Paul Tillich
L'ê tre no uv eau
Tradui t de l'anglais par Jean-M arc SAINT.
Originally published in English under the ...
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Paul Tillich
L'ê tre no uv eau
Tradui t de l'anglais par Jean-M arc SAINT.
Originally published in English under the title THE NEW BEING
© by Charles Scribner's sons cfo Curtis Brown Ltd, London ' ' 1955.: , . © Editions Planète, Ig6g.
L'EXPÉRIENCE INTÉRIEURE Collection dirigée par Roger MUNIER
Table .' des mat1eres
AVERTISSÉMENT PRÉFACE
du traducteur.
de l'auteur.
II 15
PREMIÈRE P A.RTIE
'
~
AMOUR
'
I. II. III. IV. V. VI. VII.
«Il sera beaucoup pardonné... JJ L'être nouveau. La puissance de l'amour. La règle d'or. De la guérison (I et II). Un saint gaspillage. Les principautés et les puissances.
rg
33 45 51 57 75 81 9
Table des matières
Avertissement
DEUXIÈME PARTIE
LIBERTÉ VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII.
« Qu'est-ce que la vérité? >> Foi et incertitude. <<Par quelle autorité? » Le Messie est-il venu? << Celui qui croit en moi~.. » Oui et non. «Qui est ma mèl;'e et qui sont mes frères ... ? » << Tout est à vous. » «Y a-t-il une parole du Seigneur? » Voir et entendre. Le paradoxe de la prière.
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II5 129 I 35 139
143 149 153 165 I 77
TROISIÈME 'PARTIE
ACCOMPLISSEMENT XIX. XX. XXI. XXII. XXIII.
Le sens de la joie. Notre préoccupation ultime. Le moment présent. L'amour est plus fort que la mort. Le salut universel.
\.
Ce Dieu, qu'un chroniqueur disait récemment << plus vivant qu'il ne le fut jamais depuis le haut moyen âge, mais cette fois obscur, sauvage et sous d'autres noms », a trouvé peut-être un ·prédicateur contemporain en la personne de Paul Tillich. Ce théologien, qui passait pour << théologien athée » auprès des cercles dévots bien avant que cette singulière qualification ne fasse brevet d'avant-garde, a su, à l'écart des mêmes cercles, recueillir une attention que la seule mention d'Église rend à l'ordinaire distraite. N'est-ce pas cette audience imprévue que signalait, en termes certes rédactionnels, un titre de Réalités? << Sa nouvelle définition de. Dieu est si révolutionnaire 'que des millions de non-croyants s'aperçoivent soudain que, d'une certaine manière, ils ont la foi 1 • » Repoussé ici comme un penseur dangereux I. Réalités, avril Quénétain.
IO
I 955,
article sur Tillich par Tanneguy de II
Avertissement
et là réputé plus habile que Paul de Tarse à l'Aérapage, Paul Tillich est enveloppé d'un renom paradoxal digne de celui qui se présentait comme un homme « aux frontières » dam un court essai autobiographique. Reste qu'on se. demande pourquoi ce renom est attaché à une (( nouvelle conception de Dieu ». Il est vrai qu'il se montre fort critique; On lui prêterait volontiers, en ce domaine, une orientation analogue à celle que le jeune Marx se donnait en un autre domaine : <( L'avantage de cette nouvelle orientation est précisément d'éviter d'anticiper dogmatiquement sur la marche du monde et de ne dégager le monde nouveau que par la critique de l'ancien. » Donc on ne trouvera pas dàns ses œuvres une doctrine de Dieu comme il y en a une dans Thomas d'Aquin, dans Je::tn Calvin ou dans Karl Barth. Il s'en tient à une ignorance toute bibliqu,e car il lui importe seulement d'ouvrir l'oreille de ses contemporains au poème qui d'âge en âge parle de Dieu en l'homme et de l'homme en Dieu, et cela sans rien perdre des connaissances d'aujourd'hui et sans ajouter au monde un fantastique doublet. Bien sûr, le lecteur averti des rouages classiques de la théologie chrétienne- ne manquera pas de noter que l'enseignement de Paul Tillich diffère de ceux qu'à grand renfort de décisions ecclésiastiques on d'éclare (( orthodoxes )) et « traditionnels ». Ce lecteur ne hu en tiendra pas rigueur, car il sait aussi que ces enseignements ne sont; après tout, que le (( dépôt de la foi >> et que la méditation théologique, en ses meilleurs jours, a suivi des voies plus hardies, en tout cas moins dogmatiques. Signalons un aspect de la pensée de Paul Tillich qUi, celui-là, heurtera de front tout autre lecteur dog12
matiquement désintéressé. Dans ce recueil composé de prédications à la manière protestante qui furent prononcées aux États-Unis entre 1949 et 1955, soit en un temps et dans un cadre bien déterminés, il se peut qu'on apprécie certains aspects de l'analyse de l'existence quotidienne qui s'y trouve développée dans un langage sans apprêt, formé à l'école de la piété luthérienne allemande et de la psychologie des profondeurs américaines. Mais acceptera-t-on ce recours à une (( réponse )) qui semble sortir du bonnet du théologien -pour s'adapter aux questions soulevées par la connaissance de l'existence, de la nature et de l'histoire ? Le dogmatisme que nous venions d'enterrer quelques lignes plus haut n'est-il pas en train de réapparaître sous le masque plus anodin d'une réponse tirée du Message chrétien? Aux yeux du plus grand nombre, les Églises sont depuis longtemps discréditées par cette triomphale réponse à tout au nom de quoi tant de crimes ont été cominis contre la science et contre la liberté. A preinière vue, c'est un point faible de la théologie de Tillich car celle-ci s'articule dans un va-et-vient des questions graves de l'existence à la réponse donnée dans le (( Message» fondateur du christiamsme. Mais la chose est aussi plus nuancée. Le Message à quoi se réfère le théologien ne bénéficie de l'appui d'aucune autorité externe ou extraordinaire. Il n'est pas conçu comme une formulation ni comme un dogme en concentré, mais ainsi que l'ont noté quelques critiques, comme une réponse qui s'impose dans les questions. Ainsi la réponse n'est pas donnée d'emblée avant toute lecture de l'existence, de la nature et de l'histoire. Que la Bible « nous parle >> encore aujourd'hui, et souvent malgré vingt siècles d'Église, veut
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Préface dire que nous posons encore les questions qu'elle a posées. Par la permanence de ces questions nous sommes orientés vers une réponse qui s'imposait.~éjà à eUe. On le voit, la corrélation des questions au Message est plus déliée qu'il n'apparaît à simple lecture, surtout si l'on reconnaît que dans l'histoire de la théologie, le recours à l'Écriture judée-chrétienne, loin de souder les systèmes qui s'en réclament, les mène au contraire à ce point d'équilibre où il suffit d'un soufRe pour les faire basculer. L'œuvre théologique de Paul Tillich n'échappe pas à ce destin de la théologie quand· elle rencontre la Bible. Deux langages coexistent, en elle, l'un pétri par vingt siècles de ce « christianisme» qui touche maintenant à sa fin, et l'autre simplement esquissé, comme si cette œuvre avait laissé s'amorcer en elle son propre dépassement, et vivre un langage compréhensible des « anciens chrétiens » que nous devenons. Aussi nous promet-elle une parole mieux écoutée qu'une théologie. Jean-Marc
SAINT.
Ce livre rassemble des prédications prononcées après la publication de mon premier volume de sermons : Les fondations sont ébranlées*· Elles l'ont été, pour la plupart, dans des collèges d'enseignement supérieur et dans des universités, en particulier à l'Union Theological Seminary de New York et au Connecticut College de New London dans le Connecticut. Je désire exprimer ici ma gratitude à Mlle Mary Heilner à qui ce volume est dédié. Elle m'a aidé à éliminer mes germanismes et mes autres incorrections de style et m'a conseillé dans la mise au point de ce livre ** ... New :rork, 1955. Paul TILLICH.
* Traduit en français par François Larlenque. Robert Morel édit., 1967. . . ' . d' ** Dans sa préface à l'édition a:néncame, 1 aut:ur m 1que qu'il a cité la Bible d'après la Rev.!Sed Standt;rd Vemon. ~ans la traduction française, les textes c1tés en tete de chap1tre. le sont d'après la Saints Bible traduite en français sous la direction de l'École biblique de Jérusalem. Paris, 1955· (N.d.T.)
PREMLÈRE PARTIE
Amou r
I " Il sera beaucoup , ,, pardonne ...
« Un pharisien l'invita à sa table; il entra chez le pharisien et prit place. Survint une femme, une pécheresse de la ville. Ayant appris qu'il était à table chez le pharisien, elle avait apporté un vase de parfom. Se playant alors en arrière, tout en pleurs; à sffs pieds, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes; puis elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfom. « A cette vue, le pharisien qui l'avait invité se dit en lui, même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu'elle est : une pécheresse! » Mais Jésus, prenant la parole, lui dit : « Simon, j'ai quelque chose à te dire.- Dis, 'maître, répond-il. - Un créancier avait deux débiteurs; l'un lui elevait cinq cents deniers, l'autre cinquante. Gomme ils n'avaient pas de quoi s'acquitter, il fit grâce à tous deux. Lequel des deux l'en aimera le plus? » Simon répondit : « Celui-là,
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Amour
je pense, auquel il a fait grâce de plus. » Jésus lui dit : << Tu as bien jugé. » « Et se tournant vers la femme : << Tu vois cette femme ? dit-il à Simon. Je suis entré chez toi, et tu ne m'as _pàs versé d'eau sur les pieds; elle, au contraire, m'a arrosé les pieds de ses larmes et }es a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baisers; elle, au contraire, depuis que je suis entré, n'a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête; elle, au contraire, a répandu du parjùm sur n:-es pieds. C'est pourquoi, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remzs, puisqu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on remet peu montre peu d'amour. » Luc 7 : 36-47. ) Le récit que nous avons lu, comme la par31bole . de l'enfant prodigue 1, ne se trouve que dans l'Evangile selon Luc. Dans ce récit, comme dans la parabole, quelqu'un, que l'on tient pour un pécheur et qui luimême se juge tel, est opposé à d'autres personnes considérées comme des justes authentiques. Dans les deux cas, jésus est du côté des pécheurs. Aussi, il est critiqué indirectement par le fils aîné dans la parabole, et directement par le juste pharisien dans le récit. N'essayons pas d'affaiblir le sens du comportement de Jésus en estimant qu'après tout ces pécheurs n'étaient pas aussi pécheurs ni ces justes aussi justes qu'on les jugeait ou qu'ils se jugeaient .eux-mêmes. Rien de tel n'est indiqué dans le récit et dans la parabole. Les pécheurs, l'un une prostituée, l'autre un homme qui les fréquente, ne sont pas excusé~ 1.
Luc 15·:
II-32.
au terme d'argumentations d'~rdre éthique éc~a~t le sérieux du devoir moral, ru par des explications sociologiques écartant leur responsabilité per~on nelle, ni enfin par une analyse de leurs motlva~I?ns inconscientes écartant l'importance de leur déc1Slon consciente, ou encore par un rappel de la situation universelle de l'homme les déchargeant de leur faute personnelle. Ils sont déclarés pécheurs,. purement et, simplement. Mais cela ne veut pas dire que Jésus et les auteurs du Nouveau Testament aient ignoré l'importance des facteurs psy~hologiques e! sociologiques qui déterminent l'existenc~ hum~ne. ~ls sont au contraire profondément conscients de 1 empire universel et inévitable du péché sur ce monde, des déchirures démoniaques de l'âme à l'or~~e d_e l'aliénation mentale, des maladies et de la miser~ Spirituelle et économique des masses. Mais la conscience de ces facteurs maintenant si importants dans notre description de ia condition humaine, ne les empêche pas d'appeler p~cheur un p~heur., La COJ:?pré~en: sion ne se substitue pas au Jugement. Aujourd hw nous comprenons plus de choses et r:ueux que bea~ coup de générations précédentes. MaiS notre connaissance de la condition humaine, si largement étendue, ne doit pas miner notre courage d'appeler mal ce qui est mal. Dans le récit et dans la parabole les pécheurs sont appelés pécheurs à Juste titre. . De même les justes sont vram1ent des JUStes. Nous passerions à côté de l'e.sprit d~ .r~cit si nous essayions de montrer que ces JUStes n étaient p~s de vrais justes. Le fils aîné, dans la parabole, a fa1_t ~e qu'il était censé faire. Il n'a pas pen~é· q1;1'il faiSait quelque chose de mal et son pere ne lw a nen repro: .ché de semblable. Sa justice n'est pas contestée m
~0
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Amour
celle de Simon le pharisien. Son manque d'amour envers Jésus ne lui est pas reproché comme un manque de justice mais est mis en rapport avec le fait. qu'il lui est peu pardonné. Une telle justice ne s'atteint pas facilement. Elle demande une grande maîtrise de soi, une dure discipline et une attention permanente. Voilà pourquoi il vaut mieux ne pas mépriser les justes. Dans le christianisme traditionnel les pharisiens sont devenus les représentants de tout ce qui est mal et pourtant, en leur temps, ils furent des hommes pieux et moralement zélés. Leur opposition à Jésus ne tenait pas simplement en un désaccord sur le bien et le mal, mais était, par-dessus tout, l'opposition d'une tradition ancienne et sacrée à l'égard d'une réalité nouvelle _qui en apparaissant la privait de toute signification ultime. Il ne s'agissait pas seulement d'un désaccord sur la morale, c'était aussi un conflit tragique préfigurant le conflit tragique du judaïsme et du christianisme dans les générations ultérieures et jmque dans la nôtre. N'oublions pas que les pharisiens furent, en leur temps, les gardiens de la Loi de Dieu. Les pharisiens peuvent être comparés à d'autres groupes de justes, par exemple à ce groupe qui a joué un rôle considérable aux États-Unis : les puritains. Le nom de « puritain » comme le nom de «pharisien * » indique une «séparation >> d'avec les impuretés du monde. Les puritains auraient certaineI?ent jugé le comportement de Jésus envers la prostituée de la même manière que Simon le pharisien. Ne les condamnons pas à cause de ce jugement, ne
* Le nom de pharisien vient probablement du verbe hébreu parash qui signifie : séparer. (N.d.T.) 22
recouvrons pas leur portrait sous des bavardages. Tout comme les pharisiens, ils ont été en leur temps les gardiens de la Loi de Dieu. Et qu'en est-il de nos jours? Non sans raison, on a pu dire que les Églises protestantes sont devenues les Églises de la classe moyenne sur la base de l'interprétation qu'en pratique et en théorie leurs membres donnent du christianisme. Cette critique vise leur attachement actif à la paroisse, à une morale bien établie et aux œuvres de bienfaisance. Ce sont des justes, dest ainsi que Jésus les aurait appelés. Certainement ils se rangeraient aux côtés de Simon le pharisien pour critiquer le comportement de Jésus envers la femme. Je le répète, ne les condamnons pas pour cette raison. Ils prennent au sérieux leurs obligations morales et religieuses. Comme les pharisiens et les puritains, ils sont en leur temps les gardiens de la Loi de Dieu. Les pécheurs sont de vrais pécheurs et les justes de vrais justes. Il faut bien voir cela pour saisir la profondeur et la force révolutionnaire du comportement de Jésus. Il prend le parti des pécheurs contre les justes sans douter de la validité de la Loi. dont les justes sont les gardiens. Nous approchons ici d'un mystère qui est le mystère même du message chrétien, sa profondeur paradoxale, sa puissance subversive et libératrice. Nous ne pouvons en espérer qu'une vision fugitive en interprétant ce récit. Simon le pharisien est choqué par l'attitude de Jésus envers la prostituée. Il reçoit cette réponse : les pécheurs ont plus d'amour que les justes parce qu'il leur est pardonné davantage. Ce n'est pas l'amour de cette femme qui lui vaut le pardon, mais c'est le pardon qu'elle a reçu qui crée l'amour en 23
Amour
elle. Son amour montre qu'il lui a été beaucoup pardonné, tandis que le manque d'amour du pharisien montre qu'il lui a été peu pardonné. Jésus n'absout pas cette femme. Il déclare qu'elle est pardonnée. Son état d'esprit, son transport d'amour montrent que quelque chose lui est arrivé. Rien de plus grand ne peut arriver à un être humain que d'être pardonné. Le pardon, cela veut dire : la réconciliation en dépit de la séparation, la rencontre en dépit de l'hostilité, l'acceptation des inacceptables, l'accueil des rejetés. Le pardon est sans condition, sinon ce n'est pas le pardon. Le pardon est un « en dépit de » que le juste transforme en un « parce que ». Les pécheurs ne peuvent pas faire cela. Ils ne peuvent pas changer le cc en dépit de » divin en un cc parce que >> humain. Ils ne peuvent avancer un fait qui leur vaudrait le pardon. Le pardon de Dieu est sans condition. Il n'y a pas de condition nécessaire pour rendre l'homm~ digne du pardon. Si le pardon dépendait de conditions posées par l'homme, personne ne pourrait être accepté et personne ne pourrait s'accepter. Nous savons que telle est notre condition, mais nous répugnons à l'envisager. Le don est trop ,grand et le jugement trop humiliant. Nous souhaitons y apporter un peu notre concours et si nous avons appris que nous ne pouvons rien y mettre de positif alors nous, essayons d'y concourir par du négatif, par une' condamnation de soi et par un mépris de soi pénibles. Nous comprenons .alors le récit et la parabole comme s'ils disaient : cc Les pécheurs ont été pardonnés parce qu'ils se sont humiliés, qu'ils ont confessé être inacceptables et qu'ils gp.t souffert de leur condition de pécheur, c'est pourquoi ils -ont été rendus dignes 24
du pardon. »Cette interprétation du récit est erronée et dangereuse. Si tel était le chemin qui conduit à la réconciliation avec Dieu, il nous faudrait créer en ~ous un sentiment d'indignité, un mépris de soi pémble, l'angoisse et le désespoir devant la faute. Il .y a beau,coui? de chrétiens qui essayent cela pour prouver a D1eu et. pour se prouver à eux-mêmes qu'ils méritent d'être acceptés. Par sentimentalisme ils s'appliquent à se châtier dès qu'ils constaten~ que leurs bonnes œuvres ne les aident pas. Ces exercices-là ne les aident pas plus. . Le pardon de Dieu est indépendant. Il ne dépend pas de ce que nous pouvons faire, pas même d'une condamnation de nous-même et d'un mépris de D;ous-même: S'il n'en_ était pas ainsi, comment pourrions-nous etre certams que le rejet de nous-mêmes a été suffisamment sérieux pour nous mériter le pardon? Le pardon crée la repentance, voilà ce qu'affirme notre récit. C'est l'expérience de tous ceux qui ont été pardonnés. La femme qui se trouvait dans la maison de Simon a rencontré Jésus parce qu'elle avait été pardo~née. Nous ne savons pas exactement ce qui l'a attirée auprès de Jésus. Si nous le savions nous trou. ' ver:ons ~~runement un mélange de motifs divers, un désir spmtuel comme un attrait naturel pour la puissance d'un prophète ou pour l'impression produite par une forte personnalité. Le récit ne fait pas la psychanalyse de cette femme, mais ne nie pas non plus qu'il y ait quelque chose en elle à psychanalyser. Les motivations humaines sont toujours ambiguës. Le pardon de Dieu tranche parmi ces ambiguïtés, mais il n'exige pas qu'elles perdent leur ambiguïté pour être accordé. Si cela était exigé, le
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Amour
pardon serait impossible. La description du comportement de la femme montre clairement l'ambiguïté de ses motivations : néanmoins, elle est acceptée .. Il n'y a pas de condition au pardon, et pourtan t pour être pardonn é il faut le demander et il faut le recevoir. Le pardon est une réponse, la réponse aux questions posées par notre existence. Une réponse n'est une réponse que pour celui qui a pos~ une question ou qui est conscient d'une question. Cette . conscience ne peut être fabriquée. de recom quelque dans cachée peut-être est Elle jusde couches plusieurs par te recouver âme notre tice. Nous n'en prenons peut-être conscience qu'à certains moments seulement. Peut-être remplit-elle notre vie consciente et ses profondeurs inconscientes jour après jour et nous conduit-elle à poser la question dont le pardon est la réponse. Dans l'esprit de beaucoup de gens le terme de «pardon >> prend une signification qui contredit complètement le comportement de Jésus envers la femme dont parle notre récit. Beaucoup pensent à un acte solennel d'absolution, à une remise de peine, en d'autres termes à d'autres actes de J'ustice accomplis par des juste;. Mais le pardon authentique est une participation, une réunion qui trioml?~e de la puissance d'aliénation. C'est pour cette ra:Ison que le pardon rend l'amour possible. Nous ne pouvons aimer sans avoir d'abord accepté le pardon. Plus notre expérience du pardon est profonde, plus notre amour est grand. Nous ne pouvons aimer là où nous nous sentons repoussés, même si nous sommes repoussés en toute justice. Nous sommes opposés à ce à quoi nous appartenons et par quoi nous nous sentons jugés, même si ce jugemen t n'est pas formulé.
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J\ussi longtemps que nous nous sentons rejetés p~r Dœu nous ne pou~ons pas l'aimer. Il nous apparalt comme un P?UVolr oppresseur, comme celui qui p;om~lgue des lo1s au gré de son bon plaisir, qui juge d apres ses propres commandements et condamne selon sa colère. Mais si nous avons reçu et accepté le messa~e qu'il est réconcilié, tout change. Comme ·un flot 1mpétueux son pouvoir guérisseur entre en nous. Nous acceptons Dieu, notre être' les autres ' . dont nous étions séparés, et la vie dans sa totalité. Nous réalisons que son amour est la loi de notre être et qu'il s'agit de la loi d'un amour qui réunit. Nous comprenons que ce que nous éprouvions comme une oppression, un jugemen t et une colère n'est en réalité que l'œuvre d'un amour qui essaye de détruire en nous tout ce qui s'oppose à l'amour. Aimer cet amour c'est aimer Dieu. Des théologiens se sont demandé si l'homme est capable d'aimer Dieu. Ils remplaçaient l'amour par l'obéissance. Notre récit !es réfute. Ils enseignaient une théologie pour les JUSte~ et _non pas une théologie pour les pécheurs. Celm qu1 est pardonn é sait ce que veut dire aimer Dieu. .Celui qu~ ~ime Di~u est aussi capable d'accept er la vie et de 1 rumer. Bien sûr, ce n'est pas la même chose que d'~er Dieu! Pour beaucoup de gens, l'amour de D1eu va de pair avec la haine de la vie. En effet, il y a en chacun de nous beaucoup d'hostilité à l'égard de la vie, même chez ceux qui se sont engagés complètement dans la vie: L'hostilité à l'égard de la vie se manifeste par du cynisme par du dégoût, par de l'amertu me et dans tout~s les condamnations de la vie. Nous nous sentons rejetés par la vie, non pas à cause de ses ténèbres, de ses
Amour
menaces et de ses horreurs objectives mais parce que nous solllilles séparés de sa puis~ance et d~ sa signification. Celui qui retrouve l't;tmté ave~ D1eu, le fond créateur de la vie, le pouv01r de la v1e dans tout ce qui vit, l'unité avec la vie, se sent accepté par la vie et peut l'~er. ~1 c~mprend ,que plus cet amour est grand, rmeux Il tnom.phe d une plus grande séparation. Je voudr~s dire ceci en termes métaphoriques à tous ceux qm ress~ntent pr~fondé ment leur hostilité à l'égard de la v1e : « La Vle vous accepte la vie vous aime comme une partie d'ellemême dont elle serait séparée, la vie veut vous réunir à elle lors même qu'elle semble vous détruire. )) Il y a un secteur de la vie plus proche de nous qu'aucun autre secteur dont nous sommes aussi le plus séparés : les autres êtres humains. N~us savons tous qu'il y a des régions d~ l'~e humame ,où les choses prennent un aspect b1en différent de 1 apparence tranquille qu'elles laissent paraître à la surface. Dans ces régions nous pouvons trouver une .agressivité cachée à l'égard de ceux que nous amions. Nous pouvons trouver l'envie ou le doute torturant de savoir si effectivement ils nous acceptent. Cette agressivité et cette crainte d'être repoussé pàr ceux qui nous sont les plus proches peuvent se ca~~er sous les formes diverses de l'amour : sous l'armtié, sous l'amour charnel, sous l'amour du conjoint et de la famille. Mais si nous avons fait l'expérience d'une acceptation ultime, l'angoisse est vaincue même si elle n'est pas tout à fait écartée. Alors, nous pouvons aimer sans être· certain de rencontrer chez l'autre un amour qui réponde au nôtre, car n?us savons que lui aussi recherche notre acceptatlo~ colllille nous recherchons la sienne, et que nous lm
sommes unis à la lumière de l'acceptation ultime. Celui qui est accepté d'une manière ultime peut également s'accepter. Etre pardonné et être capable de s'açcepter sont une seule et même chose. Personne ne peut s'accepter s'il ne sent qu'il est accepté par la puissance de l'acceptation qui est plus grande que lui, que ses amis, que ses conseillers et que ses guides psychologiques. Ils peuvent signaler la puissance de l'acceptation. C'est en particulier la fonction du pasteur, mais lui comme les autres a besoin de la puissance de l'acceptation, plus grande qu'eux tous. Dans notre récit, jamais la felllille n'aurait pu surmonter son dégoût d'elle-même si elle n'avait trouvé cette puissance à l'œuvre en Jésus lui disant ave.c autorité : « Tu es pardonnée. » Ainsi a-t~elle fait l'expérience, au moins en. un moment extatique de sa vie, de la puissance qui la réunit à elle-même et qui ~ui donne jusqu'à la possibilité d'aimer son propre destin. Le moment où cela lui est arrivé est un très grand moment. En cela elle ne fait pas exception. Les expériences spirituelles décisives ont tm;tiours l'allure d'une irruption. Au milieu de nos futiles tentatives de dignité, dans le désespoir qui suit l'échec inéluctable de ces tentatives, nous sommes soudainement pris par la certitude d'être pardonnés et le feu de l'amour commence à brûler. C'est la plus grande expérience que chacun puisse faire. Elle peut arriver rarement, mais quand elle a lieu, elle décide ·tout et change tout. Considérons une fois de plus le cas de ceux que nous. avons décrits comme des justes. Ce sont de vrais justes, mais du fait qu'il leur est peu par-
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Amour
donné, ils aiment peu. Voilà leur injustice~ Elle n'apparait pas au niveau de la morale, exactement comme l'injustice de Job n'apparaissait pas au p.iveau de la morale où ses amis la cherchaient en vain. Elle se trouve au niveau de la rencontre avec la réalité ultime, avec le Dieu qui défend la justice de Job contre les attaques de ses amis, avec le Dieu qui se défend contre les attaques de Job et contre son injustice ultime. La justice des justes est dure et sûre d'elle. Eux aussi recherchent le pardon, mais ils croient qu'il leur en faut peu. C'est pourquoi leurs actes justes sont réchauffés de bien peu d'amour. Ils ne pouvaient pas aider la femme dont parle le récit. Ils ne peuvent pas nous aider, même si nous les admirons. Pourquoi les enfants se détournent-ils des parents justes? Pourquoi le mari se détourne-t-il de la femme juste, et la femme, de son mari juste? Pourquoi de nombreux chrétiens se détournent-ils de leurs pasteurs justes? Pourquoi beaucoup de gens se détournent-ils de leur entourage juste? Pourquoi beaucoup de gens se détournent-ils du christianisme, du Jésus juste qu'il dépeint et du Dieu juste qu'il proclame? Pourquoi se tournent-ils vers ceux que l'on ne considère pas comme des justes? Souvent parce qu'ils veulent, sans doute, échapper au jugement, mais plus souvent parce qu'ils cherchent un amour enraciné dan,s le pardon qu'aucun juste ne peut leur donner. De même beaucoup de ceux vers qui ils se tournent ne peuvent le donner. Jésus l'a donné à une femme totalement inacceptable. L'Église serait aujourd'hui davantage l'Église si elle faisait de même, si elle suivait Jésus et non pas Simon quand elle rencontre ceux que l'on juge inacceptables non sans raison. Ceux d'entre nous qui recherchent la 30
j~stice seraie.nt sans, doute beaucoup plus chrétiens s 11 leur étru.t davantage pardonné s'ils aimaient davantage et s'ils résistaient mieux la tentation de se présenter comme des gens que Dieu accepte à cause de leur justice.
