COLLECTION
DE
L'ÉCOLE
FRANÇAISE
DE
ROME
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MICHEL HUMBERT Ancien Membre de l'École française de Rome Professeur à la Faculté de Droit de Lille
MUNICIPIUM ET CIVITAS SINE SUFFRAGIO L'ORGANISATION DE LA CONQUÊTE JUSQU'À LA GUERRE SOCIALE
ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME PALAIS FARNÈSE 1978
1 Ai
pOß Dépositaire
en France:
SfJf Dépositaire
DIFFUSION DE BOCCARD 11 RUEDEMÉDICIS 75006 PARIS
en Italie:
«L'ERMA» DI BRETSCHNEIDER V U CASSIODORO, 19 00193 ROMA
TIPOGRAFIA S. PIO X - VU ETRUSCHI. 7-9 - ROMA
A M. William Seston Membre de l'Institut
AVANT-PROPOS
L'idée de ce travail est née d'une conversation et, je dirai presque, d'une escapade. M. W. Seston, avant mon départ pour Rome, m'avait dit tout l'intérêt qu'il y aurait à étudier la nature et la profondeur du lien municipal sous l'Empire. J'en fus convaincu. Puis, chemin faisant, les incertitudes des origines, les municipes des premières expériences et cette citoyenneté sans suffrage, dont on ne sait trop si elle associe ou incorpore, m'ont séduit. M. W. Seston, avec une générosité que ses élèves connaissent, accepta que je m'arrête sur ce thème qui lui était cher. Depuis, je ne saurais dire combien de fois je fis appel à ses conseils, ses critiques, sa science. Sa réflexion prodigieusement féconde en aperçus neufs, en rapprochements insoupçonnés m'a toujours stimulé; c'est tout naturellement vers ce maître que ma pensée se tourne au moment où ce travail s'achève. Au cours de son élaboration, je fus grandement aidé. L'enchantement de trois années romaines n'a pas quitté mon souvenir; mais c'est aussi que j'y trouvais un climat d'exceptionnelle confiance : sous la direction de M. G. Vallet, je pus, parmi d'autres, travailler dans la joie, car avec une liberté d'esprit mêlée d'amitié. M. G. Vallet a, de plus, accueilli ce volume dans la collection de l'Ecole française. Il sait la reconnaissance que je lui dois. A l'Institut de Droit Romain, je retrouvais mes maîtres parisiens. M. J. Gaudemet et M. A Magdelain ont facilité mes recherches, écouté mes questions, provoqué des discussions. Je n'oublierai pas non plus l'amitié de M. C. Nicolet; sa lecture de la première version de mon travail m'a permis d'entrevoir, à travers beaucoup de questions, un certain nombre de réponses. J'en ai largement profité dans la réélaboration «définitive» de ces pages. Mes amis Pierre Gros et Michel Gras n'ont pas ménagé leur peine. Leur dynamisme a surmonté bien des difficultés matérielles. A eux aussi merci. Paris, 30 juillet 1976.
INTRODUCTION
« Municipes et municipia sont des mots faciles à prononcer, d'un emploi courant, et on ne les utilise pas sans être persuadé que l'on en connaît la signification; mais en réalité, ils n'ont pas le sens qu'on leur attache... ; nous ignorons, plus qu'on ne saurait le croire, ce qu'est un municipium, quels sont ses droits . . . ». La mise en garde d'Aulu-Gelle (N.A. 16, 13, 1) est sévère. Pourtant, intrigué, après bien d'autres, par les contours originels du municipe, pivot de l'organisation territoriale des conquêtes de Rome et, comme le reconnut Mommsen, l'un des legs les plus féconds que l'Occident reçut de Rome, nous avons, à notre tour, tenté d'en décrire l'histoire primitive, l'histoire républicaine. Nous avons donné une place importante à la naissance des municipes et à l'origine de la civitas sine suffragio. La raison du choix est simple; l'institution municipale, l'invention puis l'extension de la citoyenneté sans suffrage sont contenues dans un laps de temps limité : du début du IVe au début du IIIe siècle. C'est au cours de ce siècle, pour lequel les témoignages dont on dispose sont tardifs, que Rome a forgé l'instrument de sa politique de conquête et élargi, grâce à lui, sa communauté civique. C'est durant cette période brève que le municipe prit ses traits spécifiques. Ainsi, évoquer ses origines, revient, en fait, à tenter de définir la nature de cette expérience qui certes vivra longtemps, mais qui, sitôt créée et étendue sur une grande échelle, ne se renouvellera pas profondément. L'histoire républicaine des municipes ne se réduit pas à leur acte de naissance; mais l'importance - car il commande l'avenir de l'institution de leur premier âge explique la démarche que l'on a suivie. * * * D'entrée de jeu, les définitions des antiquaires et des juristes seront mises à contribution. Elles ne sont pas en harmonie parfaite, on s'en doute; mais la simplicité du schéma que les meilleures d'entre elles proposent, la
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clarté qu'elles projettent sur l'état initial des municipes ne feront que mieux mettre en relief les difficultés que les interprétations successives, par leur profusion, par leurs irréductibles divergences, ont fait naître. Doiton, ainsi, sur la foi des mêmes définitions antiques, comprendre la citoyenneté romaine des municipes comme l'expression d'un privilège individuel ou, à l'inverse, comme un procédé global d'incorporation dans la cité romaine? Nous serons tout naturellement amené, dans cette première partie, à compléter l'analyse des définitions anciennes par un bilan critique des explications proposées. En toute franchise - avec un excès de liberté peut-être - des contradictions, voire des invraisemblances seront relevées, mais surtout on cherchera, en une hypothèse de départ, un fil conducteur. Avouons-le : nous ne pensons pas que Festus, Aulu-Gelle ou Paul Diacre aient compris l'institution primitive du municipe comme l'offre individuelle et honorifique de rejoindre à Rome la communauté des cives Romani Pour en éprouver la vraisemblance, une deuxième partie replacera les origines du municipe dans un contexte élargi à ses antécédents. Au prix d'un détour, mais qui nous a paru rationnellement indispensable et finalement fructueux. D s'agira, concrètement, d'analyser les relations romanolatines établies en 493 par le foedus Cassianum; car elles donnent le moyen d'apprécier avec une certaine rigueur, par un jeu d'opposition ou de comparaison, l'élément nouveau et donc spécifique des municipes par rapport aux cités de droit latin, avec lesquelles, c'est évident, ils ne sauraient être confondus. Au terme de cette analyse, nous suggérerons de placer sous le signe de Yisopoliteia ou de Yhospitium publicum les caractères fondamentaux du droit fédéral romano-latin. Ce n'est, de fait, qu'un retour à la tradition, puisque Denys d'Halicarnasse ou même Tite-Live se sont aidés de l'un ou de l'autre de ces concepts pour donner l'essence des rapports établis au Ve siècle entre Rome et le Latium. Mais une tradition méprisée ou dépréciée. Bien à tort. Car si une partie dominante de la doctrine actuelle n'avait pas négligé de son champ de vision les antécédents du municipium, elle n'aurait sans doute pas attribué à la conquête du IVe siècle cette nature privilégiée ou honorifique qui définit en réalité les relations réciproques fondées entre Rome et le Latium par le foedus Cassianum. La conclusion sera donc, sur ce point, négative. La civitas sine suffragio de municipes comme Caere, Capoue, Fundi ou Privernum n'est pas identifiable avec des rapports isopolitiques ou avec Yhospitium publicum. Cela reviendrait, sinon, à confondre leur condition avec le ius Latinum, à assimiler ces municipes à des cités latines comme Tibur ou Préneste, qui n'ont
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jamais été municipia (avant la guerre sociale, cela s'entend), et n'ont jamais joui de la civitas sine suffragio. De même, accepter l'interprétation « isopolitique» du municipe condamnerait à ignorer les municipes romains du Latium ou à nier les éléments déterminants de leur qualité nouvelle quand, au IVe siècle, sous l'effet d'une mutation provoquée par leur défaite, ils passèrent du droit latin à la condition de municipes romains. L'hypothèse de rapports privilégiés d'hospitalité se révélera donc rapidement être une impasse. C'est dans une autre direction que la structure du municipe républicain devra être recherchée. Nous espérons pouvoir proposer une réponse à l'aide du troisième moment, de beaucoup le plus développé de notre étude. Ici, guidé par les définitions des antiquaires, instruit des résultats atteints par la préhistoire des municipes, nous ferons l'histoire des municipes romains en distinguant leur « acte de naissance » et leur « vie » républicaine, ou encore nous séparerons, pour les analyser plus clairement, la civitas Romana dans laquelle ils sont versés et la res publica ou l'autonomie locale qui leur reste concédée. Chaque décision d'étendre la citoyenneté sans suffrage ou de créer un municipe nouveau fera d'abord l'objet d'une appréciation politique. On pourra s'y aventurer sans trop craindre une excessive subjectivité; car, dans la plupart des cas, les témoignages abondent qui entourent le processus de l'intégration et lui donnent crûment sa signification véritable. Du côté du peuple «fait romain», les coalitions défensives avant l'incorporation qu'elles annoncent et dénoncent, les tentatives de révoltes après la romanisation qu'elles voudraient - en vain, toujours - répudier, pourront-elles tromper sur la valeur de la civitas sine suffragio? Quant à Rome, l'extension de la civitas (complète ou partielle) ne prendra-t-elle pas le visage d'une conquête territoriale, dont les étapes, suivies sur une carte, trahissent un plan homogène? N'est-ce pas les armes à la main que Rome étendra sa citoyenneté, en une décision unilatérale que les cités, défaites par une deditio, seront contraintes d'accepter au prix de confiscations fréquentes qui mutilent leur territoire? Cet aspect politique nous a paru fondamental; il permettra d'éviter que l'on ne se méprenne sur la valeur de la civitas sine suffragio et sur ce que veut dire, pour une cité indépendante, devenir un municipe romain. Le terrain ainsi préparé, l'analyse juridique de l'acte d'incorporation partira d'un pas plus sûr. Elle affrontera, certes, des obstacles nombreux et graves, car tous mettent directement en question la réalité de la civitas Romana des municipes. Ainsi a-t-on nié, on le verra, l'efficacité ou la profondeur de cette civitas, sous le prétexte que le municipe aurait maintenu une citoyenneté locale, équivalente et cumulable : les municipia foederata n'en seraient-ils
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pas la preuve? Ou encore, a-t-on dénoncé une civiîas de façade seulement, destinée, dans un contenu tout négatif, à «faire passer» u n certain n o m b r e de charges. On écartera ces interprétations e r r o n é e s et trompeuses. Les municipia foederata? Un mythe soigneusement entretenu. Les citoyennetés cumulables? Une affirmation sans fondement. Un titre pour faire admettre des charges? Oui, si l'on oublie le droit des cives sine suffragio à la provocaîio ad populum; oui, si l'on n'évoque pas le contenu d'une citoyenneté individuelle, positif m ê m e sans les droits politiques; oui, si l'on sous-estime le fondement juridique des charges des municipes; oui, si l'on ne tient aucun c o m p t e des liens multiples qui, dès l'incorporation ou p e u après, donneront u n contenu concret et visible à la citoyenneté nouvelle des municipes. Ce sont ces liens qui m a r q u e r o n t profondément de leur e m p r e i n t e la « vie » des municipes. L'autonomie locale sera le thème du second titre de n o t r e troisième partie. Dans l'élaboration de ces chapitres, nous avons c h e r c h é à r o m p r e avec u n schématisme traditionnel qui tient encore prisonnière la doctrine et contribue à fausser lourdement les données du problème. En deux mots : les atteintes portées à l'autonomie locale peuvent refléter une volonté impérialiste, un autoritarisme centralisateur et jaloux. Mais pas nécessairement. N'y a-t-il pas de place pour l'hypothèse qui expliquerait les interventions du gouvernement central au niveau municipal, p a r la volonté de hâter la romanisation, par le souci d'achever l'épanouissement ou le rayonnement d'une administration locale? Prenons l'exemple - il est caractéristique et jouit d'une place prééminente - des praefecturae iure dicundo. Selon l'image que l'on se fit de la profondeur de l'impérialisme romain, et en jouant sur les lacunes des sources, les u n s multiplièrent et le nombre et la durée des préfectures, tandis que d'autres, à l'inverse, en réduisirent abusivement l'importance. Mais ces deux prises de position, dans leurs conclusions si divergentes, se rejoignent exactement au fond : en ne comprenant la mission stable d'un préfet que c o m m e un symbole de domination centralisatrice et d'étouffement, les premiers hypertrophièrent l'institution, et les seconds l'atrophièrent. Mais c'est u n e conception, au demeurant, sommaire et superficielle. Il conviendra d'aller au-delà. D'abord par une recherche, approfondie des moyens que l'autorité romaine utilisa pour pénétrer : seule méthode p o u r en mesurer l'épaisseur et la d u r é e . Or, on se r e n d r a compte qu'ils furent plus nombreux qu'on ne le pensait. L'œuvre stable (ce qui ne signifie pas qu'elle se prolongera partout jusqu'à la guerre sociale) et générale des praefecti iure dicundo a. complété une politique de confiscations qui, dès la
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conquête, sans chercher à m e t t r e sur pied un impossible brassage, aura eu pour effet, et pensons-nous p o u r but aussi, de rapprocher considérablement les cives sine suffragio et les Romains immigrés. Simultanément la raison d'être de ces atteintes à l'autonomie municipale sera mise en question. Devant les preuves d'un dynamisme local, d'une vitalité incontestable, une interprétation nouvelle se glissera. Sans aucun paradoxe, n e pourra-t-on se convaincre que Rome réduisit l'autonomie pour p e r m e t t r e une œuvre de romanisation, dont l'objectif fut de développer l'autorité du municipe au sein d'une communauté romaine? Si l'hypothèse se vérifie, la condition du municipium et la nature de la civitas sine suffragio n'auront rien d'un privilège impalpable ou d'un paravent, m a s q u e cynique p o u r justifier des charges sans contrepartie. La conquête ne sera pas réduite à u n jeu d'options individuelles (qui plus est, jamais relevées) ou à une vaste opération de spoliation. La citoyenneté sans suffrage a u r a été plus qu'une habile formule de domination. Si on lui restitue la chair qu'on lui a jusqu'ici curieusement refusée, on verra en elle l'artisan d'une politique de romanisation et de collaboration. L'image de la petite patrie au sein d'une plus grande sera son œuvre. Réussie souvent; manquée parfois, l'exemple de Capoue est là pour le rappeler.
PREMIÈRE PARTIE
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CHAPITRE I
MUNICEPS ET MUNICIPIUM CHEZ FESTUS ET PAUL DIACRE Entre l'époque à laquelle, au IVe et au IIIe siècle selon les sources antiques, les municipes et les municipia sont apparus ou sont attestés dans le Latium, en Etrurie ou en Campanie, et la date de ces sources mêmes qui, entre Cicéron, Tite-Live et Aulu-Gelle, ne sont pas antérieures au Ier siècle av. J.-C, le décalage est trop important pour qu'un soupçon d'anachronisme ne pèse pas sur la valeur de leur témoignage. Le doute, parfois, alla jusqu'à l'accusation et on fit ainsi le reproche aux auteurs anciens de s'être figuré les municipes des origines avec les traits qu'ils avaient de leur temps, en un mot de les avoir défigurés. Mais, par chance, on dispose pour les mots mêmes de municeps et de municipium de définitions particulièrement précieuses; émanant d'antiquaires ou de lexicographes amateurs d'étymologies et curieux de l'histoire des mots, elles s'attachent toutes à retracer l'histoire et, au-delà de l'évolution progressive, à souligner les éléments permanents qui, pour les Romains eux-mêmes, formaient le noyau d'une institution qui excitait déjà la curiosité des contemporains d'Aulu-Gelle; car, pour beaucoup, elle commençait à s'obscurcir. C'est à ces définitions que revient la préséance, et on peut leur demander d'être un guide dans la recherche des compléments indispensables que l'on attendra des historiens romains. Parmi ces définitions, trois se détachent par leur portée et par l'ampleur des constructions que l'on a fondées sur elles, de Niebuhr à nos jours : - en premier lieu, celle que Festus donna du mot municipes (126 L), dans une double définition qu'il trouva chez Verrius Flaccus et que Verrius lui-même emprunta à deux juristes, ses contemporains ou presque, Aelius Gallus1 et le maître de celui-ci, Servius Sulpicius Rufus2. L'authenticité de 1
C. Aelius Gallus, auteur d'un de significations verborum, à la fin du Ier siècle av. J.-C. Cf. Schanz, Gesch. d. röm. Lit. I, 2, 3. Aufl., Munich, 1909, p. 486. 2 Le texte conservé donne en réalité Servius filins pour l'une des leçons et Servilius pour l'autre. Niebuhr, Rom. Gesch. II, 4, 1853, p. 66, n. 112, pensa qu'il s'agissait du fils de Ser. Sulpi2
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cette p r e m i è r e définition bipartite ne saurait faire de d o u t e ; a t t r i b u é e à deux autorités incontestables d u I e r siècle av. J.-C, elle se r e t r o u v e p o u r l'essentiel chez u n juriste du III e siècle, Ulpien. On p e u t d o n c p e n s e r que Festus a bien t r a n s m i s la solide définition qu'il trouva d a n s le dictionnaire de Verrius. On r a p p r o c h e r a aussi de cette p r e m i è r e définition celle qu'Aulu-Gelle d o n n a d u mot municipes, dans u n contexte qui se voulait plus m o d e r n e , mais au c œ u r de laquelle il n'est guère difficile de r e t r o u v e r les éléments h i s t o r i q u e m e n t les plus i m p o r t a n t s des municipes républicains. - Face à ces témoignages concordants, il p e u t s e m b l e r inutile d'insist e r c o m m e on le fera sur un deuxième type de définition, la p a r a p h r a s e q u e Paul Diacre (117 L) d o n n a de la définition des municipes p a r Festus. Eman a n t d'un a b r é v i a t e u r tardif (VIII e siècle) elle ne pouvait, certes, rien lui a p p o r t e r qui l'améliorât; mais t o u t l'intérêt de la t r a n s f o r m a t i o n o u de la déformation que P a u l 3 fit subir, en la reprenant, à la définition d e Festus,
cius Rufus, et que son enseignement oral - cf. le aiebat du texte de Festus - serait seul parvenu à Verrius Flaccus. On ne lui connaît pas en effet de production juridique ou littéraire. Mais l'argument tiré du aiebat ne signifie rien, étant la formule la plus couramment utilisée par Festus pour citer des ouvrages. Mommsen (cf. Bruns, Fontes Iuris Romani Antiqui, 6e éd. par Mommsen - Gradenwitz) en présence des deux lectures, Servius jilius et Servilius, jugea que la première fut l'extension, et la seconde la mauvaise lecture d'un Ser. jilius où l'on devrait voir le nom de Servius Sulpicius, cité ici par rapport à son père chevalier romain. V. en revanche, J. Pinsent, Municeps II, dans Classical Quarterly, N. S. 7, 1957, p. 94 : la bonne lecture serait Servilius et la précieuse définition conservée serait celle d'un inconnu jamais cité ailleurs dans l'ouvrage de Verrius ou de Festus. Mais cette tentative semble vaine; le texte utilisé par les copistes devait contenir un mot peu lisible puisqu'il trompa au moins l'un d'eux, sinon les deux. Le bon sens doit incliner à voir l'auteur de cette définition dans un juriste antérieur à Verrius, à coup sûr Servius souvent utilisé sous la forme Ser. Sulpicius ou Ser. Sulpicius Rufus. Sur ce célèbre juriste, contemporain de Cicéron, cf. Bremer, Iurisprudentiae Antehadrianae quae supersunt, I, Leipzig, 1896, p. 139-242, notam. p. 238. W. Kunkel, Herkunft u, soz. Stellung der röm. Juristen2, Cologne - Graz, 1967, p. 25. Parmi les 180 ouvrages qu'il a composés (Pomponius au Dig. 1,2, 2, 43) - et dont 20 seulement sont identifiés -, certains ont traité de questions de droit public, peut-être des municipes. 3 II est vrai que la définition, chez Festus, du mot municipes (126 L) provient de Yapographum, copie du Xe-XIe siècle d'un manuscrit de Festus pour laquelle le copiste s'est inspiré, lorsque la lecture était difficile, de YEpitome de Paul (cf. Lindsay, Glossaria Latina IV, 1930, p. 73 et 255). Mais ici, la différence très sensible entre les deux définitions exclut la possibilité d'un emprunt de Yapographum à YEpitome de Paul. On est donc en présence de deux définitions, celle de Festus (126 L) et celle de Paul (117 L). L'hypothèse de J. Pinsent, op. cit., p. 96, pour qui le texte originel de Festus aurait compris après la définition d'Aelius Gallus et celle de Servius, une troisième définition perdue mais que Paul aurait conservée, la préférant à celle de Servius, est invraisemblable; une lecture attentive des définitions de Paul et de Festus atteste que la première n'est qu'un reflet de la seconde, mais un reflet déformé.
MUNICEPS ET MUNICIPIUM CHEZ FESTUS ET PAUL DIACRE
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saute aux yeux lorsqu'il s'agit d'interpréter u n e troisième définition, celle du municipium. - Avec ce troisième texte, on est en présence d'un document capital, mais d'analyse délicate : la définition conservée du municipium (155 L) émane de Paul Diacre et fut élaborée à partir d'une définition de Festus, mais que cette fois nous ne possédons plus 4 . Il est impossible ici de se livrer au jeu que permettait la double définition des municipes, de rapprocher le texte original de son résumé tardif p o u r dénoncer l'infidélité de celui-ci. Mais par certaines de ses formules, la définition unique du municipium dénote une parenté certaine avec les expressions naïves et maladroites dont Paul s'était servi pour rendre la définition des municipes par Festus : si bien que les municipes de Paul Diacre apparaissent c o m m e le jalon indispensable pour c o m p r e n d r e son municipium. De l'un aux autres, on peut établir le cheminement d'une m ê m e conception; elle trahit l'intervention de Paul Diacre, qui ne trouva p o u r r e n d r e la pensée subtile de Festus que des formules qui, par leur maladresse, voire leur inexactitude, attestent, s'il était besoin de le confirmer, que les institutions municipales de Rome n'évoquaient rien de précis p o u r l'abréviateur lombard de la fin du VIII e siècle 5 . On ne peut pas exclure en effet, à titre d'hypothèse, que Paul soit la cause des difficultés presque insurmontables rencontrées jusqu'ici p o u r reconstituer d'une façon cohérente et convaincante l'histoire primitive des municipes et des municipia. C'est avec u n e précaution toute particulière que les textes de Paul doivent être passés au crible, pour dégager, derrière les formules tardives, ce qui put en être le noyau primitif.
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Voir, en sens contraire, Niebuhr, Rom. Gesch. II4, p. 64, n. 109, qui affirma que cette définition du municipium, omise par Paul, aurait été rajoutée, à partir d'un texte non amputé ni malmené de Festus, à l'Epitome de Paul au Xe-XIe siècle. Il n'en est rien; sans que l'on sache ce que Festus mit sous le mot municipium, on peut être sûr que la définition que donne aujourd'hui l'Epitome est bien de Paul; car, que l'on distingue deux (ainsi Lindsay, éd. Teubner) ou trois (ainsi Müller, suivi par Bruns, Fontes Iuris Romani Antiqui, op. cil) familles de manuscrits, chacune contient la définition du municipium) elle se trouvait donc dans le texte originel de l'Epitome. 5 La définition des municipalia sacra en donne un bon exemple : chez Festus (146 L) : quae ab initio habuerunt (sous-entendu civitates) ante civitatem Romanam acceptant, quae observare eos voluerunt pontijices... devient chez Paul (147 L) : quae ante Urbem conditam colebantur. Plus qu'un contresens manifeste, la définition, absurde (des cultes romains de municipes avant la fondation de Rome!), montre que Paul ne devait pas avoir d'idées très claires sur ce qu'était un municeps et un municipium.
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I - L E MUNICEPS CHEZ FESTUS, AULU-GELLE ET ULPIEN
1 - Festus, 126 L. Municeps est, ut ait Aelius Gallus, qui in municipio liber natus est, item qui ex alio génère hominum munus functus est, item qui in municipio ex Servitute se liberavit a municipe. At Servius filius aiebat initio fuisse, qui ea conditione cives {Romani)* fuissent, ut semper rem publicam separatim a populo Romano haberent, Cumanos, Acerranos, Atellanos, qui aeque {cives Romani erant et in legione merebant, sed dignitates non capiebant). Dans s o n p r e m i e r élément, la définition analyse les s o u r c e s de la condition d e municeps : elle définit le municeps par rapport au municipium. A la naissance et raffranchissement a u sein du municipium, il s'ajoute u n e troisième s o u r c e qui, sans être a u t r e m e n t précisée, a p o u r effet de s o u m e t t r e aux c h a r g e s municipales, au devoir de munus fungi, u n individu devenu municeps b i e n qu'il ne fût p a s n é ou affranchi d a n s le m u n i c i p e 7 . On verra dans cette source, extensible p a r son imprécision, les p r o c é d é s variés qui i n t é g r e r o n t u n étranger à ce genus hominum, p o u r r e p r e n d r e l'expression de Festus (ou Verrius Flaccus), l'introduiront d a n s cette catégorie juridique
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Lindsay a rompu avec la tradition qui, depuis Yeditio princeps (Milan, 1500), restitue Romani; Mommsen (Bruns-Gradenwitz, Fontes5) l'avait de même restitué. Si nous suivons cette lecture, c'est pour une simple raison de clarté, car il est évident que la précision Romani ne change rien au sens du texte. Pour Servius ces cives ne pouvaient être que des cives Romani, et pour eux seuls il pouvait être intéressant d'insister sur ce qui les distinguait du populus Romanus, avec lequel ils avaient en commun la même citoyenneté. 1 Municeps est... qui... ; item qui ex alio génère munus functus est : il s'agit incontestablement d'une source et d'une catégorie de municipes. On écartera alors l'interprétation de Mommsen, Staatsr. III, 1, p. 234, n. 1 = Dr. Publ. VI, 1, p. 264, n. 2, qui y vit une allusion au devoir de munus fungi imposé à des non-citoyens du municipe, à des individus propriétaires dans le municipe mais non municipes; Mommsen déduisit de plus de cette base inexacte, que le municeps originel aurait été pareillement un non-citoyen romain devenu, par son émigration, propriétaire sur le sol romain; prolongeant cette construction, qui nous semble inacceptable et sur laquelle on reviendra, Mommsen faussa (ibid.) le texte pourtant bien clair d'Ulpien (Dig. 50, 1, 1, 1 : proprie quidem appellantur... recepti in civitatem, ut munera nobiscum facerent), et donna une signification matérielle («accueillis sur le sol de la cité») au recepti in civitatem (qui bien évidemment ne peut signifier qu'une chose, «reçus dans la citoyenneté romaine »), dans l'idée qu'Ulpien aurait entendu donner une définition ancienne du municeps, non-citoyen résident, par opposition à une valeur récente et abusive du terme : citoyen d'un municipium. Sur la signification exacte de la pensée d'Ulpien, infra, p. 12 sq.
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particulière que forment les municipes d'un municipe donné : soumission volontaire aux munera à la suite d'une émigration8, décision du sénat municipal qui élargira en une décision, honorifique ou non, le rang de ses municipes9, adoption enfin, qui produira le même effet qu'un acte privé d'affranchissement10. Le second élément de la définition de Festus, empruntée cette fois au grand juriste Servius Sulpicius Rufus, se place à un point de vue tout diffé-
8 L'émigration et l'installation prolongée devaient constituer une source d'origo municipale, de même qu'elles étaient d'une façon générale un mode d'acquisition de la civitas romancL On n'entrera pas ici dans la question très délicate de savoir si la soumission volontaire aux munera d'un municipe, par là la volonté de se conduire pro municipe, créait la qualité de municeps ou prouvait seulement l'existence de cette qualité. Ainsi, chez Cic, Brut. 16, 63, à propos de Lysias (est enim Atticus, quoniam certe Athenis est et natus et mortuus et functus omni civium munere, quamquam Timaeus eum quasi Licinia et Mucia lege repetit Syracusas), on voit bien qu'à Athènes, comme à Rome, la question était débattue, entre ceux qui affirmaient que la participation aux munera n'est qu'un élément de preuve (d'où la loi Licina Mucia qui, en 95 av. J.-C, expulsa de Rome de nombreux Italiens malgré leur possession d'état de cives Romani, bien qu'ils se fussent en tout point conduits comme des cives Romani), et ceux qui, comme Cicéron, soutenaient que cette possession d'état donne (ou, ce qui revient au même, prouve de façon irréfragable) la qualité de civis Romanus. La valeur de la professio census lors du recensement fut discutée de la même façon (cf. Cic, Pro Arch. 5, 11, qui soutint que la qualité de citoyen résulte non d'une déclaration au cens, mais du fait de se comporter en citoyen (se gerere pro cive), qui peut être prouvé de multiples manières et non exclusivement par la professio census). En dehors des périodes de crise (mesures contre les émigrés latins au début du IIe siècle, loi Licinia Mucia... ), la possession d'état de civis Romanus ou de municeps, notamment par le respect des devoirs que ces qualités impliquent, était bien un procédé de rattachement à la civitas Rom. ou à un municipium. 9 Par le procédé de Yallectio ou qui annonce Yallectio - pour De Ruggiero, DE, v° Allectio, p. 411 sq. et La Patria nel diritto romano, 1921, p. 115 sq., Yallectio proprement dite n'apparaît pas avant le Ier ou le IIe siècle ap. J.-C. La formule vague que Verrius Flaccus (et Festus) aura trouvée chez Aelius Gallus ferait en. effet penser que l'institution de Yallectio ne s'est pas encore cristallisée à la fin de la République. Mais il est non moins certain que des procédés semblables existaient déjà auparavant : en 215, les 300 chevaliers fidèles de Capoue sont rattachés, sur l'ordre du Sénat romain, au municipe de Cumes : il faut supposer de la part des organes de ce municipe, sénat ou comices, une décision qui fit de ces Campani des municipes Cumani Cf. Liv. 23, 31, 10 et infra, p. 327-328. A Une époque plus récente, mais sous la République toujours, des inscriptions attestent que par la décision, sans doute honorifique, d'une colonie ou d'un municipe, le municeps d'une cité donnée peut devenir colonus ou municeps d'une autre cité et remplir ainsi son munus dans deux cités différentes, auxquelles il est attaché par la naissance pour l'une, et par une sorte d'allectio pour l'autre ou les autres. - V. à titre d'exemple le cas du riche Syllanien C. Quinctius Valgus, infra, p. 332. A l'époque de Dioctétien : C. 10, 40, 7 : cives (par oppos. à incolaé) quidem origo manumissio adlectio adoptio... facit 10 Cf. Ulpien, Dig. 50, 1, 1, 1 : Municipem aut nativitas facit aut manumissio aut adoptio.
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rent. Elle définit le municeps par rapport au populus Romanus) et pour donn e r une vue plus n e t t e des aspects originaux de l'institution qu'il décrit, Servius Sulpicius r e m o n t e à ses origines (aiebat initio fuisse). A l'en croire, le municeps primitif réunirait en lui deux aspects presque contradictoires, la civitas Romana et l'appartenance à un Etat distinct de l'Etat romain. Ces deux éléments ne sont pas pour Servius une simple juxtaposition ni susceptibles de se succéder dans le temps : au contraire ils sont indissociables {ea conditione . . . ut). Le municeps est à la fois civis Romanus et à la fois en possession d'un Etat séparé de la res publica Romana. Il n'est pas inutile de relever que Servius n'a pas employé, pour qualifier cet Etat distinct, le m o t de civitas, mais le terme bien différent de res publica : à le suivre, les premiers municipes n'ont pas cumulé deux citoyennetés, mais possédé, ce qui est tout différent, un Etat autonome, distinct de celui du popülus Romanus, et la civitas Romana, qui semble bien ainsi être la seule cité à laquelle ils aient appartenu 1 1 . Enfin, p o u r renforcer u n e expression dont la vigueur donne la mesure de l'art de Servius dans l'analyse et la définition 12 , le semper qui répond à Y initio de la première proposition confère à la définition un caractère absolument général, dans l'histoire c o m m e dans l'espace. Ainsi l'existence de la civitas Romana au sein d'une res publica non dissoute dans l'Etat romain serait un caractère fondamental, permanent, de la condition de municeps. La fin perdue de la définition de Servius devait, sans aucun doute, faire allusion sous une forme quelconque - la reconstitution à l'aide du texte de YEpitome de Paul Diacre est la plus vraisemblable - à l'obligation à laquelle les municipes étaient soumis, celle de supporter des munera envers l'Etat romain. On verrait mal, sinon, Servius Sulpicius oublier, quand il faisait
11 Nous écarterons pour cette première raison (et cf. infra, n. 13) la restitution que Schönbauer {Municipium : Worterklärung und rechtliche Bedeutung, dans Anzeiger d. phil. hist. Kl. d. Oest. Akad., 1949, 24, p. 559 et Munizipien und Doppelbürgerschaft im Römerreiche, dans Iura 1, 1950, p. 146) a proposée pour compléter ainsi la lacune finale du texte : qui {aeque cives Romani erant ac suae cuiusque civitatis); de fait, cette restitution, qui suppose que cette res publica séparée était une civitas dont les cives auraient été aussi cives Romani, doit surtout justifier la théorie de l'existence d'une double citoyenneté dont E. Schönbauer fut un partisan convaincu. 12 Cf. Cic, Brut 41, 152 : Rem universam tribuere in partes, latentem explicare definiendo, obscuram explanare interpretanda, ambigua primum videre, deinde distinguere, postremo habere regulam qua vera et falsa iudicarentur... à propos de Servius. On retrouvera une manifestation de cet art dans la part qui revient à Servius dans la définition, résumée par Paul, du Municipium (155 L).
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l'histoire du municeps, de m e t t r e l'accent sur l'élément qui est à l'origine du nom 1 3 . Pour achever sa définition, Servius donna trois exemples qui semblent en tout point confirmer l'aspect originel des caractères mis si n e t t e m e n t en relief. On sait en effet, p a r Tite-Live, que Cumes, Acerrae et Atella r e ç u r e n t en 338 (334) et en 332 la civitas Romana14; il est t o u t naturel de lier à cette extension de la citoyenneté r o m a i n e u n e contribution simultanée aux charges romaines, et de voir ainsi dans ces 3 cités, sinon les premiers municipes15, du m o i n s l'exemple d e s tout premiers d o n t les habitants e u r e n t le caractère r e m a r q u a b l e d'être cives Romani tout en conservant u n Etat distinct, c'est-à-dire qu'ils étaient citoyens romains au sein d'un Etat qui, devenant romain, ne fut pas juridiquement dissous ni matériellement détruit. 2 - Aulu-Gelle (N.A 16, 13, 6). L'essentiel de la double définition, parfaitement cohérente 1 6 , q u e Verrius Flaccus et Festus e m p r u n t è r e n t à Aelius Gallus et Servius Sulpicius se
13 Pour cette raison également, la restitution proposée par Schönbauer, supra, n. 11, nous semble condamnée. On ne pourrait pas d'ailleurs citer une seule définition du municeps ou du municipium qui ne mette pas l'accent sur la charge des munera, qu'il s'agisse de Varron (LL.5, 179), infra, n. 23), de Verrius Flaccus dans Paul Diacre (117 L; 155 L), d'Aulu-Gelle (N A 16, 13, 6), d'Ulpien {Dig. 50, 1, 1, 2), de Paul (Dig. 50, 16, 18) ou Isidore de Séville (9, 4, 21 et 15, 2, 10). Sur la signification de ces munera, ou de ce munus, charge supportée par le municeps et non cadeau qui lui serait offert, infra, n. 21 et p. 271 sq. 14 Liv. 8, 14, 10-11 pour Cumes (338) et 8, 17, 12 pour Acerrae (332). C'est alors, en 338 ou en 332, que Atella reçut à son tour la civitas sine suffragio. Les 3 exemples donnés par Servius sont trois cas de cités n'ayant reçu qu'un droit de cité partiel, sine, suffragio. Beaucoup d'auteurs - cf. infra, p. 193-5; 276 sq. - en ont déduit que seules les cités de d. rom. sans suffrage conservèrent une res publica et jouirent de la condition de municipes. Il n'en estrien,on le montrera, et ce n'est pas parce que les Campaniens n'avaient pas le droit de voter à Rome ou d'y briguer une charge qu'ils conservèrent des magistrats et une assemblée propres. 15 Tusculum depuis 381 environ et Caere entre 353 et 350; sur cette date, v. notre article, dans MEFRA 84, 1972, 1, p. 231 sq.; et infra, p. 405 sq. 16 Cf. le at qui introduit, après celle d'Aelius, la définition de Servius : une analyse sous un aspect différent et non une opposition. Au contraire, E. Manni, Per la storia dei municipii fino alla guerra sociale, Rome, 1947, p. 12, 28, 30, parti de l'idée d'une opposition, en conclut que les municipes n'étaient pas nécessairement des cives Romani (ce qu'affirme Servius) et voulut en trouver la preuve dans l'allusion, chez Aelius, au municeps qui ex alio génère hominum functus est : il est évident qu'Aelius ne dit pas, par ces mots, que le municeps peut être un noncivis - c'eût été d'ailleurs absurde dans une définition actuelle, comme la sienne, qu'il donna au présent -, encore moins qu'il pouvait être un non-avis à l'origine : c'est dans la définition
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retrouve dans u n passage célèbre où Aulu-Gelle donne une r a p i d e définition du municeps s'attachant, après Hadrien 1 7 , à m o n t r e r le prestige dont serait parée l'institution et la fierté que devraient éprouver, p a r r a p p o r t à ceux d'une colonie romaine, les habitants d'un municipium Municipes ergo sunt cives Romani ex municipiis legibus suis et suo iure utentes, muneris tantum cum populo Romano honorari participes, a quo munere capessendo appellati videntur, nullis aliis necessitatibus . . . astricti. . . (N.A. 16, 13, 6). Il convient de replacer d a n s son contexte le passage cité; il est bien probable que, p o u r r e n d r e pilus convaincante à ses lecteurs la distinction entre le municipe, venu de l'extérieur dans la civitas Romana, et la colonie, simple p r o l o n g e m e n t de la cité r o m a i n e créé à son image 18 , Aulu-Gelle a insisté un p e u t r o p vigoureusement sur l'autonomie des municipia; mais, avec cette réserve, il n'est guère difficile de m o n t r e r que l'on retrouve, dans ce passage p o u r t a n t bien m a l m e n é par Mommsen 1 9 , exactement les trois éléments f o n d a m e n t a u x de la définition de Servius : la civitas Romana dont les municipes sont en possession; l'existence en second lieu d ' u n e res publica distincte, celle du municipium, qui d o n n e une origo s é p a r é e à la
« historique » de Servius qu'on aurait dû trouver une référence à la non-civitas des premiers municipes : or ce qu'on y lit est précisément l'inverse de ce que E. Manni a fait dire aux deux définitions qui se complètent et ne s'opposent pas. 17 B. Albanese, Fundus fieri e municipia fundana, dans Studi Donaiuti I, Milan, 1974, p. 8, a présenté de bons arguments en faveur de la valeur de la définition d'Aulu-Gelle. Il est visible qu'il l'a empruntée à Yoratio qu'Hadrien prononça au Sénat, rappelant aux sénateurs la signification originelle du municipium, dénonçant en même temps la confusion courante avec les colonies. Pour cette leçon, l'empereur dut charger ses archivistes de lui fournir une documentation sérieuse : F. Grelle, L'autonomia cittadina fra Traiano e Adriano, 1972, p. 65 sq. 18 NA, ïbid, 16, 13, 5; ainsi F. Grelle, cit, p. 115 sq. sur le programme d'Hadrien. 19 « Ein wahres Meisterstück historisch-juristischer Confusion und der Vermengung des alten und des neuen Sprachgebrauchs » {Staatsr. HI, p. 796, n. 3 = Dr. Publ, VI, 2, p. 444, n. 3) : pour Mommsen, à l'ancien statut du municeps se rapporterait le début du texte, à condition de supprimer les termes cives Romani, puisque, selon Mommsen, les municipes anciens n'auraient pas eu la civitas Romana; la référence au munus honorarium se rapporterait en revanche à l'état récent, puisque ce droit aux magistratures aurait été précisément fermé aux municipes des temps anciens. Ces accusations ne sont pas justifiées : la civitas Romana a été, dès les origines selon Servius, un élément dominant de la condition de municeps, et il n'est guère difficile de voir dans le munus honorarium le poids des magistratures municipales (et non romaines) que les municipes n'ont jamais cessé de supporter. Il est vrai que pour Mommsen le municeps primitif est un émigré isolé et que l'idée de magistratures municipales est un anachronisme choquant. Mais cette conception n'est pas exacte, comme on s'attachera à le montrer.
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population civique du municipe (cives Romani ex m u n i c ip i is)20 et lui permet en même temps de jouir d'un droit propre ou, du moins pour les municipes les plus anciens, d'une constitution originale (legibus suis et suo iure utentes) ; l'inévitable allusion, enfin, au munus, devenu dans le contexte d'Aulu-Gelle une charge purement honorifique, la participation au munus honorarium. La définition sur ce dernier point trahit son époque; car s'il est vrai que sous l'Empire les munera municipaux sont limités à l'exercice, souvent fort dispendieux d'ailleurs, des magistratures municipales, la charge de la militia et du tributum sous la République durent donner un aspect assez différent au munus des municipes21.
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Dans une interprétation qui défigura la pensée d'Aulu-Gelle, Ch. Saumagne, Le droit latin et les cités romaines sous l'Empire, Paris, 1965, p. 54 sq. soutint que l'expression cives Romani ex municipiis pourrait se référer aux habitants des municipes latins qui ex Latio in civitatem veniunt De fait, comme les exemples d'Aulu-Gelle le montrent (Utica, municipe romain depuis 36 av. J.-C. : Dion Cass. 49, 16, 1, et, en dernier lieu, J. Gascou, La politique municipale de l'Empire rom. en Afrique proconsulaire, 1972, p. 25, n. 2 -; Italica en Espagne, qui, colonie latine depuis le IIe siècle av. J.-C. (?), n'a pas attendu le IIe siècle ap. J.-C. pour devenir municipe romain; cas identique - mais inverse - de Préneste, municipe romain entre 90 et 82, puis colonie syllanienne, revint à son statut antérieur de municipe), Aulu-Gelle raisonne sur le cas de municipes romains qui cherchèrent à obtenir le titre honoraire de colonie romaine (cf. ici, F. Vittinghoff, Rom. Kolonisation u. Bürgerrechtspolitik, Akad Wiss. Mainz, 1951, p. 42 et n. 4). Pour ne plus y revenir par la suite, disons que la thèse vigoureusement soutenue par Ch. Saumagne est, pour ses bases historiques, dénuée de fondement : il est tout aussi inexact d'affirmer que tout municipe italien avant la guerre sociale était de droit latin {ibid., p. 1-3, p. 7, p. 12) que de soutenir que les cités fédérées étaient de même des municipes latins (ainsi, p. 9, pour Naples! à la suite d'un contresens sur Cic, ad fam., 13, 30) ou que les seules cités romaines en Italie avant la guerre sociale étaient des colonies romaines! (ainsi p. 13). L'inexactitude de cette thèse, qui ignore les définitions de Servius/Festus, apparaît aussi nettement dans son développement sous l'Empire : il est faux de dire que tout municipe hors d'Italie est de droit latin (cf. G. L Luzzatto, In tema di organizzazione municipale délia Sardegna sotto il dominio romano, dans Studi G Grosso I, Turin, 1968, p. 293 sq.; J. Gascou, dans Latomus, 30, 1971, p. 133 sq. F. Grelle, cil, p. 150 sq.). 21 II s'agit certainement dans l'esprit d'Aulu-Gelle d'une charge (mais dont il souligne, pour les besoins de la démonstration, l'aspect honorifique et de même le désir, chez les municipes, de s'y soumettre - cf. le capessere). On ne peut comprendre, comme on l'a soutenu, munus comme un cadeau, bien entendu honorifique, qui serait ni plus ni moins la civitas Romana donnée aux municipes, moins encore comme un cadeau personnel fait individuellement à celui qui, étranger, acquiert par son séjour à Rome le bénéfice de la civitas Romana (ainsi M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e l'origine délia civitas sine suffragio, Rome, 1960, p. 110, donnant cette acception aux termes munus honorarium et munus capessendum; la définition, au présent, donnée par Aulu-Gelle exclut cette dernière interprétation qui ne serait valable - si elle l'a jamais été - que pour un âge antérieur à la fin du IVe siècle av. J.-C. - et infra, p. 29, n. 62) ; mais il ne doit pas même s'agir de ce cadeau que tous les municipes
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Deux siècles après Servius, la définition du municeps reste sensiblement la même. Les caractères fondamentaux qu'il sut distinguer pour les origines - mais tout en insistant sur leur permanence - sont restés vrais sous l'Empire. La définition qu'Ulpien donna au milieu du III e siècle le confirme. 3 - Ulpien, Dig. 50, 1, 1. Municipem aut nativitas facit aut manwnissio aut adoptio. Et proprie quidem municipes appellantur muneris participes, recepti in civitatem ut munera nobiscum facerent : sed nunc abusive municipes dicimus suae cuiusque civitatis cives, ut puta Campanos, Puteolanos. L'origo municipale et ses sources évoquent aussitôt les passages voisins d'Aelius Gallus et Aulu-Gelle. C'est l'allusion implicite à l'existence d'un Etat distinct, le municipium, dont cette origo n'est que le reflet. La seconde phrase insiste sur la charge des munera et la citoyenneté des municipes, mais sous une forme qui mérite d'être précisée : la formule recepti in civitatem ut munera nobiscum facerent établit, par sa contrepartie (les munera), le prix de la civitas octroyée, mais fixe aussi les limites de la concession («reçus dans la cité, de façon qu'ils partagent nos munera»). Il nous semble, sans forcer la lettre du texte, qu'il s'y exprime l'idée que, du point de vue romain, l'extension de la civitas Romana n'aboutit pas à une fusion complète dans l'Etat romain par la disparition de la res publica, mais qu'elle fut limitée dans son principe à une participation aux charges. L'idée sousentendue d'une cité antérieure à la receptio, prolongée par la survie indispensable d'un municipium, au sens d'un Etat distinct sans lequel il n'y aurait pas de municeps, explique tout naturellement la brusque précision d'Ulpien, conscient d'un abus de son époque qui appelle municeps non pas exclusivement ceux qui ont conservé dans un municipium un Etat entré romains ont reçu de Rome avec la civitas Romana : Aulu-Gelle l'aurait pour le moins précisé; au lieu de comprendre donc : « qui n'ont en partage avec les Romains qu'un cadeau qui les honore, un cadeau qu'ils recherchent d'où leur nom, soumis à aucune autre obligation, autre que celle qu'ils auraient voulu accepter», expression bien faible et bien terne s'il s'était agi de la civitas Romana et qui ne pourrait annoncer le nullis aliis necessitatibus... nisi, on comprendra «qui n'ont en partage avec les Romains que la charge des honneurs, une charge qu'ils recherchent d'où leur n o m . . . ». Ce munus honorarium, comme la summa honoraria des magistrats municipaux, c'est la charge ou la dépense qui se rapporte aux dignitates accessibles à l'ensemble des cives Romani E. Kornemann, RE 16, Municipium (1933) c. 573 conserve l'idée de charge et attribue aux conceptions tardives l'idée qu'elles avaient un caractère honorifique. Pour F. Grelle, cit., p. 118 sq., il s'agirait de l'accès au gouvernement, aux magistratures de Rome.
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dans la civitas Romana sans être fondu en elle, mais les « concitoyens de quiconque, de quelque cité qu'il soit» (suae cuiusque civitatis cives), m ê m e si c'est d'une colonie comme Capoue o u Puteoli 2 2 . Mais cette évolution sémantique ne parvint pas à masquer u n aspect essentiel de la notion de municeps; b i e n plus, elle mit en relief un élément sans doute primitif 23 de sa structure, et c'est p a r le sentiment que les municipes sont avant tout une c o m m u n a u t é de concitoyens que le t e r m e s'étendit abusivement à la collectivité des colons d'une m ê m e cité. On ne devait pas plus imaginer un municeps sans u n Etat auquel il était i m m é d i a t e m e n t rattaché, le municipium, ou sans u n e c o m m u n a u t é civique, celle des municipes, que l'on ne pouvait isoler le civis de sa civitas ou de l'ensemble des cives, ses concitoyens 2 4 . Sous des expressions chaque fois variées, on ne peut qu'être frappé de retrouver de Servius à Ulpien l'unité r e m a r q u a b l e d'une même conception. Le propre du municeps, à la différence du colonus, est de posséder au-delà
22 Le passage d'Ulpien souligne précisément l'abus qui s'est introduit d'appeler municipes ses concitoyens, même au sein d'une colonie; Ulpien ne dénonce pas l'abus plus grave qui consisterait à appeler municeps l'habitant d'une colonie (désigné ainsi par un non-concitoyen) ou encore à confondre municipium et colonia. Le premier abus est très fréquent dans les inscriptions (notam. à Puteoli : CIL X, 1795; 1840; 1881; pour Cumes : CIL X, 3697, mais cf. F. Sartori, Problemi di Storia Costit. Italiota, 1953, p. 38, n. 50 - ibid., p. 62 pour Puteoli, mais où l'auteur dépasse la signification précise du texte d'Ulpien; pour Capoue, pas d'exemple, si l'on veut se limiter aux Campani, modèle pris par Ulpien). Le second abus existe, mais beaucoup plus rare (cf. CIL VI, 1635 = CIL XI, 3940 = ILS 5006, en l'honneur d'un patronus et municeps coloniae, apposé par l'épouse). L'intérêt de la première extension, dont l'existence est confirmée par Aulu-Gelle {Quotus enim fere nostrum est qui, cum ex colonia populi Romani sit, non et se municipem esse et populäres suos municipes sibi esse dicat... ?, N A, 16, 13, 2), et qui est certainement à l'origine du second abus, est que le municeps est avant tout le membre d'une communauté, soumise collectivement au poids des munera. 23 Le maintien nécessaire d'une res publica distincte, chez Servius, en est déjà un signe; pas de municeps qui ne soit membre d'un Etat : on comprendra que c'est en tant que membre de cet Etat qu'il est municeps. L'idée que les munera sont une charge collective, supportée par l'ensemble des concitoyens d'un municipium le confirme : chez Varron, LL 5, 179 (municipes, qui un a munus fungi debent), dans un témoignage aussi ancien que celui de Servius, et indépendant (Verrius Flaccus n'a pas utilisé le de LL); ou encore l'emploi très fréquent dans les inscriptions de municipes au sens de citoyens du même municipe, recueilli par Isidore, Orig. 9, 4, 21 : municipes sunt in eodem municipio nati 24 Isid., Orig. 9, 4, 2 : cives vocati, quod in unum coeuntes vivant, dans une définition qui précède de peu celle, parallèle, des municipes. L'étymologie du mot civis le confirme, dont le sens authentique est concitoyen et non citoyen, v. E. Benveniste, Le Vocabulaire des Institutions Indo-européennes, I, Paris, 1969, p. 337 et W. Seston, La citoyenneté romaine, dans Actes XIIIe Congrès Intern. Sc. Hist, Moscou 1970, p. 2 de l'extrait.
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de la civitas Romana u n e res publica, d'où il tirera son origine : aucune idée de cumul de deux citoyennetés, ni non plus d'une succession possible ou d'une alternance. C'est bien au sein de son Etat que, dès les origines, si l'on suit Servius, le municeps jouissait de la civitas Romana et en supportait les charges.
II - L'APPORT DE PAUL DIACRE À LA DÉFINITION DU MUNICEPS (117 L)
Municeps, qui in municipio liber natus est. Item qui ex alio génère hominum munus functus est. Item, qui in municipio a Servitute se liberavit a municipe. Item municipes erant, qui ex aliis civitatibus Romam venissent, quibus non licebat magistratum capere, sed tantum muneris partent, ut fuerunt Cumani, Acerrani, Atellani, qui et cives Romani erant, et in legione merebant, sed dignitates non capiebant (117 L). Rapproché c o m m e il se doit de la définition de Festus, sa source, le r é s u m é de Paul reproduit presque textuellement dans sa première partie la définition d'Aelius Gallus (dont le n o m a disparu), alors que, dans sa seconde partie la pensée de Servius semble avoir été complètement transformée. Pourtant les exemples donnés par Paul sont ceux qu'il a trouvés dans Festus : c'est d o n c bien sur le texte de Servius tel que Festus l'a conservé, que Paul a établi son r é s u m é ou sa paraphrase; raffirmation que les municipes sont des cives Romani confirme l'étroite p a r e n t é des deux passages. Si l'on en vient maintenant aux différences entre les deux définitions, et qu'il s'agira d'expliquer, il est visible que là où Servius évoque l'idée d'une civitas Romana au sein d'une res publica séparée, Paul fait allusion à la venue à Rome de ces municipes p o u r préciser leurs devoirs et les limites apportées à leur droit de cité. Les habitants de Cumes, d'Acerrae et d'Atella n'auraient-ils été municipes et cives Romani qu'après u n e émigration à R o m e qui leur aurait apporté seule, outre cette double qualité, les charges et les avantages qu'elle impliquait? A quelques rares exceptions près 2 5 , la
25 Un certain nombre d'auteurs a préféré ne pas prendre parti et, la taisant, a exclu l'hypothèse de l'émigration, sans expliquer la définition de Paul : ainsi J. Marquardt, Staatsverwalt, 1873, p. 31 (= Organis. de l'Emp. Rom. I, 1889, p. 42); J. N. Madvig, Die Verfassung und Verwaltung des röm. Staates I, 1881, p. 44 (= L'Etat ronu, I, 1882, p. 48); J. Beloch, Der Italische Bund unter Roms Hegemonie, Leipzig, 1880, p. 120 sq. D'autres, qui ont compris l'installation à
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majorité des auteurs modernes 2 6 a compris de cette façon la définition de Paul, et vu dans la civitas Romana des premiers municipes soit u n e citoyenneté potentielle ou conditionnelle, soit une citoyenneté honorifique ou honoraire, mais toujours une civitas Romana qui supposait nécessairement pour qu'elle devînt effective l'installation à R o m e d'individus jusque-là nonmunicipes et non-romains - ou seulement virtuellement romains. On s'accordera pourtant à reconnaître que la définition plus sûre de Servius, ne confirme en rien cette interprétation. C'est toute l'originalité du municeps primitif qui s'écroule si l'on refuse de suivre Servius lorsqu'il affirme qu'à l'origine le municeps est à la fois m e m b r e d'un Etat séparé et à la fois citoyen romain. Plus encore, la notice de Servius exclut l'hypothèse de l'acquisition de la citoyenneté romaine par l'émigration à Rome; car elle provoquerait la rupture du lien avec la res publica d'origine, d o n t le maintien est au c œ u r de la notion de municeps. Mais est-ce bien la pensée de Paul, et ne lui a-t-on pas fait dire autre chose que ce qu'il exprimait dans une formule plus maladroite, il nous semble, qu'inexacte? « Etaient de même municipes ceux à qui il n'était pas permis, au cas où ils seraient venus à Rome d'autres cités, de p r e n d r e une magistrature, mais seulement leur part des charges, comme l'ont été les gens de Cumes, d'Acerra et d'Atella, qui étaient citoyens romains, servaient dans u n e légion mais ne participaient pas aux honneurs publics (des Romains) ». Cette traduction littérale m o n t r e qu'il n'est pas exact de lier, c o m m e on l'a fait, la qualité de municeps et celle de civis Romanus à l'émigration à Rome. Car cette migratio n'est en réalité qu'une hypothèse, en dehors de laquelle celui que Paul définit c o m m e tel reste municeps et reste aussi civis Romanus : tout le second élément relatif aux Cumani... décrit en effet leur condition en dehors de l'hypothèse, restreinte, de la présence sur le sol romain - la répétition, sans cela, de la participation au munus et du refus des magistratures n'aurait pas de signification.
Rome comme la condition du statut de municeps, l'ont rejetée, comme une confusion due à Festus ou à Paul, pour des raisons variées mais insuffisantes car fondées sur des arguments a silentio ou qui n'excluent pas une étape primitive (« ni Tite-Live ou Dion Cass., ni Cicéron ou Gaius ne la mentionnent»: E. Schönbauer, Municipium, op. cil, 1949, p. 559; «les exemples donnés se rapportent à des cités globalement incorporées » : A. J. Toynbee, Hannibal's legacy I, 1965, op. cit., p. 194-5, suivi par P. A. Brunt, Italian Manpower, 1971, p. 525 sq.). Notre propos sera différent : expliquer cette expression plutôt que la rejeter et rechercher si les analyses qui l'ont considérée comme fondée sont possibles. 26 Leurs positions respectives seront étudiées surtout à propos de l'autre définition de Paul, qui, consacrée au municipium (155 L), contient une formule identique.
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Interprété sans être extrapolé le texte dit simplement que les municipes sont des cives Romani, soumis aux munera (notamment la militia), exclus des magistratures, et, pour r e n d r e plus nette l'originalité de leur condition, Paul s'est placé concrètement dans l'hypothèse de la présence à Rome de ces municipes pour leur refuser un droit aux charges publiques qu'ils ne pouvaient exercer que là. Cette soi-disant émigration n'est donc en réalité qu'une présence sur le sol de Rome (que seule les termes précis de Romam venire expriment); elle n'est pas la condition de la qualité de municeps, mais elle n'en est qu'une conséquence pratique qui dans l'esprit de Paul Diacre devait rendre sa définition plus claire. Quant aux Acerrani ou Cumani, dont il souligne ensuite et la civitas sine suffragio et la charge des munera, ils sont définis cette fois dans leur ensemble et dans le cadre local de leur municipe. Ainsi comprise, la définition n'a pas introduit d'inexactitude sensible par rapport à son modèle : ce que Paul indique correspond à ce q u e Servius-Festus avaient exposé. Mais si l'idée se retrouve, la pauvreté et la lourdeur de la pensée de l'abréviateur sautent aux yeux. L'idée si riche d'une res publica s'est estompée et Paul a insisté seulement sur les conséquences pratiques - mais nullement fondamentales ni m ê m e nécessaires - de cet Etat distinct pour refuser le ius honorum Les exemples de Servais, choisis parmi des municipes cives sine suffragio, ont probablement entraîné Paul à réduire l'originalité du municeps à u n trait caractéristique d'une catégorie de municipes seulement (le refus du ius honorum qu'il dut identifier à l'idée d'une res publica distincte). Mais pour le reste Paul ne s'est pas trompé : pas plus lorsqu'il se plaça dans l'hypothèse du Cumanus venu à Rome, pour lui refuser un droit qu'il n'aurait pu exercer que là, que lorsqu'il définit de leur côté les Cumani dans leur ensemble - comme des citoyens romains soumis aux charges de cette civitas sans en partager les honneurs. Rapprochée de la définition de Servius-Festus, qui l'éclairé, celle de Paul, on le voit, a considérablement réduit l'intérêt de son modèle. Les conséquences en furent particulièrement graves; parti sur une mauvaise voie, Paul s'est égaré plus encore quand il résuma (155 L) la définition, non conservée cette fois, que Festus avait donnée du m o t municipium.
III -
L E MUNICIPIUM, DÉFINI PAR PAUL DIACRE (155
L)
Municipium id genus hominum dicitur, qui cum Romam venissent, neque cives Romani essent, participes tarnen fuerunt omnium rerum ad munus fun-
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gendum una cum Romanis civibus, praeterquam de suffragio ferendo, aut magistratu capiendo; sicut fuerunt Fundani, Formiani, Cumani, Acerrani, Lanuvini, Tusculani, qui post aliquot annos cives Romani effecti sunt Alio modo, cum id genus hominum definitur, quorum civitas universa in civitatem Romanam venit, ut Aricini, Caerites, Anagnini. Tertio, cum id genus hominum definitur, qui ad civitatem Romanam ita venerum uti municipia essent sua cuiusque civitatis et coloniae, ut Tiburtes, Praenestini, Pisani, Urbinates, Nolani, Bononienses, Piacentini, Nepesini, Sutrini, Luc(r)enses. Il n'est sans doute pas une ligne, voire un mot de cette célèbre définition qui n'ait fourni à une théorie un point de départ, ou une base à une tentative de solution. L'autorité de ces interprétations et, il faut le reconnaître, l'obscurité déconcertante du texte contraignent à un examen critique, si fastidieux soit-il, des hypothèses déjà proposées, car on est trop conscient que ce n'est pas un nouvel essai d'explication qui peut prétendre trancher ce débat. Or, parmi les interprétations données, un certain nombre se heurte à des difficultés d'ordre historique (on prête, à l'institution du municipium, des origines que son histoire ultérieure ne confirme pas) ou d'ordre juridique semblables. Aussi, avant de proposer à notre tour une lecture du texte, tâcherons-nous, sans trop les déformer nous l'espérons, de passer en revue les trois principales thèses centrées sur l'élément le plus discuté du texte, son premier paragraphe. 1 - L'installation sur le sol romain confère-t-elle la qualité de municeps et non celle de civis Romanus? Les partisans de cette interprétation, notamment Mommsen, E. Manni et G. Tibiletti insistèrent sur trois éléments qu'ils trouvèrent dans la première partie de la définition de Paul Diacre : l'installation à Rome, la qualité de municeps, la négation de la civitas Romana, et virent en ceux-ci la structure originaire du municeps et du municipium A Mommsen revint le mérite d'avoir, avec le plus de netteté, placé les origines du municipium dans les rapports entre Rome et le Latium et affirmé que Paul avait ce précédent à l'esprit lorsqu'il définit le municipium. Mais qui, parmi les Latins, seraient-ils municipes? La réponse de Mommsen est ici extrêmement ambiguë; en effet, après avoir posé, comme un postulat, que «le citoyen d'une ville latine est, en face de Rome, municeps et sa cité municipium»27, Mommsen fut contraint de s'écarter absolu27
Staatsr. III, p. 232 = Dr. Publ VI, 1, 262.
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ment de ce point de départ lorsqu'il en vint à la définition de Paul : il s'agirait ici des Latins qui, sans avoir par une émigration à Rome acquis la civitas Romana2*, sont venus à Rome en tant que simples propriétaires fonciers, soumis ainsi aux charges financières qui grèvent les propriétaires du sol29. C'est à eux, Latins comme les Tusculani et les Lanuvini nommément désignés par Paul, que le début de la définition s'appliquerait (qui cum Romam venissent neque cives Romani essent, participes tarnen ad munus fungendum, sicut Tusculani et Lanuvini). La fragilité de l'hypothèse est trop visible : comment les Romains auraient-ils pu qualifier de municipium et de municipes les cités latines et Y ensemble de leurs cives, astreints à partager les charges des Romains, et utiliser au même moment, selon Mommsen, ces mêmes termes pour qualifier les seuls Latins venus à Rome y acquérir des biens fonciers et supporter, par là, des charges que Mommsen réduit sans motif à de pures obligations fiscales? Il semble qu'entre une conception qui suppose une installation à Rome à titre individuel et une autre qui l'exclut en ce qu'elle soumet, en vertu de traités, l'ensemble d'une cité à des charges (militaires et financières) imposées par Rome, il y a une différence telle qu'on ne peut les ramener à un concept juridique unitaire; on devrait sinon le réduire aux seuls éléments communs de ces deux conceptions : celui de Latin et celui de munus et laisser tomber la nécessité d'une venue à Rome - la seule en revanche que Paul semble bien mentionner. Le problème de cette installation originaire reste donc entier; pour cette première raison, on ne peut donc accueillir la thèse de Mommsen. Mais il y a plus, et dans le labyrinthe de l'histoire du municipium, Mommsen ne recula pas devant les contradictions; à côté de cette première espèce de municipes (individuels ou collectifs, mais Latins), dont Mommsen affirma l'existence tout au long de l'histoire romaine, les Romains en auraient créé une seconde à partir du IVe siècle, celle que Mommsen appela les demi-citoyens dans une expression inconnue des sources qui leur reconnaissent en revanche la civitas Romana - mais sine suffragio -. Pour ces municipes, l'idée d'une émigration même primitive serait à exclure; c'est toute la collectivité qui, dès les origines, aurait supporté les charges des Romains. A cette seconde catégorie appartiendraient les Fun-
28 Ils acquièrent en effet, selon Mommsen et une tradition quasi-unanime - sauf pour G. Tibiletti, infra, p. 21 sq. - la civitas Romana par l'exercice de leur ius migrandl On reviendra sur cette question délicate, infra, p. 108-122. 29 Ainsi, Staatsr. III, p. 233 = Dr. Pubi VI, 1, p. 263.
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dani, Formiani, Cumani et Acerrani que Paul cita, mais à qui il aurait refusé à tort la qualité de cives Romani, de même qu'il aurait étendu à tort à cette catégorie de municipes la nécessité d'une installation à Rome pour l'acquisition de leur condition de municipes™. A suivre ainsi Mommsen, on est amené à faire une double constatation : pour comprendre le texte de Paul, il faudrait le faire éclater. Il serait vrai en partie pour les municipes Latini (venue à Rome, négation de la civitas), mais en partie seulement (le refus du ius suffragii ne les concerne pas), et serait inexact pour les municipes campaniens (sauf pour le refus du ius suffragii). Mais, et ceci nous semble beaucoup plus grave, la construction mommsénienne aboutit, pour la même époque, à donner la condition de municipes à des catégories d'hommes, à des gênera hominum qui n'ont absolument rien de commun : entre le Latin, non civis Romanus et payant des impôts romains parce qu'il possède un fonds romain, et la communauté des Cumani qui, au sein de leur cité, sont collectivement des cives Romani et y supportent les charges - toutes les charges, précise Paul - aussi bien militaires que financières des Romains, sans jouir, à la différence du Latin non romain, d'aucun droit politique, il y a un abîme 31 . On doit exclure
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Ainsi, Staatsr. III, p. 234 et p. 235, n. 1 : = Dr. Publ. VI, 1, p. 265, n. 1, Mommsen estimait alors qu'il fallait attribuer à une erreur de Paul la condition d'une venue à Rome insérée dans 117 L relatif aux municipes Campaniens; pour les Latins seuls un déplacement à Rome (sous forme de l'acquisition d'un fonds) aurait eu un sens. F. De Martino, Storia délia Cost rom. H2, Naples, 1973, p. 84 sq. scinde de même la définition, par Paul, du municipium, rattachant aux Latins seuls l'idée d'une venue à Rome et le caractère de non cives. Mais l'autre définition de Paul (117 L) reste inexpliquée. E. Schönbauer, Munizipien, op. cit., dans Iura 1, 1950, p. 145 sq. corrigea 155 L en «neque cives neque Romam venissent», afin d'harmoniser cette définition avec celle des municipes (Paul, 117 L). Les municipes seraient individuellement Romains sur le sol romain, et non Romains dans leur municipium : mais c'est admettre que les municipia n'étaient pas des cités de citoyens romains; que fait-on alors de la définition de Servius (ap. Festus, 126 L)? 31 Mommsen en fut conscient et d'une façon tout artificielle, par une sorte de jeu de mots sur les cives sine suffragio, qu'il qualifiait de « demi-citoyens », considéra que le municipe de Latins et celui de cives sine suffragio avaient ceci de commun qu'ils s'opposaient dans les deux cas à la qualité de citoyen complet (ainsi Staatsr. III, p. 795 = Dr. Publ. VI, 2, p. 443). Pour conserver à sa construction un semblant de solidité - alors que fondée sur l'idée que l'origine du municipium est dans la condition des Latins, non romains, elle n'a guère de bases -, Mommsen n'hésita pas à prendre plus de liberté encore avec les expressions romaines : l'idée d'un municipe de citoyens romains n'est sous la République qu'une formule « stark denaturiert » (Staatsr., op. cit., p. 795) et les colonies latines, qui reflètent la condition des anciennes cités latines fédérées (ni les premières, ni les secondes n'ont jamais été qualifiées même tardivement de municipia), étaient cependant pour Mommsen (Staatsr. III, p. 232, n. 3 = Dr. Publ.
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qu'ils fussent qualifiés du même nom et que leurs cités, que ce fût Tusculum avant sa romanisation, ou Préneste ou Formiae ou Cumes, aient connu la même condition juridique, celle de municipium. La conception de Mommsen fut reprise par E. Manni32, mais, si l'on peut dire, poussée au-delà des limites que Mommsen s'était fixées. Ainsi, pour cet auteur, les Latins ne furent pas les seuls à s'être transformés en municipes par une installation individuelle à Rome, mais ce fut également le cas des cités campaniennes que Paul Diacre énumère et dont les habitants, non cives Romani, purent, au cours d'une étape antérieure à celle pour laquelle les sources enseignent qu'ils reçurent la civitas Romana, venir à Rome y chercher la qualité de municipes23. Mais cette hypothèse non démontrée ne résiste pas à la critique; aux objections que l'on peut faire à la construction de Mommsen s'ajoute d'une façon générale la fragilité, mieux l'absence des preuves ou des arguments 34 chez E. Manni. Mais la meilleure réfutation vient des sources elles-mêmes : est-il raisonnable de supposer que les Campaniens, en vertu de problématiques foedera, furent primitivement municipes dans la mesure où, non-Romains, ils émigraient à Rome, alors que Paul Diacre au passage déjà étudié (117 L), dans une formule exactement identique, semblait faire dépendre d'une émigration semblable la qualité de municipes des mêmes Campaniens dont il mettait en évidence la condition de cives Romani? Ce n'est pas un dilemme, c'est une impasse35. Il faut nécessairement corriger Paul dans l'un ou l'autre cas.
VI, 1, p. 262, n. 3) des municipia sans en avoir le nom. Les seules sources disponibles semblent condamner une thèse qui apparaît comme l'inverse exact de ce qu'elles attestent. 32 E. Manni, Per la storia, op. cil, p. 29 sq. et Sur l'origine des municipia romains, dans RHD, 47, 1969, p. 68 sq., vit dans la condition primitive du municeps et son droit privilégié de résider à Rome le reflet de la ligue latine. 33 Per la storia, p. 25, p. 58. 34 E. Manni tenta sans succès (supra, p. 9, n. 16) de confirmer l'idée que les municipes primitifs auraient été des étrangers à la civitas Romana; ses efforts pour prouver l'existence de municipes Latini non romains ne sont guère plus heureux (infra, p. 257, n. 16); aucune preuve à l'appui de l'hypothèse selon laquelle des foedera, du type du foedus Cassianum, auraient permis aux Campaniens de résider à Rome comme municipes non cives; c'est aux seuls Latins, d'ailleurs, qu'E. Manni, après Mommsen, limite son histoire originelle du municipium (cf. Per la storia, p. 29 sq.; Origine, p. 68). Le cas dès équités Campani pour lesquels E. Manni, Origine, p. 74, suppose l'existence d'un «foedus de municipium» ne prouve pas l'un de ces traités, puisque ces chevaliers auraient joui de la civitas Romana s'ils étaient venus à Rome. 35 E. Manni pense alors à une évolution (Origine, p. 69) : les Campaniens cives Rom. et municipes représenteraient, dans le cheminement supposé par l'auteur, une quatrième étape, celle pour laquelle les sources rapportent l'octroi au IVe siècle de la civitas Rom. aux cités volsques et campaniennes. On aurait ainsi vu successivement apparaître et se développer
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Pour G. Tibiletti36, c'est à l'aide d'un concept encore élargi que pourront être décelées les origines des municipes; à la recherche de la formule qui dénouera les incontestables difficultés du texte de Paul-Diacre, un véritable « passe-partout » fut forgé. Ainsi, le municipium primitif se ramène à un droit de résidence privilégié; mais l'émigration n'ouvre pas au municeps la civitas37; elle lui concède certains droits en contrepartie d'une participation aux charges de la cité. Le concept serait illustré par toute une série d'exemples, fournis par Paul-Diacre lui-même, où l'on trouverait plusieurs peuples, unis à Rome par des traités bilatéraux (antérieurs, il va de soi, à l'incorporation qui survint par la suite), à savoir : les Latins (d'où les Tusculani, les Lanuvini)', des Volsques (les Fundani, Formiani)', des Campaniens (Cumani); on ajoutera les Caerites ou même les Carthaginois, bénéficiaires des mêmes relations privilégiées d'hospitalité (ou de municipium). L'unité, dans ce catalogue hétérogène en apparence, est donnée par l'existence d'un registre global, les Tables des Caerites, où aurait été inscrit, afin d'être recensé, l'ensemble de ces résidents privilégiés.
plusieurs types de municipes, que Paul aurait rassemblés en une définition unique (Per la storia, p. 28) : a) les Latins, municipes aussi bien dans la mesure où ils viennent à Rome posséder un fonds que dans la mesure où ils restent dans leurs cités propres, les «municipia latina»; b) les Campaniens non cives Romani, mais municipes dans la mesure où ils viennent émigrer à Rome; c) les Campaniens, après avoir acquis globalement la civitas Romana, mais municipes toujours à condition qu'ils émigrent; d) enfin une quatrième étape au cours de laquelle les Campaniens, devenus cives Romani sont municipes dans leur propre cité. Concluons : la civitas Romana, pas plus que l'émigration ne sont un élément spécifique de la notion de municeps : à la limite on se prend à douter de son existence même. La quatrième et dernière étape serait celle que Servius (à tort sans doute?) aurait considérée comme primitive. C'est d'ailleurs la seule historiquement attestée. 36 Latini e Ceriti, dans Studia Ghisleriana, l ère série, 3, 1961-2, p. 242 sq. 37 G. Tibiletti proposa en effet dans La Politica agraria dalla Guerra Annibalica ai Gracchi, dans Ath. 28, 1950, p. 213, n. 4, que la loi à laquelle Liv. 41, 8, 9 fait allusion pour 177 (lex sociis [ac] nominis latini, qui stirpem ex sese domi relinquerent, dabat, ut cives Romani fièrent) avait introduit une mesure nouvelle (tout en reprenant des dispositions plus anciennes non précisées), c'est-à-dire que la concession de la civitas Romana aux Latins émigrés (sous condition de laisser un descendant sur place) fût une innovation des années 187/177. Dans Latini e Ceriti, p. 247, G. Tibiletti reconnaît beaucoup plus nettement à cette disposition d'avoir introduit l'innovation mentionnée : avant elle, les Latins émigrés seraient restés Latins, mais dans une condition privilégiée puisque seuls les immigrés stables (et non tout habitant d'une ville et d'une colonie latines de passage à Rome) auraient eu le ius suffragii dans les comices tributes. Le «ius migrandi» des Latins est encore bien mystérieux; mais il nous semble, on y reviendra, qu'il n'est pas un privilège exclusif des Latins et, d'autre part, que la concession de la civitas Romana aux émigrés est bien antérieure aux années 187/177. Infra, p. 108-122; 136143.
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Si large fût-il, le concept de municeps connut ensuite une évolution; selon G. Tibiletti, dès les premières cités incorporées, le m ê m e concept (et le m ê m e registre) s'étendit aux cives Romani municipes tout en restant ouvert aux résidents non cives : par exemple, aux Latins des colonies latines qui avant le début du II e siècle n'auraient pu, encore, accéder à la civitas par la migratio. Ils auraient continué à représenter le type, dépassé, du municeps migrant isolé, privilégié mais non civis Romanus. La tentative est audacieuse, mais fragile. Derrière l'unité de façade, des situations extrêmement disparates sont artificiellement regroupées. Coiffer du m ê m e concept de municeps, et placer sur la même liste, les Latins, résidents privilégiés, munis du ius suffragii mais non-cives Romani, et, au même moment, des cités entières incorporées dans la civitas ne résiste pas à la critique. De plus, donner les Caerites comme le parangon des étrangers résidents astreints aux munera, alors que l'on sait, formellement, qu'ils étaient immunes3*, paraît osé. N'utiliser les Formiani, Fundani, Cumani, Acerrani que par les liens, non attestés, de traités établis avec Rome et taire la civitas s. s. qui fut évidemment la source de leur condition de municipes est risqué. Ajoutons que les Tabulae Caeritum n'eurent jamais le rôle que leur attribue G. Tibiletti 39 . Enfin, et c'est un argument décisif, il nous semble, qui vaut contre toute tentative (elle fut souvent faite) d'identifier municeps et civis Latinus - du fait des droits, certains, de résidence privilégiée - : le droit fédéral latin s'est transmis aux siècles récents avec son originalité et ses privilèges réciproques; or, jamais, le concept d e municeps ou de municipium n'est attesté à l'égard d'un civis Latinus. Les sources (notamment Servius, ap. Festus), d o n n a n t l'exemple de municipes anciens, non seulement placent fondamentalement la civitas Romana à l'origine {ab initio) du concept de municeps, mais n'auraient pas manqué d'élargir leur définition à la ville ou colonie latine dont les citoyens, encore a u II e siècle, résidant à Rome auraient continué de représenter le type ancien et primitif du véritable municeps. Dans ce cas, c'est Préneste ou Sutrium, Cosa ou Paestum que l'on trouverait citées et non Tusculum ou Lanuvium, dont la qualité de municipium tient à leur incorporation dans la citoyenneté romaine 4 0 .
38 Gell. N.A. 16, 13: ut civitatis Romanae honorem quidem caperent sed negotiis tarnen atque oneribus vacarent et cf. notre article, L'incorporation de Caere, dans MEFRA 84, 1972, p. 231 sq. et infra, p. 30 sq. et 407. 39 L'incorporation de Caere, op. cit., et infra, p. 30 sq.; 310 sq. 40 Cf. infra, p. 25 et n. 47 avec les références.
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2 - En émigrant à Rome, les municipes Romana qui resterait, sinon, seulement
rendent-ils effective une potentielle?
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civitas
La pensée de A. N. Sherwin-White se détache nettement des précédentes : pour cet auteur, la qualité de municeps n'est pas u n effet de l'émigration; car c'est dans sa collectivité maintenue que le municeps supportera les charges des cives Romani. Mais il n'est pas citoyen r o m a i n ; il reste un étranger jouissant d'une civitas Romana seulement potentielle (la civitas sine suffragio) qu'il peut r e n d r e effective (civitas optimo iure) en émigrant à R o m e ; devenant dès lors civis Romanus o. i, il perdra sa condition et sa qualité de municeps, fondu au sein de la collectivité romaine 4 1 . Cette interprétation très ingénieuse expliquerait q u e Paul Diacre qualifie de neque cives Romani des collectivités dont on sait, par les sources historiques, qu'elles ont reçu la civitas sine suffragio41. On ne serait donc pas en présence de plusieurs étapes historiques, marquées d'abord par la négation puis par la concession de la civitas Romana43 ; c'est au même moment, après l'extension au milieu du IVe siècle de la civitas sine suffragio à la Campanie, que l'on put qualifier les municipes de cives Romani (potentiels) ou d'étrangers non-cives (effectifs). Ainsi lorsque Cumes et Fundi reçurent en 334 la civitas sine suffragio, il faut comprendre que, devenues municipes, ces cités se virent offrir une option : celle pour leurs citoyens de s'installer à Rome pour y acquérir par leur établissement prolongé une citoyenneté romaine complète. Mais l'ingéniosité révèle l'artifice : poser l'idée qu'à l'origine tout municeps est citoyen romain dans la mesure où chacun pourrait, par une émigra-
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The Roman Citizenship\ Oxford, 1939, p. 38 et n. 9, p. 40, p. 44, p. 48 = RG, Oxford, 1973, p. 40 sq., p. 47 sq. Pour A. N. Sherwin-White, la condition primitive des cives sine suffragio ou municipes est pratiquement l'équivalent de l'isopoliteia (notam., p. 44 (= p. 47) «mutual exchange of potential franchise »), c'est-à-dire, l'engagement réciproque, entre deux cités politiquement égales, de reconnaître sur son territoire comme citoyens de sa propre cité les citoyens de la cité alliée. Z. Konopka, Les Relations politiques entre Rome et la Campanie, dans Eos, 32, 1929, p. 587 sq. avait tenté d'expliquer en ce sens la «civitas» des Campaniens, et, d'une façon plus générale, Niebuhr, Rom. Gesch. H4, p. 65 sq. avait fait un parallèle étroit entre municipium et isopoliteia. Le point de départ de ces théories est ici encore, principalement, les expressions de Paul (117 L; 155 L) qui semblent envisager une installation à Rome nécessaire à la condition de municeps. D'où l'extrême importance de ces textes. 42 Les Volsques et les Campaniens cités par Paul Diacre au § 1 de sa définition du municipium. 43 Comme E. Manni et G. Tibiletti l'ont compris dans leurs travaux postérieurs à l'ouvrage de A. N. Sherwin-White.
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tion évidemment exceptionnelle, réaliser cette qualité virtuelle, c'est vider de son contenu la notion de civitas sine suffragio et c'est aboutir au paradoxe suivant : les municipes ne deviennent cives qu'au moment où ils perdent leur qualité de municipes; comment alors comprendre la formule de Servius qui identifie municipes (au sein de leurs municipid) et cives? Comment justifier la participation des municipes aux munera des Romains qui est - A. N. Sherwin-White le reconnaît lui-même - la condition de leur qualité de cives, mais qui s'estomperait au moment où ils deviennent cives44? L'impasse ici est de nouveau vite atteinte, non seulement logiquement, mais historiquement. En identifiant pour les origines (IVe-IIIe siècle) municeps (et municipium) et civitas sine suffragio et en donnant à la civitas sine suffragio le contenu si lourd et si mince à la fois d'une soumission aux charges de la cité romaine en l'échange d'une promesse tout éventuelle de la civitas Romana, A. N. Sherwin-White étendit aux Latins fédérés le statut de municipes45 : à eux aussi fut offert le droit d'acquérir la civitas Romana en émigrant - d'où la présence dans la liste de Paul des Lanuvini et des Tusculani, municipes avant d'avoir reçu de Rome la civitas Romana optimo iure. On en déduit que les Latins, avant d'avoir reçu la civitas Romana, étaient des municipes, c'est-à-dire des non-citoyens - citoyens virtuels, supportant déjà les charges des cives Romani, identiques en tout point aux cives sine suffra-
44 C'est ici qu'il nous semble impossible de suivre A. N. Sherwin-White dans son idée d'une civitas potentielle : après avoir bien reconnu, comme l'a fait cet auteur, que les munera des municipes sont le prix de leur civitas Romana, on ne doit pas réduire cette civitas à une promesse de civitas; on ne peut en effet supposer que l'ensemble des municipes d'un municipe 'donné supportera collectivement ces charges pour le prix d'une civitas virtuelle que quelques uns seulement réaliseront - échappant ainsi aux charges des municipes. Il y a certes bien des différences entre la civitas (sine suffragio) des Campaniens et la civitas des Rpmains de Rome et A. N. Sherwin-White a finement analysé certaines de ces différences (on retrouvera plus loin ce problème du contenu de la civitas des municipes). Mais nous pensons que l'analyse de la civitas sine suffragio comme l'expectative d'une civitas complète achevée par l'émigration répond aussi peu à la définition de Paul qu'à la réalité historique des municipes et à celle de la civitas sine suffragio. En fait, l'idée d'une civitas réduite à une civitas potentielle est une astuce de vocabulaire, qui, en apparence, permet de concilier les textes qui reconnaissent la qualité de cives aux municipes et ceux qui la leur refusent; mais cette formule équivoque ne résout rien et a le grave inconvénient de masquer l'originalité du municeps qui, bien plus que d'être un citoyen Romain sans l'être, cumule et la civitas Romana (qui peut être contrairement à ce que Sherwin-White pensa, p. 56 sq. (= RC1, p. 58 sq.) optimo iure) et l'appartenance à un Etat distinct - d'où une spécificité certaine. 45 RC, p. 56 = RO, p. 58 sq.
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gio46; mais, lorsqu'ils reçurent (381 et 338, pour ces deux exemples) la civitas Romana (optimo iure), ils cessèrent d'être des municipes et des municipia47. H n'est guère besoin de la prolonger beaucoup pour montrer que cette conception du municeps se heurte à la tradition historique la plus ferme; l'idée, si subtile, d'une citoyenneté romaine qui n'en est pas une, mais qui en est une cependant dans la mesure où elle est possible, et qui, par ce fait même, impose les obligations des citoyens effectifs, ne nous semble pas très vraisemblable48; peut-on réellement supposer qu'une «potential franchise » accessible en fait à une partie minime de la population, put justifier pour l'ensemble de la population, même d'un point de vue strictement romain, qu'il fût appelé à partager et les charges et le nom des cives
46 RO, p. 57 = RO, p. 60 : exactement, ils avaient la condition de cives sine suffragio sans en avoir le nom : « Latin states would not be given civitas sine suffragio because as Latini they already performed the munera and enjoyed the privilèges which it conveyed - they were municipes». On ne voit pas pourquoi l'auteur n'a pas, dans ce cas, considéré les Latins comme des cives sine suffragio (si ce n'est l'hésitation, bien compréhensible, devant une proposition qui donnerait aux Latins la qualité de cives Romanil mais ces conceptions et le point de départ impliquent cette équation). La position de A. N. Sherwin-White n'est d'ailleurs pas rigoureuse : identifiant municipes et cives sine suffragio au point d'affirmer que les cités latines cessèrent d'être des municipia (cf. note suivante) lorsqu'elles acquirent la civitas optimo iure (RO, p. 57 = RC1, p. 60), identifiant municipia et cités latines (ibid), l'auteur par ailleurs fait des Etats latins une catégorie parallèle aux municipia (RO, p. 44 = RO, p. 47): Ces contradictions et ces réticences s'expliquent par des conceptions de base qui ne nous semblent pas exactes. Il nous paraît en outre abusif de qualifier de munera (au sens de droits et devoirs des municipes) les charges fédérales des alliés latins. On le montrera à propos de l'étymologie du terme de municeps : les charges que les Latins fournissent en tant qu'alliés, pas plus que celles des autres socii non latins, ne sont des munera et ni les uns ni les autres ne sont des municipes. Infra, p. 275 sq. 47 RO, p. 57 = RO, p. 60. C'est en réalité prendre exactement le contre-pied de la tradition historique; car refuser aux cités latines incorporées sous la forme complète de la civitas Rom. optimo iure la qualité de municipia est expressément contredit par Tite-Live (8, 14, 2, à propos de Lanuvium), Paul lui-même (Aricia, Tusculum et Lanuvium); Cicéron (Plane. 19 et Phil. 3, 6, 15 pour Aricia, et Plane. 19 pour Tusculum). 48 Pour A. N. Sherwin-White, une évolution aux étapes imperceptibles aurait provoqué, entre le IVe et la fin du IIIe siècle, une véritable métamorphose de la condition des municipes sine suffragio : devant l'accroissement de la puissance romaine, leur droit de cité propre aurait pratiquement disparu, remplacé par une citoyenneté romaine devenue effective (RO, p. 48 sq. = RO, p. 51). On aimerait savoir à quel moment les cités latines incorporées retrouvèrent leur qualité de municipia (qui ne semble pas pouvoir être niée jusqu'à la guerre sociale) et surtout quelle fut la condition, la raison d'être de l'autonomie de ces cités une fois incorporées (dès le IVe siècle) si on ne leur reconnaît pas celle d'un municipe, c'est-à-dire d'une res publica incorporée dans l'Etat romain. V. encore infra, p. 347, n. 38.
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Romani? Nous ne pensons pas que la définition de Paul Diacre ait cette signification, ni que l'on puisse expliquer, même pour ses origines, le municipium par l'idée qu'il correspondait à une civitas sine suffragio comprise comme une citoyenneté virtuelle49. C'est une conception à certains égards assez proche - en ce qu'elle réduit la civitas Romana des municipia primitifs à une citoyenneté qu'il appartient à chacun de saisir ou de refuser - mais s'en éloigne par la valeur de la citoyenneté offerte à ceux qui l'ont choisie, que l'on doit à Mme M. Sordi50 et que M'. W. Seston confirma récemment en partie, à l'aide d'arguments nouveaux51. 3 - Le Municeps est-il un étranger à qui serait proposée une civitas Romana honoraria? Pour Mme Sordi, la civitas sine suffragio est un privilège honorifique accordé à une cité, en une «récompense collective à titre personnel», qui consiste essentiellement dans le droit, pour un municeps ou civis sine suffragio, de venir résider à Rome sans être soumis à aucune des charges (financières ou militaires) des citoyens romains 52 . Les cités qui reçurent cette récompense collective jouissent d'une citoyenneté romaine potentielle, selon Mme Sordi - qui rejoint ici A. N. Sherwin-White; mais cette citoyenneté n'ayant aucun contenu actuel laisse intactes la souveraineté et l'autonomie de ces villes, ne soumettant pas même aux munera des cives Romani leurs citoyens dans leur ensemble53. Cette citoyenneté romaine, qui en fait n'en est pas une, expliquerait, «dans un certain sens», que les cives sine suf-
49 Sans conserver l'ingéniosité de la construction de A- N. Sherwin-White, F. De Visscher, dans Studi in on. di U. E. Paoli, 1955, p. 249 sq. soutint une conception souple de la civitas qui reflète parfaitement la contradiction des définitions de Paul et de Servius : « le municipiwn se place sur un plan totalement différent du droit de cité » (p. 249), mais, pour la même époque, Servius pouvait «légitimement affirmer que les municipes étaient des cives Romani» (p. 251). On ne se trouve guère avancé. 50 M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e l'origine délia civitas sine suffragio, Rome, 1960, notam., p. 108 sq. 51 W. Seston, La citoyenneté romaine, op. cit. supra, n. 24. 52 Op. cit., p. 110 sq., p. 120 sq. 53 Le contenu de la civitas concédée est devenu, dans la thèse de M. Sordi, presque impalpable : elle n'est pas seulement potentielle, mais elle n'a pas même l'effet actuel de soumettre la cité qui en est la bénéficiaire à ces charges ou ces obligations envers l'Etat romain que A. N. Sherwin-White avait au contraire admises, dès les origines de la civitas sine suffragio.
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fragio énumérés par Paul Diacre (155 L) n'aient pas été des cives Romani, mais qu'en même temps, citoyens honoraires éventuels, Servius (ap. Festus, 126 L) les ait considérés comme des cives Romani54. Quant au contenu de la civitas Romana accordée à ceux qui par leur installation à Rome l'ont rendue effective, Mme Sordi y voit un droit de résidence juridiquement garanti, marqué par Yimmunitas et que l'on peut identifier aux effets de Yhospitium publicum55. Cette conception de la civitas sine suffragio et du municipium exclut pour les origines qu'elle se fût appliquée aux cités latines ou aux Latins immigrés - n'étant pas immunes, leur séjour à Rome n'était pas l'effet d'une citoyenneté honorifique -, ou encore aux cives Romani optimo iure (ici encore, confondus avec les Romains, ils n'ont pas cette immunité indispensable)56; dans le temps même, elle se serait appliquée pendant une période très courte : vraie pour les rapports primitifs entre Rome et Caere, ou pour
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Ibid., p. 120 sq. Ibid., p. 110 sq. Par là, M. Sordi donne à la civitas sine suffragio une origine non romaine, mais en fait une clause caractéristique des traités conclus entre les puissances commerciales de la Méditerranée (ibid., p. 115). La thèse de M. Sordi - en ce qu'elle vit dans le civis sine suffragio et le municeps primitifs le bénéficiaire individuel d'un privilège conférant l'immunité - fut suivie, pour l'essentiel, par E. Meyer, Römischer Staat und Staatsgedanke2, 1961, p. 222 (mais qui réduit l'aspect honorifique); C. Nicolet, L'ordre équestre I, 1966, p. 390; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occid. jusqu'aux guerres puniques, 1969, p. 300 (mais cf. p. 323); adhésion enthousiaste de G. I. Luzzatto, dans SDHI 26, 1960, p. 417 sq., de A. Torrent, La «Iurisdictio» de los magistrados municipales, Salamanque, 1970, p. 10-30 en particulier; de même W.V.Harris, Rome in Etruria, 1971 (pour le cas de Caere uniquement), p.46 sq. G. Tibiletti et W. Seston (ll.cc.) nuancent cette immunité : elle n'aurait été qu'une exemption du service armé. Une thèse ancienne, soutenue il y a plus d'un siècle par Rudorff, dans Berliner Lektionskatalog, 1848-9, suivi par Mispoulet, Instit. Pol. des Romains II, 1883, p. 14, n. 23, par Karlowa, Rom. Rechtsgesch. I, 1895, p. 396, récemment encore par P. De Francisci, Storia del diritto romano II, 1, 1944, p. 19 sq. (avec bibliogr. critique très inexacte) avait déjà associé hospitium et municipium, voyant dans les municipes primitifs des hôtes recevant des présents (munera) du peuple romain. D. Anziani, Caeritum Tabulae, dans MEFR 31, 1911, p. 435 sq. avait identifié civitas s. s. et hospitium, mais sans en rapprocher le municipium ni utiliser les textes de Festus, trop obscurs, selon cet auteur. Mais ont rétabli la signification véritable du terme (au sens de charge) : Madvig, Verfass. und Verwaltung d rom Staates I, 1881, p. 43 = L'Etat rom. I, 1882, p. 48; Mommsen, I.e. ; Marquardt, Rom. Staatsverw. I, 1873, p. 32 =Org. de l'Emp. rom., p. 43; Bouché-Leclercq, Manuel des InsL rom., 1909, p. 175 et n. 2; Kornemann, Municipium, op. cit., p. 573; A. N. Sherwin-White, RC, p. 38 = RO, p. 40, p. 200 sq.; A. Bernardi, dans Ath. 18, 1938, p. 240; E. Manni, Per la Storia..., p. 17; F. De Martino, Storia II2, p. 82; J. Bleicken, dans ZSS 78, 1961, p. 452 sq. (c. r. à l'ouvrage de M. Sordi). 56 D'où la nécessité pour M. Sordi, op. cit., p. 120, d'écarter les Tusculani et Lanuvini, « abusivement assimilés » par Paul aux Campant 55
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les Fundani et les Cumani après 338, cette conception, avant même 31857, dès les années 329, se serait transformée en un procédé d'incorporation, marquée par le refus de l'autonomie et par la soumission aux charges. La thèse de M. Sordi a aussitôt exercé une grande séduction 58 ; rien de plus excitant pour l'esprit que la naissance progressive d'institutions aussi obscures que le municipium et la civitas sine suffragio, créées d'abord sous le signe de la générosité, puis transformées, métamorphosées - sans que la terminologie ne le trahisse en quoi que ce soit - en un instrument de conquête. Prodigieuse habileté que l'on retrouverait au niveau de la civitas Romana : le dogmatisme mommsénien en avait donné une définition rigoureuse, alors que son contenu souple, infiniment riche, aurait permis à la fois de récompenser et de punir, d'honorer et d'assujettir, de privilégier un individu et d'incorporer une cité. On s'inclinera devant l'originalité et la hardiesse; mais on ne peut cacher un doute : est-il bien sûr que les sources prêtent leur appui à cette reconstitution hypothétique ? En aucune façon, on va le voir. Procédons par analyses successives. 1) Pour M. Sordi, les municipes primitifs auraient été des cives sine suffragio immunes59. Tous les témoignages (à une exception apparente près - cf. 4) condamnent cette audacieuse affirmation : ainsi le texte très sûr de Servius (ap. Festus, 126 L) qui place, dès les origines (ab initio), au cœur de la condition municipale la citoyenneté romaine et la participation aux charges60. Les définitions exactement parallèles de Paul Diacre (117 L et 155 L)
57 Dès 318 (ibid., p. 120, n. 1) pour Capoue, M. Sordi plaçant à cette époque l'envoi des praefecti qui auraient marqué la fin de l'autonomie de cette cité. Dès 306 très certainement (ibid, p. 118) d'après la forme et la signification politique de l'extension de la civitas à Anagnia. M. Sordi tait l'épisode de la « romanisation » de Privernum (aux environs de 329; cf. Liv. 8, 19, 8-12), pour laquelle la civitas donnée ne peut pas précisément apparaître comme un honneur! 58 Supra, n. 55. 59 Op. cit, p. 110 sq.; 118 sq. Les exemples seraient fournis par Caere, municipe libéré de toute charge en 390, progressivement soumis aux munera par la suite, et par les cités Campaniennes et Volsques (Cumes, Capoue, Fundi, Formiae), municipes d'honneur et immunes à partir de 338 (334), mais basculant avant 318 dans la catégorie opposée des municipes grevés de charges. La trame historique - sur laquelle on insistera tout particulièrement infra, p. 195 sq. - ne s'y prête pas. 60 On a vu, supra, p. 9 et n. 13 que la restitution du texte de Servius, à l'aide de la définition parallèle de Festus-Paul s'impose. M. Sordi, op. cit., p. 120, en revanche, d'une façon très fragile, tire de la lacune du texte l'idée qu'il définissait des municipes immunes. C'est invraisemblable.
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en font autant à propos des plus anciens municipes (muneris partem capere; in legione merebant; participes ad munus fungendwn)61. L'opposition, dans leur structure, des termes de municeps et d'immunis est d'ailleurs complète. Croira-t-on à une évolution sémantique? Même en l'absence de textes, ne pourrait-on pas, en effet, imaginer que le municeps aurait d'abord été celui qui reçoit des cadeaux (munera capere) et ensuite celui qui supporte des charges (munera capere)? M. Sordi l'affirme 62 ; mais qui se laissera convaincre? On aboutirait à ceci: en 390, les Caerites auraient été les premiers exemples de ces municipes bénéficiaires de récompense (= la citoyenneté honorifique offerte à chacun); en 338/4, les Campaniens et les Volsques, toujours selon M. Sordi, en auraient constitué un autre exemple, puis en l'espace de quelques années on serait brusquement passé (avec les Privernates en 329, et les Campaniens en 318 . . . ) à une conception antithétique, mais sans que la première eût complètement disparu. La reconstitution ne dépasse pas, ici, le jeu de mots. 2) Des témoignages formels (Cic, Pro Plane. 8, 19) placent c o m m e tout p r e m i e r municipium optimo iure l'incorporation de Tusculum dans la cité et les tribus romaines. La date est contemporaire (381) de la soi-disant « municipalisation honorifique » de Caere et on n'a jamais soutenu que les Tusculani municipes et cives Romani aient été exempts des charges des citoyens romains. On conviendra que si en 381 les municipes Tusculani se définissaient par leur participation aux charges romaines, les Caerites, certainement exempts de ces charges à cette date, ne pouvaient, depuis 390, être également qualifiés de municipes. 3) Pour M. Sordi, dès 390, les Caerites, premiers municipes de type privilégié, auraient été portés sur une liste de recensement particulière, les
61 Pour écarter le texte de Paul (155 L) qui, pour des peuples entrés dans la civitas Romana entre 381 (Tusculum) et 338/4 (Lanuvium, Volsques, Campaniens), définit le municipium par des charges (munera), M. Sordi, op. cil, p. 120-1, le fait éclater: elle écarte, comme un abus, le cas des Latins (Tusculum et Lanuvium) ; puis elle exempte des munera les Campaniens et les Volsques (contrairement au texte), distinguant deux étapes (que le texte a de nouveau omis de distinguer) : celle de la citoyenneté sans suffrage honorifique (avec émigration individuelle) et celle de la soumission globale aux charges. 62 Op. cit., p. 110 : le munus honorarium ou le munus capessendum chez Gell., NA. 16, 13 est assimilé à Yhonor civitatis garanti aux Caerites; cette interprétation va contre le sens du texte. En effet, le munus honorarium représente pour Aulu-Gelle la charge des honneurs (les magistratures municipales de son temps: supra, p. 11 et n. 21), et non le cadeau que représenta, pour les Caerites, Yhonor civitatis. Je ne vois pas la possibilité de faire un lien entre le munus des municipes du IIe siècle et le cadeau fait, avec l'immunité, aux Cérites six siècles plus tôt.
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Tabulae Caeritum. Selon cet auteur, la liste aurait recensé les Caerites individuellement émigrés à Rome et dénombrés sur place c o m m e cives sine suffragio immunes63. On a ailleurs relevé les invraisemblances juridiques de cette supposition 6 4 . Le texte de Strabon (Geogr. 5, 2, 3) m o n t r e bien que c'est l'ensemble du peuple cérite qui reçut, à un m o m e n t donné, la civitas, et qu'ils furent globalement inscrits sur ces listes, non pas c o m m e des cives honorifiques ou virtuels, mais en tant que cives sine suffragio bien réels 6 5 . Strabon précise encore que tous les autres cives sine suffragio y furent aussi portés 6 6 ; on a ainsi la preuve que le document n'était pas u n e liste de privilégiés, ni une liste c o m p o r t a n t pour partie des privilégiés individuels et p o u r partie des municipes astreints à des charges 67 , mais tout simplement le d é n o m b r e m e n t général des municipes sine suffragio, recensés pour que leurs obligations militaires et financières puissent être déterminées. Les Caerites y furent les premiers, mais pas du tout, c o m m e le voudrait M. Sordi, en tant que résidents privilégiés. 4) Reste le dernier texte, largement responsable de tant de discussions. Il s'agit du passage d'Aulu-Gelle (N.A 16, 13, 6) relatif aux municipes et aux Cérites. Le texte se compose de deux éléments : u n e définition large du municipe avec l'indispensable référence aux munera68, puis, liée par une particule d'opposition (autem), l'allusion aux premiers municipes sans suffrage, les Cérites 69 . Mais ici le munus a disparu, remplacé en revanche par l'affirmation très nette que c'est une civitas honorifique (honor civitatis) et libre de toute charge, qui fut donnée vers 390 aux Cérites.
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Ibid., p. 40 sq. Notre article, L'incorporation de Caere, dans MEFRA 84, 1972, p. 247 sq. 65 Une simple remarque de bon sens : la civitas s. s. que Strabon a en vue est une civitas romana effective et non honorifique ou potentielle; car, sinon, il ne se serait pas montré surpris qu'elle n'eût pas été optimo iure (aucune citoyenneté honorifique et potentielle, par définition, ne saurait emporter l'exercice de droits politiques). 66 « En leur donnant le droit de cité, ils ne les inscrivirent pas parmi les citoyens, mais même eurent l'habitude de reléguer tous les autres qui ne partageaient pas Visonomia avec Rome (c'est-à-dire la civitas optimo iure avec l'exercice des droits politiques) dans les Tables des Caerites». 67 L'incorporation de Caere, cit, p. 249 et n. 1. 68 Supra, p. 11. 69 Primos autem municipes sine suffragii iure Caerites esse factos accepimus concessumque Ulis ut civitatis Romanae honorem quidem caperent sed negotiis tarnen atque oneribus vacarent pro sacris bello Gallico receptis custoditisque. Hinc Tabulae Caerites appellatae versa vice in quas censores referri jubebant quos notae causa suffragiis privabant. 64
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Il devient impossible (Aulu-Gelle ne s'y efforce m ê m e pas) de faire logiquement le lien entre : la définition gellienne du municipe, la tradition qualifiant les Cérites de premiers municipes sine suffragio, et la condition qu'Aulu-Gelle leur donne aux environs des années 390. La solution est pourtant simple; elle est donnée par Tite-Live (5, 50) 70 , qui, en qualifiant d'hospitium publice factum la récompense d o n n é e aux Cérites après 390, permet de la retirer du débat. Cet hospitium, qui correspond pour l'essentiel à la description qu'a recueillie Aulu-Gelle, n'a rien à voir avec la qualité de municeps ou de civis sine suffragio) là se trouve le tort d'Aulu-Gelle : il a contracté abusivement en un seul m o m e n t deux épisodes distincts des relations romano-cérites. En 390, des relations publiques d'hospitalité sont établies, qui peuvent, à la rigueur, déboucher sur l'idée d'une citoyenneté honorifique - le rapprochement fait par W. Seston entre la table d'hospitalité de Herrera et la condition des Cérites est tout à fait convaincant 71 . Mais il est certain que Caere ne devint pas alors romaine, ni municipium et qu'elle ne supporta aucune des charges de la citoyenneté, inséparables de la condition de municipium. La « municipalisation » qui va globalement romaniser Caere, faire porter ses habitants, en tant que cives sine suffragio, sur les Tabulae Caeritum, les soumettre aux munera des municipes, trahir de la sorte l'ingratitude de Rome 7 2 , doit être, pour d'autres raisons, repoussée en 350 73 , soit u n peu plus de 10 ans avant que la Campanie, et avec elle la première cité d'Italie, Capoue, connaisse le m ê m e sort. On reconnaîtra, pour conclure, que ni l'exemple de Caere, ni la définition de Festus, ni celle de Servius, ni m ê m e celle d'Aulu-Gelle attentivement 70
Cum Caeretibtis hospitium publice jieret, quod sacra populi Romani ac sacerdotes recepis-
sent... 71
Dans la table d'hospitalité de Herrera de Pisuerga (14 ap. J.-C, AE. 1967, 239) la «civitas honoraria» des Maggavienses est accordée à un certain Amparamus, bénéficiaire de la convention d'hospitalité dont la table conservait le texte et la preuve. Cette civitas honoraire, comme M. W. Seston, La citoyenneté romaine, op. cit., l'a montré, est potentielle : Amparamus n'en bénéficiera que s'il vient s'installer chez les Maggavienses. L'extrême intérêt de cette table est de révéler l'existence d'une expression certainement romaine et devenue stéréotypée au début de l'Empire, donc de prouver qu'il exista, sous la République, une forme romaine de citoyenneté honorifique (cf. infra, n. 74). Il y en a des exemples chez Tite-Live, même très archaïques, on le verra, infra, p. 174 sq.; mais on ne peut comparer citoyen d'honneur et municeps, moins encore les identifier à l'origine. Voir également infra, p. 135 sq. le rapprochement que l'on suggère entre Yhospitium publicum et Yisopoliteia. Hospitium publicum et civitas honoraria ne se confondent pas; mais dans la table d'Herrera, l'effet de la convention d'hospitalité a été spécialement de conférer une civitas honoraria. Infra, n. 74. 72 Strabon, Geogr. 5, 2, 3. Cf. L'incorporation de Caere, op. cit, p. 245 sq. 73 Ibid. et infra, p. 405 sq.
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relue, ne peuvent être invoqués pour r a m e n e r à une condition primitivement unique trois institutions que l'histoire et le droit ne permettent pas de confondre : d'une part, l'hospitalité établie entre deux cités indépendantes, assurant aux nationaux de l'une et de l'autre des parties contractantes un droit de résidence juridiquement garanti et l'immunité; en second lieu une citoyenneté honorifique (avec ici encore une immunité qui va de soi), concédée à quelques citoyens étrangers ou à une élite locale 7 4 ; enfin, très différemment, la conversion en municipium d'une cité autonome et la transformation de ses propres citoyens en cives Romani (cum ou sine suffragio). Ce procédé d'incorporation est global et il ne suppose, dès ses origines (IV e siècle), aucune émigration individuelle : Servius et Festus nous en ont convaincu. Reste, il est vrai, à expliquer, à notre tour, le texte de Paul Diacre, où l'on a vu d'une façon absolument générale dans la seule expression « cum Romam venissent», isolée de son contexte, l'allusion à u n e étape primaire : on ne serait d'abord devenu municeps qu'en venant volontairement à Rome se soumettre à ses charges. L'interprétation s'impose-t-elle? 4 - L'émigration à Rome et la négation de la civitas Romana sont des expressions trompeuses. L'ensemble de la définition de Paul Diacre. Devant la variété des interprétations, il p e u t sembler superflu d'en apporter personnellement u n e autre. Nous l'oserons pourtant, convaincu c o m m e chaque auteur en a à son tour convenu, que sur un point ou sur un
74 L'hospitium publicum et la citoyenneté honorifique sont, juridiquement et politiquement, à distinguer, par hypothèse. L'hospitium publicum établit un droit de séjour juridiquement garanti et privilégié et, peut-être (cf. infra, le rapprochement que l'on a tenté entre cette institution et Yisopoliteia), le droit d'acquérir, par une installation définitive, une citoyenneté effective, qui n'emportera plus aucun privilège. Sur la notion de citoyenneté honorifique, il convient de s'entendre avant de s'y référer : elle peut créer un citoyen d'honneur, c'est-à-dire jouissant des privilèges de la citoyenneté sans en supporter les charges (sous cette forme aucun exemple romain ne peut être fourni), ou bien, très différemment, elle peut qualifier la citoyenneté effective, offerte honoris causa, à titre d'honneur ou de récompense, à un étranger qui l'acceptera ou non. Elle est alors une citoyenneté virtuelle qui n'emporte par ellemême aucun privilège, pas plus tant qu'elle reste une offre non acceptée (elle ne rendra pas civis Romanus l'étranger à qui on « donne » (= on propose) honoris causa la civitas Romand), qu'après son acceptation (s'il l'accepte, le gratifié devient civis Romanus comme les autres). On ne peut donc parler d'une civitas honoraria, à Rome, qu'en se référant à la source (ou aux motifs de la concession) et non au contenu de cette citoyenneté. Voir infra, p. 174 sq. les exemples historiques de concession honorifique de la civitas Romana, La civitas honoraria d'Amparamus {supra n. 71), en vertu d'une convention d'hospitalité, doit probablement être rattachée à ce type.
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autre, le texte de Paul doit être corrigé. Nous ne suivrons pas une méthode différente, en essayant toutefois de corriger l'ombre déformée de Festus par Festus lui-même. Voici tout d'abord la traduction que l'on proposera : « On appelle municipium cette catégorie d'individus qui, du m o m e n t qu'ils étaient venus à Rome sans être citoyens romains, participèrent cependant en tout aux charges des citoyens Romains, sauf pour le droit de suffrage ou l'exercice des magistratures; ainsi le furent les F u n d a n i . . . qui, après u n certain nombre d'années, acquirent la citoyenneté romaine ». « On emploie en second lieu le m o t municipe lorsque l'on définit cette catégorie d'individus dont la citoyenneté est venue entièrement dans la citoyenneté romaine : ainsi les Aricini, les Caerites, les Anagnini». « Enfin, lorsque l'on définit cette catégorie d'individus qui sont venus à la citoyenneté romaine de sorte que leurs municipes respectifs furent constitués p o u r chaque cité et chaque colonie, comme les Tiburtes, Praenest i n i . . . ». A) La soi-disant installation à Rome est, à peu de choses près, la répétition de la même expression que Paul Diacre avait introduite dans la définition de Servius pour décrire de façon concrète le droit de cité limité des municipes (117 L - supra, p. 14 sq.). Sans doute cette signification apparaîtelle moins nettement ici, et la traduction donnée ne dissimule pas cette ambiguïté. En effet, alors que dans 117 L le rapport des temps et la construction de la phrase conféraient à la venue à Rome une seule valeur possible, celle d'introduire les mots quibus non licebat magistratum capere sed tantum muneris partent, et non la qualité de municipes, ni leur condition de cives Romani, ni leurs charges, le texte est ici plus équivoque : il ne distingue pas chez les municipes une condition qui serait définie indépendamment de leur séjour (ou installation) à Rome, mais se place exclusivement dans l'hypothèse de leur présence à Rome p o u r décrire leurs droits limités et leurs devoirs. Deux interprétations sont alors grammaticalement possibles : p o u r l'une, la qualité de municeps et sa participation au munus des Romains supposent sa résidence à Rome; p o u r l'autre, le municeps est celui qui, quand il vient à Rome, ne peut partager les droits politiques des Romains (remarquons que le ius suffragii ferendi aut magistratus capiendi n'a de sens qu'à Rome même), bien qu'il ait tout en c o m m u n avec eux. De ces deux interprétations possibles, nous choisirons sans hésiter la seconde. Elle a pour elle de s'accorder seule avec le texte le plus sûr, celui de Servius qui, par définition, avait exclu qu'un municeps fût à l'origine nécessairement un émigré isolé; elle correspond en o u t r e exactement, de cette façon, à l'autre définition que Paul lui-même avait donnée, à partir des
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mêmes exemples en partie. Le rapprochement mot à mot est éloquent 75 . Ajoutons, enfin, qu'elle a pour elle l'avantage immense, qui suffirait à lui seul, d'avoir la caution des sources antiques et de faire l'économie des spéculations que l'on a vues sur la préhistoire du municeps, dont l'inconvénient majeur est de supposer toujours une transformation profonde de l'institution dès que l'on sort de cette préhistoire pour entrer dans son histoire. Il est vrai, et ceci nous introduit dans la seconde difficulté du texte, qu'à la différence de toutes les autres définitions conservées, Paul ici dénie à ces municipes la qualité de cives Romani. B) La soi-disant négation de la civitas Romana. C'est une affirmation à la fois fausse et abusive. Pour ce qui est des Tusculani et des Lanuvini, elle est fausse, car, on Ta déjà montré, il est historiquement impossible de supposer, comme l'ont fait Mommsen, A. N. Sherwin-White, E. Manni et G. Tibiletti, qu'avant d'obtenir la civitas Romana (optimo iure en 381 et 338, pour ces deux cités), les habitants des cités latines aient été des municipes. En effet, les Latins, avant de recevoir la civitas Romana, n'ont jamais supporté les charges des cives Romani, leurs munera\ les villes latines de la République (cités fédérées comme Tibur, ou colonies comme l'étaient la plupart des cités latines) ne connurent jamais durant toute la République la condition de municipium, quel que fût le poids de leur soumission à l'autorité romaine76; jamais, enfin, à l'époque historique -
75 Municipium id genus hominum dicitur, qui cum Romam venissent (Municipes erant qui ex aliis civitatihus Romam venissent) neque cives Romani essent, participes tarnen fuerunt omnium rerum ad munus fungendum una cum Romanis civibus praeîerquam de suffragio ferendo aut magistratu capiendo... qui post aliquot annos cives Romani effecti sunt (quibus non licebat magistratum capere sed tantum muneris partem... qui et cives Romani erant, et in legione merebant sed dignitates non capiebant), sicut... Cumani, Acerrani (ut fuerunt Cumani, Acerrani... ). Il n'y a aucune différence de sens entre participes omnium rerum una cum civibus Romanis et muneris partem : « partageaient en tout le poids des charges avec les Romains » et « supportaient leur part» (et non une fraction). Dans les deux définitions, l'expression de partem capere se retrouve. 76 H y eut sans doute quelques abus de langage : un exemple (unique) chez Tite-Live 26, 8, 10 : per Appiae municipia quaeque propter eam viam sunt, Setiam, Coram, Lavinium; seule cette dernière est un municipe; les deux précédentes sont des colonies latines (leur constitution rV-virale après la guerre sociale atteste qu'elles ne reçurent la condition de municipium qu'en vertu de la lex Iulia de 90 - cf. K. Beloch, RG, p. 488 sq.). Mommsen invoqua (Staatsr., III, 1, p. 232) un passage de la lex Agraria de 111 (FIRA I, p. 103 sq. 1. 31) à l'appui de sa thèse en faveur de l'existence de municipes latins sous la République : mais, Kornemann, RE, Munici-
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et les exemples de Paul ou de Festus l'attestent - le Latin émigré à Rome ne fut appelé municeps. Si les Romains ne confondirent pas à l'époque historique colonie latine et municipium, Latin et municeps, peut-on d o n n e r au municipium originel une signification juridique large - mais elle aurait laissé des traces dans l'étonnante continuité qui m a r q u a la condition des Latins -, et un contenu vaste aux lignes peu fermes à l'origine - en dépit de la rigueur que l'analyse de Servius exprime -, alors que le terme et l'institution évolueront dans une direction exactement inverse 7 7 ? Dans la définition de Paul telle qu'elle est, la présence des deux cités latines est donc de trop. Personne, d'ailleurs, n'a jamais douté que ces deux exemples ne sont pas à leur place, puisque les Lanuvini et les Tusculani latins, puis romains, ont toujours disposé du ius suffragii ferendi7* que le texte leur refuse. Paul, d'autre part, a certainement trouvé ces exemples dans son modèle, Festus, qui les avait cités, nous le pensons, comme des cas de municipia jouissant de la civitas Romana optimo iure. On verra plus loin où put être leur place dans le texte primitif, et pourquoi Paul les a cités à cet endroit. Pour ce qui est des Fundani, Formiani, Cumani et Acerrani, la négation de la civitas Romana est abusive. En effet, Paul se contredit deux fois. Explicitement, puisqu'à la définition tout à fait identique du municeps (117 L) il reconnaissait la qualité de cives aux Cumani et Acerrani que l'on retrouve ici. L'idée d'une évolution de l'une à l'autre est sans consistance puisque Servius avait choisi précisément le cas des Cumani et des Acerrani p o u r définir les municipes à l'origine et mettre l'accent sur leur civitas Romana. Mais Paul se contredit même implicitement, et donne là un indice très net de ce qu'il entendait exprimer : s'il avait voulu décrire la condition de municipes non cives, aurait-il insisté sur l'absence chez eux des droits politiques qui sont le propre de la citoyenneté la plus achevée? C'eût été absurde; la précision praeterquam de suffragio ferendo aut magistratu capiendo n'a de sens que si, dans l'esprit de Paul, les municipes étaient cives Romani79, mais de façon incomplète, sans le ius suffragii. Ajoutons que Paul
pium, 1933, c. 584, l'a bien montré, les termes nominisve latini se réfèrent à coloniis et non à municipiis ([Sei qui colonieis moijnicipieis seive quae pro moinicipieis colo[nieisve sunt civium Romfanorum)] nominisve Latini... ). V. encore K. Johannsen, Die lex agraria 111 v. Chr. Diss. München, 1971, p. 273. 77 Vers un assouplissement : le municipe latin notamment qui apparaît à la fin de la République. 78 Sur ce droit des Latins, infra, p. 99 sq. 79 Cf. de même P. A. Brunt, Italian Manpower, 1971, p. 526.
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dut, de plus, trouver cette formule praeterquam. .. chez son modèle; elle remonte sans doute à Servius qu'on ne peut évidemment accuser d'une incohérence semblable; celui-ci avait seulement fait allusion aux droits limités des municipes, privés du ius suffragii et magistr. capiendi, et c'est Paul qui a mal traduit cette citoyenneté incomplète par une négation, provisoire, de la civitas. On put faire à Mommsen le reproche d'avoir, en une formule non romaine, qualifié de demi-citoyens les cives sine suffragio80; l'expression de Paul est à peine plus grave : neque cives Romani essent... post aliquot annos cives Romani effecti sunt - ils sont devenus citoyens un peu plus tard, sous-entendu, évidemment, optimo iure : ce qui est confirmé par l'annalistique, si l'on pardonne à l'abréviateur du VIIIe siècle d'avoir, avec le recul du temps, ramené à «un certain nombre d'années» les quelques 150 ans que dura, pour les Fundani, l'attente du ius suffragii81. Concluons : dans ce premier paragraphe, Paul Diacre a défini le municipium en insistant sur les mêmes éléments que pour le municeps; sous une forme deux fois trompeuse, on y retrouve et la soumission aux charges et la civitas sine suffragio qui ne donne pas, à Rome, les mêmes droits qu'aux Romains. Les noms cités en exemple sont des noms de peuples ou de villes désignés dans leur collectivité (tous les Fundani ou tous les Cumani forment ce genus hominum appelé municipium, et non une fraction, celle qui séjournerait à Rome) : ces noms sont ceux de municipia. Municipium dans cette définition ne semble donc pas avoir le sens abstrait, jusqu'ici non attesté, de « droit » (« droit de municipe ») ou de « condition juridique » (celle des municipes)82 : on peut se dispenser de recourir à cet hapax et on peut
80 P. Fraccaro, par exemple, dans L'organizzazione politica dell'Italia Romana, Congress. Int di dir. rom., Roma, 1933, I, p. 199-200 - Opuscula, I, Pavie, 1956, p. 107. 81 Peu d'auteurs ont compris le neque cives Romani comme étant la civitas sine suffragio : ainsi cependant Marquardt, Staatsverw., 1873, p. 32, n. 8 (= ohne Vollbürger zu sein, correction introduite à la suite du rapprochement des deux autres définitions de Festus et de Paul) = Org. de l'Emp., I, p. 43, n. 6; de même A. Bernardi, / «cives sine suffragio», Ath., 16, 1938, p. 241 sq. (mais qui, partisan d'une immigration individuelle primitive, pense que ces «cives sine suffragio » sont des immigrés italiens (avant 338) qui, par leur résidence, ont après quelques années obtenu la civitas o.i). F. De Martino, Storia IF, p. 85, en revanche, à propos de cette lecture : « Taie interpretazione è inammissibile, perché urta contro il chiaro dettato del testo » : mais la référence au ius suffragii dont sont privés ces municipes soi-disant non-cives n'est pas moins claire. 82 Pas un seul exemple, dans les colonnes du Th. LL V° municipium, d'un emploi de municipium dans une acception comparable à civitas (droit de cité, condition juridique des cives).
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conserver à ce t e r m e sa valeur classique de ville ou de collectivité, définie ici par la condition j u r i d i q u e de ses m e m b r e s 8 3 - ce qui est parfaitement normal puisqu'elle est d o n n é e par rapport à Rome 8 4 .
C) 155 L, § 2. Ici de nouveau bien des quand il s'est agi de déceler Paul Diacre (ou Festus) les gnini) des précédents, et sur versa in civitatem Romanam n o m b r e d'interprétations :
divergences ont opposé les auteurs m o d e r n e s ce qui distinguait (alio modo) dans l'esprit de trois exemples d o n n é s (Aricini, Caerites, Anala valeur de l'expression «quorum civitas univenire». De fait, on peut écarter un certain
- Il ne s'agit pas d'une catégorie inférieure de municipes, ceux q u e Mommsen appelait «de droit cérite», dont l'autonomie aurait complètement disparu à la suite «de la fusion complète (ou de la dissolution complète) de leur civitas dans la cité romaine». En effet, et on le m o n t r e r a n o t a m m e n t p o u r Anagnia, ces trois municipes ont conservé jusqu'à la guerre sociale les éléments d'une res publica séparée 8 5 .
83 K. Beloch, Il Buna\ p. 117 sq., a bien donné au terme municipium la valeur exacte de «cité dont les membres sont collectivement municipes». Si, en revanche, comme beaucoup l'ont soutenu (Mommsen, Kornemann, A. Bernardi, E. Manni, Badian, G. Tibiletti, M. Sordi, W. Seston - pour A. N. Sherwin-White la qualité de municipes s'étend à l'ensemble de la collectivité -), les municipes énumérés ici par Paul n'étaient que les émigrés individuels, il faudrait donner à municipium la valeur non attestée de condition juridique de municeps; seul Kornemann, RE, 16, 2 (1933) c. 573 alla jusqu'au bout dans cette voie affirmant que la première partie de la définition de Paul décrit le municeps et non le municipium. De fait c'est « la ville ou la collectivité des municipes » qui est ici définie et non « la condition juridique du municeps ». 84 L'expression municipium, id genus hominum definitur n'est pas dépourvue de quelque maladresse (exactement comme si l'on avait colonia, id genus hominum... ) : la ville est définie par la condition de ses membres. Cette maladresse se retrouve tout au long de la définition : au § 2, encore plus nettement (« le municipe, c'est ce type d'homme dont la cité ») (au lieu de : c'est ce type de cité q u i . . . ) avec, comme exemples, trois cas incontestables de municipia au sens strictement classique de ville); de même au § 3. 85 Mommsen, Staatsr. III, p. 235, p. 583, = Dr. Publ. VI, 1, p. 266 et VI, 2, p. 198 et pour Caere Staatsr. II, p. 362 = Dr. Publ. TV, p. 38. Cette position repose sur une interprétation inexacte des Tabulae Caeritum (cf. notre article déjà cité); elle est, pour Aricia, contredite exactement par Tite-Live (8, 14, 3) selon qui Aricia reçut la civitas Romana (en 338) de la même façon que Lanuvium (citée dans le 1er § par Paul) et, pour Anagnia, ne correspond pas non plus à ce que son histoire ultérieure enseigne (infra, p. 290 sq.).
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- On n'y verra pas davantage les 3 étapes - chacune marquée par un exemple - d'une évolution qui, partie d'Aricia, municipe latin et non romain, aurait abouti à Anagnia, type le plus récent et le plus « évolué » des municipes romains. A l'encontre de chacune de ces trois phases trop d'objections peuvent être présentées 86 . - Il n'est pas davantage exact de considérer ces trois municipes comme trois cas de praefecturae et de voir dans le quorum civitas universa. .. l'idée que ces cités furent dépourvues de res publica87. - Ni non plus d'y voir le reflet, dans l'histoire du municipium, d'un tournant : res publicae distinctes, primitivement, et munies du privilège d'une citoyenneté honoraire, ces villes auraient ensuite été converties en municipia et privées de leur autonomie, converties en praefecturae88. S'il y eut une évolution, ce n'est pas, de fait, dans ces trois exemples qu'il faut la chercher comme en autant de jalons. L'explication que l'on proposera est la suivante : entre Aricia qui reçut en 338 la civitas optimo iure et Caere et Anagnia municipes d'abord sine suffragio (depuis 350 et 306) puis optimo iure (à une date inconnue, mais certainement avant la guerre sociale), le seul lien que l'on peut établir, c'est la civitas complète (optimo iure) dont ces trois municipes donnent l'exemple89. L'ordre dans lequel ils sont classés, s'il correspond à quelque chose, peut être celui selon lequel ils accédèrent à cet optimum ius. Ces municipes dont « la citoyenneté fut tout entière reçue dans la civitas Romana» forment un type unique; ils se distinguent autant (alio modo) des municipes du § 1, dont la civitas ne fut que partiellement reçue dans la
86 Thèse soutenue par Beloch {It Bund, p. 117 sq. - mais qu'il ne conserva pas dans R.G., après avoir pour des motifs non valables modifié son sentiment à l'égard de la date de la romanisation de Caere primitivement placée aux environs de 353 -; la thèse ancienne de Beloch fut reprise par E. Manni, Per la storia, p. 28 sq. Contre cette interprétation : Aricia n'est devenue municipe qu'avec sa romanisation {optimo iure) en 338; l'idée que ce fut un très archaïque «municipe» latin n'est pas fondée; or, Caere, en 338, était déjà municipe {sine suffragio); l'évolution chronologique ne se retrouve donc pas; et que signifierait «quorum civitas universa in civitatem... »? 87 Ainsi Schönbauer, Municipium (1949) op. cil, p. 561 sq; Munizipien (1950), op. cit., p. 142. Sur les praefecturae, infra chap. IX. 88 Ainsi M. Sordi, op. cit., p. 118 sq.; de même A. Torrent, La «Iurisdictio» de los magistrados municipales, Salamanque, 1970, p. 33. 89 En ce sens Beloch, RG, p. 377-8 (abandonnant l'interprétation de It. Bund, p. 121, n. 1). La critique faite par G. Tibiletti, Latini e Ceriti, op. cit., p. 246, à cette lecture, sous le prétexte que si le § 2 se réfère aux municipes optimo iure, le § 3 devient inutile, n'est pas à retenir.
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civitas Romana (le ius suffragii leur était refusé) que de ceux qui, bien différemment (tertio modo), sont parvenus à la civitas (optimo iure) lors de la conversion générale en municipes des colonies latines et des cités fédérées. Ce fut précisément à ce troisième type que Paul consacra la fin de sa définition. D) 155 L, § 3. L'interprétation d u texte présente quelque difficulté : la traduction littérale donne : « le municipe c'est, troisièmement, quand on définit cette catégorie d'hommes qui accédèrent à la citoyenneté romaine de sorte que leurs municipes respectifs appartenaient à chaque cité et colonie» (uti municipia essent sua cuiusque civitatis et coloniae) ce qui dans une langue acceptable ne peut signifier que ceci : « . . . de sorte que, pour chacun, chaque cité et chaque colonie eut son propre municipe » ou encore, « de sorte que leurs municipes respectifs furent constitués pour chaque cité ou colonie». Si la formule est un peu compliquée, la signification historique de cette troisième étape est assez claire : il s'agit de l'effet de l'extension à toute l'Italie de la civitas Romana et de sa municipalisation, par la transformation de chaque civitas (sous-entendu foederata - qu'elle fût latine ou non) et de chaque colonia (latine exclusivement) en un municipium, avec, comme les recherches de Beloch, confirmées par celle de Rudolph, l'ont établi, une constitution IV virale, c'est-à-dire la constitution municipaletype 90 . De fait, les exemples rapportés par Paul correspondent tout à fait à cette interprétation; parmi les dix villes qu'il énumère, cinq furent civitates jusqu'à la guerre sociale, soit latines, c o m m e Tibur et Préneste, soit seulement sociae c o m m e Pisae, Urbinum et Nola; les cinq autres noms sont ceux de colonies latines (Bononia, Placentia, Nepet, Sutrium, Luca) 91 , devenues romaines en 90. Or des preuves épigraphiques ou littéraires, utilisables pour la plupart de ces villes, attestent qu'elles devinrent des municipia lorsqu'elles accédèrent à la cité romaine 9 2 ; le fait de trouver parmi ces cités
90 Beloch, RG, p. 488 sq.; H. Rudolph, Stadt und Staat im röm. Italien, 1935. Corrections et compléments notamment de A. Degrassi, dans Amministrazione, p. 310. 91 Le texte : Lucrences - Il y eut sans doute une colonie latine à Luca : en ce sens Bormann, CIL XI, p. 295; Honigmann, RE 13, 1927, v° Luca, c. 1537; L. Banti, Luni, 1937, p. 112. 92 Tibur : ses IVviri attestent qu'elle ne devint municipium qu'après son accession, en 90, à la civitas Romana; l'importante inscription, datée de 159 av. J.-C. (CIL F, 586 = CIL XIV, 3584 - ILLRP 512) confirme bien, s'il en était besoin, par les termes employés par un magistrat
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les noms de vieilles villes latines comme Tibur et Préneste ou de cinq colonies latines nous semble être la preuve la plus nette que la conception mommsénienne du municipe soi-disant latin est sans fondement. Les cités latines ne devinrent municipia qu'avec la civitas Romano, Il n'est pas utile d'insister, pour la rejeter, sur une autre interprétation qui, proposée par Niebuhr et suivie par Mommsen, fut récemment reprise par Schönbauer; elle corrige le texte (en uti municipes essent suae cuiusque civitatis et coloniaé) sans autre motif que le désir d'en rapprocher une définition d'Ulpien, qui, d'ailleurs, signifie autre chose93, ou pour introduire
romain - exprimant le point de vue de Rome - que la ville latine n'était pas alors un municipium (cf. res publica vestra; vos; Tiburtes) - Praeneste : on ne dispose pas de renseignements sur le court intervalle qui sépara l'accession à la civ. Rom. (en 90) et la déduction de la colonie syllanienne en 82; la ville dut avoir alors le statut de municipium (cf. Florus 2, 9, 27 et Gell., 16, 13, 5, sous Tibère : ut ex colonia in municipii statum redigerentur); en ce sens Dessau, CIL XIV, p. 289 sq.; H. Rudolph, Stadt und Staat, op. cit., p. 89, n. 2 et 151; la partie historique chez Radke, RE 22, 1954, v° Praeneste est inexacte; les inscriptions nouvelles (cf. A. Degrassi, Epigraphica TV, Atti... Lincei, Mem. VÜ*I, 14, 1969, p. 112 sq. n'apportent pas de précisions sur cette courte période) - Pisae (RE 20, 1950, v° Pisaé) : municipe probablement après 90 (cf. CIL XI, p. 273); de même pour Urbinum; à Nola (cf. A. Degrassi, Hviri e TVviri... = Scritti I, p. 104106), deux noyaux urbains après la guerre sociale : à côté de la colonie syllanienne, les veteres Nolani (CIL X, 1275) qui conservèrent certainement la constitution municipale obtenue en 90; Bononia, ancienne colonie latine obtint sans doute (pas d'inscriptions) la constitution municipale en 90; pour Placentia, ancienne col. lat., municipe avec TVviri après 90 (cf. Beloch, RG., p. 500 et surtout A. Degrassi, op. cit, = Scritti I, p. 115); Nepet et Sutri, anciennes colonies latines, eurent sans doute le même sort, comme Luca : Cic, ad Fam., 13, 13, la désigne comme un municipium. Si beaucoup de ces cités devinrent des colonies romaines par la suite (sous Sylla, comme Nola et Praeneste; sous Auguste, comme Placentia, Bononia, Luca (?), Sutri (ou César) Pisae (ou César), trois cités échappèrent à la déduction coloniale (Tibur, Urbinum, Nepet), ce qui confirme que l'on ne peut, après avoir corrigé le texte, y voir l'idée que cette catégorie de municipe se rapporte à l'extension abusive aux coloni (et coloniaé) du terme de municipes (ou municipia). 93 Ulp., Dig. 50, 1, 1; sur ce texte, supra, p. 12 et n. 22. Mommsen, Staatsr. III, p. 235, n. 1 = Dr. Publ. VI, 1, p. 266, corrigea, comme Niebuhr, le texte de Paul, afin de ruiner son témoignage; interprété comme il aurait dû l'être, il allait en effet précisément contre sa propre conception du municipe, et pour deux raisons : 1) Ce texte établit que les cités non romaines sont devenues des municipia avec l'acquisition de la civitas Romana; première objection de Mommsen (Dr. Publ. VI, 1, p. 264) : «le nom de municipe attribué à des cités de citoyens complets est un abus et une incorrection », et, après avoir corrigé le texte de Paul, Mommsen en rapprocha le texte d'Ulpien (qui se réfère à un usage postérieur de plus de 3 siècles et demi et qui, de toutes façons, ne signifie pas du tout ceci) ; 2) le texte de Paul établit en second lieu qu'avant la guerre sociale, les colonies et les cités latines n'étaient pas des municipia; mais pour Mommsen, si les cités latines ont, après 90, porté le nom de municipia, c'est parce
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l'idée non-romaine d'une double citoyenneté94. Le texte de Paul d'ailleurs, du début à la fin, s'est attaché à définir le municipium, compris comme cité ou collectivité d'un statut déterminé; il ne s'était pas jusqu'ici égaré de son propos; pourquoi aurait-il conclu son bref exposé par un excursus relatif aux municipes?95.
CONCLUSION Au terme de cette définition, on en saisit l'enchaînement. Le plan n'est sans doute pas d'une originalité extrême, mais il est assez cohérent, ce qui est déjà beaucoup. Dans le 1 er §, définition (et exemples) des municipia qui ont joui de la civitas Romana sine suffragio. C'est un premier type et il cor-
qu'elles conservèrent comme une réminiscence historique leur titre authentique de municipium (Staatsr. lu, p. 234, n. 1 = Dr. Publ VI, 1, p. 262, n. 3). L'argument est sans valeur, car les cités fédérées non latines ont reçu le même titre à la même occasion. Il ne s'agit donc pas d'une réminiscence. En raison de sa double portée, on le voit, le témoignage de Paul devait être nécessairement corrigé par Mommsen; ce qu'il n'hésita pas à faire pour accommoder les textes à sa théorie du municipe. 94 Ainsi Schönbauer, Munizipien, op. cit, dans Iura 1, 1950, p. 133 sq., notarn. p. 135. Dans une longue démonstration, cet auteur s'est efforcé de prouver que le municipium, sans être du tout une cité incorporée dans la civitas, est un rapport de droit international, sur un pied d'égalité, donnant aux municipes une double citoyenneté. Les dix villes citées par Paul auraient eu, après la guerre sociale, le privilège d'échapper à la réduction à l'état de ville incorporée (sens nouveau de municipium) et d'accéder à la condition ancienne et honorifique du municipium. La concession de la civitas Romana à ces villes marquerait « eine Standeserhöhung im Sinne einer Angleichung an das mächtige Rom», dont les habitants seraient devenus municipes cuiusque civitatis = de Rome et de leur propre cité. Il n'y a sans doute rien à retenir de cette construction artificielle, elle ne s'accorde pas même avec le texte. Moins forcée apparaît l'interprétation de Gradenwitz, dans Heidelberg. Akad., 1915, 9. Abt, p. 38 sq. : adoptant la correction de Niebuhr, il interpréta le texte comme se référant aux habitants des colonies latines qui auraient acquis la civitas Romana : ils seraient municipes de leur cité et cives Romani; ils auraient ainsi une sorte d'origo locale. L'idée est séduisante et des passages célèbres de Cicéron pourraient lui apporter confirmation. Mais cette interprétation suppose une correction du texte et surtout, même ainsi, elle ne conviendrait que si les cités énumérées étaient toutes latines, ce qui n'est pas le cas pour plusieurs (v. pour cette objection Kornemann, Municipium, op. cit, c. 574). 95 Pour Schönbauer, le, tous les exemples cités par Paul seraient des exemples de municipes et non de municipia au sens de Gemeinden pour la raison que l'on y trouve Caeretani ou Tiburtes et non Caere ou Tibur. Mais cette forme est la plus fréquente dans la littérature romaine.
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respond en m ê m e temps à la phase la plus ancienne : à la fois p a r la date de création des divers municipia (milieu du IVe siècle), à la fois parce que cette catégorie disparut la première par l'accession au droit de suffrage avant la guerre sociale. Cette accession amena la transformation dans le deuxième type (§ 2) (municipia optimo iure), étape ultérieure (notamment p o u r Caere et Anagnia qui ont connu la première phase). Enfin la troisième forme et la troisième phase : la municipalisation des colonies latines et des cités fédérées. Le plan est donc à la fois logique et chronologique 9 6 ; ou plutôt il voulait être à la fois logique et chronologique, ce qui n'est que rarement possible : d'où une distorsion rendue nécessaire; elle explique la présence dans le 1 er § des deux municipes de Tusculum et de Lanuvium. Par leur date, ils étaient à leur place; par leur type, ils auraient dû figurer aux côtés d'Aricia, de Caere, d'Anagnia. Rassemblons en un schéma l'enseignement de ces diverses définitions. Dès ses origines, le municipium apparaît c o m m e u n e ville constituant un Etat distinct, intégré dans la civitas Romana, et dont les habitants sont les municipes. C'est au sein du municipe qu'ils accomplissent leurs munera. Si l'exemple le plus clair d'une res publica distincte est fourni par les municipes sans suffrage, des cités incorporées complètement (en ce sens que leur intégration leur ouvrit complètement l'accès à la civitas Romana) ont, dès les origines, formé un type de municipium. Les exemples fournis permettent de placer ces origines au IV e siècle (Tusculum, pour un type, Caere pour un autre, selon Aulu-Gelle). Dès lors l'institution se présente avec une spécificité que l'histoire ne démentira que tardivement, sous l'Empire. Sous la République, en revanche, aucun élément des définitions conservées ne permet de dénaturer l'originalité du concept de municipe et la netteté de ses contours, en niant ou la civitas Romana ou le maintien d'une res publica ou la charge des munera ou en affirmant la nécessité primitive d'une émigration individuelle. Il est peut-être téméraire de vouloir fixer à une institution un commencement; pourtant les exemples qui ont
96 Kornemann, Municipium, op. cit., c. 574, s'était prononcé pour un classement purement chronologique, mais dont les étapes ne nous paraissent exactes que pour la dernière (esquissée comme se référant aux cités et colonies devenues municipes en 90) : la première était en effet conçue comme une phase « prémunicipale » (des municipes émigrés à Rome, avant l'existence de municipia) et la deuxième comme se référant simplement aux municipia antérieurs à la guerre sociale (venus entièrement, le. avec tous leurs habitants, dans la civ. Rom.).
MUNICEPS ET MUNICIPIUM CHEZ FESTUS ET PAUL DIACRE
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illustré ces définitions établissent une limite chronologique bien nette : les plus anciens municipes et tous les cas cités remontent au IVe siècle. Pourquoi? Non seulement l'histoire, mais la préhistoire, c'est-à-dire les précédents historiques du municipium permettront d'en apprécier l'originalité et d'expliquer son apparition : le jour où les Romains conçurent que l'on pouvait étendre le nom romain sans détruire les villes, sans déplacer les populations conquises, le jour aussi où ses forces lui permirent d'abandonner le vieux principe de l'alliance égale au profit de l'annexion. Une fois retracés ces précédents, à nos yeux indispensables, on demandera aux historiens de Rome de restituer l'histoire des municipes, c'est-à-dire de confirmer ou de corriger et surtout d'expliquer dans toutes ses articulations le schéma très net que les définitions des lexicographes ont permis de poser comme hypothèse de départ.
DEUXIEME PARTIE
LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
Intégration, fédération : le municipe est né de la fusion de ces deux procédés, qui ont marqué de leur rythme les conquêtes latines de Rome. Si le premier débouche sur une extension du cadre territorial l'accroissement du nombre des tribus rustiques -, le second respecte l'autonomie des partenaires dans une politique de défense commune. On parlera moins d'extension, dans ce cas, mais plutôt d'échanges : migrations individuelles, colonisation mixte, isopoliteia, hospitiwn publicum Il n'est pas question, il va de soi, de retracer les formes de la conquête ou ses étapes, pour introduire l'histoire du municipe. On se limitera, dans un premier point, à définir historiquement les phases d'accroissement par absorption, et à les distinguer des périodes d'autonomie mutuellement respectée dans le cadre des ligues. Les précisions chronologiques - elles nous semblent indispensables -, auxquelles on parviendra, illustreront l'individualité de chacun de ces procédés : ils ne coexistent pas, mais se succèdent ou alternent. Visopoliteia, qui permit aux historiens grecs de Rome de caractériser d'un mot la complexité des ligues latines, est en revanche généralement attribuée aux origines du municipium ou identifiée à elles. Puisque l'on ne saurait confondre municeps et foedus Cassianum ou ius Latinum, chez qui se trouve l'expression juste? Avec Xisopoliteia, qui formera notre deuxième point, ce n'est pas un problème d'étiquette qui se pose, mais l'individualité de l'institution municipale comparée à l'esprit du droit latin.
CHAPITRE II
L'EXTENSION TERRITORIALE, DU VI e AU DÉBUT DU IV e SIÈCLE : LE PROBLÈME DES TRIBUS RUSTIQUES
La progression des forces de Rome, jalonnée par des conquêtes, est ponctuée par la création de tribus qui intègrent dans la cité les terres et les individus. Mais ces conquêtes, dont le récit doit beaucoup à la légende, autant que l'origine des 21 tribus primitives, antérieures aux 4 nouvelles tribus créées en 396 après la défaite des Véiens, ne laissent pas de répit à la critique, tant les problèmes que pose leur histoire paraissent insolubles1. I - LES TRIBUS RUSTIQUES DE L'EARLY ROME, SELON A. ALFÖLDI : APPRÉCIATION CRITIQUE
Carte I Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer la carte du territoire romain établie par L. Ross Taylor à la fin de l'époque royale et celle de A. Alföldi un siècle plus tard, après le milieu du Ve siècle2 : si l'une s'appuie 1
Une partie de la doctrine actuelle, pour des motifs divers, place la création des tribus rustiques en 495 : soit en déplaçant le règne de Servius Tullius (K. Haneil, Das römische eponyme Amt, Lund, 1946; R. Werner, Der Beginn der römischen Republik), soit en établissant un lien entre la création des tribus rustiques et la création du tribunat (A. Magdelain, dans REL, 1971, p. 120 sq.; E. Gjerstadt, dans ANRW I, 1, 1972, p. 180 sq., 184 sq.), soit en inscrivant la création des tribus dans un contexte de réaction patricienne, vers 495 (J. Ellul, dans Index 3, 1972, p. 155 sq.). F. De Martino, en revanche, dans ANRW I, 1, 1972, p. 230 sq., défend la tradition qui fait remonter à l'époque royale et les tribus urbaines et un certain nombre de tribus rustiques. Sans entrer dans la discussion de ce problème, nous suivrons cette thèse traditionnelle, pour deux raisons : d'abord parce que le nom des tribus (noms de personnes, noms de heu) semble refléter deux étapes - cf. A. Alföldi, cit. infra, p. 51, 58 sq., 73 sq. -; ensuite parce que le problème principal, pour nous, est davantage de retrouver l'extension territoriale de Rome, plus que l'organisation politico-administrative du territoire au cours de cette période. Nous tenterons de montrer que la création des tribus rustiques s'est faite en deux moments : à l'époque royale, puis en 493 environ. 2 A. Alföldi, Ager Romanus antiquus, dans Hermes 90, 1962, p. 187 sq., repris dans Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1965.
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
s u r la tradition annalistique, la s e c o n d e se fonde sur sa critique. La prem i è r e décrit un territoire qui englobe les deux rives du Tibre jusqu'à la mer, c o m p r e n d les m o n t s Albains, frôle Aricia, Tusculum, Gabii, Frégènes, en un tout réparti e n t r e 19 ou 20 t r i b u s rustiques 3 ; la seconde, en revanche, n'attribue à l'époque royale qu'un t e r r i t o i r e restreint, limité à u n rayon de 4 à 6 milles a u t o u r de Rome et b o r d é p a r le Tibre d o n t la rive droite serait e n c o r e étrusque. La grande extension, p a r la création de onze nouvelles tribus, devrait être, avec A. Alföldi, décalée, repoussée de plus d'un siècle, a p r è s 450 et avant la fin du Ve siècle 4 . L'exceptionnelle originalité de la construction a été diversement acceptée; accueillie p a r certains savants 5 , rejetée par d'autres p o u r des raisons qui prononcent u n e condamnation qui n'est peut-être pas sans recours 6 , cette thèse bouleverse considérablement la chronologie traditionnelle; plus
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Taylor, VD, p. 35 sq. Mais sans suivre la thèse de Beloch, RG, 1926, p. 270-273, acceptée encore notamment par E. Meyer, Rom. Staat und Staatsgedanke2, Zurich, 1961, p. 57 sq., p. 485 sq., pour qui les réformes «serviennes» (création des tribus locales, du cens, de l'assemblée centuriate) seraient contemporaines de la création de la censure (deuxième moitié du Ve siècle). Les travaux de Fraccaro (Ath. 22, 1934, p. 57 sq. = Opuscula II, Pavie, 1956, p. 293 sq.), largement accueillis (cf. bibliogr. citée par E. Meyer, op. cit., p. 484) nous semblent condamner cette thèse, qui ne trouve pas dans les sources un appui sûr - notamment en ce qu'elle voudrait repousser après 428 la création de la tribu Clustumina - v. infra, p. 60. V. encore H. Last, The Servian reforms, dans JRS 35, 1945, p. 35 sq. 5 Notamment H. Bengtson, Grundriss der röm. Geschichte I, Munich, 1967, p. 53 (avec quelques modifications, cf. infra p. 57 n. 31) et par J. Heurgon, Rome et la Méditerranée Occidentale, Paris, 1969, p. 259 sq. 6 A. Momigliano, An intérim report on the origins of Rome, dans JRS 53, 1963, p. 101 : la tribu Pupinia ne peut se trouver dans Vager Romanus antiquus, comme le suppose le système de A. Alföldi, car elle s'étend à huit milles de Rome : mais Liv. 26, 9, 12 ne permet peut-être pas d'être aussi précis (« Hannibal ayant conduit son armée dans la Pupinia pose son camp à huit milles de Rome»). Pour ce savant en outre, les limites religieuses de Yager antiquus seraient sans rapport avec l'organisation servienne des tribus, celle-ci étant postérieure. De même A. Magdelain, dans RHD, 43, 1965, p. 665, qui renforce cette critique par Varron (LL 5, 55) : Ager Romanus primum divisus in partis tris, a quo tribus appellata Titiensium, Ramnium, Lucerum) que Yager antiquus soit antérieur à Servius (contra, P. De Francisci, Primordia Civitatis, Rome, 1959, p. 670 sq.) est une donnée qui paraît sûre (cf. P. Catalano, Linee del sistema sovrannazionale romano I, Turin, 1965, p. 273); mais de même que sa distribution (d'abord en 3 tribus gentilices, puis en un certain nombre de tribus locales, rustiques et urbaines) se transforma, de même ses limites évoluèrent : il s'arrêta un temps à la rive du Tibre (ainsi Festus, v° Pectuscum, p. 232L), puis engloba Yager Vaticanus. On ignore, en fait, à quel moment précis Yager primitif se fixa et il n'est pas impossible que ce fût à l'époque de Servius Tullius. 4
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encore, elle modifie fondamentalement les rapports de force entre Rome et le Latium au VI e et au Ve siècle et oblige à réviser de fond en comble l'histoire de la ligue et du droit latins. On ne peut, p o u r cette raison, se dispenser de prendre parti - ce que l'on fera, devant l'ampleur du problème, avec hésitation et dans le désir de proposer, en l'état actuel des connaissances, une solution, dont on souhaiterait qu'elle soit simplement possible. Résumons les principaux arguments de A. Alföldi : si la loi des XII Tables n'admettait la vente d'un citoyen romain qu'au-delà du Tibre 7 , c'est que la rive droite et Vager Vaticanus n'étaient pas encore romains en 451 ; puisque l'on sait que Vager Romanus antiquus*, dont les frontières ne dépassaient pas un cercle de 4 à 6 milles autour de Rome, comprenait Yager Vaticanus9, il faut nécessairement fixer à une date postérieure à la législation décemvirale, et la fixation définitive de ce territoire archaïque et, naturellement, toutes les extensions de Yager Romanos, par la création de tribus nouvelles, dont on sait qu'elles se trouvaient sur le pourtour et à l'extérieur des limites de Yager : soit 11 nouvelles tribus. Leur n o m évoquerait les principales familles aristocratiques du Ve siècle 10 ; leur emplacement dessinerait les conquêtes progressives de Rome sur ses alliés latins après 450 et le dépassement de frontières primitives, dont, on le sait, le tracé s'est maintenu par les rites lustratoires. Si séduisants soient-ils, les arguments de A. Alföldi nous semblent cependant difficiles à admettre.
7 XII Tables : III, 5 ap. Gell. 20, 1, 46-47 : Tertiis autem nundinis capite poenas dabant aut trans Tiberim peregre venum ibant. 8 Sur le concept et la signification religieuse de Yager Romanus primitif, cf. P. Catalano, Contribua allô studio del diritto augurale I, Turin, 1962, p. 269 sq., p. 388; et, du même, Linee del sistema sovrannazionale romano I, Turin, 1965, p. 274 sq. (avec bibliogr. antérieure); sur ses frontières, T. Ashby, The roman campagna in classical times, Londres, 1927, p. 29 sq.; G. Lugli, Sulle più antiche orme di Roma, dans Rend. Ace. Lincei, Ser. VIII, 6, 1951, p. 371 sq.; A. Alföldi, art. cité, Hermes 90, 1962, p. 187 sq., notam., p. 194 sq. et Early Rome, p. 296 sq. 9 Les frontières de Yager Romanus antiquus sont attestées sur la rive droite du Tibre par le sanctuaire des Frères Arvales (à 5 milles à l'Ouest de Rome, sur la via Campana) et par le lieu où se déroulaient les Robigalia (à 5 milles au Nord-Ouest de Rome, sur la via Claudia) ; cf. T. Ashby, op. cit., p. 29, et A. Alföldi, Early Rome, p. 299 sq. 10 Claudia, Fabia, Horatia, Papiria, Aemilia, Menenia, Voturia, Sergia, Cornelia et deux tribus à nom de lieu, la Clustumina et la Galeria. Toutes les tribus créées après le début du IVe siècle tirent leur nom d'un lieu, de même, sans doute, que les tribus rustiques de l'époque royale : Lemonia; Pollia, Pupinia, Voltinia, Camilia. Cf. A. Alföldi, Early Rome, p. 306 sq.
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
1 - La tribu Fabia. Ainsi pour le lien établi entre le nom des tribus et la gens du même nom, qui y concentrait là l'essentiel de sa puissance foncière, militaire et politique par les troupes de clients qui y étaient casés : dans plusieurs cas, le lien que A. Alfoldi a très brillamment mis en valeur ne s'accorde pas avec sa chronologie. La tribu Fabia, par exemple, que A. Alfoldi, après Kubitschek et L. Ross Taylor, place sur la rive droite du Tibre, ne peut avoir été créée à la fin du Ve siècle : l'importance extrême qu'avait pour les Fabii au début du Ve siècle la lutte contre Veii, la campagne que leur clan décida et supporta seul s'expliquent par le souci de défendre leurs propres possessions ! l contre les hostilités menaçantes que Veii répéta chaque année entre 483 et 48012; l'équipée des Fabii qui les amena jusque sur la Cremera - dans l'intention de fermer aux Véiens leur voie vers le Tibre (Fidènes) et le Sud (Gabii et Préneste) - est une centre-offensive pour défendre les biens de leur gens, c'est-à-dire des terres romaines et une fraction de Vager Romanus13; on y verra la preuve que celui-ci, dès avant 480, avait franchi le Tibre. 2 - Ager Romanus et Ager Romanus antiquus. La date de l'installation romaine dans Yager Vaticanus, à laquelle on associe la création de la tribu Romilia, présente plus d'intérêt encore; c'est véritablement sur cette tribu que repose pour l'essentiel la reconstitution historique de A. Alfoldi. Par son nom, cette tribu évoquerait l'œuvre du cos. (455) T. Romilius Rocus Vaticanus, decemvir legibus scr. en 451; par sa date - qui ne saurait être antérieure à la législation décemvirale, puisque celle-ci aurait ignoré les possessions romaines trans Tiberim -, elle aurait inscrit dans l'histoire de l'expansion romaine une coupure significative : après la 11
Expédition des Fabii en 479 justifiée par la défense de leurs biens (= tribu Fabia, sur la rive droite du Tibre) : ainsi Kubitschek, De Romanarum tribuum origine ac propagatione, Vienne, 1882, p. 12 et Taylor, VD, p. 40; E. Badian, dans JRS 52, 1962, p. 202, accepte ce motif donné à la campagne des Fabii, mais pense que les biens des Fabii et la tribu Fabia n'étaient peut-être pas identiques, tout en admettant des possessions romaines sur la rive droite du Tibre. A. Alfoldi, op. cit, p. 312, rejette cette association, mais admet que la tribu Fabia (et les possessions de la gens du même nom) se fût trouvée sur la rive droite du Tibre, après une installation repoussée après la deuxième moitié du Ve siècle. 12 Cf. R. M. Ogilvie, A commentary on Livy, Londres, 1965, p. 359. 13 II est de même difficile, comme A. Momigliano l'a fait remarquer, An intérim..., art cité, p. 101, n. 27, de placer la création de la Fabia dans la deuxième moitié du Ve siècle, à un moment où la famille des Fabii a perdu tout pouvoir.
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création de cette tribu, qui aurait été la dernière à être comprise dans les limites de Vager Romanus antiquus, toutes les conquêtes postérieures auraient continué, même après être devenues romaines (ager Romanus au sens large), à être qualifiées d'ager (ager Labicanus, par exemple, ou Tusculanus)14. Le principe une fois posé, en une logique apparemment sans faille, A. Alföldi reconstitue l'histoire primitive de Yager Romanus en une série de propositions qui s'enchaînent l'une l'autre : lorsque la Romilia fut créée, c'est-à-dire peu après 450, le territoire de Rome se confond encore avec Yager Romanus antiquus; sitôt ses frontières franchies, le territoire souverain des cités voisines de Rome commence; ces territoires - ce qui prouverait qu'ils furent conquis plus tard -, ne feront jamais partie de Yager Romanus antiquus et pour cette raison conserveront leur caractère d'ager même lorsqu'ils auront été absorbés par Yager Romanus, au sens large de territoire politiquement romain. Il suffit alors de recueillir les expressions qui, à époque même récente, qualifient d'ager un territoire voisin de Rome pour pouvoir reconstituer la carte politique du Latium au milieu du Ve siècle, soit au lendemain de la dernière créée (après 450) des vieilles tribus rustiques. Vager Veiens, Solonus, Albanus, Labicanus, Tuscuîanus, Praenestinus prouve, chacun par son expression même, que les territoires de Veii, Solonium, Albe, Labicum, Tusculum . . . s'étendaient jusqu'au 4e ou 6e mille de Rome, touchaient Rome. Mais la rigueur apparente du raisonnement ne doit pas tromper, non plus que les arguments invoqués pour ne placer qu'après 450 la création de la Romilia et l'installation de Rome sur la rive droite du Tibre. Pour ce qui est des résonances juridico-religieuses du terme ager, on fera simplement remarquer que l'existence, encore bien attestée à l'époque tardive15, d'un ager Vaticanus ne laisse pas subsister grand-chose du principe posé : Yager Vaticanus fait partie, on n'en a jamais douté, de Yager Romanus antiquus et l'on pourrait fournir d'autres exemples16 montrant qu'il n'y a pas antinomie entre la qualification d'ager et la qualité d'ager Romanus antiquus. Il est incontestable qu'en bien des cas on peut (et on
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Op. cit., p. 304 sq. Liv. 10, 26, 15; Cic, Leg. Agr. 2, 35, 95; Gell., NA. 16, 17. 16 Macr., Sat 1, 10, 16 : Cato ait Larentiam... post excessum suum populo Romano agros Turacem, Semurium, Lintirium et Solinium reliquisse. Sur leur emplacement - à proximité immédiate de la ville -, v. O. Gilbert, Geschichte und Topographie der Stadt Rom im Altertum H, Leipzig, 1885, p. 110 sq. et p. 120 sq. 15
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
doit) opposer à Vager Romanus antiquus le territoire, appelé ager, d'une cité incorporée dans l'Etat romain après la fossilisation de ses frontières religieuses17, mais il est inexact d'appliquer systématiquement cette opposition pour tout emploi du mot ager: il est, dans des cas certains, resté, comme un lieu-dit, attaché à un domaine inscrit dans les frontières du territoire primitif de Rome. Il est encore plus inexact de déduire de cette opposition affirmée sans nuances, que Yager des cités latines, distinct de Y ager Romanus, s'en sépare par une frontière commune, de transposer en géographie une frontière qui n'est valable que pour le droit et de conclure que, puisque Yager Tusculanus ou Gabinus ne se confondent pas avec Yager Romanus, c'est qu'ils ne sont séparés l'un de l'autre que par une frontière nécessairement identique.
3 - Rome sur la rive droite : Vager Vaticanus et la tribu Romilia. La présence romaine sur la rive droite du Tibre se laisse pourtant deviner, pour une date antérieure au milieu du Ve siècle, à toute une série d'indices. Si des études récentes ont insisté sur le rôle frontière du Tibre - à vrai dire sans d'autres arguments historiques que la disposition décemvirale18 -, les topographes romains, de Gilbert à Lugli n'ont jamais mis en doute que le Janicule, citadelle dominant le Tibre et son passage, ne peut avoir été tenu par l'ennemi sans réduire Rome à l'état de ville assiégée19. C'est ce qui s'est produit lors du siège de Porsenna, et c'est ce que les Véiens tentèrent
17 D'où la distinction bien connue, selon le droit augurai, entre Yager Romanus (antiquus) et les territoires qui, bien que romains en sont à l'extérieur et qui appartiennent ainsi au type de Yager peregrinus (par ex. : Yager Veiens ou Yager Tusculanus). Cf. Varr., LL. 5, 33, et, parmi d'autres, P. Catalano, Linee, op. cit, p. 273 sq.). 18 J. Le Gall, Le Tibre, fleuve de Rome dans l'antiquité, Paris, 1952, p. 46; L. A. Holland, Janus and the bridge, Am. Ac. Rome, Pap. a. Mon., 21, 1961, p. 151. 19 O. Gilbert, Gesch. u. Topogr., op. cit., II, p. 171 sq., insiste sur le lien que les Anciens établissaient (Liv. 1, 33, 2 et 6; DH. 3, 45) entre le rattachement de l'Aventin à Rome, la construction du Pons Sublicius et l'occupation de la rive droite du Tibre, notamment du Janicule. Jordan, Topographie der Stadt Rom I1, Berlin, 1878, p. 243, puis O. Richter, Die Befestigung des Janiculum (Wissensch. Beil. z. Programm des Askanischen Gymn., 1882), Berlin, 1882, p. 7 sq., ont montré que le Janicule ne fut jamais l'objet d'une fortification; mais cela ne réduit en rien son importance stratégique : son occupation dispensait de toute fortification non seulement cette colline, mais toute la rive droite - qui ne sera défendue qu'au IIIe siècle ap. J.-C. avec la muraille d'Aurélien : ainsi G. Lugli, / monumenti antichi di Roma e suburbio, III, Rome, 1938, p. 657 et p. 674.
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de répéter au lendemain de la défaite des Fabii sur la Cremera 2 0 : croira-ton que p e n d a n t la première moitié de ce Ve siècle, marqué par la lutte de Rome et de Veii, la tête du p o n t que Rome avait jeté sur la rive droite fut constamment tenue par l'ennemi? L'occupation du Janicule p a r l'ennemi apparaît toujours chez les historiens r o m a i n s c o m m e une catastrophe 2 1 ; c'est qu'il d o m i n e non seulement le Tibre, mais Vager Romanus qui s'étend à ses pieds 2 2 , et qui n'est rien d'autre que Yager Vaticanus. C'est bien dans ce territoire - il faut naturellement le c o n s i d é r e r comme déjà r o m a i n - que le dictator L. Quinctius Cincinnatus s'était retiré (en 460) 23 et q u ' u n demisiècle plus tôt se trouvaient les biens des Mucii - intéressés plus que d'autres, ainsi que l'épisode de Mucius Scaevola le montre, à défendre leurs
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Liv. 2, 10 (508) et 2, 51, 2 (476) : en 508, les ennemis descendent du Janicule pour franchir le pont; c'est sur cette colline que Porsenna installe une garnison (2, 11, 1) - ce qui prouve qu'elle n'était pas possession étrusque - pour assiéger la ville. Une des conditions de la paix, chèrement payée par les Romains (de agro Veientibus restituendo impetratum), fut que Porsenna quittât le Janicule et sortît du territoire romain (Le. quittât la rive droite du Tibre = Liv. 2, 13, 4). En 476, Janiculum hostes occupavere, ce qui leur permit de franchir le Tibre et de pénétrer dans la ville : transierant enim Etrusci Tiberim (2, 51,2) et traiecto enim nocte Tiberi (2, 51, 6). O. Richter (dans Hermes 17, 1882, p. 425 sq.) a montré que les combats entre Rome et Veii étaient au Nord et portaient sur le passage du Tibre à Fidènes : c'est une preuve de plus que les Véiens n'étaient pas maîtres de la rive droite du Tibre en face de Rome. 21 L'occupation du Janicule par les Véiens en 476/4 (DH. 9, 25,1) provoque la disette à Rome : les voies d'approvisionnement étaient par-là coupées. Encore à époque tardive : Liv., Epit 11; 24, 10; Cic, Leg. Agr. 1, 5, 16 et 2, 27, 74. 22 Liv. 2, 51, 4 : velut ab arce Janiculo passim in Romanum agrum impetus dabant. Dans le récit de Tite-Live ces «descentes» sur Yager romanus ont lieu sur la rive droite; c'est là, de même, que sera tendue une embuscade, dont les Véiens tenteront de se venger en passant le Tibre pour attaquer le camp du consul. L'historicité des détails n'a pas d'importance (R M. Ogilvie, Commentary, p. 367, relève que les Etrusques ayant franchi le Tibre, les Romains pouvaient difficilement leur tendre une embuscade sur la rive droite) ; leur intérêt est de révéler que pour l'annalistique romaine, la rive droite était alors romaine. 23 Trans Tiberim... quatîuor iugerum colebat agrum (Liv. 3, 26, 8); quattuor sua iugera in Vaticano... (Plin., NH. 18, 20). La caution qu'il avait dû payer pour son fils exilé chez les Etrusques (in Tuscos in exilium abiit, Liv. 3, 13, 9 - 4 6 1 -), explique la modicité du bien de T. Quinctius parti vivre aliquamdiu trans Tiberim, veluti relegatus (Liv., ibid.). Si la rive droite avait été étrusque, c'eût été un exil; l'image qu'emploie Tite-Live est juridiquement très exacte : la relegatio, à la différence de l'exil, est une peine qui n'exclut pas le citoyen de la civitas, mais l'assigne à résidence (Mommsen, Dr. Pén. I, p. 78 sq., III, p. 309 sq. = Str. R, p. 69 sq.; Z. Zmigryder - Konopka, dans RHD, 18, 1939, p. 307 sq.). Cela confirme que le lieu de cette « relégation volontaire » est terre romaine et que les quatre arpents du futur dictateur, qui devaient en principe faire l'objet d'une estimation censitaire, se trouvaient dans une tribu romaine.
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biens, comme les Fabii le tenteront moins glorieusement, contre les Véiens dont les terres touchaient aux leurs24. On s'explique mieux alors le cognomen de T. Romilius Vaticanus : référence à l'origine locale de sa famille, comme d'autres sont Capitolinus ou Esquilinus25, plutôt qu'un surnom glorieux qu'il aurait mérité de façon peu vraisemblable; ou il faudrait alors lui reconnaître des biens si étendus qu'ils auraient formé une tribu au nom de sa gens, mais acquis en un instant, puisque consul (mais déjà Vaticanus?), puis décemvir, en 451, ses possessions n'auraient eu encore aucune consistance26. Il n'y a pas à douter, pourtant, de l'authenticité de la disposition des XII Tables; entre elle et la tradition historique l'accord est possible et même facile. Le trans Tiberim peregre ne signifie pas précisément la rive droite du Tibre, mais se réfère à la frontière qui, au-delà du Tibre et sur sa rive droite, mettait en contact Vager Romanus et un territoire nécessairement hors du Latium27. La législation décemvirale ne fournit donc pas, à notre avis, la précision chronologique que l'on attendait d'elle; elle ne se heurte pas aux indices nombreux qui confirment la présence romaine sur la rive droite du Tibre depuis au moins la fin de l'époque royale. De fait, dès le début du VIe siècle, Veii avait ouvert, pour atteindre directement les Salines qu'elle contrôlait, une voie nouvelle qui lui permettait d'éviter Rome 28 : itinéraire nouveau que l'on n'expliquerait pas si la rive droite, face à Rome, était res-
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Liv. 2, 13, 5 (508) : Patres C. Mucio, virîutis causa, trans Tiberim agrum dono dedere, quae postea sunt Mucia prata appelîata. Sur le rapprochement avec les Fabii, R. M. Ogilvie, Commentary, p. 266. Cette distribution suppose des assignations de terre publique : cet ager assigné devait alors être non seulement Romanus, mais inscrit dans une tribu rustique. 25 Heimatbezeichnung, comme l'avait qualifié Mommsen, Rom. Forsch., II, 1879, p. 291. La gens de Romilius avait la majorité de ses biens dans Yager Vaticanus. 26 En 452 - mais selon une lecture qui n'est pas claire - un autre consul aurait eu le même cognomen de Vaticanus : P. Sestius Capito(linus?) Vaticanus : cf. T.R.S. Broughton, MRR, I, 1951, p. 44 - mais v. Degrassi, Inscr. Ital. 13, 1, (Fasti), 1947, p. 93. 27 Un civis Romanus ne peut en effet être vendu dans un pays de droit latin. Sur la réalité de la vente, cf. M. Käser, Altröm. lus, Göttingen, 1949, p. 247 sq. et Rom. Zivilprozessrecht, Munich, 1966, p. 101 : la loi Poetelia Papiria, de 326 av. J.-C, n'a pas mis fin à cette pratique qui dut, d'elle-même, rapidement sortir d'usage. F. Wieacker, Zwölftafelnprobleme dans RIDA3 3, 1956, p. 477, admet que le pays étrusque ne se confond pas avec la rive droite du Tibre. 28 J. B. Ward-Perkins, Veii, The historical topography of the ancient city, dans PBSR 29, 1961, p. 10 et cf. la lettre publiée par A. Alföldi, Early Rome, p. 294 : la voie nouvelle, en service vers 600, longe le fosso Galeria; elle permet ainsi d'éviter Rome, à la différence des voies antérieures qui atteignaient les Salines, soit par Fidènes et la via Salaria vers Rome, soit par Rome en suivant le tracé de la future via Cassia puis de la via Campana vers les Salines.
