parmi les livres fondateurs de "l'école du désenchantement", à la surprise de Flaubert qui confie à Louise Colet en 1852 : « Je n'ai jamais rien compris à l'enthousiasme de Balzac pour un semblable écrivain, après avoir lu Rouge et Noir." L'intrigue du roman fut inspirée à Stendhal par un fait divers dont
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le protagoniste savoyard, un certain Antoine Berthet, fut exécuté à l'âge de vingt-cinq ans, en 1828, pour avoir assassiné par vengeance son ancienne maîtresse, Mme Michoud. Les trois acteurs principaux de cette fiction romanesque, effrayante de passions portées à leur paroxysme, auxquels on fait souvent référence, sont Julien Sorel, "héros de l'énergie", Mme de Rénal et Mathilde de la Mole. Émile Bergerat s'étonnera de la passion manifestée, dans les derniers mois de sa vie, par son beau-père pour Stendhal et ses moindres ouvrages: Il n'en voulait plus lire que de cette encre sèche. Vainement lui en proposions-nous d'autres plus conformes, semblait-il, à ses goûts romantiques et à son esthétique de formiste; au bout de quelques pages distraitement coupées, il redemandait du Stendhal. [...] Si jamais deux écrivains de notre langue furent à l'opposite et même aux antipodes l'un de l'autre, c'est bien l'auteurdu Rouge et Noir et celui du CapitaineFracasse.Par leurs recherches propres, ils vont à démenti manifeste. [...] Stendhal ne rend pas, et ne tend pas à rendre, il note et laisse à son lecteur le soin de développer le croquis et d'en colorier l'image. Gautier fait toute la besogne et, le tableau livré, il ne reste plus qu'à l'accrocher au clou dans son cadre. On connaît sa définition fameuse: «Tout homme que l'idée la plus subtile, le sentiment le plus complexe, le phénomène le plus extraordinaire, et un miracle même, laissent sans mots pour les exprimer dans sa langue, peut être un grand philosophe, un grand moraliste, un savant sublime ou un saint, mais ce n'est pas un écrivain, ni en prose ni en vers.» (Souvenirs d'un enfant de Paris. Les Années de bohème.) Les mots! comme Gautier les aimait, ces outils de son travail! «Pour le poète, écrivaitil un jour, les mots ont en eux-mêmes et en dehors du sens qu'ils expriment une beauté et une valeur propres, comme des pierres précieuses qui ne sont pas encore taillées et montées en bracelets, en colliers et en bagues; ils charment le connaisseur, qui les regarde et les tire du doigt dans la petite coupe où ils sont mis en réserve, comme ferait un orfèvre méditant un bijou. Il y a des mots diamant, saphir, rubis, émeraude, d'autres qui luisent comme du phosphore quand on les frotte, et ce n'est pas un mince travail de les choisir.» (Cité par Larousse.) « Relu hier soir du Taine et du Gautier, écrivait Jules Renard dans son Journal (21 septembre 1908). Combien Gautier est supérieur! Il a les mots de toutes les couleurs et il sait les choisir. D'ailleurs il ne suggère pas: il peint directement. » - « Il n'y a pas œ synonymes », assurait le bon Théo, ce spécialiste de la sémantique. L'amour jubilant des mots est particulièrement manifeste dans ses œuvres de jeunesse. Feuilletons les JeunesFrance. Romans goguenards, publiés par Renduel en 1833, nous en avons la preuve à chaque page. Voici, par exemple, une leçon de vocabulaire donné par Ferdinand de C*** à son naïf ami Daniel Jovard. «Il lui ouvrit un vaste répertoire de formules admiratives et réprobatives : phosphorescent, transcendantal, pyramidal, stupéfiant, foudroyant, annihilant, et mille autres...» Le Jeune-France, dit-il, est multiple: «Il y a le Jeune-France byronien, le Jeune-France artiste, le Jeune-France passionné, le Jeune-France viveur, chiqueur, fumeur, avec ou sans barbe, que certains naturalistes placent parmi les pachydermes, d'autres parmi les palmipèdes, ce qui nous paraît également fondé. Mais de toutes ces espèces de Jeunes-France, le Jeune-France moyen-âge est la plus nombreuse, et les individus qui la composent ne sont pas médiocrement curieux à examiner.» Sans oublier le Jeune-France macabre, le plus étrange de tous. Il énumère les phases accélérées de l'évolution fatale qui conduira le Jeune-France de son aimable printemps à la caducité: « Beau jeune mélancolique jusqu'à vingt-cinq ans, et Childe-Harold de vingt-cinq à vingthuit [...] ; ensuite on ne comptait plus, et que l'on arrivait par la filière d'épithètes qui
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suivent: ci-devant, faux-toupet, aile de pigeon, perruque, étrusque, mâchoire, ganache, au dernier degré de la décrépitude, à l'épithète la plus infamante: académicien et membre de
l'Institut! ce qui ne manquaitpas d'arriverà l'âge de quaranteans environ... » Humour et fantaisie! Lorsque Gautier atteindra l'âge mûr, passé de l'état de "beau jeune mélancolique" à celui de paisible père de famille bien revenu des outrances romantiques, familier des grands de ce monde, candidat à l'Académie française, aspirant à un fauteuil sénatorial, il continuera paradoxalement, en sa qualité d'artiste, à vilipender le bourgeois "étroniforme" - qualificatif également cher à son copain Flaubert -, l'affreux bourgeois, ce "néant fluide". Le Collier des jours, p. 248. ROUSSEAU, Théodore (1812-1867), peintre paysagiste, ne connut guère le succès, malgré son considérable labeur, avant l'année 1867 où les juges du Salon lui décernèrent enfin une médaille d'honneur. Gautier appréciait vivement le talent de cet homme proche de la nature. « Il n'y a ni fait ni anecdote dans le paysage tel que le concevait Rousseau. [oo.] On peut dire que Théodore Rousseau était le Delacroix du paysage. [oo.] C'est surtout comme coloriste qu'il restera. » Parmi les toiles qui tapissaient les murs de la petite maison de Neuilly, Bergerat indique une étude de clair de lune dans une Clairière de ce peintre amoureux des arbres. Le 3 mars 1862, les Goncourt parlent dans leur Journal d'une Nuit de Rousseau qu'ils admirèrent rue de Longchamp, «le songe d'une nuit de Fontainebleau, exquis et rare ». Ils citeront toujours son nom avec estime. Edmond raconte, le 10 juillet 1890: «Corot va voir Dupré [Jules Dupré, paysagiste romantique, "le peintre du ciel" selon C. E. Bénézit qui lui consacre une importante étude] et lui fait de chauds compliments sur ses tableaux exposés sur les quatre murs de son atelier. Éloge que Dupré coupe au milieu par ceci: "Je dois vous déclarer que les trois tableaux que vous avez le plus loués ne sont pas de moi. Ils sont d'un jeune homme chez lequel il faut que je vous mène." Le jeune homme était Rousseau. Et Corot, sortant du pauvre atelier de Rousseau, disait à Dupré: "Derrière cette petite porte, il y a notre maître à tous les deux."» En 1847, Rousseau, ami de Maurice Sand, s'était épris d'Augustine Brault, la jeune parente que George Sand finit par adopter. À Nohant, on parlait épousailles.
Les vilaines manigances
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une lettre anonyme - de Solange, nouvellement mariée au brutal sculpteur Clé singer et toujours enragée de jalousie contre sa cousine, firent échouer le projet. Augustine épousa un émigré polonais, Charles de Bertholdi. Le bon Théo termine son article nécrologique: «Maintenant Théodore Rousseau repose à Fontainebleau [...] près de cette chaumière de Barbizon, enfouie dans les fleurs et les plantes grimpantes où il se plaisait, et qui ressemblait au cottage de Gainsborough. Que la nature donne un bon sommeil à son peintre favori, et que la forêt tant aimée lui verse une ombre fraîche découpée de soleil.» (Le Moniteur universel, 4 janvier 1868.) L'exquise sensibilité du brave Rousseau s'alarmait de toute souffrance infligée ne fût-ce qu'à l'une des infimes créatures du Bon Dieu. Dans son Petit Manuel d'art à l'usage des ignorants, Jean Dolent a recueilli l'historiette suivante: « Le bruit que faisait la diligence de Barbizon amenait d'ordinaire Théodore Rousseau sur le pas de la porte; un jour, comme la voiture passait devant chez lui, on vit Rousseau, tout pâle, tout ému, tout tremblant, se jeter à la tête des chevaux; une roue de la voiture allait écraser un lézard. » L'occasion s'en fût-elle présentée à Judith, nul doute qu'elle aussi se serait jetée au secours de cette petite vie menacée. Elle exerçait sur les lézards une sorte de
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channe analogue à celui de l'oiseleur sur nos amis ailés. Journal des Goncourt, 27 mars 1862, dîner de mi-carême avec "Gautier, sa femme et ses filles" chez une relation commune: Les filles de Gautier ont un charme singulier, une paresse et une cadence des gestes et des mouvements qu'elles tiennent de leur père, mais élégantifiées par la grâce de la femme; des regards lents et profonds, ombrés de l'ombre de longues paupières, un charme qui n'est pas français, mais mêlé de toutes sortes de choses françaises, [...] des êtres tout différents des jeunes filles du monde. [...] De jolis petits êtres très personnels [.. .], jeunes filles qui doivent être mal jugées [.. .]. L'une d'elles, tout en manquant tout bas, très fort, de respect à sa mère qui cherche à l'empêcher de boire du champagne, me conte sa première passion de couvent, son premier amour pour un lézard, un lézard qui la regardait avec son œil doux et ami de ['homme, un lézard qui était toujours en elle et sur elle, qui passait à tout moment la tête par l'ouverture de son corsage pour la regarder et disparaître. Pauvre petit lézard qu'une compagne jalouse écrasa méchamment et qui, ses boyaux derrière lui, se traîna pour mourir près d'elle. Elle dit ingénument, alors, qu'elle lui creusa une petite tombe, sur laquelle elle mit une petite croix et qu'elle ne voulut plus aller à la messe, plus prier, sa religion étant morte, tant l'enfant, chez elle, trouvait cette mort injuste. Colette, Mes Apprentissages: « Je dépeignais à ma mère les visages nouveaux de Mendès, de Gustave Charpentier, le chat noir et le lézard vert de Judith Gautier, Courteline... » Willy, Souvenirs littéraires... et autres: «À table, somnolente, son chat sur les genoux, elle délaissait ses invités, toute à ses trois animaux favoris: une tortue mélancolique, un lézard aux digestions fantaisistes et M. de (sic) Clermont Ganneau, membre de
l'Institut... » Suzanne Meyer-Zundel, Quinze ans... : « ... Ses deux lézards apprivoisés, dont l'un, le doyen, si docile, prenait la pose qu'on lui donnait et n'en bougeait plus, si bien que Judith en ornait ses cheveux les jours des premières au théâtre. Elle racontait qu'ayant été sollicitée par Théo Bergerat de leur rendre la liberté, la tante et le neveu décidèrent, à cet effet, une promenade au bois. Le plus jeune, à peine l'eût-on chatouillé légèrement, que tout guilleret il alla se perdre dans les hautes herbes. Quant à l'autre pauvre vieux, se retournant brusquement, il se cramponna effaré aux vêtements de Judith. "Çà n'est pas possible, c'est un hasard", s'écria Théo stupéfait. On recommença l'expérience. Elle ne fut pas moins concluante. La touchante bête s'agrippa de nouveau à la robe de Judith. Après trois tentatives semblables il fallut bien se résigner à ramener le tendre lézard. » Le Second Rang du collier, p. 33. ROVRAY A. de, pseudonyme de Pier Angelo Fiorentino Della Rovere (Naples 1806 Paris 1864). Journaliste, pendant un temps collaborateur d'Alexandre Dumas père. Traducteur de Dante - il était absolument bilingue -, c'est son texte de l'Enfer qu'illustra superbement Doré. On le disait vénal, d'où ce sobriquet: il Signor Escopette. Accusé par la Société des Gens de lettres d'indélicatesse, il se battit à l'épée avec le journaliste et romancier Amédée Achard, un Méridional "vrai glaçon" pour la personne et la littérature duquel M. de Goncourt éprouvait beaucoup d'éloignement. Fiorentino s'était spécialisé dans la critique musicale. «Il égorgeait en douceur, a écrit Edmond About, la victime fût-elle Mario en personne, [avec une] perfidie de bon ton ». Au Moniteur universel, A. de Rovray traitait de l'opéra et du ballet, la critique dramatique étant du domaine de Gautier; pour que ce dernier fasse, en juillet 1858, par exemple, la critique de Sacountalà (dont il était lui-
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même le librettiste), il fallait quelque circonstance exceptionnelle: «Notre embarras est extrême: le critique dont relève l'Opéra se repose à Vichy des musiques de l'hiver et du printemps; il jouit de cette douceur de ne rien entendre et de ne rien voir des choses du théâtre, comme s'il n'était qu'un simple mortel: vacances bien gagnées, car c'est un rude labeur que d'essayer le plaisir des autres comme un échanson qui goûte le vin de la coupe avant de la passer à son maître, et de dire au public: "Buvez", ou "Ne buvez pas!" . .. » Sur la tombe de son confrère - dans le seul discours qu'il ait jamais prononcé, assure Jean Tild -, Gautier parlera avec amertume, une fois de plus, de «la meule» du journalisme qu'il faut tourner sans relâche, « sans tenir compte jamais des tristesses, des défaillances et des malaises de la vie... Ah ! elle est bien lourde, cette tâche que l'on croit si légère! Les plus vigoureux y succombent... » À partir de 1864, Gautier prendra à son compte les rubriques jusqu'alors tenues au Moniteur par le défunt Fiorentino. Le Second Rang du collier, p. 177. RUDE, François (Dijon 1784 - Paris 1855), grand Prix de Rome en 1812, le glorieux sculpteur du trophée que tous les visiteurs de Paris ont contemplé au pilier est de l'Arc de Triomphe de l'Étoile, "le Départ des Volontaires de 1792", communément appelé la Marseillaise, virago en costume grec de convention, néo-classicisme obligeant. C'est dans l'attitude vengeresse de cette martiale figure drapée à l'antique - «Aux armes, citoyens!... Marchons! Marchons!... » - que le sculpteur catalan José Clara a crayonné la silhouette d'Isadora Duncan la Californienne dansant pieds nus, pendant la guerre de 14-18, une Marseillaise qu'elle fit ovationner aux États-Unis; cette Marseillaise que, sous les mêmes cieux, dans le même temps, le même "étendard sanglant" au poing, clamait la vieille Sarah unijambiste et, parmi d'autres, chantait sous les vivats Emma Calvé, coiffée d'un immense nœud alsacien frappé de la cocarde bleu, blanc, rouge, pour chauffer les sympathies américaines en faveur des Alliés enlisés dans l'interminable conflit. Bien avant Isadora, Sarah et Emma, dans l'euphorie qui succéda à la chute du roi Louis-Philippe, aux aurores de la Deuxième République, l'illustre Rachel, sollicitée par Joseph Lockroy - le père d'Édouard - alors commissaire du Gouvernement près le Théâtre de la République (ComédieFrançaise), avait inscrit à son répertoire l'hymne national, ex-chant séditieux accueilli avec enthousiasme à Paris, avec réticence dans la France profonde, toujours inquiète des effervescences politiques de la capitale. Rien n'interdit de penser que Rude put applaudir cette incarnation romantique du patriotisme dont Gautier paraît avoir été emballé: Quandl'actrice, comme une statue qui se piète sur son socle, a redressé sa haute taille [1, 60 m I], fait ondoyer le contour de sa hanche sous l'abondance des plis de sa longue tunique et levé son bras avec un geste d'une violence tranquille qui l'a mis à nu jusqu'à l'épaule par le rejet de la manche, il a semblé à tout le monde que Némésis, la lente déesse, se dégageait subtilement d'un bloc de marbre grec, sculpté par un statuaire invisible; alors, d'une voix irritée, stridente et monotone comme un tocsin, elle a commencé sa première strophe: "Allons, enfants de la patrie!..." Elle ne chantait pas, elle ne récitait pas: c'était une espèce de déclamation dans le goût des mélopées antiques [.. .], une musique mystérieuse, qui ressembleau chant de Rouget de Lisle et ne le reproduitpas. Elle a eu des attitudes, des gestes et des airs de tête admirablementexpressifs, selon le sens de chaque stance [...]. Quels trésors de haine amassés et quelles soifs de vengeance se trahissaient dans ses mains crispées, dans ses nerfs tressaillant sous l'immobilité froide d'une résolution implacable! Et avec quelle
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effusion attendrie,et comme fondue en pleurs à l'idée sainte de la patrie, s'est-elle agenouillée et noyée dans les plis tricolores du drapeausymbolique. Cette pose vraiment sublime... Et caetera. (20 mars 1848, article recueilli dans Histoire de l'art dramatiqueen France depuis vingt-cinq ans et cité par Sylvie Chevalley.) Une semaine plus tard, Gautier est retourné au Français: « Pourquoi mademoiselle Rachel, si admirable quand elle déclame et mime la Marseillaise, a-t-elle eu la fantaisie baroque de ceindre sa taille de statue d'un ruban tricolore, et de changer Némésis en maire ou en commissaire de police dans l'exercice de ses fonctions? Le drapeau ne suffit donc plus à son patriotisme?» De 1812 à 1827, Rude, de sympathies républicaines, résida à Bruxelles où, en 1821, il épousa Sophie Frémiet (1797-1867), d'une famille dijonnaise amie également exilée en Belgique; elle-même peintre, disciple de Louis David, au talent médiocre, mais toute dévouée à son mari, comme elle "modèle d'honnêteté, de modestie et de désintéressement". Rude mourut d'apoplexie, chez lui, au 17 de la rue d'Enfer, rebaptisée de nos jours rue Henri-Barbusse, du nom du gendre de Mendès. Il y avait, au numéro 18, son atelier, fréquenté par de nombreux élèves. Le célèbre Emmanuel Frémiet s'était mis à l'école de son oncle sous la férule duquel il devint le grand artiste que l'on sait, spécialisé dans les représentations animalières, "un animalier de première force", disait Gautier. Sa fille Marie - même spécialisation -, peintre exposé au Salon, devint en 1883 Mme Gabriel Fauré. Le Second Rang du collier, p. 164. SAADI (v. 1184 - v. 1290). Poète persan de renommée mondiale. Un de ses surnoms arabes, Moslih-ed-Din, signifie Réformateur de la Foi. Grand voyageur, il fit quatorze fois le pèlerinage de la Mecque. Sur le thème du désir inassouvi, Judith a tenté une paraphrase de Saadi. On nous saura gré, peut-être, de donner ici un échantillon de son savoir-faire amplificateur. Je suis tout près de toi, mais ne peux te saisir... La coupe du baiser se refuse à ma bouche, Et, près du puits scellé, pour mourirje me couche, L'âme et le corps brûlés au feu de mon désir. Ainsi, dans le désert, à la peine succombe Le chameau,cheminantsous un trop lourd fardeau, La lèvre desséchée,il tombe sur sa tombe, Et meurt de soif, lui qui portait la charge d'eau! Pierre Loti a visité le tombeau de Saadi, à Chiraz, pendant le voyage qu'il a conté dans Vers Ispahan (1904) et ill' a jugé bien modeste: «Il n'a point, comme Hafiz, une dalle en agate, mais rien qu'une pierre blanche, dans un humble kiosque funéraire [...]. Mais il y a tant de roses dans le bocage autour, tant de buissons de roses!» Le thème des roses est indissociablement lié au nom de Saadi qui a titré Gulistan, Jardin des roses, l'un de ses plus importants ouvrages. « J'ai voulu ce matin te rapporter des roses; / Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes / Que les nœuds trop serrés n'ont pu les con tenir. /... / Ce soir, ma robe encore en est toute embaumée. /.. .I Respires-en sur moi l'odorant souvenir », murmure la plaintive Marceline Desbordes-Valmore ("les Roses de Saadi"). Et, comme l'affirmait jadis Paul Souday, «il n'est pas un salon ni un pensionnat de demoiselles où, grâce à Leconte de Lisle et surtout à Gabriel Fauré, l'on ne sache que la
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Perse est le pays des roses, "les Roses d'Ispahan dans leur gaine de mousse. .." ». Sous le pseudonyme F. Chaulnes, Judith consacra à Saadi quelques pages de son étude sur "les Poètes persans", parue au Journal officiel des 17 et 30 janvier 1875 et recueillie dans les Peuples étranges.. « Les vers de Saadi sont en général plus simples, moins hyperboliques et moins obscurs que ceux de la plupart des poètes orientaux, et bien que ces œuvres ne soient pas toujours exemptes de passages singulièrement grossiers, sa morale est pure et sa piété sincère.» Suivent une analyse de l'œuvre de Kheyam [Omar Khayyam], «ce philosophe fataliste et sceptique, [...] ce mystique ivrogne» tant admiré de Théophile Gautier, puis un digest de l'histoire du babysme et de la belle prophétesse Gourret-oul-Ayn, la Consolation des yeux, résumée d'après le comte de Gobineau. Avec [skender, exploitant les légendes iraniennes, Judith raconte en quatre épisodes la vie épique d'Alexandre le Grand d'après la tradition persane. [skender constitue au goût d'André Beaunier la plus parfaite réussite de Judith Gautier. Pour Anatole France, le Dragon impérial, l'Usurpateur et [skender « sont les trois plus beaux joyaux de cette reine de l'imagination ». On peut croire que Judith n'attendit pas de siéger près de Mme Marcel Dieulafoy, au comité du Prix Vie Heureuse, pour feuilleter les ouvrages de cette archéologue de choc, en particulier la Perse, la Chaldée et la Susiane et À Suse - Journal des fouilles 1884-1886, Suse d'où les Dieulafoy rapportèrent les collections d'antiquités que nous admirons au Louvre. Par commodité, cette personne énergique avait définitivement adopté, avec l'autorisation du Saint-Siège et du préfet de police, le costume masculin; sa ressemblance était criante, paraît-il, avec son ami Pierre Loti, comme elle très droit, mince et de petite taille. Un jour qu'elle demandait à voir M. Ganderax, directeur de la Revue de Paris, le garçon de bureau l'annonçait ainsi à son patron: « Il y a en bas un monsieur qui dit qu'il est une dame. » La culture de Mme Dieulafoy, née Jane Magre à Toulouse en 1851 - elle mourut en mai 1916 - était immense. Elle savait l'anglais, l'espagnol, l' italien, le portugais, l'ancien et le moyen perse, et suffisamment d'arabe pour servir d'interprète à l'occasion. On imagine son sourire lorsque Lucie Delarue-Mardrus et Myriam Harry, nommées l'une après l'autre au comité du Prix Vie Heureuse, croyaient, en s'interpellant en arabe par-dessus la tête de leurs consœurs, « effarer [ces] rombières... corps déjetés, figures assorties. ..» lesquelles représentaient une somme très remarquable, très considérable, de connaissances, de compétences et de talents divers. En dépit de ses habitudes vestimentaires, de ses cheveux courts, du cigare qu'elle savourait volontiers, après dîner, au fumoir avec ces messieurs « Et maintenant, mon vieux, allons pisser! » lui disait un jour gauloisement le général œ Galliffet, hostile à la confusion des genres, en la prenant par le bras -, Jane Dieulafoy n'en restait pas moins une bonne bourgeoise collet monté qui "pensait bien", comme l'apprit à ses dépens Mme Camille Marbo, venue la voir à propos de son livre, la Statue voilée, couronné peu avant la Grande Guerre par le prix Femina Vie Heureuse: « Mme Dieulafoy, derrière le Trocadéro, en authentique vêtement masculin, veston, chemise empesée, pantalon rayé, croisant les jambes, me blâme: "Votre roman dépeint des personnages hors de la norme. Je n'ai pas voté pour vous. Je n'aime pas les gens qui s'écartent de la tradition." Je considère avec stupeur celle que tout le monde nomme "un vieux petit monsieur".» (Souvenirs et rencontres.) Avant Mme Dieulafoy, Rosa Bonheur, peintre animalier et paysagiste de grand renom à son époque, surtout en pays anglo-saxons, bien que méchamment étiquetée «le Bouguereau des vaches» par un caricaturiste soucieux de brocarder à la fois deux peintres fossiles, jadis voisine de Théophile Gautier rue Lord-Byron,
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sur l'emplacement de la "Folie-Beaujon", Rosa, Rosalie de son nom de baptême, avait été officiellement autorisée depuis 1852, en raison des nécessités de son métier, à se vêtir au masculin. À By, hameau de Thomery en lisière de la forêt de Fontainebleau, dans la propriété où elle avait installé ses ateliers avec sa ménagerie d'animaux sauvages et domestiques, on conserve entre autres ce document, chef-d' œuvre d'hypocrisie bureaucratique: «PERMISSION DE TRAVESTISSEMENT. Paris, le 12 mai 1857. Nous, Préfet de Police, Vu l'ordonnance du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800); Vu le certificat du Sr Cazalis, docteur en médecine de la Faculté de Paris, Vu en outre l'attestation du Commissaire de Police de la section du Luxembourg, AUTORISONS la Demoiselle Rosa Bonheur, demeurant à Paris, rue d'Assas, No 320, à s'habiller en homme, pour raison de santé et sans qu'elle puisse, sous ce travestissement, paraître aux Spectacles, Bals et autres lieux de réunion ouverts au public. La présente autorisation n'est valable que pour six mois, à compter de ce jour. Pour le Préfet de Police, etc.» On apprend par la même occasion que cette grande bonne femme mesurait 1,50 m,. .. 1,50 m de vaillance, d'énergie et de talent constamment qualifiés de "virils". Respectueuse des décrets préfectoraux, Rosa n'en tenait pas moins de son père, Raymond Bonheur, saint-simonien militant, une belle indépendance d'esprit. Elle se moquait des conventions sociales et du qu'en-dira-t-on dans la conduite de sa vie intime qu'elle partagea de longues années avec son amie de jeunesse Nathalie Micas, puis, celle-ci disparue en 1889, de juin 1898 jusqu'à sa propre mort à soixante-dix-sept ans, le 25 mai 1899, avec la jeune Anna Klumpke, portraitiste américaine dont elle fit son unique héritière, au motif explicité dans sa lettre-testament du 28 novembre 1898 : «... n'ayant eu ni enfant, ni tendresse pour le sexe fort, si ce n'est pour une bonne et franche amitié pour ceux qui avaient toute mon estime. » On ne peut manquer de relever un certain parallélisme dans les relations qui s'établirent entre Rosa Bonheur et miss Klumpke d'une part, Judith Gautier et Suzanne Meyer d'autre part, deux femmes âgées se prenant d'un tendre intérêt pour des jeunes filles éperdues d'admiration, rapports affichés d'affections maternelle et filiale qui ne manquèrent pas de susciter des commérages. Joanna Richardson, biographe de Judith, analysant différentes hypothèses, incline pour une liaison lesbienne, présomption qui paraît assez hasardeuse. N'est-il pas un peu tard, la soixantaine franchie, au soir d'une vie sentimentale jalonnée par des péripéties hétérosexuelles retentissantes, pour se découvrir des penchants saphiques? Au reste, quelles que fussent, quelles que soient les spéculations oiseuses de leurs contemporains et les nôtres, tenonsnous-en prudemment à la ferme déclaration d'Émile Bergerat, interprète de la version familiale au lendemain de la mort de sa belle-sœur: «Elle est restée toute sa vie du vieux jeu français de son sexe et hors du Thermodon des Amazones.» (Le Figaro, 8 janvier 1918.) C'est une allusion au Thermodon de Gautier, poème du cycle Comédie de la mort, décrivant le massacre des Amazones, sur les bords du fleuve Thermodon, par de mâles assaillants: «... Ô pitié! des femmes, des guerrières... / Votre armure faussée, entre ces bras robustes, / Comme un mince carton s'aplatit sur ces bustes / Où le poil pousse en plein terrain; / Avec ces forts lutteurs, les plus puissantes armes, / 0 guerrières! seraient les appâts et les charmes / Cachés sous vos corsets d'airain... » Revenons à Rosa Bonheur. Gaie, vive, accueillante, elle recevait beaucoup de visites, à Paris d'abord, rue d'Assas, puis à By où Nathalie Micas usait de son magnétisme lénitif sur les bêtes fauves lâchées en semi-liberté, et à Nice où elle avait coutume, à partir de 1875, de passer la saison hivernale « dans une villa magnifique au sein d'un parc merveilleux où elle cultive toutes
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les plantes, toutes les fleurs », rapporte Emma Calvé dans Sous tous les ciels j'ai chanté. Citons pêle-mêle les Cain - Auguste, sculpteur animalier, ses deux fils Georges et Henri, ce dernier librettiste favori de Massenet, amant impétueux de Calvé -, des amis de toujours comme le peintre Paul Chardin; le duc de Morny, la comtesse Greffulhe, Don Pedro II, empereur du Brésil, les d'Armaillé, ses voisins au château de La Rivière, en Seine-et-Marne. La comtesse Jean de Pange, née Pauline de Broglie, descendante directe de Mme de Staël la "tempête en jupon" - et petite-nièce de la comtesse de Ségur, née Rostopchine, raconte dans Comment j'ai vu 1900 que sa mère, Pauline d'Armaillé, alors toute petite fille, entra
un jour dans la cage d'un lion: « La noble bête avait à peine tourné la tête. » Voici encore le duc d'Aumale, les Achille Fould, Jules Claretie qui trouvait à la vieillissante Rosa Bonheur, dans sa longue et flottante blouse de travail, une ressemblance avec "le père Corot", le président Carnot, la reine Isabelle d'Espagne, sans oublier le colonel Cody, Buffalo Bill lui-même qu'elle peignit en selle sur son cheval blanc (1889). La visite la plus mémorable de l'histoire anecdotique de By est celle qu'y fit par surprise, le 10 juin 1865, l'impératrice Eugénie pour épingler de ses mains la croix de la Légion d'honneur sur la poitrine de Rosa Bonheur qu'elle estimait beaucoup et pour laquelle elle avait demandé cette distinction. Rosa fut la première femme artiste à la recevoir. Eugène de Mirecourt la réclamait déjà pour elle en 1856. L'impératrice œuvrait avec vigueur pour ce que nous appelons la promotion de la femme; grâce à son appui, à ses interventions, Julie-Victoire Daubié put se présenter, à trente-sept ans, aux épreuves du baccalauréat qu'elle subit avec succès, première Française bachelière; il Y avait fallu un décret du Conseil des ministres. Grâce à elle, Madeleine Brès put faire des études à la Pitié, passer son doctorat en 1875 et devenir la première femme médecin en France. (Claude Pasteur, les Pionnières de l'histoire.) C'est inspirée, étant enfant, par les commentaires relatifs à cette remise de la Légion d'honneur par la souveraine à Rosa Bonheur que Louise Abbéma, l'amie intime et portraitiste de Sarah Bernhardt, décida de sa carrière future, carrière poursuivie dans un registre très éloigné de celui de Rosa dont on a dit railleusement: «Pour elle, pastourage et labourage sont les deux mamelles de l'art.» Près de trente années après sa croix de chevalier, Rosa Bonheur, couverte de décorations étrangères, fut promue le 22 avril 1894 à la dignité d'officier de la Légion d'honneur. À cette occasion, on organisa un banquet; Bonnat, Detaille, Gérome, également démonétisés au jugement moderne, tinrent à honneur de fêter leur consœur. Mort à trente-quatre ans en 1882, un demi-frère de Rosa, Germain Bonheur, peintre comme tous les membres de cette famille vouée à la palette et au chevalet, avait travaillé chez Gérome, ce qui crée des liens; en outre Rosa et Gérome avaient connu ensemble leurs premiers succès en 1848; elle regrettait de n'avoir pas, comme lui, abandonné le pinceau pour le maillet du statuaire. Les nombreux portraits de Rosa à toutes les époques de sa vie depuis le berceau jusqu'à son lit de mort, le médaillon de David d'Angers (1854), une miniature de Nathalie Micas, les toiles d'Édouard-Louis Dubufe (1857), de Mme Consuelo-Fould, d'Anna Klumpke, une lithographie de Soulange-Teissier, quelques caricatures et une belle collection de photographies nous en donnent une image très vivante, ce que nous regrettons de ne pouvoir dire de Judith dont l'iconographie est bien pauvre. Ces deux femmes, qui, semble-t-il, ne se sont pas rencontrées, portaient un même regard sur le féminisme, refusant tout ghetto ou exclusion unilatérale. Rosa: «L'art n'a pas de sexe. » Judith, interrogée après une séance houleuse au Palais Mazarin relative à la candidature de Marie Curie à l'Académie des sciences, qui échoua le 23 janvier 1911 contre
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Édouard Branly: «Le mérite n'a pas de sexe. Que Mme Curie entre ou non à l'Institut, elle en est. Le public l'a élue. » Néanmoins, peu encline à tout prosélytisme, elle laissait aux militantes - Séverine, Danielle Lesueur ou Marcelle Tinayre, ses consœurs du comité du Prix Vie Heureuse -, le soin d'agiter le drapeau de la contestation féminine. Jean Rabaud, biographe de Marguerite Durand, une ex-actrice de la Comédie-Française, divorcée du député Georges Laguerre, fondatrice en 1897 de la Fronde - premier quotidien "dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes" -, écrit qu'elle échoua «à enrôler toutes les collaboratrices qu'elle souhaitait: ni Juliette Adam [.. .], ni Rachilde [. ..], ni Judith Gautier... » À Paris, la bibliothèque Marguerite-Durand, ouverte en 1931, perpétue le souvenir de sa fondatrice. Dans un tout autre domaine, c'est encore à cette "battante" que l'on doit la création du cimetière pour chiens et autres animaux domestiques ouvert à Asnières en 1901, réalisation qui dut attendrir Judith si elle en fut informée. Le Second Rang du collier, p. 282-283. SABA TIER, Aglaé-Joséphine Savatier, dite Apollonie, Lili ou Lilette Sabatier pour les intimes (Mézières, 7 avril 1822 - Neuilly-sur-Seine, 31 décembre 1889), fille naturelle du vicomte Louis Harmand d'Abancourt (1774-1850), préfet des Ardennes, et de Léa-Marguerite Martin, lingère (1797-1890), qui épousa à Paris, en 1825, André Savatier (1778-1832), militaire de carrière en retraite, père officiel d'Aglaé. Pour elle, délicieuse et intelligente demi-mondaine installée en 1844 dans ses meubles au quartier Bréda, 4, rue Frochot, par le banquier et diplomate belge Alfred Mosselman - dandy ami d'Alfred Tattet et frère de la comtesse Le Hon, maîtresse du duc de Morny -, Gautier, qui excellait d'après son gendre Bergerat dans l'invention des devises, avait exhumé cette formule de Jean Second, poète latin de la Renaissance: Vis superba formae, "la force orgueilleuse de la beauté". On se réunissait traditionnellement chez elle le dimanche et l'on dînait à 6 heures autour d'une excellente table; après avoir fait bonne chère, on causait, on se divertissait à de petits jeux de société, on montait des charades, on se déguisait. .. Apollonie était belle, elle était bonne, elle était enjouée, elle n'était pas bégueule, tous l'aimèrent, quelques-uns couchèrent un peu avec elle, mais ceux-là mêmes demeurèrent ses amis, ce qui est tout à son honneur. Jusqu'en 1860, Mosselman, dit Macarouille dans le jargon des habitués, fut son "Monsieur" attitré; après la rupture, il y eut quelques années difficiles, puis le richissime Anglais Richard Wa1lace qui fut le propriétaire du château et du parc de Bagatelle, un philanthrope auquel les Parisiens durent la création de plusieurs hôpitaux pendant la guerre francoprussienne. Ce mécène de nos fontaines Wallace assura à la Présidente des revenus assez confortables pour qu'elle pût vivre non seulement dans une agréable aisance, mais aider sa famille avec la générosité qui faisait le fond du caractère de cette radieuse personnalité. Parmi ses relations les plus étroites, citons le sculpteur Clésinger, l'auteur de cette Femme piquée par un serpent qu'on prétendit avoir été moulée sur le corps nu d'Apollonie dans une posture évocatrice d'autres convulsions que celles provoquées par une morsure d'aspic, mémorable scandale du Salon de 1847. (Cette même année, Clésinger épousait la fille de George Sand.) Sans prétendre épuiser la liste des invités permanents ou intermittents, citons des peintres: le très cher Meissonier, et Ricard, portraitistes d'Apollonie aux formes trop vite plantureuses, Boulanger, Puvis, Hébert; des musiciens: Berlioz, Reyer, qui accompagnaient au piano sa jolie voix de soprano; des écrivains... mais ceux-là, ils sont
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légion! Les intimes? Flaubert le truculent, dit le Sire de Vaufrilard, et Gautier "le métaphorescent" dont la Présidente excitait la verve paillarde, et Baudelaire "le ravagé", adorateur exalté, amant impuissant, et Feydeau "le moutard"... D'entre eux tous, Maxime Du Camp, le grand réprouvé, fut peut-être le préféré; dans la Présidente et ses amis, André Billy reproduit bon nombre de ses lettres à sa « chère amie que j'aime de tout mon cœur». Saint-Victor, La Rounat lui écrivent avec humour, avec tendresse. La fausse note vient, qui s'en étonnerait? des Goncourt: «Passé la soirée avec la fameuse Présidente, le corps moulé par Clésinger pour sa Bacchante. C'est une assez grande nature, d'un entrain commun, une courtisane un peu peuple. Cette belle femme à l'antique, un peu canaille, elle me représente une vivandière de faunes. » (Journal, 16 avril 1864.) Ce n'est pas sans raison que Maupassant avait surnommé Jules "Gare aux amis!". Il est vrai que la princesse Mathilde, si dévouée aux deux frères, s'offusquait de l'espèce de concurrence que lui faisait la Présidente, comme le souligne Louis Mermaz: mêmes goûts et mêmes aptitudes artistiques, même amour des petits chiens, même agrément de l'accueil, à peu près la même liberté d'expression, et beaucoup de convives en commun... Maxime Du Camp s'honora d'avoir pris plusieurs fois la défense de Mme Sabatier chez la princesse où elle était injustement attaquée. Après la rue Frochot et plusieurs déménagements, Apollonie finit par s'établir, grâce aux libéralités de Mr. Wallace, dans un petit hôtel particulier, 48, rue de Chézy (actuel 94-96), à Neuilly. L'influenza l'emporta, le dernier jour de l'année 1889. Jusqu'à la fin de sa vie, elle demeura en contact avec la famille Gautier. Ernesta venait lui rendre visite: « Comme il était doux à ces deux amies d'évoquer le passé. [...] La mère de Judith et d'Estelle Gautier était alors une aimable petite vieille au maintien modeste, aux gestes réservés, à la figure ridée par l'usage des fards de théâtre, dont les traits ne rendaient pas méconnaissable le portrait au crayon que Chassériau avait fait d'elle vers l'âge de trente ans. Elle avait conservé sa voix grave qui lui avait valu la magnificence des strophes de "Contralto" d'Émaux et Camées, et je me souviens [c'est Edmond Richard qui parle, un jeune ami de Mme Sabatier, cité par les biographes de celle-ci] que chez la Présidente, un soir, elle put chanter avec une voix presque pleine l'aria de Haendel: Lascia ch 'io pianga de l'opéra Rinaldo. Elle ne trouvait pas toujours auprès de ses filles, disait-elle avec de timides sous-entendus, toutes les satisfactions de ses besoins, les temps ayant changé et sa pauvre carcasse n'étant plus bonne à rien, mais elle exagérait, comme le font généralement les vieillards tombés à la merci des enfants, pour émouvoir la compatissante hôtesse et conserver ses bonnes grâces. Sa fille aînée, Judith Gautier, ne cessa pas non plus ses relations avec la Présidente. .. » On vit paraître Apollonie aux jeudis wagnériens organisés en 1880 dans les salons Nadar par la fille de Théo. Lorsque celle-ci se rendit à EI-Biar en 1914, pouvait-elle se douter qu'elle y croiserait l'ombre d'Irma-Adelina-Adèle-Bébé, la sœur cadette d'Apollonie, veuve du colonel en retraite Fallet, décédé en 1897, auquel elle donna quatre enfants, et disparue elle-même, le 10 juillet 1905, en cette banlieue d'Alger, après avoir longtemps résidé à Médéa où son mari exploitait des vignobles? Dans les années 1853-1854, Théo, navré de la rupture de sa liaison passionnée avec Marie Mattei, et Bébé, esseulée après le mariage de Fernand Boissard avec Edwina Broutta, joignirent leur mutuelle mélancolie par quelques "clous d'or" occasionnels. En attestent de petits billets d'un goût parfois très épicé. Celui-ci, de Théo à la Présidente, n'est qu'aimable marivaudage: « Chère Apollonie, voici la loge pour les Français. Communique la chose à Bébé. Tu es mon amour, elle est mon vice et je serais bien heureux de rêver le songe d'une nuit d'hiver
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entre vos deux charmantes réalités. À toi d'âme et de corps quand tu voudras. » Il s'agissait du Songe d'une nuit d'hiver, d'Édouard Plouvier, comédie représentée le 12 juin 1854 à la Comédie-Française. Dans l'Artiste du 15 février 1850, Apollonie se voyait déjà galamment - et anonymement - célébrée par le poète: A une robe rose. «Que tu me plais dans cette robe / Qui te déshabille si bien, / Faisant jaillir ta gorge en globe, / Montrant tout nu ton bras païen! [...] Et ces plis roses sous les lèvres / De mes désirs inapaisés / Mettent au corps dont tu les sèvres / Une tunique de baisers. » Copiées dans Comme un adieu dans une langue oubliée, ces lignes de Guy Dupré évoquant le souvenir de la romancière Lise Deharme, égérie du surréalisme, qui recevait beaucoup dans son entresol de la rue de Grenelle, à deux pas des Invalides: «Dans sa chambre aux meubles d'ébène, elle dormait dans le lit d'Apollonie Sabatier, "la Muse et la Madone" de Baudelaire, dont le buste, par Pradier, trônait sur sa cheminée, entre la cire perdue du masque mortuaire de Jacques Cazotte et le revolver de dame à crosse de nacre avec lequel Verlaine avait tiré sur Rimbaud. » Amusant détail mobilier consigné par Henri de Régnier dans ses Cahiers, le 16 octobre 1935 : « Il y avait chez Judith Gautier le moulage d'un sein de femme. C'était celui de "la Présidente", de Mme Sabatier. » Le Collier des jours, p. 249. Le Second Rang du collier, p. 180-185. SAINTE-BARBE, collège. Fondé par un prêtre, Geoffroy Lenormant, au Quartier latin en 1460, la réputation du collège Sainte-Barbe a traversé les siècles. Il doit sa renommée à l'excellence de l'enseignement reçu par des élèves - payants et boursiers - triés sur le volet. Dissous en 1791, il fut reconstitué en 1798 par Victor de Lanneau, ex-religieux théatin, exvicaire épiscopal puis maire d'Autun. Sainte-Barbe fut alors rattaché, avec une trentaine de "petits collèges", au lycée Louis-le-Grand, un des plus réputés de Paris. Le Second Rang du collier, p. 81. SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin (Boulogne-sur-mer 1804 - Paris 1869), ne fut pas tendre pour Gautier. L'auteur renommé des Lundis critiqua sans bienveillance Fortunio (1838) et la Comédie de la mort (même année), releva vertement des défaillances d'érudition dans les Grotesques (1844), s'abstint toujours de parler d'Émaux et Camées malgré ses relations amicales avec Théo, l'un des très rares hommes de lettres qu'il tutoyât. Dans Mes Poisons (publiés par Victor Giraud en 1926), «mon arsenal des vengeances» disait-il de ces notes intimes, il ne le ménage guère: « Les défauts de Hugo [qu'il traitait de Cyclope] sont déjà énormes et, comme s'il avait peur qu'on ne les vît pas, il les a placés entre deux miroirs grossissants, Gautier et Vacquerie... Théophile Gautier qui a une figure assez agréable, assez noble, la chevelure parfumée [cette chevelure que Judith se plaisait à bichonner], le gilet écarlate, a l'haleine gâtée, détestable: ainsi de sa poésie...» Cependant, souligne André Billy dans son Sainte-Beuve, hôte attentif au bien-être de ses invités, il ne manquait pas d'allumer une bougie à l'intention de son bon ami Théo afin qu'il puisse entretenir commodément la combustion de son cigare. On a blâmé, à bon droit semble-t-il, cette sorte de duplicité de Sainte-Beuve dans ses rapports avec autrui. Maurice Allem, auteur d'un Portrait de Sainte-Beuve, rapproche deux phrases de l'éminent critique:
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« Quand il [Béranger] parle, le dos tourné, de ses amis, il a une manière de les louer qui les dénigre », et, de lui-même, cet aveu: «J'ai eu quelquefois la louange perfide.» Les Goncourt l'entendent parler de Vigny qui vient de mourir: « Voilà Sainte-Beuve jetant des anecdotes sur sa fosse. Quand j'entends, avec ses petites phrases, Sainte-Beuve toucher à un mort, il me semble voir des fourmis toucher à un cadavre; il vous nettoie une gloire, et vous avez un petit squelette de l'individu, bien net et proprement arrangé... (Journal, 28 septembre 1863.) Un terrible empoisonneur d'éloges. » (11 avril 1864.) Ils évoluaient dans les mêmes milieux littéraires et artistiques, Gautier et Sainte-Beuve, ils se rencontraient partout, chez la Païva, chez le prince Napoléon, aux dîners Magny, chez la princesse Mathilde... En octobre 1867, Sainte-Beuve se fit volontiers, auprès de la princesse, quelques mois avant leur grosse brouille pour des raisons politiques, l'interprète du jeune ménage Mendès, fort désargenté, en quête de n'importe quel emploi malgré la défiance des autorités à l'endroit de l'auteur du Roman d'une nuit, épisodes rimés de la vie d'une courtisane, publié par le tout jeune Catulle en 1861 dans la Revue fantaisiste et que sanctionnèrent cinq cents francs d'amende assortis d'un mois de prison à Sainte-Pélagie pour outrage aux bonnes mœurs et offense à la morale publique. Charmé par Judith, SainteBeuve écrit à sa vieille amie: «... Elle mérite bien intérêt, talent si délicat dans une forme si belle... » Cette beauté féminine qui le troublait, le fascinait, le désespérait! SainteBeuve, à la sensualité exigeante, affamé d'affection câline, malgré la conquête si flatteuse de Mme Victor Hugo, fut toujours victime de sa timidité, née du sentiment de son défaut de prestance physique: 1,60 m sous la toise, «petit, assez rond, un peu lourd, presque rustique d'encolure, simple et campagnard de mise, un peu à la Béranger.» (Goncourt, Journal, 28 octobre 1861.) «Un petit bœuf sur des jambes d'éléphant », mais « son sourire avait toujours été charmant.» (Robert de Bonnières, Mémoires d'aujourd'hui.) « Quelque chose d'un gros chanoine ou d'un gros chat méticuleux, prudent... » (Taine, Vie et correspondance.) Un chat qui craignait l'eau, comme il se doit! Rappelons son duel sans dommage, au pistolet, avec le directeur du Globe, P.-F. Dubois, son ancien professeur de rhétorique au lycée Charlemagne, pour une querelle d'opinions; ce jour-là, 20 septembre 1830, il pleuvait; Sainte-Beuve ouvrit son parapluie: « Je veux bien être tué, je ne veux pas être mouillé! » L'on a beaucoup insisté sur l'agrément de sa conversation, "mêlée de malice et de bonhomie". Tel il était, tel il plut à des femmes d'expérience et, parmi les plus connues avec lesquelles il fut en manège plus ou moins heureux de coquetterie, citons Mme d'Agoult, Hortense Allart, Louise Colet, Mme d'Ortigues, Mme d'Arbouville, nièce de Molé. En 1845, il rêva d'épouser Ondine Valmore, la fille aînée d'une amie très chère, Marceline Desbordes-Valmore, puis y renonça. De sourcilleux censeurs s'offusquèrent des amours ancillaires du vieux garçon frileux; on énuméra aussi des Jenny, Clarisse, Célina... Une jolie anecdote de ces temps de déclin a été recueillie par Auriant dans les Lionnes du Second Empire, au chapitre consacré à Léontine Massin, une "ex" du prince Paul Demidoff, alors pensionnaire du Gymnase grâce aux bons offices du prince Napoléon: «Environ cette époque [1867], M. Sainte-Beuve la pria un soir à dîner avec Céline Montaland. M. Sainte-Beuve n'allait pas au théâtre, mais il avait entendu parler de ces deux jeunes actrices qu'on disait charmantes. Ce fut une innocente débauche. M. Sainte-Beuve se sentit rajeunir au contact de ces jolies perruches, et comme un peu intimidé. Marivauder, à son âge! Il parla de son feuilleton sur la maréchale de Luxembourg et le comte de Gisors. Céline et Léo, par politesse, firent semblant de s'intéresser à ce cours de littérature. Elles
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s'étaient attendues à tout autre chose. "J'ai dîné hier soir avec M. Sainte-Beuve, disait le lendemain Mlle Massin à ses amies du Gymnase. Est-ce que vous le connaissez? On dit qu'il est sénateur. Je n'en sais rien, mais, en tout cas, il est joliment bête !"» Non seulement M. Sainte-Beuve était sénateur depuis 1865 et, savoureuse coïncidence, sur recommandation du même Plon-Plon Bonaparte qui s'intéressa de très près, après la petite Massin, à la petite Montaland, mais il était aussi membre de l'Académie française depuis 1845 et commandeur de la Légion d'honneur depuis 1859. Immortel, il servit de cible au "Sagittaire" et, dans le Nain Jaune, il put lire en octobre 1863, sous la signature d'Old Noll, ces lignes offusquantes : Monsieur Sainte-Beuveest aussi académicienque pas un des Quarante et il sied à l'Académie. Contraste et mélange singuliers! La nature de M. Sainte-Beuve est très complexe. Il était du Globe. Il était des réunions Hugo. Il a toujours aimé les coteries, qu'il appelle des cénacles. Son dernier cénacle est l'Académie! Il vous en dira du mal, mais il s'y plaît. [...] Mandarin de première classe, M. Sainte-Beuve aime cette Sainte-Périne des professeurs qu'on appelle l'Académie et il y va tous les jours de séance, pour y pédantiser un peu... et pour y chercher provision de commérageset de petits scandales qu'il saura distiller plus tard... C'est donc un académicien par goût et par nature que M. Sainte-Beuve! [...] À l'origine, il était doué, pourtant, M. Sainte-Beuve, mais il a renversé sur son imagination naturelle, qu'il avait poétique, toute une chiffonnière de littérature, laquelle a tout couvert, tout englouti et tout éteint! L'esprit professeur et académiquel'a envahi. Il n'a plus été alors qu'un professeur, un anecdotier, un discoureur littéraire en son privé nom, puisqu'il ne croit pas à un Absolu, - à une Vérité. Je l'ai gardépour le dernierde ces médaillons, comme un salutaire exemple. Il est bon que la jeunesse prenne le dégoût des Académieset de leur esprit, en voyant comment elles ratatinent le talent - des hommes de talent! (Barbey d'Aurevilly, les QuaranteMédaillons de l'Académie.) Quelle hargne dans le parti-pris! Plusieurs secrétaires assistèrent successivement SainteBeuve dans son écrasant labeur: Auguste Lacaussade, poète, originaire de l'île Bourbon «un monsieur jaune et triste, qui a l'air d'une poésie de Millevoye retour de l'Inde» (Goncourt) -, dans les années 1845-1848; Octave Lacroix - pour lequel, jadis, Louise Colet avait eu une passade -, de 1851 à 1855 ; Jules Levallois, de 1855 à 1859, puis A.J. Pons, l'un et l'autre auteurs de Souvenirs sur leur célèbre patron; enfin Jules Troubat, qui avait été un temps secrétaire de Champfleury, à partir de 1861 ; Sainte-Beuve en fit son exécuteur testamentaire; il servit sa mémoire avec un constant dévouement et édita plusieurs de ses œuvres. Nous lui devons d'attachantes anecdotes sur les dernières années de l'auteur des Lundis, ses souffrances, ses chagrins, ses quelques joies. Voici, par exemple, la visite de Mlle Favart. Déjà bien malade, Sainte-Beuve avait dû renoncer à se rendre à la Comédie-Française où, le 21 décembre 1868, on commémorait la naissance de Racine; elle y avait dit les Larmes de Racine, des stances jadis composées par Sainte-Beuve aux temps heureux des Consolations; elle vint quelques jours plus tard les réciter pour lui, devant lui. Autre soirée mémorable lorsque Reyer se rendit lui aussi Il, rue du Montparnasse, pour accompagner au piano la soprano Marie Sasse et le baryton Victor Maurel dans des airs de Sigurd. Judith était assez liée avec Troubat, collaborateur de nombreux journaux, dont l'Événement, pour terminer ainsi l'un des brefs billets que nous connaissons d'elle à lui: « ... et vous de tout cœur je vous embrasse », malheureusement non daté comme toute sa correspondance, mais posté de Dinard: «J'ai beaucoup travaillé. C'est ma manière de prendre des vacances. Le temps était si vilain que le travail était une ressource. J'espère
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rigoler un peu le mois prochain... » Voici, en entier, deux autres lettres que nous croyons inédites jusqu'ici. Cher ami Je suis bien désolée de ne pas vous voir car votre mot m'apprend que vous avez eu du chagrin et un deuil, sans doute, dont je n'ai rien su, et je voudrais vous dire combien votre tristesse me peine. Je reviendrai jusqu'à ce que je vous trouve. En attendant vous seriez bien gentil de me donner une carte d'entrée pour copier au Louvre, au nom de René Berthois. Vous vous souvenez de ce jeune garçon venu de Rennes, qui veut être peintre? Je l'ai conduit à Gustave Moreau qui veut bien le guider dans le grand art et lui a dit d'aller peindre au Louvre. Est-il possible, par faveur, d'entrer le matin avant l'heure réglementaire? À bientôt ami et merci pour tout cela Judith Gautier Cher ami Vous vous souvenez du nom de F. Chaulnes que vous m'avez donné au Journal Officiel? Voulez-vous être assez gentil pour m'écrire un mot (avec vos titres) constatant que c'est bien moi sous ce masque? J'ai besoin de cela pour un procès que je fais et qui va être jugé. Que devenez-vous? Pourquoi ne vous voit-on plus jamais? Bien fidèlement
Judith Gautier L'une des raisons possibles, probables, d'une aussi bonne entente, nous nous aventurerons à la déduire de ce passage d'un livre de souvenirs de Jules Troubat sur son maître vénéré, la Salle à manger de Sainte-Beuve: «J'avais vingt-deux ans; Champfleury [...] me mêla à sa vie, m'initia à l'art et à la littérature. Baudelaire et Wagner m'étaient devenus familiers en quelques mois; je rencontrai le poète des Fleurs du mal chez Champfleury; - je vis une fois en face le grand compositeur allemand chez lui, et je lui parlai. [...] Je fis campagne, en 1861, à côté de Champfleury, aux représentations tumultueuses de Tannhaeuser, à l'Opéra de la rue Le Peletier: nous acclamions la musique de l'avenir; j'étale mes chevrons qui font de moi un wagnérien de la veille et je n'en ai pas démordu. » Le Second Rang du collier, p. 73. SAINT-JEAN, Simon (1808-1860). Peintre de fleurs et de fruits, il exposa au Salon de 1834 à 1859. Ses Prunes furent adjugées 4 100 francs à la vente après décès de Théophile Gautier. Dans le premier de ses Entretiens avec son beau-père, Bergerat, décrivant la décoration de cette même salle à manger, indique les deux toiles de Saint-Jean, «l'une représentant des prunes, l'autre des roses de la Malmaison». Il signale en outre «un cadre de Mme Escudier représentant des pétunias», un oiseau mort de Laverdet, des études de Jadin, dont «de superbes lévriers russes, de grandeur naturelle», un bouquet de pivoines par Appert, sans oublier «des plaques de cuivre repoussé [qui] semaient leurs taches de lumière dans la pénombre des rideaux bruns et des tentures.» Bergerat reparlera de ces peintures dans ses Souvenirs d'un enfant de Paris: «L'art de Simon Saint-Jean a ceci de propre qu'il sentimentalise la fleur et la traite en être animé; il en exprime le roman d'une heure. Comme Charles Chaplin le disait si plaisamment de ses études particulières: "Je suis le peintre de la vie des seins", Saint-Jean aurait pu dire qu'il était celui de la vie des fleurs. L'un de ses tableaux célèbres est cette rêverie mélancolique de la gerbée de fleurs emportées sur une écorce dans un ruisseau, comme les cheveux d'Ophélie.» Le 3 mars 1862, les frères Goncourt rendent visite, à Neuilly, au "sultan de l'épithète" : «Dans une
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rue pleine de bâtisses misérables et rustiques, de cours emplies de poules, de fruiteries qui ont, à la porte, des petits balais de plumes noires; une rue à la façon de ces rues de banlieue que peint Hervier, de son pinceau sale. [...] Une maison de plâtre. [...] Un salon à meubles de damas rouge; bois dorés, lourdes formes vénitiennes. De vieux tableaux de l'école d'André deI Sarto, avec de belles parties de chair jaune. Au-dessus de la cheminée, une glace sans tain, historiée d'arabesques de couleur et de caractères persans, genre Café turc.» Ce vitrail, souvenir du voyage de Gautier à Constantinople en 1852, Judith, qui le décrit dans le Second Rang du collier, le fera démonter et installer chez elle, rue Washington. Reprenons le Journal: « Une somptuosité pauvre et de raccroc, comme un intérieur de vieille actrice retirée, qui n'aurait touché que des tableaux à la faillite d'un directeur en Italie, ou d'un patricien de Venise dans la débine. » S'étant hissés jusqu'à l'atelier, les deux gentilhommes promènent un regard condescendant sur les œuvres de Ferogio, Rioult, Baudry, Delacroix, Chassériau, Rousseau, Saint-Jean, etc., «pauvres dons qui montrent toute l'avarice et la lésinerie de ce monde des artistes pour un homme qui, à tant de noms de l'art moderne, a bâti tant de piédestaux en feuilletons, tant de gloire en phrases, tant de recommandations au public, en descriptions si nettes et si colorées. » Certes, l'honnête laborieux que fut Théo ne s'est jamais avisé de monnayer son influence, ce que lui reprochait Émile de Girardin dont les propos cyniques ont été retenus par Du Camp: «Gautier est un imbécile qui ne comprend rien au journalisme; je lui avais mis une fortune entre les mains; son feuilleton aurait dû lui rapporter trente ou quarante mille francs par an, il n'a jamais su lui faire produire un sou. Il n'y a pas un directeur de théâtre qui ne lui eût fait des rentes, à la condition de l'avoir pour porte-voix. Actuellement et depuis qu'il a quitté la Presse, il est au Moniteur universel, c'est-à-dire au journal officiel de l'Empire; il n'en tire aucun parti; je vous le répète, c'est un imbécile qui n'a jamais profité d'une bonne occasion. » (Théophile Gautier.) Le Second Rang du collier, p. 32. SAINT- VICTOR, Paul Bins, comte de (Paris 1825-1881). Fils d'un littérateur distingué, il fit ses études en Suisse, puis à Rome. En 1848, Lamartine l'emploie comme secrétaire. En 1855, il remplace Théophile Gautier à la Presse de Girardin. Donne à la Presse et à d'autres journaux des articles de critique littéraire, théâtrale, picturale. On cite comme très remarquable l'étude qu'il consacra aux peintures murales faites par Delacroix dans la bibliothèque de la Chambre des députés. On encense ses Hommes et dieux, études de littérature et d'histoire. En 1864, il publie en collaboration avec Gautier et Houssaye les Dieux et les demi-dieux de la peinture. On loue son écriture. Aubryet : « le Don Juan de la phrase. » Gautier: « Son style, d'une perfection continue, d'une unité de trame sans égale, d'un éclat qui fait tout pâlir, ne laisse à désirer que quelques négligences. » Malgré de tels mérites, l'Académie n'en veut pas. « Mais, assure Claudin, l'opinion publique lui a donné une place avec Balzac, avec Dumas, et avec Gautier sur le quarante et unième fauteuil », ce fauteuil imaginé par Arsène Houssaye pour y asseoir... Molière, par exemple. En 1870, Saint-Victor devient inspecteur général des Beaux-Arts. Et il voyage: en Italie avec son alter ego Aubryet, en Allemagne avec les Goncourt. Edmond verra pleurer Gautier et SaintVictor - dont il dira par ailleurs pis que pendre - à l'enterrement de Jules. On voit SaintVictor chez Mario Uchard, l'homme de lettres époux transitoire de Madeleine Brohan, chez
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la Païva, chez la princesse Mathilde, sur le Boulevard, au Café Riche, aux dîners Magny où George Sand, à laquelle il est présenté le 12 février 1866, le trouve «charmant et distingué », chez Victor Hugo à qui il présente Dalloz. Au banquet offert en 1872 par Hugo à ses interprètes pour la 100e de Ruy Bias, Sarah Bernhardt rencontre Saint-Victor et en trace dans ses Mémoires ce portrait peu appétissant, en totale contradiction avec le "Camée" ciselé par Banville, évidemment plus contraint: « Un être odieux... ses joues avaient l'air de deux vessies suintant l' huile qu'elles contenaient; son nez en bec de corbin était acerbe; ses yeux méchants et durs; ses bras étaient trop courts; son ventre trop gros. Il avait l'air d'une jaunisse. » Auprès de Saint-Victor, voici le pauvre Théo proche de sa fin, croqué par la même plume alerte: « Gautier: tête de lion sur un corps d'éléphant; esprit délicieux et mots de choix dans un rire gras. Les chairs du visage, adipeuses, molles et blafardes, étaient trouées par deux prunelles voilées de lourdes paupières. Le regard était charmant et lointain... » Côté vie privée, si l'on peut dire puisque commentée sur la place publique: avant About, Saint-Victor fut l'amant d'Alice Ozy bien qu'elle ait nié lui avoir appartenu; et celui de Lia Félix, sœur cadette de Rachel. De cette dernière liaison naquit en 1859 Claire de Saint-Victor, filleule d'Edmond de Goncourt et fanatique de Victor Hugo, qui créa vers 1890 un salon littéraire fort couru jusqu'à la Première Guerre mondiale. Dreyfusarde bouillante, on la surnomma Notre-Dame de la Révision; tous les partisans du malheureux capitaine Dreyfus recevaient, 28, avenue Marceau, un accueil chaleureux de cette personne que les chroniqueurs décrivent de taille presque naine augmentée par des coiffures extravagantes. Catherine Pozzi, signalant au passage un chignon instable, teint en blond, sous un chapeau haut de forme, n'a pour elle que des propos fort désobligeants, et Maurice Rostand nous la montre «huppée de jaune d' œuf, semblable à quelque poule de "Chantecler" », chez la baronne de Pierrebourg, 1 bis, avenue du Bois, où «pensant à son propre salon, [elle] picorait sans cesse une nouvelle recrue». Madame Aimery de Pierrebourg, peintre d'un joli talent, écrivain connu sous le nom de Claude Ferval, vécut une longue liaison paisible, quasi officielle, avec le dramaturge et romancier "mondain" Paul Hervieu; la disparition de celui-ci pendant la Première Guerre mondiale la laissa inconsolable jusqu'à sa propre mort survenue au cours de la Seconde. Claude Ferval était de fondation l'une des dames du comité du Prix Vie Heureuse aux réunions duquel la coudoyait Judith Gautier. La noble prestance de cette aimable femme, d'une élégance remarquée, frappa Fernand Gregh dont Laure Rièze nous rapporte les propos: «Mme de Pierre bourg me fait toujours penser aux grandes dames de la Fronde; elle en avait le romanesque et même l'aspect physique: on la voyait très bien avec un grand chapeau à plumes faisant tirer le canon du haut de la Bastille. » En 1885 paraissait Victor Hugo, œuvre posthume de SaintVictor. Les deux hommes avaient été très liés, comme l'attestent ces lignes de Hugo, le 9 juillet 1881 : «Saint-Victor est mort. Coup violent. J'ai pleuré. C'était une noble et grande âme. Il était de ma famille dans le monde des esprits... » (Choses vues.) Annotant ce passage, Hubert Juin cite un mot de Saint-Victor, boulevardier bon teint, rapporté dans Paris aux cent coups par Aurélien Scholl, le prince des "humouristes" qui s'y connaissait mieux que personne en esprit parisien: « Il n'y a rien d'insupportable comme l'homme qui cherche cent sous; on a beau les lui donner, il en a toujours besoin. » Le Collier des jours, p. 176. Le Second Rang du collier, p. 1, 88, 147.