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II L'être nouveau
« Car la circonczswn n'est rien, ni l'incirconcision; il s'agit d'être une créature nouvelle. »
Galates 6 =,)"5,· Si l'on me demandait de résumer en deux mots le message chrétien pour notre époque, je dirais, avec Paul, que c'est le message d'une «Nouvelle Création ». Nous avons déjà lu quelque chose sur la nouvelle création dans la seconde épitre de Paul aux Corinthiens. PermettezMmoi d'en rappeler les termes dans une traduction exacte : « Si quelqu'un est en union avec le Christ, il est un nouvel être, le vieil état de choses est révolu; il y a tm nouvel état de choses *. » Le christianisme est l'annonce d'une création nouvelle, d'un être nou.veau, d'une réalité
* L'auteur fait allusion à la lecture dè II Corinthiens 5 :,~i; qui venait de précéder sa prédication. (N.d.T.) ' · 33 2
Amour
nouvelle, apparue avec la venue de Jésus qu'on appelle le Christ pour cette raison et pour celle-là seulement. Car le Christ, autrement dit le Messie, l'Élu et l'Oint, est celui qui introduit un état de choses nouveau. Le texte nous pose une question, à nous tous qui vivons dans l'ancien état de choses : participonsnous aussi au nouvel état de choses? Nous appartenons tous à la vieille Création et le christianisme nous demande de participer aussi à la nouvelle Création. Nous avons appris à nous connaître dans notre vieil être et nous allons nous demander maintenant si nous' avons fait aussi l'expérience d'un être nouveau. Quel est cet être nouveau? Paul répond tout d'abord en affirmant ce qu'il n'est pas. Ce n'est, dit-il, ni la circoncision ni l'incirconcision. Cela signifie quelque chose de très précis pour Paul et pour les lecteurs de sa lettre. Cela veut dire qu'être païen ou juif n'est pas d'une importance ultime, et qu'une , seule chose est importante : l'union avec celui en qui la réalité nouvelle est présente. Que veulent dire pour nous circoncision ou incirconcision? Cela peut vouloir dire quelque chose d~ très précis et de très universel. Cela veut dire qu'aucune religion en tant que telle n'est capable de produire l'Être nouveau. La circoncision est un rite religieux observé par les juifs. Les sacrifices sont des rites religieux observés par les païens. Le baptême est un rite religieux observé par les chrétiens. Tous ces rites sont sans importance : seule importe une création nouvelle. Et puisque ces rites représentent chez Paul l'ensemble de la religion dont ils ne sont qu'une partie, nous devons dire qu'aucune religion n'a d'importance et que seul importe un état de choses nouveau. 34
Cette déclaration de Paul signifie tout d'abord que le christianisme est plus qu'une religion, qu'il est l'annonce d'une création nouvelle. En tant que religion, le christianisme n'a :iJ,ucune importance. Il est comme la circoncision ou l'incirconcision, ni plus ni moins! Pouvons-nous imaginer les conséquences de cette affirmation dans notre situation d'aujourd'hui? Dans le monde actuel, le christianisme rencontre plusieurs sortes de circoncisions et d'incirconcisions. La circoncision représente aujourd'hui tout ce qu'on appelle la religion, l'incirconcision tout ce qu'on appelle la laïcité, dans la mesure où celle-ci se présente comme une semi-religion. II y a, à côté du christianisme, les grandes religions : l'hindouisme, le bouddhisme, l'islam et ce qui demeure du judaïsme classique. Ces religions ont leurs mythes et leurs rites, pour ainsi dire leur (( circoncision >> qui donne à chacune un aspect caractéristique propre. Il y a aussi les mouvements (( laïcs >> : le fascisme, le communisme, l'humanisme laïc, et l'idéalisme éthique. Ces mouvements, s'ils repoussent les mythes et les rites, revendiquent néanmoins une vérité ultime et exigent une adhésion complète. Comment le christianisme doit-il les envisager? Doit-il leur dire : (( Venez à moi, je suis une religion meilleure, mon genre de circoncision ou d'incirconcision est plus élevé que le vôtre »? Faut-il chanter les louanges du christianisme comme style ·de vie religieux et laïc? Faut-il faire du message chrétien une question de succès, et dire à la manière de la publicité : (( Faitenur vous un essai et comme tout le monde vous ne pourrez plus vous en passer! » On renc0ntre des missionnaires, des pasteurs et des. laïcs qui utilisent des méthodes de ce genre. Ils montrent une totale incompréhension du 35
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christianisme. L'apôtre, qui fut à la fois missionnaire, pasteur et laïc, déclare quelque chose de bien dif~ férent. Il dit : aucune religion particulière n'est importante, la vôtre pas plus que la nôtre, mais je dois dire aussi que quelque chose d'important est arrivé, quelque chose qui nous juge, vous et moi, votre religion et la mienne, Une nouvelle création s'est produite, un être nouveau est apparu, et il nous est demandé à tous d'y prendre part. Aussi, quand nous rencontrons des païens ou des juifs, où que ce soit, nous devrions leur dire : ne comparez pas votre religion à notre religion, vos rites à nos rites, vos prophètes à nos prophètes, vos prêtres à nos prêtres, ceux qui sont pieux parmi vous à ceux qui sont pieux parmi nous. Tout cela ne sert à rien. Et par~ dessus tout, ne pensez pas que nous voulions vous convertir au christianisme anglais ou américain, à la religion du monde occidental. Nous ne voulons pas vous attirer à nous et pas même aux meilleurs d'entre nous. Cela ne servirait à rien. Nous voulons seulement vous montrer quelque chose que nous avons vu et vous dire quelque chose que nous avons entendu : au milieu de la vieille création; il y a une nouvelle création, et cette nouvelle création est manifeste en Jésus, celui que l'on appelle le Christ. Quand nous rencontrons des fascistes et des communistes, des représentants de l'humanisme scientifique ou de l'idéalisme moral, nous devrions leur dire : Ne vous vantez pas trop de ne pas avoir de rite et de mythe, d'être libres à l'égard de la supers• · tition, d'être parfaitement raisonnables, d'être des incirconcis dans tous les sens du terme. D'abord n'avez-vous pas aussi vos rites et vos mythes et votre rien de circoncision? Ils sont même très importants
pour vous! Si vous étiez tout à fait libres à l'égard de ces choses vous n'auriez pas de raison de tant insister sur votre incirconèision. Tout cela ne sert à rien! Ne pensez pas que nous voulions vous convertir de la laïcité à la religion. Ne pensez pas que nous voulions faire de vous des hommes religieux, membres d'une religion très élevée, et, en son sein, de l'une de ses tr~ grandes confessions : la nôtre! Tout cela ne sert à rien! Nous désirons seulement vous communiquer une expérience que nous avons faite : ici et\ilà dans le monde, en nous, de temps à autre, il y a une création nouvelle, souvent cachée, parfois manifeste, mais manifeste à tout coup en Jésus qu'on appelle le Christ. Nous devrions nous adresser de cette manière à tous ceux qui se tiennent en dehors du christianisme, qu'ils soient des hommes religieux ou non. Nous ne devrions pas être inquiets au sujet de la religion chrétienne, au sujet de l'état des Églises, ni préoccupés par le fait d'en être membre, par les doctrines, par les institutions, par les ministères, par les sermons et par les sacrements. Tout cela c'est la circoncision, et son absence, le phénomène de sécularisation qui se répand aujourd'hui dans le monde entier, c'est l'incirconcision. L'une et l'autre ne sont rien quand la question ultime est posée, la question d'une réalité nouvelle. C'est une question infiniment importante. Elle devrait nous préoccuper plus que tout ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre. La création nouvelle est notre préoccupation ultime. Elle devrait être la passion infinie · de tout être humain. C'est elle qui importe et c'est elle seule qui importe de manière ultime. Comparé à elle, tout le reste, religion ou irréligion, christianisme ou
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non:..christianisme, importe bien peu et même n'a aucune importance. Maintenant, permettez-moi de vanter le fait que nous sommes chrétiens. Soyons fous de vantardise comme l'a dit Paul quand il s'est· mis à se vanter. C'est la grandeur du christianisme qu'on puisse voir combien il est petit. Dans le fait d'être chrétien, ce qui importe, c'~t qu'on puisse rencontrer l'idée que cela n'a aucune importance. C'est la puissance spirituelle de la religion que de permettre à celui qui est religieux de considérer sans crainte la vanité de la religion. ~est-1€~:&uit-le-plu;s-mtn-tile la pëïiSè'è-cht:é.tie~_qu~ê"""èèlm.pr-li}ndxe-qne.J~s
tfanisrn:e co1nm"C"'i:el~e..s.ert..à...:ci.en. Voilà de la vantardise, non pas de la vantardise personnelle, mais une vantardise au sujet du christianisme. Ba~tant q~n.tar:dise,...C.:.est-àe-la-fulie;-maiS-Gemme-v:a:n.tar
èl1se...à__pmpns...du..fait.qu?.il-tC*-a...pas...de-quoi-se-va-nter, ciest-de-la..sages.s~.e..t...Q.,~:~Ja..mat.:!Jrité.. Avoir sans avoir, voilà l'attitude la plus juste à l'égard de tout ce qui est grand et merveilleux dans la vie, même à l'égard de la ·religion et du christianisme. Par contre, ce n'est pas l'attitude la plus juste à l'égard de la nouvelle Création. La seule attitude qui convienne envers elle c'est une passion et un désir infinis. Reprenons maintenant notre question : qu'est-ce que l'être nouveau? L'être nouveau n'est pas simplement quelque chose qui remplace le vieil être. C'est un renouveau du vieux, de ce qui est corrompu, déformé, déchiré et presque détruit, mais cependant pas complètement détruit. Le salut ne détruit pas la création : il transforme la vieille création en une création nouvelle. C'est pourquoi nous pouvons parler de ce « Nouveau )) en termes de re-nouveau, et g8
d'un triple « re » : ré-conciliation, ré-union, ré-surrection. Paul associe dans sa lettre la création nouvelle à la réconciliation. Voici le message de la réconciliation : << Soyez,réconciliés avec Dieu. )) Cessez de lui être opposés, il ne vous est pas opposé. Le message de la réconciliation ne signifie pas que Dieu ait besoin d'être réconcilié. Comment cela se pourrait-il? Il est la source et la puissance de la réconciliation. Qui pourrait le réconcilier? Païens, juifs et chrétiens, tous nous avons essayé et essayons encore de nous réconcilier avec Dieu par le moyen de rites, de sacrements, de prières, d'attitudes morales et d'œuvres charitables. Quand nous essayons cela, quand nous essayons de lui donner quelque chose, de lui montrer des bonnes œuvres pour l'apaiser, nous échouons. Il n'y en a jamais assez! L'exigence à notre égard est infinie! Alors, puisque nous ne parvenons pas à l'apaiser, nous lui devenons opposé. N'avez-vous pas remarqué à quel point on trouve de l'hostilité dans les profondeurs des gens honnêtes et bons, chez ceux qui excellent aux œuvres de charité, dans la piété et dans la vie religieuse? Il ne peut en être autrement, car chacun est opposé, consciemment ou inconsciemment, à ceux par qui il se sent rejeté. Tout le monde se trouve dans cette situation, qu'il appelle « Dieu », « nature » ou « condition sociale )) ce dont il se sent rejeté. Chacun éprouve de l'hostilité pour l'existence dans laquelle il a été jeté,. pour les puissances cachées qui déterminent sa vie et celle de l'univers, pour. ce qui le rend coupable et le menace de destruction parce qu'il est devenu coupable. Nous nous sentons 39
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tous rejetés et hostiles envers ce qui nous a rejetés. Nous essayons tous de l'apaiser et le fait que nous y échouons nous rend encore plus hostiles. Cela arrive souvent à notre insu. Il y a pourtant deux symptômes que nous ne pouvons éviter de voir : l'hostilité envers nous-mêmes et l'hostilité envers les autres. On parle souvent de l'orgueil, de là. morgue et de la suffisap.ce des gens. C'est souvent le niveau le plus superficiel de leur être. En dessous, à tin niveau pluS profond, il y a un refus de soi, une répUlsion et même. la haine de soi. Soyez réconciliés avec Dieu. Cela veut dire en même temps : soyez réconciliés avec vous-, mêmes. Mais nous ne le sommes pas. Nous essayons de nous apaiser. Nous nous efforçons de nous rendre plus acceptables à nos propres yeux. Avec l'échec; l'hostilité à l'égard de soi-même s'accroît encore davantage. Celui qui se sent rejeté par Dieu et qui se rejette lui-même, celui-là se sent aussi rejeté par les autres. Plus il éprouve d'animosité envers son destin et envers lui-même, plus il en éprouve envers les autres. S'il nous arrive d'être saisis d'horreur devant l'hostilité consciente ou inconsciente des gens à notre égard, ou en découvrant la nôtre envers ceux que nous croyons aimer, n'oublions pas qu'ils se sentent rejetés par nous et que nous nous sentons rejetés par eux. Ils s'efforcent de se faire accepter par nous et ils échouent. Nous nous efforçons de nous faire accepter par eux et nous échouons. Leur hostilité, comme la nô~e, grandit. Soyez réconciliés avec Dieu! Cela veut dire en même temps, soyez réconciliés avec les autres! Cela ne veut pas dire : essayez de vous réconcilier les autres, ni essayez de vous réconcilier avec vous-mêmes. Essayez de vous réconcilier avec Dieu, vous échouerez. Voilà le mes-
sage : une réalité nouvelle est apparue dans laquelle vous êtes réconciliés. Nous n'avons rien à montrer pour entrer dans l'être nouveau, parce qu'il suffit de lui être ouvert pour qu'il nous saisisse. Le premier signe de la réalité nouvelle, c'est être réconcilié. Le second signe, c'est être réuni. La réconciliation rend possible la réunion. La nouvelle création est la réalité où ce qui est séparé peut être réuni. L'être nouveau est manifeste en Christ parce qu'en lui jamais la séparation n'a triomphé de son unité avec Dieu, avec l'humanité et avec luir,..,, . • .J à . meme. t\:rest-ce--qu;~,-tl:0nne:--Sen-·1mage·· dans·~lês .fvângüès .une puissance irrésistible et inépuisable.\' l ~n lui, nous voyons une vie humaine qui a maintenu; ·"l'unité en dépit de tout ce qui la poussait à la sépa-: . ration. Il représente et médiatise la puissance de 'l'être nouveau parce qu'il représente et médiatise~ }~. puis~~!!~-~-ttnit
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son, il ne suffit pas qu'une partie seulement du corps ou de l'esprit soit réunie à l'ensemble, il faut que toute notre personnalité soit unie à elle-même. La création nouvelle est une création qui guérit parce qu'elle crée l'union avec soi et ,avec les autres. Rien n'est plus caractéristique du vieil être que la séparation des hommes entre eux. Rien n'est recherché avec plus de passion que la guérison sociale, l'être nouveau dans l'histoire et d~ les relations humaines. On accuse la religion et le christianisme de ne pas avoir apporté l'union dans l'histoire hm;naine. Qui peut nier le bien-fond~ de cette. accusation? ~éa~ moins l'humanité continue de vivre. Elle ne VIvrait plus si la puissance de la séparation n'avait ~té dominée d'une manière permanente par la pUissance d'union et de guérison de la création nouvelle. Chaque fois que nous so~c;s saisis par un visage humain dans son humaruté, Il nous faut surmonter une aversion, une étrangeté raciale, une opposition nationale, ou encore la différence de sexe, de beauté, d'intelligence et encore bien d'autres causes de séparation. Mais, là où elles sont surmontées, là mime apparaît la création nouvell.e. L'h~mani:é continue de vivre parce que cela arnve touJours a nouveau. Si l'Église en tant qu'~semblée de Dieu a ~ne signification ultime, elle tœnt en cela que la réuruon de l'homme avec l'homme y est proclamée, confessée et réalisée, même si tout cela est partiel, faible et déformé. L'Église est le lieu où la réunion de l'homme avec l'homme est un événement effectif en dépit du fait que fÉ~lise de J?ieu est contin~el lement trahie par les Eglises chrétiennes. La création nouvelle sauve et préserve les Églises, l'humanité et l'histoire qui la trahissent et la repoussent.
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L'Église, comme tous ses membres, est exposée à rechuter de l'être nouveau dans le vieil être, c'est pourquoi le troisième signe de la création· nouvelle est la ré-surrection. Pour beaucoup de gens, ce mot évoque un cadavre surgissant du tombeau ou d'autres images fantastiques. Mais la résurrection, cela signifie : la victoire d'un état de choses nouveau, la naissance d'un être nouveau à partir de la mort du vieil être, ici et maintenant. Là où il y a un être nouveau, là est la résurrection, c'est-à-dire la création en éternité de chaque instant du temps. Le vieil être porte les marques de la désintégration et de la mort. L'être nouveau lui fait porter une marque nouvelle. Il naît de la désintégration et de la mort quelque chose d'une éternelle signification. Ce qui, dans la dissolution, est submergé, émerge dans une nouvelle création. La résurrection a lieu hic et nunc ou elle n'a pas lieu. Elle a lieu en nous, autour de nous, dans l'âme, dans l'histoire, dans la nature et dans l'univers. La réconciliation, la réunion, la résurrection, c'est la création nouvelle, l'être nouveau, l'état de choses nouveau. Y pàrticipons-nous? -!:.te-ehci~âa :eism:~annom::e-pas-le christianisme, annonce une réalité nouvelle. Un état de choses nouveau est apparu. Il apparaît encore. Il est caché et il est visible. Il est ici et il est là. Acceptez-le, entrez-y, laissez-vous saisir par lui.
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III La puissance de l'amour
Quand le Fils de l'Homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trOne de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux de droite : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez v~tu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous !tes venus me voir. » Alors les justes lui répondront : « Seigneur, quand nous est~il arrivé "de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te v~tir, malade ou prisonnier et de venir te voir? » Et le Roi leur fera cette réponse : «En vérité je vous le dis, 45
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petlts dans la mesure où vous l'avezfait à l'un de ces plus » fait. l'avez de mes frères, c'est à moi que vous Matt lùeu 25 : 31-40. a pour « Et nous, nous avons reconnu l'amour· que Dieu
qui nous, et nous y avons cru. Dieu est Amour : celui re demeu Dieu et Dieu en re demeure dans l'amour demeu en lui. » \ I Jean 4 : 16. -vous « Je vous donne un commandement nouveau : aimez
vous les uns les autres. Oui, comme Je vous ai aimés vous tou; ceci A , autres les uns les aussi, aimez-vous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que aurez les uns pour les autres. >> Jean 13 : 34-35· Deux mille ans après, sommes-nous encore Dieu capables de comprendre ce que veut dire : « de e épîtr ière est Amour »? ~'auteu_r de la prem car ait écriv Jean con:prenalt certamement ce qu'il ure Il en a tlré les conséquences : «Cel ui qui deme ure deme Dieu et Dieu dans l'amour, demeure en nt sa en lui~ >> Dieu dem eura nt en nous, Dieu faisa chose e mêm la nous demeure en nous, c'est pour notre que demeurer dans l'am our, faire de l'am our tés réali deux pas sont ne our dei?-eure. Dieu et l'am ' té. réali e mêm et seule maJ.s une L'êtr e de Dieu est l'être de l'am our et en Dieu ie la puissance infinie de l'être est la puissance infin être re de l'am~ur.. C'est pourquoi celui qui décla ure attac hé a D1eu peut demeurer en Dieu s'il deme s'il Dieu èn dans l'am our, mais il ne demeure pas 46
parle ne demeure. pas dans l'am our. Celui qui ne eure dem s'il pas de Dieu peut demeurer en Dieu Dieu de tion festa dans l'amour. Du fait que la mani s le en tant qu'am our est s~ manifestation en Jésu ceux de coup beau Christ, Jésus peut affirmer que que qui ne lè connaissent pas lui appa rtien nent et rappa lui ne , obéir lui t beaucoup d'autres, qui disen our. l'am c'est if, décis re tiennent pas. Le seul critè euCar Dieù est amour et l'am our de Dieu est glori fié. cruci le st Chri sement manifeste en e Permettez-moi de vous raco nter l'lùstoire d'un vie la dont es, anné ues quelq a y il femme, décédée Elle s'est déroulée en dem eura nt dans l'am our. l'a elle is prononçait rarem ent le mot Dieu, si jama n qu'u quel si prononcé. Sa surprise aura it été gran de juge qui celui lui avait dit qu'elle appa rtena it à our tous les hommes parce qu'il est amo ur et que l'am t. est le seul critère de son jugemen Cette femme s'appelait Elsa Brandstrom. Elle e était la fille d'un ancien ambassadeur de Suèd de ers milli de he bouc en Russie. Mais dans la re prisonniers de guerre, pend ant la Première Guer Elle rie. Sibé de e l'Ang : mondiale, son nom était vérité fut le témoin vivant et irréfutable de cette e mêm , l'être de e ultim ance puiss que l'am our est la les i parm te comp qui noirs plus en un siècle des enplus destructifs et les plus .cruels depuis le comm cement de l'hum anité . , Au débu t de la Première Guerre mondiale ans, tre t-qua quan d Elsa Brandstrom avai t ving e elle vit dans la rue, par la fenêtre de l'ambassad de s nnier priso des de Suède à Saint-Petersbourg, rie. guerre allemands qui s'acheminaient vers la Sibé de e ssibl impo fut lui il A parti r de ce moment,
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supporter les fastes de la vie diplomatique dont elle avait été jusqu'alors l'un des points d'attraction les plus charmants. Elle se fit infirmière, et visita les camps de prisonniers. Elle y vit des horreurs indescriptibles. Cette jeune fille de vingt-quatre ans commença presque seule la batàille de l'amour contre la cruauté et elle fut victorieuse. Elle combattit la résistance et la méfiance des autorités, et elle fut victorieuse. Elle combattit la brutalité et la bassesse des geôliers et elle fut victorieuse. Elle devait combattre le froid, la faim, la saleté et la maladie au milieu des conditions de vie difficiles d'un pays sans développement et au cours d'une guerre destructrice. Elle remporta la victoire. L'amour lui donnait la sagesse avec l'innocence et l'audace avec la prudence. Où apparaissait Elsa Brandstréim, le. désespoir était vaincu, et la douleur soulagée. Elle visitait les affamés et elle leur donnait à manger. Elle voyait des assoiffés et elle leur donnait à boire. Elle accueillait les étrangers, donnait un vêtement à ceux qui étaient nus, · et réconfortait les malades. Elle tomba malade. Elle fut mise en prison. Dieu demeurait en elle. La puissance irrésistible de l'amour était en elle. Elle n'a jamais cessé d'être conduite par cette puissance. Après la guerre, elle a créé une œuvre pour ·les orphelins des prisonniers de guerre allemands et russes. La voir parmi des enfants dont elle était le soleil toujours radieux a dû marquer bien des gens d'une empreinte religieuse décisive. Avec l'avènement des nazis, son mari et elle durent quitter l'Allemagne et ils se rendirent aux États-Unis. Là, elle est venue en aide à d'innombrables réfugiés européens. Pendant dix ans, j'ai pu voir le génie 48
créateur de son amour. Nous n'avons jamais parlé ensemble de théologie. Ce n'était pas nécessaire. Elle rendait Dieu transparent à chaque instant. Dieu, qui est amour, demeurait en elle et elle en Dieu. Elle fut aimée de millions de gens et, par elle, ils ont aimé ce qui transparaissait en elle : Dieu, qui est amour. Elle reçut à son lit de mort un délégué du roi de Suède et du peuple suédois venu au nom d'une multitude d'Européens l'assurer qu'elle ne serait jamais oubliée de ceux à qui elle avait rendu une raison de vivre. C'est un grand privilège que de rencontrer un être humain en qui l'amour (c'est-à-dire Dieu) est manifeste d'une manière aussi irrésistible. Cela sape toute arrogance théologique et toute possibilité d'isolement pieux. C'est plus que la justice. C'est plus grand que la foi et l'espérance. C'est la présence de Dieu. Dieu est amour. A chaque instant d'amour authentique nous demeurons en Dieu et Dieu demeure en nous.
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IV La règle d'or
« Dieu est Amour : celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Dieu, personne ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli. » I Jean 4 : I-6-et---LZ. n. - ! ? « Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes. >~, Matthieu 7 :t-H?.
J'ai eu l'oçeasion, dernièrement, de réfléchir au rapport de l'amour et de la justice, et mon attention a été retenue par le fait gue, dans les paroles de Jésus, on trouve une version de ce qu'on appelle la «Règle d'or ». La règle d'or était bien connue des Juifs et des Grecs, mais, il est vrai, le plus souvent,
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sous sa forme négative : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu'ils vous fassent. » Sous sa forme positive, la règle d'or est certainement plus riche de sens et plus proche de l'amour, mais elle n'est pas une expression de l'amour. Elle exprime une justice calculatrice. Quel est son rapport avec l'amour? Comment s'accorde-t-elle avec l'annonce du Royaume de Dieu et de sa justice, tel qu'il est décrit dans le Sermon sur la Montagne, texte où se trouve la règle d'or? · Pensons à une journée ordinaire de notre vie et aux occasions qu'elle nous o:ffi-e d'appliquer la règle d'or. Nous nous rencontrons dès le matin. Nous attendons un visage ou une parole amicale et nous sommes prêts à l'offrir à d'autres, bien que déjà nos esprits soient remplis par les préoccupations, les soucis et les fardeaux de la journée. Quelqu'un demande un peu de notre temps limité, nous le lui donnons, car nous avons déjà demandé à quel. qu'un d'autre un péu de son temps.Nousavons besoin d'aide et nous en donnons si l'on nous èn demande, bien que cela comprenne une part de sacrifice. Nous sommes francs envers les autres en espérant qu'ils seront francs à notre égard, même si cela peut nous blesser. Nous sommes loyaux à l'égard de ceux qui luttent contre nous en espérant qu'ils seront loyaux à notre égard. Nous participons au chagrin d'autrui, certain qu'il prendra part au nôtre. Tout cela peut arriver au cours d'une seule journée. Tout cela, c'est la règle d'or. Si quelqu'un viole consciemment ou inconsciemment cette règle, nous voulons bien lui pardonner comme nous espérons être pardonnés. Il n'est donc pas étonnant que beaucoup .de gens considèrent la règle d'or
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comme le vrai contenu du christianisme. Il n'est pas surprenant non plus de constater qu'avec la règle d'or, on en vienne à supprimer la critique, à décourager l'action indépendante, à éviter les problèmes sérieux. Il est même compréhensible que les hommes d'État demandent à d'autres nations de se comporter à l'égard de la leur conformément à la règle d'or. Jésus lui-même ne déclare-t~il pas que la règle d'or, c'est toute la Loi et les Prophètes? Pourtant, nous savons que telle n'est pas la réponse du Nouveau Testament. Le grand commandement tel que Jésus le réitère, la description de l'amour chez Paul, et l'affirmation stupéfiante de Jean : «Dieu est amour », transcendent infiniment la règle d'or. Elle doit être transcendée parce qu'elle ne nous dit pas ce que nous devrions souhaiter que les autres nous fassent. Nous souhaitons être libérés des tâches trop. lourdes. Nous so~~~,~P.!~ }~, . accorder cette liberté aux autres. !Mais cehu _qui \ ·:n.ous aime refuse de nous· doDiier~cette liberté et il 3 · se refuse à la demander pour lui-même. S'il ne s'y t refusait pas, il nous faudrait la lui refuser parce que l cela freinerait notre croissance et violerait la loi i ·..9-!trfi.fupur ,.rNüùitd.ésfroris·-recêvofr ·ûn:e ·fôrfU."iîê 'Ciiif assurerait notre sécurité et notre indépendance. Nous serions prêts, si nous l'avions, à donner une fortune à un ami qui nous la demanderait. Dans ces deux cas, l'amour serait violé. Le don nous ruinerait l'un et l'autre. Nous voulons être pardonnés et nous sommes prêts à pardonner.. Dans ces deux cas, il s'agit peut-être d'une tentative pour échapper au sérieux d'un problème personnel et, par conséquent, cela irait contre l'amour. La mesure de ce que nous devons faire aux
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autres n'est pas ce que nous souhaitons qu'ils nous fassent, parce que nos désirs ne sont pas seulement l'expression du bien, mais aussi du mal, et bien plus de notre folie que de notre sagesse. Voilà la limite de la règle d'or. C'est la limite de la justice calculatrice. La règle d'or n'est valable d'une manière décisive que pour celui qui sait ce qu'il doit souhaiter et qui le souhaite effectivement. Seul l'amour peut transformer la justice calculatrice en justice créatrice. l:l·arn.ou:JY-"rend.,juste-la".JustiGe. Sans l'amour, la justice n'est qu'injustice parce qu'elle ne rend justice ni au prochain, ni à soi, ni à la situation où nous nous rencontrons. A tel endroit, à tel moment, l'autre et moi, nous sommes l'occasion unique et irréitérable qui appelle une manifestation irréitérable de l'amour qui unit. Si cet appel n'est pas entendu par l'amour à l'écoute, s'il n'est pas obéi par le génie créateur de l'amour, l'injustice est faite. Cela est vrai même pour soi. Celui qui aime entend l'appel de son centre le plus intime. Il obéit à cet appel, il fait justice à son propre être. L'amour ne supprime pas la justice. L'amour fonde la justice. Il n'ajoute rien à ce que fait la justice mais il montre à la justice ce qu'elle doit faire. Il rend la règle d'or possible. Nous ne plaidons pas la cause d'un amour qui anéantirait la justice: Il n'en sortirait que chaos et destructions. Nous plaidons la cause d'un amour où la justice est la structure et la forme de l'amour. Nous plaidons la cause d'un amour qui respecte le droit de l'autre à être reconnu tel qu'il est, et le droit que nous avons d'être reconnus tels que nous sommes, c'est-à-dire avant tout comme des personnes. Seul un amour faussé, simple masque à l'hostilité et au dégoût de
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soi, peut renier ce que l'amour unit. L'amour r.e.FJ.~ justice. L'amour de Dieu est un amour qu1 justifie, accepte et accomplit celui .qui devrait être rejeté d'après la justice calculatrice. La justification de celui qui est injuste est l'accomplissement _de la justice créatrice de Dieu et de son amour réurufiant.
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v De la guérison (Ire partie)
«Ayant appelé ses douze disciples, il leur donna autorité sur les esprits impurs, avec pouvoir de les expulser et de guérir n'importe quelle maladie ou langueur. >> Matthieu ro : r. <x~ '=' ,l" Il y a quelque temps, j'ai passé trois mois en . Allemagne et ce que j'y ai vu, c'est un peuple malade: malade en chacun de ses membres et malade dans ·son ensemble. Le visage des Allemands m'a paru buriné par des fardeaux trop lourds et par des chagrins trop profonds pour être oubliés. Ce que les visages laissaient paraitre était confirmé par les paroles. On m'a fait des récits horribles de douleurs et de désespoirs, d'angoisses, de contradictions et de confusions dans les esprits. Si vous regardez en eux plus au fond, vous trouvez un sentiment de culpa-, bilité, tantôt exprimé, tantôt réprimé. Il se cache;:
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sous le rejet passionné de la culpabilité, sous· les excuses qu'on se donne, et sous l'accusation des autres, dans un mélange d'hostilité et d'humilité, de compassion de soi et de haine de soi. La nation est déchirée extérieurement par le conflit entre l'Est et l'Ouest qui divise politiquement et spirituellement toute l'human ité. Elle est aussi divisée intérieurement. D'anciennes animosités couvent et de nouvelles animosités croissent. Il n'y a pas de paix. Voilà une nation malade. J'ai trouvé aussi dans cette nation des gens en pleine santé. Certes, la maladie était aussi inscrite sur leurs visages. Mais en eux il y avait encore autre chose. Une puissance de guérison les rendait sains en dépit de leurs déchirements, .les rendait sereins en dépit de leurs chagrins. Cette puissance de guérison en fait des exemples de ce qui peut et devrait nous arriver! Nous arriver *! Ne sommes-nous pas une nation en pleine santé? C'est certainement ce que nous croyons, quand d'Allemagne et d'Europ e nous revenons aux États-Unis! Le visage des gens d'ici est façonné par le sourire et non par les larmes. On se montre bienveillant les uns à l'égard des autres, et même envers les ennemis. Les gens veulent bien admett re des erreurs comme la discrimina tian raciale, l'exploitation et la compétition destructrices. Ils ont l'habitu de d'agir spontanément, et non pas sous la contrai nte imposée par un tyran ou par des conquérants, et même, ce qui peut être est plus difficile, sous la contrai nte des journaq x, de la radio, des sondages d'opini on publique, ces tyrans de la
* L'auteur prend ici le point de vue du citoyen des ÉtatsUnis qu'il est devenu après son départ d'Allemagne en I933· (N.d.T.)
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démocratie moderne. Voilà une nation en bonne santé! Mais nous apprenons que, dans cette nation, près de quaran te pour cent des jeunes gens exemptés du service militaire le sont pour troubles mentau x et en raison de leur inadapt ation. Nous apprenons également que, de toutes les maladies, les maladies mentales sont les plus répandues dans ce pays. Qu'est-ce que cela veut dire? C'est le symptôme d'un danger sérieux qui menace notre santé. Il y a peutêtre dans la structu re de nos institutions quelqu e chose qui rend malades de plus en plus de gens. Il se peut, par exemple, que le sentime nt d'insécurité provoqué par la compétition impitoyable et sans frein rende de plus en plus malades, dans notre nation en pleine santé, ceux qui sont les victimes de la compétition comme ceux qui réussissent le mieux. II se passe quelque chose de surpren ant : nous avons lutté victorieusement contre de nombreuses maladies physiques. Nous avons découvert des remèdes presque miraculeux. La longueu r moyenne de la vie s'est allongée au-delà de toute attente. Dans notre pays beaucoup ne suppor tent pas cette santé. Ils cherchent dans la maladie un refuge où échapper à la dureté d'une vie sans sécurité. Du fait que le contrôle médical rend difficile l'évasion dans la maladie physique, on choisit la maladie mentale. Mais, dira-t-on, les souffrances, l'inconfort et l'insécurité qui accompagnent la maladi e ne sont-ils pas détestés par tout le monde ? Bien sûr, une partie de nous-même la déteste, mais d'autre s s'y complaisent, souvent d'une manière inconsciente, et parfois d'une manière consciente. Il est impossible de guérir d'une maladie, et en particu lier des maladies
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et des désordres mentaux, sans désirer de tout son cœur la guérison. Voilà pourquoi ces maladies sont devenues presque épidémiques dans ce pays. Les gens cherchent une évasion dans des situations où d'autres doivent s'occuper d'eux, et où ils peuvent manifester leur puissance dans leur faiblesse; ou bien se créer un monde imaginaire où vivre agréablement, tant que la vie réelle ne les touche pas. N.e sousestimez pas cette tentation. L'insécurité fondamentale de l'existence humaine et son accompagnement d'angoisses se font sentir partout et chez tout le monde. C'est un héritage de l'homme, et il se trouve largement accru dans le monde actuel, même dans des pays en pleine vigueur et en pleine santé. Au temps de Jésus, comme en notre temps, on parlait beaucoup de maladie et de guérison. Les Juifs et les Grecs ont beaucoup écrit sur ce sujet. Les gens avaient l'impression de vivre dans un siècle malade. Ils l'appelaient : <
la découverte de la puissance destructrice de l'atome.
A partir de la connaissance qu'ils avaient de la maladie de leur siècle, ils ont posé la question d'un âge nouveau et d'une réalité de guérison et de plénitude. On attendait le salut et un sauveur. Le salut, c'est la guérison. Le sauveur, c'est le médecin. C'est pourquoi Jésus répond· à Jean-Baptiste, qui lui demande s'il est ou non le sauveur, en indiquant son pouvoir de guérir. Voilà ce qu'il dit : «Si je suis capable de guérir les sourds et les aveugles, si je suis capable de libérer les malades mentaux, alors l!ne réalité nouvelle s'est approchée de vous! » Les Evangiles nous rapportent de nombreuses histoires de guérison, véritables pierres d'achoppement pour les savants, les prédicateurs et les professeurs qui les tiennent pour des récits de miracles du passé au lieu de les tenir pour des récits de guérison dans le présent. Car elles sont là pour cela. Elles nous montrent la condition humaine, la relation de la maladie physique avec la maladie mentale, de la maladie avec la culpabilité, du désir de guérir avec la crainte d'être guéri. Il est étonnant de constater à quel point beaucoup de nos conceptions modernes les plus profondes sur la nature humaine sont préfigurées dans ces histoire'.!. On y voit que recouvrer la santé, c'est trouver une intégrité\ une harmonie des fonctions physiques et psychiques. Ces récits de guérison nous font voir que les malades mentaux I. Dans ce texte et les suivants, le terme anglais wkole : sain, en bonne santé, est traduit par « intégrité » ou par « intègre » suivant les cas, pour le distinguer de kealtky traduit toujours par : sain, en bonne santé. On notera une fois pour toutes que le terme anglais wkole évoque une idée de plénitude, de totalité que ne suggère pas le terme français proposé. (N.d.T.)
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ont peur du· processus de guérison parce qu'il les fait sortir de l'abri sans doute limité mais sécurisant de leur isolement névrotique. Ils savent que le processus de la guérison mentale est difficile et pénible, et qu'il s'accompagne de convulsions cor,porelles et psychiques. Ils nous parlent du rapport de la culpabilité et de la maladie. Ils nous disent comment des conflits de conscience irrésolus peuvent produire ces clivages du corps et de l'âme que nous appelons les maladies. On nous raconte comment Jésus, sachant cela, a d'abord annoncé le pardon de ses péchés à un paralytique avant de lui faire recouvrer la santé. Cet homme luttait intérieurement contre son sentiment de culpabilité et sa maladie provenait de ce conflit intérieur. Après le pardon que Jésus lui a donné, il s'est senti réconcilié avec lui-même comme avec le monde et il a recouvré la santé. Dans notre nouvelle psychologie des profondeurs, bien peu de choses dépassent ces intuitions-là en profond,eur .et en vérité. Ces récitS nous parlent aussi de l'attitude qui rend possible la guérison.· Ils l'appellent la foi. Foi ne veut pas dire ici croyance en des affirmations non évidentes. Jamais la foi n'a ce sens dans une religion aqthentique. On ne devrait jamais l'employer dans ce sens. La foi signifie être saisi par une puissance. plus grande que soi, par une puissance qui nous secoue et nous retourne, qui nous change et nous guérit. La foi est l'abandon à cette puissance. Ceux que Jésus pouvait guérir et qu'il a guéris étaient ceux qui s'abandonnaient à cette puissance présente en lui; qui abandonnaient leur personne, leurs divisions et leurs contradictions internes, le dégoût et le désespoir vis-à-vis de soi-même, la haine de soi et,
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par conséquent, l'animosité envers les autres; la frayeur de la vie alourdie par les sentiments de culpabilité, l'éloignement d'autrui dans la solitude ou l'évasion dans les autres, enfin la tentative d'échapper aux menaces qui pèsent sur l'existence dans la sécurité douloureuse et trompeuse des maladies mentales et physiques. Comme tels, ils s'abandonnaient à Jésus et cet abandon est ce que nous appelons la foi. Jésus ne les gardait pas auprès de lui comme, en effet, doit le faire quelqu'un qui apporte une aide efficace. Il les rendait à eux-mêmes comme des créatures nouvelles, guéries et intègres. Quand Jésus mourut, il a laissé un groupe de personnes qui, en dépit de beaucoup d'angoisses et de beaucoup de dissensions, de faiblesses et de fautes, avaient la certitude d'avoir été guéries, et qui pensaient que cette puissance de guérison parmi eux était assez grande pour conquérir les individus et les nations par toute la terre. Nous appartenons à ce peuple, si nous sommes saisis par la réalité nouvelle qui est apparue en Jésus, et nous avons nous aussi sa puissance de guérison. On a appelé Jésus un médecin. C'est au médecin que nous nous adressons en premier lorsque nous cherchons la guérison. Voilà qui est bien. Comme toutes les générations le savent, il y a dans la nature une puissance de guérison. On peut opérer beaucoup de guérisons en utilisant sagement cette puissance et en la secondant habilement. Ceux qui méprisent cette aide, et s'en remettent à la puissance de leur volonté, ignorent à la fois les possibilités destructrices et la bienveillance constructive de la nature. Ils ne savent pas que notre corps comprend non seulement des forces discordantes mais aussi des forces concor-
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dantes. Le grand médecin est celui qui n'ampute pas facilement le corps de l'une ou l'autre. de ses parties, et qui ne supprime pas une fonction en faveur d'une autre, mais qui fortifie l'ensemble, de telle manière que dans l'unité du corps les éléments en conflit puissent être réconciliés. C'est possible tout au long de notre vie même quand notre corps garde d_es traces profondes de conflits antérieurs. Le :médecin peut nous aider. Itpeut nous maintenir en vie. Peut-il nous donner l'intégrité? Peut-il nous donner le salut? Certainement non, si le désaccord, la division, l'agitation sont la règle de notre vie mentale. Certainement non, s'il n'y a pas d'unité et par conséquent pas de liberté dans notre âme et si nous sommes possédés par des compulsions et par des fantasmes, par une angoisse désordonnée et par une agressivité débridée. Certainement non, si le désordre mental nous menace ou nous a investi. Si nous voulons être guéris, nous devons rechercher l'aide d'amis, de conseillers, d'analystes ou de psychiatres. Et ceux-ci, !l'ils savent que faire, vont s'efforcer d'aider en nous la puissance guérissante de notre âme. Ils ne font pas appel au pouvoir de notre volonté. Ils ne recherchent la destruction ou la suppression d'aucune tendance. Ils travaillent à la· réconciliation des forces qui se combattent en nous. Ils nous acceptent tels que nous sommes. Ils font tout leur possible pour que nous puissions nous voir honnêtement et lucidement, afin que nous puissions comprendre les étranges mécanismes qui nous font souffrir, les réduire en réconciliant les unes avec les autres les forces authentiques de notre âme et ainsi retrouver la liberté de penser et d'agir.
