HARCO
WILLEMS
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ELÉMENTS D'UNE HISTOIRE CULTURELLE DU MOYEN EMPIRE ÉGYPTIEN
Quatre conférences présentées à l'École Pratique des Hautes Etudes. Section des Sciences
religieuses. Mai
2006.
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations, dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 " de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.
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SOMMAIRE
PRÉAMBULE
XI
AVANT-PROPOS
XIII
INTRODUCTION
l
C H A P I T R E I. L A C U L T U R E N O M A R C A L E : DIMENSIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES, SOCIALES E T RELIGIEUSES
5 8
L ' O R I G I N E DES N O M E S LES N O M E S P E N D A N T LA V
25
DYNASTIE
L'ADMINISTRATION DES N O M E S PENDANT LA V I ' DYNASTIE
31
L ' A D M I N I S T R A T I O N RÉGIONALE P E N D A N T LA PREMIÈRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET AU M O Y E N EMPIRE
36
LE TITRE DE N O M A R Q U E EN ÉGYPTIEN ET D A N S L'ÉGYPTOLOGIE
59
C H A P I T R E I I . U N CIMETIÈRE N O M A R C A L D U M O Y E N EMPIRE : D E I R EL-BERSHA LES FOUILLES DE
2006
D A N S LA Z O N E
67
10
LES T O M B E S DU DÉBUT DU M O Y E N EMPIRE DE LA Z O N E 2 LE PAYSAGE RITUEL DE DEIR EL-BERSHA
83 87 103
C H A P I T R E I I I . L E S T E X T E S DES C E R C U E I L S E T LA D É M O C R A T I E LES RACINES DE « L'HYPOTHÈSE D É M O C R A T I Q U E »
131 133
T R A N S F O R M A T I O N S DE L ' É Q U I P E M E N T FUNÉRAIRE P E N D A N T LA PREMIÈRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET A U M O Y E N EMPIRE
142
IX
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
U N E PERSPECTIVE DÉMOGRAPHIQUE SUR LES TEXTES DES CERCUEILS
Quantification des sarcophages décorés à Deir el-ßersha
Quantification des sarcopfiages décorés à Beni Hasan Quantification des sarcop/iages décorés à Assiout LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES TEXTES DES CERCUEILS
149
156
160 161 172
Saqqara et Abousir
174
Tfièbes et Licht La Moyenne Egypte
178 182
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA RELIGION FUNÉRAIRE DANS LES HAUTS-LIEUX N O M A R C A U X
184
U N E HYPOTHÈSE SUR LA PORTÉE DES TEXTES DES CERCUEILS
189
Les lettres aux morts
192
Les formules 131 à 146 des Textes des Cercueils
193
La formule 14c des Textes des Cercueils
194
Les formules 30-41 des Textes des Cercueils
196
La formule 312 des Textes des Cercueils
2 01
Une conclusion
203
Le cas d ' H e q a f a
204
Le cas des sarcophages du milieu de la XII' dynastie
207
Conclusion
21 2
La vie familiale au Moyen Empire
21 4
Les Textes des Cercueils et les cours nomarcales
220
CONCLUSION
225
A P P E N D I C E . Q U A N T I F I C A T I O N DES C E R C U E I L S DÉCORÉS D U M O Y E N EMPIRE
229
ÉPILOGUE
233
BIBLIOGRAPHIE T A B L E DES FIGURES
239 2 71
T A B L E DES P L A N C H E S
275
INDEX
277
PRÉAMBULE
I
arco Willems, professeur à la Katholieke Universiteit Leuven, directeur du chantier de fouilles de Deir el-Bersha, et spécialiste
incontesté
des
Textes
des
Cercueils est venu donner, en mai 2 0 0 6 , dans le cadre de l'École Pratique des
Hautes Études, quatre conférences qu'il a accepté ensuite de publier. L'ouvrage qui en découle est véritablement novateur. Il permet tout d'abord de resituer l'organisation politico-administrative de l'Egypte depuis les origines jusqu'au
Moyen
Empire. Or, c'est une question qui a fait et fait encore l'objet de nombreuses controverses, l'argumentation en faveur de tel ou tel point de vue (création des nomes, expansion et déclin) étant parfois peu étayée. Après cette analyse indispensable, Harco Willems présente les résultats majeurs des campagnes de fouilles à el-Bersha. C'est un nouveau « paysage rituel » que nous découvrons avec, en particulier, la route qui mène de la rive orientale du Nil jusqu'aux pentes où furent creusés les hypogées des nomarques, dont le célèbre Djéhoutihotep. On mesure aussi combien l'extension du cimetière est plus vaste que celle qu'on lui attribuait traditionnellement. XI
