revue française
'économie VOLUME XXIV, avril 2010
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Thierry Aimar Francis Bismans Claude Diebolt
Christelle Mougeot
Rainer Metz
Théorie autrichienne du cycle et théorie des cycles d'équilibre
Méthodes de recherche sur les fluctuations longues
Le cycle économique: une synthèse
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Olivier Damette Zohra Rabah
Xiaoshan Chen Terence C. Mills
Muriel Dai-Pont Legrand Harald Hagemann
La datation du cycle français: une approche probabiliste
Evaluation de la synchronisation des cycles économiques dans la zone euro
Théories réelles versus monétaires des cycles d'équilibre
Thierry AIMAR Francis BISMANS Claude DIEBOLT Le cycle économique: une synthèse
e progrès technique et la croissance économique se réalisent essentiellement à travers des cycles, par des efforts et des tensions, suivis de ruptures, d'amplitude et d'intensité différentes, s'adossant les uns aux autres.
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L'histoire économique nous montre le relativisme de ces mouvements, qui ne se trouvent pas nécessairement dans tous les systèmes économiques, ni dans tous les pays. Certains sont caractéristiques d'une époque, d'autres d'une économie. En fait, chaque cycle tire une partie de sa forme et de ses particularités du mouvement plus fondamental qui le sous-tend. Ainsi, la nature des cycles dépend du système socio-économique qui les engendre, tout en sachant que leurs causes et leurs périodicités peuvent varier au cours de l'histoire, en fonction de la structure économique du pays. Pourtant, sans le fil conducteur d'une théorie ou d'une combinaison de théories, l'examen des cycles économiques est à la fois incommode et stérile. Bien évidemment, il n'est pas nécessaire d'accepter les causes fondamentales isolées par telle ou telle théorie. Mais, il est indispensable de comprendre les effets de ces causes sur la vie économique, ainsi que les répercussions des divers éléments les uns sur les autres. Notre intention n'est pas de refaire le travail exhaustif des grands économistes du passé comme Haberler [1943] ou Schumpeter [1939, 1954]. Nous partirons d'une sélection de résultats qui nous semblent acquis, d'études dont les conclusions sont déjà le fruit de l'expérience et de la confrontation des thèses essentielles d'économistes qui ont recherché les causes et analysé le ou les cycles économiques, pour apporter quelques éléments additionnels sur les développements théoriques, statistiques et économétriques les plus récents. Une précision encore, suite à notre affirmation concernant la relativité des fluctuations économiques. Il ne pouvait être question de reprendre in extenso la distinction établie par Schumpeter [1939], avec les périodicités respectives associées, entre les cycles de type Kitchin, Juglar et Kondratieff. Nous ne traiterons dans cet essai de synthèse que du cycle court, que l'on peut aussi qualifier de « classique », même si nous dirons le moment venu quelques mots sur les cycles longs de type Kondratieff.
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Des approches traditionnelles ... Les fluctuations économiques existaient déjà avant la révolution industrielle et, dans un grand nombre de cas, elles pouvaient s'expliquer par l'alternance de bonnes et de mauvaises récoltes. Nulle régularité n'est pourtant observable dans cette alternance, tant les événements exogènes sont venus, bien évidemment, brouiller le graphe d'un éventuel rythme endogène, faisant partie de la nature profonde de la dynamique économique. Au cours du 1ge siècle, les fluctuations sont plus fréquentes et plus régulières. En même temps, les récoltes paraissent avoir moins d'influence, tant à cause de l'importance accrue des industries manufacturières que parce que l'ouverture du marché mondial a permis de compenser la pénurie de produits agricoles. De même, l'importance des facteurs techniques et surtout financiers a grandi. Les crises deviennent tendanciellement industrielles. L'une de leurs caractéristiques principales est d'être marquées par une surproduction générale. Ricardo ([ 1821], éd. Sraffa, p. 265), lorsqu'il publia la première édition des Principles en 1817, avait sous les yeux l'exemple de la crise anglaise de 1815, consécutive à la fin des guerres napoléoniennes, et n'avait pas manqué de relever le phénomène: «L'établissement [... ] de la paix après une longue guerre produit généralement une grave crise (distress) commerciale. Elle modifie dans une large mesure la nature des emplois auxquels étaient auparavant consacrés les capitaux respectifs des pays; tant que ces capitaux ne se sont pas dirigés vers des emplois plus rentables (beneficial), une bonne part du capital fixe est inemployée, voire même totalement perdue, et les travailleurs se retrouvent sans occupation complète (full employment). » La crise de 1815, qui sera d'ailleurs suivie par une autre en 1818-1819, devait susciter de virulentes polémiques qui opposèrent sur la possibilité d'une surproduction générale et sur la «loi des débouchés», Sismondi [1819, 1827] et Malthus [1820] d'un côté, Ricardo [1821] et Say [1815-1821] de l'autre.
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Toutefois, les historiens économistes - par exemple, Bairoch ([1997], pp. 401-402) - s'accordent en général pour faire remonter la première crise« moderne» véritable à 1825. En suivant l'interprétation de Hicks ([1989], chap. Il ; également [1981]), cette première crise sera suivie de celles de 1836-1837 (qui a frappé surtout les Etats-Unis), 1848, 1857 et 1867, après quoi le phénomène s'étiole - en Grande-Bretagne du moins. A la lecture de cette chronologie, la notion de cycle vient immédiatement à l'esprit, puisque ces crises paraissent se produire avec une belle périodicité de 10 ans. C'est le « cycle classique », le « vieux» (old) cycle comme le nomme précisément Hicks [1989]. Deux auteurs, Stuart Mill ([1848], livre III, chap.12) et Marx ([1894], livre III, cinquième section), même s'ils n'avaient pas la séquence complète des crises derrière eux, ont produit une bonne analyse de ce cycle classique et singulièrement de son point critique, la crise. Pour tous deux, l'explication est centrée sur l'Angleterre et fait pleinement ressortir l'influence des mécanismes de crédit ainsi que le rôle de la Banque d'Angleterre. Pour Marx ([1894], livre III, tome 7, p. 151): «( ... ) toute la crise se présente comme une simple crise de crédit et d'argent» ; pour Stuart Mill [1848], p. 528): «la chute, aussi bien que la hausse (des prix), trouve ses racines non dans quoi que ce soit affectant la monnaie, mais dans l'état du crédit». Voici d'ailleurs la trame de l'explication retenue par ces deux auteurs. Lors des débuts de la dépression, prix et taux d'intérêt sont bas comparativement aux valeurs observées durant la période de plus grande prospérité. Progressivement, le relèvement de l'activité économique entraîne la hausse d'un certain nombre de prix, les taux d'intérêt restant bas. Le financement d'un niveau des prix en hausse s'effectue sans trop de problèmes, par le recours aux effets de commerce. Il arrive toutefois un moment où le crédit commercial ne suffit plus; les entreprises se tournent alors vers le crédit bancaire, ce qui pousse le taux d'escompte vers le haut. A la longue, l'accumulation des effets de commerce dans le portefeuille des banques, de même que la spéculation encouragée par la hausse prolongée des prix, conduisent à se
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méfier des billets de banque. Cette méfiance se traduit par une brusque augmentation de la monnaie de base, c'est-à-dire de l'or. Les banques de second rang, dont les réserves ne sont pas suffisantes pour faire face à la demande d'or, se tournent alors vers la Banque d'Angleterre. Celle-ci, qui voit ses réserves de métal s'amenuiser rend le crédit plus cher et précipite par làmême l'économie dans la crise. C'est donc la Banque d'Angleterre qui, en voulant protéger ses réserves d'or, a déclenché la crise et donc des faillites bancaires et d'entreprises ainsi que la baisse des prix. Pour enrayer la chute du niveau des prix et remettre l'économie sur la voie de la prospérité, il lui fallut rendre confiance aux banques et aux entreprises en abaissant son taux d'escompte au moment opportun. C'est ce que Hicks a appelé le « précepte de Thornton» (Bagehot et son « prêteur en dernier ressort» viennent naturellement à l'esprit, mais en fait, Thornton lui est bien antérieur, puisque le « Paper Credit» date de 1802 O. En réalité, la Banque d'Angleterre allait très progressivement assimiler le précepte et apprendre à manipuler à bon escient son taux d'escompte. De la sorte, elle a acquis les moyens d'éviter de trop graves crises, au point que, dans les années 1870, les fluctuations cycliques s'estompent - du moins en Grande-Bretagne. Il n'empêche que la longue séquence de cycles quasi décennaux, qui s'était ouverte en 1825, devait nécessairement questionner les économistes. Deux d'entre eux - William Stanley Jevons et Clément Juglar - vont alors se pencher sur la question. Leur démarche est à certains égards fort semblable, notamment parce qu'ils s'intéressent bien davantage aux cycles qu'aux crises - c'était une rupture majeure par rapport à leurs prédécesseurs - et qu'ils font grand usage des séries statistiques disponibles. Cela dit, ils s'opposent sur deux points essentiels : la stricte périodicité des fluctuations et l'analyse de leurs causes. Jevons commença véritablement ses recherches sur le cycle dans les années 1870, alors même qu'il avait déjà acquis une solide réputation de théoricien, notamment par la publication de sa Theory of Political Economy, en 1871, qui le rangeait, en
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compagnie de Walras et Menger, parmi les initiateurs du marginalisme. Dans un écrit de 1875 - Jevons ([1884], pp. 194205) -, il émettait d'abord l'hypothèse que le cycle des taches solaires (d'une durée de Il,1 années) se traduisait par un cycle des températures qui lui-même causait un cycle des moissons et in fine un cycle du prix des grains. Jevons avait cependant beaucoup de peine à relier la périodicité des taches solaires avec celle du prix des céréales, une série qui ne comportait pas d'oscillations identifiables. Aussi se tournât-il vers l'analyse du cycle du crédit entre 1825 et 1867 qui, selon ses calculs, présentait une périodicité de 10,8 années. Il subsistait pourtant un écart entre les deux durées que Jevons n'arrivait pas à justifier. Finalement, dans l'écrit The Periodicity of Commercial Crises and its Physical Explanation datant de 1878 - Jevons ([1884], pp. 206-220) -, concluait, sur la base de nouveaux calculs, à l'existence d'un cycle du crédit d'une longueur moyenne comprise entre 10,3 et 10,46 années. Comme une nouvelle étude des taches solaires permettait de chiffrer à 10,45 années la périodicité du cycle correspondant, Jevons ([1884], p. 215) pouvait affirmer qu'il est «hautement probable que les deux phénomènes périodiques [... ] sont reliés comme cause et effet». Juglar, dont la première édition de son livre Des crises commerciales ... est parue en 1862 et la seconde en 1889, étudie le déroulement des crises en France, en Angleterre et aux EtatsUnis. Schumpeter [1954] voit en lui «un des plus grands économistes de tous les temps ». Sa méthode est comparative et se fonde sur l'étude empirique de séries longues. En un mot, la démarche se veut scientifique: dans les propres termes de Juglar ([1862], p. XII), «en nous appuyant non seulement sur des relevés statistiques, mais sur des grands nombres, sur des longues périodes, et dans trois grands pays, nous pensons avoir rempli beaucoup mieux que par des assertions toujours discutables les principales conditions d'une démonstration scientifique.» Pour Juglar, il n'y a guère de doutes sur la cause fondamentale des crises et donc des cycles : une fois les causes accidentelles ou certains événements particuliers écartés, la cause des crises réside dans les modifications des conditions du crédit,
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spécialement le développement des escomptes, et avance ainsi l'hypothèse du rôle central de l'évolution de la circulation métallique. Signalons que, dans la seconde édition [1889], la démarche de Juglar reste identique, tout en précisant que les matériaux statistiques traités sont plus nombreux et la période étudiée plus longue. De surcroît, il se démarque nettement de Jevons en refusant toute périodicité stricte du cycle, se contentant de constater que les crises reviennent « dans une période de 5 à 10 ans». C'est également dans cette seconde édition que Juglar propose une analyse des phases du cycle, qui est encore utilisée aujourd'hui: la prospérité d'une durée de 5 à 7 ans; la crise (quelques mois à quelques années) ; la dépression (quelques années) .
. . . à l'analyse statistique du cycle Si l'on peut faire remonter à Juglar et Jevons l'utilisation de séries longues pour caractériser le cycle économique, le mérite d'une première analyse véritablement statistique de ces séries revient à Moore et à Persons. Moore [1914] se servit du périodogramme pour détecter deux cycles d'une durée respective de 8 ans et 33 ans dans la pluviosité de l'Ohio Valley. Quant à Persons [1919], il est apparemment le premier économiste à avoir proposé de décomposer les séries temporelles en quatre composantes : la tendance ou trend, le cycle, la saisonnalité et un aléa purement accidentel. Nous reviendrons plus tard sur l'autre grande contribution de Persons à l'analyse des fluctuations: la construction du « baromètre de Harvard». Cependant, dès 1913, Wesley Clair Mitchell publiait le premier ouvrage entièrement consacré à l'étude des oscillations économiques. Il y développait une nouvelle méthode d'approche que l'on peut résumer dans ses propres termes par: « observer, analyser et systématiser les phénomènes de prospérité, crise et
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dépression» (Mitchell, [1913], p. 20). Dans cette perspective, nul besoin de chercher à départager les différentes théories du cycle; ces dernières ne doivent servir qu'à sélectionner les faits pertinents. En 1920, Mitchell devient le directeur du National Bureau of Economic Research, organisme qui lance en 1921 un programme d'étude statistique des fluctuations économiques. De ce programme est issu un nouvel ouvrage de Mitchell, Business Cycles: The Problem and its Setting, publié en 1927. Notre auteur y critique l'utilisation des techniques statistiques - périodo gramme ou extraction de la composante cyclique - mises en œuvre par Moore et Persons, techniques auxquelles il reproche de ne pas mesurer directement le cycle économique. Surtout, Business Cycles présente une synthèse des recherches sur le cycle entreprises durant les années 1920 et se termine par la définition d'un plan de mesure des fluctuations économiques. De la sorte, comme l'écrit Morgan ([1990], p. 50), le livre «établit la réputation de Mitchell comme la figure prééminente de la recherche statistique sur le cycle pour toute la période de l'entre-deux guerres». Un autre ouvrage devait sortir du programme de recherche de Mitchell: Measuring Business Cycles, écrit cette fois en collaboration avec A.F. Burns et publié en 1946. Outre une définition du cycle, sur laquelle on reviendra plus loin, les deux auteurs proposent notamment un ensemble de mesures des fluctuations, plus exactement de ce qu'ils appellent le cycle de référence d'un côté et les cycles spécifiques de l'autre. Ces derniers sont propres à des variables particulières et sont obtenus par datation des points de retournement de la variable envisagée. Le cycle de référence, lui, est le cycle économique agrégé, global, déterminé sur base d'un ensemble de variables jugées pertinentes. Cela dit, dans les années 1920, Mitchell n'était pas le seul économiste à se préoccuper de l'analyse statistique des oscillations. Persons, dont on a déjà dit quelques mots plus haut, avait été chargé en 1917 par le Harvard Committee for Economic Research d'entreprendre une étude des « méthodes de collecte et d'interprétation des statistiques économiques ». Deux ans plus
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tard, dans la Review of Economic Statistics, qui fut fondée en 1919 par le Harvard Comittee et qui deviendra en 1949 la Review of Economics and Statistics, il publiait le résultat de ses travaux sous la forme d'un baromètre conjoncturel (business barometer). Ce baromètre reposait sur trois indicateurs du cycle, représentatifs du mouvement de l'économie, qui couvraient respectivement les marchés boursiers, l'industrie et les conditions monétaires. Les indicateurs en question aboutissaient aux fameuses courbes dites A-B-C de Harvard qui étaient censées représenter la dynamique des fluctuations économiques. Les années 1920 vont connaître une véritable floraison d'institutions dédiées à la recherche sur le cycle et la conjoncture. En 1920, l'Institut de Moscou, dirigé par Kondratieff, voit le jour; celui de Stockholm en 1922, Paris et Londres en 1923, Berlin en 1925, etc. En janvier 1927, est fondé à Vienne l'Institut autrichien de recherches sur le cycle des affaires (Osterreichische Konjunkturinstitut), sous l'impulsion de Ludwig von Mises. Grâce à son appui, Hayek en assure la direction jusqu'à son départ de Vienne pour Londres en 1931 à l'occasion de son recrutement à la London School of Economics. Morgenstern lui succèdera alors jusqu'en 1938, date de son émigration aux EtatsUnis suite à l'Anschluss. L'influence intellectuelle à la fois de Mitchell et de Persons sur la plupart de ces nouvelles institutions est patente. Cela dit, leur fortune s'est révélée très diverse: l'institut de Moscou a été fermé en 1928 et Kondratieff exilé en Sibérie; les instituts européens et celui d'Harvard perdirent toute crédibilité, aussi faute d'avoir pu prévoir la crise de 1929-1930.
Le «moment Tinbergen» Le déclin des instituts de conjoncture va ouvrir la voie aux tentatives de modélisation du cycle. Un nom s'impose à cet égard,
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celui de Jan Tinbergen, premier prix Nobel d'économie en 1969, avec Ragnar Frisch. Cependant, la recherche de l'économiste hollandais, pour considérable qu'elle soit, n'est pas sortie du néant ; elle a été directement préparée par le travail de trois auteurs : Yule, Slutsky et Frisch. Georges Udny Yule [1926] avait montré qu'il fallait être très prudent lorsqu'on calculait des corrélations (au sens statistique) entre des séries chronologiques: celles-ci risquaient en effet d'être absurdes (nonsense correlations). Bien entendu, une telle critique aboutissait implicitement à relativiser les travaux des analystes du cycle qui se fondaient sur le calcul de hauts coefficients de corrélation pour établir l'existence de relations entre variables. L'année suivante, Yule [1927] publiait un autre article dans lequel il comparait le cycle à un « pendule bombardé par des petits pois », les oscillations étant entretenues par les chocs aléatoires - les petits pois. L'économiste russe Eugen Slutsky [1937], dans un article écrit en 1927, mais publié en langue anglaise seulement en 1937, mettait encore davantage l'accent sur l'importance des chocs aléatoires, puisque ceux-ci en se cumulant pouvaient produire des séries qui s'apparentaient à une combinaison d'oscillations sinusoïdales. Kuznets ([1929], p. 274), qui avait pu lire l'article de Slutsky dans sa version originale, en tira la conclusion que « si les cycles surgissent d'événements aléatoires, ( ... ), alors nous n'avons évidemment plus besoin d'une cause indépendante, régulièrement récurrente. » Ragnar Frisch, premier prix Nobel d'économie en même temps que Tinbergen - on l'a déjà signalé -, est le troisième auteur qui a eu une influence importante sur l'économiste hollandais. En 1933, son article écrit pour le volume d'hommage à Cassel développait un petit modèle macroéconomique et dynamique du cycle: mathématiquement, un système mixte d'équations de récurrence et d'équations différentielles. La tentative était dans l'air du temps, car la crise de 1929 avait polarisé l'attention des économistes. Sans entrer dans les détails, il suffira de dire que le modèle de Frisch combine relations dynamiques déterministes et chocs
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aléatoires. On pourrait presque le qualifier de modèle économétrique, à ceci près que ses paramètres structurels n'étaient pas estimés, mais « calibrés». Toujours est-il qu'ainsi calibré, le système de Frisch livrait des solutions pour les trois principales variables, solutions constituées d'un trend et de trois cycles, dont un, primaire, d'une durée de 8,57 années. Ce qui cadrait en définitive assez bien avec la réalité. Dans la foulée des trois auteurs précédents, Jan Tinbergen construisit et estima le premier modèle économétrique du cycle. Ille fit à la demande de la Vereniging voor de Staathuishoudkunde en de Statistiek, l'association des économistes hollandais, qui tint en octobre 1936 un congrès sur le thème « sortir de la dépression». Devant un public guère au fait des méthodes quantitatives, Tinbergen [1936] élimina de son intervention les aspects les plus techniques. Cependant, un an plus tard, il publiait chez Hermann, à Paris, un exposé complet du « modèle économétrique hollandais» et déterminait les effets quantitatifs d'une large gamme de mesures de politique économique. A vrai dire, c'était pour l'époque une performance à la fois intellectuelle et numérique: le modèle comportait en effet 31 variables et 22 équations; parmi ces dernières, seize d'entre elles étaient des relations comportementales ou techniques que Tinbergen estima pour la période s'étalant de 1923 à 1935 (Tinbergen, [1937], pp. 14-15). L'économiste hollandais s'était très tôt intéressé au problème des fluctuations économiques; en témoigne notamment sa contribution parue dans Econometrica (Tinbergen, [1935]). Aussi n'est-il pas étonnant que dès 1936, le futur prix Nobel ait été chargé par la Société des Nations de tester empiriquement les théories du cycle telles qu'elles allaient être exposées dans Haberler [1937]. Tinbergen travailla deux bonnes années sur la question et publia en 1939 le résultat de ses recherches sous la forme de deux volumes intitulés Statistical Testing of BusinessCycle Theories. Le premier d'entre eux comportait une partie méthodologique constituée des chapitres 1 et 5, ainsi que trois études de cas (les fluctuations de l'investissement, la construction résidentielle et l'investissement net dans les chemins de fer) ; le
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second proposait un modèle économétrique de l'économie américaine destiné à évaluer les différentes analyses du cycle. Ce macro-modèle dynamique, encore davantage que le modèle hollandais de 1936, constituait un véritable exploit; il comptait en effet 71 variables, 48 équations et couvrait la période de 1919 à 1932 ; il présentait également un plus grand intérêt empirique dans la mesure où Tinbergen se montrait capable de traduire en équations un ensemble de théories exprimées en termes purement verbaux et de les tester ensuite selon une procédure en trois étapes. Bien entendu, l'estimation de ces différents modèles était tributaire des données utilisées (qui n'étaient pas très bonnes), de même que du caractère très particulier de la période étudiée (la « Great Depression»). Mais de cela, Tinbergen ne pouvait être tenu pour responsable. Plus intéressant d'un point de vue actuel est le premier tome considéré dans sa dimension méthodologique. La méthode utilisée est qualifiée d'« analyse de corrélation » par Tinbergen ([1939], vol. I, p. 15). En réalité, il s'agit simplement d'estimer les coefficients d'une régression linéaire multiple (éventuellement avec des variables retardées) par minimisation des carrés des résidus d'estimation, c'est-à-dire par application de la méthode des moindres carrés. A cette équation estimée est alors associé un coefficient de corrélation - le fameux des économètres modernes -, dont la valeur varie entre 0 et 1. Plus cette dernière est proche de l'unité et plus l'ajustement statistique est précis. Une fois ce travail réalisé, il faut alors envisager la signification statistique des coefficients, en un mot les tester. De ce point de vue, Tinbergen ([1939], vol. I, p. 28) ne se réfère pas à l'approche de Neyman-Pearson, mais à ce qu'il appelle « la méthode classique », dont «la forme finale a été donnée par R.A. Fisher.» En pratique, la méthode revient à appliquer un t-test à chaque coefficient divisé par son erreur-type. Tinbergen se sert également d'une autre méthode de test, due à Frisch [1934] - celle des « faisceaux» (bunch maps) - qui n'est plus utilisée depuis très longtemps et dont on ne dira en conséquence rien. Le lecteur désireux d'en savoir plus peut se référer à Tinbergen, ([1939], vol. I, pp. 29-31) ou encore à Valavanis, ([1959], pp. 146-150).
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L' œuvre de Tinbergen fut diversement appréciée. Si Allen [1940] par exemple s'en montre un fervent partisan, Milton Friedman [1940] est beaucoup plus critique, quoique la recension de Statistical Testing ... par ce dernier ne porte que sur le volume II. Toutefois, sans contestation possible, le compte rendu le plus sévère est dû à Keynes [1939]. En plus de divergences sur la portée épistémologique du travail de Tinbergen, l'auteur de la General Theory énonçait six critiques à!' égard de la méthodologie économétrique adoptée : la nécessité de déterminer toutes les « causes », i.e. les variables explicatives intervenant dans une régression multiple; l'incapacité de prendre en compte des variables non mesurables, qualitatives; la possibilité de liaisons entre les variables explicatives - on dirait aujourd'hui la multicolinéarité ; la non-vérification de l'hypothèse de linéarité des relations estimées ; la difficulté de déterminer correctement le nombre de retards dans les équations estimées; la dépendance des estimations par rapport à la période échantillonnée. Tinbergen [1940] répondit à l'économiste de Cambridge. Cependant, la véritable réponse vint plus tard avec le développement de la théorie et de la pratique économétriques, qui a permis d'apporter des solutions aux problèmes - réels - soulevés par Keynes. Par exemple, il est courant de nos jours d'estimer des équations non linéaires ou des modèles à variables qualitatives.
Keynes, Hayek ... La Grande Crise des années 1930, sans réel précédent historique, en tout cas très différente par sa forme et son ampleur des crises classiques du XIXe siècle, allait susciter une abondante littérature théorique. De cette floraison - bien analysée par Haberler [1943)1 encore que ce dernier ne dispose pas du recul suffisant pour opérer un tri significatif au sein de cette littérature -, deux noms
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émergent incontestablement: Hayek, représentant le plus connu de l'école autrichienne d'économie, et Keynes. L'analyse autrichienne du cycle s'inscrit dans un contexte général: celui de l'intérêt de la pensée économique durant l'entredeux guerres pour l'étude des phases de la conjoncture, intérêt bien évidemment accentué par le déclenchement de la crise de 1929. Considérée sous un autre angle, elle se relie à un sujet de préoccupation caractéristique de la tradition autrichienne, à savoir le mode d'intégration de la monnaie aux phénomènes réels. Bien que leurs travaux ne puissent pas être considérés comme exhaustifs d'une théorie autrichienne du cycle, Mises et Hayek en sont néanmoins les deux principaux représentants. Mises a été l'initiateur, par l'intermédiaire de The Theory of Money and Credit [1912] d'une première représentation théorique des canaux d'influence de la monnaie sur l'économie réelle. Celle-ci consiste dans une explication des perturbations économiques par les effets de la création monétaire sur la structure des prix relatifs. Mises a continué à développer cette analyse durant l'entre-deux guerres (cf. les textes réunis dans The Manipulation of Credit and Money [1934/1978] et la partie de Money, Method and the Market Process [1990] consacrée aux questions monétaires (pp. 55-109), puis à travers les éditions successives de L'action humaine [1949, 1963, 1966]. C'est à l'analyse du cycle que Hayek a consacré ses premières recherches économiques à la fin des années 1920. A la suite d'un voyage d'étude aux Etats-Unis [1923-1924], il rédige divers articles consacrés aux problèmes des fluctuations en économie de marché. Les plus importants de ces textes ont été traduits en anglais, pour être réunis, en compagnie d'articles ultérieurs au sein d'un recueil intitulé Money, Capital and Fluctuations, Early Essays [1984]. Dans la même veine, Hayek rédige son premier ouvrage: MonetaryTheory and Trade Cycle [1928a]. Mais ses thèses ont surtout été développées à l'occasion de quatre conférences prononcées à la London School of Economics, où Hayek a été invité par Lionel Robbins. Ces conférences ont été immédiatement réunies dans un ouvrage publié sous le titre de Prix et production [1931]. On peut sans doute considérer ce
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travail comme l'expression théorique la plus centrale de Hayek sur le sujet. En tant que tel, il a déclenché dès sa présentation de nombreuses et quelquefois violentes polémiques, à l'occasion desquelles se sont illustrées, parmi d'autres, des figures aussi importantes que celles de Keynes, de Sraffa ou encore de Hicks. Jusqu'à nos jours, l'ouvrage est ainsi resté la référence première de la littérature consacrée à l'analyse autrichienne du cycle. Prix et production met en avant la question de la réussite des anticipations (ou en d'autres termes, de la coordination des plans). A cet égard, l'étude privilégie l'analyse des modes d'interaction entre d'un côté, les entrepreneurs-producteurs, et de l'autre côté, les consommateurs-épargnants. Hayek analyse les procédures d'ajustement des plans des entrepreneurs-producteurs à ceux des salariés en matière de choix inter-temporels de consommation. La coordination requiert une comptabilité mutuelle des plans des consommateurs et des stratégies des producteurs, de telle sorte que la part épargnée du revenu des consommateurs soit égale au volume d'investissement généré par les entreprises. La crise se définit inversement comme une non-concordance généralisée entre d'une part: les choix des entrepreneurs en matière de répartition de la production entre biens de consommation et biens d'investissement; d'autre part, les voeux des salariés en matière de répartition de leur revenu entre la consommation présente et l'épargne. La théorie met en scène une trilogie entre taux d'intérêt, prix relatifs, et capital perçu comme ensemble structurel et hétérogène. La monnaie y joue un rôle central et continu. La distribution du crédit initie le cycle, avec la phase d'expansion, et l'achève, en produisant la dépression. La création de liquidités dissocie le technique du subjectif: elle rend incohérente l'organisation de la structure de production vis-à-vis des préférences inter-temporelles des agents en matière d'orientation des ressources. L'ajustement brutal par les quantités s'opère lorsque la diffusion du crédit sous forme de revenus supplémentaires dissipe l'illusion monétaire et donne aux consommateurs la capacité d'imposer à nouveau leur point de vue en matière de choix productifs. Le passage inévitable du «boom» au «bust» s'appuie
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néanmoins sur une conception particulière du rapport entre le réel et le monétaire; par ailleurs, il exige le respect d'une chronologie rigoureuse. Hayek ne s'attache pas à déterminer une relation entre le niveau général des prix et un niveau agrégé de production. Il examine les conséquences de l'expansion monétaire sur la distribution des ressources entre les secteurs de biens d'investissement et de biens de consommation. La monnaie pénètre dans le système réel par des points particuliers, de manière séquentielle, et agit sur la structure de production à travers le taux d'intérêt. Cette relation entre le capital et l'intérêt est d'ailleurs une des spécificités de l'approche autrichienne. La baisse du taux d'intérêt monétaire en dessous du taux naturel (ou d'équilibre, reflétant les préférences inter-temporelles des salariés-consommateurs) initie le cycle. Du fait de la forte sensibilité au taux d'intérêt des secteurs les plus en amont de la structure de production, relativement plus capitalisés, l'investissement y est artificiellement stimulé (mal-investment). La théorie autrichienne du cycle relate une histoire de distorsions enchaînées: distorsion entre le taux d'équilibre et le taux monétaire, distorsion de l'investissement au sein de la structure de production, distorsion des prix relatifs entre biens d'investissement et biens de consommation, distorsion entre l'offre monétaire de crédit et l'offre réelle de crédit. Mais dans le développement du cycle autrichien, la chronologie trouve une importance majeure. La dialectique de la monnaie et du capital, gouvernée par le jeu des prix relatifs, s'organise autour d'une flèche particulière du temps, caractérisée par les notions de séquence, de décalage et surtout de rigidité. L'expansion du crédit produit un bug temporel, non seulement en délivrant de fausses informations (illusion monétaire), mais aussi en nourrissant des formes particulières de rigidité: rigidité de l'intérêt, puisque dans la phase de boom la poursuite de l'expansion monétaire empêche le taux monétaire de rejoindre le taux d'équilibre; rigidité des prix, car si des erreurs sont commises et mettent du temps à être corrigées, cela est dû au fait que les prix ne s'ajustent pas immédiatement aux données subjectives et ne remplissent donc pas leur fonction informative et prédictive2 ; rigidité des préférences intertemporelles des agents, considérées
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comme données et constantes entre le début et la fin du cycle. Si, dans le temps de l'analyse, les agents devaient changer leurs choix de consommation intertemporelle, la deuxième phase du cycle, la crise, ne se déclencherait pas. La Théorie générale de Keynes [1936] n'est évidemment pas consacrée à l'examen ou à l'explication du cycle. Elle comporte cependant un chapitre - le chapitre 22 - qui permet de se faire une idée précise de la problématique développée par son auteur. L'analyse mobilise l'ensemble de l'appareil conceptuel keynésien: propension à consommer, multiplicateur, principe de la demande effective, préférence pour la liquidité, et surtout, efficacité marginale du capital. C'est en effet cette dernière qui est, pour Keynes ([1936], p. 313 - p. 311)3, le facteur explicatif principal des fluctuations cycliques. Rappelons à cet égard que, pour un type de bien de capital donné, l'efficacité marginale est définie « comme le taux d'escompte qui rend la valeur présente de la série des annuités procurées par les rendements anticipés de ce bien de capital durant sa durée de vie tout juste égale à son prix d'offre» (Keynes, [1936], p. 135 - p. 149). Le prix d'offre d'un bien de capital est ce que l'on pourrait encore appeler son « coût de remplacement », c'est-à-dire le prix juste suffisant pour inciter un fabricant à produire une unité additionnelle de ce bien. Ce prix est donc déterminé dans la période courante. Il n'en va pas de même des rendements anticipés dont le calcul suppose, par définition, la considération du futur proche et éloigné. L'investissement nouveau résulte d'une comparaison entre l'efficacité marginale globale et le taux d'intérêt en vigueur; il ne sera réalisé que si la première est supérieure au second. Une précision encore quant au « sujet» qui calcule les rendements escomptés des différents types de capital. En fait, ce sujet n'en est pas un puisque, pour l'auteur de la General Theory, ce sont les bourses de valeurs mobilières qui évaluent (et réévaluent) quotidiennement la valeur de la plupart des investissements réalisés. Dans les termes de Keynes ([1936], p. 151 p. 164), « certaines classes d'investissements sont gouvernées par l'espérance moyenne, révélée dans le cours des actions et formée par ceux qui opèrent en bourse (Srock Exchange), bien plus que
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par les anticipations authentiques d'entrepreneurs professionnels. » Ajoutons que l'espérance moyenne en question repose sur une pure convention, dont l'essence est de supposer que l'état des affaires actuel se poursuivra indéfiniment, sauf s'il existe des raisons fondées d'anticiper sa modification. Une telle base conventionnelle d'évaluation est, selon la formule de Keynes, « la résultante de la psychologie de masse d'un grand nombre d'individus ignorants». Mais alors la tâche essentielle des professionnels et spéculateurs qui interviennent aussi sur les marchés financiers est de prévoir juste avant le grand public les modifications de la base conventionnelle d'évaluation. Il s'ensuit que ces marchés fonctionnent de manière heurtée et qu'ils font montre d'une grande volatilité, soumis comme ils le sont à des vagues d'optimisme et de pessimisme déraisonnables. Ces rappels effectués, voyons à présent comment Keynes explique le mouvement cyclique de l'économie. Pour ce faire, plaçons-nous dans les derniers stades du boum conjoncturel. Comme on le sait, le taux d'intérêt est alors orienté à la hausse, sous l'effet d'une demande de monnaie accrue, destinée à satisfaire tant les besoins commerciaux que spéculatifs. Mais là n'est pas le plus important: en effet, ce qui caractérise surtout la fin du boum, c'est le fait que les anticipations des opérateurs et leurs estimations des rendements boursiers sont tellement optimistes qu'elles font oublier la hausse des coûts de production et celle du taux d'intérêt typique de cette phase du cycle. La crise coïncide alors avec un effondrement subit de l'efficacité marginale du capital. Que ce retournement doive être de grande ampleur et brutal s'explique aisément, puisque les marchés financiers, comme le dit Keynes ([1936], p. 316 - p. 313), subissent la double influence « d'acheteurs largement ignorants de ce qu'ils achètent et de spéculateurs davantage préoccupés par l'anticipation du changement prochain de l'opinion du marché que par l'estimation rationnelle des rendements futurs des actifs ». L'incertitude quant à l'avenir et la chute de l'efficacité marginale du capital provoquent une augmentation de la préférence pour la liquidité et donc une nouvelle hausse du taux d'intérêt, qui elle-même va détériorer encore un peu plus l'état de la confiance. Sans doute la baisse
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du loyer de l'argent constituera-t-elle, plus tard cependant dans la récession, une condition de la reprise économique, mais une fois la crise déclenchée, la chute de l'efficacité marginale se poursuit et s'entretient. Il faudra donc que s'écoule un certain temps (trois à cinq ans, dit Keynes) avant que la confiance se rétablisse et que l'efficacité marginale se redresse, période pendant laquelle la baisse des taux d'intérêt peut même, dans les cas les plus extrêmes, s'avérer inefficace pour ranimer l'efficacité marginale anémiée. La reprise demandera donc du temps, d'autant plus que l'effondrement de l'efficacité marginale affecte négativement la propension à consommer par le canal de la chute des cours de bourse et celle, concomitante, du revenu des opérateurs boursiers. La demande globale est tout entière orientée à la baisse ... En définitive, la sortie de la récession s'effectue réellement lorsque la courbe de l'efficacité marginale du capital se redresse, phénomène lié - c'est l'élément objectif, réel - au fait que le capital est redevenu suffisamment rare. Un nouveau cycle se met alors en place ... La conclusion de toute l'analyse, laissons-la à Keynes ([1936], p. 320 - p. 317), « dans les conditions du laissez-faire, la suppression des larges fluctuations de l'emploi peut, par conséquent, s'avérer impossible sans un changement dans la psychologie des marchés d'investissement tellement énorme qu'il n'y a aucune raison de s'y attendre. 1'en conclus que la régularisation du volume de l'investissement courant ne peut être laissée sans danger entre des mains privées.})
... et les Trente Glorieuses L'analyse du cycle par Keynes était en phase avec les politiques de grands travaux des années 1930, le New Deal, etc., toutes tentatives pour sortir de la Grande Dépression en stimulant la
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demande effective globale. En revanche, la théorie hayékienne des fluctuations économiques l'était nettement moins. Significatif de cette différence est l'appréciation de Lawrence R. Klein ([1949], p. 52) - futur Prix Nobel - qui écrivait que « la description du processus économique par Hayek ne s'ajuste pas bien avec les faits. »Aussi n'est-il pas étonnant que les économistes qui réfléchissaient sur le cycle se soient tournés vers la théorie keynésienne et que par comparaison les analyses de Hayek aient subi une longue éclipse. De surcroît, l'appareil conceptuel forgé par l'économiste de Cambridge devait être, dès après la parution de la General Theory, repris et développé par plusieurs auteurs, souvent très jeunes, pour penser à nouveaux frais le cycle. Le premier d'entre eux est R.E Harrod, qui publie en 1936 son Trade Cycle. Il sera suivi par Samuelson [1939], Hansen [1941] et enfin Hicks [1950]. Harrod ([1936], p. 102) voit l'explication du cycle dans les interactions entre le «Multiplicateur» et la «Relation» - les majuscules sont de l'auteur lui-même. Par Relation, il n'entend rien d'autre que le principe d'accélération, c'est-à-dire l'influence des variations de la consommation (ou du revenu) sur l'investissement. Ce principe n'a en soi rien de bien neuf, puisque qu'on peut faire remonter ses origines à Aftalion [1913], voire à Marx. Il avait fait l'objet de nombreuses discussions dans l'après Première guerre mondiale : J.M. Clark, A. Spiethoff, S. Kuznets, A.C. Pigou, Wc. Mitchell, D.H. Robertson sont quelques-uns des noms qui viennent à l'esprit. Ce qui est nouveau chez l'auteur du Trade Cycle, c'est d'une part une conception véritablement dynamique des effets d'accélération et d'autre part, l'étude des interconnexions entre multiplicateur et accélérateur: Harrod ([1936], p. 70) affirme même que par cette étude, il «a révélé le secret du cycle». Notons cependant que si Harrod a bel et bien dynamisé l'effet d'accélération, il continuait, comme Keynes, à concevoir le multiplicateur sur le mode d'une relation instantanée, donc statique, entre l'investissement et le revenu. L'ouvrage d'Alvin Hansen, publié en 1941, est important, non tant sur le plan théorique - il n'ajoute pas grand-chose à l'analyse réalisée par Harrod - que sur celui de la politique éco-
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nomique : c'est un véritable manifeste en faveur d'une politique de plein emploi de facture keynésienne. Aussi n'est-il pas étonnant que Hansen ([1941], p. 292) se fixe par exemple l'objectif « de minimiser le mouvement cyclique par un système de taux de taxation adaptables ». D'une manière générale, il privilégie la politique budgétaire comme moyen de compenser les effets sur l'emploi des variations de l'investissement privé, mais aussi comme moyen d'assurer la relance de l'économie: c'est le « pumppnmmg». Samuelson [1939], quoiqu'il ne le reconnaisse pas, s'inscrit dans le droit fil de l'analyse harrodienne 4• Son apport propre est double: d'un côté, il inclut explicitement la dépense gouvernementale comme composante de la demande globale; de l'autre, il développe un véritable modèle dynamique du cycle, qui tient en trois équations:
(1)
Les notations sont suffisamment explicites; aussi se limitera-t-on à préciser que It représente le seul investissement privé, a la propension marginale à consommer et 13 le coefficient d'accélération. Si l'on suppose que la dépense gouvernementale Gt est exogène au modèle, il vient l'équation de récurrence du second ordre: (2)
La solution de (2) - qui reste simple, parce que ses coefficients sont constants et qu'il n'y a que deux décalages pris en considération - va dépendre des racines de l'équation caractéristique x2 + a(J + f3)x + af3 = 0, elles-mêmes fonctions des paramètres a et 13. On peut alors montrer que l'ensemble des valeurs possibles de a et 13 se découpe en quatre régions, caractérisée chacune par une trajectoire temporelle différente du revenu nationa1 5 : en gros, il y a mouvement cyclique (amorti, régulier
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ou explosif) lorsque les racines de l'équation caractéristique sont des complexes conjugués, c'est-à-dire lorsque a < (4f3/(l +(3)2). En d'autres termes, le revenu national oscille temporellement si la propension marginale est faible et le coefficient d'accélération élevé ou vice versa. Le modèle de Samuelson permet donc, sous les conditions rappelées, d'engendrer des fluctuations, mais qui diffèrent des cycles effectifs à trois points de vue au moins: i) les oscillations du modèle ne sont régulières que dans un cas extrêmement particulier, celui où la propension marginale à consommer est égale à l'inverse du coefficient d'accélération; ii) ces oscillations sont, à la différence des cycles observés, parfaitement symétriques; iii) leur amplitude dépend des conditions initiales du modèle, alors que l'amplitude des cycles «réels» est variable et demande au minimum à être expliquée. Hicks reprendra en 1950 la problématique de l'oscillateur en lui imprimant sa touche particulière, de sorte qu'on en viendra rapidement à parler du «modèle de Samuelson-Hicks». Cela dit, tout en se plaçant dans le cas où le modèle connaît des oscillations explosives, l'économiste d'Oxford - Hicks ([1950], p. 83) - a modifié sur trois points importants l'analyse de Samuelson: - il substitue au cadre d'une économie stationnaire celui d'une économie «progressive» et donc la croissance à taux constant à l'équilibre stationnaire. - il introduit un plafond cyclique (ceiling) dans le sens où, en chaque période, le revenu national ne peut dépasser un certain niveau déterminé par le plein emploi des facteurs de production. - enfin, il introduit également un plancher cyclique (floor) qui limite donc les variations à la baisse du revenu; l'existence d'un tel plancher est plausible, parce que le désinvestissement consécutif à cette baisse est, à tout moment du temps, forcément limité par le rythme temporel de mise au rebut des équipements; en d'autres termes, l'accélérateur ne sort plus ces effets dès le moment où le plancher est atteint. Au total, Hicks présente un tableau de la dynamique économique tel que les économies connaissent un mouvement
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de croissance cyclique, les fluctuations étant contraintes par le plafond du plein emploi et par le plancher de la mise hors service, très progressive, des biens de production. Comme tel, son modèle est bien mieux coordonné au réel que celui du multiplicateuraccélérateur simple. Les approches de Samuelson et Hicks reposent formellement sur des systèmes d'équations linéaires. Il est toutefois possible, tout en conservant le même cadre conceptuel, d'introduire des non-linéarités dans l'analyse. Un des premiers à avoir exploré cette voie est Nicholas Kaldor. Concrètement, ce dernier suppose que les valeurs de la propension marginale à consommer et de l'accélérateur ne sont plus constantes, mais varient avec le niveau de la production. Il peut alors générer un cycle de manière endogène - Kaldor ([1940], spécialement pp. 89-92) -, de sorte que l'amplitude des fluctuations ne dépende plus des conditions initiales ou de chocs aléatoires. La méthode utilisée par Kaldor est essentiellement graphique. Il n'en va pas de même pour deux autres économistes « keynésiens)} qui ont construit, chacun pour leur part, un véritable modèle mathématique: Kalecki et Goodwin. Le premier est l'auteur de plusieurs articles et livres Kalecki [l935a,b, 1943a, 1954] - qui développent un modèle dont le noyau est remarquablement constant même si ses interprétations ont pu varier. Aussi se contentera-t-on d'en donner une seule version, celle de 1935. A noter cependant que l'on modifiera les notations de Kalecki et que l'on ne reprendra pas son hypothèse que l'épargne des travailleurs est nulle et donc pas non plus la distinction entre capitalistes et travailleurs. Kalecki raisonne dans le cadre d'une économie fermée, pour laquelle le revenu ou produit se décompose en consommation C, investissement (dépenses nettes) 1 et dépenses autonomes A. Puisque A est constant et que C = c y, le revenu est déterminé, via le multiplicateur instantané, par: Y(l)
(3)
= (l(t) + A) / (l-c)
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Les commandes de biens d'équipement au temps t, notons-les B se traduisent dans des livraisons correspondantes et finalement des dépenses (nettes) I(t) moyennant un décalage temporel (). En moyenne, on a : J(t) = -1
B
fI t-B
B(t) dt
(4)
Si le stock de capital est noté K(t) alors sa dérivée par rapport au temps K'(t) représente le taux de livraison des biens de capital nouveaux, si bien que:
d
-. K(t) dt
= B(t -
B)
(5)
Enfin, B(t) est supposé relier positivement à l'épargne et négativement au stock de capital existant6 : B(t) = a(l- c )Y(t) - kK (t), a, k > 0
(6)
Les équations (3), (4), (5) et (6) constituent un système de quatre équations à quatre inconnues: Y(t), I(t), K(t) et B(t) Après diverses substitutions, on aboutit à l'équation mixte différentielle et de récurrence:
dK (f) = !!-. K (t) - (k +!!-.) K (t - B) dt
()
()
(7)
Le traitement mathématique complet d'une équation telle que (7) a été donné par Frisch et Holme [1935]. Il conduit à la conclusion suivante : le modèle admet comme solution unique? une fonction sinusoïdale de période plusieurs fois supérieure à la longueur du décalage () ; les oscillations peuvent être d'amplitude constante ou amorties selon les valeurs des coefficients a et k. Goodwin [1951] a développé un modèle qui combine multiplicateur dynamique et accélérateur non linéaire et dynamique. Tout comme chez Kalecki, il existe un décalage de ()
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unités de temps entre le moment de la commande d'un bien de capital et la réalisation de l'investissement, c'est-à-dire I(t) = B(t(). L'accélérateur est alors défini comme une relation entre le total des commandes B(t) et le taux de variation du produit global dY(t) / dt : B(t)
= qJ( dY(t) 1dt)
(8)
où
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très différentes, marquées à la fois par l'hégémonie de la macroéconomie keynésienne et la « révolution probabiliste ». Ses Economic Fluctuations in the United States 8 - Klein [1950] - développent le premier modèle macroéconométrique keynésien. Modèle suivi par bien d'autres, notamment celui de Klein-Goldberger [1955] et puis ceux de très grande taille tels le Brookings, etc. Ce type de modèle ne parvenait cependant pas à engendrer, de manière endogène, un comportement oscillatoire de l'économie. Comme Adelman et Adelman [1959] l'ont en effet montré sur l'exemple du système d'équations de Klein-Goldberger, seule l'introduction de chocs aléatoires permettait de générer des cycles comparables par leurs propriétés à ceux de l'économie américame. L'application des politiques keynésiennes de soutien de l'activité devait s'avérer très efficace, puisque la période des Trente Glorieuses n'a pas connu de récession générale un tant soit peu significative. Le plein emploi semblait être devenu un état permanent de l'économie. De plus, comme Hicks ([1981], p. 344) l'avait remarqué, les quelques récessions qui ont touché certains pays particuliers ont été la plupart du temps le résultat de «pressions politiques». Ces constatations faites post festum avaient déjà été anticipées par Kalecki [1943b], qui parlait de «cycle des affaires politique» (political business cycle) se substituant au cycle traditionnel. Voici l'essentiel de son argumentation. Il est techniquement possible pour l'Etat d'amener l'économie au plein emploi et de l'y maintenir. Mais précisément, les capitaines d'industrie s'opposent à un tel maintien parce que «leur instinct de classe leur dit que le plein emploi durable est malsain». Et Kalecki de dessiner le cycle politique typique 9 : lors des récessions, sous la pression ouvrière, les gouvernements développent l'investissement public financé par l'emprunt pour éviter un chômage de masse. Il s'ensuit une reprise économique qui conduit au plein emploi. Si les pouvoirs publics utilisent les mêmes techniques «keynésiennes» pour maintenir un haut niveau d'emploi, alors la pression et l'opposition des milieux d'affaire deviennent telles qu'elles amènent ces gouvernements à retourner à l'orthodoxie
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budgétaire. Résultat: la récession est de retour, qui nécessitera une nouvelle intervention de l'Etat, etc.