L: conseiller psycho~ogique, le psychiatre peut nous a1der. Il peut nous libérer. Peut~il nous donner l'intégrité? Peut-il nous donner ·le salut? Certainement non, si nous ne sommes pas capables d'user de notre liberté et si nous sommes dominés par les conflits tragiques de notre existence. Aucun de nous n'est isolé. Nous avons un passé, une famille une classe sociale, un groupe, une nation, une culture. Toujours et partout, la santé et la maladie sont en lutte l'une contre l'autre. Comment être dans l'intégrité si la c~ture est divisée en elle-même, si chaque valeur est mée par une autre valeur si toute vérité . en question, si toute décision ' est bonne et est ffilSe mauvaise en même temps? Comment être dans l'intégrité si les institutions dans lesquelles nous vivons créent des tentations, des conflits et des catastrophes trop lourdes à porter pour chacun de nous? Comment demeurer dans l'intégrité si nous sommes en rapport et parfois d'une matière intime avec des personnes en désaccord avec elles-mêmes hostiles les unes à l'égard des autres, ou si no~ avons vécu avec un peuple, des individus, un groupe ou des nations irréconciliés et malades? Voilà la situation de chacun d'entre nous. Cette situation agit sur notre vie personnelle et rompt l'accord que nous avions atteint. La réconciliation de l'âme et même celle du corps se brisent dans la rencontre avec la réalité. 9-ui soigne la réalité? Qui nous apporte une réalité nouvelle? Qui réconcilie les · forces en conflit dans notre existence tout entière? Notre regard ~e i?ur?-e vers ceux qui sont responsables de nos mstitutions et de notre histoire, vers nos chefs, vers nos hommes d'État, vers nos fonctionnaires, vers les gens cultivés, vers les braves
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Am.out gens et vers les masses révolutionnaires. En chacun d'eux, il y a une puissance de guérison, sinon l'histoire prendrait fin. On comprend qu'on en soit venu au temps de Jésus à appeler <<Sauveur >>et<< Médecins » les chefs justes. Ils peuvent maintenir la vie sur la terre. Peuvent-ils nous rendre intègres? Peuvent-ils nous apporter le salut? Ils ne le peuvent pas, car ils _ont eux-mêmes besoin d'être dans l'intégrité et ils recherchent le salut. Qui soigne le médecin? Dans l'ancienne réalité, il n'y a pas de réponse à cette question. Chacun, chaque institution est contaminée, le médecin comme celui qui est en traitement. Seule u;ne réalité nouvelle peut nous apporter l'intégrité en faisant irruption dans l'ancienne réalité, pour la réconcilier avec elle-même. Voici la foi du christianisme, une foi humainement incroyable, une foi extatique, souvent battue mais jamais vaincue; cette réalité nouvelle, toujours à l'œuvre dans l'histoire, est apparue dans sa plénitude et dans sapuissance en Jésus, le Christ, le Médecin et le Sauveur. On dit cela de lui parce que lui seul ne donne pas une autre loi à la pensée et à l'action, parce qu'il n'ampute rien ni ne supprime rien dans ce qui appartient à la vie, car il est la réalité de la réconciliation; en lui une nouvelle réalité est venue à nous, où nous-mêmes, dans toute notre existence, sommes acceptés èt réunifiés. Nous savons bien, quand nous confessons cette foi, que la vieille réalité des conflits et des maux n'a pas disparu, que notre corps souffre et meurt, que notre âme est sans repos et que notre monde est un champ de bataille des individus et des groupes, mais nous savons aussi que la réalité
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nouvelle ne peut être expulsée. Nous vivons d'elle, même quand nous ne la connaissons pas, car il s'agit de la puissance de réconciliation dont l'œuvre est int~grité et dont le nom est amour.
De la guérison (ze partie)
« Le SeignetJr guérit les cœurs brisés et bande leurs blessures. » Psaume 147 : 3· «Bénis le Seigneur, mon âme••• Il te guérit de toute maladie, Il rachète à la fosse ta vie. » Psaume xo~;,: 2-4-
Comment représentons-nous Jésus le Christ? Peu importe ici que nous le représentions avec des traits et des couleurs à la manière des grands peintres chrétiens de toutes les époques, ou avec des mots comme les prédicateurs dans leurs sermons, dimanche après dimanche, ou dans de savants livres de théo• logie biblique ou systématique, ou bien encore dans nos cœurs avec piété, imagination et amour. Dans 6g
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chaque cas nous devons répondre à la question : comment représentonsMnous Jésus le Christ? Les récits de l'Évangile selon Matthieu apportent une contribution à la réponse. Ils introduisent une nuance, une expression, un trait. intense en repréM sentant Jésus en médecin. Il est curieux de constater que cette coloration, cette expression très vive de sa nature, ce trait puissant de son caractère s'est perdu peu à peu au cours des âges. L'image grisâtre du maitre de morale, l'expression tendue du réformateur, les traits doux du serviteur souffrant ont prévalu, du moins chez les peintres, les théologiens et les auteurs de <> veut dire <<MédeCin »,c'est-à-dire quelqu'un qui soigne ce qui est brisé et malade dans le corps et dans l'esprit. La femme qui a rencontré Jésus a été guérie. Le démoniaque qui l'a rencontré a été libéré de ses scissions mentales. Ceux qui sont brisés, partagés, ou en pleine désintégration de la personnalité, sont guéris par Jésus. Parce qu'il en est ainsi, parce que cette puissance est apparue sur la terre, le Royaume des cieux est venu vers nous. Voilà la réponse que Jésus donne aux pharisiens quand ceux-ci discutent son pouvoir de guérir les possédés mentaux. C'est aussi la réponse qu'il a faite à Jean-Baptiste pour surmonter ses doutes. C'est aussi l'ordre à ses disciples quand il les a envoyés vers les cités d'Israël.:
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«Chemin faisant, proclamez que le Royaume des cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. >> Voilà ce qu'ils doivent faire, et, pour cela, il leur donne autorité et puissance, car en lui le Royaume de Dieu est apparu, ce Royaume dont la nature est salut, guérison de ce qui est malade, intégrité de ce qui est brisé. Sommes-nous encore capables de faire l'expérience de cette puissance? Je ne parle pas ici des inhibitions théologiques quant à cette image du Christ. Elles ne pèsent pas lourd. Bien sür, pendant plusieurs décennies, les récits de miracles nous ont plongés dans l'embarras. Atùourd'hui nous savons ce que le Nouveau Testament a toujours su, que les miracles sont des signes signalant la présence d'une puissance divine dans la nature et dans l'histoire, et qu'ils ne sont en aucun cas des négations des lois naturelles. Évidemment, nous étions et nous so:rnrÙes mal à l'aise devant l'abus de la guérison religieuse à des fins commerciales et autres buts lucratifs, ou devant sa déformation en pratiques magiques et i>uperstitieuses.L'abussurvientlàoùle bon usage a disparu. La superstition apparait là où la foi est devenue faible. Voilà des problèmes sérieux. Une bonne théologie et une bonne pratique peuvent les résoudre. Mais le problème le plus sérieux est toujours le problème de notre propre existence. Sommes-nous guéris? Avons-nous reçu ici et maintenant de la puissance de l'image de Jésus le Sauveur un pouvoir de guérir? Sommes-nous saisis par cette puissance? Est-elle suffisamment forte pour surmonter nos tendances névrotiques, la révolte de nos poussées
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inconscientes, les scrss1ons de notre être conscient, les maladies qui désintègrent et ·notre esprit et notre corps? Avons-nous surmonté en des instants de grâce rangoisse qui torture les profondeurs de notre cœur, l'agitation qui jamais ne cesse de nous mouvoir et de nous fouetter, les désirs désordonnés et les répressions cachées qui reviennent ensuite sous forme de haine empoisonnée, d'animosité envers nous-même, envers autrui et envers la vie? Avonsnous surmonté cette secrète volonté de mort! Avons-nous fait l'expérience de temps en temps, à des instants de grâce, que nous so;rn:mes rendus intègres, que les esprits destructeurs nous ont quittés, que les contraintes psychiques se sont dissoutes, que les mécanismes tyranniques de notre âme sont remplacés par la liberté, que le désespoir (la plus dangereuse des divisions intérieures) qui est la maladie qui mène à la mort vient d'être guéri et que nous sommes sauvés de l'autodestruction? Est-ce que cela nous est arrivé grâce à la puissance de l'image de Jésus le Sauveur? Voilà le vrai problème, le vrai problème christologique (pour parler théologiquement), la question de vie et de mort (pour parler humainement) pour tous les chrétiens et pour la chrétienté d'aujourd'hui. Pour être guéri, allons-nous seulement chez le médecin, chez .le psychanalyste, chez le psychologue? De temps en temps nous allons les voir. Mais allons-nous aussi voir- pour parler précisément - recevons-nous la puissance curative de l'image de Jésus le Christ qu'on appeUe le Sauveur? Voilà une question qui se pose à nous, et la réponse nous est donnée par ceux qui peuvent nous dire qu'ils ont fait l'expérience de sa puissance curative, que l'être nouveau a saisi leur corps et leur âme et qu'ils
sont redevenus intègres et sains, que le salut est venu à eux. Non pas sans cesse, mais en ces instants qui sont des instants de grâce et où s'anticipe l'intégrité parfaite, l'intégrité de l'être de Dieu en tous. Pouvonsnous adopter cette réponse?
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Un saint gaspillage
« Comme Jésus se trouvait à Béthanie, che;; Simon le lépreux, alors qu'il était à table, une femme vint avec un flacon d'albâtre contenant un nard pur, de grand prix. Brisant le flacon, elle le lui versa sur la t~te. Or il y en elit qui s'indignèrent entre eux : «A quoi bon ce gaspillage de paifum t Ce paifum pouvait ~tre vendu plus de trois cents deniers et donné aux pauvres. » Et ils la rudoyaient. Mais Jésus dit : << Laisse;;-liz : pourquoi la tracasse;;-vous t C'est une bonne œuvre qu'elle a accomplie sur moi; les pauvres, en riffet, vous les aure;; toujours avec vous et, quand vous le voudre;;, vous pourre;; leur faire du bien, mais moi, vous ne m'aure;; pas toujours. Elle a fait ce qui était en son pouvoir : d'avance elle a paifumé mon corps pour l'ensevelissement. En vérité je vous le dis, partout oi'l sera proclamée la Bonne Nouvelle, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu'elle vient de jaire. » Marc 14 : 3-9.
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Qu'a-t-elle fait? Elle a donné un exemple de gaspillage et, au dire de Jésus, c'est une très belle chose. C'est, si l'on peut dire, un saint gaspillage un gaspillage qui provient de l'abondance du cœur: Cette femme représente l'élément extatique dans notre relation à Dieu, tandis que les disciples représentent l'élément raisonnable. Qui peut reprocher aux disciples de s'être fâchés à cause du gaspillage fantastique que cette femme a provoqué! Certainement pas le diacre qui a le soin des pauvres, ni le-t.mvaillettr-soeial qui connaît des cas de misère noire qu'il ne peut secourir; ni l'administrateur d'Église qui doit rassembler de l'argent en vue de la réalisation d'un projet important. Les disciples ne seraient certainement pas critiqués par une personnalité -éqt&'iÏ'ibe;~e capable de contenir ses réactions affectives et pour laquelle il"':;-/:: -€e~ait=plus=qujabsurde de penser faire ce qu'a fait la femme. Jésus a ressenti la chose d'une manière c. y: •.• ~te différente, et de même l'Église primitive. J.Js lclf'-"~ ~·savaient que rien de grand ne peut arriver sans l'abondance de cœur. Ils savaient que la religion dans les limites du raisonnable est une religion mutilée. Ils savaient que l'amour calculateur n'est plus du tout l'amour. jésus n'a pas cherché à savoir quelle ~roportion~d'erôs et quelle proportion d'agapê, de Pfl~Ion humame et de compréhension, pouvait. bien ~l,."i;r~trt.. cette femme. Il a vu l'abondance de cœur et l'a acceptée sans en analyser la composition. Certes, il est des circonstances où il faut analyser ses pro~res motivations et celles des ~utres. {N-GUS 'r
.---devens-e:tt:e-a.Jl....Q0urant-.de-Ja-ce>mplexrté-d~s-moti
--va1ie>ns-h:umaines} Mais cela ne doit pas nous empêcher d'accepter le gaspillage d'un abandon sans
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calcul ni nous empêcher de nous gaspiller nousmêmes au-delà des limites de la loi et de la raison. L'histoire de l'humanité est l'histoire d'hommes et de femmes qui se sont donnés sans crainte. Ils n'ont pas craint le gaspillage des autres, d'euxmêmes et des choses au service d'une création nouvelle. Ils ont été justifiés parce qu'ils ont gaspillé tout cela d'abondance de cœur, comme Dieu luimême dans la nature et dans l'histoire, dans la création et dans le salut. Ces monstres de la nature que Yahvé mentionne dans sa réponse à Job, que sont-ils sinon des signes de l'abondance divine? Le Dieu de Luther, qui agit avec héroïsme et sans règle, n'est-ce pas ce Dieu gaspilleur qui crée et puis détruit pour recréer? Le protestantisme n'a-t-il pas beaucoup perdu en perdant l'abandon généreux des saints et des mystiques? Ne sommes-nous pas menacés par un utilitarisme religieux et moral toujours en train de poser la question raisonnable du « pourquoi », la question des disciples à Béthanie? Il n'y a pas de création divine ou humaine sans une abondance de cœur créatrice qui, elle, ne demande pas : << à quoi cela sert-il »? Nous savons à quel point le manque d'amour pendant les premières années de la vie est destructeur pour la vie mentale. Mais savons-nous que le manque d'occasion de nous donner sans compter est tout aussi dangereux? Chez beaucoup de gens il y a eu une abondance de cœur, que les lois, les conventions, une maîtrise de soi trop sévère ont réprimée et qui est morte. Beaucoup de gens sont malades non seulement parce qu'ils n'ont pas reçu assez d'amour, mais parce qu'ils ne sont pas autorisés à aimer et à se gaspiller
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sans compter. N'essayez pas de supprimer en vousmêmes ou· chez les autres l'abondance de cœur, le g~pillage de l'abandon, l'EsE~ ui transgresse toute · votre temps raiSon. Ne gardez pas avec~.· et votre force pour ce qui est utile et raisonnablé. Soyez ouverts à l'instant créateur qui peùt apparaître au milieu de ce que vous croyez être du gaspillage. Ne réprimez pas en vous le mouvement qui pousse àrfaire ce qu'a fait la femme à Béthanie. Vous serez sans doute critiqués par les disciples comme la femme l'a été. Mais Jésus était de son côté et il sera aussi du vôtre. La plupart de ceux qui sont des grands du Royaume de Dieu ont suivi son exemple. Les chrétiens raisonnables de tous les siècles se souviendront de vous comme ils se souviennent de la femme de Béthanie. ·Jésus établit un rapport entre l'onction de son corps et sa mort. 11 y a une onction des rois au début de leur règne, et il y a une onction des cadavres comme un dernier .don des vivants au défunt. Jésus parle de cette dernière. {Il aurait pu parler aussi de la précédente.) Ce faisant, il transforme en ~utre ·chose l'extase de la femme et 1~ raisonniftilitl des disciples. Sa mort fait de la moral~ raisonnable des disciples un paradoxe : le Messie, l'Oint, doit se gaspiller lui-même pour devenir le Christ· et l'aban~on e~t~tique de, la _femme est purifié ;ar la mort 1gnonnmeuse de 1 obJet de sa ferveur illimitée. Dans un cas comme dans l'autre, il nous est demandé d'accepter un acte plus radical, plus divin, plus sauveur que le gaspillage extatique et que le service raisonnable. La croix ne désavoue pas le saint gaspillage l'abandon extatique. Elle est le plus complet e~
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le plus saint des gaspillages. La croix ne désavoue pas l'action réfléchie, le service raisonnable. C'est l'accomplissement de toute la sagesse dans le plan du salut. Dans l'amour qui s'abandonne soi-même sur la Croix se trouvent unis la raison et l'extase, l'obéissance morale et le saint gaspillage. Puissionsnous avoir l'abondance de cœur pour nous gaspiller sans compter, puisEJ.ue-G~st-n:etr.e.sewi<Je-J?aiseRna-bl<:J..
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VII Les principautés et les puissances ?.,
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« Oui, j'en ai l'assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni prqfondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » Romains 8 : 38-39·
Ces mots comptent parmi les plus puissants jamais écrits. Ils peuvent se faire. entendre dans les ·situations les plus désespérées.fD;après ma propre~r ., ·expérience, ils peuvent se faire entendre malgré ' l'explosion des bombes, malgré les sanglots sur le · bord des tombes, malgré le gémissement des malades et le râle des mourants. Ces mots sont plus forts que l'autocritique de ceux qui désespèrent d'euxmêmes et ils parviennent à dominer les chuchotements de l'angoisse dans les profondeurs de notre/' . être~ Qu'est-ce qui leur donne cette puissance?
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Ce n'est pas leur sens littéral, car à bien des égards il nous est étranger. Les anges e\ les ,p~ cipautés, la .hauteur et la profondeur, et meme la. Vle et la mort, tout cela représente les constellatwns d'étoiles qui d'après des croyances anciennes âéter• minent le destin des hommes et de l'histoire. Les hommes sont en leùr pouvoir. Mus par la crainte et combattant pour le courage, ils sont parfois victorieux et le plus souvent vaincus. C'était la condition des hommes auxquels Paul s'adressait. Dans ses lettres, à plusieurs reprises, il a résumé la signification du christiarÜsme en déclarant que le Christ avait conquis les puissances qui gouvernent le ,monde, n;~is null~ part ce message n'est formulé d ~ne man1er~ au~s1 triomphale que dans ces termes s1 beaux et s1 pUissants de l'épître aux Romains. Si ces mots ont un tel pouvoir aujourd'hui sur nous, c'est qu'ils doivent dire quelque chose dont nous éprop.vons la vérité, même quand nous ne partageons plus les anciennes croy;mces au sujet des étoiles et de leurs constellations. :ces mots désignent ' i des puis;ances qui nous tiennent sous leur emprise : et avec nous les hommes de tous les âges de l'histoire ' la création ' tout entière. Ces mots nous signalent dans ce qui peut nous donner la certitude que ces puissances ne prévaudrontpas contre nous parce qu'elles· ont été vaincues et que nous pouvons participer à la_. victoire. ·~ · Qui, au cours des dernières années et tout au long de ce siècle, n'a senti les forces irrésistibles qui déterminent le destin de l'histoire et notre destin personnel? Elles poussent les nations et les individus en d'inextricables conflits intérieurs et extérieurs. Elles poussent à l'arrogance et à la folie, à la révolte '
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et au désespoir, à l'inhumanité et à la destruction. Chacun de nous est engagé dans ces conflits· et plus ou moins pressé par ces forces. D'une certaine manière, notre vie ·personnelle se trouve dans leur dépendance. La sécurité n'est garantie à personne. Il n'est aucune maison, aucune famille, aucun pays, ni quoi que ce soit au monde qui puisse s'estimer à l'abri. Aucun plan n'est assuré de l'exécution. Tous les espoirs sont menacés. ~Certes, cet état de .Choses n'est pas nouveau dans l'histoire. Ce qui est · nouveau, c'est qu'après quelques années de sécurité . relative nous en étions venus à oublier que c'est le véritable état de choses. Maintenant nous le voyons bien. Brusquement nous nous sommes mis à y vivre • partout sur la terre. Sous l'emprise de ces forces du destin, nous posons la question que l'humanité a toujours posée : qu'y a+il derrière tout cela? quel e~t son sens? comment pouvons-nous le support~r? 1 Bien avant l'ère chrétienne, des hommes ont parlé d'une providence divine à l'œuvre derrière les forces motrices de la vie et de l'histoire. Dans le christianisme, la foi en la providence a été fortifiée par les paroles de Jésus sur les oiseaux du ciel et les lys des champs et par son exhortation à ne pas se soucier du lendemain *. Cette croyance en la providence est devenue la croyance commune du peuple chrétien. Elle lui a donné du courage devant le danger, la consolation dans la souffrance, l'espoir à l'heure de l'effondremènt. Mais, de plus en plus, cette foi a perdu de sa profondeur. Elle est allée de soi. Elle a perdu cette note irrésistible, surprenante et triomphale qu'elle avait sur les lèvres de Paul.
*
Matthieu. 6 : 25.
Amour
Quand les soldats allemands sont entrés dans la Première Guerre mondiale, beaucoup d'entr,e eux partàgeaient la croyance popu!aire au <<.Bon Dieu ~' qui fait tout aller pour le rmeux. Ma1s ,tou~ allalt mal pour les nations et en. chacune d elles pour presque tout le monde. Dans les tranchées, la croyance populaire en la Providence s~est yeu à p~u effon~ée et après cinq ans de guerre 1l n en. restrut plus nen. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, on a pu observer aux États-Unis un phénomè~e i~en tique. La croyance en une proVIdence hiStonque s'est également effondrée au. milieu.,des tensions et des craintes politiques des dix dermeres années. La croyance que dans l'histoire tout ira finalement pour le mieux, partagée par de larges fractions . de la population de ce pays, a presque totaleme:r;t disparu. Aujourd'hui, il n'en reste presque plus ne~. . . Ces croyances en la providence dans 1 h1st01re personnelle ou dans l'histoire générale n'ont pas d.e profondeur ni de fondement réel. Elles sont le pr?dult de nos illusions. Elles ne viennent pas de la f01. La foi en la Providence n'est pas une partie de la foi chrétienne (la partie la plus compréhens~ble).fCo:m:n~ -~. ;sCies gens pouvaient y croire plus facilement~ ams1 que me le déclarait un vieux pasteur de VIllage,' tandis qu'ils resteraient étrangers au contenu le plus élevé de la foi chrétienne : le péché et le salut, le Christ et l'Église. Si tel était le cas, .le sens de la Providence devrait leur être tout auss1 étranger, et leur foi en elle aussi rapidement brisée dans.::: le;; tempêtes de notre siècle.\ La foi e~ la P;ovidence, c'est toute la foi. C'est le courage de drre om à sa propre vie et à la vie dans son ensemble malgré les· forces en marche du destin, malgré l'insécurité de l'exis-
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tence quotidienne, malgré ses catastrophes et malgré l'écroulement de sa signification. Dans notre texte, Paul parle de ce courage. Mais avant, il parle des puissances qui s'efforcent de rendre ce courage impossible. Que font ces forces ? Elles nous séparent de l'amour de Dieu. Cette phrase est surprenante. Il nous viendrait plutôt à l'idée de mentionner les souffrances et la mort qui menacent notre vie quotidienne. Paul ne les ignore pas. Il les appelle : << La tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive *. » Il se sent prêt à les vaincre. Ensuite, il énumère les puissances qui peuvent nous séparer de Pamo':f de Dieu. Il y a en elles quelque chose de mysténeux. Elles ne portent pas de mauvais noms comme les précédentes. La plupart portent des noms glorieux : « anges », « principautés », << vie » et « hauteur >>. Pourquoi sont-elles parmi les plus menaçantes? Par~e qu'elles sont à l'œuvre à tout instant dans notre VIe et qu'elles ont un double visage. Ce sont les puissances qui gouvernent le monde, et leur gouvernement est tout à la fois bon et mauvais. Elles nous séd~isent avec le bien qu'elles apportent et elles détruisent par le mal qu'elles recèlent. Voilà pourquoi elles sont plus dangereuses que les maux les plus- évidents. Voilà pourquoi triompher de leur emprise est l'épreuve ultime qui prouve que Jésus est le Christ, celui qui introduit un état de choses nouveau. Considérons leur nature, non pas comme si elles nous étaient étrangères, mais en tant qu'elles sont les forces motrices de notre être. Quelques-unes
* Romains 8
: 35·.
Amou r
sont appelées : « anges et princi pautés ». Ces deux noms nous indiqu ent une même réalité. Une réalité bien différente de ces délicieux chérubins ailés que l'on peut voir sur les images populaires qui représenten t les anges. Ces noms nous indiqu ent des réalités à la fois glorieuses et terribles, des réalités pleines de beauté et d'effets destructeurs. Quelles sont ces réalités? Nous n'avon s pas besoin de regard er bien loin pour les découvrir. Elles sont en chacu n de nous, dans nos familles, dans notre nation, dans notre monde. A quel signe pouvons-nous les recon naître ? On les recon naît à un mélange de fascination irrésistible et d'angoisse insurmontable. L'une d'entr e elles, au .visage angélique, se nomm e l'amo ur. La poésie de toutes les langues est remplie des louanges de cette princi pauté qui règne sur la vie de tous les ho~es. Son visage angélique nous appar aît dans la pemtu re et dans la sculpture. Sa beaut é angélique _ chant e dans la musique,f Sa fascination divine est · exprimée sur le visage des dieux et des déesses du paganisme. Et en même temps, toute œuvre d'art et tout mythe est rempli par les œuvres tragiques et mortelles de l'ange de l'amou r. Ce grand prince qui règne sur nos vies réunit en lui la fascination et la crainte, la joie et la culpabilité, la créati on et la destruction. Toutes deux, la joie de l'amo ur comme l'angoisse de l'amo ur, tende nt à nous séparer de l'amo ur de Dieu. L'une en nous attira nt loin de Dieu, l'autre en nous précip itant dans les ténèbres du désespoir où · nous ne pouvons plus le voir. pautés princi ces de La puissance est une autre beauté la a Elle . iaques démon à la fois angéliques et sévère et virile qu'on lui voit dans certains tablea ux qui représentent les grands archanges. La puissance
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est un grand ange, bon et mauvais, tout comme l'amo ur est une princi pauté puissante. Elle est la puissance constructrice et destructrice des cités et des nations. Elle est une force créatrice dans toute entreprise humaine, dans toute comm unaut é humaine, dans toute réalisation humai ne. Elle est responsable de la conquête de la nature , de l'orga nisation des États, de l'exercice de la justice. Sa puissance s'associe à une autre figure angélique bonne et mauvaise à la fois, qu'on app~lle ~(l ;.()~!1.<~-.is sance. Nous sommes sous leur empnse. j L his torre 1-m.ondiale est le domaine où le règne glorieux et tragiqU:e de l'Ange de la puissance est le plus mani: feste. Nos contemporains le savent bien. Chaqu e · matin nous appor te des nouvelles de ce prince du monde. Tous nous sommes saisis par la fascination angélique de son pouvoir créate ur et tous nous sommes terrorisés par les effets destructeurs de son ; pouvoir dans notre propre vie comme dans celle 1 des nations$ Quan d le pouvoir s'associe à la connaissance (à une connaissance inimaginable autrefois), alors fascination et terreu r sont infiniment accrues. Toutes les deux nous sépare nt de l'amo ur de Dieu, l'une en nous conduisant à l'ador ation de la puissance, l'autre , au cynisme et au désespoir. Paul mentionne encore deux autres couples de réalités qui peuve nt nous séparer de l'amo ur de Dieu : « la haute ur et la profon deur >> et « les choses présentes et les choses à venir >>. Tout le mond e compr end leur sens sans difficulté. Il est cepen dant difficile d'épuiser toute la richesse de leur sens. La haute ur, c'est le point le plus haut dans le mouv ement des étoiles, et la profondeur le point le plus bas. Pour le meilleur et pour le pire, l'un signale l'apog ée
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Amour
et l'autre le périgée de cette influence.' Le haut i -- marque le moment où un processus vital atteint· son point de réalisation, de vitalité, et le bas! le · moment où il atteint sa réalisation la plus faible et peut-être sa fin. Ces deU:X moments, la hauteur ' et la profondeur, tendent à-nous séparer de 1' am?ur . de Dieu, l'un par son éclat, l'autre par son obscun!é. ;·Tous les deux rendent· Dieu invisible. . « Les choses présentes et les choses à venir. » La première de ces deux réalités indique l'impact du présent sur nous, son pouvoir de sé~~ction du présent, et notre refus de regarder en arnere ou. ~n avant quand nous sommes empoignés par la JOie intense ou par la douleur aiguë du moment présent. La seconde désigne l'attente de la nouveauté, la joie de l'inattendu, le courage de prendre des r.isques. Elle désigne également l'incalculable, le contmgent, l'inquiétude devant ce qui est étrange ou inconnu . . èoncluons cette énumération par le couple de puissances le plus menaçant, celui avec lequel Paul a commencé : « la mort et la vie ». Ces deux puissances sont associées l'une à l'autre. La mort est présente en toute vie. Elle est à l'œuvre dans notre corps et dans notre âme depuis le mome~t de n?tre conception jusqu'au moment de notre désmtégratwn. Elle est présente au début de notre vie tout autant qu'à la fin. Nous commençons à m~urir ali; ~o~ent de notre naissance, et cela co~tlnu~ .. a~I1s.:. JOlJX 1 après jour ~out au ~ong_ de la _vi~·[ La croissa~ce est ' 'mort, parce qu'elle sape les conditions de la vie alors ' même qu'elle les accroît. Mais ne pas croître, c'est la mort immédiate. Tous, nous nous tenons entre la fascination de la vie et l'angoisse de la mort, parfois 88
! même entre la fascination de la mort et l'angoisse
. de la viel Là··-~ë .et la mort 'sont les puissances les pÏU:s grandes et les plus inclusives, qui tentent de nous . . séparer de l'amour de Dieu. Nous avons considéré les pmssances qm gouvernent le monde et que la foi en la providence doit vaincre. Quelle est cette foi? Ce n'est certainement pas la croyance que tout finira bien: Ce n'est certainement pas la croyance que tout smt un ~lan préconçu, que le planificateur soit appelé DI~u, Nature ou Destin. La vie n'est pas une machine bien construite par son constructeur et fonctionnant grâce aux forces et aux lois de son m~canisme. La vie, personnelle ou historique, est un pr~cessus créateur et destructeur où la liberté et le destm, le hasard et la nécessité, la responsabilité et la trag~die sont mêlés en tout et à tout moment. Ces tenswns, ces ambiguïtés et ces conflits font de la vie ce qu'e~e est. Ils créent la fascination et l'horreur de la VIe. Ils nous conduisent à poser la question du courage qui permet d'accepter la vie sans être vaincus par elle. C'est la question de la providence. . · Abandonnons maintenant le mot de« providence » avec toutes ses significations fausses et recherchons ce qu'il veut dire réelleme~t. Il signale ~e courage qui permet d'accepter la vie dans la pmssance de ce qui est plus que la vie. Paul l'appelle l'amour de Dieu. Cet amour se tient certainement au-dessus de la figure angélico-démoniaque de l'amou: dont nous .avons· déjà parlé. Cet amour est la pmssa.nce ultime de l'union, la victoire ultime sur la séparatiOn. :E:tre uni à cette puissance nous permet de dominer la vie tout en y étant parfaitement inséré. 1· Cet amour nous rend capable d'accepter le règne 8g
Amour
sur la vie de ces princes au double visage, lem fascination et leur angoisse, leur gloire et leur ' horreur. Il nous donne la certitude qu'à a'llcun moment nous ne pouvons être empêchés d'atteindre l'accomplissement vers lequel toute vie se dirige. C'est le courage d'accepter la vie dans la puissance même où elle prend racine et où .elle ~st surnwntéè•. , , Bi maintenant -vous demandez comment cela est possible, revenons à l'hymne de Paul. Nous y trouvons deux réponses. Il termine sa liste des puissances régnantes par ces mots : « ni quoi que ce soit dans la création ». Les puissances de ce monde sont des créatures comme nous. Elles ne sont rien de plus que nous. Elles sont limitées. Et nous, nous sommes unis à ce qui n'est pas créature et qu'aucune créature ne peut détruire : le fond créateur. C'est pourquoi nous savons que ces puissances ne peuvent pas détruire le sens de notre vie, même si elles peuvent détruire notre vie. Cela nous donne l'assurance qu'aùcune créature ne peut détruire dans .la vie et dans l'histoire le sens de· la vie universelle dont nous sommes une partie, même si demain l'univers se détruisait lui-même. ;Aucune cré~ture ne peut· nous. Ôter ce courage ulti.nie~ Aucune? Il y en a pourtant une qui peut.nous ôter ce courage : nous-même. Le courage de maintenir l'unité avec Dieu tient bon devant toutes les puissances et les principautés, la mort et la vie y compris. Ce courage s'effondre lorsque la culpabilité nous sépare de l'amour de Dieu. Alors nous ne pouvons faire face à la mort, parce que l'aiguillon de la mort, c'est le péché. Nous ne pouvons pas faire face à la vie parce que la culpabilité conduit la vie à une autodestruction tragique. Nous ne pouvons pas faire face à l'amour parce
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qu'il est corrompu par la cupidité. Nous ne pouvons pas faire face à la puissance parce qu'elle est corrompue par la cruauté. Nous nous écartons du passé ,parce qu'il est souillé par la culpabilité. Nous nous écartons du futur parce qu'il peut porter les fruits des fautes du passé. Nous ne pouvons demeurer dans le présent parce qu'il nous condamne et nous chasse; Nous ne pouvons faire face à la hauteur parce que nous craignons de choir. Nous ne pouvons faire face à la profondeur parce que nous nous sentons responsable de notre chute. Les souverains ; de ce monde ne peuvent obtenir ce qu'une conscience agitée peut dbtenir : l'ébranlement du courage d'accepter la vie. C'est pourquoi Paul achève son message par ceci : même notre conscience coupable ne peut pas nous séparer de l'amour de Dieu. Car l'amour de Dieu signifie que Dieu accepte celui qui sait qu'il est inacceptable. C'est le sens des derniers mots de Paul : « Dans le Christ Jésus notre Seigneur. » Il est vainqueur des souverains de ce monde parce qu'il est victorieux dans nos cœurs. Son image nous donne l'assurance que même notre cœur, même notre jugement sur nous-mêmes, et notre désespoir de nous-mêmes, ne peuvent nous séparer de l'amour de Dieu, l'unité ultime, la source et le fond du courage qui permet d'accepter la vie.
DEUXIÈME PARTIE
Liberté
VIII ''Qu'est-ce que
la vérité? "
« Et le Verbe s'est fait chair et il a demeuré parmi nous et nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité• ••• La Loi fut donnée par l'intermédiaire de Moïse; la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ. » Jean r : 14 et 17. « Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage?••• Vous avez pour Père le diable... Dès l'origine ce fut un homicide; il n'était pas établi dans la vérité parce qu'il n) a pas de vérité en lui : quand il dit des mensonges il les tire de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge. » Jean 8 : 43 et 44· « Donc tu es roi? lui dit Pilate. - Tu le dis! Je suis roi, répondit Jésus, et je ne suis né~ je ne suis venu dans le monde
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Liberté
que pour rendre témoignage à la vérité. Qy,iconque est de la vérité écoute ma voix. >> « Pilate lui dit : « Q.u' est~ée que la vérité? » Jean I8 : 37 et 38. « Jésus lui dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Jean 14 : 6. « Celui qui ~git dans la vérité ,vient à la lumière. »
3 : Jean '.
21.
« Je prierai le Père et il vous donnera... l'Esprit de vérité, que le monde ne peut rec.evoir, parce qu'il ne le voit ni ne le connaît. Vous, vous le connaisse;:; parce qu'il demeure avec vous et qu'il est en vous. » Jean 14 : 16 et 17. << Q.uand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ... » Jean 16 :- 13.
« Aimons~nous les uns les autres, puisque l'amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est Amour. » I Jean 4 : 7 et 8.
« Jésus dit alors à ceux des juifs qui l'avaient cru : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, vous connaître;:; alors la vérité et la vérité vous rendra libres. » Jean 8 : 31 et 32.
