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André COLLET, Jeanne CRASSOUS, Jean-Pierre DUTASTA et Laure GUY
Molécules chirales Stéréochimie et pr...
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André COLLET, Jeanne CRASSOUS, Jean-Pierre DUTASTA et Laure GUY
Molécules chirales Stéréochimie et propriétés
S AV O I R S A C T U E L S
André Collet, Jeanne Crassous, Jean-Pierre Dutasta et Laure Guy
Molécules chirales Stéréochimie et propriétés
S A V O I R S
A C T U E L S
EDP Sciences/CNRS ÉDITIONS
Illustration de couverture : Molécules C76 (en haut) et octahélicène (en bas).
Publié avec le concours du ministère chargé de l’enseignement supérieur de la recherche. c 2006, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf, 91944 Les Ulis Cedex A et CNRS ÉDITIONS, 15, rue Malebranche, 75005 Paris. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35. ISBN EDP Sciences 2-86883-849-9 ISBN CNRS Éditions 2-271-06329-9
A` la mémoire d’André COLLET
André Collet, dans son bureau à l’ENS-Lyon
Table des matières Avant-propos
ix
Préface
xi
1 Introduction 2 Les 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 2.6 2.7 2.8 2.9
origines La lumière polarisée et ses étranges propriétés . . Hémiédrie, isomorphisme et énantiomorphisme . Le mystère de l’acide racémique . . . . . . . . . . La chance de Pasteur . . . . . . . . . . . . . . . . Le carbone asymétrique . . . . . . . . . . . . . . 1874–1914 : la genèse de la stéréochimie moderne Du côté des physiciens . . . . . . . . . . . . . . . L’essor de la stéréochimie moderne . . . . . . . . Le Collège de France et la stéréochimie . . . . . .
1
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
3 Langage et concepts de base 3.1 Composition et Constitution . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Conformation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 Élément stéréogène et configuration ; stéréoisomère . . 3.4 Configuration absolue . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5 Configuration relative . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6 Substances racémiques, non racémiques, énantiopures 4 Stéréoisomérie structurale 4.1 La symétrie des molécules . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.1 Les opérations de symétrie . . . . . . . . . . . 4.1.2 Les groupes ponctuels de symétrie . . . . . . . 4.1.3 Détermination du groupe ponctuel de symétrie d’une molécule . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 Molécules à centres stéréogènes . . . . . . . . . . . . . 4.2.1 Le carbone asymétrique . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . .
. . . . . . . . .
7 7 9 12 16 16 18 22 23 25
. . . . . .
29 29 30 32 40 41 42
45 . . . . . 45 . . . . . 45 . . . . . 48 . . . . . 52 . . . . . 55 . . . . . 55
vi
Molécules chirales
4.3
4.4
4.5
4.6
4.2.2 Chiralité isotopique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.3 Centres asymétriques tétraédriques hétéroatomiques (T4) Dénombrement des stéréoisomères (éléments stéréogènes binaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.1 Règle générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.2 Réduction du nombre de stéréoisomères par symétrie . . 4.3.3 Réduction du nombre de stéréoisomères par contraintes stériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Molécules possédant des axes ou des plans de chiralité . . . . . 4.4.1 Les allènes et la chiralité axiale . . . . . . . . . . . . . . 4.4.2 Spiranes, alkylidènecyclanes . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4.3 Chiralité planaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Molécules chirales non usuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.5.1 Hélicènes et analogues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.5.2 Fullerènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.5.3 Notions de chiralité topologique : rubans de Möbius et nœuds moléculaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Atropisomérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5 Le système de Cahn, Ingold et Prelog 5.1 Éléments stéréogènes et leurs configurations . . . . . . . . . 5.2 Le système de Cahn, Ingold, Prelog (CIP) . . . . . . . . . . 5.2.1 Hiérarchie des substituants dans le système CIP et application des règles aux centres de chiralité tétraédriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.2 Les règles CIP pour la chiralité axiale, planaire et torsionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.3 Hélicité et chiralité des angles de torsion . . . . . . . 5.2.4 Application des règles CIP à l’isomérie géométrique 5.2.5 Le système CIP et le système de Fischer . . . . . . .
56 56 61 62 62 63 63 63 66 66 67 67 68 69 72
79 . . 79 . . 81
. . 82 . . . .
. . . .
94 98 101 103
6 Prostéréoisomérie 109 6.1 Systèmes unidimensionnels. Cristaux polaires . . . . . . . . . . 109 6.2 Systèmes bidimensionnels. Prostéréoisomérie faciale, prochiralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 6.2.1 Faces homotopique, énantiotopiques (prostéréoisomérie faciale) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 6.2.2 Nomenclature CIP pour la prostéréoisomérie faciale . . 113 6.2.3 Conséquence : synthèse conventionnelle et synthèse asymétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 6.2.4 Faces diastéréotopiques, diastéréosélectivité . . . . . . . 114 6.3 Systèmes tridimensionnels. Prostéréoisomérie de groupe . . . . 115 6.3.1 Groupes homotopiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 6.3.2 Groupes énantiotopiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 6.3.3 Groupes diastéréotopiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Table des matières
vii
6.3.4
6.4 6.5
Nomenclature CIP dans le cas de la prostéréoisomérie de groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3.5 Conséquence de la prostéréoisomérie de groupe sur la réactivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3.6 Conséquence de la prostéréoisomérie de groupe en spectroscopie RMN . . . . . . . . . . . . . . . . . . Propseudoasymétrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prochiralité et synthèse asymétrique . . . . . . . . . . . . . . 6.5.1 Stéréosélectivité et stéréospécificité . . . . . . . . . . . 6.5.2 Exemples classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.5.3 Exemples de développements marquants de la synthèse asymétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. 117 . 118 . . . . .
119 120 121 121 122
. 124
7 Configurations absolues et relatives 131 7.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131 7.1.1 Configuration absolue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131 7.1.2 Configuration relative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 7.2 Spécification de la configuration relative dans le système CIP 133 7.3 Méthodes de détermination des configurations basées sur les cristaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 7.3.1 Diffraction anomale des rayons X (méthode de Bijvoet) 134 7.3.2 Diffraction « classique » des rayons X . . . . . . . . . . 139 7.3.3 Analyse des faces cristallines . . . . . . . . . . . . . . . 139 7.3.4 Méthode des quasi-racémiques (méthode de Fredga) . . 140 7.4 Méthodes chimiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 7.4.1 Corrélations chimiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 7.4.2 Dédoublement cinétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 7.4.3 Synthèse asymétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 7.5 Méthodes physiques chiroptiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 7.5.1 Pouvoir rotatoire ; définition, unités, propriétés . . . . . 148 7.5.2 Pureté énantiomérique et pureté optique . . . . . . . . . 153 7.5.3 Pouvoir rotatoire et configuration absolue . . . . . . . . 155 7.5.4 Dispersion rotatoire optique et dichroïsme circulaire . . 158 7.5.5 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 7.6 Utilisation de la RMN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 8 Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation 8.1 Propriétés des énantiomères . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.1.1 Non-Conservation de la Parité (NCP) . . . . . . . 8.1.2 Propriétés biologiques des énantiomères . . . . . . 8.2 Propriété des mélanges d’énantiomères . . . . . . . . . . . 8.2.1 Observations visuelles – Propriétés de l’état solide
. . . . .
. . . . .
175 . 176 . 176 . 179 . 180 . 182
viii
Molécules chirales 8.2.2
8.3
8.4
Diagrammes binaires de fusion d’un mélange d’énantiomères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.2.3 Diagrammes ternaires de solubilité d’un mélange d’énantiomères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Application. Dédoublement par cristallisation . . . . . . . . . . 8.3.1 Séparation de mélanges d’énantiomères partiellement enrichis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.3.2 Dédoublement par cristallisation directe des racémiques 8.3.3 Dédoublement par formation de diastéréoisomères . . . Autres voies d’accés aux énantiomères purs . . . . . . . . . . .
184 189 195 195 197 204 216
9 Détermination de la pureté énantiomérique 219 9.1 Analyse directe du mélange des énantiomères . . . . . . . . . . 219 9.1.1 Détermination de l’ee par polarimétrie . . . . . . . . . . 219 9.1.2 Détermination de l’ee par calorimétrie . . . . . . . . . . 220 9.2 Analyse indirecte d’un mélange d’énantiomères – Utilisation d’associations diastéréoisomères . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 9.2.1 Détermination de l’ee par RMN . . . . . . . . . . . . . 222 9.2.2 Détermination de l’ee par HPLC (High Performance Liquid Chromatography) . . . . . . . . . . . . . . . . . 226 9.2.3 Mesure de l’ee par chromatographie chirale en phase gazeuse (CPG chirale) [12] . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 9.2.4 Mesure de l’excès de diastéréoisomères par calorimétrie 233 Index
235
Avant-propos et ouvrage a une histoire. Nous le devons d’abord à André Collet, Professeur à l’École Normale Supérieure de Lyon et à l’Université Claude C Bernard où il professa de 1988 à 1999. Il nous laissa une partie du manuscrit et un projet d’ouvrage de stéréochimie. C’est à partir de ses notes de cours et des nombreuses conférences qu’il dispensa pendant ces années que nous avons décidé de terminer la tâche qu’il avait entreprise avec tant d’ardeur et de passion. Nous avons alors apporté une orientation nouvelle au projet en dédiant le présent recueil à certains aspects de la chiralité moléculaire, thème très cher à André Collet. Il nous a semblé en effet utile de pouvoir disposer d’un ouvrage accessible, en langue française, et traitant sur le fond les aspects de la chiralité moléculaire dans un sens très large. Nous ne souhaitions pas apporter un ouvrage de plus sur la stéréochimie « classique » pour laquelle existent des ouvrages de référence très bien faits. Le présent ouvrage n’est sans doute pas exhaustif en matière de stéréochimie chirale, mais nous espérons qu’il apportera les bases et surtout qu’il saura introduire des notions pas forcément connues et comprises des chimistes ou physico-chimistes travaillant sur les systèmes moléculaires chiraux. Les neuf chapitres du livre présentent différentes facettes de la stéréochimie dans sa pratique moderne, et traitent plus particulièrement de la chiralité moléculaire et des mesures des propriétés qui en découlent. L’analyse conformationnelle ne sera pas traitée ici de manière conventionnelle, d’autres ouvrages existent et seront signalés en temps voulu. Par contre un rappel sera fait de la terminologie et les définitions courantes concernant cet aspect de la stéréochimie. Nous avons, dans un souci de clarté et de modernité, tenu à faire apparaître à la fois les notions fondamentales et quelques applications d’importance comme la séparation des énantiomères et leurs propriétés. Bien que l’histoire de la stéréochimie ait été maintes fois contée, il a semblé utile d’y consacrer un chapitre, qui aura au moins le mérite d’illustrer la permanence du caractère multidisciplinaire et multinational de la science, aussi bien que de ses rapports avec le monde socio-économique. Au-delà des aspects structuraux (stéréoisomérie), l’ouvrage aborde d’autres questions où la stéréochimie et la chiralité jouent un rôle important : les propriétés et les méthodes de préparation des stéréoisomères ainsi que leur caractérisation ; leur interaction avec la lumière (propriétés chiroptiques).
x
Molécules chirales
L’ouvrage vise au travers d’exemples à éclairer les principes ou à illustrer des situations et des concepts parfois obscurcis par des usages contradictoires. À ce titre, il s’adresse aux enseignants, étudiants, chercheurs, qui, confrontés à des problèmes mettant en jeu la stéréochimie et la chiralité, ou simplement curieux d’en connaître les nombreux aspects, souhaitent obtenir une réponse à leurs interrogations. Pour ces raisons, il n’est pas limité à la chimie organique, mais considère également la stéréochimie d’espèces organométalliques voire inorganiques. Pour traiter de la stéréochimie des espèces chirales, nous avons dû faire des choix. La rédaction de ce livre correspond à une demande pressentie de la part des chimistes et physico-chimistes intéressés par cette thématique. Nous comptons sur eux pour nous signaler les erreurs et défauts qui apparaîtraient au long de ces pages et également nous faire part des suggestions qui en amélioreraient le contenu. Nous les en remercions par avance.
Remerciements Monsieur le Professeur Henri Kagan nous a fait le grand honneur de préfacer cet ouvrage, et nous l’en remercions infiniment. Nous lui savons gré pour ses encouragements et sa relecture minutieuse. Monsieur Bruno Figadère a efficacement coordonné ce projet, qu’il en soit remercié. Nous sommes particulièrement reconnaissants à Magali Alexandre et Cyril Barsu à l’ENS-Lyon et Monsieur Jean-Pierre Sauvage, Directeur de Recherche au CNRS à Strasbourg, pour leur implication : relecture, don de figures. Enfin nous voudrions remercier les proches d’André Collet qui ont été aussi présents par leur soutien et leur désir tellement légitime de voir aboutir ce projet. Nous leur dédions cet ouvrage.
J. Crassous, J.-P. Dutasta, L. Guy Lyon, Avril 2005.
Préface n 1999 disparaissait prématurément André Collet, une personE nalité scientifique éminente, issue comme moi-même de l’école française de stéréochimie qui s’était développée au Collège de France autour d’Alain Horeau et de Jean Jacques. André Collet animait à l’ENS de Lyon un laboratoire et s’était fait connaître par des recherches très originales. Il était parallèlement un enseignant hors pair qui aimait diffuser la connaissance scientifique. Il n’hésitait pas à aborder la stéréochimie, domaine important mais ardu de la chimie. Il avait été le co-auteur très actif d’un livre novateur qui est resté un ouvrage de référence (Enantiomers, Racemates and Resolutions, J. Jacques, A. Collet, S. Wilen, J. Wiley & Sons, 1981). A. Collet avait un projet dans les années 1995, celui d’entreprendre la rédaction d’un traité sur la Stéréochimie et la Chiralité. Au moment de son décès, le projet avait pris corps. Il avait déjà rédigé un certain nombre de chapitres, avec la clarté et la logique qui le caractérisaient. Il est heureux que plusieurs de ses collaborateurs aient décidé, en hommage à sa mémoire, de terminer l’ouvrage. L’ouvrage a été restreint par rapport au projet initial, il traite de la stéréochimie dans ses rapports avec la chiralité sans insister sur l’analyse conformationnelle. Tous les thèmes abordés le sont d’une façon très rigoureuse et pédagogique. Par exemple le chapitre « Stéréoisomérie structurale » présente les opérations de symétrie en les illustrant sur des structures moléculaires variées. Les composés dont le centre de chiralité est un hétéroatome sont aussi considérés. Un paragraphe « Molécules chirales non-usuelles » mentionne les hélicènes, fullerènes, rubans de Möbius et nœuds moléculaires. Le chapitre 6 « Prostéréoisomérie » réunit des concepts importants discutés à la fois dans l’état cristallin ou pour la molécule isolée, avec des applications débouchant sur la synthèse asymétrique. Un des thèmes chers à André Collet était celui du chapitre 8 : « Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation ». Le livre est agréable à lire, les schémas et figures sont très clairs, la bibliographie est abondante. L’objectif était de présenter la stéréochimie de systèmes moléculaires chiraux simples ou complexes en incluant les méthodes modernes d’étude et de séparation des stéréoisomères. Cet objectif a été atteint. Il faut féliciter M. J.-P. Dutasta, Mme J. Crassous et Mme L. Guy pour avoir achevé le projet
xii
Molécules chirales
initial d’André Collet. Ce livre de qualité a un contenu et une forme qui le différencie nettement des ouvrages déjà existants, je lui souhaite un succès mérité tant en France, le pays de Pasteur, qu’à l’étranger.
Henri Kagan Professeur émérite à l’Université Paris-Sud Membre de l’Académie des sciences
Chapitre 1 Introduction a stéréochimie étudie les propriétés qui dépendent de la géométrie des L édifices moléculaires. À la composition, qui identifie et dénombre les différents atomes d’une molécule, et à la constitution, qui établit leur connectivité, différenciant ainsi les structures isomères, la stéréochimie ajoute la conformation et la configuration. Ces deux caractères permettent de parfaire la description en précisant la disposition des atomes dans l’espace et la façon dont celle-ci peut varier au cours du temps. L’analyse conformationnelle cherche à connaître le degré de flexibilité ou de rigidité de l’édifice, et à établir quelles sont ses formes — ou conformations — les plus stables. La configuration permet de distinguer les structures stéréoisomères et d’établir les relations d’énantiomérie et de diastéréoisomérie. Bien qu’ils possèdent des constitutions identiques, les stéréoisomères diffèrent par leurs propriétés physiques et chimiques, ainsi que par leurs activités biologiques. Louis Pasteur [1], en résolvant l’énigme de l’isomérie des acides tartrique et racémique (1848), a levé le voile sur la structure tridimensionnelle de certaines molécules, dont l’action sur la lumière polarisée lui faisait penser qu’elles devaient être non superposables à leur image dans un miroir. Le concept pastorien de dissymétrie moléculaire (ou de chiralité, comme on dit aujourd’hui) a été matérialisé un quart de siècle plus tard par le carbone asymétrique de Le Bel et van’t Hoff ; il a constitué l’une des pièces du puzzle qui a conduit les savants du xixe siècle à adopter définitivement la théorie atomique et à établir sur cette base les principes structuraux qui gouvernent la construction des molécules, selon une vision guère différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. C’est ainsi qu’est née la chimie dans l’espace, alias stéréochimie, ainsi nommée par Victor Meyer en 1888 [2]. L’intérêt de la stéréochimie semble avoir été bien perçu jusqu’au début du xxe siècle, comme peut l’attester un article de vulgarisation publié en 1904 par un professeur de lycée, et qui pourrait presque être republié tel quel aujourd’hui [3]. Curieusement, cet aspect de la chimie semble avoir été délaissé dans les décennies suivantes, pour n’être redécouvert qu’après la seconde guerre
2
Molécules chirales
mondiale, non plus comme une activité seulement académique, mais comme la nécessaire évolution d’une discipline pressée par l’industrie de développer les méthodes appropriées à la production de molécules de plus en plus complexes. Les « trente glorieuses » de la stéréochimie moderne, entre 1950 et 1980, ont ainsi vu l’approfondissement des anciens concepts, en même temps que l’émergence de découvertes et d’idées nouvelles, dont les plus importantes sont sans doute : 1. la détermination des configurations absolues par diffraction des rayons X (Bijvoet 1951), 2. l’établissement d’une nomenclature stéréochimique cohérente (Cahn, Ingold, Prelog 1966), 3. l’analyse conformationnelle (Barton, Allinger, Eliel), 4. le concept de prostéréoisomérie (Hirshmann, Mislow), 5. le développement de la synthèse asymétrique (Cram, Mosher, Prelog, Horeau, Kagan ...). Même si ces progrès sont loin d’avoir épuisé le sujet, ils se sont déjà concrétisés par l’explosion des méthodes de préparation des stéréoisomères purs qui constituent les composants actifs de nombreux médicaments, insecticides, et herbicides, mais aussi de parfums, cosmétiques, additifs alimentaires, édulcorants, sans oublier certains matériaux utilisés en optoélectronique. Produire à grande échelle et dans des conditions économiquement acceptables des stéréoisomères purs représente en effet aujourd’hui l’un des défis majeurs des industries qui relèvent de la chimie fine. La figure 1.1 présente quelques-unes des réussites les plus éclatantes dans ce domaine. Les tonnages les plus considérables concernent les acides aminés (acide glutamique 1, 350 000 tonnes par an) et leurs dérivés immédiats tels l’aspartame 2 (100 000 tonnes). La préparation de ces composés repose principalement sur les méthodes de biotechnologies. L’acide L-ascorbique 3 (30 000 tonnes), plus connu sous le nom de vitamine C, est produit à partir du glucose par un enchaînement d’étapes chimiques et enzymatiques. Il en est de même des antibiotiques ampicilline et amoxycilline (4, X = H et OH, respectivement), dont les productions se situent entre 1000 et 2000 tonnes. Environ le quart de la consommation annuelle de (–)-menthol 5 (4000 tonnes) est obtenu par synthèse. Le S-naproxène 6, l’un des principaux anti-inflammatoires non stéroïdiens est lui aussi préparé par synthèse (1000 tonnes). En ce qui concerne les insecticides, la palme revient sans doute à la deltaméthrine 7 (Decis) dont les quelque 500 tonnes synthétisées annuellement représentent en efficacité 75 000 tonnes de DDT. Toujours dans le domaine de l’agrochimie, on peut citer le métolachlore 8, herbicide issu de la synthèse asymétrique par la société Novartis à l’échelle de 10 000 tonnes/an.
1. Introduction
3
Il faudrait ajouter à ces gros tonnages un grand nombre de molécules très complexes comme les stéroïdes, le taxol et leurs analogues synthétiques, molécules très actives dont des productions de quelques tonnes par an, voire même moins encore, suffisent à alimenter les besoins mondiaux.
CO2H
H H2N
HO2C
(S)
1
HO 3
H
H N
(R) X
O H
2
CO2H
H2N
HO
H
O
H CH2OH
H
Me
S
(S)
O
HO
NH2 H (S) CO2Me N
H
(S)
Me (S) CO2H
Me N (S)
O
O
MeO
CO2H
6
4 Me (R) O (R)
(R)
(R)
H
CN O
Br Me
Me
H
Br
OH
(S)
H
Me
O (S)
Me 7
5 Me O ClH2C
N H
Me
Metolachlore (S / R 80/20)
Me OMe
8
Fig. 1.1 – Quelques stéréoisomères purs produits par l’industrie.
Parallèlement à ces importantes applications, on assiste, à l’orée du xxie siècle, à différents mouvements qui voient le champ de la stéréochimie, à l’origine assez largement confiné à la chimie organique, s’étendre à des domaines nouveaux. On peut citer en premier le cas de la chimie de coordination ; les travaux de Werner sur la structure tridimensionnelle des complexes de métaux de transition, effectués entre 1890 et 1914, n’ont sans doute pas eu chez les chimistes inorganiciens le même impact que ceux de Le Bel et van’t Hoff chez les organiciens, mais la situation est en train de changer rapidement.
4
Molécules chirales
En second lieu, l’importance de la stéréochimie dans la construction et les propriétés des édifices supramoléculaires est désormais reconnue. Au-delà de la stéréochimie moléculaire classique, il existe aujourd’hui une stéréochimie supramoléculaire dont l’essor ne peut que s’amplifier [4]. On peut également faire état d’une stéréophysique étudiant les phénomènes fondamentaux liés à certaines manifestations de la chiralité en physique nucléaire, atomique et moléculaire, aussi bien qu’en optique. L’impact sans cesse croissant de la stéréochimie au cours des dernières décennies est attesté par l’existence de périodiques consacrés aux différents aspects de la discipline, dont trois ont fait leur apparition au cours des quinze dernières années : au précurseur Topics in Stereochemistry, créé en 1965, se sont en effet ajoutés Chirality (1989), Tetrahedron Asymmetry (1990) et Enantiomer, a Journal of Stereochemistry (1996). Ajoutons à ce tableau la Conférence du Bürgenstock, et le congrès international ISCD (International Symposium on Chiral Discrimination) qui réunissent depuis des années les plus grands noms de la discipline. Le langage de la stéréochimie a évolué au cours des années, de façon plus ou moins chaotique. Les définitions de certains concepts fondamentaux suscitent encore des débats dont les livres les plus récents font écho [5]. Afin d’éviter d’introduire un élément de confusion supplémentaire dans un domaine qui a déjà suscité de nombreuses controverses, le parti pris des auteurs a été d’adopter le plus généralement possible les recommandations de l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée, alias IUPAC [6]. Les seules exceptions notables à cette règle — qui seront explicitées — concernent la configuration et la conformation, dont les définitions données par l’IUPAC nous semblent refléter un compromis vide de sens. Une dernière précision concerne l’utilisation des termes stéréomère et diastéréomère à la place de stéréoisomère et diastéréoisomère. Il ne semble pas y avoir de consensus sur l’utilisation préférentielle de l’un ou de l’autre, ces derniers seront donc utilisés dans cet ouvrage. Le terme stéréogène sera aussi préféré au terme stéréogénique. On parlera de centre stéréogène.
Bibliographie [1] Pour en savoir plus sur Louis Pasteur (1822-1895) et la naissance de la stéréochimie, voir : (a) J. Jacques, La molécule et son double, Hachette, Paris, 1992 ; (b) L. Pasteur, J.H. van’t Hoff, A. Werner, Sur la dissymétrie moléculaire, Éd. Christian Bourgois, Paris, 1986 ; (c) Pasteur, Cahiers d’un savant, CNRS Éditions, Paris, 1995. [2] K. Auwers et V. Meyer, Ber., 1888, 21, 784 ; V. Meyer, Ber., 1890, 23, 567. Victor Meyer (1848-1897) fut l’un des plus brillants chimistes allemands de sa génération, à l’égal d’Adolf Baeyer et d’Emil Fischer. Voir une courte biographie dans : A. Rocke, Chemistry in Britain, août 1997, p. 27.
1. Introduction
5
[3] A. Corvisy, La Stéréochimie, Revue Scientifique, 1904, Tome I, no 22, p. 684. A. Corvisy était professeur agrégé au lycée de Limoges. [4] Le premier symposium de « Stéréochimie supramoléculaire » a été organisé en Islande en 1995. Voir : Supramolecular Stereochemistry, NATO ASI Series, Éd. J.S. Siegel, Kluwer, 1995. [5] Voir notamment l’ouvrage de E.L. Eliel et S.H. Wilen, Stereochemistry of Organic Compounds, J. Wiley & Sons, New York, 1994, page 1191. [6] G.P. Moss, Pure and Applied Chemistry, 1996, 68, 2193 [recommandations disponibles sur Internet : http://www.chem.qmw.ac.uk/iupac/stereo/].
Chapitre 2 Les origines omme la théorie atomique, à la genèse de laquelle elle fut étroitement associée, la stéréochimie est l’un des fruits de la science du xix siècle. C L’optique, la cristallographie, la chimie, y ont chacune apporté leur pierre, e
dans un contexte où la culture de la vigne, la production du vin et la valorisation de ses sous-produits ont joué un rôle inattendu.
2.1
La lumière polarisée et ses étranges propriétés
La préhistoire de la discipline commence sans doute en 1669, lorsque Bartholin1 découvre le phénomène de double réfraction du spath d’Islande (calcite). Si cet étrange dédoublement des images transmises par le cristal (figure 2.1) permit à Huygens2 d’étayer sa théorie ondulatoire de la lumière, c’est cependant Malus3 , plus d’un siècle plus tard (1808), qui complètera la découverte par une observation qui se révèlera capitale : la lumière réfléchie par une surface vitreuse possède une polarisation, dont la direction peut être déterminée grâce à la double réfraction d’un cristal de calcite. On dit que c’est en observant au travers d’un cristal de spath d’Islande l’image dédoublée du soleil réfléchi par les vitres du palais du Luxembourg que Malus est parvenu à cette conclusion. Les deux images lui sont apparues d’intensités inégales, et pour certaines orientations particulières données au cristal, seule l’image ordinaire, ou l’image 1 Il s’agit du physicien danois Erasmus Bartholin (1625-1698), à ne pas confondre avec son frère Thomas Bartholin (1616-1680), médecin, professeur d’anatomie à Copenhague. 2 Christian Huygens (1629-1695), physicien, mathématicien et astronome hollandais, séjourna à Paris de 1665 à 1680, où il fit ses principaux travaux. Son Traité de la lumière où il adopte la théorie ondulatoire fut publié en 1678. 3 Étienne-Louis Malus (1775-1812) a participé à la campagne d’Égypte en compagnie de François Arago. Il fut admis à l’Académie des sciences en 1810, deux ans avant de disparaître prématurément.
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Molécules chirales
Stéréo Stéréo
Fig. 2.1 – Double réfraction du spath d’Islande.
extraordinaire, restait visible. Si l’histoire est vraie, alors il faut souligner l’habileté de l’expérimentateur aussi bien que la chance qui a permis de satisfaire la condition de l’angle de Brewster, seule incidence pour laquelle le rayon réfléchi est totalement polarisé !
La lumière polarisée découverte par Malus a rapidement été un objet d’étude pour les physiciens. En 1811, Arago4 observe que des lames de quartz convenablement taillées, disposées sur le parcours d’un rayon de lumière polarisé par réflexion, provoquent une rotation du plan de polarisation par rapport à son orientation initiale. Les cristaux de quartz possèdent un pouvoir rotatoire. Rapidement (1812), le physicien Biot5 complète l’observation d’Arago en montrant que certains quartz dévient vers la droite (sont dextrogyres)6 , d’autres vers la gauche (lévogyres). Fait important, Biot montre en 1815 que le pouvoir rotatoire n’est pas l’apanage des corps cristallisés, mais s’observe également sur des solutions de substances organiques naturelles, telles que le camphre, l’essence de térébenthine, le glucose, et l’acide tartrique. Il en est de même à l’état gazeux, comme
4 François Arago (1786-1853) fut Directeur de l’Observatoire de Paris, avant d’être élu député des Pyrénées-Orientales et nommé Ministre de la Marine et de la Guerre du gouvernement provisoire de 1848. À ce titre, il fut associé à l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. 5 Jean-Baptiste Biot (1774-1862), l’un des grands physiciens du xixe siècle, fut camarade d’école de Malus et effectua de nombreux travaux avec Arago. Inventeur du polarimètre, il s’étonna du peu d’intérêt qu’il suscita (à l’époque) chez les chimistes : « Les chimistes ne sont que des cuisiniers, ils ne savent pas tirer parti de l’admirable instrument que je leur ai mis entre les mains. » 6 C’est-à-dire dans le sens des aiguilles d’une montre lorsque l’on fait face au rayon émergeant. Pour plus de détails sur le pouvoir rotatoire voir chapitre 7.5.
2. Les origines
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il l’a montré par une expérience mémorable7 (1817) mettant en évidence le pouvoir rotatoire de la vapeur d’essence de térébenthine (figure 2.2).
Fig. 2.2 – Le polarimètre inventé par Biot, utilisé ici pour la mesure du pouvoir rotatoire de la vapeur d’essence de térébenthine. À gauche, la lumière d’une lampe réfléchie sur un miroir fournit le rayon polarisé, selon le principe découvert par Malus. À droite, la rotation d’un cristal de calcite permet de mettre en évidence la déviation subie par la polarisation de la lumière après son passage au travers de l’échantillon vaporisé dans un tube de 30 mètres de long. Reproduit avec la premission de American Scientist. Il a vite été évident pour Biot que le pouvoir rotatoire était « une action moléculaire, propre aux dernières particules, dépendant de leur constitution individuelle », alors que dans le quartz ou d’autres cristaux comme le chlorate de sodium « le phénomène résulte du mode d’agrégation des particules cristallines ».
2.2
Hémiédrie, isomorphisme et énantiomorphisme
Au moment où Malus découvre la polarisation de la lumière, c’est encore une fois de l’étude des cristaux, avec les travaux de Haüy8 , puis de Mitscherlich9 , que viendront les observations les plus fécondes. La découverte 7 L’expérience a été réalisée à l’Orangerie du Luxembourg, dont le plafond a été gravement endommagé par l’incendie qui a suivi l’explosion de l’appareil. Voir E. Picard, Éloges et Discours Académiques, Gauthiers-Villars, Paris, 1931, p. 255. L’expérience a été reprise avec succès par Gernez en 1864, deux ans après la mort de Biot. 8 L’abbé René-Just Haüy (1763-1822) a été l’élève de Louis Daubenton (1716-1800) avant de lui succéder au Muséum. Il est considéré comme le fondateur de la cristallographie moderne. 9 Eilhard Mitscherlich (1794-1863) eut comme mentor Berzelius qui le tenait en haute estime, et fit beaucoup pour imposer sa théorie de l’isomorphisme. Voir : H.-W. Schütt, Eilhard Mitscherlich, Prince of Prussian Chemistry, English translation by W.E. Russey, Éd. J.L. Sturchio, American Chemical Society and the Chemical Heritage Foundation, 1997.
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Molécules chirales
de l’hémiédrie, sur laquelle nous reviendrons plus bas, et l’idée que la morphologie d’un cristal devait refléter la forme de ses éléments constitutifs (1809), représentent les éléments essentiels de la contribution de Haüy. Paradoxalement, cette dernière idée s’est trouvée battue en brèche par la découverte de l’isomorphisme, due à Mitscherlich (1819). L’observation que des composés différents, tels que des phosphates et des arséniates, ou encore des sulfates de différents métaux, possédaient des cristaux de même forme, conduit en effet celui-ci à réfuter l’hypothèse d’Haüy, tout en avançant que les compositions élémentaires de ces mêmes substances présentaient des similarités10 . De même, le fait qu’une même substance (comme le soufre) puisse cristalliser sous plusieurs formes (polymorphisme) paraissait à Mitscherlich contradictoire avec l’idée de Haüy. Il n’en reste pas moins que l’existence d’une possible relation de forme entre d’hypothétiques particules microscopiques et leur assemblage macroscopique était ainsi suggérée, en dépit d’interprétations divergentes11. Mais revenons à l’hémiédrie. Dès la fin du xviiie siècle, essayant de classer les minéraux en fonction de la symétrie de leurs cristaux, Haüy avait noté qu’il n’existait qu’un petit nombre de formes primitives à partir desquelles, par des troncatures respectant certaines règles, on pouvait obtenir la variété des morphologies observées dans la nature. Prenons pour commencer l’exemple d’une espèce cristallisant dans le système cubique. Le cube primitif comprend huit sommets et huit arêtes identiques. Supposons que, lors de la cristallogenèse, l’un des sommets soit tronqué : la symétrie veut alors que les sept autres le soient de la même manière. On obtient de cette façon un cristal de morphologie dite holoèdre, qui conserve tous les éléments de symétrie du cube initial (figure 2.3a). Les troncatures peuvent également s’appliquer aux arêtes. Ainsi, dans le système monoclinique, les arêtes des bases a et c sont différentes entre elles, et diffèrent des quatre arêtes verticales b. Si l’une des arêtes des bases (par exemple, c) est tronquée, les trois autres le seront de façon semblable dans le cristal holoèdre (figure 2.3b). Notons que sur un même cristal différents types de troncatures peuvent coexister, chacun respectant la règle de symétrie qui correspond aux éléments auxquels il s’applique. Comme l’a remarqué Haüy, il existe des cas où seul la moitié des éléments identiques sont modifiés de la même manière : on obtient alors un cristal de morphologie hémièdre, dans lequel certains des éléments de symétrie du solide primitif ont disparu. Dans un cristal cubique, la troncature des quatre sommets a b c d conduit à un tel résultat (figure 2.4), en supprimant les axes 10 E. Mitscherlich, Abhandlung der Königlich Preussischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1819, 427. 11 Cette incohérence entre les vues de Haüy et celles de Mitscherlich résulte en réalité d’une profonde divergence : selon Haüy, la relation entre la forme d’un cristal et ses composants s’établit au niveau de « molécules intégrantes », ensembles d’atomes préarrangés d’une certaine façon ; pour Mitscherlich, positiviste avant la lettre, seule la composition élémentaire (le nombre et la nature des atomes) était à prendre en considération, tout a priori de structure associée à la composition étant absente. Incidemment, on trouve ici les prémices d’une distinction entre cristaux moléculaires et cristaux atomiques (ou ioniques).
2. Les origines
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Fig. 2.3 – Exemples d’holoédrie : (a) système cubique ; (b) système monoclinique (β = 90◦ ).
de symétrie quaternaires, tout en conservant les plans de symétrie passant par les arêtes opposées. Notons qu’en augmentant la taille des troncatures on peut aller jusqu’à la disparition complète des faces du cube primitif pour conduire au tétraèdre régulier abcd. Si, partant du même cube, on permute les sommets tronqués et non tronqués, on obtient un nouveau cristal identique au précédent, dont la forme limite serait le tétraèdre a b c d , identique à abcd. C’est l’hémiédrie superposable.
Fig. 2.4 – Hémiédrie superposable pour un cube. Dans un prisme monoclinique, au contraire, l’hémiédrie résultant de la troncature de la moitié des arêtes a et c des bases, effectuée comme indiqué figure 2.5, aboutit à la disparition du centre de symétrie du solide primitif, dont seul l’axe de symétrie C2 est conservé. Il existe donc deux solides hémièdres différents, image l’un de l’autre dans un miroir : c’est l’hémiédrie non superposable. Ce type d’hémiédrie, comme l’a remarqué Haüy, existe dans le quartz (figure 2.6). Bien que la plupart des cristaux de ce minéral soient holoèdres, et forment un prisme hexagonal coiffé à chaque extrémité d’une pyramide hexagonale, il arrive que certains portent des facettes additionnelles qui entraînent l’hémiédrie non superposable, en supprimant tous les plans de symétrie. En observant la disposition de certaines de ces facettes, il est possible de distinguer
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Molécules chirales
Fig. 2.5 – Exemple d’hémiédrie non superposable dans le système monoclinique.
les deux types de cristaux, désignés par Haüy plagièdre droit et plagièdre gauche. Il s’agit bien, avant la lettre, de la découverte de l’énantiomorphisme.
Fig. 2.6 – Paire de quartz plagièdres.
Il fallut cependant attendre 1820 pour que cette découverte prenne une signification nouvelle. Herschel12 , en rapprochant les observations d’Arago et de Biot, avec l’hémiédrie du quartz signalée par Haüy, montra que le sens du pouvoir rotatoire pouvait être corrélé à la disposition des facettes hémièdres qui permettent la distinction des deux formes de cristaux. La relation entre l’énantiomorphie, caractère géométrique macroscopique, et le phénomène du pouvoir rotatoire, était ainsi pour la première fois établie (figure 2.7).
2.3
Le mystère de l’acide racémique
C’est alors que la chimie intervient, dans des circonstances qui n’ont, au départ, rien à voir avec la science. En 1820, un fabricant de produits chimiques 12 Il s’agit de Sir John Frederick William Herschel (1792-1871), dont le père Sir William Herschel (1738-1822) avait découvert la planète Uranus, et la tante Caroline Lucrecia Herschel (1750-1848) avait elle-même découvert huit comètes et trois nébuleuses. Voir à ce sujet : V. Schurig, Enantiomer, 1997, 2, 135.
2. Les origines
lévogyre
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dextrogyre
Fig. 2.7 – Relation entre l’hémiédrie des cristaux de quartz énantiomorphes et leur action sur la lumière polarisée, pour des lames taillées perpendiculairement à l’axe principal C3 (axe vertical sur la figure).
de la ville de Thann (en Alsace) fait état de l’apparition, au cours du raffinage du tartrate acide de potassium issu de la vinification, d’un nouvel acide gênant la commercialisation13 du produit. Cet acide paratartrique, baptisé en 1828 acide racémique par Gay-Lussac14, présentait quelques singularités inexplicables dans le cadre des doctrines existantes. Selon Berzelius15 , l’acide racémique avait la même composition élémentaire en carbone, hydrogène et oxygène que l’acide tartrique, mais les cristaux des deux composés étaient différents (figure 2.8). Il en était de même pour leurs sels respectifs, d’après les études de M. de la Provostaye, autre minéralogiste de l’époque. Mais c’est encore une fois le polarimètre de Biot qui, en 1838, apporte l’indice essentiel : alors qu’en solution l’acide tartrique et ses sels dévient la lumière polarisée, l’acide racémique ne possède aucun pouvoir rotatoire. À l’époque, l’existence de composés ayant la même constitution élémentaire et des propriétés différentes n’était pas sans précédent. Berzelius avait déjà inventé le terme isomérie pour rendre compte de cas de ce type (comme les acides cyanique et fulminique). Il devait donc s’agir d’un nouveau type d’isomérie, associé à la propriété de dévier, ou non, le plan de polarisation de la lumière, et dont la nature exacte restait à définir. Pourtant, en 1844, l’énigme 13 L’acide tartrique et certains de ses sels avaient à l’époque de nombreuses applications. L’acide lui même pouvait être utilisé à la place de l’acide citrique pour faire de la limonade ; le tartrate acide de potassium (Crême de tartre), le tartrate de potassium (Sel végétal), et le tartrate de sodium et de potassium (Sel de Seignette) étaient utilisés en médecine comme purgatifs légers ; l’usage du tartrate de potassium et d’antimoine, ou Émétique, décrit par Thénard comme « l’un des médicaments les plus héroïques », date de la première moitié du xviie siècle. Voir L.J. Thénard, Traité de Chimie Élémentaire, Théorique et Pratique, Tome 3, pp. 126 et suiv. (1815). 14 Le terme racémique vient du latin racemus, signifiant grappe de raisin. Entre-temps, le produit avait été nommé acide thanique pour rappeler son origine. Louis Joseph Gay-Lussac (1778-1850) établit en 1802 la loi de dilatation des gaz, et en 1808 la loi volumétrique des combinaisons chimiques entre corps gazeux. Il montra en 1809 que le chlore était un corps simple, avant de découvrir en 1815 l’acide cyanhydrique. 15 J.J. Berzelius, Ann. Chim. Phys., 1831, 46, 113. Le baron suédois Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) a été l’un des savants européens les plus influents de la première moitié du xixe siècle. Stockholm représentait alors la Mecque pour beaucoup de jeunes chimistes, parmi lesquels Mitscherlich. Berzelius a, entre autres, instauré la distinction entre chimie minérale et chimie organique, et introduit l’usage de lettres comme symboles des éléments.
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Molécules chirales
Fig. 2.8 – Cristaux des acides tartrique et racémique. des tartrates et des racémates connut, entre les mains de Mitscherlich, un rebondissement qui rendait l’affaire encore plus mystérieuse. Contrairement aux autres sels des deux acides dont les différences avaient été soulignées, il apparut à Mitscherlich que le tartrate de sodium et d’ammonium et le racémate correspondant étaient, non seulement isomorphes, mais identiques en ce qui concernait la forme et les dimensions de leurs cristaux. Seul, le pouvoir rotatoire permettait de les différencier, le tartrate étant actif sur la lumière polarisée, le racémate inactif. Pour ce savant, « la nature, le nombre, l’arrangement et la distance des atomes sont les mêmes » dans les deux composés [1]. Comment deux composés peuvent-ils être à la fois identiques et différents ? C’est à Pasteur (alors âgé de 25 ans) que reviendra en 1848 le mérite d’éclaircir l’énigme [2]. Jeune normalien formé à la cristallographie aussi bien qu’à la chimie par Laurent16 , il remarque un fait qui avait échappé à Mitscherlich : l’acide tartrique aussi bien que ses sels cristallisés, présentent, comme le quartz, des facettes hémiédriques, dont Herschel avait reconnu la relation avec le pouvoir rotatoire. Au contraire, l’acide racémique et les racémates ne présentent pas de tels caractères. Sauf dans un cas : le racémate de sodium et d’ammonium que Mitscherlich avait trouvé identique au tartrate correspondant. Mais celui-ci se trompait. Pasteur, en observant de près ce fameux sel, découvre qu’il est en réalité constitué de deux sortes de cristaux, dont les facettes hémièdres sont disposées de façons inverses (figure 2.9). Les uns sont identiques au tartrate naturel, et une fois mis en solution apparaissent dextrogyres. Les autres, une fois dissous, sont lévogyres, et le mélange en quantités égales des deux sortes de cristaux est, par compensation, inactif. S’appuyant sur les idées de Haüy et sur la remarque de Herschel citée plus haut, et constatant que les cristaux de tartrate dextrogyre et lévogyre étaient énantiomorphes, Pasteur en induit que les molécules qui les constituent devaient elles mêmes être images non superposables. Qualifiant ces molécules de dissymétriques, il associe à cette propriété celle de dévier, dans un sens 16 Auguste Laurent (1807-1853), malgré sa marginalité, doit être considéré comme l’un des pionniers de la chimie moderne, avec son ami Charles-Frédéric Gerhardt (1816-1856). Voir une analyse élogieuse et détaillée de l’œuvre de Laurent et Gerhardt par A. Wurtz : Histoire des Doctrines Chimiques, dans Dictionnaire de Chimie Pure et Appliquée (Discours préliminaire), Hachette, Paris, 1868. Voir également J. Jacques, Revue d’Histoire des Sciences, 1953, VI, 329.
2. Les origines
15
Fig. 2.9 – Cristaux hémièdres de tartrate double de sodium et d’ammonium selon Pasteur.
ou dans l’autre, le plan de polarisation de la lumière. Démarche qui indique que, dès 1848, Pasteur est convaincu de l’existence de principes structuraux qui gouvernent la construction des molécules des corps composés à partir de leurs atomes17 . Et a contrario, c’est très vraisemblablement parce qu’il ne voyait pas la nécessité d’une telle théorie, que Mitscherlich est passé à côté de la découverte : intéressé uniquement par la relation entre la composition élémentaire et la forme cristalline, l’énantiomorphisme des tartrates (à supposer qu’il l’ait même remarqué) ne pouvait, à ses yeux, qu’être un épiphénomène. Restait encore à donner à l’intuition de Pasteur les précisions structurales qui lui faisaient défaut. D’autres y parviendront, un quart de siècle plus tard, en utilisant cette information pour parfaire la théorie de la structure moléculaire. Mais Pasteur ne s’est pas arrêté à ce coup d’éclat. Démontrant que le fameux acide racémique était un artefact, résultant de l’action de la chaleur sur l’acide tartrique naturel lors des recristallisations destinées à le purifier18 , il se livre, en 1860, à une généralisation dont le caractère dogmatique et approximatif ne doit pas faire oublier le contenu prophétique [3] : « Tous les produits artificiels des laboratoires et toutes les espèces minérales sont à images superposables (...) Je regarde comme nécessaire (...) l’existence de forces dissymétriques au moment de l’élaboration des produits organiques naturels, forces qui seraient absentes ou sans effets dans les réactions de nos laboratoires (...) Ces actions dissymétriques, placées peut-être sous des influences cosmiques, résident-elles dans la lumière, dans l’électricité, dans le magnétisme, dans la chaleur ? Seraient-elles en relation avec les courants électriques par lesquels les physiciens expliquent les pôles magnétiques terrestres ? »
Au moment où il va quitter la chimie pour d’autres horizons, Pasteur invente l’univers dissymétrique, ouvrant ainsi un débat qui a imprégné les 17 Pasteur ne manque pas à cette occasion de rappeler la définition de l’espèce chimique par Chevreul (1823) : « Dans les corps composés, l’espèce est une collection d’êtres identiques par la nature, la proportion et l’arrangement des éléments ». 18 La concentration des liqueurs se faisait à feu nu dans des bassines de plomb, et il pouvait arriver que la température des couches inférieures dépasse 120 ◦ C, provoquant ainsi la racémisation d’une partie de l’acide tartrique. À la suite des travaux de Pasteur, les concentrations ont été effectuées sous vide, supprimant ainsi la formation de l’acide racémique. Voir la référence 2a.
16
Molécules chirales
esprits de son temps19 , et qui — sous une forme il est vrai très différente — a trouvé un regain d’intérêt avec les découvertes de la physique moderne (voir chapitre 8).
2.4
La chance de Pasteur
Convaincu à l’avance de la pertinence de l’association entre hémiédrie et pouvoir rotatoire, il est certain que Pasteur savait déjà exactement ce qu’il devait trouver en examinant les cristaux de Mitscherlich. De fait, il reconnaît lui-même à quel point il est difficile de mettre en évidence les fameuses facettes, à peine visibles, ou même absentes, dans la plupart des cristaux. Mais au-delà de la part manifeste de préconception de la découverte, le caractère exceptionnel des circonstances qui l’ont rendue possible mérite d’être souligné. Celle-ci repose en premier lieu sur le dédoublement spontané du racémate de sodium et d’ammonium, phénomène qui, nous le savons aujourd’hui [4], ne se produit que dans 5 à 10 % des racémiques, terme qui a été rapidement utilisé pour désigner les mélanges en quantités égales de molécules droites et gauches. Dans cette éventualité, la cristallisation produit un mélange de cristaux droits et gauches appelé conglomérat . Le plus souvent, la cristallisation aboutit à un racémique vrai, contenant les deux formes droite et gauche en quantités égales au sein du même cristal. La seconde circonstance déterminante n’a tenu, pour ainsi dire, qu’à la météorologie : le racémate de sodium et d’ammonium n’existe en effet sous forme de conglomérat qu’au-dessous de 28 ◦ C, température assez rarement atteinte dans les laboratoires de la Montagne Sainte-Geneviève. Au-dessus de cette température, il cristallise sous la forme d’un banal racémique vrai, tout comme les autres racémates de la famille.
2.5
Le carbone asymétrique
Faute d’une véritable explication, la découverte du jeune Pasteur ne semble pas avoir, à l’époque, dépassé le succès d’estime, du moins chez les chimistes20 . Curieusement, il n’a par la suite jamais vraiment cherché à en savoir plus. Plus encore, il est resté étrangement absent des débats qui ont vu les chimistes, à partir de la fin des année 1850, s’affronter sur les questions fondamentales 19 Contentons nous de citer ici les travaux de Frédéric Swarts tentant vainement de dédoubler le bromochlorofluorométhane par exposition à la lumière solaire, dans la droite ligne des idées de Pasteur. F. Swarts, Bull. Acad. R. Belg., Mémoires couronnés, 1896, 54, 1. Notons aussi qu’Emil Fischer, au cours de ses travaux sur la structure des sucres, n’aura aucun mal à réfuter l’idéologie pastorienne liant la dissymétrie moléculaire à la vie. 20 On connaît cependant l’appréciation élogieuse de Biot sur cette découverte, rapportée par Pasteur lui-même : « Mon cher enfant, j’ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur ».
2. Les origines
17
de la constitution de la matière. À partir de 1857, Kekulé21 , Boutlerov22 , et Couper23 établissent la tétravalence du carbone et, en 1860, au congrès de Karlsruhe, la théorie atomique s’impose face aux équivalentistes, même si ces derniers (parmi lesquels Marcelin Berthelot24 ) livreront encore pendant des années un combat d’arrière-garde. Dès 1860, presque tous les éléments permettant non seulement d’affirmer l’existence des molécules, mais aussi d’établir la structure des enchaînements d’atomes qui les constituent, sont désormais en place. Manquait encore la clé de voûte de la théorie structurale. Elle sera apportée en 1874 par Le Bel (alors âgé de 27 ans) et van’t Hoff (22 ans)25 qui, de façon indépendante, et en dépit des railleries de certains anti-atomistes éminents26 , inventent le carbone asymétrique (figure 2.10). S’il est légitime d’attribuer à ces deux jeunes savants le mérite de la découverte, il serait injuste d’oublier ceux de leurs devanciers qui furent sur le point d’y aboutir. Outre Pasteur déjà cité, il convient de rappeler que Kekulé, dans le laboratoire duquel avait séjourné van’t Hoff en 1873, avait dès 1867 reconnu la nécessité de formules dans l’espace, et un exemple de structure tétraédrique avait été dessiné par Paterno en 1869, avec la caution de 21 August Kekulé von Stradonitz (1829-1896) doit sans doute être considéré comme le personnage clé dans l’établissement de la doctrine structurale, et dans le succès qu’elle a rencontré en Allemagne grâce à son influence. C’est lui qui introduit l’utilisation des formules développées en chimie organique et fit l’hypothèse des liaisons multiples. Il proposa en 1865 la formule hexagonale du benzène. 22 Alexandre Boutlerov (1829-1896) est l’inventeur de l’expression « structure moléculaire ». 23 Scott Couper (1831-1892) a développé des idées analogues à celles de Kekulé, sans en avoir connaissance. Il convient d’ajouter à cette liste des pionniers de la théorie structurale les noms d’Erlenmeyer (1825-1909), de Cannizzaro (cf. note 27), et de Wurtz (cf. note 25). 24 Chimiste influent, Marcelin Berthelot (1827-1907) fut professeur au Collège de France, membre de l’Institut, et Ministre de l’Instruction publique et des Affaires étrangères de la IIIe république ; voir à ce sujet J. Jacques, Berthelot, Autopsie d’un Mythe, Belin, Paris, 1987. Ses idées anti-atomistes ont fortement pesé sur toute une génération de chimistes français. 25 Achille Le Bel (1847-1930) et Jacobus Henricus van’t Hoff (1852-1911) se seraient croisés, en 1869, dans le laboratoire d’Adolphe Wurtz (1817-1884), à la faculté de médecine de Paris, sanctuaire de l’atomisme militant. Voir J. Jacques, Bull. Soc. Chim. Fr., 1995, 132, 5, ainsi que la réf. 2a. Par la suite, avec ses travaux sur les équilibres, van’t Hoff s’affirmera comme l’un des fondateurs de la chimie physique, et c’est à ce titre qu’il recevra le prix Nobel de Chimie en 1901. 26 La violence des propos du chimiste allemand Hermann Kolbe, dans sa critique sans appel de l’article de van’t Hoff, révèle la profondeur du clivage idéologique entre les deux camps : « J’ai récemment souligné que les déficiences dans la connaissance des principes fondamentaux de la chimie et le manque d’éducation de beaucoup de professeurs étaient responsables de l’actuel déclin des recherches chimiques (...). Ceux qui trouveraient mes craintes exagérées devraient lire, s’ils peuvent le supporter, la récente monographie d’un certain Mr. van’t Hoff, intitulée L’arrangement des atomes dans l’espace (...). Ce jeune cancre, employé de l’école vétérinaire d’Utrecht, n’a évidemment aucun goût pour la rigueur des recherches chimiques. Il préfère monter son cheval ailé (Pégase), emprunté aux écuries de son école, et proclamer qu’après son ascension du Mont Parnasse il voit les atomes arrangés dans l’espace (...). Il est caractéristique de cette époque (...) qu’un obscur chimiste d’une école vétérinaire aie le toupet de se prononcer sur les problèmes les plus fondamentaux de la chimie (...) ». H. Kolbe, J. Prakt. Chem., 1877, 15, 473.
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Molécules chirales
Fig. 2.10 – Le carbone asymétrique. La structure C(abcd) conduit à deux molécules images non superposables si les quatre groupes différents a, b, c, d sont disposés aux sommets d’un tétraèdre.
Canizzaro27 (figure 2.11) [5]. De même, en 1873 Wislicenus28 avait supposé que les deux acides lactiques pouvaient avoir des formules structurales identiques, mais des arrangements dans l’espace différents.
Fig. 2.11 – Les premières structures faisant apparaître un carbone tétraédrique, dues à Paterno (1869).
La contribution fondamentale de Le Bel et van’t Hoff restera cependant d’avoir défini précisément comment la dissymétrie moléculaire apparaît, expliquant ainsi l’isomérie des acides tartriques et racémiques, tout en apportant à la théorie atomique une confirmation éclatante. Les chimistes ont désormais leur doctrine structurale, et la stéréochimie, prenant en compte le caractère tridimensionnel des molécules, est du même coup fondée.
2.6
1874–1914 : la genèse de la stéréochimie moderne
À partir de 1874, les tenants de la théorie structurale ont entre leurs mains un outil qui leur permet de s’attaquer aux problèmes les plus complexes : la structure des substances d’origine naturelle. Il n’est pas étonnant dès lors 27 Stanislao Canizzaro (1826-1910) a établi dès 1858 un système de poids atomiques entièrement cohérent avec la théorie atomique, ruinant ainsi les thèses équivalentistes. 28 Johannes Wislicenus (1835-1902), fut professeur à Wurtzburg (1872) puis à Leipzig (1885). Au contraire de Kolbe, il soutint fermement la théorie de Le Bel et van’t Hoff, tout en revendiquant au passage la paternité de « l’idée que la différence entre molécules isomères possédant une même formule structurale peut s’expliquer par la différence de la position de leurs atomes dans l’espace ». Comme l’affirme J. Jacques (cf. réf. 2a, p. 125), il fait incontestablement partie du petit groupe des « chefs historiques de la révolution stéréochimique ». J. Wislicenus, Ann. Chem. Pharm., 1873, 167, 302.