Les cycles longs La période de croissance quasi ininterrompue qu'ont représentée les Trente Glorieuses a suscité un regain d'intérêt pour le cycle long de type Kondratieff [1926]. D'une façon générale, depuis la découverte de ces cycles Kondratieff des prix et de la production, au début du 20ème siècle, la détermination et l'interprétation des mouvements économiques ont donné lieu à de nombreuses études statistiques et théoriques. Les cycles longs de type Kondratieff
Cycles longs
Direction du cycle
Périodicité
1
Expansion
1793/1797·1817/1823
Dépression
1817/1823·1847/1850
Il
Expansion
1847/1850·1869/1873
Dépression
1869/1873-1894/1897
III
Expansion
1894/1897·1914/1920
Dépression
1914/1920-1944/1947
IV
Expansion
1944/1947-1968/1973
Dépression
1968/1973- ?
Aujourd'hui, l'ensemble des contributions peut être classiquement réparti en deux catégories selon que les auteurs avancent des causes exogènes ou des causes endogènes pour expliquer la croissance économique des nations. Parmi les théories faisant appel aux causes exogènes, on peut distinguer les explications monétaristes, les explications qui accordent aux guerres un rôle fondamental et les explications reposant sur le mouvement des prix agricoles. Initialement, les plus nombreuses, les explications
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d'ordre exogène, tendent à ne plus être retenues de nos jours comme des causes fondamentales des cycles longs. En développant une théorie des cycles de l'investissement, Kondratieff est le premier (cf le schéma ci-dessus) à avancer l'idée que les cycles longs trouvent leur source dans le fonctionnement même du système économique. L'accroissement de l'épargne augmente les possibilités d'investissement du fonds de capitaux disponibles et entraîne la période de hausse de longue durée. La diminution de l'épargne réduit l'investissement et provoque la baisse. Schumpeter [1939] enrichit le champ d'interprétation des cycles longs par l'introduction du rôle des innovations. Cellesci, groupées dans le temps, concentrées dans quelques branches industrielles, déterminent des cycles réguliers. Dans un premier temps, elles tendent à attirer les capitaux. Mais, la diffusion des innovations à l'ensemble de l'économie modifie l'équilibre économique et augmente les risques d'échecs des prochaines innovations. Il faut alors qu'à travers le processus de récession, l'économie assimile les progrès de la phase de hausse avant que le système tende de nouveau vers l'équilibre et permette la mise en place d'autres innovations. De 1945 à 1970, les recherches sur les cycles longs connaissent une certaine désaffection en raison de la croissance continue enregistrée par les économies des pays développés et de la prédominance des thèses keynésiennes. Depuis le retournement de conjoncture du début des années 1970, on assiste à une large diffusion des thèses issues des réflexions de Schumpeter (Kleinknecht, [1987], Mensch, [1977], Freeman, [1996]). Pour nous, les travaux majeurs en la matière privilégient le rôle du rythme de l'investissement et de l'innovation. L'idée à la base de la logique néo-schumpétérienne est que l'émergence de produits ou de processus nouveaux, au cours de la phase de dépression longue va provoquer un flux d'investissements, lié au renouvellement de l'équipement, qui entraîne la relance de l'activité économique. Lorsque ce renouvellement arrive à son terme, le flux d'investissement diminue à nouveau entraînant une nouvelle phase de dépression.
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Si l'analyse néo-schumpétérienne permet une première approche de la réalité, elle néglige toutefois, aujourd'hui encore, le rôle majeur des variables sociales dans la dynamique économique. Elle accorde, par ailleurs, une fâcheuse inattention au cycle intermédiaire, dit de type Kuznets, d'une durée d'environ 20 ans, en référence à la datation sommaire, mais célèbre de l'auteur [1930]. Mentionnons également l'école de la structure sociale d'accumulation. Cette dernière s'est constituée, elle aussi, à partir de la fin des années 1970, avec les travaux fondateurs de Gordon, auxquels se sont ajoutées de nombreuses contributions (Gordon, Weisskopf, Bowles, [1991]). Ces recherches proposent une interprétation des cycles longs de l'activité économique faisant jouer un rôle essentiel aux transformations institutionnelles qui ont ponctué l'histoire contemporaine des pays capitalistes développés. C'est la succession de différentes structures sociales d'accumulation, selon un processus de construction puis de déclin de chacune de ces structures sociales d'accumulation, qui permet d'interpréter les cycles de l'activité économique et sociale.
De la décomposition de la synthèse néoclassique ... Du point de vue théorique, les Trente Glorieuses sont dominées par ce que l'on a appelé la « synthèse néo classique », c'est-à-dire la combinaison de la macroéconomie keynésienne et de l'analyse microéconomique marginaliste. Joan Robinson avait sans doute raison de nommer ce courant « néo-néoclassique », puisque les marginalistes sont eux-mêmes des néo classiques par rapport à l'école ricardienne et à ceux qui l'ont continuée. Mais il n'est évidemment pas possible de reprendre une formulation aussi alambiquée!
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Deux économistes ont été les artisans de cette synthèse: d'un côté, Hicks avec « Mister Keynes and the Classics » [1937] et Value and Capital [1939] ; de l'autre, Samuelson [1948] avec ses Foundations of Economic Amalysis. A leurs noms, il faut ajouter, mais son rôle est moindre, celui de Patinkin [1956]. Notons également que Samuelson et Solow [1960] ont « bouclé» le modèle macroéconomique « keynésien» en lui y ajoutant une courbe de Phillips. Toutefois, la synthèse néoclassique sera durement mise en cause dès le tournant des années 1970. Sont en cause, pêlemêle, la montée de l'inflation, le retour des récessions et des accidents financiers, la « stagflation», hybride de l'accroissement simultané du taux de chômage et du taux d'inflation, la dislocation du système de Bretton Woods, etc. Tous ces facteurs vont susciter une vague de rejet de la macroéconomie keynésienne et la floraison d'explications nouvelles du cycle. L'école monétariste va ainsi s'opposer à l'interventionnisme keynésien. La monnaie prend dorénavant une place prépondérante dans l'analyse des fluctuations économiques. Friedman [1968] met en avant un principe explicatif du cycle qui est identique à celui de tout actif sous l'hypothèse de revenu permanent; la particularité de la monnaie étant de présenter une offre exogène. En cas de hausse de la quantité de monnaie, les agents cherchant à maximiser leur utilité vont ajuster leur portefeuille entre différents actifs, suivant en cela les principes de la théorie du revenu permanent. La création monétaire ayant déséquilibré les patrimoines des agents, c'est par la volonté de ces derniers de retrouver une structure patrimoniale optimale que la monnaie produit des effets réels sur l'économie. L'analyse du cycle repose donc entièrement sur la déconnexion entre les revenus permanents et ceux observés. Ce courant monétariste remet donc en cause l'arbitrage à long terme entre l'inflation et le chômage, sauf à augmenter de façon continue le taux de croissance de l'inflation. Ce n'est qu'à court terme que les agents sont sensibles à l'illusion monétaire. Sur le long terme, une relance monétaire ne conduit finalement qu'au déplacement de la courbe de Phillips. Cette dernière est verticale et définit le taux de chômage naturel. Ce faisant, il
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devient impossible avec une telle courbe d'arbitrer entre le chômage et l'inflation. Cette idée de Friedman sera reprise et approfondie par l'école des anticipations rationnelles (equilibrium business cycles). Lucas, Sargent et Wallace vont ainsi délivrer des fondements théoriques aux critiques à l'encontre de la courbe de Phillips. C'est à l'évidence Lucas [1976] qui va porter l'attaque la plus virulente contre l'ensemble des modèles macroéconomiques en vigueur. Lucas dénonce l'absence de fondements microéconomiques dans les modèles d'inspiration keynésiennes. Les variables économiques sont les résultantes de choix individuels conditionnés par les anticipations sur l'état futur de l'économie. Ce faisant, il est essentiel de prendre en compte la façon dont les individus forment ces anticipations, sinon toute élaboration de politique économique devient impossible. Dès 1973, Lucas formule un modèle à information imparfaite et anticipations rationnelles. Le paradigme walrasien est abandonné, les agents ont désormais une vision imparfaite des prix. Le point de départ de l'analyse réside dans une économie de grande taille et des marchés décentralisés. Ce faisant, les agents participent à un micromarché et n'ont qu'une information très imparfaite des autres marchés et du système de prix. Leur perception des chocs aléatoires peut ainsi les conduire à des interprétations erronées quant aux signaux de prix et les amener à entreprendre des actions qui vont perturber l'ensemble du système économIque. La courbe d'offre de Lucas définit le produit comme une fonction décroissante de la surprise sur les prix, c'est-à-dire de la hausse non attendue du revenu général des prix; il s'agit aussi d'une critique de Lucas contre la courbe de Phillips. Il en découle qu'une inflation non anticipée peut amener l'individu à croire que le prix relatif du bien qu'il fabrique s'est élevé et à vouloir en offrir une quantité plus importante. Il aboutit ainsi à la formation d'un cycle d'origine monétaire autour d'un sentier de croissance de long terme caractérisant une économie en équilibre. C'est l'offre de monnaie qui fait subir au système des chocs qui vont engendrer des fluctuations cycliques. Il s'agit de cycles à
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l'équilibre, dans le sens où la propagation du cycle ne peut provenir que du comportement d'optimisation des agents confrontés au choc. Il ne suffit plus d'introduire des chocs sur le système keynésien pour décrire des fluctuations, mais de déduire les mouvements de l'économique de la réponse des agents à ces impulsions extérieures. En somme, l'analyse de Lucas montre comment un modèle d'équilibre avec marchés décentralisés et information imparfaite peut rendre compte des effets des chocs nominaux et des chocs réels sur le produit. Quant aux chocs de demande, ils ont un impact sur le produit s'ils ne sont pas anticipés. Malgré son accueil favorable, la théorie de Lucas s'est avérée incapable d'expliquer la persistance des écarts conjoncturels (pensons simplement à la critique de Modigliani). Lucas introduira plus tard l'existence de coûts de formation de capital pour rendre compte de ce phénomène de persistance. Mais, insuffisamment crédible aux tenants de la théorie des cycles à l'équilibre qui feront alors appel à d'autres types de chocs pour reproduire la persistance dans les fluctuations observées: les chocs technologIques. Les adeptes de ce nouveau courant de pensée, dit des cycles réels (Real Business Cycle, RBC), définissent alors ce dernier comme le résultat d'une adaptation optimale de l'économie à l'équilibre. Ils renouent ainsi avec une explication néo-classique des fluctuations économiques. Suivant la voie ouverte par Lucas, ils visent à intégrer la notion de cycle dans le paradigme walrasien de formulation des phénomènes économiques en termes d'équilibre. Ils prennent toutefois les analyses monétaristes de Friedman et Lucas à revers, en cherchant à démontrer que l'essentiel des fluctuations peut être expliqué sans introduire de perturbation monétaire. Ces dernières résulteraient des réponses optimales des agents économiques à des chocs de productivité globale des facteurs. Ces chocs étant exogènes et aléatoires, l'évolution du cycle sera de nature stochastique (quasi-cyclique). Le cycle économique est ici un mouvement oscillatoire du produit naturel lui-même et non l'écart au trend, car les facteurs qui l'engendrent sont également à l'origine de la croissance. Dès lors, la dichotomie habituelle entre les sources de la croissance et celles des fluctuations
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n'a plus lieu d'être puisque ces dernières correspondent aux variations mêmes du taux naturel de croissance, aux variations de la productivité .
... à la pluralité des théories ... La remise en cause de la synthèse néoclassique va également conduire à une véritable floraison de courants non orthodoxes. Du point de vue des théories du cycle, deux d'entre eux méritent une étude plus approfondie: les post-keynésiens, avec Hyman P. Minsky, et les néo-autrichiens, qui prolongent les analyses de Hayek et de von Mises. Minsky est aujourd'hui connu pour son «hypothèse d'instabilité financière» du capitalisme; on parle également beaucoup, dans la presse, du « moment Minsky ». Son premier livre John Maynard Keynes - Minsky [1975] - remettait en cause l'interprétation de la General Theory donnée par les néoclassiques, interprétation que Joan Robinson nommait pour sa part « keynésianisme bâtard ». Dès ce moment, l'auteur apparaît comme une des figures majeures du courant post-keynésien, essentiellement défini par la formule du « retour à Keynes ». Minsky s'est très tôt intéressé à l'analyse du cycle. Dans un de ses premiers articles sur la question (Minsky, [1957], p. 859), il reprochait déjà «aux auteurs qui ont construit les modèles multiplicateur-accélérateur d'avoir prêté peu d'attention, voire pas du tout, aux conditions et effets monétaires des processus supposés». Son programme de recherche était dès lors tout tracé: montrer comment entrepreneurs et banquiers mus par la recherche du seul profit transforment un système financier initialement robuste en un système sujet à des crises financières répétées. Ce programme a été développé très progressivement, par étapes successives, jusqu'à la synthèse consignée dans Minsky [1986J.
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Le point de départ de l'analyse gît dans la reconnaissance de deux systèmes de prix: l'un qui s'applique à la production courante des biens et services ; l'autre qui vaut pour les actifs financiers. Ces deux ensembles de prix sont liés puisque, d'un côté, les biens d'investissement sont une partie de la production de la période de référence et de l'autre, ils ont un prix courant qui doit être cohérent avec leur prix en tant qu'actifs-capital (capital assets). Les prix des biens produits dans la période courante sont déterminés « à la Kalecki » en appliquant un taux de marge (mark up) aux différents coûts, dont essentiellement celui du facteur travail. Les prix d'offre des divers types de biens d'investissement constituent un sous-ensemble de ces prix courants. Quant aux prix des actifs-capital, ils sont déterminés par l'offre et la demande sur des marchés spécifiques, leur offre étant fixe dans la période courante et leur demande fonction des flux monétaires (cash flows) anticipés sur leur durée de vie propre. Dans l'économie considérée, il existe également un ensemble d'actifs financiers (financial assets), que l'on peut assimiler à des actifs-capital, compte tenu qu'ils rendent également un flux de liquidités futures. Pour la détermination du prix de ces actifs, voir par exemple Minsky ([1986], pp. 200 et suiv.). L'existence d'un prix pour un actif-capital ou un actif financier n'entraîne pas automatiquement la réalisation de l'investissement correspondant. Encore faut-il que cet investissement soit financé! De ce point de vue, Minsky distingue essentiellement deux grandes sources de financement des entreprises: les fonds internes, i.e. les bénéfices réservés, de ces entreprises, d'une part ; les fonds externes collectés par emprunts bancaires ou à l'occasion d'émissions d'obligations ou d'actions, d'autre part. L'emprunt (bancaire ou sous la forme d'obligations) se traduit par des engagements de paiement; il représente donc un coût, au même titre que le versement des salaires ou l'achat de biens intermédiaires, coût qui entre dans le prix d'offre des différentes marchandises. Il s'ensuit - Minsky ([1986], p. 207) - que «la décision d'investir nécessite une fonction d'offre d'investissement, qui dépend des coûts salariaux et des taux d'intérêt de court terme,
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ainsi qu'une fonction de demande d'investissement, dérivée à partir du prix des actifs-capital, de la structure anticipée et des conditions du financement. » Les positions des entreprises en matière d'actifs-capital sont financées par des combinaisons de parts d'action et de dettes. Minsky distingue à cet égard trois régimes possibles : la finance de couverture, la finance proprement spéculative et enfin, la finance de Ponzi 10 • En se référant à Minsky ([1986], appendix A, pp. 371379), on peut tenter de formaliser comme suit ces trois régimes financiers. Désignons par Ci les remboursements, lors de la période i, consécutifs aux engagements contractés à l'occasion d'un emprunt, par Qi la quasi-rente anticipée (le profit), pour la même période, résultant d'un investissement déterminé et par a~ la variance correspondante. Le financement de couverture d'une position exige que:
Ci < Q - ACT~i pour tout i
(9)
où À est tel que la probabilité subjective associée à Q < Ci est très petite. En d'autres termes, plus l'écart entre le membre de gauche de (9) et son membre de droite est important et plus aussi la marge de sécurité de l'investisseur est significative. Il s'ensuit qu'une unité se finançant par couverture s'attend à ce que ses flux de trésorerie lui permettent de rembourser la dette contractée, principal et intérêts. A l'inverse, si l'inégalité: C > Q -ACTo_i2 1
(10)
1
tient pour toute période proche de i, i.e. pour le court terme au moins, l'unité considérée dispose de flux de trésorerie insuffisants pour faire face au remboursement de ses dettes. Dans ce cas de figure, deux comportements sont possibles pour l'unité en question : soit ses liquidités ne couvrent que le paiement des intérêts et elle adopte alors un mode de financement spéculatif; soit elle n'a même pas la capacité d'assurer le service des intérêts - elle
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est donc obligée de recourir à l'emprunt -, ce qui traduit un mode de financement qualifié «de Ponzi» par Minskyll. Plus le poids, dans une économie, de la finance spéculative et de celle de Ponzi est grand et plus cette économie est sujette à des crises financières. D'un point de vue général, les économies capitalistes connaissent l'alternance de périodes de robustesse et de fragilité financières selon la combinaison des trois types de financement qui prévaut. C'est lors de ces dernières qu'adviennent les récessions «sérieuses» (serious, Minsky, ([1986], p. 194). On peut dès lors résumer comme suit l'explication des fluctuations cycliques avancée par Minsky. Dans les périodes de tranquillité financière - par exemple, celle qui a suivi la Seconde guerre mondiale jusqu'au «credit crunch» américain de 1966 -, marquées par l'absence de boum spéculatif, de même que par la prédominance de la finance de couverture, la gestion de la demande globale et l'intervention des banques centrales suffisent pour éliminer les variations trop importantes de la demande d'investissement. Mais la robustesse des structures financières laisse penser que cet état va perdurer, ce qui pousse à la multiplication des innovations financières et à l'adoption de comportements spéculatifs. Progressivement, les structures financières se fragilisent, les accidents (financiers) se multiplient, les comportements spéculatifs et de Ponzi se généralisent, l'endettement également. On entre alors dans une période d'instabilité, encore accrue par le boum spéculatif qui s'empare des bourses. Survient une crise boursière, qui entraîne dans sa chute banques et institutions financières. La demande d'investissement s'effondre, tandis que la consommation se réduit consécutivement à la baisse des cours boursiers et à la nécessité de se désendetter. La récession s'ensuit, qui peut éventuellement déboucher sur une dépression profonde ... comme dans les années 1930. Hayek a reçu en 1974 le prix Nobel pour sa théorie du cycle, pourtant si longtemps décriée et marginalisée par la pensée économique de l'après-guerre. Cette attribution a encouragé un certain nombre d'auteurs autrichiens à prolonger l'analyse, en apportant leur propre contribution, tels que Rothbard [1975] ou encore Garrison [1986, 1989, 1997,2001 ... ]. Les travaux
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de ce dernier ont inspiré de nombreuses applications contemporaines de la perspective hayékienne. Mais ces développements n'ont pourtant pas permis de lever certaines ambiguïtés propres à l'analyse autrichienne du cycle. Les représentants de l'école autrichienne se distinguent par leur insistance sur l'ignorance, le temps historique et le subjectivisme des anticipations. Ils privilégient le raisonnement qualitatif et condamnent l'utilisation du quantitativisme en économie. La légende veut d'ailleurs que Hayek n'ait pas pu ttouver de poste au département d'économie de Chicago du fait de son hostilité aux statistiques, laquelle aurait déclenché le veto de Knight (Hayek s'exprimera de manière laconique à ce sujet: « l was proposed first to the faculty of economics, but they turned me down », Hayek, dans Kreisge ([1994], p. 128). Or, la théorie du cycle est une des rares incursions des Autrichiens dans le domaine macroéconomique, et ses prolongements contemporains suscitent des interrogations. En effet, sans se référer à des variables macroéconomiques quantitatives, comment définir les paramètres du cycle? De quelle manière identifier et mesurer le capital, traduire ses relations de substitution ou de complémentarité? De la même façon, par quelle méthode mesurer l'impact de chocs de politique monétaire sur l'intérêt, les prix relatifs et la longueur des stades de production? Enfin, comment identifier et mesurer l'écart du taux monétaire vis-à-vis du taux d'équilibre puisque celui-ci, en économie théorique, n'est qu'un référent théorique impossible à évaluer ?12 Comme le relèvent Bismans et Mougeot: « L'utilisation d'outils statistiques, économétriques, exige alors quelques assouplissements par rapport à la théorie autrichienne pure» (Bismans et Mougeot [2008], p. 83). Les récentes applications empiriques de la théorie autrichienne du cycle (Keeler [2001] ; Mulligan [2002, 2006] ; Cwik [1998] ; Hugues [1997] ; etc.). sont significatives de ces assouplissements, qui relèvent quelquefois du grand écart. La préoccupation de leurs auteurs est beaucoup moins d'identifier les fluctuations grâce aux outils autrichiens que de partir d'une approche conventionnelle du cycle, basée sur des faits stylisés établis par d'autres théories, pour examiner la pertinence de l'explication hayékienne.
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Ambiguïté aussi au niveau normatif, qui nous renvoie à l'origine du cycle. A-t-on affaire à une approche exogène ou endogène des fluctuations? Hayek, après son prix Nobel, a développé des thèses [1976 et 1978a] visant à affranchir la monnaie des manipulations d'ordre politique. Mais dans Prix et production, il décrivait l'architecture générale du crédit comme une structure pyramidale composée de différentes couches dont l'organisation interne est difficilement régulable par des instruments directs. Même si la quantité de monnaie fiduciaire reste stable, il peut arriver que les autres parties de la structure favorisent une augmentation de l'émission de crédit, suivant des mécanismes peu contrôlables par les autorités. L'accroissement de l'offre de monnaie au sens large et le développement du cycle ne sont donc pas toujours mécaniquement liés à une volonté expansionniste des banques centrales. Ambiguïté, enfin, relativement au statut de l'équilibre. Hayek [1928b] a réfléchi très tôt sur les logiques d'équilibres intertemporels, d'une manière telle que Lucas y a vu une anticipation de ses propres travaux. Mais comment identifier empiriquement l'équilibre d'un point de vue autrichien puisqu'il n'existe pas de méthode permettant de s'assurer que toutes les opportunités connues sont exploitées? Plus fondamentalement, pour les néo-autrichiens (cf, Kirner [1973,1979], etc ... ), le paradigme de l'ignorance empêche de considérer que toutes les opportunités disponibles soient connues et exploitées. Il y a donc toujours déséquilibre, mais on ne peut en connaître ni l'ampleur ni la source. Dans cette perspective, existe-t-il véritablement une épistémologie autrichienne du cycle? De quelle manière, en termes respectueux du paradigme autrichien, rendre compte de la croissance, ou inversement de la crise? Les Autrichiens sont des théoriciens du déséquilibre et ils n'ont jamais délivré de caractère précis et mesurable de l'amélioration de la qualité de la coordination autrement que de manière négative par l'absence d'intervention. La dernière zone de flou concerne le statut explicatif ou prédictif de la théorie autrichienne du cycle. La plupart des études développées après le prix Nobel de Hayek sont rétros-
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pectives des événements. Rothbard [1975] s'est attaché à une relecture autrichienne de la crise des années 1930 et des phénomènes monétaires qui l'ont précédée. En utilisant des indicateurs variés, et en s'attachant à des périodes et des pays divers, O'Driscoll et Shenoy [1976], Garrison [2001], Cwik [1998], Hugues [1997] ont cherché à tester la capacité explicative de la théorie. Powell [2002] adopte la même démarche lorsqu'il applique les outils autrichiens à l'examen de la récession japonaise de 1990. La théorie et l'histoire sont ainsi mobilisées ensemble pour expliquer des moments particuliers. Doit-on alors renoncer à la prévision? Dans The Pretence of Knowledge, texte correspondant à son allocution du prix Nobel, Hayek affirmait pourtant lui-même: « je suis soucieux de le répéter, nous devons atteindre des prédictions qui peuvent être falsifiées et qui sont donc de signification empirique» (Hayek [1974], p. 33). Mais les choses ne sont pas si claires. Dans le même texte, Hayek condamne les évidences empiriques et précise qu' « étant donné que ne pouvons pas savoir à quelle structure particulière de prix et de salaires s'associe l'équilibre, nous ne pouvons pas mesurer les déviations par rapport à cet équilibre; nous ne pouvons pas non plus tester scientifiquement notre théorie selon laquelle ce sont les déviations par rapport au système de prix d'équilibre qui rendent impossible de vendre quelques-uns des produits et services au prix où ils sont offerts» [ibid., p. 27].
. .. et au renouveau des études économétriques du cycle La première moitié des années 1970 apparaît rétrospectivement comme l'âge d'or de la modélisation macroéconométrique. Cependant, dès les débuts de cette décennie, l'analyse des séries temporelles va opérer des progrès considérables. En particulier, Box et Jenkins [1970], s'appuyant sur les travaux antérieurs de Yule
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et de Wold, développent une méthodologie de prévision fondée sur l'utilisation de processus stochastiques du type ARMA13. Formellement, si Yt désigne la valeur observée, en t, de la série y, alors un modèle ARMA (p, q) se représente par:
où (t) est une suite de perturbations aléatoires, indépendamment et identiquement distribuées. Le membre de gauche de (11) constitue la partie auto régressive du modèle et le membre de droite sa partie moyenne mobile. On voit immédiatement ce qui différencie de tels modèles, essentiellement athéoriques, des systèmes d'équations simultanées, caractéristiques de l'approche de la Cowles Commission. Nelson [1972], en utilisant la méthodologie de Box-Jenkins, a pu montrer, sur la période d'estimation 1956-1966, que les prévisions obtenues à l'aide de modèles univariés de la classe AR(I)MA surclassaient, la plupart du temps, celles fournies par le « groS» modèle FMP (FMP est le nom abrégé du modèle macroéconométrique construit par la Réserve fédérale, le MIT et l'Université de Pennsylvanie.) De la souche Box-Jenkins devait naître l'économétrie des séries temporelles. Cette dernière conduisait à envisager le cycle économique d'une manière nouvelle. Représentative de cette tendance est la conférence sponsorisée par la Banque de réserve fédérale de Minneapolis, tenue en 1975 et dont les actes ont été publiés deux ans plus tard. Christopher Sims [1977, p. 1], qui édita ces actes, déclarait 14 d'emblée que « les méthodes actuellement utilisées pour les analyses de politique économique les plus quantitatives sont fondamentalement déficientes.» Et l'auteur de préciser qu'il existait deux grandes voies pour sortir de l'ornière des déficiences macroéconométriques et identifier correctement les modèles du cycle: i) se servir de méthodes statistiques plus élaborées pour prendre en compte la dimension dynamique des ces modèles, dimension largement ignorée par la théorie économique « statique» ; ii) l'autre voie consiste à octroyer beaucoup plus
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d'attention à la logique du comportement optimal en incertitude et donc à ne pas exclure « quelque variable que ce soit dans une équation du système sur la base d'une théorie a priori, parce que toutes les variables du système affecteront en général les anticipations. » Sims se rangeait évidemment dans ce second courant, ce qui le conduisit à préconiser l'utilisation des « autorégressions vectorielles» (VAR) qui ne sont rien d'autre qu'une généralisation multidimensionnelle des modèles auto régressifs - voir Sims [1980a]. En effet, leur forme (générale) se résume au système d'équations dynamiques: (12)
= (ylt,L, ]Kt)' les Ai' i = 1, L, p, sont des matrices de format K x K de coefficients et Ut = (ult,L ,UKJ un vecteur de bruits
OÙ]t
blancs (on parle également d'innovations) de moyenne 0 et de matrice de variance-covariance Ou. Par le théorème de Wold, tout modèle VAR - stationnaire, on y reviendra bientôt - admet une représentation moyenne mobile infinie:
Y/
= ",-HX
~ i=O
e .li 1
(13)
.
/-./
Dès lors, si l'on interprète les innovations comme des chocs sur les variables endogènes, leur propagation s'effectue, de manière dynamique, dans l'ensemble du système. L'effet d'un choc Ut sur le vecteur ]t+s' S > 0, est alors donné par la matrice des dérivées partielles d'élément général : al!.
(14)
By,t+s .. ==~ ~
uU j /
L'interprétation de (14) est directe: le multiplicateur eij mesure la réponse de la i ème variable endogène à une impulsion, à un choc dans j survenu s périodes auparavant. On obtient à partir de ces multiplicateurs ce que l'on appelle les fonctions de
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réponse aux impulsions. C'est ce type de modèle que Sims [1980b] utilisa pour comparer le cycle américain (et aussi allemand) dans l'entre-deux guerres et dans l'après-guerre. On voit cependant où « le bât blesse» dans la modélisation: un VAR est par principe a-théorique. Aussi, comme l'ont remarqué Cooley et Le Roy [1985], l'instrument est-il inapte à tester les théories (du cycle par exemple), mais aussi à analyser les effets des mesures de politique économique. Une autre critique, d'ordre statistique celle-ci, s'impose: la construction des fonctions de réponse et l'estimation des paramètres du modèle par moindres carrés reposent sur l'hypothèse de stationnarité 15 des séries chronologiques considérées. De ce point de vue, un débat important va traverser dès le début des années 1980 le monde des économistes et des statisticiens. On savait depuis longtemps que de nombreuses séries incorporaient un trend linéaire et on a vu que Persons [1919] avait probablement été le premier économiste à avoir proposé de les décomposer en différentes composantes dont le cycle. Dans la foulée, de nombreux praticiens ont extrait la tendance par des méthodes empiriques de lissage ou de régression (parfois fallacieuse pour reprendre l'expression de Granger et Newbold [1974]), le cycle étant alors mesuré comme écart par rapport à la tendance déterministe. L'article pionnier de Nelson et Plosser [1981] va remettre en cause une telle approche de la non-stationnarité et introduire une seconde classe de processus nonstationnaires, purement stochastiques, qui obéissent à une marche aléatoire, de forme Yt = Yt-1 + Et où Et est un bruit blanc, c'est-àdire un processus stationnaire. On peut dès lors opposer comme suit les deux classes de processus:
{
YI :
a + Pt + CI
YI - YI-J
+c,
(15)
A l'évidence, afin de stationnariser le premier processus dans (15), il suffit de soustraire la droite a + f3t de y,. Pour cette raison, Nelson et Plosser ([ 1982], p. 141) ont nommé de tels
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processus trend-stationnaires (en abrégé TS). En revanche, si l'on différencie une fois la marche aléatoire, on obtient D.Yt =Yt - Yt-I = Er Comme Et est stationnaire, D.Yt l'est également. En conséquence, un tel processus peut être rendu stationnaire par simple différenciation, ce qui permet de le qualifier de DS (difference stationary). La distinction est importante: en effet, si le processus est TS, le cycle est représenté par un ensemble de fluctuations transitoires et régulières autour de la tendance déterministe, du sentier de croissance; par contre, si un processus est DS, la tendance sous-jacente est stochastique, ce qui implique que des chocs ont un impact permanent sur la série qui ne reviendra pas à sa trajectoire d'origine. Tout le problème se résume alors à tester l'hypothèse nulle d'un processus DS contre celle, alternative, d'un processus TS. Pour ce faire, on met en œuvre des tests de racine unité l6 , développés d'abord par Fuller [1976] et Dickey-Fuller [1979, 1981]. Nelson et Plosser aboutissent alors à la conclusion que sur les 14 séries macroéconomiques qu'ils étudient, toutes sauf une, le taux de chômage, admettent une racine unité et qu'en conséquence elles sont durablement affectées par des chocs qui ont un caractère permanent. En faisant fond sur cette analyse, de nombreuses recherches - Beveridge et Nelson [1981], Campbell et Mankiw [1987], Perron [1988], Harvey [1989], etc. - vont développer de nouvelles méthodes d'extraction du cycle économique. Un bémol toutefois: les études réalisées par plusieurs auteurs, à commencer par Perron [1989], suivi par Zivot et Andrews [1993], Lumsdaine et Papell [1997], en se fondant sur la présence de ruptures structurelles (structural breaks) dans les séries de Nelson et Plosser [1982], ont été amenées à relativiser et nuancer les résultats obtenus par ces derniers: par exemple, Perron [1989] ne dénombre plus que trois séries avec racine unité, Lumsdaine et Papell [1997] huit, etc. Le débat sur la question est donc loin d'être clos !
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Qu'est-ce que le cycle économique ? Il Y a aujourd'hui un accord assez général sur les termes de la définition donnée par Burns et Mitchell ([1946], p. 3): « Un cycle consiste en phases d'expansion se produisant simultanément dans de nombreuses branches de l'économie, suivies de phases de récession, de contraction et de reprise tout aussi générales, qui se fondent dans la phase d'expansion du prochain cycle ; cette suite de modifications est répétitive, mais non périodique; du point de vue de leur durée, les cycles varient de plus d'un an à dix ou douze ans ». Cette formulation, complexe, très nuancée, comporte trois éléments essentiels pour identifier les récessions et corrélativement les phases d'expansion: i) le déclin de l'activité économique doit être suffisamment prononcé; ii) il doit affecter de nombreux secteurs de l'économie considérée ; iii) enfin, la contraction doit se prolonger suffisamment longtemps, même si sa durée est nettement inférieure à celle des phases d'expansion et qu'il y a donc asymétrie entre les expansions et les contractions. Le problème est cependant de pouvoir transcrire cette définition dans la réalité, en particulier d'identifier la ou les séries qui permettent de mesurer l'activité économique agrégée, puis d'en trouver les points de retournement. Pour Burns et Mitchell ([1946], p. 72), «on peut donner une signification bien définie à l'activité agrégée et la rendre conceptuellement mesurable en l'assimilant au produit national brut». Toutefois, précisent immédiatement les deux auteurs - nous sommes en 1946! -, cette série n'est pas de périodicité mensuelle ou trimestrielle ; en conséquence, ils proposent d'utiliser un ensemble de chroniques de remplacement à partir desquelles il est possible de déterminer le cycle de référence agrégé, essentiellement par des méthodes graphiques, c'est-à-dire en observant les groupes (les clusters) de points de retournement.
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A ce type d'approche, deux grandes critiques ont été adressées : d'une part, le cycle est une composante qu'il faut extraire de la série de référence et non cette chronique ellemême; d'autre part, l'analyse graphique de Burns et Mitchell est exclusivement empirique et ne s'appuie pas sur les techniques de l'inférence statistique. Voyons d'abord cette dernière critique. Elle s'exprime particulièrement dans le courant qui cherche à construire des « indicateurs coïncidents» du cycle sur une base probabiliste: l'article pionnier dans ce domaine est certainement celui de Stock et Watson [1991]. La démarche a été rendue plus générale par Forni et al. [2000] avec leur modèle factoriel dynamique généralisé. La deuxième critique à l'encontre de l'approche de Burns et Mitchell est portée par tous ceux qui tentent d'isoler la composante cyclique dans la série étudiée. Les méthodes pour y parvenir sont très nombreuses. Pour autant, il ne s'agit, somme toute, que de versions modernisées des techniques de décomposition statistique des chroniques, initiées, on l'a vu plus haut, par Persons. Elles vont de la détermination de la « tendance des moyennes de phase », popularisée par les chercheurs du NBER américain (cf Boschan et Ebanks, [1978]) jusqu'à l'utilisation des multiples filtres développés ces vingt dernières années. La démarche commune à la plupart de ces méthodes consiste à i) ôter le trend de la série étudiée ; ii) isoler le cycle. Nous occultons ici volontairement la question de la désaisonnalisation. Oter la tendance peut s'opérer de trois manières principales : en estimant un trend linéaire déterministe, puis en le soustrayant de la série; en différenciant la série pour éliminer le trend stochastique et enfin, en appliquant le filtre de HodrickPrescott [1997]. Les deux premières méthodes que l'on nommera respectivement, à la suite de DeJong [2007], detrending (détendancisation) et différenciation, reposent sur l'hypothèse implicite que la chronique étudiée, soit Yt> croît à un taux approximativement constant. Si on travaille avec le logarithme de la série en question,
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les variations temporelles de ln Yt sont équivalentes au taux de croissance de Yr En effet, olnYt /Ot = (oYt /0)/ Yt = Yt / Yt = gy La procédure de « detrending » suppose que la série comporte une tendance déterministe et donc qu'elle obéit à un processus générateur des données de la forme : (16) où Ut est un processus stochastique stationnaire au second ordre. Sous forme logarithmique, (16) devient : Iny, = Inyo + t In(l + gy) + UI = Inyo + g/ + UI
(17)
puisque In(J + g) peut être approximé par gy. On estime aisément g, dans (17) par moindres carrés ordinaires, après quoi il suffit de soustraire ce trend de ln Yt' La série est alors dite trend-stationnaire. Par comparaison, la méthode de différenciation suppose que la série Yt comporte une tendance stochastique et donc que le processus générateur de Yt est donné par: _
6,
YI - yoe ,
s,
=8 +st-1 +u
(18) l
où Ut est à nouveau un processus stochastique stationnaire au second ordre. En prenant les logarithmes dans (18), il vient: (19) La différence première de ln Yt dans (19), compte tenu de (18), est donnée par: (20) Comme on l'a déjà signalé, la série InYt est alors dite être stationnaire par différenciation. L'estimateur de 0 est simplement égal à la moyenne des ln Yt - ln Yt-l qu'il suffit alors de soustraire de (20).
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Le choix d'une des deux procédures s'opère exclusivement sur base du fait que l'on pense que le processus générateur des données est donné par (17) ou par (20). C'est un choix difficile, car, on l'a vu, la controverse lancée par Nelson et Plosser [1982] sur la présence d'une racine unité dans les séries économiques n'est pas totalement concluante. La troisième approche pour ôter le trend d'une série est celle de Hodrick-Prescott. Elle part de la décomposition de ln Yt sous la forme: (21) où gt est la composante de croissance de InYt et Ct sa composante cyclique. Ensuite, il s'agit de déterminer les valeurs de Ct et de gt qui minimisent: L.it=1 c;ry
'" T
T (2 + Â'" L.it=1 gr - gH + gt-2 )2
(22)
À étant un paramètre donné (généralement pris égal à 1600 pour
des séries trimestrielles). La suppression du trend conduit in fine
à: (23) A côté de ces trois techniques, il existe des filtres dits passe-bande» (bancl-pass) qui ne nécessitent pas cl' ôter préalablement le trend d'une série pour en extraire la composante cyclique; le principe général de ces filtres - Baxter-King [1999] et Christiano-Fitzgerald [2003] - est d'éliminer tous les cycles extérieurs à une bande de fréquence déterminée (entre 6 et 40 trimestres). En procédant de la sorte, on obtiendrait un filtre « optimal» ; en pratique, on doit cependant se contenter d'une approximation. Au total, il y a autant de cycles différents qu'il y a de filtres et même davantage, en faisant varier les paramètres spécifiques à chacun des filtres. C'est la critique principale que l'on peut adresser à ce type d'approche. Il y en a d'autres comme «
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celle d'engendrer des fluctuations fallacieuses: cf sur ce point, Cogley [2006]. Aussi, lorsqu'il s'agit vraiment d'identifier le cycle, en revient-on irrémédiablement à la définition qu'en ont donnée Burns et Mitchell.
Mesurer le cycle Nous terminerons cette synthèse par un point majeur, celui de la datation du cycle économique. Le National Bureau of Economic Research (NBER) a ici joué un rôle de pionnier en dressant une chronologie officielle (mensuelle) du cycle américain par le biais de son comité de datation composé de sept économistes spécialisés dans le domaine de l'analyse des fluctuations économiques. Leur rôle a été d'isoler les points de retournement dans l'activité économique - en un mot, les pics et les creux de la conjoncture et par conséquent les périodes d'expansion et de contraction. La chronologie qu'ils ont établie sur cette base - voyez NBER [2009] - remonte à 1854 ; la dernière récession en date a commencé en décembre 2007, tout en ayant été annoncée par le Comité un an plus tard le Il décembre 2008. On peut trouver dans Ferrara [2009] une synthèse des tentatives similaires à celles du NBER pour dater le cycle de la zone euro. La méthodologie mise en œuvre par le NBER s'appuie sur l'analyse de huit séries économiques, dont le PIB, le taux de chômage, la production industrielle, etc. Cependant, les communiqués du comité de datation ne permettent pas de voir quelle pondération précise il accorde à chacune de ces séries, ni non plus quelle procédure de décision il applique, si ce n'est qu'il travaille au consensus. De plus, comme l'indique Romer ([1994], p. 574), ancien membre du comité de datation, les méthodes ont évolué avec le temps, en particulier parce que le profil cyclique de l'économie avant 1927 a été obtenu à partir de données détendancisées, ce qui n'est plus le cas après cette date. Au total, il
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faut donc conclure que le processus de datation par le NBER comporte une bonne dose de subjectivité. C'est pour tenter d' « objectiver» la méthodologie que plusieurs approches concurrentes ont vu le jour. Elles se décomposent en quatre grandes catégories : les procédures univariées de détection des points de retournement, soit automatisées soit reposant sur un modèle paramétrique; celles multivariées, automatisées ou fondées sur un modèle. L'informatisation de la sélection des plus hauts et des plus bas d'une série temporelle pour en déterminer le cycle a une vieille histoire, qui remonte au travail fondateur de BryBoschan [1971]. Une description complète de la méthode utilisée et sa programmation (en fortran) est donnée par les deux auteurs: voir en particulier Bry-Boschan ([1971], pp. 19-29). En voici une version simplifiée. Soit la série mensuelle Yt. Si cette série est continue, ses pics (ses creux) sont des maxima (des minima) locaux de la chronique. Pour transposer ce critère à Yt' qui, en économie, est en fait discrète, introduisons la fonction indicatrice lA qui prend la valeur 1 lorsque l'événement A est réalisé et la valeur 0 lorsqu'il ne l'est pas. Si Pt et Ct sont des variables binaires égales à l'unité respectivement quand un pic et un creux sont atteints et à zéro dans les tous autres cas, alors:
p, = 1{YI>)'I±j' j=I""k} <1'l i j ' C1 = 1 Il' l.l.