Ces passages nous rapportent des paroles prog6
noncées par Jésus au sujet de la vérité. L'une d'entre elles servira de centre à notre méditation; celle qui associe la vérité à la liberté : <
Liberté
les adultes, et principalement par ses parents. 11 ne peut en être autrement, mais cela n'aide guère à l'accepter. La passion de la vérité est réduite au silence par des réponses qui ont le poids d'une autorité indiscutable, celles, de la mère ou du père, d'un ami plus âgé, de la bande ou des représentants de la société. Tôt ou tard, l'enfant se révoltèra contre la vé:rité qu'on lui a donnée. Il rejettera en bloc toutes les autorités ou bien l'une avec l'aide des autres. Il se sert de l'autorité du maître contre celle des parents, · de celle de la bande contre celle du maître, de celle d'un ami contre celle de la bande ou de celle de la société contre celle de l'ami. La révolte est aussi inévitable que la toute première dépendance à l'autorité. L'autorité donne à l'enfant quelque chose à vivre. La révolte le rend responsable de la vérité qu'il accepte ou qu'il rejette. Mais, que ce soit dans l'obéissance ou dans la révolte, le moment vient où un nouvel accès à la vérité, s'ouvre devant nous, en particulier dans le milieu universitaire avec la méthode scientifique. Nous nous y engageons avec avidité. Elle nous paraît très sûre, très efficace, indépendante de l'autorité et de l'entêtement. Elle nous libère des préjugés et des superstitions. Elle nous rend honnêtes et humbles. Pourquoi rechercher la vérité en dehors de la méthode scientifique? A notre époque, beaucoup de gens, jeunes et vieux, savants et ignorants, techniciens et théoriciens acceptent cette réponse sans la moindre hésitation. Pour eux, la vérité scientifique est la vérité par excellence. La poésie peut faire saisir la beauté, elle ne donne pas la vérité. L'éthique peut aider à vivre une vie meilleure, elle ne peut nous aider à trouver la vérité. La religion peut donner des sen-
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timents profonds, mais elle ne peut pas prétendre à la vérité. · Seule la science donne la vérité. Elle nous fait parvenir à de nouvelles conceptions du fonctionnement de la nature. Elle nous fait pénétrer dans la trame de l'histoire humaine et jusqu'aux choses cachées de l'esprit humain. Elle nous fait ressentir une joie qui n'est inférieure à aucune > Par ces quelques mots, il exprime son désespoir et celui de ses contemporains quant à la recherche de la vérité. C'est aussi le désespoir de millions de nos contemporains, dans les écoles, dans les bureaux,
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dans les affaires, dans le monde du travail. Ce déses~ pair, caché, reconnu, ou refoulé, est ressenti par chacun comme une menace constante. Nous sommes les enfants de notre temps comme Pilate le fut du sien. Ce sont. des temps de désintégration, temps d'un immen~e naufrage des valeurs et du sens dans le monde entier. Personne ne peut se détacher tout à fait de cètte réalité, ni même simplement essayer de s'en détacher. Permettez~moi d'entreprendre quelque chose d'inhabituel chez un chrétien. Je vais faire l'éloge de Pilate, non pas l'éloge du juge injuste, mais l'éloge du cynique et du sceptique. Avec cet éloge, je fais celui de tous ceux parmi nous qui portent en eux bien vivante la question de Pilate. Dans les profondeurs de tout doute sérieux et de tout désespoir de la vérité, il y a toujours à l'œuvre une passion de la vérité. N'abandonnez pas trop vite ce doute et ce désespoir à ceux qui désirent -yous soulager de l'angoisse de la vérité. Ne vous laissez pas seduire par une vérité qui n'est pas réellement votre vérité, même si le séducteur est votre Église, votre parti ou votre tradition familiale. Si vous ne pouvez marcher à la suite de Jésus, marchez sérieusement derrière Pilate! Il y a une double tentation de fuir le poids de la vérité. On peut suivre le chemin de ceux qui prétendent posséder la vérité, ou encore le chemin de ceux: qui ne se préoccupent pas de la vérité. Dans notre Évangile, les premiers sont appelés : cc les Juifs >>. Ils font appel à leur tra- 1 dition qui remonte à Abraham. Abraham est leur père. Ils ont ainsi la vérité et n'ont pas besoin de s'en soucier. On trouve beaucoup de juifs, au sens du quatrième Évangile, parmi les chrétiens et les laïques, c'est-à-dire beaucoup de gens qui se réclament d'une lOO
tradition bien à eux, qu'elle remonte aux Pères de l'Église, aux papes, aux réformateurs ou aux rédacteurs de la constitution américaine. Leur mère, c'est leur Église ou leur nation. Voilà pourquoi ils possèdent la vérité et n'ont pas besoin de se préoccuper de la question de la vérité. Jésus ne leur dirait-il pas comme ille;. disait aux Juifs que même s'ils ont pour mère leur Eglise ou leur nation, ils ont en eux l'héritage du père du mensonge, car la vérité qu'ils ont n'est pas la vérité qui rend libre? Il n'y a pas de vérité là où l'on affirme avec suffisance la vérité de sa propre croyance, là où l'on repousse dans l'ignorance ou avec fanatisme les idées et les coutumes étrangères. Il n'y a pas de liberté, mais une servitude démoniaque là où une vérité particulière est érigée au rang de vérité ultime, car c'est une tentative pour se faire l'égal de Dieu au nom même de Dieu. La seconde manière d'éviter la question de la vérité consiste à ne pas s'en soucier : c'est l'indifférence. Beaucoup de gens suivent ce chemin de nos jours comme en ceux de Jésus. Ils disent que la vie est faite d'un ,mélange de vérités, de semi-vérités et d'erreurs. TI est possible de vivre avec ce mélange et l'on peut se tirer d'affaire dans la pl:upart des difficultés de la vie sans poser la question d'une vérité qui importe d'une manière ultime. Il peut y avoir des situations limites, des événements tragiques, de grosses chutes spirituelles, la mort. Tant que tout cela ne les touche pas, la question de la vérité est maintenue à l'écart. Voilà l'attitude la plus commune : un peu de scepticisme à la Pilate, spécialement à l'égard de ce dont on peut douter aujourd'hui sans danger : de Dieu ou du Christ, et IOI
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un peu de dogmatisme à la juive, tout particulièrement dans ce qu'on est censé admettre aujourd'hui, par exemple en économie ou en politique. En d'autres termes, il s'agit de mélanger un peu de scepticisme avec un peu de dogmatisme, tout cela équilibré avec sagacité pour éviter de poser la question d'une vérité ultime. . Ceux d'entre nous qui osent faire face à la question de la vérité peuvent entendre ce qu'en dit le quatrième Évangile. La première chose qui nous. étonne, c'est que la vérité dont parle Jésus n'est pas une doctrine, mais une réalité, à savoir, lui-même. «Je suis la vérité. » Voici une transformation profonde du sens ordinaire de ce qu'on entend par vérité. Des affirmations sont vraies ou fausses. Quel-· qu'un peut avoir ou ne pas avoir la vérité. Mais comment être vérité et même être la vérité? La vérité dont. nous parle le quatrième Évangile est une.·réalité véritable, une réalité qui ne nous trompe pas 'quand nous r acceptons et quand nous vivons avec' elle. Quand Jésus dit : «Je suis la vérité », ïl déclare que la réalité véritable, authentique et ultime est présente en lui. En d'autres termes, il déclare que Dieu est pr~ent en lui, sans voile, sans gauchissement, dans sa profondeur infinie et dans son mystère inaccessible. Jésus n•est pas la vérité parce que. son enseignement est vrai. Son enseignement est vrai parce qu'il exprime la vérité qu'il est lui-même. Il est plus que ses paroles. Il est plus que toute parole prononcée à son sujet. La vérité qui nous rend libre n'est ni !>enseignement de Jésus ni ce que l'on enseigne au sujet de Jésus. Ceux qui ont dit que l'enseignement de Jésus est « la vérité » ont asservi le peuple sous 102
une loi. Beaucoup de gens aiment vivre sous une loi. Ils aiment qu'on leur dise ce qu'il faut penser et ne pas penser. Ils acceptent Jésus comme un professeur infaillible et comme celui qui donne une loi nouvelle. Les paroles de Jésus, même quand on les prend pour une loi, ne sont pas la vérité qui nous donne la liberté. Nos théologiens, nos prédicateurs, nos maîtres d'enseignement religieux ne doivent pas les présenter ainsi. On ne doit pas les utiliser comme une collection de préceptes infaillibles pour la vie et pour la pensée. Elles indiquent la vérité, mais elles ne sont pas la Loi de la vérité. De même, les doctrines sur Jésus ne sont pas la vérité qui rend libre. Je vous le dis en homme qui a travaillé toute sa vie pour tenter d'exprimer d'une manière authentique la vérité qu'est le Christ. Plus on travaille et plus on comprend que notre propre expression, et tout ce qu'elle doit à l'enseignement séculaire de l'Église, n'est pas la vérité qui nous rend libres. Très tôt, l'Église a oublié la parole évangélique d'après laquelle « il est la vérité », pour prétendre que ses doctrines sur Jésus sont la vérité. Mais ces doctrines, si bonnes et si nécessaires qu'elles soient, ont fait la preuve qu'elles ne sont pas la vérité qui rend libre. Très vite, elles sont devenues des instruments d'oppression et d'esclavage entre les mains des autorités. Elles sont devenues des obstacles à la recherche de la vérité, des armes pour partager l'âme du peuple entre sa loyauté à: l'égard de l'Église et sa sincérité à l'égard de la vérité. Elles sont devenues des armes mortelles entre les mains de ceux qui attaquaient l'Église et ses doctrines au nom de la vérité. Tout le monde n'est pas conscient de ce conflit. Il y a des masses de gens qui se sentent en sécurité sous les lois doctri103
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nales. Peut-être sont-ils en sécurité, mais dans la sécurité de ceux qui n'ont .pas trouvé leur liberté spirituelle et leur moi véritable. C'est l'hon neur et le côté dangereux du protestantisme que d'exposer ceux qui se réclament de lui à l'insécurité d'avo î; à poser personnellement la question de la vén~é. Ainsi il ·les condu it à la liberté et à la responsabilité d'av~ir à choisir entre le chemin des sceptiques, des orthodoxies ou des indifférents, et celui qui est la vérité qui rend libre. La grand eur du protestantisme tient en ce qu'il indiq ue au-de là de l'enseignement sur Jésus et des doctrin~s ecclésiastiques, l'être de celui dont l'être est la liberté. Comment .atteindre cette vérité? <<En la faisant », telle est la réponse du quatrième Évangile. Cela ne signifie pas obéir à des. command:me~ts, .les accepter et les appliquer. Fa1re la vér1té st~e vivre de la réalité qu'il est lui qui est l<J. vénté , faire de son être notre être et l'être de notre monde. De ·nouveau, demandons-nous comment cela peut se produ ire? << En deme urant en lui » telle est la réponse du quatrième Évangile, c'est-à-dir~ ~n partic ipant à son être. Il dit: «D~meure~ en mm et Je demeurerai en vous. » La vénté . qw nous .rend libres est la vérité à laquelle nous participons, qui est une partie de nous-mêmes comme nous sommes l'une de ses parties. Le véritable disciple est celui qui participe. Si la réalité ultime et divine qui est son être devient notre être, nous sommes dans la vérité qui importe. . Une troisième fois nous nous demandons : « Comment cela peut-il arrive r? » D<J.ns notre Évangile, se trouve cette répo~se qui peut nous choquer profondément : « Qwco nque est de la 104
vérité écoute ma voix. » ~tre « de la vérité » signifie provenir de la vérité, de la réalité ultime, être détermin~ dans son être par le fond divin de tout être, par cette réalité présente dans le Christ. Si nous participons à cette réalité, nous pouvons la reconnaltre là où elle appar alt dans sa plénitude : dans le Christ. Qu~lqu'un dema ndera désespérément : « Si nous n'y prenons pas part, si nous ne somm es pas de la vérité, sommes-nous exclus de la vérité pour to~ours? Pouvons-nous acceptèr une vie sans vérité, une vie dans l'erre ur et dans l'insignifiance? Qui peut me dire que je suis dans la vérité et que j'ai une chance de l'atte indre ? Personne! « Pourtant, il y a un critère : si vous posez sérieusement la question : « Est-ce que je suis de la vérité ? », vous êtes de la vérité. Si vous ne posez pas sérieuseme;n~ cette question c'est que vous ne désire z pas séneusemerit la réponse, que vous ne la méritez pas, et que vous ne l'obtiendrez pas. Celui qui pose sérieusement la question de la vérité qui rend libre est déjà sur le chemin de la libération. Il peut encore demeurer dans l'esclavage de la suffisance dogmatique, mais il a commencé d'en être libéré. Il petit encore demeurer dans l'esclavage du d_ésespoir cynique, mais il a comm.encé d~à d'en sortir. Il peut encore demeurer dans l'insouciance à l'égar d de la vérité qui importe, mais déjà son insouciance est brisée. Ceux-là sont tous de la vérité et en route vers la vérité. Sur cette route, vous rencontrerez la vérité libératrice sous beaucoup de formes à l'exception d'une seule : vous ne la trouverez jamais sous forme de formu!es à appre ndre par cœur, ou à décrire et conserV-er. Par contre, vous pouvez la rencontrer
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dans une phrase d'un livre, dans un propos, dans une lecture, et même dans un sermon! Ces quelques mots ne seront pas la vérité, mais ils peuvent. vous ouvrir à la vérité, ils pourront vous affranchir de l'esclavage des opinions, des préjugés et des conventions. Soudainement, la vraie réalité apparaît, tel l'éclat d'une lumière dans un lieu auparavant obscur. Elle peut aussi apparaître lentement, comme un paysage quand le brouillard devient de plus en plus léger, jusqu'à disparaître totale:nent. De nouvelles obscurités, de nouveaux browllar~ peuvent venir mais vous avez fait l'expérience, au moins une fois de la vérité et de la liberté que donne la vérité. Vous pouvez également être saisis par la vérité en rencontrant un aspect de la nature, sa beauté et sa précarité, ou en rencontrant l'être humain dans l'amitié. ou dans la séparation, dans l'amour ou dans l'indifférence et la haine, ou bien encore dans une rencontre avec vous-mêmes, dans la vision soudaine des courants cachés de votre âme, dans le dégoût ou dans la haine de s;>i, dans 1~ réconciliation avec soi et dans l'acceptatlon de soi. Dans toutes ces rencontres, vous pouvez rencontrer la vraie réalité, la vérité qui vous libère des ~usions, des fausses autorités, de l'angoisse asservissante des désirs· et de l'agressivité, d'Jun mauvais rejet de soi comme d'une mauvaise affirmation de soi. Il peut arriver également que vous soyez saisis par l'image et par la puissance de celui qui est la vérité. Il n'y a pas de lois dans ce domaine .. De nombreuses personnes en tous temps et en tous heux ont rencontré la réalité véritable qui est en lui sans connaître son nom, comme il l'a dit lui-mê:ne. Ils étaient de la vérité et ils ont reconnu la vénté sans xo6
avoir vu celui qui est la vérité. Les chrétiens ceux qw. l' ont vu au long des siècles, n'ont pas' pour au~nt la gar~ntie de participer à la vérité qu'il est, car Ils pourrruent ne pas être de la vérité. Ceux qui sont de la vérité, et qui ont rencontré celui qui est la vérité, ont un avantage sur tous les autres. Ils trouvent un point de vue qui leur permet de juger de toutes les vérités où qu'ils les rencontrent. Ils ont en vue une vie qui n'a jamais rompu sa communion avec celui qui est le fond divin de toute vie. Ils voient une vie qui, dans l'amour, n'a jamais perdu son unité avec tous les êtres. Tout cela nous conduit au dernier mot que peut nous dire le rédacteur de l'Évangile et des épîtres de Jean : la vérité qui rend libre est la puissance de l'amour, car Dieu est amour. Le père du mensonge nous enchaîne à lui en nous enchaînant à nous-mêmes, ou à ce qui en nous n'est pas notre moi véritable. L'amour nous libère du père du mensonge parce qu'il nous libère de notre faux moi pour nous rendre à notre moi véritable, à ce moi enraciné dans la réalité véritable. C'est pourquoi, méfiez-vous de toute prétention à la vérité là où vous ne voyez pas la vérité unie à l'amour, et ne soyez certains que vous êtes dans la vérité, et que la vérité a prise sur vous, là seulement où elle a commencé à vous libérer de vous-mêmes.
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IX Foi et incertitude
Dans son livre Du serf arbitre, Martin Luther écrit : ((Quoi de plus misérable que l'incertitude 1, » n met au défi l'attitude semi-sceptique de son grand adversaire, Érasme de Rotterdam, qui avait déclaré qu'il aurait préféré passer immédiatement dans le camp des sceptiques si l'autorité de l'Écriture et de l'Église ne l'en avait empêché 2• Luther exige la certitude en tout ce qui nous concerne d'une manière ultime. Il exige des qffirmations et non pas des éventualités sceptiques ou des probabilités académiques. « Rejette les affirmations, dit-il, et tu rejettes le christianisme 3• » Ce n'est pas dans le caractère du I. Traité du serf arbitre. Martin Luther, Œuvres, t. V, p. 25. Traduction française publiée sous les auspices de l'Alliance nationale des :É lises luthériennes de France et de la revue P~~iiiO:IIS i':athme.rmeJ;, I.abor et Fides, Genève. (N.d.T.) . iatribe d':Érasme. (N.d.T.) 2. Luther cite la 3· Op. cit., p. 24-
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chrétien d'éviter les affirmations. Chaque. parole des prophètes ou des auteurs du Nouveau Testament confirme son attitude et désapprouve celle d'Érasme. Ni Jésus, ni Paul, ni Jean ne parlt:;nt en termes de probabilité ou . d'accumulation d'expériences. Ils procèdent par affirmations avec une certitude et une confiance inébranlables dans la vérité de leur message souvent insupportable et difficile à comprendre pour un ·esprit moderne. Paul écrit aux Galates : « ... Si nous-mêmes, si un ange venu du ciel vous annonçait un évangile différent de celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème 4 ! » Nous éprouvons une sorte de résistance et même une sorte d'hostilité à l'égard d'une certitude aussi inébranlable, dont la conséquence immédiate est l'anathème jeté à l'hérétique. Consciemment ou inconsciemment, sommes-nous tous devenus érasmiens? accédons-nous au christianisme comme à une possibilité entre beaucoup d'autres, comme à une probabilité peut-être, mais en tout cas pas comme à une certitude? n'avons-nous pas tous été gênés par le «Non* » prononcé par Karl Barth, à la manière du Réformateur, devant toute tentative d'approcher Dieu en termes d'assurances progressives? n'avons-nous pas perçu dans sa voix le ton des dictàteurs du passé et d'aujourd'hui? L'issue du conflit de Paul avec les perfectionnistes du judaïsme, d'Augustin avec les rationalistes pélagiens,
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Galates 1 : 8. Allusion au Nein! Antwort an Emil Brunner, Munich, 1934, du théologien réformé Karl Barth. Emil Brunner, professeur de théologie systématique à Zurich, soutenait qu'à côté de sa tâche dogmatique, la théologie devait s'appliquer à une« autre tâche », celle de trouver un point de contact avec la pensée contemporaine. (N.d.T.) llO
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de Luther avec les humanistes érasmiens, est-elle venue d'un compromis? non, car Paul, Augustin et Luther auraient été vaincus! Je ne parle pas d'une défaite théologique, je parle d'une défaite du cœur et de la vie dans les profondeurs de l'âme. Pouvonsnous encore comprendre ce que Luther voulait dire quand il s'exclamait : «Quoi de plus misérable que l'incertitude! »? Considérons de plus près la certitude que défendent Paul et Luther. Les paroles de Paul montrent clairement qu'il ne s'agit pas d'autosuffisance : « ... même si nous vous annoncions un évangile différent de celui que nous vous avons prêché *... » La vérité de l'Évangile que prêche Paul ne dépend pas de Paul. Sa certitude ne dépend pas des aléas de son expérience personnelle. Il peut même imaginer un jour où il pourrait prêcher un évangile déformé. Il peut même imaginer qu'un ange du ciel vienne annoncer un message différent de celui que l'Église a déjà reçu. Il n'est pas sûr de lui. Il n'est même pas ,sûr des visions angéliques. Il n'est certain que de l'Evangile. Si certain de cet Évangile qu'il se place, lui et les plus hautes puissances spirituelles, sous la menace de la malédiction divine, si lui ou elles en venaient à déformer l' Évangile. L'Évangile que je prêche, poursuit-il, n'est pas une entreprise humaine. Personne ne me l'a mis en tête. C'est moi et cependant pas moi, mon évangile et pourtant pas mon évangile, ma certitude et pourtant pas ma certitude. Voilà une description de la condition de l'homme devant Dieu que l'on retrouve tout au long de la Bible et dans la confession
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de foi de tous les grands témoins chrétiens. C'est notre certitude. Une certitude que nous perdons dès qu'il nous vient de la considérer comme notre certitude. Nous sommes dans la certitude pour autant que nous avons en vue le contenu de cette certitude et, non l'expérience rationnelle ou irrationnelle où nous l'avons reçue. Quand nous fixons notre regard sur notre certitude comme si c'était la nôtre, nous ne pouvons que découvrir sa faiblesse et sa vulnérabilité devant toute pensée critique. Nous découvrons le peu de probabilité que notre raison accorde à l'idée de Dieu ou à la réalité du Christ. Nous découvrons les contradictions de notre sentiment religieux. Son oscillation entre la confiance extatique et le doute désespérant. Mais si nous voyons Dieu, nous concevons à quel point tous les échecs de notre expérience sont de peu d'importance. En regardant à Dieu, nous voyons bien qu'il n'est pas pour nous un objet de connaissance, mais qu'il est pour nous comme le sujet de notre existence. Voir Dieu, c'est voir qu'on ne peut lui échapper, même en faisant de lui l'objet d'une argumentation sceptique ou l'objet d'émotions irrésistibles. Il faut bien voir que dans notre incertitude, il y a un point de certitude, quel que soit le nom que nous lui donnions, la description que nous en faisions et la manière dont nous l'expliquions. Nous ne pouvons pas comprendre, mais nous sommes compris. Nous ne pouvons rien saisir dans les profondeurs de notre incertitude, mais une chose est certaine : nous sommes saisis par quelque chose d'ultime qui nous saisit, et à quoi nous ne pouvons pas échapper. C'est dans ce sens que Luther parle de la certitude du chrétien. «Par affirmation, écrit-il, j'entends II2
s'attacher fermement à sa conviction, l'affirmer, la confesser et la défendre jusqu'au bout avec persévérance*· » Voilà quelque chose qu'il n'avait pas comme un bien propre. Personne plus que lui n'a éprouvé les profondeurs du doute. Augustin et Érasme pouvaient finalement se réfugier derrière l'autorité. Pour Luther, ce n'était pas possible. Il ne pouvait pas non plus trouver un refuge dans les argumentations établies en faveur de la vérité religieuse ou en se confiant à sa vocation de réformateur, ou encore dans la vitalité de sa vie religieuse et dans l'expérience accumulée. Tout cela ne compte pas au profond de l'incertitude ultime. Quelques fois, pourtant, au comble de l'enfer, le premier commandement lui venait à l'esprit : «Je suis le Seigneur ton Dieu. >> Il savait alors qu'une certitude ne l'avait pas abandonné, celle dont il avait besoin ultimément. Pouvons-nous nous maintenir dans cette certitude malgré les incertitudes fondamentales qui caractérisent notre époque, dans le domaine religieux comme dans tous les autres domaines de la vie? Pouvons-nous nous y maintenir malgré nos doutes personnels, notre désespoir et notre héritage sceptique? La réponse à ces questions ne dépend pas de nous. Nous ne pouvons trouver la certitude des apôtres et des réformateurs qu'en regardant au-delà de nous-mêmes, après qu'il nous aura été donné d'atteindre le fond de notre existence. La certitude ultime peut nous apparaitre quand nous dépassons les probabilités objectives ou les approximations subjectives de Dieu et du Christ, et quand toutes les
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Op. cit., p. 23. (N.d.T.)
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x certitudes préliminaires ont disparu. Dans la puissance de cette certitude, jamais certaine, toujours exposée à la tentation, nous pouvons avancer de certitude en certitude.
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« Un jour que, dans le Temple, il enseignait le peuple et annon;ait la Bomze Nouvelle, les grands prêtres et les scribes survinrent avec les anciens, et lui parlèrent en ces termes : « Dis-nous par quelle autorité fais-tu cela, ou quel est celui qui t'a donné cette autorité? » n leur répondit : « Je vais, moi aussi, vous poser une question. Dites-moi donc : Le bapttme de Jean venait-il du Ciel ou des hommes? » Mais ils firent par-devers eux ce calcul : « Si nous répondons : ' du Ciel ', il dira : ' Pourquoi n'avez-vous pas cru en lui ? ' Et si nous répondons : ' des hommes ' le peuple entier nous lapidera, car il est persuadé que Jean est un prophète. >> Alors ils répondirent ne pas savoir d'où il venait. Et Jésus leur dit : « Moi· non plus, je ne vous dis pas par .quelle autorité je fais cela. >) Luc 20 : I-8.
L'histoire que nous venons de lire a eu une
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grande importance pour les premiers chrétiens qui nous l'ont conservée. Si nous la lisons d'une manière superficielle, nous comprenons mal comment elle a eu cette importance. Des chefs juifs s'efforcent de tendre un piège àJ ésus au moyen d'une question sub~ tile et Jésus ~es prend-au piège d'une autre question tout aussi subtile. Voilà une anecdote plaisante. Mais qu'y a~t~il de plus? Bien davantage, en vérité! Elle nous fait voir quelque. chose de surprenant. Elle répond à la question fondamentale de la religion prophétique en ne lui donnant aucune réponse. Jésus refuse de donner une réponse à la question de l'autorité et son refus de répondre est la réponse. Imaginons qu'il ait répondu à la question des chefs religieux concernant sa propre autorité en leur posant la question des sources de leur autorité! Ils auraient pu répondre facilement et d'une manière convaincante. Les prêtres auraient pu dire : « La source de notre autorité, c'est notre consécration d'après une tradition qui remonte sans interrup~ tion à Moïse et à Aaron. Cette tradition sacrée, dont nous sommes un maillon entre le passé et le futur, nous donne autorité. » Les scribes auraient pu répondre:« La source de notre autorité, c'est notre connaissance des Écritures ~ plus grande que celle de n'importe qui. Nous les avons étudiées jour et nuit depuis notre enfance comme c'est le devoir de tous ceux qui sont à l'école de la Parole de Dieu. Notre autorité est celle d'experts dans l'interprétation des Saintes Écritures. » Les anciens auraient pu répondre : « La source de notre autorité est notre acquisition de la sagesse pendant de nombreuses années et l'expérience que nous avons acquise en l'appliquant aux questions II6
du jour. Notre sagesse et notre expérience nous donnent autorité. » Tous ensemble, ils auraient pu dire à Jésus : <<Mais qtrl es~tu, toi qui n'es pas consacré, qui n'as pas étudié les Écritures, toi qui n'as pas la sagesse de l'âge ni l'expérience de la pratique? Quelle est la source de ton autorité? Tu n'as pas seulement enseigné et prêché, tu as aussi agi avec radicalisme, sans notre approbation. Tu as chassé hors du Temple les acheteurs et les vendeurs, et tu as ren~ versé les tables des changeurs de monnaie et des marchands de pigeons. Or tu sais que tout cela est nécessaire au maintien du Temple, du culte et des sacrifices! Par quelle autorité t'es~tu retourné contre la religion telle qu'elle nolis a été donnée par Moïse et ses successeurs ? » " Ainsi auraient~ils pu répondre à sa ques~ tion. Jésus ne leur pose pas cette qu~s~on. I~ leur demande : «Le baptême de Jean venalt~ll du c1el ou des hommes? » Ils ne pouvaient pas répondre à cette question. S'ils avaient répondu qu'il venàit des hommes ils auraient heurté le sentiment de la foule et ~eut~être même le leur propre. S'ils avaient répondu qu'il venait de Di~u, ils aur.ai;nt ~.tabli une autorité au-dessus de la tnple autonte qu Ils reven~ cliquaient pour eux-~êmes. Et cela, ils n_e le voulaient pas. Ceux qu on appelle «les autontés » exigent que toute autorité soit investie par eux. C'est pourquoi ils n'ont pas reconnu en Jean un prophète, ni en Jésus, le Christ... · Ne sous-estimons pas le sérieux de ce conflit. Ce n'était pas simplement un conflit entre le bien et le mal, entre la foi et l'incrédulité. Ce conflit est plus profond et plus tragique! II
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Imaginons-nous dans la position de ceJ.IX qui demandaient d'où venait son autorité. Supposons q~~ nous. ~ommes les gardiens d'une grande tradition relig1euse, ou des experts indiscutables dans u~ domaine d'une importance décisive pour l'humamté, ou encore que nous avons acquis une grande expérience en traitant des affaires de la plus haute importance. Supposons enfin .que nous n'avons pas d~ns cet~ positio~ une autorité légalement établie. S1 quelqu un venait pour nous parler de nos affaires dans~un lan~age tout à fait différent ou pour agir dans le domame de uqtre compétence d'une manière tout à fait révolutionnaire, quelle serait notre réaction? Et si ceux qui entendaient cet homme et le voyaient agir disaient de lui, comme on l'a dit de Jésus, qu'il enseigne comme quelqu'un qui a autorité et .non pas comme. les autorités établies que nous senons, quelle serait notre réaction? Ne dirionsnous pas que c'est un démagogue qui répand des doctrines · dangereuses, sape des lois et des institutions bien éprouvées, introduit des mœurs étrangères, roinpt des liens sacrés, détruit des traditions qui on~ fait ,la discipline, la force et l'espoir de générations. d hon;mes? Ne penserions-nous pas que notre devorr serait de le chasser? Dans l'intérêt de notre peuple, ne nous faudrait-il pas défendre notre autorité consacrée et éprouvée contre un homme qui ne pe~t montr.er la source de l'autorité qu'il prétend détenrr? Devnons-nous être désapprouvés en raison de cette réaction? Dans ce cas, pouvons-nous désapprouver la réaction des autorités de J érusalem pour leur réaction à l'égard de Jésus? Pensons a11; siècl,e de la R~forme. C'est une époque de l'histOire ou la question de l'autorité s'est trouvée au II8
centre des événements. Luther, et à sa suite l'ensemble du monde protestant, a rompu avec l'Église romaine et, par conséquent, avec quinze cents a~ de tradition chrétienne, parce qu'on ne pouvait s'accorder sur l'autorité du pape et des conciles. De nouveau, quelqu'un est apparu pour parler et agir avec une autorité dont les sources ne pouvaient être fixées par des moyens légaux. Les autorités catholiques qui ont rejeté Luther doivent-elles être désapprouvées·pour cette raison? Si nous ne les désapprouvons pas, nous pouvons leur demander : << Pourquoi avez-vous désapprouvé les autorités juives qui Oiit fait ce que vous avez fait quand les gens disaient des réformateurs qu'ils parlaient avec autorité, et non pas comme les prêtres et les moines? » Une même chose est-elle différente selon qu'elle est tàite par un grand prêtre juif ou par un grand prêtre romain? Demandons également ceci aux autorités du protestantisme européen et américain : « lttes-vous certains que l'importance que vous donnez à votre autorité, à votre tradition et à votre expérience ne supprime pas cette sorte d'autorité à laquelle pensait Jésus? » Qp.e signifie l'autorité? Qu'est-ce qu'elle signifie pour l'homme en tant qu'homme? pour notre époque? et pour chacun? Tout d'abord, cela veut dire que nous sommes des êtres finis qui ont besoin de ce que le mot << autorité » signifie réellement :un point de départ et une croissance. Cela veut dire encore que nous sommes nés, que nous avons été des nourrissons et des enfants. Cela veut dire que nous avons dépendu ~;.:omplète ment de ceux qui nous ont donné la vie, un foyer, 1'19
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une orientation intellectuelle et spirituelle. Pendant de longues années, nous n'avons pas été capables de prendre de nous~mêmes une décision, ce qui nous rendait dépendants de l'autorité et nous mettàit à son bénéfice. Cette autorité, nous l'avons acceptée sans résistance, même quand nous_ nous rebellions. Elle est devenue la base de toutes les autres autorités. Elle donne autorité au frère ou à la sœur aînés à l'ami ou au maitre plus mûr, au fonctionnaire, 'au chef, au pasteur qui nous introduisent dans les insles traditions d'une société' d'un titutions et dans , É tat ou d'une Eglise. L'autorité imprègne, dirige et forme notre vie. Accepter l'autorité, c'est accepter ce qui nous est donné par ceux qui sont plus que nous. Notre soumission à leur égard, et à l'égard de ce qu'ils représentent, nous rend capables de vivre dans l'histoire, comme notre soumission aux lois de la nature nous rend capables de vivre dans la nature. De l'autorité de la loi découle l'autorité de ceux qui la représentent et l'appliquent, et qu'on appelle.pour cette raison : cc les autorités >>. Notre vie .quotidienne deviendrait impossible sans traditions, sans coutumes e_t sans l'autorité de ceux qui les ont reçues et nous les ont· transmises. La maîtrise de la nature serait impossible sans une transmission de la connaissance et de la technique à chaque génération et qui donne autorité à ceux-là mêmes qui la transmettent. La vie intellectuelle de l'homme, le langage dont il se sert les chansons qu~il chante, la musique qu'il joue le~ maisons qu'il construit, les tableaux qu'il peint' les symboles qu'il crée, tout cela, il l'a reçu de l'aut~rité de ceux qui y ont participé avant lui. La vie religieuse de l'homme, sa foi, le culte qu'il aime, les histoires et les légendes qu'il a entendues, les commanI2o
dements qu'il s'efforce de ?uivre, les textes qu'il sait par cœur, tout cela n'a pas été créé par lui : il l'a reçu de ceux qui représentent pour lui l'autorité religieuse. S'il s'est formé dans la révolte contre l'autorité, cette formation-là dépend aussi des instruments qu'il a reçus de l'autorité. Le langage des révolutionnaires est formé par ceux contre qui ils se révoltent. La protestation des réformateurs utilise la tradition contre laquelle elle proteste. C'est pourquoi il n'y a pas de révolution absolue. Si on s'y emploie, on échoue immédiatement. Si une révolution réussit, ses chefs en viennent très rapidement à utiliser les formes et les idées créées par les autorités du passé. Cela est vrai aussi bien de la révolte de l'adolescent contre l'autorité familiale que de la révolte d'un nouveau groupe social contre les autorités du pouvoir établi. ~ Quand nous parlons de la finitude humaine, --\ 1 n'bus évoquons à l'ordinaire la brièveté de la vie \ / darik,,Ie temps, la naissance, la mort et les vicissitudes ' qui n:'î((nacent l'homme à chaque instant. Mais nous i ne som'IN,~s pas des êtres « finis » du simple fait que l \ nous so~~s temporels, nous le sommes également \ parce que :Ùb~s sommes historiques, c'est-à~dire sou\ mis à l'autoriht même quand nous nous révoltons contre elle. Nm:iS',,sommes jetés dans l'existence non pas seulement physi.guement, mais aussi mentalement. Sous aucun iapJ>Ort nous ne sommes par nous-même et à aucun·"~oment nous ne pouvons être par nous-même. Celui·qui essaie de vivre sans autorité essaie d'être comme D.~eu, qui seul est par lui-même. Quiconque s'efforce ··d'être comme Dieu est jeté dans l'autodestruction, qu'il soit un simple 121
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/ homme, une nation, ou une période de l'nistoire l' comme la nôtre. .,__._ Dans notre récit, Jésus et ses adversaires reconnaissent l'autorité. Il s'agit d'un conflit au sujet de l'autorité régulière et non pas au sujet de l'autorité en tant que telle .. Nous .retrouvons cela partput dans la Bible et dans l'histoire de l'Église. Paul lutte contre les premiers disciples, Pierre y compris, au sujet des fondements de l'autorité apostolique. Les évêques luttent contre les enthousiastes au sujet du gouvernement dans l'Église. Les papes luttent contre les princes au sujet de la source ultime de l'autorité politique. Les réformateurs luttent contre la hiérarchie au sujet de l'interprétation de la Bible. Les théologiens luttent contre les scientifiques au sujet du critère de la vérité ultime. Aucun de ces groupes opposés les uns aux autres ne rejette l'autorité, mais chacun rejette l'autorité du groupe adverse. . Si . l'autorité est ainsi divisée, quelle autorité pourra trancher la question de l'autorité? Une division <:Je l'autorité, n'est-ce pas la fin de l'autorité? La division -provoquée par les réformateurs n'a-t-elle pas marqué la fin de l'autorité de l'Église? La division sur l'interprétation de la Bible n'a-t-elle pas marqué la fin de l'autorité de la Bible? La division entre scientifiques et théologiens n'est-elle pas la fin de l'autorité inteiiectueiie? La division entre le père et la mère n'est-elle pas la fin de l'autorité parentale? La division entre les dieux du polythéisme n'a-t-elle pas marqué la fin de leur autorité divine? La division dans la conscience n'est-elle pas la fin de l'autorité de la conscience? Si quelqu'un doit choisir entre plusieurs autorités différentes, lui-même et non 122
pas elles, dès lors c'est lui, l'autorité ultime, et cela signifie qu'il n'y a pas d'autorité pour lui . r - Voilà ce qui constitue l'alternative redoutablèj ! d~ptre temps. S'il n
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Et à nous, que dirait-il? Il n'aurait pas à défendre son autorité contre des grands prêtres, des scribes et des anciens. Aujourd'hui, tous ceux-là le reconnaissent. Jésus devrait leur poser une question tout à fait différente : « Quelle est, à votre avis, la nature de mon autorité? Est-elle semblable à cellé de Jean ou semblable .à celle des autorités qui ont essayé de m'écarter? N'avez-vous pas transformé en autorité ultime les paroles de ceux qui ont été mes témoins, la Bible, les Pères de l'Église, les papes, les réformateurs, les confessions de foi? Avez-vous fait cela en mon nom? -8i oui, n'avez-vous pas abusé de mon nom? Là où l'on se souvient de mon nom, on se souvient également de mon combat ·contre ceux qui avaient l'autorité. » Dans le message chrétien, il y a quelque chose qui s'oppose à l'autorité établie. Dans l'expérience chrétienne, il y a quelque chose qui se révolte contre la soumission aux expériences du passé, même aux plus saintes et aux plus grandes. Ce quelque chose nous est indiqué dans la question de Jésus : «Le baptême de Jean venait-il de Dieu ou 'des -hommes? ))' et dans son refus de donner une réponse. Ce qui rend la réponse impossible, c'est précisément la nature d'une autorité qui provient de Dieu et non des hommes. Le lieu où Dieu donne autorité à un homme ne peut être circonscrit. Il ne··peut être·dêfini légalement. Il ne peut être enclos par des rites et des dogmes. Il est ici et vous ne savez pas d'où il vient. Vous ne pouvez connaître sa provenance. Vous devez être saisi par lui. Vous devez participer à sa puissance. Voilà pourquoi la question de l'autorité ne peut jamais recevoir de réponse ultime. Il y a sans doute beaucoup de réponses préliminaires. Il n'est 124
guère de jours où nous n'ay(:ms. à répondre silencieusement ou ouvertement· à la question de l'autorité en disant souvent << oui )> et quelques fois << non ». Mais nous ne pouvons pas donner de réponse ultime. Comme Jésus, nous ne pouvons que désigner une réalité. Voilà ce que pourraient f~ire et ce que devraient faire nos chefs religieux, nos Eglises, nos pasteurs, nos théologiens et tout chrétien qui fait acte de prêtre à l'égard d'un autre chrétien. Tous peuvent, comme Jésus, désigner Jean du doigt comme Jean lui aussi a désigné Jésus du doigt. Nous pouvons désigner du doigt avec passion le crucifié, comme le fait Jean-Baptiste dans le retable étonnant de Matthias Grünewald, mais nous ne pouvons pas faire de lui une autorité établie. Dans ce tableau, le doigt de Jean-Baptiste indique la croix. C'est là le plus grand symbole de l'autorité véritable de la Bible et de l'Église. L'Église et la Bible ne se désignent pas elles-mêmes comme l'autorité ultime: elles indiquent la réalité qui apparaît toujours à nouveau au travers des formes de leur autorité établie et dans les formes endurcies de notre expérience personnelle. Une fois de plus, nous nous demandons :«Pourquoi la question de l'autorité n'a-t-elle pas de réponse ultime? »Je réponds d'une manière qui peut paraître blasphématoire : « Parce que Dieu lui-même ne peut y donner de réponse. >> Cela paraîtrait conventionnel et non blasphématoire si je disais : « Parce que Dieu est Esprit. » Pourtant, ces deux propositions veulent dire la même chose. Dieu,· qui est Esprit, ne peut donner de réponse ultime à la question de l'autorité. Les Églises, leurs chefs et leurs membres ignorent souvent le sens infini de ces mots : « Dieu est Esprit. >> L'œil perçant de l'ennemi découvre ce 125
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que ces mots veulent dire. Nietzsche a dit de l'homme qui. le premier a déclaré « Dieu est Esprit » qu'il était le premier meurtrier de Dieu. Sa connaissance profonde de l'âme humaine lui a donné la conviction qu'un Dieu qui n'est pas circonscrit en un lieu défini qui ne peut pas .donner de réponse définitive à ~ question de l'autorité ne peut être accepté par la plupart des hommes.· S'il avait raison, il nous faudrait dire avec )ui qu'il n'y a plus de Dieu ou bien revenir à un Dieu. qui nous donne une rép~nse définie à la question de l'autorité et nous soumette à un ordre divin, à une autorité religieuse établie, à u~ représentant terrestre de son autorité céleste. Ce D1eu n'est pas le Dieu qui est Esprit. Ce Dieu n'est que la projectio~ céleste des autorités terrestres qui se servent de lUI pour consacrer leur propre puissance. Ce Dieu n'est pas le Dieu dont Jésus parle dans notre récit. · - - ';~,e D.ieu q:zi ne peut répondre à la question de 1 aut~n.té. ultime parce qu'il est Esprit ne chasse p~ les aut,?ntés avant-dernières aveç lesquelles nous VIvons darts notre vie quotidienne. Il ne nous condamne p;œ,_à la vacuité de l'adolescent qui sent que le monde va.._?~mmencer sans lui. Il ne nous prive pas de la protect;o-a._~e ceux qui ont plus de sagesse et plus de pouvOir qu:e nous. Il ne nous isole pas de )a communa:zté à laqu'é:Ye>< nous appartenons et qui est une partie de nous-mèmes. Il dément que ces au~orités pré!llables puissent '?iv,_oir une signification ~ume. Il rejette tous ceux .qui 'P[~tendent être des Images d~ sa p:opre autonté et qui transforment son autonté d1vme en pouvoir d'oppression exercé par un tyran céleste. Le Dieu qui ne répond pas à la question de
l'autorité ultime transforme ·toute autorité préala,Pfe en moyens et en instruments de son autorité' de Dieu, qui est Esprit. L'autorité parentale n'est pas sur la terre l'image consacrée d'une autorité parentale qui existerait dans les cieux, mais c'est le premier instrument avec lequel les qualités spirituelles d'ordre, de maîtrise de soi et d'amour nous sont communiquées. C'est pourquoi les parents doivent être honorés, bien qu'ils n'aient pas d'autorité inconditionnelle. Si Dieu,. notre Père céleste, ne peut répondre à la question de l'autorité, comment des parents le pourraient-ils? L'autori!é de la sagesse et de la connaissance n'est pas sur la terre l'image consacrée de l'autorité d'une omniscience céleste, mais c'est l'instrument avec lequel les qualités spirituelles d'humilité, de sagesse et de connaissance nous sont communiquées. En conséquence, si le sage doit être honoré, il ne peut être accepté comme ,une autorité incondition, nelle. Les autorités d'une. communauté, d'une société, d'une nation ou d'un État ne sont pas les images consacrées d'une puissance et d'une justice célestes, mais des instruments par lesquels les qualités spirituelles de solidarité, de compréhension, de justice et de courage peuvent nous être communiquées. En conséquence, les autorités .de la. société peuvent être acceptées comme garantissant l'ordre extérieur, mais non pas comme des autorités déterminant le sens de notre vie. · . L'auto:dté de l'Église n'est pas l'image cpnsacrée d~un gouvernement céleste de l'Église, mais·le 1 moyen par lequel la substance spirituelle de notre vie est préservée, protégée et renouvelée. 127
XI ~"'"'
Mê~\ l'autorité de Jésus le Christ n'est pas l'image consacrée d'un homme qui gouvernerait en dictateur : il a l'autorité de celui qui s'est vidé lui-même de toute autorité, il a l'autorité de l'homme sur la croix. C'est une seule et même chose que de dire : Dieu est Esprit et Dieu est manifeste sur la Croix. Vous qui luttez contre les autorités, et vous qui militez pour les aùtorités, écoutez l'histoire qui nous relate que Jésus a combattu contre les autorités et qu'il a établi une autorité qui ne peut être établie! Vous y trouvez la réponse qu'aucune réponse ne peut être donnée, sauf celle-ci : au-delà de toute au_torité préalable, vous devez vous maintenir ouverts à la puissance de celui qui est le fond et la négation de tout ce qui a autorité dans les cieux et sur la terre!. ..