2. Les origines
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que la stéréochimie ait été impliquée dans nombre de ces études. Les savants allemands Baeyer, Meyer, Fischer, et Wallach représentent alors les figures les plus prestigieuses d’un domaine où la chimie française se montre d’une grande discrétion. Faut-il y voir l’influence de Marcelin Berthelot et des antiatomistes ? À la même époque, Werner étend aux composés de coordination les concepts de la chimie dans l’espace de van’t Hoff, ouvrant ainsi le domaine de la stéréochimie inorganique. Adolf von Baeyer (1835-1917) fut d’abord l’élève de Bunsen, puis de Kekulé, auprès duquel il a vécu la naissance des formules développées, et est devenu très vite convaincu de l’intérêt de la chimie structurale, l’enseignant et l’appliquant systématiquement à ses propres recherches. À côté de ses travaux sur les colorants naturels (indigo) et synthétiques (phtaléine du phénol, fluorescéine), il prit une part importante dans l’établissement de la structure du noyau benzénique. Sa théorie des tensions de cycles (1885) représente sa contribution à la doctrine stéréochimique. Lauréat du prix Nobel de chimie en 1905, il dirigera son laboratoire de Munich jusqu’en 1915, à l’âge de 80 ans29 . Victor Meyer (1848-1897) fut un chimiste très précoce. Il obtint son doctorat à l’âge de 17 ans, à l’université d’Heidelberg, où il devint assistant de Robert Bunsen. Après un séjour post-doctoral chez Baeyer à Berlin, suivi d’un bref passage au Polytechnikum de Stuttgart comme enseignant de chimie organique, il fut nommé professeur à la déjà renommée École Polytechnique de Zürich (ETH) en 1871, à l’âge de 24 ans. Il y resta 13 ans, consacrant ses recherches à de nombreux domaines de la chimie organique que la théorie structurale permettait de défricher avec succès : substitution aromatique, chimie des oximes, etc. En 1884 il fut appelé à Göttingen pour occuper la prestigieuse chaire de Wölher. Il n’y resta que quatre ans, pour finalement rejoindre le laboratoire de ses débuts à Heidelberg, où il succéda à Bunsen. Sa fin tragique en 1897 affecta la communauté des chimistes [6]. La contribution de Victor Meyer à la stéréochimie — terme [7] qu’il a lui-même forgé dès 1888 — sera en particulier de montrer la possibilité d’une isomérie due à l’empêchement de rotation autour d’une liaison simple. Afin d’expliquer l’existence de deux formes isomères de la dioxime du benzile (isolées par cristallisation), Meyer postula en effet les structures représentées figure 2.12, premiers exemples explicites d’isomères conformationnels. Bien que dans ce cas les deux formes soient en équilibre rapide en solution, en raison d’une barrière de rotation assez faible, l’idée était juste ; il faudra cependant patienter plusieurs décennies pour que soient découverts des cas où la barrière est suffisamment élevée pour que les isomères conformationnels soient stables même en solution (atropisomérie — voir chapitre 4.5.4). 29 Le successeur de Baeyer à Munich sera Richard Martin Willstätter (1872-1942), lui même prix Nobel en 1915 pour ses travaux sur les pigments végétaux, notamment la chlorophylle. Docteur de l’Université de Munich en 1894, Willstätter fut professeur de l’École polytechnique de Zürich (1905-1911) avant de rejoindre Berlin en 1912, puis Munich. Il a déterminé la structure et effectué la synthèse d’alcaloïdes tels que l’atropine et la cocaïne.
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Molécules chirales
Fig. 2.12 – Isomères de la dioxime du benzile selon V. Meyer.
Emil Fischer (1852-1919) a commencé sa formation scientifique auprès de Kekulé, à Bonn, mais c’est surtout Baeyer qui sera son maître, à Strasbourg de 1872 à 1875, puis à Munich de 1875 à 1881. Devenu professeur à son tour, il enseigne d’abord à Erlangen, puis Würzburg, et surtout Berlin à partir de 1892. Il recevra le prix Nobel de chimie en 1902, trois ans avant Baeyer. Fischer s’est attaqué à trois problèmes majeurs de la chimie des molécules liées à la vie : la structure des purines, des sucres, et enfin des protéines. Au cours de ses remarquables travaux sur la structure et la stéréoisomérie des sucres (1884-1894), il démontre, dans un cas compliqué, la validité de la théorie du carbone asymétrique. Dans le même temps, contrairement aux idées de Pasteur sur l’existence de forces vitales dissymétriques, il démontre que les réactions chimiques effectuées sur des stéréoisomères peuvent créer de nouveaux centres asymétriques en proportions inégales, réalisant ainsi les premières synthèses diastéréosélectives. C’est aussi à Fischer que l’on doit le premier système cohérent de spécification de la configuration relative de centres asymétriques (chapitre 5.2.5). C’est également lui qui a montré que les protéines étaient constituées d’acides aminés (1899-1908), et qui a établi les principes de la synthèse peptidique. Il est également l’inventeur du principe de « la clé et de la serrure », expliquant le fonctionnement stéréosélectif des protéines enzymatiques, et qui deviendra plus tard le concept emblématique de la chimie supramoléculaire. Otto Wallach (1847-1931) côtoya Kekulé à Bonn de 1872 à sa mort en 1896, puis fut nommé à Göttingen à la succession de V. Meyer (1897), dans la chaire de Wöhler qu’il occupa jusqu’en 1915. Après divers travaux dans le cadre général des recherches de l’époque (chimie du chloral, azoïque et diazoïques, dérivés sulfurés organiques) Wallach ouvre une voie originale qui fera sa renommée : la chimie des terpènes et des dérivés cyclaniques. Autour des années 1880, les terpènes (nommés ainsi à cause de la présence de certains d’entre eux dans l’essence de térébenthine) étaient des substances assez énigmatiques. En particulier, on avait décrit un grand nombre de terpènes différents, désignés d’après leur origine végétale. Dès 1884, Wallach fut en mesure de révéler que nombre d’entre eux n’étaient en réalité qu’une seule et même substance. Il montra ainsi l’identité du pinène avec l’australène et le térébenthène, celle du limonène avec le carvène et le citrène, et identifia le dipentène au limonène racémique. En 1891, il parvint ainsi à une liste ne comprenant plus que neuf
2. Les origines
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terpènes complètement identifiés et caractérisés. Il s’intéressa également aux phénomènes d’isomérisation (transposition) qui sont fréquents dans ces composés. Il étudia également de façon systématique les composés oxygénés des huiles essentielles, tels que carvone, pulégone, menthone, etc. Au cours de ces études portant sur des substances naturelles optiquement actives, il fut sans doute le premier (après Pasteur) à comparer les propriétés physiques de corps cristallisés énantiomères et racémiques. La « règle de Wallach » (1895) stipule ainsi que « la formation d’un racémique à partir des énantiomères cristallisés s’effectue avec contraction ». Malgré sa fausseté, cette règle est restée un paradigme auprès des chimistes jusqu’à une époque récente. Wallach reçut le prix Nobel de chimie en 1910. Alfred Werner (1866-1919), né à Mulhouse, alla effectuer ses études à Zürich, où il prépara sous la direction de Hantszch (1857-1935) une thèse relative à la stéréochimie des composés organiques azotés. Nommé professeur à l’ETH de Zürich à l’âge de 27 ans, il demeura en Suisse jusqu’à sa mort. En généralisant dès 1893 les concepts stéréochimiques de Le Bel et van’t Hoff au cas des complexes de métaux hexacoordinés, Werner fut en mesure d’établir leur structure octaédrique [8], et de prévoir [9] (en 1899) que certains d’entre eux devaient exister sous des formes droites et gauches, douées de pouvoirs rotatoires opposés. Cette prédiction fut vérifiée quelques années plus tard (1911) [10] par la séparation des deux formes du complexe [Co(en)2 (NO)2 ]Br, puis par le dédoublement en ses formes droite et gauche du premier complexe complètement inorganique (1914) [11]. Il reçut le prix Nobel en 1913. Il paraît légitime de compléter cette liste par quelques noms qui, s’ils sont un peu moins connus que les précédents, ont néanmoins contribué de façon marquante à l’avancement de la stéréochimie. Citons d’abord Marckwald30 et McKenzie31 , que l’on doit considérer comme les véritables inventeurs de la synthèse asymétrique (ou synthèse énantiosélective, pour les différencier des synthèses diastéréosélectives de Fischer). Il faudrait encore citer les contributions aux méthodes de séparation d’énantiomères par cristallisation de Marckwald et Pope, qui restent encore d’actualité, ainsi que les travaux de Roozeboom, qui a établi dès 1900 les diagrammes de phases fondamentaux des mélanges d’énantiomères, qui sont aujourd’hui à la base des procédés de séparation modernes.
30 Sur la biographie de Wilhelm Marckwald disons simplement qu’il est né en Silésie en 1864, qu’il fut nommé professeur à l’Université de Berlin en 1899, et fut président de la société chimique allemande de 1928 à 1931. À l’arrivée de Hitler au pouvoir il fut contraint de s’exiler au Brésil où il est mort en 1950. 31 Alexander McKenzie est né en Écosse en 1864, où il est mort en 1951. À la fin de ses études, il se rendit à Berlin pour travailler avec Marckwald. Il poursuivra sa carrière en Angleterre de 1902 à 1914 pour être finalement nommé professeur dans sa ville natale de Dundee de 1914 à 1938 (voir H. Wren, J. Chem. Soc., 1952, 270).
22
2.7
Molécules chirales
Du côté des physiciens
C’est le physicien Lord Kelvin32 qui, en 1884, donnera un nom à la dissymétrie pastorienne : « J’appelle chiral toute figure géométrique ou tout ensemble de points qui n’est pas superposable à son image dans un miroir. Je parle alors de chiralité. »
Ce terme, forgé à partir du grec χειρ (main), s’applique à toutes les échelles, et permet de ranger les objets de notre univers en deux ensembles, celui des objets chiraux, et celui des objets achiraux. Il n’a à l’époque rencontré aucun écho. C’est seulement en 1965, sous l’impulsion de Mislow, que la chiralité fera sa véritable entrée dans le langage de la stéréochimie33 . Cette propriété n’est en fait correctement décrite ni par le terme de dissymétrie de Pasteur, ni par celui d’asymétrie de Le Bel et van’t Hoff, où le préfixe privatif a suggère l’absence d’élément de symétrie. L’acide tartrique lui-même en fournit un bon exemple, puisque sa molécule présente un axe de symétrie d’ordre 2. La dernière décennie du xixe siècle verra une avancée théorique considérable avec le mémoire de Pierre Curie (1894) sur la symétrie des phénomènes physiques [12]. Dans ce travail, qui reste l’un des piliers de la science contemporaine, Pierre Curie évoque au passage les conditions nécessaires à l’accomplissement de la synthèse asymétrique, rêve des chimistes aujourd’hui réalisé. Dans le domaine de la physique expérimentale, une importante découverte sera faite en 1895 par le français Aimé Cotton, qui remarqua que des sels colorés de l’acide tartrique (contenant du cuivre ou du chrome) absorbent différemment la lumière polarisée circulairement droite ou gauche dans la région de leur maximum d’absorption. L’« effet Cotton », exprimant le dichroïsme circulaire des composés doués de pouvoir rotatoire (chapitre 7), s’est par la suite révélé être un moyen précieux d’étude de ces substances [13], en permettant de déterminer leur configuration absolue. 32 Lord Kelvin (1824-1907) est connu également sous le nom de Sir William Thomson. Sa sépulture se trouve sur le bord de la rivière Kelvin, qui borde le campus de l’université de Glasgow. Le terme chiralité aurait été employé pour la première fois lors d’une conférence donnée en 1884 : Lord Kelvin, Baltimore lectures, 1884, 436 et republiée 20 ans plus tard : Baltimore Lecture on Molecular Dynamics and the Wave Theory of Light, C.J. Clay & Sons, London, 1904. Voici le texte exact de la citation : « I call any geometrical figure, or any group of point, chiral, and I say it has chirality, if its image in a plane mirror, ideally realized, cannot be brought to coincide with itself. » 33 Kurt Mislow (né en 1923) est l’un des acteurs du renouveau de la stéréochimie après la Seconde Guerre mondiale. K. Mislow, Introduction to Stereochemistry, Benjamin, New York, 1965.
2. Les origines
2.8
23
L’essor de la stéréochimie moderne
Après la première guerre mondiale, la stéréochimie se développe surtout dans les domaines de l’analyse conformationnelle, des méthodes de préparations de stéréoisomères et de la stéréophysique. C’est probablement l’essor de la synthèse asymétrique qui dès le début des années 50, va prendre le pas sur les autres domaines de la stéréochimie. Une synthèse asymétrique est une réaction qui produit un composé optiquement actif à partir de réactifs non chiraux. Cette définition présente un travers de taille puisqu’elle écarterait les réactions créant un nouvel élément de chiralité dans une substance possédant déjà un centre chiral. On est maintenant beaucoup plus précis en parlant de synthèse stéréosélective, énantiosélective (création de deux énantiomères en quantités inégales) ou diastéréosélective (création d’un centre stéréogène conduisant à la formation de diastéréoisomères en quantités inégales). La définition de la synthèse asymétrique a quelque peu évolué dans le temps. Après la synthèse de l’acide tartrique par Kékulé en 1860 puis par Perkin et Dupa la même année, qui n’est pas une synthèse asymétrique (on obtient le mélange racémique), il faut attendre les premières synthèses diastéréosélectives d’Emil Fischer qui transforme le d-mannose en acide dmannoheptonique pour voir enfin la formation de diastéréoisomères en quantités inégales. Mais c’est bien Marckwald qui en 1904 fera la première synthèse asymétrique en décarboxylant l’acide méthyl-éthyl-malonique en présence de brucine [14]. Il donnera une définition de la synthèse asymétrique qui reste d’actualité : « Les synthèses asymétriques sont celles qui à partir de corps de structure symétrique et en utilisant intermédiairement des substances optiquement actives, mais sans faire intervenir aucun processus analytique, conduisent à des produits optiquement actifs ». La littérature dans ce domaine est encore aujourd’hui extrêmement prolifique et en ce début de siècle, le Nobel 2001 a récompensé les pionniers de la catalyse asymétrique moderne W.S. Knowles, R. Noyori et K.B. Sharpless. Parallèlement aux développements de la synthèse asymétrique, il faut souligner l’importance des techniques chromatographiques qui ne se développeront qu’après 1945. Il s’agit d’un procédé de séparation et de purification extrêmement efficace qui va devenir indispensable dans les laboratoires et dont l’industrie va très vite bénéficier. En particulier la séparation des énantiomères par chromatographie sur phase chirale va contribuer à l’essor des recherches dans le domaine des substances énantio-pures. À la notable exception de la découverte de l’atropisomérie 34 de certains biphényles par les chimistes Christie et Kenners en 1922 [15], et des travaux de 34 Le terme atropisomérie sera en fait inventé par Kuhn en 1933 pour désigner le phénomène d’empêchement de rotation d’une liaison simple, pouvant aboutir à l’existence d’énantiomères conformationnels stables. Richard Kuhn (1900-1967), chimiste autrichien, a reçu le prix Nobel en 1938 pour ses travaux sur les vitamines et les caroténoïdes. R. Kuhn, Molekulare Asymmetrie, in Stereochemie, Éd. K. Freudenberg, Franz Deutike, Leipzig, 1933.
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Molécules chirales
Freudenberg sur la relation entre pouvoir rotatoire et configuration, concrétisés par la publication du premier ouvrage d’importance sur la stéréochimie (1933) [16], les avancées dans le domaine seront plutôt l’œuvre de spectroscopistes ou de physiciens. Citons les théories de l’activité optique élaborées simultanément par Max Born (Berlin) [17], Carl Wilhelm Oseen (Uppsala) [18] et Frank Gray (Wisconsin) [19] autour des années 1915. C’est vraisemblablement après la deuxième guerre mondiale, avec l’émergence extraordinaire des techniques spectroscopiques et l’implantation de spectromètres commerciaux dans les laboratoires que la stéréochimie va reprendre toute sa vitalité et s’étendre à de nombreux domaines des sciences contemporaines. Les nouvelles techniques vont se développer : la spectroscopie infra-rouge (IR, 1950), la résonance magnétique nucléaire (RMN, 1960), les méthodes chiroptiques comme la dispersion rotatoire optique et le dichroïsme circulaire, la diffraction des rayons-X qui donne la structure tridimensionnelle des molécules et a permis la détermination de la configuration absolue de l’acide tartrique par Bijvoet à l’aide de la diffraction anomale des rayons-X [20]. Ces techniques vont ouvrir une voie royale à la stéréochimie moderne et plus particulièrement à la stéréochimie des systèmes chiraux. Sir Derek Barton35 montre en 1950 que les stéroïdes, et plus généralement les molécules, peuvent adopter une conformation préférentielle [21]. En 1934, le spectroscopiste japonais Mizushima met en évidence les conformères gauche et anti du 1,2-dichloroéthane [22]. Les retombées de cette découverte auront une importance capitale. En montrant que, même en l’absence d’effet d’encombrement, la rotation autour d’une liaison simple n’était pas complètement libre, Mizushima ouvre véritablement un nouveau chapitre de la stéréochimie, celui de l’analyse conformationnelle dont Barton a fondé les bases. On peut associer à ces travaux ceux de E. Eliel [23] et N.L. Allinger36 . Pour revenir à la stéréochimie des systèmes chiraux, le courant amorcé par Kurt Mislow dès les années 1965 et l’introduction en 1966 d’une nomenclature stéréochimique par Cahn37 , Ingold38 et Prelog39 (système CIP), qui donnera le descripteur des molécules chirales et leur configuration, constituent les étapes clés du futur des sciences stéréochimiques. Il reste derrière cette science en effervescence — on sait l’importance maintenant de la production stéréosélective de substances à hautes valeurs commerciales — le problème 35 Sir Derek Harold Richard Barton (1918-1998). En 1969, il obtient, avec le chimiste norvégien Odd Hassel, le prix Nobel de Chimie pour ses travaux sur l’analyse de la conformation des molécules. 36 Norman Lou Allinger (1928) a été un pionnier de l’analyse conformationnelle puis l’inventeur de la mécanique moléculaire et des débuts de la chimie théorique. Avec Eliel, il a co-fondé la série Topics in Stereochemistry et été l’auteur de nombreux ouvrages de référence en chimie. 37 Robert S. Cahn (1899-1981). 38 Christopher Ingold (1893-1970). Voir sa biographie : K.T. Leffek, J. Chem. Ed., 1997, 74, 625. 39 Vladimir Prelog (1906-1998). Pour son travail sur la stéréochimie des molécules organiques et des réactions, Prelog a partagé le prix Nobel de chimie en 1975 avec sir John W. Cornforth.
2. Les origines
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non résolu de la chiralité du monde vivant. Cette période très riche, va permettre en effet de poser des questions toujours d’actualité sur les origines de la chiralité. Cette question fondamentale de l’origine de l’homochiralité du monde vivant, va bien au-delà des prérogatives des chimistes et des biologistes. C’est de la nature même de l’origine de notre monde et de notre univers qu’il est question. Plusieurs théories co-existent. Une origine extraterrestre a été proposée via certaines molécules organiques partiellement enrichies trouvées dans les météorites. La découverte de la non-conservation de la parité dans les interactions faibles, l’effet de la lumière polarisée circulairement ou du champ magnétique en présence de lumière peuvent aussi expliquer l’origine de la biochiralité. Toutes ces théories ont néanmoins un point commun. L’excès énantiomérique escompté reste extrêmement faible et la nécessité d’un processus d’amplification de la chiralité est impérative [24]. Un siècle et demi après la découverte de Pasteur, l’actualité du monde chiral est toujours brûlante et anime bon nombre de scientifiques aussi bien en sciences fondamentales qu’en sciences appliquées où, on le comprend, des conséquences économiques et sociales considérables en dépendent.
2.9
Le Collège de France et la stéréochimie
Nous ne pouvons terminer cet historique sans parler du Collège de France qui a été un haut lieu de la stéréochimie. Alain Horeau [25] y fit une carrière brillante au cours de laquelle il développa la chimie des hormones naturelles et artificielles puis s’intéressa de plus près à la stéréochimie : la détermination de la configuration absolue des alcools secondaires par le « dédoublement partiel », méthode appelée aujourd’hui « méthode de Horeau » (voir chapitre 7.4.2) et les processus d’amplification pour augmenter les excès énantiomériques constituent ses travaux les plus célèbres. Alain Horeau fut l’un des doctorants de Gustave Vavon (1895-1953). Ce dernier, d’abord professeur à la Faculté des sciences de Nancy, fut nommé à Paris en 1935. Il développa les premières réductions énantiosélectives par un réactif optiquement actif (le chlorure d’isobornyle) et fut également l’un des précurseurs de l’analyse conformationnelle. Alain Horeau était connu pour être un excellent enseignant grâce en particulier à ses célèbres cours dispensés au Collège de France les samedis matins et suivis par de nombreux chimistes de l’époque. Il était en étroite collaboration avec un autre éminent stéréochimiste, Jean Jacques (1917-2001), avec lequel il co-dirigea à partir de 1956 le Laboratoire de Chimie Organique des Hormones au Collège de France, suite à la retraite de Marcel Delépine. La carrière de Jean Jacques est également remarquable, notamment dans le domaine de la synthèse des hormones et de l’étude des dédoublements par cristallisation. Jean Jacques était aussi un historien des sciences et un vulgarisateur hors pair ; il a été l’auteur de nombreux ouvrages [26]. Il a été le directeur de thèse de chimistes français réputés, entre autres, d’André Collet, avec lequel il a co-écrit un livre qui
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Molécules chirales
fait référence dans le domaine des méthodes de dédoublement par cristallisation [27] et d’Henri Kagan dont la renommée notamment dans le domaine de la synthèse asymétrique n’est plus à faire. Henri Kagan fut d’abord nommé en 1962 sous-directeur du Laboratoire de Chimie Organique des Hormones du Collège de France suite à la nomination de Jean Jacques comme directeur de recherches au CNRS, puis il prit son indépendance en créant son propre laboratoire à l’Université d’Orsay. Ses travaux dans le domaine de la catalyse asymétrique, la photochimie en lumière polarisée circulairement, la synthèse asymétrique, la chimie organométallique et les lanthanides en chimie organique se caractérisent par une grande rigueur et originalité. Il est également l’auteur d’un ouvrage de stéréochimie paru en 1975 et traduit dans de nombreuses langues [28]. Les travaux d’André Collet, dont la rédaction du présent livre, ont été interrompus suite à sa disparition brutale en 1999. Une biographie résumant sa carrière lui a été consacrée [29], et ses résultats scientifiques seront cités tout au long de cet ouvrage.
Bibliographie [1] Communication d’une Note de M. Mitscherlich par M. Biot, C. R. Acad. Sci., 1844, 19, 720. [2] L. Pasteur, C. R. Acad. Sci., 1848, 26, 535. Voir également : a) L. Pasteur, J.H. van’t Hoff, A. Werner, Sur la dissymétrie moléculaire, Éd. Christian Bourgois, Paris, 1986 ; b) L. Pasteur, Cahiers d’un savant, CNRS Éditions, Paris, 1995. [3] L. Pasteur, Recherches sur la dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels, Leçons professées à la Société Chimique de Paris le 2 janvier et le 3 février 1860. [4] J. Jacques, A. Collet, S.H. Wilen, Enantiomers, Racemates and Resolutions, J. Wiley & Sons, New York, 1981. [5] E. Paterno, Giornale di Scienze Naturali ed Economische, 1869. Voir D.A. Long, J. Mol. Struct., 1985, 126, 9 ; G. Natta et M. Farina, Stereochemistry, Longman, London, 1972. [6] Voir une courte biographie par A. Rocke, Chemistry in Britain, Août 1997, 24. [7] K. Auwers, V. Meyer, Berichte, 1888, 21, 784. Le terme « Stereochemische Constitution » est utilisé pour définir celui de « Configuration » utilisé par Wunderlich et Wiscilenus. [8] A. Werner, Z. Anorg. Chem., 1893, 3, 267. [9] A. Werner, A. Vilmos, Z. Anorg. Allg. Chem., 1899, 21, 145. [10] A. Werner, Chem. Ber., 1911,44, 1887 ; V.L. King, J. Chem. Educ., 1942, 19, 345. [11] A. Werner, Chem. Ber., 1914, 47, 3087.
2. Les origines
27
[12] Pierre Curie (1859-1906), prix Nobel de Physique en 1903. P. Curie, J. Physique, 1894, 3, 393. [13] Aimé Cotton (1869-1951). A. Cotton, C. R. Acad. Sci., 1895, 120, 989. [14] Pour les débuts de la synthèse asymétrique voir J. Jacques, Bull. Soc. Chim. Fr., 1995, 132, 353. [15] G.H. Christie, J.H. Kenner, J. Chem. Soc., 1922, 121, 614. [16] K. Freudenberg, Stereochemie, Franz Deuticke, Leipzig, 1933. Antérieurement à cet ouvrage, on trouve un Précis de Stéréochimie par A. Hantzsch (Carré, Paris 1896), et La Stéréochimie, par Freundler, Carré et Naud, Paris, 1899. Citons également Lehrbuch der Stereochemie, par A. Werner, Fischer, Jena 1904. [17] M. Born, Zeitschrift für Physik, 1915, 16, 251 ; Proc. Royal Soc. A, 1935, 150, 84. [18] C.W. Oseen, Annalen der Physik, 1915, 48, 1. [19] F. Gray, Phys. Rev., 1916, 7, 472. [20] J.M. Bijvoet, A.F. Peerdeman, A.J. Van Bommel, Nature, 1951, 168, 271. [21] D.H.R. Barton, Experientia, 1950, 6, 316. [22] Mizushima (1899-1983). Voir : Y. Morino, J. Mol. Struct., 1985, 126, 1. [23] Un hommage à l’homme et au scientifique a été publié récemment par J.I. Seeman, Chirality, 2002, 14, 98. Ernest Eliel a fondé Topics in Stereochemistry en 1966 ; il a été l’auteur de nombreux articles et livres de stéréochimie : E. Eliel, Stereochemistry of Carbon Compounds, McGrawHill, New York, 1962 ; E.L. Eliel, S.H. Wilen, Stereochemistry of Organic Compounds, J. Wiley & Sons, 1994, p. 18. [24] Voir les revues concernant l’origine de la dissymétrie du monde vivant : a) S. Mason, dans Chiral Separations by HPLC – Applications to Pharmaceutical Compounds. Ed. A.M. Krstulovic, Ellis Horwood Limited, 1989, pp. 13–30 ; b) B.L. Feringa, R.A. van Delden, Angew. Chem. Int. Ed., 1999, 38, 3418–3438 ; c) W. Bonner, Topics in Stereochemistry, 1988, 18, 1 ; d) A.J. MacDermott, dans Chirality in Natural and Applied Science, Ed. W.J. Lough and I.W. Wainer, Blackwell Science Ltd, 2002, pp. 23– 52. [25] La vie et l’œuvre d’Alain Horeau (1909-1992) a été relatée par H. Kagan, La vie des Sciences, C. R. Acad. Sci. Paris, 1993, 10, 517 et Bull. Soc. Chim. Fr., 1994, 131, 492 et pages suivantes. [26] (a) J. Jacques, La molécule et son double, Hachette, Paris, 1992 ; (b) J. Jacques, Les confessions d’un chimiste ordinaire, Seuil, 1981 ; (c) J. Jacques, Un chimiste au passé simple, Odile Jacob, 2000. [27] J. Jacques, A. Collet, S.H. Wilen, Enantiomers, racemates and resolution, Wiley 1981. [28] H.B. Kagan, La Stéréochimie Organique, Presses Universitaires de France, Collection Sup. 1975. [29] B. Bigot, L’actualité Chimique, décembre 1999, 44.
Chapitre 3 Langage et concepts de base e langage de la stéréochimie a évolué de façon souvent anarchique et parfois contradictoire, au fur et à mesure de la découverte de nouvelles L structures dont la géométrie ou les propriétés dynamiques obligeaient à remettre en question les anciennes définitions ou même à inventer de nouveaux concepts. L’affaire est parfois délicate, en particulier lorsque la flexibilité moléculaire vient introduire une certaine confusion entre conformation et configuration, les deux concepts de base de la stéréochimie. Il existe cependant un consensus en ce qui concerne les principes essentiels que nous allons brièvement présenter ici.
3.1
Composition et Constitution
Un édifice moléculaire est d’abord caractérisé par sa composition, le nombre et la nature des atomes qui le constituent. Ainsi, la composition élémentaire de l’eau est symbolisée par la formule H2 O, celle du méthane par CH4 , celle de l’acide tartrique par C4 H6 O6 . Cette notation exprime que l’acide tartrique comprend quatre atomes de carbone, six d’hydrogène et six d’oxygène, mais ne nous dit pas comment ces atomes sont connectés, ni si plusieurs arrangements sont possibles. Pour l’eau comme pour le méthane il n’existe qu’un seul arrangement (donc une seule espèce chimique), mais la formule C4 H6 O6 peut représenter différents édifices (parmi lesquels l’acide tartrique)1 . Pour une même composition élémentaire, il peut exister différentes structures moléculaires, appelées isomères de constitution, qui diffèrent par la façon dont les atomes sont connectés. Le terme isomérie a été inventé par Berzelius 1 Dans certaines circonstances, il est utile de tenir compte de la présence des divers isotopes des éléments. Comme il existe 3 isotopes de l’hydrogène (1 H, 2 H [ou D] et 3 H [ou T]) et autant de l’oxygène (16 O, 17 O, 18 O), la formule H2 O peut représenter en réalité dix-huit espèces différentes, parmi lesquelles, à l’état naturel, l’eau « ordinaire » 1 H16 O1 H est très largement majoritaire.
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Molécules chirales
en 1830 pour expliquer la différence entre les acides cyanique (HO–CN) et fulminique (CN–OH), qui malgré leurs compositions identiques possèdent des propriétés différentes [1]. À titre d’illustration, la figure 3.1 montre quelques isomères de constitution correspondant à la formule élémentaire C7 H8 O qui vont nous permettre d’illustrer les principes de base de la stéréochimie. Ces différents isomères sont représentés par des formules planes selon un symbolisme qui, pour l’essentiel, était déjà en usage à la fin du xixe siècle.
Fig. 3.1 – Quelques isomères de constitution de C7 H8 O. La formule plane constitue un graphe de connectivité dont l’établissement suppose connues les règles permettant d’établir l’existence de liaisons chimiques entre deux atomes. En résumé, disons simplement qu’une liaison résulte de la mise en commun d’électrons entre les couches externes de deux atomes, en respectant leurs valences et les principes de la mécanique quantique. Ainsi, dans le méthane CH4 , il existe quatre liaisons C—H ; en revanche, il n’existe pas de liaisons entre les atomes d’hydrogène. En définitive, une liaison chimique entre deux atomes est caractérisée par une longueur et par une énergie, deux paramètres dépendants de la nature des atomes considérés, et du type de la liaison, qui peut être covalente simple, double ou triple (comme C–C, C=O, ou C≡N), ou dative ( N+ –O− ).
3.2
Conformation
La conformation décrit la disposition spatiale des atomes d’une molécule en termes de géométrie, figurée par un ensemble de coordonnées (x, y, z). Ces coordonnées peuvent varier de façon continue, exprimant ainsi la flexibilité de l’édifice moléculaire. Dans la figure 3.2, chacune des structures isomères 1 à 5 est unique, ce qui signifie qu’elle ne représente qu’une seule espèce chimique. La stéréochimie se réduit ici à l’étude des conformations que peuvent adopter ces molécules. La conformation exprime la capacité d’une molécule de se déformer, sans que la connectivité de ses atomes soit modifiée. Ces déformations s’effectuent
3. Langage et concepts de base
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Fig. 3.2 – Quelques isomères de constitution de composition C7 H8 O. La structure 1 est rigide, tandis que les autres présentent une infinité de conformations possibles résultant de la rotation autour des liaisons indiquées (2–4) ou de la rotation concertée autour des liaisons simples du cycle (5).
plus ou moins facilement selon le type de structure, que l’on pourra caractériser par sa rigidité ou sa flexibilité. L’ensemble des conformations accessibles à une molécule donnée peut être précisé par les coordonnées de ses atomes, et leurs variations. Le caractère essentiel du concept de conformation, qui le distingue de celui de configuration que nous verrons plus loin, est sa nature continue. La structure bicyclique 1 peut ainsi être considérée comme rigide (en ignorant ses vibrations) ; elle ne possède donc qu’une seule conformation. Toutes les autres molécules de cette figure présentent à des degrés divers une flexibilité conformationnelle. Pour 2, 3 et 4, le squelette carboné est rigide, mais la rotation (ou torsion) autour des liaisons C–OH, Ar–OCH3 et O–CH3 , Ar– CH3 et Ar–OH, respectivement, est pratiquement libre (Ar représente le cycle aromatique). Dans le cas de 5, il existe autant de possibilités de torsion que de liaisons simples, ce qui confère au cycle lui-même une certaine flexibilité. Pour ces molécules non rigides, il existe en réalité une infinité de conformations possibles. Toutefois, certaines sont plus stables que les autres ; ces conformations particulières sont appelées isomères conformationnels ou plus simplement conformères. L’objet de l’analyse conformationnelle est précisément d’identifier ces conformères et d’établir la barrière d’énergie qui les sépare. La hauteur de cette barrière caractérise en effet la dynamique de la molécule, c’est-à-dire sa flexibilité. Elle distingue ainsi les molécules rigides (méthane, éthylène, benzène, etc.) qui présentent une géométrie, nous dirons une conformation, à peu près invariable (aux vibrations de liaisons près), et les molécules flexibles (éthane, cyclohexane, biphényle, etc.), qui sont l’objet de déformations s’effectuant à une grande vitesse. Certaines molécules peuvent aussi présenter des parties rigides et des parties mobiles. Dans la majorité des cas, cette dynamique est très rapide lorsque les molécules sont à l’état liquide, en solution, ou à l’état gazeux, et il n’est pas possible d’isoler les isomères conformationnels ni
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Molécules chirales
d’empêcher leurs transformations les uns dans les autres. La dynamique peut cependant être « gelée » lorsque la molécule se trouve à l’état cristallisé : on obtient alors le plus souvent le conformère le plus stable. Dans certains cas, la barrière qui sépare deux conformères est suffisamment élevée pour leur conférer une durée de vie telle qu’il soit possible de les isoler à la température ambiante. Ceci peut se produire lorsque la rotation autour d’une liaison simple est gênée par la présence de certains substituants volumineux (empêchement stérique). On parle alors d’atropisomérie (voir chapitre 4.5.4). C’est le cas par exemple du 2,2 -binaphtol de la figure 3.3.
Fig. 3.3 – Les atropisomères du 2,2 -binaphtol.
3.3
Élément stéréogène et configuration ; stéréoisomère
Il est facile de voir que les structures 6 et 7 de la figure 3.4, possèdant la même constitution, présentent un centre de chiralité2 , qui peut exister sous deux configurations, ici désignées selon les règles de Cahn, Ingold, Prelog (CIP) par les symboles R et S ; 6 et 7 sont des stéréoisomères, dans lesquels les configurations du centre de chiralité sont inversées. La configuration décrit la disposition spatiale des mêmes atomes et sert à distinguer en termes d’états discrets, les structures stéréoisomères (énantiomères ou diastéréoisomères) correspondant à une constitution donnée, représentables par des descripteurs3 (cis, trans ; E, Z ; R, S ; etc.). L’existence de structures stéréoisomères, que celles-ci soient isolables ou non, implique celle d’éléments stéréogènes. Le centre de chiralité est un exemple d’élément stéréogène. Une double liaison au moins disubstituée C=C, C=N, N=N, etc. peut aussi être un élément stéréogène, adoptant les deux configurations E ou Z, définies par les 2 Le terme « centre de chiralité » est aujourd’hui préféré à celui de centre asymétrique, et nous suivrons cet usage dans la suite de cet ouvrage. 3 Nous n’avons pas besoin pour l’instant de savoir comment sont attribués les descripteurs de configurations. Cette question est traitée en détail dans le chapitre 5.
3. Langage et concepts de base
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Fig. 3.4 – Quelques stéréoisomères comportant des centres stéréogènes. règles CIP concernant l’isomérie géométrique. Notons que dans les structures 6 et 7 les doubles liaisons ne sont pas stéréogènes parce que la taille du cycle ne leur permet d’adopter que la configuration Z. On peut voir par cet exemple que la configuration est un concept de nature discrète, qui définit, pour un élément stéréogène comme le centre de chiralité, deux états caractéristiques de la topologie du système. Ces deux états sont différenciés l’un de l’autre au moyen de descripteurs appropriés. En chimie organique, les éléments stéréogènes étant toujours binaires, il en résulte que les descripteurs de configuration sont toujours binaires. Certains servent à préciser le sens de chiralité : R/S ; d/l ; P /M ; d’autres s’appliquent à la stéréoisomérie géométrique : cis/trans ; E/Z, etc. En chimie inorganique, les possibilités de penta-, hexacoordination autour d’un atome peuvent augmenter la multiplicité des éléments stéréogènes bien au-delà de deux, ce qui oblige à recourir à des descripteurs logiques capables de différencier un grand nombre de stéréoisomères (par exemple, 15 paires d’énantiomères pour un complexe octaédrique M(abcdef)).
Bien mieux que toute autre considération, c’est le caractère continu opposé à discret qui différencie les notions de conformation et de configuration. Contrairement à des idées assez largement répandues ces deux caractères ne
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Molécules chirales
peuvent jamais se confondre ni s’identifier l’un à l’autre, car ils ne sont pas de même nature. Ils se complètent, pour parfaire la description stéréochimique d’un système. En particulier, on peut toujours assigner une configuration à une conformation (ou à une famille de conformations), mais l’inverse n’a pas de sens. Énantiomérie Les deux structures 6 et 7 de la figure 3.4 sont images l’une de l’autre dans un miroir et non superposables, elles sont dites énantiomères. L’usage veut que le mot énantiomère soit utilisé aussi bien comme adjectif que comme substantif. Ainsi, l’expression « un énantiomère » fait implicitement référence à l’existence d’une structure chirale. Les propriétés conformationnelles de deux énantiomères sont identiques. Ainsi, 6 est une molécule flexible, et à toute conformation de 6 correspond une conformation image de 7 qui présente la même énergie. Dans les structures énantiomères 8 et 9, les deux centres de chiralité C(1) et C(4) ne sont pas indépendants, et la double liaison ne peut adopter qu’une seule configuration ; pour cette raison, il n’existe pas d’autres stéréoisomères que les deux énantiomères représentés figure 3.4. Diastéréoisomérie Les composés 10-13 de la figure 3.4 illustrent le deuxième type fondamental de stéréoisomérie, la diastéréoisomérie. Dans cette structure, qui présente deux centres de chiralité, C(1) et C(5), la jonction des deux cycles peut être cis comme dans 10 et 11, ou trans comme dans 12 et 13. Il peut exister au total quatre stéréoisomères, qui constituent deux paires d’énantiomères (10 / 11) et (12 / 13). Chacun des énantiomères de l’une des paires est diastéréoisomère de chacun de ceux de l’autre paire. Autrement dit, deux diastéréoisomères sont des stéréoisomères qui ne sont pas énantiomères. Cette définition s’applique en particulier aux isomères géométriques E/Z.
Signalons que la structure 14, malgré sa ressemblance avec 10-13, n’est nullement un stéréoisomère de ces dernières mais seulement un isomère de constitution, dans lequel la double liaison occupe une position différente. Dans le cas des structures 10-13, les quatre diastéréoisomères sont chiraux (chacun pouvant être qualifié d’énantiomère en faisant implicitement référence à son image) ; ceci n’est pas une règle générale. Ainsi, dans le cas des acides tartriques qui présentent également deux centres de chiralité (figure 3.5), il n’existe que trois diastéréoisomères, dont une paire d’énantiomères et un composé achiral (forme méso) ; ceci est dû à la symétrie de cette structure qui entraîne une dégénérescence.
3. Langage et concepts de base
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Fig. 3.5 – Les isomères de l’acide tartrique.
De manière générale, on qualifie de méso un diastéréoisomère possédant deux, ou plusieurs, centres de chiralité de configurations opposées, mais rendu achiral par la présence d’un plan ou d’un centre de symétrie dans la molécule (voir les exemples des figures 5.20 et 5.21). Soulignons ici le cas du thréose et de l’érythrose, stéréoisomères du 2,3,4trihydroxybutanal, qui possèdent deux paires d’énantiomères appellées thréo ou érythro. Les termes thréo ou étrytho sont souvent utilisés pour désigner les stéréoisomères de composés ayant deux carbones asymétriques adjacents portant des groupes différents mais comparables. Deux substituants similaires placés d’un même côté de la chaîne principale dans la représentation de Fischer (voir chapitre 5.2.5), définissent la forme érythro. Pour une disposition alternée de ces substituants, on a la forme thréo. Dans la représentation de Newman4 de la forme érythro tous les groupes équivalents peuvent être éclipsés alors qu’ils ne le peuvent pas pour la forme thréo. Les cas du thréose et de l’érythrose sont illustrés sur la figure 3.6. Les stéréoisomères (−)-2R,3R et (−)-2S,3R ne diffèrent que par les configurations opposées d’un seul carbone asymétrique, ce sont des épimères. D’une manière générale, des épimères sont des stéréoisomères comportant plusieurs centres stéréogènes tétraédriques, qui ne diffèrent que par des configurations opposées au niveau d’un seul de ces centres.
Dans la structure 15 de la figure 3.4, la double liaison centrale et le centre de chiralité sont tous deux stéréogènes. Il existera au total quatre diastéréoisomères, répartis en deux paires d’énantiomères, que l’on peut désigner par (E,R) et (E,S) pour la première et (Z,R) et (Z,S) pour la seconde. Seul l’un d’entre eux est ici représenté. 4 La projection de Newman consiste à regarder la molécule le long d’une liaison carbonecarbone, les deux carbones asymétriques dans le cas présent, et à projeter dans un plan perpendiculaire l’image des différentes liaisons comme illustré sur la figure 3.6.
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Molécules chirales
Fig. 3.6 – Nomenclature thréo et érythro, et projection de Newman.
Configurations vs. conformations La différence entre conformation et configuration est un sujet propice à la controverse [2]. La vitesse d’interconversion des conformations est parfois utilisée pour distinguer ces deux catégories, mais ce critère est fallacieux, pour la simple raison qu’elles ne recouvrent pas les mêmes propriétés. Ainsi, les conformères gauches du 1,2-dichloroéthane sont chiraux et existent sous deux configurations images l’une de l’autre (figure 3.7).
Fig. 3.7 – Conformères gauches du 1,2-dichloroéthane. Il existe une terminologie syn/anti appliquée aux isomères conformationnels qui traduit la position relative des substituants prioritaires dans les différentes conformations autour d’une laison C–C. Ceci est défini aisément à partir de la représentation de Newman des conformations décalées ou éclipsées. On considère l’angle dièdre formé par l’angle des plans R–C–C et C–C–R’. Apparaissent ainsi dans les formes décalées les conformations, antipériplanaires (ou anti), et synclinales (syn), que l’on connaît mieux sous l’appellation
3. Langage et concepts de base
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de conformation gauche. Parallèlement, pour les formes éclipsées, on définit les conformations anticlinales et synpériplanaires (figure 3.8).
Fig. 3.8 – Nomenclature syn/anti dans le cas de l’isomérie conformationnelle. Cette terminologie anti /syn est aussi utilisée pour spécifier la position relative de deux groupements l’un par rapport à l’autre quand on peut distinguer deux faces (ou deux côtés) d’une molécule, sans être des éléments de symétrie de la molécule. Une disposition des groupements du même côté, par rapport à un plan ou une chaîne carbonée par exemple, définira une configuration syn. Une disposition de part et d’autre de ce plan définit la configuration anti. L’exemple des cryptophanes-A et -E est intéressant en ce sens. Deux isomères, syn et anti, sont attendus, et ont été isolés, suivant la position relative des substituants OCH3 par rapport aux liens alkyles unissant les deux « chapeaux » cyclotrivératrylènes (figure 3.9).
Le fait qu’à l’état liquide ou gazeux ces deux formes ne soient pas matériellement séparables ne change rien au fait qu’elles existent et à l’intérêt de les distinguer, ce qui peut être fait en utilisant les descripteurs de configuration appropriés aux angles de torsion (figure 3.10). Notons de plus que les formes gauches et anti sont directement visibles par spectroscopie infrarouge et qu’une conformation proche de la forme gauche du 1,2-dichloroéthane a été isolée dans un composé d’inclusion à l’état solide avec le composé S-(−) représenté figure 3.11 [3]. Le plus souvent, les déformations moléculaires mettent en jeu la rotation autour de liaisons simples comme dans l’éthane ou encore dans le cis-1-chloro2-méthyl cyclohexane représenté figure 3.12a. Dans ce dernier cas, on peut voir que la configuration des centres de chiralité présents n’est pas affectée par le changement de conformation, alors que les signes des angles de torsion s’inversent.
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Molécules chirales
Fig. 3.9 – Isomères anti et syn du cryptophane-A.
Fig. 3.10 – Chiralité des angles de torsion. (a) Définition du signe d’un angle de torsion ω ; (b) si X et Y sont les substituants prioritaires (selon les règles CIP ; voir chapitre suivant) de chacun des deux atomes de la liaison considérée, on peut attribuer aux angles de torsion − et + les configurations respectives (M ) et (P ) ; (c) alternance des signes des angles de torsion C-C-C-C dans le cyclohexane.
Fig. 3.11 – Structure pour laquelle une forme gauche du 1,2-dichloroéthane a été observée.
Lorsque le changement conformationnel résulte de la permutation de substituants fixés sur un atome central, et lorsque ce centre est chiral, sa configuration peut changer, conduisant à un mélange d’espèces présentant une relation d’énantiomérie ou de diastéréoisomérie. Les deux conformères résultant de
3. Langage et concepts de base
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Fig. 3.12 – (a) Interconversion des trois conformères du cis-1-chloro-2-méthyl cyclohexane. On notera que tous les angles de torsion intracycliques changent de signe au cours de l’inversion de la forme chaise ; (b) équilibre conformationnel entre les formes cis et trans d’une oxaziridine (inversion pyramidale de l’azote) ; (c-d) pseudorotation des complexes MX5 (exemples du fer pentacarbonyle et du dichlorotrifluorophosphorane).
l’inversion pyramidale de l’azote de l’oxaziridine représentée figure 3.12b sont des diastéréoisomères, qui s’échangent trop rapidement pour être séparables à la température ordinaire [4]. Dans le fer pentacarbonyle [5] (figure 3.12c) les substituants apicaux s’échangent très rapidement avec les méridionaux mais toutes les espèces résultant de cette pseudorotation sont identiques ; cette dégénérescence disparaît dans le dichlorotrifluorophosphorane PCl2 F3 où peuvent exister trois diastéréoisomères achiraux (figure 3.12d). Par RMN à basse température on observe seulement les deux diastéréoisomères comportant au moins un atome de fluor en position apicale [6].
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Molécules chirales Le concept de stéréoisomérie résiduelle énoncé par Mislow [7] et généralisé par Eliel [8] (isomérie résiduelle) tente de lever les ambigüités pouvant parfois exister entre isomérie conformationnelle et stéréoisomérie. Il définit l’état d’un système du point de vue d’un observateur dans une situation donnée. Ainsi, le cis-1-chloro-2-méthylcyclohexane de la figure 3.12a se réduit à 1 isomère, ou éventuellement à 2 énantiomères, pour le chimiste qui le manipule. Observé par RMN à basse température, il apparaît constitué de deux isomères conformationnels, qui peuvent se dédoubler en deux paires d’énantiomères dans un solvant chiral (soit deux, ou quatre stéréoisomères résiduels). De même, selon les circonstances l’oxaziridine de la figure 3.12b peut être considérée comme formée de deux énantiomères résiduels, en ignorant l’inversion de l’azote, ou comme deux diastéréoisomères cis et trans, chacun formé de deux énantiomères. Quant au dichlorotrifluorophosphorane, le chimiste le voit comme un composé unique, alors que le spectroscopiste y verra, selon la température, une, ou deux espèces diastéréoisomères.
3.4
Configuration absolue
Il est toujours possible de dessiner une structure chirale et de nommer la configuration de ses éléments stéréogènes en utilisant les descripteurs de configuration appropriés. C’est ce que nous avons fait figure 3.4 pour les structures énantiomères 6 et 7 par exemple. Pour autant, nous ne sommes pas encore en mesure de dire si la structure 6 de configuration (S) correspond à l’énantiomère dextrogyre ou lévogyre. En d’autres termes, nous ne connaissons pas la configuration absolue de la paire (6 / 7). Au contraire, les configurations absolues des paires (8 / 9) et (10 / 11) ont été déterminées par des méthodes qui seront décrites chapitre 7. Dans ce cas, l’association des descripteurs de configuration avec une propriété différenciant les deux énantiomères (le plus souvent, le signe du pouvoir rotatoire à la raie D du sodium à 589 nm) définit la configuration absolue de la molécule : (1R,4R)-(+) pour 8, (1R,5S)-(–) pour 11. Les vues stéréoscopiques permettent d’appréhender la structure tridimensionnelle des molécules et de percevoir aisément leur configuration absolue. Notre vision en relief est le résultat d’une reconstruction par le cerveau des deux images légèrement différentes fournies par les deux yeux ; les paires d’images stéréoscopiques permettent d’aboutir à une vision en relief lorsqu’elles sont visualisées indépendamment l’une de l’autre par chaque œil. Ceci peut être obtenu de différentes façons. L’usage de lunettes à verres colorés différemment permet de rendre le relief de deux images stéréoscopiques elles-mêmes colorées. En l’absence de coloration des images, il existe deux façons de faire apparaître le relief. La plus courante consiste à observer les deux images par une vision parallèle (des lunettes spéciales peuvent faciliter l’exercice). On peut également adopter une vision croisée dans laquelle l’œil droit regarde
3. Langage et concepts de base
41
l’image gauche et vice versa. Cependant, ces deux façons de voir inversent la configuration des objets chiraux, et il convient donc de prêter attention à ce détail dans le contexte qui nous intéresse ici. En règle générale, les vues stéréoscopiques que l’on trouve dans les publications stéréochimiques s’observent en vision parallèle. La figure 3.13 montre une vue stéréoscopique de l’énantiomère (–) du bromochlorofluorométhane (CHFClBr) dont la configuration absolue R a été déterminée [9].
Fig. 3.13 – Vue stéréoscopique de R-(–)-CHFClBr.
Ce n’est que depuis les années 1950, grâce à la méthode de diffraction anomale des rayons-X de Bijvoet (voir chapitre 7), que l’on est en mesure de déterminer la configuration absolue des molécules chirales. Avant cette date, on ne pouvait parler que de configuration relative à une référence arbitrairement choisie (voir ci-dessous).
3.5
Configuration relative
La configuration relative permet de corréler les configurations d’éléments stéréogènes présents dans des molécules différentes, ou au sein d’une même molécule. Ainsi, on peut dire que le (+)-glycéraldéhyde et l’acide (–)-glycérique qui en dérive par oxydation possèdent la même configuration (figure 3.14). On sait que, faute de pouvoir déterminer expérimentalement la configuration (absolue) du (+)-glycéraldéhyde, Fischer a, dès l’année 1891, choisi de lui attribuer arbitrairement une configuration désignée par le descripteur d (la configuration opposée étant désignée par l) (voir chapitre 5.2.5). Par chance, le choix de Fischer a été le bon, ce qui entraîne que toutes les attributions de configuration faites avant 1950, relativement au (+)glycéraldéhyde, sont correctes. Pour les substances contenant au moins deux éléments stéréogènes, la configuration de l’un de ces éléments peut être prise comme référence pour établir celle des autres. Cette convention permet de distinguer les diastéréoisomères par leur configuration relative. Dans la figure 3.4, la paire (10 / 11) est définie par la configuration relative (1R*,5S*) qui la distingue de la paire diastéréoisomère (12 / 13), que l’on écrira (1R*,5R*). Dans cette description, le premier descripteur est toujours R*. Pour les doubles liaisons, on emploie les descripteurs E et Z (sans l’exposant *). La notation (3R*,4E) définit ainsi la structure 15 et son énantiomère, alors que (3R*,4Z) définit la paire diastéréoisomère correspondante.
42
Molécules chirales
Fig. 3.14 – Configurations relatives et absolues. Si le (+)-glycéraldéhyde possède la configuration indiquée sur la figure (nommée d par Fischer ; R selon CIP), alors l’acide (–)-glycérique possède également la configuration d (R). L’acide (–)-glycérique peut être relié par une série de transformations simples à l’acide (+)-tartrique, dont la configuration absolue a été établie par Bijvoet en 1951. Cette attribution (2R, 3R selon CIP) valide le choix arbitraire de Fischer.
Dans le cas particulier des substances possédant deux centres asymétriques, (R*,R*) est parfois remplacé par « l » (like) et (R*,S*) par « u » (unlike) ; dans un cycle, la configuration relative de deux centres asymétriques est le plus souvent décrite par cis et trans (les paires (10 / 11) et (12 / 13) sont alors cis et trans, respectivement). Nous reviendrons dans le chapitre 7 sur les méthodes permettant de déterminer les configurations relatives ou absolues des stéréoisomères.
3.6
Substances racémiques, non racémiques, énantiopures
Les mélanges en quantités égales de deux énantiomères occupent une place importante en chimie, d’une part parce qu’ils sont l’aboutissement naturel des méthodes de synthèse conventionnelles, et d’autre part parce que la cristallisation de mélanges d’énantiomères fournit dans neuf cas sur dix des assemblages ordonnés de stœchiométrie 1 : 1. Depuis l’époque de Pasteur, le terme racémique, utilisé comme adjectif ou comme substantif, désigne de tels mélanges. Une substance chirale peut ainsi se présenter sous trois états : elle peut être (i) racémique, (ii) constituée de l’un ou l’autre des énantiomères purs, (iii) constituée d’un mélange des deux en quantités variables différentes de 1 : 1. Dans le cas (ii), on parle de substance énantiomériquement pure ou, plus simplement, énantiopure ; le terme « homochiral » utilisé dans ce contexte, est à proscrire, dans la mesure où il désigne une relation : un ensemble de molécules. Dans le cas (iii), on parlera d’une substance chirale non racémique. Plus généralement, on parle d’homochiralité pour un système composé de familles de molécules de même configuration, et d’hétérochiralité
3. Langage et concepts de base
43
pour le système où coexistent les configurations opposées (voir par exemple au paragraphe 8.2). Notons que le cas (ii) présente une difficulté liée à la notion plus générale de pureté. Pris littéralement, le terme énantiopur ne devrait s’appliquer qu’à des échantillons totalement exempts de l’autre énantiomère, état qu’aucune méthode préparative ou analytique ne permet de garantir. La difficulté est facilement tournée si, comme pour la pureté ordinaire, on fait référence (de façon explicite ou implicite) à un degré d’énantiopureté, lié à une méthode analytique donnée. Ainsi, dire qu’une substance est énantiopure d’après la RMN signifie qu’elle contient probablement plus de 98 % de l’un des énantiomères. La séparation des énantiomères constituant un racémique est une opération importante, à laquelle Pasteur à donné le nom évocateur de dédoublement [10]. Ce terme est bien préférable à celui de « résolution », anglicisme particulièrement mal adapté dans la mesure où l’anglais resolution (autrefois optical resolution) ne brille pas particulièrement par sa précision. Une substance chirale non racémique est ainsi parfois qualifiée de partiellement dédoublée. Par quels symboles doit-on désigner les énantiomères et leurs mélanges ? Cette question ne possède malheureusement pas de réponse totalement satisfaisante ; tout au plus peut-on indiquer ce qu’il ne faut pas faire et suggérer ce qu’il est souhaitable de faire. Dans les cas où l’on doit différencier les deux énantiomères, il est commode de les désigner par le signe de leur pouvoir rotatoire, que l’on écrira (+) ou (–) pour dextrogyre ou lévogyre, respectivement, et (±) pour le racémique. L’emploi des lettres d ou l, longtemps en usage, est aujourd’hui proscrit pour indiquer le signe du pouvoir rotatoire ; on peut toutefois utiliser cette notation dans un contexte différent (voir paragraphe suivant). Notons qu’il ne faut pas confondre d ou l avec d ou l (petites capitales), qui avant les règles CIP désignaient la configuration de certains centres de chiralité, et dont l’usage est aujourd’hui en forte régression. Dans le cas où l’on doit parler d’énantiomères et de leurs mélanges sans avoir à considérer spécialement l’un ou l’autre d’entre eux, l’utilisation des lettres d et l peut représenter une solution acceptable, dans la mesure où elle conserve la connotation désirée tout en simplifiant les notations. C’est la solution que nous avons retenue dans ce livre pour évoquer, par exemple, les diagrammes de phases de mélanges binaires {d, l} ou ternaires {d, l, Σ}, Σ représentant un solvant (voir chapitre 8).
Bibliographie [1] J.J. Berzelius, Kongl. Svenska Vetenskaps Akad. Handl., 1830, 49, 70 ; Jahresbericht, 1831, 11, 44. [2] E.L. Eliel, S.H. Wilen, Stereochemistry of Organic Compounds, J. Wiley & Sons, 1994, p. 18.