,,'-1 - ,, .. ,
k}
(24) (25)
L'algorithme de Bry-Boschan (BB) parcourt alors trois étapes: - lisser la série par une moyenne mobile de 12 mois et déterminer un ensemble de points de retournement à l'aide de (24) et (25) en prenant k = 5 - éliminer les points de retournement qui ne correspondent pas à un cycle complet (c'est-à-dire de pic à pic ou de creux à creux) d'au moins 15 mois - s'assurer que les pics et creux alternent en supprimant leurs occurrences multiples successives (par exemple, si deux pics
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se suivent, on n'en retient qu'un seul, celui qui a la plus grande valeur). Le programme informatique implémenté par Bry-Boschan a fait place à des algorithmes beaucoup plus rapides, tels par exemple celui de James Engel (écrit en MATLAB et en GAUSS; disponible sur www.ncer.edu.au). Harding et Pagan [2002] en ont développé une version trimestrielle (désignée par BBQ), qui peut ainsi s'appliquer à la série du PIB trimestriel; elle en retient l'essentiel à ceci près qu'il n'y a pas de lissage préliminaire de la chronique, que k est pris égal à deux trimestres et qu'un cycle complet doit s'étaler au moins sur cinq trimestres. L'algorithme qui vient d'être décrit est libre de tout modèle. On peut cependant, à l'instar de Hamilton [1989], émettre l'hypothèse que la trajectoire de Yt est gouvernée par un modèle markovien à changements de régime. Plus concrètement, supposons que Yt puisse être modélisée par un processus AR(1):
y, =c" +rPY'-1
+5"
5,: IfD(0,(J2)
(26)
où St est une variable aléatoire non observée (latente) qui prend la valeur 1 ou 2 selon que l'économie est en expansion ou en contraction. Comment passer de St = 1 à St = 2 et vice versa? La spécification probabiliste la plus simple consiste à supposer que la trajectoire de st est gouvernée par une chaîne de Markov du premier ordre à deux états, de sorte que la probabilité de transition de l'état i à l'état j est: P(s, =} 1 sr-I = i) = Pij'
i,} = 1,2
(27)
Puisqu'il n'y a que deux régimes, la matrice des probabilités de transition correspondante s'écrit: L'étape suivante nécessite d'estimer le vecteur des paramètres () = (CI' C2' cp, PlI' p22,a2 ), ce qui s'opère, le plus souvent, M
= (Pli )- Pn
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)- Pli] Pn
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par maximum de vraisemblance. Ceci fait, le cycle de référence est associé à une variable binaire ~t qui prend la valeur 1 durant les phases d'expansion et la valeur 0 lors des phases de contraction. Pour construire ~ t il faut adopter une règle qui compare la probabilité d'être dans l'état d'expansion avec une valeur critique (égale à 0,5 chez Hamilton). Dès lors, si P(St = 1 1 Ok = {yk}k=1)<0,5, ~t est posée égale à l'unité et l'économie est en expansion; elle est en récession lorsque cette probabilité est inférieure à Y2. On peut complexifier le modèle en envisageant par exemple plus de deux régimes ou encore en rendant les probabilités de transition dépendantes de la durée des phases d'expansion et de contraction. Il reste que l'essentiel de la méthode est bien exprimé par le modèle (26)-(27). A présent, considérons un vecteur colonne Yt de n séries temporelles censées représenter l'activité économique globale. Automatiser la procédure de sélection des points de retournement communs à ces séries nécessite de sortir de la subjectivité des choix opérés par le NBER. Dans ce but, Pagan et Harding ([2006a; 2006b], p. 75 et sq.) ont mis au point un algorithme non paramétrique d'extraction du cycle commun. Sans entrer dans trop de détails, disons simplement que le cœur de la procédure réside dans l'évaluation d'une caractéristique de proximité pour les clusters des points de retournement. L'algorithme, bien que calibré sur des données australiennes, s'avère capable de reproduire de très près la datation du cycle de référence par le NBER. Alternativement, de nombreux aureurs se basent sur un modèle pour déterminer le cycle de référence à partir des séries Yjt' j - 1, L ,no La démarche mise en œuvre se résume aisément. Elle revient à se donner la représentation: ~Yil
= aj!:lf + G)I
(28)
t
où est une composante commune à toutes les séries - on peut l'assimiler à un indice d'indicateurs coïncidents - et Ejt est un
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terme aléatoire spécifique à chaque série j. Bien entendu, on peut formuler diverses hypothèses sur /j,j; et ê jt ce qui donne lieu à autant de modèles différents. Celui de Stock et Watson [1991], déjà cité, en est un premier exemple. Forni et al [2001] s'appuient sur leur modèle factoriel dynamique généralisé (GDFM) pour construire un indicateur coïncident synthétique pour la zone euro. Pour sa part, Chauvet [1998] combine un modèle factoriel dynamique avec un processus de changement de régimes markovien, qui donne une chronologie du cycle américain fort semblable à celle du NBER.
Chocs monétaires? Chocs réels? Approche exogène du cycle ou conception endogène, la question demeure et le débat concernant l'origine, la cause et la datation du cycle économique est, aujourd'hui encore, posé avec une criante actualité. Les articles publiés par la suite sont, à cet égard, des illustrations originales de ces controverses. La contribution de Christelle Mougeot invite à une relecture utile de la pensée autrichienne du cycle. Celle de Rainer Metz propose un ambitieux état des savoirs sur les cycles longs de l'économie. Olivier Damette et Zohra Rabah reviennent sur l'épineuse question de la datation des cycles économiques en utilisant une approche probabiliste. Terence Mills et Chen Xiaoshan proposent une application économétrique originale sur données monétaires. Muriel Dalpont et Harald Hagemann enfin, livrent une réflexion novatrice sur les enjeux de la recherche actuelle en termes de cycles économiques.
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Thierry Aimar est maître de conftrences en Sciences Economiques à Sciences Po Paris et à l'Université de Nancy 2. E-mail:
[email protected]@univ-nancy2.fr Francis Bismans est professeur de Sciences Economiques à l'Université de Nancy 2. E-mail:
[email protected]@univ-nancy2.fr Claude Diebolt est Directeur de recherche au CNRS et Directeur du BETA (UMR 7522) à l'Université de Strasbourg.
Adresse: BE TA/CNRS, 61 avenue de la Forêt Noire, 67085 Strasbourg cedex. Tél. 03 68 852069 - Fax 03 68 852070 - E-mail:
[email protected]
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Notes 1. La première édition en langue anglaise de Pros perit y and Depression date de 1937.
2. Hicks l'a relevé: «Lorsque le taux de marché est abaissé en dessous du taux naturel, qu'arrive-t-il aux quantités de facteurs et de produits? La réponse correcte, sur la base de ces hypothèses, est très simple: l'effet sera nul. Les prix augmenteront uniformément. Et c'est tout. ( ... ) S'il y a un ajustement instantané des prix, il n'y pas de place pour une divergence prolongée entre le taux de marché et le taux naturel. Les prix monétaires monteront uniformément ; un point, c'est tout» (Hicks, [1967], p. 206). 3. Le premier nombre fait référence à la pagination de l'édition anglaise, le second à celle de la traduction française. 4. Samuelson [1939] attribue tout le mérite de l'étude des interactions multiplicateur-accélérateur à Hansen, qui était par ailleurs son superviseur de thèse. Une lecture même rapide de l'article de Samuelson montre l'influence incontestable de Harrod, même s'il ne le cite à aucun moment: par exemple, il reprend à plusieurs reprises le terme, typiquement harrodien, de «relation» pour désigner le principe d'accélération.
5. Pour une analyse complète du modèle et de ses solutions, on renverra à Chiang et al. ([2005], pp. 578 sq). 6. On pourrait insérer une variable supplémentaire dans la fonction (6) qui représenterait un trend, éventuellement variable sur le long terme. 7. Il existe également des fluctuations courtes, de période inférieure à e.
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8. Voici comment Klein ([ 1966], pp. 227) décrit la genèse de ses Fluctuations ... : «[ ... ] je fus stimulé par J. Marschak pour construire un modèle du type Tinbergen de l'économie américaine, tout juste après avoir terminé la version originale de The Keynesian Revolution. »
9. Par la suite, le terme de cycle politique verra sa signification se modifier pour finir par désigner un cycle purement électoral: voir, par exemple, Nordhaus [1975].
10. Charles Ponzi est un escroc, d'origine italienne, mais installé aux EtatsUnis, qui en 1920 proposait un placement rapportant un rendement de 50% sur investissement endéans les 45 jours; en réalité, il ne plaçait pas l'argent qui lui était confié ou seulement une faible partie; il se contentait de payer les intérêts des clients les plus anciens avec les sommes fournies par les nouveaux et ainsi de suite. 11. Minsky ([ 1986], p. 377) précise que ce type de financement «n'est pas nécessairement frauduleux ».
12. Mises, dans L'action humaine [1966], insistera quant à lui sur l'écart entre le taux d'intérêt monétaire sans expansion de crédit et le taux d'intérêt monétaire sans crédit. Mais cela signifie-t-il que tout crédit entraîne un cycle, et dans la négative, à partir de quel niveau d'écart le cycle doit-il se déclencher? 13. ARMA est un acronyme qui désigne un processus «autorégressif moyenne mobile» (Autoregressive Moving Average). En généralisant, on obtient des modèles ARIMA, c'est-à-dire des ARMA intégrés.
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14. Sims s'abritait cependant, prudemment, derrière l'avis des «économistes qui expérimentaient de nouvelles méthodes statistiques ». 15. Intuitivement, une série est stationnaire (au second ordre) si sa moyenne et sa variance sont constantes et ses autocovariances ne dépendent pas du temps. 16. Pour voir la signification de cette expression, considérons le processus
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AR(1) y, = PY,./+e" Ip 1 <1. Si p=1 le processus devient une marche aléatoire. En utilisant l'opérateur retard L défini par Ly,=y,./, l'AR(l) s'écrit (1-pL)y,=c,. On obtient ainsi un polynôme du 1eT degré en L, dont l'équation correspondante est l-pL=O. Lorsque y, est une marche aléatoire, p= 1 et la solution unique de cette équation est la racine L = 1. De là, le terme de racine unité.
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Christelle MOUGEOT Théorie autrichienne du cycle et théorie des cycles d'équilibre
« ar l'individualisme méthodologique qu'ils retiennent, l'accent qu'ils mettent sur le marché comme mécanisme de transmission des informations, [... ] Robert E. Lucas, Robert J. Barro, Thomas J. Sargent et Neil Wallace, se placent eux-mêmes explicitement dans la tradition intellectuelle ini-
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tiée par Ludwig von Mises et Friederich von Hayek». Laidler [1982, p. IX] considère ainsi que la théorie des cycles d'équilibre trouve ses racines dans la théorie autrichienne. Cette opinion est partagée, voire revendiquée, par nombre de nouveaux classiques, y compris Lucas lui-même. Parce que des signaux de prix perturbés par des interférences monétaires sont la cause des fluctuations cycliques et parce que celles-ci ne peuvent être comprises qu'à partir des décisions d'optimisation individuelles, Lucas se qualifie de néo-Autrichien. Cette descendance est cependant rejetée par les Autrichiens, au premier rang desquels Garrison [1986, 1989, 1991]. A juste raison? Afin d'en juger, cet article se propose d'apprécier la pertinence de cette filiation en comparant l'approche de la théorie du cycle, telle que présentée par Hayek dans Price and Production [1931] et Monetary Theory and the Trade Cycle [1933], avec celle des modèles de Lucas [1975, 1980, 1981]. Lidée de racines communes entre nouveaux classiques et Autrichiens a, jusqu'ici, été essentiellement discutée non dans une perspective globale mais au regard d'éléments particuliers. Butos [1997], notamment, s'est concentré sur les anticipations. Il a ainsi pu reconstruire à partir des écrits de Hayek [1937, 1952] une théorie des anticipations subjectives dont il montre les différences radicales avec les anticipations rationnelles retenues par les nouveaux classiques. Van Zijp [1990] souligne que les objectifs assignés à la théorie économique par les nouveaux classiques et les Autrichiens sont tellement différents - prévision contre coordination - qu'il est vain de vouloir rapprocher ces deux écoles sur la base d'hypothèses ou de concepts communs. Kim [1988] s'est, lui, intéressé aux méthodes d'analyse. Il conclut que les nouveaux classiques ont tellement révolutionné le style de raisonnement et les outils, mathématiques et informatiques, qu'il est difficile de pouvoir encore les relier à d'anciennes écoles. Dans le prolongement de ces travaux, nous nous proposons de montrer dans quelle mesure l'apparente filiation entre Hayek et Lucas cache plus de divergences qu'elle ne recèle de points communs. Certes, des liens indéniables entre les théories du cycle de ces deux auteurs peuvent effectivement être mis en lumière (première section). Le rôle joué par la monnaie, les
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signaux de prix et les erreurs individuelles d'interprétation dans le déclenchement des cycles semblent justifier la descendance autrichienne de Lucas. Mais, ces similarités apparaissent vite superficielles au regard de l'usage et du sens même donné à des concepts apparemment communs (deuxième section). Même si Hayek use explicitement du concept d'équilibre dans l'exposé de sa théorie, le langage qu'il utilise pour décrire et expliquer le déroulement du cycle est fondamentalement celui du déséquilibre (troisième section). A l'opposé, pour Lucas, le cycle ne peut être interprété que comme un phénomène d'équilibre. Cette divergence profonde s'explique par des objectifs (quatrième section) et des méthodes différents (cinquième section). Lagent représentatif de Lucas l'éloigne inéluctablement de la question de la coordination chère à Hayek. Cet éloignement se traduit également par des analyses théoriques et empiriques de nature différente : analyse structurelle et tests économétriques de leurs hypothèses pour les nouveaux classiques contre analyse procédurale et historique pour les Autrichiens.
De l'origine des cycles : individu, • • prIX et monna1e Le danger relevé par Garrison [1991] est qu'il est possible de décrire le cycle en des termes si généraux que cette description peut être compatible avec de nombreuses écoles. Sans tomber dans ce travers, la filiation entre théorie autrichienne et théorie des cycles d'équilibre est cependant explicite si on définit le cycle à partir des actions individuelles des participants au marché confrontés à un problème d'interprétation des signaux de prix brouillés par des interférences monétaires. Tout d'abord, l'individualisme méthodologique est le socle d'analyse commun le plus évident à Hayek et Lucas. Pour tous
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deux, les phénomènes agrégés, au premier rang desquels les cycles, ne peuvent être compris qu'à partir du niveau le plus désagrégé: les comportements individuels. Ainsi, s'agissant d'expliquer les fluctuations de l'emploi, Lucas ([1981], pA) part-il du fait que « le nombre d'heures de travail qu'un individu offre sur le marché est le résultat d'une décision calculée. Comprendre les variations de l'emploi national implique donc de comprendre comment ce choix est fait ou quelle combinaison de préférences et d'opportunités donne lieu aux phénomènes observés ». Se faisant, Lucas s'inscrit dans une démarche analytique chère aux Autrichiens. Si le cycle est la conséquence de choix individuels, il peut alors s'expliquer en termes de réaction des participants au marché aux variations de prix. « Puisque dans une économie concurrentielle, emploi et production sont choisis par les agents en réponse aux mouvements de prix, il semble opportun de commencer par rationaliser les variations quantitatives observées comme réponses optimales aux mouvements observés des prix». L'objectif de Lucas [1981] est donc de proposer une explication des déviations observées de la production et de l'emploi par rapport à leur niveau naturel en respectant les postulats d'ajustement continu des marchés et de comportement d'optimisation des agents. Ce cadre théorique d'équilibre général walrassien adopté par les nouveaux classiques est également le point de départ de l'analyse des cycles de Hayek ([1933], p.13): d'interprétation des phénomènes cycliques dans la théorie de l'équilibre général, avec laquelle ils sont en apparente contradiction, reste le problème crucial de la théorie du cycle». Reste en effet à expliquer pourquoi, dans la réalité, le mécanisme des prix relatifs ne fonctionne pas comme le système walras sien le suppose ou comment les décisions des agents peuvent avoir des conséquences telles que les cycles. A cette question, Hayek et Lucas apportent la même réponse: des signaux de prix brouillés. L'observation des mouvements de prix ne fournirait pas aux agents toute l'information nécessaire à la réalisation d'un équilibre général walrassien. En conséquence, les réponses optimales à des signaux mal perçus font dévier l'économie de la trajectoire d'équilibre naturel, c'est-à-dire créent des cycles. « Il faut
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distinguer ce qu'on peut appeler des erreurs justifiées, causées par le système de prix, des erreurs absolues sur le devenir des éléments extérieurs»!. Hayek et Lucas s'accordent pour reconnaître que si le mécanisme des prix relatifs n'a pas fonctionné comme le système walrassien le suppose ou si les plans individuels ont eu des conséquences telles que les cycles, c'est parce que les signaux de prix perturbés ont induit des erreurs d'anticipation amenant simultanément de nombreux agents à orienter leurs décisions dans une mauvaise direction. « Il se peut que les prix existant quand les individus prennent leur décision et sur lesquels ils fondent leur vision du futur créent des anticipations devant nécessairement être déçues »2. A l'origine de ces erreurs d'interprétation Hayek et Lucas identifient le même facteur: des interférences monétaires. « [ ... ] la cause première des cycles doit être recherchée dans les variations du volume de monnaie qui sont, sans conteste, toujours récurrentes et qui apportent toujours une falsification du système de prix et donc une mauvaise direction de la production »3. Lucas ([1975], p. 1113) raisonne également dans un « cadre générant des mouvements de production et prix résultant de chocs monétaires ... ». En effet, pour que les agents économiques répondent correctement aux variations observées des prix, ils doivent en connaître la cause: seules des origines rédIes requièrent des ajustements réels. Or, pour Hayek comme pour Lucas, le problème est que les agents ne peuvent facilement ou gratuitement distinguer l'aspect réel ou monétaire des variations de prix, qu'il s'agisse du prix à la production pour Lucas ou du prix du crédit pour Hayek. Jusqu'à ce qu'ils identifient la nature des variations observées, les agents réagissent, au moins en partie, comme si les causes étaient réelles. C'est ainsi que dans les modèles d'équilibre, la réponse initiale des individus à l'augmentation des prix nominaux prend la forme d'une augmentation du temps de travail au détriment du temps de loisir tandis que dans les analyses autrichiennes la baisse du taux d'intérêt sous son niveau naturel conduit à une restructuration du processus de production au profit des biens d'équipement relativement à la production de biens de consommation. Dans les deux cas, ces nouveaux arbi-
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trages seront corrigés si les variations observées des prix s'avèrent d'origine purement monétaire. En d'autres termes, pour Hayek comme pour Lucas, les retournements conjoncturels sont inévitables et surviennent dès que les erreurs d'interprétation des signaux de prix sont reconnues. Lucas ([1977], p. 2) souligne que « [ .•. ] le retournement se construit automatiquement avec l'augmentation des capacités de production. Quand les agents prennent conscience de l'inflation générale, ils fixent un niveau d'investissement inférieur à la normale pour que les capacités de production se réajustent à la baisse ». Ce réajustement des décisions d'investissement est également à l'origine de la fin de l'expansion chez Hayek et Mises: « les projets qui doivent leur existence au fait qu'ils sont apparus rentables dans les conditions artificielles créées par l'expansion du crédit et l'augmentation des prix qui en a résulté cessent d'être rentables. Le capital investi dans ces entreprises est alors perdu ... »4. Individualisme méthodologique, mauvaise perception des signaux de prix et interférences monétaires montrent donc une apparente filiation entre théorie autrichienne des cycles et théorie des cycles d'équilibre revendiquée par Lucas ([1977], p. 23) lorsqu'il affirme que « la théorie autrichienne des cycles est fondée sur la même idée d'erreurs de décision d'investissement induites par des signaux de marché trompeurs ». Cette déclaration masque cependant de profondes oppositions entre théorie autrichienne et théorie d'équilibre tant dans l'usage que dans la définition même de ces concepts a priori communs - équilibre général, défaillances informationnelles et monnaie.
De la nature des cycles : équilibre contre déséquilibre Si Hayek ([1931], p. 93) considère que le point de départ de toute théorie du cycle ne peut être que le cadre d'équilibre général
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walrassien, il souligne néanmoins que ce dernier doit très vite être dépassé: « si nous désirons expliquer les fluctuations de la production, nous devons fournir une explication complète. Ce dessein signifie que nous devons commencer là où s'arrête la théorie de l'équilibre général: c'est-à-dire à partir d'une condition d'équilibre de plein emploi de toutes les ressources». Ce recours initial à l'équilibre général s'explique donc chez Hayek par une contrainte méthodologique évidente: une théorie ne pouvant logiquement expliquer ce qu'elle suppose, une analyse des cycles ne peut débuter que par une situation où leurs éléments constitutifs n'existent pas. Définir des conditions initiales d'équilibre général permet ainsi à Hayek de comprendre le type particulier de déséquilibre que constitue le cycle. Mais cette compréhension ne peut se faire que hors du cadre walrassien car les cycles « sont concrètement caractérisés par des fluctuations pour l'explication desquelles la théorie de l'équilibre général est inadéquate»5. Cette approche est en totale contradiction avec celle de Lucas dont l'objectif est de montrer qu'une économie peut présenter un profil cyclique sans violer les contraintes imposées par la théorie de l'équilibre général, c'est-à-dire ajustement continu des marchés et poursuite de l'intérêt individuel. Le cycle est ainsi défini par Lucas comme une séquence d'équilibres walrassiens engendrés par des stimuli extérieurs car, comme le souligne Hayek ([1933], pp. 42-43) « cette logique [walrassienne] ne peut faire plus que démontrer que de telles perturbations de l'équilibre peuvent seulement provenir de l'extérieur - c'est-à-dire qu'elles correspondent à un changement des données économiques - et que le système économique réagit toujours à de tels changements par ses méthodes bien connues d'ajustement, c'est-à-dire par la formation d'un nouvel équilibre». Cette opposition entre Hayek et Lucas quant à la nature du cycle renvoie elle-même à une autre divergence essentielle, celle relative à la définition même du concept d'équilibre. Lucas [1975, 1977, 1980] fonde ses modèles sur trois hypothèses: ajustement continu de marchés concurrentiels, anticipations rationnelles et imperfection de l'information. De la première dérive l'idée que le cycle est un phénomène d'équilibre, de la seconde que le cycle
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est dû à des erreurs d'anticipations et de la dernière que ces erreurs sont dues à des changements non prévus de variables influençant les décisions individuelles. Le relâchement de l'hypothèse classique d'information parfaite permet ainsi à Lucas d'étendre le concept d'équilibre statique walrassien - toute action est optimale - à un concept d'équilibre intertemporel - tout changement d'action est optimal. En ce sens, l'ajustement continu des marchés traduit la révision des décisions individuelles. Cela signifie que les ajustements des marchés aux chocs exogènes ne se produisent pas instantanément mais par ces changements optimaux des plans individuels de sorte que les deux postulats néoclassiques fondant la théorie des cycles d'équilibre sont toujours vérifiés. Se dessine alors chez Lucas une trajectoire d'équilibre - ou équilibre intertemporel- reflétant l'ajustement continu des marchés par rapport à la trajectoire d'information parfaite. C'est précisément ce concept d'équilibre intertemporel qui conduit Scheide [1986] à conclure à une différence d'ordre exclusivement sémantique entre Lucas et Hayek. Selon lui, il existe en effet également chez ce dernier « une trajectoire d'équilibre imaginaire» vers laquelle l'économie tend à s'ajuster en l'absence de choc. En d'autres termes, Hayek ([1933], p. 34) évoquerait, comme Lucas, une tendance quasi automatique de l'économie vers cette trajectoire: « c'est ma conviction que si nous voulons expliquer des phénomènes économiques, nous n'avons d'autre choix que de nous fonder sur le concept de tendance vers l'équilibre». Si la terminologie utilisée par l'un comme par l'autre est semblable, une différence, fondamentale à nos yeux, existe quant à la signification donnée au concept d'équilibre. Léquilibre général de Hayek [1937] se définit à partir des équilibres individuels de tous les membres de la société. Un individu est en équilibre lorsqu'il ne peut améliorer son action compte tenu de ses connaissances. En d'autres termes, à l'équilibre, les actions individuelles sont optimales par rapport aux plans auxquels elles se rapportent. Léquilibre général suppose donc que tous les agents sont en équilibre. Pour cela, aucun plan individuel ne doit être déçu, c'est-à-dire que tous les plans individuels doivent être mutuellement compatibles. Cette compatibilité n'est Rc:vuc française d'économie, nO 4/vol XXIV
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assurée que si les anticipations sur lesquelles les actions individuelles sont fondées sont correctes. «Le concept d'équilibre signifie que les prévisions des membres de la société sont, en un certain sens, correctes. Elles sont correctes au sens où le plan de chaque individu est basé sur l'anticipation des actions des autres que ces autres ont l'intention de faire et que tous ces plans sont basés sur l'anticipation du même ensemble de faits extérieurs de sorte que sous certaines conditions personne n'aura de raison de changer ses plans »6. En d'autres termes, tous les individus doivent avoir une connaissance parfaite: connaissance de la structure objective du système économique, des plans et actions de tous les autres individus et des valeurs de toutes les variables exogènes. Plus précisément, l'équilibre existe si et seulement si les données subjectives - la réalité telle qu'elle est perçue par les individus - sont identiques aux données objectives - la réalité objective connue par l'observateur. Etendu à une analyse dynamique, ce concept d'équilibre devient un équilibre intertemporel où sont optimaux non seulement les actions mais également leur changement. Lexistence d'un tel équilibre est soumise à la même condition de connaissance parfaite? Dans le cas contraire, les actions et les plans des agents peuvent être non coordonnés. Considérant que l'information est dispersée entre les individus, Hayek en conclut l'impossibilité d'un équilibre général. Le cycle est alors conçu comme un déséquilibre - «les relations observées suite aux variations de l'offre de monnaie ne seront pas des relations d'équilibre»8 -, c'est-à-dire une situation de non-coordination des plans individuels où les agents sont confrontés aux résultats non anticipés de leurs actions. Les anticipations sont donc, chez Hayek comme chez Lucas, au centre de l'analyse des cycles. Cette similitude est néanmoins à nuancer au regard des hypothèses relatives aux anticipations retenues par Lucas. Sous l'hypothèse forte, les anticipations sont formées à partir de toute l'information potentiellement pertinente relative à la structure de l'économie passée et présente - vraies valeurs passées et présentes des paramètres caractérisant l'économie et chocs exogènes allant se produire dans la période considérée. Cette information est traitée par les
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individus de telle sorte que « [leurs] anticipations (ou la distribution de probabilité subjective des résultats) tendent à être distribuées, pour un même ensemble d'information, au voisinage de la prédiction de la théorie (ou de la distribution objective des résultats) »9. Sous l'hypothèse faible, les individus optimisent l'information à partir de laquelle ils fondent leur décision. Le niveau d'information optimal ne correspondant pas nécessairement au niveau assurant des anticipations correctes, l'équilibre général d'information parfaite ne peut alors être systématiquement atteint que sous l'hypothèse forte. Sous l'hypothèse faible, l'économie ne peut atteindre qu'un « équilibre d'anticipation rationnelle » où les individus optimisent toujours avec succès compte tenu de leur information. Seule la totale gratuité de toute l'information pertinente permet la coïncidence des deux équilibres. Bien que moins réaliste, Lucas adopte cependant, dans ses modèles, l'hypothèse forte. Il suppose, en effet, l'absence d'incertitude au sens de Knight de sorte que l'économie peut être décrite parfaitement par des distributions de probabilités. Pour que les anticipations rationnelles soient correctes, il suffit qu'elles soient égales aux moyennes mathématiques de ces distributions lO • Dans ces conditions, les individus ne font pas d'erreurs systématiques d'anticipation. En d'autres termes, durant un cycle, l'équilibre d'anticipation rationnel est maintenu à chaque instant. Pour Scheide [1986] et O'Driscoll et Shenoy [1976] l'hypothèse faible de Lucas correspond à la formation des anticipations retenue par Hayek. Cette conclusion est cependant réfutée par Butos [1997] qui, comparant les anticipations rationnelles aux anticipations hayékiennes, montre leur nature fondamentalement différente. Les premières s'expriment sous forme quantitative à partir des données statistiques, assimilées à des connaissances, recueillies de façon inductive ou traduites par des distributions de probabilités. Elles sont homogènes au sens où les mêmes données entraînent les mêmes réponses de la part de chaque individu qui connaît, en effet, la structure réelle de l'économie. Al' opposé, pour Hayek, les connaissances ne se résument pas à des données quantitatives mais plus généralement à des données sensorielles ayant fait l'objet d'une classification par le sys-
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tème nerveux central et, in fine, ayant été traduites dans l'esprit de l'individu sous forme de qualités sensorielles. En conséquence, les anticipations hayékiennes ne sont pas uniquement quantitatives mais également, et surtout, qualitatives au sens où elles doivent permettre aux individus d'adopter les attitudes les plus appropriées possibles aux circonstances: « le schème d'impulsion formé à l'intérieur de la structure de connexion fonctionne donc comme un appareil d'orientation en représentant aussi bien l'état actuel de l'environnement que les changements attendus dans cet environnement»ll. Cette «carte d'orientation» étant le produit du passé de l'individu et du groupe auquel il appartient, ses anticipations lui sont propres. Un même stimulus n'engendrera pas systématiquement la même réponse de la part d'individus différents. Au travers de cette discussion transparaît un autre point de divergence entre Hayek et Lucas: celui relatif à la nature de la connaissance de la structure de l'économie. Pour Hayek, chaque individu, par le processus mental de classification de ses données sensorielles, construit son propre modèle. Il ne peut donc être considéré comme une représentation parfaite de la réalité objective. Il n'en est qu'une représentation subjective. A l'inverse, Lucas suppose l'existence d'une réalité objective, parfaitement connue par les agents économiques. Cette hypothèse lui permet, comme le souligne Van Zijp ([1990], p. 17), « d'interpréter les choix des individus comme des jeux d'optimisation contre la nature plutôt que comme des jeux d'optimisation entre individus. Sous l'hypothèse forte d'anticipations rationnelles, ce jeu est joué optimalement au sens où les individus ne font pas d'erreurs d'anticipation systématiques». Cependant, les cycles devant être expliqués soit par des erreurs systématiques soit par des mécanismes de propagation, Lucas ne peut que retenir la dernière possibilité, même s'il ne l'a pas intégrée à son analyse formelle.
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Du traitement des cycles: quantitatif contre qualitatif Si la mauvaise perception des signaux de prix est à l'origine des fluctuations cycliques pour Lucas comme pour Hayek, cette défaillance repose cependant sur des problèmes informationnels de nature différente. Comme le souligne Garrison [1989], « [si les marchés fonctionnent parfaitement], introduire des cycles suppose d'inventer une distinction qui pourrait conduire à un écart entre prix et quantité observés et prix et quantité d'équilibre. Cette distinction qui domine désormais les modèles intégrant des anticipations rationnelles est celle de la connaissance globale et de la connaissance locale}). En effet, pour modéliser l'imperfection à court terme de l'information, Lucas reprend la parabole des îles de Phelps [1970]. Léconomie globale est assimilée à un ensemble d'îles - économies locales - représentant chacune un marché sur lequel évolue un individu. Chacun dispose de toute l'information disponible, passée et présente, relative à son île mais l'information relative aux autres îles ne circule que lentement. De là naissent les problèmes d'interprétation quant à la véritable origine des changements de prix. S'ils sont dus à une expansion monétaire, ils affectent identiquement toutes les îles alors que s'ils sont dus à changements réels, ils sont supposés n'affecter qu'une île. Ne pouvant, de façon certaine, déduire d'une variation nominale observée localement l'origine réelle ou monétaire et, en conséquence, adopter le comportement adéquat, certains individus peuvent se tromper. Lutilisation de cette parabole permet ainsi à Lucas d'intégrer les fluctuations cycliques en tant que phénomènes d'équilibre. Supposons une augmentation inattendue de l'offre de monnaie. Chaque individu, sur son île, fait face à une augmentation des prix locaux sans être capable d'en distinguer avec certitude l'origine puisque personne ne connaît l'évolution des prix sur les autres îles. Certains vont se tromper en lui attribuant une origine réelle et augmenter leur production. Mais, à la période suivante, la nature du choc sera connue de tous et ceux qui se sont
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trompés en prendront conscience et corrigeront leur erreur. Un processus équilibrant se mettra ainsi en place même si l'équilibre d'anticipation rationnelle défini par Lucas n'est pas nécessairement atteint parce que « le capital accumulé sur un marché particulier est supposé rester à la période suivante »12. Hayek fait également une distinction relative à la connaissance. Il différencie, en effet, la connaissance se rapportant aux modalités de fonctionnement du système économique de la connaissance relative aux circonstances particulières de temps et d'espace, respectivement qualifiées par Garrison [1989] de connaissance théorique et de connaissance entrepreneuriale. Chaque individu a suffisamment de connaissance entrepreneuriale pour permettre le fonctionnement de l'économie mais peu ou pas de connaissance théorique: « la production est gouvernée par les prix, indépendamment de toute forme de connaissance du système de la part des producteurs individuels» 13. Cette conception contraste donc fortement avec celle de Lucas supposant que l'agent agit « comme si » il connaissait le fonctionnement du marché. Dans les termes de Butos ([1985] p. 340), cela signifie que « Lucas ne différencie pas rationalité des agents et rationalité du système économique de sorte qu'un résultat non pareto-optimal est irrationnel pour l'un comme pour l'autre». En revanche, chez Hayek, « le système peut être irrationnel (au sens pareto-sous-optimal) même si les agents agissent rationnellement compte tenu des informations dont ils disposent». En choisissant de recourir à la parabole de l'île, Lucas exclut de fait le taux d'intérêt de son analyse. En effet, si ce taux pouvait être connu des agents économiques, il lèverait leur incertitude relativement à l'origine des variations nominales perçues. En d'autres termes, «le taux d'intérêt révèlerait des informations sur l'état général de l'économie, éliminant l'écart entre connaissance locale et globale»14. Lucas ([1977], p. 23) justifie cependant son choix de ne pas intégrer le taux d'intérêt dans son analyse 15 par des raisons empiriques: « étant donnée l'amplitude cyclique des taux d'intérêt, l'élasticité de l'investissement par rapport au taux d'intérêt nécessaire pour expliquer l'amplitude observée de l'investissement est beaucoup trop forte pour être cohérente avec
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les estimations empiriques existantes ». En réponse, Garrison ([1989, p. 12) insiste cependant sur le fait qu'un mouvement cyclique des taux d'intérêt n'est pas essentiel à la théorie autrichienne: « le facteur déclencheur du cycle est la déviation du taux d'intérêt de marché par rapport au taux d'intérêt naturel. A l'extrême, une banque centrale maintenant un taux d'intérêt constant alors que les conditions réelles font augmenter le taux d'intérêt naturel peut initier un cycle ». Tandis que le taux naturel détermine la longueur du processus de production compatible avec les préférences intertemporelles des individus, le taux d'intérêt de marché en reflète sa longueur effective. Le cycle apparaît dès lors que ces deux longueurs diffèrent, quelle qu'en soit l'origine. Cette distorsion hayékienne de la structure de capital constitue une autre différence majeure avec Lucas. En effet, une des spécificités de la théorie autrichienne des cycles consiste à envisager les fluctuations de la production à partir de leurs relations avec la structure technique de l'activité des entreprises et en particulier celle « de l'accroissement de production permis par l'adoption de méthodes de production plus capitalistes, ou ce qui revient au même, par une organisation de la production telle qu'à tout instant, les ressources disponibles soient employées pour satisfaire des besoins concernant un horizon plus lointain qu'auparavant»16. En d'autres termes, Hayek propose une théorie du cycle comme « mal-investissement» : la structure de capital compatible avec les désirs de consommation et d'épargne des individus, c'est-à-dire correspondant au taux d'intérêt naturel, n'est pas celle déterminée par le taux d'intérêt de marché. Plus précisément, ce mal-investissement se traduit, dans la phase d'expansion, par un sur-investissement dans les industries de biens de production au détriment des industries de biens de consommation. Le réajustement, consistant en une liquidation du surinvestissement dans les secteurs concernés ou un retour à des processus de production moins détournés, se produit lorsque les entrepreneurs prennent conscience de la non-correspondance entre leurs plans de production et les désirs des consommateurs. Si, pour Hayek ([1931], p. 98), «l'expansion du crédit conduit à une affectation erronée des facteurs de production [... ] en les
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dirigeant dans des emplois qui ne cessent d'être rentables», Lucas n'envisage comme conséquence de l'expansion monétaire qu'une augmentation de l'investissement. Sa théorie est une pure théorie du sur-investissement: durant le boom, l'investissement augmente dans tout le système économique parce que les individus interprètent l'augmentation des prix comme une amélioration de leurs opportunités de profit. C'est d'ailleurs bien sur l'augmentation du niveau général des prix comme facteur d'impulsion à l'augmentation de la production que Lucas ([1977], p. 24) met l'accent: « nous avons interprété les mouvements des variables réelles durant le cycle comme des réponses aux mouvements du niveau général des prix [ ... ]». En revanche, Hayek, comme Mises, retient les variations de prix relatifs: « La première conséquence de l'augmentation de l'activité productive due à une politique bancaire de prêts à un taux d'intérêt inférieur au taux naturel est d'accroître le prix des biens de production relativement au prix des biens de consommation [... ]. Mais rapidement, un mouvement inverse intervient: les prix des biens de consommation s'élèvent et les prix des biens de production diminuent; en d'autres termes, le taux d'intérêt s'élève et tend à nouveau vers le taux d'intérêt naturel»17. Cette différence renvoie au positionnement opposé de Lucas et Hayek vis-à-vis de la neutralité de la monnaie. Le premier adhère à la théorie quantitative de la monnaie tandis que le second ([1931], [1975] p. 62) la rejette en considérant comme erreur le fait « d'établir des relations causales directes entre la quantité totale de monnaie, le niveau général de l'ensemble des prix et éventuellement la production totale. Car aucune de ces grandeurs en tant que telle n'exerce jamais d'influence sur les décisions des individus; pourtant, les principales propositions de la théorie économique non monétaire sont fondées sur l'hypothèse d'une connaissance des décisions individuelles ». A l'opposé, Lucas affirme que les agrégats, comme la masse monétaire, sont des informations utiles aux choix des individus : leurs modifications informent sur l'origine des variations de prix, nominale ou relative. C'est la raison pour laquelle il admet que la monnaie est neutre si les mouvements de l'offre de monnaie sont per-
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çus par les individus. C'est précisément le non-respect de cette hypothèse qui lui permet d'expliquer l'existence de cycles. Pour Hayek, non seulement les individus sont incapables d'observer la quantité de monnaie mais surtout cette observation n'est pas pertinente. Parce que l'économie n'est pas en équilibre, les agents ne peuvent extraire des mouvements monétaires aucune information utile sur les mouvements de prix relatifs. Aussi suggèret-il de recourir à une théorie monétaire où l'effet des mouvements monétaires se transmet au revenu des individus - l'effet Cantillon. Dans cette perspective, les variations de l'offre de monnaie modifient la structure des prix relatifs et la distribution des revenus dans l'économie. L'offre de monnaie ne pouvant être modifiée simultanément et uniformément pour tous les individus, elle n'aura pas le même effet sur tous les prix : elle se répercute d'abord sur le taux d'intérêt - le prix du crédit - qui gouverne l'allocation du capital. Admettre la non-neutralité de la monnaie permet ainsi à Hayek d'axer sa théorie du cycle sur l'évolution de la structure de production alors que Lucas ne peut que se concentrer sur l'évolution des capacités de production.
Des divergences expliquées par des objectifs différents En choisissant de retenir comme hypothèse centrale l'existence d'un agent représentatif, Lucas ignore toute la question de la coordination des décisions individuelles alors même qu'elle est au centre des recherches de Hayek. Cette différence est essentielle au sens où elle permet d'expliquer les divergences précédentes. Comment Hayek pourrait-il raisonner en équilibre général comme Lucas alors qu'il cherche à établir si et comment un tel équilibre peut émerger? Comment pourrait-il raisonner à partir d'agrégats alors que ces indicateurs camouflent la coordination ou la non-coordination des plans individuels?
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Contrairement à Lucas, Hayek fonde sa théorie du cycle sur l'existence d'une multitude d'agents. Cette hypothèse le conduit à définir l'équilibre général à partir de la multitude d'équilibres individuels. Mais l'information n'étant pas parfaite, les plans et les actions des individus ne sont pas nécessairement compatibles. Dans cette perspective, le cycle apparaît comme un problème de non-coordination où les individus sont confrontés aux résultats inattendus de leurs actions. La crise est le moment de la prise de conscience de la non-coordination la plus aiguë et générale: les entrepreneurs sont face à une mauvaise répartition de la production entre biens d'équipement et biens de consommation et les salariés entre consommation et épargne. La correction de leurs plans par le retour à des processus de production moins détournés doit permettre le retour ou, tout au moins, le rapprochement vers l'équilibre. En d'autres termes, si Lucas se concentre sur l'équilibre, Hayek s'intéresse au processus permettant la coordination des plans individuels. Pour le premier, l'économie est dans un continuum d'équilibre absorbant les chocs externes tandis que pour le second l'économie est dans un processus d'« équilibration» où les individus apprennent sans cesse de leur environnement et s'adaptent aux chocs externes qu'ils perçoivent. Cette tendance vers l'équilibre intègre donc une dimension temporelle et institutionnelle absente chez Lucas. Pour ce dernier, seules les variables quantitatives véhiculent de l'information et permettent la révision optimale des anticipations. Chez Hayek ([1976], p. 150), la meilleure compatibilité des plans individuels s'obtient par un processus évolutionniste, d'essais et d'erreurs: « la concordance des anticipations [ ... ] est en fait engendrée par un processus d'apprentissage par essais et erreurs [... ]. Le processus d'adaptation opère [... ] par ce que la cybernétique nous a appris à appeler le « feed back négatif» ou rétroaction; à savoir le fait que les réponses aux différences entre le résultat escompté et le résultat effectif des actions tendent à diminuer ces écarts. Il en découlera une coïncidence croissante dans les anticipations des diverses personnes, pour autant que les prix courants fournissent quelque indication sur ce que seront les prix futurs - c'est-à-dire aussi longtemps que dans un cadre
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connu et assez stable, un petit nombre de données de fait se modifieront à chaque moment ». Cette condition de relative constance de l'environnement étant loin d'être vérifiée, la coordination des anticipations nécessite alors une prévisibilité des données objectives. Cette prévisibilité est assurée pour Hayek par les règles qui complètent les mécanismes de marché. En effet, en encadrant les comportements individuels, les règles facilitent la prévision. Le cadre dans lequel Hayek place sa théorie du cycle est donc bien plus large que le cadre pur d'équilibre général retenu par Lucas. Réalisme pour le premier, abstraction simplificatrice pour le second. Cette différence s'exprime particulièrement bien dans l'origine de l'imperfection de l'information retenue par chacun. Hayek l'explique par la dispersion des connaissances et cherche à établir « comment un ordre d'activités économiques est réalisé à partir d'une grande quantité de connaissances non concentrée dans un esprit mais dans ceux de millions d'individus». Ce problème ne peut, par définition, exister lorsque, comme Lucas, on raisonne à partir d'un agent représentatif. L'imperfection de l'information doit alors être introduite via la parabole des îles et la distinction entre connaissances globale et locale. Remarquons, à l'instar de Garrison ([1989] p. 20), que cette distinction n'a pas la même fonction que la distinction hayékienne entre connaissance théorique et entrepreneuriale: «pour les Autrichiens, elle n'est pas juste une technique de modélisation, elle est la reconnaissance d'une des caractéristiques les plus fondamentales des économies de marché réelles».
