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Collection fondée et dirigée par Daniel Mercure La collection Sociologie contemporaine rassemble des ouvrages de nature empirique ou théorique destinés à approfondir nos connaissances des sociétés humaines et à faire avancer la discipline de la sociologie. Ouverte aux diverses perspectives d’analyse, « Sociologie contemporaine » s’intéresse plus particulièrement à l’étude des faits de société émergents. Une liste des titres parus dans la collection est disponible à la fin du volume.
Téléfantaisie La mondialisation de l’imaginaire
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Marina D’A mato
Téléfantaisie La mondialisation de l’imaginaire
Les Presses de l’Université Laval
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Maquette de couverture et mise en pages : Mariette Montambault Illustration de la couverture : J.M.W. Turner, Staffa, la grotte de Fingal, 1832, New Haven, Mellon Collection.
ISBN 978-2-7637-8830-2 © Les Presses de l’Université Laval 2009 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 2e trimestre 2009 Les Presses de l’Université Laval 2305, rue de l’Université Pavillon Maurice-Pollack, bureau 3103 Québec (Québec), Canada G1V 0A6 www.pulaval.com
À mes enfants, Edmondo et Elisabetta, « encombrants » et indispensables protagonistes de mon univers fantastique personnel.
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Table des matières
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Introduction La sociologie de l’imaginaire et l’étude du fantastique . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 1 La société du fantastique . . . . . . . . . . . . . . . .
37
1. 2. 3. 4. 5.
L’imaginaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les fonctions de l’imaginaire . . . . . . . . . L’imaginaire et la création du monde . . . 3.1 Le jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 L’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 Le mythe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le parcours d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . La force des images dans les représentations sociales . . . . . . . . . . .
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
Chapitre 2 La mondialisation et l’imaginaire fantastique . . . . . . . . . . . . . . 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
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L’imaginaire infantile, le conte et le fantastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Les approches du fantastique : narratologie, ethnologie et psychologie . 71 De la parole à l’image . . . . . . . . . . . . . . . 74 Les nouveaux héros . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Les mythes contingents . . . . . . . . . . . . . . 81 Les nouvelles histoires . . . . . . . . . . . . . . . 85 Le temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 L’image, plus importante que les mots . . 100 Principaux thèmes de l’univers composite des dessins animés . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
Conclusion La fantaisie mise en vente . . . . . . . . . . . . . . .
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Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Remerciements
J’exprime ma reconnaissance à tous ceux qui, de près ou de loin, ont stimulé mon travail. Je pense aux dialogues avec André Petitat, Daniel Mercure, Franco Ferrarotti, Sabine Chalvon, Dominique Pasquier et Roberto Cipriani. Mais je pense surtout à ceux qui m’ont soutenue et aidée chaque jour par leur intelligence et leur participation à la composition du texte : Milena Gammaitoni qui a été mon principal interlocuteur et m’a fait part de ses conseils, participant avec une grande sensibilité non seulement à la recherche des sources mais aussi à l’élaboration de l’ensemble matériel ; et Chiara Balassone qui s’est soumise avec beaucoup de dévouement à la mise en forme d’une bonne partie du travail.
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Avant-propos
Ce livre porte sur l’imaginaire contemporain, plus particulièrement sur le fantastique, tel qu’il est véhiculé auprès des enfants par la voie de dessins animés et de jeux vidéo à travers le monde. Notre objectif est de présenter une synthèse de nos travaux sur ce thème, travaux amorcés au milieu des années 1980 et toujours en cours, qui ont donné lieu à plusieurs recherches empiriques, tant sur les émissions de télévision pour enfants diffusées en Europe de l’Ouest, de l’Est et dans le monde arabe que sur les jeux vidéo. Cet avant-propos offre un résumé des travaux en question sur la base desquels a été rédigé le présent ouvrage théorique. 1. Une première série, de type longitudinal, a porté sur la téléfantaisie dans le monde occidental et a donné lieu à la publication de plusieurs ouvrages, rapports et articles1. Pour l’essentiel, ces travaux avaient pour but de
1.
Marina D’Amato, Per amore, per gioco, per forza, 1988, Torino, ERI, 332 p. ; Lo schermo incantato, Rome, Ed. Riuniti, 1989, 2e éd., 1993, 190 p. ; Bambini e tv, Milan, Il Saggiatore, 1997, 127 p. ; Bambini e mass media, Rome, Ed. SEAM, 2000, 244 p. ; Pinocchio nella pubblicità, Florence, Ed. La Nuova Italia, 1997, 177 p. ; I bambini di fronte alla tv, Florence, Ed. UniCoop, 1997, 146 p. ; La svolta della tv, Rome, Laterza, 1997, 219 p. ; « Cultura, valori e comunicazione nelle società contemporanee », dans A. Petrillo, Senza Scudo, Ed. La città del sole, p. 187-210 ; Storia della tv dei ragazzi, Turin, Rai-Eri, 2002, 342 p. ; Bambini multimediali, Florence, Istituto Innocenti, 353 p. ; I Teleroi, Rome, Ed. Riuniti, 1re éd., 1992 et 2e éd., 2006, 288 p. ; Telefantasie,
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
repérer les mythes, les valeurs et les modèles de comportement proposés aux enfants par les émissions de télévision qui leur étaient destinées. L’imaginaire transmis à la télévision est un puissant révélateur des changements culturels en cours. De fait, depuis les années 1970, on constate que pour la première fois dans l’histoire, tous les enfants de la planète connaissent les mêmes protagonistes des histoires transmises à la télévision, les mêmes héros et les mêmes mythes. Il s’agit là d’un phénomène nouveau, d’une portée immense, qui a été sous-estimé et dont les considérations présentées ci-dessous illustrent la portée. Nous avons ainsi pu étudier, au fil des ans, l’évolution des valeurs, des mythes et des normes de comportement apparus dans les émissions pour enfants, constater une relation étroite entre l’imaginaire des adultes et celui des enfants et analyser l’éthique dominante. La recherche a débuté par l’analyse du matériel d’archives de la Rai (télévision italienne) à partir de 1954 – année du début de la télévision pour enfants – et une étude sur le « terrain » selon la méthode d’examen du contenu à partir de 1985. L’étude a été menée chaque année pendant 30 jours, en novembre, au moyen d’une grille d’observation et de questionnaires qui visaient toutes les
nuovi paradigmi dell’immaginario, Milan, Franco Angeli, 2007, 309 p. ; « Nuovi miti, vecchi paradigmi », dans Enciclopedia italiana, 1989, p. 36-51 ; « I nuovi paradigmi dell’immaginario infantile », dans Il Veltro, n. 1/04, p. 27-39 ; « Les enfants captifs de la télé : un remède à l’ennui », dans La lettre de l’enfance et de l’adolescence, n. 260, 2005 ; « Bambini multimediali », dans Parabola, Rivista di studi e ricerche sulla comunicazione, 2007 ; « Globalizzazione e immaginario fantastico », dans Voci di strada, Rome, 2007, p. 3-24 ; « Immaginario », dans Enciclopedia del Terzo Millennio, Treccani, 2008, 25 p. ; « Globalizazione et e immaginario fantastico », dans Child and Society, New York, Lulu, 2006 ; « Immaginario », « Infanzia », Enciclopedia dei Ragazzi, Istituto dell’Enciclopedia Treccani, 2005 ; « Les nouveaux paradigmes de l’imaginaire des enfants », dans Éléments pour une sociologie de l’enfance, Presses universitaires de Rennes, 2006.
Avant -propos
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émissions destinées aux enfants et aux jeunes (depuis 1954, 650 émissions) en vue de mettre en évidence la dimension qualitative et quantitative des données relevées. L’étude longitudinale qui porte sur les émissions de la télévision publique au cours des 24 dernières années a permis de comprendre, selon une perspective historique, les valeurs, les thèmes et les modèles de comportement observés en Italie d’abord et en Europe ensuite. N’ont été examinées que les émissions qui, par leur contenu, leur modalité d ’expression et le processus évident d’identification induit par les personnages, s’adressaient explicitement aux plus jeunes. Conformément à l’hypothèse de travail, qui considérait la programmation pour l’enfance comme un « flux », nous avons donc étudié : – toutes les émissions de dessins animés et leur environnement ; – les émissions de jeux ; – les séries dont les protagonistes étaient des enfants ou des jeunes ; – les séries centrées sur la famille diffusées en aprèsmidi et en début de soirée. Seule l’analyse globale des émissions pouvait nous aider à vérifier l’hypothèse selon laquelle la télévision se présentait comme un nouveau paradigme de la pensée plutôt que comme une galerie d’éléments disparates susceptibles de ne produire que des mythes, des valeurs et des modèles de comportement. Dans l’ensemble, nous pouvons affirmer que les histoires renferment très peu de futur et de passé, car tout se déroule au présent, dans des contextes de plus en plus étroits... Retour au sujet ? Centralité de la dimension narcissique et du moi ? Hédonisme et, pourquoi pas, cynisme dans les rapports humains ? Effectivement, le milieu social est peu présent, sinon totalement absent ; il en va de même pour le contexte historique et pour l’avenir possible. On dirait que tout se joue dans le ici et maintenant ; que tout se développe autour de
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
sentiments atténués par le temps en de micro-histoires de vie quotidienne. L’imaginaire proposé aux enfants et aux jeunes par le flux de la programmation télévisée est composé principalement de dessins animés (43 %) et de publicités (33 %), éléments qui dépassent de loin le rôle joué par les téléfilms (9 %), le ludo-éducatif (3 %), les spectacles récréatifs (3 %) et les jeux (2 %). En ce qui concerne les sujets abordés, la didactique (50 % pour les enfants entre 4 et 6 ans) et l’écologie (75 % pour les enfants entre 4 et 6 ans) sont les thèmes qui s’adressent davantage aux plus petits, alors que le merveilleux (32,6 % pour les 4-6 ans et 55,8 % pour les 7-9 ans) et la science-fiction s’adressent à des enfants plus grands (33,3 % pour les 4-6 ans et 66,7 % pour les 7-9 ans). Les sujets relatifs à l’information et aux faits divers s’adressent surtout aux jeunes de 10 à 12 ans, dans une proportion de 86 % ; quant à la vie quotidienne, même si elle est présente de manière assez égale selon les tranches d’âge, elle touche surtout les jeunes de 12 à 16 ans (43,4 %). Les émissions sentimentales s’adressent à tous les âges, bien qu’elles privilégient les jeunes de 10 à 12 ans (37,5 %). L’organisation en série des histoires comporte une articulation des évènements qui brise le récit en fragments de vie quotidienne, et c’est peut-être pour cela que la programmation pour enfants à la télévision se déroule surtout à l’époque actuelle (75 %), alors que les émissions qui renvoient à des époques révolues sont très peu nombreuses (6 %) et que les émissions de science-fiction, qui se situent évidemment dans le futur, le sont encore moins (3 %). L’hégémonie du genre masculin sur le genre féminin est évidente : dans l’imaginaire fantastique proposé aux plus jeunes, les protagonistes masculins sont presque deux fois plus nombreux que les protagonistes féminins. En revanche, par rapport à la programmation antérieure, le rôle joué en coprésence est en augmentation (26 %), mais nous sommes encore loin d’une culture d’égalité des chances pour les enfants.
Avant -propos
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Dans les histoires télévisées, les protagonistes proviennent, du point de vue social, surtout de la classe moyenne (53 %), comme c’est le cas pour la publicité et les produits qui en dérivent. En ce qui concerne leur rôle, nous constatons que les nouveaux protagonistes de la télévision pour enfants agissent surtout en fonction de leur activité professionnelle (22 %) ; de plus, leurs actions ont pour but d’affronter des problèmes (13 %) et de mener des activités de tous les jours (9 %). En pourcentages réduits, les nouveaux héros combattent (8 %), découvrent (6 %), jouent (6 %) et rivalisent entre eux (5 %). La dimension professionnelle est donc importante dans l’identification de la position du protagoniste de l’émission pour jeunes, même si les enfants en composent 16 % et les animaux 17 %. Le thème le plus traité est la vie quotidienne (21 %), bien avant l’aventure et le comique (16 %). Le merveilleux semble disparaître au profit d’une représentation de la vie « normale ». Ne pouvons-nous donc pas conclure que, devant l’écran, les plus jeunes retrouvent avec plaisir cette vie de tous les jours et ces milieux familiaux dont nous pensons qu’ils viennent de s’éloigner, mais auxquels ils aspirent peut-être ? L’intimisme transmis à la télévision reflète-t-il, en somme, la dimension la plus vécue et la mieux connue ou bien, pour l’usager enfant d’aujourd’hui, est-il un rêve à atteindre ? Ou peut-être, de façon plus générique, le fait que le quotidien soit le thème le plus fréquent de la programmation qui s’adresse aux plus jeunes démontre-t-il la primauté du quotidien sur l’« exceptionnel », autrement dit la fin de l’aventure comme leitmotiv narratif pour les enfants. Par rapport à la tradition télévisée, nous assistons en effet, aujourd’hui, à un déclin de l’« exceptionnel » au profit du « banal ». Chaque histoire, diluée en 30, 60 ou 90 épisodes, finit par se noyer dans le vécu intimiste, lequel devance aussi le conflit et la violence tant critiqués. 2. Une deuxième série de travaux a porté sur la téléfantaisie dans les pays de l’Est, notamment en Moldavie, à
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partir d’émissions en provenance de la Moldavie, de la Russie et de la Roumanie2. Le relevé des données a eu lieu durant la semaine du 16 au 22 novembre 1998. Nos objectifs étaient les suivants : – définir le type de fiction en déterminant le contexte thématique et le héros de référence ; – comprendre la typologie d’une émission récréative en en définissant aussi le présentateur principal ; – construire la typologie des émissions éducatives et culturelles et leur présentation ; – identifier les émissions didactiques. Notre analyse a voulu définir les thèmes et le contexte dans lequel l’émission était insérée en essayant de percevoir, à travers certains éléments fondamentaux de la structure sociale, les lieux de la nouvelle identité : le travail, la politique, le pouvoir. Nous avons aussi pris en considération les problématiques présentes dans les émissions, les espaces où ces dernières agissent et les valeurs exprimées par une double référence à ce qui caractérise davantage le monde occidental et à ce qui est le plus typique des pays de l’Est. Dans la phase de transition culturelle, politique et économique que la Moldavie traverse depuis plus de dix ans, l’élément saillant qui la distingue le plus est celui de la quête d’une identité. Notre recherche a voulu retrouver ce parcours et reconstituer ses étapes. L’étude de la programmation de la télévision moldave et de tout son palimpseste nous a semblé un instrument utile pour com-
2.
Marina D’Amato, Nazionalismo e identità collettive, Naples, Ed. Liguori, 2001, 177 p. ; « La comunicazione in Estonia », dans Gloria Pirzio Ammasari et Ariana Montanari, La fine del sistema sovietico e i paesi baltici, Franco Angeli, 2003, p. 97-107 ; « Televiziunea pentru copii intre planetarezare si omogeneizzare », dans Identitae nazionala si comunicarea, Ed. Università de Moldavie, 1998, p. 31-67 ; « La telefantasia dell’Europa dell’Est », dans Telefantasie, nuovi paradigmi dell’immaginario, Ed. Franco Angeli, 2007, p. 184-218.
Avant -propos
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prendre l’image projetée de la réalité et les aspirations du pays. Notre étude, fondée sur l’analyse de contenu, nous a permis de mettre en relief le fait que la télévision peut être non seulement un reflet, mais aussi une loupe de la réalité et qu’elle peut élaborer une modalité de production de l’expérience qui dépasse la limite objective de l’évènement et de son récit. La dynamique qui sous-tendait notre recherche n’était pas seulement de vérifier la réalité de la situation sociale en transition, mais aussi et surtout de percevoir la quête d’une identité sociale, religieuse et culturelle dans le nouveau cadre politique, notamment à travers la transformation culturelle que la programmation de la télévision propose. Nous avons décidé, par conséquent, d’analyser toute la programmation télévisuelle d’une semaine type de la télévision moldave. Actuellement, la population bénéficie d’une télévision moldave, TVM4, d’une télévision roumaine ainsi que d’une télévision russe. Loin d’organiser la communication sociale de façon plus ou moins structurée et de contribuer par là à la création d’un nouveau lien, les médias de l’Europe postcommuniste constituent plutôt, actuellement, le vecteur principal pour la reconstruction – inévitable après la chute du communisme – des différentes identités locales. En ce sens, l’étude de l’évolution des scénarios médiatiques dans les pays de l’Europe de l’Est mène à des conclusions plutôt pessimistes. La fin du monopole et la diversification des marchés de la presse, de même que l’ouverture relative de l’espace audiovisuel, n’ont pas permis, du moins pour le moment, de reconstruire de vrais espaces de communication sociale, ce qui aurait pu contribuer au renforcement des sociétés civiles, car bien qu’ils soient en grande partie libres et indépendants, les médias de l’Est sont encore à la recherche de leur rôle, dans leur langage spécifique, et de leur place dans des sociétés profondément désagrégées, déstructurées et en pleine transformation. Toutefois, par le simple fait qu’il existe, ce nouveau pluralisme des médias contribue largement au processus de privatisation de la vie sociale,
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condition nécessaire à l’autonomie de la société civile. Mais en même temps, en essayant refléter – de façon parfois trop fidèle – la complexité des réalités sociales, politiques et économiques, alors que celles-ci sont sans cesse bouleversées, les médias ne contribuent-ils pas en quelque sorte à renforcer les phénomènes de désintégration sociale et le sentiment de devoir redémarrer toute la reconstruction de l’identité sociale ? La fin du communisme ne se limite pas, comme le soutiennent certains, à la seule instauration des mécanismes de l’économie de marché et au respect des processus électoraux ou démocratiques. La transition vers une société moderne est avant tout un processus culturel qui suppose évidemment la reconstruction des espaces de la communication sociale. C’est ainsi que la façon dont se constituent petit à petit les nouveaux paysages médiatiques, les nouveaux espaces de communication sociale revêtent une importance capitale pour l’avenir de tous ces pays. En résumé, il s’agit d’une programmation qui essaie d’affirmer sa nouvelle « histoire », qui s’exprime à travers un message adressé aux enfants et aux très jeunes qui, dans la représentation de la vie agricole constamment évoquée, tâche de trouver une ressource pour résoudre les problèmes économiques et politiques. Cette programmation puise dans les traditions folkloriques la possibilité de regrouper autour d’une nouvelle identité sociale la vie collective, en cherchant dans le passé les éléments sur lesquels bâtir le futur. 3. Une troisième série de travaux a porté sur la téléfantaisie dans le monde arabe3.
3.
Marina D’Amato, L’Imaginaire fantastique du monde arabe, Rapport de recherche, Maîtrise en science et technologie des médias, Université de Tunisie et Université de Rome 3, 2004, 312 p. ; « L’imaginaire et l’enfance », conférence prononcée à l’Association tunisienne de sociologie, Université de Tunis, colloque L’identité et construction du lien social, 2004 ; « Children, Games, as Fundamental Common Element in the Mediterranean Culture », conférence prononcée au congrès international Med Child Foundation,
Avant -propos
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Notre recherche a analysé les valeurs transmises par la télévision à travers les dessins animés élaborés dans les pays arabes et diffusés en Tunisie. Certains d’entre eux sont la transposition télévisée des Mille et une nuits ou bien ils présentent des personnages religieux comme Mahomet ; les histoires arabes sont basées sur des valeurs comme la sagesse et la solidarité. Par ailleurs, en étudiant les contes des Mille et une nuits et les anecdotes de Djeha, nous avons constaté que les thèmes traités sont la mort, la malhonnêteté et la vie quotidienne. Ces récits renforcent les valeurs sociales liées au respect des parents, du travail et de la religion. Le monde arabe a levé des tollés de protestation et de contestation à l’égard de l’invasion des produits américains sur leur marché audiovisuel : les films d’animation américains et leurs thématiques envahissent le monde et contaminent l’espace récréatif des enfants arabes, surtout les bandes dessinées et les émissions télévisées, à tel point que le style de vie des jeunes Arabes est de plus en plus influencé par les coutumes et les modèles culturels occidentaux. Ayant compris la menace que représentent pour leur identité culturelle ces émissions pour enfants et adolescents, quelques hommes d’affaires et d’État arabes ont décidé de fonder la Société arabe pour le cinéma des enfants. Le but de cette association est de soutenir la production cinématographique et télévisée des produits destinés à l’enfance (dessins animés, longs métrages...) afin qu’ils correspondent aux valeurs et à l’héritage arabes. Dans les pays arabes, le modèle dominant est désormais le récit fabuleux disneyen, très unifié. Le monde arabe voit ce phénomène d’un très mauvais œil parce qu’il pourrait soulever des processus d’interférence dans le cadre de systèmes de valeurs et de visions du monde propres à leur
c olloque The Arab Child Subject to Different Cultural Influences, Le Caire, 2005.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
culture ; et la spécificité des récits des contes locaux dans les régions à tradition agricole et nomade de ces pays diminue en faveur de la culture dominante des grandes villes qui sont le centre du commerce mondial, modelé sur des matrices américaines. Il faut toutefois reconnaître l’apport de la culture populaire qui, source de création collective, accompagne le développement aussi bien de l’enfant que de la société. La culture américaine, en revanche, ne favorise pas le processus progressif d’intégration de la société et des économies arabes sur le marché global ; par ailleurs, les contes transmis à la télévision sont surtout des produits commerciaux qui créent chez les enfants et les jeunes Arabes une aliénation des problèmes concrets qu’ils devront affronter au sein de leurs sociétés. À la suite de notre étude approfondie effectuée en 2004-2005 sur la production de dessins animés, de comédies de situation, de films et de variétés, nous pouvons résumer comme suit la répartition de leurs origines : sur plus de 100 chaînes diffusées en Tunisie (dont TV7, Space toon, Bahrein 55, Iqra, Maroc, Algerie, ART teens, Canal 21, MBC 2, ESC, Emirates, Yemen, Quatar...), 32 % des émissions sont d’origine japonaise, 27 % américaine, 25 % européenne et 15 % arabe. Ces données confirment une forte influence de valeurs, connaissances et visions qui se réfèrent aux quatre mondes et cultures qui dominent actuellement. On constate que les téléhéros américains sont surtout courageux et justiciers, les japonais sont avant tout affectueux et déterminés, tandis que les européens prônent l’ironie et la sagesse et les arabes, la sagesse et la bonté. Les données ont été compilées sur toutes les télévisions satellitaires, en arabe, et sur cinq chaînes terrestres de la Tunisie. En menant notre recherche, nous avons rencontré une difficulté objective d’accès aux sources primaires – dont Internet également – d’où nous n’avons pu tirer d’informations ni sur les palimpsestes ni sur les éléments généraux
Avant -propos
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de scénario arabe/tunisien ; notre recherche s’est donc déroulée à travers l’élaboration de données et d’informations provenant de sources secondaires. 4. Enfin, une quatrième série de travaux a porté sur les jeux vidéo4. La recherche sur les jeux vidéo aborde plusieurs aspects typiques de ce jeu interactif : d’abord, le public et ses caractéristiques ; ensuite, la diffusion des jeux et les modalités d’utilisation, les dépenses familiales et la taille du marché. Par rapport aux modalités d’utilisation des jeux vidéo, les études menées se sont concentrées surtout sur le temps qui leur est consacré. Seules certaines études, de type qualitatif, ont analysé les préférences, ce qui nous a conduit à formuler une typologie des caractéristiques des interfaces ludiques et des émotions éprouvées pendant le jeu. Ce qui rend les jeux vidéo particulièrement attrayants, c’est la possibilité qu’a l’utilisateur de devenir le vrai protagoniste des histoires racontées et d’agir comme première personne pour changer le cours des évènements. À travers la logique de l’immersion, le joueur se retrouve en effet au sein d’un monde parallèle caractérisé par des règles communes et des lois qui doivent être comprises, interprétées et utilisées selon les objectifs à atteindre. Jouer un rôle signifie surtout pouvoir exister dans un contexte simulé, différent du contexte réel, à travers la projection de son
4.