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tée en la possession de Veii jusques après 450. La tradition, qui attribue à l'époque royale la formation de Yager antiquus et à ses débuts même le franchissement du Tibre par Rome29, mérite d'être conservée. 4 - La création, en deux étapes, des tribus rustiques. Mais faut-il pour autant accorder crédit à la tradition romaine et, en suivant le schéma conservateur adopté par L. Ross Taylor, attribuer en bloc au règne de Servius Tullius les 19 ou 20 tribus qui ont précédé les deux plus récentes, nommément créées, selon Tite-Live et Denys d'Halicarnasse, entre 504 et 495 ? Après les travaux de A. Alföldi, cette position semble bien, aujourd'hui, pécher par trop de confiance dans les sources romaines; en effet, A. Alföldi a montré que les tribus rustiques se rattachent à deux types, et, on peut le penser avec lui, à deux époques : celles dont le nom est formé à partir d'un lieu et celles, très vraisemblablement plus récentes, dont le nom est emprunté à l'une des gentes dont la fortune politique est historiquement attestée pour le premier siècle de la République30. En face de ce schéma31 qui ne tolère que quelques exceptions (les tribus à nom de lieu Galeria et Clustumina figurent parmi les plus récentes), on se convainc
29 Selon une tradition invérifiable, l'installation romaine sur la rive droite remonterait à Romulus : Festus - Paul, p. 331 L, Romulia tribus dicta, quod ex eo agro censebantur, quem Romulus ceperat ex Veientibus et Liv. 1, 15, 5: confiscation, par Romulus, d'une partie du territoire des Véiens. 30 Par des recherches minutieuses, A. Alföldi est parvenu, Early Rome, p. 296 sq., à établir de façon vraisemblable que les tribus à nom de lieu pourraient être les plus proches, géographiquement, des limites de la ville et être, ainsi, les plus anciennes. A. Alföldi a, de plus, cherché un rapport entre les tribus rustiques et les frontières de Yager Romanus antiquus : conception parfaitement logique, si l'on suit l'auteur en ce qu'il place après la réforme servienne, après la loi des XII Tables précisément, la création de la Romilia et l'achèvement des limites de Yager antiquus. Les critiques de A. Momigliano et de A. Magdelain (supra, n. 6) ne résolvent pas directement cette question préalable. En réalité, la date de la cristallisation de l'a. Romanus antiquus dépend de l'époque à laquelle Rome s'installa sur la rive droite du Tibre : à la fin de l'époque royale au plus tard, peut-être bien avant, comme nous pensons l'avoir confirmé et il est possible que les fines populi Romani aient coïncidé, à l'époque de Servius, avec les limites déjà atteintes et pas encore dépassées de l'a. Romanus antiquus. Les indications fournies par l'a. Gabinus (v. infra, p. 88) vont tout à fait en ce sens. 31 C'est un système magnifique de cohérence; de façon assez étrange - et sans le justifier-, H. Bengtson, op. cit, p. 53, a considéré que la Romilia était «wahrscheinlich» une tribu à nom géographique, et qu'elle remonterait comme les autres du même type (mais, parmi lesquelles on est étonné de ne pas trouver la Galeria, classée en revanche parmi les tribus plus récentes désignées d'après les noms einer Anzahl berühmter gentes) à l'époque royale. C'est une construction difficile à défendre.
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d'une création en deux temps; mais l'important reste de fixer la date d'apparition des tribus nouvelles, le moment de la véritable extension de Rome, et il apparaît bien difficile d'accepter la chronologie proposée par A. Alföldi. Selon ce raisonnement, déjà évoqué, toutes les nouvelles tribus rustiques (Romilia, Claudia, Fabia, Papiria, Aemilia, Menenia, Voturia, Galeria et Clustumina) seraient nécessairement postérieures à la Romilia - qui, a p r è s 450, aurait clos Yager antiquus -, et antérieures aux premières années du IVe siècle, marquées par la conquête du territoire de Veii. Mais ni le contexte historique, ni les témoignages concordants des historiens de l'antiquité ne se prêtent, il faut bien le reconnaître, à une extension aussi tardive de Yager Romanus.
II - ROME, AU v e SIÈCLE, N'A PAS CRÉÉ DE TRIBUS RUSTIQUES APRÈS 493
Carte II Ces conquêtes dans des directions rayonnantes qui auraient en l'espace de quelques décennies multiplié par deux le territoire de Rome seraient passées inaperçues? Non seulement les Annales en auraient omis le souvenir, mais surtout les cités voisines et alliées de Rome, dont les territoires furent nécessairement amputés ou rognés par les conquêtes que la création de ces tribus suppose, auraient accepté sans se révolter ces atteintes inouïes à l'esprit du foedus Cassianum? Si l'on en croit les sources, les seules extensions romaines dans le Latium, postérieures à la paix latine du d é b u t du Ve siècle, touchèrent une région disputée par Ardea et Aricia et q u e Rome s'appropria p a r une spoliation peu honorable - et peu durable 3 2 - , dont l'intérêt est de prouver qu'à cette époque (446) Yager Romanus avait déjà englobé Yager Albanus; les autres conquêtes soi-disant romaines sont en réalité des c o n q u ê t e s latines (colonies latines d'Antium (467), d'Ardea (442), et, en 418, de Labici). C'est dire qu'au V e siècle le territoire de Rome ne s'agrandit pas au détriment des ses alliés et qu'il ne s'agrandit m ê m e pas du tout.
32 C'est la célèbre contestation née entre Aricia et Ardea vers 446 sur la possession d'un territoire ayant appartenu à Corioli (Liv. 3, 71 - 72); Rome dut finalement restituer en 442 ce territoire qu'elle s'était approprié par un jugement inique (Liv. 4, 7, 4 et 4, 11, 3 sq.) et contraire au fœdus Cassianum : Liv. 4, 7, 4 (444).
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1 - La ligue latine et les nécessités dune politique commune
de défense.
Les pressions constantes des Véiens, des Volsques (jusqu'en 462), des Eques et des Sabins ont contraint les Romains et les Latins à a d o p t e r une politique c o m m u n e de défense 3 3 et. à respecter les lois d'une ligue que ni les uns ni les autres n'ont cherché à violer en profitant des moments de faiblesse de leur partenaire 3 4 : R o m e et ses alliés sont parvenus à grand-peine, au cours de ce siècle, à défendre les frontières du Latium menacées dans chaque direction par la pression de peuples envahissants : Ardea, Carventum, Circei, Corbio, Labici, Satricum, Setia, Velitrae, qui, en 496/493, avaient souscrit aux engagements de la ligue latine sont progressivement emportés par l'avance des peuples voisins 35 , à grand-peine reconquis p a r l'armée fédérale et, une fois repeuplés, transformés p o u r certains en colonies latines 3 6 . De son côté, R o m e participe à ce c o m b a t de défense, sous la menace directe, au Nord, des Etrusques de Veii auxquels s'allient les Falis-
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Contre les Volsques, campagnes des Romains, des Latins et des Herniques en 484/2 (DH. 8, 83); en 471/469 (DH. 9, 50, 1); en 468/467 (DH. 9, 59, 2 et Liv. 3, 1, 7); en 449 (Liv. 3, 57, 7, avec victoire commune commémorée par une couronne d'or - cf. R. M. Ogilvie, Commentary, p. 506); colonie fédérale d'Ardea en 442; la défense commune reprend en 432 et 431 (Liv. 4, 26 et 4, 27, 3); en 413 (Liv. 4, 51, 7). Contre Veii, campagnes communes en 480/478 (DH. 9, 5, 2); en 475/473 (DH. 9, 34, 3 et Liv. 2, 53) et jusqu'à la victoire finale (Romains, Latins et Herniques en 396 : Liv. 5, 19, 5). Contre les Eques, alliance en 482/480 et en 481/479 (DH. 8, 91 et 9, 1, 2); en 471/469 (DH. 9, 50, 1); en 464 (DH. 9, 71 et Liv. 3, 5, 8); en 449 (Liv. 3, 57, 8); colonie fédérale de Labici en 418. Contre les Sabins, alliance de même en 475/473 (DH. 9, 34, 3 et Liv. 2, 53) et en 449 (DH. 11, 8, 1; 11, 23 et Liv. 3, 57, 8); colonie (romaine? latine?) de Fidènes en 426. 34 Ainsi lors des troubles provoqués à Rome par les décemvirs. Liv. 3, 38, 5; 3, 42, 5 sq.; 3, 57, 7; DH. 11, 2, 2. 35 Des troubles sociaux (conflits internes entre la plèbe et le patriciat) ont sans doute souvent précipité la défection ou la conquête de ces cités latines : ainsi, par ex., Ardea, où la plèbe est pour les Volsques (Liv. 4, 9 sq. en 443). 36 Ardea, prise par les Volsques, est reconquise en 442 (Liv. 4, 11, 3) et transformée en une colonie fédérale; Labici, prise par les Eques en 420 (Liv. 4, 45, 3) devient colonie latine en 418; Velitrae, devenue possession Volsque, reçoit en 403 (Diod. 14, 34, 7) un renfort de colons qui masque peut-être une recolonisation (première colonisation latine en 494); Circei est reprise en 393 aux Volsques et devint alors une colonie latine (Diod. 14, 102; le peuplement volsque resté important explique en partie la défection rapide de cette nouvelle colonie); Satricum arrachée aux Volsques en 385 reçoit des colons latins (cf. Liv. 6, 16, 6); de même Setia en 383. Pour un certain nombre d'anciennes cités latines, la mention de leur conquête est rapportée : Corbio, prise par les Eques en 458 (DH. 10, 21-30) et en 446 (Liv. 3, 69, 9); Carventum, de même, par les Eques en 410/409 (Liv. 4, 53, 3 et 4, 55, 4).
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ques étrusquisés, et, au Nord-Est, des Sabins. La frontière ici de nouveau a peine à se maintenir : Crustumerium est avec son territoire une marche romaine, à la limite du pays Sabin, où les forces s'affronteront encore au milieu du Ve siècle : or selon la tradition - et il n'y a guère de raisons solides pour la révoquer - la cité et son territoire sont devenus romains vers 49537. Le sort de Fidènes est comparable: une tête de pont que Rome et Veii se disputent pendant tout le Ve siècle jusqu'à la conquête romaine (ou latine) en 426 : ici encore tant les étapes de la laborieuse victoire que ses résultats - la réduction d'une poche dans un territoire déjà romain - ne peuvent confirmer l'image que A. Alföldi a donnée de la Rome du Ve siècle. Au profit de Rome, des Latins et des Herniques, une alliance de près d'un siècle apportera, au lendemain du foedus Cassianum, les bienfaits d'une politique commune, sous les impératifs d'une défense commune : post pugnam ad lacum Regillum factam per annos prope centum numquam ambigua fide in amicitia populi Romani fuerant (Liv. 6, 2, 3, pour 389). L'ager Romanus connut peut-être quelques extensions; mais si on réserve le cas des colonies latines38 qui, pour la quasi-totalité, ne sont pas de véritables conquêtes puisque leur fondation ne traduisait que le rétablissement de l'autorité fédérale sur une ancienne cité latine39 et puisque leur territoire
37 La région que se disputent Romains et Sabins est située au nord de Crustumerium, autour d'Eretum; c'est de cette place que les Sabins partent pour piller le territoire romain (Liv. 3, 38, 3 et DH. 11, 3, 2 pour 449), ou les Romains pour agir en territoire sabin (Liv. 3, 26, 2 pour 458) : frontière mouvante et qui n'avance guère. La prise de Crustumerium date, selon Liv. 2, 19, 2, de 499 et si l'on croit son témoignage, selon lequel en 495 il y aurait eu 21 tribus (2, 21, 7), la Clustumina ne peut dater que de ces années-là - cf. Taylor, VD, p. 36 sq. (avec bibliogr. ant.). A. Alföldi rejette (op. cit., p. 133 et p. 317) cet ensemble cohérent de témoignages, en soutenant que l'accès à cette région n'a été ouvert à Rome qu'après la chute de Fidènes et de Ficulea (en 426). Mais on sait que Fidènes n'était plus à cette époque qu'une place forte, dépouillée d'une partie de son arrière - pays (après une première capture en 504 - DH. 5, 43 -; et cf. R. M. Ogilvie, Commentary I, p. 380) qui forma, sans doute au début du Ve siècle, la tribu Claudia (Liv. 2, 16, 5 et DH. 5, 40, 5). Si Fidènes et Ficulea avaient séparé Rome du Nord pendant la majeure partie du Ve siècle, quel aurait pu être le poids du péril sabin pour Rome et l'enjeu de ces conflits entre Eretum et Crustumerium? 38 E. T. Salmon, dans Phoenix 7, 1953, p. 120 sq. et Roman colonization under the Republic, Londres, 1969, p. 42 sq. a démontré que toutes les colonies «romaines» antérieures à 338 étaient en fait des colonies latines, c'est-à-dire fédérales, au peuplement mixte. Le résultat de ces recherches que L Ross Taylor, VD, n'avait pas connu - a été accepté aussitôt par A- Alföldi, A. J. Toynbee, J. Heurgon. 39 Ainsi pour la deuxième moitié du Ve siècle et les premières années du IVe siècle : Ardea (442), Labici (418), Velitrae (403?), Circei (393), Satricum (385), Setia (383). Les conquêtes seront pour la même période : Fidènes, reprise après plusieurs tentatives en 426 par les
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devait être partagé par moitié ou par tiers entre des colons romains et des colons latins et herniques, et si on écarte de même l'hypothèse de confiscations romaines faites à des états membres de la Ligue, on ne voit pas de quoi pouvaient être formées toutes ces tribus massées après 450 et avant 396. 2 - L'agitation agraire au Ve siècle : son témoignage négatif Or si ces conquêtes, ces créations de tribus, et c'est là une précieuse contre-épreuve, avaient bien vu le jour dans la deuxième moitié du Ve siècle, elles auraient laissé des traces révélatrices, qui permettraient de corriger le silence bien étonnant de la part de la tradition : il n'y a pas, en effet, de conquête sans que naisse un conflit sur la répartition des terres40. Et il n'y a pas de création de tribu sans que se pose, en des termes parfois violents dont l'annalistique a recueilli l'écho souvent en l'amplifiant, le problème du partage d'un ager publicus, dont le patriciat aurait voulu conserver une occupatio exclusive41.
Romains; Bola, peut-être colonie fédérale prise aux Eques (en 418-417); Ferentinum, colonie hernique prise aux Volsques en 413 (Liv. 4, 51, 7); Vitellia, colonie latine prise aux Eques avant 393 (Liv. 5, 29, 3), et Signia, colonie latine prise aux Volsques avant 389. 40 La conquête transforme Y ager peregrinus en ager publicus Romanus; celui-ci peut soit conserver sa qualité à'ager publicus, si la possession seule du sol est concédée {ager occupatus), soit être transformé en ager privatus (ex publico factus privatus), s'il est vendu (quaestorius) ou distribué aux chefs de famille, exceptionnellement à toutes les têtes libres (ainsi pour les territoires pris sur Veii, Liv. 5, 30) (ager assignatus ou viritanus). Vager colonicus (type à!ager ex publico factus privatus, réparti entre les citoyens partis fonder une colonie romaine) n'apparaît pas avant les premières colonies romaines, soit le milieu du IVe siècle. Pour ces distinctions, cf. Niebuhr, Rom. Gesch., p. 698 (= IF, 644 sq.); A. Burdese, Studi sull'ager publicus, Turin 1952, p. 15 sq. Seul Y ager privatus est réparti dans les tribus rustiques (Niese, Das sogenannte licinisch-sextische Ackergesetz, dans Hermes 23, 1888, p. 417, n. 1; Taylor, VD, p. 3): Toute création de tribu suppose une distribution de Yager publicus et une lutte victorieuse sur le patriciat qui est le principal bénéficiaire de Yoccupatio de Yager publicus. 41 L'agitation agraire plébéienne au lendemain d'une conquête peut se présenter sous plusieurs formes : 1 - réclamer un partage par tête (adsignatio viritim) qui, s'il est obtenu contre l'opposition de la nobilitas, augmentera le nombre de tribus (dès Servius Tullius, Liv. 1, 46, 1 : conciliata prius voluntate plebis agro capto ex hostibus viritim diviso, à quoi font écho les tribus rustiques créées par le même roi; pour 495/3, infra, p. 73 sq.; même processus entre 395/393, pour les 4 tribus créées en 387 (infra, n. 44), ou en 387 (Liv. 6, 5) pour les 2 tribus créées en 358; les tribus créées après 358 supposent toujours une conquête précédente (cf. Taylor, VD, p. 53-60), mais l'agitation agraire qui provoquait jusque-là et accompagnait les créations de
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Les troubles agraires et les projets de rogaîio agraria attestés pour le Ve siècle trahissent, à l'évidence, p a r leurs motifs et les arguments de leurs auteurs, une c e r t a i n e odeur anachronique de révolution gracchienne; mais ils n'ont pas été inventés 4 2 . Leur chronologie confirme leur authenticité et constitue en m ê m e temps u n e preuve très nette que Yager publicus et les tribus romaines n'ont pas doublé leur étendue o u leur nombre entre 450 et 396. La série, impressionnante, des projets de lois agraires pour le V e siècle est la suivante : 486, 485, 482, 481, 476, 474, 441, 424, 421, 420, 417, 415, 414, 412, 410, 401, 395-393 43 . Si on laisse de côté l'agitation agraire du 1 e r quart du Ve siècle, s u r laquelle on reviendra (six m e s u r e s de 486 à 474), et les projets de 395-393 qui sont la conséquence i m m é d i a t e de la conquête de Veii et de la r é p a r t i t i o n de son territoire 4 4 , les a u t r e s mesures sont en rapport chronologique très étroit avec la fondation d e colonies latines, c'est-à-
tribus est moins perceptible (pour les tribus de 318, cf. cependant, Taylor, VD, p. 56; pour celles de 299, Liv. 10, 6-9) ou n'apparaît pas du tout (ainsi pour les tribus de 332) : l'abondance des assignations faites à la plèbe, le nombre des colonies romaines et latines (cf. Liv., 10, 6, 3) déduites alors expliquent que la plèbe, servie, se soit apaisée. 2 - demander des assignations dans les colonies fédérales nouvelles (ager peregrinus) : toujours insuffisantes (ainsi en 441, 417, 415 à 410), ces assignations, qui correspondent à la fondation de colonies fédérales, transforment parfois, si l'on en croit les sources, le but de l'agitation, qui se retourne (en vain) contre le patriciat pour obtenir de lui une partie de Yager publicus. Pour le détail, cf. infra p. 63 sq.; p. 73 sq. 42 La critique moderne se prononce sans indulgence sur l'historicité de ces troubles agraires : ainsi depuis Niebuhr, Rom. Gesck4, p. 445 sq. (= IP, p. 188 sq.), Niese, op. cil, p. 416, G. De Sanctis, Storia dei Rom., II1, p. 8 sq.; E. Gabba, Studi su Dionigi da Alicarnasso, dans Ath. 38, 1960, p. 175 sq., 39, 1961, p. 98 sq. et surtout 42, 1964, p. 29 sq. Qu'il y ait dans l'agitation agraire du début du Ve siècle (Sp. Cassius et cf. infra, n. 49 sq.) des anachronismes évidents (Niebuhr), que Yager publicus, dont la plèbe réclame au patriciat le partage ou une occupation partielle, n'ait pas été suffisamment étendu pour que l'on croie à toutes ces demandes (ainsi Niese), que l'agitation agraire ait parfois couvert une agitation sociale qui voulait défendre la petite propriété plus que l'étendre (De Sanctis), que les arguments politiques des orateurs soient anachroniques (E. Gabba), on peut accepter tous ces points; mais ils ne sauraient emporter une condamnation de la tradition, dont le fond est aussi certain que les luttes sociales ou politiques entre la plèbe et le patriciat tout au long du Ve siècle; cf. F. De Martino, dans ANRW I, 1,1972, p. 231 sq. 43 On trouvera aisément les références dans les Leges Publicae Populi Romani de G. Rotondi, 1912, p. 194 sq. La lex Icilia de Aventino publicando de 456 n'a naturellement pas été notée ici. 44 Rogatio Sicinia de parte civium Veios deducenda, Liv. 5, 24-30; 396, conquête de Veii; entre 395 et 393 deux rogationes présentées en vain pour obtenir la distribution de Yager (publicus) Veiens; un Sen. Cons. en 393 aboutit en ce sens et 4 tribus nouvelles sont créées en conséquence, en 387 (Liv. 5, 30, 8 et 6, 5, 8).
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de colonies fédérales, dont la déduction ne devait pas normalement "ner pour Rome l'extension de son ager publicus, mais au contraire rtir le territoire conquis entre les bénéficiaires d'une colonisation . 4 5 Ainsi la déduction d'Ardea (442) explique-t-elle la rogatio de 44146; F'fTnes (prise et vidée d'une partie de sa population en 426) justifie - bien son territoire fût certainement très réduit - les projets de 424, 421 et 42047' Labici (418)48 explique l'agitation de 41749; les tentatives entre 415 et
«s C'est ainsi que la clause du foedus Cassianum sur le partage par moitié du butin était sDectée : colons Romains et colons Latins devaient se répartir également les terres de la cité conquise, en partage avec la population restée sur les lieux. Il pouvait se faire qu'une fraction du territoire conquis fût retirée à la colonie déduite et rattachée, pour partie à Yager oublicus, pour partie aux cités latines voisines, mais cela ne devait pas entraîner d'extensions notables. 46 Liv. 4, 11, 3 sq. Les Rutules l'emportant dans le partage des terres, le peuplement romain fut faible et la plèbe indisposée : l'année suivante, un tribun s'efforce d'introduire un projet de agris dividendis plebi (Liv. 4, 12, 4). 47 Une solide tradition fait état d'une colonisation de Fidènes dès l'époque royale (Liv. 1, 27, 3 et 9), puis au Ve siècle de nouveau (Liv. 4, 17, 1 (438); 4, 30, 6 (429); 4, 32, 5 (426). Les sept défections qui lui furent reprochées en 426 évoquent l'alternance des conquérants, Véiens (cf. Liv. 5, 4, 13) et Romains aidés de leurs alliés, acharnés à détenir le passage du Tibre vers Veii. Les phases romaines furent sans doute marquées par l'installation de colons, avant 426; après la vente d'une partie de la population en 426 une colonie, qui ne pouvait être encore que fédérale (cf. E. T. Salmon, Rom. Col. , p. 40 sq.) fut certainement installée sur le site de Fidènes, qui ne fut pas alors rasé ni déserté (cf. infra, pour 390) : en 424 les candidats plébéiens au tribunat militaire promettent un partage de Yager publicus, et la déduction de colonies (Liv. 4, 36); en 421, nouvelle menace de loi agraire (Liv. 4, 43, 6) et en 420 une mentio de agris dividendis (Liv. 4, 44, 7) est présentée au Sénat : ces projets de distributions viritanes et de fondation de colonies doivent être en rapport avec le départ de colons pour Fidènes. Le peuplement mixte (romain et latin) explique peut-être la défection de Fidènes en 390 qui, si l'on eh croit une tradition, aurait entraîné les Latins à se soulever contre Rome occupée par les Gaulois (Varro, L L 6, 18; Macrob., Sat. 1, 11, 37; Eutrop. 1, 19; Plut, Rom. 29, 4; Cam. 33,4). 48 Colonie fédérale, (cf. E. T. Salmon, op. cit., p. 42). L. Ross Taylor, sur l'indication de Tite-Live, y avait vu une colonie romaine, peut-être rattachée à la tribu Papiria (VD, p. 43 et p. 79). Il eût été étonnant que les cités latines et particulièrement Tusculum eussent toléré une colonie romaine dans un site tout proche qui dominait la région stratégique de l'Algide. On ignore à quel moment Labici et son territoire furent rattachés à Rome; peut-être en même temps que Tusculum, en 381 (v. infra p. 160, n. 22), dont elle partage le même sort, après cette date : Liv. 6, 21, 9 et 7, 11, 3. 49 L'interprétation de Tite-Live (4, 47, 6-7) est très intéressante : pour éviter une seditio agraria de agro Labicano dividendo en 418, le Sénat décide, sitôt la ville prise, d'y envoyer 1.500 colons. On y verra l'idée implicite que la déduction d'une colonie (latine) empêchait le problème agraire de se poser, puisqu'il n'y avait pas, dans ce cas, à!ager publicus à distribuer.
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414 pour fonder une colonie latine à Bola trouvent leur écho en 415, 414, peut-être 412 et 41050. La reconquête du Sud du Latium sur les Volsques à partir de 413 contribue à expliquer les projets agraires de 401 51 . Le reflet indirect mais certainement fidèle que donne l'histoire de l'agitation agraire au Ve siècle confirme donc tout à fait l'image que l'on peut se faire des rapports entre Rome et le Latium à cette époque : il n'y a de conquêtes que des conquêtes communes sous la forme de déduction de colonies fédérales. On reprochera à la tradition annalistique d'avoir, par patriotisme, souvent appelé colonies de citoyens romains et victoires romaines ce qui, en réalité, était un bienfait de l'alliance romano-latine : mais il est impossible de l'accuser d'avoir tu des conquêtes purement romaines, d'avoir omis d'indiquer un doublement de Vager Romanus et la création de onze tribus nouvelles, de même qu'il est difficile de croire qu'aux plus beaux jours de la collaboration avec les Latins, Rome s'adjoignit une ceinture de territoires nouveaux, qui ne pouvaient être pris qu'à eux51.
Mais les difficultés vinrent après : dès 417, les plébéiens réclament ut ager ex hostibus captus viritim divideretur, ce qu'il faut interpréter comme la volonté de la plèbe de disposer seule de la conquête, à l'exclusion des alliés latins (notamment les Tusculans) qui partirent aussi à Labici - à moins que l'on pense qu'une fraction du territoire de Labici avait été incorporée dans Vager Romanus et non distribuée -. La réaction égoïste de la plèbe romaine semble se retrouver pour la colonie de Bola. 50 L'anachronisme est de nouveau sensible chez Tite-Live, qui déforme les éléments du conflit : les efforts de la plèbe pour qu'on envoyât des colons à Bola (Liv. 4, 49, 6-11 en 414 et 4, 51, 5 en 413) ne pouvaient tendre qu'à la déduction d'une colonie fédérale; ils ne sont donc pas dirigés contre le patriciat - à qui il était difficile de confisquer et de convertir en ager publicus une conquête fédérale dans une région très menacée - mais contre les alliés latins qui semblent avoir, en cette période, servi davantage leurs intérêts dans la déduction des colonies. Ainsi, en 413 (Liv. 4, 51, 8) Ferentinum avec son territoire est «donnée aux Herniques», nouvel exemple d'une colonisation d'où les Romains sont exclus. Le projet de loi agraire de 412 (Liv. 4, 52, 2) s' explique peut-être par là. Le projet de 410 (Liv. 4, 53, 2) reste inexpliqué. Il est possible qu'il y ait eu des reconquêtes ou des renforcements de colonies latines sur le modèle de Velitrae, cf. note suivante. 51 A partir de 413, les forces fédérales reprennent un certain nombre de cités latines tombées, parfois depuis le début du Ve siècle, entre les mains des Volsques : Artena est reprise en 404, Anxur en 406, puis en 402, Velitrae en 401; ces reconquêtes sont naturellement accompagnées d'une colonisation fédérale : ainsi pour Velitrae en 401 (Diod. 14, 34, 7). Ce mouvement de colonisation peut expliquer le projet agraire de 401 (Liv. 5, 12, 3). Velitrae, reprise par les Volsques après 385, deviendra municipe romain en 338. 52 Ainsi, A. Alföldi, I.e., p. 401 : après 419, «beside thèse fédéral actions, and simoultaneously with them, Rome begins soon to appropriate new territory to herself on a large scale in every direction».
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A vouloir déterminer avec une relative précision les étapes de la création des tribus romaines avant le IVe siècle, on doit donc, il semble, se garder d'un double écueil : si on veut maintenir la distinction si séduisante et précieuse entre les tribus rustiques à nom de lieu (Camilia, Lemonia, Pollia, Pupinia, Voltinia)53, création servienne, et les tribus rustiques à nom de sens, toutes, sauf la Romilia54, plus récentes, on hésitera à suivre la critique conservatrice qui attribua en bloc les 19 premières tribus rustiques à l'œuvre de Servius Tullius; mais inversement, et pour les multiples motifs sur lesquels on vient de s'attarder, il nous semble impossible de repousser à la deuxième moitié ou au dernier tiers du Ve siècle l'apparition des tribus à nom de gens.
III - LE FŒDUS CASSIANUM ET L'EXTENSION DE L'AGER ROMANUS EN 493
Servius Tullius - la tradition annalistique est unanime sur ce point peut être à bon droit considéré comme l'auteur de la première division en tribus locales de Yager Romanus antiquus55; mais entre Denys d'Halicarnasse (4, 14-15) qui, ne s'intéressant pas à la création des tribus, attribua à Servius le chiffre total de 31 qui ne sera atteint qu'au IIIe siècle56, et Tite-
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Arguments et sources cités par A. Alföldi, dans Hermes 90, 1962, p. 187 sq. et Early Rome, op. cit., p. 307-310. La Galeria, à nom de lieu, mais en dehors de Yager Rom. antiquus, doit sans doute être placée parmi les créations plus récentes, avec les tribus à nom de gens, au début du Ve siècle. 54 II n'est pas impossible que la tribu Romilia ait reçu son nom (qui lui vient de la gens Romilia) après que Porsenna eut restitué aux Romains les territoires s'étendant sur la rive droite du Tibre et qui formèrent cette tribu. On pourrait ainsi concilier les preuves d'une occupation antérieure (cette tribu suppose la cristallisation des frontières de Yager Romanus antiquus, que l'on peut légitimement faire remonter au moins à l'époque de Servius Tullius) et le nom de la tribu, emprunté à celui d'une gens (qui évoque les débuts de la République). Sur la conquête de Porsenna, liée à son installation sur le Janicule : Liv. 2, 10, 1 sq.; DH. 5, 22, 23, 2-3; 37, 2; 39, 4; l'idée que ces territoires auraient été rendus aux Véiens par Porsenna (Liv. 2, 13, 4) est très douteuse. Veii soutenait le clan opposé de Tarquin (cf. Alföldi, op. cit, p. 77). Sur la restitution, finalement, de ces territoires à Rome : Liv. 2, 15, 6. 55 Selon Varron, LL 5, 55 (cité supra, n. 6), Yager Romanus fut d'abord, divisé en 3 tribus géntilices; avec Servius, une nouvelle division eut lieu. Ce témoignage ne permet pas, par luimême, de savoir si, lors de sa nouvelle division par Servius, Yager antiquus avait atteint ses limites définitives, ni inversement, si elles avaient été déjà franchies. 56 Les 31 «tribus» attribuées par Denys d'Halicarnasse à Servius sont sans doute les 31 pagi entre lesquels Servius divisa Yager Romanus. Pour la discussion de ce texte, Mommsen, Staatsr. III, p. 169, n. 1 = Dr. Publ. VI, 1, p. 186 sq.) et Taylor, VD, p. 5 sq.
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Live 57 qui, malgré tout l'intérêt qu'il portera à retracer scrupuleusement les créations successives des tribus plus récentes, oublia d'indiquer le nombre des tribus rustiques instituées p a r Servius, l'hypothèse, il est vrai, dispose d'un champ largement libre. Mais il ne m a n q u e pas d'arguments pour proposer une date relativement précise au deuxième moment de l'extension romaine qui donna naissance à 11 nouvelles tribus. Pour l'année 495/493 Tite-Live indique sèchement : Romae tribus una et viginti factae, ce qui signifie, évidemment, qu'à la suite d'un certain nombre de créations, on atteignit, cette année-là, ce chiffre précis. Denys d'Halicarnasse le confirme p o u r la même année 5 8 . Or entre cette précision et les événements qui viennent de secouer Rome et le Latium, au m ê m e moment, il y a u n e coïncidence étrange et qui n'est sans doute pas fortuite. 1 - Le conflit entre Rome et la Ligue Latine en 496. Les toutes premières années du Ve siècle sont marquées par la coalition des Latins et des forces assemblées par le clan des Tarquins, en une union qui tendait à rendre Rome et les insignes de sa royauté à Tarquin le Superbe. L'alliance qui rassembla contre Rome les forces de presque toutes les cités latines 5 9 se termina en 496 près du lac Régule par un échec, c'est-à-
57
Liv. 1, 43, 13 et cf. Taylor, VD, p. 5 et n. 8 et 9. Liv. 2, 21, 7 (cf. Taylor, VD, p. 6, n. 11, pour la lecture du texte) pour l'année 495 et DH. 7, 64, 6 pour l'année 491 : or c'est en 493 qu'un recensement des citoyens eut lieu (DH. 6, 96, 4) et c'est à cette occasion que l'on créait les tribus nouvelles (cf. Taylor, VD, p. 37, n. 6). 59 Toutes les cités latines ont-elles participé à l'alliance contre Rome ? C'est ce que pensent A. Alfoldi, Early Rome, p. 53; H. Bengtson, Grundriss, I, p. 48 sq.; J. Heurgon, Rome, p. 263 (avec, pour chacun de ces ouvrages, la bibliogr. antérieure), sur le fondement de DH. 5, 50; 6, 74 et surtout 5, 61, 3 qui donne la liste des 29 (30) cités latines (soit l'ensemble du nomen latinum) qui, à Vaqua Ferentina en 498, se seraient liguées contre Rome. Cette liste remonte à une source digne de foi, mais énumère en réalité les cités latines qui souscrivirent au foedus Cassianum (juré par tous les peuples latins : Cic, Pro Balb. 23, 53) : voir ici la discussion (et bibliogr.) de P. Catalano, Linee del Sistema, op. cit., p. 257 sq. Il convient de préférer au témoignage de DH celui de Caton, Orig. 58 qui donne la liste complète (en ce sens, P. Catalano, op. cit., p. 174 sq.) des cités latines qui, après 508 (date du premier traité avec Carthage qui suppose le Latium encore uni autour de Rome - H. Bengtson, op. cit., p. 48) et avant 499, ont formé autour de Aricia la ligue dirigée contre Rome et que celle-ci affronta au lac Régule : on y trouve Tusculum, Aricia, Lanuvium, les Laurentes, Cora, Tibur, Pometia, Ardea; manquent Gabii (qu'un traité particulier liait à Rome, infra, p. 86 sq.), Préneste (qui abandonna les Latins pour Rome (Liv. 2, 19, 2 - cf. infra, n. 80 -, entraînant peut-être des cités 58
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dire par la victoire, historique 6 0 , des Romains. Il est très vraisemblable - et sur ce point, on se limitera à renvoyer aux recherches de A. Alfoldi 61 que Rome ne put vaincre qu'avec l'aide d'un autre clan étrusque, celui de Clusium dirigé par Porsenna. On a justement mis en doute qu'après une volte-face surprenante il eût brusquement, vers les années 508/507, quitté Rome après l'avoir prise; au contraire, s'étant h e u r t é en vain en 508, dans son désir d'établir son a u t o r i t é sur le Latium et peut-être la Campanie, aux forces conjuguées des Latins et du tyran de Cumes, Porsenna ou ses hommes contribuèrent 6 2 p r o b a b l e m e n t en 496 à assurer la victoire de R o m e sur une ligue qui, d'abord formée contre elle, puis vaincue, sera reconstituée sous son autorité et passera progressivement sous sa direction. C'est à ce moment, n o u s le pensons, que le territoire de Rome s'agrandit des conquêtes faites sur les cités latines devenues pour un temps, d'alliées, les ennemies de Rome.
liées à elle : cf. Liv. 6, 29, 6) ; Labici peut ne pas avoir été dissociée de la très proche et puissante Tusculum. DH. 6, 2, fait d'ailleurs état de défections (individuelles) chez les Latins. V. encore A. Bernardi, Nomen Latinum, Pavie, 1973, p. 25. 60 Un autre courant de la tradition attribue à Tarquin la victoire sur les Latins : Cic, De rep. 2, 24 : omne Latium hello devicit 61 Alors que la tradition présente Porsenna venu au secours de Tarquin pour le rétablir sur son trône, A. Alfoldi, op. cit., p. 62 sq., p. 74 sq., a prouvé que Porsenna fut en réalité un rival, par qui le dernier roi de Rome fut chassé; celui-ci tenta en vain, en s'appuyant sur la ligue des cités latines de reprendre Rome dont Porsenna s'était certainement emparé et qu'il dut conserver un certain temps. L'analyse très pénétrante de A. Alfoldi est suivie par J. Heurgon, Rome, p. 262 sq. L'interprétation contemporaine de R. Werner, Der Beginn der röm. Republik, 1963, p. 379 sq., paraît moins convaincante : prenant appui sur des détails assez peu significatifs, R- Werner soutient que le siège de Rome par Porsenna est un doublet de celui de Rome par les Véiens après l'échec des Fabii en 476 et que Porsenna n'est en réalité qu'un des souverains étrusques qui, dans la deuxième moitié du VIe siècle, occupèrent la royauté à Rome (p. 384 sq.). Il n'y aurait donc rien d'historique pour les années 508/499. La nouvelle chronologie qu'en déduisit R. Werner n'a d'ailleurs pas reçu l'adhésion de H. Bengtson, Grundriss, p. 44. 62 Porsenna lui-même ou des membres de son clan restèrent sans doute à Rome, après la défaite de leurs forces devant Aricia en 508, battues par Tarquin aidé de la ligue latine et d'Aristodème de Cumes. Ainsi s'expliquent : le traité que Rome et Porsenna auraient établi (Plin., NH, 34, 14, 139; Liv. 2, 15, 7; DH 5, 34, 4); les biens de Veii (alliée des Tarquins) restitués à Rome; les insignes du pouvoir offerts à Porsenna; l'accueil par Rome des restes de son armée défaite à Aricia (Liv. 2, 14, 8) et la présence dans les Fastes, entre 506 et 487, de noms étrusques (Larcius, Herennius, Tuscus). Pour tous ces faits, v. Liv. 2, 14-15 et DH 5, 36 et leur interprétation lumineuse par A. Alfoldi, op. cil, p. 76 sq., 234 sq., suivi par J. Heurgon, Rome, p. 265 sq. On peut alors penser qu'en face du clan des Tarquins soutenu par Tusculum et la ligue latine, Rome en 496 continue de disposer des forces de Porsenna.
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2 - La victoire de Rome en 493. La réalité de cette victoire fut, il est vrai, mise en doute par les historiens modernes, mais pour des raisons dont la relativité ne peut être niée et qui apparaissent moins sûres aujourd'hui. Les nouveaux rapports d'alliance établis en 493 par le fœdus Cassianum63 ont précisé, sur la base d'un fœdus aequum, les droits et devoirs de Rome et de la ligue latine 64 : mais l'égalité dans l'accord n'exclut pas du tout une victoire de Rome et n'oblige pas
63 La fragilité des arguments hypercritiques - notamment chez E. Pais, Storia di Roma I, 2, p. 32 sq. et encore dans Storia critica di Roma II, 1915, p. 144, pour qui le traité que Liv. 2, 33, 9 et Cic, Pro Balbo 23, 53 affirment avoir vu au Forum, gravé sur une colonne de bronze, ne daterait que de 338 (date reculée au IIIe siècle par E. Täub 1er, Imperium Romanum, p. 276 sq., et par A- Rosenberg, dans Hermes 54, 1919, p. 113 sq.) a été démontrée par G. De Sanctis, Storia dei Rom., II1, 1907, p. 97 sq. et dans Atti del I Congr. Naz. di Studi rom., I (Rome 1929), p. 231 sq. La chronologie traditionnelle est, de même, acceptée par H.Last, CAH, VII, 1928, p. 489; A.Alföldi, op. cit, p. 114 sq.; G. Giannelli - (S. Mazzarino), Trattato di Storia rom. P, Rome, 1965, p. 182 et 226 (avec bibl. crit.); H. Bengtson, Grundriss I, p. 49; R. M. Ogilvie, dans Hommages Renard II, 1969, p. 566 sq.; J. Heurgon, Rome, p. 261 sq., p. 291; J. Vogt, Die römische Republik6, Fribourg/Br., 1973, p. 65 sq.; dernièrement, en faveur de l'authenticité et l'historicité, K. E. Petzold, Die beiden ersten römisch-karthagischen Verträge und das foedus Cassianum, dans ANRW I, 1, 1972, p. 386 sq.; E. Ferenczy, Zum Problem des Foedus Cassianum, dans RIDA, 3 e S. 22, 1975, p. 223 sq.; A. Bernardi, Nomen Latinum, cit., p. 27 sq. 64 Le foedus Cassianum, connu pour l'essentiel par Denys d'Haï., 6, 95, 1 sq. (R. Werner, dans H. Bengtson, Die Verträge der griech. röm. Welt II, Munich et Berlin, 1962, p. 22 sq., n'a pas donné un inventaire complet des clauses connues du traité; cfr. infra, p. 92 sq.), est un foedus aequum, établissant des obligations égales pour chacune des parties : égalité de Rome et de l'ensemble des cités latines par l'alternance du commandement, par le partage égal du butin et par la forme même du traité. A. Alföldi poussant à l'excès, p. 119 sq., l'idée que la Rome de la fin du VIe siècle n'avait pas la puissance qu'on lui a reconnue jusqu'ici, s'est efforcé de prouver que Rome, dans les conventions établies par le foedus Cassianum, n'aurait eu guère plus de place qu'une des cités quelconques de la ligue : le commandement fédéral aurait appartenu à chaque cité, dont Rome, à tour de rôle. C'est un paradoxe difficile à accepter : les dimensions de son territoire (même dans la reconstitution de A. Alföldi), le principe du partage par moitié du butin (qui est formellement rapporté par la tradition : cf. R. Werner, /.c), le contexte même de la bataille du lac Régule et sa signification politique (Tarquin, évincé, échoue contre Rome bien que soutenu par la plupart des cités latines), sont des arguments qui feraient difficilement penser que Rome, après 493, est ravalée au rang d'une cité comme Nomentum ou comme Bovillae. En réalité, cette interprétation fausse l'esprit du foedus, qui au contraire marque juridiquement l'égalité de Rome en face des 29 cités latines. Voir de même, R. Werner, Beginn der röm. Rep., p. 467; P. Catalano, Linee, p. 250, n. 12; H. Bengtson, Grundriss, p. 49 (alternance du commandement entre les deux partenaires, Rome et le Latium). Pour A Bernardi, la, pas de clause sur le commandement, mais partage du butin.
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même à la réduire à un succès douteux65. Tout, en réalité, dépend du rapport des forces entre Rome et la ligue avant la bataille de 496. S'il est certain que Rome domina politiquement le Latium sous le règne de ses derniers rois, rien n'indique que pour cette période - que le nationalisme orgueilleux des historiens romains n'a pas plus épargnée qu'une autre -, elle puisait son autorité dans les prérogatives qu'un fœdus iniquum lui aurait juridiquement garanties66; il y a de bonnes raisons pour l'exclure67. Or, cette autorité et ce déséquilibre de fait au sein de la ligue
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Ainsi, notamment G. De Sanctis, Storia dei Rom. II1, 1907, p. 97 sq., insistant sur un soidisant recul de Rome, par rapport à l'époque royale, dans ses rapports avec la ligue, de même H.Last, CAH, VII, 1928, p. 489, p. 491; G. Giannelli, op. cit., p. 183; H. Bengtson, Grundriss, p. 49. Une alliance avec égalité des droits peut être la conclusion d'une victoire : il en sera ainsi en 486 pour l'extension du foedus aequum Cassianum aux Herniques. 66 La critique moderne est facilement séduite par une alternative, dont les deux termes sont excessifs; ainsi A. Alfoldi a pu nier que Rome, à l'époque royale, ait dominé le Latium; mais le premier traité avec Carthage (que A. Alfoldi a voulu reculer après 348) atteste clairement, aux alentours de 508, cette autorité au sein de la ligue. Inversement, cette domination ne doit pas être exagérée; comme R Werner, Beginn röm. Rep., p. 335 sq. l'a très justement souligné, la domination de Rome est due à son prestige : c'est une réalité politique qu'il serait excessif d'interpréter comme un pouvoir de commandement juridiquement fondé sur les clauses d'un foedus. Les travaux de A. Alfoldi sur le conflit Rome (Porsenna)/Latins (Tarquin) mettent en doute la thèse traditionnelle qui l'expliquait par la volonté des peuples latins de supprimer le pouvoir hégémonique dominant la ligue et d'instaurer un fédéralisme égalitaire : c'est en effet parmi les Latins que Tarquin, l'auteur, traditionnellement, de la puissance romaine sur le Latium, trouve ses troupes et ses partisans. Le rôle joué à la fois par Tusculum et par Tarquin montre que la première, si cette alliance avait triomphé, aurait à son tour dominé la ligue latine (dont Rome), et que le second pouvait difficilement passer pour le champion d'un fédéralisme libéral. On ne peut donc pas donner au conflit sa signification traditionnelle d'une révolte dans un esprit égalitaire, fédératif et antihégémonique de la ligue latine, soulevée contre la domination de Rome. Cela conduit donc à nuancer fortement l'idée que l'on se faisait jusqu'ici de la puissance de Rome, dont les excès auraient poussé le Latium à chercher à s'en affranchir. 67 R. Werner, op. cit., p. 336 et p. 372-373, a ramené à une invention tardive de l'annalistique le traité que Tullus Hostilius aurait établi entre Rome et les Latins, et que Tarquin l'Ancien, Servius Tullius, Tarquin le Superbe auraient renouvelé (DH. 3, 54, 2; 4, 26, 4; 4, 48, 349, 1; Liv. 1, 52, 2) : construction artificielle des historiens de Rome, dans le désir de donner à l'hégémonie que Rome aurait exercée sur le Latium la modération et la légitimité d'un pouvoir de droit. C'est une interprétation possible, encore qu'il ne soit pas sûr que l'annalistique ait voulu, par cette invention, donner à la puissance romaine un contenu plus modeste et modéré qu'elle n'aurait eu en réalité; c'était plutôt vouloir renforcer une autorité de fait et une direction politique, en lui donnant la consécration anachronique d'un traité imaginé, qui devait montrer la Rome royale isolée des cités de la ligue, traitant avec l'ensemble du nomen Latinum, pour obtenir de la ligue qu'elle reconnaisse juridiquement son autorité.
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latine, qui jouaient en faveur de R o m e avant 509, ne sont plus, après 508, qu'un souvenir; après la chute de Tarquin, une nouvelle ligue latine s'est reconstituée sans Rome 6 8 et contre elle. C'est cette ligue que Rome affronte près du lac Régule et dans laquelle elle obtiendra, en un premier succès, une très vraisemblable réintégration 6 9 : partageant pour l'avenir la direction politique et les actes de comm a n d e m e n t de la ligue, Rome, p a r son contrôle, échappera désormais à la menace d'une nouvelle coalition m o n t é e contre elle; les nouveaux termes de l'alliance ont donc transformé profondément au profit de Rome les rapports de force tels qu'ils étaient au sein du Latium à la veille de la bataille du lac Régule. Mais le traité de 493 a produit plus et mieux qu'un retour aux rapports de droit antérieurs au départ des Tarquins : par le fœdus Cassianum, Rome parvient à affirmer, face à l'ensemble des cités latines, une égalité juridique qui n'avait jamais été exprimée auparavant : on en déduit soigneusement les conséquences sur le plan du c o m m a n d e m e n t comme sur celui du butin. Rome put admettre, dans une concession très formelle, que l'année où l'un de ses magistrats exerçait le c o m m a n d e m e n t fédéral, il le fît iussu nominis Latini) elle pouvait accepter qu'on mît l'accent sur le caractère fédéral de son obligation à pourvoir aux postes de commandement 7 0 . Mais le profond déséquilibre au sein de la ligue entre une cité qui, à elle
68 DH. 5, 50 : exclusion des Romains de la réunion de Vaqua Ferentina et cf. supra, n. 59, pour les membres de la nouvelle ligue reconstituée près d'Aricia. Sur cette ligue, cf. G. De Sanctis, Storia dei Rom. IT, p. 90 sq. "" 69 Mommsen, Staatsr. III, p. 611 sq. = Dr. Publ VI, 2, p. 231 sq., a soutenu que Rome ne fit jamais partie de la ligue latine (nomen Latinum)', R. Werner, Beginn röm. Rep., p. 464, 467, partage la même conception, notamment après 493. Voir de même, plus rapidement, H. Last, CAH VII, 1928, p. 490. Il semble difficile cependant de dissocier les aspects religieux d'une ligue (et il est incontestable que Rome continue à sacrifier au sanctuaire fédéral) et ses aspects politiques. En faveur d'une réinsertion de Rome dans la ligue, cf. De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 102 (reconstitution de l'unité politique de Rome et du Latium); P. Catalano, Linee, p. 248 sq., 255; A. Alfoldi, op. cit, p. 119 sq.; G. Giannelli, Trattato di stor. rom. P, p. 183. H. Bengtson, Grundriss, p. 48 sq. ne prend pas position. 70 Cf. Cincius, ap. Festus, p. 276 L : . . . quo anno Romanos imperatores ad exercitum mittere oporteret iussu nominis Latini... Pour A. Alfoldi, op. cit, p. 119 sq., on aurait ici la preuve que le magistrat romain est soumis à l'autorité du conseil fédéral. C'est aller trop loin (v., dans R. Werner, Beginn röm. Rep., p. 464 sq., une critique ingénieuse du passage, où toute idée de délégation fédérale est rejetée). Cette expression traduit seulement l'idée que Rome est obligée, envers le nomen Latinum, de fournir un chef : celui-ci apparaît alors envoyé « sur l'ordre du nomen Latinum ». L'intérêt du témoignage de Cincius (voir, pour le texte complet, R. Werner, p. 463 ou Festus, p. 276 L) est de confirmer l'idée que Rome fit partie de nouveau de la ligue latine : d'où cette continuité de la chute d'Albe jusqu'au milieu du IVe siècle.
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seule, se voyait juridiquement reconnaître autant de droits que les 29 autres réunies, est la preuve la plus nette de la victoire incontestable de Rome. Assurée que le nomen Latinum n'agira plus en dehors d'elle et munie du moyen d'y faire entendre une voix démesurément prépondérante, Rome ne tarda pas à recueillir les fruits de son habileté diplomatique; p o u r r o m p r e en sa faveur u n e égalité, qui valut en réalité p o u r Rome une consécration juridique, il lui suffira d'y ajouter le poids de son prestige : la fondation d'un commune templum, le déplacement du sanctuaire fédéral d'Aricia sur l'Aventin 71 , m o n t r e r a rapidement que Rome sut tirer parti de sa victoire. Dans le sentiment qu'un traité égal ne saurait conclure un combat inégal et un succès militaire, certains historiens, comme récemment encore R. Werner, ont intercalé entre le fœdus de 493 et la bataille de 496 un premier traité qui aurait été, lui, iniquum12. Denys d'Haï. (6,21), il est vrai, mentionne au lendemain m ê m e des hostilités (496) un traité de paix et d'alliance. Mais dans cet acte, qu'il est difficile, en l'absence de preuves, de considérer c o m m e un fœdus iniquum73, on ne verra qu'une simple suspension des hostilités, et non un acte durable : on ne comprendrait pas, sinon, que les Volsques, au témoignage de Tite-Live et de Denys d'Haï, aient caressé l'espoir en 495 d'associer les Latins - ou certains d'entre eux - à une action contre Rome, ni que les Romains aient refusé aux Latins, en 494 74 , le
71 Problème très débattu : l'annalistique attribue à Servius Tullius (Liv.' 1, 45) la fondation sur l'Aventin d'un temple consacré au culte fédéral de Diane. A. Momigliano, dans Teno Contributo alla storia . . . II, 1966 (1962), p. 641 sq. a défendu cette chronologie; mais les arguments de A. Alföldi, op. cit., p. 85 sq., qui repoussent cette fondation au Ve siècle (avant 456, cf. J. Heurgon, Rome, p. 290) paraissent très séduisants; de même J. Heurgon, op. cit., p. 263. Sur cette question, v. F. H. Pairault, Diana Nemorensis.. ., dans MEFR 81, 1969, p. 425 sq. 72 R. Werner, op. cil, p. 461 sq : le foedus Cassianum, conclu trois ans après, devant la menace d'invasions volsques, n'aurait aucun rapport avec le récent conflit entre Rome et les Latins. 73 Dans l'esprit de DH, il s'agit du traité de Servius Tullius, renouvelé plusieurs fois, et encore en 496. R. Werner, assez curieusement, après avoir rejeté l'historicité de ces foedera de l'époque royale (supra, n. 67) accepte celui de 496, qui pourtant ne peut être détaché des précédents. L'identification de ce traité de 496 - dont Tite-Live ne dit rien - fait problème : comment expliquer que Rome, trois ans plus tard, aurait accepté un second traité plus défavorable (si l'on admet que le premier fût iniquum) sans qu'aucune menace l'y ait poussée ? De fait, le « traité » de 496 recouvre une trêve d'armes que sa proximité avec le foedus de 493 a exagérément amplifiée. 74 Liv. 2, 22, 1-4, évoque le projet avorté d'une coalition des Volsques et des Latins contre Rome en 496, et, en 495, les efforts restés vains des Volsques, alliés aux Herniques, pour obtenir l'alliance des Latins; cf. de même DH 6, 25, 3. En 495 (DH. 6, 25, 3 sq.) le Sénat refuse l'aide militaire des Latins, et en 494 (Liv. 2, 30, 8) il préfère assurer seul la défense, contre les Eques,
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droit de prendre les armes pour se défendre contre des invasions qui les menaçaient. En réalité, comme l'atteste la tradition conservée par Tite-Live, la paix n'est pas encore conclue en 495 et, parmi les Latins, il en est encore qui sont partisans de reprendre les armes contre Rome75. On pressent derrière ces années d'hésitation, de 496-493, que les exigences de part et d'autre furent particulièrement âpres; en fait, les Latins accepteront les conditions de paix avec difficulté et, on le verra, sous la contrainte de menaces extérieures. 3 - Spurius Cassius entre histoire et légende. Il ne semble pas faire de doute que Spurius Cassius qui, du côté romain, signa seul le traité de paix et d'alliance avec les Latins en 493, était partisan, pour le moins, d'une extension du territoire de Rome aux dépens des cités latines vaincues : c'est ce qui ressort du portrait que Denys d'Haï, lui prête lors des discussions sur le soi-disant premier traité de paix de 496. Alors que Titus Larcius conseille généreusement de ne rien faire ou que Servius Sulpicius se prononce pour la confiscation de la moitié de leur territoire, Sp. Cassius invoque le précédent d'Albe pour que le Sénat rase les villes défaites et confisque toutes leurs terres 76 . Il va de soi que cette opinion extrême ne convainquit pas - il n'y a rien à retenir, néanmoins, de l'indication, chez Denys d'Haï., selon laquelle le dictateur aurait finalement préféré la position de T. Larcius : il ne fut pas décidé autre chose cette année là que la suspension des hostilités. Mais les traits prêtés à Sp. Cassius
des Latins désarmés, plutôt que les laisser manier des armes : ces deux exemples sont isolés au Ve siècle, dans un contexte pourtant déformé par l'annalistique qui transforma en victoires romaines et en victoires communes des succès communs ou des succès latins. Si en effet les Romains avouent qu'ils n'aiment pas laisser les Latins agir seuls (en 474, Liv. 2, 53, 4-5; ~n 460, Liv. 3, 19, 8), les deux seuls cas où il leur fut interdit de prendre les armes dans une campagne pourtant commune, sont de 495 et de 494 et s'expliquent par une période où les Latins, ayant déposé les armes, n'ont pas encore reçu le traité d'alliance, qui devait préciser et leur sphère d'autonomie {in foedere Latino nihil esse, quo bellare cum quibus ipsi velint prohibeantur, Liv., 8, 2, 13) et la portée de leurs devoirs. 75 Liv. 2, 22, 4; en 495 restitution, par Rome, de 6.000 prisonniers latins et l'on reparle du traité, qui semblait définitivement rejeté {et de foedere, quod prope in perpetuum negatum fuerat, rem ad novos magistratus rejicerent) ; après ce geste de Rome, le parti de la paix l'emporte chez les Latins {pacis auctores in ingenti gloria esse). Le triennio deinde nec certa pax nee bellum fuit que Tite-Live (2, 21, 1) intercale entre 499 et 496, n'est peut-être pas une invention destinée à colmater les failles d'une chronologie incertaine (cf. ibid., 2, 21, 3) mais le reflet d'une tradition selon laquelle les Latins hésitèrent longuement à accepter les conditions de paix. 76 DH. 6, 19, 4 (T. Larcius); 6, 20, 1 (Servius Sulpicius); 6, 20, 2-5 (Sp. Cassius).
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doivent avoir un fond d'authenticité77; les dispositions dont il assortit la conclusion du traité avec les Herniques - reproduction fidèle, en 486, du traité établi avec les Latins en 493 - confirme le rôle sur ce point de Spurius Cassius. C'est lui, en effet, qui tint en 486 la place principale dans l'extension aux Herniques du fœdus Cassianum, après avoir « confisqué » les deux tiers de leur territoire : cum Hernicis fœdus ictum, agri paries duae ademptae. Inde dimidium Latinis, dimidium plebi divisurus consul Cassius erat (Liv. 2, 41), ce que Denys d'Haï. (8, 69 sq.) confirme. Le projet de distribuer à la plèbe une partie de ces terres, auxquelles on aurait ajouté une partie de Vager publicus occupé par les patriciens donnera naissance à une agitation agraire qui ne s'apaisera que douze ans plus tard (rogationes de 486, 485, 482, 481, 476 et 474). 4 - Rome et ses tribus s'étendent vers 493 grâce aux territoires pris aux Latins. Il serait vain de vouloir justifier dans leur détail tous ces événements ou de leur donner une succession précise, alors que les historiens de l'antiquité avouent parfois leur embarras (Liv. 2, 21, 3-4) et ne cachent pas un flottement certain de la chronologie; mais, à moins de se laisser séduire par une hypercritique qui, à l'opposé des annalistes, efface les événements du début du Ve siècle et les tasse en une fin de siècle farcie de trop de victoires muettes, nous pensons que la grande extension républicaine de Rome et la création des 11 «anciennes» tribus, créées après que Vager Romanus antiquus se fut figé, doivent se placer entre 496 et 486, vraisemblablement en 493. Le personnage de Spurius Cassius évoque irrésistiblement l'idée de confiscation et de partage de terres; l'agitation agraire du début du siècle le confirme78. Il n'y a pas, bien sûr, grand chose à retenir de la soi-disant confiscation des terres herniques pour les distribuer à la plèbe : il n'y a pas
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Masqué sous un costume anachronique, gracchien. Cf. E. Gabba, Studi su Dionigi da Alicarnasso, dans Ath. 39, 1961, p. 98 sq., mais dont l'hypercritique nous semble certaine. 78 Sp. Cassius a laissé dans l'histoire l'image de celui qui, le premier, posa le problème agraire : DH. 9, 51, 2. La confiscation d'une partie du territoire hernique est-elle historique? G. De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 9, le nie; mais si Rome et les Latins avaient besoin des Herniques, ceux-ci étaient encore plus menacés par les Eques : rien, alors, ne s'oppose à ce qu'on admette cette confiscation. Son historicité n'est d'ailleurs pas essentielle; son intérêt est de compléter le personnage de Sp. Cassius, et d'illustrer l'agitation agraire et les extensions territoriales de Rome du début du Ve siècle.
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de continuité possible entre Vager Romanus et le territoire hernique et il n'est pas fait m e n t i o n de colonies fondées à cette é p o q u e d a n s cette région; la confiscation a p u avoir lieu, mais profiter davantage aux Latins, alliés de Rome, qu'aux Romains eux-mêmes, et elle a surtout p o u r objet de justifier l'agitation agraire, certainement historique (il ne faut peut-être pas la dissocier d u p r o b l è m e des dettes qui, e n t r e 495 et 493, p r o v o q u a la sécession de la plèbe sur le Mont Sacré), et d a n s laquelle on verra le désir de la plèbe d'avoir accès aux terres nouvelles acquises sur les Latins 7 9 . C'était en réalité, de sa part, d e m a n d e r que soit t e n u e la promesse q u e le dictateur Post u m i u s avait faite à la veille de la bataille du lac Régule, celle de récompenser le courage p a r une part d'ager publicus (DH, 6, 9, 4). Le chiffre de 21 tribus atteint en 493, selon la tradition c o m m u n e à Tite-Live et Denys d'Haï, s'intercale très bien dans ce contexte. Pour la plupart, le nom d e s tribus nouvelles s'explique par les listes consulaires de cette époque 8 0 (il reste, il est vrai, quelques éléments obscurs, c o m m e le
79 Les demandes de terre du premier quart du siècle, la sécession de la plèbe entre 495 et 493, le problème des dettes soulevé alors, toute cette agitation que Sp. Cassius est censé avoir provoquée pour satisfaire ces revendications de la plèbe prouvent, à notre avis, que, audelà du Spurius Cassius démagogue prégracchien, il y eut chez lui la volonté d'obtenir la distribution de terres (prises par la conquête en 496 sur les cités de la ligue latine, à quoi s'ajoutèrent peut-être des assignations d'ager publicus - arrachées aux patriciens), c'est-à-dire la formation de nouvelles tribus rustiques : leur création daterait de 493, sans qu'elle ait réussi à réduire l'action de Sp. Cassius (ainsi en 486) ni les exigences de la plèbe (prolongées en vain de 486 à 474), si on se tient strictement à la chronologie. 80 Claudia : en 504, Attius Clausus émigré avec ses clients sabins (Liv. 2, 16, 4-5; reçu dans le patriciat, son immigration est peut-être à faire remonter à l'époque royale; mais cf. P. C. Ranouil, Recherches sur le patriciat, Paris, 1975); la terre qu'on lui donne formera «plus tard » (ovv XP°VV» DH. 5, 40) la tribu Claudia : en 495, selon Taylor, VD, p. 36, année du consulat d'Ap. Claudius Inregillensis; Horatia : M. Horatius Pulvillus, un des premiers consuls de la République, dédicataire du temple du Capitole, cons. suff. (?) 509; II, 507; Pont. 509; Papiria : C. Papirius, Pont. Max. en 509 et M! Papirius, Rex Sacrorum la même année (considérés comme non authentiques par Münzer, RE 18, 2, c. 1005 sq.; très nombreuses mentions dans les Fastes à partir de 449) ; Menenia : Agrippa Menenius Lanatus, cos. 503, rétablit en 494 la concorde entre la plèbe et le patriciat; autres mentions dans les Fastes : 477, 452, 442, 440, 439 . . . ; Voturia : C. Veturius, cos. 499 et T. Veturius, 494 : gens attestée à Préneste et consul l'année où Préneste, à la veille de la bataille du lac Régille, abandonne les Latins pour Rome : migration comme pour les Claudii? (cf. M. Torelli, L'iscrizione «latina» sulla coppa argentea délia tomba Bernardini, dans Dialoghi di Archeologia, I, 1967, p. 38 sq.); autres mentions dans les Fastes : 462, 455, 451, 417; pour la Cornelia, la Fabia et l'Aemilia (toutes trois font partie des gentes maiores) les premiers consulats sont de 485 (Ser. Cornelius Maluginensis et Q. Fabius Vibulanus) et 484 (L. Aemilius Mamercus) ; de 485 à 479, les Fabii occupèrent sans interrup-
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fait que les Valerii, par exemple, n'aient pas alors donné leur nom à une tribu)81- On comprend aussi que, devant le prix de la paix, les Latins aient tardé à l'accepter, mais les menaces de l'extérieur ont dû les y pousser : les Volsques, qui de 495 à 487 tentent chaque année de progresser82, les Eques en 49483» l e s Aurunques en 49584, menaçaient non pas Rome mais directement les Latins. Ces pressions ont pu les décider à conclure la paix et obtenir une alliance défensive sans laquelle ils auraient été emportés. Rome au contraire échappe pendant les premières années du siècle à ces invasions :
tion le consulat et, dans les Fastes, leur gens se retrouve en 467, 465, 459, 457, 442, 423, 421, 416, 415, 412 . . . ; pour les Cornelii : cos. 459, Xvir en 450; cos. 436, 426 et fréquents après 415; pour les Aemilii : cos. 478, 473, 470, 467, 438, 437, 434, 428, 426 . . . L'importance de ces gentes implique qu'une puissance politique et foncière considérable leur appartenait avant leurs premières charges républicaines; seule la Sergia fait une difficulté, car le nom de cette gens apparaît avec le décemvirat seulement en 450; puis cos. 437 et 428 et de nombreux tribunats militaires jusqu'à la fin du siècle. Clustumina et Galeria : supra p. 58 et n. 37 et 53. 81 Plusieurs gentes apparaissent dans les Fastes entre 509 et 493 (Larcii, Lucretii, Manlii, Postumii, Valerii, Verginii) et n'ont pas, pourtant, donné leur nom à l'une des tribus gentilices dont nous plaçons la création vers 493. L. Ross Taylor, VD, p. 6, n. 13, en a déduit qu'il n'était pas possible alors de retenir cette date pour l'apparition des tribus gentilices. L'argument a du poids, mais on pourrait l'invoquer aussi bien contre l'hypothèse de la création servienne (L Ross Taylor) que contre celle de la création tardive (K. J. Beloch, E. Meyer, A. Alfoldi supra, n. 4). Contre la première, on remarquera que les Valerii, une des gentes maiores, dont les origines remonteraient à l'époque de Titus Tatius (Plut, Numa, 5, 2; DH. 2, 46; Liv. 1, 25, 6 et v. RE 7 A 3, NR 89, c. 2311) et qui, dès les premières années de la République, aura une fortune politique considérable, ne donna pas son nom à une tribu, alors qu'elle fut, avec les Horatii, une des rares gentes qui ait laissé un souvenir pour l'époque royale - à la différence des Aemilii, Cornelii, Fabii, Sergii, Veturii, Menenii, et Papirii, qui pour L. Ross Taylor auraient été les principaux clans au début du Ve siècle -. On peut, en second lieu, utiliser aussi bien l'argument contre la thèse d'une création reculée au dernier tiers du Ve siècle; les Fastes, après 450, rapportent de façon constante les consulats et tribunats ntc.p. des Lucretii, Postumii, Manlii, Valerii et Verginii, qui n'auraient donc pas participé au vaste mouvement de l'extension des tribus si on le place à cette date. Il vaut mieux, dans ces conditions, recourir à l'ars ignorandi : à l'époque de Servius Tullius, en 493 ou dans la deuxième moitié du Ve siècle l'absence de certains noms ne s'explique pas. 82 Liv. 2, 22, 1-5; 2, 24-25; 2, 30, 14; 2, 33; 2, 34, 6; 2, 35, 6; 2, 39; 2, 40, 14. 83 En 494, Liv. 2, 30, 8; en 484 Tusculum semble même emportée par l'invasion des Eques : Diod. 11, 40 (et cf. Liv. 2, 42, 3) : «les Romains étaient en guerre avec les Eques et les habitants de Tusculum. Ils défirent les Eques . . . puis assiégèrent Tusculum et s'emparèrent de la ville des Eques». Münzer, RE 6, 2 v° Fabius, c. 1874, pense à une alliance entre Tusculum et les Eques; il nous semble que Tusculum, plutôt que d'être passée du côté des Eques, a été prise par eux. Entre 494 et 484 nombreuses références à des combats contre les Eques. 84 Liv. 2, 26.
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le conflit avec Veii ne commence qu'en 483 ou 48285 et si les Sabins donnent quelques inquiétudes après 495, ils ne parviendront pas à mettre en danger les extensions récentes de la Claudia et de la Clustumina86. La paix définitivement conclue, trois années après la bataille du lac Régule, fera chaque année lors des Feriae latinae, prolongées d'une journée, l'objet d'une commémoration 87 et, entre la ligue et Rome, désormais son égale, l'alliance fut établie sur un pied nouveau. C'est sur cette trame, qui, on le voit, ne s'écarte guère de la tradition, qu'il conviendra de décrire les premiers rapports entre Rome et les peuples soumis ou voisins, sans lesquels on risquerait de fausser les origines du municipium.
TV - CONCLUSION : INCORPORATION ET ALLIANCE, DU VIe AU IVe SIÈCLE
Quel enseignement, pour conclure, peut-on tirer de l'histoire primitive des tribus rustiques? Elle permet de retracer les progrès de l'extension romaine et ses formes : du VIe au IVe siècle, deux phases se distinguent nettement. 1 - Au cours de la première étape, le territoire et la population de Rome s'accroissent. Par le réalisme de leurs formes, les procédés d'incorporation des cités, qu'il s'agisse de leur population, ou de leur territoire, ou des deux à la fois, ne posent guère de problèmes juridiques. Un des premiers mobiles de la conquête et, par là, une des premières formes de la destruction sont le déplacement de la population d'une cité voisine, après une razzia. L'enlèvement des Sabines, celui des femmes de Crustumerium et d'Antemnae (Liv. 1, 9, 8 et 1, 11, 3) aux origines de la Rome royale se répéteront plus tard en des faits sans doute plus chargés d'authenticité : sous Tullus Hostilius, Albe fut détruite et la population transférée tout entière à Rome88. Il se forme alors une véritable fusion par l'annexion du peuple 85 Münzer, RE 6, 2 v° Fabius, c. 1874, ne croit pas au bellum inde Veiens initum de Liv. 2, 42, 9, (483) car non confirmé par D.H., qui, en revanche, indique pour 482 une offensive de Veii contre Rome (8, 91, 3 et Liv. 2, 43). 86 Tite-Live (2, 26, 1; 2, 27 et 2, 31) mentionne l'arrivée des Sabins jusque sur l'Anio, soit dans une région qui allait être partagée entre le clan des Claudii (cf. Liv. 2, 16, 4) et la tribu Clustumina; ces incursions ne semblent pas avoir duré, car il n'en est plus fait état pendant le premier quart du siècle. 87 DH. 6, 95, 3 : le caractère fédéral de la fête (cf. Wissowa, Religion und Kultus der Römer2, 1912, p. 124 sq.) donne la signification de l'allongement de sa durée. 88 D.H. 3, 29, 5; 3, 34, 1; Liv. 1, 28, 7. On ignore le moment où le territoire d'Albe fut englobé dans Vager Romanus : pour L. Ross Taylor, ce fut dès l'époque royale; cf. supra, p. 58.
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déplacé. Politorium, sous Ancus Marcius, Medullia et Ficana subirent le même sort 8 9 : déportation massive des habitants et intégration immédiate dans la citoyenneté romaine - du moins les droits que la plèbe partageait sont communiqués à ces nouveaux citoyens. Le but de la conquête, dans tous ces cas, est clair. Il ne s'agit pas d'acquérir des terres : il n'est pas fait allusion à u n partage quelconque au profit de colons romains ou d'une occupation d u site; détruit, il est abandonné. Mais la volonté des Romains est avant tout d'accroître leurs forces par le n o m b r e : d'où un accueil très ouvert et u n e intégration immédiate de ces cités latines 90 , dont le territoire, qu'aucune continuité certainement ne liait à celui de Rome, est délaissé avec la précaution qu'aucun autre peuple ne s'emparera du site abandonné (DH. 3, 38) - . Cette politique de cité ouverte se prolonge par l'accueil pacifique des individus; l'histoire primitive de Rome abonde en migrations individuelles de chefs parfois suivis de leur clan et qui ne sont pas toujours des conquérants (Liv. 2, 16, 4). L'enlèvement des h o m m e s se double parfois d'une confiscation du sol. On est alors en présence de ce long processus de l'extension territoriale de Rome. Les conquêtes, dont le cercle s'est progressivement élargi depuis les origines de Rome, seront réparties dans le cadre nouveau des tribus instituées par la réforme administrative et politique, capitale, de Servius Tullius. Il est possible et, à notre sens, vraisemblable même qu'après cette réforme les frontières du territoire possédé p a r Rome et par les Romains (ager Romanus) aient coïncidé avec celles de Vager Romanus antiquus, dont les limites avaient déjà franchi le Tibre et resteront inchangées p a r la suite. Au lendemain de la victoire du lac Régule en 496, une nouvelle extension territoriale - la dernière avant la conquête de Veii - s'est produite : les cités latines les plus proches de Rome, ou celles dont le territoire touchait aux limites de Y ager antiquus sont intégrées ou partiellement amputées par des annexions qui permirent la création, dans l'ensemble, de onze nouvelles tribus rustiques. L'emplacement et le n o m de ces dernières permettent parfois de les distinguer du groupe plus ancien. C'est ainsi, à titre d'exemple, qu'une partie du territoire de Fidènes 91 ou que, plus au-delà, en 499,
89 Liv. 1, 33, 1 et DH. 3, 37, 4; DH. 3, 38. Tellena aurait subi le même sort, mais on la retrouve parmi les cités qui souscrivirent le foedus Cassianum (DH. 5, 61). 90 Liv. 1, 33, 1: Ancus, . . . secutusque morem regwn priorum, qui rem Romanam auxerant hostibus in civitatem accipiendis, multitudinem omnem Romam traduxit... ; de même, 1, 33, 5. Cf. H. Last, The Servian reforms, dans JRS 35, 1945, p. 34 sq. 91 DH. 5, 43, 2. La garnison romaine laissée sur place occupe ce territoire. La cité ellemême ne sera prise qu'en 426 et l'objet, sans doute, d'une colonie ou d'une garnison fédérale.
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Crustumerium et son territoire furent absorbés 9 2 : d'où la création, en 495/3, de deux tribus la Claudia et la Clustumina93. La première fournit un bon exemple de la façon dont, sur une terre r é c e m m e n t conquise, une forte poussée migratoire (les Sabins venus à la suite de leur chef de clan Ap. Claudius) 9 4 , à laquelle certainement se mêlèrent des citoyens Romains, est reçue dans la cité et installée sur des terres distribuées : le peuplement mixte facilitera sa fusion dans la citoyenneté romaine. La seconde montre c o m m e n t tout un territoire (Crustumerium et son ager) put être directement incorporé dans la citoyenneté romaine : la cité absorbée n'a pas été détruite 9 5 et rien n'indique que la population fut déplacée; l'ancienne cité perdit certainement toute autonomie, sans m ê m e conserver u n e administration particulière, réduite sans doute à la condition d'un bourg, d'un pagus, où les lieux des dévotions cultuelles et le centre de l'unité administrative que constituait la tribu étaient regroupés 9 6 . La condition de Crustum e r i u m dut être partagée par bien des petits noyaux urbains proches de Rome et restés, après leur incorporation, des centres habités. Le schéma de ces extensions du territoire romain, cette politique d'incorporation se répétera un siècle plus tard par la prise de Veii, dont la signification historique saute aux yeux; c'est non seulement u n exemple
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Liv. 2, 19, 2. Sur leur date (495/3) et leur emplacement, Taylor, VD, p. 36 sq. et supra n. 58. 94 On donna à Ap. Claudius et ses clients la citoyenneté agerque trans Anienem (Liv. 2, 16, 5; DH. 5, 40, 5) : il est très tentant de placer ce territoire (et la tribu Claudia) sur le territoire qui venait d'être pris à Fidènes et déjà en partie occupé par des colons romains. 95 Liv. 3, 42, 3. 96 Cf. Taylor, VD, p. 8, sur la tribu, unité administrative. A. N. Sherwin-White, RO, p. 19 = RC2, p. 20, n'a pas, il nous semble, interprété exactement la signification politique et la nature juridique de l'incorporation de Crustumerium : en insistant sur une soi-disant conquête de la ville par Tarquin l'Ane, (mais qui n'a pas plus de contenu historique que la colonisation romaine de Crustumerium par Romulus (Liv. 1, 11, 4; DH. 2, 36 sq.) ou la «conquête» de Nomentum ou Ficulea par la même campagne de Tarquin l'Anc.-Liv. 1, 38, 4), en donnant à Vager Crustuminus une valeur religieuse qu'il n'a pas {supra, p. 53 sq. et A. N. Sherwin-White, op. cit., p. 19, n. 2), en passant sous silence la très probable création de la tribu Clustumina en 495/3 (A. Bernardi, dans Ath. 30, 1952, p. 20, n. 2), A. N. Sherwin-White n'a pas donné de la conquête de Crustumerium une image fidèle, et pensé pouvoir l'assimiler à la condition de Gabii, qui n'a rien de commun, et même à celle de Tusculum une fois devenue romaine : ces assimilations trop rapides, auxquelles les sources refusent leur concours, ont l'inconvénient d'aboutir à une conception de la citoyenneté dont les origines seraient non pas souples mais floues et de masquer la spécificité des diverses formes d'intégration ou d'alliance, qu'il est indispensable de respecter pour retracer l'histoire de la citoyenneté romaine. 93
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d'absorption qui est parmi les moins mal connus, mais il est aussi chronologiquement le plus proche de la création des premiers municipes et le rapprochement a de l'intérêt. Après un siège mémorable, Veii, réputée imprenable, est prise en 396. La ville n'est pas détruite (Liv. 5, 24) : elle fournira à plusieurs reprises un refuge aux Romains, notamment à leur armée, qui s'y étant retranchée (Liv. 5, 38, 5) en 390 put échapper aux conséquences de la défaite que les Gaulois lui infligèrent sur l'Allia et sortir quasiment indemne de la prise de Rome - où elle ne se trouvait pas97 -. Si les murs restèrent debout, Tite-Live rapporte que toute la population libre aurait été vendue : ce ne fut certainement pas le cas. C'eût été d'ailleurs contraire à la politique régulièrement suivie par Rome qui ouvrit très tôt les portes de sa cité aux peuples qu'elle avait réduits par les armes. Que les plus irréductibles adversaires de Rome, pris les armes à la main, aient été, sitôt les combats terminés, vendus sous la couronne, on l'admettra comme un des derniers épisodes des combats; mais le gros de la population, de la ville ou du vaste territoire qui lui appartenait, resta certainement sur place, de même que les territoires confisqués au même moment à Capène et aux Falerii devinrent romains avec la population qui continua à habiter et cultiver ces terres. Les précisions que donne Tite-Live permettent de se représenter comment, par un peuplement mixte, Romains et nouveaux Romains se partagèrent les terres nouvelles : en 393, Vager Veiens est réparti à la plèbe (Liv. 5, 30, 8); en 389, on distribue des terres et on donne la citoyenneté romaine aux Véiens, à ceux des Capénates et des Falisques qui avaient fui leur camp pour le parti romain 98 ; en 387, quatre nouvelles tribus sont créées, formées des nouveaux citoyens (Liv. 6, 5, 8)". Tous ces éléments se complètent mutuellement : le territoire de Veii et la fraction de Yager Capenas et de Yager des Falerii100 dont Rome s'empara sont répartis entre les
97 Ainsi A. Alföldi, Early Rome, p. 356 sq. Cela contribue à expliquer le relèvement rapide de Rome : son armée est sortie intacte du terrible raid gaulois; de même, infra, p. 151, n. 1-2. 98 Liv. 6, 4, 4, : eo anno in civitatem accepti qui Veientium Capenatiumque ac Faliscorum per ea bella transfugerant ad Romanos, agerque his novis civibus adsignatus. 99 Tribus quattuor ex novis civibus additae... 100 Capène et la cité des Falisques, Falerii, ont échappé à l'annexion : à chacune d'elle une paix a été accordée (Liv. 5, 24, 2-3; 5, 27, 11), qui dut être obtenue en échange d'une partie du territoire (le Sud de Yager Capenas, dans la région du lucus Feroniae, est devenu romain à cette époque : cf. G. D. B. Jones, Capena and ager Capenas I, dans PBSR 30, 1962, p. 123 sq.; mais rien n'indique que Capena elle-même et l'ensemble de son ager furent incorporés dans la cité romaine à ce moment là. Cf. infra, p. 261, n. 34; 246, n. 168.
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anciens occupants du sol101 et la plèbe romaine. On ignore tout des modalités précises selon lesquelles la redistribution du sol se fit; mais l'important est de retrouver dans ce type de conquête des éléments apparus très tôt et qui, par leur permanence, sont caractéristiques : une conquête par la fusion la plus complète. Lorsque la cité conquise - comme ce fut le cas, dès la fin de l'époque royale - a une frontière commune avec Vager Romanus, le territoire de Rome s'accroît par l'appropriation du sol, dont une partie (sans doute importante) est assignée ou distribuée102 : à la population conquise (maintenue, donc, le plus souvent en place) et à la plèbe romaine. Le nombre ou l'étendue des tribus rustiques augmente d'autant, mais sans que la population conquise se trouve isolée dans une circonscription qui lui serait propre : du fait du lien indissociable entre la tribu de l'individu et l'emplacement de ses biens, l'occupation mixte du territoire conquis rejaillit sur la composition de la tribu. Les Romains avaient ainsi découvert un procédé de fusion remarquable : non seulement au niveau inférieur, celui de la tribu en tant que circonscription administrative locale, par les contacts journaliers entre citoyens de vieille souche et nouveaux citoyens, mais également pour la vie politique de la cité. En évitant que les tribus nouvelles fussent composées exclusivement de nouveaux citoyens, Rome put, sans menacer l'équilibre politique de l'Etat (du fait de l'importance législative et électorale de la tribu, section de vote) ou sa cohésion militaire (la levée se fait par tribu103), absorber complètement des peuples aussi étrangers que les Etrusques de Veii104 ou de Capena ou les Falisques de Falerii, en leur accordant immédiatement la citoyenneté optimo iure. Il est évident que l'assimilation, si elle fut facilitée par ces formes de fusion, ne fut pas, elle, immédiate. La langue, quand elle différait, résista : on en a les preuves 105 ; les coutumes
101 II n'y a pas à retenir l'idée que seuls les déserteurs du camp ennemi auraient reçu la cité et des terres : même avec l'apport romain, ils auraient difficilement pu former 4 tribus. 102 Seule cette partie est comprise dans les tribus, à la différence de Vager Romanus non distribué. On ignore la proportion de l'un par rapport à l'autre. 103 Taylor, VD, p. 8 sq.; p. 14 sq.; infra, p. 318 sq. 104 L'incorporation complète des Etrusques de Veii en 387, puis l'incorporation dans la civitas sine suffragio des Etrusques de Caere moins de 30 ans après explique sans doute que Rome soit apparue comme une cité étrusque aux yeux d'historiens grecs du IVe siècle comme peut-être le pseudo-Skylax : cf. R. L. Beaumont, dans JRS 29, 1939, p. 85, n. 63. 105 Langue et écriture : D. Briquel, Sur des faits d'écriture en Sabine et dans Vager Capenas, dans MEFRA 84, 1972, p. 813 sq.
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familiales et religieuses ne se transformèrent sans doute pas du jour au lendemain, mais ici les indices font défaut. Cette fusion implique, dans les exemples rapportés, la disparition complète de la cité conquise : m ê m e si, comme ce fut le cas pour Veii, l'oppidum subsiste matériellement, il ne conserve aucune fonction politique ou administrative : u n e rivalité trop ancienne et trop puissante expliquait sans doute une forme de conquête aussi extrême, une concession de la citoyenneté imposée aussi brutalement. Plus d'autonomie aurait supposé un minim u m de volonté de collaboration. Il est certain que dans une extension semblable de la citoyenneté, il n'y avait aucune idée d'honneur; les historiens de Rome ne pouvaient pas m ê m e feindre d'y croire. Tite-Live va jusqu'à prétendre que ce sont les déserteurs qui, p o u r prix de leur lâcheté, reçurent terre et citoyenneté. 2 - Entre les deux termes marqués, d'une part par les conquêtes du VI e et des premières années du V e siècle et, de l'autre, par l'annexion de Veii, la politique de Rome au V e siècle à l'égard de ses voisins se détache vigoureusement : le Ve siècle est apparu en effet comme le siècle de l'alliance entre les peuples latins : aucune extension n'est faite par Rome à leurs dépens après 493. Trois traités - ceux, au moins, d o n t les Romains conservèrent toujours le souvenir - sont à l'aube de ces relations nouvelles : le traité avec Gabii attribué à la fin de l'époque royale; le foedus Cassianum conclu quelques années après, en partie à l'image d u premier, entre Rome et l'ensemble des cités latines; son extension enfin en 486 aux Herniques. La nouveauté des liens noués doit certes être nuancée. La solidité de l'esprit de fédération et sa durée pendant un siècle s'expliquent en grande partie par les impératifs d'une politique de défense commune, et dès que ces menaces extérieures se relâcheront, après la victoire sur Veii, Rome s'aliénera, par ses tendances à l'hégémonie, la fidélité de ses alliés; à l'alliance succédera la conquête au milieu du IV e siècle. Il est d'autre part certain que les traités du début d u V e siècle ont été eux-mêmes précédés de tentatives fédératives : mais on est dépourvu de toute indication précise sur leur contenu; on sait seulement qu'elles restèrent bien en deçà de la fédération établie après 493 106 . Si ces nuances doivent donc rester présen-
io6 Notamment : y eut-il des colonies mixtes, romano-latines, avant la conclusion du foedus Cassianum? C'est possible; sur les colonies de l'époque royale, v. les réflexions très suggestives et riches de J. Bayet, Tite-Live et la-précolonisation romaine, dans Rev. Phil, 12, 1938,
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tes à l'esprit, elles ne doivent surtout pas estomper l'importance des nouveaux liens fédéraux dont l'établissement au début du Ve siècle constitua pour les Romains la véritable charte du droit latin. Quelle signification l'alliance a-t-elle par elle-même? L'alliance traduit principalement une victoire sur l'isolement des cités. Son objectif principal est de réduire l'exclusivité du droit de cité de chaque partenaire de la ligue formée, en tissant d'une cité à l'autre les liens juridiques qui atténueront et assoupliront pacifiquement l'indépendance de chacune. Les relations fédérales présupposent par là - puisqu'elles sont dirigées contre elle - l'existence de cités indépendantes, à l'autonomie déjà formée. On se limitera, pour le Latium, à en donner les preuves les plus nettes. Du VIIe au VIe siècle, les conquêtes du sol et les annexions territoriales, les déplacements de population, les phénomènes migratoires107, les nombreux exemples d'exil ou d'asylie108 prouvent que les cités latines étaient, dès l'époque royale, pourvues chacune d'un territoire aux frontières nécessairement fixées et d'une communauté civique dont on pouvait se détacher par l'émigration ou l'exil, ou à laquelle, au contraire, on pouvait se joindre par une adhésion volontaire. Plus nettement encore, on sait que le droit privé de chaque cité restait fermé, sans une concession spéciale, aux citoyens des autres cités latines. Il est formellement attesté, pour une épo-
p. 97 sq., notam. p. 106 sq. montrant qu'elles sont «plutôt des mouvements démographiques que des actes de volonté politique», ou encore des fondations spontanées plus proches du coup de force que de l'opération méditée. On doutera en particulier du caractère fédéral des colonies fondées au cours des premières années de la République: Cora, «colonie latine» avant 503 (Liv. 2, 16, 8), Signio, «fondée» à l'époque de Tarquin l'Ane, (cf. J. Bayet, art. cité, p. 103, n. 2), objet d'un nouvel envoi de colons en 495 (Liv. 2, 21, 7); car les relations fédérales sont suspendues ces années-là. Pour Velitrae, en revanche, (fondée en 494, ou en 492, DH. 7, 12, 5) et Norba (fondée en 492, DH. 7, 13, 5 et Liv. 2, 34, 6), la fondation mixte est admissible pour ces dates. »°7 Liv. 1, 11, 4; 1, 29, 4; 1, 34, 1; 1, 35, 4; 2, 16, 3 sq.; DH. 3, 47, 2; 4, 22, 4; 6, 55. 108 L'exil, par la mutatio soli {et civitatis) a pour effet de mettre le condamné en dehors de la communauté civique à laquelle il appartenait déjà, sans toutefois mettre la cité qui l'accueille sous la menace de représailles (l'asylie grecque manifeste bien cet aspect; il se retrouve à Rome : c'est l'objet de la clause relative au ius exilii expressément prévue dans certains traités - par ex. le foedus aequum entre Naples et Rome de 326 : Pol. 6, 14, 8). L'exil marque clairement la conscience de l'appartenance à un groupe exerçant son autorité sur un territoire limité et reconnaissant des groupes équivalents ou rivaux. Exemples anciens d'exil au sein du Latium : Lavinium (Liv. 2, 2, 10 en 509); Tusculum (Liv. 2, 15, 6 en 506); Gabii (fin du VIe siècle, Liv. 1, 53, 5); Lanuvium (Liv. 3, 29, 7 en 458); Tibur (Liv. 3, 58, 10 en 449); hors du Latium : Liv. 1, 60, 2 (Caere en 510); Liv. 2, 35, 7 (Volsques, 491); DH. 4, 5, 3. Voir sur l'exil, le beau travail de G. Crifô, Ricerche su.lV«exilium» nel période- repubblicano, Milan, 1961.
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que antérieure au foedus Cassianum, que le droit de contracter un mariage légitime n'est possible, d'une cité à l'autre, qu'en vertu d'un traité (l'idée même du foedus, d'une cité à l'autre, est encore u n e preuve manifeste de l'autonomie de chaque cité latine) dont l'application est suspendue (même rétroactivement!) dès que s'ouvre l'état d'hostilité 1 0 9 . Ces quelques exemples suffiront à m o n t r e r que, dès l'époque royale, la notion de citoyenneté et de cité politique est déjà parfaitement formée à Rome et dans le Latium. C'est extrêmement important p o u r c o m p r e n d r e la signification de l'alliance établie par les traités du d é b u t de la République et qui domineront tout le Ve siècle. On est loin de la c o n c e p t i o n de A. N. Sherwin-White qui, parti de l'idée d'une c o m m u n a u t é j u r i d i q u e primitive dans le Latium, repoussait jusques après le milieu du IVe siècle la formation à R o m e et dans le Latium de la notion de cité et de citoyenneté 1 1 0 . Le postulat mommsénien du nomen Latinum primitif n'exerce plus aujourd'hui sa force de séduction romantique et les sources sont suffisamment explicites p o u r que l'on reconnaisse que les liens entre les cités d u Latium, dès l'époque royale, sont d'abord des liens de cité à cité 111 . Les t e n d a n c e s fédératives, loin de refléter les prolon-
io9 y 0 j r i c j i e texte très important de DH. 6, 1, 2 : à l'approche du conflit entre Romains et Latins, le conubium est rétroactivement supprimé : le témoignage de Denys d'Haï, est certainement déformé, mais son substrat, certainement authentique, est une suppression du conubium, dont l'existence suppose une convention et qui n'existe pas à l'état naturel entre les peuples latins, au cours des années précédant le foedus Cassianum : M. Voigt, Das lus Naturale der Römer II, Leipzig, 1858, p. 142, n. 131; P. Catalano, Linee, op. cit., p. 101. 110 Pour cet auteur, l'idée et l'expression même de conubium ou de commercium (supposant des citoyennetés déjà formées) seraient postérieures à 338 : Rom Cit., p. 14 sq., p. 30 sq. : l'argument tiré de l'apparition « tardive » du terme n'a pas grande portée. Ainsi, les actes les plus importants du droit privé, les procédés d'acquisition des terres, par la mancipatio, sont accessibles aux Latins : cf. M. Käser, Zum Begriff des Commercium, dans Studi Arangio-Ruiz II, Naples, 1953, p. 131 sq.; c'est en ce sens que l'on peut dire commodément que le commercium a été concédé à chaque cité et réciproquement par le foedus Cassianum (R. Werner, dans H. Bengtson, Die Staatsverträge des Altertums II, Munich, 1962, p. 25 sq.). Pour G. Sautel, Essai sur le commercium, dans Varia I, Paris, 1953, ces actes du droit privé, non encore globalement compris comme le commercium, auraient appartenu à chaque peuple latin du fait d'une communauté primitive, plutôt qu'en vertu d'un traité. Pour A. Guarino, Commercium e ius commerça, dans Le Origini Quiritarie, Naples, 1973, p. 278 sq. le commercium serait né au début du IVe siècle - pour des motifs qui n'ont rien de décisif. 1,1 Cf. les importantes recherches de P. Catalano, Linee, p. 99 sq., 218 sq. La naissance politique et la naissance topographique de la cité sont deux phénomènes liés : dès la seconde moitié du VIIe siècle, M. Torelli (Tre Studi di Storia etrusca, dans D. Arch. 8, 1974-5, p. 42 et n. 87) voit une « correspondance intégrale entre nomen et urbs ». V. encore, A. Bernardi, Nomen Latinum, op. cit, p. 10 sq.
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gements d'une sorte de citoyenneté fédérale ou communautaire qui aurait retardé l'éclosion de l'autonomie de chaque cité, sont, au contraire, les efforts, parfois laborieux et toujours intentionnels, pour rompre l'isolement et accroître, par des liens communs, par des relations plus étroites, les forces communes. C'est, dans cet esprit, que l'on étudiera Yisopoliteia établie entre Rome et les Latins, un des plus beaux aspects de l'alliance qui domina tout le Ve siècle.
CHAPITRE III
L'ISOPOLITEIA DES PEUPLES LATINS
La condition des peuples latins, au regard de la citoyenneté romaine, présente une importance considérable pour la définition du municipium; de Niebuhr à Mommsen ou à Sherwin-White, il n'est pas d'étude qui ne se réfère plus ou moins explicitement à la première pour aider à mieux saisir la réalité de la seconde. Notre propos ne sera pas différent, et la méthode non plus, sinon en ce qu'elle s'efforcera de prolonger davantage la comparaison et d'insister, en les serrant au plus près, sur les différences, à notre sens irréductibles, qui permettent de mieux apprécier les conditions de fédéré latin et de municeps. Apparues à des époques différentes, elles ne se confondront jamais par la suite, en dépit des risques de contamination dus à des créations ultérieures parfois contemporaines; car, à chacune, les Romains ont gardé par réalisme plus que par traditionalisme sa structure et son originalité premières. Pour retrouver celles du droit des Latins, deux sources de portée très différente sont à notre disposition. C'est, en premier lieu, Denys d'Halicarnasse, qui transpose, traduit ou transforme à l'aide d'un terme grec, celui d'isopoliteia, la condition que les Gabini, puis les Latini auraient échangée avec les Romains; mais on lui reproche en général d'avoir mal compris les institutions romaines, de les avoir déformées par une institution grecque sans équivalent à Rome 1 et même, ainsi que sa terminologie incertaine en
1 Mommsen, Staatsr. III, p. 231, n. 1 = Dr. Publ. VI, 1, p. 261, n. 4 : (l'isopoliteia) «est la façon dont les Grecs considèrent la situation dans laquelle sont les Latins par rapport aux Romains : du fait de leur droit de vote, les Grecs considèrent que les Latins ont un véritable droit de cité OrcoXi/CEia, ùroroXiTEia); c'est assez concevable, mais c'est contraire à la conception romaine». Pour la majorité des auteurs la «soi-disant» isopolitie de Denys ne serait rien d'autre que la jouissance immédiate, pour les Latins, d'un certain nombre de droits possédés en commun avec Rome : le conubium et commercium pour K.J. Beloch, RG, p. 196 et E. Manni, Per la Storia, p. 32; avec en plus le ius migrandi pour F. De Martino, Storia IF, p. 76 sq. (l'isopoliteia impliquerait un cumul de citoyennetés contraire aux principes romains : le rapprochement serait sonc abusif; de même, P. Catalano, Linee del Sistema sovrannazionale romano
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témoignerait 2 , de n'avoir eu qu'une idée approximative du sens véritable de Yisopoliteia. Mais rien n'est moins sûr; on s'est longtemps ingénié, à partir d'une idée au fond inexacte de l'isopolitie, à d é m o n t r e r que Denys d'Haï, ne pouvait que se tromper : on se demandera ici, au contraire, en reprenant les éléments de la condition latine, pour quelle raison Denys la définit par un terme qui n'est peut-être qu'une image, mais dont le grand mérite est qu'elle mettait l'accent sur l'élément le plus important - aux yeux d'un Grec - de la condition latine. La seconde source est plus sûre, mais le champ historique qu'elle éclaire est certainement partiel : Tite-Live, Appien, les lois municipales espagnoles contribuent de façon essentielle à la connaissance du droit fédéral latin, mais restent muets sur ses origines; et si une partie des historiens parvint- à u n e unanimité remarquable, celle que Denys d'Haï, avait créée contre lui, il faut reconnaître qu'au contact des témoignages les plus solides elle ne résista pas. Les divers éléments de la condition latine, à commencer par le précédent de Gabii, méritent sous cet aspect u n nouvel examen. On s'efforcera ensuite de dégager de la délicate isopoliteia ses traits les plus originaux, ceux qui, communs aux relations politiques des Grecs et du Latium primitif, permettront de mieux saisir un aspect essentiel du ins Latii et de justifier chez Denys d'Haï, l'expression qu'il employa.
I - L'ISOPOLITEIA DU FOEDUS GABINUM
Au témoignage de Denys d'Haï. (4, 58, 3), les deux cités voisines de Gabii et de Rome ont conclu, à la fin de l'époque royale, un traité qui concéda aux Gabini TT)V 'Ptoumcüv ùro-rcoXiTEiav. La date traditionnelle 3 en a
I, Turin, 1965, p. 99, n. 20 : incapacité de Denys à comprendre le droit public romain). Une des conceptions les plus intéressantes, parce qu'une des plus respectueuses de la pensée de Denys d'Haï, est celle de Rosenberg, Die Entstehung des sog. foedus Cassianum, dans Hermes 20, 1920, p. 337 sq., notam. p. 354 sq.; mais la notion grecque de l'isopolitie est faussée dans cette étude : elle ne consiste pas dans le droit de jouir des droits privés et politiques d'une autre cité, mais, on le verra, dans le droit d'y acquérir la citoyenneté. 2 A. Schwegler, Rom. Gesch. II, Tübingen, 1856, p. 316 sq.; J.N. Madvig, L'Etat Romain (trad. franc.) I, Paris, 1882, p. 80 sq.; Täubler, Imperium Romanum I, Leipzig, 1913, p. 389 sq.; voir de même P. Catalano, I.e., pour qui Denys d'Haï, appliquerait ce terme sans discernement à des situations très différentes. Ces reproches ne sont pas fondés, infra, p. 94; 123 sq. 3 Confirmée par Hor., Epist, 2, 1, 25 : foedera regum vel Gabiis vel.. . En ce sens: K.J. Beloch, It. Bund, p. 47; H. Dessau, CIL XIV, p. 278; G. De Sanctis, Storia dei Rom. P, p. 365, n. 2, p. 389; H. Last, CAH, VII, 1928, p. 393, p. 404; P. Catalanö, Linee, op. cit., p. 89, n. 14 (bibliogr.
L'ISOPOLITEIA DES PEUPLES LATINS
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été contestée, mais pour des raisons dont la fragilité est évidente; il n'y a guère de motifs pour placer après 466 4 la conclusion de ce foedus, alors que la tradition confirme sous plusieurs aspects qu'il précéda le foedus Cassianum et servit sans doute de modèle à certaines de ses dispositions. L'épisode de la chute de Tarquin illustre l'étroitesse des liens qui unissaient alors Rome à Gabii : c'est vers cette ville que Tarquin, fondateur de l'alliance avec Rome et d'une dynastie issue de son sang, puisque son fils aurait été roi à Gabii, dirige ses premiers efforts pour trouver des secours contre l'invasion de Porsenna qui lui avait ravi Rome 5 ; mais les raisons de son échec sont aussi transparentes que le sens de sa démarche : Rome tombée entre les mains de Porsenna, l'histoire de Gabii suit le m ê m e destin. Tarquin, selon la tradition, ne put trouver à Gabii les renforts qu'il cherchait 6 ; son fils y fut tué 7 , et les Gabini, selon une interprétation possible, auraient été appelés en renfort par Porsenna 8 . D'où l'absence de Gabii parmi les cités latines fédérées autour d'Aricia contre Rome, d'où aussi le maintien, au-delà du foedus Cassianum de 493, des liens particuliers que Rome avait établis avec Gabii.
compl.). De même, en faveur de l'historicité (époque royale), P. Bruun, The foedus Gabinum, dans Arctos 5, 1967, p. 51 sq. et K.E. Petzold, Die beiden ersten römisch-karthagischen Verträge und das foedus Cassianum, dans ANKW I, 1, 1972, p. 400 (antérieur au foedus Cassianum de 493 - mais postérieur (?) à la bataille d'Aricia de 508). 4 Ainsi E. Pais, Storia dei Romani I, 1, Turin, 1898, p. 357 : puisque le temple de Semo Sancus qui du temps de Denys d'Haï, conservait encore le texte du foedus (4, 58, 4) fut consacré en 466, le traité qu'il abrita ne peut pas être antérieur à cette date. G. De Sanctis, op. cit., p. 365, n. 2, a clairement montré que cet argument ne pesait pas lourd; il est cependant repris par A. Alfoldi, Early Rome, p. 379. R. Werner, Der Beginn der röm. Rep., Munich-Vienne, 1963, p. 430, n. 2, du fait de la chronologie rajeunie qu'il adopte, déplace le traité, sans motifs particuliers, à la première moitié du Ve siècle; de même E. Bayer, Rom und die Westgriechen, dans ANRWl, 1, 1972, p. 319. 5 DH, 5, 3, 1. Sur Tarquin chassé de Rome par Porsenna, v. A. Alfoldi, Early Rome, p. 51 sq., 73 sq. 6 DH, 5, 3, 1 : réfugié à Gabii, Tarquin ne put s'y maintenir, faute de renforts, et dut partir pour Tarquinia. 7 Selon la tradition livienne (Liv. 1, 60, 2) qui complète les faits rapportés par DH et contribue à prouver que Gabii ne prit pas, contre Rome et Porsenna, le parti des Latins et de Tarquin. 8 Selon DH. 5, 22, 4, au cours de son siège contre Rome, Porsenna reçoit l'aide des Tarquins, eux-mêmes aidés des Latins et des meilleures troupes de Gabii : il est certain que jamais Porsenna ne disposa de l'aide de Tarquin ni des Latins; peut-on dissocier Gabii des Latins, comme l'on doit dissocier Tarquin et Porsenna, et accepter la collaboration Gabii-Porsenna (contre Tarquin et les Latins) ?
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
Si, au contraire, Gabii avait quitté R o m e p o u r les Latins, la peau de bœuf qui conserva dans la m é m o i r e des Anciens les dispositions du traité conclu par Tarquin n'aurait plus contenu q u e des clauses c a d u q u e s 9 ; ou il faudrait s u p p o s e r une conclusion postérieure à 493 : mais ce q u e l'on sait de ses dispositions, en particulier en ce qu'elles fixaient la condition de Yager Gabinus10, s'y oppose. Le foedus Gabinum, qui était aequumn, a c c o r d a à l'ensemble des Gabini «l'isopolitie des Romains», c'est-à-dire selon u n e traduction littérale, la citoyenneté r o m a i n e égale ou complète. Mais quelle réalité r o m a i n e , pour Denys d'Haï., recouvrait ce t e r m e grec? Il est t o u t d'abord certain q u e cette citoyenneté, d o n t on insiste sur le fait qu'elle est complète, n'est pas actuelle, et c'est u n point s u r lequel Denys d'Haï, m e t n e t t e m e n t l'accent :
9 C'est ainsi que la guerre entre Rome et le Latium vers 500 provoqua la rupture des traités particuliers établis entre Rome et les villes latines (DH. 6, 1, 2); le foedus Cassianum en 493 rétablit sur une base nouvelle les relations renouées. Si elle avait pris part au soulèvement, Gabii aurait dû demander de Rome le renouvellement de son foedus; l'aurait-elle obtenu? On peut en douter, car les dispositions du foedus Cassianum (notamment pour Yisopoliteià) reprennent les clauses connues du traité de Gabii : se recoupant l'un l'autre, le traité le plus général (foedus Cassianum) est nécessairement le plus récent. Mais on gardera à l'esprit que : 1) Gabii (qui figure dans la liste de DH. 5, 61, 3) a certainement été associée aux dispositions du foedus aequum Cassianum, car elles dépassent largement la convention d'isopoliteia; 2) le foedus Gabinum antérieur n'est pas devenu pour cela sans objet : ses dispositions sur le droit augurai et sur le statut de Yager Gabinus justifiaient qu'il fût globalement respecté. 10 Varr., LL 5, 33, reproduit les distinctions selon le droit augurai entre Yager Romanus, Gabinus, peregrinus hosticus et incerîus. P. Catalano, Linee, op. cit., p. 273 sq. a très bien montré contre Mommsen (Staatsr. HI, p. 598, n. 4 = Dr. PubL VI, 2, p. 216, n. 1) que, pour Varron, l'a. Gabinus est un type unique résultant du foedus Gabinum, et qu'il ne peut pas être étendu aux autres cités Latines (= a. peregrinus). Des précisions chronologiques importantes en découlent : la création de la catégorie augurale «a. Gabinus» prouve que lors du foedus. Gab., les catégories augurales (et les frontières des territoires auxquels elles correspondaient) n'étaient pas encore figées (ainsi, P. Catalano, op. cit., p. 277, n. 25) ; cela veut dire qu'à cette époque (fin de la royauté) il y a encore coïncidence entre territoire romain (fines populi Romani) et territoire auguralement romain (ager Romanus antiquus)', il en était, à plus forte raison, de même à l'époque (servienne) de la création des tribus. Mais la cristallisation des catégories et des frontières dut se faire très vite, puisque toutes le» extensions romaines après la guerre latine du début du Ve siècle resteront en dehors de Yager Romanus, devenu depuis peu fossile, et conserveront leur nature religieuse et augurale à'ager peregrinus. 11 Voir ici les observations très justes de A. Alföldi, Early Rome, p. 380, sur le statut de Yager Gabinus : il est juridiquement assimilé - sans être confondu avec lui - à Yager Romanus antiquus : « this unique, juridically valid équation proves that the foedus was concluded on the basis of equal rights between the two partners ».
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les Gabini sont qualifiés, a p r è s le foedus, de cpiXoi et non de tPwu.aïoi12; le territoire de Gabii et l'ensemble de ses institutions sont respectés 1 3 ; la réciprocité de Yisopoliteia, telle qu'elle résulte du foedus aequum, suppose enfin nécessairement que la civitas Gabina, c o m m e la civitas Romana, est restée intacte puisqu'elle était offerte à titre de réciprocité aux cives Romani. Mais d a n s quelle m e s u r e cette citoyenneté r o m a i n e donnée aux Gabini pouvait-elle être qualifiée à b o n droit de complète? Denys d'Haï. (4, 57, 3) le précise aussitôt à l'aide d'un exemple : les Antistii, en u n e récompense individuelle qui p a r la conclusion m ê m e du foedus rejaillit aussitôt sur l'ensemble des Gabini, ont reçu à Rome la citoyenneté r o m a i n e (TOXITEIOCV TE TTJV èv •pwu/n 5cj<7£iv ecpT]). L'intégration p a r m i les patriciens 1 4 et, entre autres dons, l'attribution de terres et de maisons achèvent de m o n t r e r que c'est à Rome même q u e la citoyenneté r o m a i n e p r e n d corps et que son caractère complet, optimo iure, se manifeste 1 5 . Il est évident que dans la pensée de Denys
i2 DH. 4, 58, 4. 13 DH. 4, 58, 3 : «Tarquin ne mit à mort aucun citoyen de Gabii, n'en exila aucun, ne confisqua à personne sa propriété . . . ; non seulement il leur rendit leur cité et leur permit de conserver telles quelles leurs propriétés, mais leur donna aussi Yisopoliteia ». Pour Liv., 1, 54, 10, le fils de Tarquin se serait débarrassé des principaux citoyens, mais la ville fut livrée à Rome sans combat, sine ulla dimicatione. La réalité d'un conflit reste donc douteuse; même si on l'admet, on ne doit pas en déduire qu'une victoire de Rome exclut la possibilité d'un foedus aequum. De la mention, par Macr., Sat 3, 9, 13 d'une devotio de Gabii, il n'y a rien à tirer pour notre propos : épisode ayant lieu au cours d'une bataille, la devotio ne préjuge ni de son issue, ni des formes juridiques du traité qui rétablira la paix; le témoignage de Macrobe est d'ailleurs contesté par R.EA Palmer, The archaic Community of the Romans, Cambridge, 1970, p. 181. 14 Expression peu heureuse, mais intéressante, de Denys d'Haï. : jamais les Antistii ne furent patriciens; leur nom apparaît pour la première fois en 422 (puis en 420) comme tribuns de la plèbe et Denys d'Haï, ne pouvait ignorer que les Latins devenus citoyens romains (comme tous les citoyens « d'adoption ») n'accédaient pas au patriciat. Mais, voulant montrer que la civitas Romana offerte donnait les droits politiques pour ceux qui l'acceptaient, il a prêté aux Antistii un patriciat qui, avant le IVe siècle, était la qualité indispensable pour jouir de l'ensemble des droits politiques romains. 15 Interprétée littéralement, l'anecdote des Antistii suppose dans l'esprit de Denys d'Haï, une intégration immédiate et complète, à Rome, dans la civitas Romana. Il n'y a pas place, à priori, pour l'hypothèse d'une sorte de stage : en ce sens W. Seston, La citoyenneté romaine, dans XIIIe Congrès International des Se. Hist Moscou, 1970, p. 5 de l'extrait, pour qui les Latins de Gabii installés à Rome auraient été «traités en citoyens romains avant de l'être effectivement optimo iure». Le tribunat des Antistii en 422 et 420 (seulement) ne permet pas de conclure qu'un délai était nécessaire pour accéder aux « magistratures », ni non plus que la venue à Rome des Antistii aurait précédé de près d'un siècle leur élection à la tête de la plèbe : le monnayage des / / / viri monn. C. Antistius Vêtus (16 av. J.-C.) et C. Antistius Reginus
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d'Haï., les Gabini, si on quitte l'hypothèse de leur installation individuelle à Rome, ne sont pas devenus citoyens romains, par là que Yisopoliteia romaine n'a pas donné à Gabii la civitas Romana : amis ou alliés du peuple romain au sein d'une cité qui conserva son intégrité territoriale et politique, il est bien clair que la « citoyenneté complète » qu'ils ont reçue ne peut être qu'une citoyenneté complète offerte. Le témoignage unique de l'auteur grec, encore qu'il s'appuie sur le texte du traité, conservé de son temps, doit être mis en présence d'autres sources, avant que l'on pose la question des réalités romaines qu'il recouvre. De fait, le choix est rapide : sur l'histoire républicaine de Gabii - si on laisse de côté l'originalité de Yager Gabinus qui n'est d'aucune utilité p o u r connaître le statut de Gabii -, on dispose d'un indice unique, la constitution IV virale du municipium Gabinum créé après 90 16 . Cet indice n'est pas luim ê m e univoque : on p e u t y voir la preuve que Gabii, romaine avant 90, n'a accédé à la qualité de municipium c o m m e Bovillae, qu'après 90 17 , ou, très différemment, que Gabii, comme Tibur ou Préneste, est restée une cité latine ne parvenant à la condition de municipium et à la civitas Romana qu'après 90 18 . Il est t r o p tôt pour se prononcer. Indiquons seulement que l'on peut exclure dès maintenant que Gabii, qu'elle fût restée latine jusqu'en 90, ou qu'elle fût devenue r o m a i n e avant cette date, ait été un municipium avant la guerre sociale 19 . Le témoignage de Denys d'Haï., inter-
(13 av. J.-C.) avec la légende foedus PR quum Gabinis fait penser que la tradition, dont Denys d'Haï, se fit l'écho, d'une concommittance entre le foedus Gabinum et la venue à Rome des Antistii est récente. Le rôle politique joué à l'époque de Denys par cette famille (cf. Broughton, MRR II, p. 530), qui allait s'ouvrir la voie au consulat (atteint en 6 av. J.-C), expliquerait bien une anticipation. 16 CIL XIV 2794 et 2795. 17 Sur cette réorganisation administrative du Latium par conversion en municipia de villages acquis depuis longtemps à la citoyenneté romaine, cf. Beloch, It. Bund, p. 105 sq. et Römische Geschichte, p. 162 sq.; H. Rudolph, Stadt und Staat im röm. Italien, Göttingen, 1935, p. 96, pour sa part, voit dans Gabii précisément un cas de cette espèce. 18 Ainsi Beloch, RG, p. 155 sq., 163, 320; suivi par Taylor, VD, p. 44. 19 Beloch, Il Bund, p. 47, avait vu dans Gabii le premier exemple d'un municipium foederatum, au prix d'une construction laborieuse (Gabii aurait reçu la civitas Romana complète, comme plus tard Aricia ou Lanuvium, mais sans être placée dans une tribu; les Gabini auraient joui néanmoins de tous les droits de cives Romani, mais sans avoir été considérés sur le moment par les Romains comme des cives Romani Citoyens romains sans l'être). Dans sa RG, p. 155 sq., 320, Beloch renonça à ces exercices de subtilité et montra que, par sa constitution nouvelle de 90, Gabii ne devint un municipium qu'après cette date. E. Manni, Per la Storia, p. 44 sq. tout en reprenant Beloch II a remarquablement obscurci le problème. On comprend mal comment, après avoir soutenu que les premiers municipes furent (avant le
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prêté exactement, exclut en second lieu pour l'époque du foedus Gabinwn une romanisation globale et effective de Gabii; aucun témoignage direct ne permet de corriger cette première impression et de déduire des phrases de Denys d'Haï, que, interprétées en termes latins, elles signifient que Gabii acquit, par le foedus, la civitas Romana et que les Gabini furent cives Romani facti20. L'interprétation de A. N. Sherwin-White qui, dans l'isopolitie de Gabii, vit un nouveau procédé de « direct absorption » nous paraît lourdement inexacte, même si 1'«incorporation» maintenait à Gabii «une position extraordinaire par rapport à Rome»21. Sans le résoudre complètement, le foedus Gabinum a déjà permis de poser nettement le problème des rapports réciproques entre le municipium, la civitas Romana et Y isopoliteia employée dans un contexte « halicarnassien». Les dispositions plus riches, plus complexes, du foedus Cassianum donnent l'espoir d'un peu plus de clarté.
II - L'ISOPOLITEIA DU FOEDUS CASSIANUM
Au premier plan, on retrouve le témoignage de Denys d'Haï. : non pas dans le traité précisément dont il cite pourtant d'importants fragments, mais à l'occasion du traité de 49322. Un grand historien comme Fraccaro et
milieu du IVe siècle), parmi d'autres (non précisés), des Latins non cives Romani (p. 25, 28, 36) jouissant de Yisopoliteia (p. 33), E. Manni a pu surmonter la contradiction et ne pas attribuer à Gabii, conformément à sa thèse, la qualité de municipium. 20 Aucun témoignage ne donne malheureusement le terme ou les termes latins que Denys d'Haï, a transposés, dans le foedus Gabinum, par isopoliteia; on peut évidemment décider que c'est le terme de civitas, et supposer pour l'époque du foedus une conception de la citoyenneté romaine (ramenée à une offre de la citoyenneté romaine) disparue depuis longtemps à l'époque de Denys d'Haï., mais que celui-ci aurait bien comprise et exactement transposée par l'isopoliteia grecque. Pour nous prononcer sur ce point, nous attendons le second témoignage important de Denys d'Haï., sur l'isopoliteia latine. 21 RC, p. 18 : cette «direct absorption», ou «incorporation» est corrigée par l'autonomie de Gabii, telle qu'elle résulterait du foedus. Parler de l'absorption d'une cité sans réduction de son autonomie est une notion dont on voit mal le contenu juridique et qui historiquement supporte tous les rapprochements (ainsi, p. 19, Gabii et Tusculum, plus d'un siècle après, sont identifiés : mais pourquoi pas Capoue (au milieu du IVe siècle) ou Naples après 90 ?). Le témoignage de Denys d'Haï, ne supporte pas l'idée d'une incorporation, pas plus que les clauses du traité. A.N. Sherwin-White rapprocha Gabii de Crustumerium, « incorporated on similar terms by the first Tarquin » et y voit, dans l'un et l'autre cas, les débuts d'une politique commune. Voir sur ce rapprochement supra, p. 78, n. 96. 22 Pour l'historicité et la date (493) du foedus, supra, p. 68, et n. 63 avec la bibliographie.
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récemment encore R. Werner ont dénoncé ce qui pouvait être une simple négligence, comme la preuve que l'historien grec avait tiré de son imagination une soi-disant concession à l'ensemble des peuples latins de Yisopoliteia romaine 23 . Critique radicale, justifiée parfois par d'autres arguments on les examinera -, mais qui convaincra difficilement : il est bien établi que Denys, qui a pu, comme tous ses contemporains, lire au Forum la colonne de bronze, sur laquelle était conservé le texte de cet ancien traité, ne l'a pas cité intégralement et ne chercha pas à en donner le texte exhaustif. Son texte est notoirement incomplet24, et pour des dispositions aussi importantes que le rétablissement, après la guerre, du conubium ou du commercium. Distraction? Sentiment qu'il n'aurait rien appris à son lecteur? Résumé maladroit d'un commentaire trop long? On ne sait; l'important est de retenir qu'une lacune chez Denys n'est pas une lacune du traité et de relever, en revanche, l'extrême insistance avec laquelle Denys, sur plusieurs livres, s'efforcera de faire comprendre à son lecteur l'importance, pour les Latins, de cette isopolitie qu'il rattache au foedus Cassianum et qui sera peu après étendue aux Hemiques. De fait l'iaoïioXiTEia encadre la conclusion du foedus : évoquée peu avant (6, 63, 4), pour exprimer le désir que les Latins en auraient eu, on rappelle, sitôt après, qu'ils l'ont obtenue : ACCTLVOL TE yàp a-rcavreç, ou; VEWCTTI TT}V wro-KoXiTEiav SESCÜXCCU-EV (7, 53, 5; de même, 8, 70, 2). A leur tour, les Volsques la réclament (8, 35, 2), mais en vain; les Hemiques, en revanche, obtiendront en 486 de partager avec les Latins ce privilège ("Epvixaç uiv yàp xai Aa-civouç, ou; VELÜCTL SESajxajjLEv TTJV ÛTOHOXLTEUXV; 8, 74, 2; de même 8, 72, 5); ils seront, comme eux, qualifiés d'iaoTzokliai (8, 76, 2) et du fait de cette isopoliteia accueilleront les Romains fuyant les abus des décemvirs (11, 2, 2). La répétition constante de l'expression montre qu'il n'y a pas à douter de la tradition dont Denys d'Haï, s'inspira lorsqu'il rattacha l'isopolitie des Latins et des Hemiques au foedus Cassianum25. La difficulté est de retrou-
23 P. Fraccaro, L'organizzazione politica dell'Italia Romana, dans Atti del Cong. Intern, di dir. rom., Roma, 1933, I, Pavie, 1934, p. 197 sq. (= Opuscula I, Pavie, 1956, p. 105); R. Werner, dans H. Bengtson, Staatsverträge des Altertums, II, Munich, 1962, p. 22 sq. et Der Beginn der röm. Rep., op. cil, p. 444 sq. (on y trouvera, en outre, une bibliogr. quasi exhaustive sur l'ensemble du foedus); de même, A. Bernardi, Nomen Latinum, Pavie, 1973, p. 29 sq. 24 Festus, p. 166 L, Nancitor, et p. 276 L, Praetor, permet de le compléter partiellement, notamment pour l'accès à certains éléments du «commercium», supra, p. 70, n. 70; p. 83, n. 110. 25 On la retrouve chez Plut., Cor. 30.
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ver la réalité qu'elle recouvre, et, en premier lieu, ce que, pour Denys luimême, l'expression signifiait. 1 - L'isopoliteia
des Latins, selon Denys
d'Halicarnasse.
Les critiques ont été ici u n a n i m e m e n t sévères : Denys aurait confondu le jus Latii, qualifié i m p r o p r e m e n t d'isopoliteia, avec la citoyenneté romaine : à preuve l'emploi fréquent du motTOXITELOCà la place du mot LaoTzoXi-zzLa. Cette terminologie flottante attesterait que Denys avait mal compris l'originalité du droit des Latins, abusivement identifié à u n e sorte de double citoyenneté (ce q u e serait l'isopoliteia), et complètement déformé le droit des Latins quand il l'interprète comme la 7roXiTEia TÔ>V 'Pcoumcov, puisque, bien entendu, les Latins n'ont pas été faits cives Romani par le foedus Cassianum. Ces objections sont sans fondement : a) en p r e m i e r lieu, et Szanto, il y a près d'un siècle l'avait déjà indiqué 2 6 , ÙTo-rcoXiTEia et TTOXITEUX sont des termes non pas identiques, mais interchangeables : ils signifient tous deux la citoyenneté; le premier insiste simplement sur l'aspect complet de la citoyenneté, n o n pas par opposition à une citoyenneté non complète que les institutions grecques ignorent 2 7 , mais, en particulier lorsqu'elle est promise, pour mieux traduire l'étendue du privilège ainsi offert. C'est u n e nuance psychologique, sensible chez tous les historiens de langue grecque; elle ne recouvre aucune différence juridique. L'idée, qui remonte à Niebuhr, que l'isopolitie serait tous les droits de la citoyenneté offerts à charge de revanche, à titre de réciprocité et à titre d'option, alors que la politeia serait la civitas imposée, est à abandonner 2 8 .
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E. Szanto, Das griechische Bürgerrecht, Fribourg-Br., 1892, p. 87 sq. Szanto, op. cit, p. 9. 28 De façon consciente ou non, la pensée de Niebuhr a dominé, et domine encore, le parallèle souvent tenté entre l'isopolitie grecque, le droit latin et les origines du municipium : voir Rom. Gesch. H4, Berlin, 1853, p. 56 sq. : l'isopolitie aurait été, selon Niebuhr, la concession (réciproque) par une cité de tous les droits compris dans la citoyenneté aux citoyens d'une autre cité; c'est en tant que non-citoyens de la première cité que ceux-ci jouiraient des droits que celle-ci leur avait concédés : en bref l'isopoliteia serait la concession de la condition de citoyen et non la concession de la citoyenneté, et, pour Niebuhr, le, p. 61 et n. 105, tel aurait été le statut des premiers municipes. Cette conception de l'isopoliteia n'est vraie ni pour le droit grec, ni pour la condition des Latins, ni pour les premiers exemples de municipes : infra, p. 206 sq.; 279 sq. 27
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C'est ainsi que Denys d'Haï, pouvait à bon droit qualifier à'isopoliteia (4, 22, 3) la citoyenneté romaine donnée aux esclaves affranchis ou à des étrangers émigrés 2 9 , car il voulait insister sur le caractère optimo iure de la citoyenneté concédée; on retrouve le même t e r m e employé avec exactement la m ê m e valeur par Appien ou par Strabon p o u r décrire la citoyenneté romaine que les Italiens désiraient à la veille de la Guerre Sociale et qu'ils obtinrent après 90 30 . On ne sera naturellement pas surpris de retrouver, p o u r qualifier dans les m ê m e s hypothèses la m ê m e citoyenneté, le mot -rcoXiTEia moins lourd de signification : ainsi chez Denys d'Haï, p o u r la civitas acquise à Rome par l'émigré 31 et - il est inutile d'insister -, chez Appien, par exemple, pour la citoyenneté romaine étendue aux Italiens après la Guerre Sociale 32 . On pourrait multiplier 3 3 ces exemples attestant que l'extension unilatérale, complète et dépourvue de toute réciprocité d'une citoyenneté peut se faire p a r la concession de Y isopoliteia. Inversement, on ne sera pas surpris de trouver le terme de iidknda. dans u n contexte marqué p a r Y isopoliteia : lorsque Denys d'Haï, définit, à l'occasion, le droit que les Latins reçurent du foedus Cassianum par le mot politeia34, sa terminologie n'est pas plus fantaisiste que celle d'Appien qualifiant de m ê m e le même droit 3 5 . Cette synonymie - et qui n'est pas le fait
29 MeTa5i£6vTEç TÏ)Ç ùroitoXiTEiaç, à propos des étrangers installés à Rome, faits citoyens et recensés; ^ETÉXEIV -a\ç, iacmdkvzzLac à propos des affranchis. 30 App., BC 1,21 (= 1, 86, éd. Gabba) : projet en 125 de donner la civitas Rom. à tous les Italiens (xoùç (rmxixâxovc, cbtavcou; Etç TT]V 'PGüumojvTOXITEUXVàvaypà^ai), mais opposition des sénateurs à l'idée que les sujets de Rome pourraient devenir leurs égaux (TJ ßouXr) S'ÊxaXÉ-rcaivE, -coùç \mr\x6o\jc, o-qxLv ÎO-OTOXITCU; d iroiTiowTca). On voit très clairement que ÛTOTOXITTIC; ne signifie rien d'autre qu'un Tzokvvqç, à qui toute la civitas est ouverte. Strab., Geogr. 5, 1, 1 : u-ETÉSoaav 'Ptou-cûoi TOÛ; 'rraXidrcaiç -CTJV iaoTOXiTEiav en 90; après cette concession, les Romains appelèrent Romains tous les Italiens : upoo-ayopEÜrat 5è xai ïxotXuuTac;rcàvraçxoà 'Pwumou; : citoyenneté immédiate est une citoyenneté complète. Le goût de l'emphase explique qu'il y ait isopoliteia et non politeia. 31 DH. 6, 19, 4 (vaincus émigrés à Rome); 7, 18, 3 (Romains émigrés dans des villes latines). Voir de même pour les Antistii de Gabii, 4, 57, 3, supra, p. 89. 32 App., BC. 1, 152; 1, 155; 1, 176. 33 Cf. Szanto, op. cit., p. 68 sq.; Diod. 15, 46; Arist., fragm. - Müller, Fragrn Hist. Gr. II, p. 160, n. 181. 34 DH. 8, 69, 4, pour les Herniques (TOÙÇ VEGOO-TL -rcpoa-XîicpGÉvTaç E£Ç TT)VTOXITELCXV);pour les Latins : 8, 77, 2. 35 App., Rom. Hist. 2, 5, 1 : à l'instigation de Coriolan, les Volsques exigent des Romains qu'ils leur donnent la Tzokvzda comme les Latins l'ont reçue. Un autre passage, très discuté, d'Appien, BC. 1, 10 (= éd. Gabba 1, 41) se'référant au premier projet de loi agraire de Tib. Gracchus, fait allusion à la venue à Rome d'une foule de personnes, les unes favorables, les
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des historiens grecs de Rome - indique qu'entre le droit des Latins et la citoyenneté romaine donnée aux Italiens en 90 ou à un affranchi, en dépit de toutes les différences trop évidentes p o u r qu'on y insiste, il y a une étroite parenté, selon les principes juridiques grecs. Ces remarques terminologiques suffisent à libérer Denys d'Haï, du reproche d'avoir confondu, à propos des Latins,TOXITELGCet LO-OTTOXITELOC, d'avoir ainsi méconnu et l'originalité du droit latin et des principes juridiques élémentaires. b) En eux-mêmes, les termes équivalents de politeia ou isopoliteia définissent la citoyenneté en question par son contenu, opîimo iure, mais laissent en suspens le problème de son efficacité : citoyenneté actuelle ou offerte, promise ou acquise? Denys d'Haï, donne sur ce point quelques précisions qui permettent de jeter les bases d'une hypothèse : quel est en effet pour lui le contenu de cette isopolitie, quelles dispositions du traité, ou mieux quels éléments du droit latin ont-ils pu justifier l'emploi de ce terme? A son habitude, Denys d'Haï, donne de la vie aux discussions un peu délicates en mettant en scène les partisans de plusieurs opinions naturellement apocryphes, mais dont l'intérêt est d'aider à se représenter ce que l'historien grec, ou ses sources, mettait dans les institutions qu'il évoquait. Une p r e m i è r e conception, défendue par Spurius Cassius, aurait voulu donner à Yisopoliteia des Latins un contenu immédiat et actuel : les Latins, en tant que isopolitai auraient eu accès à certains droits politiques (voter dans les assemblées romaines) et auraient partagé avec le peuple romain, le S-qiJLoc^, Vager publicus ou la S^u-oo-ia x^pa 36 . Cette conception est extrême-
autres hostiles au projet agraire, et qui habitaient èv TOÛÇ àixotxou; TIOXECRV r\ TOÛÇ ÎO-OTOXI-UO-IV f\ aXkuiq EXOWCÜVEL THO-SE TT\C, yfiç, : nous pensons que les anoLxoiTOXELÇsont les colonies romaines et les colonies latines, et les ÙTOTOXITI^EÇTODXEU;les municipes (romains, il s'entend). La titulature officielle des colonies latines explique qu'elles soient placées avec les colonies romaines. Nous suivons ici l'interprétation proposée par E. Gabba, op. cit. De fait, on retrouve dans la lex agraria de 111 (FIRA, Leges, NR 8, 1. 31, p. 110) le même schéma: sei quei colonieis seive moinicipieis seive quae pro moinicipieis colonieisve sunt civium Rom. nominisve Latini... : on .ne peut, dans ce texte, rejeter les colonies latines, officiellement coloniae, vers l'expression (obscure : infra, p. 385) de pro-colonieis) elles sont regroupées avec les colonies romaines, distinctes des municipes et des promunicipes (sans doute les praefecturae i.a\ : infra, p. 347). On ne suivra pas, pour ce texte, E. G. Hardy, Roman Laws and Charters Oxford, 1911, p. 36, qui séparait colonies et municipes romains d'une part, promunicipes et procolonies latins de l'autre. La terminologie d'Appien qualifiant de cités isopolitiques les municipes romains (tous optimo iure à cette époque : infra, p. 351 sq.) ne fait pas de problème. 36 DH. 8, 69, 3 et 4 pour la division de Yager publicus au profit du 5fj[jwç, auquel les Latins et Herniques, en vertu de leur isopoliteia seraient associés; cette conception de l'isopolitie
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ment importante, car elle comprenait Yisopoliteia c o m m e l'extension ou le partage avec les Latins d'un certain n o m b r e de droits propres aux citoyens romains. Or cette conception, condamnée, ne t r i o m p h e pas. Pourquoi? Ce n'est pas, au fond, que les droits en question fussent contestés - la thèse opposée en une symétrie toute rhétorique à celle de Sp. Cassius, qui voulait refuser aux Latins et le droit aux terres et le droit de voter à Rome, en accentuant leur caractère de £ÉVOI, échoue également 3 7 -, mais c'est le fondement juridique de ces droits qui est discuté. La thèse intermédiaire qui l'emportera finalement reconnaît bien aux Latins et aux Herniques leur qualité à'ujoTzoKLicu* ou de -rcoXîTai38, mais ne place pas en elle leur droit aux terres : c'est en tant qu'alliés qu'ils auront part au b u t i n pris en commun, et Y isopoliteia dont ils jouissent ne leur d o n n e r a pas accès à la S^pioo-ia x^pa 39 . En présence d'un des privilèges des Latins qui pouvait le plus d o n n e r à un auteur grec tardif l'idée qu'ils étaient sous bien des aspects assimilés aux citoyens romains, Denys d'Haï, évite la confusion et la dénonce : Y isopoliteia n'est pas r a m e n é e à un certain n o m b r e de privilèges contenus dans la citoyenneté romaine et effectivement concédés aux Latins. En s'attachant à bien montrer que le droit aux terres est un droit accordé au o-uu-u-axoç en vertu d'une disposition du foedus, Denys d'Haï, m e t t a i t l'accent sur leur qualité d'alliés et de Latins; il ne niait pas p o u r a u t a n t leur isopoliteia, au contraire : la citoyenneté que les Romains leur ont d o n n é e est une citoyenneté complète, c o m m e l'étymologie le rappelle, et à a u c u n moment Denys d'Haï, ne tombe dans la confusion qui lui fut souvent reprochée, celle
sera formellement condamnée (8, 75,1) et rejetée finalement (8, 76, 1 et 2). Sur le droit de voter dans les assemblées romaines (v. infra, sur le problème de son historicité, très controversée) découlant, dans l'esprit de Sp. Cassius, de Xisopoliteia: 8, 72, 5. Infra, p. 99 sq. 37 Contrepied exact de la thèse de Sp. Cassius : les Latins et Herniques sont des alliés et non des citoyens; seuls les Romains doivent avoir accès aux terres, car c'est un droit découlant de la citoyenneté : 8, 72, 3 et 8, 75, 1. Refus également du droit de voter dans les assemblées : 8, 73, 5. Echec de cette position, en ce que le droit des Latins fut reconnu pour les terres prises en commun et le ius suffragii confirmé (v. infra). 38 DH. 8, 77, 2 (itoXîTaO; 8, 74, 2 et 8, 77, 2 (ùroroXïTai). 39 Cette thèse est naturellement celle que partage Denys (8, 74, 2) : l'isopoliteia ne donne pas aux Latins et Herniques le droit de partager les terres des citoyens (XXTJPOUXEÎV Ta Tjui-cEpa); le démos seul y a droit (8, 76, 1); au contraire, les Latins, dont le caractère d'isopolitai est affirmé, accéderont, en tant que
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d'avoir amalgamé en une sorte d'isopoliteia des éléments disparates de la citoyenneté romaine, contenus dans le ius Latii. La pensée de Denys d'Haï, sur l'isopolitie des Latins ne s'écarte guère en effet de celle qu'il eut sur le droit des Gabini. La citoyenneté complète dont jouissent les Latins et les H e m i q u e s ne peut être qu'une citoyenneté optimo iure offerte. Leur condition de cp&oi, de ovu-u-axoi, de £évoi40 se concilie ainsi parfaitement avec leur qualité de -Rokï-zax ou tooTroXiTai. Le caractère aequum du foedus Cassianum indique à lui seul que l'isopolitie romaine a son symétrique dans l'isopolitie que chaque ville latine a donnée à Rome à titre de réciprocité, par là que la citoyenneté de chaque ville alliée est intégralement conservée. Il en existe une précieuse confirmation, qui révèle en même temps la façon dont, c o m m e p o u r Gabii, la citoyenneté offerte se réalisait. Lors des troubles sociaux du début du Ve siècle, en 492 selon Denys d'Haï, les villes latines invitèrent les Romains à venir, en s'y installant, partager leur citoyenneté 4 1 ; de nouveau lors des troubles causés par les abus des décemvirs, des Romains fuirent leur cité : des cités latines et h e m i q u e s les accueillirent « en raison de leur parenté et du fait de l'isopoliteia qu'ils avaient reçue des Romains» 4 2 . On ne peut dire de façon plus claire - tout en ménageant la susceptibilité romaine - que l'isopolitie romaine des Latins a son équivalent dans l'isopolitie latine des Romains : à deux reprises, ces derniers furent tentés de transformer la citoyenneté latine offerte en une citoyenneté latine effective. L'émigration est là encore, dans l'esprit de Denys, le seul procédé qui p e r m e t à Yisopolitês de devenir, s'il le veut
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cDuXoi. (6, 95, 1 ; 8, 68, 4; 8, 70, 2; 8, 71, 5; 8, 74, 2; 8, 77, 2; 9, 60, 3); <7wàXoi (8, 26, 2; 8, 74, 3; 8, 76, 2); Çévoi (8, 72, 5); v. de même 8, 35, 2, les Volsques demandent, à l'image du foedus Cassianum yôda et laroTzoXuxtia. 41 DH. 7, 18, 3 : aï TtXTiffioxiopoi itôXeu; èxàXouv -coùç ßouXou-Evou; OÎXEÏV itapà oxplox *Pup.auuv TOXI-CEIOÇ TE uxToSéo-Ei... CmaYop-Evai (les villes les plus proches invitèrent les Romains qui le voulaient à s'installer chez elles, les attirant par l'offre de la citoyenneté). C'est en 492, au lendemain de la conclusion du foedus Cassianum. Ce passage doit être juridiquement rapproché de Liv. 2, 22, 7, qui définit par Yhospitium des relations contemporaines et identiques. Infra, p. 140. 42 DH. 11, 2, 2: les Romains sont reçus par les cités latines 5ià TÔ ÔU-OEOVÉÇ (par leur parenté), et par les Hemiques 5ux TTJV evœYxoç YEvou.Évnv aùroïç întô *Pcop,aiu>v ùrarcoXi-cECav (par l'isopoliteia que les Romains venaient de leur donner). L'idée que les Hemiques accueillent les Romains en souvenir de l'isopolitie reçue recouvre en fait, pudiquement, une fuite des Romains qui, grâce à ce droit, peuvent quitter Rome et devenir citoyens dans les villes hemiques (et latines).
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(TOÙÇ ßouXojjLEvoix; - DH. 7, 18, 3), le citoyen optimo l'accueille. 2 - Le droit fédéral latin selon les historiens
iure de la cité qui
romains.
Confronté à leurs témoignages, que vaut celui de Denys d'Halicarnasse? On chercherait en vain chez eux une expression équivalant à Yisopoliteia des Gabini ou des Latins : la « citoyenneté complète » que les Romains, selon Denys, auraient donnée d'abord aux Gabini puis à l'ensemble de la ligue latine n'est jamais qualifiée dans les sources romaines de civitas Romana. La réalité romaine de ces deux traités, dont l'historicité n'est pas discutable, reste donc un p r o b l è m e entier. Des informations précieuses, mais il est vrai tardives, aident à se représenter ce que furent au III e , au II e siècle, ou m ê m e plus tard, les éléments du droit latin : conubium, commercium, ius migrandi et ius suffragii. Comment, à partir de ces droits, peut-on reconstituer les relations romano-latines du V e siècle? Si le conubium et le «commercium» peuvent être, sans hésitation, attribués à une époque au moins aussi ancienne que le foedus Cassianum43, en revanche le droit d'acquérir la citoyenneté r o m a i n e par l'émigration à Rome et le droit, pour les Latins, de voter dans les assemblées romaines présentent, p o u r leurs origines, beaucoup plus de difficultés. Un coup d'oeil sur la littérature actuelle atteste amplement les incertitudes 4 4 , mais donne aussi l'impression que les auteurs modernes ont bien compliqué l'état de la question : à chacun sa théorie ou peu s'en faut. La nature des sources y trouve certes sa part de responsabilité : les silences, les indications tout allusives favorisent la multiplication des reconstitutions. Il nous apparaît néanmoins utile d'en ajouter une de plus p o u r tenter 43 Supra, p. 82 sq. A. Bernardi, lus Ariminensium, dans Studi giuridici in memoria di P. Ciapessoni (= Studia Ghisleriana, Ser. I, 9, 1947, p. 237 sq.) a soutenu à juste titre que le droit latin des 12 dernières colonies fondées après Rimini (268) fut meilleur, c'est-à-dire, plus proche du droit romain. Il était difficile d'aller plus loin, car on ignore tout de ce droit : néanmoins, A. Bernardi, entraîné par sa thèse, a vidé de son contenu le droit latin pour en faire apparaître les éléments fondamentaux après 268 : commercium (p. 252), conubium (p. 253), ius suffragii (p. 254); il ne reste que le ius migrandi, mais qui ne serait pas latin, car il aurait appartenu à tous les peuples italiques avant 268. On trouvera dans P. Catalano, Linee, p. 96126 tous les éléments qui permettent de repousser cette hypothèse. A. Bernardi, Nomen Latinum, cit., passim, reprit son interprétation, la corrigeant légèrement : admet le commercium, p. 30, mais limite les clauses du foedus Cassianum à un cercle restreint de cités latines. 44 Sur le ius suffragii, cf. la bibliogr. citée infra, n. 47 à 51.
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de retrouver les origines possibles du ius suffragii et surtout du ius migrandl On est, avec ce droit, en présence d'une des sources les plus importantes et les plus originales de la citoyenneté romaine; la date à laquelle il apparut est une question sur laquelle on doit se prononcer, avant de se demander sur quels éléments du droit latin Denys d'Haï, s'est fondé pour le placer sous le signe de Yisopoliteia. A) Le droit pour les Latins de venir voter à Rome est attesté par quatre textes45. Denys d'Haï. (8, 72, 5-6) en fournit le plus ancien témoignage : il admet qu'après l'extension aux Herniques du foedus Cassianum ceux-ci et les Latins purent venir en masse à Rome pour participer au vote de la législation agraire de Spurius Cassius. L'objet de cette législation, par bien des aspects, son vote et par là la participation effective des Latins et des Herniques à l'assemblée populaire sont, il n'y a pas de doute, la transposition pure et simple d'événements survenus en 123 et qu'Appien, plus tard, s'attacha à décrire (BC. 1,23 = 1, 98-100)46. Il est indispensable de débarrasser de son vêtement gracquien l'anecdote de Denys d'Halicarnasse, mais il ne faut pas, à priori, rejeter le fruit avec la coquille. En effet, au-delà de la venue effective ou imaginée des Latins et des Herniques et au-delà de l'ordre d'expulsion du consul Verginius - aussitôt paralysé par le veto du consul Sp. Cassius -, il est certain que Denys a voulu illustrer le droit de vote des Latins (et des Herniques), dont le lien avec l'isopolitie que le traité venait de leur donner est étroitement fait. L'anecdote avec ses péripéties anachroniques reflète simplement le souci, chez l'historien, de donner à son lecteur une image concrète du nouveau statut que les Latins et les Herniques venaient de recevoir de Rome. On admettra donc que Denys d'Haï., ou sa source, a consciemment rattaché le ius suffragii au traité de 493. Le problème vers lequel on revient est, alors, celui, déjà évoqué, de savoir si Denys a décrit le foedus Cassianum à partir d'un texte sûr ou s'il a recomposé artificiellement un traité imaginaire. 45 DH. 8, 72, 5-6, à l'occasion du foedus Cassianum; Liv. 25, 3, 16 (211) : testibus datis, tribuni populum summoverunt; sitellaque lata est, ut sortirentur, ubi Latini suffragium ferrent; App., BC. 1, 23 (= 1, 98-99, éd. Gabba) : C. Gracchus «appelait les Latins à partager tous les droits de Romains (TOÙÇ AOCUVOU; em Tcàvca ÈXOCXEI Ta
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La meilleure méthode reste de lui donner raison, quand aucun argument positif ne vient prouver qu'il se trompe ou qu'il trompe. Mais des arguments de ce genre ont été invoqués pour prouver l'indiscutable anachronisme d'un droit de voter à Rome au Ve siècle. Résumons les : l'assemblée dans laquelle les Latins votaient n'existait pas encore en 49347; bien mieux, selon d'autres auteurs, la participation au vote ne saurait avoir précédé le moment où les décisions des concilia plebis furent assimilées aux leges des comices centuriates^et tributes (286)48; même terme initial si on admet, avec certains, que le ius suffragii fut la compensation donnée aux 12 colonies latines les plus récentes que l'on aurait, après 268, frappées d'une restriction du ius migrandi49 ; on comprendrait ainsi que le second témoignage relatif à ce ius suffragii portât sur l'année 21150 : comment expliquer le silence des sources, de 486 à la fin du III e siècle, sinon par une évidente anticipation de Denys d'Haï.? De leur côté, dans des vues d'une chronologie moins radicalement critique, bien des auteurs s'accordent à fixer à 338 l'apparition de ce droit, notamment P. Fraccaro et E. T. Salmon 51 : est-il concevable que des étrangers par la race, des Herniques, aient eu accès aux assemblées romaines et, même, aient partagé 47
F. De Martino, Storia II2, p. 78 et F, p. 292 et 390. A. Rosenberg, Die Entstehung des sogenannten foedus Cassianum, dans Hermes 55, 1920, p. 350 sq. 49 A.H. Me. Donald, Rome and the italian Confédération (200-186 B.C.) dans JRS 34, 1944, p. 12, n. 6. 50 Liv. 25, 3, 16, supra, n. 45. 51 P. Fraccaro, L'organiz. pol, op. cit., p. 197; suivi par G. Tibiletti, La politica agraria dalla guerra annibalica ai Gracchi, dans Ath. 28, 1950, p. 213, n. 4 (mais qui abandonna, par la suite ce point de vue), par Taylor, VD, p. 107, n. 19 (infra, n. 56 et n. 61) et par E.T. Salmon, Rom. Col, p. 52 sq. : tous ces auteurs placent l'origine du droit latin (notamment le ius suffragii et le ius migrandi) dans la colonisation latine postérieure à 338. KJ. Beloch, RG, p. 194 sq. et G. De Sanctis, Sul «foedus Cassianum», dans Atti del 1° Congr. Naz, di Studi Rom., Rome, 1928, I, 1929, p. 238 approchaient déjà d'une thèse semblable (très différent : G. De Sanctis, Storia dei Rom., V, 1907, p. 388 sq.). A.N. Sherwin-White, RO, p. 33, p. 106 = RG, p. 35, p. 110, repousse de même l'origine ancienne du ius suffragii (le ius migrandi l'aurait rendu superflu, à l'origine mais ces deux institutions sont en réalité sans rapport) et, semble-t-il, le rattache aux colonies latines d'après 338. P. Catalano, Linee, op. cit, p. 255 et 256 ne se prononce pas nettement. On trouvera dans l'art, de G. Vitucci, Diz, Epigr. IV, p. 442 (1947), v° Latium, les références aux auteurs qui, comme G. Vitucci, attribuent à la ligue latine les éléments les plus originaux du droit latin. G. Tibiletti, en des vues très neuves, dans Latini e Ceriti, dans Studi in memoria di E. Vanoni (= Studia Ghisleriana, Serie I, 3), Pavie, 1961, p. 239 sq. a présenté l'hypothèse (sur laquelle on reviendra) suivant laquelle seuls les Latins résidents permanents à Rome, y ayant émigré, auraient joui du ius suffragii L'origine de ce droit serait antérieure aux colonies latines d'après 338. 48
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l'ensemble du droit latin qui fait complètement figure d'anachronisme à l'époque du foedus Cassianum? Les divers éléments du ius Latinum supposeraient en effet une fraternité qui ne sera créée qu'en 338 avec les colonies latines nouvelles et une connazionalità qui m a n q u e r a toujours e n t r e Romains et Herniques 5 2 . Que valent, pris isolément, tous ces arguments? Le motif tiré de la race étrangère des Herniques p o u r rejeter globalement l'historicité du foedus Cassianum et la valeur du témoignage de Denys d'Haï, ne porte pas : si le sentiment de l'unité de la race explique les liens étroits formés par les Romains et les Latins, et dont le foedus de 493 est u n e manifestation, les Romains surent s'associer d'une façon encore b e a u c o u p plus étroite à des peuples profondément différents d'eux, soit en leur donnant massivement la citoyenneté complète (les Etrusques de Veii et de Yager Capenas, au début du IVe siècle), soit en leur donnant la citoyenneté sans suffrage (Caerites vers 350, Volsques de Fundi et de Formiae en 334, Campaniens à la m ê m e époque). La parenté ethnique, et des exemples plus anciens encore le m o n t r e n t nettement 5 3 , ne fut jamais pour les Romains u n souci qui dicta leur politique d'extension, d'assimilation ou d'alliance. Si, en second lieu, on accepte l'idée d'une alliance militaire avec les Herniques, conçue en 486 sur le modèle de l'alliance romano-latine 54 , il n e faut pas en refuser les conséquences qui font tout l'intérêt de l'alliance nouvelle, en expliquent le succès et permirent à ses réalisations concrètes de s'épanouir : l'alliance se prolonge par le partage du butin, dont une des formes les plus significatives est la colonisation mixte du territoire conquis. La colonie fédérale, née de là, implique nécessairement u n droit d'intermariage, au sein de la colonie pour le moins, et contient en elle les germes de cette communauté, de cette fraternité qu'exprime le ius Latii, par les liens enchevêtrés qu'elle tisse entre la colonie et la pluralité de ses cités-mères. Les auteurs modernes, à juste titre, ont mis l'accent sur le lien qui existe 52
Ainsi, notam. P. Fraccaro. le. Les historiens grecs ont toujours été frappés par le laxisme des Romains, ouvrant largement les portes de la citoyenneté complète aux étrangers : et ceci, dès les origines : cf. DH. 3, 47, 2; 4, 22, 2-4; l'étonnement de DH. 8, 69, 2 au sujet de l'extension du droit latin aux Herniques par Sp. Cassius s'explique ainsi. Les affranchis (nécessairement d'origine non latine) sont de même introduits dans la cité par Servius Tullius (4, 22, 4). De même, DH. 4, 23, 2 et 4, 24, 1. Au début du Ve siècle, les Sab ins d'Ap. Claudius sont également reçus (Liv. 2, 16, 3 s.). Sur le thème «Générosité» romaine et «avarice» grecque: sur l'octroi du droit de cité, v. les réflexions de Ph. Gauthier, dans Mélanges W. Seston, Paris, 1974, p. 207 sq. 54 P. Fraccaro, op. cit., ne mettait pas en doute l'alliance avec les Herniques; de même A. Bernardi, Nomen Latinum, cit., p. 27. 53
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entre conubium, commercium, suffragium, ius migrandi55 et les phénomènes de colonisation : le droit de revenir dans sa cité d'origine en déplaçant son domicile, le droit de participer, même sporadiquement, et de façon limitée, à la vie politique de sa cité-mère et, naturellement, le droit fédéral d'intermariage ou le droit fédéral des transactions s'expliquent par le phénomène de la colonisation mixte. Ils en sont même un aspect logiquement nécessaire, de même qu'il est inévitable que des liens identiques aient existé entre les diverses cités membres de l'alliance56. Mais il est historiquement inexact de placer en 338 les débuts de la colonisation mixte; c'est, au contraire, en 493 et en 486 que ses principes en furent posés et que furent créés les moyens de les mettre en pratique : le ius suffragii, comme les autres composantes du ius Latii ont été, nous le pensons, les bases de la fédération romano-latino-hernique, maintenue sans faille pendant tout le Ve siècle et dont les colonies fédérales du Ve siècle apparaissent comme la meilleure illustration. Si on accepte de rattacher au foedus Cassianum l'ensemble du droit latin (dont le ius suffragii), on échappe aussi à une troisième objection : en effet, à fixer à 338 les origines du droit latin et à voir en lui un droit exclusivement colonial, le droit des seules colonies latines créées après 338 par Rome seule, on est amené à établir parmi les Latins une distinction : entre, d'une part, les colonies latines récentes et, de l'autre, les anciennes colonies latines et les cités latines fédérées qui, comme Tibur, Préneste, Cora (?) Gabii et d'autres sans doute encore, conservèrent après 338 les liens fédéraux que le foedus Cassianum avait fondés. Nous n'ignorons pas que des auteurs de grande autorité ont opté pour ce clivage : ils ont ramené le nomen Latinum aux seules colonies latines; ils ont repoussé les cités fédérées latines parmi les socii italiens en refusant aux premières la jouissance du droit latin et une situation privilégiée quelconque par rapport aux seconds57. 55 E. T. Salmon, Rom. Coi, op. cit., eut le grand mérite d'éclairer les colonies « romaines » d'avant 338 en montrant qu'elles étaient en réalité latines, c'est-à-dire fédérales : on comprend mal pourquoi cet auteur n'a pas rattaché les institutions fédérales qui composent le ius Latii à l'apparition et au développement de cette colonisation. 56 II est bien certain que si un citoyen de Préneste parti pour une colonie fédérale pouvait voter à Rome, ou à Tibur, il en était de même des citoyens de Tibur qui pouvaient voter à Rome ou dans les colonies fédérales. 57 Ainsi notam. E. T. Salmon, Rom. Col, p. 50 sq. et p. 173, n. 61 et 62, selon qui les Latins coloniaires étaient seuls, techniquement, des Latini et n'étaient pas des socii comme les autres. Les anciennes cités latines, en revanche, foederatae, dont les liens fédéraux avec Rome auraient été rompus après 338, n'auraient pas le statut des Latins, mais des socii Les argu-
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En fait, a u c u n argument solide ne peut être invoqué pour refuser aux cités fédérées latines l'appartenance au nomen Latinum et la jouissance d u droit latin, p o u r les dissocier aussi p r o f o n d é m e n t des colonies latines qui ont été créées en réalité à leur image. En effet, les colonies latines fondées avant 338 ou après cette date (rien ne les distingue) 5 8 ont été calquées sur le statut et la condition fédérale des cités de la ligue latine : elles sont entrées dans le nomen Latinum, tel qu'il fut constitué par le foedus Cassianum et ont partagé avec les anciennes cités fédérées les avantages d u droit latin. Les Latins coloniaires sont j u r i d i q u e m e n t assimilés aux fédérés latins; ils sont, c o m m e eux, des socii ou des foederati59. Or il est bien certain que, après une suspension provisoire, les anciennes cités de la ligue latine ont retrouvé, a p r è s 338, les relations fédérales qui les liaient auparavant à Rome 6 0 ; cela veut dire que le Latium redevint, a p r è s 338, politiquement et
ments de texte invoqués par cet auteur montrent certes, ce qui ne fut jamais contesté, que les Romains ont distingué le nomen Latinum des autres socii (S. C. de Bacch. 7-8; Lex Agr. 29-31); mais cela ne prouve nullement que les cités membres du nomen n'étaient pas également des socii (ainsi Liv. 23, 17, 8 et 9 qui, à propos des mêmes, dit tantôt pauci Romani Latinique nominis tantôt Romani sociique; il n'y a en fait aucune différence et nullement le souci d'opposer les Latins aux Prénestins dans ce passage), ni que les Latins non coloniaires étaient en dehors du nomen Latinum : ainsi, très nettement, Lex Acilia Rep., 1. 1 : quoi socium nojminisve Latini exterarumve nationum (distinction entre les alliés latins et les alliés de race différente). L. Ross Taylor, VD, p. 107, n. 19, a, de son côté, pensé que le privilège tardif des Latins d'obtenir la civitas par l'exercice d'une magistrature latine était propre aux colonies latines : v. infra, n. 63. 58 II n'est pas contestable que les colonies latines créées avant 338 étaient membres de la ligue, assimilées juridiquement aux cités fédérées elles-mêmes. Sept de ces colonies anciennes conservèrent après 338 leur statut : rien ne permet de penser que Rome a unilatéralement modifié ses relations fédérales avec elles; en réalité le foedus Cassianum dut, avant comme après, constituer le substrat de leur statut. Quant aux colonies nouvelles - à part les duodecim coloniae : postérieures à 268, sans doute '-, elles seront fondées à l'image des précédentes. A. N. Sherwin-White, RO, p. 91 sq., p. 93 = RO, p. 103 sq., et de nouveau A. J. Toynbee, HL I, p. 249 sq., ont vigoureusement défendu la thèse de l'appartenance des anciens alliés latins et des Herniques au nomen Latinum (cf. infra, n. 60). 59 Socii et non des coloni Foederati, selon Cicéron, implicitement {Pro Balbo 21, 48) quand il assimile la colonie latine de Spolète à une cité fédérée, et explicitement {Pro Balbo 24, 54) quand il déclare (après avoir, il est vrai, cité Tibur, mais dans une formule générale) Latinis, id est foederatis. Voir ici, très exactement, W. Dahlheim, Struktur und Entwicklung des röm. Völkerrechts, Munich, 1968, p. 118, n. 19 et infra, n. 105; bonnes indications également dans P. Catalano, Linee, op. cit, p. 283 sq. 60 Contrairement à E. T. Salmon, Rom. Col, p. 173, n. 61, les relations fédérales sur la base du foedus Cassianum ont été rétablies, après la tourmente de 338, avec les anciennes cités latines. Quel serait, sinon, la base de leurs relations (fédérées) avec Rome? Cicéron, en
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juridiquement un concept unitaire, groupant sous le «nom Latin» les anciennes cités de l'ancienne ligue et les colonies latines créées à leur image, liées à Rome par la charte du droit latin, le foedus Cassianum61. En bref : les sources dont on dispose ne permettent pas d'admettre que le droit latin fut la condition des seules colonies latines et qu'il apparut en 338. On ne peut faire d'exception ici que pour le droit tardif d'acquérir la citoyenneté romaine par l'exercice d'une magistrature 62 , et qui n'appartint vraisemblablement qu'aux colonies latines63. Mais qu'il s'agisse du droit de outre {Pro Balbo, 23, 53), affirme que ce foedus continua jusqu'à la guerre sociale à fixer les relations avec Rome. On doutera alors que ces cités aient été exclues du nomen Latinum et que celui dans lequel les colonies anciennes et nouvelles furent regroupées ait été différent. L'important texte de Liv. 32, 26 montre que Préneste faisait partie du nomen Latinum (ainsi, A. N. Sherwin-White, loa cit.; A. J. Toynbee, HL I, p. 252, n. 3). 61 Si, au contraire, on place comme E. T. Salmon l'apparition d'un nouveau droit latin et d'un nouveau nomen Latinum, dont les anciennes cités latines auraient été exclues, il faut supposer en 338 : 1) Une rupture définitive des relations fédérales avec les cités de l'ancienne ligue; 2) Une transformation des relations avec les anciennes colonies; 3) La création, pour ces dernières et pour les nouvelles colonies d'un droit latin qui serait nouveau en dépit de son nom qui indique bien que sa source est dans l'ancienne ligue (nomen Latinum). Or, à la fin de la République encore (Cic, Pro Balbo, 23, 53) le foedus Cassianum reste toujours la base du droit latin. 62 La lex repetundarum dite Acilia (= FIRA, Leges, NR 7, p. 84 sq.) attribuée à l'époque gracquienne, aux environs de 122 (sur sa date : A. N. Sherwin-White, dans JRS 62, 1972, p. 83 sq. et D. Flach dans ZSS 90, 1973, p. 92 sq. qui ont réaffirmé la chronologie traditionnelle contre H. B. Mattingly qui, dans JRS 59, 1969, p. 129 sq. et 60, 1970, p. 154 sq. soutint une datation basse), mentionne implicitement, 1. 78-79, l'acquisition de la civitas Rom. au profit des anciens magistrats latins. Cette acquisition résulte en fait d'un choix ouvert entre, soit la citoyenneté romaine, soit le maintien de la citoyenneté latine mais enrichie du droit à la provocatio ad populum et de l'immunité des charges locales : militiae munerisque poplici in su(a quoiusque ceiv)itate (vocatio immunitas esto). Cette option fut maintenue par la lex 'Acilia' qui créa, avec l'accusation d'un magistrat concussionnaire, une source nouvelle d'acquisition de la civitas Rom. (l'option, en revanche, ne fut pas étendue aux Italiens et provinciaux qui, accusateurs victorieux, ne pouvaient qu'accepter ou refuser simplement le privilège de la civitas). Pour cette interprétation de la lex Acilia, v. P. Brunt, dans JRS 55, 1965, p. 90 et n. 4 et A. N. Sherwin-White le, p. 95, qui suggère d'attribuer à l'année 125 environ ce ius civitatis per honorem, par l'accès à une magistrature latine. 63 L. Ross Taylor, op. cit., supra, n. 57, a pensé que ce droit n'avait pas été donné aux cités latines fédérées : les deux Tiburtes cités par Cic. (Pro Balbo 23, 53) pour avoir obtenu la civitas en accusant avec succès un magistrat romain, l'auraient déjà possédée en tant qu'anciens magistrats ou fils d'anciens magistrats si les foederati Tiburtes avaient joui du ius civitatis per honorem. L'argument est séduisant. On ignore cependant beaucoup de choses (l'âge de ces Tiburtes leur avait-il déjà permis d'atteindre les magistratures suprêmes qui donnaient la civitas Rom. ?). L. Ross Taylor (suivie par E. T. Salmon, Rom. Col, p. 173) cite en outre le célèbre texte d'Asconius 3 C, mais c'est un argument faible car le contexte montre qu'il s'agit ici de
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voter à Rome ou du droit d'y émigrer, les sources ne connaissent que les Latini, ou les socii nominis latini ou le nomen Latinum et ces termes génériques s'opposent à ce qu'on y cherche le statut particulier d'une seule catégorie de Latins64. Si on admet avec nous que l'extension aux Herniques des relations romano-latines ne prouve rien contre leur historicité, et que les phénomènes de colonisation mixte aussi anciens que le foedus Cassianum supposent de façon quasi inévitable une mobilité individuelle dont le suffragium, le ius migrandi et le commercium sont les plus élémentaires manifestations, on reconnaîtra assez facilement que le ius suffragii fut, comme ces autres privilèges, dès les origines de la ligue, commun aux cités fédérées et aux colonies latines. Il y aura peut-être un excès de scrupule à opposer à cette hypothèse une objection possible, mais on ne la dissimulera pas : ne pourrait-on pas penser que les Romains ont saisi l'occasion de la dissolution de la ligue en 338, pour fonder dans un esprit nouveau les bases d'une fédération plus étroite et plus fraternelle? De là des liens plus généreux entre les colonies latines, Rome et les cités alliées, toutes associées aux droits nouveaux du suffragium, de la migratio et du commercium. Mais la politique romaine, en
«l'extension aux colonies latines de Transpadane du droit des autres col. latines» - cela ne prouve pas que les cités latines non colonies n'en jouissaient pas. Mais on peut, il nous semble, invoquer en faveur de la thèse de L, Ross Taylor un autre argument, tiré d'un silence du Pro Balbo (infra, p. 120, n. 103) et qui semble prouver que seules les colonies latines reçurent à époque récente ce privilège. Cela s'accorde avec la lex Acilia Repetundarum, 1. 78 qui énumère les magistratures qui donnent à un Latin la civitas Rom. : y figurent la dictature, la préture et l'édilité, attestées pour les colonies latines (pour la dictature : Sutri, CIL XI, 3257 ; pour les autres, cf. Beloch, RG, p. 488-492; A. N. Sherwin-White, RO, p. 110 sq. = RC1, p. 117 sq.). Mais, v. en faveur de ce droit accordé aux cités latines, P. Brunt, dans JRS 55, 1965, p. 108 et R. Syme dans Historia 13, 1964, p. 121. 64 On ne peut, en revanche, pour soutenir l'identité colonies et fédérés latins, invoquer le droit d'acquérir la civitas Rom. par l'accusation d'un magistrat romain. E. Badian, dans Class. Rev. 4, 1954, p. 101 et Foreign Clientelae, Oxford, 1958, p. 209, avait pensé que la lex Servilia (111 ? 106?) aurait limité aux Latins (et d'après Cic, Pro Balbo 24, 54, aux colonies et aux cités fédérées latines) ce privilège d'abord concédé par la lex Acilia de 122 env. à tous les socii H. B. Mattingly, dans deux articles consacrés à la Tabula Bembina (= Lex 'Acilia '), dans JRS 59, 1969, p. 129 sq. et JRS 60, 1970, p. 154 sq. a soutenu plus radicalement que la soi-disant Lex Acilia n'aurait même accordé ce privilège qu'aux Latins, et que la Lex Servilia aurait ensuite repris cette disposition. Mais, en réalité, A. N. Sherwin-White, art. cité (1972) (et supra, p. 104, n. 62) nous semble avoir démontré la fragilité de cette hypothèse et avoir très bien prouvé que la civitas Rom. fut offerte dès 122 env. à tous les socii (même Italiens), et que la Lex Servilia n'a pas, par la suite (p. 92 sq.), restreint ce droit aux Latins. Ce procédé ne fut donc jamais un privilège spécifiquement latin d'acquisition de la civitas et ne fournit pas d'argument pour la question de la condition commune des Latins coloniaires et fédérés.
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338, est-elle marquée par une tendance particulière à la fédération, à l'union, à la fusion? Certainement pas, et à choisir entre 338 et 493/486, l'hésitation ne peut être longtemps maintenue : - La ligue latine (et, selon le point de vue romain, l'esprit de fédération) a éclaté dès avant 338 et sa liquidation cette année-là est un constat d'échec 6 5 . Les liens fédéraux de cité à cité sont suspendus (pour un temps que Ton ne peut déterminer), et remplacés par des relations qui imposent à chaque cité Rome c o m m e partenaire unique 6 6 . Est-ce vraiment le moment le plus o p p o r t u n pour placer la création du droit de participer aux délibérations des assemblées romaines, en u n h o n n e u r qui aurait amené les Latins révoltés à créer un rassemblement et des réunions que les Romains leur avaient p a r ailleurs formellement interdits ? Bien plus, le droit d'émigrer, dont on sait qu'il permettait aussi aux cités latines d'accueillir sur leur sol u n Romain ou le Latin d'une autre cité 67 , est inconciliable avec la volonté d'isolement et d'immobilité dans laquelle les Romains, pour les punir, ont placé la quasi totalité des cités et des colonies latines après 338. Il serait bien étrange qu'au moment où les Romains interdisaient aux Latins de se marier entre eux, où ils paralysaient toute relation politique et sans d o u t e commerciale, ils leur aient offert dans un esprit de communauté et de fraternité, absent partout ailleurs, le droit de se déplacer librement pour participer à la vie politique des autres cités ou pour y acquérir une citoyenneté nouvelle. On hésitera à placer dans des années m a r q u é e s par la suspension provisoire des relations fédérales la naissance du droit latin. De fait, si les événements de 338 ont permis aux Romains la création de formes nouvelles, il ne faut pas les chercher dans le domaine du droit latin;
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Les colonies latines y ont contribué : Liv. 8, 3, 9 : Setia, Circei, Signia en 340. Il serait surprenant que deux ans après, Rome ait voulu, comme récompense, transcrire dans le droit cet esprit de fédération - qui avait si «bien» fait ses preuves. La suspension des relations entre les cités de l'ancienne ligue, en 338, exclut cette hypothèse. 66 Liv. 8, 14, 10: Ceteris Latinis populis conubia commerciaque et concilia inter se ademerunt. Même sanction en 306 contre les Herniques (Liv. 9, 43, 23); cf. infra, p. 215; 300; 305. 67 Accueil d'un Romain : supra, n. 41 et 42; accueil d'un Latin : on le déduira facilement de l'exemple de Frégèlles qui reçut des socii non latins en grande quantité (Liv. 41, 8); à plus forte raison l'immigration latine y était admise. Voir de même A. J. Toynbee, HL I, p. 251, n. 3, sur une fine interprétation de la dédicace, au sanctuaire fédéral de Nemi, de la colonie latine de Rimini (ILRPP 77 = CIL F, 40 = CIL XTV, 4269), qui prouve l'importance de l'élément latin dans le peuplement d'une colonie latine fondée en 268. On ignore si les Latins pouvaient émigrer vers des colonies romaines : infra, p. 108, n. 71.
