L'EXPERTISE PSYCHOLÉGALE Balises méthodologiques et déontologiques
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L'EXPERTISE PSYCHOLÉGALE
Balises méthodologiques et déontologiques
Sous la direction de LOUIS BRUNET
2001 Presses de l'Université du Québec Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bur. 450 Sainte-Foy (Québec) Canada G1V 2M2
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Données de catalogage avant publication (Canada) Vedette principale au titre L'expertise psycholégale : balises méthodologiques et déontologiques Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-7605-1016-6 1. Psychologie légale. 2. Psychologie légale - Québec (Province). 3. Expertises. 4. Psychologie légale - Aspect moral. 5. Psychologues - Déontologie. 6. Psychologie criminelle. 7. Psychodiagnostics. I. Brunet, Louis, 1951 K5462.E96 1999
347'.006'019
C99-941267-1
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AVANT-PROPOS
L'expertise psycholégale Balises méthodologiques et déontologiques LOUIS BRUNET
L'expertise psycholégale est un champ de pratique qui se développe rapidement. Subissant à la fois les influences américaine et européenne, les tribunaux québécois ont de plus en plus recours aux experts et, particulièrement aux psychologues, lors de litiges, de poursuites et de revendications diverses. Les psychologues sont ainsi appelés à se prononcer à titre d'experts dans plusieurs grands secteurs •
Au Tribunal de la jeunesse, en matière de protection ou de délinquance.
•
Au Tribunal de la famille, dans les situations de séparation parentale et de divorce, en matière de droits d'accès et de garde d'enfant.
•
Au Tribunal de la famille, en cour criminelle ou au Tribunal de la jeunesse, dans les allégations d'agression sexuelle impliquant des enfants, principalement pour évaluer les facteurs psychologiques qui y sont associés et donner une opinion sur la probabilité que l'allégation soit véridique en l'absence de preuves matérielles.
•
Auprès de divers tribunaux et instances administratives, dans les situations d'accidents ou de traumatismes pour évaluer les séquelles neuropsychologiques ou des séquelles psychologiques (réaction de stress post-traumatique, dépression, etc.).
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L'expertise psycholégale
• Auprès du Service de libérations conditionnelles ou des centres correctionnels, pour évaluer la dangerosité d'un individu. Chacun de ces secteurs et domaines d'expertise psycholégale exige une formation poussée de la part du psychologue ainsi que le recours à une méthodologie éprouvée qui s'accorde avec les développements récents de la psychologie, de la psychopathologie et des techniques d'évaluation. Les connaissances évoluent vite dans ces domaines. Ainsi un instrument qui semblait prometteur il y a seulement quelques années peut être complètement dépassé aujourd'hui. Pensons, par exemple, à l'utilisation des poupées sexuées en évaluation des allégations d'agression sexuelle impliquant des enfants. D'autre part, de plus en plus de jeunes psychologues sont appelés à effectuer une partie importante de leur pratique dans les domaines du diagnostic et de l'évaluation psycholégale. La formation reçue à l'université, si elle les prépare à effectuer un diagnostic permettant d'identifier certaines psychopathologies et à orienter un traitement, ne les prépare pas nécessairement à la pratique particulière de l'expertise psycholégale dont les exigences spécifiques, tant sur le plan des connaissances et de la méthodologie qu'au plan des pièges et embûches spécifiques à cette pratique, doivent être maîtrisées après la diplomation. Bien qu'on puisse s'attendre à ce que seuls les jeunes psychologues soient susceptibles de commettre des erreurs méthodologiques et déontologiques, il importe de rappeler que des psychologues d'expérience utilisent parfois des méthodologies d'évaluation qui ne tiennent pas compte des récents développements de leur domaine d'expertise. Quand on sait qu'environ 40 % des plaintes du public et des demandes d'enquêtes au bureau du syndic de l'Ordre des psychologues du Québec concernent l'expertise psycholégale, il apparaît utile, sinon impérieux, pour tous les psychologues de constamment remettre à jour leurs connaissances et leurs méthodologie. En ce sens, la formation continue dans le domaine de l'expertise psycholégale est un nécessité incontournable. Le but premier de ce livre est donc de faire le point sur les connaissances et les méthodologies de pratique de l'expertise psycholégale en 1999. En proposant, ainsi rassemblés, des textes pouvant servir de balises, tant à de jeunes psychologues qu'à des psychologues d'expérience, ce livre permettra aux uns et aux autres d'être à la fine pointe des connaissances dans leur domaine. En outre, les auteurs des différents chapitres présentent les méthodologies d'évaluation de façon ni dogmatique ni arbitrairement restrictive. Ainsi les recommandations de pratique sont présentées sous forme de balises ou de guides méthodologiques qui laissent place aux variations personnelles ou théoriques imposées par l'expérience professionnelle de chacun. Cependant, comme ces balises s'appuient solidement sur les écrits pertinents actuels, le psychologue expert pourra s'y fier afin d'être adéquatement soutenu dans son travail.
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Avant-propos
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La contribution d'experts s'avérait particulièrement importante pour faire un tour des balises méthodologiques, cliniques et déontologiques de ces divers champs de l'expertise psycholégale. Ce livre nécessitait la contribution d'auteurs qui, non seulement pouvaient témoigner d'une pratique de psychologie légale pertinente et d'expérience, mais qui avaient longuement réfléchi, publié et enseigné dans le domaine de la méthodologie d'évaluation et de l'expertise psycholégale. Nous avons eu le bonheur d'obtenir la collaboration de cliniciens et de chercheurs qui remplissent de façon éloquente ces conditions. Nous les remercions vivement de leur contribution remarquable. Ces auteurs sont tous des experts reconnus dans leurs milieux, des cliniciens et professeurs de renom dont la réputation d'excellence dépasse largement les frontières du Québec. Quelques chapitres du livre portent sur des considérations générales entourant le domaine de l'expertise psycholégale. Ainsi, d'entrée de jeu, Michel Sabourin, Louis Brunet et Pierre-Yves Létourneau situent le rôle du psychologue dans le système judiciaire, puis Michel Sabourin et la renommée psychologue américaine Lenore Walker présentent un aperçu des principales tendances dans la recherche contemporaine en psychologie légale. Louis Gélinas, qui est à la fois psychologue et avocat, traite spécifiquement de l'utilisation des témoins experts dans les cours au Québec, puis Dianne Casoni présente ses réflexions sur un débat au sujet de la légitimité de la présence des experts en psychologie dans les tribunaux, vu le type de renseignements qu'ils peuvent apporter et le type d'instruments qu'ils utilisent. Bien qu'une place privilégiée soit accordée à la déontologie et à l'éthique dans tous les textes, une réflexion approfondie sur le sujet est, en plus, proposée par Brunet et Sabourin. Ce texte, en plus de situer les différentes éthiques guidant le monde des services psychologiques, applique à l'expertise psycholégale, un cadre déontologique issu de ces réflexions éthiques. Le chapitre suivant propose des interprétations claires de divers articles du code de déontologie s'appliquant à l'expertise psycholégale ainsi que des modèles d'ententes, de mandats et de formulaires que les psychologues pourront aisément adapter à leur pratique. Par la suite, le livre présente une série de chapitres portant sur des domaines spécifiques de pratique et sur les méthodologies appropriées à chacun de ces domaines. Les champs spécifiques suivants sont alors abordés : l'expertise en matière de garde d'enfants et de droits d'accès (Brunet, Sabourin, Létourneau); un domaine d'expertise très difficile et délicat, celui touchant les agressions sexuelles (Casoni) ; un champ en expansion, celui de l'expertise neuropsychologique (Chatelois, Bérubé, Petel) ; un domaine semé d'incertitudes et d'inconnu, l'évaluation de la dangerosité (Granger, Chevrel) ; et enfin, l'évaluation des séquelles psychologiques (Brunet). Dans tous ces chapitres, les auteurs, en plus de faire le point sur les connaissances scientifiques et professionnelles spécifiques au domaine d'expertise, présentent une méthodologie éprouvée, basée sur les
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L'expertise psycholégale
travaux scientifiques les plus récents tout en tenant compte des recommandations précises émises au cours des dernières années par des organismes comme PAPA aux États-Unis, ou l'OPQ au Québec. D'ailleurs, plusieurs des auteurs de ces chapitres sont aussi auteurs de guides de pratique qui ont été publiés par l'Ordre des psychologues du Québec (Louis Brunet, Dianne Casoni, Pierre-Yves Létourneau, Michel Sabourin). Ainsi, un chapitre propose trois illustrations d'expertises psycholégales présentées sous forme de trois rapports d'évaluation. Enfin le livre se termine sur des chapitres traitant de l'utilisation d'outils diagnostiques. Michel Parisien, clinicien reconnu pour son expertise en matière d'instruments nomothétiques, situe l'utilisation du MMPI et du MCMI en expertise psycholégale. Louis Brunet fait de même pour les instruments projectifs. Dianne Casoni, quant à elle, effectue une analyse fouillée, et appuyée par un littérature imposante, des grilles de validation de témoignages d'enfants dans les cas d'allégation d'agression sexuelle. En terminant, et au nom de mes collègues, je tiens à rappeler à la mémoire de tous les lecteurs, notre collègue et ami, Pierre-Yves Létourneau, dont le décès, en cours de rédaction, nous a touché et profondément attristé. Ce livre lui est dédié.
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TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos ..................................................................................................................... vii Louis Brunet
PARTIE 1 Le psychologue expert
CHAPITRE 1 Le psychologue dans le système judiciaire.................................................... 3 Michel Sabourin, Louis Brunet et Pierre-Yves Létourneau 1.1. Considérations historiques ......................................................................... 3 1.2. Les principaux champs d'application ........................................................ 6 1.2.1. Le témoin expert ......................................................................... 6 1.2.2. Le psychologue conseil ............................................................. 10 1.2.3. Le médiateur familial ................................................................ 12 1.2.4. Le psychologue oeuvrant au seindes services correctionnels .... 13 1.3. Les exigences en termes de formation et d'expérience ........................... 14 1.3.1. Formation universitaire ..............................................................14 A. La formation du témoin expert ......................................... 15 B. La formation du psychologue conseil ............................... 15 1.3.2. Formation supplémentaire .........................................................16 1.3.3. Expérience .................................................................................17 1.4. Le témoignage à la cour .......................................................................... 18 1.4.1. Considérations générales ...........................................................18 1.4.2. L'assignation d'un témoin ...........................................................18 1.4.3. L'admissibilité comme expert ....................................................19 1.4.4. La préparation du témoignage ...................................................19 1.4.5. Le témoignage de l'expert ..........................................................20 A. L'interrogatoire .................................................................. 21 B. Le contre-interrogatoire .................................................... 21
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L'expertise psycholégale
1.5. Conclusion ............................................................................................. 22 1.6. Références ............................................................................................. 22 CHAPITRE 2
Recherches contemporaines en psychologie légale.................................... 25 Michel Sabourin et Lenore E.A. Walker
2.1. Perspective historique ............................................................................ 26 2.2. Les domaines de recherche en psychologie légale ................................ 29 2.2.1. Le jury : sa sélection et la dynamique de son fonctionnement ......................................................... 30 2.2.2. Le témoignage oculaire ........................................................... 34 A. La fidélité de la mémoire du témoin oculaire ................. 34 L'acquisition ................................................................... 34 L'entreposage ................................................................. 35 Le rappel ........................................................................ 36 B. Les facteurs qui affectent les croyances du juré .............. 37 2.3. Conclusion ............................................................................................. 38 2.4. Références ............................................................................................. 39 CHAPITRE 3 L'utilisation des témoins experts dans les cours de justice au Québec .............................................................. 45 Louis Gélinas 3.1. Pourquoi un avocat fait-il appel aux services d'un psychologue expert ? ................................................................. 47 3.1.1. Le témoignage du psychologue expert en matière de protection de la jeunesse ................................ 48 3.1.2. Le témoignage du psychologue expert en matière de garde et de droit d'accès ................................. 52 3.1.3. Le témoignage du psychologue expert en matière criminelle ........................................................... 56 A. Le syndrome de la femme battue : l'affaire Lavallée...... 56 B. Le témoignage des enfants victimes d'abus sexuels ................................................................ 58 C. Le profil psychologique des agresseurs sexuels ............. 60 3.2. Ce que l'avocat est en droit d'attendre du psychologue expert ...................................................................... 63 3.3. Ce que le psychologue expert est en droit d'attendre de l'avocat ......................................................................................... 64 3.4. Le témoignage du psychologue devant le tribunal ................................ 65 3.4.1. Le témoignage « facultatif » du psychologue ........................ 65 3.4.2. Le témoignage « forcé » du psychologue ............................... 69
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Table des matières
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3.5. La responsabilité civile et professionnelle des psychologues experts .................................................................. 70 3.6. Conclusion ............................................................................................. 74 CHAPITRE 4 Réflexions sur la légitimité du psychologue comme expert ............................................................................................. 77 Dianne Casoni 4.1. Le psychologue comme expert .............................................................. 78 4.2. Psychologue : expert légitime ? ............................................................. 78 4.3. Références ............................................................................................. 81
PARTIE 2 Éthique et déontologie CHAPITRE 5 Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale ........................................................................... 85 Louis Brunet et Michel Sabourin 5.1. Introduction : éthique et déontologie .......................................................85 5.1.1. Définitions et différences ..........................................................85 5.1.2. Principes éthiques appliqués en déontologie ............................87 5.2. Grands principes éthiques et déontologiques appliqués à l'expertise psycholégale ...................................................................88 5.2.1. L'éthique des droits ...................................................................88 5.2.2. L'éthique de la responsabilité ....................................................89 5.2.3. L'éthique du moindre mal ..........................................................90 5.2.4. La recherche du meilleur intérêt de l'enfant ..............................91 5.2.5. Respect de la démarche scientifique .........................................93 5.2.6. L'impartialité .............................................................................95 5.2.7. L'idéal d'objectivité ...................................................................96 5.2.8. La fiabilité .................................................................................97 5.2.9. La confidentialité ......................................................................98 5.2.10. Principales limitations au secret professionnel s'appliquant à la pratique de la psychologie ........................ 100 5.2.11. La non-discrimination .......................................................... 102 5.3. Quelques problèmes éthiques et déontologiques en expertise psycholégale ................................................................. 102 5.3.1. Les doubles mandats ............................................................... 102 5.3.2. Évaluer les deux parents dans un litige de garde ..................... 105
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L'expertise psycholégale
5.3.3. La tenue de dossier et la divulgation du dossier ....................... 106 5.3.4. Tarifs et honoraires ................................................................... 107 5.3.5. L'entente écrite .......................................................................... 111 5.4. Références ................................................................................... 112 CHAPITRE 6 La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale .......................................................................... 115 Louis Brunet, Dianne Casoni et Michel Sabourin 6.1. Analyse et interprétation du code de déontologie de l'Ordre des psychologues du Québec en lien avec la pratique de l'expertise psycholégale ....................................... 117 6.2. Modèles d'ententes d'expertise psycholégale .......................................... 123
PARTIE 3 Les principaux champs d'expertise CHAPITRE 7 La garde d'enfant et les droits d'accès ....................................................... 133 Louis Brunet, Michel Sabourin et Pierre-Yves Létourneau 7.1. Le rôle du psychologue dans les expertises reliées à la garde d'enfant et aux droits d'accès .................................. 133 7.2. Les mandats d'expertise en matière de garde et de droits d'accès .............................................................................. 135 7.2.1. Clarification de la nature et des limites du mandat .................. 135 7.2.2. Mandats successifs et conflits de rôles .................................... 136 7.2.3. Acceptation du mandat ............................................................ 136 7.2.4. Modification du mandat initial ................................................ 137 7.3. Les types de mandats les plus fréquents ................................................ 137 7.3.1. Évaluation complète à la demande d'une des parties ............... 137 7.3.2. Évaluation complète à la demande des parties (mandat conjoint) ................................................................. 138 7.3.3. Évaluation partielle à la demande d'une des parties.................................................................... 139 7.3.4. L'expertise à la demande de la cour ......................................... 139 7.3.5. Le comité d'experts .................................................................. 139 7.3.6. Critique d'une expertise ........................................................... 140 7.3.7. Le consentement ...................................................................... 140 7.3.8. Contenu d'un formulaire de consentement .............................. 141 7.3.9. La clarification des honoraires et autres frais .......................... 142
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Table des matières
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7.3.10. Tarif horaire ou forfait ............................................................ 142 7.3.11. Présence en cour ..................................................................... 143 7.4. L'évaluation proprement dite .................................................................. 144 7.4.1. L'évaluation des parents ............................................................ 145 7.4.2. Méthode et techniques des évaluations parentales ..................... 146 7.4.3. Entrevues et instruments psychométriques avec les parents ..................................................................... 147 7.4.4. L'évaluation des besoins de l'enfant .......................................... 148 7.4.5. L'évaluation de l'enfant : paramètres d'évaluation ..................... 148 7.4.6. Méthodes et techniques dans l'évaluation de l'enfant ............................................................................. 149 7.4.7. Entrevues avec l'enfant ............................................................. 149 7.4.8. Observation et évaluation psychométrique de l'enfant ............................................................................. 150 7.4.9. L'évaluation de la relation parent-enfant .................................. 151 7.4.10. Technique de l'évaluation de la relation parent-enfant .................................................. 151 7.4.11. L'évaluation des autres personnes significatives ................... 152 7.4.12. Visites à domicile .................................................................. 152 7.4.13. Analyse et interprétation des résultats ................................... 153 7.4.14. Différents types de garde ....................................................... 153 7.4.15. La garde attribuée à un seul parent ........................................ 155 7.4.16. La garde partagée ................................................................... 155 7.5. Principales conclusions et recommandations ......................................... 156 7.6. La communication des résultats de l'évaluation ..................................... 157 7.6.1. Le rapport : règles de base ....................................................... 158 7.6.2. Le contenu du rapport .............................................................. 159 7.7. Conclusion ............................................................................................. 160 7.8. Références .............................................................................................. 160 CHAPITRE 8 L'évaluation dans les cas d'allégation de sévices sexuels ....................................................................161 Dianne Casoni 8.1. Le mandat ...............................................................................................162 8.2. Les divers contextes judiciaires ............................................................. 165 8.3. Méthodologie d'évaluation .....................................................................166 8.4. Abus ou sévices ......................................................................................166 8.5. Définition de l'agression sexuelle ........................................................... 167 8.6. Étapes évaluatives................................................................................... 169 8.7. Le rapport d'expertise .............................................................................176 8.8. Le témoignage à la cour .........................................................................177 8.9. Conclusion .............................................................................................178
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L'expertise psycholégale
Annexe A ..................................................................................................... 179 8.10. Références ........................................................................................... 179 CHAPITRE 9 L'expertise psycholégale neuropsychologique .......................................... 183 Jean Chatelois, Louise Bérubé et Marie-José Petel 9.1. Introduction ............................................................................................ 183 9.2. La neuropsychologie en tant que champ d'expertise .............................. 184 9.3. Une définition de l'expertise neuropsychologique .................................. 186 9.3.1 Sa fonction et ses buts ............................................................... 187 9.3.2. Les limites de l'évaluation neuropsychologique ....................... 187 A. Les limites inhérentes aux tests neuropsychologiques ...................................................... 188 B. Les facteurs personnels .................................................... 190 9.4. Considérations éthiques et déontologiques ............................................ 191 9.5. Le mandat ............................................................................................... 192 9.6. La méthodologie et les instruments ........................................................ 194 9.6.1. Consentement et autorisations ................................................. 194 9.6.2. La prise d'information sur l'histoire personnelle et médicale ........................................................................... 194 9.6.3. Observations cliniques ............................................................. 196 9.6.4. L'examen neuropsychologique ................................................ 196 A. Les sphères cognitives ..................................................... 196 L'attention ....................................................................... 196 La mémoire ..................................................................... 197 Le langage ...................................................................... 197 La perception .................................................................. 197 Les praxies ...................................................................... 198 Les fonctions exécutives et intellectuelles ..................... 198 B. La sphère affective et la personnalité .............................. 198 C. Domaines spécifiques d'aptitudes (s'il y a lieu) ............... 198 9.6.5. Les barèmes ............................................................................. 199 9.6.6. La règle de preuve et le lien de causalité ................................. 200 A. La cause ........................................................................... 201 B. Le mécanisme de production de la blessure ................... 201 C. La nature et l'intensité de la blessure .............................. 201 D. Le délai d'apparition des symptômes .............................. 202 E. La continuité évolutive des symptômes .......................... 202 9.7. Le rapport et le témoignage à la cour .....................................................202 9.8. Conclusion ..............................................................................................204 9.9. Références ..............................................................................................205
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CHAPITRE 10 L'évaluation de la dangerosité .................................................................. 207 Luc Granger et Alexandrine Chevrel 10.1. Définition 208 10.1.1. La dangerosité est une caractéristique d'un individu et non d'un acte ..................................................................... 208 10.1.2. La dangerosité inclut autant les comportements envers soi-même qu'envers les autres ................................... 208 10.1.3. La notion de dangerosité est orientée vers le futur.................. 209 10.1.4. La notion de dangerosité inclut autant les dommages physiques potentiels que les dommages psychologiques ....................................... 209 10.1.5. La notion de dangerosité n'est pas neutre culturellement et historiquement ......................................... 209 10.2. Rôle des psychologues ......................................................................... 210 10.2.1. Au niveau du procès .............................................................. 211 10.2.2. Au niveau de l'administration de la sentence ......................... 212 10.2.3. Au niveau de l'examen de la demande de libération conditionnelle ................................................. 212 10.3. L'évaluation de la dangerosité .............................................................. 212 10.3.1. Problématique ........................................................................ 212 A. La fréquence de ces comportements ................................ 213 B. La durée de validité de la prédiction ................................ 214 10.3.2. Techniques d'évaluation ........................................................ 215 10.3.3. Les prédicteurs qui sont utilisés ............................................ 218 10.3.4. Exemples de grilles actuarielles ............................................ 219 10.3.5. Le processus d'évaluation de la dangerosité .......................... 220 A. Qualification du psychologue ou de l'expert ................... 221 B. La question posée .............................................................221 Choix des instruments .....................................................222 La cueillette de données ..................................................222 La prudence .....................................................................223 10.4. Considérations éthiques ........................................................................223 10.4.1. Les préjugés personnels ..........................................................224 10.4.2. Le conflit de rôles ...................................................................224 10.5. Références .............................................................................................225 CHAPITRE 11 L'évaluation des séquelles psychologiques .................................................229 Louis Brunet
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CHAPITRE 12 De la théorie à la pratique : quelques illustrations ..................................235 Louis Brunet et Dianne Casoni Rapport d'expertise psycholégale complémentaire .......................................237 Rapport d'expertise psycholégale ..................................................................247 Rapport d'évaluation psychologique .............................................................254
PARTIE 4 Les instruments d'analyse CHAPITRE 13 Le MMPI et le MCMI en expertise psycholégale .....................................263 Michel Parisien 13.1. Introduction .......................................................................................... 263 13.1.1. Origines et développement du MMPI ................................... 264 13.1.2. Origines et développement du MCMI ................................... 269 13.1.3. Les luttes d'influence ............................................................. 270 13.2. La question des versions ...................................................................... 273 13.2.1. MMPI vs MMPI-2 ................................................................. 273 A. Pourquoi changer ? .......................................................... 273 B. Les vrais changements et les vraies questions ................. 274 C. Réponses à la première question de Strassberg ............... 275 D. Contexte psycholégal ...................................................... 276 E. Contestation de la première question ............................... 277 F. Réponses à la deuxième question de Strassberg .............. 277 G. Conclusion ....................................................................... 278 13.2.2. MCMI-I vs MCMI-II vs MCMI-III ....................................... 279 A. MCMI-I vs MCMI-II ...................................................... 279 B. MCMI-II vs MCMI-III ................................................... 280 13.3. Règles d'administration ........................................................................280 13.3.1. Facilité trompeuse, responsabilité éthique .............................280 13.3.2. Contexte de l'évaluation .........................................................280 13.3.3. Sujet agréé vs irrecevable capacité de lecture, âge chronologique, niveau intellectuel, aptitude mentale .................................... 282 13.3.4. Conditions d'examen .............................................................. 284 13.3.5. Consignes .............................................................................. 284 13.3.6. Versions abrégées .................................................................. 285 13.3.7. Traductions françaises ........................................................... 286
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13.4. Informatisation .................................................................................... 288 13.4.1. Le problème des droits réservés ............................................ 288 13.4.2. Interprétations informatisées avantages et inconvénients .................................................. 288 13.4.3. Responsabilité professionnelle ............................................. 289 13.5. Caractéristiques psychométriques et conséquences sur la pratique psycholégale : étalonnage, validité, fidélité 290 13.5.1. MMPI/MMPI-2 ..................................................................... 290 13.5.2. MCMI .................................................................................... 292 13.6. Effet des variables individuelles et contextuelles ................................ 293 13.6.1. Niveau socio-économique ..................................................... 293 13.6.2. Référence ou contexte ........................................................... 294 13.7. Deux cas litigieux au MMPI/MMPI-2: échelle K et items O vs S ................................................................... 296 13.8. Conclusion : et quoi encore ? .............................................................. 297 13.9. Références ............................................................................................ 299 CHAPITRE 14 Les grilles de validation de témoignages d'enfants analyse critique ........................................................................................... 309 Dianne Casoni 14.1. Grilles de validation de témoignages d'enfants .................................... 310 14.2. Analyse critique d'une grille de validation ........................................... 313 14.2.1. Les caractéristiques générales de la déclaration .................... 313 14.2.2. Les contenus spécifiques de la déclaration ............................ 316 14.2.3. Les particularités du contenu de la déclaration ...................... 319 14.2.4. Le contenu motivationnel présent dans la déclaration ................................................................ 322 14.2.5. Les éléments spécifiques à l'agression sexuelle dans la déclaration 324 14.3. Conclusion ............................................................................................324 14.4. Références .............................................................................................325 CHAPITRE 15 Les instruments projectifs en expertise psycholégale ...............................329 Louis Brunet 15.1. Instruments nomothétiques et idiographiques ......................................330 15.2. La « tâche » de projection ....................................................................332 15.3. L'utilisation psycholégale des instruments projectifs et leur statut scientifique ....................................................................333 15.4. Tests psychométriques ou techniques projectives? ..............................334 15.5. Le rôle des instruments projectifs dans un « psychodiagnostic» ..............................................................336
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15.6. Possibilités et limites des instruments projectifs en expertise psycholégale ..................................................................337 15.7. Instruments et méthodologies .............................................................341 15.7.1. Les principaux instruments projectifs pour les adultes ....................................................................341 15.7.2. Les principaux instruments projectifs pour les enfants ....................................................................343 15.7.3. Instruments projectifs particuliers ..........................................347 15.8. La possibilité de fraude ........................................................................348 15.9. Conclusions ..........................................................................................348 15.10. Références ..........................................................................................349
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Le psychologue expert
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CHAPITRE1
Le psychologue dans le système judiciaire MICHEL SABOURIN, Louis BRUNET et PIERRE-YVES LÉTOURNEAU
1.1. Considérations historiques Au Québec, il y a déjà plus de cinquante ans que l'on note un apport des psychologues dans le fonctionnement du système judiciaire. Au départ, c'est-àdire un peu après la Deuxième Guerre mondiale (1947: voir Arès, Boudreau et Ménard, 1987), c'est à titre de témoins experts devant les tribunaux pour des causes relevant essentiellement de l'aide à l'enfance que les psychologues ont fait leur marque pour déboucher vingt-cinq ans plus tard, soit au cours des années 1970, dans des causes relevant du droit de la famille (séparation et divorce) (Gélinas, Alain et Thomassin, 1994). C'est à cette époque que l'on a commencé à faire appel à l'expertise des psychologues pour obtenir des avis sur la capacité parentale et pour aider la cour à déterminer lequel des parents possédait la compétence suffisante pour que lui soit accordée la garde d'un enfant. Avec l'entrée en vigueur de la Loi fédérale des jeunes contrevenants, en 1982, qui a suivi de quelques années l'adoption et la d'une loi québécoise innovatrice en matière mise en vigueur
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de protection de la jeunesse (Loi de la protection de la jeunesse, 1974), c'est tout le domaine de la jeunesse (enfance et adolescence) qui est devenu le terrain privilégié d'expertise des psychologues. Cette présence des psychologues s'est tout de même manifestée d'une façon très graduelle et ne constituait certes pas un envahissement de la sphère juridique. Comme le rapportent Gélinas et al. (1994), en 1990, seulement 307 des 4 594 membres de la Corporation professionnelle des psychologues du Québec (CPPQ, Rapport annuel, 1991) disaient effectuer des expertises pour la cour avec une certaine régularité, sans que ce soit nécessairement leur activité principale ; et, à ce qu'il semble, la plupart de ces praticiens œuvraient déjà dans des domaines, comme les Centres de services sociaux, la Direction de la protection de la jeunesse, ou encore, des établissements carcéraux, où la présence en cour se situe habituellement dans le prolongement normal du travail clinique effectué. En pratique privée, à la même époque, seulement 228 membres de la CPPQ considéraient que l'expertise psycholégale constituait leur principale activité professionnelle ou une activité significative. Mais l'intérêt pour ce type de pratique est en constant développement, comme on peut d'ailleurs le constater en consultant les statistiques récentes de l'Ordre des psychologues du Québec (OPQ) ; en effet, à l'automne 1998, 295 psychologues en pratique privée considéraient l'expertise psycholégale comme leur principale activité professionnelle (OPQ, communication personnelle, le 20 octobre 1998). En 1991, lorsque la CPPQ décida de reconnaître les neuf principaux champs de pratique en psychologie, le domaine de la psychologie légale (expertise et consultation) fut retenu. Tout récemment, un autre domaine qui est une excroissance non litigieuse du droit de la famille, soit la médiation familiale, a commencé à prendre une ampleur justifiée par les modifications au Code de procédure civile du Québec qui en font une étape obligatoire dans toute procédure de divorce, ainsi que par la reconnaissance gouvernementale d'un acte partagé de médiation familiale (par les psychologues, les travailleurs sociaux et les conseillers d'orientation, du côté des sciences humaines, et par les avocats et les notaires, du côté des sciences juridiques). Dans le domaine du droit criminel, l'implication des psychologues a beaucoup plus tardé à apparaître que dans les domaines précédemment mentionnés. En effet, tout comme c'était le cas chez nos voisins du Sud, c'est l'expertise psychiatrique qui a longtemps dominé dans les cours criminelles toutes les questions ayant trait à la détermination des troubles mentaux ou de l'aliénation mentale, ou encore à l'aptitude à subir un procès. Mais tout comme des changements significatifs à cet effet se sont produits depuis quelques années aux É.-U., on remarque également au Canada une implication croissante des psychologues dans ce qui était auparavant considéré comme une chasse gardée médicale.
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Le psychologue dans le système judiciaire
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C'est avec l'arrêt Abbey, de la Cour suprême du Canada, en 1982, que des critères canadiens d'admissibilité à l'expertise ont été définis clairement et qu'il a été établi que le témoin expert a pour principal rôle d'assister le juge des faits en aidant à sa compréhension, en lui permettant de faire des inférences et de tirer des conclusions sur des sujets dont la complexité technique ou la portée scientifique dépassent les connaissances et l'expérience du commun des mortels (Macartney-Filgate et Snow, 1997). Quelques années plus tard (Arrêt Béland, 1988, Cour suprême du Canada), il a été réitéré que c'est uniquement à cette condition que le témoignage d'un expert peut être admissible et que le même témoignage est tout à fait superflu si la matière faisant l'objet d'une expertise tombe sous le sens commun. C'est sur cette base d'expertise, incluant non seulement la formation, mais également l'expérience acquise, que les témoignages des psychologues en matière criminelle ont commencé à être de plus en plus admis dans les cours de justice. Plus récemment (Arrêt Mohan, 1994, Cour suprême du Canada), il a été précisé que l'admissibilité d'un témoignage expert doit reposer sur un domaine reconnu de spécialité ou d'expertise, qui relève directement et logiquement des circonstances de l'espèce et qui est requis par le juge des faits. Il faut dire que la Cour suprême, dans l'Arrêt Lavallée (1990), qui a jeté les bases au Canada de la défense basée sur le syndrome de la femme battue, avait déjà reconnu que les affaires possédant une incidence psychologique requièrent habituellement une preuve d'expert parce que la compréhension du comportement humain n'est pas à la portée du premier venu et exige des études spécialisées. Tout récemment (le 25 mars 1999), la Cour suprême, dans Jones c. Smith et Southam inc., a précisé les limites du secret professionnel et défini l'exception relative à la sécurité publique applicable autant à l'avocat qu'au médecin psychiatre. Il arrive souvent que l'on demande à des psychologues d'intervenir dans des dossiers de la cour et de devenir ainsi, sans jamais l'avoir prévu, des témoins experts ou des témoins de faits. Et ce, même s'ils n'ont jamais choisi volontairement d'œuvrer dans le domaine de l'expertise psycholégale. Ceci s'explique par le fait que l'opinion du psychologue est de plus en plus en demande et peut s'appliquer à une gamme étendue de problèmes à incidence juridique. Ainsi, le fait d'avoir eu en thérapie un client qui est plus tard accusé de violence conjugale, ou encore d'avoir procédé à l'évaluation d'un enfant qui fait subitement l'objet d'une dispute de garde, peuvent amener un psychologue à devoir rendre un témoignage en cour. Même les psychologues en milieu académique qui agissent essentiellement comme chercheur ou enseignant n'échappent pas à cette possibilité ; on peut en effet les appeler à la barre pour témoigner sur des aspects précis qui touchent à leur domaine d'expertise (par exemple, sur le témoignage oculaire pour des chercheurs en mémoire ou en perception), ou encore pour présenter des données pertinentes issues de projets de recherche ou même de l'information concernant des participants ou sujets de recherche. Ici, comme dans la
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plupart des cas, il faudra toutefois tenir compte du droit à la confidentialité prévu par la Charte québécoise des droits et libertés et de la nécessité d'obtenir, s'il y a lieu, le consentement préalable des personnes concernées avant de pouvoir témoigner. Nous reviendrons plus loin sur cette épineuse question. La notoriété du psychologue en tant qu'expert n'est sans doute pas étrangère à la nature même de sa formation (plus particulièrement illustrée par le fameux modèle scientifique-professionnel) et à sa pratique clinique basée sur un modèle d'acquisition scientifique des connaissances (observation - hypothèse vérification de l'hypothèse par des méthodologies appropriées - analyse des résultats avec confirmation ou invalidation de l'hypothèse); en effet, la philosophie du travail du psychologue est fondamentalement empirique et colle sans doute davantage au processus hypothético-déductif tant privilégié par le système juridique. Dans la plupart des cas, les psychologues à qui l'on demande ainsi de participer au bon fonctionnement du système judiciaire n'ont pas la préparation ni l'expérience requises et la perspective de se retrouver à la barre des témoins n'est certes pas, pour eux, des plus réjouissantes. Il importe donc de leur fournir au moins quelques éléments essentiels afin qu'ils puissent oeuvrer efficacement et sans trop d'anxiété dans ce nouveau milieu de travail. C'est d'ailleurs l'un des buts poursuivis par des chapitres comme celui-ci. Par ailleurs, un nombre grandissant de psychologues, comme nous l'avons indiqué précédemment, a choisi d'œuvrer à temps plein ou d'une façon significative dans le milieu judiciaire et pour eux, l'expertise psycholégale (et la possibilité qui en découle de témoigner devant une cour de justice) est beaucoup plus qu'un incident de parcours. C'est à eux également que s'adresse ce chapitre afin de leur permettre de parfaire leurs connaissances des rouages complexes de l'expertise ou, à tout le moins, de mettre un peu d'ordre dans ce qu'ils savent déjà Dans les sections suivantes, nous allons examiner d'une façon approfondie les diverses facettes de l'expertise psycholégale, pour en préciser les différents domaines d'application, ainsi que les préalables en termes de formation universitaire et d'expérience pratique. Enfin, nous présenterons les aléas du témoignage expert avec ses particularités et les pièges à éviter.
1.2. Les principaux champs d'application 1.2.1. LE TÉMOIN EXPERT Le fait d'être membre de l'Ordre des psychologues du Québec, bien qu'il autorise légalement un individu à porter le titre réservé de « psychologue », ne confère pas automatiquement le titre et la capacité d'agir comme témoin
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expert. Même le fait que les services d'un psychologue soient retenus par un avocat ne garantit pas d'une façon absolue que la cour reconnaîtra la qualité d'expert de celui-ci et en autorisera le témoignage. A contrario, quelqu'un qui n'est pas membre d'un ordre professionnel pourrait être autorisé à agir comme expert en matière psychologique. Donc, la reconnaissance d'expertise ne découle pas de la reconnaissance légale au plan professionnel. Les deux principaux critères qu'utilisent habituellement les juges pour décider de la qualité d'expert sont la formation et l'expérience, bien appuyés par des faits vérifiables. Aussi, il arrive souvent que l'on tienne également compte de la formation continue (ou supplémentaire) qu'un individu a suivie, de son expérience comme chercheur, des ouvrages ou articles scientifiques qu'il a publiés, de son milieu de travail et de sa connaissance d'instruments psychométriques précis particulièrement pertinents à une cause. Par ailleurs, dépendant de la cause, il arrive que la pondération ou l'importance accordée à chacun des facteurs que nous venons d'énumérer soit différente. Bien souvent, c'est la combinaison de plusieurs facteurs précédents, plutôt que la possession d'un seul, qui détermine la reconnaissance de l'expertise. Il arrive donc que des chercheurs ne possédant à peu près aucune expérience professionnelle, ou que des gens possédant une formation ou une expérience bien minimales, ne soient pas reconnus comme experts. Le fait d'avoir déjà été reconnu expert dans des causes antérieures, qui dénotent une certaine similarité avec la cause actuelle, est bien souvent un critère additionnel. La première phase, qui précède tout témoignage expert, est la reconnaissance formelle par la cour de la qualité d'expert du témoin. Donc, c'est à cette étape qu'il y a discussion et que, parfois, des objections à cette reconnaissance soient formulées par la partie adverse ; c'est ultimement le juge qui aura à décider, après avoir soupesé les arguments favorables et défavorables présentés par les parties. Et il n'y a rien d'automatique là-dedans ; il nous est arrivé de voir un psychologue américain expérimenté dans un domaine très précis, par ailleurs ésotérique, être refusé comme expert parce qu'il avait obtenu un doctorat par correspondance ! Il est donc fort important que quiconque aspire à cette reconnaissance, et même les experts les plus aguerris, soient bien préparés à répondre à toutes les questions soulevées et qu'ils puissent faire une démonstration particulièrement claire et convaincante de leur formation et de leur expérience pertinentes; ceci se fait habituellement au moyen du curriculum vitae de l'expert potentiel qui doit refléter l'ensemble des accomplissements pertinents qui appuient le statut d'expert recherché et que l'on a pris soin de mettre à jour. Bien qu'il n'existe pas à proprement parler, ni au Québec ni ailleurs au Canada (Service et al., 1994), un système officiel de reconnaissance des différentes spécialités en psychologie, on demande souvent aux experts potentiels d'indiquer leur domaine de spécialité. L'expert peut alors indiquer le
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ou les domaines dans lesquels il exerce habituellement sa profession ou dans lesquels il a reçu une formation plus approfondie ou, encore, le domaine dans lequel il aurait développé une compétence et des connaissances poussées. Cependant, malgré le sens commun du terme de spécialiste, il doit prendre bien soin de ne pas s'attribuer le qualificatif de « détenteur d'une spécialité » ou laisser entendre qu'il détient un certificat de spécialiste, car ce faisant, il pourrait commettre un acte dérogatoire à l'honneur et à la dignité de la profession. En effet, dans le Code des professions (L.R.Q., Chapitre C-26), l'article 58 stipule clairement : « Nul ne peut utiliser un titre de spécialiste ni agir de façon à donner lieu de croire qu'il est spécialiste, s'il n'est titulaire d'un certificat de spécialiste approprié. » Par ailleurs, il arrive quelquefois que des psychologues québécois ou canadiens ont pris la peine d'obtenir un certificat de reconnaissance de leur « spécialité » d'un organisme américain, tel l'American Board of Examiners in Professional Psychology (ABPP), après avoir passé les examens appropriés et fait la démonstration qu'ils rencontrent les exigences de cet organisme. L'ABPP reconnaît officiellement les six spécialités suivantes : psychologie clinique, psychologie du counseling, psychologie scolaire, psychologie industrielle et organisationnelle, neuropsychologie et psychologie légale (« forensic psychology »). Il est alors tout à fait approprié qu'ils en fassent part à la cour, car cette reconnaissance constitue indéniablement un moyen objectif et indépendant permettant d'évaluer la qualité d'expert d'un témoin. Dans un autre ordre d'idées, il arrive que lors de son passage à la barre, l'on s'adresse au psychologue en utilisant le titre de « docteur ». Si le témoin a effectivement obtenu un diplôme de doctorat en psychologie ou dans un domaine connexe, il n'y a pas de mal à se voir attribuer le titre auquel il a droit. Mais si, par contre, il ne détient, par exemple, qu'une maîtrise, il est recommandé d'en informer immédiatement son interlocuteur. Même informé, il peut arriver que ce dernier continue d'utiliser ce titre; ce n'est plus alors la responsabilité du témoin, puisqu'il a déjà apporté la précision requise. Cependant, le fait de se laisser attribuer un titre auquel on n'a pas droit peut constituer un acte dérogatoire et entraîner des conséquences disciplinaires. Le fait d'être reconnu expert permet au psychologue de témoigner non seulement de faits dont il pourrait avoir eu connaissance et qui sont pertinents à la cause, mais également de donner son opinion professionnelle par rapport à des entrevues qu'il a menées ou des examens qu'il a fait subir à l'une ou l'autre des parties ; en d'autres termes, cette reconnaissance autorise l'expert à témoigner par ouï-dire (c'est-à-dire à donner son opinion sur des faits dont il n'a pas eu personnellement connaissance), ce qui, sauf à de très rares exceptions, est interdit au témoin de fait. La Loi sur la preuve au Canada (L.R.C., 1985, ch. C5) précise d'ailleurs à l'article 7 le rôle du témoin expert et les limites qui lui sont imposées : « Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute
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autre partie, se propose d'interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside. » Aussi, le fait d'être reconnu expert n'a pas vraiment d'influence sur la crédibilité qui sera accordée à un témoin ou sur le poids qu'aura son témoignage. Contrairement à l'admissibilité sur laquelle l'expert n'a aucun contrôle, sa crédibilité, le poids qui sera accordé à son témoignage et l'influence que ce témoignage exercera sur le résultat du procès tombent davantage sous son contrôle. Donc, si un expert n'est pas jugé très crédible, l'impact de son témoignage sera faible ou nul. D'autre part, un expert dont la crédibilité est élevée, aura souvent une influence prépondérante. Qu'est-ce qui peut jouer pour augmenter ou diminuer la crédibilité d'un témoin expert ? Plusieurs facteurs, comme le nombre d'années d'expérience professionnelle, le grade universitaire (maîtrise ou doctorat), ainsi que des éléments de perception ou d'image professionnelle, tels l'apparence, l'honnêteté ou l'objectivité des propos, le degré de confiance et la facilité d'expression, la qualité du travail professionnel accompli ou des rapports soumis, vont tous plus ou moins moduler la crédibilité accordée à l'expert. Mais certains éléments vont sans doute entraîner une plus grande pondération que d'autres, par exemple, l'objectivité. Ainsi, bien entachée sera la crédibilité d'un psychologue dont les rapports et les témoignages fournissent toujours, sans trop de nuances et de discernement, l'opinion recherchée par la partie qui retient ses services, même si ce n'est pas objectivement la conclusion qui devrait découler de l'ensemble des données recueillies, et qui, au fil des ans, a acquis la réputation d'être un expert biaisé (hired gun). Par ailleurs, un expert qui est perçu comme étant au-dessus de la mêlée, qui effectue un travail de qualité et qui présente toujours des conclusions dont tous reconnaissent l'objectivité, acquiert très rapidement dans les cercles juridiques une réputation d'impartialité et ses opinions deviennent très recherchées. A contrario, qui voudrait d'un expert dont on sait qu'il favorise toujours indûment la partie qui retient ses services et qui a tendance à tourner les coins ronds dans son travail professionnel ? Les juges identifient très rapidement ce genre d'expert et n'accordent habituellement pas beaucoup de crédibilité à ses propos. Par ailleurs, quelqu'un à qui l'on reconnaît une expertise particulière très forte dans un domaine spécialisé a des chances de voir sa crédibilité grandement reconnue. Enfin, il importe de souligner qu'un témoignage basé sur des données objectives (comme les résultats d'un test reconnu valide) sera toujours beaucoup plus apprécié qu'un témoignage basé uniquement sur des données subjectives (par exemple, les propos du client) ou sur une opinion professionnelle.
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1.2.2. LE PSYCHOLOGUE CONSEIL Un autre rôle du psychologue dans le système judiciaire, rôle par ailleurs beaucoup moins fréquent que celui de témoin expert, est celui de psychologue conseil. Inconnu il y a à peine quelques années, ce nouveau rôle se développe lentement au Québec, dans le sillage de l'expérience américaine du début des années 1970 sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin. C'est ainsi que certains psychologues jouent un rôle conseil auprès d'avocats criminalistes dans la préparation d'un procès d'assises, c'està-dire un procès devant jury. Pour un avocat, le procès devant jury représente un défi bien spécial. Au lieu de convaincre un juge formé comme lui, en utilisant des arguments légaux et une jurisprudence qu'ils connaissent bien tous les deux, il doit plutôt composer avec douze personnes naïves et inexpérimentées au plan juridique, souvent pressées d'en finir, susceptibles de s'être déjà formé une idée quant à la culpabilité ou l'innocence de l'accusé et qui vont prendre une décision en fonction de leur interprétation bien personnelle des directives en droit du juge qui préside le procès. L'implication des psychologues dans la préparation d'un procès devant jury a débuté aux États-Unis au début des années 1970, donc en plein coeur de la guerre du Vietnam, par le retentissant procès des Sept de Harrisburg (Schulman et al., 1973). Il s'agissait de prêtres et de religieuses catholiques accusés par le gouvernement américain d'avoir comploté pour incendier des bureaux de recrutement militaire, pour détruire des lettres de notification pour le service militaire, et même, pour kidnapper Henry Kissinger ! Le choix par le gouvernement de la ville de Harrisburg, Pennsylvanie, une région ultraconservatrice, comme site du procès, avait profondément choqué l'opinion publique américaine. Ainsi, des universitaires opposés à la guerre du Vietnam sont-ils venus prêter main-forte à la défense lors de la sélection du jury pour tenter, en quelque sorte, de rétablir l'équilibre (Sabourin, 1995). Ils fondèrent leur définition du profil du juré idéal pour ce procès sur des données démographiques et attitudinales obtenues par sondage. Le résultat fut un désaccord du jury (10 jurés en faveur de l'acquittement et 2 irréductibles en faveur de la culpabilité). Dans les circonstances et compte tenu du lieu où se déroulait le procès, ce résultat a été jugé impressionnant et tant les communautés légale que scientifique ont commencé à s'intéresser à la préparation « scientifique » des procès devant jury. Le psychologue conseil peut intervenir de différentes façons pour aider à la préparation d'un procès et plus particulièrement à la sélection du jury. Ce qui le distingue de l'avocat, c'est qu'il va utiliser des méthodes dites « scientifiques » ou « systématiques » au lieu de techniques basées essentiellement sur l'intuition et le gros bon sens.
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Une première intervention possible, c'est lorsque la cause qui sera entendue a fait l'objet d'un battage médiatique important, plus souvent qu'autrement préjudiciable à l'accusé. L'avocat de la défense s'interroge alors sur la possibilité que son client puisse jouir d'une défense pleine et entière si le procès se déroule, tel que prévu, dans le district judiciaire où l'infraction a présumément été commise. S'il pense que son client subira un préjudice, il peut alors songer à demander un changement de venue (lieu du procès). Mais il doit faire la preuve que ce changement est nécessaire à cause des opinions largement négatives et préjudiciables qui circulent. Pour ce faire, il peut s'appuyer sur les données d'un sondage réalisé scientifiquement, lesquelles données pourront également être utilisées pour la préparation du procès en général (on pourra tester l'efficacité de certains arguments de la défense et de la poursuite) et pour la sélection du jury en particulier (en aidant, par exemple, à la définition des profils favorable et défavorable). Un second type d'intervention que le psychologue conseil peut utiliser, surtout lorsqu'une affaire n'a pas été médiatisée, est la technique du procès simulé. Ainsi, il est possible en utilisant des comédiens qui agiront comme témoins et des avocats qui agiront en poursuite, en défense ou qui tiendront le rôle du juge, de simuler avec grand réalisme le procès à venir. On choisit alors un jury dans le même bassin de population que celui qui sera éventuellement retenu pour le procès et par l'enregistrement vidéo, le visionnement et l'analyse des délibérations de ces « faux » jurés, il est souvent possible d'obtenir de très précieuses informations sur la compréhension qu'ont des gens ordinaires de concepts légaux quelquefois très complexes et sur leur réaction face aux arguments de la poursuite et de la défense. Une variante beaucoup moins onéreuse (mais dont la validité est toutefois plus faible) consiste à résumer le procès (preuve de la poursuite, défense, plaidoiries, directives du juge, etc.) dans un texte écrit et de faire suivre la lecture de ce texte par des délibérations que l'on enregistre et que l'on écoute attentivement. On peut également demander aux jurés « simulés » de répondre à un questionnaire d'évaluation de la crédibilité des différents témoins ou de recueillir leur opinion sur différents aspects du procès. Enfin, lors de la sélection du jury, le psychologue conseil peut assister l'avocat dans cette tâche complexe et se déroulant souvent à vive allure à partir des profils préalablement établis. Il peut même, lorsqu'il est permis de poser des questions aux candidats (habituellement dans les causes hautement médiatisées), aider l'avocat à formuler celles-ci de façon à ce que les réponses puissent aider à la sélection. Aussi, certains avocats ont pris l'habitude de demander l'opinion du psychologue conseil par rapport à la structure et au contenu de leur plaidoirie. C'est ici qu'entrent en jeu les évaluations des effets de récence et de primauté (ou le degré d'importance de parler en premier ou de parler juste
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avant les délibérations, selon les cas), ainsi que l'utilisation efficace des principes de la communication persuasive (utilisation d'arguments unis ou bidirectionnels, etc.). Bref, au-delà de son rôle comme témoin expert, le psychologue possède souvent (nous y reviendrons) une formation et une expérience qui l'habilitent à offrir des services ou des conseils très précieux à un avocat criminaliste qui doit préparer un procès d'assises. Aux États-Unis, du fait qu'un grand nombre de procès civils se déroulent devant jury, ces services de préparation de procès et de sélection du jury sont très recherchés et ont donné naissance à une industrie florissante ; par ailleurs, au Canada, le développement est un peu plus lent, car les procès devant jury sont réservés à l'infime minorité des causes criminelles entendues par nos tribunaux. 1.2.3. LE MÉDIATEUR FAMILIAL Le ler juillet 1997, une nouvelle loi modifiant le Code de procédure civile concernant la médiation familiale est entrée en vigueur au Québec. Les couples avec enfants, qu'ils soient légalement mariés ou conjoints de fait, ont maintenant accès gratuitement aux services d'un médiateur professionnel pour la négociation et le règlement de toute demande de séparation, de divorce, de garde d'enfants, de pension alimentaire ou de révision d'un jugement existant. Cette médiation peut être volontaire et on peut y recourir avant d'entamer une procédure judiciaire ou en cours de procédure. Elle peut également avoir lieu à la suite d'une séance d'information sur la médiation, avant ou après le dépôt d'une demande en justice. Ou enfin, elle peut être ordonnée par le tribunal. Seuls des médiateurs professionnels accrédités, dont on trouve une description dans la loi et le règlement qui l'accompagne, sont habilités à offrir ce service. Et ce sont seulement les membres de cinq ordres professionnels, soit les avocats, les conseillers d'orientation, les notaires, les psychologues et les travailleurs sociaux, ainsi que les employés des Centres de protection de l'enfance et de la jeunesse (CPEJ), qui ont la possibilité d'être ainsi accrédités. La médiation familiale est donc devenue un acte professionnel réservé par la loi uniquement à ceux qui détiennent l'accréditation. Les psychologues qui désirent obtenir une telle accréditation doivent répondre à une série de conditions qui touchent autant le contenu que le niveau de sa formation et de son expérience. Au départ, il faut avoir suivi un cours de 40 heures en médiation familiale. Ce cours doit comporter au moins 5 heures de formation sur chacun des sujets suivants qui touchent à la séparation ou au divorce : 1) les aspects économiques, légaux et fiscaux; 2) les aspects psychologiques et psychosociaux; 3) la négociation (et notamment les obstacles à la négociation et l'équilibre des forces en présence) ; et 4) le processus de médiation comme tel (et ses aspects déontologiques). En
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plus, il faut avoir deux ans d'expérience dans l'exercice de son domaine de compétence. Une fois respectées les conditions que nous venons d'énumérer, l'accréditation est alors émise sur une base temporaire ; elle sera confirmée lorsque le psychologue aura complété, dans les deux ans de l'accréditation temporaire, 10 mandats de médiation familiale avec supervision et qu'il aura suivi une formation complémentaire de 45 heures. La supervision, quant à elle, doit s'exercer de la façon suivante : •
Pour 2 mandats de médiation globale (portant sur les 4 objets de la médiation, i.e. la garde des enfants, l'accès aux enfants, les aliments dus au conjoint ou aux enfants et le partage des biens), il doit y avoir au moins 4 séances de supervision en cours de mandat;
• Pour 3 autres mandats de médiation, il doit y avoir au moins 3 séances de supervision en cours de mandat; • Pour les 5 autres mandats de médiation, il doit y avoir au moins 1 séance de supervision en cours de mandat. La formation complémentaire de 45 heures qui est également exigée consiste en un approfondissement des sujets abordés dans la formation initiale, mais au moins la moitié des heures doivent être consacrées aux sujets complémentaires à la formation universitaire du psychologue. Cette formation doit aussi comporter au moins 3 heures de sensibilisation aux conditions de vie des personnes après une séparation ou un divorce. Le psychologue qui désire obtenir son accréditation comme médiateur doit s'adresser à son Ordre professionnel. Un formulaire approprié comprenant tous les renseignements ci-haut décrits lui sera remis. 1.2.4. LE PSYCHOLOGUE OEUVRANT AU SEIN DES SERVICES CORRECTIONNELS Plusieurs psychologues ont choisi d'oeuvrer au sein des services correctionnels (canadien ou québécois) soit à titre de psychologue, soit comme agent de libération conditionnelle. Il s'agit habituellement de psychologues cliniciens qui exercent leur métier auprès d'une population carcérale. Dans bien des cas, leur rôle principal consiste à faire des évaluations en vue de déterminer le degré de dangerosité d'un détenu en attente d'une décision de libération conditionnelle ou encore son degré de réhabilitation. Dans d'autres cas, les psychologues offrent de véritables services de consultation psychothérapeutique. Puisque le psychologue est à l'emploi d'un service correctionnel, mais qu'il dispense en même temps des services professionnels à un client, il arrive quelquefois que cette double allégeance entraîne des conflits entre les devoirs et les obligations respectives à l'égard de l'employeur et du client. Il est donc fort important, dans une pareille situation, de toujours préciser
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à son client détenu les limites de la confidentialité qui s'appliquent eu égard à la nature du service dispensé. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'une évaluation psychologique menant à un rapport qui sera transmis à d'autres instances correctionnelles, le psychologue doit toujours prendre soin d'indiquer à son client l'absence de confidentialité. Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de soins thérapeutiques, les règles habituelles doivent s'appliquer. 1.3. Les exigences en termes de formation et d'expérience Les différents champs d'application que nous venons de décrire n'ont pas les mêmes exigences en termes de formation universitaire ni en termes de l'expérience requise. Dans certains cas, il s'agit d'une formation relativement homogène, dans des cadres existants, qu'il suffit de compléter par quelques cours spécialisés. Dans d'autres cas, la formation de base est loin de satisfaire les exigences minimales et la formation complémentaire est beaucoup plus élaborée. 1.3.1. FORMATION UNIVERSITAIRE Les différentes fonctions exercées par le psychologue ne sont pas nécessairement associées au même cheminement universitaire. Ainsi, le témoin expert dont les services seront retenus, soit pour des évaluations (capacités parentales, abus physique ou sexuel, etc.) associées à des problématiques de garde d'enfants et d'accès, soit pour des évaluations d'aptitude à subir un procès ou de troubles mentaux (absence de responsabilité criminelle), soit pour tout type d'évaluation associée à l'état mental ou à la personnalité de son client, possédera généralement une solide formation en psychologie clinique. Ceci est également valable pour le psychologue oeuvrant dans le système carcéral, comme pour celui ou celle qui va offrir des services de médiation familiale. Par ailleurs, le psychologue conseil aura plutôt suivi un cheminement de recherche en psychologie sociale. Dans les lignes qui suivent, nous avons choisi de tracer en détail les exigences associées uniquement aux rôles de témoin expert et de psychologue conseil, puisque la formation associée au médiateur a été très bien décrite plus haut et que celle qui se rapporte au psychologue oeuvrant en milieu carcéral est essentiellement la formation clinique traditionnelle que nous décrirons pour le témoin expert, avec en plus une expérience de travail pertinente.
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A. La formation du témoin expert Une bonne formation de base du psychologue clinicien habilitant celui-ci à offrir des services d'expertise devrait normalement comporter les matières suivantes • Une bonne connaissance des principales problématiques éthiques associées à l'évaluation et à l'intervention, ainsi que l'apprentissage d'une méthode de résolution de dilemmes éthiques ; • Différents cours portant sur la mesure et l'évaluation de la personnalité par des techniques psychométriques (objectives et/ou projectives); • Différents cours portant sur le fonctionnement normal et la psychopathologie de l'enfance, de l'adolescence et de l'âge adulte; • Différents cours portant sur l'établissement d'un diagnostic psychologique selon un modèle reconnu de classification des troubles mentaux, comme par exemple le DSM-IV ; • Des stages d'initiation à la pratique, ainsi qu'un internat clinique. B. La formation du psychologue conseil La fonction de consultation pour la préparation de procès exige tout d'abord une solide formation en méthodologie de la recherche (planification et design expérimental), ainsi qu'en utilisation de méthodes quantitatives avancées (analyses corrélationnelles, analyses factorielles, régression, analyse de la variance, etc.) et de méthodes qualitatives. Aussi, il est hautement souhaitable d'avoir suivi un cours sur l'éthique de la recherche pendant lequel seront abordés les principaux problèmes entourant la planification et le déroulement d'une recherche (notions de mystification, de consentement éclairé, de confidentialité et de vie privée, etc.). De plus, il serait utile d'avoir suivi la plupart des cours suivants dans le cadre d'une formation de recherche où l'accent est mis sur l'acquisition de connaissances en psychologie sociale : • Élaboration, genèse des théories en psychologie ; • Théories contemporaines en psychologie sociale ; • La psychologie de l'identité sociale et des relations intergroupes; • Introduction à la psychologie légale ; • Recherches contemporaines en psychologie légale ; • Comparaison des sexes aux plans social et cognitif; • Genèse de la cognition sociale ; • Techniques de sondage d'opinion.
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1.3.2. FORMATION SUPPLÉMENTAIRE Une fois acquise la formation de base que nous venons de décrire, il est souvent utile pour le témoin expert ou le psychologue conseil d'acquérir un certain nombre de connaissances spécialisées qui très souvent proviennent de domaines complémentaires (droit, criminologie, sociologie, etc.) à la psychologie quand ce n'est pas de d'autres domaines de la psychologie elle-même. Ainsi, le témoin expert aurait quelquefois avantage, dépendant de la nature des évaluations qu'on lui demande, de posséder des connaissances en évaluation neuropsychologique (par exemple, pour déceler la possibilité d'atteinte de fonctions cérébrales associées au processus de vieillissement). Ceci peut se révéler un atout précieux si ses évaluations débouchent, par exemple, sur des recommandations éventuelles de tutelle ou de curatelle. Aussi, un témoin expert qui oeuvre auprès d'une clientèle ethnique différente de la sienne aurait certes avantage à posséder des connaissances plus que sommaires en psychologie interculturelle. Il en va de même pour l'acquisition de connaissances sur des problématiques associées à la violence domestique (violence conjugale, mauvais traitement envers les enfants, toxicomanies, etc.) ou encore des problématiques associées à la santé (la gestion du stress, les dysfonctions sexuelles, etc.). Comme il peut être fort utile pour un témoin expert qui travaille surtout à la conception de recommandations de garde d'enfant ou de droit d'accès de posséder des connaissances supplémentaires concernant les effets du divorce ou des problèmes familiaux sur les enfants. Ces connaissances peuvent se révéler indispensables pour que le témoin expert puisse offrir des évaluations plus nuancées. Aussi, un expert appelé souvent à fournir à la cour des rapports d'expertises ou devant témoigner avec une certaine régularité aurait avantage à mieux connaître les rouages et le fonctionnement du système judiciaire ou à consulter des ouvrages de référence traitant de la confection de rapports d'expertise en fonction du type d'évaluation (voir, entre autres, l'excellent ouvrage de Melton, Petrila, Poythress et Slobogin (1997), intitulé Psychological Évaluations for the Courts : A Handbook for Mental Health Professionnals and Lawyers). En fait, dépendant de son champ de pratique privilégié, le témoin expert doit compléter sa formation par des connaissances spécialisées directement pertinentes à la nature même des évaluations demandées. Pour le psychologue conseil, il va de soi qu'une très bonne connaissance en droit pénal général constitue une exigence fondamentale. Non pas qu'il doive se substituer à l'avocat qui retient ses services, bien au contraire, mais il est essentiel qu'il comprenne parfaitement bien la mécanique du système judiciaire (enquête préliminaire, sélection du jury, etc.), qu'il saisisse bien l'essence même des concepts légaux qui sont, par exemple, associés au fonctionnement d'un procès devant jury, ou encore qu'il comprenne parfaitement la définition même des infractions alléguées ou des défenses utilisées. Aussi, des connaissances approfondies en techniques de sondage
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d'opinion (formulation des questions, sélection échantillonnale, analyse des réponses, etc.) sont certainement indispensables au psychologue qui tente de déterminer les effets médiatiques ou qui veut tracer les profils des candidats qu'il faut retenir ou dont il faut disposer lors de la sélection du jury. Pour une analyse approfondie des interrelations entre les jurés lors de délibérations simulées, il va de soi que des connaissances en psychologie des petits groupes ou en dynamique des groupes pourront se révéler très utiles. 1.3.3. EXPÉRIENCE En plus de la formation que nous venons de décrire, il va de soi que l'acquisition d'expérience pratique constitue un complément indispensable. Mais il n'est souvent pas facile d'acquérir cette expérience et dans certains cas, cela peut se révéler périlleux si on ne prend pas le soin de procéder à un apprentissage graduel et prudent. Ainsi, le jeune psychologue se demande toujours comment procéder tout d'abord pour laisser savoir à des avocats qu'il est disposé à offrir des services psychologiques en tant que témoin expert, surtout lorsqu'il n'a jamais oeuvré en ce domaine. Il craint en plus de ne pas passer le test d'admissibilité comme expert et d'en subir la honte. Il arrive même que certains n'osant pas avouer leur manque total d'expérience laissent faussement sous-entendre qu'ils ont déjà offert de pareilles expertises, craignant que leurs services ne soient pas retenus s'ils admettent leur virginité professionnelle. Mais cette façon de procéder pourrait être une erreur coûteuse, car toute la vérité et rien que la vérité est un principe fondamental non seulement au tribunal, mais également en psychologie ! Il n'y a pas de honte à admettre son inexpérience dans un domaine particulier et il existe des règles très simples pour y suppléer et pour en acquérir d'une façon valable et profitable. Ainsi, la meilleure façon d'apprendre les rudiments en expertise consiste-t-elle, dans un premier temps, dans l'observation d'experts aguerris. Toutefois, en matière familiale, c'est la règle du huis clos qui s'applique et il est essentiel d'obtenir la collaboration du témoin expert d'expérience que l'on désire observer, puis l'aval du juge, si l'on veut assister à une audition dans un cas de garde d'enfant. Si vous connaissez des collègues qui sont impliqués dans un dossier, ils accepteront sans doute, avec bien entendu la permission de leur(s) client(s) et du juge, que vous les accompagniez et que vous ayez ainsi la possibilité d'observer ce qui se passe ; il est toutefois clair que tout ce qui sera dit tombe automatiquement sous le sceau du secret professionnel. Une autre façon d'acquérir de l'expérience qui va audelà de la simple observation est associée au modèle de l'apprenti, en d'autres termes vous offrez vos services non pas à un avocat, mais à un psychologue expert; habituellement, ces services sont bénévoles, puisqu'en échange, vous bénéficiez gratuitement des lumières et des sages conseils de l'expert choisi. Enfin, lorsque vousvous sentez prêts à fonctionner d'une façon autonome, il serait
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judicieux d'utiliser, du moins au début, les services de supervision (bien sûr rémunérés) d'un psychologue d'expérience. En procédant ainsi, d'une façon prudente, on évite bien des problèmes associés à une méconnaissance fondamentale du domaine et des règles qui en régissent le fonctionnement. 1.4. Le témoignage à la cour De nombreux dossiers dans lesquels sont impliqués les psychologues les amènent à se présenter devant la cour afin d'y exposer leurs conclusions et recommandations. Au cours des dernières années, le poids du témoignage des psychologues experts dans les décisions que prennent les juges en matière de garde d'enfant s'est accru. On retrouve en effet de plus en plus souvent, dans les jugements, des extraits de témoignages ou de rapports d'expertises de psychologues ayant agi comme témoins experts. Dans les paragraphes qui suivent, nous allons exposer les tenants et les aboutissants du témoignage en cour en nous référant surtout à des exemples impliquant des experts en matière de garde d'enfant et de droit d'accès. 1.4.1. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Un témoin ordinaire ne peut rapporter que l'observation de faits dont il a eu personnellement connaissance. Comme nous l'avons vu plus haut, le témoin expert peut, lui, dépasser la simple description de ces faits pour donner son opinion et analyser les données qu'il a recueillies dans le cadre de son mandat. L'opinion d'un expert devient essentielle pour donner à la cour des renseignements scientifiques ou cliniques qui, selon toute vraisemblance, dépassent les connaissances usuelles du tribunal (par exemple sur les stages du développement de l'enfant, sur les effets négatifs ou positifs d'une garde partagée, sur les effets d'un changement de garde, etc.). 1.4.2. L'ASSIGNATION D'UN TÉMOIN Règle générale, il n'est pas nécessaire qu'un avocat qui retient les services d'un expert doive lui envoyer un bref d'assignation (subpoena) afin que ce dernier vienne témoigner dans une cause. Par ailleurs, il arrive quelquefois qu'un psychologue qui est intervenu auprès d'un client dans le passé soit assigné sans avertissement préalable par l'avocat de celui-ci. Il est bon de se rappeler qu'un subpoena est un ordre de cour et qu'à ce titre, il exige la présence du témoin ainsi assigné « sous peine » de commettre un outrage au tribunal avec les conséquences potentielles qui s'ensuivent (amende, emprisonnement, etc.). Il arrive quelquefois qu'après avoir pris connaissance
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d'un rapport qui lui est défavorable, le client qui a retenu les services de l'expert choisisse de ne pas utiliser ce rapport en cour; l'expert est alors remercié et payé pour le travail accompli. Il est alors possible que l'avocat de la partie adverse assigne ce psychologue expert comme témoin et lui envoie à cette fin un subpoena auquel il doit se conformer. Au juge, alors, de décider si le psychologue doit témoigner et à quel titre, soit comme témoin ordinaire ou comme témoin expert. 1.4.3. L'ADMISSIBILITÉ COMME EXPERT Avant de témoigner et comme nous l'avons vu plus haut, le psychologue doit d'abord être reconnu comme expert par le tribunal. Lorsque les deux parties en présence s'entendent sur ses qualités, le psychologue peut être reconnu immédiatement comme expert par le juge. Dans certains dossiers cependant, il est possible que le psychologue doive se soumettre à un interrogatoire et à un contre-interrogatoire dès l'étape de sa reconnaissance en tant qu'expert. L'avocat du client qui a retenu les services du psychologue peut alors insister pour qu'il présente son curriculum vitae de façon à augmenter la force probante de son témoignage face à l'expert de la partie adverse, par exemple. Il est également possible que l'avocat de la partie adverse tente de discréditer l'expert, le plus souvent, en attirant l'attention sur le peu d'expérience du psychologue, à tout le moins dans des dossiers similaires à celui qui l'amène à témoigner devant la cour. 1.4.4. LA PRÉPARATION DU TÉMOIGNAGE En plus de revoir son dossier en détail avant d'aller témoigner, le fait de rencontrer, avant l'audition, l'avocat qui a retenu ses services peut se révéler utile pour l'expert. S'il a reçu un mandat conjoint, il doit évidemment rencontrer les avocats des deux parties en même temps. Ces rencontres permettent d'éviter l'improvisation ou les mauvaises surprises de part et d'autre : il sera, d'une part, plus facile à l'avocat d'interroger l'expert s'il connaît à l'avance le contenu de son témoignage et, d'autre part, à l'expert de préparer son témoignage s'il sait quel type de questions lui seront adressées. L'expert peut, en outre, profiter de cette occasion pour indiquer au procureur à quelles questions il n'est pas en mesure de répondre sans dépasser les limites de sa compétence. En somme, une consultation préliminaire permet de mettre les pendules à l'heure et facilite de beaucoup le travail de l'expert, qui ne devrait jamais se contenter d'une brève rencontre « de corridor » quelques minutes avant l'audition.
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Le psychologue expert doit cependant être prudent et se garder d'aliéner son objectivité et son impartialité au moment de ces rencontres. Ce n'est pas parce qu'un psychologue travaille dans un dossier avec un avocat qu'il devient pour autant un « collègue » de l'avocat; en effet, l'avocat et l'expert ont un rôle différent à jouer dans ce contexte et tous deux doivent être en mesure d'accomplir leur travail dans le respect de l'autre. 1.4.5. LE TÉMOIGNAGE DE L'EXPERT Au moment de son témoignage, le psychologue doit se rappeler que ce que la cour recherche le plus chez un expert, c'est l'intégrité, la crédibilité et la fiabilité de ses conclusions. En matière de garde d'enfant, les juges apprécient également le témoignage d'experts qui s'appuient sur une expérience pratique auprès des enfants, des couples et des familles. Par définition, l'expert doit faire autorité dans son domaine, sans adopter pour autant un ton péremptoire lorsqu'il témoigne ou présente son opinion clinique devant la cour. Il a tout intérêt, pour être bien compris, à s'exprimer dans un langage simple et accessible pour le juge et les avocats, en évitant le jargon du métier. Tout au long de l'interrogatoire et du contre-interrogatoire par les avocats, c'est à la cour - et donc au juge - que l'expert doit adresser ses réponses. De plus, la sobriété et le conservatisme vestimentaire sont de rigueur dans ce contexte particulier. L'expert ne doit pas oublier qu'il se présente devant le tribunal pour répondre aux questions et non pas pour argumenter ni pour discuter avec les avocats et encore moins avec le juge. L'avocat qui interroge l'expert de la partie adverse en essayant de le discréditer ne fait que son travail. L'expert a lui aussi un travail à accomplir, travail qui ne consiste pas à se porter à la défense de l'une ou l'autre des parties, mais bien à offrir à la cour un portrait complet et objectif de la situation. Ce n'est pas à l'expert de gagner la cause, mais bien aux avocats ! Un expert qui vise avant tout une victoire juridique fait preuve d'un manque évident d'impartialité et d'objectivité. Le psychologue doit donc se contenter de dresser un tableau des données qu'il a recueillies et analysées afin d'en arriver aux conclusions qu'il présente au tribunal. Comme le juge et les parties ont souvent déjà reçu copie du rapport de l'expert au moment de son témoignage, il peut tout simplement en faire une synthèse en insistant, au besoin, sur certains aspects qui ont plus particulièrement retenu son attention ou en y apportant des éclaircissements. S'il est interrogé au sujet de données ou de faits nouveaux qui lui sont rapportés pendant son témoignage, l'expert doit les commenter avec prudence et retenue. En effet, s'il n'en a pas été informé auparavant, il est
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possible qu'il ne connaisse pas l'ensemble des circonstances reliées à ces nouveaux faits. Il en va de même si, à la demande de la cour par exemple, l'expert assiste à toute la preuve et s'il est interrogé à ce sujet : il est préférable qu'il réponde alors aux questions qui lui sont posées avec réserve et sobriété. Il revient ensuite au juge d'utiliser ou non les informations ou les éclaircissements fournis par l'expert comme partie de la preuve complète qui est déposée devant lui avant de rendre jugement. A. L'interrogatoire Après avoir été reconnu comme expert par le juge, le psychologue est interrogé par l'avocat du client qui a retenu ses services. Dans les dossiers de garde d'enfant, par exemple, l'avocat se limite le plus souvent à demander à l'expert de présenter sa méthodologie et les résultats de son expertise. Si son rapport a déjà été déposé, le psychologue peut alors se contenter de le résumer sans le reprendre en détail. Il doit normalement connaître suffisamment son dossier pour ne pas constamment se reporter à ses notes, même s'il peut avoir besoin d'y jeter un coup d'œil pour vérifier certains détails au besoin. Il est tout à fait justifié que l'expert insiste sur les aspects du dossier qui font l'objet du litige ou qui lui apparaissent particulièrement importants. Il serait bien avisé de présenter les points forts de son évaluation, mais aussi ses points faibles : sa crédibilité ne peut que s'en trouver accrue. B. Le contre-interrogatoire L'expert se retrouve souvent en terrain miné lors du contre-interrogatoire, chacune des parties tentant de lui faire dire ce qui servira le mieux ses intérêts ou d'utiliser ses conclusions au profit de sa propre cause. Il est possible qu'à cette occasion, son travail soit sévèrement critiqué, qu'on tente de le décontenancer, de le discréditer ou qu'il fasse même l'objet d'attaques plus personnelles. Tout en étant conscient de ces risques, l'expert se doit de répondre aux questions le plus consciencieusement possible, en se limitant à son domaine d'expertise, c'est-à-dire sans répondre aux attaques personnelles et sans tomber dans le piège qui lui ferait outrepasser son rôle d'expert. Ses meilleurs atouts demeurent des opinions cliniques solides de même qu'une attitude calme et des réponses pondérées. Bien que témoin expert, le psychologue n'est d'ailleurs pas tenu de tout savoir, particulièrement sur des aspects qu'il n'a pas évalués : il sera d'ailleurs plus crédible s'il avoue ne pas connaître la réponse à une question posée que s'il se permet une affirmation non fondée.
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Mentionnons, enfin, qu'une des tâches du psychologue embauché pour procéder à l'expertise psycholégale par une seule partie peut être d'aider l'avocat de la personne qui a retenu ses services à préparer le contreinterrogatoire de l'expert de la partie adverse.
1.5. Conclusion Dans les domaines où le psychologue oeuvre depuis bon nombre d'années, le milieu juridique a depuis longtemps su apprécier les services qu'il peut rendre à l'administration de la justice et la rigueur qu'il peut démontrer dans ses rapports écrits et ses témoignages verbaux. Dans les domaines où l'apport du psychologue est plus récent, comme par exemple dans les domaines qui relèvent du droit criminel, et pour des tâches relativement nouvelles, comme la préparation de procès devant jury ou la sélection des jurés, l'accueil du psychologue expert est encore un peu timide, mais si l'on se fie aux développements fulgurants que la consultation psycholégale a connus aux É.-U., ce n'est qu'une question de temps avant que le degré d'acceptation soit relativement élevé et que le psychologue devienne un personnage familier du milieu judiciaire. 1.6. Références ABBEY, R. v. (1982), 68 CCC (2d) 394 (SCC). ARÈS, L.L., BOUDREAU, J. et S. MÉNARD (1987). Introduction à l'expertise psycholégale. Montréal: Corporation professionnelle des psychologues du Québec. BÉLAND, R. v (1988), 36 CCC (3d) 481, 493-494 (CSC). CORPORATION PROFESSIONNELLE DES PSYCHOLOGUES DU QUÉBEC (1991). Rapport annuel. Montréal: CPPQ. GÉLINAS, L., ALAIN, M. et L. THOMASSIN (1994). La place et le rôle du psychologue dans le système judiciaire québécois. Eastman, Québec : Behaviora. JONES C. SMITH ET SOUTHAM INC. (1999). Jugement rendu le 25 mars 1999: Cour suprême du Canada. LAVALLÉE, R. v (1990), 555 CCC (3d) 97, 111 (CSC). MACARTNEY-FILGATE, M.S. et W.G. SNOW (1997). « The practitioner as expert witness », dans D.R. EVANS (dir.), The law, standards of practice, and ethics in the practice of psychology. Toronto : Emond Montgomery. MELTON, G.B., PETRILA, J., POYTHRESS, N.G. et C. SLOBOGIN (1997). Psychological evaluations for the courts : A handbook for mental health professionals and lawyers (2e édition). New York : Guilford.
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MOHAN, R. v. (1994), 89 CCC (3d) 402 (CSC). SABOURIN, M. (1995). « La sélection du jury » dans Barreau du Québec (dir.), Le procès d'assises. Montréal : Éditions Yvon Blais. SCHULMAN, J., SHAVER, P., COLMAN, R., EMRICH, B. et R. CHRISTIE (1973). « Recipe for a jury)>. Psychology Today, juin, 37-84. SERVICE, J., SABOURIN, M., CATANO, V., DAY, V et C. HAYES (1994). « Specialty designation in psychology : Developing a Canadian model ». Psychologie canadienne, 35, 7 0 - 8 7 .
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CHAPITRE 2
Recherches contemporaines en psychologie légale1 MICHEL SABOURIN et LENORE E.A. WALKER
Depuis le début des années 1970, le champ de la psychologie légale (ou juridique), qui intègre précisément les recherches et les applications découlant de l'interface entre la psychologie et le droit, est devenu un domaine majeur de pratique psychologique (Kagehiro et Laufer, 1992; Melton, 1992; Melton, Petrila, Poythress et Slobodin, 1997; Monahan et Loftus, 1982; Shapiro, 1991; Tapp, 1976). Non seulement a-t-on pu observer un accroissement significatif d'efforts de recherche soutenus dans des domaines comme le témoignage oculaire (Ross, Read et Toglia, 1994) et la perception de la crédibilité (Menon, Vrij et Bull, 1998), mais dans plusieurs pays, la reconnaissance de l'utilité de l'expertise du psychologue dans les cours de justice et son admissibilité comme témoin expert ont connu des gains considérables par rapport aux décennies précédentes (Allen, 1994; Blau, 1984; Gianelli, 1980; Memon, 1998b). Des techniques psychologiques comme l'évaluation diagnostique (Heilbrun, 1992; Shapiro, 1991), l'évaluation de l'aptitude à 1. Une version modifiée de ce texte, dont le titre est «Forensic and Legal Psychology Observing the Rules », sera publiée en l'an 2000 par Sage Publications dans le chapitre 26 - « Applied Social Psychology » de l'ouvrage intitulé International Handbook of Psychology, dirigé par Mark Rosenzweig et Kurt Pawlik.
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subir son procès et la constatation de l'existence de troubles mentaux (Grisso, 1988), ainsi que la prédiction de la dangerosité (Grisso et Appelbaum, 1992; Klassenk et O'Connor, 1988; Menzies, Webster, McMain, Stahley et Scaglione, 1994) ont été mises au point ou adaptées pour utilisation psycholégale et des lignes directrices à l'intention des psychologues oeuvrant en ce domaine ont été mises de l'avant par l'American Psychological Association (APA, 1992). De plus en plus, les avocats et les psychologues s'entendent pour reconnaître la pertinence légale de certains concepts psychologiques. Ce rapprochement entre les deux disciplines est illustré par le fait qu'au cours des dernières années, plusieurs des universités bien cotées aux Etats-Unis et dans certaines provinces canadiennes offrent, par exemple, à leurs étudiants la possibilité de suivre un programme conjoint d'études en psychologie (Ph.D.) et en droit (J.D.) ou encore des études spécialisées de psychologie légale à l'intérieur de programmes cliniques ou professionnels. Il est probable que l'une des raisons principales du développement de cette spécialité, en conformité avec l'éthique des deux professions, vient du fait que cette alliance psycholégale est reconnue officiellement par l'American Psychological Association depuis bon nombre d'années par la création de la Division 41: American Psychology-Law Society. Naturellement l'adhésion à cette division est ouverte aux psychologues comme aux avocats. Dans ce chapitre, nous allons présenter les grandes lignes des développements récents en psychologie légale dans diverses parties du monde, mais plus particulièrement en Amérique du Nord et en Europe, en nous basant essentiellement sur les résultats de recherche. Toutefois, pour mieux comprendre le développement de ce domaine, nous porterons d'abord notre attention sur son évolution historique. En décrivant les origines de cette spécialité psycholégale nous espérons permettre au lecteur de mieux saisir sa direction actuelle et les problématiques qui deviendront de plus en plus pertinentes en ce début de millénaire.
2.1. Perspective historique Depuis que Hugo Munsterberg, un psychologue américain éduqué en Allemagne par Wundt et mieux connu comme le père de la psychologie appliquée (Moskowitz, 1977), a publié en 1908 un best-seller provoquant intitulé On the witness stand, la psychologie légale est devenue un sujet d'intérêt nordaméricain. Lentement au début, à cause de la réaction négative de la profession légale face à ce qui a été perçu comme une intrusion sur leur territoire (Bartol et Bartol, 1987), mais plus rapidement après la Première Guerre mondiale, lorsque William Marston a, non seulement mis au point une méthodologie scientifique originale pour la détection du mensonge (l'ancêtre du polygraphe actuel), mais a également effectué la première étude sur le fonctionnement d'un jury (Marston, 1924). À peu près à la
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même époque, un psychologue, Donald Slesinger, et un avocat, Robert Hutchins, publiaient en collaboration de nombreux articles sur la psychologie légale (Bartol et Bartol, 1987) parvenant ainsi à modifier la relation originellement hostile entre la psychologie et le droit qui avait découlé de la réaction aux propositions initiales de Munsterberg jugées à la fois insensibles et intolérantes vis-à-vis des besoins du système légal. Pendant ce temps, en Europe, à l'abri de cette attitude négative, les psychologues expérimentaux, autant français (Alfred Binet, en 1900) qu'allemands (William Stern, en 1901), s'intéressaient de plus en plus à la psychologie du témoignage et entreprenaient la répétition des toutes premières experiences de psychologie légale menées aux É.-U. par James McKeen Cattell en 1895 sur les conditions spécifiques qui permettent de comprendre l'inexactitude de certains témoignages (Bartol et Bartol, 1987). Stern procéda ensuite à la fondation de la première revue scientifique (Betrage zur Psychologie der Aussage) préoccupée par les questions légales et plus particulièrement par la psychologie du témoignage. Cette revue a, par la suite, élargi son champ d'intérêt et est devenue, en 1908, la première revue de psychologie appliquée (Zeitschrift fur Angewande Psychologie). Parallèlement, durant la même période approximativement, on demandait à des psychologues allemands d'agir comme experts et de témoigner dans des procès criminels, à la fois sur les faits et sur les questions d'opinion. Bartol et Bartol (1987) rapportent que la plus ancienne cause où il est demandé à un psychologue (Albert von Schrenck-Notzing) de témoigner lors d'un procès pour meurtre s'est déroulée à Munich en 1896. Il est intéressant de noter que les sujets débattus durant ce procès concernaient le battage médiatique avant le procès et la possibilité d'une falsification rétroactive de la mémoire, des notions qui devaient connaître un renouveau d'intérêt plus récemment, suite aux travaux d'Elizabeth Loftus (1979) et à la controverse subséquente sur la mémoire, soulevée par le Groupe de travail de l'APA sur l'étude des souvenirs d'enfance portant sur l'abus sexuel (APA, 1996). Aux États-Unis, au début du XXe siècle, les services psychologiques rattachés au système judiciaire commençaient à se développer lentement. La première clinique pour délinquants juvéniles fut fondée en 1909 par Grace Fernald, psychologue clinicienne, et par le psychiatre William Healy. À la demande du système judiciaire et des cours, d'autres psychologues s'employaient à administrer à des criminels et à des délinquants des tests pour mesurer le quotient intellectuel. Effectivement, la mesure du niveau intellectuel était le service psychologique le plus important généralement offert par les psychologues jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale (qui a vu l'émergence de programmes intensifs d'examen collectif utilisant les tests récemment développés « Army Alpha et Beta » (Bartol et Bartol, 1987). La mesure de l'intelligence devint également l'un des principaux instruments utilisés pour la sélection des
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officiers de police (Terman, 1917; Thurstone, 1922). Pendant cette période initiale, les psychologues commençaient également à spéculer sur les causes de la criminalité ; étant donné le très fort accent placé sur la mesure de l'intelligence, quelques-uns de ces premiers efforts (Goddard, 1914) ont mené à la surprenante conclusion que la déficience mentale était la cause première du crime. D'autres se sont aventurés dans la formulation de théories biologiques de la causalité. Mais la mesure de l'intelligence n'était pas le seul domaine d'interaction entre la psychologie et le système légal, tout spécialement en Europe. Alors que les psychologues européens continuaient de s'impliquer dans les cours de justice par le témoignage expert, rien de tel ne se produisait aux États-Unis en ce domaine, généralement considéré comme l'apanage des psychiatres. En 1911, lors d'un procès pour meurtre, Varendonck, un psychologue belge, s'opposa fermement à l'utilisation d'enfants comme témoins, en se basant sur les résultats d'une série d'expériences qu'il avait menées et qui démontraient que les enfants n'étaient pas précis dans leur rappel d'incidents critiques (Goodman, 1984). Pendant cette même année, il semblerait (Bartol et Bartol, 1987) que Karl Marbe, professeur à l'Université de Wurtzbourg, devint le premier psychologue (expérimental) à témoigner dans une cause civile, livrant les conclusions de ses recherches sur le temps de réaction et discutant les effets potentiels de l'alcool sur le comportement. Mais c'est seulement au cours de la Deuxième Guerre mondiale que l'on observa sur la scène judiciaire américaine, une reconnaissance croissante des psychologues comme témoins experts. Il y eut bien quelques tentatives timides et non réussies aussi tôt que durant les années 1920, lorsque, par exemple, dans State c. Driver (1921), un psychologue fut reconnu comme expert en délinquance juvénile pour toutefois voir son témoignage rejeté. Par ailleurs, ce n'est pas avant le début des années 1940 qu'une utilisation plus généralisée des psychologues comme témoins experts fut appuyée par les cours américaines. Dans la première cause importante qui examina les critères devant servir à définir le statut d'expert, People c. Hawthorne, la Cour suprême du Michigan nota que « la compétence d'un psychologue pour le dépistage de l'aliénation mentale ne peut être présumée inférieure à celle d'un médecin » (Bartol et Bartol, 1987). Ce fut le début du combat légal dont l'objectif était de faire reconnaître les psychologues et les données psychologiques comme au moins l'égal du témoignage psychiatrique, ce qui semble avoir été accepté plus facilement par les cours une fois que le témoignage médical sur les maladies et blessures physiques fut admis. Toutefois, des objections de la part des médecins à la pratique indépendante de la psychologie, sans leur supervision, ont rapidement entraîné un besoin accru de jurisprudence avant que les psychologues puissent être admis de plein droit comme témoins experts indépendants.
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En 1954, deux causes ont poussé même plus loin. Dans la première, Hidden c. Mutual Life Co., il fut permis que l'expertise psychologique soit appliquée dans une cause civile et l'on autorisa le psychologue à émettre une opinion sur l'état mental du plaignant. Dans la seconde, une cause cruciale dans le combat légal contre la ségrégation dans les écoles, Brown c. Board of Education, ce n'est qu'après un vif débat que l'on permit à des psychologues et à d'autres spécialistes des sciences sociales de témoigner; la contribution la plus connue à ce procès fut celle de Kenneth et Mamie Clark qui présentèrent alors les résultats de leur célèbre expérience, réalisée au moyen de poupées, sur les effets de la ségrégation (Hess, 1987). Dans ce cas, il était clair que les résultats des recherches menées par les psychologues constituaient un ajout important aux données cliniques des psychiatres. Toutefois, la bataille pour faire admettre le témoignage psychologique sur des questions de responsabilité mentale lors de procès criminels était loin d'être terminée. En 1954, les principaux regroupements médicaux américains (American Medical Association, American Psychiatric Association, American Psychoanalytic Association) ont joint leurs efforts et adopté une résolution qui stipule que dans le domaine de la santé mentale les seuls experts légitimes habilités à témoigner en cour étaient les médecins et que d'autres individus ne pouvaient offrir un témoignage dans ce domaine qu'uniquement sous une supervision médicale directe. Bien que cette position officielle devait exercer une certaine influence sur les cours, ses effets furent significativement limités par l'appui donné dans l'affaire Jenkins c. United States (1962), où la Cour d'appel du District de Columbia décida en faveur de l'utilisation de l'expertise psychologique dans le domaine de la responsabilité criminelle. Tel que noté par Perlin (1977), cette très importante décision « ouvrit la porte à l'admission du témoignage psychologique dans une multitude de domaines légaux ». Mais l'effet véritable devait actuellement débuter au début des années 1970 « par une explosion de la documentation et de la recherche dans tous les domaines de la psychologie légale » (Bartol et Bartol, 1987, p. 17). Le présent chapitre se propose d'explorer les nombreux effets de cet accroissement dramatique des publications de recherche qui portent directement sur la contribution des données psychologiques dans la découverte de réponses à des questions légales. On identifiera les principaux domaines dans lesquels la recherche en psychologie légale se poursuit et l'on examinera les principales conclusions à tirer de cet effort contemporain de recherche. 2.2. Les domaines de recherche en psychologie légale La recherche psycholégale porte sur la plupart des domaines d'interface entre la psychologie et le système légal, et s'intéresse habituellement à l'aspect humain d'un problème légal. Certains domaines ont toutefois
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suscité davantage de recherches que d'autres qui demeurent, pour l'essentiel, inexplorés. Certains (Saks, 1986) ont critiqué cette étroitesse des intérêts actuels et ont souligné avec emphase le besoin urgent d'élargir significativement le champ d'intérêt du chercheur en psychologie légale. Roesch (1990), dans une compilation informelle des sujets couverts durant les douze premières années de « Law and Human Behavior », la plus ancienne - 1977 - et la plus prestigieuse revue spécialisée dans le domaine, note que presque le tiers de tous les articles publiés concernent le témoignage d'experts, la prise de décision du jury ou le témoignage oculaire. Kagehiro et Laufer (1992) ont mené une analyse informelle du contenu des principales revues qui publient des études psycholégales et leurs données confirment pour l'essentiel les observations précédentes. Ils ont, en plus, trouvé qu'une proportion importante des recherches empiriques publiées au cours des récentes décennies peuvent être réparties en deux catégories : la santé mentale et les processus judiciaires. Étant donné les contraintes et limites de ce chapitre, nous n'entrerons pas dans ce débat, mais une fois que nous aurons présenté les principaux domaines de recherche, nous conclurons en indiquant les sujets et les domaines qui souffrent grandement d'un manque de recherches empiriques et qui, selon nous, seraient à explorer par les générations futures de chercheurs. Les domaines que nous avons l'intention d'aborder sont 1) la sélection du jury et son fonctionnement dynamique, et 2) le témoignage oculaire. 2.2.1. LE JURY : SA SÉLECTION ET LA DYNAMIQUE DE SON FONCTIONNEMENT En débutant par les efforts de pionnier de Marston (1917), le processus de prise de décision du jury et son application, les techniques de sélection du jury ont été l'un des domaines les plus fréquemment étudiés en psychologie légale, en dépit de l'observation que, dans la vie réelle, les procès devant jury sont plutôt rares d'un point de vue statistique. Le fait que la dynamique de délibération du jury peut habituellement être analysée au moyen de concepts et de théories issus de la psychologie sociale reliés au fonctionnement des petits groupes (Moscovici et Zavalloni, 1969) et aux stratégies de communication persuasive (Petty et Cacioppo, 1986) explique probablement pourquoi ce domaine est d'un tel intérêt pour les psychologues. Hans (1992) indique que c'est la nature politique ou la signification symbolique des causes entendues, autant que l'impact de leurs verdicts sur tout le reste du système judiciaire, qui explique la grande attention que les chercheurs portent aux études sur le jury. Aux États-Unis, plusieurs procès civils et criminels (à l'exception des procès criminels où il y a négociation de plaidoirie et des procès civils réglés hors cour) se tiennent devant un jury de 12 personnes (ou de 6 seulement, dans certains États), laissées à elles-mêmes pour décider du verdict et
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souvent de la peine. Pour les jurys de 12 personnes, l'unanimité est habituellement requise par la Constitution quand il s'agit d'une cause criminelle, mais ne l'est pas nécessairement s'il s'agit d'une cause civile, sauf dans les cas de jurys de 6 personnes. Le fonctionnement du système se complique davantage quand on sait que chacun des 50 États américains possède ses propres lois en matière civile et criminelle et que le système judiciaire fédéral des États-Unis dispose à son tour d'un ensemble distinct de lois et de procédures dans les domaines limités de sa compétence. Au Canada, depuis les années 1970, les procès devant jury se tiennent uniquement dans le cas d'importantes causes criminelles et la décision unanime qui doit être prise concerne uniquement le verdict; après avoir mené des études sur le nombre de jurés (N = 12) et sur la règle de l'unanimité, la Commission de réforme du droit du Canada recommanda, en 1980, de maintenir cette exigence traditionnelle. En Grande-Bretagne, la règle de l'unanimité a été éliminée en 1967 en faveur de la décision majoritaire. Sur le continent européen, la nature inquisitoire du système judiciaire, par opposition à l'approche contradictoire qui caractérise les systèmes judiciaires britannique et nordaméricains, n'est pas la seule différence que l'on peut trouver. Il n'est habituellement pas possible d'obtenir un procès devant jury, mais dans les rares cas où on admet un tel procès, les procédures de sélection, ainsi que le processus de délibération, sont totalement étrangers aux traditions britannique et nordaméricaines. En France, par exemple, la procédure habituelle pour la sélection du jury est totalement abandonnée au hasard, sans que la défense ou la poursuite puisse réellement récuser certains candidats, alors que durant les délibérations, trois magistrats siègent avec neuf jurés et exercent un contrôle judiciaire pour s'assurer que les discussions sont menées correctement, prévenant ainsi la possibilité d'un jury hors contrôle. En Grèce, le « jury » est généralement composé de trois juges et de trois membres du public, souvent des avocats, choisis par les juges. La recherche américaine actuelle sur le jury a débuté au cours des années 1950 avec ce qu'il a été convenu d'appeler le « Chicago Jury Project » (Kalven et Zeizel, 1966). Puisque traditionnellement les délibérations du jury se tiennent à huis clos, les chercheurs impliqués dans ce projet avaient obtenu la permission du juge et des avocats d'enregistrer en secret les délibérations du jury dans plusieurs causes civiles. Toutefois, lorsque cette dérogation fut connue publiquement, l'opinion publique fut outrée et la question fut éventuellement débattue devant le puissant comité judiciaire du sénat américain; en réaction à cet émoi, plusieurs États ont légiféré pour interdire l'enregistrement des délibérations du jury, même pour des fins de recherche. En conséquence, pour mener une étude valable du fonctionnement des jurys en dépit des restrictions imposées à l'accès aux jurés, il a fallu avoir recours à de nouvelles techniques comme les études d'archives et la simulation de jury avec des causes fictives, techniques qui furent fréquemment utilisées au cours des décennies suivantes. Par exemple, des chercheurs de la Rand
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Corporation (Chin et Peterson, 1985) ont fait un usage abondant des méthodes d'étude d'archives pour analyser les verdicts de jurys au cours d'une période de 20 ans. Mais cette méthode a ses limites (par exemple, difficulté d'en tirer des inférences causales) et plusieurs chercheurs préfèrent le recours à des études de simulation pour étudier les processus cognitifs et sociaux fondamentaux du jury. Cette dernière technique comporte également des inconvénients, par exemple, une faible validité externe ou écologique, un manque de sensibilité face au contexte légal et une difficulté à généraliser au monde réel les résultats habituellement recueillis en laboratoire auprès d'échantillons d'étudiants (Vidmar, 1979). La raison d'être d'une partie importante de ces critiques initiales est présentement devenue douteuse, car avec la maturation du domaine, la subtilité méthodologique ainsi que la sophistication légale sont rapidement devenues la marque de commerce associée aux efforts de recherche (Hans, 1992). Une quantité substantielle de recherches ont été effectuées dans le but de préciser l'impact des différences individuelles des jurés sur leurs verdicts et pour essayer de trouver des façons d'améliorer le processus de sélection du jury. Ceci a entraîné l'utilisation extensive de psychologues pour aider, en fait, les avocats à choisir les membres du jury. La plupart des praticiens qui offrent de la consultation en ce domaine pensent qu'ils réussissent plus facilement à éliminer ceux et celles qui ne rendraient pas le verdict attendu par leurs clients qu'à choisir ceux et celles qui démontreraient de la sympathie pour leur client et appuieraient sa position. Beaucoup de recherches ont porté sur cette question et les conclusions qui en découlent sont très variables. Alors que plusieurs (Hans et Vidmar, 1982; Hastie, Penrod et Pennington, 1983) pensent qu'il existe très peu d'effets ou, au mieux, des effets inconsistants (reliés à des facteurs personnels ou démographiques) qui peuvent actuellement être utilisés dans un but de prédiction, limitant ainsi l'impact potentiel de stratégies «psychologiques» de sélection sur le résultat du procès, d'autres (Cutler, 1990) soutiennent qu'il est possible de mettre au point de bonnes stratégies à partir des caractéristiques des jurés et de les utiliser avec succès pour permettre des prédictions de verdict. Dans un certain nombre d'études, il a été démontré qu'une attitude favorable à la peine de mort était associée à une plus grande probabilité de reconnaître l'accusé coupable (Cowan, Thompson et Ellsworth, 1984). Il a aussi été démontré que le fait d'avoir des attitudes particulières vis-à-vis d'une cause, par exemple une cause de viol, peut avoir en soi une forte valeur prédictive (Feild, 1978). Schuller (1992) a concentré sa recherche sur l'impact exercé sur les décisions des jurés par, soit la présentation d'aucune preuve, soit la présentation de preuves générales tirées des sciences sociales, soit celle d'une preuve psychologique sur l'individu en cause et elle a trouvé que les jurés qui étaient confrontés à des preuves à la fois cliniques et issues de recherches avaient davantage tendance à trouver non coupables pour cause de légitime défense les femmes battues qui tuent leurs partenaires. Une autre prometteuse possibilité de recherche serait de considérer les suggestions du « National Jury Project » (Hans, 1992)
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selon lesquelles les opinions personnelles ou celles basées sur la responsabilité sociale, exprimées par les jurés dans des causes civiles pour expliquer leurs attributions d'adversité à des individus ou à des facteurs sociaux/ environnementaux, seraient apparemment reliées aux verdicts. L'appui principal à ce qu'il a été convenu d'appeler « la sélection scientifique ou systématique du jury » a été donné par l'implication directe, au début des années 1970, de sociologues et de psychologues dans le procès des Sept de Harrisburg (Schulman et al., 1973), le premier procès « politique » à se tenir durant les années de la guerre du Vietnam où des méthodes précises, par exemple sondages d'opinion, établissement de profils de jurés, évaluation du comportement non verbal, ont été mises au point pour aider les avocats dans le choix des jurés. Ces techniques, qui depuis ont été raffinées et améliorées, furent utilisées avec succès dans plusieurs procès, et font présentement l'objet d'un vif débat en ce qui a trait à leur efficacité. Alors que les avocats sont généralement satisfaits par les « avantages » découlant de l'utilisation de ces méthodes, plusieurs psychologues (Hans et Vidmar, 1986; Hastie, Penrod et Pennington, 1983) considèrent que les prétentions d'efficacité de ces techniques ont généralement été exagérées, nonobstant le fait que dans certaines circonstances on considère habituellement très utile l'apport des psychologues à la préparation d'un procès et à la sélection d'un jury. Avec le raffinement des méthodes d'analyse statistique et la sophistication démontrée pour la cueillette des données, il n'y a pas de doute que l'efficacité ira en s'améliorant et que la recherche devrait surveiller de près ce domaine important d'application. Certaines des recherches les plus excitantes faites au cours des années récentes ont porté sur l'élaboration de modèles associés à la prise de décision du jury (Arkes et Hammond, 1986; Pennington et Hastie, 1986, 1988). Plusieurs de ces modèles théoriques (comme, par exemple, la théorie de l'intégration de l'information, l'approche bayésienne, le modèle de l'histoire, le modèle algébrique) ont suscité d'importants efforts de recherche et les résultats obtenus aident à mieux comprendre la façon dont les jurés arrivent à un verdict. Il y a eu aussi un effort de recherche soutenu pour accroître nos connaissances de la capacité des jurés à assimiler l'information et à mieux comprendre les procédures et les directives judiciaires (Hans, 1992). Et finalement, on a accordé une bonne part d'attention à l'étude du processus de délibération du jury (Stasser, Kerr et Bray, 1982), ainsi qu'à l'impact du nombre de jurés et de la règle de prise de décision sur ce processus (Hans et Vidmar, 1986). En conclusion, il ne fait aucun doute que la recherche visant à mieux comprendre le fonctionnement du jury et de son processus de sélection a été très utile et qu'elle a probablement permis une meilleure compréhension des différents domaines reliés à la psychologie sociale cognitive, tels que
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l'impact des différences individuelles, le traitement cognitif de l'information complexe, ainsi que le rôle de l'influence sociale (Hans, 1992). Et ce travail a très nettement engendré de meilleures applications de la science psychologique aux méthodes de sélection, jadis essentiellement pragmatiques et plutôt intuitives. Mais nul doute qu'il reste encore beaucoup de travail à faire, alors que les méthodes de recherche deviennent de plus en plus sophistiquées. 2.2.2. LE TÉMOIGNAGE OCULAIRE On sait très bien que le témoignage oculaire constitue l'une des preuves les plus influentes que l'on puisse présenter au tribunal et qu'il s'agit également du plus important facteur responsable, à tort ou à raison, de la condamnation d'un accusé (Cutler et Penrod, 1995). Ceci explique probablement pourquoi on a fait autant de recherches pour mieux saisir le rôle des différents paramètres qui expliquent la précision et le degré de croyance associés à cette forme de preuve, deux domaines de recherche que nous résumerons plus loin. Au cours des années récentes, il s'est publié plusieurs excellentes recensions d'écrits (Cutler et Penrod, 1995; Ross, Read et Toglia, 1994; Vrij, 1998; Williams, Loftus et Deffenbacher, 1992), que nous recommandons fortement au lecteur désireux de connaître plus en détail les problématiques que nous présenterons ici d'une façon plutôt limitée, étant donné l'envergure restreinte de cette section. A. La fidélité de la mémoire du témoin oculaire Lorsqu'on évalue l'exactitude du témoignage oculaire, il est habituel d'aborder la documentation de recherche en associant les données recueillies et les conclusions qui en découlent avec les différents stades du processus mnémonique, soulignant au passage les facteurs qui influencent le niveau de précision. L'acquisition Durant le stade d'acquisition, plusieurs variables peuvent affecter l'encodage des souvenirs visuels, incluant à la fois les caractéristiques de l'événement lui-même et celles qui sont reliées au témoin. En ce qui concerne le milieu où l'on a été témoin oculaire, il est possible de prédire qu'une meilleure chance d'observer l'événement devrait indubitablement entraîner une meilleure fidélité de la mémoire. En fait, une méta-analyse (Shapiro et Penrod, 1986) de huit études analogues a démontré que la durée du temps d'exposition améliore la précision en accroissant le taux d'identification exacte. Mais cette relation tend à être tempérée avec l'accroissement de la complexité de la scène observée (Clifford et Hollin,
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1981), ou par la présence d'un élément important, tel qu'une arme à feu, ce qui détourne l'attention par rapport à un élément critique, par exemple le visage de l'assaillant. Une méta-analyse de cet « effet de fixation sur l'arme à feu» (Loftus, Loftus et Messo, 1987) menée par Steblay (1992) a permis de déterminer que l'effet défavorable sur l'identification et la description est plutôt faible, même s'il est significatif au plan statistique. Dans les situations de la vie réelle, une étude d'archives (Tollestrup, Turtle et Yuille, 1994) a démontré que cet effet n'est pas aussi important que celui découvert dans les situations de laboratoire. En examinant maintenant l'effet de l'activation, du stress et de la violence sur la précision de l'identification, on note des résultats contradictoires; bien que certaines études (Clifford et Hollin, 1981) aient démontré qu'une augmentation de la violence entraîne une diminution de l'exactitude de l'identification, d'autres études (Cutler, Penrod et Martens, 1987) n'ont pas réussi à trouver un tel effet. Finalement, on a trouvé des différences importantes et fiables dans des études (Lindsay et Wells, 1983) portant sur les effets de l'identification interraciale ; la conclusion principale qui se dégage de ces études est que la reconnaissance de sa propre race est plus précise que l'identification d'autres races. Dans une métaanalyse, Anthony, Cooper et Mullen (1992) ont trouvé que cet effet interracial est habituellement plus fort chez les Blancs que chez les Noirs. En ce qui concerne les divers facteurs possiblement reliés au témoignage oculaire, comme le sexe, la race, l'intelligence, l'âge, l'aptitude à reconnaître les visages, les caractéristiques de la personnalité, la recherche démontre que ces caractéristiques ne sont pas particulièrement utiles pour prédire la précision de l'identification. Seul l'âge du témoin, comme nous le verrons dans la prochaine sous-section, semble prometteur comme variable psycholégale. L'entreposage En ce qui concerne la phase d'entreposage de la trace mnémonique du témoin oculaire, i.e. l'intervalle entre la fin de l'encodage et son accès subséquent, des recherches intensives (par exemple, Hall, Loftus et Tousignant, 1984) ont été effectuées sur l'impact d'une information verbale inexacte sur la mémoire du témoin. Ces démarches ont donné naissance au concept de l'effet de désinformation (Williams et al., 1992). Typiquement, une information nouvelle donnée au témoin après l'encodage initial change apparemment la trace mnémonique et modifie le souvenir d'une personne. D'autres chercheurs (McCloskey et Zaragoza, 1985) ne croient pas qu'une information subséquente à l'événement change la trace mnémonique et attribuent les effets observés aux difficultés rencontrées par le témoin au cours de l'acquisition. Bien que le débat sur la présence ou l'absence d'une modification de la trace mnémonique dure depuis un certain nombre d'années, tous semblent d'accord pour affirmer que toute nouvelle information donnée à ce stade peut certainement influencer la précision du rapport du témoin.