Marina D’Amato : « Nuove forme di socialità » et « La rilevanza sociologica del fenomeno videogiochi », dans Pierangela Ghezzo (dir.), Videogiochi e Minori, Ed. IMS, 2007, p. 33-41 et 161-171 ; Telefantasie, nuovi paradigmi dell’immaginario, I videogiochi, Milan, Franco Angeli, 2007, p. 222-262 ; « Giochi di ruolo on line », dans Telefantasie, nuovi paradigmi dell’immaginario, I videogiochi, Milan, Franco Angeli, 2007, p. 262-289 ; « L’imaginaire proposé par les jeux vidéo », dans Le Telemaque, L’Enfant et l’imaginaire, Presses universitaires de Caen, 2007, no 32 ; I videogiochi : generi, personaggi, valori, Rome, Rapport de recherche, Roma Istituto di Medicina Sociale, 2006, 185 p.
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moi au sein de celui du protagoniste. L’être virtuel ne prend vie que si le joueur devient volontairement actif et qu’il commence à élaborer des stratégies en temps réel pour pouvoir porter à terme les missions qui lui sont confiées. Le personnage peut être plus ou moins défini. Dans les jeux vidéo de rôle, par exemple, les protagonistes ont une façon spécifique d’être et des compétences précises qui doivent être exploitées, augmentées et valorisées le plus possible. En revanche, si nous prenons en considération les Massively Multiplayer On-line Role-Playing Games (MMORPG) et les communautés virtuelles, nous constatons que les utilisateurs peuvent adopter de nouvelles personnalités : cela détermine la présence en ligne de personnes qui existent grâce à des identités fictives. Mais tous les jeux vidéo ne prévoient pas l’activation de ce mécanisme ; une minorité d’entre eux, en effet, n’a pas un héros auquel l’utilisateur peut s’identifier. C’est le cas de certains jeux stratégiques, de simulation, des jeux arcade, éducatifs et d’action. Dans les jeux vidéo stratégiques, par exemple, la présence du personnage ne sert pas toujours de source d’identification parce que nous savons que le rôle du joueur est celui d’une créature supérieure, capable de créer son environnement et de gérer au mieux les évènements ; agir, dans ce cas, signifie réfléchir et vérifier l’efficacité des stratégies proposées. Dans les jeux vidéo d’action, en revanche, l’absence du personnage produit une participation plus forte parce qu’elle réduit les distances avec le logiciel. Le sujet agit directement avec l’interface graphique qui ne s’interpose plus entre l’image du personnage, alors qu’avant, il fallait inévitablement passer par lui. Le type de relation change parce que l’utilisateur peut interagir directement avec le système, sans aucune action de liaison. Le monde des jeux vidéo présente deux caractéristiques principales : la fragmentation des maisons de production et l’évolution constante des produits. L’objectif est de créer un besoin et de susciter la curiosité à l’égard des nouveautés.
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L’échantillon sur lequel se base la recherche a été de 150 jeux vidéo distribués par les trois maisons d’édition les plus importantes au sein du marché international : Leader, Halifax et Ubi Soft. De Leader, l’un des plus importants du système commercial mondial, nous avons étudié 50 jeux vidéo, de Halifax, nous en avons analysé 80 et de Ubi Soft, 20. La grande majorité des jeux vidéo étudiés ici (89 %) permet au joueur de contrôler et de décider les actions, la vie et la mort d’un personnage fantastique qui se déplace au sein d’un monde construit virtuellement. Mais tous les jeux vidéo n’ont pas un héros protagoniste avec lequel le joueur peut s’identifier. D’après les données rassemblées, il appert que 11 % des jeux vidéo ne permettent pas à l’utilisateur de jouer le rôle d’un personnage représenté graphiquement à l’écran. En l’absence de cet intermédiaire, le joueur fait partie d’une modalité de jeu différente de la modalité classique où, en utilisant des commandes précises, il peut interagir, en temps réel, directement avec les évènements qui ont lieu sur l’écran et non en pilotant les actions d’un personnage qui entrera, par conséquent, en relation avec les évènements mêmes. Nous pouvons retrouver cette modalité particulière de jeu au sein des genres suivants : stratégie de gestion (50 % ne l’ont pas), simulation (presque la moitié ne l’ont pas), arcade (15 % ne l’ont pas), éducatif (12 % ne l’ont pas) et jeu vidéo d’action (10 % ne l’ont pas). Les héros des jeux vidéo sont surtout des hommes (71 %), tandis que les personnages féminins n’en font presque pas partie (9 %). Ces pourcentages sont représentatifs de la population réelle des utilisateurs de jeux vidéo, qui sont surtout des enfants et des adolescents ; nous y trouvons très peu de filles. Il est intéressant de constater que les personnages féminins sont représentés, dans la plupart des cas, comme des jeunes filles très fortes et courageuses, fascinantes du point de vue esthétique, capables de lutter en tout et pour tout contre les rivaux de sexe masculin, en proposant un modèle d’héroïne qui se rapproche de celui
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du héros. Ces protagonistes sensuels doivent toutefois plaire plus à un public masculin qu’à un public féminin. Par ailleurs, 49 % des personnages appartiennent à une classe sociale élevée, où le joueur peut prendre des rôles très importants, comme celui d’un roi ou d’un dieu (c’est le cas du jeu vidéo Zeus, le seigneur de l’Olympe). Nous observons que 31 % des protagonistes peuvent faire partie d’une classe sociale moyenne ; ces personnages exercent, au sein de leur société, des métiers comme policier, soldat et détective. Seulement 7 % des personnages appartiennent à une classe sociale inférieure. Il est intéressant de constater que quelquefois la trame du jeu vidéo mène un personnage pauvre à devoir lutter et combattre pour devenir riche ou pour conquérir, parfois même par la tromperie, une position plus importante au sein de sa société. Citons, à titre d’exemple, le jeu vidéo Pour l’Or et la Gloire ou encore La route d’Eldorado, où les personnages souhaitent à tout prix devenir riches et puissants. Enfin, 13 % des personnages peuvent ne faire partie d’aucune classe sociale parce que le monde virtuel où ils vivent ne prévoit pas la présence de relations de pouvoir entre eux. La condition de domination caractérise la plupart des personnages des jeux vidéo (92 %), tous des gagnants potentiels. Seulement 4 % d’entre eux sont en situation de soumission, comme c’est le cas du jeu vidéo Frogger II, où la petite grenouille n’a pour but que de survivre à une série très longue de situations qui pourraient provoquer sa mort immédiate. La plupart des jeux vidéo ont pour but de réaliser des missions, toujours très spécifiques et bien définies, ou d’arriver premier dans une course de voitures ou de bateaux. De nombreux jeux vidéo attribuent au personnage principal une fonction très importante, celle de sauver le monde d’un danger imminent (attaque des étrangers, puissantes forces du mal, etc.), ou bien de sauver quelqu’un qui risque sa vie. D’autres jeux vidéo exigent du personnage, donc du joueur, d’écraser quelqu’un qui veut arriver à toute force au pouvoir, ou de gagner une bataille. Il est intéressant
Avant -propos
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d’observer que deux jeux vidéo ont pour but final de tuer une personne. Celui qui se trompe dans le monde des jeux vidéo meurt ; la mort est la preuve de l’erreur commise, elle est le symbole de la défaite, mais le joueur a toujours une autre possibilité. Ceux qui utilisent les jeux vidéo vivent au minimum deux fois et après tout, et pour toujours, demain est un autre jour. *** Nos travaux montrent que les dessins animés destinés aux enfants de même que les jeux vidéo diffusent des imaginaires qui sont de plus en plus mondialisés, ce qui soulève en des termes différents les défis que doit relever la sociologie contemporaine de l’imaginaire. Dans le cadre de ce bref ouvrage de synthèse de nos recherches dans ce domaine, nous porterons notre attention d’abord sur l’univers du fantastique, notamment sur les fonctions de l’imaginaire, depuis le jeu jusqu’au mythe, de même que sur la force des images dans les représentations sociales. Par la suite, nous étudierons de plus près les dynamiques actuelles de mondialisation de l’imaginaire fantastique. Seront alors analysées les formes de l’imaginaire infantile contemporain de même que les différentes approches du fantastique. Les nouveaux héros, les mythes contingents, les nouvelles histoires, le nouveau rapport au temps et la force de l’image seront examinés de près. L’ouvrage se terminera par une réflexion sur la mise en vente du fantastique5.
5.
Sur ce thème, voir Marina D’Amato, Infanzia e pregiudizio, Turin, ERI, 1993, 216 p. ; « La pubblicità e i comportamenti alimentari dei ragazzi in Europa », dans In bocca al lupo, Bologne, Ed. Lega Coop, 2007, 112 p. ; Pensa a cosa mangi, Florence, Ed. Giunti, 2002, 139 p. ; « Bambini e pubblicità », dans Pier Francesco Bernacchi, Pinocchio nella pubblicità, Florence, La nuova Italia, 1997, p. 53-73.
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Introduction La sociologie de l’imaginaire et l’étude du fantastique
Les seuls changements importants, ceux d’où le renouvellement des civilisations découle, s’opèrent dans les opinions, les conceptions, les croyances... Gustave Le Bon La sociologie de l’imaginaire est une sociologie de « profondeur » parce qu’elle tâche de cerner les motivations profondes, les dynamiques qui sous-tendent et animent les sociétés humaines. Contrairement à une sociologie de « surface », basée sur des enquêtes et des sondages, la sociologie de l’imaginaire n’est pas un domaine spécifique de la sociologie clairement défini par son sujet, comme le sont par exemple la sociologie urbaine, la sociologie du travail, de la religion, etc., mais elle constitue, actuellement, un point de vue privilégié sur la vie sociale parce qu’en se penchant sur la dimension imaginaire des relations entre les individus, elle parcourt tous les domaines d’analyse. Une sociologie de l’imaginaire touche non seulement la vie des groupes, la vie quotidienne, la politique, l’éco nomie, les activités professionnelles, les attitudes et croyances religieuses, les domaines scientifiques, littéraires et médiatiques, mais elle est aussi liée aux transformations sociales.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
De fait, la vie des individus et des sociétés est constamment soumise à des élans imaginaires, à des images qui se matérialisent en formes d’art et en élaborations mentales tant collectives qu’individuelles. L’imaginaire traverse l’histoire des civilisations, il fait partie intégrante des groupes sociaux et, en réalité, bien qu’il n’existe pas encore une véritable tradition de sociologie de l’imaginaire, une sociologie sans l’imaginaire ne pourrait exister. Aux définitions négatives de la philosophie occidentale, selon lesquelles l’imaginaire est ce qui n’existe pas, le faux et l’irrationnel, le courant anthropologique de Mircea Eliade, de Gaston Bachelard et surtout de Gilbert Durand oppose une définition positive où l’imaginaire est le produit de la pensée mythique, d’une pensée concrète qui fonctionne par analogies, qui s’exprime en images symboliques, articulées selon une dynamique, et où la perception de l’espace et du temps provient de constructions matérielles et institutionnelles, de mythologies et d’idéologies, de savoirs et de comportements collectifs. Dès lors qu’elle s’intéresse principalement aux représentations sociales, à leurs mécanismes et à leur efficacité, la sociologie de l’imaginaire touche la psychologie sociale et l’anthropologie culturelle ; elle est aussi influencée par la sociologie de la connaissance. Les deux premières disciplines concernent les raisonnements et la rationalisation des croyances ; la troisième, leur enracinement dans les archétypes. L’importance de l’imaginaire dans notre société mondialisée est due à l’omniprésence de la télévision, d’Internet, du téléphone, des moyens susceptibles d’entraîner des expériences qui dépassent la limite objective entre les évènements et leurs « récits » : la société de l’information pose de nouvelles interrogations sur les questions économiques, politiques, sociales et culturelles précisément parce que les évènements deviennent des faits sociaux en fonction de l’« écho » qu’ils produisent : on ne peut plus analyser le social sans son double !
Introduction
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La mondialisation due aux mouvements migratoires, au tourisme, à l’internationalisation des problèmes de l’environnement, des questions du marché et des communications génère des transformations continues du tissu social, mène à de nouvelles attitudes éthiques et politiques, suscite des questions nouvelles. La mondialisation de l’imaginaire est un phénomène actuel, peu étudié et d’une ampleur très vaste. Depuis les années 1970, ce sont les mêmes héros qui animent le monde fantastique des enfants et des jeunes du monde entier. En effet, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, toutes les régions de la planète où se trouve la télévision sont habitées par les mêmes personnages. Et là où il existe un ordinateur, les jeunes de toutes les régions du monde peuvent participer à des jeux qui les mettent en contact entre eux, indépendamment de leur présence physique, ce qui leur permet de s’identifier et de se mesurer aux mêmes protagonistes. Les recherches les plus récentes menées dans les pays arabes, ainsi que dans les pays occidentaux et orientaux, prouvent que la téléfantaisie uniformise les écrans devant lesquels sont assis des enfants et des adolescents de cultures, d’ethnies, de races, de religions et d’idéologies diffé rentes. Personne ne pourra jamais savoir dans quelle mesure les comportements de ces héros influencent les attitudes des spectateurs parce qu’on ne peut bien entendu pas vérifier de lien direct, prouvé scientifiquement, entre le maniement des vidéo et les comportements, mais il est certain que les écrans véhiculent une façon de penser le monde. Les nouveaux paradigmes de l’imaginaire collectif sont un des éléments fondamentaux du processus de mondialisation dont nous sommes les acteurs principaux. L’univers infini des mythes, des héros des histoires télévisées, des jeux vidéo, des bandes dessinées et des objets/gadgets qui les accompagnent est composé d’un flux d’images, de sons et de choses qui se propage dans
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
l’humanité depuis plus de 30 ans et qui augmente de manière exponentielle. Les indicatifs des dessins animés et des séries télévisées sont devenus l’expression et le logo d’une communauté qui les chante et les danse dans les discothèques, les scande dans les cortèges estudiantins, les entonne lors des rassemblements sociaux et dans les rues du monde entier. Le fait que les jeunes retrouvent dans les dessins animés les traces de leur « âme collective » en chantant ces chansons aux quatre coins de la planète est la preuve la plus évidente de la pertinence de recherches basées sur l’analyse des mythes, des valeurs et des modèles de comportement que proposent les héros de la télévision et des jeux vidéo. Il s’agit d’une fantaisie hétéroclite composée de dessins animés, de films pour la télévision, de comédies de situation, de jeux, de jouets et peuplée par les mêmes personnages. C’est pourquoi nous souhaitons faire connaître l’univers symbolique des adolescents d’aujourd’hui, telle une mosaïque de la mondialisation, et voulons y voir une analyse sur la représentation imagée de la réalité, une étude sur la mythologie du monde adulte, une recherche sur les valeurs et les modèles de comportement proposés à tous les habitants de la terre. Cette nouvelle fantaisie peut, selon nous, contribuer à définir une nouvelle culture, au même titre que la religiosité « fluide » et la faiblesse de pensée qui nous imprègnent. Le nouveau millénaire reporte, apparemment, le succès du nouvel âge, cet étrange mélange qui associe le Feng Shui (vent et eau) de l’ancienne géomancie chinoise et les anges chrétiens, les prophéties de Célestin, la morphopsychologie et l’harmonie cosmique, la méditation transcendantale et la cristallothérapie magique, saint François et le bouddhisme zen, le message et le massage ayourvédique et shiatsu dans une liesse fantasmagorique d’idées et de produits qui mettent en relation à la fois les dimensions psychophysique, mystique et écologique
Introduction
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résentes dans les comportements et les valeurs des noup veaux protagonistes de l’imaginaire collectif. Le défi qui se pose à nous est d’approfondir, à travers la particularité de la fantaisie actuelle, les paradigmes sur lesquels repose l’imaginaire collectif du futur, donc d’analyser une représentation symbolique : le fantastique vu à travers les mythes, les valeurs et les modèles de comportement de ses acteurs, dans un contexte « métaphysique » qui résume et emphatise la réalité dont il dérive. De fait, les mythes et les héros ont toujours été utiles pour proposer, par leur exemple, des attitudes et des projets sociaux acceptables et compatibles qui puissent lier les membres de la communauté entre eux et les conduire vers un même but. Depuis toujours, les héros constituent l’élan évolutif, l’esprit essentiel d’une société. Après la fin des grandes idéologies et la disparition des certitudes, la crise et la dimension plus manifeste de notre postmodernisme se situent précisément dans la recherche d’un nouveau sens commun. Les symptômes du changement en cours sont présents partout : l’affirmation d’un individualisme de plus en plus marqué qui, en passant du narcissisme à l’hédonisme, devient de plus en plus cynique ; la transversalité du pouvoir qui s’impose à travers des stratégies dont les idéologies sont plus des alibis que des buts en soi. Les canons pour comprendre une réalité en mouvement ne sont pas toujours clairs, car ce problème concerne de nombreux aspects : la vision du monde, les interventions possibles en vue de solutions des conflits, la compréhension de nouveaux styles de vie empreints de défiance envers la politique, la médecine et la religion officielle. De nouveaux élans collectifs écologiques, sociaux et spirituels naissent sans cesse ; on voit poindre de nouvelles « croyances », qui mêlent des réinterprétations de religions, occidentales et orientales, anciennes et contemporaines. Puisqu’il n’existe plus de vérité absolue, tout le monde peut créer son propre univers sur la base du droit à l’éclectisme. Un syncrétisme sans limite et un relativisme volontariste sont les éléments
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
les plus caractéristiques de ce phénomène culturel qui associe les traditions archaïques aux nouvelles frontières du possible ; leur concrétisation pourrait avoir lieu grâce aux nouvelles technologies, mais aussi par la remise à l’honneur de superstitions et de rites tribaux, autour de nouveaux et d’anciens démons. Il reste toutefois deux stratégies de compréhension du réel : d’une part, l’homme moderne, lié à la culture des grandes idéologies, de la foi, qui répond à l’altération des ordres de connaissance par une nouvelle distinction entre la réalité et son double. Sa vision du monde est indissociable d’une construction idéologique qui doit maintenir la distance entre la réalité et sa représentation, ménageant ainsi toujours une possibilité pour une intervention, un choix final. D’autre part, il y a l’homme postmoderne qui, parce qu’il vit et fait partie de la société de la communication, comprend l’hégémonie progressive de la représentation sur le fait objectif. L’homme se persuade qu’émettre et refléter une opinion, surtout à travers la télévision ou le jeu vidéo, est un exercice de domination et une sorte d’activation régénérante du monde. Il dépasse ainsi le dualisme sujet-objet et finit par admettre la circularité de la connaissance en renonçant à la redécouverte d’une vérité objective. Nos travaux sur la téléfantaisie résumés dans l’avantpropos de cet ouvrage nous ont permis de vérifier empiriquement la planétarisation de modèles culturels générés par les médias à travers l’offre de « fantaisie ». La conclusion la plus importante que nous tirons, du point de vue sociologique, concerne la formation d’un imaginaire fantastique immense et unique – l’indice le plus manifeste d’une communauté humaine sans limites – habité par des héros et empreint de mythes, expressions de religions, d’idéologies et de cultes différents, tous liés entre eux. Nous constatons que la multimédialité, avec laquelle nous entrons en contact « par immersion » dès la naissance, propose des contenus globaux où l’image prend le pas sur la parole et lui ôte son sens ; où le temps et l’espace sont
Introduction
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ceux des civilisations prélittéraires et tribales ; où la publicité – et son univers de jouets – a réifié le monde de la fantaisie pour le mettre en vente ; où les « morales » remontent aux pays d’origine des programmes : du puritanisme au cynisme (d’origine américaine), du shintoïsme (Japon) aux histoires amorales conçues en Europe mais élaborées et produites dans le nord-est de l’Asie. C’est ainsi que les mythes durent le temps de l’engouement de ceux qui, pour les créer, les empruntent à la perception commune. Nous constatons, en définitive, que les nouveaux héros vivent dans d’autres mondes, en grande partie parallèles, qu’ils ne meurent jamais, qu’ils répètent à l’infini les mêmes actions quotidiennes sans se rebeller et qu’ils affirment ainsi l’ordre constitué, dans la mesure où la reproduction de masse et la diffusion sur une large échelle n’effacent pas mais amplifient au contraire leur conformisme.
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Chapitre 1 La société du fantastique
1.
L’imaginaire
La première question que l’imaginaire pose à la sociologie est précisément celle de sa nature et de son domaine : en un mot, sa définition. Si l’imaginaire est le produit direct des tensions et des relations que l’homme vit avec son environnement tant physique que mental, alors l’imaginaire est aussi la réalité transformée dans sa représentation, une histoire thésaurisée qui continue à agir en nous au-delà de toute expression concrète. Ses contenus sont principalement abstraits, mais les symboles, les images et les idées ont un impact concret et presque toujours affectif : « Il y a dans l’homme une dimension intrinsèque de la fonction imaginaire. La puissance du rêve, la force du symbole et la maternité de l’image composent une espèce de fantastique transcendantal dont on ne peut se passer1. » Utilisé comme substantif, le terme « imaginaire » renvoie à un ensemble d’éléments assez vagues : souvenirs, rêves, fantasmes, croyances, mythes, romans, fiction ; ceux-ci déterminent l’imaginaire d’un individu, mais aussi
1.
Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1960, 2006.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
de toute une communauté qui s’exprime à travers ses produits et ses croyances. Les conceptions préscientifiques, la science-fiction, les croyances religieuses, les productions artistiques qui « inventent d’autres réalités », les stéréotypes et les préjugés sociaux sont autant d’éléments liés d’un point de vue structurel à l’imaginaire. Le terme « imaginaire » est relativement récent2 et son succès croissant au XXe siècle s’explique non seulement par la régression du terme « imagination » – de plus en plus interprété comme une faculté psychique permettant d’assimiler et d’utiliser les images –, mais aussi par le déclin d’une certaine psychologie philosophique. C’est ainsi que vers la moitié du XXe siècle, et sous l’influence des sciences humaines, l’étude des productions imagées, de leurs propriétés et de leurs effets, à savoir l’imaginaire, a petit à petit supplanté l’ancienne question de l’imagination. En d’autres mots, le monde des images a dépassé leur appartenance psychologique3 ; l’imaginaire est en effet très difficile à définir parce qu’il touche et couvre d’autres significations auxquelles il se mêle et avec lesquelles il interagit. La mentalité, par exemple, est un terme utilisé par l’École des Annales qui a abordé l’histoire à travers les comportements psychosociaux et leurs influences sur les attitudes des individus. Plus concrète que l’histoire des idées, l’étude des mentalités est toutefois plus abstraite que la description et l’analyse des imaginaires4. On entend généralement par mythologie un ensemble de récits qui, dans les cultures traditionnelles, forment un patrimoine
2.
3. 4.
Son apparition est signalée en France, en 1820, dans l’œuvre de Maine de Biran et, plus tard, chez Alphonse Daudet qui parle d’imaginaire à propos d’un homme voué aux rêves. Cf. Christian Chelebourg, L’imaginaire littéraire : des archétypes à la poétique du sujet, Paris, Nathan, 2000, p. 7-8. Cf. Jean-Jacques Wunenburger, L’imagination, Paris, PUF, 1995. Pour une critique du recours aux mentalités, cf. Geoffrey Ernest Richard Lloyd, Pour en finir avec les mentalités, Paris, La Découverte, 1996.
Chapitre 1. La société
du fantastique
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de « fictions ». En réalité, les personnages divins ou humains qui l’animent traduisent de façon symbolique et anthropologique les croyances sur l’origine, la nature et le but des phénomènes cosmologiques, psychologiques, historiques et sociaux. La mythologie est la forme la plus élaborée d’imaginaire, mais sa construction narrative précise en ensembles cohérents ne peut renfermer toutes les formes du fantastique. Plus génériquement, le mythe désigne, dans son acception la plus large, toute forme de croyance collective sans fondement objectif ou positif. Ce n’est pas un hasard si, dans la société occidentale contemporaine, l’adjectif le plus utilisé par les jeunes générations pour indiquer quelque chose de positif soit « mythique ». Le concept d’idéologie désigne lui aussi une interprétation globale d’un domaine de la vie humaine, mais généralement dans un sens dogmatique ; il préfigure souvent une série d’explications stéréotypées et dépourvues d’argumentations, auxquelles on participe toutefois à travers une idée, ou en d’autres mots, à travers une image forte (la lutte des classes, par exemple, est une image éloquente de l’idéologie marxiste). Si la fiction désigne un monde d’inventions auxquelles ne correspond aucune réalité, tout ce qui est fictif ne l’est néanmoins que par rapport à un moment donné ; il peut par ailleurs y avoir des fictions qui naissent d’activités rationnelles abstraites (par exemple, en droit ou dans les sciences exactes) et non de l’imagination au sens strict. L’imaginaire peut être défini aussi par rapport à ses contraires : le réel et le symbolique. L’irréel s’oppose toujours au réel, bien qu’il soit impossible de prouver si un contenu imaginaire n’a pas un fondement réel dans l’espace ou le temps. En ce qui concerne le terme symbolique, celui-ci s’oppose à l’imaginaire uniquement dans le cadre de certains usages logiques ou psychanalytiques5. 5.