44
Molécules chirales
[3] F. Toda, K. Tanaka, R. Kuroda, Chem. Commun., 1997, 1227. [4] La barrière d’inversion est de l’ordre de 75 kJ mol−1 . J. Vidal, J. Drouin and A. Collet, J. Chem. Soc. Chem. Commun., 1991, 435. [5] La barrière de pseudorotation est très basse, de l’ordre de 4 kJ mol−1 ; R.S. Berry, J. Chem. Phys., 1960, 32, 933 ; voir également F. Mathey et A. Sevin, Introduction à la chimie moléculaire des éléments de transition, Ellipses, 1991, p. 78. [6] La barrière d’interconversion est de l’ordre de 25 kJ mol−1 . E.L. Muetterties, Acc. Chem. Res., 1970, 3, 266. [7] P. Finocchiario, D. Gust, K. Mislow, J. Am. Chem. Soc., 1973, 95, 8172. [8] E.L. Eliel, Isr. J. Chem., 1976-77, 15, 7. [9] J. Costante, L. Hecht, P.L. Polaravapu, A. Collet, L. Barron, Angew. Chem. Intern. Ed., 1997, 36, 885. [10] L. Pasteur, C. R. Acad. Sci., 1853, 37, 162.
Chapitre 4 Stéréoisomérie structurale ous allons examiner dans ce chapitre les principaux éléments structuraux responsables de la chiralité d’une molécule. Nous distingueN rons : – l’existence de centres stéréogènes ; – l’existence d’axes ou de plans stéréogènes. Mais auparavant, il est indispensable d’étudier la symétrie d’une molécule, telle qu’elle est définie en chimie, à laquelle nous ferons référence dans tout ce qui suit.
4.1
La symétrie des molécules
On sait depuis Pasteur que le caractère chiral ou achiral d’une substance est intimement lié à l’arrangement dans l’espace des atomes qui la constituent. Nous allons voir dans cette partie que l’on peut directement savoir si une molécule est chirale à partir de sa symétrie spatiale. Après avoir défini les différentes opérations de symétrie, nous allons présenter les groupes ponctuels de symétrie et les relier à la chiralité. Nous montrerons ainsi que si on connaît le groupe de symétrie auquel appartient une molécule, alors on est capable de dire si elle est chirale ou achirale. Pour désigner les différentes opérations de symétrie et les groupes ponctuels de symétrie, nous utiliserons la notation de Schoenflies, beaucoup plus courante auprès des chimistes que le symbolisme de HermannMauguin utilisé par les cristallographes.
4.1.1
Les opérations de symétrie
Les opérations de symétrie sont liées à l’existence d’éléments de symétrie dans la molécule (plan, axe, centre). Éléments et opérations de symétrie sont
46
Molécules chirales
intimement liés, mais correspondent à des notions différentes. On parle souvent des symétries des molécules, terminologie qui englobent ces deux notions. Une opération de symétrie appliquée à la molécule consiste à amener celle-ci dans une situation rigoureusement identique à l’origine, ces deux situations étant physiquement indiscernables. Pour décrire les symétries des molécules, on se doit donc de considérer la molécule comme une entité indéformable. Il existe cinq espèces d’opérations de symétrie qui laissent un objet inchangé et qui permettent, par combinaison, de définir les groupes ponctuels de symétrie. 1. L’identité, notée E . Elle consiste à garder l’objet inchangé. 2. La rotation d’ordre n par rapport à un axe, notée Cn . Elle correspond à la rotation d’un angle 2π/n rad, où n est un entier diviseur de 2π. Dans ces conditions, l’opération C1 correspond à l’identité E. L’opération C2 correspond à la rotation d’un angle de π rad, l’opération C3 correspond à la rotation d’un angle de 2π/3 rad, etc. On désignera par Cnk le résultat de k rotations Cn qui correspondra à un angle 2πk/n autour de l’axe considéré. Ainsi pour k = n, la molécule se retrouve dans sa position initiale après une rotation totale de 2π rad autour de l’axe de symétrie (Cnn = E). Par exemple, les opérations C31 = C3 , C32 et C33 = E correspondent respectivement à des rotations de 2π/3 rad, 4π/3 rad et 2π rad autour de l’axe C3 d’ordre 3. Les molécules H2 O et NH3 possèdent respectivement un axe de rotation C2 , et un axe de rotation C3 . Un ellipsoïde demeure inchangé par une rotation d’angle α quelconque autour d’un axe, communément notée C∞ (l’axe de rotation est un axe de l’ellipsoïde). On appelle par convention ces axes de rotation des axes propres, et l’axe principal est celui d’ordre le plus élevé. C’est l’axe de référence qui est en général représenté verticalement. Dans le cas du cube, l’axe principal est l’un des axes C4 (figure 4.1). C2
C3
O H
H
N H
C
C4
H H
Fig. 4.1 – Molécules et objets possédant des axes Cn . 3. La réflexion par rapport à un miroir, ou plan de symétrie, notée σ. La symétrie plane fait correspondre les deux moitiés de la molécule images miroirs l’une de l’autre. Dans le cas où la molécule possède déjà un axe de rotation Cn , on note σv (v comme vertical), les plans de symétrie qui contiennent l’axe Cn comme dans le cas de la
4. Stéréoisomérie structurale
47
molécule H2 O, et σh les plans de symétrie perpendiculaires à l’axe Cn (h comme horizontal) ; c’est le cas de l’éthane dans sa conformation éclipsée où σh passe par le milieu de la liaison C–C (figure 4.2). On notera également que deux opérations successives de symétrie σ par rapport au même plan, qu’on notera σ 2 , redonne la figure initiale et est donc identique à l’opération identité (σ 2 = E). C3
C2 H O H
H
σ'v
σh
σv
H H H
H H
Fig. 4.2 – Exemples de plans de symétrie σv et σh . 4. L’inversion par rapport à un point, ou centre de symétrie, notée i . Par cette opération tout point de la molécule est transformé en son inverse, la molécule est dite centrosymétrique. Par exemple l’éthane dans sa conformation décalée possède un centre d’inversion i situé au milieu de la liaison C–C. On notera qu’il possède également des plans miroirs notés σd , qui correspondent à des plans dièdres bissecteurs des axes C2 perpendiculaires à l’axe principal (figure 4.3). On notera comme précédemment que i2 = E. C3
C3 H H
H i H H σd
H
C2
σd σ d
σd
C2
C2
Fig. 4.3 – L’éthane, son point d’inversion, et ses plans de symétrie σd . 5. La rotation-réflexion d’ordre n, ou rotation impropre, notée Sn , correspond à la combinaison d’une rotation d’ordre n et d’une réflexion par rapport à un plan perpendiculaire à cet axe (qui n’est pas nécessairement un plan de symétrie de la molécule). L’axe d’ordre n est
48
Molécules chirales appelé axe impropre. Le méthane possède par exemple un axe impropre d’ordre 4, S4 (figure 4.4). On peut écrire Sn = Cn σh = σh Cn , et on voit également que S2 = i. S4
Cn H σh
σh
H C
H
H
Fig. 4.4 – Rotation-réflexion, exemple du méthane. Si plusieurs opérations sont applicables à une même molécule, alors il faut considérer leurs applications successives (produit des opérations de symétrie) [1]. Les opérations de symétrie énumérées cidessus ne sont pas indépendantes et certaines donnent des résultats équivalents. On a vu en effet que C1 = E, σ 2 = E et i2 = E. En ce qui concerne les opérations Sn , elles ne sont uniques que si n est pair ; si n est impair, elles correspondent à la combinaison d’autres opérations. Par exemple S3 = C3 σh . De plus, S1 = σ et S2 = i.
4.1.2
Les groupes ponctuels de symétrie
Pour classifier une molécule selon ses symétries, on recense toutes les opérations de symétrie et on les regroupe dans le même ensemble qui définit le groupe de symétrie de la molécule. Toutes les opérations appliquées à la molécule laissent celle-ci en coïncidence avec elle-même. Il en résulte en particulier que le centre de gravité de la molécule est fixe et appartient nécessairement à un élément de symétrie du système (axe, plan, centre). Il existe donc au moins un point fixe invariant pour l’ensemble des opérations de symétrie (le centre de gravité), d’où le nom de groupe ponctuel de symétrie. Les groupes ponctuels de symétrie seront notés suivant la notation de Schoenflies. Une façon de définir si une molécule est chirale ou non est de considérer les opérations de symétrie de la molécule. On dira qu’une molécule est chirale si elle ne possède pas d’axe impropre de symétrie Sn . Cette définition est sans équivoque et va nous permettre de préciser les principaux groupes ponctuels de symétrie auxquels appartiennent les molécules chirales et ceux qui regroupent les molécules achirales. Les groupes ponctuels des molécules chirales Les molécules chirales appartiennent aux groupes C1 , Cn ou Dn (ou plus rarement aux groupes T , O, I nomenclature dont l’origine vient de Tétraèdre, Octaèdre et Icosaèdre) c’est-à-dire aux groupes qui possèdent uniquement des axe propres de rotation. Quelques exemples sont donnés sur la figure 4.5.
4. Stéréoisomérie structurale
49
Fig. 4.5 – Quelques molécules chirales et leur groupe de symétrie. La molécule de symétrie T est reproduite avec la permission de la référence [2].
Le groupe C1 . C’est le groupe qui a le degré de symétrie le plus faible et ne contient que l’identité E comme élément de symétrie. Citons le
50
Molécules chirales cas classique de CHFClBr, possédant un seul carbone asymétrique, qui correspond à l’une des molécules chirales les plus simples de la chimie organique. Le groupe Cn . Il comprend les molécules qui ne possèdent qu’un axe Cn et l’identité E. L’acide tartrique, certains biphényles, certains allènes appartiennent au groupe C2 . Dans le groupe C3 , on trouve par exemple la tri-o-thymotide (TOT), les cyclotrivératrylènes. Les α-cyclodextrines sont en général des molécules appartenant au groupe C6 . Le groupe Dn . C’est le groupe qui comprend les molécules qui ne possèdent qu’un axe Cn , n axes C2 perpendiculaires à l’axe Cn et l’identité E. Sur la figure 4.5 est représenté le cryptophane-A, chiral, de symétrie D3 . Il possède un axe C3 et trois axes C2 perpendiculaires. Le complexe octaédrique chiral Rh(ox)3− est également de symétrie D3 . Les groupes T , O, I. Ce sont les groupes cubiques qui ne possèdent aucun plan de symétrie, mais des axes propres de symétrie d’ordres différents, dont certains supérieurs à 2. Il existe peu de molécules appartenant à ces groupes. Sur la figure 4.5 nous donnons un exemple de molécule de symétrie T , un atome de barium entouré de quatre cyclohexanetriols substitués [2]. D’autre part, on peut signaler l’existence de certains virus ayant la symétrie I [3].
Les groupes ponctuels des molécules achirales Ce sont les groupes contenant des axes impropres de symétrie Sn , plans et centres de symétrie. Ils sont illustrés par les exemples de la figure 4.6. Le groupe CS . Il comprend les molécules qui ne possèdent qu’un plan de symétrie et l’identité E (figure 4.6a). Le groupe Ci . Il comprend les molécules qui ne possèdent qu’un centre de symétrie i et l’identité E (figure 4.6b). Le groupe Sn . Il comprend les molécules qui ne possèdent qu’un seul axe impropre d’ordre pair Sn et l’identité E. Un spirane de symétrie S4 est représenté figure 4.6c. Rappelons que S2 est identique à Ci (voir l’exemple du dibromo[2.2]paracyclophane (figure 4.6b)). Le groupe Cnv . Il comprend les molécules qui possèdent, outre l’identité E, un axe de symétrie Cn et n plans de symétrie σv verticaux contenant l’axe Cn et se coupant à des angles égaux à π/n. Nous rapportons figure 4.6d quelques exemples de molécules appartenant aux groupes Cnv (H2 O appartient au groupe C2v ).
4. Stéréoisomérie structurale
Fig. 4.6 – Quelques molécules achirales et leur groupe de symétrie.
51
52
Molécules chirales Le groupe Cnh . Il comprend les molécules qui ne possèdent qu’un axe Cn et un plan de symétrie σh perpendiculaire à l’axe de rotation, et l’identité E (figure 4.6e). Le groupe Dnd . Les molécules appartenant au groupe Dnd possèdent en plus de l’identité E, un axe principal Cn , n plans de symétrie σd verticaux et n axes C2 perpendiculaires à Cn bissectant chacun l’angle entre deux plans σd adjacents (figure 4.6f). Le groupe Dnh . Il comprend les molécules qui possèdent l’identité E, un axe principal Cn , n axes C2 perpendiculaires à Cn , n plans de symétrie σv et un plan de symétrie σh . Remarquons que pour n impair on a n plans σv , alors que pour n pair on a n/2 plans σv et n/2 plans σd et l’existence d’un centre de symétrie i (figure 4.6g). Les groupes Td , Oh , Ih . Ils correspondent à des molécules comportant plus d’un axe principal de symétrie. Ce sont respectivement les groupes tétraédrique (axes principaux d’ordre 3), octaédrique (axes principaux d’ordre 4) et icosaédrique (axes principaux d’ordre 5). Le méthane CH4 , et l’adamantane sont des exemples de molécules de symétrie Td . Le buckminsterfullerène C60 , est un exemple de molécule icosaédrique. SF6 appartient au groupe Oh (figure 4.7).
F F
S
F
F F
F adamantane
SF6
groupe Td
groupe Oh
C60 groupe Ih
Fig. 4.7 – Les groupes tétraédrique, octaédrique et icosaédrique. Aux groupes cubiques classiques Td et Oh on peut ajouter le groupe Th présentant un centre de symétrie i. Td est le groupe ponctuel du tétraèdre régulier, Oh , est le groupe ponctuel de l’octaèdre régulier ou du cube.
4.1.3
Détermination du groupe ponctuel de symétrie d’une molécule
Pour connaître le groupe ponctuel de symétrie auquel appartient une molécule, il faut inventorier les éléments de symétrie de la molécule. Il n’est parfois pas trivial de trouver les symétries d’une molécule, mais cela est fondamental
4. Stéréoisomérie structurale
53
et sans équivoque pour savoir si elle est chirale ou non (voir par exemple les cas multiples de chiralité dans le domaine des fullerènes) [4]. Pour cela on s’aidera avantageusement de l’un des deux organigrammes figures 4.8 et 4.9 qui rassemblent tous les groupes de symétrie auxquels peut appartenir une substance chimique. L’organigramme de la figure 4.8 distingue les groupes chiraux des groupes achiraux [5] ; signalons que l’organigramme de la figure 4.9 ne contient pas les groupes T , O et I [6]. Ces schémas se rencontrent très souvent dans les ouvrages traitant de la symétrie moléculaire avec parfois certaines variantes. Ils sont néanmoins très utiles et leur utilisation conseillée pour déterminer le groupe ponctuel de symétrie des molécules.
Fig. 4.8 – Diagramme permettant de déterminer les groupes ponctuels de symétrie et distinguant les molécules chirales des molécules achirales.
54
Molécules chirales
Fig. 4.9 – Diagramme général permettant de déterminer le groupe de symétrie d’une molécule.
Une molécule est en général flexible et peut adopter différentes conformations. Elle peut donc avoir des symétries différentes suivant qu’elle se trouve dans une conformation ou une autre, et être en moyenne de symétrie plus élevée. Dans le cas classique du cyclohexane, la conformation chaise appartient au groupe S6 , la conformation bateau au groupe C2v . En moyenne, les propriétés du cyclohexane peuvent être représentées par le groupe ponctuel D6h (figure 4.10).
S6
C2
σv S6
C2v
D6h
Fig. 4.10 – Le cyclohexane et sa conformation chaise de symétrie S6 , sa conformation bateau de symétrie C2v , et sa conformation plane de symétrie D6h .
4. Stéréoisomérie structurale
4.2
55
Molécules à centres stéréogènes
La conformation exprime de façon quantitative la géométrie moléculaire et ses variations. La configuration, au contraire, sert à distinguer en terme d’états discrets (cis ou trans, R ou S, etc.) les structures stéréoisomères (diastéréoisomères ou énantiomères) correspondant à une constitution donnée. Cette définition minimaliste et intemporelle de la configuration est indépendante de toute dynamique, et ne suppose pas que les stéréoisomères en question soient des espèces isolables (voir chapitre 3). Une configuration peut ainsi être affectée, au moyen de descripteurs symboliques, à chacun des stéréoisomères d’une structure rigide, comme CHFClBr ou le but-2-ène, aussi bien qu’à une famille particulière de conformations d’un système flexible, telle que les formes gauches du butane, ou un arrangement donné des ligands autour d’un centre pentacoordiné fluxionnel.
On dit qu’un élément de structure est stéréogène lorsqu’une permutation de ligands, ou même parfois un changement de conformation, entraîne l’existence de stéréoisomères. L’élément stéréogène le plus familier est le centre asymétrique ou centre de chiralité (chiral center), constitué d’un atome entouré de quatre substituants différents disposés aux sommets d’un tétraèdre, comme dans CHFClBr. L’échange de la position de deux des substituants conduit à l’énantiomère de la structure initiale. Un tel centre, qui engendre deux configurations de chiralités opposées, est dit chirotopique. Les molécules à centre stéréogène sont caractérisées par le type de coordination : nombre de ligands et disposition dans l’espace. En chimie organique, c’est le carbone tétraédrique qui est l’élément essentiel. On retrouve aussi ce type de coordination avec d’autres éléments comme le silicium, le germanium, le plomb mais aussi le soufre, le phosphore, l’azote, etc. En chimie inorganique, les métaux de transition constituent aussi des centres stéréogènes. Nous allons voir dans ce qui suit quelques exemples de molécules chirales à centre stéréogène.
4.2.1
Le carbone asymétrique
Le carbone tétraédrique n’est stéréogène que si ses quatre substituants (a, b, c, d) sont différents. C’est le carbone asymétrique de Le Bel et van’t Hoff [7]. Un des exemples les plus simples est le bromochlorofluorométhane CHFClBr (figure 4.11). Le carbone asymétrique, noté communément C*, est un élément stéréogène binaire car il possède deux structures énantiomères. Configuration et configuration absolue. La configuration d’un C* (ou plus généralement d’un centre asymétrique), est la disposition dans l’espace qui distingue les deux énantiomères et qui peut être nommée par un descripteur adéquat (R ou S). La configuration absolue associe une
56
Molécules chirales a
a c b
d
d
H
H c b
Cl F
Br
Br
Cl F
Fig. 4.11 – Le carbone asymétrique de Le Bel et van’t Hoff. des deux structures spatiales à une propriété physique liée à la chiralité (voir chapitre 7). Dans le cas où le carbone possède deux groupes identiques (a = b), il est dit prochiral (voir chapitre 6).
4.2.2
Chiralité isotopique
La présence d’isotopes différents suffit à rendre un carbone asymétrique. Le cas le plus réprésentatif est sans doute celui du groupement méthyle chiral -CHDT qui fut historiquement étudié par Cornforth [8] et par Arigoni [9] en 1969. La figure 4.12 décrit une méthode de synthèse de l’acide R[1 H,2 H,3 H]acétique à partir de la R-[2 H]glycine [10].
Fig. 4.12 – Synthèse de l’acide R-[1 H,2 H,3 H]acétique à partir de la R-[2 H]glycine.
4.2.3
Centres asymétriques tétraédriques hétéroatomiques (T4)
Atomes du groupe 14 Dans le groupe 14 de la classification périodique, on trouve la même situation pour Si, Ge, Sn, Pb, que pour le carbone (figure 4.13). Le premier exemple d’organosilane chiral a été préparé par Sommer et collaborateurs [11]. Certains composés du germanium ont également été dédoublés [12]. L’azote comme centre de chiralité Les amines tertiaires, avec trois substituants X, Y et Z différents, ont une structure pyramidale chirale. La présence du doublet électronique non liant sur l’azote permet l’inversion des deux formes énantiomères (figure 4.14). Cette inversion est cependant trop rapide à température ambiante pour permettre la séparation des deux énantiomères. On peut parfois suffisamment ralentir la vitesse d’inversion et séparer les deux énantiomères quand l’azote porte des substituants encombrants et/ou
4. Stéréoisomérie structurale
H
57
Si CH3 Ge H C2H5
[α]D = + 33,4 (c 13,5 ; pentane)
[α]D = + 23,6 (c 5,5 ; benzène)
Fig. 4.13 – Exemples d’atomes asymétriques appartenant au groupe 14. Y X
Y N
Z
:
:
N
X
Z
Fig. 4.14 – Inversion du doublet de l’azote. des substituants électronégatifs, ce qui augmente significativement la barrière d’inversion de l’équilibre ci-dessus. On trouve aussi des amines chirales quand l’azote est engagé dans une structure cyclique contrainte comme les oxaziridines [13] ou la base de Tröger [14] (figure 4.15). Dans les dérivés ammoniums où l’azote est tétracoordonné (amines quaternaires), l’inversion est bloquée et les composés possèdent une activité optique stable. Phosphore et arsenic Les phosphines et les arsines s’inversent beaucoup plus lentement que les amines. Les dérivés chiraux sont plus stables optiquement et peuvent donc être séparés en leurs deux énantiomères. L’éthylméthyl-n-propyl-arsine énantioenrichie (figure 4.16) a été obtenue par action de la moisissure du pain sur l’acide n-propylarsinique. Il peut aussi être dédoublé par formation de complexes de palladium diastéréoisomères [15]. L’énergie d’activation de l’inversion d’une phosphine tertiaire simple est de l’ordre de 125−150 kJ mol−1 . À 130 ◦ C, la n-propylméthylphénylphosphine possède un temps de demi-vie de 3 h 20 min dans le méthylnaphtalène [16]. Les acides phosphoriques, phosphoniques et phosphiniques peuvent aussi être dédoublés. Citons l’acide O-éthyléthylphosphonothiolique C2 H5 (C2 H5 O)P(O)SH [17], premier cas de dédoublement d’un acide phosphoré. La chiralité du phosphore est importante dans le domaine de la synthèse asymétrique et notamment dans l’hydrogénation asymétrique des alcènes, où elle intervient au travers de ligands phosphorés chiraux de complexes
58
Molécules chirales oxaziridine
amine chirale
PhCH2O
OCH3 C(CH3)2
O
Ph
N
Ph
N
R :
3
O
R
CH2CO2H 20 [α]D =±
Ph
:
:
N
Ph
R ∆G° (kJ mole–1) Me 142 t-Bu 113
t1/2 = 1,22 h à 20°C
base de Tröger amines quaternaires N
N H3CCH2
O–
PhCH2
N+
Ph
Ph
CH3
N+ CH3
CH3
H3C (5SN,11SN)-(+)
Fig. 4.15 – Exemples d’amines chirales. O n-Pr Et
As
Scopulariopsis brevicaulis OH
Me Ph n-Pr
n-Pr Et
(moisissure du pain)
P
P
As
(R) Me
Me Ph n-Pr
Fig. 4.16 – Exemples d’arsines et de phosphines chirales.
métalliques. Un catalyseur rhodium/DIPAMP par exemple (figure 4.17), est utilisée au cours de la synthèse de la L-DOPA, un médicament antiparkinsonien. Les phosphores chiraux sont présents aussi en pharmacologie. Par exemple, le cyclophosphamide A (figure 4.17) est un agent antitumoral utilisé dans le traitement de nombreux cas de cancers ; il a été montré que le stéréoisomère (–) était plus efficace que le stéréoisomère (+) [18]. Les oxydes de phosphines chiraux sont bien séparés par les techniques modernes de chromatographie en phase chirale. Par exemple l’oxyde C, donné figure 4.18, a été séparé sur une colonne de Pirkle du type CSP-1, qui est une silice greffée par le groupe chiral 3,5(NO2 )2 C6 H3 CONHC*HPhCONHCH2 CH2 CH2 dérivé de la phénylglycine (voir chapitre 9) [19]. L’oxyde B de la figure 4.18 peut être préparé avec un excès énantiomérique de 95 % [20] mais dans ce cas, le phosphore n’est pas un centre de chiralité.
4. Stéréoisomérie structurale
59
MeO Ph O
P
P
O P
Ph
NH N(CH2CH2Cl)2
OMe
A
(R,R)-DIPAMP
Fig. 4.17 – Exemples de molécules phosphorées chirales. O P Ph
Ph
CH3
P Ph
O
C
B
Fig. 4.18 – Exemples d’oxydes de phosphine chiraux. Le soufre comme centre de chiralité Les sulfoxydes, les sels de sulfonium et les sulfoximines sont des molécules chirales optiquement stables. Les premiers sulfoxydes optiquement actifs ont été obtenus par action d’un organomagnésien sur des sulfinates de menthyle optiquement actifs (figure 4.19) [21]. O– S+
O– O-menthyl p-tolyl
S+
PhMgBr Ph
S-(–) 25 [α]D =
p-tolyl R-(+)
–199 (c 2 ; acétone)
25
[α]D = +22 (c 2 ; acétone)
NH S O sulfoximine
BF4–
S+
Me Me
Et
sulfonium
Fig. 4.19 – Sulfoxide [21], sulfoximine [22] et sulfonium [23] chiraux. La chiralité isotopique peut se retrouver dans des exemples autres que le carbone asymétrique, par exemple dans les sulfoxydes chiraux (figure 4.20).
60
Molécules chirales 12CH
O
2
S 13
CH2
25
R-(+) [α]280 = +0,71 (c 5,6 ; CHCl3)
Fig. 4.20 – Exemple de sulfoxyde chiral. On peut remarquer que, du fait de la faible différence entre deux substituants isotopiques, les valeurs des pouvoirs rotatoires sont particulièrement faibles. Les métaux de transition Certains métaux de transition peuvent présenter une coordination T4 . Ils sont chiraux quand ils possèdent quatre ligands différents ; l’atome métallique est alors le centre de chiralité. Le premier exemple de tels complexes a été préparé par Brunner à partir de complexes de manganèse diastéréoisomériquement purs, en utilisant le menthol comme agent de dédoublement (figure 4.21) [24].
Fig. 4.21 – Exemple de complexe organometallique comportant un centre asymétrique T4 .
Centres stéréogènes différents de T4 : complexes octaédriques Les complexes octaédriques chiraux sont sans doute les complexes de métaux de transition chiraux les plus rencontrés. On trouve, dans la figure 4.22 trois représentations différentes de tels complexes. On peut les écrire à l’aide d’une bipyramide à base carrée, faisant ressortir les 8 faces de l’octaèdre, ou représenter les 6 liaisons M-ligands, ou encore en projection le long d’un axe C3 . Dans le cas d’un complexe de type [Mabcdef], c’est-à-dire où les six ligands, a à f, sont différents, on a 30 stéréoisomères possibles, tous chiraux, et donc 15 paires d’énantiomères. En allant des complexes [Ma6 ] à [Mabcdef], on rencontre au total 75 stéréoisomères dont certains sont chiraux, d’autres achiraux.
4. Stéréoisomérie structurale
61 C3
M
M
a
b
c
Fig. 4.22 – Représentation des complexes octaédriques.
Un cas courant de complexes octaédriques chiraux est celui des complexes portant des ligands bidentates, (comme les ligands carboxylate, carbonate, bipyridine ou terpyridine, éthylènediamine, oxalate, etc.) (figure 4.23).
O
O
3– O
O
O
O O
O
O
O
O
RhIII
RhIII O
3–
O
O
O
O
O O
O
O
O
O O
O
hélice droite ∆
hélice gauche Λ symétrie D3
Fig. 4.23 – Complexes octaédriques du Rh(III). Des complexes octaédriques ont été obtenus sous forme énantiopure pour la première fois par Alfred Werner en 1911 [25]. En effet, il a été capable de dédoubler le cation [Co(NO2 )2 (en)2 ]+ par cristallisation de son sel de (+)3-bromocamphre-9-sulfonate. En fait, on sait aujourd’hui qu’un tel complexe forme un conglomérat (voir chapitre 8) [26]. On a pu ainsi, à partir d’une solution de racémique, obtenir des cristaux pour la diffraction des rayons-X et déterminer la configuration absolue par la méthode de Bijvoet décrite au chapitre 7.
4.3
Dénombrement des stéréoisomères (éléments stéréogènes binaires)
On ne considèrera dans cette partie que les éléments stéréogènes binaires, qui sont les plus communs en chimie organique.
62
Molécules chirales
4.3.1
Règle générale
En règle générale, n centres stéréogènes binaires (R et S, Z et E, etc.) conduisent à 2n diastéréoisomères (et par voie de conséquence à 2n−1 racémiques). Les 23 stéréoisomères du 3-p-menthol sont représentés figure 4.24. Les relations d’énantiomérie et de diastéréoisomérie entre les différentes structures sont symbolisées par des flèches. R (+) R
R (–)
R OH
menthol
OH (–)
OH
OH
néomenthol
OH (+)
(+) OH
isomenthol
OH (–)
énantiomères
néoisomenthol
S
(+)
R
OH (–)
diastéréoisomères
Fig. 4.24 – Les stéréoisomères du menthol. Les deux centres stéréogènes (Z/E, R/S) du 5-hydroxyhex-2-ène conduisent aux 4 stéréoisomères de la figure 4.25, définissant deux paires d’énantiomères Z/S (Z/R), et E/S (E/R).
4.3.2
Réduction du nombre de stéréoisomères par symétrie
Le nombre maximum de 2n diastéréoisomères est réduit lorsque la structure possède des éléments de symétrie. On voit apparaître alors, à la place de racémiques, des structures achirales nommées méso (voir chapitre 3.3). La figure 4.26 représente le cas classique de l’acide tartrique, le nombre de stéréoisomères est de trois alors que la molécule comporte deux centres asymétriques.
4. Stéréoisomérie structurale
63 CH3
CH3
Z
Z
H3C S
H
H
HO H
H
H
E H3C
CH3
HO H
H OH
H
H E
H3 C S
R CH3
H
H
R CH3 H OH
Fig. 4.25 – Les stéréoisomères du 5-hydroxyhex-2-ène.
HO H
CO2H S H S OH
H HO
CO2H R OH R H
CO2H
CO2H
(–)-(S,S)
(+)-(R,R)
H H
CO2H R OH S OH
HO HO
CO2H
CO2H
composé thréo
CO2H S H R H
composé méso achiral
Fig. 4.26 – Les stéréoisomères de l’acide tartrique.
4.3.3
Réduction du nombre de stéréoisomères par contraintes stériques
Dans les structures polycyliques, il arrive souvent que certains centres stéréogènes ne soient pas indépendants ou encore soient dans l’impossibilité d’exister sous les deux formes (R et S, E et Z). Dans ce cas, le nombre de stéréoisomères physiquement accessibles est réduit. Malgré l’existence de 3 éléments stéréogènes dans la molécule de la figure 4.27, les contraintes structurales font que seulement deux stéréoisomères sur les 23 = 8 possibles sont obtenus. Dans les systèmes linéaires ou monocycliques, cette restriction n’existe généralement pas (voir le cas du menthol sur la figure 4.24).
4.4 4.4.1
Molécules possédant des axes ou des plans de chiralité Les allènes et la chiralité axiale
Les allènes, molécules linéaires, sont des cas intéressants pouvant présenter une symétrie axiale [27]. Van’t Hoff avait déjà en 1875 prévu la chiralité des allènes, mais c’est en 1935 que le premier allène optiquement actif a été obtenu
64
Molécules chirales
7 4
3
5
2 O
1
O
6
(1R,5Z,4R)-(+)
(1S,5Z,4S)-(–)
Fig. 4.27 – Restriction du nombre de stéréoisomères pour une structure polycyclique.
suivant la réaction décrite dans la figure 4.28 [28]. Par la suite, de nombreux allènes chiraux ont été trouvés dans la nature [29]. Le premier du genre est la phéromone de la bruche du haricot représenté figure 4.29 (31 mg isolés à partir de 57 000 insectes) [30].
H C
C
C
C
C
C HO ee = 5% SO3H
O recristallisation ee =100% 17
[α]546 = +437 (benzène)
Fig. 4.28 – Synthèse d’un allène chiral.
CH3(CH2)6CH2
H C
C
C
H 23 [α]D =
CO2CH3
–128 (c 0,6 ; hexane)
Fig. 4.29 – Une phéromone, allène chiral naturel. Tous les allènes ne sont pas chiraux, cela dépend de leur substitution. Sur la figure 4.30 sont recensés différents cas d’allènes substitués, et leur groupe de symétrie. Les cumulènes peuvent également présenter une chiralité axiale
4. Stéréoisomérie structurale
65 σd C2
H
H
H C
C
H C2
C H
H
H
σd
Symétrie D2d, achiral
σv
Symétrie C2v, achiral
H C2 σv
A
A
B C
C
B
C B
A
A
C2
C
A
C B
B
A
A
A C
B
Symétrie C2, chiral
B B C2 σ
A C
B
C B
B
A C
B
Symétrie CS, achiral
D
Symétrie C1, chiral
B
A
C C
B
A
B C
C
C D
B
Fig. 4.30 – Allènes et leurs groupes de symétrie.
t-Bu
t-Bu C
C
C
C
C
Cl Cl
Fig. 4.31 – Exemple de cumulène chiral.
quand ils possèdent un nombre pair de doubles liaisons. Dans ce cas, on retrouve des structures analogues à celle des allènes (figure 4.31) [31].
66
4.4.2
Molécules chirales
Spiranes, alkylidènecyclanes
Certains spiranes et alkylidènecyclanes appartiennent à la classe des molécules à chiralité axiale. L’acide P -spiro[3.3]heptane-2,6-dicarboxylique et l’acide P -4-méthyl-cyclohexylidène acétique (figure 4.32) en sont deux exemples. H
CO2H H
HO2C P
H
H H3C
CO2H P
Fig. 4.32 – Exemples de spirane et alkylidènecyclane chiraux.
4.4.3
Chiralité planaire
Les classes principales de molécules présentant une chiralité planaire sont les alcènes cycliques E, les annulènes pontés, les cyclophanes, et les métallocènes. La configuration de ces composés sera explicitée au chapitre 5. La chiralité planaire provient de l’arrangement de groupements hors d’un plan appelé plan chiral. Ce dernier est un motif plan lié au reste de la molécule par une liaison imposant une torsion restreinte de telle manière que ce plan ne peut se trouver dans un plan de symétrie. Le plan chiral est celui qui contient un maximum d’atomes. Par exemple, dans le trans-cyclooctène [32], le plan chiral est celui qui contient la double liaison ; dans l’acide [2,2]paracyclophanecarboxylique [33], c’est le groupement phényle contenant la fonction acide (figure 4.33). H
H CO2H
Fig. 4.33 – Exemple de molécules à chiralité planaire. On peut définir la chiralité planaire en termes de prostéréoisomérie (voir chapitre 6). Le marquage des faces énantiotopiques d’un plan prochiral fait apparaître des structures énantiomères, comme pour l’exemple du complexe chrome tricarbonyle chiral de la figure 4.34a [34]. Les métallocènes comme le ferrocène sont chiraux quand ils portent au moins deux substituants différents sur un même cyclopentadiényle. La chiralité provient de la présence du groupement Fe(C5 H5 ) complexé sur le cyclopentadiényle substitué. C’est donc bien une chiralité planaire, le cyclopentadiényle substitué étant le plan
4. Stéréoisomérie structurale
67 CF3
(a)
(b)
CHO Cr OC
CF3
A
CO CO
CHO
A
B
Fe
B
Fe
CO OC Cr
CO CF3 CHO
20
[α]D = ±754 (c 1; CHCl3)
Fig. 4.34 – Enantiomères de métallocènes chiraux. chiral (figure 4.34b). La configuration de telles molécules peut se définir par les règles CIP (voir chapitre 5). Des ferrocènes chiraux optiquement actifs ont été préparés dans le laboratoire d’Henri Kagan par ortholithiation diastéréosélective suivie d’un piégeage au chlorure de triméthylsilyle (figure 4.35) [35]. p-Tol S Fe
p-Tol S
O
O
1) LDA, THF, –78 °C Fe
SiMe3
2) Me3SiCl 20
[α]D = +333 (c 0,88 ; CHCl3) R
(R,pS)
Fig. 4.35 – Synthèse diastéréosélective de ferrocènes chiraux.
4.5 4.5.1
Molécules chirales non usuelles Hélicènes et analogues
Un [n]-hélicène est une molécule formée de n cycles benzéniques accollés en ortho (voir figure 4.36). À partir de n = 5, la molécule n’est plus plane et possède une structure tridimensionnelle hélicoïdale. Elle peut exister sous deux formes énantiomères, une hélice droite de configuration P (ou ∆ dite hélice α) et une hélice gauche de configuration M (ou Λ dite hélice β) (figure 4.36). Les molécules possédant une chiralité inhérente à leur squelette comme les hélicènes ou les fullerènes décrits ci-dessous sont intrinsèquement chirales.
68
Molécules chirales
25
[8]-hélicène
[α]D = –7170 (CHCl3)
[9]-hélicène
[α]578 = –8150 (CHCl3)
25
25
[10]-hélicène [α]578 = –8940 (CHCl3) 25
M-(–)-[6]-hélicène [α]D = –3640 (CHCl3)
Fig. 4.36 – Pouvoir rotatoire des hélicènes chiraux. De ce fait, elles possédent des pouvoirs rotatoires extrêmement élevés [36]. Ces molécules se racémisent difficilement par chauffage (∆G‡300 = 151 kJ mol−1 pour l’hexahélicène).
4.5.2
Fullerènes
Découverts en 1985 par Kroto, Curl et Smalley, les fullerènes représentent une nouvelle forme allotropique du carbone, comme le sont le graphite et le diamant, à l’exception près qu’on a ici des entités moléculaires [37]. À l’origine, les fullerènes sont des molécules exclusivement constituées d’atomes de carbone comme le C60 et le C70 (figure 4.37). Depuis la découverte du C60 , achiral, qui présente la symétrie de l’icosaèdre tronqué (symétrie Ih ), de nombreux dérivés organiques ou organométalliques à base de fullerènes ont été synthétisés. Il existe différentes façons de préparer des molécules chirales à base de fullerènes. On peut classer celles-ci en quatre catégories [39] : – Les fullerènes intrinsèquement chiraux (chiralité inhérente au squelette) comme le D2 -C76 (figure 4.38a), le D3 -C78 , ou le D2 -C84 . – Les fullerènes achiraux avec des groupes additionnés ou substituants chiraux (figure 4.38b). – Les fullerènes avec un schéma de fonctionnalisation intrinsèquement chiral, chiralité inhérente au squelette (figure 4.38c). – Chiralité provenant de la différence entre les substituants (figure 4.38d). Compte tenu de la topologie et de la relative complexité de la structure des fullerènes, une nomenclature spécifique a été mise en place à l’aide de graphes moléculaires, appelés diagrammes de Schlegel [40]. La figure 4.39 représente celui du C76 .
4. Stéréoisomérie structurale
69
(a)
(b)
Fig. 4.37 – Structure de fullerènes en vue stéréoscopique [38] : (a) C60 , (b) C70 .
4.5.3
Notions de chiralité topologique : rubans de Möbius et nœuds moléculaires
Chiralité topologique On introduit la notion de chiralité topologique quand on s’intéresse à des objets déformables (par exemple des molécules qui auraient des liaisons non rigides, comme des élastiques). Prenons le cas du carbone tétraédrique chiral, par exemple CHFClBr, et considérons les liaisons déformables. On peut alors passer d’une structure énantiomère à l’autre par une déformation continue, c’est-à-dire sans « déchirure ». Le tétraèdre est dit topologiquement achiral. C’est le cas aussi d’un gant droit qu’on peut retourner pour obtenir un gant gauche. Tout objet est topologiquement chiral s’il ne peut pas être déformé de manière continue en son image miroir. Le noeud de trèfle est un objet topologiquement chiral car il ne peut pas être transformé en un noeud de chiralité opposée par une déformation continue (figure 4.40, structures b et c) ; il faudrait pour cela le couper puis le « recoller ». Le noeud de trèfle est un diastéréoisomère topologique du macrocycle non noué a. Les structures a, b et
70
Molécules chirales (a)
D2-C76 RO
(b)
OR OR
O
(c) CO2Et
OR
CO2Et
(d)
t-Bu
CO2Et CO2Et
Fig. 4.38 – Fullerènes chiraux.
Fig. 4.39 – Descripteurs stéréochimiques utilisés pour les fullerènes : diagrammes de Schlegel. Exemple du C76 .
c sont des stéréoisomères topologiques, alors que les structures b et c sont des énantiomères topologiques. La notion d’isomérie topologique a été introduite par Frisch et Wasserman en 1961 [41].
4. Stéréoisomérie structurale
71
Fig. 4.40 – Nœuds de trèfle.
Rubans de Möbius et nœuds moléculaires Malgré l’évidente simplicité de certaines formes topologiques, les chimistes se sont longtemps heurtés à de grandes difficultés pour synthétiser des molécules présentant une topologie inhabituelle en chimie. La difficulté réside dans l’approche stratégique qui doit favoriser l’isomère topologique désiré. Nous citerons tout d’abord la synthèse d’un ruban de Möbius moléculaire par D.M. Walba en 1985 qui utilise une approche statistique, où deux isomères topologiques sont obtenus dans un rapport proche de 1:1 (figure 4.41) [42].
Fig. 4.41 – Synthèse d’un ruban de Möbius par D.M. Walba.
72
Molécules chirales
Le second exemple concerne la synthèse des noeuds de trèfle moléculaires qui a été essentiellement initiée et développée par J.-P. Sauvage. Le premier nœud trifolié a été synthétisé en utilisant l’effet template [43] d’un ion métallique [44]. J.-P. Sauvage a synthétisé et dédoublé le noeud de trèfle moléculaire de la figure 4.42 par cristallisation de sels diastéréoisomères, en utilisant le binaphtylphosphate (BNP− ) comme contre-ion chiral énantiomériquement pur [45].
Fig. 4.42 – Structure d’un nœud moléculaire trifolié. Il est intéressant de noter que l’on trouve aussi beaucoup de noeuds moléculaires dans la nature, par exemple l’ADN simple brin peut conduire à des formes nouées [46], ou certaines protéines qui adoptent des topologies complexes possédant des noeuds [47].
4.6
Atropisomérie
On peut définir l’atropisomérie comme étant une isomérie conformationnelle dans laquelle les conformères peuvent être isolés. Cela signifie que le concept est étroitement lié à la notion de barrière conformationnelle et aux conditions possibles d’isolement desdits conformères. Une barrière conformationnelle ∆G= de l’ordre de 92 kJ mol−1 à 300 K correspond à un temps de demi-vie de l’ordre de 15 min. L’atropisomérie peut exister autour de liaisons simples de types différents : sp3 –sp3 , sp3 –sp2 , sp2 –sp2 . Atropisomérie sp3 –sp3 Les cas du 1,1,2,2-tétra-t-butyl-éthane et du 1,1,2,2-tétratriméthylsilyléthane (figure 4.43) sont des exemples d’atropisomérie sp3 –sp3 [48]. Les formes stables sont des conformations gauches déformées, la forme anti étant déstabilisée par l’interaction des quatre groupements R, stériquement encombrants.
4. Stéréoisomérie structurale
73
H
H
R
R R
H R H R
R
R= t-Bu ou SiMe3
R
H
∆G*
R
R
R
R
R
R H
∆G*
R
H
gauche
(anti)
R
H R
gauche
, kJ mol–1 R = t-Bu ∆G*413 > 96,0 R = SiMe3 ∆G*353 = 78,6 kJ mol–1
Fig. 4.43 – Conformations du 1,1,2,2-tétra-t-butyl-éthane et du 1,1,2,2-tétratriméthylsilyl-éthane. Un autre exemple (figure 4.44) illustrant l’atropisomérie sp3 –sp3 est le cas des triptycènes [49]. Cl Cl
Me
Me Bz Cl
Cl
Me
Bz Me
Cl
Me
Me Bz
Me
Bz Me
Ea = 153 kJ mol–1
Fig. 4.44 – Atropisomères des triptycènes.
Atropisomérie sp3 –sp2 Les barrières de rotation autour de liaisons sp3 –sp2 sont généralement très basses et ce type d’atropisomérie ne se rencontre que dans des systèmes très encombrés. C’est le cas des o-tolyl-di-t-butylcarbinols de la figure 4.45 ; les deux atropisomères (qui sont dans ce cas des conformères,
74
Molécules chirales t-Bu t-Bu
HO
t-Bu t-Bu
HO
H3C
CH3 lent
1
2
Fig. 4.45 – Atropisomères des o-tolyl-di-t-butylcarbinols. achiraux, diastéréoisomères et non énantiomères) ont été séparés par chromatographie. La forme 2 est instable et se transforme en la forme 1 avec une −1 [50]. barrière d’activation ∆G= 300 = 118,7 kJ mol Les cyclotrivératrylènes et les cyclotribenzylènes (figure 4.46) sont des ortho-cyclophanes [51] qui présentent aussi de l’atropisomérie sp3 –sp2 . Ce sont des molécules chirales à température ambiante, qui possèdent en général une barrière d’inversion autour de 112 kJ mol−1 [52].
Fig. 4.46 – Atropisomères des cyclotribenzylènes.
Atropisomérie sp2 –sp2 Ce sont essentiellement les dérivés de type biphényle qui présentent cette atropisomérie. Le biphényle a fait l’objet de travaux innombrables. Pour les composés non ortho-substitués, la barrière d’inversion est très basse, inférieure à 9 kJ mol−1 en phase gazeuse, avec un angle de torsion entre les deux noyaux aromatiques de 45◦ [53]. En phase solide, à cause des effets de packing [54], au moins 30 % des biphényles non ortho-substitués sont plans, dont le biphényle lui-même. L’atropisomérie n’apparaît que pour les biphényles portant des substituants en position ortho à cause de la congestion stérique, et surtout dans les biphényles tétra-ortho-substitués (figure 4.47). Dans ce cas, on retrouve une situation topologique similaire à celle des allènes. La racémisation se fait par rotation autour de la liaison centrale.
4. Stéréoisomérie structurale
75 σd C2
A
A
A A
A
σd
En moyenne D2d, achiral
σv
En moyenne C2v, achiral
C2 A A
A
C2 σv
B
A
A B
B
C2 A
A
B
A
A A A
Symétrie C2, chiral
B B
B
B
A
C
C2
A D
C
Symétrie C1, chiral
B B
D
X
X'
X
X'
Y
Y'
Y
Y'
Fig. 4.47 – Atropisomères du biphényle.
Pour X,Y,X’ et Y’ différents de H, F ou OMe, les énantiomères sont stables à température ambiante et se racémisent par chauffage (∆G= > 80−85 kJ mol−1 ). Les biphényles tri-ortho-substitués se racémisent plus ou moins lentement selon l’encombrement stérique des substituants. Les biphényles di-ortho-substitués ne sont séparables que quand les substituants sont très encombrants. C’est le cas du 1,1’-binaphtyle (figure 4.48), qui existe sous deux formes cristallines, un racémique vrai et un conglomérat. Il existe dans la nature des biphényles chiraux, comme le gossypol (figure 4.49), dont l’énantiomère (–) est un contraceptif masculin.
76
Molécules chirales
Fig. 4.48 – Binaphtyle. HO
OHC
CHO OH
OH
HO
CH3 H3C
Fig. 4.49 – Un binaphtyle naturel : le gossypol.
Bibliographie [1] D.S. Schonland, La symétrie moléculaire, Gautier-Villars 1971. [2] J. Sander, K. Hegetschweiler, B. Morgenstern, A. Keller, W. Amrein, T. Weyhermüller, I. Müller, Angew. Chem. Int. Ed., 2001, 40, 4179. [3] Voir d’autres exemples des groupes cubiques dans les articles suivants : a) M. Farina, C. Morandi, Tetrahedron, 1974, 30, 1819 ; b) L.R. MacGillivray, J.L. Atwood, Angew. Chem. Int. Ed., 1999, 38, 1018 ; c) A. Rassat, Angew. Chem. Int. Ed., 2003, 42, 611. [4] C. Thilgen, I. Gosse, F. Diederich, Topics in Stereochemistry, 2003, 23, 1. [5] V.I. Sokolov, Zh. Strukt. Khim., 1985, 26, 169. [6] J. Donohue, J. Chem. Ed., 1969, 46, 27. [7] L. Pasteur, J.H. van’t Hoff, A. Werner, Sur la dissymétrie moléculaire, Christian Bourgeois Paris, 1986. [8] J.W. Cornforth, J.W. Redmond, H. Eggerer, W. Buckel, C. Gutschow, Nature, 1969, 221, 1212. [9] J. Lüthy, J. Réthey, D. Arigoni, Nature, 1969, 221, 1213. [10] M. Kajiwara, S.-F. Lee, A.I. Scott, M. Akhtar, C.R. Jones, P.M. Jordan, J. C. S. Chem. Comm., 1978, 967. [11] a) L.H. Sommer, C.L. Frye, G.A. Parker, K.W. Michael, J. Am. Chem. Soc., 1964, 86, 3271 ; b) R.J.P. Corriu, J.J.E. Moreau, Bull. Soc. Chim. Fr., 1975, 901. [12] C. Eaborn, P. Simpson, I.D. Varma, J. Chem. Soc. A, 1966, 1133.
4. Stéréoisomérie structurale
77
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78 [38] [39] [40] [41] [42] [43]
[44] [45] [46] [47] [48] [49] [50] [51] [52] [53] [54]
Molécules chirales Au sujet des vues stéréoscopiques voir page 40. Voir référence [4]. R. Taylor, J. Chem. Soc., Perkin Trans. 2, 1993, 813. H.L. Frisch, E. Wasserman, J. Am. Chem. Soc., 1961, 83, 3789. D.M. Walba, Tetrahedron, 1985, 41, 3161. L’effet template (ou effet de matrice) consiste à utiliser un additif (souvent un ion métallique), qui en s’associant avec le ou les réactifs, impose une organisation structurale favorable à la réaction. Voir C.O. DietrichBuchecker, J.-P. Sauvage, Chem. Rev., 1987, 87, 795. C.O. Dietrich-Buchecker, J.-P. Sauvage, Angew. Chem. Int. Ed. Engl., 1989, 28, 189. G. Rapenne, C.O. Dietrich-Buchecker, J.-P. Sauvage, J. Am. Chem. Soc., 1996, 118, 10932. L.F. Liu, R.E. Depew, J.C. Wang, J. Mol. Biol., 1976, 106, 439. C. Liang, K. Mislow, J. Am. Chem. Soc., 1994, 116, 11189 ; 1995, 117, 4201. S. Brownstein, J. Dunogues, D. Lindsay, U. Ingold, J. Am. Chem. Soc., 1977, 99, 2073. a) M. Oki, The Chemistry of Rotational Isomers, Springer, NY, 1993. b) G. Yamamoto, M. Oki, Bull. Chem. Soc. Jpn, 1975, 48, 3686. J.S. Lomas, J.-E. Dubois, J. Org. Chem., 1976, 41, 3033. A. Collet, J.-P. Dutasta, B. Lozach, J. Canceill, Topics Curr. Chem., 1993, 165, 103. J. Canceill, A. Collet, G. Gottarelli, J. Am. Chem. Soc., 1984, 106, 5997. O. Bastiansen, S. Samdal, J. Mol. Struct., 1985, 128, 115. C.P. Brock, R.P. Minton, J. Am. Chem. Soc., 1989, 111, 4586.
Chapitre 5 Le système de Cahn, Ingold et Prelog 5.1
Éléments stéréogènes et leurs configurations
Certains éléments stéréogènes chirotopiques sont représentés figure 5.1 avec leurs descripteurs de configuration usuels, qui seront explicités plus loin. Le diméthylallène est souvent présenté comme l’archétype des molécules présentant un axe de chiralité (chiral axis), et le 2-carboxycyclophane comme un exemple de structure possédant un plan de chiralité (chiral plane). Quant au complexe [Rh(ox)3 ]3+ , il est simplement l’image d’une hélice microscopique, pouvant exister sous les formes droite et gauche. Le 1,2-dichloroéthylène (figure 5.2) est un élément stéréogène achirotopique, conduisant à l’existence de deux diastéréoisomères achiraux cis et trans (respectivement Z et E). Il en est de même du complexe plan-carré [PtCl2 (NH3 )2 ] qui présente également deux stéréoisomères achiraux cis et trans. Nous verrons que l’on peut spécifier leur configuration au moyen de descripteurs comportant un préfixe précisant le type de coordination (SP = square planar ), suivi du nombre de ligands (4) et se terminant par l’indice de configuration (ici, 1 ou 2) [1]. Un autre exemple, plus subtil, est fourni par le motif central H–C–OH de la paire de structures présentée à droite de la figure 5.2, et dont les deux configurations r et s engendrent deux acides méso trihydroxyglutariques, cas de pseudoasymétrie (voir dans ce chapitre à la page 92). Dans les exemples de la figure 5.1 et de la figure 5.2, les éléments stéréogènes sont binaires, parce qu’ils induisent l’existence de deux stéréoisomères. Si cette situation prévaut en chimie organique, il existe en chimie de coordination de nombreux exemples d’éléments stéréogènes d’ordre supérieur à deux. Le cas le plus simple apparaît avec les complexes plan-carrés possédant quatre ligands différents, comme [Pt(NH3 )(NH2 OH)NO2 )(py)] qui possède
80
Molécules chirales O
F
F H Cl
Br S
O
O
Rh3+ O
O
O
O
O O
O
O
Λ
O
H
H
H C
C
Me
C
C H
Me S ou P
R ou M
CO2H
Me C
C
Me
R ou P
O
O
Rh3+ O
∆
HO2C
O O
O
O
O
R
O
O
O H Br
Cl
O
S ou M
Fig. 5.1 – Quelques molécules présentant des éléments stéréogènes binaires chirotopiques, et leurs descripteurs de configuration. Les descripteurs R/S et P/M appartiennent au système CIP, alors que ∆/Λ correspondent à une convention en usage en chimie de coordination. Cl
H
Cl
H Cl E (trans)
H
Cl
H Z (cis)
CO2H R H OH r H OH H
Cl H3 N
Pt
NH3 Cl
SP-4-1 (trans)
Cl H3N
Cl Pt
OH S CO2H
CO2H R H OH s HO H H
OH S CO2H
NH3 SP-4-2 (cis)
2R,3r,4S (méso)
2R,3s,4S (méso)
Fig. 5.2 – Exemples d’éléments stéréogènes binaires achirotopiques avec leurs descripteurs.
trois stéréoisomères achiraux (figure 5.3). Dans leurs descripteurs, les indices de configuration (ici 2, 3, ou 4) distinguent les trois diastéréoisomères. La situation est plus compliquée pour des composés possédant des nombres de coordination supérieurs à 4 avec des ligands différents. Ainsi, un complexe octaédrique (OC-6) de structure [M(ab2 cde)] comprend 15 stéréoisomères dont 6 paires d’énantiomères et 3 stéréoisomères achiraux. L’une des paires d’énantiomères et l’un des stéréoisomères achiraux sont représentés figure 5.3 avec leurs descripteurs. Ici l’indice de configuration comprend deux chiffres, et, pour distinguer les structures énantiomères, leur sens de chiralité est spécifié par les symboles C (clockwise) et A (anticlockwise).
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog O2N
O2N
Py Pt
H3N
O2N
NH2OH
H3 N
NH2OH
a b
d
b
b
e
b
OC-6-34-C
a
c
NH2OH NH3
SP-4-4
e
b
d
e
OC-6-34-A
Pt
Py
Py
SP-4-3
SP-4-2
c
Pt
81
a
c
d
etc.
b
OC-6-32
Fig. 5.3 – Exemples d’éléments stéréogènes d’ordre supérieur à deux et spécification de leurs configurations dans le système CIP.
Nous avons vu au chapitre 4 qu’il existait encore d’autres types de structures stéréogènes dont les topographies n’entrent pas facilement dans la classification centre/axe/plan esquissée plus haut. C’est le cas en particulier des nœuds moléculaires, de certains caténanes, de molécules formant des rubans de Mœbius, ou encore de certains fullerènes.