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Le rappel Finalement, durant le rappel, on demande au témoin de se souvenir de l'événement initial aussi exactement que possible. Dans ce cas, la recherche sur ce qui se passe se concentre sur la découverte des moyens d'améliorer le processus de rappel. On a étudié plusieurs techniques possiblement utiles ou des procédés d'amélioration, comme l'hypnose, la mémoire dirigée (Malpass et Devine, 1981), ainsi que des raffinements récents à cette dernière méthode, l'Entrevue cognitive (Geiselman, Fisher, MacKinnon et Holland, 1985; Memon, 1998) et l'Entrevue cognitive révisée (Fisher et al., 1987). Alors que l'hypnose ne semble pas faciliter la reconnaissance, elle aide quelquefois à améliorer le rappel du témoin. D'autre part, l'Entrevue cognitive et l'Entrevue cognitive révisée permettent de meilleurs rappels (de 40 % à 45 meilleurs), mais ne semblent pas influencer la reconnaissance des visages (Geiselman et al., 1985). Parmi les nombreux facteurs associés à la phase de rappel, l'étude des principaux paramètres (taille, impartialité) des procédures de parade d'identification de suspects a été l'objet de beaucoup de travaux de recherche. L'examen des facteurs sous le contrôle des policiers enquêteurs susceptibles d'influencer la suggestibilité des procédures d'identification oculaire et qui peuvent éventuellement altérer la performance d'identification elle-même ont permis d'identifier des biais potentiels associés 1) aux directives lors des parades d'identification de suspects, 2) à la qualité et au nombre de figurants, 3) à l'effet des vêtements, 4) au type de présentation (simultanée ou séquentielle), et 5) à l'enquêteur lui-même. Cette ligne de recherche a démontré que des directives biaisées lors des parades d'identification peuvent exercer un effet important sur les taux d'identification erronés, et que la présentation séquentielle des suspects permet d'obtenir de bien meilleurs résultats que la présentation simultanée traditionnelle en termes d'identifications correctes. Pour une excellente recension de ce domaine de recherche, on pourra consulter Cutler et Penrod (1995). Les chercheurs et cliniciens qui ont étudié les problèmes de mémoire qu'on rencontre souvent chez les témoins qui ont subi un traumatisme comme victimes principales ou victimes secondaires d'un événement très horrifiant ont obtenu des résultats contradictoires (APA, 1996; Pope et Brown, 1996). Les cliniciens constatent souvent que les victimes de violence (particulièrement celles qui ont subi de façon répétitive des abus de la part de membres de leur famille ou de personnes en position de confiance ou d'autorité) se rappellent quelquefois ce qui s'est passé durant un incident particulier ou ne s'en souviennent pas. Les chercheurs sont d'avis que les souvenirs réprimés d'un traumatisme ne sont pas conformes au modèle d'acquisition de la mémoire décrit plus haut et ils démontrent par des études analogues d'expériences traumatisantes, mais non abusives, que cela ne peut se produire (Loftus, 1993). Ils arrivent à la conclusion que ce sont probablement les thérapeutes, qui pour fins de gains personnels, implantent de faux souvenirs chez leurs patients (FMSF, 1992). D'autre part, des thérapeutes,
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tels que Courtois (1995), affirment qu'une variabilité dans les souvenirs associés à certains événements traumatiques se produit effectivement durant la thérapie et insistent donc que cela se produit effectivement et confère, en fait, un signe de crédibilité et d'authenticité aux rapports fournis (voir APA (1996b) pour plus d'information). Bien que cette question ait suscité beaucoup de controverse, il semblerait que la réponse se trouve dans de récentes recherches qui suggèrent que les souvenirs de traumatismes sont emmagasinés au niveau du cerveau moyen, ne sont pas traités au plan cognitif et ne peuvent donc pas se prêter à un rappel intentionnel qui soit facile (van der Kolk, 1988; 1994). De nouvelles recherches sur les effets physiologiques des traumatismes, incluant l'impact des sécrétions biochimiques qui les accompagnent, indiquent que le modèle cognitif de l'entreposage et du rappel mnémonique ne serait pas approprié dans ces conditions, particulièrement si les événements sont perçus comme une menace de mort au lieu d'être simplement désagréables ou traumatisants sans qu'il y ait menace à la survie de la personne (Charney, Deutch, Krysal, Southwick et Davis, 1993; Goleman, 1996). De toute évidence, à mesure que la recherche se développe en ce domaine, elle exercera un impact considérable sur le témoignage des psychologues dans les causes légales. B. Les facteurs qui affectent les croyances du juré Les croyances des membres du jury concernant le témoignage oculaire peuvent être affectées par le degré d'assurance du témoin, son souvenir de détails secondaires, le contre-interrogatoire et l'âge du témoin. L'influence la plus puissante provient sans aucun doute de l'assurance du témoin. Le fait qu'un témoin particulier indique durant son témoignage qu'il est absolument certain (même s'il peut faire erreur objectivement) qu'un suspect est coupable exerce une influence considérable sur les jurés. Pour la plupart des gens, le niveau d'assurance du témoin oculaire est le principal et le plus important facteur de prédiction de l'exactitude de l'identification, même si la recherche a démontré que la confiance dans son habileté à faire une identification correcte est un facteur de prédiction d'exactitude relativement faible; dans une méta-analyse, Cutler et Penrod (1989) démontrent que les corrélations entre ces deux facteurs vont de ,00 à ,20. Toutefois, une autre méta-analyse (Bothwell, Deffenbacher et Brigham, 1987) avait trouvé que la corrélation moyenne est de ,25, ce qui indiquerait que les témoins confiants sont en quelque sorte plus susceptibles d'être corrects. Habituellement, plus un témoin oculaire fournit de détails spécifiques, même s'ils sont secondaires et peu pertinents, plus les gens sont convaincus de sa crédibilité (Bell et Loftus, 1988). Mais Wells et Leippe (1981) avaient observé que certaines personnes croient que les témoins oculaires qui portent attention à des détails peu pertinents sont moins susceptibles d'avoir apporté une attention appropriée au visage du suspect !
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Qu'arrive-t-il lorsqu'un témoin oculaire est discrédité durant le contreinterrogatoire par un avocat habile ? L'étude classique de Loftus (1974) avait trouvé qu'un contre-interrogatoire qui discrédite complètement un témoin oculaire (c'est-à-dire en indiquant qu'il possède une vision très faible et qu'il ne portait pas ses lunettes au moment de l'événement) n'avait pas réussi à diminuer significativement le taux de condamnation (68 %) en comparaison avec la présence non contestée d'un témoin oculaire (72%); mais ces deux conditions différaient significativement de la simple présentation d'une preuve circonstancielle. Toutefois, de nouvelles études de répétition de ces travaux de recherche (Kennedy et Haygood, 1992; Saunders, Vidmar et Hewitt, 1983; Weinberger et Barron, 1982) démontrent, cette fois, qu'un bon contreinterrogatoire peut réduire significativement le taux de condamnation. Un nombre substantiel d'études ont examiné l'effet de l'âge du témoin, en mettant l'accent sur un examen attentif de la mémoire des enfants et sur les effets de leur témoignage sur les jurés. On observe, en général, que l'identification correcte s'améliore avec l'âge, alors que diminue l'identification erronée (Chance et Goldstein, 1984). Toutefois, plusieurs études (voir Dent et Flinn, 1992, pour une recension) ont démontré que les capacités d'observation et de souvenir des enfants ne sont pas aussi déficientes qu'on le pensait. De plus, leur suggestibilité, considérée traditionnellement comme universelle, semble plutôt reliée à des situations particulières et au style d'interrogation. Ross, Dunning, Toglia et Ceci (1990) ont recensé les études sur la façon dont les gens perçoivent le témoignage des enfants et ont trouvé qu'on ne peut en tirer des conclusions certaines concernant la crédibilité du témoignage des enfants ; quelquefois, on les croit davantage que leurs aînés, quelquefois, moins. Il semble y avoir d'importantes différences individuelles en ce qui a trait à la perception de la capacité des enfants, de même qu'à celle de la qualité de leur expression verbale.
2.3. Conclusion À l'intérieur des limites de ce chapitre, nous avons recensé deux des domaines les plus prolifiques de la recherche psycholégale. Plusieurs domaines importants de la loi, comme les dispositions touchant la santé mentale, le droit pénal (y inclus la responsabilité criminelle) et la procédure pénale, la responsabilité civile et professionnelle, n'ont par ailleurs pas été abordés, bien qu'ils aient stimulé un bon nombre de recherches. Tel que souligné par Saks (1986), les efforts éventuels des chercheurs dans ce domaine devront être au moins partiellement consacrés à l'exploration de domaines sous-représentés du milieu légal. Dans l'excellent ouvrage édité par Kagehiro et Laufer (1992), il est important de constater que plusieurs de ces domaines font maintenant partie du courant dominant et semblent, à ce titre, très prometteurs pour la recherche future.
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CHAPTTRE 3
L'utilisation des témoins experts dans les cours de justice au Québec Louis GÉLINAS, M.A. PSY, LL.B. Avocat, psychologue1
C'est d'abord à la demande des avocats que les experts en psychologie ont fait leurs premières apparitions devant les tribunaux. La raison en est fort simple : les avocats considéraient ces experts comme des alliés de choix pouvant les aider à gagner leur cause : Docteur, à la lumière de l'examen minutieux que vous avez fait de cette affaire, pouvez-vous dire au tribunal si selon vous, l'accusé est coupable de meurtre ? Non. À mon avis, au moment où le crime fut commis, l'accusé souffrait de troubles mentaux tels qu'il ne savait absolument pas ce qu'il faisait.
Cette scène s'est passée en 1843 lors du procès de Daniel M'Naghten, accusé du meurtre du secrétaire particulier du premier ministre d'Angleterre. M'Naghten fut acquitté de cette accusation pour cause d'aliénation 1. L'auteur est psychologue et avocat au sein du cabinet Pasquin et associés de Montréal.
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mentale. La cour se fonda essentiellement sur le témoignage du psychiatre pour conclure qu'au moment de la commission de l'infraction, l'accusé ne distinguait pas le bien du mal et que, par conséquent, il ne pouvait être déclaré coupable de meurtre2. Dans ce procès, comme dans bien d'autres par la suite, ce sont des experts qui ont fait penché la balance de la justice. Parfois en faveur de l'accusé, parfois en faveur de la poursuite. Et quelquefois au profit de la vérité, comme dans l'affaire de Guy-Paul Morin. Morin est cet homme qui fut récemment innocenté par une cour d'Ontario après avoir passé près de dix ans en prison pour un meurtre qu'il n'a jamais commis3. C'est une preuve d'expert, soit le résultat d'un test d'ADN, qui a permis d'établir hors de tout doute raisonnable que Morin ne pouvait être l'auteur du meurtre pour lequel il avait été condamné. Il ne fait donc maintenant plus aucun doute : les experts influencent les juges, leurs décisions et par conséquent, l'administration de la justice. Et c'est précisément pour cette raison que les avocats font appel à leurs services depuis près de deux siècles. Mais cette « invasion » des tribunaux par les experts ne s'est pas faite sans susciter quelques résistances. Ainsi, en 1982, la Cour suprême du Canada fut invitée à préciser les conditions d'admissibilité de ces témoignages d'experts de plus en plus fréquents. Dans l'affaire Abbey4, le plus haut tribunal du pays établissait le principe suivant : le témoignage d'un expert est admissible lorsque la question en litige nécessite des « connaissances spécialisées » qui dépassent les connaissances communes du juge des faits. La Cour écrivait à cet effet : « Le rôle d'un expert est de fournir au juge une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire5 ». D'un point de vue strictement juridique, un avocat devrait donc faire appel aux services d'un expert chaque fois qu'une question en litige lors du procès nécessite des connaissances spécialisées pouvant aider le tribunal à prendre une décision pleinement éclairée. Dans certains cas, en l'absence d'une telle preuve ou lorsqu'il l'estime autrement nécessaire, le tribunal devrait même pouvoir ordonner d'office qu'une telle expertise soit réalisée.
2. The Queen v. Daniel M'Naghten, [1843] 8 England Report 718. 3. The Queen v. Guy-Paul Morin, 23 janvier 1995, Cour d'appel de l'Ontario. 4. LaReine c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24. 5. Id., à la page 42.
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L'expérience nous enseigne toutefois que le recours aux experts par les avocats repose davantage, dans bien des cas, sur des motifs de nature stratégique plutôt que sur un véritable désir d'aider le tribunal à prendre la meilleure décision. Un avocat ne fera en effet appel aux services d'un expert que lorsqu'il sait d'avance que cet élément de preuve militera en sa faveur et qu'il l'aidera à convaincre le juge ou le jury. Par ailleurs, le pouvoir des tribunaux de demander eux-mêmes une expertise psychologique indépendante est encore très limité. Dans ce contexte, l'utilisation des experts dans les cours de justice peut parfois servir d'autres fins que la recherche ultime de la vérité, ce que le psychologue devrait toujours avoir à l'esprit au moment d'accepter un mandat et lors de son témoignage devant le tribunal. Dans ce chapitre, nous tenterons de préciser dans quelle mesure les différents mandats actuellement confiés aux psychologues québécois permettent d'éclairer adéquatement les juges siégeant en matière criminelle, familiale et en protection de la jeunesse. Ce faisant, nous identifierons quelques pièges guettant les psychologues experts dans la rédaction de leur rapport et lors de leur témoignage devant le tribunal. De façon plus globale, nous tenterons de voir si l'utilisation que font actuellement les avocats des psychologues experts profite réellement aux juges et favorise une administration plus juste et plus éclairée de la justice. 3.1. Pourquoi un avocat fait-il appel aux services d'un psychologue expert ? On l'a déjà dit, un avocat fait essentiellement appel à un expert pour gagner sa cause. Néanmoins, l'avocat ne sera autorisé à introduire cet élément de preuve lors d'un procès que lorsque le témoignage de l'expert est directement « pertinent » à la résolution du litige soumis au tribunal6. Cette pertinence doit être évaluée par le juge du procès en fonction des faits particuliers de chaque affaire7. En matière familiale, le témoignage d'un psychologue est presque toujours considéré comme un élément de preuve pertinent à la détermination des droits de garde et d'accès d'un enfant8. Il en va de même du témoignage d'un psychologue aux fins de déterminer les mesures à prendre auprès d'une famille suite à une déclaration de situation de compromission, à la Chambre de la jeunesse9. Il est donc très fréquent que des avocats fassent
6. La Reine c. Lupien, [1970] R.C.S. 263. 7. La Reine c. Mohan, [1994] 4 R.C.S. 223. 8. Louis Gélinas et Bartha Maria Knoppers, « Le rôle des experts en droit québécois en matière de garde, d'accès et de protection » (1993), 53 Revue du Barreau du Québec 3-80. 9. Id.
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appel aux services de psychologues experts devant ces tribunaux. Mais ces demandes ont-elles toujours pour objectif - ou pour résultat - d'aider le tribunal à rendre une décision plus éclairée ? 3.1.1. LE TÉMOIGNAGE DU PSYCHOLOGUE EXPERT EN MATIÈRE DE PROTECTION DE LA JEUNESSE La pertinence des expertises psychologiques en matière de protection de la jeunesse ne fait maintenant plus de doute. Il est donc fréquent que l'avocat du directeur de la protection de la jeunesse demande à un expert de procéder à une évaluation psychosociale de la famille, que ce soit pour déterminer si la situation d'un enfant est compromise au sens de la Loi sur la protection de la jeunesse10, ou pour décider des mesures à prendre à la suite d'une déclaration de compromission. L'avocat du père, de la mère ou les deux le cas échéant, pourront aussi demander leur propre expertise afin de réfuter ces conclusions. Enfin, l'avocat désigné pour représenter les intérêts de l'enfant pourra lui aussi juger utile de demander une expertise indépendante visant à préciser les désirs et les besoins spécifiques de l'enfant face aux demandes de sa famille et du DPJ11. La Loi sur la protection de la jeunesse octroie également aux juges le pouvoir de demander, et parfois même d'ordonner, qu'une évaluation psychosociale soit réalisée auprès de la famille. En fait, il apparaît que ce ne sont plus les questions relatives à l'admissibilité du témoignage des experts qui posent problème en ce domaine, mais plutôt la multiplication de ces expertises12. En effet, on constate depuis quelques années un accroissement considérable du nombre d'experts appelés à intervenir dans un même dossier de protection13. Une étude québécoise, réalisée en 1994 à la Chambre de la jeunesse du district de Montréal révèle ainsi que dans plus de 60 % des dossiers de protection, au moins deux experts différents sont intervenus auprès de la famille. Les résultats indiquent que dans 20 % des cas, il y a même eu plus de quatre évaluations réalisées par autant d'experts auprès de la famille14. Cette multiplication des interventions - et des intervenants - a certainement de quoi inquiéter.
10. L.R.Q., c. P-34.1. 11. L'article 80 de la L.P.J. prévoit en effet que le tribunal doit nommer un procureur à l'enfant lorsque son intérêt est opposé à celui de ses parents. 12. Louis Gélinas, Nicole Roy et Bartha Maria Knoppers, « Étude empirique du processus d'expertise en droit québécois en matière de garde, d'accès et de protection de la jeunesse », (1994) 26 Revue de droit d'Ottawa 579-626. 13. Paule Lamontagne « L'expertise psycho-légale au tribunal de la famille », dans A. Ruffo (dir.), Les enfants et la justice, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1991; Nicole Ménard, « Y a-t-il abus d'expertises psycho-légales dans les causes de garde d'enfant ? », (1994) 1 Psychologie Québec 8. 14. Gélinas, Roy et Knoppers, précités, note 12.
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Il semble que cette situation soit en partie attribuable à l'inefficacité du système de protection de la jeunesse à assurer un suivi adéquat des familles. On constate en effet que deux, trois et parfois même quatre intervenants se succèdent dans un même dossier et que chacun d'eux ne procède qu'à une évaluation partielle de la situation familiale. Les chercheurs notent à cet effet : «Il nous faut dès lors constater que 92% des évaluations sont réalisées par le DPJ ou à sa demande. Aussi, hormis les cas où le tribunal ordonne une évaluation, le DPJ semble responsable de la multiplication des évaluations dans un même dossier. [...] En fait, ce n'est pas tant le nombre de rapports qui pose problème, mais le fait que différents experts sont appelés à réaliser seulement une partie de l'évaluation. Une incursion dans les données de notre recherche concernant le processus d'évaluation démontre que seulement 33 % des experts rencontrent tous les membres de la famille. Cela signifie que dans plusieurs dossiers de protection, aucun des experts n'a procédé à une évaluation complète, c'est-à-dire à une évaluation menée auprès de tous les membres de la famille. Puisque peu d'experts rencontrent systématiquement tous les membres de la famille, la nécessité, pour le DPJ, d'offrir au tribunal un portrait global de la situation familiale suscite une multiplication inutile des évaluations qui aurait pu être évitée. Plus encore, cette pratique donne lieu à une multiplication inutile des évaluations réalisées auprès des enfants. En effet, dans les dossiers de protection incluant deux rapports d'experts ou plus, les enfants sont, en moyenne, rencontrés par trois experts différents15 ». Cette situation pourrait certainement être améliorée par l'assignation d'un seul expert par dossier, chargé de procéder à une évaluation globale de la famille et au besoin, d'effectuer des mises à jour de ces examens. Par ailleurs, il importe de signaler que la loi prévoit que les parents peuvent refuser de se soumettre à une évaluation psychologique demandée par le DPJ ou même par le tribunal, tant que le directeur de la protection de la jeunesse n'a pu prouver, par d'autres moyens, l'existence d'une situation d'abus physiques ou sexuels16. Les articles 86 et 87 de la L.P.J. prévoient en effet que : 86. Avant de rendre une décision sur les mesures applicables, le tribunal doit demander au directeur de faire une étude sur la situation sociale de l'enfant. Le directeur peut, à sa discrétion, ou doit, si le tribunal le requiert, y joindre une évaluation psychologique ou médicale de l'enfant et des membres de sa famille ou toute autre expertise qui peut être utile. [...]
15. Gélinas, Roy et Knoppers, précités, note 12, aux pages 600-601. 16. Commission de protection des droits de la jeunesse, Loi sur la protection de la jeunesse, texte annoté, Montréal, SOQUIJ, 1990, aux pages 340-341.
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87. Les parents de l'enfant ou celui-ci, s'il est âgé de 14 ans et plus, peuvent refuser de se soumettre à une étude, à une évaluation ou à toute autre expertise visée par l'article 86. En cas de refus de l'enfant, l'étude, l'évaluation ou l'expertise n'a pas lieu et le refus de l'enfant ainsi que, le cas échéant, le refus des parents sont constatés dans un rapport transmis au tribunal. Lorsque l'enfant, s'il est âgé de 14 ans et plus, consent à se soumettre à une telle étude, évaluation ou expertise, celle-ci a lieu même si les parents refusent de s'y soumettre; en tel cas, le refus des parents est constaté dans un rapport soumis au tribunal. Toutefois, ni les parents ni l'enfant ne peuvent refuser de se soumettre à une telle étude, évaluation ou expertise lorsque celle-ci est requise à l'égard d'une situation visée au paragraphe g) de l'article 38.
(c'est nous qui soulignons) Cela signifie donc que le pouvoir du tribunal d'ordonner une expertise se limite aux situations prévues à l'article 38g) de la loi, soit les cas d'abus physiques ou sexuels. Et pour que le tribunal puisse rendre une telle ordonnance, le DPJ devra d'abord prouver que l'enfant a été victime de tels abus de façon indépendante, i.e. sans avoir à obtenir la participation des parents à une évaluation psychosociale. Dans ce contexte, le psychologue qui accepte de réaliser des expertises en matière de protection doit faire preuve d'une grande prudence dans la rédaction de son rapport et lors de son témoignage devant le tribunal. Par exemple, s'il a été mandaté par le procureur d'un enfant de moins de 14 ans pour procéder à une expertise psychologique de la famille mais que les parents refusent, conformément à leurs droits, de participer à cette évaluation, celui-ci ne sera pas en mesure de confirmer ou d'infirmer l'existence d'une situation d'abus par les parents. Il est en effet contraire aux principes scientifiques généralement reconnus en psychologie de prétendre qu'un parent que l'on n'a pas rencontré est l'auteur des abus dont l'enfant allègue avoir été victime17. Le psychologue pourra tout au plus émettre l'opinion que l'enfant présente les traits caractéristiques habituellement observés chez un enfant abusé, mais ne devrait émettre aucune opinion quant à l'identité de l'abuseur. À cet effet, mentionnons le cas d'un psychologue mandaté pour procéder à l'évaluation psychologique d'un enfant ayant déclaré à sa mère avoir été victime d'abus sexuels de la part de son père. Lors de ses rencontres avec le psychologue, l'enfant répéta avoir fait l'objet d'abus sexuels de la part de son père : « Papa a fait pipi dans ma bouche. Son pipi était blanc. Ça goûtait mauvais. » Dans son rapport, le psychologue rapporte évidemment les propos de l'enfant et écrit que l'enfant a « possiblement » fait l'objet d'abus sexuels de la part de son père. Il suggéra donc qu'une 17. Voir à cet effet le Guide de pratique en matière d'expertise psycholégale dans les cas d'allégations de sévices sexuels, publié par l'Ordre des psychologues du Québec en 1993.
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évaluation plus approfondie soit faite du père, qui avait refusé de le rencontrer. Ce psychologue fut néanmoins trouvé coupable de ne pas avoir respecté les principes scientifiques généralement reconnus en psychologie pour avoir suggéré que le père avait possiblement abusé de son enfant sans l'avoir rencontré. Un psychologue devrait également s'abstenir d'affirmer qu'un enfant a assurément fait l'objet de sévices sexuels. En effet, dans l'état actuel des recherches en psychologie, on considère qu'il n'existe aucun instrument de mesure capable de supporter avec certitude une telle affirmation18. Certains juges du Tribunal de la jeunesse ont d'ailleurs appliqué les principes formulés dans le Guide de pratique en matière d'expertise psycholégale dans les cas d'allégations de sévices sexuels, publié par l'Ordre des psychologues du Québec en 1993, afin d'évaluer la crédibilité du rapport d'un psychologue expert portant sur l'évaluation d'un père accusé d'avoir abusé sexuellement de l'une de ses filles. Dans un de ces jugements, le juge Jacques Roy souligne que les tests projectifs, les jeux libres et l'utilisation de poupées ne font pas le consensus au sein de l'Ordre des psychologues quant à la validité des indices qu'ils procurent à l'expert19. Le psychologue qui se prononce sur de telles questions doit donc le faire avec prudence, i.e. en termes de probabilité plutôt que de certitude. On le voit, les mandats d'expertise en matière de protection comportent de nombreuses difficultés, particulièrement en ce qui concerne les allégations d'abus sexuels. Cela tient, d'une part, à la difficulté d'évaluer avec certitude si ces allégations sont véridiques à partir des méthodes actuellement disponibles20, mais aussi aux mandats partiels confiés aux psychologues qui ne sont pas toujours en mesure de rencontrer toutes les personnes impliquées, notamment les deux parents. En pratique, les parents acceptent généralement de collaborer avec le juge du Tribunal de la jeunesse21. Les choses peuvent toutefois se gâter lorsque trois ou quatre intervenants se succèdent auprès d'une même famille. Le désir de collaborer peut alors céder le pas à l'épuisement ou à l'exaspération des parents. L'attribution d'un pouvoir aux juges de la Chambre de la jeunesse de désigner un seul expert, chargé de procéder à une évaluation globale de l'ensemble de la famille, pourrait peut-être constituer une solution à cette situation. Actuellement, la loi ne leur confère ce pouvoir qu'une fois qu'une situation d'abus physiques ou sexuels a été prouvée par le DPJ par des
18. Id. 19. Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, N° : 520-41-000054-941 et 520-41-000050-949. 20. Voir à cet effet le texte de Dianne Casoni. Voir aussi le Guide de pratique en matière d'expertise psycholégale dans les cas d'allégations de sévices sexuels, précité, note 17. 21. Gélinas, Roy et Knoppers, précités, note 12, à la page 597.
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moyens indépendants22. On peut se demander si dans ce contexte, les avocats, les juges et les experts sont en mesure d'assurer efficacement la protection des enfants dont la sécurité physique ou psychologique peut être en danger. 3.1.2. LE TÉMOIGNAGE DU PSYCHOLOGUE EXPERT EN MATIÈRE DE GARDE ET DE DROIT D'ACCÈS Le nombre d'experts appelés à témoigner à la Cour supérieure du Québec, devant la Chambre de la famille, a également augmenté au cours des vingt dernières années23. Toutefois, contrairement à la situation observée à la Chambre de la jeunesse, il ne semble pas y avoir devant ce tribunal « d'abus » d'expertises par les parties. Des chercheurs notent à cet effet : « Certains auteurs ont exprimé des craintes concernant un usage abusif des expertises en matière familiale. Plus encore, une étude de la jurisprudence démontre que certains dossiers comportent un nombre élevé d'évaluations psychosociales. Il y avait donc lieu de croire qu'il existait une tendance à recourir systématiquement à l'expertise psychosociale lors de litiges concernant la garde ou les droits d'accès et à multiplier inutilement les évaluations des familles et des enfants. Or, une étude empirique réalisée au Palais de justice de Montréal en 1994 révèle qu'en matière familiale, les parties ne font pas systématiquement appel aux services d'un expert et que la multiplication des évaluations psychosociales dans un même dossier est peu fréquente. En matière familiale, moins de 3 % des dossiers dans lesquels une demande de garde ou de droit d'accès est formulée incluent une expertise psychosociale de la famille, des enfants, ou des deux. Les statistiques du Service d'expertise psychosociale du district de Montréal confirment ces résultats. En effet, entre le 1er avril 1992 et le 31 mars 1993, le Service a reçu 157 demandes d'évaluation psychosociale. De ce nombre, 97 demandes ont été menées à terme. Si l'on présume que pendant cette période, environ 6358 dossiers comportant une demande de garde ou de droit d'accès ont été ouverts, cela signifie que seulement 1,5 % des dossiers ont fait l'objet d'une demande d'expertise par le tribunal24 ». Pourtant, il est maintenant bien établi que l'opinion d'un psychologue est un élément de preuve « pertinent » et parfois même « nécessaire » à la détermination du droit de garde ou d'accès d'un enfant. Des recherches ont en effet démontré que les avocats et les juges ne possèdent pas toujours les connaissances ou la formation requises pour bien évaluer les besoins spécifiques des enfants, compte tenu des différents
22. Articles 86 et 87 de la L.P.J. 23. P. Lamontagne, précité, note 13; N. Ménard, précitée, note 13. 24. Gélinas, Roy et Knoppers, précités, note 12, aux pages 581-582.
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stades de leur développement25. Qui plus est, les critères d'appréciation du meilleur intérêt de l'enfant utilisés par les tribunaux ne font pas l'objet d'une application uniforme, ni d'une approche essentiellement fondée sur les besoins propres à l'enfant26. Comment peut-on alors expliquer que les avocats fassent si peu appel aux services d'experts afin d'aider les juges siégeant en matière familiale à prendre une décision pleinement éclairée ? Une première réponse pourrait se trouver dans le fait que dans la presque totalité des cas, les questions relatives à la garde et à l'accès sont réglées à l'amiable par les avocats en dehors du tribunal27. Néanmoins, la loi prévoit que nonobstant toute entente intervenue entre les parties concernant la garde des enfants, le tribunal a l'obligation de s'assurer que celle-ci correspond au meilleur intérêt de l'enfant28. Le juge siégeant en matière familiale a donc l'obligation de s'assurer que les modalités d'exercice de garde et d'accès négociées par les avocats ont été établies dans le meilleur et le seul intérêt des enfants, et non celui des parents. Par exemple, une « garde partagée » à alternance hebdomadaire qui répond très bien aux besoins particuliers de parents travailleurs autonomes correspond-elle aussi aux véritables besoins d'un enfant qui fréquente l'école? Des droits de visite d'une fin de semaine par mois consentis à un père peuvent-ils en certains cas se révéler insuffisants pour le développement d'un garçon en bas âge ? En l'absence d'expertise demandée par les parties, sur quels éléments le juge peut-il alors s'appuyer pour prendre une décision pleinement éclairée ? Actuellement, la loi permet aux juges de la Cour supérieure du Québec de « proposer » aux parents de se soumettre à une expertise psychosociale lorsqu'ils l'estiment nécessaire. Les parents peuvent toutefois refuser de participer à cette évaluation29. S'ils acceptent, celle-ci est alors réalisée par un expert indépendant chargé de procéder à une évaluation de l'ensemble de la famille. A Montréal, l'évaluation est faite par un expert rattaché au Service d'expertise psychosociale des centres jeunesse, dont les bureaux sont situés au Palais de Justice de Montréal. Les frais d'expertise sont alors
25. Claire Bernard, Robin Ward et Bartha Maria Knoppers, « The Best Interest of the Child Exposed : A Portrait of Quebec Custody and Protection Law », (1992) 11 Can. J. Fam. Law 57. 26. Id. 27. Gélinas, Roy et Knoppers, précités, note 12, à la page 588. 28. L'article 16(9) de la Loi sur le divorce prévoit en effet que : « En rendant une ordonnance de garde, le tribunal ne tient compte que de l'intérêt de l'enfant à charge, défini en fonction de ses ressources, de ses besoins et, d'une façon générale, de sa situation » (nos italiques). Dans le cas de conjoints non mariés, l'article 33 du Code civil du Québec stipule que : « Les décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. » 29. L'article 23.2 des Règles de pratique de la Cour supérieure du Québec en matière familiale prévoit à cet effet : « Le juge ne rend une ordonnance d'expertise psycho-sociale que du consentement des parties. »
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assumés par le ministère de la Justice. En région, ces demandes sont adressées à des experts de pratique privée. Leurs honororaires peuvent également être défrayés par le ministère de la justice. Bien que ce service soit à leur disposition et qu'il soit gratuit, il semble que les juges fassent encore très peu de demandes d'expertise psychosociale en matière familiale30. Les statistiques du Service d'expertise psychosociale de Montréal démontrent en effet que seulement 1,5 % des dossiers comportant une demande de garde ou d'accès ont fait l'objet d'une demande d'expertise par le tribunal31. Cette situation peut s'expliquer de deux façons. D'une part, il se peut que les tribunaux estiment qu'ils n'ont pas besoin de cet élément d'information pour prendre leur décision (et ce, bien qu'ils soient contredits à cet égard par l'ensemble des études réalisées en ce domaine). Il se peut également que ce soient les parents qui refusent de se soumettre à cette évaluation réalisée par un expert indépendant désigné par la tribunal. En effet, l'étude réalisée en 1994 au Palais de justice de Montréal révèle que « les parents impliqués dans un litige familial ne privilégient pas l'expertise conjointe. Seulement 35 % des rapports d'experts sont réalisés suite à une demande conjointe des parents. Plus encore, bon nombre de parents préfèrent faire appel à des experts distincts afin que l'expert choisi défende uniquement leurs intérêts32 ». Ainsi, dans plus de 30 % des dossiers où une expertise favorable fut produite par l'un des parents, une contreexpertise fut demandée par l'autre parent pour réfuter ces conclusions. Dans ce contexte, il apparaît évident que le recours aux services des experts relève davantage d'une stratégie de la part des avocats que d'un souci de rechercher uniquement le meilleur intérêt de l'enfant. La conséquence en est que deux et parfois même trois experts sont appelés à rencontrer - et à administrer les mêmes tests - aux mêmes personnes, dont les enfants. La désignation obligatoire d'un expert indépendant par le tribunal pourraitelle constituer, à cet égard, une mesure efficace pour déterminer le meilleur intérêt des enfants sans avoir à les soumettre à des évaluations multiples et répétitives ? Cette solution avait déjà été préconisée par le juge en chef de la Cour supérieure du Québec en 199433. A l'heure actuelle, la jurisprudence semble encore incertaine à savoir si la Cour supérieure possède le pouvoir d'« ordonner » à des parents de se soumettre à une expertise psychologique.
30. Gélinas, Roy et Knoppers, précités, note 12. 31. Id. 32. Id. 33. Nicole Ménard, « Y a-t-il abus d'expertises psycho-légales dans les causes de garde d'enfant ? », (1994) 1 Psychologie Québec 8.
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Certains auteurs34 sont d'avis que l'article 414(1) du Code de procédure civile du Québec pourrait permettre au tribunal d'ordonner à des parents de se soumettre à une expertise psychologique, lorsque cette évaluation est nécessaire afin de prendre une décision juste et pleinement éclairée quant au meilleur intérêt de l'enfant35. D'autres juges se sont reconnu un pouvoir plus restreint d'ordonner à une mère de se soumettre à une « contreexpertise » demandée par le père, après que celui-ci eut accepté de se soumettre à une première évaluation réalisée par un psychologue dont les services avaient été retenus par la mère et dont les conclusions lui étaient défavorables36. Il semble toutefois que la majorité des juges se refusent encore à rendre de telles ordonnances, préférant tirer une conclusion défavorable du refus d'un parent de se soumettre à une telle évaluation. Rappelons par ailleurs que la loi oblige les juges siégeant en matière familiale à prendre la décision qui répond le mieux au « meilleur intérêt de l'enfant »37. À cette fin, l'opinion d'un psychologue expert se révèle parfois nécessaire38. Cela veut-il dire qu'en l'absence d'une telle preuve ou devant des témoignages d'experts contradictoires, le tribunal devrait pouvoir « imposer » une évaluation indépendante aux parties, malgré leur désaccord ? Le principal argument que l'on pourrait opposer à la reconnaissance d'un pouvoir du tribunal d'ordonner à des parents de se soumettre à une évaluation psychologique repose sur le principe de l'inviolabilité de la personne et sur le droit à la vie privée; deux droits fondamentaux garantis par les chartes des droits de la personne. De plus, il apparaît évident, sur un plan pratique, que même un juge ne peut forcer une personne à collaborer à une évaluation psychologique contre son gré. Dans un tel contexte, les résultats obtenus n'auraient, de toute façon, aucune valeur probante. Par ailleurs, le refus des parents de se soumettre à une telle évaluation devrait-il être considéré comme un élément de preuve « pertinent » à la décision du juge ? Cette approche présupposerait d'une part que le refus du parent deviendrait en soi un critère de détermination du meilleur intérêt de l'enfant, ce qui semble peu défendable sur le plan psychologique, connaissant le contexte conflictuel difficle dans lequel se déroulent trop souvent les séparations. De plus, il nous apparaîtrait injuste de tirer une conclusion défavorable du choix des parents d'exercer des droits qui leur sont garantis par la charte.
34. Voir à cet effet l'article de L. Gélinas et B. Knoppers, précité, note 8, aux pages 18 à 24. 35. L'article 414(1) C.P.C. prévoit que : « le tribunal peut, même de sa propre initiative, s'il est d'avis que les fins de la justice peuvent être ainsi mieux servies : ordonner une expertise par une personne qualifiée, qu'il désigne, pour l'examen, la constatation et l'appréciation des faits relatifs au litige ». 36. Droit de la famille-628, [1989] R.D.F. 321 (Cour d'appel du Québec). 37.Voir note 28. 38. Gélinas, Roy et Knoppers, précités, note 12, à la page 581.
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Il semble donc qu'une réflexion s'impose quant aux moyens dont disposent actuellement les juges siégeant en matière familiale pour déterminer le meilleur intérêt de l'enfant. En effet, les règles actuelles, fondées sur le principe du débat contradictoire, laissent aux avocats l'entière discrétion de décider si une expertise psychosociale de la famille est nécessaire ou pertinente. Pire encore, elles leur permettent de décider à leur guise des conditions dans lesquelles cette expertise sera réalisée et dans certains cas, de multiplier inutilement les évaluations auprès des enfants, ce qui manifestement n'est pas dans leur « meilleur intérêt ». 3.1.3. LE TÉMOIGNAGE DU PSYCHOLOGUE EXPERT EN MATIÈRE CRIMINELLE On constate qu'au cours des dernières années, les experts en psychologie ont contribué de façon significative à l'évolution du droit criminel canadien. En effet, ce sont des psychologues qui ont aidé les tribunaux à mieux comprendre les comportements des agresseurs sexuels et ceux des enfants victimes de tels abus. Des psychologues ont aussi permis l'émergence de nouveaux moyens de défense fondés essentiellement sur le résultat de recherches en psychologie, comme ce fut le cas par exemple pour le « syndrome de la femme battue ». A. Le syndrome de la femme battue : l'affaire Lavallée Angélique Lyn Lavallée était victime de violence conjugale depuis plusieurs années. Un soir où le couple recevait des amis, une dispute éclata et le conjoint de madame Lavallée l'avisa qu'ils « régleraient leur problème » plus tard. Une fois la visite partie, celui-ci commenca à violenter madame Lavallée qui se réfugia dans la chambre à coucher. Elle prit alors une arme se trouvant dans le placard et pointa son conjoint. Celui-ci quitta la pièce en lui disant qu'elle serait mieux de le tirer sans quoi il le ferait lui-même à son retour. Madame Lavallée tira son conjoint dans le dos, alors que celuici quittait la chambre. Ce dernier succomba à ses blessures et elle fut accusée de meurtre. Lors du procès, l'avocat de madame Lavallée plaida la légitime défense. La poursuite répliqua au juge que selon la loi, pour réussir dans ce moyen de défense, l'accusée devait prouver qu'au moment de tirer sur son conjoint, elle faisait face à un danger immédiat pour sa vie et que le geste qu'elle a posé était nécessaire pour lui éviter d'être tuée elle-même. Pour le procureur de la poursuite, cela n'était plus le cas puisque le conjoint de madame Lavallée quittait la pièce lorsqu'elle l'a abattu et qu'elle aurait très bien pu verrouiller la porte pour appeler la police.
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À l'appui de son moyen de défense, l'avocat de madame Lavallée fit entendre le docteur Fred Shane, un psychiatre qui expliqua au tribunal que Mme Lavallée souffrait du « syndrome de la femme battue ». Ce syndrome permet d'expliquer que l'accusée, même si son conjoint avait quitté la pièce, percevait toujours sa présence dans la maison comme un danger immédiat pour sa vie et que la seule solution qu'elle pouvait envisager à ce moment était de tirer avant qu'il ne revienne la tuer elle-même. Sur l'admissibilité de ce type de preuve, la Cour suprême souligne d'abord que le témoignage de l'expert répond aux critères établis en 1982 dans l'arrêt Abbey, à savoir qu'une pleine compréhension du comportement de madame Lavallée exige des connaissances spécialisées en psychologie : Une preuve d'expert relative à l'effet psychologique que peut avoir la violence sur les épouses et les conjointes de fait doit, me semble-t-il, être à la fois pertinente et nécessaire dans le contexte du présent litige. En effet, comment peut-on juger de l'état mental de l'appelante sans cette preuve ? On peut pardonner au citoyen (ou au juré) moyen s'il se demande : Pourquoi une femme supporterait-elle ce genre de traitement ? Pourquoi continueraitelle à vivre avec un tel homme ? Comment pouvait-elle aimer quelqu'un qui la battait tellement qu'elle devait être hospitalisée ? On s'attendrait à ce que la femme plie bagage et s'en aille. N'a-t-elle aucun respect de soi ? Pourquoi ne part-elle pas refaire sa vie ? Telle serait la réaction de la personne moyenne devant ce qu'il est convenu d'appeler le « syndrome de la femme battue ». Nous avons besoin d'aide pour le comprendre et cette aide, nous pouvons l'obtenir d'experts compétents en la matière39.
La Cour prit ensuite appui sur le témoignage du docteur Shane pour conclure que même si la réaction de Mme Lavallée ne constitue pas un acte de légitime défense au sens établi traditionnellement par la jurisprudence canadienne, l'opinion formulée par l'expert permet de conclure à l'existence d'un « syndrome de la femme battue » qui, dans le contexte de cette affaire, explique que madame Lavallée croyait sincèrement agir en état de légitime défense lorsqu'elle a tiré sur son conjoint : En présence d'une preuve établissant qu'une accusée est victime de violence, le témoignage d'expert peut, en expliquant la sensibilité accrue de la femme battue aux actes de son partenaire, aider le jury à décider si cette accusée avait des « motifs raisonnables » pour appréhender la mort au moment où elle a agi. Je doute qu'en l'absence d'un tel témoignage, le juge des faits moyen soit en mesure de comprendre pourquoi sa crainte subjective a pu être raisonnable dans le contexte de la situation où elle se trouvait40. [...]
39. Lavallée c. La Reine, [1990] 1 R.C.S. 852, aux pages 871-872. 40. À la page 882.
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La situation de la femme battue décrite par le docteur Shane me paraît présenter une certaine analogie avec celle de l'otage. Si l'auteur de la prise d'otage lui dit qu'il le tuera dans trois jours, est-il en principe raisonnable que l'otage saisisse une occasion qui s'offre le premier jour de le tuer ou doit-il attendre l'exécution de la menace le troisième jour ? À mon sens, le jury doit se demander si, compte tenu des antécédents, des circonstances et des perceptions de l'appelante, sa croyance qu'elle ne pouvait éviter d'être tuée par [son conjoint] la nuit en question qu'en le tuant d'abord était raisonnable. Dans la mesure où elle peut aider le jury dans cette décision, je conclus que la preuve d'expert est à la fois pertinente et nécessaire41.
On le voit, dans cette affaire, le témoignage d'un expert en psychologie a directement influencé le verdict rendu par la Cour et a même permis la reconnaissance d'un nouveau moyen de défense fondé directement sur le résultat d'études réalisées en psychologie. Dans le même ordre d'idées, le témoignage de psychologues a aussi permis d'améliorer considérablement les connaissances des juges face au témoignage des enfants victimes d'abus sexuels. B. Le témoignage des enfants victimes d'abus sexuels Traditionnellement, on a toujours refusé de permettre à des psychologues experts de venir témoigner pour établir la crédibilité d'un témoin42. Cette approche se justifiait par le principe établi dans l'affaire Abbey, selon lequel la preuve d'expert n'est admissible que lorsqu'elle porte sur un sujet qui exige des connaissances spécialisées en psychologie, ce qui n'est pas le cas de l'évaluation de la crédibilité des témoins, une tâche qui relève exclusivement du rôle du juge des faits43. La Cour suprême a toutefois reconnu une exception à ce principe dans la cause de R. c. B.(G.), rendue en 199044. Dans cette affaire, un professeur était accusé d'avoir abusé sexuellement pendant plusieurs années d'enfants placés sous sa responsabilité. Ces enfants n'avaient toutefois porté plainte que plusieurs années après la commission des infractions. Lors du procès, la poursuite voulut faire entendre un expert afin d'expliquer pourquoi un enfant victime d'abus sexuels attend parfois plusieurs années avant de dénoncer les agressions dont il a été victime. La défense s'objecta à l'admissibilité de cette preuve en plaidant que l'évaluation de la crédibilité des témoins relève exclusivement du rôle du juge des
41. À la page 889. 42. La Reine c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398. 43. Id. 44. La Reine c. B.(G.), [1990] 2 R.C.S. 30.
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faits. La Cour suprême donna raison à la défense quant au principe, mais conclut néanmoins qu'une pleine compréhension du comportement des enfants victimes d'abus sexuels exige des connaissances spécialisées dans le domaine de la psychologie de ces personnes ; des connaissances qui dépassent celles que possèdent normalement les juges. La Cour écrit même que dans les cas d'agression sexuelle contre des enfants, « l'opinion d'un expert est souvent d'une valeur inestimable45 ». Il est donc maintenant permis de faire entendre des experts afin d'expliquer pourquoi un enfant victime d'abus sexuels peut ne porter plainte contre son agresseur que plusieurs années plus tard. Les tribunaux ont également statué qu'on pouvait permettre à un expert de venir témoigner sur les raisons pouvant inciter un enfant qui a déjà déclaré avoir été victime d'abus sexuels, à nier soudainement ces allégations lorsqu'il est confronté à son agresseur ou lorsqu'il est interrogé devant le tribunal46. La Cour suprême du Canada a même établi, dans une décision importante rendue en 1993, que le témoignage d'un expert pouvait également être admissible afin d'aider le tribunal à jauger la crédibilité d'un enfant en très bas âge que l'on croit avoir été victime d'abus physiques, mais qui éprouve de la difficulté à témoigner devant la Cour 47. Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que le témoignage d'un psychologue était admissible afin d'éclairer le tribunal sur les comportements caractéristiques des victimes de tels abus : La crédibilité doit toujours être le résultat de l'opinion du juge ou du jury sur les divers éléments perçus au procès, de son expérience, de sa logique et de son opinion à l'égard de l'affaire. La question de la crédibilité relève de la compétence des profanes. [...] En revanche, il se peut que certaines parties de la déposition d'un témoin dépassent la capacité d'un profane de comprendre, et justifient donc le recours au témoignage d'expert. C'est le cas particulier pour le témoignages d'enfants. Par exemple, dans le cas d'un enfant qui omet de se plaindre sans tarder d'une agression sexuelle, on pourrait ordinairement conclure que l'enfant invente un récit après coup, poussé par la malice ou un autre stratagème calculé. Des témoignages d'experts ont été à bon droit présentés pour expliquer pourquoi il arrive fréquemment que de jeunes victimes d'agression sexuelle ne portent pas plainte immédiatement. Ces témoignages sont utiles et peuvent même être essentiels à un juste verdict.
45. À la page 55. 46. La Reine c. j. (FE.), (1989) 53 C.C.C. (3d) 64 (Cour d'appel de l'Ontario). 47. La Reine c. Marquard, Cour suprême du Canada, le 21 octobre 1993, N° 22940.
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Pour cette raison, il est de plus en plus largement reconnu que, si le témoignage d'expert sur la crédibilité d'un témoin n'est pas admissible, le témoignage d'expert sur le comportement humain et les facteurs psychologiques et physiques qui peuvent provoquer un certain comportement pertinent quant à la crédibilité, est admissible, pourvu qu'il aille au-delà de l'expérience ordinaire du juge des faits48.
La Cour d'appel du Québec a récemment entériné cette position dans l'affaire Labrecque, où l'on a conclu que « l'opinion unanime des trois experts quant à l'état de dépendance problématique de l'enfant à l'égard de sa mère comportait, en l'espèce, des indices de fiabilité suffisants pour que le juge soit convaincu qu'il était possible que les déclarations antérieures de l'enfant [concernant les abus dont il disait avoir été victime] soient vraies49 ». Ces deux décisions sont extrêmement novatrices dans la mesure où les tribunaux ont autorisé un expert à se prononcer directement sur l'évaluation de la crédibilité d'un témoin enfant, un rôle que l'on avait traditionnellement réservé au juge des faits50. Encore une fois, on constate que les études menées en psychologie ont permis de mieux comprendre certains facteurs susceptibles d'influencer l'issue d'un procès, en l'occurrence le comportement parfois irrationnel des victimes d'abus sexuels. Ces témoignages sont admissibles pour aider le juge à évaluer adéquatement la crédibilité de ces victimes et en bout de ligne, à rendre un verdict plus éclairé. Il semble que les tribunaux aient toutefois exprimé plus de réserves face aux témoignages d'experts portant sur le comportement des personnes accusées d'avoir commis ces crimes. C. Le profil psychologique des agresseurs sexuels On constate en effet que les tribunaux se sont toujours montrés réticents à permettre à des psychologues d'émettre une opinion quant à savoir si l'accusé présente ou non le profil d'un agresseur sexuel et par conséquent, s'il peut ou non être coupable des infractions qui lui sont reprochées. Dans l'affaire Lupien51, la Cour suprême avait ainsi réitéré le principe selon lequel une preuve d'expert n'est pas admissible uniquement afin d'appuyer la crédibilité d'un accusé qui nie avoir commis une agression sexuelle.
48. Aux pages 22 et 23. 49. La Reine c. Labrecque, Cour d'appel du Québec, NO : 200-10-000087-952. 50. Voir aussi à cet effet: La Reine c. Burns, [1993] 4 R.C.S. 223. 51. La Reinec. Lupien, [1970] R.C.S. 263.
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La Cour suprême créa toutefois une exception à cette règle dans l'affaire Mohan52, où un médecin était accusé d'avoir agressé sexuellement plusieurs femmes d'âge adulte. Dans cette cause, la Cour précisa que le témoignage d'un expert pourrait être admissible lorsqu'en raison de la nature particulière du crime sexuel commis, celui-ci ne peut l'être que par des individus appartenant à un groupe anormal présentant des caractéristiques particulières et clairement identifiables : Avant d'admettre en preuve l'opinion d'un expert, le juge du procès doit être convaincu, en droit, que l'auteur du crime ou l'accusé possède des caractéristiques de comportement distinctives de sorte que la comparaison de l'un avec l'autre aidera considérablement à déterminer l'innocence ou la culpabilité. Bien que cette question repose sur le bon sens et l'expérience, elle n'est pas prise dans le vide. Le juge du procès devrait considérer, d'une part, l'opinion de l'expert et, d'autre part, si ce dernier exprime simplement une opinion personnelle ou si le profil de comportement qu'il décrit est couramment utilisé comme indice fiable de l'appartenance à un groupe distinctif. En d'autres termes, la profession scientifique a-t-elle élaboré un profil type du délinquant qui commet ce genre de crime ? Une conclusion affirmative sur ce fondement satisfera aux critères de pertinence et de fiabilité. Non seulement la preuve d'expert tendra à prouver un fait en litige, mais elle offrira aussi au juge des faits l'aide dont il a besoin53.
La Cour se refusa toutefois à permettre l'admission d'une preuve d'expert dans cette affaire puisque la défense n'avait pu démontrer que seuls des individus appartenant à un groupe distinctif et clairement identifiable pouvaient commettre les agressions qui étaient reprochées à l'accusé : À mon sens, le juge du procès a conclu qu'on ne peut dire de la personne qui a commis des agressions sexuelles sur de jeunes femmes qu'elle appartient à un groupe possédant des caractéristiques de comportement suffisamment distinctives pour faciliter l'identification de l'auteur des infractions reprochées. En outre, le fait que l'auteur allégué du crime est un médecin n'a pas facilité la question parce qu'il n'existe aucune preuve acceptable indiquant que les médecins qui commettent des agressions sexuelles tombent dans une catégorie distinctive à laquelle se rattachent des caractéristiques identifiables. Il n'était pas disposé à accepter que les caractéristiques de cette plainte étaient telles que seul un psychopathe pouvait avoir commis l'acte. Les profils de groupes décrits par l'expert n'ont pas été considérés suffisamment fiables pour être utiles. Compte tenu
52. La Reine c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. 53. Id., à la page 37.
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de ces conclusions, et appliquant les principes mentionnés ci-dessus, je dois conclure que le juge du procès a conclu à juste titre que, du point de vue juridique, la preuve était inadmissible54.
La Cour d'appel du Québec a toutefois permis une telle preuve d'expert dans l'affaire Garfinkle, où l'on reprochait à l'accusé, cette fois un psychiatre, d'avoir agressé sexuellement de jeunes garçons dans l'exercice de sa profession. La Cour conclut que seul un individu répondant au profil d'un pédophile aurait pu commettre de tels actes et que par conséquent, le témoignage d'un expert était admissible afin d'établir si l'accusé présentait ou non de telles caractéristiques particulières : [TRADUCTION] La question de savoir quelles prédispositions doivent être qualifiées d'anormales, d'étrangères à la nature humaine ordinaire, dans le but d'admettre la preuve psychiatrique, peut être difficile à trancher. Une prédisposition au sadisme est manifestement anormale. Les prédispositions à la violence (sauf le sadisme ou quelque chose de semblable) ou à la malhonnêteté sont manifestement trop communes pour être qualifiées d'anormales. Les infractions sexuelles sont plus difficiles à classer. Toutefois, qu'on l'appelle pédophilie ou autre, il me semble que la prédisposition chez un adulte à utiliser des garçons de 10 et 11 ans pour obtenir une gratification sexuelle doit être qualifiée d'anormale. En conséquence, en l'espèce, la preuve psychiatrique est admissible pour démontrer que Garfinkle n'a pas une telle prédisposition55. La Cour d'appel a récemment réitéré sa position dans l'arrêt Jean-Lyonel Janvier, rendue le 12 août 1998. Dans cette affaire, janvier était accusé d'avoir sodomisé un enfant de trois ans. En défense, l'avocate fit témoigner un expert à l'effet que l'accusé ne présentait pas le profil psychologique d'un pédophile et que par conséquent, il ne pouvait pas être coupable des accusations portées contre lui. Le juge du procès écarta cette preuve, qu'il jugea non pertinente. La Cour d'appel annula le verdict de culpabilité rendu en première instance et ordonna la tenue d'un nouveau procès, estimant que le témoignage de l'expert aurait dû être admis parce que seule une personne appartenant à un groupe spécifique, présentant des caractéristiques particulières, aurait pu commettre le type de crimes reprochés à l'accusé. La défense aurait donc dû être autorisée à faire entendre un expert afin d'établir que l'accusé ne présentait pas ce profil de personnalité et que par conséquent, il ne pouvait être l'auteur des crimes qui lui étaient reprochés : [TRADUCTION LIBRE] Le docteur Beltrami était en mesure d'établir le profil de personnalité de l'accusé, et d'évaluer si celui-ci répondait aux caractéristiques généralement observables chez une personne capable d'avoir des rapports sexuels anaux avec un enfant de trois ans. [...]
54. Id., aux pages 37 et 38. 55. Garfinkle c. La Reine, (1992) 14 C.R. (4th) 254 (Cour d'appel du Québec), aux pages 256 et 257.
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Il ressort du témoignage du docteur Beltrami que, comme ce fut le cas dans l'affaire Mohan, l'infraction reprochée à l'accusé implique un grand niveau de déviance sexuelle. Une déviance qui se caractérise autant par la nature même de l'acte commis que par le très jeune âge des victimes. « C'est un acte, dit-il, qui a des caractéristiques particulières et spécifiques ». À son avis, l'accusé ne présentait aucun des traits observables chez une personne pouvant commettre de tels actes.
Aussi, la Cour d'appel fut d'avis que la preuve d'expert aurait dû être admise, tout en laissant au juge chargé de présider le prochain procès de l'accusé le soin d'en évaluer la fiabilité afin de déterminer si l'accusé a pu ou non commettre les actes précis qui lui sont reprochés. Notons à cet effet qu'à l'heure actuelle, les recherches en psychologie ne permettent pas de déterminer avec certitude si une personne a pu commettre ou non une agression sexuelle. Les psychologues experts peuvent tout au plus indiquer au tribunal quelles sont les différentes caractéristiques observables chez un pédophile ou un psychopathe sexuel, pour ensuite évaluer si l'accusé présente ou non ces caractéristiques. Par contre, le psychologue devrait toujours se garder d'émettre une opinion quant à savoir si l'accusé a effectivement commis les infractions qui lui sont reprochées. La décision portant sur la culpabilité ou l'innocence de l'accusé revient de plein droit au juge des faits. Le psychologue qui se prononcerait sur cette « question ultime » déborderait non seulement de son rôle d'expert, mais s'exposerait à des poursuites disciplinaires. La jurisprudence a en effet établi qu'un psychologue ne peut, dans l'état actuel des recherches en psychologie, émettre une opinion arrêtée quant à savoir si l'accusé a commis ou non les crimes (sexuels) qui lui sont reprochés56. 3.2. Ce que l'avocat est en droit d'attendre du psychologue expert En permier lieu, l'avocat est en droit d'attendre de son expert qu'il soit compétent. La compétence implique non seulement que l'expert possède une bonne formation académique, notamment dans le domaine de l'évaluation psychologique, mais aussi qu'il ait acquis suffisamment d'expérience professionnelle dans le domaine sur lequel on lui demande d'émettre une opinion. On note d'ailleurs qu'un reproche fréquemment adressé aux psychologues faisant l'objet d'une plainte disciplinaire est leur manque d'expérience pratique. Ceci est particulièrement vrai dans les cas d'expertises en
56. Voir à cet effet le Guide de pratique en matière d'expertise psycholégale dans les cas d'allégations de sévices sexuels, précité, note 17.
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matière d'abus sexuels. Il est en effet très difficile pour un psychologue possédant peu d'expérience en ce domaine d'identifier les comportements propres aux agresseurs et aux enfants victimes d'abus sexuels. Un expert ne possédant pas une solide formation, appuyée d'une supervision et d'expérience pratique auprès de ces personnes, s'expose à commettre des erreurs de jugement qui trouveront plus souvent qu'autrement leur aboutissement dans un plainte disciplinaire et/ou dans une poursuite civile. Les avocats sont aussi en droit d'attendre d'un expert qu'il témoigne efficacement devant le tribunal. En effet, la compétence d'un expert s'évalue non seulement en fonction de son aptitude à évaluer une personne ou une situation, mais aussi à exprimer clairement son opinion devant la Cour. Le psychologue n'est pas qu'un simple témoin, il est un témoin expert. Et à ce titre il doit pouvoir «convaincre» le tribunal du bien-fondé des connaissances et de l'expérience qu'il possède. Mais attention, le rôle du psychologue expert n'est pas de convaincre le tribunal du bien-fondé de la position préconisée par le procureur qui a retenu ses services. L'expert doit aussi être impartial et indépendant d'esprit. En résumé, le psychologue doit donc être neutre à titre d'expert, tout en étant convaincant comme témoin. Un rôle qu'il n'est pas toujours facile de conserver dans notre système de débat contradictoire où une partie cherche à le faire trop parler... et l'autre à lui clouer le bec ! 3.3. Ce que le psychologue expert est en droit d'attendre de l'avocat La première chose que l'expert devrait exiger de l'avocat qui requiert ses services est un mandat clair et précis. La majorité des plaintes disciplinaires dirigées contre des psychologues ont en effet pour origine un mandat imprécis. Prenons un exemple. Un avocat fait appel aux services d'un psychologue dans le cadre d'une procédure de divorce afin d'évaluer la qualité des relations entre un enfant et son père. En cours d'évaluation, le psychologue apprend du père qu'il soupçonne le nouveau conjoint de son épouse de poser des gestes à connotation sexuelle à l'endroit de son enfant. Le psychologue apprend ensuite de l'enfant que le nouveau conjoint de sa mère l'a effectivement touché au pénis au moment de lui faire prendre son bain, mais qu'il n'avait rien perçu d'inapproprié à ce geste avant que son père ne lui dise que ce n'était pas correct. Enfin, lors de son évaluation de la mère, celle-ci lui apprend qu'elle est victime de violence physique et psychologique de la part de son ex-conjoint depuis des années. Le psychologue consigne toutes ces informations dans son rapport qu'il intitule simplement « rapport d'expertise psycholégale », et qui est en principe destiné à la Chambre de
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la famille pour aider le tribunal à décider des droits de garde et d'accès. Voyons maintenant ce qui peut advenir de ce rapport une fois remis entre les mains malfaisantes... des avocats ! D'abord, l'avocat du père pourrait déposer ce rapport devant le Tribunal de la jeunesse pour confirmer les allégations d'abus sexuels à l'endroit du nouveau conjoint de la mère. L'avocat de la mère pourrait aussi déposer ce rapport devant la Chambre de la famille, cette fois pour appuyer ses allégations de violence physique et psychologique. Éventuellement, le psychologue pourrait même être contraint de témoigner en cour criminelle par un substitut du procureur général qui aurait obtenu copie de ce rapport (par hasard... ou par l'avocat du père) et qui désire parfaire sa preuve contre le nouveau conjoint de la mère, faisant maintenant face à des accusations criminelles d'agression sexuelle. Dans tous ces cas, le psychologue pourrait se voir obligé de répondre à des questions qui se situent nettement en dehors du mandat initial qui lui avait été confié par l'avocat du père. Bien sûr, une fois son rapport déposé à la Cour, le psychologue s'expose à ce que celui-ci soit utilisé par les avocats à des fins purement stratégiques... et parfois même machiavéliques. C'est pour cette raison qu'il est très important que le psychologue précise dès le départ, avec l'avocat qui a retenu ses services, la nature précise du mandat qui lui est confié et l'objectif de l'évaluation ainsi réalisée. Mais surtout, ce mandat devra être consigné clairement dans le rapport. Ainsi, lorsque assigné à témoigner devant la cour criminelle à l'appui d'une plainte pour agression sexuelle, le psychologue pourra s'en remettre à son rapport pour expliquer au tribunal qu'il ne peut émettre d'opinion concernant la possibilité que l'enfant ait été victime d'abus sexuels de la part du nouveau conjoint de la mère, n'ayant pas procédé à une évaluation aussi spécifique des personnes concernées. La précision d'un mandat permettra généralement aux psychologues experts d'éviter les utilisations abusives que font parfois les avocats de leurs rapports, dans un but strictement tactique. On ne peut en effet forcer un expert à émettre une opinion sur ce qu'il n'a pas évalué. Mais encore fau-til que celui-ci précise, dans son rapport, les limites du mandat qui lui a été confié. Dans le domaine juridique plus que dans n'importe quel autre, le vieil adage « les paroles s'envolent, les écrits restent » trouve toute sa sagesse.
3.4. Le témoignage du psychologue devant le tribunal 3.4.1. LE TÉMOIGNAGE « FACULTATIF » DU PSYCHOLOGUE Une fois son rapport remis au procureur qui a retenu ses services, la première partie de son mandat est complétée et le psychologue ne peut qu'attendre de nouvelles instructions de sa part. Sera-t-il ou non assigné à témoigner lors du procès ?
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Évidemment, l'expert ne sera invité à partager ses conclusions avec le tribunal que si elles sont favorables au client que l'avocat représente. Si elles sont très favorables, alors il se peut que l'expert n'ait même pas à témoigner et que son rapport suffise pour inciter la partie adverse à régler le dossier « hors cour ». Si elles sont trop favorables pour permettre un règlement à l'amiable, alors il se peut que son témoignage soit requis à la cour. Il existe toutefois une condition préalable au témoignage de l'expert devant la cour. En effet, règle générale, un psychologue ne pourra être appelé comme témoin que si son rapport a d'abord été communiqué à la partie adverse. Le système de débat contradictoire implique qu'il y aura probablement combat entre les parties. Mais comme tout combat, celui-ci doit obéir à certaines règles d'équité et de justice. Ainsi, les « témoins surprises » auxquels nous a habitués Perry Mason ne sont (heureusement) plus permis devant nos tribunaux. La recherche de la vérité présuppose la transparence de la preuve qu'entend soumettre chacune des parties afin de prouver ses prétentions. En matière familiale, le psychologue ne peut donc être assigné à témoigner devant le tribunal que si son rapport a préalablement été déposé au greffe de la cour, conformément aux dispositions établies par la loi. Cette règle vise à permettre à la partie adverse de prendre connaissance du contenu du rapport avant le procès afin de demander, le cas échéant, une contre-expertise visant à réfuter les conclusions de cet expert. Il existe toutefois une exception à cette règle. Une « exception » qui malheureusement, devient de plus en plus... fréquente devant les tribunaux. Voici la situation. L'avocat A demande à un psychologue de procéder à une évaluation du père seulement, afin de déterminer ses aptitudes parentales. Les résultats obtenus étant mitigés, l'avocat A décide de ne pas assigner cet expert à témoigner lors du procès. Par contre, l'avocat B qui représente la mère, apprend l'existence de ce rapport et constatant que Me A ne le dépose pas en preuve, se doute bien que l'expertise n'est pas favorable au père... mais l'est peut-être pour la mère. Il lui fait donc parvenir un subpoena lui enjoignant de venir témoigner « pour la mère » lors du procès. Plusieurs problèmes peuvent alors surgir. D'abord, le psychologue peut-il témoigner devant la cour à la demande de Me B ? En principe, il ne le peut pas parce qu'il est tenu au respect du secret professionnel à l'endroit de son seul et unique client, le père. Par contre, Me B pourrait néanmoins demander au juge, dans l'intérêt de l'enfant, d'ordonner que le contenu de ce rapport soit divulgué afin de lui permettre de décider du droit de garde en pleine connaissance de cause. La
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plupart des juges refuseront de contraindre le psychologue à passer outre au secret professionnel, un droit garanti par l'article 9 de la Charte des droits de la personne du Québec57, qui prévoit que : 9. Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel [...] ne peut, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel. (c'est nous qui soulignons)
Le psychologue faisant face à une telle situation devrait donc agir de la façon suivante. D'abord, il doit communiquer avec l'avocat qui a retenu ses services, soit Me A, pour l'informer de la situation et lui demander la position à adopter face à la demande de Me B. Si Me A l'autorise à témoigner, alors il devra s'assurer d'obtenir du client, soit le père, un consentement libre et éclairé et ce, sous forme écrite. Les articles 38 et 39 du Code de déontologie des psychologues du Québec58 prévoient en effet que : 38. Le psychologue est tenu au secret professionnel. 39. Le psychologue peut être relevé de son secret professionnel par autorisation écrite de son client ou si la loi l'ordonne.
Par contre, si Me A - et son client - ne délivrent pas le psychologue de son obligation (légale et déontologique) au secret professionnel, alors il devra en principe refuser de répondre à toute question qui lui serait adressée par le procureur de la partie adverse. Le défaut de respecter le secret professionnel dans ces circonstances constituerait non seulement une faute déontologique passible de sanctions disciplinaires, mais également une faute civile pouvant faire l'objet d'une poursuite en dommages-intérêts. Nous traitons de cette situation à la section 3.5. Évidemment, si le psychologue reçoit néanmoins de Me B un subpoena lui enjoignant de comparaître devant la cour pour y rendre témoignage, celui-ci doit se rendre au tribunal à la date précisée, puisqu'il s'agit d'un ordre de la cour. Le psychologue qui omettrait - ou refuserait - d'obtempérer à un subpoena s'expose en effet à des sanctions judiciaires59.
57. L.R.Q., c. C-12. 58. C-26, r. 148.1. 59. Louis GÉLINAS, Michel ALAIN et Lyne THOMASSIN, La place et le rôle du psychologue dans le système judiciaire québécois, Eastman, Éditions Behaviora, 1994, à la page 212.
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Une fois devant le tribunal, le psychologue devra toutefois informer le juge présidant la cause qu'il n'est pas autorisé à témoigner du résultat de son évaluation avec le père, puisqu'il n'a pas été relevé de son obligation au secret professionnel par ce dernier60. Dans la majorité des cas, comme la loi le prévoit, le juge a l'obligation d'assurer le respect du secret professionnel. Il peut toutefois arriver qu'en certaines circonstances, un juge décide pour une raison ou pour une autre de relever le psychologue de son secret professionnel. Certains auteurs ont exprimé l'opinion que cette décision est illégale, puisque contraire à l'article 9 de la Charte des droits de la personne du Québec61. Par ailleurs, le refus d'un témoin de répondre à une question du tribunal pourrait constituer un outrage au tribunal. Il semble que la solution la plus prudente pour le psychologue consisterait à demander poliment au juge de lui permettre d'être représenté par un avocat pour débattre de cette question, parce qu'il se trouve alors placé dans une situation où il pourrait contrevenir à son code de déontologie. Dans l'éventualité ou en bout de ligne, le psychologue se verrait contraint de témoigner à la demande de Me B, il doit alors s'assurer d'expliquer clairement au tribunal qu'il lui est impossible de se prononcer sur le droit de garde, puisqu'il n'a pas eu l'opportunité de rencontrer la mère et d'évaluer ses aptitudes parentales. En effet, la jurisprudence issue du Comité de discipline de l'Ordre des psychologues du Québec indique clairement qu'il est contraire aux principes scientifiques généralement reconnus en psychologie de se prononcer sur le choix du parent gardien, sans avoir préalablement rencontré les deux (2) parents62. On le voit, malgré un mandat initial clair de la part de l'avocat A, le psychologue s'est retrouvé, bien malgré lui, piégé dans une situation délicate où l'avocat B a exercé sur lui certaines pressions afin de le forcer à témoigner en marge de son mandat initial, et en violation de son obligation au secret professionnel. Assurément, la pratique de l'expertise psycholégale en matière familiale n'est pas toujours de tout repos, et nécessite non seulement une bonne formation et une supervision continue, mais également une bonne dose de tolérance au stress ! En protection de la jeunesse, la loi prévoit que les parties doivent remettre à toutes les personnes impliquées le rapport d'un expert avant que celui-ci ne témoigne devant le tribunal63. Encore une fois, cette mesure vise
60. Voir à cet effet l'article de Michel Hivon, « Le secret professionnel et la Cour », dans Psychologie Québec, mai 1996, page 11. 61. Jean Grothé, « Le secret professionnel et les tribunaux », dans Psychologie Québec, mars 1992, page 9 ; Michel Hivon, « Les limites de la confidentialité », dans Psychologie Québec, janvier 1995, page 5. 62. Comité de discipline des psychologues-2, [1990] D.D.C.P. 223. 63. Article 88(1) de la L.P.J.
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à être équitable à l'endroit de toutes les personnes visées par ce rapport, qui ont également le droit d'en contester les conclusions. Les mêmes difficultés que celles précédemment exposées peuvent toutefois se présenter. Enfin en matière criminelle, les règles concernant le divulgation des rapports d'experts avant le procès varient selon qu'il s'agit d'un expert de la défense ou de la poursuite. En effet, la jurisprudence impose à la poursuite l'obligation de communiquer à la défense toute « preuve pertinente » que celui-ci entend produire lors du procès64. Une telle obligation n'est pas imposée à la défense qui pourrait, en théorie, ne pas aviser la poursuite qu'elle est en possession d'un rapport d'expert appuyant la non-culpabilité de l'accusé65. La défense pourrait donc, en théorie toujours, faire entendre un témoin expert dont la venue n'aurait pas été divulguée à la poursuite avant le procès. Si tel devait être le cas toutefois, il est fort probable que la poursuite obtiendrait de la cour une continuation du procès afin de lui permettre de contester les conclusions de ce témoignage en faisant entendre, le cas échéant, son propre expert. Afin d'éviter ces remises inutiles de procès, il est donc fréquent que les avocats de la défense avisent préalablement les procureurs de la poursuite de leur intention de présenter une preuve d'expert et leur remettent une copie de ce rapport. 3.4.2. LE TÉMOIGNAGE « FORCÉ » DU PSYCHOLOGUE Il importe de signaler qu'en matière criminelle, des psychologues pourraient théoriquement être appelés à témoigner devant le tribunal sans avoir jamais même reçu de mandat à cet effet. En effet, deux jugements récents rendus par la Cour suprême du Canada autorisent la divulgation judiciaire des dossiers détenus par des psychothérapeutes n'ayant jamais reçu ni accepté de mandat d'expertise psycholégale. La Cour suprême statuait ainsi, dans l'affaire O'Connor rendue en 1995, que le droit à une défense pleine et entière de l'accusé justifie parfois que l'on ordonne à un psychologue de divulguer devant la Cour le contenu de ses entrevues avec une victime d'agression sexuelle et ce, nonobstant son désaccord. Dans cette affaire, un prêtre était accusé d'avoir abusé sexuellement de plusieurs de ses élèves pendant de nombreuses années. Ce n'est que beaucoup plus tard que certains d'entre eux, s'étant engagés dans une démarche de psychothérapie, décidèrent de porter plainte aux policiers. Lors du procès, l'avocat de la défense demanda à avoir accès aux dossiers psychologiques des plaignants afin d'évaluer la crédibilité de leurs allégations,
64. La Reine c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326. 65. De récentes propositions de modification du Code criminel canadien laissent toutefois entendre que dans l'avenir, la défense pourrait être tenue de divulguer à la poursuite, avant le procès, les rapports d'expert qu'elle entend déposer. Ces modifications n'étaient toutefois pas encore adoptées au moment d'écrire ces lignes.
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survenues si tardivement. Les victimes, de même que les intervenants concernés, s'opposèrent farouchement à la divulgation de ces renseignements confidentiels obtenus sous le sceau du secret professionnel. La Cour suprême avait donc à trancher entre le droit au secret professionnel et à la vie privée des victimes d'agression sexuelle, et le droit d'un accusé d'obtenir tous les renseignements possiblement utiles à sa défense. Après avoir fait une analyse minutieuse de toutes les questions en jeu, la Cour pencha en faveur de la divulgation de ces renseignements à la défense. La Cour précise toutefois que ces demandes de communication des dossiers psychologiques des victimes ne doivent pas constituer de simples « expéditions de pêche » de la part d'un accusé en mal de moyens de défense. Celui-ci devra en effet pouvoir démontrer au tribunal, avant que celui-ci n'ordonne la communication des dossiers, en quoi les renseignements qui y sont contenus sont directement pertinents à sa défense, par exemple une allégation de fabrication récente des accusations par les victimes. On le voit, les règles applicables à la confidentialité des dossiers psychologiques des victimes d'agression sexuelle ont été passablement atténuées par les tribunaux au cours des dernières années66. Et des psychothérapeutes qui n'ont jamais eu l'intention de mettre les pieds devant un tribunal de leur vie pourraient donc se retrouver, du jour au lendemain, appelés à divulguer le contenu de leurs entretiens privilégiés devant le juge, les avocats... et leur client ! L'utilisation des psychologues par les avocats ne se limite donc plus aux experts qui ont choisi d'en faire leur champ d'activité professionnelle, mais à tous les psychologues pouvant avoir reçu, même dans la quiétude de leur cabinet de consultation, des confidences pouvant intéresser un avocat dont le seul mandat est de présenter devant la cour toutes les preuves susceptibles de l'aider à gagner sa cause ! 3.5. La responsabilité civile et professionnelle des psychologues experts Nous avons déjà souligné à plusieurs reprises dans le cadre de ce chapitre les risques inhérents à la pratique de l'expertise psycholégale. D'une part, le psychologue s'expose à des poursuites disciplinaires pour ne pas avoir respecté les règles d'éthique et les principes scientifiques généralement observés par les membres de sa profession. Ces plaintes sont introduites
66. Voir à cet effet l'article d'Allannah Furlong et Michèle S. Lefebvre, « La confidentialité des dossiers et la Cour suprême » publié dans Psychologie Québec, novembre 1997, aux pages 30-31.
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auprès du syndic de l'Ordre des psychologues. Le psychologue s'expose également à des poursuites civiles qui visent à obtenir non pas sa tête, mais son portefeuille. Ces recours sont introduits devant les tribunaux de droit communs. Ces poursuites sont parfois justifiées, mais sont d'autres fois motivées par le désir sournois d'écarter du dossier un expert gênant. On constate en effet que même les experts les plus compétents et les plus intègres doivent maintenant faire face à ce qu'on pourrait appeler, la « stratégie de la plainte disciplinaire et de la poursuite civile ». Qu'y a-t-il de plus facile pour un avocat qui doit faire face à un rapport gênant - et à un expert embêtant -, que de suggérer à leur client de porter plainte au syndic contre ce trouble-fête et d'intenter contre lui une poursuite de cent mille dollars afin de rendre son témoignage un peu. plus... inquiétant ? Une première plainte pourra ainsi être déposée au bureau du syndic de l'Ordre des psychologues, par exemple pour non-respect des règles de l'art et pour bris de confidentialité. Une seconde poursuite, cette fois de nature civile, pourra être simultanément intentée en vue de réclamer une somme importante d'argent pour souffrance morale et atteinte à la réputation par suite de la divulgation du rapport de l'expert. Une fois devant le tribunal pour témoigner de son rapport, le psychologue ne peut (déontologiquement) qu'informer le juge de la situation d'« apparence » de conflit d'intérêts dans laquelle il se trouve maintenant placé. Par ailleurs, nous sommes d'avis que le tribunal devrait refuser de tomber dans ce piège et constater qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts « réel », puisqu'au moment où le rapport a été rédigé, aucune plainte n'avait été formulée à l'endroit de l'expert. L'avocat de la partie adverse tentera bien sûr d'argumenter que l'expert n'est maintenant plus en mesure de témoigner de façon neutre et objective, sachant que des poursuites disciplinaires et civiles ont été intentées contre lui par celui qui fait l'objet du rapport. À cet égard, les chiffres parlent d'eux-mêmes67: 1981-1982 34 plaintes reçues au bureau du syndic, dont 7 en matière d'expertise psycholégale ; 1984-1985 53 plaintes reçues au bureau du syndic, dont 21 en matière d'expertise psycholégale; 1993-1994 89 plaintes reçues au bureau du syndic, dont 32 en matière d'expertise psycholégale ;
67. Ces statistiques sont tirées des rapports annuels publiés par l'Ordre des psychologues du Québec.
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1995-1996 105 plaintes reçues au bureau du syndic, dont 42 en matière d'expertise psycholégale ; 1997-1998 101 plaintes reçues au bureau du syndic, dont 36 en matière d'expertise psycholégale. Cette augmentation du nombre de plaintes déontologiques portées en matière d'expertise psycholégale peut s'expliquer de deux façons. D'une part, on constate que ce moyen est de plus en plus utilisé pour écarter un expert gênant d'un dossier. Heureusement, plusieurs juges refusent de tomber dans ce traquenard tendu par les clients (parfois à la suggestion de leur avocat) et choisissent d'entendre quand même les psychologues, afin d'évaluer objectivement les résultats de leur expertise. Il n'en reste pas moins que le psychologue coincé dans cette situation devient beaucoup moins volubile et donc, n'est pas toujours en mesure d'exécuter aussi efficacement le mandat qu'on lui avait confié au départ et, en bout de ligne, d'aider aussi bien la Cour à prendre la meilleure décision. Par ailleurs, force est d'admettre que toutes ces plaintes ne sont pas frivoles. À ce sujet, encore quelques statistiques. Pour l'année 1997-1998, des 42 plaintes retenues par le Syndic et qui furent par conséquent soumises au Comité de discipline pour qu'une audition soit tenue, 20 portaient sur des fautes directement reliées à la pratique de l'expertise psycholégale68. De ces 20 dossiers, 3 plaintes se sont soldées par un plaidoyer de culpabilité de la part du psychologue, alors que 17 psychologues ont choisi de subir un procès. De ce nombre, 4 ont été déclarés coupables par le Comité de discipline alors que 2 ont été acquittés des accusations portées contre eux. Les 11 autres dossiers étaient toujours en cours d'instruction au moment d'écrire ces lignes. On le voit, près de la moitié de toutes les plaintes jugées fondées par le syndic concernent la pratique de l'expertise psycholégale. Et sur les 9 dossiers traités pendant l'année 1997-1998, le Comité de discipline a conclu que 7 psychologues avaient effectivement commis une faute professionnelle. Le manque de formation et d'expérience pratique de ces psychologues pourraient expliquer la plupart de ces fautes. Face à toutes ces statistiques, une conclusion s'impose : il est impératif pour tout psychologue oeuvrant en ce domaine de se munir d'une solide assurance « disciplinaire ». Il importe à cet effet de mentionner que le programme d'assurance auquel tous les psychologues membres de l'Ordre des psychologues du Québec sont tenus d'adhérer ne couvre pas ce type de recours. En effet, le programme obligatoire de l'Ordre vise à protéger le public, soit les clients ayant subi des dommages suite à l'intervention d'un psychologue. Il s'agit donc d'une assurance de nature « civile », à distinguer
68. Statistiques tirées du Rapport annuel 1997-98 publié par l'Ordre des psychologues du Québec.
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de l'assurance qui couvre les poursuites disciplinaires qui sont entreprises contre le psychologue par son propre ordre professionnel et contre lequel il doit alors se défendre. Ce type d'assurance doit être pris séparément... et assurément ! Par ailleurs, on constate que le nombre de poursuites civiles intentées contre des psychologues semble aussi vouloir aller en augmentant depuis quelques années. Par contre, il semble que très peu de ces poursuites connaissent du succès et conduisent effectivement à un jugement condamnant le psychologue à payer une somme d'argent. Mentionnons toutefois le cas de ce psychologue condamné à payer une somme de 25 000 $ à son client pour diffamation et violation du secret professionne169. Dans cette affaire de divorce, un père avait confié au psychologue le mandat (partiel) de procéder à son évaluation psychologique. Suite à son évaluation, le psychologue rédigea un rapport dans lequel il écrivit que le père présentait les traits de personnalité d'un pervers sexuel. Celui-ci remit une copie de son rapport au procureur du père qui - évidemment - mit fin à son mandat et l'assujettit de nouveau au secret professionnel. Sans avoir reçu d'autorisation écrite à cet effet, le psychologue devait néanmoins informer la mère du résultat de son évaluation et de son opinion à l'égard du père. La mère assigna - évidemment - ce psychologue à témoigner lors de l'audition de la cause et le tribunal permit le dépôt de son rapport. Celui-ci fut toutefois contredit par cinq autres experts qui ont tous écarté l'hypothèse que le père ait une déviance sexuelle. Le père intenta par la suite une action civile contre le psychologue, pour avoir brisé le secret professionnel et pour le préjudice moral subi par le dépôt de ce rapport. En effet, celui-ci a été privé de ses droits de visite auprès de son enfant qui de surcroît, a développé par la suite un syndrome d'aliénation parentale. Le tribunal condamna le psychologue à payer au père une somme de 25 000 $. Même si dans cette affaire, la faute commise par ce psychologue était grossière et inexcusable, on peut croire que la tendance des tribunaux à condamner les psychologues incompétents, de mauvaise foi ou simplement négligents, aille en s'accroissant dans les prochaines années. Doit-on en conclure que tout acte posé par un psychologue peut faire l'objet d'une poursuite civile impliquant sa responsabilité financière ? À cet égard, on ne saurait exiger d'un psychologue plus que ce que l'on exige d'un autre professionnel. La jurisprudence québécoise a déjà établi qu'en ce domaine, les professionnels sont tenus à une « obligation de moyens » et non à une « obligation de résultats ». On peut ainsi s'attendre d'un psychologue qu'il soit en mesure d'offrir à ses clients des services professionnels qui répondent aux règles de l'art et aux normes d'exercice
69. Droit professionnel-1, [1992] R.R.A. 11 (Cour supérieure du Québec).
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communes à sa profession. Par contre, tout comme deux médecins peuvent différer d'opinion concernant un diagnostic, deux psychologues peuvent également en arriver à des conclusions différentes au terme de leur évaluation d'une même personne. On ne saurait non plus exiger d'un psychologue qu'il puisse établir avec certitude si un enfant a fait l'objet d'abus sexuels. On peut toutefois s'attendre à ce qu'il possède les qualifications requises pour procéder à ce type d'évaluation et que ce faisant, il s'appuie sur les principes scientifiques généralement reconnus au sein de sa profession en cette matière. La responsabilité civile du psychologue expert en est donc une de « moyens » (soit les standards généralement reconnus au sein de sa profession) et non de «résultats ». Le psychologue qui désire pratiquer l'expertise psycholégale doit donc s'assurer de posséder la formation et l'expérience nécessaires pour respecter les principes scientifiques généralement reconnus en psychologie, dans le domaine particulier où il se propose d'intervenir. En effet, un expert en matière de garde ne se qualifie pas nécessairement à titre d'expert en matière d'abus sexuels d'enfants ou en évaluation des personnes accusées d'agression sexuelle. Tout psychologue ne peut prétendre être un expert. Et un expert ne peut prétendre l'être dans tous les domaines. À chacun son métier et les chèvres de Monsieur Séguin seront bien gardées... et les poursuites civiles et disciplinaires évitées !
3.6. Conclusion Dans l'état actuel du droit, on peut douter que les différentes règles applicables à l'admissibilité de la preuve d'expert permettent toujours d'assurer que les juges disposent de tous les éléments de preuve pertinents à leur prise de décision. Ces lacunes reposent en partie sur l'absence d'un pouvoir des tribunaux de demander eux-mêmes une expertise psychologique indépendante des personnes au sujet desquelles ils ont à rendre une décision. Elles s'expliquent également par les objectifs stratégiques poursuivis par les avocats dont le mandat est de défendre le mieux possible les intérêts de leur client. Puisque c'est l'avocat qui a recours aux services du psychologue expert, son rapport est généralement utilisé aux mêmes fins. Le rôle joué par les psychologues experts auprès des tribunaux n'en reste pas moins important et primordial. Celui-ci doit toutefois rester vigilant afin de ne pas être que l'arme des parties, mais un témoin objectif et indépendant capable d'aider de façon significative le tribunal à prendre une décision plus éclairée. Le psychologue expert est détenteur des connaissances scientifiques généralement reconnues en psychologie. Le témoignage d'un expert est admissible précisément parce qu'il possède des connaissance spécialisées
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qui se situent en dehors des connaissances communes du juge des faits. Le rôle de l'expert est donc d'en faire profiter le tribunal, du mieux qu'il peut et dans le respect des règles d'éthique de sa discipline. Madame - Monsieur, jurez-vous de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? Je le jure. ... Votre nom ?
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CHAPITRE 4
Réflexions sur la légitimité du psychologue comme expert DIANNE CASONI
La question de la place à accorder à l'expertise du psychologue devant la cour, notamment dans les dossiers d'allégation de sévices sexuels, est essentielle. Le débat dont nous n'esquisserons que les grandes lignes est d'une grande importance au plan social et juridique et porte sur une question éthique fondamentale pour le psychologue. Quiconque produit une évaluation psychologique dans un dossier de garde d'enfant ou d'allégations de sévices sexuels est susceptible d'y être confronté que ce soit par le juge, par l'avocat de la partie adverse, par un des adultes impliqués dans l'allégation, par un collègue ou encore par les médias. En ce sens, il est impérieux d'être au fait de l'existence même de ce débat comme psychologue expert et il est non moins important que chacun soit en mesure éventuellement, comme professionnel spécialisé, de s'y positionner afin d'éviter de commettre dans l'exercice de son travail professionnel des erreurs graves de jugement, soit par naïveté soit par insouciance. La fonction du psychologue comme expert est remise en question par le jugement de la cour suprême des États-Unis qui balise d'une façon restrictive la connaissance scientifique. À la suite
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d'une analyse poussée de Brodeur (1998) au sujet des impacts de ce jugement sur le témoignage expert, cet auteur est amené à conclure que l'expertise des spécialistes tant en sciences humaines que sociales n'est pas souhaité par la Cour. En effet, peu de sciences, hormis les sciences naturelles, peuvent répondre aux critères énoncés par la Cour suprême1. Les impacts de ce jugement de la Cour suprême américaine (Daubert et al. v. Merrell Dow Pharmaceutical inc., 113 S.Ct. 2786 (1993)) a donné lieu à un débat animé sur la place des psychologues comme experts dans tous les domaines d'expertise. Nulle part ailleurs que dans le domaine des agressions sexuelles d'enfants le psychologue est-il cependant autant confronté aux termes de ce débat. C'est pourquoi nous choisissons ce champ d'expertise comme cas de figure spécifique pour discuter d'un débat qui, ultimement, concerne tous les champs de pratique de l'expert psychologue.