Le Messie est-il venu ?
« Or il y avait à Jérusalem un homme du nom de Siméon. Cet homme était juste et pieux; il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint reposait sur lui. Et il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint donc au Temple poussé par l'Esprit, et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard les prescriptions de la loi, il le reyut dans ses bras, bénit Dieu et dit : « Maintenant, 6 Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. » Luc 2 : 25-32. 129 5
Liberté
<< Puis se tournant vers ses disciples il leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient c'e que vous vqyez/ Car, je vous le dis, bien des prophètes et des rois ont voulu voir ce que vous vqyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas ent~ndu! >> Luc
10 : 23
et
2.{.
Il y a quelques jours, j'ai eu une conversation amijuifsur l'idée de Messie dans le judaïsme avec et dans le christianisme. Finalement, nous avons énoncé la différence en des termes assez semblables à ceux de l'alternative devant laquelle Jésus a été mis par les disciples de Jean-Baptiste : <<Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre *? » Nous étions d'accord pour dire que les juifs attendent quelqu'un d'autre tandis que les chré, tiens affirment que << celui qui doit venir » est déjà venu. Les chrétiens disent avec Siméon : «Nos yeux ont vu ton salut. »Les juifS répondent : << Nous n'avons pas vu son salut, nous l'attendons. » Les chrétiens s'estiment bénis (d'après les termes mêmes de Jésus) parce qu'ils ont vu la présence de la puissance de salut dans le monde et dans l'histoire. Les juifs considèrent cette opinion presque comme un blasphème, parce que, selon leur foi, rien de ce qu'ils attendent pour l'âge messianique n'a encore eu lieu. Quand nous défendons notre foi chrétienne, ils soulignent que le monde ne s'est guère amélioré depuis les jours d'Qsée et de Jérémie, que les juifs, et avec eux la plus grande partie de l'humanité, ne souffrent pas moins qu'il y a deux mille ans, et que les visions prophétiques de jugement sont aujourd'hui plus réa-
un
* Matthieu I I 130
:
3·
listes qu'elles ne l' oni: jamais été. Que répondre à cela? Ilfaut cepéndantrépondre, non seulement aux juifS, mais aussi à d'innombrables chrétiens et de non-chrétiens, à nos amis, à nos enfants, et enfin, parce que' quelque chose pose en nom cette question. Il est difficile de répondre. Que pouvons-nous répondre, par exemple, à nos enfants quand ils nous demandent à propos de l'enfant de la crèche pourquoi en d'autres parties du monde « tous les enfants de deux ans et au-dessous >> sont morts ou sont mourants, non pas par ordre d'Hérode, mais à cause de la cruauté toujours plus grande de la guerre et de ses conséquences dans l'ère chrétienne et du déclin de l'imagination daris le peuple chrétien? Que pouvons-nous répondre aux juifs quand les rescapés de leur peuple, au retour des camps de concentration pires que n'importe quoi à Babylone, ne peuvent trouver un lieu de repos sur la face de la terre, et dans les grandes nations chrétiennes moins qu'ailleurs? Que pouvons-nous répondre aux chrétiens ou aux non-chrétiens lorsqu'ils ont réalisé que le fruit de siècles de techniques et de civilisations chrétiennes est la menace d'une autodestruction complète et universelle de l'humanité? Quelle réponse pouvons-nous faire lorsque nous voyons la maladie et la déchéance de notre vie après que le message de guérison et de salut a été annoncé chaque N oel depuis près de deux mille ans? Pouvons-nous dire : le monde, bien sûr, n'est pas sauvé, mais il y a en toute génératibn des hommes et des felllltles qui ont été sauvés du monde? Ce n'est pas le message de Noe!. D'après la légende de Noel, tous ceux qui attendent le Christ et reçoivent Dieu sont à la recherche du salut d'Israel, des païens 13·I
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et du monde. Pour eux, pour Jésus, pour les a:pôtres, le Royaume de Dieu, le salut universel, est à portée de la main. Si telle fut leur attente, n'est-elle pas complètement démentie par la rÇalité? Cette question est aussi ancienne que le message chrétien et la réponse qu'on lui donne est tout aussi an<;ienne,' comme l'indique notre texte. Jésus pr~nd ses disdples en particulier et leur parle en pnvé quand. il les loue de voir ~e qu'ils sont ~n train de vo~r. La présence du Mess1e est un mystere. Elle ne peut être divulguée à tout un chacun. Elle ne peut Ùre vue de tout un chacun. Elle n'est perçue que de Siméon et de ceux qui, comme lui, sont conduits par l'Esprit. Il y· a quelque chqse de surprenant et d'inattendu dans l'apparition du salut, quelque chose qui· contredit les opinions pieus~s et les exigen?es intellectuelles. Le mystère du salut est le mystère, dun erifant. C'est ainsi qu'il a été préfiguré par Esaïe; par la vision extatique de la Sibylle, par la vision poétique de Virgile, par les religions à mystères et par les rites de ceux qui célébraient la naissance. du nouvel éon. Tous pressentaient, comme les prermers chrétiens que l'événement du salut, c'est la nais' enfant. Un enfant est r éel et n ' est pas sance d'un encore réel. Il est dans l'histoire, sans encore être historique. Sa nature est visible et invisible. Il est là et il n'est pas encore là. Telle est exactement la caractéristique du salut. Le salut a la nature d'un enfant. Ainsi que la chrétienté le rappelle chaque année dans la plus émouvante de ses fêtes, célébrant la naissance de l'enfant Jésus, le salut si visible qu'il soit demeure aussi invisible. Celui qui désire voir un salut seulement visible ne peut voir l'enfant divin de la crèche, comme il ne peut .voir l'homme sur
la croix et le cheminement paradoxal de l'action divine. Le salut est Ùn enfant. Lorsqu'il grandit, il est crucifié. Seul celui qui peut voir la puissance sous la faiblesse, le tout sous la partie, la victoire sous la défaite, la gloire sous la souffrance, l'innocence sous la faute, la sainteté sous le péché, la vie sous la mort, celui-là seul peut dire : « Mes yeux ont vu ton salut. » Il est difficile de le dire de nos jours. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi. C'était, c'est et ce sera un mystère, le mystère d'un enfant. Aussi bas que puisse tomber le monde, même s'il va jusqu'à l'autodestruction, aussi longtemps qu'il y aura des hommes, ils feront l'expérience de ce mystère et diront : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez; »
133
XII " Celui qui çroi t . .. '' en moi. :14< S'l- cr;_ '7 tt.:)a)c.. ·~ (.; - p,;; 1.!.>
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Jésus a proclamé : ·« Qpi croit en moi, ce n'est pas en moi qu'il croit, mais en celui qui m'a envoyé, et qui me vqit, voit celui qui m'a envoyé. Moi, la lumière, je suis venu tians le monde, afin que quiconque croit en moi ne tlqrn,eure pas dans les ténèbres. Si quelqu'un entent! mes paroles et ne les garde pas, ce n~ est pas moi qui le condam· nerai, car je ne sui$ pas venu pour condamner le monde, mais pour sauver le monde. Qui me rejette et ne re,;oit pq.s mes paroles a son juge : la parole que j'ai fait entendre, voilà qui le jugera au dernier jour; car je n'ai pas parlé de moi-même, mais le Père qui m'a envoyé m'a lui-mime prescrit ce que je devais dire et faire entendre; èt je sais que son ordre est vie éternelle. Les paroles que je dis c'est donc comme le Père me l'a dit que je les dis. >> jean I2 : 44-50. <<
Celui qui croit en moi, ne croit pas en moi, 135
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mais en celui qui m'a envoyé .•. >>Ces mots·viennent à la suite d'une plainte amère de l'é~géliste à propos de l'incrédulité ou la demi~croyance du peuple et de ses chefs. Cette phrase est introduite par les mots ; «Jésus s'écria... >> Il fait un effort presque désespéré pour se faire entendre. Il proclame que croire en lui signifie ne pas croire en lui. L'objection. des incroyants était . et est totUours qu'il est impossible de croire en Jésus de Nazareth en tant que Jésus de Nazareth. Jésus déclare que cette objection est juste. Si on demande à quelqu'un de croire en moi, il ne doit pas croire en moi. On ne peut pas demander une chose pareille. On leur demande de croire en celui qui m'a envoyé, qui est plus grand que moi et avec qui je suis un. Je n'ai pas pris la parole de ma propre autorité. Et il poursuit : si je l'avais fait, les incroyants auraient raison. Que d'autorités dans le passé et dans le présent! Pourquoi accepter l'une et pas l'autre? Pourquoi se soumettre à une autorité? Jésus, en tant qu'homme, n'est pas une autorité ni un objet de foi. Ses qualités supérieures, sa vie religieuse, sa perfection morale, ses conceptions profondes n'en font pas un objet. de foi ou une autorité ultime. Il déclare sur ce plan : Je ne juge personne. Le contraire ferait de lui un tyran qui s'impose et impose sa grandeur à autrui. Il détruirait au lieu de sauver. Qu'en est~il de notre prédication? N'essayonsnous pas, en prononçant le nom de Jésus, ·d'imposer à nos interlocuteurs ou à nous~même quelque chose de grand à côté de Dieu? Mettons-nous en lumière le fait que croire en lui c?est aussi ne pas croire en lui? Si ce fait n'apparait pas clairement, n'œuvrons-. nous pas plus à la destruction qu'au salut? · xs6
Les peintres chrétiens l'ont su mieux que nous
sembl~t-il. Ils ne peignaient pas l'image de Jésu~ en tant que Jésus de Nazareth. Ils le peignaient sous les traits de l'enfant de Bethléem qui contient l'univers entier et qui « repose sur le sein de Marie » .comme le chantait Luther. La puissance du Seigneur des seigneurs brille sur ses traits d'enfant. Ou bien ils le figuraient sous les traits de celui qui porte visible~ ment la majesté divine en de grandes mosaïques où chaque partie de son vêtement laisse transparaitre la profondeur infinie qu'il représente et qu'il exprime. Ils le peignaient encore sous les traits du crucifié. qui ne souffre pas comme un être iadWitl'!Hl-1~ comme celui qui est à la fois l'univers souffrant et l'amour de Dieu participant à sa souffrance. Ou ?ien encore, ils le peignaient comme celui qui maugure le nouvel éon en commandant aux puissances de la nature et de l'âme humaine, aux forces démoniaques des maladies, des calamités et de la . mort. Ils ne lui donnaient pas des traits iacl:iv~~ Ils n'en faisaient pas le représentant d'un type psychologique ou d'un groupe social. . Regardez les peintures de la chapelle Sixtine. Michel-Ange a donné un aspect particl:ilier à chaque prophète et à chaque sibylle. Et quand il a peint Jésus en juge ultime, seule apparait une irrésistible puissance divine et humaine.• De nos jours, Jésus est devenu un objet de biographies et d'essais psychologiques. On l'a peint comme un fanatique ou comme un névrosé, ou un homme pieux souffrant, comme un philanthrope, un exemple moral, ou un maitre en religion, ou un meneur d'hommes. C'est ainsi qu'il cesse d'être celui en qui nous pouvons croire parce qu'il a cessé d'être 137
XIII celui en qui nous ne devons pas croire, si nous croyons en lui. Ce n'est plus Jésus le CQ.rist. · Nous ne pouvons adresser de prière à personne sauf à Dieu. Si Jésus était quelqu'un à côté de Dieu, nous ne pourrions pas et nous ne devrions 'Pas le prier. Beaucoup dè ·chrétiens, beaucoup de gens p.armi nous, ne parviennent pas à se joindre honnêtement à ceux qui prient Jésus-Christ. Quelque chose en nous s'y refuse, quelque chose d'authentique et de valable : la crainte de devenir idolâtres, la crainte d'être partagés dans notre loyauté ultime, la crainte de regarder deux visages au lieu d'une seule face divine. Mais celui qui le voit voit le Père. Il n'y a pas deux visages. Dans le visage de Jésus le Christ << Dieu fait luire son visage vers nous * ». Il ne reste rien dans le visage de Jésus le Christ qui soit seulement le visage de Jésus de Nazareth, le visage d'un individu parmi d'autres. Dans sa face, tout est transparence à celui qui ra envoyé. C'est pour cette raison et . pour celle-là· seulement que nous pouvons chanter quand vi_ent le temps de Noël : «Venez pour l'adorer!** »
* Allusion à la formule de bénédiction de Nombres 6 : 24-26 utilisée dans le culte de beaucoup d'll:glises proteS:tantes. (.N.d.T.} **Allusion au cantique de Noël:. Venite adoremus. (N.d.T.)
138
Oui et non
«Le Christ Jésus ..• n'a pas été oui .et non; il n) a eu que oui en lui. Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en lui... » II Corinthiens I : I 9-20. Paul tire parti d'un changement dans ses projets de voyage, et de la colère que ce changement suscite chez les chrétiens de Corinthe pour formuler une déclaration profonde et très importante côncernant Jésus << le Christ ». Par ~PJ?osition, cette déc!aration nous rappelle ce que d;sru.t un grand mystique protestant : il y a un << out » et un << non >> en toutes choses. Elle nous rappelle également l'opinion des théologiens et des philosophes qui ont soutenu que la vérité ne peut être exprimée que par un << oui » et par un c< non ~ simultanés. Enfin, cette déclaration nous rappelle 1 39
Liberté
la doctrine de la justification du pécheur qui, chez Paul, occupe une place centrale. D'après cette doctrine, Dieu dit « oui >> à celui auquel il dit « non >> simultanément. Ce« oui » et ce « 'non » ne sont-ils pas formulés par Paul d'une façon encore plus paradoxale dans la seconde Lettre aux Corinthiens quand il dit : « ... Inconnus quoique bien connus, mourants et voici que nous vivons, n'ayant rien et nous possédons toùt *... >> Voilà bien qui est à la fois « oui » et « non », et pourtant, il ajoute : « En Christ, il n'y a pas un « oui >> et un « non ». >> Vraiment? N'allons-nous pas de Vendredi Saint à Pâques, c'est-à-dire du « non >> le plus bas au « oui » le plus haut, le « non >> et le « oui >> de la mort et de la vie du Christ? «Oui et non! »Telle est sans doute la loi de toute vie. Jamais «oui » tout seul, ni <<non >> tout seul; Le << oui >> tout seul exprime une confiance tromp~use bien vite brisée par le << non » que prononèent trois personnages grisâtres : le vide, le péché et la mort. Le « non » tout seul exprime un désespoir trompeur dont le « oui » à l'égard de lui-même est manifeste dans sa résistap.ce au « oui » de l'amour et de la communion. Bien plus, << oui et non », telle est la loi de toute vérité. Ni « oui >> tout seul, ni « non >> tout seul. Le « oui >> tout seul montre l'arrogance de celui qui prétend que sa vérité partielle est l'ultime vérité. Derrière cette affirmation fanatique de soi se cachent tous les « non >> enfouis dans les profondeurs. Le « oui » tout seul laisse voir la résignation de celui qui rejette , toute vérité fondamentale. Il montre par son ironie complaisante à l'égard de toute parole
* II Corinthiens 6 140
: g.
où la vérité montre son emprise combien le « oui » à soi-même est ce qui se cache sous ces « non >> sans cesse réaffirmés. La vérité unit comme la vie un « oui » et un «non >>. C'est le courage d'accepter la tension infinie du « oui >> et du << non » qui donne à la vie sa richesse et sa vérité ultimes. Comment trouver ce courage? Ce courage est possible parce qu'il y a un << oui >> au-dessus du << oui >> et du « non » de la vie et de la vérité. Ce « oui >> ne nous appartient pas. S'il nous appartenait, notre « oui » le plus courageux; le plus universel et le plus · grand rencontrerait la contestation d'un « non >>. C'est la raison pour laquelle aucune théologie, aucune philosophie, ni même aucune théologie ou philosophie du « oui » et du « non >> ne peut s'imposer comme la vérité ultime. Quand elle y prétend une autre philosophie ou une autre théologie vient la contester. Le message du « oui » et du « non· » proclamé par Kierkegaard, par Luther ou même par Paul n'échappe pas non plus à ce « non ». Il n'y a qu'une seule réalité qui ne soit pas « oui » et « non », mais « oui » seulement : Jésus, en tant qu'il est le Christ. Pourtant, il se trouve lui aussi tout d'abord sous un« non »,comme ·tous les êtres humains. C'est le sens de la croix. Tout ce qui en lui est expression de la vie finie et de la vérité finie se trouve sous le «non >> avec. toute vie et toute vérité. C'est pourquoi il ne nous est pas · demandé de nous soumettre à lui comme à un maître infaillible ou comme à un exemple toujours adéquat. II nous est dit qu'en lui toutes les promesses de Dieu sont devenues effectives, qu'en lui une vie et une vérité au-delà du << oui » et du «non » sont devenues manifestes. Tel est le sens de la « résurrection ».
XIV Le « non » de la mort est vaincu et le << oui >> de la vie est transcendé par ce -qui est apparu en lui. Une vie dont la mort, une vtrité dont l'erreur ne sont plus le contrepoids sont visibles dans son être. Il nous montre le «oui » final qui n'est suivi d'aucun <<non ». Tel est le message de Pâques. C'est le message chrétien tout entier. C'est le fondement du ceurage qui permet de supporter la tension infinie du << oui >> et du « non >> dans tout le fini, même dans ce qui se réclame de la religion ou du christianisme. Paul rappelle que les chrétiens disent : «Amen, par Jésus-Christ*. >> On ne peut dire «amen.» qu'à une seuk réalité : le Christ. Le mot << amen >> marque la confirmation et exprime la certitude ultime. Il n'y a pas d'àutre certitude que la vie qui a vaincu la mort et que la vérité qui a vaincu l'erreur : le « oui >> au-delà de tout « oui >> et de tout « non >>. Paul indique ce qui nous donne cette certitude : ce n'est pas une information historique, c'est une participation au Christ en qui nous sommes affermis et qui a mis dans nos cœurs les arrhes de l'Esprit. Quand nous participons au « oui » au-delà de tout « oui >> et de tout « non », nous pouvons supporter le<< oui >>et le« non »de la vie et de la vérité. Nous tenons ferme, parce que nous sommes en lui et lui en n?us. Participant à s> ultime l'amen au-delà de TUJs << oui » et de nos << non ». '
* II Corinthiens I
: 20.
''Qui est ma mère et qui sont mes frères ? ''
« Il revient à la maison et de nouveau la foule s) presse au point qu'il ne leur était même pas possible de prendre de la nourriture. Et les siens, l'ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car ils disaient : << Il a perdu le sens. » Marc 3 : 19-21. << Sa mère et ses frères arrivent et, se tenant dehors, ils le font demander. Beaucoup de gens étaient alors assis autour de lui et on lùi dit : « Voilà que ta mère et tes frères et tes sœurs sont là dehors qui te cherchent. >> Il leur répondit : « Q,ui est ma mère et qui soni mes frères? >> Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit : « Vozci ma mère et mes frères. Qyiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère et ma sœur et ma ·mère. » Marc 3 : 31-35.
143
Liberté
La plupart de ceux qui entrent à J'université pour y poursuivre des études ne quittent pas la maison de leurs parents pour la première fois. Pour eux, cependant, il s'agit d'un premier pas important sur le chemin de l'indépendance. Chaque pas fait sur cette route les éloigne de leur lieu d'origine et de la famille où ils sont nés. Les premiers pas vers l'indépendance se font très tôt, comme l'indique de· manière typique l'histoire de Jésus dans le Temple, lorsqu'il avait douze ans *. Aucun de ces pas ne se fait sans douleur et sans erreur tragiques, comme l'indique également l'angoisse des parents de Jésus et les reproches qu'ils lui adressent. La profondeur du fossé qui va séparer Jésus de sa famille n'apparaitra qu'après le commencement de son activité publique. L'histoire que nous venons de lire, et que nous rapportent les trois premiers Évangiles, montre que Jésus se sert des relations familiales comme de symboles pour un ordre plus élevé, celui de la communauté de ceux qui font la volonté de Dieu. La profondeur de ce fossé est indiquée par la tentative faite par la famille de Jésus pour s'emparer de lui et le ramener à la maison, car son comportement extraordinaire leur fait croire qu'il est hors de sens. Ce fossé e8t marqué de manière plus nette encore lorsque Jésus déclare que celui qui aime son père et sa mère plus que lui ne· peut être son disciple, déclaration soulignée dans la version de Luc, où on lit que celui qui ne << hait » pas père et mère, femme et enfants, frère et sœur, et même sa propre vie, ne peut être disciple de Jésus**·
Toutes ces paroles tranchent dans les rapports naturels de la famille là où ils prétendent être absolus. Elles tranchent dans les liens des traditions et des conventions qui prétendent être inconditionnelles. Elles tranchent dans les liens familiaux qu'ils soient consacrés par la religion ou par des lois civiles qui les font égaux aux liens tissés entre ceux qui appartiennent à la nouvelle réalité en Christ. La famille n'est pas une réalité ultime! Les relations familiales ne sont pas inconditionnelles. La consécration de la famille n'est pas la consécration du but de la vie. Nous ne manquons pas de concevoir à quel point ces paroles sont révolutionnaires en regard des religions et des cultures de l'humanité. Mais il nous est difficile de mesurer leur portée révolutionnaire par rapport à ce qui s'est passé de siècle en siècle dans les nations dites chrétiennes. Sous ce rapport, comme sous beaucoup d'autres, les Églises n'ont pas maintenu le radicalisme du message . chrétien. Cependant, malgré son radicalisme, le message chrétien n'exige pas la dissolution de la famille. Il l'affirme en limitant sa signification. Jésus reprend la prophétie de Michée d'après laquelle, dans les derniers jours, « le frère livrera le frère à la mort et le père son enfant; les enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir *. » Cette prophétie fut prononcée en un temps où la puissance démoniaque faisait éclater .la famille et la tra.D.sformait en son contraire. Quand Jésus reprend cette prophétie, il lui ajoute : «·Vous serez haïs de tous à cause de mon nom **. >> Les termes utilisés pour décrire l'éclatement démoniaque de la
* Luc 2 : 41-52. ** Luc 14 : 26.
* Michée 7 : 6 d'après le texte grec de Marc ** Marc 13 : 13.
13 : 12.