A objectifs différents, analyses différentes: empiriques contre historiques L'abstraction simplificatrice choisie par Lucas (et Sargent [1979], p. 59) s'explique par l'objectif qu'il s'assigne, à savoir «découvrir une théorie d'équilibre du cycle économétriquement testable,
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qui peur servir de base à des analyses quantitatives de politique macroéconomique ». L'économiste s'apparente à un technicien développant des modèles permettant les meilleures prévisions possibles. A cette simplicité descriptive, Hayek préfère la complétude descriptive. Parce que la prévision en tant que telle ne l'intéresse pas, il peut intégrer l'existence d'une multitude d'agents, la dispersion des connaissances, l'incertitude au sens de Knight, ... Sur ce dernier point, Lucas ([1975], p. 1122) reconnaît luimême que « l'hypothèse que ces distributions objectives sont connues ne doit pas être prise comme une description littérale de la façon dont les agents conçoivent leur environnement. C'est juste une façon pratique de supposer que les agents font le meilleur usage possible des informations disponibles ». Parce que Lucas privilégie la prévision, il suppose un agent représentatif et l'hypothèse forte d'anticipations rationnelles, quitte à s'éloigner de l'économie réelle. Scheide [1986] soutient cependant que la construction de modèles formels, abstraits, n'est pas du seul ressort de Lucas, en témoigne le fameux triangle de Hayek ([1931], [1975]). Aussi irréaliste que les modèles de Lucas, il fournit néanmoins une façon pratique de décrire les modifications de la structure intertemporelle du capital induites par les changements de préférences intertemporelles ou les injections de monnaie. Hayek ([1933], p. 140) explique d'ailleurs que « il devrait être possible [... ] de décrire de façon déductive comme un effet nécessaire des perturbations - et presque en dehors de leur observation - toutes les déviations dans le déroulement des événements économiques conditionnés par ces perturbations». Mais Lucas va plus loin : un modèle est, pour lui, une représentation objective et analogue à l'économie réelle. Le modèle est donc réaliste au sens où il mime les mouvements de l'économie réelle. Sa construction, souligne-t-il ([1980], p. 697), doit découler de la théorie: « une théorie n'est pas un ensemble d'affirmations sur le comportement de l'économie réelle mais plutôt un ensemble d'instructions pour construire un système analogue ou parallèle - une imitation de l'économie. Un bon modèle n'est alors pas plus réaliste qu'un mauvais mais il fournit de meilleures prévisions ». Lucas est donc attaché à une vision ins-
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trumentale de l'économie : les théories sont des instruments dont la sélection repose sur leur capacité de prévision. Remarquons que Hayek ([1933], p. 12) met également en avant la nécessité de recherches théoriques comme préalable à une meilleure compréhension du cycle 1S : « [toute théorie du cycle] doit être déduite, avec une logique d'une stricte rigueur, des notions fondamentales du système théorique; et elle doit expliquer, par une méthode purement déductive, les phénomènes avec toutes leurs spécificités que l'on peut observer durant les cycles ». La théorie doit donc précéder les statistiques: « la valeur pratique de recherches statistiques dépend essentiellement de la robustesse des conceptions théoriques sur lesquelles elles sont fondées. Traiter des phénomènes cycliques est du ressort de la théorie »19. Il rejette cependant l'idée de la validation ou non d'une théorie par les statistiques: « si une théorie est logiquement construite [ ... ] alors le mieux que puisse faire une analyse statistique est de montrer qu'il reste toujours un résidu non expliqué »20. En conséquence, on peut dire que si chez Hayek les progrès de la théorie précèdent les progrès statistiques, chez Lucas les progrès techniques - mathématiques et informatiques - précèdent les progrès théoriques. Pour ce dernier, élaborer une théorie revient à construire un système économique artificiel sous la forme d'un système d'équations. Seule la technique permet la transformation de propositions en langage mathématique formel. Dès lors, si cette transformation ne peut avoir lieu, la réalité à laquelle se rapportent les propositions ne peut être scientifiquement analysée. En d'autres termes, les techniques disponibles définissent les frontières de la théorie. Comme en conclut Butos ([ 1986], p. 337), « l'adhésion commune de Hayek et Lucas à l'équilibre général tend à cacher des différences plus fondamentales liées à leurs visions respectives de la science ». Corollaires de ces divergences, les applications des théories du cycle de Lucas et Hayek conduisent à des travaux de nature différente. La théorie autrichienne trouve ses expressions empiriques dans des épisodes historiques. L'une des plus connues est celle de Rothbard [1962] qui se concentre sur la Grande Dépression et montre que l'expansion du crédit, mesurée par l'aug-
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mentation de la base monétaire américaine, fut à l'origine d'une expansion non soutenable dans les années 1920 et que la crise qui en découla fut aggravée par les efforts du gouvernement visant à empêcher la liquidation du sur-investissement. En d'autres termes, le New Deal a transformé ce qui aurait dû être une simple récession en longue dépression en retardant le retour à des procédés de production moins détournés. Les ressources qui auraient dû être réaffectées à des productions adaptées aux préférences des consommateurs furent, en effet, maintenues dans des emplois contre-productifs pour éviter les licenciements massifs dans les industries qui avaient connu le plus fort essor durant le boom. Cette politique économique, associée à une politique monétaire expansive, ne fit donc que perpétuer sur-investissement et mal-investissement et retarder l'ajustement inévitable de l'économie 21 • Théorie et histoire fournissent ainsi des explications complémentaires d'un moment particulier. A l'opposé, les travaux empiriques découlant de la théorie de Lucas sont fondamentalement a-historiques. Les mouvements de l'économie peuvent être expliqués et prédits uniquement sur la connaissance de sa structure, peu importent l'époque, le régime politique, les croyances, ... La structure de l'économie se résume à quelques paramètres centraux. Leur estimation reposant sur des séries temporelles longues relatives, ces variables sont le seul lien avec l'économie réelle. Les fluctuations de ces grandeurs, qui sont nécessaires à l'estimation de la structure de l'économie, n'ont même pas besoin d'être des mouvements que les historiens auraient identifiés comme étant cycliques. La seule exigence est qu'il existe suffisamment de mouvements de variables indépendantes pour permettre une estimation statistiquement significative des valeurs des paramètres du système 22 • Puisque le nombre de mouvements nécessaires diminue lorsque la taille de l'échantillon augmente, la pertinence de l'estimation de la structure de l'économie augmente avec la durée des séries utilisées. La plupart des travaux reposent sur des données allant de 1945 au trimestre précédent, sans tenir compte de la datation ou de l'ampleur des cycles qui les marquent: typiquement, la plus grande
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crise, la grande dépression, est ainsi vue comme un point aberrant. Cette distinction - analyse d'un moment historique particulier pour les Autrichiens contre analyse économétrique pour les nouveaux classiques - tend cependant à s'estomper ces dernières années. Des analyses « hybrides» pour reprendre le qualificatif de Garrison [2001] se développent à travers des tests économétriques des principales hypothèses autrichiennes. Wainhouse [1984] propose ce que beaucoup considèrent comme la première analyse économétrique autrichienne. Sur la base de données mensuelles américaines allant de janvier 1959 à juin 1981, le test de causalité de Granger qu'il mène identifie une séquence cl' événements partant de chocs monétaires et conduisant à des variations de taux d'intérêt et de niveaux de production conformes à la séquence autrichienne. Sechrest [2006] teste la capacité explicative de la théorie autrichienne en proposant une régression du PIB réel américain entre 1959 et 2002 à partir de l'agrégat monétaire M2, du spread de taux d'intérêt et d'un indicateur de prix relatifs. Keeler [2001] utilise, lui, des données trimestrielles retraçant les huit derniers cycles économiques américains pour montrer que leur origine tient à des chocs monétaires qui se sont propagés par les variations de prix relatifs, notamment les taux d'intérêt nominaux. En 2006, Mulligan teste et confirme la principale hypothèse autrichienne, à savoir que la baisse du taux d'intérêt sous son niveau d'équilibre augmente l'investissement à court terme mais le diminue à plus long terme. Sur données américaines de 1959 à 2003, il estime un modèle à correction d'erreur expliquant entre 45 et 50% de la variance des dépenses réelles de consommation par les variations du spread de taux d'intérêt. Bismans et Mougeot [2008] proposent un modèle économétrique de données de panels à effets fixes construit à partir des observations trimestrielles issues de quatre pays (Allemagne, Etats-Unis, France et Royaume-Uni) entre 1980 et 2006 qui confirme empiriquement les hypothèses autrichiennes d'un cycle impulsé par un choc monétaire et se propageant par la distorsion des prix relatifs. Ces modèles « hybrides» sont cependant unilatéraux: les nouveaux classiques ne se sont,
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en effet, jamais penchés sur l'explication d'un épisode cyclique particulier.
Si les théories du cycle de Hayek [1975, 1980, 1981] et de Lucas [1975, 1980, 1981] présentent d'indéniables similarités, elles correspondent néanmoins à deux mondes différents. Hayek avait conscience des avantages à raisonner dans un cadre d'équilibre général mais, en même temps, des limites que ce cadre impliquait pour comprendre les phénomènes cycliques. Très vite, ce cadre lui est devenu trop étroit et la publication en 1937 de Economics and Knowledge en marquera sa sortie définitive. Lucas ne se trompe donc pas en voyant dans les travaux de Hayek antérieurs à 1937 des points communs avec ses propres analyses. Mais ce qui sera pour lui un objectif, construire une théorie des cycles en équilibre général, n'était pour Hayek qu'un point de départ incontournable dont il se détournera rapidement. En fait, Lucas sépare l'économie qu'il qualifie de technique menée par Hayek avant 1937 de ses travaux ultérieurs sans comprendre que les uns empreignent les autres, les deux étant unifiés par le thème de l'information et de ses contraintes.
L'auteure remercie Thierry Aimar de l'avoir associée à ce projet et Pierre Morin pour ses commentaires éclairés qui lui ont ouvert de nouvelles pistes de réflexion. Christelle Mougeot est Maître de conférences à l'Université Paul Verlaine, BE TA Adresse: Faculté de droit, économie et gestion, Ile du Saulcy, 57000 Metz Email:
[email protected]
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Notes 1. Hayek [1944], p. 355. 2. Hayek [1933], p. 141.
a pas de marché des capitaux ». Lucas [1975], p. 1121.
3. Hayek [1933], p. 74.
16. Hayek F. [1931], p. 94.
4. Mises L. v. [1936], p.460.
17. Mises [1912], p. 131.
5. Hayek [1933], p. 10.
18. F. Hayek ([1931], (1975), p. 60] explique d'ailleurs les faibles progrès des théories monétaires du cycle par le « ... changement d'attitude de la majorité des économistes à l'égard de la méthodologie appropriée à la science économique. Ce changement consiste en une tentative pour substituer des méthodes d'analyse quantitative à des méthodes qualitatives ».
6. Hayek [1937], p. 42. 7. Par exemple, si à la fin de la période n, A change de préférences, toutes choses égales par ailleurs, et si tous les autres agents reconnaissent ce changement avant le début de la période n+l alors ils changent leurs actions par rapport à la période n. Si les nouveaux plans de A anticipent la révision de ceux des autres alors personne n'est déçu. En d'autres termes, les anticipations des agents doivent être parfaites. 8. Hayek [1933], p. 106. 9. Muth [1961], p. 48. 10. « Dans le cas de modèles linéaires, les anticipations rationnelles tendent à être égales aux estimateurs des moindres carrés ordinaires ». Kim [1988], p.3. 11. Hayek [1952], p. 137. 12. Lucas [1975], p. 1120. 13. Hayek [1933], p. 80. 14. Scheide [1986], p. 581. 15. « Le financement des investissements est exclusivement interne: il n'y
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19. Hayek [1933], p. 17. 20. Hayek [1933], p. 13. 21. Dans la même optique, O'Driscoll et Shenoy [1976] ainsi que Garrison [2001] présentent une analyse autrichienne de la stagflation des années 1970 mettant l'accent « sur le point d'entrée de la monnaie nouvellement créée et les changements consécutifs des prix relatifs qui gouvernent l'allocation intertemporelle des ressources ». Powell [2002] analyse, lui, la récession japonaise des années 1990. 2 2. Garrison [1991] reprend la métaphore du cheval à bascule pour illustrer ce détachement des nouveaux classiques vis-à-vis de la réalité.
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Rainer METZ Méthodes de recherche sur les fluctuations longues Traduction,' Francis Bismans et Eulalia Damaso
e phénomène des ondes longues a été discuté de longue date par les sciences économiques, sociales et politiques. Une telle notion repose sur l'hypothèse que le développement capitaliste suit une dynamique de fluctuations longues, qui constituent un élément inhérent à ce type de développement. Ces fluctuations ont fait jusqu'à présent l'objet d'intenses dis-
Rl'VUC
fr
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cussions quant au moyen de les expliquer théoriquement, mais également quant aux méthodes utilisées pour démontrer leur existence empirique dans les séries temporelles économiques. Ces deux aspects sont en fait interdépendants. D'un côté, le concept théorique détermine les buts et méthodes de la recherche empirique. De l'autre, les méthodes statistiques aboutissent à des intuitions sur la structure du développement historique représenté par des séries chronologiques qui contestent ainsi les explications théoriques. Parmi les nombreuses approches des ondes longues, deux sont d'une particulière pertinence pour la recherche empirique. La plus importante considère les ondes longues comme un cycle régulier superposé au mouvement séculaire, non périodique. La seconde, davantage dans la lignée de Schumpeter, les analyse comme composante endogène du mouvement séculaire lui-même. Si les ondes longues sont considérées comme un cycle régulier plusieurs questions surgissent: quels sont les autres cycles? Comment la tendance séculaire se forme-t-elle et quelle est sa signification? Et enfin, comment relier les différents cycles à la tendance ? Cet article se limitera aux modèles admettant les ondes longues comme cycle régulier qui s'étale approximativement sur un laps de temps de 20 à 60 ans et qui est superposé au mouvement séculaire, non périodique, ainsi qu'aux autres cycles de durée plus courte. Cette approche théorique fut par exemple défendue par Kondratieff et constitue jusqu'à présent une des plus importantes analyses dans ce domaine. Envisager les ondes longues comme cycle régulier exige un appareil statistique capable non seulement d'identifier ce type d'oscillations dans les séries temporelles historiques, mais également de démontrer leur régularité et de déterminer leurs points de retournement. Notre contribution s'organise comme suit. Dans la première section, nous présentons les méthodes utilisées par Kondratieff et les replaçons dans le contexte de l'analyse du cycle classique. Nous poursuivons dans la deuxième section en introduisant la méthodologie ARIMA et l'analyse spectrale. Toutes deux s'avèrent appropriées lorsque les ondes longues sont conçues comme des cycles de croissance. La troisième section traite de
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l'approche par les filtres considérée comme une solution parfaite au problème, jusqu'ici non résolu, de séparer la tendance et les ondes longues dans le domaine des basses fréquences. L'hypothèse de tendance stochastique et sa pertinence pour l'analyse des ondes longues sont discutées dans la quatrième section. La cinquième section aborde la question des valeurs aberrantes et des ruptures de tendance dans les modèles stochastiques ainsi que leur pertinence pour l'étude des ondes longues. La dernière section conclut et tente de développer quelques perspectives de recherches futures.
Ondes longues et approche classique de décomposition La date de publication de l'article de Kondratieff [1926, 1928] correspond à l'âge d'or de la recherche empirique de l'analyse du cycle classique. Age d'or qui se poursuit jusqu'en 1946, lorsque Burns et Mitchel publient leur travail remarqué. L'intérêt se portait principalement sur la corrélation du cycle classique comme moyen de comprendre la dynamique économique. On a néanmoins très tôt reconnu que l'analyse des corrélations entre des séries avec tendance peut mener à des résultats fallacieux, ces derniers découlant des méthodes d'élimination de la tendance. Bien que la tendance elle-même fût d'un intérêt moindre, il était évident que le type d'élimination de celle-ci influence non seulement la forme et la date du cycle, mais également les corrélations entre ses composantes. A cette fin plusieurs approches correspondant aux différentes visions du développement (Klein [2005]) ont été examinées. Parmi d'autres, la méthode des différences de variables, l'analyse du périodogramme et la décomposition des séries constituent les plus importantes approches du cycle classique à cette époque.
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L'usage de la méthode des différences de variables s'est propagé en partie grâce à Anderson [1914] et Tintner [1940]. Les séries temporelles se composent de fonctions du temps et d'une composante irrégulière ou aléatoire. Le but était d'identifier ces fonctions en différenciant les séries de manière à éliminer leur composante temporelle et à préserver celle qui est aléatoire. La première étape dans ce type d'analyse consiste à estimer l'ordre de différenciation en calculant les différences successives et le taux de variation des corrélations entre les séries différenciées. De plus, d'autres approches ont été très tôt formulées dans le domaine des fréquences. Schuster [1906] et Beveridge [1922] ont, comme d'autres, utilisé le périodogramme et l'analyse harmonique afin de mesurer la périodicité de la composante cyclique. Si la série incorpore une tendance, les méthodes habituelles d'élimination de la tendance permettent de rendre cette série stationnaire. En ce qui concerne les ondes longues, il est intéressant de remarquer que Beveridge [1922] a découvert un cycle de 68 ans dans les prix anglais du blé. L'analyse par le périodogramme demande beaucoup de temps. Davis [1941] a précisé qu'il a recueilli et publié tous les périodogrammes calculés jusqu'à son époque sur séries temporelles l . L'approche alors la plus répandue consistait à décomposer une série temporelle en quatre composantes : la tendance, le cycle, la saisonnalité et un aléa. Une telle approche fut préconisée par la plupart des instituts de recherche (Klein [2005]). Dans cette optique, les séries temporelles doivent être décomposées en courbes de tendance, moyennes mobiles ou différences premières. Hooker [1901] et Persons [1923)2, par exemple, illustrent une telle pratique. L'approche par la décomposition correspond à celle des composantes non observées qui joue un rôle dominant dans l'analyse récente des séries temporelles. De la sorte, une chronique s'écrit comme la somme de différentes composantes, SOlt :
Yt
=
tendance + cycle1 + cycle2 + saisonnalité + aléa
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Comme seule {Y;} est connue, l'estimation des composantes non observées dépend des hypothèses émises a priori sur leurs caractéristiques. On retrouve ce type d'analyse dans Wagemann [1929] qui utilise tendance, cycle et saisonnalité. Il est intéressant de remarquer que ce dernier auteur introduit déjà l'idée que la tendance puisse être perturbée par des irrégularités qu'il divise en deux catégories: aléas à effets persistants ou transitoires. L'analyse moderne des valeurs aberrantes est fort semblable à celle proposée par Wagemann. La cinquième section reviendra en détails sur ce point. A ce stade, nous allons nous servir de l'exemple de Wagemann pour démontrer qu'on peut de la sorte engendrer un cycle long semblable à celui qu'attendent les théoriciens des ondes longues. A cette fin, nous simulons les quatre composantes. La tendance a été simulée comme polynôme temporel du quatrième degré et le cycle comme processus auto régressif d'ordre deux avec les coefficients 1>1 =1,532 et 1>2=-0,8946. L'aléa a été simulé comme bruit blanc et l'onde longue comme oscillation sinusoïdale d'une période de 60 ans. Puisque les variances des composantes déterminent la forme de la chronique, nous choisirons les différentes variances de sorte que l'onde longue a la plus grande variance et la composante bruitée la plus petite. Au total, la composante stationnaire s'écarte de la quasi-droite de tendance d'au maximum 14% et -10%. Les composantes simulées sont représentées sur la figure n°1. La série obtenue exhibe clairement un cycle long. Un tel résultat confirme donc parfaitement les développements escomptés par les théoriciens des ondes longues. Puisque Kondratieff [1926] a utilisé une telle approche par décomposition, nous considérerons brièvement ses calculs qui se réfèrent à la production de fonte en Angleterre exprimée en milliers de tonnes par 1.000 habitants et ce, de 1840 à 19143 • Kondratieff a d'abord estimé la tendance séculaire en ajustant un polynôme du second degré par rapport au temps (figure n02a). La série hors tendance exprimée sous forme de pourcentage de déviation par rapport à la tendance (figure n02b) a ensuite été lissée à l'aide d'une moyenne mobile de 9 ans (figure n02b). La longueur de cette dernière a été choisie sur la base de la lon-
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gueur supposée du cycle économique classique. Les pics et les creux de l'onde longue n'ont pas été déterminés à partir de la composante lissée, mais par rapport aux écarts à la tendance. Kondratieff a identifié des pics et des creux en 1871, 1881, 1891 et 1914. Ils indiquent par conséquent un mouvement ascendant suivi d'un autre, descendant. Il y a peut-être eu un retournement à la hausse qui ne s'est prolongé que jusqu'en 1871 ou 1881, mais Kondratieff n'en fait pas mention. Il est intéressant de remarquer que les résidus de la tendance lissée relatifs à la production de fonte s'ajustent parfaitement à notre série stationnaire simulée, telle qu'elle est représentée sur la figure n °2e. Figure 1 Séries simulées avec ondes longues t I-Composed Series
1
IOr r
220
220
20
40
60
80
100
120
160
180
200
220
Notes: Composed series = série recomposée. Trend = tendance. Long wave = onde longue. Business cycle = cycle classique. Noise = bruit.
On peut alors affirmer que les résultats obtenus par Kondratieff l'ont été à partir d'un processus composé d'une onde longue superposée aux composantes tendancielle et cyclique. Bien que Kondratieff n'utilise pas le concept, il faut préciser que
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le périodogramme de la série lissée montre clairement un cycle d'une durée de 37 ans. Il est bien connu que Kondratieff a été fortement critiqué par des scientifiques tant occidentaux que soviétiques. Les raisons en sont nombreuses. Kondratieff n'a pas discuté le critère permettant de choisir le type de courbe de tendance ajustée. Par ailleurs, il n'a pas non plus envisagé d'autres courbes possibles, comme celles logistiques ou de Gompertz. Last but not least, il n'a pas utilisé d'autres approches disponibles à cette époque, telles que le périodogramme ou la méthode des différences de variables. Cette dernière par exemple montre que jusqu'aux différences d'ordre 9, il existe des variations significatives de la variance résiduelle. Elle ne permet donc pas de déterminer la fonction temporelle de la série de production de fonte sur base de dimensions fiables. Figure 2 Production de fonte (d'après Kondratieff)
1840
1850
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200
Note: Pig Iron = fonte. Trend residuals = résidus de la tendance. Smoothed residuals = résidus lissés. Long wave pig iron = cycle long de la fonte. Simulated stationary
component
= composante stationnaire
simulée.
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La «tendance séculaire» reste néanmoins le principal problème, encore non résolu, de l'approche classique du cycle. Frickey [1934 p. 199] a posé le problème comme suit: «la difficulté surgit du fait que nous souhaitons représenter non pas la série elle-même, mais sa tendance séculaire. Nous sommes par conséquent incapables d'avoir la moindre confiance en un test mathématique de la valeur de l'ajustement.» Comme bien évidemment il n'existe aucun critère statistique pour choisir la « vraie» courbe de tendance, la présence d'ondes longues dépend uniquement d'un critère subjectif. Si l'on acceptait néanmoins la décomposition effectuée par Kondratieff, on ne détecterait au mieux qu'un seul cycle long complet avant la Première guerre mondiale.
Ondes longues, modèles ARIMA et analyse spectrale Après la Seconde guerre mondiale, la plupart des économies industrialisées ont connu une croissance économique sans précédent qui semblait marquer la fin du cycle classique. Les fluctuations ne sont plus considérées comme des écarts par rapport aux fonctions temporelles utilisées, mais comme des cycles de croissance exprimés par les taux de croissance du PIB et d'autres séries de la production totale. Cependant le rêve de croissance perpétuelle s'est effondré avec la première crise pétrolière en 1973. La question qui se pose est de savoir si l'âge d'or de croissance économique correspond à la phase ascendante d'un Kondratieff. Cela a conduit à un regain d'intérêt pour l'étude des ondes longues. L'analyse pendant cette période a été marquée par plusieurs circonstances: i) de nombreuses séries historiques ont été mises à disposition des chercheurs notamment celles, reconstruites, du PIB pour de nombreux pays et ce, du 1ge siècle à nos jours. Elles couvrent évidemment un intervalle de temps
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très supérieur à celui observé par Kondratieff et ses contemporains, ii) de nouvelles méthodes d'analyses de séries temporelles sont apparues. On peut citer à cet égard les modèles ARIMA introduits par Box et Jenkins [1967] ainsi que l'analyse spectrale préconisée, parmi d'autres, par Granger et Hatanaka [1964], iii) une nouvelle vision du développement s'est imposée qui a considéré les fluctuations économiques comme des cycles de croissance. Ces deux derniers éléments sont étroitement imbriqués. Une modélisation ARIMA conduit à écrire une série chronologique sous la forme cj>(B)~d~ = (B)e t ou encore sous la forme cj>(B)(l-B)d~ = O(B)e t où cj>(B) et cj>(B)etsont respectivement des polynômes de degrés p et q en l'opérateur retard B, d est le nombre de différenciations nécessaires pour rendre la série Yt stationnaire et et est un bruit blanc. Si une série est intégrée d'ordre un, les différences premières de la série exprimée en logarithmes correspondent aux taux de croissance de la série originelle. Dans ce cas, la non-stationnarité de la série implique que tous les chocs ont des effets permanents et durables. Le fait de concevoir des chroniques économiques comme des réalisations de processus stochastiques repose sur une longue tradition. Ses origines remontent à l'âge d'or de l'analyse du cycle que l'on trouve dans les travaux de Slutsky [1927], Yule [1927] et d'autres auteurs, qui, tous, cherchent à représenter une série temporelle par l'agrégation d'erreurs stochastiques et critiquent l'hypothèse que les variables économiques sont des fonctions du temps. La méthodologie ARIMA permet par conséquent de modéliser une série stationnaire dans le domaine du temps, tandis que l'analyse spectrale vise l'estimation des fréquences cycliques relatives à une série différenciée, c'est-à-dire exprimée en taux de croissance. Si les ondes longues existent, elles doivent se cacher dans les taux de croissance de la série étudiée. L'analyse spectrale est perçue comme le moyen approprié de les déceler dans la masse de toutes les autres oscillations. Un exemple repré-
o
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sentatif de ce type de recherche est fourni par l'article de Van Ewijk [1982]. Ce dernier écrit que « pour éliminer la tendance, nous devons tenter deux conversions: les différences premières de la série originelle et celles des logarithmes de cette série. La première de ces conversions revient à supprimer une tendance linéaire; la seconde une tendance loglinéaire[ ... ]. De plus cette conversion revêt l'avantage d'avoir une signification immédiate et substantielle, car elle représente des taux de croissance. En fait, en utilisant cette conversion, nous recherchons tout simplement l'existence d'une onde longue dans les taux de croissance de la production. )} (p. 478). Van Ewijk conclut cependant que « la caractéristique la plus marquante commune à chaque spectre [des séries en volume] réside dans la concentration de la puissance, pour les pays européens, sur des oscillations d'une longueur de 10 à 15 ans [... ] )} (p. 485). Figure 3 Densités spectrales des cycles et des différences premières 1.4 Spectral Dcnsity
1.........·· Growth rates Pig Iron
- - Long
wavel
0.8
Note: Spectral density = densité spectrale. Growth rates Pig Iron = taux de croissance de la fonte. Long wave = onde longue.
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Illustrons à nouveau cette approche avec la production de fonte. L'ajustement d'un modèle à une série exprimée en logarithmes aboutit à un ARIMA (0, 1, 0), ce qui implique que les taux de croissance de la série sont un bruit blanc sans aucune composante cyclique. Si nous comparons le spectre des différences premières de la série en logarithmes à celui des résidus de la tendance tels qu'ils sont calculés par Kondratieff figure n° 3, nous voyons que les résidus de la tendance montrent des mouvements de basse fréquence. Ces mouvements n'apparaissent pas dans les différences premières. Ce résultat n'est pas spécifique à cette série, mais présente un caractère tout à fait général. Les procédures traditionnelles de décomposition conduisent à des cycles distincts, ce qui n'est pas le cas lorsqu'on utilise les différences premières. Le recours à la méthodologie ARIMA et à l'analyse spectrale des taux de croissance de la production de fonte confirme la conclusion de Van Ewijk relative aux taux de croissance du PIB : « on n'y peut trouver aucune trace d'onde longue». Comment est-il possible de résoudre cette énigme ?
Ondes longues et filtres linéaires Une solution semble être possible en se servant de la théorie des filtres (Stier [2001]). Cette théorie stipule que toute transformation d'une série temporelle est conçue comme un fIltre. La performance d'un filtre linéaire s'observe sur sa fonction de transfert. Il s'agit de manière générale d'une fonction de variable complexe de période 2n, qui peut par conséquent être écrite sous la forme: T(f) = 1 T(f) 1 ev"(j), Os f sO.5 où 1 T(f) 1 est la fonction de gain et n(f) la fonction de phase du filtre. Celle-ci indique de combien d'unités de temps l'output du filtre retarde par rapport à son input. La fonction de phase doit être identiquement zéro, pour toutes les fréquences. Le gain ou fonction de réponse fréquentielle d'un filtre montre comment
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les différentes fréquences sont modifiées par le filtre, c'est-à-dire si elles sont réduites, éliminées ou amplifiées. Un point essentiel de la théorie est qu'il n'y a pas de solutions ad hoc telles que les moyennes mobiles ; les filtres doivent simplement être conçus d'une manière telle qu'ils rendent une fonction d'amplitude spécifiée a priori. Les bandes de fréquence sur lesquelles la valeur de la fonction de gain est égale à 1 (resp. 0) sont dites passebandes (resp. arrêt sur bandes; en anglais band-stop). Les filtres passe-bas, passe-haut et passe-bandes sont des exemples typiques des fonctions de gain recherchées. L'étude de la conception de filtres offre non seulement la possibilité de construire des filtres idéaux, mais aussi d'investiguer les caractéristiques, du point de vue de la théorie des filtres, de la plupart des méthodes de décomposition utilisées jusqu'à ce jour. Elle permet de vérifier, par exemple, si un type déterminé de transformation (une moyenne mobile) possède les caractéristiques nécessaires et ce, relativement aux objectifs de l'analyse. Dans ce contexte, on peut montrer à titre d'illustration que les différences premières correspondent à un filtre passehaut qui élimine la tendance et réduit dans une forte mesure les basses fréquences. La fonction de gain du filtre des différences premières (figure n° 4) fait voir que toutes les basses fréquences sont éliminées, tandis que les hautes fréquences sont amplifiées. Il n'est par conséquent pas surprenant que Van Ewijck n'ait pas décelé d'ondes longues dans ses données compte tenu qu'elles ont été filtrées par différences premières. Bien plus, on a pu argumenter que la plupart des transformations utilisées à ce jour (par exemple, les moyennes mobiles) ne présentaient pas les caractéristiques de filtrage appropriées à l'analyse des ondes longues. Pour qu'une telle analyse soit possible, il faudrait mettre au point un filtre idéal dont la fonction de gain serait spécifiée selon le contenu fréquentiel supposé de la composante de long terme et n'incorporerait pas de changements de phase. Si l'on réussissait à construire ce filtre idéal, il serait alors possible de décider si une série contient ou non des ondes longues. Dans ce cas, la fréquence de rupture  du filtre passe-haut de la figure n04 doit être sélectionnée en fonction des fréquences tendancielle Revue française d'économie, nO 4/vol XXIV
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et cyclique supposées. Si, par exemple, la tendance correspond à toutes les fréquences supérieures à 60 ans, la fréquence de rupture de ce filtre passe-haut doit être ..1= 1/60 Le filtre passehaut associé serait alors tel qu'il éliminerait toutes les fréquences inférieures à À et conserverait celles égales ou supérieures à cette valeur. Figure 4 Fonction de gain des filtres passe-haut et des différences pre., mleres 2.00
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Note: Gain function of first diff. = fonction de gain des différences premières. High· pass = passe-haut.
Plusieurs filtres ont été développés qui tentent de mettre en œuvre des fonctions de gain idéales en se servant de bandes à passer ou au contraire à conserver, pré-spécifiées, ainsi que d'une phase exactement nulle. Dans les années 1980 déjà, Stier et ses collaborateurs avaient réussi à concevoir un filtre qui opère complètement dans le domaine des fréquences (Metz et Stier, [1992]). L'utilisateur peut préciser à l'avance quelles sont les bandes à passer et celles qui sont à conserver. De même il peut
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choisir entre les filtres passe-haut, passe-bas, arrêt sur bande et passe-bande, ou entre de multiples filtres à crans plus spécialement destinés aux ajustements saisonniers. Une telle méthode de filtrage a été largement utilisée pour détecter les ondes longues ; son application confirme leur présence dans plusieurs séries économiques (Metz [1992] ; Metz [2008]). Dans les années 1980 également, Hodrick et Prescott [1980, 1997] ont proposé un filtre (filtre HP) qui est à ce jour le plus utilisé dans l'analyse des cycles économiques. Il s'agit en fait d'un filtre passe-bas qui lisse la série en fonction d'un paramètre, habituellement noté À, défini par l'utilisateur. Plus élevé est À, plus lissée est la composante filtrée. Bien qu'il soit possible de calculer la fonction de gain du filtre HP conditionnellement au paramètre de lissage, il n'est par contre pas possible de spécifier une fonction de gain a priori. Toutefois, dans la pratique, le paramètre de lissage peut être choisi d'une manière telle que le filtre approche la fonction de gain désirée. Metz [2002] démontre que ce type de filtre est bien adapté à l'analyse des ondes longues moyennant le choix d'une valeur appropriée pour À. Récemment, d'autres filtres ont été proposés. Les plus populaires d'entre eux sont les filtres de Baxter-King ([1999], abrégé par BK) et de Christiano-Fitzgerald ([2003], abrégé par CF). Ces auteurs ont essayé d'approximer une fonction de gain pré-spécifiée à l'aide d'une suite symétrique de pondérations de filtrage. De tels filtres sont dits être à fonction de réponse finie à une impulsion (FIR, c'est-à-dire Finite-Impulse-Responsefilters). Formellement, on les note:
JÇ
=
ba~+bj~_j + L + bN~_N
Un filtre FIR est déterminé par la suite des pondérations
ba, bj, L, bN Les moyennes mobiles sont par exemple des filtres FIR particulièrement simples. Pour obtenir des fonctions de gain exactes pour les basses fréquences, beaucoup de poids de filtrage sont nécessaires. Ceci présente l'inconvénient que de nombreuses valeurs de la série sont perdues en ses extrémités. Par exemple, un filtre qui utiliserait 31 pondérations perdrait 15 observations à chacune de ses extrémités. La figure n° 5 montre les fonctions
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franç.li~e
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de gain 4 du filtre BK, passe-bandes, pour N= 13 et N=31. Plus élevé est le nombre de pondérations du filtre, meilleure est l'approximation de la fonction de gain spécifiée. Il reste que la perte de données, spécialement pour les séries chronologiques courtes, constitue un sérieux problème. Pour y remédier, Christiano et Fitzgerald [2003] ont développé un filtre FIR asymétrique. Il devrait être évident qu'un tel filtre ne rend pas la même fonction de gain sur l'échantillon tout entier. Figure 5 Fonctions de gain du filtre BK (N=13, N=31) Frequency Response Function (N=31)
Frequency Response Function (N=13)
1.2,------------------,
12,------------------,
1.0
1.0
0.8
0.8
0.6
0.6
0.4
0.4
0.2
0.2
0.0
IV
~A,...,.--------_I
0.0
V
.().2+-~~~~~~-~,_____~__1
.00
.05
.10
.15
.20
.25
.30
.35
.40
.45
.50
.20
.25
.30
.35
cycleslperiod Actual
Ideal 1
.40
.45
.50
cyclesfperiod Aclual
Idealj
Note.' Frequency Response Function = fonction de réponse fréquentielle. Actual = réel. Ideal = idéal. Cycle/period = cycle/période.
Alors que le filtre BK a été rapidement utilisé pour l'analyse des ondes longues (Kriedel [2009]), il n'en va pas de même du filtre CF asymétrique 5• Il serait en conséquence intéressant de comparer - même s'ils sont construits de manière complètement différente -les performances respectives du filtre de Stier et de celui de Christiano-Fitzgerald, le tout sur l'exemple de la production d'acier. Pour chacun d'eux6 , le passe-bande est défini par l'intervalle [40,20]. Comme on peut le constater sur la figure n06a, tous deux reproduisent clairement une espèce d'onde longue. Les amplitudes des cycles filtrés sont différentes, mais les points de retournement sont parfaitement coordonnés. De surcroît, nous avons également représenté le filtre BK par le même passe-bande et N= 13. Evidemment, la composante passeRevue françaisl: d'économie, nO 4/vol XXIV
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bande de Baxter-King est très différente de celle des autres filtres, ce qui s'explique principalement par le fait que, avec N= 13, l'amplitude du passe-bande BK constitue une mauvaise approximation de la fonction de gain idéale. Figure 6 Composantes filtrées de la production de fonte
o.oJ
a)
~":'---BK Band-pass (N~13) SI;er Band-pass [40.z(l]l - - CF Band-pa55 [40,20J _ _ _ _
__J
~18~40~~lit50~~~" . -'-:-:18'=70C-"-~~18:'cc80~ -~-- "~'I~OÔ ~~19L.I0~~-19'--c'20 5.5
r
b)
5.0'
4.5
1--- Stier Band-;top [40,20J
-
~;;;-nJ
4.0 1870
Note: BK band-pass (N=13) = passe-bande (N=13). Stier band-pass [40, 20] = passe-bande de Stier [40, 20]. CF band-pass [40, 20] = passe-bande CF [40, 20]. Log pig iron = ln production de fonte. Stier band-stop = arrêt sur bande de Stier.
Quoique les filtres CF et de Stier semblent être des instruments fiables pour l'analyse des ondes longues, certains problèmes demeurent. Le premier concerne la détermination des bandes à passer et à retenir. On peut montrer à cet égard que la forme des composantes filtrées se modifie parfois fortement à la suite de légères variations de ces fréquences. La deuxième difficulté concerne la pertinence des composantes filtrées. On peut se faire une idée du problème en examinant comment la série aurait évolué si elle ne comportait pas d'onde longue. Pour ce faire, il suffit d'utiliser un filtre arrêt sur bande (band-stop) qui élimine toutes les fréquences correspondant aux fluctuations longues.
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Comme on peut le voir sur la figure nO 6b la série de production de fonte sans onde longue est presque identique à la série originelle. Le troisième problème tient au fait que les filtres idéaux reproduisent les composantes fréquentielles indépendamment du processus générateur des données. En appliquant par exemple un filtre passe-bande à un bruit blanc, on obtiendrait une série qui serait sans signification du point de vue du processus générateur des données. Tout en laissant de côté, pour l'instant, cet ensemble de problèmes, on peut avancer la proposition que les filtres idéaux sont un instrument important pour l'analyse des fluctuations longues, des tendances et des cycles économiques. Que les ondes longues détectées par de tels filtres constituent ou non une part pertinente d'une série ou qu'elles soient le produit d'un effet Slutsky est une question fondamentale, très souvent et âprement discutée dans la littérature.
Ondes longues et tendances stochas• tIques Jusqu'à présent nous avons montré que les filtres parfaits sont essentiels à l'analyse des ondes longues. Les différences premières sont considérées comme de mauvais filtres passe-haut qui éliminent les mouvements de basse fréquence à un degré élevé. Le fait que les modèles ARIMA et l'analyse spectrale ne fournissent aucune information sur les ondes longues des séries exprimées en taux de croissance a été vu comme une caractéristique du filtre de différenciation. L'hypothèse de tendance stochastique proposée par Nelson et Plosser [1982] a remis complètement en question cette opinion. Cette hypothèse revient à affirmer que nombre de séries temporelles suivent une tendance stochastique et qu'en conséquence, la seule méthode correcte d'élimination de la tendance réside dans la différenciation des séries en
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question. La forme la plus simple d'une tendance stochastique est la marche aléatoire
T: = T:-I
+ Et
{T:} étant la composante tendancielle et ft: t} le terme d'erreur. En prenant les différences premières, puis en utilisant l'opérateur retard B T:-T:-I=ET (J - BJT: = Et on obtient un processus bruit blanc. Parmi les généralisations de ce processus, on peut citer la marche aléatoire avec dérive
Lu}
T: = f.l
+T:-I + Et T:-T:+I=f.l +Et (J - BJT: =f.l +Et ainsi que la marche aléatoire intégrée (J - Bj2T: = f.l + Et qui doit être différenciée deux fois afin de rendre la série stationnaire. Comme le polynôme en l'opérateur retard de ce type de processus admet une ou deux racines unité, on les appelle des processus racine unité. Par ailleurs, puisque la non-stationnarité de ces modèles résulte exclusivement de l'intégration des erreurs stationnaires, on les qualifie de processus intégrés. Dans le cas d'une seule racine unité, le processus est intégré d'ordre un, ce qui est noté 1(1). S'il y en a deux, le processus est dit être intégré d'ordre deux, c'est-à-dire 1(2). Trois? questions au moins se posent lorsque l'hypothèse de tendance stochastique est retenue: quelles sont les conséquences d'une « mauvaise}) élimination de la tendance? Comment peuton tester l'existence d'une tendance stochastique? Comment les tendances stochastiques peuvent-elles être estimées? Chan et al. [1977] ont été les premiers à montrer que la détendancisation (detrending) linéaire des marches aléatoires conduit généralement à des cycles dont la durée correspond à celle des ondes longues. C'est également le cas lorsqu'on utilise des filtres idéaux. Harvey et Jager [1993] ont montré, par exemple, Revue françai..,c d'économie, n° 4/vo1 XXIV
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111
que le filtre HP standard produisait des cycles artificiels de long terme lorsque la série suivait un processus 1(1). La fonction de gain citée plus haut ne se vérifie en fait que pour une série 1(0), mais pas pour les processus intégrés. Toute composante d'onde longue dérivée grâce aux procédures de décomposition traditionnelles ou aux filtres idéaux est par conséquent soupçonnée d'être un artefact. Il s'en est suivi une critique générale de l'utilisation des filtres dans l'analyse de la tendance et du cycle. 8 Le fait d'admettre la présence d'une tendance stochastique a-t-il des conséquences lorsque la série suit une tendance temporelle ? Dans ce cas, des ondes longues possibles sont filtrées et éliminées avec la composante de tendance. Si les cycles longs existent, ils constituent une partie de la tendance. Les exemples cités précédemment pour la production de fonte illustrent ce problème. Si la série suit un processus 1(1) les composantes filtrées sont des artefacts. Si elle suit un processus 1(0), les différences premières éliminent toutes les basses fréquences. Ces considérations nous amènent à affirmer qu'il est primordial de savoir si une série est intégrée ou pas. Pour cela, de nombreux tests, dits de racine unité, ont été mis au point. Leurs résultats dépendent fortement de l'hypothèse formulée sur la tendance, à la fois sous l'hypothèse nulle et sous l'alternative. Il faut néanmoins préciser que tous les tests de racine unité ont peu de puissance relativement aux processus quasi intégrés, c'està-dire ceux dont la racine est proche du cercle unité. Ce qui est le cas lorsque des ondes longues existent. La plupart de ces tests, par exemple ceux du Dickey-Fuller augmenté (ADF) et du Phillips-Perron (PP), postulent un processus de racine unité sous l'hypothèse nulle et une tendance stationnaire sous l' alternative 9 . D'autres tests, par exemple celui de Kwiatkowski-Phillips-SchmidtShin [1992] (KPSS), postulent un processus stationnaire sous l'hypothèse nulle et une tendance stochastique sous l'alternative. Dans l'analyse des ondes longues, le modèle dit de rupture de tendance (TB pour trend-break), qui considère une tendance linéaire brisée comme une alternative à une tendance stochastique, est d'un intérêt tout particulier 1o . Les séries temporelles en général suivent une tendance linéaire mais le niveau et/ou la pente de
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cette tendance peuvent se modifier par suite de chocs de grande ampleur, fussent-ils peu fréquents. Les résultats des tests TB ne sont pourtant pas tout à fait concluants. Pour la plupart des séries du PIB, l'hypothèse de racine unité peut être rejetée si les deux guerres mondiales, la grande dépression ainsi que la phase de croissance accélérée débutant après la Seconde guerre mondiale, sont analysées comme des chocs de grande ampleur. Ces tests soulèvent plusieurs problèmes, à savoir la datation de ces ruptures et le fait de savoir si les chocs modifient le niveau et/ou la pente de la tendance. Un modèle TB est également critiquable dans la mesure où, sous l'alternative, il peut conduire à des rejets erronés de l'hypothèse de racine unité (Kim et Perron [2009]). Afin d'illustrer notre propos, nous allons réaliser plusieurs tests sur la série de production de fonte de 1840 à 1914 11 • D'après le test ADF, avec un retard égal à 0 (choisi d'après le critère de Hannah-Quinn (HQ»), la statistique de test ta = -1.93 de sorte que l'hypothèse nulle de racine unité nulle ne peut être rejetée 12 • De plus, le test PP avec un retard d'une longueur égale à 0 (toujours d'après le critère HQ) ainsi que la statistique de test ta = -1.55 13 ne permettent pas le rejet de l'hypothèse nulle de racine unité. Ces conclusions s'accordent avec le test KPSS pour lequel l'hypothèse nulle de stationnarité peut être rejetée 14 • D'après ces tests qui ne considèrent que deux types de tendance, une tendance J(1) et une tendance temporelle linéaire, on peut supposer que la série est intégrée d'ordre un et que les différences premières constituent la méthode correcte d'élimination de la tendance. Ces résultats risquent cependant d'être remis en question si nous considérons un modèle de rupture de tendance (TB) comme alternative au modèle de racine unité. Nous n'effectuerons pas de tests formels sur rupture de tendance, mais il semble plausible de supposer l'existence, en 1872, d'une telle rupture dans la pente d'une tendance linéaire. Le trend qui en découle est représenté sur la figure n° 7d. Si les tests indiquent la présence d'une composante tendancielle stochastique, l'étape suivante consistera à estimer les composantes engendrant la série temporelle. Comme dans la procédure de décomposition classique, le point de départ est
Rcvu<..: fr.mçai.sc d'écollomit" nO 4/vol XXIV
~ner~eu
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constitué par le modèle à composantes non observées dont la forme la plus simple peut s'écrire: y, = I: + Ct où {Y,} est la série observée, {I:} la tendance non observée et {Ct} la composante stationnaire non observée. Les plus importantes approches pour l'estimation des composantes stochastiques sont la décomposition de Beveridge et Nelson [1981] ; la série temporelle structurelle (STS), les modèles de séries temporelles structurels (STS) popularisés à l'origine par Harvey [1985], ainsi que la décomposition canonique, développée par Gomez et Maravall [1997] et implémentée dans TRAMO/SEATS15. Toutes ces approches supposent que les séries temporelles sont la réalisation d'un processus ARIMA non stationnaire. En ce qui concerne Beveridge-Nelson (BN), la tendance est supposée être une marche aléatoire de taux de croissance moyen f.l, I: = I:+l + f.l + 'fJt 'fJ == i.i.d.N(O,a;,) Dans l'approche STS un terme irrégulier additionnel Et peut être ajouté, de sorte que: E :
I.I.N (0,
a2J
et le taux de croissance moyen f.l est autorisé à évoluer comme une marche aléatoire :
f.lt = f.lt+l + ~t ~ : I.I.N (0, aV Dans ce modèle dit à tendance linéaire locale, le trend est équivalent à un processus ARIMA (0,2,1). Cependant, si ai = 0, il se réduit à une marche aléatoire avec dérive. Si, de plus, a~ = 0, il devient déterministe, c'est-à-dire que f.lt = f.lo +f.lt. Lorsque a~ = 0 mais ai > 0, la tendance est encore un processus intégré d'ordre deux, abrégé sous la forme 1(2), stationnaire en différences secondes. Une composante tendancielle avec ce type de caractéristique est relativement lisse. Quant à la composante cyclique, elle est modélisée sous la forme d'un processus stochastique stationnaire :
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Dans ce cas, v t et v t ' sont des processus bruit blanc non corrélés. Les paramètres 0 :5 À :5 n et 0 :5 n :5 1 comme fréquence ou comme facteur d'atténuation du cycle. Ct' et sont inclus dans le système d'équations parce que le cycle est représenté comme une matrice. Harvey et Trimbur [2003] ont proposé une spécification plus générale de la composante cyclique avec v t = V [kJ• Une valeur plus élevée de k conduit à des coupures plus prononcées dans la fonction de gain passe-bandes. Il est également possible d'estimer simultanément jusqu'à trois composantes cycliques de périodes différentes. Quoique les approches BN et STS aient une structure fort semblable, elles différent par des hypothèses a priori particulières sur la corrélation des composantes. Alors que dans l'approche BN, les termes de bruit des deux composantes sont censés être parfaitement corrélés, les mêmes termes dans le modèle STS sont supposés être indépendants. Si l'on ignore cette hypothèse, les deux approches sont identiques (Morley, Nelson et al. [2003]). Utilisons à nouveau la série de la production de fonte pour illustrer les performances des différentes approches. On estime d'abord un modèle ARIMA(O, 1,0) pour la série en logarithmes, modèle qui indique que cette série suit une marche aléatoire avec dérive constante et sans composante cyclique. Le fait d'appliquer le filtre BN unilatéral rendrait par conséquent une tendance identique à la série l6 • Le programme TRAMO/SEATS fournit une tendance lissée, qui domine la série, de même qu'une petite composante, mais pas de cycle. Nous poursuivons en estimant trois modèles différents. Le modèle 1 incorpore une tendance linéaire locale et un seul cycle l ? Pour le modèle 2, nous définissons sa tendance par une marche aléatoire avec dérive constante et permettons un seul cycle. Le modèle 3 est construit sur la base des mêmes hypothèses retenues par Kondratieff. Nous supposons une tendance 1(2) et contraignons la périodicité des deux cycles à être égale respectivement à 10 et 40 ans. On incorpore également un aléa dans chacun des modèles. La figure n° 7 donne le graphe des composantes tendancielles estimées et de la tendance linéaire brisée, la
v;
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figure n° 8 les composantes cycliques et le taux moyen de croissance (la pente) de la tendance. Figure 7 Composantes tendancielles de la production de fonte 5.5
a)
5.5
b)
5.0
5.0 4.5
1........