4.1. Le psychologue comme expert Ainsi plusieurs auteurs (voir Mason, 1991, pour une discussion de ce problème) ont remis en question de façon catégorique le recours à l'expertise psychologique dans les cas où une allégation de sévices sexuels est posée. Néanmoins, les psychologues sont toujours aussi fréquemment sollicités tant par des acteurs des instances sociales que judiciaires dès qu'une allégation de sévices sexuels est prononcée. Le fait que le psychologue soit d'emblée vu par ces acteurs comme un spécialiste et un expert à consulter contribue, certes, d'une part, à légitimer ce champ de pratique. Mais, d'autre part, ce fait doit aussi inciter tout psychologue à mettre en garde ses interlocuteurs contre l'illusion que le psychologue expert soit un devin. Les arguments invoqués qui nourrissent ce débat, il est utile de le rappeler, sont parfois présentés en cour par certains procureurs lorsque vient le moment de débattre du statut d'expert à accorder ou non au psychologue. 4.2. Psychologue : expert légitime? Le débat chaudement nourri, notamment aux États-Unis, sur la pertinence de recourir à des psychologues experts dans les causes d'allégations de sévices sexuels prend sans doute racine dans l'illusion, à la fois rassurante et fort contestable, que les connaissances du psychologue lui permettent de « savoir », en dépit de l'absence de faits probants ou de témoins, ce qu'il en 1. Brodeur (1998) précise : « the ruling actually raises many difficulties, particularly in view of the application of its first criterion of scientificity-testabilaty. This criterion may directly constrain the admissibility of psychiatric testimony. » P 34.
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est de la réalité d'une agression sexuelle alléguée. Ainsi, très souvent le psychologue est vu, grâce à ses techniques d'évaluation, ou encore en raison de sa connaissance approfondie de la nature humaine, comme étant en mesure de percer le mystère entourant la plupart des allégations de sévices sexuels concernant un enfant. Dans ce débat, Brodzinsky (1993) a raison lorsqu'il avance que le psychologue expert n'a à sa disposition aucun outil ni aucune technique lui permettant de déterminer quel est le fondement dans la réalité d'une allégation de sévices sexuels. En effet, les connaissances scientifiques sur lesquelles est basée l'expertise professionnelle du psychologue ne permettent pas, et ne permettront probablement jamais, ni lors d'allégation de sévices sexuels ni dans plusieurs autres champs de pratique d'ailleurs, d'émettre des opinions qui soient le reflet assuré de la réalité. Toutefois, cela ne permet pas selon nous de conclure, de ce fait, que le psychologue n'a pas sa place au tribunal comme expert. Cependant, est-ce que la tâche véritable de l'expert en psychologie serait de savoir si une allégation de sévices sexuels a eu lieu ou non dans la réalité ? Il faut aussi demander s'il ne peut émettre une opinion pertinente et utile que s'il s'agit d'une certitude. Ces deux questions sont fondamentales dans l'actuel débat. Un expédient facile à ce débat pourrait alors amener l'expert psychologue à présenter ses conclusions comme s'il s'agissait de certitudes. Voilà bien un piège à éviter, d'abord parce que tout « savant » se doit d'avoir l'humilité d'avouer que les certitudes se comptent sur les doigts de la main, dans la grande majorité des sciences, y compris en psychologie. En ce sens, l'expert ne sera que rarement en mesure d'affirmer une opinion au sujet d'une allégation de sévices sexuels audelà de tout doute. En effet, le plus souvent, s'il est en mesure de le faire, c'est qu'il recourt alors à un tel réductionnisme que son opinion n'éclairerait aucunement le tribunal et qu'il ne mériterait alors certainement pas un statut d'expert. Pire, si d'aventure un psychologue prétendait qu'il est parfaitement sûr et certain de ses conclusions, ce propos comporterait alors un caractère fallacieux et trompeur. Ces pièges ont été discutés abondamment depuis la dernière décennie et sont bien résumés dans les travaux récents de Penfold (1996) et de Shetky (1992) pour ne nommer que deux auteurs. Ce débat doit cependant être amené un pas plus loin : le psychologue expert dans les cas d'allégations de sévices sexuels a-t-il à être devin, faute de quoi son opinion n'aurait aucune valeur? Certes, il arrive que l'on puisse attendre pareille capacité de l'expert. L'importance de la responsabilité que supporte celui qui ne sait pas si la décision qu'il prendra se révélera dans le meilleur intérêt de l'enfant ne doit certainement pas être banalisée. Dans un nombre incalculable de cas, un intervenant social se trouve confronté à des dilemmes angoissants sur les enjeux et les conséquences des décisions qu'il aura à prendre. Par exemple, si l'enfant est réellement victime d'attouchements du père, il doit judiciariser ce cas afin de protéger l'enfant de son père, mais si les craintes de la mère ne sont pas fondées, l'intervenant ne
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risque-t-il pas de causer un préjudice à la famille, et à l'enfant au premier chef, en soutenant la plainte de la mère? Croire, en pareille circonstance, que le psychologue expert consulté posséderait un savoir presque infaillible est certainement tentant. De même, l'exigence de justice qui anime un magistrat qui doit juger de la culpabilité des personnes accusées dans ces causes est probablement une des plus difficiles à exercer. Espérer alors que la difficulté de la tâche puisse être résolue par la science d'un psychologue expert est fort légitime. Inversement, il est aisé d'imaginer comment la frustration de cet espoir qui peut survenir en constatant les limites de l'opinion du psychologue expert peut donner lieu à un rejet immérité et massif de l'expertise pourtant utile des psychologues dans ce champ de pratique. À défaut d'être devin, le psychologue doit-il attendre le jour, fort improbable, où la psychologie sera rendue à un tel niveau de sophistication méthodologique qu'elle sera en mesure de vérifier ses avancées théoriques, bref, qu'elle pourra se dire une science « exacte », à la manière des sciences naturelles, avant que l'on puisse, comme experts, prétendre à une quelconque légitimité ? Bien qu'une telle position ne se défende que dans une vision fort réductionniste de l'ensemble des connaissances qui forment notre corpus de connaissances et d'habiletés professionnelles, la critique qui est ainsi faite des capacités prédictives de notre science doit néanmoins être prise au sérieux. Par exemple, nos instruments de mesure comportent, en effet, des limitations très importantes. Cependant, il est nécessaire que les psychologues soient conscients que les conceptualisations théoriques du développement humain, du fonctionnement mental normal et pathologique, de la personnalité, de la psychosexualité et de ses déviances, bref, que les opinions expertes que nous émettons sont de beaucoup en avance sur nos capacités d'en vérifier empiriquement les bien-fondés. Cet aspect de dissymétrie entre théories et vérifications empiriques n'est certes pas le propre de la psychologie et est commun aussi bien à toutes les branches des sciences humaines et des sciences sociales, dont l'économie, ainsi qu'à de larges pans des sciences physiques. Être conscient de cette limitation de notre science ne rend cependant pas la formulation d'opinions qui en sont issues ni farfelues ni inutiles ni mensongères. Ce à quoi l'inexactitude de notre science nous convie est plutôt de l'ordre de l'humilité devant l'inconnu, de la modestie dans nos prétentions et surtout à beaucoup de rigueur dans notre pratique professionnelle. Nier toute connaissance pertinente sur la nature humaine, sur le fonctionnement de l'homme, sur ses motivations, son affectivité, son intelligibilité sous prétexte de l'impossibilité d'opérationnaliser les concepts sophistiqués nécessaires pour tenter de comprendre et d'expliquer le comportement humain constitue, en ce sens, un mouvement régressif en
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Réflexions sur la légitimité du psychologue comme expert
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sciences humaines2. L'être humain, comme tous les systèmes complexes, qu'ils soient sociaux, économiques ou physiques, ne peut être fixé dans une unidimensionnalité opérationnalisable à moins de réduire considérablement le dynamisme qui le caractérise. Accepter cette limite à notre science, accepter que l'on ne peut figer la réalité complexe que constitue notre objet d'étude dans un schéma simple et vérifiable, accepter qu'il y aura toujours en ce qui concerne notre connaissance de l'être humain plus d'inconnu que de connu constituent probablement la seule position épistémologique à partir de laquelle un psychologue puisse éthiquement se poser en expert. Le psychologue expert dans les causes d'allégations d'agressions sexuelles est confronté plus que dans tout autre champ de pratique à cette double contrainte. Nous ne pouvons certes pas agir comme devins et émettre une opinion certaine sur une situation de la réalité, aucun de nos instruments ou de nos modèles théoriques ne nous permet de le faire (Berliner et Conte, 1992; Ceci et Bruck, 1998; Casoni, 1996). Cependant, nous possédons des connaissances spécifiques et des outils pertinents qui nous permettent de saisir et de décrire de façon utile les enjeux psychologiques qui peuvent être déterminants dans les nombreuses causes dont celles où une allégation de sévices sexuels est sous étude comme le suggèrent Bala (1994) ; Berliner et Conte (1993) ; Bolocofsy (1989) ; Ceci et Bruck (1998) ; Conte (1992) ainsi que Melton et Limber (1989). En ce sens, la fonction du psychologue expert est, non seulement, de renseigner ceux qui le consultent sur les connaissances pertinentes de la psychologie dans les domaines connexes à la problématique entendue, mais aussi, d'appliquer son savoir aux individus en cause puisque le corpus théorique et clinique de la psychologie, s'il est utilisé avec désintérêt, rigueur et prudence, est inestimable, surtout en regard de l'ignorance. 4.3. Références
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2. Il est d'ailleurs intéressant d'ajouter que deux juges, soit le Chief justice Stevens et le Chief Justice Rehnquist ont émis une opinion dissidente. Un des arguments invoqués par le Chief Justice Rehnquist a été de faire valoir que des experts pouvaient faire bénéficier la Cour de d'autres formes de savoir qui ne pouvaient être considérés sous le seul angle de ce qui serait considéré comme « scientifique » selon les critères énoncés par le jugement de la Coursuprême. Dans FOSTER, K.R. et P .W. HUBER (1997). Judging science. Scientific knowledge and the federal courts, London : the MIT Press.
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Éthique et déontologie
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CHAPITRE 5
Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale LOUIS BRUNET et MICHEL SABOURIN
5.1. Introduction : éthique et déontologie 5.1.1. DÉFINITIONS ET DIFFÉRENCES Le langage courant utilise souvent les termes d'éthique et de déontologie comme synonymes. Ces deux mots recouvrent pourtant des concepts fort différents quant à leur histoire, leurs sens et leur rôle dans l'encadrement des gestes d'un professionnel. En fait, les différences sont telles entre l'éthique et la déontologie professionnelle que la confusion entre les termes peut même devenir une source de problèmes. Le respect d'un code de déontologie ne doit pas laisser croire qu'un psychologue a une réflexion éthique. De plus, se présentent au professionnel des sciences humaines et de la santé des situations de plus en plus nombreuses pour lesquelles une réflexion éthique s'avère nécessaire et pour lesquelles le code de déontologie n'est que de peu d'utilité. La réflexion éthique se révèle de plus en plus une nécessité devant les nouvelles pratiques qui se présentent au psychologue, ne serait-ce que pour pouvoir interpréter et guider celui-ci, comme pour guider le syndic d'un
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ordre professionnel dans sa compréhension de la déontologie. En effet, toute déontologie doit être fondée sur une réflexion éthique qui en permettrait l'interprétation, là où une situation non prévue par le législateur se présente. D'autre part il arrive des circonstances où l'éthique semble se confronter et s'opposer d'une façon telle à la déontologie que les deux se trouveraient véritablement en conflit. Ainsi, bien que les droits des enfants devant une consultation psychologique soient balisés par des articles de loi (à partir de l'âge de 14 ans, l'enfant a le droit de consulter sans la permission expresse de ses parents, et il a le droit à la confidentialité (Brunet 1994)), l'éthique nous interroge et nous mène à des pistes de réflexion différentes. Bien qu'un adolescent de 14 ans puisse consulter seul et réclamer la confidentialité, il peut être important de ne pas écarter purement et simplement les parents de cet adolescent du processus psychothérapeutique. Faire ainsi, l'expérience nous le démontre, amène souvent le parent à se méfier, à ne pas mettre sa confiance dans la psychothérapie et éventuellement à dénigrer, voire même à tenter de mettre fin au processus d'aide. À l'inverse, alors qu'un adolescent de 13 ans n'aurait pas le droit à la confidentialité envers ses parents lors d'une psychothérapie, la pratique clinique consiste souvent à expliquer aux parents comment il serait important que le psychothérapeute garde confidentiels les propos que livrera leur enfant, le succès de la démarche thérapeutique dépendant en grande partie du lien de confiance et de la garantie de confidentialité que lui donne son thérapeute. En d'autres termes, l'éthique psychothérapeutique impose au psychologue des exigences qui ne sont pas celles de sa déontologie. Une simple soumission aux règles déontologiques semble ici insuffisante. Un thérapeute d'expérience appuiera sa démarche déontologique sur une réflexion éthique liée à la thérapeutique et à la théorie qu'il utilise. Mais quelle différence utile peut-on faire entre éthique et déontologie ? Le mot éthique vient du grec «ethos » qui veut dire « les moeurs, la conduite de la vie, les règles de comportement ». Étymologiquement il est donc très proche du mot « morale » ; certains auteurs emploient même ces mots l'un pour l'autre (Durand, 1997). Cependant l'éthique est une recherche recherche d'un idéal, recherche de valeurs universelles pouvant guider la conduite des humains. Contrairement à la déontologie qui dicte une conduite, qui fournit des règles auxquelles il s'agit de se soumettre, l'éthique fournit plutôt des arguments de réflexion et de discussion pour évaluer un problème humain. Ainsi pour reprendre de façon analogique l'analyse de Durand sur l'éthique et le droit, nous pourrions dire que l'éthique vise une réflexion et une recherche à portée universelle ; elle vise l'intériorité et elle mise sur un idéal que l'on cherche à atteindre dans notre vision de l'humain. Par contre la déontologie, quant à elle, demande une soumission à ses règles et s'applique davantage à trancher un dilemme plutôt qu'à susciter une
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Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale
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réflexion. La déontologie désigne l'ensemble des devoirs et obligations liés à l'exercice d'une profession. En conséquence il est raisonnable d'espérer que la formulation et l'interprétation de la déontologie s'appuie impérativement sur une réflexion éthique, quelle que soit la profession impliquée. 5.1.2. PRINCIPES ÉTHIQUES APPLIQUÉS EN DÉONTOLOGIE La plupart des sociétés de psychologie chapeautent leur code de déontologie de principes éthiques devant en guider la compréhension et l'interprétation. Ainsi par exemple, la Société canadienne de psychologie décrit quatre grands principes qui représenteraient les principes les plus souvent employés pour solutionner divers problèmes éthiques se présentant en psychologie. Ces quatre grands principes, tout en étant classés selon leur importance et leur poids respectif, doivent tous être pris en considération et pondérés dans un processus de décision éthique. Il est possible que deux principes entrent en conflit dans une situation donnée, et c'est dans ce cas que l'ordre de priorité peut s'avérer utile (Société canadienne de psychologie, 1997). Le premier principe énoncé par la Société canadienne de psychologie est « le respect de la dignité de la personne ». Ce principe met l'accent sur les droits moraux d'une personne et vient au premier rang des principes éthiques sauf lorsqu'il y aurait un « danger clair et imminent pour la sécurité physique de tout individu ». Le deuxième principe est celui des « soins responsables ». Rendre des soins responsables exigent du professionnel de la compétence et ces soins doivent être prodigués de façon à respecter la dignité de l'individu. Le troisième principe énoncé par la Société canadienne de psychologie est « l'intégrité dans les relations ». On s'attend à ce que les psychologues fassent preuve du plus haut degré d'intégrité dans tous leurs rapports, mais dans de rares circonstances « les valeurs telles que l'honnêteté et la franchise devront être subordonnées » aux valeurs prônées par les deux premiers principes si elles entrent en conflit. Le quatrième principe énoncé par la Société canadienne de psychologie est « la responsabilité envers la société ». Il est à noter que ce principe vient en dernier lieu particulièrement face au respect de la dignité de la personne. Lorsqu'il existe un conflit entre le bien-être de l'individu et l'intérêt de la société et qu'il est impossible de trouver une solution respectant les deux principes, on doit accorder une plus grande importance au bien-être de l'individu. De la même manière, l'American Psychological Association propose six principes éthiques guidant la compréhension de son code de déontologie et permettant la réflexion dans toute problématique éthique dont les balises
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ne seraient pas expressément fournies par le code de déontologie. Ces six principes sont : la compétence, l'intégrité, la responsabilité professionnelle et scientifique, le respect des droits et de la dignité de l'individu, le souci pour le bien-être de l'individu et la responsabilité sociale. Sans entrer dans les détails et l'ordre de préséance accordé par l'American Psychological Association à ces principes, il est facile de voir le recouvrement presque total entre les principes des deux sociétés. En fait, Leach et Harbin (1997) dans une comparaison fouillée des codes de déontologie de sociétés de psychologie de 24 pays différents concluent en un accord de 100 % entre les principes américains et les principes canadiens. Le code canadien est celui des 24 pays obtenant le plus grand accord avec celui des États-Unis (68 %) lorsqu'ils comparent non seulement les principes, mais l'ensemble des « standards » (normes). 5.2. Grands principes éthiques et déontologiques appliqués à l'expertise psycholégalel
5.2.1. L'ÉTHIQUE DES DROITS Plusieurs principes éthiques sont présents à des degrés divers dans les différentes sciences de la santé et sciences humaines. Ces principes devraient guider l'interprétation des codes de déontologie propres à chaque profession. L'éthique des droits et particulièrement des droits de l'individu semble cependant celle qui marque actuellement le plus clairement les rapports entre professionnels et clients. Si le Québec avait sa charte des droits en 1975 et que le Canada a adopté la sienne en 1982, il ne faut pas croire que cette éthique est née d'hier. Rappelons que la France proclamait en 1789 sa Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Si certains voient dans ces chartes, des preuves du progrès moral de l'homme, d'autres y voient par contre une orientation pernicieuse favorisant les tendances individualistes et évacuant la notion de devoir au profit de celui de droit (Métayer, 1997). De nombreuses dispositions des codes de déontologie semblent directement inspirées de cette vision des droits individuels fondamentaux. L'essence de cette éthique et des obligations qui en découlent pourrait se résumer ainsi : il ne faut rien imposer à un individu, il ne faut pas limiter sa liberté; en fait cette éthique s'attache à l'évitement de tout ce qui pourrait nuire à un individu, mais ne s'attache d'aucune façon à ce qui pourrait l'aider. C'est ainsi que les législateurs protègent le droit du client à la confidentialité et exigent un consentement libre et éclairé; c'est ainsi que les ordres professionnels sont conçus au Québec comme des entités de surveillance devant
1. Certains de ces principes sont discutés dans Brunet (1999).
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protéger les clients des abus potentiels des professionnels ; c'est ainsi que les codes de déontologie décrivent les obligations du professionnel et les droits des clients. Il est cependant devenu évident que pour éviter une tyrannie des droits, une parcellisation toujours plus grande de la société en groupes d'intérêts, et éviter ce que Taylor (1992) a appelé « un despotisme doux », il faut pouvoir opposer une limite raisonnable aux droits et ramener une éthique de la responsabilité au sein du rapport client/professionnel. Tout en reconnaissant une éthique des droits, celle-ci ne doit pas laisser place à une déresponsabilisation abusive du client et à une infantilisation du rapport client/professionnel qui figerait cette relation dans une dynamique de méfiance. Comment faire confiance et encore plus, comment tirer profit d'une relation avec un professionnel quand on inscrit d'emblée cette relation dans une dynamique d'abuseur potentiel dont il faut se méfier ? On voit malheureusement de plus en plus cette situation nuire au domaine de la psychothérapie. 5.2.2. L'ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ Si l'éthique des droits débouche naturellement sur la protection du public, l'éthique de la responsabilité a vite trouvé son application explicite dans la formulation d'obligations pour les professionnels et dans le fait de tenir un professionnel responsable de ses actes et des conséquences de ses actes. Encore une fois, un principe qui sous-tend cette éthique est le rapport existant entre un individu vulnérable et fragile avec un autre individu qui aurait le pouvoir de l'aider, de le protéger ou au contraire de lui nuire. Ce deuxième individu a donc des responsabilités envers le premier. Jonas (1992), le philosophe qui a le plus éminemment élaboré sur cette question, propose comme exemples les modèles de la responsabilité parentale envers son enfant et de la responsabilité du politicien envers la collectivité. Une véritable éthique de la responsabilité est cependant beaucoup plus qu'une simple soumission au code de déontologie et il peut arriver que cette éthique entre en conflit avec la déontologie. Bien que la loi ait prévu quelques situations donnant lieu à une difficulté liée à l'éthique de la responsabilité (pensons à la question de la dénonciation obligatoire liée à la Loi de la protection de la jeunesse lorsque le professionnel a des motifs suffisants de croire qu'un enfant est victime d'agression sexuelle ou de mauvais traitements), il n'en demeure pas moins que de nombreuses zones grises puissent subsister. Ainsi un psychologue peut se trouver en conflit dans son rôle de responsabilité envers deux personnes : pour protéger un enfant, il doit peut-être trahir sa confiance et ainsi mettre en péril leur
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relation thérapeutique ; un autre se questionnera longtemps sur les fantaisies homicidaires de son client sans pouvoir vraiment mesurer le danger de passage à l'acte. Le domaine de l'expertise psycholégale fournit cependant des balises particulières qui éliminent certains aspects de ces conflits : dans une expertise, il est non seulement implicite, mais il est dit explicitement que le psychologue n'est pas tenu à la confidentialité et que son analyse et ses conclusions seront transmises. 5.2.3. L'ÉTHIQUE DU MOINDRE MAL Les situations de séparations parentales, de divorces et de disputes quant à la garde de l'enfant et aux droits d'accès, les situations où l'on songe à retirer un enfant de son milieu familial pour cause de mauvais traitements sont des exemples clairs de dilemmes auxquels s'adresse l'éthique du moindre mal. Il s'agit pour le professionnel d'évaluer la valeur positive de ses recommandations ou du traitement qu'il préconise par rapport aux inconvénients, désagréments ou effets secondaires et de juger si l'avantage dépasse largement les inconvénients prévisibles. Vaut-il mieux que l'enfant continue à vivre avec des parents dont les capacités parentales sont problématiques (psychopathologie par exemple) que de perdre le lien avec eux (auquel il tient) en se retrouvant dans une autre famille aux capacités relationnelles supérieures ? Il s'agit d'une éthique qui n'est sûrement pas spécifique et exclusive à la psychologie. De telles questions se posent en médecine ou dans toute discipline dans laquelle une intervention risque d'être vécue comme une imposition violente, et où le traitement passe par une douleur psychique ou physique. Il arrive que le professionnel doive poser un geste, ou dans le cas de l'expertise psycholégale, émettre des recommandations dont les conséquences seraient à la fois de produire un effet « bon » et un effet « mauvais », ce que Durand (1997) nomme le principe de l'acte à double effet. Durand propose quatre raisons valables pour poser de tels gestes : que l'acte posé soit lui-même bon, que l'intention porte exclusivement sur le bon effet escompté, que le bon effet découle directement du geste posé et que la raison de poser l'acte soit proportionnelle à la quantité du risque encouru. Une variante de l'éthique du moindre mal est la maxime « aider et ne pas nuire » (Appelbaum, 1990; Schetky, 1994). Celle-ci cependant peut porter à confusion ou même nuire à la bonne marche d'une expertise. En effet, dans le domaine de l'expertise psycholégale en matière de garde d'enfant par exemple, est-il possible de ne pas « nuire » à un parent dès que l'expert propose de confier l'enfant à l'autre parent, ou encore lorsque l'expert perçoit une situation qui compromet l'évolution ou la sécurité de l'enfant et qu'il recommande de retirer l'enfant de sa famille ? L'éthique du
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moindre mal reconnaît qu'il est souvent impossible de poser un geste « bon » sans un minimum d'effet désagréable pour quelqu'un impliqué dans le processus. 5.2.4. LA RECHERCHE DU MEILLEUR INTÉRÊT DE L'ENFANT En 1973 et 1979, deux livres ont profondément influencé le travail des cliniciens et juristes dans leur vision du « placement d'enfant », qu'il s'agisse de confier l'enfant à un seul des parents, lors d'une séparation par exemple, ou même de retirer aux deux parents la garde de leur enfant pour le confier à une famille ou à un centre d'accueil. Beyond the best interest of the child (Goldstein, Freud, Solnit,1973) et Before the best interests of the child (Goldstein, Freud, Solnit, 1979) proposent alors une réflexion éthique et des propositions concrètes qui sont aujourd'hui largement connues et intégrées par les organismes et les professionnels s'impliquant dans la protection de la jeunesse et dans les litiges de séparations parentales et de droits d'accès. Ces auteurs s'appliquent à établir des principes et des balises autour de la notion du « meilleur intérêt de l'enfant ». Ils évoquent ainsi le besoin de continuité de l'enfant qui impliquerait une nécessité d'intervention minimale sur la famille et l'enfant. Ils insistent fortement sur le fait que le critère premier pour intervenir sur une famille doit être le bien-être de l'enfant et non les besoins de la famille ou des parents. Ils ajoutent des principes comme la nécessité de conserver autant que possible le lien avec au moins un des parents et réitèrent l'importance d'établir ou de maintenir le lien psychologique entre l'enfant et chacun des parents. Comme on le voit, ces principes de Goldstein, Freud et Solnit s'accordent tout à fait avec le grand principe éthique du « moindre mal », si important en sciences médicales et en sciences humaines. Succinctement, le principe du meilleur intérêt de l'enfant se définit d'une part par la préséance des besoins et des intérêts de l'enfant sur les besoins et intérêts de la famille ou des parents ; et d'autre part, par l'ensemble des conditions physiques, psychologiques, familiales et sociales qui permettront le développement optimal de l'enfant, tout en respectant ses besoins et caractéristiques propres. L'objectif premier de l'expertise psycholégale impliquant un enfant serait donc sous cet angle d'évaluer les facteurs susceptibles de favoriser le meilleur intérêt de l'enfant. L'expertise psycholégale dans les cas de garde d'enfant viserait donc à déterminer à partir de ces facteurs, dans quelle mesure chacun des parents offre à l'enfant un milieu de vie physique et psychologique plus propice à son développement et à son épanouissement et le cas échéant à déceler si un parent ou un milieu parental comporte au contraire un risque quant aux besoins et intérêts de l'enfant.
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Pour y arriver, l'expert doit faire porter son évaluation sur • les besoins de l'enfant; • les caractéristiques et les capacités parentales (les forces et faiblesses de chaque parent et les caractéristiques de leur milieu de vie respectif) ; • les caractéristiques de l'enfant et sa capacité d'adaptation; • le type de relation et d'attachement entre l'enfant et ses parents; • le rapport complémentaire entre les besoins et caractéristiques de l'enfant et les capacités du parent à rencontrer ces besoins; • les possibilités pour l'enfant d'avoir un accès régulier et significatif à ses deux parents ainsi qu'aux autres personnes de son entourage qui sont importantes pour lui, dans un contexte de continuité et de stabilité. En somme le meilleur intérêt de l'enfant et le respect de ses droits doivent primer sur tout autre facteur ou considération, de façon à éclairer le juge et les parties sur la problématique familiale en cause. Les désirs de l'enfant ou ceux des parents ne peuvent lui être substitués, fussent-ils raisonnables ou légitimes. L'expert peut cependant accorder une pondération plus importante aux souhaits de l'enfant lorsque celui-ci est plus âgé ou adolescent. Les juges tiennent de toute façon généralement compte de ce facteur. Cependant, évaluer les capacités parentales des deux parents ne signifie pas déterminer lequel des deux parents devrait avoir la garde de l'enfant et un expert peut très bien conclure, par exemple, que les deux parents présentent des capacités tout aussi importantes mais émettre une recommandation particulière en fonction des besoins particuliers de l'enfant. Il est intéressant de noter que ce principe de « recherche du meilleur intérêt de l'enfant » est encore aujourd'hui incontournable dans une expertise concernant la garde d'un enfant et les droits d'accès. De plus, des chercheurs comme Jameson, Ehrenberg et Hunter (1997) tentent de créer des modèles pour hiérarchiser une série de critères concernant les meilleurs intérêts de l'enfant, de façon à assister l'expert dans son évaluation. À partir d'une enquête auprès d'experts, ils proposent une hiérarchie de 60 éléments à considérer dans l'évaluation du meilleur intérêt de l'enfant, allant de l'existence d'agression sexuelle ou de mauvais traitement (items 1 et 2 de la hiérarchie) au besoin de garder ensemble l'enfant avec le parent de même sexe (élément 59 de la hiérarchie). Sans en faire une règle, la liste élaborée par Jameson, Ehrenberg et Hunter (1997) a le mérite d'attirer l'attention du clinicien sur une série de critères qu'il oublie quelquefois de considérer.
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5.2.5. RESPECT DE LA DÉMARCHE SCIENTIFIQUE La psychologie se définissant comme une discipline scientifique, il est normal qu'un des principes qui chapeautent les actes du psychologue soit celui du respect de la démarche scientifique. Le geste que constitue l'expertise psycholégale ne fait pas exception à ce principe. Il ne faut cependant pas confondre respect de la démarche scientifique et modèle expérimental ou méthodologie de recherche. Comme ont pu l'exposer des auteurs tels Feyerabend (1979), Jarrosson (1992) ou Kuhn (1983), il ne faut pas assimiler la science et une méthode unique, fût-elle celle la plus utilisée en psychologie, la méthode expérimentale. Le respect de la démarche scientifique en psychologie et particulièrement en expertise psycholégale suggère l'utilisation d'une théorie et d'une méthodologie cohérentes et acceptées au sein de la communauté psychologique, elle implique l'évitement de conclusions basées sur des croyances personnelles, sur de pures intuitions non vérifiées ou non vérifiables et l'évitement des conclusions basées sur des théories et des méthodologies n'ayant d'aucune façon démontré leur validité de construit. L'expertise psycholégale doit donc s'inscrire dans une démarche qui respecte les principes scientifiques, en plus d'être assujettie aux règles de pratique spécifiques à certains domaines d'expertise et qui seront traitées plus loin dans ce livre. Ce principe suppose que la validité d'une expertise reposera sur l'utilisation des techniques habituellement utilisées dans ce champ de pratique (entrevues, sessions d'observation, etc.) et, s'il y a lieu, sur le recours à certains instruments d'évaluation dont la validité est reconnue. Parce qu'elle doit être effectuée conformément à la démarche scientifique, l'expertise psycholégale ne saurait donc se limiter à des impressions ou se baser uniquement sur des affirmations gratuites. Ainsi, lorsque l'objectif de l'expertise a été précisé, l'expert doit colliger avec le maximum d'objectivité toutes les données nécessaires à la réalisation de son mandat. Il peut, dès lors, formuler certaines hypothèses concernant par exemple les modalités de garde et d'accès qu'il peut chercher à confirmer à l'aide de tests ou de sessions d'observation, en vérifiant les allégations des parties, en consultant d'autres professionnels de la santé ou les dossiers scolaires des enfants, etc. L'objectif de cette démarche est d'en arriver logiquement et prudemment à tirer des conclusions claires, susceptibles de favoriser le meilleur intérêt de l'enfant et d'éclairer la cour dans la décision qu'elle doit prendre. La respect de la démarche scientifique qui doit guider toute expertise psycholégale est en essence la même, peu importe la théorie du développement de la personnalité privilégiée par l'expert. Elle s'appuie, comme nous l'avons déjà souligné, sur des principes scientifiques et comporte les étapes suivantes : • La collecte des données effectuée en fonction du mandat (à partir du dossier, des entrevues, des observations et des tests selon les besoins);
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• La description-synthèse des données obtenues; • L'analyse des données et l'interprétation de ces données; • La formulation de recommandations ou de suggestions destinées à éclairer les parties concernées et la cour, après avoir exploré différentes possibilités de garde à la lumière du meilleur intérêt de l'enfant (et non seulement les solutions retenues par le client). Les conclusions de l'expert doivent découler de l'ensemble des données qû il a colligées et non pas être biaisées par l'origine du mandat, la demande de l'avocat ou celle du parent qui a retenu ses services. L'expert est tenu d'étayer ce qu'il avance : il ne doit donc pas se contenter d'affirmer, mais bien démontrer le bien-fondé de ses conclusions ou recommandations. La nécessité d'adopter une démarche scientifique implique l'obligation de tenir compte des connaissances de la psychologie, des conclusions des recherches dans le domaine de l'expertise et dans le fait de se servir adéquatement des recherches pertinentes au domaine d'expertise. Ainsi par exemple, la recherche sur les indicateurs d'une agression sexuelle chez un enfant et la recherche portant sur la validité des témoignages d'enfants sont extrêmement complexes. La majorité des recherches tendent à démontrer qu'on ne peut conclure à une agression sexuelle chez un enfant sur la simple base de symptômes ou d'indices comportementaux. De même, aucune technique ne permet actuellement de valider une agression sexuelle en cherchant à distinguer des « verbalisations vraies » des « verbalisations fausses » d'un enfant (Ceci et Bruck, 1998). Pourtant, comme le disent bien Ceci et Bruck (1988), on trouve encore des psychologues qui « continuent à exprimer leur opinion avec force assurance sur la seule base de signes et de caractéristiques d'abus sexuels et d'indicateurs de fiabilité d'enfants » (page 360). La valeur scientifique d'une expertise psycholégale et d'un témoignage doit donc reposer non seulement sur la validation de la procédure d'évaluation et des instruments utilisés, mais aussi sur l'état des recherches sur la question, sur la valeur de la théorie utilisée. Le professionnel ne doit pas non plus présenter comme une « évidence scientifique » le résultat de quelques recherches alors que d'autres recherches concluraient autrement. Dans le domaine complexe des sciences humaines, il est fréquent que des recherches sérieuses présentent des résultats contradictoires ou permettent de nuancer les résultats de recherches précédentes. Les résultats varient quelquefois de façon étonnante d'une recherche à l'autre. Ne présenter que les résultats de recherches qui vont dans le sens des conclusions que l'on favorise constitue une attitude non scientifique. Le témoin expert doit donc connaître l'état de la recherche, mais aussi savoir rapporter de façon équilibrée cet état.
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Un autre exemple d'attitude scientifique en expertise psycholégale est la prise en compte d'hypothèses alternatives ou concurrentes. Le domaine de l'expertise de l'agression sexuelle chez l'enfant est encore une fois un terrain de choix pour illustrer cette attitude. Ainsi, un enfant peut présenter une série de symptômes qui sont souvent associés à une agression sexuelle. Cependant, sachant que ces symptômes se retrouvent aussi chez des enfants non agressés sexuellement qui vivent des séparations parentales ou des situations de stress, l'expert se doit de considérer d'autres explications avant de conclure à la probabilité de l'agression. 5.2.6. L'IMPARTIALITÉ Un expert impartial est, par définition, neutre, sans parti pris et il ne fonde pas ses conclusions et recommandations sur autre chose que les données qu'il a recueillies. Il ne cède pas aux pressions exercées sur lui et évite de se placer en situation de conflit d'intérêt. En adoptant une attitude impartiale, l'expert gagnera en crédibilité et sa réputation ne s'en portera que mieux. Est-il besoin d'élaborer sur la connotation extrêmement négative du terme hired gun utilisé par nos voisins américains pour désigner un expert complaisant ou partial ? Le principe d'impartialité va de pair avec la démarche scientifique sur laquelle est fondée l'expertise psycholégale. La rigueur qu'implique cette démarche suppose que le psychologue, appelé d'abord et avant tout à se prononcer en tant qu'expert, formule une recommandation ou émette une opinion après avoir évalué toutes les parties au conflit. Dans le cas d'expertise dans le domaine de la garde d'enfant, les circonstances entourant l'évaluation sont souvent conflictuelles, il n'est pas toujours possible de rencontrer les deux parties, le motif le plus fréquent étant que l'une d'entre elles refuse d'être évaluée. En pareil cas, le psychologue doit clairement mentionner qu'il n'a pu procéder qu'à une évaluation partielle et s'abstenir à la fois de poser un jugement sur la personne non évaluée et de faire quelque recommandation que ce soit au sujet de la garde de l'enfant. Il peut toutefois émettre une opinion au sujet des capacités parentales de la personne évaluée et les caractéristiques du milieu de vie que cette personne offre à l'enfant. David Shapiro (1984) écrit, aux pages 99 et 100 de Psychological evaluation and expert testimony : First of all, in child custody evaluations, it becomes critical to involve as much of the family as possible, especially the disputing parties, in the evaluation process. That is, under no circumstances should a report on child custody be rendered to the court, based on the evaluation of only one party to the conflict. Certainly, as a practical matter, the opposing party
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will often refuse to submit to an examination. Under such circumstances, it must be made clear in the report to the court that the evaluation is a limited one, since it is restricted to work done only with one of the parents. In such cases, the thrust of the report is an evaluation of the fitness or mental status of one of the parents, not a recommendation for custody. [...] Under any circumstances, if the entire family unit cannot be evaluated, then this must be carefully noted in the report to the court, and the limitations posed by that approach should be clearly spelled out2.
Rappelons que l'impartialité dont il doit faire preuve suppose que le psychologue à qui un mandat d'expertise est confié évite soigneusement tout conflit de rôles. L'objectif de l'expertise psycholégale n'est pas celui de la relation d'aide : par conséquent, le rôle d'un expert n'est ni celui d'un psychothérapeute, ni celui d'un médiateur, même s'il est possible que son intervention ait un effet aidant pour les parties. Il est possible qu'un client demande au psychologue avec lequel il a entrepris une psychothérapie d'agir en son nom en tant qu'expert, mais le psychologue ne peut accéder à ce type de demande du client sans que le processus psychothérapeutique et celui de l'expertise psycholégale ne soient, de ce fait, biaisés. Sur le plan déontologique, il est dérogatoire pour le psychologue d'agir à plus d'un titre auprès d'une même personne, en vertu des articles du Code de déontologie des psychologues traitant de l'objectivité et des conflits d'intérêts, soit les articles 14, 20, 32 et 33. Ceci n'exclut pas, encore une fois, que l'expertise psycholégale puisse avoir des effets bénéfiques sur les personnes concernées. Elle peut en effet s'avérer une expérience de consultation psychologique positive pour les parents, à qui elle permet de mieux connaître les besoins de leur enfant et ses réactions à leur situation conflictuelle, tout en favorisant leur participation et leur collaboration à son éducation. Mais tel n'est pas son objectif premier.
5.2.7. L'IDÉAL D'OBJECTIVTIÉ L'objectivité absolue n'existe pas, quelle que soit la science (Heisenberg, 1978) ; il s'agit plutôt d'un idéal dont le professionnel doit tenter de s'approcher le plus possible. Tout comme l'impartialité, l'idéal d'objectivité est directement lié au caractère scientifique de l'expertise psycholégale. Tout comme l'impartialité, l'objectivité est un principe éthique dans le sens qu'il s'agit par définition d'un idéal à atteindre dans sa pratique, idéal souvent menacé par nos convictions conscientes et inconscientes.
2. Comité - psychologues - 4 (1988) D.D.C.P 275.
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En 1988, une décision du Comité de discipline de l'Ordre des psychologues du Québec précisait : Mais l'objectivité va au-delà de l'impartialité. Outre l'absence de parti pris, l'objectivité oblige le psychologue à éviter de poser des diagnostics ou des jugements de valeur douteux non étayés par des observations factuelles ou mesurés au moyen de tests psychométriques. Il va sans dire que le psychologue doit s'abstenir de formuler des interprétations qui ne reposent sur aucun fondement scientifique3.
L'objectivité impose aussi une certaine sobriété dans le style comme dans le contenu du rapport. Des propos excessifs, voire diffamatoires, et des insinuations n'ont pas leur place dans un rapport d'expertise. N'ont pas non plus de place des conclusions ou des évaluations qui outrepassent la compétence d'un psychologue. 5.2.8. LA FIABILITÉ Indissociable de l'impartialité et de l'objectivité, la fiabilité scientifique suppose que la démonstration de l'expert repose essentiellement sur des faits, des observations ou des instruments pertinents à l'exécution du mandat qui lui a été confié. Ainsi les tests doivent être utilisés en tenant compte des objectifs qu'ils visent et en respectant leur méthode d'administration, leurs limites de même que leurs directives et critères d'interprétation. Soulignons également l'importance, puisque les résultats des tests seront utilisés dans un contexte légal, que le psychologue en supervise la passation : il serait inacceptable, par exemple, de confier un instrument psychométrique à un client pour qu'il y réponde à domicile. La fiabilité de l'expertise se traduit aussi par la rigueur et la clarté dont fait preuve le psychologue au moment où il transmet les résultats de son évaluation, c'est-à-dire autant dans son rapport écrit que dans le cadre de son témoignage en cour. Aussi doit-il s'en tenir, dans son rapport comme dans son témoignage, à des propos qui sont reliés à son mandat. L'expert doit également nettement distinguer, dans le cadre de son rapport d'expertise, ses opinions de celles de la ou des personnes qu'il a évaluées. La personne qui lit son rapport doit clairement pouvoir distinguer ce qui est un propos rapporté par le client de ce qui provient de données obtenues des tests et de ce qui constitue l'opinion de l'expert.
3. Comité - psychologues - 4 (1988) D.D.C.P. 275.
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5.2.9. LA CONFIDENTIALITÉ Au Québec, depuis 1982, les fondements du droit à la confidentialité reposent sur l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12), lequel stipule que : Chacun a droit au secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.
Le principe qui sous-tend cet article est donc que le secret professionnel est un droit du client et non un privilège du professionnel comme certains pouvaient le prétendre avant l'avènement de la Charte. C'est maintenant une obligation du professionnel. De plus, le secret professionnel est absolu : seule l'autorisation du client ou une disposition expresse de la loi peut en libérer la personne qui y est tenue. Le Code des professions (L.R.Q., c. C-26) vient confirmer à l'article 60.4 que cette obligation au secret professionnel s'applique à tous les membres d'un ordre professionnel. En vertu de l'article 87 du Code des professions, chaque ordre professionnel est en effet tenu d'adopter des dispositions expresses concernant la confidentialité dans son code de déontologie. C'est ainsi que dans le code de déontologie des psychologues (L.R.Q., c. C26, r. 148.1), plusieurs dispositions réunies dans la Section VI exposent en détail les diverses applications du secret professionnel à la pratique de la psychologie. Ces dispositions reprennent presque textuellement le libellé de l'article 9 de la Charte en spécifiant l'obligation au secret professionnel (article 38) et en précisant que le psychologue ne peut en être relevé que si l'autorisation écrite du client est consignée au dossier ou encore si la loi le lui ordonne (article 39). On retrouve plus loin dans ce texte les principales limitations au secret professionnel stipulées dans des textes de loi qui sont susceptibles de s'appliquer à la pratique de la psychologie. Outre ces limitations expressément prévues par la loi, il peut également arriver que, dans le cadre d'une audition, l'on demande au psychologue par voie de subpœna soit de témoigner au sujet d'un client qu'il suit en thérapie ou encore de remettre le dossier de ce client même s'il n'est pas libéré de son secret professionnel. Il semble que devant les tribunaux de juridiction criminelle, l'intérêt supérieur de la société et la nécessité de connaître la vérité l'emporteraient sur l'obligation au secret professionnel. De plus, le Code criminel est une loi fédérale qui n'est pas assujettie à la Charte québécoise.
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Toutefois, devant toute instance civile, le pouvoir d'ordonnance du tribunal à l'effet de ne pas respecter le secret professionnel est très contestable puisque ce tribunal doit d'office assurer le respect du secret professionnel, en vertu de l'article 9 de la Charte. Le Code civil du Québec comporte d'ailleurs une disposition spécifique qui confirme l'importance du droit au respect du secret professionnel : Le tribunal doit, même d'office rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel4.
Ce dernier paragraphe suppose que tout élément de preuve obtenu en violation du droit au respect du secret professionnel doit être rejeté d'office par le tribunal. Un psychologue confronté à une situation impliquant qu'il viole le secret professionnel de son client ne doit donc pas hésiter à présenter au juge une objection basée sur l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne. Si le juge insiste, le psychologue serait bien avisé de demander à ce que son objection soit consignée au procès-verbal de l'audition avant de témoigner. En ce qui concerne spécifiquement l'expertise psycholégale, nous avons déjà précisé que, bien qu'il s'applique pour toutes les autres fins, le secret professionnel ne s'applique pas pour les fins du dépôt du rapport (ou de certaines sections du rapport) aux parties, ni du témoignage devant la cour. Soulignons que certaines dispositions du Code de déontologie des psychologues viennent d'ailleurs nuancer l'obligation fondamentale au secret professionnel. C'est ainsi qu'à l'article 40, il est clairement indiqué que le client doit être pleinement informé des utilisations diverses qui peuvent être faites de renseignements confidentiels recueillis ou confiés. Le psychologue qui fait une expertise se doit donc d'informer toutes les personnes qu'il évalue de la façon dont son rapport sera utilisé (remise aux parties, témoignage en cour, etc.). Il ne doit pas présumer que les personnes évaluées sont parfaitement bien renseignées à ce sujet et doit assumer pleinement la responsabilité d'aviser ses clients des limites à la confidentialité dans le contexte particulier d'une expertise pour garde d'enfant.
4. C.c.Q., art. 2858.
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De plus, l'article 45 du Code de déontologie des psychologues stipule, d'une façon encore plus précise, que : Le psychologue appelé à faire une expertise professionnelle devant un tribunal doit informer de son mandat la personne qu'il examine à cet effet. Son rapport et sa déposition devant le tribunal doivent se limiter aux éléments pertinents à la cause. Toutes les personnes évaluées doivent donc être informées de la nature même ou des implications du mandat qui a été confié au psychologue. Dans un souci de clarté et de rigueur, le rapport et le témoignage ne doivent également inclure que les aspects directement en relation avec le mandat initial. L'objectif visé est d'éviter les évaluations inutiles et les discussions qui prennent des allures de logorrhée pour s'en tenir à l'essentiel. Après leur avoir présenté et expliqué le mandat, le psychologue doit obtenir de ces personnes leur consentement écrit, celui-ci pouvant être consigné sur un formulaire dans lequel les limites à la confidentialité et la nature même du mandat sont clairement présentées. Il est également nécessaire d'obtenir le consentement écrit des adolescents âgés de 14 ans et plus qui sont évalués. Ici encore, la nature et les objectifs du processus d'expertise doivent leur être expliqués dans des termes appropriés, de façon à ce que les adolescents puissent eux aussi donner un consentement éclairé à l'évaluation. Celle-ci ne peut ni ne doit être effectuée à l'insu d'un adolescent. A moins d'indications contraires découlant d'une entente conclue au départ, le principe général sur lequel repose l'expertise est que les informations recueillies dans ce contexte précis ne doivent servir qu'à cette fin. Le rapport d'expertise est envoyé au client qui a retenu les services de l'expert ou aux deux parties simultanément s'il s'agit d'un mandat conjoint. Cependant, chacune des personnes qui a fait l'objet d'une évaluation dans un dossier peut, sur demande, prendre connaissance des sections du rapport le concernant spécifiquement ou concernant ses enfants. Étant donné la nature des conflits entourant les demandes de garde, c'est généralement quand le parent qui a retenu les services de l'expert décide de ne pas utiliser le rapport que ce type de demande est formulée par l'autre parent. 5.2.10. PRINCIPALES LIMITATIONS AU SECRET PROFESSIONNEL S'APPLIQUANT À LA PRATIQUE DE LA PSYCHOLOGIE 1)
L'obligation qu'imposent aux professionnels les articles 38, 38.1, 39, 43 et 44 de la Loi sur la protection de la jeunesse (L.R.Q., c. P-34.1) de signaler au Directeur de la protection de la jeunesse toute situation où la sécurité ou le développement d'un enfant sont compromis ou pourraient être considérés comme tels. Même s'il s'agit de confidences recueillies en cours d'exercice professionnel, une telle situation doit
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donc obligatoirement être signalée par le psychologue. Ne sont requises toutefois que les informations vraiment nécessaires pour appuyer et justifier le signalement. 2)
L'article 2 de la Charte des droits et libertés de la personne précise que tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours. Cette disposition pourrait permettre au psychologue de ne pas respecter le secret professionnel et de dénoncer par exemple à la police, même s'il s'agit de confidences recueillies en cours de thérapie, l'attentat imminent qu'un client se prépare à commettre ou encore d'informer des tiers s'il a de bonnes raisons de croire qu'un client va se suicider. Ici encore, ne sont requises que les informations strictement nécessaires, qui permettront à la police ou aux tiers concernés d'intervenir, de façon à porter atteinte le moins possible au secret professionnel. Encore tout récemment, une décision de la Cour suprême du Canada (Jones c. Smith et Southam inc.), le 25 mars 1999, réitérait et justifiait les notions d'exceptions au privilège du secret professionnel, décrivant trois facteurs aidant à déterminer si la sécurité publique a préséance sur le privilège du secret professionnel: qu'une personne ou qu'un groupe soient clairement exposés à un danger, qu'ils risquent d'être gravement blessés ou tués, que le danger soit imminent.
3)
L'obligation, créée en vertu de l'article 48.1 de la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès (autrement appelée « Loi du coroner ») (L.R.Q., c. R-0.2) de donner au coroner l'accès au dossier concernant une personne décédée détenu par un professionnel. Si le dossier est remis au coroner, ce dernier a l'obligation de le retourner au professionnel lorsque son enquête est complétée.
4)
L'obligation que crée le Code des professions, en vertu des articles 114, 122, 149 et 192, de collaborer avec le comité d'inspection d'un ordre professionnel, à une enquête du bureau du syndic ou dans le cadre de son témoignage devant le comité de discipline en mettant à leur disposition tout document ou dossier dont ils pourraient avoir besoin dans l'exercice de leurs fonctions. Comme l'indique d'ailleurs le dernier alinéa de l'article 192, « [...] le professionnel doit, sur demande, permettre l'examen d'un tel dossier et il ne peut invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser de le faire ». D'ailleurs, le refus de répondre à ce type de demande expose le professionnel à une plainte disciplinaire (en vertu de l'article 114) pour entrave au travail du syndic ou de l'inspecteur professionnel.
5)
L'ordonnance du tribunal, dans les cas où le juge estime que l'intérêt de l'enfant le justifie.
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L'expertise psycholégale
5.2.11. LA NON-DISCRIMINATION Lorsqu'un psychologue entreprend un travail d'expertise psycholégale, il doit réfléchir et évaluer jusqu'à quel point les biais et préjugés concernant l'âge, le sexe, la race, l'origine ethnique, la religion, l'orientation sexuelle, les handicaps, la langue, la culture et le niveau socio-économique peuvent influencer et peutêtre même diminuer l'objectivité d'une évaluation et des recommandations qui en découlent. D'une part, il doit être conscient de ses propres biais et préjugés et refuser, le cas échéant, les mandats dans le cadre desquels il n'a pas la conviction de pouvoir agir d'une façon objective. D'autre part, s'il décide d'agir auprès de groupes dont il ignore les particularités sur les plans culturel, psychologique et social, il doit également chercher à s'informer desdites particularités et des façons d'en tenir compte avant d'entreprendre son travail d'évaluation proprement dit. Une disposition particulière à cet effet a été introduite dans un projet d'amendement au Code de déontologie des psychologues. Elle se lit comme suit : «Le psychologue doit tenir compte de la culture, de la structure sociale et des coutumes du milieu auquel appartient son client. » Il va sans dire que le meilleur intérêt de l'enfant ne doit jamais être subordonné par le psychologue au souci d'éviter la discrimination. L'origine ethnique ou les croyances religieuses, par exemple, ne sauraient justifier le fait que des sévices physiques soient infligés à un enfant. 5.3. Quelques problèmes éthiques et déontologiques en expertise psycholégale
5.3.1. LES DOUBLES MANDATS La discussion de la notion d'impartialité implique d'emblée l'évitement de tout conflit de rôles. Par exemple, il est reconnu que l'impartialité du psychologue ne pourrait être sauvegardée en pratiquant une expertise psycholégale pour une personne vue en psychothérapie et vice versa. Le fait qu'un certain temps se soit écoulé entre les deux mandats semble dans bien des cas ne rien changer à cette incompatibilité et plusieurs éthiciens recommandent d'éviter ces doubles mandats (psychothérapie et expertise psycholégale) même s'ils sont successifs. Il n'en est pas de même pour des mandats successifs d'expertise psycholégale. Il est acceptable de remplir des mandats successifs d'expertise psycholégale, mais par souci d'impartialité, il est recommandé de ne pas accepter un mandat subséquent de clients qui auraient constitué la « partie adverse » dans la cause précédente.
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De nombreux guides de pratique comme celui de l'American Psychological Association sur l'évaluation en matière de garde d'enfant (1994) et le code de déontologie de cette même association (APA, 1992) et le guide de pratique en matière de garde d'enfant de l'Ordre des psychologues du Québec (Brunet, Létourneau, Sabourin, 1996) expliquent clairement la nécessité d'éviter d'être ou d'avoir été thérapeute de toute personne impliquée dans une expertise psycholégale effectuée par le même psychologue. De même le psychologue doit éviter d'accepter en psychothérapie un individu qui aurait été évalué par lui précédemment dans le cadre d'une expertise psycholégale. C'est la position que nous préconisons. L'American Psychology-Law Society (Committee on ethical guidelines for forensic psychologists, 1991) quant à elle, tout en recommandant d'éviter de tels mandats, reconnaît qu'une telle situation peut se présenter, dans les communautés éloignées des grands centres par exemple, et qu'il incombe alors à l'expert d'évaluer et d'expliquer les limites imposées par ce double mandat. Il peut aussi arriver qu'une ordonnance du tribunal oblige le psychothérapeute à témoigner en cour, ou qu'un patient en psychothérapie demande à son thérapeute de témoigner et le libère de son secret professionnel. À ce moment, le psychologue n'agit pas à titre de témoin expert, il n'effectue pas une expertise psycholégale, mais agit comme un témoin de fait. Ici, au-delà de l'aspect déontologique qui permet au psychologue de témoigner comme témoin de fait, se pose bien sûr la question éthique du témoignage au sujet d'un patient en psychothérapie. Bien que cette réflexion particulière déborde le cadre de ce chapitre, il convient de noter que le témoignage en cour au sujet d'un patient pose des problèmes éthiques considérables et met plus souvent qu'on le croit en péril le déroulement de la psychothérapie. Bien des psychothérapeutes conçoivent qu'ils doivent discuter avec leur patient des implications cliniques et du risque sur la poursuite de la thérapie qu'un tel témoignage implique, ainsi que se présente pour eux la nécessité d'examiner le sens transférentiel d'une telle démarche. Il est important de préciser ici qu'un psychologue agissant comme témoin ordinaire (parce qu'il est le thérapeute par exemple) ne doit laisser croire d'aucune façon qu'il témoigne à titre de témoin expert ni qu'il a effectué une telle démarche d'évaluation. Il doit aussi renseigner la cour sur les limites de son témoignage. Cependant, la question des doubles mandats concerne aussi des considérations déontologiques et éthiques autres que celle de l'impartialité. En effet, bien que la plupart des organisations professionnelles stipulent noir sur blanc qu'un psychologue doit éviter d'exercer envers la même personne deux mandats simultanés qui pourraient entrer en conflit, il existe bien des zones grises à l'interprétation de cette règle, sans compter que des considérations éthiques viennent assurément complexifier la situation. D'une part, la notion de double mandat touche de près la question de l'obligation de signalement (lorsque le psychologue a des raisons suffisantes de croire
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qu'un enfant est maltraité ou agressé sexuellement, par exemple). D'autre part les préoccupations éthiques des thérapeutes exigent de ne pas risquer de mettre en péril la psychothérapie d'un enfant sous leurs soins à cause d'un mandat d'évaluation ou créent quelquefois un dilemme faisant hésiter le psychothérapeute à effectuer un signalement de mauvais traitement par exemple. Ainsi, certains psychologues s'objectent, pour des raisons éthiques, à mettre en péril la thérapie d'un enfant en témoignant en cour ou même en faisant un signalement de mauvais traitement, même s'ils y sont obligés par la loi. Certains choisissent par exemple de ne pas effectuer de signalement pour pouvoir continuer à soigner l'enfant, plaçant le traitement de l'enfant au-dessus de la loi; d'autres font ce signalement et continuent le traitement avec les risques que cela fait porter sur la poursuite du traitement (perte de confiance de l'enfant, sentiment de trahison des parents qui retirent alors l'enfant des soins du professionnel, etc.). Il demeure que, tout en se soumettant à la loi et dans le cas où le psychologue thérapeute fait un signalement, il est possible de travailler cliniquement avec l'enfant, en abordant avec lui ce geste, au sein même de la thérapie. Ce geste doit être travaillé cliniquement et abordé ouvertement pour éviter autant que possible les impasses tant redoutées qui pourraient découler d'un tel bris du cadre. Le dilemme abordé ici est illustré de façon étonnante par la recherche de Pope et Bajt (1988). Ces auteurs rapportent que dans un échantillon de psychothérapeutes d'expérience, 21 % d'entre eux auraient évité sciemment de rapporter une situation de mauvais traitement concernant un enfant bien qu'ils s'y savaient soumis par la loi, se croyant moralement autorisés de le faire pour le bien-être du patient. Sans endosser la position de ces thérapeutes, cette recherche démontre bien les conflits pouvant opposer l'éthique d'un professionnel avec certaines dispositions déontologiques. De plus, comme le soulignent Ansell et Ross (1990), l'éthique et la déontologie n'exigent pas qu'un psychologue se précipite pour effectuer un signalement dans de tels cas, mais bien qu'il envisage une gamme d'options possibles et qu'il pose un jugement clinique avant d'arriver à cette obligation légale. Le psychothérapeute a, selon eux, des responsabilités cliniques préalables au signalement. Tjaden et Thoennes (1992) soulèvent également le problème éthique causé par le fait que le temps moyen s'écoulant entre le signalement et les conclusions par le système judiciaire est de 344 jours (recherche américaine). Dans ce sens, de nombreux psychologues hésiteraient à effectuer un signalement qui pourrait impliquer un arrêt d'une psychothérapie pour un enfant. Cependant, il faut être conscient qu'au Québec, les statistiques de la Direction de la protection de la jeunesse nous indiquent qu'en 1997-1998, la durée moyenne de traitement des signalement était de 5,96 jours, que la durée moyenne entre la rétention du signalement et le premier contact était de 35 jours. Toujours selon ces statistiques, la durée moyenne entre la réception du signalement et la fin de l'évaluation était de 79 jours et que, par la suite,
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la durée moyenne de l'orientation avec intervention judiciaire était de 75,5 jours. Ces moyennes, on le voit, étaient beaucoup moins élevées que le chiffre de 344 jours de la recherche américaine. Il demeure cependant que pour la majorité des auteurs, remplir un double mandat de thérapeute et d'évaluateur ou d'expert pose des embûches quasi insurmontables pour les deux fonctions en cause. S'il déborde du propos de ce chapitre d'aborder les impasses thérapeutiques qu'impliquent presque toujours un double mandat, voyons les difficultés et limitations principales que cette pratique engendre pour l'expertise psycholégale. La première difficulté concerne ce que nous nommons la valeur subjective de l'expertise. La valeur de l'expertise menée dans le cadre d'un double mandat risque fort d'être contestée en cour. En effet, l'apparence d'objectivité et d'impartialité risque de faire rejeter le témoignage du psychologue malgré toute la bonne foi qu'il aura mis à faire son évaluation. Les autres difficultés concernent ce que nous nommons la valeur objective de l'expertise, et sont « le biais de l'aidant », le biais du « non-engagement » et le « contre-transfert inconscient ». Arcaya (1987) souligne que l'expert qui est aussi le thérapeute de l'individu évalué, est souvent tenté à son insu de conserver son attitude d'aidant. Ceci peut impliquer, par exemple, que le psychologue conserve une acceptation inconditionnelle de son client, une absence de jugement moral ou de condamnation qui pourrait l'aveugler ou nuire, tant dans le tableau clinique qu'il dressera à la cour que dans les recommandations qu'il émettra. L'attitude inverse défensive peut aussi être notée, mais elle se manifeste surtout par une trop grande volonté d'être neutre et objectif, résultant en un désengagement émotif qui peut aller jusqu'à empêcher l'expert de témoigner favorablement pour son client. Le dernier point concerne un aspect important, reconnu depuis longtemps dans le domaine des psychothérapies : le fait que le thérapeute vive à son insu des émotions, désirs, réactions et attitudes envers son client. Ces réactions sont pour la plupart inconscientes et risquent de placer l'expert dans une position ou, objectivement, sa neutralité et son objectivité sont impossibles. 5.3.2. ÉVALUER LES DEUX PARENTS DANS UN LITIGE DE GARDE Comment se prononcer sur les capacités parentales de quelqu'un que l'on n'a pas évalué, ni même rencontré ? Il est bien sûr impossible de le faire dans le contexte éthique et déontologique d'une expertise psycholégale. C'est pour cette raison qu'on dit souvent qu'un évaluation complète en matière de garde et de droits d'accès comporte, en plus de l'évaluation de l'enfant, l'évaluation des deux parents ainsi que l'évaluation de la relation de l'enfant avec chacun de ses deux parents.
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Cela revient-il à dire que le psychologue ne peut pas faire une expertise quand un des parents refuse de se prêter à l'évaluation ? Nous ne le croyons pas. Cependant, le fait de faire une évaluation dans laquelle un des parents n'a pas été vu ou évalué implique nécessairement des limitations qui doivent être explicites, tant au moment des ententes prises avec les clients que lors du témoignage ou dans le rapport écrit. Ainsi, le psychologue évitera de donner un avis professionnel sur la personne qu'il n'a pas évaluée. Il ne peut se baser sur les dires d'une personne pour établir son opinion sur la personnalité ou les capacités parentales de l'autre parent par exemple. Le psychologue ne pourra en toute conséquence émettre une recommandation de garde qui favoriserait l'un des deux parents. Comment en effet présumer qu'un parent conviendrait mieux ou moins bien aux besoins de l'enfant si les capacités parentales, les personnalités des deux parents, leurs forces et faiblesses à chacun, ne peuvent être mises en correspondance avec les besoins de l'enfant ? Une expertise en matière de garde, ne comportant l'évaluation que d'un seul des parents, pourrait néanmoins se prononcer sur les caractéristiques de l'enfant, sur ses besoins, sur les caractéristiques du parent évalué et se prononcer sur les capacités du parent évalué à rencontrer et répondre aux besoins de l'enfant.
5.3.3. LA TENUE DE DOSSIER ET LA DIVULGATION DU DOSSIER Le règlement sur la tenue de dossier de l'Ordre des psychologues du Québec est très explicite. Le psychologue doit avoir un dossier pour chacun des clients, pour chacune des personnes qui reçoivent des services de sa part. Les renseignements qui doivent obligatoirement se retrouver au dossier sont décrits explicitement à l'article trois de ce règlement : la date d'ouverture du dossier ; le nom, prénom, sexe, date de naissance, adresse et numéro de téléphone d'une personne physique ; le nom, raison sociale, adresse, numéro de téléphone d'une société ou personne morale ainsi que les coordonnées d'un représentant autorisé ; une description sommaire des motifs de la consultation; une description sommaire des services rendus et leur date ; les conclusions de l'examen psychologique et des recommandations ; les notations sur l'évolution suite aux services rendus ; tout document relatif à la transmission de renseignements à des tiers; une copie de tout contrat de service ou de toute entente ; la signature du psychologue. Il faut se souvenir qu'un client a le droit de consulter son dossier. Cependant le droit à la confidentialité de tout client fait en sorte que le psychologue, dans une expertise psycholégale devrait éviter de mettre dans le dossier d'un client, tout renseignement confidentiel appartenant à une autre personne évaluée lors de l'expertise, sauf en ce qui concerne le rapport
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qui est l'objet implicite de la levée du secret professionnel. L'existence de dossiers physiquement distincts pour chaque personne évaluée serait donc de mise. La transmission du rapport ne peut se faire qu'avec la permission écrite du client. Comme, très souvent, un rapport d'expertise constitue la synthèse de l'évaluation de plusieurs personnes, le psychologue devrait obtenir ce consentement écrit de chacun, bien que la jurisprudence nous indique que dans le cas d'une demande d'expertise psycholégale, la personne évaluée est considérée avoir donné son consentement implicite à la transmission des conclusions du psychologue. Cependant, le fait d'avoir discuté au préalable de cette situation, et d'avoir fait signer un formulaire en ce sens évite souvent bien des surprises. Il est à noter qu'un client pourrait aussi demander d'avoir une copie de son dossier ou de transmettre une copie de ce dossier à son avocat. Ce droit ajoute à la nécessité de constituer des dossiers physiquement distincts pour chaque personne évaluée, afin de préserver le droit au secret professionnel de chacun. 5.3.4. TARIFS ET HONORAIRES Il est important de s'entendre au préalable sur les honoraires reliés au mandat confié au psychologue expert. Une façon de le faire est d'inclure dans un formulaire de consentement une section portant spécifiquement sur les honoraires, puisque ceux-ci doivent de toute façon être établis à partir des services qui sont requis du psychologue. Étant donné les difficultés et les litiges fréquents liés au paiement des honoraires, une entente écrite faite avec le client ou encore, si c'est possible, une entente avec l'avocat du client afin que celui-ci place dès le départ en fiducie le montant prévu pour l'expertise deviennent de plus en plus la norme en expertise psycholégale. Le Code de déontologie des psychologues ne contient cependant aucune disposition qui habiliterait les psychologues experts à procéder euxmêmes à un placement en fiducie : le placement par un psychologue d'une somme d'argent en fiducie contreviendrait même à l'article 53 du code de déontologie actuel. Le code de déontologie des membres du Barreau, par contre, leur permet de se porter ainsi garants de sommes d'argent qui leur sont confiées par leurs clients. L'expert peut se voir confier plusieurs types de mandats. Souvent, dans le cadre d'un mandat conjoint, les honoraires sont divisés à parts égales entre les parties. À l'occasion toutefois, une entente peut être conclue à l'effet qu'une seule des deux parties assume la totalité des honoraires dans un mandat conjoint. Dans tous les cas, il est préférable de consigner par écrit l'entente à ce sujet.
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Lorsque le mandat provient d'une seule des parties en cause, c'est généralement cette personne qui paie la totalité des frais reliés à l'expertise. Ceux-ci sont néanmoins parfois assumés par un tiers. Afin d'éviter là aussi toute mauvaise surprise, il vaut mieux écrire clairement dans le formulaire de consentement qui paiera les honoraires. De nombreuses demandes de conciliation de comptes parvenant au Bureau du syndic découlent d'une ambiguïté à ce sujet. Certains experts privilégient une facturation selon un tarif horaire, d'autres proposent à leur client un forfait couvrant l'ensemble de l'expertise, sans tenir compte du nombre d'heures travaillées. Encore là, le psychologue a tout intérêt à en clarifier les règles dès le départ de façon à diminuer les risques de malentendu avec le client. S'il opte pour un forfait, il est très important qu'il décrive de façon détaillée la nature et l'étendue des services inclus dans cette somme, ainsi que ceux qui en sont exclus. Le client devrait, enfin, être prévenu du fait que des modifications au mandat initial pourraient entraîner une révision de la rémunération prévue. De même, lorsqu'un psychologue facture selon un tarif horaire, il est préférable que le formulaire de consentement soumis au client fasse état le plus précisément possible de ce qui sera facturé et à quel taux. Par exemple : • étude de documents et rapports ; • conversations téléphoniques avec les parties ou les avocats ; • entrevues d'évaluation et de cueillette de données ; • interprétation et analyse des résultats des tests ; • rédaction du rapport; • entrevues de présentation du rapport ; • présence en cour et témoignage. Les frais encourus par le psychologue pour l'achat du matériel de tests, leur correction informatisée, ses déplacements, ses repas et son séjour, s'il est appelé à témoigner à l'extérieur de sa région, sont remboursés selon leur coût réel. Aux termes de l'article 53 du code de déontologie, une avance peut être demandée pour couvrir ces frais. Si, en cours d'expertise, le psychologue constate que celle-ci exigera un plus grand nombre d'heures qu'il ne l'avait prévu, il devrait obtenir un nouveau consentement à cet effet, quelle que soit la base de sa rémunération.
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Les articles 51 à 57 du Code de déontologie des psychologues balisent de façon large les modes de tarification et de facturation des honoraires des psychologues. Cependant, la rémunération de la présence en cour dans un contexte d'expertise psycholégale pose des problèmes particuliers, compte tenu des imprévus et des remises fréquentes. Bien que le psychologue doive, la plupart du temps, réserver à cette fin sa journée complète, il est fréquent que l'audition de la cause soit remise, annulée ou se termine plus tôt que prévu. Comment interpréter dans un tel cas l'article 58-6 du code de déontologie qui décrit comme dérogatoire de « réclamer des honoraires pour des actes professionnels non rendus » ? Les avis sont partagés quant à la légitimité de pouvoir facturer une plage horaire réservée à un témoignage en cour, si ce témoignage a été annulé à la dernière minute ou même lorsque le psychologue s'est présenté en cour. Une interprétation stricte du Code de déontologie des psychologues pourrait donner lieu à un avis à l'effet qu'un psychologue ne pourrait pas facturer pour du temps prévu et réservé à des fins de témoignage en cour s'il n'a pas effectivement témoigné ou si ce témoignage a été annulé tardivement. Par contre une autre interprétation de la notion de « services rendus » pourrait permettre de facturer ce temps ou une portion du temps effectivement consacré à un client, même si le témoignage n'a pu avoir lieu. Casoni (1998) considère que le fait qu'un client « réserve » les services d'un psychologue pour une période de temps précise, et qu'en retour, le psychologue s'engage à être disponible et à ne pas fixer d'autre rendez-vous à ce moment précis, remplit les conditions de l'article 58-6 et qu'en conséquence il y a un service rendu par le psychologue. « Le problème éthique ici étant analysé en fonction de la possibilité pour un client de s'assurer les services d'un professionnel particulier et de la possibilité de ce dernier d'être raisonnablement en mesure de garantir au client sa disponibilité plutôt qu'un problème éthique concernant un abus d'influence de la part du professionnel (art. 8) ou d'une attitude conférant à son activité professionnelle un caractère de lucre (art. 15)... » (Casoni, 1998). Faire autrement pourrait même constituer pour Casoni un risque de préjudice pour le client qui ne pourrait pas être assuré de la disponibilité du professionnel. Selon cet avis, et bien sûr à condition d'un consentement libre et éclairé il serait correct de facturer par exemple, une demi-journée de présence en cour, si l'audition est annulée le matin même, selon les ententes prises entre l'expert et le client. Dans cet avis sur le paiement des rendez-vous manqués, Casoni (1998) note en effet que la consultation des pratiques déontologiques dans d'autres ordres professionnels où certains membres offrent des services d'expertise au tribunal permet de constater qu'il est admis que le professionnel expert demande le paiement d'honoraires pour le temps passé à la cour même si aucun service n'a été rendu au sens strict qui peut être donné aux articles 51 et 58.6 du Code de déontologie et dont le libellé est commun à plusieurs codes de déontologie en vigueur au Québec. Elle mentionne qu'à l'Ordre
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des architectes, aucun article ne concerne la notion de services rendus. On suggère dans divers ordres professionnels de s'assurer que le client soit correctement informé, verbalement ou par écrit, que le temps passé en cour sera facturé. L'analogie avec le paiement du temps de déplacement qui peut être exigé pour remplir un mandat professionnel est souvent utilisée pour expliquer cette facturation : pour que le service professionnel spécifique soit rendu à un client qui en est averti explicitement, une condition doit être remplie qui exclut toute autre activité professionnelle de la part du mandataire, soit de se déplacer pour se rendre dans un lieu X pour offrir le service professionnel demandé ou, suivant cette analogie, d'être présent au tribunal afin de pouvoir, le cas échéant, répondre à la demande de service du client. Cette interprétation de la notion de « service rendu » rend ainsi compte de situations particulières et est adaptée aux exigences spécifiques de certains champs de pratique professionnelle. Bien entendu, le consentement libre et éclairé du client demeure la base déontologique nécessaire sur laquelle cette interprétation peut reposer, que ce consentement soit écrit ou même verbal, comme c'est la pratique dans de nombreux ordres professionnels dont les physiothérapeutes, les avocats et les architectes pour ne nommer que ceux-là. Aux États-Unis et dans le reste du Canada, il n'existe pas d'article au code de déontologie balisant d'une façon aussi limitative la facturation des services psychologiques. Les principes éthiques ou déontologiques impliqués sont ceux du « good usual business practice and consent », c'est-à-dire des ententes basées sur des pratiques commerciales correctes et sur une entente claire. En suivant ce raisonnement, il pourrait être non seulement légitime mais déontologiquement correct de facturer, après une entente explicite, des heures réservées à un témoignage en cour, même si ce témoignage a dû être annulé par la cour ou une des parties en cause (et non par le psychologue lui-même bien sûr). Cependant, il faut noter que la position officielle la plus récente de l'Ordre des psychologues du Québec, publiée en novembre 1998 (OPQ, 1998) est restrictive et ne permettrait de facturer que 50 % du temps réservé par le psychologue lors d'une remise (à moins de 24 heures d'avis) ou lorsqu'un témoignage ne serait pas requis (à moins de 24 heures d'avis). Facturer pour quoi que ce soit qui serait annulé à 24 heures d'avis serait contraire à l'interprétation que l'OPQ donne de l'article 58 (6) du code de déontologie. Malheureusement, l'Ordre des psychologues n'explique pas comment un service peut être considéré rendu à 50 % sans être donné lors d'une annulation à moins de 24 heures d'avis alors qu'il n'y aurait aucun service rendu si l'annulation est faite à 24 heures d'avis. Le problème éthique sous-jacent à cette notion déontologique n'a pas été abordé.
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5.3.5. L'ENTENTE ÉCRITE Les conditions adversariales, toujours tendues et anxiogènes des expertises psycholégales sont souvent le terrain menant à des désaccords, des erreurs de compréhension et des quiproquos malheureux au sujet des ententes prises entre le client et le professionnel, au sujet des termes du mandat, des conditions financières ou professionnelles négociées lors des premières rencontres. La façon la plus simple, à la fois d'éviter de tels quiproquos et en même temps de bien expliquer au client, la nature et la portée du mandat, de bien lui expliquer le processus d'expertise et son ampleur est d'avoir un mandat écrit décrivant tant les principes que le processus d'expertise qui est proposé. Une telle description écrite du mandat, en plus de constituer une entente claire avec le client, est l'occasion de lui expliquer le rôle de l'expert, son travail et les principes qui guideront son travail, tels « le meilleur intérêt de l'enfant », l'objectivité, etc. Une telle entente pourrait contenir : • la description du mandat; • la description du processus proposé ; • les principes gouvernant l'expertise (meilleur intérêt de l'enfant, etc.) ; • les actes qui seront facturés et le taux de facturation; • l'explication de la levée du secret professionnel ; • le nom des personnes qui seront évaluées ; • le nom de la personne qui défraiera les coûts de l'expertise ; • le nom des personnes à qui sera envoyé le rapport; • les formulaires d'autorisation de transmission et de communication; • les limitations potentielles de l'expertise. Des exemples d'ententes écrites se trouvent dans le chapitre intitulé « La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale » ; exemples s'appliquant soit à une expertise lors de conflit de garde d'enfant, soit à une d'expertise concernant une allégation d'agression sexuelle. Il s'agit ici d'illustrations, de guides dont le lecteur pourra s'inspirer afin de formuler, selon ses besoins, son propre modèle d'entente.
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L'expertise psycholégale
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Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale
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CHAPITRE 6
La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale LOUIS BRUNET, DIANNE CASONI et MICHEL SABOURIN
Comme le chapitre intitulé « Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale » l'explique, un code de déontologie décrit des règlements et des obligations auxquels doivent se soumettre des professionnels. Cependant la plupart des articles d'un code de déontologie se doivent d'être interprétés, compte tenu de la diversité des domaines d'application et des circonstances de pratique. Certains articles du code de déontologie de l'Ordre des psychologues du Québec s'appliquent tout particulièrement au domaine de l'expertise psycholégale. L'interprétation de ces articles peut être sujet à débat. Différents arguments peuvent, en effet, être utilisés pour soutenir une interprétation plutôt qu'une autre. Les interprétations que nous vous proposons dans ce chapitre sont issues toutefois de nombreuses années de réflexion ainsi que de la longue expérience que nous cumulons dans ce champ tant au niveau de la pratique que de l'enseignement. De façon plus explicite, les trois auteurs du présent chapitre ont eu, depuis de nombreuses années, l'occasion de se pencher sur l'interprétation des articles du code de déontologie des psychologues québécois, soit pour
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L'expertise psycholégale
deux d'entre eux à titre de syndics adjoints de l'OPQ (Louis Brunet et Michel Sabourin), soit comme formateur (Dianne Casoni). Dans la première partie du chapitre, ils proposent les interprétations qui au fil de leur expérience leur sont apparues être les plus justes et utiles d'un certain nombre d'articles du code de déontologie de l'OPQ reliés à l'expertise psycholégale. Puis, dans la seconde partie du chapitre, ils présentent des modèles d'ententes en expertise psycholégale qui respectent ces balises déontologiques ainsi que les paramètres méthodologiques exposés tout au long du livre. Comme l'expertise psycholégale est un domaine de pratique lié au conflit, il n'est pas rare que le climat émotif en cause amène des mésententes, des erreurs d'interprétation, et même, des désaccords concernant les résultats de l'expertise ainsi que la façon dont l'expert s'y est pris pour arriver à ses conclusions. C'est la raison pour laquelle, quelle que soit la nature du mandat et de l'entente verbale obtenus auprès des parties intéressées, bien des malentendus peuvent être évités par la signature d'une entente écrite claire et bien expliquée, entente dont les clients pourront garder une copie. Cette entente expliquera de façon détaillée les principes guidant l'évaluation, la procédure d'évaluation utilisée ainsi que les conditions financières de l'expertise. À défaut d'un mandat écrit suffisamment précis, l'expérience démontre qu'on reproche facilement au psychologue de n'avoir pas fait le travail qui lui était demandé ou d'être allé beaucoup plus loin que nécessaire, alors qu'une meilleure compréhension des buts et des procédures de l'expertise par le client aurait pu éviter ce conflit. A l'occasion, des clients se plaignent directement à l'expert ou même au syndic de son ordre professionnel, indépendamment de la qualité du travail effectué. Certains se disent insatisfaits des conclusions de l'expert ou sont surpris par l'importance de la démarche, par les implications de celle-ci ou par le fait de constater que le psychologue a maintenu une attitude indépendante et neutre. Certains clients croient, de bonne foi, que le psychologue qu'ils engagent pour une expertise prendra nécessairement partie pour eux dans un litige de garde. Une entente écrite décrivant le principe de neutralité de l'expert ainsi que le principe reconnu du « meilleur intérêt de l'enfant » est l'occasion de s'assurer que le client comprend bien ce à quoi il consent et peut aisément dissiper un tel malentendu. Le présent chapitre propose donc, dans un deuxième temps, des modèles d'entente écrite dont les experts pourront s'inspirer pour divers champs de pratique psycholégale (neuropsychologie, évaluation de séquelles, etc.). Un formulaire d'autorisation de transmission de dossiers est également présenté.
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La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale
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6.1. Analyse et interprétation du code de déontologie de l'Ordre des psychologues du Québec en lien avec la pratique de l'expertise psycholégale Cette section se veut une analyse des principaux articles du code de déontologie de l'Ordre des psychologues s'appliquant au domaine de l'expertise psycholégale. Les articles sont cités tels qu'ils apparaissent dans le Code de déontologie publié par l'Éditeur officiel du Québec en 1992. Article 1. Le psychologue inscrit au tableau de la Corporation professionnelle des psychologues du Québec doit, dans l'exercice de sa profession, tenir compte des principes scientifiques généralement reconnus en psychologie. Il est clair que l'Ordre des psychologues a fait de l'obligation de « tenir compte des principes scientifiques généralement reconnus en psychologie », le principe chapeautant tous les autres articles du code de déontologie. Rappelons cependant ici que les « principes scientifiques » en question ne sauraient se résumer à une méthodologie particulière comme la méthode expérimentale ou à toute autre méthodologie de recherche, par exemple. Ainsi, la valeur scientifique d'une expertise psycholégale doit reposer non seulement sur la valeur de la démarche d'évaluation et des instruments utilisés, mais aussi sur la maîtrise par l'expert des connaissances sur la question ainsi que sur la pertinence de la théorie utilisée en regard du problème posé. Article 6. Avant d'accepter un mandat et durant son exécution, le psychologue doit tenir compte des limites de sa compétence et des moyens dont il dispose. Il ne doit pas entreprendre des travaux professionnels pour lesquels il n'est pas suffisamment préparé. L'article 6 indique que le psychologue doit tenir compte des limites de sa compétence et des moyens dont il dispose avant d'accepter un mandat. Cependant, cela ne signifie pas qu'un psychologue débutant ne pourrait pas exercer sa profession dans le domaine de l'expertise. Il doit cependant impérativement tenir compte de sa relative inexpérience. Dans ce sens, obtenir de la supervision de la part d'un collègue chevronné et faire une recherche exhaustive des écrits pertinents seraient une façon adéquate de tenir compte des limites de sa compétence. Article 11. Le psychologue ne doit établir un diagnostic à l'égard de son client ou ne doit donner des avis et des conseils à ce dernier que s'il possède les informations professionnelles et scientifiques suffisantes. Cet article stipule que le psychologue ne peut établir un diagnostic que s'il possède les informations professionnelles et scientifiques suffisantes. Dans le cas de l'expertise psycholégale, cet article implique qu'il serait
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dérogatoire de formuler un diagnostic concernant une personne qui n'a pas été évaluée, par exemple. De la même façon, on ne pourrait établir un diagnostic ou formuler une opinion ou une conclusion si les connaissances à la disposition de la communauté scientifique et professionnelle indiquent qu'il n'est pas possible d'établir un tel diagnostic. Le chapitre portant sur l'évaluation des allégations d'agression sexuelle illustre cette situation aucun instrument n'existe actuellement pour prouver l'existence d'une agression sexuelle. Faire une telle conclusion à partir d'un Rorschach ou de tout autre outil, par exemple, contreviendrait à ce principe déontologique. Article 14. Le psychologue doit s'acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité, objectivité et modération. Tant dans son témoignage en cour que dans son rapport, le psychologue doit faire preuve d'objectivité, d'intégrité et de modération. Il doit donc éviter les déclarations exagérées, sensationnelles et sans nuance. De même, il doit éviter de critiquer le travail d'un collègue de façon gratuite ou par complaisance pour un tiers. Lorsqu'un procureur lui demande son opinion sur le travail d'un confrère, il doit ainsi respecter l'esprit et la lettre de cet article. Article 17. Le psychologue doit informer son client de l'ampleur et des modalités du mandat que ce dernier lui a confié et il doit obtenir son accord à ce sujet. De nombreuses mésententes et de nombreuses plaintes liées au domaine de l'expertise psycholégale réfèrent à cet article du code de déontologie. Nous croyons que la façon la plus sûre de respecter cet article dans le champ de l'expertise psycholégale est de présenter au client un formulaire d'entente écrite, comme celles proposées plus loin et d'en discuter le contenu avec ce dernier afin qu'il puisse y consentir, le cas échéant, d'une façon libre et éclairée. Article 20. Le psychologue doit s'abstenir de rendre des services professionnels à des personnes avec qui il entretient une relation susceptible de nuire à la qualité de son intervention. L'article 20 concerne des relations personnelles bien sûr mais aussi des relations professionnelles et, notamment, toute autre relation impliquant ses services comme psychologue. Le chapitre intitulé « Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale » décrit comment les doubles mandats (être à la fois thérapeute et faire une expertise de cette personne, par exemple) constituent un problème sérieux de neutralité et enfreint cet article du code de déontologie. Articles 38 et 39. Le psychologue est tenu au secret professionnel. Et Le psychologue peut être relevé de son secret professionnel par autorisation écrite de son client ou si la loi l'ordonne.
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Le chapitre intitulé « Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale » contient une section intitulée « Principales limitations au secret professionnel s'appliquant à la pratique de la psychologie » qui donne des informations exhaustives sur certaines particularités du secret professionnel. Habituellement, en effet, lorsqu'une entente explicite d'expertise psycholégale est conclue, les personnes évaluées renoncent à leur droit au secret professionnel. Une entente écrite permet d'éviter toute ambiguïté à ce sujet. D'autres exemptions au secret professionnel sont l'obligation de signalement fait par la loi de la protection de la jeunesse (dans une situation où la sécurité ou le développement d'un enfant sont compromis) ; lorsqu'il s'agit de protéger quelqu'un dont la vie est en péril ; une enquête du coroner; une enquête du Bureau du syndic de l'ordre professionnel; une ordonnance du tribunal. Par contre, le fait d'être libéré de son secret professionnel n'autorise le psychologue à dévoiler les informations obtenues que dans le contexte spécifique de l'entente d'expertise, ou dans le contexte spécifique de la loi et non pour tout dévoilement ultérieur ou hors de ces contextes. Article 40. Lorsque le psychologue des renseignements confidentiels renseignements lui soient confiés, pleinement informé des utilisations ces renseignements.
demande à un client de lui révéler ou lorsqu'il permet que de tels il doit s'assurer que le client est diverses qui peuvent être faites de
Ainsi les clients d'une expertise (tous les clients et non pas seulement le client qui donne le mandat) doivent être pleinement informés que des renseignements peuvent être divulgués en cour ou utilisés pour formuler un diagnostic et émettre des recommandations. Le psychologue lors d'une expertise psycholégale ne devrait jamais promettre de garder confidentiels des propos du client. Vu la grande probabilité d'être interrogé par un des procureurs sur toutes les facettes de son expertise, il serait la plupart du temps impossible pour le psychologue de respecter une telle promesse. Il est, au contraire, recommandé au psychologue de dire au client que celuici devrait omettre de lui confier tout renseignement qu'il considérerait comme confidentiel et dont il ne voudrait pas que la cour prenne connaissance. Article 45. Le psychologue appelé à faire une expertise professionnelle devant un tribunal doit informer de son mandat la personne qu'il examine à cet effet. Son rapport et sa déposition devant le tribunal doivent se limiter aux éléments pertinents à la cause. Cet article traite donc spécifiquement de l'expertise psycholégale et de deux obligations : celle d'informer la personne évaluée de son mandat et l'obligation de s'en tenir aux éléments pertinents à la cause. Cet article, en spécifiant l'obligation d'informer le client du mandat, précise donc qu'une expertise ne peut pas être faite secrètement ou à partir de justifications
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trompeuses. Toute personne évaluée lors d'une expertise psycholégale doit être dûment informée du mandat et de l'utilisation possible de l'évaluation. L'autre obligation concerne une limitation imposée au psychologue, celle de s'en tenir aux éléments pertinents à la cause. Ainsi, le psychologue est tenu à une certaine discrétion tant dans son rapport, au cours de son témoignage que dans ses commentaires ou propos tenus devant des tiers, à un procureur ou à une personne de la partie adverse, dans un conflit de garde, par exemple. Même si le client peut avoir révélé certaines informations privées ou intimes au psychologue au cours de l'expertise, celui-ci doit juger de la pertinence d'en rendre compte ou pas. Cet article nuance et balise, en quelque sorte, la renonciation au secret professionnel à laquelle le client a consenti en acceptant le processus d'expertise psycholégale. Article 47. Dans le cas où le psychologue désire enregistrer ou filmer une entrevue, il doit au préalable obtenir la permission écrite du client. Depuis près de vingt ans, il est recommandé d'enregistrer les entrevues avec des enfants dans les cas d'allégation d'agression sexuelle (voir le chapitre intitulé «L'expertise psycholégale en matière d'agression sexuelle » pour plus d'informations à ce sujet). Cet article décrit l'obligation d'obtenir pour cela la permission écrite du client. Dans le cas d'un enfant de moins de 14 ans, la permission écrite doit venir du titulaire de l'autorité parentale. Il est important, tant pour les titulaires de l'autorité parentale que pour les jeunes de plus de 14 ans, que les signataires de cette autorisation soient informés de l'utilisation que fera l'expert de ces enregistrements. Article 51. Le psychologue doit demander et accepter des honoraires justes et raisonnables qui sont justifiés par les circonstances et proportionnels aux services rendus. Il doit notamment tenir compte des facteurs suivants, pour la fixation de ses honoraires : 1) 2) 3) 4)
son expérience; le temps consacré à l'exécution du service professionnel ; la difficulté et l'importance du service; la prestation de services inhabituels ou exigeant une compétence ou une célérité exceptionnelles.
Article 52. Le psychologue doit fournir à son client toutes les explications nécessaires à la compréhension de son relevé d'honoraires et des modalités de paiement. Le fait que deux psychologues ou plus fournissent des services psychologiques à un même client ou qu'il y ait mise en commun d'honoraires ne dispense pas le psychologue de cette obligation.
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Article 53. Le psychologue ne peut exiger à l'avance le paiement de ses honoraires professionnels. Par entente écrite avec son client, il peut cependant exiger une avance pour couvrir le paiement des déboursés nécessaires à l'exécution des services professionnels requis. Article 54. Le psychologue doit prévenir son client du coût approximatif et prévisible de ses services professionnels. Article 55. Le psychologue ne peut percevoir des intérêts sur ses comptes qu'après en avoir dûment avisé son client. Les intérêts ainsi exigés doivent être d'un taux raisonnable. Article 56. Avant de recourir à des procédures judiciaires, le psychologue doit épuiser les autres moyens dont il dispose pour obtenir le paiement de ses honoraires. Article 57. Lorsque le psychologue confie à une autre personne la perception de ses honoraires, il doit s'assurer que celle-ci procède avec tact et mesure.
Ces articles balisent la fixation et le paiement des honoraires. Ils spécifient notamment que « Le psychologue doit demander et accepter des honoraires justes et raisonnables qui sont justifiés par les circonstances et proportionnels aux services rendus ». Nous référons le lecteur aux sections « Tarifs et honoraires » ainsi que « Le contrat écrit » du chapitre intitulé « Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale » qui présentent et discutent des points litigieux concernant le paiement d'honoraires en expertise psycholégale. Mentionnons que la position officielle la plus récente de l'Ordre des psychologues du Québec, publiée en novembre 1998, ne permettrait de facturer que 50 % du temps réservé par le psychologue lors d'une remise (à moins de 24 heures d'avis) ou lorsqu'un témoignage ne serait pas requis (à moins de 24 heures d'avis). Facturer pour quoi que ce soit qui serait annulé à 24 heures d'avis serait contraire à l'interprétation que l'OPQ donne de l'article 58 (6) du code de déontologie. Article 72. En ce qui concerne l'administration, l'interprétation et l'utilisation des tests psychologiques ainsi que la publication des tests et l'information que doivent contenir les manuels et documents s'y rattachant, le psychologue doit s'en tenir aux principes scientifiques généralement reconnus en psychologie, notamment ceux énumérés dans le manuel publié par l'American Psychological Association, « Standards for Educational and Psychological Tests ».
Cet article balise l'utilisation des tests, spécifiant de façon générale que le psychologue doit s'en tenir aux principes scientifiques généralement reconnus en psychologie, notamment ceux énumérés dans le manuel publié par l'American Psychological Association « Standards for Educational and Psychological Tests ». Il va de soi qu'un psychologue peut utiliser un
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instrument ou une méthode qui ne serait pas très connu s'il peut faire la démonstration de sa validité et de sa scientificité, à l'aide de publications, par exemple. Article 74. Le psychologue doit interpréter le matériel psychologique avec prudence.
Cet article est fréquemment invoqué dans les demandes d'enquêtes et les plaintes disciplinaires contre des psychologues dans l'exercice de l'expertise psycholégale. Souvent, il est reproché au psychologue de faire une interprétation abusive du matériel clinique à sa disposition. C'est le cas, par exemple, d'une confirmation par le psychologue d'une agression sexuelle présumée à partir de symptômes psychologiques, de signes comportementaux ou encore à partir de l'interprétation donnée à du matériel provenant de tests projectifs. Encore une fois, la meilleure façon d'éviter de telles erreurs est de très bien connaître les écrits scientifiques et professionnels dans le domaine d'expertise où le psychologue exerce. Article 75: Le psychologue ne peut remettre à autrui, sauf à un autre psychologue les données brutes et non interprétées inhérentes à une consultation psychologique. Article 76: Dans tout rapport psychologique, écrit ou verbal, le psychologue doit s'en tenir à son interprétation du matériel psychologique relié à la consultation, à ses conclusions et à ses recommandations. Article 77: Le psychologue doit éviter toute possibilité de fausse interprétation ou d'emploi erroné des informations qu'il fournit à autrui.
Une des interprétations strictes de ces articles serait qu'il ne faudrait pas mettre de matériel clinique dans un rapport (histoire du T.A.T., réponse du Rorschach, etc.). D'une part, il y aurait dans cette divulgation, une possibilité de fausse interprétation de la part de professionnels non formés à l'utilisation de ces tests (article 77) et d'autre part, cela déborderait de l'obligation à l'article 76 (de s'en tenir à son interprétation du matériel, dans un rapport) ainsi qu'à l'article 75 puisqu'il y aurait transmission de données brutes. Cependant, tout en reconnaissant qu'un danger de fausse interprétation existe réellement par la transmission de données brutes, nous croyons qu'un rapport peut contenir du « verbatim » d'entrevue, c'est-à-dire des propos d'une personne évaluée rapportés textuellement par l'expert lorsque ces propos sont pertinents et qu'ils illustrent ou soutiennent l'analyse ou les conclusions de l'expert. Cependant, il importe alors d'utiliser des guillemets et d'indiquer sans aucune équivoque qui est l'auteur des propos, de façon à ce qu'il ne puisse y avoir aucune confusion entre les opinions du psychologue et des propos provenant d'une personne évaluée.
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6.2. Modèles d'ententes d'expertise psycholégale Psychologue et Associés 8888, rue de la ville, Montréal, Québec, Canada, OC 3C3
Entente d'expertise psycholégale dans le contexte d'un litige de garde d'enfant et de droits d'accès Tel que discuté lors de nos premiers contacts, une expertise psychologique dans le contexte d'un litige concernant une garde d'enfant et les droits d'accès suit habituellement le processus suivant : Je prends connaissance de tous les rapports et documents pertinents qui ont été jusqu'alors produits. Je rencontre chaque parent afin de recueillir une histoire de l'enfant, ainsi que des informations concernant la vie familiale. Il peut arriver, dépendant des circonstances particulières, qu'un nouveau conjoint doive aussi être rencontré, particulièrement s'il est appelé à jouer un rôle important dans la vie quotidienne de l'enfant. Puis je procède à l'évaluation psychologique de l'enfant (en 2, 3 ou 4 rencontres selon l'âge de l'enfant et les besoins spécifiques de l'évaluation) au cours desquelles en plus des situations d'entrevues et de jeux libres, j'administre des tests psychologiques. Je procéderai aussi à une évaluation psychologique (entrevue, autobiographie, tests psychologiques) de chaque parent et de tout nouveau conjoint qui pourrait être significatif pour l'enfant, dans le but de mieux cerner l'ensemble de la problématique et d'évaluer les capacités parentales de chacun. Enfin, une période d'observation de l'interaction entre parent et enfant est nécessaire afin d'évaluer le type de relation qui s'établit entre eux. L'analyse du matériel recueilli me permet d'émettre une opinion quant au niveau de développement de l'enfant, de ses besoins particuliers, sa personnalité, ainsi qu'elle peut me permettre de formuler une opinion sur l'adaptation de l'enfant à la situation de rupture parentale. C'est en mettant en rapport les besoins psychologiques de l'enfant avec les caractéristiques personnelles et psychologiques de ses parents et conjoints, que je peux formuler une opinion au sujet de la modalité de garde et de droit d'accès qui m'apparaîtra la plus appropriée. Afin de formuler cette opinion je dois en tout temps être guidé par ce qui serait dans le meilleur intérêt de l'enfant que j'évalue. C'est en ce sens que je dois demeurer neutre et impartial tout au long de ce processus. Il est cependant possible que l'opinion professionnelle que je formulerai ne soit pas conforme à vos attentes. Il faut rappeler que mon mandat n'est pas d'être votre représentant mais plutôt d'éclairer la cour au sujet du meilleur intérêt de l'enfant.
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Lors d'une entrevue subséquente, je vous transmettrai ces conclusions afin de pouvoir les expliquer et les discuter avec vous. Je rédigerai aussi mon analyse et mes conclusions sous forme de rapport. Il peut arriver que des contraintes de temps m'obligent à rédiger le rapport sans avoir eu la possibilité d'en discuter préalablement avec vous ; dans de telles circonstances, il est possible néanmoins de nous rencontrer afin de discuter du rapport. Bien que chaque dossier soit unique en termes de temps nécessaire à son évaluation, il est possible d'estimer que les rencontres avec chaque parent puissent prendre quelque ..........heures ; chaque session d'observation parentenfant dure habituellement..........heures ; le temps d'évaluation de chaque enfant est d'environ..........à..........heures. Le temps consacré à l'analyse du matériel et à la rédaction du rapport dépendent de la complexité du dossier et du nombre de personnes rencontrées mais peuvent prendre quelque..........à..........heures par personne impliquée. Toutes ces heures sont facturées. Le temps consacré à la lecture de documents et aux consultations téléphoniques est aussi facturé tout comme l'est le temps passé au tribunal. Mon taux horaire est actuellement de.......... Enfin, comme nous en avons déjà discuté, quelle que soit la personne qui fait la demande d'expertise dans un cas de garde d'enfant, l'objectif premier de cette expertise est de déterminer quel type de garde ou d'accès serait le plus indiqué pour l'enfant. C'est donc, et avant tout, la nécessité d'assurer le meilleur intérêt de l'enfant qui guide ce processus. En ce sens, le meilleur intérêt de l'enfant quant à sa protection, son développement et à son équilibre psychologique constitue donc le phare qui guide tout ce processus. Secret professionnel Il est également important pour vous de savoir qu'en me confiant un mandat d'expertise psycholégale, vous me libérez de mon secret professionnel dans le contexte du rapport et du témoignage que je pourrais éventuellement être appelé à produire devant le tribunal. De plus la Loi de la protection de la jeunesse oblige un professionnel à signaler à la DPJ les cas de maltraitance et de négligence qui sont portés à son attention lorsqu'il a des motifs suffisants de les juger fondés. Autorisations Afin de me donner accès à toutes les informations me permettant de bien comprendre la situation, il me sera peut-être nécessaire de consulter certains documents et rapports. Je devrai peut-être aussi m'entretenir avec certaines personnes ou obtenir des documents pertinents. Dans ce cas, je vous demanderai de signer un formulaire d'autorisation pour effectuer ces consultations.