Selon Jacques Lacan, les désirs du sujet seraient conditionnés par les choix réalisés dans la chaîne des significations du langage, à travers des métaphores. Le désir dérive de l’imaginaire tant que la
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
Pour les chercheurs qui s’intéressent au téléfantastique, l’imaginaire est un ensemble de représentations mentales, composé d’images visuelles (dessins animés, séries, comédies de situation, téléfilms, jeux vidéo, sites Internet...) et de systèmes linguistiques (métaphores, symboles, récits, histoires, etc.) perçus comme cohérents et dynamiques. L’imaginaire social sur lequel nous nous sommes penchée dans nos travaux peut mener à repérer trois dimensions importantes : la dimension mythique de l’existence, celle qui se réfère aux mythes les plus importants d’une époque précise, d’une culture, d’un pays, d’une génération, d’une classe sociale ; la dimension fantastique d’une autre société-monde que l’on retrouve dans les utopies, les millénarismes, les idéologies et les croyances ; et, enfin, la dimension d’un imaginaire quotidien, tel qu’on le retrouve dans les objets domestiques, les distractions et les jeux. Nous supposons que l’imaginaire est présent sous des formes différentes dans les mythes, les créations artistiques et le quotidien, dans le rêve, la fantaisie, les visions et les hallucinations, mais aussi dans les activités plus rationnelles, parce que les images peuvent être considérées comme la matrice représentative des idées – et donc antérieures à celles-ci6 –, au point que les sciences exactes en sont arrivées à modifier leur attitude et leur épistémologie à l’égard de l’irréel.
6.
relation du sujet à l’altérité dépend d’un narcissisme primaire ou secondaire. Le stade symbolique apparaît à la suite du refus, par lequel le sujet compare l’imaginaire et le réel. Mais il est évident que ce sens spécifique d’imaginaire, limité à la régression fantomatique, ne permet pas de comprendre l’acception actuelle plus large. Il faut distinguer, enfin, l’imaginaire de l’imagination. Celle-ci désigne un ensemble de figures qui décrivent la réalité, alors que le contenu de l’image est déjà formé par la réalité concrète ou l’idée ; l’imaginaire suppose en revanche une élaboration par rapport à un contenu littéraire ou l’invention d’une nouvelle donnée, qui introduit la dimension symbolique. Nietzsche doutait de l’autonomie de la raison et Kant soutenait que les activités cognitives de la sensibilité et de la compréhension pouvaient être appelées imagination créatrice.
2.
Chapitre 1. La société
Les
du fantastique
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fonctions de l’imaginaire
Dès l’enfance, les hommes ont, inscrites dans leur nature, à la fois une tendance à représenter [...] et une tendance à trouver du plaisir aux représentations. Aristote Cette réflexion sur l’imaginaire s’oppose à la tradition occidentale qui, dès ses débuts, a accordé peu d’attention à l’image. En effet, la tradition philologique, pédagogique et surtout scientifique a toujours été contraire à l’imagination. Chez Socrate, la recherche de la vérité est basée sur la logique binaire de la dialectique. Un argument est vrai ou faux, alors que l’imaginaire est toujours incertain et ambigu. La scolastique médiévale de Thomas d’Aquin, la physique de Galilée et de Descartes, le rationalisme et l’empirisme de Hume et de Newton excluent l’imaginaire des processus mentaux pour le réduire au songe ou à l’irrationnel. Plus récemment, le scientisme, le positivisme et l’historicisme ont contribué par différents aspects à dévaluer définitivement la pensée symbolique. La culture « classique » de l’Occident se base sur une pensée dépourvue d’imagination qui se concrétise dans les technologies de notre civilisation et juge les autres cultures primitives ou archaïques quand elles recourent à une pensée magique. Pourtant, il y a eu des périodes où la représentation symbolique de l’imaginaire a joué un rôle important : dans l’art byzantin par exemple, le gothique, le romantisme, le symbolisme ou le surréalisme. À une époque plus récente, dans l’histoire de la pensée également, l’imaginaire a trouvé son identité : dans la psychanalyse de Sigmund Freud, la sociologie de la religion de Mircea Eliade, l’école de psychologie de Carl Jung, la pensée néo-kantienne de Ernst Cassirer ou de Martin Heidegger, la phénoménologie de Edmond Husserl ou, encore, l’herméneutique ou les sciences cognitives qui
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
accordent beaucoup d’importance aux représentations visuelles, aux processus d’imagination et aux méta phores. L’imaginaire a son propre contenu et ses propres structures, mais il naît surtout d’une intention, d’une perception de la conscience. C’est pour cela que tout peut devenir imaginaire, y compris ce qui est considéré comme réel, et c’est en raison de ce flou que la catégorie d’analyse est d’un abord difficile. On classe dans l’imaginaire tout ce qui joue un rôle sur le possible, ce qui est doté d’une dynamique créatrice interne (fonction poétique), d’une influence symbolique (profondeur des doubles sens) et d’une capacité de participation du sujet. Qu’est-ce qui pousse une conscience à imaginer un autre monde ? Qu’attend-on de l’imaginaire ? Quelle valeur accorder à cette perception ? Celle-ci est-elle appauvrissante ? Aliénante ou libératrice ? Le débat philosophique et scientifique en cours sur ces questions n’est d’ailleurs pas encore clos. L’image est plus rapide et plus explicite que n’importe quel discours. Depuis l’icône byzantine, de Platon à Diderot jusqu’au vidéogramme, l’image peinte, sculptée ou projetée entretient une relation complexe avec les hommes et les cultures. Il est difficile de dire d’où et de quoi dérive le pouvoir de l’image, qui ne laisse jamais indifférent, quel que soit son message ; la sémiologie nous enseigne que l’image est un signe savant, basé sur le souvenir, la ressemblance, mais aussi sur les intentions de l’individu. Parmi les savoirs actuels, et malgré son immanence, l’imaginaire est encore peu étudié, alors que l’image et l’écriture connaissent une rivalité historique, loin d’être conclue. La photographie, le cinéma, la télévision et l’ordinateur n’ont jamais autant fait l’objet de recherches qu’aujourd’hui, pour leurs contenus et leurs technologies, et si, comme l’affirme Jean Baudrillard, « tout marche au rythme de la séduction », l’image est l’actrice principale de ce processus.
Chapitre 1. La société
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L’image publicitaire, cinématographique, télévisée et imprimée nous propose de « sentir par le touché et le regard, d’utiliser l’ouïe et l’œil », affirme Gilles Deleuze7, bien que ces promesses de l’image ne fassent évidemment pas partie de sa réalité symbolique, puisque l’image n’est en effet qu’un fragment de l’expérience du monde et de sa symbolisation. Toutefois, tous s’accordent à dire qu’une image a plus de force qu’un ensemble d’éléments sensoriels de l’expérience et qu’elle est dès lors plus éloquente que le récit et l’écriture. La pensée remonte, à travers l’image, à des schémas moins différenciés et immédiats parce que, d’après Freud, nous abandonnerons dans l’image la recherche d’une structure cognitive typique d’un esprit élaboré, et nous nous retrouverons en revanche dans une structure perceptive caractéristique des relations primordiales de chaque individu. Les sémiologues également voient dans la communication par images un mode de pensée participatif et émotif plutôt que symbolique. Nous sommes plongés dans l’image et dans cette optique, les images virtuelles formeraient la réalisation technologique d’une illusion présente dans le rapport avec toute figure. Dans le flux médiatique contemporain d’images et de sons, les insertions publicitaires et les dessins animés sont un bon exemple de cette participation « par immersion ». Contrairement à d’autres activités psychiques, la transformation de l’image en sens se produit selon les rythmes de la communication même. L’influence imaginaire de ces figures ne peut être comprise qu’en référence à leurs capacités de garantir une évolution continue à partir d’un concept. C’est sur le pouvoir qu’a l’imagination de modifier les images qu’insiste surtout Gaston Bachelard8 lorsqu’il observe que « si une image ne détermine pas une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images, il n’y a pas imagination ». La
7. 8.
Gilles Deleuze, « Peindre le cri », Critique, no 36, 1981, p. 506-511. Gaston Bachelard, L’air et les songes, Paris, J. Corti, 1943.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
capacité de transformer les images fait partie du processus même de leur constitution, d’ailleurs étroitement liée à leur mobilité. L’une et l’autre dérivent d’une même capacité de transformation de l’œuvre initiale de la genèse et ensuite de ses dérivés9. On attribue donc à l’imagination plusieurs fonctions : de physiologie humaine, correspondant au besoin de rêver ; régulatrice à l’égard de l’inconnu (la mort, par exemple) à travers les mythes et les rites, un songe ou la science ellemême ; de créativité sociale et individuelle en représentant les mécanismes de la raison et en offrant une ouverture épistémologique ; et, enfin, de communion sociale en favorisant l’apparition de types idéaux, de systèmes de représentation et de la mémoire collective.
3.
L’imaginaire et la
création du monde
Grâce à ses multiples fonctions, l’imaginaire permet tout d’abord de se détacher de l’immédiat, du présent et du quotidien sans devoir recourir à des abstractions mentales. Cette création d’un monde différent de celui dans lequel on vit répond à des exigences fondamentales et à des finalités, qui peuvent être décrites tant en fonction d’une ontogenèse (formation de l’individu) que d’une philogenèse (devenir de l’espèce). Comme l’affirme Edgar Morin, l’humanisation est indissociable d’une adaptation intelligente au réel à travers la langue et la technique mais elle est caractérisée aussi par le besoin d’échapper à ce qui est donné par le souvenir, le songe, l’ivresse, l’art, ce qui transforme effectivement l’homo demens en un complément de l’homo sapiens10. Les hommes inventent, développent et légitiment leurs croyances en imaginaires dans la mesure où cette
9. Serge Tisseron, Le bonheur dans l’image, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond, 2002. 10. Edgar Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine, Paris, Seuil, 1973.
Chapitre 1. La société
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relation au monde fantastique obéit à des besoins, des satisfactions, des effets à long et court terme inhérents à la nature humaine. Parallèlement aux comportements utiles à la survie et au travail, l’imaginaire se nourrit d’activités gratuites, désintéressées, telles le jeu, l’amusement ou les arts, pour ne citer que quelques exemples parmi les plus universels. 3.1 Le jeu
Par le jeu, présent dans toutes les cultures, les individus satisfont un besoin essentiel de repos, de spectacle, d’activités qui ne servent qu’à leur jouissance personnelle. Comme chacun sait, les animaux jouent également et l’enfant découvre par étapes successives le rapport avec son moi et avec son environnement grâce au jeu, sensoriel, moteur et mimétique. Selon Jean Piaget11, l’enfant commence son parcours vers l’individualisme par la répétition de gestes qui deviennent inconsciemment une imitation d’autres comportements. C’est ainsi qu’un objet est pris pour une autre chose, par exemple un bâton pour un cheval, et la mimique ainsi acquise simule les mouvements de l’animal et lui donne vie à travers l’imagination. Jouer, c’est « faire comme si », c’est répéter une action non réelle au travers de supports qui l’associent à la réalité absente ; c’est une étape essentielle d’où prend forme l’imaginaire infantile, habité de personnages et formé de gestes rituels. Les jouets étaient dans le temps des produits artisanaux réalistes qui imitaient les contenus du jeu et servaient en quelque sorte de support à l’imaginaire même, alors qu’aujourd’hui, cet aspect est de moins en moins vrai pour la nouvelle dimension du jeu qui tend à représenter un personnage de la télévision ou un système d’objets qui y sont liés. L’enfant s’installe dans son
11. Jean Piaget, La formation du symbole chez l’enfant, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1978 et Jeanne Danos, La poupée, mythe vivant, Paris, Gonthier, 1966.
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monde imaginaire qu’il remplit de jouets, de fictions et de simulations et qui exerce souvent une fonction d’interface entre le fantasme pur et les lois du réel. L’imaginaire ludique joue ainsi un rôle transactionnel, car il rassure et devient un amortisseur entre le monde intérieur et le monde extérieur12. Les jeux s’étendent au monde des adultes, entrent dans leur culture comme un amusement, puisque jouer répond, tant pour l’adulte que pour l’enfant, au même besoin de repos, de divertissement, de recherche du plaisir, en dehors des obligations de survie et de travail. L’omniprésence de l’aspect ludique dans la culture a été amplement démontrée : cette dimension devient de plus en plus l’apanage des écrans (de télévision et de cinéma), de l’ordinateur ou de la console de salon qui constituent les instruments et les formes principales de l’imaginaire quotidien, du monde technologiquement développé. En interrompant ses activités sociales, domestiques ou professionnelles pour s’asseoir devant la télévision, le spectateur participe sans se déplacer au monde de l’homo ludens décrit dans Huizinga13. Le jeu devient frivole, superflu, gratuit, une occasion permanente d’échapper au quotidien. Maintenu dans un espace-temps limité, il répond à un ordre précis qui garantit une espèce d’illusion magique, source de plaisir. Le profil des émissions, d’ailleurs, peut aussi être facilement articulé et comparé à la typologie des jeux que propose Roger Caillois14. Il faut d’abord prendre en considération les produits qui poussent à l’identification et donc à imiter : dans la foulée des textes théâtraux, romantiques et cinématographiques, ceux-ci sont un élément irrépressible de l’imagination individuelle et collective. La diffusion à la télévision d’histoires réelles ou fictives ne se contente pas de rempla-
12. Donald W. Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975. 13. Johan Huizinga, Homo Ludens : A Study of the Play Element in Culture, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1949. 14. Mimesis (jeux de simulacre, d’imitation, de rôle), Agôn (jeux de compétition), Alea (jeux de hasard), Ilinx (recherche du vertige).
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cer le rituel du récit mythique ou du récit lui-même, autrefois monopole d’une élite, mais elle supplée, par la force de l’animation audiovisuelle, à la lecture du roman qui était, ces trois derniers siècles, le médium pour répondre à la soif d’imaginaire. Le concours de sport, basé sur la lutte et sur la compétition qui exalte la violence sociale, se retrouve dans l’imaginaire des spectacles de sport. Les compétitions sportives enflamment les passions, poussent la lutte au paroxysme, sur fond d’émotions et de détermination. Il suffit de se pencher sur le succès planétaire des matchs de football et sur leur taux d’écoute dans tous les pays du monde qui disposent de la télévision. Celui-ci répond surtout à un besoin d’espace pour l’expression légitime de passions interdites et normalisées, pour les explosions légales de tensions violentes, à un besoin d’expression de violence symbolique, soumise dans la vie quotidienne au pouvoir économique et politique. En promettant la « fortune », le jeu de hasard induit à l’assouvissement d’élans de victoire ; espérer une victoire, c’est savourer le plaisir de la fortune. C’est pour cela que les médias accordent une grande importance à l’émission des résultats de la loterie. La multiplication des jeux télévisés et leurs victoires impressionnantes sont un symptôme d’une tendance sociale prononcée envers le fétichisme de l’argent qui, de simple valeur d’échange, devient un bien réifié de produits immatériels. Qu’ils soient liés au hasard ou à une compétence de connaissances reconnues telles l’habileté, la ruse ou le savoir, les jeux jouent un rôle immense dans les productions audiovisuelles. Enfin, les jeux associant le vertige, l’excès et la possession – comme formes de régression et de dilatation du moi – qui n’avaient pas eu jusqu’ici de grande place dans la société occidentale se propagent au rythme de l’explosion des médias. Paradoxalement, les amusements audiovisuels récents ont permis, par la musique, les concerts et les jeux vidéo, de développer des expériences de transes et de
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jouissance inconnues jusqu’ici. La frénésie musicale, de plus en plus répandue et largement amplifiée par l’audiovisuel, a favorisé le processus d’idolâtrie des chanteurs ; quant à la fréquence d’états hypnotiques produits par les sons et les images, elle indique très clairement l’apparition d’un imaginaire narcotique basé sur des consommations d’émotions violentes et sur une intensification considérable de l’activité physique. 3.2 L’art
La représentation symbolique de la réalité exprimée par l’art était à l’origine certainement mêlée aux instruments de la technique nécessaires à la survie. Depuis la préhistoire, les armes, les ustensiles et les constructions présentent des formes fonctionnelles auxquelles s’ajoutent des images qui en améliorent l’esthétique formelle et leur donnent une autre signification, qu’elle soit religieuse ou mythique. Plus tard, c’est grâce aux statues que les représentations acquièrent une certaine autonomie, quand la figure sculptée renvoie à une fonction symbolique, image d’un pouvoir religieux ou politique. La polymorphie de l’art dévoile une constante : depuis toujours, l’humanité a voulu privilégier des attitudes provoquant une joie à l’état pur à la vue des images artistiques. L’art atteste ce besoin universel qu’ont les hommes de construire des images et de se créer un imaginaire visuel et textuel (on en verra un exemple au musée du quai Branly à Paris, dont la collection rassemble des objets typiques, témoignages des comportements des hommes primitifs des différents continents à l’égard de la mort, de la vie dans l’au-delà, de la vie mythique, que ces objets représentent et transcendent à la fois). À ce sujet, Aristote soutenait que dès leur enfance, les hommes possèdent une tendance innée à représenter, et si l’homme se différencie des autres animaux, c’est non seulement parce qu’il est particulièrement enclin à représenter et parce qu’il a recours à la représentation dès ses
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premiers apprentissages, mais surtout à cause d’une tendance innée à trouver du plaisir dans les représentations15. L’expérience pratique est manifeste à ce sujet : on éprouve du « plaisir » en regardant les images, y compris celles qui montrent des scènes horribles de la réalité, comme des animaux terrifiants ou des cadavres, et tant la littérature pour enfants que la littérature pour adultes sont constellées de situations tragiques. Puisque la représentation artistique ressemble ainsi au jeu, le théâtre, par sa mise en scène, en sera une des expressions favorites. Selon Aristote, les hommes ont besoin de réciter leur rôle, en mieux ou en pire, pour en tirer de façon rituelle des émotions de plaisir ou de tristesse qui servent à calmer les émotions réelles jouées sur la scène sociale, jusqu’à l’interactionnisme symbolique16 et l’ethnométhodologie17. Lorsqu’il crée pour son plaisir une autre image du monde, une autre façon de représenter les choses, l’homo aestheticus modifie à la fois son monde intérieur et le monde qui lui est extérieur : il crée des images objectivées de ses expériences sensorielles, affectives et fantastiques, comme si son vécu intérieur et profond ne pouvait pas suffire à prouver toute leur intensité et leur richesse. L’imaginaire des œuvres d’art est le lieu de la réalisation et du développement de la subjectivité : c’est pour cela que dès ses débuts avec Freud, la psychanalyse a placé au centre de ses intérêts le lien avec l’expression artistique en tant qu’élément subjectif et social capable de résumer les besoins des individus et les expressions de la communauté. Ce n’est que plus récemment que la sociologie s’est engagée dans ce domaine18 et s’est penchée sur l’art, qu’elle
15. Aristote, La poétique, Paris, Belles Lettres, 1969. 16. Erving Goffman, The Presentation of Self in Every Day Life, Garden City, New York, Doubleday, 1959. 17. Harold Garfinkel, Studies of Ethnometodology, New Jersey, Prentice Hall, 1967. 18. Raimondo Strassoldo, Forma e funzione, Udine, Forum, 2001.
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voit non seulement comme une métahistoire d’une époque, mais aussi comme un élément de synthèse d’une période précise parce qu’il renferme les éléments les plus manifestes de la civilisation dont il est l’expression. En effet, à travers la représentation, l’artiste objective un certain nombre d’images nouvelles qui feront à leur tour partie de la subjectivité de chacun. L’imaginaire joue là un rôle fondamental, puisqu’il extériorise la subjectivité pour privilégier une relation intersubjective qu’il étend à la communauté. 3.3 Le mythe
L’intelligence observatrice et spéculative est sujette à des limites qui mènent à une étude des choses, mais qui obligent aussi à trouver des parcours alternatifs et l’imaginaire peut devenir ainsi une solution qui permet de penser là où la connaissance défaille. D’un point de vue stratégique, la fonction du mythe est utile dans ce contexte, comme élément de second plan, comme succédané d’une recherche sur l’essence des choses. La recherche de la vérité sur l’origine du monde, sur l’âme et la mort, a privilégié les légendes transmises par la tradition qui, bien que non véridiques, nous offrent toujours, indirectement, par analogie, une part de vérité. En effet, le mythe invente, sous forme de symboles, une compréhension des choses, il trouve un ordre et un sens à l’explication de ce qui est impossible. Les récits mythiques remontent généralement par des filières généalogiques jusqu’à une origine et tissent des relations entre des individus ou des évènements éloignés dans l’espace et le temps. Pour la compréhension du mythe, les données ne sont ni fragmentaires ni conceptualisées de façon complexe, mais au contraire, l’évènement est absorbé dans un ensemble narratif qui ne sépare pas ce qui s’est réellement produit de ce qui s’est produit virtuellement, qui ne sépare pas le visible de l’invisible, le phénoménal de l’empirique.
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Dans son opposition manifeste à la pensée rationnelle et scientifique, la pensée mythique trouve du reste une nouvelle définition, puisque le rationalisme scientifique est basé sur une ontologie selon laquelle la vraie connaissance est conditionnée par l’existence d’êtres physiques, identifiables dans l’espace et le temps, et dont on peut construire des représentations conceptuelles en tant qu’objets. Ces objets du monde physique sont alors dépersonnalisés, dépouillés de leurs attributs, pour devenir des catégories abstraites dont peuvent dériver des modèles de vie et de changement. Au contraire, la pensée mythique est basée sur une compréhension antérieure du monde perçue à différents niveaux où, en premier lieu, le monde naturel est conçu à travers des manifestations phénoménales qui n’acquièrent un sens que si elles sont personnifiées et donc identifiées à travers des noms propres ; dans la mythologie grecque, par exemple, l’arc-en-ciel correspondait à la déesse Iris. C’est en ce sens que les noms propres, en tant que manifestations d’êtres sensibles, deviennent des concepts généraux. Par ailleurs, dans l’imaginaire mythique, les personnages ou les phénomènes dévoilent leurs capacités uniquement par rapport à leur environnement, qui leur attribue une fonction et leur donne un sens. C’est ainsi que le mythe s’intègre au réel, l’inscrit dans un continuum où le visible n’acquiert de sens que s’il est associé à l’invisible, parce que le visible n’est qu’une manifestation partielle, momentanée et locale d’un phénomène plus vaste. Recourir à l’imaginaire du mythe est une activité intellectuelle très utile qui sert à la manifestation d’une signification difficile à exprimer autrement. La production de récits mythiques s’avère ainsi une voie intelligente dans la recherche d’une vérité objective.
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4.