Io.pigiron -Level Modelll
4.5 1..• .....
log pia iron
Lev~L~odeI21
4.0 1840
5.5
1860
1880
1900
5.5
1860
1880
1900
1920
d)
5.0
5.0
4.5
1840
1920
c)
1········ log pig iron
1860
1880
4.5
Level Model3l
1900
1920
1·.....·· log pis iro"
1860
1880
Trend b~
1900
1920
Le modèle 1 rend une tendance volatile, un cycle de période égale à 3,4 années et un aléa. Lorsque les composantes cyclique et irrégulière sont parfaitement corrélées, on fixe la variance de l'aléa égale à ae = et on réestime le modèle. On obtient alors les estimations suivantes : a 2ç = 2, 1I5e-0,05, a21/ = 0,00478, a 2m = 0,000817, À = 1/3,36, P = 0,839 et une convergence très forte. Si nous contraignons la variance de la pente dans le modèle 2 à être égale à a1 = 0, nous obtenons a21/ = 0, 0059, a2m = 0, 000595, À = 1/3,03, P = 0,86 et également, une convergence très forte. Même si les composantes tendancielles et cycliques des modèles 1 et 2 sont quasiment identiques, les taux de croissance des tendances diffèrent. Dans le modèle 1, le taux de croissance de la tendance est stochastique, tandis qu'il est constant dans le modèle 2 (p = 0,0183). Si nous contraignons
°
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°
la variance en niveau dans le modèle 3 à être égale à a 2YJ = et que nous autorisons deux cycles de périodes égales à 10 et 40 ans, alors le cycle 1 est estimé comme étant déterministe. En conséquence, nous omettrons le cycle 1 du modèle. Une nouvelle estimation donne a 2ç 2,5872e- o,05, a 2w 0,00733, À = 1/40, P = 0,395. Cette estimation rend une tendance lissée et un cycle prononcé, mais très irrégulier. Les tendances et cycles du modèle 3 s'ajustent très bien aux composantes filtrées déterminées précédemment. Figure 8 Cycles et pentes de la production de fonte 0.2r a)
f
I·......·cycl,
0.2 b)
Modcll -c~
ï .
O.lr
o.o~
0.0
-0.2
1
-0.1
1··...··· Cyc~ Mod,13
~ _L!
1
1840
0.50~ c)
1
1860
1880
1900
1920
1840 0.50 d)
........ Log Pig I;;;n(l. DifT.) -SlopeModell! -810 eMode12 _____ .
1
1860
Cyck trend break 1
18'c-:80~-19L-OO~ ~
=~g~~l~~tb~mjdel -
SiopeModel3
~:, il, "':;:"/\/~V\/:V";ï'ii:::~LA'j~V1~\!'/'V:VJ\ , 1840
1860
1880
L-
1900
1920
_____J
1840
1860
1880
1900
----'-
1920
En résumant les résultats issus de l'utilisation de modèles stochastiques, nous pouvons affirmer que les composantes estimées dépendent crucialement du type de modèle utilisé. Si l'on suivait la démarche de Beveridge et Nelson, la série de la production de fonte serait identique à une marche aléatoire avec dérive. Ni cycles ni ondes longues n'y sont apparents. Si l'on se réfère à l'approche TRAMO/SEATS, la série comporte une tendance lissée et un aléa, mais pas de cycles. En appliquant un modèle
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STS, il vient une tendance volatile et un cycle irrégulier lorsqu'aucune contrainte n'est imposée. Les modèles 1 et 2 conduisent à des composantes quasiment identiques. La tendance est fortement volatile et explique la plus grande partie de la variance de la série. La composante cyclique est très faible et exhibe une période de 3,5 ans seulement. De tels résultats recoupent ceux obtenus dans d'autres études. Les modèles stochastiques rendent des tendances volatiles et des cycles de court terme. Il s'ensuit que la plupart des chocs ont des effets permanents. Si l'on contraint le modèle STS, soit par les variances de la tendance soit par la période du cycle, on obtient une tendance lissée et un cycle très marqué. En conséquence, le modèle 3 exhibe une tendance lissée et un cycle accentué. Les composantes du modèle 3 sont similaires à celles du modèle avec rupture tendancielle qui se base sur une tendance linéaire avec une rupture de pente en 1872, tout comme les composantes filtrées mentionnées supra. Si l'on suit l'approche fondée sur la mise au point de filtres, les modèles STS contraints, tout autant que le modèle TB, indiquent la présence d'un cycle long d'une périodicité de 20 à 40 ans. Un tel cycle repose sur l'hypothèse que la tendance de croissance est soit relativement lisse, soit déterministe avec une seule rupture. Les modèles stochastiques dans l'hypothèse d'une tendance 1(1) de pente constante indiquent soit l'absence de cycles, soit la présence d'un seul cycle. Evidemment, les différentes stratégies de décomposition donnent des résultats contradictoires. Comment peut-on expliquer ce phénomène? Les approches BN et TRAMO/SEATS supposent qu'une seule série de chocs engendre le processus ARIMA global et que tous ces chocs ont des effets permanents. Dans l'approche STS, chaque composante est générée par des chocs aléatoires qui sont tous indépendants; certains d'entre eux ont des effets permanents et d'autres des effets transitoires. Le modèle TB se caractérise par le fait que seuls quelques gros chocs ont des effets permanents. Dans l'approche par filtrage, les chocs ne sont pas explicitement pris en compte, mais il est évident qu'ils génèrent également des signaux spécifiques. Bien sûr, les composantes déterminées à partir des différents modèles dépendent des hypothèses sur la
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structure et la corrélation des chocs et de leurs effets transitoires et permanents. Par conséquent, pour analyser les ondes longues, on devrait utiliser des modèles qui permettent de distinguer explicitement les chocs réguliers ou endogènes de ceux qui sont irréguliers ou exogènes. Au contraire du modèle TB, on devrait se baser sur l'hypothèse que l'économie ne suit pas un processus déterministe, mais bien stochastique, généré par des chocs réguliers auxquels se superposent des chocs irréguliers. Dans une approche du type ARIMA, les chocs irréguliers sont appelés des valeurs aberrantes. Ces dernières sont des événements historiquement singuliers et exogènes, extérieurs au processus réel, qui causent un changement, temporaire ou durable, immédiat ou graduel, dans le niveau permanent d'une série temporelle. Les chocs qui façonnent l'économie peuvent en conséquence être pensés comme une combinaison de chocs réguliers ou endogènes et irréguliers 18 • C'est ce que nous allons à présent développer.
Ondes longues, ruptures de tendance et valeurs aberrantes La détection et l'ajustement des valeurs aberrantes dépendent généralement du modèle utilisé. Aussi chacune de ces valeurs est-elle conditionnelle au modèle en question. Le but de l'analyse des valeurs aberrantes est de trouver un modèle de base qui ne soit pas perturbé par des chocs exogènes, d'identifier ces valeurs aberrantes et d'ajuster la série aux effets qu'elles causent. La série ajustée aux valeurs aberrantes représente le développement qui se serait produit sans chocs. L'analyse des ondes longues permet de vérifier que ces fluctuations existent indépendamment des chocs exogènes. Statistiquement, il existe plusieurs moyens de détecter des chocs irréguliers. L'un est l'analyse d'intervention dans le
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119
cadre ARIMA telle qu'elle a été présentée à l'origine par Box et Tiao [1975], puis plus tard développée par Chen et Liu [1993]. On peut trouver de récentes applications dans Darne et Diebolt [2004,2006], Darné et Charles [2008] et Metz [2010]. L'autre est l'analyse d'intervention dans le cadre des séries temporelles structurelles, une approche préconisée par Koopman et al [2006]. Nous nous limiterons à cette dernière, mais il faut préciser que les deux méthodes peuvent produire des résultats identiques si les modèles sont choisis soigneusement (Metz [2010]). Dans l'approche STS, on distingue les types d'interventions qui suivent : - Valeur aberrante pour la composante irrégulière : Et =
YoDi,t +
et
Dl,t: variable binaire 0-1 et:
NID(O,
o~)
- Rupture dans le niveau de la composante tendancielle: ~
=
~-1 + !lt-1 + Y1 D2,] + YI!
D 2,t: variable binaire 0-1 Ylt: NID(O,o;) - Rupture de pente de la composante tendancielle: !lt = !lt- + Y2D 3,t + ~t D 3 ,t: variable binaire 0-1 ~t : NID(0,a2ç) Le modèle STS qUi lllcorpore ces interventions peut . comme sUIt: . s"ecrlfe h
~ = T; +C( + IrjDj.1 +&( j~l
Pour illustrer cette approche, nous n'utiliserons plus la série de la production de fonte mais le logarithme du PIB britannique de 1830 à 2006. Pour cette série, des modèles assez différents ont été proposés dans la littérature. Goldstein [1999] a utilisé un modèle STS et trouvé un très long cycle de 89 ans. Mills ([2003] p. 31) a proposé un modèle avec tendance déter-
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ministe et rupture. Il montre par ailleurs que le PIB britannique n'exhibe pas une rupture « nette» en 1918, mais une période de transition allant de 1918 à 1921 au cours de laquelle la production baisse rapidement avant de retourner à un nouveau sentier tendanciel. Le modèle TB pour cette série est validé par plusieurs études qui testent l'hypothèse de racine unité contre l'alternative d'une tendance linéaire par morceaux. Ben-David et Papell [1995] par exemple rejettent l'hypothèse nulle d'une racine unité et acceptent l'alternative d'un modèle avec rupture en 1918. Ben David et al [2003] rejettent l'hypothèse nulle de racine unité et acceptent un modèle à double ruptures en 1925 et 1949. Narayan [2007] rejette, pour sa part, l'existence d'une racine unité et accepte deux modèles rivaux, l'un avec une seule rupture et l'autre avec deux ruptures. Le test de Kim et Perron [2009], qui permet une rupture de tendance sous l'hypothèse nulle de même que sous l'alternative, conduit à rejeter une telle rupture de tendance pour la plupart des pays, à l'exception du Royaume-Uni et des USA. Pour le premier pays, les dates estimées se situent en 1925 et/ou 1915 en considérant la période de 1870 à 1986. Bien que tous les modèles TB impliquent l'existence d'un certain type d'ondes longues, nous ne nous focaliserons pas sur ces modèles déterministes, mais plutôt sur ceux, plus flexibles, du style STS. Comme pour l'analyse de la production de fonte, nous estimons trois modèles STS différents, mais en y incorporant explicitement des interventions. Bien que STAMP 8 (Koopman etaI. [2006]) offre une routine automatique pour l'analyse d'intervention, la détection et l'ajustement des valeurs aberrantes constituent une tâche ardue pour laquelle on doit non seulement disposer des statistiques de tests appropriées, mais également manifester un peu de flair. Le point de départ de notre analyse est un modèle à tendance linéaire locale avec un cycle d'ordre un et une composante irrégulière (modèle 1). A l'aide de ce modèle, nous avons identifié une rupture en niveau pour 1919-1921 et Il valeurs aberrantes, soit en 1839, 1842-1843, 1844-1845 et 1940-1945. Ces interventions, décrites au tableau n° 1, sont utilisées pour tous les modèles STS estimés.
Revue française.: d'économie, nO 4/vo1 XX1V
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121
Tableau 1 Interventions STS Coefficient
RMSE
t-value
Prob
Level break 1919 (1)
-0.11012
0.02109
-5.22169
[0.00000]
Level break 1920 (1)
-0.06625
0.02088
-3.17326
[0.00181]
Level break 1921 (1)
-0.02995
0.02109
-1.42031
[0.00745]
Outlier 1839 (1)
0.03322
0.01501
2.21318
[0.02829]
Outlier 1842 (1)
-0.05656
0.02020
-2.79976
[0.00574] [0.00321]
Outlier 1843 (1)
-0.07844
0.02622
-2.99203
Outlier 1844 (1)
-0.05863
0.02621
-2.23695
[0.02666]
Outlier 1845 (1)
-0.03918
0.02019
-1.94126
[0.02397]
Outlier 1940 (1)
0.09397
0.02047
4.59008
[0.00001]
Outlier 1941 (1)
0.17812
0.02770
6.43090
[0.00000]
Outlier 1942 (1)
0.18779
0.03075
6.10648
[0.00000]
Outlier 1943 (1)
0.18437
0.03075
5.99526
[0.00000]
Outlier 1944 (1)
0.12046
0.02770
4.34902
[0.00002]
Outlier 1945 (1)
0.05549
0.02047
2.71074
[0.00744]
Note: Level break = rupture en niveau. Outlier = valeur aberrante.
L'estimation du modèle 1 donne: al; = 4.32086e-007, 1/10.6,p = 0.774, ordre=l, absence de composante irrégulière et très forte convergence. A titre d'alternative, nous imposons la contrainte que la pente de la variable est une constante (a~ = 0) (modèle 2). L'estimation rend : a~ = 0.000305, a~ = 9.08007e-005, À = 1/9.3, p = 0.8.2, ordre= 1, absence de composante irrégulière et très forte convergence. Nous estimons finalement un modèle (modèle 3) pour lequel nous autorisons explicitement un cycle long d'une période de 50 ans, un cycle court d'une période de 10 ans et une tendance lisse (a~ = 0). L'estimation donne : a~ = 5.424e-007, cycle 1 : a~ = 0.00024, À = 1/10.84, p = 0.76 ; cycle 2 : a~ = 5.948e005, À = 1/50, p = 0.94, une composante irrégulière a~ = 3.178e-006 et une très forte convergence. Les coefficients estimés et les t-valeurs des interventions sont similaires dans les trois modèles.
a~ = 0.0001325, a~ = 0.000202, À =
Revue fr.lI1çaisc d'économie, n° 4/vo] XXIV
122
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Comme on peut le constater sur la figure n° 9a, les séries ajustées des modèles 1 et 3 sont identiques, alors que l'ajustement du modèle 2 rend un niveau légèrement plus élevé du PIB depuis 1919. La figure n° 9b montre que la tendance du modèle 2 est la plus volatile, tandis que celle du modèle 3 est la moins volatile. La figure n° 9c montre que la pente du modèle 3 est plus volatile que celle du modèle 1. La pente du modèle 2 est une constante par définition. Si nous considérons les chocs qui expliquent ces pentes (figure n° 9d), nous trouvons une sorte de dynamique de long terme qui est stationnaire par définition, mais pas régulière. Figure 9
Les composantes tendancielles STS pour le PIB ajusté du Royaume-Uni [
10~
........ Log UK GDF - - Log UK GDP adj. Modell - L o UKGDPad',Modcl2 - - 1..0 UKGOPad',Model3
a)
t
9r
[. . . . . . . . . . .
_.L
1
1850 0'0225[ c)
~
.........
8lL~__. .~.....L.~_--'1.
1950
2000
....-;,..;:: 0.00031
________
- - SlopeModel1 -SlopeModclj .......... " ........ Slo eModd3 . ,....;..-/
0.0200
•....... UK GDP ...... Leve! Model 1 Leve! Model 2 - - Level Model 3
!""......
1
1900
b) 10
0.0002
1850
0.0175
l ........
......
0.0150~ _~-'\ \:',
d)
0.0125 1
,,<,/ \·~<'=.=.·~2
1850
rl
/..
1900
-00001
,
-00002
1950
2000
:~ tf""
V'"
i,I._,
J
2000
~.I..'...;.,
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00001
~ 1
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1
Ï\
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~
J
~j \~V \) v\ JfiIJ '1-··-----·V .. \...
/ . '[/\ 00000 l
/.,'
1950
r==·l~[Jifl'·.§"Q, M"dd;\ ........ 1. DitT~~~Q' M"dcI3!
/ 1
__
1900
1
1900
_
~--'-_~--l_ 1950
2000
Les interventions estimées des modèles 1 et 3 qui sont décrites à la figure n° 1Da sont identiques. Les interventions des modèles 1 et 3 - figure n° 1Da - sont également identiques. Celles du modèle 2 diffèrent l'une de l'autre par leur ampleur, mais non par leur timing. Par conséquent, les disparités cycliques résultent de différences dans les composantes tendancielles dif-
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férentes (figure n° lOb). Les cycles à court terme des modèles 1 et 3 sont presque identiques, mais celui du modèle 3 a une amplitude légèrement plus grande. Le cycle du modèle 2 a la plus petite amplitude. Les pics et creux des cycles de court terme sont identiques dans les trois modèles. FigurelO Interventions STS et cycles de court terme pour le PIB anglais -
Interventions Model 1 ......... lnIervenlions Model21
..... Interventions Model 3
-0.1
·0.2
1. ......,.........11
1840
:." ............. ! ....................,_.!.\!!=~.._.._.~... ,,'-'~,.._"'-=~.----'_
1860
1880
1900
1920
1940
1960
1980
2000
1860
1880
1900
1920
1940
1960
1980
2000
Note: Interventions model 1 = les interventions du modèle 1. Cycle Model1 = modèle cyclique 1.
A la différence des modèles 1 et 2, nous avons découvert un cycle long dans le modèle 3. Ce dernier fait partie de la composante stationnaire du modèle 3 qui comporte deux cycles et un aléa. La figure n° Il montre que ce cycle long peut être considéré comme une sorte de composante stationnaire lissée. Il existe évidemment un cycle long dans le PIB ajusté. De plus, ce dernier s'ajuste assez bien aux séries d'ondes longues simulées comme le montre la figure n° Il b. La présence d'un cycle long estimé est également confirmée quand on applique un filtre passe-bande de Stier avec [60, 20] aux séries du PIB ajustées.
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Bien que le cycle long filtré de la figure n° Il a diffère de celui du cycle modélisé, la concordance générale est très bonne. Les disparités qui subsistent résultent du fait que les fonctions de gain des composantes STS ne sont pas égales à 1 (resp. 0) pour le filtre passe-bande (resp. le filtre avec arrêt sur bande), ainsi que l'indique la figure n° 12. Le modèle STS ne conduit évidemment pas aux filtres passe-bas, passe-haut et passe-bande idéaux, développés dans l'analyse de la mise au point de filtres. Figure Il
Cycle long dans le PIB anglais d' aprè~ le modèle 3 ~.. Sta1. component Model3 --- Stier band-pass ~ ~- <:)cle 2 Model3 ,
"",') l,' o.ool -0.05 f
"
L
if 1~~':-::0----::1-=-86:::C0~---::1:'"::880
1900
1920
1940
1960
1980
2000
Note: Stat. component model 3 = composante statistique du modèle 3. Stier bandpass = passe-bande de Stier. Simulated long wave = onde longue simulée.
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125
Figure 12 Fonctions de gain des composantes STS 1.00
075~
1-- Gain of Level x cycle per yearl
1-- Gain of Slope
0.04
x
cycle per year
1
0.50 0.02
0.25
0.0
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
n.n
0.1
0.2
0.3
0.4
n.s
O.7S!-
l
1-- Gain of Cycle 1 x cycle per yearl
O.50~
1-- Gain of Cycle 2 x cycle per yearl
0.25
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
0.0
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
Note: Gain of level = niveau de gain. Cycle per year= cycle par an. Gain of slope = gain de pente. Gain of cycle = gain du cycle.
Par ailleurs, la fonction de gain de la pente exhibe un pic sur l'intervalle des ondes longues. Pour améliorer les caractéristiques du filtre du modèle 3, on peut essayer de construire un modèle avec de meilleures caractéristiques pour le filtre. A cette fin, on peut limiter l'ordre des cycles et/ou de la pente. On obtient alors une fréquence « coupée» des fonctions de gain des composantes modélisées. On ne poursuivra néanmoins pas ce type de modélisation ici. La figure n° 13 montre la façon dont le filtre de Stier reproduit les fréquences sur l'intervalle correspondant aux ondes longues. Elle décrit aussi les périodogrammes des différences premières de la série du PIB ajustée ainsi que des différences premières des cycles modélisés et filtrés. Evidemment, le filtre de Stier reproduit alors plus exactement que le modèle 3 les composantes de cette bande de fréquences.
Revue françai.~c d'économie, n° 4/vol XXIV
126
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Figure 13 Périodogrammes des différences premières du PIB ajusté et des différences premières des cycles longs Periodogram
.......... 1. DifIUKGDP adj. Mod.3 _':-I.Diff,cycle2ModeI31 1 .1. Diff. Stier Band-pass ,
----n--_
Long cycles
-------
0.0
BusincssC}{:les
0.5
1.0
Note: Periodogram = périodogramme. 1.Diff UK GDP ajust Mod 3 = différences premières du PIB britannique ajusté au modèle 3. 1. Diff. Stier Band-pass = différences premières du passe-bande de Stier. 1. Diff. Cycle 2 Model 3 = différences premières dans le cycle 2 du modèle 3. Long cycles = cycles longs. Business Cycles = cycles économiques. Trend = tendance.
Ces exemples ont montré que les cycles longs du PIB britannique pouvaient être trouvés grâce à un modèle STS contraint pour lequel plusieurs chocs majeurs ont été considérés comme des interventions. De plus, nous avons démontré que le cycle long estimé peut être très bien reproduit par le filtre passebande idéal si les paramètres du filtre sont choisis de manière appropriée. Quoique les cycles estimés et filtrés correspondent bien au contenu en fréquences des différences premières des séries ajustées, l'existence d'un cycle long pour le PIB britannique doit être envisagée avec précaution. Premièrement, il faut s'assurer que les interventions considérées sont en concordance avec tous les chocs majeurs qui ont réellement influencé le cours du PIB
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127
de 1830 à 2006. Ce problème devrait être davantage analysé en utilisant les procédures alternatives de détection et d'ajustement des valeurs aberrantes. Deuxièmement, comme la variance du cycle de long terme estimé et filtré est très petite comparée à la variance globale de la série, la question de la pertinence des ondes longues pour le développement à long terme se pose. Une telle question mériterait de faire l'objet d'investigations supplémentaires.
Nous avons commencé par discuter et analyser les méthodes de Kondratieff dans l'optique du cycle économique classique. La «tendance séculaire» a été identifiée comme le problème central non résolu de cette période. Nous avons poursuivi avec les modèles ARIMA et l'analyse spectrale analysés comme instruments appropriés pour détecter les ondes longues. Cependant, nous avons vérifié que ni l'une ni l'autre de ces méthodologies ne fournissaient d'indications quant à l'existence d'ondes longues dans les taux de croissance des séries de la production globale. Pour résoudre l'énigme des ondes longues, nous avons introduit l'approche par les filtres. Plus particulièrement, nous avons montré que les filtres de Stier et de Christiano-Fitzgerald constituaient des instruments appropriés pour l'étude des ondes longues. Nous avons également montré que l'approche par les filtres était mise en cause par l'hypothèse de tendance stochastique qui affirme que les séries temporelles économiques suivent des tendances stochastiques. Il en découle que les ondes longues identifiées à ce jour pourraient être le produit d'une méthode erronée d'élimination de la tendance. Cependant l'hypothèse de tendance stochastique a été elle-même contestée par les tenants Revue fr~mç
128
Rainer Metz
de rupture de tendance. D'après ces derniers, la plupart des séries du PIB suivent non pas une tendance stochastique, mais une tendance linéaire brisée. Bien que la plupart des modèles de rupture de tendance identifiés dans la littérature impliquent des ondes longues, nous n'avons pas développé davantage cette stratégie de modélisation. Nous avons plutôt mis l'accent sur le fait que le développement de long terme résulte de processus stochastiques engendrés par des chocs réguliers ou endogènes et parfois perturbés par des chocs irréguliers ou exogènes que nous avons baptisés valeurs aberrantes ou interventions. Modéliser les tendances et les cycles de long terme exige donc d'identifier à la fois les chocs réguliers et irréguliers et d'ajuster les séries historiques aux chocs irréguliers. Seules les séries ainsi ajustées représentent des processus réguliers et non perturbés de la croissance et des cycles économiques. Les interventions, quant à elles, montrent comment les chocs majeurs de l'histoire les ont influencés. Les séries ajustées pour les valeurs aberrantes sont perçues comme étant la seule base fiable pour l'analyse des ondes longues. Dans cette optique, les modèles stochastiques ainsi que les filtres idéaux peuvent être utilisés pour vérifier l'existence et la pertinence de telles fluctuations. Le modèle basé sur l'identification des valeurs aberrantes et l'ajustement des séries en conséquence place donc au cœur de l'analyse statistique les mouvements telles les tendances ou les ondes longues, qui relèvent des basses fréquences. Nous pouvons affirmer que le développement des méthodes d'analyse des séries temporelles depuis Kondratieff a créé des instruments puissants capables de modéliser les tendances stochastiques et les cycles ainsi que de filtrer correctement des fréquences spécifiques. De plus, la possibilité de combiner les méthodes relevant du domaine temporel et celles utilisées dans le domaine des fréquences permet de comparer leurs résultats respectifs autant que leur pertinence globale. Les recherches futures sur les tendances et les cycles longs devraient appliquer ces méthodes à une large gamme de séries temporelles historiques. Toutefois, plus la période considérée est longue et plus les valeurs aberrantes et les interventions doivent être prises en compte
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d'économi~,
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129
sérieusement. La combinaison judicieuse des modèles d'identification des valeurs aberrantes et des modèles d'estimation des composantes des séries stochastiques couplée avec les filtres idéaux et l'analyse dans le domaine des fréquences devraient à l'avenir mettre à l'avant-plan l'étude des mouvements de basses fréquences. Si les séries temporelles étaient analysées minutieusement dans leurs composantes stochastiques endogènes et exogènes, nous pourrions alors nous diriger vers une modélisation multivariée qui offre la possibilité d'analyser la coïntégration des tendances et des cycles de long terme.
Rainer Metz est professeur à GESIS - Leibniz Institute for the Social Sciences et à l'université de St-Galien. Adresse: GESIS- Leibniz Institute for the Social Sciences, Liliencronstr.6, D-50931 Cologne. Téléphone: (49) 221 7769436 - Email:
[email protected]
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Notes 1. « Le nombre n'est pas très grand, puisque, malheureusement, le travail statistique nécessaire pour calculer un périodogramme admet une offre strictementlimitée ». (Davis [1941] p. 276). 2. On peut se référer aux ouvrages de Davis [1941] et Klein [2005] pour de plus amples informations. 3. Cette série est également prise comme exemple dans l'article de Garvy [1943]. Ce dernier avançait plusieurs critiques à l'égard de Kondratieff: la forme choisie pour la tendance, la signification des résultats, la régularité affirmée du phénomène ainsi que l'hypothèse dont il se sert pour expliquer les cycles longs. Selon Garvy, la plupart des critiques russes ont fait remarquer que seules les oscillations dans le mouvement des prix ont été retenues. Or, celles-ci ne peuvent être interprétées comme des causes endogènes de la dynamique capitaliste. 4. Calculées avec EViews6. 5. Certaines illustrations figurent dans Metz [2008]. 6. De plus, pour le filtre CF, nous choisissons un ajustement l(l) avec dérive. Les calculs ont été réalisés avec EViews6. Le filtre de Stier peut être obtenu sur simple demande auprès de l'auteur. 7. Un autre point concerne la question très importante de savoir comment la relation entre la série issue de tendances stochastiques peut être estimée. Ce problème ne se pose néanmoins pas dans l'optique de la décomposition des séries univariées. 8. Par exemple Harvey/Jager [1993], Murray [2003] et Cogley [2008].
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9. Le test ADF émane de Said et Dickey [1984] et le test PP de Phillips et Perron [1988].
10. Pour une vue d'ensemble, voir Stock [1999]. 11. Tous les calculs ont été réalisés sur EViews6. 12. Les valeurs critiques sont: 1% = -4,0869,5% = -3,4717, 10% = -3,163. 13. Les valeurs critiques sont les mêmes que celles du test ADF. 14. Statistique LM = 0,28389. Valeurs critiques : 1% = 0,216,5%= 0,146, 10% = 0,119. 15. TRAMO : Time Series Regression with ARIMA Noise, Missing Observations and Outliers ; SEATS : Signal Extraction in ARIMA Time Series. 16. Il y a deux manières d'estimer les composantes BN (Morley [2007]). Beveridge et Nelson [1981] ont suggéré un filtre unilatéral basé sur la représentation ARIMA estimée de la série. Proietti et Harvey [2000] ont proposé un lisseur BN qui évite les désavantages du filtre unilatéral. 17. Rappelons qu'une tendance 1(2) n'est pas compatible avec les résultats fournis par l'approche ARIMA. 18. Une telle approche est tout à fait dans l'esprit de Perron ([ 1989], p. 251) :« [ ... ] les chocs courants constituent une combinaison de chocs transitoires et temporaires et [ ... ] et la réponse de long terme d'une série à un choc courant dépend de l'importance relative et de la « taille » des deux types de chocs. »
Rainer Metz
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Revue françaisl' d'économie. nO 4/vol XXIV
Olivier DAMETTE Zohra RABAH La datation du cycle français: une approche probabiliste
ampleur de la récession de l'économie française à partir du troisième trimestre 2008 a rappelé l'intérêt de repérer et de prévoir les points de retournement de l'activité économique. Elle a ramené sur le devant de la scène les travaux qui visent à analyser la conjoncture et plus particulièrement le
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Olivier Damette et Zohra Rabah
cycle économique. La dynamique d'expansion de l'économie ne suit pas un sentier de croissance régulier mais bien une trajectoire heurtée, faite de mouvements plus ou moins prononcés à la hausse ou à la baisse de l'activité. Il existe donc toujours des cycles économiques (pour ne parler que des cycles courts). Un des buts de l'analyse conjoncturelle (voir par exemple A. Sauvy [1977]) est de caractériser les fluctuations économiques et de dater les éventuels changements des phases du cycle. Elle est nécessaire au cadrage des politiques économiques, tant pour ce qui concerne les finances publiques que la politique monétaire. Les grandes institutions (FMI, OCDE ... ), les ministères des finances et les banques centrales, développent dans cette perspective leurs propres analyses de la conjoncture. La caractérisation et la prévision des cycles économiques font l'objet le plus souvent d'analyses empiriques. Le développement des techniques économétriques, en particulier en matière de séries temporelles, a contribué au renouveau de ces analyses depuis une dizaine d'années. A notre connaissance, la littérature spécifiquement dédiée à la caractérisation du cycle de l'économie française est relativement restreinte. Elle peut se résumer principalement aux travaux de Fayolle [1993], Allard [1994] et Portier [1994]. Ces travaux remontent en outre - sans que cela soit réellement une coïncidence - à la dernière crise d'ampleur rencontrée par l'économie française (nonobstant la crise actuelle), celle de 1993. Sur le plan de la méthodologie statistique, il s'agissait pour l'essentiel d'extraire une composante cyclique et une tendance de long terme de la chronique du PIB à l'aide du filtre développé par Hodrick et Prescott [1980]. Globalement, la période étudiée couvrait les années 1950 à 1990. On trouve cependant - sans que notre recensement soit exhaustif - des travaux relatifs au cycle français, développés sur des panels de grands pays industrialisés ou de la zone euro: c'est le cas de Nilsonn [1987], Rabault [1993], Bouthevillain [1996], Peersman et Smets [2001], Nguiffo-Boyom [2006] ou Anas, Billio, Ferrara et Lo Duca [2007]. Nilsonn [1987] et BouthevilIain [1996] s'inscrivent dans la lignée d'Allard [1994] et de Por-
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tier [1994]. Le travail majeur de Rabault [1993] - à un degré moindre celui des économistes de la BCE (Banque centrale européenne) Peersman et Smets [2001]! - se distingue en proposant une première application du modèle à changement de régime markovien de Hamilton [1989] au PIB français tout comme à celui de cinq autres grands pays industrialisés. Ce travail est remarquable en ce sens que la méthode d'Hamilton n'avait été appliquée jusqu'ici - avec succès d'ailleurs 2 - qu'à l'économie américaine. Anas et al. [2007], quant à eux, travaillent à la fois sur les données agrégées du PIB et de l'IPI (indice de production industrielle) de la zone euro à partir de l'algorithme de Bry et Boshan [1971]. Les travaux de Nguiffo-Boyom [2006], auxquels on peut rattacher les écrits de Doz et Langlart [1999], sont menés à partir d'enquêtes d'opinion sur le climat des affaires (notamment dans l'industrie et le bâtiment) plutôt que sur le PIB directement. Cet article apporte une nouvelle contribution à la datation des points de retournement du cycle économique français. Précisons-le d'emblée, nous procédons ici à une datation historique du cycle (par opposition aux analyses de détection et de prévision des mouvements cycliques en temps réel, qui réestiment chaque mois ou chaque trimestre leur modèle en fonction de la parution de nouvelles informations) fondée uniquement sur le cycle d'activité ou « business cycle» dans la terminologie anglosaxonne. Ce choix n'est pas anodin, puisque la littérature s'intéresse également à d'autres concepts de cycle (ceux de croissance et d'accélération). Le cycle d'activité, encore appelé cycle des affaires ou cycle économique, se rapporte aux fluctuations de l'activité globale telles quelles ont été définies à l'origine par Burns et Mitchell [1946]. Comme Ferrara ([2009], p. 706) l'a rappelé, les points de retournement du cycle d'activité opposent les périodes de croissance négative (les récessions) aux périodes de croissance positive (les expansions). Ce cycle peut donc être obtenu à partir de la série brute du PIB d'un pays. Ce n'est en revanche pas le cas des autres concepts mentionnés précédemment, dont l'obtention nécessite un certain nombre de manipulations économétriques. C'est le cas par exemple du cycle de
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croissance (Mintz [1969]) qui mesure l'écart à la tendance de long terme de l'agrégat étudié et qui s'obtient par diverses techniques de décomposition. Un tel cycle est donc sensible à la technique de décomposition utilisée, la tendance de long terme n'étant pas connue. A ce titre, Harding et Pagan [2004] ne le considèrent pas comme une définition satisfaisante et complète du cycle économique effectif. Pour ces derniers, l'existence d'un cycle ne doit pas être tributaire de la méthode d'extraction de la composante tendancielle. Par ailleurs, comme Ferrara [2009] l'a également noté, l'estimation du cycle de croissance est biaisée, car elle se heurte à des effets de bord dus à la méconnaissance du futur. Cela pose donc des problèmes car l'utilisation des filtres nécessite de connaître précisément les derniers points de la série étudiée. Pour l'ensemble de ces raisons, on préférera donc mesurer le cycle classique, c'est-à-dire du niveau du PIE, dans le reste de cet article. Par ailleurs, comme le mentionnent Anas et Ferrara [2002], une méthode qui est appropriée pour estimer le cycle classique n'est pas forcément efficace pour apprécier les cycles de croissance et d'accélération en raison des différents niveaux de volatilité et de lissage des séries étudiées. L'objet de notre travail est de tester la pertinence du modèle à changement de régime markovien, développé originellement par Hamilton [1989], pour détecter les points de retournement de l'économie française de 1970 à nos jours à partir du seul cycle d'activité. La justification de notre travail se fonde sur les points suivants. En premier lieu, il n'existe pas en France de datation officielle du cycle, contrairement aux Etats-Unis où le NBER (National Bureau of Economic Research) dresse une chronologie depuis 1854. En deuxième lieu, la capacité des modèles de datation probabiliste à rendre compte des cycles d'activité a été très controversée, notamment après le travail pionnier d'Hamilton [1989], relayé en particulier dans les écrits de Kim [1994]. De nombreuses études leur préfèrent une analyse statistique non paramétrique, c'est-à-dire ne reposant sur aucun modèle a priori, comme celle
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de Bry-Boshan, et dont l'avantage est d'être plus aisée à mettre en œuvre. En troisième lieu, l'application des méthodes paramétriques de type changement de régime markovien 3 à l'économie française est relativement rare. Seuls n'existent, à notre connaissance, que les travaux de Rabault [1993] et Peersman et Smets [2001] cités plus haut. Le premier article, complètement dédié à cette méthodologie a en outre été réalisé il y a déjà plus de quinze ans. Une nouvelle application apparaît souhaitable pour rendre compte réellement de la capacité du modèle de Hamilton à dater le cycle français. Le but de cet article est donc d'appliquer les modèles probabilistes markoviens au cas français en intégrant le plus possible les fluctuations économiques récentes. On travaille en effet ici sur un échantillon (du premier trimestre 1970 au troisième trimestre 2009) qui intègre pour la première fois des données sur la dernière récession. Nous comparerons les résultats dérivés de l'approche de Hamilton à ceux obtenus en recourant à une approche non paramétrique du type Bry-Boshan [1971] et Harding et Pagan [2002]. Le plan de l'article est le suivant. Dans la première section, nous revenons sur l'intérêt, controversé, du modèle à changement de régime markovien. La deuxième section précise la méthodologie empirique utilisée pour dater le cycle français. Les résultats obtenus et la robustesse de l'analyse sont analysés dans la troisième section.
.
,,,
Modèles probabilistes : Interet et controverse Quel est l'intérêt de l'outil choisi, à savoir la datation probabiliste sur base d'un changement de régime markovien (Hamilton [1989, 1990], Kim [1994], Kim et Nelson [1999]) ? Parmi les
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différents outils empiriques utilisés pour évaluer les points de retournement du cycle, il est certainement l'un des plus utilisés et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, cette méthodologie présente l'avantage d'être complètement athéorique ; elle ne nécessite en effet qu'un minimum d'a priori sur la définition du cycle. Les premiers résultats obtenus par Hamilton [1989] retranscrivent pourtant de façon satisfaisante la datation des points de retournement effectuée par le NBER américain, ce qui est par ailleurs sans doute l'une des clés de la popularité de ce type de méthode. En deuxième lieu, la méthodologie d'Hamilton prend explicitement en considération les asymétries cycliques. Il existe en effet un constat bien établi dans la littérature: la durée et l'amplitude des mouvements d'expansion excèdent toujours celles des contractions: par exemple, selon Anas et Ferrara [2007], la durée moyenne d'une phase de récession depuis 1970 est de l'ordre d'une année, contre seize ans pour une phase d'expansion. C'est cette particularité qui justifie le recours aux modèles non linéaires. Selon Rabault [1993], contrairement aux modèles linéaires traditionnels de type ARIMA (Nelson et Plosser [1982]) ou à composantes inobservées (Watson [1986]), celui de Hamilton permet à l'économie de se situer dans deux états ou régimes distincts: un d'expansion et un autre de récession. Dans chacun de ces régimes (certains travaux en spécifient trois: croissance soutenue, croissance modérée et récession, voir notamment Ferrara [2002]), la série étudiée suit un processus autorégressif dont la moyenne diffère selon l'état dans lequel se trouve l'économie. On parle alors de modèle à changement de régime markovien, car le mécanisme de transition entre les différents états repose sur une chaîne de Markov stationnaire. En troisième lieu, Bellone [2006], Chauvet et Hamilton [2006] et Chauvet et Piger [2003] insistent sur la plus grande rapidité des modèles à changements de régime markovien à dater le cycle, comparativement à la chronologie du NBER qui présente l'inconvénient d'être tardivement publiée. Ainsi, par exemple, l'entrée en récession de l'économie américaine en décembre 2007 n'a été annoncée qu'en décembre 2008, soit un an plus tard. Cela
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traduit une certaine prudence du NBER, ses annonces pouvant générer des retournements des marchés financiers notamment. Lutilité du modèle à changement de régime markovien a cependant été partiellement remise en cause par Kim et Nelson [1994] : en effet, sur la période 1952-1995, ces deux auteurs ne parviennent pas à fournir des estimations raisonnables des paramètres pertinents, l'application du modèle de Hamilton ne permettant pas notamment de dater l'ensemble des récessions de l'économie américaine. D'une manière générale, comme le relève Rabault [1993], le pouvoir explicatif du modèle de Hamilton est très variable d'un pays à un autre: contrairement aux EtatsUnis, au Japon ou à l'Allemagne dans une moindre mesure, le modèle ne permet pas de dater convenablement les points de retournement du cycle français et par là les passages en récession. Cette hétérogénéité des conclusions empiriques a alimenté une discussion sur l'utilisation de tels modèles (cf. Hamilton et Harding et Pagan dans le Journal of Economie Dynamics and Control entre 2002 et 2003, pour qui l'approche paramétrique de Hamilton ne pourrait constituer une méthode de datation intéressante4.)
L'approche de Hamilton: fondements • • et estImatIon
Les fondements
Soit donc Yt' le taux de croissance du PIB trimestriel réel (<< en volume»), différence première du logarithme. Lévolution de ce taux de croissance peut être représentée par un modèle auto régressif d'ordre pou AR(P) , dont la particularité est d'intégrer un changement de régimes: Revue française d'économie. nO 4/vol XXIV
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Yt = J.1s, + rp] (Yt-I - J.1S,_,) + rp2 (Yt-2 - J.1S'_2) + ... + rpp (Yt-p - J.1s,_p) + Gt( 1 ) pour tout t ET et où et est un bruit blanc gaussien de variance finie inconnue tel que et : N(0,a 2). Le taux de croissance du PIB s'écrit donc comme la combinaison d'un processus auto régressif d'ordre p et d'une constante Ils t dont la valeur dépend de l'état de l'économie noté St" I.:innovation de Hamilton est bien d'avoir ainsi introduit une variable inobservable représentant l'état de l'économie à chaque période 5• On parle de modèle à changement de régime markovien car l'état inobservable de l'économie peut appartenir à plusieurs états de régime possibles, notés K Dans la forme la plus simple, le nombre de régimes est fixé à deux 6 : l'un à dynamique de croissance forte (appelé régime d'expansion) et l'autre à dynamique de croissance négative (appelé régime de récession). Les probabilités d'occurrence de cette variable inobservable à chaque période sont liées, par hypothèse, par une chaîne de Markov, ce qui justifie l'appellation de modèle à changement de régime markovien. De ce fait, la variable Ils[ est la moyenne du processus et peut donc s'écrire: (2)
Lorsque l'économie connaît un état de récession, la variable prend la valeur zéro, tandis qu'elle est égale à l'unité lorsque l'état de l'économie est en expansion. Le modèle à changement de régime suppose que d'une période à une autre, par exemple entre t et t + 1, l'activité économique peut passer d'un état à un autre. Si la dynamique de l'économie évolue d'un état St = 1 à un état St+i = 0, alors elle indiquera un passage en récession. En conséquence, le taux de croissance de l'activité économique transite de III à Ila, c'est-à-dire de la moyenne du régime d'expansion à celle du régime de contraction. La probabilité de passage d'un état à un autre est obtenue par le biais des probabilités de transition. Dans le dernier exemple où l'économie
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passe d'un état d'expansion à un état de récession, la probabilité de transition est alors notée PlO' Les transitions entre les états sont markoviennes dans le sens où elles obéissent à une chaîne de Markov d'ordre un. Cette dernière est homogène, irréductible et indépendante du bruit blanc Et" Son évolution est donc gouvernée par des probabilités de transition markoviennes stationnaires, par conséquent indépendantes de t. Comme il s'agit d'une chaîne de Markov, les probabilités évoluent indépendamment des valeurs retardées de la série elle-même. Un processus est markovien parce qu'il intègre la mémoire du passé uniquement via une information sur l'état le plus récent. Les probabilités sont définies comme suit:
Les probabilités de transition Pi} mesurent ainsi la probabilité de rester dans un régime identique ou au contraire, de changer de régime. Par définition, il existe quatre probabilités de transition différentes:
P (St = 11 St_1 = 1) = Pli
= 0 St-! = 1) = 1- Pli P (St = 0 SI_I = 0) = Poo P (SI = 11 St-! = 0) = 1- Poo P (St
1
1
Elles constituent également une mesure de la persistance de chaque régime et permettent aussi de calculer leur durée moyenne. De ce fait, la durée moyenne d'une période de récession ou «d'état zéro)} s'écrit comme une fonction inverse de la probabilité de demeurer en récession: 00
Lkp~~l (1- Poo) = (1- POO)-I
(3)
k=O
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De manière similaire, la durée moyenne d'une période d'expansion s'écrit: 00
'Llptl- (1- Pli) = (1- Pllf l I
(4)
bO
La construction d'une chronologie Le modèle de Hamilton a pour but de permettre d'établir une chronologie du cycle. Il s'agit de classer la dynamique de l'économie française selon les deux régimes précédemment définis à partir des probabilités obtenues par l'estimation du modèle. La règle à appliquer selon Hamilton [1989] est de repérer le régime d'appartenance de chaque état de l'économie selon la probabilité lissée la plus élevée:
~
où St est l'état de l'économie estimé à la période t et N la taille de l'échantillon. Dans le cas où l'on postule uniquement l'existence de deux régimes distincts, cette règle de classification est simplifiée. On repèrera une récession si la probabilité d'appartenir à un « état zéro» est supérieure à 50% : Pr(St = O/QT) > 0,5. Inversement, une probabilité lissée inférieure à 50% désignera une période d'expansion: Pr(St = 01 QT) ::5 0,5. Pour comparer les résultats obtenus selon cette méthode à la classification établie par le NBER, une récession ne sera considérée comme telle que si deux périodes consécutives, en l'occurrence deux trimestres, mettent en exergue une probabilité supérieure à 50%. Lidentification de toutes les probabilités de transition de la variable d'état permet ainsi la datation des points de retournement du cycle économique. Un pic survenant à la période t marque alors le fait que l'économie est passée d'un état d'expan-
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sion en t à un état de récession à la période suivante t+ 1. Cela se traduit au niveau des probabilités lissées par le passage de Pr(récession en tl QT)sO,5 à Pr(récession en t+11 QT»0,5. Parallèlement, un creux désigne la dernière période d'une phase de récession. On a alors: Pr(récession en tl QT»0,5 et Pr(récession en t+ 11 QT)sO,5.
La datation probabiliste du cycle français
Principaux résultats Nous avons estimé le modèle présenté précédemment pour la France à partir de données de l'OCDE pour la période allant du premier trimestre de l'année 1970 au troisième trimestre de l'année 2009. Dans un premier temps, nous estimons le modèle à deux régimes de Hamilton [1989] sur la totalité de l'échantillon. Nous retenons quatre retards dans l'expression (1) du taux de croissance du PIB?, ce qui équivaut aux choix arbitraire (ou totalement athéorique) retenu par Hamilton pour l'économie américaine [1989] mais diverge de l'étude de Rabault [1993] qui retient trois retards pour la France sur la période 1950-1990. Nous fixons les paramètres initiaux à 0,95 pour la probabilité d'être en expansion et à 0,65 pour ce qui concerne la probabilité d'être en récession. Cela correspond à des durées moyennes de phases de vingt et trois trimestres respectivement8 • L'estimation du modèle ainsi défini sur l'ensemble de l'échantillon fournit les probabilités lissées suivantes:
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Graphique 1 Probabilités lissées obtenues à partir de l'estimation du modèle de Hamilton 1.00 , - -_ _,-_----.--_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _-,,----,
0.75
0.50
0.25
L application du modèle de Hamilton au PIB français permet de dater trois récessions (cf graphique n° 1) : 1974, 1980 et 2008-2009. Les deux chocs pétroliers (probabilités lissées valant 1 et 0,75 respectivement sur le graphique n° 1) sont donc clairement identifiés par le modèle. La forte récession liée à la crise des subprimes est également bien mise en évidence. Il n'en va pas de même en revanche pour ce qui est de la crise de 1992-1993 qui était également consécutive à un retournement du marché immobilier mais surtout à une montée des taux d'intérêt liée à la préparation de la zone euro et à une crise de change. On peut penser que l'incapacité du modèle originel à repérer la crise de 1992-1993 est lié au positionnement de cette période dans notre échantillon. Elle s'avère être en effet la première récession postérieure à 1980, c'est-à-dire la première récession dans une nouvelle période marquée à la fois par une croissance et une inflation faibles. A l'inverse, les deux précédentes récessions apparaissent clairement comme des points singuliers dans une période qui marque la fin de ce qu'il est convenu d'appeler les Trente Glorieuses et interviennent dans une période encore marquée par une croissance moyenne relativement forte. Lincapacité du modèle à prendre en considération le changement de rythme de croissance entre les Trente Glorieuses et la période post 1980 pour-
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rait expliquer ce phénomène comme l'explique le paragraphe suivant.