© 1999 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : L' expertise psycholégale, Sous la direction de Louis Brunet, ISBN 2-7605-1016-6 • D1016N Tous droits de reproduction, de traduction ou d’adaptation réservés
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Ententes d'honoraires Les honoraires versés pour cette expertise seront calculés sur la base du tarif horaire de..........pour tout travail effectué dans le cadre de ce mandat. Ceci peut comprendre par exemple :
• l'étude de documents et de rapports • les conversations téléphoniques avec des avocats ou d'autres personnes • les entrevues • l'analyse des tests et du matériel clinique • la rédaction du rapport • les entrevues de rapport • la présence en cour • les frais de déplacement (à déterminer si l'expertise a lieu en dehors de la grande région montréalaise) • frais de repas ou de logement (à déterminer si l'expertise a lieu en dehors de la grande région montréalaise) Le rapport sera acheminé à ........................................................................... adresse
......................................................................................................... .........................................................................................................
Présence en cour Le temps passé en cour est facturé au même taux horaire. •
Les frais de déplacements, de logements et de repas de ......................... me seront payés en date du ...........................................................................pour compenser mes déboursés.
•
Il s'agit d'un mandat d'expertise conjoint demandé par ................................. .......................................................................................................................... et payé par ...................................................................................................... ........................................................................................................................... dans les proportions suivantes .........................................................................
•
Il s'agit d'un mandat d'expertise non conjoint demandé par ........................... .......................................................................................................................... et payé par ......................................................................................................
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L'expertise psycholégale
Le paiement de votre part d'honoraires sera effectué de cette façon : 1. 2.
à la fin de chaque entrevue, la totalité des honoraires encourus depuis la dernière entrevue sera payée. le solde des honoraires sera payé lors de la remise du rapport (à vous ou à votre procureur).
3.
les travaux subséquents (présence en cour, entrevues d'explications, etc.) seront payables sur réception de la facture.
4.
des intérêts de........% par mois seront facturés sur le solde du compte, à partir d'un délai d'un mois d'un compte non payé.
j'ai pris connaissance de ces informations et je signe :
Nom : Date :
................................................................... ...................................................................
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Psychologue et Associés 8888, rue de la ville, Montréal, Québec, Canada, C3C 3C3
Entente d'expertise psycholégale dans un contexte d'allégation de sévices sexuels Tel que discuté déjà lors de nos premiers contacts, une expertise psychologique dans le contexte d'une allégation de sévices sexuels suit habituellement le processus suivant Je prends connaissance de tous les rapports et documents pertinents qui ont été jusqu'alors produits. Je rencontre les parents ensemble ou séparément selon les cas, afin de recueillir une histoire de l'enfant, un historique de ses symptômes ainsi que les informations concernant le dévoilement de l'agression. Des informations concernant la vie familiale et les parents sont aussi recueillies. Puis je procède à l'évaluation psychologique de l'enfant (en 2, 3 ou 4 rencontres selon l'âge de l'enfant et les besoins spécifiques de l'évaluation) au cours desquelles en plus des situations d'entrevues et de jeux libres, j'administre des tests psychologiques. Il est souvent nécessaire également de procéder à une évaluation psychologique (entrevue, autobiographie, tests psychologiques) avec les parents dans le but de mieux cerner l'ensemble de la problématique. Dans les cas d'allégations de sévices sexuels qui impliquent le père ou la mère de l'enfant, par exemple, il est nécessaire de procéder aux évaluations psychologiques des parents. Enfin, dans les dossiers d'allégation intrafamiliale, une période d'observation de l'interaction entre chaque parent et l'enfant est nécessaire. L'analyse du matériel recueilli me permet d'émettre une opinion quant au niveau de développement de l'enfant, de ses besoins particuliers, sa personnalité, des séquelles psychologiques possibles qu'il pourrait présenter, le cas échéant, ainsi que de la stratégie adaptative qu'il a adoptée. Je devrais être également en mesure de dresser un aperçu des facteurs contributifs ayant mené à la situation de dévoilement d'agression sexuelle. Il arrive également que je puisse être en mesure d'émettre une opinion quant à la vraisemblance ou la probabilité que la situation d'agression soit véritablement survenue telle qu'alléguée. Lors d'une entrevue subséquente avec les parents, je transmets ces conclusions afin de pouvoir les expliquer et les discuter. Je rédige aussi cette analyse et ces conclusions sous forme de rapport. Il arrive que des contraintes de temps m'obligent à rédiger le rapport sans avoir eu la possibilité d'en discuter avec les parents; dans de telles circonstances, il est possible néanmoins de se rencontrer afin de discuter du rapport.
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L'expertise psycholégale
Bien que chaque dossier soit unique en termes de temps nécessaire à son évaluation, il est possible d'estimer que les rencontres avec le ou les parents puissent prendre quelque 4 heures (par parent, s'ils sont vus individuellement), chaque session d'observation parent-enfant de 1 heure à 1 heure 30; le temps d'évaluation de chaque enfant peut prendre quelque 3 à 4 heures. Le temps consacré à l'analyse du matériel et à la rédaction du rapport dépendent de la complexité du dossier et du nombre de personnes rencontrées mais peuvent prendre quelque 5 heures par personne impliquée. Toutes ces heures sont facturées. Le temps consacré à la lecture de documents et aux consultations téléphoniques est aussi facturé tout comme l'est le temps passé au tribunal. Le taux horaire est actuellement de .................... Enfin, comme nous en avons déjà discuté, quelle que soit la personne qui fait la demande d'expertise dans un contexte d'allégation de sévices sexuels, l'objectif premier de cette expertise est de tenter de comprendre quelle est la vérité de l'enfant et de chercher à estimer Jusqu'à quel point cette vérité peut correspondre à une réalité probable. Étant donné qu'un enfant peut se retrouver au milieu d'une allégation de sévices sexuels non fondée dans la réalité et qu'il importe de le protéger tant du trauma qui peut résulter d'une fausse allégation que de celui d'être une victime réelle de sévices sexuels, il est nécessaire pour moi de procéder de la façon suggérée, afin que toute la rigueur et l'attention nécessaire à cette évaluation soit assurée. En ce sens, le meilleur intérêt de l'enfant quant à sa protection, son développement et à son équilibre psychologique constitue donc le phare qui guide ce processus. Secret professionnel Il est également important pour vous de savoir qu'en me confiant un mandat d'expertise psycholégale, vous me libérez de mon secret professionnel dans le contexte du rapport et du témoignage que je pourrais éventuellement être appelé à produire devant le tribunal. De plus la Loi de la protection de la jeunesse oblige un professionnel à signaler à la DPJ les cas de maltraitance et de négligence qui sont portés à son attention lorsqu'il a des motifs suffisants de les juger fondés. Autorisations Afin de me donner accès à toutes les informations me permettant de bien comprendre la situation, il me sera peut-être nécessaire de consulter certains documents et rapports. Je devrai peut-être aussi m'entretenir avec certaines personnes liées au dévoilement de l'agression sexuelle. Dans ce cas vous serez appelé à signer un formulaire d'autorisation me permettant de le faire.
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Modalités de paiement 1. à la fin de chaque entrevue, la totalité des honoraires encourus depuis la dernière entrevue sera payée. 2. le solde des honoraires sera payé lors de la remise du rapport (à vous ou à votre procureur). 3. les travaux subséquents (présence en cour, entrevues d'explications, etc.) seront payables sur réception de la facture. 4. des intérêts de ............. % par mois seront facturés sur le solde du compte, à partir d'un délai d'un mois d'un compte non payé. J'ai pris connaissance de ces informations et je signe : Nom : .................................................................... Date: ......................................................................
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L'expertise psycholégale
Psychologue et Associés 8888, rue de la ville, Montréal, Québec, Canada, C3C 3C3 Entente de transmission de dossier J'autorise par la présente ............................................................................ à transmettre à .................................................................................................... le rapport d'évaluation psychologique un résumé de dossier le rapport d'évaluation sociale le rapport d'évaluation psychiatrique ......................................................................................................... ......................................................................................................... CONCERNANT Nom : ....................................................................................................... Date de naissance : ............................................................................... Je m'engage de ce fait à payer Monsieur X Signature ................................................................ Nom ....................................................................... Témoin ................................................................... Date ....................................................................... En raison de l'urgence de ma demande, je renonce au délai habituel de 15 jours avant la transmission de ces renseignements ..................................... Signature ................................................................
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Les principaux champs d'expertise
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CHAPITRE 7
La garde d'enfant et les droits d'accès LOUIS BRUNET, MICHEL SABOURIN et PIERRE-YVES LÉTOURNEAU
7.1. Le rôle du psychologue dans les expertises reliées à la garde d'enfant et aux droits d'accès La majorité des situations de séparation et de divorce semblent donner lieu à une entente viable au sujet de la garde des enfants et des possibilités de rencontres et de visites entre les enfants et leurs deux parents. Il semble, en effet, que les situations dans lesquelles les parents n'arrivent pas à s'entendre sur un réaménagement de leurs droits et responsabilités au sujet de la garde de leur enfant ou de l'accès du parent non gardien sont, toutes proportions gardées, relativement peu nombreuses. Toutefois, lorsque des situations conflictuelles se présentent, l'enjeu de ces conflits est fréquemment lourd de conséquences pour le développement de l'enfant et l'équilibre de la vie des parents. Il arrive aussi que des litiges concernant la garde et les droits d'accès soient en cause dans les dossiers où, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, la sécurité et le développement de l'enfant semblent compromis. Lorsqu'elles sont débattues devant la cour, la complexité des situations impliquant certaines familles accroît la difficulté qu'éprouve le juge à cerner le meilleur intérêt de l'enfant. On le voit, il peut
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L'expertise psycholégale
s'avérer extrêmement pertinent qu'un psychologue intervienne dans de telles situations afin d'éclairer la cour dans la difficile décision qui lui revient. Le champ de pratique de l'expertise psycholégale est très différent de plusieurs autres champs où le psychologue exerce sa profession (voir le chapitre intitulé « Le psychologue dans le système judiciaire »). De la nécessaire mais souvent difficile empathie du cabinet de psychothérapeute à l'antagonisme qui règne parfois dans une cour de justice, il y a un monde qui nécessite à la fois une autre attitude et des connaissances particulières ! La formation qu'il a reçue prédispose souvent davantage le psychologue à la conciliation qu'à la confrontation. Avant de s'aventurer sur ce terrain difficile de l'expertise psycholégale, il doit donc posséder des connaissances et des compétences particulières qui vont au-delà de la formation générale du psychologue clinicien; en plus il doit avoir acquis une certaine expérience professionnelle. Lorsqu'il est engagé dans ce domaine, il doit aborder les dossiers d'expertise à l'intérieur des balises strictes que constituent d'une part les méthodologies particulières et les connaissances propres au domaine de l'expertise psycholégale et d'autre part les règles de déontologie de la profession. Ainsi, il semble que bon an, mal an, environ 40 % des demandes d'enquête au Bureau du syndic de l'Ordre des psychologues du Québec touchent directement l'expertise psycholégale. Parmi ces demandes d'enquête, une sur cinq, en moyenne, se transforme en plainte logée par le syndic devant le Comité de discipline. Ces données appellent, il va sans dire, à la plus grande prudence. D'une part, on le sait, le contexte d'expertise psycholégale en est un d'affrontement et en ce sens, il n'est pas étonnant de voir une des parties se tourner contre un expert et le poursuivre devant son ordre professionnel. D'autre part, des embûches particulières caractérisent ce domaine de pratique et démontrent l'importance pour l'expert d'accorder une attention particulière tant au processus d'expertise lui-même qu'à ses implications déontologiques. C'est sur une démarche scientifique rigoureuse d'observation, d'analyse et d'interprétation que doit, avant tout, reposer l'expertise du psychologue. Chacune des étapes de cette démarche comporte des exigences précises que le psychologue expert doit respecter. L'on retrouvera, dans les pages qui suivent, un exposé relativement détaillé des principales règles qui y sont associées ainsi que des notions ou concepts qu'elles recouvrent. Ce texte fait également état des principales difficultés ou embûches qui peuvent être rencontrées en expertise psycholégale et tente de proposer des solutions afin que le psychologue oeuvrant dans ce domaine soit en mesure d'offrir un service professionnel qui allie qualité et conformité aux normes déontologiques en vigueur.
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La garde d'enfant et les droits d'accès
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Ce chapitre veut présenter un modèle d'évaluation en expertise psycholégale concernant les litiges de garde d'enfant et de droits d'accès. Le modèle présenté se veut un guide constituant des balises jalonnant cette pratique. Le chapitre présentera, de façon chronologique, les différentes étapes d'une expertise psycholégale en cette matière en décrivant celles-ci, et en suggérant le plus souvent une façon de faire qui respecte à la fois la déontologie existante, la pratique réelle des psychologues experts et l'état des connaissances actuelles dans le domaine.
7.2. Les mandats d'expertise en matière de garde et de droits d'accès 7.2.1. CLARIFICATION DE LA NATURE ET DES LIMITES DU MANDAT À partir d'une demande de services, le mandat fait état des raisons pour lesquelles le psychologue procède à l'expertise. La nature et l'envergure de l'évaluation demandée font partie du mandat. Dans les dossiers de garde d'enfant, le mandat que l'on confie au psychologue expert est le plus souvent d'évaluer les parents et l'enfant de façon à éclairer la cour sur ce qui représente le meilleur intérêt de l'enfant. Le psychologue expert n'est pas tenu d'accepter toute demande ou tout mandat qu'il reçoit. Il peut refuser un mandat qui va à l'encontre du meilleur intérêt de l'enfant ou qui n'est pas conforme à son code de déontologie, par exemple, un mandat qui dépasserait les limites de ses compétences. Certains experts refusent aussi d'emblée des mandats qui ne leur permettraient pas d'évaluer les deux parents (bien que tant déontologiquement que scientifiquement de telles évaluations soient possibles lorsque certaines conditions sont remplies) ou qui les placeraient en situation de conflit de rôles. Le psychologue expert devrait avantageusement détenir un mandat écrit de la part du client qui retient ses services afin d'éviter toute confusion. Il doit, au besoin, faire préciser la nature du mandat de façon à ce que celui-ci lui permette, d'une part, d'œuvrer réellement pour le meilleur intérêt de l'enfant et d'autre part, de respecter son code de déontologie. Le mandat doit donner à l'expert la latitude nécessaire pour effectuer son travail en toute impartialité et objectivité, sans se sentir lié par les stratégies des parties en cause. (Le lecteur pourra se référer aux modèles d'ententes proposés dans le chapitre intitulé « La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale ».)
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L'expertise psycholégale
À défaut d'un mandat écrit suffisamment précis, on pourrait facilement reprocher au psychologue de n'avoir pas fait le travail qui lui était demandé ou d'être allé beaucoup plus loin que nécessaire, lors de son témoignage (de telles plaintes sont faites régulièrement par des clients insatisfaits du jugement obtenu, indépendamment de la qualité du travail du psychologue). S'il est, au contraire, en mesure de produire un document qui fait clairement état de son mandat, toute ambiguïté à ce sujet sera vite dissipée. 7.2.2. MANDATS SUCCESSIFS ET CONFLITS DE RÔLES Le chapitre de ce livre portant sur l'éthique et la déontologie fait ressortir l'importance pour le psychologue d'éviter tout conflit de rôles et l'impossibilité pour celui-ci d'agir à la fois à titre de psychothérapeute et d'expert auprès d'un même client. Le fait qu'un certain temps se soit écoulé entre ces deux mandats ne change rien à leur incompatibilité. La déontologie québécoise, canadienne et américaine se rejoignent facilement là-dessus. Le psychologue peut, par contre, accepter des mandats successifs d'expertise pour peu qu'ils lui soient confiés par le même client et qu'il soit appelé à jouer le même rôle. Par souci de rigueur et d'impartialité, il est déconseillé d'accepter des mandats successifs de la part de clients différents lorsque les mêmes parties sont en cause. Le psychologue ne devrait donc pas, si possible, devenir expert individuel pour l'un des parents après avoir agi à titre d'expert conjoint, ni procéder à une expertise à la demande du père puis, subséquemment, à la demande de la mère. La littérature et la pratique nous montrent cependant des situations où, quelques années après une expertise demandée par un des parents, une nouvelle expertise conjointe est demandée (par les deux parents ou par la cour). En de tels cas, il est envisageable d'effectuer une telle expertise sans se trouver en conflit de rôles; le psychologue doit décider si le déroulement de l'expertise précédente lui permet effectivement d'agir de façon impartiale dans cette nouvelle situation.
7.2.3. ACCEPTATION DU MANDAT Il est préférable que l'expert confirme par écrit son acceptation du mandat, surtout lorsqu'il a été revu et corrigé. Une confirmation écrite lui permet de s'assurer que le client comprend bien et accepte les termes qui ont été discutés ainsi que les conditions de réalisation de l'expertise suggérées par le psychologue. Le psychologue peut en effet, à ce moment, préciser de quelle façon il compte procéder dans le contexte de cette expertise. Il informera, par exemple, l'avocat du client qui retient ses services du fait qu'il projette de rencontrer et d'évaluer les deux parents, de visiter leur domicile, etc.
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La garde d'enfant et les droits d'accès
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Lorsqu'il accepte un mandat conjoint, le fait que l'expert détermine avec les avocats comment il communiquera avec eux et avec les parents réduit le risque que son impartialité soit mise en cause. La confirmation du mandat constitue aussi une bonne occasion d'informer le client qui a retenu les services de l'expert des dates prévues pour l'évaluation des personnes concernées, des dates où il pourrait être disponible pour témoigner à la cour, de la nature de ses honoraires professionnels et de la date de production de son rapport. 7.2.4. MODIFICATION DU MANDAT INITIAL Des modifications sont parfois apportées au mandat initial du psychologue expert. Il est possible, par exemple, qu'il soit invité à intervenir auprès des parents en vue de favoriser une prise de conscience et une meilleure perception des enjeux psychologiques pour l'enfant. Rappelons à ce sujet que même si son rôle n'est évidemment pas d'exacerber l'opposition entre les parties, le psychologue chargé d'une expertise dans un dossier de garde d'enfant n'est pas un médiateur, mais bien un évaluateur. En pareilles circonstances, il doit donc conserver comme priorité le meilleur intérêt de l'enfant et demeure tenu à l'objectivité et à l'impartialité, peu importe la modification apportée à son mandat. Ces modifications peuvent provenir de différentes sources, soit de l'une ou des parties, des avocats ou même du juge. Le cas échéant, l'expert a toutes les raisons d'exiger une confirmation écrite de tout changement à son mandat initial. Il est en effet important de s'assurer que les parties ont bien compris la nature de ce nouveau mandat. Si la demande de changement lui est adressée par le juge, l'expert pourrait demander à ce qu'elle soit notée au procès-verbal de l'audition.
7.3. Les types de mandats les plus fréquents 7.3.1. ÉVALUATION COMPLÈTE À LA DEMANDE D'UNE DES PARTIES Il s'agit d'une demande d'évaluation qui provient soit du père, soit de la mère (ou de leurs procureurs) ou encore de l'avocat qui représente l'enfant. L'expert doit alors rencontrer et évaluer les parents, de même que l'enfant et toute autre personne significative, s'il y a lieu. Il recueille également les données qui lui permettront de brosser un tableau du milieu de vie des parents et de l'enfant.
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L'expertise psycholégale
L'expert dont les services ont été retenus par une autre partie et dont le mandat est identique effectue le même type d'évaluation, ce qui signifie que chaque personne impliquée dans le dossier peut être évaluée deux fois ou même plus, selon le nombre d'experts présents au dossier. 7.3.2. ÉVALUATION COMPLÈTE À LA DEMANDE DES PARTIES (MANDAT CONJOINT) À la demande de la cour ou après entente entre les parties, il est possible qu'un seul psychologue expert soit retenu pour procéder à l'évaluation. En plus d'éviter de multiplier les expertises, le recours à l'expert unique permet souvent d'éliminer le «sur-testing » et de diminuer le stress chez les personnes en cause, tout en réduisant les coûts. Toutefois, certaines tensions peuvent résulter du fait que l'expert peut, au moment où il formule ses conclusions, favoriser la position d'un parent au grand mécontentement de l'autre parent. Dans le cadre d'un mandat conjoint, l'expert doit apporter un soin tout à fait particulier à sa façon de communiquer avec les parties' et se conduire de façon équitable envers chacune d'entre elles. Idéalement, il doit communiquer avec les deux parties simultanément. Si, par exemple, un des procureurs communique avec l'expert et lui soumet certaines demandes ou lui transmet des informations, c'est à l'expert que revient la tâche d'en informer l'autre procureur. Il peut également faire connaître aux deux parties les dates auxquelles il les rencontrera, afin d'éviter qu'un parent l'accuse d'avoir privilégié l'autre parent. L'expérience a souvent démontré que le moindre écart de l'expert à ce niveau peut le faire taxer de partialité par l'une ou l'autre des parties. Il serait par ailleurs intéressant de noter dans l'entente écrite les conséquences du retrait d'une des parties. Ainsi, si une des parties refuse tout à coup d'être évaluée ou oppose son refus à la production du rapport, celui-ci pourrait tout de même être produit, avec les réserves d'usage inscrites au rapport, si cette éventualité a été clairement prévue. Cette façon de procéder évite d'injustement pénaliser un des deux parents par le retrait ou l'insatisfaction de l'ex-conjoint au cours même de l'expertise. Compte tenu des coûts d'une expertise, cet aspect est certes non négligeable, sans compter qu'il peut arriver que certains désirent se retirer d'un processus s'ils croient que l'expert formulera des recommandations qui le désavantageraient. II serait donc prudent de consigner explicitement ces considérations dans le formulaire écrit de consentement à l'expertise. Lorsque le rapport est produit, les parties ne sont pas nécessairement liées par les conclusions de l'expert conjoint. Si celles-ci ne rencontrent pas ses attentes, il est donc toujours possible que l'une des deux parties décide
1. Lepage c. Psychologues (Corp. prof. des) [1994] D.D.C.P. 336 (T.P.).
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de retenir les services d'un autre expert. Dans ce cas, le psychologue qui a agi comme expert conjoint peut tout de même témoigner à la demande de l'autre partie, mais il doit spécifier, au moment de son témoignage, qu'il a réalisé son mandat à titre d'expert conjoint. 7.3.3. ÉVALUATION PARTIELLE À LA DEMANDE D'UNE DES PARTIES Dans certaines situations, une évaluation de toutes les personnes impliquées s'avère impossible. L'expert doit alors en expliquer les raisons et préciser en quoi cette difficulté limite la portée de ses conclusions. L'expert à qui une évaluation partielle est demandée doit aussi être extrêmement prudent de façon à ce que ses conclusions partielles ne soient pas utilisées par l'avocat de son client comme s'il avait analysé l'ensemble des données pertinentes. Rappelons encore une fois qu'une évaluation partielle ne peut entraîner que des conclusions partielles. L'évaluation d'un seul parent ne saurait permettre de conclure sur des questions de garde ou même de droits d'accès, en faveur ou en défaveur de quelqu'un qui n'aurait pas été évalué, tout comme le psychologue ne peut conclure sur la personnalité ou les capacités parentales de quelqu'un qu'il n'a pas évalué. Il en va de même des cas où l'on demande à l'expert d'évaluer seulement l'enfant. De toute évidence, l'expert ne peut se prononcer sur des personnes, des situations ou des contextes qu'il n'a pas évalués personnellement ou directement. En pareil cas, l'expert doit expliquer à son client ou à l'avocat qui retient ses services la façon habituelle et préférable de procéder à une expertise dans un contexte de garde d'enfant, qui consiste en une évaluation complète des personnes en cause. 7.3.4. L'EXPERTISE À LA DEMANDE DE LA COUR Le juge peut, dans certains dossiers, solliciter l'avis d'un psychologue. L'expert devient alors un consultant pour la cour ou un expert Amicus curiæ (ami de la cour). Son rôle se résume habituellement à présenter un exposé théorique sur certains sujets pertinents à la cause (par exemple, sur le développement de l'enfant) ou encore à aider la cour à prendre des décisions sur des aspects pratiques du dossier (par exemple, sur des modalités d'exercice des droits d'accès compte tenu de l'âge d'un enfant). 7.3.5. LE COMITÉ D'EXPERTS Il est assez rare que l'on retienne les services conjoints de plusieurs experts dans une cause de garde d'enfant, mais cela est possible. Les membres du comité d'experts ainsi formé doivent s'entendre sur une façon de procéder
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qui soit à la fois efficace et fonctionnelle, tout en respectant leur mandat. Ils peuvent ainsi se répartir le travail à accomplir en déterminant, par exemple, quel psychologue évaluera quel membre de la famille et de quelle façon, etc. Une fois leur travail complété et mis en commun, les experts sont invités à produire un rapport (individuel ou commun) et à témoigner au sujet de ce rapport. Cette façon de faire suppose que chacun des experts soit bien au fait du travail et des conclusions des autres membres du comité. Par ailleurs, pour éviter la confrontation liée à un système judiciaire antagoniste et être en mesure de partager leurs données et leurs recommandations, certains experts préfèrent réaliser leur expertise en commun. D'autres effectuent leur expertise séparément, mais discutent du dossier avant de soumettre leurs recommandations à la cour. Plutôt qu'un comité d'experts, on pourrait suggérer que les services d'un expert conjoint soient retenus et que celui-ci travaille en collaboration avec des psychologues-conseils de chacune des parties. C'est alors l'expert conjoint qui signe son rapport et qui témoigne dans la cause. 7.3.6. CRITIQUE D'UNE EXPERTISE Il peut également arriver que l'on demande à un psychologue de se prononcer sur les qualités de l'expertise réalisée par un autre expert. Qu'il ait lui-même effectué ou non une expertise dans ce dossier, le psychologue doit alors être extrêmement prudent. Il doit avant tout éviter de critiquer l'autre expert comme personne. Il peut cependant émettre un jugement sur la méthodologie utilisée, l'interprétation des résultats ou les conclusions qu'en tire l'autre expert. Il peut également faire état des différences qui existent entre les diverses expertises présentes au dossier et les analyser à la lumière de son expérience dans des dossiers similaires. Toutefois, s'il n'a pas procédé lui-même à une expertise dans ce dossier, le psychologue doit éviter de se prononcer ou de formuler des recommandations au sujet des personnes impliquées, comme le stipule l'article 11 du code de déontologie de l'Ordre des psychologues du Québec. 7.3.7. LE CONSENTEMENT En vertu de la loi, le client doit être informé du but de l'expertise et du nom de la personne qui en fait la demande. Il doit également consentir à cette expertise, le consentement obtenu reflétant la nature du mandat confié au psychologue. Un formulaire de consentement doit être signé par chacune des parties. Le psychologue leur remet par la suite une copie de ce formulaire et en conserve une dans ses dossiers.
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7.3.8. CONTENU D'UN FORMULAIRE DE CONSENTEMENT (Le lecteur trouvera dans le chapitre intitulé « La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale » des exemples de formulaires de consentement.) • nom de la personne qui fait l'objet de l'évaluation; • description de la nature du mandat ; • nom du client qui a retenu les services de l'expert ; • description du processus d'évaluation : nombre approximatif d'heures ou de rendez-vous, tests utilisés, visite à domicile ou observations, analyse du matériel, production d'un rapport, nom de la personne à qui sera envoyé le rapport, nom de la personne qui sera facturée, etc.; • mention des dossiers que le psychologue veut consulter (faire signer les formulaires correspondants) ; • étude (nomenclature) des pièces fournies par les avocats et par les parties ; • description des objectifs guidant l'expertise; • informations sur les personnes qui seront évaluées en fonction du mandat ; • description des limites d'une évaluation lorsque la partie adverse refuse d'être évaluée ; • s'il s'agit d'un mandat conjoint, informations sur les conséquences prévisibles du retrait du mandat par une des parties; • s'il y a enregistrement audio ou vidéo, mention spécifique de ce fait; • référence au fait que la confidentialité est levée en cour ainsi que pour certaines personnes, comme le procureur du ou des clients, par exemple. Mention de l'obligation d'aviser le Directeur de la protection de la jeunesse dans certains cas (article 39, LPJ) et de tenir compte de l'article 2 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne; • autorisations requises pour procéder à l'expertise. Les termes de cette entente (but de l'expertise, méthode, etc.) doivent aussi être expliqués aux enfants impliqués dans l'expertise dans un vocabulaire approprié. Rappelons qu'étant donné les dispositions du Code civil du Québec et le droit des enfants mineurs de 14 ans et plus de consentir seuls à des soins requis ou non requis par leur état de santé, l'expert doit obtenir de leur part un consentement écrit.
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7.3.9. LA CLARIFICATION DES HONORAIRES ET AUTRES FRAIS Le chapitre intituté « Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale » comprend une section discutant non seulement des procédures techniques et déontologiques liées aux honoraires, mais qui discute également d'une point litigieux en expertise psycholégale : la facturation d'honoraires lorsqu'une comparution est annulée ou écourtée. La présente section ne reprend pas de façon exhaustive ces mêmes points, mais résume toutefois quelques éléments importants liés aux honoraires dans les expertises psycholégales concernant la garde d'enfant et les droits d'accès. Il est important de s'entendre au préalable sur les honoraires reliés au mandat confié au psychologue expert. Une façon de le faire est d'inclure dans le formulaire de consentement une section portant spécifiquement sur les honoraires, puisque ceux-ci doivent de toute façon être établis à partir des services qui sont requis du psychologue. Étant donné les difficultés fréquentes que rencontrent les experts lorsqu'il s'agit de faire acquitter leurs honoraires, ceux-ci peuvent s'inspirer des modèles d'entente proposés dans le chapitre intitulé « La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale » ou encore, si c'est possible, conclure une entente avec l'avocat du client afin que celui-ci place dès le départ en fiducie le montant prévu pour l'expertise. L'expert peut se voir confier plusieurs types de mandats. Normalement, dans le cadre d'un mandat conjoint, les honoraires sont divisés à parts égales entre les deux parties. A l'occasion toutefois, une entente peut être conclue à l'effet qu'un seul des deux conjoints assume la totalité des honoraires. Dans tous les cas, il est préférable de consigner par écrit l'entente à ce sujet. Lorsque le mandat provient d'une seule des parties en cause, c'est généralement cette personne qui paie la totalité des frais reliés à l'expertise. Ceux-ci sont néanmoins parfois assumés par un tiers. Afin d'éviter là aussi toute mauvaise surprise, il vaut mieux écrire clairement dans le formulaire de consentement qui paiera les honoraires. De nombreuses demandes de conciliation de comptes parvenant au Bureau du syndic découlent d'une ambiguïté à ce sujet. 7.3.10. TARIF HORAIRE ou FORFAIT Qu'il privilégie un tarif horaire ou un forfait comme mode de rémunération de ses services, le psychologue a tout intérêt à en clarifier les règles dès le départ de façon à diminuer les risques de malentendu avec le client. S'il opte pour un forfait, il est très important qu'il décrive de façon détaillée la nature et l'étendue des services inclus dans cette somme, ainsi que ceux qui en sont exclus. Le client devrait, enfin, être prévenu du fait que des modifications au mandat initial pourraient entraîner une révision de la rémunération prévue.
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De même, lorsqu'un psychologue facture selon un tarif horaire, il est préférable que le formulaire de consentement soumis au client fasse état le plus précisément possible de ce qui sera facturé et à quel taux. Par exemple : • étude de documents et rapports; • conversations téléphoniques avec les parties ou les avocats ; • entrevues d'évaluation et de cueillette de données ; • interprétation et analyse des résultats des tests ; • rédaction du rapport; • entrevues de présentation du rapport; • présence en cour et témoignage. Les frais encourus par le psychologue pour l'achat du matériel de tests, leur correction informatisée, ses déplacements, ses repas et son séjour, s'il est appelé à témoigner à l'extérieur de sa région, sont remboursés selon leur coût réel. Aux termes de l'article 53 du code de déontologie, une avance peut être demandée pour couvrir ces frais. Si, en cours d'expertise, le psychologue constate que celle-ci exigera un plus grand nombre d'heures qu'il ne l'avait prévu, il doit obtenir un nouveau consentement à cet effet2, quelle que soit la base de sa rémunération. 7.3.11. PRÉSENCE EN COUR Les articles 51 à 57 du Code de déontologie des psychologues balisent de façon large les modes de tarification et de facturation des honoraires des psychologues. Cependant, la rémunération de la présence en cour dans un contexte d'expertise psycholégale pose des problèmes particuliers, compte tenu des imprévus et des remises fréquentes. Bien que le psychologue doive, la plupart du temps, réserver à cette fin sa journée complète, il est fréquent que l'audition de la cause soit remise, annulée ou se termine plus tôt que prévu. Les avis sont partagés quant à la légitimité déontologique de pouvoir facturer une plage horaire réservée à un témoignage en cour, si ce témoignage a été annulé à la dernière minute ou même lorsque le psychologue s'est présenté en cour. Nous référons le lecteur au chapitre « Considérations éthiques et déontologiques en expertise psycholégale » pour une discussion sur ce débat déontologique. Cependant, malgré ces considérations éthiques appuyant le sens et la légitimité de réserver et de payer pour réserver le temps d'un expert, il faut noter que la position officielle la plus récente de l'Ordre des psychologues 2. Code de déontologie des psychologues, articles 17 et 54.
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du Québec, publiée en novembre 1998 (OPQ, 1998), est restrictive et ne permettrait de facturer que 50 % du temps réservé par le psychologue lors d'une remise (à moins de 24 heures d'avis) ou lorsqu'un témoignage ne serait pas requis (à moins de 24 heures d'avis). Facturer pour quoi que ce soit qui serait annulé à 24 heures d'avis serait contraire à l'interprétation que l'OPQ donne de l'article 58 (6) du code de déontologie.
7.4. L'évaluation proprement dite Au moment de procéder à une expertise psycholégale dans un dossier de garde d'enfant, l'expert doit prendre connaissance des pièces versées au dossier et obtenir tout complément d'information qui lui permettra d'effectuer l'anamnèse et de bien cerner la situation familiale. Pour ce faire, il doit s'assurer d'avoir en main toutes les données nécessaires à la réalisation de son mandat. Ces informations peuvent provenir des sources suivantes • déclarations des parties ; • affidavits versés au dossier; • rapports d'autres experts présents au dossier ; • dossiers médicaux, psychologiques, sociaux, etc. ; • dossiers académiques ou de travail; • etc. S'il n'a pas déjà en sa possession ces informations, l'expert doit obtenir des parties les autorisations nécessaires en vue de se les procurer. L'autorisation de communiquer avec des intervenants (enseignants, thérapeutes ou autres) ou avec toute autre personne susceptible de l'éclairer dans son travail peut également lui être utile. La plupart des experts utilisent systématiquement des formulaires préparés à cet effet, dont on trouvera un modèle dans le chapitre intitulé « La déontologie appliquée à la pratique de l'expertise psycholégale ». Les parents conservent et continuent à exercer sur leur enfant leur autorité parentale au-delà de la rupture de leur union légale. En dépit de ce fait cependant, il importe de déterminer au moment du divorce lequel des deux parents assurera le mieux le développement de l'enfant et quel environnement familial lui sera le plus favorable. Cette démarche, qui constitue le motif premier de l'implication de l'expert, suppose que celui-ci procède à la fois à l'évaluation des parents, des besoins de l'enfant, des relations entre les parents et l'enfant, des personnes significatives pour l'enfant (s'il y a lieu) et du milieu dans lequel l'enfant serait appelé à vivre. Elle suppose
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également qu'après avoir interprété et analysé les résultats recueillis au cours de l'évaluation, l'expert soit en mesure de conclure et de formuler des suggestions à la cour. C'est à chacune des étapes de ce processus complet d'évaluation que s'attarderont les pages qui suivent. 7.4.1. L'ÉVALUATION DES PARENTS L'évaluation des parents devrait, notamment, porter sur les points suivants : • la structure de personnalité du parent (conflits, défenses, identité, possibilité d'une psychopathologie, capacités relationnelles), le développement psychoaffectif, les caractéristiques personnelles, mentales et relationnelles, le tout en fonction de sa capacité parentale; • la présence d'un conflit, d'un élément de la personnalité, de l'orientation sexuelle ou du comportement pouvant présenter un risque pour l'enfant; • la connaissance qu'a le parent de son enfant, de ses besoins, de ses caractéristiques personnelles ; • les désirs et les besoins personnels du parent qui peuvent avoir un impact sur sa motivation à s'occuper de l'enfant et sur sa capacité à bien le percevoir, l'harmonie entre les désirs et besoins du parent et les besoins spécifiques de l'enfant; • l'histoire des soins que le parent a fournis dans le passé à son enfant, les responsabilités qu'il a effectivement assumées avant et après la séparation; • la perception qu'a le parent de la séparation et de ses causes, son adaptation à la séparation ; • l'image de la séparation transmise à l'enfant, l'image de l'autre parent transmise à l'enfant, l'incitation au maintien ou à l'aggravation d'un conflit d'allégeance chez l'enfant, la possibilité donnée à l'enfant de conserver une image positive et une capacité d'identification à l'autre parent; • l'ouverture et la capacité d'une part, de communiquer et de collaborer avec l'autre parent au sujet du partage des responsabilités parentales et d'autre part, de permettre à l'enfant d'être en contact avec l'autre parent (indépendamment de la décision de la cour concernant la garde ou les droits d'accès) ; • la capacité de fournir à l'enfant un modèle positif ;
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• la capacité d'assurer à l'enfant la stabilité et la continuité dont il a besoin (équilibre personnel, emploi, milieu de vie, disponibilité physique et affective, sécurité, etc.); • les capacités de sécuriser, contrôler et éduquer l'enfant. 7.4.2. MÉTHODE ET TECHNIQUES DES ÉVALUATIONS PARENTALES Il est tout à fait essentiel que l'expert évalue de la même façon les deux parents afin de disposer de données comparables et ainsi d'être en mesure de se prononcer sur leurs qualités parentales. L'entrevue clinique, l'observation et, s'il y a lieu, l'utilisation de tests psychométriques ou d'instruments projectifs constituent les principales étapes d'une évaluation complète de la personnalité et de la capacité parentale. Le fait de n'évaluer qu'un seul des parents limite considérablement les conclusions et recommandations que l'on pourra tirer du processus d'évaluation. Une telle expertise est incomplète et peut facilement devenir partiale ou être perçue comme telle, compte tenu du fait qu'elle ne permet pas la comparaison des qualités et des capacités parentales des deux parents. Ce type d'expertise risque, de plus, d'exacerber les conflits existants entre les deux parents. Pour toutes ces raisons, une évaluation complète des deux parents est donc toujours préférable. Certains psychologues refusent d'ailleurs d'entreprendre une expertise psycholégale dans un dossier de garde s'ils n'ont pas cette possibilité. Si l'évaluation d'un des parents s'avère impossible, il est très important de le mentionner, d'expliquer pourquoi et d'en tenir compte lors de la rédaction du rapport. Le psychologue ne doit jamais se prononcer sur le parent qu'il n'a pas évalué : il ne peut donc donner ses impressions cliniques, émettre une opinion diagnostique ou « qualifier » les comportements ou la personnalité de celui-ci. Il doit faire preuve de grande prudence dans l'utilisation des propos que tient le parent qu'il a évalué au sujet de son exconjoint et être conscient du biais que ces propos peuvent induire dans sa compréhension du cas. Une expertise incomplète ne peut, il va sans dire, justifier des recommandations qui nécessiteraient que des données aient été obtenues au sujet de l'autre parent, par exemple, un changement de garde. En somme, il peut être acceptable que le psychologue procède à une évaluation partielle dans le contexte d'une demande de garde, dans la mesure où : • il a effectué les démarches nécessaires pour évaluer toutes les personnes en cause ; • il a essuyé un refus de la part de certaines de ces personnes; • son rapport fait clairement état des limites de son expertise.
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7.4.3. ENTREVUES ET INSTRUMENTS PSYCHOMÉTRIQUES AVEC LES PARENTS L'expert doit, dès le départ, bien expliquer son rôle, qui ne consiste pas à représenter un des parents, mais bien à tenter d'identifier les besoins et le meilleur intérêt de l'enfant. Il importe de préciser à chacun que le but de l'expertise psycholégale est de comprendre les caractéristiques personnelles des parents et de l'enfant afin de conseiller le juge sur la situation la plus favorable au meilleur intérêt de l'enfant, compte tenu à la fois des qualités et capacités spécifiques des parents et de leur milieu. Idéalement, la technique d'entrevue utilisée doit comporter une gradation, c'est-à-dire débuter par une période très peu structurée où l'initiative est laissée au client pour se terminer par des questions plus précises et plus dirigées de la part de l'expert. Cette technique laisse au client, dans un premier temps, la possibilité d'exprimer le plus spontanément possible ses préoccupations, ses intérêts, ses désirs et ses craintes, même si ces propos peuvent sembler à première vue s'éloigner des centres d'intérêt de l'évaluateur. Elle permet la plupart du temps de recueillir un matériel plus significatif que ne le seraient plusieurs réponses à des questions plus précises. Par la suite, le psychologue peut revenir sur certains propos énigmatiques, approfondir certains thèmes ou en introduire de nouveaux, de façon à couvrir tous les aspects nécessaires à une évaluation complète des capacités parentales. L'utilisation de tests psychométriques ou d'instruments projectifs3 n'est pas obligatoire, mais peut être très utile à la compréhension de la personnalité, de la capacité parentale ou de certains traits ou problématiques particuliers. Compte tenu du contexte de l'expertise psycholégale, il va sans dire que le psychologue doit prendre les mesures nécessaires au moment de la passation de ces tests pour s'assurer que c'est bien la personne évaluée qui répond aux questions plutôt que quelqu'un d'autre et que les réponses de cette personne ne sont influencées d'aucune façon. On ne pourrait, par exemple, donner un MMPI à un client pour qu'il y réponde à la maison ou que quelqu'un d'autre le fasse à sa place ! Les instruments utilisés doivent, de plus, reposer sur des bases théoriques et scientifiques valables et les résultats obtenus ne doivent pas être interprétés isolément, mais bien être intégrés et synthétisés avec les autres données relatives à la personnalité et à la capacité parentale. Il est également important que ces résultats soient corroborés par l'entrevue clinique ou d'autres sources d'information. Soulignons qu'il existe fort peu d'instruments validés spécifiquement conçus pour évaluer la capacité parentale. Cet aspect est habituellement évalué à partir d'une synthèse des données obtenues de diverses sources observations cliniques, résultats de différents tests psychométriques, entrevues 3. L'article 72 du Code de déontologie des psychologues précise les normes d'utilisation des tests psychologiques.
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cliniques, observation de l'interaction entre le parent et l'enfant. Il serait souhaitable que l'expert demeure à l'affût des nouvelles techniques susceptibles de lui permettre de recueillir des données concernant cet aspect important de l'expertise psycholégale pour fins de garde d'enfant. 7.4.4. L'ÉVALUATION DES BESOINS DE L'ENFANT L'évaluation de l'enfant est, évidemment, tout aussi importante que celle des capacités parentales dans le contexte de ce type d'expertise. Comme les recommandations de l'expert doivent être dictées par la recherche du meilleur intérêt de l'enfant, il faut évaluer les besoins de ce dernier à travers un tableau psychologique complet et tenter d'identifier par la suite quelle solution de garde et d'accès permettrait le mieux d'y répondre. Le tout, en prenant soin de ne pas confondre les désirs de l'enfant avec ses besoins. 7.4.5. L'ÉVALUATION DE L'ENFANT : PARAMÈTRES D'ÉVALUATION L'évaluation de l'enfant devrait porter, notamment, sur les points suivants : • la personnalité de l'enfant; • le niveau de développement psychoaffectif, intellectuel, académique et social, la relation avec les pairs et la fratrie ; • la structure de personnalité (conflits, défenses, identité, possibilité d'une psychopathologie, capacités relationnelles) ; • les besoins particuliers de cet enfant en fonction de sa personnalité et de ses caractéristiques physiques, intellectuelles, sociales et affectives; • la perception qu'a l'enfant de la séparation (sentiment de responsabilité, colère, clivage des parents, présence d'un conflit d'allégeance envers les parents dans lequel l'enfant se sentirait piégé, possibilité de garder une identification positive avec chacun des parents) ; • l'adaptation de l'enfant à la séparation de ses parents; • la perception qu'a l'enfant de son père et de sa mère ; • le degré d'attachement et d'identification envers les deux parents vs la présence d'un clivage et le rejet d'un parent; • l'enracinement de l'enfant dans un milieu physique et social donné; • les désirs de l'enfant au sujet de la séparation de ses parents, de leur réunion éventuelle, du parent avec lequel il voudrait vivre, des visites, etc. ;
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• l'harmonisation de ces désirs avec les besoins de l'enfant, sa personnalité, sa recherche d'identité, ses conflits inconscients, etc. Ces désirs favorisent-ils une évolution de la personnalité ou plutôt une régression ? Vont-ils dans le sens des besoins ou constituent-ils une défense contre eux? • l'impact prévisible sur l'enfant de la séparation, d'une garde particulière ou des projets des parents susceptibles de modifier sa vie (nouveau conjoint, nouvel emploi, changement de lieu de résidence, etc.) ; • l'impact prévisible sur l'enfant du fait qu'il soit séparé de ses frères et sueurs, s'il y a lieu. 7.4.6. MÉTHODES ET TECHNIQUES DANS L'ÉVALUATION DE L'ENFANT On ne saurait trop insister sur l'importance d'adopter une approche qui favorise un bon contact avec l'enfant. Il est souvent important et révélateur de lui demander dès le départ s'il comprend la raison de sa rencontre avec le psychologue expert. Les réponses données alors sont souvent surprenantes et peuvent être une source d'indices importants aussi bien au sujet de sa personnalité que de sa façon de vivre la séparation de ses parents. L'expert doit, bien sûr, expliquer son rôle et ne pas se présenter comme le représentant d'un des parents ni comme étant désireux de connaître avant tout les désirs de l'enfant, désirs qu'il pourrait par la suite confondre avec ses besoins. Il lui faut préciser à l'enfant qu'il cherche à comprendre ce qu'il vit, ce qu'il ressent, pour tenter de dégager ce qui serait le mieux pour lui compte tenu de la situation dans laquelle il se trouve. Le rôle du psychologue par rapport à celui du juge, si la cause doit être entendue devant le tribunal, devrait également être expliqué à l'enfant. 7.4.7. ENTREVUES AVEC L'ENFANT Selon plusieurs spécialistes de l'expertise, un minimum de deux rencontres devraient être consacrées à l'évaluation de l'enfant. Ce nombre peut, bien sûr, varier selon l'âge de l'enfant et la problématique familiale : l'important est que le nombre et la durée des rencontres permettent au psychologue de recueillir les données suffisantes à la réalisation de son expertise. Une évaluation en deux temps permet, d'une part, d'observer la réaction de l'enfant devant un inconnu (la première fois) et de la comparer avec sa réaction devant quelqu'un avec lequel il est un peu plus à l'aise (la seconde fois). Par exemple, l'enfant sera-t-il capable d'une plus grande spontanéité, serat-il moins anxieux, se sentira-t-il plus en confiance pour livrer certaines choses plus difficiles à exprimer à un parfait étranger ?
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D'autre part, le fait de voir l'enfant à au moins deux reprises permet le recours à la technique d'entrevue graduée que nous avons déjà évoquée à propos de l'évaluation des parents. Ainsi, la première entrevue peut être très libre, non structurée, alors que la deuxième servira à introduire des questions plus précises, plus dirigées, portant sur des thèmes qui n'ont pas été abordés au cours de la première entrevue. Les spécialistes des techniques d'entrevue d'enfants préconisent l'utilisation au premier abord de questions non directives, ouvertes, afin de laisser à l'enfant la possibilité d'exprimer le plus spontanément possible ses préoccupations, ses intérêts. Ce, même si l'enfant semble s'orienter dans des directions qui apparaissent très éloignées des préoccupations de l'évaluateur. Comme dans le cas de l'évaluation des parents, la spontanéité de l'enfant est souvent pour l'expert une source de données plus significatives que ne le seraient les réponses à toutes les questions qu'il pourrait poser. Il s'agit aussi, en quelque sorte, d'une technique d'observation de l'enfant qui est libre de décider lui-même du mode d'interaction qu'il privilégie, des jouets qu'il veut utiliser, d'une préoccupation dont il veut spontanément parler, etc. Lorsque le « cadre » général est bien établi, des techniques de jeu, de dessins ou divers tests peuvent être introduits. 7.4.8. OBSERVATION ET ÉVALUATION PSYCHOMÉTRIQUE DE L'ENFANT Comme pour l'évaluation de la capacité parentale, l'utilisation de tests psychométriques ou de techniques projectives n'est pas obligatoire au moment de l'évaluation de l'enfant, mais peut être très utile à la compréhension de sa personnalité, de certaines problématiques ou de traits particuliers. Soulignons ici encore que les instruments utilisés, quels qu'ils soient, doivent avoir un fondement théorique et scientifique valable et que les résultats obtenus par le biais de ces instruments ne doivent pas être interprétés isolément. Il est important d'intégrer ces résultats à une synthèse des autres données recueillies sur la personnalité de l'enfant et de faire en sorte qu'elles soient corroborées par l'entrevue clinique ou d'autres sources d'information (comme les impressions au sujet de l'enfant d'éducatrices de garderie ou de professeurs). Quoique très utiles, les techniques projectives n'ont pas pour but de brosser un tableau objectif de la réalité de l'enfant (comment est réellement son père ou sa mère, etc.), mais plutôt de nous faire connaître ses préoccupations, peurs, angoisses, désirs ou fantaisies. Elles nous livrent donc un matériel qui reflète davantage son monde intérieur ou sa vision du monde telle qu'influencée par sa personnalité. L'observation de l'enfant en activité (jeux, dessins, etc.) peut s'ajouter aux instruments projectifs courants lorsqu'il s'agit d'évaluer des enfants très jeunes. Ces dessins et ces jeux doivent néanmoins eux aussi être interprétés comme autant de manifestations de l'univers fantasmatique de l'enfant.
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Bien que l'évaluation intellectuelle ne soit pas toujours essentielle, elle peut se révéler très utile à la formulation des recommandations ou à la compréhension de certains désirs de l'enfant. Le psychologue procédera, par exemple, à une évaluation intellectuelle au moyen d'un test reconnu et adapté à l'âge de l'enfant lorsque son contact avec lui fera surgir un doute au sujet de ses capacités intellectuelles, lorsque la garde met en cause un changement d'école ou le choix d'un type particulier d'école, pour déterminer certains besoins spécifiques de stimulation de l'enfant, etc. 7.4.9. L'ÉVALUATION DE LA RELATION PARENT-ENFANT On saurait difficilement procéder à l'expertise psycholégale dans une cause de garde ou de droits d'accès sans observer l'interaction entre l'enfant et le parent. Ce volet de l'évaluation sert de multiples fins, comme juger de l'entente qui règne entre le parent et l'enfant, de l'empathie du parent et de sa capacité à comprendre les besoins de son enfant. Il permet également de comparer l'image du père et de la mère donnée par l'enfant dans les tests, d'observer la différence entre le type de relation et le comportement qu'a l'enfant avec chacun de ses deux parents et le type de relation qu'il a avec le psychologue, etc. 7.4.10. TECHNIQUE DE L'ÉVALUATION DE LA RELATION PARENT-ENFANT Pour observer l'interaction entre le parent et l'enfant, mieux vaut une fois de plus laisser une certaine latitude à la dyade parent-enfant que de leur proposer d'emblée une activité. L'observateur peut ainsi plus aisément évaluer le type d'attachement entre le parent et l'enfant, qui initie l'interaction, quel type d'activité est privilégié, qui est actif, qui est passif, si le parent et l'enfant savent s'organiser de façon cohérente sans son aide, si l'interaction évolue positivement ou négativement, qui exerce un contrôle sur l'autre, etc. Ces données sur le type de relation privilégiée et sur le contenu du jeu pourront ensuite être comparées au matériel apporté par l'enfant et complétées par la perception qu'a le parent de ce qui s'est passé durant cette interaction. Elles permettront entre autres à l'expert d'évaluer la capacité d'empathie du parent, de saisir les demandes et les besoins de l'enfant, de tenir compte de son niveau de développement intellectuel et affectif, etc. L'observation de la relation parent-enfant est souvent la façon la plus efficace d'évaluer la capacité du parent à « contenir, contrôler et discipliner » son enfant. À l'occasion, un enfant peut poser des gestes ou avoir un comportement que le parent désire contrôler par un geste simple ou par une parole : la qualité de cette interaction et l'accord entre le contrôle parental et la réaction de l'enfant nous renseignent sur la qualité de leur relation ou, au contraire, sur les problèmes qui l'affectent. Il peut aussi arriver qu'un
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enfant se désorganise, donne libre cours à sa colère. La capacité du parent à gérer cette crise et la réaction de l'enfant aux tentatives du parent de rétablir le calme éclairent aussi beaucoup l'expert sur la nature de leur relation. Il va sans dire toutefois qu'une certaine prudence s'impose avant de conclure à l'« anormalité » de certaines réactions de l'enfant. Un enfant de 8 à 10 ans, par exemple, qui présente une réaction dépressive à la séparation de ses parents, pourra se montrer irritable et impertinent à l'égard du parent dont il se sent abandonné ou, au contraire, à l'égard du parent avec lequel il se sent le plus en confiance. Il s'agit là d'une réaction passagère dont le psychologue doit tenir compte lorsqu'il porte un jugement sur la relation entre l'enfant et le parent. 7.4.11. L'ÉVALUATION DES AUTRES PERSONNES SIGNIFICATIVES Il peut s'avérer important de rencontrer d'autres personnes significatives dans la vie de l'enfant et même de les évaluer au besoin si ces personnes semblent jouer un rôle déterminant pour lui. Ainsi, le nouveau conjoint, la fratrie, des grandsparents qui agiraient à titre de substituts parentaux peuvent s'ajouter à la liste des personnes évaluées si le psychologue expert le juge nécessaire. Il va sans dire que dans les cas où des reproches sérieux sont formulés par un des conjoints à l'endroit d'une de ces personnes significatives, cette évaluation devient alors nécessaire. L'expert ne doit néanmoins pas oublier de modifier en conséquence l'entente initiale s'il décide en cours d'expertise d'évaluer d'autres personnes que celles qui y étaient mentionnées au départ.
7.4.12. VISITES À DOMICILE Pour certains psychologues, il est avantageux de combiner une visite au domicile du parent avec l'évaluation de la relation parent-enfant. En plus de révéler le milieu physique où vit l'enfant, cette façon de faire permet de procéder en une seule fois à l'évaluation de l'interaction entre le parent et l'enfant et à la rencontre d'autres personnes significatives. Ces rencontres se déroulent dans un contexte qui favorise davantage la spontanéité, en plus d'être généralement plus sécurisant pour les enfants. D'autres psychologues sont d'avis contraire : selon eux, les visites à domicile présentent un inconvénient important. Ainsi, il peut être plus difficile de bien évaluer le pattern relationnel et l'interaction entre le parent et l'enfant lorsque, par exemple, l'enfant peut fuir subtilement un parent pour entraîner le psychologue dans une autre pièce ou se réfugier dans certains jeux habituels. Certains cliniciens proposent donc d'évaluer l'interaction
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parent-enfant dans un contexte où les différentes variables sont davantage contrôlées, comme dans une salle de jeu appartenant au psychologue ou dans son bureau. En résumé, l'expert devrait tenir compte des avantages et des inconvénients du milieu dans lequel se déroule l'évaluation de la relation parentenfant, quel que soit ce milieu. 7.4.13. ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS Lorsqu'il possède toutes les informations nécessaires à la réalisation de son mandat, l'expert ne doit pas seulement les résumer. Il lui faut analyser les données des entrevues et des sessions d'information et interpréter les résultats des tests utilisés. Son analyse doit tenir compte de toutes les informations pertinentes qu'il a obtenues. Si les résultats d'autres expertises ont été déposées au dossier, l'expert doit les commenter avec réserve. Par ailleurs, s'il est mandaté pour effectuer une contre-expertise, il doit formuler ses conclusions à partir des données qu'il a lui-même recueillies et analysées. Cette partie du travail de l'expert est primordiale. C'est au moment où il présente son analyse que l'expert joue son véritable rôle, c'est-à-dire que le psychologue dépasse la simple observation pour donner un sens et une pondération à l'ensemble des données qu'il a colligées et qu'il doit présenter, toujours en fonction du meilleur intérêt de l'enfant. À la lumière des informations qu'il a obtenues et analysées, l'expert est en mesure de discuter des différentes modalités de garde ou de l'exercice des droits d'accès. 7.4.14. DIFFÉRENTS TYPES DE GARDE Un des rôles du psychologue expert est d'aider la cour à prendre une décision au sujet de la modalité de garde qui servira le mieux l'intérêt de l'enfant. Il doit éviter d'avantager les parents et les avocats et se centrer sur le seul intérêt de l'enfant, au moment où il s'apprête à formuler des recommandations sur un type de garde déterminé. Il n'existe pas vraiment de formule toute faite en cette matière. C'est après une étude attentive du dossier de la famille en cause et en s'appuyant sur les résultats de recherches qui ont été publiées sur cette question qu'un expert en arrive à suggérer un type de garde plutôt qu'un autre. Il s'agit le plus souvent d'une tâche ardue, chacun des parents comptant systématiquement les jours et même les heures durant lesquels l'enfant lui sera confié.
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Avant de formuler quelque recommandation que ce soit concernant la modalité de garde, le psychologue tient compte, parmi d'autres facteurs : • du niveau de communication qui existe entre les parents ; • de la présence de nouveaux conjoints, d'une famille recomposée ou d'une nouvelle fratrie ; • de la distance entre les lieux de résidence des parents ; • de la disponibilité des parents; • de la possibilité pour l'enfant de s'identifier à un lieu où il retrouve son école, ses amis; • de ses besoins de continuité, de stabilité et de présence auprès de ses deux parents. En plus d'avoir à aborder la question du partage du temps, l'expert doit parfois envisager de diviser la fratrie s'il y a plusieurs enfants dans une même famille. Il doit alors agir avec prudence et bien peser le pour et le contre de chacune des possibilités avant de faire ses recommandations. Il est le plus souvent préférable de ne pas séparer les enfants, à moins qu'il en résulte des avantages marqués que l'expert doit prendre soin de bien expliciter, tels qu'un conflit entre deux enfants, la nécessité de partager les responsabilités entre les deux parents parce que l'un ou l'autre serait dépassé si on lui confiait la garde de plusieurs enfants, etc. Il existe plusieurs façons de partager le temps d'un enfant entre ses deux parents. Ainsi, l'enfant peut avoir sa résidence principale chez un parent et visiter l'autre à raison d'une fin de semaine sur deux ou encore il peut passer en alternance une semaine chez l'un et une semaine chez l'autre, etc. Pour qu'il puisse mieux cerner l'intérêt de l'enfant, l'expert doit savoir que l'attribution de la garde à un seul des parents modifie forcément l'exercice de l'autorité parentale. Rappelons en effet que lorsque les parents se séparent, tous deux demeurent titulaires de cette autorité. Il en va de même lorsque intervient un jugement de divorce, mais plusieurs discussions ont cours dans le milieu juridique au sujet du pouvoir réel du parent qui n'a pas la garde de l'enfant. À moins que le tribunal n'en ait décidé autrement, le parent non gardien conserve à tout le moins le droit d'obtenir des informations et de contrôler les décisions du parent gardien, ce droit s'exprimant par un recours devant le tribunal pour contester le bien-fondé de ces décisions ou même pour faire modifier l'ordonnance initiale de garde. Rappelons aussi, en dernier lieu, que dans certaines circonstances, le juge peut restreindre le champ d'action de l'un des parents en ce qui a trait à certains aspects de l'exercice de l'autorité parentale.
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7.4.15. LA GARDE ATTRIBUÉE À UN SEUL PARENT Lorsque les parents ne cohabitent plus, le tribunal attribue fréquemment la garde de l'enfant à un seul des deux parents, alors que l'autre se voit accorder des droits d'accès ou de visite. C'est donc normalement le parent qui a la garde de l'enfant qui exerce son autorité parentale pour les décisions quotidiennes. Cependant, puisque les parents conservent tous deux leur autorité parentale, les décisions les plus importantes (par exemple, le choix d'une école, d'une colonie de vacances, etc.) devraient normalement être prises par consensus des deux parents. Les décisions rendues par les tribunaux relèguent généralement le parent non gardien à un rôle de surveillant de l'entretien et de l'éducation de l'enfant, ce qui renforce l'autorité du parent gardien. Un certain nombre de décisions récentes tendent à remettre en question cette conception traditionnelle et visent un meilleur équilibre des rôles parentaux après un divorce. Néanmoins, plusieurs zones grises subsistent et un certain nombre d'éclaircissements législatifs s'imposent à ce sujet4. Si un désaccord sérieux survient relativement à l'exercice de l'autorité parentale, chacun des parents conserve la prérogative de s'adresser au tribunal pour corriger la situation. Celui-ci doit alors mettre en balance les droits (notamment les droits fondamentaux) de chacune des parties, mais le critère ultime sur lequel il s'appuie pour trancher demeure l'intérêt de l'enfant. 7.4.16. LA GARDE PARTAGÉES Cette modalité de garde n'est pas très répandue et ne constitue pas une panacée. Elle est attribuée, en règle générale, lorsque le juge est convaincu que les parents peuvent s'entendre quant aux décisions à prendre pour l'enfant. La garde partagée suppose en effet que les parents aient la même philosophie d'intervention auprès de l'enfant. Même si elle semble privilégiée par toutes les parties en cause, il est capital que l'expert s'assure que la garde partagée est la modalité la plus susceptible d'assurer l'intérêt de l'enfant avant de formuler toute recommandation en ce sens. La présence de nouveaux conjoints, de nouveaux frères et sueurs et la disponibilité réelle de chacun des parents (avec qui 4. Goubau, D., « L'intérêt de l'enfant et les pouvoirs résiduels du parent non gardien », Développements récents en droit familial, Les Éditions Yvon Blais inc., 1995. 5. Une certaine confusion règne en ce qui a trait aux termes utilisés pour désigner cette modalité de garde. On utilisera ainsi, indistinctement, les termes « garde partagée », « garde alternée » ou « garde conjointe ». Précisons que les termes « garde partagée » et « garde alternée » sont synonymes et désignent le partage de la présence physique de l'enfant entre ses deux parents, alors que «garde conjointe » (hérité du terme joint custody en vigueur dans le common law) désigne l'exercice conjoint de l'autorité parentale.
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l'enfant peut par ailleurs entretenir d'excellentes relations) sont autant de facteurs dont il faut évaluer l'impact à long terme lorsque cette formule est envisagée. Il n'est pas absolument nécessaire, dans le cadre d'une garde partagée, que l'enfant passe rigoureusement le même temps avec chacun de ses parents, bien que ce type d'arrangement soit le plus fréquent. Ici encore, si une mésentente survient entre les parents sur une question concernant l'enfant, ceux-ci devront s'adresser au tribunal, qui aura à résoudre le litige. Cette situation explique la prudence dont font preuve les juges avant d'accéder à une demande de garde partagée. Il est plutôt rare que le juge impose la garde partagée à des parents qui ne le souhaitent pas. Habituellement, une recommandation en ce sens au tribunal nécessite que trois conditions préalables soient réunies : • Les parents doivent montrer de bonnes capacités parentales ; • Ils doivent, dans la mesure du possible, habiter le même quartier afin de faciliter l'accès de l'enfant à l'école; • Ils doivent avoir démontré leurs capacités à collaborer et coopérer6. 7.5. Principales conclusions et recommandations Comme nous l'avons déjà souligné, l'expert ne fait pas qu'affirmer : il démontre. Sapiens nihil affirmat quad non probet7. Il explique comment il en arrive à ses conclusions en indiquant, par exemple, sur quels faits, données ou observations se basent ses impressions cliniques. Celles-ci doivent être fondées. Dans le cadre de ses conclusions, il résume les opinions cliniques pertinentes au mandat qui lui a été confié. Il doit donc éviter, ainsi que nous l'avons souligné à maintes reprises, de donner un avis professionnel sur des personnes qu'il n'a pas rencontrées ou évaluées personnellement et s'abstenir de se prononcer sur des aspects qui ne sont pas reliés au mandat ou qui n'ont rien à voir avec le meilleur intérêt de l'enfant. Le plus souvent, les recommandations de l'expert concernent la garde physique de l'enfant, c'est-à-dire son lieu de résidence, le partage du temps qu'il passera avec chacun de ses deux parents, son éducation, ses loisirs, son encadrement disciplinaire, etc. Les modalités d'exercice de l'autorité
6. La présence de ces deux dernières conditions est considérée comme souhaitable. Néanmoins, dans certains cas, le tribunal préfère passer outre à ces conditions plutôt que de priver l'enfant d'un accès égal à ses deux parents. 7. « Le sage n'affirme rien qu'il ne prouve. »
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parentale ou d'accès à l'enfant peuvent évidemment aussi faire l'objet de recommandations de l'expert. Il va sans dire que lorsqu'il est confronté à une problématique particulière (violence, sévices, etc.), l'expert devrait formuler certaines recommandations visant à protéger l'enfant et à assurer son développement, par exemple, une recommandation de thérapie, soit pour l'enfant soit pour un des parents. Si l'expert recommande un changement de garde, il doit motiver ses recommandations avec beaucoup de soin. Il en est de même si ses recommandations visent à priver un parent de ses droits d'accès. Dans tous les cas, le psychologue doit prévoir et tenir compte de l'impact de ses recommandations sur l'enfant. Enfin, si, en effectuant son expertise, le psychologue s'est heurté à certaines difficultés (comme l'impossibilité d'évaluer certaines personnes à cause de leur refus de collaborer ou pour tout autre motif), il doit le mentionner en demeurant fidèle au principe voulant que ses conclusions ne dépassent pas ses prémisses (comme dans tout travail scientifique). De même, si un complément d'expertise s'avérait nécessaire, l'expert doit le préciser. 7.6. La communication des résultats de l'évaluation Les résultats de l'expertise psycholégale peuvent être l'objet de communications écrites et d'explications verbales. Ces résultats ne doivent toutefois pas être communiqués aux parties avant que le rapport ne soit déposé. Il est important de se référer au libellé du mandat afin de savoir à qui doit être communiqué le rapport de l'expert. Ainsi, dans le cadre d'un mandat conjoint, il est évident que les résultats doivent être communiqués aux deux parties, et ce, simultanément. Il serait inacceptable que l'une des parties reçoive les résultats plusieurs jours après l'autre. L'expert doit, dans tous les cas, faire en sorte que personne ne se croie lésé ou n'ait l'impression que son ex-conjoint a été favorisé par cette procédure. Il est parfois utile que l'expert explique verbalement ses conclusions à chacune des parties après avoir transmis son rapport. Ce type d'explication peut non seulement favoriser une meilleure compréhension des facteurs psychologiques en cause, mais aussi sensibiliser suffisamment les parties à l'importance de ces facteurs pour qu'elles en tiennent compte lorsqu'elles négocient une entente, assurant ainsi le meilleur intérêt de l'enfant. Lorsque le mandat a été confié à l'expert par une seule partie, le rapport complet lui est normalement adressé à elle seule, bien que chaque personne évaluée puisse, sur demande, avoir accès à la section du rapport
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la concernant spécifiquement ou concernant ses enfants. Après en avoir pris connaissance, c'est au client qui a retenu les services de l'expert de décider s'il utilisera ou non le rapport d'expertise. 7.6.1. LE RAPPORT : RÈGLES DE BASE Le psychologue doit faire preuve d'objectivité, de modération et de prudence8. Au-delà des règles déontologiques qui font appel à ces qualités, leur application concrète à la rédaction d'un rapport d'expertise le rend plus crédible et acceptable pour les personnes en cause. Au moment où il rédige un rapport, le psychologue doit s'en tenir à son interprétation du matériel psychologique relié au mandat, à ses conclusions et à ses recommandations', comme le précise le code de déontologie. Il ne doit évidemment pas rapporter de propos non vérifiés qui pourraient être préjudiciables à quelqu'un et de tels propos ne doivent pas non plus se retrouver au dossier comme s'il s'agissait de faits démontrés. Il doit indiquer clairement qu'il s'agit de propos tenus par un client, d'allégations ou d'accusations portées par un tiers. Si, par exemple, le psychologue juge important de rapporter quelques propos des personnes adultes qu'il a évaluées afin d'illustrer certains aspects de son évaluation, ceux-ci doivent être rapportés entre guillemets ou cités de telle façon qu'un lecteur ne puisse jamais se méprendre et croire qu'il s'agit là des propos ou de l'opinion du psychologue. A titre d'exemple, on ne doit pas retrouver dans le rapport une phrase comme « Madame X battait ses enfants » ou « Monsieur X a commis des attouchements sur son garçon », mais plutôt « Monsieur nous dit que madame battait ses enfants » ou « Madame nous dit que monsieur a commis des attouchements sur son garçon » selon que les propos ont été tenus par monsieur ou par madame. Il est par ailleurs très important que le psychologue évite dans la mesure du possible de citer, dans le cadre de son rapport, des propos tenus par les enfants qu'il a évalués. Cette façon de faire peut en effet placer l'enfant en mauvaise posture, dans la mesure où l'un de ses parents pourrait lui reprocher d'avoir dit telle ou telle chose devant le psychologue. Mieux vaut traduire la réalité de l'enfant sans rapporter intégralement ses paroles ou lui faire porter la responsabilité de ses propos. Même si telle n'est pas son intention, le psychologue ne doit surtout pas contribuer à renforcer la propension déjà trop grande des enfants à se sentir coupables du divorce de leurs parents et des tensions qui existent entre eux.
8. Code de déontologie des psychologues, articles 14 et 74. 9. Code de déontologie des psychologues, articles 45 et 76.
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Toujours par souci de clarté, l'expert doit nettement distinguer, dans son rapport : • les informations qui proviennent de l'entrevue clinique ; • les informations qui proviennent des résultats des tests, s'il y a lieu ; • son analyse ; • son opinion clinique. L'intégration au rapport de données brutes et non interprétées, telles les réponses du Rorschach ou du T.A.T., pose aussi des problèmes et constitue, encore une fois, une infraction à l'article 75 du Code de déontologie des psychologues. On ne doit donc jamais retrouver dans un rapport ce type de données. Le fait de n'utiliser qu'une sélection ou une partie des informations recueillies peut d'ailleurs laisser croire que le psychologue s'appuie sur une donnée bien partielle pour tirer une conclusion, alors qu'en fait son opinion doit plutôt reposer sur la synthèse d'une multitude de données et de réponses à divers instruments. Le rapport doit être formulé dans un langage clair et accessible afin d'être bien compris par ceux qui le liront et de limiter au maximum le danger de fausse interprétation. 7.6.2. LE CONTENU DU RAPPORT Le rapport écrit doit habituellement comprendre les éléments suivants : • la source de référence ; • la nature du mandat ou les objectifs de l'expertise (garde, droits d'accès, etc.) ; • la méthodologie utilisée ou les actes professionnels que l'expert a posés dans le cadre de la réalisation de son mandat : préciser qui a été rencontré, à quelle(s) date(s) et pendant combien de temps; préciser également les noms des tests s'il y a lieu ; • l'origine des sources d'informations (documents, contacts extérieurs, etc.); • l'historique de la famille en relation avec le mandat; • la description des caractéristiques des parents pertinentes à l'exercice de l'autorité parentale pour le meilleur intérêt de l'enfant; • la condition de l'enfant, ses principales caractéristiques et sa réalité particulière par rapport à chacun de ses deux parents et à leur milieu de vie respectif; • une description de la qualité de la relation de l'enfant avec chacun de ses parents et son style d'attachement à chacun ;
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• présentation des résultats des tests utilisés, s'il y a lieu; • l'analyse et l'interprétation des données obtenues par l'expert dans le cadre de son mandat à partir des entrevues, des sessions d'observations et des tests utilisés (interprétation et discussion des résultats), etc. ; • un résumé des opinions cliniques qui sont fondées sur des faits, des observations ou des résultats de tests ; • les conclusions; • la présentation des différentes modalités de garde, le lieu de résidence, l'exercice des droits d'accès ou ses modalités (régularité des visites, accompagnées ou non, supervisées ou non) ; • les recommandations de l'expert et leur justification (critères et motifs) en fonction du meilleur intérêt de l'enfant.
7.7. Conclusion Le psychologue est appelé à intervenir, à titre d'expert dans les causes judiciaires de garde d'enfant ou de droits d'accès, dans des situations parfois inextricables en apparence et à peu près toujours fortement chargées d'émotivité. Dans un tel contexte, il n'est pas rare que certains protagonistes souhaitent que le débat se prolonge au-delà de la cour et que l'expert prête flanc à leurs critiques ou devienne la cible de leur déception ou de leur amertume. Or, la formation du psychologue le prépare souvent davantage à établir une relation d'aide qu'à pratiquer dans le secteur par essence litigieux de l'expertise psycholégale. Toutefois, c'est dans l'application stricte et rigoureuse de la démarche scientifique qui sous-tend sa discipline et de certains principes essentiels de sa discipline qu'il puisera les meilleures armes pour se tenir audessus de la mêlée. 7.8. Références CASONI, D. (1998). Avis sur le paiement des rendez-vous manqués. Document inédit, Ordre des psychologues du Québec. OPQ (1998). « Le Bureau prend position sur la question des rendez-vous manqués ». Psychologie Québec, 15, 6, novembre 1998, 6-7.
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CHAPITRE 8
L'évaluation dans les cas d'allégation de sévices sexuels DIANNE CASONI
L'expertise des psychologues est fréquemment recherchée dans des causes où une allégation de sévices sexuels concernant un enfant est faite. Ce chapitre vise à mieux outiller le psychologue qui est appelé à fournir une opinion professionnelle dans un tel contexte. Contrairement à d'autres situations d'expertise où les conséquences découlant de l'opinion de l'expert peuvent comporter un potentiel limité de préjudice pour les personnes en cause, les enjeux de l'évaluation d'une allégation de sévices sexuels concernant un enfant sont extrêmement sérieux. En outre, le psychologue impliqué dans ces causes est sans cesse confronté à des situations extrêmement complexes et à des dilemmes difficiles, il s'agit d'un champ d'activités très spécialisé mais qui paradoxalement concerne un grand nombre de professionnels, allant de l'intervenant de première ligne recevant un signalement d'agression sexuelle à l'expert qui témoignera au tribunal. En ce sens, ce type d'évaluation exige du psychologue non seulement qu'il exerce ses habiletés professionnelles de façon experte quel que soit son contexte de travail, qu'il soit parfaitement à jour dans une littérature scientifique imposante mais surtout qu'il fasse preuve d'une rigueur particulièrement grande (Penfold, 1996; Shetkey, 1992).
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Au cours de ce chapitre, les divers enjeux et pièges associés à l'évaluation d'une allégation d'agression sexuelle seront présentés et discutés, d'abord en abordant ce qui distingue le mandat d'expertise dans les cas d'allégations de sévices sexuels des autres mandats d'expertise. Les divers contextes juridiques où l'expertise du psychologue peut être entendue précédera la présentation exhaustive d'une méthodologie d'évaluation qui fait de plus en plus consensus au sein de la communauté scientifique et professionnelle. Outre la description des étapes évaluatives, une définition opérationnelle de l'agression sexuelle d'enfants sera proposée. Puis les éléments que doit comprendre le rapport d'expertise ainsi qu'une discussion de la présentation des données psychologiques au tribunal seront présentés. Enfin, les aspects éthiques et déontologiques qui doivent guider le psychologue tant au cours du processus d'évaluation que lors de la production de son rapport et de son témoignage en cour seront discutés.
8.1. Le mandat Il est très fréquent que la personne qui fait appel à un psychologue dans une cause d'allégation de sévices sexuels lui demande implicitement ou même explicitement de statuer s'il y a eu ou non sévices sexuels. Cette question devient d'autant plus critique lorsque la victime présumée est un très jeune enfant, une personne lourdement handicapée au plan moteur ou encore intellectuellement déficiente. Associé à cette demande, il arrive aussi très fréquemment que la personne qui consulte le psychologue sache, plus ou moins consciemment, ce qu'elle veut entendre comme réponse. La première tâche du psychologue ainsi sollicité, avant même d'accepter un mandat d'expertise, consiste à clarifier auprès du mandant en quoi consiste son aire d'expertise. En deuxième lieu, il doit discuter des conditions de réalisation qui lui sont nécessaires pour remplir correctement ce mandat. Dans la discussion du mandat, il peut être utile, comme le souligne plusieurs auteurs (Berliner et Conte, 1993; Casoni, 1996; Ceci et Bruck, 1998; Conte, 1992; Penfold, 1996 et Shetky, 1992), de préciser que l'expert ne pourra qu'estimer la probabilité que l'allégation d'agression sexuelle ait eu ou non lieu. Il est ainsi du devoir du psychologue d'expliquer en quoi la réponse à cette question, pour désirée et légitime qu'elle puisse être, comportera inévitablement une part d'ombre. Cependant puisqu'il est possible que l'opinion éventuelle ne corresponde pas à celle de la personne qui consulte, il est également du devoir du psychologue de lui expliquer que le rôle d'expert consiste d'abord et avant tout à tenter d'éclairer au mieux l'allégation présentée en gardant à l'esprit que la recherche du meilleur intérêt de l'enfant guide toute la démarche. Il est important ainsi d'expliquer que le travail d'expert consiste à décrire le plus justement possible les facteurs qui apparaissent comme étant les plus significatifs pour comprendre
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la problématique posée afin d'émettre une opinion éclairée. En ce sens, au-delà de la portée informative de cette discussion, le psychologue transmet clairement que son travail est d'abord et avant tout guidé par la recherche du meilleur intérêt de l'enfant. Cette conception du travail expert constitue une facette contraignante et parfois frustrante pour certains individus qui trouvent difficile de devoir accepter que le psychologue n'est pas, comme le serait son avocat, ni son porteparole ni le défenseur de sa position dans le litige. Il est de la responsabilité du psychologue de bien transmettre cette double contrainte au mandant : c'est-àdire, d'une part, que son travail d'évaluation sera guidé par le souci d'arriver le plus proche possible de la vérité, quelle qu'elle soit, et que d'autre part, le psychologue ne pourra jamais prétendre à plus qu'une approximation éclairée de cette vérité. La position de liberté professionnelle qu'exige ainsi le psychologue expert dès la discussion des conditions qui lui sont nécessaires pour remplir son mandat ne pose habituellement pas de problèmes. Ce sont les conséquences de cette prise de position qui sont davantage susceptibles d'en poser. En se positionnant ainsi, c'est-à-dire à l'extérieur des intérêts des parties en conflit, bien qu'il puisse être mandaté par l'une de ces parties, le psychologue renonce, pour sa part, à jouer tout rôle de soutien, de conseil ou de porte-parole éventuel (Schetky, 1992). Cette exigence de liberté d'opinion ne va donc pas sans un isolement qui vise à protéger son impartialité. De façon concrète, cela implique que le psychologue expert ne peut se départir d'une réserve professionnelle qui l'isolera tant dans les couloirs du tribunal que dans ses communications avec le mandant. Nous avons décrit ailleurs (Casoni, 1994) les enjeux identificatoires qui peuvent constituer autant de pièges pour l'expert qui évalue des allégations de sévices sexuels. La tâche complexe d'évaluer une telle allégation ne peut, à cet effet, être conceptualisée uniquement comme une tâche intellectuelle pour le professionnel impliqué puisque la problématique en cause constitue une réalité qui ne peut laisser quiconque indifférent, encore moins le psychologue qui, de par sa position, prend fait et cause pour le meilleur intérêt de l'enfant. En ce sens, des mouvements identificatoires, le plus souvent inconscients, sont toujours susceptibles de venir nuire au jugement du psychologue. Le fait de limiter strictement ses contacts avec les personnes impliquées à ce qui se justifie au plan professionnel ne peut protéger le psychologue parfaitement d'une identification problématique à un ou l'autre des protagonistes. Toutefois, le fait d'observer cette réserve lui assure, par contre, d'avoir suffisamment de distance pour pouvoir, le cas échéant, reconnaître en lui-même un tel mouvement identificatoire. L'illustration suivante constitue un piège fréquent alors que confronté à la détresse d'un des parents et au caractère autoritaire de l'autre, le psychologue se sent tenté de prendre partie pour le parent qui lui apparaît le plus vulnérable. Dans un tel cas de figure, il aura tendance à adopter la vision de l'allégation que soutient le parent le plus souffrant, celui auquel il s'identifie. Si ce
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mouvement identificatoire s'accompagne dans la réalité par de plus fréquents contacts professionnels avec ce parent ou par une tendance à le conseiller, par exemple, il est probable que le psychologue se départisse, peu à peu, du recul nécessaire pour évaluer le plus justement possible la probabilité que l'enfant soit ou non victime de sévices sexuels. La force d'attraction qu'exercera l'opinion de ce parent sur le psychologue risque ainsi de fausser sa capacité d'analyse. Cette possibilité amène d'ailleurs de nombreux auteurs (Benedek et Schetky, 1985; Blush et Ross, 1990; Campbell, Casoni et Cattuso, 1993; Klajner, Diamond et al., 1987; Schetky, 1992; Wakefield et Underwager, 1991) à mettre en garde le professionnel qui évalue une allégation de sévices sexuels contre toute confusion de rôles envers les personnes qui sont associées à l'allégation. Du côté de la personne qui sollicite l'expertise du psychologue, l'exigence de liberté d'opinion que pose le psychologue peut la confronter à des motivations personnelles insoupçonnées. L'exemple de cette mère qui dit vouloir s'assurer que son fils de quatre ans n'est pas victime d'attouchements de la part de son père lors des visites chez celui-ci constitue une illustration saisissante de cette difficulté. Ainsi, au cours du processus évaluatif, il ressort que pour elle la rupture du couple demeure toujours un échec cuisant et, qu'en outre, elle réalise en parlant au psychologue qu'elle est terriblement jalouse de son fils qui, contrairement à elle, a encore la chance de passer d'agréables moments avec son père. Quelle que soit l'opinion ultime du psychologue quant à la probabilité que l'enfant soit ou non victime d'agression sexuelle, ces réalités subjectives, que la mère découvre au cours du processus évaluatif, la confronteront inévitablement à une motivation insoupçonnée au cour même de sa demande d'expertise. Il peut arriver que le mandant ressente comme une défaite narcissique blessante le fait que l'opinion de l'expert ne corresponde pas à sa compréhension de la situation. En ce sens, mieux le psychologue aura réussi à transmettre les exigences et les limitations de son rôle, plus il sera acceptable pour les personnes impliquées d'être confrontées à une opinion nouvelle, différente ou encore à une découverte inattendue sur eux-mêmes. Il faut viser à ce que la personne qui sollicite une expertise comprenne que cette demande la place inévitablement, et en dépit du savoir-faire et du respect du psychologue à son égard, dans une position inévitablement d'incertitude quant aux résultats de l'expertise. Cependant, il incombe aussi au psychologue d'assurer le mandant que son travail sera accompli de façon désintéressée. Lorsque le psychologue prend bien soin de s'assurer que le mandant ainsi que les autres personnes évaluées comprennent l'objectif du travail de l'expert, l'expérience d'expertise peut s'avérer très positive pour les personnes concernées. Un climat de confiance peut s'établir et faciliter tant la communication des résultats de l'expertise que, le cas échéant, favoriser leur mise en application.
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La clarification du mandat sert donc non seulement à établir des conditions qui permettent au psychologue de faire son travail librement mais doit aussi servir de balises afin d'éviter qu'un conflit de rôles ne survienne. La discussion du mandat, des conditions nécessaires au psychologue pour le remplir ainsi que la discussion des attentes de la personne qui sollicite l'expertise du psychologue sont, bien évidemment, contingentes à la recherche du meilleur intérêt de l'enfant impliqué. Lorsque l'expert et le mandant partagent ce but, il constitue un phare précieux qui guidera tout le processus et favorisera sa réalisation.
8.2. Les divers contextes judiciaires Bien que l'origine du mandat d'expertise peut varier sans que cela n'ait de répercussions sur le rôle de l'expert et le but de l'évaluation, le contexte judiciaire dans lequel est inscrit ce mandat peut entraîner des contraintes certaines sur les conditions de réalisation du mandat. Chaque tribunal a, en effet, à porter jugement en regard d'une jurisprudence, de lois et de règles bien distinctes. Par exemple, les règles de preuve peuvent passer de la prépondérance de preuves à l'exigence d'une preuve hors de tout doute. Bien que ceci concerne surtout juges et avocats, il existe des situations où ces différences imposent des contraintes certaines au psychologue au plan des conditions de réalisation de son mandat. D'une manière générale, il peut être dit que tant devant les tribunaux civils, par exemple à la Chambre de la famille ou au Tribunal de la jeunesse, que devant la Cour criminelle, le psychologue obtiendra la collaboration des juges et éventuellement des avocats pour pouvoir remplir son mandat correctement. Il en va tout autrement des tribunaux administratifs, le tribunal du travail, par exemple, où le président pourrait avoir à statuer sur la légalité d'un congédiement suite à une allégation de sévices sexuels visant un employé. Dans de tels cas, en n'étant pas familier avec ce type d'allégations, le président pourrait comprendre difficilement en quoi l'expertise du psychologue puisse être utile au tribunal. Ou encore, il peut arriver que l'expertise du psychologue soit admise comme pertinente au dossier par le président du tribunal, mais que ce dernier retienne l'objection de l'une des parties de refuser au psychologue l'autorisation de rencontrer dans le cadre de son évaluation, toutes les personnes en cause. Une certaine méconnaissance de la complexité de telles évaluations peut ainsi amener certains tribunaux administratifs à considérer que l'investigation initiale de la plainte faite par l'employeur ainsi que le témoignage devant le tribunal des personnes impliquées sont suffisants. Dans de telles circonstances, le psychologue expert a le devoir d'expliquer au tribunal non seulement quelles sont les connaissances dont il dispose quant à ce type de problématique, mais également quelles sont les conditions qui lui sont nécessaires pour offrir une opinion éclairée au tribunal. À cet effet, bien que seul le juge du Tribunal de la jeunesse ait autorité d'exiger -
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une évaluation psychologique, il est néanmoins observé que, d'une façon courante, tant en cour criminelle qu'en cour civile, le juge accueillera favorablement, et même pourra exprimer son souhait, par exemple à la Chambre de la famille, que toutes les parties collaborent afin que le psychologue expert puisse remplir son mandat dans des conditions optimales. 8.3. Méthodologie d'évaluation Une littérature importante est dorénavant disponible sur de nombreux sujets pertinents à la problématique des allégations de sévices sexuels. Ainsi, les problèmes liés à l'entrevue des enfants ont été rigoureusement et abondamment traités (voir Ceci et Bruck, 1998 pour une recension complète à ce sujet). De même, les questions concernant le fonctionnement de la mémoire ont fait l'objet de travaux récents et extrêmement pertinents pour l'évaluation des allégations de sévices sexuels (voir Conway, 1997). La problématique des fausses allégations de sévices sexuels est désormais reconnue et bien documentée (Bruck, Ceci et Hembrooke, 1998; Campbell, Casoni et Gattuso, 1993; Casoni, 1994; Robin, 1989 et Wakefield et Underwager, 1991) tout comme sont maintenant documentées de façon rigoureuse les connaissances sur la symptomatologie médicale et psychologique qui peut être associée à la victimisation sexuelle (Adams, 1992; Benedek et Schetky, 1985; Campbell, Casoni et Gattuso, 1993; Cooke et Cooke, 1991; Finkel, 1989; Hall, 1989; Kellog et al., 1993; Lamb, 1994; Levy, 1989; Penfold, 1996; Wakefield et Underwager, 1991). De plus un corpus d'écrits imposant (Berliner et Conte, 1993; Casoni, 1996; Cooke et Cooke, 1991; Elterman et Ehrenberg, 1991; De Young, 1986; Kendall-Tackett, 1992; Realmato et Wescoe, 1992; Robin, 1989) fait l'état des connaissances au sujet des possibilités et des limites des tests psychologiques utilisés en contexte d'expertise. Il dépasserait largement le cadre de ce chapitre de faire la recension de ces connaissances et il est recommandé fortement aux psychologues intéressés par ce champ de pratique de se référer aux auteurs suggérés ci-haut. Bien qu'il ne soit pas possible de faire le point sur chacun des domaines pertinents à ce champ d'expertise, faute d'espace, il importe d'aborder la méthodologie d'évaluation en commençant par définir l'agression sexuelle infantile afin d'éviter toute confusion. 8.4. Abus ou sévices Il arrive souvent que le terme « abus sexuel » soit utilisé pour désigner le rapport sexuel entre un adulte et un enfant. Bien que l'on puisse certainement considérer que l'adulte impliqué abuse alors de la confiance que l'enfant a pu placer en lui, l'emploi du terme abus sexuel doit être considéré
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comme un contresens en français puisque cela signifie qu'il serait acceptable qu'un adulte puisse avoir un enfant comme partenaire sexuel du moment qu'il n'y aurait pas d'exagération. Voilà, en effet, le sens admis du terme abus en français. L'abus est une exagération. La confusion naît d'un calque de l'anglais où l'on désigne sous l'expression child abuse ou child sexual abuse tous les rapports de maltraitance dont ceux de nature sexuelle de l'adulte envers l'enfant. Ainsi, abuse en anglais signifie sévices ou agressions et ne comporte aucune référence à une exagération. En outre, utiliser cette expression comme on le faisait autrefois par pudeur langagière pour parler d'une jeune femme naïve dont un homme aurait abusé, constitue un euphémisme trompeur. Certes une figure de style appropriée dans un roman, mais certainement pas une expression juste pour référer à la réalité de la victimisation sexuelle et surtout pas à la victimisation sexuelle infantile. Puisqu'il ne fait plus de doute que la victimisation sexuelle comporte des séquelles psychologiques (voir Beitchman et al., 1991 et 1992 pour des recensions complètes des écrits sur ce sujet) et, notamment des séquelles au niveau du sentiment d'identité, du développement psychosexuel et du maintien de l'estime de soi qui sont considérables et souvent de nature traumatique chez nombre d'individus, le fait de référer à ce type de victimisation en ne le qualifiant pas de sévices ou d'agression constitue à notre avis une erreur conceptuelle. Que l'agression sexuelle de l'enfant ou de l'adolescent ait eu lieu dans un contexte de tendresse amoureuse ou de violence agressive influe peu sur le sentiment de ceux-ci d'avoir été utilisés par l'adulte. De même, le fait que les jeunes ne soient pas psychologiquement ni, dans le cas des enfants, physiologiquement, aptes à partager le plaisir de l'adulte contribue décisivement à placer ceux-ci dans une situation de victimisation.
8.5. Définition de l'agression sexuelle L'absence de consensus sur la définition de l'agression sexuelle de l'enfant ajoute certainement à cette confusion et contribue à certaines erreurs et conceptions faussées. Ainsi on a vu des intervenants dénoncer comme une situation de sévices sexuels une famille adepte du nudisme, ou encore des parents partageant avec leurs enfants le bain ou le lit conjugal dans un contexte non sexuel. Par contre, d'autres intervenants en sont venus à fermer les yeux sur les visites nocturnes que le père rendait quotidiennement à une de ses adolescentes ou encore sur la relation de type ouvertement marital qu'entretenait un homme d'âge mur avec un jeune garçon sous prétexte de leur âge ou du caractère tendre de leurs rapports. Toute définition de l'agression sexuelle de l'enfant et de l'adolescent doit, en ce sens, comprendre deux notions fondamentales caractérisant la relation entre un enfant et l'adulte qui le choisit comme partenaire sexuel.
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La première notion concerne la présence d'une relation d'emprise qui fait que l'enfant ou l'adolescent est prisonnier d'une relation de pouvoir basée soit sur la séduction, soit sur l'autorité d'un adulte. Que cet adulte séduise l'enfant et cherche activement à provoquer une excitation sexuelle chez son jeune partenaire ou qu'il l'agresse violemment ne change rien à la nature fondamentalement et inévitablement asymétrique de leur rapport. L'enfant, en ce sens, n'est pas libre de consentir au rapport proposé par l'adulte. L'enfant ou l'adolescent n'est aucunement respecté dans son développement psychosexuel propre et ne peut qu'être l'objet de l'emprise de celui qui possède une autorité concrète et naturelle sur lui, ne serait-ce qu'en raison de son âge et de son expérience de vie. La seconde notion que devrait comporter toute définition de l'agression sexuelle de l'enfant consiste dans la nature sexuelle du rapport entre l'adulte et l'enfant ou l'adolescent. En effet, il est nécessaire que l'adulte utilise ce dernier comme source de stimulation ou de satisfaction sexuelles pour qu'une agression sexuelle ait lieu. Ainsi les rapports corporels, les caresses et les câlins qu'adultes et enfants échangent de façon non érotisée ne constituent pas nécessairement des agressions sexuelles. Il importe, en ce sens, de ne pas confondre tendresse et sexualité. Il ne s'agit pas pour le psychologue de s'ériger en zélote puritain, mais plutôt de s'interroger sur la nature du contact physique qui est allégué comme acte potentiel de victimisation sexuelle. En revanche, une mère qui, sans jamais toucher à son enfant, l'entretiendrait constamment de sexualité afin de se stimuler elle-même sexuellement serait potentiellement en train d'agresser sexuellement son enfant. Ainsi, en l'absence de critères objectifs attestant de la gravité ou de la violence clairement sexuelle des gestes posés par l'adulte, il importe que le psychologue soit en mesure de qualifier le sens que prend vraisemblablement pour l'adulte les gestes qui lui sont reprochés. De même, il importe d'analyser le type de relation interpersonnelle entretenue par l'agresseur présumé auprès de l'enfant ou de l'adolescent en cause. L'attention et le soin donnés à la définition avec laquelle le psychologue travaille peut permettre, dans certains cas, de distinguer entre une allégation de sévices sexuels et une situation où une victimisation sexuelle de l'enfant n'est pas en cause. Il arrive, par exemple, que dans une famille donnée, il soit habituel de faire douche ou bain commun; en soi, une telle pratique ne peut être considérée comme une victimisation sexuelle pour l'enfant de la famille. Cependant, il est néanmoins possible que, pour un enfant particulier, cette pratique soit préjudiciable à son développement. Il s'agit alors d'un cas qui relève du counseling familial et non d'une situation de sévices sexuels. A contrario, un frère ou une soeur aînés peuvent profiter de cette pratique considérée comme normale dans une famille particulière pour contraindre
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un plus jeune à des activités sexuelles ; coercition qui indique que la simple exploration mutuelle de leur corps respectif est dépassée et qu'une situation de sévices sexuels a cours. En dépit du fait qu'aucune définition ne soit parfaite, le recours aux notions d'emprise et du caractère de stimulation ou de satisfaction sexuelle recherchée par l'adulte peuvent guider le psychologue lorsqu'il a à évaluer la nature d'une relation d'apparence trouble entre enfant et adulte. En outre, le recours à ces deux notions peut permettre de distinguer entre des activités librement consenties d'exploration sexuelle entre enfants et une victimisation sexuelle entre deux enfants lorsque l'écart d'âge entre les partenaires est minime. A titre indicatif, l'American Association of Child and Adolescent Psychiatry suggère qu'une différence d'âge de 3 années entre les enfants est suffisante pour qu'un enfant aîné puisse être vu comme agressant sexuellement un plus jeune. À cet effet, il est important que le psychologue examine avec soin la possibilité qu'un des enfants exerce une emprise sur l'autre pour l'aider à distinguer le jeu sexuel d'exploration, normal entre enfants, d'une situation de sévices sexuels. Cet aspect de la problématique n'est certes pas à minimiser lorsqu'on sait que la majorité des agresseurs sexuels ont commencé à faire des victimes dès leur jeune adolescence. En résumé, la définition proposée permet d'évaluer de façon moins arbitraire ou dogmatique soit certains rapports sexuels entre un jeune adolescent et un enfant plus jeune de quelques années, soit encore entre un adulte et un adolescent ou une adolescente. Au-delà des normes culturelles et sociales changeantes, la référence à ces deux notions peut guider la réflexion du psychologue : l'enfant ou l'adolescent est-il prisonnier, en dernière analyse, d'une relation d'emprise et est-il utilisé comme objet de stimulation ou de satisfaction sexuelles ?
8.6. Étapes évaluatives Comme l'a mentionné Benedek (1989) devant la commission Gagnon, il est primordial dans ce type de dossier de procéder d'abord à une évaluation contextuelle qui vise à situer l'origine de la plainte de sévices sexuels ; le moment de son dévoilement et de son signalement subséquent au directeur de la Protection de la jeunesse ; les parties qui sont impliquées et dans quel contexte émotionnel et relationnel elles se trouvent. Ces informations doivent être analysées à plusieurs niveaux; d'abord au plan des hypothèses cliniques qu'elles peuvent susciter. De plus, les informations recueillies doivent être examinées à la lumière de la littérature actuelle sur cette problématique ainsi qu'à la lumière d'une connaissance approfondie des scénarios habituellement rencontrés lors d'agressions sexuelles.