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comparées aux municipes romains, ou aux colonies romaines, dont les premières sont de 338, les cités et colonies latines représentent le respect de structures antérieures et déjà anciennes : p o u r les cités restées alliées, le joedus Cassianum (au delà de la suspension provisoire) reste en vigueur; les anciennes colonies fédérales, qui avaient été créées tout au long du Ve siècle à l'image des cités de la ligue, se maintiennent p o u r la plupart. Cette indéniable continuité se retrouve dans les nouvelles colonies latines que les Romains et leurs alliés continueront après 338 à fonder. La terminologie met en relief la p e r m a n e n c e du droit latin (les socii nominis latini, ce sont, pour l'essentiel, les colonies latines qui ont pris la place et le statut des anciennes cités de la ligue) et apporte une confirmation précieuse : les institutions qui traduisent le mieux l'esprit de fédération et sans lesquelles le droit latin n'aurait plus aucun contenu se trouvent dans le joedus Cassianum et non dans la crise latine du milieu du IVe siècle. Le ius suffragii, comme le ius migrandi, ou le concilium, ou le commercium, ne sont pas une création romaine du milieu du IVe siècle. Ce que l'on connaît des conditions d'exercice du ius suffragii s'accorde avec l'idée d'une origine très ancienne : c'est dans les concilia plebis, puis aussi dans les comices tributes quand ils furent créés, que les Latins groupés en une tribu tirée au sort avant chaque vote participent au rôle législatif et judiciaire de ces assemblées. Si la date à laquelle les comitia tributa furent créés reste incertaine (milieu du Ve siècle ou IV e siècle?), il semble que les concilia plebis, ouverts aux Latins 68 , apparurent à l'époque du foedus Cassianum69; c'est en effet la m ê m e année, selon la tradition 70 , que la
60 Le témoignage de Tite-Live (25, 3, 16), cité supra, n. 45, prouve que les Latins votaient dans les concilia plebis (réunis tributim). En effet, dans l'exemple cité, l'assemblée réunie par tribus est placée sous la présidence des tribuns de la plèbe. A cette époque la confusion entre les deux assemblées est très fréquente (seule la présidence détermine la compétence de l'une ou de l'autre : cf. L. Ross Taylor, Roman Voting Assemblies from the Hannibalic war to the dictatorship of Caesar, Ann Arbor, 1966, p. 64 sq., p. 60 sq.). 69 II paraît excessif de soutenir, comme le fit F. De Martino, Storia, II2, p. 75, que le ius suffragii des Latins ne peut remonter à la ligue latine du fait que les comices tributes où ils votaient n'existaient pas encore. En effet, les Latins votaient dans les tribus, c'est-à-dire dans les concilia plebis tributa (confirmé par Tite-Live), assemblée née au début du Ve siècle (n. suivante) et dans les comitia tributa (dont la date de création est discutée : peut-être avant les XII T.). Il n'y a aucun motif à reculer à 287 (ainsi A. Rosenberg, art. cité, supra, n. 1 et A. Bernardi n. 43), avec la lex Hortensia qui donna aux plébiscita la valeur de leges, le ius suffragii des Latins : il est plus vraisemblable de penser que le droit reconnu aux Latins fut d'abord politiquement peu influent, que l'inverse. 70 En 493, la plèbe obtint, par la force des organes révolutionnaires, des magistrats pro-
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sécession de la plèbe prit fin par la c r é a t i o n du tribunat de la plèbe - qui suppose, en dépit d'une tradition douteuse, l'existence d'une assemblée plébéienne - et la paix fut conclue avec les Latins. Sans doute doit-on faire le lien entre les deux paix établies et les r a m e n e r au m ê m e artisan, Sp. Cassius, qui, d o n n a n t aux Latins Yisopoliteia, l e u r permit, de plus, de participer aux droits politiques naissants des p l é b é i e n s ; c'était, à défaut de la citoyenneté complète qu'ils n'accepteraient pas, l e u r donner une p a r t i e des droits de la plèbe, dont les rangs s'ouvraient à eux par le ius migrandi. B) L'expression, m o d e r n e , de ius migrandi définit le droit, pour un Latin, de t r o q u e r sa citoyenneté d'origine c o n t r e la citoyenneté romaine en s'installant sur le sol r o m a i n et en se faisant enregistrer p a r m i les cives Romani lors des o p é r a t i o n s de recensement 7 1 . Avec le ius migrandi, on est
près et, par là, une assemblée propre à la plèbe. Ce sont des organes progressivement reconnus par l'état patricien (en 471, inviolabilité tribunicienne et, en même temps, la répartition territoriale, par tribu, de l'assemblée plébéienne apparaît (Liv. 2, 58, 1). Cf. Liv. 2, 33, 2 (493) : création du tribunat de la plèbe après la sécession (2, 32, 8; DH 6, 69 à 6, 86). Le traité avec les Latins a lieu au moment même où le tribunat est créé (= reconnu) pour apaiser les esprits. La double paix est fêtée en même temps, toujours sous le consulat de Sp. Cassius (cf. Cic, De Rep. 2, 33, 57). Selon une tradition difficile à accepter (cf. H. Stuart' Jones, dans CAH VII, p. 453-4), mais recueillie par Tite-Live (2, 56, 2), entre 493 et 471, ce sont les comices curiates qui auraient élu les tribuns de la plèbe. 71 II s'agira ici exclusivement de la migratio Romam. La question de l'acquisition de la citoyenneté par l'inscription parmi les colons, lors de la fondation d'une colonie romaine, est différent. Si, en effet, le Sénat a parfois accepté des non-Romains (devenus cives dès la déduction), il affirmera toujours un contrôle exclusif dans le choix des 300 individus, en principe romains seulement, admis à partir; le Sénat rejeta ainsi catégoriquement en 195 une conception nouvelle et abusive du ius migrandi latin qu'invoquèrent certains Herniques (infra, p. 213), selon laquelle ils auraient le droit (ius) de se faire inscrire comme des Romains parmi les colons qui allaient être déduits en Campanie et Grande-Grèce l'année suivante; ils furent rayés des listes. Un élémentaire souci de sécurité militaire justifie la politique constante de Rome à cet égard. V. Liv. 34, 42, 5 : novum ius eo anno a Ferentinatibus temptatum, ut Latini, qui in coloniam Romanam nomina dédissent, cives Romani essent Puteolos Salemumque et Buxentum adscripti coloni, qui nomina dederant; et cum ob id se pro civibus Romanis ferrent, senatus iudicavit non esse eos cives Romanos. Ce passage n'est pas expliqué chez A. N. Sherwin-White, RO, p. 921 = RC1, p. 100 (seuls les Romains sont admis dans les colonies de citoyens); il ne l'est pas exactement, semble-t-il, chez R. E. Smith, dans JRS 44, 1954, p. 18 sq., suivi par A. J. Toynbee, HL I, p. 251, n. 1 et par E. T. Salmon, Rom. Coi, p. 184, n. 165 (par une astuce un peu grossière, les Ferentini, en donnant leurs noms mais en ne partant pas, auraient voulu, en tant que colons «par écrit», acquérir la civitas Romana par la voie la plus courte!). La prétention est en réalité beaucoup plus grave : on invoque le ius migrandi latin la demande émane de Herniques - (il existe donc incontestablement en 195 : infra, p. 116 et sq.) pour l'étendre aux colonies en cours de déduction. Les commissaires chargés des listes ont
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en présence de la principale source individuelle d'acquisition de la citoyenneté romaine - mises à part les concessions honorifiques -, qui soit à la disposition d'un civis non romain. Traditionnellement, le ius migrandi est interprété par les auteurs modernes comme un privilège des Latins, dont les origines seraient à placer ou dans les dispositions du foedus Cassianwn72, ou.dans la «législation» coloniale nouvelle mise sur pied par Rome en 338 73 . Au début du II e siècle, des abus auraient entraîné les Romains, sur la d e m a n d e des cités latines elles-mêmes, à réduire l'exercice de ce droit, puis, sans doute, à le faire disparaître complètement au cours du II e siècle 74 . C'est contre cette tradition qu'un article de G. Tibiletti s'est élevé avec des arguments extrêmement ingénieux et dont la répercussion nous paraît très profonde 7 5 : contrairement à ce que l'on a cru jusqu'ici, l'émigration d'un Latin ne lui a pas permis, dès les origines, d'acquérir la citoyenneté romaine; ce n'est qu'au début du II e siècle que les dispositions législatives, rapportées par Tite-Live et interprétées jusqu'à ce jour c o m m e des restrictions apportées au ius migrandi, sont venues, sous certaines conditions, reconnaître à l'émigré la possibilité d'obtenir, par son inscription sur les
même été abusés par ce ius Latinum, en réalité novum, puisqu'ils avaient déjà inscrit comme colons les Ferentini On ignore si le ius migrandi traditionnel permettait aux Latins de s'adjoindre à une colonie romaine déjà déduite. 72 Mommsen, Staatsr. III, p. 233 = Dr. Publ. VI, 1, p. 262 sq. (droit du soi-disant «municeps latinus»); A. Rosenberg, art. cité (n. 1), p. 355 sq. (mais recule à 268 le foedus Cassianum); A N. Sherwin-White, RO, p. 32 = RC1, p. 34; A. H. Me Donald, dans JRS 34, 1944, p. 11 sq.; G. Vitucci, Diz, Epigr. IV, Latium (1947), c. 436 sq.; E. T. Salmon, Rom. Col, dans The Phoenix 7, 1953, p. 126, mais abandonna par la suite sa position; C. Castello, // cosidetto ius migrandi dei Latini a Roma, dans BIDR 41-42, 1958, p. 209-269 (avec, p. 211, la bibliogr. plus ancienne); F. De Martino, Storia IF, p. 75 sq.; P. Catalano, Linee, op. cit., p. 256 ne se prononce pas nettement; A. Alföldi, Early Rome, p. 38, voit dans le «ius sedis mutandae» une institution de l'ancien Latium, a sort of fédéral citizenship - ce que n'était pas du tout le ius migrandi 73 K. J. Beloch, RG., p. 196; P. Fraccaro, L'organiz. politica, op. cit., p. 197; G. Tibiletti, art. cité, dans Atk 28, 1950, p. 213-214, n. 4, et La Politica délie colonie e città Latine nella guerra sociale dans Ist. Lombardo di Se. e Lett, 86, 1953, p. 49, n. 14; Taylor, VD, p. 107 sq.; E. T. Salmon, Rom. Col, (1969) p. 52 sq. et p. 173. 74 II est possible que le droit d'obtenir la citoyenneté romaine par l'exercice d'une magistrature latine (droit existant déjà vers 125, supra, p. 104, n. 62, ait pris la place du ius migrandi supprimé alors : cf. A. N. Sherwin-White, Rom. Cit., p. 106. La lex Licinia Mucia en 95 a définitivement supprimé ce droit: Mommsen, Staatsr. III, p. 639, n. 2 = Dr. Publ VI, 2, p. 262, n. 4; Rotondi, Leges Publicae, p. 335; C. Castello, op. cit., p. 252 sq. 75 Latini e Ceriti, art. cité {supra, p. 100), p. 239 sq.
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registres du cens, la qualité de civis optimo iure. Avant ces lois du II e siècle, quelle était la condition du Latin émigré? Il jouissait de certains privilèges : ainsi le droit de posséder, grâce au commercium, des fonds romains 7 6 cette propriété était d'ailleurs une condition indispensable pour qu'il devînt un émigré stable et définitif - , ou encore le droit de voter dans les assemblées de la plèbe, car le ius suffragii était, selon cette conception, une conséquence du ius migrandi. On ne saurait admettre, en effet, toujours selon G. Tibiletti, que n'importe quel Latin, se trouvant par hasard à Rome u n jour où les Comices étaient tenus, eût pu s'insérer brusquement dans la vie politique romaine. En retour, le Latin émigré supportait des munera : ses biens étaient recensés, il était assujetti au tribut et contribuait lui-même aux charges militaires des citoyens romains. Les prolongements de cette conception de l'émigration confirment son originalité et son importance. C'est u n e nouvelle catégorie intermédiaire, u n e sorte de demi-citoyenneté d e m e u r é e inconnue, que les travaux de G. Tibiletti ont ainsi mise au jour. Des origines du droit latin jusqu'au début d u II e siècle, la population recensée dans le cadre de la tribu aurait appartenu à deux types juridiques : les citoyens romains et les émigrés privilégiés, les incolae, qui sont aux portes de la civitas Romana mais à l'extérieur et en supportent les charges en échange de la plupart de ses avantages. Les Latins émigrés auraient appartenu à ce second groupe. La découverte séduit, mais étonne : comment les indices qui conduisirent jusqu'à elle p u r e n t rester cachés ou être négligés? Quatre arguments pourtant ont permis à G. Tibiletti d'affirmer l'existence insoupçonnée de cette émigration latine qui mit trois siècles à donner aux Latins la citoyenneté romaine. Ce furent d'abord les Tabulae Caeritum, ces mystérieuses listes de recensement, qui auraient permis le dénombrement de tous les étrangers privilégiés émigrés à Rome, et dont les principaux auraient été les Caerites, municipes sine suffragio, et les Latins; ces tables auraient perdu leur intérêt lorsque les Caerites, à u n e date incertaine, reçurent la citoyenneté romaine et lorsque, plus tard, vers 187, les Latins émigrés furent admis à la civitas Romana. Le second argument est fourni par les difficiles définitions de Festus - Paul qui, au mot municipium (155 L), feraient allusion à l'époque où les Latins, émigrés à Rome, n'accédaient pas à la civitas Romana. Les réformes que Tite-Live r a p p o r t e en détail p o u r les années 187167 constituent la troisième preuve. On les avait comprises comme les limites nouvelles d'un droit ancien; non, il s'agit simplement d'un droit nou-
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veau concédé sous certaines limites. Un quatrième argument enfin est apporté par la Lex Malacitana qui, dans sa disposition de suffragio ferendo relative aux incolae, se réfère aux habitants stables du municipe latin et qui n'en sont pas les citoyens ou municipes. En conclusion, une citoyenneté romaine que les historiens de l'Antiquité disaient très ouverte, mais qui, au contraire, frappe par l'étroitesse de ses accès; une colonisation fédérale qui, du Ve au II e siècle, ronge lentement les forces des seuls Romains, puisque les départs pour les colonies latines ne sont pas compensés par des émigrations, des retours. La libéralisation si tardive du début du IIe siècle ne devait pas même durer, puisque le ius migrandi n'a pas franchi le\seuil du I er siècle. Mais les arguments de G. Tibiletti peuvent-ils convaincre? On peut écarter rapidement ici les deux premiers. Il est impossible d'étendre aux Latins le recensement des Caerites pour deux raisons. D'abord parce qu'il n'y a rien de commun entre le Cérite installé à Rome et le Latin qui y a émigré (même si l'on admet qu'il n'était pas devenu pour cela civis Romanus); il est ainsi impossible d'admettre la présence des uns et des autres sur une liste commune de recensement 77 . En second lieu, à notre avis, les Tables des Caerites ne comportaient pas le nom de résidents sur le sol romain, pas même les Caerites, et il est inutile d'y chercher des Latins émigrés78. L'argument tiré de Festus n'a, de son côté, pas davantage de vigueur : la définition, dans son état actuel, refuse aux Latins soi-disant émigrés et la qualité de cives Romani et le ius suffragii ferendi19. Sans revenir sur l'interprétation de ce texte (qui ne concerne pas, à notre sens, l'hypothèse d'une émigration), il est évident que, sans des corrections importan-
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Voir pour ceci notre article, L'incorporation de Caere. .. dans MEFRA 84, 1972, p. 248, n. 4, où la question des Latins émigrés avait été laissée de côté, étant provisoirement admis que le ius migrandi ne leur aurait pas, avant le IIe siècle, donné la civitas Romana. Voir de même sur l'impossibilité d'admettre sur une liste unique Latins et Caerites résidents, supra, p. 22 sq. : l'un (le Latin) serait soumis aux charges (selon G. Tibiletti), l'autre (le Cérite), est immunis. 78 Les Tabulae Caeritum contiennent le dénombrement des cives sine suffragio. Les étrangers résidant à Rome sont recensés dans leurs cités d'origine. Les cives sine suffragio, s'ils n'ont pas le désir d'acquérir la civitas optimo iure en s'installant à Rome définitivement, doivent, pour les opérations de recensement, revenir dans leur municipe d'origine. Voir pour tout cela, L'incorporation de Caere ... cit., p. 247, n. 3. 79 Festus-Paul, 155 L, : Municipium id genus hominum dicitur, qui cum Romam venissent, neque cives Romani essent, participes tarnen fuerunt omnium rerum ad munus fungendum una cum Romanis civibus, praeterquam de suffragio ferendo, aut magistratu capiendo; sicut fuerunt . .. Lanuvini, Tusculani, qui post aliquot annos cives Romani effecti sunt. Cf. supra, p. 35.
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tes, et qu'il faudrait justifier, on ne peut en tirer l'idée que la migratio donnait aux Latins, à l'époque ancienne, le ius suffragii à défaut de la civitas Romano. Mais le témoignage principal, celui de Tite-Live, ne vient-il pas précisément permettre cette correction, mieux, obliger à corriger en ce sens la définition de Festus? On doit réexaminer, sous cet aspect, les informations que Tite-Live a conservées pour le début du IIe siècle. a) Liv. 39, 3, 4-6 (187). Devant les résultats des recensements de 188, les ambassadeurs de toutes les villes latines vinrent se plaindre au Sénat que leurs citoyens étaient venus en masse s'installer à Rome et s'y faire recenser (magnam multitudinem civium suorwn Romam commigrasse et ihi censos esse). Le Sénat accueille leur demande et charge aussitôt le préteur pérégrin de faire une enquête afin d'identifier tous les Latins recensés à Rome depuis 204 et de les renvoyer dans leurs cités d'origine80. Les résultats de l'enquête provoquèrent le retour de 12 000 Latins, si nombreux étaient, selon les termes de Tite-Live, les étrangers, dont le poids pesait sur la ville. Ce premier passage permet de retenir, de façon certaine, les points suivants : les députations proviennent de l'ensemble du Latium (toto undique ex Latid) - le mouvement migratoire qui les explique n'est donc pas propre à une catégorie de Latins, les colonies latines81 -; le Sénat décide l'expulsion - après enquête -de tous les Latins venus à Rome depuis la censure de 204 : aucune distinction n'est faite selon que certains auraient eu, ou non, le droit de rester à Rome, certains, parce qu'ils auraient par exemple acquis par leur émigration la civitas Romana. Ce sont tous les Latins ayant émigré
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Q. Terentio Culleoni praetori negotium datum est ut eos conquireret, et quem C. Claudio M. Livio censoribus postve eos censores ipsum parentemve eius apud se censum esse probassent socii, ut redire eo cogeret, ubi censi essent (Liv. 39, 3, 4-6). 81 Legatis deinde sociorum Latini nominis, qui toto undique ex Latio fréquentes convenerant, senatus datus est : « l'ensemble du Latium » peut être interprété en ce sens que tout le Latium (et pas seulement les colonies latines du Latium, mais aussi les « fédérés » latins comme Tibur ou Préneste) s'inquiétait des abus du ius migrandi : ainsi G. Castello, op. cit., p. 221. Cet argument contribue à rejeter l'hypothèse soutenue par cet auteur (p. 222) selon laquelle en 204 les 12 colonies latines qui ne purent satisfaire leurs obligations militaires auraient été punies par la perte de leur ius migrandi La présence d'Ardea, Circei, Setia, Sutrium, Nepet, parmi les cités défaillantes atteste que ces colonies latines du Latium n'ont pas perdu en 204 leur ius migrandi puisque leurs ambassadeurs sont venus, en 187, demander à Rome de le limiter. Sur ces 12 colonies défaillantes, cf. G. Tibiletti, La politica agraria.. . dans Ath. 28, 1950, p. 189, 191 sq.
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depuis 17 ans qui, malgré un recensement régulier, sont expulsés. Il reste, en revanche, à élucider un point important : à quel type et à quelle liste de recensement se réfère Tite-Live lorsqu'il évoque le recensement de ces Latins émigrés? Est-ce une liste particulière aux Latins ou la liste des citoyens romains? On peut invoquer en faveur de la première hypothèse quelques arguments - mais de façon toute provisoire. Aucun argument formel, en effet, dans le texte de Tite-Live (39, 3, 4-6), ne prouve que les Latins expulsés avaient acquis la citoyenneté romaine 8 2 . En outre, si les émigrés latins ont conservé leur condition de cives Latini on c o m p r e n d r a mieux la décision du Sénat qui, - ses pouvoirs de police lui en donnaient le droit sans doute -, donna l'ordre d'expulsion. Il serait en revanche plus difficile d'expliquer comment le Sénat pouvait avoir décidé qu'en dépit de leur citoyenneté récemment acquise par l'émigration et l'inscription parmi les cives Romani, les « Latins » perdraient rétroactivement leur civitas récente et seraient réclamés chacun par sa ville d'origine après enquête confiée au préteur des étrangers. Le Sénat violait, dans la première hypothèse, et la lettre des traités conclus avec les cités latines et le droit acquis des Latins à jouir à Rome de leur condition d'incolae, et dans la seconde hypothèse, il violait leur droit acquis à la citoyenneté romaine. Dans les deux cas, le caractère rétroactif de la décision l'entachait d'illégalité; mais il est plus facile, on le reconnaît volontiers, d'admettre l'illégalité p o u r le premier cas puisque, selon cette hypothèse, elle épargnait le droit sacré de la citoyenneté romaine. b) Liv. 41, 8, 9 et 41, 9, 9 (177). Les m ê m e s causes, dix ans plus tard, provoquent les mêmes plaintes des alliés latins. Devant les résultats du recensement terminé en 178, ils reviennent devant le Sénat accuser l'émigration massive qui use leurs forces et les rendra bientôt incapables, faute d'hommes, de respecter les engagements fixés par la formula*1. Ils dénon-
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Duodecim milia Latinorum domos redierunt, de même les députés latins affirment qu'une foule de civium suorum Romam... censos esse; et enfin, Liv., ibid., invoque le poids, à Rome, de ces «étrangers» alienigenarum. Arguments tout provisoires car si rien ne prouve que les Latins recensés étaient Romani, rien n'indique, pour le moment qu'ils étaient recensés ut Latini Ainsi : alienigenae qualifie l'origine et non la condition juridique; les expulsés le sont en tant que Latins : ils ont pu être dépouillés de leur citoyenneté; enfin l'expression des legati s'explique : leurs « concitoyens » (cives sui) sont venus se faire recenser à Rome. 83 Liv. 41, 8, 6-7 : moverunt senatum et legationes socium nominis Latini, quae et censores et priores consules fatigaverant, tandem in senatum introductae. Summa querellarum erat, cives suos Romae censos plerosque Romam commigrasse; quod si permittatur, perpaucis lustris futurum, ut déserta oppida, deserti agri nullum militem dare possint.
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cent en particulier deux fraudes qui expliquent à leurs yeux la dépopulation sans remède dont ils souffrent : une loi en effet, précise Tite-Live pour l'intelligence du récit, permettait aux alliés latins d'acquérir la citoyenneté romaine par l'émigration à la condition de laisser sur place un fils qui continuât les obligations de son père : c'est précisément cette condition qui n'est plus respectée 84 . Les alliés réclament, en conséquence, le retour de leurs concitoyens et, pour l'avenir, qu'on interdît la fraude qu'ils dénonçaient par une loi, mais qui devait être perfecta, c'est-à-dire pourvue de la sanction, efficace mais rarement accordée, de la nullité, ici de la nullité de la citoyenneté romaine acquise contrairement aux dispositions de la loi85. Comme 10 années plus tôt, le Sénat répond favorablement. A la suite d'un sénatus-consulte, la loi que les alliés réclamaient est votée. De plus, l'ordre d'expulser tous les Latins émigrés à Rome depuis 189/188 est pris par le consul C. Claudius - c'était aller au devant même des espérances des Latins qui ne pouvaient, évidemment, réclamer que le retour des fraudeurs 86 -; enfin un sénatus-consulte complète ces mesures en imposant pour tout affranchissement à venir le serment qu'il ne visait pas à faire passer illégalement dans la cité romaine un Latin vendu frauduleusement à un civis Romanus*1. Lors des opérations de recensement de 174, le consul en charge veille à ce que l'édit de C. Claudius de 177 soit respecté et que tous
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Liv. ibid. (41, 8, 9-10) : gênera autem fraudis duo mutandae viritim civitatis inducta erant. Lex sociis (ac) nominis Latini, qui stirpem ex sese domi relinquerent, dabat ut cives Romani fièrent. Ea lege male utendo alii sociis, alii populo Romano iniuriam faciebant. Nam... Postea his quoque imaginibus iuris spretis, promiscue sine lege, sine stirpe in civitatem Romanam per migrationem et censum transibant Sur les fraudes qui avaient pour but d'émigrer avec tous les enfants ou d'émigrer même en l'absence d'enfant, v. C. Castello, // cosidetto «ius migrandi», op. cit., p. 246 sq. L'édition princeps donne la lecture lex sociis ac nominis latini (et de même infra, n. 86, Liv. 41, 9, 9). Drakenborch a montré que l'expression ici équivalait à sociis nominis latini, employée effectivement dans le même contexte {infra, n. 86 et n. 88). Il ne semble pas possible de voir - le contexte d'ailleurs ne s'y prête pas - comme G. Tibiletti, le. (1953), p. 213, n. 4, l'idée que le ius migrandi aurait appartenu à tous les alliés latins et italiens. 85 Liv. ibid. (41, 8, 12) : haec ne postea fièrent petebant legati, et ut redire in civitates iuberent socios; deinde ut lege caverent ne quis quem civitatis mutandae causa suum faceret neve alienaret; et si quis ita civis Romanus factus esset, civis ne esset Haec impetrata ab senatu. 86 Liv. 41, 9, 9 : legem dein de sociis C. Claudius tulit ex senatus consulto et edixit, qui socii (ac) nominis Latini, ipsi maioresve eorum, M. Claudio T. Quinctio censoribus postve ea apud socios nominis Latini censi essent, ut omnes in suam quisque civitatem ante kal. Novembres redirent. Quaestio qui ita non redissent L Mummio praetori décréta est Sur l'expression socii ac nom. lat, cf. supra, n. 84. 87 Liv. 41, 9, 11.
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les Latins qui avaient reçu l'ordre de quitter Rome soient recensés dans leurs cités respectives et non pas à Rome 8 8 . La difficulté principale est de déterminer la date et la portée de cette loi à laquelle Tite-Live fait allusion par ces termes : Lex sociis (ac ?) nominis Latini, qui stirpem ex sese domi relinquerent, dabat ut cives Romani -fièrent (41, 8, 9). Pour une grande partie de la critique moderne, il s'agit d'une loi toute récente par laquelle les Romains ont soumis à une condition nouvelle (laisser un fils dans la cité d'origine) le droit ancien d'acquérir la cité romaine par l'émigration et le recensement à Rome; cette loi ne saurait être antérieure à 187 puisque ni Tite-Live ni les alliés latins ne l'évoquent lors des expulsions de 187 89 . Pour G. Tibiletti, tout différemment, cette loi, apparue entre 187 et 177, établirait pour la première fois le droit p o u r un Latin d'acquérir la cité romaine par son émigration (s'il laisse u n fils sur place) 90 . Il serait vain de vouloir trancher le débat en se fondant sur les termes employés par Tite-Live : ils sont parfaitement conciliables avec ces deux interprétations qui sont, elles, en revanche, inconciliables. On recourra plutôt à deux arguments d'une nature différente : 1) La politique que le Sénat dicta aux magistrats romains en réponse aux délégations répétées des Latins ne s'accorde ni avec la première interprétation, ni avec la seconde. En 187, les expulsions frappent tous les Latins
88 Liv. 42, 10, 2-4 : censa sunt civium Romanorum capita 269.015, minor aliquanto numerus, quia L. Postumius consul pro contione edixerat, qui socium Latini nominis ex edicto C. Claudi consulis redire in civitates suas dehuissent, ne quis eorum Romae, et omnes in suis civitatibus censerentur. Le chiffre obtenu est inférieur à celui du recensement précédent, car cette fois les expulsions ont eu lieu avant et non après les opérations du cens. Sur les conséquences démographiques des limites ainsi apportées au ius migrandi, v. P. A. Brunt, Italian Manpower, 225 B.C. - 14 AD., Oxford, 1971, p. 72 sq., 84 sq. 89 Ainsi R. W. Husband, On the expulsion of foreigners from Rome, dans Class. Phil. 11, 1916, p. 315; J. Carcopino, La République rom. II, (Hist. Générale - Glotz, 3 e partie) 1950, p. 140; McDonald, dans 1RS 34, 1944, cité, p. 23, n. 92; G. Tibiletti, art. cité (1953), p. 213, n.4; E. T. Salmon, Rom. Col, op. cit., (1969), p. 92 sq. Certains auteurs en revanche ont estimé que la «lex» en question remonte aux anciens traités et qu'elle permit, au début du IIe siècle, de chasser les fraudeurs (ainsi A. Rosenberg, art. cité, p. 345 et p. 356 sq.; T.Frank, dans CAH VIII, Cambridge, 1930, p. 355), ce qui n'est pas donner de l'application de la loi une image exacte : tous les Latins et non seulement les fraudeurs sont en fait expulsés. G. De Sanctis, Storia dei Rom. IV, 1, Turin, 1923, p. 569, nous semble, en revanche, en attribuant la lex à l'origine même du droit d'émigrer et en remarquant que sa portée fut dépassée par des expulsions qu'elle n'aurait pas dû permettre, l'avoir seul bien interprétée. 90 Latini e Ceriti (1961), art. cité, p. 245 sq.
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arrivés depuis 204. Mais en 177? Il en est de même : ce sont tous les Latins arrivés depuis 188 qui sont de nouveau expulsés. Il n'y a, dans l'ordre d'expulsion de 177, aucune référence à deux catégories d'émigrés, les fraudeurs et ceux qui, ayant satisfait à la condition soi-disant nouvelle de laisser un fils sur place, auraient pu conserver leur citoyenneté romaine régulièrement acquise. La procédure employée est, dans les deux cas, la même : le Sénat ne tenant pas compte des effets juridiques de l'émigration et de l'inscription sur les registres de la citoyenneté romaine déclare Latini des individus qui, pour une part, étaient incontestablement devenus des cives Romani, et les expulse. Pour les événements de 187, il nous avait semblé difficile que le Sénat pût porter atteinte à un droit de citoyenneté définitivement acquis; mais les événements de 177, qui répètent les premiers, ont montré de façon indéniable que ce sont des cives Romani qui, par une mesure d'exception, parfaitement illégale car elle est rétroactive, sont expulsés une fois déchus de leur citoyenneté. La politique suivie en 177 permet de comprendre celle de 18791. Y eut-il une réforme entre 187 et 177? Certainement pas; la preuve formelle est apportée, en effet, que les expulsions de 177 et de 174 ne tiennent aucun compte de la réserve qui stirpem ex sese domi relinquerent : il est alors évident que cette réserve n'est pas une innovation récente, une réforme que le Sénat se serait empressé de ne pas appliquer aussitôt après l'avoir fait voter. Cette réserve est, à notre avis, une condition trop naturelle pour qu'on n'admette pas son existence dès l'éclosion des mouvements de colonisation fédérale; elle doit dater, au plus tard, de 338, mais rien ne s'oppose à ce qu'elle remonte même aux origines de la colonisation romano-latine, c'est-à-dire au foedus Cassianum92.
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II ne faut donc pas déduire des termes employés par Tite-Live ou les ambassadeurs latins, en 187 (39, 3, 4-6) - supra, n. 80 - que l'émigration et le recensement n'avaient pas donné aux Latins la qualité de cives Rom., ou encore qu'ils étaient enregistrés ut Latini sur des listes particulières (qui n'ont certainement jamais existé : les Latins étaient soit enregistrés à Rome et devenaient alors cives Rom, tout lien étant rompu avec leur cité d'origine, soit simples résidents à Rome, mais devaient se faire recenser dans leur cité d'origine dont ils supportaient les munera); en 177, en effet, les expressions ne changent pas : cives suos Romae censos (41, 8, 7); petebant legati, ut redire in civitates iuberent socios (41, 8, 12); qui socium Latini nominis redire in civitates suas debuissent (42, 10, 2-4). 92 Son lien naturel avec le phénomène de colonisation explique que l'on retrouve en Grèce, par exemple, entre métropole et colonie, un droit identique de retour et la condition semblable de laisser un fils sur place : voir en ce sens le statut de Naupacte, colonie locrienne
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Quant à l'hypothèse défendue par G. Tibiletti, elle nous semble condamnée par l'histoire de ces expulsions : il eût été étrange que, ému et convaincu par les plaintes des Latins comme il le fut lorsqu'il expulsa les immigrés de 187, le Sénat eût sitôt après attaché en prime à l'émigration, comme pour lui donner plus d'attrait, l'acquisition de la citoyenneté romaine . . . pour finalement donner l'ordre, en 177, de ne pas appliquer la législation qu'il venait d'inspirer. C'est prêter au Sénat vraiment trop d'incohérence93. La nouveauté, en 187 et en 177, c'est la facilité, la brutalité, avec laquelle Rome va au devant des plaintes des alliés Latins et expulse massivement les immigrés. La fraude aux lois anciennes n'explique pas tout; ces mesures annoncent la politique de fermeture qui marquera le dernier tiers du IIe siècle. Les concessions massives de la citoyenneté disparaissent après le début du II e siècle - par la force des choses, il n'y a plus de cives sine suffragio à qui on puisse donner le ius optimum94) la source individuelle que constituait le ius migrandi se tarit : c'est le moment, très vraisemblablement, où Rome s'oriente vers une formule plus souple qui accorde l'avantage de la civitas Romana95 sans priver les colonies latines de leurs meilleurs citoyens : une formule souple par le cumul de citoyennetés qu'elle permet et qui annonce les formules impériales96.
du Ve siècle (dans R. Meiggs - D. Lewis, A sélection of Greek historical Inscr., Oxford, 1969, p. 355 sq.; ce rapprochement déjà évoqué par Beloch, Rom. Gesch., fut repris par G. Tibiletti, dans Ath. 1953, op. cit, p. 214). Dans le Latium, le caractère fédéral de la colonisation explique des formes plus complexes de migrationes, des liens non pas bilatéraux mais enchevêtrés entre les cités-mères et leur colonie d'une part et entre les cités-mères entre elles, de l'autre. 93 Voir également supra p. 108, n. 71 : le ius migrandi latino-hernique existait déjà en 195. 94 Formi, Fundi et Arpinum reçoivent Yoptimus ius et l'intégration dans les tribus romaines en 188. C'est la dernière mention, conservée, d'extension massive de la civitas optimo iure; sur ce problème, infra, p. 346 sq. 95 II s'agit de l'acquisition de la civitas Romana par l'exercice d'une magistrature latine. Ainsi que L. Ross Taylor (suivie par E. T. Salmon) l'a montré (cf. supra, n. 63 et infra, n. 103), ce privilège tardif semble bien n'avoir appartenu qu'aux colonies latines et non aux cités latines fédérées. Sur sa date : la lex Acïlia rep. (vers 122) le suppose déjà. A. N. Sherwin-White, RO, p. 106 = RC1, p. 112, qui a en général convaincu, a vu en lui une compensation aux restrictions apportées, au cours du IIe siècle, au ius migrandi On remarquera seulement que le ius migrandi appartenait aussi aux cités latines fédérées et aux Herniques (donc depuis 486). 96 La Lex Acïlia repetund. (c. 122), 1. 78 sq. (FIRA, Leges, NR. 7, p. 101) récompense l'accusateur non romain d'un magistrat romain par l'offre de la citoyenneté ou par des avantages matériels (immunité financière et militaire, à titre héréditaire, dans la cité d'origine et droit de la provocatio ad populum) et, dans une disposition évidemment superfétatoire, précise que
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2) Il est un indice qui permet peut-être de préciser davantage quand le ius migrandi apparut dans les relations romano-latines. L'argument est tiré d'un silence du Pro Balbo. On connaît l'objet du procès : la concession à Balbus de la cité romaine devait-elle, pour être valide, avoir reçu le consentement de sa cité d'origine, Gadès? L'accusation l'affirme. En devenant romain Balbus avait perdu sa citoyenneté originelle97; or le traité conclu entre Rome et Gadès devait placer celle-ci à l'abri d'une décision unilatérale de Rome qui porterait atteinte à l'intégrité de la cité fédérée : pour que la mutatio civitatis de Balbus fût valide, il aurait fallu un accord que Gadès n'a pas donné 98 . Ces arguments étaient juridiquement très solides; la plaidoirie de Cicéron, insistant sur des arguments souvent artificiels99, déformant les chefs de l'accusation
cette option ne s'applique pas à l'ancien magistrat latin. On peut y voir la preuve soit que celui-ci disposait déjà de la citoyenneté romaine (acquise automatiquement par l'exercice d'une magistrature), soit qu'il avait déjà reçu la même option (civitas ou privilèges locaux) que l'accusateur. Il n'y a aucune raison de préférer l'une ou l'autre de ces explications. Si l'on adopte la première, attendu qu'il est impossible de supposer que l'acquisition automatique de la cité romaine aurait fait perdre aux Latins leur citoyenneté latine (les cités lat. auraient été vidées de leur bourgeoisie en quelques années), il faut supposer un cumul de citoyennetés (non reconnu par les principes romains) et le renoncement volontaire à l'immunité (munera publica) locale que conférait la cité romaine. Si on adopte la seconde explication, on respecte le principe du non-cumul, mais il est certain que peu d'anciens magistrats auraient accepté de quitter leur patrie, leur puissance politique, sociale et économique pour Rome; il ne leur serait resté qu'une immunité locale, mais que par tradition et évergétisme ils auraient rejetée. Il nous semble donc que c'est la première formule qui doit être préférée : acquisition automatique (comme dans les municipes latins espagnols : Lex Salpens. 21 - FIRA Leges, NR. 23, p. 204) de la cité romaine, inscription immédiate dans les tribus et exercice, à Rome, de droits politiques, mais maintien de la citoyenneté latine et accès aux charges locales (donc rejet volontaire de l'immunité locale que la possession de la cité romaine impliquait). Le lien entre migratio et acquisition de la civitas Romana était rompu. 97 Duarum civitatum civis noster esse iure civili nemo potest; non esse huius civitatis, qui se alii civitati dicarit, potest (Cic, Pro Balbo, 11, 28). 98 Pro Balbo, 8, 19 : (l'accusateur) negat ex foederato populo quemquam potuisse, nisi is populus fundus factus esset, in hanc civitatem venire. L'expression fundus jieri équivaut à donner son consentement. Par là, l'accusation soutient que Pompée récompensant Balbus a agi illégalement : fecisse Pompeium quod ei facere non licuerit (3, 8) ; il a violé le traité établi entre Rome et Gadès (5, 13). Sur ce foedus, v. W. Dahlheim, Struktur und Entwicklung des röm. Völkerrechts im 3. und 2. Jahrhundert, Munich, 1968, p. 58, n. 25. Infra, p. 295 sq. 99 Ainsi tous les arguments destinés à retirer au traité entre Rome et Gadès son autorité (Pro Balbo, 14, 32 sq.), dont il est visible qu'aucun n'est sûr et ne peut emporter la conviction. Ainsi, le traité ne contient pas une clause interdisant à Rome de donner à un Gaditain la
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pour mieux les réfuter 100 , abusant de syllogismes trompeurs 1 0 1 , confirme et la prodigieuse habileté de l'avocat et son e m b a r r a s p o u r combattre l'adversaire sur son terrain, celui du droit : il reste en effet très vraisemblable qu'un respect scrupuleux des traités obligeait Rome à recueillir, en principe, le consentement de la cité dont un ou plusieurs citoyens parvenaient à la citoyenneté romaine. Ce qui importe ici c'est la façon dont Cicéron, après avoir soutenu de façon plus ou moins réussie que la thèse adverse n'était pas fondée, recueille, p o u r convaincre les juges, tous les précédents possibles capables
citoyenneté : c'est donc qu'elle en a le droit; même si elle s'y trouvait, cette clause aurait été annulée par la lex Gellia et Cornelia donnant aux généraux le droit de conférer la civitas (une loi annulant un foedusty; de toute façon le traité n'a pas de valeur, car le peuple romain ne l'a pas ratifié (15, 34); mais même s'il engageait le peuple, le traité ne contenait pas la clause en question (16, 35); et même si elle s'y trouvait, la maiestas populi Romani permettrait à Rome de ne pas en tenir compte. On tourne en rond et on aboutit à l'argument de la maiestas : sur sa valeur, cf. les notes suivantes. 100 L'accusateur soutient (8, 19) que l'ordre interne d'une cité fédérée (atteint ici par le droit que Rome affirme de réduire le nombre des citoyens de la cité fédérée en conférant à certains, par une décision unilatérale, la civitas Romana) ne peut être modifié sans que cette cité donne son accord (nisi is populus fundus factus esset) : pour l'accusateur, l'important, dans ce droit de consentir, est qu'il permet de refuser. Pas du tout, répond Cicéron, selon un point de vue exclusivement romain, l'important est qu'il permet, en donnant son consentement, de recevoir la législation romaine; ce droit de recevoir les lois romaines serait un privilège (fundi populi beneficio nostro, non suo iure fiant; 8, 21) et l'accusateur n'aurait rien compris quand il y voit le droit de sauvegarder sa propre législation - pour une cité fédérée ou libre - en n'acceptant pas l'introduction des lois romaines. Il reste certain que ce consentement formel, préalable et nécessaire était, avant tout, par la possibilité de refuser les lois romaines, une garantie d'autonomie. Cicéron est bien obligé de le reconnaître quand il en vient à donner des exemples : la Lex Julia de civitate ne fut pas acceptée par tous et on retiendra surtout sa conclusion (8, 22) : il est un domaine législatif réservé (res publica, imperium, bella nostra... ) pour lequel il ne fut jamais permis aux alliés et aux Latins de fundus fieri, de donner leur consentement : en clair un domaine non pas qu'il était interdit aux alliés d'adopter, mais un domaine qu'il leur était interdit de refuser, car introduit d'office. C'était bien se rallier à l'interprétation de l'accusateur. La suite le confirme encore : il s'agira de prouver que la civitas virtutis causa est une disposition du domaine réservé à laquelle les fédérés doivent se soumettre. Sur la signification de municipium fundanum, voir infra p. 296 sq. 101 La civitas virtutis causa permet de récompenser le courage (9, 22 sq.); récompenser le courage c'est obtenir l'aide militaire (9, 24); soumettre à leur consentement la récompense du courage des fédérés, c'est leur permettre de l'interdire; donc admettre un consentement pour la civitas virtutis causa, c'est permettre d'interdire d'aider le peuple romain (10, 26). La maiestas populi Romani serait directement atteinte par un tel droit. Il est clair que cette apparente logique relève du sophisme et non d'une analyse politique de la maiestas populi Romani.
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
de justifier que la citoyenneté de Balbus, même dépourvue du consentement des Gaditains, était légitime. C'est le cas de Camerinum ou d'Iguvium, de Ravenne ou d'Héraclée, de Massilia ou de Sagonte (22, 50) dont les citoyens reçurent, comme récompense pour leur fidélité à Rome, la citoyenneté romaine; personne n'en contesta la validité, alors que ces cités fédérées n'avaient pas donné un consentement formel. C'est aussi le cas des cités latines, fédérées depuis le consulat de Sp. Cassius, dont les citoyens acquirent, sans que leur traité fût dénoncé comme violé, le droit d'obtenir la civitas Romana par une accusation victorieuse dans un procès de repetundis (24, 54). Parmi ces précédents et tous les autres que Cicéron a scrupuleusement rassemblés - c'est, peut-on dire, le seul argument fort de sa défense102 -, il y a un vide révélateur et qui nous semble très important 103 : il n'est pas fait la moindre allusion au ius migrandi qui avait permis à des masses de Latins au cours des siècles précédents d'acquérir la citoyenneté romaine par une démarche individuelle, sans que les cités latines aient jamais donné un accord formel. Or, si on met de côté les mesures exceptionnelles et temporaires d'expulsion dont les émigrés latins furent victimes, ces acquisitions ne furent jamais mises en doute, ou contestées, sous prétexte que la cité d'origine ne les avait pas expressément reconnues. Si le ius migrandi avait été établi par une loi romaine postérieure à la conclusion du foedus Cassianum, incontestablement aequum, quel argument meilleur Cicéron aurait-il pu trouver pour convaincre que le droit était de son côté104 ?
102
C'est aussi sur ce système de preuves que M. Crassus avait fondé la défense, partagée avec Pompée et Cicéron, de Balbus (Pro Balbo, 22, 50)r 103 Un autre silence, auquel on a fait allusion plus haut (n. 63) : Cicéron ne souffle mot de la possibilité pour les Latins fédérés d'acquérir la cité per magistratum; or il n'aurait pas manqué d'invoquer ce privilège récent (après 174, avant 125/2), que le foedus Cassianum n'avait naturellement pas prévu, si les cités latines fédérées en avait disposé. On devrait en déduire que seules les colonies latines et non les cités fédérées latines avaient reçu ce droit, qui, ainsi, pouvait ne pas apparaître comme une « violation » directe (selon la thèse combattue par l'orateur) du foedus Cassianum. 104 A. Rosenberg, Das sog. foedus Cassianum, op. cit., p. 355 sq., avait aperçu la valeur de ce silence du Pro Balbo et avait conclu que la lex que mentionne Tite-Live 41, 8, 9 pour 177 à propos du ius migrandi ne devait être qu'une expression pour rendre compte de la législation actuelle, celle en vigueur en 177. Si le ius migrandi avait été introduit par une loi spéciale de Rome, conclut A. Rosenberg, Cicéron l'aurait citée à côté des lois qui assuraient aux Latins le praemium civitatis. Non seulement parce qu'elle aurait porté atteinte au foedus Cassianum cette loi aurait dû être citée, mais, nous semble-t-il, on peut aller plus loin que A. Rosenberg et démontrer qu'il ne peut s'être agi d'une omission de Cicéron, par l'importance que ce précédent - s'il en avait été un - aurait eue en comparaison des autres qui furent invoqués.
L'ISOPOLITEIA DES PEUPLES LATINS
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En effet, pris hors du Latium, les précédents invoqués par Cicéron ne dépassent pas l'exemple isolé, tardif et malgré tout exceptionnel du courage militaire récompensé; quant aux Latini, id est foederati105, qui devaient évidemment lui fournir le champ le plus vaste où citoyenneté romaine et foedus aequum s'affrontaient, ils lui donnent quels arguments en définitive? Une astuce de vocabulaire, dangereusement réversible d'ailleurs (les cités latines globalement passées dans la civitas Romana ont donné leur accord)106 et un irréel du passé, naturellement invérifiable (si un citoyen latin avait reçu, par privilège, la cité romaine, on n'aurait pas considéré cet octroi comme une violation du foedus Cassianum)101. La pauvreté et la faiblesse des arguments - complétés, il est vrai, par la citoyenneté de l'accusa-
lü5 Pro Balbo 24, 54. On a contesté le bien-fondé de l'affirmation; en affirmant, d'abord, que les anciennes cités latines restées telles jusqu'en 90 avaient perdu, après leur deditio en 338 leur qualité de foederati (par là le foedus Cassianum n'aurait plus dès lors été qu'un texte mort) : ainsi A. N. Sherwin-White, RO, p. 92 = RC2, p. 97; on nia, en second lieu, que les colonies latines, qui sous la République forment certes la majorité des Latins, aient eu la condition juridique de foederati: ainsi parmi d'autres Beloch, KG., p. 195, «une colonie fédérée aurait été une monstruosité juridique». En réalité, comme W. Dahlheim, Struktur u. Entwicklung, op. cit., p. 118, n. 19, l'a très bien montré, il n'y a aucune différence entre colonies latines et cités latines fédérées (il est certain que, pour ces dernières, après la deditio en 338, le foedus fut rétabli : foedus et deditio ne sont pas incompatibles comme Heuss l'a montré; certaines dispositions du foedus Cassianum sont restées en vigueur jusqu'en 90; le Pro Balbo 13, 31 et 23, 53 le prouve). Ainsi Spolète, col. latine, est citée par Cicéron comme exemple de civitates foederatae {Pro Balbo 21, 48) et cf. les autres arguments donnés par W. Dahlheim, le. : les Latins, colonarii ou non, sont comme les Italiens, des socii. 106 pro Balbo 13, 31 : Itaque et ex Latio multi, ut Tusculani, ut Lanuvini, et ex ceteris regionibus gentes universae in civitatem sunt receptae, ut Sabinorum Volscorum Hernicorum. Quibus ex civitatibus nec coacti essent civitate mutari, siqui noluissent... Trois remarques à faire 1) Cicéron prenant ses exemples parmi des cités passées globalement dans la citoyenneté romaine, il n'est pas surprenant qu'il ne puisse pas citer le cas de refus individuels : la concession massive les excluait naturellement; 2) il feint de croire à l'accord de ces cités lorsqu'elles reçurent la civitas Romana - ce qui est plus que douteux -, 3) cette fiction est même un argument contre sa thèse générale, car elle indiquerait que la citoyenneté romaine n'est acquise que si la cité elle-même l'accepte. 107 Ibid., 13, 31 : . . . nec siqui essent civitatem nostram beneficio populi Romani consecuti, violatum foedus eorum videretur. Or, entre le foedus Cassianum et l'incorporation de Tusculum, ou, même pour Tibur restée fédérée jusqu'en 90, il y a tous les exemples de migrationes traduisant des acquisitions de la civitas Romana sans que le foedus fût violé. Si Cicéron ne les évoque pas, c'est parce que ces migrationes étaient prévues par le traité, donc par avance reconnues et acceptées par les cités latines dont les citoyens changeaient de citoyenneté par l'émigration et le recensement à Rome.
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
teur de repetundis - doit éveiller nos soupçons : si le ius migrandi n'est pas mentionné, c'est qu'il ne pouvait pas être utilisé pour la thèse de l'avocat : en effet, parce qu'il était prévu par le foedus Cassianum, il ne pouvait pas être invoqué par Cicéron pour prouver que les innombrables acquisitions de la citoyenneté romaine qu'il permit étaient compatibles avec un foedus aequum qui l'aurait ignoré. Il est évident que s'il avait été créé après le foedus Cassianum, par une loi, c'est-à-dire p a r une mesure unilatérale de Rome, le ius migrandi aurait été la preuve la plus nette q u ' u n e cité fédérée n'avait pas à donner son consentement à l'acquisition, p a r l'un de ses citoyens, de la cité romaine. Le Pro Balbo confirme ainsi ce que l'examen du ius suffragii avait, de son côté, permis d'établir : avec le ius migrandi, comme avec le ius suffragii, on est en présence de deux éléments du droit fédéral latin institutionnalisés p a r le foedus Cassianum; ils sont aussi inséparables du droit de la ligue latine que les entreprises fédérales qu'elle permit au Latium d'entreprendre dès le début du Ve siècle : alliance défensive, répartition mixte du sol et déduction de colonies militaires, où les détachements provenant de l'ensemble des cités latines seront fondus. Pour notre propos, on en retiendra principalement deux points; ils sont u n e double confirmation du témoignage de Denys d'Halicarnasse. Confirmation, d'abord, de la date et du contenu du foedus Cassianum tel que celui-ci apparaît transcrit dans l'œuvre de Denys; les deux éléments qui nous ont paru déterminants pour la condition politique des Latins au regard de la citoyenneté romaine, le ius migrandi et le ius suffragii, remontent aux débuts de la ligue latine historique, celle que le foedus Cassianum a fondée au début du Ve siècle. Denys d'Haï., notre source la plus riche pour la connaissance de ce traité et, par là, du droit latin, paraît donc sûr; on peut avoir confiance en lui. La confirmation de cette authenticité est extrêmement précieuse pour le ius migrandi, l'élément sans conteste le plus important d u droit latin ou de la condition des Gabini, puisque Denys, le transposant sous le terme d'isopoliteia, s'en servit pour définir globalement l'ensemble de ces relations romano-latines de la fin du VI e siècle et du début d u V e siècle. C'est un point que l'on doit garder présent à l'esprit; car si l'isopolitie put apparaître à l'historien grec c o m m e la dominante du ius Latinum, elle fut en revanche bien souvent appelée en renfort par les historiens modernes p o u r définir la condition des municipes romains. Avant de se prononcer définitivement pour ou contre Denys d'Haï., pour ou contre l'isopolitie latine, on demandera aux documents grecs leur témoignage indispensable.
L'ISOPOUTEIA DES PEUPLES LATINS
123
III - L'ISOPOLITEIA DES CITÉS GRECQUES
On peut, d'un mot, rappeler c o m m e n t Denys d'Halicarnasse se représentait les relations établies, à titre de réciprocité, entre Rome et Gabii ou les Latins ou les Herniques et qu'il avait transposées à l'aide du terme d'isopolitie : l'offre globale d'une citoyenneté optimo iure qu'il appartenait à chaque individu, s'il le voulait, de réaliser en s'installant dans la cité qui s'était ainsi ouverte à lui. On voudrait maintenant compléter les éléments que l'on a pu rassembler du droit latin en utilisant sa transposition grecque : quelle réalité juridique l'institution grecque de l'isopolitie recouvre-t-elle? Par quels aspects c o m m u n s au Latium primitif et aux relations établies du Ve au II e siècle entre les cités de la Grèce, des Iles ou de l'Asie Mineure, l'interprétation de Denys ou Plutarque ou Appien 108 s'explique-t-elle? IIoXiTEia ou îao-rcoXiTEia, les recherches de Szanto l'ont établi 109 , peuvent se référer à la citoyenneté qui est, soit accordée à un étranger à titre honorifique, soit étendue globalement p a r une mesure unilatérale à une masse d'individus, soit concédée à titre de réciprocité à une autre cité. Si les termes sont identiques dans chacun de ces trois cas (c'est la citoyenneté complète, égale à celle dont jouissent les citoyens de la cité qui accorde son droit), leur résonance politique et juridique diffère beaucoup. Alors que la concession unilatérale et globale équivaut à une annexion, à une incorporation immédiate de la cité dont l'indépendance et l'autonomie de droit international s'estompe, au contraire, lorsqu'il y a échange entre deux cités, à titre de réciprocité, de leur droit de cité, l'égalité de l'une et de l'autre est par principe affirmée et leur indépendance maintenue. Il va de soi que c'est à ce type de conventions réciproques qu'on se limitera puisque les relations de Rome avec les Latins ou les Herniques ou les Gabini ont été établies sur un pied d'égalité. Le problème principal est celui du contenu du droit de cité offert ou donné par chacune des cités. Il est évident que le souci pour ces cités de maintenir leur autonomie entraînait c o m m e une conséquence nécessaire que le droit, que chacune accordait globalement à l'ensemble des citoyens de l'autre, fût sans contenu effectif immédiat, autrement dit : que l'exercice
108
Plut., Cor. 30; App., BC. 1, 10 et supra, p. 94. E. Szanto, Das griechische Bürgerrecht, Fribourg en Br., 1892, p. 11 sq.; voir de même G. Busolt, Griechische Staatskunde 3, I, Munich, 1920, p. 224 sq. 109
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
du droit de cité accordé à tous fût soumis à certaines conditions. Le jeu politique eût été gravement menacé si les assemblées politiques, les magistratures, les tribunaux et les cultes d'une cité avaient p u être brusquement envahis par la masse fluctuante des habitants de la cité qui avait reçu l'isopolitie. Sous cet aspect il est nécessaire de distinguer, d a n s les principes, la concession de l'isopolitie à une cité (à titre de réciprocité) de la concession à un individu (à titre honorifique). Les mobiles de la concession ne sont pas les mêmes 1 1 0 ; on peut, de plus, p e n s e r qu'il importait moins, pour la citoyenneté individuelle offerte, de m e t t r e l'accent sur son caractère exclusivement potentiel. L'hypothèse sera à vérifier. Il est important p o u r notre p r o p o s d'insister sur l'aspect formel de la citoyenneté concédée (TTOXITELOC OU icro'rcoXi.TEia), par opposition aux droits qu'elle contient virtuellement et dont l'exercice (icoXiTsueiv et TcoXiTEÛEcrBai)111 suppose l'émigration et le recensement dans la cité à laquelle on accepte de se joindre; un véritable fossé sépare ainsi celui qui a reçu cette citoyenneté, mais qui ne la met pas en pratique, de celui qui au contraire a relevé l'offre. Un certain nombre de privilèges, qui en général sont a c c o r d é s à des noncitoyens et qui régulièrement a p p a r t i e n n e n t aux citoyens qui n'ont pas voulu réaliser la citoyenneté qui leur était offerte, atténue, en pratique, les différences entre ces deux comportements, mais souligne, sur le plan des principes, tout ce qui sépare une citoyenneté future d'une citoyenneté actuelle. On regroupera les principaux témoignages dont o n dispose sur les décrets bilatéraux d'isopolitie autour de ces deux questions, qui permettront avec le plus de clarté de marquer, en conclusion, l'originalité des solu-
110 Tandis que la concession individuelle tend principalement à récompenser des services rendus et revêt le caractère d'un honneur, les concessions globales et réciproques de l'isopolitie ont des fins politiques beaucoup plus accentuées: par ex. rendre-plus étroits, les liens entre des cités proches dans l'espace ou primitivement unies par des rapports métropolecolonies : ainsi pour les décrets Milésiens des IVe - IIe siècle (D. Magie, Roman Rule in Asia Minor, Princeton, 1950, I, p. 100 sq., II, p. 939; «procédé pour augmenter le corps civique par des éléments offrant des garanties et aisément assimilables » selon L. Robert, dans Annuaire EPHE, 4 e Sect., 1967-8, p. 193; M. Rostovtzeff, Economie Hisîory of the Hellenistic World, p. 175 insiste sur les buts commerciaux); pour la Crète, voir H. Van Effenterre, La Crète et le monde grec, BEFAR 163, Paris 1948, p. 154 sq.; pour la ligue étolienne, G. Busolt-H Swoboda, Griech. Staatskunde II, Munich, 1926, p. 1510 sq.; P. Klose, Die völkerrechtliche Ordnung der hellenist. Staatenwelt in d Zeit 280-168 v. Chr. (Münchener Beitr. 64) 1972, p. 94, p. 142 sq.; pour les Attalides, E. Will, Hist. Pol. du monde hellénistique, I, Nancy 1966, p. 232; pour Athènes et Rhodes, P. Klose, op. cit., p. 127. 1,1 Sur les valeurs de la distinction, cf. L. Robert, Bull. Ep. (REG), 1958, p. 196, n.79.
L'ISOPOUTEIA DES PEUPLES LATINS
125
tions romaines. Les travaux de Szanto s u r la citoyenneté grecque restent, il va de soi, essentiels, en dépit des r e t o u c h e s que les découvertes ou les interprétations nouvelles, depuis u n siècle, ont r e n d u e s nécessaires 1 1 1 3 . 1 - IcoicoXtTEia et TCOXLTEÛEO-0CCI A) De n o m b r e u x décrets d'isopolitie, d o n t n o t a m m e n t les plus anciens, insistent bien s u r l'idée que la citoyenneté offerte ne se réalise qu'au sein de la cité q u i l'a d o n n é e : [...EOCV d KELOÇ P O I T O U E ] | [ V 'EpETpiTji •TCOXITEUEO-0CU, . . . ], dans la convention d'isopolitie établie entre Kéos et Eretria entre 393 et 377; ou, dans la convention établie vers 364 entre Kéos et Histiaia, où l'on trouve u n e formule i d e n t i q u e : . . . [èàv Si] 6 KEÎOÇ ßouXrjTai èv lo-tf louai - m a n q u e n t 10 lettres - ] |[TODIXITEUEO-GOU . . . (1. 7 sq.) 1 1 2 ; . . . eïvai 8è TOV | KUÇIXT}VOV EU. MLXTJTWI MI|X.TJO*IOV xaï, TOV MIXTJCIOV EV | KUÇIXWI K\JÇIXT}VOV, . . . (1. 13-16), dans la convention établie en 330, ou avant, entre Milet et Cyzique 1 1 3 . A la fin d u IV e siècle Phygela d e m a n d e à Milet le renouvellement des liens isopolitiques établis au d é b u t d u IV e siècle : . . . TTJVTCOXITEUXVTTJV îrrcàpxourav | [OuyleXeôffiv | [Ê]JJL MIXTJTOJL xaï, MLXTJC7COL<; | [é][JL OuyÉXou; Êx TÛV xpovwv TWV itpoTEpov | (1. 4-6) et l'obtient (1. 14 s.) : MIXTJO-ÊOIX; xal OUYEXEÎÇ iroXiTac; Eivai | Tcap* OXXTJXOU; xal ^ETÉXELV lEpûv xal àpxEiwM | [x]aî, TÜV aXXwv TWV \mapXovTWv ÊJJL MLXT|T[OJL] | [xai] OUYEXOL«;114.
111 a w. Gawantka, Isopolitie. Ein Beitrag zur Geschichte der zwischenstaatlichen Beziehungen in der griech. Antike, Munich, 1975, me fut accessible alors que ces pages étaient sous presse. Pour la période envisagée (IVe-IIe siècles), nos conclusions se rejoignent: l'isopolitês, qui ne relève pas la citoyenneté potentielle offerte, est un étranger dans la cité qui l'accueille, sans autres avantages que ceux qui, spécialement et sans lien direct avec l'isopolitie, ont pu lui être concédés. L'indépendance politique des cités liées par cette convention reste entière. 112 Pour le premier décret: BCH 78, 1954, p. 316 sq. = Bengtson, Die Staatsverträge des Altertums II, Munich et Berlin, 1962, n° 232, p. 180. Le début du texte (cité ici) manque, mais a été reconstitué à partir d'une convention identique datée de 364 : IG XII, 5, 594, 1. 79 = Bengtson, Staatsvertr. n° 287, p. 243 ; la convention décide « que si un Kéien veut exercer son droit de cité à Eretria . . . » ; la suite donne une formule identique pour la réciproque au profit des Erétriens. Pour le second décret, Syll?, 172 = Bengtson, Staatsvertr. n° 287, p. 243 sq. 1,3 Delphinion 137 (Milet, I, 3 (1914), 137) = Schmitt, Die Staatsverträge des Altertums FEI, Munich 1969, n° 409, p. 21 sq.; c'est le décret de Milet qui est conservé et décide que le Cyziquénien sera, à Milet, Milésien et le Milésien Cyziquénien à Cyzique. 114 Delphinion 142 (Milet I, 3 (1914), 142) = Schmitt,, Staatsvertr. n° 453, p. 86. Les magistrats de Phygela ont demandé le renouvellement « de la citoyenneté dont jouissaient depuis les temps passés les Phygéliens à Milet et les Milésiens à Phygela » ; le décret (de Milet)
126
LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM Dans le traité d'isopolitie e n t r e Pergame et T e m n o s , d u d é b u t (?) d u Ille
siècle,
les formules
sont
très
proches
(1. 17 sq.) : eu-u-evcci Ta[avi[Toa
Ilep] | yàp.w -rcoXilTkiav xal Il£pYa|JiT)v[oi(n èv Tàjjivw] | \xsizx^Ulom aXXo[i TCCXITOU |JL£T£XOL] |(7i. . .
115
wv xal OL
; ou e n c o r e , dans le t r a i t é d'alliance et d'isopo-
litie conclu e n t r e la ligue étolienne et la ligue a c a r n a n i e n n e en 2 6 3 / 2 6 2 : -TCOXITOCV d\xt\ v TOV AÎTUAOV èv 'AxapvavCai xal TÔV 'Axapvâva èv (A)ÎToAiai uroy xal OfJLOLOV 116 .
Cette liste n'a pas la p r é t e n t i o n d'être exhaustive 1 1 7 , mais elle suffit à m o n t r e r que, sous des formules diverses, c'est t o u j o u r s a u sein de la cité qui concède sa citoyenneté, à la c o n d i t i o n que l'on s'y installe ou émigré, q u e le droit de cité complet sera o b t e n u . Si, au c o n t r a i r e , les citoyens restent
dans leur
cité d'origine,
les
documents
qui v i e n n e n t
d'être
cités
excluent la possibilité, p o u r ces citoyens, d'exercer (-rcoXiTEÛEc-Gat) les droits c o m p r i s dans la citoyenneté qui l e u r a été offerte. Peut-on m ê m e dire, dans ce cas, qu'ils sont virtuellement les citoyens de la cité qui leur a globalem e n t offert le droit d'être citoyens s u r son sol a p r è s les avoir accueillis?
décide, en conséquence, « que les Milésiens et les Phygéliens seront citoyens les uns chez les autres et partageront les cultes et les magistratures et tous les autres droits dont jouissent à Milet les Phygéliens» (la réciprocité est ici implicite). 115 Edité en 1890; Schmitt, Staatsvertr., n° 555, p. 331 sq. (= OGIS 265). «Que les Temniens aient la citoyenneté à Pergame et les Pergaméniens à Temnos et qu'ils participent à tous les droits que les autres citoyens partagent». 116 Stèle de bronze éditée en 1905. Schmitt, Staatsvertr., n° 480, p. 140 (= Syll* I, 421). « Que l'Etolien soit citoyen égal et complet chez les Acarnaniens et l'Acarnanien chez les Etoliens». 117 On pourrait encore citer la convention par laquelle e n 3 2 6 / 5 Priène renouvelle en faveur des Athéniens l'isopoliteia : Eivai 5è 'A&nlvaCou;! aroxcn. xaBàirEp xai TtporEpov ùïriîpxEv aûroû; [xal] noXiTEtav èv npirjvni (Inschr. v. Priene 5, 1. 6 sq.); v. de m ê m e le privilège concédé aux archontes de Tènos (Cyclades) par Milet, e n 270/269 : 'Eni TOUTOU |Tnviou; | èp, MIXTJTUI | aTEXEia, Tc[o]Xi|[TECa](?) (dans Le Musée Belge 15, 1911, p. 256 sq. Col. III, 1. 59 sq.); ou les exemples suivants, tous empruntés à la Crète et dont beaucoup sont plus récents : traité entre Hierapytna et Praisos (REG, 24, 1911, p. 378; Schmitt, Staatsvertr., n° 554, p. 328), du début du IIIe siècle : « tout citoyen de l'une o u de l'autre pourra être investi dans l'autre cité des droits de citoyen (OU|TCO IWXIT | EUÉO*6CJJ U.|[E]TÉXU>V x | a l 0Cvwv . . . ), s'il a formellement renoncé à l'exercer dans sa cité d'origine (irapaiT | Tio-àu-Evoç | xàv aùrûTC|ÔXLV(1. 4 sq.). Traité entre Hierapytna et Itanos (IIIe siècle) (REG 24, 1911, p. 415 = Schmitt, op. cit., n° 579, p. 383) : sur le type cité supra, n. 112. Traité entre Axos et Tylissos (éd. 1896; Schmitt, op. cit., n° 570, p. 375), de la fin du III e siècle : EÇÉOTU) 8è itoXnE[uEcr6ai TÛI TE TuXuruoi FaÇoï] | [xai TÛU FaÇicui T]uXuroî... (1. 5 sq.). Traité du début du IIe siècle entre Hierapytna et Priansos (Michel, Recueil, n° 16; M. Guarducci, Inscr. Creticae, III, 1942, p. 44 : lEpauurvtiou;] | xai npiawto[i]<; -PJHEV irap'àXXaXou; ûrcmoXiTECav . . . | . . . . aroi xa IOJVTL EiupuXoi Trop' ÊxaTÉpoiç (1. 12 sq.). Traité entre Olus et Latos, e n 120/116 (M. Guarducci, Inscr. Creticae I, 1935, p. 116 : È^É| O"TW 8É TCÜI ßtoX[o] u.Élvu>i, AaTCwv èv OXoVu iw)aTEUEo~0ai xai ^M-EV aùrdji.... | HETÉXOVTI . . . [iràvTUjv u>v xai ol aXXot. 'OXévrioi (1. 11 sq.).
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Les textes utilisés ci-dessus - et qui, dans leur quasi totalité ont été découverts après l'ouvrage de Szanto - ne permettent pas de répondre par l'affirmative, et c'est très important : aucun d'eux, en effet, ne confirme l'existence d'une citoyenneté virtuelle, ou potentielle, c'est-à-dire d'une citoyenneté immédiatement acquise, mais dont les effets ou le contenu sont suspendus à la condition d'une installation sur le sol de la cité qui vient de conférer cette citoyenneté. Mais ce premier groupe de témoignages doit être complété par une série de décrets qui reflètent une conception sans doute plus évoluée de la citoyenneté, car ils attribuent, d'une façon explicite, à l'ensemble des citoyens bénéficiaires du décret d'isopolitie la qualité deTOAITT)<;ou la possession de la TtoXiTEia de la cité dont émane le décret. On en donnera quelques exemples : celui qui nous est apparu le plus ancien (peu avant 240?) fait état, dans un décret de Messène, d'une convention d'isopolitie établie avec Phigaleia en vertu de laquelle (ESOÇE TCU | [TO&EI TGCI MkcaviGov), TJU-EV TOLÇ 118 MEO-O-OCVLOU; xa|[L TOLÇ OiyalXâoïc; îo-oitoXiTEiav (1. 9-11) : c'est pour la première fois que l'idée d'une citoyenneté immédiatement concédée apparaît dans une convention d'isopolitie : les Messéniens et les Phigaliens ont l'isopolitie, c'est-à-dire que les premiers ont la citoyenneté des seconds et réciproquement. C'est une citoyenneté naturellement virtuelle, en ce qu'elle suppose, pour qu'on accède aux droits qu'elle contient, une installation parmi les citoyens dont on veut partager les droits119; en 223/2 (?), selon une formule à peu près identique, les Naupactiens ont donné aux Kéiens leur citoyenneté: Eil/rjcpuJixÉvoi ELCTLV Nou/rcàxTioi|TOXITELOCV ELVCCI KEIOIÇ . . . xal TÔ>V aXXcov {jLETEXE^Y KEL|OU<; (LvitEp xal NaurcàxTioi U-ETÉXQUCIV (III, 1.4-6)120; un der-
1,8 P é l o p o n n è s e ; éd. 1859; Schmitt, Sîaatsvertr., n° 495, p. 182 (= Syll. 3 I, 472). Voir également Szanto, op. cit., p. 76-78 sur ce texte : c'est la p r e m i è r e fois que le mot isopoliteia apparaît avec u n e valeur de réciprocité. 119 Ce d é c r e t n o u s semble le plus a n c i e n : on écarte en effet le décret d e 405 p a r lequel Athènes r é c o m p e n s e la fidélité des S a m i e n s a p r è s la bataille d'Aigospotamos en l e u r d o n n a n t la citoyenneté, t o u t en respectant leur a u t o n o m i e (IG II, 5, 1 = Bengtson, Sîaatsvertr., n° 209, p. 152) : 1. 12 sq. : SeSôxÔai ffi ßouXfj xai TÛ ST|U4JJ, ZauXouç 'ASr^vaiouç EIVCU,TCOXI-CEUOIJLÉVOIK;antioç av aûroi ßouXoovrai, xal oitw<; xaûra ïcxax ùc, kKir^SE^œva àuxporépou;.. . Toïç 8è vou-oiç -xpr\
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nier exemple, d'Asie Mineure cette fois, à peu près contemporain contient des formules plus nettes encore. Il s'agit du traité établi en 212/211 entre Milet et Seleukeia : celle-ci, dans le désir de rendre plus étroits ses rapports d'amitié et de parenté avec Milet, décide : SESOCBOU 8è aùroî«; xaî, -TCOXLTEUXV ècp' IOT)L xaî. ôu-oiai xaî,| JJLETEXELV aûroù; àiràvTwv, (Ly xal 01 aXkoi TCOXÎTCCI U-ETÉXOIXTLV, xai
TOJJI ßouXo | (jLEvov MiXrjcritov -rcoXiTEuecrBai Êv Z£X.EuxE[ia]i àiroYpàcpecrBai (1. 56-60)121. Il est très net que laTCOXITEUXde Seleukeia est donnée à tous les Milésiens; c'est m ê m e une citoyenneté complète (ècp' l
à Kéos l'isopolitie (décret r a p p o r t é ci-dessus); la citoyenneté d e N a u p a c t e ( m e m b r e de la ligue étolienne) avait p o t e n t i e l l e m e n t d o n n é aux Kéiens la citoyenneté étolienne : c'est pourquoi K é o s r é p o n d à N a u p a c t e n o n p a s directement, mais en c o n f é r a n t sa citoyenneté à l'ensemble d e la ligue étolienne (y c o m p r i s Naupacte). L'ensemble d e c e s décrets confirme implicitement l'existence d ' u n e c i t o y e n n e t é potentielle, q u e les ligues citées ci-dessus attestent explicitement : tous les K é i e n s o n t la TOXITEUI d e Naupacte - i n d é p e n d a m m e n t de la question d e s o n exercice. 121 Delphinion 143 (Milet I, 3 (1914), 143); Schmitt, Staatsvertr. n° 537, p. 266. Le décret de Seleukeia (= Tralles), p r é c é d a n t le décret r é c i p r o q u e d e Milet, d é c i d e « d e d o n n e r aux Milésiens la citoyenneté égale, d e l e u r d o n n e r e n partage tous les d r o i t s auxquels les autres citoyens o n t accès et déclare q u e celui des Milésiens qui v o u d r a e x e r c e r s o n droit de cité à Seleukeia se fera e n r e g i s t r e r . . . ». 122 Delphinion 146 (Milet I, 3 (1914), 146); Schmitt, Staatsvertr. n° 539, p . 273 sq. Ainsi les t e r m e s d u décret d e Mylasa (gravé a p r è s celui d e Milet) : 8E86
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notre sens, que la notion d'une citoyenneté virtuelle, remarquablement mise en valeur par Szanto, n'est sans doute pas originaire. Elle semble bien être un phénomène apparu vers le milieu du IIIe siècle, alors que, selon les plus anciens témoignages conservés, la citoyenneté n'était formellement donnée qu'à ceux qui acceptaient de se fondre parmi les citoyens de la cité qui les y invitait124. L'intérêt de cette évolution, qui, pour les concessions individuelles et honorifiques de la citoyenneté fut beaucoup plus rapide125, est d'accentuer le fossé qui sépare la citoyenneté virtuelle de la citoyenneté
EUMOUÇ xai ùrarcoXiTaç xal cruuluuxou;] (1. 19); ou pour la deuxième moitié du IIe siècle, Inschr. v. Magn. 103, un décret bilatéral entre les Samiens et les Magnésiens du Méandre : OÎXEÏOL xal ûroitoXï-cai xal cpCXoi (1. 8); voir de même le décret de Téos (Ionie, 204/3) en faveur d'Antioche, Seleukeia et Laodicée, cité par J. et L Robert, dans Bull Ep. 1969, n° 495, p. 504; en 180, le traité entre Milet et Héraclée du Latmos (Milet, Delphinion 150 = Sylt3, 633, 1. 34) : elvai TOXCTOÇ MIÀTICTLOUÇ "HpaxXeuTÛv xal 'HpaxXeurcac; Mua)ouov (avec, 1. 43 sq., la procédure pour ceux qui voudraient participer à cette citoyenneté. 124 II y a certes le témoignage de la convention entre Milet et Olbia, de 330 av. J.-C. (Delphinion 136 (Milet 1, 3, (1914), 136 = Schmitt, Staatsvertr. n° 408, p. 19) mais qui est équivoque : il mentionne, 1. 19 sq., les Milésiens qui êv aXX^ -KÔXEI. itoXi-cEiovrau; il peut s'agir aussi bien de Milésiens d'origine qui, en vertu de conventions d'isopolitie, exercent ailleurs une autre citoyenneté, que de citoyens de villes ayant reçu de Milet l'isopolitie et qui, tout en n'exerçant pas ce droit de cité, sont cependant qualifiés formellement de MIXTIO-IOI. On ne peut trancher; mais dans la seconde hypothèse, on aurait le premier emploi attesté d'une citoyenneté virtuelle. 125 Dès la fin du Ve siècle apparaissent des décrets conférant à un individu honoré la itoXt/cEia, sans la précision « s'il le veut bien » ou « dans telle ville » : en 409, (formule 'AOTjvaîov EÏvaO : R. Meiggs - D. Lewis, A Sélection of Greek Historical Inscriptions, Oxford, 1969, n° 85, p. 259 sq. (de même IG F 113 de 410 - mais restitué); ou encore, du début du IVe siècle, v. les ex. cités par A. Wilhelm, Attische Urkunden V, dans Sitzungsber. Ak. Wien, 220, 1942, p. 88 sq. (les honorés sont qualifiés de itoXl-niç, d'Athénien ou reçoivent la TzdknzLa). En 394 Conon est honoré par un décret d'Erythrée (Tod, Sélection, op. cil, II, n° 106, p. 21) qui lui donne la proxénie et, s'il le veut ([r\ V] ßouXT]-cai), la citoyenneté : mais dans ce cas particulier la proxénie qui, en principe, notamment à cette époque reculée (cf. A. Wilhelm, Att. Urk. V, op. cit., p. 45 sq.), est incompatible avec l'exercice effectif du droit de cité dans la ville dont on est le proxène, explique le caractère tout potentiel, formellement souligné, de la cité offerte - car elle ne sera naturellement pas mise en pratique -. Un décret en tout point identique, émanant aussi d'Erythrée, mais plus récent (Sv//.3 168, déclarant Mausole évergète, proxène et citoyen en 357/5), traduit déjà l'évolution : la citoyenneté donnée au proxène est devenue implicitement virtuelle ou potentielle; ce n'est plus une citoyenneté donnée «pour le cas où il la préférerait à ses fonctions de proxène». De ces quelques exemples de concession individuelle, on peut déduire que le caractère virtuel de la citoyenneté concédée y apparut plus tôt que pour les concessions globales. Cela s'explique : pour ces dernières, l'autonomie de la cité bénéficiaire aurait paru menacée sans l'affirmation, longtemps maintenue, que la cité concédée était seulement offerte à titre individuel et n'avait aucun contenu immédiat.
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réelle : c'est cette citoyenneté effective, synonyme deTOXITEUEIVou de itoXiTEÙEo-BaL qui fut, à l'origine, seule reconnue; elle appartenait aux seuls citoyens qui acceptaient de la mettre en pratique. Et, lorsque dans u n e conception dérivée, dans une forme seconde et m o i n s rigoureuse de la citoyenneté, on admit que pouvaient être qualifiés de -rccXîTou des citoyens seulement virtuels, on ne les confondit jamais dans les faits avec ceux qui désiraient mettre en pratique les droits qui leur étaient offerts. On peut ainsi, en conclusion, dire qu'à l'origine, (du IVe au milieu du e III siècle, avec des survivances plus tardives, cela s'entend) 1 2 6 , le droit de cité ne se distingue pas de son exercice; à partir d u milieu du III e siècle, sous l'effet sans doute de l'exemple donné par les concessions honorifiques et individuelles de la citoyenneté, le concept unitaire de citoyenneté éclate : la -rcoXiTELct peut se détacher du -rcoXiTEÛEcrBai. Mais l'apparition de ce droit global et formel de la citoyenneté ne devait pas plus p o r t e r atteinte à l'autonomie ou l'indépendance de la cité bénéficiaire - la réciprocité m ê m e des concessions l'exclut - , qu'elle n'allait modifier les conditions toujours posées pour que la citoyenneté offerte puisse être exercée.
B) Les conditions à l'exercice du droit de cité : migratio et census. On ne reprendra pas les formules des décrets, fréquemment répétées, dont le but est de préciser soigneusement les conditions posées à la réalisation de la citoyenneté offerte : « p o u r ceux qui le veulent », ou « au sein de la cité» qui ouvre son droit. Ces expressions sont synonymes d'une installation stable, car elles supposent, de la part du bénéficiaire, qu'il émigré. L'installation provisoire, au contraire, ne p e r m e t t r a pas à celui qui a reçu la politeia, ou auquel elle a été offerte, d'avoir accès au contenu concret du droit de cité; en effet, résidence peu durable, elle ne manifeste pas la volonté de s'intégrer dans le corps politique et social de la cité. C'est l'inscription sur les listes des citoyens qui, en droit, confirmera la volonté d'une incorporation complète dans la cité nouvelle. Par là, l'identité parfaite entre les citoyens d'origine et le nouveau citoyen d'élection sera achevée : magistratures et fonction de juge dans les tribunaux lui seront ouvertes, mais en même t e m p s les charges civiques, dont il pouvait être dispensé, c o m m e le cas se produit souvent, en tant que résident privilégié, pèseront sur lui comme sur tous les autres citoyens.
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Notamment pour la Crète, supra, n. 117.
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A titre d'exemple, on citera la très importante convention par laquelle, vers 330 av. J.-C, Olbia et Milet échangèrent des décrets d'isopolitie 127 . Le décret d'Olbia en faveur de Milet est particulièrement éclairant : 1 - les lignes 2 à 7 confirment le privilège dont le Milésien, simple résident à Olbia, jouissait auparavant : admission aux cultes publics et i m m u n i t é (ELVOU 5à xai OCTEXEIOCÇ MLXT]<7LOK; xa0à<7<7a xal itpoTEpov TJOTXV - 1. 6-7);
2 - mais les magistratures lui restent fermées : p o u r que le Milésien puisse y accéder, il lui faudra se présenter devant la boulé et se faire inscrire s u r l'àiioYpacpT) I. 7-9 : éàv 5è 0ÉXni|Ti|j.o\Jxi(I>|Ji JJLETÉXEIV, èm ßouXT)v E7T:ITIO| xai àitcypacpELc; JJLETEXÉTW;
3 - il p e r d r a alors l ' i m m u n i t é
dont il j o u i s s a i t : 1.9-11: xai,
EVTU)| EVTEXTJC;, xaGoTi xai oi cùCkoi -rcoX,ÎTai| ELCLV • il va d'ailleurs de soi que l'assi-
milation complète aux droits des citoyens a pour corollaire la participation à l'ensemble de leurs charges. Grâce à ce document, on peut regrouper les éléments disparates, et à la formulation souvent trop concise, que les autres décrets permettent de rassembler. L'inscription sur les listes de citoyens est prescrite d'une façon quasigénérale 128 : à défaut du rattachement à u n e tribu et à u n dème (ou une phratrie), l'exercice des droits politiques est impossible 1 2 9 , de m ê m e que l'accès aux magistratures, aux sacerdoces publics, aux fonctions de juge. C'est l'ensemble des droits du citoyen qui s'ouvre ainsi au nouveau citoyen, sans qu'un délai soit prescrit o u qu'un stage lui soit imposé. Une seule exception apparente ne fait ici q u e confirmer la règle : p o u r certains postes
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Réf. supra, n. 124. Ainsi les traités entre Kéos et Erétrie {supra, n. 112); Milet et Phygela (n. 114, 1. 16 sq.); Milet et Seleukeia (n. 121, 1. 23-6); Milet et Mylasa (n. 122,1. 24 sq.); dans le traité entre Hierapytna et Praisos (début du IIIe siècle, supra, n. 117, 1.15 sq.) la procédure est plus compliquée : il faut le double consentement de la cité d'origine et de la cité d'accueil. 129 Se fondant sur une mauvaise restitution du traité d'isopolitie entre Pergame et Temnos (maintenant dans Schmitt, Staatsvertr. III, n° 555, p. 331), Szanto, op. cit., p. 78 sq. avait admis que tous les citoyens de Temnos auraient eu le droit de voter dans les assemblées.du peuple de Pergame, y compris ceux qui n'avaient pas éprouvé le désir de s'installer à titre permanent à Pergame : une sorte de ius suffragii semblable à celui des Latins. L. Robert, dans REG 40, 1927, p. 214 sq., a montré qu'il n'était pas question d'un tel droit - qui aurait été au demeurant absolument unique -, mais de Yisoteleia (privilège garantissant, à titre de réciprocité, l'égalité devant l'impôt). 128
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de c o m m a n d e m e n t militaire, la sécurité de l'Etat refusait les citoyens d trop fraîche date (ainsi à Milet) 13 °. L'égalité en tout du n o u v e a u citoyen avec les citoyens d'origine exclut qu'il jouisse de privilèges fiscaux; lorsqu'il est fait mention, c o m m e il arrive souvent, de Yateleia121, à côté d e Yisopoliteia, il n e peut p a s s'agir d'une immunité dont jouirait le n o u v e a u citoyen : on est alors certainement en présence d'un droit, d'un d e ces privilèges particuliers garantis, parmi d'autres, aux bénéficiaires de la convention d'isopolitie, p o u r le cas où ils ne voudraient pas réaliser la citoyenneté qui leur fut offerte. 2 - Les privilèges particuliers
concédés avec
Visopoliteia.
Ils apparaissent très f r é q u e m m e n t dans les conventions d'isopolitie. Leur signification est parfois évidente; ainsi lorsqu'ils sont incompatibles avec l'exercice de la citoyenneté offerte. L'atélie, on l'a vu p o u r la convention passée entre Milet et Olbia, n'est d o n n é e qu'aux Milésiens résidents à Olbia, mais qui n'ont pas voulu devenir citoyens d'Olbia; d a n s la convention établie entre Hierapytna et Praisos 132 , le citoyen de la p r e m i è r e reçoit le droit d e pousser son t r o u p e a u sur les pâturages de la seconde au cas, évidemment, où il n'a pas accepté la citoyenneté de Praisos. Dans le premier cas, il y avait incompatibilité, dans le second, il y a concession d'un privilège spécial, pour le cas où la citoyenneté d o n n é e n'est pas acceptée. Telle est aussi la signification, Szanto l'avait bien comprise 1 3 3 , de rèmyau-La et de la yfjç EyxTno-K; régulièrement accordées dans les traités à côté de l'isopolitie concédée; les textes découverts depuis son ouvrage
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Décret par lequel Milet répond à celui de Seleukeia (réf., supra, n. 121), 1. 29-31. Pour éviter certaines fraudes, Milet, dans le même décret, limite le droit d'exercer son droit de cité aux Séleukéiens qui exercent le droit de cité à Seleukeia depuis 10 ans au moins (1.1923). - C'est afin d'éviter que ceux qui ne possèdent la citoyenneté de Seleukeia que d'une façon formelle, en vertu d'un traité d'isopolitie, puissent s'infiltrer dans la citoyenneté de Milet -; de même dans le décret de Milet à Mylasa (1. 24 sq. : supra, n. 122). Un souci comparable de se protéger contre les abus entraîne Olbia (Milet/Olbia, supra, n. 124, 1. 17-20) à réserver l'immunité aux seuls Milésiens qui exercent leur droit de cité à Milet, y sont magistrats et juges. 131 Ainsi : le traité entre la ligue étolienne et Trikka (Thessalie), postérieur à 206 {supra, n. 123), 1. 3; ou, en Crète, les trois traités cités supra, ibid.) de même, BCH, 11, 1887, p. 332; ateleia limitée aux droits de pâture, dans le traité Hierapytna/Priansos, 1. 26 sq. (IIe siècle av. J.C, supra, n. 117). 132 REG, 24, 1911, p. 379 sq., 1. 32 sq. de l'inscription (cf. supra, n. 117). 133 Op. cit., p. 75.
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confirment pleinement - à une exception près 1 3 4 - son interprétation : ces droits, qui sont compris dans la citoyenneté donnée, ne sont pas l'objet d'une répétition inutile; si l'on tient à préciser qu'ils appartiendront aux bénéficiaires de l'isopolitie, c'est p o u r le cas sous-entendu où ils ne l'accepteraient pas. Un exemple le justifiera : le traité d'isopolitie entre la ligue étolienne et la ligue a c a r n a n i e n n e (263/262), 1. 11 s. : EIU-EV 5è xai EmyauXav TOT' àXXàXouç xaï, y | âç ïyxTt]avj TÛI TE Ai-zwîkCùi èv 'Axapvaviai xal TCÔL 'Axapvâvi êv AiTwXiaL xaircoXiTavEL^LE | V TOV AÎTOJXOV EV 'Axapvaviai xal TÔV 'Axapvâva èv (A)ITWXiai Lcoy xal OJJLOLOV • (éd. 1905 = Schmitt, Staatsvertr. n° 480, p. 140 sq.). L'insistance sur le caractère parfait et c o m p l e t de la citoyenneté offerte sur le t e r r i t o i r e de c h a c u n e des deux ligues a u r a i t rendu tout à fait inutile que l'on précisât encore que cette citoyenneté comprenait aussi le «conubium» et le d r o i t d'acquérir des terres (droit compris dans le commercium romain) : il s'agissait en fait d'assurer à celui qui viendrait s'installer sur le territoire de la ligue c o n c é d a n t ces privilèges, qu'il jouirait de certains avantages c o n c r e t s c o n t e n u s dans la citoyenneté qu'il n'acceptait pas 1 3 5 . Qu'il s'agisse de l'épigamie, de l'acquisition des terres 1 3 6 , de privilèges fiscaux o u de l'exemption 1 3 7 , la concession de ces droits est e x t r ê m e m e n t
134 Dans le traité conclu entre Olus et Latos (M. Guarducci, Inscr. Cret. I, 1935, p. 116, 1. 10 sq. : è£é|(ruo 8è xûi ßo)Xop.etvüJi AaTiojv êv OXOVTL noXi.-c£ue<70ai xal fjjxEv aùrûi. yâc, xai otxtaç ïyxTncriv | IIETÉ^ÇVU Bivcov x[al àv8pa)mva>v itavrüv (Lv xal oî aXXoi 'OXOVTLOI ^ETÉXOVCI; les restitutions sont certes très importantes, mais si on les adopte, il est visible que la gês enkîêsis à Olus est accordée à celui qui a décidé de prendre la citoyenneté d'Olus. 135 Si, au contraire, il s'agissait de redondances ou de précisions superflues, on les trouverait de même dans les décrets de sympolitie, par lesquels la citoyenneté d'une cité est étendue globalement, unilatéralement et avec application immédiate à une autre cité, incorporée de ce fait dans la première. Or nous n'avons pas trouvé d'exemple de sympolitie pour lequel l'insistance traditionnelle sur le caractère complet de la citoyenneté octroyée aurait été renforcée par l'épigamie, ou le droit d'acquérir des biens-fonds. Ainsi, à titre d'exemple, les documents édités par Schmitt, Staatsvertr. n° 492, p. 163 sq.; n° 495, p. 184; n° 536, p. 261; n° 537, p. 267; n° 539, p. 274; n° 545, p. 285; BCH 5, 1881, p. 42 sq. 136 Epigamie et gês enktêsis : Traité entre la ligue étolienne et la ligue acarnanienne de 263/262 (supra, n. 116); convention entre Hierapytna et les Arcadiens de Crète (vers 220? Schmitt, Staatsvertr. n° 512, p. 225); Hierapytna et Priansos (début du IIe siècle, supra, n. 117). Epigamie, seulement: Messène/Phigalie (avant 240? supra, n. 118). Gês enktêsis: ligue étolienne et Kéos (supra, n. 120); les trois décrets crétois cités supra, n. 123; BCH 11, 1887, p. 332. 137 La signification de l'atélie n'est pas toujours claire : il peut parfois s'agir d'un privilège équivalent non pas à l'immunité, mais à l'isotélie (= soumission aux mêmes taxes que les citoyens). Voir sur cette question L. Robert, dans REG., 40, 1927, p. 217, n. 3. Il n'est pas très important pour nous de nous prononcer; car, qu'il s'agisse d'immunité ou d'isotélie, on est dans tous les cas en présence d'une concession particulière, d'un privilège fiscal que l'on
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importante quand elle apparaît - comme c'est le cas régulièrement - dans les décrets qui donnent une citoyenneté immédiate, globale mais virtuelle 1 3 8 . Ces concessions particulières prouvent que la citoyenneté donnée n'a aucun contenu concret, qu'elle ne donne à celui qui en est le bénéficiaire aucun droit particulier, qu'il reste, en un mot, u n étranger. On doit donc interpréter la -TCOXITEIO. qui lui est donnée, qui le r e n d immédiatement citoyen de la ville dont le décret émane, comme le droit de devenir citoyen et non comme le droit de cité -, comme un droit qui lui d o n n e la qualité d'un citoyen futur ou éventuel. Tant qu'il n'a pas accepté cette citoyenneté - qui ne peut être que complète -, il conserve son droit de devenir citoyen, mais il reste un étranger : s'il réside sur le sol de cette cité, il jouit d'une immunité incompatible avec la citoyenneté; il n'accède naturellement pas aux droits politiques, mais pas davantage aux droits privés de cette cité, s il ne les a pas reçus en vertu d'une concession particulière. Les décrets individuels apportent ici une précieuse confirmation. Ceux qui honorent un étranger de la proxénie et de la politeia sont particulièrem e n t nets : étant donné que l'honneur de la proxénie exclut en principe que l'on utilise le privilège de la citoyenneté 139 , le droit d'acquérir une terre, de se marier légitimement ou de résider comme u n étranger privilégié prennent toute leur importance pratique quand ils sont ici concédés, à côté d'une citoyenneté p u r e m e n t symbolique; c'est en t a n t qu'étranger que le proxène utilisera ces privilèges H0 . On ne sera pas davantage surpris, dans des actes aussi fréquents que les précédents, mais où la proxénie seule est accordée sans la citoyenneté virtuelle, de retrouver la concession particulière de ces privilèges 141 : dans ce cas, pas plus que dans le précédent, ils ne font double emploi avec une citoyenneté ou qui n'est pas concédée ou qui est seulement promise. Il en est exactement de même p o u r les concessions globales de citoyenneté.
garantit à l'isopolitês pour le cas où il ne deviendrait pas citoyen effectif. Voir pour les exemples d'atélie, outre celui du traité Milet-Olbia (immunité, sans aucun doute), supra, n. 131. 138 Ainsi pour les traités entre Messène et Phigalie; la ligue étolienne et Kéos; la ligue étolienne et la Thessalie. 139 Supra, n. 125. 140 Ainsi, à titre d'exemple, les décrets de Délos (IIIe siècle av. J.-C.) qui concèdent, selon un schéma général (et selon un ordre variable) proxénie, atélie, politeia, droit de mariage, droit de possession immobilière et prohédrie : IG XI, 510, 513, 525, 527, 545, 547, 562, 563, 564, 605, 631, 887. 141 Décrets identiques de Délos, contemporains, dont le schéma correspond au précédent, mais sans la concession de la politeia : IG XI, 515, 516, 517, 528, 529, 530, 532, 537, 539 (fin du IVe, début du IIIe siècle), 541 (début du IIIe siècle).
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La citoyenneté grecque apparaît ainsi comme un concept unitaire : c'est toute la citoyenneté qui est offerte; si on ne l'accepte pas (per migrationem et censum), aucun des droits n'est accessible, mais aucune des charges, non plus, du citoyen n'est imposée à celui qui a reçu, simplement, le droit de devenir citoyen142-
IV - CONCLUSION : ISOPOLITEIA, IUS MIGRANDI ET HOSPITIUM PUBLICUM
L'isopoliteia grecque peut être définie comme le droit, offert par une cité à l'ensemble des citoyens d'une autre cité, d'obtenir par une émigration individuelle et volontaire une citoyenneté complète. Celle-ci ne sera acquise qu'après une installation en principe définitive, car l'inscription dans le corps politique de la cité d'adoption, par laquelle la citoyenneté offerte se réalise, manifeste la volonté de se fondre durablement dans la cité nouvelle, d'en supporter toutes les charges et de participer à tous les honneurs qu'elle comporte. Par ses conditions de réalisation, on peut dire que la citoyenneté offerte s'acquiert per migrationem et censum. Les formes de la concession de la citoyenneté ont connu une évolution; les plus anciens décrets offrent la cité «à ceux qui la voudront» ou déclarent citoyens «ceux qui voudront» le devenir; par la suite est apparue la notion d'une citoyenneté conçue comme virtuelle, susceptible d'être immédiatement donnée à tous les citoyens de la cité bénéficiaire du décret, mais sans contenu concret. Il est important de souligner le caractère très artificiel de cette citoyenneté virtuelle : d'abord en ce qu'elle est une forme historiquement seconde, un dérivé non originaire, ensuite en ce qu'elle semble n'avoir jamais comporté, même dans sa phase évoluée, d'autre droit que celui d'acquérir, par l'émigration et l'enrôlement, la citoyenneté complète143. Cette citoyenneté virtuelle que possède, dans cette deuxième phase, l'ensemble des bénéficiaires de la concession est en effet, malgré les apparences, sans contenu immédiat; elle n'est qu'un droit ou qu'une option.
142 Faut-il toujours déduire de l'absence d'un des droits normalement concédés que les bénéficiaires de l'isopolitie en étaient privés? Certainement pas : les conventions d'isopolitie sont établies entre des cités unies par des relations étroites et anciennes, et très vraisemblablement l'épigamie et l'acquisition des fonds étaient garanties par des actes antérieurs quand elles n'apparaissent pas dans les décrets d'isopolitie eux-mêmes. 143 La citoyenneté potentielle permet dans le jeu des relations fédérales d'acquérir, de façon potentielle également, la citoyenneté fédérale : cf. supra, n. 120.
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
Pour corriger les inconvénients de cette inefficacité pratique, u n certain nombre de droits, il est vrai, sont à la disposition des bénéficiaires de cette citoyenneté possible : droit de résidence privilégié, immunité complète dans certains cas, assimilation tributaire aux citoyens d'origine d a n s d'autres, droit de mariage, protection judiciaire, droit de propriété ou de pâture ou d'aller et venir. Mais ces privilèges ne doivent pas être interprétés comme les éclatements d'un droit de cité complet ou comme la concession d'une citoyenneté partielle, et la r é u n i o n de ces droits ne corrige absolument pas la nature juridique de la citoyenneté virtuelle concédée : on peut dire que l'ensemble de ces privilèges n'a rien à voir avec cette citoyenneté, même s'ils sont souvent concédés en m ê m e temps qu'elle. L'incompatibilité (notamment p a r l'immunité) de certains de ces privilèges avec l'idée d'une citoyenneté effective, ou le fait qu'ils soient très fréquemment concédés en dehors de toute citoyenneté c o n t r i b u e à prouver que les isopolitai jouiront de ces privilèges en tant qu'étrangers et non en tant que citoyens. L'isopolitie grecque ne peut donc être ramenée à une citoyenneté immédiate incomplète; si l'on abstrait de son contenu, comme on doit le faire, les divers privilèges souvent concédés avec elle, elle reste conformément à son nom une citoyenneté complète, mais purement future : on ne peut, de la sorte, l'identifier à la civitas sine suffragio romaine qui est, c o m m e son nom l'indique et on le verra mieux par la suite, une citoyenneté à c o n t e n u immédiat mais incomplet. L'expression unique, provenant des extraits byzantins de Denys d'Haï., qui qualifie d'isopolitie la civitas sine suffragio donnée aux Fundani et aux Formiani n'est donc certainement pas authentique : c'est un contresens que l'on ne peut pas prêter à u n historien écrivant à une époque où l'isopoliteia était une institution encore vivante 144 ; t o u s les
144
DH 15, 7 (9), 4 :
L'ISOPOLITEIA DES PEUPLES LATINS
137
emplois qu'il fit de ce terme se sont d'ailleurs révélés exacts; bien mieux, il sut m ê m e recourir à lui p o u r éclairer l'originalité d u droit latin. Lorsque Denys principalement, mais aussi Plutarque et Appien ont transposé par le mot isopolitie la condition des Latins, ils ne l'ont pas déformée, mais définie. On a vu, en effet, que le ius Latinum c o m p o r t e divers privilèges, dont le droit d'acquérir la citoyenneté complète per migrationem et censum : c'est évidemment ce droit qui a permis aux historiens grecs de Rome d'assimiler droit latin et isopolitie grecque; on ne peut comprendre la «citoyenneté romaine complète» des Latins que si on met l'accent sur le futur. Si, en revanche, on essaye, ainsi que cela fut fait jusqu'ici, d'expliquer l'isopolitie latine en additionnant les divers privilèges ouverts aux Latins sur le territoire romain, on aboutit à une espèce de citoyenneté immédiate (sans le nom) très incomplète (le ius suffragii n'a pas grand chose de commun avec les droits politiques des cives Romani), qui n'a évidemment rien d'analogue avec l'isopolitie grecque. D'où les reproches faits aux interprètes grecs des institutions romaines. Mais ils ne sont pas fondés. En réalité, voir dans le droit des Gabini, du nomen Latinum et des Herniques fédérés l'offre de la citoyenneté romaine complète sans contenu immédiat, ce n'est pas le déformer, mais l'éclairer. Les privilèges concédés immédiatement aux Latins n'ont rien à voir, dans l'esprit de Denys, avec l'isopolitie qu'il leur concède; il y a bien des chances, d'ailleurs, p o u r que ces divers droits n'aient pas été compatibles avec l'idée d'une citoyenneté immédiate, m ê m e partielle. Nous ne voulons pas dire que la condition des Latins ou des Gabini (ou celle des Romains à l'égard des Latins ou des Gabini) ait correspondu exactement à Yisopoliteia grecque : il y a entre les deux institutions une différence, mais elle doit être exactement appréciée. On a, en effet, souvent opposé (un reproche de plus fait à Denys d'Haï.) les formules grecques, qui admettraient par l'isopolitie le cumul des citoyennetés, aux institutions romaines qui, l'ignorant, n'auraient pu le tolérer à l'égard des Latins. Mais cette opposition est forcée et la différence, certaine, ne se trouve pas là. C'est une opposition forcée, en effet, car il est inexact, au fond, de parler p o u r la Grèce d'un cumul entre la citoyenneté effective du bénéficiaire
Caere qu'elle était u n e IWXUEUX sans ÙTovouXa ou encore q u e les Caerites reçurent la TOXITEUX sans ê t r e inscrits p a r m i les itoX&rai : s'il y avait u n e expression 1 à éviter, c'était bien celle d'isopoliteia (tout à fait justifiée au c o n t r a i r e p o u r les municipes optimo iure c o m m e les Tusculani : Plut., Cam. 38 : iiETaXaßEiv «ranoXt-cEia^.
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
du décret d'isopolitie et la citoyenneté possible, sans contenu immédiat qui lui est offerte; la réalisation de celle-ci suppose en réalité l'abandon de celle-là : il y a donc incompatibilité de fait. On ne peut pas nier, en outre que les Romains ont aussi admis un « cumul » de ce genre : lorsque le xoivév d'Argos, en 170 av. J.-C, décida p o u r honorer l'ambassadeur Gnaeus Octavius de lui d o n n e r la citoyenneté, les principes romains n'étaient pas violés - et la stèle gravée atteste que le futur consul avait accepté l'honneur de cette citoyenneté virtuelle sans p e r d r e sa qualité de citoyen romain 1 4 5 . La possession d'une citoyenneté effective et d'une citoyenneté honorifique virtuelle était a d m i s e aussi bien par Rome que par la Grèce - on en v e r r a d'ailleurs d'autres exemples -. Néanmoins la condition des Latins traduit une différence importante entre Rome et la Grèce; car les Latins, dont la condition était quasiment identique à celle d'isopoliîai, n'ont jamais été qualifiés de cives Romani : leur droit virtuel à la citoyenneté romaine, pas plus que celui des Gabini, ne fut qualifié d e civitas Romana. C'est très important, pour p e r c e r le mystère qui entoure encore le contenu de la civitas des premiers municipes romains et la valeur primitive de la civitas sine suffragio. Si les Romains, pas plus au Ve siècle que par la suite, lors des nombreux événements qui leur auraient permis de corriger sur ce point la définition juridique du droit latin, n'ont qualifié le ins Latinum de civitas Romana, c'est qu'ils n'ont pas interprété le droit de devenir citoyen romain comme u n e citoyenneté romaine (potentielle) : autrement dit - mises à part les concessions honorifiques individuelles, dont la valeur politique toute différente explique une forme juridique différente - les Romains n'ont pas connu l'idée d'une citoyenneté potentielle. Ils n'ont pas connu cette évolution qui, en Grèce, en amena l'apparition. Il n'est pas de notre p r o p o s d'en chercher les explications; l'important est de relever cette constatation : les Latins qui disposaient, en fait, d'une «citoyenneté romaine» potentielle n'ont jamais été considérés c o m m e des cives Romani ou c o m m e disposant de la civitas Romana. Peut-on alors logiquement admettre que la civitas Romana des premiers municipes, créés au IVe siècle, ait été u n e citoyenneté potentielle? Peut-on admettre qu'elle ait été équivalente au droit latin dont
145
Éd. de P. Charneux, dans BCH 81, 1957, p. 181 sq., r e p r o d u i t p a r L. M o r e t t i , Iscrizioni Storiche Ellenistiche, Bibl. Studi Sup., Florence 1967, n° 42, p. 98 : EÎUXV 5è aûr[ôv] | npô[Ç]Evov -ccu; iroXioç xcù EÙEpyÉTav xai iroIXilxav a[û]|xôv xal ÊXYOVOIK;, xai ùrcàpxEiv aùrwi y du; xal oîxCaç ï[\x] |TOXIV [x]ai àacpàXEÎav xal œtÉXiav (1. 11 sq.). Cet h o n n e u r semble c e p e n d a n t plutôt r a r e en faveur d'un Romain : p r o x é n i e , couronnes, ou statues sont d é c e r n é e s b e a u c o u p plus f r é q u e m m e n t .
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l'élément principal - c o m m e les historiens grecs l'avaient bien vu - était de pouvoir venir acquérir à Rome la civitas Romana optimo iure? Prenons l'exemple des Tusculani, qui, depuis 493, jouissaient d'une «citoyenneté romaine» potentielle de fait, mais sans être cives Romani) lorsque, selon des sources concordantes, ils devinrent cives Romani en 381, peut-on interpréter cette civitas Romana c o m m e une citoyenneté potentielle, comme la «citoyenneté romaine» potentielle qu'ils possédaient déjà avec tous les Latins, mais qui n'avait jamais été qualifiée jusque-là de civitas Romana et qui ne le sera pas, non plus, après 381, p o u r les autres cités latines? C'est impossible : en 381, un changement se produit et la citoyenneté qui fut alors donnée aux Tusculani ne peut pas être ramenée à la « citoyenneté » potentielle qu'ils possédaient déjà. Le cas des autres cités latines, après 338, p e r m e t les mêmes constatations : les unes deviennent romaines, les autres restent latines. Peut-on supposer que la civitas Romana des premières qualifie la situation dont elles jouissaient déjà (le droit latin) et parviendra-t-on à expliquer pourquoi les cités latines qui conserveront après 338 leur condition primitive et celles qui, par la suite, seront créées sur le m ê m e schéma n'ont pas reçu cette citoyenneté potentielle, si, selon les principes romains, elle avait formellement existé? Tusculum entre 493 et 381, Lanuvium entre 493 et 338, Tibur de 493 jusqu'en 90 ou les colonies créées à l'image des cités latines après 338 : l'histoire de ces cités, devenues romaines à des moments différents, restées latines pendant parfois quatre siècles, m o n t r e que la civitas Romana, qui les transforma chaque fois en municipe à des dates différentes (381, 338, 90), marqua u n changement qu'il n'est pas possible de r a m e n e r à la concession d'une citoyenneté romaine virtuelle. Eût - elle formellement existé, elle leur aurait appartenu, à toutes, depuis 493. Avant même d'avoir examiné les arguments qui prouveront la réalité concrète et immédiate de la civitas Romana «donnée» aux cités latines, la thèse de A. N. SherwinWhite sur le caractère potentiel de la citoyenneté des premiers municipes romains ne paraît pas, logiquement, défendable. Il reste une question à se poser : est-il possible d'entrevoir comment les Romains ont juridiquement qualifié les relations solennellement établies par le foedus Cassianum, notamment le droit, réciproque, d'acquérir la civitas per migrationem et censum? On a employé, jusqu'ici, pour plus de commodité l'expression de ius migrandi ou de ius Latinum) mais la première est moderne et la seconde est certainement anachronique pour le Ve siècle. On peut se demander, à titre d'hypothèse, si la notion à'hospitium, dont la souplesse se prêtait bien à l'établissement de relations privilégiées au profit des ressortissants d'une autre cité, ne comportait pas, en plus d'un droit de
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résidence privilégié, un droit d'établissement fixe, c'est-à-dire l'option de la citoyenneté. De nombreux indices apportent, il semble, leur concours à cette hypothèse. L'hospitium publicum établi par Servius Tullius avec certains chefs latins a précédé et sans doute annoncé le traité de 493 et les liens de même nature qu'il établit146. L'hospitalité accordée aux Sabins - ou à certains d'entre eux - à la fin de la royauté permit peut-être au clan des Claudii d'émigrer à Rome, d'y acquérir terre et citoyenneté, à l'aube de la République147. De même voit-on les troupes de Porsenna accueillies à Rome vers 507 en vertu d'un hospitium, qui permit à.une partie d'entre elles de recevoir des terres et, certainement par cette installation définitive, d'acquérir la citoyenneté romaine 148 . Le même concept juridique revient avec une étrange insistance lors des années d'hésitation qui, dans une chronologie imprécise, séparent la bataille du lac Régule et la paix définitive. En 495, selon la chronologie livienne, soit deux ans avant la conclusion du traité, Tite-Live place un épisode étrange qui a toutes les apparences du règlement définitif survenu, en réalité, deux ans plus tard. Rome rend les prisonniers latins et établit avec les cités latines des liens d'hospitalité publique et privée qui redonnent au nomen Latinum une vigueur nouvelle : hospitia iungunt; numquam alias ante, publice privatimque, Latinum nomen Romano imperio coniunctius fuit (Liv. 2, 22, 7). N'est-ce pas cet hospitium publicum qui fonda, pour les cités latines, le droit réciproque d'émigration et que les historiens grecs définirent comme Yisopoliteia? Il est très vraisemblable que à côté de l'hospitalité privée qui assurait aux étrangers un droit de séjour sous la garantie et la protection de Yhospes, Yhospitium publicum, juridiquement garanti par l'Etat à la suite d'un engagement solennel, assurait aux ressortissants de l'Etat bénéficiaire et le droit de résidence privilégié149 et, très probablement comme le foedus Cassianum le prouverait, le droit d'installation définitive : le droit de se fondre dans le corps politique des citoyens150.
146 Liv. 1, 45, 2 : proceres Latinorum, cum quibus publice privatimque hospitia amicitiasque iunxerat 147 Liv. 1, 49, 8 : neque hospitia modo... sed adjinitates quoque iungebat 148 Liv. 2, 14, 9 (en 507-6) : les troupes sont réparties chez des hôtes (divisique in hospitia); multos Romae hospitum urbisque Caritas tenuit. His locus ad habitandum datus, quem deinde Tuscum vicum appellarunt. 149 Voir, ainsi, l'accueil des Romains en déroute par Tusculum : Liv. 3, 42, 5 (en 449). 150 L'hospitium publicum peut de même être accordé à un individu et lui ouvrir, potentiellement, la citoyenneté; les exilés, accueillis en vertu de l'hospitium, sont intégrés dans la
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Si elle est susceptible d'éclairer le fondement juridique du ius migrandi des Latins, la notion d'hospitium publicum permet d'élargir considérablement son champ d'application au cours des premiers siècles de la République. On a insisté tout particulièrement, au cours des pages qui précèdent, sur le droit latin, car il est le mieux connu; mais il y a bien des chances pour que le Latium n'ait pas été seul à jouir de ces relations de type isopolitique. On se limitera à un exemple, pour lequel les témoignages littéraires viennent récemment de bénéficier des renforts de l'archéologie. On sait que pour les récompenser de leur aide, lors de la prise de Rome en 390, les Romains donnèrent aux Caerites le privilège d'un hospitium publicum (cum Caeritibus hospitium publice fieret, Liv. 5, 50, en 390). Il ne fait guère doute que les Caerites - et symétriquement les Romains - se sont vu reconnaître (ou plutôt confirmer) par cet hospitium le droit de résider à Rome, d'y pratiquer commerce ou artisanat ou, pour les Romains, de s'installer à Caere pour s'initier à la science et la culture étrusques : à l'ensemble de ces droits venait s'ajouter le privilège de l'immunité151. Mais cet hospitium publicum ne comprenait-il qu'un droit de résidence provisoire et la libre circulation, en franchise, des personnes et des biens? Sans doute pas, à en croire le témoignage très précieux d'un hypogée familial récemment découvert à Caere. La tombe, datable du IVe siècle152, a été fondée, de leur vivant, par les deux fils de Laris Clavtie, pour y déposer les restes de leurs deux parents. Les fondateurs s'y feront eux-mêmes inhumer ensuite, en compagnie de leurs épouses et peut-être de leurs descendants 153 . Les critères de datation ne permettent pas de dire, avec une certitude complète, si la tombe est antérieure ou non au moment où (en 350-349) Caere devint municipe romain; mais en dépit de cette incertitude, il est à peu près certain que l'histoire de cette branche étrusquisée des Claudii nous fait remonter au
citoyenneté : ainsi Marcius Coriolan, reçu chez les Volsques (Liv. 2, 35, 7; 2, 37, 1 sq.), dont il partagera les droits politiques. 151 Cf. notre article, L'incorporation de Caere . . . dans MEFRA 84, 1972, p. 238 sq. 152 L. Cavagnaro Vanoni et M. Pallottino dans SE 37, 1969, p. 318 sq. et p. 79 sq. De même CIE II, 1, 4 (1970), n° 6213-6221. Le matériel (le plus récent) date la tombe du IVe siècle; mais il faut remarquer qu'elle resta en usage un certain temps; la fondation est donc antérieure au matériel introduit le dernier. 153 Les inscriptions mentionnent: 1) le père et la mère de Laris et de Avle, fils de Laris Clavtie', 2) un Laris Clavtie, qui est sans doute l'un des deux frères fondateurs; 3) une épouse, Luvcili puia; 4) une femme [6a]nxil Ursui; 5) un avula clavties a(vles), fils de av(le) apa, mort avant son père, inhumé également. S'agit-il ici de descendants des fondateurs?
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LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
moins à l'époque où l'hospitium publicum rapprocha les Romains et les Caerites. En effet, ce Lavis Clavtie qui, lorsqu'il mourut, n'était pas p o u r les Caerites u n étranger (il n'est pas qualifié de Romain), avait r o m p u sans doute avec Rome tout lien; son installation, définitive, à Caere se vérifie aisément aussi bien à son nom étrusquisé, qu'au fait que lui-même ou ses enfants se sont unis à des Etrusques ([©a]nxil ursui) ou à des Latines étrusquisées (? luvcili puia), ou qu'il acquit, dans la nécropole de Caere, l'emplacement destiné à l'hypogée familial. L'arrivée de ces Clavtie n'est donc certainem e n t pas, au moment où la fondation est faite, un p h é n o m è n e récent; ces émigrés romains n'ont rien gardé - à part la racine de leur gentilice - de leurs origines romaines. On peut donc considérer comme u n fait à peu près sûr q u e leur installation, qui, comme la fondation l'atteste, avait un caractère définitif, s'est produite au moins au début du IVe siècle, c'est-à-dire au cours de la période m a r q u é e par l'hospitium publicum de 390. Peut-on r e m o n t e r beaucoup plus haut? Notre Laris Clavtie n'a pas, apparemment, exercé de magistrature cérite, ce que l'on interprétera c o m m e pouvant être le signe que l'émigration fut son fait plutôt que celui d'un ancêtre 1 5 4 . Conubium, commercium et, selon toute vraisemblance, ius migrandi : ce sont les trois éléments que l'on peut sans trop de témérité distinguer dans la condition de ce Romain émigré à Caere et qui, après sa mort, fut déposé dans une tombe du IVe siècle. Conubium, commercium et ius migrandi : c'est, en un mot, le reflet concret de la civitas Caeretana que l'hospitium publicum avait permis aux Romains d'acquérir après 390. A côté d'un droit de séjour provisoire et privilégié, offert aux Caerites à R o m e et aux Romains à Caere, l'émigration de ce Claudius, que l'on peut placer au début du IVe siècle 155 , confirme l'étendue de l'hospitium publicum, telle que le droit latin permettait de le supposer : un droit d'installation définitive, c'est-à-dire l'acquisition de la citoyenneté per migrationem et censum, ou encore l'isopoliteia.
154 Emigration récente semble-t-il, à dissocier d'autres mouvements migratoires du même clan, dont beaucoup, attestés ailleurs en Méditerranée, sont plus anciens : à Lanuvium, où une curie porte leur nom (curia Cîodia : R.EA Palmer, The archaic Community of the Romans, Cambridge, 1970, p. 174); à Messine : [MJamereks Klavdis Mamerekèis (Vetter, Handbuch I, NR 197 - après 263 av. J.-C); à Alerta, par un graffite étrusque, publié et daté de 425 env. par J. Heurgon (dans J. et L. Jehasse, La nécropole préromaine d'Aleria, Paris, 1973, p. 551 sq. 155 Dernièrernent sur cette tombe et la date de l'émigration (début IVe siècle), A. Fraschetti, A proposito dei clavtie ceretani, dans Quaderni Urbinati di Cuit. Class. 24, 1977, p. 1 sq. (avec une reconstitution nouvelle du stemma familial).
L'ISOPOLITEIA DES PEUPLES LATINS
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L'exemple de Caere conduit, sur la valeur de la citoyenneté r o m a i n e massivement étendue à une cité étrangère, aux mêmes conclusions que celui du Latium. Lorsque vers 350 la civitas sine suffragio fut « donnée » aux Caerites, ce n'est pas un droit de résidence privilégié, ou l'option de la citoyenneté romaine après une émigration, qu'ils acquirent : les Caerites étaient déjà titulaires de ces droits en vertu du ins hospitii publici. Indépendamment des nombreuses autres raisons déjà invoquées p o u r le cas de Caere, sa conversion en municipe et son intégration dans la civitas sine suffragio ont nécessairement m a r q u é un changement; l'extension unilatérale de cette civitas Romana ne peut, évidemment, être ramenée à l'offre, proposée à titre de réciprocité, p o u r chaque individu d'acquérir la citoyenneté romaine ou cérite; c'est en 390, au plus tard, que les Romains, c o m m e ces Claudii devenus Clavtie, ou des Caerites, dont le n o m nous é c h a p p e encore, avaient reçu ce droit et non en 350; après cette date, l'incorporation lui fit perdre sa raison d'être. L'hospitium des Latins, ou celui des Caerites, exclut, il nous semble, la possibilité de voir dans le municeps ou le civis sine suffragio des origines un citoyen romain éventuel ou possible.
TROISIÈME PARTIE
LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
Les antécédents institutionnels du municipium sont à peu près clarifiés : du VIe au début du IVe siècle, deux phases, deux politiques, l'intégration et l'association. La première absorbe en faisant disparaître l'autonomie et l'existence même de la cité conquise, la seconde respecte cette autonomie et la consacre même par des conventions réciproques qui offrent, au niveau individuel, l'incorporation dans la citoyenneté complète de l'étranger, dont la cité d'origine jouit d'une convention d'isopolitie ou d'hospitium publicum Ces précédents, qui ne sauraient être confondus avec l'institution du municipium, servent de référence pour le définir juridiquement, en apprécier la valeur politique et la signification historique. Pour mener l'étude du municipe lui-même, entreprise maintenant, on se laissera simplement guider par la définition de Servius Sulpicius (apud Festus) en distinguant les deux éléments fondamentaux de sa structure : la civitas Romana et la res publica autonome.
L'INCORPORATION DANS LA CITOYENNETÉ ROMAINE
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TITRE I
L'INCORPORATION DANS LA CITOYENNETÉ ROMAINE : APPRÉCIATION POLITIQUE ET RÉALITÉ JURIDIQUE
Quelle réalité politique et quel contenu juridique recouvre la concession de la citoyenneté romaine, régulièrement attestée à chaque acte de naissance d'un municipiwn? On ne peut, c'est évident, se satisfaire des appréciations des historiens romains ou grecs qui présentent sous un jour le plus souvent flatteur les extensions de la citoyenneté romaine. A les croire, il se serait toujours agi d'un «don» et, très souvent, d'un généreux bienfait; mais on peut flairer l'anachronisme. De préférence à ces appréciations sans doute tardives, on doit interpréter les épisodes qui précèdent, les conditions qui accompagnent, et surtout les réactions qui suivent le « don » de la citoyenneté pour entrevoir sa véritable signification politique. Si elle est un bienfait, à qui profite-t-elle ? Si elle n'est pas acceptée sans tentatives de révolte ou sans menaces de sédition, pourquoi?
CHAPITRE IV
L'ANNEXION DU LATIUM, DES VOLSQUES, DE LA CAMPANIE (381-329)
Cartes II et III I - L'INCORPORATION DE TUSCULUM (381)
En 390 l'invasion venue du Nord fut près d'emporter Rome et le Latium dans une tourmente sans précédent par ses dévastations. Mais le pire fut évité : si les destructions matérielles, par leur ampleur, n'ont jamais quitté le souvenir des Romains, les forces humaines, militaires notamment, à l'abri des murailles de Veii, y échappèrent à peu près complètement. D'où le relèvement des Romains1, si rapide que bien des modernes n'y crurent pas - au point de bouleverser un tiers de siècle d'une chronologie cohérente, sans pouvoir cette fois invoquer pour justifier leur critique, les ravages de l'incendie de Rome et la destruction de ses archives publiques et privées en 390 -, alors que la promptitude des Romains à se ressaisir avait frappé Polybe : « les Gaulois s'emparèrent de Rome et l'occupèrent à l'exception du Capitole. Les Romains passèrent avec eux un traité aux conditions que les Gaulois voulaient et rentrèrent en possession de leur patrie d'une façon inespérée, ce qui fut le point de départ de leur développement avec les guerres qu'ils firent au cours de la période suivante à leurs voisins immédiats» (1, 6, 3). Après la stagnation du Ve siècle et une fois la menace étrusque suspendue pour un demi-siècle après la conquête de Veii, l'expansion territoriale et politique reprend, cette fois en direction du Sud. Pour la première fois, en 389, les Latins et les Herniques, «qui depuis 100 ans n'avaient jamais laissé douter de leur fidélité comme amis du peu-
1 A. Alföldi, Early Rome, a très justement insisté sur le relèvement rapide de Rome, et l'a justifié : p. 356 sq., p. 403 sq. A. J. Toynbee, HL, I, p. 126, n. 7, n'y a pas cru et a déplacé, en conséquence, entre 358 et 349, l'incorporation de Tusculum; cette atteinte au foedus Cassianum aurait provoqué la révolte des Latins en 348.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
pie romain», font défection (Liv. 6, 2, 3). Cette défection, ou plutôt cette menace de défection, car si les liens entre Rome et la ligue se relâchent, ils ne sont pas encore rompus, doit être expliquée. On peut lui trouver trois raisons. Il y a d'abord la conquête de Veii qui, a p p o r t a n t à Rome des forces et une richesse matérielle considérables, provoqua certainement l'envie et l'inquiétude des peuples-latins; il est probable qu'une fraction du territoire parvint aux colons latins qui se joignirent aux Romains lors de la fondation des colonies latines de Sutrium et de Nepet (entre 393 et 383), mais la plus grande partie du territoire conquis fut, soit distribuée (dès 393) à la plèbe romaine (d'où les quatre tribus créées en 386), soit réservée à l'occupation des exploitants romains, en tant quager publicus populi Romani2. La faiblesse de Rome au lendemain m ê m e du raid gaulois, en 389, peut aussi en second lieu, expliquer la volonté d'indépendance de la ligue latine; mais elle ne doit pas jeter d'ombre sur le troisième motif qui fut, il nous semble, déterminant: Rome, par une avance encore timide, en 389, a affirmé sa présence dans le pays pontin. C'est le début d'une politique d'extension, dont la première étape, selon une logique qui n'a pas t r o m p é les Latins, supposait l'absorption préalable de la ceinture des cités latines qui entouraient Rome et la séparaient des territoires plus méridionaux. 1 - Le pays pontin : une politique
ambitieuse.
Les débuts de l'installation romaine en pays pontin remontent sans doute aux expéditions victorieuses de Camille en 389, à la suite desquelles les Volsques auraient offert une deditio attendue depuis 70 ans (Liv. 6, 2, 13)3. Il faut sans doute nuancer le caractère «décisif» de ces victoires, mais il est certain que l'on parle aussitôt à Rome (dès 386, Liv. 6, 5, 2) d'une répartition du territoire pontin, et que, cette m ê m e année, des Romains, on ignore à quel titre, occupaient déjà la région (Liv. 6, 6, 4). Cette présence romaine, discutée et combattue jusqu'au moment de la répartition définitive de Yager Pomptinus, en 358 seulement, par la création de la tribu Pomptina, ne cessa pas de provoquer l'hostilité des Latins et des Volsques, qui, au besoin unis par une alliance contre Rome, tentèrent de s'y opposer. Ces résis-
2 La cité de Veii elle-même ne fut pas détruite (J. B. Ward-Perkins, dans PBSR 29, 1961, p. 52 sq. et 36, 1968, p. 145 sq.); ses murailles serviront aux Romains de refuge, lors de la prise de Rome par les Gaulois. 3 L'authenticité substantielle des guerres de Camille contre les Volsques est admise par A. Momigliano, dans Secondo Contributo alla Storia degli Studi Classici, Rome, 1960 (1942), p. 91.
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tances s'expliquent très bien : l'occupation romaine de Yager Pomptinus avait p o u r effet et, sans doute, p o u r but de couper en deux la région tenue par les Volsques, alors sur leur déclin, en séparant par une zone romaine les Volsques d'Antium et ceux, plus au Sud, de Privernum, Fundi, Formiae. Mais elle constituait aussi p o u r les Latins une t r o p claire menace : ils se trouvaient pris entre les deux fers d'une tenaille, R o m e et son ager au Nord, et au Sud Yager Pomptinus. On comprend qu'à chaque mention, chez Tite-Live, du projet constamment réaffirmé par Rome de répartir le pays pontin, la menace d'une coalition Latino-Volsque (à laquelle les Herniques joignent le plus souvent leurs forces) se dessine : ainsi, on l'a vu, dès 389; puis de nouveau en 386 (Liv. 6, 6) : projet de partage et, aussitôt, « on parla aussi d'une guerre contre les Latins et les Herniques » et, la m ê m e année, une colonne de fugitifs, venant de Yager Pomptinus, apporte à Rome la nouvelle qu'Antium, Volsque, est sous les armes et qu'elle profite de la collaboration secrète des peuples Latins (6, 6, 4) 4 . Mais il n'y a pas encore u n conflit ouvert avec le Latium; la politique romaine, sans renoncer à ses ambitions, est encore toute de prudence. Ainsi Rome feint-elle de croire à des défections - elle les dénonce, mais n'ose pas encore les sanctionner - alors qu'il s'agit, en réalité, d'une aide active apportée par les Latins à l'ennemi 5 . Lorsqu'en 385, à la frontière du pays pontin toujours, on découvre parmi les prisonniers faits sur les Volsques les chefs de la jeunesse latine et hernique, Rome ferme les yeux devant les signes évidents que la ligue latine a pris, contre elle, le parti de leurs ennemis jadis communs 6 . Or la collaboration latino-volsque a une signification évidente : il ne s'agit pas d'établir des liens durables et de fonder avec les Volsques une entente stable; q u a n d il faudra, c o m m e ce sera le cas pour le
4 Satricum, place forte au nord du pays pontin tenue par les Volsques, est, en 386 toujours, l'objet d'un combat avec les Volsques et où la jeunesse latine aurait aussi eu sa part : Liv. 6, 7, 1 sq. 5 Ainsi très nettement Liv. 6, 10, 6 et 9. 6 Liv. 6, 11, 2 et 6, 12, 6. Tite-Live ne met pas en cause la clairvoyance des Romains : «la plupart des prisonniers était des Latins ou des Herniques, non des hommes de la plèbe, dont on aurait pu croire qu'ils avaient combattu comme mercenaires; on y trouva certains chefs de la jeunesse, preuve manifeste de l'aide officielle donnée aux Volsques ennemis. On reconnut aussi certains Circéiens et des colons de Velitrae; et tous, envoyés à Rome, révélèrent... chacun la défection de son peuple» (6, 13, 7-8). Néanmoins aucune sanction n'est prise. La défection des colonies latines Circei et Velitrae s'explique par l'infiltration volsque qui avait dû modifier l'équilibre de la population. Mais ces motifs ne valent pas pour les autres cités de la ligue (Lanuvium ou Préneste).
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site très disputé de Satricum en 385, ou p o u r celui de Setia en 383, déduire les colonies latines qui devaient assurer la protection du Latium méridional contre les dernières menaces des Volsques, Latins et Romains retrouvent les liens de la ligue et l'esprit fédéral p o u r fonder des colonies mixtes. L'étonnante politique latine qui envoie sa jeunesse tantôt combattre Rome avec les Volsques, tantôt fortifier des citadelles avec les Romains contre les Volsques, n'est incohérente qu'en apparence. Lorsque les Volsques les menacent, Rome peut c o m p t e r sur l'aide des Latins; mais, lorsque Rome poursuit son entreprise d'extension vers le Sud qui mettait en péril à long terme ce qui pouvait rester d'indépendance au Latium, celui-ci cherche des renforts chez les Volsques et les trouve facilement pour contrecarrer ce qu'il faut bien reconnaître comme la politique d'encerclement de Rome. De 383 à 381 les signes d'une inévitable rupture s'amoncellent. Le Latium passe d'une fidélité suspecte (Liv. 6, 21, 2) à un début de soulèvement, en 383, lorsque Rome revient à l'idée de diviser le territoire pontin (Liv. 6, 21, 4). On assiste alors à des événements dont la signification éclaire d'une lumière extrêmement nette la situation politique d u Latium. Une véritable ligue sous la direction de Préneste et qui regroupe les cités (ou colonies) latines les plus menacées par la présence romaine au Sud prend les a r m e s : on y trouve Velitrae et Lanuvium, dont les territoires, avec celui de Préneste, forment la frontière méridionale du Latium (Liv. 6, 21, 2; 6, 22, 2). Les efforts de cette coalition latine sont d'abord dirigés en 383 contre les cités latines du centre - dont les territoires les séparent de Rome -, Tusculum, Gabii et Labici (Liv. 6, 21, 9), afin d'obtenir un ralliement qui tardait peut-être du fait de la proximité immédiate de Rome. Le sens de ces attaques est patent. Ce sont les plus fidèles alliés de Rome que l'on vient solliciter p o u r qu'ils se joignent à leur tour à cette ultime tentative pour briser l'étau où se trouve enserré le Latium. Comme il était naturel, ces peuples latins, derniers ralliés, préfèrent aux liens étroits établis avec Rome la révolte, car le respect de l'alliance, ou la fidélité, signifiait à plus ou moins brève échéance l'annexion. 2 - Défection et deditio de
Tusculum.
De là la présence de Tusculum - et sans doute de son satellite Labici aux côtés des Prénestins, dès 381, pour p r e n d r e u n contrôle exclusif sur la colonie de Satricum - dont la position permettait autant de protéger le Latium contre les Volsques que de protéger Yager Pomptinus contre le Latium (Liv. 6, 22, 4). Reconnus parmi les prisonniers ennemis, les Tusculans avouent avoir été envoyés au combat sur l'ordre de leur peuple
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(publico consilio) Liv. 6, 25, 1). C'est bien en se défendant par les armes contre une progression, dont ils surent très vite reconnaître la gravité menaçante, que les Tusculans, aux côtés des autres peuples latins, tentèrent de sauver leur existence. Mais les Tusculans, les plus proches de Rome, devaient en être aussi la première victime; la guerre à outrance est décidée par le Sénat en 381 {cum hello persequendos Tusculanos patres censuissent, Liv. 6, 25, 5) ; elle tourne court : devant l'inégalité des forces, Tusculum, il est évident, n'avait aucun espoir dans une résistance isolée. Elle se rend à Camille et d'une façon si immédiate que les historiens en conservèrent un souvenir précis 7 ; mais il faut y voir, en réalité, une deditio sans condition : ville et portes ouvertes, soumission du peuple à la loi du vainqueur, engagement de rester toujours désarmé, autrement dit renonciation définitive au droit d'une politique militaire, c'est-à-dire d'une politique tout court. La décision du Sénat sur le traitement de ces déditices surprit aussi les historiens : pacem in praeseniia, nec ita multo post civitatem eiiam impetraverunt (6, 26, 8) 8 . Après une défection aussi grave par l'effet de contagion qu'elle pouvait avoir, on aurait craint le pire; au contraire, ni déportation, ni prise d'otages, ni exécution, pas m ê m e u n e garnison romaine pour tenir la citadelle 9 : comparés au sort de Veii, le maintien de la ville de Tusculum et le respect de son populos témoignent de l'indulgence du Sénat et de l'humanité de Camille 10 . Mais faut-il aller plus loin et
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Liv. 6, 25; DH. 14, 6 (9); Plut., Cam., 38, 2 sq.; Val. Max., 7, 3, 9; Dion Cass., 7, 28, 1 sq. Liv. 6, 25, 6 sq. Les portes restées ouvertes, la prise de la ville se fait sans combat. Les Latins reprocheront plus tard aux Tusculans de s'être donnés aux Romains comme concitoyens (in civitatem se dédissent, Liv. 6, 33, 6). Sur l'engagement de ne prendre désormais les armes que venant des Romains et pour les Romains, cf. Liv. 6, 26, 5. Il n'est pas difficile, sous des expressions pudiques, de reconnaître les éléments de la deditio qui consiste en la remise au pouvoir de Rome de la ville, des biens et des personnes vaincues. La paix équivaut à la restitution, aux Tusculans, de leur ville et de leur ager, mais au sein de la citoyenneté romaine. Le nec multo post se réfère, sans doute, au moment où l'inscription, par les censeurs, à une tribu romaine rendit effective et complète la citoyenneté décidée par le sénatus-consulte de 381. 9 DH. 14, 6 (9), 1 sq.; mais cf. infra, p. 161, n. 27. 10 M. Furius Camillus domine ces événements - comme toute cette période, d'ailleurs; c'est lui qui envoie à Rome les Tusculans surpris parmi les Latins révoltés, prend la tête de l'expédition contre la ville et qui, selon Plut., Cam., 38, 4, plaide devant le Sénat en leur faveur. Cet intérêt pour Tusculum peut s'expliquer si l'on pense, avec L. Ross Taylor, que les Furii appartenaient à la tribu Papiria (VD, p. 301) qui, contiguë à son territoire, sera la tribu de Tusculum après 381. Des inscriptions républicaines (ILLRP 59) et surtout un hypogée gentilice des Furii, datable de la fin du IVe ou plutôt du début du IIIe siècle, découvert à Tusculum (cf. BCAR 76, 1956-58, p. 15 sq. de Tappend, et ILLRP, 895-903), marquent la présence 8
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dire, avec les historiens de l'Antiquité, que le suprême bienfait de Rome fut par dessus tout, de donner la civitas Romana aux Tusculans? Nous ne le pensons pas 11 ; l'indulgence - mais toute relative - de Rome consista à laisser subsister la res publica Tusculana. Que ce comportement ait étonné les Romains, c'est tout naturel. Pour la première fois une cité conquise était incorporée dans la citoyenneté romaine sans être détruite; ils surent reconnaître l'immense progrès accompli par rapport aux cités dont l'existence disparaissait matériellement lors de l'intégration dans la civitas. Il n'y eut, à Tusculum, en 381, du moins, ni déplacement de population, ni colonisation mixte ni, on y reviendra, disparition du populus ou d'aucun des éléments constituant la res publica antérieure. Mais l'humanité du Sénat (plus exactement son réalisme et son habileté) est restée limitée au maintien de la ville de Tusculum; il ne faut pas commettre la même confusion que tous les historiens de l'Antiquité qui ont décrit la prise de Tusculum, et pour qui, qu'il s'agisse de Tite-Live, de Denys d'Halicarnasse, de Valère-Maxime, de Plutarque ou de Dion Cassius12, le bienfait suprême fut la concession de la citoyenneté romaine, obtenue à force de larmes, généreusement donnée en signe de pardon. C'est un anachronisme qui ici, comme pour tous les autres exemples, au IVe siècle, d'extension de la citoyenneté romaine, déforma l'appréciation des historiens. Ecrivant après la guerre sociale, il leur était difficile de concevoir le droit de la cité romaine autrement que comme une récompense, pour laquelle il fallait se battre et durement. Quand leur témoignage porte sur les premières formes de romanisation par le droit de cité, cette même conception, flatteuse et trop moderne, ne les quitte pas au point de les obliger à recourir à des formules embarrassées, artificielles et qui trahissent leur méprise 13 . Mais il ne faut pas, à leur suite, s'y tromper : le refus
d'une gens Furia à Tusculum : branche tusculane de la gens de Furius Camillus, ou installation récente, après l'annexion, des Furii à Tusculum, ou présence en guise de patrons du municipe? On remarquera qu'il faut peut-être nuancer l'idée d'un intérêt tout particulier de Camille pour Tusculum : son humanité dans la punition des vaincus est un aspect sans doute légendaire de son caractère, qui se retrouve par exemple pour Falerii et qui est probablement tardif: cf. A. Momigliano, Le, p. 90 sq. 11 Voir de même A. Alföldi, Early Rome, p. 417 : «Tusculum was transformed from an equal partner to a subordinated appendix of Rome». 12 Non solum ad amicitiae nostrae ius sed etiam ad communionem civitatis usque penetraverunt (Val. Max. 7, 3, 9) ; « loin de leur faire du mal, les Romains leur donnèrent le droit de cité » (Dion Cass., 7, 28, 1 sq.) ; « sans qu'on leur fît d'accusation, ils reçurent la citoyenneté » (Plut., Cam., 38, 2 sq.). De même, Denys d'Haï, et Tite-Live cités supra. 13 Pour essayer d'expliquer comment une révolte put être sanctionnée par une « récom-
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de résistance, chez les Tusculans, n'est qu'une deditio volontaire. Ce n'est pas un geste de suprême fidélité qui aurait abusé de la magnanimité romaine, sanctionnant (on ne l'avait encore jamais vu!) une défection consciente et répétée par la plus belle des récompenses. La concession de la civitas marquait l'annexion d'un peuple vaincu. La révolte des Tusculans les avait conduits à ce qu'ils avaient cru pouvoir éviter : cives Romani fieri Mais quelle fut la nature de la citoyenneté accordée et comment futelle acceptée? 3 - Civitas optimo iure. On s'est longtemps demandé si la civitas Romana imposée aux Tusculani était sine suffragio1* ou optimo iure15. Comme on le verra un peu plus loin, la civitas Romana étendue aux cités latines près d'un demi-siècle plus tard (338) sera optimo iure, à la différence du statut fixé pour les peuples non latins; or il n'y a pas de raison de dissocier Tusculum des autres cités latines qui seront absorbées sur le même modèle. C'est, très certainement, la citoyenneté complète qui fut donnée en 381 aux Tusculans. Il y a d'ailleurs plusieurs arguments qui le confirment.
pense », les historiens invoquent soit, comme Val. Max., l'habileté des Tusculans, soit, comme Dion Cass., leur dissimulation qui aurait trompé les Romains sur leurs sentiments, soit, comme Denys d'Haï, et Plutarque, la magnanimité des Romains ou l'humanité de Camille, émus par les larmes et les prières des Tusculans. 14 Pas d'accord chez les historiens modernes. En faveur de la civitas sine suffragio : Mommsen, Staatsr. III, p. 571, n. 1 et p. 573 = Dr. Publ. VI, 2, p. 183, n. 1 et p. 185, n. 2 (dans l'idée, inexacte, que le maintien d'une certaine autonomie serait incompatible avec Yoptimum ius) suivi par E. Manni, Per la storia dei municipii fino alla guerra sociale, Rome, 1947, p. 54; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, 1969, p. 323; W. Seston, La citoyenneté romaine, dans Actes du XIIIe Congrès Intern, des Sciences Hist, Moscou, 1970, p. 6 de l'extrait (cette citoyenneté sans suffrage serait une citoyenneté honorifique permettant une installation individuelle à Rome à titre de municeps, c'est-à-dire de demi-citoyen soumis aux munera; c'est en 323 seulement que cette citoyenneté serait devenue, par une décision du Sénat, optimo iure). 15 Nombreuses divergences ici encore : pour A-N.Sherwin-White, RO, p. 56 sq. = RC2, p. 59 sq., civitas o.L, mais qui fit disparaître la qualité de municipium et de municeps qui aurait appartenu, auparavant à Tusculum. (Mais cette affirmation repose sur une double erreur : l'idée que la qualité de municipium est identique à la civitas sine suffragio (v. infra, p. 193 sq.) et celle que la civitas s. s. est une citoyenneté romaine potentielle ou virtuelle). Pour L Ross Taylor, VD, et A. Alföldi, Early Rome, op. cil, civitas optimo iure, qui provoqua, pour ce dernier auteur, l'annexion de la cité; de même pour M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e l'origine délia civitas sine suffragio, Rome, 1960, p. 86; pour K. J. Beloch, RG, 1926, p. 376, suivi par A. Bernardi, / «cives sine suffragio», dans Ath., 16, 1938, p. 243 et n. 1, civitas o.L en 338 seulement.
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En ce sens vont, en premier lieu, les témoignages des historiens grecs; l'idée, chez Denys d'Haï. (14, 6 (9), 3), d'un partage de tous les droits avec les Romains d'origine (T) TWV àyaGûv ùrou-oipia ; izoki-zdav. . . xap^^öai, ^àvrwv [jieTa56vT£c; wv TOÎÇ cpuciEL 'PcjjjLaLOK; \xzT?\\f) se retrouve chez Plutarque (Cam., 38, 4 : [jLETaXaßeLv WTOTTOXITELGK;) : isomoiria et isopoliteia excluent évidemment une citoyenneté sans droits politiques. Cette citoyenneté complète fut acquise aussitôt par tous les Tusculans (Dion Cass. 7, 28, 2 : èç TTJV -rcoXiTEuxv JJLETOC TCCÛT' èo-EYpà^avTo) ; l'inscription sur les listes des citoyens romains entraîne à rejeter l'idée qu'il y aurait eu, dans la population, un clivage quelconque ou un traitement particulièrement favorable garanti à l'aristocratie locale. C'est en réalité l'ensemble des Tusculani qui, dès que l'exercice de la censure fut redevenu normal16, fut inscrit dans une tribu romaine, la Papiria. Une grave accusation, sur laquelle les comices tributes eurent à se prononcer en 323 fournit, pour sa part, la preuve que depuis 338 au moins et, très probablement, dès c. 380, le populus Tusculanus avait été globalement rattaché à une tribu et qu'il avait ainsi accès dans son ensemble à la civitas optimo iure. L'incident est évoqué par Tite-Live (8, 37, 8-12); Mommsen en avait aperçu l'importance, mais c'est à L. Ross Taylor que l'on doit d'avoir lumineusement saisi la véritable signification de l'événement17. Le tribun de la plèbe M. Flavius, pour barrer en 323 l'accès au consulat d'un Tusculan L. Fulvius, soutient que pour des faits remontant à 341-340 Tusculum, coupable d'une défection, ne fut jamais punie, et propose en conséquence un châtiment très rigoureux contre le populus Tusculanus. Il s'agissait en fait, comme l'a montré L. Ross Taylor, de détruire le pouvoir que les Tusculans exerçaient sur l'assemblée centuriate : cela implique que les Tusculans étaient suffisamment nombreux dans les centuries de la première classe pour influencer les élections consulaires. C'est une preuve très sûre que l'ensemble des Tusculans - et non quelques émigrés qui auraient pu de cette façon acquérir avec Y optimum ius l'ensemble des droits politiques 18 - avait déjà reçu en 323 la citoyenneté complète 19 .
16 Les troubles politiques qui, aux alentours de 380-370, paralysèrent l'exercice de la censure, expliquent sans doute le léger délai auquel Tite-Live fait allusion : nec multo post civitatem impetraverunt. Sur ces événements, cf. J. Suolahti, The roman censors, Helsinki, 1963, p. 183 sq. Sur la tribu de Tusculum, Taylor, VD, p. 79 et p. 273. 17 Mommsen, Strafrecht, p. 74 = Dr. Pén., p. 85; Taylor, VD, p. 214 et p. 302. 18 Si on limite à la civitas s.s. la citoyenneté de Tusculum, il faut alors envisager une émigration à Rome et l'inscription individuelle de l'émigré dans une des tribus romaines. 19 De 322 à 242, cinq Fulvii, un Coruncanius et trois Mamilii, originaires de Tusculum, parviennent au consulat. Ils appartiennent tous à la tribu Papiria (cf. Taylor, VD, p. 273) ; ces
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Si, au contraire, on estime que la civitas o. i. de L. Fulvius est due à une initiative individuelle, à une transitio ou une migratio20, on n'expliquera pas pourquoi le tribun M. Flavius a demandé le jugement de l'ensemble du popuîus Tusculanus. Ce qu'il entendait contester, en réalité, c'était la décision du Sénat qui, en 338, avait maintenu à Tusculum la civitas Romana dont elle jouissait déjà (Tusculanis servata civitas, quam habebant, Liv. 8, 14, 4 en 338), en dépit de sa défection récente. Si, pour atteindre la civitas Romana o.i. de L. Fulvius, le tribun de la plèbe attaqua la civitas Romana de tous les Tusculans, c'est que la première n'était pas distincte de la seconde et qu'elles procédaient toutes deux de la même décision du Sénat : celle de maintenir, en 338, la civitas o.L accordée en 381. 4 - Son appréciation par les Latins. Comment l'incorporation de Tusculum dans la citoyenneté romaine fut-elle acceptée? Aussi mal par les Tusculans eux-mêmes que par les Latins dans leur ensemble. L'incorporation de Tusculum avait, en effet, porté un coup très grave au foedus Cassianum, puisque l'une des principales cités latines disparaissait comme membre de la ligue (deserto communi concilio Latinorum, Liv., 6, 33, 6), ses habitants et son territoire ayant été fondus dans le nomen Romanum, C'est bien d'ailleurs à la suite de cette annexion, en 380 exactement, que le premier conflit opposa directement Rome et les Latins et mit fin à une alliance qui s'était maintenue depuis plus d'un siècle (Liv., 6, 28, 7). De même doit-on remarquer qu'après 381 il n'y eut plus aucune fondation de colonie latine21; si la colonisation partielle de Vager
exemples, qu'il serait facile d'enrichir, témoignent d'une inscription globale des Tusculans dans une tribu unique et dès avant 323. Si, de plus, entre 381 et 323 la civitas avait été seulement sine suffragio, des migrations individuelles se seraient sans doute produites et leur trace serait perceptible par une certaine diversité dans la tribu de ces Tusculans émigrés. Or il n'en est rien. 20 Dans un passage très incorrect, Pline, NH, 7, 136 évoque la transitio à Rome de L. Fulvius; cette venue se serait faite l'année où il aurait reçu le consulat et aurait pris la tête d'une révolte en tant que consul tusculan. Quel peut être le contenu juridique de cette transitio? Transfert de domicile? Non, car la tribu, Papiria, qui fut la sienne est celle des Tusculans; mais simple transfert de résidence si l'on accepte comme vraisemblable qu'il est plus commode d'être à Rome pour briguer des magistratures qu'à 10 milles de là. On a d'ailleurs la preuve que les Fulvii tout en jouant un grand rôle politique à Rome restèrent juridiquement et matériellement (par leur domicile, c'est-à-dire, par leur tribu) attachés à Tusculum. Cf. Taylor, VD, p. 216; infra, p. 330. 21 Ainsi E.T. Salmon, dans Phoenix, 7, 1953, p. 115 sq.
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Pompîinus (385-3) avait freiné le mouvement et avait conduit à déduire des colonies dont la fidélité à Rome était soumise à la condition qu'elle restât d'abord fidèle à ses engagements envers le Latium, l'annexion de Tusculum, par ce qu'elle signifiait pour l'avenir, stoppa net les déductions mixtes. Elles ne reprirent pas, même après que, en 358, le foedus Cassianum renouvelé eut restauré pour une dizaine d'années l'ancienne ligue latine. L'annexion de Tusculum provoqua donc la colère du Latium et la rupture de l'alliance. Dès 380, Préneste et sa ligue - c'est-à-dire toutes les cités du Latium extérieur, de Préneste à Pedum et à Velitrae - justement alarmées de l'avance romaine jusqu'à l'Algide22, se soulèvent, mais sont battues en 380 ou 379 (Liv. 6, 29, 7 et 6, 30, 8). Aussitôt après, les établissements latins méridoniaux prennent la relève et s'allient aux Volsques23, selon une politique toujours semblable : lutter contre l'avance romaine au Nord, menacer la présence de ses colons au Sud. Les faits de 377 le confirment. Les Latins concentrent leurs forces sur les deux points où la puissance romaine avait remporté une victoire à leurs dépens : contre Satricum, qu'ils dévastent (Liv., 6, 33, 8 sq.) pour que cette colonie latine ne puisse, à l'avenir, servir de base aux Romains, et contre Tusculum (Liv. 6, 33, 6) que les Latins s'efforcent de reprendre - c'est-à-dire de libérer de la présence romaine. Ce fut, d'après Tite-Live, une expédition punitive contre les Tusculans, coupables de les avoir trahis pour Rome24. Mais on peut en douter. Les Romains, « appelés en renfort » par les Tusculans incapables de se défendre et réfugiés dans Yarx, ont toutes les apparences d'être venus délivrer les leurs, assiégés par les Latins introduits dans la ville par les Tusculans. En somme un second siège de Tusculum, digne d'être rappelé par le monnayage républicain tardif25. Quelques années plus
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Guerre contre Préneste (Liv. 6, 27-28); sa ligue regroupait huit villes (6, 29, 6), y compris Velitrae (6, 29, 7). En 379, les Prénestins, ayant soulevé les peuples latins, se révoltèrent. L'annexion de Tusculum et, très probablement, simultanément, de la colonie latine de Labici, permit à Rome d'atteindre la position stratégique de l'Algide. 23 Setia, la dernière des colonies latines, fondée au milieu du pays pontin, n'est pas sûre : il faut y envoyer de nouveaux colons en 379 (Liv. 6, 30, 9), certainement romains. C'est l'écho, au Sud, des événements dont Tusculum fut victime, plus au Nord. En 378, union des Volsques et des Latins (Liv. 6, 32, 4), et, on le remarquera pour les Volsques, union de ceux de la côte (Antium) à ceux de l'intérieur (Ecetra), séparés par Vager Pompîinus. 24 Quod ... non in societatem modo Romanam, sed etiam in civitatem se dédissent 25 Aureus de L. Servius Rufus (E.A. Sydenham, Rom. Republ. Coinage, Londres, 1952, p. 179, n° 1081), représentant les Dioscures (divinités de Tusculum, Wissowa, Rel. u. Kult der Römer1, Munich, 1912, p. 268 sq.) sur l'avers et les murailles de Tusculum sur le revers : commémoration de la reprise de Tusculum en 377 par Servius Sulpicius.
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tard, les mêmes faits se reproduisent : toujours curieusement incapables de se défendre seuls, les Tusculans appellent de nouveau les secours romains pour se délivrer d'une attaque véliterne 26 . Défection deux fois répétée, en fait, d'une cité à qui l'on venait, par prudence, de confisquer ses armes 27 et qui devait faire appel aux Latins pour retrouver son indépendance. La défection incontestable de 340 eut une signification beaucoup plus grave. On reviendra, dans un instant, sur l'enjeu de la coalition qui, après 343, unit contre Rome les forces des Volsques, de tout le Latium et des Campaniens; pour les Latins, d'un mot, il s'agissait d'écarter, par l'établissement d'un gouvernement fédéral, la menace devenue imminente d'une annexion pure et simple. Ils voulaient partager le pouvoir et non se fondre dans l'Etat romain à l'image de Tusculum ou des tribus Pomptina, prise sur les Volsques, et Publilia, confisquée en 358 aux Herniques. Malgré une civitas Romana optimo iure, vieille déjà de 40 ans, Tusculum préfère, en 340, la sécession et l'alliance avec les Latins. Même pour les nobles qui, plus que les autres, accédaient à ses privilèges, la citoyenneté romaine avait moins de prix que l'espoir de la liberté. C'est pour elle que les équités Tusculani, en 340, partent se battre 28 , plus sensibles aux souvenirs et aux regrets de leurs pères qu'à leur devoir de municipes Romani Défaits, il y eut, à titre de châtiment, des confiscations décidées, cette fois, contre les coupables de la rébellion29.
26 Liv., 6, 36, 1 en 369. Il est probable que si Tusculum avait eu des armes ou si elle avait voulu se défendre, elle y serait parvenue - surtout contre Velitrae -, sans demander l'aide des Romains. 27 Selon une certaine tradition (DH, 14, 6, 2 sq.) les Romains auraient accordé aux Tusculans de garder leurs armes et d'échapper à la présence d'une garnison romaine. Mais s'ils avaient gardé leurs armes, ils auraient pu se défendre seuls (vu la qualité de leur site et la réputation de leurs murailles). On en déduira que, désarmés, ils ont dû faire appel à l'aide extérieure pour se libérer. Désarmés, la présence d'une garnison romaine était nécessaire : c'est sans doute elle qui fut assiégée par les Latins en 377. Même si l'on admet la passivité des Tusculans, le fait qu'ils aient été désarmés (la trad. livienne est en ce sens) prouve que les Romains ne se faisaient pas beaucoup d'illusions sur la reconnaissance des Tusculans « honorés de la civitas Romana». 28 Liv. 8, 7, 2 (340) : ïbi Tusculani erant équités; praeerat Geminus Maecius, vir cum génère inter suos, tum factis clarus. Il s'intitule lui-même eques Latinus, par opposition à Yeques Romanus (ibia\, 8, 7, 7). Ce sont ces faits qui, en 323, vraisemblablement, seront jugés et absous par les tribus romaines (Liv. 8, 37, 8 et supra, p. 158 sq.). 29 Crimen rebellionis in paucos autores versum (Liv. 8, 14); pour les confiscations, il n'y a rien à ajouter à Taylor, VD, p. 301.
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II - DES AMBITIONS MENAÇANTES VERS LE LATIUM, LES VOLSQUES, LA CAMPANTE ( 3 8 0 / 4 0 ) 3 0
De 381 à 358, sans trêve, les Latins, les Herniques et les Volsques ont pris les armes contre Rome. On vient d'en voir les deux causes principales : l'annexion de Tusculum en 381 et l'affirmation de la présence romaine en une poche isolée au milieu du pays Volsque, la future tribu Pomptina créée en 358 sur des terres conquises après 390. Ni la première ni la seconde de ces extensions n'ont trompé les voisins immédiats de Rome sur ses intentions. La création du municipe de Tusculum inaugurait une formule géniale de conquête qui donnait à Rome tous les avantages de l'annexion - enrichissement du corps politique, accroissement des effectifs militaires -, sans poser le problème de son administration, une formule capable de permettre des annexions massives et très rapides. Quant à la colonisation du pays volsque, elle impliquait, une fois résolue la réduction définitive de ces vieux ennemis, l'absorption des terres latines entourées des terres romaines et, en un second temps, la réalisation des prétentions romaines sur la fertile Campanie que les Samnites des montagnes convoitaient déjà. Mais en dépit des multiples défections qui ont marqué les années 381 à 358, Rome a échappé à la menace d'une révolte générale et simultanée des cités latines. Au contraire, face à des soulèvement isolés, elle put les réprimer et réaffirmer en 358-354 son autorité sur l'ensemble du Latium. Préneste, soulevée en 380 et 379, est défaite ainsi que sa ligue; les efforts des Latins pour libérer Tusculum, même aidés des Volsques, échouent en 377 et 369, et n'ont guère plus d'effet quand ils sont dirigés (379 et 377) contre les colonies romano-latines du Sud. En 362, le conflit se déplace vers l'Est, met en scène les Herniques (Liv. 7, 6-7), puis Tibur (en 361; Liv., 7, 9, 2) qui profite de la seconde invasion gauloise pour tenter d'abattre les prétentions de Rome : autant d'échecs. Les Herniques battus entre 360 et 358 doivent
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La chronologie suivie ici est celle de Tite-Live principalement; on ne s'en écarte que pour l'incorporation des Campani, au prix d'un décalage mineur (334, selon Vell. Pat. 1, 14, 15 et non 338 selon Tite-Live, 8, 14, 10). Nous ne nous engagerons pas, à la suite de M. Sordi, sur la voie d'une périlleuse reécriture de l'histoire romaine au IVe siècle : Sulla cronologia liviana del IV sec, dans Helikon 5, 1965 et Excursus sulla colonizzazione in Velleio e le guerre sannitiche, ibicL, 6, 1966, p. 627 sq.; Roma e i Sanniîi nel IV sec, Bologne, 1969 (avec les réticences de E.T. Salmon, dans Gnomon 43, 1970, p. 184 sq.), et, à la suite de M. Sordi, mais plus loin encore L Bitto, Tribus e propagatio civitatis nei secoli IV e III a.C, dans Epigraphica 30, 1968, p. 20 sq.
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céder une partie de leur territoire, qui, colonisée, formera en 358 la tribu Publilia 31 ; les Gaulois sont défaits en 359 et les Tiburtes, s'ils ne sont pas battus, échouent. 1 - Le Foedus Cassianum renouvelé (358). C'est alors, en 358, l'occasion pour Rome de réaffirmer son autorité sur le Latium en «renouvelant» le foedus Cassianum suspendu depuis la conquête de Tusculum; c'est le choix d'une formule provisoire, car il est évident que l'esprit de la ligue a disparu depuis longtemps : aussi a-t-on pu en nier l'historicité 32 . Mais les témoignages de Tite-Live (7, 12, 7) et de Polybe (2, 18, 5) n'admettent pas le doute 3 3 ; de plus le second traité avec Carthage (348) reconnaît le droit, p o u r Rome, de s'engager au nom du Latium, ce qui suppose que l'hégémonie qu'elle avait perdue en 380 avait été rétablie depuis 3 4 . Ses succès militaires permirent donc à Rome de reconstituer son pouvoir. A l'ancienne ligue, les Herniques, comme en 486, ont dû se joindre et Tibur, en 355, fut à son tour contrainte de se soumettre 3 5 . La consécration juridique de la présence romaine au Sud par la création en 358, l'année m ê m e du renouvellement du traité, de la Pomptina et de la Publilia n'est pas une coïncidence fortuite; cette confirmation, où l'on a voulu voir bien curieusement un geste de réconciliation 3 6 , traduit tout simplement la
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Sur son emplacement (en territoire hernique), Taylor, VD, p. 52. Par ex. A. Alfoldi, Early Rome, p. 360 sq., p. 406 sq. Bibliogr. plus ancienne dans H. Bengtson (K Werner), Die Staatsverträge des Altertums, H, Munich, 1962, p. 270 sq. 33 Sed inter multos terrores solacio fuit pax Latinis petentibus data et magna vis miîitum ab iis ex foedere vetusto, quod multis intermiserant annis, accepta. Polybe : entre l'incendie de Rome et d'autres invasions gauloises (la dernière est de 350) «les Romains rétablirent leur pouvoir et devinrent de nouveau maîtres du Latium». 34 Sur ce second traité, Pol. 3, 22, 1 sq.; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, op. cit., p. 392 sq. et notre art. L'incorporation de Caere dans la civitas Romana, dans MEFRA 84, 1972, p. 251 sq. 35 Défaite des Herniques en 358 (Liv. 7, 15, 9); Tibur, défaite en 360 (Liv. 7, 11), fera deditïo en 355 (Liv. 7, 19, 1). Cf. G. De Sanctis, Storia dei Rom, II1, p. 251 et n. 4. 36 1. Bitto, Tribus e propagatio civitatis nei secoli TV e III a.C. dans Epigraphica, 30, 1968, p. 27 sq., reprenant les interprétations contestables de M. Sordi sur la valeur de la civitas Romana soutient que ces distributions de terres sont un signe de la réconciliation romanolatine. Les Latins du Sud et leurs colons auraient en effet désiré cette présence romaine, qui rompait un isolement qui les inquiétait. Les faits précédant cette colonisation démentent cette interprétation aussi nettement que ceux de la période suivante : la révolte en 341-340 de tout le Latium naîtra précisément dans les cités du Sud (Liv. 8, 3, 9). L'idée que cette coloni32
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volonté de diriger politiquement le Latium et d'utiliser militairement ses forces pour les extensions futures. Ce fut, pendant dix années, un succès. Lors de l'avant-dernière des invasions gauloises (358), on ne trouve aucune preuve d'une défection latine 37 ; ni, non plus, en 357, aux côtés des Volsques38; mieux encore durant les années qui verront s'affronter durement la coalition étrusco-falisque (Tarquinia - Caere - Falerii) et Rome, le nomen Latinum reste sûr39. 2 - La rupture du foedus : l'affaire de Caere et visées vers le Sud (353/349). Mais en 349, c'est la rupture définitive : responsum haud ambiguum imperantibus milites Romanis datum, absisterent imperare iis quorum auxilio egerent; Latinos pro sua libertate potius quam pro alieno imperio laturos arma (Liv. 7, 25, 5-6 en 349)40. Quels événements récents purent amener le conseil fédéral latin à un refus aussi net de contribuer pour l'avenir à des conquêtes qui profitaient à Rome seule? Dans quelles directions venait de s'étendre, ou menaçait de s'étendre Yimperium Romanum? Nous entrevoyons deux possibilités. La première, et qui nous semble la plus certaine, est donnée par l'incorporation de Caere dans la civitas Romana, premier exemple de l'extension de la civitas Romana sine suffragio; elle dut se pro-
sation de 358 marquerait « il predominio délia classe patrizia in contrapposizione alla politica filoetrusca degli anni precedenti» (p. 28) se heurte au bon sens; c'est à la suite d'une victoire de la plèbe que la terre fut distribuée et la tribu créée (cf. Taylor, VD, p. 50 sq.). Convaincue, que la création d'une nouvelle tribu n'avait rien à voir avec l'installation de citoyens de Rome sur des terres confisquées, mais traduisait seulement l'extension généreuse des droits politiques à des novi cives, I. Bitto, ibid., explique la Publilia, en 358, par l'extension de l'optimum ius à l'ensemble des Herniques; les événements postérieurs (ceux de 306, infra, p. 212 sq.) reçoivent (ibid, p. 30-3) une explication purement fantastique : à la suite d'une. « guerre civile» (inexpliquée), Rome aurait dégradé les Herniques rebelles de cives o.L en cives s.s. et récompensé ceux qui lui étaient restés fidèles en leur permettant de troquer leur civitas o.L contre la condition de fédérés . . . Voir encore infra, p. 172, n. 61; p. 178, n. 82; p. 202, n. 174; p. 218, n. 38, sur cette thèse insoutenable. 37 Cf. Liv. 7, 12, 9 à 7, 15, 8. Si elle est historique, la dernière invasion gauloise, en 350-349 (Liv. 7, 23, 2; 7, 25-26) ne semble pas avoir obtenu l'aide des Latins contre Rome. 38 Liv. 7, 15, 11 et 7, 16,6. 39 En 356, soulèvement du nomen estruscum (Liv. 7, 17, 6). Conflit avec Tarquinia (7, 19, 3 en 355), puis avec Caere (7, 19, 6 en 354-353) et les Falisques. La paix fut signée en 353 pour Caere (Liv. 7, 20) et en 350 avec Tarquinia et les Falisques (7, 22, 5). 40 Ont-ils choisi l'occasion d'une dernière invasion gauloise pour que leurs menaces portent plus? Cf. Liv. 7, 23, 2; 7, 25; 7, 26.
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duire entre 353 et 349. Cette conquête confisqua au profit de Rome la puissance économique, commerciale et artistique d'un centre étrusque éclatant, et, p a r l'apport à Rome de sa flotte et de ses ports, modifia l'équilibre italopunique d'une façon si sensible que Carthage tint dès 348 à se rassurer sur les intentions futures des Romains 4 1 . Ces inquiétudes chez les Puniques, on les retrouve, et pour des raisons encore plus évidentes, chez les Latins. Mais ne pouvant obtenir de Rome un traité qui les protège, ils dénoncent celui qu'ils viennent de signer et cherchent de nouveau en une unanimité cette fois remarquable à établir un gouvernement fédéral ou à retrouver leur indépendance. Il est certain que les guerres contre les Etrusques et les Falisques, gagnées sans doute à l'aide des armes latines, ont profité à Rome seule. Le principe du partage du butin, bafoué à Veii, l'est de nouveau à Caere. Cette désinvolture de Rome suffirait à expliquer la révolte du Latium : l'empire doit être partagé s'il est conquis en commun. Mais à cette révolte devant l'injustice s'ajoute l'inquiétude. En 354 les premiers contacts sont établis entre Rome et les Samnites et, dès cette année, un traité 4 2 , avec un cynisme habituel chez les Grands, fixe leurs domaines d'influence, leurs zones de conquêtes. Comme E. T. Salmon l'a très bien montré, la frontière qui les sépare passe par la Liris 43 : Rome s'entend avec les Samnites pour ne pas dépasser Minturne. Dès lors, les intentions romaines sont claires. Dominer tout le pays volsque et, en échange de cette carte blanche, elle renonce, pour le moment, à disputer aux Samnites le contrôle ou la pénétration en Campanie. Mais il n'a pas échappé aux Latins que si Rome s'engageait dans une politique qui l'emmenait si loin vers le Sud, c'était, une fois que le Latium et le pays volsque seraient maîtrisés, pour s'approcher des richesses de la Campanie. De fait, sitôt le péril étrusque conjuré et m ê m e sitôt les forces de Caere acquises à
41 On se permettra de renvoyer à notre art. déjà cité, L'incorporation de Caere, p. 231 sq. pour les formes de l'incorporation de Caere, premier exemple de municipes sine suffragio, et ses conséquences historiques immédiates. V. encore infra, p. 403 sq. 42 Liv. 7, 19, 4 : res hello bene gestae ut Samnites quoque amicitiam peterent effecerunt. Legatis eorum comiter a senatu responsum, foedere in societatem accepti (354); Diod. 16, 45, 8 : «les Romains firent la paix avec les Prénestins (avec les Tiburtes, selon T. Live, en 355), conclurent un traité avec les Samnites et mirent à mort 260 habitants de Tarquinia (358 exécutions cette même année selon Tite-Live 7, 19, 2-3). 43 Sur ce traité (qui n'est pas retenu dans le recueil de H. Bengtson, Staatsverträge, op. cit.), son authenticité et sa signification, v. les recherches de E.T. Salmon, Samnium and the Samnites, Cambridge, 1967, p. 187 sq., dont nous suivons les conclusions.
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Rome, la conquête du Sud reprendra. Onze ans après avoir signé le traité romano-samnite, Rome le violera et franchira la Liris44. On comprend alors l'ultime tentative des Latins pour s'associer à la conquête ou y échapper. Pour apprécier exactement ce que put signifier pour eux l'incorporation de la majorité des villes latines dans T'Etat romain en 338, il faut regarder de près leurs exigences à la veille des combats; en 349, comme de nouveau plus explicitement en 340, c'est le partage du pouvoir et l'association égale au gouvernement et à l'administration ou à la distribution des conquêtes: si nos in foedere ac societate esse velint, consulem alterum a nobis senatusque partem accipiant (Liv. 8, 4, 11). Pendant dix années, de 349 à 338, les Latins s'efforceront de soulever contre Rome tous ceux pour qui l'extension de Yimperium Romanum ne signifiait qu'une contribution militaire toujours plus lourde, des confiscations de territoire, des annexions - mais aucun partage des décisions. En 346, les Latins s'allient aux Volsques (Antium, Satricum - Liv. 7, 27, 5 sq.), puis aux Aurunques en 345 (Liv. 7, 28, 1 - 2) ; en 343, lors du conflit entre Rome et les Samnites, ils prennent, il semble45, le parti anti-romain
44 II n'est pas douteux que le traité romano-samnite de 354 impliquait l'engagement pour Rome de ne pas intervenir en Campanie, sous une forme hostile aussi bien qu'au titre d'une alliance avec les Campaniens. Rome abandonnait par-là au profit des Samnites toute prétention à contrôler politiquement ces régions situées au-delà de la Liris. Les événements de 343 le confirmeront : sans violer le traité, Rome ne peut apporter aux Campaniens et aux Sidicins l'appui de ses forces contre les Samnites, dont l'action, en revanche (annexion du pays des Sidicins, au nord de Vager Falernus, ce qui avait pour effet de couper la Via Latina : A. Piganiol, Conquête Romaine5, Paris, 1967, p. 182), restait conforme à l'esprit du foedus. Le traité de 354 (conclu sous le consulat de deux patriciens, dont un Fabius, favorable aux rapports étroits avec la Campanie : J. Heurgon, Capoue préromaine, Paris, 1942, p. 258) traduit deux préoccupations; par sa date, il intervient en plein conflit avec Etrusques et les ambitions de Rome marquent une pause; mais cristallisant de façon solennelle la politique d'intervention au sud même du pays volsque, il contient, en germe, l'expansion à venir. 45 Le point est discuté. Liv. 7, 38, 1 : et Latinos, iam exercitibus comparatis, a Romano in Paelignum vertit bellum. Si les historiens ont l'habitude de taire, dans les victoires, la participation des alliés, leur fierté les conduit rarement à inventer leurs révoltes contre Rome. Il est donc possible que des Tiburtes ou des Prénestins, que l'occupation samnite des Sidicini ne gênait guère, aient tenté une attaque sur Rome, repoussée ensuite (en 342) vers les Paeligni (région de Corfinio; v. E.T. Salmon, Samnium, p. 196, n. 4 et p. 207, n. 5). Il reste possible que les Latins du Sud et les Volsques, que l'expansion samnite vers la Campanie menaçait autant que les ambitions romaines, aient apporté, contre les Samnites, une contribution qui doit ne pas être exagérée : ainsi, en revanche, A. Piganiol, dans MEFR 38, 1920, p. 295 sq. et Conq. Rom.5, 1967, p. 182 sq.; Beloch, RG., p. 366 sq.; A. Bernardi, dans Ath., 21, 1943, p. 24 sq., pour des raisons parfois très contestables, comme l'idée que la sédition de 342 à Capoue serait le fait de Latins, infra, n. 51.