Présence d'une rupture et méthodologie de Kim Kim [1994] a proposé une version étendue du modèle originel d'Hamilton en y introduisant une variable binaire qui permet de tenir compte du changement structurel de rythme de croissance. Cette extension semble tout à fait appropriée dans le cas du PIB français sur la période étudiée (cf graphique n° 2) : la dynamique de taux de croissance n'est pas complètement homogène sur l'échantillon total. Il est en revanche possible de distinguer deux grandes sous-périodes. La première fait état d'une dynamique de croissance forte de 1970 à 1979 ; la seconde présente un rythme de croissance plus faible et s'étale de 1980 à 2009. Plus précisément, il ressort que le taux de croissance moyen du PIB sur la période 1970-1979 est de l'ordre de 1%. Sur la deuxième souspériode, ce taux de croissance moyen tombe à environ 0,5%. Graphique 2 Taux de croissance trimestriel du PIB français depuis 1970 2.0 -,--_---,-_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _----,
1.5 1.0
0.5 0.0
+---++------j,/'--'-----C.---flt-'-\\-I-----"-'-'---ltI-'1'---'--t-----1
-0.5 -1.0 -1.5
Cette rupture de croissance est imputable à certains phénomènes structurels ayant entamé la dynamique de croissance de l'économie française à la fin des années 1970. Le choc pétrolier
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fral1çai,~c
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de 1974 et ses conséquences, puis le second choc pétrolier de 1979 ont indéniablement conduit à un ralentissement de l'activité. Le taux de croissance du PIB français est alors devenu plus faible à partir de la fin des années 1970 tandis que la politique monétaire devenait essentiellement désinflationniste jusqu'au milieu des années 1990. La baisse structurelle de la croissance française peut être la résultante en grande partie de la flexion très nette du taux de croissance tendanciel de la productivité à partir du premier choc pétrolier 9 • On peut penser que ce changement structurel explique l'incapacité du modèle de Hamilton à dater toutes les récessions. Plus précisément, la survenance de la forte récession de 1974 apparaît comme un point aberrant dans une période de forte croissance et empêche dans une certaine mesure le modèle de détecter la récession de 1993, de plus faible ampleur. Pour mettre en exergue ce phénomène, nous estimons une nouvelle fois le modèle sur la seule période 1979-2009. L'année 1979, que nous considérons comme la date de rupture, n'est pas postulée de façon arbitraire. Outre la rupture observée sur le graphique n° 2 et déjà commentée, nous effectuons parallèlement un test de Chow qui confirmerait la présence d'une rupture pour cette année précise (tableau n° 1). Par ailleurs, l'année 1979 correspond également à la survenance du second choc pétrolier et à la nomination de Paul Volcker à la tête de la FED, ce dernier ayant décidé d'élever fortement les taux d'intérêt pour contrer les tensions inflationnistes. Lorsque le modèle est estimé sur cette sous-période, il date quatre récessions (voir la première colonne du tableau nO 2) et isole en outre les ralentissements n'ayant pas débouché sur de réelles récessions. Tableau 1 Test de Chow pour une rupture en 1979T3 Statistique F
7,89 (0,00)
Test du ratio de vraisemblance
15,41 (0,00)
Note: les valeurs entre parenthèses désignent les p-valeurs associées.
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Puisque le modèle originel de Hamilton est incapable de tenir compte du changement de rythme de croissance pour l'ensemble de la période considérée, nous estimons à nouveau le modèle dans la lignée de Kim [1994]. Ce dernier préconise l'introduction d'une variable binaire dans la moyenne du processus pour prendre en compte le moindre taux de croissance du PIE à la fin de l'année 1979. Ainsi, l'équation (2) précédente devient:
où Dt est une variable binaire égale à un pour la période 1979T32009T3. Le tableau n° 2 présente les estimations sur la seconde sous-période (2e colonne) comparées à celles issues du modèle avec variable binaire et ce, pour toute la période étudiée (3 e et 4 e colonnes). Comme nous pouvons l'observer dans la troisième colonne du tableau n° 1, le paramètre associé au régime de croissance forte est positif, mais non significatif, alors que le paramètre '" 1* associé au régime de croissance faible est négatif et significativement différent de zéro 1a. Tableau 2 Estimation du modèle de Hamilton par maximum de vraisemblance (1 ) 1979T3-2009T3 (Sans variable binaire) 0.943 (0.077) PIl 0.578 (0.236) Poo -0.147 (0.265) {la 0.522 (0.110) {lI {lI;
-
{l:
-
Logvraisemblance
-66.226
(2)
(3)
1970T1-2009T3 (Avec variable binaire) 0.919 (0.055) 0.962 (0.027) 0.704 (0.227) 0.667 (0.188) -0.367 (0.327) -0.268 (0.247) 0.981 (0.162) 1.003 (0.143) 0.826 (0.472) -0.509 (0.200) -0.496 (0.162) -97.748
-98.434
Lorsque l'on analyse les résultats du modèle à variable binaire, il ressort que le paramètre associé au taux de croissance Revue franç
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Olivier Damette et Zohra Rabah
moyen sur la phase d'expansion 1970-1979 (ft 1) est proche de 1%. Durant la seconde sous-période, en revanche, une période d'expansion présente en moyenne un taux de croissance de 0,51 % (ft 1 + III *). Ce taux de croissance s'avère donc très proche de celui obtenu par le modèle estimé uniquement sur la période 1979T32009T3 qui est de l'ordre de 0,52%. Pour ce qui est des phases de récession, elles se caractérisent par un taux de croissance moyen de l'ordre de -0,27% pour le modèle à variable binaire, ce qui traduit une amplitude supérieure au taux de croissance obtenu par l'estimation sur la seconde sous-période. Graphique 3 Probabilités lissées obtenues à partir de l'estimation du modèle à variable binaire
0.00
Il ressort également de nos résultats que les coefficients associés aux probabilités de transition sont bien significatifs et tout à fait différenciés. Ils sont respectivement de 0,96 et 0,67 à partir du modèle de Kim [1994] et diffèrent peu de ceux estimés à partir du modèle originel (0,94 et 0,58 respectivement). Le graphique n° 3 des probabilités lissées d'occurrence d'une récession obtenues après estimation du modèle à variable binaire fait état de quatre récessions principales. Contrairement aux
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résultats dérivés du modèle originel, il est par conséquent possible d'identifier la récession de 1993, même si la probabilité associée à celle-ci (62% en 1992T4) demeure inférieure à celles des trois autres récessions (toutes proches de un). Encore une fois, cette probabilité relativement plus faible s'explique par la survenance de cette crise dans une période de croissance « molle)} et par la brièveté de la récession (à peine deux trimestres).
Robustesse des résultats
Nous testons à présent la robustesse des résultats obtenus. Ce point est assez peu discuté dans les études empiriques recourant aux modèles non linéaires en raison de certains problèmes techniques spécifiques, comme nous allons le voir. En premier lieu, nous vérifions, à l'aide d'un test du rapport de vraisemblance que le modèle avec variable binaire est globalement plus significatif lorsque nous négligeons la variable !lo*' Cela revient à un test de spécification du modèle (3) par rapport au modèle (2). Soit la statistique suivante: -2(lnL(h o) - InL) = -2x(-98,43 - (-97,75))= 1,37 qui suit une loi du Khi-Deux à un degré de liberté. La valeur calculée est bel et bien inférieure à la valeur seuil à 5%, ce qui nous permet d'affirmer que le modèle (3) est la spécification la plus adaptée. En second lieu, et de manière plus fondamentale, il convient de tester la validité d'un modèle à changement de régime markovien dans la datation du cycle économique français. Comme nous l'avons déjà dit, le recours à des fonctions non linéaires se justifie principalement par la présence d'asymétries dans la composante cyclique de l'économie. Tester la significativité de ces asymétries revient donc implicitement à questionner la pertinence du recours au modèle d'Hamilton. Les résultats de Rabault [1993] s'inscrivent dans la lignée de ceux de Neftçi [1984]: sur la base d'un test d'égalité des paramètres Poo et PlI associé à une statistique de Student, rous deux montrent que l'asymétrie du cycle est peu marquée dans les pays industrialisés, à l'exception de la France. Lorsqu'on applique ce
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test à notre modèle à quatre retards, il ressort que l'asymétrie du cycle est bien présente pour notre échantillon (t = 2,3 > 1,96). Un examen complémentaire de la distribution du taux de croissance et un test de normalité de type Jarque-Bera permettent d'arriver à la même conclusion. La valeur de la « skewness» est en effet non nulle et la distribution du taux de croissance n'est donc pas symétrique autour de la moyenne. La littérature économétrique s'est intéressée de manière plus approfondie à la question de la justification du recours à certains types de modèles non linéaires plutôt que linéaires. Il en ressort qu'avant d'utiliser un modèle à changement de régime markovien, on devrait tester l'hypothèse d'existence de plusieurs états de régimes contre celle d'existence d'un seul état, cette dernière étant donc équivalente aux modèles linéaires. Il s'agit de comparer un modèle linéaire auto régressif à un modèle à changement de régime markovien. Les difficultés de ce type de test résident dans la présence des paramètres de nuisance (Poo et Pli ici) sous l'hypothèse alternative, alors qu'ils ne sont pas identifiés sous l'hypothèse nulle, de même que la singularité de la matrice d'information sous l'hypothèse nulle. En outre, les différents tests de spécification habituellement utilisés ne suivent plus une distribution asymptotique standard: notons que le problème de la non-identification des paramètres de nuisance est formalisé dans Garcia ([1998], pp. 765-766. Plusieurs travaux ont vu le jour pour remédier à ces problèmes: Davies [1977, 1987], Hansen [1992] ou encore Garcia [1998]. La méthode de Garcia [1998], moins « coûteuse» empiriquement que les précédentes approches, reconsidère le problème du test comme le supremum (au sens mathématique) d'une statistique du rapport de vraisemblance (Sup LR). Le test de Carrasco, Hu et Ploberger [2004] II est le plus récent en la matière l2 • Asymptotiquement équivalent au test de Garcia, il s'avère moins complexe à implémenter, car il nécessite seulement l'estimation du modèle sous l'hypothèse nulle de linéarité. En revanche, les valeurs critiques doivent êtres tabulées par « bootstrap paramétrique».
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frallç.li.~t'
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Calendrier du cycle A partir des résultats du modèle à changement de régime markovien que nous avons discutés plus haut, il est possible de dresser le calendrier du cycle de l'économie française. Les points de retournement (pics et creux) sont obtenus à partir des règles définies dans la section précédente. Les durées des phases sont simplement calculées en comptabilisant le nombre de trimestres séparant un pic et un creux. Enfin, la durée moyenne d'une récession est calculée selon la formule (3) précédemment explicitée. La formule (4) permet d'obtenir de façon analogue la durée moyenne d'une phase d'expansion. Pour évaluer la pertinence de nos résultats, nous comparons les estimations obtenues à partir du modèle à changement de régime à celles issues de la méthode non paramétrique de Bry-Boshan [1971], étendue aux données trimestrielles par Harding et Pagan [2002]. Cette méthode algorithmique bien connue (voir Ferrara [2009] ou l'introduction de ce numéro pour plus de détails) présente l'avantage d'être totalement transparente et d'être facilement reproductible par d'autres économistes. D'après nos calculs, la durée moyenne d'une phase de récession est de 2.3 trimestres selon l'approche non paramétrique. Toutefois, cette méthode, fondée sur la recherche de maxima et minima locaux ne prend pas en compte les données de la dernière récession; la moyenne est donc biaisée à la baisse. La durée moyenne d'une récession calculée à partir du modèle à changement de régime markovien est identique sur la période 1970-2008 mais puisqu'elle intègre la récession contemporaine, est plus élevée sur l'ensemble de l'échantillon (3). A l'exception de la récession de 2008-2009, les phases de récession sont généralement très brèves et mettent en avant le caractère asymétrique de la durée des phases du cycle. Il ressort par ailleurs que la crise de 1992-1993 n'a duré que deux trimestres et été relativement peu sévère, son amplitude (0,8%) étant en outre bien inférieure à celle des autres crises (1,38% et 1,4% pour les deux premières). Cela peut expliquer la relative difficulté du modèle à changement de régime markovien à identifier cet épisode de crise. Le fait
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que le modèle ait facilement détecté la dernière crise (alors que son amplitude est pourtant comparable) résulte de la relative longueur de la récession. D'une manière générale, les résultats dérivés à partir du modèle de Hamilton sont donc tout à fait comparables à ceux obtenus à partir de l'approche non paramétrique de Harding et Pagan [2002] et donc au calendrier du NBER. De manière plus détaillée, on remarque que la durée des phases d'expansion s'accroît depuis les années 1970 bien que l'amplitude d'une période de croissance soit plus restreinte depuis la fin des Trente Glorieuses. Au final, la durée moyenne d'un cycle de l'économie française serait de sept ans sur la période considérée. Tableau 3 Calendrier du cycle français de 1970 à 2009 Bry-Boshan
MSM Kim
Durée
Pics
1974 :T3
1974: T3
Creux
1975 : T1
1975: T1
2
Pics
1980 : T1
1980: T1
20
Creux
1980: T4
1980: T4
3
Pics
1992: T3
1992: T3
46
Creux
1993: T1
1993: T1
2
Pics
2008: T1
2008: T1
60
Creux
-
2009: T2
5
Durée moyenne d'une récession
2,3
3
Note: MSM Kim = modèle de Switching Markov avec variable binaire.
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Conclusion Au total, l'application du modèle à changement de régime markovien a permis d'identifier quatre récessions en France sur la période 1970-2009, en confirmation des phases de contraction généralement reconnues. De plus, cette périodisation recoupe entièrement celle obtenue à partir de l'application de l'algorithme de Bry-Boshan à la série du PIB trimestriel. Un débouché tout naturel de cet article consisterait à réestimer le modèle selon une méthodologie bayésienne, dont l'avantage principal est de traiter à la fois les paramètres du modèle et les états inobservables comme des variables aléatoires et d'apprécier ainsi la robustesse des résultats obtenus.
Les auteurs tiennent à remercier Serge Garcia, Francis Bismans, les participants au séminaire du BETA et un rapporteur anonyme pour leurs commentaires et leur aide précieuse, ainsi que James Hamilton pour sa disponibilité à répondre à leurs questions. Olivier Damette est maître de conférence à l'Université Paris-Est Créteil. Adresse: Université Paris-Est Créteil, Faculté de sciences économiques et gestion, ERUDITE, Mail des mèches, 61 avenue du Général de Gaulle, 94010 Créteil. Email:
[email protected] Zohra Rabah est doctorante à l'Université Nancy 2. Adresse: Université Nancy 2, Faculté de Droit et de Sciences Economiques, BETA, 13 place Carnot, 54000 Nancy. Email:
[email protected]
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Annexe L'estimation du modèle L'estimation du modèle à changement de régime markovien porte sur les paramètres autorégressifs et les probabilités de transition. Le vecteur à estimer est donc le suivant: (5) Tous les paramètres ont été définis préalablement aux pages 143 et 144. A la suite de Hamilton [1989, 1994], ces paramètres sont obtenus par maximisation de la vraisemblance en utilisant un algorithme de filtrage, c'est-à dire une suite d'opérations mathématiques permettant de ne retenir que certaines valeurs de la série étudiée. L'algorithme, très proche du filtre de Kalman, permet de construire la fonction de vraisemblance du modèle autorégressif ainsi que les probabilités conditionnelles aux observations, dites filtrées, de la variable latente (voir Hamilton [1989]). La caractéristique première du modèle est que l'état St est inobservable. Toute l'inférence est fondée uniquement sur le comportement observé de Yt' La méthode d'estimation est dès lors la suivante. Dans un premier temps, on estime le vecteur des paramètres fi. explicité plus haut, c'est-à-dire les paramètres du modèle auto régressif, les deux moyennes du processus, les deux probabilités de transition et la variance. L'inférence va prendre la forme de deux types de probabilités pour lesquelles St = i, pour i = 1,2, ne dépend pas uniquement de la valeur de St_1 mais aussi des (du ?) taux de croissance réellement observés. La réunion de ces derniers en un vecteur notée Ot permet de compiler ainsi l'information disponible au temps t: Ot = (yt' Yt-I'Yt-2' k, YI' yoJ. Hamilton [1989] présente un algorithme de filtrage itératif permettant de calculer la vraisemblance du modèle ainsi que Revue française d'économie, nO 4/vol XXIV
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les probabilités de régime, conditionnellement aux observations. A chaque itération, il permet de déterminer la vraisemblance conditionnelle pour l'observation t à partir de l'équation suivante: 2
f(Yt IOt_I;8)= If(Yt ISt =i,Ot_I;8)p(St =iIO t_I ;8)
(6)
;=1
Le premier terme du membre de droite représente la densité conditionnelle du taux de croissance Yt sachant l'état de régime dans lequel se trouve l'économie (St = i). Le second terme, P(St = il 0t_1 ; ()), explicite la probabilité de prévision de l'état de l'économie. Cette dernière, également fournie par l'algorithme, est le produit des probabilités de transition Pij par des probabilités a posteriori notées P(St_1 = j 0t_1 ; ()). En appliquant la règle de Bayes, le filtre permet de calculer les probabilités de régime conditionnellement au passé, P(St = il 0t ; ()), appelées probabilités filtrées: 1
La probabilité filtrée est ainsi le rapport entre les vraisemblances conditionnelles des états de régime pour l'observation t, pondérées par les probabilités de prévision. Finalement, la vraisemblance est obtenue à partir du produit des vraisemblances conditionnelles (cf formule (6)) calculées à chaque itération. Ainsi, pour une valeur donnée du vecteur (), la log-vraisemblance conditionnelle est définie par: T
InL( 8) = Ilnf(Yt 10/_1;8) /=1
Une fois, l'inférence réalisée, et la log-vraisemblance calculée, on p~ut déterminer l'estimateur du maximum de vraisemblance 8 MLE en utilisant les techniques habituelles d'optimisation numérique. Dans le cas des variables inobservables, la recherche de cet estimateur se heurte néanmoins fréquemment à la présence de plusieurs maxima locaux (voir Rabault [1993]).
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Le choix des paramètres initiaux et plus particulièrement des probabilités de transitions initiales, est à cet égard crucial. Selon Hamilton [1989, 1994], il existe plusieurs options pour effectuer ces choix. Si St suit une chaîne de Markov irréductible et ergodique, il est possible d'imposer P(So = il 0 0 ; 8) égale à la probabilité non conditionnelle P(So = ;). Plus précisément, les probabilités non conditionnelles sont définies comme:
p(So=O)=
I-PII 2- Poo - PlI
=1f1
p( So = 1) = 1- p( So = 1) = 1f2 La probabilité non conditionnelle P(So = i 1 0 0 ; 8) sera alors égale au vecteur n = (n l , n 2). Deux autres options sont également possibles. La première revient à fixer simplement P(So = i 1 0 0 ; 8)= 1/2 alors que la seconde consiste à estimer la probabilité initiale elle aussi par maximum de vraisemblance (Hamilton, [1994], p. 695). Au total, l'inférence probabiliste sera basée sur les probabilités filtrées fournies par le filtre de Hamilton, mais aussi sur un second type de probabilités dites lissées. Ces dernières, notées P(St = i 1 DT; 8) recensent l'intégralité des valeurs passées de l'échantillon. Elles sont nécessaires pour estimer l'état de régime en chaque point du temps et sont calculées à l'aide d'un algorithme récursif proposé par Kim [1994]. Hamilton [1989] a également proposé un algorithme de calcul des probabilités lissées. Mais cette technique, appelée « espérance-maximisation », est d'une mise en œuvre lourde, puisqu'elle nécessite d'utiliser un grand nombre de fois le filtre (voir Rabault [1993]). Lalgorithme de Kim [1994] est en conséquence mis en œuvre dans le présent article 13 • Il repose sur les probabilités filtrées précédemment calculées et les probabilités lissées jointes consécutives. Ces probabilités filtrées permettent de calculer les prévisions à!' ordre un exprimées comme P(St+11 0t). On aboutit finalement à la probabilité lissée suivante:
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Le calcul s'effectue de manière itérative, élément par élément. L'algorithme est initialisé par le résultat de la dernière itération à savoir la dernière probabilité filtrée: peST = il pour t = T.
nT ; (})
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Notes 1. Bien que l'objet de l'article ne soit pas la datation du cycle, on y trouve pourtant une contribution du modèle à changement de régime markovien appliquée à la France. Il s'agit, à notre connaissance, de l'une des seules applications de ce genre pour la France depuis Rabault [1993]. 2. Au sens où le modèle de Hamilton a permis de reproduire fidèlement les fluctuations cycliques de l'économie américaine. 3. Switching Markov dans la terminologie anglo-saxonne. 4. Voir Piger ([2007], p. 28) et Chauvet et Hamilton ([2006], p. 35) pour d'autres interventions sur la pertinence du modèle de Hamilton. 5. On notera par ailleurs que le processus autorégressif est ici indépendant de St. Il est cependant possible de faire dépendre les paramètres autorégressifs et la variance du bruit blanc du régime dans lequel l'économie se situe l'économie à chaque période. 6. Il est possible de postuler trois types de régimes différents : un régime de
RC:VlH':
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croissance forte, un régime de croissance faible et un régime de récession. Voir par exemple Ferrara [2003]. 7. Pour choisir le nombre de paramètres autorégressifs, nous estimons un modèle SARIMA pour différents retards. 8. Il s'avère qu'après vérifications, le choix des paramètres initiaux ne modifie pas les résultats de manière significative dans notre étude. 9. Voir par exemple Bosquet et Fouquin [2009] sur ce point précis.
10. Pour cette raison, nous estimons donc uniquement #1' et ne tenons plus compte de #0' (4 c colonne). 11. Il est possible de rencontrer la même référence dans la littérature citée comme Carrasco et al. [2007]. 12. Le lecteur intéressé trouvera une synthèse formalisée dans Morley et Piger ([2009], pp. 41-44). 13. Hamilton lui-même a recours à l'algorithme de Kim [1994] dans plusieurs de ses travaux. Voir, par exemple, Chauvet et Hamilton [2006].
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J'économi<:, n° 4/vol XXIV
Xiaoshan CHEN
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Union économique et monétaire européenne (UEM) a entrainé un accroissement de l'attention portée à la question de la synchronisation des cycles économiques à la fois au niveau régional et national. Selon la théorie de la zone
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Xiaoshan Chen et Terence C. Mills
monétaire optimale (ZME), un haut degré de synchronisation des cycles économiques entre les Etats-membres est crucial pour un fonctionnement harmonieux de l'UEM. Cette dernière supprime de façon permanente l'indépendance nationale des monnaies, des politiques monétaires et de change. Elle limite aussi la liberté d'utilisation de la politique fiscale nationale, comme le précise le pacte de stabilité et de croissance. I.:objectif d'un instrument de politique monétaire commune vise alors à stabiliser les fluctuations de la production et des taux d'inflation dans l'ensemble de la zone euro. Des cycles économiques nationaux fortement synchronisés vont faciliter la mise en œuvre de la politique monétaire, car ils permettent de définir clairement la position et les séquences de la politique commune. A l'inverse, la desynchronisation compliquera le fonctionnement de l'UEM, car les pays qui se situent à des phases différentes de leur cycle économique sont confrontés à des exigences monétaires différentes. La synchronisation des cycles économiques n'est pas statique; elle évolue dans le temps. C'est pourquoi la théorie de la zone monétaire optimale endogène considère que l'UEM pourrait d'elle-même favoriser l'émergence d'un cycle économique commun de la zone euro, du fait d'une meilleure intégration économique et financière grâce à la coordination politique. « I.:hypothèse de Krugman » défend le point de vue opposé: l'UEM, selon Krugman, entraînera une spécialisation entre les pays et par conséquent une baisse de la synchronisation. Etant donné que l'évaluation de la synchronisation des cycles économiques est principalement une question empirique, de nombreuses études ont cherché à mesurer le degré de synchronisation des cycles économiques dans la zone euro. Mais il n'y a toujours pas de consensus sur la question de savoir si la synchronisation des cycles économiques a atteint un niveau suffisant pour permettre à tous ses Etats-membres de bénéficier d'une politique monétaire commune, ou sur la question de savoir si des taux de change fixes ou une union monétaire favorisent une plus grande synchronisation des cycles. Pour prendre des exemples récents, Beine et al. [2003] et Artis et al. [2004] ont tranché en faveur de la thèse d'un haut degré de synchronisation dans les
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cycles économiques de la zone euro. D'un autre côté, Harding et Pagan [2001] et Altavilla [2004], ont conclu que le niveau de synchronisation des cycles économiques reste faible comparé à la synchronisation des cycles de croissance. Camacho et al. [2006] affirment, quant à eux, que l'introduction de l'euro n'a pas fait progresser la synchronisation dans l'ensemble de la zone euro de façon significative et que toute synchronisation entre les paysmembres a été introduite avant la formation de l'UEM. A ce jour, une grande partie de la littérature empirique, y compris les ouvrages mentionnés ci-dessus, a mesuré la synchronisation des cycles économiques en utilisant les cycles identifiés à partir des séries temporelles individuelles macro-économiques, comme la production industrielle et le PIB réel. Deux approches totalement différentes, le changement de régime markovien (MS) et les approches et variantes basées sur des modèles de l'algorithme de Bry et Boschan (BBQ [1971]) sont largement utilisées pour dater les points de retournement classiques des cycles. Cependant, l'analyse de variables économiques individuelles n'est pas pertinente. Non seulement parce qu'il n'existe aucune variable qui a elle seule puisse représenter de façon adéquate l'activité économique agrégée, mais parce que le co-mouvement de nombreuses variables économiques, considéré comme un facteur essentiel du cycle économique, ne peut évidemment pas être analysé dans un cadre univarié. Contrairement à la littérature qui l'a précédé, cet article a pour objectif d'évaluer la synchronisation des cycles économiques dans la zone euro en utilisant les points de retournement identifiés à partir d'une information multi-variée. Pour ce faire, deux modèles factoriels dynamiques proposés par Stock et Watson [1989, 1991, 1993] et Diebold et Rudebusch [1996], sont employés pour construire un indice composite qui est la moyenne pondérée d'un nombre de variables macro-économiques corrélées. En incluant davantage de variables dans le processus de datation, on espère ainsi repérer des renversements de cycles plus précis ce qui, à son tour, permettra de calculer des estimations plus précises des degrés de corrélations entre les cycles.
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Nous classons les pays analysés en trois groupes, centre, périphérie et non-UEM et nous évaluons la synchronisation de leurs cycles économiques en fonction de la zone euro agrégée. Le degré de synchronisation de l'ensemble de l'échantillon et des souséchantillons est illustré par les distances des cycles représentées sur des échelles bi-dimensionnelles produites à partir d'une approche d'échelle multi-dimensionnelle. Les coefficients de corrélation des probabilités de récession sont aussi calculés dans une série d'échantillons pour délivrer une image détaillée des changements intervenus dans la corrélation des cycles. Pour donner un premier aperçu de nos résultats, nous avons trouvé qu'il n'existe pas de tendance commune aux pays de la zone euro vers plus ou moins de synchronisation dans la zone euro agrégée. De plus, on observe des variations des performances économiques dans l'ensemble de la zone euro qui pourraient entraîner des demandes divergentes en matière de politique monétaire et par conséquent limiter l'intérêt d'une politique monétaire commune. L'article est organisé de la façon suivante : la prochaine section fournit une explication intuitive des modèles utilisés pour identifier les fluctuations communes des cycles économiques à la fois pour la zone euro agrégée et pour les pays considérés individuellement. Les caractéristiques des données, ainsi que les modifications du modèle sont discutées dans la troisième section. La quatrième section présente les renversements des cycles économiques ayant pu être identifiés pour chaque économie. Le degré de synchronisation des cycles économiques est évalué dans la cinquième section. Enfin la dernière section conclut.
Illustration des modèles Les deux modèles factoriels dynamiques utilisés dans cet article sont le modèle factoriel dynamique proposé par Stock et Wat-
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son [1989, 1991, 1993] et celui de Markow (MSDF) présenté par Diebolt et Rudebusch [1996]. Ces modèles s'appuient sur l'hypothèse qu'un seul facteur sous-jacent actionne le co-mouvement de nombreuses séries temporelles macro-économiques. Le facteur commun, ou indicateur composite, qui résulte de ces modèles, est une moyenne pondérée des séries macro-économiques utilisées dans l'estimation du modèle et il devrait, par conséquent, refléter les fluctuations communes des cycles économiques présentés dans ces séries. La principale différence entre ces modèles consiste à savoir si le facteur commun évalué suit un processus générateur de données linéaire ou non linéraire. Le modèle dynamique unique suppose que le facteur commun possède la même structure de données pendant les périodes de récessions et de croissance économiques. Par voie de conséquence, l'élément asymétrique des phases des cycles économiques souligné par Hamilton [1989] ne peut pas être analysé dans ce modèle. D'un autre côté, le modèle MSDF dérive un élément commun non linéaire et les dates auxquelles les paramètres changent dépendent d'une variable latente. Cette variable latente passe d'un régime à l'autre suivant un processus de chaîne de Markov qui représente les phases de récession et d'expansion du cycle économique. D'autres phases ont été introduites pour saisir les périodes de croissance économique rapide, comme le modèle à trois régimes de Markov utilisé dans Sichel [1994], Boldin [1996] et Clements et Krolzig [1998], et le modèle à rebond (bounce back) proposé par Kim et al. [2005]. Le facteur commun, estimé en utilisant un modèle de facteur dynamique unique, est régulièrement présenté aux Etats-Unis comme solution alternative à l'indicateur composite officiel fourni par le Department of Commerce. Le MSDF a également été utilisé de multiples fois pour le traitement des données américaines (Kim et Yoo [1995] ; Chauvet [1998] ; Kim et Nelson [1999]. Cependant les deux modèles n'ont que rarement été appliqués à la zone euro (voir par exemple, Chauvet et Yu [2006]).
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Propriétés des données et des modèles modifiés Il est bien connu que le comité de datation des cycles économiques du National Bureau of Economic Research repère les points de retournement des cycles économiques en utilisant quatre variables mensuelles: le revenu réel, la production industrielle, le volume des ventes et l'emploi. Ces variables sont connues pour être des variables macro-économiques qui coïncident, car elles partagent avec le présent état de l'économie non observé un cycle commun. Les limitations de données impliquent qu'une telle analyse ne peut être répliquée pour la zone euro. Un comité fondé par le Centre for Economic Policy Research analyse un nombre de variables macro-économiques trimestrielles corrélées, comme le PIB réel, la production industrielle, la formation brute de capital fixe et l'emploi, afin de dater les cycles économiques pour la zone euro agrégée et pour les Etats-membres individuels. Même s'il n'existe pas de règles fixes sur la nature et le nombre des variables employées dans l'analyse, le PIB réel et l'emploi sont les variables généralement préférées. En effet, le premier représente la mesure la plus large de la production et le second fournit une indication de la flexibilité du marché du travail qui est un critère important pour juger de l'optimalité de l'union monétaire. Dans cet article, nous avons réuni différentes combinaisons des variables macro-économiques corrélées suivantes: PIB réel, production industrielle, formation brute de capital fixe (FBCF), commerce de détail total (ventes), emploi civil et ce, pour la zone euro agrégée et pour certains Etats-membres de la zone: Allemagne, France, Italie, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Espagne et Finlande.! La littérature actuelle s'accorde pour diviser ces pays en deux groupes : le centre (Allemagne, France, Italie, Autriche, Belgique et Pays-Bas) et la périphérie (Espagne et Finlande), en fonction de leur comportement en matière de taux de change face au deutsche mark avant l'union monétaire. Trois pays non membres de l'UEM (Royaume-Uni, Etats-Unis et
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Xiaoshan Chen et Terence C. Mills
171
Canada) sont également inclus dans l'analyse pour comparer le degré de synchronisation des cycles que l'on trouve dans la zone euro. Après avoir considéré diverses propriétés des données, un certain nombre de modifications ont été apportées aux modèles de facteur dynamique et de MSDF. Tout d'abord, comme les variables utilisées par Stock et Watson étaient intégrées d'ordre un, mais n'étaient pas co-intégrées, leur modèle était estimé en différence première. Néanmoins, les tests de co-intégration indiquaient que les quatre séries utilisées pour analyser respectivement la zone euro agrégée, la France, la Belgique, l'Italie, les PaysBas, l'Espagne et les trois pays non membres de l'UEM, étaient co-cintégrées. C'est pourquoi une procédure d'estimation en deux temps a été utilisée: dans un premier temps les termes de correction d'erreur ont été évalués indépendamment du VECM associé, pour être ensuite inclus dans des modèles factoriels dynamiques; dans un second temps, les paramètres restants sont estimés sur la base des termes de correction d'erreur estimés précédemment. Par ailleurs, à la différence des autres économies analysées, la dynamique des cycles économiques semble montrer, en France, l'existence de trois phases - récession, croissance modérée et forte croissance - plutôt que les deux phases habituellement observées. A l'instar de Sichel [1994], Boldin [1996] et Clements et Krolzig [1998], qui ont tous inclus un régime additionnel dans le modèle d'Hamilton pour saisir les phases de reprise rapide de la dynamique des cycles économiques aux Etats-Unis, nous étendons la structure MSDF traditionnelle à deux régimes à un modèle à trois niveaux. Finalement, comme le modèle MSDF suppose que la magnitude des récessions et des croissances est constante à travers l'ensemble de l'échantillon, il ne réussit pas à produire des estimations des paramètres et des dates de cycles économiques raisonnables pour la Belgique, l'Italie et les Pays-Bas qui affichent une volatilité macro-économique plus marquée au cours des années 1970 et au début des années 1980 que dans les années récentes. La présence de chutes sévères en début de distribution
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Xiaoshan Chen et Terence C. Mills
et de replis moins marqués des années récentes n'est pas prise en compte. Pour résoudre ce problème, nous avons introduit des variables aléatoires afin de réduire l'impact que ces grandes phases de cycles économiques trouvent sur les estimations des paramètres.
Résultats empiriques Cette section traite des renversements des cycles économiques identifiés dans les facteurs économiques communs tels qu'ils ont été estimés sur la base des deux modèles factoriels dynamiques décrits plus haut. 2 Comme le modèle dynamique unique ne détermine pas automatiquement les dates des cycles économiques, la version de l'algorithme BBQ de Harding et Pagan [2000, 2001, 2002] est utilisée. Elle permet d'identifier une récession quand la chute absolue du facteur commun linéaire dure au moins deux trimestres consécutifs. Cependant, le modèle MSDF offre un facteur commun non linéaire et calcule les probabilités de récession ou de croissance de la phase du cycle économique. Selon Hamilton [1989], on déclare qu'il y a récession si la probabilité de récession est supérieure à 50%. Etant donné que les algorithmes de MSDF et BBQ sont basés sur des mécanismes fondamentalement différents, on doit s'attendre à ce que les dates de leurs cycles économiques diffèrent. Les avantages et les inconvénients de ces différentes approches sont discutés dans Harding et Pagan [2003] et Hamilton [2003]. La figure n° 1 présente les taux de croissance du facteur commun linéaire pour chacun des pays analysés. [;un des résultats étonnants est que le facteur commun de l'Allemagne a le taux de croissance le plus faible de tous les pays analysés. Cela s'explique en grande partie par le fait que les séries allemandes sur l'emploi n'ont qu'une croissance trimestrielle moyenne de 0,05%, comparée à une croissance de 0,14% pour l'ensemble de la zone
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euro. D'un autre côté, le facteur commun des Pays-Bas affiche un taux de croissance élevé et cela est dû en partie aux taux de croissance moyens élevés du PIB néerlandais et des séries sur l'emploi. Le facteur commun des Pays-Bas est resté stable après la sévère récession qui a eu lieu au début des années 1980 et la récession déclenchée par le mécanisme de taux de change européen (MCE) au début des années 1990 n'a pas duré longtemps. Cette solide performance économique a été stimulée par les vastes réformes structurelles et réglementaires introduites dans les années 1980 et par la croissance rapide du commerce extérieur. Cependant, comme pour la plupart des économies clés de la zone euro, l'économie néerlandaise a été secouée en 2002 et 2003 par la hausse des coûts du travail et la faiblesse de la demande intérieure. Les périodes de récession (figure n° 1), identifiées par l'algorithme du BBQ, sont mises en relief par l'utilisation de blocs ombrés. On peut observer dans la plupart des pays les récessions qu'ont déclenchées les deux chocs pétroliers au milieu des années 1970 et du début des années 1980. 3 En 1990, le début de la guerre du Golfe et l'augmentation des prix du pétrole qui s'en est suivie ont entraîné une récession aux Etats-Unis et chez leurs principaux partenaires commerciaux, comme le Canada et le Royaume-Uni. Pour la plus grande partie de l'Europe, la chute était effective, mais moins prononcée. Toutefois, les récessions apparues en 1992-1993 sont restées en grande partie confinées à l'actuelle zone euro, et peuvent être attribuées à la crise du système monétaire européen. Comme le montre bien la figure n° 1, les récessions causées par la crise peuvent être identifiées pour la zone euro agrégée et pour la plupart des pays européens. Des récessions supplémentaires sont identifiées dans les cinq pays centraux de la zone euro (Autriche, Belgique, Pays-Bas, Allemagne et Italie) et dans deux pays non membres de l'UEM (les Etats-Unis et le Canada) au début des années 2000. Dans l'ensemble, les récessions qui ont eu lieu dans le premier groupe au cours de cette période semblent avoir été plus sévères et plus longues que celles qu'a vécues le deuxième groupe. I..:économie française n'a subi aucune récession dans les années 2000, mais a Revue française d'économie. nO 4/vol XXIV
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connu un ralentissement après une période de croissance économique comparativement forte à la fin des années 1990. Figure 1 Le facteur commun de Stock et Watson et les récessions Euro Area
Germany
France
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1911l
1985
1990
1995
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1975 19111 1985 1900 1995 200J 2IXI5
Note: les blocs ombragés indiquent les périodes de récession identifiées par l'algorithme BBQ.
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175
Contrairement aux pays du cœur de la zone euro, qui ont souffert de récessions et d'une croissance molle au cours des dernières années, les économies de l'Espagne et de la Finlande ont connu une période soutenue de croissance. La récession que l'on avait notée pour la Finlande durant les années 2000 n'a duré que deux trimestres et on ne trouve aucune trace de récession en Espagne à partir du premier trimestre de 1994 à la fin de la période de l'échantillon, ce qui est peut-être la conséquence d'un financement reçu du fonds européen de développement régional et de la forte croissance observée dans le secteur de la construction. Les résultats obtenus par le modèle MSDF sont présentés à la figure n° 2. Les lignes verticales retracent les probabilités de récession qui augmentent naturellement pendant les périodes de réelles récessions et montrent des valeurs faibles pendant les périodes de croissance. Une période est qualifiée de récession uniquement si les probabilités sont supérieures à 50% pendant au moins deux trimestres consécutifs. Le modèle traditionnel MSDF à deux régimes semble capable de faire la distinction entre récessions et croissance pour des économies comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, et les EtatsUnis, dont les récessions et les périodes de croissance ont une amplitude relativement constante au cours de la période étudiée. Mais pour des pays comme la Belgique, l'Italie ou les PaysBas, dont les économies ont été sujettes à une plus grande volatilité au cours des années 1970 et au début des années 1980, les probabilités de récession ne réussissent pas souvent à identifier les récessions légères qui ont eu lieu à la fin de la période et elles ont été classées dans la rubrique « croissance». Comme nous le notions en la troisième section, l'introduction de variables nominales pour réduire le fossé entre chutes sévères et chutes modestes, semble fournir de meilleurs résultats pour ces pays. Par conséquent, les taux de croissance des facteurs communs et des probabilités de récession obtenus à partir des ces modèles modifiés sont représentés pour ces pays figure n° 2.
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Xiaoshan Chen et Terence C. Mills
Figure 2 Les facteurs communs et les probabilités de récession Euro Area
Austria
Germany
France
Netherlands
Belgium
19851990199520002005
Italy
Spain
Finland
UK
US
Canada
Note: le trait horizontal dans chaque figure marque la valeur seuil (probabilité de 50%) signifiant qu'une économie est dans une récession. L'index dénote des périodes à croissance rapide pour l'économie française.
Le modèle traditionnel MSDF à deux régimes ne réussit pas non plus à faire la différence entre diverses phases du cycle économique français. Il apparaît que l'économie française Revue française d'économie, nO 4/vol XXIV
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a connu trois phases dans son cycle économique (récessions, croissance modérée, croissance soutenue) plus que les deux phases (récessions et expansions) qui sont généralement retenues. Les probabilités de récession obtenues à partir du modèle MSDF à trois états identifient clairement quatre périodes de récessions: 1980Ql-1981Ql, 1982Q2-1984Q4, 1986Q3-1987Ql et 1992Ql-1994Q1. Par ailleurs, elles mettent en évidence deux périodes de croissance soutenue: 1987Q3-1989Q4 et 1997Ql2001Q1. Pour l'Espagne, le modèle MSDF semble offrir l'adéquation la moins convaincante, car les probabilités de récession identifient de trop nombreux replis économiques. Il est intéressant de noter les différences entre les dates des cycles économiques identifiées pour la zone euro agrégée, dans la mesure où les deux approches débouchent sur des conclusions très différentes pour savoir s'il y a eu une récession ou non au début des années 2000. Cette question peut susciter d'autres résultats divergents lorsqu'on compare le degré de synchronisation des cycles économiques entre les pays individuels et la zone euro agrégée. Les modèles de Markov-switching ont été critiqués par Harding et Pagan [2002] pour avoir fourni des résultats nettement différents lorsque plusieurs modèles et différentes périodes d'étude sont utilisés. Il est exact que, comparé à l'algorithme BBQ, le modèle MSDF semble moins transparent et plus dépendant des propriétés spécifiques des données, ce qui est considéré par Hamilton [2003] comme un avantage car cela permet de construire des modèles propres aux données et d'en tirer des inférences optimales.
Mesurer le degré de convergence au sein de la zone euro Une fois les points de retournements des cycles économiques identifiés dans chaque pays, il est possible de construire une
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variable binaire pour indiquer l'état d'une économie, l'unité indiquant l'expansion et zéro indiquant la récession. La correspondance entre deux séries binaires quelconques peut ensuite être évaluée en utilisant le coefficient de corrélation.
Cartographie multidimensionnelle de la distance entre les cycles économiques Le coefficient de corrélation est l'indice le plus communément utilisé pour mesurer la coïncidence entre deux variables. Mais, étant donné le nombre de pays étudiés, il est difficile d'interpréter toute l'information sur la seule base des corrélations individuelles bilatérales. C'est pourquoi une technique de cartographie multidimensionnelle, connue sous le nom de mapping de Sammon [1969], est utilisée pour révéler les interdépendances entre ces cycles économiques. Cette approche permet de cartographier des objets de grande taille dans un espace de moindre dimension qui indique des distances approximatives entre ces objets. Quand cette dimension plus faible est de deux, l'algorithme produit une carte bi-dimensionnelle qui montre la distance entre chaque paire de cycles économiques. Les pays qui manifestent des cycles économiques désynchronisés sont ainsi représentés éloignés les uns des autres. Les cartes des distances des cycles économiques sont données figure n° 3 : les panels 1 (a)-3(a) sont reproduits à l'aide de séries binaires obtenues à partir de l'algorithme BBQ, tandis que les panels 1 (b )-3(b) sont reproduits à!' aide de séries binaires obtenues à partir des modèles MSD F appliqués à l'ensemble de l'échantillon et de deux sous-échantillons avec 1991 QI comme point de rupture. Il est important de souligner que les axes n'ont, en eux-mêmes, aucun sens et que l'orientation de l'image est arbitraire: la seule chose qui a de l'importance est la distance entre les points. Ces distances entre les points ne représentent qu'imparfaitement les relations qu'indiquent les données, et plus la valeur du stress est forte, plus la distorsion est grande. On peut voir, d'après les panels 1(a) et 1(b) que sur l'ensemble de l'échan-
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tillon, les conclusions sont robustes, aussi bien avec l'approche du BBQ qu'avec celle du MSDF. Les pays au cœur de l'UEM montrent un plus grand degré de synchronisation, à la fois entre eux et par rapport à la zone euro agrégée, si on les compare aux pays situés à la périphérie de la zone ou extérieurs à l'UEM. Cela est particulièrement vrai pour l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et les Pays-Bas qui apparaissent proches les uns des autres et de la zone euro agrégée. Les changements dans les corrélations des cycles économiques sur la durée peuvent être analysés en mesurant les distances entre les cycles sur deux sous-échantillons: ceux qui précédent et ceux qui suivent 1991 Q 1. Le choix s'est porté sur 1991Ql comme point de rupture parce qu'un certain nombre d'événements importants a eu lieu autour de cette période, comme la réunification allemande en ocrobre 1990, la crise du système monétaire européen en 1992-1993, et l'adoption du traité de Maastricht en novembre 1993. On peut supposer que ces événements ont tous eu des impacts significatifs sur les corrélations des cycles. Les panels 2(a) et 2(b) figure n° 3 montrent un cluster de pays centraux de l'UEM, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et les Pays-Bas qui étaient tous plus proches de la zone euro agrégée que la France, l'Italie et les groupes périphériques ou non-UEM, au cours du premier sous-échantillon. Cela apparaît encore plus clairement dans le panel 2(b), où les séries binaires sont produites par le modèle MSDF. Mais on voit apparaître des résultats conflictuels si l'on compare les panels 3(a) et 3(b) de la figure n° 3. Bien que les deux figures montrent que le groupe des quatre pays proches au cœur de l'UEM s'éloignent les uns des autres et que l'on observe une désynchronisation entre l'Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et la zone euro agrégée dans le second sous-échantillon, on ne constate pas dans le panel 3(b) une hausse de la corrélation des cycles entre la France, deux pays périphériques et la zone euro agrégée que l'on trouve au panel 3(a). Ce conflit est dû à l'identification des récessions au cours des premières années 2000 pour la zone euro agrégée par le modèle MSDF, mais pas par l'algorithme BBQ. Finalement, on
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peut observer clairement dans les panels 3(a) et 3(b) un tableau de cycles économiques divergents des pays non-UEM par rapport à la zone euro agrégée. Ce qui cadre assez bien avec les idées défendues par Garnier [2003], qui a trouvé que les cycles économiques de la zone euro sont de plus en plus indépendants des cycles américains. Figure 3 Cartographie multidimensionnelle des distances entre les cycles économiques 1.2
Panel 1(a): Whole sample (E=O.02644)
1.2
Panel 1(b): Whole sample (E=O.02177)
,
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-1.2 -3.2
Panel 2(a): pre·1991Q1 (E=O.02095) 1.2
-2.8
-2.0
-2.4
-1.6
-1.2
Panel 2(b): pre-1991Q1 (E=O.01572) 1.6
0.8
1.2
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-2.0
-1.5
-1.2 -3.5
-3.0
-2.5
-2.0
-1.5
-1.0
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1.5
Panel 3(b): post-1991Q1 (E=O.01339)
Panel 3(a): post-1991Q1 (E=O.01274) 1.5
0
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EA
-1.6
-1.2
-0.8
Note: deux paires de pays, les USA et le Canada, la France et l'Espagne, synchronisent parfaitement les retournements dans le deuxième sous-échantillon quand l'algorithme BBQ est employé.