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Par exemple, comme il est habituel qu'un scénario de sévices sexuels de la part d'un adulte connu de l'enfant (parent, ami de la famille, moniteur de garderie) procède suivant un déroulement actif et graduel de séduction auprès de l'enfant, l'absence d'un tel processus dans le cas d'une plainte d'attouchements sexuels répétés doit soulever chez le psychologue un certain nombre d'interrogations. De même, lorsqu'une plainte de sévices sexuels survient au cours d'un processus de séparation ou de divorce et vise l'un des conjoints en litige, il est important de procéder à un examen approfondi des circonstances menant au dévoilement de l'enfant et aux motivations potentiellement cachées de l'adulte plaignant. De la même façon, une plainte qui est exprimée de façon spontanée de la part d'un enfant qui n'est soumis à aucun questionnement ni aucune pression de la part d'adultes est beaucoup plus susceptible de s'avérer fondée. Dans tous les cas où l'allégation de sévices sexuels provient du questionnement d'un adulte envers un enfant, il est essentiel que le psychologue puisse arriver à comprendre comment l'adulte en est venu à croire que l'enfant était victime de sévices sexuels. L'expert doit aussi être en mesure de saisir le déroulement des événements qui découlèrent du doute de l'adulte qui a questionné l'enfant. En outre, il convient de définir ce que peut constituer une plainte spontanée puisqu'il arrive que des facteurs extérieurs peuvent parfois déclencher chez l'enfant ou l'adolescent son dévoilement. Ainsi, il arrive qu'une discussion en classe sur la prévention des agressions sexuelles constitue un événement qui suscite un dévoilement chez un enfant. Dans un tel contexte, l'événement extérieur agit comme un déclencheur permettant à un enfant qui est ambivalent de se décider à parler de ce qui lui arrive. Par exemple, il arrive qu'un programme de prévention donne lieu à certaines allégations non fondées, ainsi la spontanéité apparente d'une plainte doit être analysée avec soin par l'expert. Aussi les motivations personnelles d'un enfant ou d'un adolescent à parler d'une victimisation sexuelle doivent toujours être investiguées et comprises par le psychologue expert. En effet, c'est en cherchant à comprendre les éléments qui amènent un enfant à parler de sa victimisation qu'un scénario relationnel vraisemblable ou invraisemblable peut parfois être décelé et que les raisons intimes qui ont pu amener tel ou tel enfant à parler à ce moment précis de son histoire personnelle de victimisation peuvent être découvertes. Ce travail patient et approfondi, lorsqu'il est fait dans le plus grand respect de l'enfant, permet non seulement au psychologue d'approcher de la vérité mais aussi lui permettra d'aider réellement cet enfant, que l'allégation s'avère, en dernière analyse, probablement fondée ou non. Il est important de rappeler qu'aucun élément de nature psychologique ne peut être pris isolément comme une preuve. Par exemple, un enfant peut présenter une grande confusion et faire part de motivations à
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dévoiler une victimisation qui soient en apparence illogiques mais que l'agression soit réelle. Inversement, un enfant ou un adolescent peut présenter un scénario tout à fait vraisemblable, avoir des motivations personnelles pour dévoiler sa victimisation qui paraissent fort crédibles mais ne pas être victimisé dans la réalité. Le psychologue expert doit, en ce sens, se méfier des évidences et des apparences, il doit demeurer ouvert et disponible à envisager toutes les hypothèses. Une telle attitude, recommandée avec insistance par de nombreux auteurs, dont Bruck et al. (1998) est certes plus facile à préconiser qu'à maintenir. Comme êtres humains, nous sommes non seulement influençables, mais aussi en constante identification avec les personnes que nous évaluons ou traitons (Casoni, 1994). Les vicissitudes de ces mouvements identificatoires peuvent amener l'expert tantôt à vouloir croire une ou l'autre des personnes en cause. Il est cependant du devoir professionnel de l'expert de ne pas être guidé aveuglément par ces identifications dans la formulation d'une opinion professionnelle. En ce sens que le dévoilement soit purement spontané, qu'il soit déclenché par un événement extérieur, qu'il soit fortuit et accidentel ou encore qu'il soit directement associé à un questionnement de la part d'un adulte, l'expert doit effectuer une évaluation contextuelle rigoureuse et complète afin d'être en mesure de pondérer l'importance relative de chacun des éléments psychologiques et des faits qui seront mis à jour. Par exemple, l'évaluation contextuelle permettra au psychologue d'apprécier la nature des biais qui ont pu être introduits dans le dévoilement ou le témoignage d'un enfant lorsque l'allégation survient dans un contexte où la plainte n'a pas été spontanée (voir Ceci et Bruck, 1998, pour une recension complète des recherches sur les effets des techniques d'entrevues utilisées sur la mémoire). À ce sujet, il est utile de rappeler que les recommandations de comités parajuridiques comme la commission Gagnon (1989) indiquent sans équivoque que l'expert doit être extrêmement attentif à tous les éléments qui précèdent, entourent et succèdent le dévoilement, car les risques de contamination, voire de travestissement de la réalité de l'enfant, sont très élevés. L'évaluation contextuelle constitue, en ce sens, la première étape de la démarche évaluative. Au terme de cette étape, le psychologue doit s'assurer qu'il dispose de tous les documents pertinents liés à l'allégation et qu'il a recueilli un grand nombre d'informations. Il doit notamment avoir obtenu les verbalisations les plus exactes de l'enfant, les questions ou commentaires qui lui auraient été faits ainsi que le nombre et la nature des entretiens qui ont déjà eu lieu. Il est donc essentiel que le psychologue tente d'établir le mieux possible le contexte concret entourant l'allégation ou le dévoilement spontané de l'enfant ou de l'adolescent. Ainsi, il doit non seulement chercher à déterminer ce qui se rapprocherait le plus d'un verbatim de l'entretien initial, mais il doit également pouvoir saisir le plus justement possible quel est le contexte émotionnel et relationnel qui unit les parties impliquées. C'est au cours de l'évaluation contextuelle que les différentes hypothèses
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concernant les motivations des personnes en cause sont posées, de même que les hypothèses concernant la dynamique familiale active dans les cas intrafamiliaux ou quasi familiaux1. Il arrive parfois que le psychologue expert ne puisse pas avoir accès à tous les documents et à toutes les personnes associées à l'allégation. Il est cependant de son devoir professionnel, après avoir tenté d'y avoir accès, de noter dans son rapport quels sont les documents existants qui lui manquent ou quelles sont les personnes qu'il n'a pas pu rencontrer. Il doit, en outre, expliquer en quoi ceci limiterait la portée de son opinion. Bien entendu, un psychologue expert ne peut émettre une opinion professionnelle au sujet d'une personne qu'il n'a pas évaluée, cependant il lui incombe de justifier en quoi il considère devoir évaluer ou non celle-ci afin, le cas échéant, de compléter son expertise. Puisque la très grande majorité des allégations de sévices sexuels sont portées dans un contexte familial ou quasi familial (entre 75 % et 83 % selon le ministère de la justice du Canada, 1994), il est primordial d'évaluer les individus en cause tant au plan psychologique qu'au niveau du type d'interrelations qui les unissent. Au-delà des connaissances générales que l'expert doit avoir au niveau de cette problématique aux plans scientifique et professionnel, il importe de rappeler que chaque allégation demeure un cas unique. En ce sens, il est impérieux de tenter d'expliquer la singularité de l'allégation à l'étude. Ainsi, le portrait psychologique des personnes en cause devient de toute première importance, non pas uniquement au niveau de la recherche de psychopathologie comme telle, mais aussi au niveau de la description du fonctionnement psychique particulier des personnes concernées. Moins la cour peut compter sur l'existence de faits probants au niveau de la preuve médicale ou de l'existence de preuves tangibles et objectives (l'existence d'un document vidéo documentant l'agression, par exemple), plus la fonction remplie par le psychologue expert devient importante. L'évaluation psychologique des personnes en cause permet de tracer un portrait des motivations de chacun. Cette évaluation permet aussi de décrire les liens qui unissent les protagonistes et d'isoler, le cas échéant, les conflits psychologiques qui les troublent. De même, en faisant ressortir sous l'angle phénoménologique, la compréhension de chacun, en décrivant avec finesse
1. Le terme « quasi familial » réfère aux cas où une relation interpersonnelle significative est présente entre l'agresseur présumé, la victime alléguée et la famille immédiate de ce dernier. Par exemple, les cas où l'agresseur présumé serait considéré comme un « ami de la famille » ou est le conjoint de la mère. Ces quelques cas décrivent une situation particulière et relativement fréquente où la personne qui est identifiée comme l'agresseur est vue par les personnes directement impliquées «quasiment » comme un membre de la famille.
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la nature de leurs rapports avec les personnes en cause, le psychologue expert apporte une contribution qui permettra au tribunal de mieux apprécier l'allégation. Le cas d'un homme agressé durant plusieurs années au cours de son enfance par un ami de la famille, ami qui aurait toujours joui d'une réputation irréprochable et de l'estime de ses parents peut servir d'illustration. Cet homme, devenu père, était animé d'un désir fort légitime de protéger ses enfants contre ce qui l'a fait souffrir comme enfant. Ceci l'a amené à décourager ceux-ci de lier tout contact significatif avec un adulte. En fait, il était secrètement paniqué à l'idée que toute relation amicale qu'un de ses enfants pourrait nouer avec un animateur de camp, un moniteur de scouts ou un enseignant, par exemple, serait un prélude à sa victimisation sexuelle éventuelle. Une telle expérience personnelle dramatique peut certes rendre un parent vigilant de façon adéquate, mais une vigilance souhaitable peut parfois devenir hypertrophiée et amener un parent à mésinterpréter des comportements, gestes ou attitudes anodins comme autant de preuves de victimisation sexuelle. Bien entendu, la présence d'une hypervigilance et d'une appréhension d'allure obsessionnelle révélées chez un parent par l'évaluation psychologique ne suffirait pas à rejeter une allégation d'agression sexuelle. Cependant négliger de prendre en compte le résultat de l'évaluation psychologique du parent qui soutient l'allégation constituerait une sursimplification des facteurs multiples qui doivent être analysés. Tout comme il serait réducteur et dangereux de conclure à une absence d'agression sexuelle à cause de l'hypervigilance anxieuse du père, il serait tout aussi réducteur d'omettre d'analyser le rôle joué par de potentielles motivations conscientes ou inconscientes chez un parent lorsque survient une allégation. Ainsi, pris isolément, un tel élément ne signifie rien; cependant, s'il est analysé en regard de tous les autres éléments recueillis, il peut s'avérer déterminant dans la compréhension de l'allégation. Afin de mieux illustrer ce que l'évaluation psychologique du père dans l'exemple donné permet de poser comme hypothèses, supposons deux scénarios. D'abord, selon le premier scénario hypothétique, imaginons que le père juge son anxiété devant la victimisation sexuelle potentielle de ses enfants comme nettement exagérée et injustifiée. Dans ce contexte, il réagirait possiblement au dévoilement de son enfant avec incrédulité car, malgré ses craintes profondes et son expérience personnelle, il en était venu, de façon réactionnelle, à accorder une confiance absolue à certaines personnes, dont l'agresseur présumé. Selon le second scénario toutefois, l'hypervigilance du père l'aurait amené depuis le plus jeune âge de ses enfants à les questionner sur leurs activités, ainsi que sur les gestes et comportements des adultes de leur entourage à leur égard. Cette habitude, dans le contexte de la rupture conjugale des parents, peut avoir pris une tonalité émotionnelle et une
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intensité nouvelles rendant le questionnement habituel du père plus inquiet, plus inquisiteur et plus intrusif. En outre, on peut imaginer que ce père soit dans ce contexte, amené à interpréter les réponses défensives, impatientes, ou les dénégations franches de son enfant concernant le nouvel ami de sa mère comme autant de « preuves » de sévices sexuels. Soumis à des interrogatoires anxieux de la part de son père, un des enfants pourrait même en arriver à se construire une « mémoire vraie » d'un événement fictif (Ceci et Bruck, 1998). Tant dans le premier que dans le second scénario, seule une compréhension approfondie des facteurs psychologiques complexes qui peuvent colorer la vision du père permet de jeter un peu de lumière sur la nature de l'allégation. Négliger l'analyse approfondie des dimensions psychologiques complexes qui sont au coeur de nombre d'allégation équivaudrait à omettre de prendre en compte des éléments potentiellement déterminants de la réalité dont l'expert et le tribunal tentent de s'approcher. Dans tous les cas où un jeu de relations interpersonnelles complexes, un contexte de rupture conjugale ou une situation où l'allégation de sévices sexuels survient à la suite d'un questionnement ou des doutes de la part d'un des parents, il est suggéré qu'une évaluation psychologique complète de tous les protagonistes soit entreprise. En effet, lorsque les faits probants sont inexistants et en l'absence d'un dévoilement spontané et libre de la part de l'enfant, il est essentiel que les adultes impliqués dans ce type d'allégation puissent être vus et évalués au plan psychologique. Le défaut de procéder à leur évaluation psychologique laisse dans l'ombre trop d'avenues potentiellement déterminantes. Il est utile de rappeler, à ce propos, le cas McMartin (Eberle et Eberle, 1993). Une éducatrice a été condamnée en première instance à la prison pour sévices sexuels et bestialité à l'endroit de plusieurs jeunes enfants dont elle s'était occupée à la garderie où elle travaillait. Après plusieurs années de détention, elle a cependant été libérée de toute accusation alors qu'il a été démontré, hors de tout doute, que l'enquête ne permettait d'aucune manière de soutenir, même minimalement, les allégations de sévices sexuels. Un des éléments importants dans cette décision a d'ailleurs été l'expertise psychologique de la mère, initiatrice des allégations, qui démontrait que celle-ci souffrait de psychose et que les accusations qu'elles portaient contre l'éducatrice étaient partie intégrante de son délire psychotique. Cet exemple est éloquent du rôle important que peuvent jouer des facteurs de personnalité et des facteurs liés à l'équilibre psychologique des personnes impliquées dans de telles allégations. Ainsi, l'adulte qui soutient une allégation de sévices sexuels doit pouvoir être évalué afin que les éléments motivationnels ou d'équilibre de personnalité qui sont potentiellement actifs dans l'avènement et le maintien d'une allégation de sévices sexuels puissent être pondérés de façon éclairée. Lorsque l'on sait qu'un
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nombre très élevé d'allégations de sévices sexuels se révèlent fausses2, il est très important de se donner les moyens d'évaluer toutes les hypothèses explicatives. L'observation de l'interaction entre l'enfant et chacun des parents, comme l'observation de la relation entre l'enfant et l'adulte accusé ou l'adulte qui soutient l'allégation dans les cas quasi familiaux peuvent s'avérer très riches en information. Bien entendu, il ne faut pas envisager ces séances d'observation comme étant susceptibles de constituer une révélation de la « vérité ». Toutefois, l'observation des interactions entre l'enfant et chacun des adultes peut permettre au psychologue expert de mettre à jour ou d'analyser des éléments comme le degré d'intrusion ou de coercition que démontre un parent envers son enfant ou encore de révéler la crainte qu'un enfant peut avoir envers ces adultes. Par exemple, il peut être éclairant d'entendre une mère inquiète contredire sans cesse son enfant et lui suggérer directement ce qu'il doit dire ou faire. De même, observer la domination ou l'emprise que peut exercer un père sur son enfant peut nous renseigner sur une dynamique familiale sous-jacente. Tous ces éléments, lorsqu'ils sont analysés dans un ensemble dynamique, peuvent permettre de mieux comprendre une part des facteurs interrelationnels en cause. Au plan déontologique, il est nécessaire d'obtenir l'accord de l'enfant de plus de 14 ans pour une telle séance d'observation avec l'adulte accusé. Au plan éthique cependant, il est recommandé de demander la permission même aux enfants de moins de 14 ans. L'expérience permet d'avancer que peu d'enfants s'objectent à de telles rencontres. Il importe par contre d'assurer l'enfant des conditions contrôlées dans lesquelles ces rencontres auront lieu. Il est essentiel d'organiser avec soin ces rencontres de manière à éviter que tout adulte en situation de conflit avec un autre puisse s'y rencontrer, même pour quelques instants. De plus, il faut être prêt à interrompre la rencontre si l'enfant démontre des signes de détresse ou encore si le parent accusé entreprend quelque forme de chantage émotif que ce soit. A cet égard, il faut rappeler que très souvent s'il y a réellement eu victimisation sexuelle, le scénario d'agression a suivi une évolution progressive d'où la violence physique était exclue. Dans ces cas, l'enfant a peur d'être laissé seul avec son parent, mais ne craint pas ce dernier s'il est assuré que le psychologue ne le laissera pas seul avec lui. Dans les cas où l'enfant n'a pas été victimisé par l'adulte accusé, ces rencontres permettent souvent à l'enfant, prisonnier d'une fausse allégation, de vérifier que son parent (ou l'adulte accusé) ne lui en veut pas et qu'il peut comprendre le dilemme et le conflit de loyauté dans lequel il se trouve.
2. Brièvement, il a été soutenu qu'entre 35 % et 75 % des allégations portées dans un contexte infrafamilial ou quasi familial sont jugées sans fondement. Voir Campbell, Casoni et Gattuso (1993) ainsi que Ceci et Bruck (1998) pour une discussion des raisons qui peuvent expliquer ces données.
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Pour ce qui est des allégations impliquant un adulte connu de l'enfant, mais qui n'est pas en relation avec la famille, un moniteur d'activités sociales, un entraîneur sportif ou un éducateur, par exemple, la méthodologie décrite précédemment peut aussi être appliquée. Il est très important de toujours procéder à une évaluation contextuelle rigoureuse ainsi qu'à une évaluation psychologique des personnes en cause. Ceci comprend, dans certains cas, l'évaluation du ou des parents qui soutiennent l'allégation qui vise un tiers. En effet, lorsque l'allégation n'est pas survenue de façon libre et spontanée de la part de l'enfant ou encore lorsqu'au cours de l'évaluation contextuelle, des éléments qui permettent de poser l'hypothèse qu'il a pu y avoir une contamination des propos de l'enfant, ou encore lorsqu'il est possible que l'enfant ait été soumis à une influence extérieure qui a pu introduire un biais dans ses déclarations, le psychologue a le devoir de tenter d'obtenir l'autorisation de procéder à l'évaluation psychologique des adultes qui soutiennent et portent l'allégation. A défaut d'obtenir cette autorisation, il doit mentionner dans son rapport en quoi cette étape évaluative lui apparaît pertinente et judicieuse et en quoi le défaut d'y procéder limite la portée de son opinion.
8.7. Le rapport d'expertise Puisque des exemples de rapports d'expertise sont présentés dans un chapitre distinct de ce livre, le présent texte limite ses commentaires concernant le rapport d'expertise à quelques points généraux. Il est important de se rappeler que, bien que le rapport d'expertise demeure un document confidentiel dans les faits, plusieurs personnes y auront possiblement accès, que ce soient les procureurs, les autres personnes impliquées, possiblement un autre témoin expert ainsi que le juge et parfois le jury. Le langage utilisé doit donc être accessible et exempt de jargon ou d'expressions hermétiques. Il est de la plus haute importance que le rapport soit écrit avec le plus grand respect des personnes évaluées. Ainsi, il faut éviter d'y inclure toute information intime qui n'est pas pertinente au dossier. De même il faut omettre tout matériel de test brut. Seules les interprétations des tests faites par le psychologue peuvent être présentées et discutées afin d'éviter qu'une interprétation partielle ou potentiellement abusive du matériel de test ne soit effectuée par une personne dont les connaissances ne permettent pas d'en faire une analyse valable. L'expert doit consigner de façon claire tous les documents dont il a pris connaissance ainsi que le nom et la fonction de toutes les personnes interviewées ou consultées (par exemple, la gardienne de l'enfant, son professeur, le médecin qui a procédé à un examen...). Il doit noter le nom des personnes évaluées et les raisons pour lesquelles elles l'ont été. Il doit indiquer le temps qu'il a consacré à la rencontre des individus évalués et justifier toute disparité dans le temps consacré aux rencontres des personnes évaluées.
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Par ailleurs, un grand soin doit être pris pour éviter toutes les formulations équivoques ou confuses ; d'abord par respect pour les personnes évaluées qui ont le droit de comprendre et saisir sans ambiguïté les propositions de l'expert à leur sujet ou au sujet de leur enfant, mais également afin d'éviter qu'une formulation malheureuse puisse distraire l'attention du tribunal de la rigueur tant de la démarche que du contenu du rapport. Afin de baliser l'écriture du rapport, le psychologue expert peut se demander comment il réagirait lui-même si ce qu'il écrit à propos des personnes évaluées était rapporté à son égard. Il ne s'agit pas d'omettre des informations pertinentes ou de modifier les observations ou opinions afin de donner une image positive de la personne évaluée, mais plutôt il s'agit d'écrire le rapport en étant soucieux de ne pas blesser quiconque par négligence ou par insouciance. Il est essentiel non seulement d'indiquer aux personnes concernées par le rapport que l'expert est disponible pour répondre à toute question que la lecture du rapport peut susciter, mais aussi il est fortement conseillé de présenter les résultats de l'expertise de vive voix à chacune des personnes concernées afin de favoriser un échange et une discussion des conclusions. Au plan de l'éthique, il est souhaitable que ce soient les personnes qui se sont soumises à l'exercice parfois difficile de l'évaluation psychologique qui soient les premières à en prendre connaissance et à pouvoir discuter avec le psychologue des conclusions de l'expertise. Cet aspect peut être discuté préalablement avec le ou les avocats au dossier. En effet, prioriser une telle procédure de présentation des résultats de l'expertise peut témoigner du respect des personnes impliquées et de l'impartialité que l'expert aspire à maintenir tout au long du processus.
8.8. Le témoignage à la cour Essentiellement, le témoignage à la cour doit suivre les grandes lignes de rapport produit et rendre compte de la méthodologie utilisée. Il est important de comprendre que les conclusions verbalement énoncées par l'expert doivent non seulement être compréhensibles, mais également qu'il est nécessaire pour l'expert de justifier ce qui l'a amené à proposer cette opinion. La crédibilité qui sera accordée à l'opinion professionnelle du psychologue dépendra en grande partie de la rigueur et de l'objectivité de sa démarche. Il va sans dire que le souci d'impartialité dont il faut faire preuve au cours du processus d'évaluation doit se refléter dans le témoignage. Cette impartialité doit aussi se refléter dans la capacité de demeurer calme et réfléchi dans l'éventualité d'un contre-interrogatoire de nature agressive. L'expert doit, en effet, s'attendre à ce qu'en certaines circonstances, le style particulier d'un procureur l'amène àadopter une attitude qui vise à ce que l'expert se discrédite lui-même en perdant patience ou en se contredisant. La façon la plus sûre d'éviter de tels pièges consiste à répondre systématiquement à l'intérieur du cadre strict de ses connaissances et des opinions
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auxquelles l'évaluation a permis d'arriver. Le psychologue a le devoir de lever les ambiguïtés possibles, de corriger les erreurs d'interprétation, de nuancer des propositions qui outrepassent ses conclusions. En tant qu'expert, non seulement le psychologue est le seul habilité à rendre compte de façon complète et précise de son opinion mais, de plus, il a le devoir éthique de s'assurer que la cour est adéquatement saisie des limites et de la portée de son travail professionnel. Ainsi, il ne peut répondre à des questions hypothétiques qu'en termes généraux et en prenant la peine de décrire les diverses hypothèses qui s'offrent à lui. S'il est en mesure d'en privilégier une, il doit le justifier et exposer le mieux possible les facteurs qui peuvent permettre de pondérer ce choix. Il peut dire en quoi il lui est impossible de répondre à une question s'il estime que cette question dépasse le cadre de ses compétences ou de ses connaissances. De même, il a le devoir de nuancer ses réponses et d'expliquer, le cas échéant, avec calme pourquoi il ne peut répondre à une question simplement par un « oui » ou un « non ».
8.9. Conclusion Ces quelques grandes lignes directrices pour guider le témoignage en cour reprennent essentiellement les principes éthiques esquissés tout au long du chapitre. Il importe que le témoignage permette au tribunal d'être éclairé sur des aspects que seul un spécialiste du comportement humain peut évaluer. En procédant avec rigueur et sérieux, en explorant toutes les hypothèses qui se posent avec impartialité et en demeurant libre de partis pris, de préjugés ou d'un désir de transformer la fonction d'expert en celle d'un justicier ou d'un redresseur de torts, il y a tout lieu d'espérer que le psychologue saura transmettre cette position éthique de base au cours de son témoignage. La crédibilité de l'expert dépend en dernière analyse de la rigueur et de l'honnêteté fondamentales de la démarche professionnelle qui aura précédé l'audition de la cause.
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Annexe A Tableau 1 Démarche evaluative 1- Évaluation contextuelle a) De qui origine la plainte ? Contexte émotif et environnemental. Verbatim de l'entretien. Description complète du processus de dévoilement ou d'avènement de l'allégation. b) Moment du dévoilement par rapport au(x) geste(s) reproché(s). c) Contexte du dévoilement. Qui sont les parties impliquées ? Quels sont les rapports formels et affectifs entre elles ? d) Cueillette et analyse des documents associés. Entretiens avec d'autres personnes associées. Analyse des informations obtenues d'autres sources. 2- Évaluations psychologiques Contexte intra familial ou quasi familial a) Entrevues et évaluation psychologique de l'adulte accusé. b) Entrevues et évaluation psychologique de l'adulte accusateur. c) Entrevues et évaluation psychologique de l'enfant. d) Observation des interactions entre chacun des adultes impliqués et l'enfant ou l'adolescent concerné.
8.10. Références ADAMS, C.B. (1994). « Examining questionable child sexual abuse allegations in their environmental and psychodynamic context ». Journal of Child Sexual Abuse, 3 (3), 2150. AMERICAN ACADEMY OF CHILD & ADOLESCENT PSYCHIATRY (1988). « Guidelines for evaluating suspected sexual abuse in children and adolescents ». Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, 27, 655-657. BEITCHMAN, J.H., ZUCKER, K.J., HOOD, J.E., DACOSTA, G.A., AKMAN, D. et E. CASSAVIA (1992). « A review of the long term effects of child sexual abuse ». Child Abuse and Neglect, 16, 101-118.
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CHAPITRE 9
L'expertise psycholégale neuropsychologique JEAN CHATELOIS1, LOUISE BÉRUBÉ et MARIE-JOSÉ PETEL En hommage à notre collègue et ami, Pierre-Y. Létourneau
9.1. Introduction Il est fréquent qu'un neuropsychologue2, à la suite d'une évaluation pour un diagnostic clinique, doive formuler une opinion à caractère légal concernant le fonctionnement intellectuel et cognitif d'une personne. Par exemple, il peut s'agir de déterminer si une personne, en raison de la détérioration de son état neurologique, est en mesure ou non de gérer ses biens ou encore si elle peut au plan intellectuel et cognitif, en raison de son état médical, effectuer le travail qu'elle faisait auparavant. On comprendra que même si elle ne se place pas dans le cadre formel d'une expertise légale, l'opinion du neuropsychologue peut avoir une importance significative sur des décisions qui affecteront dans un sens ou dans l'autre la vie sociale d'une personne. Il existe parailleurs de nombreuses situations où l'opinion du 1. Les auteurs sont neuropsychologues cliniciens à la Clinique de réadaptation et d'intervention cognitive, 1475 est, boul. St-Joseph, suite 1, Montréal (Québec) H2J 1M6. 2. Le générique masculin désigne aussi bien les femmes que les hommes et il n'est utilisé que dans le seul but d'alléger le texte.
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neuropsychologue va être sollicitée dans un cadre formel d'expertise légale, donc dans le contexte d'une démarche qui peut l'amener à témoigner éventuellement en tant qu'expert devant la cour. En général il s'agit de situations où une personne allègue des déficiences et des incapacités en rapport avec le dommage cérébral qu'elle a subi et cherche à faire valoir ses droits devant les tribunaux. L'expertise neuropsychologique est alors vue comme une procédure qui permet de déterminer de façon objective la nature, la cause ou l'ampleur des déficiences et incapacités et permet ainsi de préciser leurs répercussions non seulement au niveau intellectuel et cognitif, mais aussi au niveau émotif, comportemental, social et professionnel. De façon semblable, des organismes « payeurs » du domaine privé ou public peuvent aussi avoir recours aux services d'un expert en neuropsychologie afin d'obtenir une vision objective de la situation d'une personne à la suite d'un dommage cérébral ou pour éclairer un litige autour du dommage cérébral et de ses conséquences. Toutefois une expertise neuropsychologique peut être réalisée sans qu'il y ait un litige en cause. Par exemple, la Société de l'assurance automobile du Québec peut demander une expertise neuropsychologique dans le but d'indemniser la victime d'un accident de la route qui a subi un traumatisme cranio-cérébral ayant entraîné des déficiences et incapacités. En d'autres termes, il y a différents contextes au plan légal, avec ou sans litige, dans lesquels peut s'inscrire une expertise neuropsychologique et ce chapitre va permettre de décrire et de situer la pratique de la neuropsychologie dans le contexte de l'expertise psycholégale. Nous définirons dans un premier temps la nature de l'expertise neuropsychologique à travers un bref contexte historique, décrivant du même coup ce qui en fait sa spécificité. Dans un deuxième temps, nous examinerons de plus près les conditions qui doivent être rencontrées pour qu'une évaluation neuropsychologique ait valeur d'expertise psycholégale. Ensuite, seront abordés différents problèmes pratiques touchant la méthodologie, l'utilisation des barèmes, la fixation d'un pourcentage de déficit anatomophysiologique (DAP), la production du rapport et le témoignage à la cour.
9.2. La neuropsychologie en tant que champ d'expertise On définit habituellement la neuropsychologie comme l'étude des relations entre le cerveau et le comportement. De façon plus spécifique, la neuropsychologie clinique a pour activité la mesure et l'analyse des modifications affectant les fonctions cognitives (attention, mémoire, langage, perception), exécutives et intellectuelles, et les comportements incluant les émotions et la personnalité, en relation avec une atteinte ou perturbation du fonctionnement cérébral. Bien que la neuropsychologie clinique ait connu son plus grand essor après la Deuxième Guerre mondiale et surtout à partir des années 1970, elle fut de longue date un complément à la démarche anatomo-
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clinique en neurologie. Les premières collaborations entre la neurologie et la psychologie clinique autour de problématiques neurologiques se limitaient, pour la psychologie, à surtout relever des indices cliniques à certains tests psychométriques, comme le Bender-Gestalt, afin d'appuyer un diagnostic d'organicité cérébrale déjà retenu par l'examen neurologique ou suggéré par l'examen psychiatrique. La neurologie du comportement a été éventuellement déterminante dans l'évolution de la neuropsychologie en lui apportant les connaissances nécessaires au niveau des grands syndromes localisateurs (frontal, temporal, pariétal, occipital), ce qui a subséquemment permis l'étude des effets des lésions cérébrales à l'aide d'instruments psychométriques standardisés en imposant une plus grande rigueur méthodologique dans l'observation des phénomènes cliniques. Avec la recherche centrée sur des questions de localisation des fonctions et des lésions cérébrales, il s'est développé par ricochet un intérêt de la part des neuropsychologues à identifier le site présumé d'une lésion cérébrale à partir des résultats aux tests neuropsychologiques. Cet intérêt à l'égard de la localisation des lésions dans le diagnostic neuropsychologique s'est toutefois atténué sensiblement avec l'arrivée de l'imagerie cérébrale (CT Scan) (Lezak, 1996). Mais la neuropsychologie clinique continue à jouer un rôle essentiel au niveau du diagnostic différentiel (démences, troubles développementaux, troubles neurocomportementaux ou neuropsychiatriques), ainsi qu'un rôle complémentaire essentiel à l'imagerie cérébrale structurale et à l'examen clinique en neurologie, compte tenu que la seule imagerie structurale (CT Scan), l'électrophysiologie (EEG) ou encore l'examen sommaire des fonctions mentales supérieures demeurent insuffisants pour donner un tableau clinique complet des déficiences et incapacités qui résultent d'un dommage cérébral (Aurich, 1990). Avec cette évolution historique, il devient évident que la pratique de la neuropsychologie clinique exige, au-delà des connaissances de base au niveau des méthodes d'évaluation clinique et de la psychométrie, une bonne connaissance de la neuroanatomie et des grands tableaux cliniques (aphasie, apraxie, agnosie, amnésie, etc.) de même que des mécanismes neuropathophysiologiques qui peuvent être en cause dans l'explication des anomalies rencontrées. Également, une maîtrise des profils neurocognitifs cliniques et neurocomportementaux et des éléments qui différencient un tableau clinique d'un autre, est essentielle à la compétence du neuropsychologue de même qu'une connaissance des modèles théoriques cognitifs (attention, mémoire, langage, perception, fonctions exécutives) sous-tendant le fonctionnement normal du cerveau. En effet, au cours des dernières années les connaissances ont largement évolué en neuropsychologie clinique grâce aux apports de la neuropsychologie cognitive qui nous permet de mieux comprendre le cerveau en référence à des modèles fonctionnels cognitifs. Dans
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ce contexte, le cerveau apparaît comme un dispositif composé de différents systèmes et sous-systèmes, souvent interconnectés, dont les composantes peuvent être endommagées par un processus physiopathologique. Le neuropsychologue tentera donc de documenter les déficiences produites par une pathologie cérébrale à l'aide de méthodes objectives et standardisées en testant différentes hypothèses cliniques (analyse différentielle) quant à la présence de déficits présents dans les différentes sphères cognitives, sur le plan émotif et comportemental, et au plan de la personnalité. Son analyse suivra généralement une démarche qui peut se résumer aux quatre étapes suivantes : 1. Identification de signes et symptômes à l'aide d'observations directes et de tests standardisés. 2. Comparaison des signes et symptômes aux syndromes décrits dans la littérature. 3. Formulation d'hypothèses quant à la dysfonction cérébrale sousjacente et aux systèmes cognitifs impliqués pouvant correspondre au syndrome identifié. 4. Formulation des implications dynamiques de la dysfonction en termes de pronostic, traitements possibles et autres conséquences au niveau familial, social et professionnel. En somme, dans le contexte d'une expertise psycholégale, l'évaluation neuropsychologique va permettre d'apporter un éclairage étendu, précis et spécifique sur les conséquences du dommage cérébral, c'est-à-dire sur les déficiences et les incapacités qui en résultent. Sans les connaissances nécessaires en neuropsychologie et une juste analyse clinique, il existe un danger de se méprendre sur un tableau clinique, soit en minimisant, soit en exagérant la portée des déficiences et des incapacités rencontrées. 9.3. Une définition de l'expertise neuropsychologique L'expert neuropsychologue dispose d'un système de connaissances acquises à travers sa formation académique et à travers sa pratique clinique et puisées dans plusieurs domaines connexes : neuroanatomie, neuropathologie du système nerveux central, psychométrie, neuropsychologie cognitive, psychopathologie, réadaptation. Ce système de connaissances va ainsi permettre de présenter des opinions éclairées et objectives quant aux déficiences et incapacités consécutives à un dommage cérébral et les opinions qui seront émises, découlant des observations cliniques et des résultats aux tests psychométriques, se doivent d'être appuyées par la littérature clinique existante.
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9.3.1. SA FONCTION ET SES BUTS L'expertise neuropsychologique a pour fonction d'évaluer, à l'intérieur d'un mandat clair et précis, les déficiences et incapacités d'une personne au plan cognitif, affectif, familial, professionnel, qui surviennent à la suite d'un dommage cérébral imputable à un accident ou à une maladie. Afin d'éviter toute ambiguïté terminologique, autant dans la rédaction de son rapport que dans son témoignage, l'expert aurait intérêt à se référer à la Classification internationale des déficiences, incapacités et désavantages de l'Organisation mondiale de la santé (1988) qui propose une terminologie précise décrivant les étapes de la production des handicaps : Maladie ou Trauma -> 3 Déficience -> 4 Incapacité -> Handicap ou Désavantage social
• Maladie ou Trauma : Cause (aiguë ou chronique) de la déficience. • Déficience : Perte, malformation ou anomalie d'un organe, d'une structure ou d'une fonction mentale ou psychique, physiologique ou anatomique (temporaire ou permanente) résultant d'un état pathologique objectif, observable, mesurable et pouvant faire l'objet d'un diagnostic. • Incapacité : Suite à une déficience, réduction totale ou partielle de la capacité à accomplir une activité dans les limites considérées comme normales pour un être humain. L'incapacité peut être temporaire ou permanente, réversible ou irréversible. • Handicap ou désavantage social: Condition résultant d'une déficience ou d'une incapacité et équivalant à une limitation pour un individu à remplir un rôle social normal. Dans un contexte de litige débattu devant la cour, le but de l'expertise neuropsychologique sera alors essentiellement d'informer la cour sur la réalité, la nature et l'importance des déficiences et incapacités de façon objective et impartiale. Il est possible alors que l'analyse et le témoignage de l'expert s'opposent aux données et conclusions d'experts de la partie adverse, neuropsychologues ou autres. L'expert devra être en mesure d'expliquer pourquoi et comment les données ou les conclusions de son expertise diffèrent de celles d'un autre expert. 9.3.2. LES LIMITES DE L'ÉVALUATION NEUROPSYCHOLOGIQUE Les anomalies du comportement humain ne sont pas toujours faciles à objectiver et les instruments qui sont utilisés pour les quantifier comportent des limites et des imperfections qu'il est important de comprendre.
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Celles-ci peuvent être considérées en fonction des mesures utilisées (tests neuropsychologiques) et en fonction de certaines variables concernant plus directement le sujet lui-même. A. Les limites inhérentes aux tests neuropsychologiques Il importe que les lacunes et les limites des instruments utilisés par l'expert neuropsychologue lui soient connues, car elles peuvent influencer les conclusions formulées quant à la présence ou aux conséquences d'un dommage cérébral. Bien qu'on recommande l'utilisation de tests qui présentent une validité et une fidélité reconnues ainsi que des normes fiables, il n'est pas toujours possible de fonctionner avec de tels critères en neuropsychologie clinique. En effet, il existe de nombreuses situations où il est impossible de s'appuyer sur des résultats à des tests psychométriques formels. Par exemple, utiliser un test d'intelligence verbale auprès d'une personne aphasique est souvent impossible. Comme le reconnaît Lezak (1996), il existe aussi de nombreuses procédures qui ont été mises au point dans le contexte de recherches cliniques et qui sont justifiées théoriquement, qui peuvent démontrer de façon pertinente et éloquente l'existence de phénomènes cliniques anormaux et qui ne répondent pas aux critères psychométriques habituels. Ces procédures se révèlent souvent être beaucoup plus pertinentes du point de vue neuropsychologique que certains tests psychométriques formels. Parmi les lacunes inhérentes à certains tests, nous retenons particulièrement le niveau de difficulté du test, l'effet de cohorte, les problèmes d'équivalence et les normes. Un test doit présenter un niveau optimal de difficulté. Un test trop facile sera susceptible d'entraîner un effet de « plafond » où le test est réussi par un pourcentage trop élevé de sujets cérébro-lésés, produisant ainsi des « faux négatifs ». A l'inverse, un test trop difficile va entraîner un effet de « plancher » et des « faux positifs ». De façon semblable, certains tests comme les échelles de mesure d'intelligence peuvent comporter un effet de cohorte dû au vieillissement de la population qui a servi à la normalisation de ces tests, sans compter les valeurs culturelles normalisantes d'une époque qui sont associées au matériel et qui sont susceptibles de changer avec le temps. C'est le cas, par exemple, de l'Échelle d'intelligence Ottawa-Wechsler qui fut normalisée pour la population du Québec au début des années 1950 auprès d'adultes âgés de 16 à 59 ans qui ont probablement bénéficié à l'époque de moins d'apports socio-académiques et culturels que la population adulte actuelle. Pour preuve, les auteurs écrivaient ce qui suit concernant le facteur de scolarité caractérisant cette population (p. 26) : « Il est assez facile de tracer le niveau scolaire des jeunes entre 15 et 18 ans; mais la chose devient impossible au-delà de 18 ans. » L'utilisation d'un tel test dans le contexte d'une expertise légale entraîne une surestimation probable du rendement intellectuel de plusieurs points
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(Parisien, 1997), surtout chez de jeunes sujets, en comparaison avec des échelles plus récentes comme le WAIS-R ou le WAIS-III. Par conséquent le diagnostic du clinicien risque d'être influencé à la baisse en regard de son appréciation de la sévérité du dommage cérébral se répercutant au niveau du rendement intellectuel et peut causer un certain préjudice à la personne qui risque d'apparaître plus performante qu'elle ne l'est en réalité. Les tests dont les normes correspondent davantage à la population actuelle, jeune, adulte et âgée, sont donc privilégiés. Bien qu'un certain nombre de tests neuropsychologiques aient été produits au Québec, la plupart de ceux utilisés en clinique ont très souvent été normalisés auprès de la population anglo-américaine. Plusieurs de ces tests ne nécessitent cependant aucune adaptation spécifique pour maintenir leur validité auprès de la population francophone (ex.: Hooper Visual Organization Test). Ce sont surtout les tests qui comportent un matériel verbal qui posent un problème puisque, souvent, leurs équivalents français n'existent pas. Une simple traduction ou une adaptation locale de ces tests peut être insuffisante ou inadéquate si on n'a pas pris les moyens de bien contrôler l'équivalence des stimuli en termes de difficulté, de fréquence, etc. C'est le cas, par exemple, de certains tests d'accès lexical comme le FAS, sachant que la fréquence des mots en anglais débutant par « F » n'est pas la même qu'en français. Ce problème souligne la nécessité d'utiliser des normes les plus représentatives possibles de la population concernée, y compris pour l'âge, le sexe et le niveau de scolarité. D'autres tests possèdent des normes restreintes ou imparfaites et si l'expert a utilisé de tels tests lors de son évaluation, il peut être appelé à en justifier l'utilité et la validité clinique lors de son témoignage à la cour. Les risques d'erreur dans le diagnostic sont augmentés en fonction du manque de rigueur dans la méthodologie d'évaluation ainsi que du manque de compréhension des signes et des symptômes présentés. Une connaissance des tableaux cliniques est primordiale pour la détection et la compréhension des anomalies pouvant être attribuées à des artefacts ou à des facteurs extrinsèques. À titre d'exemples, la présence d'une difficulté à une épreuve de calcul écrit n'est pas nécessairement indicative d'une atteinte des mécanismes de traitement des nombres et pourrait simplement refléter des lacunes dans les apprentissages des automatismes de calcul, ou encore une erreur dans l'identification d'une image à un test de dépistage des démences n'est pas nécessairement indicative de la présence d'une démence. Par conséquent, pour accepter un résultat comme reflétant la réalité d'un symptôme clinique sous-jacent, il faut avoir une certitude valable à l'effet que ce résultat reflète bien un changement dans la condition neuropsychologique et cette certitude peut être recherchée à travers la valeur psychométrique de l'instrument, dans la qualité méthodologique de l'évaluation, dans l'histoire personnelle et médicale du sujet ainsi que dans l'expérience du clinicien avec des cas semblables.
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B. Les facteurs personnels
L'expert neuropsychologue doit tenir compte d'un certain nombre de facteurs secondaires afin de bien établir la relation qui existe entre la maladie ou l'accident et ce qû il objective en termes de déficiences et d'incapacités au plan neuropsychologique. Un diagnostic peut être erroné parce qu'on n'aura pas pris en considération certains facteurs qui peuvent avoir une influence significative sur les résultats aux tests neuropsychologiques. Ces facteurs peuvent se résumer de la façon suivante : • la condition préexistante (condition neurologique, psychiatrique et psychologique, condition médicale contributoire) ; • les facteurs personnels (facteurs développementaux, déficience intellectuelle, troubles d'apprentissage, antécédents socioprofessionnels et académiques, etc.) ; • les conditions associées (syndromes douloureux, trouble anxiodépressif, état de stress post-traumatique, etc.); • la prise de médicaments agissant sur le système nerveux central. Il arrive souvent, en effet, que l'examen clinique en neuropsychologie aboutisse à un diagnostic d'atteinte cérébrale sans que les facteurs secondaires mentionnés précédemment et sans aussi que la motivation du sujet au cours de l'examen ne soient prises en compte. La motivation d'un sujet au cours d'une évaluation neuropsychologique suppose, de la part de ce dernier, la volonté de bien performer et de se plier aux exigences de l'examen, ce qui permet de soutenir la validité clinique des résultats obtenus (Prigatano et Amin, 1993). Par contre, cette motivation peut se révéler problématique pour différentes raisons. Certains facteurs psychologiques (ex.: dépression majeure) ou une condition médicale (ex.: douleurs, fatigue, maladie, etc.) ou la combinaison des deux, peuvent être à l'origine d'un manque d'intérêt significatif du sujet à l'égard de l'évaluation et l'amener ainsi à sous-performer. Une compréhension inadéquate de la nature ou de la portée de l'évaluation, à cause de carences intellectuelles ou socioculturelles et académiques, peut se répercuter sur la qualité de la motivation au moment de la passation des tests. Les motivations problématiques à caractère « psychologique » sont nombreuses, parfois complexes, et peuvent, dans certains cas, être difficiles à identifier. Il peut s'agir d'un désir de la part du sujet de se montrer sous un jour défavorable afin d'attirer l'attention sur une incapacité ressentie ou réelle. Lorsqu'il y a amplification de symptômes, il faut examiner dans quelle mesure celleci est délibérée, involontaire ou inconsciente et si elle exprime une détresse psychologique réelle ou la recherche d'un gain secondaire. La motivation du sujet peut révéler, dans certains cas, un désir de tromper l'examinateur (malingering). L'American Psychiatric Association (1994)
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définit la simulation comme la production volontaire de symptômes physiques ou psychiques non authentiques ou grossièrement exagérés, motivés par des incitations extérieures comme échapper à des obligations militaires, éviter de travailler, obtenir des compensations financières, se soustraire à des poursuites judiciaires, obtenir des médicaments. Il y a un consensus clinique à l'effet que le « simulateur » est motivé principalement par un gain secondaire généralement identifiable. La détection d'un comportement de simulation est donc d'une grande importance dans le contexte d'une expertise à des fins légales, mais il peut être ardu de reconnaître un comportement authentiquement simulateur. Les profils cliniques de simulateurs authentiques en neuropsychologie semblent assez variables et peuvent aller du ralentissement psychomoteur diffus à l'amnésie globale. La simulation n'est pas toujours grossièrement apparente. Certains sujets seraient capables de performer de façon suffisamment faible à des tests pour suggérer un authentique degré de dysfonctionnement cognitif, tout en maintenant leur niveau de performance à un seuil qui permette d'éviter tout soupçon de simulation de la part de l'examinateur (Hiscock et Hiscock, 1989; Hawkins, 1994). Un bon nombre de tests de « simulation » ou de procédures dites de « validité de symptômes » ont été élaborés et la recherche se poursuit activement dans ce domaine dans le but de mieux identifier et dépister les comportements factices à l'évaluation neuropsychologique. 9.4. Considérations éthiques et déontologiques L'évaluation pratiquée par un neuropsychologue dans un contexte légal est soumise aux critères d'objectivité, de rigueur scientifique, et aux règles de pratique inhérentes à la profession (Ordre des psychologues du Québec). Un professionnel ne peut affirmer détenir une compétence qu'il ne possède pas. C'est pourquoi lorsqu'un neuropsychologue est sollicité pour effectuer une expertise neuropsychologique, l'acceptation du mandat suppose que le client ait été informé de la compétence réelle du neuropsychologue dans le domaine où il exerce en neuropsychologie. Lors du témoignage à la cour l'expert neuropsychologue aura probablement à déposer un curriculum vitae et à rendre compte de la valeur de sa compétence professionnelle. Bien que l'Ordre des psychologues du Québec n'ait pas réglementé les spécialités qui existent en psychologie, dont la neuropsychologie, nous croyons qu'il est essentiel pour un neuropsychologue qui veut pratiquer l'expertise légale d'avoir, d'une part, une compétence établie et reconnue en vertu de sa formation académique en neuropsychologie et en vertu de son expérience clinique dans ce domaine, et, d'autre part, d'avoir une pratique soutenue en neuropsychologie. Il est regrettable de constater qu'à défaut d'une réglementation n'importe quel professionnel membre de l'Ordre peut à toutes fins utiles se positionner comme « expert » en neuropsychologie.
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L'expertise psycholégale
L'expert neuropsychologue doit posséder des connaissances scientifiques ou cliniques connexes à son champ de pratique professionnelle. Il doit toutefois éviter de donner des avis ou de présenter des conclusions qui se situent en dehors de sa spécialité. Il peut se retrouver en désaccord avec les conclusions d'un expert appartenant à une autre discipline que la sienne ou même avec celles d'un autre neuropsychologue. Il doit alors présenter ses différences de vue avec rigueur et sobriété. Tout en livrant des opinions qui veulent traduire objectivement une réalité clinique que désire connaître la cour, l'expert doit éviter de porter atteinte dans son rapport, comme dans son témoignage, à la réputation de la personne qu'il a évaluée surtout si l'expert se positionne en contre-expertise. Afin de respecter l'éthique professionnelle et le code de déontologie, il doit décrire avec honnêteté, justesse et sobriété les résultats aux tests et les comportements observés au cours de l'évaluation. Des descriptions exagérées de certains comportements ou de certains traits de personnalité peuvent nuire à la réputation de la personne. L'expert se doit d'obéir à une règle d'objectivité et d'impartialité autant dans sa façon de procéder à l'évaluation que dans la formulation de ses conclusions. Il ne peut fonder celles-ci sur des impressions subjectives générales ni énoncer des hypothèses non vérifiées ou faire des affirmations gratuites. Ses conclusions doivent découler de données obtenues à partir de l'étude du dossier et de son examen clinique incluant les informations fournies par la personne évaluée ou son entourage. Les diagnostics et les interprétations à l'emporte-pièce doivent être évités et les hypothèses cliniques retenues, s'il y a lieu, ne doivent pas être interprétées autrement que comme des hypothèses, et non comme des faits établis. L'expert neuropsychologue doit donc conclure de manière logique et prudente, sans prendre parti pour l'une ou l'autre des parties en cause. Les expertises dites de « complaisance » enfreignent la règle d'objectivité et d'impartialité et ne peuvent que causer d'inévitables préjudices à l'une ou l'autre des parties en présence, avec des répercussions évidentes sur la crédibilité de l'expert et celle de sa profession.
9.5. Le mandat L'expertise neuropsychologique est fonction du mandat que reçoit le neuropsychologue de qui on sollicite une évaluation neuropsychologique pour des fins légales. Le mandat correspond à la nature de la demande qui est adressée à l'expert. Il revient donc à ce dernier de voir à ce que le mandat se situe bien dans son domaine professionnel propre, qu'il ne dépasse pas les limites de sa compétence et qu'il ne va pas à l'encontre de son code de déontologie. Pour ce faire, il est important qu'il obtienne une confirmation écrite du mandat avant de débuter l'expertise afin d'éviter tout conflit sur la nature de son mandat de même que pour faciliter la démarche au niveau de l'évaluation et du témoignage devant les tribunaux.
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Le neuropsychologue à qui l'on s'adresse pour réaliser une expertise peut recevoir son mandat d'un avocat représentant un client ou même de la cour. Le mandat peut aussi provenir d'autres sources, soit d'organismes gouvernementaux, de compagnies d'assurances, d'employeurs, de syndicats ou même d'autres professionnels de la santé. L'expert neuropsychologue devra aussi être familier, autant que cela est possible, avec le processus juridique à savoir qu'une fois son évaluation terminée et le rapport transmis à la partie demandant l'expertise, il pourra être appelé à témoigner devant la cour (ex.: Cour supérieure, Tribunal administratif du Québec) pour venir expliquer les données de son rapport et ses conclusions, soit à la demande spécifique de la partie qui a retenu ses services, soit à la demande de la cour ou encore devant un comité ou un groupe mandaté pour recevoir le témoignage de l'expert. Dans certains cas, l'expert recevra un subpoena, procédure utilisée lorsqu'une partie veut s'assurer de la présence obligatoire de l'expert à la cour. Selon l'objet du litige en cause, le mandat confié à l'expert peut comporter plusieurs questions dont les principales sont énumérées dans le tableau suivant.
Aperçu des principaux types de mandat • Établir le lien de causalité en fonction des critères d'imputabilité à la suite d'un dommage cérébral (c'est-à-dire la relation de cause à effet entre l'accident ou l'événement et le dommage cérébral traduisant les déficiences et les incapacités observées) ; • Identifier et documenter les déficiences et incapacités au plan neuropsychologique (c'est-à-dire au niveau cognitif, émotionnel et comportemental) ; • Évaluer les déficiences ou le degré d'incapacité en fonction d'un barème de référence (pourcentage de déficit anatomo-physiologique ou DAP) ; • Préciser les incapacités ou restrictions fonctionnelles; • Déterminer la capacité à reprendre les activités antérieures ou toute autre activité (vie quotidienne, études, travail, etc.) ; • Se prononcer sur les capacités de l'individu à gérer ses biens et sa personne, à témoigner, à subir un procès, à obtenir la garde des enfants, etc. ; • Indiquer la nécessité d'un traitement de nature psychologique ou neuropsychologique ou commenter les traitements reçus ; • Analyser et critiquer au besoin les conclusions d'autres experts.
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Comme nous l'avons indiqué au début de ce texte, l'expertise neuropsychologique s'inscrit souvent dans un contexte de litige, c'est-à-dire où les parties ne s'entendent pas sur la présence, la nature des déficiences ou sur la portée des incapacités cognitives ou comportementales causées par un dommage cérébral. Afin de préserver sa crédibilité d'expert, il est déconseillé à un clinicien qui offre des traitements, soit sous forme de psychothérapie, d'intervention de support ou de remédiation cognitive, d'intervenir en tant qu'expert auprès de son client. Dans un tel cas, il pourrait être taxé de partialité à cause du lien privilégié qu'il entretient avec le client à titre de thérapeute. Du point de vue déontologique, c'est la notion de « conflit de rôles » qui peut alors être mise en cause (Boudreau, 1999). 9.6. La méthodologie et les instruments Sur réception d'un mandat clair et précis, le neuropsychologue suit généralement une démarche comportant une série d'étapes allant de la prise d'informations sur l'histoire personnelle et médicale, à l'administration d'un protocole d'évaluation (tests neuropsychologiques), à l'analyse et à l'interprétation des résultats, pour terminer avec la rédaction du rapport d'évaluation qui comprend les réponses aux questions qui auront été formulées dans la demande d'évaluation incluant la fixation d'un pourcentage de déficit anatomo-physiologique (DAP) s'il y a lieu, et éventuellement le témoignage devant la cour. 9.6.1. CONSENTEMENT ET AUTORISATIONS Avant de débuter l'évaluation, le client doit être informé par l'expert du but, de la nature et du contenu de l'examen auquel il sera soumis. Il doit également être informé de l'utilisation qui sera faite du rapport d'expertise et du fait que l'expert pourra éventuellement témoigner à la cour à son sujet. Nous recommandons de demander un consentement écrit afin d'éviter toute équivoque. Cela devient particulièrement important dans les cas où l'expert procède à une contreexpertise. Enfin, si l'expert désire obtenir des informations provenant d'autres sources que celles qui lui ont été fournies (dossiers médicaux, dossiers académiques, etc.), il devra s'assurer d'obtenir une autorisation écrite de la part de la personne. 9.6.2. LA PRISE D'INFORMATION SUR L'HISTOIRE PERSONNELLE ET MÉDICALE L'expert doit avoir en main le maximum d'information possible concernant la personne à évaluer. Habituellement le dossier médical constitué, les informations personnelles additionnelles fournies par la personne ou par ses proches, ou des informations additionnelles provenant de sources médicales
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ou autres qui ne se trouvent pas au dossier médical (ex.: médecin de famille, employeur, etc.) vont permettre à l'expert d'avoir recours à toutes les données (médicales, psychologiques, scolaires ou autres) nécessaires à la compréhension de la problématique à évaluer. L'étude du dossier ou l'historique médical est de première importance dans le processus d'expertise puisqu'elle permet d'orienter le travail de l'expert en mettant à sa disposition des informations pertinentes sur plusieurs points essentiels, par exemple sur la sévérité de l'accident, la nature des blessures, la présence de symptômes spécifiques, le moment de leur apparition et leur évolution, etc. Il est important de bien situer la personne à évaluer dans la perspective de son histoire personnelle, c'est-à-dire en tenant compte de son développement en général, de son milieu familial, de sa scolarité, de ses emplois antérieurs, etc. De cette façon, l'expert peut mieux comprendre les changements survenus et l'adaptation personnelle que la personne a réalisée à la suite du dommage cérébral. Il pourra ainsi établir une comparaison entre la situation qui prévalait antérieurement et la situation actuelle. Il portera une attention particulière aux conditions préexistantes pouvant avoir une incidence sur certains résultats à l'examen, tels que les maladies coexistantes pouvant affecter le système nerveux central, les accidents, la présence de troubles d'apprentissage, les problèmes d'alcool ou de toxicomanie, l'usage de médicaments affectant le système nerveux central, la présence de troubles émotifs ou de pathologies psychiatriques. L'expert tentera en plus d'obtenir de la personne évaluée diverses informations sur l'historique de l'événement qui pourront être comparées avec les données décrites au dossier médical. Il peut exister des disparités entre certaines informations contenues dans le dossier médical et les informations que fournit la personne, celles-ci pouvant être révélatrices parfois de difficultés cognitives, de déni ou encore d'amplification de symptômes comme d'un manque de données colligées au dossier. Un détail important pourrait avoir été omis ou avoir été rapporté incorrectement du côté médical, ce qui pourrait laisser à penser que ce détail n'a pas de lien avec la situation actuelle. C'est le cas, par exemple, d'une perte de conscience non documentée sur les lieux d'un accident, mais que rapporte la victime ou des témoins et qui n'est pas reconnue ou mentionnée dans les rapports médicaux. Le mode d'apparition et l'évolution dans le temps des symptômes doivent être documentés. Ceci donne aussi de bonnes indications à l'expert sur la concordance entre les séquelles résiduelles objectivées à l'examen neuropsychologique et la nature de l'atteinte. Le fait qu'il y ait eu progrès, stabilisation ou aggravation de la condition clinique pourra servir d'indice et de point de repère pour identifier les facteurs prédominants et secondaires présents au tableau clinique.
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9.6.3. OBSERVATIONS CLINIQUES L'observation des comportements et des attitudes du client pendant l'entrevue clinique initiale, et ensuite durant l'examen neuropsychologique, peut s'avérer utile à la compréhension de certains aspects de la problématique. L'examinateur portera donc attention aux éléments suivants : l'apparence et l'hygiène, la qualité de la participation et de la motivation, le niveau de vigilance, l'orientation générale (temps, places, personnes), l'attention dans les tâches proposées, la communication (expression, compréhension), la cohérence du discours et des processus de pensée, l'affect et l'état émotif. L'identification de problèmes cognitifs spécifiques en cours d'examen est également essentielle : un trouble de la mémoire sémantique personnelle empêchant la personne de fournir des informations précises sur son histoire personnelle et médicale, un comportement impulsif, une faible tolérance à l'effort mental soutenu, un problème de fatigabilité, des comportements sociaux inappropriés (ex.: désinhibition verbale). La présence de malaises particuliers éprouvés par la personne au cours de l'évaluation peut aussi avoir une importance au niveau de l'analyse clinique et du diagnostic, comme la nécessité de pauses fréquentes, une céphalée incapacitante au moindre effort, une lenteur marquée, un trouble d'équilibre non justifié par la condition neurologique de la personne, une labilité émotionnelle, etc. 9.6.4. L'EXAMEN NEUROPSYCHOLOGIQUE Il existe différentes approches méthodologiques en neuropsychologie clinique et surtout une grande quantité de tests neuropsychologiques qui sont trop nombreux pour pouvoir être décrits ici (voir à ce sujet Lezak, 1995). Nous résumerons toutefois dans les lignes qui suivent les principales sphères cognitives qui peuvent être examinées dans le contexte d'une évaluation neuropsychologique. Un examen complémentaire peut être nécessaire en fonction de la situation présente au plan émotif et de la personnalité. A. Les sphères cognitives L'attention Cette sphère englobe différentes mesures d'attention sélective et soutenue, attention divisée (notamment dans un contexte de « double tâche » en présentation auditivo-verbale et visuelle simultanément), et des variantes de ces mécanismes d'attention impliqués lors de tâches cognitives complexes faisant intervenir différentes conditions d'interférence (ex.: tâche de Brown-Peterson, Stroop Color Word Test, etc.). En plus de ces mesures spécifiques, on cherchera aussi à obtenir des mesures de vitesse de traitement de l'information, soit par des tests de temps de réaction, soit par des mesures indirectes (temps de réponse) à différents tests.
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La mémoire L'examen implique plusieurs systèmes de mémoire. On peut distinguer essentiellement les mesures qui concernent la mémoire de travail (mémoire à court terme) et les mesures qui concernent la mémoire à long terme (rétrograde et antérograde). L'évaluation de la mémoire de travail se fait habituellement à l'aide de mesures classiques d'empan (répétition de chiffres, de mots, de séquences visuo-spatiales dans l'ordre) et de tâches où la personne doit réaliser une opération mentale en même temps qu'une information doit être maintenue active dans ce système de mémoire (ex.: tâche de Brown-Peterson). Les tâches de mémoire à long terme mesurent différents aspects au niveau des capacités d'encodage, de récupération et de stockage (consolidation) de nouvelles informations (ex.: California Verbal Learning Test). L'évaluation peut aussi porter sur les connaissances, le langage et les concepts (mémoire sémantique), sur les informations personnelles anciennes et récentes (mémoire sémantique et épisodique personnelle), sur la capacité à se rappeler des choses à faire (mémoire prospective) de même que sur des habiletés sensori-motrices apprises (mémoire procédurale). Le langage Le neuropsychologue doit être en mesure d'identifier la présence de troubles linguistiques ou phasiques pouvant découler d'un dommage cérébral (trouble expressif ou réceptif). L'examen des troubles du langage peut être complexe et long et demande des connaissances au niveau de la sémiologie des troubles du langage. Au-delà des observations habituelles qui peuvent être faites à partir de tests simples du langage et des fonctions associées (lecture, écriture, calcul), le diagnostic concernant les troubles phasiques proprement dits pourra être complété, s'il y a lieu, par un bilan orthophonique. La perception Bien que les troubles de la perception peuvent toucher différentes modalités sensorielles (audition, vision, toucher, goût, odorat), l'évaluation porte le plus souvent sur la modalité visuelle. L'évaluation des troubles de la perception visuelle va permettre de différencier la présence d'anomalies au niveau de la discrimination de formes et de la représentation mentale de celles-ci (gnosies visuelles). On utilisera différents tests qui vérifieront d'abord l'intégrité au niveau de la prise d'information afin de déterminer notamment s'il y a négligence visuelle (ex.: Test des cloches, cancellation de lettres, etc.), au niveau de la discrimination visuelle de formes (ex.: Visual Form Discrimination Test), au niveau de l'analyse visuelle d'images à contour simple (ex.: Dénomination d'images DO-80) et de l'analyse de formes visuelles complexes ou irrégulières.
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Les praxies Un dommage cérébral peut entraver la réalisation de gestes et de mouvements des mains nécessaires à la communication ou à l'exécution de certaines activités. On évaluera la présence de tels troubles touchant notamment les praxies idéomotrices ou les praxies mélocinétiques. La réalisation d'activités visuoconstructives au dessin (Figure complexe de Rey) ou la restructuration visuospatiale de formes géométriques (Blocs à dessin) peut également être compromise par un dommage cérébral et se traduire par une apraxie de construction. Les fonctions exécutives et intellectuelles De nombreux aspects de nos activités intellectuelles et cognitives complexes dépendent de l'intégrité des mécanismes frontaux de programmation et de régulation des comportements : capacité de planification, processus de résolution de problèmes, attention sélective et attention divisée, mémoire de travail, ainsi que des mesures intellectuelles complexes comme le raisonnement analogique, l'abstraction verbale. La régulation de nos comportements sociaux et émotifs dépend également de l'intégrité des systèmes frontaux qui sont fonctionnellement reliés aux structures du système limbique. B. La sphère affective et la personnalité La capacité d'adaptation peut être modifiée dans la mesure où la sphère émotive et la personnalité sont affectées directement ou indirectement par le dommage cérébral ou par ses répercussions dans la vie quotidienne. Des hypothèses de diagnostic seront donc retenues en considération des paramètres du dommage cérébral connu et en considération des changements rapportés par la personne et par son entourage. Certains instruments de diagnostic peuvent être utilisés comme le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory) ou le Millon Clinical Multiaxial Inventory-III (MCMI-III). Bien que le MMPI ne soit pas un instrument de choix dans le contexte d'une évalution neuropsychologique (Cripe, 1996), il peut avoir son utilité dans un contexte pyscholégal. L'utilisation d'une échelle comme le MCMI-III nous apparaît plus judicieuse parce qu'il s'agit d'un instrument fondé sur un modèle théorique de la personnalité qui renvoie en plus à une taxonomie clinique reconnue (DSM-IV). C. Domaines spécifiques d'aptitudes (s'il y a lieu) L'expert peut être appelé à se prononcer sur les incapacités touchant certains domaines d'aptitudes tels que l'aptitude à un emploi désigné, l'aptitude scolaire, l'aptitude à conduire un véhicule, l'aptitude à gérer ses biens, etc. Certains tests spécifiques additionnels permettront de répondre à ces questions (ex.: Batterie générale de tests d'aptitudes).
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9.6.5. LES BARNES L'expert neuropsychologue peut avoir à quantifier les pertes encourues à la suite d'une maladie ou d'un accident et à les exprimer en pourcentage de déficit anatomo-physiologique (DAP) en utilisant le barème approprié à la juridiction qui s'applique (ex.: Répertoire des atteintes permanentes - Société de l'assurance automobile du Québec; Règlement annoté sur le barème des dommages corporels - Commission de la santé et sécurité du travail). Lorsqu'il n'y a pas de juridiction spécifique en cause, comme c'est le cas pour la SAAQ et la CSST, le « Guides to the Evaluation of Permanent Impairment » de l'American Medical Association peut être utilisé comme barème. En ce qui concerne les barèmes de la SAAQ et de la CSST, ces barèmes ne sont pas interchangeables, mais les troubles cognitifs et émotifs sont regroupés globalement sous la mention « Syndrome cérébral organique » de sorte qu'on ne peut attribuer un DAP pour un trouble de la mémoire, un autre pour un trouble anxio-dépressif, etc. Toutefois, le barème de la CSST fait exception en ce qui concerne les troubles de la communication pour lesquels on peut attribuer un DAP spécifique. La difficulté en ce qui concerne l'utilisation de ces barèmes est qu'il n'existe pas de méthode de fixation du pourcentage de DAP à accorder qui est, dans une certaine mesure, laissé à l'arbitraire. Le principe général veut que plus le pourcentage de DAP est élevé, plus la personne est atteinte gravement. Les pourcentages de DAP retenus dans les différents systèmes physiques et psychiques pourront être combinés de façon à donner une appréciation globale chiffrée des déficiences et incapacités de la personne concernée. Une personne sans déficience et incapacité aurait théoriquement un DAP de 0%. De la même façon, une personne ayant subi un accident mais qui n'a conservé aucune atteinte permanente ne se verrait pas attribuer un DAR Le pourcentage de 100 ne s'emploie que rarement et s'appliquerait théoriquement à une personne décédée alors que dans la pratique ce pourcentage pourrait être retenu dans les cas d'atteinte sévère avec perte totale et complète d'autonomie physique et psychosociale. En établissant un DAP, l'expert doit aussi mentionner le type de déficiences ou d'incapacités auquel ce pourcentage s'applique (ex.: Système psychique Syndrome cérébral organique), de façon à bien le différencier des pourcentages déjà alloués par d'autres experts. Il doit également souligner si le pourcentage qu'il retient est inclus ou s'ajoute au pourcentage alloué par un expert qui oeuvre dans une spécialité connexe (par exemple, en neurologie ou en psychiatrie). Le pourcentage de DAP concerne uniquement les déficiences et les incapacités permanentes. Il ne faut retenir que les atteintes qui sont en relation « probable » avec la cause ou les événements faisant partie du litige. Il faut rappeler qu'une relation de probabilité est
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supportée par l'évidence ou par de fortes preuves. La simple possibilité ou la vraisemblance sans force probante des séquelles observées ne saurait suffire à l'expert pour établir un pourcentage de DAR Il peut arriver que des déficiences et des incapacités résultent indirectement d'un accident ou d'une maladie. Par exemple, une personne peut devenir anxieuse ou déprimée en prenant conscience d'une perte d'autonomie provoquée par des incapacités physiques et cognitives à la suite d'un dommage cérébral. Il importe, en présence de telles difficultés, d'en préciser la nature et d'expliquer en quoi celles-ci sont reliées au facteur causal. Enfin, quand vient le moment d'établir un pourcentage de DAF, il n'y a pas de place pour l'arbitraire et l'expert doit procéder avec impartialité et objectivité, peu importe l'origine de son mandat. Normalement une déficience et une incapacité doivent se voir attribuer le même pourcentage d'incapacité, quelle que soit la personne qui en est atteinte. Toutefois certaines situations peuvent demander de prendre en considération la condition préexistante puisqu'il peut y avoir une situation d'aggravation d'un état prémorbide. Dans ce contexte, la théorie du «crâne fragile » demande que l'on considère un individu tel qu'il était du point de vue de sa constitution physique et psychique au moment de l'accident ou de la maladie de sorte que si les conséquences d'un accident ou d'une maladie sont plus considérables pour une personne en raison de sa vulnérabilité particulière ou de sa santé fragile, on ne peut supposer que les atteintes (déficiences et incapacités) auraient été moins élevées si la personne avait été en meilleure santé. Ce n'est qu'une fois les critères d'imputabilité établis (le fait accidentel, le dommage et la relation de causalité) que la théorie du crâne fragile peut être appliquée (Savard, 1994).
9.6.6. LA RÈGLE DE PREUVE ET LE LIEN DE CAUSALITÉ Une expertise neuropsychologique n'est pas toujours orientée en fonction de la règle de preuve et du lien de causalité. C'est le cas, par exemple, si l'expert doit juger de l'aptitude d'une personne à donner son consentement ou à gérer ses biens à la suite d'une maladie ou d'une condition neurologique clairement connue (ex.: démence). La situation est cependant différente lorsqu'il s'agit d'un accident d'automobile ou de travail, et parfois même lorsqu'il s'agit d'une maladie, dont les conséquences au plan neuropsychologique et psychologique doivent être clairement objectivées. Dans ce cas, l'expertise neuropsychologique est soumise à une règle de preuve et les conclusions qui seront apportées devront s'articuler autour du lien de causalité. L'expert neuropsychologue devra alors démontrer, en respectant le cadre de sa spécialité, qu'il existe un lien de causalité entre un événement (une maladie ou un accident) et les conséquences de cet événement. L'analyse des critères d'imputabilité va permettre ainsi de reconnaître la relation
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ou l'absence de relation entre l'événement et la condition neuropsychologique objectivée. Cette analyse peut donc se résumer aux cinq éléments suivants Lien de causalité • la cause : un fait médical ou accidentel documenté ; • le mécanisme de production de la blessure ou des déficiences ; • la nature et l'intensité de la blessure ; • le délai normal d'apparition des symptômes; • la continuité évolutive des symptômes découlant de la lésion. A. La cause Il est important que l'événement à l'origine du dommage cérébral soit clairement connu et identifié puisqu'on assumera que les déficiences et les incapacités chez la personne évaluée sont attribuables à cette cause (ex.: accident de voiture). L'absence d'informations pertinentes au dossier médical peut rendre difficile et hasardeuse l'interprétation des résultats à l'examen neuropsychologique. B. Le mécanisme de production de la blessure Le terme « blessure » prend ici un sens très large et implique, dans le cas d'une expertise neuropsychologique, le dommage cérébral qui a été l'objet de l'évaluation neuropsychologique et dont le facteur causal ainsi que le mécanisme de production sont clairement identifiés. Pour identifier l'existence d'un dommage cérébral et de déficiences associées, on doit donc pouvoir reconnaître l'existence d'un mécanisme qui a produit ce dommage cérébral. Dans le cas d'un accident de la route par exemple, l'impact à haute vélocité est susceptible d'entraîner un coup à la tête ainsi que des mouvements brusques d'accélération-décélération et des mouvements de rotation de la tête pouvant produire des blessures caractéristiques d'un traumatisme cranio-cérébral. L'absence d'un mécanisme connu ou vraisemblable de production d'une lésion peut alors amener des doutes sur la validité des déficiences et incapacités rapportées. C. La nature et l'intensité de la blessure La nature de la blessure renvoie au diagnostic qui a été retenu lors de l'événement (ex.: traumatisme cranio-cérébral, accident vasculaire cérébral, etc.) et l'intensité correspond à la sévérité et à la complexité des symptômes présents à ce moment incluant les anomalies relevées lors d'examens neuroradiologiques ou d'autres examens cliniques. On peut ainsi concevoir que
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dans le cas d'un traumatisme cranio-cérébral sévère à la suite d'un accident de voiture, l'intensité de la blessure se traduit par une perte de conscience souvent supérieure à 24 heures, un Glasgow inférieur à 9, un scan cérébral positif et une amnésie post-traumatique de plusieurs semaines (Gervais et Dubé, 1999). D. Le délai d'apparition des symptômes De façon générale, la production d'une blessure (dommage cérébral) suppose l'apparition, dans un délai habituellement rapide, de symptômes concordants avec le type de blessure produite. Une thrombose cérébrale au niveau du territoire sylvien droit ou gauche va habituellement entraîner une hémiplégie d'emblée et des troubles cognitifs seront présents souvent dès les premiers instants. Un traumatisme cranio-cérébral sévère pourrait se traduire lors de la reprise de conscience par une amnésie post-traumatique, des déficits de mémoire, un manque du mot, etc. Une apparition tardive ou atypique dans le temps de symptômes cognitifs caractéristiques peut amener à questionner la validité de ces symptômes en rapport avec le délai d'apparition. Par exemple, l'apparition d'un trouble de mémoire plusieurs mois après un accident ne constitue pas en soi une indication de la présence d'un dommage cérébral posttraumatique en l'absence d'autres facteurs. E. La continuité évolutive des symptômes Avec le temps, le tableau clinique est susceptible de se modifier en fonction de la nature pathophysiologique du dommage cérébral, de sa sévérité, de son étendue, de l'âge du sujet et de certains facteurs associés comme le traitement reçu en réadaptation. Certaines déficiences et incapacités peuvent persister dans le temps alors que d'autres aspects du fonctionnement cognitif vont s'améliorer avec le temps et avec les traitements. Lorsque les symptômes ne suivent pas une évolution normale ou attendue et qu'on observe une détérioration de la condition psychologique ou neuropsychologique ou encore l'apparition de nouveaux symptômes qui ne peuvent être expliqués par les mécanismes de production de la blessure, on doit se questionner sur l'existence de facteurs secondaires associés qui pourraient expliquer cette évolution (ex.: trouble anxio-dépressif) ou sur la possibilité d'une amplification de symptômes.
9.7. Le rapport et le témoignage à la cour L'expert doit rédiger un rapport qui puisse être compris par les juges et les avocats. Les conclusions du rapport auront avantage à s'articuler en fonction de la règle de prépondérance de la preuve. Cette règle veut que la preuve
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la plus forte soit celle qui soit retenue. L'expert devra alors démontrer, et non seulement affirmer, qu'il est « probable » (plutôt que « possible » ou « plausible ») que les déficiences et incapacités identifiées sont le résultat d'un dommage cérébral causé par l'événement identifié. Toutefois cette notion de prépondérance de la preuve met en cause l'utilisation de critères de probabilité dont l'interprétation peut être différente selon qu'on interprète les résultats dans un contexte strictement clinique ou selon qu'ils sont interprétés dans un contexte légal. En effet, le terme « possible » peut être acceptable dans un contexte clinique alors que dans un contexte légal l'expert devra démontrer que les résultats obtenus à l'évaluation neuropsychologique reflètent, avec un degré de certitude clinique raisonnable, l'atteinte qui résulte d'un événement ayant entraîné un dommage cérébral (Dennis, 1989). Certaines expertises ne tiennent pas suffisamment compte du degré de certitude clinique ou de probabilité de leurs résultats. Théoriquement, le seuil minimal de probabilité devrait se situer à 51 %. Rogers (1997) définit pour sa part cinq niveaux de certitude qui s'appuient sur les évidences cliniques et les données expérimentales : • Non fondé - Les données de la recherche sont non significatives ou ne concordent pas. • Spéculatif - Les conclusions sont conformes à une théorie et sont appuyées par une ou deux études de portée limitée. •
Possible - Les données expérimentales présentent de façon consistante une valeur statistique significative dans une direction, mais n'ont que peu ou pas de valeur pratique pour différencier les sujets ;
•
Probable - Les données de la recherche ont permis de différencier de façon consistante sur la base de valeurs statistiques ou de critères cliniques au moins 75 % des sujets ;
•
Sans équivoque - Classification juste ou adéquate des sujets avec un taux de 90 % et plus, basée sur des données solidement validées par la recherche et des résultats qui présentent une consistance élevée avec les données théoriques.
La validité du diagnostic clinique neuropsychologique prend appui principalement sur la rigueur de l'examen clinique, ce qui tend à constituer un critère additionnel de fiabilité. En ce qui concerne les barèmes de la SAAQ et de la CSST, ces barèmes ne sont pas interchangeables, mais les troubles cognitifs et émotifs sont regroupés globalement sous la mention « Syndrome cérébral organique » de sorte qu'on ne peut attribuer un DAP pour un trouble de la mémoire, un autre pour un trouble anxio-dépressif, etc. Toutefois, le barème de la CSST fait exception en ce qui concerne les troubles de la communication pour lesquels on peut attribuer des résultats « négatifs » à un examen sommaire des « fonctions mentales supérieures » seront cités et retenus par la cour comme indicateurs d'une intégrité cognitive
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bien qu'il soit démontré (Cullum et al., 1993) qu'un tel examen ne permette pas une discrimination fine des troubles cognitifs spécifiques ou de troubles subtils comme ceux que l'on rencontre dans certains désordres neurologiques légers dont les séquelles sont plus difficiles à objectiver. Dans ce contexte, il importe que l'expert neuropsychologue apporte à la cour, par son témoignage, un éclairage sur les relations cerveaucomportement ou sur certains concepts cliniques (ex.: aphasie, apraxie, agnosie, etc.). Il pourra être nécessaire de résumer, pour le bénéfice de la cour, la nature de certains concepts théoriques ou cliniques (ex.: mémoire de travail, mémoire à long terme, etc.) dans le but de favoriser une compréhension plus adéquate de la problématique neuropsychologique. Les informations fournies par l'expert neuropsychologue au moment de son témoignage peuvent ainsi favoriser grandement la compréhension de la cour, surtout si elles sont rendues facilement accessibles aux non-initiés. A toutes fins utiles, l'expert doit présenter ses résultats et ses conclusions de façon claire et précise en laissant à la discrétion de la cour le poids et l'importance à accorder à son témoignage. L'expert ne doit pas prendre parti et il n'a pas à se substituer au juge. Si la personne évaluée doit recevoir une compensation financière, cela ne relève pas de sa responsabilité, peu importe les sentiments ou les enjeux en présence. Il ne lui appartient pas de trancher le litige et il doit se borner à remplir son mandat, sans argumenter et sans chercher à remplir le rôle de l'avocat.
9.8. Conclusion Nous avons tenté de décrire la démarche complexe que représente l'expertise légale en neuropsychologie et il ne fait pas de doute que la neuropsychologie occupe maintenant une place d'importance comme discipline à part entière et que son apport dans le domaine légal est de plus en plus reconnu (McMahon et Satz, 1992). Il existe de nombreuses situations où l'opinion du neuropsychologue peut être sollicitée à des fins légales, mais c'est le plus souvent dans un contexte où il y a litige que le neuropsychologue est appelé à intervenir comme expert. Il ne suffit pas que l'expert soit membre de l'Ordre des psychologues du Québec ou qu'il ait à sa disposition un matériel de testing neuropsychologique pour pouvoir assumer la position d'expert en neuropsychologie. Une formation universitaire en neuropsychologie est de rigueur de même qu'une pratique soutenue à temps plein dans ce domaine. L'expert neuropsychologue doit posséder aussi des connaissances en neuroanatomie, neuropathologie du système nerveux central, psychométrie, neuropsychologie cognitive, psychopathologie, réadaptation. Il n'existe malheureusement pas de réglementation à l'intérieur de l'Ordre des psychologues du Québec concernant spécifiquement le champ de pratique de
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la neuropsychologie, ni de toute autre spécialité d'ailleurs. Finalement, selon les règles de pratique de la profession, le professionnel ne peut prétendre à une compétence qu'il ne détient pas. Malgré les connaissances spécifiques de l'expert neuropsychologue, la pratique de l'expertise neuropsychologique n'est pas sans difficultés. Les comportements humains ne sont pas toujours faciles à objectiver et les instruments qui sont utilisés pour les quantifier peuvent comporter des limites comme des imperfections que l'expert se doit de connaître afin d'éviter les erreurs de diagnostic dues à une mauvaise lecture des résultats. L'expert neuropsychologue doit pouvoir aussi maîtriser l'analyse des résultats en fonction de la règle de preuve et du lien de causalité, éviter les affirmations non fondées, les diagnostics à l'emporte-pièce, distinguer les faits hypothétiques des faits qui ont une certitude clinique raisonnable. Les expertises dites de « complaisance » enfreignent la règle d'objectivité et portent préjudice à l'une ou l'autre des parties et ne peuvent que nuire à la crédibilité tant de l'expert que de sa profession. Enfin, autant dans son rapport que dans son témoignage à la cour, l'expert ne doit chercher à se substituer à la cour et il doit éviter de prendre parti. Cet ensemble de considérations nous amènent aussi à retenir comme conclusion qu'en dépit de différences existant entre certains courants de pensée en neuropsychologie clinique, dans le contexte légal il ne peut y avoir en fait d'expertise « pour » ou d'expertise « contre » si la rigueur scientifique, l'objectivité et l'impartialité sont maintenues au premier plan. 9.9. Références
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L'évaluation de la dangerosité LUC GRANGER, PH.D. et ALEXANDRINE CHEVREL, M.SC.
La notion de dangerosité prend de plus en plus de place dans nos sociétés modernes. En effet, souvent on entend des remarques du genre « Nos rues sont dangereuses... il est dangereux pour lui-même ou les autres. Il est dangereux de se promener seul la nuit dans le parc. » Nous essayons de nous prémunir contre les dangers et en particulier contre les dangers que peuvent présenter les autres. D'un côté, les vendeurs de systèmes d'alarme et les agences de sécurité privées prolifèrent et, de l'autre, on essaie d'évaluer ce que l'on appelle la dangerosité afin de se prémunir contre les individus considérés comme dangereux. A mesure que les sciences du comportement accroissent leur influence, on a recours à celles-ci. On demande plus fréquemment aux professionnels des sciences humaines et sociales et, en particulier aux psychologues, d'évaluer la dangerosité de personnes référées par diverses agences sociales. Dans ce chapitre, après avoir défini la dangerosité et le rôle des psychologues dans son évaluation, nous allons faire le point sur les recherches et pratiques récentes en ce domaine.
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10.1. Définition Diverses définitions peuvent être données de la dangerosité. Celle de Pétrunik (1994) dans un rapport présenté aux Services correctionnels du Canada résume bien la façon dont on définit ce concept dans les milieux qui sont le plus souvent confrontés à ce type de façon d'agir. Il la définit comme : une notion utilisée depuis longtemps, dans le système de justice pénale et dans les lois en matière de santé mentale, pour caractériser les individus présentant un risque grave de causer des dommages physiques, psychologiques ou moraux à leur propre personne ou à autrui.
Divers éléments de la notion ressortent de cette définition. 10.1.1. LA DANGEROSITÉ, EST LA CARACTÉRISTIQUE D'UN INDIVIDU ET NON D'UN ACTE La dangerosité serait donc une caractéristique de quelqu'un qui le rendrait dangereux pour autrui ou pour lui-même en le rendant susceptible de poser un comportement dommageable envers lui-même ou les autres. Selon Pétrunik, la notion de dangerosité s'applique plutôt à la personne qu'aux actes qu'elle pose. La cause du danger serait non pas une ou des situations pouvant provoquer certains comportements jugés dangereux, mais bien plutôt un état ou un ensemble de caractéristiques personnelles d'un individu qui le prédisposerait à commettre des actes dommageables. Ceci nous permet de comprendre pourquoi les psychiatres et psychologues en tant que professionnels centrés principalement sur les caractéristiques de l'individu, ont été impliqués dans l'évaluation de la dangerosité. Plus loin lorsque nous discuterons de l'évaluation de la dangerosité nous reviendrons sur les limitations de cette vision qui met l'emphase presque exclusivement sur des facteurs personnels en négligeant les facteurs externes. 10.1.2. LA DANGEROSITÉ INCLUT AUTANT LES COMPORTEMENTS ENVERS SOI-MÊME QU'ENVERS LES AUTRES Quelqu'un qui présente un risque suicidaire est considéré comme dangereux tout autant que celui qui présente un risque homicidaire. Étant donné notre expertise et l'espace qui nous est alloué dans le présent texte, nous allons traiter de la dangerosité seulement lorsqu'elle concerne autrui. Nous n'allons donc pas traiter, par exemple, de la notion
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de risque suicidaire. Cependant ce que nous allons dire sur l'évaluation de la dangerosité et sur les règles à respecter s'applique mutatis mutandis au domaine de l'évaluation de la dangerosité envers soi-même. 10.1.3. LA NOTION DE DANGEROSITÉ EST ORIENTÉE VERS LE FUTUR En effet lorsque l'on s'intéresse à cette notion, on s'intéresse au futur. On veut savoir si un individu donné est susceptible de poser, dans le futur, certains actes pouvant «causer des dommages physiques, psychologiques ou moraux à sa propre personne ou à autrui ». Le passé et le présent ne sont pertinents que dans la mesure où ils nous permettent de mieux prédire le futur. 10.1.4. LA NOTION DE DANGEROSITÉ INCLUT AUTANT LES DOMMAGES PHYSIQUES POTENTIELS QUE LES DOMMAGES PSYCHOLOGIQUES Ceci est très bien spécifié dans le Code criminel canadien ou les comportements dangereux sont définis comme : des comportements qui amènent des sévices graves à la personne (chapitre XXIV, article 752 du Code criminel canadien) Et à l'article 753 comme : des conduites ayant infligé ou susceptibles d'avoir infligé des dommages psychologiques graves à une autre personne. On inclut désormais dans la définition de comportements dangereux non seulement ceux qui sont susceptibles de causer des dommages physiques mais aussi ceux qui peuvent causer des dommages psychologiques. 10.1.5. LA NOTION DE DANGEROSITÉ N'EST PAS NEUTRE CULTURELLEMENT ET HISTORIQUEMENT La définition parle « d'individus présentant un risque grave de causer des dommages physiques, psychologiques ou moraux à leur propre personne ou à autrui ». Mais quels sont les actes préjudiciables qui font partie de cette définition et lui donnent son sens? Force nous est de constater que la définition des actes a grandement varié avec les époques et les cultures et que chaque société a sa propre perception du type de personnes et de comportements qui constituent une menace grave pour les autres. Au Moyen Âge en Occident chrétien, quelqu'un qui prétendait que la terre était ronde et tournait autour du Soleil était considéré comme dangereux et brûlé sur la place publique. Il n'y a pas si longtemps dans la défunte Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), quelqu'un
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qui critiquait « le paradis» dans lequel il vivait pouvait être considéré comme mentalement malade et dangereux et en conséquence placé en institution psychiatrique pour son bien et celui de la société. Au Japon médiéval on s'attendait à ce que le samouraï qui avait manqué à son devoir mette fin à ses jours et il ne serait venu à l'idée de personne de le considérer comme dangereux pour lui-même et de tenter de l'en empêcher. Aujourd'hui on interviendrait et tenterait de « traiter » l'homme d'affaires qui, à la suite de la faillite de son entreprise, voudrait faire de même. Dans certaines cultures il a déjà été considéré comme acceptable pour un frère dont la soeur avait été déshonorée par un tiers de vouloir tuer cette personne. Dans notre époque et dans notre culture une personne qui suivrait cette règle serait considérée comme dangereuse et la société se considérerait justifiée d'intervenir pour empêcher que cela ne se produise. Même à une époque donnée, dans une culture particulière, on ne met pas la même emphase sur tous les actes qui peuvent causer des dommages, mais sur certains actes particuliers qui correspondent à des zones sensibles de la culture. Comme le souligne Pétrunik (1994), « Le risque ou le danger que représentent ces personnes ou ces catégories de personnes est associé explicitement à certains types de dommages ». Dans notre société ces dommages sont encore souvent définis par rapport à des considérations religieuses ou médicales. Ainsi le plus souvent, les individus jugés dangereux seront ceux qui ont commis des infractions sexuelles, plus particulièrement contre des enfants. Il est moins fréquent que l'on considère comme délinquants dangereux les individus ayant commis d'autres types d'infractions comme les vols de banques, les fraudes commerciales qui peuvent acculer au chômage ou le commerce des stupéfiants qui cause souvent des torts physiques et psychologiques irréparables à de jeunes victimes. Le changement récent dans la façon dont est perçu le comportement de ceux et celles qui prennent le volant en état d'ébriété est un autre exemple de l'influence de la culture sur la définition de ce qui est vu comme dangereux. La notion de dangerosité n'est donc pas aussi objective que l'on aimerait souvent le croire et il est important de se le rappeler lorsque l'on nous demande d'intervenir dans ce domaine. 10.2. Rôle des psychologues L'évaluation de la dangerosité n'échappe pas à un certain déterminisme culturel. De la même façon que la culture définit partiellement ce qu'est la dangerosité, elle définit aussi les intervenants qui seront chargés de s'en occuper. Lorsque la sorcière était la personne dangereuse, le Dominicain inquisiteur était pour ainsi dire le « professionnel » chargé de l'évaluer, de
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prédire sa dangerosité et de la traiter et ainsi de protéger la société. Au XXe siècle, dans les sociétés occidentales, le modèle médical ou clinique d'explication du comportement humain,. après avoir remplacé le modèle religieux d'explication de la maladie mentale, influence aussi notre pensée en ce qui concerne les comportements considérés comme criminels et socialement inacceptables. Il n'y a pas si longtemps des comportements comme la masturbation et la sodomie, qui étaient et sont encore illégaux dans certains États américains, étaient aussi considérés comme symptômes de troubles mentaux et définis comme tels dans les manuels diagnostiques de psychiatrie (voir le DSM-II). La personne qui pose des actes considérés comme présentant un risque grave de causer des dommages physiques, psychologiques ou moraux à sa propre personne ou à autrui n'est plus considérée comme méchante ou possédée du démon, mais plutôt comme ayant des caractéristiques psychologiques particulières qui la rendraient susceptible de poser de tels actes. A mesure que cette perspective médico-psychologique influence la pensée sociale, on commence à introduire dans la loi certaines valeurs, principes et connaissances scientifiques reflétant cette influence et on fait appel à des experts cliniques et scientifiques. On attend d'eux qu'ils posent des diagnostics et fassent des prévisions sur le comportement de criminels présumés ou condamnés et sur des personnes atteintes de ce que l'on considère comme un trouble mental. On demande donc fréquemment aux psychologues et autres professionnels des sciences humaines de se prononcer sur la dangerosité de quelqu'un. Cette pratique est désormais considérée comme l'une des facettes de ce que l'on appelle « l'expertise psycholégale ». La prédiction de la dangerosité, ou si l'on préfère du potentiel d'une personne de commettre d'autres actes violents dans le futur, est devenue un des rôles du psychologue dans le cadre de l'expertise psycholégale (Green et Schaeffer, 1984). Trois de ces situations sont plus fréquentes.
10.2.1. AU NIVEAU DU PROCÈS Lors des représentations sur sentence et en particulier lors de l'application de la nouvelle disposition de la loi qui permet de recommander qu'un délinquant considéré comme dangereux soit à l'avance condamné à être sujet à certaines mesures particulières de surveillance après l'expiation de sa sentence, ou pour l'attribution de peine à durée indéterminée (catégorie des délinquants dangereux).
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10.2.2. AU NIVEAU DE L'ADMINISTRATION DE LA SENTENCE • Lors du classement pénitentiaire pour le choix du niveau de sécurité de l'institution (maximum, médium, minimum). •
Pour spécifier les modalités de vie de quelqu'un qui est sous les soins de l'État : besoin de programmes spécifiques, établissement d'un plan de traitement, transfert du système pénal à un établissement de système de santé, octroi ou refus d'une mesure prélibératoire (congé temporaire avec ou sans escorte), autorisation des visites familiales, recommandation du maintien en incarcération de détenus qui autrement seraient admissibles à une libération sous surveillance obligatoire (S.O.).
10.2.3. AU NIVEAU DE L'EXAMEN DE LA DEMANDE DE LIBÉRATION CONDITIONNELLE Pour aider les commissaires à prendre une décision éclairée.