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Libert é
famille servent à décrite son· éclatement sous la pression de la puissance di;ine .inévitable.. 'est toute l'ambiguïté profonde de 1 enseigD.ement b1blique sur la famille. Examinons mainte nant notre situation actùelle. Nous ne pouvons rompr e les liens qui nous unissent à notre famille sans nous sentir coupables. Une question se pose : est-ce un entê~e~ent démoni~que qui fait éclater la communion familial~ ou n~.seralt-ce pas plutôt le premier pas sur le chemm de 1 mdépendance et d'une indépendance proven ant d'une comp;éhension personnelle de la volonté de Dieu nous libéran t de l'asservissement à la famille? Jamais nous ne connaîtrons la réponse avec certitude. Il faut prendr e le risque d'une faute tragique en nous libéran t de notre père, de notre mère, de nos frères et de nos sœurs. Aujourd'hui, et mieux sans doute que les générations précédentes, nous savons à quel point c'est infiniment difficile~ et ~omment peFsonne ne le fait sans en porter les c1catnces toute . sa vie. Il ne suffit pas d'être libéré de son père, de sa mère et de ses frères et sœurs pour devenir soi-même-.Notre famille peut nous laisser aller librement, encore que ce ne soit pas l'habit ude dans les- familles chr~ tiènnes. Mais si les parent s ont la sagesse d'ag1r ainsi leur image peut encore nous empêcher de ·pratiq uer la volonté de Dieu dans une situation concrète, c'est-à-dire d'y agir de telle manière que l'amou r, la justice et le pouvoir soient unis. Leur image peut nous détourner de l'amou r en nous assujettissant à la loi. Elle peut nous priver d' éner~ie en affaiblissant le centre de notre personnalité. Elle peut nous empêc her de pratiqu er la justice en nous rendan t aveugle à la situation concrète et à toutes 146
ses exigences. Il peut arriver que l'image de nos frères et sœurs (bien qu'il soit plus facile de s'en libérer d'une manière extérieJJ.re) nous pousse à prendr e des décisions qui vont orienter pour le pire des périodes entières de notre vie. Comprenez-moi bien! L'opposition et la révolte, ce n'est pas encore la liberté. L'opposition et la révolte ne sont que des étapes inévitables sur le chemin de la liberté. Elles peuvent créer d'autre s servitudes quand elles ne sont pas surmontées comme devait l'être déjà notre toute première dépendance. Comment cela se passe-t-il? II faut bien sûr recourir à la psychothérapie dans les cas pathologiques. Jésus lui-même a agi en médecin du corps et de l'âme. Mais il faut encore quelque chose. Nous devons dépendre de ce qui nous donne une indépendance ultime, de l'image qui englobe et transcende les images paternelle et maternelle; nous devons dépendre de la vie qui rend possible la haine ou l'amou r de toute vie, y compris de la nôtre. On ne trouve la solution d'aucu n problème humai n, et en tout cas d'aucu n des problèmes familiaux, au ruveau de la finitude. Cela est vrai, bien que nous sachions aussi que l'image de Dieu peut être déformée à ce point par Pimage du père ou de la mère qu'elle en vient à perdre presque tout son pouvoir de guérison. On trouve ce danger dans toutes les religions. C'est une sérieuse limite imposée à notre direction spirituelle, mais ce n'est pas une limite pour Dieu. Il brise sans cesse les images que nous nous formons de lui. Dans le Christ, il nous a montré qu'il n'est pas seulement notre père ou notre mère, mais qu'il est aussi un enfant, et qu'en lui les conflits inévitables en chaque famille sont par conséquent surmontés. 147
xv Le père qui est aussi un enfant est plus qu'un père et plus qu'un enfant. Voilà pourquoi nous P?uvons priey notre Père céleste sans transférer sur lm notre agressivité envers l'image paternelle. Nous pouvons dire <
" Tout est à yous " 2 '1
20f
(( Que nul ne s'abuse! Si quelqu'un parmi vous se croit un sage au jugement de ce monde, qu'il se fasse Jou pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant
Dieu. »
·
I Corintlùens 3 : 18-rg. Quand un prédicateur prêche sur ce texte au service du matin, il y a toujours quelqu'un, pendant lecours qui suit, pour me faire par écrit cette question : « Que pensez-vous du sermon de ce matin? » c'est-à-dire : « Comment faire encore de la philosophie après ce jugement si négatif de Paul? » Je voudrais tenter d'apporter une réponse en donnant mon interprétation de ce que Paul veut dire. Il nous donne la clef de sa pensée au terme de sa discussion·:. « Ainsi, que nul ne se glorifie danS les hommes car tout-est à vous, soitPaul, soitApollos,soitCéphas,
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soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit le présent, soit l'avenir. Tout est à vous; mais vous êtes au Christ et le Christ est à Die,u. >> (I Corinthiens 3 : 21·23.) Paul a posé la question : <> Et maintenant, il déclare : <> Cela veut dire que la sagesse de ce monde aussi est à nous. Et comment pourrait-il en être autrement? Pourrions-nous lire les paroles de Paul sans la sagesse du monde _qui nous rend capables de comprendre les textes anciens, qui nous procure le moyèn de diffuser le messa~e chrétie~ s~ toute la terre, qui engendre -et soutient les Institutions politiques, scolaires et artistiques, qui protège l'Église et dont elle se sert? Tout est à vous. Mênie les différentes théologies sont à nous, la plus dialectique celle de Paul, comme la plus ritualiste, celle de Pierre, ou la plus apologétique, celle d'Apollos. Il n'y a qu'une sorte de théologie que Paul n'aime pas, celle qui veut monopoliser le Christ et qui se donne le nom de << parti du Christ ». La. sagesse du monde est nécessaire à chacune de ces théologies, il leur faut des scribes, des controversistes, des philosophes et un langage auquel tout le monde apporte sa contribution. On ne peut pas le nier. Mais il. est possible de discréditer par des bavardages ce qu'on ne peut éviter d'utiliser. Il y a une profonde malhonnêteté dans le refus de la recherche historique et .de la pensée philosophique en théologie. Dans la vie courante, on dit que quelqu'un est malhonnête quand il diffame ceux qu'il emploie. Nous ne devons pas. nous laisser aller à une telle malhonnêteté da:ps notre œuvre théologique. Nous ne pouvons éviter l'usage de la sagesse de .ce monde. On ne s'en sort
rso
pas en' disant : prenons-en un tout petit peu, mais pas trop, de façon à éviter le danger 51ue cela comporte. Paul ne veut certainement pas dire cela. Il d1t : le monde entier est à · vous, la vie tout entière, le présent et le futur, tout et non pas seulement une partie. Ces paroles importantes évoquent la com;aissance scientifique et sa passion, la beauté esthétique et son émotion, la politique et l'usage du pouvoir, le manger etleboireetlajoiequ'on y éprouve, !asexualité et son extase, la vie familiale et sa cordialité, l'amitié et son intimité, la justice et -sa clarté, les forces de la nature et leur repos, le monde humain construit par l'homme au-dessus du monde, le monde teclmique et sa fascination, l'humilité de la philosophie (qui pourtant ose se faire appeler amour de la sagesse), et la profondeur de la philosophie qui pose les questions ~times. , ., Mais ... Ce« mms » dePauln estpasunemamere de reprendre d'une main ce qu'il a donné de l'autre! « Mais, vous êtes au Christ », c'est-à-dire : vous êtes au Christ dont la croix est folie et faiblesse pour le monde. La sagesse du monde, sous toutes ses formes, ne peut connaître Dieu. Les puissances de ce monde, sous toutes leurs formes, ne permettent pas d'atteindre Dieu. Quand elles s'y efforcent, ~lies produisent l'idolâtrie, et leur folie est dévoilée, cette folie qui est l'idolâtrie. Aucun être fini ne peut atteindre l'infini s'il n'est brisé comme a été brisé sur la croix celui qui représentait le monde, sa sagesse et sa puissance. La folie ét la faiblesse de ·la croix sont ensemble la sagesse ultiJ?le~ Sagesse qui fait du Christ non pas le représentant de la sagesse et de la puissance de ce monde, mais le représentant deDieu.Lacroixfait du Christ lereprésentantde Dieu. 151
XVI Cette folie nous fait obtenir la sagesse qui nous permet d'user de tout ce qui est à nous, de la sagesse du monde, et même de la philosophie. Quand elle n'est pas brisée, elle nous domine. Qtland elle est brisée, elle est à nous. << Brisée » ne veut pas dire ici <Ç réduite >>, appauvrie, dominée, mais émondée de sa tendance à l'idolâtrie. Paul a le courage d'affirmer que tout nous est donné. Son courage, .son ouverture au monde, sa maîtrise de la vie devraient nous rendre honte_ux, nous et nos Églises. Nous avons peur d~accepter ce qui nous est donné. Nous nous tenons dans une sorte de retraite contrainte à l'écart du monde. Nous fuyons la vie alors que nous devrions la dominer. Nous ne nous comportons pas comme si tout était à nous, et le'> Églises encore moins que nous. Cela tient au fait que nous ne savons plus, nous comme nos Églises, ce que Paul savait : nous ne savons plus ce que veut dire être au Christ, et, parce· qu'on appartient au Christ, être à Dieu.
" Y a-t-il une. parole du Seigneur ? "
<<Je n'ai pas envoyé ces prophètes et ils courent! Je ne leur ai rien dit, et ils prophétisent! Ont-ils assisté à mon conseil? ·alors qu'ils annoncent mes paroles à mon peuple, qu'ils fassent revenir les gens de leur voie mauvaise et de la perversité dé leurs actions! «Ne serais-je un Dieu que de près- oracle de f'akvé -, <de loin, ne serais-Je plus un Dieu? Un homme peut-il se terrer dans une cachette ·sans que Je le voie ? oracle de rakvé. ·Est-ce que le ciel et la terre je ne les remplis pas? oracle de f'ahvé. >> .<< J'ai entendu comment parlent les prophètes qui propké. tisent en mon nom des mensonges; ils disent : « J'ai eu un songe! J'ai eu un songe! >> Combien de temps auront-ils cette 153
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pensée au cœur, les prophètes gui prophétisent, l~ mensonge et annoncent l' impostùre de leur .cœur 1 Ils pretendent, avec les songes qu'ils se racontent l'un à l'autre, faire oublier mon Nom à mon peuple : ainsi leurs pères ont oublié mon Nom au profit de Baal! Le prophète q~i a. e~ un songe,. qu'il raconte son propre songe! Et celuz qm t'lent de moz une parole, qu'il délivre fidèlement ma parole! << Q.u' ont de commun la paille et te froment? Oracle de rahvé. Ma parole ne brale-t-elle pas comme un feu? N'est-elle pas comme U!/. marteau qui pilonne le roc ? « Aussi je vais m'en prendre aux prophètes oracle ~e .rahvé- qui se dérobent mutuellement mes paroles. Je vazs m'en prendre aux prophètes- oracle de rahvé- qui n'ont qu'à déclencher leur langue pour émettre des oracles. » Jérémie 23 : 2I-3I· « Le roi Sédécias l'envoya chercher. Et secrètement dans son palais, le roi lui demanda : (( ra-t-il une parole de rahvé? )) Jérémie répondit : « Certes! >> Et il ajouta : << Entre les mains du roi de Babylone tu seras livré. » Jérémie 37 : IJ.
Y a-t-il une parole du Seigneur? Voilà une question que ces . hommes ont posée à toutes les époques de l'histoire.. Des~rois l'ont posée à l'heure du danger. lh; interrogeaient des prêtres et des prophètes. Des peuples l'ont posée dans les temps d'inquiétude. Ils interrogeaient des hommes et de~ femm~s extraordinaires, qu~on tenait souvent pour des onginaux; des illuminés ou des fous. Cette question a été. posée par des individus ·devant prendre de graves décisions personnelles. Ils· la po~aient aùx Saintes 154
Écritures pour qu'elles leur donnent un inessagê venu de saints ou d'inspirés. Et nous? N'avons-nous jamais demandé une parole du Seigneur? Beaucoup, · sans doute, répondront par un·<< non » catégorique. Ils diront qu'ils ont toujours tout décidé par eux-mêmes, en jugeant raisonnablement et intelligemment sur la base de leur expérience et de leur connaissance. C'est impressionnant! Peut-être sommes-nous honteux de confesser qu'il nous est arrivé de demander une parole du Seigneur. Mais défendons-nous de répondre avant d'avoir examiné le sens de la question : Y a-t-il une parole du Seigneur? Nous ne devons pas nous laisser égarer par la locution « parole du Seigneur >>. Elle semble indiquer à première vue que l'on se tourne vers une autorité céleste, après constat d'échec de toutes les autres autorités, de la raison y compris. Elle a l'air de dire que nous demandons au maître de la Providence de nous faire part, un bref instant, de ses plans à notre égard et à l'égard de l'histoire. Une telle faveur n'est jamais accordée. La réponse des voyants, des illu' minés, des livres et des voix intérieures est le plus souvent ambiguë et sujette à diverses interprétations, de telle sorte qu'il faut recourir à un autre oracle ·pour interpréter le premier, et ainsi de suite... Quand cette réponse est claire, elle s'accorde aux meilleurs avis de la sagesse que nous pouvons acquérir sans le secours d'un ·oracle. C'est pourquoi, je le répète, ne nous laissons pas égarer par la locution.« parole duSeigneur »:elle ne nous parle pas d'oracle capable ·de nous dire ce qu'il faut faire ou ce qu'il faut attendre. De quoi s'agit-il? C'est une voix venue d'une dimensiondifférente
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(
de celle de la vie ,courante. Elle pénètre dans la dimension des choses et des événements que nous appelons notre monde. Dans ce monde, elle ne nous aide pas à arranger les choses avec plus de succès. Elle n'ajoute rien à notre connaissance des facteurs qui agissent dans une situation. Elle ne nous décharge pas de la responsabilité de nos décisions. Elle fait autre chose. Elle hausse la situation où nous avons à prendre des décisions à la lumière d'une dimension nouvelle, la climension de l'importance ultime et du sens infini que nous appelons le «divin ». Dans le cas du roi Sédécias et des faux prophètes que Jérémie a dü combattre, il s'est passé ceci : le roi .est venu trouver Jérémie. alors que lui et son peuple s'étaient mis dans une situation désespérée par leurs péchés, leurs erreurs et leur mépris des avertissements du prophète. Ils s'étaient fait conseiller par des politiciens nationalistes qui se prétendaient « prophètes >> sans avoir reçu une seule parole de Dieu. Aussi, ne surent-ils pas comprendre la gravité de la situation du royaume de Juda environné d'empires redoutàbles. Il manquait le réalisme, qualité du véritable prophétisme. Ils ne savaient pas voir au-delà des manœuvres politiques et des calculs militaires. Le désastre approchant, Sédécias essaya de trouver une parole d'aide ou de réconfort auprès du prophète. Jérémie, sorti de sa prison, lui dit la seule chose qu'il ne pouvait pas entendre : « Tu seras livré entre les mains du roi de Babylone, Dieu. ne te sauv~ra pas! » Le roi se dit : c'est vrai! et il ne· fit pas mettre à mort le. prophète de malheur comme l'aqrait fait de nos jours un dictateur ou une populace nationaliste. Le roi vint l'aider dans son misérable emprisonnement. Mais il ·ne fit rien pour changer la 156
situation, psychologiquement et politiquement c'était trop tard, la menace du prophète, la parole du Seigneur adressée à Sédécias, devint une terrible réalité. Cette parole a été prononcée en vain, mais on en fait encore mémoire, non pas comme d'un fait historique intéressant, mais comme. d'un événement où l'éternel a donné un sens ultime à une catastrophe historique. Les nombreuses paroles du Seigneur recueillies dans l'Ancien Testament ont toutes cette caractéristique. Ce ne sont pas les promesses d'un souverain omnipotent destinées à remplacer les forces militaires et politiques. Ce ne sont pas les leçons d'un maitre omniscient destinées à remplacer les jugements sains. Ce ne sont pas les avis d'un conseiller céleste destinés à remplacer les avis de l'intelligence humaine. .Ce sont les manifestations de quelque chose d'ultime qui s'introduit dans notre existence, dans toutes nos préoccupations et dans toutes nos connaissances. Ces 1nanifestations n'ajoutent rien à notre connaissance. Elles donnent une nouvelle dimension à la dimension .d,ans laquelle nous vivons notre vie ordinaire. La parole du Seigneur est la. parole qui parle dans les •profondeurs de notre situation. On peut dire d'elle · u'elle est le sens le plus profond de la situation, ou . toute situation possible en ce monde. Et c'est aussi le sens de notre situati~n qui nous . ;earle quand nous recevons up.e parole du Seigneur. Supposons être à l'heure d'une décision impor· tante, et qu'il faille choisir, mettons, une profession cn1. un conjoint. Nous connaissons la plupart des .motifs qui peuvent influencer nos décisions. Nous connaissons également nos réfl,ctions devant ces motifs. I!qurtant, no~s ne parvenons pas à n.ous décider. 1
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L'angoisse du possible nous t~ent sans repos. Nous éim-
s'
mérons une, deux... pOSsibilités... et peut-être beaucoup d'autres. Nous découvrons qu'ellés comportent chacune un nombre déroutant de conséquences. Nous prenons l'avis d'amis ou de conseillers. Nous cherchons des conseils en nous-mêmes. L'angoisse devant la décision ne fait qu'augmenter. Un désir est en train de naître en nous, le désir de quelque chose qui puisse nous libérer de l'angoisse devant le possible en nous donnant le courage de nous tourner vers le réel. C'est la question posée dans notre texte : y a-t-il une parole du Seigneur? Nous avons peutêtre reçu une réponse. Ce n'était pas un oracle nous disant quelle profession choisir ou qui épouser. C'était une voix venue des profondeurs de notre situation pour élever notre problème concret dans une perspective ultime. Ainsi, quelques-uns de nos motifs ont perdu de leur importance, d'autres ont été renforcés. Il se peut aussi que l'équilibre des possibilités n'en ait pas été changé. Pourtant, cette voix nous a donné le courage de nous décider avec tous les risques que comportait la déCision, risques d'erreur, d'échec et de péché. La parole du Seigneur, la voix venue des profondeurs de la situation, met un terme à· l'angoisse du possible et donne le courage d'affronter le réel avec tout ce qu'il peut contenir d'éléments · discutables. . Quelqu'un dira : si c'est cela une «parole du Se~gneur » comment peut-elle m'aider à l'heure de la décision? Voulez-vous vraiment que je vous dise où trouver un oracle qui puisse vous libérer du fardeau de la décision? Ce qui est faible en vous le souhaiterait sans doute, mais ce qui est fort en vous le rejetterait. Le Seigneur dont vous.· attendez une
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, p~role veut que vpl,l.S· vous décidiez vous-mêmes. Il z.ne vous offre pas. un chemin sans danger. Vous . ppuve2; vous tromper en prenant. votre décision. Si ;~Y:Ol,l.l> réalisez à quel point, par rapport à Dieu, 'l'homme est toujours dansl'erreur, votre erreur tournera à votre bien. Si vous pr~nez le risque de l'échec présence de l'éternel, une parole du Seigneur vous .adressée dans votre échec. Voyons maintenant une situation tout à fait Preno:p.s une sjtuation où il· n'y ait pas ut:{;l:SJLun importante à prendre, ou, s'il en faut elles appartiennent à la catégorie des décicourantes et anodines. Rien n'est ici menaçant notre vie et pour notre bieri-être. On n'y trouve L,J;~:ntllm<mt de culpabilité, ni désespoir, ni doutes ni vacuité intolérable. Ici rien ne resà une situation limite. Est-ce que cela veut qu'on n'y éprouve pas le désir d'une parole du ? Toutes les situations. qui ne sont pas des sont-elles privées de la parole qui de la dimension de l'éternel? Dieu est-il sHenquand les fondements ne sont pas ébranlés? une question difficile, à laquelle il est possible de bien des manières! Comment allonsrét:>Oild.I'e? Je n'oublieraijamais ce qu'un sage à mon grand-p~re quand j'étais encore : «J'ai parfois besoin de remercier quelqu'un une grande joie m'est donnée. » Avons-nous expériençe? Nous souvenons-nous d'insoù l'éternel s~est fait sentir dans la richesse, la grandeur ou dans la ·beauté du temporel? crois que beaucoup .de gens font un peu cette N"_aV()I1S·npus pas dit qll~ la parole du est l'apparition de ·l' ~terne! dans le terri-
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pore!? Ce n'est pas autre chose! Apparaître dans temporel ne signifie pas le nier. Cela peut "~tt.JLJ.Lll'!;;.L le nier, et c'est .ce qui arrive quand nous nous vons dans une situation-limite. Il y a des situatio limites dans la vie de chacun et elles sont n-,s,.,,,.... -r. dans l'histoire tragique de ·l'humanité. Mais · :p.el pénètre aussi le temporel en l'affirmant et élevant l'une de ses parties au-dessus du jeu des choses et des évén:ements pour la rendre parente à la gloire divine. Sans de tels moments, vie deviendrait pauvre et triste. Il n'y aura:it de création pour exprimer sa grandeur. Mais de moments existent. L'éternel brille en eux. Ils n"''''""'" devenir une parole du Seigneur. Quelques-uns parmi nous pensent peut-être c'est possible, mais cela nous est étranger~ L'éternel nous est apparu ni· dans les situations ultimes, dans les moments de grande élévation de existence temporelle. Nous n'avons jamais reçu parole du Seigneur. Je réponds :Il se peut que ne l'ayez pas entendue, mais elle vous a certainement . été adressée un jour. Il y a tottiours une parole Seigneur, une parole qui nous a été dite. Le problème de l'homme n'est pas que Dieu .ne lui parle pas. parle à tout ce qui porte visage humain. C'est ce fait de l'homme un homme. Celui qui n'est capable de percevoir quelque chose d'ultime d'infiniment signifiant n'est pas un homme. est homme parce · qu'il est capable de .une parole venue de l'éternel. La question pas que l'humanité n'ait pas reçu de parole de L;:t question, c'est qu'elle en a reçu, qu'elle leur résisté et qu'elle les a déformées. Telle· est condition commune. Il y a tottiours quelque
verticalement l'existence humaine. n'est jamais privé .des manifestations de ultimement sérieux et infiniment signi. il n'est sans une parole du Seigneur. ne cesse de lui résister et de la déformer, l'écoute et quand il la prononce. les chrétiens, et les pasteurs en particulier, être conscients de ce fait. Quand nous la parole du Seigneur et quand nous la lui résistons et nous la déformons. nous demandons pourquoi la Parole de nous découvrons souvent que ceux "'"'1crPTlt ne rejettent pas ce que nous voulons la manière dont nous voulons le dire. sont ceux qui rejettent la Parole de Dieu la manière dont nous l'annonçons est complètement dépourvue de sens. Ils la dimension de l'éternel, mais ils ne les noms que nous lui donnons. prêtons attention à leurs paroles, nous ·douter du fait .qu'ils aient ·reçu une parole Mais si nous les rencontrons comme nous savons qu'ils en ont reçu une. :a toujours une parole du Seigneur, une · a déjà: été dite. L'Église chrétienne croit parole a un contenu central et que ce le nom de Jésus, le Christ. C'est 'Église appelle Parole.de Dieu, non pas les · l'être de Jésus, le Christ. L'Église croit son être, l'éternel a pénétré dans le tem. manière qui nous donne une fois pour parole, ou mieux : la Parole du Seigneur. croit que, quelle que soit la Parole. du dite .dans une vie particulière ou dans 161
16o 6
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l'histoire, cette parole est impliquée dans la qui n'est pas parole mais réalité, réalité réalité de l'éternel dans le temporel, réalité de la résistance et de la déformation du t-Prnn,..,r,. Ainsi, nous n'aurions pas une parole .mais par~ le du Seigneur? Devons-nous, en tant chrétiens, nous vanter de l'avoir? Le lV<ms.-ni)US effectivement? N'avons-nous pas reçu ce par le truchement d'hommes? Nous qui l'.,u''"u.u.v....,,. ne sommes-nous pas des hommes? Ce message perd-il pas sa puissance de pénétration dans monde et en nous, en passant par la bouche ceux q~i l'annoncent et par les oreilles de ceux l'entendent? L'Église et ses serviteurs qui annoncent parole au long des âges en ont fait une affai:e de et de traditions, d'habitudes et de conventiOns. en font quelque chose que nous croyons connaître que nous avons essayé d'appliquer. Elle ne pénètre plus désormais dans notre monde quotidiez;t .. Elle fait partie intégrante de ce monde. Les mJ.lni!!tn~s de la Parole ont cessé de demander, d'implorer, une parole du Seigneur, tout comme jadis prophètes combattus par Jérémie. · Ils prétendent l'avoir en leur possession, et de ce fait, les paroles qu'ils disent ne sont pas les paroles du Seigneur, parce que la Parole de Dieu ne peut jamais être possédée. Nous avons reçu la Parole de Di~u, m~is elle a été déformée dans la bouche des prédicateùrs, et les oreilles de ceux qui l'écoutent lui ont résisté. Il s'agit de nous tous. Nous l'écoutons, mais sans l'entendre. Nous ne la rejetons pas, en tant que chrétiens, mais elle a perdu sa voix, la voix qu'elle avait quand Yahvé parlait au cœur du prophète; 162
qu'elle avait quand l'Esprit. parlait au disciples. Nous écoutons des paroles qui ..... •-4'-•·~u autrefois, sans sentir qu'elles s'adressent fond de notre situation. Elle peut même ·nous des doutes torturants. Elle peut nous à demander passionnément une parole du · contre ce que nous avons reçu dans la dans l'Église comme Parole de Dieu. Il d'autre parole du Seigneur que la parole qui , adressée a~ourd'hui. Comment recevoir dite a~ourd'hui, et dite pour nous? u'une seule réponse! Il faut se maintenir ""~'"'u.u...... elle vient à nous. Cela n'est pas facile. de lui résister. Quand elle est plus nous, nous essayons de la déformer. Nous être dans une situation dont nous ne pou. sortir nous-mêmes. Ou bien, il est trop . que nous puissions nous en sortir. Alors, du Seigneur retentit comme une sentence et nous ne pouvons pas la recevoir. elle exige de nous un changement radical manières de vivre et de penser et comme pouvol).S pas accomplir cette transformation, · restons à nos vieilles habitudes, bonnes et vraies et fausses. Ou bien encore, elle . nous alors que nous doutons ou que nous et elle nous demande de dire « oui » à ~.In~~m•es parce qu'un cc oui » éternel est prononcé Nous résistons à la parole qui réclame de courage de dire « oui » à la vie, parce que 'sommes amoureux de notre doute, de notre t de culpabilité et de notre désespoir. n'est pas facile de rester ouvert à la Parole du . Personne ne peut nous rendre la chose plus 1.63
aisée. On ne peut nous indiquer aucun lieu privilégié dans notre religion, dans les créations de la culture ou dans les profondeurs de l'âme. A cause de cela, il n'est aucun lieu qui ne puisse nous communiquer une parole du Seigneur. La Parole du Seigneur est toujours présente. Elle cherche toqjours à se faire entendre. Elle est omniprésente comme l'air qui nous entoure. Elle nous pénètre dans tous les espaces vides. Maintenant même, elle essaie d'entrer dans l'espace vide de notre âme. Aussi telle est la dernière question que nous posons : y a-t-il un espace vide dans notre âme? Ou bien : tout est-il rempli par ce qui est transitoire, préliminaire, sans signification ultime, quelle qu'en soit l'importance et quelque importance que cela ait? On ne peut recevoir la Parole du Seigneur qu'avec une âme ouverte. Écouter avec une âme ouverte, garder dans notre vie intérieure un espace vide, aiguiser notre attention spirituelle : voilà la seule chose que nous puissions faire. C'est beaucoup. Heureux ceux dont l'esprit et le cœur sont ouverts. Donc, tenons ouverts nos oreilles et notre cœur et demandons gravement et passionnément : y a-t-il une parole du Seigneur, une parole pour moi, maintenant, ici, une parole pour notre J;Ilonde d'aujourd'hui? Elle est là. Elle s'efforce d'approcher de vous. Restez-lui ouverts!
·Voir et entendre
dit alors : « C'est pour un jugement que je suis venu •monde : pour que voient ceux qui ne uoient pas et pour àux qui voient .deviennent aveugles. >> Des pharisiens se trouvaient avec lui entendirent et lui dirent : << Sommesdes aueugles, nous aussi? » Jésus leur répondit : uous étiez; des aveugles, vous seriez; sans péché; mais dites : « Nous voyons! >> Votre péché demeure. » 9 : 39-4!. La· Bible, Ancien et Nouveau Testaments, comme plupart .des autres littératures religieuses, nous · sans cesse d'un « voir ». cc Venez et voyez. » mots des disciples, nous les retrouvons dans les des prophètes et des apôtres. Na.us avons. vu : le message. des Évangiles et des Épitres. Il faux de dire que la foi religieuse est une en des choses dépourvues d'évidence. Le 165
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mot « évidence » signifie : Ç< voir à fond ». Il nous est demandé de voir. Ce ,que nous voyons nous est présent. C'est pourquoi nous voulons voir ce que nous aimons, ce qui, pour nous, est plein de sens. Les grands hommes de Dieu voulaient voir Dieu. Moïse l'a demandé à Yahvé comme la plus haute faveur. Isaïe est devenu le plus vigoureux des prophètes . après avoir vu Dieu dans le Temple. Jésus bénit ceux .qui ont le cœur pur en disant qu'ils verront Dieu. Dans le quatrième Évangile, Jésus déclare qu'il a vu le Père et que celui qui l'a vu a vu le Père. L'imagerie pieuse nous représente les anges et les saints comme ceux qui voient Dieu face à face. Quant à l'accomplissement ultime, le but de tout mouvement et de tout effort, il nous est dépeint comme la vision éternelle de Dieu. Cependant, des doutes et des questions nous viennent quand nous regardons la condition humaine. La foi n'est-elle pas le contraire de la vision? Ne faut-il pas croire sans voir? Jésus n'a-t-il pas béni ceux qui n'ont pas vu, mais qui ont cru? La foi n'est-elle pas définie comme l'évidence des choses qu'on ne voit pas? Paul n'a-t-il pas écrit : « nous marchons par la foi et non par la vue * »? et << nous regardons non pas aux choses visibles mais à celles qui sont invisibles ** »?Tout ceci semble indiquer que la foi · se fonde sur l'audition et non sur la vision. Vous écoutez quelque chose sur ce que vous ne voyez pas. Vous croyez celui qui vous parle. Vous acceptez les paroles des autorités avec obéissance et humilité. Vous croyez ce que dit la Bible, parce que c'est la Bible qui le dit. Vous acceptez l'enseignement
*
**
II Co~1;hiens 5 : 7· II Cormthiens 4 : 18.
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<'!el'Église parce qu'il est l'enseignement de l'Église. 'Y:ous appelez « Parole de Dieu >> la parole de la Bible et de l'Église. Vous écoutez, vous croyez, :v;ous obéissez, mais vous :ne voyez pas. Il y a eu, dans F:Église, autrefois, de longs conflits à propos de la ~jgnification religieuse de l'audition et de la vision. ]$ vision a d'abord prévalu, puis l'audition est 4evenue de plus en plus importante. A l'époque de la l'audition a remporté la victoire. La ~+..,,,..+,,.., d'un lieu de culte protestant typique montre clairement. C'est une salle aménagée entendre un sermon. Elle est dépourvue de tout peut être regardé, tableaux, sculptures,; et vitraux comme aussi de la plupart des cMréna.orues sacramentelles. C'est une construction sur la cha:lre du prédicateur. Elle a été pour l'écoute de la Parole de la Loi et de 1 n"',""'~....; Le regard n'y peut trouver le repos de la uni;e.rrlPl<:l.u'lJu. L'écoute a remplacé la vue, l'obéisa remplacé la vision. Jésus dit : «Je suis venu en ce monde pour que t ceux qui ne voient pas. » L'apôtre dit : « Ce ·nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons nous vous l'annonçons *. » Ils ne parlent ni l'autre du futur, mais de quelque chose ont vu et qu'ils voient f(TtCore. Ils n'opposent pas et . voir, l'audition et la vision, comme de théologiens anciens et modernes. « Ce nous avons v'u et entendu », dit l'apôtre **. ·qui voit le Fils a vu le Père )>,dit Jésus ***·
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Et voici qui est encore plus importan t et encore plus surprenant . : ce que nous avons vu de nos yeux, suivant notre évangile, est la Parole, la Parole, le Logos éternel, par qui Dieu parle, qui peut être vu dans l'œuvre de la création et qui est visible dans l'homme Jésus. La Parole peut être vue, voilà qui constitue l'unité la plus haute de l'audition et de la vision. Voilà qui peut jeter un pont entre la demi~érité du protestantisme et la demi-vérité du catholicisme. · La vision est la plus étonnante de toutes nos possibilités naturelles. ·Elle reçoit la lu:zùère q~ .est la première chose créée : comme la lunuère, la VlSion est victorieuse des ténèbres et du chaos.. Par elle, le monde s'ordonne en choses distinctes les unes des autres et distinctes de nous. La vision nous permet de saisir leur aspect unique et l'ensemble auquel. elles appartiennent. Là où nous voyons, '?ne partie ~u chaos originel se transforme en création. Nous distinguons, noUs reconnaissons, nous nommons, nous connaissons. En grec, o:j'ai vu» signifie: o:je connais». Toute science part de la vision et doit toujours revenir à la vision. Nous posons des questions à ceux qui ont vu quelque chose de leurs yeux et nous désiro~s ensuite le voir nous-mêmes. Seul, le regard humam est à même de voir un monde dans chaque petite chose et un univers dans l'ensemble des choses. C'est pourquoi le regard de l'homme a une portée infinie et une puissance irrésistible. Il coiTespond à la lumière de la création. Voir signifie plus que èréer un monde. Quand nous voyons, nous sommes unis à ce que nous voyons. La Vt.te est une sorte d'union. Comnie l'a dit ï.m poète : nous buvons les couleurs, les formes, les inten)
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· sités .et les . expressions. Elles deviennent une ·partie de nous mêmes. Elles donnent une richesse à notre isolement stérile. Elles ruissellent en nous, même .qu;md nous n'en sommes pas conscients. Quelques · fois, nous leur faisons bon accueil et nous en désirons encore davantage. Mais toute vision n'a pas ce caractère unitif. Si' nous ne voyons les choses que pour les observer en vue de les dominer pour nous en servir, il n'y a pas d'union effective. Nous les tenons à distance. Nous nous efforçons de les mettre sous notre emprise, notre usage, et comme moyens pour atteindre but. Dans cette vision-là, il n'y a aucun amour. regardons froidement les êtres qui servent. <>:.1\1•1'1 "'VOUS pour CeUX que nous employons un regard -.u••,_u..... ou indifférent, sensuel ou agressif, hostile ou Il y a un abus du regard sur ceux que nous C'est le regard de la foule sur le crucifié la peinture du moyen âge. Même ce regard-là unir, mais d'une union dans la séparation. La qui unit effectivement est bien différente. Le ".~,,~._.........,u »sert à la désigner dans notre langue. signifie : voir dans. C'est une vision approcompréhension accompagnée d'un être C'est une vision modelée par l'amour. maître à penser de tous les siècles, Platon, visions et .les paroles ont influencé profonle quatrième Evangile et l'Église, connaisvision qui unit. Il l'appelait l'amour qui à une intuition véritable : · o: l'enfant de la et de la richesse ». Cet amour comble nos· la richesse de notre monde. Il nous comble ·LLL•"'-'J.t'-'L'-' que la vision du multiple disloqué te qùe nous voyons en detniet et qui nous 11" '
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détruit. Nous voyons en d~rnier ce qui unit, ce qui est .éternel dans et au-dessus des choses éphémères. Platon voulait initier ses disciples à cette vision. Ceci nous conduit à une autre caractéristique de la vision; la plus significative. Jamais nous ne voyons que ce que nous voyons. En voyant, nous voyons quélque chose de plus! La vision crée, elle unit, et par-dessus tout, elle avance au-delà .d'ellemême. Si nous regardons une pierre, nous ne voyons directement que les couleurs et la forme d ·la face tournée vers nous. Mais avec cette surface limitée, et par elle, nous percevons le volume, les dimensions et la masse de sa structure tout entière. Nous voyons au-delà de ce que nous voyons. Si nous regardons un animal, nous voyons· directement la couleur et l'aspect de sa peau. Sous cet aspect, nous aperce:vons la tension et la force des muscles et les pulsations de son organisme voilé et dévoilé par sa peau. Si nous regardons un visage humain, nous voyons des traits et des teintes, et dans ces traits et dans ces teintes, nous percevons une personne unique, incomparable, dont nous saisissons l'expression. Nous somm~s capables de lire sur le visage le& signes d11 caractère .et du destin, parfois même, on peut entr'apercevoir quelque chose de l'avenir. Au travers de ses formes, de ses teintes, et de ses mouvements, nous voyons l'amitié ou la froideur, l'agressivité ou. le dévouement, la colère ou l'amour, la tristesse ou la joie. Noq.s voyons pluS de choses qu'on ne voit à la vue· d'un visage~ Parfois, il nous arrive de voir une nouvelle profondeur. Le langage va encore nous aider en nous parlant de contemplation. Cqntempler signifie· ; aller au Temple, dans la sphère du sacré, aux racines des 170
ièhoses, à leùr ·fond créateur. Nous voyons des forces mystérieuses que nous appelons la Beauté, la Vérité et la Bonté. Jamais nous ne les voyons en ellesnièmes, car nous ne pouvons les voir que dans les Choses et dans les événements. Nous les voyons dans fa.forme d'une t:,ose, dans le mouvement des étoiles; dans rimage d'un ami. Nous pouvons les voir, mais bela ne nous -est pas nécessaire. Nous pouvons fermer yeux. Nous pouvons nous aveugler. Il y a des aveugles à la beauté quand elle est plus qu'une , ,:sen:s> les choses, les hommes, ,:év:én,em.ents et les représentations. Nous appe>> cette vision qui n'est pas une vision. ne peut voir et cependant nous pouvons « avec et dans ». Ici prend fin l'opposition et de l'audition. La Parole nous indique •n-<>·rrt••r et quand nous avons vu, nous disons ce avons vu et entendu. L'audition et la vision à ce stade que nous appelons la foi. C'est raison que le sacré est mieux traduit par que par tout autre moyen d'expression. donne des ailes à la parole et à l'image, de la parole et de l'image.