Corrélation des probabilités de récession A côté d'une analyse des changements dans la synchronisation qui s'appuie sur deux sous-échantillons fixes, nous calculons également les corrélations bilatérales des probabilités de récessions sur la base d'une série d'échantillons non fixes, avec une fenêtre sur six ans. 4 Les corrélations moyennes du centre, de la périphérie et des pays non-UEM par rapport à la zone euro agrégée sont calculées pour chaque fenêtre et sont représentées figure n° 4. Plusieurs points méritent d'être notés. Tout d'abord, on a observé au cours des années 1980 un déclin marqué de la synchronisation entre les cycles économiques qui affectent les pays du centre et de la périphérie de l'UEM vis-à-vis de la zone euro agrégée. Cette constatation corrobore les conclusions d'lnklaar et de Hann [2002] et de celles de Massmann et Mitchell [2004], qui ont trouvé des cycles de croissance désynchronisés dans la zone euro au cours de cette période. Ensuite, on observe dans les années 1990 une hausse considérable de la convergence des cycles, surtout pour les deux pays périphériques, dont la corrélation moyenne par rapport à la zone euro agrégée a dépassé Revue française d'économie, nO 4/vol XXIV
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celle des pays du centre vers la fin des années 1990 ; mais cette tendance s'est renversée au cours des années 2000. Cette évolution reflète en partie une performance économique déséquilibrée dans les pays membres de l'UEM après l'introduction de l'euro. Un certain nombre de pays au centre de l'UEM, comme l'Allemagne et l'Italie, se sont vus attribuer des pondérations importantes au moment de la construction des séries de données sur la zone euro agrégée; ils ont subi des récessions et une croissance molle pendant plusieurs années au cours des années 2000, tandis que les deux pays périphériques, notamment l'Espagne, continuaient à connaître une croissance économique forte. Enfin la corrélation des cycles entre les pays non-UEM et la zone euro agrégée n'a augmenté que pendant les périodes de baisse générale, par exemple au cours des premières années 1980 et au début des années 2000, mais elle a complètement divergé de la zone euro pendant la période du serpent monétaire européen. Figure 4 Les corrélations des probabilités de récession 1.0
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Conclusion Cet article se proposait de revenir sur la question de l'évaluation de la synchronisation des cycles économiques dans la zone euro. Mais contrairement à des études précédentes, qui mesurent la synchronisation à l'aide de points de retournement identifiés à partir de séries individuelles comme le PIB réel ou la production industrielle, nous extrayons les points de retournement d'un indice composite qui est une moyenne pondérée d'un certain nombre de variables macroéconomiques qui coïncident. L'idée est qu'en incluant davantage de variables contenant des informations sur les cycles économiques dans le processus de datation, il devrait être possible de produire des points de retournement plus précis et ainsi d'améliorer la précision des mesures des corrélations de cycle. La zone euro agrégée et les onze pays individuels sont analysés ici. Ils sont classés en trois groupes: centre, périphérie et non-UEM. Pour illustrer nos résultats, une technique de cartographie multidimensionnelle est utilisée afin de fournir une représentation graphique des différences entre les cycles économiques. Nos résultats indiquent l'existence d'un degré plus élevé de synchronisation entre les pays au cœur de l'UEM et la zone euro agrégée qu'entre les groupes périphériques et non-UEM. Cependant, ce phénomène reflète, dans une certaine mesure, la pondération importante affectée aux pays du centre dans la construction des données sur la zone euro agrégée. On peut également observer des cycles économiques plus synchronisés au sein d'un petit groupe de pays composé de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Belgique et des Pays-Bas. Cela tient en partie au fait que l'Autriche et les Pays-Bas avaient amarré leur taux de change sur le deutsche mark et que leurs économies étaient très intégrées à celle de l'Allemagne. L'évolution des corrélations des cycles est tout d'abord évaluée sur la base de deux sous-échantillons fixes en prenant 1991Ql comme point de rupture. On ne voit apparaître aucune ten-
Rl'VUC
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dance commune de la synchronisation entre les cycles économiques de la zone euro, que ce soit en termes de convergence ou de divergence par rapport à la zone euro agrégée. Les coefficients de corrélation des probabilités de récessions sont également calculés dans une série d'échantillons non fixes qui révèle des périodes de convergence et des périodes de divergence. On peut aussi noter que la performance économique continue à être déséquilibrée. Au cours des dernières années, les économies allemande, italienne et néerlandaise ont connu des récessions et une croissance inférieure à la moyenne, tandis que les économies espagnole et finlandaise ont crû de façon solide. De telles variations risquent d'entraîner des exigences différentes en matière de politique monétaire et, par conséquent, de réduire les possibilités de mettre en œuvre une politique monétaire commune pour l'ensemble des membres. Xiaoshan Chen est professeur à l'université de Glasgow. Adresse: Department of Economics, the University of Glasgow, UK. Email:
[email protected] Terence C. Mills est professeur à Loughborough University, UK. Adresse: Department of Economics, Loughborough University, UK. Phone: +44 (0) /509222703, Fax: +44 (0) 1509223910. Email:
[email protected]
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Notes 1. Les séries du PIB réel et de la formation brute de capital fixe sont issues de la base de données des comptes nationaux trimestriels de l'OCDE. Les séries de la production industrielle et du commerce de détail total sont tirées de la base de données des indicateurs essentiels de l'OCDE. Puisque les séries de chômage ne sont pas disponibles pour la France, la Belgique et les PaysBas, elles sont issues de la base Datastream, avec respectivement les codes FROCFEMPO, BGOCFETNO et NLOCFETNO. Les données agrégées d'emploi dans la zone euro proviennent de la base AWM construite à la Banque centrale européenne par Fagan et al. [2001]. Les données du commerce de détail ne sont pas disponibles au niveau agrégé européen, ni pour l'Espagne. Toutes les séries ont été désaisonnalisées. Les observations trimestrielles ont été présentées en logarithmes.
2. L'ensemble des calculs, données et mesures utilisés dans ces modèles sont disponibles sur simple demande. 3. Les récessions survenues au milieu des années 1970 ne peuvent pas être analysées pour la zone euro agrégée ni pour la France, du fait de l'insuffisance des données. Les séries de production industrielle pour la zone euro agrégée sont disponibles à partir de 1975Q3 et les chiffres des ventes de détail démarrent seulement en 1975Q 1. 4. Nous reconnaissons que les résultats peuvent être sensibles au choix de la largeur de la fenêtre. Des fenêtres larges tendent à modérer des changements importants de moyen-terme dans la synchronisation, alors que des fenêtres courtes sont plus sensibles à des déviations de court ou de moyen terme. La littérature utilise souvent une fenêtre large de six ans. Voir par exemple Gayer [2007].
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Muriel DAL-PONT LEGRAND Harald HAGEMANN Théories réelles versus monétaires des cycles d'équilibre
uiconque s'intéresse à l'histoire de la macroéconomie est assez rapidement frappé de constater combien l'intérêt des économistes pour la théorie des cycles est lui-même éminemment cyclique. En effet, après d'intenses débats durant la
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période de l'entre-deux-guerres, c'est seulement la situation économique du début des années 1970 qui va faire renaître un intérêt pour ce champ de l'analyse économique. Dans l'intervalle, il n'est plus véritablement question du cycle l • Les économistes concentrèrent leur attention, d'une part, sur l'analyse du long terme qui cherchait à expliquer une croissance régulière et soutenue et, d'autre part, sur l'étude du court terme mettant alors en œuvre les outils de la macroéconomie keynésienne qui permettaient à cette époque de contrôler efficacement la demande agrégée. Finalement, cette période témoigne d'un certain optimisme qui parvint même à la fin des années 1960 à faire douter les économistes de la pertinence du concept de cycle (Bronfenbrenner, [1969]). Lorsque la théorie des cycles apparaît de nouveau, c'est dans un cadre analytique radicalement différent, qui va révolutionner la macroéconomie dans son ensemble. Au début des années 1970, le contexte économique a changé : la théorie keynésienne est mise à mal tant sur le plan empirique que théorique. La situation la plus favorable à la diffusion d'une nouvelle théorie, aussi révolutionnaire soit-elle, étant très certainement l'existence d'une orthodoxie établie qui devient soudainement incohérente avec les faits stylisés les plus caractéristiques de la réalité observée2 , on va assister à une transformation véritablement radicale de la macroéconomie. Cette « révolution », portée par un courant que l'on appelle la nouvelle école classique (NEC) va prendre la forme de ce que l'on va nommer la théorie des cycles d'équilibre (TCE). Sa première version, appelée théorie des cycles monétaires (TCMP, a été initiée par Robert Lucas. Bien au-delà de sa théorie des cycles, la contribution de cet auteur va marquer un tournant majeur dans la discipline. En effet, l'introduction du concept d'anticipations rationnelles emprunté à Muth [1961], mais bien plus encore son hypothèse de marchés continuellement soldés, ont suscité de nombreux débats, concernant à la fois le fond mais aussi les conséquences que l'utilisation de ces hypothèses pouvait avoir sur le traitement des questions macroéconomiques. Pour autant, nul ne remet en cause la contribution de Lucas à la macroéconomie4• Si la rupture méthodologique est actée5, d'importantes critiques Revue française d'économie. nO 4/vol XXIV
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vont néanmoins être formulées à propos de sa théorie des cycles monétaires et vont donner lieu, en réaction, à l'émergence de la théorie des cycles réels (TCR)6. Apparaît ainsi au début des années 1980 un débat opposant théories monétaires et théories réelles des cycles d'équilibre. Malgré son caractère novateur, la TCE semble donc reproduire, à première vue, les clivages traditionnels qui ont nourri la théorie des cycles depuis ses origines. En effet, la période de l'entredeux-guerres, connue pour le foisonnement de sa recherche, en particulier dans le domaine de la théorie des cycles, a produit une littérature importante sur cette question, notamment (mais pas seulement) via des échanges nourris entre Hayek et Hicks. Doiton considérer pour autant que le débat se pose dans les années 1980 dans les mêmes termes que dans la période de l'entredeux-guerres? On peut être tenté de le penser. Dans un premier temps, Lucas multiplie les références à Hayek notamment dans son célèbre article Understanding Business Cycles?, dans lequel il n'hésite pas à faire explicitement référence au programme de recherche de ce dernier lorsque celui-ci considérait « that the incorporation of cyclical phenomena into the system of economic equilibrium theory, with which they are in apparent contradiction, remains the crucial problem ofTrade Cycle theory » (Hayek [1933], 33n). Pourtant, pour quiconque a investi sérieusement cette question, cette filiation pose problème. En effet, on sait depuis 8 que le contenu théorique de ces approches diffère profondément, Lucas ayant d'ailleurs lui-même renoncé à toutes références à Hayek et préférant se situer dans la lignée de Hume9• Lorsque la théorie des cycles réels émerge à son tour, elle va également chercher à fonder sa démarche en faisant cette fois-ci explicitement référence au programme de recherche de Hicks. Ainsi, Plosser expose son parti-pris méthodologique ... « Progress towards understanding this idealized state is essential becauseit is logically impossible to attribute an important portion of fluctuations to market failure without an understanding of the sorts of fluctuations to market failure withollt an understanding of the sort of fluctuations that would be obserRevue..' fmnçaisc d'économk', n° 4/vol XXIV
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ved in the absence of the hypothesized market failure.» (Plosser [1989]: 53) . ... puis, fait explicitement référence aux travaux de Hicks « an idealized state of dynamic equilibrium ... give(s) us a way of assessing the extent or degree of disequilibrium». Or, si on procède à une lecture plus complète de ce passage, on appréhende peut-être différemment le message délivré par Hicks: «Because of ignorance of future changes of data ( ... ) such a perfect Equilibrium is never attainable. A real economy is always in disequilibrium. The actual disequilibrium may be compared with the idealized state of dynamic equilibrium to give us a way of assessing the extent or degree of disequilibrium» (Hicks [1933] p.32). Le rôle que Hicks attribue à l'équilibre semble bien différent de celui que Plosser, et l'approche moderne des cycles d'équilibre en général, lui confèrent lO • En effet, comme l'avait judicieusement noté Laidler [1986], le changement fondamental qui caractérise les théories modernes des cycles d'équilibre est que l'équilibre est devenu une méthode d'analyse. Nous est-il alors permis de pousser la comparaison entre ces débats? En d'autres termes, peut-on considérer que, modulo des différences (majeures!) en termes de modélisation, Plosser adopte finalement la même posture vis-à-vis de Lucas que Hicks vis-à-vis de Hayek? Sommes-nous certains que les choix de formalisation comme l'évolution de certains concepts n'ont pas affecté de manière significative la nature des débats qui opposent les tenants d'une approche réelle à ceux qui soutiennent une interprétation monétaire des cycles? Cet article propose d'éclairer ces questions. Notre objectif consiste à examiner dans quelle mesure les grands clivages qui structuraient les débats au sein de la théorie des cycles dans la période de l'entre-deux-guerres sont toujours présents dans la théorie moderne des cycles d'équilibre et s'ils s'expriment dans les mêmes termes. En effet, au-delà des apparences, il semble légitime de supposer que l'évolution des techniques et des concepts a dû altérer le contenu théorique de ces approches et modifier ainsi la teneur des débats. (<< Theories are not judged to be good or bad in isolation in economics, but better or worse Revue française d'économie, nO 4/vol XXIV
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in relation to other theories. ( ... ) though ( ... ) modern economics is more than a series of "good conversations" the effectiveness of the rhetoric that is deployed in support of particular points of view does affect the way in which questions of substance are settled.» (Laidler, [2001] p. 7).). Dans cette perspective, cet article s'organise de la manière suivante. La première section présente les débats opposant les théories réelles aux théories monétaires du cycle dans la période de l'entre-deux-guerres et choisit de ne pas se limiter au seul débat qui opposa Hicks et Hayek. On propose ainsi de distinguer trois grandes approches : la connexion Wicksell-Hicks, les débats sur la nécessité ou pas de se dégager d'une approche purement statique pour tenter de fournir une analyse endogène du cycle et, enfin, les contributions qui, dans la lignée de Frisch ou Slutsky, insistent sur la décomposition de l'analyse des fluctuations en termes d'impulsion et de mécanisme de propagation. La deuxième section rappelle le contexte dans lequel la TCM émerge et examine les réactions à ces travaux. Vient ensuite l'émergence de la TCR puis la mise en perspective du débat qui opposa Lucas aux analyses réelles du cycle, suivies enfin d'une évaluation de la teneur des arguments qui opposèrent les approches réelles aux approches monétaires des cycles d'équilibre modernes. La troisième section conclut.
L'opposition entre théories monétaires et réelles des cycles dans la période de l'entre-deux-guerres
La connexion Wicksell - Hicks Les impulsions majeures au débat de l'entre-deux-guerres portant sur la théorie des cycles sont venues de Wicksell et Schum-
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peter. Comme Mises et Hayek l'ont maintes fois rappelé, il est en effet largement reconnu que la distinction fondamentale établie par Wicksell entre les taux d'intérêt réel et monétaire constitue un mécanisme de propagation de première importance pour la théorie autrichienne des cycles. En dehors de relatives et non problématiques variations de l'épargne, dues à des modifications des préférences intertemporelles individuelles, on peut distinguer deux impulsions majeures qui peuvent donner lieu à une divergence entre ces taux d'intérêt: - une amélioration des perspectives de profit due à des avancées techniques qui engendre une augmentation du taux naturel de l'intérêt et de la demande d'investissement, et ce, aussi longtemps que les banques n'augmentent pas le taux monétaire qu'elles appliquent en parallèle; - une intervention du système bancaire qui conduit à diminuer le taux d'intérêt monétaire et engendre ainsi une perturbation de l'équilibre initial et du taux naturel. Alors que la première impulsion est réelle et « naturelle», la seconde est de nature monétaire et « artificielle». Au regard de l'importance que Hayek attribua à la première impulsion, on ne peut que constater le changement notable opéré dans les explications que ce dernier fournit dans Monetary Theory and the Trade Cycle, publié en 1933 en anglais et paru dans sa version initiale en allemand en 1929 puis, plus tard, dans Prices and Production (Hayek [1931]). Dans MTTC, Hayek attribue un rôle central au progrès technique et reconnaît explicitement qu'un processus d'expansion du crédit ne peut être le seul résultat d'un abaissement du taux d'intérêt monétaire en dessous de son niveau naturel mais doit aussi bénéficier d'une augmentation du nombre des opportunités d'investissements profitables qui conduit inévitablement à une augmentation du taux naturel. Dans Prices and Production, la première impulsion, qui a pourtant toujours été soulignée par Wicksell en dépit de son acceptation du fait que les taux d'intérêt sont formés par les banques, est totalement éliminée par Hayek. Comme dans les travaux de Mises, les banques, en étant à la source de la seconde impulsion, sont les
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véritables «responsables», ceux qui perturbent l'équilibre initial et qui engendrent ainsi une crise de surinvestissement. Les idées de Wicksell à propos de la théorie des cycles ne sont ici que rapidement abordées. Deux articles publiés par Wicksell [1907], [2001)11 permettent d'identifier et de clarifier deux éléments centraux de sa pensée. Premièrement, Wicksell identifie le flux irrégulier des inventions techniques et des améliorations comme étant les causes les plus profondes des fluctuations cycliques. Wicksell apparaît alors comme un représentant de la théorie des cycles réels. En ce sens, il se distingue clairement de Hayek pour qui le cycle, bien que constitué de modifications de la structure réelle de production, ne pouvait être in fine qu'engendré par des facteurs monétaires. Mieux encore, le processus cumulatif causé par la divergence entre les deux taux d'intérêt, bien qu'étant un élément essentiel à la compréhension des modifications du niveau général des prix, n'est cependant pas important pour expliquer le phénomène de cycle (se référer ici à Leijonhufvud, [1997]). Bien que Wicksell souligne l'importance des «chocs technologiques» et considère les facteurs réels qui conduisent à des modifications du taux naturel de l'intérêt comme les causes décisives des cycles, il ne serait pas très inspiré de le considérer comme un précurseur des théoriciens des cycles modernes d'équilibre (Caporale, [1993]) car non seulement il est à des années lumières d'utiliser une hypothèse de marchés continuellement soldés mais aussi parce que l'analyse des problèmes de coordination intertemporelle constitue l'essence même de sa pensée économIque. Une relation, une empathie même, plus étroite existe cependant avec les idées portées par John Hicks qui, dans les années 1931 et 1935, fut un membre assidu du séminaire animé par Hayek 12 à la London School of Economics. Alors qu'il était lui-même l'auteur d'importantes contributions dans le domaine de la théorie monétaire, Hicks était toujours demeuré sceptique face aux arguments de Hayek lorsqu'il considérait qu'en l'absence de perturbations engendrées via des facteurs monétaires, une économie était forcément à l'équilibre. En fait, Hicks ne se lassa jamais de réitérer le caractère fondamentalement réel des cycles.
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Cette position est déjà très claire dans son premier essai à propos de l'équilibre et du cycle d'affaire qui, pour l'essentiel, est le résultat de ses efforts pour comprendre Prices and Production ainsi que le concept d'équilibre intertemporel fourni par Hayek [1928]. Hicks rejette dans ce texte l'argument de Hayek « that a change in effective volume of monetary circulation is to be regarded as an independent cause of disequilibria. l cannot accept this in its literaI sense, though l am prepared to agree that in a world of imperfect foresight monetary changes are very likely to lead acute disequilibrium» (Hicks, [1982 - 1933] p. 32). Hicks réalisa que pour analyser la monnaie, il est indispensable d'intégrer les notions d'incertitude et d'anticipations. Ce fut dès lors une tâche éminemment difficile que de parvenir à produire une version intrinsèquement dynamique d'une économie au sein de laquelle les décisions présentes des agents représentent des tentatives de gérer un futur incertain étant données les contraintes réelles et monétaires imposées par leurs actions passées. Bien que Hicks produisit d'importantes contributions dans le domaine de la théorie monétaire sur une période couvrant à peu près six décennies l 3, il ne cessera jamais de souligner le « caractère réel (non-monétaire) du processus cyclique» (Hicks, [1950] p. 136). En effet, un des objectifs majeurs de son ouvrage Contribution to the Theory of the Trade Cycle était de montrer que la principale caractéristique du cycle peut être expliquée de manière adéquate en des termes purement réels. Bien qu'il ait emprunté à Hayek l'idée selon laquelle l'impact d'un choc sur la structure réelle de la production est l'élément clef de compréhension des cycles, il apparaît aussi clairement que pour Hicks, contrairement à Hayek, la divergence du sentier régulier n'est pas engendrée par des facteurs monétaires mais par des facteurs réels comme le changement technologique. « Where ... l do not go along with him (Hayek) is in the view that the dis turban ces in question have a monetary origin. He had not emancipated himself from the delusion ... that with money removed 'in a state of barter' everything would somehow fit. One of my objects in writing this book has been to kill that delusion. Ir could only arise because the theory of the barter economy
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had been insufficiently worked out. There has been no money in my model; yet it had plenty of adjustment difficulties. It is not true that by getting rid of money, one is automatically in « equilibrium» - whether that equilibrium is conceived of as a stationary state (Wicksell), a perfect foresight economy (Hayek) or any kind of steady state. Monetary disorders may indeed be superimposed upon other disorders; but the other disorders are more fundamental» (Hicks, [1973] pp. 133-134). Cette position de Hicks s'inscrit exactement dans la même perspective que celle de Wicksell qui fut grandement stimulé dans sa recherche par deux de ses contemporains, Tugan-Baranovsky et Spiethoff. Bien que Wicksell ait critiqué la version marxiste des cycles telle qu'elle a pu être discutée par Engels, Laidler a raison de souligner que Wicksell est « far closed to the MarxSchumpeter tradition in cycle theory th an to any other monetary tradition» (Laidler, [1991] p. 145). Le rôle central du progrès technique souligné par Marx - qui peut aussi être retrouvé dans les travaux de Schumpeter et de Sombart pour lesquels le progrès technique est à la fois le déterminant essentiel de la tendance de long terme mais aussi le facteur clef à l'origine des cycles - a été la source d'importants débats dans l'espace germanique, bien plus que dans le monde anglo-saxon au sein duquel les théories monétaires du cycle ont toujours dominé la scène. Les idées de Wicksell à propos des crises et des cycles d'affaires se forgèrent de manière définitive au travers de ces débats. Néanmoins, la « nouvelle théorie des crises» de Wicksell établit clairement le caractère discontinu du progrès technique qui in fine est responsable des fluctuations cycliques. Wicksell est néanmoins loin d'identifier le progrès technique comme un déterminant majeur, juste après la croissance de la population, du taux de croissance naturel pouvant ainsi conduire au développement d'une économie le long d'un sentier de croissance équilibré, comme ce sera plus tard montré par Solow via la théorie néoclassique de la croissance. En fait, sa conception malthusienne de la croissance de la population ainsi que sa position à propos de l'insuffisance de ressources naturelles empêchèrent Wicksell d'explorer ces scénarios optimistes.
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Analyse dynamique versus statique ou la question de l'identification des déterminants endogènes des cycles « Analysing business cycles means neither more nor less than analysing the economic process of the capitalist era. » C'est avec cette citation que Schumpeter ([1939] p. V) débute son ouvrage monumental Business Cycles, publié à la fin de la période de l'entre-deux-guerres, après avoir pensé ce projet pendant plus de trois décennies. C'est l'un des grands mérites de Schumpeter que d'avoir souligné l'importance d'intégrer l'analyse des cycles à celle du développement économique de long terme que l'on ne peut pas plus caractériser par un équilibre stable que par un sentier de croissance équilibrée. Dès le début, Schumpeter considérait qu'une théorie du développement économique ne pouvait pas être élaborée indépendamment d'une théorie des cycles. Le développement économique engendré via l'introduction d'innovations par des entrepreneurs tout aussi innovants, et encouragé par le crédit des banques, fait davantage référence à un concept de perturbation endogène de l'équilibre qu'à la présence de chocs exogènes, comme des guerres ou des famines, qui seraient bien incapables d'expliquer la régularité de ce phénomène ou la lutte permanente pour atteindre un nouvel équilibre. Le progrès économique se manifeste par vagues, et les crises sont considérées comme les points de retournement du développement économique, une conséquence inévitable de la phase de prospérité qui a précédé et une phase nécessaire au processus de rééquilibrage et au développement futur. Bühm-Bawerk fut l'enseignant de Schumpeter et eut une influence majeure sur son programme de recherche. Ils partageaient ensemble l'idée selon laquelle la théorie des cycles représente le stade de développement final du système totalement abouti d'une théorie économique. Dès le départ, comme cela est exposé dans son ouvrage majeur The Theory of Economic Development [1911], Schumpeter voulait créer et représenter ce stade ultime de la théorie économique. Comme Schumpeter le précise lui-même dans les avant-propos de la quatrième édition allemande, ce n'est pas seulement le chapitre 6 qui s'intéresse aux
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cycles mais « actually any single page is dedicated to the problem of the business cycle» (Schumpeter [1934]: XII). Schumpeter considère que cet ouvrage, ainsi qu'un autre plus ancien Das Wesen und der Hauptinhalt der theoretischen Nationa16konomie [1908], forment un tout. Son système théorique est fondé sur une distinction essentielle entre la statique et la dynamique: avec Wesen il représente la statique alors que TED analyse la dynamique. Le premier ouvrage focalise son attention sur la pure logique d'un système économique d'équilibre général et est principalement inspiré par Walras, le grand héros de Schumpeter. Le second traite de l'analyse dynamique et, à ce titre, est clairement inspiré par la vision de Marx concernant l'évolution de long terme de l'économie capitaliste. En effet, les causes et les effets du progrès technique sont des éléments clefs de la compréhension de cette analyse du long terme qui constitua clairement pour Schumpeter le défi de toute une vie. La théorie dynamique de Schumpeter traite des modifications de données au sein du système statique, ou de la destruction du flux circulaire par l'introduction de nouvelles méthodes de production, de nouveaux produits, par l'ouverture de nouveaux marchés, par de nouvelles sources d'offre et par de nouvelles formes d'organisation. Dans le système économique de Schumpeter, la dynamique est fortement liée au phénomène de développement économique. Le principal vecteur du développement économique est l'entrepreneur innovateur, il représente une force endogène dans un système économique, se démarquant ainsi de la grande majorité des agents qui en sont réduits à ne mettre en œuvre que des actions de pure routine. Le crédit bancaire offre les moyens nécessaires permettant de compléter le financement des innovations par une nouvelle allocation des ressources. Les innovations, les entrepreneurs et le crédit constituent donc les trois éléments clefs de la théorie du développement économique que Schumpeter définit comme endogène, spontané et discontinu. C'est la tâche de la théorie dynamique que d'expliquer les origines et les effets du processus de transition qui pour l'essentiel est une perturbation de l'équilibre.
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En 1934, à la suite des travaux de Ragnar Frisch clarifiant le rôle de la statique et de la dynamique en économie et ainsi déterminant l'usage de ces termes dans la théorie économique moderne, Schumpeter va dans la version anglaise de «TED» substituer aux termes «statique» et « dynamique» les concepts respectifs de « flux circulaire» et de «développement économique». Dès ses débuts, Schumpeter - qui partageait avec Frisch la conviction selon laquelle un système walrasien d'équilibre général ne constitue pas un cadre approprié à l'étude des cycles - distingua d'une part la statique comme reliant les quantités qui se réfèrent à un même point du temps et, d'autre part, les théorèmes dynamiques qui incluent dans leurs fonctions les valeurs de variables qui appartiennent à différents points du temps. En considérant le débat opposant les causes réelles et monétaires des cycles, il est clair que Schumpeter partage la position de Wicksell selon laquelle la perturbation de l'équilibre économique primaire apparaît parce que les innovations augmentent les opportunités d'investissements profitables, suscitant ainsi une augmentation du taux de profit (espéré). Les innovations sont non seulement les impulsions décisives aux fluctuations cycliques mais la période de leur mise en œuvre va également déterminer la longueur des cycles Kondratieff, Juglar, ou encore Kitchin. Instituer une dichotomie entre l'analyse du cycle et celle de la tendance n'était certainement pas une idée de Schumpeter qui, en termes modernes, privilégiait ce que l'on appellerait aujourd'hui une approche de dépendance au sentier, i.e. une approche dépourvue de référence a priori à un sentier. On peut retrouver des positions similaires au sein des débats modernes portant sur des réflexions méthodologiques à propos de la dynamique économique construite par Hicks et Solow. Dans son analyse comparative des méthodes de dynamique économique, Hicks explore les différentes façons permettant d'exprimer une théorie de l'économie du changement en des termes gérables. Il avance dès le début que « [w]e have no right to conclude ... that the economic forces making for trend and
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for fluctuation are any different, so that they have to be analysed in different ways» (Hicks [1965] p. 4). De manière similaire, dans son allocution pour le prix Nobel, et à bien d'autres occasions par la suite, Solow souligna que: « it is impossible to believe that the equilibrium growth path itself is unaffected by the short-to medium run experience. In particular the amount and direction of capital formation is bound to be affected by the business cycle. . .. So a simultaneous analysis of trend and fluctuations really does involve an integration of long run and short run of equilibrium and disequilibrium» (Solow [1988] pp. 311-312). Cependant, en dépit des progrès considérables réalisés depuis la Seconde guerre mondiale, tant sur le plan technique que concernant le développement de concepts comme celui de la dépendance au sentier, ce problème décisif de la combinaison entre la macroéconomie de court, moyen et long termes n'est toujours pas résolu. Pendant les débats de la période de l'entre-deux-guerres, Adolph Lowe, stimulé par les travaux de Marx et Schumpeter, considérait que le changement technologique n'était pas seulement l'élément essentiel à l'origine des cycles mais était également le facteur clef de la croissance de long terme. Dès le début, il rechercha une théorie de la croissance cyclique qui éviterait toute séparation artificielle entre les dynamiques de cycles et de croissance. Dans son essai How is Business-cycle Theory Possible at aIl? Lowe [1926] souligne l'incompatibilité fondamentale entre, d'une part, la théorie de l'équilibre et, d'autre part, l'existence de fluctuations récurrentes des variables macroéconomiques clefs. Dans son « brillant article» (if. Kuznets [1930] p. 128), Lowe pose quelques réflexions à propos des requis méthodologiques qu'une théorie des cycles se doit de respecter et il parvient à poser clairement le problème. Si la théorie économique est en mesure d'expliquer les cycles d'affaires, elle ne peut le faire simplement en identifiant les conséquences d'un facteur exogène perturbateur seulement surajouté sur une économie autrement statique. Au contraire, elle doit s'attacher à rechercher les facteurs endo-
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gènes qui peuvent distordre les relations que supposait l'équilibre statique. Lowe conclut alors que: « The business cycle problem is not a reproach for, but a reproach against the static system, because in it is an antinomic problem. It is solvable only in a system in which the polarity of upswing and crisis arises analytically from the conditions of the system just as the undisturbed adjustment derives from the conditions of the static system. Those who wish to solve the business cycle problem must sacrifice the static system. Those who adhere to the static system must abandon the business cycle problem.» (Lowe [1997] p. 267). Lowe s'associera clairement au premier groupe. Puisque le système statique est en désaccord avec la réalité économique historique et que l'approche dominante en économie de l'équilibre a laissé non résolus de nombreux problèmes, et pas seulement ceux concernant l'explication des fluctuations cycliques, Lowe est en faveur de « the transformation of our existing static system into a dynamic one» pour laquelle « the polarity of upswing and crisis will acquire the same status as a data constellation which the equilibrium has in the static system» (Lowe [1997] p. 268). Lowe identifie alors le changement technologique de l'ère de l'industrialisation progressive comme étant le facteur endogène décisif engendrant les cycles. Le défi imposé par l'attaque de Lowe contre le concept traditionnel d'équilibre statique ainsi que son plaidoyer en faveur d'une approche dynamique alternative qui puisse expliquer les fluctuations sont très clairement expliqués dans le chapitre l, The Problem of the Trade Cycle, de l'ouvrage de Hayek Monetary Theory and the Trade Cycle [1933] (Geldtheorie und Konjunkturtheorie [1929]) 14. On constate alors que la théorie des cycles de Hayek n'était pas seulement largement influencée par la théorie du capital de Bohm-Bawerk, par la distinction entre taux d'intérêt naturel et taux d'intérêt monétaire de Wicksell ou encore par la théorie de la monnaie et du crédit de Mises, mais aussi par le défi méthodologique imposé par Lowe et par ses attaques - menées également par d'autres membres de l'école de Kiel, en particulier par Burchardt et Neisser - à l'encontre des théories monétaires du cycle 15 •
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Alors que les théories de Bohm-Bawerk, Wicksell et Mises ont largement contribué à la construction de la théorie des cycles de Hayek, le rôle de la critique méthodologique de Lowe fut d'une tout autre nature. Dans son chapitre 1 de Monetary Theory and the Trade Cycle, l'essai publié par Lowe en 1926 constitue un sérieux défi pour Hayek qui n'en est alors qu'au début de ses interrogations concernant la théorie des cycles. On peut noter d'importants éléments de convergence au sein des positions défendues par Hayek et Lowe, par exemple leur analyse commune des relations que doivent entretenir observations empiriques et explications théoriques. Plus spécifiquement, Hayek accepte l'argument séminal de Lowe consistant à déclarer que toutes les théories des cycles alors existantes souffrent d'une faiblesse fondamentale liée à leur dépendance vis-à-vis des chocs exogènes et au fait que les ajustements suscités par ces chocs ne sont analysés que dans un cadre analytique d'équilibre. Une telle démarche ne peut pas conduire à une théorie satisfaisante des fluctuations économiques dont on sait qu'elles se caractérisent par une certaine périodicité. La logique de l'équilibre « properly followed through, can do no more than demonstrate that such disturbances of equilibrium can only come from outside - i. e. that they represent a change in the economic data - and that the economic system always reacts to such changes by its well-known methods of adaptation, i.e. by the formation of a new equilibrium.» (Hayek [1933] pp. 42-43). Hayek partage donc la position de Lowe selon laquelle l'incorporation du phénomène cyclique dans une théorie de l'équilibre demeure un problème fondamental pour la théorie des cycles étant donné que les cycles ne peuvent être expliqués que comme le produit endogène d'un processus de marché. Cependant, les deux auteurs diffèrent de manière fondamentale dans leurs conclusions. Lowe décide d'abandonner le concept traditionnel d'équilibre statique pour lui préférer un nouveau système dynamique au sein duquel la polarité entre les phases de reprise et de crise joue le même rôle que l'équilibre dans un système statique. Hayek choisit d'adhérer au concept d'équilibre en considérant que c'est là un outil indispen-
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sable à la théorie économique en général et à la compréhension des relations de prix intertemporels en particulier. Hayek considère donc l'hypothèse d'équilibre comme le point de départ essentiel à son explication des cycles. Prices and Production, qui émane de ses conférences données à la London School of Economics en 1931, est un ouvrage profondément marqué par sa «conviction that if we want to explain economic phenomena at aIl, we have no means available but to build on the foundations given by the concept of a tendency towards an equilibrium» (Hayek [1935] p. 34). Pour l'analyse des questions dynamiques, il va être nécessaire d'incorporer des éléments temporels dans la notion d'équilibre. L'équilibre général intertemporel comprend donc un équilibre de prix relatifs de tous les biens à différents instants mais aussi de différents biens au même instant. Il est intéressant de noter qu'au moment même où il élabore sa théorie des cycles, Hayek écrit un article intitulé Intertemporal Price Equilibrium and Movements in the Value of Money [1928]. La théorie de Hayek présuppose que les prix déterminent les décisions de production. Influencé par Mises, il reconnaîtra que des modifications des prix relatifs entre biens capitaux et biens de consommation constituent un élément clef de la compréhension des fluctuations cycliques. La fonction des prix envisagée comme un mécanisme de coordination intertemporelle consiste à fournir aux entrepreneurs les informations nécessaires à leurs investissements et à leurs décisions d'allocation. Si dans un cadre d'équilibre, l'offre et la demande sont coordonnées pour atteindre l'équilibre via un mécanisme de prix, comment est-il alors concevable que les fluctuations soient un phénomène régulier puisqu'aucune modification du système lui-même ne peut donner lieu à de telles régularités? «The obvious, and (to my mind) the only possible way out of this dilemma, is to explain the difference between the course of events described by static theory... and the actual course of events, by the fact that, with the introduction of money... a new determining cause is introduced. Money being a commodity which, unlike all others, is incapable of finally satisfying demand, its introduction do es away with the rigid interdependence and self-sufficiency of the «clo-
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sed» system of equilibrium, and makes possible movements which could be excluded from the latter. Here we have a starting-point which fulfils the essential conditions for any satisfactory theory of the Trade Cycle» (Hayek [1933] pp. 44-45). On a donc ici une déclaration précise montrant que pour Hayek, la seule façon d'échapper à l'impasse identifiée par Lowe consiste à intégrer la monnaie et le crédit au sein d'un modèle d'équilibre. Lowe continue lui de focaliser son attention sur le progrès technique qu'il considère comme étant le facteur endogène décisif capable de perturber l'équilibre d'une économie. Il faut noter que l'adhésion de Hayek au concept d'équilibre pour construire son analyse des cycles possède des fondements théoriques mais aussi politiques. Hayek considérait qu'une économie de marché est intrinsèquement stable et que donc, tous les mouvements peuvent être envisagés comme des processus d'ajustement vers l'équilibre.
Chocs aléatoires et mécanismes de propagation Les deux contributions de la période de l'entre-deux-guerres qui eurent probablement l'impact le plus important sur les théories modernes, monétaire et réelle, des cycles d'équilibre furent écrites par Slutsky et Frisch. L article de Eugene Slutsky publié en 1927, The Summation of Random Causes as the Source of Cyclic Processes fut très rapidement considéré par les spécialistes comme un grand classique de l'analyse des séries temporelles et de la théorie des cycles et ce, dès qu'il fut publié dans une version révisée en anglais auprès de la revue Econometrica en 1937, traduit en anglais sous l'impulsion de Henry Schultz. Slutsky fut l'un des pionniers de la théorie des processus stochastiques et, dans son article de 1937, il utilise des séries corrélées afin de prouver que la somme de chocs aléatoires peut engendrer des dynamiques cycliques ou plus exactement un processus ondulatoire capable de reproduire le mouvement régulier des vagues. A l'instar de Schumpeter, il identifia également «(t)he presence of waves of definite orders, the long waves embracing decades, shorter cycles
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from approximately five to ten years in length, and finally the very short waves» (Slutsky [1937] p. 107). L'idée de Slutsky selon laquelle même si des chocs aléatoires ne sont pas eux-mêmes de nature cyclique, ces derniers peuvent néanmoins engendrer des oscillations régulières fut d'une importance majeure. Non seulement cette idée stimula la recherche dans le domaine de l'analyse des séries temporelles mais elle permit aussi aux économistes de s'affranchir de l'a priori selon lequel les fluctuations cycliques devaient forcément trouver leur origine dans des causes elles-mêmes de nature périodique. Bien que l'essai de Slutsky ait une influence considérable sur ses contemporains, le succès de l'économie keynésienne et le déclin des théories des cycles après la guerre le fit tomber dans l'oubli jusqu'à ce que la montée en puissance de la théorie des cycles réels dans les années 1980 souligne de nouveau le caractère majeur de sa contribution, essentiellement via ses travaux montrant que l'accumulation des chocs aléatoires peut produire des fluctuations cycliques. L'un des tout premiers théoriciens des cycles à reconnaître la valeur et l'importance de la contribution de Slutsky fut Simon Kuznets qui avait émigré de la Russie vers les Etats-Unis en 1922. Peu après la publication de l'article de Slutsky en russe, Kuznets écrivit un article sur Random Events and Cyclical Oscillations dans lequel il souligne le fait que « if cycles arise from random events, assuming the summation of the latter, then we obviously do not need the hypothesis of an independent regulady recurring cause which is deemed necessary by sorne theorists of business cycles» (Kuznets [1929] p. 274). A la fin des années 1920 et au début des années 1930, Ragnar Frisch s'attacha à étudier le développement des méthodes de la dynamique en économie et plus particulièrement des méthodes applicables à la théorie des cycles. Sa contribution la plus significative réside alors dans la distinction qu'il fournit entre les analyses statique et dynamique, idée qui était déjà totalement mature dans son article norvégien de 1929 Statics and Dynamics in Economic Theory (Frisch [1929]) .16 Sa définition implique qu'un système dynamique authentique contienne au
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moins une variable économique qui soit reliée à différents points du temps. «Any theoreticallaw which is such that it involves the notion of rate of change or the notion of speed of reaction (in terms of time) , is a dynamic law. AlI other theoreticallaws are static. A static law is a comparison between alternative situations, a dynamic law an analysis of rates of change» (Frisch [1992] p. 394). A partir de là, Frisch considère que le système économique walrasien d'équilibre général n'est pas un cadre approprié pour élaborer une théorie des cycles. La clarification de ses positions qui tentent de distinguer, voire d'opposer, les notions de dynamique et de statique et à propos d'autres concepts méthodologiques comme par exemple la distinction entre les analyses micro- et macro-économique, constituèrent des bases saines à sa réflexion sur la théorie des cycles vers le début des années 1930. C'est à cette période que dans un ouvrage édité en l'honneur de Cassel, Frisch va publier sa fameuse contribution Propagation Problems and Impulse Problems in Dynamic Economics [1933].17 La principale idée contenue dans cet article consiste à proposer de distinguer deux problèmes fondamentaux de l'analyse des fluctuations, le problème de la propagation et celui de l'impulsion. Cette question trouve ses racines chez Wicksell. Frisch fait aussi explicitement référence à l'idée de Slutsky selon laquelle des chocs erratiques peuvent être à l'origine de mouvements cycliques réguliers. La distinction nette et utile fournie par Frisch entre perturbations aléatoires et donc exogènes et structure intrinsèque ou mécanisme de propagation par lequel l' économie transforme les chocs en fluctuations cycliques, s'est avérée être une contribution majeure pour l'analyse moderne des cycles. Frisch supposait l'économie comme dynamiquement stable, i.e. que sa structure intrinsèque aurait tendance à atténuer les oscillations causées par un choc unique. Cependant, lorsque les chocs se produisent de manière fréquente, l'économie demeure toujours en mouvement. Alors que l'amplitude des cycles est principalement déterminée par la force du choc initial (de l'impulsion), le mécanisme de propagation est responsable de la régularité de l'alternance des
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phases d'expansion et de contraction, et détermine ainsi la longueur des cycles. Frisch croyait en l'existence de plus d'un cycle. Dans son essai de 1933, il opère une distinction entre trois types de cycles de longueurs différentes: le cycle primaire ou classique de 8.57 années, le cycle secondaire de 3.50 années et le cycle tertiaire d'une durée juste supérieure à deux années. Plus tard, il va croire très fermement au cycle Kondratieff18, une croyance qui a pu être le résultat d'échanges nourris qu'il va entretenir pendant plusieurs années avec Schumpeter sur le rôle des innovations en tant que facteur clef permettant d'entretenir les oscillations. 19 Sur le plan méthodologique, Frisch essaya de combler le fossé qui existait à la fin des années 1920 entre, d'une part, la recherche empirique menée sur les cycles favorisant une méthode inductive, par exemple les travaux de Wesley Mitchell, et d'autre part, la recherche purement théorique qui ne cherchait même pas à utiliser les techniques statistiques modernes. Cette seconde attitude fut très largement partagée par les théoriciens monétaires du cycle, y compris par les personnalités les plus marquantes d'écoles de pensée aussi diverses que celle de Cambridge ou encore l'école autrichienne.