5.2
Le système de Cahn, Ingold, Prelog (CIP)
Comme nous l’avons vu au travers des exemples de la figure 5.1 à la figure 5.3, la configuration s’exprime au moyen de descripteurs symboliques qui dépendent de la nature des éléments stéréogènes du système considéré. Certains descripteurs caractérisent la relation d’énantiomérie (R/S, M /P , C/A, ∆/Λ, d/l), d’autres la diastéréoisomérie (E/Z, cis/trans, fac/mer , thréo/érythro, α/β, etc.). Les indices de configuration utilisés en chimie de coordination caractérisent également la diastéréoisomérie. Certains de ces descripteurs sont de nature analogique. La configuration est définie par comparaison avec une structure de référence disposée d’une certaine façon ; c’est le cas de la convention de Fischer qui désigne par les lettres d ou l la configuration des acides α-aminés et des sucres, ou encore des descripteurs thréo/érythro. On retrouve le caractère analogique avec les notations ∆/Λ qui définissent la configuration par comparaison directe avec une hélice droite ou gauche. Ces descripteurs offrent l’avantage de la simplicité, mais présentent l’inconvénient de n’être applicables que dans les domaines pour lesquels ils ont été conçus. Le système de Cahn, Ingold et Prelog (CIP) [2–4], dont le cœur est constitué par les règles de priorité (sequence rule) des substituants, ligands ou atomes de l’élément stéréogène, prétend posséder grâce à son caractère systématique une portée plus générale. Son usage est recommandé en chimie organique (domaine pour lequel il a initialement été conçu) par l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée (UICPA, alias IUPAC) [5]. Il voit aujourd’hui son champ d’application s’étendre au domaine
82
Molécules chirales
de la chimie de coordination [6–9], tout au moins pour la description de cas de stéréoisomérie relativement simples. La spécification des configurations selon le système CIP comporte deux étapes. La première consiste à établir la séquence de priorité (hiérarchie) des groupes fixés sur l’élément stéréogène à nommer (a > b > c, etc.). Cette hiérarchie des groupes, qui est purement formelle et dépourvue de toute idée de taille, d’encombrement ou de forme des groupes en question, est en principe indépendante de l’élément stéréogène et présente un caractère universel. Dans la seconde étape, une série de règles, générales ou spécifiques de chaque type d’élément stéréogène, utilise la séquence ainsi produite pour établir le descripteur de configuration approprié. On notera que le système CIP a subi des évolutions qui ont parfois conduit à inverser les règles antérieures, notamment en ce qui concerne la spécification de la chiralité planaire [4]. Il a parfois été interprété de façon incohérente, en particulier pour le traitement des complexes π [10]. Son application n’est pas toujours dépourvue d’ambiguïté, et il a été l’objet de diverses critiques, souvent fondées [11, 12]. De fait, aucun système de spécification de configuration n’est parfait, et avec le recul de trois décennies d’utilisation, il faut reconnaître que les avantages du système CIP l’emportent très largement sur ses défauts, notamment grâce à sa logique qui se prête à un usage informatisé. Certains logiciels de modélisation moléculaire (PCMODEL, SYBYL, en particulier) possèdent une fonction permettant d’attribuer la configuration R ou S d’un centre stéréogène. Une vérification manuelle n’est cependant pas totalement superflue !
Dans les sections qui suivent nous décrivons l’application du système CIP et des autres systèmes en usage aux principaux types d’éléments stéréogènes. Le cas de la prostéréoisomérie sera traité ultérieurement (chapitre 6).
5.2.1
Hiérarchie des substituants dans le système CIP et application des règles aux centres de chiralité tétraédriques
Nous étudions dans cette section l’établissement de la hiérarchie des groupes d’un élément stéréogène, auxquels nous affecterons les lettres a, b, c, etc., dans l’ordre de leur priorité décroissante. À titre d’illustration, nous montrons comment à partir de cette hiérarchie on peut spécifier les configurations de divers centres de chiralité tétraédriques. On sait que dans le cas d’un tel centre A(abcd), existant sous deux configurations énantiomères, la spécification du sens de chiralité se fait en observant le système du coté opposé au groupe le moins prioritaire (d), et en notant le sens de l’arrangement des groupes a, b et c (figure 5.4). L’arrangement dans le sens des aiguilles d’une montre détermine la chiralité R (du latin rectus), et l’arrangement inverse la chiralité S (latin sinister ). Lorsque l’atome A n’est pas un carbone, on convient de préciser sa nature en indice : RSi ou SSi pour le silicium, etc.
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog
83
a
a d
d
A c
A b
b R
c S
Fig. 5.4 – Détermination de la configuration R ou S d’un centre chiral tétraédrique.
L’établissement de la séquence de priorité des groupes a, b, c, etc. est en premier lieu basé sur la comparaison des numéros atomiques des atomes directement liés à l’élément stéréogène considéré. Ainsi dans CHFClBr, la séquence Br > Cl > F > H détermine les configurations R et S des énantiomères de cette molécule dessinés figure 5.1. Un doublet libre dans une structure tétraédrique (amines, phosphines, sulfoxydes, etc.) est ici traité comme un substituant ayant un numéro atomique égal à zéro. Rares cependant sont les cas où la règle des numéros atomiques peut être appliquée telle quelle. La situation la plus commune est celle où plusieurs des atomes directement liés au centre de chiralité sont de nature identique. Pour établir la hiérarchie, il est alors nécessaire de procéder à une exploration dont les principes de base sont présentés figure 5.5 pour le cas des groupes alkyles et plus généralement des groupes ne présentant pas d’insaturations ni de cycles. niveau
Me
Et
n-Pr CH2NH2
0
A
A
A
A
1
C
2
H H H
3
H H H
C H H C C H C H H H H N H C H H C
4
0
A H H H
1
C
2
C H H C
3
C H H
A
C
H H H H C H H H
A
C
O H H
H
4 C H H
5 H H H n-Bu
i-Pr
CH2OH
Fig. 5.5 – Arborescence permettant d’établir la hiérachie des groupes dans le système CIP.
Les groupes à comparer sont développés selon une arborescence qui fait apparaître les différents niveaux indiqués sur la figure 5.5. Un niveau est défini par le nombre de liaisons séparant l’atome considéré de l’atome central figuré ici par A et représentant le niveau 0. Pour faciliter la lecture de ces graphes, on s’arrange pour toujours disposer les atomes de rangs les plus élevés vers le haut. On peut aussi remplacer les symboles des éléments par leurs numéros atomiques (CHH devient 611, etc.).
84
Molécules chirales
La règle de base est qu’un niveau doit être complètement exploré avant de passer au suivant. Au niveau 1, tous les groupes de la figure sont équivalents (C). La comparaison du méthyle et de l’éthyle permet d’établir la priorité de ce dernier par un examen au niveau 2 (HHH vs. CHH, règle du numéro atomique). On voit facilement que les alkyles linéaires doivent être rangés dans l’ordre de leur longueur (. . . n-Bu > n-Pr > Et > Me > H). La comparaison entre les groupes n-Pr et i-Pr montre que ce dernier est prioritaire ; la distinction se fait au niveau 2, entre CHH et CCH. Lorsque le même élément se trouve dans les niveaux de même ordre, le nombre des atomes de cet élément est déterminant. On peut voir par le même raisonnement que i-Pr est prioritaire non seulement vis-à-vis de n-Pr mais aussi vis-à-vis de tous les alkyles linéaires, quelle que soit leur longueur. La comparaison de CH2 OH avec le groupe i-Pr conduit à mettre en regard OHH et CCH au niveau 2. Ici, la règle du numéro atomique prévaut, et la présence d’un oxygène suffit à rendre CH2 OH prioritaire par rapport à i-Pr. On obtient le même résultat avec CH2 NH2 . Ces deux derniers groupes sont prioritaires par rapport à tous les alkyles avec de plus CH2 OH > CH2 NH2 puisque O > N. Une disposition particulière est prévue pour les groupes qui ne diffèrent que par leur composition isotopique. Les isotopes les plus lourds prévalent. De cette façon, T > D > H, CD3 > CD2 H > CDH2 > CH3 ou encore 18 O > 16 O. La figure 5.6 montre la configuration S du méthyle chiral de l’acide C(HDT)CO2 H. Cette règle ne s’applique pas pour des groupes qui différent à un niveau supérieur à celui où se situe l’isotope : CHDCH3 est bien prioritaire par rapport à CH2 CH3 , mais pas par rapport à CH2 CH2 OH, en dépit de la présence du deutérium au niveau 2. niveau
CO2H (a) C (b) T
H (d)
0
1
A
C
A
C
A
C
D (c) S
2 C H H C D H C H H
3 H H H H H H O H H
4
H
Fig. 5.6 – Configuration S de C(HDT)CO2 H et arborescence de trois groupes différents dont l’un possède un isotope plus lourd à un niveau inférieur. Cet isotope ne doit pas être considéré dans l’établissement de la hiérarchie lorsque les groupes diffèrent à un niveau supérieur. Pour les groupes possédant au delà d’un certain niveau plusieurs branches de structures différentes, il est nécessaire de définir la hiérarchie des branches (ou hiérarchie des chemins) avant de procéder à la comparaison des groupes. Une fois le chemin prioritaire établi, les autres ne sont plus considérés pour
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog 5
4
3
2
1
0
85 1
2
3
4
Br
H
C
H
niveau
H
O
Br
H
C
H (a)
C
C
H C
A
C
H
H
F
H
H
F
H
C
C
C
C
H
H
H
H
H
H
I
(b)
Fig. 5.7 – Hiérarchie des branches. l’exploration des niveaux supérieurs. Ainsi, dans la figure 5.7, les deux groupes à comparer a et b sont identiques jusqu’au niveau 3 inclus, et diffèrent au niveau 4. Avant d’examiner le niveau 4, la règle demande ici de choisir à un niveau inférieur laquelle des branches est prioritaire dans chaque groupe. La comparaison FCH vs. BrCH au niveau 3 conduit à choisir les branches indiquées en trait gras dans la figure. La comparaison au niveau 4 met alors en regard OHH vis-à-vis de HHH, d’où la conclusion a > b. On peut voir ici que l’atome d’iode situé au niveau 4 sur la branche non prioritaire du groupe b est ignoré dans la comparaison. Cette disposition ne pourrait évidemment pas s’appliquer si les chemins prioritaires des deux groupes se révélaient identiques aux niveaux supérieurs. Cette situation se produirait dans l’exemple de la figure 5.7 si le OH du groupe a était remplacé par un H. Dans ce cas c’est le groupe b qui deviendrait prioritaire (I > H). Afin d’établir leur arborescence, les groupes possédant des insaturations doivent être « éclatés » selon les règles illustrées figure 5.8 pour la comparaison CH2 OH vs. CH=O. Chaque liaison de valence d’ordre égal ou supérieur à deux est coupée et les deux fragments obtenus sont liés à des atomes fantômes de même nature que ceux auxquels ils étaient initialement connectés. Ces fantômes sont finalement complétés, selon leur valence, par des atomes virtuels de numéro atomique zéro (disposition généralement inutile et souvent ignorée ; pour les distinguer des atomes réels, les atomes fantômes sont alors mis entre parenthèses). Au niveau 2, l’atome d’oxygène fantôme donne l’avantage à CH=O par rapport à CH2 OH. De même, on obtiendrait que CO2 H prévaut sur CH=O. Précisons toutefois que cette disposition ne s’applique pas aux atomes tétraédriques possédant des orbitales d, comme les sulfoxydes, les sulfinates, ou encore les oxydes de phosphine : les liaisons souvent représentées par S=O ou P=O sont considérées dans le système CIP comme étant des liaisons simples. La figure 5.9 montre l’arborescence d’autres groupes insaturés non cycliques importants. On constate que, pour ce qui est des hydrocarbures, le
86
Molécules chirales niveau
C
1
2
3
4
C
A
C
O O H
0 0 0
C
O H H
H
A
0
H
H O
C
O
O
C
0
0 0 0
CH2OH
0
A
C
O (O) H
(C)
Fig. 5.8 – Éclatement et arborescence de CH=O et comparaison avec CH2 OH. niveau
0
1
A
(C) C H C (C) H
H C
CH2
2
3
0
C
CH
N
A
A
2
C
H
C
1
A
(C) C (C) H C (C) (C) (C) N (C) C (N) (N)
C
C H C
A
C
C C
3 H H H H H H H H H H H H H H H
i-Pr
t-Bu
Fig. 5.9 – Arborescence de groupes insaturés et comparaison avec certains groupes saturés.
groupe éthynyle précède le terbutyle (niveau 3), qui lui-même précède le vinyle (niveau 2). Ce dernier précède cependant le groupe isopropyle (niveau 3). Le nitrile précède tous les autres groupes de la figure, mais est précédé aussi bien par CH=O que par CH2 OH en vertu de la règle des numéros atomiques au niveau 2. Selon un principe analogue à celui utilisé pour les groupes insaturés, les groupes cycliques sont transformés en groupes linéaires dibranchés de la façon indiquée figure 5.10. Il est facile de voir que le cyclobutyle s’intercale entre les groupes dibranchés CH(n-C3 H7 )2 et CH(n-C4 H9 )2 . En comparant les figures 5.9 et 5.10, on obtient que le cyclobutyle précède le vinyle (niveau 3) mais pas le terbutyle ni le groupe éthynyle C≡CH. niveau
0
1
A
C
2 C
3 C H H C C H H H
4 5 C (C) H H H H C (C) H H H H
Fig. 5.10 – Arborescence du groupe cyclobutyle.
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog
87
Le principe reste le même lorsque le cycle contient le centre chiral à nommer. La figure 5.11 montre ainsi le cas de la 3-méthyl pyrrolidine dont l’énantiomère de configuration R est représenté. La hiérarchie a > b > c est déterminée au niveau 2. On se convaincra facilement que le remplacement de l’atome d’azote par un atome de bore conduirait à attribuer à la même structure le descripteur S (N > C > B). Ceci illustre bien le caractère formel des règles CIP, et souligne la nécessité d’employer avec précaution les termes « de même configuration » ou « de configurations opposées », lorsqu’il s’agit de molécules de structures différentes.
(d) H
CH3 (c)
(b)
(a) NH R
2
1
H H H
C
0
1
C C
C H
2
3
N H H C H H
C H
4 (C) H H
CH3 (c)
(d) H
(b)
(a) N H H
(C) H
BH S
Fig. 5.11 – Arborescence dans le cas d’un centre chiral inclus dans un cycle. Dans le cas des systèmes polycycliques, l’arborescence doit être développée à partir de chacun des centres de chiralité à nommer (il existe autant d’arborescences différentes que de tels centres). L’exemple d’une trans décalone possédant deux centres asymétriques en C(5) et C(10) est présenté figure 5.12, où seule l’arborescence issue du centre C(5) est dessinée. Les atomes d’hydrogène sont ignorés, les carbones sont représentés par leurs numéros, les atomes d’oxygène sont figurés par O, et les atomes fantômes sont mis entre parenthèses. On obtient facilement la séquence C(10) > C(4) > C(6) > H, et le C(5) possède donc la configuration S. Notons que les parties du graphe indiquées en grisé ne sont pas utilisées dans l’établissement de la hiérarchie des groupes, qui est établie au niveau 2 pour le C(10) et au niveau 5 pour le C(5). L’arborescence issue du C(10) montrerait par la même démarche que ce centre possède la configuration R. Le cas du phényle, à la fois cyclique et insaturé, est traité figure 5.13. Le phényle précède les groupes éthynyle, terbutyle et cyclohexyle, mais est précédé par le groupe C(CH3 )2 C(CH3 )3 et par le 2-fluorophényle (en général par les phényles substitués en o, m ou p par un groupe X dont le numéro atomique est supérieur à celui du carbone). L’éclatement des groupes hétérocycliques aromatiques présente une particularité due à la mésomérie, et qui n’apparaît pas dans les dérivés homocycliques tels que le benzène, où tous les atomes du cycles sont identiques. Il existe en effet deux façons de disposer les doubles liaisons dans les hybrides de résonance « usuels » [13] que l’on peut écrire pour les groupes 2-pyridyle ou 2-(1-quinoléyl) choisis comme exemples dans la figure 5.14. Les atomes fantômes qui résultent de l’éclatement des liaisons formalisées par C=N doivent
88
Molécules chirales niveau
O
CH3
1 2
9 8
5 4
1
2
1
10
3
0
7
10
9 11
4
3
5
3
4
O (1) (O) 2 3 8 7
2
1
4 6 O
(5) (5) (1)
(O) (5) 9 8 7 6 11 11 O (1) 10 1 (O) (5) 2 3 4
10
6
H
5
5S, 10R 6
7
8
9
(5)
(5)
Fig. 5.12 – Arborescence issue d’un centre asymétrique dans un composé bicyclique. niveau (C)
0
1
2
H (C)
H (C) A C
C
C
C
C
H C
(C) A
C
(C)
C
H H
C
(C) (C)
C
C
C(CH3)3 A
C CH3
C
CH3
F
C
(C)
H
F
C
(C)
(C) A C
C
C
H C
C
(C) H
(C) H
A
C
C
C (C)
3
4
5
6
7
C (C) C (C) (C) C (C) H H C (C) H C (C) (C) H C (C) (C) H C (C) H H C (C) H (C) H H H H C H H C H H C H H H H H H H H H C (C) (C) F C C (C) (C) H H C (C) F H (C) H C C (C) (C) C (C) H (C) C (C) H (C) H H
(C)
Fig. 5.13 – Arborescence de systèmes benzéniques simples et de C(CH3 )2 C(CH3 )3 , le plus petit groupe aliphatique ayant priorité sur le phényle. alors être représentés par des hybrides de numéro atomique Z moyenné entre C et N, après pondération selon la situation particulière de l’atome concerné. Ainsi dans le groupe 2-pyridyle le C(2) peut être doublement lié soit à l’azote,
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog niveau
0
1
89 2
3
4
5
6
7
6
N
(C) 2
(N/C) C
N
C N
C
H
(C) H
(C)
(N/C)
N (N/C) A C
C
C
C
H C
(C)
A
C
H
N 2 N
N
H
H N
(C)
(N/C) (C)
C C C (C)
(C) (C)
H
H
H H
(C)
9
H
(C)
(C)
C
(N/C)
H
(C)
(C)
C
(N/C) : Z = 6,50 (N/C2) : Z = 6,33 (N/C2) H (C) H (C) C C (C) H N C C (N/C) (C) A C C C H (C) (C) C C (C) H H (C)
Fig. 5.14 – Arborescence de groupes hétérocyliques aromatiques.
soit au C(3), selon la structure limite de résonance considérée. En conséquence, on doit lui affecter un fantôme hybride (N/C) de numéro atomique Z = (7 + 6)/2 = 6,5. Il en est de même pour le C(6) du même groupe, et pour le C(2) du groupe 2-(1-quinoléyl) qui doivent être également reliés à un fantôme (N/C). En revanche, on voit facilement que le C(9) du quinoléyle doit être complété par un fantôme (N/C2 ), de numéro atomique Z = 6,33. En comparant les arborescences des groupes phényle, 2-fluorophényle et 2pyridyle, il apparaît que le dernier l’emporte sur les deux premiers par comparaison au niveau 2. Par ailleurs, en appliquant la règle des numéros atomiques au niveau 3, on peut constater que le 2-fluorophényle l’emporte sur les 3- et 4-pyridyles dont les arborescences sont développées figure 5.15. En résumé, pour les groupes –(C6 H4 X), où le numéro atomique de X est supérieur à celui de l’azote, comparés aux groupes pyridyles (Py) on peut établir la hiérarchie suivante : 2-Py > 2-X-C6 H4 > 3-Py > 3-X-C6 H4 > 4-Py > 4-X-C6 H4 > phényle. Nous étudions maintenant le cas des groupes métallocéniques dont l’atome métallique constitue le centre stéréogène à nommer, en nous limitant pour l’instant aux centres tétraédriques. Dans les composés A [14] et B [15] représentés figure 5.16, l’un des groupes entourant le manganèse est le ligand
90
Molécules chirales niveau
0
1
N
A
C
2
3
4
(C)
A
C
6
7
(N/C) (C) C C (C) (C) C H N (C) H H C (N/C) H C
N
5
C C (C) H
(N/C) (C) C (C) C N (C) H H (N/C) H
C (C)
Fig. 5.15 – Arborescence des groupes 3-pyridyle et 4-pyridyle. Seules les branches de plus haute priorité sont représentées.
η 5 -cyclopentadiényle. Pour établir la séquence de priorité autour du métal, le ligand η 5 -C5 H5 est traité comme un « pseudo-atome » de numéro atomique égal à la somme des numéros atomiques des atomes liés au métal, soit Z = 5 × 6 = 30 [16]. On en déduit la séquence I > η 5 -C5 H5 > PPh3 > NO > CO ; les deux structures dessinées figure 5.16 ont donc la configuration RMn . De la même façon, on doit attribuer aux ligands η 7 -C7 H7 , η 6 -C6 H6 et η 3 -C3 H5 les numéros atomiques respectifs 42, 36 et 181 . (a)
(b) Mn (a) I
CO (d) PPh3 (c)
A RMn
Mn (c) ON
CO (d) PPh3 (b)
B RMn
Fig. 5.16 – Configuration de métallocènes chiraux au centre métallique tétraédrique.
Aux origines du système CIP, les configurations des structures métallocéniques comme le 1-acétyl-2-méthylferrocène A représenté figure 5.17 étaient spécifiées au moyen de règles particulières établies pour la chiralité planaire (voir dans ce chapitre le paragraphe 5.2.2). Il est par la suite apparu plus 1 Signalons qu’un article de Stanley et Baird, postérieur à l’établissement de la règle, a semé la confusion en préconisant d’utiliser non pas la somme des numéros atomiques (disposition en accord avec la première loi de priorité des règles CIP), mais celle des poids atomiques. Cet article ayant par la suite été souvent cité en référence il en est résulté un certain nombre d’attributions incorrectes de configurations, en particulier pour le composé A décrit comme étant SM n dans les références [7] et [8]. K. Stanley, M.C. Baird, J. Am. Chem. Soc., 1975, 97, 6598.
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog
91
Fe
CH3
C
COCH3
C(1) C
Fe H (Fe)
(b)
O C
(Fe)
CH3 COCH3 (d)
(O)
A
(c) Fe
(a)
1R
Fig. 5.17 – La configuration 1R du ferrocène A est établie à partir de l’arborescence du cycle supérieur (au centre) qui permet de définir l’atome central (C(1)) ainsi que la séquence (a, b, c, d) de ses quatre ligands.
simple d’appliquer à ces composés les principes établis pour la chiralité centrale. Dans le composé A, la chiralité est due à l’existence de deux substituants différents sur l’un des cyclopentadiényles. La configuration de l’atome de plus haute priorité de ce cycle (ici, C(1)), considéré comme un centre pseudotétraédrique entouré des quatre groupes Fe (a), CCH3 (b), CH (c) et COCH3 (d), suffit pour spécifier sans équivoque celle du système. Notons que dans des systèmes ouverts tels que ceux dérivés du fer tricarbonylbutadiène dont un exemple est représenté figure 5.18, il peut être nécessaire de définir la configuration de plusieurs centres pseudo-tétraédriques, comme ici C(2) et C(5). (c) H3C
C (b) 5
H (d) Fe (a)
H3C
2
5
CO2CH3 H
H Fe
OC
CO
CO
(b) C 2
(d) H
(c) CO2CH3
Fe (a)
2S,5R
Fig. 5.18 – La stéréochimie 2S, 5R du dérivé fer-tricarbonylbutadiène représenté est spécifiée par les configurations des centres pseudo-tétraédriques C(2) et C(5). Comment classer des groupes qui possèdent la même constitution mais diffèrent uniquement par leurs configurations ? En ce qui concerne l’isomérie géométrique, dans la première version des règles CIP [3], la hiérarchie était établie sur la convention cis > trans (ou mieux, Z > E) et l’énantiomère de l’alcool bis-allylique dessiné figure 5.19 pouvait alors être nommé S. Par la suite sont apparus des exemples où cette disposition était inapplicable, comme dans le cas du cyclobutanediol représenté sur la même figure qui présente deux doubles liaisons apparemment identiques. La règle modifiée en 1982 donne la préférence à celui des ligands dont le groupe prioritaire est cis par rapport au centre stéréogène à nommer [4]. La nouvelle règle fournit le même descripteur que l’ancienne, sauf dans de très rares cas. C’est pourquoi il est préconisé d’affecter l’indice n (new ) aux descripteurs R ou S pour distinguer les deux versions.
92
Molécules chirales
Dans le cyclobutanediol de la figure 5.19, on voit facilement que, si l’on considère le C(1), c’est la double liaison indiquée par (b), où le Cl est cis par rapport au C(1), qui précède celle indiquée par (c). La situation est inversée pour le C(3). L’application de la règle montre que les deux centres chiraux C(1) et C(3) sont de configurations opposées, en accord avec la centrosymétrie de la molécule. Notons que l’inversion de la configuration de l’un ou l’autre de ces centres conduirait à la paire d’énantiomères 1R,3R et 1S,3S, appartenant au groupe de symétrie C2 . OH
CH3 (b)
H (d)
Cl
OH (a)
H
C (c)
3
H
H (d) H (b)
(c)
Cl
1 OH (a)
H3C S (ou Sn)
1R,3S
Fig. 5.19 – Hiérarchie des groupes qui diffèrent uniquement par isomérie géométrique.
L’autre cas important de différence configurationnelle entre deux groupes est celui où ils possèdent des chiralités opposées. Cette situation se rencontre dans les acides trihydroxyglutariques dont les 4 stéréoisomères sont représentés figure 5.20. Il existe deux composés méso, et une paire d’énantiomères. Dans ces derniers, le motif H–C(3)–OH central n’est pas stéréogène, car ses deux substituants C(H)(OH)(CO2 H) ont la même constitution et la même configuration, 2R,4R ou 2S,4S. De ce fait, la permutation de H–C(3)–OH en HO–C(3)–H est immatérielle : il suffit d’effectuer une rotation de 180◦ pour retrouver le composé initial. Dans les deux composés méso au contraire le H– C(3)–OH central est bien stéréogène puisque la permutation du H et du OH engendre les deux stéréoisomères. Toutefois ces deux stéréoisomères sont achiraux, car les deux substituants C(H)(OH)(CO2 H) sont images l’un de l’autre dans un miroir et ne diffèrent que par leurs configurations opposées R et S. C’est pourquoi le C(3) est ici qualifié de pseudoasymétrique [17] . Ses deux configurations sont désignées par les petites lettres r ou s, en appliquant la règle CIP avec la convention additionnelle que R précède S. Au contraire des descripteurs de chiralité R et S, les descripteurs de pseudoasymétrie r et s sont invariants par réflexion ou inversion de la structure considérée.
La pseudoasymétrie du type représenté figure 5.20 s’observe plus généralement dans les structures linéaires de constitution symétrique A–(CXY)n – A avec n impair. Nous nous limiterons au cas maintes fois cité des acides pentahydroxypiméliques, qui comporte au total 16 stéréoisomères répartis en
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog
H
S
OH
CO2H R H OH s HO H H
OH
CO2H
S CO2H
2R,3r,4S (méso)
2R,3s,4S (méso)
H
CO2H R OH
HO
H
OH
HO
HO
H
R CO2H
H
CO2H
CO2H S H
HO
H
H
OH
OH
H
OH S CO2H
S
S
CO2H R H OH r H OH
93
CO2H
2R,4R
H
2S,4S
Fig. 5.20 – Pseudoasymétrie dans les acides trihydroxyglutariques.
6 paires racémiques et quatre formes méso. Quelques structures représentatives sont représentées figure 5.21. Dans les deux formes méso A et B, le C(4) est pseudoasymétrique et sa configuration r ou s est spécifiée comme on l’a vu ci-dessus grâce à la convention R > S. Les composés chiraux C et D ne posent aucun problème de nomenclature pour le C(4) qui n’est pas stéréogène, étant lié à deux groupements de constitutions et de configurations identiques. Ce n’est plus le cas dans E, où l’un des groupes est R,R et l’autre R,S. Le C(4) est ici chiral et pour spécifier sa configuration il faut introduire une condition de priorité additionelle : l’identique précède le différent, autrement dit, RR (ou SS ) précède RS.
CO2H R H OH R H OH r H OH H H
S S
OH OH CO2H
A (méso)
CO2H H
R
HO
H
HO
S HO H HO H
s
R
CO2H
OH
S S
CO2H
H
HO
H
H
OH
H
OH
H
H
H
OH
HO
OH
H
OH S CO2H
B (méso)
H
S S
CO2H C (chiral)
S R
H
H
OH
H
OH R
CO2H
H
OH S CO2H
D (chiral)
H HO H
R
OH
R R
R S
OH OH H OH
CO2H E (chiral)
Fig. 5.21 – Pseudoasymétrie dans les acides pentahydroxypiméliques (seuls 5 stéréoisomères sur les 16 possibles sont représentés).
Nous verrons ultérieurement d’autres exemples de centres pseudoasymétriques dans les structures cycliques comme le 1,3-cyclobutanediol ou le 1,4cyclohexanediol. Même si dans ces structures achirales il est possible d’attribuer aux motifs H–C–OH les descripteurs r ou s, l’usage le plus répandu reste encore d’utiliser les descripteurs cis et trans (voir paragraphe 7.2).
94
5.2.2
Molécules chirales
Les règles CIP pour la chiralité axiale, planaire et torsionnelle
Comment spécifier la configuration de molécules dépourvues de centres asymétriques tétraédriques, tout en conservant le principe de hiérarchie des groupes du système CIP ? Pour tenter de résoudre ce problème, les fondateurs du système ont cherché à regrouper les structures chirales en un petit nombre de classes auxquelles des règles particulières pourraient alors s’appliquer. Pour les besoins de la nomenclature, les structures chirales ont ainsi été réparties en trois classes, selon qu’elle possèdent un centre (tétraédrique), un axe, ou un plan de chiralité. Initialement basée sur des exemples, cette classification a par la suite été précisée et rendue plus générale sur la base des descriptions topographiques résumées dans les figures 5.22 et 5.23 pour les axes et les plans de chiralité, respectivement. a'
b
Z1
a
a'
a'
a
b
R a
b'
b Z2
b'
M
a'
Z2
Z1 a
b'
S
P
a'
a
b
a
b' Cl
H3C
CH3
H C Cl
a'
C
C H
Cl CH3
Fig. 5.22 – Axe de chiralité et spécification de la configuration des formes énantiomères.
La chiralité axiale est définie selon CIP par les deux arrangements énantiomères (ab)Z1 Z2 (a’b’) représentés figure 5.22, où Z1 et Z2 sont des atomes trigonaux. La droite d’intersection des deux plans aZ1 b et a’Z2 b’ constitue par définition l’axe de chiralité. La chiralité axiale est réalisée si on a simultanément a = b et a’ = b’, rien n’empêchant toutefois que a = a’ et/ou b = b’. Cette figure à six points peut être simplifiée, tout en conservant son caractère chiral, en une figure à quatre points (ab)/(a’b’) disposés aux sommets d’un tétraèdre irrégulier dans lequel l’un des axes de symétrie pseudo-S4 reçoit le statut privilégié d’axe de chiralité [18]. Ces quatre points suffisent maintenant à spécifier les configurations des deux arrangements de manière univoque par une procédure inspirée de celle utilisée pour spécifier la chiralité des centres tétraédriques. Il faut toutefois introduire dans ce cas une règle de hiérarchie supplémentaire : le proche précède l’éloigné. Ainsi, l’observation étant faite
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog p
d b c
a
95 p
d a
b
S
c
R
p
M
p
P
c
c p p
p' b
a'
a
H c a'
c
Br
a b H
p'
Fig. 5.23 – Plan de chiralité et spécification de la configuration des formes énantiomères. L’atome pilote figuré par p sert à marquer la face du plan de chiralité à partir de laquelle on observe la séquence des 3 atomes sélectionnés dans le plan (par exemple, a, b et c). Dans le cas du cyclophane, p est choisi plutôt que p’ car dans le plan de chiralité on a a > a . Dans le cyclooctène, p et p’ sont équivalent et à partir de l’un ou de l’autre on obtient la configuration R ou P .
le long de l’axe de chiralité (on peut vérifier que le sens est indifférent) les deux substituants les plus proches de l’observateur (ici, a et b) sont considérés comme prioritaires par rapport à ceux du groupe éloigné. Ils déterminent avec le substituant prioritaire du groupe situé en arrière (a’) un triangle aba’ dont le sens de rotation détermine le descripteur R ou S ; pour signaler qu’il s’agit de chiralité axiale, les descripteurs peuvent être précédés du préfixe a (aR, aS ). Cette disposition reste optionnelle, sauf s’il peut exister un risque de confusion dû à la présence dans la même molécule d’éléments de chiralité axiale et centrale. Notons ici que le descripteur de chiralité axiale s’applique à l’ensemble de la molécule (ou du fragment moléculaire) et non à un atome particulier comme dans le cas du centre asymétrique. La figure 5.22 montre les structures du (R)[1-chloro-3-méthyl]allène et du (S)-1,1’-[2,2’-dichloro-5,5’-diméthyl]biphényle, deux illustrations classiques de la chiralité axiale. Il est aussi possible de spécifier la configuration des structures à chiralité axiale en utilisant les angles de torsion appropriés, sélectionnés au moyen des règles de priorité CIP. L’angle de torsion à considérer est alors a–Z1–Z2–a’ qui relie les deux groupes prioritaires a et a’. On peut voir sur la figure 5.22 que le descripteur axial aR correspond au descripteur de torsion M , et inversement aS correspond à P . Illustrée à l’origine par des exemples tels que le bromocyclophane et le trans-cyclooctène représentés sur la figure 5.23, la chiralité planaire a été redéfinie d’une manière analogue à la chiralité axiale, par un arrangement
96
Molécules chirales
pentaatomique dans lequel l’un des substituants d’un groupe trigonal b(acd) est lié à un atome p situé hors du plan cbd, qui constitue le plan de chiralité ; il faut bien entendu avoir c = d pour que le système soit chiral. À partir de cette représentation ad hoc, le système CIP propose de spécifier la configuration de deux façons différentes. Dans la première méthode, on sélectionne un atome pilote p, situé hors du plan de chiralité, et directement lié à l’un des atomes du plan (a, choisi à partir des règles de priorité). On doit ensuite établir, dans le dit plan, une séquence abc dont l’observation à partir de p fournira le descripteur R ou S, qui peut être affecté de façon optionnelle du préfixe p pour signaler qu’il s’agit de chiralité planaire (pR, pS ). Cette séquence commence par l’atome a, directement lié à p, et continue en suivant la branche prioritaire que l’on peut définir dans le plan en suivant les règles de hiérarchie, jusqu’à l’identification de l’atome c. Dans la seconde méthode, qui repose sur la même sélection d’atomes p, a, b et c, la configuration est définie par les descripteurs P ou M à partir de l’angle de torsion p–a–b–c. Dans les deux exemples de la figure 5.23, le bromocyclophane représenté possède la configuration S ou M , et le transcyclooctène la configuration R ou P . Il n’aura pas échappé au lecteur que la correspondance (R/S) vs. (P/M ) est inversée entre la chiralité axiale (aR = M ; aS = P ) et planaire (pR = P ; pS = M ). Revenons sur la configuration des composés métallocèniques définie précédemment à partir des principes établis pour la chiralité centrale. On peut utiliser en effet dans le cas des ferrocènes, molécules présentant une chiralité planaire (voir le chapitre 4.4.3), la notation de Schlögl [19]. L’ordre de priorité pour les substituants est celui dicté par les règles CIP et la molécule est regardée selon l’axe qui passe par l’atome de fer et le centre des cyclopentadiényles. Le cycle le plus substitué, appelé plan chiral, est placé vers l’avant et le reste de la molécule vers l’arrière. On regarde alors le sens de rotation pR ou pS correspondant à l’ordre décroissant de priorité des substituants. Pour illustrer la notation de Schlögl, nous représentons figure 5.24 un férrocène tétrasubstitué avec deux substituants A et B (A > B) en position 1 et 2 respectivement. Dans ce cas, on a trois composés : un couple d’énantiomères et un composé méso. D’une manière générale, pour les molécules qui contiennent des éléments de chiralité de plusieurs types (centrale, axiale ou planaire) qui sont explicitées dans le chapitre 4, l’ordre à respecter pour l’écriture des configurations est le suivant : chiralité centrale > chiralité axiale > chiralité planaire [20]. Pour éviter les conflits, les promoteurs du système CIP ont suggéré d’utiliser de préférence les symboles P et M établis à partir des angles de torsions prioritaires identifiés selon les règles de hiérarchie, plutôt que les symboles aR, pR et aS, pS [3]. On peut considérer cette proposition comme une façon élégante d’abandonner, au moins pour les besoins de la nomenclature, les classes de chiralité axiale et planaire (on a déjà vu plus haut le cas des métallocènes,
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog
97
vue R
A Fe
A
A B
B
A
B
Fe B
B
A B
B
Fe
Fe
A
A
A
(pR,pS')
(pS,pR')
B A>B R'
vue composé méso
(pS,pS')
(pR,pR')
Fig. 5.24 – Utilisation de la notation proposée par Schlögl pour les ferrocènes. traité dans le cadre de la chiralité centrale). Ainsi, on ne considérerait plus que deux types de structures chirales : celles possédant des centres tétraédriques spécifiables par R ou S, et celle dont les configurations peuvent être décrites au moyen d’angles de torsion par les symboles P ou M . C’est dans cet esprit que les configurations des C3 -cyclotrivératrylènes, tels que le C3 -cyclotriguaïacylène représenté figure 5.25, ont été spécifiées par Prelog au moyen des descripteurs de torsion, bien que ces molécules possèdent trois plans de chiralité au sens CIP [21]. Les trois plans étant équivalents du fait de la symétrie C3 , il suffit de ne considérer que l’un d’entre eux (indiqué par A dans la figure 5.25). Deux atomes pilotes p ou p’ peuvent être pressentis pour sélectionner l’angle de torsion prioritaire, entre p–a–b–c et p’–a’–c–b. Le choix de p est imposé par le fait que, dans le plan de chiralité A, l’atome b précède c. La configuration M de la structure dessinée est finalement déduite du signe de l’angle de torsion p–a–b–c. a p
a'
M b c
B HO
H3CO OCH3
p'
A
C OH OH
OCH3
Fig. 5.25 – Spécification de la configuration (M) d’un énantiomère du C3cyclotrigaïacylène par sélection d’un angle de torsion prioritaire (p–a–b–c).
Un survol de la littérature récente montre toutefois qu’au moins pour certaines classes de composés, en particulier les biaryles, une nette préférence reste pour l’emploi des descripteurs R et S plutôt que P et M . L’une des raisons de cette préférence vient peut-être du fait que les mêmes symboles P
98
Molécules chirales
et M ont parfois été utilisés indifféremment comme descripteurs de torsion ou d’hélicité, alors que ces deux termes ne sont pas équivalents et peuvent même parfois s’opposer, comme on le verra dans la section suivante.
5.2.3
Hélicité et chiralité des angles de torsion
On a vu que la configuration de certaines structures chirales pouvait être définie en spécifiant le sens d’hélicité d’angles de torsion particuliers. Mais quel rapport existe-t-il entre un angle de torsion et une hélice ? Rappelons qu’une hélice résulte de la combinaison d’un mouvement de translation et de rotation. Le sens de l’hélice est déterminé de façon univoque par la relation entre le sens de rotation et la direction du déplacement. Ainsi, la figure 5.26 montre la construction d’une hélice cyclindrique droite à partir d’un vecteur radial r qui glisse le long de l’axe z tout en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre (pour un observateur situé à l’origine du système d’axes). Le pas de l’hélice représente la distance parcourue le long de z à chaque tour complet du vecteur. Le tire-bouchon ordinaire fournit une illustration parfaite de l’hélice droite. La même combinaison de translation et de rotation effectuée à partir de deux vecteurs r1 et r2 opposés l’un à l’autre conduit à la formation d’une double hélice droite dans laquelle les deux brins sont décalés d’un demi pas le long de l’axe z. De même, trois vecteurs à 120◦ l’un de l’autre engendrent une triple hélice dont les trois brins sont décalés d’un tiers de pas.
Fig. 5.26 – Définition d’une hélice droite simple, double ou triple. On peut définir sans ambiguïté le sens des hélices en considérant l’angle que forme l’axe de l’hélice A—A avec sa tangente en tout point T—T (figure 5.27). Si l’angle de rotation de A vers T est celui des aiguilles d’une montre, on aura une hélice droite ∆ ; on aura une hélice gauche Λ dans l’autre cas. Par analogie avec les angles de torsion, on désigne aussi l’hélice droite par P (plus) et l’hélice gauche par M (moins). L’un des exemples les plus connus d’hélicité à l’échelle moléculaire est celui de la structure de l’ADN mise en évidence par Crick et Watson en 1953 [22]. Les deux brins de l’ADN forment une double hélice droite stabilisée par des interactions entre bases nucléiques (figure 5.28). On verra dans le chapitre
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog
99 A
A
Hélice gauche
Hélice droite
Λ
∆ A
T
A
T
B
B T
T
T T A
B
B
T A
T
A
A
Fig. 5.27 – Définition du sens de l’hélice.
Fig. 5.28 – Double hélice de l’ADN. suivant d’autres exemples de molécules hélicoïdales comme les hélicènes, qui peuvent exister sous deux formes énantiomères. Le complexe [Co(en)3 ]3+ (en = NH2 CH2 CH2 NH2 ) possède trois ligands bidentates qui se positionnent dans un arrangement assimilable à une hélice à trois branches. Pour définir le sens de l’hélice on considère l’axe de l’hélice.
100
Molécules chirales
On aura une hélice droite ∆ (ou hélice α) si la propagation le long de cet axe est obtenue par une rotation dans le sens des aiguilles d’une montre (rotation symbolisée par la position de la main droite représentée sur la figure 5.29). Inversement, on aura une hélice gauche Λ (ou hélice β), si la propagation le long de cet axe est obtenue par une rotation en sens inverse des aiguilles d’une montre (sens symbolisé par la main gauche sur la figure 5.29). N
N
N
N
N
Co N
N Co
N N
N
N N
gauche
Λ
droite
Δ
Fig. 5.29 – Exemple d’hélicité dans les composés organométalliques. Il est intéressant de mentionner ici les différents isomères inhérents aux structures octaédriques que l’on rencontre très souvent dans les complexes des métaux de transition ou dans des composés hexavalents du phosphore par exemple. Suivant la nature des substituants (ou plus précisément des ligands) liés au centre métallique, on peut avoir de multiples formes stéréoisomères dues à la nature chirale ou achirale du ligand, et à leur arrangement autour du métal. La nature bidentate des ligands (chélates), rajoute un élément stéréogène supplémentaire comme on vient de le voir avec le complexe [Co(en)3 ]3+ de la figure 5.29 où l’on définit une hélicité ∆ ou Λ. Sans entrer dans une description exhaustive [23], nous présentons sur la figure 5.30 les cas les plus simples où un centre octaédrique est substitué par 2 types de ligands différents a et b. On définit une isomérie cis/trans pour le complexe M[a4 b2 ] (figure 5.30a), et une isomérie mer/fac pour le complexe M[a3 b3 ] (figure 5.30b). La terminologie mer vient de la disposition des 3 ligands a (ou b) le long d’un « méridien » (la molécule étant vue comme une structure sphérique). L’isomère fac voit les trois ligands sur une même « face ». Si on a des ligands bidentes, la configuration de chaque stéréoisomère sera précisée en affectant un descripteur supplémentaire lié à l’hélicité de la molécule (figure 5.30c). Il existe une multitude de composés à structures octaédriques, en particulier en chimie de coordination des métaux de transition. Nous présentons sur la figure 5.31 deux exemples de composés chiraux du phosphore hexacoordonnés souvent utilisés comme auxiliaires chiraux non-covalents (voir chapitre 9). L’anion trisphat peut être de configuration ∆ ou Λ [24]. Pour le binphat, l’unité binaphtyle introduit un élément stéréogène supplémentaire (R ou S) [25].
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog
101
Fig. 5.30 – Isomérie cis/trans et mer/fac des structures octaédriques.
Fig. 5.31 – Isomères de structures octaédriques.
5.2.4
Application des règles CIP à l’isomérie géométrique
Un alcène achiral peut exister sous la forme de deux stéréoisomères, selon la manière dont les substituants sont positionnés de part et d’autre de la double liaison. Il existe deux stéréoisomères du 1,2-dichloroéthylène, appelés isomères géométriques. La nomenclature préconisée par IUPAC est l’utilisation des configurations Z et E où Z signifie « ensemble » (de l’allemand zusammen) et E signifie « opposé » (de l’allemand entgegen). Cette nomenclature est basée sur les règles CIP. On classe selon CIP les groupements portés par le même carbone, a par rapport à b et a’ par rapport à b’. Supposons que a et a’ soient respectivement prioritaires par rapport à b et b’ (figure 5.32), on obtient alors la configuration Z si a et a’ sont du même côté de la double
102
Molécules chirales a
a'
a
b' a>b a' > b'
b
b'
b
Z
a' E
Fig. 5.32 – Nomenclature Z/E pour les alcènes polysubstitués. liaison, et la configuration E si a et a’ sont de part et d’autre de la double liaison. La nomenclature Z/E s’applique à tous les autres types de doubles liaisons comme les oximes, les énolates, etc. (figure 5.33). D’autre part, on utilise des parenthèses quand le stéréodescripteur s’applique à l’ensemble de la molécule. HO N
CH3
LiO
H
H
H3C
C2H5
O
C
oxime Z
énolate E
(3E,5Z)-Hepta-3,5-dien-2-one
Fig. 5.33 – Exemples d’oximes, d’énolates et d’utilisation de parenthèses. On emploie aussi fréquemment la nomenclature cis/trans pour décrire les alcènes. Pour le 1,2-dichloroéthylène, si les deux atomes de chlore sont du même côté de la double liaison, on parle de l’isomère cis ; dans le cas où ils se trouvent de part et d’autre de la double liaison, on parle de l’isomère trans (figure 5.34). Dans les cas simples des alcènes 1,2-disubstitués cette nomenclature s’applique correctement. Cependant, cette définition est très restrictive et fortement confuse dans le cas des alcènes polysubstitués. Pour des alcènes portant quatre substituants différents, il est nécessaire d’appliquer les règles de priorité du système CIP et d’utiliser la nomenclature Z/E . Il faut noter que cis/trans n’est pas synonyme de E/Z. Par exemple le trans-but-2-ène correspond au E-but-2-ène et le trans-2-phényl-but-2-ène ((1-méthyl-propenyl)-benzene) a la configuration Z suivant la réglementation IUPAC (figure 5.34). Par contre on voit que les isomères cis des énolates de la figure 5.34 correspondent aux formes E ou Z. La stéréochimie des oximes peut être définie par les termes syn ou anti qui précisent la disposition relative des groupements OH par rapport à l’atome d’hydrogène sur le carbone adjacent (figure 5.35a). Cette nomenclature a été généralisée à d’autres types de doubles liaisons comme les imines (C=N) et les composés azo (N=N). Il existe cependant une ambiguïté pour les composés disubstitués sur le carbone, et la règle est d’utiliser alors les priorités définies dans le système CIP. Lorsque les substituants de plus grandes priorités sont situés du même côté de la double liaison, on a l’isomère syn, lorsque ces groupes prioritaires sont de part et d’autre de la double liaison, on a l’isomère
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog Cl
Cl
103
H
H H cis-1,2-dichloroéthylene Z-1,2-dichloroéthylene
H3C
CH3
H3C
H
LiO
H E, cis
E, trans
Cl
H
C6H5
CH3
H
Cl
H3C
H
trans-1,2-dichloroéthylene E-1,2-dichloroéthylene
CH3
LiO
CH3
H
Z, trans
H Z, cis
Fig. 5.34 – Comparaison des nomenclatures Z/E et cis/trans. anti (figure 5.35b). La sagesse appelle maintenant à utiliser, pour dénommer la configuration de ces composés, la terminologie Z/E en appliquant les règles CIP. b)
a) HO
C6H5
HO
H
C6H5 N
C6H5
H anti
HO
N
N
CH3 syn (Z)
syn
HO
CH3 N C6H5 anti (E)
Fig. 5.35 – Nomenclature syn/anti dans le cas des oximes. On utilise également les termes anti et syn pour préciser la configuration relative de deux ou plusieurs centres stéréogènes, dans une représentation plane en « zigzag » d’une chaîne de plusieurs carbones, selon que la disposition des substituants correspondants est d’un même côté du plan (syn) ou de part et d’autre du plan (anti) (figure 5.36). Bien qu’il soit conseillé d’utiliser les descripteurs R ou S, cette nomenclature reste d’usage courant. H3C 2 OH
3
4
OH 5
OH
Fig. 5.36 – (±)-(2,4-syn,2,5-anti)-5-methyl-2,4,5-heptanetriol.
5.2.5
Le système CIP et le système de Fischer
Le premier descripteur de configuration a été préconisé par Emil Fischer qui en 1891 réussit à établir la structure et la configuration relative des centres asymétriques du glucose et des sucres en général [26]. Fischer va proposer très
104
Molécules chirales
vite une représentation des structures des sucres dans l’esprit du carbone asymétrique de van’t Hoff en adoptant la projection que nous connaissons encore aujourd’hui : la chaîne la plus longue est disposée verticalement ; le groupement le plus oxydé (groupement aldéhyde) est placé en haut ; les groupes CH(OH) sont dessinés horizontalement avec la convention qu’ils sont orientés vers l’avant. La position du substituant OH porté par le carbone asymétrique le plus bas permet d’attribuer le descripteur d si celui-ci est disposé vers la droite ou la lettre l s’il est disposé vers la gauche (figure 5.37).
Fig. 5.37 – Spécification de la configuration selon Fischer. Fischer pensait que la position des atomes dans l’espace et le signe du pouvoir rotatoire étaient liés et, dans la nomenclature d’origine, il utilisait les descripteurs d ou l. Ainsi dans la représentation de Fischer du glucose [27] (figure 5.37), la lettre d indiquait à la fois que le groupement -OH du carbone asymétrique le plus bas de la chaîne carbonée était à droite et que la molécule était dextrogyre ; dans le l-glucose ce groupement était à gauche et la molécule était lévogyre. Bien qu’à l’époque, Fischer n’ait eu aucun moyen de faire le bon choix, il se trouve que la structure qu’il a dessinée pour le (+)-glucose était la bonne. Ainsi le dglucose tel qu’il a été représenté par Fischer est réellement dextrogyre. En conséquence, toutes les configurations de Fischer correspondent réellement aux configurations absolues des composés en question.
Pour éviter toute confusion, l’usage fait que l’on utilise maintenant les descripteurs de configuration d et l (attribuant uniquement la position à droite ou à gauche de la chaine principale, du groupement OH porté par le carbone asymétrique le plus bas). À ces descripteurs, qui ont remplacé d et l (d et l étant reliés au signe du pouvoir rotatoire), on associe les signes (+) et (−) pour spécifier le signe du pouvoir rotatoire. On rencontre ainsi des molécules de configurations absolues d -(+), d -(−), l -(+) et l-(−). Dans la projection de Fischer de composés à un carbone asymétrique, une rotation de 90◦ dans le plan de la structure revient à inverser la configuration. Un exemple est donné figure 5.38 pour le glycéraldéhyde où chaque énantiomère est également dénommé suivant le système CIP.
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog CHO H
OH
H
105
OH OHC
OH CH2OH
CH2OH
H
H
CHO
CHO
CHO
OH CH2OH
D-(+)-glycéraldéhyde
HO
H
HO
CH2OH
CH2OH
R-(+)-glycéraldéhyde
H CH2OH
L-(-)-glycéraldéhyde
CHO
CHO H HO
CH2OH
OHC
HO H
CH2OH
S-(–)-glycéraldéhyde
Fig. 5.38 – Le gylcéraldéhyde selon Fischer et CIP.
Le système de Fischer n’est employé aujourd’hui que dans le cas de sucres, de certains hydroxyacides et des acides aminés R-CH(NH2 )-CO2 H qui constituent les protéines (figure 5.39a). Pour les acides aminés, il n’existe qu’un seul carbone asymétrique, dont la configuration est désignée par l (seul stéréoisomère rencontré dans la nature) ou d selon que le groupement azoté se trouve à gauche ou à droite, respectivement, de la chaîne principale de la molécule, disposée verticalement avec la fonction acide en haut, dans la projection indiquée sur la figure 5.39b. Les α-hydroxyacides suivent les mêmes règles que les α-aminoacides. C’est donc la position de la fonction OH qui détermine la stéréochimie d ou l. C’est le cas par exemple de l’acide lactique (figure 5.40a) pour lequel les configurations d et l sont attribuées sans difficulté. Cependant une forte ambiguïté subsiste quand on considère les hydroxyacides dicarboxyliques. On peut définir une nomenclature en se basant sur la règle de Fischer, mais il existe une ambivalence quant au choix du groupe acide « prioritaire ». Ceci est illustré sur la figure 5.40b pour l’acide saccharique. Le cas de l’acide tartrique est aussi un exemple où la notation de Fischer n’est pas sans poser de problème. On peut en effet définir une nomenclature en se basant sur la structure du sucre le plus proche (ce qui donne d-(−) ou l-(+)), ou en appliquant la règle définie ci-dessus pour les α-hydroxyacides (ce qui donne d-(+) ou l-(−)), (figure 5.40). Cette ambiguïté nous incite bien sûr dans ces cas à utiliser sans réserve le système CIP. Les descripteurs l et d de Fischer, malgré leur intérêt historique, sont aujourd’hui supplantés par les descripteurs R et S de Cahn, Ingold et Prelog
106
Molécules chirales
Fig. 5.39 – a) L’asparagine, acide aminé de la série L, que l’on trouve notamment en grande quantité dans les asperges, et le ribose un sucre de la série d, dont la forme cyclique est l’un des constituants de la charpente des acides ribonucléiques (ARN). b) Les deux formes de l’acide aspartique.
Fig. 5.40 – Configuration des α-hydroxyacides.
(CIP) dont l’usage est beaucoup plus rigoureux. On sait depuis cette époque que l’alanine de configuration l est dextrogyre soit l-(+) d’après Fischer, ou S-(+) d’après les règles CIP (figure 5.41).
5. Le système de Cahn, Ingold et Prelog CO2H
CO2H
CO2H X
X H
107
H
X
H
R R
R Série L CO2H H2N
HO2C
H
H H3C
CH3 L-(+)-alanine
NH2
S-(+)-alanine
Fig. 5.41 – Configuration absolue de l’alanine dans les deux systèmes de nomenclature ; correspondance entre les règles CIP et la dénomination de Fischer. Cependant, ils restent particulièrement adaptés au cas des sucres et permettent de représenter par une seule lettre la configuration de la molécule de glucose possédant 4 carbones asymétriques. Comme le montre la figure 5.42, la représentation CIP, est beaucoup plus « encombrante » dans ce cas ! 1 CHO H OHC 1
OH H 3
2 H
H
OH 4
5
CH2OH 6
OH HO H
HO H H
2 3 4 5
OH H OH OH
(2R,3S,4R,5R)-2,3,4,5,6-pentahydroxy hexanal 6 CH2OH D-(+)-glucose
Fig. 5.42 – Le glucose selon CIP et Fischer.
Bibliographie [1] A. von Zelewsky, Stereochemistry of Coordination Compounds, John Wiley & Sons, 1996. [2] R.S. Cahn, C. K. Ingold, V. Prelog, Experientia, 1956, 12, 81. [3] R.S. Cahn, Sir C. Ingold, V. Prelog, Angew. Chem. Intern. Ed., 1966, 5, 385. [4] V. Prelog, G. Helmchen, Angew. Chem. Intern. Ed., 1982, 21, 567. [5] (IUPAC), J. Org. Chem., 1970, 35, 2849 ; Nomenclature UICPA des composés organiques, traduit par R. Panico et J.-C. Richer, Masson, Paris 1994, p. 160 et suivantes. [6] T.E. Sloan, Topics Stereochem., 1980, 12, 1.