10.3. L'évaluation de la dangerosité 10.3.1. PROBLÉMATIQUE L'évaluation de la dangerosité peut donc être considérée comme une tentative de prédire l'occurrence d'un comportement dangereux dans le futur à partir de certaines caractéristiques actuelles d'un individu. Comme dans toute prédiction de ce genre, il est possible de faire deux types de prédictions exactes : • vrai positif : nous prédisons que la personne se comportera de façon dangereuse et effectivement elle le fait; • vrai négatif : nous prédisons qu'elle n'aura pas de comportement dangereux et effectivement elle n'en a pas; De cela découle qu'il est aussi possible de faire deux types d'erreurs • faux positif : nous prédisons que la personne va s'engager dans des comportements dangereux, mais elle ne le fait pas; • faux négatif : nous prédisons qu'un individu ne va pas s'engager dans un comportement dangereux, mais il le fait. C'est ce dernier type d'erreur, le faux négatif, qui choque le public et qu'on retrouve habituellement à la première page des journaux. Cependant, d'un point de vue éthique, le premier type d'erreur, le faux positif, pose autant de problèmes. Le moins grand impact de ce type d'erreur dans l'opinion
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publique est probablement dû au fait que dans ce cas les conséquences néfastes de la mauvaise prédiction ne touchent pas des tiers « innocents », mais la personne sous évaluation elle-même. La prédiction de l'occurrence de comportements dangereux pose divers problèmes de par sa nature même. Nous allons exposer les deux principaux. A. La fréquence de ces comportements Les comportement dangereux ne sont généralement pas fréquents même pour les individus les plus violents. En effet ceux-ci, la plupart du temps, ne se conduisent pas de façon violente. Or, la prédiction d'un comportement non fréquent est habituellement beaucoup plus risquée que la prédiction d'un comportement fréquent. Maloney (1985) reprend un exemple développé par Livermore, Malmquist et Meehl (1968) pour montrer la difficulté statistique d'en arriver à des prédictions justes et les conséquences de cet état de fait. Voici l'exemple en question. Si le taux de violence dans la société est de 200/100 000 (c'est-à-dire qu'il y a 200 personnes dangereuses pour 100 000 personnes et que l'on étudie un échantillon représentatif pour essayer de prédire la dangerosité, le nombre de personnes dangereuses dans cet échantillon serait de 0,2 %. Si pour chaque observation de cet échantillon on fait la prédiction que la personne est non dangereuse, notre taux de succès sera de 98,8 %. La prédiction de nondangerosité a donc de bonnes chances d'être presque toujours juste, car les comportements dangereux se produisent rarement de toute façon. Il est donc beaucoup plus difficile de prédire avec justesse l'occurrence des comportements dangereux. Magargee (1980) fait une autre intéressante démonstration de ce fait. Posons l'hypothèse que notre méthode d'évaluation et de prédiction identifie correctement 85 % de ceux qui s'engageront dans des comportements dangereux (faux négatif = 15 %) et 90 % de ceux qui ne se comporteront pas de façon dangereuse (faux positif = 10 %). Appliquons cette procédure à un échantillon de population de 100 000 personnes avec un taux de crime violent de 187/100 000. Nous identifierons correctement 159 des 187 individu violents... mais des 99 813 non-violents nous en aurions identifié à tort 9 981 comme violents (faux positif). Donc, en utilisant notre instrument nous faisons 9 981 erreurs de faux positif et 28 erreurs de faux négatif pour un total de 10 009 erreurs. Or, si nous n'utilisions aucun instrument et prédisions que personne ne sera violent, nous ne ferions que 187 erreurs (faux négatif). On pourrait donc à juste titre se demander si en termes éthiques la prédiction de la dangerosité est justifiée. C'est la question que reposent Janus et Meehl (1997) à propos des agresseurs sexuels. Si le niveau de base de récidive violente est bas et que les instruments de prédiction ne sont pas
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parfaits, la décision optimale est de prédire l'absence de dangerosité. Quinsey, Harris, Rice et Cormier (1998) tempèrent ce genre de raisonnement basé sur la population normale. En effet, ils soulignent à juste titre que nous ne faisons pas des prédictions sur un échantillon de la population normale et que dans le cas du sous-échantillon sur lequel portent nos interventions, le taux de violence est beaucoup plus élevé que dans la population normale. De plus ils soulignent que les arguments comme ceux que nous venons de mentionner reposent sur la prémisse que le coût des deux types d'erreurs est le même et qu'il est aussi grave de garder un innocent en prison que de libérer quelqu'un de dangereux. Or, cela dépend du point de vue où l'on se place et surtout de l'échelle de valeurs de la société. Il s'agit là d'une question politique qui dépasse l'analyse scientifique objective de la prédiction de la dangerosité. L'évaluation de la dangerosité ne devrait être qu'un des facteurs qui déterminent le sort de quelqu'un et en tant que professionnel, le psychologue devrait toujours être conscient des limites de ses évaluations. B. La durée de validité de la prédiction La seconde difficulté que pose l'évaluation de la dangerosité est la question de l'intervalle temporel de validité de la prédiction. Tout être humain peut en termes de prédiction être assimilé à un système dynamique complexe, c'est-àdire toujours en constante évolution. Or, on sait maintenant que le comportement d'un système dymanique complexe est très difficile à prévoir à long terme. Les systèmes qui régissent le climat et les prévisions météorologiques en sont des exemples. Ces systèmes sont influencés par une multitude de variables et peuvent donc devenir très rapidement chaotique. Leur déroulement ordonné peut rapidement devenir désordonné à cause de l'influence démesurée d'une variable non prévue et en apparence insignifiante qui perturbera le comportement de ce qui pouvait sembler un système stable. En d'autres termes, alors qu'il est relativement facile de prédire avec justesse le comportement d'un système complexe dans les minutes qui suivent l'observation, il est de plus en plus difficile de le faire à mesure que l'on s'éloigne du moment où l'observation a été faite. La justesse de la prédiction de ce qui suit immédiatement l'observation peut se considérer en termes de quasi-certitude, mais à mesure que l'on s'éloigne dans le temps cette quasi-certitude se transforme en probabilité qui diminue de plus en plus pour se transformer ensuite en une possibilité qui ne devient bientôt qu'une possibilité parmi un nombre de plus en plus grand d'autres possibilités. On attend souvent du psychologue qu'il puisse prédire la dangerosité mais sans spécifier de limite de temps supposant que cette prédiction s'applique pour le reste de l'existence de la personne sous examen. La question de la durée de validité de la prédiction est une question qui ne pourra qu'être déterminée empiriquement, en examinant pour combien
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de temps la prédiction a été valide. En l'absence de telles données, il faut donc être très prudent avant de fixer arbitrairement un délai de validité à des prédictions et il faut prévenir ceux qui les demandent. 10.3.2. TECHNIQUES D'ÉVALUATION Il est possible de distinguer deux périodes dans l'évolution des techniques de prédiction de la dangerosité. Au cours de la première période qui se termine au début des années 1980 les évaluations étaient souvent basées sur la prémisse que la dangerosité est une caractéristique de la personne, un trait relativement stable. On considère dans cette façon de voir que la dangerosité réside dans l'individu. Il s'agirait de caractéristiques que posséderait l'individu. L'évaluation consistait donc souvent à faire une évaluation clinique ou psychologique générale de l'individu et à partir de cette évaluation de sa dynamique psychologique à le classer comme potentiellement dangereux ou non. Pour ce faire on utilisait souvent l'entrevue clinique et dans le meilleur des cas les tests psychologiques de personnalité habituels, soit projectifs (ex. Rorshach), soit objectifs (ex. MMPI). On considérait que si on a une bonne compréhension de la dynamique psychologique d'un individu on pouvait estimer sa dangerosité potentielle. Personne ne semblait mettre en doute la validité du jugement clinique du psychiatre ou du psychologue. Comme le mentionnent Quinsey et ses collaborateurs (Quinsey et al., 1998, p. 33), personne ne semble avoir entendu parler des critiques de Meehl (1954) sur la validité du « jugement clinique ». On croit que l'expertise psychiatrique est pertinente et valide. Il y a cependant très peu de recherches empiriques qui appuient cette belle certitude professionnelle. Tout a commencé à changer à partir des années 1970 où certaines recherches qui mettent en doute la validité des prédictions commencent à apparaître. Mentionnons en particulier Steadman et Cocozza (1974) qui analysent les effets de la remise en liberté de 967 patients considérés comme dangereux d'un hôpital psychiatrique à sécurité maximum à la suite d'une décision de la Cour suprême des États-Unis. Or, malgré les craintes très peu de ces personnes posèrent effectivement des gestes violents une fois remises en liberté, ce qui met en doute la validité des évaluations de leur dangerosité et des jugements cliniques qui avaient été portés et avaient conduit à leur incarcération. Quinsey, Pruesse et Fernley (1975) trouvent le même genre de résultats avec une cohorte de patients « dangereux » relâchés de Oak Ridge en Ontario. D'autres études vont dans le même sens (Kozol, Boucher et Garofalo, 1972) et montrent que l'évaluation psychologique de la personnalité ne peut d'aucune façon à elle seule permettre de faire des prédictions en ce qui concerne la dangerosité, que les prédictions faites sont peu fiables (Anderson, Staulcup et Grisso, 1980; Chappel et Monahan, 1975) que les tests
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projectifs ne peuvent être utilisés comme instruments de prédiction. D'ailleurs Exner lui-même (1976) affirme que le Rorschach n'est pas utile comme prédicteur, car il n'a pas été conçu pour prédire le comportement, mais bien pour nous éclairer sur le fonctionnement actuel d'un individu. D'autres auteurs montrent que les tests objectifs tel le MMPI sont affectés par plusieurs variables en particulier par l'origine ethnique, le sexe et l'âge (Hibbs, Kobos et Gonzales, 1979). Pollock et Shore (1980) par exemple montrent que le fait d'appartenir à la culture autochtone indienne américaine a plus d'effet sur le type de profil généré que la psychopathologie. Certains (Schaeffer, 1984) en viennent même à proposer que ce test n'a pas sa place en tant qu'instrument unique en expertise légale. Tout au plus il devrait être utilisé pour générer des hypothèse qui devront absolument être confirmées autrement. Megargee affirmait déjà en 1970 qu'on n'a jamais démontré l'utilité d'aucun test psychologique dans la prédiction de la violence. De plus à partir des années 1970 plusieurs recherches mettent en doute la validité de ce que l'on appelle communément « le jugement clinique ». Goldberg (1968) a montré que l'expérience ou le niveau de formation du clinicien ne sont pas reliés à la justesse de ses affirmations et que les cliniciens ne montrent pas un haut taux d'accord lorsqu'ils se prononcent sur les mêmes données. Quinsey et Ambtmann (1979) ont montré que le jugement de psychiatres spécialisés en expertise légale ne rencontrait pas les critères d'expertises proposés par Einhorn (1974) dans le cas de l'évaluation de la dangerosité de patients psychiatriques. Ils ne s'entendaient pas entre eux, ne portaient pas des jugements exacts, ne se distinguaient pas significativement des non-experts, et n'accordaient pas de valeur suffisante aux informations spécialisées auxquelles ils avaient accès. D'après ces auteurs, ceux qui posaient le jugement semblaient souvent chercher des indices montrant que les patients étaient dangereux plutôt que de tenter de faire une évaluation objective de la situation. En conclusion, il ne semble pas que la dangerosité puisse être évaluée exclusivement à partir des caractéristiques psychologiques d'un individu ou d'un jugement clinique de nature générale. Rien ne supporte l'hypothèse que la dangerosité résulterait exclusivement de caractéristiques psychologiques stables de l'individu décelables par une évaluation psychologique de nature générale ou par une compréhension de la dynamique de la personnalité. À partir des années 1980 on commence donc à considérer différemment la prédiction de la dangerosité. Comme le suggère Megargee (1980), le fait qu'un individu soit dangereux pour soi ou les autres dépend de tellement de variables qu'il est peut-être préférable de parler de prédiction du comportement dangereux que d'évaluation de la dangerosité. Il faut distinguer la prédisposition à agir dangereusement et le passage à l'acte qui lui dépend de la prédisposition, de la présence de circonstances précipitantes et de l'adéquacité des contrôles sociaux et du support social. Monahan
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(1981) propose que lorsque l'on parle d'évaluer la dangerosité on ne parle pas de l'évaluation d'un trait, mais bien d'évaluer pour un individu particulier quelles sont les variables internes et externes qui sont associées à une probabilité plus ou moins élevée que le comportement dangereux soit posé. On doit selon lui (Monahan, 1984) limiter notre rôle à fournir un estimé de la probabilité d'un futur comportement violent. L'expert ne doit plus faire de prédictions pures et absolues, mais des prédictions relatives et contextuelles. Il n'y a pas de test psychologique qui permette cette prédiction. Le psychologue doit donc intégrer plusieurs sources d'information et en arriver à donner une probabilité globale en spécifiant les situations et circonstances. Cette estimation doit être basée non pas sur le jugement clinique ou l'évaluation de la personnalité, mais sur l'évaluation de facteurs dont la contribution à la prédiction a été établie empiriquement. Il faut cesser de penser que généralement la dangerosité réside exclusivement dans la personnalité indépendamment des circonstances. L'évaluation de la dangerosité devient donc une certaine forme d'évaluation du risque, évaluation qui doit être basée sur les résultats de recherches empiriques sur la question. C'est ce que l'on appelle le modèle actuariel de prédiction du risque. Dans ce type de modèle, on utilise une série de prédicteurs reliés le plus possible de façon empirique à la prédiction des comportements cibles. Une bonne partie des prédicteurs utilisés actuellement sont reliés d'une façon ou d'une autre à l'histoire passée de l'individu. Walter mentionnait déjà en 1980 que le meilleur prédicteur de l'apparition future de comportement violent semblait être la présence de tels comportements dans le passé. Le même argument est repris par Toch (1992, p. 222) qui dit qu'une « personne violente ne peux être identifiée de façon valide que sur la base de son dossier d'actes violents passés ». De plus en plus d'études comparent la validité relative de ce type de modèle par rapport aux prédictions de nature clinique (Wormith et Goldstone, 1984; Gardner, Lidz, Mulvey et Shaw, 1996). Ainsi, par exemple, Gardner, Lidz, Mulvey et Shaw (1996) montrent que les prédictions de nature actuarielle sont nettement supérieures à celles des cliniciens pour prédire les crimes violents commis par les malades mentaux. Quinsey, Harris, Rice et Cormier (1998) résument très bien cet argumentation dans leur ouvrage récent qui porte sur les comportements violents. Certaines études laissent même supposer que l'ajout du jugement clinique n'ajoute rien à la validité de la prédiction faite par les modèles actuariels et même quelquefois diminue sa validité. En conclusion, les recherches actuelles montrent que le psychologue qui veut évaluer la dangerosité devrait recourir principalement à des évaluations de type actuariel. C'est d'ailleurs ce que les Services correctionnels du Canada demandent de faire aux professionnels qui sont à leur emploi lorsqu'ils doivent se prononcer sur la dangerosité d'un détenu.
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10.3.3. LES PRÉDICTEURS QUI SONT UTILISÉS Un examen des écrits récents sur la question révèle que plusieurs types de prédicteurs peuvent être pris en considération dans la prédiction du comportement dangereux. Il y en a deux catégories principales : les prédicteurs statiques et les prédicteurs dynamiques. A. Les prédicteurs statiques : il s'agit de variables qui caractérisent un individu et qui sont stables dans le temps. Le nombre de comportements violents dans le passé, la présence de problèmes de comportement à l'école primaire, certaines caractéristiques de la personnalité (psychopathie, troubles de la personnalité) sont des exemples de prédicteurs statiques qui peuvent être pris en considération dans l'évaluation de la dangerosité. B. Les prédicteurs dynamiques : il s'agit d'événements qui sont intervenus à un moment donné dans la vie de la personne concernée et qui peuvent modifier la prédiction qui aurait été faite à partir des prédicteurs statiques. Il y en a de deux ordres • fixé dans le temps : par exemple un programme thérapeutique que la personne a suivi dans le but de réduire la probabilité qu'il adopte des comportements violents. • variable dans le temps : certains facteurs qui fluctuent dans le temps et qui peuvent favoriser à un moment donné l'apparition de comportements dangereux. Par exemple la consommation de substances intoxicantes, un stress dans la vie relationnelle ou professionnelle. Ces conceptions viennent du modèle de prévention de la récidive (relapse prevention) de Pither (1989) qui a été mis au point dans le cas des comportemens addictifs (toxicomanie). Dans ce modèle, on pose l'hypothèse que les comportements de ce type ne se produisent pas par hasard, mais qu'il y a une séquence d'événements précipitants que l'on peut identifier et qui favorisent l'apparition du comportement problème. Alors qu'il y a eu beaucoup de recherches sur les prédicteurs statiques (Quinsey, 1986; Rice, Harris et Quinsey, 1991; Hanson et Bussière, 1999; Hanson, Steffy et Gauthier, 1992), il y en a très peu sur les prédicteurs dynamiques. Cette recherche reste à faire et permettrait d'améliorer la justesse des prédictions surtout en ce qui a trait à l'effet des divers programmes proposés actuellement et qui visent à diminuer la probabilité d'avènement de comportements dangereux. Il convient de faire ici une distinction entre prédiction et explication. La prédiction d'un phénomène n'implique pas nécessairement que l'on possède une explication satisfaisante du phénomène en question. Il était possible aux anciens de prédire avec succès les éclipses et de traiter certaines
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maladies sans avoir nécessairement une compréhension théorique exhaustive des processus astronomiques et physiologiques impliqués. La majorité des gens, sans être psychologues et sans pouvoir décrire l'interaction entre les variables en jeu, arrivent très bien à prédire l'agir des autres. C'est d'ailleurs ce qui rend la vie sociale possible. La recherche sur les comportements dangereux en est encore à ce stade. Il n'existe pas encore de théorie satisfaisante et validée par la recherche empirique qui nous permette de donner une explication scientifique adéquate de la violence ou des comportements dangereux. Cependant, il existe assez de données sur le phénomène et sur les variables en jeu pour nous permettre de faire des prédictions qui ont une certaine validité. C'est à ce niveau que se situent les grilles actuarielles. Cela peut à l'occasion sembler simpliste et frustrant pour les psychologues qui veulent comprendre et expliquer le phénomène, mais c'est sans contredit ce qui nous permet le mieux actuellement de répondre à la question posée. Il est sûr que lorsque nous aurons une explication cohérente et valide du phénomène, nous parviendrons sans doute à élaborer et à valider empiriquement des instruments d'évaluation de qualité supérieure, mais pour le moment, il vaut mieux dans ce domaine pouvoir au moins évaluer avec un certain degré de validité empirique sans avoir vraiment de modèle explicatif satisfaisant que de se rabattre sur des explications théoriques spéculatives sensées, mais qui ne permettent pas actuellement de faire des prédictions valides.
10.3.4. EXEMPLES DE GRILLES ACTUARIELLES Il existe actuellement certaines grilles d'évaluation du risque de récidive violente qui permettent une évaluation de la probabilité qu'un individu ait un comportement violent. Elles vont des plus simples aux plus complexes et certaines ont été validées avec des populations particulières alors que d'autres sont en cours de validation. Toutes ces grilles ont en commun de se baser en très grande partie sur des facteurs statiques, c'est-à-dire qui sont stables dans le temps. Ces grilles peuvent être utilisées, mais il faut toujours garder en mémoire que plus le sujet évalué s'éloigne du type de sujets avec lesquels la grille a été construite, moins la probabilité de comportement dangereux qui sera donnée est fiable. Il faut aussi toujours se rappeler que ces grilles ne tiennent que peu compte de l'influence des facteurs dynamiques particuliers auxquels un individu aurait pu être soumis et qui seraient susceptibles de modifier la prédiction faite par la grille actuarielle. Malgré ces quelques limites, ces grilles sont actuellement les meilleurs instruments que nous ayons pour prédire le risque de comportement violent. Une des grilles les plus développées est sans doute le Violence Risk Appraisal Guide (VRAC) proposé par Quinsey et son équipe. La construction et les qualités psychométriques et prédictives de cet instrument sont très bien décrites dans son récent ouvrage (Quinsey et al., 1998). L'instrument
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qui est caractéristique de ce genre d'outil se présente sous la forme d'un ensemble d'items (dans ce cas 12) que le clinicien doit coter. Un score est attribué à chaque item et le total est comparé aux résultats d'une table qui donne la probabilité de récidive violente des personnes qui dans l'échantillon original avaient le même score. La grille ne comprend que 12 items qui sont pour la plupart de nature comportementale, par exemple, l'item 2 de la grille est : Problème d'ajustement à l'école primaire. S'il n'y a pas de problème, il est coté 1; des problèmes légers ou modérés (discipline, assiduité) +2; des problèmes sévères (comportement perturbateur fréquents, comportements résultant en suspension ou expulsion) sont cotés +5. Certains items se réfèrent cependant aux résultats obtenus à d'autres grilles par exemple l'item 10: le sujet doit rencontrer les critières du DSM-III pour un désordre de personnalité : oui = +3, non = -2. Ou encore l'item 12: le score au Psychopathy checklist de Hare (ref...) : < 4 = -5; 5 - 9 = -3... > 35 = +12. L'évaluateur additionne ensuite le pointage total et compare le score à une table. Le Sexual Violence Risk -20 est un autre exemple de ce type d'instrument qui a été développé plus spécifiquement pour évaluer le risque de comportements sexuels violents (Boer, Hart, Kropp et Webster, 1997). Dans ce cas cependant, il s'agit beaucoup plus d'une procédure d'évaluation que d'une grille ou d'un test comme tel. Cependant, comme dans le cas des grilles actuarielles au sens strict, l'instrument est composé d'items que le clinicien doit coter comme étant présents, absents, présents mais de façon limitée ou ne possédant pas l'information pertinente. Le clinicien doit aussi coter s'il y a eu changement récent (dans l'année précédente) dans l'item en question : afin d'évaluer si le facteur de risque s'est accru, a diminué ou n'a pas changé. Par exemple à l'item « problème de relation » le clinicien doit coter « oui » s'il y a évidence que le sujet ne réussit pas à établir ou à maintenir des relations intimes stables, « non » s'il n'y a pas d'indication que le sujet ne réussisse pas à maintenir des relations et « ne sait pas » si les indications sont manquantes. Par « relation » on entend relation maritale ou de concubinage avec implication à long terme et par « stable » on entend que le sujet ne présente pas une histoire de ruptures multiples ou de violence conjugale. Les items choisis ne le sont pas à partir de spéculations théoriques, mais sont des facteurs de risque qui, selon les résultats des recherches empiriques, sont reliés au risque de violence sexuelle. 10.3.5. LE PROCESSUS D'ÉVALUATION DE LA DANGEROSITÉ Il est impossible dans l'état actuel des connaissances de proposer une technique d'évaluation de la dangerosité applicable à tous les cas. Il s'agit plutôt d'un processus ou de certaines considérations que doit prendre en compte le psychologue à qui on demande de faire une telle évaluation. L'évaluation de la dangerosité est donc une évaluation du risque qu'une personne pose
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un comportement dangereux. Cette évaluation peut être une évaluation précise en termes de probabilité chiffrée ou plus générale en termes de risque global. Cela dépend de la question posée et de la disponibilité d'instruments valides. Quoi qu'il en soit, elle doit reposer sur une évaluation de ce que les résultats de recherche nous indiquent comme étant des variables reliées à l'apparition du comportement dangereux. A. Qualification du psychologue ou de l'expert Avant de se lancer dans l'évaluation de la dangerosité, le psychologue doit être qualifié pour le faire. Il doit connaître le domaine et être familier avec les écrits scientifiques et professionnels sur les comportements violents. Il doit être au fait des dernières recherches sur les facteurs de risque et des instruments qui existent pour les évaluer ainsi que de leur valeur et de leur limite. Il doit de plus être qualifié pour conduire des entrevues, administrer des tests et poser des diagnostics en santé mentale. Il faut cependant se rappeler, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, que l'évaluation psychologique générale ou de la dynamique de la personnalité ne peut d'aucune façon à elle seule permettre de faire des prédictions en ce qui concerne la dangerosité. Celle-ci doit faire l'objet d'une évaluation spécifique et relève d'une expertise spécifique. B. La question posée Le psychologue doit bien faire préciser la question à laquelle on lui demande de répondre et dans quel contexte. Il est très difficile de parler de dangerosité en général. On doit plutôt parler de probabilité d'apparition de comportements dangereux. Donc avant de pouvoir répondre à une telle question, il importe de bien préciser de quel comportement on veut parler et dans quel contexte. Par exemple, si un psychologue reçoit une demande des Services correctionnels du Canada pour évaluer la dangerosité d'un pédophile, il faut bien faire préciser à quelle question on veut avoir réponse et dans quel but. S'agit-il de la probabilité que cette personne agresse sexuellement un enfant et quand ? Dans ce dernier cas, si la personne est incarcérée, la probabilité que cela se passe dans le pénitencier est très faible. S'agit-il de la probabilité que cette personne ait des comportements violents avec les membres du personnel des établissements pénitenciaires ? Dans ce cas-là, il faudra évaluer la probabilité de ce type de comportement et ce ne seront pas nécessairement les mêmes facteurs qui seront pris en considération que si on demande d'estimer la probabilité que cette personne agresse sexuellement des enfants à sa sortie du pénitencier ou lors d'une visite familiale. Donc, il est primordial de bien préciser la question à laquelle il faut répondre, car cela va orienter le choix des instruments ainsi que le contenu et la forme du rapport qui sera présenté.
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Choix des instruments Il n'existe pas d'instrument standard de prédiction des comportements dangereux. Le psychologue doit donc choisir les instruments en fonction de la question posée. Les grilles actuarielles sont actuellement ce qui existe de mieux dans la majorité des cas pour prédire un comportement dangereux. S'il en existe qui permettent de répondre à la question qui est posée, le psychologue devrait donc les utiliser. S'il n'en existe pas, le psychologue devrait alors baser son estimé sur une évaluation de la présence ou de l'absence des facteurs de risque que les recherches actuelles présentent comme des facteurs reliés significativement au comportement dont on veut prédire l'apparition. Cela suppose comme nous l'avons dit plus haut, que le psychologue est au fait des résultats des recherches récentes qui ont trait à la question qui lui est posée. Ainsi la prédiction de la probabilité d'un comportement meurtrier ne reposera pas entièrement sur une prise en compte des mêmes facteurs que la probabilité d'une agression sexuelle par un pédophile non violent. Cette évaluation peut aussi tenir compte de facteurs dynamiques, des circonstances particulières qui pour le sujet sous évaluation pourraient mener au passage à l'action. Comme nous l'avons mentionné plus haut, une application du modèle de prévention de la récidive de Pither (1989) pourrait probablement être utile. Il s'agit alors d'identifier la séquence d'événement qui pour le sujet sous évaluation a dans le passé conduit à la présence du comportement dangereux. S'il s'agit d'une séquence relativement stable, l'évaluation pourrait ainsi qualifier les prédictions plus globales des échelles actuarielles et spécifier pour ce sujet particulier les situations à risque et recommander s'il y a lieu des mesures préventives. Le clinicien qui veut évaluer le risque doit donc utiliser un ensemble de données et être capable dans certains cas de déterminer en quelles circonstances la violence est la plus probable et quelle forme elle prendra. La cueillette de données Comme dans le cas de toute évaluation, la probabilité d'un comportement dangereux repose sur la validité des données utilisées. Le psychologue doit donc s'assurer de la validité des données sur lesquelles reposera son évaluation. Le sujet lui-même ne constitue souvent pas une source suffisante et valide d'information surtout dans le contexte particulier où il se trouve souvent. En effet, dans la situation d'intervention habituelle où c'est la personne qui vient demander de l'aide, on peut présumer que dans la majorité des cas elle sera honnête et donnera l'information qu'elle croit juste (même si la réalité objective peut être différente de ce qui est vécu ou perçu). Au contraire, dans la situation d'évaluation de la dangerosité, ce n'est habituellement pas la personne elle-même qui vient demander spontanément d'être évaluée. On ne peut donc présumer qu'elle répondra honnêtement et au
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meilleur de sa connaissance aux questions qui lui seront posées. On peut même croire le contraire. En effet, la motivation de la personne à dire la vérité est dans ces cas plus que douteuse et fonction des conséquences qu'elle appréhende. Il y a de grandes différences entre l'entrevue clinique et l'entrevue d'expertise psycholégale : l'intérêt plus ou moins grand de la personne à venir voir le psychologue, les implications pour le sujet de l'honnêteté. Il ne s'agit pas de poser un diagnostic général mais bien de répondre à une question particulière (Green, 1984). Lorsque l'information provient du sujet lui-même, il est essentiel de contrevalider en essayant d'aller chercher ailleurs des informations notamment celles qui proviennent de tests (reliés à la problématique) d'entrevue, de rencontre avec la famille, les amis, l'employeur, les victimes, de la lecture du rapport de police, des dépositions des victimes et lorsque le sujet a déjà participé à un programme thérapeutique : avis des thérapeutes, évaluation des changements. La prudence Lorsqu'il n'existe pas de grille validée qui permette l'estimation chiffrée d'une probabilité, le psychologue devra s'abstenir de donner une fausse impression de précision à son évaluation en la chiffrant à partir d'impressions cliniques. Alors que dans le cas du VRAG, qui est une grille actuarielle, on peut donner une probabilité chiffrée, dans le cas du SVR-20, qui n'est pas une grille actuarielle validée, on se contente de donner une opinion générale du type de risque (élevé, modéré ou faible). La précision de la prédiction que l'on peut se permettre de faire dépend de la précision des instruments utilisés.
10.4. Considérations éthiques En guise de conclusion, examinons certains problèmes éthiques particuliers que peut poser l'évaluation du risque de comportements dangereux. Les normes éthiques générales qui régissent l'évaluation et l'intervention psychologique s'appliquent à ce domaine, mais le contexte particulier de ce type d'évaluation peut susciter des questionnements particuliers. Nous avons déjà mentionné le problème éthique particulier que pose le faible taux de comportements dangereux par rapport à la probabilité d'erreur. Nous examinerons maintenant deux problèmes plus particuliers aux réactions du psychologue qui doit faire ce genre d'évaluation.
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10.4.1. LES PRÉJUGÉS PERSONNELS Aucun professionnel n'est à l'abri des préjugés. L'évaluation du risque de comportements dangereux nous place en contact avec des personnes qui ne nous laissent pas indifférents et qui peuvent provoquer des réactions émotives très fortes. Il est possible que ces réactions puissent avoir un effet sur notre jugement et biaisent nos évaluations. Il semble que ceci se traduise souvent par une surévaluation du risque que présentent les personnes évaluées (Megargee, 1973; Fersch, 1980). Il est donc important d'être conscient de ses réactions et de ne pas les laisser interférer avec la rigueur de la démarche et la qualité du geste professionnel à poser. 10.4.2. LE CONFLIT DE RÔLES L'évaluation de ce type de personnes place souvent le psychologue dans une certaine forme de conflit de rôles. En effet le rôle naturel du psychologue est d'être un aidant. Toute la formation prépare à ce rôle où le client, la personne qui vient consulter, occupe la première place et où le premier devoir est envers cette personne. C'est d'ailleurs ce qui est reflété dans beaucoup de propositions des codes d'éthique des psychologues. Dans le cas qui nous occupe, le rôle du psychologue devient celui d'agent de contrôle social et celui de protecteur de la société plutôt que de protecteur de la personne évaluée. Il doit donc s'établir un équilibre entre ses devoirs envers la personne évaluée et ses devoirs envers la société dont il devient, en quelque sorte, le mandataire. Le psychologue devra éventuellement mettre en opposition sa responsabilité envers l'individu et sa responsabilité envers la société. Comme il y a toujours possibilité d'erreur, il y a un jugement à porter sur la conséquence d'une erreur et un choix de risque à prendre. S'il erre dans le sens du faux négatif, il aura à vivre avec une partie de la responsabilité du risque d'une autre victime innocente alors que dans le cas du faux positif, il devra porter une partie de la responsabilité du sort d'une personne qui risque de voir sa liberté restreinte sans raisons valables. On peut se demander quelle peut être la justification d'emprisonner trop longtemps quelqu'un qui est innocent ou qui ne présente plus aucun danger et qui pourrait avec succès reprendre sa place dans la société. On accuse fréquemment le système de relâcher trop vite des personnes dangereuses, mais il semble au contraire que les professionnels surprédisent la dangerosité (Megargee, 1973). Ils font plus de faux positifs que de faux négatifs (Fersch, 1980). Il n'y a pas de solution facile pour ce dilemme qui dépend à la foi du pourcentage d'erreur que la société et le professionnel sont prêts à assumer et de la validité de nos procédures d'évaluation. D'où l'importance de baser notre jugement sur des procédures le plus valides possible et de poursuivre la recherche dans ce domaine.
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La dernière décennie a vu un foisonnement de recherches sur l'évaluation de la probabilité du comportement dangereux. Sa prédiction est de plus en plus exacte et de nouveaux instruments basées sur des données de recherche nous permettent de procéder avec plus de rigueur. Il faut cependant rester prudent dans leur interprétation et ne pas laisser la magie des nombres occulter l'esprit critique et la prudence qui doit caractériser le professionnel et le scientifique de la psychologie. L'humain est à la fois prévisible et imprévisible et il est toujours bon de se le rappeler. 10.5. Références ALLEN, J. (1980). Assessment of dangerousness, responsibility and competence. The Menninger Foundation Workshop : The psychologist and the legal system. Topeka Kansas : Menninger Foundation, 12 septembre, 1980. ANDERTEN, P., STAULCUP, V et T. GRISSO (1980). « On being ethical in legal places ». Professional Psychology, 11, 764. BOER, D.P., HART, S.D., KROPP, P.R. et C.D. WEBSTER (1997). Manual for the sexual violence risk-20. Vancouver : British Columbia Institute against family violence. CHAPPELL, D. et J. MONAHAN (1975). Violence and criminal justice. Toronto Heath. EINHORN, H.J. (1974). « Expert judgment : Some necessary conditions and an exemple ». Journal of Applied Psychology, 59, 562-571. EXNEI, J.E. (1976). « Projectives techniques », dans I.B. WEINER (dir), Clinical methods in psychology. New York: Wiley. FERSCH, E.A. (1980). Psychology and psychiatry in courts and corrections. New York: Wiley. GARDNER, W., LIDZ, C.W., MULVEY, E.P et E.C. SHAW (1996). « Clinical versus actuarial predictions of violence in patients with mental illnesses ». Journal of Counsulting and Clinical Psychology, 64, 602-609. GOLDBERG, L.R. (1968). « Simple model or simple processes ? » American Psychologist, 23, 483-496. GREEN, R.K. (1984). «The clinical interview », dans R.K. GREEN et A.B. SCHAEFER (1984), Forensic psychology : a primer for legal and mental health professionals. Springfield, Ill.: Thomas. GREEN, R.K. et A.B. SCHAEFER (1984). Forensic psychology : a primer for legal and mental health professionals. Springfield, Ill.: Thomas. GROVE, W.M. et PE. MEEHL (1996). « Comparing efficiency of informal (subjective, impressionistic) and formal (mechanical, algorithmic) prediction procedures : The clinical - statistical controversy ». Psychology, Public Policy and Law, 2, 293-323.
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C H A P I T R E 11
L'évaluation des séquelles psychologiques LOUIS BRUNET, PH.D.
Depuis quelques années, les psychologues se font demander des expertises de plus en plus spécialisées, parmi lesquelles figure l'évaluation des dommages ou des séquelles psychologiques à la suite d'un événement ou d'un traumatisme particulier. Si les neuropsychologues se voient fréquemment demander d'évaluer les séquelles d'un traumatisme, d'un accident d'automobile, d'un accident cérébro-vasculaire, il arrive de plus en plus souvent que des psychologues oeuvrant dans d'autres domaines de pratique se voient aussi confrontés à ce type d'évaluation pour lequel une méthodologie rigoureuse s'impose. Par exemple, on demande maintenant au psychologue clinicien d'évaluer les conséquences psychologiques d'un traumatisme physique ou psychologique, d'évaluer les séquelles psychologiques d'un viol ou d'une agression sexuelle intra-familiale ou encore d'évaluer si la dépression vécue par la victime d'une prise d'otage est liée ou non à cet événement traumatisant. Il tombe sous le coup de l'évidence qu'une évaluation des séquelles psychologiques demande une démarche complexe qui ne peut se limiter à évaluer la pathologie d'une personne, son handicap ou ses déficiences au moment de l'expertise. Le but d'une telle évaluation de séquelles est
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L'expertise psycholégale
véritablement de mettre en rapport la pathologie identifiée, les troubles ou le handicap identifiés avec un événement traumatique spécifique, ce qui implique une recherche de causalité, même relative. En fait qu'il s'agisse d'une évaluation neuropsychologique, d'une évaluation de la personnalité ou de l'évaluation que ferait un médecin pour évaluer les séquelles physiques d'un accident, il existe une démarche logique nécessaire. Ainsi, lorsqu'une personne présente un ou des symptômes, il n'est pas suffisant d'évaluer ceux-ci ni d'en examiner l'ampleur ou la nature, il faut également entreprendre une démarche d'évaluation permettant de répondre aux questions suivantes : est-ce que l'événement en cause (accident, traumatisme, etc.) peut avoir causé l'état pathologique identifié et, le cas échéant, quelle est la nature et l'ampleur de la pathologie ainsi provoquée par cet événement ? Une démarche d'expertise visant l'évaluation de séquelles psychologiques doit donc : 1. évaluer la personne au plan psychologique et évaluer la nature des troubles ou des symptômes identifiés (évaluer la pathologie, la symptomatologie, ou le déficit, selon les sphères impliquées) ; 2. établir une base évaluative permettant de comparer l'état actuel de la personne avec son état précédant l'événement censé avoir provoqué des séquelles, permettant d'identifier la présence, le degré de présence ou même l'absence de la pathologie ou de troubles avant l'événement identifié, et d'établir ainsi une base pouvant permettre la comparaison; 3. justifier en quoi un lien logique entre l'événement et les symptômes peut être proposé, le cas échéant; 4. justifier en quoi un lien temporel entre l'événement et les symptômes peut être établi, le cas échéant; 5. justifier en quoi d'autres causes concomitantes qui auraient pu causer les symptômes en question sont éliminées ou conservées, le cas échéant. On le voit bien, il ne s'agit pas seulement d'évaluer si une personne est déprimée ou atteinte de quelque façon que ce soit pour déclarer qu'il y a séquelles. En fait, l'évaluation de l'état pathologique n'est qu'un aspect de l'évaluation de séquelles psychologiques. Il faut bien sûr évaluer adéquatement la pathologie ou la symptomatologie. Pour ce faire, il n'est pas suffisant de se fier au dire de la personne impliquée, il faut faire une évaluation en bonne et due forme, selon les normes du domaine d'expertise impliqué (neuropsychologie, évaluation de la personnalité, évaluation clinique).
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L'évaluation des séquelles psychologiques
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Ensuite, il faut pouvoir établir une base de comparaison. Pour qu'on puisse prétendre à des séquelles, il ne suffit pas qu'un problème soit présent, mais il faut que le problème soit causé par l'événement identifié. Par conséquent, le processus évaluatif doit chercher à établir la présence ou l'absence des mêmes symptômes ou de la même pathologie avant l'événement identifié comme traumatisant. On ne peut évidemment pas parler de séquelles si la même pathologie se trouvait présente avant l'événement. Encore là, il n'est pas suffisant, dans le contexte d'une expertise psycholégale, de se fier aux propos de la personne évaluée. Il faut pouvoir témoigner tant dans le processus évaluatif privilégié que dans le rapport produit que la méthodologie évaluative permettait de comparer, le plus objectivement possible, l'état actuel de la personne évaluée avec son état antérieur. Dans certains cas, il est possible d'avoir accès à un dossier psychologique ou à un rapport d'évaluation psychologique antérieur qui peut servir de base de comparaison. Dans d'autres cas, il peut s'avérer nécessaire de procéder à des entrevues avec des gens qui connaissent cette personne et qui peuvent décrire de façon fiable des changements survenus dans sa personnalité, au niveau de ses capacités de fonctionnement ou encore au plan de ses capacités cognitives, par exemple. Évidemment, le psychologue ne peut prendre comme des faits psychologiques les opinions de ces personnes, mais il doit plutôt s'en servir pour pondérer l'évaluation qu'il aura luimême faite de l'état psychologique de la personne évaluée. À défaut de pouvoir établir une telle base de comparaison objectivable, le psychologue ne peut pas avec certitude conclure que l'état psychologique actuel de la personne évaluée est relié aux séquelles d'un événement traumatique. Il se peut aussi qu'un état pathologique antérieur, une dépression par exemple, ait été amplifié par un événement traumatique ou encore que l'événement ait causé une rechute. Il s'agit aussi dans ce cas d'une possibilité de séquelles dont il faut tenir compte. Le concept de séquelles ne s'applique pas exclusivement à un « terrain vierge », chez quelqu'un qui n'aurait jamais connu de problèmes psychologiques ou de déficit. Mais évidemment les changements survenus, et les pathologies identifiées doivent être pondérés eu égard à l'équilibre antérieur de l'individu et non en fonction d'une norme idéale d'« individu sain ». Les points trois et quatre concernant les liens logiques et temporels nous rappellent qu'il ne s'agit pas d'établir qu'il y a une pathologie, une symptomatologie ou un déficit qui n'existaient pas auparavant, mais d'établir un lien de causalité. Il faut qu'il y ait un lien logique et temporel entre la pathologie, les problèmes observés et l'événement identifié comme traumatisant. Il faut bien entendu qu'existe un lien logique entre le traumatisme et la pathologie, que ce lien soit basé sur des connaissances théoriques ou l'expérience clinique. Ainsi, on peut comprendre théoriquement et cliniquement une réaction phobique ou dépressive à la suite d'une agression sexuelle. Cependant certaines réactions traumatiques sont très complexes.
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L'expertise psycholégale
Quelqu'un peut faire une dépression majeure après avoir été témoin d'un vol ou d'un accident avec blessés, un autre peut présenter une phobie extrêmement handicapante après avoir été témoin d'une prise d'otages. Tous les individus ne réagissent pas pareillement aux mêmes événements et l'intensité des réactions n'est pas nécessairement proportionnelle à la gravité objective des événements traumatiques. On ne peut prétendre qu'un événement n'est pas grave ou traumatique parce que la personne n'a subi personnellement aucune agression, n'a pas été visée ou encore parce que l'événement n'a duré que 3 ou 4 minutes. Chaque individu réagira selon certaines caractéristiques personnelles qui n'enlèvent rien au lien éventuel de causalité. Une réaction de grande pathologie à la suite d'un geste banal peut cependant suggérer, dans certains cas, qu'il existait une condition psychopathologique préalable expliquant la réaction. De la même façon, le lien temporel est aussi un élément logique d'une telle expertise. Bien entendu, la pathologie ou le déficit doivent être apparus après l'événement reproché. Cependant, la question de l'intervalle entre l'événement et l'apparition de la pathologie est une donnée extrêmement complexe qui doit être analysée avec attention et avec prudence. Il n'est pas juste de penser que les symptômes ou la pathologie devraient être apparus rapidement après l'événement jugé traumatique. Les études sur l'état de stress post-traumatique indiquent au contraire que la réaction post-traumatique dépressivophobique est essentiellement une réaction à retardement, mettant habituellement plusieurs mois à se manifester. Auparavant la personne traverse une phase de déni où elle se « gèle » émotivement parfois d'une façon extrême. Par ailleurs, les réactions de grande dépression prennent souvent un long moment pour s'installer, temps pendant lequel l'individu a tendance à croire qu'il s'en sortira seul. Il faut aussi que l'évaluation tienne compte du fait que d'autres événements ou même une psychopathologie déjà existante aient pu faire apparaître les mêmes symptômes. Pensons par exemple à la situation d'une personne qui vit une séparation ou un deuil. Il n'est certes pas facile de départager l'impact que peut avoir la mort d'un proche se produisant simultanément avec une autre situation traumatique (agression, accident, etc.). Le psychologue expert se doit de prendre en compte les autres situations difficiles de la vie de la personne évaluée pouvant logiquement et cliniquement avoir donné lieu aux symptômes et pathologies identifiés comme pouvant être des séquelles d'une événement traumatique. Il faut considérer que la présence d'autres événements stressants peut expliquer une part de l'ampleur de la réaction ou des séquelles sans nécessairement invalider la notion de séquelles. Il revient au psychologue de pondérer la contribution de ces divers éléments dans la pathologie identifiée, sans chercher à tout interpréter comme des séquelles ni chercher à invalider l'idée de séquelles sous prétexte que d'autres stresseurs peuvent être présents.
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L'évaluation des séquelles psychologiques
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On le voit, l'évaluation des séquelles psychologiques est bien davantage que l'évaluation de la gravité de la pathologie de quelqu'un. Il s'agit aussi d'évaluer une relation de cause à effet qui, particulièrement dans le domaine des psychopathologies, s'avère souvent très difficile à faire et qui ne permet que rarement de conclure avec certitude. Une telle expertise demande donc de mettre en place une méthodologie respectant les cinq points décrits plus haut. À défaut d'évaluer ces cinq éléments, l'expert peut difficilement prétendre à l'existence de séquelles psychologiques. Cependant il arrive que, même avec une telle méthodologie d'évaluation, il ne puisse conclure avec certitude. Il ne doit donc pas hésiter à exprimer clairement ses doutes et à avouer modestement les limites de ses conclusions.
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C H A P I T R E 12
De la théorie à la pratique Quelques Illustrations
LOUIS BRUNET et DIANNE CASONI
Certaines des balises méthodologiques indiquées dans les chapitres de ce livre peuvent apparaître abstraites pour des psychologues ayant peu d'expérience concrète de l'expertise psycholégale. Souvent, en début de pratique, il est plus facile d'intégrer une façon de faire et une méthodologie en ayant des exemples cliniques sous les yeux. Ce chapitre tente de fournir des illustrations cliniques concrètes pouvant compléter les démarches didactique et théorique de certains chapitres. Il se présente sous la forme de trois rapports d'expertise psycholégale, suffisamment différents et spécialisés pour permettre d'y voir l'application de plusieurs des concepts abordés précédemment. Cette façon de faire permet aussi aux psychologues qui ont une expérience limitée de la psychologie légale, d'avoir des exemples de rapports écrits pouvant leur servir de guides. Bien entendu, dans chacun des rapports, les noms, dates de naissance et toute indication permettant d'identifier quelqu'un ont été soigneusement modifiés. Les rapports ont de plus été tronqués de détails spécifiques reliés aux personnes en cause et certaines sections ont été résumées (par exemple, la description de la personnalité de quelqu'un) en tentant de garder l'unité
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L'expertise psycholégale
du rapport et son organisation logique. Cependant, et c'est là l'intérêt du chapitre, les situations sont représentatives de la réalité et la procédure d'évaluation est intacte. Ce chapitre présente donc trois rapports différents basés sur des problématiques réelles. Le premier provient d'une expertise complexe et longue comprenant à la fois une demande concernant la garde d'un enfant et une problématique d'allégation d'agression sexuelle. On le sait, ce type de mandat impliquant à la fois un divorce et des allégations d'agression sexuelle se fait plus fréquent depuis quelques années. Il peut être intéressant de noter la complexité de la démarche qui s'est effectuée en trois temps et qui a comporté trois rapports distincts dont seule une version modifiée du dernier est présentée dans ce chapitre. Le deuxième rapport est une expertise en matière d'allégation d'agression sexuelle qui a la particularité d'être une expertise partielle, c'est-à-dire, une expertise dans laquelle toutes les parties n'ont pas été évaluées. On sait que le psychologue doit tendre à évaluer toutes les parties dans une telle expertise. Cependant il y a des situations où, pour des raisons éthiques, des raisons de disponibilité ou à cause d'un refus de participation, l'évaluation complète est impossible. Dans ce cas, l'évaluation peut avoir d'autres objectifs, mais doit rendre compte des limites de la méthodologie utilisée. Le troisième rapport provient d'une expertise pour invalidité.
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De la théorie à la pratique : quelques illustrations
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Psychologue et Associés 8888, rue de la ville, Montréal, Québec, Canada, OC 3C3
Le rapport présenté ici s'inspire d'un cas réel mais a été modifié de façon extensive pour empêcher que toute personne puisse être reconnue. Si un lecteur croyait y reconnaître quelqu'un, ce serait un effet de hasard dû à la fiction, mais non à la réalité. Rapport d'expertise psycholégale complémentaire Concernant : Enfant La Petite
âgée de 4 ans
Monsieur X.
père de La Petite
Madame Y
mère de La Petite
dates d'évaluation :
dates précises toutes indiquées
date du rapport :
31 novembre 2013
Motif de l'évaluation Maître L. demande la poursuite de la démarche d'expertise psycholégale entreprise auprès de la famille X.-Y. dans le contexte de l'allégation d'agression sexuelle concernant La Petite. Cette étape est la dernière du processus d'évaluation entrepris le 3 mars 2013. Le présent rapport présente les résultats de l'évaluation psychologique de Monsieur X. ainsi que les conclusions générales de l'expertise. Ce rapport doit être considéré comme la suite des deux rapports préliminaires déjà produits dans ce dossier le 2 avril 2013 et le 3 septembre 2013. Description de la démarche Monsieur X. a été rencontré en situation d'entrevue le 6 octobre pour une durée d'une heure trente au cours de laquelle il nous a parlé de sa relation conjugale, de leur vie familiale et de la rupture du couple. Il a été rencontré de nouveau en situation d'entrevue et de testing psychologique (Rorschach, T.A.T.) le 9 octobre pour une durée de trois heures au cours desquelles il a été question de l'histoire de développement de La Petite, de son adaptation à la séparation de ses parents ainsi que des événements qui ont précédé la plainte d'agression sexuelle formulée contre lui. Monsieur X. a également fourni, à notre demande, une courte autobiographie.
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Évaluation psychologique, monsieur X. Entrevues Monsieur X. dit avoir réagi d'abord avec stupeur puis avec angoisse à l'allégation de sévices sexuels formulée contre lui. Il souligne comment il a été inquiet et angoissé en apprenant qu'un rapport médical attestait possiblement cette allégation, se disant que puisque lui-même n'avait pas agressé La Petite, il devait s'agir du nouveau conjoint de Madame Y. Il ajoute avoir été soulagé de constater que, contrairement à ce qu'il croyait, l'examen médical n'aurait pas été concluant, calmant ainsi son angoisse que La Petite soit en danger d'être agressée de nouveau chez sa mère. Par ailleurs, Monsieur X. nous dit ne pas reconnaître aujourd'hui, en Madame Y., la femme qu'il a connue. Il a l'impression que celle-ci ne met de l'emphase que sur les aspects problématiques de leur vie commune et familiale, se contentant de rapporter que partiellement certaines anecdotes et omettant des informations qui lui apparaissent importantes. Il s'étonne, de plus, que Madame Y ait dit à La Petite que son père avait été incarcéré, voyant là, de sa part, une motivation vengeresse. D'ailleurs, Monsieur X. suggère que la plainte déposée contre lui en Cour criminelle, avant même que le processus judiciaire au Tribunal de la jeunesse n'ait abouti, témoignerait également de motivations cachées de colère chez Madame Y. Seules les perceptions de Monsieur qui sont pertinentes au dossier doivent être rapportées. Les propos de Monsieur qui sont repris dans ce paragraphe concernent la compréhension qu'a Monsieur du contexte relationnel conflictuel dans lequel le signalement s'inscrit, à ses yeux. Dans un des rapports d'expertise préliminaires traitant de l'évaluation psychologique de Madame, ses propos à elle concernant les mêmes sujets ont déjà été rapportés. Comme cette allégation de sévices sexuels se situe dans un contexte de rupture du couple parental, il est important de rapporter la vision qu'a chaque ex-conjoint du contexte relationnel dans lequel l'allégation est survenue.
Monsieur X. avoue avoir laissé à Madame la responsabilité principale de La Petite. Il estimait que Madame s'occupait bien de celle-ci et comme Madame n'aurait pas manifesté le désir d'une plus grande implication de sa part, il aurait continué ses engagements à l'extérieur du foyer. Monsieur explique avoir toujours été très impliqué dans sa communauté ainsi qu'au travail, ajoutant qu'auparavant Madame X. partageait bon nombre de ces activités avec lui. Il croit que la naissance de La Petite a permis, dans les premiers mois, de rapprocher le couple, mais que progressivement ils se seraient éloignés. Néanmoins, Monsieur X. ajoute ne pas avoir remis en cause son mariage avec Madame Y jusqu'au moment où une relation d'amitié privilégiée avec une collègue de travail s'est transformée en relation amoureuse peu de temps avant la rupture du couple. Il ajoute avoir été
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très troublé par cette rupture, ayant l'impression que cette expérience serait négative pour La Petite. Il raconte s'être senti très coupable de faire vivre à sa fille une telle situation et avoue ressentir encore aujourd'hui beaucoup de déception et de culpabilité de ne pas avoir permis à leur fille de grandir dans une famille unie. Encore ici, seules les informations et les perceptions de Monsieur qui sont pertinentes au dossier sont rapportées. Dans ce cas précis, des informations concernant sa vision de leur vie familiale et de leurs rôles respectifs sont incluses parce qu'elles apparaissent importantes dans la compréhension de la présente plainte.
Monsieur X. décrit, par ailleurs, comment Madame Y et lui-même comprenaient de façon différente le comportement de La Petite à partir du moment où celle-ci a eu approximativement 2 ans. Monsieur X. note comment il trouvait que La Petite n'avait qu'à pleurer pour amener sa mère à répondre à ses désirs, observant que selon lui Madame Y aurait été incapable de tolérer les pleurs de leur fille. Monsieur X. rapporte ainsi plusieurs anecdotes où fille et mère auraient pleuré dans les bras l'une de l'autre. Il relate également que jusqu'à leur rupture La Petite aurait refusé de s'endormir seule et que Madame Y aurait toujours consenti soit à bercer La Petite, soit à se coucher avec elle jusqu'au sommeil. Monsieur précise que leur fille aurait pris l'habitude de dormir dans le lit conjugal et ce, souvent jusqu'au lendemain matin. Monsieur X. ajoute, d'ailleurs, qu'il croit que Madame Y est trop proche de leur fille et qu'elle se laisse trop toucher par les difficultés d'enfant de La Petite. Il lui reproche, en outre, de parler à leur fille de sujets d'adulte et de l'entretenir de ses problèmes personnels. Les informations présentées ici relatent, uniquement parce qu'elles apparaissaient pertinentes au dossier, les perceptions de Monsieur concernant les différends éducatifs opposant les parents de La Petite. Ces thèmes ont également été abordés avec Madame puis, vue leur pertinence dans son cas également, ont été relatés dans le rapport d'évaluation psychologique concernant cette dernière et déjà produit.
Monsieur X. tient, par ailleurs, à rectifier certaines anecdotes que Madame Y aurait relatées de façon partielle ou incorrecte. Ainsi, il explique qu'il serait tout à fait faux de dire qu'il était toujours en érection lorsque La Petite partageait leur lit. Il précise que plus souvent qu'autrement, la suggestion de laisser La Petite dormir dans leur lit venait soit de la fillette soit de Madame Y. II ajoute qu'en une seule occasion, alors qu'il était déjà dans le lit à lire le journal, Madame Y aurait insisté pour que La Petite l'y rejoigne et qu'étant déjà allongé dans le lit, La Petite se serait spontanément assise à califourchon sur son ventre. Il avoue que son pénis était très partiellement gonflé avant même que La Petite n'entre dans leur chambre mais que d'aucune façon il aurait été pleinement en érection. Monsieur X. insiste pour dire que c'est la seule occasion où quelque chose de semblable se serait produit.
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Comme il s'agit du coeur des reproches de Madame concernant les comportements de Monsieur et que ce sont précisément ceux qui soutiennent l'allégation, il est non seulement pertinent de relater la version de Monsieur à leur sujet mais aussi nécessaire de le faire. Omettre d'en faire la présentation pourrait constituer une expression de partialité. Monsieur a pris connaissance de certains des propos de Madame par le biais d'un rapport préliminaire produit par le même expert, ainsi que par l'acte d'accusation. Il est important dans la rédaction de ce type de propos non seulement de respecter les termes du consentement donné au psychologue par les personnes impliquées mais, de plus, de prendre grand soin de rapporter de façon précise et exacte ces propos afin de s'assurer que le témoignage de chacun sera fidèlement reproduit.
Quant à l'anecdote concernant la punition de La Petite jugée trop sévère par Madame Y., il précise que Madame omettrait de dire que La Petite était déjà debout dans le coin en pénitence, punition donnée de façon concertée par les deux parents, au moment où, quittant le coin d'elle-même, Monsieur l'aurait invitée à venir s'asseoir sur lui pour reparler de ce qui avait entraîné la punition et que devant son refus, il lui aurait alors dit de retourner au coin. Monsieur X. exprime, à cet effet, son étonnement que Madame Y raconte cette anecdote comme s'il avait puni La Petite pour ne pas avoir voulu s'asseoir sur lui. Il tient à préciser qu'il n'aurait jamais fait une chose pareille et que La Petite n'a passé que quelques minutes au coin, ajoutant que la scène se serait terminée alors que Madame, pleurant, aurait rejoint La Petite dans le coin de la pièce et que toutes deux se seraient retrouvées assises par terre pleurant dans les bras l'une de l'autre. Comme les événements dont il est question apparaissent déterminants pour Madame, il est préférable de relater dans le rapport de façon précise et, dans ce cas-ci exhaustive, la position de Monsieur ainsi que les précisions qu'il trouve importantes d'y apporter. Il est souhaitable que la discussion par le psychologue des propos recueillis en entrevue, et repris dans cette section du rapport soit séparée de la présentation des propos afin d'éviter toute ambiguïté ou confusion. De même les propos doivent être rapportés d'une façon neutre et exacte. Il est également important de ne pas présenter les perceptions ou les opinions de la personne concernée comme des faits.
Quant au week-end précédant le signalement, Monsieur note que La Petite avait eu bien des déceptions au cours de sa visite chez lui, passant par le refus de sa nouvelle conjointe de l'amener faire des courses avec elle, contrairement à ce que Monsieur lui aurait d'abord promis, puis qu'ils ne soient pas tous allés passer le week-end dans un centre de villégiature comme prévu puisque cela s'avérait trop dispendieux. Monsieur note que néanmoins La Petite se serait beaucoup amusée au cours de ce week-end, qu'elle était très fatiguée tant le samedi que le dimanche soir après la journée passée à la piscine de sa conjointe. La Petite aurait été un peu
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inquiète toutefois, d'après Monsieur, par l'absence de sa mère puisqu'il s'agissait de la première absence de celle-ci lors d'un retour de visite chez son père. Monsieur X. précise que selon lui il avait été clairement convenu que le retour se produirait entre 17 et 19 heures. Enfin, Monsieur X. dit qu'il ne sait pas ce qui s'est passé par la suite entre Madame Y et La Petite mais qu'il savait par des commentaires faits par leur fille que sa mère l'interrogeait habituellement sur sa visite chez son père. Il ajoute qu'il arrivait fréquemment que La Petite raconte des mensonges ou des faits imaginaires comme s'ils étaient réels et s'étonne que Madame Y y aurait, cette fois-là, par exception, prêté foi; quoiqu'il suggère qu'elle ait pu soumettre La Petite à un questionnement suggestif ou émotif. Quant aux inexactitudes proférées par La Petite, Monsieur X. donnera à titre d'exemple les fois où La Petite lui aurait dit avoir été battue par L., le conjoint de Madame, ce qu'il n'avait pas tenu pour vrai, compte tenu de cette tendance chez La Petite à ne pas toujours décrire une réalité de fait, à l'absence de marques sur elle et à la confiance qu'il avait que Madame Y ne permettrait pas cela. Il est également important de relater de façon exhaustive et précise les informations recueillies qui, aux yeux de la personne évaluée, sont pertinentes à l'allégation sous étude. Leur valeur relative devra être pondérée et argumentée par l'expert dans la section du rapport où il présentera son analyse du cas. Personnalité Monsieur X. nous apparaît comme un homme qui lutte actuellement contre un sentiment de désespoir important. Il est aux prises, en effet, avec le sentiment que sa vie risque de s'écrouler, comme si, au plan fantasmatique, il avait l'impression de ne pas réussir à se sortir d'un mauvais rêve, d'un cauchemar sans fin. Cette réaction dépressive importante semble cependant réactionnelle à l'allégation de sévices sexuels qui a été portée contre lui, comme s'il venait d'un coup de perdre brutalement les repères identificatoires qui jusqu'alors étaient à la base de son équilibre psychique. En effet, nous reconnaissons en Monsieur X. la présence de deux courants fondamentaux d'identification inconsciente. Ainsi, il semble, d'une part, s'identifier à un enfant qui a besoin de protection, d'aide, de soutien et, d'autre part, à un adulte qui remplit une fonction paternelle de protecteur. Nous observons ainsi en Monsieur X. un aspect un peu infantile où recevoir, être aimé et se soumettre aux bons soins d'un autre adulte constituent des éléments importants de la relation interpersonnelle. Par ailleurs, nous observons également une identification importante à un personnage masculin idéalisé où les fonctions de protéger, d'aider, de veiller au bienêtre d'un autre vu comme étant plus faible et vulnérable que lui-même sont très investies.
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Une description de la vision subjective qu'a Monsieur de lui-même et de la place que joue cette vision dans l'équilibre de sa personnalité sont présentées ici. Ceci a été jugé pertinent puisque cela concerne spécifiquement sa façon d'être père et époux.
Il nous apparaît possible que la première de ces deux identifications ait joué un rôle important dans la relation de couple avec Madame Y où Monsieur X. semble en effet avoir préféré laisser à Madame beaucoup de responsabilités familiales, adoptant possiblement par certains côtés une position un peu infantile et possiblement assez soumise face à sa conjointe. D'autre part, l'importance accordée à son rôle de pourvoyeur et l'engagement émotif intense voué à son travail semblent relever davantage de son identification paternelle protectrice. Bien entendu, ces aspects identificatoires complémentaires ne peuvent être dissociés de façon aussi nette et se retrouvaient fort probablement, à degrés variables, dans ces deux contextes de vie. Ce paragraphe apparaît pertinent en ce qu'il décrit les éléments de personnalité de Monsieur qui semblent avoir été en cause dans l'échec de la relation de couple et être associés également subséquemment par Madame à l'allégation.
Par ailleurs, nous remarquons chez Monsieur X. l'utilisation de mécanismes de défense adaptatifs devant un monde pulsionnel dont la présence n'apparaît ni envahissante ni pathologiquement réprimée. Ainsi, nous observons de bonnes capacités adaptatives et l'utilisation de ressources internes adéquates devant les pulsions malgré le déséquilibre dépressif situationnel que nous notons actuellement chez lui. Ce paragraphe présente les forces observées chez Monsieur au niveau de l'organisation de sa personnalité. Ces aspects, dans le présent contexte, sont pertinents. Par ailleurs, il peut être jugé important de toujours présenter les aspects adaptatifs notés chez la personne évaluée, le cas échéant, afin de permettre au juge de mieux pondérer la description de la personnalité présentée par l'expert.
Conclusions, Monsieur X. Monsieur X. ne nous apparaît pas comme étant atteint de psychopathologie. La structure et l'équilibre de la personnalité apparaissent fonctionnels bien que nous remarquions la présence d'une réaction dépressive dont l'intensité semble s'être atténuée depuis son déclenchement au moment où l'allégation de sévices sexuels lui a été signifiée. L'intensité de cette réaction dépressive semble liée, d'ailleurs, à la perte brutale des repères identificatoires de Monsieur X. qui, sur la scène interne, se définit partiellement en fonction de ses capacités paternelles et protectrices envers les enfants.
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Conclusions générales La poursuite de la démarche évaluative permet de mettre en lumière un certain nombre de points qui peuvent éclairer l'analyse de l'allégation. Ainsi, par exemple, Monsieur affirme que La Petite ne s'endormait jamais seule et qu'il était dans son habitude de partager le lit conjugal puis le lit de sa mère. Dans un tel contexte, le fait de vouloir dormir dans le lit de sa mère puis d'éprouver des difficultés pour s'endormir le soir du 30 août à son retour d'une visite chez son père perdraient leur caractère exceptionnel et possiblement dès lors leur signification en tant qu'expression d'un état émotionnel trouble inhabituel chez La Petite. De même que l'irritation de la vulve de La Petite ce soir-là, décrite par Madame Y, n'apparaît plus comme étant un phénomène isolé puisque cela aurait été observé fréquemment, selon plusieurs personnes de son entourage, à la suite de manipulations masturbatoires de sa part. Il est à noter, à cet effet, qu'il n'est pas rare que des enfants d'âge préscolaire aient recours à la masturbation comme technique pour s'endormir ou comme façon de conjurer la solitude ou de tromper leur ennui. Par ailleurs, une lecture attentive du rapport d'observations préparé par les moniteurs de la garderie de La Petite permet de constater que celle-ci leur apparaît, depuis déjà pratiquement deux ans, comme étant particulièrement intéressée et curieuse par rapport à la sexualité. De même, Madame Y rapporte que La Petite lui aurait raconté à plus d'une reprise avoir eu des jeux sexuels avec un petit garçon de la garderie, disant notamment une fois que celui-ci lui avait « léché la vulve ». Enfin, les monitrices notent un certain nombre de jeux sexuels initiés par La Petite depuis sa fréquentation de la garderie. L'intérêt et la curiosité de La Petite pour la sexualité adulte semblent d'ailleurs s'être accentués après la séparation de ses parents alors que l'un et l'autre se sont retrouvés avec de nouveaux conjoints. Il est permis de croire, à cet effet, que même si La Petite n'avait été témoin oculaire d'aucune relation sexuelle entre les nouveaux partenaires, ce qui n'est pas à exclure d'emblée, sa curiosité sexuelle déjà en éveil ait été fortement stimulée par ces deux nouveaux couples impliquant ses parents. De plus, l'explication fournie à La Petite pour justifier la rupture du couple (papa aime une autre femme, papa ne peut pas aimer deux femmes à la fois) a pu certainement contribuer à nourrir les fantaisies de La Petite qui confiera à sa monitrice que depuis le départ de la dernière conjointe du père, ce sera désormais elle qui s'occupera de son papa, comme le faisait sa mère et S. La présence d'un monde de fantaisies riche et complexe chez La Petite se retrouve également dans son témoignage devant le tribunal où certains aspects de son récit, pourtant démontrés comme étant faux, sont décrits avec une étonnante vraisemblance, tels ses appels à l'aide ou encore les remontrances servies à son père. Ces propos, décrivant des événements
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pourtant fictifs, sont, en effet, tout à fait bien incorporés au discours de La Petite et semblent être considérés par elle comme étant du domaine de la réalité objective. En outre, son témoignage devant le tribunal permet d'apercevoir comment La Petite cherche à donner la réponse qu'elle croit attendue d'elle. Elle semble chercher à évaluer chaque question comme si elle tentait d'y déceler un piège, comme si elle ne voulait pas se compromettre ou avait peur d'être prise en faute. Comme cette particularité de sa personnalité a également été observée lors de notre évaluation, il y a lieu de penser que La Petite puisse être très sensible à la suggestion. Ce facteur doit être considéré comme ayant été probablement présent au moment des dévoilements qu'elle a faits, d'abord à sa mère puis aux intervenants médicaux et sociaux. Compte tenu de la proximité affective entre mère et fille observée en évaluation et décrite tant par Madame Y que par Monsieur X., il est possible de penser que La Petite soit très sensible non seulement à l'humeur de sa mère, mais également à tout signe manifeste qu'elle peut interpréter chez celle-ci. L'hypothèse qu'elle ait voulu inconsciemment le soir du 30 août se rapprocher de sa mère en la faisant réagir contre son père n'est donc pas à éliminer, d'autant plus que La Petite a semblé recourir à une stratégie semblable en se plaignant à son père du comportement du conjoint de Madame. Un peu comme si sa façon de réagir à la séparation de ses parents aurait pu être de chercher à renforcer le lien avec chacun d'eux en ayant recours à un clivage faisant de l'autre (ou de son conjoint), en son absence, un « mauvais parent ». Quant au changement de comportement noté chez La Petite, certains points doivent être pris en considération. D'abord, elle venait de passer deux journées au soleil, à la piscine et se couchant très tard la veille, il était normal qu'elle soit fatiguée et ait pu apparaître quelque peu apathique. L'inquiétude possible qu'elle a pu ressentir devant l'absence de sa mère à son retour peut également être considérée comme un facteur de dérangement au plan émotionnel. En outre, la précipitation des événements, dès le lendemain matin, notamment l'impression laissée sur La Petite par l'examen médical et le questionnement direct et hautement suggestif de Madame E., l'intervenant social, ont fort probablement éveillé une certaine angoisse chez elle dont les effets ont pu être observés par Madame Y ainsi que par les monitrices à la garderie. En effet, La Petite n'aurait manifesté aucune crainte face à son père lors de son retour chez sa mère, selon les deux parents et leurs conjoints respectifs. Notons que La Petite aurait mentionné à sa monitrice vers 8 h 30 le lundi matin 31 août qu'elle irait voir le médecin plus tard au cours de cette journée-là en rapport avec les « bobos » que son père lui aurait faits. Cette remarque permet certainement d'imaginer que La Petite appréhendait cette visite médicale, mais donne également un aperçu de quel a pu être le climat émotionnel dans lequel La Petite et possiblement aussi Madame Yse trouvaient. Il est ainsi permis de croire qu'un certain climat d'urgence était présent, climat qui a pu non seulement favoriser une montée
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d'angoisse chez La Petite, mais également la placer, malgré tout, dans une situation émotive où il lui était difficile de se sentir libre. Madame confirme, d'ailleurs, qu'à la suite de sa conversation téléphonique avec son avocate le soir des révélations de La Petite, elle se sentait prise de panique. En outre, les opinions des intervenants médicaux et sociaux que l'on aurait tôt fait de transmettre à Madame Y confirmant qu'il y aurait eu agression sexuelle ont certainement pu contribuer à encourager la peur que La Petite a manifestée envers son père par la suite. Il est à remarquer, au sujet des observations contenues dans le rapport médical, qu'une étude' récente auprès d'un échantillon important de 318 enfants d'une population normale a permis aux auteurs d'observer chez un grand nombre d'enfants (49 %) une dilatation réflexe des sphincters anaux à tel point qu'ils concluent que la dilatation anale avec ou sans présence de selles doit être considérée comme une donnée normale et ne pas être associée à une indication d'agression sexuelle. Enfin, la stéréotypie du jeu de La Petite au cours de l'évaluation semble renvoyer probablement à une exacerbation des composantes surmoïques persécutrices de sa personnalité. Ainsi, La Petite nous apparaîtrait actuellement comme une fillette qui se sent très coupable, très fautive. Cet aspect a d'ailleurs été noté par les monitrices de sa garderie et observé uniquement à partir du lundi 31 août. En ce sens, il nous apparaît possible que cette surcharge de sentiments de culpabilité soit associée à la colère qu'elle a manifestée envers son père depuis. Compte tenu de tous ces éléments, il nous apparaît improbable que La Petite ait été victime d'agression sexuelle de la part de son père. Il y a lieu de penser qu'elle a pu, en premier lieu, en raison d'un contexte relationnel particulier associé au divorce de ses parents, avoir été motivée inconsciemment à se rapprocher de sa mère en acceptant les suggestions de celle-ci concernant la culpabilité de son père et que, prise au mot, elle ait été par la suite d'abord encouragée à poursuivre dans la même voie puis contrainte, malgré elle, à maintenir cette version afin de se protéger d'un sentiment de culpabilité qui apparaît comme étant assez important. Un peu comme elle en a manifesté la tendance au cours de son témoignage devant le tribunal, il se peut que, se sentant fautive, elle ait cherché à se protéger en contre-attaquant; une telle stratégie défensive est cependant habituellement inefficace et ne fait qu'augmenter les sentiments inconscients de culpabilité dans un deuxième temps.
1. McCANN, J., VORIS, J., SIMON, M. et R. WELLS (1989). « Perianal findings in a group of children selected for non abuse : a descriptive study>>. Child Neglect and Abuse, vol. 13, p. 179-193.
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Nous croyons qu'il est souhaitable que La Petite bénéficie d'une psychothérapie actuellement afin de lui permettre de dépasser le conflit de loyauté et le dilemme relationnel notés chez elle. Si les différents tribunaux le permettent, il apparaît souhaitable également que certains contacts soient repris entre Monsieur X. et La Petite. Une reprise de contact progressive passant par des envois postaux, des appels téléphoniques, puis des sorties courtes avec son père accompagnées, par exemple, de sa grand-mère paternelle ou d'une autre personne en qui elle a confiance pourrait certainement aider La Petite en diminuant l'intensité de son angoisse du talion. En effet, constatant que son père ne lui en veut pas, la charge de culpabilité qu'elle porte actuellement serait probablement allégée. Il pourrait être envisagé, dans ce contexte, qu'une rencontre initiale entre père et fille soit supervisée par un professionnel des sciences humaines connu par La Petite étant donné la très longue absence de contact entre eux. Enfin, dans l'éventualité où ces conclusions seraient retenues par les différentes instances judiciaires, il serait important que Madame Y puisse être rencontrée afin que ces conclusions lui soient expliquées et discutées plus en profondeur. Madame Y demeure, à notre avis, la personne qui est le mieux en mesure de comprendre le dilemme actuel de La Petite et de la soutenir dans la résolution progressive de celui-ci. Il est important dans ses conclusions de présenter d'une façon bien argumentée les éléments qui retiennent l'attention du psychologue. Également, il importe de présenter ces éléments avec les nuances qui s'imposent ainsi qu'en précisant le statut à accorder à ces éléments; par exemple, s'agit-il de faits ou d'hypothèse et comment ces éléments sont-ils pondérés ?
Signature, Ph.D. psychologue ........................................................................ Numéro de permis O.P.Q.: 123XYZ
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Psychologue et Associés 8888, rue de la ville, Montréal, Québec, Canada, OC 3C3
Rapport d'expertise psycholégale Impliquant: Robert Roland Marthe Roland dates d'évaluation : date du rapport :
né le 199x-xx-xx mère de Robert 17 et 18 novembre 1999, 1 et 2 décembre 1999 14 décembre 1999
Motif de l'évaluation Madame Roland demande une expertise psychologique, car elle entretient des doutes qu'elle désire clarifier au sujet d'une hypothèse d'agression sexuelle pouvant impliquer son garçon, Robert, et possiblement son ex-époux. Description de l'évaluation Tel qu'expliqué à madame Roland lors de notre première entrevue, le processus d'expertise psycholégale dans le cas d'une allégation d'agression sexuelle comporte habituellement les éléments suivants Je prends connaissance de tous les rapports et documents pertinents qui ont été jusqu'alors produits. Je rencontre les parents ensemble ou séparément selon les cas, afin de recueillir une histoire de l'enfant, un historique de ses symptômes ainsi que les informations concernant le dévoilement de l'agression. Des informations concernant la vie familiale et les parents sont aussi recueillies. Puis je procède à l'évaluation psychologique de l'enfant au cours de laquelle en plus des situations d'entrevues et de jeux libres, j'administre des tests psychologiques. Il est souvent nécessaire également de procéder à une évaluation psychologique (entrevue, autobiographie, tests psychologiques) avec les parents dans le but de mieux cerner l'ensemble de la problématique. Dans les cas d'allégations de sévices sexuels qui impliquent le père ou la mère de l'enfant, par exemple, il est souvent nécessaire de procéder aux évaluations psychologiques des parents. Enfin dans les dossiers d'allégation intra-familiale, une période d'observation de l'interaction entre parents et enfant est souvent nécessaire afin d'évaluer le type de relation qui s'établit entre eux.
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L'expertise psycholégale
Madame Roland nous a expliqué que bien que l'allégation implique le père de l'enfant, celui-ci n'a pas été averti de ce fait ni par elle ni par qui que ce soit. Madame a déjà rencontré une professionnelle qui aurait conclu qu'il n'y aurait pas eu d'agression sexuelle impliquant le père de l'enfant, sans cependant avoir effectué une évaluation psychologique. Madame vient me voir pour être certaine de cette conclusion. Elle ne désire pas pour l'instant une évaluation impliquant son mari, mais une évaluation de l'enfant dans un premier temps afin de voir : • s'il y aurait des traces dans sa personnalité qui pourraient renforcer une hypothèse d'agression sexuelle; • de voir si l'enfant a des problèmes psychologiques et de fournir des recommandations s'il y a lieu ; •
ainsi que d'essayer de comprendre le sens des verbalisations de l'enfant qui ont fait croire à la mère qu'il y avait eu agression sexuelle.
Tout en sachant qu'une expertise psycholégale complète impliquerait l'enfant, la mère et le père, madame est mise au courant des limitations de l'expertise actuelle (par exemple, l'expertise ne peut se prononcer sur le père s'il n'a pas été évalué) et elle comprend ces limitations. La présente expertise comprend donc : • l'évaluation du dévoilement menant à l'allégation d'agression sexuelle (entrevue avec madame Roland les 17 et 18 novembre 1999) • l'évaluation de Robert • observation
18 novembre, 01 et 8 décembre
jeux
01 et 8 décembre
Patte-Noire
01 décembre
CAT
01 décembre
dessins
01 décembre
entrevues
01 et 8 décembre
Nous nous entendons avec madame Roland sur ce processus comme constituant un premier temps d'expertise psycholégale pouvant permettre de voir si Robert présente des problèmes de personnalité, de formuler une hypothèse sur la possibilité d'une agression sexuelle, de tenter de découvrir le sens de « l'histoire de la coccinelle » qui a donné naissance aux inquiétudes de la mère. En fonction des résultats de cette évaluation s'il y a lieu de favoriser l'hypothèse d'une agression sexuelle, une poursuite de l'évaluation comprendrait alors l'évaluation psychologique de la mère et du père (ou d'un autre agresseur présumé) et des interactions père/enfant et mère/enfant.
© 1999 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : L' expertise psycholégale, Sous la direction de Louis Brunet, ISBN 2-7605-1016-6 • D1016N Tous droits de reproduction, de traduction ou d’adaptation réservés
De la théorie à la pratique : quelques illustrations
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Évaluation du dévoilement L'évaluation du dévoilement d'une plainte d'agression sexuelle concernant un enfant porte sur les éléments suivants : • l'origine de la plainte; • le moment du dévoilement ; • le verbatim du dévoilement; • le dévoilement était-il spontané, suscité, encouragé, stimulé par un événement ? • à qui a été fait le dévoilement ? • de quelle manière et quel était le contexte de dévoilement ? • quel est le contexte émotif impliquant les divers protagonistes (enfant, présumé agresseur, personne à qui est fait le dévoilement) ? Après avoir discuté pendant trois heures avec madame Roland des circonstances exactes entourant les verbalisations de l'enfant qui ont été comprises par elle comme des indices possibles d'agression sexuelle, il ressort que tout a commencé par un jeu animé par madame Roland dans lequel il fallait inventer une histoire. Ainsi madame Roland explique qu'elle joue fréquemment avec Robert à créer une histoire. Par exemple elle raconte à Robert l'histoire d'un bébé oiseau dont le père et la mère sont séparés et elle demande à son enfant de compléter l'histoire : comment se sent le bébé oiseau, est-il triste que ses parents soient séparés, etc. ? Madame crée ces histoires basées sur la situation réelle de Robert (les parents se sont séparés depuis environ trois ans) dans le but d'aider son enfant à vivre cette séparation. En septembre 1999 madame Roland, jouant avec Robert, invente l'histoire de la coccinelle, dont les parents sont séparés. Au cours du jeu elle demande à Robert si le bébé coccinelle a un secret qu'il ne dit pas à sa maman. Continuant le jeu, Robert poursuit en disant que la coccinelle a un secret, qu'elle ne peut le dire sinon le papa coccinelle va tuer le bébé coccinelle. Il est à noter que l'histoire s'est construite dans une espèce de synergie : madame Roland posait des questions, encourageait son enfant à aller plus loin, à inventer davantage et Robert semblait collaborer très activement au jeu. Il est à noter aussi que souvent Robert ramenait madame Roland au jeu lorsque celle-ci tentait de personnaliser les verbalisations de Robert. Ainsi il disait « non, pas moi, joseph le bébé coccinelle » lorsque madame utilisait le prénom Robert plutôt que le prénom du bébé coccinelle. Madame Roland a alors posé des questions directes et suggestives comme Est-ce que le bébé coccinelle a vu le pénis du papa coccinelle (Robert répond oui). Madame a aussi joué à mimer un pénis devant Robert et demandé par exemple si le pénis était mou ou dur (l'enfant a répondu « je ne sais pas »).
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L'expertise psycholégale
Ont suivi alors une série de questions directes auxquelles l'enfant répondait soit par oui ou non, ou des questions contenant des thèmes précis et élaborés (par exemple « l'as-tu mis dans ta bouche ? réponse : non; qu'est-ce que ça goûte ? réponse : le vinaigre ; où as-tu fait ça ? réponse : partout dans la maison; combien d'années le papa et le bébé coccinelle ont fait ça ? réponse : pendant 10 ans ; comment font-ils ça ? réponse : on s'enroule tout le corps dans le papier de toilette; etc.). L'analyse de la déclaration démontre qu'elle ne semble pas correspondre aux caractéristiques habituelles d'un dévoilement spontané, qu'il semble s'agir d'une part de verbalisations orientées par les questions directes contenant leurs propres scénarios et qu'en plus il s'agissait d'un jeu de fantaisie et d'invention et que l'enfant rappelait à quelques reprises à sa mère qu'il ne s'agissait pas de lui mais bien du personnage fictif qu'ils inventaient ensemble. La forme des verbalisations de Robert ainsi que leur contenu, tout autant que le contexte de jeu stimulé ne vont pas dans le sens d'une tentative d'un enfant de communiquer une situation d'agression sexuelle ou de dévoiler un secret de cet ordre tel que la littérature scientifique sur la question le rapporte. Il semble que pour l'enfant il s'agissait plutôt de fantaisies et comme nous le verrons dans l'évaluation psychologique de Robert, celui-ci semble bien avoir la capacité de ne pas confondre le réel et l'imaginaire au point où il n'aurait pas eu conscience des différences. Dans le jeu Robert rappelle à la mère qu'il s'agit d'un jeu et non pas de « lui-même » et en entrevue avec moi il a réitéré qu'il s'agissait d'un jeu. Le fait que madame Roland ait orienté ainsi le jeu vers des doutes sur certains agirs sexuels qui auraient impliqué l'enfant et son père semble venir de deux événements. D'abord, alors que Robert avait un peu plus de deux ans, madame Roland l'a surpris avec un petit ami plus âgé que lui alors que Robert avait le pénis de son ami dans la bouche. Madame Roland avait alors rencontré la mère de cet enfant pour la mettre au courant et avait émis l'hypothèse que cet enfant pouvait être victime d'agression sexuelle. Avec ce souvenir en tête, il est compréhensible que madame se soit inquiétée de l'orientation que prenait le jeu qu'elle faisait avec Robert. L'autre événement qui a pu influencer les inquiétudes de madame est la préoccupation qu'elle a déjà eue face aux agressions sexuelles lors d'un épisode dépressif qu'elle a fait après la naissance de Robert. Madame Roland nous explique que dans sa dépression post-partum elle avait fait un délire dans lequel elle croyait que le père de son mari avait agressé sexuellement sa fille et qu'elle a dû être hospitalisée en psychiatrie pour y être traitée. Il est à noter de plus que jamais Robert n'a démontré de peur d'être tué par son père à la suite du jeu où il dit que le bébé coccinelle serait tué par le père s'il dévoilait le secret. Au contraire, madame nous dit que Robert aime beaucoup retrouver son père, qu'il est impatient de le revoir et même qu'il voudrait le voir plus souvent et plus longtemps. Ceci tend à laisser
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croire que le jeu ne représenterait pas les angoisses de Robert face à une situation réelle. À l'école Robert ne présente pas de problème, il est éveillé, ouvert, il obéit bien, les rapports de ses éducateurs sont très positifs. Madame Roland croit que le vinaigre de l'histoire de la coccinelle signifie du sperme, mais elle se souvient qu'en septembre, dans la cour de la maison, les enfants du voisinage auraient fait une « potion magique » composée de vinaigre et de bicarbonate de soude. D'autre part, dans son jeu, Robert dit que la petite coccinelle l'a dit à tous ses amis (au sujet du secret et de la menace de mort), mais selon les dires de madame Roland, personne, ni chez les amis, ni chez les voisins ni à l'école n'a entendu parler d'une histoire se rapprochant de celle-ci. Robert n'aurait rien dit non plus de semblable chez la soeur de madame, ni chez les grands-parents chez qui il se fait garder. Ces éléments renforcent l'hypothèse que le jeu de Robert ne représentait pas directement une situation qu'il vivait réellement, mais plutôt une construction ludique dont la base principale était davantage fantasmatique que réelle. Évaluation de Robert Robert est un petit garçon de 8 ans qui entre très facilement en contact et joue facilement avec le matériel de la salle de thérapie où je le reçois. A une question, Robert me dit que sa mère lui a expliqué qu'il venait me voir pour dire ses secrets, mais qu'il n'avait pas de secret à me dire. Il préfère au début faire des dessins. Que ce soit à travers les jeux, les dessins ou les épreuves projectives (Patte-Noire et C.A.T.), Robert démontre qu'il est capable d'une grande imagination et les fantaisies qu'il met en scène semblent souvent typiques d'un garçon de son âge dont l'oedipe est compliqué du fait de la séparation des parents. Ainsi, à la fois Robert aime son père, veut lui ressembler, l'idéalise, mais voit aussi son père comme quelqu'un qui pourrait le « chicaner » et le punir. Ainsi nombre de jeux semblent une tentative d'élaborer la rivalité naturelle d'un garçon avec son père, rivalité qui se change en protection du père pour son fils. Les thèmes habituels de l'enfant qui veut grandir et devenir fort comme un homme, puissant et viril comme son père s'accompagnent de [...] les désirs de prendre la place du père, et de devenir le plus fort et le plus puissant se situent dans un développement tout à fait normal et s'intègrent à l'évolution de Robert sans angoisse exagérée... Il ressort que Robert semble capable de jeu symbolique, d'une mise en scène efficace et élaborée de certains conflits psychiques ou de certaines angoisses. Il ne semble pas sidéré dans ses capacités de symbolisation comme on pourrait le trouver chez certains enfants ayant vécu des traumas ou des stress importants.
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L'expertise psycholégale
Les rapports de Robert avec sa mère sont... Les jeux comme les tests projectifs ne démontrent pas de thèmes sexuels crus ou non élaborés. [...] Son rapport avec moi n'est pas sexualisé, il n'est ni trop familier ni craintif. La distance relationnelle est adéquate et démontre qu'il ne craint visiblement pas la relation avec un homme, même seul avec lui en l'absence de la mère. [...] Tant sa relation avec moi que les résultats aux tests projectifs et que ses propos en entrevue montrent que cet enfant semble rechercher positivement le contact masculin, sans promiscuité ni angoisse manifeste. [...] Il semble actuellement dans une phase de désir de rapprochement avec son père, de désir d'affection et d'identification avec lui pour devenir un homme comme lui. [...] Il aime ses deux parents, se sent aimé d'eux et voudrait passer le plus de temps possible avec les deux. Il aime jouer et voudrait jouer davantage avec ses parents, il a manifesté aussi des désirs d'être cajolé et pris dans les bras de ses deux parents, ce qui nous montre encore une fois sa confiance en eux et les liens positifs qu'il entretient avec eux. Cependant il faut ajouter que ces relations subjectives positives n'ont pas été évaluées directement dans cette expertise. Ainsi la présente évaluation relate comment Robert voit sa relation à son père et à sa mère et non pas la relation réelle telle qu'elle pourrait être évaluée dans un temps subséquent. Conclusions En résumé, Robert est un petit garçon de huit ans dont le développement [...]. Il fait preuve de bonnes capacités de symbolisation qui lui permettent à la fois d'élaborer des conflits dans des jeux sans pour autant sembler confondre réalité psychique et réalité externe. Bien qu'il ne s'agisse pas ici d'une expertise psycholégale complète dans laquelle nous aurions évalué la personnalité de la mère et du père de Robert, nous pouvons dire que rien dans l'équilibre actuel de la personnalité de Robert, telle qu'évaluée, ne permet de favoriser une hypothèse d'agression sexuelle. Cependant s'il y avait des développements (autres verbalisations, apparition de symptômes) nécessitant une poursuite de l'évaluation, celle-ci devrait comprendre l'évaluation individuelle de chacun des parents et l'évaluation de la relation parent/enfant. L'évaluation des circonstances des verbalisations de l'enfant et l'analyse de l'« histoire de la coccinelle » nous portent à favoriser l'hypothèse qu'il ne s'agirait pas du dévoilement d'une situation d'agression sexuelle, mais plutôt d'un jeu créatif.
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Les inquiétudes compréhensibles de madame Roland l'ont peut-être amenée sans le réaliser à diriger un peu trop le jeu de la coccinelle au point d'y inclure, de bonne foi, certaines suggestions qui ont pu orienter la sexualisation du jeu. Recommandations Monsieur X Psychologue, membre de l'OPQ, numéro x
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L'expertise psycholégale
Psychologue et Associés 8888, rue de la ville, Montréal, Québec, Canada, C3C 3C3
Rapport d'évaluation psychologique Ce rapport fait suite à une évaluation psychologique demandée par le mandant pour savoir si la personne évaluée est en mesure, au plan psychologique, d'occuper un emploi rémunéré. Le contexte judiciaire est une demande de divorce présentée quelque dix ans après un jugement en séparation. Au cours de ces années de séparation, une pension alimentaire permettant à Madame C. de subvenir à ses besoins avait été versée par son ex-conjoint. Les enfants du couple sont depuis devenus adultes et autonomes. Comme les rapports médicaux ne faisaient état d'aucune invalidité subséquents aux problèmes de santé bien documentés de Madame et, qu'au contraire, ses médecins la jugeaient guérie, le procureur de Monsieur demandait si l'incapacité de Madame de subvenir à ses besoins n'étaient pas due à de la mauvaise foi ou à de la manipulation de sa part. À aucun moment au cours de l'évaluation, Madame ne s'est plainte de symptômes dépressifs. De tels symptômes n'avaient pas non plus été décrits ou observés ni par son médecin de famille ni par la psychologue qui la suivait depuis quelques mois. En fait, Madame C. s'est avérée souffrir d'un état dépressif très sévère et qui durait vraisemblablement, au moment où elle a été évaluée, depuis plusieurs années. Cet état dépressif était certes masqué par les plaintes de Madame concernant sa santé ainsi que son état de dépendance financière face à son ex-conjoint, mais, de plus, Madame elle-même ignorait totalement qu'elle souffrait de dépression. D'autre part, l'expertise a mis en lumière des symptômes d'allure neurologique qui n'avaient jamais été documentés auparavant. Toutes les dates sont fictives. De même, toute information permettant de reconnaître des individus a été modifiée. Toute ressemblance avec une personne réelle ne saurait être que le fruit du hasard.
Madame C. Née: 3-13-xx (45 ans)
Motif de la consultation Il s'agit d'une évaluation psychologique demandée par maître X., procureur de M. Y., qui vise à tracer un portrait psychologique de Madame C. et à cerner ses capacités fonctionnelles sur le plan du travail. Cette évaluation s'inscrit dans le cadre des procédures de divorce entamées entre les parties
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(31 janvier 2014) et notamment en ce qui a trait à la pension alimentaire versée par M. Y à Mme C. depuis le jugement en séparation (3 janvier 2002) prononcé par l'Honorable Juge A. Démarche évaluative Documents consultés - Jugement en séparation prononcé par l'Honorable Juge A.; 3 janvier 2002. - Requête en divorce présenté par Me X.; 31 janvier 2014. - Rapport médical concernant Madame C., signé par Dr Spécialiste; 3 février 2009. - Rapport médical concernant Madame C., signé par Dr Un Tel, médecin de famille; 4 mars 2010. - Rapport médical concernant Madame C., signé par Dr Un Tel, médecin de famille; 5 novembre 2012. - Rapport médical concernant Madame C., signé par Dr Un Tel, médecin de famille ; 6 janvier 2014. - Rapport psychologique concernant Madame C., signé par Madame Elisabeth; 30 mai 2014. - Affidavit signé par Zazoue, amie de Madame C., 22 décembre 2013. Consultations téléphoniques - Dr Un Tel, médecin de famille, 4 octobre 2014, durée : 30 minutes. - Madame Psychologue, psychologue, 5 octobre 2014, durée 30 minutes. Rencontres Madame C. a été rencontrée le 5 septembre 2014 pour une entrevue d'une durée de près de deux heures puis de nouveau elle a été vue le 10 septembre 2014 pendant quelque deux heures pour une séance de testing psychologique (Rorschach, T.A.T.). Elle nous a également remis une autobiographie écrite à notre demande au cours de cette deuxième rencontre. Entrevues Madame C. dit se sentir très méfiante devant le processus évaluatif. Elle exprime le sentiment d'être contrainte d'y collaborer et en ressentir une grande humiliation. D'ailleurs, elle ajoute se sentir découragée par toutes
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les démarches qu'elle doit faire pour démontrer son incapacité actuelle à travailler et ne pas comprendre pourquoi son ex-mari et son procureur lui en demanderaient tant. Madame C. avoue ressentir une grande angoisse devant l'évaluation psychologique, elle craint que cela soit à son désavantage, elle dit accepter de s'y soumettre néanmoins dans une attitude de résignation. Par ailleurs, il est à noter que la méfiance exprimée par Madame C. s'estompe tout à fait par moments alors qu'elle paraît ressentir un grand besoin de se confier. Elle décrit ainsi nombre de ses inquiétudes et l'angoisse qu'elle manifeste demeure facilement discernable tout au cours du processus évaluatif. Madame C. dit avoir commencé à ressentir des problèmes de fatigue et de manque d'énergie depuis 2008, problèmes qui se seraient accentués selon elle au cours d'une série de quatre interventions chirurgicales en 2009 [...] (Dans un rapport à être déposé, la phrase précédente serait suivie des informations pertinentes concernant ces interventions puisqu'elles sont nécessaires pour situer les conséquences psychologiques invoqués par Madame C.). Madame C. avoue ressentir un grand découragement, elle estime n'avoir jamais retrouvé ses moyens depuis l'apparition de ses problèmes de santé. Elle ajoute que bien qu'elle ne souffre plus de douleurs depuis l'été 2010 à la suite d'un traitement proposé par le spécialiste appelé en consultation, elle désespère de retrouver ses forces et ses capacités antérieures. En effet, Madame C. exprime une grande détresse face à l'état d'invalidité qu'elle décrit. Elle avouera se sentir très découragée et ne plus avoir confiance de trouver une réponse à ses problèmes d'épuisement auprès du corps médical. Elle ajoutera d'ailleurs ne plus en parler aux médecins qu'elle consulte et ne pas non plus consulter spécifiquement par rapport aux autres symptômes qu'elle constate chez elle, se sentant découragée de ne pas avoir trouvé de réponse auprès d'eux déjà. Madame avouera, en parlant de ces quelques dernières années, que n'eût été ses enfants, elle aurait probablement mis fin à ses jours tant son état la désespère. Parmi les symptômes qui affectent Madame C. et dont elle dit ne pas avoir fait part à ses médecins, notons des problèmes de concentration, de mémoire à court et à long terme et de confusion. Madame manifeste une détresse aiguë en parlant de cette symptomatologie dont nous avions déjà observé les manifestations tout au cours du premier entretien. Manifestement très troublée par ces symptômes, Madame dit craindre que ses difficultés cognitives et son épuisement la rendent éventuellement incapable de vivre de façon autonome. Elle décrit, d'ailleurs, avoir connu des périodes de confusion où, par exemple, elle ne se reconnaissait plus dans un centre commercial de son quartier. Ces épisodes pouvaient durer de quelques minutes à quelques dizaines de minutes. Elle témoigne également d'une tendance à faire des contractions de mots qui serait cependant en train de diminuer en fréquence. Madame C. ajoute à cet effet que ce qui la trouble
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le plus actuellement sont les « trous » de mémoire qui, estime-t-elle, sait beaucoup plus fréquents maintenant. Elle dit aussi perdre souvent « le fil » de ce qu'elle dit ou fait et de se sentir impuissante à le retrouver. Enfin, notons que Madame C. se sent lésée et humiliée par sa situation actuelle. Elle dira à ce sujet qu'elle a le sentiment que l'on voudrait lui faire croire qu'elle est fautive de demander une pension alimentaire et ajoutera que selon elle, tout ce qu'elle a fait a été de quitter un homme qui lui aurait toujours été infidèle. Le compte rendu de Madame de ses problèmes de santé et surtout de sa perception de leur impact sur sa capacité de fonctionnement doivent être rapportés puisqu'ils se trouvent au cour de la requête entendue. Par ailleurs, il est important dans une démarche d'expertise de ne pas considérer les perceptions et informations fournies par les personnes impliquées comme des faits irréfutables. Tout en les traitant de façon respectueuse et en leur accordant une valeur phénoménologique de grande importance, il est préférable pour ce qui concerne les éléments centraux, lorsque cela est possible, de tenter d'obtenir des informations d'autres sources.
Évaluation de la personnalité Nous observons chez Madame C. un équilibre de personnalité ténu ainsi que la présence d'importants sentiments dépressifs. Cet état est possiblement présent chez elle depuis un certain nombre d'années déjà et nous notons également actuellement une importante détresse psychologique. Madame C. semble, en effet, se sentir démunie devant le découragement qu'elle ressent. Nous notons ainsi d'intenses sentiments de vulnérabilité, une faible estime de soi et un important sentiment inconscient de culpabilité. Ainsi, Madame C. semble, sur la scène interne, se voir un peu comme une victime, comme si elle entrevoyait les relations interpersonnelles en termes de « gagnant-perdant » et estimait être celle qui, faute de moyens, est toujours perdante. Cette vision d'elle-même apparaît comme une source de grande angoisse pour Madame C. Se sentant si vulnérable vis-à-vis des autres, elle cherche à se protéger en ayant recours à des mécanismes tels le déni, la rationalisation, l'isolation, la projection et l'intellectualisation. Toutefois, cette stratégie défensive apparaît actuellement peu efficace pour calmer son angoisse, ce qui peut contribuer à augmenter les sentiments de vulnérabilité et de désespoir observés chez elle. Ainsi, il nous semble que Madame C., en raison de l'utilisation du déni et de la projection, ne reconnaît pas la présence d'un état dépressif en elle et aurait tendance à attribuer toutes ses
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difficultés à ses problèmes de santé, aux interventions chirurgicales qui y ont été associées ainsi qu'aux démarches légales entreprises par son ex-mari dans le cadre du règlement de leur divorce. D'autre part, nous observons chez Madame C. la présence d'une symptomatologie d'apparence neurologique d'étiologie indéterminée. En effet, bien que la dépression clinique puisse être associée à un état de fatigue et à certaines difficultés de concentration, les symptômes présentés par Madame C. apparaissent dépasser la symptomatologie habituelle. Nous notons aussi, outre la grande fatigabilité mentionnée par Madame C. et observée au cours de nos entretiens, la présence d'un processus cognitif laborieux, d'importantes difficultés de concentration, des problèmes de mémoire de court et de long terme et de la confusion. Bien que nous n'ayons pas observé directement d'indices d'apraxie tels que décrits par Madame C., il nous a été possible de noter l'incapacité de Madame C. à quelques reprises de trouver un mot précis. Il importe dans un mandat de cette nature d'aborder et de discuter adéquatement de tous les aspects qui peuvent être liés à la situation sous étude. Pour ce faire, le psychologue doit tenter d'être à la fois très respectueux de la personne qui s'est prêtée à l'évaluation psychologique tout en menant son analyse au degré de sophistication et de complexité nécessaire pour remplir le mandat.
Conclusions Deux ordres de problèmes semblent affecter actuellement Madame C. et rendre un retour à une vie active problématique. Le premier a trait à la présence d'un état dépressif important qui ne semble pas reconnu par Madame. Cet état se manifeste notamment par une tendance à pleurer, une grande solitude, un intense sentiment de dévalorisation, une faible estime de soi, une certaine idéation suicidaire ainsi que la présence importante de découragement, de désespoir et d'angoisse. Quant à l'adjonction d'une symptomatologie somatique associée à la dépression, il apparaît pour le moment difficile d'en évaluer la nature étant donné la présence du second ordre de problèmes constitué par des symptômes d'allure neurologique. Nous observons, en effet, la présence d'un certain nombre de symptômes de type neurologique. Ces symptômes incluent la présence d'un processus cognitif laborieux, des difficultés de mémoire (court et long terme), des problèmes de concentration, de la confusion et, possiblement aussi, la grande fatigabilité dont se plaint Madame C.
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Ces deux ordres de problèmes nous apparaissent actuellement, et de façon isolée, suffisamment incapacitants pour empêcher Madame C. de fonctionner de façon adéquate sur le plan du travail. Il est permis de croire cependant que des influences réciproques s'exercent entre ces deux entités problématiques. Ainsi, il y a lieu de penser que la symptomatologie d'allure neurologique ressentie par Madame C. et les inquiétudes qui y sont liées puissent augmenter sa dépressivité et son angoisse. Inversement, la présence d'une symptomatologie dépressive peut possiblement constituer un facteur contributif à certaines de ses manifestations d'allure neurologique. Cependant, la réticence exprimée par Madame C. à consulter pour sa symptomatologie neurologique ou encore à en décrire les manifestations à ses médecins apparaît davantage liée au processus dépressif observé chez elle, notamment au sentiment de découragement, d'irritation et de méfiance qu'elle semble ressentir devant le corps médical ainsi qu'à l'effort de motivation personnelle qui lui en coûterait. Eu égard aux difficultés et aux symptômes observées chez Madame C., nous recommandons d'abord une consultation en psychiatrie afin d'évaluer la pertinence de recourir à une thérapeutique médicamenteuse dans le but de diminuer la symptomatologie dépressive. Une consultation en psychologie a déjà été entreprise et devrait, le cas échéant, être poursuivie à long terme afin d'aider Madame à surmonter l'épisode dépressif actuel et favoriser le développement d'un équilibre de personnalité plus adaptatif. Par ailleurs, une consultation en neurologie et en neuropsychologie apparaissent souhaitable afin de permettre une investigation de la symptomatologie de type neurologique notée et, le cas échéant, l'initiation d'un traitement adéquat. Compte tenu des questions soulevées par l'évaluation psychologique, il est difficile d'estimer la durée prévisible de l'état incapacitant de Madame C. Il peut être suggéré cependant, sur le strict plan psychologique, qu'en l'absence de facteurs de stress importants, le traitement médicamenteux et psychologique de la dépression puisse, chez un grand pourcentage de gens, apporter des résultats suffisants pour permettre de retrouver une capacité de fonctionner dans un délai d'une année.