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SAND, George (1804-1876). Soixante romans, au moins vingt-quatre pièces de théâtre, des essais, des contes, des Mémoires; une gigantesque correspondance - quelque vingt mille lettres - éditée par l'incomparable "sandiste" Georges Lubin; et des articles, des préfaces... Une facilité, une aisance, une fluide abondance saluée par Flaubert: «Je ne peux mieux vous comparer qu'à un grand fleuve d'Amérique: énormité et douceur.» Même idée, mais image péjorative chez Nietzsche: George Sand, «cette terrible vache à écrire... » Version Jules Renard: «la vache bretonne de la littérature.» Allergique aux femmes de lettres, Jules Renard? En 1908, il écrira de Judith Gautier: «Cette vieille outre noire, mauvaise et fielleuse, couronnée de roses comme une vache de concours. » Ne s'est-il pas retourné dans sa tombe lorsque les académiciens Goncourt ont invité Judith à lui succéder, le 28 octobre 1910 ? Revenons à Sand, la femme et non plus l'écrivain, pour de nouvelles comparaisons zoologiques. Les Goncourt (30 mars 1862) : «Dans sa pose, il y a une gravité et une dignité de pachyderme, quelque chose de ruminant et de pacifique. » Balzac: «Ses yeux de génisse », mais aussi, ses «beaux yeux éclatants... toute la physionomie est dans l' œil », « ces yeux tour à tour si tendres et si terribles, disait Alfred de Musset à Louise Colet, que ceux qui [en] ont été caressés ou maudits y penseront jusque dans la mort. » Flaubert, charmé, attendri, trouve toujours, lui, de poétiques métaphores: « Malgré vos grands yeux de sphinx, vous avez vu le monde à travers une couleur d'or. Elle venait du soleil de votre cœur. » (Lettre du 8 septembre 1871.) Généalogie. Frédéric-Auguste, électeur de Saxe (1670-1773), qui fut roi de Pologne sous le nom d'Auguste II, et la volage, l'exquise Aurore de Kœnigsmark (1662 ou 1670-1728) engendrent Maurice de Saxe (1696-1750), maréchal de France, illustre homme de guerre, grand séducteur dont les amours buissonnières avec Marie Rainteau, dite de Verrières, "dame d'Opéra" (1730-1775), fructifient en Marie-Aurore de Saxe (1748-1821), élevée à Saint-Cyr en raison de ses royaux cousinages de la main gauche, veuve du comte œ Hom, qui épouse en secondes noces, en 1777, Louis-Claude Dupin, dit de Francueil (17151786), fermier général, propriétaire du domaine de Nohant, près de La Châtre, dans l'Indre, dont elle héritera. De ce mariage naît Maurice Dupin (1778-1808). Le 5 juin 1804, Maurice Dupin, officier de l'armée impériale, père d'un fils bâtard, Hippolyte Chatiron (1799-1848), épouse sa maîtresse tout près d'accoucher, Antoinette-Sophie- Victoire Delaborde (17731837), fille d'un maître-oiselier parisien et mère d'une fille illégitime, Caroline, née comme Hippolyte en 1799. Amantine-Aurore-Lucile Dupin, notre George Sand, naît à Paris le 1er juillet 1804. «Donc, dira-t-elle, le sang des rois se trouva mêlé dans mes veines au sang des pauvres et des petits. » Baronne Casimir Dudevant. Le colonel Dupin victime d'une chute de cheval, Aurore est prise en charge, à Nohant, par sa grand-mère, aristocrate voltairienne, cultivée, musicienne. 1818-1820: Aurore au couvent des Dames Augustines anglaises, à Paris. Retour à Nohant. Adolescence de "garçon manqué", lectures encyclopédiques, arts d'agrément. 17 septembre 1822: Aurore épouse Casimir Dudevant (1795-1871), enfant naturel reconnu du baron Dudevant, propriétaire terrien à Guillery, en Gascogne. Casimir: brave homme sans prétentions intellectuelles, campagnard porté sur la bouteille et les amours ancillaires. 30 juin 1823: Aurore accouche de Maurice. 13 septembre 1828: Aurore accouche de Solange, Casimir assumant ce jour-là avec bonne grâce une douteuse
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paternité. Mésentente conjugale, scènes, violences, séparation définitive des époux en 1836. Aurore partage alors, pour l'essentiel, sa vie entre Paris et Nohant. À Paris comme à Nohant, elle scandalise, dans sa jeunesse, par ses vêtements masculins, ses cigares, ses mœurs, son franc-parler, son franc-écrire, elle indigne, en somme, par l'audace de son insolente liberté. La maturité venue et sans pour autant mener une vie sentimentale plus conventionnelle, nimbée de sa gloire littéraire, Aurore-George s'installe dans un confort domestique et bourgeois, peuplé d'amis dévoués, et l'on parlera moins alors de ses débordements romantiques que de son immense labeur, de son amour des humbles, de sa proverbiale bonté. Relations. Le vicomte de Launay, alias Mme Émile de Girardin, fille de Sophie Gay, une amie très fidèle de Gautier, écrit de Sand en mars 1837: «Chacun de ses amis est un sujet pour elle, chaque nouvelle relation est un nouveau roman. L'histoire de ses affections est tout entière dans le catalogue de ses œuvres. » Raconter ces affections et ces relations serait retracer l'histoire littéraire, artistique, sociale, politique de la France louisphilipparde, de la lIe République et du Second Empire, Sand y ayant joué un rôle spectaculaire mis en évidence par ses talentueux biographes parmi lesquels nous citerons, parce qu'ils ont parlé d'elle avec cette "partialité toute chargée d'amour" que Gœthe sollicitait de ses propres biographes, Huguette Bouchardeau : George Sand - La lune et les sabots, et Jean Chalon: Chère George Sand. Bornons-nous ici aux plus célèbres de ses relations amoureuses, celles qui furent, dans son existence laborieuse, des chapitres mémorables. 1825 : Aurélien de Sèze, Bordelais, transports éthérés. 1828-1829: Stéphane Ajasson de Grandsagne, premier adultère, père probable de Solange. Jules Sandeau, « aimable et léger comme le colibri des savanes parfumées », vie commune de bohème à Paris, écrivent ensemble Rose et Blanche, publié en 1831 sous le nom d'auteur J. Sand. Avec Indiana qui suivit Rose et Blanche, Aurore conquiert son autonomie et devient George Sand, par apocope du nom de son jeune amant. Marie Dorval, l'actrice romantique par excellence, célèbre aussi par la passion jalouse d'Alfred de Vigny, qui s'attachera un temps à Jules Sandeau. Mérimée, erreur, fiasco sentimental et sensuel. 1833-1835: Alfred de Musset, nuit de Fontainebleau, péripéties vénitiennes, entrée en scène du "stupide Pagello". 1835-1837: Michel, dit Michel de Bourges, avocat républicain, liaison orageuse et brûlante. 1838-1847 : Frédéric Chopin,. .. pas un cœur sensible qui ne se soit ému de leurs déboires à Majorque, des convulsions de leur amour quasi conjugal. Avant et après Chopin, quelques jeunes gens éphémères, tendres camarades plutôt qu'amants sérieux. 1850-1865 : Alexandre Manceau, graveur, élève de Delacroix, ami de Maurice, le compagnon modeste et prévenant de son âge mûr, le plus stable de ses attachements à composante maternelle. George, formidable vitalité, individu à "fibre forte" : « Je ne peux pas, je ne veux pas vivre sans aimer.» (Lettre à son éditeur et ami Hetzel alors qu'elle était déjà, dans sa verte et généreuse vieillesse, "la bonne darne de Nohant".) Parmi les plus connus de ses amis et confidents: Henri de Latouche, directeur du Figaro, le sévère critique Gustave Planche, Sainte-Beuve, Nerval, Heine, Liszt, Berlioz, les Viardot, Meyerbeer, Lamennais, Balzac, Pierre Leroux le messianique philosophe, Buloz, Hortense Allart, Juliette Adam, le prince Jérôme, les Dumas père et fils, etc. George Sand meurt à Nohant d'une occlusion intestinale le 8 juin 1876, à la veille de ses soixante-douze ans. Le Il juin, Renan écrit dans le Temps: «Sa mort me paraît un amoindrissement de l'humanité, quelque chose
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manquera désormais à notre concert, une corde est brisée dans la lyre du siècle.» Et Flaubert, quelques jours plus tard, confiant sa "peine infinie" à Tourgueniev: «Pauvre chère grande femme!. .. Il fallait la connaître comme je l'ai connue pour savoir tout ce qu'il y avait de féminin dans ce grand homme, l'immensité de tendresse qui se trouvait dans ce génie. .. Elle restera une des illustrations de la France et une gloire unique. » Valentine. Mélancolique histoire d'un amour fatal et coupable, plaidoyer en faveur des femmes ligotées par un mariage mal assorti - thème récurrent de George -, récit agrémenté de jolies descriptions de la campagne berrichonne, en avant-première de la fameuse série des romans champêtres: la Mare au diable, écrit en quatre jours! (1846), la Petite Fadette (1849), François le Champi (1848), les Maîtres Sonneurs (1853), les seuls connus aujourd'hui, ou à peu près, du grand public. Publié en 1832, Valentine, deuxième livre de Sand, suivait Indiana (1832) et précédait Lélia (1833), le plus vilipendé des romans de l'écrivain dont la fécondité imperturbable s'affirmait déjà dans ces œuvres de jeunesse. On estimera à son prix la largeur - critiquée en son temps - d'une éducation qui autorisait Judith et Estelle adolescentes à lire des ouvrages immoraux, délétères au jugement des bienpensants: toute l' œuvre de George Sand sera mise à l'Index en 1863. Par ailleurs, Sand, politiquement engagée "à gauche", fougueusement démocrate, était fort opposée au régime impérial; elle combattait, d'autre part, la doctrine de l'art pour l'art si chère à Théophile Gautier. Ce dernier, malgré son séjour à Nohant en 1863 - il s'y était ennuyé parce que l'on n' y débattait pas de littérature - et les rencontres aux dîners Magny où George appréciait ses éblouissants paradoxes, ne semble avoir entretenu avec elle que des rapports superficiels. Maurice Dudevant. Il adoptera le nom de plume de sa mère, qui l'idolâtre et dont il est jaloux. Tient d'elle ses dons artistiques. Doux et indolent, l'homme des vertus commodes. Élève de Delacroix, cet ami intime de Chopin, habitué de Nohant au point que Maurice lui aménagera un atelier dans les communs. Expose aux Salons. Le Dictionnaire de Bénézit indique: «peintre, dessinateur, sculpteur, décorateur et écrivain ». Bon caricaturiste. Crée le théâtre de marionnettes de Nohant. Illustre certains romans de sa mère et quelques-unes de ses propres œuvres. Publie, entre autres, en 1860 Masques et Bouffons, étude sur la Comédie italienne pour laquelle Alexandre Manceau grava cinquante illustrations, le Monde des papillons (1866) - à l'instar de sa mère amoureux de la nature, il devint un excellent entomologue -, Six mille lieues à toute vapeur, récit de son voyage en Amérique où l'emmena en 1861 le prince Jérôme Bonaparte. La collaboration maternelle est évidente dans la prose de Maurice. En 1862, il épouse Lina Calamatta (1841-1901), fille du graveur Luigi Calamatta, filleule d'Ingres. Lina dira: «J'ai bien plus épousé George Sand que Maurice Sand et je me suis mariée avec lui parce que je l'adorais, elle.» De cette union, trois enfants: Marc-Antoine, dit «Cocoton », (1863-1864), Aurore = Mme Lauth (18661961), et Gabrielle
= Mme
Palazzi (1868-1909),
toutes deux sans postérité.
Maurice meurt
à Nohant en 1889. Solange Dudevant. En 1837, Solange, née en 1828, adolescente précoce, inspirait à Mme d'Agoult, en séjour à Nohant avec Franz Liszt, son amant, les réflexions suivantes: «
Caractèrepassionnéet indomptable,Solangeest destinéeà l'absolu, dans le bien ou dans
le mal. Sa vie sera pleine de luttes, de combats. Elle ne se pliera pas aux règles
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communes; il y aura de la grandeur dans ses fautes, de la sublimité dans ses vertus», l'antithèse même de son frère Maurice. Malheureusement les défauts prédominèrent sur les vertus de Solange. Elle «fait le mal comme on fait de l'art pour l'art, pour l'amour de l'art», confirme Pauline Viardot. S'estimant mal aimée, belle, très tôt consciente de ses charmes, elle aguicha Chopin et tout laisse à penser qu'elle fut, non le seul, certes, mais un facteur déterminant dans la brouille définitive survenue entre l'artiste irritable et son hôtesse lassée. Fiançailles rompues avec le gentil hobereau Fernand de Préaulx, Solange convole pour le pire, en 1847, avec le sculpteur jurassien Auguste Clésinger (1814-1883) en dépit des plus fermes mises en garde contre la conduite déplorable du "maçon monumental". Un bébé, né en 1847 de ce couple infernal et perdu de dettes que George tente sans succès d'éponger, meurt au bout de quelques jours. Une fille, Jeanne-Gabrielle, dite Nini car la manie des surnoms sévit à Nohant, naît en 1849, adorée par sa grand-mère qui lutte pour assurer un peu de stabilité à la pauvre enfant ballottée entre ses père et mère, mais elle meurt en pension d'une fièvre scarlatine en janvier 1855, victime d'une imprudence de Clé singer qui l'emmène se promener malade et insuffisamment vêtue. George est au désespoir. Son amour viscéral, au demeurant intelligent, pour ses petits-enfants fait irrésistiblement penser à Victor Hugo, aïeul émerveillé. Solange, personne vaine, paresseuse, excessive, arrogante, avide d'un luxe facile, sombre très vite dans la galanterie. Elle meurt en 1883, sans postérité. George Sand, Judith Gautier et Jules Claretie. Nous savons que Judith fréquentait l'œuvre de son illustre devancière par une lettre qu'elle écrivit à Loti en juin 1904, à l'époque où les deux auteurs de la Fille du Ciel tentaient de trouver une scène où faire représenter leur pièce, après la défection de Sarah Bernhardt. «Claretie m'a demandé un avant-propos pour le couronnement du buste de George Sand à son centenaire qui a lieu le 2 juillet. J'ai terminé hier cette chose extrêmement difficile.» Jules Claretie, de l'Académie française, était alors administrateur général de la Comédie-Française. Romancier, journaliste, préfacier entre autres ouvrages du livre de Péladan, Ernest Hébert, son œuvre et son temps (Paris, 1910), auteur de la Vie à Paris, 1881-1887, 1896-1914, recueils de chroniques que l'on feuillettera toujours avec fruit, et de quelques pièces de théâtre, son œuvre abondante inspira à l'écrivain Louis Mullem, beau-frère du romancier naturaliste Léon Cladel, cette cruelle anagramme: «Je sue l'article ». On jalousait sa réussite et de son nez oblique on se moqua plus encore que de celui d'Anatole France. Cet homme charmant était d'une aménité si persuasive, d'une diplomatie si enveloppante, d'une si suave habileté qu'elle lui valut de la malicieuse Marguerite Moreno, son administrée, le sobriquet de Guimauve-le-Conquérant. Son fils Georges se battit en duel - manie de l'époque - avec le bouillant Léon Daudet à propos d'une pièce d'Henry Bernstein, Après moi (1911): « Ce duel, raconte Léon Daudet dans Paris vécu, panaché d'épée et de pistolet, comme celui avec Bernstein, me donna une vive sympathie pour Georges Claretie, journaliste du plus grand talent et, - chose rare - d'une indépendance absolue. » Jules Claretie, à propos de Lélia, parle en juillet 1882 «des variations de l'opinion dans la question de l'éducation des femmes ». Pour Mme Sand, dit-il, « le représentant le plus illustre du roman sentimental, le roman était à la fois l'apothéose et le cantique de la passion. Un souffle orageux traversait ses pages. [...] Les femmes du temps de George Sand, piquées par le poison de Lélia, ne comprenaient point la passion sans les cris, les torsions de nerfs, les élans désespérés, les
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cantiques coupés de blasphèmes. [...] Ah! pauvres femmes! Si vous aviez su ce que Mme Sand pensait de Lélia et de sa morale! [...] Pour Mme Sand elle-même, Lélia est une malade et la vieille morale du devoir, de la fidélité et même de la chasteté est la seule morale que l'auteur de Lélia conseille aux femmes. » Ouais ! tant il est vrai que, lorsque le diable se fait vieux, il devient ermite. .. Le Collier des jours, p. 250. Le Second Rang du collier, p. 4, 37. SCHUBERT, Franz Peter (Vienne, Autriche 1797-1828). «Qui ne connaît la fameuse Sérénade? écrit Paul Landormy. Voici comment elle fut composée. Un dimanche, Schubert, passant par Wahring, avec toute une compagnie de gais jeunes gens, aperçoit son ami Tieze installé dans l'auberge de Biersack. Immédiatement il entre, suivi de toute sa bande. Tieze avait un livre ouvert devant lui. Schubert se met à le feuilleter et ses yeux tombent sur une pièce de vers qu' il lit tout bas. Tout d'un coup il s'écrie: "11me vient une jolie mélodie. Si j'avais du papier réglé !" Un camarade avise une note laissée par un consommateur, ilIa retourne, trace des portées au revers. Et Schubert, au milieu du va-etvient des garçons, du bruit des conversations, de la musique des joueurs de harpe et des cris des joueurs de quilles, écrit sa délicieuse Sérénade Guillet 1826).» (La Vie de Schubert.) Traduction proposée par Larousse: Incline ta tête fière, écoute un moment Mon humble et triste prière, ô trop cher tourment! Ô doux et navrant martyred'un cœur déchiré! Je viens mendier ton sourire, ton regard sacré! Je n'ai plus de sang aux veines. Subir ton dédain! Voir tant de souffrance vaine! Voir ton front d'airain Gardant sa pâleur mortelle, son calme irritant! Je te voue haine éternelle, mépris insultant!
Non! pardonne à la folie, pardonne aux douleurs! Vois mes tortures et mes pleurs! Viens, je t'en supplie, Ah ! viens ou je meurs! Viens! sinon je meurs! Qu'importe la niaiserie de ces paroles, puisque, comme le dit très bien Liszt, Schubert « fut le musicien le plus poète qu'il y eut jamais»? «Mes créations musicales, a-t-il écrit, sont filles de l'intelligence de ma douleur; celles que ma douleur a engendrées sont aussi celles qui semblent apporter le plus de plaisir à qui les écoute. » Et Beethoven, parlant des lieder de son jeune compatriote qu'il découvrit peu de mois avant de mourir: «Dans ce Schubert, il y a vraiment une étincelle divine!» En 1828, on publia à Paris Quarante Mélodies de Schubert, lequel, dès ce moment, connut la vogue dans nos salons. Luigi Lablache, la fameuse basse italienne alors en tournée à Vienne, avait été, en 1827, le dédicataire des Trois Chants de Métastase. Le ténor français Adolphe Nourrit, dont un mélomane allemand louait
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témoignage
appréciable - son interprétation
du Roi des aulnes,
s'employa comme son aîné Lablache à faire connaître chez nous le compositeur viennois. «Il m'a été donné - rapporte Julien Tiersot - d'entendre la dernière survivante des grands artistes élevés à cette école et d'après ses traditions, Mme Pauline Viardot, chanter le Roi
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des aulnes (elle était accompagnée par Saint-Saëns) :je garde de cette réalisation le souvenir d'une des grandes impressions d'art de ma vie, tant l'œuvre se révélait ainsi puissante, forte, séduisante et multiple, telle assurément que Schubert l'avait voulue. » Ce dernier, auteur de plus de six cents lieder - pour ne parler que de cette fraction de son œuvre immense
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trouva
de nos jours un zélateur hors de pair en la personne du baryton Gérard Souzay, le disciple si richement doué de Pierre Bemac. Disons quelques mots de ce pauvre Nourrit, né à Montpellier le 3 mars 1802. Premier ténor de l'Opéra pendant quatorze ans, interprète favori de Meyerbeer, il connut l'enivrement des ovations sans fin dans les rôles vedettes de Robert le Diable, des Huguenots entre autres et, par exemple, dans la Juive de Fromental Halévy. C'est lui qui écrivit les paroles de l'air célèbre à la finale du IVe acte: «Rachel, quand du Seigneur la grâce tutélaire... » Peintre à ses heures, écrivain, il composa, peut-être d'après le Trilby de Charles Nodier, un argument du ballet que "musiqua" Schneitzhoeffer et qui devint la Sylphide où, le 12 mars 1832, triompha Marie Taglioni sur la scène du Théâtre national de l'Opéra. Malheureusement Duprez parut, et Nourrit ne put supporter le partage des rôles-titres avec ce rival. .., d'autant plus que sa voix commençait à donner des signes de défaillance. Il démissionne, paraît pour la dernière fois à l'Opéra le 1er avril 1837 dans sa représentation de retraite et fuit Paris, mais la province - Lyon, Marseille - ne lui rend pas la confiance perdue. En Italie, où il se réfugie avec femme et enfants, la faveur du public et la bienveillance des critiques ne lui sont pas toujours acquises. Il sombre dans la neurasthénie, sa raison s'égare. Le 8 mars 1839, avant l'aube, il monte sur le toit de l'immeuble napolitain où il demeurait alors et se jette dans le vide. On ne peut s'empêcher de rapprocher la tragédie de Nourrit de celle de Comélie Falcon, dont il fut un temps et sans profit très amoureux; elle aussi perdit prématurément la voix et connut en scène la mortelle humiliation de ne pouvoir terminer l'acte en cours. «S'il est une chose triste, écrivait Théophile Gautier dans la Presse du 23 février 1846, cité par Olivier Merlin, c'est le spectacle de la décadence du talent. Pour notre part, rien ne nous afflige comme de voir un artiste se survivre à lui-même et se promener par la ville, âme absente, flacon vide, parfum évaporé... » La nouvelle du suicide de Nourrit sema la consternation. De Naples on rapatria par mer sa dépouille mortelle. À Notre-Dame-du-Mont de Marseille, Chopin joua de l'orgue pendant la cérémonie religieuse, improvisant sur le thème d'un lied de Schubert, les Astres. George Sand, "cachée sous l'orgue", plaignait la malheureuse femme du ténor et ses enfants prostrés au pied du cercueil; elle se souviendra du destin de Nourrit lorsqu'elle entreprendra d'écrire Adriani, roman paru en 1854. Le tombeau d'Adolphe Nourrit fut érigé au cimetière de Montmartre, non loin de celui de Marceline Desbordes-Valmore, une grande amie du ménage. Mme Nourrit, enceinte lors du décès de son mari, mit au monde un petit garçon et mourut le 8 août 1839, cinq mois jour pour jour après le drame de Naples. Le Second Rang du collier, p. 145. SCOTT, sir Walter (Edimbourg 1771 - Abbotsford 1832), écrivain de langue anglaise. Le succès de beaucoup de ses œuvres ne s'est guère démenti jusqu'à ce jour. Quel jeune Français n'a lu au moins une traduction d' /vanhoë? de Quentin Du1Ward, histoire située chez nous au XVe siècle? Delacroix exposa au Salon de 1827 l'Assassinat de l'évêque de Liège, une scène tirée de ce roman paru en 1823. Walter Scott, romantique par excellence, inspira aussi librettistes et compositeurs d'opéras, entre autres Rossini, la Dame du lac (1re,
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Naples, 1819) ; Boieldieu, la Dame blanche (1re, Paris, 1825); Bellini, les Puritains (1re, Paris, 1835); Donizetti, le Château de Kenilworth (1re, Naples, 1829) et Lucie de Lamermoor (1re, Naples, 1835) ; Bizet, la Jolie Fille de Perth (1re, Paris, 1867). Berlioz, quant à lui, écrivit une Ouverture de Rob Roy, il en fut du reste mécontent au point de la détruire. Profitons de cette notice pour relire quelques passages de la longue, de l'instructive, de la charmante lettre d'un père attentif bien que surchargé de besogne à la "chère enfant de [son] âme" qui faisait alors un séjour en Suisse chez sa marraine Carlotta, cet "Ouragan" passablement rétif à l'influence Grisi: Moscou, 22 août - 3 septembre 1861. Ma chère Judith, Je te rends le titre de "mon dernier espoir" que je t'avais ôté car je sais, par les lettres de ta maman, que tu tiens avec une loyauté parfaite la parole d'honneur donnée d'être sage et soumise. [...] Tu n'as pas, dis-tu, éprouvé sur le lac Léman la même impression que moi, et tu attribues malicieusement cette différence d'effet à ce que j'étais "loin de ma famille et avec de l'argent dans ma poche". Cela est vrai, mais pas comme tu le crois; la disposition intérieure est tout; le paysage est dans nous-même autant qu'à l'extérieur, et c'est notre pensée qui le colore, triste ou gaie, bienveillante ou haineuse. Si tu avais étouffé en toi certain petit levain rebelle ou rancunier, tu aurais joui pleinement de cette belle nature, si calme, si douce et si sereine. Une goutte de fiel suffit pour verdir tout l'azur du lac de Genève et faire au soleil des taches plus grandes que celles que tu vois avec ton télescope sur la terrasse de Neuilly. Sois contente de toi-même et tu le seras de l' horizon. [...] Les montagnes ne t'ont pas produit l'effet de nouveauté que tu attendais. Il t'a semblé les avoir déjà vues, comme la mer; elles t'ont paru "petites et maigres". Cela provient de ce que la réalité remplit rarement les promesses de l'imagination et peut-être aussi de ce que tu n'as vraiment pas vu les montagnes. [...] Je pense pouvoir revenir assez tôt pour te faire voir la nature alpestre dans toute sa beauté grandiose et virginale. Prends garde d'appliquer trop vi te le sentiment critique aux choses sérieusement belles; pour un trait d'esprit, tu t'ôterais à la longue la faculté d'en jouir. Ne tue pas en toi l'admiration. L'enthousiasme va bien à la jeunesse. [...] À ton âge, je n'aurais pas plaisanté les Alpes. Lis Walter Scott; je te le permets et je te le recommande même; c'est une bonne, excellente et constructive opération. l'apprends par ta bonne mère, qu'il te serait si facile de séduire, que tu as une voix de soprano très pure et très juste. Tu sais tout ce que ce mot a de flatteur dans la bouche d'une Italienne et d'une Grisi. J'en suis charmé [.. .]. Mille baisers, ton père. Pourtant, en juillet 1842, dans un article du Musée des familles où il fustigeait l'Histoire de la Marine d'Eugène Sue, il avait écrit ces lignes acrimonieuses: Walter Scott est mort, Dieu lui fasse grâce, mais il a introduit dans le monde et mis à la mode le plus détestable genre de composition qu'il soit possible d'inventer; le nom seul a quelque chose de difforme et de monstrueux qui fait valoir de quel accouplement antipathique il est né; le roman historique, c'est à dire la vérité fausse ou le mensonge vrai. Cette plante vénéneuse qui ne porte que des fruits creux et des fleurs sans parfum, pousse sur les ruines des littératures; elle est d'aussi mauvais présage que l'ortie et la ciguë au bas d'un mur; car on ne la voit jeter à droite et à gauche ses rameaux d'un vert pâle et maladif que dans les temps de décadence et aux endroits malsains. Cela prouve tout simplement qu'un siècle est dénué de jugement et d'invention, incapable d'écrire l'histoire et le roman; deux choses aussi
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ennemies ne peuvent se rechercheret se lier ensemble qu'à la dernière extrémité [.. .]. C'est une imaginationaussi heureuse que celle des vers prosaïqueset de la prose poétique. Vingt années d'expérience avaient évidemment incité le critique à réviser à la hausse ses jugements d'antan. Stendhal consacra plusieurs pages de son allègre Vie de Rossini, parue à Paris en 1823, à comparer la virtuosité descriptive de l'écrivain écossais - qu'il citera à diverses reprises dans cette biographie inventive, fantaisiste, passionnée - aux développements harmoniques du compositeur. «À chaque instant Walter Scott interrompt et soutient le dialogue par la description [.. .J. Lorsqu'elle est bien placée, elle laisse l'âme dans un état d'émotion qui la prépare merveilleusement à se laisser toucher par le plus simple dialogue; et c'est à l'aide de ses merveilleuses descriptions que Walter Scott a pu avoir l'audace d'être simple, abandonner le ton de rhéteur que Jean-Jacques et tant d'autres avaient mis à la mode et enfin oser risquer des dialogues aussi vrais que la nature.» «Les qualités héroïques de Fenimore Cooper ou puissamment constructives de Walter Scott» faisaient, nous apprend Calmettes, l'admiration de Leconte de Lisle. «J'ai souvenir, écrit-il, qu'on lui répéta l'une des boutades qu'un de ses plus jeunes familiers se plaisait alors à semer au vent des boulevards. Oubliant, pour le temps d'un bon mot seulement, son respect ordinaire des excellentes traditions et faisant allusion aux bronzes d'art romantiques qui reproduisaient des personnages ou des scènes tirés des récits de Walter Scott (Ivanhoë, Diana Vernon), François Coppée, quelque peu gavroche, mais nullement frondeur, n'avait pas cru commettre un grand crime en définissant ainsi les romans de l'illustre descendant des chefs de clans écossais: "C'est de la littérature pour dessus de pendules." Leconte de Lisle, lorsque le mot lui fut rapporté, se mit fort en colère et je me rappelle la virulente tirade qu'il termina par cette exclamation: "Notre ami pourra se battre longtemps les flancs avant d'écrire seulement Quentin DU1Wardou l'Antiquaire." » CharlesAuguste Defauconpret, qui fut sous Louis-Philippe proviseur du collège Rollin, rue des Postes, du temps qu'Édouard Manet y rêvait d'une carrière de marin, attacha son nom, en collaboration avec son père, Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, à une honnête traduction des œuvres de Walter Scott. Le Second Rang du collier, p. 38, 45. SÉRAPHIN (1747-1800), lorrain d'origine, avait créé en 1784, numéros 119-120, Galerie de Valois, au Palais-Royal, un théâtre d'ombres chinoises; on y donnait aussi des spectacles de marionnettes. À la porte du théâtre, un aboyeur faisait le boniment. Cette salle de deux cents places, en principe réservée aux enfants, aux "personnes du sexe" et aux ecclésiastiques, mais mal éclairée et propice aux rencontres discrètes, acquit un renom douteux. En 1860, le théâtre des « ombres chinoises, marionnettes, voltigeurs et points de vue mécaniques» déménagea pour s'installer au 12, boulevard Montmartre, sur l'emplacement d'un hôtel où Rossini habita de 1829 à 1833. Le génial Ciceri commença bizarrement, tout jeune encore, par être chef d'orchestre chez Séraphin où les spectacles étaient accompagnés de musique. Un accident qui le rendit boiteux l'engagea à choisir une autre voie; il délaissa la musique pour la peinture, passa rapidement de l'aquarelle et du tableau de chevalet aux vastes travaux décoratifs qui lui donnèrent la célébrité. Lorsque Dumas se mit à préparer le bal géant qui rassembla quelques centaines de personnes chez lui, cité des Trois-Frères (plus tard square d'Orléans) en mars 1832, l'année même de la Tour de
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Nesle, il fit appel à ses amis artistes pour habiller les murs. Delacroix, Decamps, les Boulanger, Nanteuil, Barye l'animalier et quelques autres répondirent « Présent!» Ciceri vint prêter main-forte, s'occupa des plafonds et, de ses pinceaux miraculeux, « largement, vigoureusement, puissamment» en quelques minutes, raconte Dumas, il rectifia les ciels ratés des frères Johannot, peints de nuit en toute hâte et «qui avaient l'air de deux immenses omelettes aux fines herbes». Du père Ciceri, « gai, vert, spirituel, [...] tous ces jeunes gens apprenaient en un instant les secrets de la décoration qu'ils avaient, la veille, pour la plupart, cherché en tâtonnant des heures entières ». Ciceri, gendre d'Isabey, était devenu décorateur en chef de l'Opéra, sous l'intelligente tutelle du Dr Véron, le publiciste auteur des Mémoires d'un bourgeois de Paris. Robert le Diable, la première œuvre de la période française de Meyerbeer sur un livret de Scribe et Delavigne (création le 21 novembre 1831), lui donna l'occasion de brosser pour la scène des nonnes, d'après le cloître de Monfort -l'Amaury, un décor de cimetière resté fameux dans les annales théâtrales, chefd' œuvre qui ne devait plus rien aux vieux poncifs classiques; Gautier le déclara « magique ». Ce décor contribua pour une large part à l'énorme succès de Robert le Diable. En 1872, on dansait encore le ballet des nonnes, rue Le Peletier, selon la chorégraphie réglée quarante ans auparavant par Philippe Taglioni; une toile de Degas, au Victoria et Albert Museum de Londres, permet de nous faire une idée de son atmosphère crépusculaire et envoûtante. Il n'est pas interdit de penser que la vocation de Judith pour le théâtre - qui la déçut beaucoup comme elle le confiait amèrement à Raoul Aubry en 1910 - et pour l'animation des marionnettes est née dans la modeste salle du Théâtre de Séraphin, sans oublier sa passion enfantine pour les poupées à ressorts. Trente-cinq ans après Judith, Lucie Delarue (future Mme Delarue-Mardrus) et ses cinq sœurs jouaient encore avec ces « toutes petites poupées de bois, dites "à ressorts" alors qu'elles n'en comportaient aucun, et qui coûtaient un sou. J'en ai conservé quelques-unes. Leurs bras et leurs jambes ressemblent à des allumettes, leurs joues sont peintes en rouge vif et leurs cheveux en noir.» (Mes Mémoires.) «J'adore les marionnettes, confiait Théodore de Banville dans Paris vécu. Non pas certes avec l'autorité d'un Théodore Hoffmann [...] ni avec celle d'un Charles Nodier. [...] Non seulement le bon Nodier aima les créatures en bois, mais il se plaisait beaucoup dans la société des simples pantins. Il en avait suspendu une grande quantité à une cordelette tendue au plafond au-dessus de son lit; et à l'aide d'une ficelle verticale attachée à la première et qu'il tirait de toutes ses forces, il savourait, tout en étant couché, le plaisir d'épuiser toutes les combinaisons tragiques et comiques et de les créer sans effort.» L'univers lilliputien des marionnettes a toujours enchanté les esprits imaginatifs. «Elles satisfont notre besoin de fiction, vieux comme le monde et peuvent représenter toutes les rêveries comme toutes les qualités, toutes les passions bonnes ou mauvaises », écrit George Sand, active collaboratrice de Maurice, le directeur, l'auteur, le décorateur et le machiniste du théâtre de Nohant, qui compta en quelques années une troupe importante de petits personnages à gaine. Entre sa dixième et sa quinzième année, Julien Viaud, séduit par le conte de Peau-d'Âne, a consacré tous ses moments libres à la construction d'un théâtre très élaboré, aidé par "la petite Jeanne", fille d'une famille amie de ses parents. « Nous brossions de fantastiques décors; nous habillions, pour les défilés, d'innombrables petites poupées, [...] des poupées de cinq à six centimètres de long, en porcelaine articulée. [...] Tante Claire travaillait dans les costumes et je lui donnais sa tâche chaque jour. Elle avait surtout l'entreprise de la coiffure des fées et des nymphes; sur leurs têtes de porcelaine
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grosses comme le bout du doigt, elle posait des postiches de soie blonde, qu'elle frisait ensuite en boucles éparses au moyen d'imperceptibles fers... » Son théâtre de Peau-d'Âne a inspiré à Loti des pages charmantes dans ce Roman d'un enfant qu'il dédia à S. M. la reine Élisabeth de Roumanie, en littérature Carmen Sylva, la traductrice en allemand de son Pêcheur d'Islande. « Je me souviens de notre satisfaction, de notre enthousiasme le jour où fut essayé le grand décor circulaire sans portants qui représentait le "vide". Des petits nuages roses, éclairés par côté au jour frisant, erraient dans une étendue bleue que des voiles de gaze rendaient indécise. Et le char d'une fée aux cheveux de soie, traîné par deux papillons, s'avançait au milieu, soutenu par d'invisibles fils. » D'invisibles fils... c'est une technique analogue qu'adopta Judith pour la conception et l'animation des pupazzi non articulés de son Petit Théâtre. Son habileté, sa maîtrise en ce domaine ont été célébrées unanimement par ses contemporains. Laissons-leur la parole. À propos de la représentation en soirée de gala le lundi 13 juin 1910, galerie Barbazanges, 109, faubourg-Saint-Honoré, de Une larme du Diable, mystère en huit tableaux de Théophile Gautier, adapté par Judith Gautier, avec musique de Benedictus, soli et chœurs dirigés dans la coulisse par Inghelbrecht, alors chef d'orchestre au Théâtre des Arts, devant une assistance des plus huppées, duchesse de Rohan et sa fille Murat, comtesse Greffulhe, princesse Edmond de Polignac, Madame Alphonse Daudet accompagnée d'Edmée et de Lucien, baronne et Yvonne de Baye, Gabriele D'Annunzio, etc.: «Imaginez des figurines de la hauteur d'une grande poupée, mais modelées et colorées par l'auteur du Collier des jours avec autant d'art que des bonshommes de saxe [...]. Spectacle délicieux, dû au génie d'un de nos maîtres et à la respectueuse, à
l' habile piété de sa fille admirée. » (Robert de Montesquiou.) - «Leur grâce naïve, leur simplicité délicieuse en font des personnages de rêves qui prennent un pouvoir magique sur le spectateur. Elles suggèrent à l'imagination un monde idéal où les fantaisies des poètes se développent tout naturellement. » (Jacques Morland.) - « C'est Mme Judith Gautier ellemême qui sculpte et habille ces poupées charmantes, d'une grâce si expressive: elle est le démiurge de ce petit monde... » (Paul Souday.) Pour cette représentation de gala, Judith avait requis le concours de l'ingénieur mélomane Paul Clemenceau. Évoquant des souvenirs de jeunesse, Jean Hugo, bien des années plus tard, écrira dans le Regard de la mémoire Iivre délectable: «Comme les Berthelot, comme eux athées ou agnostiques, les Clemenceau étaient fort liés avec ma famille. Ils descendaient d'une tribu de Huns établis à Tiffauges, en Vendée, après avoir traversé l'Allemagne, où on leur avait donné le nom de Taïfeles - Teufeln, les diables -, d'où Tiffauges. Ils tiraient de cette origine leurs pommettes saillantes, leurs petits yeux noirs, leur teint jaune, leurs crânes chauves. Paul Clemenceau, comme son frère Georges, portait de longues moustaches qui accentuaient leur ressemblance héréditaire avec Attila. Dreyfusard à l'allure militaire, bourru bienfaisant, pacifiste et marchand de dynamite, il assaisonnait de brusquerie sa parfaite courtoisie. » En technicien averti, Paul Clemenceau réglait donc les lumières du Petit Théâtre. Un officier de marine à la carrière mouvementée, polyglotte, spécialiste de l'anglais archaïque, écrivain, ami et collaborateur de Loti pour le Roi Lear qui obtint un succès flatteur à l'Odéon en 1904, Émile Vedel, rencontra Paul Clemenceau en sa qualité de chef électricien aux côtés de Judith, un jour où elle préparait un spectacle dont l'héroïne était une jeune paysanne bretonne... peut-être sur un libretto adapté de son roman /soline situé sur les bords de la Rance - intrigue peu vraisemblable mais agrémentée de jolis paysages maritimes. Vedel venait de faire la connaissance de Judith, le 17 novembre 1898, à l'Académie française. Loti
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y faisait l'éloge des vertueux lauréats du Prix Montyon, avant la remise du Prix Née, attribué cette année-là à Mme Gautier pour l'ensemble de son œuvre récemment augmentée de la Conquête du Paradis. Le Lion de la Victoire. La Reine de Bangalore, deux volumes publiés chez Frinzine en 1887 (réédité en 1913 chez Armand Colin, dans une version abrégée sous ce nouveau titre: L'Inde éblouie), ouvrage nourri de la documentation fournie par le duc de Rohan, petit-neveu du personnage central, Charles de Bussy Castelnau. C'était le roman historique préféré par l'auteur, si l'on en croit un article de Gaston Deschamps; on y retrouve, écrivait Anatole France, «cette imagination héroïque et pure, ce je ne sais quoi de noble et de divinement enfantin qui fait le charme des romans de Judith Gautier. » Invité à venir parler de la Chine rue Washington, Vedel trouva son hôtesse en train d'agencer un rouet minuscule qu'il s'agissait de faire tourner, «difficulté à laquelle Mme Gautier cherchait une solution pratique. En ma qualité de marin rompu à la manœuvre des poulies de toutes dimensions, je me permis d'offrir mes services, et fus séance tenante embauché comme aide-machiniste dans une équipe où figuraient déjà le prince Bogidar Karageorgevitch, le délicat artiste si vite enlevé à ses amis, hélas! et M. Clemenceau qui ne tarda pas à nous quitter pour le grand guignol du Luxembourg. » (Le Figaro, supplément littéraire, 5 novembre 1910.) Les œuvres de Richard Wagner, plus encore que celles de Victor Hugo, étaient pour Judith une source inépuisable d'inspiration. Lettre de Cosima, 5 janvier 1870: «Chère amie, nous avons reçu hier matin la caisse chargée de tant de merveilles, et hier soir j'ai donné une première représentation, à la grande joie des enfants, au grand amusement du maître et à l'admiration de tout Tribschen... » Un Bayreuth de poche, dit Wagner. En 1882, Judith envoie de nouveau tout un petit théâtre, décors et marionnettes, à son filleul Siegfried. Rue Washington, en mai 1894, Judith donna deux représentations successives, devant vingt-cinq invités, de la Walkyrie, décors de René Gérin, six personnages en cire, six chanteurs en chair et en os sous la direction de Benedictus. En 1898, elle monte Parsifal, actes I et III, dans sa propre traduction; Benedictus ayant assuré la réduction de la partition pour deux pianos l'interprète avec Alfred Cortot, alors au seuil œ sa prestigieuse carrière. Felia Litvinne vint aussi prêter sa voix bouleversante aux figurines wagnériennes, la volumineuse et bonne Félia que l'impitoyable Lorrain avait baptisée Tanagra-Double, entre autres gentillesses. À l'occasion de Parsifal, Judith eut la surprise de se voir menacée de papier timbré par Frau Wagner, dressée bec et ongles contre toute personne assez malavisée pour porter atteinte aux droits exclusifs du Festspielhaus. Elle répondit avec dignité le 22 mai 1898: «... Il ne s'agit pas d'autre chose que d'une soirée privée, absolument fermée au public. [...] Sachez donc, ma chère Cosima, qu'en réalité le petit théâtre n'existe pas. Les quatre poteaux qui le constituent sont tirés d'une armoire une fois par an pour une ou deux soirées intimes, puis il y rentre et on n'en parle plus. [...] Je regrette que vous n'assistiez pas demain à ma soirée. Elle vous rappellerait peut-être le temps où vous faisiez des répétitions du Rheingold pour la fête d'Eva. Mais ce temps est loin et le présent est autre. Je tâche de l'ignorer pour mieux me souvenir, car croyez bien qu'à travers tous les changements, je suis restée immuablement fidèle et de cœur à vous. » Léon Guichard commente ce pénible incident: «Cosima, devenue femme d'affaires dans l'intérêt de Bayreuth et de Wagner, blessa son ancienne amie en la traitant comme un directeur de théâtre indélicat. Et Judith écrit cette lettre le jour anniversaire de la naissance du maître, le 22 mai!» Les doigts si habiles de Judith, ces «doigts merveilleux d'une fée wagnérienne », comme disait Henri de Régnier, ne cessèrent point de modeler et de parer ses
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petites créatures; elles s'animèrent sur différentes scènes pour des spectacles payants ou de bienfaisance; elles furent exposées dans des galeries d'art. Pendant la Grande Guerre, elles participèrent à des œuvres de charité. Judith écrivait à Montesquiou: «Je n'ai pas quitté ma retraite bretonne depuis la guerre; Suzanne est avec moi et ce n'est pas la solitude. J'ai occupé mon temps des plus bizarres façons et je continue d'ailleurs; les points culminants de mes labeurs ont été une exposition de groupes de poupées patriotiques, avenue du Bois à Paris, où je n'étais pas, mais que Mme Poincaré a inaugurée, et une représentation extraordinaire sur un nouveau petit théâtre d'un drame, l'Héroïque Laboureur, qui est un morceau de littérature très spécial; la recette au profit des blessés a été brillante. [...] J'aime vos Offrandes blessées, je les ai lues et je les relis; je les aime surtout pour leur retenue et la dignité de leur douleur...» On le voit, Judith ne se dérobait pas aux contraintes de l'actualité. Le président de la République, Raymond Poincaré, et sa femme Henriette étaient d'excellents amis de Judith; Mme Poincaré félicite l'artiste: «Quels délicieux tableaux que vos jouets! Vos petits bonhommes sont pleins de crânerie et ont de l'esprit jusqu'au bout des doigts... » Péladan se manifeste: «... J'ai vu les... XOOX, etc., les poupées grecques se disent ainsi et je suis, vous le savez, un admirateur de votre pouce; les Dieux ou les Anges, car les Œlohim de la Création ne font point d'autre art que de modeler, vous ont douée incroyablement et je n'ai jamais oublié les poupées de
Parsifal... » Céleste et Francis Chrétien,charpentierde son métier, les anciens serviteurs de Mme Gautier retirés à Saint-Énogat, lui apportaient leur concours dévoué pour l'agencement du théâtre en gros œuvre: soubassement, portants, décors, ce même Francis qui, autrefois, embouchant son cornet à pistons, appelait à table les invités de la rue Washington au son de "la Chevauchée des Walkyries". Pour célébrer la fête de Noël 1917, Judith s'affaira à façonner les menus acteurs d'une crèche tout juste terminée le 24 décembre et que vinrent admirer en fin d'après-midi quelques amis du voisinage. Après leur départ, fatiguée, Judith s'alita. Sa course terrestre s'achevait sur cette ultime et poétique création de ses belles mains industrieuses. Le Collier des jours, p. 176. SIBOUR. Monseigneur Sibour, archevêque de Paris, né dans la Drôme en 1792, a été poignardé le 3 janvier 1857, à Saint-Étienne-du-Mont où il officiait ce jour-là, par un prêtre interdit et déséquilibré, l'ex-abbé Jean Verger. Il occupait le siège archiépiscopal de Paris depuis la mort de Mgr Affre, mortellement blessé sur les barricades du Faubourg SaintAntoine le 25 juin 1848. C'est Mgr Sibour qui bénit en janvier 1853 le mariage d'Eugénie de Montijo avec Napoléon III ; c'est lui qui tapota gentiment la joue de la jeune pensionnaire Judith. Son assassinat fit un bruit énorme et Judith, même âgée, ne pouvait avoir oublié un nom si tragiquement célèbre. Sarah Bernhardt, née en 1844, revendiquait, elle, l'honneur d'avoir "failli" être confmnée par le prélat. Pourquoi Judith ne le nomme-telle pas? Mais, bien sûr, dans le constant souci de se rajeunir de cinq années. En gommant de ses Souvenirs toute référence chronologique, en faisant porter des dates inexactes sur des documents officiels, elle est parvenue à tromper beaucoup de ses contemporains, et pendant longtemps, jusqu'à nos jours même, les dictionnaires. Dans sa Vie de Renée Vivien, JeanPaul Goujon nous apprend que la mère de Pauline Tarn «un jour s'enleva bravement dix ans d'âge sur une demande de passeport ». C'était beaucoup, c'était trop. Un lustre, voilà le
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tarif de rajeunissement considéré comme raisonnable par les coquettes d'une époque moins tatillonne que la nôtre en matière d'état civil. «En ce début du XXe siècle, écrit MarieClaire Bancquart, biographe d'Anatole France, la soixantaine pèse terriblement aux femmes », et de reproduire ce passage d'une lettre de Suzanne, la fille de l'écrivain, à son amant Michel Psichari, à propos de Mme Arman de Caillavet renonçant en 1906 à se teindre les cheveux: «C'est un peu triste, n'est-ce pas, d'avouer qu'on est vieille, d'être charmante et d'aimer peut-être encore d'amour!» Mme Honoré de Balzac, Alice Ozy, Hortense Schneider, Rachilde, LoÏe Fuller, partagent avec moins de constance et de réussite la faiblesse de Judith, laquelle n'hésite pas à s'attaquer au socle de son buste par Étex pour maquiller la date révélatrice qu'y avait gravée le sculpteur. L'incendie des Archives en mai 1871, pendant la Commune, et celui du Palais de Justice ayant réduit en cendres les registres de l'état civil de Paris de 1793 à 1859 en même temps que leurs doubles, elle pouvait espérer abuser les générations à venir. .. C'était compter sans l' humeur fureteuse des érudits! Judith ne pratiquait pas envers la Vérité une rigueur intransigeante et se laissait parfois aller à la farder d'un peu de fantaisie. Luis Morote était un ami de Don Carlos de Battle, le traducteur castillan des Princesses d'amour (Courtisanes japonaises), roman, de Judith Gautier, paru chez Ollendorff en 1900. Présenté par Carlos à Judith en 1908, Morote rédige un article pour un quotidien ibérique; il s'extasie sur sa connaissance approfondie de l'Espagne qu'elle avait parcourue en tous sens, lui dit-elle, dans son enfance, avec son père. En fait, elle y était allée, brièvement, avec Mendès, en 1867, ... mais elle avait bien lu l'œuvre de Théophile Gautier! À Morote, elle parle de sa rencontre avec Tin- Tun-Ling: «Curieuse comme une femme, j'essayais de m'entendre avec lui par signes et je me familiarisai avec sa langue. Mes voyages et un commerce constant avec les Orientaux ont fait le reste. » Ses voyages! Une exégète distraite s'y laissait encore prendre il n'y a pas bien longtemps. Maurice de Waleffe a rencontré rue Washington «l'élégant Carlos de Battle, écrivain espagnol qui ressemblait comme un frère à Alphonse XIII, ayant ses raisons pour cela, bibliophile émérite et le meilleur ami que les lettres françaises eurent jamais outre-Pyrénées ». Benedictus, l'éternel sigisbée, le bourru bienfaisant, collaborait de bon vouloir aux farces et attrapes de Judith. Le 27 janvier 1911, elle signe dans Excelsior, où elle tint la rubrique musicale du 1er décembre 1910 au 30 juin 1911, «Une grande première à Dresde. Le Chevalier à la Rose. La nouvelle comédie musicale de Richard Strauss et d'Hugo von Hoffmannsthal ». Passez muscade! La première s'est jouée devant Benedictus, le bon Boni qui a utilisé en lieu et place de Judith les frais de voyage alloués par le journal à sa collaboratrice, Madame Gautier... désespérément pantouflarde et minutieusement calfeutrée chez elle jusqu'au retour de l'obligeant fournisseur de copie. Pour clore cette notice, une remarque relative au bon usage des titres ecclésiastiques. Parlant de ces grands dignitaires de l'Église que sont les évêques et les archevêques, nous savons avoir employé une formulation blâmable, mais d'usage courant; il y a plus d'un siècle, en 1883 déjà, Ernest Renan, ancien élève du séminaire Saint-Sulpice, jugeait bon de signaler dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse: On s'est habitué, de notre temps, à mettre monseigneur devant un nom propre, à dire monseigneur Dupanloup, monseigneur Affre. C'est là une faute de français; le mot « monseigneur» ne doit s'employer qu'au vocatif ou devant un nom de dignité. En s'adressant à M. Dupanloup, à M. Affre, on devait dire: monseigneur. En parlant d'eux, on
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devait dire: monsieur Dupanloup, monsieur Affre, monsieur ou monseigneur l'archevêque de Paris, monsieur ou monseigneur l'évêque d'Orléans.
Le Collier des jours, p. 192. Spirite, nouvelle fantastique. La dédicace perdue était ainsi conçue: «À Carlotta Grisi/en témoignage de sympathie éternelle et profonde/Ce livre est dédié/parfThéophile Gautier. » Marc Eigeldinger l'a reproduite, après Spoelberch de Lovenjoul, dans sa belle préface à l'édition de Spirite chez Nizet (1970). Spirite parut dans le Moniteur universel du 17 novembre au 6 décembre 1865, puis en volume chez Charpentier en 1866. Corrigeant les épreuves de ce petit ouvrage, le bon Théo écrit tendrement à la dame de Saint-Jean: «Lisez, ou plutôt relisez, car vous le connaissez déjà, ce pauvre roman qui n'a d'autre mérite que de refléter votre gracieuse image, d'avoir été rêvé sous vos grands marronniers et peut-être écrit avec une plume qu'avait touchée votre main. [...] L'idée que vos yeux charmants se fixeront quelque temps sur ces lignes où palpita, sous le voile d'une fiction, le vrai, le seul amour de mon cœur, sera la plus douce récompense de mon travaiL.. » Carlotta le félicite avec une notable sobriété: « Comme je suis heureuse de votre succès œ Spirite! j'en prends une bonne petite part pour mon compte, car il me semble que je suis
pour quelquechose dans votre invention. » Dans un article sur les Contes d'Hoffmannparu dans la Chronique de Paris du 14 août 1836 et recueilli dans Souvenirs de théâtre, d'art et de critique (G. Charpentier, 1883), Gautier, réfléchissant pour son propre compte sur l'œuvre onirique de l'écrivain allemand et les causes de son succès, définissait ainsi les moyens qui lui paraissaient propres à «donner les apparences de la réalité aux créations les plus invraisemblables. [...] Des imitateurs sans esprit, des imitateurs enfin, ont cru qu'il suffisait d'entasser absurdités sur absurdités et d'écrire au hasard les rêves d'une imagination surexcitée, pour être un conteur fantastique et original; mais il faut dans la fantaisie la plus folle et la plus déréglée une apparence de raison, un prétexte quelconque, un plan, des caractères et une conduite, sans quoi l'œuvre ne sera qu'un plat verbiage, et les imaginations les plus baroques ne causeront même pas de surprise. - Rien n'est si difficile que de réussir dans un genre où tout est permis, car le lecteur reprend en exigence tout ce qu'il vous accorde en liberté... » - « De toutes les œuvres de Gautier, estime M. Eigeldinger, Spirite est celle qui, à partir de l'image idéalisée de Carlotta, exprime le plus complètement [son] aspiration à contempler le visage de la beauté spirituelle et à communiquer avec les puissances de l'invisible.» Dans les Confessions, Houssaye rappelle cette phrase de son vieil ami Gautier à la fin de sa vie: «Le désir le plus profond de l'âme est de sortir de l'enveloppe qui la tient prisonnière », cette pauvre âme souffrante avide de se fondre à jamais dans «la beauté supérieure et l'éternelle lumière». Théo confiait à Bergerat qu'il pensait avoir écrit dans Spirite les dix plus belles pages de toute sa carrière d'écrivain. Le Collier des jours, 197-200. Le Second Rang du collier, 319-320, 322-326.
STENDHAL.
Voyez Rouge et le Noir (le).
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STRADIV ARIUS. Naturellement, Théo savait bien quelle influence déterminante, bien plus que celle d'Edgar Poe, avait inspiré sa fille, lui qui écrivait un jour de Paganini « qu'il avait enfermé l'âme d'une maîtresse dans le cercueil sonore de son violon ». Judith brode autour de la réputation légendaire qui nimbait le Génois d'une aura sulfureuse, sa prodigieuse habileté technique passant pour démoniaque, réputation qu'il faisait tout son possible pour soutenir. Le Boyau révélateur accuse déjà l'une des facettes du talent de Judith, puisque sa plume se complaira toujours à décrire les scènes les plus violentes, les plus sanglantes dans ses œuvres orientales. Soulignant le halo romantique dont on accoutrait ce musicien hoffmannien, Vigny écrivait ironiquement dans l'A venir du 3 avril 1831 : «On lui avait fait ses petites terreurs, ses mystères, ses cachots, son assassinat; car il nous faut toujours ici un petit parfum de crime et de désespoir pour être bien reçu dans le monde. Il est pâle, dévasté, décharné: il ne lui manque rien.» Antonio Stradivari est mort à Crémone en 1737; son nom est devenu synonyme de perfection en matière de lutherie. Il eut pour professeur Nicola Amati, d'une dynastie de luthiers qui s'illustra à Crémone du XVIe au XVIIIe siècle. Nicola Amati eut un autre élève surdoué en la personne de Giuseppe Antonio Guarneri, surnommé Giuseppe deI Gesù, le plus célèbre des artistes de cette famille. Le violon favori de Paganini, somptueux cadeau d'un admirateur français, était un Guarnerius deI Gesù, relique conservée pieusement, sous verre, au Palais municipal de sa ville natale. Est-ce cet instrument historique que Paganini porte sous le bras, dans le superbe portrait au crayon dessiné par Dominique Ingres à Rome, en 1819, que l'on admire au musée Bonnat de Bayonne? Le Second Rang du collier, p. 152. Struensée.
Voyez BEER.