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Dans son troisième chapitre, l'auteur remet profondément en cause ce q u ' o n continue d'appeler la « démocratisation » ou « démotisation » de la religion funéraire du Moyen Empire, en se fondant sur la lecture des textes (Lettres aux m o r t s , chapitres des Textes des Cercueils) étroitement associée à une analyse critique de la situation politique, administrative et sociale de l'Egypte de la Première Période Intermédiaire et du Moyen Empire. Il en résulte que les Textes des Cercueils, loin d'être le reflet de la religion funéraire de l'Egypte
tout
entière, et toutes catégories sociales confondues, apparaissent c o m m e l'apanage d'une élite très spécifique qui est celle des nomarques de Moyenne Egypte. Harco Willems offre avec ce livre une vision profondément originale, et du coup dérangeante, de cette religion funéraire qu'on ne doit plus, ni ne peut plus, séparer de son contexte historique et
social.
L'accent que m e t l'auteur sur l'influence des courants de pensée contemporains ou des opinions politiques sur la recherche égyptologique, influence trop souvent méconnue ou occultée, m e paraît aussi devoir être souligné. Je tiens à remercier très chaleureusement Harco Willems pour ces nouvelles perspectives qu'il nous propose, sans oublier Jean-Pierre Montesino, directeur des Éditions Cybèle qui a bien voulu prendre en charge la publication de cet ouvrage, pas plus que Gwenola de Metz qui, une nouvelle fois, a mis ses talents de graphiste au service de sa réalisation. CHRISTIANE ZIVIE-COCHE
Paris, le i 2 septembre 2007
AVANT-PROPOS
C
e volume a été écrit sur la base de quatre leçons académiques que j ' a i présentées comme l'Ecole
directeur
d'études
Pratique des Hautes
invité
à
Études,
Section des Sciences Religieuses à Paris entre le 4 et le 2 4 mai 2 0 0 6 . J e tiens à
remercier très vivement ma collègue, Christiane Zivie-Coche, directeur d'études, pour l'honneur de m'avoir invité à donner cette série de conférences. Elle a aussi corrigé mon texte français. De surcroît, au cours des conversations que j ' a i eues avec elle durant mon séjour à Paris, elle a fait quelques remarques
précieuses, qui m ' o n t incité d'approfondir divers éléments de mon étude. Les pages consacrées à la « démographie des Textes des Cercueils » en sont largement le résultat. Ce volume a une longue histoire, et constitue une sorte d'assemblage d'idées, d'abord très disparates, que j ' a i développées pendant près de vingt ans. Une première version du premier chapitre a été conçue en 1 9 9 5 , dans le cadre d'un cours intitulé « Samfund og historié » que j ' a i délivré pendant un séjour comme professeur invité à l'Institut Carsten Niebuhr de l'Université de Copenhague. Le deuxième chapitre offre une XIII
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
sélection des acquis récents de la Mission de la K.U. Leuven à Deir el-Bersha'. La thèse principale traitée dans le troisième chapitre a été exposée pour la première fois dans la conférence « The Coffin Texts and democracy » que j'ai prononcée au cours de la table ronde intitulée « Textes des Pyramides et Textes des Sarcophages », qui s'est déroulée à l'Institut français d'archéologie orientale du Caire, du 2 4 au 2 6 septembre 2 0 0 1 \ Une version très préliminaire et simplifiée a été publiée dans mon article « Het nomarchaat als politieke, sociale en religieuze factor in de Egyptische provincie », Phoenix 4 6 . 2 ( 2 0 0 0 ) , p. 7 2 - 1 0 4 . HARCO WILLEMS
Orp-le-Grand, 1 0 septembre 2 0 0 6
1.