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Après cette envolée, il nous faut revenir à la solitudè de la condition humaine. L'Évangile dit que nous ·sommes tous des «aveugles ». Jésus dit que nous sommes aveugles parce que nous croyons voir, alors que· nous ne savons pas que nous sommes aveugles. Il nous menace d'une plus grande cécité encore,· si nous continuons d'affirmer que nous voyons. Voilà la question : entre tous les lieux sacrés, quel est celui qui ·nous permet de voir jusqu'au fond de tout être? Qui peut diriger notre contemplation dans le Temple et dans le Sacré? La vision nous donne un q. monde » qui est l'ordre et l'unité du multiple. Mais dans cet ordre, nous ne voyons que le désordre, et dans cette unité, nous ne voyons que des conflits menaçant de faire exploser le monde et de le ramener aux ténèbres du chaos. L'ordre et le désordre sont mêlés à ce point qu'il nous arrive de nous sentir pt:iS de vertige quand ' le fond et le sens se dérobent. Nous désirons alors fermer les yeux. La vision nous unit à ce que_ nous voyons. Nous voyons beaucoup de choses, tant de choses avec lesquelles nous ne voulons pas être unis parce que nous y sommes ind#férents ou hostiles, ou réciproquement, tant de choses pour lesquelles nous éprouvons du dégoût et de la haine quand nous les voyons, parce que la- visiqn de ces choses nous unit à elles, ne serait-ce qu'au travers de la haine. Il se .peut que nous désirions ne plus voir jusqu'à notre propre moi parce que nous éprouvons de la répulsion à la vue de notre image et que nous la haïssons dès que nous la voyons. Nous sommes unis à nous-mêmes, non par l'amour mais par la haine. Comme Œdipe, il se peut que nous en venions à vouloir noùs priver de la vue parce qu'elle n'a pas 172
ce qu'elle aurait dû voir et qu'elle ne peut supce qu'elle doit voir. Les choses que nous voir et celles que nous détestons voir ne sontpas intimement mêlées? N'allons-nous pas alors ,,.,~,-"' louer la misère de la cécité? La vision est une vision de la profondeur des êtres, dans les êtres, et par les êtres. Une vision qUi de leur bonté et de leur vérité jusqu'à leur fond · Quels sont les êtres et quelles sont les images peuvent nous conduire dans ce Temple? . ~ceux que Jésus appelait «aveugles >> disaient ,~y·"'~i,._.,_ le chemin du Temple et du lieu très saint. y a, _de par le monde, d'innombrables temples Iii -rerûe1:m(~nt des choses et des ïm.ages dans leset par lesquelles nous pouvons voir Dieu. _ce que nous y voyons, ce sont des idoles fascihorribles; irrésistibles par leur beauté séduiet leur pouvoir destructeur. Elles exigent ce ne peut être accompli. Elles promettent ce qui être donné. Elles nous donnent ce qui élève "''-''"'-"'''v en même temps. Tout cela arrive parce nous retiennent auprès d'elles au lieu de us:ac.lleJn111er au-delà d'elles. Elles bornent notre par leur attrait démoniaque et elles prennent ass1eSSJlOn de nous. Nous les contemplons, nous allons temples et nous nous laissons unir à elles -soumission. Nous les quittons vides, désespérés Telle est la tentation de la vision. Voilà ·on lui a opposé l'audition. Voilà pourquoi ont été souvent détruites et interdites, les · Voilà pourquoi Dieu a été appelé : infini. Ce n'est pourtant pas le dernier mot, vide peut être à la fois lumière et ténèbre, et :·aesrrc)ns lalurnièrè, la lumière qui est vie et vision.
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Jésus aurait pu devenir une idole, un héros religieux national, fascinant et destructeur :c'est ce que désiraient les foules. Les foules et les disciples l'ont vu, ils l'ont aimé, ils ont vu en lui la bonté, la vérité et le sacré et ils ont succombé à la tentation de la vision. Ils ont retenu précisément ce qu'il faut sacrifier pour que Dieu apparaisse en tout être mortel. Quand il s'est sacrifié lui-même, ils ont détourné les yeux avec découragement, tout comme ceux dont les idoles viennent d'être détruites. Mais il y avait tant de force en lui qu'il a attiré de nouveau leur regard. Ils l'ont vu désormais comme un crucifié. Ils ont pu supporter cette vision parce qu'ils voyaient aussi en lui et avec lui le Dieu qui est réellement Dieu. Celui qui l'a vu a vu le Père. Ce n'est vrai que du crucifié, mais de lui, c'es_t vrai! Il ne fut certajnement pas le seul à voir Dieu profondément et à le càntempler. On ne nous demande p;:~.s de ne voir que lui, comme certains le prétendent. On ne nous demande pas de détourner nos yeux de tout, comme certains le pratiquent. On ne nous demande pas d'abandonner la richesse de la création comme certains le prétendent. On ne nous demande pas de refuser de nous unir à ce que nous voyons comme d'autres le prétendent. On nous demande de voir en toutes choses et par toutes choses cette profondeur dont il nous a montré le chemin. Nous la verrons sans être entravé par tout . ce qui veut nous écarter de la dernière profondeur. Quand nous sommes las de voir toute la richesse du monde, avec ses désordres, ses haines, ses séparations et ses destructions démoniaques; lorsque nous ne pouvons plus regarder la lumière aveuglante du fond divin, alors fermons les yeux. Alors; peutêtre, pourrons-nous voir l'image de quelqu'un qui
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regarde d'un regard d'une infinie profondeur .htlm:ün1e, qui est le regard de la puissance et de divins. Ce regard nous dit : « V enez et
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e paradoxe la prière.
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~rez:t.tmnel~t
l'Esprit vient au secours de notre faiblesse; ne savons pas que demander pour prier comme il mais l'Esprit lui-mdme intercède pour nous en des ineffables, et celui qui sonde les cœurs sait désir de l'Esprit et que son intercession pour les correspond aux vues de Dieu. » 8 : 2_6-27.
passage de l'épitre aux Romains au sujet de qui intercède pour nous par « des gémisse~».. ,~uc;ua.u~t;:. » est l'une des paroles les plus koxJLt;u:>o:. de Paul. Il exprime l'expérience d'un qui sait prier, et qui, parce qu'il sait prier, · ne sait pas prier. Nous pouvons' peut-être' cette confession· de l'apôtre la conclusion d.~entre nous qui prient comme s'ils ·prier-, ne savent pas prier. Nous pourrions
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appuyer cette conclusion sur beaucoup de faits de notre expérience quotidienne. Les pasteurs ont l'habitud e de prier publiquement en toutes sortes de circonstances. Il est des occasions qui s'offient tout naturellement à la prière, mais il en est d'autres où prier est artificiel et de mauvais goüt. Il n'est pas sans importance de savoir reconnaître les moments qui conviennent ou non à la prière. C'est un avertis~ sement qui est comme à la périphérie de ce que Paul entend dire, mais un avertissement nécessaire, tout spécialement pour les pasteurs et les laïcs qui ont des responsabilités dans l'Église. Un pas de plus nous permett ra d'approc her de manière plus centrale le problème soulevé par Paul; il y a deux grands types de prière : .la J?rière litur~ gique et la prière spontanée. Ces deux types de prière soulignent la vérité de ce que P~ul affirme e~ disant « que nous ne savons pas pner comme 1l faut ». La prière liturgique devient souvent machinale et incompréhensible, souvent les deux à la fois. L'histoire de l'Église nous montre que cela a même été le sort de l'oraison dominicale. Paul connaissait certainement le «Notre Père » quand il écrivait que nous ne savons pas prier comme il faut. Faire une loi liturgique de l'exemple de prière donné par Jésus à s.es disciples, ne prouve pas que nous sachions prier. Si après avoir envisagé la prière liturgique, nous considérons la prière spontanée, nous ne sommes pas plus avancés. Elle se présente le plus souvent comnie une sorte de conversation avec quelqu'u n qu'on appelle «Dieu », mais qui, en fait, est une sorte de vis~à-vis humain à qui nous· racontons un tas de~choses,~souvent longuement, que nous remer~
et à qui nous demandons des faveurs. Cela ne pas que nous sachions prier. Églises· qui utilisent des formes liturgiques · se demand er si ces formulations classiques pas les. hommes d'atùour d'hui de aussi honnêtement qu'ils le pourraient. Les qui n'ont pas de formes liturgiques et qui la prière se formuler librement, devraient se manctc~r si elles ne sont pas en train de profaner et de la priver de son mystère. . ,..'"'~~-.n~ maintenant un troisième pas pour nous "·"'1'J"u"~ du centre de la pensée de Paul. Que ce qui convienne, que la prière soit ou spontanée, une question décisive reste est-il possible de prier? D'après Paul c'est à l'homme. Nous ne devrions jamais quand nous prions, que nous sommes en faire quelque chose d'impossible à l'homme. parlons à quelqu'u n qui n'est pas quelqu'u n mais qui est plus proche de nous que nous e::sommH:!B de nous-mêmes. Nous nous adressons un qui ne peut jamais être l'objet de notrè parce qu'il en est totùours le sujet sans :~o;!{to"a.u•, sans cesse créant. Nous disons quelque celui qui connaît non seulement tout ce lui racontons, mais aussi les tendances d'où. viennent nos paroles. C'est la pour laquelle la prière est impossible. A de cela, Paul va· doi1ner une solution myst& la · de la prière juste : Dieu lui• en nous quand nous prions. Esprit : Dieu en nous. Le mot «Esprit » est un pour dire «Dieu présent » avec sa bouleversante, inspirante et transformante.
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En nous, quelque chose qui n'est pas nous intercède pour nous devant Dieu. Nous ne pouvons jeter un pont par-dessus le fossé qui nous sépare de Dieu, même pa.r la prière la plus intense. Seul Dieu jette un pont par-dessus ce fossé. Voilà pourquoi Paul nous donne l'image surprenante de Dieu intercédant auprès de lui-même en notre faveur: Ce symbole, et tous les symboles par le8quels · nous parlons de Dieu, deviennent absurdes quand nous les prenons au pied de la lettre. Ils sont profonds quand on .les prend comme de vrais symboles. Le symbole de Dieu intercédant auprès de lui-même en notre faveur, nous dit que Dieu nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, Il « sonde le cœur des hommes ». Voilà une parole qui préfigure les connaissances actuelles dont nous sommes fiers à juste titre, d'après lesquelles la petite lumière de .la conscience jaillit du terrain plus important de nos images et de nos courants inconscients. S'il en est ainsi, qui d'autre que Dieu peut présenter à Dieu. notre être tout entier? Qui d'autre connaît les choses dans les profondeurs de notre âme? Ceci. peut nous aider à 'comprendre la partie la plus mystérieuse de la · description de la prière faite par Paul : l'Esprit «.intercède· par des gémis.. sements ineffables ». Précisément pàrce que la prière est impossible à l'homme, précisément parce qu'elle présente à Dieu les niveaux les plus profonds de notre être, quelque chose a lieu dans la prière . qui ne peut s'exprimer par des paroles. Les paroles, créées par la vie consciente et utilisées dans la vie consciente, ne sont pas l'essence de la prière. L'essenêe de la prière, c'est l'action de Dieu à l'œuvre en nous et nous élevant à lui. Paul appelle « gémissë~ ISO
» le comment de cet événement. Le gémisseest une expression de la faiblesse de notre ·~dstem:e de créature. Nous ne pouvons approcher Dieu qu'en termes de gémissements indicibles, mais ces gémissements provi~nnent de son œuvre. .. Ceci répond enfin à la question souvent posée les chrétiens : quelle est la prière la plus propre exprimer notre relation à Dieu? Celle qui remercie celle qui demande, celle qui intercède ou celle loue et confesse? Paul ne fait pas ces distinctions. dépendent des mots. Le gémissement de l'Esen nous est trop profond pour être exprimé avec mots et pour correspondre à une catégorie de La prière spirituelle est une élévation vers par la puissance. de Dieu et sous toutes les de la prière. Un dernier mot pour ceux qui sentent qu'ils ne trouver les mots de la prière et qui restent rlertcl~:ux devant Dieu. Ce n'est pas l'indice d'une de l'Esprit. Cela peut indiquer que leur est une prière silencieuse, c'est-à-dire un :misseme:nt trop profond pour s'exprimer avec des Celui qui sonde le cœur de l'homme la connaît
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corn plissemen t
sens· dé la joie
:Yahvé ramena les captifs de Sion,. étions comme en rêve~· notre bouche s'emplit de rire nos lèvres de chansons. 'gn · disait chez. les païens : Merveilles
fit pour eux :rahvé! que fit pour nous :Yahvé, étioni dans la joie.
:Yahvé, nos captifs torrents au Négeb! qui sèment dans les larmes nnz.rsmznm'l.t en chantant. va, on s'en va"' en pleurant, porte la semence;
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Accomplissement
on s'en vient, on s'en vient en chantant, on rapporte les gerbes.
Psaume
126.
cc En vérité, en vérité, je vous le dis, vous allez pleurer et vous lamenter; le monde, lui, se réjouira~· vous ~erez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie. La femme, sur le point d'accoucher, s'attriste, parce que son heure est venue; mais quand elle a enfanté, elle oublie les douleurs, dans la joie qu'un homme soit venu au monde. Vous aussi, maintenant vous ;tes tristes; mais je vous reverrai et votre cœur se réjouira, et votre joie, nul ne pourra vous la ravir. »
Jean
16 : 20-22.
cc Je vous dis cela, pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » Jean 15:
II.
La Bible abonde ·en exhortations à la joie. Les paroles de Paul aux Philippiens : cc Je le répète, réjouissez-vous », reprennt;!nt un thème constant de· la religion biblique. Les hommes de l'Ancien et du Nouveau Testament estiment que l'absence de joie est une conséquence de la séparation d'avec Dieu et la présence de la joie, urie conséquence de l'union avec Dieu. La joie nous est demandée et cependant elle ne' peut nous être donnée. Il n'est pas facile de l'acquérir. Elle est et a toujours été une chose pré• cieuse et rare. Elle a toujours fait difficulté chez les 186
m.l:'é:tielll.S. Ceux-ci ont été accusés de tuer la joie de don naturel accordé à toute créature. plus grands enneinis ·du christianisme, Nietzsche, lui-même fils de pasteur, a ésus .en ces termes : cc Ses disciples devraient l'air de gens sauvés. »Il nous faut reconnaître de cette critique et il faut se demander si absence de joie tient au fait que nou~ sommes ou au fait que nous ne le sommes pas Nous parvenons à nous défendre quand on accuse d'être des gens qui méprisent la vie et · le comportement met en cause. la vie. Nous démontrer que tout cela est unè de la vérité. Soyons honnêtes! Cette . n'est pas sans fondement. Ne voyons-nous trop de Inines lasses, trop de sévérité étouffante, · de manque d'humour ou d'ironie parmi les les étudiants en théologie, les maltres les diacres et les pieux laïcs? Pouvons-nous ? Ces critiques venues de l'extérieur de sont vraies. Nous devrions être encore plus mais à un niveau plus profond. tant que chrétiens, nous connaissons nos intérieurs au sujet de l'acceptation ou du ·de la joie. Nous nous méfions des dons de la qui suscitent la joie, parce que nous sommes à l'égard, de la nature. Pourtant, nous qu'elle est. une création de Dieu et que -a dit de cette création : « O'est bon! » Nous s~IJilellOilS des créations de la cultl,lre qui suscitent que nous nous méfions des açtivités .de Pourtant, nous confessons que Dieu a '!'•uu........ à l'homme de cultiver le jardin terrestre a attribué. Mai~ même quand nous parve187
J\ccomplissen1ent
nons à surmonter cette méfiance, mên1e lorsque nous déclarons accepter les dons. de la nature et les créations de la culture, cette acceptation s''aoco1:np1ag·ne. souvent d'une mauvaise con.Science. Nous. nn.,.-.~.n que nous devrions être libres pour la joie. « Tout à vous », disait Paul. Pourtant, notre courage bien inférieur à notre connaissance. Nous n'osons affirmer ni notre monde ni nous-mêmes. Quand nous osons le faire, dans un moment de courage, nous essayons ensuite de le racheter en nous le reprochant ou en nous sanctionnant nous-mên1es, et nous nous attirons la critique malveillante de ceux qui n'ont jamais osé le faire. C'est pourquoi beaucoup de chré-. tiens recherchent le compromis. Ils s'efforcent de cacher leur joie, ou bien essaient d'éviter les joies trop intenses pour éviter d'avoir à s'en accuser~ Un tel refoulement de la joie dans les milieux chrétiens me pousse presque à ron1pre avec le christianisn1e. Dans. ces milieux-là, une chose décharnée, inten~ tionnellement puérile, insipide, sans élan, .sans couleur, sans danger, sans hauteur et sans profondeur; passe pour de la joie. Il est indéniable que cet état de choses se rencontre dans l:>eaucoup d'Églises chi-étiennes. écoutons les questions posées du côté des ...u.:.,;u•... et du côté des non-chrétiens. La joie que l'on observer dans la Bible n'est-elle pas une chose. bien différente de. la joie de vivre qui manque à be::mcoUJI> de chrétiens? Le psalmiste, J?aul, Jésus dans le trième Évangile' ne ,parlent-ils pas de joie qui tra:Q.Scende la joie. de la vie naturelle? Ne .Parlent-ils pas de la joie de Dieu? Choisir d'être chrétien, n'est-ce pas choisir la joie de Dieu au lieu de la joie de vivre? La première réponse qu'on puisse donner, 188 L....
aussi·· la plus simple, la voici : la vie vient de et Dieu est le fond créateur de la vie. Il est r1uruca.u plus que tous les processus vitaux et pouril œuvre en eux tous d'une manière créatrice. pourquoi il n'y a pas d'opposition ~ntre la joie Dieu et la joie de la vie. Cette prem1ère réponse grande et aussi joyeuse qu'elle soit n'est pourtant suffisante. << La joie de la vie », cela veut dire ...,,..,,n,"'" de choses. La JOie semble être le contraire de la souffrance. savons pourtant que la joie et la souffrance coexister. Ce n'est pas la joie qui est le de la souffrance, mais le plaisir. Il y a des croient que toute l'affaire dans la vie consiste co:ntlnuel.Lc~ment la souffrance et de rechercher le plaisir. Je n'ai jamais vu un être de qui cè soit vrai. Ce n'est vrai que d'êtres ont perdu .leur hUDlanité, soit parce qu'elle complètement désintégrée, soit parce qu'il s'agit malades mentaux. L'être humain ordinaire est de faire le sacrifice des plaisirs et de supla souffrance pour une cause, ou pour quelou pour quelque chose qu'il ain1e, qu'il juge de sèS souffrances et de son sacrifice. Il peut ;.·uJLUlJ.lLr•~'l----• à la souffrance et aux plaisirs, parce n'est pas orienté par ses plaisirs mais par les qu'il ain1e et. auxquelles il veut être uni. Si désirons une chose pour le plaisir qu'elle nous nous pouvons trouver le plaisir, n1ais nous. trouverons pas la joie. Si no11s cherchons quelqui nous donnera du plaisir, nous tro~v;ron~ · mais nous ne trouverons pas .la JOle. S1 cherèhons quelque chose qui puisse nous éviter nous éviterons la souffrance, m~is nous. r8g
1\ccomplissement
dans les relations humaines où l'autre n'est rec:he:rcllLé pour ce qu'il est, mais pour le plaisir procurer ou pour la souffrance qu'il peut
n'~viterox:s p~
l'affliction. Si nous cherchons quelqu un qu1 puiSse nous protéger de ·la souffrance, il pourra nous protéger de la souffrance mais il ne nous protég~ra pas de l'affliction. Les plaisirs peuvent être trouvés et les souffrances peuvent être évitées si nous usons ou abusons des autres êtres. Mais la joie ne peut être obtenue ni l'affliction surmontée de cette manière. La joie n'est possible que lorsque nous somm~s attirés par les choses et les personnes pour ce qu elle~ sont· et ~~n pas pour ce que nous pouvons en tt;er. La JOle du travail est gâtée quand no':s trava1llons. ~on pour accomplir quelque chose, malS pour le plalSlr que ce travail peut nous procurer ou pour les souffrances qu'il peut nous éviter. Le plaisir que je trouve dans mes succès gâte la joie du succès lui-même. La joie que nous avons à connaîtr; la vérité o~ à. sentir la beauté est gâtée quand nous ne nous réjouiSsons pas de la vérité ou de la beauté mais du fait que moi je m'en réjouisse.. ' . Le pou'":o~r ne ,Procure la joie que lorsqu'il est lib~~ du pl~~1r qu on éprouve dans le pouvoir et qu 11 est utilisé en vue de créer. La relation de l'amour, . et en . . particulier les relations sexuelles' restent sans JOle quand nous ne les utilisons que comme moyens d'obtenir du plaisir ou d'échapper à la sou!france. C'~st une menace qui pèse sut toutes les.relatlOns humames. Ce n'est pas une loi extérieure qm nous met en garde contre certaines ·formes de relations, ~ais c' e~t la sagesse n.ée des expériences passées qm nous dit qu~ certaines. relations peuvent no.us donner du plaisir mais qu'elles ne nous donnent p~ de joie. Elles ne m:'n~s donnent pas de joie parce quelles ne nous accomplissent pas et n'accomplissent pas ce par ·quoi nous sommes attirés. Il n'y a .pas.
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le plaisir pour le plaisir est une de se soustraire à la réalité, à la réalité des et à notre réalité propre. Seul l'accomplissede ce que nous sommes peut nous donn~r la . La joie n'est rien d'autre que la consctencè accompli dans son être véritable, dans. son personnel. Cet accomplissement n'est posque lorsque. nous trouvons une unité avec ce . ... autres sont réellement. C'est la réalité qui la joie, et elle seule. La Bible parle sou:rent parce qu'elle est le livre le plus réaliste. :..él()Utsse:z:-vous! >> Cela veut dire : (( Passez de ce semble réel à ce qui est réellement réel. » Le plaisir chez vous et chez les autres appartient :u.v•u....... • .•-.. des illusions qu'on se fait sur la réalité. est née de l'union avec la réalité. L'une des racines de la recherche du plaisir sentiment de vide et l'ennui qui l'accompagnè. une absence de relations avec les choses, .les personnes et les significations. Parfois, c'est de relation avec soi. C'est pourquoi nous efforçons d'échapper à nous-mêmes et à »v•nuuv. Mais nous ne parvenons pas à rejoindre et leur monde dans une relation authenIls ne sont qu'une occasion d'amusement, non de cet amusement créateur associé souvent au de cet amusement frivole, affolant et cupide. pas un hasard que ce type d'amusement Il dépend de réactions pré. car il est sans passion, sans risque et sans 191
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amour. De tous les périls qui menacent notre civi-, lisation, le plus dangereux est sans doute la fuite; hors de soi-même dans l' (< amusement » car toute joie y est impossible. Réjouissez-vous! Vexhortation biblique est plus. nécessaire à ceux qui recherchènt l' ((amusement » et les plaisirs qu'à ceux qui éprouvent peu de plaisir et beàucoup de souffrances. Il est souvent plus· facile d'unir la souffrance et la joie que l'amusement et la joie. · Le commandement biblique interdit-il le plaisir? Le plaisir et la joie s'excluent-ils l'un l'autre? En aucun cas! L'accomplissement du·centre de notre être n'exclut pas les accomplissements partiels et périphériques. Nous devons l'affirmer en insistant tout autant que lorsque nous distinguions entre joie et plaisir. Nous ne devons pas mettre en question seulement ceux qui cherchent le plaisir pour le plaisir, mais aussi ceux qui rejettent le plaisir parce que · c'est du plaisir. L'homme se réjouit à manger et à boire au-delà de la simple nécessité physiologique. C'est tin accomplissement partiel tottiours réitéré de la lutte pour la vie, et c'est pourquoi c'est un plaisir et aussi une des joies de la vie. L'homme se réjouit dans le jeu et dans la danse, dans la beauté de la nature et dans l'extase de l'amour. Il y trouve l'accomplissement de quelques-unes de ses luttes pour la vie les plus inte.nses. Ce sont pour lui des plaisirs et ils lui donnent la joie. L'homme se réjouit· du pouvoir de la connaissance et de l'attrait de l'art. . L'homme y trouve aussi quelques-uns des plus hauts accomplissements de sa vie. Ce. sont pour lui des plaisirs qui· lui donnent de la joie. L'homme se ~éjouit dans la communauté humaine, dans sa famille, dans.
et dans son milieu. Ils sont l'accomplissement pour la vie fondamentale. C'est p~urquoi y trouve du plaisir et que tout cela lui donne joie. uc:uc:.uua.uL, dans toutes ces relations, une quesse pose : notre manière d'y trouver du plaisir bonne ou mauvaise? Usons-nous de ces relapour le seul plaisir, ou bie?- parce qu~ nous nous unir avec amour a ce à qu01 nous ·~~-~On~·~~? Nous ne le savons jamais avec certiCeux d'entre les homme~, dans le passé comme le présent, qui ont .~auv~ise co~scie~ce, prérenoncer· aux plaisirS bien qu Ils aient été dans la création comme des choses bonnes. cachent leur inquiétude derrière les. interdits sociaux ou ecclésiastiques et disent que sont des commandements divins. Ils leur crainte d'affirmer la joie de vivre· ~n leur conscience, en l'appelant «la VOIX » ou bien en soulignant la nécessité de la !_;~Ulll!'c;;,' de. la maîtriSe de SOi et dU désintéresSeen l'appelant « l'Imitation du .~hrist »; Mais "'~·~~-~·"' de Jean-Baptiste, on a critiqué Jesus en que c'était un mangeur et un buy~ur. pans ces mises en garde; contre les pla1slfS, il Y a c;uu.L);Ç de vérité et de mensonge. Elles sont 111 dans la mesure où elles affermissent notre bilité. Elles sont mensongères dans la mesure minent notre joie. Permettez-moi de proi:o~er critère pour accepter ou rejeter les pla~~s. le critère indiqué par notre texte. Les pl.a1s1rs a"''v~.lH.I·a.~J.~"-'-•~ la joie sont bons, et ceu_x, qm font à la joie sont mauvais. Avec ce ~ntere, no~s prendre le risque d'une affirmation des pla1:r.93
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Accomplissement
sirs même si par la suite il s'avère que notre a été une erreur. Rejeter les plaisirs n'est pas chrétien que de les accepter. N'oublions pas que rejet implique un rejet dé la création ou, comme disaient les Pères de l'Église, un blasphème le Dieu Créateur. Tous les chrétiens devraient rendre compte d'un fait dont beaucoup de chrétiens sont conscients : le refoulement de la provoque la haine de la vie, ouverte ou cachée. peut mener à l'autodestruction; comme le prouven de nombreuses maladies physiques et mentales. La joie est plus que le plaisir et plus que bonheur. Le bonheur est un état d'esprit qui fin à plus ou moins longue échéance et qui de beaucoup de conditions extérieures et Dans l'Antiquité, 011 considérait que c'était un que les dieux accordaient et reprenaient. Dans constitution américaine, la « recherche du bonheur est un des droits fondamentaux de l'homme. économie politique, le bonheur du plus grand est le but de l'action humaine. Les. contes de s'achèvent sur un<< Ils furent heureux... ». Le peut affronter beaucoup de souffrances et de plaisir, mais il ne peut pas affronter l'absence joie. La joie est l'expression de notre ............v,,... '",.u.""'-~· ment le plus essentiel et le plus central. On la remplacer par aucun accomplissement rique ni par aucune condition favorable. Une""..........,.,,, joie dans une situation malheureuse peut même former un malheur en bonheur. Quelle est cette joie? Cherchons d'abord à savoir quel est le . . ,.,.,..,.,.~·n ..·~ de cette joie. Le contraire, c'est l'affiiction. sommes affiigés quand nous sommes dépossédés notre ac~omplissement central, lorsque nous ..,v,..uu....... ., 194
de quelque chose qui nous appartient et qui à notre accomplissement. Nous pouêtre privés de nos parents, de nos amis les proches, d'un travail créateur et de l'appui ·communauté. Tout cela donnait un sens à vie, à- notre foyer, à notre dignité, à notre à notre santé physique ou mentale, à notre et à notre conscience. Tout cela ~--~-+~ l'affiiction sous ses formes diverses, le de la tristesse, le chagrin de l'isolement, le de la dépression, le chagrin de l'accusation C'est précisément dans une situation genre que Jésus a dit à ses disciples que sa · avec-. eux et que leur joie serait parfaite; Paul le déclare, l'affliction peut être « l'af·du monde» qui s'achève dans la mort du · final; ce peut être aussi l'affliction selon Dieu à la transformation et à la joie. Dans la joie, a quelque chose qui se trouve au-delà de la . de l'affliction . .On l'appelle : la béatitude. béatitude est l'élément éternel de la joie. ce qui permet à la joie d'inclure l'affliction qui en l'intégrant. Dans les Béatitudes, Jésus que les pauvres, ceux qui pleurent, ceux faim et so~ ceux qui sont persécutés, sont en )), Il leur dit : « Réjouissez-vous, la joie! » La joie dans l'affliction est po~ ceux qui sont bénis, pour ceux en qui a la dimension de l'éternel. nous devons de nouveau répondre à ceux a~..,,u"'"''·u le christianisme de tuer la joie de la rapport avec les Béatitudes, ils disent que le ,, ••"'..''"..'"'.Inine la joie de cette vie en nous tournant une autre vie et en nous y préparant. Quelques 195
fois même, ils mettent en question cette d'une vie promise en disant que ce n'est forme raffinée de la recherche du plaisir dans éternelle. Il faut reconnaitre que chez beaucoup chrétiens la joie est ainsi reportée sur ce qui après la mort. Il y a des textes bibliques prêtent à une interprétation de ce genre. Nc;a.J.uu.uu..,,•. c'est faux. Jésus donnera sa joie à ses maintenant. Ils la recevront après son départ, et veut dire, dans cette vie. Paul demande aux piens de se réjouir maintenant. Il ne peut en autrement puisque la béatitude est l'expression l'accomplissement éternel de Dieu. Bienheureux qui prennent part à cet accomplissement ici et tenant. L'accomplissement éternel ny doit pas compris seulement comme une éternité ......... ~.,..... ~-,, · mais aussi comme une éternité future. quand on ne la saisit pas dans le présent, on ne saisit pas du tout. Cette joie qui porte en elle la profondeur de béatitude est exigée et promise dans la Bible. conserve en elle son opposé : l'affliction. Elle les fondements du bonheur et du plaisir. Elle présente à tous les nive;:~.ux de la recherche de l'accomplissement. Elle la consacre et la Elle ne la diminue ni ne l'affaiblit. Elle n' ...u.uu.u,._. 0 pas les risques et les dangers de la joie de vivre. Elle rend possible la joie de la vie dans le plaisir et dans la souffrance, dans le bonheur et dans le malheur, dans l'extase et dans l'affliction. Où il y a joie, il y a accomplissement. Où il y a accomplissement, il y a joie. Dans l'accomplissement et dans' la · · · nous. atteignons le but intérieur de la vie, le sens la création et .la visée du. salut.