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(Liv. 7, 38, 1 et 7, 42, 8), au m o m e n t même où les Volsques (Privernum) attaquent ou, plus exactement, parviennent à rallier à leur cause les colonies latines de Norba et de Setia (Liv. 7, 42, 8). La même politique d'alliance explique en 341 le r a p p r o c h e m e n t des Latins et des Campaniens, unis jusqu'en 338 dans une même lutte contre Rome, - et unis par la suite dans la même défaite. La politique campanienne mérite sur ce point quelques éclaircissements.
3 - Regards vers la Campanie : la deditio de Capoue (343/342). Le traité romano-samnite avait fixé en 354, on l'a vu, à la Liris les limites de la zone d'intervention romaine. Aussi, lorsque les Samnites menacèrent en 343 la Campanie, le respect de leurs engagements interdisait-il aux Romains d'intervenir en faveur de Capoue, en dépit de l'appel pressant des Campaniens 4 6 . Mais si le respect du traité était conforme à la fides, il allait priver les Romains d'une proie dont ils désiraient à tout prix empêcher les Samnites de s'emparer : les riches terres de Vager Falemus, Vager Campanus et la puissance commerciale de Capoue. Alors, pour concilier les engagements internationaux et leurs ambitions de conquêtes, les Romains, trop fins juristes, admirent que l'on recourût à une fiction, la deditio de Capoue 4 7 . Son caractère artificiel n'échappa à personne dès l'Antiquité, au
46 Notamment de l'aristocratie campanienne (les fameux équités Campani) dont la communauté d'intérêts politiques avec le patriciat romain fut remarquablement mise en valeur par J. Heurgon, Capoue Préromaine, op. cit., p. 244 sq., 253 sq. : des troubles intérieurs menaçant leurs privilèges, les équités Campani ont réclamé l'intervention de Rome. 47 Liv. 7, 31; Florus 1, 11; l'existence de cette deditio, admise par A. Piganiol, Conq. Rom.5, p. 182, à sa date traditionnelle (343) et par W. Dahlheim, Struktur u. Entwicklung d. röm. Völkerrechts, Munich, 1968, p. 60 sq., notamm. n. 31, est, en revanche, rejetée comme un doublet de la deditio de 211 par la majorité des auteurs, notamm. par G. De Sanctis, Storia dei Rom. IF, p. 270; Beloch, RG., p. 369 sq.; E. Pais, Storia di Roma IV, Rome, 1928, p. 167 sq., p. 414 sq.; J. Heurgon, Capoue Préromaine, p. 172 sq.; A. Bernardi, dans Ath., 21, 1943, p. 22 sq.; A. J. Toynbee, HL, I, p. 399 sq. De façon plus nuancée, M. Gelzer remplace cette deditio par le joedus aequum (Liv. 23, 5, 9 et 31, 31, 10; Diod. 19, 76, 5) que Rome conclut à un certain moment avec les Campaniens. Mais nous pensons que ce joedus établit les rapports romano-campaniens après la guerre de 343 et non avant; car il est bien certain qu'après sa victoire, Rome voulut faire reconnaître par Capoue son autorité : de fait, l'alliance de Capoue avec les Latins et leur soulèvement commun contre Rome dès 341 sont la preuve 1) que le règlement (joedus) romano-campanien de 342 n'était pas favorable à Capoue; 2) qu'il ne fut établi qu'après la victoire romaine sur les Samnites, donc après la deditio de Capoue, qui donna à Rome l'occasion d'entrer en conflit avec les Samnites.
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point qu'elle est encore aujourd'hui le plus souvent rejetée parmi les falsifications pseudo-historiques que Valerius Antias fourra dans les années consulaires de son ancêtre M. Valerius Corvus (348, 346, 343;... ). Mais ce simulacre de deditio, ce prétexte qui devait rendre juridiquement romain, donc inviolable selon les termes du traité, le territoire Campanien, est trop peu honorable pour avoir été inventé. La conscience de l'artifice apparaît chez Tite-Live (7, 30-31)48; il s'agissait de tromper les Samnites et, pour les Romains, de satisfaire leurs scrupules religieux en déclarant une guerre juste49, pour le cas, prévisible, où les Samnites découvriraient la fraude50. L'historicité de cette deditio nous semble en outre confirmée par l'abus que les Romains s'efforcèrent d'en faire. Une fois la menace des Samnites écartée du fait de leurs revers militaires, Capoue aurait dû être rendue par les Romains; nous ne voulons pas dire qu'elle ne le fut pas, mais ils hésitèrent. L'occasion était trop bonne pour que, chez les Romains, elle n'en ten-
48 Le sentiment que cette deditio n'est qu'une astuce transparaît dans le récit de TiteLive, notamment 7, 31, 3-4. La connivence des Romains et des Campaniens pour tenter artificiellement de faire correspondre la fides et leurs intérêts n'a pas échappé aux historiens, là pas plus qu'en 321 lorsqu'il s'est agi, ici encore conformément à la fides, de ne pas respecter la pax Caudina (v. notam. Liv. 9, 11, 13 et M. Merten, Fides Romana bei Livius, Francfort, 1965, qui montra que Tite-Live sut garder son sens critique devant les interprétations romaines du respect de la fides). 49 La guerre fut, de fait, déclarée solennellement aux Samnites : fetialibus ad res repetendas missis, belloque, quia non redderentur, sollemni more indicto. Or, pour qu'une guerre fût juste, il fallait une offense préalable, car, selon le ius fetiale, il n'y a de guerre juste que défensive. Juridiquement la deditio de Capoue était nécessaire pour que l'attaque samnite (en réalité la réponse samnite à l'alliance campano-sidicine) contre les Campaniens permît à Rome d'intervenir contre les Samnites. 50 II y a deux excès à éviter : le premier qui consisterait à croire à la réalité de cette deditio et penser qu'elle permit à Rome de s'emparer de tous les biens (terres et hommes) de la Campanie. Les Romains ne pouvaient, de bonne foi, y croire : Yager Falernus ne fut confisqué qu'après une défaite (en 340) des Campaniens et on sait expressément qu'après la deditio, qui fut toute formelle, Rome rendit aux Campaniens leur autonomie (leges vestras) en vertu d'un foedus «aequum» (Liv. 23, 5, 9 : foedus aequum dediticiis, leges vestras . .. dedimus). Mais l'autre excès est représenté par les auteurs qui nient son existence : l'aide apportée par Rome à la Campanie contre les Samnites est nécessairement fondée sur un acte juridique, qui, violant le traité romano-samnite, constituait un casus belli Pourquoi ne pas admettre, avec les Romains, qu'ils essayèrent au moins de rendre cette guerre qu'ils voulaient (l'accord de 354 était appelé à être violé par Rome) un iustum bellum? L'idée qu'un foedus «aequum» ne pourrait suivre une deditio est fondée sur une conception trop systématique et trop récente de cet acte; les événements de 341 permettent de douter, en outre, que le foedus de 342 eût été aequum (infra, p. 170 sq.).
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tât pas quelques uns : ainsi cette étrange sédition romaine qui, en 342 51 , profitant de la présence d'une garnison stationnée à Capoue, voulut, après la victoire sur les Samnites, se partager le territoire et la ville, adimenda Campanis Capua, comme si la deditio avait été autre chose qu'une manœuvre diplomatique inventée p o u r donner à la violation flagrante d'un acte international les apparences du b o n droit. Les Campaniens, premiers trompeurs, étaient les premiers trompés. On peut pressentir que, vainqueurs des Samnites et libérateurs des Campaniens reçus en leur pouvoir en 343, les Romains, au terme d'une expédition qui n'avait rien d'une croisade désintéressée, s'efforcèrent de tirer profit de leur victoire. Avec les Samnites, on renouvela l'ancien traité (Liv. 8, 2, 1-4, en 341), mais, naturellement, sur la base de la nouvelle carte politique de la Campanie. La Liris n'est plus une frontière; le nouveau traité de non-agression confie à la direction politique de Rome la Campanie et le pays des Aurunques. Seul, parmi les territoires auparavant contestés, celui des Sidicins est rattaché à la sphère samnite 5 2 . C'est, pour Rome, un beau succès, puisque, à moins de craindre que le nouveau traité fût à son tour violé, elle pouvait régler à sa guise le sort de la Campanie. Il n'est pas douteux - la répression de la sédition romaine à Capoue par les Romains eux-mêmes l'indique - que la ville et son ager furent ren-
51 L'historicité de cette sédition, admise pour 342 par J. Heurgon, op. cit., p. 246, est un argument très fort, il nous semble, en faveur de l'historicité du conflit romano-samnite de 343, de la défaite des Samnites à cette date, et d'un accord {deditio fictive) avant ces combats, renouvelé après la victoire de 343 sur les Samnites par un traité nouveau Rome-Capoue. La présence de soldats romains (Liv. 7, 38-42; DH. 15, 3; App., Samn. 1-2) et le fait qu'il s'est agi d'une mutinerie romaine (avec des aspects de lutte sociale qui se retrouvent à Rome et à Capoue : J. Heurgon, op. cit., p. 246) impliquent que la guerre romano-samnite a déjà eu lieu (différem. J. Heurgon, op. cit., p. 167 sq.). Certains ont voulu y voir une sédition latine (A. Piganiol et A. Bernardi, cités supra, n. 45); cette thèse n'a pour elle ni les preuves (on ignore tout du soi-disant «Tusculan» - c'est en fait un ancien magistrat romain, un Quinctius (Münzer, Rom. Adelsparteien, p. 115) -, qui prit la tête de la marche sur Rome (Liv. 7, 39, 11 sq.), ni la vraisemblance. 52 Liv. 8, 2, 3 pour les Sidicins et 8, 2, 13 pour le rattachement de la Campanie à Rome. Les Sidicins étaient placés entre la Liris et le Volturnus, au nord des Aurunques (Suessa, Calés). Que les clauses du traité de 341 n'aient pas satisfait ceux qui en étaient les victimes, on le comprend. Sitôt les lignes de partage connues, les Campaniens aidés des Latins tentent de reprendre les Sidicins aux Samnites (Liv. 8, 2, 7 sq.) : les Romains qui, naturellement, ne pouvaient qu'être satisfaits d'un recul samnite répondent de façon ambiguë aux Samnites, leur faisant croire (Liv. 8, 2, 12) que les Latins peuvent combattre contre qui ils veulent. Dans un second temps, les Campaniens, toujours aidés des Latins, prennent les armes contre Rome (v. infra, p. 170 sq.).
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LA CrvTTAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
dus aux Campaniens en 342 53 . Un foedus, que l'on peut dater de cette même année, sitôt les combats terminés, vint, c o m m e il est ordinaire 5 4 , fixer juridiquement les devoirs réciproques des deux partenaires et effacer la situation en général toute provisoire, et ici toute artificielle, de la deditio. Mais sur la nature de ce traité romano-campanien, on ne dispose que d'informations indirectes. Tite-Live, il est vrai, invoque u n foedus aequum accordé aux Campaniens après leur deditio55', mais l'expression éveille tous les soupçons - il s'agit dans ce discours politique et tardif de réchauffer le loyalisme des Campaniens, le lendemain de Cannes, au souvenir de la générosité que les Romains ont toujours eue p o u r eux. Force est donc, pour apprécier la condition nouvelle des Campaniens après 342, de recourir aux témoignages indirects. L'alliance immédiate, dès 341, des Campaniens, du moins de la faction politique dominante 5 6 , et des Latins contre Rome prouve que les premiers avaient compris que les ambitions romaines les menaçaient d'un sort qui guettait depuis longtemps déjà les seconds. 4 - L'alliance latino-campanienne
(341).
Oublieux du beneficium Romanorum (Liv. 8, 2, 7), les Campaniens, dès 341, s'allient aux Latins (duce Latino) dans une guerre dirigée d'abord contre les Samnites, redevenus les alliés de Rome, pour leur r e p r e n d r e les territoires que le nouveau traité romano-samnite de 341 venait de leur soumettre 5 7 . A cette première violation du traité qui les liait à Rome - en atta-
53
Cf. supra, n. 50. A titre d'exemple Liv. 8, 25, 3; 8, 25, 8; 10, 11, 13; 10, 12, 2. Voir ici G. Beseler, dans ZSS, 49, 1929, p. 415 sq. et surtout W. Dahlheim, Struktur, op. cit., p. 60, p. 62. 55 Liv. 23, 5, 9; Flor. 1, 11 ne précise pas la nature du foedus, et le suppose contemporain de la deditio : cela est possible, mais il est certain qu'un nouveau traité fut conclu avec Capoue après la victoire sur les Samnites; il en fut de même avec ces derniers. 56 C'est-à-dire celle qui avait évincé la noblesse campanienne de la direction des affaires. En effet, en 341, le contrôle politique échappa complètement aux équités campani, à l'aristocratie campanienne, qui ne put empêcher la défection de sa cité et assista, impuissante (c'està-dire neutre), aux combats campano-romains, permettant cependant, par une véritable trahison à l'égard des siens, la victoire de Rome. Comment expliquer cette trahison? On a le plus souvent invoqué les sentiments pro-romains des équités Campani: il est visible que ceux-ci virent dans le succès de Rome et la défaite de leur cité le moyen de retrouver, dans une cité certes vaincue, une partie de leurs privilèges et de leur pouvoir. C'est en échange de la livraison de leur cité que Rome les restaura dans leur ancienne condition privilégiée. 57 II s'agit du pays des Sidicini : Liv. 8, 2, 5. Les Sidicins essayent de répéter la même manœuvre que les Campaniens deux ans plus tôt : la deditio aux Romains pour échapper aux Samnites. L'enjeu ne parut pas, à Rome, valoir une seconde guerre avec les Samnites : les Sidicins 54
L'ANNEXION DU LATIUM
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quant ses alliés -, les Campaniens en ajoutent une seconde bien plus grave en organisant avec la collaboration des Latins une guerre de libération contre Rome. On retrouve au c œ u r de cette ultime alliance des Campaniens et des Latins le même sursaut de résistance qui, au début du IV e siècle, avait uni les Volsques et les Latins; son expression et ses causes sont restées les mêmes, répondre par la défection et un soulèvement concertés à chaque nouvelle manifestation de la volonté d'étendre la cité romaine. Ainsi à la révolte des Volsques et à leur châtiment, en 341, (Privernum leur est rendue, mais amputée des deux tiers de son territoire - Liv. 8, 1, 3), fait écho la mobilisation des cités latines du Sud (Setia, Circei, Signia, Velitrae - Liv. 8, 3, 9) auxquelles l'ensemble des peuples latins dut se joindre, puisque l'on trouve, combattant parmi les colons du Sud et à leur tête, les Tusculans, qui viennent de répudier leur civitas Romana (Liv. 8, 7, 2). Mais surtout les Campaniens s'associent à la coalition latine et font cause commune contre Rome et les Samnites 5 8 . Des Samnites, les Campaniens pouvaient espérer qu'ils renoncent, s'ils étaient défaits, au pays des Sidicins. Mais aux Romains, ce qu'ils reprochent, c'est l'alliance inégale et le traité qu'ils furent obligés d'accepter : d'où leur révolte contre Rome deux ans seulement après que celle-ci les eut libérés des Samnites. «Qu'ils le veuillent ou non, les Campaniens se tiendront tranquilles» (Liv. 8, 2, 13); la déclaration n'est sans doute pas historique, mais la peur que provoqua cette interprétation menaçante des obligations nouvelles des Campaniens fut trop réelle, puisqu'elle les entraîna à quitter le parti romain, à «prendre les armes contre leurs sauveurs» dans la volonté d'échapper aux contraintes de la condition de fédérés et de se soustraire à une annexion dont les frontières pouvaient être déjà fixées sur la carte de l'Italie centrale. Près de Capoue, la coalition latino-volsco-campanienne fut défaite par les forces romano-samnites en 340 59 . La contribution samnite 6 0 fut sans doute peu importante, car la conquête ne profita qu'à Rome, et il convient
font alors deditio aux Latins, afin d'obtenir leur appui - qui ne manqua pas (Liv. 8, 2, 6). Comme celle de Capoue à Rome, ces déditions des Sidicins sont historiques; elles ne sont qu'un procédé de soumission, de vassalité, pour obtenir une alliance. 58 Sur cette alliance romano-samnite, indiscutable, Diod., 16, 90 et E.T. Salmon, Samniwn, p. 207 sq. 59 Les Fasti Triumphales mentionnent, pour cette année, un triomphe de Latineis, Campaneis, Sidicineis, Aurunceis. 60 Cf. Liv. 8, 11,2.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
de remarquer que c'est à cette dernière seule qu'il appartint de la parfaire en poursuivant, ville p a r ville, la pacification du Latium soumis complètement en 338 seulement. On voit par la lutte désespérée des Latins et des Volsques, et par la révolte plus récente mais non moins nette des Campaniens, que ce qu'ils voulaient de Rome c'était l'indépendance ou l'association dans un gouvernement fédéral. Peut-on, dans ces conditions, i n t e r p r é t e r la citoyenneté romaine étendue à la p l u p a r t d'entre eux, lorsque R o m e décida du sort des vaincus, comme un h o n n e u r ou un privilège?
5 - Le règlement provisoire des équités Campant
de 340 : confiscations
et la civitas
honoraria
L'annexion de 340 à 332 se fera prudemment, p a r étapes. En 340 les Campaniens et le Latium perdent une partie de l e u r territoire (Latium Capuaque agro multati - Liv. 8, 11, 13) : sont alors converties en ager Romanus, afin d'être distribuées en partie à des colons r o m a i n s (auxquels certainement fut associée la population locale, car il n'est fait mention d'aucun déplacement de populations), une fraction du territoire volsque prise sur Privernum (la future tribu Oufentina), une partie du territoire de Lanuvium et de Velitrae (les futures tribus Maecia et Scaptia) et, prises aux Campaniens, les riches terres de Vager Falernus (future t r i b u Falerna) 61 . L'ager Romanus (publicus o u distribué à la plèbe) forme désormais deux blocs homogènes : le premier, de Lanuvium à Tarracina; le second, séparé du premier par les Volsques du Sud (Fundi, Formiae) et, peut-être, par les Aurunques (la région de Minturnae, de Sinuessa et celle où, en 334, sera installée la colonie de Calés ont peut-être été partiellement confisquées par Rome dès 340), forme, par Vager Falernus, une excroissance qui ne pouvait rester isolée. La satisfaction immédiate donnée à la plèbe romaine précédait de très peu celle qui allait servir, par l'extension d e la civitas Romana à toutes les cités campaniennes (en 334), les intérêts économiques et financiers de la nobilitas patricio-plébéienne de Rome.
61
Liv. 8, 11, 13 : Latinus ager, Privernati addito agro, et Falernus, qui populi Campani fuerat, usque ad Vulturnum flumen plebi Romanae dividitur. (en 340). Ces témoignages sont clairs; néanmoins, I. Bitto, Tribus e propagatio civitatis, op. cit., p. 35 sq. (supra, p. 164), ne voit dans la création de la tribu Falerna (en 318) que l'extension de Yo.i à une partie des Campaniens et néglige la réalité des confiscations.
L'ANNEXION DU LATIUM
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A l'égard des Campaniens, en 340, la confiscation de Yager Falernus parut une sanction suffisante et le territoire romain ne s'accrut pas davantage, p o u r le moment. C'est selon la tradition la plus sûre en 334 (d'après Tite-Live en 338) 62 que l'ensemble du populus Campanus devint Romanus en recevant la civitas sine suffragio. Pour en rester à 340, on peut penser que le foedus de 342 ne fut pas rétabli, une garnison romaine continua certainement, renforcée, à assurer l'ordre interne à Capoue et la noblesse qui avait trahi p o u r Rome fut doublement récompensée : un vectigal, qui lui assurait un cens au moins égal à celui des chevaliers romains, lui fut garanti par les Romains - c'était contraindre le peuple campanien à respecter désormais, sous le contrôle de Rome, les privilèges de la noblesse qu'il avait cherché à évincer - et la civitas Romana fut accordée aux 1600 chevaliers qui avaient pris le parti de Rome 6 3 . On a beaucoup discuté sur l'historicité de cette citoyenneté, sur son contenu et sur la signification juridique qu'elle pouvait avoir. Il n'y a pas de raison décisive p o u r en rejeter l'historicité. Tite-Live indique bien que les Romains, dans u n premier temps, isolèrent les équités Campani p o u r leur garantir u n e condition privilégiée, et distingue la civitas des équités de celle des Campani (donnée en 338 (= 334) 64 . On conviendra sans difficulté que la citoyenneté romaine de ces chevaliers était une
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Selon Velleius Paterculus (1, 14, 3) la concession de la civitas Romana se fit par étapes : aux Latins en 341 (Aricia), aux Campaniens en 334, à Formiae et Fundi en 333, à Acerrae en 332. Cette tradition est plus sûre que le témoignage de Tite-Live qui a regroupé sous la même année de 338 toutes ces concessions (sauf Acerrae, en 332 : 8, 17, 12), ne les classant pas chronologiquement mais selon le type de civitas concédée (optimo iure) pour les Latins; sine suffragio pour les autres. Il convient donc de préférer la chronologie de Vell. Pat. à celle de TiteLive. Sur cette chronologie, infra, p. 195, n. 146. 63 Liv. 8, 11, 15-16: extra poenam fuere... Campanorumque équités, quia non desciverant... Equitibus Campanis civitas Romana data, monumentoque ut esset, aeneam tabulam in aede Castoris Romae fixerunt Vectigal quoque eis Campanus populus iussus pendere in singulos quotannis - fuere autem mille et sexcenti - denarios nummos quadringenos quinquagenos. Sur le vectigal des chevaliers et sa signification politique, v. J. Heurgon, Capoue Préromaine, p. 255 sq. 64 Liv. 8, 11, 16 (pour 340), cité supra et Liv. 8, 14, 10 (pour 338) : Campanis, equitum honoris causa, quia cum Latinis rebellare noluissent, ... civitas sine suffragio data. J. Heurgon a néanmoins rejeté l'historicité de cette double concession (Capoue préromaine, p. 178 sq.), au profit d'un acte unique et global (équités et populus) entre 338 et 334. L'isolement des 1600 chevaliers par la concession honorifique d'une civitas qu'ils auraient reçue, eux seuls d'abord, serait une anticipation de la récompense, en 215, des 300 chevaliers campaniens fidèles à Rome. A. Bernardi, dans Ath. 21, 1943, p. 25, n. 4, a, en revanche, insisté sur le caractère authentique de cette concession en deux temps.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
citoyenneté r o m a i n e optimo iure, mais p u r e m e n t potentielle 6 5 : p o u r les remercier et les honorer, p o u r leur garantir aussi u n refuge au cas o ù leur rétablissement dans leur cité serait sans lendemain, les Romains offraient aux équités Campani la possibilité de s'installer à Rome, d'être intégrés dans le corps politique des cives Romani et m ê m e de c o n t i n u e r à percevoir le produit d'un vectigal équivalent, qui leur ouvrirait d'emblée les r a n g s de la cavalerie r o m a i n e 6 6 . On est exactement en p r é s e n c e ici d'un d é c r e t individuel d'isopoliieia67 : toute la citoyenneté est offerte, mais en o p t i o n ; pour corriger l'absence de contenu de la citoyenneté offerte, la concession i m m é d i a t e d u conubium et du commercium fut en outre, Tite-Live l'atteste 68 , a c c o r d é e aux équités Campani - d a n s l'idée, naturelle, q u e la plupart se c o n t e n t e r a i t du privilège offert et ne le réaliserait pas.
65 Mommsen, Rom. Staatsr. III, p. 574, n. 3 = Dr. Publ. VI, 2, p. 187, n. 1, avait bien vu qu'il ne pouvait y avoir d'honneur que dans la concession d'une civitas optimo iure, mais comprit à tort qu'elle était immédiate (mais sans rattachement à une tribu romaine et sans éligibilité de ces cives o.L - ibid., et sans que le principe du non cumul - Cic, Pro Balbo, 11, 28, fût respecté); v. égalem. F. Münzer, Rom. Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart, 1920, p. 59, et, reprenant Mommsen, M. Polignano, dans Rendic. Accad. Lincei, Ser. VIII, 1946, 1, p. 332 sq. Aussi beaucoup ont-ils limité à une civitas sine suffragio individuelle celle des équités Campani: Beloch, RG., p. 386; moins net, G. De Sanctis, Storia dei Rom., II, p. 287, n. 4, et surtout A. Bernardi, dans Ath., 16, 1938, p. 245, n. 1 et 21, 1943, p. 27 sq. Mais que signifie la concession honorifique d'une citoyenneté diminuée? La civitas s.s. n'est, en outre, jamais attestée sous la forme d'une concession individuelle. Quel en serait son contenu, sinon des charges envers l'Etat romain? Il y aurait certes les privilèges de droit privé contenus dans la qualité de civis Romanus, mais celle-ci est incompatible, car elle n'a rien de potentiel, avec l'appartenance, comme ce fut le cas pour les équités Campani en 340, à une cité autonome et non romaine. Il s'agit, à notre sens, d'une civitas complète mais seulement proposée, c'est-à-dire potentielle. La thèse extrême proposée par W. Schur, Fremder Adel im röm. Staat, dans Hermes, 59, 1924, p. 457, selon laquelle les 1600 équités auraient reçu la civitas o.L et obtenu ainsi, dès cette année-là, l'élection d'un des leurs, le consul, d'origine campanienne, P. Decius Mus, n'est pas vraisemblable. 66
II dut y avoir des passages immédiats (cf. Münzer, op. cit., p. 59) mais qui supposent un changement de domicile et l'inscription dans une tribu romaine (infra, p. 175, n. 71). Les équités qui auront accepté de passer dans la cité romaine auront perçu, versés par l'Etat romain cette fois, Yaes équestre et la rente annuelle (aes hordiarium), équivalents au vectigal qui était garanti par l'Etat romain aux équités restés Campant 67 Supra, p. 134 sq. 68 Liv. 31, 31, 11 : ipsos foedere primum, deinde conubio atque cognationibus, postremo civitate nobis coniunxissemus : rappel des trois phases : le foedus de 342, la civitas o.L à titre honorifique pourvue des droits de conubium et sans doute de commercium pour les équités en 340, et finalement en 334 la civitas s. s. à l'ensemble des Campaniens. On complétera ce raccourci historique par Liv. 23, 5, 9 : foedus aequum et restitution des lois de Capoue (342), puis conces-
L'ANNEXION DU LATIUM
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Ce n'était pas la première fois que les Romains récompensaient le courage, l'héroïsme ou l'attachement à la cause romaine en offrant à un individu, ou à plusieurs, une citoyenneté romaine qu'il appartiendrait, à chacun, d'accepter ou de refuser. Un Tusculan, Mamilius, en 458, l'avait reçue pour prix de son héroïsme 69 ; en 216, plus de 200 Prénestins la reçurent de même ob virtutem70. Dans tous ces cas, la citoyenneté offerte ne devait être que très rarement acceptée (les Prénestins la refusèrent, de même que très probablement les équités Campani) ; car l'accepter impliquait, pour le privilégié, qu'il rompît ses liens familiaux, politiques, sociaux avec sa cité d'origine et qu'il s'installât à Rome 71 . Mieux valait, par conséquent, laisser à la civitas honorifique son caractère de certificat de bonne conduite sans réalité concrète, et conserver, au lieu de la citoyenneté romaine, la citoyenneté
sion de la civitas à une partie des Campaniens (340) (civitaîem nostram magna parti vestrum dedimus) et enfin, si nous comprenons bien ce texte difficile, extension à tous (334) (communicavimusque vobiscum) de la civitas Rom. On rapprochera donc la civitas des équités (concession partielle) et le conubium qui fut pour la plupart d'entre eux, non pas l'effet de cette civitas honorifique ni surtout son contenu, mais un droit extérieur concédé en annexe pour le cas où ils ne relèveraient pas l'offre (sur le schéma des conventions d'isopolitie). 69 Liv. 3, 29, 6 : L. Mamïlio Tusculano, adprobantibus cunctis, civitas data est; sur l'historicité de la récompense F. Münzer, Rom. Adelsparteien, p. 65 sq. (contre Mommsen, Rom. Staatsr. III, p. 134 = Dr. Publ. VI, I, p. 150) et RE 14, 1928, c. 954 sq.; il est très vraisemblable que la civitas fut, à titre de récompense et d'honneur, offerte à plusieurs Tusculans (cf. en 460, Liv. 3, 18, 10 : Tusculanis gratiae actae) et que seul L. Mamilius l'a acceptée, accueilli par là avec honneur dans la civitas Romana (qu'il aurait pu obtenir de façon moins glorieuse par le ius migrandi); en ce sens, Caton, Orig., fragm. 25 : nam de omni Tusculana civitate soli Lucii Mamilii beneficium gratum fuit, ce qui implique qu'il fut le seul (à ce moment-là? ou avant la concession globale de la civitas Romana en 381?) à se réjouir du privilège qui lui était donné (i.e. à accepter). Cf. W.A. Schröder, M. Porcius Cato, das erste Buch der Origines, Meisenheim, 1971, p. 44 et 194 sq. 70 Liv. 23, 20, 2 : civitate cum donarentur ob virtutem, non mutaverunt : ce qui signifie que la civitas qui leur fut offerte resta seulement honorifique. 71 Rupture des liens familiaux : v. encore au premier siècle ap. J.-C. les lois municipales espagnoles qui, par exception, disposent que le magistrat latin devenu romain conserve les liens de potestas, manus, mancipium, et les jura libertorum, comme s'il n'avait pas changé de citoyenneté (Lex Salpensana 22-23). Le rattachement, à l'origine indispensable, à une tribu, suppose une installation sur le sol romain, donc une immigration du gratifié (le caractère territorial de la tribu finira par disparaître, lorsqu'elle deviendra une preuve de citoyenneté et pourra appartenir, par exemple, à un municeps latinus devenu romain per magistratum - sans avoir quitté son municipium). Le principe du non cumul (Cic, Pro Balbo, 11, 28) qui remonte au moins au milieu du IVe siècle, puisqu'il s'applique aux colonies latines fondées par Rome depuis cette date, s'opposait à ce que le gratifié de la civitas Romana continuât à appartenir juridiquement à sa cité d'origine. Il y eut des atténuations dès le IIe siècle av. J.-C. : supra, p. 117.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
d'origine agrémentée d'exemptions ou de privilèges fiscaux72 qui compensaient généralement le refus de céder à l'attrait un peu factice de la civitas Romana. Le règlement romano-campanien de 340 ne fut qu'une mesure provisoire, dominée par la prudence. Pour satisfaire la plèbe, les consuls de 34073 confisquent, pour les lui distribuer, les riches terres de Yager Falernus, et, avant qu'elle procédât à la solution définitive de la question campanienne, Rome rétablit dans leurs pouvoirs et leurs privilèges les équités Campani : leur politique (sous contrôle romain) ne pouvait évidemment que tranquilliser les Romains qui entreprenaient aussitôt la pacification du Latium, des Volsques, des Aurunques. Elle fut très rapide.
III - L'ANNEXION DU LATIUM ET DES VOLSQUES DU NORD (338)
Entre 339 et 338, le Latium qui, mises à part quelques colonies latines qu'un péril extérieur menaçait davantage que la prévisible incorporation dans l'Etat romain 74 , s'était tout entier soulevé contre Rome, fut réduit par les armes : nec quievere antequam, expugnando aut in deditionem accipiendo singulas urbes, Latium omne subegere (Liv. 8, 13, 8). Une fois des garnisons
72 Pour les Prénestins récompensés de la citoyenneté honorifique, double solde et cinq ans d'exemption de service. Dans le même sens, voir les exemptions ou privilèges qui sont assurés, dans les lois de la fin de la République, aux alliés qui accusent avec succès un magistrat concussionnaire : s'ils n'acceptent pas la civitas qui leur est offerte, la vacatio immunitasque militiae munerisque publici dans leur propre cité leur est garantie (Lex Acilia rep., 1.78-79, FIRA Leges, n° 7, p. 102); et, de même, le S.C. qui, en 78, accorde aux trois navarques, non pas la civitas Romana (peut-être allait-il de soi qu'ils ne l'accepteraient pas), mais Yimmunitas complète de toute charge dans leur propre cité (FIRA I, n° 35, p. 258, 1. 12 du texte grec). 73 T. Manlius Torquatus et P. Decius Mus. Sur leur tendance politique, cf. J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 250 (T. Manlius appartient au parti conservateur apparenté aux Fabii); F. Münzer, op. cit, p. 38 sq. (cette année-là, deux censeurs Cornelii, pour satisfaire les intérêts patriciens); F. Cassola, / gruppi politici romani nel III sec. a.C, Trieste (Istituto di Storia Antica, 2), 1962, p. 127 (ces consuls représenteraient le parti dur, hostile aux Campaniens, par opposition au parti démocratique de Publilius, qui serait l'auteur d'une politique d'entente avec l'aristocratie campanienne). On remarquera simplement que ces conservateurs sont les auteurs de confiscations (de même dans le Latium, Liv. 8, 1; Diod., 16, 90, 2) qui profitèrent à la plèbe et que ces partisans d'une politique d'énergie à l'égard des Campaniens attribuèrent à leur noblesse les privilèges que l'on vient de voir. Cf. encore I. Jahn, Interregnum und Wahldiktatur, Frankf. Althist. Stud. 3, 1970, p. 74 sq. 74 Ainsi Sutrium ou Nepet, à la frontière du pays étrusque.
L'ANNEXION DU LATIUM
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installées dans c h a q u e ville conquise 7 5 , le Sénat en 338 se prononça s u r le sort de chacune d'elle (Liv. 8, 14). A la suite des considérants du sénatusconsulte, on peut distinguer dans ce règlement définitif du Latium 7 6 plusieurs catégories de statuts. Pour chacune d'elle, l'ampleur des innovations va apparaître. 1) Les cités latines introduites Nomentum et Pedum11
dans la civitas Romana : Lanuvium,
Aricia,
Bien que Tite-Live ne le précise pas, il faut c o m p r e n d r e dans la civitas optimo iure™, exactement comme il en fut de Tusculum qui resta, a p r è s ses tentatives avortées de révolte en 340-338, incorporée dans l'Etat r o m a i n sous la forme d'un municipe jouissant de l'optimum ius79. L'octroi d e s droits politiques impliqua l'inscription de cette masse de novi cives d a n s les tribus romaines. Les censeurs de 332, chargés de l'opération 8 0 , y p r o c é d è r e n t de la façon la plus simple, en étirant vers la campagne latine le territoire de plusieurs t r i b u s rustiques anciennes 8 1 . De m ê m e que Tusculum et
75 Liv. 8, 13, 9 : praesidiis inde dispositis per recepta oppida. Les Fasti Triumphales mentionnent, pour 339, la victoire de Latineis et, pour 338, de Pedaneis et Tiburtibus pour l'un des consuls, de Antiatibus, Lavinieis, Veliterneis pour l'autre. 76 Sur le résultat des annexions, en terres et en hommes, voir les tableaux chiffrés de A. Afzelius, Rom. Eroberung, p. 147, p. 153. 77 On ne dispose d'aucune information sur le cas de Fidène. Il est possible que la cité (pour laquelle des dictateurs sont attestés à époque tardive : Dessau, dans CIL XIV, p. 453) soit entrée en 338 dans la civitas Romana : en ce sens Münzer, RE 13 (1926) v° Livius, c. 815. 78 Beloch, RG., p. 377 sq.; E. Kornemann, RE, 16, 1933, v° Municipium, c. 570 sq.; de même, exactement, A. N. Sherwin-White, RO, p. 56 = RG, p. 59, sur la soigneuse composition, par Tite-Live, catégorie par catégorie, de 8, 14 : la civitas des cités latines incorporées ne peut être qu1optimo iure, étant distincte de celle des Campani et des autres cives sine suffragio. De même, A. Bernardi, dans Ath., 16, 1938, p. 243, n. 1; A. J. Toynbee, HL, I, p. 197. L'ancienne conception, différente, de Mommsen, Staatsr. III, p. 235, n. 1 = Dr. Publ. VI, 1, p. 265, n. 1, a été reprise, sans nouveaux arguments, par E. Manni, Per la Storia, p. 52 sq. Dans le même sens, récemment, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, 1969, p. 323. Le témoignage de Tite-Live est très précieusement complété par celui de Dion Cass. 7, 35, 10: «les Romains accordèrent aux Latins la izdknda, de sorte qu'ils jouirent de droits identiques aux leurs» oxTTE xod TÔiv ÔJIOIWV oxpioi \xe-va\a\x6avEi\f : c'est donc bien la civitas o.L qui leur fut concédée. 79 Liv. 8, 14, 2 sq. : le Sénat se prononce sur chaque cas. Relatum igitur de singulis decretumque. Lanuvinis civitas data sacraque sua reddita cum eo, ut aedes lucusque Sospitae Junonis communis Lanuvinis municipibus cum populo Romano esset. Aricini Nomentanique et Pedani eodem iure, quo Lanuvini, in civitatem accepti, Tusculanis servata civitas, quam habebant.. . 80 Liv. 8, 17, 11 : eodem anno census actus novique cives censi. .. 81 Taylor, VD, p. 79 sq.
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son territoire ont provoqué l'extension de la Papiria après leur incorporation en 381, Aricia, de même, en 338, prolongea vers le Sud l'ancienne tribu Horatia. L'identification exacte des tribus limitrophes qui accueillirent N o m e n t u m (Cornelia?) ou Pedum (Menenia?) n'est pas certaine, mais le schéma resta le m ê m e ; pas de tribu nouvelle créée p o u r ces novi cives, qui furent rattachés directement à un cadre antérieur 8 2 . Le cas de Lanuvium, pourtant, fait exception. La cité et son territoire furent rattachés à la Maecia 83 , l'une des deux tribus créées en 332 84 . Mais le p r o c é d é peut s'expliquer; il est vraisemblable que la position géographique d'Aricia et de l'Horatia faisait obstacle au rattachement, sans rupture, de Lanuvium à une tribu ancienne : il fallut donc en créer u n e nouvelle plus excentrique. A cela, il s'ajouta un autre motif qui pesa sans doute davantage dans la décision. Si les tribus nouvelles sont réservées aux citoyens originaires de Rome bénéficiant de terres confisquées, ce dut être le cas pour la Maecia. De fait, c o m m e L. Ross Taylor l'a mis en évidence 8 5 , la preuve de ces confiscations est apportée : elles ont touché, en p r e m i e r lieu, un territoire passé sous la domination volsque, dont un lieu-dit d o n n a son nom à la Maecia; mais il est en outre très vraisemblable que le territoire m ê m e du municipe de Lanuvium fut également amputé 8 6 , et qu'une fraction fut distribuée à des citoyens de Rome. La tribu Maecia regroupa ainsi en une tribu unique, p o u r partie les novi cives de Lanuvium et pour partie des vieux citoyens installés sur des terres confisquées. On peut dès maintenant préciser certains aspects originaux de cette organisation de la victoire. Chacune des cités conquises est isolée dans une
82 Cf. Beloch, It. Bund, p. 28 sq.; De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 446; Taylor, VD, p. 66 fondamentalement; de même très nettement, à la suite de L. Ross Taylor, U. Hackl, Das Ende der röm. Tribusgründungen 241 v. Chr., dans Chiron 2, 1972, p. 148-49; cf. également A. N. Sherwin-White, RC2, p. 198. Au contraire, I. Bitto, Tribus e propagatio civitatis, op. cit., (supra, n. 36), p. 20-58, a soutenu que les tribus nouvelles étaient généralement créées pour les novi cives : mais l'exemple des novi cives du Latium, incontestable (et passé sous silence par I. Bitto), contribue à démontrer l'invraisemblance de l'affirmation. 83 Taylor, VD, p. 54. 84 Liv. 8, 17, 11 : . .. novique cives censi; tribus propter eos additae Maecia et Scaptia; censores addiderunt Q. Publilius Philo Sp. Postumius. Les indications de Tite-Live ne sont que très partiellement exactes : vraies, et encore sous les réserves que l'on va faire, pour Lanuvium, elles sont fausses pour tous les autres novi cives (pas de création pour eux) et fausses en grande partie pour la tribu Scaptia (ce ne sont pas des novi cives qui, pour la plupart, y furent inscrits : infra, p. 186). 85 Taylor, VD, p. 54, rapprochant Festus-P., p. 121 L et Liv. 6, 2, 8. 86 Liv. 8, 11, 13, supra, p. 172 et infra, p. 336.
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tribu, mais une tribu ancienne - à l'exception de Lanuvium -; l'unité politique que constitue la tribu reçoit une fonction d'assimilation, rendue possible par le regroupement des novi cives et des citoyens de vieille souche en un même cadre électoral. Le cas de Lanuvium et de la tribu nouvelle Maecia reflète le m ê m e souci d'une organisation politique et administrative réaliste : les terres distribuées aux Romains d'origine ne restent pas dans un isolement qui n'aurait pas m a n q u é poser des problèmes d'encadrement administratif; si cette projection artificielle de Romains devait précipiter l'intégration politique des Lanuvini, inversement les territoires confisqués bénéficieront de l'administration locale que les Romains ont trouvée sur place à Lanuvium et qu'ils ont respectée, ici c o m m e ailleurs, scrupuleusement. Nous ne prétendons pas - et Ton aura l'occasion de revenir sur ce point - que la cité annexée est dissoute, juridiquement, dans la tribu qui lui est affectée : ce serait nier chez les cités incorporées l'incontestable « autonomie» qu'elles conservèrent une fois devenues municipia par la conquête 8 7 . Mais la carte politique de la civitas dénote une évidente volonté de fusion : dans un esprit de centralisation, et c'est le regroupement politique des anciens et des nouveaux dans une m ê m e circonscription politique et administrative, la tribu; dans un esprit aussi de déconcentration, la tribu Maecia s'organise autour de Lanuvium, dont ce sera le noyau urbain. On pressent le pouvoir d'attraction que le municipe p o u r r a exercer sur les terres confisquées et attribuées. Un jeu subtil d'échanges, d'influences réciproques entre les tribules appartenant au municipe et les tribules de la m ê m e tribu n'appartenant pas au municipe allait s'établir.
2)
Lavinium.
La cité des Laurentes -Laviniis& (aujourd'hui P r a t i c a d i Mare), située à quelques kilomètres de la mer entre Ostie et Ardea, donne le sentiment au témoignage de Tite-Live de s'être distinguée des autres cités latines, tant lors de la guerre générale (340-338) qu'au jour du règlement de pacification
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Infra, chap. VIL Les habitants de Lavinium sont qualifiés tantôt de Laurentes, Laurentini, tantôt de Lavinii : cf. Dessau, CIL XIV, p. 186 sq.; F. Castagnoli, dans EAA, IV, v° Lavinio, 1961, p. 510 sq.; du mêm6 auteur, Lavinium I, Topografia generale..., Rome, 1972, p. 15 sq., p. 85 sq. 88
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en 33889. A l'occasion de la première, Lavinium, sollicitée par les Latins90 et isolée, malgré la défense d'Ardea, dans un pays dominé par les dévastations des Volsques d'Antium unis aux Latins contre Rome91, se serait décidée finalement à prendre le parti de la rébellion, mais trop tard : exactement au moment où la deditio générale des Latins aurait été annoncée92. Pour cette neutralité, pourtant douteuse, les Laurentes-Lavinii auraient, à titre de récompense, échappé au châtiment des autres Latins {extra poenam fuere Laiinorum Laurentes, quia non desciverant - Liv. 8, 11, 15) et conservé avec Rome leurs relations religieuses privilégiées, sur la base d'un traité qui fut, à cette occasion, renouvelé une fois de plus, et que depuis lors on répète chaque année 93 . Si l'on ajoute que les Laurentes ne figurent pas dans la liste des Latins incorporés comme municipes en 338, on croira à leur fidélité à Rome entre 340 et 338 et l'on comprendra la récompense qu'ils obtinrent comme le maintien de leur statut de civitas foederata, de leur indépendance hors de la citoyenneté romaine. D'excellents auteurs se convainquirent de
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Liv. 8, 11, 3-4 et 8, 11, 13-16. Liv. 8, 11, 3 : Latinis quoque ab Lavinio auxilium, dum deliberando terunt tempus, victis demum ferri coeptum... 91 Liv. 8, 12, 2: Antiates in agrum Ostiensem Ardeatem Solonium incursiones fecerunt: Ardea, colonie latine depuis 442, fortifiée entre 442 et le milieu du IVe siècle (G. Lugli, La Tecnica edilizia romana I, Rome, 1957, p. 270; A. Boëthius, Le fortificazioni di Ardea, dans Opuscula Romana (Inst. Rom. Regni Sueciae), 4, 1962, p. 38 sq.) semble bien être restée fidèle à Rome lors de la guerre latine; elle n'a pu résister à la pression d'Antium, qui atteint le Tibre et aurait nécessairement envahi Vager Laurens, s'il était vrai que Lavinium n'avait pas choisi le camp de la révolte. Remarquons qu'il ne figure pas parmi les territoires envahis, nouvel indice de sa participation aux menées latino-volsques contre Rome et ses quelques alliés. 92 Liv. 8, 11, 4 et 8, 4, 12. 93 Cum Laurentibus renovari foedus iussum, renovaturque ex eo quotannis post diem decimum Latinarum (Liv. 8, 11, 15). Ce n'est pas la première fois que ce foedus est renouvelé (cf. Liv. 1, 14, 3 : foedus inter Romam Laviniumque urbes renovatum est De quand date le renouvellement annuel? Il est peut-être très ancien (encore que Tite-Live semble le rattacher aux événements de 340); il semble bien avoir été enjoint par les livres Sibyllins, comme l'apprend une inscription impériale, qui prouve, en outre, que la conclusion annuelle du foedus était, sous l'Empire encore, scrupuleusement respectée (CIL X, 797 : pater patratus populi Laurentis foederis ex libris Sibullinis percutiendi cum p(opulo) Rfomano). C'est en liaison avec ce foedus et, sans doute, à l'occasion de sa répétition, que les magistrats et pontifes romains sacrifiaient aux Pénates du peuple romain et à Vesta lors de leur entrée en charge (Macr., Sat. 3, 4, 11 ; Serv. ad Aen 3, 12, et 2, 296. V. en outre Dessau, dans CIL XIV, p. 187). Quant à l'objet même du foedus, il consiste à établir une collaboration entre les sacerdotes (ou magistrats) de Rome et ceux de Lavinium (cf. G. Wissowa, Die römischen Staatspriestertümer altlatinischer Gemeindekulte, dans Hermes 50, 1915, p. 21 sq.), pour le service des sacra principia Quiritium nominisque Latini, quae apud Laurentes coluntur (CIL X, 797). 90
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cette interprétation et repoussèrent à plus tard, jusqu'à la guerre sociale même94, l'incorporation de Lavinium, qu'il est pourtant nécessaire de placer avant la romanisation de l'Italie95. En réalité on peut relire avec profit le témoignage de Tite-Live et surtout le compléter par des découvertes récentes qui apportent maintenant beaucoup à l'idée que Lavinium entra comme municipe dans la civitas Romana dès 338. D'abord Tite-Live : avouons que la fidélité pro-romaine (quia non desciverant) de Lavinium manque un peu de panache, pour ne pas dire de vraisemblance; son armée qui se décide, praetor en tête, pour les Latins et contre Rome au moment de la défaite ressemble, à s'y tromper, à une deditio formelle96, qui, on peut le déduire, à Lavinium comme partout ailleurs dans le Latium précéda, et à deux reprises, le règlement de 33897. D'ailleurs on aurait difficilement compris que Lavinium, Tune des métropoles religieuses du Latium à l'égal d'Aricia, eût quitté le parti des Latins pour Rome (même si les liens avec Ardea, restée sûre semble-t-il, sont certains)98. A
94 A. N. Sherwin-White, RO, p. 57 = RC1, p. 68 et p. 97 (sans préciser la date de l'entrée dans la civitas, mais certainement pas en 338); E. Manni, Per la storia, p. 42 sq. (mais avant 90); E.T. Salmon, Rome and the Latins, dans The Phoenix, 7, 1953, p. 132; E. Badian, Foreign Clientelae, Oxford, 1958, p. 23, n. 3 (après 90). 95 La magistrature supérieure de Lavinium, sous l'Empire, est formée de deux praetores (CIL X 797; XIV, 171, 172, 2070). E. Manni les écarte comme tardifs (Per la storia, p. 134-35), ce qui ne signifie rien. Cette magistrature (que l'on retrouve sous l'Empire à Capena, Capitulum Hernicum, Anagnia, Cumae, Casinum(?) : chaque fois un municipe romain du IVe-IIIe siècle) prouve que Lavinium fut municipe avant la guerre sociale et tira de là le privilège de conserver ses propres magistrats. Sans doute aucune inscription n'atteste formellement la condition municipale de Lavinium (cf. CIL XIV, 2080; CIL VI, 1531); mais à époque tardive un municipe s'appelle souvent civitas et ses habitants cives (cf. les indices du CIL XTV pour Tibur ou Préneste). CIL X, 797 (praefectus pro praetore i(ure) d(icundo) in urb e Lavinio) paraît plus étrange : mais, posée à Pompéi, l'inscription n'avait pas à se soucier de donner à Lavinium (d'ailleurs dépeuplée) sa titulature exacte. 96 A tel point que Weissenborn a corrigé Liv. 8, 11,3 pour y lire Latinis quoque ab Lanuvio auxilium... Les ms. sont pourtant très nets (Lavinio). Dessau* CIL XIV, p. 187, suggère la même correction. La suite des événements (cf. Liv. 8, 12, 7 et 8, 13, 5) ne permet pourtant pas d'accorder à Lanuvium la timidité que Tite-Live lui aurait prêtée en 8, 11, 3, si l'on admet cette correction. V. égalem. infra, n. 99. 97 Pour 340 : Liv. 8, 11, 12 : . . . ut consuli victorem exercitum... ducenti dederent se omnes Latini, deditionemque eam Campani sequerentur; pour 338 : Liv. 8, 13, 8 et 12. 98 Lavinium abrita un culte fédéral latin, celui de Vénus (Strabon, Geogr. 5, 3, 5) confié d'ailleurs aux Ardéates, qui le faisaient entretenir par des intendants : ce sont là des traités religieux comparables à ceux établis entre Rome et Lavinium ou Rome et Lanuvium (infra, p. 192). Sur ce culte, A. Alföldi, Early Rome, p. 247; F. Castagnoli, Lavinium, op. cit., p. 110. Sur
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quoi on ajoutera, en faveur d'une défection réelle, l'inscription des Fasti Triumphales, qui pour 338 honore Maenius d'une triple victoire, de Lavineis notamment. Le texte n'est pas absolument sûr, c'est c o n v e n u " ; mais le reproche le plus fort qu'on lui fait est de contredire la version pourtant équivoque de Tite-Live à laquelle on se fie aveuglément. Voilà pour la conduite des Laviniates; venons-en à la décision du Sénat; ici Tite-Live est catégorique : il n'y eut pas de châtiment (extra poenam juere), certes. Mais de quoi s'agit-il exactement? Non pas de la civitas Romana - et on voit mal Tite-Live, contrairement à son habitude, en qualifier brutalement l'octroi de poena100 -, mais de confiscations auxquelles Lavinium échappa, alors que le Sénat, p a r la même décision, les infligea à quelques cités latines (Aricia, Lanuvium, Velitrae), à des Volsques, des Campaniens et peut-être des Aurunques 1 0 1 . C'était déjà, dans un certain sens, une faveur, mais ce n'est sans doute pas la formule du sénatus-consulte qui frappa le plus vivement Tite-Live : bien plus c'est le renouvellement du foedus qui, au contraire d'une evocatio, allait maintenir à Lavinium le privilège d'être la métropole religieuse de Rome; et c'est pour justifier tant de scrupules que Tite-Live fut entraîné à surestimer la fidélité laviniate. En revanche, et compris de la sorte, le récit de Tite-Live se concilie parfaitement avec l'idée que la civitas, en plus du traité, - mais d'une manière tout à fait indépendante, naturellement 1 0 2 - aurait été imposée à Lavinium comme à la majorité des vieilles cités latines.
les liens avec Ardea, R. Schilling, La religion romaine de Vénus, BEFAR, 1954, p. 68; R. Werner, Der Beginn der römischen Republik, Munich-Vienne, 1963, p. 331-32. 99 Inscr. Italiae XIII, 1 (Act. Tr.), p. 99 et 541 (avec le commentaire de Degrassi); v. de même, T.R.S. Broughton, MRR, I, 1951, p. 138; il est vrai que les Fasti rappellent le triomphe de Maenius de Antiatibus Lavinieis Velitemeis, alors que Liv. 8, 13, 5 réunit dans le même combat Aricini, Lanuvini, Veliterni et Antiates. D'où la correction proposée notamment par Dessau, ad CIL XIV, p. 187 et par Weissenborn, ad Liv. 8, 13; 5, pour qui le lapicide aurait dû graver Lanuvinieis. 100 Cf. infra, p. 192; 195-7. On ne trouve l'expression que dans les propos que Tite-Live prête aux Eques (9, 45, 8) : pro poena necessariam civitatem fore. 101 Le contexte indique nettement que la poena dont il s'agit est limitée ici à des confiscations (Liv. 8, 11, 13) : Latium Capuaque agro multati.. . Extra poenam juere Latinorum Laurentes Campanorumque équités, quia non desciverant. Sur les terres annexées, supra, p. 172; TiteLive sépare en deux moments les confiscations et l'incorporation dans la cité romaine. Il n'est pas possible de savoir si c'est entièrement justifié, mais il est certain qu'au passage cité ci-dessus aucune allusion n'est faite à la civitas qui n'apparaît qu'après (Liv. 8, 14). 102 II n'y a, dans le foedus de 340-338, pas plus que dans celui qui est attribué à l'époque royale ou ceux qui, chaque année, sont répétés, rien qui concerne la constitution municipale
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Si l'on retarde après le IVe siècle - plus encore au I e r siècle - l'incorporation de Lavinium, on expliquera difficilement l'histoire des cultes qui lui furent confiés et que les fouilles passionnantes de Pratica di Mare commencent à révéler. Le traité de 340/338 aura permis à Rome, on le sait, de maintenir et d'entretenir des cultes essentiels à sa vie publique et politique, au prix d'une collaboration avec le clergé local de Lavinium, qui semblait rituellem e n t requise; il s'agissait, avant tout, de respecter u n e tradition 103 . Mais après cette date et très vite, on assiste aussi à de curieux réaménagements des cultes de Lavinium; le potentiel religieux de la cité sainte est exploité, enrichi, mais, et c'est très net, dans l'intérêt exclusif de Rome : ainsi, le n o m b r e des autels dédiés chacun à u n e divinité s'accroît de 9 à 12 entre 340 et 300 104 . Plus grave encore, avec l'apparition (ou la diffusion, selon certains) de la légende des origines troyennes de Rome, un culte nouveau, celui d'Enée, est introduit à Lavinium : exactement à ses portes, car c'est en dehors de la cité que fut retrouvé Yheroon d'Enée, daté de la deuxième moitié du IVe siècle. 105 . L'emplacement, comme P. Sommella l'a fort bien remarqué, traduit une importation où se trahit une volonté romaine qui pouvait m ê m e porter préjudice aux sanctuaires traditionnels de Lavinium 1 0 6 . Sur son territoire, le culte d'Enée se répand rapidement c o m m e l'atteste une inscription votive de la m ê m e époque 1 0 7 . Le prestige religieux
de Lavinium, quoi qu'aient affirmé les partisans des «municipes fédérés». Sur ce faux problème, infra, p. 251 sq. 103 Tout en tenant compte de la liquidation politique de la ligue latine : les cultes principaux de Rome sont désormais communs aux peuples latins (cf. supra, p. 180, n. 93 = CIL X, 797 et A. Alföldi, Early Rome, p. 246 sq., p. 264. 104 Voir dernièrement (avec bibliogr. antérieure) P. Sommella, Das Heroon des Aeneas und die Topographie des antiken Lavinium, dans Gymnasium 81, 1974, p. 273 sq. Le temenos dégagé par F. Castagnoli à partir de 1956 a livré 12 autels et la base d'un 13e supprimé. Si les premiers autels remontent au VIe siècle, trois (9 à 12) ont été construits à la fin du IVe siècle {art. cil, p. 279, n. 22). Pour P. Sommella, le temenos n'aurait pas un caractère fédéral, en ce sens que chaque autel ne correspondrait pas à un populus, mais, très différemment, à une divinité. Le Panthéon Laviniato-romain se serait ainsi enrichi {art cit., p. 281). 105 Sur Yheroon lui-même, P. Sommella, Rendic. Pontif. Accad. III, 44, 1971-72, p. 47 sq. 106 P. Sommella, art. cil, p. 292 sq., notam., p. 294 (« la diffusion du culte d'Enée à la fin du IVe siècle s'est faite aux dépens de Lavinium; il ne s'agit en rien d'une divinité poliade»); et, p. 295, pour l'utilisation politique de ce culte nouveau : « l'effort vers l'unification du Latium sous l'autorité de Rome et la réception des Pénates de Lavinium comme ceux du peuple romain et du nomen Latinum». 107 Lare Aenia d(ono) : dernièrement M. Guarducci, Enea e Vesta, Rom. Mit. 78, 1971, p. 73 sq. (et cf. Degrassi, ILLRP, 1271).
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de Lavinium ne s'oriente plus vers le salut de cette cité, qui, devenue municipe, n'a plus d'avenir ni d'histoire distincts de Rome : ce sont les Fata de Rome, ses propres destinées, qu'évoquent trois cippes votifs datés de la fin du IVe siècle et formant un tout avec le cippe érigé en l'honneur d'Enée108. Ces intrusions romaines montrent comment, si rapidement, Rome a confisqué à son profit l'activité religieuse de Lavinium; la signification politique des cultes locaux disparaît derrière une évidente utilisation à des fins patriotiques. Remarquons toutefois que même devenue une projection sacrée de Rome, Lavinium a conservé une certaine autonomie religieuse : ses cultes n'ont pas fait l'objet d'une evocaîio, restent laviniates et confiés aux soins des municipes Laurentes. Cette apparente contradiction est précieuse; elle permet, en premier lieu, de replacer Lavinium parmi les municipes romains créés en 338109; mais aussi, elle donne un bel exemple de l'originalité profonde et de la richesse que l'idée de municipe contint dès ses origines. En s'appuyant sur une institution où l'autonomie formelle et l'incorporation réelle devaient marcher du même pas, Rome venait de découvrir un merveilleux instrument de conquête. 3 - L'incorporation des cités du Latium passées sous la domination volsque : Velitrae et Antium110. Le sort des cités passées, à la suite d'infiltrations continuelles, sous la puissance volsque apparaît beaucoup plus rigoureux, notamment par la nature des confiscations que le Sénat décida contre elles en 338. 108 M. Guarducci, art. cit., p. 83 sq. (Parca Maurtia dono, Neuna dono et Neuna Fata) : dans les noms des Tria Fata (Parca, Nona, Morta) peuvent être restituées « le divinità che presiedono ai destini del popolo romano ». Sur la datation, p. 89 : fin du IVe siècle. V. également Degrassi, ILLRP, 10-12. Le cippe d'Enée, contemporain, est rapproché par P. Sommella de Yheroon situé aux portes de Lavinium (art. cit., p. 294-95). 109 C'était aussi l'opinion de Beloch, RG, p. 376 sq., d'A. Afzelius, Römische Eroberung, 1942, p. 55 sq. (civitas s.S.), d'AJ. Toynbee, HL I, p. 130, pour des raisons de pure vraisemblance historique, qui ont aussi leur valeur : restée fédérée, la cité de Lavinium aurait constitué un îlot non romain, alors qu'après l'incorporation de la Campanie en 334, toute la côte est romaine, de Caere à Cumae. Beloch ajoutait que si l'on repoussait l'incorporation après 90 elle n'aurait pas conservé son statut, marqué en partie par son foedus avec Rome; mais cet argument ne tient pas, comme le montrent les exemples des Tarquinienses ou des Camerini, romanisés après 90 mais qui conservèrent après cette date leur titre de foederati Cf. infra, p. 260 sq. Comme pour les autres municipes d'origine latine, la civitas de Lavinium fut optimo iure. 110 Nous ne retenons que les cités pour lesquelles on dispose de sources : il est vraisem-
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Velitrae, comme Antium, sont incorporées dans la civitas, mais sans jouir des droits politiques et doivent supporter, sous forme de confiscations, l'installation au cœur même de leur cité d'une population romaine de vieille souche. Deux nouveaux exemples d'incorporation et de fusion s'offrent ainsi. a) Velitrae. Non seulement les murailles sont abattues, mais l'élite locale - en la personne des sénateurs - est bannie, déportée trans Tiberimni. Des «coloni» sont envoyés sur les terres libérées : in agrum senatorum coloni missi, quibus adscriptis speciem antiquae frequentiae Velitrae receperunt (Liv., 8, 14, 7). Le terme de coloni ne peut tromper, il n'est pas question de la fondation d'une colonie militaire112; on est en présence de cives Romani optimo iure, d'origine romaine, bénéficiaires, à la suite de distributions viritim, des terres confisquées. L'installation romaine fut suffisamment importante, en 338, pour qu'une tribu nouvelle, la Scaptia, fût créée pour eux en 332113. En dépit de ces atteintes à l'intégrité de son territoire, Velitrae conserva ses organes d'administration locale, comme l'atteste l'existence de meddices au III e siècle avant J.-C.114. Il est donc certain que la population
blable que Satricum et la région de Tarracina, volsques par infiltration, subirent le même sort (en ce sens, A.J. Toynbee, HL I, p. 135 sq.). Tarracina reçut une colonie maritime romaine en 329 : ce que l'on dira d'Antium, par analogie, peut lui être appliqué; quant à Satricum, elle fit défection en 320-319 (Liv., 9, 16; 9, 24-25), appelant les Samnites contre Rome, et fut rasée. Une incorporation de peu antérieure est vraisemblable (en ce sens, Liv. 26, 33, 10). 111 Liv. 8, 14, 5; AJ. Toynbee, HL I, p. 135, sans motif, considère le témoignage comme suspect. L'établissement des colons implique pourtant des condamnations de ce genre. Le bannissement dut retarder pour un temps le rétablissement de la constitution locale; l'exemple d'Antium, tout à fait identique, permet de penser que, vers les années 317, il fut rétabli, mais sous une forme qui répondait aux intérêts de Rome, nous voulons dire sous la condition que des praefecti iure dicundo y rendent la justice. Voir infra, p. 188 sq. 112 Les colonies de cives Romani, qui apparaissent précisément à cette époque, resteront exclusivement maritimes jusqu'au début du IIe siècle : E.T. Salmon, Rom. Col, p. 70 sq. 113 Pour l'attribution à Velitrae, Taylor, VD, p. 55 et les discussions. La position de Beloch, RG, p. 380 sq. ne peut être acceptée (n'affecte aucune tribu à ces cives coloni), pas plus que celle de A. Bernardi, Cives s.S., dans Ath., 16, 1938, p. 268, n. 2, qui incorpore Velitrae dans la civitas optimo iure dès 338. Cf. note suivante. 114 La table volsque de Velitrae, datée du IIIe siècle par Conway, The italic Dialects, I, Cambridge, 1897, n° 252, p. 267 sq. et d'avant 250 par E. Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, Heidelberg, 1953, n° 222, p. 156 sq. prouve que la cité avait à sa tête des meddices et que la langue officielle était l'osque et non le latin. Sous l'Empire, la cité est placée sous l'autorité de praetores et de / / viri : CIL X, p. 651 sq.; CIL X, 6554 (praetor) et 6555 (Hviri). Les doutes de Mommsen, sur l'authenticité de CIL X, 6554 sont injustifiés (cf. S. Panciera, dans Epigraph. 22, 1960, p. 9 sq.). Reste à expliquer les praetores, absolument équivalents aux Hviri (cf.
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non r o m a i n e par son origine conserva u n e certaine a u t o n o m i e au-delà de l'incorporation dans la civitas sine suffragio : il s'agit d'un municipe romain. L'attribution des cives Romani o.L, tribules de la Scaptia, administrativem e n t r a t t a c h é s (adscripti) à la population indigène municipale fournit un exemple e x t r ê m e m e n t frappant de cette politique consciente de fusion que l'on vient d'évoquer. Certes, il n'y a pas ici u n e totale unité politique puisque c h a c u n e des composantes de la population municipale sera pour une part r a t t a c h é e à une tribu r o m a i n e , et p o u r l'autre, restera en dehors de ce cadre politique. Mais il y a u n e évidente unité administrative q u i durera près d'un siècle, jusqu'au m o m e n t où 115 , la coexistence m u é e en cohésion, l'octroi de l'optimum ius p e r m i t à Velitrae de devenir le véritable noyau de la tribu Scaptia. b) Antium. Politiquement, l'incorporation d'Antium se fit à l'image de celle de Velitrae; mais j u r i d i q u e m e n t elle p r e n d u n e originalité certaine. C o m m e cette cité-sœur q u e la m ê m e histoire, les m ê m e s c o m b a t s et une défaite c o m m u n e 1 1 6 avaient unies, Antium fut dès 338 saisie au c œ u r par un
A. Degrassi, Quattuorviri, p. 316 et n. 4); y voir une fonction sacerdotale, par la place du titre dans le cursus (ainsi, S. Panciera) semble fragile; on pourrait penser à une magistrature coloniale (praetores-duoviri) introduite à l'époque gracchienne (sur ce type : A. Degrassi, Quattuorviri, ibid.; E.T. Salmon, Rom Col, p. 182, n. 141 et p. 190, n. 219) : le liber colon, (p. 238) évoque précisément pour Velitrae une déduction sempronienne; mais la mention du liber, comme très souvent, est fausse; c'est ce que prouve une tessère du Ier siècle ap. J.-C, attestant que Velitrae est restée un municipe (cf. S. Panciera, op. cit., p. 11 avec les réf.). H ne reste qu'une possibilité, que nous adopterons (cf. S. Mazzarino, Dalla Monarchia allô stato repubblicano, Catane, 1945, p. 173) : ces praetores du municipe (ils ne peuvent être évidemment attribués à la colonie, postérieure à Claude, pour le moins) sont la traduction latine des meddices volsques, maintenus sous cette forme, comme à Anagni, ou à Cumes et sans doute à Capitulum Hernicum. A Velitrae la titulature originelle et la langue officielle peuvent, à la rigueur, indiquer que la civitas n'était pas optimo iure avant 250. Mais le meilleur argument en ce sens est dans la distinction très nette, chez Tite-Live, entre les «colons» (o.L) et les municipes (s.S.); le seul point de contact entre eux est, par l'adscriptio, une certaine organisation administrative commune. 115 Au plus tard en 250 : en effet, vers 230, un ancêtre d'Auguste, de la gens Octavia, exerce à Rome la questure; l'accès à Y o.L ne doit pas résulter d'une émigration individuelle, car le fils de son neveu (tribun militaire entre 216-205) s'en tint aux magistratures municipales - la famille n'avait donc pas abandonné juridiquement son origo municipale. Voir ici, outre Suét, Aug. 1, 2, Beloch, It. Bund, p. 76; A.J. Toynbee, HL I, p. 133 sq.; P.A. Brunt, Italian Manpower, p. 20, n. 5; T. P. Wiseman, New Men in the Roman Senate, Oxford, 1971, p. 185; C. Nicolet, L'ordre équestre, II, (B£FAR207) 1974, NR 245-47, p. 960 sq. 116 La pénétration volsque (cf. Liv. 4, 56, 7; 4, 57, 7; 4, 59, 3) explique en partie l'hostilité radicale à Rome (Liv. 6, 6, 4; 7, 27, 2; 8, 1, 1; 8, 12, 2); les Antiates furent défaits par la même bataille que les Veliterni, et leur potentiel militaire fut de même en principe anéanti (Liv. 8,
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noyau purement romain; mais il garda juridiquement son individualité, puisque, de la taille de trois cents unités environ, il s'installa ici sous la forme d'une colonie militaire117. Si quelques Antiates purent s'enrôler parmi les colons118, ce fut afin de communiquer aux Romains, qui en étaient totalement dépourvus, leur incontestable maîtrise de la mer et de la piraterie 119 ; il ne faudrait pas, en revanche, penser à un peuplement mixte dès la déduction et se représenter la colonie comme largement ouverte à la population indigène. La colonisation impliqua nécessairement quelques confiscations, mais le type militaire de l'établissement, simple garnison, dut les réduire au maximum120; la création d'une tribu rustique nouvelle pour l'inscription des coloni, romains d'origine, était inutile et il est probable, comme les recherches de L. Ross Taylor l'ont presque démontré, que l'on se contenta d'étendre aux citoyens optimo iure installés à Antium la vieille tribu Voturia, qui devenait en même temps et pour la même raison la tribu d'Ostia121. Le sort de la population locale fait problème; qu'elle fut incorporée dans la civitas Romana dès 338, Tite-Live l'affirme122 et on précisera sine suffragio, à l'exemple des Velitemi : c'était la seule forme concevable pour une cité, du Latium certes, mais qui depuis le Ve siècle était politiquement et culturellement passée sous la domination volsque. Le problème le plus délicat est posé par le degré d'autonomie laissé aux indigènes et les rapports entre les Antiates et les coloni Romani.
14, 9 et 12); de fait, les activités maritimes des Antiates se poursuivent au IVe siècle, sous contrôle romain, naturellement (Strabon, Geogr., 5, 3, 5) et infra, p. 301. 117 E.T. Salmon, Rom. Col, p. 70 sq.; Antium et Ostie sont les deux premières colonies maritimes. L'emplacement exact du castrum du IVe siècle ne semble pas connu; cf. A. La Regina, EAA VI, 1965, Porto d'Anzio, p. 396 sq. 118 Liv. 8, 14, 8 : et Antium nova colonia missa, cum eo ut Antiatibus permuteretur, si et ipsi adscribi coloni vellent Cette « nouvelle » colonie est en fait la première de ce genre. Sur l'enrôlement de quelques éléments locaux, on remarquera que la formule de Tite-Live est exactement symétrique, mais inverse, de celle qu'il employait pour Velitrae : les indigènes s'adjoignent à la colonie, alors qu'à Velitrae les bénéficiaires de terre étaient adjoints à la cité locale. 119 Différemment E.T. Salmon, op. cit., p. 75 et p. 179, n. 115. 120 Sur l'extrême exiguité des colonies maritimes, E. T. Salmon, I.e., p. 71 sq. : un castrum, entouré de murailles, d'un peu plus de deux hectares (ainsi à Ostie, ou à Pyrgi [col. Rom. 264?] : E.T. Salmon, planche 14); les lots de terre étaient de deux jugères et un ager compascuus complétait les concessions individuelles. 121 VD, p. 42, 80, 319 sq.; sous l'Empire, Antium sera rattachée à la Quirina : VD, op. cit.; S. Panciera, Epigraph. 29, 1967, p. 18, 28 sq. 122 Antiati populo ... civitas data (8, 14, 8).
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Il est sûr que la colonie romaine ne mit pas fin à l'individualité juridique des Antiates, ne confisqua pas l'administration locale et n'en supprima pas, par elle-même, les organes. La colonie, ici comme ce sera le cas partout ailleurs, n'eut qu'un rôle de défense ou de contrôle militaire. Mais surtout, il est possible, à travers un épisode discuté, rapporté par Tite-Live pour 317, d'entrevoir quelle put être la constitution locale des indigènes après leur incorporation. En 317, des plaintes émanant des Antiates saisirent le Sénat; devant le succès des praefecîi iure dicundo envoyés à Capoue dès 318, devant les bienfaits d'une discipline que les Romains répandaient chez les «socii» par le règne du droit ou de la loi, les Antiates demandèrent la constitution et les magistrats dont ils étaient dépourvus; ils les obtinrent des patrons de la colonie d'Antium elle-même123. De qui émanèrent les plaintes? De la colonie ou des Antiates sine suffragio? A. N. Sherwin-White, après un doute de Mommsen, suggéra le premier d'attribuer les plaintes aux indigènes et non aux colons; A J. Toynbee, E. T. Salmon et P. A. Brunt l'ont suivi124 et nous pensons que quelques arguments de plus peuvent être apportés en faveur de cette interprétation. L'idée encore largement soutenue aujourd'hui, selon laquelle la demande d'une constitution et de magistratures locales émanerait des colons eux-mêmes125, en proie à l'anarchie, n'a pas beaucoup de sens. Une colonie romaine, par ses effectifs réduits, ses obligations militaires qui équivalent à un état de mobilisation permanent, par la discipline très stricte qui devait interdire aux hommes de la garnison tout service autre que la garde des côtes, n'avait certainement pas besoin, dès 317, d'une constitution et de magistrats locaux élus. Le commandement militaire devait en
123
Envoi de praefecîi «à la demande de Capoue elle-même» pour mettre fin à des discordes internes (Liv. 9, 20, 5) ; et postquam res Capuae stabilitas Romana disciplina jama per socios volgavit, Antiatibus quoque, qui se sine legibus certis, sine magistratibus agere querebantur, dati ab senatu ad iura statuenda ipsius coloniae patroni; nec arma modo sed iura etiam Romana late pollebant (9, 20, 10). 124 Mommsen, CIL X, p. 660; A. N. Sherwin-White, RO, p. 76 sq. = RC1, p. 81 sq.; A. J. Toynbee, HL I, p. 223 sq.; E. T. Salmon, Rom. Col, p. 75 sq.; P. A. Brunt, Italian Manpower, p. 541. 125 E. Manni, Per la Storia, op. cil, p. 88 : Anagnia (infra, p. 214) aurait été le seul exemple de dissolution provisoire d'une communauté civique. Plus radicalement A. Degrassi Amministrazione, op. cit, p. 309 sq. et F. De Martino, Storia IF, p. 133-4 : c'est à partir de ces plaintes que les colonies militaires auraient reçu une constitution autonome avec magistrats élus; de même, W. Simshäuser, Iuridici und Munizipalgerichtsbarkeit in Italien, 1973, p. 39 et n. 21 : établissement d'une constitution coloniale et de l'autonomie juridictionnelle.
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tenir lieu et suffire à maintenir chez les colons cet ordre que les Antiates appelaient de leurs vœux. Le contexte, bien mieux, ne nous semble pas laisser la place au doute. Le nec arma modo sed iura etiam Romana late pollebant introduit dans la domination romaine l'idée d'un équilibre : le poids de la garnison (arma, la colonie romaine pour surveiller Antium) est compensé par l'établissement d'une constitution, exactement par le rétablissement de la constitution et des magistratures locales antérieures 1 2 6 au prix, nous le pensons, d'une innovation, l'envoi de praefecti iure dieundo - le précédent de Capoue, déterminant p o u r les Annalistes, ne s'expliquerait pas sinon 127 . Les faits s'enchaînent et la cohérence du témoignage s'affirme. Résumons : en 338, les indigènes sont incorporés dans la civitas sine suffragio et leur constitution est provisoirement suspendue. Le traitement n'est pas exceptionnel; au même moment, l'ordre interne de plusieurs cités latines fédérées sera levé 128 et, en 306, les municipes herniques subiront la paralysie de leurs magistratures jusqu'au rétablissement de leur constitution locale, mais modifiée par la présence de praefecti iure dieundo129. Au lendemain de la victoire, à Antium, la politique de pénétration s'exprima par l'installation d'une garnison, juridiquement distincte de la population indigène; ici encore cet exemple sera suivi 130 . En 317, l'isolement et l'anarchie où avaient sombré les Antiates donnent à Rome l'occasion de rétablir la légalité : la constitution locale, celle d'un municipe romain, est restituée et,
126 L'expression de jura sîatuenda signifie exactement fixer une constitution : Rome, à cette occasion, déterminera la part des traditions locales et la portée des réformes. Le retour à la légalité, en 317, ne mit pas fin à un vide juridique complet : la constitution locale, entre 338 et 317, était flottante, ses organes d'une compétence douteuse {sine legibus certis) et non totalement supprimés. Le choix, par le Sénat des patrons de la colonie - ce sont les descendants des fondateurs - pour accomplir cette réforme ne fait pas difficulté : le contrôle politique de la région leur appartient. 127 Le lien est incontestable chez Tite-Live. Peut-être faut-il dater des années 318-317 l'institution de la praefectura iure dieundo? On reviendra sur ce problème : pour Capoue, p. 203 sq.; 366 sq.; pour Antium, p. 378. 128 Liv. 8, 14, 10 et infra, p. 190; de même supra n. 111, le cas de Velitrae. 129 Liv. 9, 43, 24; Festus, p. 262 L; infra, p. 214 sq. 130 Topographiquement, la colonie devait être distincte de la cité indigène; Minturnae (col. Rom. déduite en 296) fournit l'exemple d'une double communauté : la colonie était séparée matériellement (un mur coupait l'agglomération) de la population locale, Aurunque, incorporée dans la civitas sine suffragio en 315 (?) : cf. J. Johnson, Excavations at Minturnae, 1936, I, 2, et E. T. Salmon, Rom. Col, n. 116. Tarracina (col. rom. 329), au pied de l'Anxur volsque, peut en être un autre exemple : A. J. Toynbee, HL I, p. 139, p. 233.
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à titre d'hypothèse, une praefectura iure dicundo est introduite. Le munici et la colonie vont alors c o m m e n c e r une ère de coexistence; on ignore durée, mais sa destinée est certaine. Les magistrats attestés à la fin de la République prouvent que la colonie, certainement depuis longtemps absorbé le municipe 1 3 1 .
4 - Les cités latines fédérées : Tibur, Préneste et les anciennes colonies latines Décidant de leur sort, le Sénat, par son règlement de 338, ne les incorpora ni d a n s la citoyenneté complète, ni dans la citoyenneté sans suffrage, mais maintint leur a u t o n o m i e de cités fédérées, au prix, il est vrai, de confiscations 1 3 2 . Il est possible que leur taille ait protégé ces cités contre une annexion 1 3 3 ; mais leur éloignement, c'est clair, devait les maintenir à l'écart d'un Etat dont l'homogénéité ne devait pas souffrir de leur indépendance 1 3 4 . Le Sénat n'accorda pas à toutes le m ê m e statut. Tibur et Préneste (et sans d o u t e Cora) conservèrent les privilèges qui découlaient de l'ancien foedus Cassianum : tant à l'égard de Rome - n o t a m m e n t le ius migrandi qui permit à des familles locales d e transire in civitatem135, q u e dans leurs relations entre elles-mêmes. Au contraire « tous les autres peuples latins », principalement les anciennes colonies latines, furent placés d a n s u n état d'isole-
131 Duoviri : Cic, ad Att. 2, 6, 1 = 1, 33, éd. Budé; CIL X 6680 : Ilvir de la fin de la République (R. Syme, dans Hist 13, 1964, p. 120-1), antérieur à la déduction d'une nouvelle colonie, néronienne, qui donna à Antium une nouvelle tribu, la Quirina (Taylor, VD, p. 319 sq.). Mommsen, dans CIL X, p. 661, a rattaché le duovirat à la «constitution coloniale de 317»; en fait pour Antium comme pour les autres colonies fondées avant Castrum Novum (289/3 infra, p. 390), on ignore la forme et la date d'apparition des magistratures. 132 Liv. 8, 14, 9 : Tiburîes Praenestinique agro mulîati. 133 A. Alföldi, Early Rome, p. 41. 134 Ce n'est pas la conduite à l'égard de Rome, qui dicte la sanction; les considérations de géographie politique l'ont emporté. Tibur, Préneste, qui jouèrent un rôle essentiel dans la révolte ne sont pas annexées à la différence des plus proches, dont l'incorporation s'avérait indispensable pour la cohésion du nouvel Etat romain. 135 Cf. le passage à Rome de Q. Anicius, selon le témoignage de Plin., NH, 33 (6), 17 (mais qui dut sauter une génération) : aedilis curulis crearetur cum Q. Anicio Praenestino, qui paucis ante annis hostis fuisset (pour l'année 304). Le clan des Plautii vint, de la même façon, de Tibur et de Préneste à Rome, mais utilisant le ius migrandi avant la dissolution de la ligue en 338 (cos. en 358, 347, 341). Cf. Münzer, Rom. Adelsparteien cit., p. 44 sq.
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ment forcé. Le commercium, le conubium et le droit de se réunir entre eux furent provisoirement supprimés136. Rome suspendait les relations interfédérales qui avaient permis aux colonies latines de naître et de se développer aux Ve et IVe siècles. Qu'il s'agisse de leur peuplement ou de leur ins migrandi, de leurs assemblées politiques ou de leurs cultes communs, Rome s'imposait comme le partenaire exclusif dans des relations qui ne pouvaient plus être que bilatérales.
5 - Interprétation politique et juridique du règlement de 338. Pour porter un jugement sur la valeur de la civitas décidée par Rome, on doit prendre en considération : - l'enjeu de la résistance : farouche, les Latins placèrent en elle l'espoir de sauvegarder une indépendance que l'incorporation de Tusculum, puis de Caere menaçait et, à vrai dire, condamnait inéluctablement; - l'issue des combats : les villes latines qui furent incorporées dans la citoyenneté l'ont été après une deditio, ou, ce qui revient au même, à la suite d'une soumission militaire complète (expugnatio - Liv. 8, 13, 8)137; - les formes du règlement: Rome fixa pour l'avenir la condition de ces déditices en les plaçant, à la suite des décréta du Sénat, dans la citoyenneté romaine. Il n'est pas question, pour ces nouveaux Romains, du rétablissement de leur condition antérieure de fédérés : la décision de Rome fut unilatérale 138 . Sous ces trois aspects, la civitas est une décision imposée aux vaincus. Elle est une sanction.
136 Ceteris Latinis populis conubia commerciaque et concilia inter se ademerunt (Liv. 8, 14, 10). C'est l'isolement forcé pour mieux contrôler (cf. Liv. 9, 43, 24, pour une sanction semblable contre les Herniques en 305). C'était aussi prononcer la dissolution définitive de la ligue latine. Sur cette politique du divide et impera, qui ne doit pas être exagérée, v. J. Göhler, Rom und Italien, Breslau, 1939, p. 7 sq. 137 Expugnando aut in deditionem accipiendo singulas urbes, Latium omne subegere. De même, 8, 13, 12 : oppida Latina omnia et Antium ex Volscis, aut vi capta, aut recepta in deditionem, praesidiis tenentur vestris. 138 En revanche, les peuples latins qui échappèrent à la citoyenneté ont, après leur deditio, été rétablis dans leur souveraineté, condition indispensable pour qu'un foedus puisse être établi entre eux et Rome, un foedus à l'image du foedus Cassianum.
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On ne se laissera donc pas tromper par les expressions souvent embarrassées des historiens de l'antiquité qui ont voulu expliquer cette romanisation comme une mesure d'indulgence (beneficium : Liv. 8, 13, 17), inspirée du désir de pardonner (ignoscere : Liv. 8, 13, 14)139. Au contraire même, à certaines contradictions auxquelles il leur était difficile d'échapper140, il apparaît clairement que la civitas fut imposée à titre de châtiment. Exactement posé, le problème est seulement de percevoir des degrés dans la sanction. Ce n'est pas parce qu'il y eut des traitements plus défavorables (que l'on songe à Velitrae, dont la population fut en partie déportée et remplacée par des Romains installés sur les terres confisquées), que l'incorporation, en elle-même, doit apparaître comme un bienfait. A cet égard, un petit mot de Tite-Live (8, 14, 5) trahit inconsciemment la signification historique de l'extension de la citoyenneté : in Veliternos, graviter saevitum. Le « châtiment plus lourd » des Véliternes, précédé immédiatement du statut des cités incorporées, prouve que la civitas Romana tient aussi sa place dans l'échelle des peines, mais à un degré inférieur si elle ne s'accompagne pas de mesures de déportation. Le statut imposé aux cités latines devenues romaines révèle, en second lieu, les formes juridiques de l'incorporation. Les nouveaux citoyens romains sont des municipes et les cités intégrées, des municipia. C'est, pour les Lanuvini, formellement attesté par Tite-Live : Lanuvinis civitas data sacraque sua reddita cum eo, ut aedes lucusque Sospitae Junonis communis Lanuvinis municipibus cum populo Romano esset (8, 14, 2). A prendre le texte comme il est, il est clair que pour Tite-Live l'expression de municipes Lanuvini qualifie, par opposition aupopulus Romanus, ces Lanuvini qui viennent de recevoir la civitas Romana et à qui Rome décide, sous certaines conditions, de « rendre » - c'est-à-dire de maintenir sous la forme de sacra municipalia - un culte qui, d'indépendant, est devenu romain. L'expression «municipes Lanuvini» est extrêmement précieuse : elle signifie, par le premier emploi qui en est fait chez Tite-Live, que pour cet
139 Voir de même Dion Cass., 7, 35, 10 : «ramenant les Latins vers des sentiments d'amitié, les Romains leur accordèrent la civitas; ... ces droits qu'ils n'auraient pas dû partager avec les Latins, qui leur firent courir tant de dangers, les Romains les leur accordèrent spontanément après les avoir conquis». 140 La conception livienne de la citoyenneté accordée à titre de bienfait ou de récompense pour services rendus (cf. de même, infra, p. 205) est en fait la conception récente, du Ie siècle avant au II e siècle ap. J.-C. : sur cette dernière, cf. F. Vittinghoff, Römische Kolonisation und Bürgerrechtspolitik unter Caesar und Augustus, dans Akad. Wiss. Mainz, 1951, p. 37 (avec l'exemple de Gadès, Messine, Volubilis).
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historien, depuis leur incorporation dans l'Etat romain, les cives Lanuvini ont cessé juridiquement d'être; il n'existe plus qu'une catégorie, celle des municipes Lanuvini, qui sont des cives Romani, mais distincts (on y reviendra) du populus Romanus p r o p r e m e n t dit. La composition très soigneuse du texte (8, 14) de Tite-Live exclut, on Ta vu, qu'il se fût agi, pour les cités latines, d'une civitas partielle, sine suffragio. On a la preuve, ainsi, que c'est bien à cette incorporation globale et complète q u e se réfère Cicéron dans le Pro Balbo 13, 31 : ex Latio multi, ut Tusculani, ut Lanuvini, et ex ceteris regionibus gentes universae in civitatem sunt receptae', c'est à cette m ê m e catégorie de municipia, les municipia optimo iure, que se réfère Festus-Paul au § 2 de sa définition du municipium : alio modo, cum id genus hominum dejinitur, quorum civitas universa in civitatem Romanam venit, ut Aricini... (155 L); de fait, l'on sait par TiteLive (8, 14, 3) que Aricini. . . eodem iure, quo Lanuvini, in civitatem accepti L'ensemble est cohérent : l'incorporation globale des villes latines dans la citoyenneté romaine complète est à l'origine de leur qualité de municipium. Le § 1 e r de la définition de Festus-Paul qui cite Lanuvium et Tusculum (aux côtés de cités non latines qui reçurent la civitas sine suffragio), comme u n type de municipes dont les habitants n'auraient pas été citoyens romains - dans un premier temps - 1 4 1 ne corrigera pas la construction parfaitement claire que les passages cités de Tite-Live, Cicéron et Festus-Paul (§ 2) p e r m e t t e n t de proposer. Les conclusions auxquelles on aboutit sont les suivantes : le processus d'annexion des cités latines dans l'Etat romain s'est réalisé d'une manière complète et immédiate en 338. Après ceux de Tusculum et de Caere, de nouveaux municipia sont alors apparus, cités de citoyens romains optimo iure, mais distinctes du populus Romanus. Un des piliers de la reconstitution, par A. N. Sherwin-White, de la citoyenneté romaine républicaine s'écroule ainsi : identifiant les municipes et les cives sine suffragio, le savant anglais avait rejeté du nombre des municipia les cités latines intégrées dans la civitas optimo iure, et vit une sorte d'incompatibilité entre la citoyenneté romaine complète et la qualité de municeps ou l'existence d'un munici-
141 Paul, 155 L: municipium id genus hominum dicitur, qui cum Romam venissent, neque cives Romani essent, participes tarnen fuerunt omnium rerum ad munus fungendum una cum Romanis civibus, praeterquam de suffragio ferendo, aut magistratu capiendo; sicut fuerunt Fundani, Formiani, Cumani, Acerrani, Lanuvini, Tusculani, qui post aliquot annos cives Romani effecti sunt.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
piumlA2. Or, et c'est fondamental pour la définition de la civitas sine suffragio et p o u r celle du municipe romain, cette incompatibilité n'existe pas. Les Aricini municipes, auxquels Festus-Paul (§ 2) fait allusion, se réfèrent à l'incorporation complète de leur cité sur le modèle de Lanuvium et de Tusculum. Il est inutile de s'appuyer sur les formules maladroites du § 1 e r p o u r soutenir qu'avant d'être romains, les Tusculani et les Lanuvini, ut Latini, étaient déjà municipes et que, devenus Romani, ils perdirent cette qualité : pour trois raisons. Les cités latines fédérées qui, c o m m e Tibur ou Préneste, ont prolongé jusqu'en 90 le statut latin que Tusculum et Aricia avaient connu avant 381 ou 338, n'ont jamais appartenu à la condition du municipium143. Les seules cités latines, en revanche, p o u r lesquelles il est historiquement attesté qu'elles ont répondu, sous la République, à la définition du municipium, sont les cités latines incorporées dans la civitas Romana optimo iure au IV e siècle (Tusculum, Lanuvium, Aricia) 144 . Enfin, si le § 1 e r de la définition d e Festus-Paul devait se référer aux «municipes latins » et non aux municipes de citoyens romains, on ne voit pas ce que les Fundani et les Cumani viendraient y faire, puisqu'ils n'ont pu être des municipia qu'après être devenus romains 1 4 5 . Les cités latines ne sont devenues
142
RO, p. 56 sq. = RC2, n. 60. Pour A. N. Sherwin-White, la présence de Lanuvium et Tusculum dans la liste de Festus-Paul, § 1, s'expliquerait par l'idée, fausse, que toutes les cités entrèrent dans la civitas Romana par la civitas sine suffragio. L'antagonisme entre municipium et civitas optimo iure, pour le savant anglais, se serait maintenu jusqu'à la guerre sociale : selon une interprétation (à notre sens, inexacte : infra, p. 347) de la Lex agraria de 111 (FIRA, Leges, NR 8, p. 102 sq., 1. 31), les cités de cives o.L n'auraient pu être qualifiées que de pro municipiis et non pas de municipia (RO p. 213). 143 On écartera deux passages de Tite-Live : l'un, manifestement corrompu (26, 15, 3) où l'on lira, avec Drakenborch, 1823, ad h.l. : cum aliquis sociorum Latini nominis (et) municipiorum; et num ope eorum in hello forent (et municipiorum) adiutl Dans l'autre passage (Liv. 26, 8, 10) (cité note suivante), il est clair que municipia est employé ici pour le terme plus général d'oppida qui aurait convenu à la fois à des colonies latines (Setia), à des cités fédérées (Cora), à des municipes (Lanuvium). 144 Tusculum : Cic, pro Plane. 8, 19 (municipium antiquissimum) et Festus-Paul, 155 L, § 1; Aricia: Cic, Phil. III, 6, 15 : municipium vetustate antiquissimum et Festus-Paul, 155 L, § 2; Lanuvium : Liv. 8, 14, 3 : Lanuvini municipes; Liv. 26, 8, 10 : per Appiae municipia, quaeque propter eam viam sunt, Setiam, Coram, Lanuvium praemisit (cf. l'éd. de Drakenborch, 1823, ad h. 1. et supra, n. 143) et Festus-Paul, 155 L, § 1. On ajoutera naturellement Nomentum, Pedum (Liv. 8, 14,3) et toutes les autres cités qui furent alors englobées dans l'Etat romain. 145 L'assimilation du droit latin à la civitas sine suffragio est juridiquement impossible et dénuée de bases historiques. En ce sens, pourtant, A. N. Sherwin-White, cit.', E. Manni, Per la Storia, p. 28, p. 33. La présence, côte à côte, dans ce §, des Tusculani et des Fundani ne peut s'expliquer ainsi : v. le premier argument invoqué ci-dessus et supra, p. 42.
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des municipia que par leur incorporation dans l'Etat romain et qui leur ouvrit aussitôt Y optimum ius.
IV - L'INCORPORATION DE LA CAMPANIE ET DES VOLSQUES DU SUD (334/329)
Peu après le règlement définitif de la question latine par l'incorporation d'une partie du Latium, l'extension vers le Sud, restée en suspens après la défaite des Campaniens en 340, fut décidée vraisemblablement en 334 146 . La procédure adoptée dut répéter celle de 338 : une série de décisions du Sénat, suivies d'un vote du peuple qui conférait aux extensions de la citoyenneté romaine sa forme légale. Campanis, equitum honoris causa, quia cum Latinis rebellare noluissent, Fundanisque et Formianis, quod per fines eorum tuta pacataque semper fuisset via, civitas sine suffragio data. Cumanos Suessulanosque eiusdem iuris condicionisque cuius Capuam esse placuit (Liv. 8, 14, 10-11); deux ans plus tard, en 332, les Campaniens du Sud (Acerrae) deviennent à leur tour Romains : Romani facti Acerrani lege a L. Papirio praetore lata, qua civitas sine suffragio data (Liv. 8, 17, 12 et Vell. 1, 14). En 329, la poche que formaient les Volsques de Privernum est réduite; après avis du Sénat, le peuple leur donna le droit de cité (ex auctoritate patrum latum ad populum est, ut Privernatibus civitas daretur, Liv. 8, 21, 10). Après ces extensions nouvelles, Vager Romanus, désormais, forme un bloc d'un seul tenant, de Caere jusqu'aux portes de Naples. Quelle politique cette romanisation sert-elle? Sous quelles formes se manifesta juridiquement la présence de Rome? 1 - La politique de
romanisation.
A en croire Tite-Live, elle ne fut que pure générosité : qu'il s'agisse des Volsques de Fundi ou Formiae, ou des Campaniens, la civitas récompensa d'éminents services rendus; quant aux Privernates, la magnanimité du Sénat n'eut d'égale que la courageuse fierté de ces Volsques qui s'ouvrirent, par leur vertu, le chemin de la citoyenneté. Tant de grandeur étonne; mais derrière la monotonie du motif, on pressent une réalité différente. L'appré-
146 Selon la chronologie, plus détaillée, et sans doute plus précise, de Vell. Paterculus 1, 14 : civitas sine suffragio des Campaniens sous le consulat de Sp. Postumius et Veturius Calvinus, en 334. La même année (« un an avant la censure (332) de Sp. Postumius et de Publilius Philo » : à comprendre deux ans avant, soit 334, car Vell. Paterculus ne compta pas 333, année dictatoriale), Formiani et Fundani in civitatem recepti.
14
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ciation de Tite-Live, est, au premier chef, suspecte : l'historien s'est bien gardé d'indiquer que ces nouveaux Romains étaient des vaincus. C'est incontestable pour les Campaniens; la deditio des Privernates est attestée; l'hostilité des Fundani et des Formiani à la politique romaine ne peut faire de doute. - Les Volsques de Fundi et Formiae. Leur neutralité bienveillante au plus fort de la coalition latino-campanienne, entre 340-338, a de quoi surprendre. Ils ne restèrent certainement pas inactifs au moment où, au Sud, les Romains réduisirent, après de longs combats, les Aurunques147, ni surtout quand, au Nord, ils soumirent les Volsques de Privernum et d'Antium148. La collaboration pro-romaine de Fundi et Formiae est une invention destinée à soutenir une image anachronique de la citoyenneté romaine 149 . Elle ne doit pas induire en erreur; elle ne trompa pas, pas en tout cas les Fundani et les Formiani. Comme on le remarqua pour les Tusculans, les événements immédiatement postérieurs donnent à la citoyenneté « concédée » sa dimension véritable : une annexion, imposée naturellement par la force. De fait, dès 330, les Fundani se soulèvent, marquant bien ainsi le prix qu'ils attachaient à la civitas Romana sine suffragio qui venait de leur être «donnée». Par une alliance avec leurs frères de Privernum, victimes de confiscations massives en 340, ils réaffirment, face à Rome, la liberté du nomen Volscum150. C'était bien un soulèvement politiquement réfléchi, car il n'émanait pas d'éléments plus ou moins pacifiés, mais de la noblesse de Fundi elle-même, qui ne dissimula pas qu'elle préférait l'indépendance et l'autonomie de son peuple à la possibilité - ouverte par la civitas Romana de collaborer avec l'aristocratie romaine. Il est révélateur de trouver à la tête du soulèvement un vir non domi solum, sed etiam Romae clarus : Vitruvius Vaccus, possédant une maison sur le Palatin, n'ignorait certainement rien des avantages que la civitas sine suffragio lui offrait, en particulier en
147 Guerre contre les Aurunques en 343 (Liv. 7, 28, 1 sq.) en même temps que contre les Volsques; en 340, collaboration des Volsques du Sud (région de iWinturnae) avec les Latins et les Campaniens contre Rome (Liv. 8, 10, 9; Liv. 8, 11, 10). Combat des Romains contre les Ausones {Le,, les Aurunques : Mommsen, dans CIL X, p. 451) en 336-334 (Liv. 8, 16). 148 En 341-338, guerres contre les Volsques du Nord : Privernum est amputée d'une partie de son territoire, Antium est" prise. 149 Cf. supra, p. 155-7; p. 192-3. 150 Eodem anno Privernas bellum initum, cuius socii Fundani, aux etiam fuit Fundanus (Liv. 8, 19, 4).
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ce qu'elle lui permettait de se fondre dans le corps politique des citoyens romains par une mutatio soli qu'il semblait bien avoir entamée. La conscience, chez Vitruvius Vaccus, des réalités politiques romaines, sa connaissance du contenu juridique de la civitas sine suffragio, bref sa clairvoyance ne peuvent pas être mises en doute. Sa révolte, suivie par le sénat de Fundi 151 , montre qu'il n'est pas possible de définir la civitas sine suffragio des origines comme un h o n n e u r collectif, c o m m e l'offre individuelle d'une citoyenneté éventuelle. Si elle n'avait comporté que des droits, sa concession aurait soulevé l'envie et non la révolte. La noblesse de Fundi, par u n jugement d'authenticité certaine, rectifie les appréciations anachroniques et les explications laborieuses de Tite-Live. Il y a bien des chances, même, p o u r que la formule de deditio que le sénat de Fundi prononce en 329, en signe de soumission après sa tentative avortée de révolte, ne soit que la répétition de celle qui l'avait abandonné au pouvoir de Rome entre 341 et 334 : dans les termes de la plus récente on peut reconnaître, il nous semble, l'engagement de maintenir une condition déjà établie, celle de déditice 152 . - Privernum : lourdement a m p u t é e en 341, c'est en 329 que son sort est définitivement réglé. Sa deditio n'est pas douteuse 1 5 3 ; son élite politique est bannie, les biens des exilés confisqués 1 5 4 . Et pourtant, ici encore, la tradition romaine chercha à maquiller la réalité politique de la décision de Rome. Au Sénat, qui aurait cru b o n de demander aux légats le sort qu'ils souhaitaient pour leur peuple, il aurait été répondu : la liberté. Autrement dit, l'indépendance. Flatté de tant de courage, le Sénat aurait décidé de le r é c o m p e n s e r par la citoyenneté; en clair, par la dépendance 1 5 5 . Le jeu de
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Liv. 8, 20, 10-13 : devant l'échec de la révolte, le sénat de Fundi capitule et s'efforce de faire retomber sa responsabilité sur trois cent cinquante conjurés; mais le Sénat romain n'accepta pas qu'on livrât ces hommes, estimant que le peuple fundain avait voulu payer sa dette en punissant ces pauvres et humbles citoyens. Le refus du Sénat prouve qu'il était conscient qu'on ne lui livrait pas les coupables; les protestations d'innocence du sénat de Fundi ne convainquirent pas les Romains et pourtant, avec quels accents le sénat de Fundi proclama sa reconnaissance pour la cité romaine qui venait d'être donnée! (gratam memoriam acceptae civitatis). 152 La deditio de 329 paraît être le respect d'une situation antérieure : agros, urbem, Corpora ipsorum coniugwnque ac liberorum suorum in potestate populi Romani esse futuraque (Liv. 8, 19, 12); de même, Liv. 8, 19, 13 : in officio Fundanos esse (ils restent dans le devoir). 153 Liv. 8, 20, 6 : ipsos se in dicionem consuli (329). 154 üv. 8, 20, 9. 155 Liv. 8, 21
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
mots est un peu gros; néanmoins, Tite-Live, Denys d'Halicarnasse, ValèreMaxime et Dion Cassius 156 ont versé l'épisode au crédit de la générosité de Rome. On peut hésiter à les suivre. Les Fundani, les Formiani et les Privernates ne se sont pas battus pour la civitas, mais contre elle 157 . Rome d u t vaincre, au prix d'une capitulation chaque fois, la révolte d'une noblesse qu'elle n'avait p a s su, à la différence de la noblesse campanienne, s'attacher ou plutôt s'acheter à prix d'or. - La Campanie. Si la nouvelle de son annexion fut accueillie, en 334, p a r un calme apparent, c'est qu'elle avait été, de longue date, préparée. Elle n'était que l'achèvement d'une politique, dont les d é b u t s en 340 avaient consisté à s'assurer, p a r la restauration de ses privilèges, que l'aristocratie campanienne apporterait son appui inconditionné aux ambitions du populus Romanus. La soumission des Aurunques (Calés, colonie latine fondée en 334) et des Volsques (334 et 329) rendit possible u n e annexion que les équités Campani avaient, en fait, acceptée dès 340. Que signifia-t-elle pour eux? De citoyens r o m a i n s optimo iure, mais potentiels (ou honorifiques), ils devinrent des cives sine suffragio, c'est-àdire des sujets de R o m e avec des droits réduits. Ils conservèrent, bien certainement, leur citoyenneté d'honneur concédée à titre héréditaire, mais furent désormais soumis aux charges militaires et financières qui incombaient aux citoyens romains, à ces munera qui d o n n è r e n t à leur condition son aspect le plus caractéristique. Peut-être leur indépendance politique fut-elle extérieurement mieux respectée que celle des Volsques du Sud, ou celle des Volsques d u Nord contraints de s'incliner en 329 après la prise de Privernum; mais nous n'en savons rien. Il est à peu près certain que le vaste marché créé p a r la conquête de la Campanie, voulue p a r la noblesse patricio-plébéienne de Rome 158 , et qui
156
Liv. 8, 21; DH. 14, fr. 13; Val. Max. 6, 2, 1-2; Dion Cass. 7, fr. 35, 11. Même après la pacification de 329, la fidélité des Volsques restera douteuse : en 327, Privernum, Fundi et Formiae, de nouveau associées, tentent de profiter d'une menace samnite pour se soulever contre Rome; selon Liv. 8, 23, 2, les Samnites se défendent de les avoir sollicitées. 158 J. Heurgon a insisté sur le rôle de l'élément conservateur (notamment les Fabii) : Capoue préromaine, p. 258; E. Staveley, dans The poîitical aims of Appius Claudius Caecus, dans Historia 8, 1959, p. 426, souligna l'importance de Q. Publilius Philo, démocrate plébéien; de même F. Cassola, Gruppi politici romani, op. cil, p. 121 sq., qui insista sur la volonté de la nobïlitas (patricienne et surtout plébéienne) de s'ouvrir, par la conquête de la Campanie, de nouveaux marchés. Le rôle de L. Aemilius nous semble également déterminant dans l'extension du territoire de Rome à cette époque : les consuls de 334 sont nommés à la suite d'élec157
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servait ses intérêts, profita aussi à la noblesse campanienne; elle vit à son tour les horizons de son commerce reculés jusqu'à Rome. Une obscure conjuration vers 318-314 à la fois à Capoue, à la fois à Rome, atteste que les intérêts financiers de Rome et de Capoue avaient rapidement convergé159. Ces aspects économiques ou commerciaux ont leur importance pour comprendre et les mobiles de la conquête et ses effets; ils soulignent notamment le profit que l'aristocratie campanienne tira, dans un premier temps, de sa soumission à Rome, et pourquoi elle l'accepta. Mais les avantages de cette collaboration ne l'emportèrent pas toujours sur le désir de retrouver une indépendance perdue : dès 328 des menaces de défection inspirent aux Romains une inquiétude que le désastre des Fourches Caudines (321) ne fera que renforcer160; en 315, une collaboration ouverte de l'ensemble de la confédération campanienne avec les Samnites entraîne les Romains à sévir durement 161 .
tions tenues par L. Aemilius dictateur (mag. equit : Q. Publilius Philo); lui-même est consul en 329 et contribue à l'incorporation de Privernum dans la civitas Romana (Liv. 8, 20-21; d'où son cognomen Privernas); affinités politiques de L Aemilius avec Q. Publilius Philo et avec L Papirius (civitas aux Acerrani en 332) : F. Cassola, op. cit., p. 127. V. encore E. J. Phillips, dans Atk 50, 1972, p. 337 sq. 159 Cf. Liv. 9, 26, 5-22; Diod. 19, 76, 3 sq.; pour F. Cassola, op. cit., p. 146 sq., les homines novi (dont Q. Publilius Philo), qui avaient été partisans ou auteurs de l'extension de la civitas Romana se trouvèrent parmi ceux qui auraient conspiré contre l'Etat en collaborant avec la noblesse campanienne. L'enquête à Rome et à Capoue sera menée par le dictateur plébéien C. Maenius, l'un des auteurs de l'extension aux cités latines de la civitas Romana en 338. Mais cf. également infra, n. 161 sur une interprétation différente de la condamnation de Q. Publilius Philo. 160 En 328, les Palaeopolitains guettent une défection des Campaniens (Liv. 8, 22, 10) et inquiètent les colons romains de Vager Falernus : ce ne fut possible qu'avec la complicité des Campaniens. Après le désastre des Fourches Caudines (en 321, selon Tite-Live), les Romains restent incerti de fide sociorum (= Campanorum) : Liv. 9, 6, 4 : Capoue, en effet, ne fournit apparemment aucune aide militaire aux Romains et se borne à permettre aux vaincus de traverser son ager (Liv. 9, 6, 8). 161 En 315, toute la ligue Campanienne s'est révoltée contre Rome, après avoir suivi de gré ou de force l'avance Samnite, qui aboutit, près de Tarracina, à Lautulae, à la défaite des Romains. Cf. G. De Sanctis, Storia dei Rom, II1, p. 323 et n. 1; A. J. Toynbee, HL1, p. 206 et E. T. Salmon, Samnium, p. 238 et 239, n. 1 (sur l'identité des cités révoltées : outre Capoue, Atella et Calatia). En 314, les Romains prennent le dessus : c'est alors la répression de la sédition en Campanie; selon E. T. Salmon, op. cit., p. 240, Q. Publilius Philo aurait été accusé en tant que responsable de la politique d'extension de la civitas vers le Sud, dont l'échec, après 315, était patent. Sur la répression à Capoue, Liv. 9, 26, 7. Des infiltrations samnites (cf. Liv. 9, 25, 2) contribuent à expliquer ces défections.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
2 - La pénétration
romaine
chez les Volsques et en Campanie.
Avec les Volsques d u S u d et la Campanie, la civitas s'engageait vers des régions lointaines. Quelle f o r m e prit la présence romaine? Il y eut, certes les moyens é n e r g i q u e s d ' u n contrôle militaire - on en rappellera, sans s'v attarder, les principales manifestations - ; m a i s il fut complété p a r des procédés plus souples qui r é p o n d e n t moins à u n e politique de surveillance qu'à une volonté, c o n s c i e n t e dès la conquête, d'engager un mouvement d'assimilation progressive. Son ambition devait être d'aboutir à la romanisation de ces m u n i c i p e s q u ' u n décret du Sénat et une loi venaient brusquement de déclarer citoyens r o m a i n s . Un regard sur la c a r t e d o n n e le sens de ces colonies romaine ou latines maritime ou à l'intérieur d e s terres, qui surveillent les régions nouvellement i n c o r p o r é e s d a n s la citoyenneté. La soumission des Volsques est garantie, en 329, p a r la d é d u c t i o n de Tarracina, colonie militaire romaine. Sans doute la cité v o l s q u e d'Anxur subsista-t-elle - mais on ignore sous quelle forme 1 6 2 . S i m u l t a n é m e n t une colonie latine, massive, est déduite à Fregellae (328), destinée a u t a n t à se défendre des Samnites qu'à surveiller les Volsques 1 6 3 . Quelques a n n é e s plus tôt, en 334, à Cales, 2500 colons latins se partageaient des t e r r e s et des armes au milieu des Aurunques 1 6 4 dans une position qui leur p e r m e t t a i t d'empêcher u n e invasion samnite, de prévenir des t r o u b l e s chez les Aurunques et u n e révolte des municipes campaniens qui venaient de voir le jour 1 6 5 . Le dispositif fut complété par la déduction en 314/3 de trois a u t r e s colonies latines, Suessa Aurunca au Nord et Saticula à l'Est de la Campanie 1 6 6 ; et Luceria au cœur du Samnium. L'arsenal militaire fut d o u b l é de solutions plus pacifiques; la conquête se voulait incontestée, certes, mais pour ê t r e complète, elle devait gagner les esprits et les m œ u r s . a) Chez les Volsques, les municipes de Fundi et Formiae ont échappé, selon toute a p p a r e n c e , aux mesures de confiscation; il n'y eut pas de
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Supra, p. 189, n. 130. E. T. Salmon, Samnium, p. 212 sq. Située sur la rive gauche de la Lins, la rive samnite, la colonie ne s'installa pas sur des terres prises aux Volsques. 164 Le nombre des colons est connu : 2500. Sur le sort des Aurunques, infra, p. 209 sq. 165 Sur la fondation de Calés, G. De Sanctis, Storia dei Rom. IV, p. 284 sq.; A. J. Toynbee, HL I, p. 182 sq.; E. T. Salmon, Samnium, p. 211 sq. et Rom. Col, p. 56 sq. 166 Avec, en outre, la tâche de protéger les terres assignées aux cives Romani, inscrits en 299 dans la nouvelle tribu Teretina : Taylor, VD, p. 57 sq. Sur cette tribu, infra, p. 210. 163
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citoyens de Rome installés au cœur ou à proximité de la population municipale167. Renonçait-on à s'engager sur la voie de la fusion? Non, sans doute, si l'on accepte de placer aux alentours de la conquête une institution attestée pour ces deux municipes, la praefectura iure dicundo168. Sans trancher prématurément un délicat problème de datation, nous suggérons de situer vers la fin du IVe siècle l'installation d'un représentant de l'autorité romaine, à la compétence principalement juridictionnelle; c'était la condition d'un rapprochement qu'aucune communauté politique ou juridique169 n'aurait pu, sinon, précipiter, voire même permettre. A Privernwn, la présence romaine se fait plus pesante. Le territoire de ce futur municipe fut frappé deux fois; la première confiscation, en 341, l'amputa des deux tiers - en direction sans doute de Tarracina -170; le bannissement des sénateurs en 329 permit pour la seconde fois à des cives Romani optimo iure de prendre possession et domicile au sein de la population municipale. Tite-Live évoque très exactement le précédent de Velitrae : le procédé fut en effet le même171, et ces cives de vieille souche qui, en 318, formeront la tribu nouvelle de l'Oufentina172, ont probablement été rattachés administrativement au municipe. Celui-ci devint de la sorte l'unité administrative173 autour de laquelle s'organisa une population mixte, hétérogène par ses origines et ses droits politiques174.
167
II n'y eut pas, ainsi, de tribu nouvelle créée pour ces territoires; lorsque, en 188, Fundi et Formiae accéderont à Yoptimum ius, leurs municipes seront inscrits dans l'Aemilia qui n'avait, dans ces régions, aucune base territoriale. Infra, p. 396 sq. 168 Festus 262 L, v° Praefecturae. Infra, p. 375 sq. pour le détail. 169 Politique : bien que cives, ces municipes sine suffragio ne participent pas à la vie politique romaine; juridique: l'autonomie et le respect, par Rome, des droits locaux (infra, p. 304 sq.) auraient empêché, en l'absence d'un représentant du préteur, le rapprochement du droit local vers les institutions romaines. 170 Liv. 8, 1, 3 et Taylor, VD, p. 56 et n. 31. Tarracina, peu après sa fondation, sera inscrite dans la tribu Oufentina (318), celle même où seront placés les bénéficiaires des terres confisquées en 329 à Privernum. 171 Liv. 8, 20, 9 : de senatu Privernate ita decretum, ut, qui Senator Priverni post defectionem ab Romanis mansisset, trans Tiberim lege eadem qua Veliterni habitaret. Les terres confisquées à la suite de cette mesure d'exil furent bien certainement distribuées à des cives Romani optimo iure. 172 Sur son site, Taylor, VD, p. 56. 173 On ignore sa constitution précise : le nom des magistrats du municipe n'est pas connu : infra, p. 307, n. 76. 174 Privernum ne jouit certainement pas, lors de son incorporation, de Yoptimum ius, pas plus que les autres cités volsques, Fundi et Formiae (en 334) ou Arpinum (en 304) ; ainsi d'ailleurs Mommsen, CIL X, p. 637; De Sanctis, Storia dei Rom. W, p. 283; A. Bernardi, / cives s. s.,
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Un praefectus iure dicundo, ici encore attesté 175 , contribua, dès cette époque peut-être, à associer dans une m ê m e communauté juridique les tribules municipes et les municipes non tribules jusqu'au m o m e n t où Privern u m et son territoire dans son ensemble furent versés dans la tribu Oufentina 176 . On ignore les étapes de cette mutation 1 7 7 ; mais elle fut sans doute imperceptible et l'osmose fut si parfaite que, pour les Romains, au II e siècle av. J.-C, le centre de l'Oufentina et son point de départ était Privernum 1 7 8 , alors qu'en réalité, à son origine, Privernum était principalement en dehors de l'Oufentina. b) Dès 340, la Campanie avait p e r d u Y ager Falernus qui, distribué viritim un peu plus tard à des cives optimo iure, forma en 318 la base territoriale de la tribu nouvelle Falerna179. Ce fut apparemment la seule mesure de confiscation, la seule manifestation d'une pénétration romaine locale, dont il convient de m a r q u e r les limites. Vager Falernus ne se confond pas avec Vager Campanus proprement dit (le Volturnus les sépare), si bien qu'une frontière naturelle distingue le territoire romain ou romanisé 1 8 0 du territoire laissé aux municipes campaniens. Si l'on ignore à peu près tout de l'organisation administrative de la tribu Falerna 181 , on peut admettre dans Ath. N. S. 16, 1938, p. 268 sq.; Taylor, VD, p. 56; A. N. Sherwin-White, RC2, p. 48 - et moins net, p. 198 -. En revanche, I. Bitto, Tribus e propagatio civitatis, op. cit (supra, p. 164, n. 36), p. 37 et n. 78, incline, pour les besoins de sa cause, du fait de « la situation ethnique de la population», à attribuer aux Privernates Yo.L dès 318. 175 Festus, 262 L, v° praefecturae; infra, chap. IX. 176 Cf. Mommsen, CIL X, p. 637 et les références. 177 Elle est achevée certainement bien avant l'époque de Lucilius (milieu du IIe siècle) note suivante. 178 Au témoignage de Lucilius ap. Festus, 212 L : Oufentinae tribus initio causa fuit nomen fluminis Ofens, quod est in agro Privernate mare intra et Tarracinam. Lucilius : «Priverno Oufentina venit, fluvioque Ofente». Postea deinde a censoribus alii quoque diversarum civitatum eidem tribui sunt adscripti. On reviendra sur ce texte très important : infra, p. 349 sq. 179 Sur son site et sa création : Mommsen, CIL X, p. 365 ; Taylor, VD, p. 56. 180 Des indigènes restèrent certainement sur place et accédèrent de la sorte à l'optimum ius. Mais le peuplement du territoire de la tribu est principalement romain. 181 Un forum, Forum Popili, dont le site semble bien correspondre à l'actuelle Carinola, entre Suessa Aurunca et Teanum Sidicinum (ainsi Mommsen, CIL X, p. 460, qui attribue sa fondation au consul Popilius de 316 -; L. Ross Taylor lui donne une date beaucoup plus récente et le place - cf. sa carte de Yltalia tributim discripta - entre Capoue et Casilinum), est un des rares centres attestés dans cette région. Encore ignore-t-on à partir de quand, créé sans doute comme conciliabulum, il accéda au rang de forum, qui demeure le type le plus rudimentaire de res publica. Le problème de la justice, qui devait être rendue dans Yager Falernus, situé à plus de 200 km. de Rome, reste entier, même après la constitution du forum Popili. Cf. infra, p. 204.
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qu'il n'y eut pas de contacts très étroits entre la population d'origine romaine et les habitants des divers municipes de Campanie. Ni, en effet, le cadre d'une tribu (les Campaniens n'accéderont que tard à l'optimum ius)182 ni une administration municipale commune ne pouvait apporter ici les bienfaits d'une collaboration élémentaire. Mais l'envoi, peut-être à titre définitif, de préfets romains en Campanie, pour y rendre la justice, dès 318, complète l'image que l'on doit se faire de la «présence» romaine en Campanie183. On ignore tout de la façon dont le Sénat de Rome pouvait contrôler et surveiller sur place la politique campanienne, ne serait-ce que pour prévoir les tentatives de sédition à défaut de pouvoir toujours les déjouer184. Il y eut certainement, sur place, des détachements militaires185. Peut-être le praefectus iure dicundo jouait-il un rôle officieux? Mais ce n'était pas la mission de ce délégué du préteur qui, en 318, apparaît comme tel en Campanie. La date et la portée politique de l'événement sont d'importance - aussi estil rejeté traditionnellement, au mieux comme une mesure sans lendemain, au pire comme une anticipation de plus d'un siècle. Mais, comme on pourra le lire plus loin186, aucun argument sérieux ne peut être apporté pour reculer en 211 l'apparition des préfectures campaniennes et on pourra montrer à partir de quelles méprises ce fut affirmé. Le témoignage de Tite-Live, pour 318, garde sa valeur mais on l'aurait voulu plus explicite : si l'on peut écarter l'idée qu'il se serait agi d'un arbi-
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Infra, p. 352 : peut-être pas avant la guerre sociale? Liv. 9, 20, 5 (318): eodem anno primum praefecîi Capuam creari coepti, legibus a L Furio praetore datis, cum utrumque ipsi pro remedio aegris rebus discordia intestina petissent. On reviendra sur ce passage très discuté. On pourrait être tenté de le mettre en correspondance avec les événements de 315 (révolte de la ligue campanienne) et de 314 (Liv. 9, 26, 5 et sq., répression menée par le dictateur C. Maenius). La chronologie n'est peut-être pas très sûre, mais nous préférons laisser en 318 (correspondance facile chez Tite-Live avec la création de la tribu Falerna) la «création» des praefecti, sans voir dans les événements de 315/4, la réaction directe à cette atteinte à l'autonomie locale, ou, inversement, sans associer la création des préfets à une mesure de répression en 314. 184 On ne peut que faire des hypothèses, pour la Campanie, comme pour les autres municipes : est-ce au moyen d'ambassades, de legati, que les bases d'une politique commune étaient établies? Le praefectus iure dicundo, dans lequel nous refusons de voir principalement autre chose qu'un organe délégué pour rendre la justice, jouait-il ici un rôle officieux? 185 Lors de la défection de Capoue, en 216, les praefecti socium, commandants de la garni' son militaire romaine, sont massacrés (Liv. 26, 13, 5; 31, 31, 12). 186 infra, p. 366 sq. avec la bibliographie critique. 183
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trage de type international confié à Rome187, ou d'un arbitrage privé sollicité du préteur par les Campaniens188, on peut hésiter sur la durée et la régularité de cette compétence juridictionnelle déléguée. Se trouve-t-on devant une mesure provisoire qui suspendra exceptionnellement la compétence illimitée des magistrats locaux ou, au contraire, est-ce le début d'une collaboration juridictionnelle entre les magistrats des municipes et le délégué du préteur? Une réponse serait prématurée; car raisonnablement les deux thèses peuvent être soutenues. Indiquons seulement, pour justifier notre préférence, que l'année 318 correspond à l'installation officielle des cives Romani optimo iure en Campanie (Vager Falernus, devenu tribu Falerna); ce ne peut être, F. Sartori l'a déjà remarqué, un hasard189. A moins d'admettre, mais le bon sens s'y refuse, que les différends qui dès lors durent se multiplier entre les cives de Rome et ceux de Capoue fussent abandonnés par le préteur à la compétence d'un magistrat local, on accordera une utilité'certaine à la présence régulière - ce qui ne signifie pas permanente - d'un délégué local du préteur 190 . Peut-être même devrait-on lui confier une tâche de plus, ce qui lèverait une épaisse tranche d'obscurité : qui rendait la justice dans la Falema, dont la population hétérogène n'avait que les droits politiques et le ius civile pour ferment d'unité? Personne ne songera à une centralisation à partir de Rome; mais sur place aucun magistrat local ne pouvait se faire le champion d'une justice décentralisée 191 ; une solution de «déconcentration» séduirait : il suffit de placer dans la praefectura de ces délégués du préteur la population de la tribu qui semble avoir provoqué sa création et, on le croirait volontiers, assuré sa durée.
187 Ainsi, A. N. Sherwin-White, RO p. 41 = RC1, p. 43 et F. De Martino Storia IF, p. 136, suggérant une comparaison avec la pratique des juges étrangers des cités grecques. Mais Rome connaît des cas fréquents d'arbitrage international : c'est le Sénat qui intervient alors, et non le préteur : v. E. De Ruggiero, Diz Epigr. v° arbiter (1890), p. 614 sq.; du même L'arbitrato pubblico presso i Romani, dans BIDR 5, 1892, p. 199 sq. 188 Ainsi, W. Simshäuser, Iuridici, p. 90 (eher schiedsrichterliche Aufgaben) : non, car le préteur ne répond pas aux demandes par l'envoi d'un arbiter, simple particulier, mais par un délégué muni d'instructions (legibus datis). C'est donc un acte de juridiction exercé par le magistrat romain. 189 F. Sartori, Problemi di storia costituzionale italiota, Rome, 1953, p. 166 sq. 190 Sous forme d'assises (conventus). Ceci suppose le maintien des magistrats locaux et de leurs fonctions judiciaires. 191 Supra, p. 202, n. 181.
L'ANNEXION DU LATIUM
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3 - Municipium et civitas sine suffragio : privilège ou annexion? En résumé, le procédé de romanisation par la concession de la citoyenneté sans suffrage répond à quelle réalité juridique? La civitas étendue aux Campaniens ou aux Volsques de Fundi, à ceux de Privernum comme à ceux d'Antium, est une incorporation immédiate et globale qui survient au lendemain d'une deditio attestée pour chacun de ces exemples192. Par la façon dont elle est imposée et par son caractère de sanction, la civitas sine suffragio est en tout point identique à la civitas optimo iure étendue entre 381 et 338 aux peuples latins. L'intégration dans une citoyenneté, dont les droits ne parviennent pas à compenser les charges, montre, pour la civitas sine suffragio, que son caractère honorifique, sur lequel les historiens de l'antiquité ont insisté, n'est qu'une illusion qui ne doit pas tromper193. Les circonstances historiques de la romanisation renforcent cette analyse et ne permettent pas de conserver la conception, notamment soutenue par A. N. Sherwin-White194, 192 En 340, défaite militaire des Latins et des Campaniens : dederent se omnes Latini, deditionemque eam Campani sequerentur (Liv. 8, 11, 12). Cette nouvelle deditio, certainement historique, a permis le règlement de la question campanienne en deux étapes : 340 et 334; deditio d'Antium (338) : Liv. 8, 12, 8 et 8, 13, 12; deditio de Fundi (et très probablement de Formiae au même moment, 334) : Liv. 8, 19, 12 et cf. supra, p. 197, n. 152; deditio de Privernum (329) : Liv. 8, 20, 6. Restent les Cumani, Suessulani, Atellani et Calatini (334) et les Acerrani (332) : pour les Calatini, membres de la confédération campanienne, leur participation aux combats contre Rome pourrait expliquer qu'ils aient connu, après la victoire, le même sort : de même les retrouve-t-on, en 315 (cf. supra, p. 199, n. 161) parmi les municipes révoltés aux côtés de Capoue. Quant à Acerrae, on est en présence d'une annexion décidée par voie d'autorité par Rome et sans qu'on puisse invoquer une deditio; peut-être en fut-il de même pour Cumae et Suessula. 193 La civitas sine suffragio, comme la civitas optimo iure, est soit une récompense que l'on mérite par sa fidélité à Rome (Campani, Fundani, Formiani : Liv. 8, 14, 10), ou par sa vaillance (Privernum : Liv. 8, 21, 2), soit une preuve d'indulgence de la part de Rome, soucieuse de gagner le cœur des vaincus (Liv. 8, 13, 11 sq.; 8, 21). Ces formules ne sont qu'un abus de vocabulaire, qui a pourtant induit en erreur (v. notam. A. N. Sherwin-White, RO, p. 47 = RO, p. 49, à propos de Privernum). La même conception se retrouve, notam. chez Strabon, pour la civitas s. s. de Caere et explique qu'elle ait été rattachée à tort à l'épisode gaulois de 390; placée entre 353/350, cette civitas, en fait, n'eut pas de caractère honorifique (supra, p. 30 sq.; infra, p. 405 sq.). 194 RÇI p 38 Sq Ce ne serait qu'après le IIIe siècle, par une évolution insensible, aux étapes non perceptibles, que la civitas s. s. serait en elle-même devenue une citoyenneté incomplète et réelle, créant à la charge des cives s. s. des obligations, ut cives, à l'égard de Rome. Mais si l'on devait croire à cette «évolution», il faudrait plutôt parler de mutation. De fait, nos connaissances historiques sur les origines de la civitas s. s. et du municipium confirment l'image plus récente que l'on en a, et ne permettent pas de souscrire à cette métamorphose qui juridiquement n'est pas non plus acceptable.
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puis reprise par M. Sordi195, selon laquelle la civitas sine suffragio aurait été à l'origine le privilège, globalement concédé, d'accéder à la civitas optimo iure par une installation individuelle et définitive sur le sol romain. Comment, sinon, expliquer l'expression Romani facti196, comment justifier les résistances désespérées pour échapper à la civitas sine suffragio et aux obligations qu'elle impliquait dès les origines (cf. le terme de municeps), ou les révoltes qui, le plus souvent, l'ont accueillie197? La définition par Paul (117 L) du municeps peut, il est vrai, se prêter à cette conception qui limiterait à l'émigré seul sa qualité de municeps, sa condition de civis Romanus et les charges de la civitas Romana : item municipes erant, qui ex aliis civitatibus Romam venissent, quibus non licebat magistratum capere, sed tantum muneris partent, ut fuerunt Cumani, Acerrani, Atellani, qui et cives Romani erant, et in legione merebant, sed dignitates non capiebant. Mais le contexte historique s'oppose à cette interprétation et nous avons suggéré une explication plus simple qui, à notre sens, permet, sans la forcer, de concilier la définition avec les témoignages indiscutables de la réalité historique 198 . Les Campaniens, les habitants de de Cumes ou d'Acerrae ne sont pas cives Romani sine suffragio dans la mesure seulement où ils ont émigré à Rome; ce n'est pas à Rome seulement qu'ils supportent leurs obligations militaires (in legione) ou qu'ils participent aux charges de la citoyenneté romaine (muneris partent) : mais c'est dans leur cité d'origine, dans leur municipium respectif (cf. Paul-Festus, 155 L : municipium. .. sicut fuerunt Cumani, Acerrani). Les tentatives faites jusqu'ici pour comparer ou assimiler la civitas sine suffragio et Yisopoliteia grecque ne peuvent donc aboutir qu'à la déformation de l'une et de l'autre des institutions 199 : les cives Romani Campani 195 M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e l'origine délia civitas sine suffragio, Rome, 1960, p. 118 sq. 196 Acerrani (Liv. 8, 17, 12); Privernates (Liv. 8, 21, 10) et infra, p. 279, n. 2. 197 Les efforts pour réduire la signification de ces révoltes sont vains; voir, ainsi, A. N. Sherwin-White, RO, p. 45 = RC1, p. 48, pour qui l'alliance des Volsques de Fundi avec ceux de Privernum et leur attaque concertée des colonies latines de Setia, Norba et Cora, prouveraient que les Fundani, en toute bonne foi, pouvaient ignorer que la civitas sine suffragio réduisait leur autonomie en politique extérieure. On observera que : 1) à suivre la conception, par A. N. Sherwin-White, de la civitas sine suffragio, il aurait dû n'y avoir aucune prétention des Romains à porter atteinte à l'autonomie de la cité honorée par cette civitas; 2) il est difficile de croire à l'innocence des Fundani qui, sitôt devenus Romains, s'allient avec des ennemis irréductibles de Rome et attaquent ses colonies militaires. 198 Cf. supra, p. 14-16; 32 sq. 199 Z. Konopka, Les relations politiques entre Rome et la Campanie, dans Eos 32, 1929, p. 587 sq.; A. N. Sherwin-White, RC1, p. 39 sq. = RC2, p. 42; A. J. Toynbee, HL I, p. 199 sq.
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sont, sans doute, des cives Romani optimo iure en devenir, mais ils sont avant tout, immédiatement, des cives Romani sine suffragio, soumis en tant que tels, et au sein de leur communauté, de leur municipium, aux charges des cives Romani. L'unilatéralité des charges permet d'exclure qu'il y ait eu un échange de deux citoyennetés complètes, juridiquement et politiquement équivalentes, sans obligations à la charge de Tune ou de l'autre des cités. On se trouve, en réalité, en présence de l'extension unilatérale d'une citoyenneté incomplète, mais exclusive. La civitas Romana donnée aux cives s. s., c'est du moins l'enseignement de la trame historique, ne leur est pas proposée comme un choix, mais leur est imposée; car elle marque l'annexion de leur cité, et supprime politiquement et juridiquement l'existence autonome de leur Etat. La définition de Festus-Paul des municipes (limitée aux municipes sine suffragio) le confirme en tous points : citoyens romains, ils en supportent les charges comme les autres, mais sont écartés de la vie politique qui se déroule à Rome. Rien, en revanche, n'est dit de la possibilité, que l'on ne doit pourtant pas exclure, d'acquérir la civitas optimo iure par une émigration définitive sur le territoire d'une tribu romaine. Il est clair que ce droit ne tenait qu'une faible place dans la condition des municipes, ne contribuait pas à marquer l'originalité de la formule nouvelle et ne doit pas permettre aux historiens modernes de concentrer toute leur attention sur ce privilège individuel aux dépens de la véritable signification historique de la civitas sine suffragio200.
(dont la conception de l'isopoliteia est très inexacte). A. Bernardi, dans Ath. 20, 1942, p. 98 sq. avait rejeté cette assimilation civitas s. s. et isopoliteia à l'aide d'arguments, dont certains sont faibles (car l'institution grecque apparaît avant le IIIe siècle; le principe cicéronien du non-cumul n'est pas incompatible avec les forme anciennes d'isopoliteia; il n'est pas exact enfin - en rejetant les témoignages de Denys d'Haï. - de soutenir que le monde romain ignora complètement le critère isopolitique), et d'autres convaincants : les cités qui reçoivent la civitas s. s. perdent leur indépendance politique, doivent munus facere (et ceci dès les origines), sans que Rome n'ait eu aucun engagement de ce genre (p. 100-103). 200 II est certain, en effet, qu'un civis s. s. pouvait, en s'installant à Rome, acquérir la civitas optimo iure. Aucune définition cependant ne met l'accent sur ce droit, qui n'est donc pas un élément spécifique de la condition de municeps (l'expression de l'abréviateur de Denys d'Haï, 15, 7, 4, qualifiant d'isopoliteia la civitas s. s. de Fundi et Formiae doit être écartée: supra, p. 136 sq.), à la différence de la condition latine, du moins dans son analyse grecque. Au contraire, la civitas s. s. et la qualité de municeps mettent l'accent sur la participation à des charges dont la source est dans la civitas elle-même, exactement comme pour les municipes optimo iure : dans les deux cas, la qualité de civis, celle de municeps, la participation aux munera sont sans aucun rapport avec la possibilité, pour le premier cas seulement, d'acquérir à Rome la civitas o. L
CHAPITRE V
LES DERNIÈRES EXTENSIONS DE LA CIVITAS SINE SUFFRAGIO (FIN IV e -DÉBUT IIP S.)
Cartes III et W Après 327, la politique de Rome est dominée par la rivalité avec le Samnium. Conflit de puissance et de vitalité, mais de civilisation aussi, dont les étapes servent de trame à l'histoire des extensions futures de la civitas sine suffragio. Jusqu'en 268, date de la victoire de Rome, toutes ses conquêtes s'inscrivent globalement dans ce contexte. La progression tactique de la conquête convertira successivement en cives Romani les Aurunques (334-314), les Herniques (306), les Eques (304-3), les derniers Volsques libres (305-3), une fraction des Ombriens (299), les Vestini, en partie (293), les Sabins (290), les Praetuttii (290), et les habitants du Picenum (283/268).
I - LES AURUNQUES (3154?)
La date à laquelle cette population, aux confins du Latium et de la Campanie, passa sous la domination de Rome ne peut être exactement précisée. Peut-être dès 334, après une défaite qui permit à Rome de confisquer le territoire destiné à la colonie latine de Calés, déduite cette année-là 1 ; sinon, ce fut un peu plus tard, vers 314, lorsque Rome donna la réponse extrêmement brutale à une tentative de rébellion 2 , dont la signification est évidente : ultime sursaut, chez les Aurunques, pour répudier une citoyen-
1 A. J. Toynbee, HL I, p. 206, suivi par E. T. Salmon, Rom. Col, p. 50, a soutenu que les Aurunques (ou Ausones) ont reçu, à l'exclusion du territoire de Calés, la civitas s.s. en 334. C'est possible, mais il n'y en a pas de preuves. De Sanctis, Storia dei Rom. II1 p. 284, ne se prononce pas. 2 Révolte ou défection; la collaboration, survenue trop tard, des Campaniens est mentionnée (Liv. 9, 25 sq.).
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neté qui, soit venait de leur être d o n n é e , soit ne pouvait tarder à leur être imposée à l'exemple des Campaniens et des Volsques 3 . L'extermination d'une grande partie de la nation, en 314, laissa aux Romains les mains libres pour confisquer la majeure partie du territoire aurunque. Il y eut des distributions faites à des cives optimo iure, comme l'atteste la création, dès 299, d'une tribu nouvelle, la Teretina 4 ; deux colonies latines, Suessa Aurunca (en 313) et Interamna Lirenas 5 (en 312), sont déduites à l'emplacement de centres urbains jusqu'ici e n t r e les mains des Aurunques. Deux colonies romaines, enfin, à Minturnae et à Sinuessa, sont fondées en 296. Que resta-t-il du peuplement indigène? Tite-Live (deletaque Ausonum gens', 9, 25, 9) donne le sentiment d'une disparition complète. De fait, des trois cités qui semblent avoir été les principaux centres urbains indigènes et que Tite-Live mentionne avant le châtiment 6 , deux, Ausona (ou Aurunca) et Vescia ont p e r d u leur individualité et leur existence juridique : la première, convertie en colonie latine (Suessa Aurunca), la seconde, remplacée par la colonie romaine de Sinuessa 7 . Mais les fouilles, à Minturnae, ont révélé que, p o u r le troisième centre, il n'en fut pas de m ê m e 8 ; l'agglomération ancienne conserva et son n o m et sa population locale, matériellement et juridiquement non confondue avec la colonie simplement juxtaposée à la ville primitive, qui dut conserver son organisation antérieure au-delà de son incorporation dans la citoyenneté romaine : en deux mots devenir un municipe r o m a i n sans suffrage. L'administration du territoire distribué aux citoyens de Rome inscrits dans la Teretina, la façon dont la justice pouvait être r e n d u e sur place, les conflits qui, en dépit de la muraille divisant la cité de Minturnae, pouvaient opposer la population romaine et ce qui restait de la population indigène
3 Si elle ne fut pas déclarée en 334, l'annexion ne pouvait tarder, après la romanisation des Volsques de Fundi et Formiae (au Nord) et de la Campanie (au Sud). 4 Sur son site et sa création : Taylor, VD, p. 58 : région côtière, de la Liris au Volturnus. 5 La cité fut âprement disputée lors de la deuxième guerre samnite; elle peut être attribuée aux Volsques, aux Samnites, aux Hemiques, ou aux Aurunques. Cf. A. Afzelius, Römische Eroberung, p. 58; E. Manni, dans Ath, 17, 1939, p. 233 sq.; Interamna sera, après 90, placée dans la Teretina, comme l'ensemble des cités aurunques par leur origine. 6 Liv. 9, 25, 4 et cf. Taylor, VD, p. 58. 7 Liv. 10, 21, 8 : le changement de nom est un indice en faveur de la suppression du centre ancien. 8 J. Johnson, Excavations at Minturnae, 1, 2, Philadelphie, 1936; de même Taylor, VD, p. 58 et n. 42; A. J. Toynbee, HL, I, p. 407 a lucidement posé le problème juridico-administratif de la colonie et du municipe sans suffrage. Le droit de cité limité n'est pas confirmé par les sources, mais il va de soi.
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sont autant de problèmes auxquels aucune réponse sûre ne peut être donnée. S'il n'est pas raisonnable de songer à une compétence exclusive des commandants de la colonie, s'il n'est pas non plus vraisemblable que les Romains, bénéficiaires de distributions, aient pu, de rien, créer rapidement des centres d'où la justice locale serait administrée 9 , il reste possible - c'est une hypothèse - que Minturnae soit devenue le siège d'un ressort juridictionnel d'où un délégué du préteur pouvait se prononcer sur les litiges du municipe, de la colonie et d u territoire de la tribu 1 0 . A Minturnae, la fusion finit par se produire, au profit, naturellement, de la colonie, dont les magistrats sont les seuls à être attestés 1 1 par la suite. On proposera d'attribuer à cette éventuelle préfecture un rôle dans la naissance d'une organisation locale nouvelle, après les bouleversements de la conquête et a u t o u r du double centre de Minturnae. Quant à Sinuessa, l'extension progressive de la petite garnison initiale fit de la colonie un centre urbain nouveau 1 2 . Après l'incorporation de la Campanie, celle du pays aurunque a clos la progression de la citoyenneté vers le Sud. Un îlot d'indépendance, le pays des Sidicins, subsistait comme une enclave : il gardera, avec la ville de Teanum Sidicinum, son statut fédéré jusqu'à la guerre sociale 13 : d'où son monnayage indépendant, au III e siècle encore 1 4 ; d'où sa constitution municipale tardive, de type quattuorviral 1 5 ; d'où aussi un état de précarité, à la veille
9 L'argument a silentio serait périlleux, mais, historiquement, on ne connaît pas pour le territoire primitif de la Teretina, d'autre centre urbain que Minturnae. Pour Teanum Sid., infra. 10 Les colonies latines n'y entrant naturellement pas. Leur droit (latin), l'importance de leur population (4 000 colons, au départ, pour Interamna Lirenas; Liv. 9, 28, 2) et leurs magistrats (praetores à pouvoir juridictionnel) en firent dès leur création (après 338, en un type nouveau) des cités administrativement et juridiquement complètement autonomes. Ce ne fut certainement pas le cas des garnisons maritimes romaines à l'origine. Cf. infra, p. 387 sq. 11 La colonie, qui, dès sa fondation, fut placée dans la Teretina, eut (à partir de quand?) des // viri à sa tête : ILLRP 737, 742, 745. La colonie a visiblement absorbé le municipe qui acquit l'optimum ius à une date inconnue; des cultes indigènes, attestés longtemps, confirment la permanence du peuplement italique au côté de la colonie (infra, p. 307). 12 Placé vraisemblablement, dès son origine, dans la Teretina : Taylor, VD, p. 58, n. 41. 13 Le point est discuté : Mommsen, dans CIL X, p. 471; Philipp, dans RE2, 9, v° Teanum, 1934, c. 98 sq. et RE1, 4, v° Sidicini, 1923, c. 2214; Taylor, VD, p. 65 et n. 68, p. 97 et n. 55 se sont, avec des raisons diverses, décidés pour la romanisation à la fin du IVe siècle. En revanche, Beloch, It. Bund, p. 171 et RG, p. 386; G. De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 270; A. J. Toynbee, HL, I, p. 489 et sa carte; E.T. Salmon, Samnium, p. 254, ont maintenu la condition de fédérés aux Sidicins jusqu'à la guerre sociale. 14 De Sanctis, le. et les références. 15 CILX 4796; ILS 9389.
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de la guerre sociale. Ne pouvant invoquer les garanties de la provocatio ad populum, Teanum a laissé, à l'époque des Gracques, la triste image de ces Italiens abandonnés à l'arbitraire brutal des magistrats de Rome 16 . Mais à la seconde moitié du IVe siècle, échapper à l'incorporation était un privilège. Comment expliquer la faveur qui permit à Teanum de sauver une souveraineté au moins formelle, alors qu'elle avait eu affaire, jadis, aux armes romaines et jouissait d'une position stratégique importante? Le réalisme politique romain a su jouer sur des rivalités locales, enracinées : ces Sidicins, ennemis invétérés des Aurunques17, convoités toujours par les Samnites à la recherche d'ouverture vers la mer18, pomme de discorde entre la Campanie et le Samnium19, ne trouveraient leur salut que dans une fidélité sans faille à Rome. On pouvait se dispenser de prononcer l'annexion de ce pays qui, le premier, prendrait les armes contre le Samnium et aiderait les colonies latines à veiller sur ce qui restait des Aurunques. Le calcul de Rome fut bon. A l'arrivée d'Hannibal, la Campanie romaine quitta sa citoyenneté pour plus de liberté; Teanum qui n'avait pas oublié le privilège d'avoir échappé à l'incorporation fut, au contraire, d'une incontestable fidélité20.
II - LES HERNIQUES (306)
Sous le prétexte que les Samnites avaient disposé de renforts herniques - s'il y eut alliance, elle fut certainement imposée de force aux Herni-
16 C'est l'argument décisif en faveur de la condition de fédérée de Teanum; pour l'épisode, H. Malcovati, Oral Rom. Fragmenta2, Turin, 1955, p. 190, d'après Gell., NA 10, 3, 3. Les trois cités victimes de ces exécutions sommaires sont Calés (col. lat.), Ferentinum (cité hernique fédérée, infra, p. 213) et Teanum. Le contexte est clair : C. Gracchus, dénonce l'aveuglement des Romains qui, refusant la civitas aux Latins (et la provocatio aux socii?), les livrent au caprice des magistrats. Sur le droit des cives s.s. à la provocatio, infra, p. 280 sq. 17 Liv. 8, 15, 4 (337); Philipp, cit. (Sidicini). 18 Supra, p. 169 : la paix de 341 donne les Sidicins aux Samnites; dès 340, ils prennent les armes contre eux, aidés d'une large coalition (dirigée autant, d'ailleurs, contre Rome). »Supra, p. 169, 171. 20 Liv. 26, 14, 15; la même politique sera suivie un peu plus tard par Rome pour les cités de la frange samnito-campanienne : Aquinum, Trebula, Culbuteria, Telesia, Caiatia, Nola, Nuceria. Ce sont des centres d'échange, des marchés, dont la neutralité politique est par avance assurée. Ils servent, en outre, d'états-tampons, entre les territoires intégrés et le Samnium. Caiatia, Nola et Nuceria resteront fidèles à Rome lors de la seconde guerre punique (Liv. 23, 15; 26, 33, 12 et A. J. Toynbee, HL H, p. 21).
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ques -, les Romains provoquèrent en 306 ces vieux alliés, dont la fidélité avait même résisté à la coalition, en 340, des Latins, des Volsques et des Campaniens contre Rome21. Trois cités, Aletrium, Ferentinum et Verulae, ne participèrent pas au combat, préférant le parti de Rome à la guerre de résistance que la confédération hernique, unie autour d'Anagnia, entreprit alors. Le règlement imposé après la deditio (Liv. 9, 45, 6) de la confédération est à plusieurs titres extrêmement intéressant : par les formes de l'incorporation mais aussi par sa très claire signification politique. Seules en effet les cités en révolte furent punies et leur annexion décidée; au contraire, aux trois cités qui lui étaient restées fidèles, Rome concéda, à titre de privilège, le maintien de leurs lois, c'est-à-dire le respect de leur indépendance et de leur condition de fédérées22, qu'elles possédaient depuis que le foedus Cassianum avait été étendu à l'ensemble du nomen Hernicwn22.
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Fidélité depuis 358, après une défaite des Herniques (Liv. 7, 15, 9), suivie d'une confiscation qui permit la création dès 358 d'une tribu nouvelle, la Publilia (ou Popillia). Cf. Taylor, VD, p. 51 sq. Sur une interprétation nouvelle, invraisemblable, de I. Bitto, Tribus e propagatio civitatis, cf. supra, p. 164, n. 36. 22 Liv. 9, 43, 23, cité infra, p. 215. Ces trois cités n'accéderont à la civitas qu'en 90; Aletrium et Ferentinum (CIL X, p. 566 et 570 avec les références) seront administrées par des IV viri, selon la règle. Verulae, en revanche, connaîtra une constitution municipale duovirale (CIL X, 5796 = ILS 6268 : cf. Mommsen, CIL X, p. 565; Beloch, RG, p. 508, refusa d'attribuer l'inscription à Verulae, mais ne fut pas suivi : E. Manni, Per la Storia, p. 175, n. 3; A. Degrassi, Quattuorviri... p. 344; Taylor, VD, p. 96, n. 51; S. Panciera, Epigraph. 24, 1962, p. 90). L'hypothèse de Ilviri introduits par une colonisation gracchienne, attestée par le liber col. p. 239 L, n'est pas à retenir : la mention, ici comme ailleurs, est fausse sous cette forme (infra, p. 306, n. 76) et CIL X, 5796 = ILS 6268 prouve qu'en 197 ap. J.-C. Verulae est restée un municipium. Deux explications sont alors possibles : admettre la survie d'une magistrature locale, ou penser à une constitution tardive, reculée à l'époque césarienne. Mais l'exemple d'Aletrium qui eut des praetores avant la guerre sociale (CILX, 5832; E. Manni, op. cit., p. 176; L. Gasperini, Aletrium I, Quad. dell'Ist. di storia ed arte del Lazio merid. 2, 1, 1965, p. 84 sq.) et des IV viri après 90 condamne la première explication; reste la seconde, la plus vraisemblable : entrée dans la civitas en 90, Verulae, en partie dépeuplée et économiquement en déclin (d'où l'installation de « colons » gracchiens) ne fut constituée que plus tard en municipe, entre César et Auguste, en même temps que d'autres centres mineurs du Latium. 23 Le foedus Cassianum dans sa forme nouvelle de 358 naturellement. Jusqu'à la guerre sociale, ces trois cités conservèrent cette condition, juridiquement assimilée à celle des Latins (cf. Liv., 34, 42, 5, pour l'année 195 et supra, p. 108, n. 71). On remarquera comme la valeur de la civitas Romana a rapidement changé après 306 : les Ferentini qui la rejetaient alors fièrement se précipiteront en masse en 195 vers les nombreuses colonies romaines déduites (six fondations en 194), attirés par les avantages de la citoyenneté (supra, p. 108, n.71).
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Au contraire, Anagnia et les cités unies à elle, notamment Capitulum Hernicum 24 , reçurent en 306 la civitas sine suffragio et furent donc transformées en municipes romains 25 . De plus, des confiscations de territoire furent très probablement décidées au moins contre Anagnia26, ce qui permit, par une extension de la tribu Publilia, d'affirmer plus étroitement la présence romaine27. L'envoi à Anagnia, peut-être dès cette époque, d'un praefectus iure dicundo2* reprend les principes d'une politique maintenant bien connue. On ne sait si Capitulum Hernicum devint aussi le siège d'une praefectura29; mais c'est possible. Dans le souci d'un châtiment plus rigoureux, les Romains ajoutèrent à ces mesures traditionnelles des peines complémentaires. Anagnia et les autres Herniques défaits perdirent pour une durée que Ton ignore les élé-
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Mommsen, CIL X, p. 584. Festus-Paul, v° Municipium, 155 L: Anagnia. Les magistrats d'Anagnia sont connus : des praetores (CIL F 2536 = ILLRP 271; CILX 5919, 5920, 5925, 5926, 5927, 5929); sous l'Empire, ils prendront indifféremment le titre de Hviri, absolument équivalent à partir du IIe siècle (A. Degrassi, Quattuorviri, p. 316 et n. 4). A Capitulum Hernicum, un praetor quinquennalis est attesté (CIL X, p. 590) : appartient-il au municipe ou faut-il le rattacher à une colonisation syllanienne (liber col, p. 232 L : Capitulum oppidum lege Sullana est deductum), puisque le titre praetores-duoviri est attesté pour les colonies d'époque gracchienne (E. T. Salmon, Rom. Col, p. 182, n. 141 et p. 190, n. 219) et syllanienne (A. Degrassi, Quattuorviri, p. 316 sq.)? Il put y avoir des terres distribuées sans qu'une colonie fût fondée; de fait, on sait (infra, p. 306) que si l'on assimile distributions et déduction d'une colonie, les assertions du Liber sont presque toujours fausses (E.T. Salmon, op. cil, p. 167, n'accepte pas la déduction d'une colonie). En conséquence, le praetor de Capit. Hern, doit appartenir à la constitution municipale; c'est, d'ailleurs, une magistrature commune aux Herniques (Alatri fédérée, supra, n. 22; Anagnia). 26 Ainsi Taylor, VD, p. 53, sans indiquer ses raisons. Mais on peut facilement se persuader de l'exactitude de cette remarque; en 306, en effet, la cité volsque de Frusino est également défaite (infra, p. 220) et son territoire est amputé d'un tiers (Liv., 10, 1,3, pour 303 et Diod., 20, 80, 4 pour 306; cf. De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 338) : la continuité de Vager Romanos passait nécessairement par la confiscation d'une partie de Xager d'Anagnia. On ajoutera aussi que selon Plin., NH34, 11, 23, le vainqueur, Q. Marcius Tremulus, fut honoré d'une statue «pour avoir vaincu deux fois les Samnites, pris Anagnia et exempté le peuple du Stipendium » : il est vraisemblable que la vente des terres d'Anagnia contribua à permettre cette générosité. 27 Anagnia fut rattachée à la Publilia quand elle accéda à l'optimum ius (on ignore quand). Elle put jouer un rôle dans l'organisation du territoire qui venait de lui être confisqué. 28 Festus, v° Praefecturae, p. 262 L; infra, p. 375 sq. 29 On ignore à quelle tribu ce municipe fut rattaché lorsqu'il parvint à la citoyenneté complète. Taylor, VD, p. 52, n. 18, penserait à l'Aniensis (créée en 299), plutôt qu'à la Publilia. Si cette hypothèse devait être confirmée, nous serions favorable à une préfecture non confondue avec celle d'Anagnia; car on peut penser que si la circonscription judiciaire avait été commune, le rattachement aurait été fait à la même tribu. 25
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ments de leur autonomie administrative : les magistrats des municipes ne furent pas supprimés, mais leur compétence fut provisoirement limitée à la gestion du culte30. En même temps, un isolement forcé leur fut imposé, comme, en 338, il l'avait été aux cités latines restées en dehors de la citoyenneté : concilia conubiaque adempta. On remarquera que la suppression du conubium entre les cités herniques révoltées et annexées ne contredit pas l'incorporation dans la citoyenneté et ne signifie pas, comme on l'a soutenu, qu'elles restèrent en réalité en dehors de la civitas Romana*1 : à l'intérieur même de la citoyenneté, le conubium peut, ou non, exister32. C'est ici simplement une sanction supplémentaire, pour punir ces alliés qui s'étaient trop souciés de leur liberté, exactement comme doit être interprétée l'atteinte à l'autonomie municipale qui, « pendant quelque temps » paralysa la compétence des magistrats pourtant maintenus. Quelle valeur politique doit-on reconnaître à cette nouvelle extension de la citoyenneté romaine et à la création de ces nouveaux municipia? Il faut distinguer soigneusement deux choses : la civitas sine suffragio proprement dite et les sanctions particulières qui, ici exceptionnellement, s'y ajoutèrent. Pour apprécier la citoyenneté, on dispose de deux jugements : celui des quelques Herniques qui ont réussi à y échapper en récompense de leur fidélité, et celui que Tite-Live, un peu plus tard, prêta aux Eques, incorporés en 304. L'authenticité du premier jugement est incontestable : Hemicorum tribus populis. . . quia maluerunt quam civitatem, suae leges redditae, conubiumque inter ipsos, quod aliquamdiu soli Hemicorum habuerunt, permissum (Liv. 9, 43, 23); il est clair que le prix de la fidélité fut de pouvoir se soustraire à la loi de l'annexion. Le consentement des Romains surprend, d'autant plus que le territoire des trois cités dont la liberté fut sauvegardée
30 Liv. 9, 43, 24 : Anagninis quique arma Romanis intulerant civitas sine suffragii latione data, concilia conubiaque adempta, et magistratibus praeterquam sacrorum curatione interdictum. La mesure concernant les magistratures locales fut sûrement provisoire, comme le fut la suspension du conubium et du commercium; en effet, selon Tite-Live, les cités fidèles, pendant un certain temps, jouirent seules du conubium inter ipsos : a contrario la suspension des magistratures, du conubium et concilium ne dura qu'un temps. 31 A. N. Sherwin-White, RO, p. 46 = RC1, p. 49 : négation d'une civitas réelle, en faveur d'une citoyenneté potentielle. 32 Ainsi pour les lïbertini, cives Romani optimo iure; le conubium avec les ingenui ne fut pas toujours accordé. Le refus du conubium peut aussi (à toute époque) résulter de considérations d'âge, de parenté, de condition sociale, de condamnations pénales . . .
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formait dans l'homogénéité du territoire romain une enclave qui fut toujours respectée33, mais qui ne porta certainement pas atteinte à l'autorité romaine. Il est visible que Rome pouvait, sans risque, maintenir à des cités leur qualité de fédérées lorsqu'elle était sûre de leur fidélité, alors que, pour les plus réticentes, le recours à une confiscation définitive, par l'extension de la civitas sine suffragio, était nécessaire. Le choix des cités restées fédérées nous fournit, de la sorte, une indication précieuse, parce qu'elle n'est pas déformée par le point de vue romain; l'indépendance dans le cadre du traité préexistant, telle est la récompense. L'idée d'une civitas sine suffragio conçue comme un honneur auquel on accède par ses mérites n'est pas, ici plus qu'ailleurs, à retenir. On se permettra une dernière remarque, afin qu'il ne se glisse pas de malentendu dans l'interprétation de ce témoignage. La citoyenneté que les trois cités fidèles auraient obtenue, si elles l'avaient désirée, aurait été exempte indubitablement des sanctions complémentaires, sans lien direct avec elle, qui frappèrent l'ensemble du pays hernique devenu romain. Aussi la décision des trois villes qui refusèrent de devenir des municipia civium Romanorum est-elle un jugement de valeur non sur le sort des autres villes herniques, mais sur la civitas sine suffragio en général. Cette évidence a pourtant été méconnue; l'idée s'est ainsi, bien à tort, ancrée dans l'esprit des historiens modernes que Tannée 306 aurait marqué un tournant dans l'histoire de la citoyenneté sans suffrage et des municipes romains 34 . Rien n'est moins vrai. Si la condition d'Anagnia fut dure, elle fut, dans son principe, provisoire et surtout exceptionnelle; les municipes ultérieurs n'y seront pas soumis au moment où ils entreront dans une citoyenneté qui continuera de traduire la domination de Rome. Le jugement, contemporain, des Eques n'est pas plus équivoque que celui des Herniques.
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Enclave isolée, au Nord par les territoires des Eques (incorporés en 304) et ceux des municipes d'Anagnia et Capitulum Hernicum, à l'Ouest, le long du Trerus, par la tribu Publilia, au Sud par la tribu Oufentina et par Vager du municipe de Frusino, à l'Est par le territoire des Volsques d'Arpinum incorporés dès 305-303 dans la civitas s.s. 34 Notamment A. N. Shenvin-White, RO, p. 47 sq. = RC1, p. 49 qui, tout en reconnaissant que les mesures restrictives ajoutées à la condition municipale des Herniques étaient simplement annexées à la civitas sine suffragio, affirme que l'on assiste dès lors à un tournant dans la conception romaine des municipes; on en trouverait la trace dans le jugement que TiteLive prête aux Eques (infra) sur la valeur de la civitas s.s. Mais c'est poser l'idée, inexacte, que ces sanctions vont devenir dès lors un élément intégrant de cette condition. De même E. Manni, Per la storia, op. cit, p. 60, p. 72; M. Sordi, Origine délia civitas s.s. op. cit., p. 115 et sq.
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III - LES EQUES (304-3) La guerre que Rome entreprit, en 304, contre ces vieux ennemis restés longtemps tranquilles, rappelle par bien des aspects celle qu'elle venait de terminer contre les Hemiques. Il s'agissait, pour les Romains, sans qu'ils pussent invoquer d'hostilités préalables, de mettre la main sur une région qui dominait le Latium oriental (Tibur, Préneste) et dont la possession était indispensable à la veille de la conquête de la Haute-Sabine. Il est très probable que Rome tenta une annexion pacifique plaçant les Eques devant l'alternative : devenir Romains ou combattre contre Rome. L'important est de connaître la réponse des Eques : c'est leur refus spontané d'entrer dans la citoyenneté romaine qui entraîna une riposte foudroyante et d'une extrême brutalité. Tite-Live suggère même les termes de la réplique des Eques35; que ce soit ceux-là mêmes qui furent employés, peu importe, car leur sens ne peut, lui, avoir été inventé : les Eques préfèrent leur liberté et n'accepteront la civitas Romana que contraints et à titre de châtiment 36 . Se référant une fois encore à la civitas sine suffragio d'une manière générale,
35 Liv. 9, 45, 7 : la réclamation des féciaux est interprétée par les Eques comme un essai pour leur faire accepter, par terreur de la guerre, de devenir Romains (tentationem aiebant esse ut, terrore incusso belli, Romanos se fieri paterentur) ; c'est la preuve que les Romains tentent d'obtenir, par des menaces, une incorporation volontaire dans la civitas Rom, La réponse des Eques : quod quanto opère optandum foret, Hernicos docuisse, cum, quibus licuerit, suas leges Romanae civitati praeoptaverint; (les Hemiques avaient montré le prix de la citoyenneté, puisque ceux qui avaient pu choisir lui avaient préféré le maintien de leurs propres lois . . . ). C'est ce refus d'accepter sans résistance la civitas Rom. qui pousse les Romains à l'imposer par les armes. 36 Liv., Ibid. : quibus legendi quid mallent copia non fuerit, pro poena necessariam civitatem fore : à ceux qui n'avaient pas la possibilité de choisir, la citoyenneté serait imposée à titre de peine. La résistance des Eques donne raison à leurs paroles. Le sens de ce jugement est complètement faussé chez A. N. Sherwin-White, RO, p. 47 = RC1, p. 49 sq., reprochant aux Eques d'avoir confondu la civitas s.s. avec les sanctions particulières frappant les Hemiques, et à Tite-Live d'avoir donné un sens trop moderne à la civitas s.s. A quoi il est facile de répondre que la civitas s.s. que les Eques ont refusée est la citoyenneté tout court que les Romains voulaient leur donner pacifiquement (évidemment sans les sanctions annexes, propres aux Herniques) ; ils dénoncent comme une poena une civitas qu'ils ne voulaient pas, comme les Hemiques n'en ont pas voulu. Quant à la conception « trop moderne » de Tite-Live, nous préférons penser qu'en présence de comportements d'une clarté indiscutable, sa clairvoyance, pour une fois, s'est substituée à ses vues anachroniques, valables tout au plus pour le IIe siècle av. J.-C (supra, p. 156, n. 192).
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les Eques, comme les cités herniques fidèles dont ils invoquent le précédent, dénoncent la citoyenneté romaine pour ce qu'elle est, d'un point de vue non romain : une civiîas necessaria, une citoyenneté imposée dont ils ne veulent pas et qui, en elle-même, est une poena. C'est bien effectivement ce qu'elle fut pour eux, dont le pays fut passé à feu et à sang, trente pagi rasés37, et une grande partie du territoire confisquée. Deux très importantes colonies latines {Alba Fucens, en 303, avec 6000 colons, et Carseoli, déduite en 298) serviront de base pour la conquête du Samnium, et provoqueront, avec la création en 299 de la tribu Aniensis sur les basses terres cultivables, l'éclatement du pays èque, qui, pour les territoires qui ne furent pas confisqués, fut partagé en deux. Au sud, les Eques proprement dits sont convertis, à la suite du châtiment auquel ils avaient espéré échapper, en cives Romani sine suffragio. Le municipe de Trebula Suffenas38 forma, peut-être avec Treba39, le centre 37 En cinquante jours, 31 oppida furent pris; nomenque Aequorum prope ad internecionem deletum (Liv. 9, 45, 17). Ces oppida sont en réalité des pagi : sauf pour la frange bordant le Latium (région de Trebula Suffenas ou Eques du Sud), les Eques (notamment les Aequiculi) n'ont pas encore atteint le stade de l'urbanisation. V. sur ce point les précieuses recherches de A. La Regina, Note sulla formazione dei centri urbani in area Sabellica, dans Studi sulla città antica (Atti del Convegno di Studi sulla città etrusca e italica preromana, Bologne, 1970), p. 191 sq. et / territori sabellici e sannitici, dans Dial. di Arch. 4-5, 1971, p. 446 sq. Le pagus regroupe environ 800 personnes, réparties en général en trois viel 38 Liv. 10, 1, 3 : Arpinatïbus Trebulanisque civitas data (= sine suffragio), en 303. L. Ross Taylor a définitivement, nous semble-t-il, identifié cette cité de Trebula avec la cité èque de Trebula Suffenas, l'actuelle Ciciliano (VD, p. 56 et n. 35; de même A. J. Toynbee, HL I, p. 153, n. 7). Rien, cependant, ne permet de dire avec L. Ross Taylor que Trebula eut la c.s.s. parce qu'elle était favorable à Rome; ce fut simplement un des rares centres capables d'être le municipium autour duquel le pays conquis et non confisqué pouvait être administré. Ses magistrats seront, après 90, des Hviri (CILXTV, 3500; An. Epigr., 1972, NR 163 et 167); il ne peut s'agir d'une constitution municipale récente : le centre est suffisamment développé pour que deux de ses familles parviennent à la préture en 81 av. J.-C. (T. P. Wiseman, New Men in the Roman Senate, 1971, p. 245, NR 277) et au tribunat de la plèbe en 89-88 (T. P. Wiseman, le, p. 252, NR 326). On pourra voir alors dans ces Hviri la forme récente d'une double magistrature indigène (praetores ou meddices : vraisemblable en zone osque; elle serait attestée CIL IX, p. 388 - chez les Eques du Nord, à Nersae; cf. E. Vetter, Handbuch a\ ital. Dialekte I, 1953, NR226) maintenue par le municipe. Pourl. Bitto, Tribus e propagatio civitatis, op. cit. {supra, p. 164), p.45, optimum ius dès 303, pour cette seule raison: «non abbiamo notizia di concessione di civitas o.i in un periodo successivo; possiamo quindi pensare che i suoi cittadini nel 303 abbiano ricevuto la piena cittadinanza e nel 299 siano stati iscritti nella tribu Aniensis». 39 Treba jouit d'une organisation municipale à la fin de la République (CIL XIV, 3451 et p. 353 : censores, senatus); on ne dispose pas d'éléments pour en dater l'apparition. Moins d'éléments encore pour Afilae (CIL XIV, p. 351).
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administratif de la région laissée aux Eques. On ne sait si la présence romaine prit ici la forme de la mission locale d'un praefectus iure dicundo40, mais il faut noter la proximité immédiate d'assignations de terres à des cives Romani opiimo jure (placés dans la tribu nouvelle Aniensis)41. On croira volontiers à des contacts très proches entre les municipes et les tribules optimo iure, puisque Trebula Suffenas donne la preuve remarquable d'une famille originaire de Rome, déplacée dans l'Aniensis à la suite de ces distributions, et devenue municeps de Trebula au moins depuis la date (inconnue) où les Eques acquirent Y optimum ius42. La politique de fusion avait permis au municipe de jouer pleinement un rôle d'attraction. Au Nord, séparés des Eques du Sud par les deux colonies militaires43, les Aequiculi entrèrent dès cette date - ou peut-être quelques années plus tard44 - dans la citoyenneté sans suffrage; la région, peu fertile, ne bénéficia pas de la présence de citoyens de Rome; aucun municipe n'est identifiable avec certitude, pour l'époque antérieure à la guerre sociale45.