Signature, Ph.D. Psychologue ........................................................................ Numéro de permis : 123 XYZ
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Les instruments d'analyse
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C H A P I T R E 13
Le MMPI et le MCMI en expertise psycholégale MICHEL PARISIEN
13.1. Introduction Le « Minnesota Multiphasic Personality Inventory » (MMPI) est l'inventaire objectif de personnalité (« le » test psychologique) le plus utilisé en psychologie appliquée (Greene, 1991, p. 1), et on rapportait en 1978 que 84 % de la recherche dans le domaine des inventaires de personnalité concernait le MMPI (Friedman et al., 1989, p. 1). À la fin des années 1980, on estimait à plus de 10 000 le nombre d'articles, chapitres et volumes publiés au sujet de cet instrument (ibid., p. xix). Rien de surprenant, donc, que le MMPI soit l'instrument de prédilection pour l'évaluation individuelle dans les contextes psycholégaux. En contrepartie, le «Millon Clinical Multiaxial Inventory » (MCMI) constitue l'inventaire objectif de personnalité (dans le sens de l'Axe II du DSM) parmi les plus populaires (Choca et Van Denburg, 1997, p. 3). Depuis le début des années 1990, il semble que seuls deux autres tests de personnalité (MMPI et Rorschach) ont donné lieu à plus de publications que le MCMI. Depuis peu, certains auteurs considèrent le MCMI-III supérieur à tout autre instrument clinique de mesure de la personnalité, à la fois sur la base de la validité empirique et de la validité de contenu (Dyer, 1997, p. 138).
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L'expertise psycholégale
On considère de plus en plus le MMPI et le MCMI comme deux instruments complémentaires plutôt que compétitifs. Alors que le second a été spécifiquement construit pour évaluer les patterns de la personnalité et ses troubles selon l'Axe II du DSM-III, le MMPI est l'instrument le mieux appuyé par la littérature pour évaluer la présence d'un syndrome clinique spécifique de l'Axe I (Antoni, 1997, p. 107). 13.1.1. ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU MMPI C'est à l'occasion de la Première Guerre mondiale que Woodworth développa un premier inventaire de 116 items afin d'identifier les individus inaptes émotionnellement à supporter le service militaire en temps de guerre. C'est uniquement sur une base rationnelle que furent choisis les items de l'inventaire. Sur cette lancée, quelques autres inventaires de personnalité furent construits, dont celui de Bernreuter, en 1933, qui mesurait le névrotisme, la dominance, l'introversion et l'autonomie personnelle. Là encore, les items furent choisis sur une base rationnelle plutôt qu'empirique. De là surgirent de nombreuses critiques, des études empiriques rigoureuses démontrant la faible puissance discriminatoire de l'instrument. Les individus normaux endossaient même certains items « psychopathologiques » davantage que les patients psychiatriques (Greene, 1991, p. 2 et 4). C'est à la même époque, au début des années 1930, qu'Hathaway et McKinley commencèrent à construire le MMPI « sous la bannière de l'empirisme » (ibid., p. 4). Après avoir assemblé plus de 1 000 items, ils en gardèrent 504, et ce sans rationnel explicite particulier. C'était une procédure acceptable à l'époque, car seule comptait la validation empirique finale de chaque item par rapport à un groupe-critère. Cette position méthodologique radicale, explicitée en 1945 par Meehl (1945a, 1945b), soulignait non seulement le danger d'accepter des items uniquement sur la base de leur contenu, mais suggérait également d'ignorer totalement le contenu apparent (voir aussi Berg, 1959). Le but premier, c'est-à-dire l'évaluation psychiatrique diagnostique de routine, ne fut pas atteint car il y avait souvent des élévations multiples aux profils cliniques du MMPI. Pourtant, le succès fut fulgurant, le MMPI donnant lieu à du jamais vu en termes de recherches et d'utilisations cliniques. On normalisa donc le test sur 724 individus du Minnesota, soit des « visiteurs » (Pope et al., 1993, p. 269) des hôpitaux universitaires, soit des groupes de travailleurs communautaires. Le niveau moyen de scolarisation, une 8e année, correspondait aux données de recensement de l'époque. L'échantillon était essentiellement rural et de race blanche. Par la suite, la plupart des échelles cliniques de base furent construites par validation en
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Le MMPI et le MCMI en expertise psycholégale
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fonction d'un critère externe (par exemple : l'échantillon normal vs un groupe de patients psychiatriques dépressifs). Une validation croisée assura un bassin d'items solides, par exemple 60 items à l'échelle 2 ou Dépression (D). Cette approche empirique radicale n'empêcha pas Wiggins, en 1966, de réanalyser le bassin d'items du MMPI selon une approche rationnelle, à la fois par des procédures intuitives et psychométriques. Les treize échelles de contenu de Wiggins reflètent l'admission consciente de la symptomatologie. Ces échelles constituent une façon pour le clinicien de prendre connaissance des problèmes du sujet, ou tout au moins de la manière qu'a choisie le sujet de lui présenter ses problèmes (Wiggins, 1990, p. viii). Le comité de réétalonnage du MMPI (Butcher et al., 1989) a opté pour la continuité entre le MMPI et le MMPI-2, puisqu'il n'y a pas eu de revalidation des échelles déjà existantes (Parisien, 1989). Pour différentes raisons pas toujours explicitées (Greene, 1991, p. 23), 106 parmi les 566 items du MMPI ont été mis de côté : les 16 items répétés (T R), 13 items parmi les trois échelles de validité (L, F et K) et les dix échelles cliniques de base (Hs, D, Hy, Pd, Mf, Pa, Pt, Sc, Ma et Si), et 77 items parmi les 167 derniers items du MMPI. Aux 460 items gardés du « vieux bassin » du MMPI se sont ajoutés 89 nouveaux items qui servent à de nouvelles échelles de contenu, ainsi que 18 nouveaux items finalement inutilisés (donc, à partir des 566 items du MMPI: 566 moins 16, moins 13, moins 77, plus 89, plus 18, pour un total de 567 items au MMPI-2 : Greene, 1991, p. 23). Ceci est bien sûr le résultat d'une longue analyse normative (à partir de 704 items : 550 items du MMPI et 154 items à l'essai). Des 460 items du « vieux bassin », 68 d'entre eux ont été reformulés de façon équivalente (BenPorath et Butcher, 1989). La perte d'items aux treize échelles de base a été minime : 4 items (6 %) à l'échelle F (Fréquence) ; 1 item (3 %) à l'échelle Hs (Hypocondrie) ; 3 items (5 %) à l'échelle D (Dépression) ; 4 items (7 %) à l'échelle Mf (Masculinitéféminité) ; 1 item (1 %) à l'échelle Si (Introversion sociale). Les quatre échelles supplémentaires traditionnelles (A, R, Es, MAC) sont gardées, avec les pertes suivantes : aucun item à l'échelle A (Anxiété) ; 3 items (8 %) à l'échelle R (Répression) ; 16 items (24 %) à l'échelle Es (Force du moi) ; 4 items (8 %) à l'échelle MAC (Alcoolisme de MacAndrew) remplacés par quatre nouveaux items pour la nouvelle MAC-R. Plusieurs échelles supplémentaires additionnelles fréquemment utilisées ont également été gardées, avec des pertes légères : 3 items (10 %) à l'échelle OH (Hostilité surcontrôlée) ; 3 items (11 %) à l'échelle Do (Dominance) ; 2 items (6 %) à l'échelle Re (Responsabilité sociale) ; 2 items (5 %) à l'échelle Mt (Inadaptation collégiale) ; 3 items (6 %) à l'échelle PK (Désordre de stress posttraumatique-Keane).
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La plupart des sous-échelles de contenu sont retenues par les auteurs du MMPI-2 (Butcher et al., 1989, p. 41-48). D'abord, les sous-échelles cliniques de Harris et Lingoes sont par définition peu touchées, puisqu'elles sont des sousgroupes de six (D, Hy, Pd, Pa, Sc, Ma) des dix échelles cliniques de base : une seule perte à D (Dépression), i.e. un item à D2 (Ralentissement psychomoteur). Mais il y a une exception : paradoxalement, alors que l'échelle clinique Pd (Déviance psychopathique) ne perd aucun item, l'ensemble de ses cinq souséchelles (voir le tableau 1) en perd 19 (40 %) : il faut savoir que Harris et Lingoes (1955: voir Greene, 1991, p. 152) ont ajouté, à chacune des souséchelles de Pd, de 2 à 6 items étrangers à l'échelle de base Pd, et les auteurs n'en avaient pas alors explicité la raison. Les sous-échelles d'items subtils vs ouverts de Wiener et Harmon (indice global Items S vs O) sont également quasiment intactes : une omission à P-O (Paranoïa-ouvert); 2 omissions à D-S (Dépression-subtil). Enfin, les 111 Items critiques L-W (Lachar et Wrobel) sont pratiquement intacts (4 pertes). Quant aux 67 Items critiques K-B (Koss et Butcher), non seulement n'y a-t-il que 3 pertes, mais les auteurs du MMPI-2 (Butcher et al., 1989) font l'ajout de 14 items. Comme quoi on n'est jamais si bien servi que par soi-même ! Notons que ce qui concrétise l'option de la continuité, c'est la publication de normes contemporaines pour toutes ces échelles maintenues. Butcher et son équipe (1989) ont donc pu se permettre de garder même l'échelle Es, malgré une lourde perte de 16 des 68 items du MMPI (24 %). L'ajustement normatif se fait grâce au nouvel étalonnage, et l'on souhaite que les 76 % des items restants effectuent une mesure valide similaire. C'est donc sciemment que les éditeurs du MMPI-2 n'ont pas fourni les renseignements normatifs pour un certain nombre d'échelles où les pertes sont acceptables : 1) Dépendance (Dy) avec 16 % de pertes; 2) Préjugé (Pr) avec 6 % ; 3) Statut social (St) avec 24 % ; 4) Contrôle (Cn) avec 18 % ; 5) Douleur lombaire (Lb) avec 16 %. C'est aussi le cas des échelles de contenu de Wiggins qui, si l'on excepte l'échelle REL (Fondamentalisme religieux) qui perd 11 de ses 12 items, gardent au MMPI-2 91 % des items qui les composaient au MMPI. Certains auteurs ont déjà réagi à cela (voir par exemple Greene, 1991; Duckworth, 1991a, 1991b; Duckworth et Anderson, 1995; Kohutek, 1992a, 1992b), demandant la publication de ces normes. Pour l'instant, National Computer Systems (NCS), Butcher et son équipe n'ont mis de l'avant, au MMPI-2, que leurs 15 nouvelles échelles de contenu (Butcher et al., 1990) (voir le tableau 2).
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Le MMPI et le MCMI en expertise psycholégale
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Tableau 1 Sous-échelles cliniques de Harris et Lingoes au MMPI/MMPI-2 Sous-échelles Dl D2 D3 D4 D5 Hyl Hy2 Hy3 Hy4 Hy5 Pd, Pd2 Pd3 Pd4A Pd4B Pal Pa2 Pa3 SC1A Sc1B Sc2A Sc2B Sc2C Sc3 Mal Ma2 Ma3 Ma4
Nombre d'items Échelle 2 (D) Dépression subjective Ralentissement psychomoteur Dysfonctionnement physique Émoussement mental Rumination Échelle 3 (Hy) Déni de l'anxiété social Besoin d'affectionner Lassitude-malaise Plaintes somatiques Inhibition de l'agressivité Échelle 4 (Pd) Désaccord familial Problèmes avec l'autorité Aplomb social Isolement social Isolement soïque Échelle 6 (Pa) Idées persécutoires Susceptibilité émotive Naïveté Échelle 8 (Sc) Isolement social Isolement émotionnel Déficit cognitif Déficit motivationnel Déficit d'inhibition Bizarreries sensorielles Échelle 9 (Ma) Amoralité Accélération psychomotrice Impassibilité Inflation du moi
32 15 (14*) 11 15 10 6 12 15 17 7 11 (9) 11(8) 12(6) 18(13) 15(12) 17 9 9 21 11 10 14 11 20 6 11 18 9
* Réduction d'items au MMPI-2
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L'expertise psycholégale
Tableau 2 Correspondances approximatives entre les échelles cliniques de base au MMPI/MMPI-2, les échelles de contenu au MMPI (Wiggins) et les nouvelles échelles de contenu au MMPI-2 Échelles cliniques de base (10)
Échelles de contenu de Wiggins au MMPI (13)
Échelles de contenu au MMPI-2 (15)
Hs (1*)
HEA (mauvaise santé)
HEA (préoccupations de santé)
D (2) Hy (3)
DEP (dépression) ORG (symptômes organiques)
DEP (dépression) HEA
Pd (4) Pd
FAM (problèmes familiaux) AUT (autorité-conflit) AUT
FAM (problèmes familiaux) CYN (cynisme) ASP (pratiques antisociales)
Mf (5) Mf
FEM (intérêts féminins) REL (fondamentalisme religieux)
Pa (6) Pt (7) Pt Pt Pt Sc (8) Ma (9) Si (0)
HOS (hostilité manifeste) MOR (moral bas) PHO (phobies) PSY (psychotisme) HYP (hypomanie) SOC (inadaptation sociale)
ANG (colère) LSE (basse estime de soi) FRS (peurs) ANX (anxiété) OBS (obsessivité) BIZ (idéation bizarre) SOD (inconfort social) TPA (type A) WRK (interférences du travail) TRT (indicateurs négatifs au traitement)
* identification chiffrée des échelles cliniques de base
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Le MMPI et le MCMI en expertise psycholégale 26 9
13.1.2. ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU MCMI Peu après la publication de son ouvrage Modern Psychopathology en 1969, Theodore Millon reçoit des offres d'étudiants gradués afin d'opérationnaliser les pathologies de personnalité générées par son modèle théorique. En 1971, Millon supervise donc un groupe de recherche composé de psychologues stagiaires et psychiatres résidents, tous post-gradués. Comprenant une douzaine de personnes, ce groupe en vint à la conclusion, après moins d'une demi-année, de la nécessité de construire à la fois un nouvel inventaire autodescriptif et un canevas d'entrevue semi-structurée. Après une première estimation « naïve » qu'il faudrait une période de 18 mois pour y parvenir, le groupe se concentra sur l'inventaire, qui prit 7 ans avant d'être complété ! Ce groupe de recherche fut le précurseur du groupe de travail du DSM-III (American Psychiatric Association, 1980), puisque c'est Millon et son équipe qui furent à l'origine de l'Axe II (Troubles de personnalité - voir le tableau 3). De fait, le premier inventaire, le MCMI (appelé depuis les versions ultérieures le MCMI-I), fut édité en 1977 par NCS (Millon, 1977). Au début, on espérait bien remplacer un MMPI trop long, décousu dans son développement, questionnable sur son utilité diagnostique. Millon pensait que le MMPI était trop empirique et manquait d'une base théorique claire. Il s'est donc basé sur une théorie spécifique de la personnalité et de la psychopathologie (Millon, 1969): c'est lui qui le premier a distingué entre les patterns durables de personnalité (Axe II) et les désordres cliniques aigus (Axe I). Sur le plan psychométrique, il a raffiné l'approche méthodologique de Wiggins (1966) au MMPI. Millon a donc utilisé une stratégie psychométrique en trois étapes. À l'étape théorique, un grand nombre d'items a été choisi (un bassin d'environ 3 500 items). A l'étape interne-structurelle, les caractéristiques
Tableau 3 MCMI : base théorique de l'Axe II Huit styles de base (matrice 4 x 2) Première dimension: sources des renforcements positifs 1. Indifférent (detached) : Peu de sources 2. Dépendant : Réactions d'autrui 3. Indépendant : Valeurs et désirs soïques 4. Ambivalent : Conflits entre soi et autrui Deuxième dimension: pattern de base d'adaptation a. Pattern passif b. Pattern actif
: Attendent, laissent aller : S'arrangent, manipulent
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L'expertise psycholégale
des items ont été étudiées et plusieurs items ont été délaissés sur une base technique (on a gardé au test final 175 items). Enfin, à l'étape du critère externe, la validité des échelles a été vérifiée empiriquement vis-à-vis de 682 patients psychiatriques. Le MCMI-I a 20 échelles cliniques, le MCMI-II en a 22, le MCMI-III, 24. Ces échelles se subdivisent en quatre groupes : patterns de personnalité, troubles sévères de personnalité, syndromes cliniques, syndromes sévères. Toutes les versions ont une échelle de validité (V), qui indique sur la base de trois items s'il y a négligence. Elles ont également un facteur de correction (X), qui peut ou non (selon les résultats) s'appliquer aux 24 échelles cliniques du MCMI-III. En soi, X (Ouverture) est en même temps un indice d'altération. Les versions II et III ont deux indices d'altération (modifying indices) supplémentaires, soit Y (Désirabilité) et Z (Auto-dépréciation). Les échelles cliniques du MCMI-I sont organisées en trois grandes catégories : les traits chroniques de personnalité (Axe II) ; les états symptomatiques actuels (Axe 1); les niveaux de sévérité de la symptomatologie. Au MCMI-II (Millon, 1987), on ajoute à l'Axe II les échelles 6B (type agressifsadique) et 8B (type auto-défaitiste avec conduite d'échec), comme au DSMIII-R (1987). En 1994 coïncident le DSM-IV et le MCMI-III. Celui-ci comprend deux autres échelles cliniques (pour un total de 24), c'est-à-dire le type dépressif (échelle 2B) à l'Axe II, et le syndrome de stress post-traumatique (échelle R) à l'Axe I. Notons ici le début d'un désaccord avec le DSM-IV «Malgré les objections de Millon, les personnalités sadique et auto-défaitiste ont été exclues du DSM-IV, alors que les variantes dépressive et négativiste ont été placées en appendice » (Van Denburg et Choca, 1997, p. 54). Les tableaux 4 et 5 résument la composition du MCMI dans ses différentes versions. 13.1.3. LES LUTTES D'INFLUENCE Il y a d'abord la question des droits réservés, qui est simple. Tout ce qui touche le matériel du test, MMPI ou MCMI, appartient aux éditeurs, ici National Computer Systems (NCS) des Presses de l'Université du Minnesota. Les droits réservés touchent le matériel d'administration et de correction, que la forme soit manuelle ou informatisée. C'est pourquoi tout service d'interprétation informatisée du MMPI ou du MCMI autre que celui de NCS (Butcher, 1993a) implique une correction préalable gérée par les éditeurs (à l'exception du MMPI/MMPI-2 Caldwell Report à Los Angeles : voir Caldwell, 1991, p. 568). Les auteurs qui écrivent sur le MCMI ne font pratiquement jamais mention de cette question. L'instrument est encore dans la fleur de l'âge, et le MMPI est de 34 ans son aîné. Il n'y a pas d'évidence que les luttes d'influence y soient intenses. Ainsi, Craig (1994), auteur d'une interprétation
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Tableau 4 MCMI : échelles de l'Axe II Huit personnalités de base au MCMI-I (dix au MCMI-II, onze au MCMI-III) 1 2A 2B** 3 4 5 6A 6B* 7 8A 8B*
Première dimension
Schizoïde Évitant Dépressif Dépendant Histrionique Narcissique Antisocial Agressif (sadique) Compulsif Passif-Agressif Auto-défaitiste
Deuxième dimension
1*** 1 1 2 2 3 3 3 4 4 4
a b b a b a b b a b b
1 4 3
b b b
Trois troubles sévères (excluent 2 et a***) S C P
Schizotypique Limite Paranoïde
* Ajouté au MCMI-II ** Ajouté au MCMI-III
*** Voir tableau 3
Tableau 5 MCMI : échelles de l'Axe I Six syndromes cliniques au MCMI-I/MCMI-II (sept au MCMI-III)
A H N D B T R**
Troubles de l'anxiété Troubles somatoformes Troubles maniaques modérés Troubles dysthymiques Dépendance à l'alcool Dépendance aux drogues État de stress post-traumatique
Trois conditions sévères SS CC PP
Désordre de la pensée Dépression majeure Hallucinations
** Ajouté au MCMI-III
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informatisée du MCMI chez Psychological Assessment Resources (PAR, concurrent direct de NCS), fait partie des auteurs dans un volume récent édité par Millon (1997) sur les inventaires cliniques et de personnalité de Millon (Craig, 1997). La question des droits réservés semble davantage préoccuper les auteurs du MMPI-2 (Butcher et al., 1989), et les luttes d'influence y semblent beaucoup plus vives. En mai 1989, lorsque Butcher vint présenter le MMPI-2 à un séminaire pré-congrès de l'Ordre des psychologues du Québec (Parisien, 1989), il insista sur le fait que des moyens efficaces seraient mis sur pied pour que les droits réservés soient respectés pour le MMPI-2. Dans le même ordre d'idées, dans le guide pratique pour les témoins experts de l'APA rédigé par Pope, Butcher et Seelen (Pope et al., 1993), cinq pages (2526, 39-41) sont consacrées à ce sujet. On y souligne le danger que tout psychologue témoin expert qui se servirait d'un matériel violant les droits réservés s'exposerait, en contre-interrogatoire, à ce que l'on questionne son intégrité, sa minutie et sa crédibilité. On fait également référence à la décision de la Cour suprême de Californie de 1989, à savoir que le MMPI constitue un test standardisé qui ne peut plus être considéré comme « nouveau ou expérimental ». Cette décision donnait raison à NCS concernant les droits réservés pour le MMPI, dans la cause appelée «Applied Innovations, inc. Vs Regents of the University of Minnesota ». On croit qu'il devra en être de même pour le MMPI-2 qui a conservé les échelles traditionnelles, et dont les propriétés psychométriques sont très proches de l'ancienne version. C'est sans doute pourquoi les droits de correction acquis par Caldwell Report (voir plus haut dans cette section) s'appliquent également au MMPI-2. Le Comité de réétalonnage du MMPI, d'abord composé de Dahlstrom et Butcher, à qui se sont ensuite ajoutés Graham et le psychométricien Tellegen, a dû prendre des décisions souvent difficiles quant à certains items à mettre à l'écart, condamnant parfois certaines échelles à une disparition immédiate. Butcher nous confiait, en mai 1989 (Parisien, 1989), que certaines discussions furent « viriles ». Ainsi, il semble bien que l'exigence (par Dahlstrom) du maintien des sous-échelles de Wiener et Harmon, i.e. Items ouverts vs subtils, n'ait pas fait l'affaire de Butcher, Graham et Tellegen (Butcher et al., 1989, p. 47). En contrepartie, l'abandon des indices de validité CAR (Négligence) et T -R (Test-retest), ainsi que des échelles de contenu de Wiggins, a pu servir de monnaie d'échange. Toujours en mai 1989, Butcher laissait entendre crûment que cela n'avait pas fait l'affaire de Greene. Et celui-ci de dédicacer son livre de 1991 « à Grant et Leona Dahlstrom pour leur professionnalisme, érudition, et chaleur personnelle » (Greene, 1991, p. v) ! Il y a sans doute là certains enjeux professionnels ou financiers, les tenants de l'« ancien » ne voulant pas voir disparaître leur investissement, alors que les tenants du « nouveau » tiennent à ce que leur nouvel investissement rapporte. Tout cela, bien sûr, appuyé sur des arguments scientifiques articulés. Peu importe les motivations, pourvu que la science avance !
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13.2. La question des versions 13.2.1. MMPI vs MMPI-2 A. Pourquoi changer ? Dès 1986, Lachar, Dahlstrom et Moreland avaient, pour le MMPI, comparé la puissance prédictive de psychopathologie : normes d'origine (années 1930) vs normes récentes (années 1980). Or, ce furent les normes d'origine qui prédirent le mieux. En 1988, Todd et Gynther concluaient de l'échelle 5 (Mf) que « les corrélats comportementaux établis il y a une génération restent valides aujourd'hui, au moins en ce qui concerne les étudiants de niveau collégial » (p. 505). En 1990, Duthie et French comparaient les normes d'origine (724 individus du début des années 1940) à celles colligées par Colligan et al. (1983-1408 individus contemporains du « mid-west » choisis selon le recensement de 1980). Ils avaient un échantillon psycholégal tout-venant (cas civils, criminels ou garde d'enfants) de 100 individus (62 hommes et 38 femmes), avec une moyenne d'âge de 33,4 ans. Des analyses factorielles et corrélatives, à la fois sur les trois échelles de validité et les dix échelles cliniques de base, ont montré que les normes de 1940 et de 1983 sont « essentiellement équivalentes » (p. 13). Plus récemment, en 1997, Caldwell écrit : « Les attributs configurationnels de base du MMPI se sont avérés remarquablement stables avec le temps » (p. 52). Mais il ajoute (p. 63) que la phraséologie du MMPI-2 est plus appropriée pour les jeunes sujets, et donc que le nouvel instrument est là pour rester (voir aussi Greene, 2000). Rappelons ici que 68 items du MMPI ont été reformulés (modernisation du langage, clarification, application aux deux sexes et aux diverses religions, etc.), et que leur équivalence psychométrique a été établie (Ben-Porath et Butcher, 1989). On sait par ailleurs qu'une partie significative des différences normatives observées entre les normes anciennes et nouvelles est due à une discordance psychométrique (Parisien, 1989, p. 6). En effet, lors de l'étalonnage du MMPI, on demandait aux sujets de l'échantillon normatif un classement de cartes (un item par carte) selon trois catégories : VRAI, FAUX ou NE SAIS PAS. Avec cette incitation explicite à l'omission, il y eut un nombre moyen de 30 omissions. C'est après, à la publication (Hathaway et McKinley, 1943), que sont venus le livret de 566 énoncés et les nouvelles consignes qui demandent au sujet de répondre à tous les items : le nombre réel d'omissions devient inférieur à 5 dans la très grande majorité des cas. On s'explique ainsi facilement la remarque de Strassberg (1991a) selon laquelle les cotes moyennes de la population réelle sont toujours apparues au-dessus de la moyenne au MMPI. Mais tous les cliniciens se sont ajustés depuis des décennies à des critères communs d'évaluation clinique. Pourquoi changer ?
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Butcher a déjà affirmé (Parisien, 1989) que deux raisons majeures militaient en faveur d'une renormalisation du MMPI: 1) la vulnérabilité apparente de l'expert psycholégal au tribunal face à des normes vieilles de 50 ans; 2) l'incomparabilité des résultats d'une échelle à l'autre à cause des distributions individuelles variables des cotes brutes (en termes d'asymétrie et de voussure) donnant lieu, selon les échelles, à des rangs-centiles différents pour les mêmes cotes T linéaires. A cet égard, la cote T du MMPI est une > transformation essentiellement linéaire des cotes brutes qui maintient donc la même distribution des résultats d'une échelle à l'autre. Caldwell (1991) remarquera qu'au MMPI-2, la nouvelle uniformisation des cotes T (« uniformed T -scores » : Tellegen et Ben-Porath, 1992) équilibre les asymétries des huit échelles cliniques à base psychopathologique (la distribution des échelles non psychopathologiques Mf et Si est naturellement normale), mais que cet avantage concerne avant tout la recherche en rendant comparable d'une échelle à l'autre toute déviation de la norme. Pourquoi changer ? On ne trouve pas non plus de raisons solides de changement dans les rationnels d'exclusion d'anciennes échelles ou d'inclusion des nouvelles échelles supplémentaires, même si Graham (1991) réfère à un argument général d'insuffisance d'informations de validité. Duckworth (1991b) note qu'on a par exemple ajouté au MMPI-2 les échelles PS, GF et GM, et ce sans aucune donnée de validation. On a par ailleurs gardé du MMPI les sous-échelles de Harris et Lingoes, dont il est notoire qu'elles ne possèdent que peu de données de validité. Mais on a exclu Dy (Dépendance), Pr (Préjudice), St (Statut social) et Cn (Contrôle), qui possèdent des données de validité utiles sur les populations autres que psychiatriques. On comprendra que la condamnation de certaines échelles à une disparition immédiate » (voir section 13.1.3.) est due avant tout à la non-publication par NCS des nouvelles données normatives (moyennes et écarts-types) à ces échelles sacrifiées, même si elles demeuraient relativement intactes au MMPI-2 (Levitt, 1990; Greene, 1991). Devant les pressions grandissantes, Graham affirmait en 1991: « Éventuellement, toutes les données de base du MMPI-2 seront accessibles, et il sera alors possible d'établir des cotes T pour toutes les échelles supplémentaires » (p. 570). Mais seul NCS peut prendre ce genre de décision. La situation est assez aberrante car, selon Levitt (1990), la grande similarité des items entre les deux instruments permet la cotation au MMPI de certaines nouvelles échelles du MMPI-2. B. Les vrais changements et les vraies questions Comme Munley et Zarantonello (1989, 1990) l'ont spécifié, « les changements les plus significatifs dans les échelles cliniques de base apparaissent être l'introduction de nouvelles normes nationales et de l'utilisation de nouvelles cotes T uniformisées » (1990, p. 803). Face à cela, Greene (1991, p. 29) se demande si les corrélats comportementaux des échelles individuelles et
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des codetypes issus du MMPI peuvent s'appliquer au MMPI-2, concluant qu'il s'agit d'une question empirique demandant de nouvelles recherches. Strassberg (1991a, 1991b) pose les deux questions fondamentales : 1) Quelle est la fréquence des discordances entre les codetypes du MMPI et ceux du MMPI-2 ? 2) Quelle est la meilleure stratégie face à cela ? Munley et Zarantonello avaient d'abord conclu, en 1990, à une grande similarité configurationnelle entre les deux types de normes (MMPI vs MMPI-2), se basant très généralement sur les trois types modaux de Skinner et Jackson (névrotique, psychotique et sociopathique), et à partir de profils moyens très différenciés tirés de travaux classiques (Gilberstadt et Duker, 1965; Marks, Seeman et Haller, 1974). Mais le questionnement de Strassberg incitait à des objectifs plus spécifiques que ceux-là. C. Réponses à la première question de Strassberg Quelle est la fréquence des discordances entre les codetypes obtenues au MMPI et celles obtenues au MMPI-2 ? D'abord, les nouvelles normes du MMPI-2, en évitant la discordance psychométrique de 1943 (voir section 13.2.1A), auraient pu donner lieu à une correction normative vers le bas et, pourquoi pas, égale pour toutes les échelles. Malheureusement, Munley (1991) observe que cette correction est variable pour chaque échelle concernée. Harrel et al. (1992) notent que la stabilité normative des codetypes (à une ou deux pointes) n'est que modérée dans l'ensemble des profils. Pour Chojinacki et Walsh (1992), la faible concordance configurationnelle entre les normes anciennes et nouvelles est davantage reliée: 1) pour les hommes aux échelles L, Mf et Sc; 2) pour les femmes aux échelles L et Mf. Dans une étude spécifique sur l'indice de Goldberg (Névrose vs Psychose), Brophy (1992) observe des différences de 19 à 40 points dans la zone de différenciation, selon que l'on corrige à partir des normes nouvelles ou anciennes, de sorte qu'il recommande d'utiliser les normes d'origine (MMPI). Blake et al. (1992) trouvent que les normes du MMPI-2 ne sont pas supérieures à celles du MMPI dans la discrimination entre les populations cliniques et normales, et que les anciennes normes seraient même supérieures aux nouvelles dans la discrimination de sous-groupes cliniques (troubles de l'humeur vs troubles de la pensée). Dahlstrom (1992) a voulu vérifier la concordance des codetypes à partir d'une population normale, soit les 2 600 sujets de l'échantillon normatif du MMPI-2 auquel il a sans doute accès comme membre du comité de réétalonnage. Le pourcentage de concordance est en général plus bas que celui trouvé dans les recherches précédentes sur des populations psychiatriques 48,8 % de concordance chez les hommes ; 43,8 % de concordance chez les
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femmes. Sur les dix échelles de base, il y a 45 paires élevées possibles [(10 x 9) _ 2 = 45], et on y observe une discordance de 53 % chez les hommes, de 58 % chez les femmes entre le MMPI et le MMPI-2. Dans un échantillon de patients externes (N = 200), Edwards et al. (1993) obtiennent une concordance de 58 %. Dans un échantillon de patients toxicomanes (N = 121), Ladd (1994) obtient une concordance de 55 %. Dans un échantillon de toxicomanes traités à la méthadone (N = 51), Husband et Iguchi (1995) obtiennent une concordance de 57 %. On est loin du 90 % de concordance invoquée par Ben-Porath et Graham (1991), vraisemblablement issue de la moyenne entre les femmes (94 %) et les hommes (82 %) sur la base exclusive de profils « purs » (Strassberg, 1991, p. 182). Pour apporter du poids à leurs arguments de concordance, NCS et une partie du comité de réétalonnage ont invoqué la notion (nouvelle selon plusieurs critiques) de codetypes bien définis (well-defined), il faut une démarcation d'au moins cinq cotes T entre les deux échelles significatives les plus élevées et la troisième qui suit pour que la paire élevée soit appelée codetype. Or, dès 1992, Harrell et al. remarquent que même dans la population psychiatrique, le pourcentage de protocoles à profils bien définis n'atteint pas 25 %. Dans deux recherches à large échantillon, des patients externes (Edwards et al., 1993) ne présentent que 36 % de profils bien définis, et un échantillon de patients toxicomanes (Ladd, 1994), seulement 27 %. D. Contexte psycholégal Humphrey et Dahlstrom (1995) ont analysé l'impact du passage normatif du MMPI au MMPI-2 sur l'aspect configurationnel du profil clinique. Dans un très court intervalle, ils ont administré le MMPI et le MMPI-2 à 53 sujets d'une unité hospitalière psycholégale d'un État américain. À partir des données brutes, ils ont observé une très grande stabilité test-retest autant pour les échelles individuelles que pour les patterns des résultats (r moyen = 0,96: de 0,88 à 0,99 pour les 53 sujets). Ils ont donc pu analyser la stabilité normative des cotes T sans tenir compte de la stabilité test-retest per se (écueil signalé dès 1990 par Vincent). Mais après la transformation des cotes brutes en cotes T, le passage des anciennes aux nouvelles normes aboutit souvent à des configurations de profil carrément différentes (« ... the patterning was often drastically different... », p. 428). Humphrey et Dahlstrom en ont conclu que l'interprétation clinique doit être différente selon que la base normative est le MMPI ou le MMPI-2. Lorsque l'on obtient des résultats à partir du MMPI-2, on devrait donc tracer deux profils : l'un basé sur les anciennes normes, l'autre sur les nouvelles. Et l'interprétation clinique devrait tenir compte des différences et des similitudes. Mais selon quels critères ? C'est la deuxième question de Strassberg (voir section 13.2.1.F).
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E. Contestation de la première question Les membres du comité de réétalonnage solidaires de NCS (Ben-Porath et Graham, 1991; Graham et al., 1991; Graham, 1991; Tellegen et Ben-Porath, 1993; Ben-Porath et Tellegen, 1995) ont répondu en affirmant que: 1) le changement est nécessaire à l'amélioration ; 2) le problème de la concordance des codetypes d'une version à l'autre a été surestimé et exagéré ; 3) les cotes basées sur les nouvelles normes sont vraisemblablement plus valides; 4) les critiques se basent sur une classification qui inclut les codetypes mal définis, ce qui selon eux s'écarterait de la pratique clinique normale ; 5) « la discordance est surtout due à l'instabilité temporelle de l'instrument en soi plutôt qu'aux différences normatives » (Graham et al., 1991, p. 214). En dépit des données empiriques avancées depuis 1990, Tellegen et Ben-Porath (1993) continuent d'affirmer que les profils de codetypes bien définis sont plus nombreux qu'on le prétend et constituent la majorité. Vraisemblablement sur la foi qu'ils ont raison de prendre la défense d'un meilleur instrument de mesure (ce qui est exact), ces fidèles purs et durs tendent à nier ou minimiser les perturbations interprétatives apportées par les nouvelles normes. Il leur arrive même d'argumenter ad hominem, par exemple en déplorant le ton émotionnel (level of affect) des critiques (Ben-Porath et Graham, 1991, p. 174), écorchant à l'occasion (BenPorath et Tellegen, 1995) les plus efficaces des sceptiques dont Dahlstrom, membre senior de leur propre comité de réétalonnage du MMPI. F. Réponses à la deuxième question de Strassberg Quelle est la meilleure stratégie face à la discordance normative importante observée entre le MMPI et le MMPI-2 ? Dès 1991, Strassberg observait que, à partir des mêmes données brutes, l'application des nouvelles normes et l'utilisation des cotes T uniformisées (plutôt que linéaires) pouvaient produire des profils cliniques fort différents de ceux obtenus au MMPI par les anciennes procédures, questionnant donc la « transférabilité » au MMPI-2 de cinquante années de recherches empiriques. Notons ici que les nouvelles normes per se (nonobstant l'uniformisation des cotes T) produisent des différences appréciables ainsi que l'indique l'analyse de Caldwell (1997). Strassberg (1991b, 1992) démontre efficacement son point par des tableaux détaillés de corrections, faciles d'usage, à partir desquels on peut tracer un profil corrigé. La pratique permet de constater l'importance de l'instabilité normative MMPI vs MMPI-2: 1) pour les profils moins bien définis; 2) pour les profils à élévation marginale (T entre 65 et 69) ; 3) pour les pointes Pd (4), Mf (5) ou Sc (8) chez les hommes ; 4) pour les pointes Pd (4) et Mf (5) chez les femmes.
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Caldwell (1991, 1997) suggère, quant à lui, de se servir d'une feuille de profil du MMPI (pourquoi pas!) pour retracer le profil des résultats bruts obtenus au MMPI-2. Car il y a équivalence presque parfaite des cotes brutes aux deux instruments. Cette suggestion est réitérée par Duckworth (1991b), Edwards et al. (1993), Ladd (1994), Humphrey et Dahlstrom (1995), ainsi que par Greene et al. (1997). Le rationnel est le suivant : 1) les normes contemporaines du MMPI-2 situent l'élévation psychopathologique ; 2) le profil de base retracé selon les normes anciennes du MMPI identifie le type de problème (Caldwell,1991; Duckworth, 1991b). La première stratégie évite l'exagération psychopathologique caractéristique des anciennes normes, alors que la seconde stratégie permet de garder intact l'accès à 50 ans de recherches cliniques sur les codetypes et les configurations. Cette double représentation en profil « ne s'est pas avérée difficile à défendre au tribunal... Ainsi, dans un contexte psycholégal... [elle] nous donne le meilleur de deux mondes » (Caldwell, 1997, p. 53). G. Conclusion Depuis 1990, plus de 40 publications ont porté sur la comparabilité des codetypes entre les anciennes et nouvelles normes du MMPI. Dès 1991, Caldwell indiquait qu'à partir des mêmes données brutes, la comparabilité des deux types de profil était faible (65 %) chez les patients psychiatriques, présageant un pourcentage plus bas pour une population normale. Les promoteurs du MMPI-2 (Graham et al., 1991) ont argué qu'il fallait limiter les études comparatives aux codetypes bien définis, mais Edwards et al. (1993) ont démontré que cela revenait à se limiter à moins de 40 % de la clientèle. Greene et al. (1997) rappellent par ailleurs que pour augmenter dans une recherche le pourcentage de concordance normative entre les deux versions, il suffit de se restreindre à des codetypes bien définis, d'éliminer les profils normaux (en deçà de la limite de tolérance), et de n'utiliser que des échantillons cliniques (plutôt que du milieu collégial ou normal). C'est pourquoi le pourcentage de concordance varie, selon les recherches, de 50 % à 90 % pour les codetypes bien définis, et de 40 % à 70 % pour les codetypes sans restriction. On comprend mal qu'on ait tenté de nier que des améliorations importantes ont des conséquences significatives sur les patrons traditionnels d'interprétation, d'autant plus que cette négation restreint la marge de manoeuvre de demandes de subventions de recherche pour établir de nouveaux corrélats comportementaux (Caldwell, 1997, p. 52). Au sujet d'un litige psychométrique DahlstromHumphrey vs Ben-Porath-Tellegen, nous avons demandé l'avis d'un expert. En effet, Ben-Porath et Tellegen (1995) ont tenté au moyen d'arguments pointus de discréditer la méthodologie de Humphrey et Dahlstrom (1995) au sujet de l'impact des nouvelles normes sur l'aspect configurationnel des profils. Ceux-ci ont répondu de façon très
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rigoureuse et empirique (Dahlstrom et Humphrey, 1996), et les conclusions de l'expertise que nous avons demandée (Laurencelle, 1998) donnent généralement tort aux argumentations spécifiques de Ben-Porath et Tellegen. Greene (Greene, 1991; Greene et al., 1997) incite le clinicien à être plus vigilant pour certains codetypes que pour d'autres. Il suggère aux chercheurs d'établir d'abord des corrélats empiriques spécifiques pour les codetypes bien définis, quitte à voir ensuite s'ils tiennent pour les mêmes codetypes sans restriction. Comme l'écrivait Duckworth (1991b), il y a beaucoup de recherches à effectuer pour que le MMPI-2 puisse générer des interprétations cliniques précises et pour que cet instrument donne tout son potentiel. 13.2.2. MCMI-I vs MCMI-11 vs MCMI-111 A. MCMI-I vs MCMI-II La publication du MCMI-I (1977: voir section 13.1.2) a presque coïncidé avec celle du DSM-III (1980), y générant pour ainsi dire l'Axe II. On y trouve onze types de troubles de personnalité, i.e. huit patterns et trois troubles sévères : schizoïde (1), évitant (2), dépendant (3), histrionique (4), narcissique (5), antisocial (6), compulsif (7), passif-agressif (8); schizotypique (S), limite (C), paranoïde (P). Suivent pour l'Axe I sept syndromes cliniques et trois syndromes sévères : anxieux (A), somatoforme (H), bipolaire (N), dysthymique (D), de dépendance à l'alcool (B), de dépendance aux drogues (T), de stress posttraumatique (R); de troubles de la pensée (SS), dépressif majeur (CC), délirant (PP). Cependant plusieurs raisons militaient en faveur d'une révision du MCMI-I: 1) modifier la description des personnalités limite et antisociale (Axe II) pour s'ajuster davantage au DSM, ainsi que préciser les caractéristiques de la dépression majeure (Axe 1); 2) s'ajuster aux travaux préliminaires du DSM-IIIR qui projetaient d'ajouter deux troubles de personnalité, à savoir sadiqueagressif (6B) et masochiste-autodéfaitiste (8B) ; 3) améliorer les échelles de validité ; 4) réduire le chevauchement d'items d'une échelle à l'autre. Après la publication du MCMI-I, les études avaient identifié entre 40 et 50 items peu productifs. Pour construire les deux nouveaux types de personnalité ci-haut mentionnés, on ajouta 193 items et on entreprit une étude de validation interne structurelle à partir de ce bassin provisoire de 368 items (193 + 175). Parmi les nouveaux items, 45 furent finalement retenus à la place de 45 anciens items « peu productifs ». Suivit une validation externe sur 1292 patients. En somme, en 1987, le MCMI-II s'ajustait au DSM-III-R, et l'utilisation clinique de cette deuxième version de 175 items allait de soi.
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MCMI-II vs MCMI-III S'ajustant rapidement aux nouveaux travaux préliminaires de l'équipe de travail du futur DSM-IV, l'équipe de Millon projeta l'ajout d'un nouveau trouble de personnalité, soit dépressif (2B), ainsi que d'un nouveau syndrome clinique, soit désordre de stress post-traumatique (R). On choisit 150 nouveaux items dont un certain nombre s'adressait aux anciennes échelles, ce afin d'adapter davantage la formulation des items aux explicitations diagnostiques supplémentaires de l'équipe de travail du futur DSM-IV Un bassin expérimental (MCMI-II-R) de 325 items (150 + 175) servit à une validation interne structurelle complète sur environ 1000 sujets. Enfin, une validation externe fut effectuée sur 1079 patients. L'utilisation clinique de la troisième (et actuelle) version constitue une évolution qui va de soi (voir Choca et Van Denburg, 1997, p. 48-52).
13.3. Règles d'administration 13.3.1. FACILITÉ TROMPEUSE, RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE L'apparente facilité d'administration des inventaires objectifs de personnalité est trompeuse, et elle donne régulièrement lieu, particulièrement dans le contexte psycholégal, à des fautes professionnelles majeures que certains auteurs ont qualifiées de « musée des horreurs » (horrible examples : voir Wakefield et Underwager, 1993). En effet, il semble suffire d'avoir un permis de pratique en psychologie, d'administrer un questionnaire, de le soumettre pour correction et interprétation informatiques à l'un ou l'autre des services offerts sur le marché. En revanche, la nécessité (et la difficulté) de coter un test projectif comme le Rorschach oblige à un minimum de compétence. Pour les inventaires objectifs, il n'y a pas cette pratique forcée. Mais la responsabilité éthique reste la même, et elle est davantage périlleuse dans le domaine psycholégal. 13.3.2. CONTEXTE DE L'ÉVALUATION En principe, la question de l'utilisation appropriée ou non de l'instrument selon le contexte ne se pose pas pour le MMPI/MMPI-2, qui dispose à la fois de données standardisées sur une population normale et de données ciblées sur certaines populations cliniques. A priori, ce test est toujours susceptible d'apporter une information clinique utile. Toute objection contextuelle devra donc être soulevée cas par cas, ce qui ne diminue en rien l'importance de cette question (voir section 13.6.2).
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En contrepartie, le MCMI n'a pas été standardisé sur une population normale, mais plutôt validé sur des patients psychiatriques. Contrairement à McCann et Dyer (1996), Hess (1998) juge inapproprié d'utiliser le MCMI dans un contexte psycholégal parce qu'il ne permet pas de discriminer entre patients et normaux. C'est la même position qu'adoptent Otto et Butcher (1995), de même que Butcher et Miller (1999). Craig indique que le MCMI-III « ne devrait pas être utilisé avec des personnes qui ne demandent pas une aide en santé mentale (i.e. des gens « normaux ») » (1999, p. 1). Millon lui-même est longtemps resté prudent, rappelant constamment (1982, 1983, 1987) que l'instrument ne devrait pas être utilisé avec des normaux. Mais depuis 1993, par l'intermédiaire des formateurs de son équipe (Dyer, 1997, p. 134), il indique que toute personne, impliquée dans un litige pouvant constituer l'aboutissement d'une difficulté interpersonnelle significative, peut être considérée comme un cas clinique, donc un cas approprié pour l'administration du MCMI. Dyer indique en outre que Millon veut surtout éviter l'emploi du MCMI dans une procédure de routine, comme par exemple pour une sélection à un emploi. Mais certains des arguments récents de Millon (1994, p. 5) sont douteux, en particulier lorsqu'il justifie l'emploi psycholégal du MCMI-III par la présence, dans son échantillon clinique de validation, de sujets impliqués dans des litiges légaux. Ce serait accepter l'hypothèse que tout client impliqué dans un tel litige ne fait pas partie de la population normale et peut a priori être comparé à un échantillon clinique. Choca et Van Denburg (1997, p. 6-8) soulèvent l'exemple des neuropsychologues qui utilisent les échelles d'intelligence de type Wechsler, standardisées sur des populations normales, pour évaluer d'éventuels déficits cognitifs chez les traumatisés crâniens. Ces auteurs considèrent ainsi qu'il est possible d'utiliser le MCMI avec des gens a priori non perturbés sur le plan émotionnel, en allégeant au besoin le langage psychiatrique courant. Par exemple, au lieu de parler d'« obsessions» et de « compulsions », on pourra indiquer la « nature ordonnée » du sujet et sa « tendance à maintenir les mêmes patterns comportementaux ». Dans un processus d'évaluation psycholégale et devant un profil de MMPI/MMPI-2 qui ne laisse aucun doute quant à son anormalité, l'expert peut être tenté de procéder avec le MCMI pour essayer de spécifier davantage certaines caractéristiques psychopathologiques, en particulier de l'Axe II. Mais ne s'agit-il pas là d'un échafaudage d'hypothèses, douteux dans un système légal où la présomption est favorable à l'individu jusqu'à preuve du contraire ? A moins, bien sûr, que toutes les parties admettent la présence, chez le sujet, d'une problématique psychopathologique antérieure au contexte litigieux en cause. A maints égards, le débat n'est pas clos.
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13.3.3. SUJET AGRÉÉ VS IRRECEVABLE : CAPACITÉ DE LECTURE, ÂGE CHRONOLOGIQUE, NIVEAU INTELLECTUEL, APTITUDE MENTALE Le facteur le plus crucial pour agréer un sujet à compléter un inventaire objectif de personnalité constitue sa capacité de lecture. Au MMPI, le manuel d'administration (Hathaway et McKinley, 1983a, 1983b) suggère que le sujet possède une capacité de lecture au niveau minimal de 6e année. Ward et Ward (1980) avaient suggéré de relever cette exigence à un niveau de 7e année, alors que Blanchard (1981) identifiait plusieurs items requérant une capacité de lecture de 10e année. Greene (1991) souligne l'importance du problème lorsqu'il rappelle qu'aux États-Unis, la plupart des textes académiques de Ire année collégiale sont d'un niveau de 9e année de lecture. En contrepartie, il arrive qu'une personne peu scolarisée puisse lire adéquatement. Une solution est d'utiliser un court test de lecture préférablement normalisé. Autrement, le clinicien devra au moindre doute effectuer une vérification de visu (lecture à haute voix et réponse à certains items qu'il aura ciblés). On doit toujours avoir à l'esprit qu'un analphabète peut chercher à dissimuler sa difficulté on a déjà vu des personnes répondre à tous les items du MMPI sans être capable d'en lire aucun ! Le manuel du MMPI-2 (Butcher et al., 1989, p. 13-14) suggère que le sujet doit posséder une capacité de lecture de 8e année (normes américaines contemporaines). Il s'appuie sur la valeur de « lisibilité » de chaque item (lexile value : indice développé par Stenner et al., 1988). Au MCMI, la plupart des items ne demandent qu'une capacité de lecture d'un niveau de 4e ou 5e année, du moins pour le MCMI-II (Schinka et Borum, 1993). Choca et Van Denburg (1997, p. 6) recommandent cependant la plus grande prudence pour tout sujet ayant une capacité de lecture inférieure à une 8e année. Pour ne prendre aucun risque, Craig (1999) fait siennes les recommandations du manuel du MCMI-III (Millon, 1994a) en exigeant une capacité de lecture de 8e année. Les cliniciens experts aux prises avec des sujets sous-scolarisés (par exemple venant des populations psychiatriques ou délinquantes) sont souvent frustrés par le peu d'empressement des rédacteurs d'items (ou des traducteurs) à simplifier davantage le vocabulaire et la phraséologie des inventaires de personnalité. À cet égard, Millon et Millon (1997), pour le milieu correctionnel, ont reformulé substantiellement les items du MCMI-III (Forme C ou MCMI-III-C) afin que cet inventaire soit accessible aux détenus qui n'auraient qu'une capacité de lecture de 3e-4e année. Ainsi, l'item 15 « Things that are going well today won't last very long » (« Il y a des choses qui vont bien aujourd'hui, mais cela ne durera pas très longtemps ») devient « Good things don't last » (« Quand ça va bien, ça ne dure pas »). Sur des populations diverses à intervalle de 7-10 jours, un test-retest (MCMI-III vs MCMI-III-C) donne des corrélations de 0,74 à 0,87, résultats comparables à d'autres évaluations test-retest : 0,84 à 0,96 avec le MCMI-III ; 0,58 à 0,92 avec le MMPI-2 ; 0,49 à 0,97 avec le MMPI. Souhaitons qu'il s'agisse ici d'une percée dans les mentalités traditionnellement élitistes
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des rédacteurs d'inventaires de personnalité. Surtout que cela pourrait réduire la variabilité d'interprétation pour chaque item reformulé, augmentant vraisemblablement la validité de l'instrument. Concernant l'âge chronologique au MMPI, le niveau minimal d'âge est de 12 ans (Dahlstrom, Welsh et Dahlstrom, 1972), sur la base des normes d'adolescents les plus jeunes (« 14 ans et moins ») fournies par Marks, Seeman et Haller (1974). Il faut cependant réaliser qu'un sujet aussi jeune ne possède souvent pas la capacité requise de lecture ni l'expérience de vie nécessaire pour que les items s'appliquent à lui (Friedman et al., 1989). Au MMPI-2, l'âge chronologique des sujets de l'échantillon normatif contemporain s'étend de 18 à 84 ans. Dans le manuel de 1989 (Butcher et al., 1989), on conseille de se rabattre sur le MMPI pour un sujet d'âge chronologique inférieur à 18 ans1. Au MCMI-I, une évaluation critique du test par McCabe (1984) indiquait que l'inventaire s'adressait aux patients de 17 ans ou plus avec des capacités de lecture d'au moins une 8e année. En 1997, Choca et Van Denburg, fidèles à leur attitude de souplesse, indiquent : « Le sujet doit être suffisamment âgé pour correspondre aux normes du test... » (p. 6). Craig (1999) est plus spécifique en fixant l'âge chronologique minimal à 18 ans, s'ajustant strictement en cela aux caractéristiques échantillonnales rapportées par Millon (1994a, p. 22-23), soit de 18 à 88 ans2. Un niveau intellectuel (QI) de 80 à une échelle de type Wechsler est fréquemment cité comme niveau minimal pour compléter adéquatement un inventaire de personnalité comme le MMPI. Cependant, Greene (1991) indique que même certains cas avec un QI inférieur à 70 s'adaptent à une présentation auditive enregistrée sur bande. Une telle modification privilégie vraisemblablement les sujets fonctionnels sur le plan auditivo-verbal réceptif, et elle structure davantage la séquence de présentation des items. Quant à l'aptitude mentale, les empêchements psychiatriques sont rares à moins d'une grande agitation chez le sujet. Habituellement, même les grands déprimés peu communicatifs sont contents de reconnaître dans l'inventaire des items qui correspondent à leur vécu intérieur. Une trop grande confusion mentale peut constituer un empêchement majeur. 1. Depuis ce temps, le MMPI-A (version adolescent) a été publié (Butcher et al., 1992) avec certaines reformulations convenant mieux aux adolescents, la majorité des items du MMPIA présentant une difficulté de lecture à un niveau de 5e-7e année. Le nombre d'items a été réduit, en particulier aux échelles 5 (Mf) et 0 (Si), et 15 nouvelles échelles de contenu appropriées aux adolescents remplacent les 15 nouvelles échelles de contenu construites pour les adultes, de sorte que le MMPI-A est plus court que le MMPI-2 (478 vs 567 items). 2. À l'instar du MMPI-2, le MCMI-III possède son équivalent pour adolescents, soit le MACI (Millon et al., 1993), applicable à une population de 13 à 19 ans dans un contexte de santé mentale. L'ancêtre du MACI, le MAPI (Millon et al., 1982), est toujours disponible à NCS, ciblant la même population. Mais le MAPI avait été standardisé sur une population normale, ce qui élargit son champ d'application, mais ce qui dérogeait aux stratégies psychométriques de l'équipe de Millon.
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13.3.4. CONDITIONS D'EXAMEN Pour veiller au bon déroulement de l'examen, un superviseur (proctor) est souvent utilisé. Le manuel du MMPI-2 (Butcher et al., 1989) indique la nécessité de vérifications périodiques pendant la procédure de testing. Le manuel du MCMI-III (Millon, 1994a) ajoute que l'inventaire ne devrait jamais être posté au client ni même remis pour qu'il le complète à la maison. Il va sans dire que cette manière de faire est plus périlleuse dans un contexte psycholégal. On permet au superviseur de fournir les définitions d'un dictionnaire pour les mots incompris (Dahlstrom et al., 1972; Greene, 1980; Friedman et al., 1989). Toute question sur la signification d'un item en soi doit être retournée au sujet, en précisant que c'est sa propre interprétation qui compte. Dans des conditions normales, plus de 90 % des personnes compléteront le MMPI/MMPI-2 sans explication supplémentaire, dans un temps de 60-90 minutes (Greene, 1980, 1991). De 40 à 60 minutes peuvent suffire au MCMI. Même s'il est préférable que l'inventaire soit complété en une seule séance, certains cas nécessitent une période plus longue qui ne devrait pas dépasser quelques jours, afin de minimiser la possibilité de tout changement significatif dans la situation du sujet. Pour certains cas, la validité des résultats sera assurée par l'exécution du test en plusieurs petites séances. Il arrive que certains examinateurs se risquent à administrer oralement l'inventaire à un sujet qui n'a pas le niveau de lecture requis (déficit d'attention, handicap visuel, faible scolarité, etc.), mais dont les fonctions langagières réceptives sont fonctionnelles. On décourage généralement une telle pratique, parce que ses effets ont été peu étudiés (Greene, 1980, 1991). Mais Friedman et al. (1989, p. 40) entrouvrent la porte en citant une recherche de Kendrick et Hatzenbuehler (1982), qui ont obtenu des différences minimes sur le plan clinique en comparant les administrations standard et orale. La cassette audio est bien sûr préférable, puisqu'elle contrôle davantage les inflexions involontaires de la voix ainsi que le ton influencé par l'humeur, la fatigue, etc. Il reste qu'un expert psycholégal convaincant peut invoquer une situation exceptionnelle justifiant une administration orale, en mettant d'abord cartes sur table dans son rapport ou son témoignage, plutôt que de risquer que la partie adverse le place sur la défensive. 13.3.5. CONSIGNES Les consignes de base sont imprimées sur le cahier du test et souvent suffisent. Mais les situations cliniques et psycholégales ne sont pas simples, et un psychologue clinicien a la responsabilité éthique d'informer son client de la nature et du but de l'évaluation. En obtenant ainsi la coopération du sujet, il assurera davantage la validité des résultats obtenus à un inventaire de personnalité.
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Le MMPI/MMPI-2 et le MCMI, surtout le premier, possèdent des échelles et indices centrés sur la véracité de l'attitude du sujet évalué. Dans le contexte psycholégal, la question se pose sur la responsabilité éthique d'aviser ou non le client de cet aspect du test. De façon générale, toute évaluation suppose un contrat implicite entre le professionnel et le client, ce dernier ayant droit d'être averti des possibles avantages et inconvénients auxquels il s'expose. Si l'expert psycholégal veut être prudent sur le plan éthique, il doit également inclure dans sa mise en garde certains aspects de l'inventaire concernant la validité. Il a d'ailleurs tout avantage à jouer franc jeu à cet égard, afin de minimiser les attitudes défensives du client (Pope et al., 1993, p. 98). Cette position est appuyée par certaines données empiriques récentes (Butcher et al., 1997).
13.3.6. VERSIONS ABRÉGÉES Le problème particulier des versions abrégées ne se pose pas au MCMI, mais plutôt au MMPI/MMPI-2, à cause du grand nombre d'items. Les vraies formes abrégées sont celles qui, par une réduction considérable d'items, tentent de constituer une mesure équivalente du profil psychopathologique de base (les trois échelles de validité et huit des dix échelles cliniques). Mais leur validité est trop faible pour qu'elles aient une utilité clinique (Stevens et Reilley, 1980; Greene, 1982; Butcher et Hostetler, 1990). Nous ne traiterons ici que de la forme R (revised) du MMPI, dont l'usage fut longtemps répandu au Québec. Le MMPI-R est une version modifiée plutôt qu'abrégée. Il offre l'option d'arrêter après le 399e item, car il est constitué des mêmes 566 items avec un réarrangement des 200 derniers de sorte que tous les items des treize échelles de base font partie des 399 premiers items. L'expert psycholégal y perd en possibilités d'interprétation. Car l'interprétation devrait résulter de l'interaction entre les divers résultats aux échelles principales et ceux aux échelles supplémentaires. Qu'on pense aux échelles suivantes : 1) Es (Force du moi) qui vient moduler l'interprétation de K ; 2) Dy (Dépendance) et St (Statut social) modulant l'échelle 5 (Mf) ; 3) Pr (Préjudice) modulant l'échelle 6 (Pa) ; 4) A (Anxiété) modulant l'échelle 7 (Pt); 5) Do (Dominance) en relation à Dy; 6) Re (Responsabilité sociale) en relation à Pr; 7) Ss (Statut socio-économique) et St (Statut social), qui non seulement peuvent changer drastiquement l'interprétation de K, mais qui s'interprètent chacune en trio avec Es et Do; 8) Cn (Contrôle) dont le résultat élevé peut caractériser un individu habile à ne montrer au besoin que ses comportements non problématiques ; 9) Lb (Douleur lombaire) qui module l'interprétation de l'échelle 3 (Hy) ; 10) les échelles de personnalité de Morey (Morey et al., 1985, 1988a, 1989b) qui, prises dans leur ensemble
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(onze échelles), discriminent bien entre la présence ou l'absence d'un trouble de personnalité; 11) les échelles de contenu de Wiggins qui ont fait l'objet d'un nombre appréciable d'études empiriques. Pour les détails interprétatifs de ces échelles fort utiles pour les sujets autres que les patients (les clients, ce qui comprend donc habituellement la clientèle psycholégale), l'expert peut consulter avec profit Duckworth et Anderson (1986, 1995), ainsi que Greene (1991). Paradoxalement, la passation des 370 premiers items du MMPI-2 permet la correction de toutes les échelles conservées du MMPI, puisque y sont regroupés tous les items conservés. Mais la correction de la plupart des nouvelles échelles est alors impossible. Par ailleurs, le MMPI-2 est en quelque sorte appauvri parce que NCS semble s'entêter à ne pas « relâcher » certaines normes contemporaines. On s'en est plaint pour les échelles de contenu de Wiggins (Kohutek, 1992a), pour les échelles Dy, Pr, Cn, St et Lb (Duckworth, 1991a, 1991b; Duckworth et Anderson, 1995), et pour les échelles de personnalité de Morey (Greene, 1991). Pour les échelles de contenu de Wiggins, Kohutek (1992b) propose, en attendant, des normes contemporaines habilement générées. Pour les échelles Dy, Pr, Cn, St et Lb, Duckworth et Anderson (1995, p. 299) fournissent des normes contemporaines temporaires basées sur un petit groupe de 120 étudiants de niveau collégial. Pour les échelles de personnalité de Morey, elles ne perdent que 7 des 164 items qui les composent (2 à ANT, 2 à CPS, 1 à STY, 2 à SZD), de sorte que l'on peut pratiquement continuer à utiliser les normes sur l'ensemble des résultats (Greene, 1991, p. 215). Quant à l'échelle Ss, Caldwell (1997) en présente les 73 items au MMPI-2 avec les moyennes et écartstypes de l'échantillon normatif contemporain, « relâchés » par Dahlstrom qu'il remercie de l'information. L'expert psycholégal qui désire inclure toute échelle particulière dans sa routine évaluative n'a qu'à se munir d'une acétate (qu'il applique soigneusement sur la feuille-réponse) et d'un crayon marqueur. Avec les renseignements sur les items impliqués, il peut tracer de petits cercles aux endroits appropriés. Et voilà une acétate de correction bonne pour la vie clinique de l'échelle !
13.3.7. TRADUCTIONS FRANÇAISES Il existe au Québec une traduction officielle de langue française du MMPI, celle de l'Institut de recherches psychologiques IRP (1961) parrainée par Chevrier (1981). Il existe également une traduction de France (Les Éditions du Centre de psychologie appliquée, 1966). Les formulations de la première sont souvent plus lourdes que celles de la seconde, et dans les deux cas, la traduction de certains items est criticable. Par exemple, à l'item 139 « Sometimes I feel as if I must injure either myself or somebody else », la version
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française traduit « Je suis parfois poussé à insulter quelqu'un ou moimême » (au lieu de « blesser»). A l'item 466 « Except by a doctor's orders I never take drugs or sleeping powders », la version québécoise traduit « Sauf sur ordonnance médicale, je ne prends jamais de drogues ni de somnifères » (au lieu de « médicaments »). Quant au mot nurse de l'item 92, la version québécoise le traduit par « infirmier », et la version française par « infirmière ». De tels exemples expliquent la prolifération de traductions pirates du MMPI au Québec. La traduction d'un inventaire de personnalité n'est pas une mince tâche. Dès 1976, Butcher et Pancheri avaient suggéré certaines stratégies. En 1994, Hambleton fournit un avant-goût de critères en préparation à l'ITC (International Test Commission). Sloore et Derksen rapportent en 1997 le déroulement d'un projet de traduction en flamand du MMPI-2 et du MCMIIII. Au Québec, Vallerand (1989) et en particulier Tremblay (1998) constituent des références expertes sur le sujet. Toujours au Québec, une équipe clinique du Centre hospitalier PierreJanet à Hull a validé une traduction française par la procédure de « traduction inversée », c'est-à-dire qu'ils ont demandé à des traducteurs indépendants de reformuler en anglais leur traduction française du MMPI-2. À la suite, un psychologue de l'Hôpital du Haut-Richelieu (Cloutier, 1998) a comparé quatre versions québécoises (dont celle de Hull), y ajoutant celle du Centre de psychologie appliquée (1996) utilisée en France. Il a soumis les items problématiques à 42 psychologues québécois et s'est inspiré de leur avis pour aboutir à la version MMPI-2-VFX. Cloutier (1998) était donc bien placé pour faire une analyse critique de la version « canadienne française » officielle des Presses de l'Université du Minnesota (1997). Il y relève comme exemples : 1) cinq erreurs majeures (par exemple, l'item 334 « I feel uneasy indoors » est traduit par « je me sens mal à l'aise à l'intérieur » au lieu de « Je me sens mal à l'aise entre quatre murs ») ; 2) cinq faiblesses (par exemple, à l'item 428, « ... my lifework... » est traduit par « ... ma vocation... » au lieu de « ... mon travail... » ; 3) quatorze difficultés inutiles (par exemple, « ... breaking out on my skin... » est traduit par « ... irruption cutanée... » au lieu de « ... éruption cutanée... » ou plus simplement « ... problèmes de peau... ») ; 4) deux emplois spécialisés douteux (par exemple, « I have a drug or alcohol problem » est traduit par « J'ai un problème de toxicomanie ou d'alcoolisme » au lieu de « J'ai un problème de drogue ou d'alcool »). À cet égard, NCS a alors retiré du marché ce premier tirage. Une version améliorée vient de paraître (Les Presses de l'Université du Minnesota, 1999), corrigeant 22 des 26 erreurs citées en exemple pour Cloutier. Mais l'ensemble comporte encore plusieurs imperfections importantes, et le psychologue québécois mérite davantage que cette traduction boiteuse. Des critiques supplémentaires sont à venir (Cloutier et Parisien, en préparation).
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Donc, concernant le MMPI-2, l'expert psycholégal québécois est actuellement coincé. S'il utilise la meilleure traduction québécoise qui circule librement, on pourra lui reprocher d'avoir négligé la traduction officielle des Presses de l'Université du Minnesota. Et s'il utilise celle-ci, on pourra lui mettre sous le nez l'analyse critique justifiée (quoique partielle) de Cloutier (1998). Pour le MCMI, il n'existe à notre connaissance aucune traduction officielle en langue française.
13.4. Informatisation 13.4.1. LE PROBLÈME DES DROITS RÉSERVÉS Les détenteurs des droits réservés, autant pour le MMPI/MMPI-2 que pour le MCMI, sont National Computer Systems (NCS) du Minnesota. NCS offre des services informatisés non seulement d'interprétation (Butcher, 1993a; Millon, 1994b), mais aussi d'administration et de cotation des résultats. Seules les interprétations informatisées constituent un domaine ouvert à tous, l'administration et la correction étant réservées aux détenteurs des droits. À Montréal, l'IRP (Institut de recherches psychologiques) achète du matériel à NCS (par l'intermédiaire de MHS de Toronto), et le revend à ses clients québécois qui ne font pas directement affaire avec MHS (MultiHealth Systems). Greene (1991), lui-même auteur d'une interprétation informatisée pour PAR (Greene et al., 1990), une compagnie rivale de NCS, prend soin d'indiquer comment s'adresser à NCS pour un service informatisé d'administration ou de cotation (p. 41-42). Craig (1999), auteur également d'une interprétation informatisée pour PAR (Craig, 1994), mentionne que c'est seulement par NCS que le clinicien peut recourir à une administration informatisée (p. 10) ou à une telle cotation (p. 14). Pourtant, il y a une exception : Caldwell (1991, p. 568) possède des droits acquis de correction au MMPI/MMPI-2 (voir section 13.1.3). 13.4.2. INTERPRÉTATIONS INFORMATISÉES : AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS Sur le plan de l'interprétation cependant, une multitude de services informatisés existent à travers l'Amérique. Ces interprétations sont habituellement basées sur des recherches, des données statistiques (actuarielles), ainsi que sur l'expérience clinique. La qualité varie beaucoup d'un service à l'autre, et plusieurs compagnies ne changeront pas leur système malgré son caractère désuet parce que les cliniciens continuent d'y recourir et de payer sans se poser de questions.
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Pour le MMPI/MMPI-2, Greene (1991, p. 294-328) fait une excellente analyse comparative des interprétations informatisées de NCS, PAR et Caldwell Report. Il s'agit de trois systèmes parmi les meilleurs. Celui de NCS a été construit par un seul clinicien (Butcher), qui y a intégré sa connaissance personnelle des données actuarielles et sa propre expérience clinique. C'est également le cas pour Caldwell Report. Il est à noter que Caldwell fournit l'interprétation psychodynamique la plus détaillée, et qu'il s'attarde particulièrement sur les perspectives de traitement. Les deux systèmes produisent un texte continu, un peu de la même façon qu'un clinicien écrirait son rapport. L'interprétation informatisée de PAR est faite par une équipe, et elle évite l'ultime tentation d'« acheter comptant » le texte tel quel plutôt que d'intégrer ces informations à d'autres données cliniques, puisque la majorité des informations sont présentées par sections séparées. Car alors que l'administration et la cotation informatisées semblent avoir de grands avantages, le recours généralisé aux évaluations informatisées reflète un problème important d'attitude (et parfois d'incompétence) des cliniciens, qui non seulement utilisent le rapport informatisé à la place d'un processus d'évaluation globale de leur crû, mais qui démissionnent devant tout effort à connaître l'inventaire utilisé (MMPI/MMPI-2 ou MCMI) et à améliorer constamment leur expertise. C'est ainsi que l'on observe une méconnaissance de base généralisée, qui donne lieu à une pratique incompétente perpétuelle à cause de la facilité apparente d'administration du test et des services informatisés offerts. Tout expert psycholégal qui ne peut corriger lui-même un tel test et en générer une interprétation élaborée fait une erreur clinique grave d'utiliser dans son évaluation le contenu de toute interprétation informatisée qui vient de l'extérieur, et il prend le risque d'être l'objet de plaintes ultérieures. Le but d'une évaluation informatisée ne devrait qu'être le suivant : dégager des hypothèses qu'on puisse confronter à d'autres données, tout cela validé par un professionnel qui doit ensuite faire le tri des consistances et des inconsistances, afin d'arriver à la synthèse que constitue le rapport psychologique ou psycholégal. Qui s'intéresse davantage à l'impact de l'informatisation sur l'évaluation psychologique peut consulter Butcher (1987, 1994), ainsi que le numéro spécial de Journal of Consulting and Clinical Psychology (Butcher Ed., 1985). 13.4.3. RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE Un comité de l'American Psychological Association avait conclu en 1986 que les compagnies devaient expliciter davantage les critères de leurs interprétations informatisées (par exemple Butcher, 1993b, 1993c; Caldwell, 1988, 1996; Schinka et Tuttle, 1990; Millon et al., 1994), et que les professionnels qui les utilisaient demeuraient entièrement responsables de l'utilisation qu'ils en faisaient. Les principes déontologiques de l'APA réitèrent cela dans
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un guide psycholégal de 1992 (point 2.08 c : voir Pope et al., 1993, p. 331 et 339). Par ailleurs, le manuel d'administration et de cotation du MMPI-2 (Butcher et al., 1989) souligne que « le rapport d'interprétation obtenu par un programme informatisé est une communication professionnelle à un professionnel utilisateur... » (p. 16), de sorte qu'en toute logique (Pope et al., 1993, p. 165), le clinicien expert doit mettre des guillemets lorsqu'il cite verbatim des parties du produit qu'il a acheté. Récemment, nous notions (Parisien, 1998) qu'une étude indiquait que la validité des meilleurs services n'atteignait qu'un niveau modéré d'exactitude, entre 25 % et 58 % selon les énoncés ou selon les types de sujet (Eyde et al., 1987: voir Graham, 1990, p. 246). Enfin, on déconseille fortement de remettre toute interprétation informatisée aux clients. Les pionniers en la matière, les cliniciens de la Clinique Mayo (Pearson et Swenson, 1967), écrivaient déjà à propos des interprétations informatisées du MMPI : « Le rapport est un dossier confidentiel, et il n'est évidemment pas destiné à être donné ni montré au patient ou au sujet » (p. 31). Cette position est réitérée dans le manuel d'administration et de cotation du MMPI-2 (Butcher et al., 1989, p. 12), dans les mises en garde de l'interprétation informatisée de NCS (MMPI et MMPI-2), et dans celles des services d'interprétation informatisée de PAR (MMPI et MMPI-2). Le même type de mise en garde est formulé au MCMI-III par Millon chez NCS, et par Craig chez PAR. Le principe est simple : si toute soumission aveugle du psychologue à l'interprétation informatisée qu'il reçoit peut causer des préjudices au client évalué, c'est encore plus vrai si le client reçoit en mains propres ladite interprétation. Car celle-ci n'est alors pas traitée par le psychologue, qui devrait s'en tenir à son interprétation du matériel psychologique relié à la consultation, ainsi qu'à ses conclusions et à ses recommandations. 13.5. Caractéristiques psychométriques et conséquences sur la pratique psycholégale : étalonnage, validité, fidélité
13.5.1. MMPI/MMPI-2 Le MMPI d'origine avait été étalonné sur un échantillon de 724 individus âgés de 16 à 65 ans. Leur niveau moyen de scolarité correspondait à une 8e année, selon les normes de recensement de l'époque. On décrit cet échantillon comme essentiellement rural, de race blanche, du Minnesota. Au MMPI-2, les 2 600 sujets sont âgés de 18 à 84 ans, viennent de différents États américains, et leur niveau moyen de scolarité est de 13 ans (ce qui correspond au recensement de 1980). On a recueilli un certain nombre
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d'informations anamnésiques, et l'échantillon dans son ensemble est plus diversifié qu'au MMPI quant au niveau socio-économique, à l'appartenance ethnique et à la situation géographique. Malgré une belle apparence de supériorité, Caldwell (1997) note que le MMPI-2 n'a pas à prétendre davantage que le MMPI quant à sa représentation normative, car les sujets ont été sollicités par le service postal des prospectus publicitaires (junk mail), et sont donc volontaires. En conséquence, environ 5 % des 2 600 sujets de l'échantillon normatif du MMPI-2 ont un niveau de scolarité inférieur à des études secondaires, en comparaison de 33 % selon le recensement de 1980. En sus, 45 % de l'échantillon ont réussi leurs études collégiales, en comparaison d'environ 16 % de la population générale. Caldwell demande donc que les normes du MMPI-2 soient directement révisées par une pondération compensatoire tenant compte du biais socio-économique vers le haut. En sus, Caldwell se dit troublé par l'inexplicable élévation normative à l'échelle Pd (4), en comparaison des normes du MMPI, se demandant si certains volontaires (se situant naturellement à un niveau modérément élevé à l'échelle Pd) n'étaient pas du genre « enclin à une révélation de soi et à une perspective de vie plus limpide pour eux-mêmes et leur conjoint(e) » (Caldwell, 1997, p. 52), endossant donc plus d'items qu'ils n'auraient dû, ce qui constitue un autre biais possible. Concernant la validité, nous mettrons d'abord un bémol sur deux échelles (Pd et Pa) dont le rôle est souvent majeur dans les cas psycholégaux, ne serait-ce que pour calmer les ardeurs intempestives de certains experts. L'échelle 4 ou Pd (Déviance psychopathique) se devait d'identifier selon les auteurs une inadaptation sociale générale en même temps que l'absence d'expériences agréables significatives. Ils ont donc pris comme groupe-critère des jeunes de 17 à 22 ans diagnostiqués « trouble de personnalité psychopathique, asociale ou amorale », termes à l'époque employés assez librement. Ces sujets avaient une longue histoire de délinquance mineure, s'étaient avérés peu planificateurs et avaient démontré peu d'effort pour ne pas se faire prendre. Il y a eu une validation croisée sur deux groupes (patients psychiatriques et prisonniers), tous diagnostiqués « personnalité psychopathique ». Cependant, même si la différenciation diagnostique était significative, elle était peu puissante, car l'échelle ne discriminait qu'un peu plus de la moitié du groupe-critère. C'est pourquoi on a appelé l'échelle « Déviance psychopathique » plutôt que « Personnalité psychopathique ». Concernant l'échelle 6 ou Pa (Paranoïa), le groupe-critère n'a jamais été identifié, car Hathaway et McKinley considéraient cette échelle comme faible et préliminaire. Tout ce que l'on sait, c'est que les sujets utilisés avaient des symptômes paranoïdes, sans plus. Il faut aussi savoir que les niveaux
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modérés (T entre 60 et 69) caractérisent souvent des gens normaux très sensibles, émotionnels en même temps que rationnels, s'efforçant d'avoir une pensée claire et limpide (fréquemment trouvés chez les travailleurs de la santé). Si chacune des échelles implique des corrélats comportementaux spécifiques, l'interaction entre elles peut changer les données premières de validité. Dans le domaine psycholégal en particulier, il faut rappeler l'effet atténuant (suppressor variables) des échelles D (2), Mf (5) et Si (0), ainsi que l'effet activateur (energizer variables) des échelles Ma (9),Pd (4) et Sc (8) (Friedman et al., 1989, p. 229-230). Alors que l'échelle 9, relative à l'hypomanie, est par définition activatrice, l'échelle 4 indique un mauvais contrôle des impulsions, et l'échelle 8 un mauvais contrôle de la pensée. Ainsi une paire élevée 2-4/4-2, accompagnée d'une élévation à l'échelle 9, accroît la probabilité de comportements impulsifs, autodestructeurs, ainsi que de conduites d'échec. Également, alors que la paire 4-8 suggère un individu en colère, isolé et confus, l'addition d'une élévation 9 ajoute la probabilité d'un passage à l'acte impulsif, antisocial et bizarre (l'échelle 9 intensifie ici les sentiments d'isolement et de colère). Quant aux échelles atténuantes, l'exemple d'une paire élevée 4-9/9-4, accompagnée d'une élévation des échelles 5 ou 0, pourrait être caractéristique d'une personne en colère qui ne passera pas à l'acte. Car une élévation des échelles 5 ou 0 suggère un individu sensible et introverti, qui s'exprimera davantage dans une révolte intellectuelle, ou par des comportements ambigus (promiscuité par exemple). Quant à la fidélité du MMPI/MMPI-2, le clinicien devrait être prudent dans ses prédictions à long terme à partir d'une seule administration, à cause d'une faible stabilité temporelle (0,35 à 0,45) après un intervalle d'un an ou plus (Parisien, 1997). Des conclusions arrêtées sur la personnalité prémorbide dans les cas de trauma crânien sont donc inappropriées sur la base d'un profil MMPI/MMPI-2 obtenu après le trauma. Qui plus est, devant des résultats différents lors d'une deuxième passation, il n'est pas clair s'il s'agit de réels changements chez le sujet, ou d'un reflet de l'instabilité psychométrique de l'instrument, ou encore d'une combinaison des deux facteurs (Greene, 1991).
13.5.2. MCMI Au MCMI-III, l'échantillon normatif fut constitué de 998 patients psychiatriques, américains et canadiens, divisés en deux groupes, l'un pour la construction des échelles, l'autre pour la validation croisée. Le biais sur les plans scolarité et ethnie a donné lieu à certaines critiques. Davis et al. (1997) ont entrepris une étude exhaustive de validation externe du MCMI-III en essayant d'éviter les faiblesses méthodologiques antérieures. Ceci nous apparaît être une validation externe modèle, 67 juges
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étant minutieusement formés pour évaluer un certain nombre de patients avec lesquels ils avaient eu un minimum de contact clinique de trois entrevues (jusqu'à 60 dans certains cas). Les résultats sont impressionnants, autant pour la Puissance prédictive (PPP), ou probabilité que le désordre soit réel lorsque le résultat est élevé, que pour le Ratio prédictif (PPR), ou quotient du taux d'identification sur le taux de prédiction au hasard, prédiction basée sur l'incidence du désordre : PPP entre 50 et 92 pour les syndromes inclus du DSMIV ; RPP entre 4,24 et 32,76. Concernant la fidélité, sur la base du coefficient alpha de Cronbach, la consistance interne des échelles du MCMI-III varie de 0,66 (Personnalité compulsive) à 0,90 (Dépression majeure). Dyer (1997) rapporte même que le MCMI-II présentait des coefficients de consistance interne au-dessus de 0,80 pour toutes les échelles. C'est sur cette base qu'il semble si critique concernant le MMPI-2, dont plusieurs échelles ont des valeurs alpha égales ou inférieures à 0,50. Quant à la stabilité test-retest, sur une période de 5 à 14 jours, on rapporte des coefficients de 0,84 à 0,96 pour le MCMI-III. Ils étaient de 0,60 à 0,90 au MCMI-I, et de 0,78 à 0,91 au MCMI-II. 13.6. Effet des variables individuelles et contextuelles Nous recommandons aux lecteurs intéressés à explorer ces aspects de façon plus détaillée de consulter Friedman et al. (1989, p. 116-122), Greene (1987 et 1991, p. 43-48), Dahlstrom et Telligen (1993), ainsi que Caldwell (1997, p. 56-61). Il s'agit par ailleurs de considérations essentielles pour tout expert psycholégal qui veut rendre justice au client évalué. Pour citer Friedman et al. (1989) : « Aucun test (MMPI) ne devrait être interprété sans savoir l'âge du sujet, son sexe, sa scolarité, son ethnie et son occupation. Chacune de ces variables influence la façon dont un ensemble particulier de cotes est interprété, de même que le choix des normes » (p. 118). Nous ne traiterons ici que des deux variables les plus influentes. 13.6.1. NIVEAU SOCIO-ÉCONOMIQUE Le niveau socio-économique (SES ou Socio-Economic Status) pourrait avoir plus d'influence sur les résultats au MMPI que les composantes démographiques habituelles (Dahlstrom et al., 1986; Friedman et al., 1989). Certaines recherches démontrent qu'un niveau socio-économique bas, peu importe l'ethnie ou le sexe, tend à produire des cotes plus élevées aux échelles F et Si (0), alors qu'un SES élevé corrèle positivement avec l'échelle K. Chez les hommes, l'échelle Sc (8) est inversement proportionnelle au SES; chez les femmes, il en est de même pour les échelles D (2) et Mf (5).
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En 1991, Caldwell note que la faiblesse fondamentale des normes contemporaines du MMPI-2 est le biais en faveur d'un niveau socio-économique trop élevé, à cause du caractère volontaire des participants. En effet, le niveau de scolarité est disproportionné vers le haut, de même que la surreprésentation des professionnels. Les échelles les plus affectées sont F (pas assez de cotes élevées), K (trop de cotes brutes élevées), Mf chez les hommes (pas assez de cotes basses), A (trop peu d'anxiété rapportée), Es (trop de cotes élevées reliées à la force du Moi), ainsi que les mesures directes (St et Ss) du statut social (cotes trop élevées). La vaste étude de Dahlstrom et al. (1986) met en lumière les effets prépondérants, voire exclusifs, de la variable SES, indépendamment de la race et de l'ethnie. Les sujets caractéristiques d'un niveau socio-économique élevé s'organisent mieux sur le plan personnel, ont moins de préoccupations somatiques et moins de peurs, avec une tendance chez les hommes à endosser davantage de stéréotypes féminins à l'échelle Mf (5). Caldwell (1997) note que si l'interprétation du niveau de l'échelle K dépendait déjà au MMPI du niveau socio-économique et de la scolarité, ainsi que du contexte de l'évaluation, les orientations interprétatives à propos de cette échelle sont encore davantage touchée au MMPI2 à cause du biais socioéconomique et de la scolarité de l'échantillon contemporain. Cela a un impact considérable dans la pratique psycholégale, et implique par exemple que dans les domaines de garde d'enfant et de sélection de personnel, les fréquentes élévations K observées pourraient faussement être interprétées comme étant de la dissimulation délibérée si le sujet est de niveau socio-économique élevé. En sus, tout contexte de litige suppose qu'un certain niveau défensif est normal. Dans de tels cas, Caldwell (1997) suggère au praticien de raffiner sa compréhension du niveau K en examinant le niveau d'autres échelles (reliées au statut socio-économique, aux attitudes de dissimulation, à la désirabilité sociale).
13.6.2. RÉFÉRENCE OU CONTEXTE Le contexte référentiel est d'une importance capitale pour les choix d'utilisation ou de mise à l'écart des données actuarielles que nous fournit la littérature. Cela rejoint la critique des interprétations informatisées, qui sont bien sûr supérieures au clinicien sur le plan de la fidélité de la mémoire, mais qui ne tiennent habituellement pas compte à la fois de la question référentielle, du statut conjugal et des événements anamnésiques récents, tout ce que le clinicien devrait utiliser pour formuler ses hypothèses interprétatives. Des informations additionnelles ne devraient à cet égard qu'augmenter la spécificité et la justesse de l'interprétation, et non la diluer par la multiplication des énoncés interprétatifs vagues qui ne sont d'aucune utilité,
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du genre : « il apparaît probablement possible que le sujet puisse aboutir à un état potentiellement plus sévère » (voir Friedman et al., 1989, p. 117; Greene, 1991, p. 289). Nous avons récemment souligné (Parisien, 1998) le problème des paires élevées atypiques (possiblement explicables par le contexte) traitées sans nuance par les interprétations informatisées à l'aveugle. Nous confrontions alors un cas spécifique avec l'interprétation informatisée de NCS (Butcher, 1970). Par ailleurs, un des cas typiques qui interpelle l'expert psycholégal est une paire élevée 4-9 (Pd-Ma). Dans plusieurs cas, une telle élévation est caractéristique d'une personnalité antisociale, surtout si la question référentielle indique par exemple : «Jeune homme de 22 ans, ayant abandonné les études secondaires, présentant récemment des difficultés légales ainsi qu'une histoire de vagabondage et de petits vols. » (Friedman et al., 1989, p. 117). La question peut référer également à la probabilité d'autres passages à l'acte, et à la présence ou non d'éléments psychotiques. Mais ce contexte est fort différent de celui d'un sujet présentant une paire élevée (modérée) 4-9/9-4, avec un niveau de scolarité (ou socio-économique) assez élevé. Il pourrait alors s'agir typiquement d'un psychologue, ou encore d'une personne impliquée dans un emploi à connotations légales. Dans un dossier disciplinaire ou d'emploi, un tel sujet part perdant si l'expert ne tient pas compte du contexte dans son interprétation du MMPI/MMPI-2. Un autre exemple typique du domaine psycholégal: une élévation à l'échelle 6 (Pa). Si d'autres facteurs du dossier indiquent une bonne adaptation, une telle élévation pourrait n'indiquer qu'une orientation inquisitrice de l'individu. Cette échelle est rarement élevée sans être accompagnée d'une autre échelle élevée. Lorsqu'elle est la plus élevée, elle peut être due à un stress situationnel, à la suite duquel l'attitude «paranoïde » s'atténuera (Duckworth et Anderson, 1986, p. 178; 1995, p. 214). Caldwell (1985: voir Duckworth et Anderson, 1986, p. 179; 1995, p. 216) avance que les profils présentant l'échelle Pa comme la plus élevée sont caractéristiques d'une peur d'être attaqué. En sus, certains items endossés peuvent avoir une base objective ponctuelle dans certaines situations légales. Ainsi, au MMPI, nous avons identifié 16 items (16, 24, 35, 110, 121, 123, 127, 157, 158, 202, 284, 294, 338, 347, 348 et 364) qui pourraient être de ce type (40 % des items à Pa), comme par exemple : • 110: Quelqu'un m'en veut : VRAI • 121: Je crois que l'on complote contre moi : VRAI • 294: Je n'ai jamais eu de difficultés avec la justice : FAUX • 347: Je n'ai pas d'ennemis qui me veulent vraiment du mal : FAUX
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Ces 16 items sont repris au MMPI-2, avec une autre numérotation. Au MCMI-III, le même phénomène se constate aux échelles P (Personnalité paranoïde : items 8, 115, 138, 175, donc 24 % des items) et PP (Trouble délirant : items 138, 140 et 175, donc 23 % des items). Dans des cas particulièrement litigieux, l'expert psycholégal se doit donc d'examiner le contenu de certains items « paranoïdes » endossés par le client avant de sauter aux conclusions. Enfin, plusieurs auteurs mettent en garde contre une interprétation intempestive d'une élévation à l'échelle 4 (Pd) en situation de litige. Cette échelle reflète en effet des attitudes conflictuelles et de ressentiment (isolement), ponctuelles et typiques des situations de litige. Il y a donc lieu pour l'expert psycholégal de demeurer prudent. 13.7. Deux cas litigieux au MMPI/MMPI-2: échelle K et Items 0 vs S L'échelle K est composée de 30 items choisis empiriquement. Le but des auteurs (Hathaway et McKinly, 1943) était d'identifier les patients psychiatriques ayant des profils normaux. Ils ont donc comparé deux groupes, un groupe de sujets anormaux hospitalisés et ayant obtenu un profil normal vs un groupe de sujets normaux ayant obtenu un profil anormal. L'étude empirique a ainsi identifié 30 items, dont les contenus sont reliés soit au contrôle de soi, soit aux relations familiales et interpersonnelles non problématiques. À l'époque, les auteurs ont déterminé qu'il fallait ajouter, en cotes brutes, un K complet ou une fraction de K à certaines échelles cliniques pour une meilleure discrimination entre le groupe normatif et certains groupes psychiatriques. Mais il n'y a jamais eu de validation croisée de cette correction. Greene (1980, 1991) écrit à ce sujet : « Plus de 30 ans d'utilisation du MMPI sans examen du caractère approprié de ces corrections K défient toute explication » (1980, p. 106; 1991, p. 114). Il y a eu quelques recherches, en particulier sur des populations étudiantes, qui contredisent l'utilité discriminative de la correction K. C'est d'ailleurs l'usage, avec les normes d'adolescents, de ne pas utiliser la correction K. Malgré la présence d'une littérature clinique abondante basée sur cette correction, on hésite à l'employer lorsqu'il s'agit d'un client (non psychiatrique) plutôt que d'un patient. Greene résume bien les enjeux de cette question (1991, p. 113-118). Même en milieu psychiatrique, lorsqu'une cote brute K est très élevée, l'application de la correction K est douteuse, car elle surestime certaines échelles, en particulier les échelles Pt (7) et Sc (8). Comment, en effet, interpréter comme un trouble de la pensée une échelle 8 élevée, si ce résultat dépend de l'addition d'une trèsfaible cote brute et d'une très forte correction K ? De façon générale, lorsque l'échelle K est à un niveau élevé (T = 65+), on recommande (Greene, 1980, 1991) de tracer en supplément un
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deuxième profil clinique non corrigé par K. Les appendices des différents manuels (Dahlstrom et al., 1972; Greene, 1980; Butcher et al., 1989) comportent les renseignements nécessaires à un tel tracé non corrigé par K. Au MMPI, l'indice Items O vs S (items ouverts vs subtils de Wiener et Harmon pour les échelles D, Hy, Pd, Pa et Ma) a fait couler beaucoup d'encre (Greene et al., 1997). Vraisemblablement, Butcher, Ben-Porath et Tellegen ont consenti au « relâchement » des normes contemporaines de cet indice après d'intenses tractations (voir section 13.1.3). On s'est d'ailleurs empressé d'enfoncer les « derniers » clous de cercueil (Weed et al., 1990). Mais Hollrah et al. (1995) font ressortir : 1) la difficulté à trouver les mesures appropriées pour valider les items subtils; 2) la fâcheuse tendance, chez les détracteurs des items subtils, à valider les items ouverts sur le critère de self-reports dépendant par définition d'énoncés ouverts; 3) l'utilisation des échantillons non psychiatriques qui restreignent l'étendue des résultats à ces échelles. Jusqu'à preuve du contraire, l'indice Items O vs S conserve son utilité clinique (Brems et Johnson, 1991; Dannenbaum et Lanyon, 1993; Dush et al., 1994; Greene, 1988; LeesHaley et Fox, 1990). 13.8. Conclusion : et quoi encore ? On a pu constater que le présent chapitre ne constitue qu'un survol des questions psycholégales relatives à la connaissance des instruments MMPI/ MMPI-2 et MCMI, questions qui nous sont apparues les plus pertinentes. Le clinicien, a fortiori l'expert psycholégal, a en outre besoin de connaissances précises sur : 1) les procédés de correction; 2) les caractéristiques psychométriques des instruments ; 3) l'ensemble des effets des variables individuelles et contextuelles ; 4) les divers indices de crédibilité des protocoles ; 5) la composition clinique totale des inventaires. L'expert devra en outre maîtriser le processus d'interprétation afin d'insérer celle-ci dans son rapport psycholégal (Cousineau et Parisien, 1992). Une littérature abondante et complémentaire doit être consultée. Pour le processus d'interprétation du MMPI/MMPI-2, Duckworth et Anderson (1995) en énoncent les principes généraux et mettent l'accent sur les forces (plutôt que les faiblesses) du sujet. Friedman et al. (1989) sont particulièrement minutieux dans la séquence interprétative. Ils proposent une organisation conceptuelle des inférences, comme le fait également Graham (1990). Quant à Greene (1991), il propose un processus interprétatif séquentiel très détaillé, avec une ouverture intéressante à différents choix d'interprétation des mêmes résultats. On peut également consulter Butcher et Williams (1992), ainsi que Nichol (à paraître).
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Pour le MCMI, on pourra consulter Van Denburg et Choca (1997) qui proposent des stratégies précises concernant la validité du profil, le choix des échelles significatives, ainsi que la conceptualisation de l'interprétation. Davis et al. (1997) publient le livret complet d'instructions (plus de 20 pages) présenté aux juges cliniciens lors de leur étude exemplaire de validation du MCMI-III (voir section 13.5.2). Ce document est d'une utilité clinique considérable. Quant à Choca et Van Denburg (1997), ils consacrent un chapitre entier (chapitre 6) à l'interprétation narrative d'environ 70 élévations (simples, doubles ou triples) des échelles de personnalité, et ils mettent l'accent sur le « style », par opposition au « trouble » de personnalité. Enfin, pour une référence rapide et condensée, on pourra consulter Craig (1999), qui fournit en sus un exemple d'interprétation comparative MCMI-III/MMPI-2. L'expert psycholégal se retrouve souvent comme témoin expert,. et l'emploi du MMPI/MMPI-2 ou du MCMI représente un terrain propice aux témoignages devant un tribunal. À cet égard, l'ouvrage de Pope et al. (1993) doit être consulté. Une fois acquise la connaissance des instruments, l'expert sera amené à consulter la littérature, parfois très abondante, sur divers domaines psycholégaux d'application des deux instruments : 1) garde d'enfant et capacités parentales; 2) allégations d'abus psychologiques, physiques ou sexuels (abuseurs et victimes) ; 3) séquelles psychologiques (dommages personnels, désordres de stress posttraumatique, séquelles psychologiques d'un trauma crânien); 4) dossiers disciplinaires ou d'emploi; 5) questions d'aptitude et d'aliénation mentale; 6) dossiers criminels (aspects pré-verdict, pré-sentence, détention). Une revue de cette littérature demanderait d'y consacrer un chapitre entier que ni le temps ni l'espace ne nous permettent actuellement. En tout état de cause, nous espérons avoir convaincu l'expert psycholégal qui utilise le MMPI/MMPI-2 ou le MCMI que l'utilisation de ces instruments est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, et que leur application peut donner lieu à un certain nombre d'écueils. En outre, le clinicien demeure finalement le seul responsable de sa pratique professionnelle, et il doit se méfier des idées toutes faites, en se donnant la peine de questionner les publications. Cette remarque vaut pour le présent chapitre ! Dernière précision : l'utilisation des dernières versions (MMPI-2 et MCMI-III) nous apparaît une évolution naturelle et un changement nécessaire, avec les réserves que nous avons faites. Expressément, deux enjeux dominent : 1) pour le MMPI-2, sa subordination actuelle, et partielle, aux normes d'interprétation du MMPI-2 ; 2) pour le MCMI-III, la légitimité de son utilisation dans le domaine psycholégal.
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Les drilles de validation de témoignages d'enfants Analyse critique
DIANNE CASONI, PH.D.
L'expertise des intervenants en sciences de la santé et en sciences humaines est de plus en plus sollicitée pour aider les agents sociaux de la protection de la jeunesse, la police et les tribunaux à faire la lumière dans des causes impliquant des enfants lorsqu'une allégation d'agression sexuelle a été formulée. Souvent confrontés à des situations extrêmement complexes et à des problématiques humaines et sociales dramatiques, il est fort légitime pour ces acteurs des diverses instantes sociales, policières et juridiques de recourir à des psychologues, psychiatres et professionnels des sciences humaines pour leur apporter un éclairage expert qui puisse guider leurs opinions et jugements dans ces causes si difficiles. Quelle valeur probante doivent-ils accorder cependant à ces expertises ? Vu les enjeux pour les personnes impliquées, enfants comme adultes, il nous apparaît utile, voire nécessaire au plan des assises scientifiques et de la pratique professionnelle, de soumettre une des méthodes abondamment enseignée et utilisée en expertise psychosociale et psycholégale concernant l'agression sexuelle d'enfants à un examen critique.