Le parcours d’analyse
Comme toute image isolée ou complexe (un tableau, un film, un récit, un conte...), l’imaginaire suppose un aspect représentatif, donc verbalisé, et un aspect émotif, affectif, qui touche le sujet19. On peut peut-être affirmer en ce sens que l’imaginaire est davantage associé aux perceptions que nous ressentons plutôt qu’aux conceptions abstraites qui inhibent notre sphère émotive et la codifient. Par ailleurs, l’imaginaire existe dans un ensemble plus ou moins cohérent d’images et de récits, en mesure de produire un sens qui dépasse le local et le momentané. L’imaginaire est donc à la fois un domaine d’analyse holistique par sa totalité et atomistique par la singularité de ses éléments. En raison de cette double particularité, l’imaginaire a été étudié en fonction de signes, de caractéristiques linguistiques et de thématiques individuelles, mais il peut aussi être interprété globalement puisque les images et les récits sont souvent porteurs d’un sens général latent et indirect. Dans les études que nous avons menées, nous avons tenu compte de ce qui est évident sur les plans thématique et structurel dans les récits, les images et les histoires et des contenus latents qui se dégagent du sens du tout par rapport à celui des parties individuelles. C’est Freud qui aborda le premier l’analyse de l’imaginaire dans cette double acception. Dans son étude sur les rêves20, il émit l’hypothèse que ceux-ci avaient un sens, en dépit de leur contenu mystérieux et absurde, et c’est pour cela qu’il mit au point une déstructuration des éléments afin d’en identifier les sens primaires. Bien que la sociologie n’ait repris à ses théories que l’importance à accorder
19. Au sujet de l’élaboration de ce concept, voir Pierre Kaufmann, « Imaginaire et imagination », dans Encyclopædia Universalis, vol. VIII, Paris, Encyclopædia Universalis, 1968. 20. Sigmund Freud, Vorlesung zur Einführung in die Psychoanalyse, Frankfurt am Main, Fischer, 1994.
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aux différents éléments constitutifs de l’imaginaire (temps, espace, personnages, actions, etc.) et non à leur interprétation élaborée par le sujet analysé, elle en a retenu aussi la valeur des signaux : affectivité, idées et mérites. De la même manière, si l’étude de l’imaginaire s’étend au monde complexe de la production fantastique pour l’enfance, celle-ci peut fournir des indices utiles pour comprendre ce projet planétaire inconscient de mythes, de valeurs et de modèles de comportement. L’étude de l’imaginaire en tant qu’univers de représentations complexes doit donc s’en référer non seulement au système image-texte, à la dynamique créatrice et à l’échelle sémantique, mais davantage encore aux éléments latents de la « philosophie du récit » à travers l’analyse des mythes, des valeurs, des modèles de comportement et des styles de vie, car ceux-ci permettent une interprétation, floue à l’origine, à travers des codes et des grilles prédéfinis, mais déductible de l’ensemble et nécessaire en réalité pour comprendre la participation sociale à la vie individuelle et collective. L’imaginaire change d’acception suivant l’importance que l’on accorde à la typologie d’imagination sousjacente : l’imagination reproductive, la mémoire par exemple, ou l’imagination fantasmagorique qui pousse à la fantaisie, ou bien une activité strictement symbolique. Il n’y a aucun doute à ce sujet, puisque Descartes lui-même fit une distinction entre les images volontaires et les images involontaires, ces dernières étant présentes aussi dans les esprits les plus simples sous la forme de rêves et de fantaisies, tandis que les premières appartenaient exclusivement aux individus cultivés21. Aujourd’hui, l’imaginaire continue à osciller entre deux concepts dominants. Le premier, plus limité, désigne l’ensemble statique des contenus produits par l’imagination. Ces éléments tendent à devenir autonomes parce qu’ils sont répétés,
21. René Descartes, Les passions de l’âme, Paris, Cité des Livres, 1931.
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rappelés (en tant qu’ensemble de souvenirs passifs, la mémoire est une part importante de notre imaginaire). Dans cette acception, l’imaginaire est un monde de croyances, d’idées, de mythes, d’idéologies, d’individus et de communautés entières22. L’imaginaire indique, en ce sens, un tissu d’images passives et apparemment neutres, dépourvues d’une existence réelle. Seule l’imagination leur donne vie. C’est pour cela que l’imaginaire est presque toujours défini négativement, surtout par les historiens : pour eux, en quête perpétuelle de documents qui prouvent la vérité, l’imaginaire n’est ni une représentation de la réalité extérieure, ni une représentation symbolique, ni une idéologie23. Le domaine de l’imaginaire est formé par l’ensemble des représentations qui dépassent la limite posée par les constatations de l’expérience et les liens déducteurs que celles-ci permettent24. La conception la plus large couvre certaines activités de l’imagination même et désigne les regroupements systématiques d’images en tant que telles, dont le principe autopoïétique, d’auto-organisation, permet d’ouvrir l’imaginaire à des changements novateurs. L’imaginaire constitue dans cette acception un système, une dynamique organisatrice d’images qui, en les associant, leur confère un sens25. La deuxième conception est liée à une énergie psychique formalisée sur les plans individuel et collectif 26. Depuis l’Antiquité, mais surtout à la Renaissance, on souligne la capacité des images – donc de l’imaginaire – de
22. Pour un développement exhaustif, voir Henriette Vedrine, Les grandes conceptions de l’imaginaire : de Platon à Sartre et Lacan, Paris, Librairie générale française, 1990, p. 10. 23. Jacques Le Goff, L’imaginaire médiéval, Paris, Gallimard, 1985, p. 12. 24. Évelyne Patlagean, « L’histoire de l’imaginaire », dans Jacques Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris, Retz, 1978, p. 249-269. 25. Joël Thomas (dir.), Introduction aux méthodologies de l’imaginaire, Paris, Ellipses, 1998, p. 15. 26. Claude-Gilbert Dubois, L’imaginaire de la Renaissance, Paris, PUF, 1985.
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vivre pour elles-mêmes et de susciter des effets propres27. Par la suite, le romantisme reprendra cette conception : Coleridge parlait d’« esemplastic power », d’un pouvoir capable de modeler les formes ; plus récemment, Bachelard a lui aussi affirmé que le mot fondamental correspondant à l’imagination est l’imaginaire et que ce n’est que grâce à l’imaginaire que l’imagination est ouverte. Cette double acception propose à nouveau, en quelque sorte, le dualisme de la tradition sémantique qui correspond à l’opposition de Bergson entre un système statique fermé et un système dynamique ouvert : l’imaginaire désigne, en réalité, aussi bien le produit que les œuvres de l’imagination en tant que telles, en tant qu’expression des facultés mentales, associées d’ordinaire à un jugement de valeur sur leur pseudo-consistance ; il confond par ailleurs les produits avec l’imagination même qui assimile à cette faculté le dynamisme, une force inhérente aux images, comme les mythes et les symboles. Dans les sociétés postmodernes, le succès de l’imaginaire s’explique peut-être par sa tendance à faire disparaître le sujet et auteur des représentations pour privilégier d’autres simples « jeux » de textes, d’images qui, par déconstruction, comportent indéfiniment de nouveaux effets de sens28. Par conséquent, les processus de l’imaginaire renvoient avant tout à un modèle aléatoire d’évènements, de langages et d’images. L’imaginaire nous offre des techniques de pensée, symboliques et analogiques, qui interfèrent à plusieurs niveaux dans le processus de cognition. La tradition sociologique, qui va d’Auguste Comte à Gaston Bachelard, a souligné la puissance de l’inhibition
27. Alexandre Koyré, Mystiques, spirituels, alchimistes du XVIe siècle allemand, Paris, Gallimard, 1971, p. 96-99. 28. Voir, par exemple, les textes de Jacques Derrida et de Gilles Deleuze.
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ou le trouble de l’imaginaire responsable de ramener la raison à un stade préscientifique. Bien qu’une récente critique épistémologique29 a voulu revoir le rôle de l’imaginaire dans l’élaboration des connaissances géographiques, historiques et physiques, les défenseurs du rationalisme basent leurs théories sur le renversement des absolus logico-philosophiques qui se sont vérifiés à partir de Nietzsche pour qui le concept est une production secondaire, une sorte de construction objectivante spéculaire qui dévitalisait aussi bien l’objet que le sujet : « Qu’est-ce que la vérité ? Une multitude [...] de métaphores, [...], d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées et ornées, et qui, après un long usage, semblent [...] contraignantes : les vérités sont des illusions dont on a oublié ce qu’elles sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaies qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération non plus comme pièces de monnaie mais comme métal30. » Un siècle plus tard, avec Durand, les sciences humaines, de la philosophie à l’anthropologie, renforcent le soupçon de l’autonomie, mais aussi de l’hégémonie du rationalisme31. À partir des années 1960, l’étude de l’imaginaire va s’articuler en trois grands domaines : scission, fusion et recyclage, qui déterminent ainsi trois typologies de logiques conceptuelles. On pourrait penser dès lors que le rationalisme dérive ou reproduit une logique plus profonde qui régule non seulement les images mais aussi les concepts ; ou que revendiqué et utilisé par la raison dans le cadre
29. Michel Cazenave, La science et l’âme du monde, Paris, Albin Michel, 1993. 30. Friedrich Nietzche, Le livre du Philosophe, Paris, Flammarion, 1991. 31. Michel Maffesoli (dir.), La galaxie de l’imaginaire. Dérive autour de l’œuvre de Gilbert Durand, Paris, Berg International, 1980.
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scientifique, il devient une forme unilatérale de rationalisme possible. L’imaginaire ne satisfait pas seulement les besoins de la sensibilité et de la pensée, mais il se manifeste aussi dans les actions, leur donne un fondement, des motivations et des finalités et insuffle à l’acteur social le dynamisme nécessaire pour en réaliser le contenu. Qu’est-ce qui incite les hommes à agir socialement, à obéir, à respecter l’autorité, les normes et les lois, à orienter leurs désirs ? Sans un horizon d’imaginaire, la vie en société serait arbitraire et fragile. Ni l’autorité, ni la justice, ni le travail ne pourraient trouver leur place dans la société s’ils n’étaient empreints d’imaginaire. Après Montaigne, Pascal a réussi à reprendre les idées de Machiavel pour déceler les mécanismes de l’imaginaire dans le fonctionnement des institutions sociales. Beaucoup de fragments de ses Pensées soulignent que les hommes de pouvoir, dans toutes les institutions, se comportent comme des acteurs de théâtre et font passer des mensonges pour des vérités32. L’imaginaire sert aussi à doter les hommes de mémoire, à leur fournir des récits qui résument et reconstruisent le passé pour justifier le présent. La fondation des villes, par exemple, est indissociable des mythes de leur origine qui en fixent le destin et en légitiment l’histoire et les institutions. Le mythe de la fondation de Rome est emblématique à ce sujet, car il constitue un prototype d’une vaste tradition qui se retrouve un peu partout dans le monde. Le mythe de la fondation témoigne de l’alliance indissoluble de la paix et de la guerre, du bien et du mal qui définissent, dans leur antinomie, le pacte fondateur. En intensifiant leurs rapports dans un espace
32. Gérard Ferreyroles, Les reines du monde : l’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Slatkine, 1995 ; Blaise Pascal, Trois discours sur la condition des grands et six liasses extraites des pensées, Paris, Gallimard, 2006.
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défini, les individus peuvent renforcer leur violence et doivent donc inventer une façon de la maîtriser : elle sera régulée par l’ordre, le pouvoir, la loi, le droit et la police. En ce sens, la ville n’est pas seulement un espace où coexistent des individus et des familles, mais où se manifeste une transformation anthropologique de la guerre de tous contre tous. Les mythes fondateurs rappellent que la ville est à la fois un risque croissant de destruction pour l’humanité et un contrat de base pour se familiariser avec elle. L’imaginaire permet aux acteurs sociaux d’espérer dans le futur de chaque communauté. Sans l’imaginaire, les sociétés seraient des organismes stables et fonctionnels comme des fourmilières. Selon Henri Bergson33, les sociétés passent de la fermeture à l’ouverture, avec un élan mystique qui transforme le « conte » en évolution sociale. Les mythes du futur fascinent, galvanisent les énergies et permettent des stratégies concrètes pour modifier le présent : Georges Sorel a montré la force du mythe dans la grève générale ; Karl Mannheim a vu dans les utopies les principes utiles pour modifier l’ordre sociopolitique et, en abandonnant le déterminisme marxiste, Cornelius Castoriadis pense que l’imagination excite le désir de transformation sociale et voit donc en elle la force des constructions collectives34.
5.
L a force des
images dans les représentations
sociales
L’imaginaire a toujours été traité de façon ambivalente, aussi bien comme origine du mal que comme instrument de croissance et de bien-être de l’homme. Si l’imaginaire nous prive souvent de la liberté de jugement – car il éveille des croyances magiques, superstitieuses –, il représente toutefois l’effet amplifié de ces 33. Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1932. 34. Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1979.
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émotions et de ces passions qui nous poussent à croire en la réalité de nos représentations plutôt qu’à l’ordre objectif du monde. D’un côté, l’imaginaire reflète nos émotions, notre constitution neurobiologique ; de l’autre, il engendre en nous plaisir ou déplaisir. Il reste une donnée vérifiable de façon empirique : la force des images peut transformer des sentiments en passions jusqu’à annuler l’esprit critique du sujet (par exemple, quand l’imaginaire stimule des formes d’idolâtrie qui mènent jusqu’au délire politique et religieux). Cette allusion ne s’adresse pas seulement aux philosophes rationalistes des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont critiqué l’imaginaire dans les cas d’exaltation religieuse, poussant certains à objectiver leurs fantasmagories par des actions suicidaires, terroristes et violentes, mais elle concerne aussi les cas récents de fanatisme religieux. En conclusion, les contenus de l’imagination restent un mystère qui pose des questions difficiles à résoudre : dans l’imaginaire, suffit-il d’opposer des images crédibles à celles qui ne le sont pas ? Les images qui reproduisent les sensations ont toujours été accompagnées d’éléments de connaissance parce que nous ne pourrons jamais croire que l’image d’un animal à tête humaine est vraie, alors que nous sommes capables d’y penser. Nous ne savons donc pas si nous sommes faibles face à l’imaginaire qui nous fait peur ou si nous sommes faibles parce que nous lui attribuons une réalité : tout dépend des représentations sociales que nous concevons. Les représentations sociales sont l’interface entre l’individuel et le social, entre le rationnel et l’impulsif, entre la conscience et l’inconscient ; elles renferment à la fois les assemblages mentaux et les contenus des réflexions. Il n’existe pas de représentation sociale sans pensée ni de pensée sans représentation sociale. Ce sont là les bases de la vie mentale, tant individuelle que collective. Les représentations sociales ont toujours un sujet et un objet : il s’agit inévitablement des représentations de quelque chose pour quelqu’un.
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Elles proviennent de contextes différents : images, souvenirs personnels ou réminiscences collectives (mythes, légendes, contes, récits), de la connaissance populaire (proverbes, superstitions, croyances), de préjugés et de stéréotypes. Elles naissent à un moment donné et dans une société donnée, dans un contexte politique, social, déterminé sur le plan historique. D’un point de vue épistémologique, le problème qui se pose n’est pas celui de savoir dans quelle mesure une représentation est vraie ou fausse ni quel est le rapport entre ce type de connaissance et la vérité. En effet, une représentation est nécessairement fausse puisqu’elle n’exprime jamais l’objet pour ce qu’il est, mais elle est aussi vraie parce qu’elle constitue pour le sujet un type de connaissance valable et utile comme principe de ses actions. Les représentations sociales découlent de différents contextes et jouent plusieurs rôles. Sur le plan individuel, comme images de vécus, de fantasmes ; sur le plan collectif, le plus spécifique de la sociologie, comme préjugés, récits, mythes, ou bien sur la scène sociale, comme manifestation d’actions représentées socialement. C’est pour cela que les représentations sociales doivent être étudiées en tenant compte à la fois d’éléments affectifs, mentaux et sociaux – et en intégrant ces aspects à la cognition de la langue, de la communication – et des rapports sociaux qui définissent les représentations par rapport à la réalité matérielle et sociale. Objets socialement construits, les représentations sociales contribuent à la construction de la société qui les a produites. Elles s’inscrivent dans une dynamique sociale qui répond à une logique circulaire à double entrée parce qu’elles résument l’essentiel de la scène sociale qu’elles contribuent à créer et participent à la définition de figures qui, dans cette dynamique, doivent définir les personnages et leurs attitudes.
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De fait, elles sont au centre de la réflexion sociale dont elles régulent les processus cognitifs ainsi que les produits de la connaissance. C’est par les représentations que l’on peut percevoir la modalité de compréhension du monde et le rôle qu’y jouent les individus. On pourrait étudier le social à partir de ses représentations et des actions que celles-ci autorisent et prévoient35 et c’est là l’ambition de notre recherche. Après Durkheim et son école, on peut expliquer les phénomènes à partir de leurs représentations et des actions produites par celles-ci, mais bien entendu, tout ne peut être représenté parce que c’est impossible, parce que c’est souvent interdit, parce qu’il existe aussi un monde que l’on ne peut représenter. C’est ainsi que, alors que certaines religions comme le christianisme s’autorisent une sorte de « baroquisation » des représentations de l’image divine, d’autres religions comme le judaïsme et l’islam empêchent de représenter Dieu – de même que l’homme dont il est l’image –, puisqu’il n’existe qu’une modalité existentielle de Dieu, qui se réfère au mystère. Le sacré réside dans l’invisible et Dieu est l’ineffable par excellence, puisque le nom Javeh signifie aussi « je suis celui qui est », qui n’est pas une appellation. Comment peut-on représenter ce qui ne peut se concevoir que par une interrogation à laquelle on ne peut donner de réponse ? L’art, dans sa tentative de percevoir l’essence d’un objet représenté, s’efforce au fond de remplacer l’objet figuré par la figure et la représentation de l’être par la réalité de la représentation. Les Prisonniers de Michel-Ange, sculpture inachevée à cause de la mort de l’artiste, ne sont-ils pas tout à fait représentatifs de la tension vers l’être qu’exprime cette œuvre ?
35. Denise Jodelet, Folies et représentations sociales, Paris, PUF, 1989.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
Les êtres et les objets qui nous entourent réveillent en nous un écho, une idée, un concept, une image, une figure ou un schéma, à la fin, une définition. Toutes ces notions renvoient d’une façon ou d’une autre aux représentations mentales. Le concept de représentation est typique de la psychologie, mais surtout de l’anthropologie culturelle et plus récemment de la sociologie. Les représentations mentales apparaissent comme des entités de nature cognitive qui reflètent, dans le système mental d’un individu, tout l’univers social qui l’entoure. Il ne s’agit évidemment pas de la reproduction d’un objet, mais plutôt de la production d’une image que le sujet élabore, en utilisant des facultés cognitives qui dérivent d’une mémoire collective ainsi que de son substrat neurologique personnel. Chaque individu dispose de représentations indispensables à sa connaissance du monde : il s’agit précisément de « représentations types », mais évidemment, puisque ni l’isolement humain ni un esprit à l’état pur n’existent, la production de représentations mentales naît de l’échange continu entre l’individu et son environnement. Il s’agit d’instruments présents dans toutes les sociétés et cultures, qui visent à organiser et à planifier les actions, toujours orientées vers une pratique. De nombreux auteurs ont souligné le côté finalisé des images mentales36. Les analyses les plus récentes de la neuroscience soulignent le rôle des représentations mentales, jugées fondamentales dans la prédisposition de la pensée. Les psychanalystes insistent quant à eux sur le fait que la notion de représentation est le produit d’une activité psychique diurne comparable à un rêve. Les sociologues sont aussi de plus en plus persuadés que l’univers des croyances auxquelles l’homme participe est plongé dans l’irrationnel. Le besoin de croire annule souvent les justi-
36. Michel Denis, Images et cognition, Paris, PUF, 1989 et Xavier Lameyre, L’imagerie mentale, Paris, PUF, 1993.
Chapitre 1. La société
du fantastique
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fications scientifiques et les démonstrations rationnelles des phénomènes. Le succès actuel des artifices superstitieux et de la « sorcellerie », à tous les niveaux sociaux, en est un exemple révélateur. D’un point de vue sociologique, l’intérêt réside dans cet ensemble de mécanismes psychiques qui composent le support des représentations mentales à la base des croyances et des superstitions répandues partout. Un premier mécanisme dérive du fonctionnement binaire de l’esprit humain : le double produit ainsi la lumière et l’ombre, le démon et Dieu. Un deuxième mécanisme fondamental provient de l’idée de la Mère nature qui mène à des représentations comme la guérison par les plantes, les fluides naturels ou le magnétisme. Un troisième mécanisme découle de l’angoisse envers le futur et de la faiblesse à l’égard des évènements : à cause de ces deux aspects, l’homme croit qu’il peut prévoir son destin et il invente alors des conjonctures stellaires et des divinations de tous genres. Pour contrôler son environnement, l’individu se sert aussi d’un ensemble de représentations qui introduisent une loi de causalité là où celle-ci n’existe pas : le miroir brisé associé à la malchance ou certains nombres liés à la chance. Malgré les progrès scientifiques et technologiques, on observe que la dimension magique résiste aussi dans les milieux cultivés et érudits, qu’ils soient scientifiques, littéraires ou (de plus en plus) politiques. (On sait que les époux Curie croyaient à la lévitation et aux ectoplasmes, que Victor Hugo utilisait des tables rondes pour parler aux esprits.) On a remarqué que les superstitions et les croyances jouent un rôle dans l’épistémologie du sens commun, où l’on représente des pseudo-savoirs qui donnent forme à la pensée sociale et à une modalité de contrôle ou d’adaptation du monde environnant. Si on étudie les systèmes de croyances ou de représentations idéologiques ainsi que ceux des institutions qui les régulent, on comprend, en ce qui concerne la spécificité de leurs énoncés, qu’il est important de relever un certain
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
nombre de structures systématiques récurrentes. Il s’agit en effet d’identifier par là la prééminence de la représentation liée à des normes culturelles dominantes qui produiraient, à travers la socialisation, une croyance donnée capable de conditionner la participation à un vrai modèle cognitif pour l’analyse du monde. Penser que sa représentation est juste permet à l’homme de trouver ses points de repère et d’éviter l’absurde. Ces dernières années, la psychologie sociale, la psychosociologie et l’anthropologie ont voulu approfondir les manifestations de la mentalité collective, surtout en fonction de l’analyse des préjugés et des stéréotypes. Ces phénomènes sociaux se présentent comme des élaborations d’un groupe ou d’une communauté qui reflètent, à un moment donné, le point de vue dominant, concernant certains sujets, du groupe ou de la communauté37. Il peut s’agir de faits ou de situations générant une image qui se répand et s’impose comme une valeur. Un préjugé est un jugement préconçu et, donc, en tant que tel, un facteur commun à un groupe social précis. Le préjugé naît en effet d’une convention sociale qui touche plusieurs problèmes et se présente comme une conception simple, valable pour tous les membres du groupe. L’adhésion à cette conception se produit de façon automatique et inconsciente et c’est précisément à cause de son niveau d’existence acritique que le préjugé peut avoir une « dangereuse » influence. Toutes les sociétés humaines sont sujettes à des préjugés puisque ceux-ci sont économiques, efficaces, qu’ils facilitent la communication sociale et engendrent une épistémologie de la pensée vulgaire. Si le préjugé découle d’un schéma simple et caricatural, il joue toutefois un rôle opérationnel et social important, qui lui permet de se propager et de s’imposer facilement.
37. Lire, par exemple, à ce sujet Edgar Morin, La rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1982.
Chapitre 2 La mondialisation et l’imaginaire fantastique
1.