IV - LES DERNIERS VOLSQUES LIBRES (Arpinum, Frusino, 305-303)
L'un des derniers épisodes de la seconde guerre samnite, achevée en 304, donna aux Romains l'occasion d'achever la conquête des Volsques par la possession d'Arpinum, Frusino et Sora. Arpinum, passée sous la puissance Samnite, à la suite, sans doute, d'infiltrations soutenues, reçut deux ans après sa conquête, en 303, le statut de municipium sine suffragio46', rien
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Infra, p. 378. Sur son site, Taylor, VD, p. 56 sq.; terres prises aux Eques. 42 Voir l'analyse éclatante de L Ross Taylor, Trebula Suffenas and the Plautii Silvani, dans Mem. Am Acad of Rome, 24, 1956, p. 9-30, dont les résultats sont repris par VD, p. 243 sq., 287, 289. Cf. infra, p. 339. Sur cette politique de la nobilitas s'installant dans les tribus nouvelles pour les tenir en main, v. fondamentalement maintenant U. Hackl, Das Ende der röm. Tribusgründungen 241 v. Chr. dans Chiron!, 1972, p. 156. 43 Leur fonction d'isolement a été bien vue par A- J. Toynbee, HL I, p. 152 sq. 44 Pas avant 290 pour Beloch, RG, p. 427. 45 La région sera rattachée à la tribu Claudia au moment (inconnu) où elle acquit Yoptimum ius. Deux communautés y sont attestées : la res publica Aequiculorum, non urbanisée encore sous l'Empire (cf. CIL IX, p. 388 et l'inscription 4120) et Cliternia : ses Hviri (CIL IX, 4169) peuvent être rattachés à une constitution municipale tardive, encore que des meddices soient attestés dans cette région : supra, n. 38. 46 Conquête : Liv. 9, 44, 16; civitas : Liv. 10, 1, 2; sine suffragio : Liv. 38, 36. Sur son accession à Y optimum ius par une lex Valeria de 188, infra, p. 350. A la fin de la République ou au 41
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n'indique que des confiscations eurent lieu et la cité dut conserver, avec ses murailles, son territoire et son. organisation locale. La seule atteinte lui fut portée par l'envoi d'un praefectus iure dicundo47; cette mission, qu'il est possible de faire remonter à la date de l'incorporation, a suffi, ici, à marquer sur place la présence de Rome 48 . Mais à Frusino, elle se fit plus lourde. Non seulement, ici encore, un praefectus iure dicundo est attesté 49 , mais à la suite de confiscations - conséquence probable des exécutions qui accompagnèrent la conquête - le tiers des terres fut vendu50, distribuées à des cives Romani optimo iure. Leur inscription dans une tribu ne fit pas de difficulté : il suffit de leur étendre la tribu Oufentina créée en 318 pour les bénéficiaires des terres privernates 51 . La très étroite correspondance entre les formes d'incorporation de Privernum et de Frusino nous permet d'étendre à la seconde ce que nous avons déjà écrit sur la politique de fusion appliquée à la première 52 Le sort de la cité de Sora, jumelle d'Arpinum, fut différent : son site et son territoire, confisqués, accueillirent une nouvelle colonie latine (4 000 départs en 303; Liv. 10, 1, 1-3). Sa fonction était claire: isoler Arpinum des Marses non encore pacifiés, surveiller cette conquête récente, mais la défendre aussi contre les Samnites; car il est visible que cette progression nouvelle avait surtout pour but de fournir aux Romains un point de départ pour l'attaque définitive - elle n'allait pas tarder - des régions hautes du Samnium.
début de l'Empire le territoire du municipe fut morcelé par la création, à partir d'un vicus, Cereatae (Casamare, sur la rive droite de la Liris), d'un municipe nouveau, Cereatae Marianae, en l'honneur de Marius qui en était originaire : CIL X, p. 564. Sur les magistrats d'Arpinum, infra, p. 288 sq. 47 Festus, p. 262 L, v° praejecturae. 48 Infra, chap. IX, pour les problèmes de date et de compétence. 49 Festus, ibid. 50 Liv. 10, 1 : Frusinates terîia parte agri damnati, quod Hernicos ab eis sollicitâtes compertum capitaque coniurationis eius quaestione ab consulibus ex senatus consulto habita virgis caesi ac securi percussi Vente de leur ager : Diod. 20, 80. 51 Taylor, VD, p. 57 et p. 90. Frusino sera naturellement inscrite dans cette tribu, lorsqu'elle accéda (quand?) à Y optimum ius. L'idée de Beloch, RG, p. 33, 417, 585 sq. de faire de ces terres confisquées le noyau de la future tribu Teretina (299) n'est plus à retenir. Les magistrats du municipe de Frusino sont inconnus. Tardivement une colonie y sera déduite. 52 Symétrie nette du fait des exécutions, des confiscations qui s'ensuivent, de l'installation au cœur de la population municipale des bénéficiaires des terres vendues, de la présence d'un praefectus dont la compétence, bien certainement, chevauchera les limites, artificielles, entre la tribu et le territoire du municipe. Il est en outre possible que les tribules aient été rattachés au municipe par un lien de résidence, sinon à'origo. Cf. infra, p. 344 sq.
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V - LA CONQUÊTE DE L'ITALIE CENTRALE I UMBRI, VESTINI, SABINI, PRAETUTTII ET.PICENTES (299-268)
La conquête, au tout début du III e siècle, d'une partie des Umbri et celle, peu après, des Vestini, des Sabini, des Praetuttii et Picentes répondent à quelques traits spécifiques qu'il suffira de résumer brièvement, car la pauvreté des sources condamne à ignorer bien des détails que l'on désirerait. Plus que jamais, la conquête prend les allures d'une guerre offensive, dont le butin sera, au-delà d'un encerclement du Samnium, d'obtenir des terres pour la plèbe romaine et, sans doute aussi, des grands domaines laissés en jouissance à la nobilitas patricio-plébéienne 53 . D'où des confiscations massives dans les plaines côtières ou le long des vallées les plus riches, et l'envoi de colons nombreux, bénéficiaires de distributions viritanes. Le second caractère de ces dernières extensions de la civitas sine suffragio tient à la civilisation des étendues conquises; les espaces en grande partie montagneux (Sabine, Abruzzes) ont un habitat dispersé qui ignore la cité. L'histoire municipale de ces régions s'en ressentira directement. 1) C'est à partir de 299 que L'OMBRIE, soumise, est atteinte dans sa frontière orientale, commune au pays des Sabins. Une première confiscation permet, en 299, la déduction d'une colonie latine à Narnia (en 241, Spoletium recevra à son tour des colons latins) ; d'autres suivent rapidement, qui aboutirent à l'extension de Vager Romanos, ager publicus, mais aussi certainement ager privatus) car la fondation, en 220, de Forum Flamini, près de Fulginiae (Foligno) et son inscription probablement simultanée dans
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Notamment les conquêtes de M' Curius Dentatus qui étaient destinées à multiplier des assignations viritim au profit de petits propriétaires : G. Forni, Manio Curio Denîato, uomo democratico, dans Ath, NS. 31, 1953, p. 170 sq. et F. Cassola, / gruppi politici romani net III sec. a.C, Turin, 1962, p. 92 sq., p. 154 sq. Mais très vite Y ager publicus non distribué servit le capitalisme agraire (ibid. p. 93). P. Fraccaro, L'organizzazione politica dell'Italia Romana, dans Atti Congresso internaz, di dir. romano, Roma, 1933, Pavie, 1934, p. 202 (= repris dans Opuscula I, 1955) a très justement montré que ces conquêtes se heurtèrent à l'hostilité du Sénat, défenseur de la conception d'un Etat-cité, menacée directement par ces extensions qui menaient à un Etat territorial; de même, G. Forni, op. cit., p. 199 sq.; A. J. Toynbee, HL I, p. 383-5. U. Hackl, Das Ende der römischen Tribusgründungen 241 v. Chr. dans Chiron!, \91!, a placé le conflit sur un terrain plus directement politique : plutôt qu'une menace pour le Stadtstaat (p. 136 sq.), c'est la création de nouvelles tribus (p. 155 sq.), car elle développait l'influence de la plèbe, qui provoqua l'hostilité du Sénat - et finalement sa victoire : les dernières tribus sont de 241.
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une tribu prouvent que des distributions viritanes, nécessairement recensées, furent décidées dans la région au profit de cives optimo iure. Les centres ombriens qui furent les victimes de ces saisies de territoire entrèrent par la même occasion dans la civitas sine suffragio : ce fut, on peut le prouver, le cas au début du III e siècle54 de Fulginiae, Plestia et Interamna Nahars. Ce sont les seules cités de l'Ombrie qui entrèrent avant 90 dans la citoyenneté romaine 55 : elles correspondent précisément aux régions où des distributions de terres eurent lieu. Les deux phénomènes sont liés. Fulginiae, placée comme Plestia autour de Vager Romanus dont Forum Flamini fut le centre, fut choisie par Rome pour être le siège d'une praefectura; à l'époque de Cicéron elle l'était resté 56 ; on y verra la preuve qu'en dépit d'une romanisation précoce, elle n'atteignit que tard, avec le titre et le rang de municipium57, l'autonomie juridictionnelle qui consacrait formellement une constitution locale centralisée 58 . L'incorporation dans la civitas Romana, pourtant, n'a pas, au début du IIIe siècle, dépouillé Fulginiae des éléments d'une véritable autonomie locale; une inscription archaïque, découverte en 1926, confirme que le centre de la praefectura a conservé avec ses deux marones ses magistrats supérieurs éponymes 59 ; les preuves,
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Entre 299 (pacification de l'Ombrie) et 290 (conquête des Sabins limitrophes); A. Bernardi, / cives sine suffragio, dans Ath., NS. 16, 1938, p. 276 : 290 pour Plestia et date indéterminable pour Fulginiae; Taylor, VD, p. 85 : early third Century. 55 Le cas de Carsulae est discuté : si Beloch, RG, p. 606 refuse l'incorporation avant la guerre sociale, L. Ross Taylor, VD, p. 85, hésite. W. V. Harris, Rome in Etruria and Umbria, Oxford, 1971, p. 153 précise à bon droit que l'incorporation de Carsulae aurait formé une «exclave» peu vraisemblable. Incertitudes aussi pour Tadinum : Taylor, VD, p. 85, n. 19. 56 Selon deux fragments du pro Vareno conservés par Priscianus, 7, 14, 70 : G Ancharius Rufus fuit e municipio Fulginate et in praefectura Fulginate. 57 Attesté par CIL XI, 5218 : municipes et incolae. 58 En deux mots, pour être clair : lorsqu'une praefectura est maintenue après la guerre sociale, alors que les municipes anciens ou nouveaux disposaient de magistrats iure dicundo, cela signifie que la justice locale continuera, comme par le passé, à être rendue par un délégué du préteur romain, par un praefectus iure dicundo; même élu comme un magistrat local, il reste formellement un représentant du préteur. Voir infra, p. 230 sq. d'autres preuves de cette interprétation. 59 E. Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, 1953, NR 234; V. Pisani, Le lingue dell'Italia antica, Turin, 195x3, p. 214 NR.62B; l'inscription, utilisant un alphabet latin archaïque, est rédigée en osco-ombrien : bia : opset\ marone] t foltonio\se. ptrnio (= Vivant fecerunt marones T. Foltonius S. Petronius). Une autre inscription publiée par Conway, Italie Dialects I, p. 398, NR 354 et qu'il attribuait à Foligno (ainsi encore Harris, op. cil, p. 185 et n. 1) provient en réalité de Fossato di Vico (E. Vetter, NR. 233). Sur l'inscription de Foligno et le maronat, magistrature civile et éponyme, v. les contributions de U. Ciotti, J. Heurgon et U. Coli, dans Pro-
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également antérieures à la guerre sociale, d'une constitution spécifique sont complétées par l'activité ,d'un collège de IV vin'60, forme évoluée sans doute d'octoviri, où les marones, derrière les apparences de l'édilité peutêtre, se sont certainement maintenus 61 . Plestia, au début de l'Empire, a conservé ses magistrats originaux, un collège d'octoviri62. Sa survie implique une romanisation antérieure à la guerre sociale63; mais à quel titre Plestia sauvegarda-t-elle sa constitution locale ? De bons arguments analogiques suggèrent une réponse : cette cité qui, au début de notre ère, n'est probablement pas encore un municipium64, a tenu à sa qualité, non attestée, de praefectura le privilège de garder ses magistrats anciens au-delà des réorganisations municipales du I er siècle av. J.-C.65. En résumé : Fulginiae et Plestia sont l'exemple de deux cités incorporées dans la civitas sine suffragio au début du IIIe siècle, écornées par des confiscations et l'implantation de cives optimo iure, soumises à la juridiction romaine d'un praefectus iure dicundo, mais conservant leurs magistrats supérieurs, sans toutefois avoir été immédiatement reconnues par Rome comme des municipia.
blêmi di storia . . . dell'Umbria, Atti del I Convegno di Studi Umbri, Gubbio, 1963, Pérouse, 1964, p. 106 sq., 129 sq., 145 sq. V. encore G. Camporeale, La terminologia magistratuale neîle lingue osco-umbre, Atti Accad Toscana 21, 1956, p. 33 sq. (non vidi). 60 Collège de IVviri id : CIL XI, 5220; ce collège ne peut dater de la consécration municipale : on aurait des / / viri Id (ainsi pour toutes les créations à partir de César). Il ne peut, non plus, avoir été introduit sitôt après la guerre sociale : Fulginiae serait alors immédiatement devenue municipium. Il est donc antérieur et a correspondu à la magistrature locale au sein de la praefectura. Quelle est son origine? Beloch, RG, p. 504, suivi par Rudolph, Stadt und Staat, p. 83 sq., Taylor, VD, p. 82 sq. et U. Laffi, Organizzazione, p. 48, n. 53, a suggéré la forme évoluée d'un octovirât primitif. Sur cette magistrature, infra, p. 240, n. 133. 61 Les marones, magistrats civils, auront fait partie de ce collège qui, sous l'influence romaine, a rassemblé dans un amalgame hétérogène des magistratures indigènes variées. On peut penser que l'édilité, qui correspond dans l'octovirat aux fonctions hiérarchiquement supérieures (infra, n. 133), fut la transposition latine du maronat ombrien. 62 CIL XI, 5621 (début de l'Empire); sur l'octovirat, infra, n. 133. 63 Beloch, RG, p. 500, non contesté. M . Mais elle le deviendra plus tard, sous le titre de Res Publica Riestinorum (CIL XI, 5635, et confirmé par une nouvelle inscription citée par U. Ciotti, le, supra, n. 59); elle sera alors administrée par des IVviri (CIL XI, 5619), forme évoluée attestée ailleurs (infra, p. 241) de l'octovirat. 65 Implicitement A. J. Toynbee, HL, I, p. 239. On ne voit pas, sinon, à quel titre Plestia aurait conservé ses magistrats locaux. N'étant pas un municipe, et si elle n'avait pas été une préfecture, Plestia aurait fait l'objet d'une constitution municipale récente du type duoviral (époque césarienne : U. Laffi, Organizzazione, p. 38 sq.).
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Sous cette forme, la pénétration romaine ne manqua certainement pas d'efficacité. Ne déboucha-t-elle pas tout naturellement sur une rapide fusion politique, sur une extension de l'optimum ius? Nous suggérons de la dater de la fin du III e siècle avant J.-C. Après avoir, consul, tracé sa grand-route 65a , C. Flaminius, censeur, organisa (220) l'implantation des Romains installés dans la région de Fulginiae; il rattacha le forum qui lui emprunta son nom à la tribu Oufentina. L. Ross Taylor a bien vu que le choix était politique et non inspiré du souci d'une géographie administrative rationnelle 66 . Mais si C. Flaminius profita de sa censure pour placer des citoyens qui lui seraient fidèles dans la tribu qu'il voulait politiquement tenir, l'explication ne vaut-elle pas aussi pour Plestia qui fut également rattachée - dans le même isolement - à l'Oufentina? Forum Flamini et Plestia forment un tout : leur attribution à la même tribu doit remonter à la décision globale du même censeur C. Flaminius. Le mobile, pour l'un et l'autre cas, fut politique - gageons qu'à Plestia aussi des cives optimo iure avaient obtenu des terres -, exclusivement politique; car entre Forum Flamini et Plestia, il n'existait pas et il n'existera jamais ces liens étroits qui, au niveau de l'administration locale, associeront au contraire Fulginiae et Forum Flamini67. On se doutera que replacée dans le climat de rivalités entre clans qui domine la fin du III e siècle, la décision de C. Flaminius ne fit pas l'unanimité. Les répercussions électorales de son choix nous font entrevoir une atmosphère de marchandages tenaces ou de dosages subtils : le sort de Fulginiae qui, contre toute attente, ne suivit pas l'Oufentina, mais entra dans la Cornelia le confirme. L'explication vient d'événements un peu plus récents. Une génération plus tard, l'accès des municipes volsques à l'optimum ius agita à nouveau (en 188) les milieux politiques romains, divisés sur les tribus qui recueilleraient leurs suffrages. Le clan des Scipions «jouera» avec succès la tribu Cornelia à laquelle il appartenait peut-être68, contre la tribu
,,?a En 223, date de son consulat, pour T. Pekâry, Untersuchungen zu den römischen Reichsstrassen, Antiquitas 1, 17, Bonn, 1968, p. 53, qui a montré que les routes consulaires n'ont jamais été l'œuvre de censeurs. 66 VD, p. 92 etn. 37; p. 306. 67 Trois kilomètres seulement séparent ces deux derniers centres. Une administration commune les unira par la suite - cf. CIL XI, p. 754. Entre Plestia et Forum Fl. rien de tel, en revanche : ce ne sont donc pas ces liens qui pouvaient justifier, à eux seuls, l'inscription dans une tribu identique. 68 Ainsi, Taylor, VD, p. 206, p. 272. L'appartenance personnelle n'est pas d'ailleurs un motif décisif. Le contrôle d'une tribu par l'introduction massive de clients l'est bien davantage.
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Oufentina, qui rationnellement aurait dû l'emporter 69 . L'attribution de Fulginiae, c'est clair, nous plonge trente ans plus tôt dans la même atmosphère : cette préfecture fut l'objet d'un compromis; si le philo-démocrate C. Flaminius l'emportait avec l'Oufentina, les conservateurs modérés, par l'entremise sans doute de L. Aemilius Papus70, son collègue à la censure, rétablissaient l'équilibre avec Fulginiae et la Cornelia. Nous proposerons d'attribuer à la même période, 220, l'extension des droits politiques aux cives sine suffragio de Plestia et de Fulginiae. La présence romaine, par la densité des assignations, et la collaboration étroite établie entre les centres locaux d'administration et les nouveaux venus ont permis cette rapide promotion 71 . D'Interamna Nahars, troisième cité ombrienne devenue romaine, vraisemblablement, au début du IIIe siècle, les notices sont pauvres. Si le nom (Interamna) est romain, la ville, de très vieille fondation, jouissait au lendemain de la guerre sociale d'une réputation d'opulence (municipium splendidwn)72 qui donne à penser qu'elle fut un municipe avant 90. Mais comment expliquer sa constitution tardive de type quattuorviral? 73 . A titre d'hypothèse, on peut y voir la forme récente et évoluée d'un octovirât primitif74. 69 Taylor, VD, p. 93, p. 307 sq. et infra, p. 396. Ce conflit d'influence, qui eut lieu en 188, portait sur l'inscription de Fundi, Formiae et Arpinum. Normalement les deux premiers municipes auraient dû être attribués à l'Oufentina et le troisième à la Teretina. Les Scipions s'y opposèrent et parvinrent à rattacher les deux premiers à l'Aemilia et le troisième à la Cornelia : deux tribus sans lien géographique avec les municipes concernés. 70 Sur les tendances de C. Flaminius, v. F. Cassola, / gruppi politici, op. cit., p. 93 sq., p. 215 sq. Sur ses relations avec les Aemilio-Scipions, ibid., p. 378 sq. 71 L'inscription de Fulginiae (supra, n. 59: 150-100 av. J.-C.) en langue osque n'infirme pas ce résultat, pas plus que l'existence de marones dans une cité ayant Yo.i : cf. infra, n. 125 (bilinguisme) et p. 292 (marones). On pourrait aussi penser à la table osque de Bantia à preuve du maintien de l'osque national dans un municipe en 80 av. J.-C. (ainsi H. Galsterer, dans Chiron 1, 1971, p. 191 sq.). Mais la date n'est pas sûre : pour de nombreux motifs (notam. M. Frederiksen, dans JRS 65, 1975, p. 192-3) on doit sans doute maintenir la Table entre 10090, avant la romanisation de Bantia. Ajoutons qu'un sénateur Q. Statilienus, de la Cornelia, est attesté vers 140 av. J.-C. (Broughton, MRR IF, p. 622; Taylor, VD, p. 256 : peut-être de Fulginiae ; non mentionné par T. P. Wiscman) : si l'on accepte cette origine, elle confirmerait, dans une certaine mesure, la date avancée pour l'accès de Fulginiae à Yo.L 72 Flor., 2, 9, 27 et CIL XI, p. 611. 73 Beloch, RG, p. 606 en déduisait qu'elle resta alliée jusqu'en 90, suivi par A. Bernardi, Cives s.S., op. cil, p. 276 et A. J. Toynbee, HL, I (index et carte). En faveur d'une romanisation dès le début du IIIe siècle, E. Pais, Dalle guerre puniche a Cesare Augusto, Rome, 1918, p. 695 sq; Taylor, VD, p. 84, suivie par W. V. Harris, op. cit., p. 153 et T. P. Wiseman, New Men, p. 187. 74 Sur le modèle de Plestia (supra, n. 64), de Cures, d'Amiternum, de Nursia, de Reate (infra, p. 241). En ce sens, mais sans réserves, H. Rudolph, Stadt und Staat, p. 83 sq. (n'évoque
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Le territoire de la cité subit probablement des assignations au début du IIIe siècle75, attribuées à la tribu Clustumina. Une préfecture vint-elle couronner l'ensemble? On l'ignore. Mais une vaste circonscription judiciaire étendue aux cives optimo iure de la tribu expliquerait le rôle d'attraction que le municipe-préfecture semble bien avoir joué : ainsi la famille consulaire des Licinii Luculli, partie à l'origine comme colons, peut-être dès la fin du III e siècle, sur les terres fertiles d'Interamna y attachera par la suite son origo et ne méprisera pas, au moins dans la première moitié du I er siècle, les honneurs municipaux76. 2) La réduction des VESTINI et l'incorporation d'une partie de leur ligue (Peltuinum, Aveia) dans la civitas sine suffragio nous ramènent vers les opérations militaires qui, pour la troisième fois, entre 297 et 290, opposèrent les Romains aux Samnites. A. Bernardi, dans son étude remarquée sur les cives sine suffragio71, a donné une lecture pacifique de l'incorporation des Vestini; il conviendrait même, avec cet auteur, de l'étendre aux Paeligni, leurs voisins, dont le centre de Superaequum serait, à la même époque, devenu romain. A la suite d'un traité, en effet, que Tite-Live mentionne pour 302, les Romains, géné-
pas le cas d'Interamna N.). W. V. Harris, op. cit., p. 153, n. 7, objecte que l'octovirat ne serait pas développé en Ombrie : mais, à Interamna, comme à Plestia ou à Fulginiae, on peut admettre, en bordure du pays sabin, une influence sabellique; ou encore (infra, n. 133) songer à la même interprétation romaine, en Ombrie, comme en Sabine, de réalités locales non uniformes. 75 Taylor, VD, p. 85 : perhaps. On ajoutera en faveur d'assignations anciennes, unissant en une même tribu la région (sabine) de Forum Novum et celle, ombrienne, d'Interamna, le découpage augustéen entre les régions VI et IV qui rattacha à la Reg. VI une partie du territoire d'Interamna (Stroncone); si le territoire d'Interamna n'était entré qu'au moment de la guerre sociale dans la tribu Clustumina, il se serait intégralement retrouvé dans la Reg. VI. 76 Nous suivons ici l'interprétation, par Pais, op. cil, p. 695-8, de l'inscription CIL XI, 4210, mentionnant un L. Licinius L. f. Lucullus, IVvir L à. Taylor, VD, p. 225 et p. 288, n'adopta pas cette «suggestion possible», pensant qu'il s'agissait, dans cette inscription attribuée à l'Empire, de l'emprunt, par une famille locale, du cognomen consulaire. Mais E. Badian, Notes on Roman Senators of the Republic, dans Hist. 12, 1963, p. 136, se prononçant pour une date républicaine de l'inscription, l'attribua au consul de 74, ou mieux à son fils, car il n'y figure pas d'honorés romains. La thèse de Yorigo locale des Licini s'en trouverait confirmée. La suggestion de T.P. Wiseman, New Men, p. 46, selon qui il s'agirait d'une magistrature locale du consul de 74, mais occasionnelle et politique (pour pacifier une région pro-marienne) nous paraît moins vraisemblable : pourquoi les honores auraient-ils été omis? La gens Licinia sort de l'obscurité au début du IIe siècle. 77 Ath., N.S. 16, 1938, p. 260 sq.
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reux, auraient concédé à ceux qui en auraient fait la demande une forme de citoyenneté enviable, car scrupuleusement respectueuse de l'autonomie locale; et, au-delà des magistratures maintenues, les cités qui auraient choisi la romanisation auraient échappé aux confiscations, inconciliables, il va de soi, avec le privilège qu'elles auraient su solliciter. Il serait injustifié de noircir le tableau; mais, replacée dans son contexte, l'incorporation des Vestini nous semble en réalité à l'opposé, ou peu s'en faut, de l'analyse qu'en donna A. Bernardi. On ne retiendra pas, en premier lieu, l'idée d'une citoyenneté requise par les peuples pacifiés; le témoignage invoqué (Diodore, 20, 90, 3) ne l'exprime pas 78 ; bien plus, il se réfère (pour l'année 305) non pas aux Paeligni, très probablement - et par analogie aux Vestini -, mais, peut-être, à un peuple campanien; les Paeligni, de leur côté, sont restés dans leur ensemble alliés jusqu'en 9079, le centre de Supçraequum y compris80. La discussion est ramenée au cas des Vestini 78 Exactement: «En Italie les Romains, après avoir défait les Paeligni (?), prirent leurs terres, et à ceux qui semblaient intéressés par les affaires des Romains, ils leur donnèrent la citoyenneté ». 79 Les raisons invoquées pour rejeter le témoignage peu clair (Paeligni, Palinii, Palênii, selon les ms.) de Diodore sont historiques : la conquête de ce peuple est invraisemblable car isolée - à cette date. Les Paeligni dans leur totalité sont restés socii jusqu'en 90 : ainsi : De Sanctis, Storia dei Rom. W, p. 338, n. 3 (suggère de lire Ballienses, peuple campanien); Beloch, RG, p. 509 et 599 (abandonnant sa première position: It. Bund, p. 51); P. Fraccaro, sur sa carte Italia ante Bellum Sociale, Novare, 1935; A. Afzelius, Rom Eroberung, p. 180; Taylor, VD, p. 88, n. 27, p. 97, n. 54, p. 274 (hésite à accepter la correction de De Sanctis, mais ne se prononce pas sur le cas de Superaequum) ; A. La Regina, Centri in area Sabellica, dans Studi sulla città antica (Atîi del convegno di studi sulla città etrusca e italica preromana, Bologna 1966) 1970, p. 194 et n. 22 et dans son important mémoire, Ricerche sugli insediamenti vestini, dans Atti Accad. Lincei, VIII, Memorie, 1968, notam., p. 430, n. 417. 80 La constitution de Superaequum ne fournit pas un argument en faveur de sa romanisation avant 90, et, donc, d'une incorporation partielle des Paeligni. Ses magistrats, sous l'Empire, sont des Ilviri. On attendrait, certes, des IVviri L d : le plus naturel est d'y voir une constitution municipale de la fin du Ier siècle. A. Bernardi, en revanche, a présenté une reconstitution hardie de ses magistrats (op. cit., p. 261 sq.) : dans un premier temps, des meddices, maintenus par Rome; puis un collège de 3 édiles, introduits par Rome au début du IIe siècle, comme le prouverait CIL IX, 3312, (relative, en réalité, comme Mommsen l'a montré, à un pagus du territoire de Superaequum) ; enfin, avant 90, une réduction du collège à 2 édiles, transformés en Ilviri L d. H. Rudolph, Stadt u. Staat, p. 50 sq., avait déjà attribué cette triple édilité à une influence romaine antérieure à la guerre sociale; mais pour Rudolph, Superaequum, pagus romain depuis le IVe siècle, ne serait devenu municipe (avec Ilviri) qu'à la fin du Ier siècle. Un autre argument tout aussi fragile est invoqué en faveur d'une romanisation précoce : l'absence d'inscriptions dialectales; mais cf. E. Vetter, Handbuch, NR 216 et 217 = V. Pisani, Lingue dell'Italia, op. cit., p. 112, NR 50 A et B.
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L'hypothèse de leur attachement à la cause romaine surprend; Mommsen notait, dans une formule lapidaire et probablement juste, que, les premiers des Sabelliens à s'allier aux Samnites en 325, les Vestini, en 302, furent les derniers à parler de paix81. Mieux, la trêve de 302 ne fut pas respectée - ce n'est donc pas de ce foedus que la civitas Romana aurait pu naître; dès 299, les Vestini renouvellent (avec une partie des Sabins) une alliance complice qui ouvrit aux Samnites le passage vers l'Etrurie, dans un vaste mouvement de coalition contre Rome 82 . En réalité, c'est de 293 environ qu'il faut dater l'incorporation de la moitié des Vestini : elle prend ici tout son sens. La fraction devenue romaine n'obtint pas la récompense d'une fidélité que les faits démentent; la région incorporée correspond exactement à une zone de passage (Amiternum, chez les Sabins, Aveia et Peltuinum, chez les Vestini), dont les Romains s'emparent pour couper le Samnium des populations sabelliques du Nord83. L'unité politique des Vestini, formée jusque-là des trois centres d'Aveia, Peltuinum et Penna, fut disloquée. Si Penna, plus à l'écart, devait rester alliée jusqu'en 9084, Peltuinum et Aveia entrent dans la civitas sine suffragio*5. Rome respecta certainement, ici comme ailleurs, l'organisation politique, une fois ramenée à une organisation administrative locale. Une innovation cependant, et d'importance, établit deux praefecturae autour d'Aveia86
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Mommsen, dans CIL IX, p. 317. Pour 325, Liv. 8, 29 et De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 305, 341; E. T. Salmon, Samnium, p. 220 reculerait à 317 les opérations romaines contre les Vestini. Le traité de 302 (Liv. 10, 3, 1 : eodem anno Romae cum Vestinis petentibus amicitiam ictum foedus) est postérieur de deux années aux conventions de paix établies entre Rome et les Samnites et les Sabelliens : E. T. Salmon, op. cit., p. 255. 82 De Sanctis, op. cil, II1, p. 349. 83 La date de 293 correspond à la prise d'Amiternum, important centre sabin que, pour des raisons politiques, Tite-Live (10, 39, 1) place cette année-là sous l'autorité samnite : v. encore De Sanctis, op. cit. II1, p. 360 et n. 3. Sur l'incorporation d'Amiternum, infra, p. 236 sq. 84 Constitution municipale avec TVviri i.d après 90 : CIL IX, p. 317. 85 Un troisième centre, Aufinum, aurait été incorporé dans la civitas Romana, selon A. La Regina, Ricerche, op. cit., p. 370 sq., p. 431, corrigeant Plin., NH, 3, 12, 107 qui le rattachait administrativement à Peltuinum. Pas d'information sur les magistrats de ce centre, si ce n'est que l'un d'eux revêtit ses charges à Peltuinum (CIL IX, 3384) - ce qui confirmerait la lecture traditionnelle du témoignage de Pline. 86 Aveia (près de l'actuel village de Fossa) : CIL IX, 3627 : Cornel[ia Faujstina ma[ter] et Felicissim[us] Ser. Praef. Aveiat.... p(osuit). Ce praefectus Aveiatium est un quasi-magistrat, élu par la collectivité, mais exerçant, formellement, la jurisdictio en vertu d'une délégation du pré-
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et de Peltuinum87. On peut penser que l'intervention romaine s'arrêta là. Les preuves d'une confiscation de terres (domaniales ou privées) ne sont pas apportées mais sont possibles88; l'intérêt stratégique de la région, plus que ses douteuses ressources, semble bien avoir orienté principalement la politique de Rome. A la veille de la guerre sociale, Aveia et Peltuinum n'ont pas accédé à l'autonomie municipale. Elles n'y parviendront (du moins, Peltuinum) sans doute jamais officiellement89. Pourtant les signes d'une évolution tangible vers une concentration de l'autorité, essentiellement par l'entremise du praefectus LcL, ne manquent pas; mais si l'évolution fut lente, inachevée même, il ne faut pas trop le regretter : elle permet de constater, au ralenti, une centralisation des tâches locales qui, presque partout ailleurs, fut trop rapide pour laisser des témoignages importants. A Peltuinum, derrière le cadre unitaire de la praefectura, les inscriptions font entrevoir, sous l'Empire encore, une organisation administrative morcelée, décentralisée, éclatée entre divers pagi autonomes au niveau des
teur. Il est possible (mais non certain) que le praefectus L d. mentionné par CIL IX, 3613, corresponde à la même fonction; on ne peut, absolument, écarter l'hypothèse (soutenue, sans hésitation par Mommsen, Indices ad CIL IX p. 790) d'un magistrat désigné en remplacement d'un magistrat empêché. 87 Peltuinum (près de l'actuel Prata) : CIL IX, 3429, datée de 242 de notre ère, élevée par la res publica nostra (1.18/19) en l'honneur de la patrona praefecturae nostrae (1. 10; 15). L'idée d'autonomie, incontestable, permet d'exclure, même dans un témoignage si tardif de praefectura, le sens, attesté par les agrimensores (Sic. Flacc. ap. Lachmann-Rudorff, I, p. 160) de territoire isolé, administrativement et judiciairement rattaché à un municipe ou une colonie. A côté des magistrats réguliers (deux édiles : CIL IX, 3429), des praefecti iure dicundo apparaissent en nombre anormalement fréquent (sept inscriptions). Pour Mommsen, CIL IX, p. 790, ce sont des remplaçants; de même, W. Ensslin, RE 22 (1954), c. 1316-1317, mais keine unbedingte Sicherheit. A. La Regina, Ricerche, op. cit., p. 441 sq. a pensé après Henzen {op. cit. dans CIL IX, p. 324) à des « magistrats » réguliers, successeurs locaux des délégués romains. Nous en sommes convaincu : le rapprochement avec le praef. Aveiatium (et d'autres : à Casinum, infra, p. 248) s'impose. A Padoue, une fréquence aussi anormale (8 cas) avait intrigué Mommsen (ap. CIL V, p. 268) qui suggéra des magistrats réguliers et non des suppléants exceptionnels; on sait qu'en Gaule Transpadane, il y eut des praefecturae : à titre d'hypothèse, Padoue, municipe avec IVviri après 49, n'auraît-elle pas gardé sous sa juridiction une circonscription plus vaste, une préfecture, sous l'autorité de praef. i d. qui ne se confondaient pas avec les mag. du municipe? 88 En faveur de confiscations, A. La Regina, Ricerche, op. cil, p. 431. 89 Au milieu du IIIe siècle ap. J.-C. (CIL DC, 3429, supra, n. 87), Peltuinum n'est encore officiellement qu'une praefectura; le titre de municipium qui apparaît en revanche dans CIL IX, 3384 semble abusif : Mommsen, ibid., p. 324.
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tâches locales90; le siège de la préfecture, Peltuinum, n'a lui-même qu'une organisation modeste, qui ne se différencie pas de celle des autres pagi voisins, car fondamentalement Peltuinum n'est qu'un pagus parmi plusieurs autres 91 . Lorsqu'au IIIe siècle avant J.-C. Peltuinum accueillit un praefectus, ce ne fut pas, comme on l'a dit, pour combler un vide administratif92; il n'y avait pas de vide, mais une administration localement disséminée comme l'habitat. Sa finalité fut principalement de créer une circonscription judiciaire, à l'occasion censitaire aussi93, englobant sous la même autorité, celle que le préteur délégua à un représentant envoyé de Rome, un ensemble de pagi Ces circonscriptions qui ne disposaient pas, à l'origine, d'organes susceptibles de concentrer les tâches administratives, ne subsistèrent que là où une tendance naturelle à la concentration au profit de magistrats locaux n'a pas abouti. Partout ailleurs les préfectures se sont muées en municipia. Ce ne fut pas le cas à Peltuinum, en dépit d'une évolution presque achevée qui, du IIIe siècle avant au IIIe siècle après J.-C, permet, à titre d'hypothèse, d'esquisser la chronologie suivante :
90 Cf. A. La Regina, op. cil, p. 430 sq. La célèbre lex aedis Iovis Liberi, de 58 av. J.-C, émanant du vicus Furfensis (CIL IX, 3513 = ILLRP 508 = FIRA, Negotia, NR 72), fait allusion à une magistrature édilicienne au niveau même du vicus, disposant de la juridiction pénale (amende), de l'administration financière, de l'organisation des cultes . . . Pour A. La Regina, les trois édiles attestés à la tête de plusieurs pagi des Vestini (références, l. a, p. 436 sq.) s'expliqueraient par le regroupement, en un collège, des édiles de trois vici, formant un pagus. 91 L'édilité (double), à Peltuinum, est largement attestée (cf. infra, n. 99). A. Degrassi, Amminisîrazione, p. 310 pensa que cette double édilité était la réduction, sous l'influence romaine, d'un collège édilicien à trois têtes (maintenu au niveau des autres pagi inscrits dans la préfecture de Peltuinum). C'est très plausible. A. La Regina, Ricerche, op. cil, p. 442 sq., tenta de prouver cette évolution, dans une démonstration très subtile, mais largement hypothétique, dont voici les éléments : 1) Peltuinum pré-romaine aurait eu deux meddices, que l'on retrouverait, sous le titre de magistri dans les pagi voisins (mais, dans l'inscription citée, ibid., p. 433, il y a trois mag. pagi), et trois aediles, magistrats inférieurs; 2) avec l'incorporation et l'envoi d'un praefectus id., les meddices auraient disparu (sans argument : cf. infra, n. 101) et les trois édiles se maintiennent; 3) au moment où le praefectus n'est plus envoyé, les édiles acquièrent la iurisdictio et l'un des trois membres du collège prend le titre de praefectus la\; 4) au IIIe siècle ap. J.-C. le praefectus édile a disparu, d'où les deux édiles, seuls magistrats éponymes dans CIL IX, 3429 - supra, n. 87. 92 Notamment A. J. Toynbee, HL I, p. 238 sq. 93 Principalement selon la définition de Festus, p. 262 L, et les exemples qu'il donne, mais pas exclusivement, comme les inscriptions de Peltuinum permettent de le penser et cf. infra, p. 313 sq.
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a) Dès l'incorporation, un praefectus La\ désigné par le préteur est envoyé de Rome; la justice supérieure - et non toute la juridiction locale94 - est, pour l'ensemble du territoire, concentrée entre les mains du titulaire d'une justice officiellement romaine et centralisée. b) Au premier siècle av. J.-C. au plus tard95, le praefectus n'est plus envoyé de Rome, mais est élu par la population locale. Le même phénomène est attesté à Aveia. L'autorité romaine se masque et un rapprochement, un glissement plus exactement du délégué du préteur vers un magistrat local se produit. Mais il n'y a aucune confusion : formellement le praefectus tient son pouvoir directement de Rome. D'où la compétence limitée des édiles de Peltuinum qui ne participent pas à la juridiction supérieure sur l'ensemble de lapraefectura96, ni même aux fonctions quinquennales de la censure. En effet, une inscription « tardive », mais qui ne peut s'expliquer que par une survivance, atteste la quinquennalité pour un praefectus97 : on en déduira que, à Peltuinum pour le moins, cette fonction s'ajouta originairement à sa compétence juridictionnelle. Les édiles, en revanche, restent principalement les magistrats du pagus de Peltuinum, de même que ses habitants, juridiquement, ne sont qu'une pars, une fraction des justiciables de la circonscription98.
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La lex du viens de Furfo l'atteste, pour la première moitié du Ier siècle av. J.-C. Argument tiré de l'exemple de la préfecture de Casinum, infra, p. 248. 96 Le maintien de la praefectura et de praefecti id le prouve; si les édiles avaient acquis la iurisdictio sur l'ensemble du territoire, Peltuinum serait devenue un municipium et les praefecti id. auraient disparu. 97 CIL IX 3385 : Q. Statio P. f. Qui Verecu(ndo) aedill praefecto. qu(inq?) cur. Viae. Claudiae. flaminl divl Aug. ae(diîi) iterurru quinq. Q. Statio... ; la restitution praefectus quinquennalis est sûre (Mommsen, CIL IX, p. 324) ; elle est plus douteuse dans CIL LX 3522 : . . . quaest. praef. id q[...]. Pour expliquer la quinquennalité du praefectus, logiquement, deux interprétations sont possibles : l'accès tardif du praefectus à une fonction réservée jusque-là aux édiles locaux (cf. note suivante : des aediles qq. sont également attestés), ou l'inverse. C'est la seconde solution qui s'impose, nous semble-t-il, car l'évolution des praefecti témoigne d'un accaparement progressif de leurs fonctions par les édiles (jusqu'à la disparition du praefectus), et non l'inverse. 98 Pars Peltuinatium : CIL IX 3420; 3430 et sans doute 3438. A cette expression insolite, trois explications. Selon Mommsen (CIL IX, p. 324), afin de distinguer les Peltuinates des Aufinates qui leur étaient rattachés; pour Kornemann, RE, 18 (1942), Pagus, C. 2318, ce serait la «partie peltuinate des Vestini»; avec A. La Regina, Ricerche, p. 444, on comprendra la préfecture de Peltuinum, par opposition à celle d'Aveia, dissociées toutes deux d'une préfecture supposée unique jusqu'au jour où le praefectus désigné par Rome ne fut plus envoyé. L'interprétation mommsénienne est juridiquement et historiquement la plus probaole; ce n'est ni l'unité ethnique, ni l'unité de la préfecture, mais au contraire sa structure divisée qui est sou95
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c) Au cours d'une troisième étape, incontestablement impériale, l'édilité locale prend de l'autorité et accède aux fonctions de la censure. Ainsi l'inscription CIL IX, 3385, qui révèle que le même personnage fut (dans l'ordre donné par la pierre) aedilis, praefectus qufinquennalis), aedilis iterwn quinquennalis. Pour les opérations du recensement, c'est net, les charges d'édile et de praefectus (i.d.) s'équivalent parfaitement : les années quinquennales, le préfet et les édiles - ou l'un des deux édiles, sans doute exercent les fonctions de censeur". Cependant, il n'y a pas confusion entre les deux charges; car le titre distinct de praefectus i.d montre qu'il exerce seul la juridiction au niveau de la praefectura. d) Dans une ultime étape - selon nos sources, du moins -, le praefectus disparaît des fonctions censoriennes : en 242, deux aediles qq apparaissent comme la seule autorité supérieure jouissant de l'éponymie locale au sommet de la praefectura100. Il ne sera sans doute pas téméraire de prolonger l'enseignement de cette inscription et comprendre que les édiles ont acquis également la iurisdictio. Le préfet s'est fondu dans les édiles locaux, la praefectura et le pagus se sont confondus. A dire vrai, le territoire venait d'accéder à une autonomie locale formelle; le nom de praefectura devenait un souvenir, un titre vide : mais six siècles avaient été nécessaires.
lignée : le pagus de Peltuinum n'est qu'une pars de la praefectura Peltuinatium, par opposition à Aufinum et aux autres pagi 99 Les inscriptions de Peltuinum ne permettent pas de retrouver les étapes d'un strict cursus: aedilis, quaestor {CIL IX, 3431 et 3434); aedilis, praef. ld. (3433); quaestor, praef. Ld. (3522); quaestor, aedilis quinquennalis (3522); aedilis, quaest. alim., quaest mun. Pelt., praef. iur. die. mu. Pelt (3384); aedilis, praef. quinq., aedilis iterum quinq. (3385, citée). 100 CIL IX, 3429 (datée de 242 et supra, p. 229, n. 87) : il n'y a plus de praef. ld. quinquennalis. A. La Regina, Ricerche, op. cit en avait déduit à bon droit, il nous semble, contre Mommsen, qu'ils n'existaient plus. Le classement chronologique des inscriptions n'est évidemment pas possible; l'hypothèse qui voudrait que les praefecti n'eussent pas encore accédé aux fonctions quinquennales en 242 (ce qui expliquerait, certes, qu'il n'apparaissent pas dans l'inscription de 242) suppose une condition préalable et se heurte à deux objections : il faudrait 1) que CIL IX 3385 (et 3522?) soit postérieure à 242 : contra: CIL IX 3522(?) : «litteris bonis»; 2) admettre une évolution inverse de celle qui partout ailleurs est attestée, à savoir une extension tardive des pouvoirs des praefecti accédant après 242 à la quinquennalité détenue jusque-là exclusivement par les édiles; 3) penser que les édiles locaux auraient, dès le IIIe siècle avant J.-C, disposé sur l'ensemble de la préfecture d'une autorité suffisante pour exercer la censure, mais insuffisante pour disposer de la iurisdictio même au IIe siècle ap. J.-C; bien mieux, ils auraient fini, après 242, par perdre cette compétence et par la partager avec les praefecti. Il y a peu de vraisemblance dans toutes ces hypothèses.
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Le titre de praefectura, maintenu, rappelait une infériorité certaine : l'absence longtemps remarquée d'une autorité concentrée sans partage sur l'ensemble d'un territoire, c'est-à-dire l'absence de ce caractère qui se trouve au cœur de la notion de municipium. Mais le même titre inversement évoquait une situation de privilège. En tant qu'unité de juridiction, la praefectura a permis de sauvegarder les édiles, magistrats modestes mais primitifs101 de son centre; car, à l'image du municipium cette fois, la praefectura, res publica, avait mérité d'être dans la même mesure 1'« interlocuteur direct du gouvernement central»102. 3) Sabini, Praetuttii, Picentes (290-268) Les Umbri et les Vestini romanisés furent, une fois encore, les outils d'une politique traditionnelle. Le territoire occupé, la civitas sine suffragio « généreusement » octroyée assurent la progression tenace, l'avance irrésistible contre l'ennemi indomptable, le nomen Samnitium Mais après ces deux derniers exemples, la politique romaine change d'orientation. Lorsque M' Curius Dentatus, en une campagne foudroyante de dévastations et de confiscations, mit à feu et à sang en 290 les territoires des SABINI et des PRAETUTTII103 et s'empara en 283, au plus tard, de Yager Gallicus104, rendant possible l'annexion des PICENTES, il poursuivit moins le péril samnite qu'une politique, rapidement discutée, de colonisation massive du sol italien. Dès lors, civitas sine suffragio et implantation locale de cives optimo iure iront de pair, et l'on pourra, dans celle-ci, voir désormais la raison de
101
Y-eut-il des meddices à Peltuinum? L'ensemble des Vestini, avant la conquête, formait une unité politique; c'est là qu'il faudrait les chercher. L'idée qu'à Peltuinum, comme dans les cités volsques (Arpinum, Fundi, Formiae), la praefectura aurait provoqué la disparition des meddices, ne laissant qu'une triple édilité indigène, n'est pas prouvée. 102 La formule, très exacte, a été appliquée par U. Laffi, Probîemi dell'organizzazione paganico-vicana nelle aree Abruzzesi e Molise, dans Ath. 52, 1974, p. 339, aux municipes. Elle conserve sa valeur pour les préfectures. 103 Flor. 1, 10 et Beloch, RG, 429 sq.; la conquête des Praetuttii est confirmée par la fondation de la col. lat. d'Hadria en 289 et de celle de Castrum Novum, col. Rom., à la même date (infra,p. 236, n. 115) 104 Conquête de Yager Gallicus entre 284 et 283; la tradition n'est pas uniforme sur la charge exercée alors par Curius Dentatus : G. Forni, Manio Curio Dentato, op. cit„ p. 204 sq. (second consulat en 284); T. R. S. Broughton, MRR F, p. 188 {praetor suff. en 283). La fondation de la col. rom. de Sena Gallica entre 290 et 287 selon Liv., Per. 11, doit être ramenée à l'année 284 ou 283.
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celle-là. Les p r o b l è m e s de l'autonomie locale se trouvent alors posés en des t e r m e s différents. Les étapes et les formes de la conquête peuvent être brièvement résumées, avant que l'on revienne sur la structure des centres d'administration m a i n t e n u s ou créés p a r les Romains. Les Sabins, en 290, a p r è s leur deditio, r e ç u r e n t la civitas sine suffragio105. Des confiscations (ager publicus) et des distributions viritanes, conformément au p r o g r a m m e de M' Curius Dentatus, ont c e r t a i n e m e n t été décidées 1 0 6 , et très tôt; en effet, comme L. Ross Taylor l'a d é m o n t r é dans des pages lumineuses 1 0 7 , dès 272 p r o b a b l e m e n t M' Curius Dentatus, censeur, avait prévu l'organisation de deux t r i b u s nouvelles, d o n t la création venait d'être votée : la Quirina, pour les cives optimo iure installés sur les terres prises aux habitants de Cures, et la Velina, pour ceux qui devaient occuper le territoire de Reate (où se trouve le lac Velinus). P o u r des raisons incertaines 1 0 8 , les inscriptions projetées d a n s les deux t r i b u s nouvelles
105
Vell. Pat. 1, 14, 6 : Sabinis sine suffragio data civitas (290). Il s'agit du règlement définitif de l'ensemble des Sabini. Il est probable que des conquêtes partielles ont préparé l'incorporation globale : la fondation de Narnia, col. lat., en 299 suppose la soumission des Sabins du Sud (Cures); en 293, prise d'Amiternum (Liv. 10, 39, 2). Cf. Beloch, RG, p. 421 sq.; Taylor, VD, p. 62 sq.; P. A. Brunt, The enfranchisement of the Sabines, dans Hommages M. Renard, II, (Coll. Latomus 102) Bruxelles, 1969, p. 121. Mais cela ne retire aucune valeur au témoignage de Velleius. Nous laisserons de côté le cas d'Eretum, attribuée par Strab. 5, 3, 1 et Val. Max. 2, 4, 5 à la Sabine : cette cité sera cependant placée dans la I ère région, le Latium, par Auguste et il est vraisemblable que le site fut occupé et incorporé (o.l ?) en même temps que Nomentum en 338. V., sur Eretum, R. M. Ogilvie, dans PBSR 33, 1965, p. 70 sq.; A. Degrassi, dans Hommages Renard II, cil, p. 173 sq. 106 Ager publicus : Cic, Leg. agr. 2, 66; distributions viritim, en pleine propriété, dès M' Curius Dentatus : Colum., de r.r. 1, praef. 14; Val. Max. 4, 3, 5 et Münzer, RE, 4, (1900), Curius Dentatus, c. 1841. Sic. Flac, de cond agr., p. 136, 14 sq. (éd. Lachmann-Rudorff I, 1848) fait allusion à des ventes (ager quaestorius) dans Vager Sabinorum. La thèse paradoxale de T. Frank, On Rome s conquest of Sabinum, Picenum and Etruria, dans Klioll, 1911, p. 365 sq. rejetant comme une falsification les confiscations en Sabine n'a convaincu personne; la même affirmation, dénuée de preuves, se retrouve cependant chez J. Poucet, Les Sabins aux origines de Rome, dans ANRW I, 1, 1972, p. 118 sq.; v. au contraire, G. Forni, op. cit., dans Ath. 41, 1953, p. 197; Taylor, VD, p. 60, 65; F. Cassola, Gruppi politici, p. 92; A. J. Toynbee, HL I, p. 382; P. Brunt, Enfranchisement, op. cit p. 124; U. Hackl, dans Chiron 2, 1972, p. 151. Il reste vrai que ces confiscations n'ont pas entraîné (ou causé) l'extermination des Sabini (à la différence des Senones - infra, p. 237) : leurs centres ont subsisté. 107 VD, p. 63 sq. 108 Hostilité du Sénat? Démission de M' Curius en cours de charge, après la mort de son collègue? (T. R. S. Broughton, MRR, F, p. 198).
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n'eurent pas lieu, ou, plus exactement, furent remises à plus tard (en 241) et sous une autre forme. Le sort des cives o.L, partis de Rome en 290 pour la région de Cures notamment, ne pouvait rester en suspens indéfiniment. Dans quelle tribu exerceraient-ils leurs droits? Ils furent, dès 268, rattachés à la Sergia. Mais, si le sort des citoyens de Rome contribua à précipiter la décision, elle profita à tout Vager Curensis : ses habitants, Romains o.L immigrés et cives sine suffragio, acquirent par la même occasion et dans la même tribu le partage des droits politiques. D'où la précision, chez Vell. Pat., pour 268, suffragii ferendi ius Sabinis datum. Il faut comprendre, selon la démonstration restée pleinement valable de L. Ross Taylor109, en dépit d'une tentative de contradiction110, parmi ces Sabini, les seuls Curenses (les «Sabins» par excellence), et non l'ensemble de ce peuple. De bons arguments permettent, en outre, de penser qu'une fraction du territoire de Trebula Mutuesca, celle où les occupations viritanes étaient les plus nombreuses, fut au même moment et pour les mêmes raisons inscrite dans la Sergia également111. Peut-être devons-nous prolonger la reconstitution et l'étendre à Forum Novum qui fut inscrit dans la tribu ancienne Clustumina. La qualification du lieu, forum, prouve des occupations massives (par occupation ou à titre d'ager privatus). On suggérera de placer avant 241 l'installation des citoyens romains o.L autour de ce centre; soit, avant que la Quirina ne devienne la tribu du reste du pays sabin et ne prenne la consistance qui lui avait d'abord été refusée112. 109
Après elle, M. Torelli, Trebula Mutuesca, Atti AccaéL Lincei, VIII, Rendiconti, 18, 1963, p. 236 sq.; A. J. Toynbee, HL I, p. 377 sq. T. P. Wiseman, New Men, op. cit, p. 185; U. Hackl, art. cité (Chiron 2, 1972), p. 151. 110 P. A. Brunt, The Enfranchisement... op. cit, p. 121 sq. a voulu revenir à l'opinion traditionnelle qui plaçait en 268 la concession du ius optimum à l'ensemble des Sabini. En vain : le cas resterait unique (les Campani, cités p. 125, n'ont pas reçu l'ai, aussitôt après avoir été incorporés s. s.); la tribu des Sabini autres que ceux de Cures sera la Quirina, organisée en 241 (l'idée, p. 124 sq. d'une mutatio tribus n'est pas justifiée). Mais surtout les Sabini, au moins en 225 (Pol. 2, 24,5) sont en dehors des légions; cela prouve que les Sabini sont, pour la majeure partie, en dehors des tribus (donc cives s.S.); car le recrutement des légions se fait à partir du cadre des tribus (cf. infra, p. 318 sq., contre P. A. Brunt Italian Manpower, 1971, p. 625 sq.). 111 M. Torelli, Trebula Mutuesca, op. cit., p. 246 sq., expliquant de la sorte la mention de deux tribus (Sergia et Quirina) dans les inscriptions de Treb. Mut. 1,2 II n'est pas sûr, en revanche, comme L. Ross Taylor le présume (et Toynbee, op! cit. également), que des assignations viritim aient eu effectivement lieu avant 241 dans le reste du pays sabin. On en trouverait, sinon, les preuves au moyen des tribus. Or seule la Quirina est attestée.
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C'est en effet à la Quirina (241), au prix d'un décalage de son assiette primitive, que les autres centres sabins seront rattachés: Reate113, Forum Deci, Amiternum et Nursia. Il va de soi que la tribu ne servit d'abord qu'à l'inscription des seuls cives o. L bénéficiaires d'assignations viritim, principalement des citoyens de Rome. Si on ignore à quel moment les Säbins acquirent l'optimum ius, on sait que ce ne fut certainement pas avant 225, ni même, semble-t-il, 205114. Chez les Praetuttii, l'installation romaine se fit exactement selon le même schéma; à l'exception d'Hadria (Atri), colonie latine déduite en 289, au lendemain de la conquête de M' Curius, et de Castrum Novum, col. rom. fondée, semble-t-il, entre 289 et 283115, les occupants individuels des terres confisquées furent, à partir de 241, attribués à la tribu Velina, elle aussi déplacée par rapport à ce qui devait être son centre primitif. Autour d'Interamnia Praetuttiorum et, peut-être, de Castrum Truentum116, citoyens 113
Les recherches de F. T. Hinrichs, Die Geschichte der gromatischen Institutionen, Wiesbaden, 1974, p. 41 sq. lui ont permis de distinguer deux techniques, chronologiquement distinctes, d'assignations viritanes : celle, qui, à Reate, fut massivement employée, antérieure à la technique de la centuriatio, date du IIIe siècle av. J.-C. (comme à Venafrum et à Falerii - infra, p. 246). 114 Pour 225, supra, p. 235, n. 110. Pour 205, Liv. 28, 45, 14 sq. place les Nursini, Reatini Amitemini Sabinusque ager omnis parmi les socii (y compris les Caerites) qui auraient offert volontairement à Scipion des contributions exceptionnelles. P. A. Brunt, Enfranchisement, op. cil, p. 125, a soutenu que l'incorporation dans la civitas o.l n'empêcherait pas un municipe d'accroître volontairement sa part des charges. C'est certain; mais si ce n'est pas trop tirer du texte de Tite-Live, tous ces contribuables sont globalement qualifiés de socii (28, 45, 14), ce qui est admissible, à la rigueur (pour des raisons de recrutement militaire), pour des cives s.s. comme l'étaient encore, nous le pensons, les Sabini et les Caerites (infra, p. 319), mais inconcevable pour des municipes O.L De plus, l'idée d'une charge volontaire (seule acceptable pour des cives o.L) est ici douteuse : les Etrusques socii, qui se seraient joints à cet effort et dont la liste est donnée par Tite-Live, ibid., ont certainement été contraints de s'y soumettre, si l'on songe à leur sympathie active pour Hannibal : pour Tarquinia, cf. SE, 35, 1967, et, pour l'ensemble, W. V. Harris, Rome in Umbria and Etruria, op. cit., p. 139 sq. 115 Liv., Per. 11 (entre 290 et 287). On sait que Vell. Pat. 1, 14, 8 cite la fondation, en 264, d'une autre (?) colonie Castrum Novum. La thèse traditionnelle attribue la première fondation à la colonie des Praetuttii (vers 289-3) et la seconde à la colonie déduite vers 264 sur le territoire pris à Caere. De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 368 et 447 suit une chronologie inverse; E. T. Salmon, Rom. Col, p. 180 et n. 119 ne conserve qu'une colonie, en Etrurie pour 264, et récuse l'autre à cette date du fait que ses magistrats, des praetores, ne sauraient se concevoir dans une colonie avant l'époque des Gracques. L'argument est fragile - Cf. infra, p. 387-90. La col. picénienne semble avoir été inscrite dans la tribu Papiria. 116 Peut-être un centre urbain: Mommsen, CIL IX, p. 492; les Liburni (Picentes : cf. Hofmann, RE, 22, 1954, Praetuttiana regio, c. 1647 sq.) y auraient été déplacés selon Plin., NH. 3, 13, 110).
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de Rome et indigènes cives sine suffragio entament une période de coexistence et, nécessairement, de collaboration au sein des mêmes organes d'administration locale. On ignore la date à laquelle la fusion fut achevée par la communion de tous les cives aux mêmes droits politiques. Vager Gallicus à son tour, au plus tard en 283, fut la proie des troupes de Curius Dentatus117. La soumission du Picenum était imminente : en 268, probablement, ses habitants furent incorporés dans la civitas sine suffragioni. La conquête provoqua une conversion. Le territoire des Sénons massacrés ou déportés dans leur totalité119 et celui du Picenum furent transformés en ager publicus pop. Rom. On ne sait rien de sa vocation première. Pour quelle part sérait-il restitué aux indigènes, dans la mesure où ils subsistaient (ainsi dans le Picenum)? Quelle proportion les nobiles entendaient-ils se réserver et quelle serait l'étendue divisée au profit de petits bénéficiaires? On l'ignore; mais il est certain que l'esprit démocratique qui avait inspiré les conquêtes de Curius trouva rapidement dans le tribun C. Flaminius un digne héritier, lorsque l'organisation de ces conquêtes dut être définitivement réglée. Le célèbre plébiscite de agro Gallico et Piceno viritim dividundo, on le sait, parvint, en 232, à être voté par la plèbe, invito senatu120. Pourquoi cette hostilité farouche du Sénat? La loi de Flaminius, pourtant, n'introduisait pas un principe nouveau. Nous avons pu constater, dès les débuts de l'extension de la civitas sine suffragio, la diffusion simultanée de cives optimo iure répartis comme un levain de romanisation. La conquête du Picenum, la dernière en date des extensions de la civitas sine suffragio121, ne devait pas faire exception, et il n'y avait pas, dans un plan désormais traditionnel de l'organisation des conquêtes, de quoi provoquer de la part des sénateurs tant de résistance. Aussi a-t-on invoqué une réaction d'égoïsme, la volonté du Sénat de conserver jalousement l'occupation de terres prometteuses 122 ; ou plutôt, à la suite de Polybe, ne doit-on pas convenir de la clairvoyance du Sénat, conscient
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Sena Gallica, col. rom, déduite entre 290 et 283. Déduction des col. lat. d'Ariminum en 268 (au Nord de Y ager Gallicus) et de Firmum en 264 dans le Picenum. 119 Pol. 2, 19, 9-12. i2o Voir F. T. Hinrichs, Gesch. der gromatischen Institutionen, op. cit p. 6 sq. pour les références, et l'état de la question; de même U. Hackl, art. cit., dans Chiron 2, 1972, p. 153 sq. 121 Avec, la même année vraisemblablement, l'incorporation de la frange occidentale du Samnium : infra, p. 244 sq. 122 Notamment Ed. Meyer, Kl. Schriften II, p. 392 sq.; M. Geizer, Die Nobilität der röm. Republik, Berlin-Leipzig, p. 15 et F. Tannen Hinrichs, op. cit, p. 7 et n. 10. 118
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de la fragilité d'une paix qui resterait précaire si Rome occupait les anciennes possessions gauloises 123 ? En réalité, P. Fraccaro, dans un très bel article, nous semble avoir dégagé la raison profonde; c'est l'étendue des assignations en pleine propriété, massives c o m m e il ne s'en était jamais produit, qui b r u s q u e m e n t fit p r e n d r e conscience d'une longue transformation : l'Etat-cité basculait vers un Etat territorial 1 2 4 . La volonté de la plèbe et de son chef l'emporta cependant. Ce fut certainement une victoire, immédiatement comprise comme telle; et ce fut, on s'en convaincra facilement, la raison pour laquelle, désormais, la conquête se glissera dans une forme moins menaçante p o u r l'équilibre fragile de la cité, sous la forme de la societas ou de Yamicitia. Dans Yager Gallicus, dès 232, les assignations viritanes provoquent l'extension de l'ancienne tribu Pollia; dans le Picenum, elles sont rattachées à la Velina. Aucune résistance locale, de la part des Sénons, et p o u r cause, ne pouvait entraver la romanisation; elle sera en revanche plus laborieuse, semble-t-il, chez les Picentes125. Il reste maintenant à se demander à quel type d'organisation les Romains et les peuples indigènes, Praetuttii, Sabini et Picentes, vont confier les tâches c o m m u n e s d'administration locale. Il est certain que ces populations ignoraient la structure unitaire de la cité; c'est soit à partir de cellules créées de toutes pièces (fora), soit, sur le modèle qu'ont offert les Vestini, en utilisant les structures villageoises (pagi, vici) préexistantes, q u e les Romains jetteront les bases d'une organisation « municipale » élémentaire.
123 Pol. 2, 21, 8 sq. De Sanctis, Storia dei Rom. III, l l (1916), p. 332 sq.; F. T. Hinrichs, op. cit, p. 7, n. 12. 124 Lex Flaminia de agro Gallico et Piceno viritim dividundo, dans Ath. 7, 1919, p. 73 sq. (= Opuscula II, p. 191 sq.), suivi par G. Tibiletti, dans Ath. N. S. 27, 1949, p. 31 et 28, 1950, p. 216. Une interprétation nouvelle de l'hostilité du Sénat est proposée par U. Hackl, op. cit, p. 155 sq. : l'hostilité à C. Flaminius s'expliquerait par la volonté (non attestée) de ce dernier de créer de nouvelles tribus dans l'intérêt de la plèbe. Voir encore infra, p. 348-9. 125 Un témoignage tardif et un peu excentrique, important cependant, est fourni par la bilingue de Pesaro (CIL F, 2127 = CIL XI, 6363 = V. Pisani, Lingue dell'Italia, op. cit, p. 218) : en dépit d'une romanisation privilégiée (Pisaurum est une col. rom., déduite en 184), le citoyen romain o.L qui a procédé à l'inscription rédigée en «sabellique» a omis d'indiquer sa tribu (qui figure, en revanche, dans le texte latin). En présence de cette appréciation locale, il est difficile de garder des illusions sur le prix que, dans le milieu élargi des Picentes, on attachait à la civitas Rom., même optimo iure. W. Brandenstein (RE, 20, Picenum (Sprachen), (1941) c. 1196 sq. place l'inscription, dite etruskisch-lateinische, au IIe siècle av. J.-C. et situe, à tort, l'origine de son auteur dans Yager stellatinus, en Campanie; la date peut être plus récente et l'honoré provenir d'Urvinum, placé depuis 90 av. J.-C. dans la Stellatina.
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L'évolution d'Interamnia P. (Teramo), chez les Praetuttii126, projette une lueur sur un processus d'urbanisation que l'on devrait aussi retrouver ailleurs. Le nom d'Interamnia, typiquement latin, prouve qu'il s'agit, dans un milieu rattaché au groupe linguistique du Sud-Picenum, d'une création juridique romaine. Une allusion de Frontin le confirme : hoc conciliabulum fuisse fertur et postea in municipii ius relatum121; on peut donc suivre L. Ross Taylor qui fait naître le conciliabulum de l'installation romaine128. Mais il est non moins certain que la vocation première de cette cellule élémentaire ne fut pas limitée aux citoyens de Rome partis comme colons avec leur ius optimum; ce ne fut pas un forum Comme le nom du centre l'indique, les Praetuttii, cives sine suffragio, leur ont, dès l'origine, été associés dans une administration probablement commune. Le rôle joué par l'élément indigène - et c'est une autre preuve de leur nécessaire collaboration - explique la constitution originale d'Interamnia : un collège d'octoviri129, attesté au moins pour la phase municipale proprement dite, qui est antérieure à l'époque de Sylla130. Enfin nous pensons qu'il est extrêmement probable qu'un praefectus Là. fut envoyé, dans le conciliabulum, introduire un précieux élément d'unité entre ces deux groupes que seule la notion de civitas, bien abstraite sinon, aurait associés. On proposera, en résumé, le schéma évolutif suivant : à partir d'une organisation indigène (attestée tardivement sur le territoire du municipe)131 du type du vicus, les Romains, au IIIe siècle, créent
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L'art, de M. Hofmann, dans RE, 22, 1954, c. 1639 sq. peut être négligé. Frontin, De controv., p. 19 (éd. Lachmann-Rudorff I). 128 Philipp, RE 9 (1916), Interamnia P, c. 1602; Taylor, VD, p. 84. 129 CIL IX, 5067 : L. Agusius Cn. f. Ln. Musstis, C Arrenus T. f. Rufus, octoviri iterum baîneas refic. d(e) cionscript) s(ententia) cfurav.); Beloch, RG, p. 500 attribuait à Interamnia P. CIL IX, 5158, mentionnant un octovir; mais le fragment (facile, certes, à déplacer) provient du territoire de Castrum Truentum qui a formé un centre distinct (Mommsen, CIL, IX, p. 429). Sur la nature de l'octovirat, infra p. 240, n. 133. 130 La déduction d'une colonie syllanienne explique la distinction, dans les inscriptions postérieures, du municipium et de la colonia: ILLRP 617 (- CIL IX, 5074) et 618. Le collège octoviral remonte, cela va sans dire, au moins à la constitution municipale. On peut penser que c'est cette dernière qui a assuré, après 90, la survie de l'octovirat original. 131 CIL IX, 5052 (datée : 55 av. J.-C.) = ILLRP 152 : les trois magistri d'un vicus élèvent d(e) v(ici) s(citu) un édifice cultuel à Hercule. Sur le territoire de la colonie latine d'Hadria, un collège de Hlviri apparaît également à la tête d'un vicus (CIL IX, 5048). On peut émettre l'hypothèse d'une organisation indigène, maintenue au niveau du vicus après l'implantation des cives o.i et l'incorporation dans la civitas s.s. des indigènes (de même, à Hadria, après la déduction d'une colonie de droit latin) 127
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un nouveau centre d'administration, ouvert aux cives o.L et aux indigènes s. s. C'est un conciliabulum; il fut, nous le pensons, le siège d'une praefectura i.d.ni pour l'ensemble du territoire des Praeîuttii. Au début du I er siècle av. J.-C, au plus tard, l'évolution vers la constitution de municipium est achevée; de sa structure, en partie indigène, le municipe a retenu une magistrature composite, l'octovirat, romaine peut-être par la cohésion apparente - en réalité toute artificielle - du collège, mais qui, au fond, répond à une conception et à une division du pouvoir qui n'est pas romaine, mais indigène133. La majorité des centres administratifs qui se partagèrent le territoire des Sabini révèle une urbanisation lente; ils ne parvinrent que tard, souvent après la fin de la République, à la qualité de municipium. Ainsi, Amiternum, au cœur d'un territoire qui comprend plusieurs vzcz134, est encore au début de l'Empire une praefectura125; son administration est entre les mains
132 A l'exclusion, sans doute, de la colonie rom. de Castrum Novum (sur sa date de fondation, supra). Ses magistrats sont qualifiés de praetores {CIL F, 1908 = IX, 5145 = ILLRP 566 : priaetores) d(e) s(enatus) s(ententia) ftaciendum) c(uraverunt) et cf. également CIL IX, 5073. Le titre de praetor introduit par Rome dans une colonie implique nécessairement la compétence juridictionnelle des magistrats coloniaux. Voir infra, p. 387 sq. sur cette épineuse question. 133 Les origines de l'octovirat, que l'on trouve chez les Ombriens {supra : Plestia), les Praetuttii, les Sabini {infra : Amiternum, Trebula Mutuesca, Nursia et, peut-être sous la forme évoluée d'un JVvirat, à Cures et Reate), sont discutées. L'origine indigène fut soutenue par A. Rosenberg, Der Staat der alten Italiker, Berlin, 1913, p. 40 sq.; G. Devoto, Gli antichi Italici2, Florence, 1951, p. 260 sq.; S. Mazzarino, Dalla monarchia allô stato repubblica.no, Catane, 1945, p. 173 sq.; A. Degrassi, Amministrazione, p. 310 (dubitatif). En faveur d'une origine romaine H. Rudolph, Stadt u. Staat, p. 66 sq. et RE, 17 (1932), Octoviri, c. 1877 sq., suivi par A. N. Sherwin-White, RC\ p. 62 sq. = RC1, p. 65 sq.; A. Bernardi, Cives s.S., dans Ath, 16, 1938, p. 272; E. Manni, Per la storia, p. 141 sq. M. Torelli, Trebula Mutuesca {op.cit, supra, p. 235, n. 109) soutient une création romaine, artificielle et tardive (époque d'Auguste pour Trebula Mutuesca). L'artifice, romain, nous paraît incontestable (et les arguments invoqués par Rudolph, op. cit., contre la thèse de l'origine sabine (Rosenberg) restent valables.) Mais l'influence romaine ne doit pas, avec Rudolph, être exagérée (v., judicieusement, P. A. Brunt, Italian Aims at the time of the Social War, dans JRS, 55, 1965, p. 100, n. 79 et 103, n. 97), ni sans doute repoussée trop tard avec M. Torelli. L'amalgame associe, sans les fondre, dans le même collège l'cdilité, la gestion de l'aerarium, le collège de la iuventus (Amiternum, Nursia, Treb. Mut.) et la cura fanorum (Treb. Mut.). Pas de précisions sur la structure interne du collège d'Interamnia P. 134 Notam. CIL IX, 4399; CIL IX 4325 = ILLRP 532 (deux magistri); ou le vicus des Forulani {vicani Forulani : CIL IX 4359, de 134 ap. J.-C), placé dans la juridiction d'Amiternum comme l'attestent les inscriptions CIL IX 4398 (= ILLRP 531) et 4400 qui mentionnent des magistratures {octoviri) exercées à Amiternum. 135 CIL IX, 4182 : T. Vinio Rufo T. Titsieno oct(o)vir(is), Q. Orfio Fulcinio C. Iegio aedfilibus), praefectura Amiternina pro reditu Imp. Caesaris Au[gusti... ] Fortunai[... ]; l'inscription
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d'un collège octoviral, mais qui évolue vers une forme quattuorvirale136. C'est probablement la dignité de praefectura qui assura à Amiternum le maintien de sa constitution particulière et la fit échapper à la réorganisation municipale de la fin de la République137. Reate et Nursia reflètent la même évolution : Nursia, praefectura sous la République138, est sous l'Empire un municipium139 administré par des octoviri140', Reate, administrée par des IV viri, doit à sa condition de praefectura, encore attestée en 27 av. J.-C.141, d'avoir conservé un type de magistrature qui, selon toute vraisemblance, est la forme seconde d'un octovirat primitif142. Pour expliquer cette évolution relativement rapide en comparaison d'autres centres sabins, on peut évoquer les bienfaits d'une large participation romaine, émigrée à Reate et s'associant dès les lendemains de l'incorporation aux tâches d'administration commune. Les formes de la conquête et la diffusion de la tribu Quirina le laissaient pressentir, mais rien ne vaut une confirmation. L'histoire familiale de M. Terentius Varro143, le malheu-
date du règne d'Auguste. Voir de même CIL IX 4201 : praefectura. CIL IX, 4204 (= ILLRP 302) infra, p. 245 ne se rapporte pas à un praefectus là.', on note enfin un VHIvir p(raef.) pro o[cto]viro {ibid 4519), sans lien direct avec la praefectura. 136 L'octovirat est fréquemment attesté : les inscriptions sont rapportées par E. Manni, Per la Storia, op. cit., p. 141. L'évolution vers un collège à quatre (dont deux seulement sont proprement appelés octoviri: cf. CIL IX, 4182, citée supra, n. 135) a été exactement relevée par Rudolph, Staat u. Staat, p. 70 sq. et par E. Manni, op. cit, p. 143 sq. Dans le détail, on retrouve la magistratus iuventutis (CIL IX, 4457), l'édilité et la questure. 137 Qui utilisa le modèle des municipes avec Hviri. On ne peut dire avec certitude si Amiternum devint un jour municipium : les municipes apparaissant dans CIL IX 4231 et 4456 peuvent simplement équivaloir à concitoyens (cf. Ulp. au Dig. 50, 1, 1, 1). 138 Festus, v° Praefecturae, p. 262 L. L'inscription CIL IX, 4622 (praefectus Là ex àecreto oràinis) est un interrex (Ensslin, op. cit, c. 1315) sans lien avec la praefectura (au cas où elle aurait subsisté). 139 CIL IX, 4546. 140 CIL IX, 4545, notamment : VHIvir Ilvirfali) [p]ot(estate); et E. Manni, op. cit., p. 142 sq. 141 CIL IX, 4677 : M. Agjrippai L f. cos. tert. [prjaefectur. Reatini patrono; la préfecture est également mentionnée par Festus, le, p. 262 L, par Cicéron et Valère-Maxime (réf. ap. Mommsen, dans CIL IX p. 438). Municipium à la fin du premier siècle peut-être (Suét., Vesp. 1 ; CIL IX, 4686 et Mommsen, ibid., p. 438). 142 Un quattuorvirat maintenu à la tête d'une cité romaine avant 90 est apparemment anormal; on ne peut citer que quatre autres exemples : Cures, Fulginiae, Plestia et Urbs Salvia Pollentinorum (infra, p. 244, n. 158). Beloch, RG, p. 504, suivi par Rudolph, Stadt u. Staat, p. 83 sq., Taylor, VD, p. 82 sq. et U. Laffi, Organizzazione, p. 48 n. 53, expliqua ces cinq cas par l'évolution achevée d'un octovirat antérieur. Nous avons suggéré d'ajouter à cette liste Interamna Nahars (supra, p. 225). 143 Retracée par Taylor, VD, p. 258 sq. (avec les références).
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reux consul de 216 que la nobilitas chargea, de par sa humble naissance, du désastre de Cannes, illustre précieusement un phénomène d'émigration locale; ses ancêtres devaient appartenir à la Papiria, puis, installés dans la région de Reate - à la génération de son père au plus tôt - ils passèrent dans la Quirina; ces plébéiens modestes, mais Romains d'origine, furent parmi les premiers à déplacer à Reate une origo, à laquelle leurs descendants, un siècle et demi plus tard, sont restés fidèles. Cette famille qui conserva l'accès au gouvernement de la Cité et à sa haute administration144 n'a pas dû négliger les munera locaux, charges ou honneurs; on croira volontiers que l'esprit de la patria communis, transmis à la patrie locale, fut un ferment de romanisation. Elle fut, à Cures, sans doute aussi rapide, puisque la mutation de l'octovirat en quattuorvirat apparaît également achevée145. Un point demeure inconnu : à quel titre, municipium ou praefectura, Cures mérita-t-elle le privilège de conserver sa propre administration locale146? Mommsen147 admettait la possibilité d'une praefectura', il n'y a pas d'objection à l'accepter de même. Pour Trebula Mutuesca, le dernier centre sabin jouissant d'une administration spécifique148, les informations sont plus nourries. Trebula fut d'abord un vicus dans le pagus des Mutuesci, communauté autonome non urbanisée 149 ; au II e siècle, Trebula n'a pas encore dépassé le stade du vicus150, et n'accédera que plus tard à la condition de municipium, au moment où les Trebulani s'identifièrent aux Mutuesci et formèrent une communauté unique 151 . Le municipe conservera la magistrature octovi-
144 Cf. T. R. S. Broughton, MRR IF, p. 625. 145 rVviri Ld. bien attestés : CIL LX, p. 472 avec les références, sur leur origine, supra, n. 142. 146 Municipium n'est pas attesté; le praef. Ld. de l'inscr. CIL IX, 4976, de la deuxième moitié du IIe siècle ap. J.-C, se réfère à un praef. pro IVviro. 147 CIL IX, p. 396 - sans lien avec le maintien d'une constitution spécifique. 148 II n'est pas de notre propos de traiter de la constitution des fora que les Romains ont créés principalement pour les cives o.l En Sabine, Forum Novum deviendra municipe {CIL IX, 4786) sans doute lors des réorganisations de la fin du Ier siècle; ses Hviri peuvent dater de cette conversion, s'ils ne remontent pas à l'organisation républicaine du forum (cf. U. Laffi, op. cit., p. 48, n. 56); Forum Deci était compris dans la juridiction de Reate (Mommsen, CIL IX, p. 434), semble-t-il. 149 Cf. A. La Regina, Centri in area Sabellica, op. cit., p. 202. 150 CIL IX, 4882 = ILLRP 327 : L Mummius co(n)s(ul) vico; le consulat du destructeur de Corinthe est, on le sait, de 146. 151 A. La Regina, le, a très bien relevé cet original processus de fusion vicus-pagus.
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raie152. Il reste difficile de la dater: M. Torelli propose l'époque augustéenne153. Mais l'exemple d'un vicus transformé en municipe et pourvu d'une administration dérogeant aussi nettement au schéma municipal (Ilviri) appliqué sans exception à toutes les créations nouvelles après César resterait isolé et inexpliqué. On peut alors songer à une alternative : ou le municipe est apparu plus tôt, par une élévation du vicus - pagus entre le milieu et la fin du IIe siècle avant J.-C. ; ou plutôt, selon une hypothèse qui nous semble plus plausible, le pagus (Mutuesci) fut le siège d'une praefectura dès l'incorporation dans la civitas Romana. Il n'y aurait pas à s'étonner de la sorte que le vicus de Trebula, simple fraction du pagus et inscrit dans la préfecture, n'apparaisse qu'avec ce seul titre dans le titulus Mummianus du IIe siècle av. J.-C.154. L'octovirat, dans ces conditions, serait à Trebula Mutuesca, comme à Amiternum, la magistrature «originelle» du pagus155 restée en place grâce à la praefectura; l'une et l'autre se sont maintenues jusqu'à l'urbanisation et la consécration municipale, qui trouvent, elles, facilement leur place au début de notre ère. L'organisation administrative du Picenum apparaît remarquablement simple; à l'époque de César (en 49), les praefecturae y étaient encore nom-
152
Textes corrigés, inédits et commentés dans M. Torelli, Trebula Mutuesca, op. cit., p. 240 sq.; de même, MEFRA, 81, 1969, p. 601 sq. et A £., 1972, NR 153 : l'inscription, inédite, atteste l'octovirat au milieu du IIe siècle ap. J.-C. Le municipium est révélé par CIL IX 4894 (243 ap. J.-C). 153 M. Torelli pense à une création ex novo (p. 240) de l'octovirat, lors d'une réorganisation politique à l'époque d'Auguste (p. 242). 154 Cette inscription (supra, ILLRP 327) ne se concilie pas avec la possibilité d'attribuer au vicus le centre d'une praefectura : ce titre plus prestigieux aurait été retenu de préférence (encore que Nursia, une praefectura incontestablement, honorée d'un titulus du même Mummius, n'apparaisse que sous le modeste sigle N(ursini) : CIL IX, 4540 = ILLRP 329 : L. Mumius co(n)s(ul) ded(it) N(ursinisJ). M. Torelli, op. cit., p. 239, n. 30 exclut sans hésitation une préfecture à Trebula, admise comme possible en revanche par Mommsen, CIL IX, p. 396 et Beloch, RG, p. 552. Mais l'objection, sérieuse même si elle n'est pas dirimante, que l'on tire du titre mummien disparaît si, comme il est normal, on place la praefectura au niveau du pagus et non du vicus. 155 II est difficile d'admettre, avec M. Torelli, l'idée d'une création augustéenne ex novo à une époque précisément, où l'octovirat a déjà entamé, parfois achevé, son évolution vers le IVvirat. Lorsque nous disons originelle, nous entendons antérieure à la guerre sociale, mais certainement postérieure à la conquête; car ici encore (supra, p. 240, n. 133) le caractère artificiel du collège, bien analysé par M. Torelli, op. cit., dénonce une façade romaine plaquée sur des éléments locaux. 17
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breuses 156 , mais très rapidement (entre César et Auguste), elles disparaissent, remplacées par des municipia nouveaux, administrés uniformément par des Hviri157. Cette conversion rapide et ses formes permettent d'entrevoir l'organisation antérieure. Il est certain que les préfectures n'ont pas assuré ici, à une exception près, Urbs Salvia158, la survie de magistratures locales spécifiques. Y en avait-il? On peut en douter. Les circonscriptions judiciaires établies après la conquête ont pris pour leur centre des conciliabula, exceptionnellement et tardivement urbanisés159 et dont les magistrats répondaient sans doute à un type rudimentaire, duoviral probablement, à l'image des fora. L'élément indigène, submergé par l'étendue des assignations, n'est pas parvenu à faire triompher des formes de gouvernement local; c'est une bonne raison de penser qu'ils n'en disposèrent pas, ou encore, qu'ils furent associés aux Romains dans des organes administratifs communs 160 . Fusion ethnique, fusion administrative et fusion par l'unité de juridiction : ce sont les trois voies qui, sans effort, engendrèrent des municipia nouveaux.
VI - LA CONQUÊTE DE L'ITALIE CENTRALE IL LA FRANGE OCCIDENTALE DU SAMNIUM (290-268)
La troisième guerre samnite, dont les débuts remontent à 299, ne résista pas à la politique de terreur que M' Curius Dentatus, la même année en 290, avait menée avec un égal succès des Sabini jusqu'aux Senones. Le
156 Caes., B. C. 1, 15, 1 : Caesar... omnem agrwn Picenwn percurrit Cunctae earum regionum praefecturae... eum recipiunt. 157 Cingulum, Cupra Montana, Cupra Maritima, Falerio, Ostra, Ricina, Septempeda, Suasa Sen., Trea. Les magistrats de Tolentinum sont inconnus; à Pausulae, une inscription avi vetustioris, CIL IX, 5793, mentionne un praetor quinquennalis, magistrature qui se retrouve à Auximum (col. Rom. fondée en 157 (?) av. J.-C. : cf. E. T. Salmon, Rom. col, p. 112 sq. et p. 188 n. 200). 158 Urbs Salvia Pollentinorum est un municipe avec IVviri {CIL IX, p. 526); il est traditionnel, depuis Beloch, RG, p. 505 (et cf. U. Laffi, Organizzazione, p. 48 et n. 53) d'y voir la forme évoluée d'un ancien octovirat. Le double nom de la ville (cf. Interamnia Praet.) prouve l'existence à l'origine d'un fort noyau indigène à côté de l'établissement romain; l'explication est alors très vraisemblable. 159 Cingulum, par ex. (Caes., B.C. 1, 15, 2), quod oppidum Labienus constituerai suaque pecunia exaedificaverat; cf. F. T. Hinrichs, dans Hist 18, 1969, p. 530 n. 37. 160 L'affirmation, non prouvée, d'E. Manni, Per la Storia, p. 150, d'une accession à Yo.i des Picentes après la guerre sociale, est, de la sorte, peu vraisemblable.
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Samnium161, humilié, soumis à un pillage dont le profit permit à Rome de commencer sa propre histoire monétaire, retrouva, en 290 sa condition d'allié après le «renouvellement» (pour la quatrième fois!) du traité de 354162. Mais s'il eut à subir certaines confiscations (fondation de la colonie latine de Venusia en 291), le Samnium échappa du moins à l'incorporation dans l'Etat romain, conserva sa ligue et sauvegarda son indépendance, obérée, il est vrai, des charges dont le traité inégal lui imposait le respect. En 268, après un sursaut de révolte, le poids de la domination romaine s'affirma beaucoup plus brutalement. Profitant du danger que les guerres de Pyrrhus firent courir aux Romains, la ligue samnite tenta de se libérer de ses obligations de partenaire inégal : en vain. Une importante partie du territoire samnite, sa frange occidentale, est incorporée dans la citoyenneté romaine sine suffragio : ce fut le sort d'Atina, Casinum, Venafrum, Aufidena et Allifae; simultanément deux colonies latines nouvelles (Aesernia et Beneventum), déduites en 268/3, montent la garde à la frontière des régions qui viennent d'être pacifiées. La ligue samnite est alors dissoute et des traités particuliers rattachent désormais à Rome les diverses régions du Samnium qui ne furent pas incorporées dans Vager Romanus163. Il est certain que la conversion en territoires annexés des régions jusqu'ici unies seulement à Rome par le lien de la fédération ne traduisit pas un assouplissement de leur condition; on y verra plutôt la répression d'une ultime tentative de libération au moyen d'une solution qui devait rassurer les Romains pour l'avenir. Le choix fut judicieux : à la différence du Samnium resté libre, les territoires samnites devenus romains en 268 ne firent pas défection lors de la seconde guerre punique164. C'est la preuve que l'incorporation dans l'Etat romain avait donné à Rome les moyens d'un contrôle efficace; de plus, l'envoi sur place et à titre permanent de garnisons militaires compléta probablement 165 le rôle de surveillance imparti aux colonies latines voisines.
161
Pour cette conquête, v. E. T. Salmon, Samnium, p. 255 sq. Liv. Ep., 11 ; cf. E. T. Salmon op. cit., p. 276 sq. 163 Sur la dure sanction imposée aux Samnites après leur défection en faveur de Pyrrhus, E. T. Salmon, op. cit., p. 288. 164 E. T. Salmon, op. cit, p. 298. 165 La présence de praefecti militaires est attestée par l'inscription ILLRP 302 : Q. Lainio(s) Q. f. praifectos pro trebibos fecit (= CIL I2, 398 = CIL IX, 4204 = ILS 6127), que Mommsen attribue à Amiternum (?). Sur l'interprétation de l'inscription et l'envoi de garnisons militaires - le plus souvent auprès de citées alliées -, G. Tibiletti, dans Rendic. Istituto lombardo, 86, 1953, p. 82 sq. Ces Tribubus sont des cives optimo iure, appartenant à des tribus diverses et ne 162
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Sur les formes juridiques de l'incorporation, nos informations sont incomplètes166. Il est probable, sinon sûr, qu'il y eut, à la suite de confiscations, une extension des terres domaniales et des distributions viritim sous forme d'ager privatus. Le déplacement de centres urbains comme Venafrum et Allifae, descendus vers la plaine tracée par le Volturnus167, a, semble-t-il, répondu moins à la volonté de démembrer un potentiel militaire redoutable pour l'avenir qu'au désir de rapprocher les centres d'administration locale des voies de communication et des terres fertiles. Et surtout, s'il l'on suit la démonstration et les résultats très neufs d'un travail récent, on devrait même affirmer que le territoire de Venafrum fit l'objet d'une assignation massive dès le IIIe siècle168. Atina et Casinum, en revanche, resteront en possession de leur site et de leurs murailles défensives169; cela confirme que les bouleversements urbanistiques d'Allifae et Venafrum ne s'expliquent pas par une politique de démantèlement soupçonneux170. L'hypothèse d'un remodelage du paysage par une implantation serrée de cives o.i. prend corps.
peuvent se référer à des cives optimo iure bénéficiaires de distributions - ils auraient appartenu à une seule tribu. Ce que l'on peut se représenter pour Amiternum (?) peut être étendu aux cités samnites incorporées à la même date. 166 En grande partie du fait de la lacune de Tite-Live. La romanisation de cette région n'est connue qu'à partir de témoignages indirects ou tardifs. 167 E. T. Salmon, op. cit., p. 291. 168 F. T. Hinrichs, Die Geschichte der gromatischen Institutionen (1974), p. 42 sq., p. 226, a retrouvé à Venafrum, dans la plaine du Volturnus, les traces visibles encore aujourd'hui (v. par ex. la photo n° 1 reproduite par E. T. Salmon, Samnium, op. cii) d'une division viritane des terres opérée selon une technique {strigae parallèles) antérieure à celle de la centuriation. Le même procédé se retrouve à Reate {ibid., p. 41 sq. et supra, n. 113) dont le territoire fut assigné à la même époque, et à Falerii. De cette dernière, on sait (Zonaras, 8, 18, complétant les fragments du livre 12 de Dion Cassius) qu'en 238, elle fut amputée de la moitié de son territoire : cf. Tenney Frank, On Rome s conquest of Sabinum, Picenum and Etruria, dans Kîio 11, 1911, p. 378; Beloch, RG p. 610 sq.; A. J. Toynbee, HL I, p. 155 et 171, n. 3, qui, à juste titre, refuse contre A. Bernardi, art. cit. {Ath., 1938) d'en déduire que Falerii acquit alors la civitas s.s. La soumission de Reate, Venafrum et Falerii est donc effectivement contemporaine; cette concomittance confère aux précieuses analyses de F. T. Hinrichs une grande vraisemblance. L'inscription de cives o.L bénéficiaires se sera faite tout naturellement, à Venafrum, dans la tribu Teretina qui sera, à terme, la tribu de l'ensemble des cités prises aux Samnites, à l'exception d'Aufidena. 169 Atina : EAA, I, 1958, p. 882; Casinum : ibid., II, 1959, p. 404 : sa défense lui permit de résister contre Hannibal qui pilla la région mais ne prit pas la ville (Liv. 26, 9, 2). 170 En revanche les cités restées fédérées de Telesia et Aeclanum eurent leurs murailles abattues; les populations de Telesia, Saepinum, Bovianum furent déplacées dans des sites plus difficiles à défendre.
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Au niveau de l'administration locale, on sait, pour plusieurs de ces cités, qu'elles accueillirent un praefectus iure dicundo. Mais au-delà de la praefectura, quels éléments d'autonomie municipale peut-on entrevoir? Allifae et Venafrum sont, avant la conquête, des centres urbanisés; ils émettent un monnayage d'argent et de bronze171. Après l'incorporation, les Romains laisseront sûrement sur place, sous la forme d'un municipium, les organes de ces communautés, dont l'autonomie était incontestable jusquelà. Elle fut seulement amputée par la compétence juridictionnelle du praefectus Ld112 et par les exigences de la souveraineté romaine 173 . Atina et Casinum, en revanche, n'ont pas atteint l'autonomie municipale avant la fin de la République. Malgré son urbanisation ancienne et sa richesse, en dépit de l'insertion de son élite dans les cercles politiques romains depuis le début du I er siècle, Atina174 n'est qu'une praefectura à l'époque du Pro Plancio115. Or il est certain qu'Atina disposait de magistrats et d'une assemblée176. Si l'on peut oser une hypothèse, on suggérera que, à l'heure de l'organisation des territoires incorporés, Atina servit de centre à une circonscription juridictionnelle dépassant largement les limites de son territoire primitif; il aurait donc fallu l'exercice pendant plus de deux siè171 Ces monnayages d'argent (Allifae, IVe siècle) et de bronze (Venafrum, début IIIe siècle) - cf. E. T. Salmon, p. 72, avec les références - prouvent que la frange occidentale du Samnium était ouverte aux échanges. Une ligue commerciale est peut-être à envisager et confirmerait (ce que l'urbanisme ancien indique déjà) que cette fraction samnite a dépassé le stade tribal ou pré-civique. V. également J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 230 sq. 172 Venafrum et Allifae sont citées comme praefecturae par Festus, p. 262 L. On ignore, dans l'un et l'autre cas, le titre des magistrats maintenus sous la préfecture. Allifae recevra une colonie, syllanienne (? Salmon, Rom Col, p. 161) ou des Triumvirs (Mommsen, CIL IX, p. 214) et Venafrum une colonie augustéenne (Mommsen, CIL X, p. 477), avec des Hviri également. Ces deux cités seront inscrites dans la tribu Teretina. On ne sait quand; la bourgeoisie locale n'atteindra que tard, selon non sources, les honneurs romains : T. P. Wiseman, New Men, p. 211 NR 20 (fin de la République). 173 Notamment la disparition nécessaire du droit de battre monnaie. Infra, p. 300. 174 Toute la cité et les municipes voisins sont mobilisés pour l'élection de l'un de ses habitants : Cic, Pro Plancio, passim notam. 8, 21 : L Ross Taylor, Atk, 1964, p. 12 sq.; T. P. Wiseman, New Men, p. 137 sq. Un Plancius d'Atina, aux environs des années 90, fut même défendu par L. Crassus (Wiseman, op. cit., p. 251, NR 321 et les références). L'histoire de la famille des Sentii Saturnini (R Syme, dans Hist. 13, 1966; Wiseman, op. cit., p. 13 et p. 260 NR 387 et 388) atteste l'éclat de cette petite cité qui atteindra par l'un des siens les magistratures curules avant la guerre sociale. Cicéron {ibid., 8, 21) le confirme : splendidissimi homines... sic ut nulla tota Italia frequentior (praefectura) dici pàssit 175 Cic, Plane. 8, 19 (prononcé en 54) avec l'opposition non équivoque entre le municipium antiquissimum Tusculanum et la praefectura Atinas non tam prisca; de même 8, 21. 176 L'ascension politique de son élite locale aurait été, sinon, entravée.
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cles d'une compétence judiciaire centralisatrice, avant que les magistrats d'Atina, devenue municipium, prennent sans inconvénient la relève des représentants du préteur. Lorsque la consécration municipale sera enfin réalisée, peu après 54 av. J.-C, des Hviri117, dont l'origine est obscure - ils ne sont pas nécessairement de création récente178 - exerceront leur autorité directe sur un territoire qui, effectivement, apparaît anormalement étendu179. L'histoire très comparable de Casinum a un mérite de plus; elle éclaire la façon dont, par une transition souple, le praefectus désigné par le préteur et envoyé de Rome s'est prolongé dans un élu local, mais exerçant toujours son pouvoir en vertu d'une délégation formelle. Peltuinum et Aveia en avaient fourni des exemples tardifs; à Casinum, quelques années avant que le municipe ne naisse (vers 40 av. J.-C.) 18°, un praefectus Casinatium est honoré par ses proches181. Il s'agit incontestablement d'un élu local182 et il faut très probablement voir en lui, à la suite d'une longue tradition, le prae-
177 Un municipe avec Hviri, créé peu après le plaidoyer cicéronien : CIL X, 5074 = ILLRP 551. 178 U. Laffi, Organizzazione, p. 48 n. 56, qui n'accepte pas sans réserve la position de Degrassi, Quattuorviri..., p. 323 sq. = Scritti I, p. 151. 179 La juridiction d'Atina, qui est celle de l'ancienne préfecture, très étendue, englobe Alvito et San Donato (cf. CIL X, p. 507 : par leur tribu, ils ne peuvent avoir appartenu qu'à Atina), et dépasse largement le Sangro au Nord; ses limites seront ici celles de la Regio I. Pour le détail R. Thomsen, The italic régions, Copenhague 1947, (réimp. Rome, 1966), p. 76 sq.; G. Susini dans Epigraph. 36, 1974, p. 230 sq. 180 CIL X, 5159 = ILLRP 562 a : Hviri la\ (du municipe), datés de 40 av. J.-C. Les Wviri que Mommsen (CIL X, 5190 et p. 510) attribuait au municipe, proviennent en réalité (ILLRP 544) d'Aquinum, alliée jusqu'en 90. 181 CIL X, 5194 (= ILLRP 563) : C. Futio C. /. parenti, pra[ef(ecto)] [Ca]sina[tium- - -]', et du même personnage CIL X, 5193 [? dedijt C. Futius [pra]ef(ectus) [CJasinat(ium). Pour CIL X, 5203 = ILLRP 564, v. la note suivante. 182 Ainsi Degrassi, comment, à ILLRP 563, mais qui en déduisait qu'il ne pouvait s'agir d'un délégué du préteur romain. Ce n'est pas fondé : le praefectus a certainement été envoyé (cf. Festus, p. 262 L, «missus») à l'origine; mais (cf. infra, p. 316) rien ne s'oppose à ce qu'il fût, par la suite, recruté sur place par élection. En faveur d'un choix local, F. De Martino, Storia IIP, p. 365 - mais sans preuves - et U. Laffi, Organizzazione, p. 46, très justement sur la base des inscriptions de Casinum. La solution avancée par Degrassi pour expliquer ce praef. Casinatium était fragile : soit un praef. operi faciundo, soit un praef. pro Ilviro. Mais, Mommsen l'avait bien remarqué (CIL X, p. 510), la précision Casinatium ne peut avoir qu'une seule valeur : le praefectus là. placé à la tête de la praefectura. A la suite de Mommsen, Beloch, RG, p. 472, 586; Rudolph, Stadt u. Staat, p. 174; W. Ensslin, RE, 22, 1954, praefectus id., c. 1311; Taylor, VD, p. 66; A. J. Toynbee, HL I, p. 239; A. La Regina, Centri in area Sabellica, op. cit.; U. Laffi, Organizzazione, p. 46.
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fectus i.a\ compétent pour l'ensemble de la praefectura. Bien des questions se posent alors : ces préfets associaient-ils à leurs fonctions juridictionnelles les activités, d'ordre administratif, d'un magistrat municipal? Ont-ils réalisé à leur profit le cumul qui caractérisera quelques années plus tard, la compétence des Hviri i.d. qui les remplaceront? Il est, honnêtement, difficile de répondre dans ce cas précis. Mais il y a quelques indices. Au niveau des principes - on y reviendra dans la dernière partie de ce travail - il n'existait aucune confusion entre le praefectus député de Rome et les magistrats locaux; leurs fonctions (justice/administration), la source de leur compétence (délégation/élection), l'étendue de leur ressort (la préfecture / un cadre souvent beaucoup plus restreint) contribuaient à les distinguer. Mais, une fois élu comme l'étaient les magistrats locaux, rien ne s'opposait à un cumul, sauf pour les cas où les sphères territoriales n'étaient pas les mêmes. Le seul argument qui permettrait de se prononcer serait la preuve du maintien, à côté d'un praefectus id. élu, de magistrats conservant et leur titre et leur compétence locale. Or, une inscription républicaine de Casinum semble bien attester l'existence d'un praetor pour une période qui correspond précisément à l'élection locale des praefecti idlS3. Si l'on suit cette lecture qui, épigraphiquement, est la plus vraisemblable, l'idée d'une distinction maintenue entre le représentant, même élu, du préteur et les magistrats locaux se confirme. Un collège de préteurs à Casinum, du temps de la préfecture, n'a rien d'invraisemblable; on verra en eux la forme latinisée de meddices que l'on attend dans une cité osco-samnite comme Casinum. Ces praetores permettraient, en outre, d'expliquer la constitution II virale du municipe, qui intriguait déjà Beloch184.
1!<3
CIL X, 5203 : N. Savonio N. f. \ pr \ Apsennia Q. f. Paulla \ uxsor posuit. Mommsen, ibid. et p. 510: fortasse priaetori). En revanche Degrassi, ILLRP 564 suggère pr(aefecto?), n'écarte pas l'hypothèse d'un praetor au sens d'un Hvir, mais, tout en relevant l'inhabituelle abréviation pour praefectus, la retient, car des praetores «parwn conveniunt Casino» (de même U. Laffi, Organizzazione, p. 46 n. 48). On remarquera cependant : l'exceptionnelle abréviation pour praefectus (un seul autre exemple républicain, d'Aquileia, cité par Degrassi), qui la rend douteuse - et elle ne serait pas justifiée par le manque de place -; la présence de praetores à Casinum à l'époque républicaine ne fait pas de difficultés : à Cumae, Anagnia, Capitulum Hernicum, Velitrae, des praetores - souvent, à l'époque tardive, désignés aussi Hviri - ont continué sous une forme latine des meddices; or cette magistrature originelle ne surprendrait pas à Casinum (cf. sur l'ère de diffusion de cette magistrature, E. T. Salmon, Samnium, p. 84 sq.). 184 It. Bund, p. 133, mais suggérant, ce qui n'est pas vraisemblable, l'existence de deux praefecti i.a\ prolongés en un collège Ilviral. Même réflexion au sujet d'Atina. Par la suite, (RG,
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L'introduction du II virât à Aufidena répond, en revanche, en toute clarté, à une constitution municipale récente 185 . Il est vraisemblable mais non attesté186, qu'une praefectura y fut décidée après la conquête; elle aura englobé plusieurs lieux disséminés d'habitat, plusieurs pagi1*7, dont l'un, Aufidena, devait, à son profit, recueillir l'effet centralisateur.
p. 508 sq.) il rangea ces deux municipes parmi les constitutions récentes et fut suivi sur ce point. 185 CIL IX, p. 259 Inscrite dans la tribu Voltinia au moment (inconnu) où l'optimum ius lui fut étendu. 186 CIL IX, 2802 (= ILLRP 552) se réfère probablement à des praefecti operi faciundo (Cf. Degrassi, comment.). Utilisé en revanche comme preuve d'une praefectura, par W. Ensslin, op. cit., c. 1311 (vielleicht, après Beloch RG, p. 472, p. 509) et par A. J. Toynbee, HL I, p. 239. 187 Cf. A. La Regina, Centri in area Sabellica, op. cit., p. 200 sq. Le site romain ne s'est pas déplacé, mais a choisi l'un des vici, parmi ceux (au moins au nombre de deux) qui formaient le pagus; plusieurs pagi auront été rattachés à la même juridiction.
CHAPITRE VI
A LA NAISSANCE DU « MUNICIPIUM » : LACTE CRÉATEUR ET L'ÉTYMOLOGIE
L'approche historique donne à l'incorporation dans la citoyenneté la réalité d'une annexion immédiate. Mais une objection demeure, semble-t-il. N'est-il pas prouvé, en effet, selon l'interprétation traditionnelle de sources dignes de foi, que l'acte constitutif des plus anciens municipes, au IVe siècle, fut régulièrement un foedus? A suivre cette opinio maior, l'idée d'un traité, convenons-en, heurte de front l'hypothèse d'une introduction unilatérale dans la citoyenneté exclusive de Rome et, finalement, la condamne. Mais c'est une illusion. De l'amalgame des sources que l'on invoque, aucune ne vient confirmer l'existence de « traités de municipe », au sens de conventions de type international fixant entre deux cités juridiquement indépendantes les conditions d'une collaboration à venir. Au contraire, on montrera que la création d'un municipe émane d'une décision qui n'appartient qu'à Rome. L'expression certaine de municipium foederaîum doit être analysée autrement. Là où elle est attestée, elle marque la survie, à titre de privilège, de certaines des dispositions d'un foedus antérieur à l'incorporation : le traité n'est qu'un document de référence. Le nouveau municipium, cité soumise et déchue de sa propre civitas, n'est pas le partenaire de Rome dans la détermination de son futur statut. L'étymologie du mot municipe confirmera, en second lieu, la réalité juridique de la civitas Romana, la seule qui demeure au municipe venu de l'extérieur. Cette citoyenneté est au cœur du concept; elle en fait, selon le point de vue de Rome, le prix authentique.
I -
LES«MUNICIPIAFOEDERATA»
Qu'il ait existé des municipia foederata, personne n'en doute en présence d'expressions attestées dans les sources littéraires et épigraphiques; mais l'accord est loin d'être fait sur la réalité que recouvre cette expression étonnante et, à première vue, paradoxale. Si les municipia furent dès l'ori-
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gine et par définition, c o m m e nous pensons l'avoir montré, des collectivités de cives Romani, c o m m e n t pourrait-on a d m e t t r e qu'ils fussent liés par un traité, par un acte du droit international, à u n Etat dont ils feraient partie? On peut regrouper en trois catégories les témoignages dont on dispose : - Un certain n o m b r e de municipes d'origine latine, incorporés en 338, auraient été fédérés : c'est attesté pour Aricia (municipium. . . iure foederatum, Cic., Phil. 3, 6, 15); pour Lanuvium, on l'a déduit des conditions qui lui furent posées lors de son incorporation dans la civitas Romana et qui prévoyaient l'utilisation en commun d'un culte municipal; les cités latines de Nomentum et Pedum, dont on sait qu'elles furent incorporées sur le m ê m e modèle que Lanuvium, ont été, par déduction, rattachées à ce premier groupe de municipia foederata. - Les lois municipales républicaines se réfèrent à deux reprises aux foedera comme source de la condition de cités déjà incorporées dans la civitas Romana comme municipes. Le Fragmentum Atestinum, 1. 10 sq., fait allusion aux magistrats chargés, en vertu d'un traité, de r e n d r e la justice dans les municipes de la Gallia Cisalpina, et la Table d'Héraclée (11. 93 et 103) renvoie aux foedera p o u r les modalités de l'aide militaire à laquelle sont astreints les municipes. - Plusieurs témoignages épigraphiques tardifs évoquent, sous l'Empire, la fierté que trois municipes italiens {Tarquinii, Capena et Camerinum) tirent de leur qualité de municipium foederatum (ou municipes foederati), ou du foedus qui les lie à Rome. A partir de ces témoignages, qui, par u n examen beaucoup trop superficiel, ne furent pas chronologiquement distingués, les historiens m o d e r n e s se sont trouvés d'accord p o u r déclarer qu'il s'agissait d'un type très ancien de municipe, dont les divers exemples remonteraient au IV e siècle av. J.-C. Ce point une fois admis, les uns s'efforcèrent de faire disparaître la difficulté qui tient à l'existence d'un foedus au sein de la citoyenneté romaine, soit en niant la réalité du foedus, soit en rejetant l'existence de la civitas Romana, tandis que d'autres surmontèrent l'obstacle et conclurent qu'aux origines de l'institution municipale la citoyenneté romaine imposée ou concédée ne faisait pas disparaître la citoyenneté originaire du municipe. Pour ces derniers, le principe traditionnel, r a p p o r t é par Cicéron, de l'exclusivité de la civitas Romana1 serait en fait récent, puisque les municipes
1
Pro Caec. 34, 100; Pro Balbo, 11, 28; 12, 29; 13, 31.
A LA NAISSANCE DU «MUNICIPIUM»
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fédérés prouveraient qu'à l'origine il y avait cumul de deux citoyennetés équivalentes et non substitution de l'ancienne par la nouvelle imposée par Rome. Que valent, pris isolément, ces divers arguments, dont on doit bien reconnaître qu'ils aboutissent ou à rejeter ou à nuancer très fortement la réalité de la civitas Romana, dont nous pensons avoir montré jusqu'ici qu'elle était un des éléments constitutifs de la notion de municipium? On conduira rapidement cette enquête en deux temps : un examen critique des explications proposées, puis l'interprétation des textes pris en eux-mêmes. 1 - Les interprétations proposées. a) Beloch, le premier, insista sur la catégorie des municipia foederata, où il vit un type de municipes juridiquement et chronologiquement bien déterminés : les municipes, d'origine latine, entrés dans la civitas Romana à la suite d'un foedus, et non par une décision unilatérale du peuple romain comme il en advint pour les cités dont Rome avait reçu la deditio2. Beloch énuméra, parmi ces cités, Gabii, Tusculum, Aricia, Capena, Nomentum et Pedum 3 ; si l'on admet cette liste comme complète et si l'on accepte la définition qu'elle permit de formuler, on conviendra, avec Beloch, que l'on peut identifier les municipia foederata aux municipes d'origine latine et voir en eux les cités privilégiées qui furent admises à l'optimum ius, tout en conservant une autonomie qui leur permit de donner un consentement formel à leur incorporation dans la citoyenneté romaine, décidée sur la base et sous la garantie d'un accord bilatéral. Les autres municipes, au contraire, qui se remirent in dicionem populi Romani auront reçu leur condition d'une lex, ou d'une autre forme unilatérale de volonté, de la part du peuple
2
It. Bund, p. 47, pour Gabii, qui, municipium foederatum (dès la fin de l'époque royale) reçut la civitas Romana optimo iure « nicht durch einseitigen Beschluss der röm. Gemeinde, sondern durch Vertrag»; de même, p. 118 sq. et R G., p. 377 et 386 sq.; sur l'incompatibilité entre foedus et deditio, soutenue par Beloch : K G., p. 378, avec, comme déduction, l'affirmation qu'il n'y eut pas deditio des villes latines entre 340 et 338. 3 Plus tard, dans sa R G., p. 163, K. J. Beloch retira Gabii de la liste des municipes républicains affirmant, à bon droit (cf. supra, p. 90) qu'elle resta fédérée jusqu'à la guerre sociale, mais il maintint telle quelle sa conception des municipia foederata. Capena fut considérée par Beloch comme une cité latine - ce qu'elle n'était pas; mais dans R G., p. 466, il modifia ce point de vue strictement latin et étendit cette catégorie de municipes fédérés à Caere et aux Campaniens. Elle devenait donc le plus ancien type de municipes ceux du IVe siècle. Pour Caere, il n'y a aucune preuve; pour les Campani cives - socii, infra, p. 269 sq.
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romain; leur autonomie ne fut pas respectée, incapables, du moins, d'être le partenaire de R o m e dans la discussion de leur statut, et la civitas sine suffragio seule leur fut ouverte 4 . Une seule ombre à ce système doué d'une force persuasive remarquable : la difficulté d'admettre l'existence d'un foedus au sein m ê m e de la civitas Romana et d'accepter la possibilité, pour une cité, qu'elle tienne son statut de cité romaine d'un acte qui suppose, en principe, chez les parties qui y ont souscrit une citoyenneté différente et u n e autonomie de droit international intacte. Pour r é p o n d r e aux critiques de Mommsen, qui dénonça violemment l'absurdité juridique d'un foedus entre deux cités appartenant à la m ê m e citoyenneté 5 , Beloch, dans sa Römische Geschichte, donna à ces foedera constitutifs de municipium un contenu amoindri, où l'on devrait voir des contrats (Vertrag) plutôt que des traités emportant la constitution d'alliances {Bündnis)', à la différence des seconds, exclusivement de l'ordre international, les premiers auraient pu exister au sein m ê m e d'une civitas Romana, aux frontières e n c o r e souples - ce qui, à priori, n'est pas invraisemblable, du VI e au IV e siècle av. J.-C.6. En dépit de sa rigueur et de sa cohérence si séduisante, le système de Beloch n'est certainement pas à retenir. Parmi les municipes fédérés, s'il convient de retirer Gabii, qui fut une cité fédérée mais pas un municipe ni une cité romaine après la conclusion du foedus Gabinum, et de relever que Capena n'est pas d'origine latine, il faut en revanche joindre le cas des municipes tardifs c o m m e Tarquinii ou Camerinum qui, comme la cité étrusco-falisque de Capena, ont aussi été foederatae; de m ê m e convient-t-il d'ajouter le témoignage des lois républicaines. On voit rapidement que les municipes fédérés ne correspondent pas du tout à une catégorie juridiquem e n t déterminée selon les critères de Beloch: ils n'ont de c o m m u n ni l'optimum ius (ainsi Capena) ni la date très ancienne de leur rattachement à la civitas Romana (Tarquinia ou Camerinum, devenues romaines, donc municipes, après la guerre sociale), ni une m ê m e origine latine. Ajoutons que l'opposition, soutenue par Beloch, entre l'incorporation des cités latines sur la base d'un traité, et l'incorporation par l'effet d'une loi des cités
4
It. Bund, p. 121 sq. : c'est la catégorie que Beloch appela «les municipes de droit cae-
rite». 5 Staatsr. III, p. 571, n. 1; 577, n. 1 = Dr. Publ VI, 2, p. 183, n. 1; p. 190, n. 3, dénonçant dans les municipia foederata une catégorie «formell fehlerhafte» avec un caractère simplement laudatoire. 6 R G.,p. 379 : «Foedus heisst ja nicht bloss Bündnis sondern Vertrag überhaupt».
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déditices n'est pas démontrée; les sources historiques dont on dispose font clairement allusion à la deditio des cités latines 7 . Leur reddition n'implique sans doute pas qu'il n'y eut pas, ensuite, un foedus pour fixer leur condition8, mais le témoignage de Tite-Live permet de lever les derniers doutes sur ce point : c'est par des actes unilatéraux de Rome (senatus consulta et leges) que le sort de ces diverses cités fut tranché et leur condition de municipes romains découle de ces décrets 9 . Il est inutile alors de se prononcer sur le bien-fondé, discutable d'ailleurs, de la distinction tentée par Beloch entre Bündnis et Vertrag, car il apparaît bien que la qualité de municipes fédérés, pour les cités d'origine latine, ne provient pas de l'acte constitutif de leur condition municipale : une décision de Rome et non un foedus. b) C'est une voie toute différente qu'ont suivie A. Bernardi et E. Manni. Beaucoup plus sensibles que Beloch à la difficulté juridique à laquelle se heurte l'hypothèse d'une cité devenue romaine en vertu d'un traité conclu avec Rome, ces deux auteurs se sont efforcés, le premier de ramener à un contenu purement religieux les foedera établis entre Rome et ces municipes, le second de nier l'existence de la civitas Romana de ces municipes fédérés. Deux arguments prouveraient, pour A. Bernardi, qu'il n'exista jamais de municipe tenant sa constitution d'un foedus. Les municipes primitifs, en premier lieu, avec des magistratures réduites à l'exercice de fonctions purement sacerdotales, auraient été privés de l'autonomie indispensable pour représenter, en face de Rome, une cité juridiquement égale, unie à elle par un traité 10 . En second lieu, cas par cas, A. Bernardi s'attache à démontrer que les divers exemples de municipes fédérés sont des municipes d'origine latine, qui ont en commun avec Rome, ou avec le nomen Latinum, la charge d'un culte : ainsi en aurait-il été de Lavinium ou de Lanuvium; Aricia, pour sa part, dont on sait par Cicéron qu'elle était un municipium antiquissimum iure foederatum, aurait été municipium à l'égard de Rome et fédérée à l'égard du culte fédéral11 : après son incorporation en 338, Aricia serait 7
Supra, p. 176, 191. La deditio n'exclut pas un foedus ultérieur : cf. Mommsen, Staatsr. III, p. 56 = Dr. Pubi VI, 1, p. 62; A. Heuss, Die völkerrechtlichen Grundlagen der röm. Aussenpolitik in republikanischer Zeit, dans Klio, Beiheft 31 (18), 1933, p. 78 sq.; F. De Martino, Storia II2, p. 57; W. Dahlheim, Struktur und Entwicklung des röm. Völkerrechts, Munich, 1968, p. 45 sq. 9 Infra, p. 266 sq. 10 A. Bernardi, dans Ath., 20, 1942, p. 92 sq. 11 Ibid., p. 93. 8
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donc restée fédérée, mais dans un sens strictement religieux. Le foedus en question n'aurait pas été un traité entre Rome et Aricia. Ce traité n'aurait donc rien à voir avec la condition municipale d'Aricia. Mais l'hypothèse d'une catégorie de municipes, fédérés seulement sur le plan religieux, ne résiste pas à la critique. L'idée, tout d'abord, que les municipes d'origine latine auraient été, dans une première phase, réduits à la fonction de gardiens de cultes municipaux n'est pas exacte. On sait, au contraire, que tous les organes d'administration ont été maintenus et que les fonctions d'administration locale et, peut-être, de justice ne furent pas confisquées par des magistrats romains ou leurs représentants. Mais surtout, vouloir ramener à trois foedera de type religieux la catégorie des municipes fédérés n'est qu'une tentative destinée à contourner l'originalité du statut et elle ne fut guère réussie. Il n'est pas prouvé que le foedus entre Rome et Aricia eut un contenu exclusivement religieux; et que deviennent les autres exemples de municipes fédérés 12 ? Sans prétendre à la cohérence d'un système, la tentative d'E. Manni recourut à plusieurs directions pour, à son tour, rejeter l'existence de foedera au sein de la civitas Romana. Deux voies furent suivies à cette fin : le «foedus de municipium» entendu comme l'acte constitutif du municipe, créant donc un municipium foederatum, aurait existé, mais uniquement pour les municipes non romains. On serait ainsi, parmi les municipes les plus anciens, en présence de deux types : les municipes non romains fédérés, et les municipes créés par la concession de la civitas Romana. A Tusculum, municipe non fédéré, car créé par l'incorporation dans la civitas Romana en 381, s'opposeraient les municipes fédérés comme Gabii (fin du VIe siècle), Aricia (au Ve siècle), les Lamentes de Lavinium (340), les Lanuvini avant 33813. Mais ces affirmations, soutenues récemment encore par E. Manni14, sont sans fondement. Les municipes latins n'ont jamais existé (du moins à l'époque ancienne) et c'est à la suite d'un grave abus de vocabulaire que E. Manni identifia à des « foedera de municipium » les traités conclus avec Gabii ou Lavinium qui n'ont, en réalité, donné la qualité de municipium ni à l'une ni à l'autre de ces cités15. De même, refusera-t-on de
12 A. Bernardi écarta l'argument fourni par Capena et par le Frag. Atestinum pour des raisons qui ne sont pas à retenir {infra, n. 28 et p. 262 sq.). Rien sur la Table d'Héraclée. Camerinum et Tarquinii sont des exemples découverts plus récemment. 13 E. Manni, Per la Storia, p. 44, 51, 88. 14 RHD 1969, p. 75. 15 Pour Gabii, supra, p. 90 sq.; pour Lavinium, infra, p. 267.
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voir dans le foedus religieux qui unit Aricia à Rome (et à l'ensemble de la ligue latine) au Ve siècle un foedus constitutif de municipium, pas même un foedus qui aurait pu donner au municipium d'Aricia le titre de municipium foederatum, car Aricia ne put devenir un municipe qu'au moment de son incorporation dans la civitas Romana (en 338). La voie ainsi ouverte est donc une périlleuse impasse16. Quant au témoignage fourni par les lois républicaines, E. Manni, en dépit d'une contradiction assez étonnante, admit aussi l'existence de municipes entrés dans la civitas Romana en vertu d'un foedus. L'opposition de principe, affirmée comme point de départ, entre les municipes non romains, nés d'un traité qui impliquerait et prouverait à la fois qu'ils ne sont pas romains, et les municipes créés par la décision unilatérale de les intégrer dans la citoyenneté romaine, s'écroule par conséquent. Et ce n'est pas le recours, en dernière analyse, à l'artifice de Beloch distinguant accord et traité, qui sauvera cette dernière catégorie de municipes romains créés par un foedus de la difficulté juridique à laquelle cette laborieuse construction pensait échapper 17 . Le problème institutionnel posé par des municipes qui semblent bien être entrés dans la civitas Romana par un acte de type international reste entier. c) C'est aux historiens du droit, notamment Bonfante, P. Frezza et F. De Martino, que revient le mérite d'avoir insisté le plus fortement sur cette contradiction, pour finalement l'accepter - alors qu'elle avait fait reculer les historiens tout court. Bonfante admit sans correctif l'idée de municipia constitués en vertu d'un foedus, incorporés donc dans la citoyenneté romaine à la suite d'un traité conclu d'égal à égal. Aux municipes d'origine latine, Bonfante18 ajouta l'exemple de Capoue, devenue municipe iure
16 Nous n'insisterons pas davantage sur l'interprétation par E. Manni du texte de Liv. 8, 14, 2-4 sur la concession de la civitas à Lanuvium {Per la Storia, p. 29 sq.; RHD, op. cit., p. 75) : la distinction municipes Lanuvini et populus Romanos prouverait, selon E. Manni, que les premiers ne font pas partie du second, donc qu'ils n'ont pas la civitas Romana; et s'ils avaient été Romains, leur culte aurait été confondu avec les cultes romains. Deux arguments sans poids : l'autonomie municipale d'ordre administratif et religieux explique que le populus Lanuvinus soit juridiquement non confondu avec le populus Romanus et conserve ses propres sacra. 17 E. Manni déduit du témoignage des lois républicaines : 1) dans Per la storia, p. 88, qu'elles se réfèrent aux anciens municipes, fédérés avant d'avoir été romains; 2) dans RHD, 1969, p. 76, qu'il s'agit de municipes entrés dans la civitas Rom. en vertu d'un Vertrag et non d'un Bündnis. 18 Storia del diritto romano, I4, 1928, p. 262 et n. 1.
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foederis c o m m e le prouveraient les assez nombreuses expressions où les Campaniens sont qualifiés tantôt de cives Romani, tantôt de socii : ils étaient l'un et l'autre à la fois. Si l'on ajoute quelques exemples de refus de la civitas Romana, au IVe siècle, interprétés par Bonfante c o m m e la preuve qu'elle n'était pas normalement imposée, mais offerte 19 , on acceptera comme couronnant de n o m b r e u s e s pièces à conviction le témoignage du fragm. Atestinum : le foedus auquel il se réfère, p o u r l'organisation judiciaire des municipes, ne peut être que celui dont les plus anciens municipes reçurent leur statut initial et leur constitution 2 0 . La conclusion de Bonfante, qui suscita de nombreuses adhésions 2 1 , accepta donc sans réserve le concept d'un foedus constitutif de municipium, dénonçant seulement une certaine confusion avec le droit international qui trahirait les incertitudes et les balbutiements dans les liens primitifs qui unirent Rome et ses premiers municipia. Ces arguments se retrouvent p o u r l'essentiel chez F. De Martino 2 2 , mais les déductions sont nuancées de deux correctifs : le premier invoque la possibilité d'un certain cumul de citoyennetés à l'époque où tous ces municipes fédérés apparurent; quant au second il introduit l'idée qu'une loi, c'està-dire une décision unilatérale de Rome, pouvait solennellement confirmer le foedus antérieur 2 3 . Ces deux concessions sont très intéressantes : elles
19 Liv. 9, 43, 23; 9, 45, 7; 23, 20, 2. Sur la signification des deux premiers, supra, p. 215 sq.; p. 217 aucune idée de foedus, mais simple offre de soumission volontaire dans la civitas Rom; pour le troisième, supra, p. 175 sq. : ici encore pas de fœdus mais offre individuelle à un groupe de combattants de la civitas honoris causa. 20 Storia del diritto rom. II4, p. 366. 21 La conception de Bonfante qui représente la tentative la plus entière pour définir sans restriction les municipes fédérés comme des municipes créés par un fœdus a été suivie par P. Frezza, Le forme federative e la struttura dei rapporti internazionali nell'antico diritto romano, dans SDHI, 1938, p. 363 sq., notamment, p. 384 sq. Remarquons toutefois que pour P. Frezza le lien établi entre Rome et les municipes est un vincolo, che ai nostri occhi appare di diritto interno. Que faut-il penser d'un fœdus de droit interne? A la suite de P. Bonfante et de P. Frezza, A. Torrent, La «Iurisdictio» de los magistrados municipales, Salamanque, 1970, p. 40 sq., p. 55 sq., et W. Simshäuser, Iuridici, p. 50, qui a pensé trouver dans les municipes fédérés un type de municipes autonomes, conservant leurs propres lois, leurs magistrats, leur juridiction : on n'aura pas de peine à dénoncer le caractère artificiel de cette construction, car l'autonomie municipale n'est pas le propre de cette catégorie de municipes fédérés, dont l'existence même reste à démontrer en dépit d'affirmations du genre «unsere Quellen mit den municipia fœderata erwähnen eine durch Vertrag mit Rom in den röm. Bürgerverband eingetretene Kategorie von Städten, die im innern sicherlich ihre Autonomie behielten ». 22 Storia II2, p. 57 et p. 91 sq. 23 Loc. cit., p. 93.
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tendent ni plus ni moins à vider de sa substance l'idée d'un foedus constitutif du municipe. Admettre que le principe de l'exclusivité de la civitas Romana n'était pas absolu à l'origine, c'est poser l'idée qu'un foedus n'est possible qu'entre deux Etats juridiquement distincts; mais à l'époque où les premiers municipes apparurent, le principe du non-cumul ne fait aucun doute24, et il n'est donc guère possible d'admettre au sein de la civitas Romana l'établissement de relations qui supposent deux citoyennetés différentes. F. De Martino en était d'ailleurs si convaincu, qu'il suggéra, pour tourner cette difficulté, une autre explication : la lex sanctionnant le foedus préalable. Si une loi vient ordinairement confirmer le foedus, ce dernier ne sera rien d'autre qu'une convention préparatoire dont les effets seront repris par la lex. Elle sera le seul acte juridique d'où découlera le statut de municipe. C'est elle, en effet, qui concédera la civitas Romana (on sait, de fait, que seul un sénatus-consulte ou mieux une lex peuvent étendre les cadres de la citoyenneté)25, et qui constituera l'acte de naissance du nouveau municipe. Cette formule supprime, effectivement, toute difficulté tenant à l'existence d'un foedus préliminaire puisqu'il est antérieur et à la civitas Romana et à la constitution du municipe 26 ; il n'y a par là aucun cumul de citoyennetés possible puisque la civitas originaire du municipe disparaît au moment où la loi romaine convertit en municipe la cité qui se serait volontairement soumise à ce processus d'incorporation. Mais on considérera qu'il est impossible, dans ces conditions, de reconnaître, avec F. De Martino, que le municipe fédéré est un municipe créé par un foedus : s'il est vrai que le foedus est sanctionné par une loi romaine, l'expression municipium foederatum conserve son mystère. Demandons maintenant aux témoignages dont on dispose leur réponse sur les procédés, si importants, de création des municipes.
24
Supra, p. 118; p. 175 sq. Infra, p. 266 et n. 45. 26 Des formules équivoques, chez F. De Martino, op. cit., p. 93, tentent d'introduire des nuances dont la subtilité ne doit pas masquer la fragilité : « La cittadinanza nasceva con il trattato » : mais ce n'est juridiquement pas exact, car c'est une lex, et non un foedus, qui ouvre les cadres de la civitas; de plus, quelle serait la portée de la lex, «la quale conteneva il solenne riconoscimento giuridico da parte del populus Romanus». Il est évident qu'une fois devenu politiquement partie intégrante du populus Romanus, le municipe romain ne pouvait plus se référer au foedus lui-même, mais à la lex, qui liait les cives Romani dans leur ensemble, même si on continuait à distinguer, administrativement, le populus Tusculanus ou Campanus ou Lanuvinus du populus Romanus. 25
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2 - «Foedus» et « municipium» dans les sources épigraphigues et littéraires. On suivra ici un ordre inverse de la chronologie, car il s'avère que les témoignages peuvent être bien datés et qu'ils sont loin de correspondre tous aux soi-disant origines obscures des municipes romains. Ce détour permettra également de passer du mieux connu - ou du plus clair - au plus incertain. a) Capena, Camerinum et Tarquinii Les inscriptions impériales de Capena, connues depuis longtemps et enrichies récemment de nouvelles inscriptions27 mais qui n'apportèrent pas beaucoup aux textes déjà publiés, font état des Capenates foederati ou du municipium foederatum. Jusqu'à ces dernières années, la signification de ces formules était incertaine : ne fallait-il pas, avec les uns, y voir la fédération tardive de plusieurs centres mineurs, un municipe fédéré, donc, au sens de formé d'une fédération28, ou au contraire, avec d'autres, un très ancien municipe né au début du IVe siècle d'un foedus, d'un «traité de municipium» établi avec Rome 29 ? Un article récent de P. Veyne, apportant à l'insoluble dossier des éléments de comparaison et d'explication nouveaux, a définitivement tranché le problème 30 . A l'aide d'une inscription de Tarquinii, découverte en 194831, et à partir d'une lecture nouvelle d'une inscription de Camerinum32, P. Veyne a montré que Capena, sous l'Empire, n'est pas un exemple isolé : les Tarquinii s'intitulent
27
Not. degli Scavi 1953, p. 18 sq. : municipio Capen(ae) fœderato et r(ei) p(ublicae) (Capenatiwn) f(oederatorum) (en 172); Capenates foederati (en 198; en 238); municipium Capenatium foederatorum (en 256), qui complètent CIL XI, 3932; 3936; 3873 et 3876a. 28 Hypothèse de De Rossi, Bull. arch. crist. 1883, p. 115 sq., suivie par De Sanctis, Storia dei Rom. I1, 1907, p. 106 et par Kornemann, RE 16 (1933), Municipium, c. 581; A. N. SherwinWhite RO, p.52 = RCz, p. 55; A. Bernardi, dans Ath. 20, 1942, p. 94; E. Manni, Per la Storia, p. 94; G. Mancini, dans Not. degli Scavi, 1953, p. 27; G. D. B. Jones, Capena and the ager Capenas dans PBSR 30, 1962, p. 125 sq. et 31, 1963, p. 109; A. J. Pfiffig, Ausbreitung des röm. Städtewesens in Etrurien, 1966, p. 19 sq., p. 44. 29 Beloch, II Bund, p. 119 et R G., p. 378 et p. 446; P. Bonfante, P. Frezza et F. De Martino, //. ce. 30 Fœderati: Tarquinies, Camerinum, Capène, dans Latomus, 19, 1960, p. 429 sq. Explications suivies par W. V. Harris, dans Historia 14, 1965, p. 284 et Rome in Etruria and Umbria, Oxford, 1971, p. 47, p. 86 sq.; par E. Manni, RHD, 1969, p. 74 sq. 31 Not degli Scavi, 1948, p. 267 : élément de dédicace élevé par les Tarquinienses Fœder(ati). 32 CIL XI 5631 = ILS 432; le texte, daté de 210, déclare : Imp. Caesari L Septimio Severo... caelesti eius indulgentia in aeternam securitatem adque gloriam iure aequo foederis sibi confirmato Camertes.
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fièrement sous l'Empire Tarquinienses foederati, de la même manière que le municipe de Camerinum remerciera en 210 Septime-Sévère d'avoir bien voulu confirmer le foedus aequum qui, en 310 av. J.-C, avait uni, sur un pied d'égalité, la civitas de Camerinum à Rome. Les exemples très clairs de Tarquinii et de Camerinum permirent à P. Veyne d'expliquer les formules dont les Capenates tirèrent fierté : dans ce cas, comme dans les précédents, il s'agit de la résurgence, artificielle sans aucun doute, d'un passé glorieux, par le retour d'un titre, et sans doute aussi de quelques privilèges, qui n'ont rien à voir avec la constitution municipale de ces cités : il n'y a donc, entre municipium et foederatum, aucun lien; les deux mots sont simplement accolés. On peut prolonger l'intérêt institutionnel de ces trois exemples au-delà de l'explication extrêmement convaincante de P. Veyne. Aucun lien entre le foedus et le municipium : précisons aucun lien historique (310 et 281 av. J.-C. pour les foedera de Camerinum et de Tarquinii; constitution municipale en 90-89, après la guerre sociale; restitution du titre honorifique de civitas foederata sous l'Empire)33. Mais on ne peut pas dire aucun lien juridique : ces exemples prouvent, pour une époque (l'Empire) où le principe de l'exclusivité de la civitas Romana ne fait aucun doute, que l'on admit la possibilité du maintien ou de la restauration d'un foedus au sein de la civitas Romana. Capena34, Tarquinii ou Camerinum sont des municipes romains nés de la
33 Le jœdus «rétabli» en 210 ap. J.-C. entre Rome et Camerinum est le foedus aequum de 310 av. J.-C. (Liv. 9, 36, 7-8); celui des Tarquinii, «rétabli» sous l'Empire date de 281 av. J.-C. environ (cf. A.-J. Toynbee, H. L. I, p. 150, n. 1, p. 418). Ces deux cités devinrent municipes romains en 90, par l'effet de la lex Iulia et reçurent alors une constitution nouvelle, le quattuorvirat (CIL XI, 5634 et 5635 - Camerinum; CIL XI, 3373 et sq. - Tarquinii -). La lex Iulia n'étendit la civitas Rom. qu'aux cités qui l'acceptèrent (qui fundi populi facti essent, Cic, Pro Balbo, 8, 21); mais cet accord, bien évidemment, n'équivaut pas à un fœdus (voir cependant Bonfante, Storia I4, op. cil, p. 262, qui compara - sans l'identifier - la catégorie des municipia fundana aux municipia fœderata). Ce n'est donc pas par un fœdus, mais par une lex que furent créés les municipes postérieurs à 90, même pour ceux qui ont accepté leur incorporation dans la cité romaine. Pour Capena, v. note suivante. 34 Le titre impérial de Capena, municipium foederatum, provient, comme pour Camerinum ou les Tarquinii, de la restauration tardive d'un ancien fœdus, antérieur à la constitution du municipe. De quand date celui-ci? Son praetor, maintenu sous l'Empire, prouve qu'il est antérieur à la guerre sociale. On sait qu'après la prise de Veii la tribu Stellatina fut formée sur des terres prises à Capena et pour des déserteurs capenates (y compris des déserteurs de Veii et de Falerii : la première de ces cités fut dissoute et incorporée à ce moment là dans Vager Romanus; la seconde resta fédérée). L'incorporation de Capena, sous forme de municipe, date-t-elle de ces événements? On pensera plutôt qu'un fœdus (comme pour Falerii), en 395, régla sur une base nouvelle les relations de Rome et de Capena, amputée d'une partie de
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loi qui les incorpora dans la citoyenneté romaine : mais leur qualité d'élément intégrant de la civitas Romana ne fut pas, à l'époque tardive, jugée incompatible avec la restauration d'un vieux foedus. Municipium et foedus sont indépendants dans la mesure où le second n'est pas la source du premier, mais la coexistence d'un foedus - ne serait-ce que pour l'honneur du titre devenu creux ou ramené à quelques privilèges sans portée politique et du municipium est un phénomène juridiquement extrêmement important, incontestable ici35. On en déduira qu'à une époque tardive, la condition de municipium n'exclut pas, par principe, le respect d'un foedus antérieur à la constitution municipale. Dans ces trois exemples le foedus a été, selon toute vraisemblance, très partiellement rétabli après une longue période de suspension. Les exemples épigraphiques suivants, vont montrer, pour une époque plus ancienne, le maintien, au-delà de la conversion en municipe, de certaines dispositions fédérales antérieures. b) Fragmentum Atestinum et Table d'Héraclée. Le fragment d'Esté (Fragm. Atestinum, FIRA I, p. 176, n° 20) confirme, 1. 10 sq., «la compétence judiciaire, telle qu'ils l'exerçaient avant la loi de L. Roscius, des magistrats qui se trouvaient dans les municipes, colonies, préfectures et qui y exerçaient les fonctions juridictionnelles comme Hviri ou en vertu d'une loi, d'un foedus, d'un plébiscite, d'un sénatus-consulte ou de la coutume» 36 : quoius rei in quoque municipio colonia praefectura \ quoiusque Hvir(i) eiusve, qui ibei lege foedere pl(ebei)ve sc(ito) s(enatus) \ ve c(onsulto) institutove iure dicundo praefuit, ante legem, sei \ ve illud pi se. est, quod L. Roscius. .. rogavit... Faut-il considérer ces sources, dont découle la compétence juridic-
son territoire et d'une part de sa population (sur le modèle de Falerii) et que la romanisation eut lieu plus tard (en ce sens Taylor, VD, p. 48; en 293, plus précisément, selon Beloch, RG, p. 446 et Kornemann, RE 16, 1933, Municipium, c. 581). C'est donc cet ancien fœdus dont on aurait réveillé le souvenir sous l'Empire. 35 Autre exemple de signification identique : la ligue étrusque maintenue jusqu'à Constantin (cf. A. Rosemberg, Der Staat der alten Italiker, 1913, p. 61). Sur cette idée de survivance (fœdus ici entre des cités romaines, plus haut entre Rome et des cités romaines), cf. P. Frezza, dans SDHI 4, 1938, p. 364 sq. 36 Sur le sens de institutum, on pourrait hésiter entre l'usage (« en vertu de l'usage ») - respect, par les Romains, de l'organisation judiciaire coutumière (ainsi, Mommsen, Ges. Schriften I, p. 175 sq.) - ou l'ordre de commissaires romains, en vertu duquel l'organisation judiciaire aurait été organisée après la romanisation (en ce sens Esmein, Met d'Hist du Droit, 1886, p. 278, n. 2). Mais, on le verra, l'organisation judiciaire romaine n'a pas encore été mise en place : l'interprétation de Mommsen reste seule possible.
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tionnelle de ces magistrats, comme les multiples actes juridiques par lesquels Rome aurait établi, dans une formule qu'on n'hésite pas à attribuer à l'ensemble de l'Italie, les municipes, les colonies et les préfectures? On n'en doute guère aujourd'hui et l'on y voit u n e des preuves les plus nettes de l'existence de très anciens municipes fédérés, qui, encore au milieu du I e r siècle av. J.-C, auraient eu le privilège de maintenir leur constitution particulière née de l'acte bilatéral qui les aurait attachés à Rome. Les mêmes conclusions sont déduites de la Table d'Héraclée qui se réfère aux foedera pour les dispenses militaires des municipes 3 7 ; on devrait comprendre dans ces foedera la charte constitutive des anciens municipia foederata. Mais on peut douter de l'une et de l'autre de ces interprétations. Le fragment d'Esté (découvert à Ateste, dans la Gallia Transpadana, au pied des monts Euganéens, en Vénétie) contient en effet les éléments d'une loi relative à la Gallia Cisalpina (Transpadana et Cispadana), et à elle seule 38 . Par les dispositions gravées sur le bronze conservé, on sait qu'elle contenait quelques dispositions relatives à la compétence judiciaire des magistrats locaux. Quant à sa date, on en a longtemps débattu. Tous les problèmes n'ont sans doute pas disparu, mais on peut se fonder sur l'étude récente de F. J. Bruna, qui, confirmant la chronologie relative traditionnelle, suggère la chronologie absolue suivante : 1) au début de 49, César étend la civitas Romana à la Gallia Cisalpina) 2) la m ê m e année, le plébiscite publié par le fragment d'Esté voit le jour; 3) à la fin de 49 ou au début de 48, la lex Rubria organise de façon définitive l'administration municipale de cette province 3 9 . Quand César, en 49, offrit à la Gaule Cisalpine la citoyenneté, une période (brève) de transition s'ouvrit. Les institutions locales dans leur variété restent en place; les juges, notamment, continuent à dire le droit avec les titres et en vertu de l'autorité qu'ils possédaient alors. Cet état dura jusqu'au moment où l'organisation municipale définitive (municipes placés
37 . .. vocatio (pour vacatio) rei militaris legibus pî(ebei)ve sc(itis) exve fœdere erit... (I. 93; l. 103). 38 F. J. Bruna, Lex Rubria (Caesars Regelung für die richterlichen Kompetenzen der Munizipalmagistrate in Gallia Cisalpina), Studia Gaiana V, Leyde, 1972 : à la suite de son remarquable commentaire historique, philologique et juridique à la lex Rubria, F. J. Bruna a consacré quelques pages au fragment d'Esté, p. 308-322, déterminant son domaine d'application (p. 318) et précisant sa date. 39 F. J. Bruna, op. cit, p. 319 sq., 322 sq. On trouvera la bibliographie antérieure dans FIRA, Leges, op. cit; F. De Martino, Storia HP, p. 370 sq., 373 sq.
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sous la juridiction de TVviri exclusivement)40 fut mise en place par la lex Rubria de 49-48. Le fragment d'Esté a conservé les traces de cette période transitoire : il y trouve sa place. Il témoigne dans l'organisation judiciaire d'une diversité qui ne peut être que le legs d'un passé, que d'évidentes raisons pratiques laisseront en place pour quelques mois. D'où cette très curieuse formule, dont on ne connaît pas d'autre exemple, qui, dans les cadres nouveaux des municipes, colonies et préfectures, confirme (comprenons prolongé) la compétence des « Ilviri et de tous ceux qui rendent la justice en vertu d'une loi, d'un joedus, d'un plébiscite, d'un sénatus-consulte ou de la coutume». Au contraire, le texte postérieur de la lex Rubria emploiera huit fois l'expression Ilvir IHIvir praefectusve et jamais une autre 41 . La longue périphrase qui semble faire allusion à des foedera constituant des municipes, n'est pas due, dans le fragment d'Esté, à une rédaction maladroite; elle n'est pas davantage une formule tralatice, mais c'est un élément de première importance qui prouve que : 1) L'absence des IIIlviri - attestés en revanche dans la lex Rubria démontre que Ton se trouve dans une période transitoire; les cadres administratifs nouveaux (municipes, colonies, préfectures) sont virtuellement créés, mais leurs magistrats spécifiques ne sont pas encore désignés. Les organes de l'administration locale ne sont pas encore en place42. 2) Parmi les magistrats qui rendaient la justice avant la romanisation de 49 figurent des Ilviri, qui continueront à le faire en vertu du fragment d'Esté. Ils ne peut s'agir que des magistrats des colonies latines, créées en 89 par la lex Pompeia43. 40 La lettre de Cic, ad Att 5, 2, 3, de 51 av. J.-C. prouve que la romanisation de la Gallia Cisalpina (Transpadana) prit quelque temps : dès cette année, le bruit courait que la civitas Rom. allait être décidée, entraînant la conversion des colonies latines de Pomp. Strabo (89) en municipes romains avec TVviri : eratque rumor de Transpadanis, eos iussos HHviros creare; quod si ita sit, magnos motus timeo. Cf. Beloch, RG, p. 519 sq.; p. 623. 41 FIRA, Leges, NR 19, p. 169 sq.: XX, 1. 6, 15-16, 27-28, 37, 38, 40-41; XXI, 1. 15. 42 II y a un hiatus entre les cadres déjà en place, mais vides, et les magistrats locaux, antérieurs à la romanisation, maintenus sur place. F. J. Bruna n'a pas relevé l'absence si caractéristique des IVviri, alors que les municipia sont virtuellement créés. Nous en déduirons que le fragment d'Esté n'a pu se référer qu'aux régions et aux cités non romaines de la Gallia Cisalpina, à l'exclusion des municipes romains créés dès 89, comme Aquileia {Transpadana), Bologne, Plaisance, Crémone... dans la Cispadana, au Sud du Pô. Cela d'ailleurs va de soi : les réformes judiciaires sont une conséquence de la romanisation; les dispositions partielles du fragment d'Esté ne touchent que les nouveaux Romains. 43 Sur cette latinisation, cf. Beloch, RG, p. 623.
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3) L'origine et l'identification des magistrats qui, avant 49, rendaient la justice en vertu d'un foedus s'éclairent de la m ê m e manière. Il n'est pas question d'y découvrir la preuve enfin sûre de foedera de municipe : les municipes ne seront créés que par la loi de romanisation, en 49. On y verra simplement la preuve que certaines cités de la Gaule Cisalpine étaient foederatae jusqu'à leur romanisation de 49 4 4 ; les magistrats locaux y rendaient la justice par suite d'un foedus : ils continueront à le faire et avec la même autorité, dans une cité devenue une cellule d'administration romaine (municipe, colonie, préfecture). Cette situation devait durer peu de temps : jusqu'à la réorganisation de la lex Rubria qui suppose en place les magistrats spécifiquement romains des municipes, colonies, préfectures. Bien loin de confirmer l'existence de traités constitutifs de municipes, le fragm. Atestinum, qui ne connaît de municipes que ceux que la loi de romanisation a créés, montre cependant, c o m m e l'ont prouvé les exemples plus tardifs de Tarquinii ou Camerinum, que foedus et municipe ne s'excluent pas; Rome peut se référer à u n foedus antérieur à la romanisation p o u r prolonger en une survie, parfois courte, l'administration qui s'y rattachait. C'est exactement la m ê m e valeur qu'il convient d'attribuer à la Tabula Heracleensis qui, à deux reprises (1. 93 et 1. 103), renvoie aux dispositions fixées p a r les lois, plébiscites ou traités, p o u r les questions de vacatio rei militaris. Il est évident, ici encore, que les lois qui ont généralisé la civitas Romana après la guerre sociale, n'ont pas aboli tous les privilèges ou toutes les inégalités résultant de la variété des constitutions fédérées. La Table d'Héraclée montre qu'en matière de dispense de services, Rome voulut respecter et les dispositions antérieures qui découlaient de sa p r o p r e autorité (lois, plébiscites) et les engagements qu'elle avait pris sous la forme bilatérale d'un traité {foedus). Faut-il en déduire que ces traités seraient nécessairement les « traités constitutifs des municipes » antérieurs à ceux du I er siècle ? Il n'y en a aucune preuve. Rien n'indique que le législateur, après la lex Iulia de 90, était juridiquement lié p a r ces foedera : tout semble, au contraire, indiquer que c'est par une résolution volontaire - unilatérale en dernière analyse - que Rome affirme le respect des exemptions qu'elle a
44 Peut-on donner des précisions sur ces fœdera? C'est le cas de Ravenne en Cispadana : cf. U. Ewins, The enfranchisemenî of Cisalpine Gaul, dans PBSR 23, 1955, p. 73, ou encore, en Transpadana, des populi, non touchés par la latinisation de 89 : les Turinenses, par exemple. C'est dans ces régions que fœdus et coutume (institutum) ont formé la source juridique des pouvoirs des magistrats locaux, auxquels Rome se réfère pour en proroger l'efficacité au-delà de la loi de romanisation.
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accordées p a r une loi ou le maintien des dispenses qu'elle a reconnues par des traités - devenus juridiquement caducs p a r l'extension de la civitas Romana. L'intérêt de la Table d'Héraclée est de confirmer d'une manière plus nette que le fragment d'Esté - car plus durable, dans son principe - le maintien, au sein de la civitas Romana, de dispositions fédérales antérieures à la romanisation des cités bénéficiaires. On reconnaît sans peine que ce n'est pas le foedus qui est la source juridique de ces dispositions maintenues; mais c'est la loi (la Table d'Héraclée en dernier lieu) qui en décide le respect. Le foedus ne sert que de document de référence, exactement comme p o u r les anciens foedera de Tarquinia, Camerinum et Capena, ou ceux que Rome avait établis dans la Gallia Cisalpina non romaine. Tous ces municipes (Capena mise à part) sont nés de l'extension de la civitas Romana au I er siècle av. J.-C, - et elle ne s'est pas faite sous forme de traités. c) Les plus anciens «municipes fédérés». Aucun des témoignages étudiés jusqu'ici ne permet de croire à l'existence de municipes créés en vertu d'un foedus; il est prouvé, en revanche, que l'incorporation dans la civitas Romana n'a pas aboli toutes les dispositions fédérales, mais que Rome, par u n acte de volonté non partagé, a parfois décidé d'en assurer le respect. Les municipes d'origine latine, c o m m e les plus anciens municipes sine suffragio, ne corrigent pas la silhouette que les exemples plus récents viennent de dessiner. Rappelons d'abord d'un m o t que le témoignage formel de Tite-Live ne se concilie pas avec l'idée que les cités latines ont été incorporées dans la citoyenneté en vertu d'un traité. C'est au moyen de décréta et de sénatusconsultes (placuit) que le sort de chaque cité fut décidé; la procédure suivie fut la m ê m e pour les cités (Antium, municipes campaniens) qui entrèrent au m ê m e m o m e n t dans la civitas sine suffragio. Ces décisions du Sénat ne font, d'ailleurs, que préparer la loi qui, formellement, était certainement seule compétente pour élargir les cadres de la citoyenneté 4 5 . L'unilatéralité
45 Liv. 8, 14, 2 : relatum igitur de singulis decretumque (pour les Latins); pour les Cumani et les Suessulani: eiusdem iuris condicionisque cuius Capuam esse placuit (Liv. 8, 14, 11). Même « placuit » pour le sort des Antiates. La procédure dut être la même que pour l'incorporation des Privernates en 329 : après avoir décidé (consultus) des sanctions et du sort des Privernates à la suite de décréta (Liv. 8, 20, 7 et 10), le Sénat donne son auctoritas pour que le peuple procède à l'acte légal de la concession de la civitas (ex auctoritate patrum latum ad populum est, ut Privernatibus civitas daretur - Liv. 8, 21, 10). Pas plus question de fœdus en 338 ou 334 qu'en 329. Pour les Acerrani, loi votée en 332 (Liv. 8, 17, 12).
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de l'acte ne s'accorde pas avec l'hypothèse de foedera; de fait il n'en est jamais question dans la tradition annalistique. Mais il y a un argument plus net, dont la rigueur nous paraît décisive. On a déjà remarqué que les peuples ou cités incorporés dans la cité l'ont été après une deditio formelle. La deditio, c'est certain, n'exclut pas le foedus, mais à la condition que Rome décide la restitution de la souveraineté du peuple déditice 46 , afin de reconstituer les bases d'un acte de droit international. Or il ne fait aucun doute que si Rome rend à la cité déditice, dont elle fait u n municipe, une autonomie certaine (res publica), elle ne rétablit pas sa souveraineté. Rassemblons ici les preuves qui feront l'objet d'un examen plus détaillé par la suite 4 7 : d'une manière formelle, les propres lois (leges suaé), c'est-à-dire la souveraineté 4 8 , ne sont jamais restituées; le municipe quitte la scène internationale, déchu du droit de participer à une activité diplomatique quelconque (concilia) sanctionnée par l'établissement indép e n d a n t de foedera; il est dépouillé m ê m e des instruments d'une activité militaire autonome. Il ne conserve pas davantage u n e civitas qui permettrait, par exemple, à un exilé romain de troquer sa citoyenneté d'origine contre celle du municipe qui lui ouvrirait ses portes. Son activité religieuse n'est, certes, pas confisquée par u n e procédure d'evocatio, mais ses cultes, de souverains, deviennent municipalia) sous le contrôle des pontifes, u n e collaboration s'établit avec Rome, destinée à diriger vers le salut de l'Etat romain, exclusivement, le respect des prescriptions cultuelles locales. Après leur deditio, la souveraineté des futurs municipes ne fut jamais restaurée; la condition primordiale p o u r qu'un foedus puisse être établi n'est pas remplie. Mais de bons exemples confirment qu'au-delà de l'incorporation, Rome pouvait maintenir certaines dispositions fédérales antérieures à la deditio et à la romanisation. Ainsi en fut-il pour les Lavinii Laurentes49, qu'un traité à contenu exclusivement cultuel liait à Rome, depuis la plus haute antiquité; il fut renouvelé après la conversion de la cité en municipe et continua scrupuleuse-
46
Fondamentalement, W. Dahlheim, Struktur röm. Völkerrechts, op. cit., p. 77 et n. 40 : la décision unilatérale de Rome parvient à reconstituer une souveraineté {selbständige res publica) de droit international {völkerrechtliche) complète. Sur la restitution, condition d'un fœdus, cf. supra, n. 8. 47 Infra, p. 300 sq. 48 Sur la valeur de la formule suis legibus uti, W. Dahlheim, cit., p. 78 sq.; infra, p. 307 sq. 49 Sur l'incorporation de cette métropole religieuse, en 338 vraisemblablement, supra, p. 179-84; ibid., sur l'organisation cultuelle et les réaménagements introduits par Rome.
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ment de l'être chaque année : cum Laurentibus renovari foedus iussum, renovaturque ex eo quotannis, post diem decimam Latinarum (Liv. 8, 11, 15 en 340). Ce traité, dont la répétition est attestée encore sous l'Empire, n'est pas un foedus de municipium (les Romains ne remettaient pas chaque année sur le métier la constitution municipale de Lavinium!). Son maintien, pour des raisons purement rituelles, permit à Rome de représenter auprès du sanctuaire fédéral le nomen Latinum politiquement dissous après le règlement de 338. L'existence d'un foedus rituel entre le populus Romanus et le populus Laurens n'implique ni un cumul de citoyennetés ni un procédé aberrant d'intégration dans la citoyenneté en vertu d'un acte bilatéral. A Lanuvium et à Tusculum, les cultes locaux donnèrent lieu à un partage, firent l'objet d'une communio sacrorum. Tite-Live l'atteste expressément pour Lanuvium (8, 14, 2) : Lanuvinis civitas data sacraque sua reddita cum eo, ut aedes lucusque Sospitae Iunonis communis Lanuvinis municipibus cum populo Romano esset. Rome n'évoque pas le culte lanuvien de Junon, mais il fut transformé en culte public de l'Etat romain 50 . Il en fut probablement de même à Tusculum51, où, à côté des prêtres locaux, des prêtres romains (de l'ordre équestre, sans origo Tusculana) sont mentionnés sous l'Empire. L'organisation et la gestion de ces cultes, maintenus dans leur cité d'origine, partiellement rétablis après la deditio, ont donné lieu à des accords. Faut-il y voir des foedera et en déduire que l'on est en présence de municipia foederata? Nous ne le pensons pas; collaboration ou partage ne signifie pas convention internationale; Lanuvium et Tusculum ne sont pas des municipes créés par un foedus ou liés à Rome par un foedus52.
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Cf. G. Wissowa, Die Rom. Staatspriesiertümer altlatiniscker Gemeindekulte, dans Hermes 50, 1915, p. 21 sq.; Dessau, dans CIL XIV, p. 192. 51 Dessau, dans CIL XIV, p. 253; G. Wissowa, art. cité, p. 21; Mommsen, Staatsr. lu, p. 579 = Dr. Publ. VI, 2, p. 193 sq., A. Rosenberg, dans Hermes 49, 1914, p. 260. 52 Liv. 8, 14, 3 : Aricini Nomentanique et Pedani eodem iure, quo Lanuvini, in civitatem accepti; d'où l'on déduisit d'une manière quasi générale que les trois cités, à l'exemple de Lanuvium, auraient été fédérées. Lu sans arrière-pensée, le texte indique seulement que ces trois villes latines furent, comme Lanuvium, incorporées dans la civitas Romana avec maintien de leurs cultes (civitas data sacraque sua reddita). Il est très vraisemblable qu'à Nomentum, comme à Pedum, certains cultes furent partagés avec Rome, comme, on vient de le voir, c'est attesté pour Lanuvium et Tusculum et, on va le voir aussitôt, pour Aricia. La définition générale de Festus sur les sacra municipalia (et cf. de même G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer2, 1912, p. 48) laisse penser que c'est une pratique absolument générale lors de l'incorporation d'un municipe.
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Mais Aricia, dernier exemple latin pour lequel les sources ne sont pas muettes, tira fierté de l'antiquité de son statut municipal, iure foederatum53. Sur le contenu et l'âge de ce foedus, on ne sait rien. Il avait au moins pour objet, en partie, le culte de Nemi, auquel Rome participa bien avant la dissolution de la ligue, et qui ne disparut certainement pas en 338. On peut interpréter le titre en y voyant la preuve qu'au-delà de l'incorporation dans la civitas Romana, certaines dispositions du foedus antérieur furent mainte- ( nues et servirent de référence lorsque Rome établit un statut nouveau à la cité en 338. C'est très probablement ce qui se produisit pour Capoue, unie d'abord à Rome par un traité (342), puis, en 334, incorporée dans la civitas Romana. Il a été souvent remarqué que chez Tite-Live, les Campaniens apparaissent tantôt comme des socii, tantôt comme des cives. Z. Konopka, puis A. N. Sherwin-White ont utilisé cette contradiction apparente en soutenant la réalité du foedus et la virtualité de la civitas à l'origine, puis au terme d'une évolution aux étapes imperceptibles, par un débordement continuel de la notion d'allié, la réalité de la civitas et la virtualité du foedus54. Malheureusement l'alternance des formules se retrouve, pour Capoue55 ou pour Cumes56, jusqu'en 216 et 211, avec une régularité remarquable qui prouve leur équivalence constante et dénonce lucidement la légèreté de l'interprétation. En réalité, l'allusion à des liens de type fédéral à laquelle Rome recourut durant toute l'existence municipale de Capoue et des Campaniens s'explique autrement. Parfois, elle ne fait que traduire la forme des obligations militaires des Campani qui, comme tous les cives s. s., combattent en dehors des légions, comparables, pour cette raison, à des socii57. Mais aussi, si l'on met de côté quelques emplois tardifs, littéraires et sans rigueur juridique58, il est à peu près certain que l'allusion à la societas ou au foedus, chez des Campaniens dont la condition de cives Romani du IVe au IIIe siècle
53
Cic, Phil. 3, 6, 15. Z. Konopka, Les relations politiques entre Rome et la Campanie, dans Eos 32, 1929, p. 587 sq.; A. N. Sherwin-White, RO, p. 39 sq. = RC1, p. 40 sq. 55 Liv. 9, 6, 4 sq., pour la fin du IVe siècle, et pour la fin du IIIe siècle, Liv. 22, 61, 11; 23, 7, 3 sq.; 23, 10, 2; 23, 8, 3 et 10; 25, 18, 5; 26, 16, 13. 56 Pour Cumes : Liv. 23, 36, 8. 57 Infra, p. 318 sq., avec les références. V. encore p. 281-2. 58 Ainsi, J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 199 : après la défection de Capoue, Rome rappelle les obligations qui lui étaient dues par le souvenir d'une alliance (societas) : Liv. 23, 7, 6; 23, 8, 3 et 10. 54
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ne fait aucun doute 5 9 , se réfère au traité qui a précédé l'annexion dans la civitas Romana. Tite-Live, de fait, a bien distingué, dans l'ordre, le foedus, puis la civitas60. On comprendra d o n c que l'acte de concession de la civitas, postérieur, a partiellement maintenu, en s'y référant expressément, certaines dispositions du traité, devenu caduc lors de l'entrée dans la citoyenneté romaine. L'exemple de Capoue complète et confirme le tableau que Ton vient de dresser et que l'on peut brièvement résumer. D'un municipe créé p a r un foedus, d'un foedus de municipium, aucune trace n'a été décelée. Les modalités de l'incorporation, l'étendue de l'autonomie concédée, le tableau des charges imposées au municipe créé émanent d'un acte de décision du Sénat ou du peuple, et non d'un traité bilatéral. Mais il est certain, lorsque l'incorporation met fin à u n e fédération, quand un municipium succède à une civitas foederata, que le statut nouveau du municipe, ses droits et ses devoirs à l'égard du populus Romanus ne sont pas réformés ex nihilo', des références étaient certainement faites expressém e n t à ce foedus antérieur, dont certaines dispositions étaient ainsi douées d'une survie. Dira-t-on q u e le foedus, dans ce cas, continue juridiquement à régir au sein de la civitas Romana les relations entre Rome et le municipe? Selon les principes juridiques, non. C'est la charte constitutive du municipe {lex, senatus consultum) qui est la source de la disposition du foedus devenu caduc. Le fragment d'Esté, qui maintient en vigueur une organisation établie par suite d'un ancien foedus', la Table d'Héraclée, qui se réfère expressément à des privilèges établis par des foedera, mais que la lex Iulia de 90 a abrogés; la condition nouvelle faite, en 334, aux Campaniens, cives Romani, et qui dut emprunter b e a u c o u p au foedus, certainement inégal, que Rome, en 342 avait obtenu d'eux; les privilèges impériaux tardifs qui concèdent aux Tarquinii, aux Camerini, aux Capenates, de se parer du titre d'alliés des Romains : il faut, dans tous ces cas, soigneusement distinguer juridique-
59 Rassemblons ici les arguments, dont certains ont été déjà vus et dont les autres feront l'objet de développements ultérieurs : 1) l'appréciation politique de l'extension de la civitas Romana, comprise immédiatement par les Campaniens comme une conquête, une annexion {supra, p. 198 sq.); 2) après la deditio de 340, pas de reconstitution de la souveraineté juridique (supra, p. 267 et infra, p. 300-4, sur l'absence des éléments constitutifs d'une personnalité juridique internationale); 3) soumission aux obligations (munera) des cives Romani (infra, p. 276 sq.); 4) accès à la garantie fondamentale de la provocatio adpopulum (infra, p. 280 sq.). 60 Liv. 23, 5, 9 et 31, 31, 11 : il en résulte que la civitas ne découle pas du fœdus, mais d'une décision postérieure à celui-ci. Cf. supra, p. 170, 174 sq.
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ment, politiquement et chronologiquement le foedus et la constitution du municipe. Lorsque le foedus se prolonge, ce n'est pas en tant que tel, en droit, mais en tant que document de référence, dépourvu d'une efficacité juridique quelconque sans la confirmation légale postérieure, au moment de l'intégration dans la civitas Romana. En droit; le résultat est appréciable. Il n'y a pas de chevauchement foedus et civitas Romana et rien ne permet de supposer qu'au IVe siècle la citoyenneté romaine admettait la survie d'une citoyenneté municipale équivalente avec laquelle elle aurait traité pour fonder des engagements réciproques. Lanuvium et Tusculum partagent un culte avec Rome, mais ce n'est pas sur la base d'un acte international. Mais Aricia fut qualifiée de municipium foederatum : on en déduira que le prolongement, après l'acte de romanisation, de certaines dispositions fédérales antérieures (religieuses pour partie certainement, administratives peut-être aussi) fut interprété, politiquement, comme la survie (partielle) du foedus. D'où l'honneur du titre. Il convient de compléter une analyse strictement juridique par des considérations de prestige, qui colorent, mais ne modifient pas au fond les résultats acquis. Le foedus dépassé d'Aricia ne survécut pas en lui-même après 338, pas plus que celui de Capoue après 334, ou celui de Camerinum après le beneficium de Septime-Sévère; mais Rome concéda, dans une conception indulgente, sollicitée et soigneusement entretenue par les municipes, que l'on insistât sur l'acte initial et périmé, dans le souvenir, le regret d'une liberté passée61-
II - L'ÉTYMOLOGIE DE MUNICEPS ET DE MUNICIPIUM : LE POINT DE VUE OFFICIEL ROMAIN
Il nous restera d'un mot à clore cette partie sur la civitas Romana, fondamentale, des municipes, en marquant la place qu'elle tient enfin dans la structure même du mot. Il est formé, incontestablement, de deux éléments, munus et - ceps. Si l'idée contenue dans le second terme est claire (accès, participation), le mot 61
La belle opposition esquissée par H. Braunert, art. cité, entre Verfassungsnorm et Verfassungswirklichkeit à propos du pro Balbo serait valable ici; il convient de bien distinguer le principe juridique (extinction du foedus lors de la concession de la civitas) et la réalité pratique (recours au foedus comme document de référence et respect, sous bien des points, de la condition antérieure).
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munus a une signification plus difficile à saisir, car riche, et sur laquelle l'accord est loin d'être fait. 1) Une vieille thèse, mais qui n'a pas perdu son audience à l'heure actuelle, par une interprétation restreinte du mot munus, a supposé que le municeps originel serait l'étranger recevant, lorsqu'il séjourne à Rome, des cadeaux (munera), en tant que l'hôte public de l'Etat romain 62 . On ne niera pas que munera est fréquemment attesté dans le sens de cadeaux63 et que, à première vue, la définition du municeps, conçu comme celui qui reçoit des cadeaux, par opposition au munifex, celui qui les fait, n'est pas dépourvue de séduction. Mais avant tout, munus ou munera, sont-ce les présents que l'on reçoit ou les présents que l'on supporte? La question véritable se trouve là. 2) Or sur ce point il semble que les choses soient à peu près claires; les lexicographes latins et les étymologies des linguistes modernes se rejoignent : munus n'exprime pas l'idée du cadeau « gratuit », mais appelle l'existence d'un équivalent. Comme E. Benveniste l'a montré 64 , munus est plus près de l'échange que du don et l'adjectif munis qualifie non pas celui qui reçoit un bienfait ni non plus celui qui en accorde un, mais celui qui exécute son devoir par la restitution d'un bienfait reçu65. Ces précisions étymologiques sont pleinement confirmées par celles des antiquaires romains. Munus, quod mutuo animo qui sunt, dant officii causa (Varro, L L. 5, 179) : pour Varron, ce que l'on donne du fait de sa fonction s'appelle munus, parce que son auteur le fait dans un esprit d'échange ou de réciprocité. Cette définition générale du munus, par l'étymologie, montre bien que Tidée de cadeau n'est pas primaire, mais dérivée : ce n'est pas un cadeau que l'on fait ou que l'on reçoit, mais une véritable restitution, en contrepartie d'un avantage, ou d'un droit ou d'un honneur acquis. 62 Cf. la bibliogr. citée supra, p. 27, n. 55. P. De Francisci, Storia del dir. rom. II2, 1944, p. 19 sq. soutint notamment que le terme capere, évoquant l'idée de prendre, ne pouvait se référer qu'au partage de dons et non au partage de charges; et si, dès les origines, le municeps avait pris part aux charges, il se serait appelé munifex. 63 Par ex. chez Tite-Live : 2, 41, 5; 2, 42, 8; 2, 48, 2; 10, 46, 16; 39, 27, 3; 42, 6, 11. Mais on y trouve aussi l'idée de charge : 6, 42, 13 (charge d'une magistrature) ou de devoir, 3, 35, 7. 64 Don et échange dans le vocabulaire indo-européen, dans An. Sociol, 1951, p. 15 = Le Vocabulaire des Institutions indo-européennes I, Paris 1969, p. 96 sq. V. également Ernout-Meillet, Dict. Etym.4, 1959, v° Munus. 65 D'où l'adjectif immunis qui signifie d'abord celui qui ne rend pas le bienfait reçu, Yingratus (ainsi, chez Plaute, Merc, 105); voir de même Plaute, Trin. 354 : is est inmunis quoi nil est qui munus fungatur suom ou Paul-Festus 127 L : inmunis dicitur qui nullo fungitur officio : l'ingrat qui n'accomplit pas son devoir, qui ne rend pas ce qu'il doit.
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Munus, p a r là, s'identifie à Y officium, au devoir que l'on exécute du fait de la charge 6 6 ou de la dignité dont on est revêtu 6 7 : aucune idée de gratuité, par conséquent, et le munus se définit par rapport à celui qui le supporte, et n o n par rapport à celui qui bénéficie de la fonction remplie. L'aspect actif l'emporte sur l'aspect passif qui n'est qu'un dérivé tardif 68 . On peut donc présumer que le municeps sera celui qui participe à des devoirs ou des fonctions, à l'exercice d'une charge, primitivement, et non celui qui recueille, à titre de cadeau, le profit du service dû et rendu. 3) Cette idée fondamentale d'un devoir dont on s'acquitte est particulièrement mise en valeur p a r les définitions anciennes du municeps ou du municipium. Elle apparaît très nettement chez Isidore de Sév. (Orig. 15, 2, 10) : municipium a muniis, id est officiosiis quod tantum munia, id est tributa débita vel munera reddant : le municipium tire son nom des devoirs {munia, officia), du fait que les municipes « rendent » les charges financières ou les magistratures qu'ils doivent supporter. L'idée d'une obligation tirant son fondement d'un bienfait reçu ou d'une obligation contractée est au cœur de la définition du municipium. C'est cette conception de munus (charge ou service dû) que Ton doit précieusement conserver. Sans d o u t e trouvera-t-on bien des nuances sur la nature de ces charges municipales et sur la source de ce devoir. Certains, comme Varron ou Aelius Gallus, définissent le municeps par ses obligations, mais taisent la nature de la réciprocité qui est à la base de leur devoir 6 9 ; l'idée de contrepartie est seulement sous-entendue. 66 Tolère moenia, chez Plaut., Trin. 687, signifie tenir son rang; munia, quae domi capessuntur (Colum., 12, 1,4) pour qualifier les charges de la villica, accomplies à la maison; munia au sens de charges de la vie militaire, métier du soldat : Sali., hist fragm. 3, 95 et 96. Synonyme de ofjicia militiae (Gloss. Lat, éd. Goetz, VII, p. 718). Charges du citoyen : Sali., Or. Macri 19; Tac, Agric. 13, 1; Hist. 1, 77, 1; 2, 92, 2 . . . 67 Régis munia : Liv. 1, 41, 5; charges du magistrat (= officium) : Tac, Hist. 4, 39, 9; Ann. 3, 53,3. 68 Comme on le voit encore dans la définition de munus (Corn. Fronto, dans Grammatici Latini, éd. Keil, VII, p. 524, 16) munus quod amicus vel cliens vel libertus officii causa mittunt: idée de cadeau rendu. L'expression munus fungi a la même valeur : s'exécuter d'un devoir né d'un bienfait qui oblige; ainsi encore Cic, Sest, 122 : recevoir un beneficium rend un individu munis; s'il ne s'en acquitte pas, il sera ingrat, ingratifex ou immunis. Sur la distinction munusdonum, v. encore F. Grelle, Munus publicum, Studi in mem. S. Solazzi, Naples, 1960, p. 242 sq. 69 Varro L L 5, 179 : alterum munus, quod muniendi causa imperatum, a quo etiam municipes, qui una munus fungi debent, dicti. «Devoir que l'on accomplit en élevant des fortifications». L'étymologie de muni-ceps par moenia est inexacte. Aelius Gallus, ap. Festus 126 L: municeps... qui munus functus est. Pas un cadeau gratuit, mais l'exécution d'un officium (idée implicite d'une obligation préexistante).