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Nous avons déjà fait le point ailleurs sur les méthodologies d'évaluation d'allégation de sévices sexuels (Casoni, 1990, 1996; Campbell, Casoni, Gattuso, 1993) ainsi que sur les enjeux psychologiques en cause pour les intervenants qui reçoivent et traitent des plaintes d'agressions sexuelles concernant des enfants (Casoni, 1994, 1995), le présent chapitre aborde toutefois une dimension très précise de cette vaste problématique en se centrant exclusivement sur les grilles qui visent à crédibiliser ou à valider des témoignages d'enfants dans de telles causes (Raskin et Steller, 1989; Raskin et Esplin, 1991; Raskin et Yuille,1989 ; Steller, 1989; Steller et Koehnken, 1989; Undeutsch, 1982, 1989; Wegener, 1989). Une analyse critique de ces méthodes évaluatives s'impose, d'abord en raison des multiples décisions de la cour aux Etats-Unis sur la non-recevabilité de témoignages d'experts au sujet de la crédibilité du témoignage d'un enfant dans une cause d'agression sexuelle (voire McCord, 1987; Roe, 1985; Serrato, 1988, pour une discussion de ces décisions) mais aussi eu égard au fait que de telles grilles semblent trop souvent utilisées comme un moyen jugé facile et simple par leurs utilisateurs de répondre à des questions que les écrits actuels présentent paradoxalement comme difficiles et complexes (voir Ceci et Bruck, 1998, pour une recension complète et une discussion approfondie de cette littérature). Nous proposons donc dans le présent texte d'examiner la validité de construit des grilles de validation de témoignages d'enfants à la lumière des connaissances théoriques et empiriques actuelles dans le but d'évaluer au plan scientifique la pertinence d'en recommander ou non l'utilisation tant dans les milieux professionnels-cliniques que policiers et juridiques. 14.1. Grilles de validation de témoignages d'enfants Une première grille de validation de témoignages d'enfants a d'abord été développée au cours des années 1950 par le psychologue Udo Undeutsch. Cet allemand, expert au tribunal, nomme sa grille Statement Reality Analysis. Undeutsch (1982, 1989) regroupe dans cette grille les 19 éléments qu'il considère comme étant présents dans une déclaration vraie de sévices sexuels faite par un enfant. L'objectif de sa démarche est de pouvoir présenter au tribunal les verbalisations de l'enfant de telle manière que celles-ci paraissent crédibles au juge. Dans le contexte socioculturel des années 1950 et 1960, un tel objectif est tout à fait pertinent et éthiquement valable puisque la déclaration d'un enfant, même assermenté, est hélas alors trop souvent considérée comme ayant une valeur probante moindre que celle d'un adulte. Comme il est rare qu'un témoin puisse corroborer les dires de l'enfant présumé agressé, les procès concernant une allégation d'agression sexuelle impliquant un enfant résultent, à cette époque, souvent en non-lieu ou en verdicts de non-culpabilité faute de preuves. Des décisions judiciaires comme celle de Lord Goddard (cité par Wallwork,1958) sont, en effet, habituelles alors que ce magistrat refuse d'entendre le témoignage d'une enfant
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Les grilles de validation de témoignages d'enfants
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de 5 ans, dans une cause où il est allégué que la fillette a été séquestrée et agressée sexuellement, en déclarant que son témoignage ne peut être corroboré. Ainsi, il déclare : « Le jury ne peut accorder aucune valeur au témoignage d'une enfant de 5 ans. Il est ridicule de penser qu'il le pourrait... ». Ce genre de décisions a certainement fortement encouragé les praticiens à rechercher activement des méthodes pour crédibiliser le témoignage des enfants puisque, plus souvent qu'autrement dans les cas d'allégations de sévices sexuels, aucun autre témoin ne peut corroborer leurs dires. D'autres pays dont les systèmes juridiques sont de type inquisitoire ont également au cours des années 1950 et 1960 fait une place importante aux experts psychologues, psychiatres et intervenants sociaux en leur confiant le mandat d'isoler du témoignage de l'enfant présumément agressé, les éléments permettant de crédibiliser sa déclaration. Cette démarche est alors vue comme nécessaire pour que le témoignage de l'enfant puisse être admissible comme preuve en cour ou encore pour permettre au tribunal d'en apprécier la valeur probante. Il ressort de l'examen des grilles développées au cours de ces années, comme de la littérature professionnelle et scientifique du temps, un souci fort légitime, vu le faible taux de condamnations des accusés faute de preuves, de chercher à convaincre le tribunal de la valeur de la déclaration d'un enfant. Des formules telles « Les enfants ne mentent jamais au sujet de l'agression sexuelle1 » communiquent bien l'esprit de revendication sociale dont ces intervenants et cliniciens de première ligne étaient animés. Cependant, la réalité judiciaire et parajudiciaire des années 1950 à 1970 a beaucoup changé. Le travail de pionniers des Conte, Berliner, Faller et nombreux autres dans le domaine de l'intervention sociale a certainement porté fruit. De même les réformes juridiques telles celles mises en place par la loi C-15 au Canada, notamment en adaptant aux enfants les règles de procédure, ont certainement contribué de façon non négligeable tant à la judiciarisation des cas d'agressions sexuelles d'enfants qu'à rendre l'expérience du témoignage en cour potentiellement moins traumatisante pour un enfant. Ainsi, du côté de la judiciarisation, presque toutes les cours abandonnèrent, au cours des années 1980, l'exigence de la corroboration du témoignage de l'enfant dans les cas d'agressions sexuelles. Au Canada, la loi C-15 permet à un enfant non assermenté de produire un témoignage et au jury d'en évaluer la valeur. Plusieurs tribunaux ont institué des règles permettant à un enfant de témoigner via une retransmission télévisuelle d'une salle distincte afin de le protéger de l'effet que pourrait avoir sur son témoignage le fait de parler devant l'accusé, par exemple. De même les règles de contre-interrogatoires sont
1. « Children never lie about sexual abuse », cette maxime a été proposée entre autres, par les auteurs Faller (1984), Mc Carty (1981), Sgroi, Porter et Blick (1982).
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d'une façon générale dorénavant plus restrictives lorsque cet interrogatoire est permis (Goodman et al., 1992; Commission Gagnon, 1989; McGough, 1994; Montoya, 1992). Nous pouvons donc observer des changements importants dans l'accueil et la recevabilité du témoignage de l'enfant au tribunal depuis le développement des premières techniques de validation de témoignages introduites par Undeutsch au début des années 1950 (1982, 1989). Cependant ces techniques sont couramment utilisées dans une forme, à peu de chose près, inchangée depuis leur conception par Undeutsch. En outre, ces méthodes déjà vieilles d'une cinquantaine d'années sont encore enseignées par certains psychologues et intervenants sociaux. Enfin, les résultats de l'application de méthodes possiblement désuètes sont fréquemment utilisés par des témoins experts en cour mais aussi, dans certaines régions, ces techniques servent de façon routinière au dépistage et à l'évaluation des allégations de sévices sexuels dans des services de protection de l'enfance. À la suite de nombreux auteurs, dont Bekerian & Dennett (1992), Bruck et al. (1998), Ceci et Bruck (1995) ; Berliner et Conte (1993) ; Coulborn-Faller et Corwin (1995) ; Loftus (1992) ; Fisush (1993) ; Wells & Loftus (1991) et Robion (1989), il importe de faire le point sur ces pratiques professionnelles à la lumière des connaissances actuelles sur la mémoire, le développement cognitif ainsi que le développement du langage de l'enfant, pour ne nommer que quelques-uns des champs de recherche pertinents, afin de mieux évaluer la valeur scientifique de telles grilles. Dans la section qui suit, nous examinons à l'aide des connaissances et des travaux scientifiques actuels les 19 critères qui forment le « noyau central » de ces systèmes d'évaluation. En ce sens, l'analyse que nous faisons de ces critères se veut de nature critique, dans le sens employé par les collaborateurs au livre La recherche qualitative. Diversité des champs et des pratiques au Québec (Poupart et al., 1998). Selon Poupart (1998), il est nécessaire de soumettre à l'examen critique tant les propositions théoriques que les données empiriques obtenues par tout paradigme de recherche. Et Poupart (1998) ajoute qu'une telle analyse critique constitue une pratique scientifique dorénavant bien établie. En psychologie appliquée, cette nécessité s'impose d'autant plus que des décisions professionnelles impliquant des personnes découlent de notre capacité comme science à adopter une position critique par rapport aux pratiques de notre propre discipline. Ce que nous nous proposons de faire donc dans cette section est de soumettre la partie « grille de validation » des techniques d'évaluation de sévices sexuels les plus couramment utilisées à un examen rigoureux de leur validité de construit. Respectant en cela la nécessité académique d'examiner et de réexaminer le corpus de notre discipline ainsi que l'obligation éthique de questionner nos pratiques professionnelles.
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14.2. Analyse critique d'une grille de validation Le cœur de ces outils d'évaluation (heart of the system, Berliner & Conte, 1993) consiste en l'application à un témoignage d'enfant à propos d'une agression sexuelle présumée d'une liste de 19 critères relatifs au contenu de la déclaration (voir Raskin & Steller, 1989 ou Raskin & Esplin, 1991 pour une description du « Criteria-based content analysis », aussi nommé CBCA). Bien que plusieurs versions de ces grilles de critères de contenu existent (Undeutsch, 1982, 1989; Kôhnken, 1989; Raskin et Steller, 1989; Raskin et Yuille, 1989; Raskin et Esplin, 1991; Steller, 1989; Steller et Koehnken, 1989), leurs listes d'éléments à cocher comprennent 19 critères dont les descripteurs, très semblables, sont habituellement regroupés en cinq grandes catégories : 1. les caractéristiques générales de la déclaration; 2. les contenus spécifiques de la déclaration; 3. les particularités du contenu de la déclaration; 4. le contenu motivationnel présent dans la déclaration; 5. les éléments spécifiques à l'agression sexuelle dans la déclaration. Chacun des critères compris dans ces cinq catégories sera soumis à un examen de validité de construit qui consiste à évaluer en quoi le contenu du critère et de son descripteur résiste à l'examen de sa pertinence théorique par rapport au problème posé ainsi que par rapport à la valeur qui peut y être accordée au plan de la logique (voir Green, 1992 ainsi que Smith et Sechrest, 1992 pour une discussion des principes qui guident une telle évaluation). La validité d'un outil de recherche ou d'un instrument clinique est, en effet, vue comme le facteur le plus important dans son évaluation, il importe de rappeler qu'une part importante de cette évaluation repose sur un processus d'analyse logique et théorique de l'instrument en question (Standards for Educational and Psychological Testing, 1985). En outre, lorsque des données empiriques sont disponibles pour examiner le bienfondé du recours à ces listes de critères, les références sont données et discutées en regard de l'utilisation clinique de ces grilles. 14.2.1. LES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DE LA DÉCLARATION Trois critères sont compris dans la première catégorie et servent à évaluer la structure logique de la déclaration. Ces trois critères sont : critère 1: la spontanéité de la déclaration ou sa qualité non structurée, critère 2: la logique interne de la déclaration et critère 3: la quantité de détails contenus dans la déclaration.
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Ces trois premiers critères apparaissent d'évidence comme n'étant pas associés de façon spécifique à une situation d'agression sexuelle comme le soulignent Berliner et Conte (1993). De même, il est frappant d'observer que chacun de ces critères consiste en fait à rendre un jugement clinique sur des aspects du discours de l'enfant qui peuvent être influencés par de nombreux facteurs tant liés aux conditions où la déclaration a été produite que par des facteurs subjectifs par rapport auxquels la seule déclaration de l'enfant ne permet pas de formuler une opinion autre qu'hypothétique. Par exemple, la nature de l'entrevue et le style de l'interviewer auront un impact direct sur la spontanéité de l'enfant (voir Fivush, 1993 pour une recension complète des interactions habituelles entre enfant et adulte influençant le discours de l'enfant). Ainsi, la structuration du discours de celui-ci sera directement influencée par l'utilisation de questions fermées, par la quantité d'interventions effectuées par l'interviewer ainsi que par le contrôle que peut très facilement imposer l'interviewer au discours de l'enfant (Benedeck et Schetky, 1985; Ceci et Bruck, 1998; Fivush, 1993). De même, le contexte émotif vécu par l'enfant, son niveau d'angoisse et son rapport à l'interviewer sont autant de facteurs qui peuvent avoir une influence sur sa spontanéité, la logique interne de son discours et la quantité de détails qu'il produira (Ervin-Tripp, 1978; Read et Cherry,1978). Dans ce sens, il ne s'agirait déjà plus dans l'analyse des résultats obtenus à la grille d'évaluer la seule présence ou absence de ces trois premiers critères de contenu, mais bien d'expliquer leur présence ou leur absence. Malheureusement, comme nous avons pu l'observer trop souvent dans de nombreux rapports d'évaluation utilisant de telles grilles ou encore lors de témoignages en cour par des experts, l'argumentation utilisée dans l'interprétation donnée à la présence ou à l'absence de ces trois premiers critères peut tout aussi bien servir à crédibiliser une déclaration qu'à la discréditer. Il peut, par exemple, être invoqué par l'expert que l'enfant n'a pas été spontané parce que le contexte de l'entrevue ou le style de l'interviewer ne le lui permettait pas et donc, que malgré l'absence de ce critère, cela ne diminue pas la crédibilité de sa déclaration d'agression sexuelle. Cependant, si le simple fait de coter l'absence ou la présence des critères ou même d'indiquer si les critères sont fortement ou faiblement présents (Yuille, 1988) n'est pas déterminant dans l'opinion qui est rendue par l'expert grâce à ces techniques, l'utilité de recourir à une telle méthode de validation de la déclaration de l'enfant diminue. En effet, si c'est le sens attribué à un fait d'observation plutôt que la simple présence ou absence de ce fait d'observation qui est déterminant, l'utilité de recourir à la technique du checklist2 n'est nullement démontrée. En ce sens, l'utilisation d'un checklist peut, en outre, comme l'argumentent Berliner et Conte (1993),
2. Le mot checklist est traduit en français par « grille », cependant ce terme ne reflète pas le sens limitatif qui est donné en anglais au terme qui littéralement veut dire « liste à cocher ».
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donner une apparence de scientificité « Unfortunately, because the methodology is systematic it may give results a more scientific patina than they deserve. » (p. 119) à une série de jugements qui mesurerait davantage ce qui est convaincant dans une déclaration plutôt que ce qui est « vrai ». Wells et Loftus (1991) soutiennent d'ailleurs que ce que mesureraient ces grilles est la qualité de vraisemblance de la déclaration selon une perspective adulte plus que la vérité de l'enfant. Pour donner une idée au lecteur du type d'interprétation que permet le critère de spontanéité (critère 1) d'une déclaration d'un enfant, imaginons une déclaration reçue dans un poste de police dans laquelle le critère 1 est évalué comme étant absent. Il peut, par exemple, être argumenté que l'enfant ne se sentait pas à l'aise dans cet environnement et que le style d'entretien ne lui a pas permis d'exprimer de la spontanéité ; donc que l'absence du critère est attribuable au contexte d'entrevue et ne contribue pas à invalider sa déclaration. Opinion certainement raisonnable et fort défendable. Mais inversement, le psychologue pourrait argumenter avec autant de conviction que l'absence de spontanéité dans un tel contexte de déclaration serait peu probable, même chez un enfant intimidé, puisque la charge affective serait amplifiée par l'effort ainsi exigé de l'enfant et que vraisemblablement le stress inhérent à la situation devrait être tel que cela le ferait s'effondrer; en somme que l'absence du critère 1 concernant la spontanéité signifierait que la crédibilité de sa déclaration est douteuse. En fait, les deux hypothèses sont valables et les deux réactions émotionnelles sont possibles, d'une façon théorique, chez l'enfant. Seule une connaissance de la dynamique de sa personnalité pourrait potentiellement nous permettre de privilégier cliniquement, dans un cas singulier, une hypothèse plutôt qu'une autre. En ce qui concerne le critère 2 qui évalue la logique interne de la déclaration, Bruck et Ceci (1998) soutiennent que les résultats qu'ils ont obtenus aux recherches qu'ils ont effectuées sur les caractéristiques de cohérence et de structuration logique des narrations d'enfants à propos d'événements vrais et d'événements fictifs confirment les conclusions de Salmon et Pipe (1997). Selon ces résultats, en effet, peu de différence existe entre les vraies et les fausses narrations quant aux caractéristiques de cohérence et de logique interne. Cependant, lorsque des différences sont notées, les histoires fausses apparaissent plus cohérentes et mieux élaborées que les histoires vraies. Quant au critère 3, la quantité de détails contenus dans la déclaration, il est maintenant établi d'une façon convaincante par de nombreuses recherches récentes sur l'influence des interrogatoires suggestifs sur les déclarations d'enfants que les enfants ainsi questionnés donnent davantage de détails que dans un contexte neutre. Par exemple, Warren et Lane (1995) trouvèrent qu'à la suite d'un interrogatoire neutre immédiatement après l'événement, les enfants étaient partiellement protégés de l'effet d'entrevues
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suggestives subséquentes. Ainsi, alors que les enfants soumis à deux interrogatoires suggestifs relataient beaucoup plus de détails lors de leur remémoration libre, ceux soumis à un seul interrogatoire suggestif faisaient état de moins de détails suggérés. Appliqué aux résultats obtenus par une grille de validation de témoignage, ce type de recherche suggère nettement que la quantité de détails ne peut constituer un critère fiable pour discriminer entre une déclaration basée sur un fait véridique d'une autre qui aurait été construite à propos d'un événement fictif. Du reste, ces trois premiers critères reposent sur une base théorique qui cliniquement apparaît vraisemblable mais qui, en dernière analyse, témoignerait davantage de ce qu'un observateur extérieur attend d'une déclaration vraie ; c'està-dire que l'histoire se tienne, qu'elle ait été narrée avec une certaine émotivité et une spontanéité qui apparaît congruente et enfin que la quantité de détails fournis soit suffisante pour rendre l'histoire singulière. A cet effet, Wells et Loftus (1991) estiment que le système CBCA mesure ce qui pourrait être décrit comme l'appartenance à un groupe, soit le groupe des enfants dont le témoignage lorsque coté avec ce système comme étant véridique est corrélé positivement avec l'opinion des intervenants sociaux ou des jugements judiciaires au sujet de leur vraisemblance. Si certaines caractéristiques de la méthode portent à croire à la véracité de l'allégation et si les témoignages crus sont définis par ces mêmes critères, alors le système est tautologique argumentent Wells et Loftus (1991). Bien qu'en tant que cliniciens, nous puissions être attentifs au type d'observations décrites par ces trois premiers critères lorsque nous nous questionnons sur la véracité d'un discours événementiel, le saut conceptuel qui permet de conclure que la présence de ces critères caractérise et ultimement contribue à discriminer entre vérité et mensonge est, pour le moins, audacieux. 14.2.2. LES CONTENUS SPÉCIFIQUES DE LA DÉCLARATION La deuxième catégorie de critères comprend quatre critères qui ne sont pas spécifiques à l'agression sexuelle et pourraient être appliqués à la narration d'événements de diverses natures. Donc les critères quatre à sept qui appartiennent à la catégorie « Contenu spécifique de la déclaration » visent à évaluer : critère 4 : la présence d'une contextualisation de la déclaration; critère 5: la description d'interactions; critère 6: la reproduction de conversations ayant eu lieu au cours de l'événement et enfin, le critère 7: la présence d'un incident ou d'une complication inattendue au cours de la victimisation. Ces quatre critères ne sont donc pas spécifiques à une victimisation sexuelle, ce qui, en soi, pourrait ne poser aucune difficulté. Cependant, comme l'objet de ces grilles est de valider une déclaration de sévices sexuels, plus grand est le nombre de critères qui sont généraux, moins l'instrument est précis et moins l'interprétation de la présence ou de l'absence des critères
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est spécifique en fonction du but recherché comme le soulignent Berliner et Conte (1993). Ainsi, on s'attend à ce qu'il y ait très souvent à partir de l'âge de 9 ou 10 ans, la présence dans la narration de quelque événement qui soit, une certaine indication contextuelle : « J'étais dans ma chambre ; ... il neigeait ce jour-là ; ... c'était à l'école ». Aussi même celui ou celle qui mentirait délibérément, ou malgré lui, vraisemblablement produirait une contextualisation de l'événement narré tant cette caractéristique est commune et banalement présente dans le discours. En outre, comment interpréter la présence d'une telle contextualisation si l'interviewer, ce qui est plus que probable, pose une question sur le contexte, ne serait-ce que pour mieux se représenter la scène décrite. Peuton, en effet, imaginer une entrevue qui ne contienne pas au moins une question de contextualisation : « Où étais-tu alors ? ; « Que faisais-tu quand c'est arrivé ? » ; « Il y a longtemps de ça ? », etc. Il devient donc extrêmement difficile d'attribuer une valeur discriminante à ce quatrième critère. De même pour les critères 5 et 6 qui concernent la description d'interactions et la reproduction de conversations ayant eu lieu au cours de l'événement, la présence de ces éléments fait partie d'une narration événementielle habituelle. Ces critères sont donc, non seulement, non spécifiques mais ils sont même attendus par l'interlocuteur et, s'ils ne sont pas livrés de façon spontanée, même chez un individu qui mentirait, ils seront vraisemblablement sollicités par l'interviewer. Quoi de plus banal que de décrire des interactions dans une narration événementielle : « ... puis Untel m'a dit de faire ça », « ... et là je l'ai fait » ou « ... je n'ai pas voulu faire ça ». Comment même parler d'une allégation d'agression sexuelle sans dire un mot des actions posées par l'un et l'autre des protagonistes? Comment imaginer qu'aucune question ne solliciterait d'informations à ce sujet ? Par ailleurs le critère 6 qui concerne la reproduction de conversations entre l'agresseur et l'enfant apparaît en soi problématique puisque tel qu'énoncé, ce critère suppose que la reproduction de propos, c'est-àdire le fait de citer les paroles de l'agresseur plutôt que de les rapporter aurait une grande valeur discriminante. Or, une telle prémisse apparaît difficile à maintenir telle quelle puisque le fait de narrer tel quel des propos, par exemple : « il m'a dit : ne bouge pas de là, toi ! » plutôt que de les rapporter dans une forme de discours indirect, soit : « il m'a dit de ne pas bouger », renvoie à plusieurs facteurs qui ont avantage à ne pas être confondus. D'abord, l'âge de l'enfant jouera un rôle important dans la présence ou l'absence de ce critère, ainsi les propos de jeunes enfants sont d'emblée narrés sous forme de discours direct, c'est-à-dire comme des citations. Il s'ensuit qu'une telle forme de discours, bien que typique du jeune enfant, apparaîtra, en fonction du critère 6, d'entrée de jeu plus crédible que celui d'enfants plus âgés. Ceci cependant serait dû davantage à une caractéristique du développement langagier qu'à un élément permettant de crédibiliser une forme de discours plutôt qu'une autre. En effet, il est habituel pour
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le jeune enfant de reproduire des conversations, même celles qui sont le fruit de son imagination, lorsqu'il en parle : «Et le petit lapin a dit au méchant lion : « Fais-moi pas mal, je suis gentil ! ». Les jeunes enfants parlent et jouent ainsi et les adultes parlent et jouent ainsi avec les petits enfants. Cette caractéristique du langage parlé est aussi présente chez des enfants plus vieux et même chez certains adultes dont la syntaxe est déficiente. En ce sens, le niveau des capacités syntaxiques d'un enfant, le niveau de sophistication de son langage jouent un rôle dans la façon où le discours est énoncé (Berkerian et Dennett, 1992; Wells et Loftus, 1991). Ce facteur à lui seul impose une certaine réserve dans la valeur à attribuer au critère 6. Bien entendu, il demeure important au plan clinique de noter le changement de ton, l'utilisation soudaine d'un langage régressé ou encore le recours exceptionnel à des paroles citées textuellement en ce que ces particularités du discours de l'enfant sont susceptibles de signifier qu'il est affecté au plan émotionnel soit par l'événement relaté ou encore par la situation générale qui détermine l'allégation. Par contre, il est imprudent d'accorder d'emblée une signification déterminante à un discours. Des études récentes (Bruck et Ceci, 1998; Bruck, Ceci, Francœur et Barr, 1995; Leichtman et Ceci, 1998, Clarke-Stewart et al., 1989) démontrent bien comment un enfant peut non seulement incorporer dans son discours des informations inexactes, mais que ces informations seront intégrées de façon stable dans sa mémoire. Ces auteurs précisent, en outre, et ceci se rapporte spécifiquement au descripteur du critère 6, que les enfants reproduiront les informations fausses qui leur ont été suggérées avec moult détails, les narrant en faisant des mimiques faciales appropriées, par exemple, et en recourant parfois à une forme de discours direct, tel celui spécifiquement isolé dans ces grilles comme critère discriminant la crédibilité du témoignage. Leurs recherches amènent, à ce sujet, Bruck et Ceci (1998) à affirmer que les enfants utilisent le dialogue, soit la forme de discours direct, aussi fréquemment dans des narrations fausses que dans des récits vrais. Ceci et Bruck (1998) précisent : « Les jeunes enfants utilisent donc les suggestions de façon créatrice de manière à reconstruire et parfois, déformer la réalité. » (p. 154). Ainsi, à moins d'une connaissance approfondie de l'enfant ou de l'adolescent en cause mais surtout d'une connaissance assurée de tous les contextes d'interrogatoires formels et informels auxquels l'enfant ou l'adolescent a été soumis, il n'est pas possible à la seule lecture d'une déclaration de sévices sexuels de pondérer la valeur pour un individu donné d'avoir reproduit des propos narrés plutôt que de les avoir rapportés. Au contraire, les résultats des recherches récentes permettent d'observer que cet élément ne semble pas spécifiquement caractéristique d'une déclaration vraie.
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La signification à accorder au critère 7 (complications inattendues) est problématique pour ces mêmes raisons mais, en plus, la base conceptuelle pour inclure un tel critère apparaît extrêmement précaire et n'être fondée sur aucun argument théorique ni empirique sérieux. Il a été argumenté que ce critère est basé sur l'expérience clinique de Undeutsch et du groupe de psychologues du centre d'expertise psycholégale auquel il appartenait quand il a conceptualisé la grille. Ceci est d'autant plus problématique qu'il est impossible pour le psychologue de pondérer la valeur à accorder à la présence (ou à l'absence de ce critère) étant donné l'absence de connaissances au sujet de ce qui peut être habituellement attendu de la narration d'un événement lorsqu'il est question de complication inattendue. Ce qui signifie que l'utilisateur de ces grilles est placé devant une situation totalement arbitraire dans son interprétation des résultats au critère 7. Comment, en effet, interpréter tant la présence que l'absence d'une complication inattendue dans la déclaration d'un enfant puisque la fréquence à laquelle une complication inattendue survient dans une agression sexuelle est totalement inconnue ! Ainsi, on peut toujours s'attendre à une certaine contextualisation de l'événement narré, par exemple et alors l'interprétation de l'absence des critères quatre à six pouvant, à la rigueur, se baser sur le sens commun mais dans le cas d'une complication inattendue, aucune balise, même de sens commun, n'est disponible pour se protéger d'une interprétation totalement arbitraire. Qui plus est, comme l'état des connaissances dans le domaine des déclarations de témoins permet d'une façon convaincante de suggérer que le facteur le plus important dans la production de déclarations fausses réside dans l'effet provoqué sur la mémoire même du témoin par l'entrevue suggestive conduite par une personne qui influence par ses propres biais le récit livré, un critère aussi spécifique que le critère 7 risque d'être utilisé par un interviewer qui, dans son ignorance des recherches sur la création d'une mémoire vraie du sujet d'un événement fictif, serait à la recherche d'un critère discriminant qui aurait force probante. 14.2.3. LES PARTICULARITÉS DU CONTENU DE LA DÉCLARATION La catégorie suivante comprend six critères présentés comme étant des particularités du contenu de la déclaration, soit : critère 8 : la présence de détails inhabituels; critère 9: la présence de détails superflus; critère 10: la présence de détails décrits correctement mais non compris; critère 11: la présence d'associations à des faits extérieurs; critère 12: la présence de compte rendu de l'état mental subjectif; critère 13: la présence de propos décrivant l'état mental supposé de l'agresseur. Ce groupe de critères concerne donc soit des faits narratifs rares et dont le statut est difficile à déterminer (critère 8, détails inhabituels ; critère 9, détails correctement décrits mais non compris), soit encore des habiletés qui peuvent varier énormément d'un enfant à un autre à un âge donné (critère
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11, la présence d'associations à des faits extérieurs ; critère 12, la présence de compte rendu de l'état mental subjectif; critère 13, la présence de propos décrivant l'état mental supposé de l'agresseur). En effet, la capacité d'attribuer un état mental à une autre personne (critère 13) n'est pas à la portée d'un enfant jeune ou peu sensible ou encore d'un adolescent égocentrique, par exemple. De même, le critère 11 (associations à des faits extérieurs) et le critère 12 (compterendu de l'état mental subjectif) présentent un défi cognitif et émotionnel qui, d'une façon générale, ne peut être attendu du jeune enfant ni de l'enfant qui aurait été fortement traumatisé. En ce sens, plus se restreint la possibilité qu'un critère puisse s'appliquer à une large portion de la population visée par l'instrument, plus la probabilité de faire une interprétation faussée des données qui en résultent est grande. Berliner et Conte (1993) dans leur critique de ces grilles soulignent, d'ailleurs, que les critères 12 et 13 constituent des défis cognitifs qui ne sont pas à la portée d'un grand nombre d'enfants. Bekerian et Dennett (1992), pour leur part, considèrent les critères 8 et 9 comme étant problématiques en ce que le fait de coter la présence ou l'absence de détails inhabituels ou superflus suppose que le psychologue doive avoir une opinion sur l'événement réel pour être en mesure de décider ce qui peut être considéré comme inhabituel ou superflu. Ces auteurs soutiennent que puisque souvent toute la preuve dans ces cas est constituée par le seul témoignage de l'enfant, il est difficile d'établir, a priori, quel statut doit être accordé aux détails narrés, d'où l'impossibilité de coter de façon fiable les critères 8 et 9. Selon l'argumentation d'auteurs proposant cette technique (Raskin et Steller, 1989), les éléments de validation visés par les critères de cette catégorie (critères 8 à 13) représentent un défi cognitif qui serait hors de portée de l'enfant qui inventerait (fabricate p. 299) une allégation de sévices sexuels. Cette argumentation nous paraît problématique. En effet, ne s'agit-il pas plutôt de défis cognitifs qui sont, d'une part, beaucoup trop importants pour les jeunes enfants et, d'autre part, accessibles de façon très variable pour les enfants plus vieux ? De plus, ne s'agirait-il pas d'éléments du discours dont la présence ou l'absence est selon toute vraisemblance déterminée par un ensemble de facteurs qui ne sont d'aucune façon reliés à la crédibilité de l'enfant lorsqu'il fait une déclaration d'agression sexuelle comme le suggèrent Berliner et Conte (1993) et Bekerian et Dennett (1992) ? Parmi ces facteurs, soulignons d'abord que le type d'entrevue qui a été menée peut avoir encouragé ou empêché le fait pour l'enfant d'aborder ou non des détails en association avec l'allégation (critère 11) ou encore, et d'une façon plus problématique, d'avoir « créé » un tel élément en induisant un souvenir fictif de détails qui peuvent être ainsi cotés (Ceci et Bruck, 1998). La capacité introspective de l'enfant ou de l'adolescent est un autre facteur qui influencera grandement la possibilité pour lui de parler de ses réactions émotives
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(critère 12). Enfin, la loquacité de l'enfant ou au contraire sa relative inhibition verbale constituent encore d'autres facteurs qui peuvent être déterminants dans la présence d'éléments du discours à coter dans cette catégorie. Or, les facteurs auxquels nous venons de référer dépassent largement l'hypothèse de la production d'une fausse déclaration par un enfant et, en ce sens, comme le proposent Conte et Berliner (1993), ne soutiennent pas le rationnel proposé par Raskin et Steller (1989). Ainsi, inférer qu'une déclaration fausse ne contiendrait pas ces éléments parce qu'il s'agirait d'une tâche trop complexe pour un enfant qui mentirait au sujet de sa victimisation ne justifie pas la décision d'y consacrer près du tiers (6 critères sur 19) de tous les éléments mesurés par cette technique. Ceci est d'autant plus problématique qu'il est établi que le mensonge délibéré constitue une source marginale d'allégations de sévices sexuels non fondées. De plus, comme un des problèmes importants donnant lieu à des fausses allégations réside dans l'effet de la suggestion provenant soit d'adultes mal avisés, soit d'adultes biaisés agissant de bonne foi, sur la mémoire de l'enfant (voir Ceci et Bruck, 1998, pour une recension complète des recherches sur ce sujet), les critères de cette catégorie pourraient même déguiser l'apport cognitif fourni par l'adulte, peut-être malgré lui, en permettant à une déclaration de rencontrer des critères cognitifs supposés associés à une mémoire « vraie ». Dans un tel cas de figure, la présence de ces éléments pourrait être le fruit d'un souvenir « vrai » d'un événement fictif, c'est-à-dire une mémoire vraie construite à partir des suggestions d'un parent qui interroge l'enfant ou des informations et questions répétées d'une personne qui procède à l'évaluation de l'allégation en fonction de ses biais personnels. Comme la suggestion par l'adulte apparaît comme étant une des sources les plus importantes d'allégations non fondées (voir le rapport de la commission Gagnon (1989) pour un exemple réel de ceci), un tel scénario n'est aucunement farfelu. Le pouvoir discriminant de cet ensemble de critères apparaît, en ce sens, plutôt aléatoire. Cependant le critère 10 semble se distinguer quelque peu des autres critères de cette catégorie en ce que sa cotation suppose à la fois une description juste mais une incompréhension de ce dont l'enfant aurait été témoin ou victime. Ainsi la description de l'éjaculation faite par un enfant d'âge préscolaire, par exemple, peut apparaître assez saisissante pour être cotée impérativement comme étant un détail qui soutienne fortement la crédibilité d'une déclaration. Toutefois, il serait plus que téméraire de baser son jugement clinique sur un « fait narratif » même saisissant, non seulement parce que ce « fait » peut aussi avoir été suggéré : « As-tu vu du liquide comme du lait sortir du pénis de papa? », question hautement suggestive et impressionnante pour un enfant que plus d'une mère inquiète a spontanément déclaré avoir formulé à son jeune enfant dans le contexte où celle-ci s'inquiétait des symptômes d'anxiété de son enfant associés à l'exercice
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des droits de visite du père. Ainsi avant d'interpréter avec une certaine fiabilité un fait narratif de cette nature, il est donc essentiel d'avoir évalué avec rigueur le type d'entretien où l'enfant est rapporté l'avoir dit, comme le suggèrent Ceci et Bruck (1998). Cependant, il y a lieu de préciser que ce critère quoique utile uniquement pour un sous-groupe restreint d'enfants d'âge préscolaire a certainement le mérite de cibler un élément potentiellement caractéristique de la victimisation sexuelle des jeunes enfants. 14.2.4. LE CONTENU MOTIVATIONNEL PRÉSENT DANS LA DÉCLARATION La quatrième catégorie désignée par les termes Contenus motivationnels comprend cinq critères qui sont : critère 14: la présence de corrections spontanées dans la déclaration; critère 15: le fait d'avouer un manque de mémoire au cours de la déclaration ; critère 16: la présence de doutes exprimés concernant son propre témoignage; critère 17: la présence de propos d'auto-dévalorisation dans la déclaration et le critère 18: le fait de pardonner à son agresseur. Ainsi, la principale critique recensée dans les écrits concernant les critères 14, 15 et 16 (Corrections spontanées, aveu d'un manque de mémoire, doutes exprimés concernant son propre témoignage) est que le rationnel théorique et clinique pour les inclure dans une grille de validation est très faible. À cet effet, Raskin et Steller (1989), tout comme Raskin et Yuille (1989) considèrent qu'il serait improbable qu'un enfant qui ment au sujet d'une agression sexuelle soit « motivé » à exprimer quelque doute que ce soit au sujet de son propre témoignage, sentant le besoin d'être affirmatif et confiant pour mieux tromper son interlocuteur. Cette proposition apparaît paradoxale puisque inversement, comme le soulignent Berliner et Conte (1993) tout comme Berkerian et Dennett (1992), le fait d'exprimer de la confiance en son propre témoignage tendrait à en discréditer l'auteur et diminuerait donc, selon ces grilles, la probabilité de la véracité de la déclaration. Pour Berkerain et Dennett (1992), ce raisonnement ne tient pas compte des coûts émotionnels et psychologiques importants que doit supporter l'enfant qui décide de dévoiler une situation véritable de victimisation sexuelle. Ces aspects les amènent même à suggérer qu'au contraire l'enfant qui dévoile une situation véridique d'agression sexuelle sera probablement vigilant dans son témoignage, craignant justement que s'il apparaît douter, il ne sera pas cru. En outre, pour ces auteurs, les faits narratifs répondant aux critères de cette catégorie s'avèrent probablement peu fréquents tant dans les témoignages d'événements véridiques que dans ceux qui concernent des événements fictifs. Cette quatrième catégorie est d'autant plus problématique soulignent Berliner et Conte (1993) que 3 des 19 critères de la grille visent à évaluer en fait un seul facteur, soit l'incertitude qu'exprime l'enfant par rapport à son propre témoignage. Non seulement cela leur semble redondant mais
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équivaut à accorder une grande pondération à une proposition de très faible validité et qui dénote, selon Berliner et Conte (1993), une méconnaissance clinique et théorique certaine du fonctionnement psychique des enfants. On peut soutenir, en effet, avec autant de justification et avec plus de vraisemblance clinique que l'enfant réellement victime d'agression sexuelle qui prend le risque émotif très grand de dévoiler sa victimisation puisse être très inquiet, et particulièrement soucieux, voire même vigilant, à l'idée que d'exprimer des doutes, de l'indécision ou de l'incertitude puisse être interprété par son interlocuteur comme un signe de mensonge ou d'exagération de sa part. Quant aux critères 17 (le fait d'exprimer une dévalorisation de soi) et 18 (le fait de pardonner à l'agresseur), ils renvoient à une vision plutôt stéréotypée de l'agression sexuelle de l'avis de Berliner et Conte (1993). Bien qu'il arrive que des enfants, comme des adolescents et des adultes expriment, en effet, un lourd sentiment de responsabilité dans leur victimisation : «Je n'aurais pas dû lui ouvrir la porte », « C'est de ma faute, je n'étais pas assez vêtue », « Je n'aurais jamais dû accepter de faire du baby-sitting chez un inconnu », de telles verbalisations sont à comprendre beaucoup plus comme une des réactions émotionnelles possibles même fréquentes chez une victime d'agression sexuelle plutôt que comme preuve de sa victimisation. Qu'une victime se sente coupable d'avoir été agressée, cela constitue certes une réalité clinique possible, cependant le saut qui consiste à considérer que la présence d'une autodévalorisation crédibilise sa déclaration est semé d'embûches puisque, d'une part, il est possible que la victime réelle d'agression sexuelle ne réagisse pas du tout ainsi ou que le faisant, elle choisisse de ne pas en parler ou se sente incapable d'aborder ses réactions profondes. D'autre part, comme le mentionnent Bekerian et Dennett (1992); Bruck et Ceci (1998) ; Ceci et Bruck (1998) ; Coulborn-Faller et Corwin (1995) et Wells et Loftus (1991), tellement de facteurs extérieurs à la déclaration de l'enfant peuvent influencer le fait que de tels propos puissent être exprimés ou non qu'il apparaît imprudent de leur accorder un pouvoir discriminant aussi lourd de conséquences. Soulignons au nombre de ces facteurs, le rapport à l'interviewer, le style d'entretien et le contexte où la déclaration a été produite. Il est également important de prendre en considération le niveau de développement cognitif et langagier de l'enfant ou de l'adolescent, de même que les éléments pertinents de leur personnalité. Par exemple, un individu qui a une tendance à la dépressivité a plus de chance de manifester de l'auto-dévalorisation et d'exprimer des sentiments qui excuseraient son agresseur qu'un individu ayant une personnalité de type narcissique. Ce dernier facteur met en lumière la nécessité de recourir à une évaluation plus complète puisque indépendamment du type de personnalité de quelqu'un, il peut avoir été victime d'agression sexuelle mais ne pas y réagir de la façon normative suggérée dans ces grilles. En outre, accorder une valeur discriminante à l'absence ou à la présence des critères 17 et 18 à l'exclusion même
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de nombreuses autres réactions émotives que peuvent avoir des enfants agressés sexuellement équivaut, selon Berliner et Conte (1993), à endosser ni plus ni moins une vision stéréotypée de la réalité complexe de la victimisation sexuelle des enfants. 14.2.5. LES ÉLÉMENTS SPÉCIFIQUES À L'AGRESSION SEXUELLE DANS LA DÉCLARATION Enfin, le dernier critère de la grille, le critère 19, détails caractéristiques du délit, est le seul critère appartenant à la cinquième catégorie, soit celle nommée « éléments spécifiques à l'agression sexuelle dans la déclaration. Puisque ce critère comprend à lui seul toute la connaissance empirique et clinique que nous avons de ce type de victimisation, il est difficile, compte tenu de l'étendue très large des comportements qui ont été associés à différents scénarios d'agression sexuelle, d'évaluer en quoi un critère unique à la fois si englobant et si peu défini puisse être utile pour l'expert. Quand bien même un scénario d'agression sexuelle fréquemment décrit dans les écrits et cliniquement bien connu serait décrit, cela ne change rien aux problèmes posés par l'effet de la suggestion potentielle à laquelle a pu répondre l'enfant. Mais plus troublant encore, la déclaration d'un enfant pourrait ne rien contenir qui puisse être coté comme étant caractéristique du délit mais constituer néanmoins une description véridique et fidèle de comment cet enfant a été sexuellement victimisé. En ce sens, les commentaires de Berliner et Conte (1993) et de Bekerian et Dennett (1992) sur les stéréotypes de victimisation sexuelle prennent ici une valeur importante puisqu'il apparaît difficile d'évaluer la présence ou non de ce critère d'une façon objective. 14.3. Conclusion En résumé, l'analyse critique de ces listes de critères permet de mettre en lumière le fait qu'un grand nombre des propositions méta-théoriques ayant donné naissance à certains critères ont des assises conceptuelles lacunaires comme le soulignent spécifiquement Bekerian et Dennett (1992). De même, comme il en a été longuement discuté, l'absence de balises pour permettre la pondération des critères, la sur-représentation de critères équivalents sans justification valable et enfin l'absence de lignes interprétatives basées sur des justifications théoriques, cliniques ou empiriques démontrées diminuent beaucoup la pertinence de recourir à de semblables grilles. Au plan épistémologique, il serait nécessaire de poursuivre la réflexion critique entreprise afin d'examiner le contexte de développement de ces grilles. Une telle démarche analytique permettrait d'isoler certains des problèmes rencontrés dans le développement et l'émergence de ces outils et, par voie de conséquence, de mieux en circonscrire l'utilité. Pour le moment,
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les résultats des recherches sur l'influence de la suggestion sur les déclarations, les interrogations au sujet du statut à accorder aux concepts de vérité et de mensonge dans les témoignages effectués de bonne foi tant par des enfants, adolescents que par certains adultes et enfin, les connaissances actuelles sur le fonctionnement de la mémoire en tant que processus dynamique et reconstructif plutôt qu'uniquement reproductif tendent à indiquer que la pertinence de recourir à des outils conçus à la manière des grilles de validation proposées par Undeutsch au début des années 1950 est révolue dans le domaine de l'évaluation des allégations de sévices sexuels. 14.4. Références AMERICAN PSYCHOLOGICAL ASSOCIATION (1985). Standards for educational and psychological testing. Washington : A.P.A. BEKERIAN, D.A. et J.L. DENNETT. (1992). « The truth in content analyses of a child's testimony », dans F. LOSEL, D. BENDER et T. BLIESENEN (dir.). Psychology and Law : International perspectives. Berlin : Walter de Gruyver, 335-344. BENEDEK, E. et D. SCHETKY (1985). « Allegations of sexual abuse in child custody and visitation disputes », dans E. BENEDEK et D. SCHETKY (dir.), Emerging issues in child psychiatry and the law (p. 145-156). New-York : Brunner-Mazel. BERLINER, L. et J.R. CONTE (1993). «Sexual abuse evaluations : conceptual and empirical obstacles ». Child Abuse and Neglect, 17, 111-125. BRUCK, M., CECI, S.J. et H. HEMBROOKE (1998). « Reliasility and credibility of young children's reports : From research to policy and practice ». American Psychologist, 53, 2, 136-152. BRUCK, M., CECI, S.J., FRANCŒUR, E. et R.J. BARR (1995). « I hardly cried when I got my shot!: Influencing children's reports about a visit to their pediatrician ». Child Development, 66, 193-208. CAMPBELL, M., CASONI, D. et M. GATTUSO (1993). Guide de pratique pour l'évaluation psychologique des allégations de sévices sexuels. Montréal : Corporation professionnelle des psychologues du Québec, 57 p. CASONI, D. et L. BRUNET (1990). « Le rôle du psychologue dans un cas d'allégation de sévices sexuels », Psychologie Québec, 7, (2), mars 1990. CASONI, D. (1994). « L'évaluation des allégations d'agression sexuelle chez les enfants : défis et enjeux ». Revue internationale de criminologie et de police technique, XLVII, (4), 437-448. CASONI, D. (1995). « Les indications de traitement pour les enfants victimes d'agression sexuelle ». Psychothérapies, 4, 183-191.
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Les instruments projectifs en expertise psycholégale LOUIS BRUNET
On fait souvent remonter la création des instruments projectifs à l'élaboration par Hermann Rorschach des célèbres taches d'encre qui portent son nom depuis la publication de son Psychodiagnostik en 1921. Il s'intéressait alors surtout aux dimensions d'introversion et d'extroversion. Lorsque dans les années 1920, Hermann Rorschach commence à élaborer sa technique (Rorschach, 1921), son approche semble perceptuelle et nomothétique. Cependant Roemer (1967), un collègue de Rorschach, rapporte qu'à partir d'une étude qu'ils ont faite ensemble comparant une analyse « projective » et une analyse « perceptuelle » du même sujet, Rorschach aurait favorisé l'analyse qualitative de contenu incluant implicitement une compréhension projective de la tâche. Faut-il le rappeler, Rorschach faisait partie de la première génération de psychanalystes suisses, fondant avec Pfister et Oberholzer la Société suisse de psychanalyse. Influencé par Freud et Jung, il semble que Rorschach s'intéressa très jeune au « jeu des taches d'encre », jeu qu'il a ensuite voulu appliquer à la connaissance de l'inconscient que lui faisait découvrir la psychanalyse. Rorschach aurait de plus été inspiré, entre autres, par le récit d'un élève de Léonard de Vinci décrivant comment le célèbre peintre, observant les dégradés de couleurs sur un mur
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L'expertise psycholégale
humide, y découvrait des formes et des paysages. Mais Rorschach n'a fait que jeter les bases d'analyse de ce nouvel instrument, car il est mort l'année suivante à l'âge de 37 ans. Cependant en Amérique, la filiation psychanalytique du fameux test projectif est pratiquement inconnue et les auteurs américains semblent avoir surtout retenu la conception nomothétique et perceptuelle des premiers travaux de Rorschach.
15.1. Instruments nomothétiques et idiographiques Dans la création et le développement d'outils psychométriques, de questionnaires ou de tests de personnalité, deux grandes approches se distinguent. D'une part, il existe l'approche nomothétique qui vise à la découverte et à l'analyse des lois générales et communes de la personnalité pour un groupe ou un sous-groupe d'individus. Un instrument psychométrique d'inspiration nomothétique permet, par exemple, au clinicien de dire si un individu en particulier présente les caractéristiques habituelles des gens souffrant d'une psychopathologie particulière, en comparant un individu à un groupe clinique souffrant de dépression, par exemple, ou encore en comparant certaines caractéristiques de personnalité ou des comportements d'un individu à la moyenne de la population. Ce genre d'instrument nomothétique est en général conçu de façon empirique, trouvant sa force dans des bases de données importantes basées sur la comparaison entre diverses populations cliniques obtenue grâce à des calculs statistiques sophistiqués. Ces instruments s'intègrent particulièrement bien à des diagnostics basés sur la description de syndromes ou de comportements tels les diagnostics du DSM-IV, par exemple. Une telle méthodologie oblige toutefois l'expert à considérer les résultats d'un test dans ce qu'ils peuvent signifier pour un plus grand nombre de gens, sur le modèle de la courbe normale de la population, au détriment de la compréhension de ce qui peut être spécifique à un individu. Dans ce sens, les limites principales de ce type d'instrument se situent au niveau de l'absence de renseignement concernant la spécificité de l'individu, l'absence d'explication liée au sens d'un état psychologique donné ainsi que dans la faiblesse à décrire et expliquer une personnalité normale. L'approche idiographique du diagnostic, quant à elle, s'intéresse plutôt à découvrir et à faire ressortir ce qui est unique chez un individu, ce qui le différencie des autres, ce qui constitue sa singularité. En général, les cliniciens utilisant pour leurs diagnostics des théories psychodynamiques, ainsi que les psychologues dont la pratique psychothérapique est d'inspiration psychanalytique, privilégieront des méthodes diagnostiques idiographiques. La richesse clinique qui découle d'une telle méthodologie s'obtient cependant parfois au détriment d'une classification nosographique. Toutefois, cette approche doit se fonder sur une connaissance approfondie d'une
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Les instruments projectifs en expertise psycholégale
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théorie de la personnalité. Puisqu'elle vise à expliquer le sens de la psychopathologie et la vision du monde d'un individu, à décrire son monde subjectif conscient et inconscient, cette méthode trouve ses limites dans la difficulté de comparer des individus entre eux, ou de situer un individu par rapport à une norme statistique. C'est cependant une approche qui permet de décrire tant la personnalité normale que pathologique dans leur complexité et leur singularité. Plusieurs instruments projectifs, et particulièrement le Rorschach, ont vu se développer des méthodes de cotation et d'analyse s'inspirant de la philosophie nomothétique (comme le SAT-9 et l'AT 9, voir Brunet, 1997) alors que d'autres instruments, comme le T.A.T., tout en proposant des méthodes d'analyse qualitative fort bien balisées et systématisées (Morval, 1978) demeurent nettement de conception idiographique. Le Rorschach est dans une position unique dans le monde des instruments projectifs. Il est sûrement l'instrument projectif le plus largement utilisé mais, de plus, il a donné lieu à de nombreuses méthodes de cotation et d'analyse, allant d'approches résolument nomothétiques, statistiques et normatives jusqu'à des modèles d'analyse de contenu ou d'analyse qualitative sans cotation préalable. Par exemple, les méthodes d'analyse quantitatives, comme celles de Exner (1989, 1991) ou de Klopfer (1942), reposent généralement sur une philosophie nomothétique du diagnostic. Par un travail de codification des réponses qui se veut de plus en plus sophistiqué, une comptabilisation des cotes obtenues permet de comparer l'individu à son groupe d'appartenance et d'en tirer des conclusions diagnostiques. Obligatoirement, une telle méthode oblige à analyser les protocoles d'un test projectif dans ce qu'ils peuvent signifier pour un plus grand nombre de gens, sur le modèle de la courbe normale de la population. Par contre, une analyse qualitative de contenu au Rorschach se situe nettement dans le courant idiographique qui recherche ce qui est unique à l'individu, ce qui le distingue de l'ensemble. Ainsi divers modèles d'analyse qualitative, la plupart du temps inspirés des théories psychanalytiques, ont la faveur des psychologues européens. Ces méthodes sont quelquefois critiquées pour leur absence de systématisation ou parce qu'elles demandent aux psychologues un important bagage théorique au plan psychanalytique (Granger, 1996). Il existe cependant des travaux balisant et guidant des modèles d'analyse qualitative des instruments projectifs comme ceux de Morval (1977) et de Shentoub (1990) pour le T.A.T. ou de Brunet (1998) pour un modèle d'administration associative du Rorschach.
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L'expertise psycholégale
15.2. La « tâche » de projection En plus de ces deux grandes visions psychométriques (nomothétique et idiographique), il existe une controverse sur la nature même de la tâche psychique qu'implique un test projectif. S'agit-il d'une organisation de la perception ou d'une projection? Ainsi une partie des auteurs et théoriciens du Rorschach voient dans la réponse au Rorschach une tâche de perception et d'organisation de celle-ci effectuée par le sujet. La projection étant une variable secondaire. Exner (1989), par exemple, va même jusqu'à dire que c'est une erreur malencontreuse que d'avoir désigné (mislabeled) le Rorschach comme un instrument projectif. Par contre, d'autres auteurs voient plutôt dans la réponse au Rorschach le résultat d'un processus de projection. C'est-à-dire que la carte constitue un stimulus invariable, bien que non neutre, sur lequel l'individu projette quelque chose de son monde intérieur, de son organisation psychique, de ses fantasmes et de ses désirs singuliers. La différence entre ces deux conceptions du travail psychique exigé par le Rorschach est non seulement importante, mais elle donne lieu implicitement à des systèmes de cotation, d'administration et d'analyse distincts. Les implications de ces deux conceptions de la tâche imposée au sujet par l'instrument projectif font que certains modèles, comme celui d'Exner, feront porter leur analyse sur la façon dont un individu organise sa perception, en cherchant à retrouver des tendances communes à certaines populations, de façon empirique souvent, ce qui permet d'identifier ainsi des groupes psychopathologiques. Par contre, concevoir la tâche à partir de l'idée de la projection implique implicitement qu'une grande importance est accordée au contenu verbal, au choix des mots utilisés, aux thématiques et à la séquence des réponses en tant qu'ils sont indicateurs d'un fonctionnement inconscient, d'une dynamique psychique dans laquelle des conflits et fantasmes se manifesteraient après avoir fait l'objet d'une certaine censure et d'une déformation. Le concept psychométrique de projection est évidemment inspiré en droite ligne du concept psychanalytique de projection, mais il ne le recouvre cependant pas. Plus précisément, le concept psychométrique de projection se rapproche des théories de la perception, de la mémoire et de la cognition en ce qu'il suppose que l'individu pallie le flou d'un stimulus en y ajoutant quelque chose qui lui est propre. A partir de ce « quelque chose », les psychologues tentent d'en inférer les désirs, traits de personnalité et états affectifs du sujet. Le concept psychanalytique de projection est quant à lui plus restrictif puisqu'il postule que la projection du sujet est davantage liée à une tentative inconsciente de l'individu d'attribuer à l'autre ce contre quoi il doit se défendre à l'intérieur de lui-même, ce qu'il se refuse de reconnaître comme lui appartenant (pulsion qui le déborde, angoisse...). Ce qui est « projeté »
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Les instruments projectifs en expertise psycholégale
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dans un test projectif serait donc une véritable « formation de compromis » entre, d'une part, ce qui peut être projeté au sens dynamique psychanalytique du terme et, d'autre part, ce qui peut être conçu comme une tentative du Moi de lier cette projection au processus cognitif, organisateur d'une perception déficiente. L'art de l'analyse qualitative d'un test projectif consiste à départager ce qui appartient à chacun de ces deux niveaux ; c'est-à-dire ce qui appartient au processus d'organisation perceptuelle de ce qui appartient au processus projectif à proprement parler. Toutefois, les deux niveaux sont intimement intriqués. Bien que des auteurs comme Chabert (1983) et Schafer (1954) aient tenté d'allier le meilleur de ces deux mondes, les deux grands modèles psychométriques coexistent toujours dans l'utilisation des techniques projectives : le modèle nomothétique/perception et le modèle idiographique/projection. Chacun présente des avantages et des limitations et chacun permet de fournir un apport très riche à une expertise psycholégale. 15.3. L'utilisation psycholégale des instruments projectifs et leur statut scientifique Dans une étude passant en revue 50 ans d'écrits légaux et de décisions de tribunaux aux États-Unis, Meloy, Hansen et Weiner (1997) ont trouvé que dans plus de 90 % des causes dans lesquelles le Rorschach était expressément cité, cet instrument avait été accepté et reconnu par le tribunal comme un instrument fiable et valable. Toujours aux États-Unis, Weiner, Exner et Sciara (1996) ont étudié 7 934 cas d'expertises psycholégales et n'ont trouvé que six causes (0,08 %) dans lesquelles le Rorschach avait été sérieusement contesté en cour et seulement un cas (0,01 %) où le Rorschach avait été jugé inadmissible en preuve. Pinkerman, Haynes et Keiser (1993) ont montré que la batterie habituelle d'instruments en expertise psycholégale dans le domaine de la délinquance juvénile comprend le WISC-R, le Rorschach, le T.A.T. ainsi que des épreuves projectives de dessin; donc que cette batterie comprend au moins trois instruments projectifs. Il est intéressant aussi de voir comment, selon McCann (1998), les instruments projectifs, Rorschach en tête, répondent aux critères d'admissibilité dans les cours de justice américaines (critères basés sur l'arrêt Frye et l'arrêt Daubert). Évidemment l'admissibilité en cour et l'absence de contestation de la valeur de l'instrument à des fins psycholégales ne dit rien sur la valeur scientifique, clinique ou psychométrique d'un instrument projectif. Cependant cela indique tout de même qu'il n'y a pas que des instruments psychométriques nomothétiques qui rendent service en termes diagnostiques et qui peuvent faire partie, légitimement, d'une batterie d'instruments d'évaluation psycholégale.
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L'expertise psycholégale
En fait, le choix d'un instrument diagnostique ne devrait pas reposer sur la prétention à une meilleure reconnaissance par les tribunaux mais plutôt sur un principe de cohérence entre l'instrument et le modèle de personnalité ou la théorie de personnalité utilisée par le psychologue expert. Utiliser un instrument avantageusement connu mais s'intégrant peu ou mal au modèle de personnalité utilisé par le psychologue fournit peu d'éléments pouvant enrichir son diagnostic et, tout au plus, cela donnera-t-il l'impression d'une mosaïque disparate, d'une juxtaposition de résultats de tests hétérogènes sans intégration utile sur le plan diagnostique. A l'inverse, utiliser des instruments qui se marient bien avec le modèle théorique utilisé enrichit le diagnostic en le rendant plus cohérent. En France, où l'utilisation des instruments projectifs est répandue et bien acceptée par les tribunaux, cette pratique s'inscrit le plus souvent dans un modèle d'analyse qualitative prenant appui sur la théorie psychanalytique. Un des avantages attribués aux instruments projectifs, dans un tel modèle d'analyse, est qu'ils ne restreignent pas les renseignements qu'ils donnent sur la personnalité du sujet aux seuls aspects pathologiques, mais qu'ils fournissent aussi des renseignements précieux sur le fonctionnement dynamique d'une personnalité normale ; permettant même d'évaluer avec grande subtilité les forces progrédientes de l'individu. Il ne fait pas de doute dans l'esprit d'auteurs comme Anzieu (1961), Chabert (1983), et Debray (1998) qu'une telle méthode, utilisée correctement, répond aux critères de validité et de scientificité requis par une expertise psycholégale. Debray y voit, de plus, la meilleure façon de valider des hypothèses faites à partir d'une entrevue clinique. 15.4. Tests psychométriques ou techniques projectives ? En psychologie, la pratique veut que l'on accorde un statut de « test » lorsque l'instrument rencontre des qualités éprouvées de fidélité et de validité. On donne habituellement le nom de test psychométrique à un instrument à partir duquel on a pu établir une base de données importante et sur laquelle des études statistiques extensives ont pu être faites. Ainsi, la plupart des instruments de nature nomothétique rencontrent tout naturellement ces conditions. Bien que le Rorschach ait vu se développer certains systèmes nomothétiques (par exemple, le système d'Exner vise justement à faire du Rorschach un test psychométrique nomothétique), la majorité des instruments projectifs sont analysés de façon qualitative, sans recours à des systèmes de cotation opérationnalisés. Puisque les méthodes qualitatives sont, par essence, difficiles à normaliser et qu'elles ne peuvent donner lieu à des études statistiques, leur visée ne peut pas être comparative.
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Les instruments projectifs en expertise psycholégale
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Pour construire un système d'analyse comme celui d'Exner ou de Klopfer, il est nécessaire pour l'auteur de réduire en nombre défini et relativement restreint, afin d'être cotées, les réponses qui, de par la nature même de l'instrument, sont infinies. Il est évident qu'on ne pourrait effectuer des études valables de fidélité avec un système complètement ouvert, un système permettant une infinité de réponses différentes. En effet, un système d'interprétation « ouvert » du Rorschach qui ne tenterait pas de réduire le nombre de caractéristiques étudiées verrait sa valeur psychométrique fondamentalement compromise sur le plan statistique. C'est exactement le problème statistique que posent les méthodes d'analyses qualitatives des instruments projectifs. De plus, même avec un système de cotation sophistiqué comme celui d'Exner, il est difficile de prétendre au statut de « test psychométrique » (statistiquement parlant) puisque le nombre de réponses varie d'un sujet à l'autre et puisque le nombre de réponses originales ou étranges que suscite l'instrument peut varier à l'infini. Pour certains, cela constitue la faiblesse de ces instruments et suffit pour qu'on ne puisse donner le statut de test psychométrique aux instruments projectifs. Cependant, peut-on pour autant les discréditer sur le plan scientifique ou même sur le plan de la validité ? Bien sûr que non, car la valeur d'un instrument clinique ne dépend pas que de ses qualités psychométriques. De plus, la validité d'un instrument clinique peut s'avérer très importante sans qu'il soit possible pour autant d'en faire des études statistiques, en particulier à cause de sa complexité ou de la nature qualitative de son utilisation. Comme l'avaient fait avant eux Anzieu (1961), Chabert (1983) et Schafer (1954), Aronow, Reznikoff et Moreland (1995) démontrent intelligemment que la question de la scientificité des techniques projectives ne se situe pas dans le statut de test psychométrique ou de technique projective mais dans la validité de la méthode d'analyse ainsi qu'au niveau de la cohérence de la méthode par rapport aux objectifs d'évaluation et au modèle de personnalité utilisé. Là résiderait la véritable valeur scientifique et clinique des instruments projectifs. En effet, Aronow et ses collègues prétendent que la valeur psychométrique acquise par un système nomothétique comme celui d'Exner, ne peut s'obtenir qu'au détriment de la richesse et de la profondeur que permettent les méthodes d'analyse de contenu. Par ailleurs, Shontz et Green (1992), pour leur part, croient qu'un tel type d'analyse nomothétique fait perdre aux cliniciens un type de matériel très riche, soit celui de la subjectivité de l'individu, qui s'exprime à travers sa vision personnelle de lui-même et des autres et qui signe la complexité de sa personnalité. Comme Ainsworth (1951) l'a déjà expliqué, les démarches et les critères de validation des instruments projectifs ne peuvent être tout à fait semblables à ceux des instruments dits « objectifs ». Les tests projectifs
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n'explorent pas une variable unique mais décrivent un ensemble dynamique de facteurs en intercorrélation. De plus, si la sensibilité d'un instrument nomothétique se voit dans sa capacité à répartir les sujets selon une courbe normale, la sensibilité d'un instrument projectif tient plutôt dans sa capacité à faire ressortir les diverses composantes de la personnalité d'un sujet en mettant en relief l'importance de chacune dans la structure de sa personnalité. Pour Anzieu (1961), cette sensibilité est démontrée depuis longtemps et constitue une force des instruments projectifs. Anzieu cite aussi de nombreuses études de fidélité et de validité originales qui démontrent que lorsque ces instruments sont utilisés par des cliniciens s'appuyant sur une bonne connaissance de la personnalité, et surtout, lorsque les études ne sont pas atomistes, c'est-à-dire qu'elles ne cherchent pas à porter sur un ou des signes isolés obtenus dans ces tests (les déterminants pris isolément, sans tenir compte du contenu ou des affects, par exemple), les critères de fidélité et de validité sont rencontrés. Plusieurs études font ressortir que l'approche par signes indépendants sur lesquels on peut calculer des corrélations, bien que représentant l'approche statistique classique pour établir la fidélité et la validité des tests psychométriques, n'est pas adaptée aux tests projectifs. Ces approches statistiques seraient même contraires à l'essence fondamentale des instruments projectifs idiographiques. En fait, que la méthode d'analyse soit qualitative ou quantitative, qu'il y ait cotation ou non, qu'elle soit nomothétique ou idiographique, la méthode choisie doit présenter une validité de construit suffisante, être basée sur une théorie solide et être suffisamment balisée pour permettre à des cliniciens différents mais de même formation théorique d'arriver sensiblement aux mêmes conclusions. 15.5. Le rôle des instruments projectifs dans un « psychodiagnostic » Un peu comme l'indique Weiner (1997), nous croyons utile de concevoir les instruments projectifs comme des méthodes multidimensionnelles permettant d'obtenir du matériel diagnostique de différentes natures ; des méthodes pouvant être utilisées selon diverses perspectives théoriques. Ainsi, autant des méthodes nomothétiques que des méthodes idiographiques peuvent être développées pour l'analyse du matériel recueilli et apporter au clinicien un support inestimable dans sa pratique. Cependant, les instruments projectifs ne peuvent mener à eux seuls à l'établissement d'un diagnostic. Ils doivent plutôt s'inscrire dans un processus évaluatif complet, dans lequel ils contribueront soit à formuler diverses hypothèses, soit à vérifier des hypothèses formulées à partir d'autres sources d'information (entrevues, autres instruments, etc.). Un
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instrument projectif, quel qu'il soit, ne peut être considéré comme un instrument diagnostic autosuffisant mais doit être utilisé à l'intérieur d'une démarche diagnostique cohérente et complète. Ainsi, quelle que soit la démarche diagnostique ou nosographique utilisée, que le psychologue établisse un diagnostic à partir d'une démarche syndromale comme celle du DSM-IV ou à partir d'une démarche dynamique et structurale comme celle des théories psychanalytiques, l'utilisation d'un instrument projectif est pertinente. Par exemple, au cours d'une démarche diagnostique psychanalytique, l'utilisation d'une méthodologie qualitative d'analyse du matériel provenant d'un instrument projectif permet au clinicien de poser de nombreuses hypothèses sur le fonctionnement psychique d'un individu, allant du type d'angoisse ressentie aux mécanismes de défense privilégiés, en passant par les caractéristiques de la relation d'objet. L'intérêt de recourir à un test projectif dans une telle démarche évaluative est de permettre au clinicien de mieux pondérer les hypothèses diagnostiques qu'il a formulées. Par exemple, il peut être utile d'observer si le même type d'angoisse identifiée en cours d'entrevue s'exprime également dans les réponses données à l'instrument projectif. De même, la répétition de thèmes, soit à l'intérieur même du test ou de l'entrevue, peut aider le clinicien à mieux estimer la valeur à accorder à un élément diagnostique en particulier. 15.6. Possibilités et limites des instruments projectifs en expertise psycholégale Qu'ils soient utilisés selon un modèle quantitatif, nomothétique ou selon un modèle qualitatif et idiographique, les instruments projectifs peuvent aider le clinicien à établir un psychodiagnostic et à répondre à certaines questions mais ils ne peuvent certainement pas répondre à toutes les questions posées au cours d'une expertise psycholégale. En fait, nous pourrions ajouter que chaque modèle (quantitatif /nomothétique et qualitatif /idiographique) possède ses particularités, ses possibilités et ses limites. Ainsi les modèles quantitatifs ont des avantages sur le plan comparatif, permettant de situer l'individu par rapport à une norme alors que les modèles qualitatifs ont l'avantage de pousser plus loin la compréhension du monde subjectif et inconscient de l'individu et de mettre en relief sa singularité (Brunet, 1998). Bien plus, dans une expertise psycholégale, le psychologue doit mettre en rapport : •
la question qui lui est posée, ou la demande qui lui est faite (qu'il devra reformuler en fonction des possibilités réelles d'une expertise psycholégale),
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•
les possibilités et limites des instruments projectifs qu'il veut utiliser,
•
la capacité de répondre à la question posée en fonction non seulement des limites des instruments mais de la théorie de personnalité utilisée ainsi qu'à partir des limites des connaissances du domaine d'expertise.
Ainsi, l'expert peut être sollicité pour effectuer une évaluation dont les objectifs concordent bien avec les théories de personnalité qu'il utilise, avec les possibilités et limites des instruments qu'il utilise. Il peut se faire demander une expertise psycholégale dans laquelle les questions qui lui sont posées sont à la fois réalistes et réalisables, compte tenu des connaissances actuelles en psychologie et en psychodiagnostic. Par exemple, on peut demander au psychologue d'évaluer l'équilibre de la personnalité de quelqu'un, de tenter de vérifier la présence d'une psychopathologie et de l'identifier s'il y a lieu, comme on peut lui demander si un enfant se développe normalement. Ces questions s'intègrent facilement aux diverses démarches évaluatives en psychologie qui se prêtent bien à l'utilisation d'instruments projectifs. Mais souvent, dans les expertises psycholégales se présentent une série d'autres questions qui ne sont pas nécessairement posées explicitement et auxquelles le psychologue risque d'avoir à répondre. Par exemple : quelles sont les capacités parentales ?; l'enfant est-il en danger avec son parent ?; l'enfant devrait-il vivre avec sa mère ou avec son père ? Ici le psychologue se trouve devant une série de questions auxquelles aucun instrument ne répond directement mais pour lesquelles les renseignements fournis par les instruments projectifs peuvent s'avérer d'une valeur incomparable. Par contre, d'autres questions, souvent très précises, sont aussi posées à l'expert psychologue. Ces questions sont plus difficiles et doivent être examinées de près. Par exemple : cet enfant a-t-il été agressé sexuellement ?; cet homme est-il un agresseur sexuel ?; cet adolescent va-t-il devenir délinquant ?; cet individu peut-il bénéficier d'une psychothérapie?; cet homme va-t-il récidiver ou risque-t-il d'agresser à nouveau? Il importe de rappeler qu'aucun psychologue ne peut répondre à bon nombre de ces questions, quels que soient les instruments ou la démarche évaluative qu'il choisirait. En ce sens, comme décrit par Brunet, Létourneau, Sabourin (1996), le psychologue doit respecter une démarche scientifique qui implique l'obligation de tenir compte des connaissances de la psychologie, l'obligation de tenir compte des conclusions des recherches dans le domaine de l'expertise ainsi que l'obligation de se servir adéquatement des recherches pertinentes au domaine d'expertise. Il a donc l'obligation de bien établir les limites de ce que son expertise peut permettre. Cependant, il doit aussi connaître adéquatement les limites des instruments qu'il utilise et ne pas prétendre qu'un test projectif lui permettrait, malgré toutes ses qualités, d'avoir, par exemple, accès au futur, ou de déterminer si un événement a réellement eu lieu.
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Pour juger des possibilités et des limites des instruments projectifs, il faut savoir ce qui est suscité par le test, en quelque sorte ce qu'il prétend mesurer. Simplement : qu'est-ce donc que la projection qui est évaluée par ces instruments ? Le concept psychométrique de projection, nous l'avons vu, ne recouvre pas le concept psychanalytique de projection. Une première erreur serait de croire que le matériel projectif livré dans un instrument projectif correspondrait de façon directe au « contenu » psychique inconscient de l'individu; croire que ce matériel projectif dévoilerait en quelque sorte « positivement » les fantasmes inconscients et les pulsions de l'individu. Cette réduction du concept de projection méconnaît complètement le travail de déformation accompli par la psyché. Une deuxième erreur serait de considérer que les réponses obtenues, sans être une projection de fantasmes inconscients, résulteraient de l'extériorisation d'un souvenir ou d'un fait psychique se rapportant à des événements réellement vécus. L'instrument projectif permet de voir des contenus déformés, qui eux, permettent d'inférer l'organisation psychique d'un individu. Ainsi certaines méthodologies d'analyse qualitative permettent d'inférer quel est le monde intérieur d'un individu, quels sont ses fantasmes, quels sont les caractéristiques de ses relations d'objet, quels sont les mécanismes de défense qu'il utilise, quelles formes et quels contenus présentent ses principales angoisses. En outre, il est possible de relier ces éléments afin de décrire quelle est l'organisation logique de toutes ces données, et quelle est la structure psychique ou psychopathologique de l'individu. En ce sens, rien ne permet de départager cependant avec assurance le contenu réel, de la déformation fantasmatique dans une réponse à un instrument projectif. Par conséquent, un clinicien ne pourrait se baser sur son interprétation des instruments projectifs pour dire qu'un événement est réellement arrivé, qu'un enfant a réellement été agressé sexuellement, par exemple. Le postulat de la « projection » implique que le matériel préconscient ou inconscient projeté dans la réponse obéit aux règles des processus primaires : condensation, déplacement, symbolisme, intemporalité. Dans ce sens, ce matériel ne donnera ni un portrait de la réalité objective du sujet, ni un portrait «véridique » de ses souvenirs, de son passé réel. Ceci constitue à la fois l'originalité et la force des tests projectifs, ainsi que leur limite. Ils sont des instruments précieux pour donner accès à la réalité interne et subjective d'un individu mais ne peuvent prétendre refléter correctement un élément de réalité objective. En somme, aucun instrument projectif, qu'il soit utilisé de façon quantitative/nomothétique ou idiographique/qualitative, ne permet de répondre directement à des questions telles que : cet enfant a-t-il été agressé
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sexuellement ? cet homme est-il un agresseur sexuel ? cet adolescent va-t-il devenir délinquant? cet individu peut-il bénéficier d'une psychothérapie ? cet homme va-t-il récidiver ou risque-t-il d'agresser à nouveau ? Cette limite des instruments projectifs constitue en même temps leur force. Ainsi, les instruments projectifs peuvent, selon les méthodes et les types de démarche utilisés, donner des renseignements précieux sur le fonctionnement psychique d'un individu. Au sein d'une démarche psychanalytique, ils peuvent nous indiquer par exemple : • le type d'angoisse (s'agit-il d'angoisse de morcellement, de mort, de désespoir, d'angoisse dépressive, d'angoisse paranoïde, persécutive ou encore d'angoisse de castration, de perte d'amour, de séparation, etc. ?) ; • la nature du conflit (semble-t-il suffisamment intériorisé ou est-il vécu face à la réalité extérieure, est-il ambivalent ou clivé, se vit-il avec un objet parental, avec un objet persécuteur, relève-t-il de l'oralité, de l'analité, de l'Œdipe, etc. ?) ; • les caractéristiques de la relation d'objet (est-elle de nature narcissique, dépressive, persécutive, anaclitique; les objets sont-ils vus comme séparés et autonomes, indifférenciés, dépendants; y a-t-il désinvestissement du monde objectal, etc. ?); • les processus défensifs (présence de déni, de clivage-morcellement, de clivage-binaire, de projection, de mépris, de contrôle, de triomphe, de formation réactionnelle ; y a-t-il désubjectalisation, etc. ?) ; la capacité du Moi à tolérer l'angoisse, le conflit, à permettre l'expression pulsionnelle est-elle adéquate, c'est-à-dire, sans nécessité d'avoir recours à des défenses trop massives, etc. ? • les rapports entre le Surmoi et le Moi idéalisé, entre le Moi et le Surmoi. Selon une démarche psychodynamique/phénoménologique, les instruments projectifs fourniront des renseignements sur : • la réactivité • l'introversion • l'extraversion • les fonctions du moi • les besoins • les types et niveaux de conduites
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• la vision de soi et des autres • les idéaux et projets de vie • les modes d'adaptation Cependant, la littérature scientifique est claire, les instruments projectifs ne permettent pas de retrouver des éléments de réalité objective, ni des éléments objectifs du passé (souvenirs objectifs). Ainsi, un instrument projectif, quelle que soit la démarche diagnostique utilisée, ne permettra jamais de savoir si un enfant a été réellement victime d'agression sexuelle ni si un homme a réellement agressé un enfant. Des instruments projectifs pourraient susciter des réponses à contenu sexuel chez un enfant sans que cela ne puisse prouver que ce dernier ait été victime d'agression sexuelle. Aucun instrument projectif, ni aucun autre instrument d'ailleurs ne permet actuellement de valider la véracité d'une agression sexuelle, que ce soit chez l'enfant ou chez l'adulte. En fait, comme l'indiquent bien Ceci et Bruck (1998), à l'heure actuelle, les instruments projectifs ne sont pas moins fiables que les autres types d'instruments pour vérifier la véracité ou pour valider une agression sexuelle puisque aucun instrument psychométrique, quel qu'il soit, ne peut prétendre scientifiquement à cette capacité discriminative. 15.7. Instruments et méthodologies Plusieurs instruments projectifs ont démontré leur valeur et sont utilisés régulièrement en expertise psycholégale (Rorschach, T.A.T., C.A.T., PatteNoire, Dessins, Test des trois personnages, AT-9, jeu) mais ce n'est pas l'instrument en soi qui est un gage de valeur diagnostique mais bien plutôt la méthodologie utilisée dans l'interprétation des données recueillies. Chaque instrument a en effet vu se développer plusieurs méthodologies d'utilisation et d'analyse, jusqu'à des centaines pour le Rorschach. 15.7.1. LES PRINCIPAUX INSTRUMENTS PROJECTIFS POUR LES ADULTES Bien que le Rorschach et le T.A.T. soient utilisés avec les enfants, ils sont davantage utilisés et ont été davantage étudiés auprès d'une population adulte. Il n'est pas question de faire ici l'historique de ces instruments ou de mettre en relief les cheminements ayant mené à divers modes de passation et aux divers systèmes d'analyse de ces deux instruments. Nous ne mentionnerons ici que quelques-uns des modèles d'analyse actuellement utilisés. Au Québec, comme aux États-Unis d'ailleurs, la majorité des psychologues cliniciens ont appris à l'université à utiliser la méthode de cotation de Klopfer et al. (1942) pour la passation et l'interprétation du Rorschach.
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Cependant, la méthode de cotation et d'interprétation qui croît le plus en popularité est actuellement celle d'Exner (1974). Exner, pour résoudre des contradictions observées entre certains systèmes de cotation et pour répondre aux critiques positivistes de certains psychologues américains, a conçu un système intégré de cotation, alliant ce qu'il considère être les éléments les meilleurs des divers systèmes existants et mettant à l'épreuve, de façon empirique, tant la fiabilité des cotations que les conclusions diagnostiques tirées de ces cotations. Le résultat est une méthode résolument nomothétique, conçue pour permettre une comparaison statistique des cotes obtenues auprès de populations présentant les principales psychopathologies. Ce système est à la fois acclamé par les psychologues désireux de répondre aux canons positivistes de la psychométrie américaine, tout en étant décriée par de nombreux psychologues psychodynamiques qui prétendent perdre ainsi en validité ce qui a été gagné en fiabilité. En outre, d'aucuns prétendent que plus les méthodologies projectives deviennent nomothétiques, moins elles permettent d'atteindre la singularité de l'individu et moins elles peuvent être employées avec une théorie psychodynamique de la personnalité. C'est ainsi que parallèlement au système d'Exner, nombre de psychologues américains, canadiens et européens utilisent soit un système purement qualitatif (analyse de contenu ou diverses méthodes comme la méthode associative séquentielle (Brunet, 1998)), soit un système mixte, recourant à la fois à une analyse des cotations de nature quantitative et une analyse de contenu selon une optique psychanalytique (Chabert, 1983). En dernière analyse, nous croyons que lorsque la méthode choisie est bien appliquée par un clinicien rigoureux et conscient des limites de son modèle d'analyse, la grande majorité des méthodes d'analyse semblent valables et utiles dans une expertise psycholégale. Quant au T.A.T., l'instrument élaboré par Murray dont la forme définitive fut publiée en 1943, les modèles d'utilisation et d'analyse utilisés en clinique sont essentiellement qualitatifs. Ainsi, Murray (1943) propose luimême un premier modèle qui s'inspire à la fois de ses connaissances personnelles de la psychanalyse, du désir d'identifier une série de 20 besoins (domination, accomplissement, être protégé, etc.) et d'une série de 12 traits généraux (angoisse, créativité, émotivité, etc.). Cependant des variantes du modèle d'administration de Murray seront développés par Bellak (1993), Shentoub (1990), Tomkins (cité par Anzieu, 1961), mais surtout, des variantes seront apportées au modèle d'interprétation proposé par Murray. Au Québec, le modèle développé par Morval (1982), très populaire, met un accent prononcé sur l'analyse des fonctions du Moi, inspiré en cela par les travaux importants de Bellak (1993) qui constituent toujours un repère incontournable pour l'analyse du T.A.T. Du côté français, Shentoub (1990) est sans conteste l'auteur dont l'influence sur l'analyse du T.A.T. est la plus
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marquée. Cette dernière se situe nettement dans une autre perspective que celle de Murray et s'attache davantage à la forme des récits qu'à leur contenu, dans le but d'en déduire les mécanismes de défense et, par là, d'en inférer la structure de la personnalité du sujet. Il n'en demeure pas moins que la plupart de ces systèmes d'analyse du T.A.T. constituent des analyses qualitatives, soit de contenus, soit de formes et de structures, assez directement inspirées de divers aspects des théories psychanalytiques (théories des mécanismes de défense, des fonctions du Moi, etc.). Un instrument peu connu mais extrêmement intéressant est le Object relations technique, de Phillipson (1955). Contrairement au Rorschach dont les planches ont été conçues sans théorie préalable et avec les heureux effets du hasard, Phillipson a conçu cet instrument de façon à respecter le mieux possible les théories de la relation d'objet des écoles psychanalytiques britanniques (Klein et Fairbairn particulièrement). L'instrument de Phillipson a été développé selon les concepts de relation d'objet inconsciente et les images ambiguës utilisées sont bien pensées pour évaluer ce concept important. Cependant il faut noter qu'on peut tout aussi bien utiliser cet instrument avec une autre grille conceptuelle (grille psychodynamique plus générale par exemple) en plus du modèle conceptuel proposé par Phillipson axé spécifiquement sur les relations d'objet. L'instrument de Phillipson est constitué de trois séries de quatre images, plus une carte blanche. Chacune des séries représente des situations à une personne, deux personnes, trois personnes et des situations de groupe. Les trois séries sont graduées de la façon suivante : la série A présente des personnages pâles avec une impression de texture, sans autre élément que les personnages humains. La série B présente des cartes plus foncées et plus précises comprenant des impressions de profondeur et de perspective. La série C présente des planches plus réalistes mais tout de même ambiguës, soit des personnes placées dans des environnements plus précis qui permettent d'identifier plus de détails et qui contiennent un peu de couleur. La façon dont le test est construit permet donc de comparer les projections du sujet lorsqu'il est mis en présence d'un objet, d'une relation duelle, d'une relation à trois et d'une situation de groupe. On voit tout de suite comment un tel matériel peut s'avérer extrêmement pertinent pour tenter d'évaluer les capacités relationnelles d'un individu, comme pour tenter d'évaluer des capacités parentales, dans un contexte psycholégal. 15.7.2. LES PRINCIPAUX INSTRUMENTS PROJECTIFS POUR LES ENFANTS Tout comme pour les tests projectifs pour adultes, les tests projectifs pour enfants exigent de ne pas être utilisés isolément comme instruments diagnostiques. Leur utilisation se doit d'être inscrite dans un ensemble de
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sources d'informations, entrevue, jeux, dessins au sein d'une démarche évaluative cohérente. Il peut être dit que l'instrument projectif est pour l'enfant un équivalent de la situation d'association libre chez l'adulte, soit une situation devant permettre l'expression spontanée du mode relationnel privilégié de l'enfant. C'est pourquoi nous nommons l'utilisation d'instruments projectifs chez l'enfant : une « situation projective ». L'observation de jeu est une technique abondamment utilisée et qui peut être conçue comme une situation projective si elle est utilisée de façon à mettre en relief les projections du monde intérieur de l'enfant. Ce sont les psychanalystes qui ont développé l'utilisation du jeu de l'enfant comme expression de la vie fantasmatique de celui-ci, comme un équivalent de l'association libre chez l'adulte en tant que technique d'évaluation et de thérapie. Une pionnière de l'utilisation du jeu comme médium de projection est certes Melanie Klein qui décrit finement ce qu'elle nomme « la personnification » dans le jeu des enfants (Klein, 1929). Son livre La psychanalyse des enfants (Klein, 1959) est certainement un classique pour quiconque cherche à comprendre le monde intérieur des enfants à travers leurs jeux et leurs dessins. L'analyse du jeu d'enfant nécessite cependant une formation importante tant au niveau de la technique (afin de ne pas induire dans le jeu des problématiques n'appartenant pas à l'enfant) que dans la façon d'analyser et d'interpréter celui-ci. Comme le jeu de l'enfant donne accès à un monde complexe de fantaisies, il convient toujours d'être prudent dans son analyse et d'éviter de rabattre la réalité psychique ainsi observée sur la réalité concrète de l'enfant. Les thématiques violentes ou sexuelles observées dans le jeu ne reflètent pas nécessairement quelque chose de la vie réelle de l'enfant. Et comme il est bien connu maintenant, les jeux sexuels faits avec des marionnettes ou des poupées (même les poupées anatomiques) ne sont pas une indication fiable d'une situation sexuelle (agression, inceste ou autre) qui aurait été vécue par l'enfant. Ceci et Bruck (1998) considèrent qu'il n'existe aucune donnée scientifique appuyant un diagnostic clinique d'agression sexuelle basé sur le jeu d'enfant avec des poupées anatomiques. Dans certains cas « elles semblent conduire à des jugements faussés du statut d'enfants abusés ou non abusés » (Ceci et Bruck, 1998, p. 238). L'utilisation des dessins est aussi une technique fort prisée dans l'évaluation projective des enfants. Le dessin d'enfant a été utilisé de diverses façons et avec des objectifs différents depuis nombre d'années. Certains, comme Luquet (1913), se sont intéressés à retrouver dans les dessins une évolution universelle et ont décrit des stades de l'évolution du graphisme. D'autres comme Goodenough (1920) ont cherché à construire une échelle graduée du dessin dans le but d'évaluer la capacité intellectuelle des enfants. Cependant les approches «psychométriques » du dessin trouvent vite leur limite dans le fait bien démontré que le dessin d'enfant s'avère bien davantage une représentation subjective de la vie psychique de l'enfant
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qu'une question d'intelligence ou de stade de développement. C'est ainsi que, dans l'utilisation clinique du dessin, non seulement le dessin lui-même est analysé mais surtout le dessin est mis en relation avec les verbalisations de l'enfant dans le but de départager le sens manifeste « objectif » du dessin de son sens caché, inconscient et subjectif, qui intéresse le psychologue psychodynamicien lorsqu'il cherche à comprendre la personnalité de l'enfant. Au nombre des méthodes d'analyse du dessin, certaines sont particulièrement réductionnistes et non fondées scientifiquement. Ce sont celles qui tentent de donner un sens symbolique direct à un élément du dessin. Ainsi, prétendre que dessiner un personnage petit signifie nécessairement une faible estime de soi, que la gauche représente le passé ou l'intériorité, que la droite représente la vision de l'avenir, que les racines de l'arbre représentent les pulsions et que les feuilles représentent la vie psychique constituent des inférences symboliques douteuses que ni la recherche, ni la pratique clinique, ni la théorie ne sont parvenus à établir comme valables. C'est en fait toute la méthode d'interprétation symbolique qui est risquée, qu'elle soit appliquée à l'analyse du dessin ou à l'analyse d'un Rorschach. Bien sûr il existe des symboles universellement partagés, ce fait est connu depuis des millénaires. Cependant, la transposition d'un symbole universel multivoque en une interprétation explicative de la dynamique d'un individu est risquée à cause, d'une part, de son réductionnisme et d'autre part, du piège provenant de la confusion quasi inévitable entre « l'intuition » du clinicien et la projection de sa propre symbolique. Souvent, les cliniciens utilisant une analyse symbolique directe des dessins prétendent utiliser une méthode « psychanalytique » d'analyse. Cependant il est utile de rappeler que la technique psychanalytique n'effectue pas une simple analyse symbolique de contenu mais base son analyse sur les associations et verbalisations de la personne. En ce sens, une analyse symbolique de contenu ne peut constituer une analyse psychanalytique valable qu'en autant que le sens symbolique puisse être appuyé par un travail associatif valable. L'utilisation de la symbolique devant toujours se subordonner à l'analyse des verbalisations et associations libres du sujet, seule garantie pour que la subjectivité du clinicien témoigne véritablement de celle du client. Il existe plusieurs techniques de présentation du dessin à l'enfant. Des auteurs suggèrent des dessins à thèmes précis : le dessin de la personne, le dessin de la famille, le dessin de l'arbre de la maison et de la personne. En fait, il est souvent très utile de conjuguer l'utilisation de plusieurs dessins, sur des thèmes différents, de telle façon que les convergences et divergences entre les dessins fassent mieux ressortir les conflictualités, pulsionnalités, et la dynamique du sujet.
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Parmi les instruments projectifs systématisés accessibles aux psychologues qui font des évaluations d'enfants, les plus connus et les plus largement utilisés sont certes le Patte-Noire de Corman (1962, 1974), le Blacky de Blum (1949) et le Children's Apperception Test de Bellak et Bellak (1949). Contrairement au Rorschach dont la construction des planches se voulait athématique, ces trois tests pour enfants montrent dès le départ leurs a priori théoriques dans la conception même des images qui servent de stimuli aux enfants. Pour Bellak, pour Blum, comme pour Corman, il est clair que la psychanalyse a servi de base aux scènes représentées sur chacune des planches de leurs tests. Ces auteurs ont tenté de mettre en scène, à travers des représentations animales, certains des conflits psychiques fondamentaux identifiés par la psychanalyse. Cette façon de procéder a l'avantage de permettre au psychologue d'évaluer de façon systématique comment l'enfant se situe par rapport à ces conflits fondamentaux tels que stimulés par les planches en question. Par le fait même, la critique qui peut être adressée à ces tests est que chaque planche oriente la projection de l'enfant par rapport à un conflit particulier et risque même d'amener le clinicien à être quelque peu prisonnier d'une projection attendue alors que la projection de l'enfant pourrait n'avoir que peu de rapport avec la représentation de la planche. Ainsi, le clinicien se doit d'être sensible à l'originalité et à la spécificité des réponses de l'enfant, de façon à ne pas se laisser leurrer par le contenu manifeste qui sera inévitablement repris par l'enfant. Plutôt, il doit chercher à découvrir la singularité de l'enfant devant les thèmes à contenu « conflictualisable » proposés. Ce qui s'avère important à examiner à travers les thèmes universels proposés, devient donc la façon, harmonieuse ou non, qu'a l'enfant de composer avec le conflit ; quels sont les mécanismes de défense, quelle est leur efficacité, le conflit est-il assumé ou évité, y a-t-il solution créative ou le conflit mène-t-il à l'impasse? Chacun de ces trois instruments met l'accent, de façon plus ou moins explicite, sur les grandes conflictualités universelles de l'enfance : l'oralité, l'analité, les préoccupations phalliques, l'angoisse de castration, l'œdipe, la rivalité œdipienne, la rivalité fraternelle, la séparation, l'individuation, la culpabilité, la solitude ou l'abandon, etc. Pour y arriver, le C.A.T. propose une série de 10 planches mettant en scène divers animaux (souris, lion, singes, etc.). La série est relativement limitée et les scènes sont plutôt caricaturales. Certains enfants sont très stimulés par ce test, d'autres le trouvent trop explicite et y réagissent défensivement. Pour ces derniers, le Blacky ou le Patte-Noire constituent des instruments moins explicites auxquels ils répondent quelquefois plus facilement. Ces deux instruments sont très semblables. D'ailleurs, Corman s'est inspiré du Blacky pour mettre au point le Patte-Noire. Alors que le Blacky met en scène un petit chien devant une série de 11 problématiques (oralité, colère, jalousie, castration, injonction surmoïque, etc.), l'instrument de Corman présente une plus grande variété de thèmes (17 images) mettant en scène un petit cochon et sa famille. De
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plus, Corman propose une méthode de passation qui, bien que non obligatoire, est fort intéressante : la méthode des préférences-identifications, en plus de la planche « fée » à laquelle l'enfant doit proposer trois souhaits pour Patte-Noire. Le Patte-Noire semble donc l'instrument le plus sophistiqué des trois et, en raison de la rigueur et de la précision des manuels d'utilisation proposés par Corman, il est probablement le plus utilisé des trois par les cliniciens. Cependant, il est fort intéressant dans une évaluation d'enfant, d'utiliser deux d'entre eux et d'ainsi maximiser les stimuli de projections. Certains enfants se laissent aller facilement devant un instrument mais peuvent être défensifs ou inhibés devant un autre.
15.7.3. INSTRUMENTS PROJECTIFS PARTICULIERS Moins connus que les célèbres Rorschach ou T.A.T., certains instruments projectifs ont fait l'objet de travaux de recherche d'envergure et peuvent s'avérer très pertinents dans l'évaluation de certaines problématiques. C'est le cas par exemple de FAT -9 (et de sa version quantitative validée, le SAT 9). Cet instrument, issu des travaux de Durand (1969) sur les symboles et les archétypes, a été abondamment utilisé en recherche auprès des malades psychosomatiques afin d'évaluer leur capacité de mentalisation et de symbolisation (Demers-Desrosiers, 1982, 1985; Legorreta, 1987) ou auprès d'enfants psychotiques pour évaluer leur capacité de symbolisation (Brunet, 1995, 1997). C'est aussi un instrument utilisé en clinique mais dont l'utilisation, proposée par Y. Durand, est complexe. Un autre instrument fort intéressant est issu de la volonté de créer un instrument projectif qui franchirait le mieux possible les barrières culturelles. Il s'agit du Test des trois personnages de Backès-Thomas (1984). Cette auteure a tenté de créer un instrument dont les bases théoriques d'interprétation seraient psychanalytiques mais qui permettrait à la fois une analyse idiographique psychanalytique et une analyse comparative nomothétique, en raison des nombreuses recherches quantitatives qu'elle a effectuées. Ce test est, à l'origine, conçu comme un instrument projectif purement verbal, organisé autour de 20 questions, mais une variante intéressante est de demander au sujet de dessiner les personnages en plus de répondre aux questions. Voici quelques exemples des questions : • Imaginez trois personnages. Pour commencer, dites simplement leur sexe et leur âge. Si vous le voulez, donnez-leur un nom. • Décrivez vos personnages. • Que font-ils dans la vie ? • Voulez-vous dire quelque chose de leur passé ?
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• Que sont-ils les uns pour les autres ? Backès-Thomas a développé une grille d'analyse très précise pour tenir compte d'une série d'hypothèses qu'elle tente de vérifier avec le test. Il est utile d'ajouter que le type de questions posées dans le test de BackèsThomas se prête bien à une analyse des relations d'objet, comme dans le Object Relations Technique, de Phillipson (1955). 15.8. La possibilité de fraude Certains cliniciens croient qu'il est très difficile de fausser les résultats à des instruments projectifs, particulièrement si la méthode d'analyse est qualitative. Malheureusement, il existe très peu d'études portant sur la possibilité de frauder à ces instruments et la plupart des études portent sur des utilisations nomothétiques du Rorschach, tels les modèles d'Exner ou de Klopfer. Les recherches donnent des résultats contradictoires et peu concluants, qu'il s'agisse de pouvoir discriminer entre une « fausse pathologie et une vraie » ou de pouvoir simplement identifier quelqu'un qui tente de fausser les résultats du test. Perry et Kinder (1990) font une synthèse de nombre d'études portant sur la possibilité de fraude au Rorschach et concluent que les seuls résultats valides semblent être qu'en cas de fraude, il y a : une réduction des réponses, une réduction des F, M, D, F+ et X+ au système d'Exner. Cependant, on n'a identifié aucun pattern permettant de discriminer le fraudeur de celui qui répond de façon non calculée. Dans certaines recherches, on a démontré que des sujets auxquels on a spécifiquement demandé de donner des réponses de psychotiques ont réussi à donner effectivement des protocoles donnant davantage l'apparence de la pathologie lorsque ces protocoles étaient corrigés à l'aveugle (Albert, Fox, Kahn, 1980). Cependant ce type de recherche est discutable car le clinicien ne travaille jamais à l'aveugle et compare toujours les résultats de plusieurs instruments à ses entrevues avec le sujet. Cependant, il faut conclure, comme Perry et Kinder (1990), que dans certaines conditions expérimentales, lorsqu'un individu intelligent et informé veut tenter de paraître plus malade (faking bad), il est possible de tromper un évaluateur.
15.9. Conclusions Lors d'une expertise psycholégale, le psychologue a tout intérêt à utiliser plusieurs sources d'information complémentaires afin de se faire une opinion et de formuler un diagnostic, et des recommandations. Les instruments projectifs peuvent être d'un appui considérable dans une telle évaluation afin soit d'affiner un diagnostic, soit d'appuyer les hypothèses diagnostiques développées lors des entrevues. Les instruments projectifs font partie de ces
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instruments qui appuient la démarche diagnostique du psychologue. Ils peuvent être utilisés selon des approches quantitatives nomothétiques comme dans la méthode d'Exner ou même selon des approches qualitatives idiographiques. Lorsqu'ils sont utilisés correctement, soit avec une théorie et une démarche diagnostique cohérentes, ils sont non seulement reconnus par la cour mais présentent une valeur clinique et scientifique indéniable. Cependant les instruments projectifs, quel que soit le modèle théorique utilisé, ne peuvent répondre à toutes les questions. Il revient donc au psychologue de connaître les limites de ces instruments et d'en interpréter les résultats dans le cadre de ces limites théoriques et cliniques. 15.10. Références ALBERT, S., Fox, H.M. et M.W. KAHN (1980). « Faking psychosis on the Rorschach : can expert judges detect malingering ? ». Journal of Personality Assessment, 44 (2), 115-119. ANZIEU, D. (1961). Les méthodes projectives. Paris : Presses universitaires de France. ARONOw, E., REZNIKOFF, M. et K.L. MORELAND (1995). « The Rorschach projective technique or psychometric test?)). Journal of Personality Assessment, 64 (2), 213-228. BACKÈS-THOMAS, M. (1984). « Les miroirs de l'invisible ou comment utiliser le Test des trois personnages dans la recherche ». Bulletin de psychologie, 39, 376. BELLAK, L. (1993). The TAT, CAT and SAT in clinical use. Boston : Allyn and Bacon. BELLAK, L. et S.S. BELLAK (1949). The children's Apperception Test. New York C.P.S. inc. BLUM, G.S. (1949). The Blacky Pictures. A technique for the exploration of personality dynamics. Michigan : Psychodynamic Instruments. BRUNET, L. (1995). « Inhibition de la symbolisation, fonction contenante et identification projective chez des enfants psychotiques et leurs professeurs». Revue canadienne des sciences du comportement, 27 (3), 268-285. BRUNET, L. (1997). « Adaptation de deux instruments de mesure de la symbolisation et comparaison entre des enfants psychotiques et des enfants non psychotiques ». La revue québécoise de psychologie, 18 (1), 61-77. BRUNET, L. (1998). « Pour une revalorisation de l'analyse qualitative des instruments projectifs. Une méthode associative-séquentielle ». Bulletin de psychologie, 51 (4), 459-468.
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