TAILLADE, Paul-Félix-Joseph Tailliade, dit. Né à Paris en 1826, mort à Bruxelles en 1898. Élève du lycée Charlemagne, passionné de théâtre depuis son jeune âge, il put enfin, après des années de vaches maigres et à l'instigation de Mlle Mars, entrer au Conservatoire
dans la classe de Provost, cet excellent Provost
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Théo vantait son naturel, sa
finesse, sa bonne humeur - qui, plus tard, prit aussi Sarah Bernhardt sous son aile. Les débuts de Taillade eurent lieu dès l'année suivante, en 1847, au Théâtre-Français. Il excellait dans les rôles de composition. En 1850, à la Gaîté, les Premières Pages d'une grande histoire révélèrent son talent au grand public; il s'était fait à miracle le masque de Bonaparte, il en avait la parole et le geste. On l'applaudit, sur différentes scènes parisiennes, dans plusieurs pièces de Shakespeare, dont un Macbeth à l'Odéon en 1863. S'essayant luimême à la composition dramatique, on cite de lui un certain nombre d'œuvres, tombées dans l'oubli. Auteur de plusieurs volumes de souvenirs, Antoine, le grand Antoine du ThéâtreLibre, ne tarit pas d'éloges à son endroit. En 1895, Goncourt le crayonnait promptement: « Une tête de casse-noisette avec un beau front. » Armand Silvestre, dans les Renaissances, silhouette ainsi l'acteur Taillade: «Le geste est saccadé, l'œil fatal, la voix brève, / La douleur ironique et le rire nerveux; / Et c'est comme un frisson quand le souffle du rêve, / Sans dérider son front, passe dans ses cheveux. / Inflexible héros de tout drame farouche, / C'est le prince maudit, l'amant désespéré: / L'âme du vieux Shakespeare a passé par sa
bouche / Où le vers de Racine expire déchiré... » Pauvre Armand Silvestre, si follement
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épris de Judith que tout un été, en Bretagne, il composa chaque jour pour elle un sonnet;
c'était peu après le désastreuxmariage avec Catulle. «Mendès ne tarda pas à frivoler dans toutes sortes de boudoirs, rapporte Laurent Tailhade dans Quelques Fantômes de jadis, tandis que sa femme, trop haute pour se plaindre, gardait intact le nom de son mari. Malgré l'amour passionné d'Armand Silvestre qui effeuillait les guirlandes sous ses pas, elle se renferma dans l'hiératique impassibilité qui devint, en peu de temps, son maintien de chaque jour. » De son expérience conjugale, elle avait conçu une profonde méfiance des serments masculins. «Moi, disait-elle volontiers, j'aurais voulu naître, vivre et mourir dans un harem, sans sultan, près d'un grand jardin des Mille et Une Nuits, plein de fontaines fraîches. » (Félix Guirand, Larousse Mensuel, No 134. Avril 1918.) Brave homme s'il en fût, Silvestre n'en demeura pas moins en excellents termes avec Mendès, son confrère au Gil Blas et autres gazettes. Il ne comptait plus ses amis, des acteurs, des peintres tels Gervex, Helleu, Desboutins qui laissa de lui une jolie pointe sèche gravée en 1886 ; des hommes de lettres, de Barbey d'Aurevilly à Daudet et à Maupassant, de Villiers de l'Isle-Adam à Bergerat auquel il se trouvait "morganatiquement" apparenté, une commune admiration pour Gautier les unissant. Silvestre, Toulousain né le 18 avril 1837, ancien élève de Polytechnique (même promotion que Sadi Carnot) et qui poursuivit au ministère des Finances une carrière administrative couronnée en 1886 par la Légion d'honneur et le titre d'inspecteur des BeauxArts en 1892, n'en consacra pas moins à l'écriture la plus large part de sa vie. Sa facilité était quasi miraculeuse et il aborda tous les genres. La poésie, d'abord, qu'il aimait pardessus tout, avec une douzaine de recueils; George Sand, admirative, préfaça Rimes neuves et vieilles (1866) et Poésies. Les Amours. La Vie. L'Amour. (1866-1874) ; dans les Roses d'Octobre (1890) se trouve inséré le Prologue qu'il rima pour la Marchande de Sourires de Judith... d'où l'on voit que l'attachement avait survécu aux chagrins d'antan; Chabrier, Fauré, Isidore de Lara, Caplet,
...
s'inspirèrent
de ses œuvres. Puis le théâtre:
Grisélidis à
la Comédie-Française (1891), en collaboration avec Eugène Morand (le père de Paul), où Julia Bartet la Divine eut «la grâce chaste et souriante d'une sainte de vitrail », dont Massenet fit un drame lyrique représenté en 1901, et Izéyl, musique de Pierné, à la Renaissance (1894), avec Lucien Guitry et Édouard de Max aux côtés de Sarah Bernhardt incarnant la Courtisane indienne à la rencontre de Bouddha, restent le plus souvent citées parmi l'ensemble des pièces produites de 1883 à 1893 et pour lesquelles Victorin de Joncières, Ernest Guiraud, Camille Saint-Saëns, Benjamin Godard, Gabriel Pierné, Charles Gounod composèrent des musiques de scène; à l'Athénée, en 1893, l'Américaine Loïe Fuller dansa Salomé sur un argument de Silvestre, musique de Pierné, décors de Rochegrosse; dans un sonnet dédié à Catherine Otero, la Belle des belles de la Belle Époque, Silvestre applaudit cette autre interprète de la cruelle et voluptueuse princesse: « Quand, de son front riant, elle écarte les voiles, / La nuit de ses cheveux se disperse en étoiles, / Telle brille l'aurore et dansait Salomé. » Nouvelliste, Silvestre publia un nombre incroyable d'histoires gauloises, très gauloises, aux titres révélateurs, Contes grassouillets, le Péché d'Ève et autres Fantaisies galantes. Sans oublier ni la critique d'art, avec une spécialité bien "ciblée", le nu: le Nu au Salon, le Nu au Louvre, etc., ni les Souvenirs. C'étaient les historiettes graveleuses produites à la chaîne, les aventures du commandant Laripète, du docteur Trousse-Cadet et autres Cadet-Bitard qui nourrissaient Silvestre et « ses trente-six ménages », car cet amateur de gaudrioles, ce "novalliere de la merde et du pet", ce "prosateur du trou du cul" comme disait Goncourt, ce parnassien estimé de ses pairs, ce
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poète sentimental au pied leste courait beaucoup le cotillon. Ses doux yeux clairs, son rire communicatif, sa gentillesse plaidaient en sa faveur. Silvestre habita longtemps Asnières. Il y lia amitié avec Thérésa, sa voisine, la grande Thérésa, sa cadette de sept jours puisqu'elle naquit le 25 avril 1837, l'étoile du café-concert qu'admirait Gautier: «Thérésa possède, toute originalité mise à part, les qualités les plus précieuses: la voix est franche, rustique, d'une émission parfaite; la prononciation est une merveille de netteté et la bonne humeur de l'artiste est incomparable. » Gounod décochait ce rare compliment: « Personne n'a pour chanter une meilleure méthode que Thérésa si ce n'est Mme Viardot.» À l'occasion, Silvestre participait avec Thérésa, comme il le fit avec Séverine, à des œuvres de bienfaisance. Lorsque Thérésa donna à la Gaîté, le 15 février 1893, sa représentation de retraite, l'acteur Silvain, vieil ami de Silvestre, lira de celui-ci un chaleureux hommage à la Muse populaire: « 0 sœur de Rabelais et fille de Virgile, / Toi qui fus la gaîté, la jeunesse et l'amour... » Marguerite Moreno raconte: «Lorsque je connus Armand Silvestre, il faisait répéter, au Théâtre-Français, sa Grisélidis. J'avais un rôle dans la pièce, je pus ainsi approcher quotidiennement mon auteur qui m'inspirait la plus profonde sympathie. C'était un homme grand, gros, coloré, souriant. Il caressait avec fierté une belle barbe châtain, [...] il parlait peu, tout doucement. [...] Les dernières années d'Armand Silvestre furent douloureuses et solitaires. Mais ni tant de faux jugements portés sur lui, ni l'abandon d'amis aimés, ne l'ont aigri. Né bon, il est mort meilleur. » Laurent Tailhade, qui n'en dit que du bien, rapporte de lui ce propos attristé: «l'ai rêvé, dans ma jeunesse, d'être un Alfred de Musset. À présent, je ne suis pas bien certain d'être même un Paul de Kock. » Ferdinand Bac conf1ffi1ela mélancolie du poète; au soir de sa vie, il le rencontra «la tête penchée, morne et silencieux», se promenant au Cours-la-Reine «en bourgeois paisible avec sa
vieille maîtresse. » Et c'est au Cours-la-Reine,sur les bords de la Seine à Paris, que l'on inaugura en 1906 un monument à la mémoire d'Armand Silvestre disparu en 1901; une réplique en plâtre de la statue par Théodore Rivière est conservée au Musée d'Orsay. Nos frères inférieurs perdirent en la personne de Silvestre un homme qui leur portait un amour franciscain. Si Judith en eut connaissance, ce qui est probable, elle dut priser au plus haut point ces lignes qu'il écrivit, de sa minuscule et limpide écriture, à un confrère journaliste en réponse à une enquête du Figaro: «Vous avez raison de penser que les animaux occupent, dans mon esprit et dans ma vie, une grande place. J'adore Ces frères que nous fait le pouvoir de souffrir comme je l'ai écrit dans un sonnet. Pour le chat, adore est le mot et je suis absolument Égyptien à l'endroit de ce mystérieux animal qui, dans chaque prunelle, a la profondeur et les étoiles d'un coin de ciel. Mon âne, je me contente de l'aimer et surtout de l'estimer. Tout est humain en lui. Il n'obéit qu'à la parole et me parle à son tour dans une langue que je comprends parfaitement. L'âne est le plus intelligent des animaux précisément parce qu'il a de longues oreilles et que les oreilles lui servent à s'instruire. Le mien n'est pas savant, dans l'expression pédante du mot, mais il a beaucoup observé et beaucoup retenu. Nous vivons dans une fraternité complète où il ne me fait aucune concession. Il est susceptible et plein de dignité.» Un texte qui nous rappelle irrésistiblement Francis Jammes et sa délicieuse Prière pour aller au paradis avec les ânes, «ces bêtes / que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête / doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds / d'une façon bien douce et qui vous fait pitié.» Le sonnet auquel Silvestre fait allusion figure dans les Renaissances, ce recueil de poésies précédemment cité qu'il dédia en 1869 à
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George Sand, en témoignage, dit-il «de mon admiration, de ma reconnaissance et de mon affection infinie». S'il existe vraiment, où donc s'arrête-t-il, Cet effroyable droit qui nous livre la vie Comme une chose inerte au travail asservie, Et nous met la douleur aux mains comme un outil ? Tous ces êtres vivants qu'une invisible trame Tient enchaînés pour nous sous une loi de sang, Tous ces fils de l'argile ont un peu de notre âme, Un peu de ce qui pense, un peu de ce qui sent. Le dieu qui les couvrit d'une éternelle enfance Leur donna la pitié de l'homme pour défense, L'œil pour le supplier, la voix pour l'attendrir:
Et ceux-là sont des fous dont l'horrible caprice Torture sans raison ou frappe sans justice Ces frères que nous fait le pouvoir de souffrir! Silvestre avait été apprécié des plus grands. Barbey d'Aurevilly, déjà nommé, lui adressait par exemple ses Sensations d'histoire, en 1887, avec cette dédicace tracée aux encres de couleur comme le flamboyant gentilhomme aimait à en rehausser le panache: «À Annand Silvestre. J'en connais deux: le joyeux Compaignon, puis le Poète. J'en voudrais trois: l'Historien. » L'énorme, cynique et solennel Jean de Bonnefon, qui préfaça les Dédicaces à la main de M. J. de Barbey d'Aurevilly, a recueilli celle-ci, «À Madame Judith Gautier », pour Ce qui ne meurt pas, qu'i1lui offrait en 1883: «Croyez-vous que, s'il l'avait lu, ce livre eut plu à votre père? Et si vous le croyez, gardez-le en souvenir de lui et de moi. » Le Second Rang du collier, p. 137-138. Talma. Du nom de François-Joseph Talma (1763-1826), le plus grand tragédien de son siècle après son aîné Lekain, Talma, l'acteur choyé de Napoléon 1er, le beau Talma qui se couvrait volontiers les épaules, jusque sur les planches, de ce manteau en forme de pèlerine très évasée vers le bas. Le Buveur d'absinthe d'Édouard Manet
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élève rebelle de Thomas
Couture -, portrait d'un certain Colardet refusé au Salon de 1859 et actuellement conservé à Copenhague, porte ce talma tellement à la mode dans les années 1850 qu'il provoqua l'ire d'Alphonse Karr: «Il y a un mot qui m'a impatienté tout l'hiver: il fait froid, je vais mettre mon TALMA; votre TALMA est bien joli; avez-vous votre TALMA? Qu'est-ce qu'un TALMA? C'est un petit manteau court. » Macfarlane, mackintosh, raglan, gibus, palatine, spencer, berthe, lavallière, ..., ces accessoires vestimentaires rappelaient et rappellent peut-être encore dans quelques garde-robes le nom de leur "inventeur". Talma, conseillé par le peintre David, contribua puissamment, à la suite de Lekain et de Mlle Clairon, à engager le costume théâtral dans la voie de la fidélité historique. « Le progrès fut lent et laborieux comme tous les progrès, lisons-nous dans le Costume, la Mode, petite encyclopédie publiée en 1899. Depuis trente ans, tous les théâtres de Paris sont dans une voie de progrès remarquable, pour tout ce qui concerne les costumes, la mise
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en scène et les décors. Le romantisme, avec son amour exagéré du détail, a rendu de réels et incontestables services à cet égard. Le progrès s'étend du reste à l'étranger. Un homme de génie, Wagner, a fait réaliser sur son théâtre un grand progrès vers la réalité de l'action. Les artistes représentant ses œuvres sont sur la scène comme dans la vie même. Ils se meuvent en tous sens et n'éprouvent plus le besoin de venir chanter un air devant le trou du souffleur, la face au public et la main sur le cœur. Les applaudissements ne viennent plus interrompre le cours de l'harmonie et les héros morts sous les yeux du public ne ressuscitent pas un instant après, tout exprès pour venir saluer. Tous ou presque tous les costumes sont dessinés de sa main. Il a atteint, dans les détails comme dans l'ensemble de la mise en scène, un degré d'art qu'on ne dépassera sans doute pas.» Singulière naïveté de l'auteur anonyme en proie à une wagnérite aiguë! Mme de Staël disait de Talma: « Il peut être cité comme un modèle de hardiesse et de mesure, de naturel et de dignité; ses attitudes rappellent les belles statues de l'antiquité; son vêtement, sans qu'il y pense, est drapé dans tous ses mouvements comme s'il avait eu le temps de l'arranger dans le plus parfait repos. » Théophile Gautier n'a jamais caché son aversion contre "nos misérables haillons modernes". «C'est presque un lieu commun, écrit-il dans l'Artiste du 5 juillet 1857, de dire que les formes et les costumes de la vie moderne prêtent peu à la peinture. Les artistes paraissent plus convaincus que personne de cette vérité et ils demandent volontiers aux époques anciennes ou antiques les motifs de leurs compositions. Ce n'est qu'à la dernière extrémité, dans le portrait, par exemple, qu'ils se résignent aux modes actuelles; encore les arrangentils le plus qu'ils peuvent par l'introduction de manteaux, de burnous, de châles, d'écharpes et d'autres accessoires ayant du caractère. Même dans le genre, on s'arrête au siècle dernier, ou l'on va chercher le pittoresque aux Pyrénées, en Bretagne, en Aragon, en Algérie.» Théodore de Banville nous offre, dans son Paris vécu. Feuilles volantes, une page bien amusante en écho à ce soupir du bon Théo: Le poète [...] éprouve [...] de temps en temps le désir d'échapper matériellement à la vie grise et monotone.Lorsqu'à la première représentation d'Hernani,Théophile Gautier, cet exquis et parfait gentleman, arbora, encore enfant, le gilet, ou, pour mieux dire, le pourpoint rouge qui restera fameux à travers les âges, il était sans doute préoccupé de célébrer la poésie de son maître, éclatantecomme le cri du clairon, mais croyez que l'amour du rouge y était pour quelque chose! Plus tard, à Grenade, il ne put résister au plaisir de se faire confectionner par le senor Zapata un costume espagnol d'une fabuleuserichesse. L'artiste avait brodé dans le dos uni de la veste un pot de fleurs d'une si triomphante beauté que [...] il s'éprit lui-même de son chefd'œuvreet ne se décidaitpas à s'en dessaisir. [...] À cette époque tranquille et plate, les bons bourgeois eux-mêmes étaient tourmentés par l'amour du costume, et cet appétit de couleur et d'éclat ne contribuapas peu au succèsde la garde nationale.Les paisibles boutiquiers aimaient surtout à être enrôlés dans les sapeurs et à s'accrocher aux oreilles, tous les mois, une longue et noire barbe postiche qui s'étalait majestueusementsur le tablier de peau blanche. C'est alors qu'on inaugurapour les bals de la Cour les costumesde velours ou de soie, avec le tricorne, la culotte courte et l'épée, et les braves Parisiens n'étaient pas fâchés de se voir vêtus comme Lauzun et Richelieu, sans rompre toutefois avec le faux col, le toupet et les favoris en côtelettes. Le Second Rang du collier, p. 69. Tatitata.
Voyez FORT,
Eugénie.
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Temple. Le marché du Temple, construit de 1809 à 1811 dans le quartier du Marais, version XIXe de notre "marché aux puces", était initialement constitué - nous pillons le Dictionnaire des rues de Paris de Hillairet - d'une rotonde compartimentée en logements et boutiques, et de quatre pavillons cacrés en bois: le Palais-Royal, où l'on vendait hardes, fripes, passementerie; le pavillon de Flore, affecté à l'ameublement; le Pou- Volant, à la ferraille; la Forêt-Noire, aux vieux souliers. Le carreau du Temple, en plein air, servait aux transactions entre les marchands ayant pignon sur rue et les brocanteurs de toute espèce. Reconstruit en dur pour raison de sécurité publique, le marché du Temple fut démoli en 1905 après avoir abrité la première Foire de Paris. Le Second Rang du collier, p. 144. THACKERAY, William Makepeace (Calcutta 1811 - Londres 1864), essayiste, humoriste, romancier, caricaturiste. Orphelin à quatre ans d'un père employé à la Compagnie des Indes Orientales, il grandit et fit ses études en Angleterre. Attiré d'abord par la peinture, il fonda un journal qui périclita et le ruina. Renonçant au bacreau où il avait pensé faire carrière, il vécut ensuite, et difficilement d'abord, de sa plume. La Foire aux Vanités, roman sans héros parut de 1847 à 1848, en fascicules puis en volume. Le Livre des snobs, recueil de portraits satiriques, initialement publiés dans le "Punch", connut un franc succès, de même que ses romans historiques, Mémoires de Barry Lyndon (ils inspirèrent au cinéaste Stanley Kubrick le scénario d'un film de grande renommée, paru sur nos écrans en 1975) et l'Histoire d'Henry Esmond, pour n'en citer que deux. Correspondant parisien du Constitutional, Thackeray publia en 1840 son Cahier de croquis de Paris; il y avait passé ses vacances en 1829. Avant l'écroulement de la monarchie de Juillet, il fut à Londres, dans les années 1846-1847, avec Dickens, les Disraeli, etc., un familier de LouisNapoléon Bonaparte, évadé du fort de Ham après la déplorable équipée de Boulogne en 1840 et six années de détention; Londres où le prince prétendant tomba sous le charme - et réciproquement - d'une demi-mondaine ravissante, richissime et de parfaites manières qui se fit connaître en France sous le nom de comtesse de Beauregard, comme le raconta Mme Simone André-Maurois dans Miss Howard, la femme qui fit un empereur. Quelques années plus tard, au printemps de 1855, en visite officielle à Londres pendant la guerre de Crimée, l'ex-proscrit devenu empereur séduit - en tout bien tout honneur -la reine Victoria. Elle lui remet l'ordre de la Jacretière. Elle écrit dans ses Carnets intimes: Napoléon III est « si plein de tact, de dignité, de modestie, si généreux en aimables attentions [...]. Il monte très bien à cheval [. ..]. Il danse avec beaucoup d'entrain. [...] Il Y a en lui quelque chose de charmant, de mélancolique, d'engageant qui vous attire, quelques préventions qu'on ait pu avoir contre lui. [...] Je goûte beaucoup son visage. » Eugénie fait également sa conquête, la reine la trouve « ravissante, pleine de simplicité et de fantaisie... » (Philippe Alexandre et Béatrix de L'Aulnoit, La Dernière Reine. Victoria 1819-1901.) Toute sa vie, ajoutent les biographes de la reine, «elle vouera à Napoléon III, à Eugénie et à leur fils une amitié indéfectible ». La vie personnelle de Thackeray ne fut guère heureuse. Sa femme devint incurablement folle. Pour doter ses trois filles, Thackeray s'obligea à faire des tournées de conférences en Angleterre (1852-1853) et en Amérique (1855-1856). Un transport au cerveau l'emporta. Madame Mary Duclaux lui consacra une étude dans Gra11d5Écrivains d'outreManche (1901). Née Mary Robinson en 1857, veuve en 1882 de James Darmesteter,
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l'orientaliste, elle épousa en secondes noces Pierre-Émile Duclaux (1840-1904), biochimiste qui fut directeur de l'Institut Pasteur et membre de l'Académie des sciences. Cette femme charmante, ce délicat écrivain, poète, historien, composait indifféremment en français et en anglais. Elle tint à Paris un salon réputé. Nous profitons de Thackeray pour révoquer, car elle fit partie, dès le 5 mai 1905 après la démission de Mme Pierre de Coulevain, du comité du Prix Vie Heureuse, ce comité où siégeait Judith, de fondation. Le Second Rang du collier, p. 130. TIN-TUN-LING ou Tin-Tun-Lin ou Ting-Tun-Ling, baptisé Paul-Jean-BaptisteMarie (province de Chan-si 1830 - Paris 1886), le dédicataire du Livre de Jade paru en 1867 : «À Tin- Tun-Ling Poète chinois ». Gautier n'affecta jamais pour ses familiers, en paroles du moins, une considération exagérée. Extraits de sa correspondance avec Estelle, son « cher petit monstre vert et rose », en 1865 : « Personne ne me dit rien du Chinois. Cet aimable magot est-il retourné au pays des paravents et des porcelaines?» À Carlotta, en avril 1866: «Tin-ton-lin est venu me voir à Montrouge, il m'a embrassé avec une véritable joie et un sincère attendrissement; les larmes coulaient sur sa petite figure de ouistiti jaune et ridée et sa queue nattée lui frétillait le long du dos comme une queue de rat en belle humeur. » À Estelle, en novembre 1867: «Gratte la tête d'Éponine et le ventre de Zizi-pan-pan et dis mille choses à Olivier [de Gourjault] si tu le vois, car pendant son voyage ce gros porc doit avoir perdu l'habitude de venir. Serre aussi la griffe de Tin-ton-lin, ce mauvais mandarin de paravent. » À la même, alors en Suisse chez Carlotta, le 12 février 1871 : «Tin-ton-lin n'est pas mort de faim, il a vécu exclusivement de riz à la chinoise. Olivier magnifiquement approvisionné n'est pas mort du siège. Il est gras comme un moine. Nous avons l'air de sceptres. Éponine n'est plus qu'une ombre, une simple découpure en papier noir. .. » Ce ton cavalier était celui d'un homme au cœur généreux qui avait hébergé chez lui son "pauvre Chinois" misérable jusqu'à ce qu'on lui eût trouvé une chambre rue des Mauvaises-Paroles, au bout de la rue de Longchamp. Un gracieux passage du Journal des Goncourt, venus en visite à Neuilly le 17 juillet 1863, témoigne de l'entrée de Tin-Tun-Ling dans la vie des Gautier. Théo dîne avec son fils et ses deux filles « étageant leurs moues et leurs rires, vous contant le Chinois avec lequel elles ont dîné hier, allant chercher le soulier de Chinoise qu'il leur a donné, bégayant des mots chinois qu'il leur a dits. Cela leur va comme un parfum d'Orient, à ces jolies et mutines Orientales de Paris [...]. Elles semblent un peu, par moments, les filles de la nostalgie d'Orient de leur père. [...] On passe au salon. Les filles vous attirent doucement, joliment, dans des petits coins d'ombre et d'intimité, avec des attitudes de confidence. L'aînée épelle une grammaire chinoise, va chercher de sa sculpture, l'ANGÉLIQUE d'Ingres sculptée sur un navet, tout ratatiné et où l'on ne voit plus rien. Et de rire!» tandis que Théo, «heureux, réjoui, parlant, plaisantant, comiquement débonnaire, [...1 s'épanouit comme un Rabelais en famille. » Dernières semaines de bonheur, hélas! puisque c'est avant la fin de cette même année 1863 que Mendès, dans l'espoir de forcer un consentement refusé, fit publier dans la presse l'annonce de ses fiançailles avec Mlle Gautier, à la fureur du père outragé qui démentit, et l'obligea à démentir, l'information. Ce fut le commencement des tiraillements, des bouderies, des manœuvres clandestines, des scènes, des brouilles. Théo ayant mis son veto aux rapports entre les deux amoureux, Tin-Tun-Ling, tout dévoué à sa brillante élève,
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servit de messager entre Judith et Catulle, malgré la gratitude qu'il vouait à un bienfaiteur... d'ailleurs fort peu rancunier: «Un jour, dix mille fois heureux, j'ai rencontré Théophile Gautier. Son cœur était vaste et bienveillant; il m'a ouvert sa maison où je suis entré. Il fut pour moi comme un hôte céleste et une bienfaisante lumière. Il a salué le siècle; que son corps soit tranquille! » Tin- Tun-Ling signa ces lignes, le 25 juin 1875, en préface à un roman, la Petite Pantoufle, qui fut traduit par Charles Aubert, imprimé sur papier de bambou et édité par la librairie de l'Eau-Forte dirigée par Richard Lesclide. « J'ai composé cette histoire en prison
[...]. En
1872 - je ne gouvernais
pas ma raison alors
-
je me suis
marié, et pour cette cause on m'a privé de ma liberté pendant plus de deux lunes... » Enfant déraciné du Céleste Milieu, un peu flemmard, un peu chapardeur aussi, il fut en effet incarcéré deux mois à Mazas pour bigamie sur plainte d'une certaine Caroline Liégois, institutrice. Au bout de quelques mois de vie commune, ayant appris que, vingt-quatre ans plus tôt, son époux avait contracté mariage en Chine, elle en profita pour rompre ainsi des liens devenus détestables et filer sans laisser d'adresse. «Le fait de cette première union fut confirmé par une enquête, effectuée par le vice-consul de France à Macao, et l'accusation avait donc été retenue d'office par la justice française.» Nous empruntons ces lignes à M. Stephen von Minden, auteur d'une étude exhaustive sur ce cas pittoresque dans le Bulletin de la Société Théophile Gautier, No 12, tome I, qui nous offre aussi la reproduction d'un portrait-charge de Tin-Tun-Ling, paru à l'époque dans le Sifflet. Le Il juin 1875, Judith vint à la barre de la Cour d'assises de la Seine commenter le Code chinois en matière de justes noces, à la suite de quoi l'acquittement du prévenu fut prononcé à l'unanimité. « Tin-Tun-Ling paraît très ému. Il embrasse avec effusion Mme Mendès. » Gabriel Devéria, jeune diplomate en congé de son poste à Pékin, servait d'interprète au cours de ce procès. Il était le fils d'Achille Devéria, l'aîné des deux frères peintres, celui qui eut l'honneur de dessiner Mme Récamier sur son lit de mort, un familier de Victor Hugo. Clairin le rencontra en mai 1871 à Versailles, pendant la Commune. Gabriel Devéria pilotait alors une mission de Célestes qu'il occupait, faute de pouvoir joindre les Officiels compétents, à jouer à la balle et au volant dans leur appartement. Par la plume de Beaunier, Clairin raconte: «Ce Devéria junior était au collège avec moi. Lorsque nous avions quinze ans l'un et l'autre [en 1859 ou 1860, donc], on demanda des élèves interprètes pour la Chine. Il partit avec un autre de nos amis, le petit Bertal [sic], le fils du caricaturiste qui était alors si à la mode. Partir pour la Chine, cela semblait alors le comble de l'audace... » Judith dédicaça à Gabriel Devéria le conte "Une favorite du Fils du Ciel", recueilli dans Fleurs d'Orient. Suzanne Meyer-Zundel possédait un exemplaire du Dragon impérial enrichi d'un envoi autographe de Judith: «À M. Devéria témoignage de sympathie », sur lequel Devéria lui-même avait transcrit la traduction d'un poème dédié à Judith par S. Exc. YuKeng, ancien ambassadeur de Chine en Europe: « Je viens de l'Orient et revois en tes yeux / Un doux reflet du ciel où t'attendent nos dieux. / Dans son temple, Nghou-cheng se meurt de jalousie. / Idéale beauté, trésor de Poësie, / Telle est ton auréole et le vieil Orient, / Heureux de ton amour, t'adore en souriant.» Judith remercia: «0 Yu-Keng! illustre poète, / Par vous la Chine me fait fête / Et, comblant mon plus cher souhait, / Pour son enfantme reconnaît. » (Poésies.) Elle dédia "Le Paradis des poètes" à S. Exc. Soueng-PaoKi, lequel avait de son pinceau tracé un poème sur l'éventail de cette Occidentale si curieusement envoûtée par l'Orient. Dans les Paifums de la pagode, recueil, posthume, de divers contes et textes d'actualité, on trouve le compte rendu d'une réception donnée par le
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ministre Soueng-Pao-Ki dans sa légation, 57, rue de Babylone, pour un "Premier Jour de l'An" chinois. De même Judith décrit-elle une fête donnée par le successeur de Soueng-PaoKi, S. Exc. Liou She-Shun, en l'honneur d'un parent de l'Empereur de passage à Paris; elle y retrouve entre autres invités le professeur Pozzi, doué d'ubiquité mondaine, et Georges Soulié. Dans ses Poésies, elle dédia à Liou She-Shun un joli sonnet octosyllabique, "Soir de Chine". Judith connaissait peu ou prou toute la colonie chinoise cultivée de Paris; on avait recours à cette interprète de choix. D'une lettre à Soulié : « Je suis plus que jamais en Chine. Lundi dernier, j'ai conduit au Musée du Louvre cinq Chinois. C'était un spectacle digne d'être vu. Mardi prochain, je les mène en caravane à la Bibliothèque. » Lorsque Loti songera à donner chez lui, à Rochefort, le Il mai 1903, une grande fête chinoise, Judith, qui n'avait pu venir au dîner Louis XI d'avril 1888, occupée qu'elle était à mettre au point, pour l'Odéon, la Marchande de sourires, prit une part non négligeable aux préparatifs du raout. Pour complaire à Loti, elle contacte ses amis chinois de l'ambassade; il s'en trouva deux qui viendront rehausser l'éclat de la fête et lui donner un cachet d'authenticité. Ellemême y paraîtra en "eunuques se" et sa soubrette, congrûment travestie, figurera la porteuse du petit chien de l'impératrice. Cette même année, Loti sollicite la collaboration de Judith dramaturge chevronnée, jouée déjà plus d'une demi-douzaine de fois au Théâtre des Mathurins, au Vaudeville, à l'Odéon, sans compter l'expérience acquise comme directrice du Petit Théâtre de marionnettes, pour une entreprise qui se révélera grosse d'irritantes péripéties: la confection d'une pièce "chinoise" demandée par Sarah Bernhardt avec, pour elle, un premier rôle d'impératrice «galante, glorieuse et sanguinaire ». Judith accepte d'enthousiasme, bâtit un scénario et se met au travail avec ardeur, stimulée de loin par un Loti impatient et parfois même quinteux, alors pacha du Vautour, stationnaire des mers du Levant basé à Constantinople. Ce sera la Fille du Ciel. Drame chinois. En fin de compte, Sarah, toujours fuyante - atermoiements et caprices - fit avorter le projet. La pièce ne fut publiée qu'en 1911 chez Calmann-Lévy et représentée en 1912 à New York dans une adaptation en langue anglaise. Elle suscita les sarcasmes de Victor Segalen; on sait que ses Immémoriaux, publiés sous le pseudonyme de Max Anély, échoueront en 1907 à intéresser les académiciens Goncourt qui attribueront cette année-là leur prix à Émile Moselly. Les amis orientaux sont reçus avec effusion par Judith tant à Paris qu'en Bretagne. Un intime: Liao-Sy-Khong ; au Pré des Oiseaux, Judith le prit pour modèle d'un encrier, "le lettré écrivant", qui fut coulé en bronze et plusieurs fois exposé. Autre familier, le peintre y amamoto. Au marquis Saïonzi, son "collaborateur" des Poèmes de la libellule, "envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté l'Empereur du Japon", elle fait hommage de sa Marchande de sourires. Solidement documentée par ses lectures et ses informateurs autochtones, Judith publia chez Hachette les Capitales du monde. Tokio (L'Univers illustré, 1892), repris dans Khou-n-Atonou (fragments d'un papyrus) et diverses nouvelles (Armand Colin, 1898), puis En Chine (Merveilleuses histoires) et le Japon (Merveilleuses histoires) (Vincennes, les Arts Graphiques, 1911 et 1912), deux volumes préfacés par Jean Aicard, grand ami de Loti, Aicard, «le premier poète français par ordre alphabétique », disait de lui en toute acidité son confrère de l'Académie française Maurice Barrès. Dans le Japon, où elle nomme son « très regretté ami Mitsouda Komiozi », attaché à la légation japonaise de Paris, Judith raconte la "cérémonie du thé", la tcha-no-you, à laquelle elle fut invitée chez les Motono, chapitre sévèrement critiqué par W. L. Schwartz dans The Far East in French Literature; ce texte avait été publié pour la première fois,
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illustré de photographies, dans l'album Femina 1906. Des amis très chers, ces Motono, mari et femme. Le baron Ichino Motono, ambassadeur du Soleil Levant en France de 1901 à 1906, «petit, râblé, à lunettes» (Jules Claretie, Souvenirs du dîner Bixio), le premier biographe du Dr Gustave Le Bon (voir: Princesse Bibesco, Images d'Épinal), homme de culture raffinée de qui Paul-Louis Couchoud - une des dernières relations chaleureuses de Montesquiou - disciple de HelIo, rapporte dans Sages et poètes d'Asie cette remarque mélancolique: « Tant que nous avons fait œuvre de civilisation, tant que nous n'avons eu que des lettrés, des savants et des artistes, vous nous avez traités de barbares; maintenant que nous avons appris à tuer, vous nous appelez civilisés. » La curiosité amusée et un peu dédaigneuse de Loti n'était certes guère de mise, alors que le Japon comptait désormais au nombre des grandes puissances et Judith s'était formé à ce sujet des vues politiques tout autrement pénétrantes. Le jeune poète et conférencier Motoyoso-si-Saizau, qui mourut à vingt-neuf ans à l'hôpital Lariboisière, "victime de Paris" où il était venu quêter la gloire, disait gaiement à son auditoire de l'Institut Rudy tout en jouant de l'éventail: « M. Loti, M. Loti, au Yapan, il n'a rien vu, M. Loti! ou du moins, il a ézazéré. VOUS autres Français, vous ézazérez toujours... Vous ézazérez tout. Mais M. Loti, ah! M. Loti il a ézazéré plus que tout le monde. » (Jules Claretie, La Vie à Paris, 1895.) «Il apportait des matériaux à Mme Judith Gautier, assure le mémorialiste, pour des articles sur les Fleurs vivantes de son pays d'Asie. » Waleffe raconte qu'il dut à Son Exc. Motono «le plaisir d'avoir connu et aimé Judith Gautier ». Il lui fut présenté un soir chez le diplomate nippon peu avant le départ de celui-ci pour la Russie; à dîner, on servit de la carpe crue et Judith enseigna au néophyte le maniement des baguettes, "outils exotiques". Ce furent les prémices d'une longue amitié sans failles. Maurice de Waleffe - Cartuyvelt de son vrai nom -, journaliste, futur directeur de Paris-Midi, rival en élégance et en manifestations mondaines d'André Becq de Fouquières, André Billy nous le montre, belle barbe et fastueuse redingote, chez lui, 53, rue de la Boëtie: «On y était accueilli dès l'antichambre par un tigre empaillé. Une moire violette faisait aux murs des plis énormes. Des Rembrandt, des Rubens, des Vélasquez étaient accrochés sur cette moire somptueuse. Je n'avais jamais vu un luxe pareil. » (La Terrasse du Luxembourg.) Dans Quand Paris était un paradis, un livre bourré d'anecdotes qu'il convient de soumettre à examen, Waleffe raconte encore ceci: Nous avions alors un valet annamite qui faisait les délices de Judith par les chatoyantes robes brodées d'or qu'il revêtait pour servir, glissant sur le tapis à pas feutrés. [...] Judith fut la cause involontaire de son renvoi en venant dîner en compagnie de son ami, l'ex-empereur d'Annam. Le valet, allant ouvrir la porte, s'agenouilla de stupeur en reconnaissant dans ce visiteur son ex-souverain, qui, très occidentalisé, releva son ancien sujet d'une cordiale poignée de main. [...] Du fait de toucher la main d'un de ses sujets, son empereur l'avait anobli. Tout travail servile en public lui était interdit. Je dus me séparer du nouveau noble. Chère Judith Gautier, dont le portrait indulgent, un peu mélancolique, me regarde aux murs de mon cabinet de travail! [...] Cette lettrée queThéophile Gautier avait modelée à son image, d'une fermeté masculine, restait féminine sur un point: elle était fidèle à ses amis. Haraucourt, très lié avec Judith, accentue le trait: « Il ne fallait pas dire un mot contre ses amis, ou bien cette langoureuse créature se transformait en lionne et ses yeux assoupis s'embrasaient de fureur. » (L'Information, 20 décembre 1922.) C'est vraisemblablement ce jour-là de l'année 1906 que l'on jouait chez les Waleffe l'Embûche fleurie, une pièce japonaise inédite de Judith Gautier, de nouveau représentée à l'ambassade de Chine, le
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2 avril 1907, en présence de M. Émile Guimet, le fondateur du Musée National des Arts asiatiques, rejouée, enfin, au Théâtre Michel, en février 1911, au profit de la Halte, une association d'entraide féminine. Judith s'y rendit munie, en guise de gong, d'une casserole qui donnait le la juste. Nouvellement élue à l'Académie Goncourt, elle disait à Raoul Aubry ses désillusions d'auteur ambitieux de gloire dramatique: «Mes deux dernières pièces, Princesses d'amour au Vaudeville, l'Avare chinois à l'Odéon, disparurent de l'affiche, je n'ai jamais su pourquoi, en dépit de leur succès évident. » Elle évoque la Fille du Ciel, restée en panne. « J'ai aussi dans mes cartons une pièce annamite où je mets en scène le prince d'Annam que nous avons vaincu, détrôné, déporté en Algérie. L'œuvre était achevée lorsque le prince vint, en été, s'installer en Bretagne, non loin de chez moi. Je fis sa connaissance, j'eus le courage de lire à ce malheureux le drame où je racontais les misères de sa cour, les tristesses de sa déchéance, et nous nous liâmes d'amitié. Son histoire est dans ma pièce. Qui la jouera? Personne. » (Le Temps, 25 novembre 1910.) Ce drame, les Portes rouges, ne fut, en effet, jamais mis en scène; il reste inédit. Laurent Tailhade, ressuscitant Quelques Fantômes de jadis, décrit, assis dans un coin, rue Washington, «un petit monsieur, très jaune, très court et très laid, en complet veston, cependant que la maîtresse du logis se montrait en robe de soie écarlate ou bouton d'or que chamarraient des iris, des phénicoptères
ou des lophophores éployés. » Portrait acrimonieuxdémenti par la photographie du prince reproduite dans le catalogue d'exposition de ses œuvres - cinquante-huit au total, huiles, fusains, sculptures - à Paris, galerie Mantelet-Colette Weil, en novembre 1926, avec une préface de l'historien G. Lenotre; son frère, le capitaine Gosselin, avait relaté les circonstances épiques de l'exode du très jeune empereur - il était né en 1871 - dans le Laos et le protectorat français (Perrin, éd., 1900), ce protectorat établi sur l'Annam en 1883. Relisons les contemporains. Suzanne: « Séduisant, fin, intelligent, un large front un peu fuyant, des yeux fort noirs aux paupières très légèrement bridées, assez grand de taille pour un Annamite. » Judith elle-même, qui lui voua sans espoir de retour plus que de l'amitié:
«Hautain, triste et charmant... » (Poésies.) Jean Tharaud: «Je le rencontrai pour la première fois, quelques années avant la guerre [...] au Pré des Oiseaux. [...] Son jardin était conçu comme un jardin japonais, avec ses allées minuscules, ses plantes rares, ses rochers et ses bambous qui formaient de légers portiques de roses. C'est dans ce décor de fantaisie que je vis un jour s'avancer un personnage vêtu avec une rare élégance d'une large tunique et d'un pantalon de soie flottant, ses épais cheveux noirs noués en catogan sur la nuque, le teint bistré, les yeux en amande, une courte moustache au coin des lèvres... (Paris-Soir, 7 juin ?) Émile Vedel fut le premier artisan de la conjonction Judith / Hâm Nghi - Hâm Nghi, nom de règne, Tü Xuan (prononcé Teu-Sounn), Fils du Printemps, nom usuel: «Se présenta l'occasion d'une mission diplomatique que les circonstances me mettaient à même de remplir. Il s'agissait de faire parvenir des lettres à l'ancien Empereur d'Annam en exil à Alger. [...] Mme Gautier voulait écrire un drame sur son émouvante capture et avait besoin de renseignements qu'elle n'osait pas demander par la poste où l'on ouvrait toutes les lettres du prince, craignant qu'un excès de zèle n'y découvrit un complot pour l'évasion ou le rétablissement du proscrit. .. » Pierre Louys prit le relais: «Le Pce d'Annam demeure au Cercle militaire. Il est très au courant de la littérature contemporaine et je crois en effet que vous lui ferez un plaisir utile en déposant chez lui les Poèmes de la libellule. [...] Ses gardiens ont grand'peur de le voir enlever par les Anglais, qui nous l'opposeraient en IndoChine...» (Autographes Dessins, Florence Arnaud, décembre 1992, No 904, lettre à
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Judith Gautier, juin 1900.) Suzanne confirme: «Ce fut par Pierre Louys que Judith, en 1900, fit la connaissance de son héros. » Glané dans les Cahiers bleus de Liane de Pougy, cet amusant passage où l'ex-vedette des Folies-Bergère raconte l'exploit d'une danseuse anglaise, Mimi Saint-Cyr, engloutissant, chez Maxim 's, douze verres de kummel pendant les douze coups de minuit: « Ce soir-là, elle fit pour longtemps la conquête du petit prince d'Annam. » D'abord hostile à ses geôliers, ce qui se conçoit sans peine, sous l'influence d'un officier de sa garde pour lequel il conçut une vive sympathie les sentiments du jeune prince évoluèrent. Son mariage avec Marcelle Laloë, fille d'un haut magistrat versaillais qui séjourna longtemps en Égypte, le confirma dans sa francophilie. De cette union naquirent deux filles, Nhu-May (Iou-Maï), Fleur d'amandier, le 17 août 1905, et Nhu-Li (lou-Li), Fleur de prunier, le 22 juillet 1908, puis un fils, Minh-Duc, le 6 juillet 1910. Ce dernier sera, après Siegfried Wagner, Édouard Benedictus et Ivan Devriès, le quatrième filleul de Judith. Elle échangea compliments et menus cadeaux avec son "compère" le parrain, M. Jonnart, ancien gouverneur général de l'Algérie, qui fut ministre des Affaires étrangères du Cabinet Briand, en 1913, sous la présidence de Poincaré, ambassadeur de France près le Vatican en 1921... Le 3 octobre 1937, on inaugura à Saint-amer un monument à la mémoire de ce haut fonctionnaire parfaitement estimé de tous; Farrère prononça le discours d'usage au nom de l'Académie française où Célestin Jonnart, succédant à Paul Deschanel au XIXe fauteuil, avait été élu en 1923 de préférence à Charles Maurras et à Fernand Gregh. Au cours de l'été 1913, Judith, Suzanne Meyer et les Annam firent ensemble un séjour à Josselin où l'on préparait le baptême du petit-fils de la duchesse douairière, Alain; trois ans plus tard, cet enfant devenait duc de Rohan, à la mort de son père, capitaine de chasseurs à pied, tué au front en juillet 1916. Le 30 avril 1914, Judith, escortée de Suzanne et de Benedictus, débarquait à Alger, après avoir quitté Paris le 27. C'était la première fois comme son père soixante-neuf années auparavant - qu'elle foulait le sol de l'Afrique, cette Orientale qui n'avait jamais quitté l'Europe. Sujette au mal de mer, on sait combien elle appréhendait la plus modeste traversée. La Méditerranée fut clémente et Clermont-Ganneau reçut un bulletin claironnant: « Très brillante en mer, cher Nono, à table à tous les repas. Et très bon fricot... » Au port les attendaient le prince d'Annam, sa femme, quelques amis et, le soir même, les deux voyageuses couchaient à Gia-Long, résidence de l'exilé à EI-Biar, tandis que Boni s'installait à l'hôtel. Les journées suivantes furent bien employées. Sous le nez même de Marcelle, la princesse d'Annam, Suzanne poussa rondement le flirt dès longtemps entamé avec Ham-Nghi. Cette jeune personne tenait en haute estime l'ensemble de ses charmes, dons innés comme talents acquis; elle aimait à en trouver le reflet dans les yeux masculins. Sage, de tempérament froid semble-t-il, sa coquetterie s'exerçait avec impartialité au profit des vieux messieurs comme des jeunes hommes, l'entourage de sa maternelle amie lui offrant un vivier bien fourni où pêcher des soupirants. Son attitude conquérante en émoustilla plus d'un, de Clermont-Ganneau - on alla jusqu'à parler d'improbables fiançailles - et du pauvre Fanelli jusqu'au tout dernier admirateur de Judith, le bel Illan de Casa Fuerte. .. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés» et, à en croire les notes intimes de Suzanne que nous avons eu le privilège de feuilleter, le prince d'Annam souffrit beaucoup. À Gia-Long, féerique propriété de dix-sept hectares, l'abondance florale enchanta Judith, ce thème est le leitmotiv des billets adressés aux amis: «C'est dans un éden de fleurs que votre lettre me rejoint...» (À l'écrivain Maurice Verne, "le charmant Maurice-Verne", ami de Pierre Descaves.) « .. .Nous sommes dans une oasis sans
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pareille où oliviers, orangers, citronniers émergent d'une houle de fleurs... » (À la baronne de Geiger, belle-fille du fondateur, à Sarreguemines, d'une importante faïencerie - magasin parisien rue de Paradis -, nièce du Dr d'Arsonval, de l'Académie des sciences, et mère adoptive d'un chaton fils de Crevette.) « ... Ici, c'est un paradis de fleurs et d'arbres exotiques... » (À Clermont -Ganneau.) «Nous voici au bout de la course dans un lieu merveilleux avec des fleurs jusqu'au cou... » (À Mabel et Ethel Duncan.) «Que tu serais heureuse de cette profusion de roses, de fleurs et d'arbres exotiques...» (À Reine Hillemacher.) Judith accomplit dûment son devoir de touriste: promenades au Jardin
d'essais et dans la Casbah, mariage indigène- « cérémonie à n'en plus finir» -, bord de mer, exposition d'art arabe, Tipaza et ses ruines, visite du Bardo, marché aux moutons à la Maison Carrée, mosquées, bain maure, couscous chez les uns et les autres, visite à Rochegrosse dans sa villa de Djenan Meriem... Enfin, le 12 mai au soir, rembarquement et... «la fin d'un rêve ». Un peu moins de trois mois plus tard, à Saint-Énogat comme dans toute la France, le tocsin annonçait la mobilisation générale, « semant la panique et les larmes ». Le Second Rang du collier, p. 159-163,203,208,240,261. Toto. Voyez GAUTIER, Tragaldabas.
Théophile,
fils.
Voyez VACQUERIE.
Tricorne enchanté (le), «bastonnade en un acte et en vers mêlé d'un couplet », fut représenté pour la première fois aux Variétés, directeur Nestor Roqueplan, le 7 avril 1845 et connut par la suite un certain succès. Paul Siraudin en était le carcassier, comme il le fut du Voyage en Espagne et le sera de Pierrot posthume, ce néologisme désignant l'auteur du canevas d'une pièce et son "arrangeur". Siraudin bâtit ainsi un nombre incroyable de livrets, revues, parodies, opérettes, ... En 1860, il monta rue de la Paix, au No 17, un magasin ultra-élégant de bonbons et de friandises, idée qu'on trouva singulière pour un écrivain et qui lui valut d'être désormais appelé Siraudin-le-Confiseur. Relisons Huysmans. Jean des Esseintes, le héros de À Rebours, pose sur sa langue un bonbon praliné, comme givré de sucre, violet, aphrodisiaque: «Les bonbons inventés par Siraudin et désignés sous la ridicule appellation de "Perles des Pyrénées" étaient une goutte de parfum de sarcanthus, une goutte d'essence féminine, cristallisée dans un morceau de sucre; ils pénétraient les papilles de la bouche, évoquaient des souvenances d'eau opalisée par des vinaigres rares, de baisers très profonds, tout imbibés d'odeurs. » Le mot "sarcanthus" est absent de nos dictionnaires de poche. Il s'agit d'une espèce d'orchidées originaires de Chine et Huysmans ne l'a pas choisie au hasard, le grec sarx, chair, et anthos, fleur, ayant servi au baptême botanique de cette plante suggestive. Henri de Régnier, qui a lu les Souvenirs de Banville où celui-ci trace une pittoresque silhouette de Siraudin, rappelle, dans un article consacré à Balzac, que ce confiseur épris de littérature avait loué un appartement particulier où il s'enfermait pour lire et relire en toute quiétude la Comédie humaine et vivre quelques heures d'un bonheur intemporel en la seule compagnie des héros balzaciens. Une admiration semblablement fanatique suscita, paraît-il, en Russie et à Venise des sociétés «où chacun adoptait un personnage de Balzac et s'efforçait de le réaliser », ce qui n'est pas sans préfigurer ces "jeux
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de rôle" modernes qui conduisent certains adolescents fragiles à de troublants comportements. C'est encore le malicieux Banville, "gardien d'Euterpe", que cite André Cœuroy dans Appels d'Orphée au sujet de Siraudin : épouvanté à la seule idée d'un piano, il vient se loger rue de la Victoire, dans la maison dont le rez-de-chaussée est occupé par la salle Herz, chère aux pianistes, «parce que l'immeuble est profondément silencieux quand les pianos ne jouent pas. » Le Second Rang du collier, p. 140. Trovatore (il), le Trouvère, opéra en quatre actes de Guiseppe Verdi, d'après le drame espagnol de A. G. Gutierrez d'une horrifiante atrocité, fut donné pour la première fois à Rome le 19 janvier 1853, à Paris, salle Ventadour, le 23 décembre 1854, à Londres et à New York en 1855, à Bruxelles d'après la version française dIE. Pacini en 1856. Il se situe dans le temps entre deux autres chefs-d'œuvre verdiens au succès toujours actuel, Rigoletto (1851) d'après le Roi s'amuse de Victor Hugo, et la Traviata (1853) d'après la Dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils. Le 10 octobre 1894, à l'occasion de la première représentation d'Othello, drame lyrique sur un livret de Boïto et du Locle d'après Shakespeare (ne pas confondre avec Othello ou le More de Venise de Rossini, créé en 1816), au PalaisGamier sous la baguette de Paul Taffanel, Verdi reçut des mains de Casimir-Perier, éphémère président de la République, les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur. Rappelons que du nom de Verdi, devenu héros national après le triomphe de Nabucco en 1842 - opéra patriotique dont l'action se déroule à Babylone et à Jérusalem au temps de Nabuchodonosor - et de son chœur fameux des Hébreux captifs, les Italiens, brûlant du désir de secouer le joug autrichien, firent une devise nationaliste: Vittorio Emmanuele Re D'Italia. M. Gérard Gefen, journaliste et critique musical auteur d'Augusta Holmès l'outrancière, a récemment traduit de l'anglais une volumineuse biographie de l'homme étonnant que fut Verdi par Mary Jane Phillips-Matzo Elle le dépeint dans sa singulière complexité, «un être humble et orgueilleux, généreux et mesquin, tendre et odieux, irritant, exigeant, serviable, sauvage, amical, coléreux, plein d'humour et de mélancolie, d'amour de la littérature et de vraie simplicité, qui croit en l'homme et n'attend rien de lui, mais qui jette sa plume contre tous les moulins à vent, Don Quichotte et Sancho Pança. » Et Marcel Schneider de commenter dans le Figaro littéraire: «Le monde musical, submergé par Wagner en 1880, par Stravinski en 1925, a retrouvé son Verdi à partir des années 50. Ce furent des retrouvailles dans l'ivresse. Les programmes des festivals, les enregistrements avec les plus grands chefs, les artistes les plus célèbres nous permettent aujourd'hui de mesurer la grandeur de Verdi, sa voix unique, italienne bien sûr, mais qui appartient au monde entier. Dans tous les opéras des pays où la civilisation européenne peut s'exprimer, Verdi triomphe.» (4 juillet 1996.) Les plus belles voix du monde se sont mises au service des œuvres de Verdi, sommets de l'art lyrique. Comment ne pas nommer, parmi les plus émouvantes des prime donne de notre temps, l'incomparable élève d'Elvira de Hidalgo, la grande rivale de Renata Tebaldi, la sublime gréco-américaine Maria Callas, diva mythique - tragique, moderne et romantique. De Nabucco à Aida (créé au Caire le 24 décembre 1871), elle interpréta neuf des quelque trente opéras que Verdi composa de
1839- Oberto conte di San Bonifacio- à Falstaff en 1893. « Pourquoi Callas? s'interroge P.-J. Rémy, l'un de ses biographes. Parce qu'elle réinvente l'opéra. Parce qu'elle a renoué
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avec un art du chant qui avait été oublié - ou négligé - depuis des dizaines d'années. Parce qu'au-delà du phénomène vocal qu'était Callas, de sa musicalité, de son timbre et de ses couleurs, il y a une tragédienne [...] qui a ouvert une voie nouvelle au théâtre lyrique. » Luchino Visconti dit un jour de Maria Callas: «Elle est la plus grande actrice depuis la Duse» et il raconte qu'il a vu pleurer Élisabeth Schwarzkopf à l'écoute de Maria dans le Trouvère: «Cette femme, lui dit-elle, est un miracle.» (Jacques Larcey, Maria Callas d'art et d'amour.) Pour le centenaire de la mort de Verdi, Schwarzkopf chanta son Requiem, écrit en 1874 en l'honneur de son compatriote Alessandro Manzoni, ce "Racine des romantiques" comme s'exprimait Sainte-Beuve. Boldini a peint à Paris, en 1886, le surprenant portrait d'un Verdi au collier de barbe grise, cravaté de blanc, coiffé d'un de ces encombrants hauts-de-forme que Théophile Gautier exécrait. Nadar, lui, nous a laissé des photographies qui immortalisent un Verdi nu-tête, plus jeune mais déjà sévère, voire menaçant, en redingote noire boutonnée jusqu'au col, l'œil noir, le poil noir, rude et dru lui mangeant le visage jusqu'aux pommettes. À Milan, au Musée contigu à la célébrissime Scala, est exposé le moulage en plâtre d'une main de Verdi; elle voisine avec la tête en bronze de Caruso, Caruso le Napolitain, un des plus fameux ténors de la planète, «le plus grand chanteur d'opéra de tous les temps », n'hésite pas à écrire Olivier Merlin dans le Bel Canto. À Paris, il fut lancé, comme le fut aussi la basse russe Chaliapine, son exact contemporain, par la comtesse Greffulhe, fondatrice des Grandes Auditions musicales; il fit ses débuts chez elle, dans les magnifiques salons de l'hôtel Greffulhe, rue d'Astorg (démoli en 1958), avant de se produire au Châtelet avec Lina Cavalieri, sa cadette d'un an, née elle aussi à Naples, où elle fut marchande d'oranges sur les quais, puis danseuse, avant de devenir une grande chanteuse lyrique. (Elle trouva la mort à Florence, le 7 février 1944, sous un bombardement américain.) Dans les premières années du XXe siècle, Dieppe ayant perdu de son attrait, Dinard et les communes limitrophes deviennent à la mode. Le Bottin mondain de 1910 publie, par exemple, dans ses pages publicitaires, ce texte accrocheur: Dinard-Saint-Énogat - Ille-et-Vilaine. 6 114 habitants. À 417 km (9 h 54) de Paris et à 2 km de Saint-Malo. La plage la plus élégante de la Bretagne, très fréquentée par la haute société anglaise, séjour de prédilection de la vieille noblesse bretonne. La ville, bâtie en amphithéâtre, avec ses villas enfouies dans la verdure et les fleurs, s'étage sur de vastes rochers surplombantla mer. Son climat est d'une telle douceurque bien des familles viennent y passer l'hiver. Dinard offre d'ailleurs toutes les ressources désirables: deux jolis casinos, le Casino de Dinardet le GrandCasinoqui donnent toutes les pièces à succès avec d'excellentes troupes et offrent à leur aristocratique clientèle tous les plaisirs mondains: hôtels, restaurants, cafés, tennis-club, salle d'armes, manège, etc. Autour de Dinard, les routes et les sentiers sont ombragés; on y fait de charmantes promenades à travers des sites ravissants. Les vieux habitués plus ou moins impécunieux, les "fondateurs" comme Judith côtoyaient désormais une société cosmopolite et fortunée à laquelle le Casino ne proposait pas que des représentations théâtrales, mais aussi, pensant aux mélomanes, des concerts d'un excellent niveau. C'est ainsi que Judith eut l'agréable occasion d'inviter son jeune ami Pringué: « Si vous voulez entendre chanter Caruso dans l'intimité, venez à 9 heures du matin prendre votre petit déjeuner chez moi, c'est l'heure où il étudie dans la villa en face de la mienne, ses fenêtres grandes ouvertes. » Le Second Rang du collier, p. 77.
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TURGAN, Julien (1824-1887), qui fut co-directeur avec Dalloz du Moniteur universel sous le Second Empire, était un homme aux curiosités multiples. Interne des hôpitaux, deux médailles d'or récompensèrent son dévouement pendant l'épidémie de choléra de 1848. Vers 1850, alors médecin aux Incurables, il favorisa d'un panier de prunes son ami Théo aussitôt habité d'une verve de carabin: «Tes prunes, fruits d'amphitéâtre, / Semblent les fœtus des bocaux, / Pendus dans l'alcool verdâtre / Par leurs cordons ombilicaux.» Chroniqueur scientifique à l'Événement, fondateur d'une feuille de vulgarisation, la Fabrique, la ferme et l'atelier, il publia entre autres ouvrages les Ballons, histoire de la locomotion aérienne depuis son origine jusqu'à nos jours (1851), préfacé par Gérard de Nerval. Parlant de la genèse et de l'élaboration de quelques-uns de ses romans dans Trente Ans de Paris, Alphonse Daudet indique, à propos de Jack, qu'il s'est fourni des détails et du vocabulaire
technologiquesnécessairesà la peinturedes milieuxmétallurgiques « dans le Manuel Roret et les Grandes Usines de Turgan ». En 1870, Gambetta lui donna mission de surveiller la fabrication des armes et des munitions. D'après Goncourt, il disait un jour à Toto Gautier: « Vois-tu, pour gagner de l'argent, il ne faut pas être de ceux qui travaillent, il faut
s'arrangerpour être de ceux qui font travailler. » Turgan et Dalloz, pour Baudelaireenragé contre un certain type de journaliste, «vilaines canailles ». D'ailleurs, même compliment pour Meurice et Vacquerie! En septembre 1858, partant pour la Russie via Berlin, Théophile écrit à son "cher Turgan", alors directeur du Moniteur, donc banquier de la famille Gautier quasiment aux abois, une lettre dont nous choisissons cet extrait caractéristique du style gaillard cher à l'auteur de la Lettre à la Présidente: «Songe que je n'ai reçu aucune avance, aucun secours du journal pour un voyage très pénible et très coûteux. Donne gracieusement à cette pauvre fille, qui est une Grisi et qui a le cœur fier, les quelques louis que le plus extrême besoin lui fait demander. Souviens-toi, cher Julien, que je t'ai aimé jeune inconnu pour toi-même quand tu n'avais pas encore ta puissance, que nous nous sommes donné une poignée de main sur l'autel de la Vénus commode quand tu n'étais pas culotté par Tom Greed et Cumberland. Les culottes anglaises t'ont-elles endurci le cul? Après tout je ne te demande qu'un peu de gentillesse pour une personne que tu aimes beaucoup et que tu proclames toi-même la seule femme possible parce que c'est un homme.» C'était, semble-t-il, un brave, un aimable garçon que «le grand Turgue, cette grande vache », comme disait Théo. Veut-on un échantillon de son style? En "postcripthomme" d'une lettre adressée à Ernesta en juin 1849, lui apprenant qu'il avait été atteint par l'épidémie toujours récurrente du choléra, mais tiré d'affaire par l'intelligence de ses collègues, il la charge d'une commission pour Mme Sabatier: «Dans le cas où je mourrais pour de bon, soyez-le assez pour dire à La Présidente que je l'aurais bien aimée, s'il y avait eu moyen. Ça ne la compromettra pas beaucoup, et ça me fera plaisir. Ne parlez de cela que lorsque je serai bien et dûment fisselé [sic] dans un joli cimetière... » Souscripteur à la Nouvelle Revue de Juliette Adam, en 1879, Turgan communique son adresse: « Homme de lettres, 7, boulevard d'Auteuil, à Boulogne. » Le Second Rang du collier, p. 18-21. UCHARD, Mario (1824-1893). Son portrait par les Goncourt, auxquels le boulevardier et chroniqueur célèbre Aurélien Scholl vient présenter l'auteur de la Fiammina : «C'est un grand garçon maigre et brun, sans bruit, dans sa mine anglaise, doux et distingué de formes,
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cheveux et favoris noirs semés d'argent, avec un joli œil plein de sourires et de caresses. » (Journal, octobre 1857.) Par la suite, les Goncourt virent beaucoup cet ami des Claudin, Vivier, Saint-Victor, Murger, Gavarni, etc. Après une jeunesse aventureuse il devient boursier, coulissier pour être exact, s'en va en Inde, revient à Paris, entre un soir par hasard au Théâtre-Français, tombe amoureux fou de la comédienne Madeleine Brohan, l'épouse en 1853, lui fait un enfant, se rend insupportable... et vice versa probablement, divorce deux ans plus tard et se venge de son ex-femme - c'est du moins ce que l'on dit - en romançant dans la Fiammina sa décevante aventure conjugale. Ce drame en quatre actes, joué en 1857 au Théâtre-Français, obtient un gros succès: potins et scandales. Et Uchard se lance dans la littérature. Madeleine Brohan (1833-1900) - fille de Suzanne Brohan, actrice, et d'un monsieur
dont l'identité
reste incertaine,
sœur cadette d'Augustine
Brohan,
actrice
-
fut
engagée dès 1850 par Arsène Houssaye, administrateur général de la Comédie-Française. Théophile Gautier la distingue dans un de ses tout premiers rôles: «C'est une belle fille, grande, bien faite, à formes d'éphèbe, avec quelque chose d'éclatant, d'agressif dans toute sa personne. Le geste est superbe, l'œil flamboie, la bouche étincelle, la joue brille comme une grenade. Nulle timidité, nul embarras; la face est âpre, la beauté crue comme un fruit vert; le charme a quelque chose d'impérieux... » À contempler au Musée d'Orsay son portrait par Paul Baudry - figure pointue, petit sourire ironique - on est tenté de penser que la jeune femme, connue pour ses mots d'esprit, ses réparties à l'emporte-pièce, pouvait n'être pas de tout repos. Quoi qu'il en fût, le prince de Joinville, troisième fils de Louis Philippe, ce gentil "Hadjy" grand amateur des personnes du sexe, noua avec elle une relation durable; comme il était très sourd, les "mots" devaient lui parvenir fort atténués. Paul Déroulède, lui aussi, se montra sensible aux charmes piquants de l'actrice. Le vieux prince de Joinville, le jeune Déroulède et Madeleine s'accommodaient gentiment de cette distribution tripartite. À qui reprochait un jour au poète des Chants du soldat ses compromissions avec l'orléanisme, il répondit en riant: «Eh! quoi d'étonnant, mon cher! Il fut un temps où les méchantes langues affirmaient que nous étions du même lit, le prince et moi-même. » Sociétaire de la Comédie-Française dès le 1er janvier 1853, retraitée au début de 1884, Madeleine Brohan survécut sept années à son "disjoint" comme elle appelait son ex-mari. À quelque mois près, elle mourut la même année que le prince de Joinville, au numéro 214 de la rue de Rivoli où elle recevait chaque dimanche un petit cercle d'amis triés sur le volet. Mario Uchard était lié d'amitié avec un parent du dramaturge Victorien Sardou, Jean-Jacques Sardou, propriétaire au Cannet, village situé en altitude dans les Alpes-Maritimes, à une quinzaine de kilomètres de Cannes. Il sut persuader Sardou d'accueillir et d'héberger la pauvre Rachel, épuisée de consomption, en quête de calme dans un climat favorable. C'est ainsi que, grâce à l'entremise de Mario, elle passa au Cannet les trois derniers mois de sa courte vie. Elle s'éteignit, précise Sylvie Chevalley, un sourire sur les lèvres, au son du psaume "Vole vers Dieu, fille d'Israël", chanté en hébreu, à son chevet, par quelques-uns de ses coreligionnaires dépêchés par le consistoire de Nice. Dans ses Intimités du Second Empire où il consacre quelques jolies pages à Rachel, Ferdinand Bac rapporte ceci: «Le maréchal Canrobert, qui ne connaissait que sa consigne, reprocha au prince Napoléon d'être arrivé en retard de deux jours au camp de Châlons, où il était attendu, à cause de cette cabotine qu'il avait voulu revoir une dernière fois afin qu'elle pût fermer les yeux en disant: "Il ne m'a pas oubliée." On jugea cette conduite avec beaucoup de sévérité. [...] Cet homme [le prince Jérôme] assez rude, difficile et ombrageux, montrait souvent
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beaucoup de finesse. Il ne souhaitait pas être bon, mais il savait apprécier les qualités des autres quand, en un seul paquet, il ne les renvoyait pas par-dessus bord. Si Véron, à sa manière vulgaire, traitait Rachel en "bouffonne", le prince, lui, savait autrement bien lui rendre justice... » Et Bac de rapporter les paroles même de Plon-Plon: «Personne ne connaît cette femme comme moi. On la croit née dans une roulotte et elle est née sur un trône. .. il y a deux mille ans. [...] On ne remplacera pas une femme qui vous trompait avec autant de grâce. » Ferdinand Bac (par francisation de son nom patronymique Bach) avait d'excellentes raisons de bien connaître le prince Napoléon qui lui manifestait une affection quasi-paternelle, étant en effet, par la main gauche, le petit-fils de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie. «Familier de tous les artistes de la seconde moitié du XIXe siècle, écrit Ghislain de Diesbach dans Aix-Marseille 1949-1955, Ferdinand Bac ressuscitait pour moi une époque déjà bien lointaine. Mon intérêt devenait de la passion lorsque je l'entendais évoquer des personnages qu'il avait connus dans son enfance, comme Mérimée, Berlioz ou Napoléon III, et me décrire, grâce aux souvenirs de ses parents, les fastes de la cour des
Tuileries ou les misères d'un Bonaparteen exil à Rome. » Né en 1859 à Stuttgart, Bac, qui mourut nonagénaire, fut un dessinateur bien doué, collaborateur de la Caricature, de l'Art et la Mode, du Monde illustré, de la Vie parisienne, etc., puis se fit mémorialiste à partir de 1908, avant de s'intéresser, dans le Midi, à la restauration des maisons et des jardins. Dans la Fin des "Temps délicieux", il raconte le périple qu'il fit en Bretagne en septembre 1910, sous la houlette de la duchesse de Rohan - «qui avait le sens de l'humilité et cherchait toutes les occasions de la pratiquer» - avec Judith Gautier et le ménage Géniaux. Tous deux écrivains, Charles et Claire Géniaux habitaient à Keryhuel-en-Arzano, dans le Finistère, non loin de Josselin; Charles Géniaux, qui obtint en 1917 le grand prix du roman de l'Académie française, Breton militant, collaborateur de la Revue Bleue avec son ami Alphonse de Chateaubriant, Romain Rolland, etc., était un grand amateur de photographie. Ferdinand Bac: Judith Gautier était toujours la généreuse brune au teint mat, indolente et imprévoyante comme son père, excellent écrivain, poétique et coloniale. Elle avait conservé des restes de cette beauté grave qui charma tant les derniers romantiques.Bon garçon, bon public, elle était gaie dans l'infortune, riant de ses pires malheurs, pleurant d'attendrissement devant un chat de gouttière qui lui demandait l'hospitalité. Sans cesse elle s'extasiait avec la voix et le style ample de George Sand... Impétueuse et omnivore, elle ouvrait ses bras à la mère Nature et envoyait des baisers aux ruines. Là était sa mélancolie. À tout prix, elle eût aimé jadis camper la nuit dans des châteaux hantés, se coucher parmi les Menhirs, devenir la fiancée des Druides et la muse de la Préhistoire. [...] Il fallait au moins que le cher Géniaux la prît dans son appareil, appuyée contre ces géants de pierre. Nous la vîmes ainsi luttant contre son voile qui claquait au vent, se battant avec la brise comme une écuyère romantique, longeant la grève. Peu de temps après, Bac se rend en visite d'une journée avec «la bonne duchesse» chez « la bonne Judith », au Pré des Oiseaux, et le ton, de railleur, devient persifleur: « Tout était en désordre. Mais quel auguste désordre! Rien ne rappelait les hideuses ordonnances du bourgeois pour qui le balai est un sceptre et un grain de poussière une honte domestique. » Pendant le déjeuner, Judith « nous raconte son voyage de noce [sic] en Suisse avec le beau et suave Catulle. [...] Elle aimait Catulle et elle admirait Wagner, ce Titan. Pour elle, Mendès était Cupidon, et l'ami de Louis II était Jupiter. Mais les femmes n'aiment pas
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pousser la mythologie plus loin... » Bac ne profite pas de l'occasion pour rappeler qu'il fit en 1860, au fusain rehaussé d'aquarelle, un portrait de Wagner. Enfin, voici Suzanne: À table, il y eut une autre convive dont la condition auprès de la poétesse était encore mal définie pour les nouveaux venus. Mais dans ce royaume romantique tous les états ne sont-ils pas situés hors des notions établies par une société astucieuse et dissimulée? C'était sa fille adoptive, sa secrétaire, son amie, sa seule amie, à coup sûr, dans le sens le plus grand du mot. Elle s'appelait Mlle Meyer, comme l'égérie du peintre Prud'hon. Son air était franc du collier, avisé sur plusieurs sujets, solidement bâtie et laborieuse [sic]. On l'appelait gentiment Mlle Mie de pain, parce que son art consistait à modeler avec habileté toutes sortes de fleurs dans cette matière comestible. Dans les dîners où la célèbre Judith aimait à l'amener, Mlle Meyer illustrait rapidement sa présence. Entre le rôti et l'entremets, avec une dextérité véritablement surprenante, elle façonnait une flore en deux tours de main, pétrissant la pâte molle. Alors, soudain elle pouvait mettre sur le bord de votre assiette une rose ou une violette... Sur le visage des convives se livrait un combat entre la surprise et l'admiration. Avec quelque réserve on prenait l'objet. Il circulait, de couvert en couvert, et tout cela finissait par des louanges. [...] Cœur de mère sans emploi, [Judith] avait adopté une fille qui ne lui ressemblait point, mais qui était à sa mesure pour l'aimer et pour servir sa mémoire. [...] Ce fut ma dernière rencontre avec cette excellente poétesse. Elle mourut peu d'années après, pleurée par Mlle Meyer dont la piété perpétua le souvenir de cette dernière romantique, une âme hors de la vie courante.