L’imaginaire infantile, le
conte
et le fantastique
L’univers des contes englobe les histoires traditionnelles de Charles Perrault avec La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, Cendrillon, Blanche-Neige, Barbe-Bleue..., des frères Jacob et Wilhem Grimm et de Hans C. Andersen ; puis il s’est enrichi d’histoires modernes : Peter Pan, Alice au pays des merveilles, Le Magicien d’Oz et, plus récemment, des histoires de John Tolkien (Le Seigneur des anneaux et Bilbo le Hobbit) jusqu’aux contemporains avec les aventures de Harry Potter écrites par Joanne K. Rowling. Des milliers d’histoires qui embarquent leurs lecteurs dans des mondes merveilleux ou terribles où l’on trouve des sorcières, des fées, des elfes, des rois et des ours, des loups, des histoires qui parlent d’enfants qui se perdent, de princesses à marier, de pouvoirs magiques. Dans les contes du monde entier, on trouve le même genre de personnages, divisés en deux catégories : les bons et les mauvais. Des points de vue historique et géographique, la diffusion des contes est un phénomène structurel, profond et durable. Les spécialistes de la littérature pour enfants font remonter à la Renaissance la naissance du conte
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
moderne, c’est-à-dire le conte écrit. C’est à cette époque qu’apparaissent en Italie le Décaméron de Boccace, en Espagne le Don Quichotte de Cervantès et plus tard, en France, Charles Perrault et Jean de la Fontaine vont transcrire ou inventer des contes. Le XVIIIe siècle est considéré comme l’âge d’or du conte de fées parce que rassembler et inventer des récits merveilleux faisaient partie de la mode du temps1. Aux contes et aux fables s’ajoutent des histoires orientales, des récits libertins et des histoires morales et philosophiques. Alors que les frères Grimm recueillent, entre 1807 et 1819, 200 histoires populaires et ouvrent la voie à l’étude du folklore, de nombreux écrivains de premier plan se mettent à écrire, au début du XIXe siècle, de nouveaux récits : Wolfgang von Goethe, Alexander Pouchkine, Guy de Maupassant écrivent pour les adultes ; Hans C. Andersen ou la comtesse de Ségur, pour les enfants. Naît alors un nouveau genre qui avec Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Peter Pan de James M. Barrie, Les Aventures de Pinocchio de Carlo Collodi, Le Magicien d’Oz de Lyman-Frank Baum transforme le conte en une histoire fantastique. C’est pour cela que l’analyse historique écarte l’idée des récits immortels qui remonteraient au début des temps, comme l’avaient imaginé les folkloristes. En effet, les contes ont une histoire qui se transforme, se recompose2. Si le sentiment d’éternité du conte découle de la récurrence des thèmes, les interprétations classiques ont mis l’accent sur leur structure narrative basée sur un scénario dramatique. Les psychanalystes y ont vu l’expression de l’angoisse et des tourments de la prime enfance, les pédagogues ont, quant à eux, souligné leur fonction éducative, les psychologues cognitifs pensent que le conte est un élément inné de la fantaisie de l’homme, tandis que pour le sociologue, l’analyse de l’imaginaire proposé aux jeunes générations 1. 2.
Entre 1785 et 1789, Charles-Joseph de Mayer publie 41 volumes de contes qu’il réunit sous le titre Le cabinet des fées. Catherine Velay-Vallantin, L’histoire des contes, Paris, Fayard, 1992.
Chapitre 2. La mondialisation et l’imaginaire
fantastique
67
contemporaines devient l’étape d’un parcours à entreprendre pour comprendre les sens profonds des mythes, des valeurs et des modèles des jeunes générations. Le monde des contes est extrêmement varié et c’est sans doute cette diversité qui a longtemps été un obstacle à la mise au point d’une théorie générale du conte. L’imaginaire, dont les contes sont l’expression essentielle, ne peut être enfermé dans une catégorie littéraire, ou de vie quotidienne ou d’histoires vraies ou fausses, individuelles ou collectives, racontées selon les possibilités de l’image, des sons, des interactions prévues par l’ordinateur. Que peuvent avoir en commun ces contes particulièrement variés ? On définit souvent une histoire comme un enchaînement de faits ou d’évènements, mais cette définition réductrice en nie la spécificité puisqu’il ne s’agit pas d’aventures quelconques, mais d’actions menées par des acteurs sociaux, qu’ils soient hommes, animaux, poupées ou êtres virtuels. En reprenant la poétique d’Aristote, on peut affirmer que chaque histoire se base sur le rôle central de l’action humaine dotée d’un sens, comme le dirait également Max Weber, et le conte est en fait la représentation d’hommes qui agissent. Le cœur de chaque histoire est formé d’un élément essentiel, ce que les logiciens appellent la phrase d’action. Si on pense à Mickey Mouse embrassant Minnie Mouse, à Holly frappant Benji ou à Julien Sorel touchant la main de Madame de Rênal, on se rend compte des éléments constitutifs de l’action. Ils correspondent aux questions que l’on se pose normalement pour identifier et situer une action, des questions auxquelles les journalistes font appel pour décrire un évènement en début d’article : il s’agit des cinq fameux w (who, what, when, where, why) : qui dit quoi à qui, quand, où, en quels termes et pourquoi. L’action de l’homme n’est donc pas seulement définie par des circonstances externes, mais aussi par un aspect intérieur parce que le public veut connaître la personnalité de l’acteur et les raisons de ses actions, tous des éléments qui permettent un jugement moral. Le schéma d’action représente donc une scène qui met en évidence un monde
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
et le résume, un monde où les catégories fondamentales de l’existence se trouvent centrées autour de l’acteur social : catégorie de l’action, du rôle, du temps, de l’espace, des causes, de la motivation. Le problème touche alors la définition de ce microcosme et pose la question des relations entre le réel et le fantastique. Les contes se déroulent habituellement dans deux univers clairement distincts : le monde réel décrit par la science et les mondes fictifs créés par l’arbitraire et la fantaisie. Cette conséquence dichotomique du scientisme moderne, selon lequel ce qui ne provient pas d’une recherche scientifique ne fait pas partie de la réalité, nous empêche de comprendre la portée réelle du conte : les catégories que ce dernier génère sont les mêmes, qu’il s’agisse de faits réels ou inventés, et chaque histoire ne vit que des nombreux renvois entre le réel et l’imaginaire. Il ne faut pas oublier que ce que nous appelons réel est le fruit de différents contextes existentiels tirés de plusieurs réalités. Le philosophe Willard Quine soutient qu’il n’existe qu’une différence de niveaux, et non de nature, entre les objets physiques et l’existence des dieux3. Dans une brève histoire racontée par un « spot », si un schéma d’action unique peut former le récit, ce sont souvent plusieurs séries d’actions qui sont liées les unes aux autres et qui composent la trame, alors que le sens profond de l’histoire ne peut être déduit qu’à travers les traits des personnages, leurs boutades, leurs réflexions, le temps et le lieu de leurs actions ; en résumé, leurs mythes, leurs valeurs et leurs modèles de comportement. Cela engendre par conséquent des typologies de récits différents – biographiques, descriptifs ou narratifs – des interlocuteurs qui s’inspirent du schéma d’action de base et forment le texte des récits. Mais, dans la société de l’image, le récit ne peut évidemment pas s’identifier à une
3.
Willard van Orman Quine, From a Logical Point of View : Nine LogicoPhilosophical Essays, Cambridge, Harvard University Press, 1964.
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fantastique
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séquence linguistique, écrite ou orale, alors que la représentation de l’action de l’homme se base sur des compétences cognitives bien plus étendues, car l’individu qui raconte élabore un modèle mental des actions de l’homme et du monde dans lequel celles-ci s’inscrivent, comme le font le cinéaste, le scénariste, le « créatif », qui proposent un film, une bande dessinée, un jeu vidéo ou une émission de dessins animés. Il ne faut donc pas voir dans le conte l’antagoniste de la technique et de la science, selon la vieille antinomie qui opposait la raison et la dimension irrationnelle du rite et du mythe : d’un point de vue sociologique, il existe effectivement dans chaque histoire un rationalisme qui régule les relations entre les individus et qui paraphrase le thème central de la sociologie, des sciences politiques et de l’économie. Pour comprendre le sens de chaque histoire, il faut remonter aux conditions dans lesquelles naissent et se développent les sociétés humaines qui y sont représentées. L’individu vit par rapport à deux mondes : celui des choses et celui des autres individus. Les développements technologique et scientifique ont privilégié le rapport aux choses, au détriment des rapports avec les autres. Il s’agit là d’une caractéristique du postmodernisme que les moyens de communication de masse ont amplifié ; une caractéristique qui permet de distinguer les sociétés traditionnelles des sociétés « développées ». Dans les premières, les rapports humains prennent le pas sur les choses, alors que dans les deuxièmes, c’est le contraire qui se produit. Cette préférence accordée au monde des objets se manifeste dans tout contexte sociologique4, mais aussi psychologique : Jean Piaget affirme que les rapports avec le monde social accompagnent le développement de l’intelligence sensorimotrice. Après avoir reconnu l’existence de ces deux rapports fondamentaux des individus avec le monde des choses et
4.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1975.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
avec les autres membres de la communauté, si on se penche sur le développement de l’enfant, on constate l’apparition parallèle chez celui-ci d’une intelligence sensori-motrice, tournée vers les objets, et d’une intelligence sociale qui s’exprime dès les premières phases du rapport avec la mère, par exemple dans la tension crise-solution lorsqu’il a faim. Ce n’est que vers 2 ans, avec l’apparition de la capacité symbolique, que se produit un changement dans la représentation par les mots, l’imitation et le dessin. Si les psychologues distinguent deux orientations fondamentales dans la façon de penser5 – d’un côté, un modèle de pensée tourné vers les objets, qui correspondrait à la pensée technique et scientifique, et de l’autre, un modèle narratif tourné vers les autres, responsable des relations avec le groupe social –, il n’est pas du tout certain que l’ensemble des façons de penser puisse être ramené à cette polarité parce qu’on insiste toujours davantage sur la pluralité des formes intellectives ; mais on sait également que l’intelligence narrative est tout aussi importante que l’intelligence technique et scientifique. Ses caractéristiques visent à percevoir les états d’âme et les intentions des individus. Celles-ci concernent ce qui n’est visible ni dans les gestes ni dans les expressions mimiques (physionomie), mais renferment un aspect subliminal et essentiel : l’imaginaire. Les éthologistes soulignent de plus que parmi les primates, on peut distinguer des formes simples de ce qui aujourd’hui, dans tous les milieux, s’appelle la « théorie de l’esprit », la faculté qui permet de prendre ses distances par rapport à soi-même, de regarder le monde du point de vue d’un autre et de comprendre les comportements d’autrui comme ceux d’un alter ego pareil et différent. Cette même faculté, qui apparaît chez l’enfant vers 4 ans, permet de se décentrer pour attribuer aux autres des croyances et des valeurs différentes des siennes. Ce développement de la théorie de 5.
Jerome Bruner, Actual Minds, Possible Worlds, Cambridge, Harvard University Press, 1986 ; Acts of Meaning, Cambridge, Harvard University Press, 1990.
Chapitre 2. La mondialisation et l’imaginaire
fantastique
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l’esprit permet de construire les autres et soi-même comme des personnages, et les images et les histoires mènent à la schématisation de types et à la connaissance de mondes. Le récit, l’histoire et le dessin animé deviennent des éléments du vécu qui peuvent doter de sens notre existence et celle d’autrui.
2.
Les
approches du fantastique :
narratologie , ethnologie et psychologie
La narratologie
Si l’on en croit la conception la plus ancienne des histoires, tous les récits se ressemblent. La « narratologie » cherche une grammaire universelle et c’est à Vladimir Propp (1895-1970) et à sa Morphologie du conte que l’on doit l’analyse structurale. D’après Propp, malgré la grande variété de personnages et la pluridimensionnalité de leurs aventures, tous les contes seraient construits selon une même trame. À la suite de son analyse des contes populaires russes, qui lui a permis d’observer 7 types de personnages-clés et 31 fonctions possibles, il émet l’hypothèse que chaque conte renferme des phases conséquentes et invariables : un malheur initial supposant la recherche ou l’apparition d’un héros qui, grâce à son intelligence, son combat ou un élément magique, arrive, après une série d’épreuves, au succès final. Cette trame conséquentielle du conte a été le point de départ de l’élaboration d’une grammaire universelle du conte qui est encore en cours. Algirdas Julien Greimas, sémioticien de l’École de Paris, révise les théories de Propp : le schéma de l’action est confirmé par l’analyse des rôles entre protagonistes dont le déroulement suit des programmes narratifs précis, à savoir partir d’une situation initiale pour arriver à une situation finale qui intervertit la première (par ex., malheur vers bonheur, maladie vers bien-être). Au cours des années 1960, le mouvement structuraliste met au point cette grammaire universelle des contes, utile pour définir les thèmes narratifs des romans,
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
des dessins animés, des bandes dessinées et des séries télévisées, mais l’analyse structurale révéla très vite ses limites à cause de son excès d’abstraction. On doit à Gérard Genette d’avoir souligné la complexité et la diversité des formes narratives difficilement associables à un schéma unique6. Actuellement, la « narratologie » tend à remplacer le récit par les stratégies communicatives. On étudie de plus en plus l’intention de l’auteur, le rôle du contexte social, des descriptions et les interprétations possibles7. Paul Ricœur propose trois niveaux d’interprétation qui mettent en évidence l’intrigue, les éléments singuliers puis hétérogènes qui composent une histoire8. L’ethnologie
L’étude des contes commence au XIXe siècle, quand les folkloristes décrivent les contes populaires et les classent selon des critères analogues à ceux des recueils de traditions, de croyances, d’expressions populaires, de proverbes, etc. Au début du XXe siècle, Antti Aarne et Stith Thompson se penchent sur les variations possibles d’un conte ; ce travail de collecte et de classification aboutit à la création de grands catalogues de contes partout en Europe. Les chercheurs en folklore sont plus soucieux de rassembler du matériel que de théoriser, bien que Hyacinthe Husson (1874) suggère, dans son travail sur les mythes, que les contes proviennent à l’origine de grandes mythologies préhistoriques. Si Theodor Benfy (1859) pense même que les contes européens peuvent avoir une origine indo-européenne, Arnold Van Gennep9, quant à lui, rapproche la présence des animaux dans les contes des rites totémiques. L’ethnologie classique considère que les contes, expression d’une 6. 7. 8. 9.
Gérard Genette, Figures, vol. III, Paris, Seuil, 1972. Cf. Umberto Eco, Lector in fabula : la cooperazione interpretativa nei testi narrativi, Milano, Bompiani, 1979. Paul Ricœur, Temps et récit, t. I, Paris, Seuil, 1983. Arnold Van Gennep, La formation des légendes, Paris, Flammarion, 1910.
Chapitre 2. La mondialisation et l’imaginaire
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culture antérieure, transmettent des traditions anciennes. L’ethnologie contemporaine estime par contre que les pseudo-traditions millénaires seraient la preuve d’une nécessité permanente de réinventer. Il s’agirait donc de situer les transformations des contes derrière l’apparence de l’éternité. Alors que les ethnologues qui s’occupent de folklore étudient surtout les contenus, les contemporains situent les contes dans un processus permanent de création collective qui tient compte du narrateur, de l’auditeur/ lecteur et des conditions d’écoute. De cette façon, l’approche est analogue à celle des études de la communication : qui dit quoi, à qui, en quels termes et avec quelles conséquences10. Sous cet angle, on refuse d’attribuer à l’histoire une fonction unique, qu’elle soit ludique, initiatique, pédagogique ou psychologique. La psychologie
Dans le monde entier, la psychanalyse des contes est associée au nom de Bruno Bettelheim, mais avant lui, Sigmund Freud et Carl Jung ont également proposé des études sur le sujet. Selon l’approche psychanalytique, le conte exprime des conflits psychiques de la prime enfance : les peurs, les pulsions, les fantasmes de mort ou de castration révéleraient des conflits œdipiens ou fraternels, puisque les contes mettent en scène des enfants ou des animaux auxquels le jeune lecteur peut facilement s’identifier ; ils soumettent à son attention des épreuves de difficulté nécessaires pour devenir adulte. C’est pour cela que, dans la transposition du récit, l’enfant doit se libérer de la présence de ses parents pour devenir autonome, ce qui s’exprime généralement de façon négative à travers des ours, des sorcières ou des monstres. Le conte joue ainsi un rôle initiatique fondamental dans la mesure où il aide l’enfant à
10. Nicole Belmont, Poétique du conte, Paris, Gallimard, 1999.
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affronter et à résoudre des épreuves psychiques et lui permet de se forger une personnalité. Les approches cognitives du conte, qui sont apparues dès les années 1990, présentent un élément commun : elles se penchent sur les stratégies mentales sollicitées par le récit. La réminiscence des contes suppose la mobilisation de schémas mentaux simples. Quand on raconte une histoire complexe et tortueuse, la mémoire n’en conserve que les éléments les plus déterminants et la forme narrative des histoires correspond à une tendance naturelle de l’esprit humain à connaître la réalité sous la forme de séquences d’évènements, de représentations d’actions et de buts prédéterminés11. On a aussi supposé, selon ce raisonnement, que le goût pour les contes provenait manifestement d’une prédisposition de l’individu à créer des évènements fantastiques, à inventer mentalement des mondes possibles. L’homme serait, par nature, un « homo fabulator ». Puisque le succès des personnages animalo-anthropomorphes, des sorcières, des héros dotés de pouvoirs magiques faciliterait la mémorisation, violer les règles en vigueur de la psychologie intuitive permet à l’anthropologie cognitive de relever dans les personnages, qui altèrent les règles comportementales habituelles, des figures prototypes dont il est facile de se souvenir, générant ainsi un grand signe cognitif.
3.
De la
parole à l’image
Le passage de l’oreille à l’œil est emblématique pour définir le parcours vers la société de l’image, pour comprendre la « troisième vague » qui nous touche et pour relever certains éléments d’universalité des histoires télévisées. À l’instar des autres médias aux fonctions de plus en plus spécifiques depuis l’apparition de la télématique, peut-on encore voir dans la télévision, si l’on se réfère à
11. Jerome Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?, Avon, Retz, 2002.
Chapitre 2. La mondialisation et l’imaginaire
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l’enfance – selon la logique introduite par McLuhan12 –, une extension spécialisée des fonctions psychiques et mentales ? Si tous les médias font appel à nos sens, l’influence de nos sens sur le psychisme varie suivant les modalités et l’impact sensoriel. On sait, de fait, que la vue favorise l’expérience intellectuelle et l’analyse, tandis que l’oreille et le toucher sont davantage liés à la perception émotive et à l’intuition. C’est pour cela qu’au sein de chaque culture, la relation fondamentale des sens joue un rôle déterminant sur le ton et l’orientation générale par rapport à la pensée, aux préjugés, aux valeurs, aux mythes et aux modèles de comportement qui la définissent. De ce point de vue, l’étude des effets révèle l’impact psychophysique des médias sur l’association des sens et il s’avère que le contenu du message a beaucoup moins d’importance que ce que l’on croit généralement. Chacun sait par expérience que l’influence réelle des médias ne se manifeste pas seulement en rapport avec les concepts ou les opinions, mais de façon beaucoup plus approfondie avec les structures génératives des processus qui permettent la formation et la réception des concepts et des opinions. Conformément à cette hypothèse, la caractéristique la plus importante d’un médium est, par conséquent, la modalité de son impact sensoriel. L’alphabétisme phonétique a marqué le passage de l’homme oral/tribal à l’homme visuel. Le fait de pouvoir exprimer la réflexion graphiquement et visuellement et donc de pouvoir la transmettre grâce à l’écriture a profondément modifié la façon de penser le monde. L’imprimerie a accéléré ce processus et on peut dès lors dire qu’après Gutenberg, on est passé de l’écoute à la lecture. Mais l’imprimerie, qui a dominé du XVIe au XXe siècle, a perdu une grande partie de son monopole depuis que la diffusion et le développement du téléphone, de la radio, de la télévision,
12. Marshall McLuhan, Understanding Media : The Extension of Man, Londres, Sphere Books, 1967.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
du cinéma, de l’ordinateur et de la télématique ont profondément modifié les catégories d’espace et de temps et réaffirmé la suprématie de l’image sur la parole, de la vue sur l’ouïe. Dans ce contexte, la télévision joue un rôle de tout premier plan, car la basse définition de l’image vidéo, en n’offrant pas une information détaillée des objets spécifiques, exige de fait – selon l’hypothèse de McLuhan – la participation active du spectateur. L’image transmise, fragmentée en points et en lignes, pourrait n’être perçue dans son ensemble qu’à travers l’imagination. Cet aspect est encore plus vrai dans le cas de la télévision pour enfants, surtout en ce qui concerne les dessins animés, les jeux vidéo, les sites Internet et les jeux de rôle. À cause de leur expressivité réalisée par la technologie de l’ordinateur, ils présentent un profil « grossier » et comme les dessins fournissent peu d’indications, ils demandent au spectateur de compléter en quelque sorte cette image, ce qui suppose un rapport de participation élevé. Dans cette optique, l’écran prolongerait le système nerveux central du spectateur en en modelant tout l’appareil sensoriel par le message définitif. C’est pour cela qu’on le juge responsable de la fin de la suprématie de l’œil, qui avait caractérisé la technologie mécanique. En ce qui concerne les médias exploités pour les enfants, on a constaté à plusieurs reprises que c’est l’expérience participative du spectateur – et non le contenu d’une image – qui est enregistrée de manière invisible et « peut-être » indélébile. C’est pour cela que dans notre enquête, au détriment des émissions individuelles, nous avons privilégié l’ensemble, le « flux » proposé par chaque palimpseste, un échantillon significatif des jeux vidéo, les sites Internet et les jeux de rôle.
4.
Les
nouveaux héros
Pour les Grecs, les héros étaient des hommes qui, par leurs grandes qualités, fréquentaient aussi le monde des dieux : Hercule, Jason, Orphée..., ils étaient aussi souvent des demi-dieux, à savoir fils d’une divinité et d’un
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mortel, comme dans le cas de Thésée, d’Achille, d’Énée. Ils étaient vénérés parce qu’ils avaient fondé une cité ou avaient donné naissance à un peuple, étaient les auteurs de faits glorieux, en tout cas, capables d’entrer dans la légende parce que synthèses de vertus et de valeurs de la communauté. Dans toutes les traditions des peuples de la planète, quiconque arrive à accomplir un exploit devient un héros, « marquant de son empreinte l’histoire des hommes13 ». Plus récemment, on a défini tel un héros celui qui brave les dangers ou se sacrifie pour sa terre, pour une cause humanitaire, pour un projet scientifique, toujours et en tout temps pour le bien de l’humanité. Ainsi, petit à petit, sont devenus des héros les protagonistes d’un poème, d’un roman et d’un film parce que dans l’acception la plus courante, les héros sont les acteurs principaux d’une entreprise qui paraît extraordinaire. Au cours de l’histoire, les dénominateurs communs de ces hommes et de ces femmes devenus des héros ont toujours été le grand courage, des vertus extraordinaires et des prérogatives exceptionnelles. À l’instar des dieux et des démons, les héros aussi se sont multipliés au fil des temps. Il suffit de jeter un coup d’œil à la littérature, à la peinture, à la sculpture, mais également aux pratiques culturelles et aux habitudes quotidiennes de tous les peuples pour se rendre compte de la quantité de personnages qui, même de façon subliminale, ont joué un rôle important dans les décisions et les actions des hommes. Ne peut-on pas voir dans les guerres du monde juif la face visible d’une lutte plus importante qui opposait Jahvé aux dieux des autres populations ? Quant aux Romains, n’ont-ils pas conquis le monde grâce à leur capacité de subsumer les dieux des peuples sur lesquels ils exerçaient leur domination ?