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. , tre preoccupation
cours de route il entra dans un village, et une femme, de Marthe, le re§Ut che;:, elle. Celle-ci avait une appelée. Marie, qui, s'étant assise aux pieds du , écoutait sa parole. Marthe, elle, était abso~bée . les multiples soins du service. Intervenant, elle dzt : , cela ne te fait rien que ma sœur me laisse ainsi · toute seule? Dis-lui donc de m'aider. » Mais le lui répondit : «Marthe, Marthe, tu t'inquiètes pour beaucoup de choses; pourtant il en faut peu, seule même. C'est Marie qui a choisi la meilleure elle ne lui sera pas enlevée. » 10 :
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Les paroles adressées par Jésus à Marthe parmi les plus célèbres de la Bible. Marthe sont devenues les symboles de deux attitudes la. vie, de deux forces dans l'homme et dans 1
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l'humanité et de deux sortes de préoccupations. Marthe est préoccupée par beaucoup de choses, qui toutes sont finies, préliminaires et éphémères. U:r:e seule chose importe à Marie: une chose infinie, ultime, durable. L'attitude de Marthe n'est pas méprisable. Au contraire, c'est ainsi que marche le monde. C'est une force motrice qui garantit et enrichit la vie et la culture. Sans tout cela Jésus n'aurait jamais pu parler à Marie, et Marie n'aurait pu écouter Jésus. J'ai entendu, une fois, un sermon prononcé à la gloire et pour la justification de Marie. On peut le faire. Dans notre vie, et dans la vie humaine en général, il y a beaucoup de préoccupations qui réclament de l'attention, du dévouement et de la passion. Aucune, cependant, n'exige une attention irifinie, un dévouement inconditionnel, une passion ultime. Elles sont importantes, souvent très importantes, pour vous, pour moi, pour toute l'humanité. Elles n'ont pourtant pas une . importance ultime. Voilà pourquoi Jésus n'a pas fait l'éloge de Marthe mais celui de Marie. Marie a choisi la meilleure part, la chose dont l'homme a besoin, la- seule chose qui importe à tout homme ultimement. L'heure du culte et tout moment de lectu:re ou de méditation sont consacrés à une écoute semblable à celle de Marie. Quelque cKose est dit au prédicateur comme à ses auditeurs, quelque chose qui peut les concerner infiniment. C'est la raison d'être des ~erm_ons. Le sermon doit éveiller une préoccupation 1n:fime. . · Que veut dire : être concerné par quelque chose? Cela veut dire que nous y sommes en jeu, qu'elle est une partie de nous-mêmes et que nous y 198
mis tout notre cœur. Cela peut vouloir dire Cela souligne la manière dont nous sommes Nous le sommes avec· inquiétude. La du langage identifie souvent préoccupa tion souci. Quand nous sommes engagés quelque part, avons des soue~. De nombreuses choses nous d'autres nous font pitié ou horreur. Tout cela ne nous importe pas réellement. Elles pas cette ango~se qui nous torture où nous sommes authentiquement et sérieusement Dans notre histoire, Marthe est sérieuconcemée. Rappelons-nous ce qui nous nn,f'Pf'TlP au COUrS d'une journée ordinaire, du lever minute qui précède le sommeil, et même au-delà, les inquiétudes apparaissent dans les rêves. Nous sommes concernés par notre travail; c'est de notre existence. Nous pouvons l'aimer, nous pouvons le détester. Nous pouvons !accoJmt:>lU comme un devoir mais aussi comme une nécessité: L'inquiétude nous saisit quand nous à la limite de nos forces, quand nous l'insuccès, quand nous sentons à quel il faut lutter contre la paresse ou se préserver du . Nous sommes aussi préoccupés par nos rdaavec les autres. Nous ne pouvons pas imaginer sans la bienveillance d'autrui, sans amitié, sans , sans communion. Parfois, nous sommes tracas·et même profondément désespérés, à la vue de du déchainement de la colère, de la jade l' animositée cachés et souvent empo~onnés nous sentons en nous et chez ceux que nous aimons. de les perdre, de les blesser ou d'être d'eux, se gfuse dans nos cœurs et rend notre fiévreux. Nous désespérons de nous-mêmes. U.L'-·'-1..1.\.L'-
Accomplissement
Nous nous sentons responsables du développement de nos forces) de notre sagesse et de notre intelligence. En même temps) nous recherchons le bonheur. Nous ne nous occupons que de notre plaisir pour avoir un peu de << bon temps ». Cette préoccupation compte beaucoup pour nous. Et Finquiétude nous accable quand nous nous voyons dans le miroir de l'examen de conscience ou du jugement d)autrui. Nous sentons que nous avons pris de màuvaises décisions, que nous nous sommes engagés sur un mauvais chemin, que nous perdons la face devant les autres comtne à nos propres yeux_ Nous nous comparons a:ux autres. Nous nous sentons inférieurs et nous sommes alors déprimés et frustrés. Nous croyons avoir gaspillé notre bonheur en le recherchant avec trop d'avidité ou en le confondant avec le plaisir, ou bien encore~ nous croyons avoir manqué du courage nécessaire pour prendre au bon moment la décision qui nous aurait apporté le bonheur. , Il ne faut pas oublier une préoccupation très naturelle et très universelle, liée au maintien de la vie : la préoccupation du pain quotidien. On l'avait presque oublié dans de larges secteurs du monde occidental, à une époque relativement récente. Aujourd'hui la préoccupation d'avoir de quoi manger, de quoi se vêtir et d'avoir un toit est devenue tellement forte dans beaucoup de parties du monde qu'elle a fait presque disparaître les autres et qu'elle absorbe l'esprit d'un grand nombre d'hommes. Quelqu'un dira : n'y a-t-il pas de plus hautes préoccupations dans la vie? Jésus lui-même n'en est-il pas le témoin? Son émotion devant la Tnisère des masses ne rend:-elle pas sacrées les préoccupations
· animent beaucoup d'hommes aujourd'hui a libéré beaucoup d'autres des tracas de la · ? La compassion de Jésus pour les ' et la guérison qu'il leur apportait ne pas sacrée la préoccupation de tous soignent l'âme et le corps? Quand il a autour de lui un petit groupe pour fonder ;.()DrlillLU11LaULté, n'a-t-il pas rendu sacrée la préocde ceux qui veulent une vie communautaire ~Qnuw~s? Quand il a dit être venu pour témoila vérité, n'a-t-il pas rendu sacrée la préocde la vérité et la passion de la connaissance forces motrices en notre temps? Quand il ses disciples et les foules, ne rendait-il la préoccupation de l'enseignement et de ? Quand il racontait des paraboles, décrivait les beautés de la nature et formulait d'une perfection toute classique, ne pas sacrés la préoccupation de la beauté, d'esprit et le repos que cela nous accorde agitation de nos préoccupations quotidiennes? outes ces nobles préoccupations sont-elles la part, celle dont nous avons besoin, la seule nécessaire choisie par Marie? Sommes-nous à l'égal de Marthe, préoccupés par beaucoup même si ces choses sont nobles et grandes? réellement au-delà de l'angoisse nous sommes préoccupés. par la misère des par l'injustice sociale? Lorsque nous prenons de notre position sociale favorisée, pou:respirer librement à la vue de la misère .........u.v• ..., de gens de par le monde? Connaissonssupplice de ceux qui veulent soigner un et qui savent qu'il est trop tard? De ceux qui
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veulent donner une éducation et qui la stupidité, la méchanceté et la haine? De qui doivent gouverner et qui sont accablés l'ignorance populaire, par l'ambition de leurs saires, par de mauvaises institutions ou par la chan~e? Ces inquiétudes .sont plus grandes que . que nous rencontrons dans la vie qui Connaissez-vous aussi l'angoisse toute recherche honnête, l'angoisse· de ~v~... ..,•..,. l'erreur, tout spécialement chez ceux qui exposer des cheminements jusqu'.alors n·le:lï:pl;oré Avez-vous fait une fois l'expérience du de vide insupportable qu'on éprouve en vers les exigences, les laideurs et les inquiétudes de vie quotidienne après avoir admiré une œuvre d'art? Tout cela n'est pas encore la « chose » dont nous avons besoin, comme Jésus le montre en parlant de la beauté du condamnée à la destruction. L'Europe dît apprendre que le millénaire de créations ~~u..•uauu;;, dont elle se glorifiait n'est pas la «seule nécessaire ». Aujourd'hui beaucoup de ses ments sont en ruine. Pourquoi toutes ces choses qui nous cupent sont-elles en rapport avec l'inquiétude l'angoisse? Nous leur donnons nos forces. leur sommes dévoués. Nous en avons la passion. le faut, sinon nous ne pourrions rien accomplir. pourquoi nous laissent-elles sans repos dans les fondeurs de notre cœur? Pourquoi Jésus les F>t"
Au long de notre courte vie, préoccupations ont déjà disparu ;'l;~~:tn.1Pla.céc~ par d'autres. Beaucoup de du passé se sont éclipsées et d'autres . à disparaître tôt ou tard. La loi mélanéphémère régente même nos préoccupa·passionnées. L'angoisse de la fin réside qu'elles nous donnent. Comme nous, .qui nous préoccupent ont une fin. Le pel1t-être est-il déjà proche, où nous préoccupés par nos préoccupations, finitude nous sera révélée dans l'expé·!<'c.l;'"~u. .., propre finitude, dans notre fin. nous défendons nos préoccupations prési chacune était ultime. Elles nous . sous leur emprise quand nous essayons libérer. Toute préoccupation est tyran. elle réclame tout notre cœur, tout notre notre force. Toute préoccupation tend ·.• ~n un mot, tente de se faire notre dieu. "'~'-P·f'.•a.w.•uu du travail parvient souvent à devecomme aussi la préoccupation des autres plaisir. La préoccupation de la science Çl.eve)1Îr le dieu de toute une période de La préoccupation de l'argent semble un important, et la préoccupation de la nation le plus important. Toutes ces préocse combattent les unes les autres et conscience parce que nous ne pouvons 1 r 1.a.u."' justice à toutes. essayer d'écarter toute préoccupaiop•tartt le détachement du cynique. Dans !US~w~clllOilS que rien ne doit nous préocsauf exception. Nous essayons 203
Accomplissement
d'être détachés vis-à-vis de nous-mêmes et des a d'être détachés de notre travail, de nos plaisirs, nos luxes, des affaires sociales et politiques, de connaissance et de la beauté. Nous pouvons ..... ,.n~"~· que ce détachement a quelque chose d ·Une chose est vraie : c'est la seule attitude IJV•'"u'~"' .quand on refuse d'être infiniment préoccupé. """'""-'-'"' vraiment la seule alternative? Le cynique est nr•~"""-· cupé, et préoccupé passionnément par une chose, son détachement. C'est la contradiction interne de tout détachement. C'est pourquoi la seule alternative reste la préoccupation ultime. . Quelle est alors la seule chose dont nous besoin? Quelle est la bonne part choisie par Marie? Comme l'histoire que nous avons lue, j'hésite répondre: Pratiquement, toute réponse est source de. rn.écompréhension. Si on répond : c'est la « religion ll, on se méprendra. On croira qu'il s'agit d'un ensemble de croyances et de pratiques. Mais comme. le montrent d'autres récits du Nouveau Testament, Marthe était pour le moins aussi religieuse que Marie. La religion peut être une préoccupation humaine comme les autres, créant de l'angoisse comme les autres. On le constate en histoire des religions comme en psychologie des religions. Il y a eu des gens censés cultiver cette préoccupation particulière. En Amérique, on les appelle d'une manière blasphématoire des « religionistes >>. Cette expression en dit · plus long sur le déclin de la religion aujourd'hui que n'importe quoi d'autre. Si la religion est la préoccupation particulière de certaines personnes et non pas ce qui importe à tout le monde d'une manière ultime, elle n'est que non-sens et blasphème. C'est pourquoi nous nous demandons de nouveau
. seule chose dont nous ayons besoin? donner une réponse. Si nous réponDieu >>, cette réponse sera aussi une de mécompréhension. On peut faire de .. et d'une préoccupation finie, un objet parmi dont certains croient à l'existence et pas. Un tel Dieu ne nous importe pas d'une .ultime. Nous le considérons comme une percOiniLLe les autres avec qui il est utile d'entrerapports. Une personne comme celle.,.là peut objet d'une préoccupation finie, mais elle ne l'objet d'une préoccupation infinie. seule réponse que je puisse donner en un c.'est que la seule chose nécessaire est d'être d'une manière ultime, infinie, incondi. Marie était ainsi préoccupée. C'est ce que a senti et c'est ce qui l'a mise en colère. ce que Jésus a loué en Marie. A côté de cela, · pas dire grand-chose de Marie, mais on en dire davantage de Marthe. Marie rr>n~ l'ensemble de toutes nos préoccupations . le domaine de la vie de Marthe, tout ce qui '.1o.tr,mnrP ne semble pas avoir changé et pourtant, a quelque chose de changé. Nous sommes tou. préoccupés par beaucoup de choses, mais d'une différente : l'angoisse s'est évanouie! Elle toujours et elle menace toujours de revenir. sa puissance a été brisée. Elle ne peut plus détruire. Celui qui est sous l'emprise de la seule nécessaire a toutes les autres choses à ses pieds. 205
Elles le préoccupent sans doute, mais jamais d'une manière ultime. Quand il les perd, il ne perd pas avec elles la seule chose dont il ait besoin, la seule chose qui ne peut lui être enlevée.
, nt present .
pleurer, rire; gémir, danser. lancer des pierres, pour les ramasser; '~····v·,r·v••• embrasser, 9..07
Accomplissement
et un temps pour s'abstenir rf' embrassements. Un temps pour chercher, et un temps pour perdre~· un temps pour garder, et un temps pour jeter. Un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler. Un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix. » L'Ecclésiaste 3 : I -8. Nous venons de lire les paroles d'un homme a vécu deux siècles avant la naissance de Jésus, homme élevé dans la piété juive et formé par sagesse grecque. Il est l'enfant de son siècle, de catastrophes, siècle accablant. Il exprime désespoir en des paroles d'un pessimisme .tel qu dépasse tout ce qu'il peut y avoir de · · dans la littérature mondiale. Tout est vanité, à plusieurs reprises. Tout est vanité, quand même vous seriez un homme comme Salomon, posant des moyens d'obtenir toutes les 1S
'''" ~-~~~-~· Il a fallu beaucoup de temps, de résistances pour que · · admis. Finalement, la Synagogue et ........ ·-~~.. dans le canon des Écritures et on tairtte:r1ant à côté d'Ésaïe, de Matthieu, rte:.•.te:ln. Le « Tout .est vanité >> est donc tUtl:)rit:é biblique. Je crois que cette autoqu'elle ne provient pas d'une s'agit bien de l'autorité de la vérité. que nous fait l'Ecclésiaste de la condi.. est plus vraie que celle .de n'importe · gloire de l'homme et de son destin. Ln~;..•"'""' ouvre nos yeux sur des choses négli.. ~.;;ac.;:ue•~;::; par tous les optiJ:njsmes. Si vous ren•personnes qui attaquent le christianisme ·enLn::t..Le.ut beaucoup trop d'illusions, ditescritique serait plus forte encore si elle l'Ecclésiaste. Le fait que ce livre de la Bible montre que la ·Bible est un réaliste. Il ne peut en être autrement. ie.ulellneilt sur la base d'un tel réalisme que de Jésus en tant que Christ a une signine comprenons le message de l'appanouvelle réalité en Christ que dans la nous considérons honnêtement -la condium~
Accomplissement
pour tout. Que veut-il dire? Quand l'Ecclésiaste qu'il y a un temps pour tout, il n'oublie pas mation sans cesse répétée : « Tout est vanité et suite du vent. » Le fait qu'il y ait un temps nnnn·...,.,,,., pour chaque chose confirme ·sa manière tragique voir. Les choses et les actes ont leur temps. Puis passe et d'autres choses et d'autres actes ont temps. Mais rien de nouveau n'apparaît dans cercle de tout ce qui est en' marche. Tout vient son heure suivant une loi éternelle au-dessus temps. Nous sommes incapables de pénétrer la fication de cette planification. Pour nous, c'est mystère et ce que nous voyons est vanité et La. ventilation divine des choses dans le temps est cachée. Notre. labeur et notre durée n'ont de valeur ultime. Toute tentative humaine visant changer le rythme de la naissance et de la de la guerre et de la paix, de l'amour et de la et les autres oppositions qui rythment la vie, faite en vain. Voilà la première signification de qu'il y a un temps pour tout, mais ce n'est pas toute sa signification. En effet, en disant qu'il y un temps pour planter et un temps pour un temps pour tuer et un temps pour soigner, temps pour détruire et un temps pour un temps pour pleurer et .un temps pour danser, temps pour parler et un autre pour se taire, 1 siaste veut nous faire prendre conscience du qu'il y a un temps opportun, un temps où il faire telle chose et non point telle autre. Après insisté sur le fait que tout est distribué dans le par un destin insurmontable, ·il nous demande suivre cette distribution dans le temps réglé d 210
;,Q.i:!cige:r notre emploi du temps. En tant ~>a!'~c~>~•c qui nous donne de sages direc•.a .......v • .~., il nous demande d'avoir un emploi Il sait que tous nos emplois du "'"'"'l->J.i.L du temps qui nous est imparti d',en maître caché du temps, mais cela n'cmnous faille agir au bon et non au .~.v....~.......... Tout le monde antique a été sous la croyance qu'il y a pour tout ce que moment adéquat. Quand on vouîait ·une maison ou se marier, quand on vcou·OU commencer une guerre, pour .to:ate d'importance, on cherchait à connaître On interrogeait ·quelqu'un susconnaître, un prêtre, un· astrologue, un ·un On agissait d'après la d~cicapable de dire quel était le bon :ou moment pour agir. Cette croyance .a des siècles et des millénaires. Elle a été de généràtion en génération. Les grands du passé attendaient l'oracle qui leur ·dirait Jésus lui-même a dit que son · pas venue et il .n'est allé à Jérusalem ..~voir senti que son heure était venue. 5 ,.,JLJ."-'
Accomplissement
problème du moment opportun apparaît dan.S beaucoup de conversations où il s'agit d'activités ou de plans. Voilà une caractéristique manifeste de notre culture et de notre société industrielles. Comment établir une comparaison avec les paroles de l'Ecclésiaste? , Quand l'homme d'affaires m'a parlé du moment opportun, il pensait à ce qu'il avait fait et à c~ qu'il ferait. Il laissait voir son orgueil d'~o~e qUI sait à quel moment agir, dont les prévlSlons s~nt · couronnées de succès, qui se sent maître de son destin, créateur de choses nouvelles, et victorieux de la situation. L'Ecclésiaste n'était pas dans ces dispositions-là. Si l'Ecclésiaste indique la nécessité de savoir reconnaître le moment opportun, il dit aussi que « tout est vanité ». Vous pouvez connaître le moment . opportun, vous pouvez le saisiT, mais cela n'a pas d'importance ultime. Il y a un sort semblable pour le sage et pour l'insensé, pour celui qui travaille et pour celui qui jouit de loisirs. Parfois le sort de l'homme et le sort de l'animal sont le même. L'Ecclésiaste est d'abord conscient du fait qu'un temps lui est imparti. Le fait que nous avons un emploi du temps est pour lui de moindre importance. L'homme d'affaires moderne est surtout conscient du fait qu'il doit faire des prévisions, il ne réalise que très vaguement que son temps lui est imparti. Naturellement il sait que ce n'est pas lui qui crée le moment favorable, mais qu'il en dépend, et qu'il peut se tromper dans ses prévisions et dans ses actions. Il sait que ses prévisions ont une limite, qu'elles sont, en tant que forces économiques, fortes que lui. Il sait aussi qu'il est sujet d'un destin,· et.qu'un terme sera mis à toutes ses entreprises. Il 212
~~·'~"~.~···• mais il n'en tient pas compte quand
il agit. L'attitude de l'Ecclésiaste Il commence l'énumération des nous sont imparties dans le temps, en ·la vie et la mort. Elles sont au-delà de humaines. Elles sont des bornes peut dépasser. N?us ne pouvons l~s prévoir .temps est délirmté par elles. Vmla pourdébut de l'époque moderne, on a essayé .de la conscience des hommes la mort, le l'enfer. Tandis qu'au Moyen Age, chaque rue, et ce qui est plus important, tous et .tous les esprits étaient nourris des s~la fin et de la mort. Aujourd'hui, on consi~auvais goût de faire mention de la mort. moderne sent que sa conscience de la fin affaiblit son pouvoir de prévision. On ne pasles symboles de la mort, mais une hor_loge y.~ salle, dans chaque rue, et, ce qUI est .,. .,...,.,nr,rr:~nr· dans les cœurs et dans les nerfs. Il Y a .chose de fascinant dans une horloge. Elle emploi du temps quotidien. Sans horloge, pourrions rien prévoir heure pa_; _heure. ~1 .,,.;.,,_...... · impossible de planifier nos actiVItés. Ma1s nous rappelle aussi qu'un temps nous est Elle indique la course du temps vers la fin. ~!:-!.._....._.••~ d'une horloge a souvent rappelé à bea~. hommes le fait qu'un temps leur était · · Une vieille chanson allemande que les de ·nuit chantaient autrefois dans les rues, à chaque heure. La chanson dit pour : « Il est minuit. Voici le but du temps. donne-nous l'éternité. » Ces deux attitudes l'horloge indiquent deux manières de conce, •.,,", .........
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?u
voir.I'emp~oi temps. L'une sait que le temps est Imparti, 1 autre rappelle la nécessité de prévoir · l'emploi du temps aujourd'hui et demain. Quevous dit l'horloge? Est-ce qu'elle vous indique seulement · l'heure de se lever, de travailler, · de manger, de bavarder et d'aller se coucher? Vous rappelle-t-elle· seu~ement le l?rochain , ren~ez-vous et le prochain proJet? Vous dit-elle qu une JOUrnée, qu'une semaine a passé, que vous êtes devenu plus vieux, qu'il vous ~t .demandé d'employer mieux votre temps pour realiser vos plans, pour planter pour construire en utilisant mieux les forces qui 'vous restent a~ant qt;'il soit t:op. tard? ,ou bien cette horloge vous fait-elle anticiper sur 1 heure où elle ne sonnera plus pour vous? Nous, hommes de Ja société industrielle qui :planifions notre temps heure par heure et jour par JOur, avons-nous le courage et l'imagination de l'Eccl~siaste qui, en co~sid~rant son temps et son emploi du temps, pouvait dire : « tout est vanité »? Si nous avons ce courage et cette imagination. qu'en est-il .de. notr~ emploi du temps? Ne perd-iÎ pas toute signification? Ne devons-nous pas dire alors avec l'Ecclésiaste qu'il est bon pour l'homme de jouir de la vie qui lui est donnée d'heure en heure, mais qu'il vaudrait mieux encore ne pas être né? . Un~ a?tre réponse peut être donnée à la question de 1 exiStence humaine, à la question de l'emploi du temps et du temps imparti. Elle est résumée dans ces paroles de Jésus : « Les temps sont accomplis et ~e ~oyaume est à portée de la main. » Ces mots nous mdiquent que le temps imparti par. Dieu pénètre dans nos emplois du temps. Quelque chose de nouveau apparait qui donne une réponse à la question lH4
. comme à celle de l'honune d'affaires.
Jes générations d'hommes pensants, : quel est le sens du flux du temps lai'lttion de toutes choses avec lui? Vanité! réponse que nous recevons : dans notre chose advient qui ne vient pas de mais de l'éternité, et cela, dans notre 1-' ....."""'"'L'-'" qui nous limite dans notre temps celle qui donne au temps qui nous est signification éternelle. Quand Jésus dit opportun est venu, que le Royaume à portée de la main, il annonce que la loi est vaincue. Ce moment n'est pas soumis de la vie et de la mort ni à tous les autres d.e vanités. Quand Dieu apparait à un du temps, quand il se soumet lui-même au ... .v..•·t-U' alors le flux du temps est vaincu. Si ~at>oaœa:ttqu'à un moment du temps, cela donne nouvelle à tous les moments du ..Quand l'aiguille de l'horloge tourne, elle ne indique plus qu'un moment vain succède à un m(lm1enr vain, mais elle nous dit à tout moment : moment, l'éternité est à portée de la main. Le passe, l'éternel demeure. Tout ce qui ·en ce moment, à cette heure, dans ce jour, vie brève ou longue a une signification Notre emploi du temps d'heure en heure, d'aujourd'hui pour demain, les de notre vie : rien n'est perdu. Leur sens le 1.).1.\J.l.v.uu ne se trouve pas en av:ant, là où tout .;.•l"JLLl;:.J.uu.w dans la vanité, mais il se tient au-delà le confirme. Voici tout le sérieux du qui nous est imparti et de notre emploi du Dieu fait entrer son royaume dans notre 215
Accomplissement
emploi du temps. Il fait de l'emploi de notre temps de vanité le temps d'un accomplissement. L'activiste qui planifie astucieusement son temps comme toute notre civilisation, ne peut donner la réponse. L'Ecclésiaste qui fut aussi en son temps un homme très actif et efficace sait que ce n'est pas une réponse : il connaît la vanité de nos emplois du temps. Soy<>ns honnêtes. L'esprit de l'Ecclésiaste influence fortement nos esprits aujourd'hui. Son attitude façonne notre philosophie et notre poésie. La vanité de l'existence est décrite d'une manière très forte par ceux qu'on appelle les philosophes et les poètes de l'existence. Ils sont enfants de l'Ecclésiaste, ce grand existentialiste de son ·époque. Mais ni les existentialistes ni l'Ecclésiaste ne peuvent donner de réponse. Ils en: savent plus long sans doute que beaucoup d'hommes d'action. Ils savent que le temps leur est imparti. Mais ils ne connaissent pa.S la réponse. Bien · sûr, nous devons agir; nous ne pouvons pas l'éviter. Nous devons planifier notre vie de jour en jour; Faisons-le aussi clairement et d'une manière aussi efficace que l'Ecclésiaste quand il suivait l'exemple du roi Salomon. Mais suivons-le aussi quand il a reconnu que tout ce qu'il avait réalisé était vanité. Alors, et alors seulement, nous sommes préparés · à l'annonce de l'apparition de l'éternel dans le temps et de l'élévation du temps à l'éternité. Alors nous voyons dans le mouvement de l'horloge non seulement la fuite des heures, mais l'éternel à portée de la main, sa menace, son exigence et sa promesse. Alors nous pouvons dire «malgré tout »! Malgré le fait que l'Ecclésiaste et ses disciples de tous les temps aient raison, je dis oui au temps, à la peine et à l'action. Je connais la signification infinie de chaque moment. 216
faisant, il faut éviter de retomber dans même dans l'activisme chrétien! Il y a d'activistes dans la chrétienté. L'annonce :co:m]:»lls:seiJnellt des temps n'est pas le feu vert un nouvel activisme soi-disant chrétien. Il fàit dire avec Paul : « Lors même que notre · extérieur se détruit, notre homme intérieur de jour en jour... car nous ne regardons choses visibles mais aux choses invisibles, choses visibles sont passagères, et les invisibles • éternelles. * )) Ici, le message de l'Ecclésiaste est à celui de Jésus. Tout est vanité, mais dans · éternité, l'éternité brille sous nos yeux, s'apde nous et nous attire à elle. Quand on dans le temps l'appel de l'éternité, tout disparaît. Quand l'éternité nous est impartemps devient le vaisseau de l'éternité. Nous alors les réceptacles de ce qui est éternel.
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Corinthiens 4 : z6-r7.
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our est plus fort la mort
savons, nous, que nous sommes passés de la mort parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime aen'Zeu:re dans la mort. >> 3 : 14· notre époque, co.mme en tout temps, nous . besoin de voir quelque chose qui soit plus fort .mort. La mort est devenue puissante aujourpuissante dans les individus, dans les familles, les peuples et dans l'humanité tout entière. La . ·est devenue puissante, cela veut dire que la les limites et le déclin de tout être sont visibles. Dans la civilisation occidentale~ · cela est resté caché durant plus d'un siècle. étions devenus des maîtres dans l'aménagement mcmue. L.a maîtrise de la nature et la plani:fica"de la société avaient élargi les frontières de notre 219
Accomplissement
être. L'affirmation de la vie avait effacé sa négation qui n'osait plus depuis longtemps se faire entendre, et qui s'était réfugiée dans l'angoisse secrète de nos cœurs, et s'affaiblissait de plus en plus. Nous avions oublié notre finitude et l'abîme de néant qui nous environne. Nous avions engrangé dans nos réserves les fruits de milliers d'années de labeur. Les générations précédentes avaient tellement travaillé que nous étions, nous, la génération de l'accomplissement, capables d'écraser la mort sous nos pieds. Nous ne pensions pas avoir écrasé la mort qui est la fin naturelle de toute vie, mais la mort en tant que puissance dans et sur la vie, comme Seigneur et comme maître de nos âmes. Nous préservions nos enfants de l'image de la mort. Quand des convulsions mortelles ou quand la fin devenait visible dans notre voisinage ou dans le monde, cela ne nous dérangeait pas. Nous pensions qu'il s'agissait de simples accidents inévitables mais que cela ne suffisait pas à soulever le couvercle que nous avions fixé sur l'abîme de notre être. Soudainement, le couvercle a été arraché. L'image de la mort apparut dévoilée sous mille formes. Comme le bas Moyen Age notre génération a vu apparaître le visage de la mort dans la peinture et dans la poésie. Elle a peint et elle a chanté la danse de la mort avec tous les vivants. La génération des guerres mondiales, des révolutions et des émigrations massives a redécouvert le visage de la mort. Nous avons vu des millions d'hommes mourir à la guerre, des centaines de milliers mourir dans les révolutions, des dizaines de milliers au cours de persécutions ou d'exterminations systématiques de minorités. Des multitudes aussi grandes que des 220
errent encore sur la face de la terre, lorsque l'on met un terme à leur errance des murs artificiels. Tous ceux qu'on réfugiés ou immigrants font partie de cette errante. En elle s'incarne une partie des ..,,.,"" ...nt" fantastiques par lesquels, à nouveau, la saisi les rênes dont nous croyions qu'elle les :.la.•~u<:"'"' pour toujours. Ces personnes portent dans leur âme et dans leur corps les traces mort et elles ne les perdront jamais tout à fait. n'avez pas pris part à ces mouvements de recevez ces personnes comme des sym.· de la mort qui est une composante de la vie. :r.P.'ITP-7~-le~s comme des gens dont la destinée nous la présence de la fin à tout instant de la vie l'histoire. Recevez-les comme des symboles de finitude, du caractère éphémère de toute préochumaine et de toute créature. . Nous sommes devenus une génération de la Fin. d'entre nous qui ont été des réfugiés et des ne doivent pas l'oublier, quand ils refont leur un autre pays. La Fin n'est pas une chose Elle n'est pas épuisée avec la perte de nous ne pourrons jamais retrouver : la maison . notre enfance, le peuple où nous avons grandi, .pays, les choses, la langue qui nous ont formés, ··.biens spirituels et matériels dont nous avions ou que nous avions gagnés, les amis qui nous · été arrachés par une mort subite. La Fin repréplus que tout cela. Elle est en nous, elle est o:>v·~;uuLÇ notre être même. Nous sommes la générade la Fin, et nous devons savoir que nous le ,~....~""· Certains pensent peut-être que ce qui leur et ce qui est arrivé au monde, devrait 221
J\ccomplissement
êtr~
oublié maintenar;t. N'est-il pas plus digne, plus vrai et plus fort de dire « oui » à notre destin et de refuser de cacher les signes de la Fin dans nos vies et dans nos âmes, et d'entendre la voix de la mort? Parmi toutes les possibilités nouvelles qui nous sont offertes maintenant, ne devrions-nous pas reconnaître que nous sommes ce que notre de!ltin a fait de nous? Ne devons~nous pas confesser que nous sommes des symboles de la Fin? La fin d'un âge qui fut à la fois grand et mensonger. Car c'est la fin de toute finitude toujours mensongère quand elle oublie ses limites e~ cherche à voiler l'image de la mort. !Vf~is qui pe~t soutenir la vision de cette image? Celm-la seul qw peut regarder une autre image derrière et au~delà de l'image de la mort. L'amour est plus fort que la mort. Toute mort signifie division s~parati?n•. isolement,. opposition, et non participa~ tion. Ainsi en est-il également de la mort des nati~:;ts, de la fin~ des g!nératio:r:s et de l'atrophie de 1 ame. Notre ame s appauvnt et se désintèQTe dans la mesure où nous nous lamentons sur ~os malheurs, où nous cultivons le désespoir où nous prenons plaisir à l'amertume, tout en no~s détournant froidement des besoins matériels et spirituels des autr~s: L'~mour surmonte la séparation et crée une participation dans laquelle il y a plus que ce que peuvent apporter chacune des personnes en cause. L'amo~ est l'infini donné au fini. C'est pourquoi no~s. armons par les au~es, car nous ne faisons pas qu.armer les autres, ma1s nous aimons aussi l'amour qw es~ e:r: eux plus que leur amour ou le nôtre. Dans 1 ~s1stanc; ;nutuelle, la ~hose la plus importante n est pas 1 aide procurée a ceux qui sont dans la nécessité, mais l'actualisation de l'amour. Bien 222
jl n'y a pas d'amour qui ne cherche à venir en à celui qui est dans la misère. Mais il n'y a pas d'aide véritable qui ne jaillisse de l'amour · ne soit une création de l'amour. Ceux qui contre la mort et contre la désintégration toutes sortes d'actions de secours le savent bien. la possibilité d'action extérieure est très La gratitude de ceux qui reçoivent de l'aide d'abord et toujours une gratitude pour l'amour xni:l~.c;:;tc, et ensuite seulement une gratitude pour apportée. L'amour, et non pas l'aide qu'on est plus fort que la mort. Pourtant il n'y a d'amour qui ne devienne assistance. Mais quand secours est accordé sans l'amour, il fait croître de souffrances. L'amour divin et humain su~onte la mort des tions et des nations et les horreurs de notre L'a~istance est devenue presque. impossible les puissances monstrueuses dont nous rail'expérience. La mort a reçu ,P~uv?ir sur ~out qui est fini à notre époque de 1 histoue. Ma1s la n'a aucun pouvoir sur l'amour. L'amour est fort. Il crée quelque chose de nouveau à des destructions provoquées par la mort. Il tout et il triomphe de tout. L'amour est à là où la mort est la plus puissante, dans les et dans les persécutions, dans l'exil, dans et jusque dans la mort physique. Il est présent. Il est ici et il est là de la manière humble et la plus cachée comme de la manière grande et la plus visible. Il délivre la vie de Il délivre chacun d'entre nous, car l'amour plus fort que la mort. 223
salut universel
·de la sixième heure, l'obscurité se fit sur tout le Jusqu'à la neuvième heure. Et vers la neuvième heure clama un grand cri : « Eli, Eli, lema sabachtani? i> ,rr.-fJr.-nz·rP. : mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu ahanOr Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit Et voilà que le rideau du Temple se déchira en du haut en bas~· la terre trembla, les rochers se fenles tombeaux s'ouvrirent et de nombreux corps de trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se voir à bien des gens. Qyant au centurion et aux hommes lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui ils forent saisis d'une grande frqyeur et dirent : celui-ci était le fils de Dieu! » "''·'"u.-..u. 27 : 45-46, 50-54•
Accomplissement
Dans ce récit de la crucifixion, une série d' événements naturels est mise en rapport avec l'agonie et la mort de Jésus : l'obscurité couvre le pays, le rideau du Temple se déchire en deux, la terre tremble et les corps de saints sortent de leur tombe. Avec tremblements, la nature participe à l'événement décisif de l'histoire. Le soleil voile sa face. Le Temple accomplit le rite du deuil. Les tombeaux s'ouvrent. La nature est bouleversée parce que se produit quelque chose qui importe à tout l'univers. Depuis les évangélistes; partout où l'on a rapporté les événements du Golgotha comme le moment décisif dans le drame mondial du salut, on a dit aussi le rôle que la nature a joué dans ce drame. Les peintres de la crucifixion ont utilisé toutes les ressources de leur talent pour exprimer, par des couleurs presque étrangères à la nature, l'obscurité qui enveloppait le pays. Je me souviens de ma première impression du vendredi saint, c'était le sentiment du mystère de la souffrance divine, surtout à travers la compassion de la nature. Ce fut sans doute ce que ressentit le centurion quand, plein de crainte et d'effroi, il comprit· d'une manière naïve et cependant profonde qu'il s'était passé quelque chose de plus que la mort d'un saint et d'un innocent. Nous ne devrions pas nous demander si ce sont des nuages ou une tempête de sable qui ont assombri la face du soleil un certain jour d'une certaine année, ou si un tremblement de terre a eu lieu en Palestine juste à cette heure, si le rideau déchiré du Temple a ét~ ensuite réparé ou si les corps des saints ressuscités sont morts de nouveau. Nous devrions plutôt nous demander si nous sommes capables, comme les 226
comme les peintres, comme l'enfant et soldat romain, de sentir que l'événement est un événementqui concerne l'univers nature et l'histoire. Cette question présente considérons les signes relatés par notre Le soleil s'est voilé la face devant le mal profond ·. · la honte qu'il voyait sur la croix. Mais aussi voilé parce que· son empire sur le monde à sa fin une fois pour toutes dans cette d'obscurité. Ce Dieu éclatant et brûlant, ce de tout ce qui vit sur la terre, ce soleil glorifié, adoré par d'innombrables êtres humains, pen. milliers et des milliers d'années, venait de sa puissance divine par un seul être qui dans une agonie ultime avait maintenu :Imité avec ce qui est plus grand que le soleil. .,......,,. "'"" heures de ténèbres, il est devenu mani"que l'image du Très Haut n'est pas le soleil, la.:lutte et la souffrance d'une personne qu'au. de l'univers ne peut briser. Désormais, ne peut être loué qu'à la manière .·de saint d'Assise qui l'appelait notre frère, mais non dieu~ ~.({Le
rideau du Temple se déchira en dèux. >> l,remple déchire son vêtement comme une per,en deuil parce que celui à qui le Temple · plus qu'à quiconque était rejeté et tué . serviteurs du Temple. Mais le Temple, et lui tous les temples de la terr~ se lamentent leur destin. Le rideau qui faisait du Temple lieu saint, séparé de tout autre lieu, venait de son pouvoir de séparation. Celui qui avait hors du Temple comme un blasphémateur, 227
Accomplissement
avait déchiré le rideau et ouvert le Temple à tout le monde et à tout moment. Ce ri9-eau ne peut être recousu, bien qu'il y ait des prêtres, des pasteurs et des personnes pieuses qui tentent de le raccommoder. Ils ne réussiront pas, parce que celui pour qui tout lieu était un lieu sacré, un lieu où Dieu est présent, a été mis à mort sur la croix au nom du lieu très saint. Quand le ridèau du Temple a été déchiré, Dieu a jugé la religion et a rejeté les temples. A partir de ce moment, les temples et les églises ne peuvent être que des lieux où l'on médite sur le sacré qui est le fond et le sens de tout lieu. Comme le Temple, la terre a été jugée au Golgotha. En tremblant et en frémissant, la terre a participé à l'agonie de l'homme sur la croix et au désespoir de ceux qui avaient vu en lui le commencement d'un nouvel éon. En tremblant et en frémissant, la terre prouve qu'elle n'est pas le sol maternel sur lequel nous pouvons construire en toute sécurité nos maisons, nos cités, nos cultures et nos systèmes religieux. En tremblant et en frémissant, la terre a montré un autre fondement, le fond sur lequel elle repose, l'amour qui s'abandonne et contre lequel toutes les puissances terrestres et toutes les valeurs se liguent sans pouvoir la vaincre. Depuis l'instant où Jésus a· poussé son dernier cri et rendu son dernier soupir, et où les rochers se sont fendus, la terre a cessé d'être le fondement de tout ce que nous bâtissons sur elle. Elle ne subsiste que dans la mesure où elle repose sur un fond plus profond. Elle ne peut durer que dans la mesure où elle s'enracine dans le fondement où la croix est plantée. La terre n'a pas seulement cessé d'être le terrain solide de la vie, elle a également cessé d'être 228
de la mort. La résurrection n'est pas quelque d'ajouté à la mort de celui qui est le Christ, elle est impliquée dans sa mort comme l'inles résurrections avant la résurrection. L'unin' est plus soumis 'désormais à la loi de la mort sort de la naissance. Il est soumis à une loi haute, à la loi de la vie qui sort de la mort la mort de celui qui représentait la vie éterLes tombeaux se sont ouverts et des corps ressuscité lorsqu'un homme en qui Dieu était sans limite a remis son esprit entre les mains Père. Depuis ce moment, l'univers n'est plus ce était. La nature a reçu une autre signification. est transformée. Vous et moi, nous ne .omtmt~s plus et nous ne devrions plus être ce que étions avant.
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