Le Second Rang du collier, p. 147. UGOLIN. La fin atroce d'Ugolin della Gherardesca, tyran de Pise, chef du parti gibelin opposé aux guelfes, traître à sa propre faction par appétit du pouvoir et, vaincu, condamné en 1288 à mourir de faim en prison avec deux de ses fils et deux de ses petits-fils - il périt le dernier après avoir tenté de se nourrir de leur chair -, inspira à Dante quelques-unes des pages les plus pathétiques de son Enfer et ne cessa de tenter le pinceau des peintres comme le ciseau des statuaires. Reynolds en Angleterre, en France Norblin de la Gourdaine (au musée d'Orléans), Henri Delaborde (Salon de 1838), Louis Boulanger (Salon de 1850), par exemple, proposèrent leur interprétation picturale du drame historique d'Ugolin. Analysant dans le Bien public du 2 juin 1872 la version sculpturale de Jean-Baptiste Carpeaux (elle avait été exposée au Salon de 1863), Théophile Gautier saisit l'occasion de mettre en parallèle deux conceptions esthétiques différentes: Les anciens ne cherchaient pas dans l'art l'originalité, mais la beauté. Ils n'avaient pas le désir de se créer un style particulier qui mit à leurs œuvres comme une signature lisible pour tout le monde. Ils tâchaient de perfectionner le type reçu du héros ou de la divinité, sans essayer d'en trouver un nouveau. M. Carpeaux, nature essentiellement moderne, suit une esthétique tout opposée. Il ne se préoccupe nullement de la forme traditionnelle; [. ..] préférant le caractère à la beauté, il attaque le sujet avec toute la fougue de son tempérament, ne reculant devant aucune audace, pas même devant la laideur, - cette Méduse de la sculpture, pourvu qu'elle exprime la vie, le mouvement, la force ou la passion. [...] Le groupe d'Ugolin et de ses enfants, placé aux Tuileries en face du Laocoon, montre précisément la différence dont l'art antique et l'art moderne rendent la douleur, l'un en l'atténuant, l'autre en l'exagérant: celui-ci dans le sens de la beauté, celui-là dans le sens du caractère. [...] Il admet la laideur significative, plutôt que la beauté bête. [...] La façade de l'Opéra s'est presque scandalisée de l'ardeur furieuse avec laquelle s'y déhanchait la sculpture de Carpeaux. Ce n'est
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pas ainsi certes que danse Terpsichore. Mais peut-être Rigolboche se reconnaîtrait-elle dans ce tour de reins. En 1869, on avait dévoilé le groupe fameux de la Danse, commandé à Carpeaux par Charles Garnier fortement appuyé par la princesse Mathilde, et l'on ne saurait oublier que l'ire soulevée par ses blanches nudités exubérantes conduisit un bras iconoclaste, vengeur de la morale publique, à les lapider d'une bouteille d'encre. L'original, érodé par la pollution atmosphérique de la place de l'Opéra et désormais abrité au musée d'Orsay, est remplacé depuis 1964 par une réplique due au ciseau de Paul Belmondo. Il paraît que la future Mme de Martel, Gyp de son nom de plume, posa pour la tête d'une de ces bacchantes. Pour revenir au malheureux héros de notre articulet, rappelons que la Porte de l'Enfer, présentée au public à l'Exposition Universelle de 1900, fut inspirée à Auguste Rodin par la Divine Comédie. Sur l'un des vantaux de cette porte figure le couple incestueux, Francesca da Rimini et son jeune beau-frère Paolo Malatesta, tandis que le morceau central de l'autre vantail montre le comte Ugolin accroupi sur les cadavres de ses fils, aboutissement d'une figure qui hanta longtemps le sculpteur: depuis 1875 il travaillait par intermittence à un
Ugolin assis. Dans les Amants de Pise (1912), « qui sont au début de la meilleure école de Goncourt» écrira R.-L. Dayan, Péladan a fait de son triste héros le dernier descendant de la race des Gherardesca. Il résume en deux pages bien venues la cause des luttes fratricides qui opposaient les condottieri toscans du XIIIe siècle, et en quelques lignes le thème général de ce roman qui appartient au cycle des "Drames de la conscience": «N'enviez pas les rejetons d'une race illustre; une fatalité insurmontable pèse sur les vieilles familles pleines de gloire. Les noms d'autrefois sont aussi lourds que les armures, et ils écrasent une destinée comme le harnachement guerrier écraserait nos corps d'aujourd'hui.» On s'est tellement gaussé du lyrisme parfois échevelé de Péladan, de son vocabulaire parfois extravagant qu'il est équitable de rappeler que D'Annunzio le pilla senza vergogna, comme il fit malgré ses dénégations aux dépens de nombreux écrivains français parmi les plus réputés. Le sort tragique d'Ugolin revint plusieurs fois à l'esprit de Gautier, ce gros mangeur affamé, pendant le siège de Paris. Exemple: dans une lettre à sa fille cadette, réfugiée à Genève chez sa tante Carlotta. Privée des loyers de son immeuble de rapport à Paris, rue du Faubourg-SaintDenis, No 78, en proie à des difficultés financières, celle-ci avait mis Saint-Jean en location et s'était installée plus modestement au No 3, quai du Mont-Blanc. 14 novembre 1870 (5ge jour du siège) Ma chère petite Estelle, J'ai bien peur que ma dernière lettre ne te soit pas parvenue. Le ballon "le Galilée" est tombé entre les mains des Prussiens [.. .]. Comme il y a longtemps que je ne t'ai vue, chère enfant! Les journées de siège sont plus longues que les autres et peuvent compter pour des mois! On ne saurait imaginer une existence plus morne et plus triste et malgré tout le désir que j'aurais de te voir je suis heureux de te savoir loin de nous. De danger il n'yen a pas, dans le vrai sens du mot; la ville n'est pas attaquée sérieusement mais investie de façon à nous faire mourir de faim dans un temps donné. Dans ce cachot de plusieurs lieues de tour je n'ai pas comme Ugolin la ressource de manger mes enfants puisqu'ils sont en Suisse ou en Angleterre. Il n'y a plus de beurre depuis longtemps, l'huile commence à manquer, le fromage est un mythe et je t'avoue que le macaroni à l'eau et au sel est un mince régal. La ration de viande est descendue à quarante grammes par jour pour chaque personne et l'on n'obtient sa portion qu'après des queues de trois heures. J'ai mangé du cheval, de l'âne, du mulet mais il n'yen aura
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bientôt plus. Il se forme des boucheries... où l'on vend du chien, du chat, et même des rats et des pierrots. Etc. Il s'empresse d'ajouter que ces misères obsidionales ne sont rien à côté des souffrances morales causées par la séparation d'avec ceux que l'on aime et la privation de toute nouvelle de l'extérieur. La famille est en effet éclatée. Théophile junior se trouve à Londres avec sa mère. Judith racontera qu'une dame de leurs relations, affolée à la perspective du siège de Paris, supplia les Gautier de garder les clefs de son appartement, rue Richer, «de le surveiller et même de l'habiter pour qu'il ne soit pas réquisitionné. [...] Ma mère et moi allâmes rue Richer. Ma sœur était restée à Genève avec la tante Carlotta. Mon père habita donc rue de Beaune avec ses deux sœurs Lili et Zoé, et la chatte Éponine... » Rue Richer, elles accueillirent quelques jours le ménage Leconte de Lisle, chassé de son cinquième, au 8 du boulevard des Invalides, un obus en ayant défoncé le sixième étage. Un biographe de Mendès, cité par Léon Guichard, assure que Leconte de Lisle vint également loger pendant quelque temps chez les Mendès, 4, cité Trévise. La beauté de Judith reçut à cette époque un hommage peu banal. Judith était venue un jour avec sa mère au pont de Neuilly faire la queue avec tant d'autres affamés pour recevoir des provisionsde bouche. Un général prussien et Altesse Royale passa et, dans ce défilé de gens en quête de nourriture,il aperçutJudith. Il s'arrêta et s'informa auprès d'elle de ce qu'elle désirait. Mais, froide et hautaine, Judith refusa de répondre. Les témoins de la scène connaissantla brutalité du général se regardèrentinquiets de ce qui allait suivre, quand soudainementl'officier se courba respectueusement devant elle et donna l'ordre à son aide de camp de servir la jeune femme avant les autres. (M. Dita Camacho,Judith Gautier.) Catulle - duquel Judith taira le nom et la présence avec une constance farouche tout au long de ses Souvenirs - volontaire dans les compagnies de marche, fut nommé inspecteur des ambulances, ce qui donna l'opportunité à Augusta Holmès de servir elle aussi dans cette formation à titre étranger, puisqu'elle n'obtiendra sa naturalisation française qu'à l'âge légal de vingt-cinq ans, en 1873. Goncourt note agréablement, le 10 septembre 1870, que Mendès, dans son uniforme, avait «bien la tête d'un Christ qui aurait la chaude-pisse ». Infortuné jeune homme! Leconte de Lisle non plus ne le cotait pas très haut, qui écrira le 22 juin 1871 à José-Maria de Heredia cette lettre reproduite par Ibrovac : ... Lemerre est tout entier aux actualités.Vous a-t-il envoyé le livre de Silvestre? Entre nous soit dit, c'est bien mal écrit, bien pâle et bien froid, et ne donne aucune idée de ce qui s'est passé ici, mais c'est un chef-d'œuvre comparé aux 73 jours de la Commune par Catulle. Imaginez-vousune longue série de mensongesimpudents et ridicules. Tout le monde sait qu'il invente les aventures dans lesquelles il a le plus grand soin de figurer héroïquement puisqu'il n'a pas quitté Saint-Germainoù il s'était réfugié. Cet homme si habile est bien maladroit. Le Journal Officiel qui a conservé Gautier parmi ses collaborateurs malgré ses sympathies bonapartistes commence à publier ses Voyages dnns Paris, chroniques d'actualité et croquis de guerre, réunis en volume par Charpentier sous le titre Tableaux de siège. Sarcey citera longuement deux de ces "tableaux" dans le Siège de Paris: la visite de Théo aux blessés du Théâtre-Français, un jour de représentation où les acteurs coudoyaient respectueusement dans les couloirs les religieuses hospitalières, et son retour dans sa maison de Neuilly pour une inspection rapide avant de regagner Versailles: À l'extérieur, rien n'était changé. La tête de la Victoire du Parthénon, dont M. de Laborde a rapporté le marbre d'Athènes,et qui figure, moulée en plâtre sur un fond de rouge antique, dans une niche circulaire,sur le mur de notre atelier, était toujours à sa place [...] divinité tutélaire
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du pauvre logis. [...] Quand on pénètre dans un logis désert depuis longtemps, il semble toujours qu'on dérange quelqu'un. Des hôtes invisibles se sont installés là pendant votre absence et ils se retirent devant vous; on croit voir flotter sur le seuil des portes qu'on ouvre le dernier pli de leur robe qui disparaît. La solitude et l'abandon faisaient ensemble quelque chose de mystérieux que vous interrompez. À votre aspect, les esprits qui chuchotaient se taisent, l'araignée tissant sa rosace suspend son travail; il se fait un silence profond, et dans les chambres vides l'écho de vos pas prend des sonorités étranges. Pas le plus léger dégât n'avait été commis. D'ailleurs, personne n'était entré là depuis notre départ. Le modeste asile du poète avait été respecté. [...] Une mélancolie profonde s'emparait de nous en regardant ces lieux où nous avons aimé, où nous avons souffert, où nous avons supporté la vie telle qu'elle est, mêlée de biens et de maux, de plus de maux que de biens, où se sont écoulés les jours qui ne reviendront plus et qu'ont visités bien des êtres chers partis pour le grand voyage. Nous avons senti là, dans notre humble sphère, quelque chose d'analogue à la tristesse d'Olympio... Dans cette prose ravissante, Théophile est là tout entier, tendre, ému, rêveur, nostalgique.
Le Second Rang du collier, p. 128. VACQUERIE, Auguste (Villequier 1819 - Paris 1895), beau-frère de Mme Charles Vacquerie, née Léopoldine Hugo. Un portrait gravé, paru dans l'Illustration du 1er janvier 1881, nous permet de compléter la description de Judith: vaste front découvert par la calvitie, fort nez aquilin, joues creuses, lèvres charnues sous une moustache rude, collier de barbe... «sa triste tête de vieux cheval de fiacre », écrit Goncourt en 1889. Il était bien laid, ce pauvre Auguste! Léon Daudet qui n'avait pas pour lui la moindre sympathie «profil dur. .. voix désagréablement timbrée... regard aigu dans sa face de couteau ouvert... » - confirme « qu'il était plein d'attentions et de prévenances pour la jeunesse ». Le tonitruant, le fougueux polémiste Léon Daudet, fils d'Alphonse, ami et beau-frère temporaire de Georges Hugo et donc bien informé en raison de cette parenté, émet l'hypothèse désobligeante que la dévotion du disciple Vacquerie n'était que le masque de son envie haineuse à l'endroit de son maître Hugo. « D'autre part, poursuit-il dans Fantômes et vivants, on prétend que leur intimité, traversée par le drame affreux de Villequier, n'alla pas sans secousses et sans alertes.» Est-ce allusion aux amours secrètes d'Adèle Hugo avec Vacquerie, cette infortunée Adèle, si belle, si talentueuse, sombrée plus tard dans la folie? À vingt-deux ans, elle écrivait dans son journal codé: «Auguste et l'ivresse de nos premiers baisers... il est si passionné, si sensuel, si ardent, si maître... Sa grande taille et ses petites mains si blanches, si fines et pourtant si viriles et fortes. Oh ! Je l'aime... Je n'ai jamais vu au monde qu'un homme qui fit sur moi une impression analogue, c'est Clésinger... Auguste m'aime follement... » (Henri Guillemin, L'Engloutie, Adèle Hugo.) L'on découvrit, paraît-il, à Guernesey où Vacquerie s'était soumis à un exil volontaire aux côtés du "père", adressées à Vacquerie des lettres crûment révélatrices d'une liaison avec Louise Michel du temps qu'elle était institutrice à Paris avant de devenir la Vierge Rouge de la Commune, ce qui démontre, nonobstant Léon Daudet, qu'il ne manquait pas de séduction, Auguste! Après le collège à Rouen, il fit des études de droit et de mathématiques à Paris. Pensionnaire à l'institut Favart, il se lia avec Meurice et, presque adolescent encore, s'engagea dans le mouvement romantique. À dix-neuf ans, il connaissait déjà Gautier; le 25 octobre 1872, il écrivait sur lui, dans le Rappel, un article nécrologique. Cette longue accointance se perpétua entre Vacquerie et Judith après la mort de Théo. Elle achève ainsi
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une lettre, conservée au musée Victor Hugo, place des Vosges à Paris, dans laquelle elle fait l'éloge de son éditeur Armand Colin, désireux de faire entrer Quatre- Vingt-Treize, le dernier roman de Hugo, paru en 1873, dans sa collection de romans historiques: «Au revoir, ami très aimé. Donnez-moi de vos nouvelles. Je vous embrasse de toute ma tendresse. » C'est chaleureux! Pour Vacquerie, Judith, qui maniait non sans bonheur d'autres outils que la plume, peignit un écran, façonna deux candélabres en argent - «le Printemps et l'Automne» - modela une paire de chenets coulés en bronze - « l'un représentant un petit garçon soufflant sur le feu, l'autre, une petite fille se chauffant» - et une statuette également coulée en bronze, «Tragaldabas ». Auguste Vacquerie, à ses débuts dans la littérature et tout comme Meurice "nègre" de Dumas, fut un journaliste de combat attaché au char de Hugo; son nom est intimement lié au Rappel et à l'Événement; lui aussi, comme Meurice, il fera de la prison pour délit d'opinion. Écrivain fécond, mais bien vite oublié, il se crut poète et il manquait singulièrement d'envolée; Théo parla courtoisement de « sa sobriété mâle », de« sa pensée haute, droite, peu flexible ». Dramaturge, il fit jouer, en collaboration avec Meurice, Falstaff, prologue de Gautier (1842), et une traduction en vers d'Antigone (1844). Puis vinrent Tragaldabas (1848), les Funérailles de l'honneur (1861), Jean Baudry (1863) créé par Mme Favart, pour ne citer que les plus notables de ses pièces. La première de Tragaldabas, drame bouffon en cinq actes, en vers, à la Porte-Saint-Martin, avec Frédérick Lemaître dans le rôle principal, souleva le courroux des tenants du classicisme contre l'homme qui osa écrire «Shakespeare est un chêne, Racine est un pieu». Dans cette pièce aux effets appuyés, le prétexte grotesque d'un duel est un plat de porc aux choux, apprécié par l'un des convives, dénigré par l'autre. Naturellement, Théo défendit son ami. «Le danger n'est pas dans la folie, il est dans la banalité. En art, l'extravagant vaut mieux que le plat. Tous les poëtes de haute renommée ont commencé par heurter le goût contemporain. C'est une beauté choquante qui a été le tranchant du coin par lesquels ils sont entrés dans la masse compacte des esprits. Molière a eu sa tarte à la crème, Chateaubriand le nez du père Aubry, Victor Hugo son vieillard stupide, A. de Musset son point sur un i, M. Auguste Vacquerie son porc aux choux. » (14 août 1848, Histoire de l'art dramatique en France...) Mais, dit Larousse, «le public eut beaucoup de peine, à la représentation, à digérer ce porc aux choux ». Jules de Goncourt, ce délicat, est "toqué" de Tragaldnbas, Balzac en est indigné: «Le comique doit toujours avoir pour base la raison.» Grandement remanié, expurgé par l'auteur pour sa parution en volume (1874), Anatole France, juge raffiné, écrira: « Tragalbadas est la perle des comédies picaresques, la fleur de la fantaisie dramatique, le rayon de poésie gaie; c'est l'esprit, c'est la joie, c'est la chose rare entre toutes: la grâce dans l'éclat de rire. » Autre échec retentissant à la PorteSaint-Martin en 1861 : les Funérailles de l'honneur, drame en sept actes, en prose; l'action se passe en 1362, sous le règne de Pierre le Cruel, « reflet malheureux des vieilles lames de Tolède de l'ancien arsenal romantique », écrit Paul Foucher. La Paire de bottes parut dans Profils et grimaces (1856); analysant ce recueil, le même Paul Foucher recommande à Vacquerie de faire disparaître d'une prochaine édition cet article «littéralement incompréhensible aujourd'hui ». Voici le sonnet de Vacquerie en vers trisyllabiques auquel Judith fait allusion: «Sortilège! / Tu verras / Le ciel gras / Qui s'abrège / Nous assiège / D'un ramas / De frimas. / Paul, il neige! / Eh bien Paul / Vois le sol, / La terrasse / Va changeant / Cette crasse / En argent.» Récité par Gautier, devant l'auteur, chez Apollonie Sabatier, ce poème connut une sorte de célébrité en devenant une scie pour
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quelques mois: «Paul, il neige! Eh bien, PauL..» Théodore de Banville, émoustillé, commit à son tour le sonnet tronqué par Judith: «Vacquerie / À son Py- / Lade épi/ Que: qu'on rie / Ou qu'on crie / Leur épi / Brave pi- / Aillerie / 0 Meuri- / Ce: il mûri- / Ra momie. / Ce truc-là / Mène à l'A- / Cadémie. » Vacquerie demeura jusqu'à sa mort, à l'âge de soixante-seize ans, en son hôtel, 8, rue Dumont-d'Urville, acheté en 1822. Célibataire, il y donnait l'hospitalité à son neveu Ernest Lefèvre, le fils de sa sœur mariée au Havre, et à son épouse. Ernest Lefèvre sera député de Paris en 1881 ; il comptera parmi les exécuteurs testamentaires de Victor Hugo. Vacquerie fut inhumé à Villequier où il était né dans la belle maison de sa famille - de riches armateurs nantais - devenue un musée Victor Hugo en 1968. On y plaça, entre autres souvenirs, un portrait de Vacquerie par Auguste de Chatillon. Le Second Rang du collier, p. 147, 306, 308-309. V ALÉRIO, Théodore (1819-1879), peintre, graveur, lithographe français. Élève aventureux de Charlet, grand voyageur, il s'en alla chercher son inspiration hors de nos frontières, notamment dans les pays balkaniques. Engagé en 1852 dans les rangs de l'armée turque d'Orner-Pacha, il rapporta de Crimée une ample moisson d'impressions pittoresques. Théo appréciait cette traduction de l'exotisme, comme en font foi les Musiciens tziganes de sa collection personnelle et ses articles du Moniteur universel (11 et 18 mars 1854, 7 mai 1855). À partir de 1870, Valério, artiste ethnographe, trouve en Armorique une couleur locale qui le séduit et c'est là qu'il achève sa carrière. Empruntons à Anne Ubersfeld ce paragraphe: «Ce qui excite l'imagination de Gautier, ce sont les aquarelles de son ami Théodore Valério, rapportées d'une mission dans les pays du Danube; et Gautier de rêver sur "ces landes de bruyère où le tzigane joue du violon sur le seuil du cabaret hanté par les bandits; ces pusztas que domine le berger rêveur." Tziganes, bandits, pusztas... C'est tout le livret du ballet [...] Yanko le bandit.» (Théophile Gautier.) Sur une musique de Deldevez et une chorégraphie de Charles Honoré, ce ballet de Théophile Gautier fut représenté vingt-deux fois à la Porte-Saint-Martin du 22 avril au 13 mai 1858. Le Second Rang du collier, p. 257. VAN EYCK. Il Y eut deux frères Van Eyck: Hubert (Maeseyck v. 1370 - Gand 1426) dont on contesta jusqu'à l'existence; Jan (Maeseyck v. 1380 - Bruges 1440) qui travailla à Lille, à Bruges surtout; à partir de 1425, peintre et "varlet de chambre" du duc de Bourgogne Philippe le Bon, il accomplit des missions diplomatiques en Espagne et au Portugal. Les œuvres de Jan Van Eyck sont disséminées dans toute l'Europe, à Gand, à Berlin, à Londres, à Paris,... Parmi les plus renommées, le polyptyque de l'Adoration de l'Agneau mystique, la Vierge et l'enfant, l'Homme à l'œillet, le portrait d'Arnolfini et de sa femme, la Vierge au chancelier Nicolas Rolin,... Trois noms dominent la peinture flamande primitive s'ils n'en furent pas les créateurs: Van Eyck, Van der Weyden et Memling. Gautier fit un jour cette remarque: « Plus le tableau est ancien, mieux il est conservé: un Van-Eyck est plus frais qu'un Van-Dyck, un André Mantegna qu'un Raphaël et un Antoine de Murano qu'un Tintoret. [...] - Cela vient-il de ce que les couleurs étaient plus pures, la chimie n'étant pas assez avancée pour les sophistiquer ou en inventer de nouvelles d'un effet
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incertain et d'une durée problématique, ou bien les tons, laissés presque vierges comme dans l'enluminure, ont-ils gardé la même valeur que sur la palette?» (Italia.)« On sait, écrit E. Dumond-Gréville dans le Musée d'Art, que Van Eyck, s'il n'inventa pas, comme on l'a dit la peinture à l'huile, trouva des huiles plus siccatives qui donnaient aux couleurs une étonnante richesse et une singulière transparence. » À l'époque - 1850 - où Gautier, après sa visite à l'Académie des Beaux-Arts de Venise, traçait les lignes ci-dessus reproduites, le Louvre venait depuis peu, sous l'impulsion de MM. Jeanron et Villot, de modifier totalement l'aménagement de ses collections et le bon Théo n'avait pas manqué d'applaudir: «
Cette idée si simple de réunir les œuvres de chaqueécole, les manières de chaquemaître,
de les faire se suivre chronologiquement de façon que l'on pût lire comme dans un livre ouvert les origines, les progrès et la décadence de l'art de tel pays ou de tel siècle n'était encore venue à personne, ou, si elle était venue, la routine l'avait repoussée. [...] Maintenant une promenade au Musée est un cours d'art complet, fait par des professeurs qui, pour être muets, n'en sont pas moins éloquents. » (La Presse, 10 février 1849 ; Tableaux à la plume.) Cité en note par Marie-Hélène Girard dans Italia, la Boîte à Documents, Paris, 1997. Cette maison a pris à tâche, semble-t-il, de nous fournir d'excellentes rééditions des grands textes de Gautier reporter: Voyage en Algérie, présentation de Denise Brahimi, 1989; Voyage en Égypte, présentation et notes de Paolo Tortonese, 1991; Constantinople, présentation et notes de Sarga Moussa, 1996. Le Second Rang du collier, p. 175. VA TEL. Une page célèbre de la marquise de Sévigné nous fait revivre les angoisses de Vatel, maître d'hôtel du prince de Condé - le grand Condé -, chargé d'organiser à Chantilly un souper de gala en l'honneur du Roi-Soleil. Persuadé - à tort, le malheureux! - que la marée attendue n'arriverait pas à temps et que le poisson frais manquerait aux tables des nobles invités, il s'affole, sa tête s'échauffe: «Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte et se la passe au travers du corps, mais ce ne fut qu'au troisième coup (car il s'en donna deux qui n'étaient pas mortels) qu'il tomba mort. [...] On dit que c'était à force d'avoir de l'honneur à sa manière. On le loua fort. On loua et blâma son courage.» Ce suicide date de l'an de grâce 1671. Joseph Berchoux, l'aimable Bourguignon père de l'alexandrin mémorable «Qui me délivrera des Grecs et des Romains? », auteur d'une Gastronomie versifiée (1801) qu'on ne cite guère que pour la comparer à la Physiologie du goût (1825) de son contemporain Brillat-Savarin, écrivait sagement en souvenir du pauvre Vatel: « 0 vous qui, par état, présidez aux repas, / Donnez-lui des regrets, mais ne l'imitez pas!» Le sujet nous invite à parler du péché mignon de Judith, son amour de la bonne chère et des friandises, confessé par elle-même, confirmé à plusieurs reprises par Suzanne Meyer, faiblesse épicurienne peu favorable - d'après nos critères esthétiques modernes - à sa silhouette tôt épaissie. Dès son enfance, elle avait été accoutumée aux repas plantureux nécessaires à la grand'faim de son père, le mâche-dru. Relisons dans le VIle Entretien de Bergerat le discours de Théo sur le goût et la gourmandise qu'il classe "parmi les vertus reconnaissantes" : « Je pose les règles de ce poëme de gueule qu'on nomme un menu, et je déduis toute une physiologie de la divergence des goûts qui séparent les hommes convives; je classe l'humanité en frugivores, carnivores, ichthyophages et anthropophages et par ce seul classement je donne la clef de toutes les guerres, de l'histoire entière, de la haine et de
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l'amour. .. » Gautier professait que le premier devoir de la femme est d'être belle et il la trouvait belle si elle faisait bon poids: « Nous avouons, au risque de passer pour un Turc, que la santé et l'abondance sont, pour nous, chez les femmes, de charmants défauts. "Toute femme, dit Victor Hugo, contient un squelette." Nous aimons que ce squelette soit enveloppé et dissimulé.» (Portraits contemporains.) Exemple des canons de la beauté féminine au XIXe siècle, une croqueuse de diamants du Second Empire aux appâts rebondis: la blonde et capiteuse Blanche d'Antigny, modèle vivant de Paul Baudry pour sa Madeleine pénitente, modèle posthume de Zola pour sa Nana (1879). Blanche appartenait à la foisonnante "aristocratie spontanée" des femmes que l'on n'appelait actrices que par euphémisme, grues, biches, cocottes et autres gambadeuses à particule dont Victor Hugo disait que ce que l'on préférait en elles, c'était la dernière syllabe. Le journaliste Pierre Desgenais l'admire en 1868 dans Chilpéric, opéra-bouffe de Hervé: «Ce Rubens est la Vénus type de notre époque. Mlle Schneider, excitante, moderne, ironique, était la mousse de champagne. Blanche d'Antigny, avec ses fossettes lascives, est un Clodion fait chair. Sous les lampes électriques et le feu des jumelles, c'est l'apothéose de la Matière. » (Cité dans les Courtisanes de Joanna Richardson.) Sur la scène des Folies-Dramatiques, dans le rôle de Frédégonde, épouse de Chilpéric, elle se produisait, vêtue, dit Louis Sonolet, d'une soyeuse peau de mouton blanche qui ne voilait guère plus sa nudité que ne l'eût fait une feuille de vigne». À en croire Léon-Paul Fargue, renseigné par une "Parisienne" de la Belle Époque, Blanche d'Antigny, cette rieuse enfant du Berry, au retour d'un galant séjour en Russie était assez sûre de sa plastique pour s'aller promener toute nue sous un manteau en plein Paris. Épris lui aussi de tendres et confortables rondeurs, Anatole France affectionne la femme édredon. Insoucieuse des diktats de la mode, s'étant refusée au port du corset - en particulier ce corset au long corps sinueux de la Belle Époque, instrument de torture qui, sciant la taille, projetait la poitrine en proue, chassait la croupe en poupe et faisait, par exemple, à la seconde Mme Catulle Mendès une silhouette des plus bizarrement artificielles
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Judith pouvait se laisser aller à grignoter ses sucreries préférées.
Ses amis savaient lui
faire plaisir en la comblant, avec des fleurs, de bonbons ou de marrons glacés. Leconte de Lisle lui offrait «des chocolats de chez Félix Potin - son grand chimiste disait-il - et aussitôt la fille de Théo se prenait à gratter et à manger la crème avec un cure-dent... » (Récit d'Édouard Benedictus à Michel Georges-Michel.) Les fondants, verts, mauves ou roses, avaient sa préférence. Gaston Boissier, le successeur de Camille Doucet au secrétariat perpétuel de l'Académie française, l'ex-professeur d'Émile Faguet, de René Doumic, celui qui disait: «Judith Gautier est le chef-d'œuvre de son père », lui apportait également son tribut de friandises... « Gaston Boissier, ce vieux raseur, / Plus connu comme confiseur », méchant distique, jouant sur des homonymes, lancé par Leconte de Lisle, son collègue de l'Institut. Judith allumait volontiers une cigarette après le repas; peut-être trouvait-elle dans un usage modéré de l'herbe à Nicot un peu de soulagement aux névralgies faciales qui la torturèrent toute sa vie. Mais n'était-ce point un certain goût de la provocation qui l'avait incitée jadis à fumer scandaleusement le cigare, défi ostentatoire à un monde bourgeois hostile, après son triste mariage? Lettre de Théophile Gautier junior à son père, alors réfugié à Saint-Jean, chez Carlotta: « Je suis allé à Neuilly, où tout me semble en ordre. Estelle est toujours belle et se conduit très bien. On ne peut pas en dire autant de Judith, qui se promène du côté de Barbizon, parmi les paysages et les paysagistes, en pantalons et sarrau de toile sur un baudet et fumant des cigares! Ces excentricités ont été trop bien
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affichées par Mme Sand pour quiconque voudrait en faire autant, et tout ce à quoi on parvient, c'est à se rendre grotesque. Le père de Mendès a fait faillite. Nous avons finalement fait faillite! Peut-être que cela arrangera leurs affaires. » (19 septembre 1866.) Il y avait déjà quatre mois que le docteur Cazalis - en littérature Jean Lahor -, un grand admirateur d'Augusta Holmès, mandait à son ami intime Mallarmé: «J'ai vu Mendès avec sa femme: ils étaient charmants. Judith est adorable. Mais je ne leur donne pas neuf mois à
s'aimer. » (Correspondance,Mallarmé,cité par J. Richardson.) Le Second Rang du collier, p. 188. VAUVENARGUES, Luc de Clapiers, marquis de (Aix-en-Provence 1715 - Paris 1747). Après une carrière militaire interrompue par de cruelles blessures, et l'échec de ses tentatives pour entrer dans la diplomatie, ce familier de Voltaire, de Marmontel, du marquis de Mirabeau dit l'Ami des hommes, mourut poitrinaire au moment où son œuvre de moraliste commençait à connaître la faveur du public lettré. L'auteur de cette brillante formule: «La vérité est le soleil des intelligences» écrivit aussi - et Judith eut l'opportunité d'en faire l'amère application: « L'art de plaire est l'art de tromper» et « La constance est la chimère de l'amour ». Sainte-Beuve fit le plus grand éloge de ses Réflexions et maximes (1746): «Placé entre les moralistes un peu chagrins du XVIIe siècle et les philosophes témérairement confiants du XVIIIe siècle, il n'a pas enflé la nature de l'homme, et il ne l'a pas dénigrée. C'est un Pascal adouci... » Sans songer à imiter la comtesse Diane de Beausacq et ses Maximes de la vie ou le Livre d'Or dans lequel cette muse amoureuse de Sully Prudhomme collectionna les pensées de ses amis, recueillies au jeu des petits papiers, Judith a réussi ou, du moins, adopté pour son usage personnel quelques aphorismes assez heureux: «L'amitié, plus noble, plus sincère, plus sûre, plus rare que tout autre sentiment. - L'amour: une crise de l'instinct à laquelle les poètes ont mis des ailes. - Si ton destin ne te plaît pas, change-le. - Le vice n'est pas toujours récompensé, mais la vertu est toujours punie. - Quand tu ne tiendras plus à rien, il te restera à te détacher de tout. - Qui n'avance pas recule. Qui ne monte pas descend. Qui ne gagne rien perd. - On est vieux à vingt ans quand on cesse de plaire, / Et qui plaît à cent ans meurt sans avoir vieilli.» Maximes de la sagesse orientale et réminiscences inconscientes ou voulues de Victor Hugo, le prince de l'antithèse? L'auteur des Maximes avait hérité de son père le château de Vauvenargues, énorme bâtisse quadrilatère ceinte de fortifications du XIVe siècle, à une quinzaine de kilomètres d'Aix-en-Provence, sur le mont Lubaou, à proximité de la montagne Sainte-Victoire que devait immortaliser Cézanne; il y écrivit une partie de son œuvre. Si son fantôme hantait encore de temps à autre les immenses salles glacées et peu éclairées, les escaliers dérobés, l'oratoire où gisent les reliques de saint Séverin, quelle ne dût pas être sa stupeur alarmée d'y voir un jour, disposés par centaines dans des pièces à la température dégourdie par un chauffage central, les toiles, les bronzes, les céramiques de Pablo Picasso devenu possesseur des lieux en 1958 ! Lorsque Vauvenargues s'en venait en voisin rendre visite à son ami Mirabeau en son vieux castel surplombant la Durance, "rude maison forte flanquée de quatre tours à toits plats, aux tuiles brûlées par le soleil, et qu'on aperçoit de très loin sur un escarpement rocheux", il y était logé au premier étage dans une chambre que Maurice Barrès, alors propriétaire du domaine, adopta pour cabinet de travail. Les Tharaud - on sait que Jean Tharaud fut tout un temps
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secrétaire de l'austère écrivain lorrain - racontent, dans Mes Années chez Barrès, l'histoire de cette acquisition surprenante. Désireuse de relever le marquisat de Mirabeau en faveur de son fils aîné, Aymar, Mme de Martel, arrière-petite-fille de Mirabeau-Tonneau, avait acheté en 1897, sans même l'avoir vue, cette "demi-ruine" provençale, mais, né à Nancy en 1873, le pauvre Aymar, maréchal des logis aux spahis soudanais, d'une impétueuse bravoure, fut emporté par les fièvres à Ségou en novembre 1900, à la veille de son retour en France pour y suivre les cours de Saumur. « ... la vieille demeure avait perdu pour Mme de Martel son intérêt le plus profond. Elle l'aimait toujours, mais ne voulait plus y revenir. [...] Des marchands de biens se présentaient. Leurs premiers soins auraient été de couper tous les pins de la propriété pour en faire de l'argent. Gyp le redoutait, et Barrès, qui avait pour elle la plus grande affection, acheta le château afin de lui épargner le chagrin de le voir déshonoré.» Rappelons que, née dans le Morbihan en 1850, la future Gyp (autres pseudonymes: Ouich, Scamp) fut élevée à Nancy où le jeune Barrès l'aperçut souvent avant de faire sa connaissance. Elle habitait 8, place Carrière, l'hôtel de ses ascendants maternels, les Gonneville, peu éloigné de celui où grandit le futur maréchal Lyautey, son cadet de quelques années. C'est à Nancy qu'elle épousa, le 2 décembre 1869, le comte Roger de Martel de Janville, qui la trompa si insolemment qu'elle se proclamait avec humour, cette fougueuse bonapartiste, une "victime du 2 décembre"! Installée à Neuilly, boulevard Bineau, à partir de 1879, elle y recevait, comme Judith, tous les dimanches - de midi à minuit - et, chaque été, villégiaturait à Lion-sur-Mer. Les obsèques de la vieille dame en l'église Saint-Pierre de Neuilly, le 2 juillet 1932, attirèrent une foule considérable, amis et connaissances, lecteurs, auditeurs de ses conférences toujours pleines d'entrain, amateurs de son œuvre peint qui eut en 1893, 94, 96 et 97 les honneurs du Salon. Et Liane de Pougy note dans ses Cahiers bleus: «On a enterré Gyp, comtesse de Martel, quatre-vingt-deux ans, je crois. Elle avait écrit à une amie: "C'est long et difficile de mourir."» On lit toujours avec agrément et profit les six volumes de ses Souvenirs d'une petite fille qui enchantèrent Lyautey et, par exemple, dans le même registre ultranationaliste, bonapartiste, xénophobe, etc., la Joyeuse Enfance de la Ille République ou Du temps des chevaux et des cheveux, mais l'ensemble de son œuvre romanesque - avec son insupportable Petit Bob, l'affreux jojo - date irrémédiablement, bien qu'Anatole France, un intime malgré leurs désaccords politiques, la juge un "conteur vrai, délicat et touchant" et que, de même, Laurent Tailhade, avec lequel elle eut pourtant maille à partir, ait pu voir en elle "la première des conteurs femmes depuis la mort de Judith Gautier" (la Médaille qui s'efface)... déconcertante comparaison! Plus inattendu dans cette cohorte des admirateurs de Gyp, Oscar Wilde, qui prisait beaucoup son talent. Le caractère gentiment railleur de l'auteur du Mariage de Chiffon - "ce moqueur, extra-spirituel" Gyp, comme l'évoquait Loti dans son discours de réception à l'Académie française le 7 avril 1892, ou bien "une prodigieuse gamine mal élevée" selon Rachilde, ou encore "bonne et gentille au possible" selon Lucie Félix-Faure-Goyau -, ce caractère a été capté avec bonheur par Boldini en 1894 ; on peut voir le portrait de Mme de Martel au musée Carnavalet et, dans la Peinture mondaine de 1870 à 1960, sa belle reproduction photographique par Thierry Vasseur. Regagnons Nancy, plus précisément le lycée de Nancy où Maurice Barrès, qui y fit sa seconde et ses deux années de baccalauréat, se lia intimement avec l'un de ses condisciples, Stanislas de Guaïta, le futur fondateur de l'Ordre de la Rose t Croix kabbalistique.
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Nos années de formation- écrira Barrès - nous furent communes; c'est en ce sens que nous étions autorisés à qualifier notre amitié de fraternelle. [...] En 1882, nous quittons Nancy et dès lors nos vies vont se différencier. [...] Guaïta avait peu d'analogie avec Paris; il ne sut guère en prendre l'esprit. Nous y débarquâmesvers le même temps. [...] Après quelques excursions de reconnaissance, il se cantonna dans sa bibliothèque et dans ses tentatives poétiques. [...] De naissance il possédait un magnifique sens religieux. [...] Quelquechose à définir, le sentiment du divin prenait possession de Guaïta. [...] La grâce lui vint, je me le rappelle, sur une lecture du Vice suprême. Il lut Éliphas Lévi et visita M. Saint-Yves d'Alveydre. Dès lors [...] il devint l'historien des sciences occultes. [...] Il laisse trois gros volumes: Essais des Sciences maudites, qui semblent devoir se placer auprès des grands classiques de l'occulte, respectés et consultés comme des bibles. [...] Guaïta s'enfermait dans la catégorie de l'Idéal. [...] Hors la beauté morale, tout lui était étranger... À ces lignes extraites du long article - "très noble épitaphe", commentera André Germain rédigé par Barrès en juin 1898 et recueilli dans Amori et dolori sacrum, ajoutons que le Vice suprême, œuvre péladane préfacée par Barbey d'Aurevilly, premier tome de la Décadence latine, Éthopée, parut chez Dentu en 1884, et que c'est Catulle Mendès, auteur protéiforme du poème swedenborgien Hespérus, qui fit parvenir à Guaïta auquel il s'intéressait le magistral ouvrage d'Éliphas Lévi, Dogme et rituel de la haute magie. Né en Moselle, à Alteville par Dieuze, très tôt orphelin de père, le marquis Stanislas de Guaïta, rejeton d'une vieille famille où se mélangea du sang allemand, lombard et lorrain, partagea sa courte existence entre Paris et son austère château lorrain. Tout ce que la capitale comptait de théosophes, d'occultistes, d'alchimistes, de magnétiseurs, de mages et de satanistes, de thaumaturges ou prétendus tels, défila dans le fameux rez-de-chaussée de l'avenue Trudaine, tendu d'andrinople rouge, où il se calfeutrait. Déplorons que Judith, certainement informée, par Péladan et Pouvourville à tout le moins, des amitiés et des haines qui rapprochaient et brouillaient tour à tour les vedettes de ce milieu exceptionnel, n'ait pas cru devoir nous en donner quelques interprétations. Les démêlés de Péladan, Guaïta, Papus, Paul Adam, Léon Bloy, Jules Bois, Huysmans, l'abbé BOUllanet quelques autres, fulminant anathèmes et exécrations, luttant à grand renfort de maléfices fluidiques, envoûtements, exorcismes, voire même d'assauts physiques par le duel à l'épée ou au pistolet, constituent une histoire embrouillée à laquelle se mêlèrent quelques dames qui n'étaient pas toutes d'inoffensives toquées. À Péladan, Guaïta et Papus (alias Dr Gérard Encausse), André Germain consacra un chapitre de ses Fous de 1900; il rapporte les propos du compositeur Henri Duparc et de sa femme, cousins de Guaïta : « Ils voyaient en lui une âme assoiffée de l'Au-delà, enthousiaste et pure, et qui avait héroïquement consumé son enveloppe terrestre dans le désir d'accéder plus vite aux révélations suprêmes, de conquérir quelque parcelle du divin royaume qui nous est à la fois si proche et si inaccessible. » Toxicomane, la drogue à laquelle Guaïta s'adonnait sans prudence contribua dans une large mesure à sa fin prématurée. Il mourut à trente-six ans. «C'est auprès d'Alteville, contre l'église de Torquimpol, que Guaïta est enterré, le dernier, tout au moins pour la branche française, d'un nom estimé depuis des générations.
»
(Barrès.)
Le Second Rang du collier, p. 279, 281. VELASQUEZ, Diego Rodriguez de Silva y (Séville 1599 - Madrid 1660). Cet épisode de la visite des petites Gautier à Giulia Grisi nous suggère deux réflexions. Primo,
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le temps passé n'a pas gommé le ressentiment de Judith contre sa mère, il éclate ici plus encore qu'en d'autres pages de ses Souvenirs: la pauvre femme en faisait toujours trop ou pas assez, elle avait tort dans tous les cas. Secundo, l'éducation à bâtons rompus des filles de Gautier, aussi fantaisiste fût-elle, s'exerçait dans un milieu si cultivé qu'elles absorbaient, nourriture quotidienne, des connaissances peu communes aux écolières de leur âge, témoin cette allusion vestimentaire à Velasquez. L'œuvre de Théophile Gautier est parsemée de références au grand peintre espagnol. Exemple, dans l'Histoire du romantisme, le portrait de l'ami Petrus Borel: « d'une gravité toute castillane, [il] paraissait toujours sortir d'un cadre de Velasquez comme s'il y eût habité ». Le 2 janvier 1867, le Moniteur universel publiait "Une esquisse de Velasquez", article repris dans Tableaux à la plume. Associé à la publication du volume les Dieux et les demi-dieux de la peinture, illustré par Calamatta, Gautier en écrit l'introduction et trois chapitres: Corrège, Velasquez, Murillo. En 1882, Charpentier publia le Guide de l'amateur au Musée du Louvre suivi de la vie et l'œuvre de quelques peintres, par Théophile Gautier. Nous retrouvons là, in extenso, "Corrège", "Velasquez" et "Murillo", accompagnés de "Leonard de Vinci", "Reynolds" et "Hogarth". Velasquez ne poursuit pas la laideur idéale comme les réalistes de nos jours: il accepte franchement la nature telle qu'elle est, et il la rend dans sa nature absolue avec une vie, une illusion et une puissance magiques, belle, triviale ou laide, mais toujours relevée par le caractère et l'effet. Comme le soleil qui éclaire indifféremment tous les objets de ses rayons, faisant d'un tas de paille un monceau d'or, d'une goutte d'eau un diamant, d'un haillon une pourpre, Velasquez épanche sa radieuse couleur sur toutes choses et, sans les changer, leur donne une valeur inestimable. Touchée par ce pinceau, vraie baguette de fée, la laideur ellemême devient belle. [...] Sa justesse de coup d'œil était telle qu'en prétendant ne faire que copier, il amenait l'âme à la peau et peignait en même temps l'homme intérieur et l'homme extérieur. Ses portraits racontent mieux que tous les chroniqueurs les Mémoires secrets de la cour d'Espagne. [oo.] M. Paul de Saint-Victor a nommé quelque part Victor Hugo le grand d'Espagne de la poésie; qu'il nous permette, en détournant un peu son mot, d'appeler Velasquez "le grand d'Espagne de la peinture". Saisissons ici l'occasion de reproduire ce passage d'un article du 20 novembre 1847, repris dans Histoire de l'art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, où Théophile se proclame « le plus humble, le plus fervent et le plus ancien» des admirateurs de Musset, car, s'il est au monde une obligation sacrée, c'est de proclamer, aussi haut que possible, ses admirations. Sans cela, quelle récompense aurait de ses peines l'artiste sublime qui nous a consolé de la vie et nous a prodigué son âme! [...] Hélas, dans cette triste existence humaine, quels sont les amis, les frères, les consolateurs qui ne trompent jamais, ceux qu'on trouve toujours, même aux heures les plus mortelles? Les artistes, les poëtes, qui nous prennent sur leurs ailes puissantes, et nous font voltîger sur les mers de la réalité. Quelle mélancolie ne s'allège à la lecture d'une belle poésie? quel ennui ne se dissipe devant une belle peinture?.. Dites!... Est-il un philosophe, un conquérant, un législateur, un prophète, qui ait fait autant pour l'humanité que Virgile et que Raphaël? - Il Y a une chose qui nous a toujours étonné, c'est qu'en mourant on ne lègue pas au poëte, au peintre, au musicien, à l'actrice, à qui l'on doit les plus hautes jouissances où l'homme puisse atteindre, une couronne d'or, un joyau de prix, une somme importante, un témoignage d'amour et de reconnaissance, au lieu de fonder des prix à l'usage des imbéciles et des hôpitaux pour les galeux problématiques?
Le Second Rang du collier, p. 70.
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VERUS, Lucius. Il y eut deux Lucius Verus, le père et le fils, successivement empereurs romains au lIe siècle de notre ère, tous deux de mœurs efféminées, tous deux vautrés dans les plaisirs et usés par une vie de débauches effrénées, comme s'exprimaient nos manuels d'histoire. Le premier fut adopté par Hadrien. (Les Mémoires apocryphes d'Hadrien, publiés en 1951, furent peut-être le chef-d'œuvre de Marguerite Yourcenar.) Le second fut adopté par Antonin, devint ainsi le frère, puis le gendre de Marc Aurèle et périt au cours d'une expédition contre une peuplade germanique. Comme on connaît un certain nombre de portraits en bronze de Lucius Vems le fils, c'est vraisemblablement le buste de celui-ci qui surmontait la console dorée mentionnée par Judith. Gautier, critique, n'a jamais caché sa prédilection pour l'art antique. Certes, il ne prônait ni "les fadeurs mythologiques contemporaines" ni les poncifs de la tradition néo-classique, mais ses références aux grandes œuvres grecques et latines sont constantes. « Au temps heureux de l'Art païen... » écrivaitil dans son poème Bûchers et tombeaux dédié à Ernest Feydeau. Loin de nous l'intention de blâmer les artistes qui se pénètrent des passions contemporaines et s'enfièvrent des idées qu'agite leur époque. Il y a, dans la vie générale où chacun trempe plus ou moins, un côté ému et palpitant que l'art a le droit de formuler et dont il peut tirer des œuvres magnifiques; mais nous préférons la beauté absolue et pure, qui est de tous les temps, de tous les pays, de tous les cultes et réunit dans une communication admirative le passé, le présent et l'avenir. Cet art, qui n'emprunte rien à l'accident, insoucieux des modes du jour et des préoccupations passagères, paraît froid, nous le savons, aux esprits inquiets, et n'intéresse pas la foule, incapable de comprendre les synthèses et les généralisations. C'est cependant le grand art, l'art immortel et le plus noble effort de l'âme humaine: ainsi l'entendirent les Grecs, ces maîtres divins dont il faut adorer la trace à genoux.» (Le Moniteur universel, 12 et 14 juillet 1855, à propos de M. Ingres.) Sa "religion du beau", admirée par Baudelaire, l'arrêta, choqué, aux frontières du "réalisme à outrance" qu'il définissait "le maniérisme du laid". Si quelques "réputations soufflées" suscitèrent les sarcasmes du critique généralement bienveillant, on l'a violemment blâmé d'avoir louangé, d'avoir aimé ces artistes piloriés sous l'étiquette infamante de "pompiers", un Gérome, un Bouguereau, un CabaneL.. Mais qu'est-ce, au juste, qu'un pompier? Réponse de Jules Claretie, en 1895 : Je voudrais qu'on renonçât à l'expression d'ailleurs surannée, qui consiste à déclarer que tout art aboli est un art pompier. Je sais bien d'où la formule est née. Les vieux sculpteurs de jadis nous accablèrent de Grecs et de Romains, de gens casqués qui étaient des Achilles et des Philopœmens aussi fréquents alors que le sont les Jeanne d'Arc aujourd'hui. Ces statues classiques avaient des casques et le mot de pompier devait venir facilement aux lèvres des jeunes épris de modernité. Ce n'est pourtant pas le casque qui fait le pompier et les plus modernes des modernes finissent par être des pompiers en leur genre. Ils ont leurs moules, ils ont leurs gaufriers, comme disait Gautier. Et, à tout prendre, les pompiers d'autrefois avaient une ardeur et une foi vaillantes. Le petit père Cavelier, bon professeur, disait joliment: "Pompiers tant qu'on voudra, pourvu que nous alimentions nos pompes aux eaux sacrées de la Grèce." Le mot est charmant et il est juste. On pourrait, je crois, renoncer à chansonner les pompiers sur les petits théâtres et à les faire évoluer dans les revues de fin d'année et aussi à appeler pompier ce qui semble un peu vieux aux uns et ce qui demeure peut-être respectable pour les autres, même en art. Le pompier croit du moins aux belles choses, et je sais de vieux sculpteurs de talent qui se vantent de mériter l'ironique épithète: "Pompier tant qu'on voudra, me disait l'un d'eux; j'aime mieux sculpter des casques que des casquettes." (La Vie à Paris.)