13. Thomas Carlyle, On Heroes, Hero-Worship and the Heroic in History, New York, J. W. Lovell Company, 1885.
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Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire
Depuis toujours, les dieux, les mythes et les héros ont représenté et concrétisé ce que chaque communauté considérait comme sacré, essentiel, en un mot, l’exemple. En tant que dimension symbolique de la structure sociale, ils ont généralement existé plus dans les cœurs que dans la réalité. Ce sont les héros qui, par leur spécificité de demidieux, n’ont cessé d’exprimer les besoins, les désirs, les aspirations des hommes, précisément parce, dans l’imaginaire collectif, ils dépassent les limites de la médiocrité, ils existent au-delà de leur condition personnelle étroite, audelà de leurs actions et de leurs possibilités confinées. Cela explique pourquoi les histoires héroïques sont étrangères aux conditions matérielles des hommes et ne se déroulent pas dans les limites temporelles et spatiales connues. Depuis toujours, les héros sont merveilleux et pour les comprendre, il faut utiliser d’autres paradigmes que ceux de la logique traditionnelle. Ce n’est pas un hasard si Aristote affirmait que « ce qui, dans l’origine, poussa les hommes aux premières recherches philosophiques, c’était, comme aujourd’hui, l’étonnement » ; et s’il faut voir dans cet étonnement l’origine de la réflexion, c’est de celle-ci qu’il faut rapprocher aujourd’hui encore la nouvelle étiologie du savoir. Par leur nature, les nouveaux héros ne proposent et ne font rien d’autre. Ils ont modifié les habitudes, façonné la société en changeant les goûts et les attitudes de l’homme. De nombreux chercheurs ont soutenu, ces dernières années, que pour connaître les protagonistes de la nouvelle fantaisie, il faut faire appel à de nouvelles catégories d’analyse. Les réflexions sur les conditionnements posées par les idéologies politiques, les croyances religieuses, les mythes populaires, la connaissance scientifique, philosophique et artistique ne sont plus suffisantes pour comprendre ce nouvel univers synchronique et hétérogène qui peuple la téléfantaisie. La proposition de Karl Mannheim de comprendre, à travers l’analyse entre connaissance et existence, la vie
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intellectuelle à un moment historique précis dans sa relation avec les forces politiques et sociales existantes de l’imaginaire collectif n’est plus adaptée à l’étude des héros actuels. En effet, les récits contemporains des héros s’adressent à une partie de nous qui n’est pas liée à notre expérience quotidienne, mais qui au contraire en fait abstraction avec beaucoup de liberté. Ils ne sont toutefois jamais nés par hasard. À ce propos, les Grecs ont créé, par exemple, le dieu de l’amour, Éros, et le dieu de la guerre, Arès, mais ils n’ont jamais pensé à un dieu du discours et de la parole, alors que leur civilisation tourne autour du logos, ce dont témoignent Socrate, Platon et les autres grands philosophes. Le christianisme, en revanche, a basé sur le Verbe le sens d’un dieu unique14. Mais ces aspects débordent le cadre de notre propos dont l’ambition est de souligner le lien étroit entre la mythologie et la civilisation à laquelle elle participe et qu’elle caractérise. Toutefois, nous considérons que le mythe évolue et s’enrichit de croyances multiformes : parce qu’il laisse place au rêve et incite à la réflexion, il devient, de fait, témoin de l’histoire, crée un lien entre les générations et peut-être aussi, sur le plan interculturel, entre les différentes régions du monde. Tous les peuples de la terre ont eu recours à la mythologie parce qu’en réalité, toutes les communautés ont inventé des superstructures leur permettant d’identifier leurs origines, de regrouper leurs communautés et en définitive, d’affirmer et de confirmer leur identité. Au fil des temps, chaque population a utilisé le fantastique qui lui était propre, qui semblait tout à fait étranger aux yeux d’un membre d’une autre civilisation. Un voyage parmi les grands mythes est aussi un parcours à travers les grandes civilisations ; nous utiliserons toutefois les dieux grecs qui nous sont le plus proches comme clés de lecture, au même
14. Évangile selon saint Jean, Au commencement était le Verbe, La Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 1998, p. 1789.
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titre que les mythologies égyptienne, mésopotamienne, slave, indienne, chinoise et nipponne, entrées désormais dans notre quotidien depuis que les moyens de communication de masse nous imposent une planétarisation des cultures à travers la diffusion des valeurs et des modèles de comportement. Une étude américaine récente15 identifie les personnages qui ont modifié les coutumes et les styles de vie des individus du monde entier. En tête de ce classement étrange figure le Marlboro Man, le cow-boy dépeint dans son ranch du Colorado qui contribua à la diffusion de la cigarette dans le monde. En deuxième place se trouve le Grand Frère raconté par George Orwell dans son roman 1984, symbole du pouvoir absolu, que personne n’a jamais vu, mais qui est capable de contrôler la vie de chacun. Puis vient le roi Arthur, apparu dans la littérature gaélique du VIe siècle, et qui, qu’il ait existé ou non, incarne les qualités idéales du leader politique et du monarque. Le Père Noël, ou saint Nicolas, se trouve en quatrième position et, bien qu’il n’existe aux États-Unis que depuis le XIXe siècle, il reprend le mythe du saint vénéré par les chrétiens orientaux au Ier siècle. Suivent Hamlet, Frankenstein, Siegfried, Sherlock Holmes, Roméo et Juliette jusqu’au Prince Charmant (vingtième place), Barbie (quarante-troisième place), James Bond (cinquante-et-unième place) et Icare (quatrevingtième place). En dressant cette liste, les chercheurs américains – un professeur de médecine de la Columbia University, un programmateur d’ordinateurs du MIT de Boston et un ingénieur –, sont remontés à une série de héros grecs, mais la prépondérance de personnages de la culture américaine et anglaise indique clairement leurs sources. Dans nos travaux, nous avons accordé une grande importance aux personnages des religions universelles, car qu’ils soient mythiques ou réels, ce sont eux qui ont marqué nos civilisations et qui vivent plus ou moins dans l’esprit de tous.
15. Allan Lazar, Dan Karlan et Jeremy Salter, The 101 Most Influential People Who Never Lived, New York, Harper Collins, 2006.
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Les héros occidentaux présentent une particularité : ils sont dotés d’une force physique hors du commun ; de la tradition celtique à la tradition romaine (Hercule), une agilité remarquable et un courage sans limites sont les caractéristiques principales de chaque « superman ». L’intelligence est un atout supplémentaire, accessoire, alors que la passion dans la lutte contre le mal est absolument fondamentale. Quant aux héros japonais, ils sont marqués principalement par la détermination vers un but qui les dépasse, par l’abnégation totale à une cause parce que le but de la victoire est de se dépasser soi-même et que le sacrifice de soi confirme l’identité sociale. Entre ces deux pôles, on trouve une infinité de personnages, mais le nouvel héroïsme symbolise toujours l’élan vital, expression de la situation conflictuelle de l’âme humaine et de son combat contre les monstres du mal. Toutes les constellations sublimes ou perverses de la psyché parviennent à trouver leur formulation figurée et leur explication efficace sur le plan symbolique grâce à la métaphore de la victoire ou par la défaite d’un héros dans sa lutte contre quelqu’un ou quelque chose. C’est par cette clé d’interprétation éthico-psychologique que nous avons lu et interprété les héros du nouvel imaginaire fantastique.
5.
Les
mythes contingents
C’est la contingence et la durée des mythes proposés qui caractérisent probablement le plus la mondialisation mythologique. En réalité, cette idée, très répandue parmi les adultes, est transmise aux plus jeunes à travers des héros qui incarnent les valeurs les plus communes, celles-ci étant synthétisées et emphatisées pour le jeune public. Une analyse globale de l’« héroïsme » des protagonistes de la nouvelle fantaisie permet de déceler une synergie extraordinaire entre les mythes du monde adulte et les héros inventés pour les enfants.
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Vers la fin des années 1960 et jusqu’à la moitié des années 1970 – quand, dans un crescendo qui culmine au moment du débarquement sur la lune, la mythologie des adultes était concentrée sur les voyages interstellaires, sur la recherche de formes de vies intelligentes en dehors du système solaire, sur les possibilités infinies des nouvelles technologies, c’est-à-dire sur la capacité, impensable alors, des « machines pensantes » – cette idéologie collective adulte a été transmise aux enfants et aux jeunes grâce à l’anthropomorphisation de l’ordinateur. Qu’ont donc été Ufo Robot Grendizer et Mazinga, si ce n’est la personnification de cette mythologie ? Le mythe de l’ordinateur prit fin quand ce dernier, de but qu’il était, « devint un moyen », quand il envahit les maisons au point d’être baptisé par le Time, en 1981, « homme de l’année ». Lorsqu’il devint un instrument à la portée de tous, alors qu’il était auparavant un but en soi, l’ordinateur-mythe des grands commença à décliner et apparurent alors, pour les enfants, les héros qui le représentaient. Au début des années 1980, peut-être pour répondre concrètement aux catastrophes environnementales qui annonçaient l’implosion de notre monde, peut-être par peur de la fin de la planète, peut-être par souci de la protéger (après avoir introduit la dimension du droit et du devoir vis-à-vis de l’environnement), le mouvement des écolos proposa une nouvelle forme de solidarité qui se transforma en une éthique nouvelle, largement partagée. Pour la première fois, on parla ces années-là, à un niveau de masse, d’une nouvelle possibilité de solidarité sociale globale, née précisément de ce besoin commun de défendre et de protéger la planète, « notre seule terre-patrie16 ». Et quand, au tournant des années 1970-1980, l’écologie devint une idéologie répandue, les enfants virent alors apparaître sur les écrans des personnages qui habitaient des sous-bois et des fonds marins : Memole, les Snorkies, les Schtroumpfs.
16. Edgar Morin, Terre-patrie, Paris, Seuil, 1993.
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Ne s’agissait-il pas là d’une mythique idyllique dont on pouvait jouir immédiatement ? Et ces nouveaux gnomes n’étaient-ils pas les garants de cet écosystème ? À la fin des années 1980, on assiste au triomphe du narcissisme, non seulement théorisé par Lasch, mais surtout épousé par cette culture du bien-être personnel, activité et but en soi. À ce moment-là, le succès des salles de gymnastique ne cessa de croître, ainsi que l’intérêt pour la psychothérapie : des indices différents mais révélateurs du repli sur soi, au point que l’on élabora la théorie d’un retour au sujet et d’un reflux vers son cas personnel. À la suite de cela s’est développée une mythologie pour les très jeunes orientée vers des valeurs personnelles, intimistes et sentimentales : qui a oublié Embrasse-moi, Lucile ? Lorsque le mur est tombé et que les grandes idéologies se sont définitivement écroulées, l’Occident a commencé à chercher un nouvel « axe », composé d’alliances politiques et de démocraties fondées sur de nouveaux équilibres. La désorientation du monde adulte s’est projetée sur l’imaginaire des enfants, d’un côté par la création d’histoires politiquement correctes comme Pocahontas, de l’autre par des séries exprimant le désir de s’emparer du pouvoir, plus que de le gérer, comme dans le cas des Power Rangers. Puisque notre monde complexe est marqué avant tout, à la fois sur les plans politique et social et en matière de mode, par un phénomène constant d’ambiguïté, il n’est pas étonnant que les personnages à double rôle et double statut des dessins animés japonais comme Ramna aient beaucoup de succès. Cette double identité n’est plus basée, comme dans les classiques Zorro-Don Diego, SupermanClark Kent, sur une seule personnalité de base disposant de deux potentialités distinctes, en pratique, sur un seul statut et deux rôles ; il s’agit au contraire d’une double identité qui s’exprime à travers deux potentialités distinctes, selon les expectatives du genre et donc les rôles joués : Ramna est une jeune fille qui devient un garçon lorsqu’elle passe sous la source magique. Sa façon de participer au
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monde dépend donc de ses penchants sexuels et des rapports humains qu’elle instaure à travers ceux-ci. Personne n’ignore que le dédoublement joue dans la culture nipponne un rôle précis, y compris dans la transposition artistique. Le théâtre Takarazuka, où ne jouent que des femmes, n’est que l’exemple le plus parlant d’une manifestation culturelle androgyne plus que celui d’une définition de genres. La Princesse Saphir, une célèbre série animée de Osamu Tezuka, a deux cœurs et deux mentalités parce qu’elle est à la fois un homme et une femme ; dans les deux cas, elle apparaît avec tous les stéréotypes des rôles et des statuts que ses diversités sexuelles comportent. Le succès de ces héroïnes doubles (souvenons-nous de Lady Oscar !) s’explique peut-être par le charme que celles-ci exercent dans le cadre de la tendance « kawaii », cet ensemble d’éléments qui sous le terme « mignon17 » regroupe les adolescents autour de nombreux personnages, donnant naissance ensuite à des objets/gadgets. Cette mode de l’indéfini-attrayant permettrait ainsi aux jeunes filles et aux garçons de s’identifier à une condition éphémère comme celle de l’adolescence pour différer le plus longtemps possible le moment de l’engagement et de la responsabilité, inhérent au monde adulte. L’ambiguïté peut aussi signifier indéfinition et donc participation fusionnelle au tout, précisément parce que l’illimité, dans son infinitude, fait partie de l’ensemble. Le « kannagara », cette possibilité d’entrer en contact avec la nature et d’en faire partie complètement, est une dimension fortement perçue au Japon, mais la transposition de ce genre « double » reste ambiguë pour notre culture. L’ambiguïté de cette double identité découle du mélange culturel qui s’instaure entre cette culture et la nôtre, mais paradoxalement, c’est précisément pour cette raison qu’elle la représente davantage, car par de nombreux aspects, l’ambiguïté est aujourd’hui la synthèse de notre culture postmoderne. 17. Traduction approximative.
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Si cet aspect se dégage de la force des images publicitaires qui font l’éloge de la confusion des sexes, des comportements et des âges de la vie, ce phénomène est encore plus manifeste dans la mythologie présente dans l’offre de fantaisie : les nouveaux héros appartiennent en effet à un monde en transformation perpétuelle ; ce sont des personnages en évolution, sans statut précis ni double, mais ils ne peuvent exister qu’en fonction de leur transformation continuelle : c’est le cas des Pokémon mais aussi des Digimon qui vivent leur existence dans des vies toujours différentes. Puisque évolution et changement sont aujourd’hui synonymes de culture, les anthropologues les plus avertis en matière d’analyse sociale voient dans le mouvement humain l’indice le plus parlant pour discerner non seulement le style de vie des individus, mais aussi et surtout leur sens des valeurs18. Les lieux virtuels et les terres de fantaisie n’ont jamais été aussi peuplés !
6.
Les
nouvelles histoires
Considérés comme des « explorations spirituelles » et donc réalistes, les contes révèlent ce qu’écrit Chesterton : « la façon dont la vie de l’homme est vue, perçue ou saisie de l’intérieur19 ». Contrairement aux autres formes de littérature, ceux-ci poussent l’enfant à la découverte de son identité et de sa vocation, lui suggérant les expériences nécessaires pour le développement de son caractère. Ainsi, les contes occidentaux enseignent, dans leur sens profond, qu’en dépit des adversités du quotidien, une vie gratifiante et positive est à la portée de tous, et que seule la lutte contre les difficultés permet de trouver sa vraie identité.
18. Marc Augé, Pourquoi vivons-nous ?, Paris, Fayard, 2004. 19. Gilbert K. Chesterton, Orthodoxy, Mineola, New York, Dover Publications, 2004.
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Ces histoires persuadent l’enfant que s’il a le courage d’affronter cette recherche parsemée d’embûches, des forces bienveillantes viendront alors à son secours et qu’il finira par réussir dans son entreprise, mais elles soulignent aussi que ceux qui sont trop craintifs ou bornés pour courir des risques dans cette recherche de leur identité devront se contenter d’une existence monotone ou d’un destin pire encore. Le conte aide à extérioriser les processus intérieurs et à les rendre compréhensibles parce que ceux-ci sont représentés par les personnages de l’histoire et par ses évènements, au point que, par exemple, dans la médecine indoue traditionnelle, on attribuait à un individu psychiquement désorienté un conte qui interprétait son problème spécifique. En le méditant, le « malade » pouvait se rendre compte aussi bien de la nature de ses difficultés que de la possibilité de les dépasser. Pour l’individu en âge de se développer, l’apport des contes n’est pas de donner des indications sur les attitudes à avoir dans le monde, parce que ce sont les religions qui procurent cette « sagesse » à travers les mythes. Les contes n’ont d’ailleurs jamais décrit le monde tel qu’il est et n’ont jamais prodigué de conseils en matière de comportement, alors qu’ils jouent un rôle thérapeutique, puisque chacun peut y trouver la solution à son problème momentané. Bien que renfermant des éléments qui les associent au monde extérieur, son contenu n’a rien à voir avec la vie extérieure ; les contes ne veulent pas communiquer d’informations utiles sur le monde, mais ils tendent au contraire à éclairer les processus intérieurs de l’individu. Dans la plupart des cultures, il n’y a toutefois pas de limite précise entre le mythe et la nouvelle populaire ou le conte. Ainsi, dans les contes régionaux italiens qui forment, dans leur ensemble, la littérature des sociétés prélittéraires, il est souvent impossible de distinguer le conte de la légende. En effet, contrairement aux contes proprement dits, les contes afférents aux dynamiques du moi transmettent à travers des mots, des actes ou des évènements ce qu’une
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personne devrait faire, c’est-à-dire qu’ils imposent ou menacent, par leur moralisme, au lieu de créer une distraction. Comment les classer ? Comment décider s’il s’agit d’un conte ou non ? Quand le conte ne pose pas de questions, quand l’enfant ne se sent pas obligé d’agir d’une façon particulière et donc ne se sent pas inférieur, quand le conte joue un rôle rassurant, d’espoir, de promesse d’une fin joyeuse, on peut se demander si on peut le définir, à l’instar de Lewis Carroll, comme un don d’amour à un enfant. Relativement peu nombreuses, les recherches sociologiques sur les contes sont surtout orientées sur leur genèse. Pour les spécialistes, qui commencent toujours par se poser la question de l’origine du conte, le classement n’est que le deuxième élément fondamental de leur étude. C’est ainsi que l’on a des contes surnaturels, des contes de vie, d’animaux ; ou bien des contes mythologiques sous forme d’apologues, des contes merveilleux, des contes biologiques, des contes animaliers, des contes étiologiques, des contes humoristiques et des contes moraux. Il y eut plusieurs tentatives d’en dresser une morphologie, dont la plus célèbre reste celle de Propp sur les contes russes20. En 1927, quand ce dernier commença à étudier les contes populaires russes, il démontra que les person nages et leurs fonctions se révélaient être des constantes dans plusieurs types de contes. Certains éléments fondamentaux du récit ont alors été étudiés de façon comparée, en relation ou en connexion avec la religion et les mythes de la culture à laquelle ils appartenaient. C’est pourquoi on peut presque considérer Propp comme un précurseur de l’analyse du contenu. Mais des années plus tard, le problème le plus important que les chercheurs n’ont toujours pas résolu concerne la similitude des contes du monde entier.
20. Vladimir Propp, Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1970.
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Au début de son étude, Propp se demandait précisément : « Comment expliquer que l’histoire de la reine-grenouille en Russie, en Allemagne, en France, en Inde, chez les Indiens d’Amérique et en Nouvelle-Zélande se ressemble, alors qu’aucun contact entre les peuples ne peut être prouvé historiquement21 ? » Dans la reine-grenouille, le protagoniste peut passer indifféremment d’un aspect humain à un aspect animal, dont il ne peut se libérer que grâce à un enchantement, ici comme dans tant d’autres contes, par celui du baiser. La grenouille cesse d’être telle au moment où une femme humaine reconnaît en elle le mâle. Mais puisque nous sommes dans le domaine du mythe, du conte, la grenouille vit, sous ces traits, une vie « humaine » faite des mêmes souffrances et des mêmes joies que les hommes ; cela s’harmonise avec le caractère magique du conte qui mène aux origines du monde, à ce temps originaire de la naissance des mondes, antérieur à celui de notre réalité, mais où tout est encore possible. Dans la reine-grenouille, la trame originale se déroule précisément dans une dimension sans espace ni temps défini. Ce temps, où des monstres humains, des magiciens et des mortels, des glaciers, des mers et des montagnes vivent ensemble, s’appelle aussi métahistoire. Et le baiser, cet acte d’humanisation du monstre, y indique l’aube d’un nouveau monde, le nôtre, peut-être celui de l’amour, mais aussi celui de la raison et du rationalisme. L’universalité du récit obéissait à une exigence générale, à un besoin primordial et ultime ; lequel, sinon trouver le sens de la vie ? Pendant des siècles, le conte a proposé cette réponse. D’après Bruno Bettelheim, pour y parvenir, le conte doit réussir « à captiver réellement l’attention de l’enfant, et donc à l’amuser et à éveiller sa curiosité. Mais pour enrichir sa vie, il doit stimuler son imagination, l’aider à développer ses capacités intellectuelles et à éclairer ses émotions, à trouver l’harmonie entre ses angoisses et ses
21. Ibid., p. 27.
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aspirations, à comprendre pleinement ses difficultés et à trouver également des solutions aux problèmes qui le tenaillent22 ». Voilà la seule façon de reproposer sous un angle critique la lecture des contes et de comprendre que leur importance première pour l’individu réside non pas en une série d’enseignements sur les façons « correctes » de se comporter dans ce monde, mais plutôt en leur portée existentielle plus générale. Les personnages et les évènements des fables que nous connaissons (La Belle et la Bête, Cendrillon, Les Cygnes sauvages, Hansel et Gretel, Le Petit Poucet, Blanche-Neige, etc.) incarnent et illustrent surtout des conflits intérieurs et des valeurs et offrent, par leurs symboles, des modèles de comportement ; ils suggèrent la façon dont ces conflits peuvent être résolus et quelles pourraient être les étapes suivantes dans le développement évolutif. Quand il était raconté ainsi, le conte était présenté de façon simple, familière, compréhensible, adapté par l’expérience du narrateur à celle de l’auditeur. La parole dite ne posait aucune question à l’auditeur, l’enfant ne se sentait pas obligé d’agir de façon particulière et n’était pas poussé à se sentir inférieur. Par les mots, mais plus encore par la tonalité de la voix narratrice, le conte rassurait et donnait toujours de l’espoir en l’avenir, même quand il s’agissait d’un récit terrifiant. Mais aujourd’hui, à notre époque conditionnée par les médias, où ont disparu les contes ? Très peu exploités par le public à qui ils s’adressent, ils sont apparemment devenus des éléments d’analyse du social et servent de plus en plus aux anthropologues (comme les recueils de contes régionaux et populaires qui définissent la culture locale, le conte est un indice social du lieu, du contexte et du temps) et aux sociologues (que l’on pense aux analyses sur les valeurs qui font appel à une symbolique du monde des adultes : le sexe, par exemple). Les scénaristes et les
22. Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Laffont, 1980.