108
Molécules chirales
[7] G.J. Leigh, Nomenclature of Inorganic Chemistry, Blackwell, Oxford, 1990. [8] B.P. Block, W.H. Powell, W.C. Fernelius, Nomenclature of Inorganic Chemistry–Recommendations, ACS Professional Reference Book, American Chemical Society, Washington, DC, 1990. [9] Voir aussi référence [1]. [10] Voir à ce sujet la mise au point de H. Brunner, Enantiomer, 1997, 2, 133. [11] K. Mislow, J. Siegel, J. Am. Chem. Soc., 1984, 106, 3319. [12] H. Dodziuk, M. Mirowicz, Tetrahedron: Asymmetry, 1990, 1, 171. [13] Nous citons ici textuellement l’instruction précisée dans la référence [3], p. 391 : « A mesomeric system is represented by its “usual” valence-bond structure or structures. By “usual” is meant selected, first, to have fewest formal charges and radical centres, and then, given this, with preference for multiple bonds and conjugated systems of them, and chief preference for closed-conjugated systems. » [14] G.M. Reisner, I. Bernal, H. Brunner, M. Muschiol, Inorg. Chem., 1978, 17, 783. [15] H. Brunner, H.-D. Schindler, J. Organomet. Chem., 1970, 24, C7. [16] C. Lecomte, Y. Dusausoy, J. Protas, J. Tirouflet, A. Dormond, J. Organomet. Chem., 1974, 73, 67 ; voir également les références [5] et [9] ainsi que : H. Brunner, Adv. Organomet. Chem., 1980, 18, 151. [17] V. Prelog, G. Helmchen, Helv. Chim. Acta, 1972, 55, 2581 ; J. G. Nourse, J. Am. Chem. Soc. 1975, 97,4594. [18] L’image du tétraèdre « étiré » selon l’un de ses trois axes pseudo-S4 est souvent utilisée pour définir la chiralité axiale. [19] K. Schlögl, Topics in Stereochem., 1967, 1, 39. [20] D. Marquarding, H. Klusacek, G. Gokel, P. Hoffmann, I. Ugi, J. Am. Chem. Soc., 1970, 92, 5389. [21] Voir la note de V. Prelog dans A. Collet, J. Gabard, J. Jacques, M. Cesario, J. Guilhem, C. Pascard, J. Chem. Soc. Perkin Trans. 1, 1981, 1630. [22] J. Watson, F. Crick, Nature, 1953, 171, 737. Jim Watson et Francis Crick étaient alors âgés respectivement de 24 et 36 ans. Ils furent récompensés pour leur découverte par le Prix Nobel de Médecine en 1962. [23] Voir à ce sujet l’ouvrage de A. von Zelewsky, Stereochemistry of Coordination Compounds, John Wiley & Sons, 1996. [24] J. Lacour, C. Goujon-Ginglinger, S. Torche-Haldimann, J.J. Jodry, Angew. Chem. Int. Ed., 2000, 39, 3695. [25] C. Herse, D. Bas, F.C. Krebs, T. Bürgi, J. Weber, T. Wesolowski, B.W. Laursen, J. Lacour, Angew. Chem. Int. Ed., 2003, 42, 3162. [26] E. Fischer, Berichte, 1891, 24, 1836. [27] E. Fischer, Berichte, 1891, 24, 2683.
Chapitre 6 Prostéréoisomérie ien que la stéréoisomérie s’applique par définition à un espace triB dimensionnel, ses concepts peuvent être étendus à des espaces de dimensionalité plus réduite tels qu’à une dimension (1D) et à deux dimensions (2D). On admettra que le concept de chiralité, défini par la non-superposabilité d’une image spéculaire, reste valable à 1D et à 2D moyennant certaines précautions : l’objet considéré doit rester confiné dans son espace. La prostéréoisomérie peut aussi être étendue à la dimension 3D dans les cas des groupements identiques au sein de la même molécule.
6.1
Systèmes unidimensionnels. Cristaux polaires
Si on considère un segment (A), son image (A ) dans un miroir (M) lui est superposable par glissement sur la droite. Un segment non orienté n’est donc pas chiral à une dimension (1D). Au contraire, un vecteur v est chiral à 1D car il n’est pas superposable, par glissement sur la droite, à son image spéculaire v (figure 6.1).
(M) A
A'
V
V'
Fig. 6.1 – Un vecteur est chiral à une dimension.
110
Molécules chirales
Les cristaux polaires sont une illustration de la chiralité à une dimension. Ceux-ci ne contiennent pas de centre de symétrie, ils sont dits noncentrosymétriques, mais présentent une orientation des molécules par rapport à un axe polaire. D’un point de vue chimique, les faces opposées par rapport à l’axe polaire présentent des propriétés différentes (voir chapitre 7.3.). Elles peuvent aussi se comporter différemment vis-à-vis d’un réactif, et par conséquent permettre de préciser l’orientation des molécules par rapport aux faces du cristal [1]. Par exemple, l’action de l’ammoniac gazeux sur le cristal polaire de l’anhydride de l’acide p-bromobenzoïque, se fait le long de l’axe polaire et seulement par l’une des faces. Ceci signifie implicitement que les fonctions carbonyles, qui subissent la réaction plus facilement que les fonctions aromatiques, sont dirigées vers cette face dans la direction de l’axe polaire (la face gauche sur la figure 6.2).
Axe polaire Br O O
Br
Br O
O
O
O
O
Br
O
Br
Br Br
O
NH3
O
O
O
O
O Br
O
O
O Br
X NH3
Br O
O
O
Br
Br O
O
O
Br
Br
O
Br
Br
Br
O
O
O
Br
Fig. 6.2 – Action de NH3 sur les cristaux polaires de l’anhydride de l’acide pbromobenzoïque. L’attaque se faisant sur la face gauche indique que les fonctions carbonyles sont dirigées vers cette face.
Souvent, les faces d’un cristal polaire peuvent avoir des aspects physiques différents et conduire à des propriétés physiques différentes : pyroélectricité, piézoélectricité, triboluminescence. La blende, ZnS, cristal polaire, a permis à Coster de montrer pour la première fois en 1930 que l’on pouvait déterminer la configuration absolue d’un cristal grâce à la diffraction anomale des rayons X (voir la méthode de Bijvoet, chapitre 7). Il a été montré que les atomes de soufre étaient dirigés vers la face brillante du cristal et les atomes de zinc vers la face opaque [2].
6. Prostéréoisomérie
6.2
111
Systèmes bidimensionnels. Prostéréoisomérie faciale, prochiralité
Un cas plus important en chimie est la chiralité à deux dimensions (2D), c’est-à-dire dans un plan. Prenons pour l’illustrer l’exemple du cis et du transbut-2-ène. Le cis-but-2-ène et son image dans un miroir sont parfaitement superposables par glissement dans le plan ; le cis-but-2-ène est achiral dans le plan. Par contre, le trans-but-2-ène et son image spéculaire ne sont pas superposables par glissement dans le plan, il est donc chiral dans le plan (figure 6.3). a)
b)
(M)
(M)
Fig. 6.3 – Prostéréoisomérie pour les cis et trans-but-2-ène.
6.2.1
Faces homotopique, énantiotopiques (prostéréoisomérie faciale)
D’un point de vue chimique, la prostéréoisomérie faciale implique que les deux faces du trans-but-2-ène ne sont pas équivalentes, alors que celles du cisbut-2-ène sont parfaitement identiques vis-à-vis d’un réactif. Ainsi, l’époxydation du cis-but-2-ène, qu’elle s’effectue sur l’une ou l’autre de ses faces, donne un unique composé méso, non chiral, le cis-2,3-époxybutane. On dit que les deux faces du cis-but-2-ène sont homotopiques. Par contre, l’époxydation du trans-but-2-ène sur l’une ou l’autre de ses faces donne les deux énantiomères du trans-2,3-époxybutane. Les deux faces du trans-but-2-ène sont dites énantiotopiques (figure 6.4). Plus généralement, un alcène cis comportant deux groupes A et B différents, possède également deux faces non-équivalentes énantiotopiques, puisqu’une forme et son image spéculaire ne sont pas superposables par glissement dans le plan. Ainsi l’époxydation d’un tel composé sur l’une ou l’autre des deux faces donnera deux énantiomères distincts (figure 6.5). Les oléfines ne constituent pas les seuls composés présentant de la prostéréoisomérie faciale. Nous pouvons prendre comme autre exemple d’énantiotopie, le cas d’une fonction carbonyle portant deux groupes différents A et B (figure 6.6). Si on essaie de faire glisser dans le plan les deux formes images du
112
Molécules chirales a)
b) [o]
[o]
Faces homotopiques
Faces énantiotopiques O
O
[o]
[o]
O
O
molécules identiques (composé méso)
molécules énantiomères
Fig. 6.4 – Faces homotopiques du cis-but-2-ène (a) et énantiotopiques du transbut-2-ène (b). [o]
[o] (M)
A
A
B
A
Faces énantiotopiques B
B O
O A
B
A
B
molécules énantiomères
Fig. 6.5 – Faces énantiotopiques d’une oléfine cis. composé carbonylé dans un miroir, on ne peut pas les superposer. L’attaque par un hydrure achiral conduit alors à deux structures énantiomères car les deux faces ne sont pas équivalentes. Par définition, deux faces sont homotopiques si l’attaque d’un réactif achiral sur l’une ou l’autre face conduit à des produits identiques ; deux faces sont dites énantiotopiques si l’attaque d’un réactif achiral sur une face conduit au produit énantiomère du produit obtenu par l’attaque sur l’autre face. On dit alors que ces molécules sont prochirales. Une structure chirale à 2D telle que nous venons de la décrire est dite prochirale à 3D. Le concept ci-dessus ne se limite pas seulement à la chiralité et peut aussi s’appliquer aux stéréoisomères au sens large. On parle alors de prostéréogénie, par analogie avec la stéréogénie et aux éléments stéréogènes. Prenons le cas
6. Prostéréoisomérie
113 H–
H–
O
B
(M) A O
O A
B
B
Faces énantiotopiques
A H A
OH
HO
B
B
H A
molécules énantiomères
Fig. 6.6 – Faces énantiotopiques d’un composé carbonylé.
de la stéréoisomérie cis/trans. Les deux hydrogènes HA et HB du chloroéthylène sont dits prostéréogènes (ou prostéréotopiques) car la substitution par l’esprit de l’un ou l’autre de ces hydrogènes par un chlore donne lieu à deux stéréoisomères Z et E distincts (figure 6.7). H
HA
Cl
HB
substitution de
H
Cl
H
H
HA ou HB par Cl
Cl
H
Cl
Cl
E-dichloroéthylène
Z-dichloroéthylène
Fig. 6.7 – Éléments prostéréogènes dans une oléfine.
6.2.2
Nomenclature CIP pour la prostéréoisomérie faciale
Les faces énantiotopiques d’une structure prochirale peuvent être nommées sur la base du système CIP. Pour cela, on commence par classer les groupes selon les règles CIP, puis on attribue le sens de rotation en observant la face à nommer. On utilise ensuite les étiquettes Re et Si, suivant respectivement que l’on tourne dans le sens des aiguilles d’une montre (du latin rectus signifiant droite), ou en sens inverse (du latin sinister signifiant gauche) (figure 6.8). Il faut noter que cette façon de nommer se limite à l’environnement d’un centre trigonal de la molécule et ne nomme pas strictement une face. En d’autres termes, dans les cas où il existe plusieurs centres trigonaux, comme dans le cas d’une oléfine (dont les deux éléments trigonaux sont l’un et l’autre carbones de la double liaison), il faudra préciser l’étiquette de tous les centres trigonaux.
114
Molécules chirales
Face Re
1 Face Si
O
2 Et
Me 3
Fig. 6.8 – Nomenclature des faces énantiotopiques.
6.2.3
Conséquence : synthèse conventionnelle et synthèse asymétrique
Dans nos propos précédents, nous avons pris à chaque fois en considération l’attaque par un réactif achiral, qui ne fait pas la différence entre les deux faces énantiotopiques ; on obtient donc à l’arrivée deux énantiomères en proportions 50 : 50, c’est-à-dire un mélange racémique. Nous sommes ici dans le contexte de la synthèse conventionnelle. Si au contraire on utilise un réactif chiral, les deux faces énantiotopiques sont « reconnues » par ce réactif et l’on obtient deux énantiomères en proportions différentes de 50 : 50. On se trouvera ainsi dans le contexte très important de la synthèse énantiosélective. appelée couramment synthèse asymétrique La réaction d’époxydation présentée sur la figure 6.9 illustre ces notions. Les définitions de la stéréosélectivité et de la stéréospécificité qui y sont associées seront précisées plus loin dans ce chapitre.
Fig. 6.9 – La synthèse asymétrique comparée à la synthèse conventionnelle.
6.2.4
Faces diastéréotopiques, diastéréosélectivité
Deux faces sont dites diastéréotopiques quand l’attaque sur l’une ou l’autre des deux faces aboutit à la formation de deux composés diastéréoisomères.
6. Prostéréoisomérie
115
C’est le cas quand un groupe chiral (noté ici A*) est fixé sur la double liaison d’un alcène. L’attaque par un réactif achiral conduit dans ce cas à la formation de produits diastéréoisomères dans des proportions non équivalentes car les états de transition diastéréoisomères, donc d’énergie différentes, sont en compétition (figure 6.10). Une telle synthèse, qui permet d’obtenir deux diastéréoisomères en proportions différentes, grâce au substituant chiral A*, est dite diastéréosélective (voir dans ce chapitre le paragraphe 6.5).
Fig. 6.10 – Faces diastéréotopiques d’une oléfine substituée. Réaction diastéréosélective.
6.3
Systèmes tridimensionnels. Prostéréoisomérie de groupe
La prostéréoisomérie s’applique non seulement aux faces d’une molécule plane, mais aussi aux groupements identiques portés par une molécule tridimensionnelle.
6.3.1
Groupes homotopiques
Pour illustrer cette notion, prenons le cas du groupement méthyle présenté figure 6.11. Si on substitue par l’esprit un des trois hydrogènes Ha , Hb ou Hc par un substituant X différent, on obtient trois fois le même composé. Les hydrogènes Ha , Hb et Hc sont dits homotopiques. Cette définition est transposable de l’hydrogène à tout autre substituant. Dans l’exemple de la figure 6.12, non seulement les deux H sont homotopiques mais aussi les deux groupements R. Critère de symétrie. Deux groupes (deux faces) sont homotopiques s’ils (si elles) sont interchangeables par une opération de symétrie Cn , dite opération de première espèce.
116
Molécules chirales
C
Ha Hb Hc
C
X Hb Hc
C
Ha X Hc
C
Ha Hb X
H homotopiques
Fig. 6.11 – Définition de l’homotopie des hydrogènes du groupe méthyle par substitution. X R R H
H R R
identiques H H R R
H homotopiques
X
Fig. 6.12 – Définition de l’homotopie des groupements R par substitution.
6.3.2
Groupes énantiotopiques
Dans le composé présenté figure 6.13 où R1 est différent de R2 , le remplacement par l’esprit d’un des deux hydrogènes par un groupement X différent donne deux structures qui sont énantiomères l’une de l’autre. On dit que les hydrogènes sont énantiotopiques. De nouveau, le concept d’énantiotopie peut s’étendre à deux groupements identiques quelconques. X R1 R2 H R1 R2
H énantiomères
H H
H énantiotopiques
R1 R2
X
Fig. 6.13 – Définition de l’énantiotopie des hydrogènes par substitution. Critère de symétrie. Deux groupes (deux faces) sont énantiotopiques s’ils (si elles) sont interchangeables par une opération de symétrie de seconde espèce : symétrie par rapport à un plan σ S1 , inversion i S2 ou rotationréflexion Sn .
6. Prostéréoisomérie
6.3.3
117
Groupes diastéréotopiques
Les groupes sont dits diastéréotopiques quand la substitution de l’un ou l’autre des deux groupes donne deux composés diastéréoisomères. C’est le cas par exemple si un groupe chiral (noté A*) est fixé sur un carbone central (figure 6.14). Même un réactif achiral fait ici la distinction entre les deux hydrogènes diastéréotopiques. En effet, les états de transition, diastéréoisomères, de la réaction ont des énergies différentes, et les produits diastéréoisomères pourront être obtenus dans des proportions différentes de 50 : 50. X A* B H
H
diastéréoisomères
A* B H H H diastéréotopiques A* = groupe chiral
# 50 : 50
A* B X
Fig. 6.14 – Définition de la diastéréotopie des hydrogènes par substitution. Critère de symétrie. Deux groupes (deux faces) sont diastéréotopiques s’ils (si elles) ne sont interchangeables ni par une opération de symétrie de première espèce (rotation par rapport à un axe Cn ), ni par une opération de symétrie de seconde espèce (symétrie par rapport à un plan σ, inversion i ou rotation-réflexion Sn ).
6.3.4
Nomenclature CIP dans le cas de la prostéréoisomérie de groupe
Les groupes énantiotopiques peuvent être nommés grâce au système CIP. Pour cela, on rend le groupe (a) ou (b) à nommer, arbitrairement prioritaire sur l’autre, et on applique la règle CIP. Si on aboutit à une stéréochimie R, respectivement S, le groupement choisit [(a) ou (b)] sera nommé pro-R, respectivement pro-S (figure 6.15). De la même manière, des groupes diastéréotopiques seront dénommés pro-R ou pro-S suivant la nomenclature CIP. pro-S Cl(a) Me Et Cl(b) pro-R
i) on choisit Cl(a) > Cl(b) ii) CIP: Cl(a) > Cl(b) > Et > Me molécule S donc Cl(a) est pro-S et donc Cl(b) est pro-R.
Fig. 6.15 – Nomenclature CIP pour la prostéréoisomérie de groupe.
118
Molécules chirales
6.3.5
Conséquence de la prostéréoisomérie de groupe sur la réactivité
Nous avons vu que les groupes énantiotopiques sont équivalents vis-à-vis de réactifs achiraux, mais sont différenciés par des réactifs chiraux chimiques ou enzymatiques. Lors de la déshydrogénation de l’éthanol par l’alcool déshydrogénase, on ne sait pas a priori lequel des deux hydrogènes énantiotopiques (le pro-R ou le pro-S) est arraché. Pour le savoir, les deux molécules énantiomères R- et S-1-deutéroéthanol ont été préparées par marquage isotopique au deutérium [3]. L’action de l’alcool déshydrogénase du foie sur ces deux énantiomères donne, pour l’énantiomère R l’acétaldéhyde, pour l’énantiomère S, le deutéroacétaldehyde (figure 6.16). Ceci montre bien que c’est le proton pro-R de l’éthanol qui est arraché lors de la réaction. HD CH3
OH
DH
O
H3C
R
CH3
H
alcool déshydrogénase
D
alcool déshydrogénase OH
H3C
S
O
Fig. 6.16 – Action d’une enzyme sur des groupes énantiotopiques. Le dicarboxylate de sodium de la figure 6.17, substrat prochiral, donne un mélange racémique de lactones R et S lors de l’hydrolyse par HCl (achiral), et un mélange 3:97 de lactones R : S quand on utilise l’acide chiral S-(+)camphre-10-sulfonique.
O NaO2C
OH H
CO2Na
O
"H+"
H
CO2H HO2C
O O
H
+ pro-S
pro-R
R
S HCl
O
50
:
50
97
:
3
SO3H
Fig. 6.17 – Action d’un réactif chiral sur des groupes énantiotopiques.
6. Prostéréoisomérie
6.3.6
119
Conséquence de la prostéréoisomérie de groupe en spectroscopie RMN
Deux groupes diastéréotopiques, comme les deux méthyles de la l-valine ou les deux hydrogènes HB et HC de la l-phénylalanine ne sont pas équivalents en spectroscopie RMN (figure 6.18). En effet, la RMN distingue les deux groupes de noyaux qui se trouvent dans des environnements électroniques différents. De tels noyaux qui ont des déplacements chimiques différents sont dits « anisochrones ». O H2N OH
HA HB HC
δ (ppm) HA HB HC
3.990 3.286 3.126
ppm
Fig. 6.18 – Spectre RMN 1 H (400 MHz) dans D2 O, des protons diastéréotopiques de la l-phénylalanine [4].
Les groupes de noyaux homotopiques, qui se situent dans des environnements électroniques identiques, sont isochrones (ils ont même déplacement chimique), et sont indiscernables par spectroscopie RMN. Les noyaux ou groupes de noyaux énantiotopiques sont isochrones car ils se trouvent dans des environnements qui sont géométriquement équivalents et diffèrent uniquement par la topographie de la molécule (or la RMN est une technique achirale et ne peut faire de discrimination chirale). Les ligands énantiotopiques peuvent se distinguer par RMN uniquement si une relation diastéréotopique est établie avec un additif chiral comme par exemple un solvant chiral ou un agent de déplacement chimique chiral (voir chapitre 9). Les noyaux ou groupes de noyaux diastéréotopiques, résident dans des environnements électroniques différents et sont anisochrones. Cependant, la différence de déplacement chimique peut parfois être très faible (<1 ppm) et difficilement détectable (on parle alors d’isochronie accidentelle). Dans ces cas, pour favoriser l’observation de l’anisochronie, il faut alors utiliser des appareils à champ magnétique plus élevé, ou observer la RMN d’un autre noyau, par exemple le carbone 13 C au lieu du 1 H, ou changer de solvant.
120
6.4
Molécules chirales
Propseudoasymétrie
Le concept de pseudoasymétrie a été défini au chapitre 5. Il entraîne également le concept de propseudoasymétrie. Nous l’illustrerons avec le cas des acides trihydroxyglutariques méso de la figure 6.19. L’hydrogénation du carbonyle ne conduit pas à deux énantiomères mais à deux diastéréoisomères méso différents. CO2H
CO2H H
H
OH
H
réduction
O
H
OH
H
CO2H
R
OH
r
OH OH
S
CO2H R H OH s HO H H
OH
S
CO2H
CO2H
2R,3r,4S (méso)
2R,3s,4S (méso)
deux diastéréoisomères méso différents
Fig. 6.19 – Exemple de propseudoasymétrie.
Nomenclature CIP dans le cas de la propseudoasymétrie La nomenclature CIP re, si est utilisée dans le cas de la propseudoasymétrie, en considérant toujours le substituant prochiral de configuration R prioritaire par rapport à celui de configuration S, et le sens de rotation autour du centre propseudoasymétrique (figure 6.20). (Attention à ne pas confondre avec la nomenclature Re, Si pour les faces énantiotopiques).
Face si
1 O 3 CS
Face re 2 CR
Fig. 6.20 – Nomenclature CIP pour la propseudoasymétrie.
6. Prostéréoisomérie
6.5 6.5.1
121
Prochiralité et synthèse asymétrique Stéréosélectivité et stéréospécificité
Il y a beaucoup de confusion sur l’emploi de ces deux termes. Pour plus de clarté, nous nous référons aux définitions données par Eliel [5] que nous citons ci-dessous et que nous illustrons par des schémas explicatifs. Stéréosélectivité Le terme stéréosélectivité est employé lors de la formation préférentielle d’un stéréoisomère plutôt qu’un autre dans une réaction chimique. Lorsque les stéréoisomères sont des énantiomères, on dit qu’il s’agit d’énantiosélectivité (caractérisée quantitativement par l’excès énantiomérique) ; s’il s’agit de diastéréoisomères, on dit qu’il y a diastéréosélectivité. Le terme « énantiosélectif » peut être appliqué au résultat d’une séquence de réactions, même si les étapes individuelles sont diastéréosélectives (figure 6.21).
Stéréoisomère B1 Stéréoisomère B2 Stéréoisomère B3 Composé de départ A
RÉACTION
. . .
Stéréosélectivité: si la proportion des stéréoisomères B1,B2,B3 est différente de la statistique
Fig. 6.21 – Définition d’une réaction stéréosélective.
Stéréospécificité Une réaction est dite stéréospécifique si, dans une telle réaction, des composés de départ, ne différant que par leur configuration, sont convertis en produits stéréoisomériquement distincts. D’après cette définition, un processus stéréospécifique est nécessairement stéréosélectif, mais la stéréosélectivité n’implique pas nécessairement la stéréospécificité (figure 6.22). Le terme peut être étendu à un processus impliquant un catalyseur chiral (y compris une enzyme) ou un réactif chiral lorsque la configuration du produit de la réaction dépend uniquement de la configuration du catalyseur ou du
122
Molécules chirales
Stéréoisomère A1
RÉACTION
Stéréoisomère B1
Stéréoisomère A2
RÉACTION
Stéréoisomère B2
Stéréospécificité: des stéréoisomères A1,A2,...différents donnent des produits stéréoisomères B1,B2,...
Fig. 6.22 – Définition d’une réaction stéréospécifique. réactif, c’est-à-dire si elle peut être inversée lorsqu’on utilise un catalyseur ou un réactif de configuration opposée. Le caractère stéréospécifique d’une réaction est associé à un mécanisme défini, et notamment implique un contrôle cinétique de la réaction. L’emploi du terme « stéréospécifique » pour désigner simplement « hautement stéréosélectif » est fortement déconseillé.
6.5.2
Exemples classiques
Nous donnons ici quelques exemples qui illustrent le lien entre la prostéréoisomérie et la synthèse asymétrique. Pour une connaissance plus complète des réactions stéréosélectives et stéréospécifiques, il est conseillé de se reporter à des ouvrages spécialisés [6]. Exemples de réactions stéréosélectives Addition nucléophile sur des faces diastéréotopiques. Utilisation d’un auxiliaire chiral Historiquement, la synthèse asymétrique a été découverte et appliquée au cas des molécules ayant des faces diastéréotopiques, comme le montre la figure 6.23 [7]. Le groupe C*XYZ est aujourd’hui communément appelé auxiliaire chiral. Epoxydation énantiosélective de Jacobsen [8] Les catalyseurs de type Jacobsen sont des catalyseurs chiraux d’époxydation énantiosélective : ils « reconnaissent » les deux faces énantiotopiques d’une cis-oléfine. Un exemple d’époxydation énantiosélective d’une oléfine de type chromène est décrit sur la figure 6.24. Le catalyseur (R,R) approche préférentiellement la face (Re,Re) de l’oléfine, pour donner sélectivement l’énantiomère
6. Prostéréoisomérie
123 O O
RMgX
*
Ph
C
2) O
X
RMgX
Z
1)
Y
Faces diastéréotopiques
HO
R
R O
* C
Ph
HO
O
*
Ph
C
Y
X
O
Z
OH
O
R
R
Z Y
X
OH
OH
OH Ph
Ph O
O Mélange d'énantiomères # 50 : 50
Fig. 6.23 – Utilisation d’un auxiliaire chiral : réaction diastéréosélective. (S,S) de l’époxychromane. L’encombrement des groupements t-butyles présents sur le catalyseur joue un rôle important pour l’énantiosélectivité car ils obligent le substrat à s’approcher du côté indiqué sur la figure. On pense que c’est l’oxyde de manganèse (IV) qui est l’espèce oxydante. Exemples de réactions stéréospécifiques Réaction d’osmylation (OsO4 ) La réaction d’osmylation par OsO4 seul correspond à une cis-addition sur une oléfine. De ce fait elle est diastéréospécifique puisqu’elle donne deux diastéréoisomères distincts, à partir de deux oléfines diastéréoisomères cis et trans (figure 6.25). Si on utilise avec OsO4 un ligand chiral, la réaction d’osmylation est énantiosélective (figure 6.25). Les ligands dérivés de la dihydroquinine (DHQ) et de la dihydroquinidine (DHQD) sont des quasi-énantiomères ou des
124
Molécules chirales
Fig. 6.24 – Époxydation énantiosélective de Jacobsen. diastéréoisomères, et ils forment avec le tétraoxyde d’osmium des complexes chiraux qui sont responsables de l’énantiosélectivité (figure 6.26).
6.5.3
Exemples de développements marquants de la synthèse asymétrique
Biotransformations Jusqu’à ces 20 dernières années, l’utilisation des enzymes en chimie organique était relativement limitée à cause de leur faible stabilité, de leur spectre d’action limité et de leur fonctionnement exclusivement en milieu aqueux.
6. Prostéréoisomérie CH3
CH3
OsO4
S R
CH3
H HO
CH3
OH
HO
H CH3
H CH3
R R
H HO
OsO4
composé méso
H OH
CH3
S S
CH3
diastéréospécifique
CH3
125
H OH
composé dl racémique
CH3
OsO4
HO
OH R R
H ligand chiral HO
ou
H CH3
S S
CH3
H CH3
H OH
énantiosélectif
CH3
Fig. 6.25 – Réaction d’osmylation diastéréospécifique. R1
R1 R2
R3 OH OH
R3
R2
K2CO3, OsO4 K3Fe(CN)6, MeSO2NH2
K2CO3, OsO4 K3Fe(CN)6, MeSO2NH2
Et Et N N
N
R1
(DHQ)2-PHAL
(DHQD)2-PHAL
O
R2
N O
H
H
MeO
OMe
N
N (DHQD)2-PHAL
Et
Et N
N
N
O
N O
H
H
MeO
OMe
N
N (DHQ)2-PHAL
Fig. 6.26 – Réaction d’osmylation énantiosélective.
R3 OH OH
126
Molécules chirales
Mais ces inconvénients sont aujourd’hui contournés grâce aux avancées des biotechnologies permettant l’expression de nouvelles enzymes plus stables, fonctionnant en milieu organique et dont la spécificité est améliorée [10]. Les enzymes, en tant que bio-organismes présentent l’avantage de catalyser des réactions de façon hautement stéréosélective dans des conditions douces [11]. L’exemple donné dans la figure 6.27 montre l’activité d’aldolases DHAP (dihydroxyacetone phosphate) dépendantes [12]. Elles permettent l’accès à tous les diastéréoisomères possible lors de la formation de la liaison C-C. OH
O PO
O R
OH
PO FDPA
R
RPA
OH
OH O
D-thréo (3S,4R)
L-thréo (3R,4S) OH
PO + O H
R
TDPA
FPA
OH
O PO
O
OH
PO
R
R
OH
OH
L-erythro (3S,4R)
D-erythro (3R,4S) -OP= -OP(O)(OH)2 FDPA= D-fructose-1,6-diphosphate aldolase aldolase TDPA= D-tagatose-1,6-diphosphate aldolase aldolase RPA= L-rhamnulose-1-phosphate aldolase FPA= L-fuculose-1-phosphate aldolase
Fig. 6.27 – Formation de liaison C-C à l’aide d’enzymes.
Utilisation de surfaces chirales pour la catalyse énantiospécifique On assiste actuellement à l’émergence d’un nouveau domaine de la catalyse hétérogène qui cherche à tirer profit de la fabrication de surfaces métalliques modifiées par une molécule chirale, pour la synthèse énantiosélective. En guise d’exemple, nous présentons le cas de l’hydrogénation catalytique énantiosélective de l’acétylacétonate de méthyle, sur des surfaces de nickel contenant de l’alanine. Bien évidemment, en changeant la configuration absolue d’un « modificateur donné », on change celle du produit (figure 6.28) [13].
6. Prostéréoisomérie
127
Fig. 6.28 – Hydrogénation asymétrique de l’acétylacétonate de méthyle catalysée par une surface chirale modifiée.
Amplification asymétrique Les composés organozinciques sont de bons catalyseurs pour l’alkylation asymétrique d’aldéhydes aromatiques. La figure 6.29 décrit l’alkylation asymétrique du benzaldéhyde par du diéthyl ou diméthylzinc, en présence d’un auxiliaire chiral en quantité catalytique, le (–)-DAIB ((–)-3-exo-diméthylaminoisobornéol). HO
O H
R2Zn
H R
(–)-DAIB (8 mol%) toluène, -10°C R = Et, Me N(CH3)2 (–)-DAIB : OH
Fig. 6.29 – Alkylation asymétrique du benzaldéhyde catalysée par du dialkylzinc en présence de (−)-DAIB (auxiliaire chiral).
Ce type de réaction illustre les effets non linéaires en catalyse asymétrique par les complexes organométalliques [14]. En effet, au lieu d’avoir une relation linéaire entre l’excès énantiomérique (ee) du DAIB utilisé, et celui du produit d’alkylation obtenu, on observe une déviation positive : un ee supérieur à 80 % est atteint en présence de DAIB ayant un ee de seulement 10 % figure 6.30 ! Ce processus d’amplification asymétrique est évidemment très intéressant, d’un point de vue économique, pour la production de molécules chirales. De façon générale, il s’explique par la formation in situ d’espèces homochirales et hétérochirales plus ou moins stables. De ce fait, on observe soit un effet non
128
Molécules chirales
Fig. 6.30 – Évolution de l’ee du produit d’alkylation asymétrique du benzaldéhyde par du dialkylzinc en fonction de l’ee de l’auxiliaire chiral utilisé ((−)-DAIB). Mise en évidence d’un effet non linéaire positif. Reproduit avec permission de la référence [14].
linéaire positif (cas favorable où l’ee du produit est supérieur à l’ee escompté), soit un effet non linéaire négatif (cas défavorable où l’ee obtenu est inférieur à l’ee escompté), selon que c’est l’espèce hétérochirale (forme méso achirale) ou la forme homochirale qui est la plus stable en solution. Pour plus de détails sur les mécanismes, se reporter à la référence [14].
Processus autocatalytique Les aminoalcools sont de bons ligands chiraux pour la réaction d’alkylation d’aldéhydes décrite ci-dessus. Dans certains cas où l’alcool formé, peut devenir à son tour ligand chiral pour la réaction qui l’a produit, on parle alors de réaction autocatalysée. Ainsi, la réaction d’addition du diéthylzinc en présence de N, N -dibutyl-noréphédrine (catalyseur chiral), est beaucoup plus rapide sur le pyridine-3-carboxaldéhyde que sur le benzaldéhyde. L’alcoolate d’éthyl zinc du pyridine-3-alcanol formé in situ agit lui-même comme catalyseur asymétrique. En outre, il a été montré que l’ee pouvait également être amplifié, dans des conditions expérimentales particulières. Par exemple, le produit d’alkylation du 5-pyrimidyl carboxaldéhyde est obtenu à partir de lui-même. Avec au départ un ee de seulement 5 %, il s’autocatalyse et est finalement obtenu avec un ee atteignant 55 % (figure 6.31) [15].
6. Prostéréoisomérie
129 OZniPr
N O N
H N
OZniPr
N O,2 mol equiv.
H3
N
(ee 5%) toluène
OH O+
N
N N
ee 55%
Fig. 6.31 – Processus autocatalytique.
Ce type de processus autocatalytique pourrait être une explication plausible de l’homochiralité du monde vivant [16]. En effet, il est possible d’imaginer qu’un tel processus soit capable d’amplifier un très léger ee fabriqué au départ par un moyen particulier (différence d’énergie due à la Non Conservation de la Parité ou NCP (voir 8.1.1), lumière polarisée circulairement, champ magnétique associé à de la lumière, etc.) pour aboutir à des espèces chirales énantiopures.
Synthèse asymétrique absolue La synthèse asymétrique absolue est la création d’ee en l’absence de tout réactif ou catalyseur chiral. Une telle synthèse ne fonctionne que sous une influence dite « vraiment chirale » [17], comme une lumière polarisée circulairement ou un champ magnétique associé à de la lumière. Ainsi, de l’hexahélicène optiquement actif avec un ee inférieur ou égal à 0,2 % a pu être obtenu, par irradiation du 1-(β-naphtyl)-2-(3-phenanthryl)éthylène, à l’aide d’une lumière polarisée circulairement, suivie d’une oxydation par I2 (figure 6.32) [18].
LPCD H 313 nm C6 H 6
I2
H
M-(–) [6]-hélicène α
23
= -30 (CHCl3)
436
ee environ 0.2%
Fig. 6.32 – Synthèse asymétrique absolue du (−)-hexahélicène à l’aide d’une lumière polarisée circulairement droite (LPCD).
130
Molécules chirales
En conclusion, on peut dire que ces trente dernières années ont vu se développer une grande variété d’auxiliaires chiraux dont l’efficacité a permis de mettre en œuvre des processus synthétiques extrêmement performants par la création de centres asymétriques avec un contrôle rigoureux de leur stéréochimie.
Bibliographie [1] (a) D.Y. Curtin, I.C. Paul, Chem. Rev., 1981, 81, 525. (b) Z. BerkovitchYellin, L. Addadi, M. Idelson, L. Leiserowitz, M. Lahav, Nature (London), 1982, 296, 27. [2] D. Coster, K.S. Knol, J.A. Prins, Z. Phys., 1930, 63, 345. [3] T. Cromholm, C. Fors, Eur. J. Biochem, 1976, 70, 83. [4] Données recueillies sur le site de la SDBS : Integrated Spectral Data Base System for organic compounds http://www.aist.go.jpn/RIODB/SDBS. [5] E.L. Eliel, S.H. Wilen, Stéréochimie des Composés Organiques, J. Wiley & Sons, Inc., 1994. [6] a) J.D. Morrison, H.S. Mosher, Asymmetric Organic Reactions, Prentice Hall, New Jersey, 1971 ; b) R. Noyori, Asymmetric Catalysis in Organic Synthesis, Wiley, New York, 1994 ; c) R.E. Gawley, J. Aubé, Principles of Asymmetric Synthesis, Elsevier, Oxford, 1996. [7] V. Prelog, Helv. Chim. Acta, 1953, 36, 308. [8] E.N. Jacobsen, W. Zhang, A.R. Muci, J.R. Ecker, L. Deng, J. Am. Chem. Soc., 1991, 113, 7063. [9] R. Noyori, Asymmetric Catalysis in Organic Syntheses, J. Wiley & Sons, 1994, pp. 150. [10] E. Garcia-Junceda, J.F. Garcia- Garcia, A. Bastida, A. FernadezMayoralas, Bioorg. Med. Chem., 2004, 12, 1817. [11] K. Faber, Biotransformations in Organic Chemistry: A Textbook, Springer-Verlag, 2000. [12] S.-H. Jung, J.-H. Jeong, P. Miller, C.-H. Wong, J. Org. Chem., 1994, 59, 7182. [13] R. Raval, Cattech, 2001, 5, 12. [14] C. Girard, H.B. Kagan, Angew. Chem. Int. Ed., 1998, 37, 2922. [15] a) K. Soai, T. Shibata, H. Marioka, K. Choji, Nature, 1995, 767 ; b) voir la revue de Soai et al., K. Soai, T. Shibata, I. Sato, Acc. Chem. Res., 2000, 33, 382. [16] Voir un modèle théorique de la « synthèse asymétrique spontanée », F.C. Frank, Biochim. Biophys. Acta, 1953, 11, 459. [17] C’est Laurence Barron qui a introduit les notions fondamentales de vraie et de fausse chiralité. L.D. Barron, J. Am. Chem. Soc., 1986, 108, 5539. [18] A. Moradpour, J.-F. Nicoud, G. Balavoine, H. Kagan, G. Tsoucaris, J. Am. Chem. Soc., 1971, 93, 2353.
Chapitre 7 Configurations absolues et relatives ans ce chapitre, nous présentons les principales méthodes qui perD mettent de déterminer les configurations absolues ou relatives des molécules chirales, c’est-à-dire les méthodes permettant de distinguer les deux énantiomères d’une même substance chirale. Nous verrons que l’on dispose pour cela d’un panel de méthodes de différentes natures, allant de l’observation de la structure cristalline à l’étude des propriétés chiroptiques, en passant par la connaissance des mécanismes réactionnels.
7.1 7.1.1
Définitions Configuration absolue
Comme nous l’avons vu au chapitre 3, les deux formes énantiomères d’une molécule chirale diffèrent par leur configuration, image l’une de l’autre dans un miroir. Chacune de ces configurations est définie par la représentation tridimensionnelle de sa structure, ou, de façon plus commode, par un descripteur approprié tel que R ou S, d ou l, ∆ ou Λ, etc. L’association d’une configuration donnée à une étiquette physique, permettant de distinguer les deux énantiomères (i.e. caractérisant la molécule dédoublée) définit la configuration absolue. [configuration] + [étiquette physique] = [configuration absolue] L’étiquette physique peut être de différente nature. L’usage le plus courant T consiste à utiliser le signe du pouvoir rotatoire : [α]λ (C, solvant), dans des conditions bien spécifiées. Il faut pourtant être prudent car le signe du pouvoir rotatoire dépend des conditions de mesure ; il peut par exemple changer de signe pour un même énantiomère mais à des longueurs d’ondes différentes (voir paragraphe 7.5.1) ou prendre accidentellement la valeur zéro (propriété
132
Molécules chirales
de cryptochiralité). On peut également utiliser comme étiquette physique le signe d’une autre propriété chiroptique, comme le dichroïsme circulaire ∆ε, à une longueur d’onde donnée et dans des conditions spécifiées (concentration C, solvant, température T ). L’origine du produit considéré peut parfois suffire pour déterminer la configuration absolue. Par exemple, en très grande majorité les acides α-aminés chiraux constituant les protéines possèdent la configuration l. Mais il est incorrect de généraliser et de dire que tous les acides α-aminés naturels sont de configuration l car il existe dans la nature des acides α-aminés d. Par exemple, l’acide d-glutamique et la d-alanine sont des composants structuraux des parois cellulaires de certaines bactéries.
7.1.2
Configuration relative
La notion de configuration relative, introduite au chapitre 3.5 permet une description moins complète mais néanmoins importante des systèmes considérés. Elle est utilisée dans les deux cas suivants : 1) On peut définir la configuration de tout élément stéréogéne (centre, axe, plan) par rapport à un autre au sein de la même molécule. Cette configuration, appelée configuration relative, est invariante par réflexion. 2) Deux molécules chirales distinctes, i et j, contenant des centres stéréogènes Xabcd et Xabce sont dites de même configuration relative quand d et e sont homofaciaux au plan (abc), c’est-à-dire que le remplacement de d par e transforme i en j. Les molécules sont dites de configuration relative opposée quand d et e sont hétérofaciaux au plan (abc), c’està-dire que le remplacement de d par e donne l’énantiomère de j (noté ent -j [1]). Dans le premier cas, on parle de rétention de configuration et dans le second cas d’inversion de configuration (figure 7.1).
Fig. 7.1 – Configurations relatives identiques ou opposées.
7. Configurations absolues et relatives
7.2
133
Spécification de la configuration relative dans le système CIP
La configuration relative permet de distinguer les diastéréoisomères sans se préoccuper de savoir s’ils sont racémiques ou énantio-enrichis. Sur la figure 7.2 sont détaillées les différentes nomenclatures dans les cas du thréose et de l’érythrose.
Fig. 7.2 – Nomenclature utilisée pour spécifier la configuration relative. Dans les systèmes cycliques, une autre façon de distinguer les configurations relatives est l’utilisation des descripteurs cis et trans (figure 7.3).
Fig. 7.3 – Nomenclature cis/trans utilisée dans la configuration relative. Ainsi, la notation (1 R*,2 R*)-(–) sera utilisée pour signifier que l’on considère l’énantiomère (–) du composé trans mais que l’on ne connaît pas sa configuration absolue. Dans les bicyclo[x,y,z]alcanes (x ≥ y > z > 0), on utilise des descripteurs spécifiques pour préciser l’orientation relative des groupements attachés à des atomes des cycles non en tête de pont (figure 7.4). Si le groupe est orienté vers le plus grand des ponts restants, on lui attribue le descripteur endo. S’il est orienté vers le plus petit des ponts restant il
134
Molécules chirales est exo. Parallèlement, on utilise le descripteur syn ou anti pour préciser l’orientation d’un groupe fixé sur un atome non pontant du pont le plus petit. Lorsque ce groupe est orienté vers le plus grand pont restant, on a l’isomère syn, et respectivement anti s’il est éloigné du plus grand pont restant.
anti
syn
exo
anti
syn (CH2)z-1
(CH2)y-1 endo
bicyclo[3.2.1]octane
(CH2)x-1 exo endo
x y>z>0
Fig. 7.4 – Nomenclature endo/exo dans les systèmes bicycliques. Par la suite, nous allons nous concentrer sur les méthodes disponibles pour déterminer les configurations absolues et relatives. On distinguera quatre catégories. 1. Les méthodes basées sur l’analyse des structures cristallines, qui permettent d’accéder à la configuration absolue d’une structure, de façon directe ou indirecte. 2. Les méthodes chimiques qui, pour certaines, permettent d’établir des corrélations, et pour d’autres, par le biais de modèles ad hoc, permettent d’établir la configuration absolue ou relative d’un centre asymétrique. 3. Les méthodes chiroptiques qui tentent de corréler à la configuration absolue, le pouvoir rotatoire, le dichroïsme circulaire ou d’autres phénomènes spectroscopiques liés à la chiralité. 4. D’autres méthodes, comme l’utilisation des déplacements chimiques en RMN (« blindage » et « déblindage »), qui sont moins générales mais néanmoins utilisables dans certains cas précis.
7.3 7.3.1
Méthodes de détermination des configurations basées sur les cristaux Diffraction anomale des rayons X (méthode de Bijvoet)
Historique Jusqu’en 1950 environ, il n’existait pas de méthode physique ou chimique permettant de déterminer la configuration absolue d’une molécule chirale. Les configurations étaient attribuées par rapport au glycéraldéhyde qui avait été
7. Configurations absolues et relatives
135
choisi comme standard par Emil Fischer en 1891 pour corréler les configurations des carbohydrates, des amino-acides, terpènes, stéroïdes et des molécules d’intérêt biologique [2]. Ainsi, à l’origine, Emil Fischer a arbitrairement affecté la configuration d au glycéraldéhyde ayant le OH placé à droite dans sa représentation, d signifiant également dextrogyre (figure 7.5).
CHO H
OH CH2OH
CHO H
OH CH2OH
D-(+)-glycéraldéhyde
CHO
CHO HO
H CH2OH
HO
H CH2OH
L-(–)-glycéraldéhyde
Fig. 7.5 – Configuration absolue attribuée arbitrairement au glycéraldéhyde par E. Fischer.
À partir de là, toutes les configurations de composés analogues ont été déduites par rapport au d-(+)-glycéraldéhyde par corrélation chimique, c’est-àdire en utilisant des réactions simples et de stéréochimie connue. Par exemple, sur la figure 7.6 est décrite une séquence de réactions permettant d’obtenir l’acide d-(–)-lactique à partir de la (+)-isosérine [3].
Fig. 7.6 – Corrélations chimiques entre l’acide d-lactique et le d-glycéraldéhyde. Il est important de noter qu’à l’époque, toutes les configurations absolues déduites de cette façon avaient 50 % de chances d’être toutes fausses et 50 % de chances d’être exactes car la configuration absolue du composé de référence est choisie au hasard. Le fait que la détermination des configurations absolues était restreinte aux molécules reliées au glycéraldéhyde constituait un autre problème (voir chapitre 5.2.5). C’est en 1951 que Bijvoet a prouvé qu’on pouvait déterminer une configuration absolue indépendamment de toute référence [4]. Grâce à la diffraction
136
Molécules chirales
anomale des rayons X, il a déterminé la configuration absolue du tartrate double de sodium et de rubidium. La configuration absolue ainsi obtenue pour l’acide (+)-tartrique est celle représentée sur la figure 7.7. Par chance, on l’a trouvée identique à celle déduite du (+)-glycéraldéhyde par corrélation chimique. CO2H H HO
OH H CO2H
acide (+)-tartrique
Fig. 7.7 – Configuration absolue de l’acide (+)-tartrique.
Principe de la diffraction des rayons X Le principe de la diffraction des rayons X utilise communément le facteur de structure F (R), selon la relation : F (R) =
n
fj exp {2iπrj R} ,
j=1
où R est le vecteur de diffusion, fj et rj respectivement le facteur de diffusion et la position de l’atome j situé au point Pj définis sur la figure 7.8 (λ est la longueur d’onde utilisée).
Fig. 7.8 – Définition du vecteur de diffusion. L’intensité I(R) qui est mesurée lors d’une expérience correspond à : I(R) = F (R)F ∗ (R) où F ∗ est le conjugué de F .
7. Configurations absolues et relatives
137
Selon le principe de la diffraction des rayons X, à partir d’un schéma de diffraction obtenu sur un film photographique bidimensionnel, on doit calculer le facteur de structure F (h, k, l) d’après la relation : F (h, k, l) =
n
fj exp {2iπ (hXj + kYj + lZj )}
j=1
où h, k, l sont les indices de Miller, Xj , Yj , Zj les coordonnées de l’atome j, et fj le facteur de diffusion de l’atome j. L’analyse de la structure cristalline consiste à calculer Xj ,Yj et Zj de sorte que, Icalc (h, k, l) = F (h, k, l)F ∗ (h, k, l) coïncide avec Iobs , l’intensité expérimentale effectivement mesurée. Cas de la diffraction « classique » des rayons X Dans le cas de la diffraction classique des rayons X, le schéma de diffraction obtenu expérimentalement ne contient pas toutes les informations qui permettent de reconstituer le cristal, on a en particulier perdu l’information concernant la phase de l’onde diffusée et qui est la clé pour déterminer la configuration absolue de la molécule. On analyse la structure cristalline en appliquant la Loi de Friedel, I(R) = I(−R) Cette relation ne permet pas de distinguer le cristal et son image dans un miroir. Ceci constitue une approximation, justifiée par le fait que F varie très faiblement entre les réflexions de (h, k, l) : F (h, k, l) = F (−h, −k, −l) Le facteur de structure F est dans ce cas un réel. Ceci est vérifié notamment dans les cas où l’on n’a que des atomes légers tels que C,H,O qui absorbent très faiblement l’intensité lumineuse. Cas de la diffraction anomale des rayons X La diffraction anomale des rayons X prend cette fois-ci en compte la phase de l’onde diffusée. Cette méthode est surtout appliquable au cas des molécules du cristal qui comportent des atomes absorbant beaucoup, c’est-à-dire des atomes lourds. C’est le cas du sodium et du rubidium utilisés par Bijvoet en 1951 pour la détermination de la configuration absolue du tartrate double correspondant. Ces atomes possèdent des facteurs de structure suffisamment élevés pour que la différence entre F (h, k, l) et F (−h, −k, −l) soit significative et donc, I(h, k, l) = I(−h, −k, −l) Autrement dit, la loi de Friedel n’est plus vérifiée, et l’on est capable de distinguer un cristal droit d’un cristal gauche. Le changement de phase dû à
138
Molécules chirales
l’absorption des atomes est pris en compte dans la partie imaginaire f du facteur de diffusion qui est un nombre complexe : f = f + if Le tableau 7.1 ci-dessous montre que les gros atomes comme le brome absorbent beaucoup (ont un f élevé) et permettent donc l’utilisation de la diffraction anomale pour déterminer la configuration absolue du cristal. Tab. 7.1 – Facteurs de diffusion (partie réelle f et partie imaginaire f ) de quelques atomes pour la raie CuKα .
atome C O F Cl Br
f 6,02 8,05 9,07 17,35 34,23
f 0,01 0,03 0,05 0,7 1,28
Remarques importantes 1) Les facteurs de structure dépendent de la longueur d’onde. 2) La loi de Friedel est toujours vérifiée dans le cas d’un cristal centrosymétrique. Elle ne l’est plus quand le cristal est non centrosymétrique et dans ce cas, le paramètre de Flack x [5], défini selon la relation ci-dessous, nous informe si on a affaire au bon énantiomère (cas où x = 0), à son image dans un miroir (cas où x = 1), ou à un mélange racémique (cas où x = 0,5). |F (h, k, l, x)|2 = (1 − x) |F (h, k, l)|2 + x |F (−h, −k, −l)|2 3) Il faut faire attention à la pureté énantiomérique du cristal et à la sélection du monocristal qui est choisi au hasard parmi une assemblée de cristaux (i.e. on peut sélectionner un cristal droit parmi un mélange de cristaux majoritairement gauches).
La méthode de Bijvoet est aujourd’hui utilisée en routine. Le calcul de la structure à partir des taches de diffraction fournit automatiquement le paramètre de Flack, qui vaut 0 si la structure calculée est dans la bonne configuration, 1 si elle est dans la configuration opposée et 0,5 si elle contient un mélange 1 : 1 des deux configurations. En guise d’exemple, citons les cas de l’isoflurane et du desflurane, deux anesthésiants, dont la configuration absolue a été déterminée par la méthode de Bijvoet, par diffraction des Rayons X à −180 ◦ C (figure 7.9) [6].
7. Configurations absolues et relatives
139 CF3
CF3 Cl H
C
CHF2
O
F H
S-(+)-isoflurane
C O
CHF2
S-(+)-desflurane
Fig. 7.9 – Configurations absolues de deux anesthésiants déterminées par la méthode de Bijvoet.
7.3.2
Diffraction « classique » des rayons X
La diffraction classique des rayons X permet de façon triviale la détermination de la configuration d’une molécule chirale, relativement à une molécule de référence également présente dans le cristal et de configuration absolue déjà connue. Par exemple (figure 7.10), dans le monocristal de sel de (−)-strychnine de l’acide (+)-bromochlorofluoroacétique, on connaissait déjà la configuration absolue de la (−)-strychnine, on en a déduit la configuration absolue S-(+) pour l’acide [7].
S-(+) Br
F Cl
(–)-strychnine
Fig. 7.10 – Représentation d’une unité asymétrique du cristal de bromochlorofluoroacétate de strychninium. En outre, cette substance possède un atome de brome, qui absorbe énormément, et qui a donc permis d’appliquer la méthode de Bijvoet. Le paramètre de Flack valant x = 0,088 confirme que l’on a bien affaire à l’énantiomère S de l’acide.
7.3.3
Analyse des faces cristallines
La reconnaissance de la nature des faces de cristaux chiraux constitue une façon très élégante (quoique rarement appliquée) d’accéder à la configuration absolue de la structure sous-jacente (i.e. des molécules qui constituent le cristal), par exemple par l’intermédiaire d’impuretés qui vont s’adsorber
140
Molécules chirales
spécifiquement sur certaines faces [8]. Le principe est décrit sur le schéma de la figure 7.11. Il consiste à observer l’orientation des objets chiraux par rapport à l’axe (ou aux axes) polaire(s) du cristal. Dans le schéma ci-dessous, les doigts du cristal de mains droites sont dirigés vers la face (010), alors que ceux des mains gauches sont dirigés vers la face (010). Ainsi, si on est capable de déterminer vers laquelle des deux faces du cristal polaire, (010) ou (010), les doigts de la main sont dirigés, alors on est capable de préciser la chiralité droite ou gauche de la main.
Fig. 7.11 – Orientation relative des mains par rapport aux faces supérieures et inférieures.
Citons le cas de gluconamides alkylés chiraux H(CH2 )n NHCO(CHOH)4 CH2 OH (n = 7−10) [9], pour lesquels la configuration absolue a été déterminée par la mesure des différences de mouillage sur les faces opposées des cristaux hémièdres. Pour les sucres de configuration d, c’est la face (010) du cristal qui est hydrophobe et la face opposée (010) est hydrophile. Pour les sucres de configuration l, on observe la situation inverse. Ainsi, l’attribution du caractère hydrophobe ou hydrophile des faces permet de fixer le sens de polarité du cristal et en conséquence de déterminer la configuration absolue des molécules de sucre.
7.3.4
Méthode des quasi-racémiques (méthode de Fredga) [10]
La méthode repose sur la construction des diagrammes de phase (voir chapitre 8) entre une substance de référence de configuration absolue connue
7. Configurations absolues et relatives
141
(par exemple l) et les deux énantiomères d’ et l’ d’une substance apparentée. En général, les structures quasi-énantiomères l et d’ forment plutôt un « quasiracémique », alors que celles de même configuration l et l’ formeront soit une solution solide soit un eutectique. Les deux molécules présentées dans la figure 7.12 sont apparentées, l’une est soufrée 1 et l’autre est séléniée 2. La molécule 1 donne un racémique vrai (figure 7.12A), la molécule 2 donne également un racémique vrai (figure 7.12B). Par contre, le mélange des énantiomères (−)-1 et (+)-2 forme un quasi-racémique (figure 7.12C) alors que les énantiomères (+)-1 et (+)-2 forment une solution solide (figure 7.12D). Par conséquent, (−)-1 et (+)-2 ont des configurations opposées, alors que (+)-1 et (+)-2 sont de même configuration [11].
Fig. 7.12 – Diagrammes de phases de 1 et 2 et de leur mélange. Détermination de leurs configurations relatives par la méthode de Fredga. Reproduit avec l’autorisation de la référence [11].
Pour les acides (+)-m-methoxyphénoxy- et (−)-m-bromophénoxypropioniques, les deux molécules quasi-énantiomères forment, au sein du cristal, un quasi-racémique dans lequel les deux molécules de configurations opposées s’associent en dimère autour du pseudo-centre de symétrie (figure 7.13) [12].
142
Molécules chirales
Fig. 7.13 – Association des acides (+)-m-methoxy et (−)-m-bromophenoxypropioniques au sein d’une maille cristalline. Reproduit avec l’autorisation de la référence [12].
7.4
Méthodes chimiques
On distinguera les méthodes chimiques triviales des méthodes qui prétendent établir les configurations absolues par le biais de modèles mécanistiques ou d’analogies.