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Plus précis, d'autres auteurs, dans des définitions marquées par leur époque, mettent en relief l'idée de contreprestation prouvant ainsi que le terme munus dans son composé municeps a conservé bien vivante l'idée originelle d'une fonction remplie en réponse à un bienfait; on peut, sur ce point, compléter la première définition isidorienne par une autre qui le montre très clairement : municipes ab officio munerum dicti, eo quod publica munia accipiunt (Orig. 9, 4, 21) : les municipes tirent leur nom de leur devoir (officium) de supporter des munera, du fait qu'ils reçoivent les charges publiques 70 . Le fait d'accepter une magistrature (munia publica) emporte l'obligation d'en supporter les charges (munera), à titre de contreprestation. De même exactement chez le juriste Paul (Dig. 50, 16, 18), qui, parmi plusieurs acceptions de munus ne conserve, pour expliquer le mot municipium, que celle qui répond à l'idée du devoir lié à la fonction, c'est-àdire au concept de charge rendue pour services reçus71. Ces définitions sont, il est vrai, tardives : elles se rapportent toutes à une époque où les munera, les charges des municipes, correspondent essentiellement aux dépenses entraînées par l'exercice des magistratures locales. Mais il est très important de remarquer qu'à travers ces définitions, 1) jamais le municeps n'apparaît comme le destinataire d'un cadeau; 2) mais au contraire comme celui qui supporte une charge, exactement synonyme alors de munifex; 3) cette charge ne peut en aucun cas être comprise comme un acte de générosité gratuite; c'est l'exécution d'un devoir, la contrepartie d'un honneur; c'est un service dû. Dû pourquoi? Dû à l'hon-
70 Munia publica accipere = recevoir, accepter les fonctions officielles, les charges, les devoirs d'un magistrat. Synonyme de officia, notamment chez les Gloss. Latins : cf. éd. Goetz, Vu, p. 718; v. de même, pour des expressions identiques: Municipium, quod jam accipiat munera, id est officia (p. 259); municeps, dictus ab eo quod munia copiât (p. 85). 71 Munus, tribus modis dicitur : uno donum, et inde munera dici dari mittive; altero onus, quod cum remittatur, vacationem militiae munerisque (praestat) inde immunitatem appellari; tertio officium, unde munera mïlitaria et quosdam milites munifices vocari; igitur municipes dici, quod munera civilia copiant Munera civilia capiant : cf. le texte d'Isidore cité supra : munia publica accipiat. On remarquera la synonymie, selon Paul, munifex et municeps; enfin, on nuancera l'idée excessive de donum, première acception donnée par Paul, au moyen de la définition citée supra p. 273, n. 68 tout en faisant remarquer qu'une conception tardive du munus publicum se dessine à partir du 3 e siècle, où l'élément de réciprocité disparaît dans le munus qui devient une pure charge ou cadeau : ainsi ce texte de Callistrate, au Dig. 50, 4, 14, 1 : munus publicum : . . . dicitur quod in administranda re publica cum sumptu sine titulo dignitatis subimus (charge financière, sans contrepartie du titre honorifique). V. sur ce point, N. Charbonnel, Munera publica au IIIe siècle, Thèse Droit, Paris 1971 (ronéot.)
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neur des magistratures briguées ou au prestige social qui oblige moralement à supporter les charges de son municipe 72 . 4) Mais remontons un peu plus haut et demandons-nous, pour une époque où la charge principale du municeps n'est pas de gérer les magistratures locales, mais de participer aux fonctions des cives Romani, quel est l'élément fondamental de réciprocité. C'est, on le pressent, la civitas Romana elle-même; plusieurs définitions plus archaïques - ou cherchant à expliquer les origines du municipium - y font allusion. La plus claire est sans aucun doute celle d'Ulpien (Dig. 50, 1,1), dont la valeur historique, reconnue par les compilateurs du Digeste, lui valut de figurer en tête de la rubrique consacrée aux magistratures municipales de l'Empire romain : proprie quidem municipes appellantur muneris participes, recepti in civitatem ut munera nobiscum facerent : la participation aux munera tire sa source de la receptio in civitatem. Le bienfait que les municipes reçurent fut la civitas Romana; les munera qu'ils doivent fournir ne sont pas une contribution gratuite, mais sont la contrepartie du bienfait accordé. La même idée se retrouve implicitement chez Aulu-Gelle (N. A, 16, 13, 6) : Municipes sunt cives Romani... muneris tantum cum populo Romano honorari participes, a quo munere capessendo appellati videntur : la participation au munus (ici honorarium - c'est-à-dire, à l'exercice des charges municipales) a sa cause dans la qualité de cives Romani. Aulu-Gelle, insistant, dans ce passage déjà étudié, sur l'autonomie des municipes, explique leur contribution aux charges des cives Romani, qui corrige naturellement leur indépendance, par leur qualité de cives Romani : pas d'obligation unilatérale et sans contrepartie, comme le sont, par exemple, les charges des foederati, mais des devoirs qui ont tous les caractères d'un service rendu pour un bienfait reçu. L'idée d'équivalence ou d'échange. n'est pas absente non plus, même implicitement, dans les définitions de Festus et de Paul : pour la première (Festus, 126 L, si proche de celle que donnera plus tard Aulu-Gelle), l'indépendance administrative (res publica séparée) au sein de la civitas Romana fait ressortir le fondement de la participation aux munera. Ce n'est pas l'autonomie qui justifie les munera; au contraire même. Les limites qu'elle connaît sont provoquées par des munera dont la cause est la civitas Romana. L'idée reste la même dans la paraphrase de Paul (117 L). Les 72
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Devoir de supporter une liturgie ou évergétisme.
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mimera sont les droits et les devoirs, en un m o t Y officium du civis Romanus, et les municipes, en tant que citoyens romains, y accèdent en partie. On posera donc, pour conclure, que, conformément à l'étymologie du terme, le munus ou les munera des municipes ne sont pas u n e prestation gratuite, mais u n e contreprestation qui suppose une contrepartie ou une équivalence : la civitas Romana. Par là le fondement des devoirs des municipes n'est pas différent de celui des cives Romani. On rejettera d o n c comme non fondée l'idée selon laquelle le municeps à l'origine aurait été distinct du civis Romanus en ce qu'il en aurait supporté les charges sans partager la civitas Romana : c'est, en effet, priver le munus de son indispensable contrepartie 73 . On remarquera, en second lieu, que la condition du municeps est commune aux municipes optimo iure et sine suffragio et il en fut ainsi dès les origines. C'est important, car cela confirme bien l'idée qu'un déséquilibre des charges (non compensées par des droits équivalents) n'est pas fondamental, ni m ê m e vrai, puisque les municipes optimo iure accèdent à tous les droits et toutes les charges des cives Romani14. C'est pour eux q u e l'équivalence munera - civitas Romana, les premiers étant exactement équilibrés par la seconde, se vérifie le mieux. Mais l'idée d'équilibre ne disparaît pas, même si celui-ci est moins parfait, pour les municipes s. s. : ils n'accèdent, il est vrai, qu'à u n e partie des munera des citoyens (tantum muneris partem), à
73 Ainsi, par exemple, A. J. Toynbee, HL I, p. 191, pour qui l'idée d'une association aux munera des cives Romani impliquerait nécessairement, pour les origines, que celui qui y était soumis n'était pas civis Romanus; et cet auteur supposa que les premiers municipes (historiquement non attestés) furent des étrangers qui en échange de la protection sur le sol romain supportèrent un certain nombre d'obligations. De même J. Pinsent, The original meaning of municeps, dans Class. Quarterly, NS IV, 1954, p. 163 sq.; E. Manni, Per la Storia p. 25 sq. et RHD, 1969, p. 68. 74 Une double confusion doit être dénoncée. La première est due à l'idée inexacte que le terme de municeps qualifie le citoyen sous l'aspect de ses devoirs et non de ses droits, d'où l'on déduit, à tort, que l'emploi ne fut primitivement valable que pour les cives sine suffragio. Les municipes d'origine latine ont, dès les origines, été cives optimo iure; il n'y a aucune idée de déséquilibre entre droits et devoirs dans le terme de municeps, mais, au contraire, l'idée de devoirs en échange de droits. Que les municipes o. i aient eu plus de privilèges que les autres ne joue aucun rôle dans la définition, car pour les premiers, comme pour les seconds, on insiste sur le fait qu'ils partagent les devoirs des citoyens, en échange de la civitas Romana. La seconde confusion (ainsi A. J. Toynbee, op. cit. p. 190 sq.) consiste à reporter l'idée, exacte, de contreprestation contenue dans le terme de munus, à un équilibre entre droits et devoirs. L'existence des municipes s. s. prouve que cet équilibre interne n'existe pas toujours et que les deux termes de l'échange ne sont pas limités à un calcul entre droits positifs et devoirs, mais entre devoirs du citoyen et qualité de citoyen romain.
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une partie seulement de leurs officia; mais ici encore il apparut manifestement aux yeux des Romains que cette participation n'était pas unilatérale, mais compensée, ou due, par l'honneur de la civitas Romana. On conviendra que le point de vue qui se reflète ici est purement romain; pour Rome, soumettre les Campaniens au service armé sous les aigles romaines est un juste devoir {munus) en échange de l'honneur et des privilèges de la civitas Romana. Il est évident que les Campaniens ne partagèrent pas cette conception; ils surent le montrer lors de la seconde guerre punique, dénonçant un munus qui, pour eux, n'était qu'une charge sans contrepartie, un cadeau 75 . Mais, pour la définition du terme municeps ou municipium, le point de vue romain est seul à prendre en considération, et l'on y verra non pas un titre déprécié, synonyme de corvéable à merci, qu'il eût été intolérable d'affliger même à des cités76 incorporées de force dans la civitas Romana et qu'il serait invraisemblable de supposer, mais la conviction, chez les Romains, ouvrant avec fierté les cadres de leur citoyenneté, que les charges qu'ils imposaient à des cités incorporées, mais non dissoutes, n'étaient que la juste contrepartie de leur réception dans leur propre communauté politique77. Cet équilibre des droits et des devoirs est la digne parure dont les Romains recouvrirent la réalité plus brutale de leurs conquêtes.
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Liv, 23, 7, 1 : lorsqu'ils fixèrent, en présence d'Hannibal, le prix de leur défection, les Campaniens exigèrent : ne... civis Campanus invitus militaret munusve faceret. Il n'y avait donc équilibre entre civitas et charges qu'aux yeux des Romains. 76 Rome a limité aux seuls cives organisés en une communauté centralisée (un municipium, dérivatif formé à partir de municeps) le terme de municeps. Au contraire, à l'égard des cives non-municipes pourtant soumis en tant que cives aux munera, c'est une expression dépréciative - elle est sans doute ancienne - celle de citoyen sans suffrage qui fut utilisée. On suggérera : comparé à «civis sine suffragio», «municeps» est un titre; les charges sont volontairement masquées derrière une notion fondamentale d'équilibre. Il semble que Rome tint à justifier, à excuser, à déguiser le poids de ces charges quand elle incorporait une cité pourvue d'une personnalité et d'une constitution. En bref, Rome ménagea la fierté des cités et non celle des populi. 77 E. Schönbauer, Municipium, Worterklärung u. rechtl. Bedeutung, Anz der Phil. hist. Kl. d. Ost. Ak. d. Wiss., Jahrg. 1949, 24 (1950), p. 551 sq. dénonça à juste titre cette conception mommsénienne du municeps « astreint aux charges », du fait de l'unilatéralité des obligations - selon Mommsen -, mais lui substitua une explication toute fantaisiste, selon laquelle le municeps serait soumis aux charges de son Etat, librement associé à l'Etat romain en une sorte de fédération, comparable au Commonwealth britannique. Le municeps serait alors celui dont la cité n'aurait pas été dissoute par Rome puisqu'il aurait continué à assumer les charges dans son propre Etat. Il est pourtant évident que ces munera sont dus à Rome, et non au municipium.
CONCLUSION DU TITRE I
Des pages qui précèdent, trois points en conclusion peuvent être mis en relief : la réalité juridique de la civitas Romana, étendue du IVe au début du IIIe siècle; la valeur politique de ces «concessions»; la distinction des cives sine suffragio et des municipes. 1) L'expression civitas Romana data peut prêter à équivoque; la transposerait-on en grec, elle ne signifierait rien d'autre que l'établissement de rapports isopolitiques, c'est-à-dire l'offre d'une citoyenneté future ou virtuelle. Mais l'hésitation ne peut être sérieusement maintenue. Que l'on songe que jamais les Romains, même dans un contexte grec, n'ont affecté la formule civitas... data de ce coefficient de virtualité et de réciprocité qui est le propre des rapports isopolitiques1. Mais surtout, l'équivalent formel du civitas Romana data est le Romani jieri1. La signification primordiale de ces termes ne fait aucun doute : quand un peuple, une cité sont faits romains, la citoyenneté n'est pas une offre proposée à titre de réciprocité à une cité alliée; elle n'est pas destinée à séduire quelques citoyens virtuels, à attirer les élites locales, à favoriser des échanges culturels ou économiques fructueux.
1 Tite-Live (31, 15, 7) a conservé la transposition latine d'une convention grecque d'isopolitie (échange réciproque entre Athènes et Rhodes de leur citoyenneté, à titre d'offre naturellement; cf. Pol. 16, 26, 9) : en quels termes? Non par la formule civitas data qui, pour les Romains, aurait eu un tout autre sens (celui d'une extension unilatérale), mais par une circonlocution (civitasque Rhodiis data quem ad modum Rhodii prius Atheniensihus dederant) qui introduit la nécessaire réciprocité. Sur la transposition livienne du texte de Polybe, cf. Szanto, Das griech. Bügerrecht, Fribourg Br., 1872, p. 68. 2 Liv. 8, 17, 12 (et cf. Vell. Pat. 1, 14) pour les Acerrani : ce Romani facti a le même contenu que la civitas(sine suffragio) data attestée pour la confédération campanienne (Liv. 8, 14, 10 et 11), dont Acerrae faisait partie. Même expression pour Privernum (Liv. 8, 21, 9) et pour les Eques (Liv. 9, 45, 7). C'est donc un synonyme de civitas Romana data.
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A la réciprocité des rapports isopolitiques s'oppose l'unilatéralité de la citoyenneté romaine; au cumul qu'impliquent nécessairement les premiers (cumul de la citoyenneté réelle, locale, et de la citoyenneté potentielle ou future), s'oppose l'exclusivité, par principe, de la civiias que Rome diffuse : car elle est immédiate et concrète. A l'honneur qui accompagne Visopoliteia - elle ne porte aucune atteinte à la souveraineté formelle et réelle des cités unies -, fait front la signification politique de la citoyenneté romaine - on y revient dans un instant. Citoyens de Rome, les municipes supportent en contrepartie, en «contre-don», les charges (mimera) des citoyens r o m a i n s ; mais accèdent-ils aux privilèges de la citoyenneté? Devant la condition si répandue des cives sine suffragio, on en a douté. Que devient cette citoyenneté si, concrètement, son contenu n'implique pas la participation a u pouvoir? Peut-on continuer à croire, avec cette restriction, en la réalité de cette civitas Romana? Il n'y a pas lieu d'en douter. La garantie fondamentale du citoyen romain et de lui seul - avant les extensions tardives de la fin de la République 3 -, la provocatio ad populum, protège contre la coercitio des magistrats les cives sine suffragio à l'égal des citoyens de plein droit4. A trois reprises, les sources l'attestent formellement. Si l'on n'a pas les moyens de vérifier l'authenticité de l'appel le plus archaïque à la protection populaire (châtiment de Satricum, en 319) 5 , dès 270 en revanche, des municipes Campani, les mutins de Rhegium, invoquent Yauxilium des tribuns et l'obtiennent 6 ; que l'assemblée de la plèbe ait fina-
3 Par la lex Acilia épigraphique (c. 122) qui l'étend à des pérégrins, à titre de récompense (FIRA, Leges, NR 7, p. 84 sq.; 1.78-9; 88-9). 4 L'originalité du concept juridique de civis sine suffragio se manifeste ici : alors qu'ils ne font pas partie des assemblées plébéiennes, ni, politiquement, de la plèbe, ni des comices centuriates, par le provoco, ils sont sous la protection des comices plébéiens et des tribuns. Mais le cas n'est pas unique : les comices plébéiens et centuriates prennent aussi en charge les intérêts des femmes, qui ne sont pas membres de ces assemblées, ou des pérégrins à la fin de la République (n. précéd.) : cf. pour l'ensemble W. Kunkel, Unters, zur Entwicklung des röm. Kriminalverfahrens in vorsullanischer Zeit, Bayer. Akad. d. Wiss., Phil. Hist. Kl. 56, Munich, 1962, p. 26 sq. 5 Satricum, qui reçut la civitas s. s. vers 338, se révolta en 319; selon Liv. 26, 33, 10, l'exécution des rebelles n'eut lieu qu'après qu'un vote du peuple (de la plèbe) l'eut permise - c'est cependant douteux : au moment où il décrit la défection (9, 16, 2 sq.), Tite-Live n'évoque pas de plébiscite, mais seulement la quaestio organisée par le consul et l'exécution qui suivit. Cf. A. W. Lintott, Provocatio, tfans ANKW, I, 2, 1972, p. 243 et n. 87. 6 Voir ici fondamentalement J. Martin, Die Provokation in der klass. und späten Republik, dans Hermes 98, 1970, p. 72 sq., notamment p. 86 : la provocatio dirigée contre la coercitio du
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lement r e n o n c é à défendre ces m u t i n s et ait décidé leur exécution, selon le vœu du Sénat, est sans i m p o r t a n c e . C'est le droit à la provocatio qui est en cause; or il est r e c o n n u à ces cives sine suffragio et respecté - mais, évidemment, le fait de disposer de cette garantie ne préjuge pas du succès du provoco. Après la défection de Capoue, en 210, le Sénat reste convaincu que les cives sine suffragio sont des citoyens r o m a i n s ; p o u r faire p r o n o n c e r l'exécution des C a m p a n i e n s traîtres à la cause romaine, sans violer les leges Valeriae, le Sénat obtient par l'intermédiaire d'un t r i b u n que la plèbe r e n o n c e à soutenir l'appel et permette légalement le châtiment. Le droit à la provocatio, en 210, est encore scrupuleusement r e c o n n u 7 ; la procédure est engagée, mais, c o m m e en 270, le peuple refuse d'y d o n n e r suite et garantit, p a r sa décision, la régularité des exécutions. Quelques allusion littéraires, pourtant, placent, à l'occasion, les Campaniens p a r m i les socii8; ces expressions, parfois juridiquement n o n douteuses, ont p u d o n n e r l'impression que leur civitas n'avait pas de c o n t e n u réel. C'est un t o r t 9 . L'interprétation exacte de ces formules doit être cherchée
magistrat conduit à la tenue d'une assemblée tribute, peut-être le concilium plebis, qui donne une décision politique sur l'emploi de la coercitio dans le cas concret qui lui est soumis; c'est exactement ce qui se produisit en 270 lors du châtiment de la garnison campanienne de Rhegium, comme l'a démontré ensuite A. W. Lintott, Provocatio, op. cit, p. 240 sq., dont les conclusions semblent définitives. Sur l'épisode, v. Pol. 1,7, 10; DH 20, 16, 1 sq.; Val. Max. 2, 7, 15; Oros. 4, 3, 5; pour l'interprétation historique, J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 194; V. La Bua, Regio e Decio Vibellio, dans Terza Miscellanea greca e Romana, 1971, p. 63 sq., notamment, p. 137 sq.; les interprétations juridiques de J. Bleicken, Das Volkstribunat der klass. Republik, Zetemata 13, Munich, 1955, p. 27 n. 2 et p. 123, n. 4, et de W. Kunkel, op. cit, implicitement p. 25 sq., nous paraissent dépassées par la démonstration de W. Lintott : il y eut provocatio, par appel au tribun; il porta l'affaire devant l'assemblée de la plèbe, mais qui, à l'unanimité, décida de ne pas soutenir la cause des mutins et se prononça pour leur exécution, telle que le Sénat l'avait décidée. 7 Liv. 26, 33 et A. W. Lintott, op. cit., p. 243. Pour J. Ungern-Sternberg, Capua im 2. Punischen Krieg, Munich, 1975, p. 96-113, les Campaniens ne peuvent, cives, avoir prononcé la deditio que Tite-Live leur prête en 212, ni, défaits, avoir ouvert le droit au triomphe (p. 96-101). Mais, renégats, ils ne pouvaient bénéficier de la provocatio. Sans entrevoir des hésitations ou discussions au Sénat, la critique radicale et dogmatique de J. Ungern s'est acharnée sur le témoignage de Tite-Live : un pastiche gracchien. 8 Supra, p. 269 sq. 9 A. N. Sherwin-White, RO, p. 37 sq. = RC2, p. 39-47, invoqua précisément ces expressions pour soutenir la nature isopolitique de la civitas sine suffragio primitive; le savant anglais, qui omit de mentionner le châtiment des mutins de 270 et leur appel à la plèbe, songea à une évolution : socii et non cives au IVe, cives et non plus socii à la fin du IIIe siècle. Malheureusement, le Sénat de Rome encore en 211 emploie le terme général de infidèles socii pour qualifier Capoue (Liv. 26, 16, 13; de même Liv. 23, 7, 6).
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dans d'autres directions 10 , car elles ne peuvent m e t t r e en accusation la réalité de leur citoyenneté romaine. Les interventions des tribuns, les décisions de la plèbe, l'interprétation au Sénat contribuent à donner formellement au «Romani facti» la profondeur qu'on lui attendait. On peut s'y fier. 2) La politique de romanisation. Les circonstances historiques des extensions de la civitas - on s'y est attardé, car elles contribuent souvent à donner leur sens vrai aux formules juridiques, ambiguës en dehors de leur contexte - l'indiquent clairement; pas de romanisation qui n'ait été précédée de la deditio de vaincus : Tusculum en 381, le Latium entre 340 et 338, les Campaniens et leur ligue en 340, Antium en 338, Fundi en 334, Privern u m en 329, Anagnia et Frusino en 306, les Eques en 304, les Sabins et les Samnites en 290 et certainement l'ensemble des pays de l'Apennin (Vestini, Praetuttii, Umbri, Picentes) soumis par les campagnes de M' Curius Dentatus 1 1 . Sans en forcer la nature, on peut qualifier de conquête territoriale cette extension du corps civique romain; elle est conduite selon un plan mûrement réfléchi : chaque progression tend soit à protéger l'avance qui vient d'être réalisée, soit à préparer l'étape suivante. Les colonies latines et romaines ponctuent la marche des frontières de Vager Romanus, et les foyers de répartition d'ager publicus préparent l'assimilation des cités ou des peuples conquis. Simultanément des tribus rustiques nouvelles sont créées; p a r des assignations agraires, des noyaux de citoyens de vieille souche encadrent les territoires versés dans la civitas sine suffragio ou s'insèrent en eux c o m m e un coin civilisateur; si le procédé permettait de satisfaire en partie les revendications de la plèbe, il r é p o n d aussi à u n e géopolitique, dont la lecture, sur la carte, ne peut tromper. Il s'agit de réduire l'espace, aux sens propre et figuré, entre les Romains d'origine, envoyés au bord ou au cœur des municipia sans suffrage, et ces municipes campaniens et samnites, volsques, éques ou herniques qui viennent d'être déclarés romains. Les Romains ont trop bien compris que la c o m m u n a u t é de citoyenneté demeurerait un artifice, une fiction de juristes, si une coexistence étroite et locale ne travaillait pas à réduire les différences profondes qui, de par leur lan-
10
Supra, p. 269 sq., et n. 55, 56, 58. Respectivement : Liv. 6, 25, 6 sq. et 6, 33, 6 (et supra, p. 155 n. 7); Liv. 8, 13, 8 (et p. 176); Liv. 8, 11, 12 (et p. 205, n. 192); Liv. 8, 12, 8 et 8, 13, 12 (et p. 205, n. 192); Liv. 8, 19, 12 (et p. 197, n. 152); Liv. 8, 20, 6 (et p. 197, n. 153); Liv. 9, 43, 7; Liv. 9, 45, 17; Liv., Ep. 11. 11
CIVITAS ROMANA : CONCLUSION
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gue12, leur type de civilisation, leur degré de culture, leur droit et leur niveau de développement économique maintenaient éloignés de Rome les municipes romains. Ces difficultés n'existaient pas pour les municipes d'origine latine; aussi les Romains procèdent-ils ici de façon beaucoup plus expéditive en plaçant immédiatement dans les unités politiques (électorales et militaires) des cives de Rome les cives du Latium. On aboutit ainsi à la naissance d'un Etat aux frontières homogènes, qui se définit lui-même comme une communauté de citoyens, la civitas Romano, Ses frontières sont définitivement fixées au cours de la première moitié du IIIe siècle; mais le concept qu'il exprime est né un siècle plus tôt, lors de ses premières projections, vers Tusculum, en 381, vers l'Etrurie de Caere, en 350 environ. On peut écarter définitivement la thèse de la virtualité de la civitas sine suffragio; ce point acquis, le problème de la structure juridique de l'Etat ainsi formé.prend un sens. 3) Structure de l'Etat: municipium et civitas sine suffragio. La conquête a introduit d'incontestables éléments de centralisation : ils font la substance même de l'incorporation, de la communauté civique, de cette communio iuris selon l'heureuse formule de Velleius Paterculus (1, 14, l) 13 . Citons : un système de délégation locale de l'autorité des magistrats de Rome, attesté dans un certain nombre de cas (ce sont les praefecturae); l'incorporation complète, politiquement s'entend, des municipes de cives o.i; les contacts multiples, par une pénétration individuelle, des citoyens de Rome et des cives sine suffragio) enfin, la confiscation, partout, du pouvoir politique local, la civitas Romana excluant, par principe, un partage de souveraineté ou un cumul de citoyennetés. Mais pour le reste, les Romains n'ont pas voulu réduire l'autonomie i des vaincus; d'où une grande variété dans les structures administratives/f locales. / S C'est principalement ce degré d'autonomie qui fut pris en considération dans la conception romaine du mwùcipium. Au contraire, municipe et citoyenneté sans suffrage ne sont pas des notions équivalentes ou qui se
12 V., sur ce point, les riches observations de G. Devoto, La romanisation de l'Italie médiane (1956), dans Scritti minori I, Florence, 1958, p. 290 sq. 13 Velleius place en un tableau commun les diverses formes de propagatio civitatis : déduction de colonies romaines, création de tribus et extension de la civitas sine suffragio; cette communauté de droit permit au nennen Romanum de s'étendre.
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recouvrent : seuls les cives s. s. qui sont rattachés à un municipe, à une cité administrativement organisée, sont des municipes. C'est un truisme, mais on l'a parfois rejeté14 pour une étymologie trompeuse 15 qui voudrait que tous les cives s. s. fussent municipes du fait du poids de leurs charges (rnunerd). De fait, les définitions de Festus et de Paul16 et les témoignages historiques ignorent la condition de municeps en dehors de l'appartenance à un municipium. L'existence des municipia de cives o.i. confirme pour sa part que le municipe ne se ramène pas à la citoyenneté sans suffrage, mais sur ce point la dépasse. Ce n'est pas le déséquilibre des charges qui peut expliquer le concept de municeps (les municipes de droit complet le prouvent). Le municeps, aux yeux des Romains, possède un titre) il accède au privilège, douteux, de partager les charges de la civitas Romana.
14 Ainsi, A. J. Toynbee, HL I, passim; notam. p. 238 sq. où tous les cives s. s. sont indentifiés à des municipes s. s. 15 Supra, p. 275 sq. pour l'étymologie de municeps. 16 Pour Festus (= Servius), 126 L, le municeps se définit par rapport à sa cité, son municipium. C'est l'autonomie de celle-ci qui fait l'originalité de sa condition; de même dans l'autre définition conservée des municipes, chez Festus-Paul, 117 L
TITRE II
LA RES PUBLICA MUNICIPALE
Servius aiebat (municipes) iniîio fuisse qui ea conditione cives (Romani) fuissent, ut semper rem publicam separatim a popülo Romano haberent (Festus p. 126 L.). De l'aveu du grand juriste de la fin de la République, l'originalité du municipium tient à un paradoxe : la coexistence de la civitas Romana et d'une res publica maintenue. Pourtant l'incorporation dans la citoyenneté r o m a i n e et l'autonomie ne sont-elles pas, par principe, antinomiques? Servius, c'est évident, ne cherche pas dans sa définition provocante à dissimuler la contradiction; au contraire, il insiste en précisant que dès l'origine et toujours le municipium a réuni en lui ces deux éléments fondamentaux. Mais il n'a pas voulu ou pas pu aller plus loin : on ignore si un équilibre exista, ou non, entre la part d'autonomie ou d'indépendance et le poids de l'autorité ou de l'incorporation. La tâche des historiens modernes commence là où la définition de Servius s'arrête. Les obstacles innombrables surgissent aussitôt. Les sources, pour l'époque républicaine, sont extrêmement incomplètes et rarement explicites; la variété des situations auxquelles Rome fut amenée à appliquer sa conception de «l'autonomie municipale» nous met, c'est clair, en présence le plus souvent de cas d'espèces; mais pas toujours. Et la difficulté principale est là : sans s o m b r e r dans un dogmatisme qui se heurterait au profond réalisme romain et aux nuances infinies que tolère la définition de Servius, c o m m e n t distinguer le provisoire, l'occasionnel, du permanent, du général? Tout est question d'appréciation; seule la multiplication des preuves et des arguments peut corriger les dangers inhérents à une subjectivité qui ne p e u t être totalement éliminée. W. Simshäuser 1 a r é c e m m e n t tourné en dérision, avec une bonne vigueur, les partisans de «l'inconditionnelle centralisation» et leur esprit de système. A juste titre. Mais faut-il accepter, à la place, la conception tout
1 W. Simshäuser, Iuridici und Munizipalgerichtsbarkeit in Italien (Münchener Beiträge zur Pap. forsch. 61), Munich, 1973, p. 35-109.
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aussi systématique d'une «autonomie inconditionnelle»? De plus, le débat n'est pas : la centralisation ou l'autonomie, pas plus qu'il n'est : la civitas ou la res publica) mais, si l'on veut garder à la formule de Servius son charme ou son mystère, la res publica dans la civitas, le degré de l'autonomie locale compatible avec le respect de la souveraineté romaine. La profondeur de l'autonomie locale, avant la guerre sociale, passe d'abord par l'étude de ses organes, magistrats et assemblées, et de leur compétence, souveraine ou non; l'existence d'un census local et d'un lien municipal, d'une origo qui attache à sa cité d'origine le citoyen venu à la civitas Romana par l'intermédiaire d'un municipe, nous apparaissent ici comme les formes d'expression fondamentales de l'autonomie municipale. Mais l'autonomie, c'est aussi une question de vitalité : dans quelle mesure les centres urbains partiellement occupés, lors de leur incorporation, par la population allogène des cives optimo iure ont-ils réussi, en dépit d'incontestables obstacles juridiques et politiques, à reconstituer l'unité primitive du territoire municipal? La force d'attraction, la puissance d'assimilation du municipe nous plonge au cœur de l'autonomie locale : nous aurons à constater qu'elle est, ici encore, indéniable. Elle ne se développa pas, pourtant, aux dépens de l'autorité romaine. L'institution des praefecti iure dicundo donne à penser que, contrairement à ce qui reste aujourd'hui affirmé comme une évidence, ils ne furent pas des armes de guerre contre l'autonomie municipale. Peut-être faut-il voir en eux l'illustration la plus fidèle de la définition servienne et le trait d'union entre l'autorité et l'autonomie : quelle réalité, sans eux, aurait eue la civitas Romana? La res publica locale, sans eux, aurait-elle avec succès exercé ce pouvoir de décentralisation, d'autonomie locale?
CHAPITRE VII
LES ÉLÉMENTS DE L'AUTONOMIE MUNICIPALE
I - SES ORGANES : MAGISTRATS ET ASSEMBLÉES
Ce qui frappe lors de l'incorporation d'une cité, qui deviendra dès lors un municipe, c'est le respect de l'unité administrative et religieuse que Rome absorbe sans la détruire. Les anciens organes politiques, magistrats, Sénat, assemblée, verront, certes, leur compétence fortement réduite, mais subsisteront, avec leurs titres et leurs dignités, au lendemain de la conquête. 1 - Les magistratures des municipes. D'éminents savants, il est vrai, ont soutenu avec d'infinies variations que Rome porta un rude coup à l'autonomie des cités incorporées en modifiant à sa guise la structure de leurs magistratures, afin de doser soigneusement, à partir d'un schéma-type, l'étendue de pouvoir local, d'autonomie, qu'elle tolérerait pour chaque cas. C'est à G. De Sanctis1 et à A. Degrassi2 - suivi tout récemment pour l'essentiel par W. Simshäuser3 - que l'on doit l'interprétation la plus cohérente, la plus séduisante par là, de cette hypothèse qui voudrait ramener à un plan global, romain par son inspiration politique, la diversité des constitutions municipales. Le modèle aurait été fourni par les-cités latines avec
1
La dittatura di Cere, dans Scritti in onore di B. Nogara, Cité du Vatican, 1937, p. 147 sq. L'amministrazione délie città, dans Guida allô studio délia civiltà romana arcaica (V. Ussani-F. Arnaldi) P, Naples, 1959, p. 310. 3 Iuridici, op. cit., après Degrassi mais de façon ambiguë : sans accepter l'idée d'un schéma romain, adopte cependant les fruits du système, qui lui permettent (p. 51, n. 62; p. 94, n. 182; p. 95, n. 183), sur la foi des titres des magistratures, de distinguer les municipes à qui Rome aurait maintenu, ou non, l'autonomie juridictionnelle. 2
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leur dictateur et leurs trois édiles : Rome, s'en inspirant, en aurait tiré deux variantes. Aux municipes que l'on voulait dépouiller de la juridiction et des fonctions militaires, une constitution réduite à un collège de trois édiles aurait été imposée : d'où ces trois édiles qui, effectivement, sont attestés à Tusculum (381) 4 , à Fundi et Formiae (334), à Arpinum (303) 5 . Au contraire, là où le pouvoir judiciaire et u n e certaine compétence militaire auraient été respectés par Rome, c'est la dictature et la triple édilité qui auraient été, selon les cas, maintenues ou introduites; p o u r le premier, Aricia, Nomentum, Lanuvium, Pedum (338) 6 ; p o u r le second Caere (vers 350) 7 . Seules les cités campaniennes, avec leurs meddices, auraient échappé à l'uniformité imposée à tous; elles seraient également parvenues à maintenir leur juridiction locale 8 . Ce schéma, incontestablement, est très cohérent : il y aurait un lien évident entre le titre des magistrats et le degré d'autonomie; de plus, la distinction fondamentale entre les municipes à dictateur et large autonomie, et les municipes à a u t o n o m i e limitée (et triple édilité) correspondrait exac-
4
Le dictateur de Tusculum est bien attesté avant 381; il n'est pas sûr que son titre ait disparu ensuite : cf. F. De Martino, Storia IF, p. 113, n. 1 (bibliogr.); G. I. Luzzatto, dans Studi de Francisci III, Milan, 1956, p. 441 sq.; sur ses trois édiles, A. Rosenberg, Der Staat der alten Italiker, Berlin, 1913, p. 7 sq.; E. Kornemann, dans Klio 14, 1915, p. 190 sq.; G. De Sanctis, op. cit., p. 155; A. Bernardi, dans Ath. 20, 1942, p. 95, mais cf. Dessau, dans Klio 14, 1915, p. 489 sq. et E. Manni, Per la Storia, op. cit., p. 104. 5 Fundi : ILLRP 601 à 604; Formiae : ILLRP 595-7; Arpinum : ILLRP 546-7; Cic, ad Fam, 13, 11, 3. Sur ces collèges de trois édiles, cf. A. Bernardi, / cives s. s., dans Ath. 16, 1938, p. 259 : la collégialité serait une œuvre romaine, à partir de deux meddices à pouvoirs inégaux; de même F. Sartori, Problemi di Storia costituz, italiota, Rome, 1953, p. 145 sq.; en faveur d'une origine locale, E. Manni, op. cit, p. 123 sq., p. 131. Si l'on sait (Festus, v° Praefectura, 262 L) que Fundi, Formiae et Arpinum ont été, dès l'origine, sans doute, dépouillées de l'autonomie juridictionnelle, tout indice fait défaut pour Tusculum. 6 Aricia : dictateur et édiles (deux, en réalité) : CIL XIV, 2213 = ILS 3243; cf. égalem. CIL XIV, 2169 = ILS 6193; à Lanuvium, dictateur et deux édiles : CIL XIV, 2097 = ILS 6194; trois édiles, dans une inscription archaïque (IIIe siècle av. J.-C.) : CIL P, 2442 = ILLRP 130a: E. Manni, op. cit., n'exclut pas la présence du dictateur parmi eux; Nomentum : dictateur et édiles : CIL XIV 3941 et 3955 = ILS 4378 et 2740. Pedum, dont on ignore les magistratures, est traditionnellement associée aux municipes qui précèdent. 7 Caere : dictator, aedilis id. et aea\ annon. : CIL XI, 3614 = ILS 5918 a (114 ap. J.-C); cf. également CIL XI, 3593, 3615. Sur la juridiction locale, infra, p. 291, et n. 23; p. 373 sq. 8 Sur les meddices campaniens : J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 231 sq.; G. Devoto, Gli antichi Italie?, 1951, p. 259; F. Sartori, Problemi, op. cit., p. 20 sq., 24 sq. Sur la juridiction locale, infra, p. 366 sq.
LES ÉLÉMENTS DE L'AUTONOMIE MUNICIPALE
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tement à l'opposition entre les municipes fédérés et les municipes unilatéralement constitués par Rome 9 . Cette idée d'un plan d'ensemble est partagée par beaucoup; sans doute l'accord n'est-il pas encore fait sur l'origine du modèle. Au Latium, qu'invoquaient De Sanctis et Degrassi, on oppose l'Etrurie10, quand ce n'est pas Rome elle-même11. Mais peu importe: c'est l'existence d'une politique de réforme, d'une restructuration des constitutions municipales (même limitée) qui s'y trouve toujours affirmée et qui nous semble contestable. Pour plusieurs raisons. 1) D'abord, comme A.N. Sherwin-White, puis F. De Martino12 l'ont mis en évidence, l'uniformité n'existe pas; ou elle ne subsiste que si l'on écarte toute une série de témoignages considérés comme «peu clairs»13. Il est alors légitime de douter de l'existence d'un principe quand il tolère autant d'exceptions que de cas d'application. A preuve, Capena (IVe-IIIe siècle?), placée sous l'autorité d'un praetor*4; mieux encore, Lavinium, incorporée en 338 à l'image d'Aricia ou de Lanuvium, a deux praetores15 : où fautil les placer? Du côté des municipes soi-disant fédérés avec dictateur, ou du
9 Ainsi, par exemple, W. Simshäuser, Iuridici, p. 50 et p. 94 : opposition entre les municipes qui auraient conservé leurs magistrats originaires, du fait d'un foedus, et les autres, dont la constitution aurait été réformée et qui auraient subi la présence d'un praefectus Ld. 10 M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e l'origine délia civitas sine suffragio, Rome, 1960, p. 82, après S. Mazzarino, Dalla monarchia allô stato repubblicano, Catane, 1945, p. 100 sq. et M. Pallottino, Nuovi spunti sul tema dette magistrature etrusche, dans SE 24, 1955-56, p. 64 sq. : Rome aurait emprunté aux étrusques l'édilité, puis l'aurait étendue au Latium. 11 H. Rudolph, Stadt u. Staat, 1935, p. 27 sq. présenta un fort argument contre l'idée de l'origine latine de la dictature et de l'édilité : les cités latines restées fédérées jusqu'en 90 (Tibur, Préneste, Cora) conserveront, avec des praetores, leurs magistrats originaux; et cet a. attribua à Rome l'introduction de la dictature dans le Latium devenu romain, mais la limita à des fonctions exclusivement religieuses; contre l'idée d'un modèle romain, A. N. SherwinWhite, RC.\ p. 64 = RO, p. 70 sq. et surtout F. De Martino, Storia IF, p. 120 sq. dont les arguments nous paraissent décisifs. 12 RO, p. 59 sq. (= RO, p. 64 sq.); Storia II2. p. 113 sq. 13 Selon l'expression de Degrassi, Amministrazione, p. 310. 14 CIL XI, 3873; ce praetor unique fut rapproché à juste titre du dictateur de Caere par A. Rosenberg, op. cit, p. 51 sq.; suivi par E. Kornemann, dans Klio 14, 1915, p. 199; Beloch, RG, p. 231; A. N. Sherwin-White, RO, p. 65 (= RO, p. 68); G. D. B. Jones, dans PBSR 30, 1962, p. 164; M. Cristofani, dans SE 35, 1967, p. 617. L'existence d'un praetor dans la cité fédérée, étrusco-falisque, de Falerii Novi {ILLRP 238) confirme l'origine étrusque commune de la dictature de Caere et de la préture de Capena. 15 CIL VI 29712 et CIL XIV, 2070 = ILS 6187, 6183.
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côté des autres avec trois édiles? La réponse peut paraître simple : le titre prestigieux de praetor militerait en faveur d'une autonomie juridictionnelle et ce serait une variante locale de la dictature latine (comme à Capena), mais sous forme collégiale. Mais à Velitrae (338)16, à Anagnia17, à Capitulum Hernicum (306)l8 ou à Casinum (268)19, cette interprétation est manifestement impossible : les deux praetores, pour chacun de ces cas, infirment davantage la vraisemblance d'un plan romain pour l'ensemble. 2) La double préture d'Anagnia, et celle de Capitulum Hernicum vraisemblablement, ne forment pas seulement une exception, mais sont, à elles seules, une objection au douteux principe d'uniformité. On sait que les deux cités herniques furent incorporées selon la forme la plus humiliante, puisque, pendant un certain temps, leurs magistrats ne subsistèrent q u W sacra10. Le pouvoir juridictionnel notamment leur fut retiré, puisqu'un praefectus iure dicundo fut envoyé sur place rendre la justice21. Or Anagnia, pour s'en tenir à elle seule, qui est le type même du municipe dont Rome a volontairement voulu réduire l'autonomie, n'a pas reçu la constitution des trois édiles, mais a visiblement conservé, avec ses deux praetores, sa constitution locale. Il est certain que s'il est un municipe qui aurait dû se voir imposer la constitution prétendue défavorable et soi-disant restreinte des trois édiles, c'est Anagnia : il n'en est rien. C'est la même surprise à Velitrae, dont les magistrats n'ont probablement pas eu plus de pouvoir que ceux d'Anagnia ou de Capitulum Herni-
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CIL X, 6554 et supra, p. 185. CIL X, 5919, 5920, 5925, 5926 (= ILS 6263, 6261, 6260, 6259) et CILX, 5927, 5929. Sur ces praetores, Beloch, RG, p. 498; H. Rudolph, op. cit., p. 222, n. 1 (qui escamote en une note ces magistratures dont l'existence condamne sa thèse); A. N. Sherwin-White, RO, p. 64 sq. ( = RC1, p. 70 sq.); E. Manni, op. cil, p. 115 sq. Nous ne citons pas ici les praetores de Cumes, forme latinisée des meddices (cf. F. Sartori, Problemi, op. cit., p. 39 sq.) ; on reviendra sur ce cas. 18 Praetor quinquennalis attesté à Capitulum Hernicum (CIL X, p. 590). Les fonctions censoriennes supposent qu'elles furent partagées avec un autre praetor. Doit-on rattacher ces praetores à une colonisation syllanienne (cf. Liber coi, p. 232 L : Capitulum oppidum lege Sullana est deductum)? Nous ne le pensons pas : cf. supra, p. 214, n. 25. 19 Supra, p. 248 sq., en faveur de l'existence de praetores dans cette préfecture, restée telle jusqu'à l'époque césarienne. 20 Liv. 9, 43 : magistratibus praeterquam sacrorum curatione interdictum. Capitulum H. subit le même sort qu'Anagnia (supra, p. 214). 21 Préfecture d'Anagnia : Festus, v° praefectura, 262 L. Préfecture indépendante à Capitulum H., comme on l'a suggéré supra, p. 214, n. 29; de même, préfecture à Casinum (supra, avec les références : p. 248 sq.). 17
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cum22 : or ce sont deux praetores, et non pas trois édiles. L'ensemble de ces cas prouve que Rome respecta officiellement la structure locale des magistratures, quitte à réduire certaines de leurs compétences. Le cas d'Anagnia doit naturellement être rapproché de celui d'Arpinum : même date d'incorporation dans la civitas sine suffragio, même réduction autoritaire, de la part de Rome, de l'autonomie locale par l'envoi d'un praefectus iure dicundo. Pourtant les constitutions ne sont pas identiques : deux préteurs d'un côté, trois édiles de l'autre. La leçon du rapprochement est claire. Il n'y a pas cette uniformité qu'un plan d'ensemble eût réalisée, s'il avait existé. Le rapprochement d'Anagnia ou d'Arpinum doit même être étendu à Caere : pour cette cité encore, on a la preuve formelle que la confiscation de l'autonomie juridictionnelle par Rome23 n'eut aucun écho au niveau de la structure des magistratures locales : l'envoi d'un praefectus id. (peut-être à partir de 273) n'a pas donné à Rome l'occasion de supprimer le dictateur, de le remplacer par un collège de trois édiles24. 3) Un dernier argument nous permettra de suggérer que la ligne suivie par Rome fut, par principe, le maintien en l'état des titres locaux et non leur refonte générale. L'uniformité, dans les cas où elle semble établie, est bien souvent trompeuse. La ligne de démarcation fondamentale entre les divers types de magistratures ne se situe pas, en réalité, au niveau des titres, mais au niveau de la structure, collégiale ou non, de la magistrature éponyme. Ainsi, les constitutions d'Aricia et de Caere ou de Capena, où l'éponymie appartient au dictateur (ou préteur) 25 , ne peuvent être identifiées à celle, par
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Supra, p. 185 sq. et infra, p. 378. Praefectus Id. à Caere : Festus, ibid., 262 L. Le témoignage de Festus, affirmant l'absence d'autonomie juridictionnelle de Caere, a semblé contredire directement la plénitude de pouvoir que le maintien du dictateur local aurait nécessairement signifiée; on a alors soit rejeté Festus (ainsi Kornemann, RE, 16 (1933), Municipium, c. 619 : «fälschlich»), soit tu prudemment (Degrassi, Amministrazione, p. 310), soit considéré comme le cas « le plus problématique » (W. Simshäuser, op. cit., p. 94) ce qui n'est pas très éclairant. 25 A Caere l'éponymie du dictator et de Yaedilis L d. (dans CIL XI, 3614) est tardive : c'est l'adjonction artificielle, peut-être après 90 av. J.-C, d'un des édiles au dictateur pour aboutir à une magistrature collégiale de type duoviral : De Sanctis, op. cit., p. 154; M. Cristofani, art. cité, p. 616 sq. Pour Aricia, CIL XTV, 2213 = ILS 3243 et cf. Rosenberg, op. cit., p. 73; De Sanctis, op. cil, p. 155; E. Manni, op. cit., p. 107. Pour Capena, supra, p. 289, n. 14. Pour F. Kornemann, dans Klio 14, 1915, p. 191, n. 1, le censor perpetuus de Caere serait un éclatement du purthce (dictateur) primitif. 23
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exemple, de Lanuvium où la magistrature suprême, éponyme, est un collège formé du dictateur et de deux édiles26. Si l'on veut grouper en catégories cohérentes les magistratures municipales, on aura d'un côté Aricia, Caere et Capena, de l'autre les magistratures collégiales de Lanuvium, Tusculum, Fundi, Formiae, Arpinum, Lavinium, Anagnia, Velitrae et Capitulum Hernicum. Ce regroupement échappe évidemment à toute volonté de système : le statut et le degré d'autonomie d'Aricia correspond à celui de Lanuvium ou de Lavinium27; Caere, par son autonomie restreinte, trouve place aux côtés de Fundi ou d'Arpinum. Une revue, même rapide, des magistratures municipales permet de dégager un certain nombre de conclusions. La variété des constitutions municipales, et les exemples pourraient être multipliés28, prouve que Rome a fondamentalement respecté les magistratures qu'elle trouva sur place et les maintint au stade d'évolution inégale, selon les municipes, qu'ils avaient atteint. Les uns conservèrent un type, encore primitif, de magistrature unique; les autres gardèrent le type plus évolué de la structure collégiale de la magistrature éponyme29. La très relative marque romaine consista à provoquer - mais c'est un phénomène mineur et certainement tardif - la transposition latine du titre indigène. Le préteur de Capena, le dictateur de Caere, les praetores de Velitrae, comme ceux de Cumes, sont la traduction de zilax ou de purthce30 étrusques ou de meddices osques 31 : c'est une simple question de vocabulaire.
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CIL XIV, 2097 = ILS 6194 (43 ap. J.-C.) et cf. E. Manni, op. cit., p. 108. Le collège forme à lui seul une magistrature unique. A l'intérieur, des compétences différentes assureront entre ses membres la répartition des tâches, mais sans conférer à l'un d'eux l'autorité d'un magistrat supérieur. Ce n'est pas parce qu'il y a magistrature collégiale que l'autonomie est réduite : le collège concentre des pouvoirs, répartis ailleurs selon une constitution hiérarchisée. Les faits confirment les principes : entre Aricia et Lanuvium, aux différences certaines de constitution ne correspondent pas des degrés d'autonomie différents. 28 Que l'on songe à l'octovirat (supra, p. 133), à la double édilité de Peltuinum (supra, p. 229 sq. F. De Martino, Storia II2, p. 123), aux marones de Fulginiae (supra, p. 222). 29 F. De Martino l'a fait remarquer très justement, Storia II2, p. 122, à propos des cités latines : si elles n'ont pas toutes, après leur incorporation, joui de la même constitution, en dépit de la communauté de culture, c'est qu'avant 338 les unes étaient restées au type de magistrature unique (dictature) tandis que les autres avaient atteint la forme collégiale (praetores; dictateur et édiles). Cela est aussi vrai des autres municipes : la diversité est préromaine. 30 Zilax ou cpurBce : cf. M. Cristofani, SE, 35, 1967, p. 611 sq. 31 Sur les meddices de Velitrae : supra, p. 185. La tentative de A Bernardi, dans Ath. 16, 1938, de réduire ad sacra le dictator de Caere et les meddices de Velitrae partait d'une concep27
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S'il y eut, en revanche, d'incontestables atteintes à l'autonomie des municipes, comme par exemple - on aura l'occasion d'y revenir - au niveau de la juridiction locale, elles n'ont aucun lien avec le titre des magistratures. C'est un point qui doit être fermement posé; car les fausses analogies sont redoutables : du titre d'une magistrature locale, il ne peut être tiré aucune lumière sur l'étendue de sa compétence 32 . Le dictateur de Caere n'a pas disparu lorsque la iuris dictio lui fut retirée, pas plus que les praetores d'Anagnia ou les meddices de Cumes33 ou de Velitrae; les aediles de Fundi ou d'Arpinum n'ont pas eu moins de pouvoir que les praetores d'Anagnia ou le dictateur de Caere, du moins au niveau, capital, de la juridiction. Il n'y a donc, a priori, aucune raison d'attribuer, du simple maintien de leur titre, une compétence supérieure aux dictateurs des municipes du Latium ou aux praetores de Lavinium. De ce fait, le dernier argument que l'on pouvait invoquer en faveur d'une catégorie privilégiée, celle des municipes soidisant fédérés, qui seraient parvenus à la différence des autres, à sauvegarder leurs magistrats (donc leur autonomie), s'évanouit : les magistratures locales furent globalement maintenues par Rome. L'esprit de sa politique fut non pas de favoriser les uns, punir les autres mais de respecter, par principe, les formes officielles du pouvoir local. A titre de symbole ou en tant que réalités profondes? Il serait prématuré de répondre immédiatement. 2 - Sénat et populos. Aux magistratures sont liés les organes traditionnels de conseil et d'élection. Les preuves abondent de l'existence, au sein des municipes, d'une formation juridique populaire qui élira les magistrats, et d'un sénat local qui les regroupera probablement à leur sortie de charge : le senatus
tion inexacte de l'autonomie réduite (et non pas annihilée) des municipes placés sous l'autorité juridictionnelle d'un praefectus L
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populusque Campanus34, le senatus et le populus de Fundi35, le populus de Tusculum36, le toticu covehriu de Velitrae37 marquent bien la survie des institutions de la cité après son incorporation dans l'Etat romain. Mais si les peuples romanisés constituent des entités, munies d'organes d'expression et de décision, ils ne seront jamais qualifiés de cives {cives Tusculani ou cives Campani, par exemple)38; on utilise à leur égard des formules sans contenu politique, comme populus, ou l'on recourt à leur ethnique. Il est révélateur de constater que les historiens de Rome ont poussé le scrupule à ne jamais employer de formules équivoques qui puissent donner l'illusion dangereuse d'un impossible cumul de citoyennetés. Si l'on peut s'aider d'une expression moderne et anachronique on dira que, selon le point de vue de Rome, c'est la personnalité administrative et non politique (au sens international) du municipe qui a subsisté à travers ses organes. L'autorité s'est donc accommodée d'un pouvoir local maintenu dans sa diversité - mais non dans son indépendance. Car les organes du pouvoir ne sont qu'un cadre. A quelques indices, on devine que, en fait, l'accès aux magistratures et la vie politique locale n'échappaient pas au contrôle de Rome. Si à Capoue le gouvernement resta entre les mains de l'aristocratie39, si à Caere les grandes familles ont conservé pendant des siècles les 34 Liv. 23, 5, 3 et passim pour tout le livre 23. Sur le maintien, à Capoue, des institutions locales, J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 180 sq. 35 Liv. 8, 19, 10, avec, dans ce passage, le reflet de la conception de la double patrie, brillamment exposée par Cicéron notamment {infra, p. 333); Tite-Live l'applique ici aux Fundani pour -décrire le double lien qui les attache à leur municipe ou leur populus (patrie locale ou patrie du cœur) d'une part, au peuple romain de l'autre (patrie juridique). Voir encore CIL F 611 = ILLRP 1068 {infra, p. 393) qui, au IIe siècle av. J.-C, confirme l'existence d'un sénat local {conscriptes Fundani). 36 Liv. 8, 37, 9. 37 Table de Velitrae (E. Vetter, Handb. der ital. Dialekte, I, p. 156 sq., NR. 222); il s'agit incontestablement d'un organe de délibération et de décision {toticu covehriu sepu); est-ce l'assemblée populaire (pour E. Vetter : publico conventu sciente), est-ce le sénat ou la curia locale (pour F. Altheim, dans Epigraph. 19, 1957, p. 66 sq.: curia tutica ou senatus rei publicae)? 38 A part deux exceptions apparentes qui confiraient la règle : il s'agit de Capoue révoltée qui réaffirme sa souveraineté {cives Campani, Liv. 23, 7, 1) devant Hannibal avec qui elle négocie les conditions de son alliance ou encore, après sa défection, lorsque le Sénat l'a déchue de sa citoyenneté romaine et s'apprête à dissoudre sa res publica (Liv. 26, 16); le terme civitas en revanche n'a pas de contenu politique : employé par Tite-Live à l'égard de Capoue, il est synonyme de res publica ou simplement d'urbs : Liv. 23, 2, 7-8; 23, 4, 4 . . . 39 Le parti pro-romain, c'est caractéristique, est représenté par la classe des chevaliers. Le maintien de leurs privilèges et leur monopole du pouvoir local (sénat, magistratures) sont toujours la condition de leur fidélité à Rome; J. Heurgon {Capoue préromaine, p. 250 sq.; Rome et la Méditerranée occidentale, 1969, p. 324) a bien mis en valeur le rôle important (mais
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principales fonctions en dépit de l'incorporation dans la citoyenneté romaine 4 0 , si p a r t o u t les m o u v e m e n t s d é m o c r a t i q u e s n'ont eu l'espoir de conquérir un pouvoir, p o u r t a n t étroit, qu'en r é p u d i a n t la citoyenneté romaine 4 1 , ce n'est c e r t a i n e m e n t pas un hasard. Le respect des constitutions municipales ne doit pas m a s q u e r la réalité de l'influence, de l'ingérence de Rome. Il n'est pas dans n o t r e intention d'en rechercher les formes 4 2 , mais l'occasion est b o n n e d e souligner ici l'ambiguité profonde d u système municipal : le droit de vivre sous la constitution de ses pères, m a i s sans troubler u n o r d r e social imposé p a r la nobilitas, et fait à son image. II -
LEGIBUS SUIS E T SUO IURE UTENTES
La liberté, p o u r u n municipe, de suivre son droit et de faire sa loi, bref l'autonomie au sens technique, semble défier toute tentative d'analyse o u
non exclusif) que joua le noblesse locale lors de l'incorporation dans la cité romaine. De même, en 217, c'est dans la conviction que Rome ne parviendra plus à leur conserver le pouvoir, que magistrats et sénat prennent tardivement le parti d'Hannibal - visiblement afin de ne pas laisser au peuple l'avantage d'une défection qu'ils ne pouvaient plus empêcher. Pour J. Ungern-Sternberg, Capua im 2. Panischen Krieg, 1975, p. 30 sq., 54 sq. : affabulation de l'idéologie gracchienne. 40 La famille des Maclae, par exemple, du IVe au I er siècle av. J.-C. : cf. G. Colonna, dans S£41, 1973, p. 330 sq. Autres exemples pour Caere, infra, p. 410, n. 31. 41 A Capoue, Hannibal donne à la démocratie, étouffée par une oligarchie dévouée à Rome, l'espoir d'accéder au pouvoir: J. P. Brisson, Carthage ou Rome? Paris, 1973, p. 160, 204 sq. Rome ne limita pas sa politique d'ingérence aux frontières des municipes : la noblesse locale, dans les villes fédérées, réussit grâce à Rome à pouvoir, parfois sans heurts, entraver les mouvements populaires (à Nola : l'aristocratie garde son autorité et évite la défection), parfois les écraser dans une implacable répression (à Volsinii : J. Heurgon, L'état étrusque, dans Hist 6, 1957, p. 70; Rome et la Méditerranée, p. 335). 42 L'étude n'en est pas faite; si, pour Capoue, privilégiée, les alliances familiales (cf. Liv. 23, 2, 6) sont bien attestées, pour les autres municipes (notam. à Caere) les moyens de contrôle, les formes de collusion et leurs résultats au niveau de la vie politique locale n'ont pas fait l'objet de recherches approfondies. Problème complexe d'ailleurs; car l'influence de Rome a pu être contrebalancée par le rôle des familles municipales, infléchissant la politique romaine une fois parvenues aux magistratures romaines : l'exemple des Atilii (F. Münzer, Römische Adelsparteien u. Adelsfamilien, p. 53 sq.; J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 284 sq.) est connu, mais douteux (Beloch, RG, p. 338; Taylor, VD, p. 180, n. 33; p. 194 sq.); pour d'autres, dont l'ascension faite dans le sillage d'un influent patron ou protecteur fut aussi rapide que brève (par exemple les Atinii d'Aricia : A. E. Astin, dans Hommages M. Renard II, Bruxelles, 1969, p. 34 sq.), leur influence à Rome même ne doit pas être surestimée. A Capoue, les Magii, les Blossii, les Jubelli n'ont pas tenté (ou réussi?) de participer au pouvoir à Rome (cf. A. Piganiol, La conquête romaine3, 1940, p. 177); on peut en dire autant des grandes familles de Caere. Voir encore infra, p. 324 sq.
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d'interprétation. Les sources, il est vrai, se contredisent comme à plaisir, qu'elles reconnaissent à la res publica du municipium une sorte de souveraineté locale, ou qu'elles la contestent de la manière la plus explicite. Peutêtre est-ce un faux problème; vivre selon sa loi est une expression qui, comme 1'«autonomie», est susceptible de toutes les gradations. Sans aucun doute et on pensera bien que Rome ne s'est pas privée de jouer, selon les circonstances, sur une expression aussi équivoque. Néanmoins, l'indépendance législative des municipes n'est pas seulement une habile formule de gouvernement ou de propagande. Sa réalité juridique, même fragile, nous semble importante. 1 - Aulu-Gelle (16, 13) et Cicéron (Pro Balbo, 19-21). La célèbre définition d'Aulu-Gelle met très fortement en relief, comme un élément caractéristique du municipium, la possession d'un droit qui lui soit propre. Que le contexte - opposition entre le municipe et la colonie romaine, qui par définition est soumise aux lois de Rome et n'a pas de traditions propres - l'ait conduit à exagérer quelque peu cette autonomie, on en conviendra; cependant l'essentiel n'est pas là, mais bien dans la procédure, qu'il rappelle, du fundus fieri A l'en croire, pour qu'une loi romaine s'appliquât à un municipe, il aurait fallu nécessairement une adhésion volontaire de celui-ci : municipes ergo sunt cives Romani ex municipiis, legibus suis et suo iure utentes.. . nullis aliis necessitatibus, neque ulla populi Romani lege adstricti, nisi in quam populus eorum fundus factus est (N.A. 16, 13, 6)43. Quelle signification juridique précise faut-il reconnaître à l'acte, cardinal, mais obscur, de l'adhésion, la «fundi factio»? Une glose apparemment difficile de Festus (v° fundus, 79 L) l'éclairé : fundus quoque dicitur populus esse rei quam aliénât, hoc est auctor : un peuple est fundus de ce qu'il aliène, c'est-à-dire garant de ce qu'il aliène 44 . C'est une allusion au droit de la mancipation, notamment à la position du vendeur, tenu de son auctoritas, de sa garantie. Mais quel rapport avec le municipe qui adopte une loi romaine? Il est très simple : le municipe qui accepte une loi romaine se dépouille d'une parcelle d'autonomie et, comme tout
43
Sur la valeur, incontestable, des définitions de l'antiquaire, supra, p. 10. B. Albanese, Fundus fieri e municipia fundana, dans Studi Donatuti I, Milan, 1974, p. 14 sq. a écarté la définition de Festus, comme obscure. Nous ne le pensons pas, bien au contraire : on verra, dans les pages qui vont suivre, qu'elle contribue aussi - si l'on suit notre explication - à rendre plus claires les formules de Cicéron. 44
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aliénateur, doit respecter, garantir (en tant quauctor) l'acte de transfert dont il est l'auteur. La fundi facîio revêt de ce fait un sens extrêmement riche. Ce n'est pas la ratification d'une décision prise par Rome pour son peuple, afin d'en augmenter le champ d'application : signification terne, que la référence à Yauctoritas du mancipio dans45 infirme. Mais, exactement, c'est se dépouiller d'une de ses lois (res quam populus aliénât) au profit d'une loi romaine déterminée et se porter garant de son exacte observation (fundus ou auctor rei quam aliénât). L'adhésion du municipe est donc un acte d'aliénation, c'est-à-dire de soumission ou d'abdication. Dès lors, pour la loi qu'il a volontairement acceptée, le municipe est réduit au rôle modeste de ne pas la remettre en cause, de ne pas la contester, mais d'en être simplement le support matériel. Ce qui est directement confirmé par une expression du Pro Balbo, 8,20 : ea lex... eadem in populo tamquam in fundo resedisset, ut tum lege eadem is populus teneretur (le peuple qui a fait, pour une loi, la fundi factio, doit la respecter intégralement). La définition d'Aulu-Gelle prend un relief singulier : il ne s'agit pas d'une adhésion, mais d'une abdication. C'est affirmer, on ne peut plus clairement, l'autonomie souveraine - au niveau du ius et de la lex - des municipes romains. Mais ce résultat aurait la consistance d'un mirage si l'on ne se demandait pas aussitôt, avec Cicéron, si cette fondamentale autonomie n'est pas limitée à certains domaines : un domaine concédé, à l'exclusion d'un domaine réservé à la majesté de Rome. Le Pro Balbo place le conflit entre autorité du pouvoir et autonomie locale au sein des relations entre Rome et les cités libres et fédérées au I er siècle av. J.-C.46. Mais il n'y a pas d'inconvénient ni d'abus à suivre l'ensei-
45
Parmi les nombreuses interprétations données par les juristes à Yauctoritas du mancipio dans, nous ne retenons pas celle que F. De Visscher (Nouv. Etudes de droit rom, Milan, 1949, p. 141 sq., 193 sq.), parti de l'idée d'une signification unitaire de Yauctoritas (du Sénat, du tuteur, de l'aliénateur... ), avait présentée : la confirmation d'un acte accompli par un autre. Sans poser le problème de l'unité de Yauctoritas (thèse défendable, mais au prix d'un appauvrissement de ses emplois spécifiques), la formule ne vaut pas pour le mancipio dans : son auctoritas ne consiste pas seulement à ratifier l'affirmation, par l'acquéreur, qu'il est propriétaire, mais, fondamentalement, à se substituer à lui pour le défendre - et ne pas lui-même contester ou remettre en cause l'aliénation. L'auctor c'est l'auteur; Yauctoritas c'est la source du droit vers laquelle on remonte; c'est le droit le plus complet et entier. Sur Yauctoritas du vendeur, orientation bibliogr. dans M. Käser, Rom. Privatrecht F, 1971, p. 132 et n. 2. 46 Le point de savoir si Cicéron a assimilé à bon droit les cités libres aux cités fédérées ne nous concerne pas directement. C'est peut-être un abus (cf. H. Braunert, Verfassungsnorm und Verfassungswirklichkeit im spätrepublikanischen Rom, dans Der altsprachliche Unterricht, 9,
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gnement du célèbre plaidoyer et l'étendre aux municipes du premier âge républicain. De fait, il ne devait guère rester aux cités fédérées du I er siècle av. J.-C. plus d'indépendance que les municipes romains, au début de leur histoire, n'en avait eu47. La souveraineté de Rome est affirmée sans détour : elle peut dicter où elle veut et comme elle veut sa loi, mais lorsqu'il s'agit de son propre intérêt. D'où, dans la pratique, tout un domaine qu'elle réserve à l'autorité exclusive de ses lois, appliquées dans les cités fédérées sans qu'elles puissent s'y opposer et sans que Ton se soucie de leur accord. Il s'agit, pour l'essentiel, de ce qui touche à l'Etat (res publica), à l'autorité (imperium), à la politique internationale (les guerres, la victoire, la défense du territoire) 48 . La liste n'est pas limitative et Cicéron tient à préciser qu'il n'appartient qu'à Rome de faire le partage entre ce domaine, que nous appellerons réservé, et celui qui, au contraire, est concédé (beneficio nostro) à l'autonomie locale49. En effet, lorsque la maiestas populi Romani n'est pas menacée, la liberté est laissée aux cités fédérées d'introduire volontairement, par la procédure de la fundi factio, une loi que les Romains n'ont votée que pour eux-mêmes. C'est alors tout le domaine du droit privé qui s'ouvre : lex Furia de testamentis, lex Voconia, innumerabiles aliae leges de civili iure sunt latae, quas Latini voluerunt, adsciverunt {ibid. 21). Parmi ces lois que les socii étaient libres d'adopter ou de refuser, il y eut notamment, Cicéron le confirme, la lex
1966, p. 59), mais on peut aussi penser que ces cités libres sont celles dont la liberîas fut reconnue par un foedus (cf. H. Hörn, Foederati, Untersuchungen zur Geschichte ihrer Rechtsstellung, Diss. Frankfurt, 1930, p. 47 sq.). 47 E. Kornemann, RE, 16 (1933), v° Municipium c. 586 a soutenu, à partir du Pro Balbo, que seule une cité fédérée, et non un municipe, pouvait fundus fieri : Aulu-Gelle l'infirme. Si Cicéron a limité ses exemples aux civitates foederatae, c'est simplement parce que Gadès, cité de Balbus qu'il défendait, était fédérée. Sur l'évolution de la condition des fédérés, v. quelques indications infra, p. 308-9 et n. 84. 48 Pro Balbo 22 : de nostra vero re publica, de nostro imperio, de nostris bellis, de Victoria, de salute fundos populos fieri noluerunt (maiores). 49 Cicéron veut éviter tout malentendu : Rome reste toujours maître d'imposer d'office le respect d'une loi; la distinction entre les dispositions facultatives et imperatives n'appartient qu'à Rome. De plus, approfondissant d'une manière d'ailleurs remarquable cette conception absolutiste de l'Etat, Cicéron affirme qu'en se décidant pour ou contre l'adoption d'une loi romaine, la cité ne se prononce pas sur l'efficacité d'une loi romaine, mais sur un problème purement local : ut statuant ipsi non de nostris sed de suis rebus. De même (ibid., 20) c'est la loi romaine elle-même, sans changement {supra, p. 297) qui devra être appliquée si elle est acceptée.
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Iulia de civitate : ipsa denique Iulia, qua lege civitas est sociis et Latini data, oui fundi populi non essent, civitatem non haberent (ibid., 21). L'acte d'aliénation ^ en échange de la loi de citoyenneté reçue - fut m ê m e dans ce cas si nettement mis en relief, qu'il permit ensuite de qualifier juridiquement, M. W. Seston Ta d é m o n t r é tout récemment, de fundana, les municipia qui venaient d'aliéner leur constitution 5 0 au profit de la constitution plus ou moins uniforme 51 que Rome allait généraliser à l'ensemble des socii. Au niveau des principes, Aulu-Gelle et Cicéron, dont les témoignages se complètent étroitement, donnent une image cohérente et claire de la politique romaine : la souveraineté romaine est absolue, car Rome fixe librement la ligne de partage entre le domaine réservé et le d o m a i n e concédé. Mais à partir du moment où l'impérialisme n'est pas menacé, l'autonomie, nous dirons même la souveraineté locale ou municipale, est incontestable; toutes les matières de droit privé - mais la liste cicéronienne n'est pas exhaustive -, ne seront introduites qu'après u n effacement, u n e aliénation volontaire qui exprime bien la souveraineté du municipe dans la sphère de compétence qui lui a été autoritairement concédée. On pourrait s'en tenir aux principes; mais il ne sera peut-être pas inutile de les confronter aux témoignages a p p a r e m m e n t contradictoires ou ambigus des historiens de l'Antiquité.
50 Aristote et la conception de la loi romaine... d'après la Lex Heracleensis, dans La filosofia greca e il diritto romano I {Colloquio italo-francese, Roma, 1973), Rome, 1976, p. 9 sq. et conférence à l'Institut de Droit Romain (Paris, 1975), sous presse : pour W. Seston, ces municipia fundana (Tab. Heracl 1. 159-162 = FIRA, Leges, p. 151-52) sont les cités fédérées qui ont accepté de devenir municipes et d'entrer dans la civitas que la lex Iulia offrit aux sociL Les interprétations, maintenant dépassées, de l'expression furent nombreuses : Fundanus (de Fundi) : ainsi v. Premerstein, dans ZSS 43, 1923, p. 69 sq., Kornemann, RE, op. cit., c. 586; Cary, dans JRS 27, 1937, p. 51 ; A. N. Sherwin-White, RO, p. 143 (= RC1, p. 167 sq.); A. Degrassi, Amministr., p. 310 sq. En revanche, pour E. Manni, Per la storia, p. 83 : municipes ayant accepté la lex Iulia, mais restés libres de recevoir, ou non, les nouvelles lois de Rome; de même P. A. Brunt, Italian Manpower, 1971, p. 521. Voir encore F. De Martino, Storia III2, 1973, p. 356 sq. L'interprétation de H. Rudolph, Stadt und Staat, p. 176 (municipes créés à l'époque de César sur la base d'une division en fundi d'un territoire donné) est restée isolée. Pour B. Albanese, art. cit., p. 14 sq., serait fundanum le municipe qui accepte une loi romaine isolée : c'est possible, mais il n'y en a pas de preuves et la Table d'Héraclée fait allusion au commissaire qui donnera ses lois (ou sa constitution) et non une loi au municipe : l'interprétation de W. Seston est, de beaucoup, la plus satisfaisante. 51 Le commissaire dispose d'un an pour apporter adjonctions ou modifications à la constitution du nouveau municipe; cf. W. Seston, art. cit., p. 7 sq.
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2 - Abolition de la souveraineté internationale. Il ne fait guère de doute que les municipes sont, dans leur totalité, privés des privilèges distinctifs de la souveraineté de droit international. Ainsi pour la frappe ou l'émission d'un monnayage indépendant : Mommsen avait admis deux exceptions, en faveur de Teanum Sidicinum et de Capoue, Atella et Calatia52. Mais Teanum resta fédérée jusqu'en 9053, et il est maintenant démontré que Capoue, Atella et Calatia ne frappèrent à leur nom de monnaies que durant les quelques années (216-211) de leur défection54. De même, dès leur incorporation, les municipes disparaissent-ils de la scène internationale; il ne peut être question, pour une cité qui devient une fraction de la civitas Romana {optimo iure ou sine suffragio, peu importe), de prétendre à une politique d'indépendance formelle. Dès sa romanisation, Tusculum perdit avec sa civitas sa qualité de membre de la ligue latine et dut nécessairement déserter ses assemblées 55 ; Anagnia ne put pas davantage, pour d'évidentes raisons politiques, mais qui sont aussi juridiques, continuer à participer aux conseils des peuples herniques 56 . Le principe même d'une armée nationale est par là exclu; contraints, au moment de
52 Staatsr. III, p. 589 = Dr. Publ. VI, 2, p. 204, suivi encore récemment notam. par F. De Martino, Storia IF, 1973, p. 81 et par W. Simshäuser, Iuridici, op. cit., p. 37, n. 12, p. 91, n. 172. 53 Supra, p. 211 sq. 54 De Sanctis, Storia dei Romani II1, p. 440, avait affirmé, mais sans preuves, l'abolition du droit de frapper des monnaies sans exception. Beloch, RG, p. 383, avait douté du monnayage de Capoue; mais J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 209 sq. a démontré définitivement que les monnaies à légende osque de Capoue et des autres cités révoltées, est le monnayage de la sécession; de même R. Thomsen, Early roman coinage II, Copenhague, 1959, p. 108 sq., p. 123; H. Zehnacker, Moneta, Recherches sur les émissions monétaires de la Rép. rom. (BEFAR 222), Rome, 1973, I, p. 303. Le monnayage dit « romano-campanien » pose un problème différent : il s'agit en tout état de cause d'un monnayage romain, frappé pour Rome par des ateliers du Sud de l'Italie; il n'est pas même sûr (ainsi pour le quadrigat, H. Zehnacker, op. cit., p. 305) que la Campanie osque - c'est-à-dire romaine - ait fourni ces ateliers; en faveur d'ateliers de Grande-Grèce et de Sicile, principalement, R. Thomsen, op. cit., III, 1961, p. 71, 171. 55 Liv. 6, 33, 6 : deserto communi concilio Latinorum et supra, p. 159 sq.; 267. 56 Liv. 9, 43, 24 : concilia adempta et infra, n. 71. Les cités fédérées qui conservent, avec leur souveraineté au moins formelle, une activité diplomatique et une incontestable « personnalité de droit international » peuvent, mais par exception et à titre provisoire, se voir interdire pour un temps cette activité : ainsi pour les cités latines {infra, n. 70) qui ne sont pas devenues municipes en 338 : Liv. 8, 14, 10 : ceteris Latinis populis... concilia inter se ademerunt. Il s'agit ici d'une sanction exceptionnelle, tandis que pour les municipes, c'est un effet inséparable de l'extinction de la civitas.
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leur deditio, de renoncer à porter d'autres armes que celles que Rome voudrait bien à l'avenir leur donner, les Tusculans savaient, en devenant Romains, qu'ils ne pourraient plus combattre que dans les légions57. Comme on le confirmera quelques pages plus loin, les contingents que les cives sine suffragio doivent du fait de leur munus militaire ne sont pas, à l'époque ancienne, intégrés aux légions58. Mais c'est l'effet, simplement, de la procédure suivie pour le recrutement, et il y aurait quelqu'abus à tirer de ces contingences techniques la preuve d'une autonomie particulière59. Elle n'existe pas. Antium ou Caere, devenues municipes, ne sont pas plus maîtresses, dans la seconde moitié du IVe siècle, des flottes qu'elles ont continué d'armer, que les Capouans au début du IIIe siècle ne l'étaient des contingents de soldats romains qu'ils devaient fournir. Les navires et équipages60, comme les corps expéditionnaires, à l'exemple - pour choisir le moins glorieux - de la legio Campana61, ne sont pas les instruments de politiques locales indépendantes ni les symboles d'une souveraineté formellement prolongée. Ce sont, en fait, des détachements, aux pavillons plus ou moins maquillés, que Rome manœuvre, engageant sous sa propre souveraineté une autorité et une responsabilité dont personne ne doutait.
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Liv. 6, 26, 5 : nisi si quando a vobis proque vobis arma acceperimus et supra, p. 155 pour le contexte. 58 Infra, p. 318 sq. 59 Par exemple, W. Simshäuser, Iuridici, p. 37, n. 12, après F. De Martino, Storia II2, p. 81. 60 Contrairement à ce qu'affirme Tite-Live pour 338 (8, 14, 8 et 12), le potentiel militaire d'Antium ne fut pas totalement détruit; Strabon (5, 3, 5) confirme que l'activité des «pirates» d'Antium se poursuit, mais comme sujets des Romains, provoquant à deux reprises des protestations diplomatiques (d'Alexandre d'Epire : entre 338 et 330; de Démétrios, entre 301 et 287) adressées naturellement à Rome (cf. R. Rebuffat, Tite-Live et la forteresse d'Ostie, dans Mélanges P. Boyancé, Rome, 1974, p. 634, n. 1). Les navires « tyrrhéniens » (Diod. 20, 61) qui, en 307, contribuent à dégager Agathocle, bloqué à Syracuse, sont évidemment placés sous les ordres de Rome (l'expédition provoquera d'ailleurs le troisième traité romano-punique de 306) ; c'est de Caere, romaine depuis 350 env. (infra, p. 405 sq.) que, vraisemblablement, proviennent ces navires: cf. J. et L. Jehasse, Nécropole préromaine d'Aléria, Paris, 1974, p. 111, n. 185; R. Rebuffat, dans MEFR 78, 1966, p. 28, hésite entre le caractère romain ou caerite de la flotte; de fait les deux se confondent. 61 Sur la legio Campana, voir J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 203 sq. et Rome et la Méditerranée, p. 337 sq. : des «francs-tireurs» représentant la politique romaine, bénéficiant même de renforts en 278, avant d'être désavoués et châtiés en 270. Voir de même l'intéressante étude de V. La Bua, Regio e Decio Vibellio, dans Terza miscellanea greca e romana, 1971, p. 63 sq., qui a bien mis en évidence la complicité de Rome lors de ces événements - mais nous ne partageons pas en revanche son interprétation de la provocatio ad populum qui fut (supra, p. 280 sq.) concédée (et non refusée) aux Campaniens, cives Romani
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Pour toutes ces raisons, il ne fait pas de doute que les municipes ont, dès leur incorporation, définitivement perdu les privilèges de la souveraineté, au sens plein du terme. Leur situation juridique est, de la sorte, au niveau des principes, inférieure à celle des cités fédérées, même les plus proches de Rome et donc les moins indépendantes : nous voulons dire les cités fédérées du Latium et les colonies latines créées par Rome après 338. Un monnayage spécifique62, des contingents nationaux placés sous l'autorité des praefecti sociorum - et qui ne se confondront jamais avec les formations, légions ou autres, des cives Romani63 -, l'accès à une activité diplomatique même rudimentaire 64 , le maintien enfin d'une civitas juridiquement équivalente à la civitas Romana, capable par conséquent d'en provoquer l'extinction, que l'on invoque le ins exilii65 ou le ins migrandi66 : autant d'incontestables affirmations d'une «personnalité de droit international» dont les municipia, en revanche, sont démunis par définition. C'est ainsi qu'il faut comprendre les nombreuses expressions romaines qui posent comme un invariable principe que, devenir municipe, c'est « perdre ses propres lois». Les trois cités herniques à qui Rome, en 306, aurait offert le choix entre la civitas ou la liberté ont préféré le maintien de leurs lois, c'est-à-dire la souveraineté conciliable avec la condition de fédérée : quia maluerunt quam civitatem, suae leges redditae (Liv. 9, 43, 23), ou encore, suas leges Romanae civitati praeoptaverint (Liv. 9, 45, 7). La formule est explicite et sa rigueur rassure : pour ces Herniques fidèles - ou pour l'interprète de leur décision - le choix se limitait à une alternative : ou garder « ses lois » ou les abandonner pour la citoyenneté romaine. C'est exclure par avance l'existence d'une solution intermédiaire, garder «ses lois» dans la citoyenneté romaine; car s'il avait existé des municipes favorisés qui avaient joui, à la différence des autres, du privilège de conserver «leurs
62 Cf. Mommsen, Rom. Münzwesen, p. 319 (= Hist. de la monnaie romaine, III, p. 191); Staatsr. III, p. 709 sq. = Dr. Publ VI, 2, p. 343; l'idée mommsénienne d'une concurrence romaine aboutissant rapidement à un monopole doit être nuancée : cf. J. Göhler, Rom und Italien (Breslauer Histor. Forsch.), Breslau, 1939, p. 41 sq. 63 Cf. Mommsen, Staatsr. m, p. 675 sq. = Dr. Publ. VT, 2, p. 303 sq.; J. Göhler, Rom und Italien, p. 34, 44 sq. (et pour les 12 colonies latines, soi-disant inférieures, fondées après 268, p. 40 sq.); F. De Martino, Storia IF, p. 109; cf. à titre d'exemple, Liv. 23, 19-20. Sur les obligations militaires des socii, en général, voir, fondamentalement V. Ilari, Gli Italici nelle strutture militari romane (Pubbl. Ist. dir. rom. Univ. Roma), Rome, 1974, p. 119 sq. 64 Par exemple Liv. 27, 9-10; 34, 5, 6. 65 Préneste, Tibur : Pol., 6, 14, 8; Liv. 43, 2, 10. 66 Supra, p. 108 sq.
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lois» et leur souveraineté en dépit de la romanisation 6 7 , c'est ce modèle que Rome eût proposé, à côté de la fédération, à ses fidèles partisans. En réalité, la citoyenneté la plus honorable que les Romains pouvaient offrir à une cité en cette fin du IV e siècle était par principe incompatible avec le maintien de « ses propres lois » - on doit l'entendre, de sa souveraineté. Doit-on envisager une évolution, m ê m e rapide, depuis le milieu du IVe siècle? Il ne semble pas, si l'on prend l'exemple de la puissante Campanie au m o m e n t où elle entra dans la civitas Romana. A l'heure où la défection menace, en 216, le consul rappelle aux Campaniens, en autant d'étapes historiques 6 8 , les preuves de la «générosité» romaine : foedus aequum dediticiis, leges vestras, civitatem nostram dedimus... (Liv. 23, 5, 9) : il y eut la deditio, puis le pardon sous la forme d'un foedus «aequum» qui permit à Capoue de recouvrer avec ses lois sa souveraineté; vint enfin la civitas, mais qui, cela allait de soi, se substitua aux leges campaniennes. Dans ce discours de circonstance, il ne pouvait être question de heurter la fierté légendaire des Campaniens; préciser que la civitas avait placé Capoue dans la souveraineté de Rome tenait d'une évidence qui du point de vue romain ne pouvait choquer quiconque, mais glissait en m ê m e temps une allusion discrète, mais ferme, à l'obéissance inconditionnelle que Capoue devait à Rome. Capoue, Calatia et Atella, on le sait, ne se laissèrent pas convaincre et virent en Hannibal celui qui pourrait leur rendre cette souveraineté que la citoyenneté de Rome, depuis plus d'un siècle, avait confisquée. Tite-Live a reconstitué les détails de la négociation; les clauses de l'alliance avec le Carthaginois méritent d'être retranscrites, car en chacune de leurs conditions, elles traduisent le refus du statut municipal - et de la sorte, analysent sa véritable nature : legati ad Hannibalem venerunt, pacemque cum eo condicionibus fecerunt, ne quis imperator magistratusve Poenorum ius ullum in civem Campanum haberet, neve civis Campanus invitus militaret munusve faceret; ut suae leges, sui magistratus Capuae essent... (Liv. 23, 7, 1-2, en 216). C'est le rejet du passé, et, p o u r l'avenir, des exigences : échapper à l'autorité des magistrats de Rome, à leur pouvoir, aux droits qu'ils exerçaient sur les Campaniens; se libérer des charges militaires et d'une
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Comme le soutiennent les auteurs partisans de l'existence de municipia foederata, pour donner un contenu à cette catégorie, qui, en réalité est une invention de l'historiographie moderne {supra, p. 270 sq.). Voir en faveur de cette hypothèse, W. Simshäuser, Iuridici, p. 50, avec la bibliographie antérieure. 68 Pour le détail, supra, p. 168, n. 50; p. 174, n. 68.
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manière générale des munera municipalia. En un mot, p o u r l'avenir, recouvrer la souveraineté (leges suae) et restituer aux magistrats l'intégralité de leur ancien pouvoir. La paraphrase est inutile en face de formules aussi explicites; on a vu, d'ailleurs, les prérogatives principales que Rome s'attribue au nom de son imperium - Cicéron emploiera maiestas -. On ajoutera simplement le témoignage d'un événement romano-campanien, car il contribue à mieux mesurer l'ampleur de la souveraineté de Rome et, par contrecoup, les limites de l'autonomie concédée. Nous faisons allusion à la mention, pour 318, de l'envoi de praefecti, délégués à Capoue pour y r e n d r e la justice - à la place, naturellement, des organes compétents 6 9 . Le p r é t e u r d o n n a à ses représentants des instructions (legibus a L. Furio praetore datis - Liv. 9, 20, 5), qui visaient autant à définir les limites et les conditions de leur compétence, qu'à dire selon quel droit - quelles lois - ils exerceraient la iuris dictio. Rome affirmait son pouvoir souverain de limiter, ici d a n s le domaine de la justice, l'autonomie locale d'un municipe. L'exemple ne resta pas isolé; ce précédent, peut-être à Capoue, c o m m e nous le pensons, mais certainement dans la majorité des municipes, fut généralisé s u r une grande échelle. On retrouvera plus loin le problème complexe du c h a m p d'application de cette justice centralisée; il suffisait d'en mentionner l'existence ici, puisqu'il s'agit visiblement d'un domaine que Rome plaça, pour partie au moins, à l'ombre de sa souveraineté et pour lequel la procédure d u fundus fieri ne pouvait être invoquée. 3 - Le domaine de l'autonomie
locale concédée.
Le domaine réservé à l'autorité de Rome semblera bien vaste; mais il n'absorbe pas toute la vie locale. Il est au moins aussi important, nous tournant maintenant vers la définition gellienne de l'autonomie locale, d'illustrer dans quelle mesure les citoyens des municipes vivent suis legibus et suo iure utentes. Il serait bien inexact de songer à une introduction massive et autoritaire de l'ensemble de la législation romaine. Pour u n e raison de b o n sens, d'abord : le droit privé offre une force de résistance contre laquelle l'impérialisme romain aurait échoué s'il avait osé l'attaquer de front. Pour u n e raison de réalisme politique ensuite : il n'était pas de l'intérêt de Rome de blesser les traditions et les particularismes locaux en soumettant de force
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On reviendra infra, p. 366 sq. sur ce problème épineux.
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les peuples conquis à une loi qu'ils n'avaient pas faite et qui n'était pas faite pour eux. Les preuves de cette tolérance ne sont pas très abondantes; mais la certitude qu'elles offrent permet, sans trop de risques, d'en généraliser la valeur. Les cités incorporées conservent avec leurs cités-sœurs restées libres une communauté de droit intacte et qui échappe, sauf exceptions, à la sphère d'application du droit romain. Les Latins ont gardé après leur romanisation le droit de contracter mariage avec les Latins restés libres70, et les Herniques devenus romains ont retrouvé, après une suspension provisoire, le même droit à l'égard des Herniques restés libres 71 . Il va de soi que ces mariages furent soumis à la loi nationale des Latins ou des Herniques restés libres. De même, les transactions commerciales, les actes de procédure, les jugements ou les successions (commercia) appliqueront le seul droit commun aux deux fractions de la même ethnie : leur droit national, tel qu'il était avant la conquête. Il n'est guère osé de déduire que, puisque les Herniques d'Anagnia contractant avec ceux d'Alatri placent leurs conventions sous la compétence de leurs lois locales, il en était de même pour les municipes d'Anagnia lorsqu'ils agissaient entre eux. L'ensemble du ius civile local échappait de la sorte à l'autorité de Rome. Les renseignements dont on dispose concernent Latins et Herniques; il ne pouvait en être autrement, et pour les mêmes raisons, à l'égard des Volsques71a, des Campaniens et des autres peuples versés dans la citoyenneté.
7U Liv. 8, 14, 10 : ceteris Latinis populis conubia commerciaque et concilia inter se ademerunt : la mesure de suspension (évidemment provisoire) ne frappa que les cités latines non devenues municipes, à l'exception, il semble, de Tibur et Préneste (cf. J. Göhler, Rom und Italien, p. 5 sq.) : la sanction visait à interdire aux citoyens des villes punies d'établir, entre eux, des relations juridiques; elles étaient au contraire maintenues entre les citoyens de ces villes latines frappées et les habitants des cités devenues municipia en 338. 71 Liv. 9, 43, 23 : pour les trois cités Herniques restées fédérées : conubiumque inter ipsos, quod aliquamdiu soli Hernicorum habuerunt permissum et, pour les Herniques devenus romains : concilia conubiaque adempta. Si le droit de former des assemblées (concilium) fut définitivement retiré à ces derniers (et cf. supra, p. 300), le conubium, en revanche, Tite-Live le précise bien, a été suspendu provisoirement (aliquamdiu) entre les Herniques devenus romains et les Herniques restés fédérés (d'où l'expression de Tite-Live : les fédérés, pendant un certain temps, furent les seuls, parmi les Herniques, à disposer entre eux du conubium). Après la suspension, le conubium (mais non les concilia) fut rétabli pour l'ensemble des Herniques, romains et fédérés. 71 a C'est confirmé pour Arpinum par le fragment bien connu de Caton (frag. 61, Peter) : heredem sacra non secuntur. C'est une originalité du droit successoral arpinate.
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Le respect du droit local justifie en o u t r e le maintien des assemblées, dont la compétence ne se limite pas à l'élection des magistrats. Un fragment du de legibus (3,36), sur lequel C. Nicolet 7 2 a justement attiré l'attention, m o n t r e que le municipe d'Arpinum au II e siècle av. J.-C. n'avait pas reçu les lois tabellaires romaines, mais plaçait ses élections municipales sous l'autorité des lois votées par l'assemblée locale. D'une manière plus générale, la constitution m ê m e des municipes nous en avons vérifié le respect par principe - ressortit à ce domaine concédé de l'autonomie municipale. Antium, privée de constitution et de magistrats pendant vingt ans, sous l'effet d'une mesure exceptionnelle dont la rigueur annonce celle qui frappera à son t o u r Anagnia, réclame en 317 «des lois» et des magistrats (entendons le rétablissement de sa constitution et de ses magistratures), ce qu'elle obtint 7 3 . On peut enfin dans u n e brève énumération préciser que les municipes disposent d'un territoire (ager, fines)74, cadre où l'activité de leurs magistrats s'exerce, en particulier dans leurs fonctions de censeur local; ce territoire n e se confond pas avec Vager publicus, et Rome respecte (après les confiscations décidées lors de la conquête) l'autonomie territoriale. Les exceptions n'infirment pas le principe, mais elles peuvent être justifiées, c o m m e dans le cas de Caere, par la nécessité de procéder à u n e vaste expropriation afin d'établir des colonies lorsque le besoin s'en fait sentir 75 , ou par le souci de repeupler, en attirant des colons, une région partiellement désertée 7 6 . Maître de son territoire, le municipe l'est encore de sa lan-
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Dans REL 45, 1967, p. 276 sq. (Antiates) qui se sine legibus certis, sine magistratibus agere querebantur, dati a senatu ad iura statuenda ipsius coloniae patronl (Liv. 9, 20, 10) : les leges et les magistratus se réfèrent, il nous semble (pour l'interprétation du passage supra, p. 188 sq.) à l'autonomie locale (droit, constitution, magistrature) du municipe d'Antium. 74 Liv. 7, 19, 9 (Tusculum); Liv. 8, 19, 9-10 (Fundi); Festus, p. 212 L : ager Privemas. 75 Infra, p. 411 sq. Nous laissons naturellement de côté le cas de Capoue et des cités révoltées, punies en 211 par la suppression de leur droit de cité et par la confiscation des territoires municipaux, devenus ager publicus. Cf. A. J. Toynbee, HL. II, p. 121 sq.; P.A. Brunt, Italian Manpower, p. 282 sq. 76 « S'il y a un fond de vérité dans les indications du liber coloniarum» (cf. P. A. Brunt, op. ciL, p. 349 sq.), des distributions gracchiennes auraient eu lieu à Velitrae (238 L) et syllaniennes à Aricia (230 L), Tusculum (238 L), Capitulum Hernicum (232 L); les triumvirs auraient procédé de même à Formiae (234 L) et Auguste à Fundi (234 L); en 63, Cicéron (de lege agr. 2, 66) envisage la menace de distributions à Privernum et Fundi. Il est difficile de démêler le vrai du faux dans les assertions du liber col.', mais P. Brunt, op. cil, fait observer que tout ne peut être inexact. En toute hypothèse, si ces distributions eurent lieu (et a priori, il n'y a pas 73
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gue77, du choix de ses municipes - il lui appartient, par une adscriptio dont il décide, d'en augmenter le nombre 78 , et de ses dieux enfin, qui, selon nos sources, ne firent jamais l'objet d'une evocatio, mais respectés ou simplement partagés avec Rome, durent continuer à être scrupuleusement honorés selon les prescriptions locales79. Gardien de ses lois ou privé de ses lois? A la vérité, le municipe est les deux à la fois; mais nous ne laisserons pas à ce faux paradoxe le dernier mot. L'ambiguité des formules romaines n'est qu'apparence et l'analyse cicéronienne du Pro Balbo, confirmée par les témoignages de l'histoire, aide grandement à en défaire l'écheveau. Le municipe est dépourvu des privilèges de l'indépendance et des droits de la souveraineté parce qu'il est une partie intégrante de l'Etat romain. On ne peut rapporter cette constatation au résultat d'une évolution : c'est
de motifs d'en douter), elles n'ont pas eu pour cause ou effet de transformer en colonie le municipe en question. Distribution de terre et déduction d'une colonie doivent être dissociées contrairement à ce qu'implique souvent le liber: ainsi Velitrae {supra, p. 186), Aricia, Tusculum, Formiae {CIL X, 6101 = ILS 6285), Fundi, sont restées des municipes; pour Capitulum Hernicum, il n'y a aucune raison d'en douter {supra, p. 213-4); il en est exactement de même pour l'occupation de régions désolées mais restées fédérées jusqu'en 90 : Verulae (pas de déduction de colonie gracchienne, contrairement au liber col. 239 L) ou Ferentium (de même, 216 L : en réalité, n'accéda à la civitas qu'en 90 : Taylor, VD, p. 275). Suessula, en Campanie, reçut des « colons » gracchiens {CIL X, 3760 = ILLRP 468), mais la déduction de la colonie qui se substitua au municipe date, peut-être, de Sylla : cf. F. Sartori, Problemi di storia costituz. italiota, op. cit., p. 147; E. T. Salmon, Rom. Coi, p. 162. A Privernum, en revanche, une déduction (non datée) du Liber col, p. 236 L, vient d'être confirmée par deux inscriptions inédites (M. Cancellieri, dans Atîi Accad Lincei, Rendic. VIII, 29, 1974, p. 245 sq.) : colonie d'époque syllanienne {praetores Ilviri). 77 Voir par ex. Mommsen, Staatsr. III, p. 588 = Dr. Publ. VI, 2, p. 204; pour Caere, infra, p. 410. Ces exemples pourraient être multipliés. 78 Infra, p. 328. 79 Les exemples à!evocatio que l'on connaît (cf. G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer1, Munich, 1912, p. 44, 48 sq.) ne semblent pas avoir frappé des cités devenues, par leur incorporation, des municipes romains ; mais soit des cités détruites juridiquement et incorporées (Veii), soit rétablies, mais dans la condition de cités fédérées (Volsinii, Falerii). Le cas de Capena est plus douteux (on ignore à quel moment la cité entra dans la civitas; Xevocatio dont elle fut l'objet peut dater du début du IVe siècle). En revanche les cultes indigènes de Capoue {infra, p. 403), de Minturnae (Wissowa, op, cit, p. 49, n. 6), de Reate et de Yager Sabinus {ibid., n. 5), ont été maintenus en place par Rome, tandis que d'autres, les plus importants, sont devenus des cultes publics romains mais leur entretien et leur garde (pour des raisons cultuelles, sans doute) ont été laissés aux municipes : ce sont les sacra municipalia que définit Festus (p. 146 L) et que Lanuvium ou Aricia illustrent. Cf. Wissowa, op. cit., p. 44 et Mommsen, Staatsr. III, p. 579 sq. = Dr. Publ. VI, 2, p. 192 sq.
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au moment de sa création, on l'a vu, que la cité incorporée n'a pas reçu de Rome l'indispensable restitution de sa personnalité internationale qui lui aurait permis, après une deditio absolument générale, de retrouver une civitas et une souveraineté, ou encore la possibilité d'être le partenaire d'un foedus*0. En conséquence, les prérogatives ou les droits que Rome a compris dans les limites de sa souveraineté ont été retirés aux municipes; la liste exhaustive est impossible. Une tentative en ce sens serait même un non-sens, car il est certain que c'est au gré des circonstances, et surtout en fonction de la taille du municipe que Rome fixa à sa guise les dimensions et le contenu de ce domaine réservé : la confiscation de la justice locale au ' profit d'un délégué du préteur illustrera, on le verra, et la substance de ce domaine réservé et la souplesse réaliste dont Rome fit preuve à cet égard. C'est à l'abolition de la souveraineté initiale des cités incorporées et à la confiscation de ce domaine réservé que se réfèrent les expressions qui, formellement, ont retiré aux municipia leurs leges. Au contraire, les cités fédérées, précisément parce que leur souveraineté formelle est nécessairement reconnue, se voient garantir, confirmer ou rendre par Rome leurs propres legessl. Les cités fédérées sauvegardent non seulement leur civitas, mais, au-delà des symboles de la souveraineté, une juridiction souveraine, à laquelle Rome ne porta jamais atteinte82. Entre l'incontestable autonomie
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Supra, p. 266-7. Liv. 9, 43, 23 (Hemiques); Liv. 23, 5, 9 (Capoue après sa deditio et avant son incorporation dans la civitas); les foedera aequa conclus entre Hannibal et Locres (Liv. 24, 1, 13 : ut liberi suis legibus viverent), et Tarente (Liv. 25, 8, 8 : liberos Tarentinos leges (suas) suaque omnia habituros) et les Lucaniens (Liv. 25, 16, 7 : liberos cum suis legibus venturos in amicitiam Lucanos) ; Liv. 45, 29, 4 (Macédoniens) ; mêmes expressions pour des peuples indépendants, restitués après leur deditio : Liv. 33, 32, 5; Liv. 37, 32, 14; Liv. 38, 39, 12. Voir en général, F. De Martino, Storia IF, p. 108 sq. 82 L'arbitrage que Rome est parfois amenée à exercer entre deux cités alliées - selon un sens de l'impartialité plutôt discutable : cf. J. Göhler, Rom und Italien, op. cit, p. 57 - ne touche pas à la juridiction souveraine des cités fédérées. Les atteintes à la souveraineté, notamment après la seconde guerre punique, prirent une autre forme : cf. infra, notes suivantes. 83 W. Simshäuser, Iuridici, p. 37 et n. 12 et p. 60 a soutenu précisément le contraire, en se fondant sur l'identité des expressions (suis legibus uti) employées pour l'autonomie des municipes (Aulu-Gelle) et celle des cités fédérées (analogie déjà relevée par D. Nörr, Origo, dans Tijdschr. v. Rechtsgesch. 31, 1963, p. 552 et RE, Suppl. 10, 1965, Origo, c. 441, mais dont les analyses nuancées et exactes ont bien distingué l'autonomie locale des municipes de l'autonomie internationale ou politique: ibid (1965), c. 441; D. Nörr releva seulement, pour le Ier siècle av. J.-C, une tendance au rapprochement entre le statut autonome des villes fédérées et celui des villes soumises ou municipes). A partir du moment où la terminologie, par elle-même, ne 81
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des municipes et celle des cités libres ou fédérées, il y avait une différence de nature 83 et pas seulement de contenu 84 . Au domaine réservé, s'oppose le domaine concédé à l'autorité municipale. Tout ce qui concerne la vie locale et ne met pas en cause la charge des munera ni la majesté de Rome est laissé complètement à la liberté des municipes. En ces matières, et l'expression d'Aulu-Gelle confirmée elle aussi par des preuves historiques le montre, les municipes disposent d'un pouvoir «souverain» - mais il s'agit naturellement d'une souveraineté seconde ou locale : nous dirions une autonomie locale. Le principe du respect de l'autonomie locale est absolument général : sans elle, il n'y aurait pas de res publica, partant pas de municipe. On le trouve affirmé aussi bien dans des municipes sine suffragio quoptimo iure*5 : il s'ensuit que la concession de la citoyenneté complète n'a pas pour effet nécessaire de réduire l'autonomie locale. On le trouve, en second lieu, affirmé pour tous les municipes : il en résulte que la distinction qu'il est de tradition d'introduire entre les municipes autonomes et les municipes non autonomes86 est dénuée de fondement.
peut renseigner sur le contenu et la nature de l'autonomie envisagée, la seule méthode est de rechercher quelles situations juridiques précises chaque expression recouvre et ce point, pourtant capital, n'a pas reçu de l'étude très sérieuse de W. Simshäuser l'attention qu'il méritait. 84 II est certain que la personnalité juridique des cités fédérées s'est progressivement vidée de son contenu, qu'elle est devenue plus formelle que réelle, en même temps que l'autonomie locale des municipes s'étiolait presque complètement (à l'époque d'Hadrien, la désuétude avait pratiquement tout emporté : obscura oblitterataque sunt municipiorum iura, quïbus uti iam per innotitiam non queunt- Gell., N.A 16, 13, 9). Cette évolution des fédérés italiens a été esquissée par A. N. Sherwin-White, RC2, p. 119 sq., et a fait l'objet central de l'étude remarquable de J. Göhler, Rom und Italien, op. cit., notamment p. 39 à 69, qui a énuméré les atteintes principales à la souveraineté des alliés italiens (Lex Sempronia de 194; S. C. de Bacchanalibus; lex Didia cibaria de 143; les abus de pouvoir et l'arbitraire des magistrats romains) mais, à juste titre, a mis en garde contre une excessive généralisation; voir encore, mais selon une orientation beaucoup plus mommsénienne, c'est-à-dire autoritaire, W. V. Harris dans Hist. 21, 1972, p. 639 sq. Le Pro Balbo (supra, p. 298) montre que la maiestas de Rome, au Ier siècle, a fini par ramener la souveraineté primitive des fédérés à une autonomie locale du type municipal. Mais la condition primitive des municipes, dépouillés de leurs leges, est juridiquement inassimilable à la condition primitive des cités indépendantes et fédérées, confirmées dans leurs leges. 85 Ainsi l'exemple d'Arpinum, cité supra, p. 306 (phase o.i.) et, peut-être, n. 71a. 86 Encore l'exemple d'Arpinum, qui confirme qu'il n'y a pas à placer les municipes à trois édiles parmi les municipes à autonomie restreinte.
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III - L E CENSUS MUNICIPAL
1 - Le recensement local des cives sine
suffragio.
Il suffit de parcourir les listes que, depuis Beloch, on dresse de la population civique de Rome pour se convaincre que les cives sine suffragio ont dès les origines été comptés parmi les cives Romani. Il est entendu que les chiffres, par leur précision même, n e sont pas absolument sûrs; il ne faut sans doute pas leur accorder trop de crédit, notamment pour le IV e et le début du III e siècle 8 7 . Mais ils forment néanmoins, avec leurs fluctuations révélatrices 8 8 , un indice qui, joint à u n témoignage non équivoque et pourtant p e u utilisé, p e r m e t de dissiper les derniers doutes. Nous faisons allusion à l'analyse que Strabon (5, 2, 3) d o n n a des Tables des Cérites : TOXITEUXV yàp SOVTEÇ oûx àvEypa^av EÎÇ TOUÇ TtoXiTctç, àXkà xal TOÙÇ aXkovç TOÙÇ UT] u-ETEXovra«; TTIÇ, ûrovouiaç zlc, xàc; SEXTOUÇ ÉÇwpiÇov TCCÇ KaLpETavcav « d o n n a n t (aux Cérites) la
citoyenneté, les Romains ne les inscrivirent pas parmi les citoyens (s. e. optimo iure), mais les placèrent, ainsi q u e tous les autres qui n'eurent pas Y optimum ius, sur les Tables des Caerites». ^/ Le texte est important sous plusieurs aspects. Il confirme d'abord for/( mellement que les cives sine suffragio, en tant que cives, faisaient l'objet d'un d é n o m b r e m e n t centralisé à Rome. Les registres conservant les listes étaient désignés d u n o m de ceux qui, Aulu-Gelle le confirme, y furent portés les premiers : les Cérites 89 . On atteint de la sorte les origines de la civitas sine suffragio. Ce n'est pas tout : l'idée m ê m e du dénombrement (anagraphê) prouve la réalité de la citoyenneté qu'il constate o u établit. Il est évident q u e ces cives q u e l'on compte et que_j'_onJnscrit à Rome parmi les cn^5j^5LJie^ont-"pas._.des isopolitai o u descitoyejis; potentiels ou virtuels; car o n ne fait pas l'inventaire ..des__£itoyen_s.^9Ssiblês mais des citoyens aclùHs7~sbiïmis de ce fait aux obligations de la citoyenneté. L'hypothèse s^b'nniaqTiêllê^les^^fêmTêrs municipes n'auraient acquis leur civitas s. s.
87 K.J. Beloch, Die Bevölkerung der griechisch-römischen Welt, Leipzig, 1886, p. 314 sq.; Tenney Franck, Roman Census statistics from 225 to 28 BC, dans Class. Phil. 19, 1924, p. 329; A. J. Toynbee, HL I, p. 438 sq.; P. A. Brunt, Italian Manpower, p. 16 sq. 88 L'exclusion des Campani de la civitas Romana, réintégrés, il semble, lors du cens de 188 : P. A. Brunt, op. cit., p. 72. 89 Gell., NA 16, 13; voir également notre article, L'incorporation de Caere... dans MEFRA, 84, 1972, p. 241 sq. et infra, p. 405-415.
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qu'après une émigration individuelle achève de s'effondrer devant le témoignage de Strabon : ce sont tous les Caerites qui ont reçu la politeia et qui, tous, furent énumérés sur ces listes qui conservèrent leur nom. Ce point une fois posé, il reste à déterminer où et comment étaient recensés ces citoyens placés en dehors des tribus. S'il est clair que les listes sonL centralisées à Rome, les opérations du census, quant à elles, sont-elles faites à Rome p a r les censeurs, ou au sein des municipes par les magistrats locaux? La tribu est le cadre territorial soumis à l'autorité du censeur, précisément à son activité de recensement. C'est dans la tribu que la fortune de chacun est appréciée, son aptitude au combat déterminée, l'étendue de ses droits politiques fixée 90 . Aussi les cives sine suffragio, par définition hors tribu, échappent-ils au classement censitaire du censeur et, puisqu'ils ne sont pas soumis à la sphère de sa compétence directe, sont-ils dépourvus des droits politiques et militaires déterminés par le census romain. Mommsen, il est vrai, avait admis un certain nombre d'exceptions à l'idée que l'activité du censeur s'exprimât dans le cadre de la tribu et non en dehors d'elle : notamment en faveur des aerarii et des Caerites91. Mais ces exceptions, en réalité, n'existent pas. Les aerarii, comme l'a d é m o n t r é P. Fraccaro, ne sont pas placés en dehors des tribus 9 2 ; quant aux Caerites, ils n'illustrent pas, contrairement à une très fragile construction de Mommsen, la catégorie exceptionnelle des municipes dépourvus d'autonomie, recensés pour cette raison à Rome et placés sur les Tables des Caerites91. De
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Cf. Varr., LL, 6, 86 : l'ordre de citation adressé par le censeur au praeco s'adresse aux chefs de toutes les tribus (curatores omnium tribuum). Sur les relations entre tribu et cens, Mommsen, Staatsr. II3, p. 400 sq. = Dr. Publ. TV, p. 35 sq.; L. R. Taylor, VD, p. 8 (et n. 14), p. 20 (avec les sources). 91 Staatsr. II, p. 392 sq. = Dr. Publ IV, p. 71 sq. et VI, 2, p. 198; plaçant, avant la censure d'Appius Claudius, les citoyens non propriétaires fonciers en dehors des tribus, Mommsen voyait avec eux un troisième exemple de cette catégorie de cives, situés hors tribu et recensés cependant à Rome par le censeur. Sur la thèse de Mommsen, plus en détail, et les critiques qu'elle soulève, on se permettra de renvoyer encore à L'incorporation de Caere, cit., p. 243-49. 92 Fondamental : P. Fraccaro, Tributes ed Aerarii (1935) = Opuscula Varia II, Padoue, 1956, p. 149 sq.; on sait par Aulu-Gelle (16, 13) et le scoliaste Pseudo-Asconius (p. 103 Or.) que les aerarii étaient portés sur les Tables des Caerites; les aerarii et les «Caerites» avaient en commun d'être des contribuables, d'être exclus des cadres de l'armée romaine, d'être pratiquement dépourvus de droits politiques; en revanche, les premiers étaient inscrits dans une tribu, recensés par les censeurs, cives optimo iure, tandis que les autres étaient cives s. s., hors tribus, non recensés à Rome par les censeurs. 93 De façon peu cohérente, Mommsen, dans le volume sur la censure (Staatsr. II, p. 363 = Dr. Publ. TV, p. 39) ne faisait d'exception au principe de la centralisation du cens à Rome
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fait, Caere ne fut pas un municipe sans autonomie et, si l'on ne néglige pas le texte de Strabon, il est clair que les Tabulae Caeritum n'ont pas réservé leurs colonnes à ces cives s. s. que Mommsen voulait par exception priver de leurs magistratures locales, mais ont rassemblé, en une liste commune, les données de tous les recensements des cives s. s. Deux constatations fermes, avant d'en venir aux exemples : la confection du census par les municipes s. s. s'explique par des raisons juridiques qui ne connaissent pas d'exception (pas de census romain hors des tribus); il n'y a pas de preuves de census romain pour certains municipes s. s., défavorisés par rapport à certains autres. Le principe est donc bien celui d'un census municipal. Il y en a quelques exemples : à Caere, notamment, le maintien jusqu'à une époque tardive d'un censor perpetuus, au titre non équivoque, prouve que l'incorporation n'a pas suspendu les opérations locales du recensement 94 ; de même à Capoue et dans d'autres cités campaniennes, de très bons arguments ont prouvé l'activité locale des magistrats municipaux95 avant le châtiment qui, supprimant le municipe de Capoue et convertissant son territoire en ager publicus, fit passer sous l'autorité directe du censeur les occupants des terres devenues la propriété du peuple romain 96 . Quel-
qu'au profit des Campani, avant 215; mais dans le vol. sur les «demi-citoyens» plaça aux côtés des Campani, parmi les municipes de la « première classe » les municipes de Fundi et Formiae (Staatsr. III, p. 235, n. 1 et p. 583 = Dr. Publ. VI, 1, p. 265, n. 1 et VI, 2, p. 198). Ces distinctions, en réalité, reposent sur une interprétation inexacte, on l'a vu, des définitions de Festus et Paul Diacre. 94 CIL XI 3616 et 3617. Ainsi, de même, De Ruggiero, DE, V° census; De Sanctis, Storia dei Romani, II1, 1907, p. 442; A. Rosenberg, Der Staat der alten Italiker, Berlin, 1913, p. 109; F. De Martino, Storia II2, p. 121; G. Piéri, Le cens à Rome, Paris, 1968, p. 170 sq.; A. J. Toynbee, HL, I, p. 220; P. A. Brunt, op.cit, p. 16 sq.; le censor iterum, de Suessula {CIL X, 3763) peut appartenir à la phase coloniale de la cité. C'est le cas à Fabrateria Nova (CIL X, 5590), colonie gracchienne. 95 Beloch, It Bund, p. 129; De Sanctis, op. cit., p. 442; A. Bernardi, / cives sine suffragio, dans Ath., 16, 1938, p. 248; J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 194 sq.; 237 sq.; A. J. Toynbee, op. cit., p. 214, p. 457; P. Brunt, ibid. 96 Capoue, après sa défection, perd tous les éléments d'une res publica, ses magistrats, son populus, son ager et se trouve réduite à une agglomération de maisons et de champs; Capoue n'est plus alors un municipe, mais un ensemble de pagi installés sur des terres passées en partie sous la propriété du peuple romain (Liv. 28, 46, 5; 42, 1, 6 : la limitation du domaine public commence en 173 et ne fut terminée qu'en 165 : Gran. Licin. 28, p. 9). Lorsque les Campaniens en 189-8, après la suspension provisoire de leur civitas, demandèrent où ils devaient se faire recenser, le Sénat (Liv. 38, 28 et 36) leur répondit : à Rome. Ils ne furent pas renvoyés par conséquent devant le praefectus L d. : le fait que Vager Campanus fût devenu publicus explique cette compétence directe du censeur; on ignore à quel moment Yo. L fut concédé aux Campaniens.
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ques textes enfin qui valent pour les municipes s. s. autant que pour les municipes o. i seront cités à propos de ces derniers 97 L'idée d'un recensement décentralisé entre les mains des magistrats locaux ne fait pas de difficulté lorsque le centre urbain a joui d'une autonomie locale certaine. Ainsi dut-il en être pour toutes les cités qualifiées de municipia, pourvues par définition de l'indispensable res publica. Sans doute, pour plusieurs, l'autonomie locale fut-elle amputée par la présence d'un praefecius i. cL ; mais la compétence principalement d'ordre juridictionnel du délégué du préteur n'empiétait pas, nous aurons l'occasion de le montrer 98 , sur les autres sphères d'activité des magistrats du municipe, qui subsistait derrière la praefectura : il devait notamment en être ainsi pour le census, qui restait une œuvre locale, confiée à l'autorité quinquennale des magistrats supérieurs. A Caere, le praefectus n'a pas fait disparaître le censor ni étouffé ses fonctions; le préfet à Cumes, à Acerrae ou à Suessula ne s'est pas davantage emparé du census, qui avant comme après 211 continua certainement d'être de la compétence des magistrats locaux (meddices praetores à Cumes)99; on peut penser qu'à Anagnia, justice et cens furent de même partagés entre le praefectus et les praetores, ou encore à Fundi, puisqu'il est attesté pour cette cité que la praefectura a laissé subsister le municipium, donc l'autonomie locale100. 2 - Le census dans les praefecturae. Mais il reste un problème : celui des cives s. s. qui, au moment où ils furent incorporés, n'avaient pas atteint une organisation politique compa-
97
Liv. 25, 5, 6; 43, 14, 10 et Vell. 2, 7, 7-8 (infra, p. 323 sq.). Infra, p. 393-400. 99 Cumes, cité fidèle entre toutes (infra, p. 371) a conservé avec Acerrae et Suessula (fidèles également) au-delà de la tourmente de la 2 e guerre punique les éléments de son autonomie municipale - donc son census -. A. J. Toynbee, HLI, p. 246, p. 248, après beaucoup d'autres, a affirmé que les praefecti Capuam Cumas auraient été envoyés pour combler un vide administratif; mais c'est assimiler cités rebelles et cités fidèles dans la même dégradation. Cette thèse invraisemblable est fondée sur une interprétation inexacte de la définition de la praefectura par Festus (infra, p. 360) et, de plus, formellement contredite par les sources : avant même d'établir (nous pensons : rétablir, infra, p. 371) l'institution des praefecti Capuam Cumas en 211, Rome a manifesté la volonté de maintenir en sa forme le municipium Cumanum (Liv. 23, 31, 10); Capoue seule (avec les quelques cités rebelles: Casilinum, Calatia, Atella) a été privée de sa res publica (Cic, de lege agr. 1, 6, 19; 2, 32, 88; Liv. 26, 16 et 34). A Cumes, Acerrae et Suessula le praefectus ne peut avoir dépassé les fonctions de juridiction. 100 Municipes Fundani en 188 (Liv. 38, 36, 7) alors que le praefectus (infra, p. 397) semble y être toujours envoyé. 98
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rable à celle d'une cité-état; ils ne furent pas intégrés dans l'Etat romain en tant que municipia, mais sous Forme de pràefectïïrder '" L'unite~térritoriale qualifiée de praefecîura se réfère en effet à deux situations bien distinctes; à côté des préfectures - municipes, où l'autorité juridictionnelle du préfet, durant le temps où elle se maintint, ne fit que coiffer une organisation locale centralisée, il y a les préfectures qui correspondent à des territoires menacés de poussées centrifuges ou soumis à des tendances à la dispersion101; dans ces cas, le préfet, délégué de Rome, exprimait l'esprit d'unité que Rome voulait introduire dans des régions au peuplement disséminé entre des villages d'égale importance, mais qui ne possédaient pas une administration suffisamment centralisée pour collaborer avec la souveraineté romaine à l'image des municipes102. Si l'on écarte l'hypothèse peu réaliste d'un recensement centralisé à Rome et si l'idée d'un dénombrement local effectué directement par les magistrats de Rome ne semble pas recevoir l'appui des sources103, il ne reste^u'un census local. Mais^jjueUe autorité était-il confié^ajix m^gXs^^JocsLWU3^XMu^téict ? En décrivant succintement le rôle que le préfet devait jouer dans ces cadres administratifs mis en place par Rome, nous avons en partie répondu à la question. Il est clair que le préfet, qui est le ferment d'unité et l'ossature d'une administration encore embryonnaire à l'échelon de la préfecture, dispose seul de l'autorité nécessaire pour procéder au recensement; c'est l'acte le plus prestigieux et le plus riche de portée politique et morale sur toute l'étendue de la praefecîura. Il ne s'agit nullement de confisquer ou d'étouffer une autonomie locale déjà formée : mais dVn^pallier l'absence au niveau du territoïi^lûtrRcielle unité administrative, appelée' prefecTuTe^TTTDe "Ta sorte, la délégation d'un praefecîus n'est pas
101
Sur cette distinction, voir infra, chap. IX sur les praefecti Ld. L'exemple le plus caractéristique, parce qu'il résista le plus longtemps à cette volonté de centralisation, est fourni par la praefecîura de Peltuinum, chez les Vestini (pour le détail : supra, p. 229-33) ; ou encore les praefecturae du Picenum. 103 Pour les praefecturae de cives s. s. : Liv. 25, 5, 6 (212), cité infra, p. 323 et pour les praefecturae de cives o. L (ou s. s., s'il en restait après 169) : Liv. 43, 14, 10, cité ibid. 104 Ce qui ne signifie pas que les Romains, lors de la conquête, se sont trouvés face à un désert. A. J. Toynbee a souvent employé l'expression de «vide administratif»; elle est équivoque et il faut préciser : des centres d'administration existaient avant la conquête (au niveau des pagi, regroupant des vict); mais Rome a voulu réduire la dispersion de l'autorité et procéder à l'unité des territoires - correspondant le plus souvent à des ethnies - à l'aide d'une ou de plusieurs praefecturae (deux pour les Vestini, une pour les Praetuttii... ). On ne peut parler de vide qu'au niveau du cadre introduit par Rome. La préfecture, d'ailleurs, par définition (cf. 102
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destinée à être permanente; une concurrence progressive se développe entre le préfet et des magistrats locaux - qui seront ceux, privilégiés, du pagus choisi comme siège et centre de la préfecture105. Chaque fois que la concentration du pouvoir local sera atteinte en faveur d'un centre unique, le praefectus disparaîtra, s'effaçant derrière les magistrats locaux; la préfecture s'estompera sous les traits d'un nouveau municipium106. Mais tant que ce stade ne fut pas atteint, l'acte d'administration locale le plus important, le census, resta, pensons-nous, de la compétence exclusive du praefectus101. Des preuves, dont la date tardive n'infirme pas, au contraire, la portée, peuvent être invoquées en faveur de cette compétence primitive des préfets, à l'exclusion des magistrats locaux de la préfecture. Le premier témoignage est donné par la Table d'Héraclée qui, entre 80 et 75108, a retranscrit la procédure selon laquelle toute l'Italie aurait dû être à l'avenir dénombrée 109 . Le principe, on le sait, était celui d'un recensement
infra le texte de Festus) ne sera qu'un cadre vide, un principe d'autorité, sans magistrats au sens propre du terme, du moins lors de son introduction par Rome. 105 Ici encore, l'exemple de Peltuinum est éclairant. 106 A titre d'exemple : Interamnia, chez les Praetuttii, fut un conciliabulwn, siège très probablement d'une préfecture, qui disparut avant la guerre sociale, lorsque le conciliahulum devint municipium (supra, p. 239 sq.); Nursia, praefectura sous la République, municipium sous l'Empire; Reate, praefectura au début de l'Empire, municipe probablement à la fin du premier siècle; Atina, préfecture devenue municipe au milieu du I er siècle av. J.-C. . . . Casinum, peu après la guerre sociale, et Peltuinum, jusqu'au IIIe siècle, prouvent que la praefectura n'est pas un titre se référant à un passé lointain, mais reste la sphère d'activité d'un praefectus id. (supra, p. 248 sq. et p. 229 sq.). 107 L'hypothèse a rarement été envisagée : ainsi A. J. Toynbee qui a consacré d'abondants développements - d'ailleurs discutables - aux praefecturae n'a pas posé le problème du census local; P. A. Brunt, op. cit., p. 38, a considéré comme une simple possibilité l'idée que la préfecture, unité de recensement selon la Table d'Héraclée (cf. note suivante), l'ait déjà été avant la guerre sociale, mais il n'exclut pas une innovation sur ce point. 108 L'hypothèse d'une loi césarienne, la «lex Iulia municipalis», déjà vigoureusement combattue par H. Legras, La Table latine d'Héraclée (Thèse Droit, Caen, 1907) - encore fondamental -, semble définitivement condamnée : P. A. Brunt, op. cit., p. 519 sq.; W. Seston, Aristote et la conception de la loi romaine... d'après la Lex Heracleensis, cit., p. 21 sq. Pour le texte : FIRA I, p. 140, NR 13. 109 II n'y eut probablement jamais de cens regroupé selon le calendrier prescrit par la Table d'Héraclée - par-là, jamais de cens général pour toute l'Italie après la guerre sociale : H. Legras, op. cit., p. 145 sq. En revanche, le système qu'avait adopté la Table (simultanéité des cens locaux et du cens de la Ville, afin de permettre la centralisation des résultats) fut certainement repris à la tradition antérieure à la guerre sociale : c'est selon ce schéma, dépassé après 90, qu'il faut se représenter les recensements municipaux avant 90.
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décentralisé, confié à l'autorité locale des municipes, des colonies et des préfectures110. Or, pour l'ensemble de ces circonscriptions, la loi remet le census à l'autorité de celui qui a atteint la magistrature supérieure (maxima magistratus), ou qui dispose de la maxima potestas (1. 142-143). On n'ignore pas le peu de soin avec lequel étaient rédigées les lois et les multiples erreurs matérielles qui se glissaient lors des transcriptions successives111; pourtant, ici, la distinction magistrature/ potestas est certainement voulue et elle intrigue. Il ne semble pas possible de l'expliquer par l'allusion à l'éventualité d'une pro-magistrature de remplacement 112 ; nous pensons qu'elle se réfère au praefectus L d qui, bien que régulièrement élu par la population locale à cette époque, n'est pas à proprement parler un magistrat113; ses pouvoirs, en effet, ne découlent pas de l'élection, mais, formellement, de Rome dont il représente sur place l'autorité. La Table d'Héraclée permet non seulement de préciser la nature des pouvoirs du praefectus, mais confirmerait qu'après la guerre sociale encore
110 Les fora et les conciliabula n'y figurent pas. Négligence dans la rédaction? Il ne semble pas : c'est le maintien d'une tradition (infra, p. 323) ; par ses autres dispositions la Table distingue bien d'ailleurs les prescriptions propres aux municipes, colonies, préfectures (accès aux magistratures supérieures) de celles qui sont communes également aux fora et conciliabula (magistratures inférieures; sénats locaux). Cf. H. Legras, op. cit., passim. 111 Cf. M. W. Frederiksen, The republican municipal laws, errors and drafts, dans JRS 55, 1965, p. 183 sq. 112 En effet, la Table elle-même envisage (1.99) l'élection (rogatio) ou le remplacement (subrogatio) d'un magistrat, et utilise, pour qualifier ces magistrats ou « pro-magistrats » élus (techniquement qualifiés de praefecti id.: cf. Mommsen, Ges. Schrift. I, p. 339 sq. Ensslin, RE 22, praefectus i d., 1956, c. 1313 sq.), les titres : Hvir, IVvir aliusve magistratus. 113 II dispose donc d'une potestas et non d'une magistratus. On objectera que la Table, se référant aux «magistrats» des préfectures emploie souvent le terme même de magistratus tout simplement. Mais la formule, visiblement, a été abrégée (ainsi, 11. 89, 95, 98) ; elle est complète (mag. potestatemve) dans les mêmes hypothèses: accès aux magistratures: 1.136-37; 1. 140; recrutement des sénats locaux : 1. 83-84. Magistratus et praefectus sont-ils distincts dans les autres textes législatifs? La lex Mamilia Roscia Peducaea . . . (= FIRA, Leges, p. 138 sq. NR 12), dont le texte n'est connu que par la tradition littéraire, mentionne chap. 3 et 5 le magistratus qui, in ea colonia, municipio, praefectura, foro, conciliabulo iure dicundo praeerit : mais il s'agit de la praefectura au sens des gromatici (cf. chap. 5), projection, ou exclave de territoire rattaché administrativement à une colonie ou un municipe (cf. Mommsen, dans Gromatici Veteres, éd. Lachmann-Rudorff, II, 1852, p. 155 sq.); le texte d'ailleurs prévoit la constitution, pour l'avenir, de praefecturae et on sait qu'il ne fut créé aucune préfecture au sens ancien après la guerre sociale. La lex de Gallia Cisalpina (= FIRA Leges, p. 169, NR 19) chap. 21, 1. 15 ne définit pas la nature des pouvoirs du préfet, mais F. J. Bruna, Lex Rubria, Leyde, 1973, p. 282, voit en lui un pro-magistrat.
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le cens local ressortit au préfet, et non aux magistrats locaux de la préfecture. Plus tard, à Peltuinum, c'est resté vrai : cette fraction des Vestini romanisés au début du IIIe siècle av. J.-C. fournit, on l'a vu, un exemple remarquable de résistance à la concentration locale de l'autorité. Il faut, en fait, attendre une phase évoluée (achevée au IIIe siècle ap. J.-C.) pour que les magistrats du principal pagus parviennent à accroître leur puissance d'édiles au point de disposer sur toute la préfecture de l'autorité quinquennale du préfet. Il aura fallu cinq siècles environ pour que l'on passe ici d'un cens seulement déconcentré, confié au représentant du pouvoir de Rome, à un cens municipal, véritablement, placé sous la compétence exclusive des magistrats de la préfecture114. Peltuinum, grâce à la lenteur de son cheminement et la netteté de ses étapes, résume à elle seule le cens des cives s. s. placés hors du cadre municipal : à l'origine, le praefectus, nommé par Rome, tient en vertu de son autorité déléguée les opérations du census; puis, devenu l'élu de la population locale, la dépendance de Rome se dilue; mais formellement l'idée de délégation subsiste : c'est par elle que la compétence du préfet rayonne et se propage dans tout le ressort de son autorité. L'ultime phase, souvent attestée au I er siècle av. J.-C.115, est atteinte le jour où l'accroissement de l'autonomie locale permet aux magistrats d'absorber les pouvoirs quinquennaux et juridictionnels du préfet; il disparaît alors avec le nom même de praefectura. 3 - Les obligations militaires et financières des cives sine suffragio. La tribu n'est pas seulement le canevas qui permet l'établissement du census : c'est aussi le cadre où trouvent à s'exprimer les obligations financières (perception du tributum)116 et militaires (dilectus pour les légions) qui grèvent les cives optimo iure. Il est évident que, placés par définition en dehors des tribus, les cives sine suffragio n'y sont pas soumis. Mais alors,
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Supra, p. 229-33, pour le détail. Supra, n. 106. 116 Varr., LL. 5, 181 : tributum dictum a tribubus, quod ea pecunia, quae populo imperata erat, tributim a singulis pro portione census exigebatur. Cf. Marquardt, Organisation financière, p. 207 sq.; Taylor, VD, p. 8; sur le personnel (divisores et curatores tribuum, tribuni aerarii) affecté, par tribus, à ces tâches; outre Marquardt, cf. C. Nicolet, Ordre Equestre I, 1966, p. 598 sq. et, du même auteur, Tributum : Recherches sur la fiscalité directe du citoyen à l'époque républicaine, Bonn, 1976 (sous presse). 1.5
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quelle finalité doit-on reconnaître à ces recensements municipaux dont Rome se contente de centraliser les résultats? Il ne fait aucun doute - même si toute preuve fait défaut - que les cives s. s. ont été soumis à u n procédé d'imposition. La charge financière est une partie intégrante des munera, que les municipes durent supporter en proportion de leur richesse individuelle; mais quel trésor alimentait cet impôt? Il serait aventureux de vouloir à tout prix suggérer une réponse. Peut-être les trésors des municipes jouaient-ils un rôle dans la perception de cet impôt; mais rien n'empêchait le gouvernement de Rome, disposant du classement censitaire - selon un schéma nécessairement uniforme - de tous les cives s. s., de fixer lui-même l'imposition individuelle de chacun. Si la technique de perception nous échappe, le poids m ê m e de l'impôt est impossible à saisir. Certes, on sait que les cives s. s. figuraient sur les mêmes listes censitaires que les aerarii, régulièrement punis, c'est vraisemblable, par une surimposition 1 1 7 . Mais rien n'indique qu'il faille identifier sur ce point les charges tributaires de ces citoyens optimo iure, dont le droit de vote est provisoirement paralysé, à celles des cives sine suffragio : de fait, le coefficient multiplicateur qui alourdit le tributum de Yaerarius compense son exclusion provisoire de son unité de combat 1 1 8 , alors que les cives s. s. sont mobilisables et soumis aux charges militaires des cives Romani. Mais sous quelle forme? Tout le problème est là. Servius (ap. FestusPaul, v. municipes, p. 117 L) affirme qu'ils servaient dans les légions (in legione merebant) et P. Brunt, récemment encore, a défendu ce témoignage à la lettre 119 . Une objection demeure - que P. Brunt, nous semble-t-il, n'a pas fait disparaître 1 2 0 . Le dilectus, au moins jusqu'à la fin du III e siècle, ne
117
Cf. Liv. 4, 24, 7; les autres exemples de sanctions censoriennes rendant aerarius un tribulis n'indiquent pas selon quel coefficient son tributum sera augmenté par rapport à sa classe censitaire (Liv. 24, 18, 6; 27, 11, 15). 118 L'aerarius est provisoirement exclu de l'armée: Mommsen, Staatsr. II, p. 414 = Dr. Publ. IV, p. 97; pour C. Nicolet, Métier de citoyen, op. cit., p. 118, les aerarii sont placés dans une centurie à part, située en dehors des cadres de l'armée (Festus, 184 L) et ne donnant qu'un droit de vote fictif à ceux qui y étaient groupés. 119 Italian Manpower, p. 17 sq., p. 631; de même V. Ilari, Gli Italici nelle strutture militari romane, op. cit. (1974), p. 85, n. 26. 120 P. Brunt a invoqué en faveur du service dans les légions un argument a silentio {op. cit., p. 19) : les sources, depuis 218, mentionnent les légions et les cohortes des socii : les cives s. s. seraient donc dans les légions; l'argument est douteux (l'a. le reconnaît), car le terme socii est souvent employé pour les cives s. s. comme pour les alliés au sens propre du terme (Liv. 23, 5, 1 : pour les Campaniens; Liv. 28, 45, 13 sq. pour les Cérites). A quoi s'ajouterait un argument logique : le recensement des cives s. s. regroupé à Rome; mais cela n'a rien à voir
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319
s'adresse qu'aux tribules; dans le système minutieusement retranscrit par Polybe et qu'il trouva sans doute chez Fabius Pictor121, c'est tribu par tribu que l'on procède à la levée, et puisque les municipes sans suffrage sont hors tribus, ils ne peuvent pas avoir combattu dans les légions proprement dites122. De fait, sur les champs d'opération, ces citoyens sont le plus souvent cités parmi les socii; la confusion, dans les rangs de l'infanterie comme parmi les cavaliers, donne à penser que leurs contingents sont plus ou moins fondus avec les formations alliées qui encadrent les légions123. Mais les formes de l'exercice militaire ne sont pas d'une importance capitale; elles ne doivent pas faire perdre de vue sa nature juridique exacte. Or ici, point de doute : aucune confusion des cives s. s. et des socii n'est possible. Dans le tableau des forces romaines que Polybe nous a transmis pour l'année 225, les Campani (et avec eux tous les autres cives s. s., selon une hypothèse qui a toutes les chances d'être une révélation)124 sont isolés des socii et confondus dans un même total avec les cives Romani125. La défini-
avec le service dans les légions. On pourrait déduire du service dans les légions le recensement à Rome (car le recrutement de la légion suppose l'appartenance aux tribus), mais l'inverse n'est pas vrai. 121 La technique de la levée des légions est donnée par le texte bien connu de Polybe, 6, 19-20; le système qu'il décrit est au moins postérieur à 207 (cf. F. W. Walbank, A historical Commentary on Polybius I, p. 677 et p. 699). Exceptionnellement, une levée locale, vu l'urgence, est décidée : en 215 dans le Picenum (Liv. 23, 32, 19). 122 Ainsi Beloch, iL Bund, p. 128; Mommsen, Staatsr. III,. p. 586 sq. = Dr. Publ, VI, 2, p. 201 sq.; De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 441 (dans des légions à part); J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 201 sq. (pas de légion propre à Capoue, mais des contingents difficiles à distinguer de ceux des socii; l'infanterie n'aurait que peu servi - ce qui est douteux : cf. Liv. 23, 7, 1 : munus militare); Taylor, VD, p. 8 sq.; p. 13 et n. 29; p. 65 et n. 68; A. J. Toynbee, HLI, p. 202 sq. {cives s. s. rattachés aux légions, mais techniquement exclus de la procédure du dilectus, propre aux légions). 123 DH., 20, 1, 5 : à la bataille d'Ausculum (279), Campaniens, Sabins et Volsques (tous cives s. s.) ne combattent pas dans les légions, mais sont visiblement du côté des socii (Latins, Ombriens, Paeligni... ); à deux reprises les Sidicins, socii et non cives s. s. {supra, p. 211 sq.), sont mentionnés avec des cives s. s. : ils composent avec des Campani la garnison de Rhegium (DH. 20, 4) et, en 216, un de leurs cavaliers combattait avec un cavalier de Formiae (Liv. 22, 42, 11); de même les trois cavaliers capouans sont faits prisonniers à Trasimène «parmi une foule d'alliés» (Liv. 22, 13,2). 124 Ainsi De Sanctis, Storia dei Rom. II1, p. 441. 125 Pol. 2, 24, 13; le point le plus délicat concerne les Sabins, seuls cives s. s. cités parmi les socii; cf. Taylor, VD, p. 65 sq.; V. Ilari, op. cil, p. 83. Le dilectus dut se transformer, pour les légions, au début du IIe siècle, abandonnant la convocation au Capitole et le brassage homogène à partir de toutes les tribus. La levée locale permit sans doute d'y joindre des cives s. s. : d'autant plus que cette période correspond probablement à l'extension générale de \'o. L
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
tion de Servius, finalement, ne prétendait à rien d'autre : « la légion » dans laquelle auraient combattu les cives s. s. est une formule de juriste, et non de stratège. Comprenons que les cives s. s. combattaient non dans les unités des citoyens romains, mais en tant que citoyens romains) leurs obligations militaires étaient identiques à celles des cives o. i. A cette fin, les listes de recensement prouvaient u n e fois encore leur utilité; p o u r établir le d é n o m b r e m e n t total des cives s. s. à partir des registres locaux, il suffisait d'ajouter au classement par la fortune les divisions p a r classe d'âge. Rome disposait alors du chiffre total des forces romaines i m m é d i a t e m e n t mobilisables, la s o m m e des citoyens-soldats distribués selon l'ordre de combat. Entre les obligations militaires des socii et celles des cives 5. 5., il y a des différences que la tactique, sur le terrain, ne laisserait pas soupçonner; la formula togatorum, on l'a confirmé récemment, n'était pas la liste des forces alliées disponibles - ce qui aurait supposé un r e c e n s e m e n t global de leur population, qui n'exista jamais, quelques exceptions mises à part 126 -, mais le catalogue des contingents que les alliés étaient tenus de fournir 127 . Au contraire, civis et miles, le citoyen sans suffrage est p a r définition mobilisable : d'où son recensement nécessaire, d'où sa place parmi les « légionnaires» romains.
4 - Le recensement
local des municipes o. i.
Aucune preuve formelle ne p e r m e t d'affirmer qu'ils étaient dénombrés p a r les censeurs au sein de leurs tribus respectives ou, inversement, qu'ils disposaient d'un census local confié à leurs propres magistrats. Le problème, on le comprend, n'est jamais évoqué par les historiens. Or il est réel; c'est encore le degré de l'autonomie locale qui est en question. Résumons-
126 II ne fut exigé, par Rome, à titre de sanction, que pour les douze colonies latines, réticentes devant leurs obligations, tenues à partir de 204 (Liv. 29, 15) d'envoyer leurs registres de cens à Rome. 127 Voir ici les recherches de V. Ilari, Gli Italici, op. cit., p. 83 sq. : cette formula, dont la première rédaction se retrouverait dans le tableau polybien des forces alliées en 225, était, à partir des chiffres communiqués par chaque cité alliée, l'état des forces disponibles. Ce n'est pas un recensement italique. Il va sans dire qu'aucun traité ne limitait le droit de Rome d'appeler aux armes le nombre d'alliés qu'elle voulait et pour le temps qu'elle voulait (cf. Mommsen, Staatsr. III, p. 246, p. 448 sq. = Dr. Publ. VI, 2, p. 300 sq., p. 377, distinguant entre les contingents ordinaires et le droit d'appel illimité pour les guerres importantes; voir dernièrement P. A. Brunt, op. cit., p. 402, p. 546 et particulièrement V. Ilari, op. cit., p. 51 sq.).
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le : la tribu, à laquelle est rattaché le municipe de droit complet, est placée sous l'autorité directe des censeurs et de leurs adjoints permanents, les curatores tribuum : peut-on admettre, dans ces conditions, que le municipe qui a joui, dès son incorporation, de Yo. L, ou qui, par la suite, entra dans une tribu romaine, conserve le privilège d'un recensement local? Quatre indices, il nous semble, se profilent. 1) Si l'on accepte, comme on Ta suggéré, de reconnaître aux municipia et aux praefecturae de citoyens sans suffrage un census autonome, il ne sera pas difficile d'admettre qu'ils le conservèrent au moment où, pour l'ensemble, ils entrèrent dans les tribus romaines : soit au début du IIe siècle environ128. Il faudrait, sinon, imaginer une évolution marquée par une phase décentralisée (période des municipes s. s.), puis une centralisation complète (avec l'extension de Y optimum ius aux municipes), avant de revenir, comme la Table d'Héraclée l'atteste, à une décentralisation générale (les recensements se feront dès lors par municipes, colonies, ou préfectures). Il est certain que cette hypothèse est dénuée de vraisemblance : l'évolution - l'histoire des préfectures judiciaires le confirmera - est celle d'une décentralisation progressive et le IIe siècle avant J.-C. n'a pas pu être marqué d'une réduction aussi brutale de l'autonomie locale. On peut donc penser que les municipes et les préfectures sans suffrage ont conservé leur census au-delà de leur accès à la citoyenneté complète. 2) Peut-être en fut-il de même pour les cités latines incorporées directement dans la civitas o. i. au milieu du IVe siècle. Depuis Beloch, on a observé que les Romains ne créent jamais de tribu nouvelle lorsqu'une cité allogène entre dans la citoyenneté complète 129 : la formation d'une nouvelle tribu est réservée aux assignations de terres décidées au profit d'anciens cives. Pour expliquer ce phénomène, des motifs politiques ont été invoqués : le souci de ne donner qu'un poids électoral restreint aux novi cives - ce qui est douteux130 - ou, plus vraisemblable, la
128
Infra, p. 346-54. Bibliographie et preuves, supra, p. 178, n. 82. 130 Pour L. Ross Taylor, VD, p. 67, l'inscription des novi cives dans les tribus rustiques anciennes n'aurait donné à ces municipes qu'un poids électoral restreint; en réalité, leurs voix étaient loin d'être noyées par celles des citoyens romains d'origine : plus nombreux que les anciens tribules de la Papiria, les Tusculani, du jour où ils lui furent rattachés, lui dictèrent sa voix; par le poids de leur nombre et par leur cohésion, les Tusculani ont fait de la Papiria, politiquement, la tribu de Tusculum (cf. Liv. 8, 37, 12). Ce phénomène, inévitable, ne peut se constater, il est vrai, que pour les municipes suffisamment proches de Rome; ailleurs, la dis129
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
volonté d'accroître la force politique des citoyens deshérités, quittant les tribus urbaines pour une tribu nouvelle 131 . Mais ces raisons n'excluent pas des motifs purement techniques qui purent jouer un rôle. L'incorporation d'un municipe dans une tribu y introduit une res publica en possession déjà de tous les organes compétents p o u r recenser les terres et les hommes, tenir les registres de Yanagraphê, percevoir les taxes et en conserver les rôles : ce ne sont pas, évidemment, les Romains qui ont introduit l'idée d'un classement censitaire de la population dans les cités du Latium au milieu du IV e siècle 132 - Or si le censeur romain accepte la collaboration des magistrats locaux au lieu de supprimer leurs fonctions, il allégera d'autant les charges du personnel affecté, dans chaque tribu, aux multiples opérations du recensement : il p o u r r a d'un bloc adopter le d é n o m b r e m e n t municipal de Tusculum par exemple, procédant directement, en revanche, au census des citoyens de la Papiria répartis dans les divers fora ou conciliabula qui ne faisaient pas partie du territoire de Tusculum. Au contraire, lorsque l'Etat procède à l'assignation viritim de vastes espaces confisqués, il ne peut compter sur aucun système d'administration préexistant, et ne peut recourir, il va de soi, aux structures maintenues des municipes sans suffrage, victimes de ces confiscations, car ils sont placés en
tance dut retirer toute réalité politique à l'inscription des novi cives dans une tribu rustique ancienne. 131 Voir en ce sens, notamment, U. Hackl, Das Ende der römischen Tribusgründungen 241 v. Chr. dans Chiron 2, 1972, p. 155 sq. : la création des tribus nouvelles se heurtera finalement à l'hostilité du Sénat (qui triomphera: aucune création après 241); car elles développent l'influence de la plèbe, bénéficiaire des distributions et, par-là, de l'inscription dans ces tribus peu peuplées et donc politiquement importantes. 132 A. Rosenberg, Der Staat der alten Italiker, Berlin, 1913, p. 39, pensait que la censure était une institution commune à tous les Italiques; il y a, de fait, de très bons arguments en faveur de l'existence de classements censitaires (à finalité militaire, morale...), selon un rythme quinquennal, largement répandus dans toute l'Italie dès une époque archaïque : par ex. la quinquennalité (pomp... //) du guerrier de Capestrano, - G. Radke, dans RE Suppi 9, 1962, c. 1779 -, chez les Marses, ou les Ombriens (la lustratio des Tables Eugubines); la réforme militaire hoplitique a d'ailleurs nécessairement chez les Etrusques et l'ensemble des Latins, pour le moins, provoqué la division de la société par classes militaires, censitaires et politiques. L'existence d'une magistrature spécifique, la censure, n'est qu'un aspect mineur, comme le prouvent les exemples de Rome, où elle est tardive (bien postérieure à la division censitaire de la société), et des autres cités latines, Tusculum, Aricia, Lanuvium, Nomentum (où les fonctions censoriennes durent être exercées par les dictateurs ou préteurs : Mommsen, Staatsr. III, p. 615 = Dr. Publ. VI, 2, p. 235). Sur cette question voir la très bonne mise au point de V. Ilari, Gli Italici, op. cit., p. 80 sq., dont nous partageons l'opinion.
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dehors des tribus : d'où la création, régulière car nécessaire, de nouvelles tribus. La tribu, au-delà de l'unité de vote, est un cadre administratif qui, avec son personnel compétent, permet les travaux d'enregistrement, de recensement, de perception, de recrutement. Elle doit être introduite dans les régions que Rome a brusquement isolées de leur centre administratif primitif. En revanche, c'est inutile lorsque l'on procède à l'incorporation d'un municipe dans la citoyenneté complète; il résout lui-même ces problèmes d'administration locale et limite le rôle des agents romains à recevoir, pour le compte des censeurs, la collaboration des magistrats locaux chargés du census municipal. 3) Deux témoignages littéraires le confirment, semble-t-il. Lorsqu'en 212, le Sénat décida de faire procéder à une révision draconienne des listes des juniores mobilisables, face à une fuite devant le recrutement, deux collèges de Illvirs furent envoyés à travers la campagne (agri), l'un dans un rayon de 50 milles, l'autre au-delà, contrôler tous les pagi, fora et conciliabula133. Visiblement les municipia rattachés aux tribus ne sont pas inclus dans ces tournées d'inspection : on pensera qu'ils étaient eux-mêmes chargés de la révision requise, à partir de leurs propres registres du cens. En 169, c'est une procédure plus autoritaire qui est mise sur pied; afin, toujours, d'enrayer l'évasion devant le service, les censeurs entreprennent une vérification générale des causes d'exemption en ordonnant la comparution personnelle, à Rome même, de tous les dispensés, congédiés ou libérés. L'édit est affiché dans les fora et les conciliabula134. De nouveau les municipia et les praefecturae de cives o. i. restent en dehors du champ des injonctions censoriennes; cela, évidemment, ne signifie pas que les magistrats locaux ou les praefecti pouvaient librement accorder les dispenses qu'ils voulaient, mais que, délivrées sous leur responsabilité, il leur appartenait, conformément aux instructions des censeurs, d'en rechercher les abus.
133
Liv. 25, 5, 6. Ce n'est pas une clause de style législatif, invariable et impersonnelle. En 184, l'enquête extraordinaire d'un préteur, dans une affaire d'empoisonnement, s'étend extra urbem per municipia conciliabulaque (Liv. 39, 41, 5). 134 Liv. 43, 14, 10 : hoc edicto litterisque censorum per fora et conciliabula dimissis : devaient comparaître non seulement ceux qui étaient obligés de se déclarer au cens (sui iuris), mais tous ceux qui étaient astreints au service : d'où la foule extraordinaire qui envahit la cité. A l'époque où cet édit est pris, la civitas s. s. (à l'exception, peut-être, des Campani) a sans doute disparu (cf. infra). Il est naturellement impossible de croire au rassemblement de tous les citoyens romains mobilisables : il ne peut s'agir que de ceux qui résident dans ces fora (ou conciliabula) qui ne sont pas le siège d'une préfecture. 22
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
L'édit de 169, comme l'enquête de 212, ne s'appliquait qu'aux habitants des tribus qui ne faisaient pas partie d'un centre autonome d'administration : aux habitants des campagnes. 4) Les colonies romaines, qui n'accédaient en rien à l'autonomie des municipes, au moins à l'origine, semblent bien avoir disposé de leur propre recensement. On l'affirme couramment, au moins pour les colonies gracchiennes 135 ; mais on peut aussi le prouver pour une période sensiblement antérieure. Selon Velleius Paterculus, les Gracques auraient gravement enfreint la tradition en fondant des colonies hors d'Italie, car c'était permettre de la sorte des recensements en province même 136 . Implicitement, Velleius, bon connaisseur de l'histoire coloniale, pose comme une évidence qu'une colonie c'est un census local; le motif à lui seul aurait dû interdire des fondations provinciales. Ce droit reconnu de longue date aux colonies ne peut, on en sera convaincu, avoir été refusé aux municipia o. i. L'existence d'un recensement local dans les municipes et les préfectures de citoyens o. i. eut certainement pour effet de maintenir écartés de la vie politique romaine ceux qui, n'ayant pas établi leur domicile à Rome, n'avaient pas la possibilité de se faire inscrire parmi ces corps privilégiés, notamment l'ordre équestre. C. Nicolet a bien montré que le titre de chevalier ne fut jamais le résultat de critères généraux, en particulier censitaires, qui auraient permis à des familles de s'en prévaloir automatiquement : il fallait un choix personnel du censeur 137 . Le census local, quelle que fût la fortune des élites municipales, ne pouvait permettre cette promotion; on pensera même : eut pour effet de la freiner ou de la retarder 138 . Il semble révélateur que parmi les quelques 52 familles qui, d'origine non romaine (au sens urbain du terme), parvinrent à l'ordre équestre avant la guerre
135 A. N. Sherwin-White, RO, p. 86 (= RC1, p. 91) invoquant, à juste titre, l'existence de censores à Fabrateria Nova (colonie déduite en 124 av. J.-C.) : CIL X, 5590. En faveur, de même, de census coloniaux, A, J. Toynbee, HL I, p. 179 sq., 456, 462 (mais sans fournir de preuves); de même P. Brunt, Italian Manpower, p. 40 sq., soulignant judicieusement le fait que le census à Rome aurait contraint la colonie à se dépeupler complètement, ce que son statut militaire lui interdisait : il faudrait donc penser à un census colonial originaire. 136 Vell, 2, 7, 7-8 : in legibus Gracchi inter perniciosissima numerarim, quod extra Italiam colonias posuit là maiores... diligenter vitaverant et cives Romanos ad censendum ex provinciis in Italiam revocaverant. Prima autem extra Italiam colonia Carthago condita est. 137 L'ordre équestre à l'époque républicaine I, Paris, 1966, (BEFAR 207), p. 389. 138 Dans le même sens, la clause de la loi judiciaire de 123 qui réservait les jurys criminels aux citoyens de cens équestre ayant leur domicile à Rome, ou dans un rayon de mille pas : cf. C. Nicolet, Le métier de citoyen, op. cit., p. 188 sq.
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sociale, 19 fussent originaires de cités fédérées et de colonies latines, 29 seulement de municipes ou préfectures et 4 de colonies romaines 139 . La nécessité d'une comparution personnelle et d'un domicile romain (qui ne faisait pas nécessairement disparaître Yorigo municipale) explique en partie la faiblesse de l'apport municipal et contribue à confirmer l'existence d'un census local.
IV - L'ATTACHE LOCALE : LE LIEN MUNICIPAL
Tous les municipes d'une cité de droit complet sont rattachés à une tribu identique, qu'ils soient propriétaires fonciers ou non. Lorsque Arpinum et son territoire entrèrent en 188 dans l'Aemilia, tous les municipes furent inscrits dans cette tribu et les citoyens non propriétaires ne furent pas versés dans l'une des quatre tribus urbaines. Il en fut évidemment de même pour les municipes du Latium, au IVe siècle : dès 380, environ, les Tusculans, dans leur ensemble, votent dans la Papiria. L'idée, de la sorte, d'une distorsion possible entre la tribu d'un individu et la tribu de sa cité, n'est pas fondée malgré l'autorité de Mommsen140. Au contraire, dès les ori-
IW C'est à partir des cartes que C. Nicolet a placées en annexe à son Ordre Equestre II (Prosopographie), Paris, 1974, que nous avons fait ces calculs; ce sont les familles (et non les individus, comme l'a fait C. Nicolet) qui ont été recensées ici. Le procédé d'acquisition de la civitas individuelle des personnes originaires des cités fédérées ou des colonies latines n'importe pas ici; le domicile romain ne fait pas de doute, chez eux, pas plus que pour les homines originaires des municipes; leur carrière politique le confirme, le plus souvent. Il peut être intéressant de comparer ces chiffres à ceux des homines novi entrés au Sénat avant 90 : à l'aide des New Men in the roman senate 139 BC - 14 AD de T. P. Wiseman (Oxford, 1971) on aboutit aux chiffres suivants: 32 homines novi provenaient d'un municipe (ou préfecture), 5 d'une colonie romaine et 17 d'une cité latine ou fédérée. Un mot sur ces chiffres pris à Wiseman : Falerii est placée parmi les cités fédérés; le NR230, douteux, n'a pas été retenu; nous avons utilisé l'index chronologique de la p. 182 à l'exclusion des numéros placés avant 90 mais dubitativement, car ils sont moins sûrs : ils donneraient cependant pour les SOCIÏ8 sénateurs (NR: 54, 71, 105, 240-242, 300, 506); pour les municipes et colonies 9 sénateurs (NR: 122, 184, 198, 250, 254, 277, 343, 458, 471). 140 Staaîsr. III, p. 779 sq. = Dr. Publ. VI, 2, p. 424 sq. Pour Mommsen, aussi longtemps que les non-propriétaires auraient été nécessairement exclus des tribus rustiques et placés dans les tribus urbaines (ainsi, depuis la censure de Fabius Maximus en 304 : Staatsr. II, p. 402 sq. = Dr. Publ rv, p. 84), les non-propriétaires d'un municipe auraient été placés dans une tribu différente de la tribu réelle de leur cité. De fait, rien ne subsiste de cette construction. Mommsen admettait lui-même que dès le IIe siècle (extension de Yo. L à Arpinum, Fundi, Formiae) c'était le lien local, l'attache (et non la propriété) qui déterminait la tribu. Voir encore, F. De Martino, Storia IIP, p. 282 sq.
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gines, un lien a attaché à sa cité tout municeps. La vigueur juridique de ce lien est fondamentale. Non seulement il crée la citoyenneté romaine : c'est ut Tusculanus qu'un individu est civis Romanus; mais il détermine, de plus la tribu de chacun : on est inscrit à la Papiria, ut Tusculanus141. L'existence d'une attache locale ne fait pas davantage de difficulté pour les municipes sine suffragio; car elle demeure, ici encore, la source nécessaire de la civitas Romana. Son efficacité politique sera simplement moins riche que pour les cités de droit complet. Les régions entrées dans la citoyenneté sans avoir disposé des organes d'une autonomie municipale évoluée posent u n problème un peu plus complexe. Il n'y a pas, c'est évident, à rechercher une attache «municipale»; mais cela n'exclut pas l'existence d'une attache locale, devant l'impérieuse nécessité de découvrir la source juridique de la citoyenneté romaine et de pouvoir, en toute occasion, en contrôler l'existence. Ce n'est pas au niveau du municipium, mais à celui du pagus ou du forum, le centre de la vie indigène, qu'il faut placer l'origine locale de ces cives s.s. Juridiquement, s'affirmer Caeretanus ou Tusculanus142, Pyrgensis ou colonus Pyrgensis143, ou oriundus ex Sabinis144 a exactement la même valeur, sinon la même portée. Les premiers invoquent le lien municipal, le second le lien colonial, le troisième l'attache locale (le lieu de naissance, d'éducation, d'habitation) p o u r définir leur qualité de citoyens romains.
141 Le cas des affranchis doit être mis à part : le lien municipal, déterminé par celui de leur patron (D. 50, 1, 1, pr.) a pu être sans rapport avec la tribu à laquelle ils étaient rattachés, du fait des règles restrictives établies à leur encontre (sur ces dispositions, Taylor, VD, p. 132 sq.; G. Piéri, Histoire du cens sous la République, Paris, 1968, p. 150 sq.). 142 Q. Aulius Cerretanus : cf. Schulze, Zur Gesch. lateinischer Eigennamen, Berlin, 1933, p. 73; L. Atilius Nomentanus : Taylor, VD, p. 195; Tusculanus: pour Caton, Cic, de leg. 2, 2,5 (infra, p. 327-8). 143 M. Postumius Pyrgensis (Liv. 25, 3, Ö); M. Antistius Pyrgensis, optimus colonus (Cic, De Or. 2, 71, 287) : cf. C. Nicolet, Ordre Equestre, II, 1974, p. 996, NR 292; p. 778, NR 25. 144 Le témoignage le plus explicite est fourni par le centurion Sp. Ligustinus Crustumina ex Sabinis.. . oriundus (Liv. 42, 34, 2). Pas de lien municipal, pour lui, mais la naissance, l'éducation, le domicile sur un ager qui fait partie d'une tribu romaine : Pater mihi iugerum agri reliquit et parvum tugurium, in quo natus educatusque sum : hodieque ibi habito. Son origine (non municipale) probable: Forum Novum (R Syme, dans CQ1, 1957, p. 124; Taylor, VD, p. 84, n. 15). C'est également une origo non municipale qu'invoque cet Aulus Albinus, contemporain de Caton le cens., homo Romanus, natus in Lotio (Gell., NA. 11,8, 1). Le cognomen Sabinus est très fréquent : cf. T. P. Wiseman, New Men, p. 257, NR 369 (référ.) : s'il indique l'origine ethnique le plus souvent, on ne peut exclure qu'il serve aussi à préciser la source de la citoyenneté romaine.
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Pour eux tous, on le voit, la citoyenneté se décompose en deux éléments : lien primaire, ou local; un lien second, commandé par le premier, qui les introduit dans la communauté des citoyens romains. Seuls les citoyens romains d'origine, installés dans les tribus rustiques sans organisation municipale, ont primitivement échappé à ce principe du double lien 145 . Mais à la suite d'une évolution dont on verra certains aspects, ils y seront eux-mêmes progressivement soumis 1 4 6 . En nous limitant ici au lien municipal proprement dit, nous voudrions en rechercher la qualification, la durée et le contenu (droits ou charges). 1) Le lien municipal n'a pas fait, sous la République, l'objet d'une définition juridique rigoureuse. La terminologie l'indique. Tantôt on recourt à l'adjectif formé sur le lieu d'origine : ainsi Fulvia, femme de Marc-Antoine, est qualifiée de Tusculana147, comme l'avait été Caton le censeur. Tantôt, on utilise le t e r m e plus précis de municeps; parmi plusieurs exemples, celui des équités Campani est révélateur : ces cives s. s. ont maintenu en dehors de Capoue, dégradée, leur civitas Romana, mais au sein d'un municipe nouveau. C'est en devenant municipes Cumani que leur citoyenneté fut sauvegardée au moyen d'un lien local nouveau 1 4 8 . On ne trouve pas encore le terme technique d'origo qui sera employé sous l'Empire, notamment après les réformes d'Hadrien 1 4 9 . Mais l'idée sous-jacente est la même. Les expressions employées visent à transcrire la réalité de l'origine municipale d'un civis Romanus, à préciser par quelle voie il est entré dans la cité 150 et à quelle communauté il est administrativement rattaché.
145 Par ex., les cives Romani installés dans la Scaptia prise sur Velitrae, dans l'Oufentina prise sur Privernum et Frusino, dans la Falerna prise sur Capoue... 146 Infra, p. 339 sq. : les municipes, d'abord s. s., vont reconstituer l'unité territoriale et administrative partiellement brisée par la création des tribus rustiques. 147 Cic, Phil 3, 16. 148 Liv. 23, 31, 10. 149 Avec un esprit de système, une généralité et des implications fiscales qui n'existent pas à l'époque républicaine : D. Nörr, Origo, dans Tijdschr. v. Rechtsgesch., 1963, p. 500 sq., notam., p. 551 et RE, Suppl 10, v° origo, 1965, c. 433 sq., notam., c. 448 sq. 150 Ainsi, très nettement Cic, de leg. 2, 2 sur Yorigo municipale de Caton : ille Cato cum esset Tuscuti natus in populi Romani civitatem susceptus est;... cum ortu Tusculanus esset, civitate Romanus. Cicéron montre bien que juridiquement (et non historiquement : Tusculum était romaine depuis 150 ans lorsque naquit Caton), c'est parce qu'il est originaire de Tusculum que Caton est romain. Cette origo (cf. ortu) est la source de sa civitas.
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2) Cette attache municipale est-elle susceptible d'être créée, ou rompue, ou changée pour une autre? Sans aucun doute. La mobilité au sein de la citoyenneté romaine et les déplacements constants de population, de Rome vers une colonie romaine ou latine ou un municipe, d'une cité fédérée vers une colonie latine151, d'une colonie latine vers une autre colonie ou vers Rome152, doivent se retrouver d'un municipe à l'autre ou d'un municipe vers Rome. Les chevaliers Campaniens devenus municipes Cumani sont l'exemple d'un lien municipal qui se crée. Il est probable qu'après la décision du Sénat, les décurions de Cumes ont procédé formellement à l'inscription (adscriptio?, adlectio?) de ces nouveaux venus. Caton, par ses ancêtres, l'illustre à nouveau. On sait que son grand-père n'était pas citoyen, mais appartenait à un peuple allié (inconnu) qui combattit pour Rome; le père de Caton émigra à Tusculum et acquit de la sorte, par ce lien local, la citoyenneté romaine et l'inscription dans la tribu Papiria153. Le municipe eut certainement à consentir à cette installation; mais on ignore si Rome intervint. Très fréquemment le lien local nouveau consacre le déplacement définitif d'un citoyen originaire de Rome, quittant la ville pour profiter, le plus souvent, de terres distribuées; l'inscription dans une tribu nouvelle sanctionne l'attribution d'une « origo » municipale ou locale. Une branche des Memmii, partie fonder la colonie romaine de Luna, troqua sa tribu originelle (la Menenia) contre la Galeria, tribu de la colonie154; les Antistii, originaires de la civitas foederata de Gabii s'installèrent par migratio, probablement, dans la Menenia et y acquirent la civitas; plus
151 Les Samnites vers la colonie latine de Fregellae (supra, p. 106 n. 67); les citoyens de Ferentinum vers des colonies romaines (supra, p. 108). 152 En invoquant leur ius migrandi (supra, p. 108 sq.). 153 Taylor, VD, p. 248; C. Nicolet, Ordre Equestre II, p. 995 sq., NR. 291. Ses ancêtres proviennent-ils de la Sabine? On le pense généralement - ou du moins (ainsi C. Nicolet), ils auraient émigré en Sabine dès la conquête de M' Curius. On sait (Cic, Sen. 55 ; Plut., Cal Mal 3, 1) que Caton possédait un héritage en Sabine, mais il semble douteux qu'il remonte à ses ancêtres; car si ceux-ci s'étaient installés sur ces terres, à titre de récompense ou parce qu'ils en auraient été originaires, ils auraient, dès 290, acquis la civitas Romana - soit trois générations avant Caton, alors que de bons arguments prouvent que son grand-père n'était pas romain. A. E. Astin, Cato Tusculanus and the Capitoline Fasti, dans JRS 62, 1972, p. 20 sq. a repoussé la thèse d'une entrée récente de la famille de Caton dans la civitas, considérant que l'absence, dans les Fasti, du nom de son grand-père ne prouverait pas absolument qu'il n'était pas romain. 154 Taylor, VD, p. 233 sq.
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tard, un rameau bénéficia de distributions à Regium Lepidum, en 173, et acquit la tribu (Pollia) de leur nouvelle attache locale, tandis que d'autres, installés à Pyrgi, votèrent dans la Voturia155. Les municipes, à leur tour, profitèrent de ce mouvement d'émigration très remarquable qui aboutit à «municipaliser» des gentes romaines d'origine : certains Terentii Varrones (inscrits dans la Papiria) partirent pour Reate, dont ils prirent Yorigo et la tribu (Quirina)156. Ce sont les terres prises sur les Eques qui, de Rome, attirèrent une fraction de la gens Plautia inscrite dans la Papiria; parmi les premiers, probablement, à voter dans la nouvelle tribu Aniensis, ils se sont par la suite intégrés au municipe de Trebula Suffenas dont ils ont pris, naturellement, Yorigo157. Peut-être en fut-il de même pour les descendants de Furius Camillus, dont les liens avec Tusculum sont évidents158; ou encore pour les Licinii Luculli qui, à la fin de la République, figurent comme municipes d'Interamna Nahars159. Un dernier exemple, tardif, confirme que l'Etrurie, avec Caere, reçut son contingent d'émigrants : une partie des Atilii délaissa sa tribu (Pupinia) pour une attache municipale et une tribu (Voturia) nouvelles160. L'origine se perd-elle comme elle s'acquiert? Il faut, nous semble-t-il, distinguer deux hypothèses. Lorsqu'un municeps quitte sa cité d'origine pour un autre municipium, il rompt la première attache au profit de la nouvelle. C'est parfaitement rationnel et, cependant, intéressant : il ne s'agit pas, comme on pourrait le croire, d'une incompatibilité juridique, d'un cumul interdit de liens municipaux, mais c'est la preuve simplement de la volonté de migrare d'un municipe à un autre. Les cas furent peut-être fréquents; nous n'avons pas trouvé beaucoup d'exemples qui offrent même une semi-certitude; mais la gens
155 Ibid., p. 191 sq.; pour M. Antistius Pyrgensis : C. Nicolet, op. cit, p. 778, NR25. Des exemples de ce genre pourraient être multipliés : cf. Taylor, VD, p. 284-87. 156 Taylor VD, p. 258 sq. et p. 287; mais on reviendra sur l'intérêt de cet exemple (infra, p. 340). 157 Taylor, VD, p. 244, p. 287 et infra, p. 339. L'installation des Plautii dans la Papiria est peut-être due déjà à une émigration, au début du IVe siècle, sur des terres confisquées à Tusculum : Taylor, VD, p. 301 sq. 158 ILLRP 100, 221; CIL F 50-57; Taylor, VD, p. 217; p. 301. 159 Taylor, VD, p. 225 et surtout, infra, p. 339. Selon une hypothèse très suggestive, l'origine municipale (Lanuvium) de L. Licinius Murena, cos. 62, de la même gens Licinia, serait à attribuer à une installation dans la Maecia, sur les terres confisquées à Lanuvium : Taylor, VD, p. 286 sq. (et infra, p. 336). 160 Taylor, VD, p. 194-95.