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c inéastes les ont abondamment repris parce qu’ils y voient des catalyseurs universels du public ; à côté des versions classiques de Walt Disney, il existe les versions plus complexes de Spielberg, les versions plus dynamiques élaborées par les ordinateurs japonais, celles qui sont farcies de cris, de rires, de bruits et de sons des cassettes de musique liées aux périodiques pour l’enfance. Ainsi, le « Il était une fois » a été transposé dans un célèbre film de pornographie dure sur les aventures de Cendrillon au royaume du sexe. Néanmoins, le conte reste universel. Tout le monde, adultes y compris, sous des angles de lecture différents, peut en faire « l’usage » qui lui convient à n’importe quel moment. Pour les petits comme pour les grands, le conte, dans son « universalité », parle à l’inconscient ; or, les processus non rationnels du moi ne peuvent être éclairés qu’à travers des images claires et éloquentes ; et on sait bien que les images évoquées dans les contes le sont. Ainsi, la lecture du conte en clé sexuelle est l’apanage des adultes qui, par leurs expériences, leurs connaissances et leur culture découvrent que le conte se prête à des commentaires et à des interprétations, alors que pour l’enfant, encore dépourvu de toute dimension culturelle, les contes sont un moyen pour comprendre et développer leur personnalité. Il a été prouvé que, dans le processus de socialisation, ceux-ci sont utiles également quand ils font peur, car c’est précisément en revivant la peur à travers les contes que les enfants parviennent à dominer certaines craintes ancestrales. Chaque mot renferme toujours la transposition métaphorique d’un problème que l’enfant qui écoute doit en quelque sorte affronter et dépasser. C’est pour cela, semble-t-il, que les enfants demandent qu’on leur raconte souvent la même histoire, exigeant aussi les mêmes mots, parce que chaque fois, ils se plongent davantage dans le problème, jusqu’à l’exorciser et le résoudre. Les histoires télévisées pour l’enfance présentent une série d’analogies mythiques avec les contes. Tout d’abord les unes et les autres débutent de la même façon, par un scénario de référence psychologique et émotionnel sembla-
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ble, à savoir l’absence d’un géniteur, si pas parfois des deux. Les contes commencent souvent par la mort d’un père ou d’une mère, ce qui crée une situation objectivement difficile pour le protagoniste qui, par certains aspects, s’en trouve pacifié dans son âme du fait que « le pire a déjà eu lieu ». Dans l’autoanalyse que suscite le conte, ce processus exorcise une crainte parce que l’individu y trouve ses solutions s’il réfléchit au fait que l’histoire l’influence et influence ses conflits intérieurs en ce moment de sa vie. Dans les histoires télévisées, le parent ne meurt généralement pas, mais il n’existe pas. Ou s’il existe, il n’y en a qu’un, ou bien c’est un parrain ou une marraine (comme dans les contes). L’enfant exorcise-t-il ses peurs ? Ou projette-t-il sur cette situation de solitude sa propre condition ? Il est seul, certes, mais comme tous les autres. Seul chez lui (devant l’écran) ou dans la vie, il est en tout cas seul dans ce processus d’identification qui passe à travers le personnage de l’écran. L’absence de contexte spatio-temporel est un autre élément commun aux contes et aux histoires transmises à la télévision : tout se déroule ici, maintenant, dans un temps cyclique et non linéaire23. Le lieu, toujours le même, contribue à définir cet aspect et cette fixité. Dans les contes comme dans les histoires télévisées, tout se produit dans un monde métahistorique. Le récit des contes et celui de la télévision présentent de nombreuses ressemblances. Le fil de l’histoire se déroule tout au long d’un schéma, toujours pareil, qui se résume en présentation des personnages, action cathartique, trom-
23. Vittorio Lanternari, communication au colloque « Oralità, vissuto, scrittura », Rome, 17-18 novembre 1987. « Du temps mythique de l’oralité au temps historique eschatologique de l’écriture » ; « Le temps du rite se situe dans le cadre du vécu, mais par son lien avec les contenus des mythes – qui revivent dans le rite –, il en reprend, en exprime et en résout les réactions émotives, les crises d’incertitude. »
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perie des autres ou évènements surnaturels, riposte à l’action, résolution de l’évènement. L’itération du récit oral du conte ressemble aussi à celle de l’histoire télévisée où la répétitivité de scènes, d’expressions et d’images à l’écran peut être comparée aux mots sans cesse répétés par le narrateur, toujours au même moment et dans les mêmes circonstances. La perception des histoires et des contes est pareille. Ils sont racontés ou proposés visuellement d’une seule manière, toujours la même, mais ils sont reçus de façon différente suivant le public. De même qu’il existe des lectures adultes des contes, on sait que l’histoire télévisée qui s’adresse aux plus jeunes, précisément en raison de son universalité et de son absence de spécialisation, peut embrasser aussi des publics plus larges. Les héros et les antihéros sont porteurs de valeurs limitées, toujours les mêmes, toujours antithétiques, tant dans les contes que dans les histoires à l’écran. Les dessins animés, comme les films et les contes, proposent la transposition métaphorique d’un problème que l’enfant, lecteur ou spectateur, doit affronter et dépasser, d’une façon ou d’une autre. Le conte est unique et ne peut être répété, il a toujours un début et une fin, il est scandé par une mort (du mal) et par le début d’une nouvelle réalité. L’histoire télévisée est en revanche une série où tout recommence et où tout se déroule selon un flux continu. Il se dégage de nos recherches que le contexte culturel (national) d’appartenance et de production des histoires télévisées définit de façon très nette les valeurs, les symboles et les modèles de comportement, alors que l’universalité du conte, qui se réfère presque exclusivement au sens dernier de la vie et des choses, ne donne pas une prise aussi marquée au relativisme culturel. Les traits de caractère des personnages des contes appartiennent à l’imaginaire, même si leurs stéréotypes en soulignent les qualités et les attitudes intérieures. À la télévision par contre, ils sont définis par la courbure des cils, par les plis autour de la bouche ou par la ligne du menton. Si le côté télévisuel est physiognomique
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(l’intériorité est représentée par l’extériorité), celui des contes est fantastique. Les personnages principaux d’une histoire appartiennent à une mythologie différente de celle du monde fantastique. Les nouveaux héros sont la réification des animés ou des protagonistes de séries et de téléfilms ; ils sont présents rituellement dans les images transmises par les téléphones portables et proposées par les jeux vidéo, mais ils jouent un rôle important en rationalisant à travers les comportements, les modèles de référence, les styles de vie à proposer, le pivot de l’action. Contrairement aux héros transmis chaque jour par la télévision, les mythes ont joué, dans chaque civilisation, un rôle de guide et d’inspirateur. Dès les origines, les mythes furent les éléments de base de la religion et du culte, avant de devenir poésie et art et ensuite histoire et morale. Dans tous les cas sont devenus des mythes ces évènements, faits ou personnages dont le déroulement ou la personnalité sont jugés éloignés de la réalité quotidienne, inatteignables ou uniques. Dans cette acception, les mythes font partie de toutes les cultures, même s’ils ne se manifestent pas sous ces traits sacrés qui étaient implicites, par exemple, dans la définition de Platon. Du sens moral de l’homme qui voulait se rebeller contre le destin naquit le côté héroïque de sa force démesurée qui écrase aussi bien la violence que le destin, cette aspiration vers le destin, vers les formes supérieures de l’être, vers le dépassement de la mort (qu’illustrent certains personnages de dessins animés de science-fiction comme Pokémon ou Digimon, les classiques He-Man et She-Ra et l’indémodable Mazinga). Le mythe, spécifique d’une culture, s’est toujours transmis d’une génération à l’autre par la parole, cette parole mythologique précisément dans les poèmes anciens, mais invariablement tournée vers les plus jeunes pour leur fournir les coordonnées du monde où ils grandissent.
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Le récit mythique est par conséquent fondamental non seulement pour comprendre la dimension culturelle d’une société précise, mais aussi pour définir la tension vers son but ultime. Parce qu’ils mettent en scène des dieux, des héros et des démons, les mythes sont très nombreux et largement présents en littérature, en peinture, en sculpture et dans les pratiques culturelles et les habitudes quotidiennes de tous les peuples. Ils ont représenté, et ensuite cristallisé, le sacré, à savoir l’essentiel, l’intouchable. Ils ont toujours été plus présents dans les cœurs que dans la réalité, exprimant les besoins, les désirs et les aspirations des hommes, au-delà de leur médiocrité, de leur condition limitée, de leurs actions confinées ou des difficultés de leurs entreprises. C’est pour cela que les récits mythiques sont indifférents aux conditions matérielles et aux limites de temps et d’espace. Ils sont « merveilleux » et pour les comprendre, nous devons abandonner les critères de notre logique rationnelle. Ces « histoires » s’adressent sans aucun doute à une partie de nous qui, bien que liée à notre expérience quotidienne, la transcende néanmoins de façon très libre. Mais ces héros ne sont pas nés par hasard, et si on reconnaît facilement leur rôle dans la mythologie parce qu’elle fait partie de la mémoire de chaque communauté, comprendre le rôle de ces nouveaux héros, de ces protagonistes de l’imaginaire collectif actuel, est beaucoup moins évident. Dans la programmation de la télévision destinée aux jeunes se dessinent de nouveaux paradigmes sur lesquels se base la réflexion de ces derniers ; les caractéristiques des héros permettent de comprendre les bases de l’imaginaire actuel. En dehors des expériences pratiques que propose le quotidien, la vie intellectuelle des enfants a dépendu en effet très longtemps de mythes, d’histoires religieuses, de légendes et de contes. Pendant des siècles, le conte de fées a fourni des grilles de lecture de la vie, en proposant des éléments utiles, susceptibles de devenir des points de repère
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pour la définition de modèles de comportement basés sur l’introjection de normes morales. La littérature traditionnelle, basée sur le conte, a alimenté l’imagination de l’enfant et en a stimulé sa vie fantastique et imaginaire. Les mythes et les légendes ont toujours proposé aux plus jeunes une matière pour élaborer leurs concepts d’origine et du but du monde ainsi que des idéaux sociaux auxquels se référer dans la vie. Mais contrairement aux mythes, auxquels ils remontent souvent, les contes ont toujours été des éléments prégnants en mesure d’aider les enfants à affronter les problèmes psychologiques du développement et de l’intégration de leur personnalité. Les nouvelles histoires en revanche n’ont pas pour fonction de projeter, par des exemples, des modèles psychologiques, philosophiques ou politiques de référence, si ce n’est de façon latente et en tout dernier lieu, subliminal. Le hiatus entre la modernité et le postmodernisme consiste à accepter que le reflet de la réalité soit différent de la réalité (modernité) ou à accepter que le reflet/récit de la réalité soit identique à lui-même. Matrix, Digimon ou Pokémon sont des représentations du réel-virtuel exprimées par le même personnage, qui agit sans cesse sous la pression d’un statut unique. Par rapport aux mythes qui, en tant qu’archétypes, élaboraient des modèles exemplaires, ces êtres en mutation constante font de leur fluidité une praxis existentielle. Les nouvelles histoires présentent néanmoins des constantes, illustrées par les héros qui les expriment : le triomphe de l’image sur la parole, le temps cyclique, l’espace fixe et la réification des personnages, tous en vente ; ainsi la répétition des histoires forme une insertion publicitaire très longue, de plusieurs années souvent, qui compte l’acquisition du héros et du système d’objets qui en dérive.
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7.
Le temps
Une conception singulière du temps est la première caractéristique commune à toutes les émissions destinées aux enfants. Il s’agit d’un temps que nous pouvons qualifier de « rituel », qui nous ramène immédiatement à la dimension du conte, tant dans le cas des dessins animés que des films télévisés, mais c’est aussi le temps propre aux sociétés traditionnelles, celui qui régule les cultures primitives et devient l’élément représentatif de leur description. Cette dimension frappe immédiatement celui qui est habitué aux rythmes narratifs typiques du monde moderne. La conception dynamique dominante dans les structures du récit contemporain est diamétralement opposée à la dimension temporelle cyclique et statique présente aussi bien dans des dessins animés de science-fiction, sentimentaux, merveilleux, d’aventures historiques et de vie quotidienne que dans les téléfilms d’aventure ou dans les comédies de situation. Chaque épisode, l’action repart à zéro, se déroule toujours – inévitablement – selon les mêmes dynamiques et ne s’interrompt que pour recommencer avec un autre épisode et avec les mêmes causes qui le déterminent. Les caractéristiques des différents personnages soulignent aussi la particularité absolue de la production télévisée pour les enfants. Définis une fois pour toutes, les rôles restent immuables chaque épisode, ce qui a pour conséquence que la prévisibilité et la staticité des personnages deviennent un élément essentiel du récit. Si le temps de la télévision des jeunes est celui du début des temps, celui des civilisations prélittéraires, celui que l’anthropologie appelle « cyclique », dépourvu de la logique qui, depuis l’époque judéo-chrétienne, définit notre façon de situer les évènements et d’encadrer les actions dans un « avant », un « maintenant » et un « après », cette notion du temps s’oppose à l’idée dynamique de notre civilisation, où celui-ci avance d’une façon tellement rapide qu’il arrive, grâce aux technologies, à disposer de dimensions d’ubiquité fréquente.
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Le temps historique, téléologique, trait d’union entre la culture et l’écriture, renferme une représentation et un usage social du concept de temps qui supposent un développement dans toute la réflexion, qu’elle soit historique, philosophique, politique et naturellement scientifique. Cette conception du temps, indissociable d’un enchaînement logique des évènements, y compris de longue durée, ne découle pas seulement de l’écriture mais s’oriente vers un « telos ». Le temps de la télévision pour enfants en revanche n’a pas de fin et ne procède pas selon une succession causeeffet. Alors que le temps des contes correspond au temps du mythe parce qu’il évoque les origines du monde, du genre humain, des traits typiques de chaque culture, le temps des histoires télévisées correspond au temps du vécu ordinaire et du rite. Parce qu’il définit une réalité fantastique et une condition irréelle, le temps du mythe a lieu avant le temps et après le temps, alors que le temps cyclique, qui conditionne la réalité et l’activité vitale, se base sur des rythmes naturels. Dans la programmation pour l’enfance, une règle constante veut que chaque histoire se déroule selon les rythmes de la vie quotidienne, c’est-à-dire selon un cycle toujours pareil. Le temps cyclique est en effet lié aux expériences existentielles immédiates, c’est le temps divisé et ordonné selon des rythmes institutionnels, sociaux et individuels. Cette façon de voir éloigne certainement l’univers télévisuel (devant lequel se placent les enfants) de la tradition moderne qui, depuis la Bible, a décrit la dimension du temps sous la forme d’évolution, linéaire, dynamique. Cette même finalité à laquelle l’histoire nous a habitués – la description du temps comme une succession de faits culturels, idéologiques, philosophiques, scientifiques – s’interrompt tout à coup. Cette représentation de l’histoire est évidemment liée aussi à un usage social du temps, indissociable
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d’un enchaînement logique entre les évènements de longue durée, d’une orientation vers un but, d’une définition à partir de l’écriture. Mais le phénomnène est bien différent en ce qui concerne la télévision pour enfants. Ici, ce qui compte avant tout, c’est le langage « vu », le temps n’y a pas de fin et ne procède pas non plus selon une succession cause-effet. Les expériences des anthropologues nous ont appris à voir dans le « temps mythique » celui qui raconte les origines du monde, du genre humain, des traits typiques de chaque culture. Et ceux-ci nous ont aussi montré comment ce temps, bien qu’il ne se réfère jamais à l’individu, mais à la société dans son ensemble, utilise un langage symbolique proche de celui du rêve. Quant aux références temporelles, le mythe s’inscrit dans un temps tout à fait particulier qui marque et définit une condition irréaliste, exactement comme celle des dessins animés fantastiques, merveilleux et de science-fiction. Et c’est la même matière mythologique qui est bouleversée : on est obligé d’abandonner l’expérience normale du quotidien pour accueillir l’élément monstrueux. Par ce processus, les « monstres », c’est-à-dire les héros mythologiques de la télévision, permettent de considérer comme « normale » la réalité dans laquelle se déroulent leurs aventures. Lorsqu’il réévoque et dramatise les contenus des mythes d’origine, le rite sert à répéter, à représenter, à réitérer, en termes symboliques, le « moment du début », et les histoires télévisées pour l’enfance reviennent en effet chaque épisode, selon un rythme plutôt quotidien qui recommence chaque fois dès le début. Chaque épisode est associé à un évènement et fait partie d’un cycle, comme les maillons d’une même chaîne, sans « avant » et « après », parce que tout recommence toujours. Les séries qui durent désormais depuis plus de dix ans, dans le cas des dessins animés, et depuis plus de vingt ans dans le cas des téléfilms, n’exigent pas de connaître les données d’un autre épisode. Tout commence et finit dans
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ce morceau d’histoire racontée, même s’il s’agit apparemment d’un récit unique et long. Les cadences proviennent des actions et des évènements, toujours pareils : ce sont ces rythmes naturels les plus connus depuis l’enfance (l’alternance du jour et de la nuit, la succession des saisons et la séquence vie/mort) qui scandent le temps quotidien. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si ces rites soulignent, réévoquent et représentent soigneusement le « moment du début ». D’une certaine façon, ce rythme renferme aussi des valeurs culturelles précises ; mais l’élément le plus frappant dans ce rite de l’éternel retour, c’est sa dimension temporelle, qui donne précisément une nouvelle force aux histoires décrites (dans le cas des récits merveilleux des anciens Schtroumpfs ou des nouveaux Pokémon, des histoires sentimentales de la Famille Bradford et de la Petite Maison dans la prairie, de celles de la vie quotidienne d’Arnold et Willy, des Jours heureux-Happy Days ou de Webster). Ce n’est qu’au moment de la cérémonie que les mythes anciens et les mythes modernes trouvent effectivement leur raison d’être : leur valeur, surtout en tant que moyen de production et de reproduction d’une culture précise, se manifeste au moment où ces mythes sont racontés. C’est là que se construit le rapport fondamental entre la génération des personnes âgées et celle des jeunes qui doivent être initiés. De nos jours, c’est la télévision qui remplit ce rôle de « maître de cérémonie » : c’est par la télévision – un des moyens de communication les plus adaptés à l’enfance – qu’a lieu cette transmission des valeurs sociales, idéologiques, culturelles et psychologiques. Et chacun peut constater l’importance, à cette fin, non seulement des langages utilisés dans les émissions mais aussi des messages confiés aux images. Le moment solennel, au sein des histoires quotidiennes (comme les déjeuners et les dîners de la Famille Bradford, la préparation des potions magiques par le Grand Schtrumpf, le cliquement des doigts dans Les Jours heureux-Happy Days, le combat entre les Pokémon, la refondation du pouvoir dans He-Man/She-Ra, l’union
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chez Voltron, etc.), rassure le groupe, le rouvre et le prépare de nouveau aux réalisations et aux jours futurs. Le rythme de ce rite, indissociablement lié à la vie quotidienne, est cyclique ; sa répétition et sa périodicité sont fondamentales pour les héros des histoires qui en tirent la sécurité perdue et la vigueur nécessaire pour affronter l’existence.
8.
L’image, plus importante
que les mots
La dimension tribale, cyclique et mythique du temps présent dans les émissions pour l’enfance est l’élément le plus manifeste – mais pas le seul – qui détermine les nouveaux paradigmes de la réflexion télévisuelle. S’il est vrai que l’enfant est exposé, plus que n’importe quel autre utilisateur, à un bombardement ininterrompu d’images, de sons, de couleurs et de contenus attrayants, il est vrai aussi qu’il subit, plus que les adultes, une participation sensorielle que lui demande la télévision, participation renforcée plus l’exposition devant l’écran est prolongée, puisque les images y sont davantage importantes que les mots et que, par leur succession, elles déterminent le sens des faits et des récits, notamment dans les dessins animés dont nous présentons notre typologie dans l’encadré suivant. Principaux thèmes de l’univers composite des dessins animés mis en relief dans nos travaux sur l’offre télévisuelle en Europe et dans le monde arabe a) Les dessins animés merveilleux. Ils se caractérisent par un contexte irréel, riche en éléments magiques. Les histoires de ces séries se situent dans des forêts improbables (voir les Schtroumpfs, David le Gnome, Memole, Maya l’abeille), sous les mers (par ex., les Snorkies) ou dans des contextes domestiques surréels (par ex., les Bisounours ou Calinours au Québec,
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les Muppet Babies ou Topo Gigio). Les personnages de ces aventures sont tous stéréotypés : leur personnalité présente peu de nuances, si ce n’est une caractéristique tellement évidente qu’ils sont souvent qualifiés et définis sur la base de celle-ci. Les S chtroumpfs illustrent parfaitement cet aspect puisqu’ils sont baptisés selon leur trait de caractère : on trouve le Schtroumpf Boudeur, le Schtroumpf Gourmand, le Schtroumpf Bricoleur, le Schtroumph à Lunettes, etc. Les aventures auxquelles participent les héros de ces séries ne sont jamais vraiment dramatiques ni tragiques. L’élément constant de ces dessins animés merveilleux est le groupe, qui donne à chacun une sécurité, avec lequel le héros s’identifie et en fonction duquel il vit. Ce genre de dessin animé est celui qui se rapproche le plus de la mythologie du conte de fées, non seulement par son contenu imaginaire, mais aussi à cause de son langage didascalique et de la redondance de ses thèmes. Mais contrairement aux contes, ces histoires télévisées ne sont pas porteuses de sens profonds, entre autres, parce que la série ne prévoit pas de fin et parce que l’intimisme qui les caractérise toutes ne prévoit pas de catharsis, mais seulement un message pacificateur et édulcoré de la vie ensemble. b) Les dessins animés de science-fiction. Ce genre repose en grande partie sur la quantité de hautes technologies utilisées. Toutes les aventures qui sont à la base des histoires de He-Man, She-Ra, Robotech, Transformers, Voltron, Flash Gordon, Mask, Cops, Mazinga, Yattaman, Ghostbusters, Digimon sont en effet marquées par les appareillages de technologie avancée qu’utilisent les personnages. Des navettes spatiales qui contiennent des villes entières (Robotech) ; des ordinateurs qui peuvent sélectionner, seuls et à distance, les groupes de gens les plus qualifiés pour effectuer des missions impossibles (Mask) ; des
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voitures qui se transforment au besoin en armes de guerre terribles (Transformers) : voilà quelques exemples possibles de cet univers. Le scénario du futur est souvent représenté comme un « Moyen Âge à court terme* » parce que les protagonistes de ces aventures portent surtout des vêtements du style du XVe siècle. Toutes ces histoires sont basées sur la lutte pour le pouvoir et les héros de ces récits sont des leaders charismatiques. Le dessin animé de sciencefiction, avec son message redondant, propose toujours la même aventure, provoquée par des conjonctures presque identiques entre elles, et plus que tout autre, il est porteur d’une idéologie politique précise. Les actions des protagonistes sont presque toujours des réponses passives – dans le sens que l’action est entreprise pour lutter contre le mal – en réaction à une tromperie subie ou supposée. La dimension active de la lutte pour le bien est très rare, mais le héros confirme toujours que la justice triomphe, et qu’il suffit d’être bon (en s’adaptant, de fait, aux normes sociétaires de la loi) pour vivre heureux. Le modèle structural-fonctionnaliste n’est jamais mis en doute. c) Les dessins animés sportifs. Ce sont des dessins animés où le sport est l’activité dominante des protagonistes et où la compétition est présente dans la plupart des photogrammes. Ceux-ci sont marqués par l’exaspération de la réalité, dans le sens que les visages, les jambes, le ballon, le terrain, l’estrade, le filet, le panier sont dessinés de façon tellement stéréotypée qu’ils transmettent sans cesse la sensation de force, de fatigue, d’épuisement, de peur, de rage, mais surtout de souffrance des joueurs. Ceux-ci sont sur le terrain (Holly et Benji, Graine de champion), sur l’estrade (Tiger Mask), sur un terrain de volleyball (Les Attaquantes), non pas pour jouer, mais pour se battre et pour gagner. Ce qui est en jeu, c’est
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l’honneur personnel, donc la peur de perdre la face et de ne pas obtenir la reconnaissance des autres ; il faut se battre jusqu’au bout, se donner entièrement à l’équipe, au Japon. C’est la défense de l’identité nationale qui est en jeu. L’holocauste de la vie n’a pas lieu uniquement parce qu’il s’agit d’une série, mais la tension entre les protagonistes à la recherche de l’absolu est exprimée de façon tellement aiguë qu’on redoute la fin. d) Les dessins animés de la vie quotidienne. Les histoires sont situées dans des endroits du quotidien (maison, école, club, etc.), les personnages principaux ont des traits humains, ne sont pas dotés de pouvoirs spéciaux et agissent surtout en fonction de relations intimistes. Les valeurs transmises par ces aventures touchent surtout le contexte privé et reproposent sans cesse le thème de l’affirmation de soi. Il s’agit, par exemple, des histoires de Cat’s Eyes (trois sœurs qui gèrent un bar le jour et volent la nuit), de Coccinelle (une enfant qui, avec ses frères, cherche sa propre indépendance et celle de ses animaux), de Popeye et d’Alwin Show, de Bécébégé. e) Les dessins animés d’aventures historiques. Les faits se déroulent durant une période historique, par exemple la Révolution française. Les personnages de la série, aussi bien La Tulipe Noire que Lady Oscar, ont des doubles identités qu’ils utilisent dans leurs deux mondes : le peuple et la noblesse. Mais c’est surtout l’ambiguïté de la trame qui caractérise cette série. Dans chaque épisode, le héros offre son épée et son habileté à ceux qui sont en difficulté, qu’ils soient riches ou déshérités. La morale « super partes » est plus proche de l’action charitable que de l’engagement révolutionnaire. En fait, après 92 épisodes, il est difficile de situer le contexte politique et idéologique des aventures de La Tulipe Noire et de Lady Oscar.
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f) Les dessins animés sentimentaux. Quand les sentiments des protagonistes sont au cœur des histoires, qu’ils en définissent les trames plus que tout autre élément, quand l’amour, la peur, la solitude et la haine sont les principaux élans qui déterminent les actions, alors la seule classification possible est celle du sentiment. C’est le cas emblématique des dessins animés repris au roman du XIXe siècle : Heidi, Rémi et Huck**. *
Roberto Vacca, Il medioevo prossimo venturo, Milano, Mondadori, 1982. ** Pour une réflexion plus approfondie sur les dessins animés, voir : John Grant, Encyclopedia of Walt Disney’s Animated Characters, Twickenham, Hamlyn Publishing Group, 1987 ; Steve Schneider, That’s All Folks, New York, Henry Holt and Co., 1988 (Warner Bros.) ; A. Baricordi, M. De Giovanni, A. Pietrosi, B. Rossi et S. Tunesi, Anime. Guida al cinema d’animazione giapponese, Bologna, Granata Press, 1991 ; Luca Raffaelli, Le anime disegnate, Roma, Castelvecchi, 1994 ; Max Giusti, Cartoni animati, Firenze, Vallardi, 1993 et à la sitographie sans cesse mise à jour qui existe au sujet de chaque personnage de ces histoires.