7.4.1
Corrélations chimiques
Elles permettent de proche en proche de relier une structure de configuration inconnue à une autre de configuration absolue connue. La méthode des corrélations chimiques est évidente si la réaction utilisée n’affecte pas le centre asymétrique. On a déjà vu la synthèse de l’acide (−)-glycérique à partir du (+)-glycéraldéhyde. Un autre exemple est représenté sur la figure 7.14, où la débromation ne modifie pas la configuration du centre asymétrique. Br Pd / N2H4
HO2C H
OH R-(–)
HO2C H
OH
R-(–)
Fig. 7.14 – Réaction n’affectant pas le centre asymétrique. Il n’en est pas de même lorsque la réaction concerne le centre asymétrique lui-même. Dans ce cas, la corrélation implique de connaître le cours stéréochimique de la réaction. La stéréochimie des substitutions nucléophiles et de leur mécanisme illustre la difficulté de la méthode. Le fait que les substitutions
7. Configurations absolues et relatives
143
peuvent se faire avec rétention ou inversion de configuration est connu depuis Walden (1896–1897). C’est Ingold qui a établi que seules les réactions de type SN 2 pouvaient être utilisées de façon fiable pour les corrélations de configuration d’un carbone asymétrique. Il faut faire cependant attention que cette règle de SN 2 avec inversion n’est pas nécessairement valable pour les autres éléments de la colonne 14 du tableau périodique (Si, Ge, Sn, Pb) où les réactions de substitution se font souvent avec rétention [13]. L’exemple de la figure 7.15 montre le schéma synthétique qui permet d’attribuer la configuration absolue du composé final.
Fig. 7.15 – Exemple de SN 2 avec inversion de configuration.
Il se produit parfois des complications, avec par exemple la participation des groupes voisins qui affectent la stéréochimie de la substitution. L’exemple de la figure 7.16 montre qu’une double inversion correspond au final à une rétention.
H O
OH C
H3C H
O
NaNO2 HBr
C
H3C H
O
N+
NH2
N S-alanine
OH H3C H
C S
O
O H
Br
C
O
R CH3 Br–
Fig. 7.16 – Exemple de double inversion due à la participation d’un groupe voisin.
144
7.4.2
Molécules chirales
Dédoublement cinétique
Principe Un dédoublement cinétique correspond à la transformation incomplète d’un substrat racémique A par un réactif chiral BR énantiopur, de configuration R arbitraire. Pour cette transformation, la vitesse de réaction est différente sur les deux énantiomères AR et AS du substrat A (kR = kS ). La séparation de l’énantiomère de A qui n’a pas réagi constitue le dédoublement du substrat A. Le rendement dépend de l’avancement de la réaction et vaut au maximum 50 %. Le cas idéal correspond à kR kS et à une conversion de 50 %, on a alors 50 % et AR −BR et 50 % de AS k
AR − BR
(7.1)
k
AS − BR
(7.2)
AR + BR
R −−→
AS + BR
S − −→
En supposant que l’on part d’une mole de racémique, [AS ]0 = [AR ]0 = 0,5 au temps t = 0 et en notant par C le taux de conversion (0 ≤ C ≤ 1), on peut suivre la quantité de composé A récupéré comme étant [AS ] + [AR ] = 1−C. L’efficacité d’un dédoublement cinétique est évaluée par l’ee (ee > 0 si kR > kS ) qui vaut [14] : [AS ] − [AR ] ee = [AS ] + [AR ] Cette valeur est reliée à C et au facteur de stéréosélectivité défini par s = kR /kS . En supposant les équations (7.1) et (7.2) comme étant des réactions du pseudo 1er ordre : d [AR ] = −kR [AR ] dt d [AS ] = −kS [AS ] dt On obtient après intégration la relation entre la sélectivité s, la conversion C et l’ee : ln [(1 − C) (1 − ee))] s= ln [(1 − C) (1 + ee))] La figure 7.17 montre l’évolution de l’excès énantiomérique de A restant en fonction de la conversion C, pour des valeurs du facteur de stéréosélectivité s différentes. Plus s est élevé et plus un ee élevé est atteint rapidement. Le dédoublement cinétique peut parfois servir à déterminer la configuration absolue d’une série de composés quand on peut faire des corrélations empiriques dans une même famille de composés, ou même établir un modèle prédictif qui rendra compte de la différence de vitesse entre kR et kS .
7. Configurations absolues et relatives
145
Fig. 7.17 – Évolution de l’ee en fonction de la conversion C pour différentes valeurs du facteur de sélectivité s. Reproduit avec l’autorisation de John Wiley & sons, à partir de la référence [14].
La méthode de Horeau L’exemple le plus connu de corrélation empirique est la détermination de la configuration absolue des alcools secondaires par la méthode de Horeau. Elle consiste à faire réagir un énantiomère d’un alcool secondaire sur l’anhydride racémique de l’acide α-phénylbutyrique. Horeau a utilisé l’anhydride 2-phénylbutyrique optiquement inactif de configuration relative (R∗ , R∗ ) (racémique) ou (R∗ , S ∗ ) (méso). La fonction carbonyle en α du carbone asymétrique de l’anhydride ne réagira pas avec la même vitesse pour le carbone asymétrique de configuration R que pour le carbone de configuration S. Il en résulte que l’acide résiduel, obtenu en fin de réaction présente une activité optique (voir réaction bilan figure 7.18). Horeau a établi qu’il existait une corrélation entre le signe du pouvoir rotatoire de l’acide résiduel et la configuration absolue de l’alcool secondaire étudié. Dans une représentation de Fischer, si l’acide est lévogyre, on a la configuration présentée sur la figure 7.19a, et inversement dans le cas d’un acide dextrogyre [15]. Une variante plus imagée de la représentation est donnée figure 7.19b où les « pieds » sont sur H et la « tête » sur OH. Si l’acide libéré est lévogyre, l’encombrement est à droite. Cette méthode très simple a été employée des centaines de fois. Elle permet aussi de déterminer de manière empirique l’encombrement relatif de deux groupes lorsque la configuration absolue est connue (figure 7.20) [16]. Cette méthode est même suffisamment sensible pour montrer que le deutérium D est plus petit que l’hydrogène H [17].
146
Molécules chirales
Fig. 7.18 – Réaction bilan : action de l’anhydride de l’acide α-phénylbutyrique sur un alcool secondaire.
Fig. 7.19 – Règle de Horeau. OH
X
CO2Me
Acide libéré
X=H
(–)
X = o-F
(–)
H < –CO2Me
< –CO2Me F
X = o-Cl
> –CO2Me
(+) Cl
Fig. 7.20 – Détermination de l’encombrement stérique grâce à la méthode de Horeau.
7.4.3
Synthèse asymétrique
La synthèse asymétrique consiste à transformer un substrat prochiral en un produit chiral. Il est souvent possible d’établir un modèle qui permet d’expliquer le déroulement stéréochimique de la réaction et de prévoir ainsi la configuration des centres créés. C’est le cas par exemple de l’époxydation des
7. Configurations absolues et relatives
147
Ti(OiPr)4
(a)
(R,R)-(+)-tartrate de diéthyle OH
O OH
t-BuOOH ee 97%
(b) R2
R2
R3 R1
OH
R3 R1
O OH
[o] (R,R)-(+)-tartrate de diéthyle
Fig. 7.21 – Epoxydation de Sharpless ; modèle utilisé pour connaître la configuration absolue de l’époxyde obtenu.
alcools allyliques d’après Sharpless, où selon la nature du tartrate, l’attaque se fait sur une face énantiotope ou l’autre (figure 7.21) [18]. Le mécanisme n’est pas connu avec certitude. Mais il existe un modèle simple et fiable pour prévoir la configuration de l’époxyde en fonction de la stéréochimie (R, R) ou (S, S) du catalyseur. Il est en effet établi que si l’on respecte l’écriture de la figure 7.21b, l’attaque par le catalyseur contenant le ligand chiral (+)-tartrate de diéthyle ou (+)-DET se fait par en dessous du plan de l’alcool allylique.
7.5
Méthodes physiques chiroptiques
Les méthodes chiroptiques sont des spectroscopies utilisant une lumière (ou un rayonnement électromagnétique) polarisée linéairement ou circulairement et qui donnent une réponse spectrale opposée pour les deux énantiomères d’une substance chirale. En principe, tous les types de spectroscopies peuvent être utilisés pour observer la chiralité mais en pratique le choix est restreint pour des raisons d’instrumentation. On peut citer les méthodes les plus classiques : – le pouvoir rotatoire et la dispersion rotatoire optique, – le dichroïsme circulaire CD (en absorption électronique), – le dichroïsme circulaire vibrationnel (VCD) et l’activité optique Raman (OAR), – d’autres techniques plus spécifiques comme la polarisation circulaire de luminescence.
148
7.5.1
Molécules chirales
Pouvoir rotatoire ; définition, unités, propriétés
La propagation dans un milieu donné d’une onde lumineuse, et plus généralement d’une onde électromagnétique, est régie par les interactions de la matière constituant ce milieu, avec les champs électrique et magnétique de l’onde. En étudiant les propriétés optiques des matériaux, comme l’atténuation d’une onde, sa vitesse de propagation, la génération d’harmoniques par non linéarité, etc., il est possible d’obtenir des renseignements sur la nature et la structure de ces matériaux. Ces méthodes sont regroupées sous le nom de spectroscopies. Les composés chiraux brisent la symétrie miroir et à cette brisure de symétrie sont associées des propriétés optiques spécifiques dont l’étude nous renseigne sur la nature de la chiralité.
Polarisation de la lumière À toute onde électromagnétique, sont associés des champs électrique et magnétique. Ces champs sont orthogonaux entre eux et sont eux-mêmes orthogonaux à la direction de propagation de l’onde : l’onde électromagnétique est dite transverse. Pour une lumière naturelle, comme celle qui nous provient d’un objet, la direction du champ électrique varie de manière aléatoire au cours du temps. Cette lumière est appelée non polarisée. Si au contraire la direction du champ électrique varie de manière totalement prévisible, la lumière est qualifiée de totalement polarisée. Une lumière polarisée peut être produite à partir de lumière naturelle de multiples manières, par exemple en fabriquant des matériaux qui atténuent une direction privilégiée du champ électrique. Après avoir traversé un tel milieu, seul le champ perpendiculaire à cette direction est conservé. La direction du champ est totalement prévisible et l’onde est dite polarisée linéairement. D’autres types de polarisation sont possibles. Une onde polarisée circulairement est une onde pour laquelle l’extrémité du champ électrique décrit un cercle autour de l’axe de propagation de la lumière. Les ondes polarisées elliptiquement correspondent quant à elles à un champ électrique dont l’extrémité décrit une ellipse. Ces ondes possédant ces états de polarisation sont obtenues en combinant des éléments optiques comme des polariseurs rectilignes et des lames cristallines qui induisent des déphasages entre les deux composantes des champs. Notons enfin que ces différents états de polarisations ne sont pas indépendants, et que l’on peut décrire toute polarisation comme la somme de deux polarisations linéaires, orthogonales et déphasées, ou comme la somme de deux polarisations circulaires de sens opposés et déphasées. Par exemple, une lumière linéairement polarisée peut se décomposer en la somme de deux ondes polarisées circulairement, une droite (ED ) et une gauche (EG ), de même amplitude, et de même phase (figure 7.22).
7. Configurations absolues et relatives
149
Fig. 7.22 – a) Onde polarisée circulairement droite. b) Onde polarisée circulairement gauche. c) Onde polarisée linéairement. Pouvoir rotatoire : définitions et unités On considère une cuve contenant une substance énantiomériquement enrichie dans laquelle on fait se propager une onde polarisée rectilignement (on dit aussi linéairement). L’onde ressort de ce matériau, toujours polarisée linéairement, mais son plan de polarisation à tourné d’un angle α appelé pouvoir rotatoire (figure 7.23). Par convention, si un observateur voit le plan de polarisation pivoter dans le sens des aiguilles d’une montre quand la lumière arrive sur lui, α est positif, et la substance est dite dextrogyre. Dans le cas opposé, le pouvoir rotatoire est négatif et la substance dite lévogyre. L’angle étant déterminé modulo 2π, il peut être nécessaire d’effectuer plusieurs mesures avec des longueurs de cuves ou des concentrations différentes afin de lever cette ambiguïté. Le pouvoir rotatoire a été analysé par Fresnel comme étant dû à une biréfringence circulaire, c’est-à-dire que les indices optiques sont différents pour une onde polarisée circulairement gauche et une onde polarisée circulairement droite. Considérons l’onde incidente linéairement polarisée. Elle peut, comme on vient de le voir, être décomposée en la somme de deux ondes circulairement polarisées, de sens contraires, et de même phase et amplitude. Les deux composantes circulairement polarisées ne se propageant pas à la même vitesse, l’une des deux composantes tourne plus rapidement que l’autre (figure 7.24).
150
Molécules chirales α
α
α
lévogyre (–)
dextrogyre (+)
Fig. 7.23 – Définition du pouvoir rotatoire. E
+ ED
EG se propage à la vitesse vG
se propage à la vitesse vD
Fig. 7.24 – Deux ondes polarisées circulairement droite et gauche ne se propagent pas à la même vitesse dans un milieu chiral. À la sortie du milieu, le plan médian entre les deux composantes du champ n’est plus le plan contenant la polarisation initiale : le plan de polarisation a pivoté d’un angle α α = (nG − nD )
πl λ
Loi de Fresnel
La loi de Fresnel donne l’expression de l’angle en fonction de la différence (nG − nD ), où nG et nD sont respectivement les indices de réfraction pour la lumière polarisée circulairement gauche (notée LPCG) et pour la lumière polarisée circulairement droite (notée LPCD), la longueur de la cuve l et la longueur d’onde étudiée λ. La grandeur (nG − nD ) s’appelle la biréfringence circulaire. En pratique, ce qui intéresse le chimiste c’est de pouvoir quantifier le pouvoir rotatoire des molécules chirales, en solution ou à l’état liquide. On utilise à cet effet le pouvoir rotatoire spécifique, défini par Biot : T
[α]λ =
α lC
(concentration, solvant)
α est la rotation observée, en degrés, l la longueur de la cuve, en dm et C la concentration en g cm−3 . Pour un liquide pur C est remplacée par la masse volumique ρ en g cm−3 . La température T est donnée en degrés Celsius.
7. Configurations absolues et relatives
151
Dans ces conditions, l’unité de [α]Tλ correspond à 10−1 deg cm2 g−1 . C’est celle qui est conventionnellement utilisée dans la littérature, mais l’usage est de ne pas la préciser. Il est proscrit d’utiliser le symbole degrés (◦ ) qui ne représente pas ici l’unité du pouvoir rotatoire spécifique. On définit parfois le pouvoir rotatoire molaire [Φ] ou [M ] par : T
[M ]λ =
M T [α] (concentration, solvant) 100 λ T
où M est la masse molaire du composé. Dans ces conditions, l’unité de [M ]λ correspond à 10−3 deg cm2 mol−1 . Facteurs influençant la valeur du pouvoir rotatoire spécifique ou molaire en solution Le pouvoir rotatoire spécifique n’est pas une constante physique. Il dépend de la température T , de la longueur d’onde λ, de la concentration C, du solvant et de la pureté énantiomérique. Dépendance de [α] avec T À toute variation de température peuvent être associés des changements de densité, de la position d’un équilibre conformationnel, ou des associations entre molécules (soluté-solvant, soluté-soluté), ce qui implique une modification du système chiral et donc une variation du pouvoir rotatoire. Les variations de [α] avec T sont en général faibles (1 à 2 % par ◦ C), sauf dans certains cas exceptionnels comme l’acide l-aspartique de formule (CO2 H– 20 75 90 CH2 –CH(NH2 )–CO2 H) pour lequel [α]D = +4,4, [α]D = 0, [α]D = −1,86 (C 0,5 g/100 mL, H2 O). Dépendance de [α] avec λ Pour estimer la dépendance de [α] avec la longueur d’onde, on mesure le pouvoir rotatoire à différentes valeurs de λ : la raie D du sodium à 589 nm et les raies du mercure à 578, 546, 436 et 365 nm. En dehors des régions d’absorption, le pouvoir rotatoire décroît approximativement comme 1/λ2 (Loi de Biot, figure 7.25). Quand il y a absorption, on parle de dispersion rotatoire optique (voir paragraphe 7.5.4). Certaines substances ont des pouvoirs rotatoires pratiquement nuls, c’est le phénomène de cryptochiralité. Le pouvoir rotatoire peut être accidentellement nul au moment où il change de signe comme le montre l’exemple de la figure 7.26, ou il peut être nul à toutes les longueurs d’ondes comme dans le cas du butyl-éthyl-hexyl-propyl-méthane (ou 5-éthyl-5-propyl undécane) [19].
152
Molécules chirales
Fig. 7.25 – Variation du pouvoir rotatoire en fonction de la longueur d’onde.
λ (nm)
Fig. 7.26 – Phénomène de cryptochiralité.
Dépendance de [α] avec C et le solvant L’effet du solvant est toujours important, du fait que les interactions soluté-solvant peuvent différer d’un solvant à l’autre. Le solvant influence aussi
7. Configurations absolues et relatives
153
les équilibres conformationnels et les interactions dipôle-dipôle. L’effet de la concentration est également notable dans certains cas comme la nicotine qui en est un exemple très frappant (figure 7.27) [20].
Fig. 7.27 – Variation du pouvoir rotatoire de la nicotine en fonction de la concentration dans différents solvants (P est la concentration de soluté en grammes pour 100 grammes de solution). Reproduit avec la permission de John Wiley & sons, à partir de la référence [7] chapitre 1, page 1077.
7.5.2
Pureté énantiomérique et pureté optique
La valeur du pouvoir rotatoire est directement liée à la pureté énantiomérique d’un mélange. Soient E1 et E2 les deux énantiomères d’une substance chirale, de fractions molaires x1 et x2 (x1 + x2 = 1) ; x1 et x2 déterminent la composition énantiomérique du mélange.
154
Molécules chirales
Dans ce qui suit, on choisit arbitrairement E1 comme l’énantiomère le plus abondant. On a en particulier, x1 = x2 = 0,5 pour le mélange racémique, x1 = 1 et x2 = 0 pour l’énantiomère E1 pur. On définit l’excès énantiomérique (ee) par l’expression : ee =
E1 − E2 E1 + E2
où E1 et E2 représentent les proportions en énantiomères E1 et E2 (exprimées en grammes, moles, etc.). L’excès énantiomérique ee est communément donné en % : ee vaut 0 pour le mélange racémique, 1 ou 100 % pour l’énantiomère E1 pur. L’excès énantiomérique peut être exprimé en fonction de la fraction molaire : E1 x1 = E1 + E2 ee = 2x1 − 1
x1 =
1 + ee 2
La quantité de racémique r dans le mélange peut également être calculée à partir de la fraction molaire ou de l’excès énantiomérique. Elle correspond à deux fois la quantité de l’énantiomère minoritaire, ici x2 r = 2x2 = 2(1 − x1 ) = 1 − ee r vaut 1 pour le mélange racémique, 0 pour l’énantiomère E1 pur. Les expressions ci-dessus sont parfaitement symétriques : si on prend E2 comme l’énantiomère majoritaire, il suffit de transposer les indices 1 et 2. On peut ainsi représenter graphiquement les domaines de variation de x1 , ee, et r. x1 1
0,5
0
1
0
1
0
1
0
ee
r
Par ailleurs on sait que pour un racémique le pouvoir rotatoire spécifique [α] vaut 0 et pour un énantiomère pur [α] = [α]max . On définit la pureté optique p par la valeur absolue du rapport [α]M M R = [α] AR max
7. Configurations absolues et relatives A
155
M
R
[α]M
0
A
M
R
1
eeM
0
[α] [α]max
-[α]max
ee 1
On suppose en général que p est une fonction linéaire de l’excès énantiomérique, auquel cas : [α]M M R = = eeM pM = [α]max AR Ceci est vrai dans la plupart des cas, surtout lorsque les concentrations utilisées pour la mesure de [α] sont faibles. Cependant, des cas de non linéarité existent : c’est l’effet Horeau. Horeau a en effet montré que la relation de linéarité entre ee et p n’est pas vérifiée dans les cas où il existe des interactions diastéréoisomères importantes [21]. Par exemple l’acide α-éthyl-α-méthylsuccinique possède un pouvoir rotatoire 22 22 maximal [α]D max = +4,4 (C 15, CHCl3 ) pour un ee de 100 %, et [α]D max = +1,6 (C 15, CHCl3 ) pour un ee de 50 % soit 36 % de la valeur maximale. L’écart à la linéarité est important dans le cas des ee faibles et atténué pour les ee élevés (figure 7.28). En conclusion, on peut déterminer l’excès énantiomérique ee d’un mélange en utilisant le pouvoir rotatoire (pureté optique) si [α]max est connu. Il faut s’assurer de l’absence d’effet Horeau et comparer [α]M et [α]max exactement dans les mêmes conditions de solvant, concentration, température et longueur d’onde [22].
7.5.3
Pouvoir rotatoire et configuration absolue
Les relations entre la grandeur, le signe de α et la configuration d’une molécule chirale sont très complexes. Depuis longtemps on a cherché à établir des modèles reposant sur des théories physiques plus ou moins élaborées. Applequist [23] et Brewster [24] ont développé des modèles basés sur la relation qui existe entre le pouvoir rotatoire et la polarisabilité. D’un point de vue phénoménologique [25], α est relié à une biréfringence circulaire, selon la loi de Fresnel, α = (nG − nD )
πl λ
or l’indice de réfraction est relié (selon les équations de Maxwell) à la polarisabilité (notée α ) des atomes du milieu, qui exprime la réponse du nuage
156
Molécules chirales
Fig. 7.28 – Effet Horeau dans le cas de l’acide α-éthyl-α-méthylsuccinique. électronique à un champ électrique E : µi = αi E où µi correspond au moment dipolaire induit de l’atome i et αi à la polarisabilité de l’atome i. Une molécule chirale possède un tenseur de polarisabilité (αi ) qui induit une réponse différente au champ électrique d’une lumière polarisée circulairement droite (LPCD) et d’une lumière polarisée circulairement gauche (LPCG). L’effet de la lumière polarisée sur la molécule CHFClBr a été étudié par Applequist qui a élaboré un modèle sophistiqué permettant de calculer le signe et la grandeur du pouvoir rotatoire à partir des polarisabilités des atomes qui la constituent et de la structure spatiale. Pour CHFClBr, il donne les polarisabilités suivantes : Atome
C
H
F
Cl
Br
Polarisabilité (Å3 )
0,848
0,148
0,38
1,90
2,90
et calcule pour S-CHFClBr une rotation molaire [M ]D = +2 à +16 deg cm2 dmol−1 , ce qui donne donc la configuration absolue S-(+). La figure 7.29 montre les moments dipolaires atomiques calculés, induits par une LPCG et une LPCD. Avant le modèle d’Applequist, Brewster avait établi une règle empirique simple permettant de déterminer la configuration absolue d’un carbone asymétrique à partir des polarisabilités des groupes. La molécule schématisée sur
7. Configurations absolues et relatives
157
Fig. 7.29 – Moments dipolaires atomiques induits par une LPCG et une LPCD calculés dans le cas de CHFClBr. la figure 7.30 possède quatre substituants différents dont les polarisabilités sont classées selon A > B > C > D. La configuration pour la représentation de Fischer dessinée ci-dessous conduit alors à un signe positif du pouvoir rotatoire.
Fig. 7.30 – Règle de Brewster appliquée à CHFClBr. Brewster et Applequist aboutissent à la même configuration absolue S-(+) pour CHFClBr alors qu’ils utilisent des ordres de polarisabilités inversés pour F et H. Cela montre bien la difficulté de relier pouvoir rotatoire et structure microscopique d’une molécule chirale, et que de telles méthodes de détermination de configurations absolues ne peuvent être fiables à 100 % et nécessitent d’être corroborées par d’autres méthodes. Dans le cas de CHFClBr, d’autres méthodes (activité optique Raman et modélisation moléculaire) ont confirmé la configuration absolue S-(+) et R-(−).
158
Molécules chirales
Les méthodes de calculs ab initio permettent néanmoins un calcul assez précis du pouvoir rotatoire dans le cas de molécules simples. Par exemple, plusieurs auteurs ont montré que des calculs basés sur la théorie fonctionnelle de la densité (DFT) donnaient d’excellents résultats [26].
7.5.4
Dispersion rotatoire optique et dichroïsme circulaire
La dispersion rotatoire optique (DRO) et le dichroïsme circulaire (CD) sont des propriétés chiroptiques inhérentes des substances chirales qui absorbent différemment une lumière polarisée circulairement droite (LPCD) et une lumière polarisée circulairement gauche (LPCG)1 . Comme nous le verrons dans cette partie, ces deux notions (DRO et CD) sont intimement liées. Nous allons les définir dans le cadre de la spectroscopie électronique, c’est-àdire dans le cas des molécules chirales possédant des chromophores, mais elles sont également utilisées pour des molécules chirales qui ne possèdent pas de chromophores et qui absorbent dans le domaine vibrationnel. Rappels sur la spectroscopie électronique On appelle chromophore toute fonction chimique qui absorbe dans l’UVvisible. Une molécule ayant des chromophores présente une ou des bandes d’absorption en spectroscopie électronique. L’absorption d’une lumière à travers une substance qui absorbe suit la loi de Beer-Lambert : log
I0 = εlC I
où I est l’intensité lumineuse transmise mesurée par rapport à l’intensité incidente I0 , ε est le coefficient d’absorption molaire, il s’exprime en dm3 mol−1 cm−1 , l la longueur de la cuve contenant la substance en solution en cm et C la concentration en mol L−1 . La grandeur εlC est appelée absorbance et notée communément A. L’aire de la bande d’absorption UV correspond à la force dipolaire de la transition, notée D : ε dσ, D = cste bande σ 1 Il est également possible d’étudier, non plus l’absorption, mais la luminescence de molécules chirales. Cette technique est appelée polarisation circulaire de luminescence (CPL). C’est l’équivalent du dichroïsme circulaire, mais on observe dans ce cas le spectre d’émission de la molécule, plus précisément la différence d’émission entre une LPCD et une LPCG. On définit communément la différence de luminescence ∆I : ∆I = IG − ID . L’intensité luminescente moyenne étant égale à
I=
1 (IG + ID ) , 2
on définit le facteur de dissymétrie de luminescence glum : glum =
∆I [27]. I
7. Configurations absolues et relatives où σ est le nombre d’onde σ = la longueur d’onde.
1 λ
159
et s’exprime communément en cm−1 , et λ
Dispersion rotatoire optique La dépendance du pouvoir rotatoire avec la longueur d’onde s’appelle dispersion rotatoire optique (DRO). En l’absence d’absorption de la substance optiquement active, la rotation varie en 1/λ2 . Mais ceci n’est plus vrai dans les régions d’absorption où l’on observe que la différence des indices de réfraction ∆n (= nD − nG ) passe par un maximum et par un minimum, avec un point d’inflexion. Il en est de même pour le pouvoir rotatoire, c’est l’effet Cotton. Les deux courbes de DRO correspondant respectivement aux deux énantiomères purs sont symétriques ; λ0 est légèrement différent de la longueur d’onde de la bande d’absorption correspondante (bande UV-visible) (figure 7.31).
Fig. 7.31 – Dispersion rotatoire optique. (a) Courbe à effet Cotton positif. (b) Courbe à effet Cotton négatif.
Dichroïsme circulaire Le dichroïsme circulaire noté ∆ε est la différence entre les coefficients d’absorption molaires εG et εD d’une LPCG et d’une LPCD : ∆ε = εG − εD ∆ε s’exprime en dm3 mol−1 cm−1 . On parle communément de dichroïsme circulaire (en anglais circular dichroism CD) quand on a affaire à des molécules chirales possédant des chromophores, c’est-à-dire des fonctions chimiques qui absorbent dans le domaine UV-visible, et de dichroïsme circulaire vibrationnel (en anglais vibrational circular dichroism VCD) pour les molécules qui
160
Molécules chirales
absorbent dans le domaine vibrationnel c’est-à-dire dans l’infra-rouge. Parmi les bandes d’absorption UV-visible, certaines donnent lieu à un effet Cotton positif ou négatif. Ces bandes sont appelées bandes actives en dichroïsme circulaire (figure 7.32).
Fig. 7.32 – Dichroïsme circulaire. Courbe (a) : courbe à effet Cotton positif. Courbe (b) : courbe à effet Cotton négatif.
D’un point de vue phénoménologique, le CD s’interprète comme suit : si le milieu optiquement actif est absorbant, alors les composantes de la LPCD et la LPCG subissent dans les régions d’absorption des changements d’intensité : ED = EG . Après avoir traversé l’échantillon, la lumière initialement polarisée linéairement, a non seulement tourné d’un angle α, mais ressort polarisée elliptiquement (figure 7.33) car la somme de deux ondes circulaires droite et gauche d’intensité différente est une ellipse. Le CD peut être relié à l’ellipsité ψ qui est un angle définit par
tan ψ =
|ED | − |EG | |ED | + |EG |
et qui correspond au rapport du petit axe au grand axe de l’ellipse de la figure 7.33 ; il est positif quand ED est plus grand que EG et réciproquement. Pour des solutions peu absorbantes, ψ est proportionnelle à ∆ε. En effet, on peut montrer que, pour les petits angles (tan ψ ≈ ψ), l’ellipticité ψ exprimée
7. Configurations absolues et relatives
161 α
ψ E
EG ED
Fig. 7.33 – Onde polarisée elliptiquement après traversée d’une onde polarisée linéairement dans un milieu chiral absorbant.
en radians s’écrit : ψ≈
2,3Cl (εG − εD ) = 3300 · ∆ε 4
Les spectres de CD et DRO pour deux énantiomères purs sont symétriques par rapport à zéro. Si on connaît la valeur de ∆ε pour un énantiomère pur, on peut en déduire l’ee d’un mélange partiellement dédoublé. Le coefficient d’absorption molaire ε classique correspond en fait à ε = 1 (εD + εG ). 2 . Il peut être calculé On définit le facteur de dissymétrie g par g = ∆ε ε à partir de la force rotationnelle R et la force dipolaire D d’après l’exR ; g varie avec la longueur d’onde mais est constant pression : g = 4 D pour une bande d’absorption ou une transition donnée.
Relation entre CD et DRO On trouve dans l’interaction d’une lumière avec la matière à la fois des phénomènes d’absorption et de dispersion. Dans le cas de l’interaction d’une lumière polarisée avec un échantillon optiquement actif, ceci peut être pris en compte par l’écriture du pouvoir rotatoire et des indices de réfraction sous la forme de complexes Φ, NG et ND : π π Φ = (NG − ND ) = [(nG − nD ) − i(κG − κD )] λ λ nG et nD étant les indices de réfraction de la lumière circulaire gauche et droite, i2 = −1, et κG et κD sont les indices d’absorption de la lumière circulaire gauche et droite. Φ contient donc à la fois des indices de réfraction (traduisant la DRO) et des coefficients d’absorption (traduisant le CD) et peut être écrit plus simplement sous la forme : Φ = α − iψ
162
Molécules chirales
où α = πλ (nG − nD ) est l’angle de rotation de la lumière linéairement polarisée par unité de longueur et ψ = πλ (κG −κD ) est l’ellipticité par unité de longueur. Kronig et Kramers ont montré qu’à partir de la connaissance de la dispersion, en fonction de la longueur d’onde, sur l’ensemble du domaine spectral (de λ = 0 à λ = ∞), on peut prévoir la courbe d’absorption correspondante et réciproquement. Le résultat connu sous le nom de théorème de Kronig-Kramers, permet de relier quantitativement les courbes de DRO et de CD : 2 ψ(λ0 ) = − πλ0 α(λ0 ) =
1 2π
∞
∞ α(λ) 0
ψ(λ) 0
(λ20
λ2 dλ − λ2 )
λ dλ (λ20 − λ2 )
Approche microscopique : moments dipolaires de transition et force rotationnelle Lors de l’excitation par une onde électromagnétique, le nuage électronique se réarrange à partir d’une distribution à l’état fondamental 0 vers celle d’un état excité a ; ceci peut être associé à un déplacement ou à une rotation de la charge électronique. La direction et l’amplitude d’un tel déplacement sont décrites par le moment de transition électrique µ0a . Une rotation de la charge électronique pendant l’excitation peut créer un moment de transition magnétique m0a . La rotation de charge peut également être associée à un moment quadrupolaire électrique. En mécanique quantique, on définit la force dipolaire D = µ2 , où µ est le moment dipolaire de la transition électronique ou moment dipolaire électrique ; µ est directement lié aux fonctions d’ondes des états initial et final de la transition. Il correspond au déplacement des électrons durant la transition. D se mesure expérimentalement par l’aire de la bande d’absorption correspondant à la transition : dσ ε D = cste σ bande Moscowitz [28] a introduit une quantité appelée la force rotationnelle d’une transition 0 → a, notée R0a , dont la définition théorique est donnée par le produit des vecteurs de moments dipolaires de transition électrique et magnétique : R0a = µ0a m0a cos (µ0a , m0a ) où µ0a et m0a sont les amplitudes des moments de transition dipolaires électrique et magnétique et cos(µ0a , m0a ) est le cosinus de l’angle entre ces deux vecteurs. Comme l’expression théorique de µ0a donne un vecteur réel, alors que celle de m0a donne un vecteur purement imaginaire (il décrit une rotation
7. Configurations absolues et relatives
163
dans le système de coordonnées gaussien de nombres complexes z = x + iy), le produit est purement imaginaire (x = 0) ; c’est pourquoi on trouve aussi souvent la définition suivante : R0a = Im (µ0a · ma0 ) Expérimentalement, la force rotationnelle R d’une transition électronique se mesure par l’aire de la bande d’absorption du spectre de dichroïsme circulaire : dσ R = cste ∆ε σ bande En conclusion, on peut déterminer la force rotationnelle à la fois au plan théorique et au plan expérimental, ce qui permet d’accéder par comparaison des deux résultats à la configuration absolue des molécules chirales.
7.5.5
Applications
Si on est capable de déterminer la géométrie de µ0a et m0a pour une transition donnée alors on peut prévoir le signe du produit scalaire et donc de la force rotationnelle pour une configuration absolue donnée. Nous examinerons deux cas : le chromophore carbonyle et la règle des octants, et le dichroïsme excitonique. Plus généralement, si l’on est capable de déterminer théoriquement le signe de la force rotationnelle de chaque bande CD d’une substance optiquement active, on peut alors déterminer sa configuration absolue par comparaison avec les signes des bandes du dichroïsme circulaire expérimental (figure 7.34).
Expérience Comparaison des signes des forces rotationnelles pour chaque bande d'absorption
Théorie
Fig. 7.34 – Principe de la détermination de la configuration absolue par comparaison du dichroïsme circulaire théorique et expérimental.
Chromophore carbonyle, règle des octants On distingue les chromophores intrinsèquement chiraux des chromophores achiraux. Dans le premier cas, c’est le chromophore lui-même qui est chiral ; il
164
Molécules chirales
est dissymétrique. Les chromophores intrinsèquement chiraux ont en général des CD élevés : par exemple l’héxahélicène (∆ε = +200 dm3 mol−1 cm−1 à 330 nm pour l’énantiomère P ). Dans le second cas, le chromophore est symétrique, achiral, et sert de sonde de l’espace chiral environnant. Cela correspond par exemple au cas classique de la fonction carbonyle d’une substance chirale. Les valeurs de CD sont en général faibles : ∆ε = +0,6 dm3 mol−1 cm−1 à 290 nm pour la transition n − π ∗ du C=O de la 3R-méthylcyclohexanone. Les cétones possèdent une transition électronique vers 300 nm qui est du type n − π ∗ . La transition a un moment magnétique m mais pas de moment électrique µ. Cependant, la présence de substituants autour de C=O, dits groupes perturbateurs qui sont à l’origine de la chiralité de la molécule fait apparaître un dipole électrique µ induit par la transition magnétique. La transition n−π ∗ possède alors une force rotationnelle Im(µ·m) non nulle. Le signe de cette force rotationnelle, qui est celui de la bande de dichroïsme circulaire, peut être prédit grâce à une règle empirique appelée règle des octants que nous présentons ci-dessous. Dans la règle des octants, tout l’espace entourant C=O est séparé en huit sous-espaces appelés octants. Au sein d’une molécule chirale comportant une fonction carbonyle, l’octant occupé par le groupement « perturbateur » détermine le signe de sa contribution à la force rotationnelle de la transition n − π ∗ et donc à la bande CD correspondant à cette transition (figure 7.35).
arrière Signe du groupe perturbateur en arrière du C=O
xz A
+X
+
−
−
+
yz +Y
C O
+Z
avant Signe du groupe perturbateur en avant du C=O
−
+
+
−
Fig. 7.35 – Règle des octants : chaque octant donne le signe de la bande CD correspondant à la transition n − π ∗ .
7. Configurations absolues et relatives
165
Fig. 7.36 – Règle de l’octant appliquée à la trans-1-méthyl-3-décalone. Nous illustrerons cette règle par deux exemples. Exemple 1 : cas où la conformation est rigide et connue. Expérience : l’énantiomère (+) de la trans-1-méthyl-3-décalone (figure 7.36) possède un effet Cotton (CD) positif à 300 nm. Quelle est sa configuration absolue ? Exemple 2 : on connaît la configuration absolue, mais la molécule est flexible. Quelle est la conformation de la R-(+)-3-methyl cyclohexanone (figure 7.37) ? Sachant que l’on observe un effet Cotton positif à 300 nm, on en déduit que la conformation avec le méthyle équatorial est majoritaire. Dichroïsme excitonique Le dichroïsme excitonique est le dichroïsme circulaire qui provient du couplage excitonique, c’est-à-dire de l’interaction de deux ou plusieurs chromophores, quand ils sont proches dans l’espace et forment un système chiral. Deux chromophores, proches dans l’espace, et ayant des absorptions π −π ∗ intenses, identiques ou absorbant à des énergies proches, ne peuvent être excités de façon indépendante. L’état excité se trouve délocalisé sur tous les chromophores du système et devient un exciton. Quand deux chromophores interagissent dans un environnement chiral, les excitons donnent lieu à un schéma caractéristique de dichroïsme circulaire qui est constitué de deux bandes CD intenses de signes opposés et d’aires comparables (figure 7.41), correspondant aux deux transitions α et β de la figure 7.38.
166
Molécules chirales
Fig. 7.37 – Règle de l’octant appliquée à la R-(+)-3-methyl cyclohexanone.
Fig. 7.38 – Couplage excitonique entre deux chromophores.
Le dichroïsme excitonique peut être utilisé de façon empirique pour déterminer la configuration absolue de diols chiraux. Nous présentons le principe dans le cas du couplage excitonique issu des diols substitués par des chromophores de type benzoate [29]. Les benzoates substitués en para (figure 7.39) possèdent une bande à transfert de charges intense provenant de la transition 1 La ; c’est le couplage à travers l’espace de ces bandes à transfert de charges qui est utilisé dans le dichroïsme excitonique. Le signe des bandes CD obtenues permet de déterminer la configuration absolue entre les deux groupements hydroxyles. Ainsi, le CD excitonique retranscrit la chiralité au niveau des deux fonctions alcools. Quand les deux OH sont disposés de façon à définir une chiralité positive, comme décrit sur la figure 7.40, le spectre CD est constitué d’une
7. Configurations absolues et relatives
167
Fig. 7.39 – Les benzoates, groupements aromatiques couramment utilisés dans le couplage excitonique. X
1L
O X
a
O
* O O 1
*
La
Fig. 7.40 – Couplage excitonique entre deux OH substitués par des benzoates ; cas d’une chiralité positive. première bande à effet Cotton positif et d’une seconde bande à effet Cotton négatif (figure 7.41a). C’est la situation opposée pour une chiralité négative. Ce schéma de CD constitue l’empreinte de la chiralité positive ou négative des deux groupements OH. Exemples de CD expérimentaux Les cryptophanes sont un autre exemple de molécules qui présentent un dichroïsme circulaire de type couplage excitonique. Un modèle théorique basé sur le couplage de six chromophores a pu être développé et utilisé pour la détermination de la configuration absolue de ces molécules [30]. Sur la figure 7.42 sont représentés les CD des deux énantiomères du cryptophanol-A, dont la configuration absolue a été déterminée dans ce cas par comparaison avec les CD des cyclotrivératrylènes [31]. Ces derniers, appelés communément CTV, sont les deux unités tri-benzèniques en forme de chapeau chinois, qui reliées entre elles forment le cryptophane. Leur dichroïsme circulaire correspond au couplage excitonique de trois noyaux aromatiques [32]. Le C76 est un fullerène présentant une chiralité inhérente à la molécule et donc des valeurs de dichroïsme circulaire très élevées (figure 7.43) [33]. Un modèle basé sur le calcul des orbitales moléculaires a permis de proposer les configurations absolues [CD(–)282]-(f C)-C76 et [CD(+)282]-(f A)-C76 [34].
168
Molécules chirales
Fig. 7.41 – Spectres de dichroïsme circulaire (a) et UV-visible (b) de molécules présentant un couplage excitonique ; cas d’une chiralité positive. Les courbes observées (—) résultent de la somme des deux transitions excitoniques (....).
Fig. 7.42 – Spectres CD expérimentaux des deux énantiomères du cryptophanol-A.
Remarquons la notation préconisée pour préciser la configuration absolue dans les cas des molécules qui absorbent fortement et pour lesquelles l’utilisation du pouvoir rotatoire n’est pas appropriée. Des calculs théoriques plus élaborés de type TDDFT (« Time-Dependent Density Functional Theory ») sont désormais accessibles et permettent le calcul précis et quantitatif de spectres de dichroïsme circulaire de molécules aussi sophistiquées que les fullerènes [35]. La structure tridimensionnelle (secondaire et tertiaire) des biopolymères peut être déterminée à l’aide du dichroïsme circulaire [36]. Il existe en effet des bandes CD très caractéristiques des feuillets β et des hélices α.
7. Configurations absolues et relatives
169
Fig. 7.43 – Spectres CD expérimentaux des deux énantiomères du C76 . Dichroïsme circulaire vibrationnel et activité optique Raman Le dichroïsme circulaire vibrationnel est l’équivalent du CD mais ne s’applique qu’aux molécules qui absorbent dans l’infra rouge. Le premier spectre a été enregistré par l’équipe de Moscowitz en 1974 et concerne la bande d’élongation C-H du 2,2,2-trifluoro-1-phényléthanol (figure 7.44) [37]. Là encore on mesure ∆ε = εG − εD .
OH F3C
C
H
Fig. 7.44 – Premier spectre de dichroïsme circulaire vibrationnel mesuré avec le 2,2,2-trifluoro-1-phényléthanol. Reproduit avec permission de la référence [37].
L’activité optique vibrationnelle est beaucoup plus difficile à détecter que l’activité optique électronique courante, car elle concerne des fréquences de transition optique très peu élevées (3000 à 10 cm−1 ). L’enregistrement des spectres de dichroïsme circulaire vibrationnel (en anglais : VCD), nécessite donc des techniques de détection sophistiquées. Cependant le VCD constitue une méthode de détermination de configuration absolue de plus en plus
170
Molécules chirales
fiable. Le principe est de nouveau la comparaison du spectre mesuré expérimentalement avec le spectre calculé théoriquement. Les progrès récents dans les calculs quantiques et dans la méthode DFT, et la possibilité de les implémenter dans les appareils de mesure commerciaux, font du VCD une technique de plus en plus accessible au chimiste et de plus en plus intéressante. Le principal inconvénient du VCD reste la taille des molécules qui peuvent être étudiées, environ moins de 100 atomes et leur flexibilité conformationnelle qui complique l’analyse. En effet, quand la molécule adopte plusieurs conformations, il est nécessaire d’effectuer le calcul du spectre de VCD pour chaque conformation et de faire la moyenne sur toutes les populations pour obtenir le spectre global. À l’inverse, si la molécule est simple, l’étude du VCD permet en même temps de faire l’analyse conformationnelle de la molécule [38]. La spectroscopie Raman utilise une source de lumière dans le visible et analyse une lumière diffusée dans le visible. Le photon diffusé inélastiquement porte l’information sous la forme d’une perte ou d’un gain d’énergie correspondant à une transition moléculaire (translationnelle, rotationnelle, vibrationnelle ou électronique). La mesure d’activité optique Raman (AOR) d’une transition vibrationnelle est ID − IG , où ID et IG sont les intensités diffusées Raman pour une LPCD et une LPCG respectivement [39]. En 1969, Atkins et Barron ont introduit la différence d’intensité circulaire Raman : ∆=
ID − IG ID + IG
où ID et IG sont les intensités des lumières diffusées respectivement pour une LPCD et pour une LPCG [40]. Des calculs théoriques de type ab initio d’AOR se développent également et permettent ainsi la détermination de la configuration absolue par la comparaison des spectres expérimental et théorique (figure 7.45) [41].
7.6
Utilisation de la RMN
Dans le chapitre 9.2.1, nous montrerons que l’on peut parfois utiliser les agents chiraux de dérivatisation (ACD) pour faire des corrélations entre les déplacements chimiques et la configuration absolue des composés chiraux, (généralement des alcools et amines) [42]. Pour cela, on tire parti du fait que l’ACD possède un groupement encombrant qui bloque la molécule dans une certaine configuration et un groupement capable de produire un effet anisotrope orienté qui va affecter les substituants L1 et L2 de la molécule chirale (voir l’exemple de la figure 7.46). Suivant la position de L1 et L2 , ces
7. Configurations absolues et relatives
171
Fig. 7.45 – IR, VCD, AOR et Raman du S-(-)-β-pinène dans la région 900−1350 cm−1 . Reproduit avec la permission de John Wiley & sons à partir de la référence [41]. DCP ROA signifie en anglais dual circular polarization Raman optical activity et correspond à une mesure simultanée de la polarisation circulaire incidente(ICP) et diffusée (SCP).
derniers vont être « blindés » ou « déblindés » et ce déplacement vers les basses ou hautes fréquences sera souvent caractéristique de la position de L1 et L2 dans l’espace et donc de la configuration absolue. L’inconvénient de cette méthode est qu’elle ne s’applique qu’à une catégorie limitée de composés ; en outre, c’est une méthode complètement empirique. L’avantage est qu’elle ne nécessite pas de connaissance spécifique autre que la RMN classique.
172
Molécules chirales
Fig. 7.46 – Règle empirique permettant de déterminer la configuration absolue d’un alcool primaire par RMN avec l’acide méthoxy-phényl acétique (MPA). Reproduit avec la permission de la référence [42].
Bibliographie [1] La notation ent est couramment utilisée pour nommer l’énantiomère d’une molécule si, par exemple, sa configuration absolue n’est pas connue. [2] B. Helferich, Angew. Chem., 1953, 65, 45. [3] C. Kratsky dans Chirality, From Weak Bosons to the α-Helix, R. Janoschek (Ed.), Springer-Verlag, Berlin, Heidelberg, 1992, Chap. 5, p. 86. [4] J.M. Bijvoet, A.F. Peerdeman, A.J. van Bommel, Nature, London, 1951, 168, 271. [5] H.D. Flack, G. Bernardinelli, Acta Cryst., 1999, A55, 908.
7. Configurations absolues et relatives
173
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174
Molécules chirales
[32] C. Andraud, C. Garcia, A. Collet dans Circular Dichroism. Principles and Applications. Ed. N. Berova, K. Nakanishi, R.W. Woody, 2e ed., Wiley-VCH, 2000, p. 383. [33] R. Kessinger, J. Crassous, A. Herrmann, M. Rütimann, L. Echegoyen, F. Diederich, Angew. Chem. Int. Ed. Engl. 1998, 37, 1919. [34] H. Goto, N. Harada, J. Crassous, F. Diederich, J. Chem. Soc., Perkin Trans. 2, 1998, 1719. [35] F. Furche, R. Ahlrichs, J. Am. Chem. Soc., 2002, 109, 3804. [36] G.D. Fasman, Circular Dichroism and the Conformational Analysis of Biomolecules, Kluwer Academic Publishers, 1996. [37] T.R. Faulkner, A. Moscowitz, G. Holtzwarth, E.C. Hsu, H.S. Mosher, J. Am. Chem. Soc., 1974, 96, 251. [38] a) T.B. Freedman, X. Cao, R.K. Dukor, L.A. Nafie, Chirality, 2003, 15, 743. b) F.J. Devlin, P.J. Stephens, C. Osterle, K.B. Wiberg, J.R. Cheeseman, M.J. Frisch, J. Org. Chem., 2002, 23, 8090. c) T.K. Keiderling dans Circular Dichroism. Principles and Applications. Ed. N. Berova, K. Nakanishi, R.W. Woody, 2e ed., Wiley-VCH, 2000, p. 621. [39] L.D. Barron, L. Hecht dans Circular Dichroism. Principles and Applications. Ed. N. Berova, K. Nakanishi, R.W. Woody, 2e ed., Wiley-VCH, 2000, p. 667. [40] P.W. Atkins, L.D. Barron, Molec. Phys., 1969, 16, 453. [41] a) L.A. Nafie, T.B. Freedman dans Circular Dichroism. Principles and Applications. Ed. N. Berova, K. Nakanishi, R.W. Woody, 2e ed., WileyVCH, 2000, p. 97 ; b) T.B. Freedman, X. Cao, R.K. Dukor, L.A. Nafie, Chirality, 2003, 15, 743. [42] a) J.M. Seco, E. Quinoa, R. Riguera, Chem. Rev., 2004, 104, 17 ; b) J.M. Seco, E. Quinoa, R. Riguera, Tet. Asymm., 2001, 12, 2925.
Chapitre 8 Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation a plupart des livres élémentaires de chimie organique insiste sur le fait que les paires d’énantiomères ont des propriétés physiques L identiques, excepté le signe de leur pouvoir rotatoire (et autres propriétés chiroptiques). Ces ouvrages comparent de façon implicite les deux énantiomères purs entre eux, bien qu’il soit important de comparer aussi les propriétés des énantiomères purs avec celles du racémique. On réalise alors que toutes les propriétés des substances chirales varient avec la composition énantiomérique, et que ces différences de propriétés peuvent être exploitées dans le but de purifier énantiomériquement un mélange. Or, l’accès aux molécules énantiomériquement pures est une préoccupation constante du chimiste organicien depuis la mise en évidence de la différence de propriétés biologiques entre les deux énantiomères d’une même molécule chirale. D’autre part, une différence d’énergie entre deux énantiomères existe bel et bien, même si aucune expérience n’a permis de la mesurer à l’échelle des molécules. Cette différence d’énergie provient, nous allons y revenir, de la brisure de symétrie gauche-droite. Dans le domaine biologique, la configuration d’un composé a une influence sur l’odeur, la saveur, l’activité thérapeutique, herbicide ou insecticide. Une réglementation de plus en plus rigoureuse oblige les industriels de la pharmacochimie ou de l’agrochimie à caractériser de façon précise les propriétés des deux énantiomères d’une substance active chirale. Il existe d’autres domaines où l’on utilise les propriétés, physiques cette fois, des énantiomères : pour la construction de matériaux non centrosymétriques, de cristaux liquides ferroélectriques pour l’affichage télévision, de cristaux liquides cholestériques pour la mesure des températures ou de matériaux piézoélectriques.
176
Molécules chirales
Dans le but de fabriquer ces composés énantiomériquement purs, les stratégies utilisables sont diverses et dépendent de contraintes telles que l’échelle, le temps disponible ou la structure du produit visé. Les trois approches sont : les synthèses stéréosélectives à partir de composés chiraux naturels (« réservoir chiral »), la synthèse asymétrique et le dédoublement. Ce chapitre décrit la troisième approche et concerne le dédoublement de mélanges racémiques ou partiellement enrichis. Il présente les propriétés physiques des énantiomères et de leurs mélanges et montre comment utiliser ces différences de propriétés pour séparer les énantiomères [1].
8.1 8.1.1
Propriétés des énantiomères Non-Conservation de la Parité (NCP)
La non-conservation (ou violation) de la parité est un principe qui exprime le fait que deux systèmes images l’un de l’autre dans un miroir ne sont pas parfaitement identiques.
La NCP en physique nucléaire et atomique Quatre forces fondamentales régissent les lois de l’univers : la gravité, l’électromagnétisme, l’interaction forte et l’interaction faible. On a longtemps supposé que toutes les forces de la nature ne distinguaient pas la droite de la gauche, c’est-à-dire que la parité (opération qui transforme tout objet spatial en son image dans un miroir, autrement dit une coordonnée (x, y, z) en son symétrique (−x, −y, −z)) devait être conservée. La conservation de la parité a longtemps été utilisée comme loi de base pour décrire tous les phénomènes physiques, y compris ceux faisant intervenir les particules élémentaires. Cependant, en 1956, deux jeunes physiciens âgés respectivement de 30 et 34 ans, Tsung-Dao Lee et Chen Ning Yang, montrèrent grâce à la mécanique quantique, que la parité n’était pas conservée dans les phénomènes mettant en jeu l’interaction faible [2]. Ils reçurent en 1957 le prix Nobel de Physique. Bien que purs théoriciens, ils ont été capables de proposer des expériences dans lesquelles la NCP pouvait être observée, et cela a permis dès 1957 à Mme Wu (1912–1997) et ses collaborateurs de prouver expérimentalement la violation de la parité dans l’interaction faible, grâce à leur célèbre expérience de la désintégration β du cobalt 60 [3]. Mme Wu a montré que les électrons qui étaient éjectés en même temps que les antineutrinos ν¯ lors du processus de désintégration β du cobalt 60 étaient gauches, la chiralité gauche ou droite d’une particule étant définie selon l’orientation du spin par rapport au sens du mouvement, comme décrit sur la figure 8.1. De même, les atomes de cobalt 58 se désintègrent en fer 58 en libérant des positrons et des neutrinos ν, les positrons ayant une chiralité droite. Autrement dit, on a découvert que même
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
177
Fig. 8.1 – Première observation expérimentale de la non-conservation de la parité dans la désintégration β du cobalt. les particules élémentaires telles que l’électron, étaient chirales, et donc que l’univers entier l’était aussi ! Cette expérience avait été mise en place de la façon suivante : les atomes de cobalt 60 étaient placés dans un champ magnétique B intense, à des températures proches du zéro absolu à l’aide d’hélium liquide. Ceci permet de diminuer l’agitation thermique, et d’aligner les atomes pour que l’émission se fasse uniquement dans les deux directions, parallèle et anti-parallèle au champ B. Si la parité avait été conservée, on aurait observé la même quantité d’électrons dans les directions parallèle et anti-parallèle. Or on a mesuré un excès d’électrons libérés dans le même sens que B et l’on a dans le même temps montré qu’ils étaient gauches. Au sein d’un noyau, l’interaction faible fait intervenir les particules élémentaires ; cependant, à la fin des années 60, les théories des forces électromagnétiques et faibles ont été unifiées en une seule appelée « théorie électrofaible » [4], montrant ainsi que même les atomes et les molécules étaient sujets à la violation de la parité par l’interaction faible. Dans le domaine de la physique atomique, on a pu mesurer de très faibles pouvoirs rotatoires dans des vapeurs d’atomes lourds, comme le bismuth, le césium ou le plomb [5].
La NCP au niveau moléculaire Si on tient compte de la NCP, deux énantiomères E1 et E2 n’ont pas la même énergie. Ils sont séparés par la différence d’énergie de violation de la
178
Molécules chirales
Fig. 8.2 – Différence d’énergie entre deux énantiomères ∆EPV = 2EPV . parité (que nous noterons ∆EPV ) ∆EPV = 2EPV , EPV étant le décalage issu du terme de violation de parité, par rapport à l’énergie de liaison électronique E, comme décrit sur la figure 8.2. L’amplitude de l’énergie de violation de parité est beaucoup trop faible pour être accessible aux méthodes de mesures expérimentales courantes et n’a encore jamais été mesurée expérimentalement au niveau moléculaire. Cependant, de nombreux calculs théoriques ont été effectués et donnent des valeurs de EPV de 10−20 à 10−17 hartrees (1 hartree = 4,36 10−18 J = 103 kT à 298 K) soit 10−17 à 10−14 kT à température ambiante. ∆EPV est proportionnelle à Z5 , Z étant le numéro atomique. On a tenté de mesurer expérimentalement l’énergie de violation de parité par diverses méthodes spectroscopiques. La spectroscopie Mössbauer [6] et le dichroïsme circulaire [7] ont été utilisés sur des complexes chiraux, qui doivent présenter des effets de NCP particulièrement élevés du fait de la présence d’atomes à numéro atomique élevé. La spectroscopie à très haute résolution a été utilisée dans le cas de CHFClBr pour lequel on a montré que les modes de vibration de la liaison C-F dans les deux énantiomères variaient dans une limite de 13 Hz ; ceci place à 4 10−13 la borne supérieure de différence d’énergie relative ∆EPV /E [8, 9]. Cependant, de telles techniques expérimentales n’atteignent pas encore une résolution suffisante pour mettre clairement en évidence des effets de NCP au niveau moléculaire.