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Caelia en est sans doute un. Originaire probablement de Tusculum, où elle est encore bien implantée au début de l'Empire 161 , u n e branche s'en était détachée pour profiter des distributions qui suivirent la conquête des Praetuttii : on trouve ses descendants parmi les municipes d'Interamnia Praetuttiorum, inscrits dans la Velina 162 . Le changement de tribu prouve l'abandon de Yorigo tusculane. En revanche, l'installation à Rome - c'est la seconde hypothèse - ne fait pas disparaître l'origine municipale. Les exemples positifs sont très nombreux. Il suffit de relever le plus net, celui des Fulvil Originaires de Tusculum, ils sont inscrits dans la Papiria depuis le IV e siècle 163 . Or, on ne peut citer aucun exemple, parmi les 16 consuls de cette famille, qui ait été en dehors de cette tribu 164 , et Cicéron qualifie encore de Tusculana Fulvia, l'épouse de Marc-Antoine. Il est p o u r t a n t certain que tous ces Fulvii ont acquis des domaines qui ne se trouvaient pas tous dans la Papiria et que, pour occuper des carrières politiques aussi longues et chargées, ils s'étaient installés à Rome depuis des générations. Leur maintien dans la tribu de Tusculum prouve que leur domicile à Rome n'a pas r o m p u le lien qui les attachait à leur cité d'origine : c'est en tant que municipes Tusculani que les Fulvii sont entrés dans la civitas Romana', c'est p a r la force du m ê m e lien qu'ils sont restés inscrits dans la Papiria. Leur origine municipale ne s'est pas dissoute dans la citoyenneté romaine. 3) Le maintien de l'attache locale donnait des droits et créait des obligations. On se limitera ici à la gestion des magistratures et des sacerdoces municipaux, dont le caractère honorifique, à la fin de la République, compensait les charges financières qu'ils impliquaient. La soumission aux charges, qui prouve la réalité concrète de l'attache municipale, est-elle l'exécution d'un devoir juridique, voire le respect d'un devoir m o r a l ? La question, en réalité, présente deux faces distinctes: le municeps Tusculanus reste-t-il soumis à l'obligation de gérer les magistratu-
161 Q. Caelius Latiniensis, tribun de la plèbe avant 66 et édile de Tusculum {JLLRP 688); C. Caelius Rufus, tr. pi. 51, originaire de Tusculum: T. P. Wiseman, New Men, p. 218, NR77; C. Caelius Rufus, cos. 17 ap. J.-C, édile de Tusculum : cf. R. Syme dans PBSR 1, 1938, p. 6, n. 19. 162 Taylor, VD, p. 199 (M. Caelius Rufus), à partir de Cic, Cael. 5; T. P. Wiseman, New Men, p. 218 NR. 78; C. Nicolet, Ordre Equestre II, p. 816, NR. 67. 163 Taylor, VD, p. 216; p. 290; p. 301 sq. 164 II a pu s'en trouver qui ait rompu cette attache locale, mais il n'y en a pas de preuves. Il en est de même pour les autres familles consulaires originaires de Tusculum : Mamilii (Taylor, VD, p. 229), Coruncanii (ibid., p. 208); Iuventii (ibid., p. 222), Porcii Calories (ibid., p. 248).
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res locales tant qu'il n'a pas répudié p o u r une autre sa cité d'origine? Le droit aux charges municipales est-il réservé aux citoyens originaires du municipe? L'obligation aux charges, sous l'aspect d'une contrainte sociale ou morale, doit avoir été ressentie assez vivement par ceux qui n'ont pas quitté leur municipe, qu'il fût sine suffragio ou optimo iure. Dans ce cas, il y a confusion entre la cité locale et la cité romaine. Le problème, en fait, n'a d'intérêt qu'à l'égard de ceux qui ont quitté leur cité d'origine pour participer à la vie politique de l'Etat romain : c'est là que la force du lien municipal peut être mesurée de façon significative. Rappelons que le système du census local établissait la liste des municipes domiciliés de droit dans le municipe - c'est la preuve tangible de Yorigo - : la part de chacun aux obligations financières locales était déterminée par la même occasion et, c'est vraisemblable, les sollicitations ne devaient pas manquer p o u r suggérer aux plus fortunés de se charger d'une magistrature. C'est l'aspect contraignant et théorique. Mais il ne se confond certainement pas avec la réalité : sans que l'on puisse parler d'une spontanéité p u r e m e n t généreuse, la vie politique locale, pour ceux dont le gouvernement de l'Empire avait apprécié les services, était un honneur et une charge. L'ambiguité du m o t munera est éloquente; la fierté, la générosité, la reconnaissance concouraient à alléger une obligation dont chaque concitoyen attendait le respect scrupuleux. C'est en ce sens que ces quelques trop rares exemples doivent être interprétés : C. Marius, Arpinate d'origine, c o m m e n ç a sa carrière publique par un échec - mais à Arpinum -, compensé par son succès peu après comme questeur à Rome 1 6 5 . Tusculum se choisit comme édile u n ancien tribun de la plèbe 1 6 6 ; T. Annius Milo, préteur en 55, ne dédaigna pas la dictature de Lanuvium, sa cité d'origine 167 . On sait l'attachement de Cicéron pour sa cité 168 ; s'il ne semble pas y avoir lui-même géré de magistrature, il veilla, n o t a m m e n t par son fils, édile, à ce que les revenus de son municipe soient régulièrement encaissés 1 6 9 . Pour les Fulvii de Tusculum, on ne dispose pas
165 Val. Max. 6, 9, 14; autre exemple contemporain : l'arpinate M. Gratidius, praefectus en Cilicie au II e siècle et décurion d'Arpinum : cf. C. Nicolet, Ordre Equestre II, p. 907, NR 173. 166 ILLRP 688; cf. ILLRP 639: le consul L. Piso, Ilvir quinquennalis dans la colonie de Pola; il fut également Ilvir de Capoue en 58 (Cic, Pis., 11, 25). 167 Cic, Pro Mil, 45-6. 168 Par exemple en acceptant le patronat sur son municipe : cf. T. P. Wiseman, New Men, p. 45. 169 Cf. C. Nicolet, Ordre Equestre II, p. 875 avec les références.
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de preuves; mais on peut présumer que si le consul M. Fulvius Nobilior (cos. 184) tint à gratifier sa petite patrie d'un signum pris s u r les Etoliens 170 , lui-même ou ses proches songèrent à l'honorer en se soumettant à des charges municipales ou au service d'un culte local. Mais les charges municipales sont-elles réservées aux citoyens originaires du municipe? Pour l'époque archaïque on manque de preuves, mais on p e u t penser que le lien municipal est un privilège q u e l'on ne concède guère : la vie publique devait être suffisamment développée pour que l'on écartât des magistratures les citoyens «étrangers». Mais au dernier siècle de la République, les habitudes ont changé. Ainsi ce très riche C. Quinctius Valgus, patronus municipii à Aeclanum, quinquennalis à Abellinum (?) et Ilvir quinquennalis à Pompéi (en 70 o u 6 5 ) m ; ou encore Visellius Flaccus qui s'intitule Beneventanus, mais qui est originaire de Telesia dont il a la tribu, et qui fut duovir à Telesia et praetor à Bénévent 1 7 2 ; mais le plus bel exemple de cumul de charges est fourni par N. Cluvius IVvir, puis IVvir quinquennalis à Caudium, à Capoue, et Ilvir, puis Ilvir quinquennalis à Nola 173 . Quelle signification faut-il reconnaître à ces exemples de cumul qui sont tous du I er siècle av. J.-C. ? Pour l'histoire de la vie municipale, ces charges q u e de généreux bienfaiteurs collectionnent d'un municipe à l'autre annoncent la crise de désertion que la réforme de Yorigo, par Hadrien, tentera de résoudre. L'empereur, on le sait, imposa à chacun le lien local afin qu'aucun ne pût échapper aux munera civilia174. Deux siècles plus tôt, si N. Cluvius a poursuivi la carrière municipale jusqu'à son sommet dans deux municipes et une colonie, sans être originaire de ces cités, c'est sans doute qu'il n'y avait pas foule de candidats locaux 175 . Inversement, il est vrai, on pourrait conclure de ces preuves si nettes d'évergétisme par la course aux h o n n e u r s , que l'esprit municipal n'était pas mort; mais, nous semble-t-il, ces manifestations
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ILLRP 322. ILLRP 523 (Aeclanum); 598 (Frigento, dans la province d'Avellino); 645 et 646 (Pom-
péi). 172 ILLRP 676 : Visellius L f. Fal(erna) Flaccus Beneventanfus) heic sepultus e(st) duovir Tele[s (iae), p]r(aeîor) Benev[enti] (avec les notes de A. Degrassi). 173 ILLRP 182 et 561. On peut compléter cette liste pour le dernier siècle de la République : le consul L. Piso (supra, n. 166); P. Claudius à Paestum (CILX, 480) et à Spolète (ILLRP 668). 174 Fondamentalement, D. Nörr, Origo, op. cit., supra. 175 De même, à Tibur, sous l'Empire, le cas fréquent de sénateurs romains, étrangers à Tibur, exerçant les fonctions de quinquennalis (CIL XIV, 3599; 3609).
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exceptionnelles de générosité individuelle n'ont pu naître qu'à la faveur d'un m o u v e m e n t de refus des munera locaux. Il est plus difficile d'interpréter juridiquement ces exemples de cumul. On pourra p e n s e r à une adscriptio, parmi les municipes, de l'étranger candidat aux magistratures. C'est vraisemblablement ce qui eut lieu p o u r Visellius Flaccus « inscrit » parmi les municipes Beneventani, donc juridiquement assimilé à ces derniers. Pour les autres, on. peut le présumer : une sorte de citoyenneté municipale d'honneur qui, par la décision du sénat ou des décurions municipaux, reçoit le généreux nouveau venu. C'est, de même, par la décision des décurions qu'un lien municipal artificiel attachait, l'espace d'une année, l'empereur au municipe honoré de le voir accepter la plus haute charge locale 176 . Maintien des organes constitutionnels, respect d'une autonomie locale concédée, dénombrement du populus municipal et naissance, par-là même, d'un lien municipal : tels sont les éléments et les preuves de l'autonomie que la civitas Romana coiffe, mais n'étouffe pas. Pour traduire ce double lien, Cicéron s'aida de la célèbre image de la double patrie {de leg. 2, 2, 5). A ce texte bien connu, il n'y a rien à ajouter, si ce n'est que, formulé au I e r siècle, il aurait p u l'être à l'origine de l'institution municipale. L'idée que le cumul du lien de nature (patria naturae) et du lien de la cité {patria civitatis) serait la dégradation achevée d'un cumul primitif de deux citoyennetés d'égale nature et de force semblable est une lourde méprise. Il n'y eut jamais qu'un lien de citoyenneté, la civitas Romana. Le lien local est d'une autre nature : c'est un lien municipal.
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Un praefecius le remplaçait alors sur place.
CHAPITRE VIII
L'ATTRACTION MUNICIPALE
Carte TV La conquête ampute régulièrement les territoires soumis. Au vu de témoignages abondants, Vincorporation dans la citoyenneté sans suffrage fait éclater l'unité territoriale primitive et la divise en deux fractions que tout, apparemment, se conjure à séparer. Que l'on en juge : les terres confisquées sont distribuées à des citoyens, romains par leur origine, pourvus des droits politiques, inscrits dans une tribu rustique, placés sous l'autorité directe des censeurs de Rome. Au contraire, l'espace laissé au municipe échappe à l'autorité des censeurs, mais reste entre les mains de citoyens «étrangers» sans droits politiques; situés en dehors des tribus, l'organisation tributaire et militaire romaine ne s'applique à eux que par l'intermédiaire de leurs propres magistrats, maintenus dans une autonomie spécifique. La conquête, par ses effets immédiats, semble bien avoir brisé une unité politique et administrative primitive, avoir isolé les zones distribuées viritim, coupées artificiellement du centre de l'autorité locale. L'analyse politique de la civitas sine suffragio nous a permis de mettre en relief cet effet dislocateur de la conquête, fondamental m ê m e s'il fut totalement passé sous silence par les partisans d'une conception honorifique (isopolitie, citoyenneté potentielle, cumulable, privilégiée... ) de la citoyenneté sans suffrage. Nous regrouperons ici simplement les résultats de cette analyse, qui fourniront un point de départ indispensable. Mais il ne s'agit que d'un point de départ. Dès les lendemains de la conquête, il faut tenter de voir vivre ces deux communautés ethniquement et, malgré l'unité de civitas, juridiquement distinctes : c'est alors que l'on constate, en un phénomène qui nous semble capital, une réunification progressive des tribules optimo iure et des cives sine suffragio, au point que, à terme, le municipe parvenu à Y optimum ius a restauré son unité territoriale primitive : il a « attiré » à lui les citoyens venus de Rome, c'est-à-dire de l'extérieur.
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Ce processus de reconstitution prouve que le pouvoir n'a pas cherché dans un esprit de centralisation systématique à étouffer l'autonomie municipale concédée. Bien au contraire; à ce signe le plus net de la vitalité de la vie locale s'ajouteront les marques d'une collaboration de Rome, d o n t l'intention fut, en la contrôlant et l'épaulant, de rendre l'autonomie municipale finalement plus rayonnante. Après avoir, p o u r les besoins d'une conquête que l'on ne pouvait remettre en question et à la recherche d'une romanisation nécessaire, ainsi brisé le cadre initial, R o m e est parvenue à faciliter la réunification. Ce fut presque partout un succès. Dans cette recherche nous nous limiterons aux manifestations les plus éloquentes de l'attraction municipale; car un choix était nécessaire. Ainsi, laisserons-nous de côté l'exemple, bien attesté, des municipia o.L intégrant dans leur population municipale les cives o.L venus, d e Rome, occuper les terres confisquées 1 : incontestablement, c'est un p h é n o m è n e d'assimilation, d'attraction, mais d o n t la vigueur est moins éclatante puisqu'il n'eut pas à s u r m o n t e r la séparation entre tribules et cives s.s. De m ê m e , n'aborderons nous qu'incidemment les situations différentes - mais très fréquentes créées par l'installation de cives o.L sur des terres prises à des centres modestes d'habitation 2 . Dans ces cas, on ne peut envisager véritablement u n e attraction des émigrés par les noyaux indigènes; o n assiste plutôt à la confluence de plusieurs c o m m u n a u t é s villageoises, les unes romaines, les autres indigènes {cives s.S.), parvenant, en une osmose plus ou moins profonde, au stade d'un territoire unifié. Ces exemples, certes, ne sont pas étrangers à ceux qui nous retiendront; une même orientation politique dans l'évolution : réaliser la fusion, et des moyens identiques pour y parvenir : l'autorité unificatrice d'organes juridictionnels. Mais il est préférable de restreindre l'analyse aux exemples les plus p r o b a n t s : ils supposent u n organe de puissance, en la forme d'une administration centralisée dès la conquête, et une force à combattre, en la présence de cives o.L émigrés sur des terres confisquées. Bref, des municipia s.S., a m p u t é s par la création de tribus rustiques. 1 A Tusculum, confiscations possibles lors de la conquête en 381, probables après la révolte de 340 : une branche de la gens Furia a pu saisir l'occasion des premières pour s'installer sur son territoire; il est vraisemblable que des membres des Marcii et des Plautii, lors des secondes, y transportèrent leur domicile et y placèrent leur origo. Pour tout ceci, Taylor, VD, p. 301. A Lanuvium, confiscations en 338 (supra, p. 178); émigration dans la Maecia (et probablement déplacement de Yorigo vers Lanuvium) d'une branche des Licinii Luculli : Taylor, VD, p. 225 et 286 sq. 2 Exemple typique : le Picenum ou les Praetutîii, à Interamnia, formée probablement de la fusion de plusieurs communautés, romaines et indigènes; v. l'exemple cité infra, p. 342.
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I - FRACTIONNEMENT ET RECONSTITUTION : LES PREUVES
1 - Fractionnement. Les sources permettent de dresser la liste suivante des cités ou des peuples entrés dans la civitas s. s. après avoir subi des confiscations au profit de cives optimo iure3 : - les Volsques : Velitrae (338) au profit de la tribu Scaptia (332); Antium (338), au profit de la tribu Maecia (332). Privernum (329), au profit de l'Oufentina (318), de même que Tarracina-Anxur, dont le territoire subit de plus la présence d'une colonie romaine, fondée en 329; Frusino (303), au profit d'une extension de l'Oufentina4; - les Campaniens, à qui, en 340, Yager Falernus (tribu Falerna, 318) est enlevé; - les Aurunques (315-4?) ne conservent, dans la civitas s.S., de territoire qu'autour du municipe de Minturnae', pour le reste, des confiscations massives permettent la fondation d'une colonie romaine juxtaposée au municipe (296) et donnent naissance à la Teretina (299)5; - les Berniques : Anagnia (306) subit une confiscation au profit d'une extension de la Publilia (358) et Capitulum Hernicum (306), peut-être, au profit de l'Aniensis (299)6; - les Eques : Trebula Suffenas (304-3), de même que peut-être Treba (303), dont les terres donnent naissance à l'Aniensis (299)7;
3 Nous laissons de côté les confiscations qui ont permis la déduction de colonies latines : la différence de statut entre les colons latins et les cives s. s. indigènes exclut l'existence de contacts étroits. Il n'y a pas, dans ce cas, de problèmes de coexistence. De même nous écartons les déductions des colonies romaines, qui n'expriment que des confiscations restreintes, à but militaire : leur tribu de rattachement est d'ailleurs, sauf de rares exceptions (Minturnae, Tarracina), une tribu ancienne - ce qui montre bien que la déduction n'a pas provoqué de distributions importantes. Minturnae et Tarracina sont des cas à part : un municipe s. s. a, très vraisemblablement, coexisté avec la colonie; des confiscations massives ont eu lieu chaque fois (elles n'ont pas profité aux colons, qui ont cependant pris la tribu nouvelle de la région); le problème de l'administration des terres confisquées et celui des liens avec les municipia s. s. se posent alors. 4 Pour l'ensemble, supra, p. 172; 178; 185-7; 201-3; 220. 3 Supra, p. 210. 6 Supra, p. 214. 7 Supra, p. 219.
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- en Ombrie : Fulginiae et Plestia (299) n'ont sans doute primitivement subi de confiscations qu'au profit de l'extension de Yager publicus', il sera lui-même distribué et attribué à une tribu plus tard (220); Interamna Nahars, en revanche (299), a, semble-t-il, nourri une extension de la Clustumina (ancienne tribu) dès son incorporation 8 ; - les principaux centres sabins ont reçu dès 290 des cives o. i Ils seront inscrits dans la Sergia (anc. tribu), autour de Cures et de Trebula Mutuesca ou dans la Quirina (241), autour de Reate, Amiternum, Nursia9; - les terres confisquées aux Praetuttii (268) sont attribuées à la Velina (241), de m ê m e que les confiscations décidées contre les Picentes(268)10; - les Samnites, à Venafrum (268), notamment, ont, selon u n e grande vraisemblance, subi une division et une répartition de leurs terres dont bénéficièrent des cives o.L inscrits dans la Teretina (299) n . Des confiscations, enfin, ont pu avoir lieu en pays samnite à Casinum, Allifae, Atina et, chez les Vestini, à Aveia et Peltuinum : mais elles ne sont pas attestées. On remarquera enfin que les municipia o. i. ne sont pas restés à l'abri de ces confiscations : à Tusculum (381), et à Lanuvium (338) au profit de la tribu Maecia(332) 1 2 . Cette liste appelle deux observations. L'installation de cives o.L est attestée aussi bien dans des territoires organisés autour de centres urbanisés, dépendant donc de municipia (Velitrae, Antium, Privernum, Frusino, Minturnae, Anagnia, Capitulum Hernicum, Trebula Suffenas, Treba, I n t e r a m n a Nahars, Venafrum, Cures) 1 3 qu'auprès de peuples dont les centres de vie
* Supra, p. 221-3; 226. Supra, p. 234-6. 10 Supra, p. 236. " Supra, p. 246. "Supra, p. 161; 178; 336. 13 On sait, par plusieurs indices, que l'autorité était centralisée au moment de la conquête : ce sont des cités-état, qui entrent comme municipes dans la citoyenneté romaine. Ces indices sont la présence de magistrats et d'un sénat (Velitrae), d'un sénat (Privernum), de magistrats (Anagnia; qualifiée, de plus, de municipium par Festus-Paul, p. 155 L); ce que l'on sait de Privernum doit être étendu à Frusino et d'Anagnia à Capitulum Hernicum (les magistrats municipaux indigènes sont en outre vraisemblablement attestés) ; la vieille cité d'Antium ne fait pas de problème, pas plus qu'Interamna Nahars, dont la fondation remonterait au 8e siècle; l'histoire préromaine de Venafrum confirme l'existence d'une cité. Les magistrats 9
L'ATTRACTION MUNICIPALE
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s'éloignaient plus ou moins du type de l'autorité centralisée (Sabins, Picentes, Praetuttii, Ombriens). La seconde r e m a r q u e concerne les cives s. s. absents de la liste. Il s'agit de quelques municipia dont on relèvera le nombre restreint : chez les Volsques Fundi, Formiae (334) et Arpinum (303); les municipes campaniens, abstraction faite de la confiscation de l'ager Falernus\ enfin les Etrusques. En effet le territoire pris à Vulci vers 280 et incorporé dans la civitas s. s. ne semble pas avoir fait l'objet de distributions avant la déduction de la colonie de Saturnia (183), et Caere, incorporée vers 350, n'a pas non plus subi de confiscations : décidées plus tard (après 273) elles ne traduisent pas la volonté d'une occupation individuelle du sol, mais, sous la forme de colonies maritimes, relèvent d'une politique de défense militaire 14 .
2 - L'intégration
municipale des émigrés
romains.
A partir de ces exemples d'éclatement, très largement illustrés, nous voudrions rassembler quelques preuves de reconstitution de l'unité autour des centres primitifs d'administration locale. L'occupation des terres prises à Trebula Suffenas à l'extrême fin du IVe siècle a permis à des descendants de la famille consulaire des Plautii Silvani de s'installer sur place et de s'inscrire dans la tribu nouvelle de l'Aniensis; or la preuve est apportée qu'au début du I er siècle av. J.-C, au plus tard, ces émigrés ont trouvé leur place au sein de l'organisation administrative locale. Ils sont devenus municipes de Trebula Suffenas. On en déduira que la frontière politique et administrative entre le territoire de la tribu et celui du municipe a fini par s'estomper 1 5 . A Interamna Nahars, on observe le même phénomène au profit d'une branche émigrée des Licinii16. On le retrouve au sein de municipes constitués plus tardivement, à Interamnia Praetuttiorum (pour des descendants des Caelii) ou dans une préfecture
(meddices probablement à Trebula Suff., censores à Treba) des cités èques sont de forts indices en faveur d'une constitution centralisée; le vieux passé de Cures, ses liens étroits avec Rome le présument de même. L'archéologie, à Minturnae, a confirmé l'existence d'un centre urbain. 14 Infra, p. 411 sq. 15 Supra, p. 219. 16 Page 226. 23
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comme Reate (Terentii Varrones)11, ou dans une colonie-municipe comme Minturnae1*. Ces exemples d'assimilation individuelle prouvent que les cives Romani o.i. partis exploiter les territoires des tribus rustiques n'ont pas développé de centres de vie locale autonomes, mais tôt ou tard ont rejoint les centres primitifs et indigènes d'organisation locale (municipia) ou ont contribué à former des organes d'administration communs aux cives sine suffragio et optimo iure. *
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Ces exemples d'attraction individuelle par des municipes primitifs doivent être portés sur une échelle plus large, comme les données de la géographie administrative, à la fin de la République, y incitent19. Prenons le cas des Volsques de Privernum et de Frusino : en 329, leurs territoires ont été démembrés par de larges confiscations, isolées des territoires laissés à l'administration des municipia s. s. Or, à la fin de la République, on constate que l'ensemble de ce pays volsque s'est reconstitué autour des trois centres primitifs d'administration, Privernum, Frusino et Tarracina (la colonie ici comme partout ailleurs a absorbé la cité sans suffrage qu'elle doublait). Les régions qui furent attribuées primitivement à l'Oufentina, c'est clair, n'ont pas développé une administration autonome, ni créé de centres urbains 20 . Les municipes ont attiré à eux les régions confisquées,
17
Page 330 et n. 162; p. 241-2. Dans le même esprit, on peut citer le départ pour la Teretina de descendants des Minucii Thermi (cf. Broughton, MRR II, p. 592), installés sans doute à Minturnae (cf. Taylor, VD, p. 236); citons encore les Popilii, descendants peut-être des premiers consuls plébéiens, et que l'on retrouve au IIe siècle inscrits dans la Teretina (Taylor, VD, p. 247), installés vraisemblablement à Minturnae (E. Badian, dans Hist. 1963, p. 139; T. P. Wiseman, New Men in the roman Senate, Oxford, 1971, p. 253, NR 337). Voir encore, dans la même tribu, peut-être autour du même centre, des Licinii Crassi (Taylor, VD, p. 224 sq.). Ces exemples, ou du moins certains d'entre eux, montrent qu'avec le temps, Minturnae, colonie et municipe, a absorbé non seulement le municipe, mais a exercé une véritable attraction sur l'ensemble de la tribu. L'apport indigène explique sans doute le rayonnement de la colonie. 19 Les recherches de L. Ross Taylor restent ici fondamentales; voir notamment le très utile tableau dressé p. 270 sq. Les centres administratifs sont connus par les listes de Pline l'Ane, et donnent la carte communale de l'Italie à l'époque d'Auguste. 20 Forum Appi, près de Tarracina, n'a jamais atteint le stade municipal. C'est resté une station sur la via Appia. (Schulten, dans RE, 7, 1910, c. 71). 18
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dont ils furent artificiellement séparés sous une forme et durant un temps qu'il conviendra de déterminer. Velitrae reflète le m ê m e processus. Amputé du territoire qui servit de base à la Scaptia, le municipe surmontera cette frontière; si, à la fin de la République, il apparaît c o m m e le seul centre d'administration locale de la tribu, c'est que les tribules n'ont pas tardé à se joindre, après leur installation, aux municipes de Velitrae. Ici encore, le territoire de la tribu n'a pas tenté de concurrencer le municipe sans suffrage en s'isolant par une administration autonome; la population de la tribu n'a pas été non plus absorbée par la puissance centralisatrice de Rome. Au contraire, ce sont les forces centrifuges qui ont triomphé au profit de la restructuration du territoire, défait lors de l'installation des cives venus de Rome. La tribu Aniensis confirme l'achèvement d'une évolution dont les Plautii Silvani ont été l'illustration individuelle. Trebula Suffenas et Treba (et peut-être Capiîulum Hernicum) sont parvenues à replacer sous l'autorité de leurs magistrats les régions qui leur avaient échappé en 299. Dans la Teretina, les cives o.l n'ont pas davantage créé de centre doué d'un développement caractéristique; c'est le complexe primitif colonie romaine-municipe sans suffrage indigène, à Minturnae, qui servira de comm u n e au territoire 2 1 ; il dut restituer par ses dimensions ce qu'il put être au temps des Aurunques. Venafrum restaurera de m ê m e ses frontières primitives au m o m e n t où ce municipe-préfecture accédera à l'optimum ius\ mais, dès avant, le centre urbain indigène conserva suffisamment de vitalité p o u r empêcher qu'un noyau p u r e m e n t romain ne naquît sur son territoire ancien au détriment de son p r o p r e rayonnement. Même phénomène dans la Publilia, qui sera finalement organisée autour d'Anagnia. En Sabine, les c o m m u n a u t é s indigènes ignorent, lors de la conquête, la concentration géographique de l'autorité. Non qu'elle fût moins réelle ou plus diluée à l'échelon national : elle était seulement, comme l'habitat, plus morcelée au niveau local. La puissance d'attraction aurait pu être moins nette, voire nulle. Il ne semble pas : les seuls centres nouveaux sont Forum Novum et Forum Deci(?); partout ailleurs, c'est autour des communautés indigènes que l'osmose entre les cives o. i. et s. s. s'est faite 22 . Peut-être
21 Au territoire Aurunque. Sinuessa, colonie et peut-être également cité sans suffrage primitivement, a pu aussi jouer un rôle. Nous laissons ici de côté les extensions ultérieures (cités de la frange occidentale du Samnium) de la Teretina. 22 Domaine de là Clustumina (ancienne tribu étendue) : Forum Novum; de la Quirina : Amiternum, Nursia, Reate, Forum Deci; de la Sergia (ancienne tribu étendue) : Cures, Trebula Mutuesca.
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l'unité finale, sous forme de municipia et de praefecturae, fut-elle p r é p a r é e par la coexistence de deux composantes distinctes et juxtaposées : un conciliabulum romain et un pagus indigène 2 3 . Mais il faudra ici encore de l'une à l'autre envisager suffisamment de liens et de collaboration pour expliquer qu'elles aient finalement convergé; au profit de la composante indigène, comme le dévoile le nom conservé par le centre du territoire une fois l'unité achevée. Tous ces exemples prouvent que la séparation entre les cives o. i. et les cives s. s. n'a pas laissé de traces dans l'organisation administrative locale 2 4 . Nous pensons que la brisure ne fut ni profonde, ni durable.
II - LE DYNAMISME DE L'ATTRACTION : SES MOYENS Leur langue et leurs lois respectives, l'accès des uns, à l'exclusion des autres, à la vie politique romaine, l'autorité de leurs magistrats, qui ne se confondaient pas, étaient autant de facteurs d'isolement entre ces deux masses de citoyens qui régulièrement se sont partagé les mêmes territoires. On ne le niera pas. Mais il est n o n moins sûr que dès l'origine les liens de la coexistence a m o r c è r e n t un rapprochement. 1) En s'installant, les émigrés trouvèrent les structures d'une économie qu'ils d u r e n t respecter en partage avec les cives sine suffragio. Au-delà des routes - mais stratégiques surtout - tracées par Rome, les lieux tradi-
23 Sur le modèle de Trebula Mutuesca; ou, chez les Praetuttii, d'Interamnia; les centres urbains (de constitution municipale récente, d'époque césarienne) du Picenum (tribu Velina) se rattachent à ce type. L'administration locale de Y ager Falernus (tribu Falerna) est très mal connue; un forum, Forum Popili est attesté; on ignore si les municipes campaniens ont exercé une attraction sur cette région fertile. Ce serait vraisemblable si l'on pense que ces riches terres n'ont pas dû complètement échapper aux équités Campani acquis à Rome. Mais la catastrophe de 216 a pu brusquement interrompre un processus de réunification qui, reconnaissons-le, n'a pas laissé de traces, en dehors, peut-être, d'une circonscription judiciaire commune. 24 L'organisation territoriale de la tribu Pollia dans ses extensions massives du IIIe siècle (distributions dans la plaine du Pô et au nord du Picenum) fournit une bonne contreépreuve. Dans ces régions qui ignorèrent la civitas sine suffragio et furent intégralement réparties (à part Y ager publions), il n'y a pas de centre indigène qui pût jeter les bases d'une organisation locale. Les communes seront des créations romaines (Fanum Fortunae, Forum Semproni, Forum Corneli, Forum Lepidi, Faventia; colonies massives de Mutina et Parma); sur la via Aemilia également (mais dans la Stellatina), Forum Livi. Même phénomène pour l'extension en Ligurie de la Pollia (Forum Fulvi, Forum Germa(norum), Pollentia).
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tionnels de marché et d'échange, autour des mêmes dévotions, ont provoqué contacts et réunions entre les deux composantes ethniques et juridiques de la population nouvelle; avant comme après la conquête, les mêmes itinéraires ont conduit h o m m e s et produits vers les centres urbains et fourni les bases d'une nécessaire collaboration. Lorsque Rome, p a r exemple, ouvrait aux municipia des comptoirs (stationes) aux abords du forum 25 , on pensera que les cives o. i et s. s. du m ê m e territoire s'en partageaient l'accès pour l'écoulement de leurs productions locales. 2) C'est au niveau de l'organisation judiciaire que les ébauches d'une fusion peuvent le plus s û r e m e n t être reconstituées. On sait que la plupart sinon tous 2 6 - des cives s. s. ont été placés sous l'autorité juridictionnelle de praefecti i. a\ Croira-t-on q u e ces préfets, détachés à Privernum ou à Frusino ou à Venafrum, ont limité leur compétence aux litiges des municipes s. s. ? C'est impossible : ils ne peuvent l'avoir refusée aux cives o. i installés dans les frontières primitives de Yager Privernas ou de Vager de Venafrum. Car, sinon, comment résoudra-t-on la question essentielle de la justice locale auprès des cives qui ont quitté Rome pour les terres qu'on leur distribuait au loin? Si l'hypothèse d'une justice centralisée à Rome même n'est pas raisonnable, l'idée d'une juridiction locale spécifique achoppe; elle voudrait des organisations locales déjà développées - et l'on a constaté qu'elles n'existent pas ou qu'à leur niveau embryonnaire, forum ou conciliabulum, elles sont dépourvues d'autorité juridictionnelle 2 7 . L'envoi régulier de praefecti i. d. a répondu à la nécessité d'administrer une justice commune aux cives s. s. et aux cives o. i installés sur leurs terres. C'est l'une des raisons de leur création 2 8 . Par là même, la mission du préfet contribuait puissamment aux forces d e fusion : par la sphère de sa compétence et par sa mission de juge. Les limites des ressorts juridictionnels, des praefecturae au sens exact du terme, ont certainement repris les frontières des anciens territoires
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Sur les stationes municipiorum, L. Cantarelli, dans Bull Com. 28, 1900, p. 133 sq.; les Veliterni auraient disposé (pour le commerce de leur vin?) d'une statio : S. Panciera, dans Epigr. 22, 1960, p. 6 sq., commentant CIL F, 24, datée d'avant la seconde guerre punique. 26 Infra, p. 380, et p. 399 sq., la liste récapitulative. 27 Schulten, dans RE, 7, 1, Forum, 1910, c. 71. Mais le forum peut être, comme le conciliabulum, le siège d'une préfecture (la préfecture de Foroclodi, en Etrurie). A la fin de la République, certains forum (notamment les gros centres éloignés, de la Pollia) ont pu accéder à la juridiction; le forum est, de fait, cité par la lex Rubria comme une ultime catégorie d'autorité judiciaire. 28 Mais non la raison exclusive : infra, p. 376-7.
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conquis : la praefectura de Privernum ou d'Anagnia, celle de Reate, de Trebula Suffenas ou de Velitrae répondaient aux territoires des cités indigènes avant la conquête, avant la répartition en deux zones. De la sorte, les préfectures ont assuré la permanence des frontières anciennes et, par un ressort judiciaire commun, ont placé sous une autorité unique, celle du droit de Rome, les deux fractions distinctes du peuplement du territoire. Il est clair que, sous un aspect, le praefectus, prolongement de l'autorité de Rome, a considérablement réduit l'autonomie locale du municipe, puisqu'il dit le droit à la place des magistrats locaux. Mais cet angle qui, jusqu'ici a seul été mesuré, n'est pas le seul qui mérite de l'être; car le préfet a permis aussi de hâter autour du municipe, siège de la préfecture, la renaissance d'une unité compromise par la conquête. Ce n'est pas un vain paradoxe : l'unité autour de principes juridiques communs exprimés dans un même ressort a contribué à effacer la frontière politique et administrative qui aurait pu briser définitivement l'unité territoriale. Le rôle unificateur de la praefectura est particulièrement important; il ne s'agit point de forces spontanées, mais d'une politique consciente du gouvernement central. La mise en place d'une justice déconcentrée, au-delà de la romanisation des citoyens allogènes, voulait accroître finalement l'attraction municipale. 3) Aux liens tissés par l'exploitation quotidienne des terres, par le respect commun de la même autorité juridictionnelle, nous devons sans doute ajouter ceux d'une association aux mêmes structures administratives. De fait, des témoignages troublants révèlent des situations complexes, juridiquement difficiles à maîtriser, mais qui, selon toute apparence, prouveraient que les liens étroits d'un rattachement municipal ont pu associer des cives o. i.f Romains d'origine, à des indigènes municipes s. s. Dans tous ces cas, la frontière naturelle, politico-administrative, entre le tribulis et le municeps s. s. se trouverait surmontée grâce à l'autorité diffuse des magistrats du municipe. Tous les degrés d'association peuvent être envisagés jusqu'à, peut-être, la fusion donnant au citoyen o. i. la qualité de concitoyen {municeps) des municipes s. s. Le premier exemple est fourni par Velitrae. On sait que les terres distribuées aux «coloni» venus de Rome étaient les domaines de la classe dirigeante, exilée après la conquête 29 . On envisagera tout naturellement l'installation de ces émigrés, cives o. i., sur les meilleures terres, à proximité
29
Liv. 8, 14, 5 et supra, p. 184-6.
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immédiate du territoire du municipe, à tel point qu'il devient très difficile de croire à une séparation juridique rigoureuse entre les municipes s. s. et les cives o. i. qui, au milieu des municipes, ont pris la place des sénateurs bannis. N'ont-ils pas été administrativement rattachés au municipe? C'est ce que suggère Tite-Live qui précise que les «coloni» furent adscripti aux habitants de Velitrae. Le terme en lui-même est très précis : il évoque l'inscription sur un rôle, qui étend au nouveau venu la condition juridique des citoyens du lieu30. Il serait périlleux, et vain, de vouloir à tout prix cerner la réalité juridique de l'expression livienne. Il est possible qu'il faille la prendre au pied de la lettre : par une fusion contemporaine de la conquête, un noyau de cives o. i. est introduit au cœur du municipe, garde ses privilèges politiques, se soumet à l'autorité des magistrats locaux, à l'exclusion des activités de recensement. Mais on peut aussi envisager des formes plus souples, plus lâches. L'adiribuiio, dont les caractères juridiques ont été finement analysés par U. Laffi31, serait très vraisemblable; elle permet, en effet, de rattacher administrativement à un municipe une région sans organisation propre, sans que les territoires soient juridiquement confondus et sans que le statut des occupants des deux fractions soit unifié. Avec des différences certaines, dues à la spécificité des situations en présence 32 , le schéma de Yadîributio conviendrait particulièrement au rattachement des cives o. L aux municipes s. s. Ce n'est pas pour écarter à priori l'institution de Yincolatus qui peut aussi avoir fourni un modèle possible33. Une inscription archaïque du IIe
30 Le terme se réfère normalement à l'adjonction à une colonie (Festus, V° ascriptio) ; dans un sens comparable, mais plus large, Cic, ad Fam. 13, 30; Pro Archia 6; 7; A. N. SherwinWhite, RG, p. 151 sq. 31 Adtributio e Contributio (Problemi del sistema politico-amministrativo dello stato romano), Pise, 1966. 32 Les emplois techniques de l'institution ne remontent pas au-delà du début du Ier siècle avant J.-C; Yadîributio lie comme un appendice au municipe de rattachement, le territoire attribué; ses habitants ne deviennent pas municipes, car il n'y a pas de communauté juridique; pas d'accès aux magistratures locales, mais soumission aux magistrats juridictionnels du municipe dominant. Le schéma est facilement transposable (le praefectus, à la place des magistrats judiciaires). La seule différence tient à ce que dans ces exemples d'adtributio, le territoire attribué est inférieur (politiquement et juridiquement) au municipe, tandis que pour notre problème, ce sont des cives o. i qui seraient attribués à des cives s. s. L'obstacle n'est pas insurmontable compte tenu du décalage de temps et de circonstances. 33 Berger, dans RE 9, 1916, v° Incola, c. 1249 sq.; U. Laffi, op. cit. p. 75 sq. (et la bibl. ancienne) : Vincola est l'étranger domicilié, par opposition au tnuniceps originaire. Les incolae peuvent avoir une condition juridique supérieure à celle des membres de la cité où ils rési-
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siècle, récemment publiée, a révélé les liens privilégiés de Yincolaîus entre une colonie latine et un groupe d'indigènes, pérégrins, qui ont maintenu leur communauté ethnique. On y a vu à bon droit les occupants primitifs du site, administrativement rattachés depuis la conquête à la colonie latine sans être juridiquement inscrits parmi les colons34. Au prix ici encore d'une transposition souple, l'institution aide à donner une image des situations complexes qu'une collaboration administrative, à l'instar de Velitrae, a pu créer. Velitrae n'est en effet qu'un exemple. C'est évidemment un procédé comparable qui, à Privernum, a rattaché au municipe sans suffrage les cives o. i. venus prendre, sur le terrain, la place des sénateurs expulsés. Une vue aérienne du site de Venafrum suggère la même conclusion : au pied même de la cité déplacée, la riche vallée du Volturnus a été distribuée 35 . Il est impossible de ne pas admettre, sous une forme quelconque, une association des cives o. i. au centre administratif indigène. Entre Yadscriptio au sens strict, Yadtributio ou Vincolatus, nous ne trancherons pas. En l'état actuel des sources, il suffit de relever qu'une certaine unité d'administration a fréquemment doublé l'unité quasi générale de juridiction. On s'explique mieux alors, puisque la séparation ne fut pas profonde, qu'elle se soit finalement estompée au profit du municipe, au profit de la cité indigène. Il y a même de bonnes raisons pour penser qu'elle ne fut pas durable.
III - LES ÉTAPES DE LA FUSION : L'ACCÈS DES CITOYENS SANS SUFFRAGE AUX DROITS POLITIQUES
De fait, c'est le jour où les citoyens d'un municipe sans suffrage seront parvenus dans leur totalité à Y optimum ius, que la reconstitution de l'unité territoriale pourra être juridiquement achevée. Malheureusement l'accès
dent (ibid., p. 77). Une différence ici encore : Y incola n'a pas de territoire spécifique; il est installé sur le territoire municipal. 34 C'est l'exemple le plus archaïque probablement : Samnites inquolae V(eneri) d(ono) d(ederunt) \ mag | C. Pomponius V. F\C. Percennius L F\L Satrius L F\C. Marius No. F\. Inscription d'Aesemia, qui traduit la condition de ces indigènes restés sur place sans doute depuis la fondation (263) de la colonie latine; ils disposent d'une organisation collégiale avec quatre magistri. Voir, pour l'inscription et le commentaire, A La Regina, dans Dial. di Arch. 4 - 5, 1971, p. 452 sq. 35 Référence supra, p. 246, n. 168.
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des cives s. s. aux droits politiques semble avoir échappé complètement - à une exception près 36 - à la mémoire des annalistes. La condition des historiens modernes n'en est que plus inconfortable : si l'on ignore la date à laquelle la civitas s. s. a disparu ou reculé dans son ensemble, on ne connaît pas davantage la voie (ou les voies) qui ont, dans le détail, conduit au privilège des droits politiques. L'état actuel de la question peut être brièvement présenté. Pour la date, P. Brunt a soutenu que si, lors de la révolution gracchienne et depuis, les Latins et les Italiens seuls réclament les droits politiques des citoyens, c'est la preuve que les cives sine suffragio ont pour l'ensemble disparu37. L'argument est très solide38; on peut se fier à un terminus ad quem fixé aux environs de 133 avant J.-C. Quant aux formes de la concession, L. Ross Taylor découvrit avec perspicacité deux procédés : soit une décision des comices, lorsqu'il s'agissait de conférer l'optimum ius à une cité sans suffrage tout entière, soit l'initiative des censeurs, en présence de centres mineurs 39 . A partir de ces bases solides, on suggérera quelques précisions.
36 La lex Valeria de civitate cum suffragio Formianis, Fundanis et Arpinatibus danda : Liv. 38, 36, 7 (188); Rotondi, Leges Publicae p. 274 et, surtout, Taylor, VD, p. 306 sq.; infra, p. 396. 37 P. A. Brunt, Italian Aims at the time of the social war, dans JRS 55, 1965, p. 90 sq., notam. p. 93, suivi par E. Badian, Tiberius Gracchus and the beginning of the roman révolution, dans ANRW I, 1, 1972, p. 695 : accès général aux droits politiques avant 133. La thèse de Kornemann, dans RE 16, 1933, v° Municipium, c. 584, en faveur d'une extension générale de Yo. L par la lex Mamilia de 109 est dépassée (la loi est datée de 55 ou 49); celle d'A. Afzelius, Rom. Eroberung, p. 25, reculant à la fin du IIe siècle l'accès de la préfecture d'Atina à Yo. L n'a pas résisté aux critiques d'A. N. Sherwin-White, RC1, p. 212; sur la position d'A. Bernardi, / cives s. s. dans Ath. N. S. 16, 1938, p. 276, v. les critiques d'A. J. Toynbee, HL I, p. 409 sq.; celle prise récemment par A. N. Sherwin-White, RG, p. 213, ne nous paraît pas fondée : note suivante. 38 Partant de l'idée que municipium au sens exact ne pourrait se référer qu'à une cité sans suffrage, A. N. Sherwin-White, RC1, p. 139 sq., pense détenir deux preuves directes établissant que la civitas s. s. n'avait pas disparu en 111 et donc avant la guerre sociale : 1) la lex agraria de 111 qui énumère, parmi les possesseurs à'ager publicus dont les droits doivent être respectés, les moenicipia, pro moenicipiis, coloniae et pro colonieis (FIRA, Leges, NR 8, p. 102 sq., 1. 31); 2) le témoignage d'Appien, BC 1, 41 (et cf. le commentaire de E. Gabba, p. 29) qui énumère les alliés et citoyens «venant des colonies, des municipes et d'ailleurs». Mais le point de départ est inexact (supra, p. 192-5; p. 276) : jamais municipium et civitas s. s. n'ont été identiques; la lex agraria de 111 se réfère aux cités de citoyens (municipia) et aux centres (notamment les praefecturae) qui atteignent presque l'autonomie municipale, s'administrent «en guise de municipes» (pro municipiis). L'expression de «pro-municipes» ne peut se référer à des cités de cives o. L, par opposition aux municipes de cives s. s. Aucune explication convaincante n'a permis jusqu'ici d'éclairer l'expression pro colonieis (v. cependant, infra, p. 385, n. 92). 39 VD, p. 17 sq.
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D'une manière générale, d'abord, la citoyenneté amputée des droits politiques devait, par principe, être un état éminemment provisoire. Dans l'esprit du gouvernement romain, au moins depuis le début du IIIe siècle, la civitas sine suffragio représentait une phase transitoire menant normalement, après une période de romanisation facilitée par le contact avec les cives o. L et la présence initiatrice du praefectus i. cL, à la cité complète. On en verra pour preuve le fait que, brusquement après 268, la diffusion de la civitas s. s. s'arrête définitivement. Le phénomène, qu'il est de tradition de relever40, a été diversement interprété; constat d'échec41 ou volonté de ne pas métamorphoser un Etat-cité en un Etat territorial 42 ; mais récemment une étude suggestive de U. Hackl a souligné dans cette politique de fermeture, à laquelle correspond le chiffre désormais figé en 241 des tribus rustiques, le triomphe des tendances conservatrices du Sénat inquiet des progrès des forces plébéiennes 43 . Incontestablement, l'extension de la civitas s. s. a provoqué parallèlement, du fait des confiscations, la multiplication des tribus, donc l'accroissement du poids politique des bénéficiaires de distributions. Mais cette interprétation ne suffit pas à expliquer l'arrêt brutal de la civitas s. s. : elle aurait pu continuer à s'étendre sans ces confiscations, il est vrai toujours plus massives. En réalité, si le Sénat renonce simultanément à cette double politique, la civitas s. s. et les confiscations, ce n'est pas parce que la première aurait supposé nécessairement les secondes, mais parce que, politiquement, elles aboutissaient au même résultat : la citoyenneté sans suffrage, au moins depuis le début du IIIe siècle, impliquait à plus ou moins brève échéance la concession des droits politiques, le gonflement d'un corps poli-
40 A l'exception de A. N. Sherwin-White, RO, p. 120 sq., p. 127 qui a refusé de distinguer juridiquement la civitas s. s. et la societas. Incontestablement la seconde se substitue à la première après 268, mais il n'y a pas à retenir cette thèse, dépourvue de bases juridiques, qui aboutit à ne pas distinguer conceptuellement le civis Romanus, le Latinus, le civis sine suffragio et le socius iniquo foedere (ainsi, RC1, p. 125). Il est vrai que tous constituent une communauté marquée par des droits et des devoirs; mais l'analyse ne doit pas s'arrêter à ce niveau. 41 Notamment par A. J. Toynbee, HL I, p. 206 sq., p. 404. Contre cette interprétation : P. Fraccaro, L'organizzazione dell'Italia Romana, p. 200. 42 Ce point a été fréquemment mis en relief : ainsi, M. Geizer, Gemeindestaat und Reichsstaat in der römischen Geschichte, 1924 = Kl Schriften I, 1962, p. 232 sq.; G. Forni, Manio Curio Dentato, dans Ath., NS. 31, 1953, p. 199 sq.; J. Vogt, Die römische Republik6, FribourgMunich, 1973, p. 124 sq. 43 Das Ende der röm. Tribusgründungen 241 v. Chr., dans Chiron 2, 1972, p. 150 sq.
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tique que le Sénat craignait de ne pouvoir maîtriser44. Il est vraisemblable que le processus d'intégration avait, déjà bien avant 268, versé parmi les citoyens complets, parmi les tribules, de nombreux cives sine suffragio. On objectera que les sources sont muettes. Mais cela peut tenir aux formes mêmes des concessions de Yo. i. qui semblent avoir suivi une procédure beaucoup trop souple pour que le moindre souvenir, avant comme après 268, ait pu en être conservé. Une rapide allusion de Festus, entre deux lacunes, en a révélé l'existence. Evoquant l'origine de la tribu Oufentina (une fraction de Vager Privernas), Festus décrit brièvement son histoire ultérieure : « par la suite, les censeurs, ont aussi inscrit (adscripti) à cette même tribu les habitants d'autres cités» 45 . On se représente concrètement, pour cette tribu, - mais la procédure fut certainement générale -, le pouvoir dont disposaient les censeurs, à chaque recensement, d'allonger la liste des tribules en y inscrivant un certain nombre de cives s. s. C'est un procédé insinuant, qui révèle son efficacité et trouve ses raisons d'être chaque fois que des confiscations au cœur même du municipe ont rendu artificielle, et géographiquement difficile à maintenir, la frontière entre la tribu et la population municipale sans suffrage. Ce fut, on l'a vu, précisément le cas à Privernum ou à Velitrae; à Venafrum il n'a pu en être autrement. C'est la même procédure qu'il faut reconstituer pour les régions où les cives s. s. dispersés autour de plusieurs centre mineurs (Sabins, Ombrie, Picenum)
44 Au moins depuis le début du IIIe siècle, pour deux raisons; la première est dans la politique sénatoriale de fermeture de la civitas s. s., pour ne pas accroître la civitas o. L; la seconde, juridique et non politique, dans le fait que depuis 304 la civitas implique nécessairement, au niveau des principes, le suffragium et l'inscription dans une tribu (Mommsen, Staatsr. II, p. 402 sq. = Dr. Publ. IV, p. 84-5; P. Fraccaro, Tribules ed aerarii dans Ath. 11, 1935, p. 150 sq. = Opuscula II, p. 149 sq.; Taylor, VD, p. 138); que la civitas s. s. ait continué non seulement à vivre, mais à naître, c'est évident, mais difficilement comme un état définitif. Qu'en fut-il aux origines? A. N. Sherwin-White, RO, p. 48 = RO, p. 51, a catégoriquement rejeté l'idée, pour l'origine, d'une phase provisoire avant une intégration complète, mais pour des raisons inacceptables (la civitas s. s., isopolitie, n'incorporerait pas à moitié, mais pas du tout), de même par A. J. Toynbee, HL I, p. 206 et n. 1. La réponse ne peut être donnée qu'à partir de signes explicites d'une volonté de romanisation, donc d'intégration complète; or ils existent, dès avant la fin du IVe siècle, par l'envoi de praefecti i a\. (infra, p. 366 sq.) et par les formes de conquête (supra, p. 335 à 346, passim) qui permettent d'amorcer la fusion. 45 Festus, p. 212 L : postea deinde a censoribus alii quoque diversarum civitatum eidem tribui sunt adscripti (et supra, p. 202). L. Ross Taylor, VD, p. 18, restreignait cette compétence censorienne à l'inscription des conciliabula civium Romanorum du voisinage. Les termes de Festus (diversae civitates) ne se prêtent pas à cette interprétation restrictive; en outre, par définition, les conciliabula civ. Rom. sont dans les tribus.
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n'ont pu dresser, en face des possessions romaines, une frontière étanche ou rigide. Cette ouverture progressive de la cité complète, échelonnée dans le temps, centre par centre, voire même fractionnée à l'égard d'un municipe46, fondamentalement laissée à l'initiative des censeurs, nous paraît avoir été la règle chaque fois qu'à la suite de confiscations, la pénétration romaine avait multiplié les points de contact entre la tribu du lieu et le municipe sans suffrage. Dans tous ces cas, l'accès à Y optimum ius put être précoce; il n'a pu, en toute hypothèse, laisser de souvenirs dans les archives. Là, au contraire, où il n'y eut aucune pénétration romaine, où la sphère de compétence du censeur de Rome s'est arrêtée à la frontière bien franche d'un municipe sans suffrage resté en possession de l'intégralité de son territoire primitif, ces empiétements successifs n'ont pu avoir lieu : c'est d'un bloc, lorsque la décision en était prise, que le territoire municipal entrait dans la citoyenneté complète. L'initiative revêtait une brusque importance politique, notamment par le choix de la tribu à laquelle allaient être inscrits ces nouveaux cives : le peuple a pu affirmer sur le tard ses droits dans ce choix. On dispose d'un exemple, unique, de cette procédure : la loi par laquelle, en 188, Arpinum, Fundi et Formiae accédèrent à l'o. i. et furent rattachés à une tribu47. L'identité des trois municipes est révélatrice; elle répond exactement à la procédure suivie. Si, en effet, le seul exemple d'extension législative des droits politiques se rapporte précisément à trois municipes qui, par exception, n'ont pas subi de confiscation lors de la conquête, ce n'est pas une coïncidence fortuite. Lorsque la pénétration de l'o. L n'a pas pu être progressive et suivre les initiatives silencieuses des censeurs, le recours au peuple parut opportun. Mais les exemples de cette pratique n'ont pu être nombreux 48 . Il n'est pas nécessaire de les rejeter en masse dans les livres perdus de Tite-Live49. 46
Le témoignage de Festus, alii diversarum civitatum, admet que ces cités n'aient pas été d'un bloc versées dans les tribus : par secteurs ou par niveaux de la population? On ne peut répondre; mais il n'y aurait rien d'invraisemblable à envisager l'accès à l'optimum ius par l'exercice des magistratures municipales, un modèle qui aurait pu, par la suite, au IIe siècle, être étendu aux cités de droit latin. 47 Liv. 38, 36, 7 et l'éclairante explication de L. Ross Taylor, VD, p. 93 et p. 307, suivie par P. Brunt, Italian Aims, op. cit., p. 93. Voir également infra, p. 396 sq. sur un renversement de tendance, à Fundi, peu après. 48 On peut ajouter l'extension de l'o. L aux Sab ins de Cures : peut-être par une loi? L'extension est mentionnée par Vell. 1, 14, 7 (suffragii ferendi ius Sabinis datum). Sur l'identification de ces Sabini, Taylor, VD, p. 61 sq. et supra, p. 235 sq. 49 Ainsi, P. Brunt, art. cité, p. 93 (entre 164 et 133) ou A. J. Toynbee, HL I, p. 404 pour la
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Si l'on suit cette hypothèse d'une diffusion progressive par l'œuvre des censeurs des droits politiques - donc d'une fusion, d'une attraction graduelle de la population municipale et du peuplement des tribus - il est inutile de vouloir dater ce processus. S'il a pu commencer très vite, ses étapes, le plus souvent, ne sont pas datables 5 0 . Seul son achèvement, pour l'ensemble, doit nous arrêter. Deux mesures, au début du II e siècle, sembleraient y faire allusion. Par la première, que l'on connaît par Plutarque (Flamin. 18, 1) seulement, «les censeurs (de 189/8) acceptèrent comme citoyens tous ceux qui se présentèrent pour le cens, à condition seulement qu'ils fussent de parents libres. Ils y furent forcés par le tribun Terentius Cul(l)eo qui, voulant mortifier la noblesse, persuada le peuple de voter la mesure». Depuis Mommsen, la loi est rangée parmi ces dispositions fluctuantes, perpétuellement dénoncées, puis reprises - et malgré tout très mal connues - qui, au fil des censures, jouèrent avec les droits politiques des affranchis. La loi de 189/8, précisément, aurait ouvert aux fils d'affranchis les tribus rustiques de leur domicile, dont ils auraient été exclus, groupés d'office dans les tribus urbaines, depuis 234/220 51 . Cette interprétation traditionnelle est possible, mais elle ne s'impose pas. Il n'est pas prouvé que les fils d'affranchis aient jamais été exclus des tribus rustiques 5 2 ; la loi serait bien obscure si elle avait voulu ouvrir aux fils d'affranchis la tribu de leur domicile au lieu de celle où ils se trouvaient déjà 53 . Pourquoi, en revanche, ne pas détacher ce témoignage du contexte étroit où l'opinion dominante l'enserre et,
deuxième décade; pour cet a. c'est dans cette lacune qu'il faudrait placer (entre 241 et 225) les lois qui auraient étendu Yo. i aux Sabini, Praeîutîii, Vestini, Picentes et Umbri, aux Volsques, aux Eques... à tous les municipes, à l'exception des Campani. De fait, il n'y a pas de preuves en faveur de cette conjecture. 50 Indirectement, on peut, pour Velitrae, constater que les droits politiques ont été obtenus avant 250 {supra, p. 186). 51 Mommsen, Staatsr. III, p. 436 = Dr. Publ. VI, 2, p. 21; Rotondi, Leges Publicae, p. 274; Taylor, VD, p. 138. Le plébiscite aurait abrogé la disposition mentionnée par l'épitomé (Liv., Per. 20), selon lequel entre 234-220 les libertini ont été regroupés dans les quatre tribus urbaines. 52 Mommsen le reconnaissait lui-même (Staatsr. III, p. 422, n. 2 = Dr. Publ. VI, 2, p. 4 et n. 1-2) : à part une affirmation de Suétone, Cîaud. 24, tous les emplois conservés du terme de libertinus se réfèrent aux affranchis et non aux fils d'affranchis', devrait-on alors faire une exception pour le témoignage de l'épitomé livien? En fait, seule l'interprétation traditionnelle du plébiscite de 189 conduit à donner ce sens extensif à la mesure de 234-220. 53 Le texte de Plutarque fait allusion, semble-t-il, à des inscriptions nouvelles sur les listes du cens (et non à une mutation de tribu).
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comme ses termes y convient, ne pas y voir tout simplement la mesure générale qui appela les cives s. s., nés de cives libres, à se présenter au cens et accéder p o u r la première fois aux droits politiques? Sa date, on l'a remarqué, correspond à celle qui vit le peuple, sous l'inspiration des mêmes ambitions politiques, décider des tribus où les trois municipes volsques seraient inscrits 54 . On a le sentiment d'un profond remaniement politique; les îlots notables et homogènes de cives s. s. - à part quelques exceptions probablement - accèdent aux droits politiques, et, durant la m ê m e censure, le peuple, par une mesure générale, achève l'œuvre patiente des censeurs et couronne plus d'un siècle de propagation minutieuse. A l'exception de la Campanie 5 5 , les cives s. s., à partir de 188, ont vraisemblablement disparu. Les adjonctions, les inscriptions précipitées des cives restés jusqu'ici à l'écart ont sans doute déséquilibré les tribus et compromis les subtils dosages d o n t étaient d'ordinaire l'objet ces unités de vote. Qu'après l'extension de 189/8, une remise en o r d r e s'imposât, rien d'étonnant. L'énigmatique m e s u r e que Tite-Live attribue aux censeurs de 179 s'y réfère peut-être : mutarunt (censores) suffragia, regionatimque generihus hominum causisque et quaestibus tribus descripserunt56. L'obscurité a séduit les interprètes; parmi
54 Durant la même censure (189/8). Le rapprochement des deux mesures a été fait par L. Ross Taylor (ouverture des tribus rustiques aux soi-disant fils d'affranchis et concession des droits politiques aux municipes volsques) : VD, p. 93, 138, 307 sq. L'inspirateur en aurait été Scipion l'Africain (sur ses liens avec le tribun Terentius Culleo : G. Niccolini, / Fasti dei tribuni délia plèbe, Milan, 1934, p. 110; T. R. S. Broughton, MRR I, p. 362; Taylor, VD, p. 308, n. 30) et les deux mesures ont été prises vraisemblablement contre la volonté du Sénat et des censeurs. Les rapprochements très suggestifs faits par L. Ross Taylor nous paraissent convenir mieux encore à l'interprétation que nous suggérons du plébiscite de Terentius Culleo : pour les municipes volsques, comme pour les autres cives s. s. accédant à Yo. I, il s'agit de créer de nouveaux clients, acquis aux Scipions, et leur assurer dans les comices tributes une majorité certaine; d'où l'hostilité de la classe politique dirigeante (les «nobles» selon Plutarque). 55 C'est incontestable pour les Campaniens révoltés: en 188 (encore!), le mouvement d'extension générale ne les oublie pas complètement, mais leur accorde seulement le conubiwn avec les Romains (Liv. 38, 36, 5); privés depuis leur châtiment de la civitas (s. s.), ils ne semblent pas l'avoir recouvrée par la mesure de 188; on ne sait quand ils l'obtiendront avant la guerre sociale. Quant aux Cumani (de même que pour les autres Campaniens fidèles), il est probable qu'en 180 (Liv. 40, 42, 13) ils n'avaient pas encore la civitas o. i (ainsi Taylor, VD, p. 81; Sherwin-White, RG, p. 214, n. 3). 56 On peut traduire « les censeurs changèrent la façon de voter et firent le recensement des tribus par région, prenant en considération l'origine des individus, leur lien juridique avec la cité (?) et leur fortune». Causae est traduit d'ordinaire par profession, âge, activités;
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de nombreuses explications57, l'une, dominante, pense de nouveau au vote des affranchis : pour L. Ross Taylor, dans une exégèse brillante, la réforme aurait consisté à ouvrir les tribus rustiques aux affranchis propriétaires fonciers pères d'un enfant de plus de 5 ans ou disposant d'un certain cens58. Mais la réforme n'a-t-elle pas dépassé le cas des affranchis? Ils sont qualifiés normalement d'ordo : le gênera hominum, en ce cas, resterait inexpliqué59. Enigme pour énigme, on peut penser qu'après une courte période de confusion ou de flottement, l'accès de tous les cives restés encore s. s. jusqu'en 188 a rendu nécessaire une réorganisation de la carte des tribus. Pour cela, les censeurs ont tenu compte de la géographie (regionatim), des catégories juridiques d'individus (municeps, id genus hominum . . . ), car des fraudes, des abus, des incertitudes n'ont pas dû manquer 60 ; leurs liens juridiques avec la cité (causae) n'ont pas été omis61, ni les conditions de fortune - elles vont de soi dans un recensement -. L'œuvre de 179 n'est qu'un aménagement de la mesure de 188. La disparition quasi-complète de la civitas s. s. après 188 dut apaiser les scrupules des juristes romains : depuis la fin du IVe siècle il s'était développé une pratique, muée en une vérité constitutionnelle, affirmant que tribus et civitas étaient indissociables. Sans doute en 350, lorsque, avec Caere, la civitas sine suffragio fit son apparition et jusqu'à la censure de 304, civitas
un sens plus juridique et technique semble possible : à côté des gênera (catégorie juridique), leur source (causae) (Liv. 40, 51, 9). 57 Celle, en particulier, de C. Nicolet, La réforme des comices de 179 av. J.-C, dans RHD 1961, p. 341 sq. qui, dans un premier temps, vit dans cette réforme celle qui établit un rapport entre les centuries et les tribus (traditionnellement placée entre 240 et 218 : Taylor, The centuriate assembly before andafter the Reform, dans Am. Journ. Phil. 78, 1957, p. 337 sq. et VD, p. 14 et p. 303), mais semble, depuis, avoir abandonné cette interprétation dans le Métier de citoyen, 1976, p. 354. 58 VD, p. 139 sq. et les références aux interprétations antérieures. La mesure aurait été rapportée en 169 (Liv. 45, 15). 59 R. Palmer, The archaic Community of the Romans, Cambridge, 1970, p. 73 a notamment soulevé contre l'interprétation de L. Ross Taylor cette objection, parmi d'autres mais qui ne nous paraissent pas convaincantes. 60 Pour R. Palmer les nombreuses colonies déduites entre 184 et 181 auraient provoqué des bouleversements dans l'enregistrement des tribules et justifieraient cette réorganisation générale. Cet argument est valable; il contribue à expliquer cette réfection générale des listes. 61 Contrôle de Yorigo locale; intrusion abusive de non cives incolae; adscripti introduits à tort parmi les municipes. Des fraudes ou des abus de ce genre sont aussi à prévoir (ils sont souvent dénoncés) dans la population civique des colonies.
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et suffragium ou tribus n'étaient pas soudés pour les Romains eux-mêmes62. Mais après 304, on ne peut s'empêcher de relever que les Romains - et jusqu'en 188 - continuèrent à tolérer et même à propager une forme de citoyenneté qu'ils avaient, pour les leurs, définitivement répudiée. En 169, le censeur C. Claudius Pulcher le rappelle à son collègue Ti. Sempronius Gracchus tenté d'exclure totalement des tribus, même des tribus urbaines où ils étaient massés, les affranchis : un citoyen sans suffrage, ce serait un homme sans civiîas, donc sans libertas63. L'opportune mise en garde n'implique pas, en elle-même, que la civitas sine suffragio avait nécessairement cessé d'exister64 : de fait, pendant plus d'un siècle la citoyenneté sans suffrage s'était accommodée d'un principe constitutionnel qui en condamnait l'idée même. Mais il est néanmoins vraisemblable que la proclamation solennelle et rigoureuse de C. Claudius prend tout son éclat au lendemain des mesures qui effaçaient à jamais65 les derniers effets durables d'une citoyenneté en principe transitoire. L'autonomie municipale a surmonté l'épreuve de la conquête. Au sein du municipe, mais également au dehors. L'éclatement définitif du territoire divisé par les confiscations ne s'est pas produit. L'attraction municipale Ta emporté. Plusieurs forces centralisatrices ont joué leur rôle : les structures administratives locales, l'activité juridictionnelle du praejectus i &, le censeur enfin qui, par l'extension progressive des droits politiques, effaçait les derniers obstacles juridiques à la reconstitution de l'unité territoriale primitive. C'est l'Italie augustéenne que décrivent les listes de Pline l'Ancien; mais dès 188 avant J.-C, pensons-nous, les conditions de l'unité municipale étaient réunies. Il n'y a pas de raisons pour en retarder davantage la renaissance.
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Supra, p. 349, n. 44. Liv. 45, 15, 3-7; cf. de même, Cic, Pro Caec. 95-96. 64 Ainsi, cependant, C. Nicolet, Le métier de citoyen, op. cit., p. 310. 65 Les Campaniens révoltés restent exclus naturellement. La démarche des Cumani (supra, n. 55) en 180 allait-elle leur ouvrir, à l'occasion de la réforme de 179, l'optimum ius? 63
CHAPITRE IX
LES PRAEFECTI IURE DICUNDO
Carte V Autonomie municipale n'est pas synonyme de souveraineté locale. Nous avons vu les manifestations variées de cette liberté limitée, car concédée; il reste maintenant à envisager le signe le plus net de l'autorité que Rome s'est attribuée en déléguant des praefecti iure dicundo exercer sur place la juridiction. L'institution en elle-même est d'une importance capitale pour achever de mesurer l'équilibre délicat entre l'autonomie et le respect de l'autorité centrale; mais elle soulève bien des problèmes : généralité dans l'espace, permanence dans la durée et compétence des praefecti. Au terme de cette étude on pourra, une fois encore, se demander si la mission des praefecti tolère que l'on interprète la civitas sine suffragio comme une citoyenneté d'honneur, comme un titre destiné à faire accepter un certain nombre d'obligations ou si, au contraire, elle ne fut pas un élément intrinsèque de l'incorporation, la réalité même de l'intégration juridique dans la civitas Romana. Le problème que l'on affronte est l'un des plus controversés qui soit. Il a intéressé, avec passion, et les prises de position n'ont pas manqué : Mommsen, Marquardt, Girard, De Sanctis, Beloch, Kornemann, Rudolph, Bernardi, Manni, Degrassi, De Martino, Sachers, Ensslin, Toynbee, Brunt, Torrent, Simshäuser1. Mais les divergences demeurent. Elles s'expliquent; 1 K.J. Beloch, It. Bund (1880), p. 131 sq. et RG. (1926), p. 377 sq., 492 sq.; Mommsen, Staatsr. III, p. 580, 797, 812 sq. = Dr. Publ. VI, 2, p. 194, 445, 463 sq.; P. F. Girard, Histoire de l'organisation judiciaire des Romains, Paris, 1901, p. 295 sq.; G. De Sanctis, Storia dei Rom. IV, p. 437 sq.; H. Rudolph, Stadt und Staat, passim; A. N. Sherwin-White, RO, p. 48 sq. = RG, 1973, p. 52 sq.; A. Bernardi, / cives sine suffragio, dans Atk, 16, 1938, p. 275; E. Manni, Per la storia dei municipii, p. 69 sq.; A. Degrassi, L'amministrazione délie città..., 1950, p. 309 sq.; F. De Martino, Storia, IV, p. 116 sq. = IF, p. 135 sq.; IIP, p. 315 sq. = IIP, p. 361 sq.; W. Ensslin RE 22, 1954, v° Praefecti i. d, c. 1284 sq.; 1309 sq.; E. Sachers, RE 22, 1954, v° Praefecti i. a\, c. 2378 sq.; A.J. Toynbee, //LI, p. 23849; P. A. Brunt, Italian Manpower, Oxford, 1971, p. 530 sq.; A. Tor-
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on dénoncera les lacunes dans les sources - et, depuis Mommsen, aucun élément nouveau n'est apparu; on accusera le témoignage capital de Festus, dont la définition de la praefectura (p. 262 L) a plutôt contribué à diviser; mais on n'oubliera pas un certain esprit de système, qu'il soit « centralisateur» ou «autonomiste»; d'où des vues trop dogmatiques et schématiques qui éloignèrent d'une réalité plus complexe et finalement plus riche.
I - LES PRÉFECTURES SELON FESTUS : LES INTERPRÉTATIONS PROPOSÉES
Praefecturae eae appellabantur in Italia, in quibus et ius dicebatur, et nundinae agebantur; et erat quaedam earum r(es) p(ublica), neque tarnen magistratus suos habebant. In + qua his + (quas) legibus praefecti mittebantur quotannis qui ius dicerent. Quarum gênera fuerunt duo : alterum, in quas solebant ire praefecti quattuor + vigenti sex virum nu pro + (e viginti sex virum numéro) populi suffragio creati erant, in haec oppida : Capuam, Cumas, Casilinum, Volturnum, Liternum, Puteolos, Acerras, Suessulam, Atellam, Calatium; alterum, in quas ibant, quos praetor urbanus quotannis in quaeque loca miserat legibus, ut Fundos, Formias, Caere, Venafrum, Allifas, Privemum, Anagniam, Frusinonem, Reate, Saturniam, Nursiam, Arpinum, aliaque complura (Festus, p. 262 L). « On appelait préfectures celles, en Italie, où l'on disait le droit et tenait les marchés; elles disposaient en un certain sens d'une administration autonome {res publica), mais étaient, cependant, dépourvues de magistrats propres. Chaque année des préfets y étaient envoyés, conformément aux lois (ou munis d'instructions?), pour y rendre la justice. Il y en avait deux types; d'abord celles où étaient envoyés quatre préfets, du collège des vigintisexviri, désignés par une élection populaire, à savoir Capoue, Cumes... ; puis celles du second type, où allaient ceux que le préteur urbain avait désignés chaque année conformément aux lois (ou munis d'instructions?) pour aller dans les localités suivantes : Fundi, Formiae... et plusieurs autres encore». Le schéma est simple. Festus commence par l'aspect fondamental, puis viennent les exemples. Pour le premier, la préfecture se définit comme la sphère de l'activité juridictionnelle des praefecti (in quas praefecti mitteban-
rent, La «Iurisdictio» de los magistrados municipales, Salamanque, 1970, p. 60 sq.; W. Simshäuser, Iuridici und Munizipalgerichtsbarkeit in Italien, Munich, 1973, p. 35-109, notant, p. 85 sq.
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tur qui ius dicerent); c'est aussi, si l'on veut, une sorte (quaedam) de res publica, mais la préfecture est dépourvue de magistrats (neque tarnen magistratus suos habebant). Quant aux exemples, Festus en distingue deux masses en se fondant exclusivement sur le mode de désignation des préfets; l'élection (une réforme probablement tardive2) pour les quatre préfets campaniens, la nomination par le préteur urbain pour tous les autres. Remettons à plus loin le détail de la liste, non exhaustive de Festus, pour en rester au concept même de l'institution. A première vue, elle contredit point par point tout ce que l'on vient d'écrire sur l'autonomie des municipes. Servius (ap. Festus p. 126 L) était formel : le municipe est exactement une res publica séparée, marquée notamment par l'existence de magistrats spécifiques. La préfecture, au contraire n'a pas de magistrats distincts; c'est dans un certain sens, improprement seulement, que l'on peut reconnaître en elle une sorte d'autonomie, de res publica. Mais là où le paradoxe éclate et la contradiction, honnêtement, paraît insurmontable, c'est lorsque l'on constate que parmi les exemples de préfecture sont nommés précisément un grand nombre de municipes : citons, au hasard, Cumae ou Suessula3 parmi les cités campaniennes, Fundi, Formiae, Caere, Privernum, Anagnia, Frusino, Arpinum parmi les autres. La contradiction a été violemment ressentie; elle a donné le jour à plusieurs interprétations dont on résumera les éléments les plus originaux. La première, solution du désespoir, fit le procès de Festus, dénonça la confusion de son esprit et rejeta la définition de la préfecture qu'il osa pro-
2 Pour Mommsen, Staatsr. I, p. 561 sq.; II, p. 609, n. 2 = Dr. Pubi II, p. 223 sq.; IV, p. 319, n. 2, le changement serait postérieur à la lex Acilia repetundarum (FIRA, Leges, NR 7, p. 84) et à la loi latine de Bantia, antérieure à la loi osque, elle-même d'époque syllanienne, pour la raison que les praefecti Capuam Cumas ne figurent pas dans les listes de magistrats que ces deux lois ont dressées. L'opinion de. Mommsen a été généralement suivie : on date d'après 123 l'introduction de l'élection (Lex Acilia; la loi de Bantia est moins sûre, car sa liste, qui omit l'élection des tribuns militaires des quatre premières légions, est incomplète) ; ainsi J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 240 (postérieur à 210); Ensslin, op. cit., c. 1284 sq.; Sachers, op. cit., c. 2387; H. Schaefer, RE2, 16 v° Vigintiviri, 1958, c. 2572; W. Simshäuser, op. cit, p. 92, n. 175. Pour F. De Martino, Storia II2, p. 137, élection possible dès 210, mais pas attestée avant 124. 3 Cumae, Suessula et Acerrae ont incontestablement conservé leur res publica et leur condition de municipia après 211, date traditionnelle de l'établissement de la praefectura Capuam Cumas. Sur ce maintien, infra, p. 369 et p. 371; sur la date de la création de la préfecture campanienne, infra, p. 366-72.
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poser4. Mais une issue moins expéditive est sans doute possible. De fait, beaucoup ont cherché une autre voie; convaincus de l'incompatibilité du municipe et de la préfecture, ils ont songé, comme il était naturel, à la succession de deux étapes chronologiquement distinctes. Pour les uns, à une étape marquée par l'autonomie municipale aurait succédé la dépendance. A la phase des magistrats locaux se serait substituée celle du praefectus iure dicundo5. On assisterait, de la sorte, à une dégradation du municipe en préfecture, contemporaine du moment où l'optimum ius aurait été étendu aux municipes s. s. Selon cette thèse, la citoyenneté complète aurait provoqué l'application intensive du droit romain et impliqué que la justice, voire l'administration du municipe, fût confiée à un agent de Rome. Cette transformation de l'autonomie municipale, muée en une préfecture dépendante, aurait duré grosso modo du IIe siècle jusqu'à la guerre sociale. Mais d'autres, avec des arguments aussi séduisants, ont soutenu une évolution exactement inverse : on ne serait pas passé de l'autonomie à la centralisation, mais de la centralisation à l'autonomie. Ainsi, pour Beloch, l'envoi de préfets aurait été la règle pour tous les cives s. s., puis, après avoir achevé leur assimilation, Rome aurait levé la contrainte des praefecti, au moment où la citoyenneté complète était donnée. Après une torpeur de plusieurs siècles, l'autonomie municipale se serait ranimée et les magistratures locales auraient retrouvé les fonctions confisquées jusque-là par le préfet6. Kornemann alla plus loin encore dans cette voie, puisque, champion de l'autonomie municipale, il soutint l'incompatibilité absolue entre l'existence d'un municipe et l'établissement d'une préfecture : la préfecture serait une communauté sans administration propre; il faudrait donc
4 Ainsi E. Manni, op. cit., p. 69 sq. : l'absence de magistrats (neque magistratus suos habebant) ne serait vraie que pour Capoue et les quelques cités campaniennes punies après 211, mais fausse pour tous les autres cas : il tesîo ai Festo è inesatto nella dejinizione generale {ibid., p. 70). 5 Ainsi A. Bernardi, op. cit., p. 275; de même A. J. Toynbee, EL I, p. 234, p. 240 : l'institution des préfets, abolition de l'autonomie locale, aurait répondu tantôt à la volonté de punir des municipia sine suffragio (Capua, Cumae - ce qui est manifestement inexact pour cette dernière), tantôt de combler un vide administratif (régions non urbanisées des Sabini. .. ), tantôt traduit, par l'abolition de l'autonomie locale, l'intégration dans l'optimum ius (tous les préfets regroupés dans le second type par Festus répondraient à cette finalité). Pour A. N. SherwinWhite, RO, p. 48 = RC1, p. 52, l'institution des praefecti serait tardive et la définition de Festus, en contradiction absolue avec sa définition du municipe, se référerait à la condition de Capoue après son châtiment (ravalée au rang d'un pagus). 6 It. Bund, p. 131 sq.; à l'exception des municipes fédérés - infra, n. 33.
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exclure de cette liste Caere, incontestablement municipe, et retarder la naissance des municipes de Fundi, Formiae et Arpinum jusqu'au jour où les préfets n'y furent plus envoyés 7 . Nous terminerons ce rapide « état de la question » par une ultime tentative d'explication, adoptée notamment par A. Degrassi 8 : municipe et préfecture ne s'opposent pas; l'autonomie municipale (res publica et magistrats spécifiques) a coexisté avec l'envoi de praefecti i. d. Aussi, lorsque Festus déclare que les préfectures n'ont pas de magistrats, il faudrait comprendre pas de magistrats judiciaires. La préfecture serait ainsi une communauté de citoyens, municipe ou non selon son degré de développement communal, mais démunie des magistrats chargés de rendre la justice. Il est difficile d'adhérer à l'un ou l'autre de ces essais d'interprétation. Comment, avec les uns, croire que le préfet servit à introduire la loi de Rome une fois acquis l'optimum ius, lorsque plusieurs exemples (Cumae, Casilinum (?), Suessula, Acerrae) prouvent que l'envoi de préfets coïncida avec la civitas sine suffragio? Il n'y a, de plus, aucun lien logique entre citoyenneté complète et application de la loi romaine : l'optimum ius marque seulement la concession des droits politiques. Comment, inversement, suivre Kornemann et penser que le municipe naquit généralement de la préfecture, sans perdre de vue la définition de Servius? Le municipe (notamment sine suffragio) est une communauté de cives qui, dès les origines, posséda une res publica et conserva son autonomie. Nous ne pensons pas non plus, en dépit de l'art de la conciliation qu'elles révèlent, que les dernières tentatives de solution répondent à leur tour à la définition en question. Festus ne dit pas que la préfecture est u n municipe autonome qui n'a pas conservé ses magistrats judiciaires, mais, b e a u c o u p plus fortement, que la préfecture n'a pas de magistrats du tout; et c'est p o u r cette raison que l'on ne peut pas, juridiquement, parler de sa res publica. Le texte est formel : pour tous les exemples de préfecture, c'est le préfet, envoyé de Rome, qui la définit; elle ignore l'existence de représentants locaux élus.
7
Art. cité, c. 615. Amtninistrazione, op. cit., p. 307; de même P. Brunt, op. cit., p. 524 sq.; W. Simshäuser, op. cit., p. 52, p. 94 sq. Tandis que A. Degrassi n'établit aucun lien entre praefectura et civitas sine suffragio ou ius optimum, P. Brunt place l'origine de l'institution des praefecti avec l'octroi de Yo. i et W. Simshäuser est enclin à l'attribuer à la phase ancienne, correspondant à la civitas sine suffragio. Mommsen, déjà, Staatsr. IÜ", p. 581, n. 1 = Dr. Publ. VI, 2, p. 194, n. 3 avait interprété le neque magistratus... des préfectures en refusant aux cités de cives sine suffragio la possession de magistrats au sens éminent du mot, au sens de titulaires de la juridiction. 8
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Au t e r m e de ce bilan, il se dégage un certain nombre de conclusions négatives; elles ne sont pas négligeables. La préfecture, selon Festus, n'a pas de magistrats ni d'autonomie; le municipe, selon le même a u t e u r (après Servius) a des magistrats et jouit de l'autonomie. L'opposition est totale et, pourtant, joue sur les m ê m e s exemples. Si l'on attribue à la préfecture une autonomie municipale et les magistrats à compétence limitée du municipe, la solution n'est pas atteinte, car c'est t o u r n e r le dos à la définition de Festus. Mais il est impossible, également, de soutenir l'hypothèse d'une succession dans le temps. L'existence de préfectures correspondant à des municipia de cives sine suffragio donne en effet u n e double leçon; on ne peut repousser les préfectures dans une phase seconde, celle où l'accès à l'optimum ius aurait abouti à une confiscation de l'autonomie locale; on ne peut pas davantage placer les préfectures dans u n e phase pré-municipale et les définir c o m m e l'administration embryonnaire d'un district rural démuni, par naissance, de l'autonomie. En réalité, les municipes autonomes doivent se concilier historiquement et juridiquement avec les préfectures dépourvues d'autonomie.
II -
LA DÉFINITION DE FESTUS : UNE TENTATIVE DE SOLUTION
A relire sans prévention la note de Festus, la difficulté n'est qu'apparente. Au juste, qu'est-ce qu'une préfecture d'après cette définition? Rien d'autre qu'une circonscription, un territoire sur lequel s'exerce la compétence juridictionnelle d'un préfet. C'est u n district judiciaire, techniquement l'équivalent du ressort d'une cour d'appel de nos jours. Dans son ressort, le préfet tient ses assises selon une régularité fixée par le r y t h m e des nundinae] les jours de marché, ceux où la population des alentours se réunit pour échanger ses produits, le préfet m o n t e son tribunal et dit le droit. Mais cette circonscription, Festus tient à le préciser, ne doit pas être confondue avec une unité administrative quelconque : on n'y procède à aucune élection et elle n'a pas de représentants. Selon cette définition juridiquement irréprochable, la préfecture ne tient aucune place dans l'échelle des centres d'administration territoriale; elle est encore audessous du vicus, du village, lui aussi centre de marché mais susceptible d'accéder, grâce à ses magistrats propres qui sont élus, au rang d'une res publica, certes modeste 9 . Cette conception de la préfecture s'adapte exacte9
Festus-Paul, v° vicus : ex vicis partim habent rem publicam et ius âicitur, partim nihil eorum; at tarnen ibi nundinae agunfUr negotii gerendi causa et magistri vici... quotannis jiunt.
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ment à toutes les hypothèses historiquement attestées : que le préteur choisisse u n municipe, ou un groupe de pagi, ou une colonie romaine pour déléguer le préfet qui dira le droit en son nom. Quand le siège de la préfecture est u n municipe, le municipe n'a pas disparu pour autant. Municipe et préfecture sont, par principe, des réalités juridiques différentes. Le premier est une cité locale qui a conservé son autonomie (res publica) et ses organes d'administration spécifiques; la seconde est un ressort judiciaire. Ils coexistent et ne s'effacent pas. La liste de Festus comporte un grand nombre de municipes-préfectures. Certes, l'envoi d'un préfet réduira la compétence des magistrats locaux, dépouillés, dans u n e mesure qui reste à déterminer, de la juridiction. Mais même avec cette restriction (ce n'en est qu'une de plus), le municipe reste une res publica alors que la préfecture, dont les frontières englobent pour le moins celles du municipe 1 0 , ne dispose d'aucun des éléments capables de ravir au centre local son autonomie administrative, ses magistrats, son sénat, son assemblée. Fundi, Formiae, Caere, Privernum, Anagnia, Frusino, Arpinum, Cumes, Suessula, Acerrae, Casilinum(?) sont des municipes qui ont été le siège de préfectures in quibus ius dicebatur. Nous aurons à préciser depuis quand et jusqu'à quelle date; mais se demander si la préfecture a précédé le municipe ou si ce fut l'inverse est sans objet puisqu'il est historiquement prouvé que les deux ont coexisté 1 1 et juridiquement non douteux, selon cette lec-
Le vicus a ses magistrats et est un lieu de marché; parmi les vici, les uns ont un tribunal et jouissent de l'autonomie, les autres non. Ce qui distingue les vici du premier type (autonomes) des praefecturae (sans res publica), c'est l'existence, dans les premiers, de magistrats dont les secondes sont dépourvues. Les magistrats des vici du second type, sans res publica, peuvent être ces magistrats formant un collège, et auxquels le soin de certains cultes du vicus, ou du pagus, est confié : cf., par exemple, dans Vager Campanus, ILLRP, 705-723 b. 10 Le domaine de la préfecture dépassa probablement fréquemment le territoire du municipe sans suffrage pour s'étendre aux régions confisquées et distribuées aux cives optimo iure. Supra, p. 343-4, et infra, p. 384-6. 11 Pour Cumes, Suessula, Acerrae, Casilinum (?), infra, p. 369, 371; ces cités prouvent que municipium de cives sine suffragio et préfecture sont conciliables. On étendra ce résultat à Fundi et Formiae ou Caere (leur qualité de municipia, donc de cités jouissant dès l'incorporation de l'autonomie, est attestée par'Festus - Paul, p. 155 L); il en fut de même pour Anagnia lorsqu'elle recouvra son autonomie provisoirement suspendue; Arpinum ne se dissocie pas des cités volsques de Fundi et Formiae; Privernum {supra, p. 202) jouissait de l'autonomie lors de son incorporation (de même, probablement pour Frusino). Toutes ces communautés sont des cités qui, lors de la conquête, étaient juridiquement organisées et sont entrées comme municipia dans la civitas s. s.
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ture de Festus, que le municipe et la préfecture ne sont pas incompatibles mais superposables. Lorsque c'est un centre d'administration inférieur, un pagus, un conciliabulum ou un forum11 qui accueille le tribunal du préfet et devient le centre de sa préfecture, le concept de praefectura ne change pas en dépit des apparences. Dans ces régions à habitat dispersé qui ignorent le stade de la civilisation urbaine, la préfecture forme un cadre judiciaire et aussi, il nous semble, une unité de recensement13, qui regroupent et chevauchent plusieurs cellules d'administration locale. A son point de départ, la préfecture qui n'est encore qu'une pure circonscription judiciaire est démunie, il va de soi, de magistrats locaux élus. Progressivement, à l'ombre de la compétence unificatrice du préfet, le pagus (ou le forum), siège de la préfecture, augmente son autorité; elle finira, à terme, par rayonner sur toute l'étendue de la préfecture 14 . Nous aurons l'occasion de revenir vers cette finalité centralisatrice de la préfecture; relevons ici la tendance naturelle à identifier formellement le ressort juridictionnel et la nouvelle unité administrative, lorsque le centre mineur aura commencé à maîtriser à son profit la rivalité des autres cellules d'administration. Leurs dimensions tendent à se correspondre exactement. D'où, dans les textes officiels de la fin de la République, la mention régulière des praefecturae aux côtés des municipia ou des coloniae; il s'agissait, dans les trois cas, de circonscriptions administratives, véritables res publicae munies de magistrats spécifiques15.
i:
Exemple d'une préfecture autour d'un pagus: Peltuinum ou Aveia, chez les Vestini; autour d'un forum : la préfecture de Forum Clodi (près du lac de Bracciano) en Etrurie méridionale (Plin., NH 3, 5, 52 et CIL XI, 3310 a). Il est très vraisemblable que le conciliabulum d'Interamnia Praetuttiorum fut le siège d'une préfecture (infra, p. 378-380). 13 Supra, p. 313-7. 14 L'histoire de Peltuinum {supra, p. 231 sq.) montre, à époque tardive, les étapes de l'évolution. 15 Dans la lex agraria de 111, allusion aux praefecturae, probablement, par l'expression de pro municipiis (FIRA, Leges, NR. 8, p. 103 sq., 1. 31) et supra, p. 347, n. 38; dans la Tab. Heracleensis (FIRA, Leges, NR 13, p. 140 sq.); dans la lex Mamilia Roscia Peducaea Alliena Fabia (ibid, NR. 12, p. 138, chap. 3 - mais il peut s'agir de la praefectura au sens gromatique du terme); dans la lex Rubria (ibid., NR 19, p. 169 sq., chap. 21,1.1,1.15); dans le fragment d'Esté {ibid., NR 20, p. 176, 1. 10). On peut y ajouter les titulatures officielles, contemporaines, attestées par l'épigraphie. L'autonomie reste encore limitée : c'est un praefectus, qui n'est pas un magistrat (même s'il est élu par la population locale), qui exerce la juridiction et non, comme c'était le cas pour tous les municipes à cette époque, les magistrats locaux.
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Mais il ne faut évidemment pas se laisser t r o m p e r par un simple titre; l'autonomie locale et les magistrats, à aucun degré de ce processus de maturation, n'appartiennent au ressort juridictionnel. Ils sont ceux du pagus ou du forum qui a emprunté au district judiciaire son titre, prestigieux pour un centre primitivement mineur, ses frontières et, surtout, la notion et l'exemple d'une autorité rayonnante et centralisée. En dépit de la similitude des noms, il ne doit se produire aucune confusion entre le territoire administré par le pagus ou le forum et le district placé sous l'autorité exclusive du praefectus iure dicundo. C'est évidemment contre ce risque que Festus met en garde; car il est plus redoutable encore que pour les municipes-préfectures. La praefectura, au sens strict et exclusif de ressort juridictionnel, ne procède à l'élection d'aucun magistrat {neque magistratus suos habebant). Il est alors impossible de l'identifier à une res publica bien que, Festus ne l'ignore pas, ces districts judiciaires aient fini par engendrer des unités d'administration locale plus ou moins achevées. Dans sa liste, Festus donne quelques exemples de ces préfectures, différentes des premières par leur lieu d'implantation : Reate, Nursia, Allifae, peut-être Venafrum; l'épigraphie y joint, parmi d'autres, Amiternum, Peltuinum, Aveia. Ce sont autant de ressorts juridictionnels doublés d'une administration locale progressivement centralisée. Mais, alors que des magistrats spécifiques, quattuorviri, octoviri, aediles sont placés à la tête de la res publica locale, qualifiée officiellement de praefectura16, la sphère de compétence du préfet, qui n'est pas un magistrat local, reste désignée du t e r m e de praefectura. Elle est dépourvue de magistrat et, en elle-même, ne constitue pas une res publica. La juridiction et l'autonomie locale sont restées deux réalités distinctes; aussi longtemps qu'un praefectus subsista, elles restèrent par principe non fongibles. Aucun obstacle, enfin, ne s'oppose à ce qu'une colonie romaine fût placée dans le ressort d'une praefectura. De fait, la liste de Festus peut en donner quelques exemples : Volturnum, Liternum et Puteoli, romaines (sine suffragio) depuis 334, placées depuis 211 au moins dans les préfectures Capuam Cumas (on reviendra sur cette date) et colonies romaines depuis 194; ou encore Saturnia, entrée dans la citoyenneté sans suffrage au début du III e siècle, et objet d'une déduction en 183 17 . Ces exemples, qui sont les seuls que l'on puisse invoquer, ne sont pas, de plus, dénués d'équivoque. On reviendra d'ici peu sur le problème complexe, insoluble peut-être, des liens 16
Supra, p. 241 sq.; p. 240 sq.; p. 229 sq; pour les références. Déduction des trois colonies campaniennes : Liv. 34, 45, 1 ; déduction de Saturnia : Liv. 39, 55, 9. 17
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historiques entre les colonies romaines et les praefecturae i. d. ; mais on voudrait, dès ici, dénoncer l'argument majeur qui permit de poser comme un principe l'incompatibilité d'une préfecture et d'une colonie. Les magistrats {Hviri) de la colonie de Puteoli ne prouvent-ils pas, par leur existence même, que dès sa fondation (194) la colonie échappa nécessairement à l'autorité des préfets Capuam Cumas? On l'a souvent affirmé; car, selon Festus, la préfecture exclurait l'autonomie et les magistrats locaux18. Mais nous repoussons cette conclusion regrettable; elle est fondée sur l'interprétation erronée de la définition de Festus. Le maintien de la préfecture à Puteoli après 194 n'empêcha pas la colonie, dès sa déduction, d'être un centre d'administration autonome; le préfet n'a pas entravé l'élection de duoviri. Comme pour les municipes de Cumae ou de Fundi ou les préfectures de l'Italie centrale, le neque magistratus suos habebant se réfère exclusivement à la circonscription judiciaire. A rien d'autre. Une dernière remarque «pour Festus»; il utilisa, dans sa note, pour indiquer le lieu où le préfet tient ses assises le terme le plus neutre qu'il put trouver : IOCCL C'est conscient. Les caractères fondamentaux du ressort juridictionnel sont absolument sans lien avec la forme de la res publica locale et son degré d'autonomie 19 . Le préfet ne la condamne pas, ne l'exclut pas et surtout ne s'y substitue pas.
III - LE DOMAINE DES PRAEFECTURAE IURE DICUNDO
Quelle fut l'aire de diffusion des préfectures et dans quelles limites chronologiques peut-on les replacer? Ces deux questions, que l'on envisa18 Ce fut primitivement l'opinion de Beloch, Campanien, Topographie... der Umgebung Neapels im Altertum2, Berlin, 1890 (réimpr. Rome, 1964), p. 90, mais il y renonça par la suite et plaça expressément les trois colonies campaniennes dans la juridiction des préfets Capuam Cumas : It. Bund, op. cit., p. 114; RG, p. 492 sq. Se sont prononcés en faveur de l'incompatibilité, sous le prétexte que les magistrats de la colonie seraient inconciliables avec l'absence de magistrats de la préfecture : J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 90; M. W. Frederiksen, RE.23, 1959, v° Puteoli, c. 2040; W. Simshäuser, op. cit., p. 106 et, p. 107, n'exclut pas complètement l'idée qu'au début la colonie ait été placée sous l'autorité des préfets : qu'en déduire? Si les Hviri excluent le praefectus, ce fut dès la constitution coloniale; sinon, l'argument présenté p. 106 est sans valeur (ce que nous pensons). W. Simshäuser a présenté d'autres arguments contre le maintien de ces colonies dans la juridiction des préfets : nous y reviendrons, p. 388 sq. 19 Mommsen, Staatsr. III, p. 581, n. 4 = Dr. Publ. VI, 2, p. 195, n. 3 avait remarqué la valeur de ce terme « pour manifester l'indépendance de cette institution à l'égard du statut local».
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géra simultanément, sont fondamentales; on ne peut, sinon, apprécier valablement la signification politique de l'institution et son incidence sur le concept de municipium. Le débat - ici encore les controverses restent vives - a connu plusieurs champions. H. Rudolph, dans une thèse bien connue et qui n'a jamais convaincu personne, partisan avec excès d'une centralisation totale, soutint que tout le territoire occupé par des citoyens de Rome, cives sine suffragio ou optimo iure, fut placé dès les origines jusqu'au milieu du Ier siècle av. J.-C. sous l'autorité de praefecti20. La critique a immédiatement dénoncé l'invraisemblance de ce schéma qui, naturellement, ne bénéficiait pas de l'appui des sources21. Inversement, W. Simshäuser, dans une étude approfondie récente, déjà souvent citée, contre-attaqua en affirmant au profit des municipes une autonomie juridictionnelle potentiellement illimitée et réduisit considérablement dans l'espace et le temps la mission des préfets22 : mesures exceptionnelles, partielles et de peu de durée. Il n'est pas inutile, pensons-nous, de reprendre après bien d'autres ce problème de la diffusion des préfectures. Afin de parvenir plus commodément à en établir la carte, nous distinguerons le cas des citoyens entrés dans l'Etat romain sans jouir du suffragium, de celui des cives optimo iure, le plus délicat : municipes romains du Latium et colonies romaines. 1 - Praefecturae et civitas sine suffragio. A partir des exemples fournis par la liste de Festus, par les témoignages littéraires et l'épigraphie, on constate trois situations différentes : il y a des cas ouverts à la controverse, des cas à peu près certains et ceux pour les-
20 H. Rudolph, Stadt und Staat im römischen Italien, notamment, p. 166. Plus encore, pour cet auteur, les cités italiennes devenues romaines après la guerre sociale auraient été de même dépouillées de la juridiction jusqu'à la réorganisation municipale de César (attribuée par Rudolph à la lex Mamilia Roscia, de 55) : ainsi, dans les pages synthétiques 230, 238 sq. 21 La critique a été faite et refaite; inutile d'y revenir. Cf. les c.r. de H. Stuart Jones dans JRS 26, 1936, p. 268 sq.; M. Cary, ibid., 27, 1937, p. 48; H. Strasburger, dans Gnomon 13, 1937, p. 177 sq. et les ouvrages ou articles de : A. N. Sherwin-White, RO, p. 137 sq. = RC1, p. 161 sq.; L Ross Taylor, Caesars Agrarian législation and his municipal policy, dans Studies.. . in honor of A.C. Johnson, Princeton, 1951, p. 68 sq. (notam., p. 75); F. De Martino, Storia IIP, p. 346 sq. (exposé détaillé de la thèse de Rudolph et critiques) ; W. Simshäuser, op. cit, p. 75-84. 22 W. Simshäuser, op. cit., a consacré un chapitre (p. 35-109) à ce problème, sous le titre : la formation de la juridiction municipale en Italie. L'institution des praefecti, limitée dans le temps, n'aurait touché que les régions démunies, à l'origine, d'organes de juridiction et d'autonomie (districts ruraux), et un petit nombre de cités qui, «pour certaines raisons» (p. 109) auraient été privées de leurs magistrats juridictionnels.
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quels on ne dispose d'aucune information - et ce ne sont peut-être pas les moins intéressants. Commençons par la controverse : il s'agit, bien entendu, des préfectures Capuam Cumas. A) Les préfectures
campaniennes
On sait qu'en 211 av. J.-C, châtiés pour leur défection, plusieurs municipes de la confédération campanienne, notamment Capua, Atella et Calatia, perdirent leur autonomie municipale 2 3 et même, pendant un certain temps, leur droit de cité. Ces anciens municipes, dégradés, furent réduits à l'état de simples agglomérations, de champs et de maisons 2 4 ; ils ne dépassèrent pas, en particulier Capoue jusqu'à ce qu'une colonie y fût déduite en 59 av. J.-C, la constitution des pagi qui se partagèrent leur territoire 2 5 . Sans sénat, sans magistrats, sans assemblée, ces cités n'eurent plus aucun des éléments qui leur avaient p e r m i s de maintenir leur autonomie depuis la conquête en 334. L'année où le Sénat se p r o n o n ç a pour ce châtiment effroyable, et appar e m m e n t unique, est précisément celle pour laquelle Velleius Paterculus rapporte : Capua in formam praefecturae redacta est (2, 44, 4), témoignage n o n douteux, confirmé d'ailleurs p a r Tite-Live, qui nous donne sans doute les termes mêmes du sénatus-consulte : praefectum ad iura reddenda a Roma quotannis missuros (26, 16, 10). D'éminents auteurs en ont déduit que les préfectures Capuam Cumas avaient été créées précisément cette année-là : c'est de 211 qu'il faudrait d a t e r ces préfectures dont Festus a donné une description détaillée 2 6 . En revanche, un autre témoignage de Tite-Live,
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Ce sont les trois cités qui firent défection; les centres de Liternum, Volturnum et Puteoli dépendaient de Capua. Cf. J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 115; p. 237 sq.; A. J. Toynbee, EL I, p. 242 sq.; II, p. 121 sq. 24 Liv. 26, 16, 9-10 : habiiari tantum tamquam urbem Capuam placuit, corpus nullum civitatis, nee senatum, nee plebis concilium, nec magistratus esse; sine consilio publico, sine imperio multitudinem, nullius rei inter se sociam, ad consensum inhabilem fore; voir de même Cic, de leg. agr. 2, 32, 88; Dion Cass. 15, 46 a = Zonaras 9, 6. 25 Plusieurs inscriptions confirment qu'à la fin du IIe siècle av. J.-C, en dépit du relèvement de Capoue, le municipe n'a pas été rétabli; l'autorité reste fractionnée entre divers pagi, dont on voit les plus importants décider de l'utilisation des summàe honorariae ou des sommes offertes au pagus par les magistrats de collèges religieux. Pour les inscriptions, ILLRP 708, 719, 722, éclairées par les études de J. Heurgon, Les magistri des collèges et le relèvement de Capoue de 111 à 71 av. J.-C, dans MEFR 56, 1939, p. 5 sq., et de M. W. Frederiksen, Republican Capua : a social and economic study, dans PBSR 27, 1959, p. 80-130. 26 E. Pais, Storia di Roma, I, 2, 1899, p. 231, n. 1; K. J. Beloch, RG, p. 386; A. N. SherwinWhite, RO, p. 41 = RC1, p. 43; A. Bernardi, dans Atk, 16, 1938, p. 246; J. Heurgon, Capoue pré-
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antérieur de plus d'un siècle, évoquant en 318 l'envoi, pour la première fois, de préfets à Capoue, serait sans valeur - une anticipation 2 7 - ou sans grande p o r t é e - une mesure d'arbitrage sans lendemain 2 8 . Mais le problème n'est pas résolu 2 9 . Pourtant la liste des preuves invoquées en faveur d'une autonomie juridictionnelle intacte de l'ensemble de la Campanie de 334 à 211 impressionne. Quelle valeur ont-elles exactement? L'argument essentiel présenté pour l'apparition tardive, à titre de châtiment, des préfectures Capuam Cumas repose sur le témoignage de Velleius. Incontestablement, il fait état d'une innovation dans le statut de Capoue; mais où se trouve la nouveauté? Velleius ne dit pas qu'en 211, p o u r la première fois, u n préfet fut envoyé à Capoue ou qu'une préfecture y fut créée, mais que, cette année-là, la cité fut « réduite à l'état d'une préfecture») elle fut dégradée d'un municipe en une préfecture. Or, c'est tout différent. L'expression de Velleius confirme lumineusement la définition générale de Festus et ne peut avoir qu'une signification. La préfecture, on le sait, est une circonscription judiciaire sans magistrats ni res publica', c'est précisément ce qu'est devenue Capoue, mais après la suppression d u municipe, l'abolition de ses organes, la destruction de sa res publica10. Une fois l'autonomie administrative anéantie, le territoire ne se définissait plus que par le cadre, vide, du district judiciaire. La nouveauté et l'essence du châtiment,
romaine, p. 237 sq.; E. Manni, Per la storia, p. 131; A. Degrassi, Amministrazione, op. cit., p. 310; F. De Martino, Storia II2, p. 136 et IIP, p. 369; A. J. Toynbee, HL I, p. 243 sq.; P. A. Brunt, Italian Manpower, p. 529; W. Simshäuser, op. cit., p. 85 sq. 27 Ainsi, E. Pais, op. cit., J. Heurgon, loc. cit 28 A. N. Sherwin-White, F. De Martino, //. ce. ; W. Simshäuser, op. cit., p. 90. 29 La tradition, qui fait figure d'ancienne, plaçait en 318 la création des premiers préfets campaniens. Ainsi, K. J. Beloch, It. Bund, p. 132 sq.; Mommsen, Staatsr. HI, p. 582 = Dr. Publ. VI, 2, p. 196; Marquardt, Staatsverwalt. P, p. 42 = Organis. de l'Emp. I, p. 57; P. F. Girard, Hist. de l'organis. judiciaire des Rom., 1901, p. 296 sq.; G. De Sanctis, Storia dei Rom. II1, 1907, p. 288; p. 437; Kornemann, RE, 16, 1933, c. 580; et, plus récemment, F. Sartori, Problemi di storia costituzionale italiota, Rome, 1953, p. 166 sq.; E. Sachers, RE, 22, 1954, c. 2388, s'est contredit comme W. Simshäuser, op. cit, p. 86, n. 155, l'a justement fait remarquer. 30 La disparition des magistrats et du municipe de Capoue sont sans rapport avec le maintien ou l'établissement de la préfecture. L'envoi d'un préfet ne supprime pas la res publica. Le contraire a été le plus souvent affirmé et l'on a vu un lien logique et historique entre la disparition du municipe et l'établissement de la préfecture : ce qui suppose 1) un contresens, dénoncé plus haut, sur la définition de la préfecture par Festus; 2) la déduction, inexacte, que toutes les cités campaniennes placées dans cette préfecture ont subi le même sort.
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pour Velleius, ne sont pas l'établissement d'une préfecture au niveau du municipe, mais la suppression du municipe, condition nécessaire pour qu'il ne restât plus que le ressort juridictionnel : c'est dans ce sens seulement que l'on pouvait dire que Capoue était ramenée à un district juridictionnel. Les termes employés par Velleius, remarquons-le, n e se réfèrent qu'à Capoue, la tête de la révolte. L'expression était impossible pour les autres cités campaniennes restées fidèles comme Cumes, Acerrae, Suessula ou Casilinum (?), qui, au m o m e n t où elles reçurent un préfet, ne furent pas «réduites à une préfecture», mais conservèrent leur autonomie et leurs magistrats 3 1 . Il y eut donc, en 211, dans le châtiment, u n e innovation; elle n'a concerné, selon l'expression exacte de Velleius, q u e Capoue (et ses alliées révoltées). On ne peut étendre le fait nouveau à l'ensemble des cités campaniennes que Festus présente regroupées dans les préfectures Capuam Cumas. La courte notice de Tite-Live plaçant en 318 les premières délégations de praefecti en Campanie conserve toute sa valeur 3 2 . Son historicité est-elle ébranlée par les autres arguments? Nous ne le pensons pas. Ainsi, affirmer que les municipes campaniens, en tant que municipia foederata, auraient nécessairement joui, jusqu'aux événements de 211, d'une pleine autonomie juridictionnelle 3 3 est sans valeur. La catégorie, invention
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Infra, p. 369, n. 36. Quant aux formules du sénatus-consulte de 211 rapportées par Tite-Live, elles traduisent simplement la volonté du Sénat, qui vient de retirer la citoyenneté romaine aux habitants des villes infidèles et d'en faire des pérégrins déditices, d'organiser un ordre élémentaire en maintenant la présence d'un tribunal. 33 Beloch, It. Bund, p. 117 sq.; RG, p. 377 opposait aux municipes fédérés les municipes dits de «droit cérite», dépourvus d'organes d'administration; la distinction se faisait donc non pas entre souveraineté et autonomie concédée, mais entre autonomie concédée et absence d'autonomie. Chez F. De Martino, la catégorie prit de l'ampleur; non fondée {supra, p. 270) elle est, de plus, éminemment artificielle et ne recouvre qu'une pétition de principe, sensible pour le cas de Capoue : 1) Capoue jouit d'une très large autonomie, donc est comparable à une cité fédérée (op. cit., IF, p. 89); 2) Etant un municipe fédéré, Capoue disposa d'une très large autonomie, notamment la juridiction (op. cit., IF, p. 137). En réalité ni la preuve du foedus constitutif, ni celle de la juridiction locale (infra, p. 370) ne sont apportées. Le concept est, en outre, ambigu : si F. De Martino affirme, ibid., p. 84, qu'il n'a d'importance que pour l'acte de constitution du municipe, e non già per la sostanza dei diritti riconosciuti, néanmoins il impliquerait (ibid., p. 137) par lui-même la souveraineté juridictionnelle. A la suite de F. De Martino, G. Pugliese, // processo civile romano II, 1, Milan, 1963, p. 108 sq.; A. Torrent, La « Iuris dictio», op, cit., p. 65; W. Simshäuser, op. cit., p. 50, p. 61; E. Ratti, / praefecti iure dicundo, dans Atti del Cesdir, 6, 1974-75, p. 252. 32
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moderne, a précisément été forgée pour donner une illusoire consistance à la thèse selon laquelle il aurait existé deux types de municipes : les municipes à autonomie potentiellement illimitée, par opposition aux municipes soumis à la juridiction d'un préfet. Mais, rappelle-t-on, l'existence, certaine, de meddices à Capoue, encore en 21134, n'est-elle pas la preuve la plus nette que ces magistrats supérieurs, qualifiés aussi de praetores, exerçaient la juridiction et ne pouvaient être soumis à des praefecîi i.d35? Certainement pas : la délégation d'un préfet, si l'on ne veut pas contredire la définition de Festus, ne supprime pas les magistratures locales, ni leur hiérarchie, ni leurs titres. Les meddices de Capoue, avant 211, n'ont pas été condamnés par les préfets que l'on peut faire remonter à 318; Cumes, siège d'une préfecture, ne fut pas davantage dépouillée de ses meddices, attestés encore tardivement sous la forme, équivalente, de praetores36. Mais ce n'est pas tout : lors des années cruciales de la défection, aucune mention n'est faite de la présence, sur place, de praefecti romains. Parmi les victimes romaines, on déplora le massacre des commandants de la garnison militaire, et non celle du préfet de Capoue 37 ; eût-il existé, il n'aurait pas manqué, en outre, de jouer un rôle politique, dont les sources auraient conservé le souvenir. Mais c'est poser, par principe, que le praefectus jouait un rôle politique important : or la direction de la cité et la haute administration des municipes, de la taille de ceux de la Campanie, n'étaient pas de sa compétence38. On sait, de plus, le peu de poids des arguments a
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Liv. 23, 2, 3 (217); 23, 7, 8 (216); 23, 35, 13 (215); 26, 6, 13 (211). L'argument est constant, mais il exprime des convictions variées : ainsi, pour A. N. Sherwin-White, RO, p. 40 = RC2, p. 44; J. Heurgon, op. cit., p. 238 sq.; A. Bernardi, op. cit., p. 246; A. Torrent, La «Iurisdictio», op. cit., p. 68 sq., sous le prétexte que la préfecture, telle que Festus la définit, implique la suppression des magistrats locaux - c'est inexact : supra, p. 360 sq. -; pour A. Degrassi, op. cil, p. 310, par l'idée que le titre de la magistrature renseigne sur l'étendue des pouvoirs du magistrat : un meddix, un dictator, un praetor est nécessairement investi de la juridiction - mais les praetores-meddices d'Anagnia ou de Cumae et le dictator de Caere, qui sont trois municipes-préfectures, condamnent l'hypothèse. L'argument est repris par W. Simshäuser, op. cit., p. 52 et n. 64; p. 87. V. encore supra, p. 290 sq. 36 Supra, p. 292; F. Sartori, op. cit., p. 37 sq., plaça les origines des préfectures campaniennes en 318, mais considéra que la définition festienne des préfectures impliquait nécessairement la suppression des magistratures locales pour toutes les cités campaniennes après 211; les praetores de Cumes seraient la résurrection, après 90, des meddices abolis entre 211 et 90. Mais, on l'a vu, la définition de Festus n'implique rien de tel. 37 Liv. 23, 7; 26, 13, 5; 31, 31, 12; ainsi, A. J. Toynbee, HLl, p. 245; P. A. Brunt, op. cit., p. 529; W. Simshäuser, op. cit., p. 91. 38 Infra, p. 393. 35
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silentio. De fait, les historiens de l'antiquité n'ont pas une seule Fois mentionné le rôle, ni même la présence des préfets auprès des municipes-préfectures dont Festus a dressé une liste incomplète. Venons-en à la pièce décisive. Mommsen, partisan, pourtant, des débuts de la préfecture Capuam Cumas en 318, n'a-t-il pas sorti de Tite-Live la preuve péremptoire qu'en 216 les meddices de Capoue avaient le pouvoir de indices dare, c'est-à-dire d'organiser des procès renvoyés devant des iudices campaniens39? On le répète depuis40, au détriment de la syntaxe. Le passage en question dénonce en réalité la partialité du sénat de Capoue, flattant le parti populaire : « les sénateurs défendaient en justice les causes, étaient toujours du parti, choisissaient les juges en faveur du procès, qui seraient les plus populaires et les plus aptes à leur concilier la multitude» 41 . Il n'est pas question de la iuris dictio des meddices, ni naturellement de celle du sénat de Capoue42; le rôle du sénat est ici de procéder au choix des indices (privati), en principe par tirage au sort, sur une liste de notables. A qui appartenait l'organisation de l'instance, la juridiction au sens exact? Tite-Live ne le dit pas. On ne peut, à priori, exclure la juridiction du préfet qui, comme le préteur à Rome, disait le droit, mais ne jugeait pas lui-même; il s'en remettait pour cela à des iudices privati, qui devaient naturellement appartenir à la population locale. Du faisceau d'arguments ingénieusement rassemblés pour dater de 211 seulement l'établissement des préfectures campaniennes, il n'en subsiste
39 Mommsen, Staatsr. III, p. 581, n. 2 = Dr. Publ. VI, 2, p. 195, n. 1. Mommsen avait alors conclu à un partage de compétence entre le praefectus et les meddices, pour la période allant de 318 à 216-211. L'idée d'un partage n'est pas invraisemblable : il y a même de très bons arguments pour elle, infra, p. 389. Mais elle est fondée ici sur un véritable contresens du texte de Tite-Live. 40 Soit au profit d'un partage de juridiction, à la suite de Mommsen, soit, beaucoup plus généralement, au profit d'une compétence des meddices excluant par principe celle des praefecti: Beloch, RG, p. 386; A. N. Sherwin-White, RO, p. 40 = RC1, p. 45; J. Heurgon, op. cil, p. 239; W.Ensslin, RE 22, 1954, c. 1284; F. De Martino, Storia IF, p. 137 et IIP, p. 369; P. A. Brunt, op. cit., p. 529, n. 1 ; W. Simshäuser, op. cit., p. 87. 41 Liv. 23, 4, 3 : hinc senatores plebem adulari... eas causas suscipere, ei semper parti adesse, secundum eam litem iudices dare, quae magis popularis aptiorque in vulgus favori conciliando esset. Seul, P. F. Girard, Organis. Judic, op. cit., p. 292, n. 2, a dénoncé le contresens mommsénien et donné l'interprétation exacte. 4: ludicem dare se réfère techniquement à l'organisation de l'instance, à la juridiction proprement dite - elle appartient au préteur, à Rome. Il ne peut être question d'attribuer ce pouvoir au sénat de Capoue. Il faut donc donner à ces mots le sens non technique de choisir des juges (c'est le seul qui, d'ailleurs, soit ici possible grammaticalement).
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finalement aucun. Mais les preuves positives en faveur de la création en 318, de leur côté, sont-elles plus fermes? Nous en réunirons trois. La première est donnée par le témoignage formel de Tite-Live en 318 : eo anno primum praefecti creari coepti sunt. Jusqu'à preuve du contraire, il est suffisamment explicite, et une légère impropriété de langage ne suffit pas à le biffer sans procès43. Il n'est pas non plus exact d'en vider la portée en maquillant la décision de Rome sous la forme d'un douteux arbitrage international 44 . Le contexte qui entoure ces premières délégations prétoriennes renforce la confiance dans l'authenticité du document d'archivé. Rome, au dire de Tite-Live, n'étendit-elle pas, au moins aux cives sine suffragio d'Antium et dès 317, les bienfaits qu'elle attendait de cette pénétration du droit romain? 45 La consécration définitive de l'occupation romaine de Yager Falernus ne contribua-t-elle pas aussi à l'institution de la préfecture?46 Enfin, admettra-t-on sans étonnement que la fidélité légendaire d'un municipe comme Cumes47 et celle, non moins douteuse, de Suessula, Acerrae et Casilinum48, aient reçu, en 211, leur récompense légitime sous la forme d'une confiscation de leur autonomie juridictionnelle? C'est à peine pensable49. Si ces municipes, après 211, se retrouvent placés dans les préfectures campaniennes, c'est qu'ils s'y trouvaient déjà, aux côtés de Capoue, depuis 31850. Les cités révoltées, seules, subirent le châtiment. Ce ne fut pas
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Tite-Live aurait dû employer le mot mitti et non creari, terme réservé à la creatio de magistrats élus. Nous ne pensons pas que l'on puisse, avec A. N. Sherwin-White RO, p. 40 = RC1, p. 43, tirer une leçon quelconque de la redondance primum... coepti; elle n'implique pas une initiative sans lendemain. V. encore H. Siber, dans ZSS 62, 1942, p. 386. 44 Supra, p. 204. 45 En rétablissant la constitution municipale d'Antium, et, pensons nous, en y introduisant un praefectus. Les autres préfectures sont, en général, datées de cette période (seconde moitié du IVe siècle); supra, p. 190. 46 F. Sartori a justement rapproché la date de 318 de la création de la tribu Falerna : op. cit., p. 166. 47 Vell. 1, 4, 2; Liv. 23, 15; 23, 31, 10; 24, 13, 6. 48 Acerrae, saccagée par Hannibal (Liv. 27, 3, 7); Suessula a dû rester fidèle puisque l'on ne la trouve pas parmi les cités rebelles, notamment, avec Capua, Atella et Calatia, qui frappèrent monnaie (cf. J. Heurgon, op. cit., p. 190) et furent châtiées (Liv. 26, 33, 12). Le sort de Casilinum est douteux. 49 L'objection a été ressentie : pour J. Heurgon, op. cit., p. 239, la fidélité de Cumes fut... récompensée par une place d'honneur (mais en seconde position) dans la liste officielle de ces préfectures! Pour le même auteur, Cumes aurait peut-être reçu un préfet un peu après 211 (mais avant 194); il n'y en a pas de preuve, en fait. 50 Le titre officiel des praefecti Capuam Cumas (cf. CILXl, 3717) nous semble avoir été 25
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d'être placées sous l'autorité nouvelle d'un préfet, mais, si l'on en croit Velleius, d'être décapitées; leur personnalité administrative et leur autonomie formelle et réelle s'étaient dissoutes dans les frontières d'une circonscription juridictionnelle. Quelle fut la durée de ces préfectures? Cumes, encore sine suffragio en 18051, n'a peut-être retrouvé qu'après la guerre sociale son autonomie juridictionnelle; on ne sait quand ce municipe-préfecture accéda à la citoyenneté complète. A Capoue, l'effet d u châtiment se maintint jusqu'à la déduction, en 59, d'une colonie romaine. C'est de ce jour seulement qu'une constitution locale fut rétablie; elle provoqua sans doute le déclin de la compétence du préfet (ou des préfets) Capuam Cumas, dont le titre même disparut à l'époque augustéenne 5 2 . B) Les autres préfectures
attestées
Si l'on prend u n e carte figurant le domaine de la civitas sine suffragio au m o m e n t de sa plus grande extension, vers 268, on r e m a r q u e qu'elle correspond, à quelques lacunes près, à l'aire de diffusion des praefecturae iure dicundo. Nous en dresserons la liste 53 , en récapitulant les éléments susceptibles d'aider directement, par la suite, à interpréter la signification politique et juridique des préfectures. 1) Les Volsques : sont attestés, c o m m e centres d'une préfecture, les municipes suivants: Fundi (334; F et CILl2 611 = ILLRP1068); Formiae (334; F); Privernum (329; F); Frusino (303; F); Arpinum (303; F). Si Priv e r n u m et Frusino ont subi des confiscations et un morcellement de leur territoire au profit de cives o.i, Fundi, Formiae et Arpinum ont échappé à l'implantation de citoyens originaires d e Rome 5 4 . Les seuls centres de cives s. s. - volsques par leur civilisation et, en partie, leur peuplement -, p o u r lesquels une préfecture n'est pas attestée, sont le municipe de Velitrae
bien éclairé par F. Sartori, op, cit., p. 165 sq.; il ne peut s'expliquer que par le maintien de la liste officielle d'avant 211; jamais, sinon, Cumes n'aurait eu la seconde place, après Capoue, la rebelle déchue, privée de la citoyenneté romaine. Sur la répartition des dix cités campaniennes entre les 4 préfets, v. l'ingénieuse reconstitution de P.F. Girard, op. cit., p. 298. 51 Liv. 40, 42, 13 et Taylor, VD, p. 81. 52 Sur la destinée, après 211, des préfectures campaniennes, v. les éléments rassemblés par W. Simshäuser, op. cit., p. 92 sq. La magistrature des praefecti Capuam Cumas a pu se maintenir jusqu'à Auguste, comme un titre sans fonctions. 53 Nous renvoyons, pour les détails, au chapitre consacré aux formes de l'incorporation. Le sigle F signifie que la cité figure parmi les préfectures dans la liste de Festus, p. 262 L. "Supra, p. 201; 220.
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(338), en partie morcelé, Antium (338) et Tarracina (329) soumises également à des confiscations. 2) La Campanie (334) : supra, p. 366-72; préfecture pour l'ensemble en 318 (211?); confiscation de Vager Falernus. 3) Les Herniques : Anagnia (306; F), municipe, dont les magistrats virent leur compétence provisoirement suspendue; des confiscations ont eu lieu; à Capitulum Hernicum (306), pas de préfecture attestée. 4) Les Eques : pas de préfecture attestée à Treba, ni à Trebula Suffenas (303), mais des confiscations décidées contre celle-ci. 5) Les Aurunques : pas de préfecture attestée à Minturnae, seul centre où des cives s. s. furent maintenus, regroupés en une organisation locale. Confiscations étendues. 6) Les Ombriens : préfecture à Fulginiae (Cic, pro Vareno : supra, p. 222); pas attestée à Plestia ni à Interamna Nahars; confiscations pour l'ensemble. 7) Les Vestini (293) : leur territoire est réparti entre deux préfectures, Peltuinum (CIL IX, 3429 et supra, p. 228) et Aveia (CIL IX, 3627). Confiscations possibles, mais non certaines. 8) Les Sabins (290) : la région, qui subit de vastes confiscations, est divisée en plusieurs préfectures : Reate (F et supra, p. 241), Amiternum (CIL IX, 4182 et 4201); Nursia (F). Pas de praefecti attestés auprès des autres centres de Cures et Trebula Mutuesca. 9) Les Praetuttii (290) : pas de préfecture mentionnée à Interamnia Praetuttiorum, qui deviendra le centre principal du territoire. 10) L'Etrurie (280-273) : préfectures à Caere (350; 273? F), qui subira des confiscations pour l'implantation de colonies maritimes; à Statonia (Vitruv., de arck 2, 7, 3; Plin., NH, 36, 49, 168)55; à Satumia (civitass. s.? col. rom.? F)56; à Forum Clodi (CIL XI, 3310a; Plin., NH, 3, 5, 52). 55 L'emplacement de Statonia, longtemps recherché, semble déterminé aujourd'hui, grâce à des glands de plomb retrouvés entre Pittigliano et Manciano avec l'inscription Statnés. Le territoire de la cité qui, après la période étrusque, connut un épanouissement certain du IIIe au Ier siècle, fut pris sur Vulci en 278. Peut-être y eut-il des distributions de terres. Sur la localisation et ces vestiges, cf. EAA VII, 1966, p. 475. Le pagus de Visentium dépendit sans doute de cette préfecture, jusqu'à son déclin à la fin de la République; les Hviri de Visentium révèlent une constitution municipale de l'époque césarienne : cf. L. Gasperini, dans Epigraph. 21, 1959, p. 35. 56 Le territoire de Saturnia, l'un des plus anciens centres de l'Italie d'après la tradition, situé entre Sovana, Statonia et Roselle, fut pris à Vulci en 278. Une colonie de citoyens y fut
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11) Les Picentes (268) : nombreuses préfectures (Caes., BC. 1, 15). 12) La frange occidentale du Samnium (268) : l'ensemble du territoire incorporé est réparti entre les préfectures de Venafrum (F) - avec distribution des terres confisquées -, Casinum (CILX, 5193 et 5194 = ILLRP 563), Atina (Cic, Pro Plane. 8, 21), Allifae (F). Ce d é n o m b r e m e n t permet de tirer plusieurs conclusions. A quelques exceptions près (les Eques, les Praetuttii et les Aurunques du moins ce qui en restait), tous les peuples entrés dans la civitas sine suffragio ont accueilli pour la majorité - parfois la totalité - de leurs centres, l'installation d'un praefectus i. d. Mais tous les municipes ou tous les territoires incorporés dans la civitas sine suffragio ne sont pas, cependant, attestés comme des préfectures; si la carte des préfectures et celle de la civitas s. s. sont superposables, il y a un certain n o m b r e de vides. Rationnellement, doit-on dénoncer ici les lacunes de n o t r e information? C'est évident. Si l'on met à part la liste exhaustive des cités comprises dans les préfectures campaniennes, c'est le nom de 21 préfectures que l'on peut restituer. Or, parmi ces noms, dix sont connus exclusivement p a r Festus, l'identification de neuf autres est due au caprice des sources littéraires ou épigraphiques, tandis que pour deux seulement, le témoignage de Festus est confirmé p a r une inscription ou u n texte littéraire. Personne ne contestera donc que la liste de Festus est très incomplète - il le déclarait luimême -, ni que celle établie à l'aide d'autres données l'est autant; la preuve en est qu'elles ne se recoupent presque jamais. A titre d'exemple, citons le cas des Samnites : des quatre préfectures, Festus n'en a retenu que deux (Venafrum et Allifae) et négligé Casinum et Atina que les hasards de l'archéologie ou d'une clientèle ont, à leur tour, sauvées de l'oubli. Pourtant, ces quatre centres sont en tous points identiques. Le plus surprenant est qu'en dépit de ces lacunes, la carte d'ensemble ne comporte pas davantage de vides. Il est clair, par conséquent, que l'argument a silentio, à lui seul, ne permettra jamais d'attribuer l'autonomie juridictionnelle à u n e cité sine suffragio p o u r la seule raison qu'elle est hors de ces listes. A partir des données résumées ci-dessus, on peut soulever le p r o b l è m e de l'ère d'utilisation des préfectures. Tous les exemples fournis p a r les sources littéraires et épigraphiques se réfèrent à des préfectures de cives optimo iure. On en a déduit que l'établissement d'une préfecture suivait la
déduite en 183. Le problème de savoir si la préfecture appartient à la cité de droit sans suffrage ou à la colonie (ou aux deux) est discuté : infra, p. 387-8.
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concession de Y optimum ius57. En réalité, l'argument ne tient pas; si une grande partie des préfectures est confirmée p o u r la phase de la citoyenneté complète, cela tient exclusivement à deux faits : à la date tardive de nos témoignages et au maintien prolongé, pour des motifs d'administration locale, de certaines préfectures. On peut, en revanche, penser que pour leur totalité les préfectures ont été introduites lors de l'incorporation dans la civitas sine suffragio, pour s'effacer progressivement, à une date indéterminable actuellement mais qui n'a pas forcément correspondu à l'obtention des droits politiques. En voici les raisons. a) Il n'y a pas de lien nécessaire entre l'envoi d'un praefectus et l'accès aux droits politiques. A preuve, les municipes campaniens de 318 à 216-211 ou, si nous n'avons pas convaincu, le cas des cités campaniennes fidèles, de 211 à 180 pour le moins. L'exemple d'Anagnia a la même valeur. La suspension provisoire des compétences locales, en 306, rendit nécessaire la délégation d'un représentant du préteur; la justice rendue en son n o m n'a rien à voir avec l'accès aux droits politiques. Répétons-le : l'optimum ius n'implique pas une autonomie législative ou juridictionnelle locale plus réduite que la civitas sine suffragio. b) La liste des préfectures montre que des préfets ont été envoyés dans des municipia, mais aussi dans des régions non urbanisées. L'une des finalités de l'institution, dans cette seconde hypothèse, est de favoriser l'épanouissement d'une autorité centralisatrice par l'exemple d'une justice concentrée entre les mains d'un organe unique 5 8 ; cette fonction du préfet est sans rapport avec l'optimum ius. De fait, elle se maintint souvent très tard dans ces localités à des époques où l'unification du droit romain n'était plus en question. Pour ces districts ruraux, la mission des préfets servait la romanisation en diffusant le concept d'une administration centralisée. Il n'y a pas de motif à retarder cette politique de romanisation jusqu'à la date de l'extension des droits politiques. c) Parmi les autres exemples de préfectures, on a reconnu des municipia; mais ils sont de deux types. Les uns, les plus nombreux, ont subi des confiscations lors de l'incorporation dans la civitas sine suffragio tandis que quelques autres (Fundi, Formiae, Arpinum, Gumae) y ont s û r e m e n t
57 La création des préfectures a ainsi été attribuée à l'époque récente de l'optimum ius par les auteurs suivants : A. Bernardi, dans Atk, 16, 1938, p. 275; A. J. Toynbee, HL I, p. 240 sq. (à l'exception de la Campanie); P. A. Brunt, Italian Manpower, p. 531 sq. 58 Voir l'exemple de Peltuinum : supra, p. 229 sq., et p. 314 sq.
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échappé 5 9 . Faut-il, p o u r eux tous, considérer que la confiscation de l'autonomie juridictionnelle ne fut décidée p a r Rome qu'à l'heure de l'attribution du ius suffragii? Dans u n certain sens, on pourrait le penser : à une intégration, à une assimilation plus complète de ces cives de l'extérieur aurait répondu une d é p e n d a n c e plus étroite à l'égard des magistrats de YUrbs. Mais, nous le pensons, n'attribuer que cette fonction de contrepoids, aux praefecti, c'est en appauvrir considérablement le rôle; une tout autre mission leur était impartie, qui trouve sa véritable raison d'être au cours de la phase de la civitas sine suffragio. Les municipes-préfectures d o n t le territoire fut amputé par des confiscations et des distributions viritanes ont exercé, nous l'avons vu, un incontestable rôle d'attraction 6 0 , dont le résultat fut de reconstituer l'unité territoriale primitive. Or quel fut l'élément le plus actif dans ce rapprochement? Le préfet incontestablement, organe c o m m u n aux cives optimo iure et aux cives sine suffragio, trait d'union entre la population allogène et la population municipale. C'est évidemment sitôt après la conquête que les problèmes de coexistence se sont posés et que les services d'un représentant de Rome, chargé de la haute juridiction, eurent le plus grand prix. Dans le cadre c o m m u n de la praefectura, les tournées judiciaires furent un ferment de romanisation p o u r le territoire municipal, et d'unification pour l'ensemble : cives s. s. et trihules o. L En revanche, le jour où le censeur constatera la maturité atteinte p a r l'unité territoriale, il étendra au territoire resté municipal la tribu formée initialement des terres confisquées. A ce m o m e n t là, le processus de réunification est achevé au profit du municipe : le préfet n'a plus de raison d'être; il ne tarde pas à être remplacé par les magistrats locaux dont les fonctions juridictionnelles ont été partiellement 6 1 mises en veilleuse. C'est bien lors de la phase de la civitas sine suffragio que la mission du préfet trouve son sens plein. Est-ce dire que l'établissement d'une préfecture était inutile ou juridiquement impossible p o u r les municipia de cives sine suffragio qui ne subirent pas de confiscations? Il ne semble pas. Si l'on a d m e t que la juridiction était le seul facteur de romanisation, qu'elle était l'unique point de contact entre ces cives s. s. et la civilisation de Rome, on n'hésitera pas à placer ces
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Pour le détail, supra, n. 54 et, pour Cumae, p. 368, p. 371 et n. 47. Supra, p. 343 sq. 61 En faveur d'une compétence juridictionnelle locale au sein même de la préfecture, infra, p. 380-1; 388-9. 60
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préfectures avant la fusion dans la cité politique. De fait, l'exemple de Cumes le prouve; pour celui-ci, comme, vraisemblablement, pour les autres municipes maintenus à l'écart d'une pénétration individuelle, d'une implantation précoce de cives o. L, la préfecture a précédé, donc préparé l'accès à la citoyenneté complète. C'est au cours de la phase sine suffragio que la préfecture a sa principale raison d'être quand il s'agit d'un municipe; nous n'affirmons pas, par là, que l'optimum ius la supprima partout nécessairement 6 2 . Mais la citoyenneté complète consacrait l'achèvement d'un processus qui, dans la plupart des cas, rendait inutile, donc inopportun, le maintien d'une justice centralisée. Pour les régions non urbanisées, les préfectures ont probablement, de même, suivi la conquête et l'incorporation dans la civitas s. s. ; mais elles se maintinrent, au-delà de l'accès à Vo. L, aussi longtemps que leur finalité profonde ne fut pas atteinte. Il fallut, parfois, attendre le cœur de l'Empire. C) Les préfectures non attestées La carte des préfectures laisse des vides; ils sont peu considérables, et ne paraissent pas significatifs. On pourrait en rester là et conclure en faveur de la généralité de l'institution. Mais il est cependant intéressant de se d e m a n d e r si, en une règle quasi absolue, la civitas sine suffragio n'a pas impliqué la soumission à la juridiction de Rome. L'exercice est périlleux et, en général, depuis les malheureuses conclusions de H. Rudolph, on ne s'y risque guère. Mais cette thèse, par ses excès mêmes et ses bases inexactes 63 , n'a pas définitivement condamné la question : tous les cives s. s. ont-ils été placés sous la juridiction de praefecti? Chez les Volsques, Velitrae (338) ne présente pas de grandes difficultés; les formes de son incorporation furent en tout point comparables à celles
62 La table d'hospitalité de Fundi (infra, p. 393 sq.), selon la date proposée, prouve que la préfecture a subsisté après l'attribution, en 188, du ius optimum. 63 Notamment en invoquant, Stadt und Staat, p. 166 l'expression (reconstituée) de la lex Acilia repetundarum, 1.31 (in terra Italia in oppedeis foreis conciliabfoleis, ubei iure deicundo praesse soient) à preuve que tous les municipes, fora et conciliabula étaient en 123-122 placés sous la juridiction de praefecti Ld. W. Simshäuser, op. cit., p. 98 sq. a justement dénoncé cette interprétation inexacte, pourtant fréquente : F. De Martino, Storia IF, p. 136, n. 87; W. Ensslin, RE, 22, 1954, c. 1309; P. A. Brunt, Italian Manpower, p. 534. Aux critiques de W. Simshäuser on ajoutera les expressions identiques révélées par la lex Puteolana III, 14 (cf. L. Bove, dans Labeo 13, 1967) : formulaq(ue) ab eo qui i(ure) dficundo) praerit consti[tuta... : il n'est pas question d'un praefectus L a\, ou encore par la lex Mamilia Roscia... (FIRA, Leges, NR 12, p. 138, chap. 3).
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de Privernum, siège d'une préfecture64. De plus, Velitrae nous a donné l'un des exemples les plus nets d'une rapide reconstitution de l'unité territoriale, par une attraction des cives o. i inscrits dans la tribu Scaptia autour du municipe de citoyens sans suffrage. Ce sont là deux motifs qui permettent de penser qu'un praefectus fut l'instrument de la fusion. Il est vrai qu'A. J. Toynbee avait pensé que la présence même des cives o. i avait suffi à la romanisation 65 ; mais peut-on admettre que ceux-ci, «inscrits» au municipe, aient été placés sous la juridiction des meddices locaux? Nous ne le croyons pas. La reconstitution, en 317, de la communauté de citoyens sans suffrage d'Antium (338), après la suspension des compétences locales, permit de même, pensons-nous, de placer sous la juridiction d'un préfet les populations indigènes. Il est même vraisemblable qu'elle s'étendit aux citoyens de la colonie et prépara la fusion en une seule cité, la colonie. Peut-être en futil de même à Tarracina - mais on ignore ici, la taille et l'importance du peuplement indigène aux côtés de la colonie romaine (329). Il est généralement admis que l'absence de préfecture chez les Eques et les Praetuttii n'est due qu'aux listes incomplètes dont on dispose66. De fait, Trebula Suffenas, ainsi que, peut-être, Treba sont parvenues à reconstituer leur unité municipale primitive en absorbant les cives o. i installés sur leurs terres et inscrits dans la tribu Aniensis67. L'existence d'un préfet est ici encore nécessaire68. Elle l'est tout autant chez les Praetuttii et pour plusieurs raisons. On ne comprendrait pas pourquoi cette région à l'habitat dispersé comme chez les Sabini ou les Vestini ou les Picentes aurait été exclue des avantages d'une institution développant une administration locale centralisée. Mieux encore, l'histoire d'Interamnia Praetuttiorum montre que le phénomène de concentration de l'autorité a été réussi, après un amalgame de citoyens de Rome et d'une population locale, exactement comme on peut se le représenter dans les préfectures sabines. Il n'est pas nécessaire de reconstituer un grand nombre de préfectures chez les Prae-
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Supra, p. 185 sq. et p. 202 sq. Beloch, It. Bund, p. 132 y rétablissait une préfecture. HL I, p. 240. 66 Beloch, op. cit., p. 132; A. J. Toynbee, HL, I, p. 239, pour Vager Praetuttianus et non, mais sans fournir de raisons, le territoire des Eques (ibid., p. 240). 67 Cf. supra, p. 218 sq. 68 Car on ne peut penser qu'un ressort judiciaire commun, ferment de l'unification, aurait placé les cives optimo iure sous l'autorité des magistrats d'un municipe de cives sine suffragio. 65
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tuttii : celle d'Interamnia dut suffire pour administrer la justice chez les cives de la tribu Velina et les cives sine suffragio indigènes. Si, chez les Sabins, pour les raisons que l'on a indiquées, trois préfectures ont été organisées, il n'y a pas de raison d'en exclure le territoire de Cures, ni celui de Trebula Mutuesca69. En Ombrie, Plestia pourrait, à la rigueur, être placée dans la préfecture de Fulginiae; mais nous avons vu que, placée dans une tribu distincte, elle fut le centre d'une juridiction: ce ne peut être qu'une préfecture - elle dut même se maintenir longtemps et la pauvreté du matériel épigraphique explique qu'elle ne soit pas encore attestée. L'incorporation d''Interamna Nahars évoque, par ses formes, celles de Cures et des autres centres sabins; il n'est pas déraisonnable d'y placer le centre d'une préfecture 7 0 . Le centre de Capiîulum Hernicum, qui n'a guère laissé de documents abondants, peut avoir été placé dans la juridiction du préfet d'Anagnia; mais, comme pour Plestia, si sa tribu est l'Aniensis (ce qui n'est pas certain), il n'aura certainement pas fait partie du m ê m e ressort qu'Anagnia; il faudrait restituer alors une préfecture dont le souvenir n'a pas été conservé 7 1 . Les Aurunques, à Minturnae, ont subsisté à côté de la colonie romaine (296), en un centre indépendant : le précédent d'Antium suggère qu'une préfecture, c o m m u n e à la colonie et à la cité (municipe?) sans suffrage, prépara la fusion des deux groupes de population, acquise, par la suite, ici encore, au profit de la colonie. La constitution municipale évoluée de plusieurs de ces centres, rappelons-le enfin, confirme indirectement l'existence nécessaire de la phase non attestée d'une praefecîura iure dicundo. L'envoi d'un préfet dans un centre d'administration déjà suffisamment développé, mais qui n'atteint pas la condition municipale, ne provoque jamais la disparition des organes locaux. Au contraire, la préfecture maintient les magistratures locales sous leur forme originale, telle que le collège des octoviri, ou des quattuorviri qui, souvent, prirent leur place, ou dans certains cas, des duoviri.
69 Le maintien de l'octovirat local après la guerre sociale s'expliquerait par la qualité «pro-municipale» d'une préfecture. Supra, p. 242, et p. 243. Mommsen, dans CIL IX, p. 396 a admis la vraisemblance d'une préfecture pro-moenicipiis à Cures et à Trebula. 70 Les magistratures locales, octovirat à Plestia et IVvirat à Interamna, s'expliqueront bien par l'existence d'une préfecture : voir la note précédente et supra, p. 233-5. 71 Supra, p. 214.
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A preuve, les octoviri de Nursia, ceux d'Amiternum (et ses quattuorviri plus récents), les quattuorviri de Fulginiae et de Reate ou les duoviri de Casinum (qui prolongent les praetores antérieurs) : ces constitutions originales appartiennent à la phase prémunicipale et ont été maintenues grâce à la praefectura, attestée pour tous ces cas, jusqu'à la consécration municipale tardive. Dès lors on expliquera exactement de la même façon les octoviri d'Interamnia Praetuttiorum, de Plestia et de Trebula Mutuesca ou les quattuorviri d'Urbs Salvia (dans le Picenum), ou de Cures ou d'Interamna Nahars (pour ces deux derniers, l'accès à la constitution municipale, après la phase de la préfecture, peut avoir été rapide : antérieur à la guerre sociale). Tous ces cas donnent l'exemple d'autant de structures administratives originales. Pourtant, alors qu'elles n'ont pas atteint la qualité de municipium, elles échapperont à l'uniformité des constitutions que Rome, sans tenir compte des traditions locales, imposa après 90 et surtout avec CésarAuguste. Ce sont donc autant de situations privilégiées, dont la source est à placer dans l'existence d'une préfecture. La préfecture, certes, n'atteint pas en prestige la qualité de municipium; mais, quand elle ne double pas un municipe, elle garantit le respect scrupuleux de l'organisation locale - une de ses missions est précisément de l'exalter. Elle la protège contre le schéma uniforme de Rome. Bref, u n e constitution originale sous-entend, au cas où l'existence d'un municipium est exclue, la présence d'une préfecture. Le titre des magistratures fournit ainsi le moyen indirect de compléter la carte des préfectures.
D)
Conclusion
L'institution des préfectures est liée à l'extension de la civitas sine suffragio. En dépit de quelques lacunes, dont aucune ne forme une objection, les territoires incorporés dans la civitas sine suffragio ont été, intégralement, il nous semble, placés sous la juridiction de délégués du préteur urbain. Deux questions se posent encore : 1) la compétence des préfets exclutelle, par principe, une compétence juridictionnelle locale? 2) Si l'on peut, avec vraisemblance, placer généralement la suppression des préfectures au m o m e n t où les municipes ont accédé à Xoptimum ius, ont-ils acquis alors une compétence juridictionnelle illimitée? A la p r e m i è r e question, il n'est pas trop difficile de répondre : nous pensons qu'une collaboration s'est établie entre le préfet d'une part, les
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magistrats locaux de l'autre 72 . Non pas tant parce qu'il aurait été matériellement impossible à un seul individu de dire le droit pour un territoire souvent vaste - à Rome, un magistrat unique organisait les instances des cives Romani - mais parce que l'on tient deux indices. Au milieu du I e r siècle av. J.-C, les édiles du vicus de Furfo, compris dans la praefectura de Peltuinum, disposent du droit d'infliger des amendes 7 3 : cette juridiction pénale, confiée aux magistrats d'un centre mineur, concurrence la juridiction du praefectus, d o n t la compétence s'étend à l'ensemble de la praefectura. On en déduira que le préfet ne concentre pas toute la juridiction, mais bénéficie de la collaboration des magistrats locaux. L'enseignement de ce témoignage, bien que tardif, doit pouvoir être étendu aux siècles antérieurs 7 4 . De même nous verrons un peu plus loin qu'une juridiction de type administratif appartient aux magistrats d'un pagus soumis à la juridiction d u préfet de Capoue 75 . Quant à la question de savoir si certaines limites ont été fixées avant la guerre sociale à la compétence locale des municipes, une fois s u s p e n d u e la mission des praefecti L a\, il faut h o n n ê t e m e n t répondre que Ton n'en sait rien. Les informations ne c o m m e n c e n t qu'après la romanisation de toute l'Italie. Certes, la thèse récente 7 6 selon laquelle les limites de compétence connues p a r le fragment d'Esté et la lex Rubria (49 av. J.-C.)77 ont été intro72 Mommsen, Staatsr. III, p. 583 sq.; p. 814 = Dr. Pubi VI, 2, p. 198; p. 464, puis, plus nettement, P. F. Girard, Organis. Judiciaire I, p. 305 ont vu dans les édiles locaux une magistrature introduite par Rome, mais détenant une juridiction limitée, d'ordre civil, administratif, pénal, qui concurrençait la juridiction des praefecti L a\ Si l'idée d'une création romaine n'est peut-être pas à conserver, la thèse d'une décentralisation par la juridiction édilicienne est très précieuse. "CIL F, 756 = IX, 3513 = ILLRP 508 = FIRA, Negotia, NR72, p. 225 sq.; datée de 58 av. J.-C, cette loi de consécration d'un temple prévoit au profit de l'édile local la juridiction pénale (aedilis multatio esto, quanti volet), mais soumise à la provocatio (idque veicus Furf(ensis) mai(or) pars fifeltares sei absohere volent sive condemnare liceto). 74 Le préfet, très vraisemblablement, n'est plus, à cette époque, désigné par le préteur, mais est élu par la population locale (supra, p. 231). C'est un rapprochement net vers la qualité d'un magistrat, mais, formellement, il n'en est pas un et la source de son autorité - d'où son titre - reste la délégation de la part du pouvoir central : elle subsistera tant que le but de la préfecture - ici concentrer l'autorité - n'aura pas été atteint dans cette région à habitat dispersé. 75 Infra, p. 388-9 : cet exemple sera d'ailleurs élargi au problème de la collaboration entre les magistrats d'une colonie romaine et le préfet. 76 W. Simshäuser, op. cit., p. 186 sq. 77 Voir, désormais, l'édition et le commentaire de F. J. Bruna, Lex Rubria, Leyde, 1972; sur ce problème de revocatio Romae au-delà d'une somme déterminée : dans le fragment d'Esté, p. 317 sq.; dans la Lex Rubria, p. 132 sq., 164 sq.
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duites par ces lois est convaincante; mais à condition de ne pas remonter au-delà de la guerre sociale. Car s'il paraît vraisemblable qu'au lendemain de la lex Iulia de civitate, la compétence juridictionnelle des magistrats des cités fédérées a été maintenue telle quelle, pour n'être progressivement réduite qu'après quelques décennies, rien ne permet de p e n s e r que les anciens municipes romains disposaient avant la guerre sociale d'une compétence n o n limitée. On croirait volontiers que si, comme il est possible, la c o m p é t e n c e illimitée, car jusque-là souveraine, des cités italiennes s'est maintenue entre 90 env. et 49 env., ce fut afin d'assurer sans chaos l'administration de la justice. Durant cette période, les municipes anciens, fortem e n t minoritaires 7 8 , auront certainement profité de cette courte faveur : mais elle ne préjuge pas de leur passé. De plus, le droit de revocatio Romae, inséré par Caton dans les formules de ses contrats-type 79 , permettait aux parties de choisir conventionnellement la juridiction prétorienne à la place de celle des magistrats locaux; cette pratique condamne l'idée d'une souveraineté juridictionnelle municipale, même reconstituée après la suppression des préfectures : l'hypothèse d'une limite de compétence devient alors très vraisemblable.
2 - Praefecturae et cives optimo
iure.
L'administration de la justice dans les régions qui accédèrent immédiat e m e n t à la citoyenneté complète nous échappe presque totalement. Aucune source, en fait, ne permet de trancher la question de savoir qui disait le droit dans les municipes romains du Latium, des magistrats locaux, d u préteur ou des praefecti L cL ; même question, sans réponse possible, p o u r les colonies romaines; quant aux territoires des 31 tribus rustiques, l'incertitude est aussi complète, même si l'hésitation est plus limitée : la c o m p é t e n c e du préteur ou celle de ses délégués est seule en cause, puisque la concurrence de magistrats locaux ne peut être envisagée.
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Beloch avait dénombré près de 90 municipes nouveaux après 90; voir U. Laffi, Sull'organizzazione amministrativa dell'Italia... Akten VI. Intern. Kongr. für Epigraphik, München 1972, Munich. 1973, p. 38. 79 De agr. cuit. 149, 2 : si quid de iis rebus controversiae erit, Romae iudicium fiât; cette convention d'élection de tribunal à Rome est absolument générale : elle permettait de retirer l'affaire soit à un préfet, soit à un magistrat local. Dans l'un ou l'autre cas, la justice apparaît comme rendue au nom du préteur et par délégation. On peut toujours remonter à la source du pouvoir de iurisdictio. Cf. Mommsen, Staatsr. III, p. 813 = Dr. Publ. VI, 2, p. 464.
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L'absence de documents n'a pas conduit, pourtant, à une réserve neutre. Selon que l'on se faisait le champion d'une centralisation absolue, comme H. Rudolph, ou, au contraire, d'une autonomie tendanciellement illimitée, comme W. Simshäuser, on pensa trouver dans les mêmes situations obscures la rigueur de thèses diamétralement opposées. La reconstitution est, nous le pensons, actuellement impossible; c'est à un rapide état critique de la question que nous procéderons.
A) Les municipes romains du Latium (381-338). Aucun témoignage n e permet de penser que ces municipes de cives optimo iure ont été placés sous la juridiction d'un praefectus L a\ Même si ses listes sont notoirement incomplètes, Festus n'aurait certainement pas omis, à titre de spécimen, de citer l'une de ces préfectures si elles avaient, à un m o m e n t ou un autre, existé. Plus encore, parmi les diverses fonctions que l'on a pu reconnaître aux préfectures, il n'en est pas une qui justifierait exactement l'hypothèse de préfectures « latines » : ni la volonté de développer u n e administration centralisée, ni le souci de réaliser la fusion de deux masses civiques profondément distinctes par leur droit et leur civilisation 80 , ni même le désir de faire avancer une romanisation : elle était acquise pratiquement dès la conquête 8 1 . Si l'hypothèse d'une justice centralisée entre les mains d'un préfet ne semble pas fondée, faut-il p o u r autant, à la suite de Rudolph, Sachers et A. J. Toynbee 8 2 , placer l'administration de la justice, pour l'ensemble de ces municipes, sous l'autorité directe du préteur de Rome? Certainement pas, car l'idée d'une concentration complète de la justice à Rome est dépourvue de réalisme; mais surtout, comme Girard Ta montré par un argument négligé, les preuves d'une juridiction répressive locale sont confirmées 8 3 : si les édiles de Lanuvium au IV e -III e siècle infligent des amendes, c'est que la justice n'est pas concentrée à Rome 8 4 .
80 Même là où des distributions de terres confisquées ont provoqué l'installation de citoyens de Rome à proximité (ou au sein?) de la population municipale : Tusculum et Lanuvium {supra, p. 338). 81 Les siècles de fédération l'ont préparée. 82 H. Rudolph, Stadt und Staat, p. 166; E. Sachers, RE 22, c. 2383; A. J. Toynbee, HLl, p. 240, n. 5. 83 P. F. Girard, Organis, judiciaire, I, p. 305 et cf. supra, n. 72. 84 CIL P, 38 : aidilis [moltaticod] airid [coir]av[it], reconstituée à l'aide de CIL F 2442 = ILLRP 130 a : Q., A aidicio(s) Q. f(ili), T. Rebinio(s) Q. f. aidiîe(s) moltatico. Le droit de pronon-
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Nous ne pensons pas pour autant que les arguments invoqués par les partisans d'une autonomie juridictionnelle complète au profit des magistrats locaux aient une valeur quelconque : Beloch et F. De Martino, avec bien des nuances révélatrices85, puis W. Simshäuser86, de façon dogmatique, ont bâti sur la « catégorie » des municipia foederata l'édifice fragile de l'autonomie juridictionnelle; A. Degrassi aboutit à la même conclusion en tirant argument du titre des magistratures locales87. On a déjà dénoncé l'inconsistance de ces arguments; il est inutile d'y revenir. La conclusion que nous proposerons est la suivante : les preuves d'une certaine autonomie juridictionnelle sont apportées et la vraisemblance se prononce pour cette compétence locale; mais l'absence de praefecti i a\ ne doit pas ouvrir la voie à un juridisme excessif et fournir l'occasion de forger une catégorie particulière de municipes : celle des soi-disant municipes fédérés. Si l'autonomie juridictionnelle locale est plus étendue chez ces municipes du Latium qu'auprès des municipes de citoyens sans suffrage, c'est simplement parce que la romanisation des populations latines l'accès immédiat aux droits politiques le prouve - était déjà suffisamment avancée. L'absence de préfectures ne signifie pas, cependant, la souveraineté dans l'ordre juridictionnel; au-delà d'une certaine limite, on l'a vu, le renvoi au tribunal du préteur était sans doute prescrit - ou même seulement toléré 88 ; autonomie certainement, mais souveraineté sûrement pas. B) Le territoire originel des tribus rustiques. Les territoires distribués aux cives optimo iure et qui formèrent au lendemain des conquêtes le noyau initial des tribus rustiques récentes ont été placés sous une autorité judiciaire romaine; doit-on songer à une centralisation complète, au profit du préteur 89 , ou, différemment, à une répartition
cer des amendes est reconnu par-là aux édiles - ainsi que celui d'utiliser les sommes recueillies de ce fait. *5 Beloch, //. Bund, p. 117 sq., p. 132; RG., p. 377; F. De Martino Storia II2, p. 80 : sur les ambiguïtés de ce concept, supra, n. 33. 86 Op. cit., p. 50, p. 64. 87 L'amministrazione délie città, op. cit., p. 310 : Tusculum, de la sorte, privée de son dictateur, aurait également perdu sa juridiction - conservée, en revanche par les autres municipes du Latium. Sur cette thèse, supra, p. 289-93. 88 Supra, p. 382. La clause conventionnelle de revocatio Romae a, ici, exactement la même valeur. 89 Ainsi Beloch, It. Bund, p. 132; Mommsen, Staatsr. III, p. 581 = Dr. Publ. VI, 2, p. 195, implicitement; E. Sachers, RE 22, c. 2383.
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entre plusieurs préfectures locales90? La centralisation heurte le bon sens : les cives de Yager Falernus ou ceux qui s'installèrent sur les bords de l'Adriatique ne traversaient certainement pas l'Italie pour vider à Rome leurs querelles. Seule la compétence locale des praefecti peut être envisagée : mais où doit-on les placer? La praefectura de Forum Clodi, en Etrurie méridionale91, prouve qu'un centre mineur créé pour les besoins d'une administration rudimentaire dans le cadre d'une tribu pouvait être élevé à l'honneur d'accueillir une préfecture. Mais cet exemple reste unique - si l'on ne veut pas accepter sans réserve les indications du liber coloniarum91) on ne saurait l'étendre démesurément. De fait, l'hypothèse d'un quadrillage des tribus rustiques, distribuées sous l'autorité de plusieurs préfets, aurait laissé d'autres traces s'il avait existé. Aussi reprendrons nous ici une conception déjà exposée dans les pages qui précèdent 93 . Si l'on admet que l'autorité des préfets a débordé le cadre municipal strict, s'est étendue au territoire tel qu'il était avant les distributions qui en firent glisser une partie dans une tribu rustique, le problème disparaît. La préfecture de Velitrae englobera le municipe de Velitrae et la tribu Scaptia; la préfecture Capuam Cumas s'étend à la tribu Falerna; celle d'Anagnia place sous l'autorité d'un seul préfet le municipe et la tribu Publilia; l'Oufentina est répartie entre les préfectures de Privernum et Frusino; la Teretina, dans son assiette primitive, est sans doute administrée par la préfecture de Minturnae, si l'on en accepte la restitution; l'existence, de même, d'une préfecture à Antium contribuerait à résoudre le problème de la justice locale dans la tribu (Voturia?) qui regroupe les cives
9U H. Rudolph, Stadt und Staat, p. 166 (mais cf. supra, p. 377, n. 63; F. De Martino, Storia IF, p. 135 : préfectures installées dans des fora et conciliabula - mais sans poser le problème de l'administration générale de la justice dans les tribus; remarquons que ce problème, certain, est le plus souvent esquivé. 91 Son nom officiel: praefectura Claudia Fori Clodi (CIL XI 3310 a = ILS 904); sa fondation peut être attribuée au censeur de 225. 92 Le liber coloniarum (p. 209 L), qualifie de praefecturae un certain nombre de villes Lucaniennes : Grumentum, Volcei, Potentia, Atina, Tegianum, Velia; mais elles sont toutes restées alliées jusqu'en 90. On peut alors penser, avec P. A. Brunt Italian Manpower, p. 280, à des distributions viritanes administrées juridiquement par des préfets romains, installés dans les cités fédérées; ces établissements de cives o. L pourraient avoir été comparés à des colonies sans, formellement, en avoir le statut; P. A. Brunt, op. cit., p. 527, songe aux pro colonieis de la lex agraria de 111. 93 A propos de l'attraction municipale : supra, p. 343 sq.; voir aussi pour la reconstitution des préfectures absentes des listes, supra, p. 377 sq.
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installés sur les terres confisquées; on connaît enfin les centres judiciaires entre lesquels sont répartis les cives o. L qui forment les tribus Velina et Quirina (on ajoutera seulement p o u r celle-ci une préfecture vraisemblable à Forum Novum). C) Colonies romaines et
préfectures.
C'est encore un thème de discorde et il est bien difficile de p r é t e n d r e faire progresser l'état de la question. Résumons d'un mot les positions atteintes. Aux partisans d'un système centralisateur, avec n o t a m m e n t Rudolph, F. De Martino, Sachers, Ensslin, Degrassi 94 , s'opposent les tenants d'un système d'autonomie judiciaire coloniale, qui r e m o n t e à Savigny, Madvig, Puchta, et fut r e p r i s dernièrement par W. Simshäuser 9 5 . Si, pour les premiers, toutes les colonies romaines ont été soumises à des praefecti i d. (et les listes de Festus en donneraient quatre échantillons : Liternum, Volturnum, Puteoli, Saturnia), elles disposèrent, selon les seconds, de magistrats spécifiques à qui l'on ne pourrait retirer la iurisdictio. Entre ces thèses, tranchées, bien des interprétations intermédiaires se sont glissées : Mommsen, Girard et A. N. Sherwin-White 96 admettaient la juridiction des praefecîi pour les colonies les plus anciennes, mais les plus récentes, en revanche, richement peuplées, auraient disposé de l'autonomie juridictionnelle à l'image des colonies latines, dont elles prenaient historiquement et politiquement la place. Beloch adopta une thèse inverse : les plus anciennes colonies, c o m m e le titre de leurs magistrats {praetores) l'indiquerait, auraient joui de la juridiction, tandis que les colonies fondées après la seconde guerre punique, à preuve les listes de Festus, en auraient été dépouillées 9 7 ; P. A. Brunt est tenté également - mais p o u r des raisons
94
Rudolph, Stadt und Staat, p. 145-46; A. Degrassi, l'Amministrazione délie città, p. 310 (jusqu'à la guerre sociale, et pour l'ensemble des colonies); F. De Martino, Storia II2, p. 135 (mais sans insister sur la généralité de l'institution); E. Sachers, RE, 22, c. 2380-1; W. Ensslin, ibid., c. 1309. 95 Pour la bibliographie du XIXe siècle, cf. P. F. Girard, Organis. Judiciaire, p. 307, n. 1 ; W. Simshäuser, op. cit., p. 100 sq., 102 sq. 96 Mommsen, Staatsr., III, p. 814 = Dr. Publ. VI, 2, p. 465 (comme une possibilité non confirmée; plus net en ce sens auparavant, dans Rom. Gesch. II, p. 361 sq.); P. F. Girard, op. cit., p. 310, 315; A. N. Sherwin-White, RO, p. 74 sq. = RC1, p. 84 sq. : le tournant se placerait vers 183, marqué par l'apparition d'un titre (praetores, ou Hviri praetores). Une évolution excellemment retracée par A. N. Sherwin-White, op. cit., p. 86 sq., montre le rapprochement progressif de la colonie et du statut municipal. 97 It. Bund, p. 114, P- 132; RG, p. 455, 492 sq.
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différentes - d'introduire la compétence des praefecîi auprès des colonies les plus récentes 9 8 . Enfin, mais sans prétendre être exhaustif, on attachera une attention particulière à la conception d'A. J. Toynbee : les colonies auraient régulièrement fait partie de préfectures, mais qui ne leur étaient pas spécifiques : la préfecture de Caere se serait étendue aux trois colonies maritimes implantées sur son territoire; la préfecture des Praetutîii aurait englobé Castrum Novum, et celle de Capuam Cumas les trois colonies campaniennes mentionnées p a r Festus". De fait, si l'on procède en remontant dans le temps, on peut distinguer plusieurs situations différentes. A partir de 184/183, incontestablement, la colonisation prend des formes nouvelles; la colonie romaine n'est plus une modeste garnison maritime, mais l'établissement massif de milliers de colons, à la tête de lots individuels étendus. Il n'est pas douteux, de la sorte, que Parma, Mutina et Saturnia 1 0 0 ont reçu, lors de leur fondation, des magistrats pourvus de pouvoirs juridictionnels. Peut-être faut-il leur attribuer le titre de praetores, qui, du point de vue romain et pour les magistrats qu'ils créaient, impliquait la iurisdictiom. De fait, à Potentia (184) et à Auxi-
98
Pas de colonies-préfectures avant 211, qui, pour cet auteur, daterait la première préfecture : Italian Manpower, p. 534; après cette date encore, plusieurs colonies auraient été placées sous l'autorité de praetores : mais les exemples cités se réfèrent à des cas douteux : Grumentum, Abellinum et Telesia sont des colonies syllaniennes : P. A. Brunt, lui-même, op. cit., p. 280; attribution à Sylla, de même, A. Degrassi, Quatîuorviri (1950), p. 316 sq. = Scrittil, p. 141 sq.; Amministrazione, op. cit., p. 310; Taylor, VD, p. 95 et n. 45; différein., E. T. Salmon, Rom. Coi, p. 182, n. 141, attribue à la colonisation gracchienne ces trois colonies, du fait du titre de leurs magistrats; dans le même sens, cet a. recule à 128 la déduction d'Auximum (infra, n. 102) et rejette la déduction républicaine de Castrum Novum (Picenum) (supra, p. 236). C'est beaucoup de hardiesse. Potentia citée par P. A. Brunt comme préfecture (ibid., p. 534) n'est pas la colonie rom. du même nom. 99 HLI, p. 187 sq., p. 239. 100 Deux mille départs à Parma et Mutina (Liv. 39, 55, 7); à Saturnia le chiffre est inconnu, mais la taille des lots (10 jugères par tête, Liv. 39, 55, 9) en fait à coup sûr une colonie agraire de grande dimension - Cf. E. T. Salmon, op. cit., p. 105 sq.; W. V. Harris, Rome in Etruria and Umbria, Oxford, 1971, p. 150. 101 A. Degrassi, Amministrazione, p. 310, a affirmé l'équivalence complète des titres praetores-IIviri, l'antériorité du premier à époque archaïque et ne lui a reconnu aucune signification quant aux pouvoirs qu'il impliquait (mais ce savant suivait une démarche inverse dans l'interprétation des titres des magistrats municipaux). Il est pourtant difficile de ne pas attribuer la iurisdictio à des magistrats créés par Rome (le maintien des magistrats locaux, en revanche, n'a pas cette portée : supra, p. 290-1) à partir du IIe siècle, sur le modèle des magistrats des colonies latines. 26
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mum (vers 157)102, c'est le titre attesté. On placera alors sans difficulté la préfecture de Saturnia avant la déduction coloniale, c'est-à-dire entre 280 et 183. Le sort des trois colonies installées dans les limites des préfectures Capuam Cumas est un peu plus délicat. On pourrait, certes, adopter le même raisonnement que pour Saturnia et limiter les praefecti à la phase de la civitas sine suffragio (de 334 - ou 211 à 194). Mais cela semble difficile. En effet, la liste des préfectures campaniennes a été retranscrite, par Festus, d'une source qui évita l'anachronisme en tenant compte des réformes intervenues dans le mode de nomination des praefecti103, au point, d'ailleurs, d'établir les listes en se fondant sur le critère de l'élection ou de la désignation. Si l'on place la réforme après 123, la liste des préfectures doit avoir été valable au moins jusqu'à cette date. Nous n'ignorons pas les arguments qui ont été présentés en faveur de l'indépendance des colonies à l'égard des praefecti Capuam Cumas; mais ils sont fragiles. Les Hviri de la colonie de Puteoli, par leur existence même, on l'a vu104, n'impliquent pas qu'ils échappaient à la iurisdictio d'un praefectus. Ils disposent certes de pouvoirs étendus dans la gestion des finances coloniales; la célèbre lex parieti faciundo, de 105, place sous le contrôle (arbitratu) et, par conséquent, sous la juridiction administrative des Hviri, l'exécution des travaux décidés par la colonie, conformément au cahier des charges105. L'autonomie financière qui appartient à la colonie, la capacité des Hviri, au nom du consilium colonial, d'établir le contrat de louage d'ouvrage et l'autorité juridictionnelle nécessaire pour contrôler et sanctionner l'exécution ne prouvent-elles pas une totale indépendance à l'égard d'une juridiction préfectorale supposée? Ce fut affirmé106; mais l'argument pourrait être trompeur. Il suffit de comparer à la lex Puteolana, la lex pagana, datée de 94, qui émane du collège et des magistrats du pagus Herculaneus]01; or ici, point de doute possible, ce pagus est situé dans Vager Cam-
102 Potentia (Picenum) : CIL IX, 5793; Auximum : CIL IX, p. 559; le site n'est pas exactement maritime. La date de déduction est discutée : en 157 (Vell. 1,15: Taylor, VD, p. 97, n. 56 et Index; A. J. Toynbee, HL II, p. 208-9 et les notes); en 128 (E. T. Salmon, Rom. Col, p. 112 sq.). 103 Supra, p. 357 et n. 2. 104 Supra, p. 364. 105 CIL I2 698 = ILLRP 518 = FIRA, Negotia, NR 153, p. 472 sq. 106 W. Simshäuser, op. cit., p. 106 - sans toutefois attribuer aux Hviri une juridiction administrative qui découle incontestablement de leur arbitratus. 107 CIL I2 682 = ILLRP 719; sur ce pagus de Vager Campanus, voir l'art, déjà cité de M. W. Frederiksen, Republican Capua..., dans PBSR 27, 1959, notam./p. 88 sq.