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Au reste, la roue tourne et le temps semble révolu de la condamnation sans nuances et sans appel des Pompiers. Dans le beau catalogue de l'Exposition William Bouguereau, en 1984, au Petit-Palais, le Conservateur en chef de ce musée, Mme Thérèse Burollet, écrivait - et nous la citons dans le désordre faute de pouvoir reproduire tous les arguments de sa chaleureuse plaidoirie en faveur de l'art académique: Il est évident que dans l'art pompier, la réussite picturale n'est pas toujours égale. À côté de certaines œuvres réellement somptueuses, beaucoup d'autres toiles pêchent par minutie du faire ou étroitesse de pensée. La suavité des unes sombredans le "sucré" sulpicien, les audaces des autres frisent le ridicule [..., néanmoins] la peinture pompier se révèle à nous avec la saveur d'un art accompli.[...] On a trop souvent dit que l'art pompier était le fruit du "stupide XIXesiècle" et que ses représentants étaient responsables de la décadencede l'art... pourtant Paris à cette époque sert de phare à la plupart des artistes européens et américains qui nombreux viennent y travailler. [...] Leur enseignement, loin de ruiner l'art européen du XIXe siècle et son prolongement américain, leur a insufflé une vitalité que nous admirons encore. [...] Au contraire des Impressionnistes plus ou moins autodidactes, les peintres académiques ont tous reçu une éducation artistique solide qui leur a rendu familières les grandes compositions savamment ordonnées. Ils savent avec brio agencer les plans, équilibrer les masses colorées, faire circuler la lumière. La qualité du rendu des chairs, des tissus, des fourrures est souvent éblouissante. [...] D'aucuns n'ont voulu voir dans ces techniques parfaites qu'unjeu trop habile du pinceau, mais soyons honnêtes et admirons sans arrièrepensées le "bien peint" sans nous laisser impressionner par la faveur actuelle pour le hâtif et le pauvre. Relisons, avec son amusante référence au lointain empereur romain, les lignes consacrées par Calmettes au fils de "l'étincelant mondanisant" Arsène Houssaye, le jeune Henry "apparu réservé, poli, discret" dans le salon de Leconte de Lisle dont il assura en 1894, rappelons-le, la succession au XIVe fauteuil de l'Académie française (numéroté IXe avant l'ordre définitivement établi à l'occasion du tricentenaire 1635-1935), ce glorieux fauteuil des frères Corneille où s'était assis Victor Hugo, où s'assiéra en 1912, après la disparition d'Henry Houssaye, le futur maréchal Lyautey. Le fils d'Arsène - "élevé par les putains de son père", disent ces messieurs de Goncourt et qui se classa toujours à leurs yeux "parmi les imbéciles" - fut un humaniste spécialisé dans les études gréco-latines, un analyste réputé de l'époque napoléonienne, un critique d'art publié par la Revue des Deux Mondes, un collaborateur - il adoptait parfois le pseudonyme de Georges Werner - de la Presse,
l'Artiste, la Revue du X/Xe siècle, etc. « Henry Houssaye, écrit Calmettes, portait en lui la raison d'être de tous les entraînements, car il était mieux qu'un très joli garçon. Mince, élancé, privé des larges épaules et du puissant thorax qui suggestionnent les féminins désirs, il possédait la délicate attirance d'un éphèbe gracile. La tête était grecque par la proportion, mais romaine par sa ressemblance générale avec Lucius Verus, frère adoptif de Marc Aurèle. L'empreinte antique en était adoucie par un certain flou répandu sur l'ensemble, par le blond délicat des cheveux bouclés et par les lueurs ingénues des yeux clairs. [...] Il est né naturellement bien élevé.» Judith ne semble pas avoir entretenu avec cet homme à l'inaltérable "douceur courtoise", son cadet de peu d'années qu'elle rencontrait chez Leconte de Lisle, des rapports suivis, en dépit de leurs communs souvenirs d'enfance. Relisons les Confessions d'Arsène Houssaye: «Théophile Gautier venait déjeuner tous les dimanches [dans l'hôtel de Houssaye, au quartier de la Chartreuse-Beaujon] en allant écrire son feuilleton au Moniteur. Bien souvent ce feuilleton fut écrit avenue Friedland, sur la table
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encore tout épanouie de fleurs et de fruits. Théo humait son café ou sa fine champagne tout en babillant et tout en calligraphiant. On sait qu'il ne lui fallait que trois ou quatre feuilles de papier pour un grand feuilleton. Il ne se relisait jamais, fidèle à son principe, qu'on ne retouche pas plus les enfans de l'imagination que les enfans de l'amour. Il amenait ça et là la grande Schabrackque et Monstre- Veft, ses deux charmantes filles à peine aux aurores de leur avril. Elles jouaient encore à cache-cache avec Henry, pendant que leur père paradoxait doctement. » Le Second Rang du collier, p. 32. VICTOR-EMMANUEL
II. Voyez FRANÇOIS
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VINCI, Leonardo da. Cet homme universel, cet esprit encyclopédique, peintre, sculpteur, architecte, ingénieur, savant, né le 15 avril 1452 à Anciano, près de Vinci, en Toscane, était le fils naturel d'un notaire florentin; il mourut au Clos-Lucé, alors château de Cloux, près d'Amboise, le 2 mai 1519. Tour à tour au service de Laurent de Médicis, des ducs François et Ludovic Sforza, de César puis de Maximilien Borgia, du pape Léon X, du roi de France François 1er enfin. Malgré la grandeur exceptionnelle de Michel-Ange, son rival toscan, on a pu dire de Léonard qu'il était le génie le plus complet de la Renaissance. Vasari, l'auteur célèbre des Vies des plus éminents peintres, sculpteurs et architectes dont la première édition fut publiée en 1550, conte les difficultés que Léonard de Vinci rencontra lors de l'exécution, entre 1495 et 1497, de sa fameuse Cène dans le réfectoire des moines œ Santa Maria delle Grazie. On sait que l'humidité endommagea très vite et détruisit presque complètement cette composition magistrale, peinte à la détrempe sur un fonds plâtreux mal préparé. Elle fut plusieurs fois et maladroitement restaurée jusqu'aux travaux exécutés plus récemment qui lui ont rendu une partie de sa beauté primitive. De passage à Milan en août 1850, en chemin pour Venise où il courait retrouver Marie Mattei, Théophile Gautier eut le privilège de contempler cette œuvre, qu'il croyait «tout à fait effacée d'après les doléances des voyageurs », dans l'ancien couvent alors transformé en caserne autrichienne: Certes, l'état de dégradation où se trouve ce chef-d'œuvre du génie humain est à jamais regrettable; pourtant il ne lui nuit pas autant qu'on pourrait croire. Léonard de Vinci est par excellence le peintre du merveilleux,de l'ineffable, du crépusculaire; sa peinture a l'air d'une musiqueen mode mineur. Ses ombres sont des voiles qu'il entr'ouvre ou qu'il épaissit pour faire deviner une pensée secrète. Ses tons s'amortissentcomme les couleurs des objets au clair de lune, ses contours s'enveloppent et se noient comme derrière une gaze noire, et le temps, qui ôte aux autres peintres, ajoute à celui-ci en renforçant les harmonieuses ténèbres où il aime à se plonger. La première impression que fait cette fresque merveilleuse tient du rêve: toute trace d'art a disparu, elle semble flotter à la surface du mur qui l'absorbe comme une vapeur légère. C'est l'ombre d'une peinture, le spectre d'un chef-d'œuvrequi revient. L'effet est peutêtre plus solennel et plus religieux que si le tableau même était vivant: le corps a disparu, mais l'âme survit tout entière. Suit un long paragraphe s'attachant à rendre les contrastes entre les convives de ce dernier repas pris en commun: Jésus, le Fils de Dieu, de la race des rois de Juda, hostie vivante dont l'âme fait la force, suavité incomparable, douceur ineffable; saint Jean l'apôtre bienaimé, plus aérien que terrestre, plus angélique qu'humain; et les onze autres, rudes plébéiens musculeux, énergiques, l'Église naissante... «Nous aurions pu rester plus de
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jours à Milan, [...] mais nous avons pour principe de ne plus rien chercher au-delà d'une grande émotion, et la Cène de Léonard de Vinci ne peut être dépassée par rien.» ([talia.) Gautier, multipliant les références au Vinci dans ses critiques d'art, fasciné en particulier par l'atmosphère mystérieuse qu'il savait créer, le comptait parmi les Douze Dieux de la peinture qu'il se proposait de publier dans l'Artiste. Commencée en 1858 (4 et 18 juillet), l'entreprise, malheureusement, n'ira pas jusqu'à son terme, arrêtée après la biographie du grand artiste florentin. Le Collier des jours, p. 240. VIVIER, Eugène (1817-1900), compositeur, virtuose du cor d'harmonie, attaché aux orchestres du Théâtre-Italien et de l'Opéra. Un fameux blagueur! Tout comme le sosie de Napoléon III, Alexis Godillot, au nom popularisé par les brodequins qu'il fournit en masse aux biffins de l'époque, Vivier - moustache aux pointes effilées à la mousquetaire, mouche sur le menton - s'était fait la tête de l'empereur. Arsène Houssaye raconte comment, l'incarnant à s'y méprendre, il mystifia toute la société, un soir, chez la Païva; présent, Gautier y fut pris, comme Delacroix, comme chacun des autres. L'une de ses farces parmi les plus élaborées fut destinée à se venger de son propriétaire qui l'avait contraint à se séparer de ses petits animaux de compagnie. Vivier se procura une toute jeune génisse qu'il éleva dans son salon, au quatrième étage. Devenue vache adulte qui troublait le voisinage par ses meuglements, le cruel propriétaire enfin alerté dut la faire évacuer, à grand-peine, par la fenêtre. Dans le même ordre d'idées loufoque qui eût à coup sûr réjoui Théo, le solide et facétieux périgourdin Émile Goudeau - fonctionnaire des Finances, poète, romancier, fondateur en 1878 du club des Hydropathes - un comble, disait Verlaine, quand on porte ce nom-là! - créateur avec Rodolphe Salis du cabaret montmartrois du Chat-Noir, engraissa un mouton en chambre afin que son roquet, promu au rang de chien de berger, échappât à la taxe qui, depuis la loi de 1855, frappait les chiens d'agrément. Autre excentrique, d'une espèce beaucoup moins drôle, le graveur Rodolphe Bresdin, fort admiré, entre autres grands témoins du siècle, par Gautier auquel Baudelaire le présenta et qui le pria de collaborer à l'éphémère Revue fantaisiste de son futur gendre Mendès. La misère seule et l'amour de la nature amenèrent ce malheureux artiste visionnaire - et végétarien - à tenter la colonisation agricole d'un grenier à Paris: «Champs ensemencés, arbustes, gazons, légumes, parmi lesquels s'ébattaient poules et lapins, merles et moineaux, rien n'y manquait, pas même la cabane habitée dans un coin par notre colon. .. quand, sur la plainte du locataire d'en dessous, l'expulsion fut signifiée.» (Paul Arène, cité par Robert de Montesquiou, dans son Triptyque de France, "l'Inextricable Graveur".) Eugène Vivier le corniste, Paul-Alfred de Curzon le peintre, Charles Garnier l'architecte visitèrent Smyrne en 1852, de conserve avec Théophile Gautier. Dans son Constantinople, ce dernier ne manque pas de signaler « le célèbre cor dont la spirituelle bizarrerie égale le talent». Le Collier des jours, p. 176. W AGNER, Richard, «ce requin à triple mâchoire qui broie du fer », formule choc du gentil Gounod, stupéfait de la phénoménale volonté de puissance d'un homme dont revers, ni déceptions, ni détresses financières ou sentimentales ne parvinrent à saper la foi en son
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propre génie. « Qui donc pourrait monter l'œuvre d'art que je suis seul - avec l'aide de mes démons - à pouvoir représenter? Je ne suis pas fait comme les autres. J'ai des nerfs irritables. Il me faut de la beauté, de l'éclat, de la lumière. Le monde me doit ce dont j'ai besoin. Il m'est impossible de vivre d'un malheureux traitement d'organiste comme votre maître Bach, disait-il un jour de 1864 à une amie. Est-ce donc une folle exigence que de prétendre à ces miettes de luxe dont j'ai envie, moi qui prépare à tant de milliers d'êtres de si fortes jouissances?» (Traduction Pourtalès, Wagner, histoire d'un artiste.) Cette despotique divinité, insatiable de louanges, de génuflexions et de sacrifices, sut faire naître les dévouements nécessaires à son épanouissement. Judith - «Madame Mendès dont l'éloquente et chaleureuse divination n'a eu besoin que de quelques auditions incomplètes» (lettre de Cosima von Bülow à Léon Leroy, l'un des premiers amis français de Wagner, le 20 mai 1869) - compta parmi les fanatiques qui lui rendirent un culte de latrie: «O! toi dont la Genèse est plus belle que l'autre, / Maître terrible et doux! laisse, de l'humble apôtre, / L'amour fervent monter vers toi comme un encens.» (Pour l'anniversaire de Wagner, le 22 mai 1879. Manuscrit conservé aux Archives de Bayreuth.) Les Poésies de Judith nous offrent deux autres témoignages de cette dévotion aveugle. Gentiment puérils... ou coquins, ces Vers brodés sur un coussin de satin rose pour le 22 mai 1881: «Si sur toi son pied se repose, / Mon front t'enviera cet honneur. / Mais dans l'espoir que ton sein rose / Supportera le poids vainqueur / De son front las d'apothéose, / J'ai sous tes plis cousu mon cœur.» C'était la mode du temps: en avril 1871, la princesse Sophie Galitzine envoyait de Vienne à Victor Hugo un coussin brodé par elle «Pour reposer votre glorieuse tête ». Idolâtre, le sonnet Adoremus pour le 22 mai 1882 : Dans ta grandeur suprême,ô maître,je te plains. Car semblable au soleil qui dans l'azur s'élève, Flambeau vivant, tu vas vers ton farouche rêve Par une voie inaccessible à nos chemins. Qu'importent les lauriers dont on charge tes mains? L'émoi de tant de cœurs, renouvelé sans trêve, Comme la vague après la vague sur la grève? Qu'importent ces tributs à tes vœux surhumains? Car tu vas seul et je te plains, porte-lumière, Je te plains d'ignorer l'extase et la prière Qui brisent nos genoux aux pieds de ton autel,
Et de ne pas connaître, âme d'infini pleine, L'ivresse d'adorer comme l'humble mortel: Le Christ dut envier l'amour de Madeleine. Judith, accompagnée par son mari, puis par Benedictus, se rendit cinq fois auprès de Wagner. Premier séjour à Lucerne dans l'été de 1869, coupé par la désolante répétition du Rheingold (l'Or du Rhin) à Munich le 27 août. Retour à Tribschen fin juin 1870. En 1876, elle assiste au premier Festival de Bayreuth. En 1880, il est question d'une visite estivale de la famille Wagner au Pré des Oiseaux, mais le projet échoue. Septembre-octobre 1881, nouveau séjour de Judith à Bayreuth. Enfin, en juillet 1882, elle assiste à la création de Parsifal au Festspielhaus, le Théâtre des Fêtes de Bayreuth, fermé depuis 1876 pour cause
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de désastre financier. Elle ne reverra plus le maître pour lequel elle s'était si fougueusement battue. C'est en 1876 que Richard, consciemment ou inconsciemment en quête d'une stimulation érotique vivifiante pour terminer Parsifal, s'avisa de s'éprendre de Judith comme il s'était enflammé pour Mathilde Wesendonck à l'époque de Tristan - et entama avec elle une correspondance semi-clandestine où s'exprime "l'ultime palpitation de son désir" d'homme et d'artiste. «Judith n'a certainement pas atteint Wagner dans ses profondeurs, estime Guy de Pourtalès, toutefois elle a déterminé en lui un courant poétique, une dernière montée de sève. » De Richard à Judith: « Vous êtes l'abondance de ma pauvre vie, si bien calmée et abritée depuis que j'ai Cosima. Vous êtes ma richesse, mon superflu
enivrant... Oh ! vous! âme chaude et douce!... Judith, oh! ma belle chaleur... » Pierre Lalo commente: « Ce sont presque les mots que, dans les Rois, la Bible emploie pour la Sulamite et David. Wagner se réchauffe, il réchauffe son inspiration à l'ardeur de ce suprême amour. » Au reste, dans cette correspondance dont nous n'entendons qu'une voix, les lettres de Judith à Richard comme celles adressées à Cosima ayant été brûlées à deux exceptions près, il est surtout question de commissions à faire à Paris... commandes détaillées, minutieuses, parfois confuses: savons, éponges, poudres, eaux de toilette - Richard se fardait et se parfumait violemment -, étoffes, robe "japonnaise" [sic] pour Cosima, babouches, etc. La bonne volonté de Judith ayant été mise largement à contribution et Parsifal achevé, le maître apaisé écrit le 15 février 1878: «Chère âme! J'ai prié Cosima de se charger maintenant de ces commissions [...]. À vous, R.» Tout au long de cette crise, conservant son sang-froid, attachée d'amitié à Judith, fermement campée sur ses positions d'épouse mère de famille, Cosima domina la situation avec élégance et sagesse. Wagner, Richard, musicien, dramaturge, poète, essayiste, critique. Sa prodigieuse existence en dents de scie, des abîmes de la misère aux apothéoses glorieuses, et son œuvre novatrice, haïe, adulée, ont fait couler des torrents d'encre, exégèses, commentaires, traductions... Une bibliographie complète, à supposer que l'on puisse tout répertorier - comme une bibliographie de Shakespeare ou de Napoléon, par exemple - remplirait à elle seule des volumes. Tentons modestement de fixer ici quelques points de repère biographiques. 22 mai 1813, au lendemain de la victoire de Napoléon sur les Prussiens et les Russes à Bautzen, en Saxe, Richard naît à Leipzig, neuvième enfant de Frédéric Wagner et de sa femme, Johanna Bertz. Six mois plus tard, mort de Frédéric Wagner. 1814 : remariage de Johanna Wagner (t 1848) avec l'acteur et peintre Ludwig Geyer (t 1821). La famille s'installe à Dresde. Le directeur de l'Opéra, Karl-Maria von Weber, fait sur l'écolier une vive impression. 1827 : Leipzig. Collège, université, dissipations, voyages. Richard s'imprègne des partitions de Beethoven. Premières œuvres musicales, premiers emplois de chef d'orchestre, premières dettes. 1836 : Richard épouse à Konigsberg sa maîtresse, Wilhelmine Planer (1809-1866), une jolie actrice sans autre ambition que le calme et la sécurité... une bonne Hausfrau, pauvre Minna! Elle fut à la peine, non à l'honneur. 1837-1839: à Konigsberg, chef d'orchestre; à Riga, directeur de la musique. Richard travaille à Rienzi. 1839-1842: à Paris, alors centre incontesté du monde musical, avec Minna, le premier et de beaucoup le plus long des dix séjours de Wagner en France. Vaines démarches, misère, dérisoires travaux de copiste, arrangements pour divers instruments, réductions d'opéras pour piano, articles pour la Gazette musicale de Schlesinger (et aussi quelques feuilles allemandes); chez cet éditeur, qui publie ses Deux Grenadiers sur un poème de Heine (lied antérieur à celui de Schumann), il rencontre Liszt pour la première fois. Poussé par la nécessité, il vend à Paul
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Foucher - droits pour la France seulement - l'esquisse d'un projet d'opéra: le Vaisseau fantôme, d'après la légende du Hollandais volant, accepté par Léon Pillet, le directeur de l'Opéra, qui confie à Louis Dietsch le soin de la composition musicale, d'où, au Palais Garnier, le 2 novembre 1842, sous la direction de Habeneck, un Vaisseau fantôme, livret de Paul Foucher d'après Wagner, partition de Dietsch, douze fois représenté. L'Opéra de Paris attendra l'année 1937 - première le 27 décembre - pour monter l'œuvre de Wagner. Richard et Minna emménagent pour l'été à Meudon; dans un accès de fureur créatrice, Richard se met à la rédaction du livret et, très vite, à la composition du Vaisseau. Il apprend que le Théâtre de Dresde a accepté Rienzi. 1842: les Wagner s'établissent à Dresde. 20 octobre: grand succès à la création de Rienzi. 1843, 2 janvier: création du Vaisseau fantôme, demisuccès. 1844: prête serment à S. M. le roi Frédéric de Saxe comme chef d'orchestre du théâtre. Chute du Vaisseau fantôme à Berlin, médiocre représentation de Rienzi à Hambourg. 1844: année consacrée à l'élaboration de Tannhiiuser. 1845, 19 octobre, à Dresde: première représentation de Tannhiiuser, incompréhension du public, nouvelle déception. 1846-1848: Richard travaille à Lohengrin. Fait la connaissance d'un disciple éperdu d'admiration, Hans de Bülow; se lit d'amitié avec Liszt. 1848-1849: ami de l'anarchiste Bakounine, Richard est condamné pour ses activités révolutionnaires après l'échec de l'insurrection contre le gouvernement monarchique. Il s'exile en Suisse qu'il ne quittera, sauf pour de temporaires absences, qu'en 1858. D'abord Zurich avec Minna, hostile, amère. 1850, 28 août, à Weimar: première de Lohengrin sous la direction de Liszt, l'incomparable ami, en présence notamment de Jules Janin, de Gérard de Nerval, de Meyerbeer. Richard attire auprès de lui le jeune Bülow, avant que celui-ci n'aille à Weimar se placer sous la férule de Liszt. Il travaille au Ring, l'Anneau du Nibelung: l'Or du Rhin, création à Munich le 22 septembre 1869; la Walkyrie, première à Munich, 1870: Siegfried, première à Bayreuth, 1876 ; le Crépuscule des dieux, première à Bayreuth, 1876. 1858-1859: Richard écrit et compose en partie à Venise Tristan et Isolde, inspiré par Mme Wesendonck (t 1902), terminé à Lucerne, première à Munich, 1865, grâce au mécénat du jeune roi de Bavière, Louis II. 1862: séparation définitive de Richard et de Minna. Richard est totalement amnistié en Allemagne. 1863 : fait en Russie une tournée de concerts; y rétablit pour peu de temps ses finances perpétuellement obérées par des dépenses inconsidérées. Voyages sans but précis, "bougeotte". 1866: Tribschen, près de Lucerne. Liaison poursuivie depuis Munich avec Cosima Liszt, mariée en 1857 avec Hans von Bülow, mère de deux petites filles, Blandine et Daniela. Wagner fut le père d'Isolde, née en 1865, d'Eva, née en 1867, et de Siegfried, né en 1869. Bülow ayant enfin accepté le divorce, le pasteur Zwicky célèbre le mariage de Richard et de Cosima à Lucerne le 25 août 1870. Siegfried est baptisé le 4 septembre. 1868: Munich: première exécution intégrale des Maîtres Chanteurs de Nuremberg dont le projet avait été conçu dès 1845, composé en partie au cours du huitième séjour de Wagner à Paris en 1861-1862. 1870: Siegfried-Idyll, partition pour petit orchestre, composé en l'honneur de Cosima et joué à Tribschen le 25 décembre, jour anniversaire de sa naissance en 1837. 1872: Bayreuth, «petite ville de la Haute-Franconie. .. Palais rococo. .. Théâtre des margraves... ». 19 mai: première pierre du futur Festspielhaus, achevé trois ans plus tard. 1874: installation dans la villa Wahnfried. 1882 : Palerme, janvier: Auguste Renoir fait le portrait de Richard; juillet: première de Parsifal à Bayreuth. 1883, Venise, 13 février: Palais Vendramin-Kalergis. Richard meurt d'une crise d'angine de poitrine. 18 février: obsèques grandioses, inhumation
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sous une dalle de pierre à Wahnfried. Judith écrit à Cosima: «Ma pauvre amie bienaimée! Ayez l'héroïsme de vivre pour vos enfants, pour Siegfried qui est son sang et son âme et qu'il faut que vous voyiez grandir. Puisez cette force dans l'inépuisable et douloureux trésor des souvenirs, dans cette existence sublime qui fut la vôtre. Reprenez-la jour à jour et tâchez de vivre de mémoire, pauvre chère Amie! Qu'est notre douleur à nous, qui étions si loin de son cœur, à côté de votre désespoir? Et pourtant nous sommes bien malheureux! Je baise bien tendrement vos mains. Judith.» Cosima et Siegfried se vouent à la propagation et au rayonnement de l'œuvre wagnérienne. Quelques titres de Richard Wagner écrivain: Opéra et drame (1852), Beethoven (1870), Ma Vie (1870-1874), Art et religion (1880), le Féminin dans l'homme, essai interrompu par la mort de l'auteur. Avec Léon Leroy, Charles Nuitter, la comtesse Agénor de Gasparin et quelques autres admirateurs français de Wagner, Judith participe en 1884 à l'Album des Fêtes de Bayreuth (Bayreuth Festspiel Bliitter), ouvrage commémoratif publié par la Société Wagnérienne. En 1893, parut chez Armand Colin Parsifal, poème de Wagner orné d'un dessin de Paul Baudry, traduction littérale de Judith d'après un mot à mot de Cosima, puis deux traductions s'adaptant à la musique; enfin le numéro 44 de la Petite Illustration, 3 janvier 1914, proposait «Parsifal, drame sacré en trois actes de Richard Wagner, version française de Judith Gautier et Maurice Kufferath ». Pour la première de cette adaptation en français de Parsifal à la Monnaie, Judith se rendit à Bruxelles avec Suzanne Meyer et Benedictus. Elle assista à la représentation aux côtés de Kufferath, directeur du Théâtre Royal de la Monnaie depuis 1900. Il était le fils d'Hubert-Ferdinand Kufferath qui fut le professeur de Servais au Conservatoire belge, Franz Servais, beau-frère de l'illustre ténor wagnérien Van Dyck par sa sœur Augusta, le gai compagnon des jours de jeunesse à Munich, l'excellent Servais toujours attaché à Judith qui lui aurait suggéré un texte de Leconte de Lisle pour thème de son Apollonide, opéra créé à Karlsruhe en 1899 sous le titre Ion. Le 1er janvier 1883,
d'Asnièresoù il se suicidaen 1901à la suite de malheurs domestiques,il lui écrivait: « À vous, chère grande et fidèle amie, mes meilleurs vœux et souhaits! Nous espérions aller vous voir dimanche dernier, puis nous en fûmes empêchés, mais j'espère que nous ne tarderons pas. Je serai bien heureux de vous voir et de vous entretenir de mes travaux et projets artistiques. Car en vous seule, en votre prodigieux instinct, j'ai pleine et ultime confiance. Si vous veniez déjeuner un jour avec nous ici? Asnières vous effraie-t-il? Ce n'est pas trop désagréable, même à cette saison. Ion est à l'étude à Weimar - Mais quelle fatale nouvelle je lis ce matin dans le journal. .. le grand dieu, notre, votre grand dieu serait au plus mal! ! À bientôt, n'est-ce pas? À vous de cœur Franz Servais ». Témoin de cette adoration de Judith pour le grand dieu, Liszt écrivait de Bayreuth, en septembre 1881, à la princesse Sayn-Wittgenstein qu'il y avait trouvé la fille de Théo «dans les ravissements célestes» ! Le Second Rang du collier, p. 172-179. WALEWSKA, comtesse. Florentine, descendante de Machiavel, Marie-Anne de Ricci, née en 1825, séduisante blonde aux yeux bleus et rieurs, épousa en 1845 - mariage qui atterra Rachel - le ministre plénipotentiaire de Louis-Philippe auprès du duc de Toscane, l'élégant comte Alexandre Colonna Walewski, fils naturel de Napoléon 1er, "ce grand nigaud de fils de Dieu", ironisait Mme Hamelin. Après le Deux-Décembre, il devint ministre des
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Affaires étrangères, puis président du Corps législatif. Assez peu sympathique, semble-t-il, on le disait à la fois "suffisant et insuffisant". À peine marié avec la charmante Marie-Anne, il reprit ses habitudes de célibataire avec ces Aspasies "qui font une tirelire de leurs jarretières", selon la gaillarde expression de la princesse Mathilde. Sa jeune femme en prit vaillamment son parti, s'accommoda avec tact et intelligence de la situation, habile à soutenir la carrière de son infidèle époux en vue de leur profit commun. Elle « connaissait l'art de muer en amitié l'amour qu'elle inspirait aux hommes, et celui de désarmer par ses prévenances la jalousie des femmes.» (Adrien Dansette, les Amours de Napoléon III.) Marie-Anne devient darne d'honneur de l'impératrice qui l'honore de son amitié..., la pauvre Eugénie ayant appris à tolérer comme un moindre mal l'intimité de son époux avec les darnes du sérail. «Si l'Impératrice tient, avant tout, écrit Ferdinand Bac, à s'entourer d'un cercle de femmes irréprochables, dont quelques-unes vertueuses jusqu'à la pruderie, l'avidité de l'argent dirige plusieurs femmes d'une haute élégance vers de graves compromis... » (Intimités du Second Empire.) Il cite les Cahiers noirs de Viel-Castel: «L'empire des femmes est immense. C'est un choix de parfaites intrigantes qui, par leur grâce et les mille tours de leur coquetterie résolue, s'attaquent au Pouvoir et à la fortune, à commencer JXlT l'Empereur. » La comtesse Walewska est "distinguée" par celui-ci, sans les fatigues d'un long pourchas, de part ni d'autre. Au reste, l'empereur rencontrait peu de cruelles, comptant au besoin sur un assaut à la hussarde comme moyen suffisant de séduction. Dansette évoque le témoignage d'une gente solliciteuse reçue en audience par le souverain, il «lui témoigne son approbation par des gestes convaincants. "Le temps nécessaire à l'indignation, dit-elle, me manqua pour protester contre cette mainmise sur un bien privé. Il est impossible à la plus honnête femme de trouver le moment propice pour faire son devoir. Une telle rapidité laisse les meilleurs principes sans force et sans réplique."» On savait l'empereur d'une grande générosité pour ses conquêtes autant que pour les enfants nés de voluptueux accidents. .. il en eut beaucoup! «Tout Bonaparte régnant doit dormir avec une Walewska », soupira Mrs. Howard, ex-favorite reléguée dans le passé. Mais vint le temps où l'influence de Marie-Anne décrût à la Cour; le rude maréchal Vaillant en profita pour manifester sa désapprobation des libéralités dispendieuses du souverain. Citons de nouveau Dansette. Un jour qu'on visite en groupe le château de Pierrefonds, Marie-Anne demande «pourquoi on voit sortir du toit un grand lézard sculpté. - C'est une gargouille, lui explique-t-on. - Qu'est-ce qu'une gargouille? - C'est un conduit pour rejeter les eaux du toit. - Comment! tant de sculptures pour un conduit? Mais ce conduit-là doit coûter bien cher? - J'en sais de plus cher, dit à haute et intelligible voix le maréchal Vaillant. La comtesse Walewska devient cramoisie. Les assistants n'osent plus parler aux deux interlocuteurs. » Experte en l'art de recevoir, Marie-Anne avait su former un salon des plus recherchés par le monde officiel et la société élégante. Théophile Gautier y était toujours chaleureusement accueilli. Veuve en 1868 d'un époux ruiné, elle se remaria quelque dix années plus tard avec le comte Joseph Alessandro; sous ce nom modeste, dans une position de fortune difficile, elle resta «bienveillante, douce, aimable et souriante », écrit le comte de Maugny dans ses Souvenirs du Second Empire. Une quinzaine d'années après l'effondrement du régime, habitant la rue Washington, elle y reçut un soir la visite tout à fait inattendue de sa compatriote et amie des beaux jours, celle-là même qu'elle avait supplantée dans la faveur impériale, Nicchia, la "divine" comtesse de Catiglione, déjà
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ensevelie dans une quasi-réclusion et la stérile, la morose rumination des splendeurs évanouies. Le Second Rang du collier, p. 216-225. WEBER, Karl-Maria von (Eutin, Holstein, 1786 - Londres 1826). Pianiste virtuose et chef d'orchestre à poigne, il imposera, en fonction des volumes, des sonorités et des divers coloris instrumentaux, une nouvelle répartition des pupitres. Critique musical aux ambitions pédagogiques. Compositeur romantique, on lui doit ces trois opéras fameux: le Freischütz, auquel il travailla de 1817 à 1820, Euryanthe (1823) et Obéron représenté à Londres le 12 avril 1826. Phtisique, exténué, Weber expira trois semaines après cette première triomphale. L'Invitation à la valse, pièce pour piano écrite aux environs de Dresde en 1819, le morceau de prédilection de Liszt, annonce les grandes valses brillantes de Johann Strauss; Berlioz en fit pour l'orchestre une superbe transcription. « La valse, la vraie valse tournoyante, écrit Marcel Bouteron, date de la Restauration, de la fameuse Invitation à la valse, de Ch.-M. de Weber, composée en 1819. Cette valse tournoyante eut grand'peine à se faire admettre dans la bonne société. Victor Hugo tenait pour impure cette danse au vol lascif et circulaire. Musset déclarait fort galamment: "C'est véritablement posséder en quelque sorte une femme que de la tenir une demi-heure dans ses bras, et de l'entraîner ainsi, palpitante malgré elle et non sans quelque risque, de telle sorte qu'on ne pourrait dire si on la protège ou si on la force."» (Danse et musique romantiques.) Anticipons l'avenir un instant. Sur cette musique de l'Invitation à la valse orchestrée par Berlioz et sur un poème œ Théophile Gautier dont on commémorait cette année-là la naissance: «Je suis le spectre d'une rose / Que tu portais hier au bal. /... / 0 toi qui de ma mort fut cause, / Sans que tu puisses le chasser, / Toute la nuit mon spectre rose / À ton chevet viendra danser... », Nijinski s'envolait d'un bond prodigieux, le 19 avril 1911, à la première mondiale du Spectre de la rose (livret de Jean-Louis Vaudoyer, chorégraphie de Michaël Fokine, décor et costumes de Léon Bakst). Ajoutons que sa partenaire, ce jour-là à l'Opéra de Monte-Carlo, était sa compatriote Tamara Karsavina, beauté et grâce souveraines, et retournons à près d'un siècle en arrière. Robin des bois, c'est le Freischütz tripatouillé, pour employer le néologisme de Bergerat, par le peu scrupuleux Castil-Blaze; après l'Odéon en 1824 et l'Opéra-Comique en 1835, comme le dit Judith, on le redonna en janvier 1855 au ThéâtreLyrique. Il eut un succès tel qu'il influença la mode parisienne et l'on vit des élégantes parader en robes rayées rouge et noir "à la Robin des bois". George Sand, si sensible à la musique, lui rendit hommage dans Mouny-Robin. En 1844, le retour des cendres de Weber à Dresde, où un monument funéraire avait été érigé par souscription, donna lieu à une cérémonie grandiose accompagnée par un chœur à quatre voix de Wagner, héritier de celui pour lequel l'opéra devait être une œuvre d'art totale. À Dresde, maître de chapelle de la Cour, Weber avait été en relations professionnelles et amicales avec Clara, la deuxième sœur de Richard, prima donna du théâtre de cette ville. «La personne frêle, délicate et presque immatérielle de Weber me charmait jusqu'à l'extase, raconta Wagner. Sa face fine, émaciée, aux yeux vifs et pourtant voilés souvent, me fascinait. Son pas fortement claudiquant, que j'entendais sous mes fenêtres quand le maître rentrait à midi de ses fatigantes répétitions, symbolisait dans mon imagination le grand artiste. J'avais neuf ans quand je lui fus présenté; il me demanda ce que je voulais devenir. Musicien peut-être?
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Ma mère répondit que, sauf mon engouement pour le Freischütz, elle n'avait rien remarqué en moi qui fit prévoir un talent musical. » Sur le tombeau de Carl-Maria, le théoricien de la Musique de l'avenir prononça ces paroles émues: «Jamais musicien ne fut plus allemand que toi; dans quelque région du royaume lointain et vague de la fantaisie que te menât ton génie, mille tendres liens l'enchaînèrent toujours à ce cœur du peuple allemand avec lequel il
riait et pleurait comme un enfant crédule qui écoute les contes de fées de sa nourrice...
»
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lecture des Petits Poèmes en prose de Baudelaire produisait en Théophile Gautier des impressions analogues à celles qu'il ressentait en écoutant Weber. Relisons ces lignes si romantiques! Quand on écoute la musique de Weber, on éprouve d'abord une sensation de sommeil magnétique, une sorte d'apaisement qui vous sépare sans secousse de la vie réelle, puis dans le lointain résonne une note étrangère qui vous fait dresser l'oreille avec inquiétude. Cette note est comme un soupir du monde surnaturel, comme la voix des esprits invisibles qui s'appellent. Obéron vient d'emboucher son cor et la forêt magique s'ouvre, allongeant à l'infini des allées bleuâtres, se peuplant de tous les êtres fantastiques décrits par Shakespeare dans le Songe d'une nuit d'été, et Titania elle-même apparaît dans sa transparente robe de gaze d'argent. (L'Univers Illustré, 18 avril 1868. Préface aux Œuvres complètes de Baudelaire, Michel Lévy, 1868.) D'où l'on voit que cet attrait pour la musique de Weber ne faiblit jamais chez Gautier. Plus de vingt ans avant de rédiger ce texte, il dînait chez Boissard de Boisdenier. Ayant absorbé à titre expérimental un peu de cette confiture verdâtre à base de haschich que l'on appelait alors le damawesk et quelqu'un s'étant mis au piano, le bon Théo fut la proie d'une hyperesthésie auditive qu'il décrit ainsi: Le thème attaqué était, je crois, l'air d'Agathe dans le Freyschütz ; cette mélodie céleste eut bientôt dissipé, comme un souffle qui balaie des nuées difformes, les visions ridicules dont j'étais obsédé. [...] Les notes vibraient avec tant de puissance qu'elles m'entraient dans la poitrine comme des flèches lumineuses; bientôt l'air joué me parut sortir de moi-même; mes doigts s'agitaient sur un clavier absent; les sons jaillissaient bleus et rouges, en étincelles électriques; l'âme de Weber s'était incarnée en moi. Le morceau achevé, je continuai par des improvisations intérieures, dans le goût du maître allemand, qui me causaient des ravissements ineffables... ("Le Club des Haschichins", la Revue des Deux Mondes, 1er février 1846, copieux article recueilli par A. de Liedekerke dans la Belle Époque de l'opium.)
Le Second Rang du collier, p. 115-117, 178,201-202. WYLD, William (Londres 1806 - Paris 1889). Peintre, aquarelliste, lithographe anglais. Il étudia la peinture à Paris. Avec son ami Horace Vernet, il voyagea en Italie, en Espagne, en Algérie. Il exposa au Salon de Paris dès 1839, attirant l'attention de Théophile Gautier qui lui consacra ces lignes dans son Salon de 1848 : «M. Wyld a épaissi la transparence anglaise en y mêlant un peu de pâte de Marilhat et il s'est fait ainsi une manière qui lui est propre et qui se prête merveilleusement à sa fantaisie vagabonde. [...] Nous ne suivrons pas Wyld à Venise, à Strasbourg, à Francfort-sur-le-Main, à Alger d'où nous revenons. Il faut
avoir un peu pitié desjambes du pauvre critique. » Il récidivedans son Salon de 1849 : « Wyld... Ahasverus pittoresque, [...] ne s'arrête guère et va du couchant à l'aurore, du nord au midi, rapportant toujours quelque bonne peinture, quelque curieuse étude; l'un des
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premiers, il s'est élancé, armé d'une palette, sur le rivage du More, tandis qu'Alger brillait encore de tout son éclat barbare...» Comme tous les artistes de ce temps, Wyld se lamentait des conditions d'accrochage de ses œuvres dispersées à travers les salles d'exposition: «Mon cher Gautier, [...] Appréciant comme je le fais votre jugement et votre goût je serais bien aise d'avoir votre jugement et vos critiques avant que mes pauvres enfants ne se trouvent [au Louvre] au milieu d'une mêlée où il est difficile de reconnaître même le tableau qu'on a fait. À vous de tout cœur.» (Février 1848.) De cet émule de Ziem, Louis Ricard, alors occupé à la décoration de l'hôtel Demidoff, écrivait dédaigneusement en 1847 à Mme Sabatier: « Je connais Wyld, le farouche coloriste [.. .]. Des efforts surhumains ne tiennent pas lieu de délicatesse et de vocation distincte dans cet art si chatouilleux.» Gautier avait une opinion très ferme sur la question: «Nous n'acceptons pas absolument cette division reçue des peintres en dessinateurs et en coloristes. Les dessinateurs ont très souvent des morceaux d'une couleur très fine, et les coloristes des morceaux d'un dessin excellent. L'erreur vient de ce que le public et même beaucoup d'artistes ont le préjugé de croire que le dessin consiste à cerner les formes d'un trait sans bavochure et proprement ébarbé. Rien n'est plus faux. L'on dessine par les milieux autant que par les bords, par le modelé autant que par les lignes. Ceux qu'on nomme coloristes ont une tendance à tirer des objets un relief, et les dessinateurs une silhouette.» (La Presse, 28 mars 1844.) Wyld reçut en 1855 la croix de la Légion d'honneur. Au catalogue de la vente Gautier en 1873, figurait la Vue de l'île Saint-Georges (San Giorgio, Venise) de William Wyld, "peintre cosmopolite". Le Second Rang du collier, p. 128. YRIARTE, Charles-Émile (1833-1898). D'origine hispanique, journaliste, dessinateur qui exposa au Salon des aquarelles, critique d'art, rédacteur en chef du Monde illustré à partir de 1860, grand voyageur. Son caractère aventureux le pousse, en 1859, à accompagner les troupes du général espagnol O'Donnell au Maroc pendant la guerre qui s'achèvera par la victoire de Tétouan; l'année suivante, comme Alexandre Dumas et Du Camp, il se joint à l'expédition garibaldienne des Mille - un millier de volontaires internationaux en chemise rouge
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contre les Bourbons
des Deux-Siciles,
entreprise
dont l'aboutissement
fut le
triomphe de la maison de Savoie. Familier de la princesse Mathilde, il se rencontrait souvent chez elle, à Paris ou à Saint-Gratien, avec Théophile Gautier. Goncourt appréciait la conversation émaillée d'anecdotes de «cet Yriarte... un peu mystérieux et comme tout plein de secrets ». En mars 1895, épousant une querelle qui mettait aux prises le peintre Armand Point avec Yriarte, alors inspecteur général des Beaux-Arts, Élémir Bourges qualifie ce dernier, sans aménité excessive, de «vieux fourneau, qui évidemment ne comprend quoi que ce soit à quoi que ce soit. .. » Le 7 avril 1900, avec Léon Daudet et Lucien Descaves le gros Léon, le petit Lucien - Bourges sera élu - élection qui étonna - à l'Académie Goncourt où Judith rejoindra, dix ans plus tard, et bien malgré lui puisqu'il avait voté pour Claudel, cet écrivain comme elle wagnérophile, comme elle dédaigneux des joutes littéraires, comme elle hostile au naturalisme: «N'est-ce pas assez de vivre toute cette saleté? Faut-il encore la remâcher après l'avoir vomie?» Jules Renard exerce sa verve acide aux dépens de son discret confrère: « Bourges est un pauvre homme qui sait des vers et qui a l'air d'avoir vécu dans une cave. La poésie même ne le vivifie pas. Il croit à des tas
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de choses, fielleusement: état, famille. Le loup châtré.» Les belles-lettres n'adoucissent pas les mœurs! Edmond Jaloux fit un rapprochement intéressant entre deux idéalistes boudés par le succès populaire: l'œuvre de Bourges «est classique en ce sens qu'elle ne s'adresse qu'à l'essentiel de l'homme, et romantique parce qu'elle fait une immense part au lyrisme et qu'elle est profondément révoltée sous son apparence sereine. La mode, qui est capricieuse, a négligé Bourges comme elle a négligé Villiers de l'Isle-Adam. » Pour revenir à Yriarte, notons qu'il collabora activement au Figaro, à la Vie parisienne, au Grand Journal, etc., signant ses articles tantôt de son nom, tantôt du pseudonyme Junior ou Marquis de Villemer, emprunté au roman de George Sand paru en 1861. On jugea dignes d'estime ses grands reportages, ses études historiques, ses traductions d'ouvrages espagnols, au total une œuvre considérable, bien peu feuilletée de nos jours. Le Second Rang du collier, p. 216. ZICHY, Mihaly von (Zala 1827 - Saint-Pétersbourg 1906), sans parenté avec l'illustre maison comtale des Zichy, mais de bonne souche hongroise. À partir de 1847, devenu peintre officiel à la Cour de Russie, il ne cessa de cultiver sa manière macabre, témoin au Musée de Budapest son Vol d'un cadavre au cimetière. En 1858-1859, comme le dit Judith, lors du grand projet malheureusement avorté des Trésors d'art de la Russie, Théophile entra en rapport avec l'aimable, l'élégant Zichy qui lui servit de guide pendant ses pérégrinations dans l'empire des tsars. Le Journal de Saint-Pétersbourg publia en janvier 1859 un important article de Théo sur le peintre hongrois, article repris en France par l'Artiste. Les Déterreurs de morts figurèrent à la vente Gautier de 1873. André Salmon dit, dans ses Souvenirs sans fin, que Michel Zichy avait lié amitié avec Félicien Rops, le peintre belge "satanique", qualifié de "tant bizarre" par Baudelaire. Le bizarre ne rebutait nullement Gautier. «Le laid ne me fait pas peur, écrivait-il en 1851. Nous ne sommes pas des amateurs de navets ratissés, des adorateurs du nez de Jupiter intolérants; nous avons vanté et soutenu Delacroix, Préault, tous les violents, tous les féroces, tous les barbares, tous ceux qui rompaient le vieux moule académique; - seulement, nous n'admettrons le laid que relevé par le caractère ou la fantaisie... » - « Méfiez-vous des conseils modérés. En art, rien n'est plus perfide que le sens commun. La folie vaut mille fois mieux. [...] Ne craignez pas les beautés choquantes; si les bourgeois ne sont pas contents, qu'importe? [...] Tout ce qui est net, franc, hardi, libre de jet, a toujours déplu à la foule; la foule hait le mot propre comme une académie. Soyez violents, absolus! L'éclectisme, bon peut-être en philosophie, est mortel en fait d'art. Ayez le courage de votre talent...» (1844.) En quarante années de Salons, Gautier a scruté, décrit, analysé des centaines et des centaines de toiles, désapprouvant peu, encourageant beaucoup le travail de ses contemporains, hormis quelques rares bêtes noires victimes de sa "férocité", Delaroche, Biard, Horace Vemet, Winterhalter ou Claude-Marie Dubuffe. Il hésita cependant, inquiet, désemparé, au seuil du naturalisme et de l'impressionnisme. Nous souhaiterions pouvoir reproduire intégralement la brillante et chaleureuse "présentation" de Marie-Hélène Girard en tête de Théophile Gautier Critique d'Art. Extraits des Salons (1833-1872), présentation terminée par ces lignes: « ... seule sans doute l'édition de l'ensemble des Salons pourra fidèlement restituer les lignes de force d'une entreprise, qui, par son ampleur et son honnêteté, demeure l'un des massifs ignorés du XIXe siècle.» Collaborateur de la Presse, du Moniteur universel, de
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l'Artiste, du Journal officiel, du Bien public, de l'Illustration, c'est dans cette dernière publication que parut, le 8 juin 1872, un article particulièrement généreux d'un Gautier physiquement usé, malade, à moins de cinq mois de sa mort, où l'on trouve l'écho fidèle d'une phrase écrite trente-cinq ans plus tôt: « Nous aimons mieux une extravagance qu'une platitude. » Titre: Ceux qui seront connus. La jeunesse ne doute de rien et c'est là une de ses qualités. Elle ne craint pas la critique; elle se plaît mieux à la provoquer. Choquer paraît être un plaisir pour les jeunes gens et ils ont raison. La platitude est ce qu'il y a de plus redoutable en art, et pour ne pas être en deçà il faut être au delà. Puis tout s'apaise, tout s'harmonise, tout prend sa proportion. Qui n'a pas été un peu tapageur et n'a pas cassé quelques lanternes à vingt ans court le risque d'être trop tranquille à trente! [. ..] Depuis longtemps nous rêvons de faire quelques promenades au Salon en évitant les tableaux où court la foule et devant lesquels stationnent des groupes compacts attirés par des réputations déjà faites et retenus par des talents constatés et certifiés, que leurs adversaires même acceptent. Ces noms célèbres, que répètent à tous les coins de l'horizon les clairons de la publicité, ne perdraient pas à l'absence de quelques fanfares et le volume du bruit qui se fait autour d'eux avec justice n'en serait pas beaucoup diminué; mais peut-être ferait-on descendre, comme une de ces gouttes de soleil qui glissent de feuille en feuille à travers l'épaisseur sombre des bois et illuminent une fleur ignorée, un rayon de clarté sur quelque œuvre charmante perdue dans l'ombre. Retenue par Serge Fauchereau, cette réflexion d'Apollinaire: «Théophile Gautier... un poète dont l'œuvre peut être regardée comme la louange même de la jeunesse. (Anecdotiques.) »
Le Second Rang du collier, p. 254.
POSTFACE
Le terme de « dictionnaire»
comporte quelque chose d'aride qui réduit l'ouvrage à
sa fonction purement utilitaire. La découverte extraordinaire que suscite le « dictionnaire» d'Agnès de Noblet tient en ce qu'on en comprend la lecture comme une curiosité continuée, et non pas tristement fragmentée par le découpage en articles. En effet, une référence en appelle une autre, et l'on se prend à suivre un fil inattendu, qui mène de parents en amis, d'œuvres littéraires en œuvres musicales ou picturales. D'abord, on entre dans cette lecture par un lien logique: Le Premier Rang du collier, Le Second Rang du collier de Judith Gautier réédité précédemment par Agnès de Noblet dans la Collection Les Introuvables fourmillent de présences originales, pétillantes, dont la biographie fait une sorte d'inventaire. Ces rencontres de l'écrivain, entre le dix-neuvième et le vingtième siècle, ont été certes favorisées par le père, ce Théophile Gautier si bien implanté dans le monde de l'art, mais elles ont été aussi largement construites par l'intéressée, dont la vocation sociale ne s'est jamais démentie. Si l'on ouvre le livre d'Agnès de Noblet, c'est d'abord pour y quêter des précisions au sujet de telle ou telle figure, célèbre, oubliée, connue, évanouie. Le système des renvois (qui n'a rien d'un dispositif établi, sévère ni contraignant), vous porte peu à peu d'une entrée vers une autre entrée, oubliant progressivement la raison initiale. Telle est la véritable réussite de cette composition, d'avoir su, sous des dehors explicatifs, transformer la situation d'élucidation en une allégresse de la découverte, allant bien au-delà de toute définition. Les matériaux réunis consacrent l'érudition d'une vie entière. Il faut avoir examiné les dossiers soigneusement étiquetés, annotés, enrichis au fur et à mesure des années, pour se convaincre qu'aucune lecture n'a été laissée au hasard, et que chaque trouvaille nouvelle est venue enrichir le fonds ancien. Cependant, Agnès de Noblet a revendiqué autre chose que l'exhaustivité. Elle écrit d'une plume personnelle et libre. Si l'on apprend, à cet énorme ensemble, on musarde tout aussi bien. Il y a de l'humeur derrière chaque notice, enjouement, lassitude, admiration, rejet, les humains sont traités comme des humains, non comme de doctes personnages devant lesquels on s'effacerait révérencieusement. L'auteur se fait tantôt moqueuse, tantôt sévère, elle est capable d'un acerbe jugement, puis d'une
474 tendresse qui permet la communion avec autrui par-delà les temps. On se prend donc à réhabiliter avec elle certains que l'histoire a évincés, puis à se défaire de gloires encombrantes à l'égard desquelles un peu de distance est salutaire. Il faut accepter ce pacte. La dimension du plaisir a gouverné l'écriture du livre, ce même plaisir doit commander notre lecture. À nous cette virevolte, cette légèreté gracieuse qui ne supporte aucune ignorance, mais fait comme si tout cet univers avait jailli par magie.
Sylvie Camet
SUGGESTIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Sauf indication contraire, ces ouvrages ont été édités à Paris.
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No 2088, 28 juillet
- 4 août
1990) .
« J'abriterai dans un sanctuaire d'Asie...
»
(Les Carnets de l'exotisme No 6, avril-juin
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INDEX ONOMASTIQUE
Nous ne prétendons pas avoir déjoué tous les traquenards biographiques tendus par les dictionnaires qui se contredisent souvent l'un l'autre. Pour les dames du XIXesiècle, en particulier, lorsqu'il y a doute sur la date de leur naissance, nous avons opté d'ordinaire pour celle qu'elles n'avouaient pas de bonne grâce, ... la plus reculée dans le temps. La pagination fait référence à l'édition princeps des Souvenirs de Judith Gautier: le Collier des jours, Félix Juven, 1902 (réédité en 1994 par Christian Pirot avec une préface de Denise Brahimi) et le Second Rang du collier, Félix Juven, 1903 (réédité en 1999 par l'Harmattan avec une préface d'Agnès de Noblet). ABBATUCCI Marie: 361. ABBÉMA Louise (1858-1927) : 382, 405. ABD-EL-KADER (1807-1883) : 79, 302. ABD-EL-RHAMAN (1822-1859) : 79. ABOUT Edmond (1828-1885): 11-12, 32, 103, 108, 109, 135, 143, 231, 290, 301, 332, 365, 379, 400, 413. ABRAHAM Tancrède (1836-1895) : 278. ABRANTÈS Laure Permon, duchesse d' (1784-1838): 51, 70. ACHARD (t1871) : 12. ACHARD Amédée (1814-1875) : 400. ACKERMANN: 72. ACKERMANN Louise-Victorine Choquet, Mme (1813-1890): 82, 144, 264. ADAM Adolphe (1803-1856) : 50, 182, 185, 209, 210, 288. ADAM Juliette Lambert, nom de plume Juliette Lamber, Mme Alexis Lamessine, Mme Edmond (1836-1936): 22, 75, 111, 119, 130, 141, 152, 191, 293, 383, 391, 406, 415, 443. ADAM Paul (1862-1920) : 456. ADAM Mme Paul, née Marthe Meyer: 274. AFFRE Denis-Auguste, archevêque de Paris (1793-1848): 425, 426, 427. AGAR Marie-Léonide Charvin, Mme Nique, Mme Georges Marye, dite (1836-1891): 302. AGOULT Marie de Flavigny, comtesse d' (1805-1876) : 20, 86, 90, 222, 283, 361, 409, 416. AGUESSEAU famille d' : 231. AHMED-BEN-AHMAR (t1887) : 102. AICARD Jean (1848-1921) : 47, 436.
AJALBERT Jean (1863-1947) : 43, 238. ALAIN-FOURNIER Henri-Alban Fournier, dit (1886-1914): 294. ALARY Jules-Abraham-Eugène Alari, dit (1814-1891): 12-14, 214, 295. ALBALAT Antoine (1856-1935): 145. ALBARET Céleste Gineste, Mme Odilon (1891-1984): 76, 114. ALBERT Alfred: 12. ALBERT François Decombe, dit (17871865): 200. ALBONI Marietta, comtesse Pepoli, Mme Zieger (1826-1894): 138, 139, 206, 394. ALCY Jehanne d', Fanny Manieux, Mme Georges Méliès, dite (t1956): 388. ALENÇON Émilie André, dite Émilienne d'(1870-1945): 196. ALENÇON Sophie-Charlotte de Wittelsbach, duchesse d' (18471897) :137. ALESSANDRO comte Joseph: 466. ALEXANDRE le GRAND (356-323 avolC.), roi de Macédoine (336-323 avo J.-C.) : 353, 403. ALEXANDRE 1er (1777-1825), empereur de Russie (1801-1825): 51. ALEXANDRE II (1818-1881), empereur de Russie (1855-1881): 196, 201. ALEXANDRE Philippe: 433. ALFONSO Lorenzo: 260. ALI-BEN-AHMET: 79. ALIS Harry, Hippolyte Percher, dit, né en 1857: 120. ALLAN-DESPRÉAUX, Louise Rosalie Ross, Mme Allan, dite (1810-1856): 327.
498 ALLARD Marthe, Mme Léon Daudet (18781960): 238. ALLART DE MÉRITENS Hortense (18011879): 51. AL LEM : 408. ALPHONSE XII (1857-1885), roi d'Espagne (1874-1885): 260. ALPHONSE XIII (1886-1941), roi d'Espagne (1896-1931): 260, 426. ALTON Aimée d', Mme Paul de Musset (tI881): 327. ALVAREZ Albert-Raymond Gourron, dit (1861-1933): 58. AMANY, née vers 1820 : 286. AMATI Nicola (1599-1684) : 428. AMAURY-DUVAL Eugène-Emmanuel Pineu- Duval, dit (1808-1885): 362. AMPÈRE Jean-Jacques (1800-1864) : 82, ANAÏS Nathalie Aubert, dite (1802-1871) : 370. ANCELOT Marguerite Chardon, dite Virginie, Mme Jacques (1792-1875) : 261. ANDRÉ Louis, général (1838-1913) : 346. ANDRÉE Ellen, Hélène André, Mme Henri Dumont, dite, née vers 1860: 366. ANDRÉ-MAUROIS, Simone Arman de Caillavet, Mme G. Stoïcesco, Mme (18941968): 433. ANGEVILLE Henriette de Beaumont d' (1794-1872): 246. ANNAM Ham Nghi, prince d', né en 1871 : 157, 170, 352, 382, 437, 438-439. ANNAM Marcelle Laloë, princesse d' : 439. ANNE D'AUTRICHE, infante d'Espagne, reine de France (1601-1666) : 291. ANNUNZIO. Voir D'ANNUNZIO. ANQUETIL-DUPERRON AbrahamHyacinthe (1731-1815): 69. ANTIER Benjamin (1787-1870): 150. ANTIGNY Marie-Ernestine Antigny, dite Blanche d' (1840-1874) : 453. ANTOINE André (1858-1943) : 42, 44, 67, 368, 428. ANTONIN dit le Pieux (86-161), empereur romain (138-161): 458. APELLE (Ive s.-début Ille s. avo J.-C.) : 156.
APOLLINAIRE Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzki, dit Guillaume (1880-1918) : 158, 228, 294, 346, 471. APPERT Eugène (1814-1867) : 411. APPIANI l'Aîné, Andrea (1754-1817) : 35. APPONYI Rodolphe, comte (1812-1876) : 241, 369. ARAGO Jacques (1790-1855) : 128. ARBELLOT Simon: 293. ARBOUVILLE Sophie de Bazancourt, Mme d' (1810-1850): 409. ARDITI Luigi (1822-1903): 18. ARÈNE Paul (1843-1896) : 461. ARGENSON René, marquis d' : 382, 385. ARISTOPHANE (450/444-v. 385) : 367. ARMAILLÉ Pauline d', duchesse de Broglie: 405. ARMAN DE CAILLAVET. Voyez CAILLA VET.
ARMORY, Dauriac, dit : 46, 376. ARNAUD Florence: 438. ARNIM Ludwig-Joachim, dit Arnim von (1781-1831): 147. ARNOULD Sophie (1740-1802): 136. ARSONVAL Arsène d' (1851-1940) : 440. ARTAGNAN Charles de Batz, comte d' (v. 1611-1673): 114. ARTIGAUX Caroline de Saint-Cricq, Mme d': 283. ARVERS Félix (1806-1850): 149, 304305, 379. ASCHER Joseph (1829-1869): 14. ASSELINEAU Charles (1820-1874) : 30. ASTRUC Gabriel (1864-1938): 116, 186, 229, 341, 342. ATHÉNÉE (Ille S. ape J.-C.) : 145. ATTILA, roi des Huns (t453) : 423. AUBANEL Théodore (1829-1886) : 253. AUBER Daniel-Esprit (1782-1871) : 86, 127, 188, 285, 377, 394. AUBERNON Euphrasie-Héloïse-Lydie Lemercier de Nerville, Mme (1825-1899) : 191, 359. AUBERT Charles: 435. AUBRY Raoul: 264, 422, 438. AUBRYET Xavier (1827-1880): Il, 1415, 218, 412. AUGIER Émile (1820-1889): Il, 106, 107, 110, 125, 304, 372.
499 AUGUSTIN-THIERRY A. : 56. AULNOY Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, Ctesse d' (1650-1705): 159. AUMALE Henri d'Orléans, duc d' (18221897): 33, 180, 332, 405. AUNET Léonie d'. Voyez BIARD. AURIANT: 409. AURIC Georges (1899-1983) : 238. AUSSANDON Amédée (1803-1859) : 15. AUSSANDON Esther, dite Estelle: 15. AUTRAN Joseph (1813-1877): 135, 283, 306. AVRIL Jane, dite "Mélinite", Mme Maurice Bi ai s ( 1868 -1943): 233. BAÂ, Mme Céline Alvarez: 248. BAC Ferdinand Bach, dit Ferdinand (18591952) : 21, 56, 93, 100, 126, 137, 226, 259, 430, 444-446, 466. BACH Jean-Sébastien (1685-1750): 1618, 185, 462. BACULARD D'ARNAUD François-ThomasMarie de (1718-1805): 127. BADINGUET. Voyez NAPOLEON m. BAILLOT Pierre-Marie-François (17711842): 184. BAILLY Edmond, Édouard Limet, dit: 314. BAKKER Rudolf: 347. BAKOUNINE Mikhail (1814-1876) : 464. BAKST Lev Samoïlevitch Rosenberg, dit Léon (1866-1924): 391, 467. BALAKIREV Milij Alexeïevitch (18361910): 183. BALGUERIE Suzanne (1888-1973) : 62. BALKIS, reine de Saba: 195. BALLEROY Albert de (1828-1873) : 30. BALLOT: 257. BALLOT Henriette Fouquier, Mme Marcel B., puis Mme Thierry de Martel, née en 1877: 131. BALOCCHI Luigi (1766-1832) : 323. BALZAC Éveline [Ève] Rzewuska, Mme Hanska, Mme Honoré de (18031882) : 22, 23, 62, 268, 283-284, 286, 343, 351, 426. BALZAC Honoré, dit de (1799-1850) : 2224, 25, 74, 77, 86, 95, 101, 108, 114, 130, 159, 177, 192, 205, 219, 226, 262, 268, 283, 284, 290, 296, 314, 323, 338,
349, 352, 356, 364, 367, 381, 395, 397, 412, 414, 415, 440, 450. BANCQUART Marie-Claire: 347, 426. BANDERALI David (1780-1849) : 406. BANNOUR Wanda: 136. BANVILLE Élisabeth Bourotte, Mme Rochegrosse, Mme Théodore de (1828-1904): 25, 95. BANVILLE Théodore Faullain de (18231891): 24, 24-26, 29, 34, 55, 59, 95, 127, 132, 147, 159, 160, 174, 193, 197, 198, 221, 222, 249, 269, 277, 314, 340, 353, 361, 364, 365, 390, 413, 422, 432, 440, 441, 451. BAR Alexandre de (1821-ap. 1901) : 349. BARBAJA Domenico (vers 1775-1841) : 395. BARBÈS Armand (1809-1870) : 329. BARBEY D'AUREVILLY Jules-Amédée Barbey, dit (1808-1889) : 30, 52, 56, 120, 130, 158, 207, 222, 241-242, 249, 269, 307, 310, 328, 356, 380, 410, 429, 431, 456. BARBIER Jules (1825-1901) : 38, 263, 349, 392. BARBUSSE Henri (1873-1935): 161, 294, 341, 402. BARD Jean-Auguste, né en 1812 : 135. BARENNE Ch. : 205. BARI: 43. BARINE Arvède, Cécile Bouffé, Mme Charles Vincens, dite (1840-1908) : 75, 76. BARNEY Natalie Clifford (1876-1972) : 38-39, 73, 91, 162, 163, 211. BARNI comte (t1871): 26-27, 206, 220. BARRACAND Léon (1844-1920) : 253. BARRE Albert (1818-1878) : 99. BARRE Jean-Auguste (1811-1896) : 286, 328. BARRÈS Maurice (1862-1923) : 64, 92, 239, 290, 436, 454, 455, 456. BARRETIA-WORMS Marie-Héloïse-Rose Blanche (1855-1939): 380. BARRIÈRE Théodore (1823-1877) : 266. BARROILHET Paul (1805-1871) : 27-28, 127. BARRUCCI Giulia Beneni, dite la (t1870): 120.
500 BARRY Nicole: 185. BARTET Jeanne Regnault, dite Julia (18541941) : 61, 62, 104, 292, 429. BARTHÉLEMY -SAINT-HILAIRE Jules (1805-1895): 69. BARTHET Armand (1820-1874) : 369. BARTHOU Louis (1862-1934) : 241. BARYE Antoine-Louis (1796-1875) : 422. BASHKIRTSEFF Marie (1860-1884) : 382, 386. BASSANO Napoléon-Joseph-Hugues Maret, duc de (1803-1898) : 332. BASSANVILLE comte de : 128. BASSANVILLE Anaïs Lebrun, comtesse de (1803-1884): 128. BASTIEN-LEPAGE Jules (1848-1884) : 246. BATAILLE Henry (1872-1922) : 391. BATTAILLE Charles-Amable (18221872): 35. BATTLE don Carlos de : 426. BAUDELAIRE Charles (1821-1867) : 15, 24, 25, 27, 29-31, 74, 86, 103, 104, 130, 137, 140, 145, 160, 194, 218, 230, 249, 270, 271, 309, 314, 329, 360, 363, 364, 365, 407, 408, 411, 443, 458, 461, 468, 470. BAUDELAIRE René: 93. BAUDRY : 78. BAUDRY Paul (1828-1886): Il, 31-33, 362, 366, 412, 444, 453, 465. BAUËR Henri (1851-1915): 116. BAYE Marie Oppenheim, baronne Berthelot de: 64. BAYE Yvonne Berthelot de (1887-1970) : 64, 423. BAZIN Adolphe, dit Rodolfo: 34, 145. BAZIN Antoine (1799-1863): 34-38. BAZIN François (1816-1878) : 34, 36, 67, 156, 229, 270, 344. BEAUDOIN Louise, dite Atala Beauchêne : 252. BEAUGRAND Léontine (1842-1925) : 287. BEAUHARNAIS. Voyez HORTENSE. BEAULAINCOURT-MARLES CharlotteSophie de Castellane, marquise de Contades, Mme de (1818-1904): 275276, 385.
BEAUMARCHAIS Pierre-Augustin Caron de (1732-1799): 188. BEAUMONT Jeanne de Castries, comtesse de: 33. BEAUMONT Pauline de Montmorin SaintHérem, comtesse de (1768-1803) : 83. BEAUNIER André (1869-1925) : 110, 254, 331, 403, 435. BEAUREGARD comtesse de. Voyez HOWARD. BEAUSACQ-SUIN, comtesse de. Voyez DIANE, comtesse. BEAUVOIR Roger de Bully, dit Roger de (1809-1866): 232, 387. BÉDÉE DE LA BOUËTARDAIS Apolline de, dame René-Auguste de Chateaubriand (1727-1798): 81. BEER Élena Goldschmitt, Mme Guillaume Beer, Mme Alfred Droin, pseudonyme Jean Dornis (1870-1949): 64-65, 85. BEER Michel (1800-1833): 38-39. BEERS Jan van (1852-1927): 142. BEETHOVEN Ludwig van (1770-1827): 39-42,133,164,312,418,463. BELGIOJOSO Christine Trivulzio, princesse de (1808-1871) : 73, 219, 231, 283, 296, 327. BELGIOJOSO Émile, prince (1800-1858) : 296. BELLAIGUE Camille (1858-1930) : 187. BELLESSORT André (1866-1942) : 142, 348. BELLINI Vincenzo (1801-1835) : 206, 207, 288, 420. BELLOIR: 42. BELMONDO Paul (1898-1982) : 447. BENEDETTI Vincent, comte (1817-1900) : 56. BENEDICTUS Édouard (1878-1930) : 164, 314, 382, 439, 453. BENEDICTUS Louis (t1921) : 31, 39,40, 41, 45, 98, 163-165, 166, 169, 192, 223, 229, 271, 274, 329, 380, 423, 424, 426, 439, 462, 465. BÉNÉDITE Léonce (1859-1925) : 100. BÉNÉZIT Emmanuel (1854-1920) : 109, 227, 238, 258, 399, 416. BÉNI-BARDE Dr (1834-1919) : 240. BENOIS Alexandre (1870-1960) : 392.