La NCP et l’apparition de la vie L’hypothèse que la violation de la parité pourrait être à l’origine de l’homochiralité du monde vivant a été lancée peu après la découverte de la NCP [10]. Le mécanisme proposé par Vester et Ulbricht (l’hypothèse V-U)[11] suggère que lorsque des électrons issus d’une désintégration β (voir paragraphe précédent) polarisés longitudinalement traversent une substance, ils ralentissent en émettant un rayonnement γ. Comme cette émission γ est polarisée circulairement, la réaction photochimique résultante doit aboutir à un excès énantiomérique (se référer à l’exemple de synthèse asymétrique absolue de l’hexahélicène au chapitre 6.5.3).
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
8.1.2
179
Propriétés biologiques des énantiomères
Au xixe siècle, on utilisait déjà des principes actifs chiraux comme la morphine, administrée comme anti-douleur et extraite du pavot ou la quinine, prescrite comme anti-paludique et extraite des écorces de quinquina. La structure chimique et tridimensionnelle de ces molécules n’était cependant pas connue. Malgré les idées énoncées par Pasteur à la fin du xixe , les chimistes ont mis beaucoup de temps pour comprendre que la chiralité pouvait avoir un impact considérable sur les organismes vivants. Cette prise de conscience a eu lieu dans les années 1960 avec le drame de la thalidomide (figure 8.3), médicament qui fut administré aux femmes enceintes comme anti-vomitif, et qui provoqua chez les nouveaux-nés de graves malformations. On connaît aujourd’hui la raison de ce drame : alors que l’énantiomère R est bien un anti-vomitif, l’énantiomère S est tératogène ! Beaucoup de médicaments possèdent des propriétés thérapeutiques différentes selon leur forme énantiomère. Les acides carboxyliques aromatiques comme le naproxène ou l’ibuprofène sont connus pour avoir un effet anti-inflammatoire et antipyrétique sous leur forme S et sans effet important sous leur forme R. L’administration du composé sous forme racémique est peu intéressante car le patient ingère 50 % de substance dont il ne tire aucun bénéfice mais qui au contraire possède généralement des effets secondaires. Les aminoalcools aromatiques comme le propanolol sont connus pour avoir un effet β-bloquant sous leur forme S et contraceptifs masculin sous leur forme R. Ils sont donc administrés sous forme énantiopure. Les herbicides et les phéromones possèdent également des activités différentes selon leur forme énantiomère. Les goûts et les odeurs ont également un rapport avec la chiralité. L’asparagine (voir figure 8.4) a le goût amer caractéristique de l’asperge sous sa forme S et possède un goût plutôt sucré sous sa forme R. De même, l’énantiomère S de la carvone a une odeur de cumin, alors que l’énantiomère R une odeur de menthe verte. Le limonène (composé issu du citron) a effectivement une odeur de citron sous sa forme S, mais plutôt une odeur d’orange sous sa forme R. Dans le cas du menthol qui possède trois carbones asymétriques et donc plusieurs stéréoisomères, seul le stéréoisomère correspondant au (–)-menthol (voir les différents stéréoisomères au chapitre 4.3.1) possède le goût rafraîchissant caractéristique. De même, seul l’aspartame de configuration (S, S) a le pouvoir édulcorant. Les progrès scientifiques permettent aujourd’hui de mieux comprendre l’influence de la chiralité dans les processus biologiques [12]. La plupart des mécanismes font intervenir l’association entre une molécule et une protéine composée d’acides aminés chiraux dont la structure tridimentionnelle présente des cavités chirales. Deux complexes, hôte (protéine) - substrat (molécule bioactive), peuvent potentiellement se former mais ils n’ont pas la même énergie. Ce sont des complexes diastéréoisomères et la formation de l’un est prépondérante. L’énantiomère non actif sur la protéine considérée peut toujours aller
180
Molécules chirales
Fig. 8.3 – Activités différentes des médicaments, herbicides, phéromones selon leur forme énantiomère.
interagir sur un autre site moins sélectif, et provoquer une réponse biologique totalement différente comme un effet secondaire pour un médicament.
8.2
Propriété des mélanges d’énantiomères
Notation : dans la suite, nous utiliserons les notations d et l pour distinguer les deux énantiomères dans les diagrammes de phases des racémiques. Il est à noter que les rôles de d et l sont totalement interchangeables.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
181
Fig. 8.4 – Différence des goûts et des odeurs selon la forme énantiomère.
Parmi toutes les propriétés physiques : densité, indice de réfraction, point d’ébullition, spectroscopie infrarouge ou RMN, on observe pour les mélanges racémiques à l’état gazeux, fondu ou dissout, des propriétés physiques observables identiques à leurs énantiomères. Seul le pouvoir rotatoire des énantiomères (ou autre propriété chiroptique) est toujours différent de celui du racémique. Nous nous intéresserons donc ici plutôt aux mélanges d’énantiomères cristallisés et à la comparaison avec leur racémique. La cristallisation d’un mélange racémique peut se dérouler selon deux processus : homochiral ou hétérochiral. Les cristaux recueillis sont alors composés soit d’un seul des deux énantiomères (cristallisation homochirale) soit d’un mélange équimolaire des deux énantiomères (cristallisation hétérochirale). Les mélanges racémiques solides se classent ainsi en trois catégories (figure 8.5) : – Les conglomérats sont issus d’une cristallisation homochirale et sont caractérisés par des cristaux composés des énantiomères purs. – Les racémiques vrais sont issus d’une cristallisation hétérochirale et sont caractérisés par des cristaux composés d’un arrangement régulier d’énantiomères d et l en quantité égales.
182
Molécules chirales Mélange racémique en solution
d l d l l d l d Cristallisation homochirale
Cristallisation hétérochirale
d dd d l l l l l
l dld dldl
l dld ddll
Conglomérat
Racémique Vrai
Pseudo Racémique
Fig. 8.5 – Modes de cristallisation des mélanges racémiques. – Les pseudo-racémiques sont également issus d’une cristallisation hétérochirale mais l’arrangement dans le cristal, des énantiomères d et l est aléatoire. L’occurrence dans la nature des différentes formes de racémiques est très en faveur des racémiques vrais puisqu’ils représentent 90 % à 95 % des exemples. Les conglomérats représentent 5 à 10 % des cas et les pseudo-racémiques sont très peu représentés et généralement limités aux composés globulaires tels que le camphre.
8.2.1
Observations visuelles – Propriétés de l’état solide
Étant donnée la nature particulière des cristaux de chaque type de racémique, il est possible d’utiliser des méthodes classiques d’analyse de l’état solide pour attribuer à un mélange racémique la propriété racémique vrai, conglomérat ou pseudo-racémique. Pour cela, il suffit de comparer les cristaux du mélange racémique et ceux de ses énantiomères. Les méthodes couramment utilisées dans ce but sont par exemple la spectroscopie infra-rouge et la diffraction des rayons X. Les spectres alors obtenus pour les cristaux du mélange racémique sont différents de ceux des énantiomères dans le cas d’un racémique vrai ou pseudo-racémique alors qu’ils sont identiques (ou image dans un miroir pour les rayons X), dans le cas d’un conglomérat. La figure 8.6 montre la comparaison des propriétés physiques à l’état solide des différents racémiques. Comme nous allons le voir par la suite, l’observation au microscope des cristaux d’un racémique et la comparaison avec les cristaux des énantiomères permet également quelquefois de caractériser le type d’un racémique.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation Conglomérat
Racémique Vrai l d d l l d l d
l dld dldl
l d d l l d l d
d dd d l l l l l
10%
90%
183
Pseudo−racémique l dld ddll
l d l l d l d
d
rare
Cristallisation hétérochirale
Cristallisation Homochirale
Cristallisation Héterochirale
Racémique vs Enantiomères
Racémique vs Enantiomères
Racémique vs Enantiomères
RX : différents
RX : image
IR (état solide) : différents
IR (état solide ): indentiques
RX : différents IR (état solide) : différents
Fig. 8.6 – Comparaison des propriétés physiques à l’état solide des différents racémiques et de leurs énantiomères.
Structure cristalline La détermination de la structure d’un cristal (obtenue par diffraction des rayons X) passe par la détermination de son groupe d’espace. Les molécules énantiopures cristallisent nécessairement dans un groupe d’espace non-centrosymétrique (i.e. qui ne possède pas d’élément de symétrie inverse). Les conglomérats, dont les cristaux sont nécessairement énantiomorphes (dédoublement spontané en cristaux droits et gauches) appartiennent forcément à un groupe d’espace non-centrosymétrique. Les racémiques vrais, eux, cristallisent principalement dans des groupes d’espaces centrosymétriques [13], où les molécules droites et gauches s’associent deux à deux dans un espace centrosymétrique. Les remarques précédentes montrent que la comparaison des cristaux des énantiomères purs et du racémique permet de déterminer si un composé est un conglomérat ou un racémique vrai. Remarques Sur les 230 groupes d’espaces existants, 66 sont non-centrosymétriques et représentent tous les cristaux énantiomorphes. Malgré l’existence de 66 groupes d’espaces non-centrosymétriques, les molécules chirales cristallisent en pratique essentiellement dans les deux groupes d’espaces P21 et P21 21 21 . Les composés racémiques cristallisent essentiellement dans les groupes d’espaces P21 /c, C2/c et P 1. Le terme cristal a ici été employé au sens de « monocristal » car la résolution de la structure par diffraction RX requiert un monocristal.
Hémiédrie La caractérisation des cristaux par leur morphologie était très courante dans les débuts de la stéréochimie (voir chapitre 2). On a ainsi introduit la notion d’hémiédrie des cristaux, comme dans le cas célèbre du tartrate double de sodium et d’ammonium de Pasteur (figure 8.7).
184
Molécules chirales
Fig. 8.7 – Cristaux hémièdres de Pasteur. À l’inverse des cristaux holoèdres, dans lesquels les faces sont parallèles deux à deux, les cristaux hémièdres possèdent des faces qui ne sont pas parallèles et ces faces, dites hémièdres, se trouvent donc dans un environnement chiral. Dans les cristaux homochiraux, les faces hémièdres sont dirigées dans le même sens [14]. Les cristaux hémièdres et leurs faces possèdent un sens de chiralité qui est carastéristique du sens droit ou gauche des molécules qui les constituent. En d’autres termes, dans les cristaux homochiraux, si les faces hémièdres définissent un sens de chiralité, le sens de chiralité est inversé dans le cristal énantiomorphe. C’est pourquoi, pour dédoubler un conglomérat, il est possible de trier les cristaux hémièdres selon leur sens de chiralité. Cependant, l’hémiédrie est une condition suffisante à l’énantiomorphisme mais pas nécessaire et l’on rencontre en réalité très peu de cristaux hémièdres. Ces méthodes visuelles utilisées pour distinguer les racémiques selon leur nature peut se révéler imprécise et délicate. La distinction des différents types de racémique est devenu beaucoup plus fiable à partir du jour où l’on a considéré un mélange d’énantiomères comme un système binaire régi par la règle des phases.
8.2.2
Diagrammes binaires de fusion d’un mélange d’énantiomères
Roozeboom [15], en 1899, a caractérisé les trois types de racémiques par leurs diagrammes binaires de fusion représentés sur la figure 8.8. Ces diagrammes sont caractéristiques d’un type de mélange d’énantiomères. Pour un racémique vrai, le diagramme binaire de fusion présente deux points eutectiques situés de façon symétrique par rapport au composé défini ayant la composition du mélange racémique ; un conglomérat ne compte qu’un seul point eutectique situé à la composition du racémique ; pour finir, un pseudo-racémique ne présente, aucun point singulier le long de son liquidus. Avant d’entrer en détails dans l’interprétation et l’utilisation des diagrammes de phase, intéressons-nous au moyen de les obtenir. Deux approches sont possibles : la première est expérimentale et la seconde plus calculatoire.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
185
Fig. 8.8 – Les 3 types de diagrammes binaires de fusion de mélange d’énantiomères A et B.
Tracé expérimental des diagrammes binaires de fusion Le tracé point par point des diagrammes binaires de fusion est possible grâce à l’enregistrement des thermogrammes de fusion de mélanges d’énantiomères ayant des compositions variables. La courbe du liquidus se dessine ainsi en reportant sur un graphe la température de fusion en fonction de la composition du mélange. L’exemple de la figure 8.9 montre le diagramme binaire du ketoprofène [16] tracé à partir des données tirées des thermogrammes de fusion obtenus par micro-calorimétrie différentielle.
Calcul des diagrammes binaires de fusion Un accès plus rapide aux diagrammes binaires de fusion est possible par le calcul. Bien que parfois moins fiable, cette approche est intéressante pour le cas où de très faibles quantités d’énantiomères sont disponibles. Les courbes de liquidus correspondent à un équilibre entre une phase solide pure (énantiomère ou racémique dans le cas présent) et un liquide de composition variable comprenant les deux constituants. Il existe une relation entre la température (T ) et la composition (x, fraction molaire de l’un des constituants du liquide). Considérant que les mélanges binaires d’énantiomères se comportent de façon idéale, la relation entre la température T et la composition x peut être décrite par les équations de base de la thermodynamique. L’équation décrivant les branches du binaire d’un conglomérat (figure 8.10a) est l’équation de Schröder-van Laar (équation 1), celle décrivant la branche centrale du liquidus d’un racémique vrai (figure 8.10b) est l’équation de Prigogine-Defay (équation 2) dans lesquelles ∆HA ou ∆HR est l’enthalpie de conversion d’une mole d’énantiomère (A) ou de racémique (R) solide en liquide (enthalpie de fusion) et R la constante des gaz parfaits. 1 1 1 R ∆HA 1 = − − ln x ln x = ou R TA T T TA ∆HA Équation 1 : équation de Schröder-van laar
186
Molécules chirales
Fig. 8.9 – Exemple de construction du binaire de fusion du ketoprofène à partir des thermogrammes de fusion. Modifié avec permission de la référence [16].
2∆HR ln(4x(1 − x)) = R
1 1 − TR T
ou
1 R 1 = − ln(4x(1 − x)) T TR 2∆HR
Équation 2 : équation de Prigogine-Defay
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
187
Fig. 8.10 – Équilibre entre phases (a) courbe liquidus d’un conglomérat, (b) courbe liquidus-branche centrale-d’un racémique vrai.
Dans la pratique, ces équations sont très bien vérifiées par l’expérience. Pour les utiliser, on a besoin des températures de fusion des espèces pures (en ◦ Kelvin) et des enthalpies de fusion correspondantes. En prenant R = 8,314 J mol−1 K−1 il faut prendre ∆H en J mol−1 . Avec R = 1,9869 cal mol−1 K−1 on doit prendre ∆H en cal mol−1 . Les enthalpies de fusion ∆H f sont mesurées facilement par microcalorimétrie différentielle. En l’absence de cette donnée, il est cependant possible d’obtenir une valeur approchée de ∆H f en considérant que l’entropie de fusion ∆S f des composés organiques est généralement voisine de 15 à 17 cal mol−1 K−1 . Comme ∆S f = ∆H f /T f , on obtient une bonne approximation de ∆H f en multipliant T f (en K) par 17 (résultat en cal mol−1 ).
Utilisation des diagrammes binaires de fusion Les diagrammes binaires de fusion permettent de définir de manière univoque le type d’un racémique, mais ils permettent également de décrire la nature et la composition d’un mélange pour une composition initiale et une température donnée. Par exemple si partant d’un rapport d/l correspondant à la composition M pour le système décrit par le binaire de la figure 8.11, on augmente progressivement la température, trois domaines d’équilibres entre phases sont traversés (pour T < TR , pour TR < T < T f et T > T f ). Des informations quantitatives sont effectivement obtenues par application de la règle des leviers (ou règle des segments inverses). Par exemple si on part d’un rapport d/l correspondant à la composition M et que l’on fixe la température du système à T1 (voir figure 8.11), on atteint le point O du diagramme. Le poids de la phase solide sur le poids de la solution correspond au rapport des longueurs des segments OI/OG, on peut également exprimer le poids de la phase solide sur le poids total du système par le rapport OI/IG.
188
Molécules chirales
Fig. 8.11 – Diagramme de phase binaire de fusion d’un conglomérat.
Pour un conglomérat dont le diagramme binaire est représenté figure 8.11, l’étude du comportement du mélange M (x mole d, 1 − x mole l) en fonction de la température est résumé dans le tableau 8.1. Tab. 8.1 – Conditions
Phases en équilibre
Quantité
T < TR 2 phases solides
Solide : cristaux de d Solide : cristaux de l
x mole (1 − x) mole
T = TR Fusion du racémique T = TR + ε Liquide : racémique FN/FE = 2(1 − x) 2 phases : solide + liquide Solide : cristaux de d pur NE/FE = 2x − 1 = p (p étant la pureté optique définie au chapitre 7) f
T > T > TR
Liquide : I
2 phases : solide + liquide Solide : cristaux de d pur T >T
GO/IG IO/IG
f
1 phase liquide Pour un racémique vrai, on constate l’apparition d’un domaine supplémentaire au centre où une phase solide ayant la composition du racémique coexiste avec une phase liquide. Cette zone est plus ou moins grande selon la composition des eutectiques comme nous l’avons schématisé dans la figure 8.12. Le comportement du mélange M (x mole d, 1 − x mole l) en fonction de la température est résumé dans le tableau 8.2 pour deux situations différentes : une composition initiale en M inférieure (cas A) ou bien supérieure (cas B) à la composition des eutectiques.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
189
Fig. 8.12 – Diagramme de phase binaire de fusion d’un racémique vrai. Tab. 8.2 – Conditions T < TE 2 phases solides
Phases en équilibre Solide : cristaux de d Solide : cristaux de R
Quantité MR/dR = (x − 0,5)/0,5 = 2x − 1 = p Md/dR = (1 − x)/0,5 = 2(1 − x) = r (r étant la quantité de racémique)
T = TE Fusion de l’eutectique T f > T > TR 2 phases : solide + liquide CAS A Liquide : I Solide : cristaux de R CAS B
HT1 /IT1 HI/IT1
Liquide : I HT1 /IT1 Solide : cristaux de d pur HI/IT1
T > Tf 1 phase liquide
8.2.3
Diagrammes ternaires de solubilité d’un mélange d’énantiomères
Si les diagrammes binaires de fusion décrivent le comportement d’un mélange de deux composés en fonction de la température, il existe un autre type de diagrammes de phases particulièrement utiles pour le chimiste : les diagrammes ternaires de solubilité. Un diagramme ternaire de solubilité est en fait une projection isotherme des trois diagrammes binaires de fusion constituant le système (voir figure 8.13). Une section horizontale du prisme conduit au diagramme triangulaire décrivant le comportement du système d, l, S (solvant) à la température T0 . L’introduction du solvant comme troisième paramètre permet de simuler le comportement lors de la recristallisation d’un mélange des solides d/l dans le solvant S.
190
Molécules chirales
Fig. 8.13 – Diagramme ternaire de solubilité : obtention. Un point placé dans ce diagramme correspond à une solution définie par sa concentration C = (d + l)/(d + l + S) et par l’excès d’énantiomère E = (d−l)/(d+l+S). C et E sont des nombres sans dimension que l’on exprime par rapport à l’ensemble du système, en gramme pour 100 grammes de mélange (g%) ou en mole pour 100 moles de système (mol%). On a évidemment E/C = (d− l)/(d+ l) = p, d’où E = pC, p étant la pureté énantiomérique du système. Au point M de la figure 8.14, où C = 35 g%, E = 21 g% = 35 × 0,6, on peut faire l’application numérique suivante : La quantité de racémique est R = C − E = 35 − 21 = 14 g%. La composition est : d = E + R/2 = 21 + 7 = 28 g% ; l = R/2 = 7 g% et S = 100 − C = 65 g%.
Relation entre nature du racémique et diagramme ternaire de solubilité Les diagrammes ternaires de solubilité, au même titre que les diagrammes binaires de fusion, sont caractéristiques de la nature d’un racémique. En effet, un conglomérat possède un diagramme à un eutectique (point E sur la figure 8.16) dont la composition est celle du racémique alors que le racémique vrai possède un diagramme à deux eutectiques (figure 8.18). Ces diagrammes ternaires de solubilités peuvent être tracés expérimentalement mais on peut aussi faire une approximation de la solubilité du mélange de pureté p. Pour un conglomérat et dans le cas où le mélange est considéré comme idéal, la relation entre la solubilité d’un mélange de solubilité Sp à la pureté p et la solubilité de l’énantiomère pur (ici appelé A) est donnée par Sp = SA (2− p) et la solubilité du racémique soit p = 0 est donnée par SR = 2SA . Pour un conglomérat formé de substances dissociables en solution, par exemple des n’est sels, {dX, lX}, où X est un ion achiral, le rapport des solubilités α = SSR A
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
191
Fig. 8.14 – Ternaire de solubilité : interprétation. plus égal à 2. On a en effet à considérer, en plus de l’équilibre de solubilité, l’équilibre de dissociation en solution présenté sur la figure 8.15. Solubilité Dissociation
AXsolide AXsolution
AXsolution A+X
Ks = [AX] Kd =
[A][X] [AX]
Fig. 8.15 – Équilibres de dissociation en solution. On peut montrer que dans le cas de dissociation les courbes de solubilité ne sont plus des droites. Dans le cas {dX, lX}, la solubilité d’un mélange
2 et la de pureté énantiomérique p est donnée par la relation Sp = SA 1+p √ solubilité du racémique est donné par SR = 2SA . Par exemple, dans l’eau de 2,08 alors à 25 ◦ C, l’acide glutamique (non dissocié) a une valeur α = SSR A que pour son chlorhydrate α = 1,51. La solubilité du racémique vrai SR peut être, selon les cas, inférieure ou supérieure à la solubilité SA des énantiomères purs. Toutefois, un racémique vrai en équilibre thermodynamique ne peut pas avoir une solubilité supérieure à celle qu’aurait le conglomérat de ces mêmes énantiomères à une température donnée ; SR est donc √ toujours inférieur à 2SA (pour les composés non dissociés en solution) ou à 2SA pour les composés dissociés.
192
Molécules chirales Excès d’énantiomère E (g%)
S
100
0
E = 36g%
100
S d=25g%
Liquide V Liq + l
pur
E
solide
U
Liq + d pur solide
T
SR = 50g%
E
Q
Solide + Liquide E
l
M
C = 68g% Q
P
d l
N
M
d
100
C (g%)
Fig. 8.16 – Diagramme ternaire de solubilité d’un conglomérat.
Utilisation des isothermes de solubilité pour un conglomérat Pour analyser la composition d’un mélange à l’équilibre thermodynamique, il faut placer le point de composition initiale sur le diagramme ternaire. Pour chaque zone d’équilibre entre phases, il existe un comportement décrit par des droites de conjugaisons (droites en pointillés dans le diagramme de gauche de la figure 8.16) comme la droite Ul ou la droite EP. Dans la zone triangulaire dEl, les droites de conjugaisons convergent au point eutectique. Une solution initiale P, par exemple, se trouve sur la droite de conjugaison EP. Cela signifie que l’on aboutit après équilibration à deux phases, la composition de la phase solide est donnée par l’intersection de la droite de conjugaison EP avec le segment ld et la composition de la phase liquide est donnée par le point E. Dans la zone triangulaire lESl , les droites de conjugaisons convergent vers le sommet l du triangle et la solution initiale T se répartit en deux phases : une phase solide constituée de l pur et une phase liquide décrite par le point U intersection de la droite de conjugaison lT et de la courbe de solubilité. Le tableau 8.3 résume le comportement dans toutes les zones après équilibration de solutions préparées à partir du mélange solide M. Selon la dissolution, le point représentatif du système ternaire se déplace alors le long de la ligne MS qui est en fait la droite de solubilité du solide M.
Utilisation des isothermes de solubilité pour un racémique vrai L’analyse du comportement d’un racémique vrai à la recristallisation se fait de la même façon que pour le cas du conglomérat décrit ci-dessus en considérant les zones d’équilibre entre phases présentées dans la figure 8.17.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
193
Tab. 8.3 – Conditions
Phases en équilibre
Quantité
CP < CQ
Solide de composition N
(EP/EN)×WP
2 phases
où WP est le poids total du système P Liquide de composition E
(NP/EN)×WP où WP est le poids total du système P
CQ < CT < CV 2 phases
Solide de composition l pur
(TU/lU)×WT où WT est le poids total du système T (lT/lU)×WT
Liquide de composition U
où WT est le poids total du système T C > CV
Liquide
1 phase S
Liquide
Liq Liq + l sol E Liquide E + d + sol pur pur R sol
Liquide E +
Solide
l
Liquide E +
Solide
d
Fig. 8.17 – Diagramme ternaire de solubilité d’un racémique vrai.
Cependant on peut voir dans la figure 8.18 que deux types de conditions initiales existent : soit la pureté énantiomérique du mélange M initial est inférieure à l’excès énantiomérique des eutectiques (cas A) soit la pureté énantiomérique du mélange M initial est supérieure à l’excès énantiomérique des eutectiques (cas B). Le tableau 8.4 résume le comportement du système dans chaque domaine.
194
Molécules chirales S
U
S
V
V
T
E
T
E
Q
l
M N
U E
E
Q
R
d
l
N M
R
d
Fig. 8.18 – Diagramme ternaire de solubilité d’un racémique vrai. Tab. 8.4 – Conditions CP < C Q 2 phases : 1 liquide + 1 solide
Phases en équilibre Solide de composition N
Liquide de composition E
CQ < C T < C U 2 phases : 1 liquide + 1 solide Cas A
Solide de composition R
Liquide de composition U
Cas B
Solide de composition l pur
Liquide de composition U
C > CV 1 phase liquide
Liquide
Quantité (EP/EN)×WP où WP est le poids total de la solution P (NP/EN)×WP où WP est le poids total de solution P
(TU/RU)×WT où WT est le poids total de solution T (RT/ RU)×WT où WT est le poids total de solution T (TU/lU)×WT où WT est le poids total de solution T (lT/lU)×WT où WT est le poids total de solution T
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
8.3
195
Application. Dédoublement par cristallisation
Dans le paragraphe précédent, nous avons présenté comment le comportement de mélanges d’énantiomères pouvait être déduit des diagrammes de phases binaires de fusion ou ternaires de solubilité. Le paragraphe suivant montre l’utilité de ces diagrammes de phase pour mettre en œuvre des purifications de mélanges partiellement enrichis ou des dédoublements de mélanges racémiques.
8.3.1
Séparation de mélanges d’énantiomères partiellement enrichis
La purification d’un mélange partiellement enrichi n’est pas à proprement parler un dédoublement puisque la composition initiale est différente de 50/50. Cependant c’est un cas de figure fréquemment rencontré et l’utilisation des diagrammes de phase permet d’aider à la mise au point de conditions optimisées de purification par cristallisation. Considérons un mélange d’énantiomères partiellement enrichis ayant un excès énantiomérique de 80 % et analysons avec quel rendement maximal nous pouvons récupérer l’énantiomère pur dans trois cas de figures (figure 8.19). T
Cas A
G
T
30%
G
F E
F
75%
Cas C 80%
T
E F
G
l
d 0
Cas B
0,5
1
d
l 0
0,5
1
E
d
l 0
0,5
1
Fig. 8.19 – Évolution du rendement en fonction de la position des eutectiques. Le premier cas (cas A) correspond à un diagramme de phase présentant des eutectiques ayant une composition proche de la composition des énantiomères purs. Le rendement maximal de récupération de l pur est obtenu à la température de l’eutectique où le rapport solide/liquide est maximum. Le rendement maximum est dans ce cas de 30 % (FE/GE). Dans le deuxième cas (cas B), les eutectiques de ce mélange d’énantiomères ont une composition plus proche de la composition du racémique, le rendement maximun est de 75 %. Enfin dans le troisième cas (cas C) où il n’y a qu’un eutectique, c’est-à-dire dans le cas d’un conglomérat, le rendement maximum est de 80 % soit l’excès énantiomérique de départ. Par cet exemple, nous montrons l’utilité des diagrammes de phases binaires de fusion pour prévoir le rendement maximum théorique de purification d’un
196
Molécules chirales
énantiomère à partir d’un mélange partiellement enrichi. Cependant le raisonnement sur un système binaire ne reflète pas la méthode de purification couramment utilisée en chimie organique qui est la recristallisation dans un solvant particulier. Pour cela l’interprétation des diagrammes ternaires de solubilité est plus adaptée.
Cas d’un conglomérat partiellement dédoublé Si le racémique correspondant s’avère être un conglomérat et pour une composition initiale correspondant à M (figure 8.16), l’addition de solvant conduira, après équilibration, au dépôt de l’énantiomère l pur à condition que la concentration soit comprise entre CQ et CV . Le rendement maximum en l pur sera obtenu à partir du mélange Q, pour lequel la quantité de l sera WQ × (QE/lE), et celle de solution E, racémique, WQ × (Ql/lE), WQ étant la masse du système, solide+solution au point Q. Par ailleurs, d’après les règles de proportionalité données par le théorème de Thalès, QE/Ql = Q E/RE, avec Q E = CQ −SR et RE = 100−SR . Il s’ensuit que le rendement maximum Wmax (en g) d’énantiomère l pur accessible à partir de la quantité WQ du mélange M est donné par Wmax = WQ × (CQ − SR )/(100 − SR ). Exemple numérique correspondant au diagramme : Pour WQ = 100 g, avec CQ = 68 g% et SR = 50 g% ont obtient : * Wmax = 100(68 − 50)/(100 − 50) = 36 g de l pur ; * Wsolution = 100 − 36 = 64 g ; * Wracémique = 68 − 36 = 32 g (en solution) = Wsolution × SR . La quantité totale de l dans Q était donc 36 + 32/2 = 52 g. La quantité de solvant SQ était 100 − 68 = 32 g. L’excès d’énantiomère était EQ = (52 − 32/2)/100 = 0,36 soit 36 g%. On notera qu’ici la quantité de l cristallisé est bien égale à l’excès d’énantiomère EQ = |(d − l)|/(d + l + S) multiplié par la quantité totale (WQ ) de système.
Cas d’un racémique vrai partiellement dédoublé Cas A : le mélange M est situé entre l’un des eutectiques et le racémique. En se déplaçant sur la droite de solubilité du mélange M, on voit que l’on ne traverse jamais la zone où l’énantiomère pur se dépose. Quelle que soit la concentration à laquelle est réalisée la recristallisation, on diminue la pureté énantiomérique du solide recueilli ! Pour une concentration inférieure à la concentration CQ (figure 8.18), le solide recueilli a une pureté énantiomérique comprise entre sa composition initiale et celle du racémique. Si le mélange initial est amené à une concentration supérieure à CQ le solide recueilli est racémique. Cas B : le mélange M est situé entre l’un des eutectiques et l’énantiomère correspondant. Dans ce cas, la recristallisation augmente toujours la pureté
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
197
énantiomérique (comme pour un conglomérat), et peut même aboutir directement à l’énantiomère pur si la quantité de solvant est suffisante (mélange T par exemple). Le rendement maximum est obtenu pour le mélange Q. Toutefois, une partie de l’énantiomère restant dans l’eutectique E, le rendement maximum de la recristallisation est donc nécessairement inférieur à l’excès énantiomérique initial du mélange M. C’est le désavantage des racémiques vrais par rapport aux conglomérats.
8.3.2
Dédoublement par cristallisation directe des racémiques
Ce paragraphe décrit les méthodes de cristallisation permettant d’isoler un énantiomère pur directement à partir de son mélange racémique. Ce type de dédoublement s’applique uniquement au cas des conglomérats. Cette famille de racémiques ayant la particularité de cristalliser sous forme homochirale, il est possible en triant les cristaux de séparer les deux énantiomères. Cette propriété des conglomérats est illustrée par l’exemple historique qui valut la découverte de la chiralité à Pasteur : le tartrate double de sodium et d’ammonium. Deux méthodes principales sont applicables à grande échelle au dédoublement des conglomérats : le dédoublement simultané des deux énantiomères et le dédoublement préférentiel (ou dédoublement par entraînement) de l’un des énantiomères. L’avantage remarquable de ce type de dédoublement est de ne pas nécessiter d’agent de dédoublement.
Cristallisation simultanée des deux énantiomères Les deux énantiomères cristallisent simultanément et différents stratagèmes ont été utilisés pour séparer facilement les cristaux de d et l formés : triage manuel, localisation de la cristallisation, cristallisation différenciée. Le triage manuel n’est utilisable que pour des cristaux suffisamment gros (quelques milligrammes) pour pouvoir présenter après redissolution un ee mesurable. Dans des cas exceptionnels, l’hémiédrie cristalline est visible au microscope et permet de trier les cristaux énantiomères. Cette méthode est particulièrement intéressante pour l’obtention des premiers échantillons des énantiomères purs. La localisation de la cristallisation consiste à faire cristalliser chaque énantiomère sur des germes convenablement localisés. Deux variantes ont été décrites : la méthode statique et la méthode dynamique. Un exemple de la méthode statique a été donné par Zaugg [17] et permet, à partir d’une évaporation lente d’une solution saturée où sont convenablement placés des cristaux d’énantiomères, de recueillir environ 13 grammes de cristaux de chaque énantiomères (figure 8.20). La méthode dynamique est basée sur le même principe, cristallisation d’une solution sursaturée avec amorçage par des cristaux d’énantiomères purs,
198
Molécules chirales
+ -
+
50g de racémique éther de pétrole 40°C
Ph
NHCH3
*
H3C
évaporation lente (125h)
Ph H
CH3
O
Fig. 8.20 – Exemple de dédoublement localisé de conglomérat. mais dans ce cas la solution saturée de racémique circule sur des lits de cristaux d’énantiomères placés sur des frittés dans des colonnes différentes ou sur un cristal suspendu. L’utilisation de ce type de procédé a montré son efficacité et a permis de dédoubler le benzènesulfonate de la (±)-3-fluoro-alanine à une échelle supérieure à 10 kilogrammes [18]. La cristallisation différenciée sous-entend une différenciation au niveau de la taille des cristaux de chaque énantiomère. Pour cela, la cristallisation d’une solution saturée de racémique est provoquée par des cristaux de tailles différentes pour les deux énantiomères. La filtration au travers d’un tamis d’une porosité intermédiaire permettra de séparer les énantiomères. De cette manière, l’acide acétyl glutamique a été dédoublé avec des rendements certes modestes (environ 10 % de chaque énantiomère par rapport au racémique) mais la facilité de la séparation des deux énantiomères rend cette technique plus attractive que le triage manuel classique présenté ci-dessus [19].
Dédoublement par entraînement Deux facteurs sont essentiels à la mise en place d’un tel dédoublement : que le racémique soit un conglomérat et que les conditions de cristallisation, hors équilibre thermodynamique, soient bien maîtrisées. La première observation mettant en évidence le dédoublement par entraînement a été réalisé par Gernez, élève de Pasteur, en 1866 [20]. Celui-ci explique qu’une solution racémique sursaturée du tartrate double de sodium et d’ammonium, amorcée par un cristal du sel lévogyre conduit uniquement à la précipitation du sel lévogyre et inversement avec le sel dextrogyre. Mais ce n’est qu’à partir du dédoublement du chlorhydrate d’histidine par Duschinsky en 1934 [21], que la méthode a réellement commencé à intéresser les chimistes. Un dédoublement par entraînement, tel qu’il est mis en place de nos jours, consiste à ne cristalliser qu’un seul des deux énantiomères à partir d’une solution sursaturée en cet énantiomère. Après filtration des cristaux, une quantité équivalente à la masse des cristaux recueillis de racémique est ajoutée à la solution. Le système est alors symétrique au système de départ, c’est-à-dire sursaturé en l’autre énantiomère qui pourra maintenant cristalliser. Plusieurs cycles (voir figure 8.21) de cristallisation alternés peuvent ainsi être effectués.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
199
Fig. 8.21 – Cycles de cristallisation lors du dédoublement par entraînement.
Un tel procédé peut être interprété en termes de diagramme de phase. Préparons une solution sursaturée enrichie en un énantiomère (représentée par le point O du diagramme de la figure 8.22). Un tel système va atteindre l’équilibre thermodynamique où l’on observera la coexistence entre une phase solide et une phase liquide correspondant au point eutectique E. Posons-nous la question de savoir comment cet équilibre va être atteint. Si l’on considère que seul l’énantiomère l cristallise, la composition des eaux-mères se déplace alors le long de la droite lP. De la même façon, si l’on imagine que seul l’énantiomère d cristallise, alors la composition des eaux-mères se déplace selon la droite dS. En fait, si les deux énantiomères cristallisent simultanément, la composition des eaux-mères se déplace selon une courbe qui se termine au point E. Selon la différence de vitesse de cristallisation entre les deux énantiomères, la courbe que décrit la composition des eaux-mères peut atteindre plus (figure 8.22, cas A) ou moins (figure 8.22, cas B) rapidement la composition E correspondant à l’équilibre thermodynamique. Le cas B de la figure est particulièrement intéressant car la courbe que décrit la composition des eaux-mères traverse le milieu du diagramme, en d’autres termes, le signe du pouvoir rotatoire va s’inverser et cela à partir du moment où la quantité d’énantiomère l ayant cristallisé est supérieure à l’excès de la solution initiale, le dédoublement par entraînement pourra avoir lieu.
200
Molécules chirales
Fig. 8.22 – Évolution plus ou moins rapide d’un système sursaturé.
Connaissant le comportement d’une solution au cours de son équilibration, nous pouvons reprendre la description des cycles de cristallisation du dédoublement par entraînement et l’interpréter par les diagrammes ternaires de solubilité. Une solution initiale M (figure 8.23) contient le racémique et un léger excès de l’énantiomère l, elle est préparée à une température élevée puis refroidie à la température T0 pour laquelle les courbes de solubilité sont représentées. La solution est donc sursaturée mais la sursaturation de l’énantiomère l est supérieure à celle de l’énantiomère d. L’amorçage avec des cristaux de l’énantiomère l va provoquer la cristallisation de l et la composition de la solution se déplace suivant la droite lMN. La durée de la cristallisation est ajustée de façon à ce que la quantité de l précipitant soit égale à deux fois la quantité introduite ; la solution correspond alors au point N. Après filtration des cristaux de l, une masse de racémique égale à la masse de l recueillie est ajoutée à la solution N qui devient, après dissolution par chauffage, la solution P symétrique de la solution M au départ. Après refroidissement à T0 , des cristaux d’énantiomère d sont ajoutés pour provoquer la précipitation, et la composition de la solution va varier de P à Q où les cristaux sont filtrés. Une masse de racémique équivalente à la masse de d recueillie est ajouté à la solution Q ce qui conduit après dissolution au point M. Le cycle peut alors être répété. Un dédoublement par entraînement va donc consister à maîtriser les paramètres de cristallisation hors équilibre afin de contrôler la cristallisation d’un seul des deux énantiomères et de recueillir cet énantiomère pur avant la cristallisation de l’autre (qui finit inévitablement par survenir au cours du processus d’équilibration). Le premier paramètre à déterminer est la sursaturation initiale, c’est-àdire quelle doit être la position du point M dans le diagramme. Ce point doit
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
201
Fig. 8.23 – Dédoublement par entraînement – Cycles de cristallisation.
se trouver dans la zone de sursaturation métastable du système représentée par le losange grisé dans les diagrammes de la figure 8.24. S
Droites de solubilité Droites de solubilité maximale Droites de solubilité métastable Exemple de condition initiale
l
d
Fig. 8.24 – Zone de sursaturation.
Cette zone est comprise entre les droites de solubilité maximale au-delà desquelles le système ne présenterait plus qu’une phase liquide et les droites de solubilité métastable pour lesquelles l’on n’observe pas de cristallisation spontanée. Dans cette zone du diagramme et dans les conditions de l’expérience (température, vitesse d’agitation), la solution sursaturée ne cristallise
202
Molécules chirales
pas spontanément pendant un temps donné. Des théories relatives à la croissance cristalline, on peut retenir deux considérations importantes : – La croissance cristalline de l’énantiomère non désiré est ralentie par l’absence de germes susceptibles d’amorcer la cristallisation. Le diamètre rc des particules à partir duquel la nucléation est favorisée est estimée à quelque dizaine d’Å, soit bien au delà de notre acuité visuelle. Obtenir une solution limpide n’est donc pas suffisant. Il est conseillé de stériliser la solution par un chauffage prolongé à une température où la solution n’est plus sursaturée afin d’éliminer les particules ayant un diamètre suffisant pour provoquer la cristallisation. – À l’opposé, pour une croissance cristalline, reproductible et favorisée, de l’énantiomère souhaité, il faut que la taille des cristaux servant à l’amorçage soit la plus petite possible. Dans une deuxième étape, il faut maîtriser le temps pendant lequel on laisse le système cristalliser après amorçage. Si on suit l’évolution du pouvoir rotatoire de la solution en fonction du temps et de la vitesse d’agitation, on obtient une évolution du type de celui représenté dans la figure 8.25 pour le cas du dédoublement de l’hydrobenzoïne [22]. La précipitation de l’énantiomère en excès provoque une diminution de la valeur absolue du pouvoir rotatoire tant que l’énantiomère de départ cristallise, qui augmente ensuite jusqu’à atteindre la valeur zéro correspondant à l’équilibre. Il est donc évident qu’il faut récupérer les cristaux avant le temps nécessaire pour atteindre le minimum de cette courbe. Dans la pratique, on choisit de filtrer la solution lorsque le pouvoir rotatoire de la solution est opposé au pouvoir rotatoire de la solution initiale, autrement dit que la quantité de cristaux s’étant déposée est égale à deux fois la masse introduite pour sursaturer la solution.
Fig. 8.25 – Évolution du pouvoir rotatoire de la solution en fonction du temps.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
203
Dédoublement spontané Il existe des cas très intéressants de molécules chirales qui sont des conglomérats et qui dans le même temps se racémisent en solution (figure 8.26). Ce déplacement d’équilibre conduit à un procédé de cristallisation ayant un rendement supérieur à 50 % et pouvant être quantitatif s’il est optimisé. En effet, si la cristallisation se fait lentement par rapport à la racémisation en solution ou bien si la cristallisation est amorcée par des germes d’énantiomère pur, l’équilibre est alors déplacé vers la formation de l’énantiomère pur. On parle dans ce cas de dédoublement spontané ou de transformation asymétrique induite par cristallisation (du deuxième ordre, selon la nomenclature décrite plus loin).
Fig. 8.26 – Cas d’un composé chiral se racémisant en solution. La figure 8.27 montre des exemples de molécules qui se dédoublent spontanément. En particulier, la tri-o-thymotide (TOT) forme des clathrates avec certains solvants qui précipitent sous forme homochirale. Une fois redissouts, ils redeviennent racémiques.
Fig. 8.27 – Exemples de molécules qui se dédoublent spontanément dans des conditions expérimentales données.
Ce type de dédoublement a beaucoup été utilisé à l’échelle industrielle pour la préparation d’amino-acides non naturels ; citons par exemple le dédoublement par entraînement de la N -acétyl-d-leucine dans des conditions racémisantes [23].
204
8.3.3
Molécules chirales
Dédoublement par formation de diastéréoisomères
Le chapitre précédent décrivait les méthodes de dédoublement n’impliquant pas l’utilisation d’agents de dédoublement chiraux. Mais la majorité des racémiques étant des racémiques vrais, leur dédoublement direct est impossible. On peut par contre les transformer en diastéréoisomères par réaction avec une molécule chirale énantiomériquement pure. À la différence des énantiomères, les diastéréoisomères peuvent avoir des propriétés physiques significativement différentes pour être exploitées dans une séparation physicochimique. Nous décrirons plus particulièrement le comportement de diastéréoisomères cristallins pouvant être des sels, des complexes ou des dérivés covalents. Alors que la majorité des diastéréoisomères covalents sont séparés par chromatographie, la séparation des autres types de diastéréoisomères repose sur des techniques de cristallisation, techniques pour lesquelles l’utilisation des diagrammes de phase aide à l’optimisation du procédé. Définitions Nous adopterons comme définition des sels p et n, l’association de deux substances chirale ayant un pouvoir rotatoire de même signe (p) ou de signe différent (n). Comme présenté dans la figure 8.28, la combinaison de deux substances chirales A et B conduit à la formation de quatre diastéréoisomères, énantiomères deux à deux. On définit comme diastéréoisomère p+ , le diastéréoisomère dextrogyre correspondant à l’association des énantiomères A et B ayant un pouvoir rotatoire du même signe et comme diastéréoisomère p− , celui dont le pouvoir rotatoire est lévogyre (respectivement pour n+ et n− ). Les deux paires p+ ou p− sont énantiomères entre elles (respectivement pour n+ et n− ). Le dédoublement par formation de sels diastéréoisomères d’une substance racémique (±)-A, consiste à former les sels p et n à l’aide d’un agent de dédoublement chiral, (−)-B par exemple. Dans ce cas, seuls deux diastéréoisomères p et n sont formés, limitant à la première ligne les possibilités présentées figure 8.28.
Fig. 8.28 – Nomenclature des sels diastéréoisomères.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
205
Cependant, au vu des combinaisons qu’il est possible de faire entre deux molécules chirales, deux questions peuvent être posées. A-t-on accès aux deux énantiomères d’un racémique en utilisant soit l’un soit l’autre des énantiomères comme agent de dédoublement ? Si un composé racémique A peut être dédoublé par un agent de dédoublement optiquement pur, cet agent de dédoublement sous sa forme racémique peut-il être dédoublé par l’un des énantiomères de A ?
Principe de Marckwald Le fait que l’un des énantiomères d’un agent de dédoublement conduise à l’un des énantiomères de la substance à dédoubler et que l’autre énantiomère de cet agent de dédoublement permette d’isoler l’autre énantiomère de ce même racémique est appelé principe de Marckwald. La figure 8.29 permet de montrer qu’il existe une symétrie dans le dédoublement selon qu’il est réalisé, soit avec l’un, soit avec l’autre énantiomère de l’agent de dédoublement.
Fig. 8.29 – Principe de Marckwald. L’utilisation de ce principe permet, dans la majorité des cas où les deux énantiomères d’un agent de dédoublement sont disponibles commercialement, d’avoir accès aux deux énantiomères du racémique à dédoubler. Dans le cas des agents de dédoublement naturels, et plus particulièrement dans le cas des alkaloïdes, les deux énantiomères sont rarement disponibles. Certaines paires d’alkaloïdes telles que quinine-quinidine sont considérées comme des paires quasi-énantiomères du fait de leur très grande analogie de structure. Cependant, dans ces cas, le principe de Marckwald est peu souvent vérifié.
Dédoublement réciproque La figure 8.30 montre quelles sont les combinaisons de diastéréoisomères formées à partir de A racémique et de l’un des énantiomères de B, et inversement à partir de B racémique et de l’un des énantiomères de A. Alors que les propriétés physiques des sels n+ et n− sont identiques, on peut s’attendre à ce que les systèmes ternaires (p+ , n− , solvant) et (p+ , n+ , solvant) soient identiques. Cependant, le comportement du diastéréoisomère
206
Molécules chirales
Fig. 8.30 – Dédoublement réciproque.
p+ en présence du diastéréoisomère n− n’est pas image spéculaire de celui du diastéréoisomère p+ en présence du diastéréoisomère n+ . En cas d’interactions différentes des diastéréoisomères en solution, il est possible que le dédoublement soit faisable dans un cas (p+ , n− , solvant) et que dans l’autre (p+ , n+ , solvant), des composés d’additions, des solvates ou des solutions solides apparaissent.
Formation de sels ou complexes diastéréoisomères L’utilisation de sels ou de complexes pour la mise en œuvre d’un dédoublement est en général privilégiée car leur formation et leur coupure se font dans des conditions douces et avec peu de risque de réactions secondaires. Le procédé peut être résumé par le schéma de la figure 8.31.
Fig. 8.31 – Formation de sels diastéréoisomères. Les conditions nécessaires sont qu’au moins l’un des sels ou complexes p ou n cristallise et que les sels p et n ne co-cristallisent pas ou ne forment pas de sels doubles (voir plus loin). Les composés susceptibles de former des sels ou des complexes sont les acides, les bases, les composés ioniques, ainsi que toute substance (alcool, phénol, aldéhyde, cétone etc.) pouvant être facilement et réversiblement transformée en acide ou base. D’autre part, n’importe quel composé chiral disponible sous une forme énantiomériquement pure est un agent de dédoublement potentiel.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
207
Formation de sels – Dédoublement d’acides Les alcaloïdes naturels (présentés figure 8.32) ont presque été la seule source de molécules énantiomériquement pures pendant une centaine d’années et restent largement utilisés de nos jours pour le dédoublement des acides. Une étude statistique montre que la brucine 1 et la quinine 2 ont permis le dédoublement de 37 % des acides dédoublés et qu’encore 23 % des dédoublements connus d’acides ont été réalisés par la cinchonidine 3, la strychnine 4, la cinchonine 5 et la morphine 6 [24]. O
H
H X
N
O
H
H
HO
H
N
H
H
N
HO
X
X
X N
N X = OMe X=H
H
H
X = OMe X=H
Brucine 1 Strychnine 4
N
Quinidine 7 Cinchonine 5
X = OMe Quinine 2 Cinchonidine 3 X=H
N H
N
H HO
N H
O
H H3CO2C
Yohimbine 8
OH Morphine 6
OH
Fig. 8.32 – Bases de type alkaloïdes. D’autres amines naturelles comme la déhydroabietylamine 13, dérivé terpénique possédant une amine primaire, peuvent remplacer avantageusement les alcaloïdes car elles sont plus facilement accessibles et moins toxiques (figure 8.33). Les amines synthétiques, souvent primaires, sont des bases plus fortes que les alcaloïdes présentant une amine tertiaire et peuvent faciliter le dédoublement. Ces amines synthétiques doivent elles-mêmes être dédoublées pour être disponibles sous leur forme énantiomériquement pure et il est ainsi possible d’avoir accès aux deux énantiomères, ce qui n’est pas le cas pour les alcaloïdes. Formation des sels – Dédoublement des bases La variété des agents de dédoublement formant des sels cristallins avec des bases est relativement limitée. L’acide tartrique et ses dérivés O-O -dibenzoyl et O-O -di-4-toluoyl sont encore aujourd’hui les plus fréquemment utilisés
208
Molécules chirales
Fig. 8.33 – Autres amines naturelles ou synthétiques.
puisqu’ils sont employés dans 59 % des dédoublements connus. D’autres acides efficaces sont les acides camphre-sulfonique ou 3-bromocamphre-8-sulfonique, l’acide mandélique, l’acide malique ou d’autres représentés dans la figure 8.34.
Caractérisation des mélanges diastéréoisomères Le comportement lors d’une recristallisation d’un mélange de diastéréoisomères peut également être expliqué par les diagrammes de phases. Ces diagrammes sont semblables à ceux observés entre énantiomères, excepté le fait qu’ils ne sont pas symétriques. De plus, les fréquences relatives des différents types de diagrammes ne sont pas les mêmes que celles rencontrées pour les mélanges d’énantiomères : les composés d’additions entre diastéréoisomères sont beaucoup moins fréquents que les racémiques vrais ; les eutectiques entre diastéréoisomères sont plus fréquents que les conglomérats ; enfin, les solutions solides entre diastéréoisomères sont assez fréquentes, alors qu’elles sont très rares entre énantiomères. Pour résumer, les allures des différents diagrammes binaires et ternaires rencontrés pour des mélanges de diastéréoisomères sont représentés sur la figure 8.35. Nous allons montrer sur quelques exemples comment utiliser les diagrammes de phases ternaires de solubilité dans le cas de mélanges de diastéréoisomères.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
209
Fig. 8.34 – Acides utilisés pour le dédoublement de bases. Diagramme comportant un point eutectique Dans le diagramme de la figure 8.36, la courbe de solubilité et le point eutectique définissent des zones d’équilibre entre phases. L’analyse du comportement dans chaque zone d’une solution formée à partir d’un mélange équimolaire des deux diastéréoisomères est décrite dans le tableau 8.5. Il arrive assez fréquemment qu’un système de deux diastéréoisomères présente des solutions solides terminales (c’est à dire sur un domaine limité de compositions) ou totale (c’est à dire sur tout le domaine de compositions). Nous voyons dans ce cas que les droites de conjugaison ne convergent pas vers un point du ternaire (figure 8.37). Les solutions solides sont favorisées dans le cas où les deux molécules ont une grande analogie de forme, ce qui est le cas pour les sels diastéréoisomères puisqu’une partie de la molécule, i.e. l’agent de dédoublement, se retrouve identique dans les deux diastéréoisomères.
210
Molécules chirales
Fig. 8.35 – Diagrammes binaires et ternaires caractéristiques de mélanges de diastéréoisomères.
S
S
Liquide V L
Liq + p
Liq E + n
sol
T
sol
Solide + Liquide E
p
0,5
E
O N
n
p
N1
M
n
Fig. 8.36 – Utilisation d’un diagramme ternaire à un eutectique pour un mélange de diastéréoisomères.
En présence de solutions solides terminales comme sur la figure 8.38 le comportement d’un mélange équimolaire des deux diastéréoisomères à la concentration CT où CV < CT < CO est décrit par une droite de conjugaison ne convergeant plus vers le sommet p du triangle. Les deux phases coexistant à l’équilibre thermodynamique sont une phase solide S et une phase liquide L. La phase solide est enrichie par rapport à la solution initiale, mais elle n’atteint pas la pureté du sel diastéréoisomère pur.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
211
Tab. 8.5 – Conditions
Phases en équilibre
Quantité
CN < CO
Solide de composition N1
(EN/EN1 )×WN où WN est le poids total de la solution N
Liquide de composition E
(N1 N/EN1 )×WN où WN est le poids total de solution N
CO < CT < CV
Solide de composition p pur
Liquide de composition L
(TL/pL)×WT où WT est le poids total de solution T (pT/ pL)×WT où WT est le poids total de solution T
C > CV
Liquide S
S
E
p
n Solutions solides terminales
n
p Solution solide totale
Fig. 8.37 – Diagrammes pour un mélange de diastéréoisomères avec solutions solides.
Diagramme comportant deux points eutectiques – Composés d’addition Il est possible qu’au cours du processus de cristallisation, on observe la précipitation de sels doubles c’est-à-dire que le cristal est formé des deux sels diastéréoisomères dans des proportions fixes. Ces sels sont décrits par la
212
Molécules chirales
Fig. 8.38 – Diagramme avec solutions solides, interprétation.
formule [px , ny ] où x = y = 1 pour un sel 1/1 mais on peut également rencontrer des composés d’additions où x = y. Le diagramme ternaire de solubilité dans le cas d’un sel 1/1 est décrit sur la figure 8.39. Un mélange racémique placé à une concentration CT conduit à l’équilibre thermodynamique à deux phases : une phase liquide dont la composition est donnée par le point V et d’une phase solide constituée du composé d’addition. Dans ce cas, le dédoublement par cristallisation partant du racémique est impossible.
Fig. 8.39 – Diagramme avec composé d’addition.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
213
Exemple de mise en place de stratégie de dédoublement par cristallisation Nous venons de voir un certain nombre de cas de figure où la cristallisation de mélanges de diastéréoisomères ne peut pas conduire à un dérivé optiquement pur (formation de solutions solides, formations de composés d’addition). Malgré tout, en combinant les informations déductibles des diagrammes de phases du mélange des diastéréoisomères et du diagramme de phase du mélange des énantiomères correspondants, on peut mettre en place des stratégies qui conduisent à l’excés énantiomérique souhaité. L’exemple donné sur la figure 8.40 montre un cas de dédoublement d’un racémique vrai dont le seul dérivé diastéréoisomère qui a pu être isolé sous forme cristalline possède un diagramme ternaire avec solutions solides terminales.
Fig. 8.40 – Exemple d’interprétation de diagrammes ternaires pour la mise en place de stratégies à deux cristallisations.
214
Molécules chirales
L’interprétation de ces diagrammes montre que la recristallisation du mélange 50/50 des diastéréoisomères ne peut aboutir au dérivé p pur. Si l’on se place à une concentration C, le solide isolé après équilibration possède une pureté diastétéréomérique de. Une fois hydrolysé et en supposant qu’aucune racémisation n’intervienne pendant l’hydrolyse, le mélange de sels diastéréoisomères conduit au mélange d’énantiomères correspondant avec l’excès ee = de. Le diagramme ternaire du mélange d’énantiomères indique qu’il existe des conditions de recristallisation, C1 étant la concentration optimale, qui permettent d’isoler l’énantiomère optiquement pur. Cet exemple montre bien que la connaissance des diagrammes de phase nous permet de dédoubler ce racémique alors que c’est un racémique vrai et que les sels diastéréoisomères qui ont pu être cristallisés ne conduisent pas au diastéréoisomère pur.