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panus) il est donc soumis à la juridiction du préfet de Capoue. Pourtant, l'autonomie financière du pagus est aussi nette {pagus . .. sciviv, ex lege pagana), le pouvoir de juridiction administrative du magister pagi (arbitraîu) apparaît aussi clairement que dans la lex coloniae; il s'agira ici encore de veiller à l'observation rigoureuse du cahier des charges (non conservé), conformément au contrat dont l'objet était de réparer un portique public, propriété du pagus108. La leçon du rapprochement est simple : la lex pagana du pagus Herculaneus prouve l'existence, au sein d'une préfecture, d'une autonomie financière et juridictionnelle (publique), qui concurrence en fait la juridiction supérieure du préfet; elle ne l'exclut pas109. Rigoureusement, on ne peut pas tirer de la lex Puteolana une interprétation différente. Le maintien de la préfecture à Puteoli, après 194 et même jusqu'en 105, reste admissible; on peut même penser qu'elle avait sa raison d'être si, ici comme ailleurs, on étend son autorité aux cives sine suffragio indigènes. La loi de 105, on l'a remarqué, témoigne d'une attraction coloniale indéniable110; les familles osques se sont glissées dans la population de la colonie, ont accédé à la magistrature coloniale, et, pour les marchés publics, on fait appel à leur garantie financière. L'autorité rayonnante du préfet a sans doute joué un rôle dans cette fusion, rapide et réussie ]U . Les obscurités s'amoncellent plus on remonte dans le temps. De 338 à 184, les colonies romaines, dans leur ensemble, n'ont pas dépassé, lors de leur fondation, la taille d'une garnison militaire. Les pouvoirs disciplinaires des commandants de la place (on ignore la date à laquelle ils se transformèrent en magistrats élus)112 ont dû permettre de régler les problèmes de la
108 Autre exemple, provenant d'un autre pagus de Vager Campanus reproduit dans ILLRP 708 (cf. AE. 1952, n° 55) : il s'agit ici encore d'un contrat de locatio operis faciendi, émanant des magisiri pagi, adjugeant des travaux pour la construction du théâtre de Capoue. L'inscription est datée de 108 av. J.-C. 109 Notamment pour la juridiction inter privaios. 110 Noms osques parmi les Hviri et les praedes: cf. Ch. Dubois, Pouzzoles antique (BEFAR90), Paris, 1907, p. 48; M. W. Frederiksen, RE 23, Puteoli, 1959, c. 2040 (mais se prononce pour l'incompatibilité colonie-préfecture - supra, p. 364). F. Sartori, Problemi di Storia, op. cit., p. 61 et p. 170, utilisa un passage du de leg. agr. II, 31, 86 pour défendre la thèse du maintien de la préfecture, au moins jusqu'à la guerre sociale; mais l'interprétation est équivoque : cf. M. W. Frederiksen, op. cit., c. 2041; W. Simshäuser, op. cil, p. 101 sq. 111 Le municipe indigène aurait été incorporé dans la colonie à l'époque de Néron: F. Sartori, op. cit., p. 62. 112 Sur l'interprétation traditionnelle de Liv. 9, 20, 10 et la soi-disant constitution coloniale d'Antium, cf. supra, p. 188 sq.
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juridiction locale 1 1 3 ; il n'est sans doute pas nécessaire de faire intervenir l'autorité d'un préfet, sauf quand l'agglomération contiguë indigène en créait le besoin : ainsi, pensons-nous, à Antium et à Minturnae, peut-être à Tarracina. Il est possible que le préfet de Caere ait tenu dans sa juridiction les trois colonies implantées sur les rives de son territoire 1 1 4 , mais ce sont les cives de Caere, plus que les colons, qui expliquent la préfecture. Rien, d'ailleurs, n'indique que sa création correspond à la date des déductions coloniales. On sait que les magistrats de la colonie, à Castrum Novum (289/3) dans le Picenum 1 1 5 , portaient le titre de praetores) l'éloignement considérable, ou plus vraisemblablement les dimensions inconnues de cette colonie, proche d'un pays pacifié avec peine, incitent à attribuer à ses magistrats, p a r exception, un pouvoir de juridiction étendu. Les incertitudes qui persistent à entourer le titre des magistrats de la colonie d'Ostie 116 contraignent, pour ce dernier cas, à ne pas se prononcer.
IV - LE RÔLE DES PRAEFECTI IURE DICUNDO 1 - Juridiction
déléguée du préfet et juridiction
municipale.
Ces deux questions doivent être distinguées, car elles se r a p p o r t e n t à des situations historiquement n o n confondues. La première concerne les limites apportées à l'autonomie des municipes par la compétence juridictionnelle du préfet délégué sur place; la seconde porte sur la nature et l'étendue de la juridiction municipale après la disparition (ou en l'absence) des préfets romains. Nous laisserons volontairement de côté le second problème, convaincu que l'on ne peut, actuellement, savoir si, à partir du m o m e n t et dans la mesure où ils exerçaient la iurisdictio, les magistrats municipaux (ou coloniaux) le faisaient en vertu d'une délégation formelle ou non. Aucune
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Ainsi A. N. Sherwin-White, RO, p. 72 = RG, p. 82; E. T. Salmon, Rom. Col, p. 75 sq. Castrum Novum (264), Pyrgi (entre 273 et 250); Alsium (247), injra, p. 411 sq. 115 Pour la date, supra, p. 236; pour le titre : CIL IX, 5145. 116 Cf. R. Meiggs, Roman Ostia1, Oxford, 1973, p. 172 sq., notam., p. 174. Des praetores sont attestés à Ostie, mais parmi les prêtres de Vulcain : un pontifex Volcani, assisté de trois praetores et à'aediîes sacris Volcani faciundis. Plus que la forme (tardive) cultuelle, le nombre de trois préteurs est difficilement explicable. Les inscriptions impériales d'Ostie ne connaissent, comme magistrats, que des Hviri 114
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source ne permet, pour la période antérieure à la guerre sociale 117 , de résoudre un problème de qualification juridique que les juristes romains ne se sont peut-être pas posé. Il nous semble plus important de r e m a r q u e r que l'activité juridictionnelle des magistrats municipaux répond exactement à l'idée d'une autonomie concédée, fondamentalement soumise à l'autorité du gouvernement central; ce concept d'autonomie limitée caractérise aussi bien la juridiction mineure locale exercée en présence des préfets et en collaboration avec eux (juridiction administrative, pénale, peut-être civile) 118 , que la justice détenue après la suspension des délégations prétoriennes 1 1 9 . Il en est de cette juridiction mineure ou tardive exactement c o m m e des autres manifestations de l'autonomie municipale. Les preuves peuvent en être rapidement rassemblées. Tous les municipia de citoyens sans suffrage et, pratiquement, tous les cives sine suffragio ont été dessaisis de leur compétence juridictionnelle; celle dont ils ont disposé par la suite n'est donc pas originaire, mais prend sa source dans une restitution, librement décidée par Rome. Tous les municipia, certes, n'ont pas subi cette atteinte : les municipes du Latium semblent, en effet, y avoir échappé. Mais, même si la justice concédée fut, dans ces cas limités, matériellement plus large, sa nature ne fut pas différente : le droit d'en appeler directement au préteur (revocatio Romaé) traduit la souveraineté de Rome - et non celle du municipe, dont la compétence peut être écartée par une convention privée. Même restituée, m ê m e tolérée (avec, de plus, certaines limites, selon la valeur du litige, qui nous échappent), la juridiction munici-
1.7 II est à peu près impossible d'utiliser des documents postérieurs à la guerre sociale pour éclairer la juridiction municipale d'avant 90 : ces documents ont bien des chances de refléter l'organisation d'une justice nouvelle du fait de l'extension de la civitas, alors que la juridiction des municipes anciens reproduit une conception qui peut s'être figée (comme leurs magistratures) au IVe siècle. A titre de preuve : aucun municipe nouveau n'a connu la phase de la justice déléguée entre les mains d'un agent de Rome (préfet); tous les municipia anciens (de cives s. s.) l'ont connue. 1.8 Pour l'administration, cf. l'exemple du pagus Herculaneus; pour la justice répressive, le vicus de Furfo; pour la justice civile : aucun exemple; c'est sans doute dû à la malice des sources. 119 Ce n'est pas, loin de là, la thèse défendue par W. Simshäuser, (Iuridici, op. cit.), partisan d'une juridiction municipale tendanciellement illimitée. Dans le feu de la critique de la thèse centralisatrice de Mommsen, plus encore de Rudolph, avec lequel il rompit plus d'une lance, W. Simshäuser n'a pas évité l'excès inverse et sous-estima complètement, non seulement historiquement ou géographiquement, mais juridiquement l'institution des praefecti L d. Cf. M. Talamanca, dans BIDR11, 1974, p. 499 sq. et M. W. Frederiksen, dans JRS 65, 1975, p. 191 sq., notamment, p. 193.
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pale en toute hypothèse est juridiquement distincte de la juridiction souveraine des socii latins ou italiens. Revenons à la première question, dont l'objet est d'apprécier les atteintes portées à l'autonomie des municipes par la compétence juridictionnelle des préfets. Pour ce qui est de l'étendue de ces atteintes, on sera bref : rappelons la généralité dans l'espace (à l'exception des municipes du Latium), et la durée dans le temps - elle d é b o r d e r a parfois la phase de la civitas sine suffragio - ; en revanche, l'étendue matérielle de cette compétence centralisée, selon le point de vue romain, nous échappe. C'est surtout la signification politique de cette confiscation de l'autonomie juridictionnelle qui mérite d'être relevée. Elle a manifesté sa richesse. De fait l'institution des praefecti fut sans doute l'un des pivots de la romanisation. Elle servit, c'est un point bien établi, à diffuser dans les zones rurales le concept de la civilisation urbaine et l'esprit d'une administration centralisée. Elle eut aussi pour rôle, espérons l'avoir montré, de réunir sous l'autorité d'un juge unique les deux masses, vainqueurs et vaincus, qui se partagèrent régulièrement les territoires conquis. Ethniquement, politiquement, juridiquement tout les séparait; mais le cadre de la préfecture contribua à renforcer la vitalité du municipe et attirer à lui les citoyens de Rome installés sur son territoire. Dans cette mission de fusion, la iurisdicîio joua son rôle. Sans doute, le préfet ne trancha-t-il pas selon les formules du ius civile les litiges des cives sine suffragio, mais, en dépit de l'obscurité totale, on pressent que, sans porter un coup brutal à l'autonomie législative locale (suo iure uîentes, Aulu-Gelle le rappellera), le préfet p e r m i t aux principes du droit romain de pénétrer souplement 1 2 0 . Même juge et m ê m e «loi», la cause de l'unité était gagnée. S'il était placé au cœur d'un municipe dont la population échappait au contact de citoyens venus de Rome, le préfet se voyait affecter la m ê m e mission de romanisation. Elle fut seulement plus lente, probablement, et aboutit plus tard à la consécration de Y optimum ius. Dans ces trois hypothèses, Rome s'affirme la source de la justice; on peut se d e m a n d e r : volonté d'impérialisme ou génie politique à la découverte de l'efficacité dans l'assimilation? A chacun sa réponse. L'accord doit seulement se faire sur la place eminente que tint la praefectura i. d. dans la civitas sine suffragio, par là dans le p r e m i e r âge municipal.
120 La justice, d'ailleurs, ne se confondait pas, pour les Romains, avec le droit civil : que l'on songe au ius gentium
LES PRAEFECTI IURE DICUNDO
2 - Participation à l'administration
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locale?
Les fonctions des praefecti sont principalement juridictionnelles. La praefectura n'aboutit pas à l'évanouissement des magistratures et des organes de décision locaux; le préfet ne confisque donc pas leurs pouvoirs. C'est certain p o u r les municipes-préfectures, et, pour les préfectures installées sur un territoire morcelé en divers pagi, c'est prouvé. Il suffit d'évoquer la compétence locale, dans la gestion des deniers publics et l'entretien des édifices du pagus, des magistri du pagus Herculaneus, placé dans la juridiction du préfet de Capoue 121 . Ou encore, de rappeler l'organisation du collège des octoviri qui remonte à l'époque des préfectures de Sabine ou de l'Ombrie 122 . La seule extension importante des pouvoirs du préfet, au-delà de la juridiction, aboutit, semble-t-il, à lui confier la charge du recensement local dans les préfectures dépourvues d'administration centralisée 1 2 3 . 3 - La Tessera hospitalis de
Fundi124.
Il y a, il est vrai, un argument qui semble aller contre cette conception limitative du rôle des praefecti iure dicundo : il s'agit du témoignage bien connu, et p o u r t a n t rarement utilisé chez les historiens des institutions municipales 1 2 5 , de la tessera hospitalis de Fundi, par laquelle, à une date oscillant entre 222 et 152, le sénat et le peuple de Fundi s'en remirent à la fides d'un patron, vraisemblablement un Tiberius Claudius 126 , consensu praefecti : [Conscjriptes co(n)se(nsu) T. Fa[... praifecti et pjraifectura tot[a Fundi hospitiumj fecere qûom Ti. C[laudio. ? IJn eius fidem om[nes nos tradimus et] covenumis co[ptamus eum patronum] M. Claudio M. F. [. . . co(n)s(ulibus)].
121
Supra, p. 388-9. Supra, p. 363. 123 Supra, p. 313 sq. 124 CIL F, 611 = CIL X, 6231 = ILS 6093 = ILLRP 1068 = Girard, Textes4, p. 888. 125 Ni par Rudolph ou Sherwin-White ou Bernardi ou Manni ou Ensslin ou Sachers ou Toynbee. 126 La restitution TL C(laudius) n'est pas certaine. Elle fut proposée par Mommsen (CIL I2, op. cit.); on pourrait lire au lieu d'un C, G ou O. Mais ce patron qui n'a pu être qu'un personnage important ou le membre d'une famille puissante de la fin du IIIe siècle ou de la première moitié du IIe siècle ne peut être qu'un Claudius; les listes de T.R.S. Broughton, MRR, ne donnent pas de Ti. G. .. ou de Ti. O. .. pour cette période, et Tiberius ne se rencontre pas chez les magistrats de la gens Cornelia. Il n'y a donc pas à douter de la lecture traditionnelle et de sa restitution, nécessaire. 122
394
LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
En dépit des lacunes qui r e n d e n t son interprétation difficile, avouons qu'à la première lecture, cette convention d'hospitalité semble infirmer l'interprétation que nous avons proposée de la définition, par Festus, de la praefectura. Ici, le préfet intervient seul pour valider l'acte conclu par les conscripîes) il n'est pas question de magistrats quelconques, ni m ê m e d'un municipium : aux côtés du préfet et du sénat de Fundi apparaît le peuple seul, qualifié de praifectura tota. On serait tenté de conclure que le municipium et ses magistrats ont disparu, remplacés par un préfet et un territoire peuplé, la praefectura', mais ce serait se laisser séduire par une fallacieuse simplicité 127 . N'hésitant pas à recourir à quelques hypothèses, nous voudrions ici r é p o n d r e à deux questions : quelle est la signification juridique et politique de ce consensus du praefectus? Ce consentement est-il compatible avec le respect de l'autonomie du municipium Fundanum ou celui-ci s'est-il dissous dans la praefectura? La Portée politique du consensus
préfectoral.
La date de la convention d'hospitalité et de patronage de Fundi oscille entre 222 et 152; le choix hésite entre 222, 215, 214, 210, 208, 198, 183, 166, 155 et 152 128 . Mommsen proposait une date antérieure à l'année (188) où Fundi reçut la civitas o. i129; mais il n'y a pas de motifs à cela, car s'il semble difficile d'admettre qu'une convention à'hospitium puisse être conclue entre u n e collectivité romaine et un citoyen romain, l'obstacle, apparent, ne disparaît pas en prêtant à la collectivité contractante la civitas sine suffragio : un civis sine suffragio n'est pas à moitié étranger, mais c'est un citoyen romain privé des droits politiques. On dispose, p a r ailleurs, d'exemples plus récents de municipes romains contractant de telles conventions entre eux 130 , ou m ê m e de cités de citoyens optimo iure établissant un hospitium
127 Ce fut pourtant l'interprétation de Mommsen, au CIL X, p. 617 : posteriore tempore municipii loco (Fundani) fuerunt, suivi par Weiss, RE 7, (1910) v° Fundi, c. 294, pour qui la préfecture attestée par la tessère d'hospitalité exclut l'existence du municipe qui n'aurait pu apparaître qu'après, et cite l'inscription plus récente CIL X, 6245, Pub(licum) mun(icipium) Fund(anum). 128 Années où fut consul (plébéien) un M. Claudius M. f. Marcellus. 129 Mommsen CIL X, p. 617; Staatsr. III, p. 584, n. 3 = Dr. Pubi VI, 2, p. 198, n. 4; Girard, Textes4, p. 888; L. Lombardi, Dalla «Fides» alla «Bona Fides», Milan, 1961, p. 56, n. 33. 130 Mommsen, Das römische Gastrecht und die römische Clientel, dans Rom. Forschungen I, 1864, p. 329, avait bien remarqué (avant la découverte de la tessère de Fundi) que le principe, selon lequel on ne devrait pas pouvoir établir une convention d'hospitalité au sein d'une même civitas, était à peu près vidé de son contenu sous la République; ce n'était plus
LES PRAEFECTI IURE DICUNDO
395
réciproque avec des citoyens romains 1 3 1 . Il faut seulement y voir le signe de l'utilisation prolongée d'un type d'accord dont les caractères spécifiques se sont dégradés ou ont évolué. Il n'y a pas à s'en étonner, d'autant moins quand, sur cet hospiîium, est venue se greffer l'idée primitivement incompatible de patronage ou de clientèle 132 . L'explication de cette clientèle prend au contraire son sens plein si l'on admet qu'aucune raison, d'ordre historique ou juridique, ne s'oppose à ce que l'on place l'établissement de ces liens après l'octroi des droits politiques aux Fundani, après 188. C'est alors seulement que le patronage de Ti. C(laudius) sur les citoyens de Fundi peut recevoir une explication à peu près satisfaisante. S'il n'est guère aisé de préciser quels furent les avantages que les Fundani espérèrent tirer de leur traditio in fidem 133, on peut, du moins, se figurer ce qu'ils apportèrent à ce Ti. C(laudius). On écartera d'abord l'hypothèse d'une deditio vers 188 des Fundani qui aurait pu, ici comme pour les cités conquises des provinces, favoriser des liens de clientèle : Fundi est devenue romaine en 334. Il n'y a pas davantage à chercher une analogie quelconque avec ces patronages qui marquent la reconnaissance d'une cité libre ou fédérée à la suite d'une mission diplomatique 134 : Fundi, municipe ou préfecture romaine, n'avait pas une autonomie politique qui pût justifier une ambassade semblable auprès du Sénat romain. Il est, enfin, trop évident que ce n'est pas l'appui de leur force, militaire ou financière, que les
qu'entre le citoyen d'une ville et cette ville elle-même (par exemple Rome et un civis Romanus, originaire de Rome même) que cette convention restait non attestée et invraisemblable. 131 Mommsen, Rom. Forsch., op. cit., p. 334. 132 L'hospitium et le patrocinium sont établis ici par le même acte. C'est par la notion de fides, comprise dans l'hospitium (fidélité réciproque des deux parties à l'acte) et dans le patronage exercé sur le client (ici encore obligation à la charge du client et de son patron), que le rapprochement s'est fait : cf. L. Harmand, Le patronat des origines au Bas-Empire, Paris, 1957, p. 49 sq.; L. Lombardi, op. cit., p. 57 sq. L'idée développée par ces deux auteurs, selon laquelle le patronage primitif résulte de la deditio du vaincu (soi-disant deditio in fidem), a été rejetée par W. Dahlheim, Struktur und Entwicklung des röm. Völkerrechts, Munich, 1968, p. 42 sq. 133 Profiter de l'évergétisme du patron? Obtenir le patrocinium causarum (assistance en justice et défense des intérêts des Fundani?). On voit mal contre qui les Fundani avaient à se défendre. Mais la contrepartie de cette traditio fut peut-être bien légère et celle-ci put ne pas être aussi volontaire qu'on l'a cru (Lombardi, op. cit., p. 57). Voir infra sur le rôle joué par le praefectus. 134 Des exemples de ce genre, mais qui ne concernent pas des cités italiennes incorporées dans la civitas Romana depuis un siècle et demi : L. Harmand, op. cit., p. 15 sq. et 27 sq.; E. Badian, Foreign Clientelae (264-70 B.C.), Oxford, 1958, p. 157 sq.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
Fundani acceptaient par leur engagement d'apporter à leur patron, si l'on ne veut pas, au prix d'un anachronisme, placer au début du IIe siècle les mœurs politiques des guerres civiles135. En réalité, la nature de ce patronage n'est pas une nouveauté au IIe siècle et sa signification politique dut être pour Fundi, municipe romain, ce qu'elle fut depuis la fin du IVe siècle pour les colonies romaines. La création des liens de clientèle n'a pas tant pour objet de satisfaire à un sentiment de prestige ou un esprit d'orgueil, mais vise directement à assurer de façon non équivoque les voix de partisans dans les assemblées du peuple136. C'est donc l'exemple des colonies romaines qui suggère la solution la plus appropriée : ce que les Fundani apportent, par leur traditio, c'est la force politique qu'ils viennent d'acquérir en 188, exactement comme les colons à peine déduits se rangent politiquement derrière les magistrats qui ont fondé leur nouvelle cité. Avec une différence, cependant : les colons romains ne peuvent pas refuser le patronage de leur fondateur, tandis que les Fundani semblent avoir choisi leur patronus. Ce «choix» ne manqua sans doute pas de portée politique au sein même du gouvernement romain. L. Ross Taylor a bien montré la signification du débat, que Tite-Live a rapporté très impersonnellement, qui entoura l'octroi des droits politiques à Fundi, Formiae et Arpinum en 188137 : il ne s'agissait pas moins, par le choix de la tribu où ces nouveaux cives optimo iure seraient inscrits, d'apporter des voix supplémentaires au parti des Scipions qui contrôlaient - ils triomphèrent - l'Aemilia et la Cornelia, où furent inscrits ces trois municipes. Le parti des Scipions l'avait emporté contre la majorité du Sénat. Dans ces conditions, on peut tenter d'apprécier ce que signifia, dans ces luttes pour arracher à des partis rivaux la voix de clients plus nombreux, la clientèle de Ti. C(laudius). Il n'y a pas à douter, semble-t-il, qu'il faille voir en lui un Ti. Claudius Nero138, c'est-à-dire un des membres de la 135 Par exemple les clientèles de Pompée : M. Geizer, Die Nobilität der röm. Republik, Berlin-Leipzig, 1912, p. 76 sq. = Kleine Schriften I, 1962, p. 95 sq. 136 Sur cette forme de patronat, voir E. Badian, op. cit, p. 162, qui cite l'exemple de T. Quinctius Flaminius (cos. 198) et explique ainsi la signification politique de la fondation des nouvelles colonies romaines au début du II e siècle et la portée des interventions du Sénat. 137 Liv. 38, 36, 6 sq. : voir sur ce passage Taylor, VD, p. 18, 42, 307 sq.; voir de même J. Bleicken, Das Volkstribunat der klass. Rep., Munich, 1955, p. 68 sq. Contra, E. Badian, dans JRS, 52, 1962, p.200sq. 138 Les Ti Claudii Nerones sont une branche de la gens Claudia, patricienne. Les listes de T.R.S. Broughton donnent plusieurs magistrats de ce nom : cos. 202; pr. 181 (Sicile); pr. pér.
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gens Claudia alliée aux Fulvii et aux Fabii d'alors139, et rivaux - avec l'appui du Sénat, probablement - des Cornelii Scipiones. Il est très vraisemblable que ce Claudius aura cherché, avec le soutien d'un parti important, voire du Sénat, à attirer au profit de son groupe les voix des Fundani, par les liens d'une véritable clientèle, solennellement conclue - par une convention d'hospitiwn et de patrocinium -, politiquement irréprochable - avec le consentement du préfet -, et incontestable pour l'avenir - car rédigée en double exemplaire et remis à chacune des parties - , 4 ° . Ce Tiberius C(laudius) put fort bien être un des préteurs de 181 ou 178 ou 167 m . L'intervention du préfet prend alors sa signification politique. On pensera en effet qu'il joua un rôle dans ce renversement d'alliance, qui devait apporter aux Fulvio-Claudiens les voix des Fundani dans l'Aemilia, et, sans doute, faire acquérir à ce clan le vote de cette tribu, contrôlée jusqu'ici par les Cornelio-Emiliens qui étaient parvenus quelques années plus tôt à y faire entrer les Fundani.
178; pr. 167 (Sicile). Il n'est pas possible de savoir si ces charges sont à rapporter à un ou plusieurs individus. Le Ti. Claudius sénateur après 166 n'est pas un Claudius Nero, mais un Claudius Asellus, plébéien : cf. T.R.S. Broughton, MRR, Suppl, 1960, p. 16. Il est plus vraisemblable d'attribuer le patronat de Fundi à un Ti. Claudius Nero, membre d'une famille très influente, plutôt qu'aux Claudii Aselli, qui ne figurent que deux fois dans les Fastes de la République. 139 En 189, alliance Claudio-Fabienne contre les Scipions-Emiliens : cf. H.H. Scullard, Roman Politics (220-150 B.C.), Oxford, 1951, p. 134 sq. En 166 encore, le groupe libéral FulvioFabio-Claudien représente le parti du centre face aux Cornelii Scipiones (ibid., p. 227). La rivalité entre les Scipiones et les Claudii Nerones remonte même au IIIe siècle (cf. F. Cassola, / gruppi politici romani nel III sec. a.C, Trieste, 1962, p. 416). 140 Cette tessère en forme de poisson et de dimension restreinte était probatoire, facile à exhiber. L'exemplaire retrouvé (à Fundi) est celui de la cité elle.-même. Ti. C(laudius) avait également reçu le sien. 141 On peut alors préciser la date de la convention de clientèle : 183-166-155-152. On peut écarter 183, car le préteur urbain (dont le préfet est un délégué) est un P. Cornelius Scipio. De même sans doute la date 155 : P. Cornelius P. f. Scipio Nasica, consul, aurait sans doute pu s'opposer à ce renversement d'alliance. Restent 166et 152. L'année 166 voit le pouvoir confié à une formation politique pro-Claudienne, M. Claudius Marcellus (apparenté au groupe des Fabii en 189 et en 166 encore - H. H. Scullard, op. cit., p. 137, p. 227) et C. Sulpicius C. f. Galus (les Sulpicii sont alliés aux Fulvii) étant consuls, et L. Iulius Caesar étant (?) préteur urbain. En 152, les consuls sont un Claudius Marcellus et L. Valerius Flaccus, également apparentés au groupe Fulvio-Claudien (H. H. Scullard, op. cit., p. 186-89). Les préteurs de cette année là ne sont pas connus. Entre les deux dates suggérées, 166 et 152, on peut préférer la première : il dut être d'autant plus important de s'acquérir les voix des tribus rustiques (Fundi étant dans l'Aemilia) que les censeurs de 169-168 venaient de ramener pour l'avenir tous les affranchis dans une tribu urbaine (Liv. 45, 15, 1,7 et H. H. Scullard, op. cit., p. 205).
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
Il est certain que le préfet de Fundi n'agit pas seul, en « cautionnant » la traditio in fidem de Fundi, et qu'il fut plutôt le représentant du préteur ou m ê m e servit de porte-parole au Sénat, chargé d'obtenir l'acquiescement de Fundi à la création de cette clientèle aux répercussions politiques profondes. Le rôle joué par le préfet qui dut solliciter ce consentement, plutôt que le permettre, expliquerait que Fundi n'apparaisse que c o m m e une praefectura et non c o m m e un municipium. On y verra, sinon la preuve, un indice du moins, que l'autorité romaine et son délégué, le préfet à la tête de sa circonscription judiciaire, n'ont pas été p o u r rien dans l'élaboration de l'acte et le choix du patronus. Valeur juridique du consentement
du
praefectus.
Mais juridiquement ce consentement doit être r a m e n é à ce qu'il dut être. Ce n'est pas une ratification ou u n consentement nécessaire à la validité des décisions du sénat de Fundi; le mot auctoritas aurait, sinon, figuré à la place de cet étrange consensus. En effet, juridiquement, la traditio in fidem est faite par le sénat et le peuple de Fundi, comme l'indique l'expression de la tessère, conscriptes et praefectura tota, qui équivaut au senatus populusque que Ton trouve dans les autres exemplaires des tables d'hospitalité 1 4 2 . On s'étonnera sans doute de ne pas voir mentionnés les magistrats du municipe de Fundi : en déduira-t-on q u e l'envoi du praefectus les a fait disparaître ou que ses pouvoirs les ont refoulés dans une o m b r e muette et incompétente ? Certainement pas : d a n s la traditio in fidem c'est la collectivité qui s'engage directement; elle est seule compétente - à l'exclusion de ses représentants, les magistrats - p o u r établir le lien personnel de la fides qui la placera dans la clientèle du p a t r o n choisi. Les magistrats municipaux n'apparaissent pas plus dans la tessère de Fundi que dans les autres exemples de convention d'hospitalité 143 . Il n'y a donc pas à déduire de la compétence exclusive du sénat et du peuple d e Fundi que ses magistrats ont disp a r u et que le municipium n'a pas pu se maintenir derrière la préfecture ou qu'il est apparu plus tard. Il y a de b o n s arguments d'ailleurs qui prouvent et la survie du municipe et le maintien de ses magistratures.
142 La formule senatus populusque se trouve dans les plus anciens formulaires conservés : CIL VIII, 10525 = ILS 6094 (milieu du I " siècle av. I-C); CIL II, 1343 = ILS 6097 (5 ap. J.-C); CIL II, 3695 = ILS 6098 (6 ap. J.-C); CIL VIII, 68 = ILS 6095 (12 ap. J.-C); dans CIL II, 5763 = ILS 6096 (2 ap. J.-C) : civitas. 143 Ils n'interviennent jamais. Cf. note précédente.
LES PRAEFECTI IURE DICUNDO
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Pour le premier, on rappellera le témoignage de Tite-Live, en 188, qui évoque les municipes Fundani, au moment où ils reçoivent l'optimum ius144. Pour le second, il va de soi que l'existence d'un sénat (conscriptes) suppose nécessairement des anciens magistrats, parmi lesquels seront cooptés les sénateurs, et une assemblée politique qui en permettra l'élection. La tessère de Fundi permet, par là, de conclure les explications que nous avons proposées sur la nature de la préfecture et la définition que Festus en a donnée. Cette convention d'hospitalité confirme qu'au delà de la praefectura, sphère de compétence juridictionnelle du préfet, le municipe subsiste avec les éléments de son autonomie (senatus, assemblée ou populus, magistrats), qui lui permet ainsi de conclure les liens personnels d'une traditio in fidem. Juridiquement, le municipe de Fundi est la seule partie contractante, et participe seul, avec le patron choisi, à la conclusion de Yhospitium. Mais l'importance politique de la décision - qui appartient certainement plus au Sénat de Rome qu'au sénat de Fundi -, justifie une autorisation. Il n'y a pas à s'étonner qu'elle soit transmise, localement, par le représentant des magistrats de Rome; il dut, en même temps, servir de relais à la volonté du Sénat. Il apparaît ainsi qu'au delà de la compétence qui nous est apparue c o m m e principalement juridictionnelle du préfet, il est capable de jouer un rôle politique, d'influer sur les décisions graves que prend le municipe, d'orienter ses choix dans le domaine de la politique intérieure.
V -
CONCLUSION : PRÉFECTURE, MUNICIPE ET ADMINISTRATION LOCALE
Par la généralité de leur diffusion, les préfectures ont recouvert plusieurs situations. Il convient de distinguer les préfectures-municipes des préfectures qui ont précédé la création d'un municipe. 1 - Les
préfectures-municipes.
Lorsque le préteur délègue son représentant auprès d'une res publica, d'un municipium, la préfecture ne le supprime pas. Il y a juxtaposition et non confusion ni dissolution du municipe dans la préfecture. Chronologiquement, la distinction s'impose : les municipes créés au milieu du IVe siècle (350-334-329) par l'acte d'incorporation ont précédé
144
Liv. 38, 36, 7.
400
LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
l'établissement des premières préfectures, qui ne remontent pas au delà de 318 et n'eurent sans doute pas dès lors la régularité d'une institution rodée. Géographiquement, le municipe et son territoire ne se confondent pas nécessairement avec le ressort de la préfecture que le municipe accueille; elle peut être plus vaste et englober au delà du territoire municipal les espaces confisqués, distribués et rattachés à une tribu rustique donc dissociés de Yager primitif du municipe. Par leur compétence respective, préfet et magistrats locaux impliquent un partage qui exclut l'incompatibilité des deux institutions; à l'un la juridiction, aux autres l'administration au sens le plus large. Aussi, à la date, difficile à déterminer mais certainement antérieure à la guerre sociale, où les préfets cessèrent d'être désignés, n'assiste-t-on pas à la naissance ou à l'éclosion du municipe. Il continue son existence, jouissant désormais d'une autorité grossie de la juridiction locale. On a suggéré une liste approximative de ces municipes-préfectures. Elle confirme, en les complétant, les exemples qui, chez Festus-Paul, illustraient leur définition du municipium : les municipes campaniens; Caere, chez les Etrusques; chez les Volsques, Fundi, Formiae, auxquels on a joint Privernum, Arpinum, Velitrae et probablement Frusino; Anagnia et peutêtre Capitulum Hernicum chez les Herniques; en bordure du Samnium, Venafrum et Allifae; Trebula Suffenas et Treba chez les Eques. Ce sont tous les peuples qui, déjà en possession du concept de la cité-état, entrèrent comme municipes dans la citoyenneté romaine. La phase de la préfecture, temporaire, n'altéra pas plus leur qualité de municipia qu'elle ne modifia l'organisation de leurs magistratures spécifiques. 2 - Les préfectures non doublées d'un municipe. A la différence des exemples du premier type, une incompatibilité apparente semble opposer ici la préfecture au municipe. De fait, celui-ci ne naît, après une maturation souvent longue, qu'au moment où le préfet disparaît. Il n'y a plus cumul, mais succession. L'explication, pourtant, n'est pas dans une opposition de principe entre la préfecture et le municipe. Seul le degré de développement relatif de l'autonomie locale est en cause. Il dessine schématiquement deux hypothèses distinctes. Parmi les cives sine suffragio entrés dans la civitas sans avoir atteint la structure d'une cité unitaire, donc ignorant le municipium, il en est un premier groupe que la conquête trouve en possession d'une organisation locale et de magistratures spécifiques. Rappelons les exemples les plus typiques :
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401
les marones de Fulginiae, attestés au III e -II e siècle av. J.-C, les aediles de Peltuinum, les praetores de Casinum et, dans de nombreux exemples, ces magistratures originales regroupées dans un collège d'octoviri ou de quattuorviri Ce sont des structures prémunicipales, m ê m e qualifiées dans la terminologie officielle de la fin du II e siècle av. J.-C. de para-municipales (les pro municipiis de la lex agraria de 111, 1.31 sq. se réfèrent probablement aux praejecturae). Or la préfecture les protège. Elle en assure la survie. Dans tous ces cas, la préfecture (contemporaine sans doute de la conquête) n'exclut pas le municipe, mais le prépare en prenant appui sur les structures indigènes, afin de les munir, dans les limites d'un cadre souvent nouveau, de l'autorité centralisatrice nécessaire. On constate, c o m m e dans les préfectures-municipes, une collaboration entre magistrats et préfet; mais le partage, ici, revêt une tout autre signification. Entre les mains des magistrats locaux, le pouvoir de décision doit triompher des rivalités locales; l'autorité du préfet doit constamment réaffirmer, notamment p a r l'exemple de sa juridiction - mais pas uniquement : ainsi p o u r le recensement -, l'unité contre les tendances au fractionnement. Toute la différence avec la notion m ê m e de municipe se trouve là. Dès que la concentration de l'autorité est acquise, le concept de municipium est atteint. Rome introduit alors le titre - ce fut souvent à la fin de la République - et, après la phase de la préfecture qui n'a plus de raison d'être, l'organisation locale persiste avec ses éléments originaux. A ce type de civilisation prémunicipale se rattachent les préfectures des Sabini145, Umbri, Vestini, Praetuttii et certaines préfectures de la bordure du Samnium (Atina, Casinum) : en deux mots, toutes celles qui, tôt ou tard, ont fait éclore des structures municipales originales. Distincts de ces cives sine suffragio n o n municipes, il y eut, en un second groupe, ceux que les rigueurs de la conquête, par l'ampleur des confiscations et l'épaisseur de l'immigration de cives optimo iure, ont pratiquement laissés démunis d'organisation spécifique. Rome délégua un préfet, mais introduisit aussi les éléments de l'organisation locale. Ce n'est pas l'idée de cité seule qui fut importée, mais les moyens de la réaliser l'ont accompagnée. Aussi s'explique-t-on que dans le Picenum ou dans Vager Gallicus
u? Cures et Interamna Nahars font difficulté. Il est vraisemblable que leur condition municipale ne remonte pas à la conquête, mais qu'après la phase d'une préfecture (qui permit le maintien de la constitution locale, provoquant seulement l'évolution de l'octovirat vers un quattuorvirat), la qualité de municipium (et la disparition de la préfecture) fut atteinte bien avant la guerre sociale. Mais tout, ici, n'est qu'hypothèse.
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LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D'UNE RES PUBLICA DISTINCTE
(peut-être aussi chez les Aequiculi, à Cliternia ou dans la res publica Aequiculorum, ou même à Aufidena), l'on retrouve lors de la consécration municipale tardive une constitution duovirale qui trahit l'introduction d'un schéma unitaire romain. Le r a p p r o c h e m e n t avec le collège duoviral des colonies romaines ou des forum s'impose. Les motifs sont les mêmes : créer de toutes pièces une administration locale. La création d'une préfecture, on le voit, recouvre d e s situations extrêm e m e n t variées. Ce n'est en effet qu'un cadre. D'où sa souplesse, qu'on l'applique sur un municipe, sur un embryon de municipe ou sur une comm u n a u t é artificiellement constituée. Point d'obstacle, n o n plus - et nous en avons vu certaines preuves - à ce qu'on l'étende à un forum de cives o.L ou à une colonie. C'est un cadre juridictionnel et une autorité politique à la fois, adaptable à tous les palliers atteints dans l'organisation locale. Mais cette autorité n'implique aucune administration-type et n'entraîne ni confiscation ni suspension des structures locales, au contraire. Dans ce relais de l'autorité centrale, on retrouve finalement Festus et la définition rigoureusement exacte qu'il a d o n n é e de la praefectura.
ANNEXE
CITOYENNETÉ ET TÉMOIGNAGES ARCHÉOLOGIQUES : L'EXEMPLE DE LA CAMPANIE ET DE CAERE (IV e -III e SIÈCLE)
L'autonomie locale, dont Rome respecta scrupuleusement le principe, ne laisse que peu d'espoir de retrouver, au niveau des realia, les preuves tangibles de l'incorporation dans la citoyenneté romaine. On le c o m p r e n d : la soumission aux munera, le respect de la juridiction prétorienne supérieure, l'abandon d'une politique nationale indépendante ne sont pas de ces bouleversements qui laissent des traces non écrites. L'idée de solliciter le pic des fouilleurs p o u r composer une histoire des municipes italiens peut sembler vaine. C'est bien ce que confirme l'exemple de la Campanie, par lequel on commencera. Si l'on fait abstraction des sources littéraires 1 , on conviendra que la lecture des vestiges archéologiques, à elle seule, ne permettrait pas de placer au milieu du IVe siècle l'incorporation dans la civitas sine suffragio. Jusqu'à la fin du III e siècle, en effet, les inscriptions et les lieux de culte maintiennent avec les traditions locales des magistratures 2 , un calendrier 3 , une religion 4 et une langue 5 qui ne témoignent d'aucune romanisation.
1
Pour elles, supra, p. 173 sq.; 195 sq. Les meddices sont largement attestés notamment par les inscriptions « iùvilas » : J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 232, n. 8 sq. pour les références et Etude sur les inscriptions osques de Capoue dites iùvilas, Alger, 1942, p. 13 sq. Ces inscriptions sont datées de 350 env. à 211 av. J.-C. : Etude ..., p. 41 sq. 3 J. Heurgon, Etude . . ., op. cit., p. 61 sq.; Capoue préromaine, p. 361 sq., 388 sq. 4 J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 299-392. La civitas s. s. de 334 ne rejaillit pas directement sur la vie d'un sanctuaire comme celui dit du Fondo Patturelli. Une restauration générale du sanctuaire, placée traditionnellement vers 300 (J. Heurgon, /. c, p. 331, suggère le milieu du IVe siècle) est cependant relevée; la romanisation de Capoue semble surtout avoir provoqué une lente décadence du sanctuaire, éteint complètement, il semble, à la fin de la République (J. Heurgon, /. c, p. 331). On en ignore à vrai dire les motifs. 5 Ainsi les inscriptions osques iùvilas. On sait qu'en 180 la langue officielle à Cumes restait l'osque {supra, p. 372); la langue populaire, après les événements de 211, le resta égale2
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ANNEXE
Rome n'a pas davantage tenté de mettre la main sur les mouillages ou d'occuper le port et l'entrepôt de Puteoli 6 ; si l'on met à part Yager Falernus - dont Rome s'empara d'ailleurs avant la « municipalisation » de la Campanie -, l'absence de confiscation ou de colonies romaines ne pourrait que confirmer l'illusion d'une ligue restée en dehors de la puissance romaine. Il y a, il est vrai, deux indices, qui mériteraient d'éveiller de salutaires soupçons. Mais le premier, de fait, à lui seul aurait quelque peine à convaincre; car le tracé en 312 de la Via Appia traduit la volonté commune d'une politique d'échanges et l'on ne saurait, sans abus, l'identifier à la romanisation d'un peuple 7 . Reste le second indice, le seul en revanche qui ait en luimême une signification non équivoque: la frappe, entre 216 et 211, d'un monnayage national à inscriptions osques, symbole d'une souveraineté nouvelle réaffirmée avec fierté après plus d'un siècle d'incorporation : sursaut révélateur d'une sujétion, répudiée au prix d'une sécession qui allait être durement châtiée8. Nous ne prétendons pas être exhaustif et ne voulons préjuger des découvertes à venir; mais, reconnaissons-le, on dispose avec cet indice du seul témoignage permettant, archéologiquement, de placer avant les premières décennies du IIIe siècle l'incorporation de la fédération campanienne. C'est peu. On peut même penser que si l'on poursuivait, à titre d'expérience, à faire abstraction des témoignages littéraires, on risquerait fort de placer après 211 la date de l'incorporation dans la citoyenneté romaine, devant les
ment comme l'attestent des tabellae defixionis : cf. Conway, Italie Dialecis I, p. 127, et NR. 137 sq.; V. Pisani, Le lingue dell'Italia antica, Turin, 1953, p. 88 NR. 31 (inscription osque en caractères latins, provenant de Cumes) = E. Vetter, Handbuch, NR 3. 6 Mouillages comme ceux de Liternum et de Volturnum, qui seront plus tard occupés par des colonies romaines. Puteoli, en revanche, est un port actif dès la fin du IIIe siècle : en 213 (Liv., 25, 22) pour l'importation de blé, en 211 (Liv., 26, 17) pour y embarquer des troupes vers l'Espagne. C'est de plus une place forte, munie de murailles que les Romains, à la hâte, firent édifier ou renforcer en 215 et que l'on aurait, en partie, mises au jour : cf. Ch. Dubois, Pouzzoles antique (BEFAR 98) Paris, 1907, p. 24 sq., p. 231. L'activité commerciale du port est confirmée par l'établissement, dès 199, d'une douane à Puteoli (Liv., 32, 7) qui, comme celle contemporaine de Capoue, doit être comprise comme le rétablissement, au profit de Rome désormais, de droits de passage perçus auparavant par les municipes romains de Campanie. 7 La Via Appia prolongée au-delà de Capoue ne traversera pas, en effet, des régions incorporées dans la citoyenneté. Inversement ce n'est qu'à une date tardive que des routes romaines relieront l'Etrurie romaine à Rome. On pourrait multiplier les exemples à l'aide de la commode synthèse de G. Radke, RE, Suppi 13 (1973), Viae Publicae, c. 1417 sq. V. encore T. Pekâry, Untersuchungen zu den römischen Reichsstrassen, Antiquitas 1, 17, Bonn, 1968, p. 3945. 8 Supra, p. 366.
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preuves, multiples dès lors, d'une présence romaine trop visible : confiscations9, déduction de colonies10, suppression des magistratures locales11 - et latinisation rapide de la langue. Mais il est évident, ici encore, que seuls les témoignages littéraires, explicites par chance - et, de ce fait, non contestés - donnent de ces preuves récentes et tangibles de l'autorité romaine l'interprétation véritable : une sanction exceptionnelle et tardive, qui n'a aucun lien chronologique (et logique) avec une incorporation vieille de plus d'un siècle. Capoue et la Campanie ne sont qu'un exemple parmi d'autres, et, peuton dire, un exemple pacifique, car les textes sont là. Mais dans les cas où l'interprétation des témoignages littéraires prête, et il s'en faut, à discussion, doit-on éprouver la même réserve à l'égard de l'archéologie, alors qu'elle reste, en dernière analyse, la seule source susceptible de compléter les témoignages anciens? L'histoire de Caere offre un exemple parfait de ce débat, qui nous permettra d'esquisser une mise au point. On connaît les positions qui, depuis le début du siècle, se font face. D'un côté, et c'est le groupe majoritaire, nous trouvons les partisans d'une extension précoce, dès 390, de la civitas Romana sine suffragio à Caere; mais une citoyenneté au contenu purement honorifique à l'origine, qui aurait été l'équivalent, plus ou moins, de cet hospitium publicum précisément mentionné par Tite-Live pour l'année 39012. A partir de là, quelques divergences apparaissent; pour les uns, cette alliance privilégiée n'aurait pas résisté à un conflit, dont il n'y a pas lieu de douter, qui opposa Rome à Caere entre 354-351 : la rupture aurait duré alors jusqu'à l'incorporation de Caere dans une forme toute différente de civitas sine suffragio qu'il conviendrait de
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Vager Campanus est converti en ager publicus après 211, cf. M. W. Frederiksen, Republican Capua : a social and economic study, dans PBSR 14, 1959, p. 82; la population indigène, cependant, resta en grande partie sur place et parvint à maintenir la puissance économique de Capoue : Frederiksen, ibid, p. 107 sq. 10 Les trois colonies de Puteoli, Liternum, Volturnum (fondées en 194 - cf. M. W. Frederiksen, RE 23 (1959), Puteoli, c. 2054), impliquent des confiscations. Sur le site de la colonie romaine, par rapport au port et au centre indigène, Dubois, op. cit., p. 222 sq., Frederiksen, op. cil, c. 2057. 11 II ne subsiste plus que des magistri pagi : J. Heurgon, Les magistri des collèges et le relèvement de Capoue, dans MEFR 56, 1939, p. 5 sq.; M. W. Frederiksen, Republican Capua, op. cit., p. 83 sq. 12 Notamment D. Anziani, Caeritum Tabulae, dans MEFR 31, 1911, p. 449 sq.; M. Sordi, / rapporti romano ceriti e l'origine délia civitas sine suffragio, Roma, 1960. Bibliographie complémentaire dans notre article cité, infra, n. 16; cf. supra, p. 26 sq.
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reculer à l'année 27313. Pour d'autres, l'alliance aurait été rétablie peu après ce conflit et, de 348 à 273, se serait maintenue sans avatars 14 ; mais durant cette même période, Rome aurait rapidement joué sur le contenu politique et juridique de la civitas sine suffragio, si bien que l'on peut légitimement se demander si Caere n'offrirait pas l'exemple remarquable, et unique, d'une évolution qui, partie de l'octroi généreux d'un privilège, aurait abouti, dès 334 (la civitas sine suffragio des Campaniens), à l'idée d'une soumission, d'une incorporation 15 . De cette thèse, se séparent ceux, dont nous sommes16, qui placent aux alentours de 350 les débuts de la civitas Romana sine suffragio de Caere, mais sous la forme même, celle d'une incorporation politique, qui sera étendue quelques années plus tard aux autres municipia, optimo iure (dès 338), ou sine suffragio comme la Campanie (dès 334). L'incorporation de Caere aurait, dans ce cas, été précédée d'un hospitium publicum, solennellement établi en 390, pur privilège maintenu tel quel jusqu'au brutal renversement de 350 environ. Enfin, une partie des historiens, refusant d'assimiler les relations primitives d'hospitalité et la civitas sine suffragio décomposent en trois temps les relations de Rome et de Caere : Y hospitium de 390 à 350 environ; une rupture de ces relations d'amitié réciproque de 350 à 273; l'incorporation dans la civitas sine suffragio après cette date 17 . Nous ne reviendrons pas sur les arguments d'ordre historique et juridique que nous avons proposés ailleurs en faveur de l'incorporation au milieu du IVe siècle18; car l'opinion dominante n'a pas apporté d'arguments nouveaux19. C'est l'arbitrage des sources archéologiques que l'on sollicitera
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Ainsi, par exemple, W. V. Harris, infra, n. 19. M. Sordi, op. cit., p. 133 sq. M. Sordi, notamment, a insisté sur cette maturation progressive, sensible, selon cet auteur dès l'extension de la civitas s. s. aux Campani; à Caere on serait ainsi passé, du début du IVe siècle à la fin du IVe siècle, d'une indépendance complète à une dépendance comparable à celle des Anagnini, la pire condition municipale : ibid. p. 134. En clair, sans coup férir, Rome aurait constamment, à l'égard de Caere, de 390 à la fin du IVe siècle, débordé la notion primitive de citoyenneté honorifique. 16 Cf. notre article, L'incorporation de Caere dans la civitas Romana, dans MEFRA 84, 1972, p. 231 sq. 17 Cf. la bibliographie dans L'incorporation de Caere, op. cit., p. 241, n. 3. 18 Ni sur les objections, du même ordre, que l'on a pu élever {supra, passim) contre l'idée d'une citoyenneté sans suffrage purement honorifique et individuelle. 19 Parmi les travaux dont nous n'avions pu tenir compte, on relèvera : W. V. Harris, Rome in Etruria and Umbria, Oxford, 1971, p. 46 sq., place, à la suite de M. Sordi, la civitas s. s. de 14
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ici. A vrai dire, l'exemple de Capoue incite à la p r u d e n c e ; aussi ne suggérerons-nous ici que des propositions, largement hypothétiques, forcément provisoires et dans le souci exclusif de faire progresser la discussion. Schématiquement, le problème peut être posé de la façon suivante : 1) de 350 à 273, les preuves de la souveraineté et de l'indépendance de Caere, i n c o m p a t i b l e s avec son i n c o r p o r a t i o n , sont-elles a p p o r t é e s ? 2) de 390 à 350, peut-on entrevoir, entre Rome et Caere, les signes d'une évolution qui justifierait que l'on fût passé rapidement, avec la civitas sine suffragio, d'un privilège honorifique à u n e forme de soumission? 3) les données archéologiques permettent-elles au contraire de croire à une indépendance complète de Caere et de Rome, de 390 à 350, c o m m e le concept d'hospitium l'implique; de placer vers 350 u n changement net des relations de Rome et de Caere; de soutenir, de 350 à 273, u n e étroite collaboration avec Rome reflétant matériellement u n e soumission et une incorporation sur le modèle des Campaniens depuis 334?
Caere en 390, statut honorable que Tite-Live aurait approximativement transcrit en hospitium publicum; en 353 env. Caere se serait révoltée (ce qui implique que ce statut honorable, de 390 à 353, aurait imposé à Caere un certain respect de l'autorité romaine), et aurait été punie en deux temps, dès 353 par la perte de sa citoyenneté (restituée à un moment quelconque avant la guerre sociale), puis en 273, par la confiscation d'une partie de son territoire. L'idée d'une rupture entre Rome et Caere de 353 à 273 est totalement démentie par les faits que l'on analysera ci-dessous; M. Cristofani, dans SE 41, 1973, p. 589 sq. a néanmoins partagé cette interprétation de la citoyenneté romaine de Caere. F. De Martino, Storia IF, 1973, n'a pas une position très claire; cet auteur: 1) reconnaît à juste titre, p. 86, n. 34, que les Tabulae Caeritum n'ont pu contenir que les noms de cives s. s. recensés, donc soumis aux munera; 2) admet que les Caerites furent les premiers à y être portés; 3) refuse, à bon droit, de confondre civitas sine suffragio et hospitium publicum, p. 87, n. 36; mais 4) conclut de façon inexplicable, p. 87, que la civitas s. s. des Caerites aurait eu un caractère honorifique et remonterait à 390. C'est alors poser l'équivalence hospitium publicum et civitas s. s. et l'on voit mal le caractère honorifique d'une civitas qui aurait impliqué le recensement à Rome et l'inscription parmi les contribuables, au mépris, en outre, du témoignage formel d'Aulu-Gelle (NA 16, 13, 7) qui affirme l'immunité des Caerites à la suite du privilège accordé en 390. Citons enfin R Rebuffat, Tite-Live et la forteresse d'Ostie dans Mél P. Boyancé, Rome, 1974, p. 633 sq. (déjà, dans MEFR 78, 1966, p. 32, et cf. A. Piganiol La conquête romaine5, 1967, p. 180) qui, à partir du second traité romano-punique (348) mentionnant les «ports romains», a cru démontrer qu'il ne pouvait s'agir que d'Ostie, n'envisageant pas même, à la suite de M. Sordi (p. 635, n. 6), que la clause visât avant tout Caere et ses ports. Sur Ostie, dernièrement, R. Meiggs, Roman Ostia2, Oxford, 1973, p. 471 sq., 480 sq., p. 566 : l'idée d'un établissement royal, recevant une nouvelle fortification après 349 au moyen d'un castrum {ibid., p. 22 sq.) prend corps (cf. de même F. Zevi dans SE 41, 1973, p. 41) mais il n'est pas question dans ce village fortifié d'y voir un port.
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L'examen des frontières d o n n e un premier résultat intéressant. Des enquêtes minutieuses de 0. Toti et de M. Torelli 20 ont m o n t r é que le long du Mignone, ligne frontière entre les territoires de Tarquinii et de Caere, des centres mineurs connaissent à la fin du IV e siècle une vie nouvelle, s'entourent de murailles et deviennent de véritables oppida : à San Giovenale, ou à Luni, dans Yager Tarquiniensis21, et, en face, dans Yager Caeretanus22. Il est frappant de relever qu'au moment, précisément, où l'Etrurie dans son ensemble livre ses derniers combats contre les Romains, Caere et son territoire sont passés dans le c a m p de Rome et sous sa domination. Il est visible que la frontière militaire et politique de l'Etrurie du Sud passe entre Tarquinii et Caere; le r e m p a r t défensif que les premiers ont monté auquel Rome répond symétriquement par l'intermédiaire de Caere - est destiné à les protéger, non pas, certes, contre des alliés naturels, mais contre des cives sine suffragio qui combattent depuis la deuxième moitié du IV e siècle dans les rangs des Romains et contre leurs ennemis 2 3 . L'évolution du commerce international élargit l'horizon. Arrêtons-nous en Corse, plaque tournante du c o m m e r c e occidental, à Aleria précisément qui commence à livrer les trésors de sa nécropole. Or qu'y voit-on avec J. et L. Jehasse 2 4 ? A partir de 340, la vocation commerciale de Caere trouve un
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Ces recherches ont été faites dans le territoire de la future colonie de Castrum Novum, déduite en 264 env. sur une partie confisquée de Yager de Caere, et dans les zones limitrophes : 0. Toti, dans Not degli Scavi (Atti Accad Lincei), S. VIII, 21, 1967, p. 48 sq. ; M. Torelli, Contributo dell'archeologia alla storia sociale, dans Dialoghi di Arch. 4-5, 1970-1, p. 431 sq.; P. A. Gianfrotta, Castrum Novum, dans Forma Italiae, Reg. VII, 3, Rome, 1972, p. 18 sq. 21 San Giovenale et Luni sul Mignone, attribués à Yager de Caere par M. Torelli, semblent bien, en réalité, situés dans Yager de Tarquinii : ainsi, pour San Giovenale, K. Hanell, dans Etruscan culture, land and people, New-York - Malmö, 1962, p. 308-9; pour Luni, C. E. Östenberg, ibid., p. 324 et Luni sul Mignone, dans Acta Inst. Regni Sueciae 25, 1967, p. 30. Ces deux auteurs attribuent les fortifications du IVe siècle à la volonté de Tarquinii de se protéger contre Rome. C'est au Ve siècle que ces centres seraient passés sous le contrôle de Tarquinii : G. Colonna dans SE 35, 1967, p. 16 sq. 22 Ainsi les pagi 4 et 8, portés sur la carte de M. Torelli, qui restent actifs alors que le cœur du pays est déserté; un troisième centre se fortifie, près du site de la future colonie romaine : défense contre un péril venu de la mer. Tous ces centres, d'un côté ou de l'autre de la frontière, disparaîtront après la soumission définitive de Tarquinii, vers 275, et la déduction contemporaine de Castrum Novum. 23 Heureuse confirmation des témoignages littéraires : non seulement les Cérites n'apparaissent jamais parmi les Etrusques, qui sont en conflit quasi permanent avec Rome de 311 à 275 (cf. W. V. Harris, op. cit., p. 49-84), mais en 302 (Liv. 10, 4, 9) ils combattent précisément avec les Romains contre les Etrusques (cf. L'incorporation de Caere, cit., p. 266, n. 1). 24 La nécropole préromaine d'Aléria (1960-1968), Paris, 1973.
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nouvel essor, devient le débouché de la céramique issue des ateliers de Campanie, du Latium et de Rome sans doute déjà, et, supplantant Populonia, ferme le marché de la Corse à la production attique dont les principaux revendeurs étaient jusque-là les Puniques 2 5 . Rome n'a pas pris matériellement possession, dès 350, des ports de Caere, c'est entendu, pas plus d'ailleurs qu'elle n'occupa les ports ou les entrepôts de la Campanie lorsque la citoyenneté sans suffrage lui fut étendue. Mais il est clair que les ports et la flotte cérites furent utilisés par Rome; la puissance maritime de Caere passe au milieu du IV e siècle sous le contrôle de Rome. La Corse est le premier résultat, appréciable dès 340, de cette politique expansionniste que les Carthaginois avaient prévue et redoutée en 348, immédiatement après un tournant brutal dans les relations de Rome et de Caere : nous avons suggéré 2 6 son incorporation, en 350, dans la civitas sine suffragio. L'utilisation romaine des ressources de Caere se retrouve peut-être aux débuts du monnayage romain. Sans doute la frappe de monnaies exécutées dans des ateliers cérites au n o m et pour le compte de Rome n'est-elle pas prouvée - et dans une science qui nous est étrangère, la réserve s'impose. Mais l'éloquence de quelques indices ne peut être tue. A Caere, tout d'abord, les preuves d'un monnayage national, symbole d'une indépendance maintenue, ne sont pas apportées - à la différence de Tarquinii, Populonia, Volsinii, Vetulonium, Volaterrae, Peithesa et Echetia 2 7 - ; plus concrètement, un trésor monétaire romain enfoui sur le territoire de Caere entre 280 et 260 a révélé des bronzes où l'on a reconnu la main d'artistes vraisemblablement étrusques 2 8 . Sera-t-il abusif de suggérer l'appel, dès 289,
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J. et L. Jehasse, op. cil, p. 76 sq. La coupure, dans les importations, se situe vers 350340 et la date de 340 est choisie pour des raisons archéologiques (p. 81, n. 1) : arrêt des importations attiques (qui, en revanche, se poursuivent en Méditerranée occidentale, en dehors de la Corse, jusqu'au milieu du IIIe siècle : J. P. Morel, dans Dialoghi di Arch. 4-5, 1970-1, p. 363), arrivée de la production étrusque, notamment à partir de 325, où Caere tient la première place (p. 83). L'onomastique locale confirme le rôle prééminent de Caere que les auteurs (p. 110 sq.) expliquent par la puissance romaine parvenue à détrôner le monopole carthaginois. 26 L'incorporation de Caere, cit., p. 251 sq. sur les causes immédiates du second traité romano-punique. La chronologie traditionnelle du 1 er traité (avant 500) et du 2 e (milieu du e IV siècle) avec Carthage est reprise par K. E. Petzold, Die beiden ersten römisch-karthagischen Verträge..., dans ANRW I, 1, 1972, p. 364-411. 27 S. Ricci, Storia délia moneta in Italia, Padoue, 1937, p. 3 sq. et surtout d'après les tableaux de R. Thomsen, Early Roman coinage, I, Copenhague, 1957, p. 158 sq. 28 Trésor de Santa Marinella (à proximité du site de la future colonie de Castrum Novum) : cf. S. L. Cesano, Not. degli Scavi (Atti Accad. Lincei), 53, 1928, p. 84 sq., mais surtout
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de la Monnaie de Rome aux ressources de Caere, sous une forme qui, là encore, n'implique aucun partage de souveraineté 2 9 ? Les témoignages que l'on vient d'emprunter à l'archéologie d o n n e n t un p r e m i e r résultat : depuis le milieu du IVe siècle Caere semble bien être passée dans la sphère de d o m i n a t i o n romaine, en u n m o t dans la civitas Romana20. Cela n'implique pas que son a u t o n o m i e locale ait disparu; les preuves, au IV e ou au II e siècle av. J.-C, comme au II e siècle après notre ère abondent, qui prouvent que Caere, comme les a u t r e s cités devenues romaines, sauva le respect des magistratures et des organisations cultuelles locales 3 1 . Il ne faut pas s'en étonner, pas même si Ton constate u n e résistance
pour la datation, d'après les séries d'aes grave représentées dans le trésor, où se trouve également un spécimen d'aes signatum du type le plus ancien, R. Thomsen, op. cit., III (1961), p. 67, 191, 207 sq. (pour Yaes signatum) et, pour les séries d'aes libral représentées (séries lourdes : Janus/Mercure, Apollon/Apollon, Dioscure/Apollon), p. 171, 220, 224 : la série la plus récente (Apollon/Apollon), émise après 280 et poursuivie jusqu'en 260 env., daterait l'ensemble du dépôt. L'influence étrusque a été particulièrement mise en valeur par H. Zehnacker, Moneta, Recherches sur l'organisation et l'art des émissions monétaires de la Rép. rom. (BEFAR 222), Rome 1973, I, p. 232-235, qui suggère, pour l'émission de ces trois séries, l'appel de la Monnaie de Rome à des artistes étrusques ouverts progressivement (notamment pour la série plus récente) à de nouvelles influences grecques. H. Zehnacker, ibid., p. 233, considère à ce propos comme un «fait significatif» le lieu du dépôt, à proximité de Caere. 29 Les séries Janus/Mercure et Dioscure/Apollon sont immédiatement postérieures à 289 : R. Thomsen, op. cit., III, p. 223; H. Zehnacker, op.cit, I, p. 234. A cette date, une collaboration semblable ne se concilie pas avec l'idée (soutenue par plusieurs) d'une rupture, depuis 350 et jusqu'en 273, des liens entre Rome et Caere. 30 La création de routes nouvelles, par Rome, n'apparaîtra que beaucoup plus tard : via publica et civitas sont sans lien entre elles. D. Anziani, Les voies romaines de l'Etrurie méridionale, dans MEFR 33, 1913, p. 169-244 a démontré l'existence d'un réseau étrusque de routes, que les Romains ont longtemps continué à utiliser : ainsi, de Rome à Caere, c'est l'itinéraire étrusque par Veii qui est suivi jusqu'à la construction de la Via Aurelia, à finalité militaire principalement (elle évite les principaux centres, Caere ou Tarquinii); sur la date, on hésite entre 241 (E. Pais, Storia interna di Roma, Turin, 1931, p. 148; T. P. Wiseman, dans PBSR 38, 1970, p. 133 sq. et dans Epigraph. 33, 1971, p. 27 sq.), 200 (A. J. Toynbee, HL II, p. 660 sq.; G. Radke, RE, Suppl. 13 (1973), c. 1615), 181 (D. Anziani, op. cit., p. 242 sq.) et 144 (H. E. Herzig, dans Epigr. 32, 1970, p. 50 sq.; W. V. Harris, op. cit., p. 165). 31 Dans un cursus honorum daté de la fin du IVe ou du début du III e siècle (cf. M. Cristofani, dans SE 35, 1967, p. 609-611), la charge de cpurÔce semble correspondre à celle de dictator, que l'on retrouve attestée épigraphiquement à Caere depuis le début de l'Empire {CIL XI, 3593, 3614, 3615); dans le même cursus, la dignité de tamera (charge à caractère sacré, comparable, peut-être, à Flamen-Flaminica), établie à Pyrgi au début du Ve siècle par les lames d'or, s'est maintenue à Caere à l'époque de la civitas sine suffragio. La structure sociale même ne semble pas avoir profondément évolué, du milieu du IVe siècle au I er siècle av. J.-C. : plusieurs familles aristocratiques se sont maintenues, du IVe siècle av. J.-C. jusque
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certaine de l'étrusque à la latinisation 3 2 : c'est la confirmation précieuse de l'autonomie, élément cardinal dans la définition juridique du municipium. Néanmoins en 273, l'autonomie du municipe subit des coups très durs; la confiscation d'une partie de son territoire, plus encore des dévastations n o t a m m e n t à Pyrgi et la fondation d'une série de colonies maritimes échelonnées au cours des années immédiatement postérieures en sont les preuves évidentes. Depuis Anziani (1913) et Beloch (1926), la majorité des historiens attache à ces événements une importance considérable, au point, soit de les analyser comme le début de la civitas sine suffragio, soit d'y voir la maturation achevée de Yhospitium publicum ou de la citoyenneté sans suffrage, devenus synonymes d'incorporation. Mais de la possibilité archéologique à la vraisemblance historique, le passage est ici étroit : il est hérissé de conditions, qui nous apparaissent c o m m e autant d'obstacles. Pour se laisser convaincre par cette interprétation des faits de 273, il faudrait : que les maigres sources littéraires s'y prêtent : ce n'est pas le cas 3 3 ; que l'indépendance de Caere fût prouvée avant 273 - il n'en est rien; qu'aucune autre explication ne fût vraisemblable - mais nous proposerons celle qui suit. Les troubles de 273 ont accueilli la réalisation d'une politique, dont la signification saute aux yeux : obtenir, p o u r Rome, le contrôle militaire de la frange maritime de l'Etrurie. Au m o m e n t (280) où Vulci, mais qui n'entre
sous l'Empire : les Maclae - Magilii, les Tarchna - Tarquitii (cf. G. Colonna, dans SE, 41, 1973, p. 330 sq., notam. 337), les Campatia (cf. M. Cristofani, dans SE 35, 1967, p. 616). 32 V. R. Mengarelli, Caere e Roma in base aile scoperte archeologiche dans Atti del III Congresso Naz, di Studi Romani, Roma 1934, I, 1934, p. 111 sq. et Not degli Scavi, 1937, p. 359 sq.; M. Cristofani, dans SE, 41, 1973, p. 590, favorable à une datation plus basse de la latinisation (seconde moitié du IIe siècle, pour les inscriptions funéraires, mais, cf. SE 40, 1972, p. 439, n. 48). A Veii, les inscriptions latines apparaissent plus tôt (IIIe siècle), ce qui n'est pas surprenant, puisque le territoire de Veii, incorporé en 387 dans la civitas o. L, fut distribué à des citoyens romains d'origine : dès le début du IVe siècle, la population indigène fait l'objet d'un brassage, auquel, au contraire, Caere échappa, aussi bien lors de son incorporation en 350 que par la suite; en effet, à part la frange côtière, confisquée en 273 (infra), il n'y eut pas de distributions viritanes sur le territoire de Caere. On ajoutera, ce qui contribue à expliquer une moindre résistance à la romanisation linguistique, que Veii, à la différence de Caere, n'a pas conservé au-delà de son incorporation son autonomie primitive. Le municipium Veiens, création artificielle de l'époque augustéenne, le prouve : cf. Beloch, RG, p. 161; Taylor, VD, p. 48. V. encore, dernièrement, en faveur d'une latinisation tardive à Caere (fin IIe siècle av. J.C), J. Kaimio, dans P. Bruun . . . , Studies in the romanization of Etruria, Rome, 1975, p. 194 sq.; 220. 33 Dion Cass., 10, fr. 33 cité infra, n. 37.
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pas pour cela dans la civitas Romana, est amputée pour la déduction de Cosa, qui sera fondée en 27334, où Tarquinii subit de même des confiscations, sans, non plus, devenir romaine 35 , la destinée de Caere est menacée. S'agissant d'un municipe, son territoire n'était pas la propriété du peuple romain : d'où l'impossibilité d'y déduire une colonie, qu'elle fût romaine ou latine. Mais Rome, c'est clair, ne pouvait tolérer que l'autonomie concédée pût faire échec aux impératifs de sa défense ou même freiner son ambition réalisée entre 275 et 270, de dominer stratégiquement l'ensemble des côtes italiennes 36 . Caere dut s'incliner. Les textes précisent sans violence37. Les fouilles le contredisent; ce fut après une dure résistance. L'emplacement choisi pour la colonie de Castrum Novum(264?) souleva peut-être une opposition de principe seulement; car le site n'était pas occupé par un centre urbain 38 . Mais Pyrgi, qui plus est, restait le port prin34 La même année, Cosa au Nord et Paestum (à l'emplacement de l'ancienne Posidonia) au Sud sont déduites. L'arrière pays fut également confisqué jusqu'au lac de Bolsena. Peutêtre des distributions viritanes, autour de Saturnia (qui accueillera une col. rom. en 183) et de Statonia furent-elles alors décidées (on sait que ces deux centres furent le siège de praefecturae iure dicundo). C'est à cette époque que l'on doit placer l'extension de la civitas sine suffragio à cette région; mais Vulci et le reste de son territoire maintiendront leur condition de fédérés, qui doit dater de 280. 35 La frange maritime de Tarquinii, où, plus tard, sera déduite la colonie romaine de Graviscae (en 181 : Liv. 40, 29, 1 : colonia Graviscae eo anno deducta est in agrum etruscum de Tarquiniensibus quondam captum) doit avoir été confisquée au cours de la même période. La chronologie précise est discutée (cf. l'état de la question dans A. J. Toynbee, HL I, p. 150, n. 1; v. en outre, M. Torelli, dans Not. degli Scavi, 1971, p. 199 sq., p. 241; W. V. Harris, dans Hist. 22, 1973, p. 356 sq.); mais l'important est de retrouver le fil qui guida la politique romaine en ce début du IIIe siècle. 36 La ruineuse expédition de Pyrrhus ouvrit, on le sait, la Grande-Grèce à la domination romaine. Dès 278, Carthage, inquiète, envoie devant Ostie une flotte empêcher, en réalité, Rome de conclure une paix séparée avec Pyrrhus. Lorsque celui-ci abandonna l'Italie (275), la navigation au Sud de l'Italie passe sous le contrôle de Rome (Paestum, 273; Tarente, assiégée et soumise en 272, Rhégion en 270) : v. E. Manni, Roma e l'Italia nel Mediterraneo aritico, Turin, 1973, p. 227 sq. L'occupation de l'Etrurie maritime (notamment Caere en 273) ne doit pas être dissociée de ces vastes ambitions. La suite des événements contraignit Rome à n'utiliser que dans un but de défense ces territoires dont elle venait de prendre possession : le déclenchement de la première guerre punique (264) et sa durée jusqu'en 241 expliquent la fondation, sur le territoire confisqué à Caere, de Castrum Novum (264?), Pyrgi (entre 273 et 250 : infra), Alsium (247) et Fregenae (245). 37 Dion Cass. 10, fr. 33 : « quand les Cérites apprirent que les Romains étaient disposés à leur faire la guerre, ils envoyèrent des délégués à Rome avant qu'un vote ne fût pris et obtinrent la paix en échange de la moitié de leur territoire ». 38 Les fouilles du temple de Punta délia Vipera (Santa Marinella) ont révélé que le site n'était pas désert avant la fondation de Cast. Nov. : cf. M. Torelli, dans SE 35, 1967, p. 333 sq.
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cipal de Caere 3 9 , et ne pouvait recevoir une colonie qu'au prix d'une expulsion 40 . On comprend, et la révolte de Caere, qui n'accepta que vaincue par la force d'abandonner le symbole de sa gloire passée, et les mobiles véritables des brutales confiscations romaines. L'enjeu ne fut pas la civitas sine suffragio, pas plus à Caere, déjà romaine, qu'à Vulci ou Tarquinii, qui restèrent fédérées. La p o m m e de discorde fut la possession de Pyrgi 41 . La remise de la ville que Rome exigeait, impliquait, au fond, le mépris, la négation de l'autonomie municipale de Caere. Quant à vouloir associer historiquement et chronologiquement cette confiscation partielle et la civitas de Caere, c'est une démarche en ellem ê m e aussi peu justifiée que si l'on voulait tirer de la fondation de Puteoli en 194 la preuve que Cumes ou Capoue ne devinrent romaines qu'au début du II e siècle. Entre ces deux dates, 350 et 273, l'utilisation exclusive des données de l'archéologie ne permet pas d'hésiter longuement. C'est en 350 et non en 273 que nous placerons l'incorporation politique de Caere et les débuts de sa civitas sine suffragio. Mais entre 390 et 350? Tite-Live, on le sait, a placé sous le signe de l'hospitium publicum les relations de Rome et de Caere dès les lendemains du raid gaulois. La confiance dans la signification juridique de l'hospitium nous a conduit à soutenir une opposition très nette entre l'hospitalité concédée à des étrangers, résidents privilégiés, et l'incorporation politique d'un Etat jusque-là souverain. Est-ce justifié? L'opposition fut-elle dès l'origine aussi tranchée et n'est-ce pas un dogmatisme excessif qui entraîne de
Il est possible que le conflit entre Rome, Caere et Tarquinii entre 354 et 351 soit attesté archéologiquement (ibid, p. 347) au niveau d'un temple dont la fondation remonte au VIe siècle. 39 Comme le confirme la voie d'une largeur (10 m) et d'une carrossabilité exceptionnelles qui reliait Caere à Pyrgi; sa construction daterait du VIe siècle : G. Colonna, dans La Via Aurelia, Quaderni dell'Ist di Topografia... Univ. Roma, Rome, 1968, p. 75 sq. 40 Le site de la colonie correspond exactement à celui de la cite étrusque : G. Colonna, dans Not. degli Scavi, Suppl. 1970, 2, 1, p. 19; les fouilles des temples de Pyrgi témoignent d'une dévastation complète et d'une reconstruction de l'ensemble cultuel selon un schéma urbanistique nouveau, qui sont datées avec certitude de 275/250; la cité de Pyrgi fut anéantie et un nouveau mur d'enceinte élevé : voir pour tous ces résultats l'article définitif de G. Colonna dans Arch. Class. 18, 1966, p. 85-102. 41 Ainsi G. Colonna, ibid. p. 102 qui explique la lutte violente entre Rome et Caere, en 273, par le fait que la déduction d'une colonie sur le site même de Pyrgi impliquait la disparition du centre urbain étrusque.
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la sorte à placer lors des troubles de 350, et pas avant, les débuts de la civitas sine suffragio'? La thèse d'une évolution toute en nuances, qui, partie de relations d'hospitalité privilégiées et réciproques, aurait par étapes imperceptibles abouti à u n e forme d'incorporation, a p o u r elle, nous le reconnaissons, l'infinie séduction d'une politique qui se cherche, d'une domination dont on retrouverait avec émerveillement les p r e m i e r s pas hésitants ou discrets. On se laisserait facilement convaincre que la civitas sine suffragio n'est pas, comme Athéna, née prête au combat. Bien a u contraire, entre l'hospitalité de 390 et l'incorporation, en 334, de la Campanie en une forme de domination qualifiée dès lors de civitas sine suffragio, ne doit-on pas se laisser entraîner à imaginer des formes intermédiaires, en un mot, avec M. Sordi, croire à u n e confusion primitive de l'hospitalité et de la citoyenneté sans suffrage ? Vainement. Les témoignages de l'archéologie, une fois encore, viennent d'y opposer un démenti catégorique. Les elogia de Tarquinii, interprétés par M. Pallottino et ses disciples 42 , ont révélé tout récemment que Caere entre 390 et 350 environ fut soumise à l'autorité d'un rex, à u n pouvoir monarchique 4 3 qui souleva l'hostilité des régimes républicains étrusques, isola Caere et finalement, c o m m e Veii un d e m i siècle plus tôt 44 , en fit une proie abandonnée au bon vouloir de Rome 4 5 . La lumière qui vient d'être
42 Nous nous référons ici à une conférence de M. Pallottino, La constitution des villes étrusques à la lumière des plus récentes découvertes épigraphiques, faite à l'Institut de Droit romain de Paris en 1975; M. Pallottino y a présenté les résultats, très neufs, de l'édition nouvelle des elogia de Tarquinii entreprise par M. Torelli Elogia Tarquiniensia, Florence, 1975. Dès les premières publications des fragments de ces elogia, on le sait, l'existence d'un Caeritum regem était apparue, mais attribuée au Ve siècle (cf. M. Pallottino, dans SE 21, 1950-51, p. 147 sq. notam. p. 166 et encore, du même auteur, dans Arch. Class. 16, 1964, p. 107 : rapprochement avec le roi de Caere des lamelles d'or de Pyrgi du début du Ve siècle). M. Torelli donne une reconstitution nouvelle des biographies, sujets des éloges, notamment de celle d'Aulus Spurinna qui, vers la moitié du IVe siècle au temps du conflit Rome - Tarquinii - Caere (354-351), entra en lutte contre le Caeritum regem. 43 II s'agit bien, pour M. Pallottino, d'«une véritable monarchie», une reviviscence de cette forme de pouvoir à Caere, au IVe siècle. 44 Pour Veii, désavouée par les républiques étrusques qui refusèrent leur aide dans sa lutte contre Rome, cf. Liv. 5,1 : auxilium Veientibus negandum, donec sub rege essent - ce qui permit à Rome d'incorporer Veii dans l'Etat romain. 45 Le roi de Caere fut détrôné au moment de l'arrivée de l'armée tarquinienne dans le territoire de Caere, entre 354/353, au cours de ces événements où la complicité de Caere contre Rome n'est guère douteuse et qui se sont achevés par l'incorporation de Caere dans la civitas Romana : cf. L'incorporation de Caere, cit., p. 265 et n. 2.
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jetée sur la constitution de Caere précisément au cours de ce demi-siècle marqué par Yhospitiwn publicum prouve que la puissante cité étrusque, entre 390 et 350, échappait totalement à un contrôle de Rome, si masqué qu'il eût pu être46. Or si Rome, dès 390, avait progressivement débordé ces relations privilégiées vers l'idée d'une mainmise au point de pouvoir identifier au milieu du IVe siècle Yhospitium initial et la négation de l'autonomie internationale, il est évident qu'elle n'aurait pas admis durant cette période dite de maturation une forme constitutionnelle qui répugnait à la structure du pouvoir, à Rome47 aussi bien que chez les autres cités étrusques.
46 M. Torelli, Tre Studi di Storia Etrusca, dans D. Arch. 8, 1974-5, p. 53 sq. a donné une fine analyse du conflit romano-étrusque de 358-351. L'initiative émana de Tarquinii et Falerii et avait pour but : 1) de replacer Caere dans l'orbite de la ligue étrusque et d'abattre sa constitution monarchique; 2) de reconquérir Veii {ibid., p. 62); 3) de rétablir à Rome (et à Veii) un gouvernement aristocratique (p. 63). Ce programme ambitieux fut-il atteint? En partie selon M. Torelli - ce qui exclurait que Rome l'eût emporté sur Caere et l'eût incorporée. Mais on en doutera. Car si, à Caere, la monarchie fut abattue par le praetor tarquinien, Rome ne céda rien de ses conquêtes de 396. Mieux, l'idée d'une restauration aristocratique à Rome, par l'entremise de Tarquinii, n'est pas prouvée. Sans doute en 353 et 351, dates des paix conclues avec Caere, et Tarquinii-Falerii, les deux consuls sont-ils patriciens. Mais ces mêmes personnages ont été en 358, 355, 354, les artisans de la lutte contre la ligue étrusque «favorable à l'aristocratie» : ce n'est donc pas leur maintien au pouvoir qui, en 353/1, expliquera la paix ni les origines du conflit. De même on remarquera qu'en 355, 354, et 353, les patriciens ont rétabli leur monopole consulaire sans qu'il ait débouché sur une trêve avec Tarquinii-Falerii : il n'était donc pas l'enjeu de la lutte. De plus, à la veille du conflit, en 360, c'est le clan conservateur, avec M. Fabius (cos. 360, 356, 354) qui prend à Rome le devant de la scène : ce sera donc plutôt l'expansionnisme des Fabii, désireux de répéter au détriment de Caere le précédent de Veii qui a inquiété (à juste titre) l'Etrurie du Sud. Ce n'est pas, enfin, une paix globale qui est concédée par les Etrusques à une Rome politiquement domptée, mais on constate au contraire des paix séparées, visiblement offertes successivement par Rome (en 353 à Caere; en 351 à Tarquinii et Falerii), brisant progressivement une coalition qui a échoué (fondamentalement reprendre Veii et réduire l'ambition expansionniste de Rome vers Caere). 47 L'indépendance des constitutions de Caere et de Rome durant cette phase de Yhospitium nous semble manifeste : Rome, à partir de 367, avec les lois Licinio-Sextiennes s'engage dans une forme «démocratique» et «ouverte» du pouvoir, avec le rétablissement du consulat, son accès aux plébéiens, la création de la préture, de l'édilité... M. Sordi, op. cit., p. 73 sq., imaginant que Yhospitium - civitas sine suffragio aurait établi une collaboration politique étroite des deux cités, attribuait à une influence cérite les réformes de Licinius Stolo. Sans doute, comme le souligne justement M. Torelli, Tre Studi, op. cil, p. 61 sq., la monarchie de Caere doit-elle être comprise comme une tyrannie populaire, voire démagogique; mais si, à Caere comme à Rome, les forces oligarchiques ont régressé en cette première moitié du IVe siècle, les formes du pouvoir d'une cité à l'autre, ne permettent pas de croire à des phéno-
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ANNEXE
En réalité la monarchie de Caere ne tolère pas que Yhospitium publicum de la première moitié du IVe siècle soit enrichi, approfondi, alourdi dans le sens d'une protection dominatrice, d'une collaboration maîtrisée par Rome. Entre Yhospitium des années 390-350 et la civitas sine suffragio qui le remplaça en 350, il n'y a pas de confusion possible ni de solution de continuité. Les données de fait rejoignent l'interprétation juridique des textes; toutes deux déposent contre l'éclat fugitif d'un paradoxe trop brillant. Laissons à Yhospitium publicum de Tite-Live la seule signification qu'il peut avoir, entre 390 et 350, et reconnaissons aux antiquaires romains le mérite de ne pas nous avoir trompés en plaçant expressément Caere à l'origine de la civitas sine suffragio, en 350, mais non, comme on l'avait soutenu contre eux, à son terme en 273.
mènes de contagion ou d'influence. Sur Yadfectatio regni et le meurtre politique, en 384, de M. Manlius Capitolinus accusé du crimen regni, v. A. Magdelain, Remarques sur la perduellio dans Historia 1973, p. 405 sq., 410.
CONCLUSION
Au terme de ces recherches, n o u s dresserons en un bilan les résultats que nous avons successivement proposés. Replacé dans un contexte élargi, le municipe romain trouve, par contraste, les éléments de son originalité profonde. La ligue latine, dont le siècle d'or fut le Ve siècle, et la charte, le foedus Cassianum de 493, a établi entre R o m e et le Latium les contraintes d'une politique c o m m u n e de défense, mais consacré aussi les bases d'une comm u n a u t é . En quoi a-t-elle consisté? Chaque cité, dont Rome, représente une collectivité souveraine, une civitas - que l'on songe à l'institution de Yexilium -, mais ouvre aux citoyens des autres membres de la ligue un certain n o m b r e de privilèges. Le plus important est sans conteste l'offre de la citoyenneté elle-même qui doit permettre à tout immigré définitif de se fondre dans la communauté politique et juridique qu'il a choisi d'acquérir, en échange de sa citoyenneté locale, qu'il perd. Ce droit d'immigration, que l'on appelle encore ius migrandi, est a p p a r u aux yeux des historiens grecs de Rome (Denys d'Halicarnasse, surtout, mais Appien ou Plutarque également) si important qu'ils ont placé sous le signe de Yisopoliteia les relations fédérales romano-latines sanctionnées p a r le traité de 493. Si l'on considère le t e r m e comme une traduction littérale, il est t r o m p e u r ; mais si l'on veut bien voir en lui l'effort d'une transposition intelligente, il est parfaitement exact. De fait, entre la citoyenneté offerte globalement à l'ensemble des habitants d'une cité qui jura le foedus aequum, et Yisopoliteia des IVe-IIIe siècles, il y a une différence. Alors que les cités grecques finirent par qualifier la «citoyenneté offerte à qui la voudra» comme une citoyenneté donnée immédiatement à tous les bénéficiaires de l'offre - mais une citoyenneté p u r e m e n t virtuelle ou potentielle -, jamais Rome ne qualifiera de cives Romani les Latins à qui, par le droit à l'accueil et à l'émigration, la citoyen-
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CONCLUSION
neté romaine était offerte; jamais, de même, Rome ne qualifia de civitas Romana l'option éventuelle qu'elle avait concédée à chaque cité latine, et à titre de réciprocité, lors du traité de 493. Autrement dit Rome (ou le Latium) mit en pratique tous les effets concrets d'une citoyenneté potentielle, mais en ignora toujours le concept ou l'expression, au Ve siècle comme plus tard au cours de la République, lorsque le droit latin survécut à la dissolution de la ligue latine. Cette réserve faite, il apparaît bien que pour le reste Denys d'Halicarnasse sut fort bien analyser cette citoyenneté globalement offerte à titre individuel à chaque cité latine en la désignant du nom d'isopoliteia : le caractère privilégié des deux institutions; leur réalisation qui, toujours, suppose une émigration définitive pour que la citoyenneté offerte soit réellement acquise; la souveraineté fondamentalement respectée des cités qui, mutuellement, offrent d'échanger leurs citoyens et de favoriser la mobilité des individus; l'absence, en Grèce comme dans le monde romano-latin, du cumul possible de deux citoyennetés réelles (c'est-à-dire acceptées); la gravité, enfin, de l'émigration : d'où dans le monde grec, comme dans le Latium, des privilèges beaucoup plus limités qui accompagnent régulièrement l'offre de citoyenneté, destinés aux résidents provisoires qui n'opteraient pas pour une installation définitive : le conubium, le suffragium (une originalité latine) et l'accès aux actes essentiels des rapports juridiques, que l'on peut commodément appeler commercium (même si le concept global qu'il implique est apparu plus tard). Sous tous ces aspects, il y a une profonde similitude entre l'isopolitie grecque et les privilèges réciproquement jurés lors du foedus de 493. Ces privilèges, notamment le plus important, l'offre de la citoyenneté, étaient la condition d'une mobilité individuelle d'une cité à l'autre; c'est par elle que la ligue mit en pratique des formules très originales de colonisation mixte, dont la réalisation suppose justement, de la colonie vers les cités-mères, des cités-mères vers la colonie, des mouvements migratoires, des changements de citoyenneté par mutatio soll Les historiens grecs de Rome analysèrent cette ouverture de la citoyenneté comme une isopolitie; les historiens modernes lui ont donné le nom de « ius migrandi». Nous avons suggéré d'y voir simplement l'un des avantages attachés à l'institution archaïque de Yhospitium publicum : un droit de résidence privilégié qui, si le bénéficiaire le désire, peut, par une émigration définitive, lui ouvrir la civitas, ses droits et ses charges. L'institution même, on le sait, attestée au sein du Latium, en a débordé les limites : Caere, depuis 390 pour le moins, noua avec Rome ces relations privilégiées.
CONCLUSION
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C'est dans ce contexte que le municipiwn naquit. Son apparition en 381 avec Tusculum et vers 350 avec Caere traduit un changement profond dans la politique de Rome. A l'alliance défensive conclue sur un pied d'égalité et aux relations privilégiées et bilatérales de l'hospitalité, succède l'extension unilatérale de la citoyenneté de Rome. De ce fait, la civitas optimo iure de Tusculum, exactement comme la civitas sine suffragio de Caere, est irréductible à l'idée d'une citoyenneté potentielle, honorifique et réciproque, qui se réaliserait en une option individuelle par l'émigration sur le sol romain. Dès l'apparition de ces deux prototypes de municipes, celui de droit complet et celui de citoyens sans suffrage, Rome s'engage dans une forme de conquête territoriale qui s'affirme par l'incorporation globale dans la citoyenneté romaine. De 381 à 268 environ, Vager Romanus élargit ses frontières selon une progression inexorable. La majeure partie du Latium, les Campaniens, les Volsques, les Eques, les Herniques, l'Italie centrale jusqu'à l'Adriatique, la frange occidentale du Samnium, «faits romains», constituent un Etat aux frontières homogènes, entrecoupé seulement, ça et là, de colonies militaires qui assurent la pacification définitive. Avec une remarquable constance - et la trame historique ne peut tromper -, on constate que l'entrée dans la citoyenneté est l'aboutissement d'un combat entre Rome et la liberté, qui se solde par la deditio des cités vaincues. D'où ces alliances des peuples libres encore qui tentent de déjouer une annexion qu'ils prévoient lucidement (le Latium et la Campanie; les Volsques), d'où aussi ces fréquentes révoltes qui, sitôt la romanisation décidée et les confiscations prononcées, s'efforcent de la remettre en question. Les formes mêmes de l'incorporation (décisions du Sénat et lex) ne laissent guère de place à l'hypothèse si répandue de municipes nés d'un foedus. De fait, après la deditio, ce n'est pas la souveraineté de la cité défaite que Rome rétablit. Déchue de sa civitas, des symboles de sa souveraineté, d'une activité diplomatique, la cité devenue municipe ne conserve qu'une simple autonomie, grevée de munera. Des formules équivoques ont pu contribuer à rapprocher, jusqu'à les identifier, les municipes de cives sine suffragio et les cités fédérées, contraintes, elles aussi, de respecter la maies-
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CONCLUSION
tas de Ronn et la servir. Le rapprochement nous a paru déformer l'originalité du mtinicipe en masquant l'un des éléments fondamentaux de sa définition : la civil us Romana. C'est en effet en tant que cives Romani que les municipes supportent des munera. L'étymologie du terme municeps prouve, il nous a semblé, que les charges sont l'exécution d'un devoir né d'un bienfait reçu; elles sont, selon le point de vue de Rome, la contrepartie de l'honneur d'avoir accédé à la communauté juridique des Romains. Cette interprétation s'accorde avec l'existence de municipes sine suffragio aussi bien que de municipes o.L On écartera ainsi l'idée que le municeps serait, fondamentalement, un grevé de charges, une sorte de corvéable; outre l'invraisemblance d'une expression ménageant aussi peu la fierté des cités incorporées, elle impliquerait, de plus, l'exclusion des municipes de plein droit. A l'exception du Latium, c'est sous la forme de cives sine suffragio que les municipes entrèrent dans la communauté romaine - ils y entrèrent mais sans accéder aux droits politiques qui, dès la fin du IVe siècle, paraissaient aux Romains eux-mêmes juridiquement inséparables de la civitas ellemême. Il est alors légitime de se demander si cette forme inférieure de citoyenneté ne fut pas une simple formule d'annexion ou de confiscation. Derrière l'honneur apparent - mais qui ne trompa personne à l'heure où il fut chaque fois décidé -, la citoyenneté sans suffrage n'aurait-elle pas eu un contenu surtout négatif : supprimer l'indépendance des cités conquises pour mieux canaliser vers Rome leurs forces militaires et leur richesse? *
Les chapitres que nous avons consacrés à l'autonomie municipale suggèrent une interprétation profondément différente de la civitas sine suffragio. Il ne faut pas, en effet, s'arrêter au moment de l'incorporation; à voir l'institution municipale vivre, on se rend compte rapidement que la politique de Rome ne fut pas, la conquête achevée, de confisquer ou d'asphyxier. Les organes d'administration locale, magistrats, sénat, assemblée furent partout maintenus par Rome. A tel point que pour Servius Sulpicius, une res publica autonome forme, avec la civitas Romana, la structure du municipium. A la compétence de ces organes, Rome ne retire que ce qui ressortit à sa propre souveraineté; mais pour tout ce qui est du domaine concédé à l'autonomie locale, Rome tolère que la procédure du fundus fieri soit utilisée. Or elle implique, de la part du municipe, un pouvoir de décision entier, celui d'aliéner sa propre législation ou la maintenir. On mesure
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ici les limites conscientes que Rome s'est fixées dans le processus d'intégration. La collaboration entre le censeur et les magistrats locaux pour la confection des Tabulae Caeritum, liste des cives sine suffragio, traduit bien la politique réaliste de Rome qui confia aux municipes les principales tâches d'organisation territoriale. Ce respect essentiel des structures préexistantes a permis aux municipes, dont la vitalité ne fut pas atteinte par leur entrée dans la citoyenneté, d'exercer un rôle remarquable d'attraction. Les nécessités de la conquête, les pressions populaires à Rome, ou d'autres motifs que l'on va retrouver, ont provoqué dans un grand nombre de cas, lors de l'incorporation, des confiscations de territoire. Brutalement les frontières primitives du municipe se sont trouvées corrigées par une amputation qui aurait pu être définitive : entre Vager du municipe sans suffrage et les terres distribuées à des cives o. i. venus de Rome, inscrits dans une tribu et échappant à l'autorité locale, il n'y avait pas de solution de continuité. On assiste pourtant à une reconstitution générale du territoire municipal. Les preuves sont données par l'exemple des tribus, formées aux dépens des municipes, mais qui n'ont pas développé de centres d'administration les concurrençant; ou encore par le cas de citoyens partis de Rome occuper les terres confisquées et qui finirent p a r acquérir une origo locale au sein du municipe amputé. Le dynamisme de l'attraction puisa sa force à deux sources : à l'organisation municipale que Rome eut la sagesse de maintenir sans l'étouffer et aussi à la présence d'un représentant de l'autorité romaine, le praefectus iure dicundo. La création des préfectures contribua, avec u n e vigueur particulière, à donner un contenu positif à la civitas sine suffragio. Sous trois aspects : en épaulant le rayonnement des municipes, favorisant de la sorte la renconstitution de leur unité territoriale; en développant dans les civilisations préurbaines l'institution municipale; en permettant partout à l'esprit du droit romain de pénétrer au cœur des territoires versés dans la citoyenneté sans suffrage. La préfecture se définit c o m m e le territoire placé sous la juridiction d'un préfet, délégué du préteur urbain : c'est un cadre, un ressort de juridiction, démuni, par définition, d'une autonomie quelconque. L'extension de l'institution nous a paru capitale pour en retrouver la finalité. Un relevé attentif a permis de surmonter les difficultés de sources incomplètes et d'identifier la diffusion des préfectures à l'extension de la civitas sine suffragio. Quant à la durée de leur utilisation, elle est extrêmement variable; si, dans les régions que la conquête trouva dans u n stade précivique, les pré-
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CONCLUSION
fectures introduites par la conquête subsistent encore au d é b u t de l'Empire, auprès des municipes de citoyens sans suffrage, on peut dater le début de leur création à la fin du IVe siècle; elles purent disparaître avec l'accès aux droits politiques, sans qu'un lien nécessaire cependant - l'exemple de Fundi le prouverait - ait associé optimum ius et autonomie juridictionnelle. Lorsque le siège de la préfecture correspond à un municipe, les magistrats locaux subissent, c'est évident, une atteinte à leurs pouvoirs de juridiction. Ils ne disparaissent sans doute pas - les preuves d'une collaboration sont apportées - ; mais, selon une ligne de partage qui nous échappe totalement, la haute juridiction (sans doute) est retirée aux magistrats municipaux, maintenus pour le reste dans leurs fonctions. A quoi put r é p o n d r e cette centralisation - déconcentration de la justice? Elle fut généralement comprise c o m m e la volonté consciente de Rome d'affirmer le poids de son autorité en dépouillant les cellules locales de la justice. Mais l'interprétation ne nous paraît pas exacte. En fait, on ne comprendrait pas très bien le péril qu'aurait représenté p o u r Yimperium ou la maiestas du peuple romain l'autonomie juridictionnelle des meddices de Capoue ou des édiles d'Arpinum. Aussi avons-nous suggéré une réponse plus simple : contribuer, avec d'autres sources, à assurer la pénétration du droit, à romaniser les cives sine suffragio, à préparer leur intégration politique dans la citoyenneté complète. A cette mission fondamentale (on la trouve à l'état pur auprès des municipes de Cumes ou Arpinum, Fundi, Formiae) a pu régulièrement, mais non toujours, s'en ajouter une autre : administrer, du cœur d u municipe, la justice au profit des municipes s. s. et des cives Romani o. i installés dans la tribu formée du territoire primitif du municipe. Dans ce cas, le préfet joue un rôle plus riche. Non seulement il romanise par l'exercice de sa iurisdictio, mais, indirectement, il réaffirme p a r les limites de sa circonscription l'unité territoriale primitive, jette entre les tribules et les municipes s. s. un ferment d'unité, le droit romain (et pas seulement pour vider leurs litiges communs), et prépare ainsi la reconstitution territoriale qui deviendra juridiquement possible quand le municipe accédera à Yo. i et d o n n e r a à la tribu élargie son organisation administrative définitive. L'œuvre du praefectus i. a\ complète sous tous ces aspects le rôle bénéfique que purent avoir, par l'exemple quotidien de leur langue, de leur droit ou coutume, les citoyens originaires de Rome, régulièrement installés au bord, parfois au cœur des municipes. Dans les confiscations, l'aspect spoliateur doit être complété par l'œuvre de fusion qu'elles ont contribué à réaliser.
CONCLUSION
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Il reste, certes, des zones d'ombre. Précisément selon quelles formules le préfet rendait-il le droit? Comment concilier l'autonomie législative des municipes et une justice confiée au moins pour u n temps à un représentant du préteur urbain? Il est impossible de répondre. L'œuvre civilisatrice du préfet se retrouve en pleine clarté dans les régions qui, lors de la conquête, demeuraient à un stade d'organisation préurbaine : il s'agit des cives sine suffragio qui n'étaient pas des municipes (Italie centrale). La tâche confiée au représentant du gouvernement de Rome est alors plus lourde. Diffuser le droit romain, mais aussi, dans une mission beaucoup plus délicate, introduire le concept d'une autorité centrale dans un territoire défini, en bref la notion de cité ou d'autonomie municipale. Quelques exemples privilégiés, chez les Vestini, ont permis, grâce à une évolution très laborieuse, bien attestée de ce fait, de reconstituer l'œuvre séculaire des praefecti : exalter l'autorité centrale d'un pagus, siège de la préfecture, sur les autres centres du territoire; exercer les fonctions de recensement et de juridiction sur cet ensemble et fournir par là l'exemple d'une autorité centralisatrice. La politique romaine, ici encore, chercha moins à confisquer ou maîtriser qu'à développer, selon son idéal de civilisation, une organisation territoriale à l'image du municipe. Aussi comprend-on, alors que conquête ou impérialisme étaient depuis des siècles des mots vides, que les préfets se soient maintenus aussi longtemps que les forces centrifuges menaçaient l'autorité locale centralisée. Du préfet au magistrat municipal la transition fut souple : élection locale du préfet, puis a b a n d o n de ses fonctions censoriennes, et enfin transfert aux magistrats locaux de sa iurisdictio. Si l'on joint à la res publica locale que Rome maintint et encouragea l'institution des praefecti i. d., et si l'on y ajoute l'accès des cives sine suffragio à la provocatio ad populum, on se convaincra que l'expression de civitas sine suffragio ne fut pas seulement une formule douteuse pour faire admettre des charges unilatérales. L'expression même de civitas s. s. étonne par la référence faite à son caractère manifestement incomplet. Il est impossible de dater l'apparition du terme, mais il pourrait bien remonter à l'institution même. Il évoquerait non pas, comme le voulait Mommsen, une demi-citoyenneté, mais vraiment l'idée d'une citoyenneté sans les droits politiques, provisoirement sans les droits politiques. A l'exception de quelques municipes, isolés dans leur intégrité territoriale, il nous a semblé que, par l'œuvre patiente et silencieuse des censeurs, les municipes sine suffragio ont dû accéder rapidement à Y optimum ius : avant 188, pour l'ensemble.
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CONCLUSION
La définition de Servius (ap. Festus) servit de point de départ : dès les origines, et pour tous les exemples, le municipe est une collectivité, globalement versée dans la citoyenneté, mais de façon à sauvegarder son autonomie interne. Il n'y a rien à retrancher d'une définition lucide, qui rend au génie politique romain une formule d'organisation territoriale, dont la date peut être donnée avec quelque rigueur. Les précédents historiques permettent de biffer de l'histoire du municipe sa préhistoire : il est apparu en 381 et pas avant; il ne dépassa pas les dernières conquêtes italiennes, vers 268, au moment où, par réalisme ou dans un esprit conservateur, Rome ne s'étendit plus, ni en hommes, ni en terres, mais préféra, jusqu'à la tourmente de 90, les liens, indéfiniment extensibles, de la fédération.
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II s'agit d'un choix de bibliographie.
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incorporés
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INDEX
MATIÈRES adleaio 7, 328. adscriptio 328, 345-6. adtributio, tribules o.i. et municipes s.s. 345. aerarii 311-2, 318. agraire, rogatio: et c r é a t i o n d'une tribu 61, 73-4; et colonisation fédérale (Ve siècle) 62-4, 73-4; au IV«-' siècle 152 sq., 165, 237 sq. ateleia et isopoliteia 131-4, 136. attraction municipale 335-354. a u t o n o m i e concédée 267, 295-309. bourgeoisie municipale 294-5, 324-5, 410-1. censor, mag. municipal ou colonial 218, 291, 312. census, cives s.s. 310-325; magistrats locaux 312-3; praefecti i.d. 313-7. Municipia o.i. 320-2. Tribules o.i. 322-4. Col. rom. 324-5. cives s.s. qualifiés de socii 236, 269 sq., 281, 318,319. civitas Romana 1) Honoraria ou isopolitie (Mamilius T u s culanus 458; équités Campani 340; Praenestini 216) 32, 173-6. 2) Sine suffragio : - valeur politique de l'incorpor. 172, 195 sq., 205-6, 212-5, 282; ni citoyenneté potentielle ou honorifique ni isopoliteia 23 sq., 27-32, 139 sq., 142 sq., 205-7, 279 sq., 310-1; - histoire : d e r n i è r e s
extensions 237 sq., 348 sq.; conversion en optimum ins (procédure, dates) 186, 202, 224-5, 235 sq., 346-54. 3) Optimo iure : - valeur politique d e l'incorporation 155-7, 160, 172, 191, 282; source de la condition de municeps-municipium 24-5, 29, 35, 38-42, 157-61, 177 sq., 192-5, 276-7, 283-4, 347; - accès d e s cives s.s. à Yo.i., incidences politiques 224 sq., 348 sq., 394-9. 4) Pas d e c u m u l de citoyennetés 8, 41, 137-8, 174, 175, 252-3, 294, 333. V. e n c o r e 117-8. 5) Acte d ' i n c o r p o r a t i o n : senatus décréta et leges 191, 266 sq., 279-80, et non foedus : v. municipia foederata. colonies fédérales (romano-latines) (Ve siècle) 59-61, 63, 101-3, 105, 116, 122; a r r ê t (après 381) 159. colonies latines (après 338), fédérées 102-5, 121.211,302. colonies r o m a i n e s , constitution et magistrats 187-8, 190, 211, 390; agglomération indigène {cives s.s.) contiguë 189, 200, 2101, 340, 378-9; census local 324-5; origo 326 sq.; colonie et préfecture 211, 363 sq., 3789, 386-90. «colons» g r a c c h i e n s 186, 213-4, 306-7, 385.
1 Les chiffres r e n v o i e n t aux pages. Les d a t e s sont en italique. P o u r l'index géographique, la tribu (d'après L Ross Taylor) est indiquée en abrégé.
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INDEX
commercium, L a t i u m (V e siècle) 83, 98, 107; compris d a n s Y hospitium 142; équités Campani (340) 174 sq.; col. lat. 191; m u n i c i p e s et socii 305. conciliabulum, siège d ' u n e préfecture 240, 244, 362, 4 0 1 ; j u x t a p o s é à un pagus indigène 240, 342; m a g i s t r a t s 240. Hors d ' u n e préfecture, census, 323 sq. concilium {concilia adempta) 159-60, 191, 214 sq., 267, 300. conubium, L a t i u m (V e siècle) 83, 98, 101 sq., 107; compris d a n s Yhospitium 142; équités Campani (340) 174 sq.; col. lat. 191; Herniques 214; m u n i c i p e s et socii 305. confiscations, municipia s.S., 335-9. deditio, cives o.L ou s.s. : 197, 205, 255, 267, 282. dictateur (mag. municipal) et a u t o n o m i e juridictionnelle 288-91, 292-3, 369; census 322. dilectus et cives s. s. 318 sq. édile (mag. local) 230, 363, 401; a u t o n o m i e soi-disant r e s t r e i n t e 288-93; census 313 (Fundi), 317 ( P e l t u i n u m ) ; juridiction 317, 381, 383. épigamia et isopoliteia 132-4, 136. exilium 82, 267, 302. foedus Cassianum (493) conclusion 67-75; extension aux H e r n i q u e s (486) 73, 92 sq., 101 sq., 108, 213; alliance défensive (V e siècle) 58-64, 81-4; isopoliteia 91-8; ius suffragii 96, 99-108, 122; ius migrandi 97, 107, 108-122; p a r t a g e d u butin 63, 96, 101, 1646; commercium 98, 107; conubium, ibid.', hospitium publicum 140 sq.; colonisation mixte 101 sq. foedus Gabinum, v. Gabii. fundi factio 119, 296-9. forum, siège d ' u n e préfecture 362, 373, 385. Hors d'une p r é f e c t u r e 342; census 323 sq., magistrats 244, 402. gês enktêsis et isopoliteia 132-4, 136. hospitium publicum, i m m u n i t é 21-2, 29 sq.; droit de r é s i d e n c e privilégié 140-1; et d ' a c q u é r i r la civitas per migrationem : Rome et Latins 97-8, 140 sq.; R o m e et
C a e r e (390-350 env.) 141 sq., 405-416; t r a n s p o s é en «isopoliteia» : Gabii, Latins, H e r n i q u e s , Caere 85-143; inassimilable à la civitas s.s. : v. ce mot. i m m i g r a t i o n , d a n s les m u n i c i p e s 328-30, 339-40. incolae 110, 345 sq. isopoliteia, Grèce (IVC-IIIC siècle) 123-36; c i t o y e n n e t é virtuelle 127 sq., 136; réalisation p a r l'émigration 130-5; d é c r e t s individ u e l s h o n o r i f i q u e s 129 sq., p r i v i l è g e s a n n e x e s 132-5. isopoliteia, R o m e (transposition g r e c q u e de Yhospitium publicum romain, o u d u ius migrandi) 85-98, 135-43; n o n assimilable à la civitas s.s. 23-32, 131 sq., 142 sq., 205-7, 279 sq., 310-1. Voir foedus Cassianum, Gabinum, hospitium publicum. isoteleia et isopoliteia 131, 133. iurisdictio, municipia o.L du Latium, 3 8 2 4 ; municipia s.S., v. praefecturae. ius civile local 304-6. ius civitatis per honorem 104, 117-8, 120, 350. ius migrandi, foedus Gabinum 86-91; foedus Cassianum 91-9, 108-22; t r a n s p o s é en «isopoliteia», 85-139; équivalent à hospitium publicum 140-3. ms suffragii, Latins et Herniques 21-2, 99-108, 122, 137. legibus suis uti 11, 267. 295-309. lex Papiria de civitate Acerranorum (332) 195, 266. - de civitate Privernatibus danda (329) 195, 266. - Flavia (rogatio) de Tusculanis (323) 158 sq. - Antistia de Satricanis (319) 280. - de praesidio Rhegino (270) 280-1. - Flaminia de agro Piceno . . . dividundo (232) 237-8. - Atilia de dediticiis (210) 281. - Terentia (189), dite «de libertinorum liberis» 351-3. - Valeria de civitate ... Formianis (188) 2245, 347, 350, 352, 395 sq. - de civitate Latinis danda (avant 177) 21, 114-7. - Claudia de sociis (177) 114-5.
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Sempronia agraria (133) 94, 347. Fulvia (rogatio) de civitate (125) 94. Sempronia (agraria? 123) 99. Acilia repetundarum (122 env.) 103, 104-5, 117-8, 176,280,357,377. agraria (111) 34-5, 95, 103, 194, 347, 362, 385,401. Servilia repetundarum (111? 106?) 105. Licinia Mucia (95) 7, 109. Iulia de civitate (90) 39-40, 94, 119, 261, 265 sq., 270, 382. Pompeia de Transpadanis (89) 105. Heracleensis (tabula) (80-75) 252, 265-6, 270, 299, 315 sq., 362. Gellia Cornelia de civitate (72) 119. Mamilia Roscia Peducaea Alliena Fabia de limitibus (c. 55) 316, 347, 362, 365, 377. Iulia de civitate Transpadanorum (49) 2635. Atestina (tabula) (49) 262-5, 270-1, 362, 3812. Rubria de Gallia Cisalpina (49/8) 263-5, 316,362,381-2.
magistrats, municipes 287-93; éponymie et collégialité 291 sq.; c o m p é t e n c e juridictionnelle 291, 380-3, 384, 390 sq.; accès à la civitas o. L per magistratum (?) 350. maiestas populi Romani, d o m a i n e réservé 119,297-8,307-8. marones 222 sq., 292, 401. meddices 185, 218, 230, 249, 403; juridiction 292-3, 370 sq., 378; census 312-3; maintien d a n s une préfecture 369 sq. migratio Romam, ap. Paul-Festus et les origin e s d u municipium 17-42. munera 9 sq., 25, 27 sq.; c o n t r e p a r t i e de la civitas d u municeps 271-7, 284; munera locaux 330-3. municipes soi-disant n o n r o m a i n s (Latini, Campani, Caerites) 18-26, 34-5, 38, 40. municipia foederata 90, 251-271, 289, 293, 303, 384. municipia optimo iure, v. civitas Romana 3). municipium, étymologie 271-7. municipium fundanum 299. munus honorarium 10-12.
munus militaire, 303, 318-20.
437 cives s.s. (hors légion) 301,
octoviri, 223, 225, 239, 240-1; s t r u c t u r e 240, 242-3; d a n s u n e préfecture 363, 379-80, 393,401. origo municipale 6-7, 12, 325-333, 353; c u m u l 332; d o u b l e patrie 294. 331-3. pagus, s t r u c t u r e 218, 240, 242 sq., 250. Siège d'une préfecture 229 sq., 240-3, 250, 362-3, 375, 4 0 1 ; magistrats 230, 241, 393; census local 229-33, 315, 317; juridiction 381, 3889. - En dehors d'une préfecture, census 323 sq. populus, municipe 293 sq., 399. praefectura iure dicundo, définition ap. Fest u s 355-64. Cadre superposé : 1) à un municipe d e cives s.s. m o r c e l é p a r d e s confiscations (tribules o.L) 343-4, 3846; - n o n touché p a r des confiscations 357, 359, 375-7, 392; 2) à u n e col. rom. 363 sq., 386-90; 3) à u n pagus (civ. s.S.), un conciliabulum, u n forum (civ. o.L) 230, 233. 362-3, 373-6, 384-6, 389, 401-2. 4) à un municipe de cives o.L 377, 398-9. - Circonscription juridictionnelle 231, 304, 360-4, 375-7, 380-1, 390-2 et censitaire (à l'exclusion des municipes) 230, 313-7, 321, 343-4; délégué d u préteur, puis élu local 228, 231, 248 sq.; potestas et n o n magistratus 315-6; collabore avec les mag. locaux (iurisdictio) 380-1, 388-9, mais n e les supp r i m e pas 290-3, 361 sq., 399-400. - Autorité administrative p r é m u n i c i p a l e 229-33, 314-5, 317, 343-4, 362-3, 375-6, 400-2; m a g i s t r a t s spécifiques: 223, 241, 243, 249, 363, 401. - Listes 356, 373-4, 377-80; origine et d u r é e : 317, 374 sq., 400. - Fundi, convention d'hospitalité, auctoritas d u préfet (166?) 393-9. Praefectura Capuam Cumas (318, 211) 203-4, 293, 304, 366-72. praesidium, municipe 177, 245, 369. praetores, municipe 181, 185-6, 213-4, 218, 261, 290-3, 369; préfecture 249, 369, 380,
INDEX
438
401; et a u t o n o m i e juridictionnelle 240, 289-92, 369 sq.; censiis 313, 322; col. rom. 240, 244, 387 sq. pro municipiis 95, 347, 362, 379, 401. provocatio ad populum, cives s.s. 212, 280-1. proxénie et isopoliteia 129, 134. quattuorviri, octovirat évolué 223, 225, 241-2, 244; d a n s u n e préfecture 363, 379-80, 401. revocatio Romae 381, 384, 391. rogationes agrariae (Ve siècle), v. agraire. sacra municipalia 5, 182-4, 192, 267, 307, 403. sénat, m u n i c i p e s 293 sq., 394 sq. Servius Sulpicius Rufus, définition d u municeps, v. Festus, 126 L. socii, s o u v e r a i n e t é formelle 300, 302, 308 et réelle 309.
souveraineté, municipe, n é g a t i o n 267, 294 sq., 300-4, 307-8. stationes municip. 343. Tabulae Caeritum 21-2, 29-31, 110-1, 310-2, 407. territoire, municipe, m o r c e l é puis reconstit u é 335-46. t r i b u s rustiques : 1) primitives, création en d e u x t e m p s (époque royale, puis 495/3) 49 sq., 57 sq., 65-76; - 2) a n c i e n n e s , extension et rôle d'assimilation 177-9; - 3) nouvelles 61, 164, 172, 178, 186, 201, 321-3; fonction politique 282; - 4 ) justice locale 384-6. viae publicae 224, 404, 410. vicus, fraction d'un pagus 218, 230, 240, 242-3, 250; inscrit dans u n e p r é f e c t u r e : magist r a t s 230, 239; juridiction 360, 381. V. égal e m e n t pagus.
PEUPLES ET CITES Acerrae ( C a m p a n i e , Fai), civ. s.s. (332) 195, 205-6, 279; m u n i c i p e (Festus) 6, 9, 14 sq.; fidélité en 216-211, 371; m u n i c i p e s.s.-préfecture d è s 318 et encore a p r è s 211, 313, 356-9, 361, 368, 375. Aequiculi, r e s publica 219. Aesernia (col. lat. 263) 245, 346. Afilae (Eques, Anl ?) 218. ager Falernus 167, 172-3; v. tribu Falerna. ager Gabinus 57, 88. ager Gallicus, c o n q u ê t e (283) et distributions viritanes (232) 237-8, 401. ager Pomptinus, c o n q u ê t e et colonisation (389-358) 152-4, 163. ager Romanus antiquus, cristallisation 50; é t e n d u e 51 sq., 77; division en tribus 65. ager Vaticanus, c o n q u ê t e royale 51 sq., 54 sq.; v. t r i b u Romilia. Alba F u c e n s (col. lat. 303) 218. Aletrium ( H e r n i q u e s ) , fédérée j u s q u ' à la G u e r r e S o c ; praetores, puis IVviri 213. Allifae ( S a m n i u m occ. Ter.), civ. s.s. (268) et confiscations (?) 245-6; municipe-préfect u r e 247, 356, 363. Alsium (col. r o m . 247) 390, 412.
A m i t e r n u m (Sabins, Qui), civ. s.s. (293/0) et confiscations 228, 234-6, 338; préfecture 356, 363, 380, morcelée e n plusieurs vici 240 sq.; administrée p a r d e s octoviri, évol u a n t vers des IVviri 240-1, 243, 380. Anagnia (Herinques, Pub.), civ. s.s. (306) et confiscations 214, 337; a b o l i t i o n de sa souv e r a i n e t é 300; municipe-préfecture 33 sq., 214, 290, 338, 344, 356, 361, 375; avec praetores 214, 290-3 ( m o m e n t a n é m e n t réduits ad sacra, 215, 290); ius civile local 305; census local 313. Antium (Latium Vot.'?. p u i s Qui.), guerres c o n t r e Rome 153, 160, 166; deditio (338) 176, 186; col. rom. (338) 187 sq.; municipe, civ. s.s. (317) et confiscations 187-90, 306, 337-8; préfecture (?) (317) 189-190, 378, 390; flotte « a u t o n o m e » (330/300) 301. Ardea (col. lat. 442) 59-60, 63, 180, 182. Aricia (Hor.), ligue (508/499) 66; municipe o.L (338) 25, 33 sq., 178, 193-5; fédéré 252, 253; 269-71; dictature et d o u b l e édilité 288, 291-3; census 322; d i s t r i b u t i o n s syllan i e n n e s 306. A r i m i n u m (col. lat., 268) 106, 237.
INDEX
Arpinum (Volsques, Cor.) municipe, civ. s.s. {303) 219 sq.; pas de confiscations 339; municipe-préfecture 220, 356, 361, 375-7; triple édilité 288, 291-3; ius civile local 305 sq., 309; o.L {188) 224, 350. Atella (Campanie, Fal. ?), municipe, cives s.s. {334) 6 sq., 14 sq., 195 sq., 206; révolte {315) 199; défection {216) 300, 366 sq., 371; suppression du municipe après 211 et préfecture 356, 366 sq., 371-2; rétablissement de la civ. s.s. {188) 312, 352. Atina (Samnium occ, Ter.), civ. s.s. {268), préfecture 247-8, 315; municipe tardif avec llviri 248. Aufidena (Samnium occ, Vol.), civ. s.s. {268) 245 sq.; préfecture (?) englobant plusieurs pagi; municipe {llviri) récent 249. Aufinum {Vestini) 228, 231. Aurunques, guerres contre Rome {345/3) 166, 169, 172, 196 et {336/4) 196; confiscations 172; deditio {334) 198; civ. s.s. {334? 314?) 209-11. Aveia {Vestini, Qui), civ. s.s. {293) 228 sq.; préfecture 231, 363. Beneventum (col. lat. 268) 245. Bola (col. lat.? 415-4) 63-4. Caere {Vot. ?), hospitium publicum et immunitas {390) 22, 27 sq., 31, 405 sq.; isopolitie 141 sq.; Caeritum rex (l è r e moitié du IVe siècle) 414 sq.; conflit avec Rome {356) et incorporation {353/0), municipe s.s. 137, 164-5, 206, 405-415; municipe-préfecture 291-3, 313, 356, 369, 390; dictateur, édiles 288, 292-3, 369, 410; census local et Tabulae Caeritum 21 sq., 29 sq., 312-3, 407; aristocratie locale 295, 410; flotte «autonome» {307) 301; charges militaires {205) 236; cives et socii {205) 318; immigration romaine 329; spoliations {273) et déduction de col. rom. 306, 411-413. Calatia (Campanie, Fal), municipe, civ. s.s. {334) 205; révolte {315) 199; défection {216) 300, 366 sq., 371; suppression du municipe après 211 et préfecture 356, 366 sq.; rétablissement de la civ. s.s. {188) 312, 352.
439
Calés (col. lat. 334) 198, 200, 212. Camerinum, foedus aequum {310 av. J.-C.) fédérée jusqu'à la Guerre Soc. 260; municipium foederatum sous l'Empire 252, 260-2. Campani, v. Capua. Capena {Ste.), confiscations {396) 79 sq.; civ. s.s. et municipe {293?) 260 sq.; praetor 261, 289, 291-2; foedus et municipium foederatum 252 sq., 260-2. Capitulum Hernicum {Ani?) civ. s.s. {306) 214; confiscations 337; municipe-préfecture (?) 214, 290, 338, 379; praetores (provisoir. réduits ad sacra) 214, 290, 292; distributions syllaniennes 306. Capua, intervention rom. et deditio {343) 167 sq., 169 sq.; foedus {342) 167, 170-1, 173-5; garnison rom., sédition {342) 169; alliance avec les Latins {341) 170 sq.; deditio et confiscations {340) 171-3, 205; civitas honoraria {équités, 340) 167, 170, 173-6, 198; civ. s.s. et municipe {334) 173, 195, 198 sq., 4035; défections (325, 315) 199; municipe «fédéré» 269 sq., 368; meddices 288, 369, 403; senatus 294; aristocratie locale 294-5; cives et socii 269 sq., 281, 294; legio Campana 301, 319; provocatio ad populum {270, 210) 280-1; census 312; monnayage {216211) 300, 406; praefectus id {318) 188, 189, 203-4, 304, 312, 366-72; jurid. locale, ibid. et 388-9. Rejet de la civ. s.s. {216) 303 sq.; suppression du municipe et de la civitas {211) 366 sq.; rétablissement partiel {188) 312, 352; déduction de colonies {194) 405. Carseoli (col. lat. 298) 218. Carsulae (Ombrie), fédérée jusqu'à la Guerre Soc. 222. Carthage, 1 er traité {508) 66; 2e traité {348) 163, 165, 407, 409; 3« traité {306) 301; l"e guerre punique 412; 2e guerre punique, défections et fidélité 204, 212, 236, 245, 303, 313, 371-2. Casilinum (Campanie), préfecture 356; fidélité en 216 - 211 (?) 359, 361, 371. Casinum (Samnium occ, Ter.), civ. s.s. {268) 245 sq.; praefectus Ld. 248 sq., 290, 315, 380; élection 248; mag. locaux, praetores (= meddices?) 249, 290; municipe tardif avec llviri 248 sq.
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INDEX
Castrum Novum (col. rom., Picenum, 289/3) 190, 233, 236; praetores 240, 390. Castrum Novum (col. rom., territoire de Caere, 264?) 236, 390, 408, 412 sq. Castrum Truentum (Praetuttii, VeL), civ. s.s. (290), préfecture (?), octoviri (?) 236, 239. Circei (col. lat. 393) 59-60; défections (385) 153, (340) 106. Cosa (col. lat. 273) 412. Crustumerium, annexion (499/5) 77-8. Cumae, civ. s.s. (334) 195, 205; exemple de municipe chez Festus 6 sq., 9, 14 sq.; cives et socii 269; municipe s.s.-préfecture dès 318 et encore après 211 : 313, 357-9, 361, 368, 375; fidélité en 216-211 371; meddicespraetores du municipe-préfecture 292-3, 369; census 313; o.i après 180 (?) 352, 372; langue indigène 372, 403-4. Cures (Sabins, Ser.), civ. s.s. et confiscations (290) 234; o.i (268) 235; préfecture (?) avec octo-(?) puis Wviri 242, 379-80, 401. Ecetra (Volsques) 160. Eques, guerres contre Rome (Ve siècle) 59 sq., 75; civ. s.s. (304-3) 217; deditio 218; confiscations ibid. Eretum (Sabine), civ. o.i. (338?) 234. Falerii, fédérée jusqu'à la Guerre Soc. 79, 164, 246, 261, 289, 307, 416. Ferentinum (Herinques), fédérée jusqu'à la Guerre Soc. 108, 212-3, 328. Ficulea, conquête (426) 60. Fidenae (Cla.), confiscations (499) 77-8; conquête (426) et coi. lat. (?) 60, 63; municipe o.i (338?) et dictateur 177. Firmum (col. lat., 268) 237. Formiae (Volsques, Aem.), guerres contre Rome (340-338) 153, 195-6; deditio (338/4) 205; municipe et civ. s.s. (334) 136, 172, 195-6 (et ap. Festus 21); pas de confiscation 339; défection (327) 198; municipepréfecture 200-1, 356, 361, 375-7, avec trois édiles 288, 292; accès à Y o.i. (188) 224, 350; distributions des Triumvirs 306. Forum Appi (Ouf?) 340. Forum Clodi (Etrurie mérid., Arn.?) préfecture 343, 362, 373, 385.
Forum Deci (Sabine, Qui) 242, 341. Forum Flamini (Ombrie, Ouf., 220) 221-2, 224. Forum Novum (Sabine, Clu.) 242, 326, 341, 386. Forum Popili (Fal.) 202. Fregellae (col. lat. 328) 106, 200, 328. Fregenae (col. rom. 245) 412. Frusino (Volsques, Ouf.), civ. s.s. (303) et confiscations 214, 220, 337; municipe-préfecture 220, 338, 343, 356, 361; unité territoriale reconstituée 340 sq. Fulginiae (Ombrie, Cor.), civ. s.s. et confiscations (299/0) 222, 338 sq.; préfecture 222, 380; magistrats de la préfecture : marones, octoviri (?) puis Wviri 222-3, 241, 292; o.i, tribu Cornelia (220?) 224-5. Fundi (Volsques, Aem.), guerres contre Rome 153, 195-6; deditio (341-329) 197, 205; municipe, civ. s.s. (334) 136, 173, 195; révoltes (330, 327) 196, 197, 206; pas de confiscation 339; municipe (ap. Festus 21) et préfecture (356) 200-1, 313, 361, 375-7; magistrats du municipe-préfecture 288, 292-3, 294; census 313; o.i (188) 224, 350, 396; hospitium et patronat (166?) 393-9; distributions sous Auguste 306. Gabii, fédérée jusqu'à la Guerre Soc. 90; foedus Gabinum (ép. royale), isopolitie 86-91, 97, 123, 137; émigration des Antistii 89 sq.; soi-disant municipe fédéré 253 sq. Gallia Cisalpina, civitas rom. (49), dispositions transitoires 263-5. Hadria (col. lat. 289) 233, 236, 239. Herculaneus (pagus) 388-9, 393. Herniques, extension du foedus Cassianum (486) et isopolitie 92-7, 101-3, 123, 137, 163; ius suffragii 99 sq.; ius migrandi 108, 117, 213; colonisation mixte 101-2; défection (389) 151 sq.; alliance avec Latins et Volsques 153, 162, 163; foedus Cassianum renouvelé (358) 163; confiscations (358) 163; deditio (306) 213; civ. s.s. (306) 214 sq.; constitution suspendue provisoirement 191, 215; ius civile local 305; cités restées fédérées (après 306) 213.
INDEX I n t e r a m n a Lirenas (col. lat. 312) 210. I n t e r a m n a N a h a r s (Ombrie, Clu.) civ. s.s. {299/0) 222; confiscations 226, 338; municipe, IVviri (octovirat évolué?) 225-6, 241; préfecture (?) 226, 379-80; i m m i g r a t i o n rom. et intégration au m u n i c i p e 226, 329, 339. I n t e r a m n i a P r a e t u t t i o r u m {Vel.), civ. s.s. {290) et confiscations 236 sq. 338; conciliabulum c o m m u n aux Romani o.L et aux indigènes s.s. 239; puis municipium avec octoviri 239; immigration et intégration au municipe 330, 339; préfecture (?) 239, 315, 362, 378-9, 380. Labici (col. lat. 418) 59-60, 63-4; g u e r r e c o n t r e R o m e et incorporation (?) {civ. o.i., 381, Pap.?) 154, 160. Lanuvium {Mae.), guerre c o n t r e R o m e 153-4, 176-7; confiscations {340) 172, 179, 336; deditio {338) 176; municipe (ap. F e s t u s 25, 34 sq.) o.L {338) 178 sq., 193-4; t r i b u Maecia {332) 179; municipium «foederatum» 252, 267-8; d i c t a t e u r et d o u b l e édilité 288, 292-3; census 322; iurisdictio locale 383; immigration r o m . 329, 336. Latini : jamais confondus avec les municipes 17 sq., 21, 39-40, 139; ius latinum et isopoliteia 85 sq.; conflit avec R o m e {499/6) 66; victoire de R o m e {496) 67-8, 70; foedus Cassianum {493) 67-71; confiscations et création de tribus rustiques {493) 67, 72-7; défection {389) 151 sq., 166 sq.; r u p t u r e du foedus Cass. {380) 160; r é t a b l i s s e m e n t {358) 163, p u i s r u p t u r e {349) 164 sq.; alliance avec les Campaniens {341-0) 1702; deditio {340/338) 176-7, 182, 191; rétablissement a p r è s 338 d u foedus 191; socii ou foederati ( a p r è s 338) 102-3. V. foedus Cassianum, hospitium, ius migrandi, ius suffragii, Preneste, Tibur . . . Lavinium-Laurentes (tribu?), deditio {340/338) 181 sq.; municipe o.L {338) 181 sq.; m u n i c i p e o.L {338) 181 sq.; «fédéré» 255-7, 267-8; cultes romano-laviniates 1834; praetores 181, 289-90, 292-3. L i t e r n u m , civ. s.s. {334) 404; p r é f e c t u r e Capuam Cumas {318; 211) 198 sq., 203 sq.,
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366 sq.; col. r o m . {194) et préfecture 356, 363-4, 386, 388. Luceria (col. lat. 314) 200. M i n t u r n a e (col. r o m . 296); coexistence de cives s.s. {315) (municipe?) et d e la colonie 189, 210; confiscations 337; immigration rom. 340; cultes indigènes 211, 307; préfecture (?) 211, 379 sq., 390. Narnia (col. lat. 299) 221, 234. Nepet (col. lat., 393-83) 152, 176. N o m e n t u m {Cor.?), municipe, civ. o.i. {338) 176-8; 191-5 «fédéré» 252 sq., 268; dictat e u r et édiles 288; census 322. Norba (col. lat. 492) 167. Nursia (Sabins, QuL), civ. s.s. {290) 241; préfecture 315, 356, 363, 380, puis municipe avec octoviri 241, 243. Ostia (col. r o m . 338) 187, 407; praetores 390. Pedum {Aden.?), guerre contre R o m e {380) 160, 177; deditio {338) 176; municipe, civ. o.L {338) 176 sq., 191-5; magistratures 288; m u n i c i p e «fédéré» 252-4; 268. Paeligni 226 sq. Paestum (col. lat. 273) 412. Peltuinum {Vestini, QuL), civ. s.s. {293) 228 sq.; p r é f e c t u r e prémunicipale 229-33, 3145, 317, 362-3, 400 sq.; s t r u c t u r e : pagi 229, avec d e u x édiles 292; c o n c u r r e n c e prog r e s s i v e praefectus £.d./édiles {census, iurisdictio) 231 sq. 314 sq., 362-3, 381; élection d u préfet 231. Picenum, civ. s.s. {268) 237; ager publicus viritim dividundo 237-8; conciliabula-praefecturae, p u i s municipes avec Ilviri 243-4, 374, 401-2; o s m o s e cives s.s. et tribules o.L 341-2; a c c è s à Y o.L 349. P i s a u r u m (col. r o m . 184) 238. Plestia ( O m b r i e , Ouf.), civ. s.s. {299/0) et confiscations 222, 338; préfecture (?) avec octoviri, puis IVviri 223, 379-80; préfecture p r é m u n i c i p a l e 400-2; civ. o.L {Ouf., 220?) 224-5, 349. Preneste, ligue contre Rome {383/0) 154, 160, 162; deditio {339) et confiscations 176, 190; r é t a b l i s s e m e n t du foedus Cassianum {338) et ius migrandi 190-1, 194; souverai-
442
INDEX
neté formelle 302, 305; civitas honoraria individuelle {216) 175-6; municipe a p r è s 90 11,39. Privernum (Volsques, Ouf.) guerres c o n t r e R o m e 153, 167; confiscations {341) 171-2; {329) 197, 201, 220, 337; deditio {329) 197, 205; municipe, civ. s.s. 196, 202, 205 sq., 338; défection {327) 198; municipe-préfect u r e 343 sq., 356, 361, 400; municipes et tribules 201-2; reconstitution de l'unité territoriale 340, 346; accès à Vo.i (av. II e siècle) 202, 349; colonie syllanienne 307. Puteoli {Fai), civ. s.s. {334) 404; préfecture {318, 211) 356, 366-72; col. rom. {194) et préfecture 363-4; Ilviri et praef. Ld 388-9. Pyrgi (col. rom. 273/250) 187, 326, 329, 390, 411-3. Reate {Qui), civ. s.s. {290) 234 sq.; confiscations 236, 246, 338; préfecture avec {octoviri puis?) IWviri 225, 241, 315, 344, 356, 363, 380, 401; immigration rom. 241-2, 329. Sabini, guerres c o n t r e R o m e (Ve siècle) 59 sq., 75 sq.; deditio {290) 234; civ. s.s. et confiscations 234 sq.; o.i, partiellement {268) 234 sq., 236, p o u r l'ensemble 349; cives et socii, 319. Samnites, traités avec R o m e , I {354) 165 sq.; g u e r r e {343) 167-8; II {341) 169 et alliance 171; guerre {327-304) et III {304) 199, 209, 219; guerre {299-290) et IV {290) 228, 233; g u e r r e {290-268) et r è g l e m e n t définitif {268) 244-50; Samnites incolae 346. Saticula (col. lat., 313) 200. Satricum (col. lat. 385) 59-60; guerres contre R o m e 153-4, 160, 166; civ. s.s. (?) {338) 185; révolte {320/319) 185; provocatio ad pop. (?) 280. S a t u r n i a (Etrurie), civ. s.s. {280 env.), préfect u r e 339, 356, 373, 412, puis col. rom. {183) 386, 388. Sena Gallica (col. Rom. 298/83) 237. Setia (col. lat. 383) 106, 154, 160, 167, 171. Sidicini 169, 171; fédérés jusqu'à la G u e r r e Soc. 211 sq., 300, 319. Signia (col. lat. 495) 106. Sinuessa (col. Rom. 296, Ter.) 210. Sora (col. lat. 303) 220.
Spoletium (col. lat. 241) 121, 221. Statonia (Etrurie, Sab.) civ. s.s. (vers 280) 339, 412; p r é f e c t u r e 373, 412. Suessa A u r u n c a (col. lat. 373) 200, 210. Suessula (Campanie, tribu?) civ. s.s. {334) 205; m u n i c i p e 5.s.-préfecture d è s 318 et encore a p r è s 211 313, 357, 359, 361, 368, 375; fidélité en 216-211 371; d i s t r i b u t i o n s gracchiennes 307; colonie syllanienne 312; censor, m u n i c i p e ? colonie? 312. S u p e r a e q u u m {Vestini), fédérée j u s q u ' à la Guerre Soc. 226 sq. Sutrium (col. lat. 393-83) 105, 152, 176. Tarquinii, conflits avec Rome {356-350) 164, 414 sq.; (fin IVe siècle) 408; elogia {IVe siècle) 414 sq.; foedus {281 env.) 260, et confiscations 412; fédérée jusqu'à la G u e r r e Soc. 261; municipes foederati 252, 260-2. Tarracina-Anxur, civ. s.s. {338) et col. r o m . {329) 185, 189, 200, 201; préfecture (?) {coloni et civ. s.s.) 378, 390. T e a n u m S i d i c i n u m , f é d é r é e j u s q u ' à la Guerre Soc. 211 sq.; monnayage 300. Tibur, g u e r r e s c o n t r e Rome {361) 162-3; deditio {340/338) 176-7; confiscations 190; r é t a b l i s s e m e n t du foedus 104 sq., 121, 190, 194; ius migrandi 191; souveraineté maintenue 302; m u n i c i p e après 90 39. Treba (Eques, Ani), civ. s.s. {304/3) 218; confiscations 218, 337; municipe (?) 218, 339 et p r é f e c t u r e (?) 378. Trebula M u t u e s c a (Sabine, Ser. et Qui) civ. s.s. et confiscations {290); tribus Sergia {268) et Q u i r i n a (après 241) 235; administration : vicus (Trebula) dans le paguspraefectura (?) des Mutuesci, avec octoviri 242-3, 379-80; puis municipium (fin Rép.?) 243. T r e b u l a Suffenas (Eques, Ani.), civ. s.s. {304/3) 218; confiscations 218 sq., 337; municipe avec meddices-praetores (?), puis Ilviri 218, 338-9; préfecture (?) 219, 344, 378; immigration r o m . 219, 329 et reconstitution de l'unité territoriale 339, 341. Tubus-Aemilia 51, 74, 225, 325, 396. - Aniensis {299) 214, 218-9, 329, 337, 341. - Camilia 51. - Claudia 51, 60, 74, 78, 219. - Clustu-
INDEX mina 50-1, 58, 60, 78, 235, 338, 341. - Cornelia 51, 74, 178, 224-5, 396. - Fabia 51-2, 74. Falerna {318) 172, 2024, 337, 342, 371, 385. - Galeria 51, 57-8. - Horatia 51, 74, 178. Lemonia 51. - Maecia {332) 172, 178-9, 3378. - Menenia 51, 74, 178. - Oufentina {318) 172, 201-2, 220, 224-5, 337, 340, 349. - Papiria 51, 74, 155, 158-9, 321, 325, 330. - Pollia 51, 238, 342-3. - Pomptina {358) 152 sq., 161-3. - Publilia {358) 161, 162-3, 337, 341, 385. - Pupinia 50-1. - Quirina {241) 234 sq., 338, 341, 386. - Romilia 51 sq. 54 sq., 66. Scaptia {332) 172, 178, 186, 337, 341, 385. Sergia 51, 74, 235, 338, 341. - Teretina {299) 210-1, 246, 337, 340-1, 385. - Velina {241) 232, 234 sq., 332, 342, 386. - Voltinia 51, Voturia 51, 74, 187, 385. T u s c u l u m {Pap.), hospitium et isopoliteia (Ve siècle) 137, 141; civ. honoraria individuelle {458) 175; m u n i c i p e et c i t o y e n n e t é potentielle 139; révolte et deditio {381) 154-6; m u n i c i p e {ap. Festus, Cicéron, 25, 34 sq.) optimo iure {381) 157, 192-4; garnison r o m a i n e {381) 160-1; tentatives {377-369) 160 sq. et défection {340) 161, 171; confisc a t i o n s 161, 336; immigration r o m . 329, 336; extinction de sa civitas 159 sq., 267, 300-1; municipe «fédéré» 253 sq., 268; dictateur, triple édilité 288, 292-4; census 322; origo locale 330-1; distributions syllanienn e s 306.
Urbs Salvia Pollentinorum (Picenum, Vei), civ. s.s. {268) 237; municipe(?)-préfecture(?) avec {octoviri (?) puis) IVviri 244, 380, 401.
Vcii,' c o n q u ê t e (396) 55 sq., 59 sq., 78 sq., 151 sq., 1 5 5 , 2 6 1 , 3 0 7 , 4 1 1 , 4 1 5 . Velitrae {Sca.), col. lat. {494) 59-60, 64; guerres c o n t r e Rome 153-4, 160-1, 171; deditio {340/338) et confiscations 172, 176, 184 sq., 337-8; municipe, civ. s.s. {338) 185-6, 192, 338; meddices-praetores 186, 290-3; sénat 294; immigrés o.L adscripti aux municipes s.s. 185, 201, 344-6; r é t a b l i s s e m e n t de l'unité territoriale 341; statio à Rome 343; m u n i c i p e s.s.-préfecture (?) 185, 344, 377-8, 400; accès à Y o.L (vers 250) 186, 349 sq., 351; distributions gracchiennes 306. Venafrum (Samnium o c c , Ter.), civ. s.s. {268) et confiscations 245-7, 338; municipe-préfecture 247, 338, 343, 356, 400; reconstitution de l'unité territoriale 341, 346; accès à Y o.L 247, 349. Venusia (col. lat. 291) 245. V e r u l a e ( H e r n i q u e s ) , f é d é r é e j u s q u ' à la G u e r r e Soc. 213; souveraineté formelle {306) 302 sq.; Ilviri (constitution augustéenne?) 213. Vestini, civ. s.s. {293) 227 sq.; v. Aveia, Peltuinum. Volsques, guerres c o n t r e Rome (Ve siècle) 59 sq., 75 sq.; alliance avec les Latins contre R o m e {386/340) 153, 160, 162 sq., 171; deditio {340/329) 205; civ. s.s. 205 sq. V. encore Velitrae, Fundi, Formiae, Privernum, Frusino, Arpinum . . . Volturnum, civ. s.s. {334) 404; préfecture Capuam Cwnas {318, 211) 195 sq., 203 sq., 356, 366 sq.; col. r o m . {194, FaL?) et préfecture 363-4, 386, 388. Vulci, fédérée jusqu'à la Guerre S o c , confiscations (vers 280) 339, 411-2.
PERSONNES M. Aemilius Lepidus (cens. 179) 352-3. L. Aemilius Mamercinus (cos. 341, 329) 1989. L. Aemilius Papus (cens. 220) 225. Q. Anicius 190. T. Annius Milo 331. Antistii 89 sq., 328.
443
Atilii, 295, 329. Atinii (Aricia) 295. Blossii (Capoue) 295. Caelii Rufi 329-30, 339. L. Calpurnius Piso (cos. 58) 331. Sp. Cassius 72-4; 95 sq., 99, 108, 120.
444
INDEX
Claudii, Clavtie, émigration 76, 78, 141 sq., 341-3. Ap. Claudius Caecus (cens. 312) 311. Ti. Claudius Nero, patron d e F u n d i (166?) 393 sq. M. Claudius Marcellus (cos. 166, 155, 152, pr. 169) 394 sq. C. Claudius Pulcher (cos. 177 c e n s . 169) 1145, 354. N. Cluvius 332. M. Coriolanus 141. L. Cornelius Baibus 118 sq. Cornelii Scipiones 224, 352, 396 sq. M'. Curius Dentatus (cos. 290, 275-4, cens. 272) 221, 233-4,237,244. P. Decius Mus (cos. 340) 174, 176. Fabii 52 sq., 55, 176, 198, 397. M. Fabius Ambustus (cos. 360, 356, 354) 166, 416. Q. Fabius Maximus (cens. 304) 325, 349, 353-4. C. Flaminius (cos. 223, 217, c e n s . 220) 224-5, 237-8. M. Flavius (tr. pi. 323) 158. Fulvii 158-9, 327, 330-2, 397. M. Fulvius Nobilior (cens. 179) 352-3. Furii 155, 159, 329-30, 336. L. Furius (pr. 318) 304. M. F u r i u s Camillus 152, 155-6. Licinii Crassi 340. Licinii Luculli 226, 329, 336, 339. L. Licinius Murena (cos. 62) 329. Sp. Ligustinus 326.
Mamilii 158, 330. L. Mamilius (Tusculanus) 175. M. Manlius Capitolinus (cos. 392) 416. T. Manlius Torquatus (cos. 347, 344, 340) 176. Marcii 336. Q. Marcius Tremulus (cos. 306, 288) 214. C. Marius 220, 331. M e m m i i 328. Minucii T h e r m i 340. Mucii 55. Octavii 186. Cn. Octavius (cos. 165) 138. L. Papirius (pr. 332) 199. Plautii Silvani 190, 219, 329, 336, 339. Popilii 340. Porcii C a t o n e s 327-8, 330. P o r s e n n a 54 sq., 67 sq., 87, 14Ö. Q. Publilius Philo (cos. 339, 327, 320, 315, cens. 332) 176, 178, 198-9. P y r r h u s 245, 412. L. Quinctius Cincinnatus 55. C. Quinctius Valgus 7, 332. T. Romilius Rocus Vaticanus (cos. 455) 52, 56. S e m p r o n i i Gracchi 94, 99, 186, 212-3, 306-7, 324, 347. Sentii S a t u r n i n i 247. Servius Tullius 50, 65 sq., 140. Q. Statilienus Q. f. 225. Q. T e r e n t i u s Culleo (tr. pi. 189 o u 188) 112, 351-2. Terentii V a r r o n e s 241-2, 329, 340. M. Tullius Cicero 331.
Maclae (Caere) 295,411. C. M a e n i u s (cos. 338, 325) 182, 199, 203. Magii (Capoue) 295.
Visellius Flaccus 332-3. Vitruvius Vaccus, 196-7.
SOURCES TEXTES LITTÉRAIRES Appien Bella Civilia (Gabba) 1.41
94-5, 123
1.86-7 1.98-9
94 99
Hisl. Ru ni. 2.5.1
94
445
INDEX Caesar De bello civili 1.15.1-2
244
Corpus iuris 50.1.1.1 50.4.14.1 50.16.18
civilis. Digesta 6, 12, 275 274 9, 274
Cato De agricultura 149.2
Denys d'Halicarnasse 382, 384
Originum fragmenta (éd. Peter) 25 58 61
175 66 305
Cicero Pro Archia 5.11
7
Ad Atticum 5.2.3
264
Pro Balbo 8.19 8.20-22 11.28 12.29 13.31 21.48 23.53 24.54 Brutus 16.63
118 sq. 119,297 sq. 118, 174-5,252 252 121,193 103, 121 68, 104 103, 105, 120 sq. 7
Pro Caecina 33.96 34.100
354 252
De lege agraria 2.32.88
366
De legibus 2.2.5 3.16.36 Philippicae 3.6.15 Pro Plancio 8.19 8.21
327, 333 306
25, 194, 252, 269 25, 29, 194, 247 247
Columella De re rustica 1. praef. 14
234
Antiquités 3.38 4.14-15 4.57.3 4.58.3 5.40 et 5 5.43.2 5.61.3-4 6.1.2 6.9.4 6.19-20 6.25.3 sq 6.63.4 6.95.1 sq. 7.18.3 7.53.5 7.64.6 8.35.2 8.69.2-4 8.70.2 8.71.5 8.72.3-6 8.73.5 8.74.2-3 8.75.1 8.75-76 8.77.2 9.51.2 11.2.2 14.6 (9) 14.13 15.7 (9) 20.1.5 20.16.1
Romaines 77 65 89, 94 86, 89 74,78 77 66, 88 83, 88 74 72 71 92 68 94, 97-8 92 66 92, 97 94, 95, 101 92 97 92, 96, 99 96 92, 96-7 96 92, 96-7 94, 96-7 73 92, 97 155, 158, 161 198 136, 207 319 281
Diodore de Sicile Bibliothèque 19.76.3-5 20.61 20.80.4 20.90.3
historique 167, 199 301 214, 220 227
INDEX
446 Dion Cassius Histoire Romaine 7.28.1-2 7.35.10-1 10.33 15.46a
155, 158 177, 192, 198 412 366
Festus (et Festus - Paul Diac.) De verborum significatu (Lindsay) 79 (P) (fundus) 296 sq. 117 (P) (municeps) 14-16, 206, 275, 284, 318 sq. 126 (municeps) 3 sq., 6-14, 275, 284-7 127 (P) (mumm) 273 146 et 147 (P) (municipalia sacra) 5, 268, 307 155 (P) municipium 5, 16-41, 110-1, 193-5 166 (nancitor) 92 212 (Oufentinae tribus) 202, 349 232 (Pectuscum) 50 262 (praefecturaé) 201 et passim, 356 sq. 276 (praetor) 70, 92 331 (P) Romulia tribus 57 502 (vicus) 361 Florus Epitomae 1.10 1.11
233 167,170
Frontinus de controv. (Lachmann, 19
Gromatici) 239
Gellius Noctes Atticae 10.3.3 16.13.2 16.13.6 16.13.7 16.13.9 20.1.46-7
212 13 9-12, 30 sq., 275, 296-7 22, 310 sq. 309 51
Isidorus Hisp. Originum 9.4.2 9.4.21 15.2.10
libri (Lindsay) 13 9, 13, 274 9,273
Lex XII Tab. 3.5 (ap. Cell 20.1.46-7) = FIRA I, p. 33 51 sq. Liber Coloniarum (Lachmann, Gromatici) 209 385 230 306 232 214, 306 234 306 236 306 238 186, 306-7 239 213, 307 Livius Ab urbe condita 1.33.1 1.43.13 1.45.2 1.46.1 1.49.8 1.52.2 2.13.5 2.14.9 2.16.4-5 2.21.1-4 2.21.7 2.22.5 2.22.7 2.30.8 2.33.9 2.41 3.13.9 3.26.8 3.29.6 3.42.5 4.7.4 4.11-12 4.36 4.43-44 4.47, 6-7 4.49,6-11 4.51-3 5.12.3 5.30.8 5.50.3 6.2.3. 6.4.4. 6.5.2.
77 66 140 61 140 69 56 140 74, 77-8 72-3 60, 66 72 97,, 140 71 68 73 55 55 175 141 58 63 63 63 63 64 64 64 79 31, 141 , 4 0 5 60, 151 sq. 79 152
INDEX
6.5.8 6.6.1-2 6.11.2 6.21.2-4 6.25 6.26.5-8 6.28.7 6.33.6 7.12.7 7.19.4 7.25.5-6 7.30-31 7.38-42 8.1.3 8.2.1-4 8.2.2-13 8.4.11 8.7.2 8.11.3-5 8.11.12-13 8.11.15-16 8.13.8 8.13.12 8.13.14 8.13.17
79 153 153 154 155 155, 301 159 155, 159-60, 300 163 165 164 167 sq. 169 171 169 72, 169, 171 166 161, 171 180-1 172, 180, 182, 205 173-6,180,268 176, 181, 191 181, 191, 205 192 192
8.14. 177-179, 192 sq. 8.14.2-4 25, 159, 161, 252, 266-8 8.14.5-7 184-6, 344-5 8.14.8-9 186-8 8.14.10 106, 173, 191, 195-6, 205, 305 8.14.11 195-6,266 8.17.2 196 8.17.11 178 8.17.12 45, 195, 266, 279 8.19.4 197 8.19.10 294 8.19.12 198,205 8.20-21 198, 205 8.21.9 202,266,279 8.21.10 195,266 8.37.8-12 158-9,161 9.16.2-10 280 9.20.5-10 188-9, 203-4, 304, 306, 366-7, 371 sq. 9.25.9 210 9.26.5-22 199, 203 9.43.23 106, 213-5, 258, 302, 305 9.43.24 191, 215, 290, 300, 305
447
9.45.6 9.45.7 9.45.8 10.1.3 10.3.1 10.4.9 22.61.10-13 23.4.3 23.5.1 23.5.9 23.7.1-2 23.7.3 sq. 23.7.6 23.10.2 23.20.2 23.31.10 23.36.8 25.3.16 25.5.6-7 26.8.10 26.13.5 26.15.3 26.16.7 26.16.9-10 26.16.13
26.33.10 28.45.13-19 31.15.7 31.31.10-12 32.26.16-18 34.42.5 38.28 38.36.5 38.36.7 39.3.4-6 40.42.13 40.51.9 41.8.6-10 41.8.12 41.9.9-11 42.10.2-4 42.34.2 43.14.10 45.15.3-7 Macrobius Saturnalia 1.10.16
213 212, 258, 279, 302 182 218-9 228 408 269 370 sq. 318 167-8, 170, 174-5, 270, 303, 308 277, 294, 303 sq. 269 269, 281 269 175, 176, 258 7, 327-8, 371 269 99-100, 107 313,314,323 34, 194 203 194 294 366 sq. 269, 281
185, 280-1 236, 318 279 167,174,203,270 104 108,213 312 312.352 347, 350, 396 112 sq., 116 293, 352, 372 352 sq. 21, 106, 113-7, 120 114,116 114 115-6 326 313-4; 323 354
53
INDEX
448 Plinius maior Naturalis 3.12.107 7.136 18.20 33.6.17 34.11.23
Velleius Paterculus
Historia 228 159 55 190 214
Historia 1.14.1 1.14.3 1.14.6 1.14.15 2.7.7-8 2.44.4
Romana 283 173, 195 234 162 313, 324 366 sq.
Plutarque Vies parallèles Camille 38 Coriolan 30 Flamininus 18.1
137, 155 sq. , 158 92 , 123 351 sq.
Polybe Histoires 1.6.3 1.7.10 2.18.5
151 281 163
2.21.8 2.24.5 3.22.1 6.19.20 16.26.9
238 235 163 319 279
Siculus Flaccus De condicionibus agrorum Gromatici) 136, 1. 14
(Lachmann, 234
Strabon Géographie 5.1.1 5.2.3 5.3.5
94 30-1, 137, 310 sq. 187, 301
INSCRIPTIONS AE 1967.239 1971. 88 ir^Labeo 13, 1967) 1972.153 163-7
31 377 243 218
Ath. Min. 72, 1957, p. 241 ( S a m o s / A n t i o c h e du M é a n d r e )
128
Attische Urkunden V (Wilhelm) 45 sq. 88 sq.
129 129
Bengtson {Staatsvertr. Altert. II) 209 232 ( K é o s / E r e tria) 287 (Kéos/Histiaia)
BCH. 11. 1887, p^.. 332 (Ténos/Phocidiens) »ww. , 128, 132-3 CIE 6213-6221 CIL F
Valerius Maximus Memorabilia 2.7.15 4.3.5. 6.2.1-2 7.3.9
281 234 198 155 sq.
Varro De lingua 5.33 5.179 5.181
latina 54,88 13, 272-3 317
127 125,, 131 125
VI IX
24 38 2127 29712 2802 3312 3384 3385 3420 3429 3430 3433 3522
141 sq. 343 383 238 289 250 227 228-9, 232 231-2 231 229 sq., 232 231 232 231-2
449
INDEX
X
XI
3613 3627 4182 4201 4359 4399 4400 4519 4546-7 4622 4677 4976 5048 5067 5073 5158 797 4796 5190 5193-4 5203 5796 5832 5919-27 6554-5 3310a 3614 3615 3616-7
3873 4210 5220 5619 5621 5631 XIV 171-2 2070 2097 2169 2213 3500 3941 3955 FIRA I(leges) 7 (Lex Acilia rep.) 1. 1 1. 31
228 228 240-1 241 240 240 240 241 241 241 241 242 239 239 240 239 181 211 248 248 248 213 213 290 185-6, 290 362, 373, 385 288, 291 288 312 289, 291 226 223 223 223 260 181 181, 289 288, 292 288 288, 291 218 288 288
103 377
1. 78-9 104-5, 117, 176, 280 280 ]. 88-9 8 (Lex agraria 111) 1. 31 34, 194, 347, 362 12 (Lex Mamilia Roscia . .. ) cap. 3-5 316 13 (Tabula Heracleensis) 1. 9 3 ; 1. 103 252, 265-6 315 sq. 1. 142-3 1. 159-162 299 264 19 (Lex Rubria) cap. 20-1 20 (Fragmentum Alestinum) 252, 262-5 1. 10-16 176 23 (Lex Salpensanä) c a p . 22-3 99, 111 24 (Lex Malacitana) cap. 53 35 (S. C. de Asclepiade) 175 1. 12 FIRA III (negotia) 72 (Lex Furfensis) 153 (Lex Puteolana)
230 388
Inschriften von Magnesia 103 ( S a m o s / M a g n é s i e du Méandre)
129
Inschriften von Priene 5 (Athènes/Priène)
126
Inscr. Creticae (Guarducci) I, p. 27 I, p. 31 I, p. 1 1 6 ( 0 1 u s / L a t o s ) III, p. 44 (Hierapytna/Priansos) Inscr. Ital. XIII, 1 (Fasti Triumph.) 340 339 338 ILLRP 10-12 59 77 130a 152 182 238 271 302 322 327
128, 132-3 128, 132-3 126, 133 126, 132-3
171 177 177, 182 184 155 106 288, 183-4 239 332 289 214 241, 245 332 242-3
450
INDEX 243 307 230.381 39 388 332 240 288 248 250 332 248-9 240 293 288 288 239 331 332 332 330-1 366, 389 366. 388 366 211 211 211 155 294, 393 sq. 183
329 468 508 512 518 523 531-2 546-7 551 552 561 562a-4 566 576 595-7 601-4 617-8 639 668 676 688 708 719 722 737 742 745 895-903 1068 1271 Le
Bas-Waddington 128, 132-3
III, 78 Le Musée Belge 15. 1911. p. 256 sq. (Milet/Ténos)
126
Meiggs-Lewis 20
117
Sélection
85 Moretti 42
129 Iscrizioni 138
Not. degli Scavi 1948, p. 267 1953, p. 18 sq.
260 260
Robert, Bull. Ep. 1969, 495 (Téos/Antioche Sel.)
129
S c h m i t t {Staatsvertr. Altert. III) 408 (Milet/Olbia) 129, 131-2, 134 409 (Milet/Cyzique) 125 453 (Milet/Phygela) 125, 131 480 (Etoliens/Acarnaniens) 126, 133 495 (Messène/Phigalie) 127, 133-4 508 (Kéos/Etoliens) 127, 133-4 512 133 537 (Milet/Seleukeia) 128. 131-2 539 (Milet/Mylasa) 128. 131-2 542 (Etoliens/Trikka) 128. 132. 134 554 (Hierapytna/Praisos) 126, 131-2 555 (Pergame/Tcmnos) 126, 131 570 (Axos/Tylissos) 126 579 (Hierapytna/Itanos) 126 Sylloge* 168 129 633, 1. 34 (Milet/Héraclée du Latmos) 129 Tod Sélection Vetter Handbuch 197 222 226 234
II, 106 der italischen
129 Dialekte 142 185, 294 218 222
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
V
PREMIÈRE PARTIE
LES DÉFINITIONS ROMAINES
1
Chapitre I MUNICEPS ET MUNICIPIUM CHEZ FESTUS ET PAUL-DIACRE
I - Le Municeps chez Festus, Aulu-Gelle et Ulpien 1 - Festus (126 L) 2 - Aulu-Gelle (NA. 16, 13, 6) 3 - Ulpien (Dig. 50, 1, 1)
3
6 6 9 12
II - L'apport de Paul-Diacre à la définition du municeps (117 L) . . . .
14
III - Le municipium, défini par Paul-Diacre (155 L) 1 - Le statut de l'émigré non-romain? 2 - Une citoyenneté potentielle, mais qui soumet aux munera? 3 - Une civitas honoraria? 4 - L'émigration à Rome et la négation de la civitas Romana sont des expressions trompeuses
16 17
Conclusion 30
23 26 32 41
452
TABLE DES MATIÈRES
DEUXIÈME PARTIE
LES PRÉCÉDENTS HISTORIQUES DU MUNICIPIUM
45
Chapitre II L'EXTENSION TERRITORIALE, DU VI e AU DÉBUT DU IV e SIÈCLE: LE PROBLÈME DES TRIBUS RUSTIQUES
I - Les tribus rustiques de VEarly Rome selon A. Alföldi : appréciation critique 1 - La tribu Fabia 2 - Ager Romanus et ager Romanus antiquus 3 - Rome sur la rive droite : Y ager Vaticanus et la tribu Romilia 4 - Les deux étapes dans la création des tribus rustiques . . . .
49
49 52 52 54 57
II - Pas de tribus nouvelles, au Ve siècle, après 493 1 - La ligue latine et les nécessités d'une politique commune de défense 2 - L'agitation agraire au Ve siècle : son témoignage négatif ..
59 61
III - Le foedus Cassianum et l'extension de Vager Romanus en 493... 1 - Le conflit entre Rome et la ligue latine en 496 2 - La victoire de Rome en 493 3 - Spurius Cassius, entre histoire et légende 4 - La multiplication des tribus rustiques en 493
65 66 68 72 73
IV - Conclusion : incorporation et alliance du VIe au IVe siècle
76
58
Chapitre III L'ISOPOUTEIA DES PEUPLES LATINS
I - L'isopoliteia du foedus Gabinum II - L'isopoliteia du foedus Cassianum 1 - L'isopoliteia des Latins selon Denys d'Halicarnasse
85
86 91 93
TABLE DES MATIÈRES
2 - Le droit fédéral latin, selon les historiens romains A) le ius suffragii B) le ius migrandi a) Liv. 39, 3, 4-6 (187) b) Liv. 41, 8,9 et 41, 9,9 (177)
453
98 99 108 112 113
III - L'isopoliteia des cités grecques
123
1 - 'LjcrnoXiTELa e t *rcoXiTEÛEcr0ai
125
A) Apparition et expression du concept de citoyenneté virtuelle B) Réalisation de la citoyenneté offerte : migratio et census 2 - Les privilèges particuliers concédés avec l'isopoliteia . . . . IV - Conclusion : isopoliteia, ius migrandi et hospitium publicum . . .
125 130 132 135
TROISIÈME PARTIE
LA CIVITAS ROMANA AU SEIN D U N E RES PUBLICA DISTINCTE
145
TITRE I L'INCORPORATION DANS LA CITOYENNETÉ ROMAINE : APPRÉCIATION POLITIQUE ET RÉALITÉ JURIDIQUE
149
Chapitre IV L'ANNEXION DU LATIUM, DES VOLSQUES, DE LA CAMPANIE
(381-329) I - L'incorporation
151 de Tusculum
(381)
1 - Le pays pontin : une politique ambitieuse 2 - Défection et deditio de Tusculum 3 - Civitas optimo iure 4 - Son appréciation par les Latins II - Des ambitions menaçantes vers le Latium, les Volsques, la Campanie (380-340) 1 - Le foedus Cassianum renouvelé (358)
151 152 154 157 159 162 163
TABLE DES MATIÈRES
454
2 - Sa rupture : l'affaire de Caere et visées vers le Sud (353/349) 3 - Regards vers la Gampanie : la deditio de Capoue (343/342) 4 - L'alliance latino-campanienne (341) 5 - Le règlement provisoire de 340 : confiscations et la civitas honoraria des équités Campani III - L'annexion du Latium et des Volsques du Nord (338) 1 - Les cités latines introduites dans la civitas Romana : Lanuvium, Aricia, Nomentum et Pedum 2- - Lavinium 3 - Les cités du Latium passées sous la domination volsque :Velitrae et Antium , 4 - Les cités latines fédérées : Tibur, Préneste et les anciennes colonies latines 5 - Interprétation politique et juridique du règlement de 338 IV - L'incorporation de la Campanie et des Volsques du Sud (334/329) 1 - La politique de romanisation 2 - La pénétration romaine 3 - Municipium et civitas sine suffragio : privilège ou annexion?
164 167 170 172 176 177 179 184 190 191 195 195 200 205
Chapitre V L E S DERNIÈRES EXTENSIONS DE LA CIVITAS SINE SUFFRAGIO (FIN
IVe - DÉBUT III e SIÈCLE) I - Les Aurunques II - Les Hemiques
209
(315-4?)
209
(306)
212
III - Les Eques (304-3)
217
IV - Les derniers Volsques libres (Arpinum, Frusino, 305-303)
219
V - La conquête de l'Italie Centrale I. Umbri, Vestini, Sabini, tii et Picentes (299-268) 1 - Umbri 2 - Vestini 3 - Sabini, Praetuttii, Picentes
Praetut221 221 226 233
TABLE DES MATIÈRES
455
VI - La conquête de l'Italie Centrale IL La frange occidentale du Samnium (290-268) 244 Chapitre VI A LA NAISSANCE DU MUNICIPIUM : L'ACTE CRÉATEUR ET L'ÉTYMOLOGIE
251
I - Les Municipia foederata 251 1 - Les interprétations proposées 253 2 - Foedus et municipium dans les sources épigraphiques et littéraires 260 II - L'étymologie de municeps et de municipium : le point de vue officiel romain 271 CONCLUSION DU TITRE I
279
1 - La réalité juridique : provocatio ad populum 279 2 - La politique de romanisation 282 3 - La structure de l'Etat : municipium et civitas sine suffragio 283 TITRE II LA RES PUBLICA MUNICIPALE
285
Chapitre VII LES ÉLÉMENTS DE L'AUTONOMIE MUNICIPALE
I - Ses organes : magistrats et assemblées 1 - Les magistratures des municipes 2 - Sénat et populus II - Legibus suis et suo iure utentes 1 - Aulu-Gelle (16, 13) et Cicéron (Pro Balbo, 19-21) 2 - Abolition de la souveraineté internationale 3 - Le domaine de l'autonomie locale concédée
287
287 287 293 295 296 300 304
456
TABLE DES MATIÈRES
III - Le census municipal 310 1 - Le recensement local des cives sine suffragio 310 2 - Le census dans les praefecturae 313 3 - Les obligations militaires et financières des cives sine suffragio 317 4 - Le recensement local des municipes o. i 320 IV - L'attache locale : le lien municipal 325 1 - Sa qualification 327 2 - Sa durée 328 3 - Son contenu 330 Chapitre VIII L'ATTRACTION MUNICIPALE
335
I - Fractionnement et reconstitution : les preuves 337 1 - Fractionnement 337 2 - L'intégration municipale des émigrés romains 339 II - Le dynamisme de l'attraction : ses moyens 342 1 - Les structures économiques 342 2 - Le rôle du praef. i a\ 343 3 - Structures administratives communes 344 III - Les étapes de la fusion : l'accès des citoyens sans suffrage aux 1 droits politiques 346 Chapitre IX LES PRAEFECTI IURE DICUNDO
I - Les Préfectures selon Festus : les interprétations proposées II - La définition de Festus : une tentative de solution III - Le domaine des praefecturae iure dicundo 1 - Praefecturae et civitas s. s - les préfectures campaniennes - les autres préfectures attestées
355
356 360 364 365 366 372
TABLE DES MATIÈRES
- les préfectures non attestées - conclusion 2 - Praefecturae et cives optimo iure - les municipes romains du Latium - le territoire originel des tribus rustiques - colonies romaines et préfectures TV - Le rôle des praefecti iure dicundo 1 - Juridiction déléguée du préfet et juridiction municipale.. 2 - Participation à l'administration locale 3 - La tessera hospitalis de Fundi V - Conclusion : préfecture, municipe et administration locale
457
377 380 382 383 384 386 390 390 393 393 399
ANNEXE CITOYENNETÉ ET TÉMOIGNAGES ARCHÉOLOGIQUES : L'EXEMPLE DE LA CAMPANIE ET DE CAERE
403
CONCLUSION
417
BIBLIOGRAPHIE
425
INDEX
435
TABLE DES MATIÈRES
451
CARTES EN FIN DE VOLUME
I II III IV V
(chap. II, p. 49 sq.) (chap. II, p. 58 sq., et chap. IV) (chap. IV et V) (chap. V et VIII) (chap. IX)
CARTE I - LES TRIBUS RUSTIQUES ET L'« AGER ROMANUS» DU VIe AU Ve s. SELON A. ALFÖLDI, «EARLY ROME», P. 296 SQ. (Chap. II, p. 49 sq.)
1) LaLeporti cercloen lehachurée plus restreifigure,nt (enselotinretsA. Alföl)didonne lesitesfrontidesèrestribdeus Yager Romanus antierustiques à l'époque quus. , l e s l i m des XII2) LeT. cercl La cierconférence n'(enauraipoit nététil éachevée qu'aprèsselolne miA. lAlieuföldudi, lV'extensi s. on des tribus l e pl u s vaste ...) marque, rustiques entre 425 environ et 395.
CARTE II - ROME ET LE LATIUM AUX VIe-Ve s. (cf. Chap. II, p. 58 sq. et Chap. IV).
1) Le cercle concentrique autour de Rome représente l'étendue de Vager Romanus antiquus, avant la fin de l'époque royale. 2) Les noms des tribus rayonnant à l'extérieur de ce cercle se réfèrent aux tribus plus récentes, créées, on l'a suggéré, au moment de la conclusion du foedus Cassianum (495-3). Leur localisation respective fait problème; nous avons suivi le plus souvent L. Ross Taylor, VD. Un cercle en pointillé peut donner une idée (très approximative) de leur masse au len<^main du réta* :ment de la ligue latine. 3) Les ne ioulignés et suivis d'une date marquent les tentatives, parfois sans suite, _-• colonisation mixte, romano-latine, au Ve s.
CARTE III - LES ÉTAPES DE LA CONQUÊTE DE 350 A 268 (cf. Chap. IV et V).
CARTE IV (cf. Chap. V et VIII).
Cette carte illustre : 1) Par l'emplacement des tribus créées de 334 à 241, l'étendue des confiscations décidées lors de l'incorporation des cives sine suffragio. 2) Le processus de « l'attraction municipale » : les centres (municipia ou praefecturae) qui, victimes d'amputations et parvenus à Yoptimum ius, fournirent aux tribus les bases de leur organisation administrative.
CARTEV- LADFIUOSINDESPRA.EFCTURAE»COMAPRÉEAELX'TENOSINDELA (cf.
Chap.
IX).