501 BENOÎT-JEANNIN Maxime: 376. BENTINCK William-Charles Cavendish (1774-1839): 306. BENTZON Marie-Thérèse Blanc de Salms, dite Thérèse (1840-1907) : 75. BÉRANGER Pierre-Jean de (1780-1857) : 51, 88, 92, 93, 219, 226, 321, 370, 409. BÉRAUD Jean (1849-1936) : 77. BERCHOUX Joseph (1765-1839) : 452. BÉRENGER Henry: 83. BERGERA T Alice Lecelles, Mme Théophile (1884-1969): 44, 128. BERGERAT Émile (1845-1923) : 12, 14, 20, 24, 26, 32, 34, 36, 37,42-47, 55, 66, 68, 78, 87, 97, 100, 102, 116, 119, 132, 133, 140, 142, 143, 149, 151-156, 158, 171, 173, 176, 178, 182, 195, 197-200, 205, 206, 210, 211, 217, 218, 221, 255, 265, 273, 274, 298, 302, 304, 313, 317, 320, 321, 322, 348, 349, 359, 362, 363, 368, 378, 381, 386, 391, 398, 399, 404, 406, 411, 427, 429, 452, 467. BERGERAT Mme Émile. Voyez GAUTIER Estelle. BERGERA T Herminie, Mme David Devriès: 44, 45-46. BERGERAT Théophile (1876-1937) : 4445, 216, 314, 400. BERGER-LEVRAULT: 128. BÉRIOT Charles de (1802-1870): 184. BERLIOZ Hector (1803-1869) : 47-50, 117, 121, 122, 162, 183, 186,214,219, 269,285,311,317,318,334,335,339, 341, 349, 373, 378, 406, 415, 420, 445, 467. BERNAC Pierre Bertin, dit Pierre (18991979): 419. BERNARD Paul, dit Tristan (1866-1947) : 43 BERNARD Sacha, né en 1892 : BERNARDIN DE SAINT-PIERRE JacquesHenri (1737-1814): 348-349. BERNHARDT Rosine Bernard, Mme Damala, dite Sarah (1844-1923) : 38, 45, 77, 108, 110, 117, 126, 130, 141, 161, 166, 180, 212, 229, 252, 273, 293, 302, 322, 325, 369, 380, 382, 401, 405, 413, 417, 425, 428, 429, 436.
BERNSTEIN Henry (1876-1953) : 224, 417. BERRY Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de (1798-1870) : 20, 295. BERRYER Nicolas (1757-1841): 102. BERTALL Charles-Albert d'Amoux, dit (1820-1882): 226, 349. BERTATI Giovanni (1735-1815) : 267. BERTHELOT Marcelin (1827-1907) : 332, 423. BERTHELOT Philippe (1866-1934) : 224, 227, 257, 375, 423. BERTHEROY Berthe-Jeanne-Clorine Le Barillier, dite Jean (1868-1927) : 75. BERTHET Antoine (1803-1828) : 398. BERTHIER Francisque Gamier (18131875): 209. BERTHOIS René: 411. BERTHOLDI : 399. BERTIN Aîné Louis-François (17661841): 121 . BERTIN Louise (1805-1877): 121, 122. BERTRAND Adrien (t1917): 294. BERTRAND Aloysius (1807-1841): lOI. BERTRAND Henri-Gratien, général comte (1773-1844) et ses fils Napoléon, Arthur, Henri: 50-52, 371. BERTRAND Louis (1866-1941) : 292. BETCHEL / CARRIÈRE: 116. BEULÉ Charles-Ernest (1826-1874) : 31, 32. BEYERN Bertrand: 328. BEYLE. Voyez STENDHAL. BHARTRIHARI (av. J.-C.-ap. J.-C ?) : 156. BIARD François-Auguste (1798-1882) : 245-246, 470. BIARD Léonie Thévenot d'Aunet, Mme François (1820-1879): 241, 245, 246. BIBESCO Marthe Lahovary, princesse Georges (1886-1973): 91, 437. BILLY André (1882-1971): 60,178,191, 307, 350, 407, 408, 437. BISCHOFFSHEIM Marie-Thérèse de Chevigné, Mme Maurice (1880-1963) : 356-357. BISMARCK Otto, prince von (18151898): 119. BIVER Paul (1886-1952): 81, 383-385.
502 BIXIO Alexandre (1808-1865) : 32, 33, 180, 301, 437. BIZET Georges (1838-1875): 102, 129, 193, 217, 270, 273, 318, 378, 420. BIZET Mme Georges. Voyez STRAUS. BLANC Charles: 52, 135, 147, 210, 266. BLANC Charles (1813-1882) : 330. BLANC Louis (1811-1882) : 240. BLANCHARD Émile (1819-1900) : 301. BLANCHE Antoine-Émile, Dr (18201893): 84, 92. BLANCHE Esprit, Dr (1796-1852) : 213. BLANCHE Jacques-Émile (1861-1942) : 92. BLANCHECOTIE Malvina Souville, Mme (1830-1897): 264. BLANCHENA Y. Voyez MÜHLFELD. BLANQUI Louis-Auguste (1805-1881) : 130. BLAZE François-Henri, dit Castil-Blaze (1784-1857): 122, 214, 467. BLESSINGTON Margaret Power, lady (1789-1849): 296. BLOCH Ernest (1880-1959) : 40. BLOCH-DANO Evelyne: 89. BLOWITZ Henri Opper de (1825-1903) : 257. BLOY Léon (1846-1917) : 456. BLUM Ernest (1836-1907) : 266. BLUM Léon (1872-1950): 129, 224. BLUNT Mrs Key: 52-53. BOCAGE Pierre Touzet, dit (1797-1863) : 335. BOCCACE Giovanni Boccaccio, dit (13131375): 98. BODIN Thierry: 89, 128. BOIELDIEU François-Adrien (17751834): 41, 288, 420. BOIGNE Charlotte d'Osmond, comtesse de (1781-1866): 83. BOILEAU Nicolas, dit Boileau-Despréaux (1636-1711): 67, 222. BOIS Jules (1871-1943) : 456. BOISSARD DE BOISDENIER Fernand (1813-1866): 137, 303, 354, 407, 468. BOISSIER Gaston (1823-1908): 191, 226, 453. BOIT ARD Mme: 44. BOÏTO Arrigo (1842-1918): 188, 441.
BOLDINI GIovanni (1845-1931) : 91, 442, 455. BOLOGNINI Mauro: 392. BONA Dominique: 225. BONAPARTE Jérôme (1784-1860), roi de Westphalie (1807-1813): 279, 300, 445. BONAPARTE Louis (1778-1848), roi de Hollande (1806-1810): 331. BONAPARTE Lucien, prince de Canino (1775-1840): 56. BONAPARTE prince Napoléon, JosephCharles- Paul, dit Jérôme, dit Plon-Plon, mari de Clotilde de Savoie (1822-1891) : 50, 125, 138, 207, 257, 409, 410, 444, 445. BONAPARTE Napoléon-Louis, prince impérial (1856-1879) : 54, 331. BONAPARTE prince Roland (1858-1924): 129. BONHEUR Marie-Rosalie, dite Rosa (18221899): 278, 333, 403-404, 405. BONHEUR Raymond (t1849) : 404. BONI. Voyez BENEDICTUS Louis. BONNARD Pierre (1867-1947) : 326. BONNAT Léon (1833-1922) : 77, 107, 180, 181, 182, 254, 397, 405, 428. BONNEFON Jean de (1866-1928) : 431. BONNEGRÂCE Charles-Adolphe (18081882): 205. BONNEMAIN, Cécile Houssaye, Mme de (t1870): 232. BONNETAIN Paul (1858-1899) : 38. BONNEVILLE Nicolas de (1769-1828) : 338. BONNIÈRES Robert de (1850-1905) : 253, 409. BORDEAUX Henry (1870-1963) : 153, 292. BORDOGNI Giulio-Marco (1791-1856) : 296. BOREL Petrus (1809-1859) : 319-320, 349, 368, 457. BORGHÈSE, Marie-Pauline Bonaparte, générale Leclerc, princesse Camille (17801825): 333 BORGHI-MAMO Mme (1829-1901) : 53. BORGIA César (v. 1475-1507): 179, 460. BORNIER Henri de (1825-1901) : 339.
503 BORODINE Alexandre Porfirievitch (18331887): 183, 284. BORY Jean-Louis (1919-1979): 395. BORY D'ARNEX et Mme née Angèle Dussaud, pseudonyme Jacques Vincent, née en 1850: 256. BOSCHOT Adolphe (1871-1955) : 324, 339, 381. BOUCHARDEAU Huguette: 415. BOUCHER Henri: 366. BOUCHOR Maurice (1855-1929) : 265, 326. BOUCOIRAN Jules (1808-1875) : 50-51. BOUDET Micheline, née en 1926 : 120, 276. BOUFFAR Zulma (1843-1909): 340. BOUGUEREAU William (1825-1905) : 62, 258, 403, 458, 459. BOUILHET Louis (1822-1869) : 53-55, 131, 132, 145, 332, 373. BOUILLET Marie-Nicolas (1798-1864) : 55. BOUILLON Henri-Théophile (18641934): 352, 362. BOULANGER Gustave (1824-1888) : 125, 422. BOULANGER Juliette-Marie-Olga, dite Lili (1893-1918): 46. BOULANGER Louis (1806-1867) : 23, 84, 101, 242, 330, 355, 386, 406, 422, 446. BOULE André-Charles (1642-1732) : 55. BOULLAN abbé (1824-1893) : 456. BOU-MAZA : 79. BOURBON Marie-Louise de, duchesse de Montpensier (1832-1897): 259. BOURDALOUE Louis, le Père (16321704): 104. BOURDELLE Émile-Antoine (18611929): 341. BOURDON DE VATRY Alphée (17931871): 259. BOURGES Anna Brannerowa, Mme Élémir: 158, 169. BOURGES Élémir (1852-1925) : 26, 60, 190, 217, 227, 382, 469-470. BOURGET Paul (1852-1935) : 25, 63, 89, 290, 380. BOURNONVILLE Antoine (1760-1843) : 287.
BOURRELIER: 216. BOUSSAC Marcel (1889-1980): 162. BOUTERON Marcel (1877-1962) : 304305, 467. BOUTET DE MONVEL Bernard (18841949): 346. BOUVENNE Aglaüs (1829-1903) : 79, 107. BOWES Alphonsine Coysevox de SaintAmand, Mme John (t1908) : 380. BOYÉ Maurice-Pierre: 81, 124, 387. BOYER Amédée: 65, 271, 289, 294. BRACQUEMOND Félix (1833-1914) : 24, 30. BRAGA Gaetano (1829-1907): 56-57. BRAHIM: 181. BRAHIMI Denise: 98, 305, 452. BRAHMS Johannes (1833-1897): 188, 373. BRANDUS Louis (t1887) : 57-59. BRANLY Édouard (1844-1940) : 257, 406. BRAULT Augustine (1824-1905) : 399. BRAZIER Nicolas (1783-1838) : 92. BRÉBANT: 264, 299. BRÉCOURT-VILLARS Claudine: 269. BRÈS Madeleine Gébelin, Mme (18391925): 405. BRESDIN Rodophe (1822-1885) : 461. BRESSANT Jean-Baptiste (1815-1886) : 104, 125. BRÉTON Geneviève, Mme Alfred Vaudoyer (1849-1918): 366. BRETON Guy, né en 1919 : 307. BRÉV AL Bertha Schilling, dite Lucienne (1869-1935): 37, 58, 92, 181. BRIAIS Bernard: 38. BRIAND Aristide (1862-1932) : 439. BRIGODE comtes de : 379, 380. BRILLAT-SAVARIN Anthelme (17551826): 67, 452. BRISSON Adolphe (1860-1928): 117, 222. BROCHE François: 229. BROGLIE Louis, duc de (1875-1960) : 223. BROGLIE Marie-Charlotte-Constance Say, princesse Amédée de B., puis épouse de l'infant Don Luis (1857-1943) : 259. BROGLIE Maurice, prince, puis duc de (1892-1987): 223.
504 BROHAN Augustine (1824-1893) : 70, 444. BROHAN Madeleine (1833-1900) : 32, 42, 136, 332, 412, 444. BROHAN Suzanne (1807-1887) : 444. BRONZINO Agnolo Tori, dit il (15031572): 32, 379. BROOKS Romaine Goddard, dite Romaine (1874-1970): 73, 92. BROUTELLES Caroline, Mme Raymond de: 75. BROUTI A Edwina, Mme Fernand Boissard de Boisdenier: 407. BROWN John Lewis (1829-1890): 137. BRUGNOLI Amalia: 202. BRUMMEL George (1778-1840) : 30. BRUNEAU Louis-Charles-Alfred (18571934): 326. BRUNETIÈRE Ferdinand (1849-1906) : 359. BRUNSWICK duc de (1804-1873) : 5960. BRUYR José (1889-1980): 18. BUDÉ Guillaume (1467-1540) : 89. BUFFALO BILL William Cody, dit (18461917): 405. BUFFET Eugénie (1866-1934) : 93, 105. BUGEAUD Thomas Robert, marquis de la Piconnerie, duc d'Isly, maréchal (17841849): 96. BÜLOW Hans, baron yon (1830-1894) : 464. BÜLOW Mme Hans Yon.Voyez WAGNER Mme Richard. BÜLOW Daniela Yon, Mme Heinrich Thode (1860-1940): 42, 464. BULOZ François-Charles (1803-1877) : 86, 219, 415. BULOZ Mme François, née Castil-Blaze : 121-122. BULWER-L YTION Edward (1803-1873) : 51. BULWER-LYTION Henry (1804-1873): 51. BURGMÜLLER Frédéric (1806-1874) : 353. BURNE-JONES Edward (1833-1898) : 367. BURNOUF Eugène (1801-1852) : 69. BUROLLET Thérèse: 459.
BUSNACH William (1832-1903): 102. BUSONI Philippe (1806-1883) : 372. BÜSSER Henri (1872-1973) : 45. BUSSY-CASTELNAU Charles de : 389, 424. BYRON George Gordon, lord (17881824) : 51, 82, 84, 102, 188, 338. C*** (Mme de Brabant ?) : 280. CABANEL Alexandre (1823-1889) : 32, 33, 62-66, 366, 458. CABANER François Matt, dit Jean de Cabanes, dit Ernest (1833-1881): 272. CABANIS José, né en 1922 : 32l. CADIOT. Voyez VIGNON Claude. CAFFARELLI Gaetano Majorano, dit (1710-1783): 185. CAHUN Léon (1841-1900): 145. CAILLAUX Henriette Rainouard, Mme Joseph (1874-1943): 295. CAILLAVET Gaston Arman de (18691915): 359. CAILLAVET Léontine-Charlotte Lippmann, Mme Arman de (1844-1910): 145, 163, 346, 426. CAILLEUX Achille-Alexandre de (17881876): 105. CAIN Auguste (1822-1894) : 180, 405. CAIN Georges (1853-1919) : 405. CAIN Henri (1856-1930 ou 1937) : 405. CALAMA TI A Lina, Mme Maurice Sand (1841-1901): 90, 416. CALAMATIA Luigi (1802-1869) : 90, 416, 457. CALDERON DE LA BARCA Pedro (16001681): 188. CALLAS Maria Kalogheropoulos, Mme Meneghini (1923-1977): 118, 287288, 441-442. CALLERY Joseph-Marie (1810-1862) : 66. CALLIAS Nina Gaillard, dite Nina de Villard, Mme Hector de (1842-1884) : 125, 126, 272. CALLOT Jacques (1592-1635): lOI. CALMETIE Gaston (1858-1914) : 295. CALMETIES Fernand, né en 1846 : 188, 253, 421, 459.
505 CALVÉ Rosa-Emma Calvet, Mme Galileo Gaspari, dite Emma (1858-1942) : 58, 116, 138, 257, 326, 401, 405. CAMACHO Dita : 40, 269, 343, 448. CAMBON Charles-Antoine (1802-1875) : 370. CAMBRONNE Pierre, général (17701842): 339. CAMET Sylvie: 305. CAMILLE Mme: 118. CANDIA Mario de. Voyez MARIO. CANOVA Antoine (1757-1822) : 333. CANROBERT François Certain de, maréchal de France (1809-1895) : 96, 444. CANTACUZÈNE princesse Maria, Mme Puvis de Chavannes (t1898) : 365. CAPECE MINUTOLO : 66, 138. CAPLET André (1878-1925) : 429. CAPPIELLO Leonetto (1875-1942): 161, 274. CARAFA Michel-Henri (1787-1872) : 344. CARAMAN-CHIMA Y Hélène de Brancovan, princesse Alexandre de (1879-1929) : 31, 92. CARDINNE-PETIT: 16, 166. CARJAT Etienne (1828-1906) : 254. CARNOT Marie-François-Sadi (18371894): 75, 405, 429. CAROLUS-DURAN Charles-Auguste-Émile Durand, dit (1837-1917) : 21, 91, 119, 130, 181. CARON Jean-Claude: 266. CARON Lucile Meuniez, Mme Rose (18571930): 377. CARPEAUX Jean-Baptiste (1827-1875) : 107, 143, 179, 193-194, 302, 312, 446447. CARRÉ Albert (1852-1938) : 37. CARRÉ Michel (1819-1872): 108, 263, 349. CARRIER Jean-Baptiste (1756-1794) : 234. CARRIÈRE Eugène (1849-1906) : 92, 116. CARRIÈS Jean (1855-1894) : 91, 101. CARS Jean des, né en 1943 : 33, 116, 303. CARUSO Enrico (1873-1921) : 442. CARYATHIS. Voyez JOUHANDEAU Mme.
CASA FUERTE Flavie de Balsorano, marquise de (1854-1905) : 36. CASA FUERTE IUan Alvarez de Toledo, marquis de (1882-1962) : 36, 66, 68, 163, 165, 170, 192-193, 270, 439. CASATI Luisa Amman, marquise (18811951 ou 1957): 91. CASELLI Jean. Voyez CAZALIS. CASERIO Santo (1873-1894) : 75. CASIMIR-PERIER Jean-Paul-Pierre (18471907): 75, 441. CASSIN Adèle, dite Mme, puis marquise Landolfo Carcano (1831-1922): 108. CASTEL: 242. CASTELLANE Boniface, marquis de (18671932): 92, 161, 276. CASTELLANE Cordélia Greffulhe, comtesse Boniface de (1794-1847) : 83. CASTELLANE Eprit- Victor- Boniface, comte de, maréchal de France, (17881862): 276, 321. CASTELLANE Jules, comte de (17901861): 70-71. CASTELLANE comtesse Jules de, née Villoutreys: 70-71. CASTELLANE Marie-Dorothée-Louise de Talleyrand- Périgord, princesse de Fürstenberg, comtesse Jean de : 92. CASTIGLIONE Virginia Oldoini, comtesse Verasis di (1837-1899) : 21, 32, 296, 386. CASTIL-BLAZE. Voyez BLAZE. CASTRO Germaine de : 292. CATALANI Angelica (1780-1849): 207. CATULLE (vers 87-vers 57 avo J.-C.) : 159. CATULLE-MENDÈS Jean-Primice (18971917): 162-163. CATULLE-MENDÈS Primitive-Jeanne Mette, Mme Boussac, dite Jane, Mme (1867-1955): 13, 37, 39, 75, 162-163, 191, 453. CAUX Henri, marquis de : 208. CAVAIGNAC Louis-Eugène, général (18021857): 50, 284. CAVALIERI Lina (1874-1944) : 121, 442. CAVELIER Pierre-Jules (1814-1896) : 458. CAVOUR Camille Benso, comte de (18101861): 295.
506 CAZALIS Henri, pseudonyme Jean Lahor (1840-1909): 163, 307, 383, 404, 454. CAZOTTE colonel: 387. CAZOTTE Jacques (1719-1792) : 338, 408. CELLINI Benvenuto (1500-1571): 122, 341. CERRITO Francesca, Mme Arthur SaintLéon, dite Fanny (1817-1909): 199-201, 287. CERVANTÈS Miguel de (1547-1616) : 108. CÉZANNE Paul (1839-1906) : 454. CHABAS Maurice (1862-1947) : 258. CHABAS Paul-Émile (1869-1937) : 258. CHABRIER Emmanuel (1841-1894): 125, 161, 163, 429. CHABRILLAN de. Voyez MOGADOR. CHABROL: 279. CHALEYSSIN Patrick, né en 1954 : 92. CHALIAPINE Feodor (1873-1938) : 341, 442. CHALLAMEL Augustin (1818-1894) : 173. CHALON Alfred Edwards (1780-1860) : 202. CHALON Jean, né en 1935 : 39, 227, 238, 415. CHAMFORT Sébastien-Roch Nicolas, dit (1740-1794): 363. CHAMINADE Cécile (1857-1944) : 58. CHAMISSO Adelbert von (1781-1838) : 230. CHAMPFLEURY Jules Husson, dit (18211889): 23, 30, 73-74, 132, 231, 242, 271, 410, 411. CHAMPIGNEULLE Bernard: 17. CHANEL Gabrielle, dite Coco (18831971): 63, 272. CHANTAVOINE Jean (1877-1952): 325. CHANUEL: 166. CHAPLIN Charles-Josuah (1825-1891) : 92, 411. CHARCOT Jean-Baptiste, Dr (18671936): 61, 238. CHARCOT Mme Jean. Voyez HUGO, Jeanne. CHARCOT Jean-Martin, Dr (1825-1893) : 61, 238.
CHARDIN Paul, né en 1833 : 405. CHARLES X (1757-1836), roi de France (1824-1830): 75-77, 155, 321, 337, 386. CHARLES QUINT (1500-1558), roi d'Espagne (1516-1556): 354. CHARLET Nicolas (1792-1845): 123, 451. CHARMES Francis (1848-1916) : 226. CHARPENTIER Georges (1846-1901) : 4243, 46, 53, 67, 77-78, 142, 145, 153, 159, 172, 221, 264, 448, 457, CHARPENTIER Georgette, Mme Abel Hermant: 78. CHARPENTIER Gervais (1805-1871) : 42, 78, 427, CHARPENTIER Gustave (1860-1956) : 271, 400, CHARPENTIER Jeanne: 78. CHARPENTIER Marguerite Lemonnier, Mme Georges (t1904): 78. CHASSÉRIAU Frédéric-Arthur, baron (1850-1934): 80. CHASSÉRIAU Théodore (1819-1856) : 78-81, 83, 108, 235, 365, 370, 407, 412. CHASTENET Jacques (1893-1978) : 76, 77. CHATEAUBRIAND Apolline de Bédée de la Bouëtardais, vicomtesse de (t 1798) : 81. CHATEAUBRIAND Céleste Buisson de la Vigne, vicomtesse de (1774-1847): 21, 83. CHATEAUBRIAND François-René, vicomte de (1768-1848): 24,51,81-83,97, 118, 247, 249, 276, 288, 321, 348, 349, 357, 367, 387, 450. CHATEAUBRIAND Lucile de, Mme de Caux (1764-1804): 83. CHATEAUBRIAND René-Auguste, vicomte de (t1786): 81. CHATEAUBRIANT Alphonse de Brébendec de (1877-1951) : 294, 382, 383, 445. CHATILLON Auguste de (1813-1881) : 83-85, 242, 451. CHATIRON Hippolyte (1799-1848) : 414. CHAUCHARD Alfred (1821-1909) : 181. CHAULNES F. Pseudonyme de GAUTIER Judith. CHAUSSON Ernest (1855-1899) : 49.
507 CHAZAL. Voyez GAUGUIN. CHENA Y Julie Foucher, Mme Paul (18221905): 242. CHENA Y Paul (1818-1906) : 242, 243. CHÉNIER André-Marie (1762-1794) : 64, 100, 223, 250. CHENNEVIÈRES-POINTEL CharlesPhilippe, marquis de (1820-1899) : 332. CHERBULIEZ Victor (1829-1899) : 194. CHÉRET Jules (1836-1932) : 274. CHÉRI Rose-Marie Cizos, Mme LemoineMontigny, dite Rose (1824-1861): 319, 332. CHERUBINI Luigi (1760-1842) : 283, 288. CHEV ALLEY Sylvie: 369, 402, 444. CHEVIGNÉ Laure-Marie de Sade, comtesse Adhéaume de (1859-1936) : 356. CHEVILLARD Camille (1859-1923) : 329. CHÉZY Antoine-Léonard de (1773-1832) : 69. CHILLY Charles-Marie de (1807-1872) : 143. CHIVOT Henri (1830-1897): 126. CHIZERAY-CUNY Henriette de: 223. CHOPIN Frédéric (1810-1849) : 15, 56, 85-87,90, 103, 117, 164,282,283,284, 335, 355, 373,415, 416, 417, 419. CHORON Étienne (1771-1834) : 317, 370. CHRÉTIEN Céleste, Mme Francis: 40, 425. CHRÉTIEN Francis: 425. CHRISTINE (1626-1689), reine de Suède (1632-1654): 291. CICERI Pierre (1782-1868) : 70, 105, 182, 386, 421, 422. CICO Marie (1842-1875) : 340. CIMAROSA Domenico (1749-1801) : 267. CLADEL Judith (1873-1958) : 77. CLADEL Léon (1835-1892) : 417. CLAIRIN Georges (1843-1919): 110, 254, 258, 282, 331, 363, 390, 435. CLAIRON Claire-Joseph Léris de La Tude, dite Mlle (1723-1803): 136, 431. CLAIRVILLE Louis-François Niolaie, dit (1811-1879): 107. CLARA José, né en 1878 : 401. CLARETIE Arsène-Armand, dit Jules (18401913) : 32, 61, 105, 107, 110, 112, 180,
189, 196, 218, 248, 301, 306, 326, 405, 417, 437, 458. CLARETIE Georges (1875-1936) : 417. CLAUDEL Camille (1864-1943) : 225. CLAUDEL Paul (1868-1955) : 131, 190, 249, 367, 469. CLAUDIN Gustave (1823-1896) : 87-88, 95, 100, 108, 140, 142, 307, 387, 412, 444. CLEMENCEAU Albert (1861-1927): 309. CLEMENCEAU Georges (1841-1929) : 76, 294, 377, 423, 424. CLEMENCEAU Marthe-Pauline Meurice, Mme Albert (1863-1955): 309. CLEMENCEAU Paul (1857-1946) : 423, 424. CLEMENTI Muzio (1752-1832) : 310, 319. CLÉOPÂTRE VII (69-30 avoJ.-C.), reine d'Égypte (51-30) : 62, 182, 197, 210, 391, 392. CLERGET Fernand (1865-après 1923) : 153, 270. CLERMONT-GANNEAU Charles-Simon (1846-1923): 40, 68, 88-89, 133, 143, 339, 397, 439-440. CLERMONT-TONNERRE de. Voyez GRAMONT Élisabeth de. CLÉSINGER Jean-Baptiste, dit Auguste (1814-1883): 87, 207, 281, 399, 406, 407, 417, 449. CLÉSINGER Solange Dudevant, Mme Auguste (1828-1899): 87, 406, 417. CLEYRERGUE Berthe, née en 1904: 162. CLODION Claude Michel, dit (17381814): 453. CLOPINEL Jean de Meung, dit (v. 1250-av. 1305): 213. CLOTILDE DE SAVOIE, Marie-ThérèseLouise, princesse Jérôme Bonaparte (18431911): 138. COCEA Alice, comtesse Stanislas de La Rochefoucauld (1897-1970) : 227. COCTEAU Jean (1889-1963): 13, 64, 92, 121, 131, 163, 238, 250, 349, 391, 394. CCEUROY André, pseudonyme de Jean Belime (1891-1976): 271, 288, 441. COGNIET Léon (1794-1880) : 289.
508 COHEN Hermann (1820-1871): 90-92, 226. COISLIN marquis de : 276. COLARDET : 431. COLBRAN Isabel. Voyez ROSSINI Mme. COLET Louise Revoil, Mme (1810-1876) : 51,74, 131, 132,231, 254, 327, 332, 337, 363, 397, 409, 410, 414. COLETTE Sidonie Gabrielle, Mme Henry Gauthier- Villars, Mme Henry de Jouvenel, Mme Maurice Goudeket, dite (18731954) : 35, 131, 144, 145, 160, 190, 191, 294, 366, 400. COLIN Armand (1842-1900) : 39, 68, 128, 424, 436, 450, 465. COLOMBIER Marie (1841-1910) : 38, 184. COLOMER BIas-Marie (1840-1917) : 395. COLON Jenny, Mme Gabriel Le Plus (1808-1842): 334. COLONNA duchesse, Adèle d'Affry, pseudonyme Marcello (1836-1879): 194. COLONNE Édouard (1838-1910) : 270, 345. COMBES Émile (1835-1921): 161. COMTE Auguste (1798-1857): 124, 125. CONDÉ Louis II, prince de (1621-1686) : 452. CONDORCET famille: 231. CONFUCIUS (v. 551-479 avo J.-C.) : 375. CONNEAU Mme Henri: 56. CONRAD Teodor, Jozef Konrad Korzeniowski, dit Joseph (1857-1824) : 52. CONSTABLE John (1776-1837): 141. CONSTANT Alphonse-Louis. Voyez LÉVI Éliphas. CONSTANT Mme Alphonse-Louis. Voyez VIGNON Claude. CONSTANT Benjamin (1845-1902): 107, 257. CONSUELO-FOULD Mme (1862-1927) : 405. CONTADES Henri, marquis de (18241858): 276. CONTADES marquise de. Voyez BEAULAINCOURT. CONTE Arthur, né en 1920 : 291.
COOPER James Fenimore (1789-1851) : 421. COPPÉE Francis, dit François (18481908): Il, 26, 59, 96, 111, 132, 161, 166, 223, 233, 270, 272, 273, 292, 302, 307, 361, 380, 383, 421. COQUELIN Constant, dit Coquelin Aîné (1841-1909): 104, 117, 197, 326. COQUELIN Ernest, dit Coquelin Cadet (1848-1909): 272. CORALLI Eugène (1779-1854) : 182, 210, 353. CORDIER Émilie: 387. CORDIER Henri-Louis (1849-1925) : 21. CORMENIN Louis de (1826-1866) : 69, 94- 95 , 109, 155, 172, 261, 281. CORMENIN Louis-Marie de (1788-1868) : 94. CORMON Pierre-Étienne Piestre, dit (18101903): 317, 318. CORNEILLE Pierre (1606-1684) : 370, 459. CORNEILLE Thomas (1625-1709) : 459. CORNELIUS Peter von (1783-1867) : 99. COROT Camille (1796-1875) : 106, 137, 399, 405. CORRÈGE Antonio Allegri, dit le (v. 1489-1534): 457. CORTOT Alfred (1877-1962) : 424. CORTOT Jean-Pierre (1787-1843): 123, 286. COSTA DE BEAUREGARD marquis de (1835-1909): 47. COUCHOUD Paul-Louis, Dr (1879-1959) : 437. COULEV AIN Mme Pierre de, née Favre: 75, 76, 434. COURBET Gustave (1819-1877) : 30, 48, 74, 107, 108. COURNET A. : 88. COURTELINE Georges Moineau, pseudonyme Georges (1858-1929) : 46, 161, 293, 400. COURTOIS Adèle: 38. COUSIN Victor (1792-1867): 111, 132. COUSIN-MONTAUBAN Charles, comte de Palikao (1796-1878): 32. COUTURE Thomas (1815-1879) : 431.
509 COYSEVOX DE SAINT-AMAND Antoine (1640-1720): 380. CRAIG Edward Gordon (1872-1966) : 36. CRÉBILLON Claude Jolyot de (17071777): 140. CRÉMIEUX Isaac-Moïse, dit Adolphe (1796-1880): 370. CROISSET Franz Wiener, dit Francis de (1877-1937): 126, 132, 357. CROS Antoine: 272. CROS Charles (1842-1888): 156, 272. CROS Henri (1840-1907) : 272. CROSNIER François-Louis (1792-1868) : 113. CRUIKSHANK Georges (1792-1878) : 329. CRUPPI Louise Crémieux, pseudonyme Louise Dartigue, Mme Jean (1863-1925) : 186. CUI César Antonovitch (1835-1918) : 183. CURIE Marie Sklodowska, Mme Pierre (1867-1934): 257, 405-406. CURIE Pierre (1859-1906) : 257. CURMER Henri-Léon (1801-1870) : 349. CURTEN comte de : 380. CURZON Paul-Alfred de (1820-1895) : 99, 461. CUSTINE Astolphe, marquis de (17901857) : 61, 86, 196, 282, 300, 355, 356. CUSTINE Delphine de Sabran, marquise de (1770-1826): 83. CUVIER Georges, baron (1769-1832) : 188. CYDALISE la (t1836) : 71, 134, 135, 231. CZERNY Karl (1791-1857) : 283, 319. DALLOZ Paul (1829-1887): 14, 95-96, 133, 141, 333, 413, 443. DALLOZ Mme Paul, née de Plunkett: 96. DALOU Aimé-Jules (1838-1902) : 254. DAMARIN Émilie-Lucile Huyot, Mme (1793-1866): 134, 135. DAMON: 96-98, 275. DANGEAU Philippe de Courcillon, marquis de (1638-1720): 104.
D'ANNUNZIO Gabriele, prince de MonteNevoso (1863-1938) : 65, 66, 92, 163, 224, 226, 257, 391, 423, 447. DANSETTE Adrien (1901-1967) : 75, 466. DANTAN Jean-Pierre, dit Dantan Jeune (1800-1869): 172. DANTE Alighieri (1265-1321) : 76, 9899,108,213,319,400,446. DARCIER Célestine Lemaire, Mme Mamignard, dite (1818-1870): 392. DARDENNE DE LA GRANGERIE (t1873) : 99. DARDENNE DE LA GRANGERIE Suzanne du Closel, née en 1847: 99-101. DARGOMYZSKI Alexandre Serguélévitch (1813-1869): 183. DARMESTETER James (1849-1894) : 433. DASH Gabrielle Cisteme de Courtiras, vicomtesse de Poilloüe de Saint-Mars, dite comtesse (1804-1872): 342. DAUBIÉ Julie-Victoire (1824-1874) : 405. DAUBRUN Marie Mardel, Mme Brunaud, dite (1827-1901): 25. DAUDET Alphonse (1840-1897) : 16, 26, 58, 66, 75, 107, 132, 142, 189, 218, 221, 256, 273, 340, 364, 378, 429, 443, 449. DAUDET Edmée, Mme André Germain, Mme Robert Chauvelot (1886-1937): 378, 423. DAUDET Julia Allard, Mme Alphonse (1847-1940) : 58, 72, 88, 142, 190, 236, 242, 253, 269, 289, 423. DAUDET Léon (1867-1942): 13, 18, 25, 43, 58, 62, 76, 78, 100, 132-133, 160, 180, 181, 187, 190, 226, 236, 237, 238, 240, 242, 289, 302, 315, 330, 352, 417, 449, 469. DAUDET Lucien (1878-1946): 13, 170, 423. DAUMIER Honoré (1808-1879) : 262, 349. DAUZATS Adrien (1804-1868) : 105. DAVID Félicien (1810-1876) : 377-378. DAVID Louis (1748-1825) : 402, 431. DAVID D'ANGERS Pierre-Jean (17881856) : 23, 90, 101, 123, 217, 338, 348, 405. DAVID-NÉEL Alexandra DAVID, Mme Néel, dite Alexandra (1868-1969) : 227.
510 DAVIDS André: 22. DAVIDS Arlette: 22. DAVIDS Renée, Mme André, née en 1877: 22. DAVY DE LA PAILLETERIE AntoineAlexandre, marquis (1710-1786): 113. DAYOT Armand (1857-1934) : 43. DEBAR Mme, née Mendès: 161. DEBRAUX Paul-Émile (1796-1831): 92. DEBUSSY Claude (1862-1918) : 36, 229, 341, 391. DECAMPS Alexandre-Gabriel (18031860): 88, 354, 422. DECAUX Alain, né en 1925 : 144, 241, 250. DECOURCELLE Adrien (1821-1892) : 11. DECOURCELLE Pierre (1856-1926): 11. DEFAUCONPRET Auguste-Jean-Baptiste (1767-1843): 421. DEFAUCONPRET Charles-Auguste (17971865): 421. DEFOË Daniel (v. 1660-1731), auteur de Robinson Crusoé: 348. DEGAS Edgar (1834-1917): 106, 180, 201, 366, 422. DEHARME Anne-Marie Hirtz, Mme Meyer, Mme Jacques Parsons, dite Lise (18981980): 408. DÉJAZET Pauline-Virginie (1797-1875): 50, 115, 124, 332, 379. DELA Henri: 78. DELABORDE Antoinette-Sophie, Mme Maurice Dupin (1773-1837) : 414. DELABORDE Henri, vicomte (18111899): 99, 446. DELABORDE Henri (1839-1913): 101102. DELACOUR Pierre-Alfred Lartigue, dit (1817-1883): 34. DELACROIX Eugène (1798-1863): 15, 47, 74, 79, 86, 88, 90, 99, 102-104, 106, 184, 188, 205, 220, 232, 284, 303, 310, 330, 349, 354, 363, 374, 394, 399, 412, 415, 416, 419, 422, 461, 470. DELAROCHE Hippolyte, dit Paul (17971856): 124, 179, 217, 266, 281, 470. DELARUE-MARDRUS Lucie Delarue, Mme J.-C. Mardrus, dite (1880-1945): 45, 75, 91, 191, 292, 294, 403, 422.
DELAUNAY Jules-Élie (1828-1891) : 102. DELAUNAY Louis-Arsène (1826-1903) : 14, 104-105, 125. DELAVIGNE Germain (1790-1868) : 377, 422. DELBOURG-DELPHIS Marylène : 232. DELDEVEZ Édouard (1817-1897) : 451. DELÉCLUZE Étienne (1781-1863): 136. DELECOSSE Max: 170. DELESSERT Édouard (1828-1898) : 111. DELESSERT Gabriel (1786-1858): 111. DELESSERT Valentine de Laborde, Mme Gabriel (1806-1894): 111. DELIBES Clément-Philibert, dit Léo (18361891): 230, 270. DELILLE Jacques, abbé (1738-1813) : 307. DELPIT Albert (1849-1893): 107. DEL SARTO Andrea d'Angeli ou d'Agnolo di Francesco, dit (1486-1530): 412. DEMIDOFF Anatole, prince de San-Donato (1813 -18 70): 300, 301, 379. DEMIDOFF Paul (1839-1885) : 409. DEMIDOFF Pavel: 244. DENIS Maurice (1870-1943) : 326. DENNERY ou D'ENNERY Adolphe Philippe, dit (1811-1899): 198,317. DENTU Édouard-Henri-Justin (18301884): 105, 124, 456. DENZA Luigi (1846-1922) : 93. DEPAULIS Jacques: 391. DEPOUX Dr : 377. DÉROULÈDE Paul (1846-1914) : 444. DEROY Émile (1820 ou 1825-1846 ou 1848): 30. DERWENT lord: 394, 396. DESAUGIERS Marc-Antoine (17721827): 92, 392. DESBAROLLES Adolphe (1801-1886) : 115, 116, 343. DESBORDES-VALMORE Marceline Desbordes, Mme Prosper Lachantin, dit Valmore, dite (1786-1859) : 264, 337, 402, 409, 419. DESBORDES- VALMORE Marceline-Julie, dite Ondine, Mme Jacques Langlais (18211853): 409. DESBOUTIN Marcellin-Gilbert (18231902): 142, 366, 429.
511 DESCA YES Lucien (1861-1949) : 21, 46, 76, 190, 256, 294, 382, 469. DESCA YES Pierre (1896-1966) : 46, 133, 256, 294, 439. DESCHAMPS Antoine Deschamps de SaintAmand, dit Antoni ou Antony (18001869): 213,. DESCHAMPS Émile Deschamps de SaintAmand, dit Émile (1791-1871) : 214, 304, 305. DESCHAMPS Gaston (1861-1931) : 424. DESCHANEL Paul (1855-1922) : 64, 85, 181, 290, 292, 380, 439. DÉSENNE Alexandre-Joseph (17851827): 262. DESESSART : 358. DESGENAIS Pierre: 453. DESHOULIÈRES Antoinette du Ligier de la Garde, Mme (1637 ou 1638-1694) : 190. DESILES vin: 293. DESLANDRES Yvonne: 310. DESMOULIN Fernand (1853-1914) : 159. DESPLÉCHIN Édouard-Joseph (18021870): 112. DETAILLE Édouard (1848-1912) : 143, 405. DEV AMBEZ : 271, 291. DEVÉRIA Achille (1800-1857) : 83, 262263, 319, 331, 337, 435. DEVÉRIA Eugène (1805-1865) : 262, 320, 330-331, 386. DEVÉRIA Gabriel (1844-1899) : 435. DEVRIÈS Daniel, dit Ivan (1909-1997) : 45, 46, 299, 347, 439. DEVRIÈS David (1882-1936) : 45, 46, 228. DEVRIÈS Fidès, née en 1852 : 45. DEVRIÈS Gérald-Ludwig: 45, DIAGHILEV Sergueï (1872-1929) : 63, 341, 391. DIANE Marie-Joséphine de Suin, comtesse de Beausacq, dite comtesse (1829-1899) : 85, 222, 290, 454. DIAZ DE LA PENA Eugène (1837-1901) : 107. DIAZ DE LA PENA Narcisse-Virgile (18071876): 105-108, 366. DIAZ DEL CASTILLO (1492-1581 ?) : 223.
DICKENS Charles (1812-1870) : 74, 433. DIDELOT Charles (1762-1836) : 201. DIDEROT Denis (1713-1784): 136,338. DIDOT (xvIIIe-xIxe s.) : 24, 63. DIÉMER Louis (1843-1919) : 56. DIERX Léon (1838-1912) : 45, 163, 307. DIESBACH Ghislain de, né en 1931 : 81, 83, 94, 138, 194, 257, 259, 367, 445. DIETSCH Louis (1808-1865) : 464. DIEULAFOY Jeanne Magre, Mme Marcel (1851-1916): 75, 403. DIEULAFOY Marcel-Auguste (18431920): 403. DINO Dorothée de Courlande, duchesse de Talleyrand- Périgord, duchesse de (17921862): 276. DINOCHAU, restaurateur (t1871) : 137. DIOR Christian (1905-1957) : 38, 162. DISRAELI Benjamin, lord Beaconsfield ( 1804 -1 88 1): 433 . DOCHE Charlotte-Marie de Plunkett, dite Eugénie, Mme (1821-1900) : 96, 115. DOLENT Charles-Antoine Fournier, dit Jean (1835-1909): 399. DOLIVET Emmanuel (t1911) : 291. DONGEN Kees van (1877-1968) : 92. DONIZETTI Gaetano (1797-1848) : 27, 127, 128, 138, 207, 287, 288, 289, 324, 420. DONIZETTI Giuseppe (1788-1856) : 288, 289. DONNA Y Maurice (1859-1945) : 160, 228, 272, 378. DORCHAIN Auguste (1857-1930) : 359. DORÉ Gustave (1832-1883) : 99, 107, 108-109, 116, 262, 278, 307, 363, 394, 400. DORGELÈS Roland (1885-1973) : 88. DORIAN Dora, Mme Jean Ajalbert, Mme Georges Hugo: 238. DORIAN Tola, née princesse Mestchersky, Mme Charles-Louis (1850-1918): 238. DORNAC: 180. DORVAL Marie-Amélie Delaunay, Mme Allan-Dorval, Mme Merle, dite Marie (1798-1849): 112, 113, 114,263, 304, 306, 312, 335, 337, 370, 372, 415. DOSNE Élise, Mme Adolphe Thiers (18181880): 119.
512 DOSNE Eurydice-Sophie Matheron, Mme (1794-1869): 119. DOSNE Félicie (1823-1906): 119. DOUBLE Marie Biard, Mme de Peyronny, pseudonyme Étincelle, baronne (vers 18401897): 246. DOUCET Camille (1812-1885) : 47, 85, 453. DOUCET Henri-Lucien (1856-1895) : 302. DOUCET Jacques (1853-1929) : 161. DOUMIC René (1860-1937) : 226, 453. DOUMIC Mme René. Voyez HEREDIA Hélène de. DOYLE sir Arthur Conan (1859-1930) : 257. DOYON René: 447. DREYFOUS Maurice (1849-1918) : 46, 154, 199. DREYFUS affaire: 117, 290, 413. DROIN Alfred (1878-1967) : 65. DROUET Juliette Gauvain, dite Juliette (1806-1883) : 95, 132, 236, 241, 242, 244, 247, 249, 250, 251, 263, 285. DROUYN DE LHUYS Mme Édouard: 108. DROZ Gustave (1832-1895): 124, 307. DRUMONT Edouard-Adolphe (18441917): 117. DU BARAIL François-Charles, général (1820-1902): 50, 276. DU BARRY Jeanne Bécu, comtesse (17431793): 124. DUBAS Marie (1894-1972) : 93. DU BLED Victor (1848-1927) : 70. DUBCEUF Estelle: 48. DUBOIS Paul-François (1795-1874) : 409. DUBUFE Claude-Marie (1790-1864) : 470. DUBUFE Édouard-Louis (1819-1883) : 303, 405. DU CAMP Maxime (1822-1894): 14, 15, 67, 74, 80, 84, 89, 94, 103, 109-112, 129, 132, 138,157,172,173,266,277, 318, 323, 327, 328, 333, 335, 336, 345, 361, 407, 412, 469. DUCASSE Isidore. Voyez LAUTRÉAMONT. DUCHAMBGE Antoinette-Pauline de Montet, baronne Duchambge d'Elbhecq (1778-1858): 305, 319. DUCHÂTEL Charles-Marie, comte (18031867): 296.
DUCHÊNE Roger: 291. DUCLAUX Mary Robinson, Mme James Darmesteter, Mme Pierre-Émile (1857-ap. 1930): 76, 433-434. DUCLAUX Pierre-Émile (1840-1904) : 434. DUDEV ANT Casimir, baron (1795-1871) : 414. DUDEVANT Maurice. Voyez SAND. DUDEV ANT Solange. Voyez CLÉSINGER. DUJARDIN-BEAUMETZ Henri (18521913): 383. DUKAS Paul (1865-1935) : 271, 353. DULLIN Charles (1885-1949) : 238. DU LOCLE Camille (1832-1903) : 441. DULONG Pierre-Louis (1785-1838) : 101. DUMAINE Louis-François Person, dit (1831-1893): 112-113. DUMANOIR Philippe-François Pinel, dit (1806-1865): 209. DUMAS Alexandre père (1802-1870) : 8889, 105, 109, Il 0, 112, 113, 113 -115 , 116, 117, 124, 132, 138, 184, 219, 220, 232, 263, 265, 304, 306, 308, 311, 328, 332, 335, 337, 338, 343, 350, 358, 363, 386, 387, 394, 400, 412, 415, 421-422, 450, 469. DUMAS Alexandre fils (1824-1895) : 95, 106,109, 115-117, 120, 126, 132, 173, 191, 275, 282-283, 332, 333, 359, 361, 386, 415, 441. DUMAS Marie-Alexandrine, Mme Maurice Lippmann, Mme Achille Matza, dite Colette (1860-1907): 116. DUMAS Marie-Cessette (tI772): 113. DUMAS Marie-Louise Labouret, Mme la générale (1760-1838): 113. DUMAS Thomas-Alexandre, général (17621806): 113, 116. DUMILÂTRE Adèle (1822-1909): 182. DUMOND-GRÉVILLE: 452. DUNCAN Deirdre (1906-1913) : 36. DUNCAN Ethel: 295, 297, 440. DUNCAN Isadora, Mme Sergueï Essénine (1877-1927): 36, 41-42, 401. DUNCAN Mabel: 297,440. DUNCAN Patrick (1910-1913) : 36. DUPANLOUP Félix, évêque d'Orléans (1802-1878): 426-427.
513 DUPARC Henri Fouques-Duparc, dit Henri (1848-1933): 49, 269, 456. DUPATY Louis-Emmanuel (1775-1851): 328. DUPÊCHEZ Charles: 90, 213. DUPIN DE FRANCUEIL Marie-Aurore de Saxe, Mme de Horne, Mme (1748-1821) : 414. DUPLAIS Lucette (v. 1842-1865): 319. DUPLEIX Joseph-François, marquis (16971763): 389. DUPLESSIS Rose-Alphonsine Plessis, comtesse de Perrégaux, dite Marie (18241847): 106, 111, 116, 120, 276, 283. DUPONCHEL Edmond (1795-1868): 127. DUPONT Pierre (1821-1870) : 92-93, 326. DUPRÉ Guy, né en 1928 : 408. DUPRÉ Jules (1811-1889) : 399. DUPREZ Gilbert-Louis (1806-1896) : 27, 57, 127, 213, 419. DURAND A. et fils: 319. DURAND Marguerite, Mme Georges Laguerre (1864-1936) : 406. DURAND-RUEL : 40. DURAS Claire de Kersaint, duchesse de (t1828): 83. DÜRER Albert (1471-1528) : 243. DURU Alfred (1829-1889) : 126. DUSE Eleonora (1858-1924) : 91, 442. DU SEIGNEUR Jean-Bernard, dit Jehan (1808-1866): 122, 335, 419. DUSSANE Béatrix Coulond-Dussan, Mme Édouard HeIsey, dite (1888-1969) : 93, 371. DUSSAUD Mme René. Voyez FRANCE, Mme Anatole. DUVAL Dr: 309. DUVAL Jeanne (1822-ap. 1870) : 29. DUVERNOIS Henri-Simon Schwabacher, dit Henri (1875-1937): 190, 341. EDISON Thomas (1847-1931) : 272. EDWARDS. Voyez SERT Misia. EIGELDINGER: 427, ÉLISABETH Amélie-Eugénie de Wittelsbach, impératrice d'Autriche (18371898): 137.
ÉLISABETH, princesse de Wied, reine de Roumanie, pseudonyme Carmen Sylva (1843-1916): 142, 423. ELPHINSTON lord (1809-1860) : 306. ELSSLER Franziska, dite Fanny (18101884): 122, 123, 127, 201, 202, 210, 286. ELSSLER Thérèse (1808-1878): 123. ELWART Antoine Amable Élie (18081877): 50. ELZÉVIR (xvIe-xvIIe s.) : 24. ENFANTIN Barthélemy-Prosper, dit le Père (1796-1864): 377. ENOCH Wilhelm (1840-1913): 163, 271, 341. ÉRARD: 117-121. ERAUSO Catalina de (1585 ?-ap. 1640) : 223. ERIDO Rita deI, Mme Henri Duvernois : 341. ERLANGER Camille (1863-1919) : 326. ESCHOLIER Raymond: 241. ESCUDIER Jacques-Victor, dit Léon (18081881): 263. ESCUDIER Marie-Pierre-Yves (18091880): 263. ESCUDIER Mme: 411. ESPEUILLES Caroline de Bassano, marquise d' (1847-1938): 91. ESQUIROL Jean-Étienne-Dominique, Dr (1772-1840): 125. ESQUIROS Henri-Alphonse (1812-1876) : 343. ESTERHAZY DE GALANTHA Paul-Antoine, prince (1786-1866): 283. ÉTEX Antoine (1808-1888) : 21, 123125, 426. ÉTEX Louis-Jules (1810-1889) : 83, 124. EUGÉNIE Eugenia Maria de Montijo de Guzman, comtesse de Teba, impératrice des Français de 1853 à 1870 (1826-1920): 96, 128, 138, 169, 180, 259, 276, 297, 300, 331-333, 405, 425, 433, 466. EVANS Thomas W.E., Dr (1823-1897) : 96, 138. FABRE Gabriel (1862-1921) : 376. FAGUET Émile (1847-1916) : 248, 277, 453.
514 FALCON Marie-Cornélie (1812-1897) : 121, 419. FALGUIÈRE Alexandre (1831-1900) : 23, 61, 180, 254. FALLA Manuel de (1876-1946) : 73, 92. FALLIÈRES Armand (1841-1931) : 75-77. FANELLI Ernest (1860-1917) : 46, 89, 170, 192-193, 217, 270, 341-342, 368, 382, 397, 439. FANTIN-LATOUR Henri (1836-1904): 30, 74. FARGUE Léon-Paul (1876-1947): 165, 382, 453. FARGUEIL Anaïs (1819-1896): 115, 126, 273. FARINELLI Carlo Broschi, dit (17051782): 185. FARRENC Jeanne-Louise Dumont, Mme Aristide (1804-1875): 377. FARRÈRE Frédéric-Charles Bargone, dit Claude (1876-1957): 192, 211-212, 439. FASQUELLE Eugène (1863-1953) : 212, 295. FAUCHEREAU Serge, né en 1939 : 353, 471. FAUCIGNY-LUCINGE A. de: 370. FAURE Félix (1841-1899) : 75, 76, 105, 181. FAURE Jean-Baptiste (1830-1914): 108, 173. FAURE Michel: 36. FAURÉ Gabriel-Urbain (1845-1924) : 3536,49,63,186,270,319,329,402,429. FAURÉ Marie Frémiet, Mme Gabriel (1855-1925): 402. FAURE-BIGUET J.-N. : 109. FAUVELLE Nicolas (t 1865) : 222. FAVART maître: FAVART Antoine (1784-1867): 127. FAVART Charles-Simon (1710-1792) : 126. FAVART Edmée (1884-1941): 126. FAVART Justine Duronceray, Mme (17271772): 126-127. FAVART Pierrette Pingaud, Mme (18331908): 14, 104, 125 -12 6 , 127, 332, 410, 450. FAVIER Roger (1881-1925) : 30. FECHTER Charles (1823-1879): 115.
FÉLIX Adélaïde, dite Lia, née en 1830 : 371, 413. FÉLIX Elisa. Voyez RACHEL. FÉLIX Esther Haya, Mme Jacob (17981873): 371. FÉLIX Jacob (1796-1872) : 371. FÉLIX Mélanie, dite Dinah (1836-1909) : 371. FÉLIX Raphaël (1825-1872) : 371. FÉLIX Rébeca (1829-1854) : 371. FÉLIX Sarah (1819-1877) : 371. FÉLIX Victor (1848-1889) : 371. FÉLIX-FAURE-GOYAU Lucie Faure, Mme Georges Goyau, dite Mme (18661913): 75, 76-77, 455. FERDINAND VII, roi d'Espagne (17841833): 69. FEROGIO François-Antoine (1805-1888) : 412. FERRARIS Amalia (1830-1904) : 201, 378. FERRIER Marguerite Ferrand, Mme Alexandre Dumas, dite Ida (1811-1859) : 124, 386. FERROUD: 145. FERVAL Claude. Voyez PIERREBOURG. FEUILLADE Louis (1874-1925) : 16. FEUILLÈRE Louise-Caroline Cunati, Mme Edwige (1907-1998): 131, 136. FEUILLET Octave (1821-1890): 125, 226, 332, 333. FÉVAL Paul (1817-1887) : 68, 112. FEYDEAU Alain: 131. FEYDEAU Diane-Valentine (1866-1942) : 130-131. FEYDEAU Ernest (1821-1873): 15, 129131, 278, 307, 329, 390, 407, 458. FEYDEAU Mme Ernest. Voyez FOUQUIER. FEYDEAU Georges (1862-1921) : 130131. FEYDEAU Inès Blanqui, Mme Ernest (t1859): 99. FEYDEAU Léocadie, Mme Ernest. Voyez FOUQUlER. FILON Augustin (1841-1916): 331. FlOCRE Eugénie, marquise de Créqui de Courtivron (1845-1908): 377. FlORENTINO. Voyez ROVRA Y de.
515 FIRMIN Jean-François Becquerel, dit (1787-1859): 63. FITZJAMES Louise, née en 1809 : 188. FITZJ AMES Nathalie, née en 1819 : 35. FLAMENT Albert (1877-1956): 13, 257. FLAMMARION Camille (1842-1925) : 256, 257. FLAMMARION Ernest (1846-1936) : 256, 269. FLAUBERT Achille-Cléophas, Dr (17841846): 54, 131. FLAUBERT Caroline Fleuriot, Mme Achille Cléophas (1793-1872): 54, 132. FLAUBERT Caroline (1824-1846): 131. FLAUBERT Gustave (1821-1880) : 51, 53, 54, 88, 94, 99, 110, 111, 114, 129, 131133, 145, 166, 172, 186, 189, 198, 221, 222, 249, 254, 278, 289, 290, 301, 302, 309, 320, 332, 342, 361, 363, 367, 372, 373, 377, 385, 391, 397, 399, 407, 414, 416. FLAVIGNY Marie de. Voyez AGOULT Mme d'. FLERS Robert Pellevé de la Motte-Ango, marquis de (1872-1927): 126, 359. FLEURY. Voyez PLUNKETI de. FLEURY Émile-Félix, comte (18151884): 105, 275-276. FLEURY Dr Robert: 165, 224. FLORIAN Jean-Pierre Claris de (17551794), auteur d'Estelleet de Némorin : 348. FOA Eugénie Rodrigues-Henriquès, Mme Joseph (1796-1852): 102. FÔ-HI (v. 3300 avo J.-C.): 157. FOKINE Mikaïl (1880-1942) : 392, 467. FONFRÈDE Joseph: 335. FONTAINAS André (1865-1948) : 314, 326, 380, 382. FONTAN Louis-Marie (1801-1839) : 244. FONTANESI Antonio (1818-1882) : 22. FONTANEY Antoine (1803-1837) : 304. FORAIN Jean-Louis (1852-1931) : 274. FORD Charles: 388. FORSTER Caroline: 182. FORT Charles: 52, 135. FORT Eugénie (1812-1881): Il, 12, 34, 52, 134-136, 146, 147, 231, 266, 281, 285, 366, 377, 387, 432. FORTUNY Mariano (1838-1874): 182.
FOUCHER Anne-Victoire Asseline, Mme Pierre (1779-1827): 242. FOUCHER Paul (1810-1875): 125, 208, 242, 450, 463-464. FOUCHER Pierre (1772-1845) : 242, 243. FOUCHER Victor (1802-1866) : 239, 242. FOUJITA Tsougouharu, Léonard (18861968): 92. FOULD Achille (1800-1867) : 405. FOULD Henriette Goldschmidt, Mme Achille (t1870): 405. FOUQUIER Henry (1838-1901) : 131. FOUQUIER Léocadie Zelewska, Mme Ernest Feydeau, Mme Henry: 99, 130, 131. FOUQUIÈRES André Becq de (18751959): Il, 148, 179, 198,229,260,346, 365, 437. FOUQUIÈRES Louis-Victor Becq de (18311887): 223. FOURIER Charles (1772-1837) : 353. FOURMENT Hélène, dame Rubens, baronne de Bergeyck (1614-1673): 124. FOURNEAU Jean-Pierre: 391. FOV ART maître: 112, 205. FRAGONARD Alexandre-Évariste (17801850): 262. FRAGONARD Jean-Honoré (1732-1806) : 105, 106, 136. FRAGONARD Théophile-Étienne (18061876): 262. FRAIN Irène, née en 1950 : 241. FRANÇAIS François-Louis (1814-1897) : 137, 349. FRANCE Anatole Thibault, dit Anatole (1844-1924): 26, 90, 125, 133, 144, 156, 160, 163, 175, 222, 257, 268, 292, 302, 345-347, 350, 352, 359, 361, 375, 383, 403, 417, 424, 426, 450, 453, 455. FRANCE Suzanne Thibault, dite Suzanne, Mme Henri Mollin, Mme Michel Psichari (1881-1918): 346, 347, 426. FRANCE Valérie Guérin de Sauville, Mme Anatole, Mme René Dussaud (18571921): 346. FRANCK César (1822-1890) : 57. FRANÇOIS 1er, roi de France (14941547): 460.
516 FRANÇOIS II de Bourbon, roi de Naples et des Deux-Siciles (1836-1894): 137-138, 460. FRANÇOIS DE PAULE, roi consort d'Espagne (1822-1902): 259. FRANÇOIS DE SALES saint (1567-1622) : 43, 384. FRANCONI: 310. FRAPPA Jean-José (1854-1904): 181, 294. FRÉDÉRIC-AUGUSTE II, roi de Saxe (1797-1844): 464? FRÉDÉRIC-GUILLAUME III (1770-1840), roi de Prusse (1797-1840): 118. FRÉDÉRIC-GUILLAUME IV (t1861), roi de Prusse (1840) : 50. FRÉMIET Emmanuel (1824-1910) : 402. FRÉMIET Marie. Voyez FAURÉ. FRÉMIET Sophie. Voyez RUDE. FREZZOLINI Erminia, Mme Poggi, Mme Vigouroux (1818-1884): 138140, 208. FROMENTIN Eugène (1820-1876) : 379. FROMENT-MEURICE François-Désiré (1802-1855): 308-309. FULLER Loïe (1862-1928): 180, 257, 271, 383, 426, 429. GABRIEL saint: 384. GAIFFE Adolphe-Ernest (1830-1887) : 34, 140-141. GAIL Edmée-Sophie Garre, Mme (17761819): 319. GAINSBOROUGH Thomas (1727-1788) : 141, 399. GALBOIS Marie, baronne de (1828-1896) : 56. GALÈSE Maria de [Gallese], Donna Gabriele D'Annunzio (1865-1954) : 92. GALIPAUX Félix Mayran, dit Félix (18601931): 288, 359-360. GALITZINE, princesse Sophie: 183, 462. GALLÉ Émile (1846-1904) : 91. GALLIFFET Florence-Georgina Laffitte, marquise de (t1901) : 380. GALLIFFET Gaston-Alexandre-Antoine, marquis de, général (1830-1909) : 32-33, 301, 403.
GALLIMARD Gaston (1881-1975) : 41, 382, 392. GALLIMARD Lucie, Mme Paul: 383. GALLI-MARIÉ Célestine-Laurence Marié de Lisle, Mme Galli, dite (1840-1905) : 318. GALTIER-BOISSIÈRE Jean (1891-1966) : 307. GAMBETTA Léon (1838-1882) : 14, 33, 119, 141-143 , 162, 329, 35 1, 443. GANDERAX Louis (1855-1940) : 403. GANNEAU Simon (v. 1800-1851): 89. GANNEAU Mme. Voyez CLERMONTGANNEAU.
GARCIA Manuel (1775-1832): 183. GARCIA Manuel (1805-1906): 138, 183. GARCIA Maria (t1862): 183, 232. GARCIA Maria Felicia. Voyez MALIBRAN. GARCIA Pauline. Voyez VIARDOT. GARDEL Pierre-Gabriel (1758-1840) : 349. GARIBALDI Giuseppe (1807-1882): 110, 138. GARNIER Charles (1825-1898): Il, 47, 108, 143-145, 195, 447, 461. GASPARIN Agénor, comte de (18101871): 169. GASPARIN Édith de : 169. GASPARIN Valérie Boissier, comtesse Agénor de (1813-1894): 169, 465. GAUDEFROY-DEMONBYNES: 311. GAUDON Jean: 241, 248. GAUGUIN Aline Chazal, Mme Clovis (1825-1867): 343. GAUGUIN Clovis (1814-1849) : 343. GAUGUIN Paul (1848-1903) : 343. GAUMONT Léon (1864-1946): 389. GAUTHEREAU Virginie Avegno, Mme: 20-21, 91. GAUTHIER-FERRIÈRES: 338. GAUTIER Antoinette-Adélaïde Cocard, dite Adèle, Mme Jean-Pierre (1783-1848) : 155. GAUTIER Charles-Marie- Théophile, dit Toto (1836-1904): Il, 34, 145-148, 151, 196, 197, 236, 266, 302, 443. GAUTIER Élise Portal, Mme Théophile junior: 148. GAUTIER Émilie, dite Lili (1817-1880) : 34, 149 -151 , 171, 176, 177, 178, 448.