*** Le mot, le premier instrument dont l’homme s’est servi pour comprendre et dominer son milieu, est un accessoire dans les histoires télévisées. En tant que formes de réappropriation d’informations, de systèmes de métaphores et de symboles capables de traduire l’expérience en sensations, les mots sont, en effet, de plus en plus écrasés par l’usage des images, jusqu’à devenir superflus. De fait, dans les histoires télévisées pour enfants, si le son disparaît, tout est compréhensible à travers les images. Une lecture critique « transversale » des recherches sur l’usage du temps dans la vie quotidienne et des analyses de la famille contemporaine ne laissent pas de doute à ce sujet. Dans les sociétés occidentales développées, comme
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nous l’avons déjà souligné, les jeunes générations ne reçoivent plus les « sens ultimes » de leur existence à travers les contes, d’une part parce que les anciens acteurs de la tradition orale ne sont plus disponibles à la narration et passent autrement leur temps avec l’enfant, d’autre part parce que les conditions structurelles du récit oral, ainsi que les journées scandées uniquement par des rythmes naturels, n’existent plus. Les sens profonds, les valeurs de base et les modèles de comportement ne sont donc plus dits et racontés, mais ils sont exprimés surtout par l’image télévisée. La télévision joue ce rôle de transmission de la culture aux enfants, surtout à travers la communication non verbale des protagonistes des dessins animés et des histoires télévisées en général. L’homologation des traits de la personnalité qu’expriment les visages des protagonistes des dessins animés n’est que le reflet partiel de toute une programmation basée sur des personnages dont les caractères et les tempéraments sont toujours compréhensibles de l’extérieur, faciles à décoder même sans entendre les dialogues et les paroles. Les trames des histoires, toujours pareilles, facilitent aussi ce processus de compréhension qui n’utilise l’expression verbale que de façon secondaire. Cet aspect se dégage surtout des dessins animés où la forme du visage, presque toujours élaborée à l’ordinateur, exprime les états d’âme, les intentions et les émotions à travers des traits graphiques communs. Si l’on observe bien, en effet, les visages des protagonistes ne sont pas très différents les uns des autres et, en général, on peut en cataloguer un peu plus d’une dizaine de types. La décodification comportementale de ces signes est immédiate et le message est transmis sans équivoque, comme si les jeunes spectateurs possédaient un code d’interprétation commun et infaillible. En réalité, ce code existe et se base sur une science ancienne qui remonte au début des premières doctrines psychologiques selon lesquelles on pouvait connaître les essences spirituelles de l’individu par l’étude de ses manifestations physiques : il s’agit de la physiognomonie.
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C’est Aristote, semble-t-il, qui a jeté les bases de cette théorie en faisant les premières comparaisons entre les têtes des hommes et celles, très ressemblantes, de certains animaux. Et depuis lors, la tradition s’est poursuivie sans interruption, en passant par des chercheurs hellénistiques et arabes, jusqu’au XVIe siècle et à la réapparition de la pensée classique24. Mais ce n’est qu’avec Lavater (1741-1801) que la correspondance entre physique et esprit prend un côté axiomatique : « L’homme est certainement la plus belle œuvre du Créateur ; chaque pensée, chaque amour de Lui a des traits extérieurs qui correspondent ; ces traits devraient être comme le reflet de Son âme ; mais l’homme vicieux apprend à feindre, il essaie de refouler en lui ses passions, ses vices et voudrait aussi que l’expression de la vertu prenne la place de la faute ; l’hypocrisie toutefois lui prête en vain son secours ; son être intellectuel modifie presque toujours l’être physique, parce qu’en réalité, les habitudes de l’âme influencent les traits extérieurs et cette vérité est précisément celle qui a donné origine à la physiognomie25. » En grand divulgateur, il explique aussi, dans de nombreux traités pratiques, le sens profond de ses théories et fournit à ses lecteurs les instruments fondamentaux pour pénétrer les secrets les plus cachés de la personnalité humaine à travers la simple observation des traits d’un individu. Il dit par exemple : « Une grosse tête, avec un petit front triangulaire, annonce un esprit dépourvu de sentiment. Une tête dont le crâne est couvert de gras et de chair dénote un esprit limité26. » Mais c’est surtout le front, d’après le célèbre penseur suisse, qui permet d’émettre un jugement certain sur l’intelligence de l’homme. Un front ouvert et lisse indique « la tranquillité de l’âme » ; un front rugueux « découvre l’ébullition des passions, le trouble de l’âme » ; un front couvert de loupes caractérise « le tempérament 24. Giambattista Della Porta, De humana physiognomonia, 1586. 25. Johann Kaspar Lavater publia à Zurich, entre 1775 et 1778, Physiognomische Fragmente zur Befordurung der Menschenkenotreis und Menschenliebe, Paris, Bibliothèque nationale, p. 28. 26. Ibid., p. 29.
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colérique27 », alors que s’il est rond et proéminent, il « indique un esprit faible » et s’il est très proéminent, « le comble de la stupidité28 ». Pour Lavater, qui fut aussi poète, observer les yeux, c’est comme lire un livre ouvert : « Les yeux bleus sont bien souvent l’héritage du flegmatique et dénotent parfois aussi la mollesse et la faiblesse. Les yeux noirs sont indices de l’énergie ; les yeux verdâtres indiquent souvent le tempérament colérique. » Mais un nez renferme également un sens et des messages : « Si l’arête est large, il promet de grandes qualités, s’il est aquilin, il annonce un caractère impérieux et des passions ardentes. » Sans parler de la bouche : « Elle exprime presque toujours la condition intérieure de l’âme. » Du menton, des joues, des cheveux et même du cou. Tout contribue à classer l’homme dans son entièreté psychique et mentale. La physiognomonie de Lavater garantissait la cohérence et la légitimité de la nature au nom de la perfection du Créateur : sa sagesse excluait le hasard et encourageait la recherche des sens ultimes de toutes les choses puisque, selon les principes de la physiognomonie traditionnelle, rien n’est dépourvu de sens. L’immense variété des physionomies humaines ne peut par conséquent pas obéir à une loi naturelle selon laquelle les différences physiques ne sont pas significatives et ne correspondent pas aux différences, tout aussi nombreuses, du caractère. Puisque les lois naturelles sont identiques pour tous (« La nature est égale partout, elle n’agit jamais arbitrairement et sans lois » ; « cette même sagesse, cette même force donne une forme à tout, donne un sens à tout, crée la variété à partir d’une seule loi, d’une seule volonté »), les ressemblances physiques désignent des analogies par les caractéristiques les plus intimes. Ces éléments fondamentaux de la physiognomonie ont été repris par les dessinateurs de dessins animés, surtout les Japonais. Pour ces derniers, presque toute la perception
27. Ibid., p. 31. 28. Ibid., p. 34.
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de la réalité transmise par la télévision doit passer par les expressions des personnages. Leurs traits physiques sont en effet beaucoup plus déterminants pour la compréhension que leurs interactions, que le contexte historico-culturel et même que leur comportement. Seul ce qui a une apparence existe. Cette façon de situer la communication télévisée soulève toutefois des questions : la télévision propose-t-elle un mode de percevoir la réalité seulement à travers les apparences ? Peut-on connaître le monde et l’interpréter uniquement à travers l’expressivité inscrite dans les traits physiques ? Et surtout, quel genre de monde nous est proposé à partir de l’expression des individus ? Nous risquons qu’à travers la physiognomonie s’affirment à la fois un message réactionnaire et la tentative de justifier de nombreux préjudices raciaux en se basant sur la « certitude » de ses lois et en oubliant les conséquences de la culture rationaliste et le contexte dans lequel la physiognomonie s’est affirmée. Initialement, la physiognomonie eut en effet une fonction sociale importante. Elle voulut démontrer, sur des bases scientifiques, que les limites entre les classes étaient inexistantes, elle désavoua les capacités des individus et empêcha par là la reproduction de la structure sociale antérieure à la Révolution française, facilitée par l’hérédité des rôles. En d’autres mots, elle contribua à donner à chaque homme sa dignité et à la bourgeoisie naissante une image rassurante d’elle-même. Dans le milieu social postrévolutionnaire, le revers négatif de la physiognomonie fut souligné par ceux qui avaient intérêt à créer et à diriger un nouveau groupe politique et qui étaient éloignés tant du radicalisme jacobin que de l’extrêmisme conservateur. En pratique, la nouvelle classe dominante voulut prendre ses distances de la vieille noblesse et des milieux populaires en cherchant une justification dans la nature et le surnaturel, nous dirions même le vrai ordre, l’ordre divin, dont les institutions n’étaient plus garantes. Mais de cette façon, on décréta l’existence des différences basées non plus, officiellement, sur des critères de classe, mais sur des qualités
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naturelles, donc discutables parce que liées à la naissance. C’est ainsi que s’affirmèrent de nouvelles valeurs (intelligence, sensibilité, prudence, travail) qui définirent l’origine naturelle presque inéluctable des différences sociales, de classe, sur la base, par exemple, d’une physiologie des professions et des lieux de résidence. Née avec des intentions progressistes, la physiognomonie rendit toutefois un excellent service au conservatisme réactionnaire. Les risques et les ambiguïtés qui sont apparus en s’en servant, nous risquons d’une certaine façon de les retrouver aujourd’hui dans la psychologie différentielle. Soutenue par un appareil statistique considérable et de plus en plus sophistiqué, celle-ci souhaite aussi relever les caractéristiques individuelles, pour ainsi dire naturelles. D’une autre manière, plus moderne par rapport à la physiognomonie classique, la psychologie différentielle offre un instrument très utile pour se convaincre que l’on est doté de qualités invisibles inscrites sur son propre corps et pour convaincre ceux qui ne les ont pas qu’ils en sont dépourvus. Presque toutes les séries américaines étudiées reposent sur ces suppositions. On ne peut pas nier par ailleurs ce nouvel intérêt pour l’expression du corps et du visage devenus des indices fondamentaux de connaissance, comme le prouvent les ouvrages de plus en plus nombreux publiés entre les années 1970 et 1980 sur la « communication non verbale » et centrés en revanche sur l’importance des « visages, des traits, de la gestualité et donc de la physiognomonie ». Les dessins animés ne font que sanctionner cette résurrection : aussi bien les dessins animés sentimentaux que ceux d’aventure, sportifs ou merveilleux, ils ont tous dans le fond une « nature », le seul élément certain, et une dizaine de « types » qui incarnent tous les acteurs des histoires29.
29. Ibid., p. 36.
Page laissée blanche intentionnellement
Conclusion La fantaisie mise en vente
Avant l’apparition de la télévision, personne n’aurait jamais pensé pouvoir un jour acheter son héros pour s’identifier à lui. La génération qui a grandi devant l’écran a en revanche introjecté cette possibilité, le besoin d’acheter le personnage de l’histoire ainsi que les jeux qui en dérivent. Le mouvement économique considérable qui est né autour du jouet et la publicité télévisée qui l’entoure sont un phénomène relativement récent. Le premier jouet lancé grâce à la publicité télévisée a été, paraît-il, en 1952, une création de la marque Hesbro au nom singulier, Monsieur Patate. Cet évènement eut lieu évidemment aux États-Unis, en Californie. Mais l’étape décisive remonte à 1955, quand Mattel, une des firmes les plus importantes du secteur et productrice, entre autres, de jouets célèbres comme la Barbie, acheta pour un demi-million de dollars d’espace publicitaire lors d’un spectacle pour enfants, le Mickey Mouse Club. Pour la première fois, une télévision nationale fit de la publicité pour des jouets, alors que trois ans plus tôt, Monsieur Patate avait été vendu sur une chaîne locale. C’est ainsi que s’ouvrit une voie, en croissance continue, puisque depuis lors, la télévision s’est emparée du jouet et ne l’a plus quitté : elle développa le marché, redéfinit le côté saisonnier du produit (vendu presque exclusivement lors de certaines fêtes, surtout pendant les semaines
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récédant Noël), elle jeta les bases pour la prospérité du p secteur, aux États-Unis et ailleurs, car à la suite de l’accroissement de la quantité de produits offerts, les coûts ne cessèrent de diminuer. En 1960, Bernard Loomis, un vrai stratège de la publicité télévisée du jouet, lança Chatty Kathy, la première poupée parlante, un produit onéreux, mais dont la mise sur le marché prévoyait que les coûts auraient été amplement couverts par la forte demande qui serait survenue dès son apparition à la télévision. Ce qui se produisit, bien entendu. La première vraie révolution dans la publicité télévisée des jouets date de 1969, quand Loomis et d’autres gestionnaires de Mattel imaginèrent un dessin animé dont les protagonistes étaient précisément ces petits modèles de voitures que l’entreprise lançait alors sur le marché (Hot Wheels). Ce dessin animé d’une demi-heure était transmis le samedi matin par le réseau national ABC. Produit en collaboration avec Mattel, cette émission de télévision déchaîna la réaction furibonde d’une entreprise concurrente, la Topper Corporation, qui dénonça Mattel à la Federal Communication Commission (FCC) pour concurrence déloyale. Hot Wheels fut accusé de violer les normes établies par la FCC, qui empêchaient alors la connexion entre la programmation et la publicité. La commission accepta le recours et obligea les chaînes de télévision à intégrer les temps de la publicité dans ceux du spectacle. Cette limite, qui dura dix ans à peine, fut bruyamment enfreinte dans les années 1980 alors que la publicité des jouets dans les médias, surtout à la télévision, avait déjà entamé son parcours triomphal. En Italie aussi, de nombreux signes témoignent de la prospérité du jouet : en 1962, à l’ouverture du Salon international du jouet (une réplique de la Spielwarenmesse de Nüremberg, qui existait depuis des siècles), puis au milieu des années 1970 lorsque apparaissent les premiers magasins de jouets spécialisés, pour adultes également. Progressivement, les quotidiens et les hebdomadaires offrent de nouveaux espaces consacrés aux jeux et aux
Conclusion
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gadgets de styles historique et anthropologique. On voit apparaître aussi, au cours de ces années-là, des experts et des créateurs de jouets (Alex Randolph, Syd Sackson, Marko Meirowitz, Erno Rubik). Mais ce sont surtout les moyens de communication de masse les plus efficaces, la radio et la télévision, qui consacrent une attention de plus en plus soutenue aux jouets de toutes espèces. Les premiers jeux électroniques sortent en 1977, suivis des fantasy games, qui sont nées en appliquant la vision du monde des films fantastiques de George Lucas aux schémas traditionnels du jeu de guerre. En 1976, on avait assisté aux États-Unis, à une preuve, à la limite de l’incroyable, de l’interconnexion particulièrement étroite entre jouets et télévision. Mattel, et son fameux Bernard Loomis, joue une fois encore un rôle de premier plan quand elle réussit à créer, grâce aux écrans, le désir pour un objet encore in fieri lié au monde des guerres interstellaires de Lucas. Le « besoin » des téléspectateurs fut émoustillé à l’approche des fêtes de Noël, mais à cause d’une erreur à son établissement de Hong Kong, les poupées stellaires ne pouvaient être prêtes qu’au printemps suivant. Loin de se décourager, Mattel mit au point des « certificats de crédit » pour ces jouets, qui furent vendus à Noël. Avec ces morceaux de papier sur lesquels étaient dessinés les personnages des « guerres des étoiles », les jeunes clients purent satisfaire leur envie, née devant les écrans de télévision, lors de la fête de Pâques qui suivit. Au fil des ans, le concept de marketing a évolué, pour s’adapter davantage, jusqu’à faire partie intégrante de la structure actuelle de la consommation, basée aujourd’hui sur l’éphémère et l’innovation spasmodique et constante de produits. Avec une exception : dans le domaine des jouets, il faut créer un système, une ligne de produits, plus qu’un produit isolé. C’est ce qui explique le succès sans fin de la Barbie : Mattel a doté cette « American Doll » d’un contexte imaginaire qui pouvait subir des modifications astucieuses, étendues à l’infini. Il ne s’agissait pas d’une idée nouvelle.
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Ole Kirk Christiansen y avait déjà pensé en 1916, quand il inventa les premiers blocs Lego en bois, idée mise au point ensuite par son fils Godfred qui en codifia les règles, basées sur les possibilités infinies du jeu ; mais cette fois, l’infinité de possibilités n’étaient pas confiée à la fantaisie de l’enfant, mais à sa possibilité d’achat. 1980 voit le lancement de la première série télévisée, intitulée Charlotte aux fraises (Fraisinette au Canada), où toutes les nouvelles acquisitions de la publicité se réalisent, puisqu’on lance simultanément une série de produits. La connexion entre programmation et publicité est alors complète. En pratique, la télévision des jeunes devient la longa manus promotionnelle de l’industrie du jouet. Si dans les années 1980 il y avait une trentaine de dessins animés basés sur des jeux (Bots, Wuzzels, les Snorkies, Mask, Popples, etc.), aujourd’hui, la plupart des émissions sont généralement financées par les producteurs de jouets ou par les propriétaires de marques qui contrôlent aussi les textes. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Non seulement l’industrie, contrairement à ce qui s’était produit dans les années 1970 – quand elle s’adressait plus aux parents qu’aux enfants – assaille directement l’enfant, mais la confusion entre émission et message publicitaire devient délibérément totale et totalisante. Les séries de dessins animés qui durent des années s’achèvent en réalité chaque épisode par l’achat des personnages principaux de l’histoire. C’est ainsi que le message publicitaire et l’émission deviennent un. Les stratégies publicitaires des industries du jouet adoptent parfois aussi un autre schéma, peut-être plus artisanal, mais non moins efficace : il s’agit du parrainage d’une ou de plusieurs parties d’une émission par un produit ou par une série de produits. Cela permet ainsi de citer le nom du jouet avec une telle fréquence que le jouet lui-même finit par devenir, aux yeux du jeune téléspectateur, partie intégrante de l’émission.
Conclusion
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Personne n’avait jamais pensé auparavant être Blanche-Neige ou Le Petit Chaperon Rouge, si ce n’est en en prenant les traits une fois par an au Carnaval ; mais surtout, personne n’avait jamais pensé pouvoir acheter Le Petit Chaperon Rouge ou Blanche-Neige. Maintenant, la publicité du jouet-héros (le phénomène Pokémon en dit long à ce sujet) mène à penser qu’il suffit d’acheter pour exister. Je possède, donc je suis ? On peut par conséquent dire que la publicité n’interrompt pas vraiment les émissions, mais qu’elle les rend tridimensionnelles par l’achat. La réification de la fantaisie est un phénomène important de la mondialisation de l’imaginaire en cours qui n’est pas considéré comme un problème par aucun « code » d’autoréglementation1.
1.
Le code de la SACIS (société italienne qui délivre les certificats de qualité des produits, N.D.T.) prévoit à ce sujet : Art. 28 bis (jouets et jeux pour enfants). La publicité relative aux jouets et aux jeux pour enfants ne doit pas induire en erreur : sur la nature, les prestations et les dimensions du produit publicisé ; sur le degré d’habileté nécessaire pour utiliser le produit ; sur l’entité de la dépense, surtout quand le fonctionnement du produit suppose l’achat de produits complémentaires. En tout cas, cette publicité ne doit pas minimiser le prix du produit ou faire croire que son achat est compatible avec n’importe quel bilan familial. Mais le code n’aborde pas la réification de la fantaisie. Cet aspect a toutefois été pris en considération par le règlement de l’Autorité pour les garanties dans les télécommunications en vigueur depuis le 8 octobre 2001, en matière de « publicité radio-télévisée et de télé-marketing » qui, à l’art. 3, § 4, indique : « Dans les publicités diffusées avant ou après les dessins animés, ne peuvent apparaître les personnages de ces dessins animés. » On n’observe toutefois encore aucun changement en ce sens.
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Titres parus dans la collection
Jonathan Roberge, Paul Ricœur, la culture et les sciences humaines, PUL, 2008. Gervais, Stephan, Dimitrios Karmis et Diane Lamoureux (dir.). Du tricoté serré au métissé serré ? La culture publique commune au Québec en débats, PUL, 2008. Lalive d’Épinay, Christian et Dario Spini. Les années fragiles. La vie au-delà des quatre-vingts ans, PUL, 2007. Vaillancourt, Jean-Guy et Corinne Gendron (dir.). Environnement et sciences sociales. Les défis de l’interdisciplinarité, PUL, 2007. Hirschorn, Monique (dir.). L’individu social. Autres réalités, autre sociologie ?, PUL, 2007. Negura, Lilian. Le travail après le communisme. L’émergence d’une nouvelle représentation sociale dans l’espace postsoviétique, 2007. Levasseur, Carol. Incertitude, pouvoir et résistance : les enjeux du politique dans la modernité, textes réunis par Leïla Azzaria, Jean-Marie Fecteau, Jean-Guy Lacroix et Diane Lamoureux, PUL, 2006. Talin, Kristoff. Valeurs religieuses et politique. Éléments pour une comparaison en Occident, PUL, 2006. Lapointe, Paul-André et Guy Bellemare (dir.). Innovations sociales dans le travail et l’emploi. Recherches empiriques et perspectives théoriques, PUL, 2006. Cotesta, Vittorio. Images du monde et société globale. Grandes interprétations et débats actuels, PUL, 2006. Fortin, Robin. Comprendre la complexité. 2e édition, PUL, 2006. Fortin, Andrée. Passage de la modernité. 2e édition, PUL, 2006. Helliwell, John F. Mondialisation et bien-être, PUL, 2005.
Mercure, Daniel (dir.). L’analyse du social. Les modes d’explication, PUL, 2005. Angers, Stéphanie et Gérard Fabre, Échanges intellectuels entre la France et le Québec (1930-2000). Les réseaux de la revue Esprit avec La Relève, Cité Libre, Parti pris et Possibles, PUL, 2004. Guay, Louis, Laval Doucet, Luc Bouthillier et Guy Debailleul (dir.). Les enjeux et les défis du développement durable. Connaître, décider, agir, PUL, 2004. Duhaime, Gérard. La vie à crédit. Consommation et crise, PUL, 2003. Saint-Arnaud, Pierre. L’invention de la sociologie noire aux États-Unis d’Amérique. Essai en sociologie de la connaissance scientifique, PUL, 2003. Teeple, Gary. La globalisation du monde et le déclin du réformisme social, PUL, 2003. Mercure, Daniel et Jan Spurk (dir.). Le travail dans l’histoire de la pensée occidentale, PUL, 2003. Otero, Marcelo. Les règles de l’individualité contemporaine. Santé mentale et société, PUL, 2003. Châtel, Viviane et Marc-Henry Soulet (dir.). Agir en situation de vulnérabilité, PUL, 2003. Martin, Thibault. De la banquise au congélateur. Mondialisation et culture au Nunavik, PUL et Unesco, 2003. Dagenais, Daniel (dir.). Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, PUL, 2003. Vultur, Mircea. Collectivisme et transition démocratique. Les campagnes roumaines à l’épreuve du marché, PUL, 2002. Duménil, Gérard et Dominique Levy (dir.). Crises et renouveau du capitalisme. Le 20e siècle en perspective, PUL, 2002. Freitag, Michel avec la collaboration de Yves Bonny. L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité, PUL, 2002. Lacombe, Sylvie. La rencontre de deux peuples élus. Comparaison des ambitions nationale et impériale au Canada entre 1896 et 1920, PUL, 2002. Spurk, Jan. Critique de la raison sociale. L’École de Francfort et sa théorie de la société, PUL et Syllepse, 2001. Mercure, Daniel (dir.). Une société-monde ? Les dynamiques sociales de la mondialisation, PUL et De Boeck, 2001. Fortin, Robin. Comprendre la complexité. Introduction à La Méthode d’Edgar Morin, PUL et L’Harmattan, 2000.
Dagenais, Daniel. La fin de la famille moderne. Significations des transformations contemporaines de la famille, PUL, 2000. Spurk, Jan (dir.). L’entreprise écartelée, PUL et Syllepse, 2000. Assogba, Yao. La sociologie de Raymond Boudon. Essai de synthèse et applications de l’individualisme méthodologique, PUL et L’Harmattan, 1999. De Kerckhove, Derrick. Les nerfs de la culture. Être humain à l’heure des machines à penser, PUL, 1998.