Dédoublement dynamique induit par cristallisation Un mélange racémique d’un substrat dl -A associé à un équivalent d’un agent de dédoublement d-B, donne une solution équimolaire de deux diastéréoisomères. Si ces derniers ne peuvent s’interconvertir en solution, on aboutit au dédoublement classique par cristallisation de diastéréoisomères décrit ci-dessus. Si, par contre, le substrat A se racémise facilement en présence de d-B, alors un équilibre thermodynamique s’établit pour donner un mélange non équimolaire de {d-A,d-B} et {l-A,d-B} (figure 8.41). Une cristallisation rapide de ce système donne lieu au mélange de {d-A,d-B} et {l-A,d-B} solide dans des proportions variables. On parle dans ce cas de transformation asymétrique du premier ordre. Le cas le plus intéressant se produit quand la cristallisation est lente et que l’équilibre est suffisamment déplacé vers la formation d’un seul des deux diastéréoisomères qui précipite pur avec un rendement supérieur à 50 %. Ce processus est alors appelé transformation asymétrique du deuxième ordre ou plus communément de dédoublement dynamique induit par cristallisation. Citons comme exemple le cas classique de la 3-amino-1,3-dihydro-1méthyl-5-phényl-2H-1,4-benzodiazépin-2-one, qui est un précurseur du L364,718, un antagoniste d’une hormone gastrointestinale, la cholecystokinine (CCK) [25]. Comme décrit sur la figure 8.42, cette benzodiazépinone se racémise en solution en présence de quantités catalytiques d’un aldhéhyde aromatique, le 3,5-dichlorosalicylaldéhyde. Le mécanisme passe par la formation d’une imine intermédiaire dont l’hydrogène porté par le carbone asymétrique est particulièrement labile. L’utilisation d’un équivalent d’acide (+)-camphre sulfonique ((+)-ACS) conduit à la cristallisation du diastéréoisomère le moins soluble avec un excès diastéréomérique ed supérieur à 98 % et un rendement de 91 %.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
215
Fig. 8.41 – Définition des transformations asymétriques induites par cristallisation.
CH3
CH3
O
O
N
N ArCHO cat. N Ph
R
NH2 N
S
NH2
Ph
SO3H O
cristallisation
(+)-ACS CH3
O
N
N
S
NH3+
. (+)-ACS–
Ph
Fig. 8.42 – Dédoublement dynamique induit par cristallisation d’une benzodiazépinone.
8.4
Autres voies d’accés aux énantiomères purs
Nous avons largement décrit dans cette partie le principe du dédoublement par cristallisation et sa rationalisation par les diagrammes de phases.
216
Molécules chirales
Le caractère racémique vrai de la majorité des composés organiques implique l’utilisation d’agents de dédoublement et la transformation en paire de diastéréoisomères. Le procédé est particulièrement adapté aux composés salifiables tels que les acides carboxyliques ou les amines. On voit donc que cette méthode n’est pas généralisable à tous les dérivés organiques. Il est important de repositionner sous forme schématique (voir figure 8.43) le dédoublement par cristallisation par rapport aux autres voies d’accès aux composés énantiopurs que nous ne développerons pas dans cet ouvrage.
Fig. 8.43 – Voies d’accès aux composés énantiopurs.
Bibliographie [1] Voir aussi le livre référence dans le domaine : J. Jacques, A. Collet, S.H. Wilen, Enantiomers, Racemates, & Resolutions, J. Wiley & Sons, New York, 1981. [2] T.-D. Lee, C.N. Yang, Phys. Rev., 1956, 104, 254. [3] C.-S. Wu, E. Ambler, R. Hayward, D. Hoppes, R.P. Hudson, Phys. Rev., 1957, 105, 1413. [4] a) S. Weinberg, Phys. Rev. Lett., 1967, 19, 1264. b) A. Salam, Proceedings of the Eighth Nobel Symposium, 1968, 367. [5] a) M.A. Bouchiat, L. Pottier, Science, 1986, 234, 1203. b) L.M. Barkov, M.S. Zolotorev, J. E. P. T., 1980, 52, 360. [6] A.S. Lahamer, S.M. Mahurin, R.N. Compton, D. House, J.K. Laerdahl, M. Lein, P. Schwerdtfeger, Phys. Rev. Lett., 2000, 85, 4470. [7] A. Szabo-Nagy, L. Keszthelyi, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 1999, 96, 4252. [8] C. Daussy, T. Marrel, A. Amy-Klein, C.T. Nguyen, C.J. Bordé, C. Chardonnet, Phys. Rev. Lett., 1999, 83, 1554. [9] J. Crassous, F. Monier, J.-P. Dutasta, M. Ziskind, C. Daussy, C. Grain, C. Chardonnet, Chem. Phys. Chem., 2003, 4, 541.
8. Stéréoisomères : propriétés physiques et méthodes de séparation
217
[10] La NCP est l’un des possibles phénomènes physiques qui pourrait expliquer l’homochiralité sur la Terre. Voir les revues : (a) B.L. Feringa, R.A. van Delden, Angew. Chem. Int. Ed. Engl., 1999, 38, 3418 ; (b) M. Avalos, R. Babiano, P. Cintas, J.L. Jimenez, J.C. Palacios, Tetrahedron: Asymmetry, 2000, 11, 2845. [11] a) T.L.V. Ulbricht, F. Vester, Tetrahedron, 1962, 18, 629. b) W. Bonner, Topics in Stereochemistry, 1988, 18, 1. [12] E.J. Ariëns, Eur. J. Clin Pharmacol., 1984, 26, 663. [13] Attention ceci n’est pas une nécessité : il existe des racémiques vrais qui cristallisent dans des groupes d’espaces non-centrosymétriques. C.P. Brock, W.B. Schweizer, D. Dunitz, J. Am. Chem. Soc., 1991, 113, 9811. [14] G.B. Kauffman, R.D. Myers, J. Chem. Ed., 1975, 52, 777. [15] H.W.B. Roozeboom, Z. Phys. Chem., 1899, 28, 494. [16] Y.H. Lu, C.B. Ching, Chirality, 2004, 16, 541. [17] H.E. Zaugg, J. Am. Chem. Soc., 1955, 77, 2910. [18] U.-H. Dolling, A.W. Douglas, E.J.J. Grabowski, E.F. Schoenewaldt, P. Sohar, M. Sletzinger, J. Org. Chem., 1978, 43, 1634. [19] T. Watanabe, G. Noyori, Kogyo Kagaku Zasshi, 1969, 72, 1083. [20] D. Gernez, C. R. Acad. Sci., 1866, 63, 843. [21] a) R. Duschindsky, Festschrift Emil Barell, 1936, F. Reinhardt Verlag, Basel, p. 375. b) R. Duschindsky, Chem. Ind., 1934, 10. [22] A. Collet, M.-J. Brienne, J. Jacques , Chem. Rev., 1980, 80, 215. [23] C. Hongo, S. Yamada, I. Chibata, Bull. Chem. Soc. Jpn., 1981, 54, 3291. [24] D. Kozma, CRC Handbook of optical resolution via diastereomeric salt formation, CRC Press LCC, 2002. [25] P.J. Reider, P. Davis, D.L. Hughes, E.J.J. Grabowski, J. Org. Chem., 1987, 52, 955. (b) S. Caddick, K. Jenkins, Chem. Soc. Rev., 1996, 447.
Chapitre 9 Détermination de la pureté énantiomérique uelle que soit la façon d’obtenir un mélange énantio-enrichi, il est toujours nécessaire de connaître le plus précisément possible sa Q composition énantiomérique. Dans ce chapitre, nous décrivons les principales méthodes de détermination de la pureté énantiomérique. Il existe globalement quatre grandes familles de méthodes : la polarimétrie (et autres méthodes chiroptiques), la RMN, la chromatographie et la calorimétrie. D’autres méthodes moins générales comme le marquage isotopique ou le dédoublement enzymatique ne seront pas décrites ici. La pureté d’un mélange partiellement dédoublé est quantifiée par un paramètre appelé excès énantiomérique pour lequel on utilise communément l’abréviation ee. L’excès énantiomérique est défini par le rapport |d−l| d+l .
9.1 9.1.1
Analyse directe du mélange des énantiomères Détermination de l’ee par polarimétrie
La polarimétrie a été abordée plus en détail dans le chapitre 7, rappelons tout de même que c’est une technique qui consiste à analyser l’interaction entre une substance chirale et une lumière polarisée. De cette interaction résulte une rotation du plan de polarisation de la lumière d’un angle α. Le pouvoir α où α est rotation rotatoire spécifique est défini par l’équation : [α]Tλ = LC observée (en degrés), L la longueur de la cuve (en dm) et C la concentration (en g cm−3 ). Connaissant la valeur du pouvoir rotatoire spécifique d’une substance chirale pure, il est possible de calculer l’excès énantiomérique d’un mélange enrichi selon l’équation ee =
[αmélange ]T λ [αpur ]T λ
.
220
Molécules chirales
Cette méthode possède l’avantage d’une mise en œuvre simple et de donner ainsi accès à l’ee rapidement. Mais elle présente plusieurs inconvénients parfois limitants car le pouvoir rotatoire doit toujours être comparé à celui de la substance pure qui n’est pas forcément disponible. De plus, cette comparaison doit être réalisée dans exactement les mêmes conditions de température, de concentration et de solvant (et il ne doit pas être observé d’effet Horeau). Un problème supplémentaire concerne l’incertitude de la mesure qui peut être importante quand les substances ont un pouvoir rotatoire faible. Dans ce cas, il est avantageux d’effectuer la mesure à des longueurs d’ondes plus favorables (c’est-à-dire plus petites).
9.1.2
Détermination de l’ee par calorimétrie
Comme nous l’avons montré dans le chapitre 8, le diagramme binaire de fusion d’un mélange d’énantiomères décrit l’évolution de la température de fusion d’un mélange en fonction de sa composition (i.e. de l’excès énantiomérique). Connaître le point de fusion d’un mélange enrichi donne ainsi accès à sa composition. Cependant il est rare de trouver dans la littérature les données nécessaires pour tracer de tels diagrammes. De plus, imaginer tracer expérimentalement un diagramme binaire de fusion point par point dans le seul but de mesurer un excès énantiomérique n’est pas envisageable. En général, on calcule la composition énantiomérique par calorimétrie en mesurant l’enthalpie de fusion du mélange racémique ∆Hfusion et/ou d’un énantiomère pur. Cette technique n’est applicable qu’à des échantillons solides à température proche de l’ambiante et nécessite de disposer d’un calorimètre. Certains facteurs peuvent perturber la détermination de l’excès énantiomérique comme le polymorphisme, les décompositions ou racémisations. La détermination la plus simple utilise la méthode directe applicable pour des puretés énantiomériques comprises entre 30 et 90 %. Pour un conglomérat (voir chapitre 8) l’excès énantiomérique est obtenu à partir de l’aire du pic de fusion de l’eutectique (figure 9.1), de l’enthalpie de fusion du racémique et de la masse de l’échantillon selon la formule : I ee = ∆Hpic_eutectique − 1. f ×m échantillon
R
L’incertitude de ce type de mesure est estimée à ±4 %. On peut également utiliser la température de fusion et remonter par la calcul à la composition 1 1 A par l’équation de Schröder-van Laar ln x = ∆H − R TA T . Dans le cas d’un racémique vrai, on distingue deux situations. La composition est comprise entre celle de l’énantiomère et celle de l’eutectique. On utilise alors l’équation de Schröder-van Laar comme pour le conglomérat présenté ci-dessus. Si la composition initiale est comprise entre celle de l’eutectique et celle du racémique (figure 9.2), on peut calculer la composition énantiomérique à partir de l’équation de Prigogine et Defay : ln 4x(1 − x) = 2∆Hrf R
1 f TR
−
1 Tf
. Il est nécessaire de connaître alors l’enthalpie de fusion du
9. Détermination de la pureté énantiomérique
221
Fig. 9.1 – Détermination de la pureté énantiomérique dans le cas d’un conglomérat. a) l’aire du pic de l’eutectique est proportionnelle à la quantité de racémique présent dans l’échantillon. b) la composition x peut être obtenue à l’aide de l’équation de Schröder-van Laar qui donne la courbe de liquidus (en pointillés).
Fig. 9.2 – Détermination de la pureté énantiomérique dans le cas d’un racémique vrai. a) On détermine TEf et T f par lecture et b) on applique l’équation de Prigogine et Defay pour avoir directement x à partir de la courbe de liquidus. racémique et la température de fusion du racémique et celle de fin de fusion du mélange de composition inconnue Tf . La précision de la mesure est faible quand on se trouve près du racémique car TRf -T f devient difficile à mesurer. On applique alors la méthode dite indirecte qui consiste à utiliser des développements limités dans les équations de Schröder-van Laar et Prigogine et Defay [1].
9.2
Analyse indirecte d’un mélange d’énantiomères – Utilisation d’associations diastéréoisomères
Deux énantiomères ont une différence d’énergie tellement faible qu’aucune technique n’a permis aujourd’hui de la mettre en évidence à l’échelle moléculaire [2]. Un moyen de créer une dégénérescence de cette énergie et de former
222
Molécules chirales
des intermédiaires diastéréoisomères par association, covalente ou non, avec un dérivé chiral énantiopur. Ces diastéréoisomères peuvent avoir une différence d’énergie suffisament grande pour être observée par des méthodes analytiques classiques (figure 9.3). E
Diastéréoisomère 1 Enantiomère 1 Enantiomère 2 Diastéréoisomère 2
Fig. 9.3 – Dégénérescence de l’énergie quand on passe d’un couple d’énantiomères au couple de diastéréoisomères correspondant.
9.2.1
Détermination de l’ee par RMN
La mesure de l’ee par RMN [3] est sans doute la méthode la plus courante, car la RMN est devenue une technique de routine dans un laboratoire de synthèse organique. L’excès énantiomérique est alors calculé en considérant que l’intégration des pics correspondant à chaque diastéréoisomère est proportionnelle à la quantité de chacun dans le mélange. On peut écrire par exemple : −Idia2 | . Cette méthode donne cependant des résultats moins préee = |IIdia1 dia1 +Idia2 cis que les techniques chromatographiques avec des incertitudes qui peuvent atteindre 5 %. Les paragraphes suivants décrivent brièvement les différentes techniques permettant la mesure de ee par RMN. Utilisation d’agents chiraux de dérivatisation (ACD) Les agents chiraux de dérivatisation sont des composés énantiomériquement purs qui réagissent avec les énantiomères à analyser par formation d’une liaison covalente, ou plus rarement d’un sel. Pour une paire d’énantiomères, la dérivatisation produit des diastéréoisomères qui peuvent a priori avoir des déplacements chimiques différents. Pour une mesure correcte de l’ee, il est essentiel de n’observer ni dédoublement cinétique, ni racémisation au cours de la dérivatisation ce qui aurait pour conséquence de fournir un rapport de diastéréoisomères non proportionnel à celui des énantiomères présents dans le mélange initial. L’ACD le plus classique et le plus courant est le réactif de Mosher, l’acide α-méthoxy-α-trifluorométhylphénylacétique (MTPA), dont les deux énantiomères sont commerciaux. L’ee peut être mesuré dans ce cas par RMN du proton, mais aussi par RMN du fluor grâce au groupement CF3 . La clé de l’efficacité d’un tel réactif est due à la présence d’un groupement aromatique et d’un groupement électroattracteur. Le processus qui rend compte de la discrimination est décrit sur la figure 9.5. Le substituant proche du groupement phényle subit un blindage alors que celui placé près du méthoxy subit un déblindage. Si la configuration des espèces est retenue au cours
9. Détermination de la pureté énantiomérique
MeO F3C
MeO H
CO2H
R-MTPA Réactif de Mosher
223
NC F
CO2H
acide R-O-méthylmandélique
CO2H
acide R-α-cyano-α-fluorophénylacétique
Fig. 9.4 – Structures de quelques agents chiraux de dérivatisation. (NH) MeO Ph
O C
F3C
R
C
C
(NH)
L3 L2
Ph MeO
H
O C
F3C
O
C
S
C
L3 L2 H
O
déblindé par rapport à blindé par rapport à L3
L2
L3
MeO
Ph
Ph
O CF3
R
L2 OMe
S
O CF3
Fig. 9.5 – Conformations supposées prépondérantes dans les esters de l’acide de Mosher.
de la réaction, on peut aller jusqu’à faire des corrélations entre les déplacements chimiques et la configuration absolue des composés (voir chapitre 7) [4]. L’utilisation d’autres noyaux comme le phosphore peut être avantageuse, car les spectres résultants sont plus simples que ceux du proton avec des différences de déplacements chimiques plus élevées. Les agents de dérivatisations peuvent être alors ceux présentés sur la figure 9.6. Agents chiraux de déplacement chimique (ACDC) Le principe de fonctionnement des agents chiraux de déplacement chimique est de réagir avec des composés basiques au sens de Lewis qui viennent occuper la place d’un ligand dans la sphère de coordination d’un métal. On aboutit ainsi à la formation de deux complexes diastéréoisomères. Les ACDC les plus familiers sont des composés à base de lanthanides et de camphre
224
Molécules chirales
O
O
Ph
Me N
Cl
Ph
N Me
P O
P
NMe2
Fig. 9.6 – Exemples d’agents phosphorés chiraux de dérivatisation. (voir figure 9.7). Le paramagnétisme du lanthanide provoque un déplacement chimique plus ou moins important selon le diastéréoisomère considéré. Les tris-β-dicétonates de lanthanides sont efficaces pour les composés azotés ou oxygénés (bases fortes de type Lewis). Les réactifs binucléaires à base de lanthanide et d’argent comme Yb(hfc)3 /Ag(fod) sont plus efficaces pour les bases de Lewis faibles comme les alcènes, les aromatiques, les phosphines ou les composés halogénés. L’inconvénient majeur de cette méthode est l’élargissement paramagnétique des raies du à la présence de lanthanide, élargissement d’autant plus élevé que le champ magnétique est élevé. Il est donc souvent souhaitable de travailler par exemple à 200 MHz plutôt qu’à 500 MHz pour le proton.
Fig. 9.7 – Agents chiraux de déplacement chimique à base de lanthanides.
Agents chiraux de solvatation (ACS) Les agents chiraux de solvatation sont des composés chiraux énantiomériquement purs, qui se lient au substrat par des liaisons intermoléculaires non covalentes. Les complexes d’association entre une paire d’énantiomères et un ACS sont des diastéréoisomères, ce qui donne souvent lieu à une discrimination en RMN. La discrimination provient de la différence entre les constantes d’association des deux énantiomères avec l’ACS (voir figure 9.8). L’un des deux énantiomères passe plus de temps associé à l’ACS alors que l’autre passe
9. Détermination de la pureté énantiomérique
SR
+
AR
SS
+
AR
kR kS
225
SR – AR
KRR
SS – AR
KSR
Fig. 9.8 – Équilibres d’échange entre les deux énantiomères R et S d’un même substrat S et un ACS AR .
plus de temps dans la solution. Les environnements de solvatation moyennés dans le temps sont donc différents pour chaque énantiomère et induisent des différences de déplacements chimiques. Les constantes cinétiques d’échange kR et kS sont rapides à l’échelle de temps de la RMN, de sorte que le déplacement chimique de SR (resp. SS ) correspond à la moyenne entre celui de SR (resp. SS ) libre et de SR –AR (resp. SS –AR ). Puisque SR –AR et SS –AR ont des déplacements chimiques différents et ne sont pas formés à la même vitesse, on observe des déplacements chimiques différents pour les deux énantiomères. Les ACS sont des composés ayant une cavité, comme les cyclodextrines, ou plus souvent, des composés de type « donneur-accepteur ». Ils participent alors à des interactions dipôle-dipôle, à des liaisons H ou par la formation de complexes à transfert de charges entre un aromatique riche en électrons et un aromatique. Les effets stériques sont également souvent importants. L’ACS le plus courant est le R-1-anthryl-2,2,2-trifluoroéthanol (voir figure 9.9).
Fig. 9.9 – R-1-anthryl-2,2,2-trifluoroéthanol.
Autres agents pour la RMN Il existe des cas de détermination d’ee difficiles pour lesquels les techniques classiques ne sont pas efficaces. C’est pourquoi des méthodes plus originales sont toujours intéressantes et d’actualité. Signalons les cas du Trisphat [5] et les cristaux liquides chiraux [6] (figure 9.10).
226
Molécules chirales Cl Cl Cl
O O
Cl
Cl
Cl
O - O P O O
Cl
Cl Cl
Trisphat
Cl Cl
Cl
Fig. 9.10 – Autres agents pour la mesure d’ee par RMN.
9.2.2
Détermination de l’ee par HPLC (High Performance Liquid Chromatography)
Généralités sur les techniques chromatographiques [7] Les techniques chromatographiques (CPG et HPLC) sont parmi les méthodes de mesures d’ee les plus performantes. À l’origine, les premières mesures d’excès énantiomériques étaient effectuées par dérivatisation des énantiomères en diastéréoisomères séparés analytiquement sur des phases stationnaires achirales. Puis sont apparues des phases stationnaires chirales pour la séparation directe des énantiomères. Plus récemment, des séparations d’énantiomères sur des phases stationnaires achirales, en présence d’additifs chiraux dans la phase mobile, ont été mises au point. Comme pour la RMN, le principe repose sur la formation d’espèces diastéréoisomères stables ou transitoires, qui ont des propriétés différentes (stabilité, solubilité, etc.), des temps de rétention différents en chromatographie. La phase stationnaire est la phase qui est fixée sur la colonne de chromatographie. Les termes sélecteur / sélectand sont respectivement utilisés pour nommer l’agent chiral présent dans la phase et le composé chiral à séparer. La phase mobile est l’éluant utilisé pour la chromatographie. Pour la connaissance des notions de base de chromatographie, voir l’introduction de la référence [5].
Les interactions intervenant dans les processus de séparation par HPLC sont généralement décrites par le modèle à trois points (voir figure 9.11) qui décrit la nécessité d’avoir au moins trois « points » d ’interaction pour qu’un sélecteur chiral CWXYZ puisse distinguer les deux énantiomères de CABDE (Règle de Dagliesh). L’excès énantiomérique est calculé en considérant que l’intégration des pics correspondant à chaque énantiomère ou diastéréoisomère (selon le cas) est proportionnelle à la quantité de chacun dans le mélange. On peut écrire 2| par exemple ee = |II11 −I +I2 .
9. Détermination de la pureté énantiomérique
227
Fig. 9.11 – Modèle à trois « points » : CABDE (énantiomère 1) possède 3 points d’interaction avec le selecteur chiral CWXYZ alors que son énantiomère 2 n’en possède que deux.
Agents chiraux de dérivatisation (ACD) Une méthode de détermination d’ee consiste à utiliser des agents chiraux de dérivatisation afin de former des diastéréoisomères covalents et de les séparer sur des colonnes achirales classiques. Des exemples d’ACD sont l’acide Dcamphre sulfonique pour les alcools ou la 1-phényléthylamine pour les acides, Les principaux avantages et inconvénients de la dérivatisation sont présentés ci-dessous : AVANTAGES – Coût peu élevé de la phase achirale (par exemple à base de silice ou d’octadécylsilyle ODS). – Détection facilitée par dérivatisation à l’aide de groupements qui absorbent fortement en UV ou fluorescents. – On peut quasiment toujours trouver un agent de dérivatisation adéquat et une séparation efficace.
INCONVÉNIENTS – Méthode coûteuse en temps car elle comprend plusieurs étapes. – Risque de décomposition, de racémisation, de dédoublement cinétique. – Le rapport des deux diastéréoisomères ne reflète pas la réalité si la réponse en détection des deux diastéréoisomères est différente ou si l’agent de dérivatisation n’est pas énantiomériquement pur.
Utilisation de phases stationnaires chirales L’HPLC chirale consiste à séparer directement les énantiomères en utilisant une colonne sur laquelle a été greffé un sélecteur chiral. L’enjeu du développement des phases chirales est extrêmement important et dépasse l’aspect
228
Molécules chirales
analytique puisqu’il existe aujourd’hui des procédés de séparation chromatographiques (SMB Simulated Moving Bed ou MCC Multi Column Chromatography) permettant de produire des énantiomères purs à l’échelle industrielle. Cette technique séparative est d’autant plus intéressante que l’énantiomère non souhaité peut être racémisé. Les nombreuses phases chirales commerciales ou en développement varient selon la structure du sélecteur chiral, selon le mécanisme de reconnaissance chirale mis en jeu dans la séparation, et/ou selon les structures des racémiques qu’elles peuvent dédoubler. Nous décrivons dans le paragraphe suivant, les principales caractéristiques des phases chirales les plus communes existant à ce jour sur le marché. Les phases Pirkle Les colonnes de Pirkle (figure 9.12) sont très populaires. La phase est du type aminoacide où la phénylglycine est dérivatisée sous forme de N-3,5dinitrobenzoate. La reconnaissance chirale se fait via des interactions π-π. Le domaine de prédilection de ces phases est le dédoublement des composés aromatiques neutres et apolaires ou bien des amines et alcools chiraux dérivatisés par un acide aromatique. Les colonnes de Pirkle de type Whelk-O1 et Whelk-O2 sont d’autant plus efficaces qu’elles contiennent à la fois un système π-accepteur et un système π-donneur. Cette famille de phases est réputée pour sa robustesse car les sélecteurs chiraux sont liés de façon covalente à la silice. Ce greffage solide permet également l’utilisation d’une large gamme de solvants comme phase mobile. Les phases polysaccharide Les phases de type carbohydrate, comme la cellulose, fonctionnalisées par des fonctions esters (triacétate ou tribenzoate), sont les premières à avoir vu le jour. Elles avaient l’avantage d’être bon marché. Les phases de type « polysaccharides » ont ensuite connu un énorme succès grâce à la variété de fonctionnalités offertes (figure 9.12). Pour ces phases, le sélecteur chiral est déposé sur la silice, les colonnes résultantes sont beaucoup plus sensibles aux conditions d’utilisation, la gamme de solvant utilisable est relativement limitée. Malgré cet inconvénient et grâce à l’introduction de fonctionnalisations par des groupements aryles, ces colonnes, avec les colonnes de Pirkle, sont les plus utilisées et les plus efficaces. Les phases protéines Il existe des phases à base de protéines immobilisées sur des particules de silice : la sérum albumine humaine (SAH), la sérum albumine porcine (SAP), la sérum albumine bovine (SAB) ou l’ovomucoïde (glycoprotéine du blanc d’oeuf de poulet). Les facteurs permettant de jouer sur la sélectivité
9. Détermination de la pureté énantiomérique
229
NO2 O
H N
O2 N
C
OR Si OR O
N H
O H
SiO2 O H3C
NO2
O
Phase (S,S)-Whelk-O1
Phase de Pirkle de type 1A OR O
N
Si CH3
CH3
O
R=
NO2
N H
RO OR O
O
O CH3
O
O
n
O
gel de silice
O
Chiralpak AD : amylose tris-(3,5diméthylphénylcarbamate) Phase Crownpak silice déposée
OR O
R=
O
RO
CH3
O
H2 CH3 C C* C O
N H
OR
CH3
n
n
O
gel de silice
C
Chiralpak OD: cellulose tris-(3,5diméthylphénylcarbamate) OH HO
O
O
O HO OH
O HO OH
poly-(triphénylméthylméthacrylate)
O HOO HO
OH O
HO
HO O OH
OH O OH O HO
OH OOH
HO O OH O
OH
Cyclodextrine α β γ
Nombre d'unités glucose
Poids Moléculaire (uma)
6 7 8
972 1135 1297
Diamètre de la cavité (nm) 0,54 0,70 0,85
O OH β-cyclodextrine
Fig. 9.12 – Exemples de phases stationnaires chirales.
et la rétention sont le pH, l’éluant (en favorisant ou défavorisant les liaisons hydrogènes). Outre leurs performances analytiques, ce sont de bons outils pour la compréhension de l’interaction médicament-protéine.
230
Molécules chirales
Les phases antibiotiques [8] Les phases à base d’antibiotiques macrocycliques, la vancomycine et la teicoplanine, contiennent plusieurs centres stéréogéniques et plusieurs sites permettant plusieurs points d’interactions. Les phases cyclodextrines [9] Les phases chirales cyclodextrines fonctionnent sur un mécanisme de reconnaissance basé sur des phénomènes d’inclusion. Ces phases sont utilisées avec des phases mobiles aqueuses et/ou organiques polaires pour séparer des composés en solution aqueuse. La fonctionnalisation de cyclodextrines a permis le développement des phases mobiles appelées « mode polaire organique » (en l’absence d’eau) qui utilise l’acétonitrile et des faibles quantités d’acide acétique ou de triéthylamine. Ce mode d’élution permet au substrat de ne pas rentrer dans la cavité de la cyclodextrine et de rendre ainsi les interactions par liaison H prépondérantes. Le mode polaire organique s’est généralisé aux autres phases stationnaires. Les phases polymères synthétiques Il existe aussi des phases à base de polymères synthétiques, comme le poly(triphénylméthylméthacrylate) qui est un polymère à structure hélicoïdale. Les phases de type éther-couronne La Crownpak est une colonne avec une phase constituée d’un éthercouronne fixé sur une unité binaphtol. Cette colonne est dédiée à la séparation des amines primaires. Chromatographie liquide chirale à échange de ligand [10] La chromatographie liquide chirale à échange de ligand utilise un ligand chiral, généralement un aminoacide capable de complexer des ions métalliques, tel que Cu2+ , qui sont présents dans la phase mobile. Ce ligand peut être, soit immobilisé sur la phase stationnaire (figure 9.13, dérivé de la proline), soit utilisé comme additif chiral dans la phase mobile (figure 9.13, N -benzyloxyglycyl-proline). Ces phases sont en général efficaces pour séparer les aminoacides, les α-hydroxyacides ou les aminoalcools par un mécanisme de formations de complexes. Spécificité d’une colonne Seules quelques phases chirales ou utilisation d’additifs sont spécifiques à une famille de composés, par exemple les phases Pirkle pour les molécules
9. Détermination de la pureté énantiomérique
231 O N
N
O CO2H
N H
O
CO2H
Fig. 9.13 – Ligands pour la chromatographie à échange de ligands. contenant un noyau aromatique ou les phases éther-couronne pour les amines primaires. Les mécanismes intervenant au cours de la séparation sur la colonne ne sont encore pas totalement compris. Certaines règles de sélections ont malgré tout pu être tirées à partir de corrélations faites à l’aide modèles théoriques mais aussi par les corrélations mises en évidence par la base de données ChirBase [11] qui recense un grand nombre de phases ainsi que leur domaine d’application. Cependant, la démarche la plus classique pour la mise au point d’une méthode de séparation chirale analytique reste le « screening » de phases et de conditions.
9.2.3
Mesure de l’ee par chromatographie chirale en phase gazeuse (CPG chirale) [12]
La technique La chromatographie chirale en phase gazeuse est réservée aux composés volatils et stables thermiquement. Cette méthode possède de nombreux avantages comme la sensibilité et la vitesse de séparation. Contrairement à l’HPLC, le choix décisif de l’éluant, des modificateurs, des systèmes de gradients n’existent pas en CPG. La CPG chirale est bien adaptée quand on n’a pas besoin de dérivatisation c’est-à-dire quand les composés volatils sont directement analysés à partir de la phase vapeur du mélange à étudier. Il existe trois classes principales de phases stationnaires chirales, qui se distinguent par le mode d’interaction « sélecteur-sélectand » mis en jeu : – La séparation des énantiomères sur des dérivés d’aminoacides chiraux, via des liaisons hydrogènes. – La séparation des énantiomères sur des composés métalliques de coordination chiraux, par complexation. – La séparation des énantiomères sur des dérivés de cyclodextrines, par inclusion. Suivant les avancées technologiques de la CPG, les sélecteurs chiraux ont d’abord été utilisés sous forme pure. Puis ils ont été introduits en solution dans des polymères de type polysiloxanes, et in fine le sélecteur a été lié chimiquement au polysiloxane. Ces dernières phases sont immobilisées sur les parois d’une colonne capillaire ; elles possèdent une excellente stabilité thermique et efficacité.
232
Molécules chirales
Phases stationnaires chirales basées sur des liaisons hydrogènes La colonne Chirasil-Val possède une phase stationnaire qui est un diamide dérivé de la valine couplé via la fonction amino à un polymère statistique de diméthylsiloxane et de (2-carboxypropyl)méthylsiloxane. Sur cette colonne, on peut en moins de 25 minutes séparer tous les aminoacides protéinogéniques. Cette phase est commercialisée sous les deux formes énantiomères, ce qui permet d’intervertir les pics et qui est très utile pour l’analyse de traces. La séparation d’énantiomères par liaisons hydrogènes nécessite en général la dérivatisation du substrat pour augmenter le caractère volatil et/ou pour introduire des fonctions adéquates pour la formation d’associations par liaisons hydrogènes. Phases stationnaires chirales basées sur la coordination par les métaux Cette méthode était très utile avant le développement des phases de type cyclodrextine pour les composés ne formant pas des liaisons hydrogènes. Elle s’applique à la séparation de composés oxygénés, soufrés, azotés. La ChirasilNickel (voir figure 9.14) est un exemple de telles colonnes. Les ligands chiraux sont souvent des dérivés du camphre. Phases stationnaires chirales basées sur des processus d’inclusion Il existe différentes méthodes de préparation de phases stationnaires à base de cyclodextrines : – Les colonnes Lipodex ont des phases de type cyclodextrines per-npenthylées, qui sont des dérivés liquides à température ambiante et utilisés tels quels (non dilués) avec des verres désactivés ou des colonnes capillaires. La présence de trois types de groupements hydroxyles qui peuvent être régiosélectivement alkylés ou acylés offre de nombreuses possibilités de dérivatisation des αsβsγ-cyclodextrines. La Lipodex E (octakis(3-O-butanoyl-2,6-di-O-n-pentyl)-γ-cyclodextrine donne de très bons résultats pour une large série de composés différents. – Les cyclodextrines modifiées (par exemple perméthylées) diluées dans un polysiloxane modérément polaire, combinent les avantages chromatographiques du polysiloxane à l’énantiosélectivité de la cyclodextrine. Cette méthode est utilisée en routine pour des colonnes commerciales, par exemple la β-cyclodextrine perméthylée dissoute dans le polysiloxane. – Les colonnes Chirasil-Dex ont des phases de type cyclodextrines dérivées, fixées à un polymère par un lien chimique. La phase est immobilisée sur une surface d’une colonne capillaire, ce qui constitue une amélioration supplémentaire. Ces phases peuvent s’utiliser dans une large gamme de température (−25 ◦ C à 250 ◦ C).
9. Détermination de la pureté énantiomérique
233
Fig. 9.14 – Exemple de phases chirales pour l’analyse en GC.
9.2.4
Mesure de l’excès de diastéréoisomères par calorimétrie
Lorsqu’on effectue un dédoublement de diastéréoisomères covalents ou de sels diastéréoisomères, il est souvent possible de suivre l’efficacité du dédoublement par la mesure du domaine de fusion, soit visuellement soit plutôt par DSC. Cela donne des informations utiles sur la composition du mélange et donc sur l’avancement du dédoublement. Comme nous l’avons expliqué dans le paragraphe 9.1.2, l’utilisation des équations modèles décrivant le comportement d’un mélange en fonction de la température permet de corréler la température de fusion à la composition du mélange (voir figure 9.15). Pour un mélange de diastéréoisomères, l’équation qui décrit le comportement est ∆HA 1 1 l’équation de Schröder-van Laar ln x = R TA − T .
234
Molécules chirales
Fig. 9.15 – a) Intervalles de fusion de différentes compositions diastéréomériques et b) leurs thermogrammes correspondants.
Bibliographie [1] Pour plus de détails voir J. Jacques, A. Collet, S.H. Wilen, Enantiomers, Racemates, and Resolutions, J. Wiley & Sons, New York, 1981. [2] Pour plus de détails se reporter au chapitre 8.1.1. [3] a) T.J. Wenzel, J.D. Wilcox, Chirality, 2003, 15, 256. b) D. Parker, Chem. Rev., 1991, 91, 1441. [4] J.A. Dale, H.S. Mosher, J. Am. Chem. Soc., 1973, 95, 512. [5] a) J. Lacour, C. Ginglinger, F. Favarger, S. Torche-Haldimann, Chem. Commun., 1997, 23, 2285. b) J. Lacour, V. Hebbe-Viton, Chem. Soc. Rev., 2003, 32, 373. [6] a) I. Canet, J. Courtieu, A. Loewenstein, A. Meddour, J. M. Péchiné, J. Am. Chem. Soc., 1995,117, 6520. b) A. Meddour, I. Canet, A. Loewenstein, J.M. Péchiné, J. Courtieu, J. Am. Chem. Soc., 1994, 116, 9652. [7] W. Lindner, dans Chirality, From Weak Bosons to the α-Helix, R. Janoschek (Ed.), Springer Verlag, Berlin, Heidelberg, 1992, Chap. 9, p. 180. [8] T.L. Xiao, D.W. Armstrong, dans Chiral Separations. Methods and Protocols, Ed. G. Gübitz, M.G. Schmid, Humana Press, New Jersey, 2004, p. 113. [9] C.R. Mitchell, D.W. Armstrong, dans Chiral Separations. Methods and Protocols, Ed. G. Gübitz, M.G. Schmid, Humana Press, New Jersey, 2004, p. 61. [10] a) V.A. Davankov, dans Chiral Separations by HPLC. Applications to Pharmaceutical Compounds, Ed. A.M. Krstulovic, Ellis Horwood, 1989, p. 446. b) V.A. Davankov, dans Chiral Separations. Methods and Protocols, Eds. G. Gübitz, M.G. Schmid, Humana Press, New Jersey, 2004, p. 207. [11] C. Roussel, P. Piras, CHIRBASE http://chirbase.u-3mrs.fr [12] V. Schurig, J. Chromatogr. A, 2001, 906, 275–299.
Index A absorption, 161 achiral, 45 acide 3-bromocamphre-8-sulfonique, 208 acide α-méthoxy-α-trifluorométhylphénylacétique, 222 acide ascorbique, 2 acide camphre-10-sulfonique, 118 acide camphre-sulfonique, 208 acide glutamique, 2 acide glycérique, 41 acide lactique, 135 acide O-O -di-4-toluoyl tartrique, 207 acide O-O -dibenzoyl tartrique, 207 acide paratartrique, 13 acide racémique, 13 acide tartrique, 23, 193, 207 acide trihydroxyglutarique, 120 acides α-aminés d, 132 acides pentahydroxypiméliques, 92 activité optique, 24 activité optique Raman, 170 adamantane, 52 addition nucléophile organomagnésien, 122 agents chiraux de déplacement chimique, 223 de dérivatisation, 170, 222 de solvatation, 224 agents de dédoublement, 204 acides, 207 basiques, 207 alcaloïdes naturels, 207 alcool déshydrogénase, 118 alkylation asymétrique, 127 alkylidènecyclanes, 66 allènes, 63
Allinger, 2, 24 amine chirale, 57 ammonium quaternaire, 57 amplification, 25 amplification asymétrique, 127 analyse conformationnelle, 1, 24, 31 analyse des faces cristallines, 139 anhydride de l’acide α-phénylbutyrique, 145 anhydride de l’acide p-bromobenzoïque, 110 anisochrones, 119 anti, 36 antibiotique, 230 anticlinale, 37 antipériplanaire, 36 AOR, 170 Applequist, 155 aR, 95 Arago, 8 arsenic, 57 arsine chirale, 57 aS, 95 asparagine, 179 aspartame, 2, 179 asymétrique carbone, 16, 55 synthèse, 2, 21, 114, 146 atomes fantômes, 85, 87 atropisomérie, 23, 32, 72 sp2 –sp2 , 74 sp3 –sp2 , 73 sp3 –sp3 , 72 autocatalyse, 128 auxiliaire chiral, 122 axe de chiralité, 63, 79 de symétrie, 45 impropre, 48
236 polaire, 110, 140 stéréogène, 45 azote centre de chiralité, 56 inversion, 56 B Baeyer, 19 barrière d’énergie, 31 de rotation, 19 Bartholin, 7 Barton, 2, 24, 27 base de Tröger, 57 bateau, 54 Berthelot, 19 Berzelius, 13, 29 Bijvoet, 2, 24, 27, 41, 61, 135, 137 binaires de fusion calcul, 185 tracé expérimental, 185 binaphtol, 32, 230 binaphtyle, 75, 100 binaphtylphosphate, 72 Biot, 8 biotransformation, 124 biphényle, 74 biréfringence circulaire, 149, 155 blende, ZnS, 110 blindage, 222 Born, 24 Boutlerov, 17 Brewster, 155 bromochlorofluorométhane, 55 brucine, 207 buckminsterfullerène, 52 Bunsen, 19 C C60 , 68 C70 , 68 C76 , 68, 167 Cahn, 2, 24, 32, 81 calcite, 7 calorimétrie, 185, 220, 233 camphre, 8, 182, 223, 232 Canizzaro, 18
Molécules chirales carbone asymétrique, 16, 55 carvone, 21 catalyse énantiospécifique, 126 catalyse hétérogène, 126 caténane, 81 CD, 147 centre asymétrique T4, 56 de chiralité, 32 de symétrie (i), 47 stéréogène, 45, 55 centrosymétrique, 47 chaise, 54 chiral, 22, 48 chiralité, 22 à deux dimensions, 111 à une dimension, 109 axiale, 63, 94 centrale, 55, 94 fausse, 130 isotopique, 56, 59, 82 planaire, 94, 95 topologique, 69 torsionnelle, 94, 98 chiralité à une dimension, 110 chiralité planaire, 66 chiralité vraie, 130 Chirasil-γ-dex, 231 Chirasil-Nickel, 231 Chirasil-Val, 231 ChirBase, 231 chiroptique, 24, 147 chirotopique, 55 chloramphénicol, 207 cholecystokinine, 214 Christie, 23 chromophore définition, 158 chromophore carbonyle, 163 cinchonidine, 207 cinchonine, 207 CIP, 81 cis, 32 Cn , 46 coefficient d’absorption molaire, 158 complexes octaédriques définition, 60 nomenclature CIP, 100
Index composé d’addition, 211 composition, 29 configuration, 24, 29, 36, 55 arborescence d’autres groupes insaturés, 85 arborescence de groupes benzéniques, 87 arborescence de groupes cycliques, 86 arboresence des groupes metallocéniques, 89 composition isotopique, 84 descripteurs, 81 hiérarchie des substituants, 82 règle des numéros atomiques, 83 relative, 132 selon Emil Fischer, 135 configuration absolue, 22, 40, 55, 104, 131, 155 époxydation de Sharpless, 146 configuration ∆, 67 configuration Λ, 67 configuration M , 67 configuration P , 67 configuration relative, 20, 41 Nomenclature CIP, 133 conformation, 29, 30, 36, 54, 55 inversion pyramidale, 39 rotation, 38 conformère, 31 conglomérat, 16, 181 constitution, 29 corrélation chimique, 135, 142 Cotton, 22, 159 Couper, 17 couplage excitonique, 165 CPG chirale, 231 Crick et Watson, 98 cristallisation simultanée cristallisation différenciée, 198 localisation de la cristallisation, 197 triage manuel, 197 cristaux hémièdres, 140 liquides, 175 polaires, 110 cryptochiralité, 132, 151
237 cryptophane, 167 cryptophanol, 167 cube, 10 cubique, groupe cubique, 50 cumulène, 64 Curie, 22 cyclodextrine, 225, 230 cyclotribenzylène definition, 74 cyclotrivératrylène, 37 cyclotrivératrylène, 97, 167 définition, 74 D d ou l, 104 d ou l, 104 Dagliesh, règle de, 226 de la Provostaye, 13 déblindage, 222 décalé, 36 dédoublement définition, 43 dynamique, 214 par cristallisation, 195 par entraînement, 198 réciproque, 205 spontané, 16, 203 dédoublement cinétique, 144 méthode de Horeau, 145 principe, 144 Defay, 185 déhydroabietylamine, 207 Delépine, 25 deltaméthrine, 2 dénombrement des stéréoisomères, 61 descripteur, 24 dextrogyre, 8, 14 diagrammes de Schlegel, 68 diagrammes ternaires de solubilité, 189 diastéréoisomère, 32, 34, 117, 204 diastéréoisomérie, 34 diastéréosélectif, 23, 115 diastéréospécifique, 123 diastéréotopique, 114 dichloroéthane, 24, 36 dichlorosalicylaldéhyde, 214 dichroïsme circulaire, 22, 24, 132, 158 dichroïsme circulaire vibrationnel, 169
238 dichroïsme excitonique, 165 dièdre, 36, 47 diffraction des rayons X, 24, 136 anomale, 137 classique, 137, 139 diffraction anomale des rayons X, 134 principe, 136 diméthylsiloxane, 232 DIPAMP, 58 dispersion, 161 dispersion rotatoire optique, 24, 158 dissymétrie, facteur g, 161 dissymétrique, 14 DOPA, 58 DRO, 159 DSC, 185, 233 Dupa, 23 E E, 32, 101 éclipsé, 36, 47 effet Cotton, 159 effet Horeau, 155 effet non linéaire, 127 élément de chiralité, 23 de symétrie, 45 stéréogène, 32, 79 stéréogène achirotopique, 79 stéréogène binaire, 55, 79 stéréogène chirotopique, 55 Eliel, 2, 24, 27, 40 ellipticité, 160 énantiomère, 32 propriétés biologiques, 179 structure cristalline, 183 énantiomérie, 34 énantiomorphe, 14 énantiomorphisme, 9 énantiopure, 42 énantiosélectif, 114, 121 énantiospécifique, 126 énantiotopique, 66 ent, 172 entgegen, 101 éphédrine, 207 épimère, 35
Molécules chirales époxydation de Jacobsen, 122 époxydation de Sharpless, 146 équatorial, 165 érythro ou thréo, 35 erythrose, 133 étain, 56 éther-couronne, 231 eutectique, 141 excès de diastéréoisomères, 233 excès énantiomérique, 154, 219 F fac/mer, 81 face homotopique, 111 diastéréotopique, 114 énantiotopique, 66, 111 facteur de diffusion, 138 facteur de structure, 136 ferrocène, 66, 90 Fischer, 19, 20, 23, 41, 103 force dipolaire, 158 force rotationnelle, 162 formule plane, 30 Freudenberg, 24 Frisch, 70 fullerène, 68 G gauche, 36, 37 Gay-Lussac, 13 géométriques (isomères), 101 germanium, 56 glycéraldéhyde, 41, 135 Gray, 24 groupe hétérofacial, 132 groupe homofacial, 132 groupe ponctuel de symetrie organigrammes, 53 groupe ponctuel de symétrie, 48 C1 , 49 Ci , 50 Cn , 50 Cnh , 52 Cnv , 50 CS , 50 Dn , 50
Index Dnd , 52 Dnh , 52 Sn , 50 Td , Oh , Ih , 52 groupe ponctuel de symetrie T , O, I, 50 H hélicité, 98 Haüy, 9 hélice α, 67 β, 67 ∆, Λ, 67 droite, 67, 98 gauche, 67, 98 hélicène, 67 hémièdre, 10, 14 hémiédrie, 9, 183 non superposable, 11 superposable, 11 Herschel, 12 hétérochiral, 43 hétérochiralité, 43 hexahélicène, 68 synthèse asymétrique absolue, 129 hiérarchie des branches, 84 des chemins, 84 des groupes, 82 hiérarchie des groupes aromatiques, 87 cis/trans ou Z/E, 91 cycliques, 86 insaturés, 85 isotopique, 82 métallocéniques, 90 non cycliques, 85 polycycliques, 87 pseudoasymétrique, 92 Hirshmann, 2 holoèdre, 10 homochiral, 43 homochiralité, 25, 43, 178 homotopiques, 111 Horeau, 25, 145 HPLC (High Performance Liquid Chromatography), 226
239 HPLC à échange de ligand, 230 Huygens, 7 I ibuprofène, 179 icosaèdre, 48 identité (E), 46 indice d’absorption, 161 indice de configuration, 80 indice de réfraction, 155, 181 Ingold, 2, 24, 32, 81 interaction faible, 176 inversion barrière, 74 configuration, 92, 143 inversion de Walden, 143 isochrones, 119 isochronie accidentelle, 119 isomère, 19 conformationnel, 19, 31 isomérie, 29 conformationnelle, 72 géométrique, 101 résiduelle, 40 isomorphisme, 9 isosérine, 135 J Jacques, 25 K Kagan, 26 Kekulé, 17, 19 Kenners, 23 Knowles, 23 Kramers, 162 Kronig, 162 Kronig-Kramers théorème de, 162 L lanthanide, 223 Le Bel, 17 Le Bel et van’t Hoff, 55
240 lévogyre, 8, 14 ligands phosphorés chiraux, 57 like, 42 limonène, 179 Lipodex E, 232 loi de Beer-Lambert, 158 loi de Biot, 151 loi de Fresnel, 150, 155 loi de Friedel, 137 Lord Kelvin, 22 Louis Pasteur, 4 lumière polarisée circulairement, 156 lumière polarisée, 1, 7, 13, 14, 22, 25, 26, 219 circulairement, 147 linéairement, 147 M M ou P, 95 Malus, 7 Marckwald, 21, 23, 205 McKenzie, 21 méthode de Bijvoet, 134 mélange racémique, 114 menthol, 2, 60, 62 menthone, 21 mer/fac, 100 méso, 34, 62, 92 mésomérie, 87 métallocène, 66 métaux de transition, 60 méthode chiroptique, 147 méthode de Fredga, 140 méthode de Horeau, 25, 145 méthylbenzylamine, 207 méthylsiloxane, 232 métolachlore, 2 Meyer, 1, 19 micro-calorimétrie différentielle, 185 Mislow, 2, 22, 24, 40, 44, 77, 78, 108 Mitscherlich, 9 Mizushima, 24 molécule prochirale, 112 moment de transition électrique, 162 magnétique, 162
Molécules chirales moment dipolaire électrique, 162 transition, 162 monoclinique, 10, 11 morphine, 179, 207 Mosher, 222 N naphtylethylamine, 207 naproxène, 2, 179 N -benzyloxy-glycyl-proline, 230 Newman, 35 nœuds moléculaires, 71 nomenclature stéréochimique, 24 non racémiques, 42 non superposable, 1, 14, 34 non-centrosymétrique, 110 non-Conservation de la parité, 176 Lee et Yang, 176 Wu, 176 notation de Schlögl, 96 notation de Schoenflies, 45, 48 noyaux anisochrones, 119 noyaux isochrones, 119 Noyori, 23 O octaèdre, 48 octants, 163 onde polarisée circulairement, 148 linéairement, 148 opération de symétrie, 45 organogermanes chiraux, 56 organosilanes chiraux, 56 ortho-cyclophane, 74 Oseen, 24 osmylation (OsO4 ), 123 ovomucoïde, 228 oxaziridine, 57 P P ou M , 96 paramètre de Flack, 138 partiellement dédoublé, 43 Pasteur, 1, 14, 16
Index Paterno, 17 Perkin, 23 phase chirale, 23, 227 phase stationnaire chirale, 227 phénylalanine, 119 phénylglycine, 228 phéromone, 64 phosphine chirale, 57 phosphore, 57 Pirkle, 228 plagièdre, 12, 189 plan de chiralité, 63, 79 de polarisation, 8 de symétrie (σ), 46 stéréogène, 45 planaire, 66 plomb, 56 point eutectique, 184 polarimétrie, 219 polarisation de la lumière, 148 polarisation elliptique, 160 polymorphisme, 10, 220 polysaccharide, 228 polysiloxanes, 231 poly(triphénylméthylméthacrylate), 230 Pope, 21 pouvoir rotatoire, 8, 24, 131, 148 définitions et unités, 149 dépendance avec C et le solvant, 153 dépendance avec λ, 151 dépendance avec T, 151 molaire, 151 spécifique, 150 pR, 96 Prelog, 2, 24, 32, 81 Prigogine, 185 Prigogine et Defay, 221 Prigogine-Defay, équation, 185 principe de Marckwald, 205 priorité, règle des, 81 processus autocatalytique, 128 prochirales, 112 prochiralité, 111 proline, 230 propanolol, 179
241 propseudoasymétrie, 120 acide trihydroxyglutarique méso, 120 nomenclature CIP ré,si, 120 prostéréogénie, 112 prostéréoisomérie époxydation de Jacobsen, 122 prostéréoisomérie, 2, 66, 109 prostéréoisomérie de groupe, 115 conséquence en RMN, 119 groupe diastéréotopique, 117 groupe énantiotopique, 116 groupe homotopique, 115 nomenclature CIP pro-R et pro-S, 117 prostéréoisomérie faciale, 111 but-2-ène, 111 carbonyle, 111 nomenclature CIP Ré et Si, 113 pS, 96 pseudo-éphédrine, 207 pseudo-racémique, 182 pseudoasymétrique, 92 pulégone, 21 pureté énantiomérique, 153, 219 pureté optique, 154 Q quartz, 8 quasi-énantiomère, 141 quasi-racémique, 141 quinidine, 205 quinine, 205 R R, 32 r ou s, 92 R-1-anthryl-2,2,2-trifluoroéthanol, 225 racémique, définition, 43 racémique vrai, 16, 181 racémisation, 203, 214 Re, 113 réaction stéréosélective Exemples, 122 réaction stéréospécifique Exemples, 123 reconnaissance chirale, 228
242 rectus, 82 réduction du nombre de stéréoisomères contrainte stérique, 63 symétrie, 62 règle de sélection, 231 règle de Wallach, 21 règle des leviers, 187 règle des octants, 163 représentation de Newman, 35 rétention de configuration, 132, 143 RMN, 170 mesure de l’ee, 222 Roozeboom, 21, 184 rotation d’ordre n (Cn ), 46 rotation impropre (Sn ), 47 ruban de Möbius, 71 S S, 32, 113 Sauvage, 72 Schoenflies, notation de, 45 Schröder-van Laar, 185, 221 Schröder-van Laar, équation, 185 sels p et n, 204 sérum albumine humaine, 228 sérum albumine porcine, 228 Sharpless, 23 silicium, 56 sinister, 82 solution solide, 141, 210 soufre, 59 spath d’Islande, 7 spécifique, pouvoir rotatoire, 150 spectroscopie électronique, 158 spiranes, 66 spontané (dédoublement), 16, 183 stéréochimie, xi, 1, 4, 7, 18, 23–25, 27, 29 stéréodescripteur, 102 stéréogène, 55 stéréoisomère, 32 stéréosélectivité, 121 stéréospécificité, 121 stérique, 32, 63 structure des sucres, 104 strychnine, 207 substance chirale, 43 sulfonium chiral, 59
Molécules chirales sulfoximine chirale, 59 sulfoxyde chiral, 59 superposable, 1 supramoléculaire, 4 sursaturation, 200 symbolisme de Hermann-Mauguin, 45 symétrie, 10, 45 symétrie spatiale, 45 syn, 36 synclinale, 36 synpériplanaire, 37 synthèse asymétrique, 2, 21, 22, 114, 146 asymétrique absolue, 129 diastéréosélective, 23, 115 énantiosélective, 23, 114 stéréosélective, 23 système CIP, 24 T tartrate double de sodium et de rubidium, 136 taxol, 3 technique chromatographique, 226 teicoplanine, 230 tenseur de polarisabilité, 156 tétraèdre, 48 tétravalence du carbone, 17 thalidomide, 179 thréo ou érythro, 35 thréose, 133 torsion, 31, 37 trans, 32 transformation asymétrique, 214 tri-o-thymotide, 203 triptycène, 73 trisphat, 225 U unlike, 42 V van’t Hoff, 17, 19 Vavon, 25 VCD, 147 Victor Meyer, 4, 19
Index vinification, 13 violation de la parité, 176 vues stéréoscopiques, 41
243 Whelk-O2, 228 Wislicenus, 18 Y
W yohimbine, 207 Walden, 143 Wallach, 19 Wasserman, 70 Werner, 3, 4, 19, 21, 26, 27, 61, 76, 77 Whelk-O1, 228
Z Z, 32, 101 zusammen, 101