517 GAUTIER Estelle, Mme Émile Bergerat ( 1847-1914): 12, 15, 34, 43, 44, 45, 47, 69, 78, 94, 133, 147, 148, 152-154, 176-177, 195, 204, 205, 218, 261, 275, 289, 299, 329, 338, 407, 416, 434, 447, 453 . GAUTIER Eugène (1822-1878) : 34. GAUTIER Jean-Antoine (1748-1831 ?) : 154, 171. GAUTIER Jean-Pierre (1778-1854) : 154156. GAUTIER Judith, Mme Catulle Mendès, pseudonymes Judith Walter, F. Chaulnes, surnom Maya (1845-1917): 156-171, passim. GAUTIER Marguerite-Lucrèce Gérard, Mme Jean-Antoine (1749-1821): 154, 171. GAUTIER Marie-Dominique, dite Mion (t1860): 154, 156, 171-172, 178. GAUTIER Théophile (1811-1872): 172176, passim. GAUTIER Zoé (1820-1885) : 34, 149-150, 156, 171, 176 -I 78, 205, 363, 448. GAUTIER-SANS-A VOIR (t1096 ou 1097) : 172. GAVARNI Sulpice, Guillaume Chevalier, dit (1804-1866): 15, 53, 130, 226, 232, 262, 266, 302, 303, 349, 393, 444. GAVEAU Mme: 278. GAVEAU Joseph-Emmanuel (1824-1893) : 117, 118. GAVOTY Bernard (1908-1981) : 41, 326. GAY Delphine. Voyez GIRARDIN. GAY Sophie Nichault de la Valette, Mme (1776-1852): 35, 70, 241, 249, 282, 337, 415. GEFEN Gérard: 57, 59,441. GEFFROY Gustave (1855-1926): 190, 211. GEIGER baronne de : 440. GÉNIAUX Charles (1870-1931) : 383, 445. GÉNIAUX Claire, Mme Charles (1873193 1): 445. GEOFFROY SAINT-HILAIRE Étienne (1772-1844): 101.
GEORGE Marguerite-Joséphine Weimer, dite Mlle (1787-1867): 105,231,232, 244, 369. GEORGES V, roi de Grande-Bretagne, empereur des Indes (1865-1936) : 389. GEORGES-MICHEL Michel, Georges Dreyfus, dit: 41. GÉRALDY Paul (1885-1983) : 20. GÉRARD Jules (1817-1864): 178-179. GÉRARD Louise-Rose, Mme Edmond Rostand, pseudonyme Rosemonde (18711953): 65, 217. GÉRAUDEL: 293. GÉRICAULT Théodore (1791-1824) : 90, 103, 105, 124. GÉRIN René (1862-v. 1895): 21, 64, 424. GERMAIN André (1881-1964) : 33, 76, 181, 378, 456. GÉROME Jean-Léon (1824-1904) : 22, 92, 107, 179-182, 298, 306, 405, 458. GERVEX Henri (1852-1929) : 21, 92, 96, 143, 429. GÉRY-PIERET : 294. GEYER Ludwig (t1821) : 463. GHEUSI Pierre-Barthélémy (1865-1943) : 162, 181, 229, 306. GHIKA princesse. Voyez POUGY. GIDE André (1869-1951) : 25, 92, 160, 167, 250, 381. GIDEL Henri: 131. GIGOUX Jean (1806-1894) : 23, 262, 351. GILBERT DE VOISINS Alfred, comte de (1804-1863): 286. GILBERT DE VOISINS comtesse Alfred. Voyez TAGLIONI Marie. GILBERT DE VOISINS Augusto, comte (1877-1939): 225, 286-287, 376. GILBERT DE VOISINS Mme Augusto. Voyez HEREDIA Louise de. GILBERT DE VOISINS Georges, comte (1843-1896): 286. GILBERT DE VOISINS Sozonga Ralli, comtesse Georges (1857-1906) : 286. GILL André Gosset de Guines (18401885): 84. GILLE Philippe (1831-1901) : 22. GILLET Louis (1876-1943) : 94, 226. GIOTTO di Bondone (1266-1337) : 99. GIRARD Marie-Hélène: 22, 452, 470.
518 GIRARDIN Delphine Gay, Mme Émile de, pseudonyme Vicomte de Launay (18041855) : 51, 62, 70, 79, 149, 197, 200, 207, 231, 241, 267, 306, 308, 337, 342, 369-370, 415. GIRARDIN Émile de (1806-1881) : 68, 78, 141, 241, 412. GIRAUD Eugène (1806-1881) : 78, 301, 302. GIRAUD Victor-Julien (1840-1871) : 302. GIRAUD Victor (1868-1953) : 408. GIRAUDOUX Jean (1882-1944): 131, 294. GIRODET DE ROUCY TRIOSON AnneLouis, dit Girodet-Trioson (1767-1824) : 82. GISCARD Edmond Valéry: 216. GLAIZE Auguste-Barthélémy (18071893): 99, 298. GLAIZE Pierre-Paul-Léon (1842-1932) : 298. GLASER Philippe-Emmanuel: 58, 59. GLATIGNY Albert (1839-1873) : 59, 100, 174. GLEYRE Charles-Gabriel (1808-1874) : 89, 179. GLINKA Mikhaïl Ivanovitch (18041857): 183-187. GLUCK Christoph Willibald von (17141787): 18, 164, 186. GOBERT Jacques, général baron (17701808): 101. GOBINEAU Joseph Arthur, comte de (18161822): 63, 109, 403. GODARD Benjamin (1849-1895) : 429. GODEBSKA Misia. Voyez SERT. GODEBSKI Cyprian (1835-1909) : 25, 63, 173. GODILLOT Alexis (1816-1893) : 461. GŒTHE Johann-Wolfgang von (17491832): 26, 102, 147, 169, 182, 187189, 214, 215, 334, 375, 415. GOHIER Louis-Jérôme (1746-1830): 101. GOHIN Yves: 241. GOLDMARK Kàroly (1830-1915) : 263. GOLOUBEV Nathalie, Mme Victor de (t1941): 66. GONCOURT Huot de, Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) : 30, 33, 47, 54, 56,
58, 59, 60, 62, 67, 78, 88, 95-96, 99, 100, 106, 107, 108, 109, 111, 115, 119, 120, 126, 129, 130, 132, 136, 137, 139, 140, 147, 148, 152, 153, 160, 162, 170, 173, 176, 189-193, 194, 221, 226, 233, 238, 240, 254, 256, 263, 268, 275, 289, 301, 303, 306, 309, 320, 329, 330, 336, 342, 361, 363, 365, 369, 372, 373, 378, 387, 396, 397, 399, 400, 407, 409, 411-412, 413, 414, 428, 429, 434, 436, 443-444, 447, 448, 449, 450, 459, 469. GOSSEC François-Joseph Gossé, dit (17341829): 279. GOSSELIN capitaine: 438. GOSSELIN Geneviève (1791-1818) : 202. GOT Edmond (1822-1901) : 105, 332. GOUDEAU Émile (1849-1906) : 461. GOUDEMARE Sylvain: 144-145. GOUJON Jean-Paul: 165, 293, 381, 382, 425. GOULD Anna, comtesse Boniface de Castellane, duchesse de Talleyrand (18751961): 276. GOUNOD Charles (1818-1893): 18, 33, 35, 49, 56, 57, 102, 108, 186, 188, 193196,217,229,263,311,331,339,394, 429, 430, 461. GOUNOUILHOU Jean: 229-230. GOUPIL Adolphe (1806-1893): 180, 298. GOURGAUD Gaspard, général baron (17831852): 50. GOURJAULT Olivier, comte de : 69, 196197, 434. GOURMONT Jean de (1877-1928) : 163. GOURMONT Remy de (1858-1915) : 21, 38, 191, 222, 258, 265, 268, 277, 352. GOUVION SAINT-Cyr Laurent, marquis de, maréchal de France (1764-1830): 101. GOUVION SAINT-Cyr Laurent, marquis de, né en 1915 : 71, 78, 262. GOUZIEN Armand (1839-1893) : 99, 100, 101, 164, 187. GOYA Y LUCIENTES Francisco de (17461828): 329, 352. GOY AU Georges (1869-1939) : 76. GOZLAN Léon (1803-1866) : 306, 349. GOZZI Carlo (1720-1806): 182. GRAHAM Martha (1894-1991) : 287. GRAHN Lucile (1821-1907) : 200, 287.
519 GRAMONT Corisande de, comtesse G. de Brigode de Kemlandt (1850-1935) : 92. GRAMONT Élisabeth de, duchesse de Clermont-Tonnerre (1875-1954): 42, 159, 211, 226, 356, 379. GRANDSAGNE Stéphane Ajasson, vicomte de (1802-1846) : 415. GRANDVILLE Jean-Ignace-Isidore Gérard, dit (1803-1847): 23, 349. GRANIER Jeanne (1852-1939) : 45, 274, 340. GRANTZOW Adèle (1845-1877) : 209. GRAS SINI Josephina, comtesse Ragani (1773-1850): 206. GRA VELOT Hubert-François Bourguignon d'Anville, dit (1699-1773): 141. GRAZIANI Francesco (1828-1901) : 138, 394. GREAVES Roger: 329. GRÈCE Olga, grande-duchesse de Russie, épouse de Georges 1er, roi des Hellènes, reine de (1851-1926): 142. GRECO Domenicos Theotokopulos, dit le (v. 1540-1614): 239. GREFFULHE Cordelia, comtesse de Castellane (1796-1847): 83, 276. GREFFULHE Elisabeth de CaramanChimay, comtesse (1860-1952) : 31, 35, 91-92, 195, 272, 405, 423, 442. GREFFULHE Henry, comte (1848-1932) : 31. GREGH Fernand (1873-1960) : 250, 257, 413, 439. GRÉGOIRE XVI fra Mauro Cappellari (1765-1846): 266, 356. GRÉTRY André (1741-1813) : 41. GREVEDON Pierre-Louis, dit Henri (17761860): 202. GRÉVY Jules (1807-1891) : 75. GRIEG Edvard Hagerup (1843-1907) : 58. GRIGNAN François-Marguerite de Sévigné, comtesse de (1646-1705): 292. GRIMBERGHE Edmond, comte de (18651920): 181. GRINGO IRE Pierre (v. 1475-v. 1539) : 24, 122, 197-198, 359. GRISAR Albert (1808-1869) : 392. GRISI Carlotta (1819-1899) : 28, 67, 69, 80, 95, 96, 97, 122, 127-128, 135, 142,
150, 151-152, 157, 170, 178, 182, 197, 198-202, 203, 204-205, 207, 208, 209, 210, 231, 242, 255, 281, 286, 297, 298, 299, 328, 346, 353-354, 372, 420, 427, 434, 447, 448, 453. GRISI Ernesta (1816-1895) : 26, 69, 94, 97, 143, 146, 151, 157, 159, 172, 176, 177, 196, 197, 200, 202-205, 207, 208, 209, 226, 231, 240, 261, 264, 280, 281, 289, 300, 306, 329, 346, 394, 407, 443. GRISI Giuditta, comtesse Barni (18051840): 206 . GRISI Giulia (Julia) comtesse G. de Melcy, marquise de Candia (1811-1869) : 53, 87, 123, 139, 185, 202, 206, 206-208, 231, 287, 295, 296, 297, 333, 345, 394, 397, 456. GRISI Marie-Léontine, puis Ernestine Sainte-Hilaire. Voyez PINCHART. GRISI Mme Vincenzo, née Maria Boschetti, dite Mammina (t1862) : 200, 208-210, 342. GROS Antoine, baron (1771-1835) : 205. GROSNIER François-Louis (1792-1868) : 113. GROSS Valentine, Mme Jean Hugo (18871968): 238. GRUAU Charlotte-Pauline Hallez, Mme Félix (t1858): 210. GRUAU Félix: 210. GRUMBACH: 299. GRUS L. (t1884): 57. GUADALCAZAR marquise de : 210-212. GUAÏTA Stanislas, marquis de (18611897): 455-456. GUARNERI Giuseppe Antonio (16981744): 428 . GUÉRARD Henri (1846-1897) : 30. GUÉRIN-BOUTRON : 293. GUEST Ivor: 122-123, 182, 200, 201. GUICCIARDI Giulietta, comtesse de Gallenberg (1784-1856): 39. GUICHARD Léon: 41,424,448. GUIERRE Georges: 171. GUIGNES Chrétien-Louis de (1759-1845) : 213. GUILBERT Yvette, Mme Max Schiller (1864-1944): 93, 112, 274.
520 GUILLAUME II, roi de Prusse, empereur d'Allemagne (1859-1941): 116. GUILLAUME III, roi des Pays-Bas (18491890): 104. GUILLAUME Eugène (1822-1905) : 47. GUILLAUME DE LORRIS (xIIIe s.) : 213214. GUILLAUMET Henry (1902-1940) : 171. GUILLEMIN Henri: 449. GUIMARD Marie Madeleine, Mme Jean Despréaux (1743-1816): 136. GUIMET Émile (1836-1918) : 347, 438. GUIMOND Esther (t1879): 118. GUIRAND Félix: 429. GUIRAUD Ernest (1837-1892): 102, 230, 429. GUITRY Lucien (1860-1925) : 429. GUITRY Sacha (1885-1957) : 80, 325. GUIZOT François (1787-1874): 14, 32, 276, 321. GUTIERREZ Antonio Garcia (1812-1884) : 441. GYP. Voyez MARTEL de. HABENECK François-Antoine (17811849): 307, 347, 464. HACHETTE: 191, 292, 344, 346, 436. HADRIEN ou Adrien, empereur romain (76138): 458. HAENDEL Georg Friedrich (1685-1759) : 17, 185, 407. HAFIZ (v. 1309-v. 1389): 156, 214217, 264, 402. HAHN Reynaldo (1875-1947) : 41, 56-57, 96, 126, 139, 302, 325, 326, 391. HALÉVY Élias Lévy, dit Fromental (17991862): 102, 127, 129, 212-213, 419. HALÉVY Geneviève. Voyez STRAUS. HALÉVY Ludovic (1834-1908) : 339. HALLAYS-COËTQUEN Gaston, marquis du: 379. HAMELIN Jeanne-Geneviève-Fortunée Lormier-Lagrave, Mme Antoine (17761851): 35, 51, 139, 245, 249, 465. HANOTAUX Gabriel (1853-1944) : 89. HANSKA Mme. Voyez BALZAC. HAQUETTE Georges-Jean-Marie (18541906): 46.
HARAUCOURT Edmond (1856-1941) : 437. HAREL Jean-Charles (1790-1846): 113, 244. HARMAND D'ABANCOURT Louis (17741850): 406. HARPIGNIES Henri (1819-1916): 137. HARRY Myriam Schapira, Mme Émile Perrault, dite Myriam (1875-1958) : 64, 88, 190, 191, 192, 403. HARTMANN: 37, 163. HASSAN (625-669) : 32. HASSAN-IBN-SABBAH (v. 1056-1124) : 68. HASSE Johann Adolph (1699-1783): 185. HAURÉAU Barthélémy (1812-1896) : 355. HAUSSMANN Georges-Eugène (18091891): 102, 328. HAVAS DE GUEHMEURE Zoltan : 385. HAYDN Franz-Joseph (1732-1809): 185. HÉBERT Ernest (1817-1908) : 33, 106, 107, 181, 193, 194, 217-218, 301, 302, 366, 397, 406, 417. HÉBERT Gabrielle d'Uckermann, Mme Ernest (1853-1934): 218. HÉDOUIN Pierre-Edmond-Alexandre (18201889): 24. HÉGLON Marie Willemsen, Mme Divoire, dite Meyriane: 58. HEINE Crescence- Eugénie Mirat, Mme Heinrich (1815-1883): 218-219, 220. HEINE Heinrich (1797 ou 1799-1856) : 15, 48, 61, 133, 151, 160, 163, 182, 218-220, 230, 284, 296, 328, 335, 336, 339, 354, 415, 463. HELDY Fanny, Mme Marcel Boussac (1888-1973): 162. HELLEU Paul (1859-1927) : 21, 181, 429. HELLO Ernest (1828-1885) : 437. HENCKEL DE DONNERSMARCK Guido, comte, né en 1830: 33, 119. HENCKEL DE DONNERSMARCK comtesse. Voyez P AÏV A.
HENNER Jean-Jacques (1829-1905) : 397. HENNI QUE Léon (1831-1935) : 81, 190, 375. HENRI III (1551-1589), roi de France (1574-1589): 220.
521 HENRI IV (1553-1610), roi de Navarre (1562-1610), roi de France (1589-1610) : 146, 220, 330. HENRIOT Émile (1889-1961) : 46. HEREDIA Cécile-Louise d'Espaigne, Mme José-Maria de (1848-1928): 222, 223, 225. HEREDIA Don Domingo de (1786-1849) : 222. HEREDIA Hélène de, Mme Maurice Maindron, Mme René Doumic (18711953): 222-226. HEREDIA José-Maria de (1842-1905) : 22, 25, 43, 47, 111, 117, 132, 145, 162, 166, 175, 192, 198, 220-226, 257, 273, 290, 302, 307, 339, 361, 380, 381, 448. HEREDIA Louise de, Mme Pierre Louys, Mme Augusto Gilbert de Voisins (18781930): 167, 222, 224, 225, 229, 286. HEREDIA Marie de, Mme Henri de Régnier, pseudonyme Gérard d'Houville (18751963): 222, 224, 225, 302. HERMANN. Voyez COHEN. HERMANT Abel (1862-1950) : 56, 78, 274. HÉROLD André-Ferdinand (1865-1940) : 382. HERRIOT Édouard (1872-1957) : 83. HERSCHELL sir William (1738-1822) : 282. HERST Auguste-Clément, né en 1825 : 107, 226 228 . HERVÉ Édouard (1835-1899) : 290. HERVÉ Florimond Ronger, dit (18251892): 453. HERVIER Louis-Adolphe (1818-1879) : 412. HERVIEU Paul (1857-1915) : 198, 359, 413. HERZ Henri (1803-1888): 118,441. HERZ Jacques (1794-1880): 118,441. HÉSIODE (vIlle s. avo I.-C.) : 188, 350. HETZEL Pierre-Jules (1814-1886) : 108, 226, 262, 266, 277, 330, 336, 415. HEUGEL Henri-Georges (1844-1916) : 37. HEUZEY J.-Ph. : 77. HIDALGO Elvira de (1888-1980) : 441. HILLEMACHER Eugène-Ernest (18181887): 229.
-
HILLEMACHER Lucien (1860-1909) : 229. HILLEMACHER, née Mattei, Mme Puget, Mme Lucien: 229. HILLEMACHER Paul (1852-1933) : 228230. HILLEMACHER Reine Lhomme, Mme Paul: 228-229, 440. HOFFMANN Ernst-Theodor-Amadeus (1776-1822): 16, 230-231, 239, 267, 338, 339, 340, 422, 427. HOFFMANSTHAL Hugo von (18741929): 426. HOGARTH William (1697-1764): 141, 313, 329, 457. HOHENZOLLERN, famille: 119. HOLIDAY Henri (1839-1927) : 99. HOLMÈS Augusta May Anne (18471903): 19,57-58,59,63,96, 144, 161, 162, 164, 186, 194, 195, 257, 284, 293, 302, 305, 325, 331, 344, 349, 366, 381, 441, 448, 454. HOLMES C.W.S. Dalkeith, major (17981869): 305. HOMÈRE (Ixe s. avo I.-C.) : 55, 83, 188, 249, 306, 340, 350. HONORÉ Charles-Honoré Rémy, dit (17931858): 451. HORTENSE, née de Beauharnais, épouse de Louis Bonaparte, reine de Hollande (17831837): 128, 300, 331. HOSSEIN Robert, né en 1927 : 392. HOUDINI (1874-1926) : 388. HOUSSAYE Albert: 232, 269. HOUSSAYE Arsène (1815-1896) : Il, 14, 30, 53, 56, 70, 71, 84, 94, 96, 97, 108, 125, 135, 207, 226, 231-233, 238, 269, 278, 336, 339, 355, 380, 387, 392, 412, 427, 444, 459, 461. HOUSSAYE Édouard: 14. HOUSSAYE Henry (1848-1911) : 231, 269, 459. HOUSSAYE Jane della Torre, Mme Arsène: 231. HOUSSAYE Stéphanie, dite Fanny, Bourgeois de La Valette, Mme Arsène (1826-1854): 231. HOUVILLE Gérard d'. Voyez HEREDIA, Marie de.
522 HOWARD Elizabeth Ann Haryett, comtesse de Beauregard, comtesse de Béchevet, Mrs. Charles Trelawnay (1823-1865): 433, 466. HROSWITHA (v. 935-v. 973) : 326. HÜE Georges (1858-1948) : 40. HUET Honorine: 342. HUET Paul (1803-1869): 141. HUGO Abel (1798-1855) : 233, 234, 262. HUGO Adèle Foucher, Mme Victor (18031868) : 35, 82, 84, 121, 234, 236, 239, 240-249, 262, 305, 310, 337, 348, 364, 386, 409. HUGO Adèle (1830-1915) : 61, 233, 234, 240, 246-248. HUGO Alice Lehaëne, Mme Charles H., puis Mme Édouard Lockroy: 95, 237, 240. HUGO Charles (1826-1871) : 61, 84, 140, 233-237, 239-241, 248, 262, 308, 386. HUGO Eugène (1800-1837) : 233-234, 243. HUGO François-Victor (1828-1873): 140, 233, 234, 236, 239-240, 308, 342. HUGO Georges (1867-1868) : 236. HUGO Georges (1868-1925) : 61, 95, 236, 238, 240, 352, 449. HUGO Jean (1894-1984): 13, 61, 100, 238, 423. HUGO Jeanne, Mme Léon Daudet, Mme Jean Charcot, Mme Michel Negroponte (1869-1941): 61, 95, 236238. HUGO Julie Duvidal de Montferrier, Mme Abel (1797-1865): 234. HUGO Léopold-Sigisbert, général (17731828): 233-234, 238, 243. HUGO Léopoldine, Mme Charles Vacquerie (1824-1843): 84, 233, 234, 239, 305, 348, 449. HUGO Pauline Menard-Dorian, Mme Georges: 238. HUGO Sophie Trébuchet, Mme Léopold (1772-1821): 233, 234, 242, 243, 244. HUGO Victor (1802-1885): 249-255, passim. HUMIÈRES Robert d' (1868-1915) : 65. HURET Jules (1864-1915) : 67, 222, 290.
HUSSON Adèle Sauvel, Mme Émile (t1894): 111. HUSSON Émile (t1889): 111. HUYSMANS Georges-Charles, dit JorisKarl (1848-1907) : 96, 190, 193, 249, 367, 440, 456. HYACINTHE Louis-Hyacinthe Duflost, dit (1814-1887): 358. HYPATIE (v. 370-v. 415) : 255-258, 362. IBROVAC Miodrag: 117,221,448. IMBERT Hugues (1842-1905) : 349. INGHELBRECHT Désiré-Émile (18801965): 423. INGRES Dominique (1780-1867) : 79, 105, 106, 121, 123, 124, 193, 217, 312, 416, 428, 434, 458. ISABELLE II Marie-Louise, dite, reine d'Espagne (1830-1904): 259-260,405. ISABEY Jean-Baptiste (1767-1855): 105, 422. ISA YAMA Reikiti : 292. ISTOMINA Eudoxie (1799-1848) : 202. IVES Charlotte, lady Sutton: 83. IVRY Camille d'. Voyez FRANCE Anatole. JACOB Max (1876-1944) : 238. JACOB "le bibliophile", Paul Lacroix, dit (1806-1884): 268. JACQUET Jean-Gustave (1846-1909) : 143. JADIN Louis-Godefroy (1805-1882) : 411. JAËLL Marie Trautmann, Mme Alfred (1846-1925): 118. JALABERT Louis: 88. JALOUX Edmond (1878-1949) : 224, 470. JAMMES Francis (1868-1938) : 80, 222, 430. JAN Laurent: 61. JANIN Jules (1804-1874) : 90, 106-107, 127, 207, 231, 336, 340, 349, 369, 464. JANINA Olga: 284. JARRY Alfred (1873-1907) : 272, 326, 327. JASINSKI René: 71, 261, 351, 362, 367. JAUBERT Caroline d'Alton-Shée, Mme Maxime (1803-1882): 184, 219, 220, 327.
523 JAURÈS Jean (1859-1914): 161. JEAN saint, dit Jean l'Évangéliste (t v. 100): 460. JEAN Gloria, née en 1926 : 18. JEAN-AUBRY Georges (1882-1949) : 52. JEANNE René: 388. JEANNE d'ARC (1412-1431) : 33. JEANNIOT Pierre-Georges (1848-1934) : 30, 271. JEANRON Philippe-Auguste (1808-1877) : 452. JÉSUS ou JÉSUS-CHRIST (vers 7 ou 6 avo notre ère - 30) : 89, 263, 384, 460. JOANNY Jean-Baptiste Brisebarbe, dit (1775-1849): 125. JOCONDE Monna Lisa Gherardini, épouse de Francesco deI Giocondo, dite la (xve-xvIe s.): 294. JOHANNOT Alfred (1800-1837) : 262, 422. JOHANNOT Charles (1798-1825) : 262, 422. JOHANNOT Tony (1803-1852): 187, 262-263, 337, 349, 422. JOINVILLE François d'Orléans, prince de (1818-1900): 50, 324, 369, 444. JOLLIVET Gaston (1842-1927): 100, 107, 119, 259, 282. JONCIÈRES Félix Lutger Rossignol, dit Victorin de (1839-1903) : 429. JONNART Célestin (1857-1927) : 439. JOSEPH Laurence A. : 307. JOSÉPHINE Marie-Josèphe Tascher de La Pagerie, vicomtesse de Beauharnais, générale Bonaparte, impératrice (17631814): 118, 128. JOSUÉ, successeur de Moïse à la tête des Hébreux: 263. JOUBERT Joseph (1754-1824) : 55, 83. JOUHANDEAU Elisabeth Toulemon, dite Caryatis, dite Élise, Mme Marcel (18881971): 13. JOUVET Louis (1887-1951) : 238. JOUY Victor-Étienne de (1764-1846) : 118, 323. JUIN Hubert (1926-1987) : 268, 413. JULIEN Noël, dit Stanislas (1797-1873) : 34, 263-264, 351, 374.
JULLIAN Philippe Simounet, dit Philippe (1919-1977): 163, 367. JUNOT. Voyez ABRANTÈS d'. JUVEN Félix: 41, 383. JUVÉNAL Decimus Junius Juvenalis (v. 60v. 140): 99. KALERGIS Marie Nesselrode, Mme Charles K., puis Mme Serge Muchanov (1822-1874): 284. KARAGEORGEVITCH prince Bogidar (1862-1908): 168, 382, 383, 424. KARDEC Alan, H.-L.-D. Rivail, dit (18031869): 257. KARR Alphonse (1808-1890): 15, 130, 226, 231, 244, 247, 349, 431. KARSA VINA Tamara (1885-1978) : 287, 392, 467. KARSTEN Sophie Edwige, Mme Philippe Taglioni (1783-1862): 287. KELLER Marie-Victoire de Riznic [Riznitch], comtesse Édouard Théodorovitch K., puis Mme Charles Saint-Yves, marquise d'Alveydre (18271895): 23, 62. KHEY AM Omar (xIe-xIIe s.) : 264-265, 376, 403. KLUMPKE Anna (1856-1945) : 404-405. KOCK Paul de (1794-1871): 265-266, 306, 430. KOLNEY Ferdinand Pochon, dit Fernand (1868-1930): 290. KOMIOZI Mitsoudo : 436. KONING Victor, Dr (1842-1894): 107. KOREFF David-Frédéric (1783-1851) : 230. KORSAKOFF Alexandre-Michel, dit Rimski, général (1753-1840): 364. KRACAUER Siegfried (1889-1966) : 340. KRATZ Arthur, baron (1831-1911) : 266267. KRAUSS Marie-Gabrielle (1842-1906) : 57, 213, 394. KREISLER. Voyez HOFFMANN. KRELSAMER Belle, dite Mélanie Serre: 124. KREUTZER Conrad (1780-1849) : 349. KRINITZ Elisa. Voyez SELDEN. KUBRICK Stanley (1928-1999) : 433.
524 KIJFFERATH Hubert-Ferdinand (18181896): 465. KUFFERATH Maurice (1852-1919): 465. KWIATKOWSKI: 86. LABARRE Théodore (1805-1870) : 286. LABAY Catherir~e (1794-1868): 115. LABICHE Eugène (1815-1888) : 34, 282, 359. LA BIGNE Louise-Lucie Delabigne, dite Valtesse de (1848-1910): 120, 121, 143, 327, 340. LABLACHE Luigi (1794-1858) : 57,267, 287, 418. LABORDE Léon, 111arquisàe (1807-1869) : 448. LABORI Fernand (1860-1917): 161. LA BOlTRDONN~~ISBertrand-Francois ~ahé de (1699-1755): 389. LABRUNIE Dr: 84, 334. LACAMBRE Geneviève: 22. LACAUSSADE Auguste (1817-1897) : 410. LACHAT-BERLIOZ Sacha, né en 1892 : 292. LACH~ANN Thérèse. Voyez PAÏv A. LACOMBE Georges (1868-1916) : 326. LACORDAIRE Henri, le Père (18021861): 193, 370. LACOSTE-VEYSSEYRE Mme C~laudine: 32, 124. LA.CROIX AlbeLt (1834-1903) : 257, 268, 269, 314. LACROIX Caroline Rze\vuska, Mme Jérôme Sobanski, l'vlme Stéphane Chirco\vicz, rvlme Jules (1795-1885): 268. L.A.CROIX Jules (1809-] 887) : 23, 267269. LACROIX Octave, né en 1827 : 267, 410. LACROIX Paul. Voyez JACOB HIe bibliophile" . LACROIX Raymond: 198. LAFERRIÈRE Adolphe (1806-1877): 112113. LAFITTE AleY.andre (1830-1877) : 269273. Lp.FITTE Alphonsine, Mnle AJexandre : 270.
LAFITTE Pierre: 36, 340, 341. LL\ FONTAINE Jean de (1621-1695) : 140, 277. LA FONTAINE ~lle Fontaine, dite de (1655-1738): 287. LA FONT DE SAVINE Réginald, marquis de: 384-385. LA GANDARA Antonio de (1862-1917): 65, 91, 346. LAC;RENÉE Théodore-Joseph, marquis de (1800-1862): 66. LAGUERRE Georges (1858-1912) : 406. LAHOR Jean. Voyez CAZALIS. LAl-IORIE Victor Fanneau de, général (1766-1812): 234. LA JEUNESSE Ernest (1874-1917) : 347. LALIQUE René (1860-1945) : 91. LALLY Thomas, baron de Tollendal, comte de (1702-1766): 389. LALO Pierre (1866-1943) : 270, 463. LALO"Y Louis (1874-] 944): 118, 376377. LA~ARTINE Alphonse de (1790-1869): 22, 64, 82, 184, 188, 2261 236, 245, 263, 264, 270, 277, 301, 327, 328, 330, 337, 338, 349, 354, 412. LA~BALLE ~arie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan, princesse de (17491772): 94. Lp..MBERT Albert (1847-1918): 105. LAMBERT Albert fils, Raphaël (1865194]): 292. LAMBERT Maurice de, né en 1873 : 45. LAMENNAIS Félicité de (1782-1854) : 65, 193, 283, 415. LAM! Eugène-Louis (1800-1890) : 202, 302. LA MOTI'E-FOUQUÉ Friedrich, baron de (1777-1843): 230. LAMOUREUX Charles (1834-1899) : 40, 329, 345, 348. LAMY Édouard, abbé (1853-1931): 384. LAMY É.ticnne (1845-1919) : 47. LAMY Franc, dit Franc-Lalny (18551919): 272. LANDELLE Charles (1821-1908) : 69, 281. LANDOR.~'lY Charles-René, djt Paul (1869., 1943): 17, 418.
525 LANDOWSKI Paul (1875-1961) : 186. LANNEAU Victor de : 408. LANQUEST maître: 112. LAO-TSEU (vIe ou ve s. avoJ.-C.) : 344. LAPARRA Raoul (1876-1943) : 40. LA PRUNARÈDE Adèle, comtesse de: 283. LARA Cohen, dit Isidore de (1858-1935) : 429. LARGUIER Léo (1878-1950) : 381. LARNAC Jean: 310. LA ROCHEFOUCAULD comte Antoine de (1862-1960): 227. LA ROUNAT Charles de (1818-1884) : 273-274, 300, 407. LAROUSSE: 105, 136, 180, 200, 266, 279, 349, 398, 418, 450. LARROUMET Gustave (1852-1903) : 344. LAS CASES Emmanuel, comte de (17661842): 50. LASSUS SAINT-GENIÈS, baronne de, née Gounod: 193. LASZLà DE LOMBOS Philippe-Alexius (1869-1937): 92. LATINI Maria: 256. LATOUCHE Hyacinthe-Joseph Thabaud, dit Henri de (1785-1851) : 214, 415. LATOUR DE SAINT-YBARS Isidore Latour, dit (1807-1891): 68, 369. LA TOUR DU PIN marquise de (17701853): 83. L'AULNOIT Béatrix de : 433. LAUNA Y vicomte de. Voyez GIRARDIN Mme de. LAURENS: 229. LAURENS Jean-Paul (1838-1921) : 278. LAURENT Marie-Anne Louviot, dite Méry (1849-1900): 96. LAUTH-SAND Aurore Dudevant, Mme Frédéric Lauth, dite Mme (18661961): 416. LAUTRÉAMONT Isidore Ducasse, dit comte de (1846-1870): 268. LAUZUN Antonin Nompar de Caumont La Force, duc de (1633-1723) : 432. LAVALLIÈRE Eugénie Fenoglio, dite Ève (1866-1929): 45. LA VALLIÈRE Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de (1644-1710) : 274275, 326.
LA VAULX Henry, comte de (1870-1930) : 273. LAVERDET Marcel-Gustave, né en 1816 : 411. LAVIARD Gustave-Achille: 273. LAVIGNAC Albert (1846-1916) : 163. LAVOIX Michel-Henri (1820-1892) : 275-276. LAWRENCE Thomas (1769-1830) : 141. LEBEY André (1877-1938) : 224. LEBIGRE-DUQUESNE: 128. LEBLANC Georgette (1869-1941) : 341, 376. LEBLANC Léonide (1842-1894) : 332. LEBLANC Maurice (1864-1941) : 341. LEBLOND Alexandre (1679-1719) : 197. LE BON Gustave, Dr (1841-1931) : 257, 437. LEBOUR Alexandre: 335. LE CARPENTIER Adolphe-Clair (18091869): 318, 319. LECOCQ Charles-Alexandre (1832-1918) : 107, 126. LECOMTE Claude-Martin, général (v. 1818-1871): 237. LECOMTE Jules (1810-1864) : 207. LECOMTE DU NOUY Jean-Jules-Antoine (1842-1923): 21. LECONTE DE LISLE Anne-Adélaïde Perray, Mme Charles (1833-1916): 448. LECONTE DE LISLE Charles-Marie Leconte, dit (1818-1894): 19, 24, 25, 26, 29,64,99, 117, 144, 160, 163, 164, 165, 174-175, 191, 198, 221, 222, 223, 232, 239, 249, 253, 255, 257, 268, 269, 277, 290, 310, 337, 344, 353, 365, 380, 389, 402, 421, 448, 453, 459, 465. LEDOUX Claude-Nicolas (1736-1806) : 155. LEFÈVRE Anne-Marie, Mme Ernest: 278, 451. LEFÈVRE Ernest (1833-1889) : 239, 451. LEFÈVRE-UTILE: 293. LE FLÔ Adolphe, général (1804-1887) : 315. LEFORT Henri-Émile, né en 1852 : 21. LE GOFFIC Charles (1863-1932) :160, 305.
526 LEGOUVÉ Ernest (1807-1903): 108, 307, 370. LE HON Fanny Mosselmann, comtesse Charles (1808-1880): 406. LEKAIN Henri-Louis Cain, dit (17291778): 431. LELEUX Adolphe (1812-1891) : 278279. LEMAIRE Madeleine ColI, Mme (18451928): 129, 291-292. LEMAÎTRE Antoine-Louis-Prosper, dit Frédérick (1800-1876) : 23, 150 , 244, 252, 350, 450. LEMAITRE Jules (1853-1914) : 64, 132, 133, 143, 161, 226, 274, 359. LEMÉNIL Louis (1800-1872) : 265. LEMERCIER Népomucène (1771-1840) : 307. LE MERCIER D'ERN : 47. LEM ERRE Alphonse (1838-1912) : 30, 46, 174, 221, 222, 223, 448. LEMOINE Adolphe, dit Lemoine-Montigny (1805-1880): 319. LEMOINE Gustave (1802-1885) : 319. LEMOINNE John (1815-1892) : 83. LÉMOT François-Frédéric, baron (17721827): 220. LEMOYNE Henry (1786-1854) : 57. LENBACH Franz-Seraph von (18361904): 21 . LENCLOS Anne, dite Ninon de (16231705): 291. LENORMAND H.-R. : 36. LENORMANT Geoffroy: 408. LENOTRE Théodore Gosselin, dit G. Lenotre (1857-1935): 438. LÉON X, Jean de Médicis (1475-1521) : 460. LÉON Léonie (1838-1906) : 351. LEONCAVALLO Ruggero (1858-1919) : 40. LÉONCE Édouard Nicole, dit (1823-1900) : 340. LEOPARDI Giacomo, comte (1798-1837) : 82. LEPLUS Gabriel: 335. LE POITTEVIN Alfred (1816-1848) : 132. LEROUX Pierre (1797-1871): 185, 415. LEROY Léon, né en 1832 : 462, 465.
LESBIE, Clodia Metella, dite, maîtresse de Catulle: 160. LESCLIDE Richard (1825-1892) : 234, 251, 435. LES CURE Maurice: 35. LESSEPS Ferdinand, vicomte de (18051894): 257. L'ESTOILE Pierre de (1546-1611) : 220. LE SUEUR Jean-François (1760-1837) : 349. LESUEUR Jeanne Loiseau, Mme Henry Lapauze, dite Daniel (1860-1921) : 75, 190, 273, 406. LETHIÈRE Guillaume Guillon, dit (17601832): 124. LETOURNEUR Pierre (1736-1788) : 188, 239. LEV ADÉ Charles (1869-1948) : 229. LEV ALLOIS Jules-Prosper (1829-1903) : 410. LEVERRIER Urbain (1811-1877) : 282. LÉVI Éliphas. Alphonse-Louis Constant, dit (1810-1875) : 63, 89, 342, 343, 384, 465. LÉVY Michel (1821-1875) : 32, 354, 373, 468. LHOMME Alphonse-Jean-Denis (v. 18131866): 69, 279-282. LHOMME Reine-Félicité Courtet, dite Mme Régina (1826-1886): 69, 135, 228, 279-282. LHOMME Théophile-Félix (1850-1850) : 281. LIAO-SHY-KHONG: 341,436. LIEDEKERKE Arnould de : 468. LIÉGOIS ou LIÉGEOIS Caroline: 435. LIEVEN Dorothée de Benckendorff, princesse de (1784-1857) : 276. LIÉVENNE Anaïs: 240. LIÈVRE Édouard (1829-1886) : 120. LIFAR Serge (1905-1986): 122, 182, 199, 202, 298. LIHUS Marcel de : 93. LIMOSIN Léonard 1er (v. 1505-v. 1577) : 361. LIND Jenny, Mme Otto Goldschmitt (1820-1887): 183. LIOU SHE-SHUN: 436.
527 LIPHART Ernest-Friedrich, baron von, né en 1847: 320. LIPPMANN Marie-Alexandrine Dumas, dite Colette, Mme Maurice L., puis Mme Achille Matza (1860-1907): 116. LISZT Adam (1776-1827) : 283. LISZT Anna Laager, Mme Adam (17881866): 283. LISZT Blandine. Voyez OLLIVIER Mme Émile. LISZT Cosima. Voyez WAGNER Mme Richard. LISZT Daniel (1839-1859) : 283, 360. LISZT Franz (1811-1886) : 40, 48, 49, 57, 63, 65, 85, 86, 87, 90, 108, 130, 183, 184, 185, 186, 193, 194, 263, 267, 282285, 289, 319, 360, 373, 374, 394, 415, 416, 418, 463, 464, 465, 467. LI-TAÏ-PÉ (699-762): 156, 375-376. LITVINNE Françoise-Jeanne Schütz, dite Felia (1863-1936) : 36, 45, 58, 179, 181, 186, 196, 216, 274, 377, 424. LIVRY Emma (1842-1863): 285-287, 377. LOCKROY Édouard Simon, dit (18381913): 89, 100, 237, 401. LOCKROY Mme Édouard. Voyez HUGO, Mme Charles. LOCKROY Joseph-Philippe Simon, dit (1803-1891): 318, 401. LOEVE Karl (1796-1869) : 188. LOLIÉE Frédéric: 119. LONG Marie-Charlotte dite Marguerite, Mme Joseph de Marliave (1874-1966) : 36. LORCEY Jacques: 442. LORRAIN Paul Duval, dit Jean (18551906): 19, 21, 35, 63, 76, 77, 91, 92, 93, 117, 144, 160, 189, 272, 290, 293, 309, 380, 424. LOTI Julien Viaud, dit Pierre (1850-1923) : 22, 44, 47, 58, 64, 65, 80, 111, 148, 158, 163, 164, 171, 181, 211, 212, 237, 290, 293, 297, 302, 306, 311, 318-319, 340, 347, 348, 375, 383, 402, 403, 417, 423, 436, 437, 455. LOUBET Émile (1838-1929) : 75, 346. LOUIS 1er de Wittelsbach (1786-1868), roi de Bavière (1825-1848) : 283.
LOUIS II de Wittelsbach (1845-1886), roi de Bavière (1864-1886) : 360, 379, 445, 464. LOUIS XIII le Juste (1601-1643), roi de France (1610-1643): 386. LOUIS XIV le Grand (1638-1715), roi de France (1643-1715): 105, 159, 177, 274, 279, 326. LOUIS XV le Bien-Aimé (1710-1774), roi de France (1715-1774) : 75, 220, 303, 389. LOUIS XVI (1754-1793), roi de France (1774-1792): 75. LOUIS XVIII (1755-1824), roi de France (1814-1824): 75, 118, 321. LOUIS-PHILIPPE 1er (1773-1850), roi des Français (1830-1848) : 75, 92, 105, 150, 245, 259, 279, 295, 401, 421, 444, 465. LOUVOIS Michel Le Tellier, seigneur de Chaville, marquis de (1641-1691) : 322. LOUYS Pierre Louis, dit Pierre (18701925): 16, 63, 64, 92, 128, 144, 165168, 198, 211, 212, 224, 225, 228, 230, 257, 286, 290, 293, 381, 382, 438-439. LOUYS Mme Pierre. Voyez HEREDIA, Louise de. LOWE sir Hudson (1769-1844) : 68. LOYNES Jeanne Detourbey, comtesse Edgard de (1837-1908) : 85, 132, 180, 231. LUBIN Georges (1904-2000) : 414. LUCAS-DUBRETON 1. : 106,372. LUGUET Dominique-Esprit Bénéfant, dit René (1813-1904): 114, 265, 386. LUGUET Georges (1843-1848): 114. LULLI Jean-Baptiste (1632-1687) : 288. LUMIÈRE Auguste (1862-1938) : 388. LUMIÈRE Louis (1864-1948) : 388. LURIEU Gabriel de (1799-1889) : 392. LUZARCHE Robert: 88. LYAUTEY Louis-Hubert, maréchal de France (1854-1934): 455, 459. MAC'A VOY Edouard (1905-1991) : 36. MACDONALD Jeanette (1901-1965): 18. MACHIAVEL Nicolo (1469-1527) : 465. MAC-MAHON Edme-Patrice de, duc de Magenta, maréchal de France (18081893): 33, 75, 143.
528 MADARASZ Viktor de (1830-1917): 289-290. MADRAZO y GARRETA Raimundo de (1841-1920): 92. MADRAZO y KUNST Federico de (18151894): 92. MAETERLINCK Maurice (1862-1949) : 376. MAGNIN Joseph (1824-1910) : 315. MAGRE Maurice (1877-1941) : 384. MAHOMET (v. 570 ou 580-632) : 79, 384. MAILLARD Auguste, né en 1864 : 59. MAILLART Louis-Aimé (1817-1871) : 317, 318. MAINDRON Hippolyte (1801-1884) : 225. MAINDRON Maurice (1857-1911) : 223, 225. MAINDRON Mme Maurice. Voyez HEREDIA Hélène de. MAIRET Jean: 216. MAISTRE Joseph, comte de (1753-1821) : 14, 58. MALATESTA Paolo (xIIIe s.) : 447. MALET Claude-François de, général (17541812): 234. MALHERBE François de (1555-1628) : 368. MALHERBE Henri: 294. MALIBRAN Maria Felicia Garcia, Mme Eugène M., puis Mme Charles de Bériot (1808-1836): 108, 109, 138, 183184, 199, 206, 232, 263, 267. MALLARMÉ Étienne, dit Stéphane (18421898) : 25, 26, 96, 160, 161, 174, 176, 222, 249, 307, 314, 454. MALLEFILLE Jean-Pierre-Félicien (18131868): 86. MALLET Félicia (1863-1928) : 93. MALO Charles (1790-1871) : 278, 367. MALO Henri: 71. MALOT Hector (1830-1907) : 246. MAME Alfred (1811-1893) : 95. MANCEAU Alexandre (1817-1865) : 415416. MANET Édouard (1832-1883) : 30, 74, 96, 101, 107, 143, 180, 303, 366, 421, 431. MANET Suzanne Leenhaff, Mme Édouard (1830-1906): 309
MANN Thomas (1875-1955): 188. MANTEGNA Andrea (1431-1506): 451. MANUEL Eugène (1823-1901) : 83. MANZONI Alessandro (1785-1873) : 296, 442. MAQUET Auguste (1813-1888): 113. MARBO Marguerite Appell, Mme Émile Borel, dite Camille (1883-1969) : 403. MARC Gabriel: 222. MARC AURÈLE (121-180) : 458,459. MARCELIN Émile Planat, dit (18301887): 320. MARCELLO Benedetto (1686-1739): 185. MARÉES Hans von (1837-1887) : 367. MARFORI Carlos, marquis de Loja y Callejas (1818-1892): 259. MARGUERITTE Ève: 26. MARGUERITIE Lucie: 26. MARGUERITTE Paul (1860-1918) : 26, 47, 190. MARGUERITTE Victor (1866-1942) : 26. MARIANI Angelo (1838-1914) : 293. MARIE sainte: 359, 384. MARIE Aristide: 227. MARIE Giselle: 227. MARIE de Médicis, reine de France (15731642): 220. MARIE-AMÉLIE de Bourbon des DeuxSiciles, reine des Français (1782-1866) : 121, 266. MARIE-ANTOINETTE, reine de France (1755-1793): 94. MARIE-LOUISE de Habsbourg-Lorraine, impératrice des Français (1791-1847) : 75. MARILHAT Prosper (1811-1847) : 353354, 468. MARIO DE CANDIA (1810-1883) : 85, 138, 187, 207-208, 235, 267, 285, 287, 295-297, 394, 397, 400. MARITAIN Jacques (1882-1973) : 23, 238. MARIUS CAÏUS (157-86 avo J.-C.) : 296. MARLIANI comte (1803-1849) : 207. MARMIER Xavier (1809-1892) : 231, 246. MARMONTEL Antoine-François (18161898): 101, 102, 319. MARMONTEL Jean-François (17231799): 454.
529 MARNI Jeanne Mamière, dite Jeanne (1854-1910): 75. MARRAS Jean (1837-1901) : 344. MARRAST Armand (1801-1852): 125. MARS Françoise Hippolyte Boutet, dite Mlle (1779-1847): 125, 370, 428. MARTEL DE JANVILLE Aymar-MarieRoger de (1873-1900) : 346, 455. MARTEL DE JANVILLE Nicole-Renée de, Mme Pierre d'Hugues: 346. MARTEL DE JANVILLE Sibylle-MarieAntoinette de Riqueti de Mirabeau, comtesse de, pseudonyme Gyp (18501932) : 91, 126, 129, 131, 346, 447, 455. MARTEL DE JANVILLE Thierry de, Dr (1876-1940): 131, 346. MARTINEZ Maria Gamboa, Mme (v. 1826ap. 1882): 273, 299-300. MARTINO P. : 54. MARX Karl (1818-1883) : 219. MARY de Teck, reine de Grande-Bretagne (1867-1953): 389. MASSÉ Félix-Marie, dit Victor (18221884): 349, 382. MASSÉNA André, duc de Rivoli, prince d'Essling, maréchal de France (17581817): 385. MASSENET Jules (1842-1912) : 36-38, 40, 45, 57, 58, 182, 189, 194, 229, 257, 325, 326, 378, 380, 405, 429. MAS SIN Léontine (1847-1901) : 409-410. MATA HARI Margaretha Zelle, Mme Mac Leod (1876-1917): 116,257. MATGIOI. Voyez POUVOURVILLE. MATHEY Paul (1844-1929) : 35. MATHILDE Bonaparte, princesse Demidoff, dite princesse (1820-1904): Il, 33, 5657, 62, 78, 99, 102, 109, 111, 115-116, 119, 125, 132, 139, 147, 148, 152, 217218, 222, 231, 244, 259, 275, 282, 300303, 306, 315, 332-333, 361, 366, 407, 409, 413, 447, 466, 469. MATIEl Louise-Pauline Herckenroth, Mme Dominique Mattei, dite Marie (18181902) : 69, 94, 135, 155, 172, 229, 261, 281, 407, 460. MAUBANT Fleury-Polydore (1821-1902) : 125. MAUCLAIR Camille (1872-1945): 165.
MAUGNY comte de : 466. MAUPASSANT Guy de (1850-1893) : 54, 102, 132, 289, 290, 380, 407, 429. MAUREL Victor (1848-1923) : 410. MAURIN Nicolas-Eustache (1799-1850) : 302. MAUROIS Émile Herzog, dit André (18851967): 112, 116, 350. MAURRAS Charles (1868-1952) : 297, 439. MAUTÉ Mathilde. Voyez VERLAINE. MAX Édouard-Alexandre, dit de (18691924): 429. MAYA. Voyez GAUTIER Judith. MAYER Eugénie, Mme Manuel Garcia (1818-1880): 183. MAYOL Félix (1872-1941) : 93. MAZADE Louis-Charles de (1820-1893) : 223. MAZILIER Joseph (1797-1868) : 200, 209. MAZURIER Charles (t1828) : 200. MAZZEI: 51. MAZZINI Giuseppe (1805-1872) : 295. MECK Nadejda Philaretovna Frolowsky, Mme von (1831-1894): 183, 229. MECKLEMBOURG duchesse de : 325. MÉDICIS, famille qui régna sur Florence (xve-xvIIe s.) : 313. MÉHÉMET Ali (1769-1849): 105. MÉHUL Étienne (1763-1817) : 279. MEILHAC Henri (1831-1897) : 339, 340. MEISSONIER Ernest (1815-1891) : 76, 180, 303-304, 349, 366, 406. MEISSONNIER P. : 319. MELBA Helen Mitchell, Mme Porter Armstrong, dite Nellie (1861-1931): 18. MELCHIOR-BONNET Christian, né en 1904: 211. MELCY comte Gérard de. Voyez GRISI Giulia. . MÉLESVILLE Anne-Honoré-Joseph Duveyrier, dit (1787-1865): 12. MÉLIÈS Georges (1861-1938): 388-389. MÉLINGUE Étienne-Marin (1808-1875) : 112, 113. MELVILLE Herman (1819-1891) : 53. MELVILLE Wythe, major: 53. MEMLING Hans (v. 1433-1494) : 451.
530 MÉNARD Louis (1822-1901) : 307. MÉNARD-DORIAN Aline Dorian, Mme Paul-Antoine: 238. MÉNARD-DORIAN Paul-Antoine, né en 1846: 238. MÉNARD-DORIAN Pauline. Voyez HUGO Georges. MENDELSSOHN-BARTHOLDY Fanny, Mme Hensel (1805-1847): 194. MENDELSSOHN-BARTHOLDY Félix (1809-1847): 164, 194, 272. MENDÈS Abraham: 159. MENDÈS Catulle (1841-1909): 13, 1819, 26, 37, 38, 39, 41, 46, 57, 59, 62, 63, 64, 65, 67, 88, 97, 100, 107, 125, 132, 140, 144, 152, 157, 158-163, 164, 173, 174, 175-176, 178, 186, 195,204-205, 214, 221, 222, 223, 250, 251, 253, 257, 269, 270-271, 284, 289, 298, 302, 307, 326, 343, 344, 345, 351, 381, 387, 400, 402, 409, 426, 429, 434, 445, 448, 454, 456, 461. MENDÈS Claudine, Mme de La Tour SaintYgest (1876-1937): 161. MENDÈS Hélyonne, Mme Henri Barbusse (1879-1955): 161. MENDÈS Hughette, Mme Gabriel CaillardBelle (1870-1949): 161. MENDÈS Jeanne Mette, Mme Catulle. Voyez CATULLE-MENDÈS. MENDÈS Judith Gautier, Mme Catulle. Voyez GAUTIER. MENDÈS Marthian (18817-1881): 161. MENDÈS Raphaël (1870-1896): 161. MENDÈS Suzanne Brun, Mme Tibulle (1813-1885): 159. MENDÈS Tibulle (1814-1887): 159. MENKEN Dolorès- Ada Isaacs, dite miss (1835-1868): 117. MENNESSIER-NODIER Marie-Élisabeth Nodier, Mme (1811-ap. 1900): 278, 304305, 319, 337. MÉRANTE Louis (1828-1887) : 201. MÉRAT Albert (1840-1909) : 307. MERCER Wendy S. : 246. MERCIER Antonin (1845-1916): 33, 181. MERCŒUR Élisa (1809-1835): 124.
MERCY-ARGENTEAU Louise de CaramanChimay, comtesse Eugène de (18371890): 272. MÉRIMÉE Prosper (1803-1870): Il, 32, 96, 102, 104, 111, 129, 194, 219, 259, 263, 276, 328, 333-334, 338, 385, 415, 445. MERLIN Maria de las Mercedes, comtesse (1789-1852): 183, 200, 296. MERLIN Olivier: 39, 288, 395, 419, 442. MERMAZ Louis, né en 1931 : 407. MERMOZ Jean (1901-1936): 171. MÉRODE Cléo de (1872-1966) : 91, 195, 271, 287, 293, 325, 378. MÉRY Joseph (1798-1865): 15, 27, 66, 108, 226, 283, 306-308, 336, 378, 394. MÉSANGE: 161. MESMER Franz (1734-1815) : 342. MESSAGER André (1853-1929) : 329. MÉTASTASE Pietro Trapassi, dit (16981782): 185. MÉTÉNIER Oscar (1859-1913) : 309. MÉTIVET Lucien-Marie-François (1863-av. 1930): 43. MÉTRA Olivier (1830-1889) : 93. METTERNICH Pauline Sandor, princesse de (1836-1921): 12, 139, 332, 333. METTERNICH Richard-Clément-Hermann, prince de (1829-1895) : 276, 333. MEURICE Palmyre Granger, Mme Paul (1819-1874): 309, 364. MEURICE Paul (1820-1905) : 38, 61, 112, 229, 240, 250, 254, 308-310, 364, 443, 450. MEYENDORFF Olga, princesse Gortschakoff, baronne: 284. MEYER Arthur (1844-1924) : 76, 276. MEYER Lucienne, Mme Favre, dite Violette (1903-1992): 170, 297, 346. MEYER-AREND Katharina: 171. MEYERBEER Giacomo (1791-1864) : 38, 39, 57, 64, 108, 187, 206, 219, 230, 263, 296, 310-312, 371, 394, 415, 419, 422, 464. MEYER-ZUNDEL Suzanne, Mme Max Delecosse (1882-1971) : 21, 26, 31, 41, 46, 77, 85, 88, 97, 99, 111, 133, 142, 146, 157, 158, 164, 165, 168, 170, 181, 192, 193, 195, 201, 214, 228, 230, 250,
531 251, 270, 272, 292, 314, 316, 341, 346, 356, 368, 375, 381, 382, 389, 397, 400, 404, 435, 439, 446, 452, 465. MICAS Nathalie (1820-1889) : 404, 405. MICHEL saint: 384. MICHEL Louise (1830-1905): 142, 249, 449. MICHEL-ANGE Michelangelo Buonarroti (1475-1564): 309, 312-313, 460. MICHEL / NIVET: 19. MICHEL DE BOURGES Louis Michel, dit (1797-1853): 335, 415. MICHELET Jules (1798-1874) : 219, 367. MICHELOT Pierre (1785-1856) : 125, 296. MICKIEWICZ Adam (1798-1855) : 86, 338. MIGNARD Pierre (1612-1695) : 274. MIGNET François (1796-1884) : 79, 219, 220. MILLEVOYE Charles-Hubert (17821816): 410. MINDEN Stephen von: 435. MIOLAN-CARV ALHO Caroline Miolan, dite Mme (1827-1895) : 57. MIRABEAU André-Louis Riqueti, vicomte de, dit Mirabeau-Tonneau (1754-1772) : 126, 454. MIRABEAU Honoré-Gabriel Riqueti, marquis de (1749-1791) : 22, 142. MIRABEAU Victor Riqueti, marquis de (1715-1789): 455. MIRBEAU Octave (1848-1917): 19, 23, 190. MIRECOURT Eugène Jacquot, dit Eugène de (1812-1880): 74, 187,285,306,311, 319, 336, 371, 395, 405. MISTINGUETT Jeanne Bourgeois, dite (1873-1956): 274, 366. MISTLER Jean (1897-1988) : 63, 231. MOGADOR Céleste Vénard, comtesse Lionel de Chabrillan, dite (1824-1909) : 51. MOHSIN-KHAN: 275, 316-317, 334. MOKE Marie-Félicité, Mme Camille Pleyel (1811-1875): 48, 117, 335, 379. MOLÉ Louis-Mathieu, comte (17811855): 276, 409.
MOLÈNES Paul Gaschon de (1821-1862) : 109. MOLIÈRE Jean-Baptiste Poquelin, dit (1622-1673): 25, 104, 106, 265, 412, 450. MOLLIN Henri, capitaine: 346. MONACO Alice Heine, duchesse de Richelieu, princesse de (1858-1925): 311. MONCORNET Balthazar (v. 1615-ap. 1670): 367. MONDOR Henri (1885-1962) : 314. MONET Claude (1840-1926) : 21, 106, 180. MONGINOT Charles (1825-1900) : 30. MONNERET Sophie: 100. MONNIER Henri (1799-1877): 14, 15, 130, 364-365. MONPOU Hippolyte (1804-1841) : 305, 317-318. MONSELET Charles (1825-1888) : 67. MONTAGNAC: 319-321. MONTAIGNE Michel Eyquem de (15331592): 169. MONTALAND Céline (1843-1893) : 409, 410. MONTARGIS Marie-Pauline Meurice, Mme J.-F.-G. (1857-1929): 309. MONTÉGUT Émile (1825-1895) : 239. MONTÈS Marie-Dolorès-Elisa Gilbert, Mrs Thomas James, Mrs George Trafford Heald, Mrs Hall, comtesse de Lansfeld, dite Lola (1818-1861): 60, 283. MONTESPAN Françoise-Athenaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de (1640-1707): 274. MONTESQUIEU Charles de, baron de la Brède et de (1689-1755) : 321. MONTESQUIOU-FEZENSAC ÉlisabethPierre, comte de (1764-1834) : 322. MONTESQUIOU-FEZENSAC FrançoisXavier-Marc Antoine, abbé, duc de (17551832): 155, 321-322, 351. MONTESQUIOU-FEZENSAC Louise Le Tellier de Montmirail, comtesse ÉlisabethPierre de (t1835) : 322. MONTESQUIOU-FEZENSAC Robert, comte de (1855-1921): 13, 21, 35, 43, 52, 64, 66, 77, 90, 91, 92, 96, 111, 117, 119, 144, 155, 170, 189, 222, 254, 293, 294,
532 301, 310, 321, 322, 358, 380, 382, 391, 423, 425, 437, 461. MONTFORT Eugène (1877-1936) : 19, 294. MONTHERLANT Henry Millon de (18951972): 299. MONTIJO Eugenia Maria de. Voyez EUGÉNIE. MONTIJO Manuela de Kirckpatrick de Closeburn, comtesse de : 259, 338. MONTPENSIER Antoine-Louis d'Orléans, duc de (1824-1890) : 69, 259. MONTY ON Jean-Baptiste Auget, baron de (1733-1820): 64, 424. MOORE George (1852-1933) : 96, 167, 222. MOORE Grace (1898-1947) : 18. MOORE Kate Mrs : 91. MOORE Thomas (1779-1852) : 378. MORAND Eugène (1854-1930) : 37, 429. MORAND Paul (1888-1976) : 76, 429. MORDKINE Michel (1881-1944) : 392. MORÉAS Jean Papadiamantopoulos, dit Jean (1856-1900): 162, 317. MOREAU Gustave (1826-1898): 19, 6364, 80, 91, 107, 166, 181, 310, 367, 379, 382, 385, 411. MOREAU Jean-Victor, général (17631813): 234. MOREAU DE TOURS Jacques-Joseph (1804-1884): 269. MORENO Lucie-Marie-Marguerite Monceau, Mme Marcel Schwob, Mme Daragon, dite Marguerite (18711948): 104, 126, 144, 162, 233, 417, 430. MORLAND Jacques: 423. MORLA Y Blanche Fumoleau, dite Gaby (1893-1964): 186. MORNY Charles, duc de (1811-1865) : 108, 111, 130, 396, 405, 406. MOROT Aimé (1850-1913) : 85, 180-181, 218, 315, 383, 397. MOROTE Luis: 426. MORTIER Arnold Mortjié, dit (18431885): 100. MOSCHELES Ignaz (1794-1870): 14. MOSELLI Émile Chénin, dit Émile (18701918): 436.