Les théories modernes des cycles d'équilibre
De « Monetarism mark II>> à la nouvelle école classique Avant que son renouveau analytique ne soit véritable perçu, la nouvelle école classique (NEC) est apparue en premier lieu comme une évolution du monétarisme: Lucas cherchait à expliquer l'inflation des années 1960-1970. On peut en effet consi-
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dérer que Lucas [1972] n'est autre qu'une nouvelle formulation, plus rigoureuse, de la théorie du taux naturel de Friedman et Phelps. La démarche de Lucas consistait à intégrer la théorie de la monnaie à celle des prix tout en préservant le plus possible la théorie des prix relatifs issue de l'équilibre général, en utilisant la théorie quantitative de la monnaie pour déterminer le niveau général des prix et enfin, en fondant le caractère perturbateur de la monnaie sur l'existence de problèmes informationnels (cf Sargent, [1996] p. 9). En développant néanmoins un nouveau concept d'équilibre, cette approche a déplacé un débat qui initialement portait sur la forme des courbes de Phillips de court et de long terme, sur la question de l'impact de modifications anticipées (ou pas) de la masse monétaire sur la production et l'emploi. Apparaît alors une sorte de dualité dans l'interprétation que l'on peut faire de Lucas [1972]. D'une part, on constate une certaine continuité de ces travaux avec le monétarisme de Friedman qui tient pour l'essentiel à ce que ce papier reprend explicitement les résultats ou postulats de travaux précédents comme la théorie quantitative de la monnaie, l'hypothèse du taux naturel, la courbe de Phillips ou encore la proposition de Friedman en faveur d'un taux de croissance constant de la masse monétaire. S'il ne rejette pas totalement cette sorte de filiation avec Friedman, Laidler [1986] ne considère pas que sur le plan strictement analytique, l'appréciation de la courbe de Phillips donnée par Lucas constitue un véritable progrès: « The monetarist' expectations-augmented Phillips curve' was an empirical observation in need of an explanation, but a weIl grounded structural rel ationship in its own right» (ibid. p. 336). D'autre part, on voit apparaître des arguments qui semblent davantage attester une rupture profonde avec le monétarisme, Lucas [1972] proposant un cadre analytique révolutionnaire, a priori jugé plus cohérent mais surtout conduisant à des conclusions extrêmement tranchées concernant la forme et les modalités des politiques contracycliques. En fait, comme on va le voir, la théorie des cycles contenue dans l'article de 1972 va rapidement être critiquée puis abandonnée au sens strict. En revanche, la méthodologie proposée dans cet article et développée plus explicitement en 1977,
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puis en 1980, va constituer la pierre angulaire d'une nouvelle école de pensée qui va véritablement révolutionner la macroéconomie20 , la nouvelle école classique et plus précisément en son sein, la théorie des cycles d'équilibre (TCE). Le modèle de 1972, et plus généralement la TCE, reposent sur trois hypothèses : i) l'usage des anticipations rationnelles, ii) l'hypothèse de marchés continuellement soldés et iii) l'hypothèse d'offre globale21 • Dans ce nouveau cadre22 , Lucas va pouvoir démontrer qu'il est possible de réconcilier instabilité et équilibre. En fait, il va pour cela utiliser la présence de problèmes informationnels liés à la confusion des mouvements de prix relatifs et de prix monétaires, i.e. ce que l'on a baptisé le problème « d'extraction du signal». Ces problèmes vont se manifester dès lors que les agents sont en présence de chocs de demande (pour l'essentiel monétaires) non anticipés. Plus précisément, la confusion sur l'origine des variations de prix (variation du niveau général des prix versus variation des prix relatifs) peut conduire les agents et, ce, malgré la formation d'anticipations rationnelles au sens de Muth, à ne pas anticiper correctement les niveaux de production et d'emploi. Ces derniers s'éloignent alors de leur niveau d'équilibre de long terme et le retour vers cet équilibre sera automatique dès lors que les agents auront accès à l'ensemble des prix de l'économie et pourront ainsi déterminer la véritable nature de la variation de prix constatée à la période précédente. Il faut noter que même lorsque les agents quittent l'équilibre de long terme ou encore l'optimum, ils sont toujours à l'équilibre : c'est là l' œuvre de la parfaite flexibilité des prix. Cette imperfection de l'information - comme d'ailleurs l'écart à la tendance qu'elle suscite - est donc purement temporaire et ne constitue pas comme chez Friedman 23 le fruit qu'une quelconque asymétrie d'information. Une fois l'imperfection dissipée, et en l'absence de nouvelles perturbations, les agents « corrigent» leurs anticipations et on a ainsi une force de rappel forte et immédiate vers l'équilibre de long terme. Comme Hayek, Lucas considère que l'économie tend de manière irrémédiable vers un équilibre naturel. Il semble alors avoir comblé les lacunes de la théorie classique:
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il rompt avec la dichotomie réelle monétaire et permet l'analyse des fluctuations dans un cadre d' équilibre24 • Si au premier abord, Lucas semble avoir relevé le défi de Hayek, il existe cependant des différences substantielles entre les conclusions de Lucas et le projet de Hayek. Outre les remarques aujourd'hui largement connues consistant à souligner l'absence de mécanisme de marché et de coordination explicite via le marché, des hypothèses radicalement différentes sur l'information et ses processus d'acquisition (Hoover, [1988]), sur les notions d'équilibre éminemment différentes (Arena, [1994]) ou encore concernant la nature du monétarisme sous-jacent (Laidler [1986]), on doit noter un changement de perspective assez radical qui nous pousse à penser que les questions posées par ses théories modernes des cycles ne sont plus les mêmes que celles qui guidaient les recherches au sein de la période de l'entre-deux-guerres. En effet, plus qu'une notion différente d'équilibre, « désormais », i.e. après Lucas, la macroéconomie conçoit l'équilibre non plus comme la solution d'un problème statique ou dynamique, mais comme des fonctions. C'est le comportement même des agents qui répond à une logique de l'équilibre. « The difficulty with the newclassical economics lies not in the equilibrium postulate per se, but in its insistence that we model the economy as a whole as if the equilibrium strategies of individuals were formulated and executed in an institutional framework characterized by continuously clearing competitive markets» (Laidler [1986] p. 349). Par ailleurs, si pour Hayek les cycles sont des phénomènes monétaires c'est parce qu'il considère que seule une économie monétaire possède le caractère instable qui permet de concevoir une dynamique cyclique endogène Y Lucas partage l'idée selon laquelle l'économie réelle est fondamentalement, naturellement, stable mais, dans son modèle, la monnaie n'intervient que comme une perturbation exogène. Si donc dans les deux cas l'instabilité est monétaire, elle est néanmoins purement exogène chez Lucas. D'une certaine manière, Lucas franchit une étape qui l'éloigne de Hayek en considérant qu'une économie monétaire n'est pas fondamentalement instable; en fait, ce sont seulement les « surprises» qui sont les vecteurs de l'instabilité. Si
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donc sa théorie est astucieuse et permet de concilier un certain nombre d'hypothèses jusque là réputées incompatibles, elle a pour conséquence « d'exogénéiser» l'origine des cycles qui ainsi ne dépendent plus que de l'occurrence de chocs monétaires, par définition non anticipés. Finalement, la véritable portée de l'article de 1972 réside bien moins dans la théorie des cycles qu'il propose que dans le nouveau cadre analytique qui y est développé. En effet, cette modification substantielle de l'approche des fluctuations a des conséquences importantes en termes de politique économique. La contribution majeure de Lucas demeure l'introduction des anticipations rationnelles et son impact se mesure au travers de deux questions alors essentielles. Tout d'abord, la politique économique - et plus spécifiquement la politique monétaire - est jugée inefficace dès lors qu'elle est anticipée. On peut revenir sur ce thème et expliquer que le message de la NEC est un peu plus fin et consiste à montrer le caractère inefficace des politiques contra-cycliques. En fait, les anticipations rationnelles supposent que les agents endogénéisent totalement les actions des autorités, ce qui conduit à une neutralisation des possibles interventions de ces dernières dès lors qu'elles obéissent à une quelconque rationalité, i.e. dès lors qu'elles réagissent à une règle par définition anticipable. Sargent et Wallace [1975, 1976] obtiennent donc ici un résultat profondément anti-keynésien qui va par la suite être très controversé. Cette question va donner lieu à une littérature fondée sur l'analyse de la cohérence temporelle et de crédibilité des politiques monétaires 26 • C'est ensuite la critique de Lucas [1976] qui va profondément marquer notre façon de percevoir macroéconomie et analyse de politiques économIques.
Limites de la théorie monétaire des cycles et émergence d'une nouvelle macroéconomie Si le caractère extrêmement novateur de l'article de 1972 ne passa pas inaperçu, il ne fut pas pour autant exempt de critiques.
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Pour l'essentiel, ces dernières furent explicitement adressées à la théorie des cycles se fondèrent sur les deux éléments suivants. D'une part, le fait que les cycles ne puissent être engendrés que par des chocs monétaires non anticipés pose problème à différents niveaux. Tout d'abord, cela suppose une certaine régularité des chocs monétaires que rien ne justifie. Ensuite, le caractère non anticipé de ces chocs peut surprendre dans la mesure où les interventions en termes de politique monétaire, les variations de prix, sont sans doute les plus identifiées et annoncées des chocs que nos économies peuvent connaître. Dès lors, il semble peu crédible que des chocs monétaires soient en mesure de causer des cycles d'une durée et d'une ampleur conséquentes. Il est à noter qu'il n'y pas eu non plus de validation empirique incontestable concernant la neutralité des politiques monétaires systématiques. D'autre part, le modèle de Lucas n'exhibe aucune permanence des chocs. Pour le dire autrement, on ne peut avoir dans ce modèle d'écart durable vis-à-vis de la tendance de long terme. En fait, comme il le confessera lui-même, Lucas ne peut rendre compte de la persistance des fluctuations que s'il introduit des hypothèses spécifiques, des retards par exemple, or il rejette luimême cette démarche, considérant que le caractère ad hoc de ces hypothèses vient affaiblir la portée de son modèleY Cela peut paraître surprenant mais c'est Tobin lui-même qui va en quelques sortes « souffler» la solution aux économistes de la NEC II, ceux que l'on appellera les théoriciens des cycles réels: « Of course the real equilibrium of a full-information model could move around driven by fluctuations of natural endowments (like weather), technologies (and thus factor marginal productivities) and tas tes (e.g. leisure versus work). If these fluctuations are serially persistent random processes, the observations they generate may look like business cycles in certain variables. Theories of this genre, as Gottfried Harberler observed decades ago, explain cycles not as economic mechanism but as the reflection, in an intrinsically stable structure, of exogenous shocks» (Tobin, [1980] p. 789).
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Deux éléments majeurs vont permettre de modifier substantiellement la première version de la TeE et développer formellement la proposition de Tobin. On l'a vu, le recours à la présence de problèmes informationnels fait l'objet d'importantes critiques, or c'est cette hypothèse qui était à l'origine des modifications de l'équilibre autour de la tendance, c'est-à-dire autour de l'équilibre optimal. On va donc poser une hypothèse d'information complète et parfaite. Il faut alors trouver un autre mécanisme par le biais duquel l' équilibre se modifie, c'est là le second élément qui va se traduire par la combinaison de deux mécanismes. Tout d'abord, on va utiliser le mécanisme de substitution intertemporelle introduit par Lucas et Rapping [1969]. On affi'ne ensuite le comportement des agents induit par ce mécanisme en empruntant à Barro [1981]28 qui suppose que la substitution va très largement dépendre de la perception que les agents ont de la nature des chocs, i.e. du caractère permanent versus temporaire de l'impact de ces chocs. Lucas29 adoptera également ce mécanisme en même temps qu'il essaiera d'élaborer un modèle de cycle d'équilibre hybride [1987], mêlant aspects monétaires et réels.
La théorie des cycles réels La théorie des cycles réels fonde sa démarche sur le constat selon lequel le taux de croissance du progrès technique - ou résidu de Solow - connaît des fluctuations amples et aléatoires que Prescott [1986] suggère de représenter par un processus aléatoire avec dérive auquel on ajouterait un terme d'erreur non sériellement corrélé. En fait, Prescott va faire partie de ces économistes qui considèrent qu'utiliser le terme de cycles n'est pas très approprié dans la mesure où cela suppose implicitement que ce phénomène pourrait être analysé indépendamment de la croissance. Logiquement, il va considérer le modèle de croissance comme le point d'ancrage de la théorie des cycles. Par ailleurs, à l'instar de Slutsky30, Plosser pense que des systèmes linéaires stochastiques en différence, dépourvus d'éléments déterministes oscillatoires, peuvent néanmoins exhiber des caractéristiques dynamiques des
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cycles. On conçoit ainsi le projet d'une théorie réelle des fluctuations appréhendées non plus comme des mouvements autour de la tendance mais comme des variations, des ruptures de la tendance elle-même. Cette proposition est par ailleurs validée par la contribution empirique de Nelson et Plosser [1982]. Ces derniers testent l'hypothèse selon laquelle le PIB suit un cheminement aléatoire et montrent que celle-ci ne peut pas être rejetée. Ces résultats sont d'une importance majeure car ils rompent définitivement avec la représentation traditionnelle du cycle comme un mouvement autour de la tendance de long terme. Désormais, c'est la tendance qui fluctue. Ce résultat vient renforcer l'idée selon laquelle c'est en partant de la théorie de la croissance qu'il faut chercher à expliquer les fluctuations. La contribution de Nelson et Plosser a une autre conséquence: en mettant en évidence la non-stationnarité des variables, ces auteurs excluent d'emblée toute influence des facteurs monétaires. Plus exactement, la non-stationnarité n'est pas expliquée31 par leur modèle (économétrique), on constate que seuls les chocs permanents, i.e. ceux qui sont eux-mêmes non stationnaires, ont un impact durable sur les fluctuations. Le problème est alors que de manière parallèle, un consensus s'est créée qui consiste à accepter l'idée selon laquelle l'origine de la nonstationnarité est à rechercher du côté de l'offre. La conséquence directe est que les facteurs monétaires et financiers se trouvent d'emblée 32 exclus. En effet, ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme une source de non-stationnarité. On a donc une sorte de dichotomie de substitution (cf Glachant [1994]) qui apparaît ici : à la dichotomie cycles - croissance, on a substitué une dichotomie entre composantes transitoires et permanentes du cycle. Les chocs qui vont susciter les fluctuations majeures ne peuvent donc être que réels. Plosser reprend ces éléments et justifie également ce choix sur le plan méthodologique: « ( ••• ) there is a growing body of research in macroeconomics that begins with the idea that in order to understand business cycles, it is important and necessary to understand the characteristics of a perfectly working dynamic economic system». (Plosser [1989] p. 52).
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Comme on l'a souligné dans l'introduction, il s'agit pour lui d'analyser les fluctuations qui peuvent émerger au sein d'une économie parfaitement articulée pour ensuite prendre en compte d'autres sources qu'il juge plus artificielles et parmi lesquelles s'inscrit la monnaie. Par ailleurs, les faiblesses du modèle de 1972 ont été assimilées et Lucas lui-même publie un certain nombre d'articles (dont ceux de 1977 et de 1980) qui proposent une méthode nouvelle consistant à produire un modèle conçu comme une économie artificielle, complètement explicitée, qui se comporte dans le temps de façon à reproduire fidèlement le comportement des séries. La TCR va s'en emparer. Parée de cette « légitimité empirique» et de la feuille de route élaborée par Lucas [1977], la TCR émerge via une série de modèles33 dont le corps d'hypothèses est très facilement indentifiable. On reprend bien évidemment les trois piliers de 1972, à savoir: les agents forment des anticipations rationnelles, les marchés sont continuellement soldés et on a une offre globale, auxquels on ajoute une hypothèse de parfaite information. On introduit ensuite un mécanisme de substitution intertemporelle qui va être le mécanisme de propagation des chocs (réels). Ces dernières hypothèses ont deux conséquences. Tout d'abord, l'information étant désormais parfaite, on franchit une autre étape dans la représentation des cycles: désormais les fluctuations ne sont plus seulement des phénomènes d'équilibre, comme chez Lucas [1972], elles sont aussi l'expression de la réaction optimale des agents. Une régulation externe du système n'est plus envisageable: on assiste à une sorte de neutralisation de la notion de cycles puisque ces derniers ne constituent plus une déviation par rapport à un état « référence» mais une évolution de cet état. Cette réduction du cycle n'a rien de quantitatif dans la mesure où, bien au contraire, ce type de modèle propose d'évaluer les modifications quantitatives de certaines variables clefs. Néanmoins, le contenu et les implications de l'analyse des fluctuations s'en sont trouvés modifiés puisqu'il n'y a plus lieu de combattre un cycle qui représente les réactions optimales des agents. On a donc une analyse quelque peu paradoxale, d'une
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part insistant sur le caractère erratique des fluctuations et la nécessité d'identifier les co-variations de l'ensemble des variablesclefs et, d'autre part, n'envisageant la mise en place d'aucune politique économique. Concernant maintenant la seconde hypothèse, il faut noter qu'elle contribue à inscrire la TCR dans la lignée de Frisch [1933]. En effet, la TCR décompose clairement les fluctuations en termes d'impulsion et de mécanismes de propagation, ce dernier étant à l'origine du phénomène de persistance34 • Ces modèles ont alors la capacité de transformer des chocs aléatoires et donc indépendants, en fluctuations auto-corrélées, c'est-à-dire récurrentes. Enfin, le dernier élément nouveau apporté par la TCR est la méthode de la calibration 35 qui va s'opposer à l'économétrie comme mode de validation empirique des modèles. Une évaluation rapide de ce courant confirme que la théorie des cycles réels a en quelque sorte radicalisé les travaux de Lucas [1972 - 1973]. Lucas va reconnaître assez rapidement leur mérite mais sans pour autant cesser de tenter de reprendre la main en essayant d'intégrer la monnaie dans ce cadre d'analyse. La démarche prônée par Plosser [1989]36 consistant à surimposer la monnaie dans un modèle purement réel 37 , ne s'avère pas très « performante» pour rendre compte de ce facteur. Plosser (ibid.) considère que son échec (celui de la TCR) est très largement imputable au fait que le rôle de la monnaie à l'équilibre dans un modèle de croissance n'est pas encore identifié, que c'est donc logiquement que la TCR ne parvient pas à rendre compte de l'importance de la monnaie. Il y eu cependant des tentatives (cf Cooley [1995] et Hénin [1995]). On peut citer, parmi les plus connues, King et Plosser [1984] qui introduisent un secteur financier dont la raison d'être est uniquement liée à son rôle d'intermédiaire des échanges. Les auteurs montrent alors des co-mouvements entre la production et les services financiers mais ce résultat dépend strictement du fait que ces services ont un niveau d'activité purement endogène, i.e. prédéterminé par le niveau de l'activité économIque.
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Lucas [1987] va s'opposer à une analyse purement réelle des cycles: même s'il reconnaît les faiblesses de son approche, il considère que les recherches doivent s'orienter vers des modèles hybrides i.e. mêlant chocs réels et monétaires. En revanche, il est totalement séduit par la méthode développée par la TCR que luimême appelait de ses vœux dès 1977. Il propose une sorte de synthèse entre la TCM et la TCR. Il introduit ainsi la monnaie dans le modèle de Kydland et Prescott [1982] et, si le modèle est intéressant, ces résultats n'attestent pas d'un grand rôle joué par la monnaie. Il introduit ensuite une contrainte de « cash in advance}) qui ne lui vaudra pas non plus un grand succès: « His [Lucas'] move to a more superficial and workable approach using cash-in-advance restrictions to generate a demand for base money in the face of rate-of-return dominance at times has disconcerted sorne of us who had been early converts to what we had heard as a calI for unrelentingly 'deep' approach to modeling monetary and macroeconomic phenomena in terms explicitly spelled out environments. Lucas's subsequent use of cash-in-advance models showed that his interest in 'depth' was secondary to his respect for a traditional monetary theory embodying a quantity theory of money and a monetary theory of the exchange rate" (Sargent [1996]p.9). Par la suite, certains économistes décideront d'amender ces modèles en considérant que seules la conception fondamentalement réelle du fonctionnement de l'économie et la modélisation de comportements optimaux étaient dommageables (Hénin, [1995] p.l). En effet, la méthodologie adoptée permettant de procéder à une analyse des fluctuations plus complète et utile, ces économistes refusent de jeter le bébé avec l'eau du bain (ibid.) et développent ce que l'on a appelé par la suite les modèles ARBC (Augmented Real Business Cycles)38. Ces modèles sortent de notre champ d'analyse dans la mesure où, pour la plupart, ils sont le fruit d'une convergence avec la nouvelle économie keynesienne. A cette même période, d'autres économistes, et en tout premier lieu Stadler [1990], renouvelleront ce même débat en utilisant un modèle de croissance optimale mais en y incorporant un mécanisme de croissance endogène. Ce dernier se
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révèle être un mécanisme de propagation extrêmement puissant, générant une racine unitaire au niveau des fluctuations et ce, quelle que soit la nature du choc, réel ou monétaire, permanent ou transitoire. Cette partie de l'histoire mêlant théories des cycles et de la croissance mériterait aussi notre intérêt, en ce sens qu'elle modifie la nature des débats au sein de la théorie des cycles, mais on s'éloignerait ainsi considérablement de l'objectif de cet article.
La nature de l'opposition entre les théories modernes monétaire versus réelle des cycles A première vue, la différence majeure entre la théorie des cycles réels et les travaux de Lucas de la première génération, provient moins de la présence (ou bien de l'absence) de la monnaie -la TCR dans un second temps essaie bien d'intégrer l'influence de la sphère monétaire et financière - que du fait que dans la TCM les chocs monétaires sont nécessaires à l'émergence des fluctuations, alors que dans la TCR la présence de chocs réels suffit. Dans cette perspective, la teneur des débats modernes paraît éminemment proche des arguments qui opposèrent Hicks à Hayek. Cependant, une investigation plus poussée permet de mettre assez clairement en lumière des différences majeures qui montrent bien que la nature de ces théories a profondément évolué. Plus précisément, quand Hicks soutient que sa théorie réelle des fluctuations est en quelque sorte supérieure à celle de Hayek parce que les perturbations réelles sont plus fondamentales 39 , sa défiance vis-à-vis de théorie de Hayek ne tient pas seulement à leur divergence quant à l'origine des chocs, réelle ou monétaire, elle est bien plus profonde. Hayek considère en effet qu'une économie purement réelle tend naturellement vers l'équilibre alors qu'une économie monétaire peut, via la divergence cumulative entre taux d'intérêt naturel et monétaire, exhiber une instabilité. A l'opposé, Hicks s'attache à montrer que même une économie de troc peut connaître le cycle et l'instabilité. Il s'agit donc entre Hicks et Hayek d'une opposition qui porte sur
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la capacité d'une économie réelle de marché à converger (ou pas) vers l'équilibre. Quand la TCR va critiquer la théorie de Lucas puis proposer un modèle (des modèles) qui analyse(nt) les cycles en termes réels, on n'est clairement pas en présence d'une opposition du même ordre. Lucas décrit un système économique au sein duquel les forces de rappel vers l'optimum (1a tendance de long terme) sont très fortes. Dans la TCR, c'est l'équilibre (1'optimum puisqu'ils sont ici confondus) qui se modifie. Les forces de rappel vers un optimum sont toujours là, il y a en quelque sorte un changement d'attracteur. Que l'origine des fluctuations soit réelle ou monétaire, il n'est jamais question d'une quelconque instabilité endogène. Par ailleurs, si Lucas regrette une analyse purement réelle,40 il est en revanche convaincu que la TCR, en mettant en œuvre un projet que lui-même appelait de ses vœux en 1977, atteint un degré d'achèvement supérieur à son modèle de 1972. Il regrette néanmoins (Lucas, [1987]) que la TCR en excluant totalement les variables nominales que sont la quantité de monnaie, le niveau général des prix ou les taux d'intérêt nominaux, s'empêche d'éclairer le problème de l'inflation ou des co-mouvements de la monnaie, des prix et de l'activité réelle. Ceci est cohérent avec le fait que, comme on l'a déjà souligné, quand Lucas publie son article en 1972, son propos immédiat est moins la théorie des cycles que la compréhension de la courbe de Phillips. Lucas produit donc un effort substantiel pour conserver les acquis de la théorie monétaire et de la théorie de la valeur, et il est vrai que son point de départ se trouve de fait mieux apte à intégrer la sphère monétaire. De leur côté, si les théoriciens du cycle réel n'auront de cesse dans un second temps que d'introduire la monnaie ou les facteurs monétaires et financiers dans leurs modèle, leur point de départ est néanmoins diamétralement opposé à celui de Hicks. En effet, comme l'explicite clairement Plosser en 1989, il s'agit pour la TCR d'élaborer le modèle d'une économie purement réelle pour lui surimposer par la suite, i.e. ex post, des variables monétaires et/ou financières. Hicks n'a jamais eu pour intention de surajouter la monnaie dans un modèle purement réel qui, par Revue française d'économie, nO 4lvol XXIV
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définition, ne peut correctement en rendre compte. On voit ici apparaître une faiblesse majeure de cette approche qui a un temps considéré que passer d'une économie de troc à une économie monétaire n'engendrait pas de modification substantielle de la structure ou du comportement de l'économie.
Lucas [1972] demeure une contribution fondamentale à la théorie des cycles d'équilibre dans la mesure où c'est dans cet article que pour la première fois on parvient à réconcilier les notions de cycles et d'équilibre. En revanche, sa théorie des cycles a montré de nombreuses faiblesses et va assez rapidement ouvrir la voie à la TCR. Dès lors, les tentatives successives pour intégrer la monnaie dans ce cadre, par construction éminemment réel, ne se révèleront pas particulièrement convaincantes, que ce soit sur le plan théorique ou sur celui de la validation empirique via la méthode de calibration 41 • Pourtant, malgré l'insatisfaction de Lucas face à une construction exclusivement réelle, et sans nier les différences qui peuvent s'exprimer dans ce courant, la théorie des cycles d'équilibre va afficher un corpus théorique relativement homogène, surtout lorsqu'on cherche à le comparer à ce que l'on pouvait rencontrer chez les économistes de la période de l'entre-deux-guerres. Contrairement à ce que certains auraient pu penser, l'opposition entre les partisans des analyses réelles et monétaires du cycle au sein même de la NEC ne s'établit donc pas sur les mêmes bases que celle qui structurait les débats durant la période de l'entre-deux-guerres. La nature de l'équilibre et celle du concept même de cycle sont autant d'éléments qui modifient de manière substantielle le contenu de ces théories et les questions
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que ces dernières posent. Ce constat devient particulièrement net dès que l'on s'intéresse aux messages que délivrent ces théories en termes de politique économique: si on devait comparer, par exemple, la politique monétaire de régulation induite par la théorie des cycles de Hayek et celle qui émerge en termes de cohérence intertemporelle et de crédibilité à la suite de Lucas 1972, on ne pourrait que constater le fossé qui sépare ces approches. Si cela ne doit pas nous empêcher de rechercher des similitudes dans les façons d'aborder la question des cycles et de constater une certaine récurrence dans les grandes interrogations qui animent la recherche des économistes, nous ne sommes pas pour autant autorisés à en déduire que les outils modernes ne font que mettre en équation des théories pré-existantes, i.e. sans jamais affecter leur contenu, pas plus que cela ne nous permet de penser ainsi mesurer un quelconque « progrès» réalisé par nos contemporains: cette tâche est indéniablement moins aisée. Si le progrès existe en sciences économiques, il n'est certainement pas strictement linéaire. « In every case, the superiority of the 'new' approach has undoubtedly been oversold by its adherents, but, at the same time, insights and tools oflasting value have also been added to the corpus of economic knowledge» (Laidler [1986] [2001] p. 334).
Muriel Dai-Pont Legrand est maître de conférences à l'université de Nice - Sophia Antipolis et GREDEG-CNRS. Adresse,' 250 Avenue Albert Einstein, 06560 Valbonne Sophia Antipolis. Email ..
[email protected] Harald Hagemann est professeur à l'université de Hohenheim. Adresse,' Institut für Volkswirtschaftslehre (520), Stuttgart, Allemagne. Email ..
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Notes 1. Il Y eut bien entendu des travaux sur la théorie des cycles pendant cette période, essentiellement fondés sur des combinaisons du multiplicateur et de l'accélérateur. Leur importance fut variée mais la théorie des cycles avait cessé d'être sur le devant de la scène. Par ailleurs, nous avons choisi de concentrer notre attention dans cet article sur les théories des cycles d' équilibre. 2. On paraphrase ici Johnson [1971]. 3. Lucas [1972].
4. L'idée défendue ici est que, même parmi ses plus farouches opposants, on ne trouve pas d'économistes qui nient l'importance de la contribution de Lucas. Sans prétendre être exhaustif sur un sujet aussi large, on peut se référer à Tobin [1980], Laidler [1986], Hoover [1988], Sargent [1996]. 5. Le fait que nous considérions ici que cette rupture méthodologique est fortement présente dans la littérature contemporaine ne signifie pas qu'elle n'est pas sujette à d'importantes critiques, voire à un rejet total de la part de certains économistes. Mais cet article a pour seul objet de traiter des théories des cycles d'équilibre et de l'évolution des débats au sein de ces approches.
6. On considère aussi qu'il s'agit de la NEC II. Le premier article à être publié dans ce nouveau cadre est celui de Kydland et Pre scott [1982].
10. Cette question a été également mentionnée par Hagemann [19981 et Gaffard [2000].
11. A propos de la théorie des cycles de Wicksell, se référer également à Boianovsky [1995] et Boianovsky et Trautwein [2001]. 12. On peut noter que ce fut Hayek qui incita Hicks à porter une grande attention aux travaux de Wicksell. 13. Ces travaux débutent en 1935 avec Suggestion for Simplifying the Theory of Money, une pièce maîtresse dans l'évolution de la théorie de la préférence pour la liquidité qui valut à Hicks de devenir un théoricien de la monnaie très influent, via son ouvrage de 1967 Critical Essays in Monetary Theory jusqu'à son dernier ouvrage publié en 1989 A Market Theory of Money. 14. Ce chapitre constituait en fait une partie de sa thèse d'habilitation soutenue à l'université de Vienne. 15. Pour une analyse plus détaillée, cf. Hagemann [1994]. 16. Il a fallu attendre 1992 pour que les passages décisifs de cette contribution soient traduits en anglais, se référer aussi à aussi Andvig [1992]. 17. Pour une analyse détaillée du développement de Frisch et de ses contributions à l'analyse des cycles dans la période de l'entre-deux-guerres documentée par un matériel riche et original, se référer à Andvig [1981].
18. Cf. Andvig [1981: 708]. 7. Lucas [1977].
8. Cf. Laidler [986], Hoover [1988] ou encore Arena [1994]. 9. Cf. Lucas [1996], Nobel Lecture.
19. Cf. La section finale 6 de Frisch [1933]. 20. Non seulement cette méthodologie a profondément marqué la macroéco-
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nomie et a largement dominé la littérature pendant les années qui ont suivi, mais elle a eu aussi le mérite d'avoir stimulé la recherche parmi les partisans de l'économie keynésienne et de contribuer ainsi à l'émergence de la nouvelle économie keynésienne [NEK] au sein de laquelle Stiglitz est l'une des figures les plus importantes. Pour en prendre la mesure, on peut se référer à Stiglitz [1991].
21. On peut considérer que la première formulation de cette hypothèse d'offre globale apparut dans Lucas et Rapping [1969]. Il s'agit en fait de supposer que les décisions rationnelles des travailleurs et des entreprises reflètent un comportement d'optimisation de ces mêmes agents. 22. On peut noter ici que si nombre de commentateurs focalisèrent leur attention (et le plus souvent leur griefs) sur l'hypothèse des anticipations rationnelles, c'est en fait la formulation originale de la fonction d'offre globale qui constitue la véritable originalité de cette approche. Elle ne peut d'ailleurs fonctionner sans avoir pour corollaire l'hypothèse de marchés parfaitement soldés qui implique des marchés aux prix parfaitement flexibles. Comme le souligne Laidler [1986], ce sont ces deux derniers éléments qui posent véritablement problème à l'économie keynésienne (i.e. incluant le monétarisme). 23. Dans le modèle de Friedman, i.e. la courbe de Phillips augmentée des anticipations, il est supposé que les entrepreneurs ont une supériorité informationnelle sur les travailleurs qui sont donc systématiquement floués.
24. On peut noter ici que Lucas modifia de manière substantielle au fil du temps ses références à ses pairs. Si en 1977 il ancre sa contribution dans la droite ligne des travaux de Hayek, il confessera plus tard [1994], notamment
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après une confrontation aux commentaires de Hoover [1988], qu'il n'aurait jamais revendiqué une filiation aussi directe vis-à-vis des travaux de Hayek s'il les avait mieux lus <<1 once thought of myself as a kind of Austrian, but Kevin Hoover's book persuaded me that this was just a result of my misreading of Hayek and others» (p. 222). Finalement, dans sa Nobel Lecture publiée en 1996, Lucas inscrira a posteriori sa contribution comme une réponse au dilemme identifié par Hume et consistant à (tenter de) réconcilier le caractère perturbateur à court terme des variations des quantités de monnaie avec leur neutralité à long terme.
25. Une dynamique endogène comme cela est par exemple le cas dans sa théorie des cycles via le processus de divergence cumulative entre les taux d'intérêt réel et monétaire.
26. Cf. les travaux fondateurs de Kydland et Prescott [1977] qui les ont conduits à obtenir le prix Nobel en 2004 pour « their contributions to dynamic macroeconomics: the time consistency of economic policy and the driving forces behind business cycles ». 27. Cf Laidler [1986] pour une critique de cette position et globalement sur la relation entre théorie et les évidences empiriques. Laidler considère que le fait que Lucas (et la NEC) juge que l'introduction de paramètres libres, i.e. d'hypothèses ad hoc, c'est-à-dire d'hypothèses dépourvues de fondements microéconomiques, est une régression, comme un argument infondé scientifiquement. 28. Barro [1981] analyse l'impact réel des modifications de la part des dépenses du gouvernement dans le budget et utilise pour cela un mécanisme de substitution intertemporelle. 29. On peut noter ici que Lucas supposera avec une certaine légèreté quelques
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années plus tard que ses prédécesseurs, ceux de l'entre-deux-guerres, mais aussi d'autres plus anciens comme Hume, raisonnaient en termes de substitution intertemporelle, considérant que «their verbal descriptions of periods of transitions, like Hume's before them, show that they are in fact thinking of people solving intertemporal decision problems. » (Lucas [1996 p. 669]). 30. Cf. Prescott [1986]. 31. On verra plus loin que par exemple un mécanisme de croissance endogène peut « expliquer» la présence d'une racine unitaire. 32. Perron en 1989 avancera l'idée selon laquelle les ruptures de tendance sont bien causées par des chocs réels, mais il considère qu'entre ces ruptures fortes il y a une stationnarité des séries macroéconomiques qui laisse la place pour un impact plus minime des chocs monétaires. 33. Sans rechercher l'exhaustivité on peut citer Kydland et Prescott [1982] et Long et Plosser [1983] comme les premiers modèles du genre. 34. La structure du modèle est seulement responsable de la récurrence des fluctuations (cf. Kydland et Prescott [1982]).
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35. Il s'agit d'évaluer la pertinence de modèles théoriques via leur capacité à générer des moments d'ordre 2 proches de ceux calculés dans les séries observées (cf. Hairault, [1992] p. 9). 36. Cf. introduction supra. 37. Plosser pense que pour mesurer l'impact de la monnaie dans les fluctuations, il faut d'abord être capable de mesurer ces mêmes fluctuations en l'absence de monnaie. C'est en partie sur la base de cet argument qu'i! justifie l'élaboration d'un modèle d'analyse des fluctuations purement réel. 38. On peut se référer ici aux deux ouvrages collectifs qui ont été publiés sur le sujet et qui regroupent un nombre significatif de contributions de type ARBC, Hénin [1995] et Cooley [1995]. 39. Cf. Hicks ([1973] pp. 133-134) cité supra. 40. On a déjà mentionné que Lucas est favorable à l'élaboration de modèle Hybride (i.e. mêlant chocs monétaires et réels) dans la lignée de celui qu'il produit lui-même en 1987. 41. On entend par là que l'introduction de diverses manières de la monnaie dans ces modèles n'a pas conduit à une amélioration significative des performances de ces modèles une fois calibrés à reproduire les données observées.
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Revue fr;lllç;lÎSC
d't.~conomic,
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Résumés!Abstracts
Thierry Aimar Francis Bismans Claude Diebolt Le cycle économique: une synthèse Cet article présente une synthèse détaillée des théories des cycles économiques, des origines à nos jours. Partant des approches traditionnelles, nous abordons successivement l'analyse statistique du cycle économique, les auteurs majeurs, la période des Trente Glorieuses, les cycles longs, la synthèse néo-classique, la pluralité des théories contemporaines jusqu'au renouveau des études économétriques les plus modernes du cycle.
The Economie Cycle: A Synthesis This article presents a detailed synthesis of the business cycle theories, from its origins to the current period. On the basis of the traditional approaches, we present successively the statistical analysis of the business cycle, the major authors, the period of the Trente Glorieuses, the long waves, the neo-classical synthesis, the plurality of the contemporary theories until the revival of the most modern econometric studies.
Christelle Mougeot Théorie autrichienne du cycle et théorie des cycles d'équilibre En considérant les cycles non comme le résultat de défaillances du marché mais comme la conséquence d'erreurs d'interprétation de la part d'agents optimisateurs, Lucas renoue avec les théories du cycle de l'entre-deuxguerres. Plus encore, il revendique une filiation avec Hayek. Cette descendance est cependant loin d'être légitime. Cet article se propose ainsi de montrer que les concepts - équilibre, anticipation et information -, les méthodes analyse sttucturelle et tests économétriques contre analyse procédurale et historique - et les programmes de recherche - prévision contre coordination - séparent inéluctablement Lucas de Hayek.
Austrian Business Cycles Theory and Equilibrium Business Cycles Theory According to Lucas' equilibrium business cycle theory, cycles are not the result of market failure but due to unavoidable errors on the part of optimizing agents. This approach is built on pre-war theories. Because misleading price signals are the catalysts of cyclical
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fluctuations, which means that individual behaviour is fundamental to explain aggregated phenomena, Lucas' equilibrium business cycle theory is called « neo-austrian» economics. But these Austrian roots are controversial. This article shows that concepts - equilibrium, expectations and information -, methods - structural analysis versus procedural and historical analysis and research programs - forecasting versus coordination - fundamentally divide Lucas and Hayek. Rainer Metz
Méthodes de recherche sur les fluctuations longues La réponse à la question de savoir si les cycles longs existent ou non dépend principalement des méthodes statistiques utilisées pour les analyser. Depuis l'article fondateur de Kondratiev dans les années 1920, ces méthodes ont fait l'objet d'importants changements. La critique fondamentale délivrée à l'encontre des approches traditionnelles développées dans les années 1970, a conduit à la diffusion d'une approche par les filtres « idéaux» qui devait permettre, dans les séries chronologiques, une parfaite isolation des composants des bandes de fréquences prédéfinies. L'approche en termes de filtres a été ensuite concurrencée dans les années 1980 par l'idée dite de racine unité. Si une série chronologique suit une racine unité en termes de processus de filtre, même s'ils sont idéaux, cela conduit à des cycles de long terme faussés, dont la durée est semblable à celle des cycles de type Kondratiev. A partir de là, les filtres idéaux furent remplacés par des modèles stochastiques qui correspon-
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dent aux propriétés des séries chronologiques analysées. Mais cette approche fut à son tour concurrencée dans les années 1990 par le développement de filtres qui apparaissent également adaptés pour des séries chronologiques qui contiennent une racine unité. L'article traite, dans une première partie, du développement des approches traditionnelles (en termes de filtres et de modèle stochastiques) en comparant systématiquement leurs résultats au regard des cycles de Kondratiev. Dans une seconde partie, l'article présente l'état de l'art des approches en termes de filtres et de modèles stochastiques. L'idée défendue est qu'une approche en termes de modèles stochastiques et de filtres est pertinente uniquement si des points atypiques et des cassures structurelles sont considérés explicitement. Si de telles interventions sont correctement modélisées, il peut être montré que les filtres et les modèles conduisent à des résultats très similaires. Les considérations méthodologiques sont illustrées par des séries chronologiques de long terme qui sont souvent utilisées dans la recherche empirique sur les cycles longs.
Methods of Long Wave Research The answer to the question, whether long waves exist or not depends mainly on the statistical methods used for analysis. Since the seminal work of Kondratieff in the 1920th these methods underwent significant changes. The fundamental critic against the traditional approaches in the 1970th lead to the propagation and development of "ideal" filters which should allow the isolation of predefined frequency components from cime series in an exact way. This filter-design-approach was
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challenged in the 1980th by the unit root hypothesis. If a time series follows a unit root process filters, even if they are "ideal" lead to spurious long term cycles with duration typical for Kondratieff cycles. Therefore no longer "ideal" filters were propagated but stochastic models which correspond to the properties of the time series analyzed. This model-based-approach was challenged again in the 1990th by the development of filters which seem appropriate also for time series which contain a unit root. The article will discuss in a first part the historical development of traditional-, filter-designand model-based-approaches comparing their results with regard to the Kondratieff cycles systematically. In a second part the article presents the state of the art of filter-design- and modelbased-approaches. Ir will be argued that filters and stochastic models are only adequate if oudiers and structural breaks are considered explicidy. If such interventions are modelled correctly it can be shown that filters and models lead to highly similar results. The methodological considerations are illustrated by long term time series which are often used in empirical research on long wave analysis. Olivier Damette
ZohraRabah
La datation du cycle français : une approche probabiliste Cet article utilise un modèle à changement de régimes markovien pour dater le cycle français. Il aboutit in fine à une périodisation tout à fait satisfaisante qui détecte effectivement les récessions qu'a connues l'économie française. De
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plus, il aboutit à une chronologie tout à fait comparable à celle obtenue sur la base des modèles non paramétriques «à la Bry-Boshan» popularisés, notamment, par Harding et Pagan [2002].
Dating the French Business Cycle: a Probabilistic Reading This article uses a« Markov-switching» model to date the French cycle. It reproduces in fine a satisfying periodicity which detects effectively the recessions of the French economy. Furthermore, the chronology derived by the model corresponds c10sely to the dates of recessions as established by «BryBoshan».
Xiaoshan Chen Terence C. Mills Evaluation de la synchronisation des cycles économiques dans la zone euro Cet article donne un éclairage sur les conditions d'optimalité de la politique monétaire commune dans le cadre l'Union économique et monétaire européenne (UEM), en évaluant le degré de synchronisation des cycles économiques entre les différents Etats-membres. Les renversements des cycles économiques au sein de chacun des pays étudiés sont identifiés à partir de séries temporelles macro-économiques multi-variées qui utilisent à la fois des procédures de datation paramétriques et non-paramétriques. Le degré de synchronisation des cycles est illustré en utilisant les distances entre les cycles sur l'ensemble de l'échantillon et sur deux sous-échantillons. Les coefficients de corrélation sont calculés de façon à fournir une vision détaillée de l'évolution des cycles. Même si les pays qui forment le cœur de l'UEM se
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caractérisent par des cycles économiques plus synchronisés avec la mne euro agrégée que les autres pays analysés, ce phénomène reflète peut-être les pondérations relativement importantes qu'on leur a attribuées lors de la constitution de base de données agrégées pour l'Europe. En général, les résultats obtenus vont à l'encontre de l'affirmation proposée dans la théorie de la mne monétaire optimale (ZME) endogène, selon laquelle le fonctionnement d'une union monétaire devrait en lui-même augmenter la synchronisation des cycles économiques. De plus, les variations des performances économiques observées à travers la zone euro risquent d'entraîner des demandes divergentes en matière de politique monétaire et par conséquent risquent de limiter l'intérêt d'une politique monétaire commune. A ce jour, peu d'études ont cherché à mesurer la synchronisation des cycles en utilisant ceux extraits d'informations multivariées. L'article présenté ici contribue à ce domaine.
EvaIuating Business Cycle Synchronisation in the Euro Area This paper offers an insight into the optimality of the European Economic and Monetary Union (EMU) and its common monetary policy by evaluating the degree of business cycle synchronisation among EMU member states. Business cycle turning points for each country are identified from multivariate coincident macroeconomic time-series using both parametric and non-parametric dating procedures. The degree of cycle synchronisation is illustrated using cycle distances over the whole sample and two subsamples. Rolling sample correlation coefficients of smoothed recession probabilities are
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also computed ta provide a detailed picture of cycle evolution. Although the core EMU countries share more synchronised business cycles with the aggregate euro area th an the other countries analysed, this may reflect the large weights they are assigned when constructing the aggregare euro area data. Overall, the results obtained go against the assertion proposed in the endogenous optimal currency are a (OCA) theory that operating a monetary union will by itself increase business cycle synchronisation. Furthermore, variations in economic performance observed across the euro area may lead ta diverging monetary policy requirements, and may consequently reduce the appropriateness of having a common monetary policy. To date there have been few studies measuring cycle synchronisation using cycles extracted from multivariate information. This paper contributes ta this area.
Muriel DaI-Pont Legrand HaraId Hagemann Théories réelles versus monétaires des cycles d'équilibre Après la domination de la théorie de la croissance pendant plus de deux décennies, la théorie des cycles occupa de nouveau le devant de la scène dans les années 1970. Certains auteurs tentèrent à plusieurs reprises de relier ces contributions modernes aux débats de l'entre-deux guerres: de Lucas [1977J, citant Hayek à propos du défi que représente l'incorporation des phénomènes cycliques dans une théorie du système économique élaborée en termes d'équilibre, à Plosser [1989J défendant une approche purement
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réelle des cycles sur des bases méthodologiques. Plosser fera sur ce point référence à la position de Hicks dans la controverse qui l'opposa à Hayek concernant la nature fondamentale des fluctuations. En dépit du succès de la littérature moderne à produire une théorie des cycles d'équilibre, il apparaît à première vue que le même débat, déjà ancien, opposant les théories monétaires aux théories réelles des cycles est toujours présent. Une analyse plus poussée montre que les outils modernes de la dynamique ont profondément modifié la nature des arguments. L'objectif de cet article consiste à comparer les débats de rentre-deux guerres avec ceux des années 1970 concernant r analyse des fluctuations par la théorie économique.
Real Versus Monetary Approches of Equilibrium Business Cycle Theory After dominance of growth theory for more than two decades, business-cycle theory entered centre stage again in the
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1970s. Different attempts, by various authors, have tried to connect these modern contributions to the interwar debates: from Lucas [1977], quoting Hayek on the challenge ta incorporate cyclical phenomena into the system of economic equilibrium theory, to Plosser [1989] defending a purely real approach to business cycles from a methodological point of view. Plosser also referred to Hicks's position in his controversy with Hayek on the fundamental nature of fluctuations. Despite the success of the modern literature in providing an Equilibrium Business Cycle theory, at first sight it seems that the same (old) debate confronting real versus monetary approaches is still there. A closer inspection shows that the modern tools deeplyaffected the nature of the arguments. The purpose of this paper is to examine the differences between the interwar and the modern debates on how economic theory deals with fluctuations.
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