MOSSELMAN Alfred-Hippolyte: 406. MOTONO Ichino, Son Excellence: 436, 437. MOTOYOSO-SI-SAIZAU (1866-1895) : 437. MOTTE Charles: 262. MOUCHY Natalie de Laborde, vicomtesse de Noailles, duchesse de (t1835) : 83, 357. MOUILLERON Adolphe (1820-1887) : 319. MOULAY-ABD-EL-RAHMAN: 79. MOUL Y Georges: 125. MOUNET Paul (1847-1922) : 61. MOUNET-SULLY Jean Sully Mounet, dit (1841-1916): 61, 105, 108, 325. MOUSSA SARGA : 452. MOUSSORGSKI Modeste Petrovitch (18391881): 183, 341. MOZART Anna-Maria Perd, Mme Leopold (t 1778): 324. MOZART Leopold (1719-1787) : 324. MOZART Maria-Anna, dite Nannerln, baronne von Berchthold zu Sonnenburg (1751-1829): 324. MOZART Wolfgang Amadeus (17561791): 107, 126, 187, 324-327. MUCHA Alfons (1860-1939): 128, 293. MUGNIER Arthur, abbé (1853-1944) : 40, 83, 238, 347, 357. MÜHLFELD Jeanne Meyer, Mme M., puis Mme Pierre Blanchenay (t1953): 274. MÜHLFELD Lucien (1870-1902) : 42. MULLEM Louis (1836-1908) : 417. MULLER Charles (1877-1914) : 347. MUNKACZY Michael von Leib, dit Mihaly (1844-1900): 289. MURANO Antoine de (xve s.) : 451. MURAT Marie de Rohan, princesse M., puis comtesse de Chambrun (1876-1951) : 13, 423. MURATORE Lucien (1876-1954) : 326. MURGER Henri (1822-1861): 137, 444. MURILLO Bartolomé Esteban (16181682): 457. MUSARD Philippe (1792-1859): 119, 319. MUSAÜS Johann (1735-1787) : 201. MUSIDORA Jeanne Rocques, dite (18891957): 16.
533 MUSSET Alfred de (1810-1857) : 32, 85, 86, 90, 104-105, 126, 132, 160, 184, 185, 188, 213, 219, 226, 231, 242, 262, 263, 266, 284, 296, 317, 327-328, 330, 332, 337, 338, 339, 351, 354, 369, 379, 414, 415, 430, 450, 457, 467. MUSSET Paul-Edme de (1804-1880) : 327, 379. NADAR Félix Tournachon, dit (18201910) : 23, 29, 30, 47, 48, 60, 74, 103, 107, 108, 113, 119, 205, 220, 259, 320, 328-330, 335, 336, 339, 363, 369, 390, 391, 407, 442. NADAR Paul (1856-1939) : 329. NADAUD Gustave (1820-1893) : 93, 278, 393. NADAUD Marcel: 294. NANTEUIL Célestin (1813-1873) : 61, 262, 319, 336, 422. NANTEUIL Robert (1623-1678) : 291. NAPOLÉON 1er (1769-1821) : 31,35,50, 51, 56, 68, 75, 113, 128, 206, 215, 218,. 230, 232, 236, 241, 249, 300, 304, 307, 324,331,371,428,431,463,465. NAPOLÉON II, roi de Rome, duc de Reichstadt (1811-1832) : 75, 322. NAPOLÉON III (1808-1873) : 12, 54, 75, 96, 104, 108, 125, 128, 130, 141, 143, 148, 189, 194, 198, 200, 240, 276, 285, 300, 303, 331-334, 369, 386, 394, 425, 433, 445, 461, 466. NARYSCHKINE prince Alexandre: 275. NARYSCHKINE Nadedja Knorring, princesse Alexandre N., puis Mme Alexandre Dumas fils (1826-1895) : 275. NASSER-ED-DINE, shah de Perse (18301896): 259, 316, 334. NATANSON Thadée (1868-1951): 224. NATANSON Mme Thadée. Voyez SERT. NATHALIE Nathalie Martel, dite (18161885): 106. NAUDÉ Gabriel (1600-1653) : 338. NEGROPONTE Mme Michel. Voyez HUGO Jeanne. NERVAL Gérard Labrunie, dit Gérard de (1808-1855): 15, 26, 69, 71, 84, 100, 109, 117, 149, 187, 188, 213, 219, 226,
231, 232, 263, 271, 278, 281, 288, 306, 328, 334-336, 354, 415, 443, 464. NESSELRODE Karl Robert, comte de (17801862): 284. NEWMAN Jean-Henri, cardinal (18011890): 76. NICOLAS 1er (1796-1855), empereur de Russie (1825-1855): 201, 300. NICOLAS II (1868-1918) dernier empereur de Russie (1894-1917) et la tsarine, née de Hesse-Darmstadt (1872-1918): 105. NIEDERMEYER Louis (1802-1861) : 35. NIETZSCHE Friedrich (1844-1900) : 40, 344, 414. NIEUWERKERKE Alfred-Émilien, comte de (1811-1892): 84,300,301,332,361, 363. NIJINSKA Bronislava (1891-1972) : 391. NIJINSKI Vaslav (1890-1950) : 92, 392, 467. NIKISCH Arthur (1855-1922) : 40. NILSSON Kristina Tornerhjelm, Mme Auguste Rouzaud, comtesse Angel Vallejo y Miranda, dite Christine (18431921): 57, 117, 394. NIOBÉ: 206, 336-337. NISARD Désiré (1806-1888) : 23. NOAILLES Anna Brancovan, comtesse Mathieu de (1876-1933) : 75, 76, 92, 191, 211, 294, 356, 357. NOAILLES Charles, vicomte de (t1981) : 357. NOAILLES Marie-Laure Bischoffsheim, vicomtesse Charles de (1902-1970): 357. NOAILLES Natalie de Laborde, vicomtesse de N., duchesse de Mouchy (t1835) : 83, 357. NOBLET Lise (1801-1852) : 127. NODIER Charles (1780-1844): 101, 105, 195, 226, 230, 262, 263, 304, 306, 337339, 349, 351, 355, 419, 422. NOËL Alphonse-Léon (1807-1884) : 245, 262. NOLHAC Pierre Girauld de (1859-1936) : 292. NONO. Voyez CLERMONT-GANNEAU. NORBLIN DE LA GOURDAINE Sébastien (1796-1884): 446.
534 NORODOM 1er (1835-1904), roi du Cambodge (1859-1904): 77. NOURRIT Adèle Duverger, Mme Adolphe (t1839): 419. NOURRIT Adolphe (1802-1839): 121, 418, 419. NOVES Laure de, dame de Sade (13101348): 355. NUITIER Charles Truinet, dit (18281899): 465. NULL Y Eugène de (t1852) : 23, 134, 213. O'DONNEL Leopoldo, comte de Luna, duc de Tétouan (1809-1867): 469. OFFENBACH Herminie d'Alcain, Mme Jacques (1826-1887): 340. OFFENBACH Jacques (1819-1880) : 100, 109, 118, 126, 230, 270, 285, 311, 339342. OFFENBACH, neveu du précédent: 340341. OLIVIER Juste (1807-1876) : 374, 386. OLIVIER Mme Juste: 86. OLLENDORFF Gustave: 89, 163, 426. OLLIVIER Blandine Liszt, Mme Émile (1835-1862): 283, 360. OLLIVIER Émile (1825-1913): 108, 142, 360. OMER-PACHA Michel Lattas, général (1806-1871): 451. ORLÉANS Ferdinand-Philippe d' (18101842): 121. ORMESSON Jean d', né en 1925 : 81. ORTIGUES Mme d' : 409. OSMOND d', famille: 119. OTERO Caroline Carasso, dite "la Belle Otero" (1868-1965): 121, 161, 196, 287, 429. OUDINOT Nicolas-Charles, duc de Reggio, maréchal de France (1767-1847) : 94. OURCHES comte d' (1787-1867): 181, 342-344. OURLIAC Édouard (1813-1848) : 232. OZENNE Marie Meurice, Mme H.-E. (18601937): 309. OZY Marie-Justine Pilloy, dite Alice (18201893): Il, 60, 79, 96, 102, 108, 120, 181, 235, 236, 280, 282, 332, 358, 363, 366, 413, 426.
PACINI E. : 53, 378, 441. PACINI Giovanni (1796-1867): 288, 337. PAËR Ferdinand (1771-1839): 183, 206, 283. PAGANINI Niccolà (1782-1840) : 28, 374, 428. PAGE Adèle (t1882) : 96. PAILLERON Édouard (1834-1899) : 359, 378. PAILLERON Marie-Louise Buloz, Mme Édouard: 122. PAINTER George: 276. PAÏV A Albino Francisco, marquis de (18271872): 119. PAÏV A Thérèse Lachmann, Mme Villoing, marquise de Païva, comtesse Henckel de Donnersmarck, dite la (1819-1884): Il, 33, 118-120, 140, 155, 232, 409, 413, 461. PALADINO Eusapia (1854-1918) : 257. PALAZZI Mme (1868-1909): 416. PALESTRINA Giovanni Pierluigi da (1525 ou 1526-1594): 40. PALISSY Bernard (v. 1510-1589 ou 1590): 361. PALMYRE: 118. PANGE Pauline de Broglie, comtesse Jean de (1888-1972) : 223, 405. PAPETY Dominique-Louis (1815-1849) : 32. PAPUS, pseudonyme du Dr Gérard Encausse (1865-1916): 456. PARA Y Paul (1886-1979) : 62. PARFAIT Noël (1813-1896) : 69, 96, 306, 358. PARIS Gaston (1839-1903): 89. PARKER Élisa, Mme Philippe Musard: 119. PARNY Renée, Flavie-Reine Curet-Puget, Mme Jean Gounouilhou, Mme Jérôme Tharaud, dite (née en 1878) : 229, 230. PARTURIER Maurice: 333. PASCA Marie-Angèle Séon, Mme Alexis Pasquier, dite Mme (1835-1914) : 380. PASCAL Blaise (1623-1662) : 454. PASDELOUP Jules-Étienne (1819-1887) : 159, 344-348. PASTA Guiditta Negri, Mme (1798-1865) : 53, 199, 207, 337.
535 PASTEUR Claude: 405. PATENÔTRE Jules (1845-1925) : 181. PATER SI DE FOSSOMBRONI Mme: 360. PATHÉ Charles (1863-1957) : 389. PATHÉ Émile (1860-1937) : 389. PATTI Adelina, marquise de Caux, Mme Ernest Nicolini, baronne Cedelstrom (1843-1919): 18, 57, 208, 394. PAULIN J.-B. (1796-1859): 78. PAULIN-GUÉRIN Paulin-Jean-Baptiste Guérin, dit (1783-1855): 338. PAULYANTHE: 150. PAUQUET Hippolyte-Louis-Émile, né en 1797: 349. PAUTHIER Jean-Pierre-Guillaume (18011873): 350-351. PAVIE Victor (1808-1886): 101. PAVLOV A Anna Pavlovna, Mme Victor Dandré (1881-1931): 208, 392. PAVLOWITCH Stevan: 383. PEARL Emma Cruch, dite Cora (1835 ?1886): 108. PEARSE Cecilia-Maria, Mrs Godfrey: 295, 297. PEDRO, alias Pierre II (1825-1891), empereur du Brésil (1831-1889) : 405. PÉGUY Charles (1873-1914) : 367. PÉLADAN Joséphin, dit le Sâr (18501918): 19,21,40,45, 117, 166, 169, 170, 216, 217, 227, 228, 258, 271, 290, 343, 366, 375, 417, 425, 447, 456. PÉLISSIER Olympe. Voyez ROSSINI Mme. PELLARIN Charles, Dr (1804-1883) : 353. PELLEGRINI Edgardo : 53. PÉNET Martin: 93. PENSON: 248. PENTHIÈVRE Louis de Bourbon, duc de (1725-1793): 94. PEPOLI Carlo, comte (t1867): 139. PERGAUD Louis (1882-1915) : 294. PERGOLÈSE Giovanni Battista Draghi Pergolesi (1710-1736): 18. PÉRIVIER Antonin (1847-1924) : 59. PERRAULT Émile, né en 1878. Voyez HARRY Myriam. PERRET Auguste (1874-1954) : 341. PERRET Claude (1880-1960) : 341. PERRET Gustave (1876-1952) : 341.
PERRIN Émile (1814-1885): 126. PERRONET (1708-1783) : 220. PERROT Alexandrine, Mme E.-C. Dumont (1853-1941): 201. PERROT Capitolina Samovskaya, Mme Jules (1829-1909): 201, 202. PERROT Jules (1810-1892) : 27, 28, 122, 127, 182, 199, 202, 210, 286, 287, 372. PERROT Marie, Mme A.-A. Vellard (1851-1926): 201. PERROT Marie-Julie (1837-1901) : 200. PERSIGNY Victor Fialin, duc de (18081872): 99. PERSON Béatrix (1828-1884): 112. PERUGIA Vincenzo (t 1947): PESSARD Émile-Louis-Fortuné (18431917): 67. PETIPA Lucien (1815-1898) : 28, 127, 182, 200, 209, 210, 353, 378. PETIPA Marius (1818-1910) : 122, 200, 201, 287, 392. PETITFILS Pierre: 198. PÉTRARQUE Francesco Petrarca (13041374): 98, 354-357. PEYREBRUNE Georges de, pseudonyme de Mme Judicis de Mirandole (1847-1918) : 75. PEYROUZET Édouard: 268. PHIDIAS (v. 490-431 avo J.-C.): 197, 255, 337, 370. PHILIPPE III le Bon (1396-1467), duc de Bourgogne (1419-1467): 451. PHILIPPE-ÉGALITÉ Louis-PhilippeJoseph, duc d'Orléans, dit (1747-1793) : 75. PHILIPPON Charles (1800-1862): 108. PHILLIPS-MATZ Mary Jane: 441. PICASSO Pablo Ruys Blasco, dit Pablo (1881-1973): 238, 454. PICCAGLIANI : 283. PICCINI Niccolo (1728-1800): 18. PICHARD DU PAGE René: 57. PICHOIS Claude, né en 1925 : 24, 352. PICON Gaëtan (1915-1976): 121. PICOT François-Édouard (1786-1868) : 360. PIERNÉ Gabriel (1863-1937) : 62, 270, 342, 429.
536 PIERRE le Cruel (1334-1369), roi de Castille et de Leon (1350-1369) : 450. PIERRE 1er le Grand (1672-1725), empereur de Russie (1682-1725): 197. PIERRE 1er de Serbie (1844-1921) : 382. PIERREBOURG Marguerite ThomasGalline, baronne Aimery Harty de (18561943): 413. PIERROT Roger: 22-23. PIGALLE Jean-Baptiste (1714-1785) : 355. PILLET commandant: 123. PILLET Léon (1805-1868): 127, 464. PILLET-WILL Michel-Frédéric, comte (1781-1860): 394. PINCHART Émile-Auguste (1842-1920) : 43, 142, 181, 198, 298, 299, 372. PINCHAR T Marie-Léontine Sainte-Hilaire [Grisi], Mme Émile (1855-1918): 372. PINEL J.-P., Dr, né en 1800 : 50, 360. PINELLI Bartolomeo (1781-1835) : 244. PIORRY Pierre-Adolphe (1794-1879) : 272. PlOT Eugène (1812-1889) : 69, 135, 259. PIRANÈSE Giambattista Piranesi (17201778): 243, 262, 352. PISSARRO Camille (1830-1903) : 376. PISSARRO Esther Bonsussan, Mme Lucien, née en 1871 : 376. PISSARRO Lucien (1863-1944) : 376. PIXÉRÉCO URT René-Charles-Guilbert de (1773-1844): 265. PLANCHE Gustave (1808-1857) : 415. PLANTIN (xvIe-xIxe s.) : 24. PLATON (429-347 avo J.-C.): 210, 235, 255, 257, 373. PLEYEL Camille (1788-1855) : 48, 117118. PLEYEL Mme Camille. Voyez MOKE. PLOUVIER Édouard (1821-1876) : 408. PLUNKED miss: 263. PLUNKED Francis de, pseudonyme Fleury: 96. PLUNKED Jacques de : 113. POE Edgar Allan (1809-1849) : 29, 343, 360, 428. POILL y Annette du Hallays-Coëtquen, comtesse de Brigode, baronne de (18311905): 85, 222, 379, 380.
POILL Y Henri-Charles-Georges, baron de (1821-1862): 379. POINCARÉ Henri (1854-1912) : 47. POINCARÉ Henriette Venucci, Mme Raymond: 181, 375, 425. POINCARÉ Raymond (1860-1934) : 75, 181, 190, 425, 439. POINT Armand (1860-1932) : 227, 469. POINT Victor (1902-1932) : 227. POIRET Paul (1879-1944): 16. POLAIRE Marie-Émilie Bouchaud, dite (1879-1939): 92, 274. POLIGNAC Edmond, prince de (18341901): 57, 380. POLIGNAC Winnaretta Singer, princesse de Scey-Montbéliard, princesse Edmond de (1865-1943): 36, 57, 272,423. POMAIROLS Charles de (1843-1916) : 47, 64, 383, 385. POMPADOUR Antoinette Poisson, marquise de (1721-1764): 284. PONCE DE LÉON: 300. PONCHARD Jean-Frédéric-Auguste (17871867): 296. PONCHON Raoul (1848-1937) : 265, 326. PONS A.-J. : 410. PONSARD François (1814-1867) : 61, 232, 314, 332, 369. PONSON DU TERRAIL Pierre-Alexis, vicomte de (1829-1871) : 68, 265. POPELIN Claudius (1825-1892) : 78, 99, 107, 132, 300, 301, 302, 360-362. POPELIN Gustave, né en 1859 : 361. PORADOWSKA Marguerite Gachet, Mme: 75. POREL Désiré-Paul Parfourou, dit Paul (1842-1917) : 44, 67, 273, 274. POREL Jacques, né en 1893 : 162. PORPORA Nicola Antonio Giacinto (16861768): 185. PORT DE GUY chevalier de : 156. PORTINARI Beatrix (1266-1290) : 98. PORTO-RICHE Georges de (1849-1930): 128, 359. POTIN Félix: 43, 292, 453. POTOÇKA Delphine Komar, comtesse: 86, 283. PODINGER sir Henry, général (17911856): 306.
537 POUCHKINE Aleksandr Sergeïevitch (1799-1837): 183, 341. POUDENS Henri de (1817-1863): 362363. POUDENS Joséphine Cocard, comtesse Henri de: 155. POUGY Anne-Marie Chassaigne, Mme Armand Pourpe, princesse Georges Ghika, dite Liane de (1869-1950) : 23, 38, 76, 120, 143, 196, 325, 439, 455. POULENC Francis (1899-1963) : 13. POULET-MALASSIS Paul-Auguste (18251878): 24, 29, 221. POURTALÈS Guy de (1881-1941) : 462, 463. POUVOURVILLE Albert, comte Puyou de (1861-1940): 192, 456. POZZI Catherine, Mme Édouard Bourdet (1882-1934): 118, 274, 382, 413. POZZI Samuel, Dr (1846-1918) : 91, 98, 117, 144, 191, 192, 225, 302, 380, 436. PRADIER Claire (1826-1846): 132, 244. PRADIER Jean-Jacques, dit James (17921852): 111, 123, 124, 132, 244, 363, 408. PRADIER Louise, Mme James Pradier, dite Ludovica: 132. PRAXITÈLE (v. 390-v. 330 avo J.-C.) : 245, 282, 336. PRÉAULT Antoine-Augustin (18091879): 134, 312, 363-364, 470. PRÉAULX Fernand, vicomte de (18221891): 417. PREOBRAJENSKA Olga (1870-1962) : 287. PRÉSIDENTE la. Voyez SABATIER Mme. PRÉVOST: 332. PRÉVOST Marcel (1862-1941) : 225, 359. PRÉVOST-PARADOL Lucien (18291870): 397. PRINCESSE***. Voyez RIMSKYKORSAKOFF. PRINGUÉ Gabriel-Louis (1885-1965) : 20, 65, 133, 230, 259, 442. PROKOFIEV Sergueï (1891-1953): 182. PROUST Jeanne-Clémence Weil, Mme Adrien (1849-1905): 186.
PROUST Marcel (1871-1922) : 42, 56, 76, 77, 102, 114, 170, 186, 224, 238, 276, 292, 302, 325, 347, 356, 392. PROVOST Jean-Baptiste (1798-1865) : 104, 428. PRUD'HON Pierre-Paul (1758-1823) : 446. PSICHARI Ernest (1883-1914) : 90, 346. PSICHARI Jean (1854-1929) : 90. PSICHARI Lucien, né en 1908 : 346. PSICHARI Michel (1881-1917?) : 346, 426. PSICHARI Mme Michel. Voyez FRANCE Suzanne. PTOLÉMÉE (ne s. ap. J.-C.) : 255. PUGET Loïsa, Mme Gustave Lemoine (1810-1889): 305, 317, 319. PUGNI Cesare (1800-1869): 122, 201, 392. PUGNO Stéphane-Raoul (1852-1914) : 299. PURY Edmond de (1845-1911) : 383. PUTRON Emily de (t1865) : 240. PUVIS DE CHAVANNES Pierre (18241898): 90, 100, 107, 362, 365-367, 406. RABAUD Jean (1912-1989) : 406. RABELAIS François (v. 1484-1553): 24, 43, 55, 108, 142, 145, 367-368, 430, 434. RACHEL Elisa Félix, dite Mlle (18211858) : 50, 68, 70, 79, 80, 96, 106, 107, 125,180,201,207,219,231,232,263, 312, 327, 340, 362, 364, 369 3 72, 401402, 413, 444, 445, 465. RACHILDE Marguerite Eymery, Mme Alfred Vallette, dite (1860-1953) : 39, 228, 257, 406, 426, 455. RACINE Jean (1639-1699) : 221, 362, 369, 370, 410, 428, 450. RACOT Adolphe (1840-1887): 104, 125, 160. RADIGUET Raymond (1903-1923) : 349. RADZIWILL Léon, prince (1808-1885) : 200, 372, RADZIWILL Nicolas (1366-1466) : 372. RADZIWILL Valentin, prince: 85. RAFFET Auguste (1804-1860) : 262. RAISSON Horace (1798-1854) : 30.
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538 RAMEAU Jean-Philippe (1683-1764): 18. RAMPONNEAU Jean (1724-1802): 393. RANDON Gilbert, maréchal de France (1795-1871): 388. RANSON Paul (1864-1909) : 326. RAPHAËL saint: 384. RAPHAËL Raffaello Santi ou Sanzio, dit (1483-1520): 99, 120, 333, 373, 451, 457. RASPONI comtesse Louise: 56. RAVEL Maurice (1875-1937) : 36, 40, 63, 67, 165. RAYNAUD Ernest: 290. REBER Henri (1807-1880) : 36, 271. REBOUX Henri Amillet, dit Paul (18771963): 347. RÉCAMIER Julie Bernard, Mme Juliette (1777-1849): 81, 83, 267, 435. RECIO Maria, Marie Martin, Mme Berlioz, dite (1814-1862): 48. REDON Odilon (1840-1916): 108, 303. RÉGAMEY Félix (1844-1907) : 347. REGNAULT Henri (1843-1871) : 110, 194, 256, 282, 331, 366. RÉGNIER Henri de (1864-1936) : 29,41, 77, Il 7, 133, 144, 158, 162, 163, 191, 212, 221, 223, 224, 229, 230, 250, 292, 302, 366, 408, 424, 440. RÉGNIER Mme Henri de. Voyez HEREDIA, Marie de. RÉGNIER Pierre de, dit "Tigre" (18981943): 224. REICHA Antoine (1770-1836) : 283. RÉJANE Gabrielle-Charlotte Réju, Mme Paul Porel, dite (1856-1920) : 91, 105, 162, 273. REMBRANDT Rembrandt Van Ryn, dit (1606-1669): 101, 312, 437. REMENYI Eduard Hoffmann (1828-1898) : 91, 289, 373-374. RÉMUSAT Abel (1788-1832) : 34, 263, 351, 374-377. RÉMUSAT Charles, comte de (17971875): 111. RÉMY Pierre-Jean: 287, 441. RENAN Ernest (1823-1892) : 40, 90, 132, 186, 189, 237, 249, 250, 265, 415, 426.
RENARD Jules (1864-1910) : 19, 43, 45, 144, 160, 190, 198, 238, 249, 272, 398, 414, 469. RENAUD Maurice Crosnéan, dit Maurice (1861-1931): 58. RENAUDOT Jules-François-Gabriel (18361901): 256. RENDUEL Eugène (1798-1873) : 67, 69, 398. RENOIR Auguste (1841-1919): 106, 162, 180, 195, 464. RENOIR Jean (1894-1979): 195. RENON Mme Félix: 377. RENON Marie, Mme Adolphe Gaiffe, née en 1845: 140-141, 377. RESZKÉ Edouard de (1856-1917) : 377. RÉV AL Gabrielle Logerot, Mme Fernand Fleuret, dite Gabrielle (1870-1938) : 75. REYER Louis-Antonin (1823-1909) : 50, 58, 299, 306, 344, 349, 377-379, 406, 410. REYMOND Nathalie: 106. REYNAUD Jean (1806-1863): 101. REYNOLDS Joshua (1723-1792): 141, 446, 457. RICARD Louis-Gustave (1823-1873) : 379-385, 406, 469. RICARD Louis-Xavier de (1843-1911) : 88, 125, 159, 307, 351. RICHARD Edmond: 407. RICHARD Marius: 47. RICHARDSON Joanna: 31, 40, 100, 152, 158, 297, 347, 381, 389, 404, 453, 454. RICHELIEU Armand-Jean du Plessis, duc de (1585-1642): 190, 432. RICHEPIN Jean (1849-1926): 146, 265, 269, 326. RICHEPIN Mme Jean, ex-Mme Louis Ganne: 45. RICHTER Hans (1843-1919) : 42, 60, 63, 345. RICHTER Jean-Paul (1763-1825) : 230. RIESENER Henri-François (1767-1828) : 102. RIESENER Louis- Antoine- Léon (18081878): 205. RIETZ Julius (1812-1877): 186. RIÈZE Laure: 413.
539 RIGOLBOCHE Marguerite Badel ou Bédel, dite Marguerite la Huguenote, dite: 447. RIMBAUD Jean-Nicolas Arthur (18541891): 145, 408. RIMINI Francesca da (xIIIe s.) : 447. RIMSKY-KORSAKOFF Barbe Dimitrievana Mergasov, Mme (tI877): 385-386. RIMSKY -KORSAKOFF Nikolaï Andreievitch (1844-1908): 183. RIOULT Louis-Édouard (1790-1855) : 20, 412. RISLER Édouard (1873-1929) : 187. RISTORI Adélaïde, marquise Giuliano Capranica del Grillo (1821-1906) : 371. RIVIÈRE Henri (1864-1951) : 327. RIVIÈRE Théodore Louis Auguste (18571912): 430. ROBELIN Charles (v. 1796-1887): 330, 386-387. ROBERT Hubert (1733-1808): 136. ROBERT Léopold (1794-1835) : 278. ROBERT Louis de (1871-1937) : 238. ROBERT-FLEURY Joseph-Nicolas (17971890): 258. ROBERT-HOUDIN Jean-Eugène Robert, dit (1805-1871): 387-390. ROBIDA Michel (1846-1926) : 77. ROBIN Albert, Dr (1847-1928) : 77, 96, 380. ROB LÈS Jacob (t1893) : 312. ROCHEFORT Victor-Henri, marquis de Rochefort-Luçay, dit Henri (1831-1913) : 85, 96, 110, 142, 143, 237, 259-260, 348. ROCHEGROSSE Georges (1859-1938) : 25, 26, 95, 145, 193, 429, 440. ROCHETTE Désiré-Raoul, dit RaoulRochette (1789-1854): 90. RODIN Auguste (1840-1917): 21,23,46, 77, 142, 163, 180, 254, 365, 383, 447. RODOLFO. Voyez BAZIN. ROGER Gustave-Hippolyte (1815-1879) : 187. ROGIER Camille: 71, 134, 262, 278. ROHAN Alain-Charles-Louis, prince de Léon, duc de (1844-1914) : 292, 302, 424, 439. ROHAN Herminie de Verteillac, duchesse de (1853-1926): 13, 64, 92, 192, 211, 258, 272, 292, 302, 380, 423, 439, 445.
ROHAN Josselin, duc de (1879-1916) : 126, 439. ROHAN -CHAB OT Louis- François- Auguste, duc de, cardinal (1788-1833) : 386. ROLLAND Romain (1866-1944) : 191, 445. ROMANI Felice (1788-1865) : 287. RONALD Davis: 289. RONSARD Pierre de (1524-1585) : 163, 249, 368. ROPS Félicien (1833-1898): 100, 470. ROQUEPLAN Camille (1802-1855) : 188. ROQUEPLAN Nestor (1804-1870) : 231, 306, 393, 440. RORET Nicolas-Edme (1797-1860) : 443. ROSA Guy: 241. ROSATI Carolina Galetti, Mme Francesco (1826-1905): 287. ROSNY Joseph-Henri Boex, pseudonyme Rosny aîné (1856-1940) : 47, 84, 160, 190, 191, 216, 249, 250, 257, 258, 382. ROSNY Séraphin-Justin Boex, pseudonyme Rosny jeune (1859-1948): 190. ROSSETTI Dante Gabriel (1828-1892) : 99. ROSSINI Gioacchino (1792-1868) : 27, 39, 90, 109, 127, 139, 184, 187, 206, 207,267,284,288,311,312,323,325, 340, 374, 393-396, 419, 421, 441. ROSSINI Isabella Colbran ou Colbrand, Mme Gioacchino (1785-1845): 394, 395. ROSSINI Olympe Descuiller, dite Olympe Pélissier, Mme Gioacchino (1799-1878): 394, 395. ROSTAND Edmond (1868-1918) : 64, 65, 75, 131, 160, 161, 226, 308, 322, 346. ROSTAND Mme. Voyez GÉRARD Rosemonde. ROSTAND Jean (1894-1977) : 218, 256. ROSTAND Maurice (1891-1968) : 64, 130, 161, 217, 413. ROTHSCHILD Adélaïde de, Mme Edmond de: 181, 396 3 97. ROTHSCHILD Alphonse de (1827-1905) : 396-397. ROTHSCHILD Edmond de (1845-1934) : 181, 357, 396-397.
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540 ROTHSCHILD James de (1792-1878) : 85, 102, 219, 357, 394, 396-397. ROTHSCHILD baronne Robert de : 92. ROUCHÉ Jacques (1862-1957) : 66, 368, 377. ROUGET DE LISLE Claude-Joseph (17601836): 49, 401. ROUHER Eugène (1814-1884) : 148. ROUJON Henry (1853-1914): 19, 138, 179, 180, 271, 279, 344, 347. ROUSSEAU Jean-Jacques (1712-1778) : 18, 188, 348. ROUSSEAU Théodore (1812-1867) : 32, 83, 106, 399-400, 412. ROUSSEL Ker-Xavier (1867-1944) : 326. ROUVEYRE André (1896-1962) : 165. ROUVIER Maurice (1842-1911) : 343. ROUVIER Mme Maurice. Voyez VIGNON Claude. ROUZAUD Mme Clémentine: 291, 292, 294. ROVRA y A. de, pseudonyme de Pier Angelo Fiorentino (1806-1864): 207, 400-401. ROYER Alphonse (1803-1875): 12, 127. RUBENS Petrus Paulus (1577-1640) : 69, 82, 124, 227, 331,437, 453. RUBINI Giovanni Battista (1795-1854) : 206, 208, 296. RUBINSTEIN Anton (1829-1894): 108, 378. RUBINSTEIN Ida Kharkov, Mme Horwitz (1883 ou 1888-1960) : 92, 272, 391. RUDE François (1784-1855): 123, 144, 401-402. RUDE Sophie Frémiet, Mme François (1797-1867): 402. RUGGIERI: 306. RUTY P.M., né en 1868: 128. RZEWUSKI Alexandre Ceslas (18931983): 23. SAADI Mucharrif Al Din (v. 1184v. 1290): 264, 402-406. SABATIER Adèle-Irma, dite Bébé, Mme Ulric F... (1825-1905): 303, 407. SABATIER Apollonie Aglaé Savatier, dite Mme Sabatier, dite "la Présidente" (18221889): 33, 94, 111, 130, 135, 299, 303,
363, 365, 379, 380, 406-408, 443, 450, 469. SACHS Léo (1856-1930) : 62. SADE Donatien, marquis de (1740-1778) : 356. SADE Jacques-Aldonce, abbé de (17051778): 356. SAFFROY : 390. SAINT-AMAND Jean-Amand Lacoste, dit (1797-1885): 150, 380. SAINT-AULAIRE Pierre-Jacques Porlier Pagnon, dit (1792-1864): 370. SAINT-CRICQ Caroline de, Mme d'Artigaux: 280. SAINT-CYR Mimi: 439. SAINTE-AULAIRE Louis-Clair de Beaupoil, comte de (1778-1854): 38. SAINTE-BEUVE Charles (1804-1869) : 23, 29,51, 56, 61,78, 82, 83, 86, 101, 130, 132, 160, 213, 241, 244, 248, 249, 264, 267, 301, 304, 332, 337, 338, 348, 386, 408 411, 415, 442, 454. SAINT-GEORGES Jules-Henri Vernoy de (1801-1875): 129, 182, 210, 285, 392. SAINT-GEORGES DE BOUHÉLIER Stéphane-Georges de Bouhélier-Lepelletier, dit (1876-1947): 191, 380. SAINT-HUBERTY Antoinette-Cécile Clavel, Mme de Croissy, comtesse d'Entraigues, dite (1756-1812): 136. SAINT-JEAN Simon (1808-1860) : 411412. SAINT-JULIEN: 210. SAINT-LÉON Arthur (1821-1870) : 28, 201. SAINT-MARCEAUX Charles-René de (1845-1915): 57, 116. SAINT-MARCEAUX Marguerite Jourdain, Mme Baugnies, Mme René de: 57. SAINT-PAUL Diane Feydeau de Brou, marquise de : 57, 257. SAINT-PRIEST Alexis Guignard, comte de (1805-1851): 23. SAINT-RENÉ TAILLANDIER René-Gaspard Taillandier, dit (1817-1879): 112. SAINT-SAËNS Camille (1835-1921): 17, 35, 36, 40, 57, 59, 164, 185, 186, 193, 196, 228, 257-258, 284, 325, 331, 340, 347, 419, 429.
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541 SAINT-VICTOR Claire de, Mme Dreyfus, née en 1859: 413. SAINT-VICTOR Paul Bins, comte de (18251881): Il, 14, 33, 87, 95, 138, 207, 268, 320, 336, 365, 367, 407, 412-413, 444, 457. SAINT -YVES Charles-Alexandre, marquis d'Alveydre (1842-1909) : 62, 456. SAINT-YVES D'ALVEYDRE, marquise de. Voyez KELLER. SAIONZI: 21. SALIERI Antonio (1750-1825) : 283. SALIS Louis-Rodolphe (1852-1897) : 327, 461. SALMON André (1881-1969) : 46, 162, 470. SALMON Joseph, né en 1864: 192. SALOMON, roi d'Israël de 970 à 931 avoJ.C.: 354. SAMP AYO comte de : 51. SAMSON Joseph-Isidore (1793-1871) : 263, 332, 370. SAMUEL Fernand Louveau, dit (t1914) : 45. SAND Aurore Dupin, baronne Dudevant, dite George (1804-1876) : 40, 51, 85, 86, 90, 103, 113, 114, 115, 122, 132, 133, 185, 189, 190, 207, 208, 219, 226, 229, 231, 244, 249, 265, 283, 296, 308, 314, 327, 329, 335, 336, 343, 399, 406, 413, 414-418, 419, 422, 429, 431, 445, 454, 467, 470. SAND Lina Calametta, Mme Maurice (18411901): 90, 416. SAND Maurice Dudevant, dit Maurice Sand (1823-1889) : 51, 87, 90, 185, 399, 416, 422. SANDEAU Jules (1811-1883) : Il, 27, 86, 150, 219, 231, 312, 415, 332. SANDOR Petoeff: 59. SAPHO (vIe S. avo J.-C.) : 34, 207. SARCEY Yvonne, Mme Adolphe Brisson (1869-1950): 117. SARCEY DE SUTIÈRES François, dit Francisque Sarcey (1827-1899): Il, 99, 109, 265, 326, 347, 448. SARDOU Jean-Jacques: 444.
SARDOU Victorien (1831-1908) : 45, 100, 108, 125, 138, 139, 161, 194, 198, 257, 301, 332, 444. SARDOU Mme Victorien, fille d'Eudore Soulié: 45. SARGENT John Singer (1856-1925) : 21, 22, 35, 91, 191, 362. SARMENT Jacqueline: 352. SARTRE Jean-Paul (1905-1980) : 250. SASS Marie-Constance, Mme Castelnary, dite Sax ou Sasse (1834-1907) : 410. SATIE Érik (1866-1925) : 40, 229, 238, 349. SAUSSINE Henri du Pont de Gault de, né en 1859: 382. SAUVAGE Thomas (1794-1877) : 392. SAUZA Y Eugène (1809-1901) : 56. SAVARD Augustin (1814-1881) : 35. SAVIGNON André: 294, 382. SAXE Maurice, comte de, dit le Maréchal de Saxe (1696-1 750): 126, 414. SAYN-WITTGENSTEIN Carolyne Ivanowska, princesse Nicolas de (18191887) : 49, 283, 360, 465. SAYN-WITTGENSTEIN Marie de : 360. SCEY-MONBÉLIARD Winnaretta Singer, princesse de. Voyez POLIGNAC, princesse Edmond de. SCHAEFFER Nelly: 133. SCHAPIRA : 88. SCHEFFER Ary (1795-1858) : 90, 99, 124, 186, 281, 360. SCHEIKEVITCH Marie, Mme Pierre Carolus-Duran (1882-1964): 163. SCHELLING Frédéric-Guillaume (17751854): 344. SCHERER Edmond (1815-1889) : 25, 277. SCHILLER Friedrich von (1759-1805) : 214. SCHLEINITZ comtesse de : 63, 284. SCHLESINGER Elisa, Mme Maurice (t1888): 132. SCHLESINGER Maurice (1797-1871) : 57, 263, 463. SCHMITT Florent (1870-1958) : 270. SCHNEIDER Hortense, comtesse Émile de Bionne (1833-1920): 339, 340, 426, 453. SCHNEIDER Marcel: 441.
542 SCHNEITZHOEFFER Jean-Madeleine (1785-1852): 419. SCHOLL Aurélien (1833-1902) : 34, 113, 120, 130, 142, 413, 443. SCHOPENHAUER Arthur (1788-1860) : 58, 344. SCHUBERT Franz Peter (1797-1828) : 37, 58, 188,214,317,418-419. SCHUMANN Robert (1810-1856) : 49, 85, 87, 188, 230, 3 10, 319, 463. SCHURÉ Édouard (1841-1929) : 62, 64, 118, 164, 257. SCHWARTZ W.L. : 436. SCHWARZKOPF Elisabeth, Mme Walter Legge, née en 1915 : 442. SCHWOB Isaac-George (1822-1892) : 145. SCHWOB Marcel (1867-1905): 144-145. SCOTT Walter (1771-1832) : 51, 188, 214, 419-421. SCOTTI Maria: 122. SCRIBE Eugène (1791-1861): 127, 129, 188,212,214,311,370,377,422. SÉCHAN Charles (1803-1874) : 244. SÉCHÉ Léon (1848-1914) : 51, 184. SECOND Albéric (1816-1887): 199, 200, 207, 232. SECOND Jean (xvIe s.) : 406. SEGALEN Victor (1878-1919) : 286, 376, 436. SEGALEN Yvonne Hébert, Mme Victor: 376. SEGOND-WEBER Eugénie-Caroline Weber, Mme Segond, dite (1867-1945): 61, 292. SÉGUR comtesse Guillaume de. Voyez SOREL. SÉGUR Louis-Gaston, Mgr de (18201881): 195. SÉGUR Sophie Rostopchine, comtesse de (1799-1874): 108, 195, 405. SELDEN Elisa Krinitz, dite Camille (18321897): 220. SELLIER Charles (1830-1882): 181. SEM Georges Goursat, dit (1863-1934) : 160. SE-MA-SÏAM-IU: 156. SEMELAIGNE Dr : 360. SENANCOUR Étienne Pivert de (17701846) :
SENNEVILLE Gérard de : 112. SÉRAPHIN Séraphin-Dominique François, dit (1747-1800): 421-425. SEROFF Victor: 229. SERT Misia Godebska, Mme Thadée Natanson, Mme Alfred Edwards, Mme José-Maria (1872-1950): 25, 63, 224, 272. SERVAIS Franz (1846-1901) : 63, 250, 314, 315, 345, 465. SERVIÈRES Georges (1858-1937): 12. SÉVERINE Caroline Rémy, Mme Guebhard, dite (1855-1929) : 43, 75, 129, 273, 406, 430. SEVERINI Carlo: 127. SÉVIGNÉ Marie de Rabutin-Chantal, marquise de (1626-1696): 104, 291, 292, 452. SÈZE Aurélien de (1799-1870) : 415. SFORZA, famille qui régna sur Milan (xveXVIe s.) : 460. SHAKESPEARE William (1564-1616): 103, 125, 188, 213, 214, 239, 240, 290, 308, 428, 441, 450, 463, 468. SHELLEY Percy Bysshe (1792-1822) : 82. SIBOUR Marie, archevêque de Paris (17921857): 425-427. SIGNORET: 326. SILVAIN Eugène (1851-1930): 430. SILVERMANN Willa Z. : 346. SILVESTRE Armand (1837-1901) : 26,31, 33, 37, 39, 46, 93, 146, 214, 269, 290, 388, 428-431, 448. SILVESTRE Théophile-Louis (18231876): 102, 363. SIMON Mme Eugène: 216. SIMON Jules-François Suisse, dit Jules (1814-1896): 236. SINGER Isaac (1811-1875) : 36. SINGER Paris (t 1939) : 36. SINGER Winnaretta. Voyez POLIGNAC. SIRAUDIN Paul (1813-1883) : 34, 107, 357, 440, 441. SISOW ATH 1er, roi du Cambodge (18401927): 77, 168, 377. SIVRY Charles de (1848-1900) : 229. SMITHSON Harriet, Mme Hector Berlioz (1800-1854): 48. SOCRATE (v. 470-399 avo J.-C.) : 344.
543 SONOLET Louis (t1928) : 88, 137, 180, 385, 453. SONTAG Gertrude Walpurgis Sonntag, comtesse Carlo Rossi, dite Henriette (18061854): 184, 207, 208. SOPHOCLE (v. 495-406 avo J.-C.) : 267. SOREL Céline Seure, comtesse Guillaume de Ségur, dite Cécile (1869-1966) : 38, 76, 181. SOUDA Y Paul (1869-1929) : 402, 423. SOUENG-PAO-KI: 435-436. SOULANGE-TEISSIER Louis-Emmanuel (1814-1898): 405. SOULIÉ Eudore (1817-1876) : 45. SOULIÉ Frédéric (1800-1847) : 307, 349. SOULIÉ Mlle. Voyez SARDOU. SOULIÉ DE MORANT George (18781953) : 46, 47, 374-375, 376, 383, 436. SOUMET Alexandre (1788-1845) : 369. SOUV AROF Alexandre, général (17291800): 233. SOUVERAIN: 78. SOUZA Y Gérard Tisserand, dit Gérard, né en 1918: 419. SPINOZA Baruch (1632-1677): 165. SPOELBERCH DE LOVENJOUL vicomte Charles de (1836-1907): 155, 322, 427. SPONTINI Céleste Érard, Mme Gaspare : 118. SPONTINI Gaspare (1774-1851): 118, 378. STAËL-HOLSTEIN Germaine Necker, baronne de (1766-1817) : 51, 83, 188, 348, 356, 405, 432. STAFFE baronne: 20, 128. STEINHEIL Adolphe-Charles-Édouard (1850-1908): 76. STEINHEIL Louis-Charles (1814-1885) : 303, 349. STEINHEIL Marguerite Japy, lady Robert Campbell, dit Meg (1868-1954) : 76. STENDHAL Henri Beyle, dit (1783-1842) : 217, 323, 324, 370, 397, 398, 421. STERLING miss Jane: 87. STERN Daniel. Voyez AGOULT. STEVENS Alfred (1828-1926) : 90-91. STEVENSON Robert Louis Balfour (18501894): 114, 145.
STOLTZ Victoire Noeb, Mme Lécuyer, baronne Kirschendorf, comtesse de Lesignano, dite Rosine (1813-1903) : 27, 127. STRADIVARIUS Antonio Stradivari, dit (v. 1664-1737): 428. STRAUS Émile (1844-1929): 102, 397. STRAUS Geneviève Halévy, Mme George Bizet, Mme Émile (1849-1926) : 42, 102, 194, 397. STRAUSS Johann (1825-1899) : 319, 467. STRAUSS Richard Georg (1864-1949) : 188, 426. STRAVINSKI Igor (1882-1971) : 341, 441. STRUENSÉE Jean-Frédéric, comte de (17371772): 38. SUAREZ André (1868-1948) : 72. SÙDRAKA (fin lIe s. ape J.-C.) : 188. SUE Marie-Joseph, dit Eugène (18041857): 53, 150,262,265,277,288,314, 395, 396, 420. SULLY PRUDHOMME René Armand Prudhomme, dit (1839-1907) : 47, 64, 229, 290, 454. SURCOUF baronne Marie, pseudonymes Robert Nolis, Albane: 216. SUVÉE Joseph Benoît (1743-1807): 105. SWEDENBORG Emmanuel (1688-1772): 192. SWINBURN Algernon Charles (18371909): 175. SYLVA Carmen. Voyez ÉLISABETH, reine de Roumanie. TAFFANEL Paul (1844-1908) : 441. TAGLIONI Filippo (1777-1871) : 210, 286, 287, 422. TAGLIONI Marie, comtesse Alfred Gilbert de Voisins (1804-1884): 127, 188, 199202, 210, 285-287, 306, 419. TAGLIONI Salvatore (1789-1868) : 287. TAGLIONI Sophie-Edwige, Mme Filippo. Voyez KARSTEN. TAILHADE Laurent (1854-1919) : 21,46, 133, 156, 160, 191, 198, 226, 277, 290, 362, 363, 376, 429, 430, 438, 455.
544 TAILLADE Paul-Félix-Joseph (18261898): 428-431. TAINE Hippolyte (1828-1893): 132, 221, 301, 398, 409. TALLEYRAND-PÉRIGORD Charles-Maurice de, prince de Bénévent (1754-1838): 103, 321. TALMA François-Joseph (1763-1826) : 231, 431, 432. TALMEYR Maurice (1850-1931 ou 1933) : 18-19, 237. TAMBURINI Antonio (1800-1876) : 206, 287. TARN Pauline. Voyez VIVIEN Renée. TASTU Amable Voïart, Mme (17951885): 337. TATITATA. Voyez FORT Eugénie. TATTET Alfred (t1856) : 379,406. TAYLOR Isidore-Séverin-Justin, baron (1789-1879): 105, 337. TCHAÏKOWSKI Piotr Illitch (1840-1893) : 183, 187, 230. TCHEREPNINE Nikolaï Nikolaïevitch (1873-1945): 392. TEBALDI Renata, née en 1922 : 441. TELEKI comte Alexandre: 374. TELLIER Jules (1863-1889): 160. TERRASSE Claude (1867-1923) : 126, 326. TESSANDIER Aimée-Jeanne (1851-1923) : 273. THACKERAY William Makepeace (18111863): 433-434. THALBERG Sigismond (1812-1871) : 267. THARAUD Charles, dit Jean (1877-1952) : 158, 230, 382, 438, 454. THARAUD Ernest, dit Jérôme (18741953): 158, 230, 382, 454. THÈBES Anne-Victorine Savigny, dite Mme de: 116. THÉO Cécile Piccolo, dite Louise (18541922): 340. THÉOCRITE (v. 315-v. 250 avo J.-C.) : 350. THÉON D'ALEXANDRIE (Ive s.) : 255. THÉOPHILE-GAUTIER Dr Paul (18701954): 148.
THÉOPHILE-GAUTIER Pierre (v. 1907-v. 1978): 148. THÉRÉSA Eugénie-Emma Valladon, Mme Guilloreau, dite Mme Donval, dite (1837-1913): 112, 430. THÉRIVE Roger Puthoste, dit André (18911967): 124. THEURIET André (1833-1907) : 59, 72. THIBAULT. Voyez FRANCE Anatole. THIERRY Édouard (1813-1894) : 14, 42. THIERS Adolphe (1797-1877) : 75, 116, 119, 123, 194, THIERY Claude-Émile (1828-1895) : 181. THODE Daniela von Bülow, Mme Heinrich (1860-1940): 42. THODE Heinrich (1857-1920) : 41. THOMAS Ambroise (1811-1896): 127, 138, 189, 318. THOMAS Clément, général (1809-1871) : 237. THOMAS-MALEVILLE Agnès: 246. THOU-FOU (vIlle siècle) : 376. TIERSOT Julien (1857-1936) : 49, 418. TIEZE Ludwig: 418. TILD Jean, pseudonyme de Dreyfous, fils de Maurice Dreyfous: 148, 154, 401. TINAN Jean Le Barbier de (1874-1898) : 145, 291, 381. TINA YRE Marcelle Chasteau, Mme Julien (1870-1948): 75, 129, 163, 406. TING-TSE-YING: 145. TINTORET Jacopo Robusti, dit le (15181594): 451. TIN-TUN-LING (1830-1886) : 66, 157, 159, 176, 254, 264, 342, 373, 374, 426, 434-440. TITIEN Tiziano Vecello, dit (v. 14901576): 351. TOM-POUCE Charles Sherwood Stratton, dit (1838-1883): 267. TOPFFER ou TOEPFFER Adolphe (17991846): 262, 378. TORTONESE Paolo: 452. TOTO. Voyez GAUTIER Charles-MarieThéophile. TOTTOLA Andrea Leone (t1831) : 323324. TOULOUSE-LAUTREC Henri de (18641901) : 93, 120, 233, 360.
545 TOUNENS Antoine (1825-1878) : 273. TOURGUENIEV Ivan (1818-1883) : 86, 90, 102, 111, 132, 139, 144, 186,210, 326, 416. TOUSSENEL Théodore (1806-1885) : 231. TRÉBUCHET. Voyez HUGO Sophie. TRISTAN Flora, Flore-Célestine TristanMorosco, Mme André Chazal, dite (18031844): 89, 343. TROLONG Raymond-Théodore (17951869): 148. TROUBAT Jules (1836-1914) : 267, 410, 411. TROUBETZKOï prince Alexandre: 286. TROUBETZKOï Eugénie-Marie-Edwige, princesse Alexandre, née en 1836 : 286. TURGAN Julien (1824-1887) : 33, 95, 117, 443. TURNER Joseph William (1775-1851) : 141. UBERSFELD Anna: 67, 135, 241, 281, 315, 358, 451. UCHARD Mario (1824-1893): 14, 412, 443-446. UCKERMANN René Patris d' : 218. UGOLIN della Gherardesca (xIIIe s.) : 446449. UHLAND Ludwig (1787-1862): 214. UTRILLO Maurice (1883-1955) : 365. UZANNE Joseph (1850-1935) : 293. UZANNE Octave (1851-1931) : 107,293. UZÈS Anne de Rochechouart de Mortemart, duchesse de Crussol d' (1847-1933): 180, 182. VACARESCO Hélène (1866-1947) : 64, 163. VACQUERIE Auguste (1819-1895) : 61, 91, 236, 239, 241, 249, 278, 308, 364, 386, 408, 443, 449-451. VACQUERIE Charles (t1843) : 234. VAËZ Gustave Van Nieuwenhuysen, dit (1812-1862): 127. VAILLANT Auguste (1861-1894) : 290. VAILLANT Jean-Baptiste Philibert, maréchal de France (1790-1872) : 466. VAILLAT Léandre: 287. VALADE Léon (1841-1884) : 272.
VALADON Marie-Clémentine, Mme Paul Mousis, Mme André Utter, dite Suzanne (1867-1938): 365. VALÉRIO Théodore (1819-1879) : 451. VALÉRY Paul (1871-1945) : 224, 249. VALLETTE Alfred (1858-1935) : 39, 228, 257. VALSAMACHI Mme: 142. VALTESSE. Voyez LA BIGNE. VANDAL Albert (1853-1910) : 359. VANDÉREM Fernand (1864-1938): 198. VANDERPOOTEN Claude: 97. VAN DER WEYDEN Rogier de La Pasture, dit (t1464): 451. VAN DE VELDE: 319. VAN DONGEN Comelis Kees (18771968): 92. VAN DYCK Antoine (1599-1641) : 222, 379, 451. VAN DYCK Ernest (1861-1923) : 465. VAN EYCK Hubert (v. 1370-v. 1426) : 451-452. VAN EYCK Jan (v. 1390-1441): 451452. VAN GOGH Vincent (1853-1890) : 108, 303. VAPEREAU Gustave (1819-1906) : 43, 107, 159, 266, 351. VASARI Giorgio (1511-1574) : 99, 460. VASSEUR Thierry: 455. VATEL (t1671): 452-454. VATOUT Jean (1792-1848) : 23. VAUDOYER Alfred (1846-1917) : 366. VAUDOYER Jean-Louis (1883-1963) : 79, 366, 467. VAUVENARGUES Luc de Clapiers, marquis de (1715-1747): 454-456. VAUX Charlotte-Clotilde Marie, Mme Amédée Devaux ou de (1815-1846) : 124. VEDEL Émile (1858-1937) : 211,272, 423, 424, 438. VELASQUEZ DE SILVA Diego (15991660): 222, 437, 456-457. VERDI Giuseppe (1813-1901) : 53, 91, 138, 283, 394, 441, 442. VERGER Jean-Louis (1826-1857) : 425. VERLAINE Georges (1871-1926) : 293.
546 VERLAINE Mathilde Mauté de Fleurville, Mme Paul (1853-1914): 191. VERLAINE Paul (1844-1896) : 36, 145, 367, 408, 461. VERMERSCH Eugène (1845-1878) : 160. VERNE Jules (1828-1905): 108, 226, 257, 330. VERNE Maurice (1887-1943) : 439. VERNET Horace (1789-1863) : 62, 105, 111, 266, 395, 468, 470. VERNON Marie. Voyez RENON. VERNOY DE SAINT-GEORGES. Voyez SAINT-GEORGES. VÉRON Louis-Désiré, dit Dr (1798-1867) : 105, 210, 232, 321, 369, 422, 445. VÉRONÈSE Paolo Caliari, dit (15281588): 221. VERUS Lucius Aurelius (130-169) : 458460. VERUS Lucius Celonius (t137) : 458460. VESTRIS Marie-Jean-Augustin, dit Auguste (1760-1842): 199, 287. VEUILLOT Louis (1813-1883) : 363. VIANNEY Jean-Baptiste-Marie, curé d'Ars, saint (1786-1859): 384. VIARDOT Claude, Mme Georges Chamerot, née en 1852: 186. VIARDOT Louis (1800-1883): 102, 108, 111, 185, 186, 337, 415. VIARDOT Louise, Mme Ernest Héritte de La Tour (1841-1918): 186. VIARDOT Marianne, Mme Alphonse Duvernoy (1854-1919): 36, 186. VIARDOT Paul (1857-1941) : 187. VIARDOT Pauline Garcia, Mme Louis (1821-1910) : 40, 53, 57, 90, 102, 108, 111, 139, 183, 184, 187, 194, 195,208, 210, 257, 270, 318, 325, 327, 415, 417, 418, 430. VIAUD Julien. Voyez LOTI. VICTOR-EMMANUEL II, roi d'Italie (18201878): 138, 460. VICTORIA Ire, reine de Grande-Bretagne et d'Irlande, impératrice des Indes (18191901): 267, 373, 388, 433. VICTORINE: 71, 135, 231, 281, 355. VID IL baron de : 200.
VIEL-CASTEL Horace, comte de (18021864): 106, 107, 189, 332, 466. VIEUXTEMPS Henri (1820-1881): 184. VIGNON Noémie Cadiot, Mme Constant, Mme Maurice Rouvier, dite Claude (18321888): 101, 342, 343. VIGNON Victor (1847-1909) : 343. VIGNY Alfred, comte de (1797-1863) : 86, 88, 112, 123, 130, 132, 188, 213, 214, 243, 263, 277, 319, 322, 328, 332, 337, 338, 351, 354, 363, 372, 409, 415, 428. VILLARD Nina de. Voyez CALLIAS. VILLEMAIN Abel-François (1790-1870) : 82, 387. VILLIERS DE L'ISLE-ADAM MathiasAuguste, comte de (1838-1889) : 41, 63, 96, 99, 153, 164, 186, 230, 269, 271, 284, 307, 343, 344, 387, 429, 470. VILLOING Antoine (t1849) : 118 VILLON François (1431-ap. 1463): 468. VILLOT Marie-J oseph- Frédéric (18091875): 452. VILMORIN Louise de, Mrs Henry LeighHunt, comtesse Paly Palffy (1902-1969) : 238. VINCENT Jacques. Voyez BORY D'ARNEX. VINCI Léonard de (1452-1519) : 294, 312, 457, 460-461. VIOLLET-LE-DUC Eugène (1814-1879): 105, 332, 333. VIOTTI Giovanni Battista (1755-1824) : 184. VIRGILE Publius Vergilius Maro (v. 70-19 avo J.-C.): 154, 156, 306, 307, 350, 351, 357, 430, 457. VISCONTI Luchino (1906-1976) : 442. VIVIEN Pauline Tarn, pseudonyme Renée (1877-1909): 425. VIVIER Eugène (1817-1900) : 444, 461. VOGÜÉ Melchior, marquis de (18291916): 181, 223. VOLLARD Ambroise (1868-1939): 137. VOLNY : 380. VOLTAIRE François-Marie Arouet, dit (1694-1778): 188, 356, 454. VUILLARD Édouard (1868-1940) : 326. VUILLIER Gaston (1846-1915) : 391. WAGNER Clara: 467.
547 WAGNER Cosima Liszt, Mme Hans von Bülow, Mme Richard (1837-1930) : 41, 59, 63, 269, 283, 284, 285, 345, 360, 380, 387, 390, 424, 462-465. WAGNER Eva, Mme Houston Stewart Chamberlain (1867-1942): 424. WAGNER Frederic (t1813) : 463. WAGNER Johanna Patz, Mme Frédéric W., puis Mme Ludwig Geyer (t1848) : 463. WAGNER Richard (1813-1883): 12, 13, 17, 19,40,41,48,49,57,58,60,63,65, 73,98,108,117,119,157,158,164, 166, 182, 194, 196, 212, 217, 219, 223, 227, 228, 230, 250, 271, 272, 284, 285, 305, 309, 310, 324, 325, 329, 340, 343, 345, 347, 348, 352, 360-361, 378, 382, 394, 411, 424, 432, 441, 445, 446, 461465, 467. WAGNER Siegfried (1869-1930) : 40-41, 424, 439, 464, 465. WAGNER Wilhelmine Planner, dite Minna, Mme Richard (1809-1886): 57, 463, 464. WAILLY Jules de (1832-1875): 214. WALDOR Mélanie Villenave, Mme (17961871): 124, 261. WALEFFE Maurice Cartuyvels de : 21, 161, 191, 225, 257, 341, 426, 437. WALEWSKA Marie Leszynska, comtesse W., puis comtesse d'Ornano (1786-1817) : 371. WALEWSKA Marie-Anne de Ricci, comtesse W., puis Mme Joseph Alessandro (1825-1912): 465-467. WALEWSKI Alexandre-Antoine Colonna, comte (1844-1898): 371. WALEWSKI Alexandre-Joseph Colonna, comte (1810-1868): 465. WALLACE Richard (1818-1890) : 406, 407. WALTER Judith. Pseudonyme de GAUTIER Judith: 31, 107 , 360, 390. WATTS George Frederick (1817-1904) : 302. WEBER Karl-Maria von (1786-1826) : 103, 164, 230, 310, 378, 463, 467-468. WEBSTER Clara (1821-1844) : 286. WEILL Zélie: 126. WEINGARTNER Félix (1863-1942) : 40.
WELDON Georgina Thomas (1837-1914) : 194. WESENDONCK Mathilde Luckemeyer, Mme Otto (1828-1902) : 463, 464. WHISTLER James (1834-1903) : 21, 74, 91. WIDOR Charles-Marie (1844-1937): 164, 192. WILDE Oscar (1854-1900) : 84, 92, 241, 391, 455. WILHELM Lucie: 64, 376. WILLY Henry Gautier-Villars, dit (18591931): 91, 113, 160, 164, 191,400. WINTERHALTER Franz-Xaver (18051873) : 92, 385, 394, 470. WITTELSBACH, famille princière de Bavière: 137. WORMS Dr: 396. WORTH Charles-Frédéric (1825-1895) : 386. WRONSKI Hoèné (1777-1853) : 343. WURTEMBERG Catherine, princesse royale de, reine de Westphalie (17831836): 300. WYLD William (1806-1889) : 366, 468469. XANROF Léon Fourneau, dit (1867-1953) : 93. YACCO Sada (1871-1946) : 271. YAMAMOTO Hosui (1850-1906) : 21,22, 436. YON Jean-Claude: 340. YOURCENAR Marguerite de Crayencour, pseudonyme Marguerite (1903-1987) : 458. YRIARTE Charles-Émile (1833-1898) : 56, 379, 469-470. YU-KENG Son Excellence: 344, 435. ZAMBELLI Carlotta (1875-1968) : 287, 326. ZELLER Jules (1819-1900) : 56. ZICHY Mihaly von (1827-1906) : 470471. ZIEGER Charles: 139. ZIEM Félix (1821-1911): 181, 379, 469.
548 ZIMMERMANN Pierre-Joseph (17851853): 102, 194. ZOLA Émile (1840-1902) : 43, 62, 117, 120, 132, 189, 262, 290, 325, 453. ZUCCHI Virginia (1847-1930) : 287. ZULOAGA y ZABALETA Ignacio (18701945): 92. ZWEGUINTSEF Wladimir Alexandrovitch : 385.
TABLE
Préface de Jean-Philippe Bouilloud ....................................
folio
5
Remerciements .............................................................
8
Épigraphe.
9
. . .. . .. .. .. . .. . .. .. . ... . .. .. . .. . ... . .. . ..... . .. . ... .. .. .. . . . .. . .. ..
Dicti0nnaire ................................................................. Postface
de Sylvie
Suggestions
Index
Camet
bibliographiques...
onomastique.
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...
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