Projet
de
fouilles
Onderzoeksfonds
de
réalisé la
grâce
K.U.Leuven
au
support
et d u
financier
Fonds v o o r
du
Bijzonder
Wetenschappelijk
O n d e r z o e k - Vlaanderen. En 2 0 0 6 , notre projet bénéficiait aussi d'une subvention de la Nationale Bank van België. 2. Communication que, par manque de temps, je n'ai pas pu publier dans les actes de ce colloque.
INTRODUCTION
E
n lisant le grand nombre d'études consacrées aux nomarques égyptiens depuis plus d'un siècle, on s'apercevra aussitôt que ces fonctionnaires ont été prioritairement considérés sous leur aspect administratif et politique, ce qui est compréhensible. Il s'agit sans aucun doute
d'une catégorie de hauts fonctionnaires régionaux qui ont exercé une influence capitale pendant l'époque qui s'étend de
la fin de la V dynastie jusqu'à l'extinction de la XII dynastie. Il e
e
n'a pas échappé aux spécialistes que la plupart d'entre eux remplissaient aussi des fonctions religieuses, par exemple comme chef des prêtres dans les temples provinciaux. Mais, si leurs autobiographies font état de leur rôle sacerdotal, les informations concernant ces tâches, probablement importantes, ne sont souvent que très laconiques. Dans la plupart des cas, les textes ne nous renseignent que sur le fait que le nomarque portait un titre tel que im.y-r hm.w-ntr,
sans détailler les
spécificités de cette occupation. Moi aussi, je vais également m'occuper principalement de l'aspect administratif de leur situation dans la société égyptienne. Néanmoins, il me semble que, si l'on recense toutes les indications disponibles, il s'avère 1
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
possible de décrire d'une manière assez approfondie ce qu'était leur activité religieuse. Mais pour arriver à ce résultat, ce serait une erreur que d'aborder dès le début les aspects rituels et théologiques qui seront le point d'aboutissement de ma présentation. Une religion ne fonctionne pas dans le vide. Les individus qui ont produit les sources religieuses que nous connaissons n'élaboraient pas seulement des idées religieuses, ils étaient aussi membres d'une société qui, comme toute autre, poursuivait des buts économiques et politiques. De nos jours, ces aspects sont assez strictement liés à des domaines sociaux différents, en tout cas dans le monde occidental, bien que les dernières années montrent malheureusement un certain mouvement dans la direction opposée. Pour les Égyptiens, une telle ségrégation n'a jamais existé. En fait, toutes les sources dont nous disposons, même celles que les égyptologues préfèrent appeler « textes autobiographiques » ou « textes historiques », ont pour origine le cadre architectural des tombes, donc un milieu profondément religieux. Il est important de ne pas perdre de vue ce fait capital. Une des fonctions de la religion qu'on peut retrouver dans plusieurs cultures, c'est qu'elle offre un fondement idéologique à la structure sociale. Sur un plan bien connu et presque banal, c'est aussi le cas en Egypte, où le roi lui-même revêtait un rôle divin — ou plutôt plusieurs rôles divins à la fois. Beaucoup d'égyptologues se sont occupés de telles questions, en étudiant, par exemple, par quels moyens s'exprimait la divinité du pharaon. Mais on pourrait aussi aborder la question dans un sens opposé : en analysant d'abord la structure sociale (dans le cas présent, celle des provinces de Haute Egypte) pour mettre en lumière dans quelle mesure cette structure correspond à celle de la mythologie ou au scénario des rituels. Le premier chapitre traite du rôle historique, social, politique, administratif et, bien sûr, religieux des nomarques. Notre 2
INTRODUCTION
documentation provient principalement des cimetières nomarcaux. Un tour d'horizon des renseignements disponibles sur ceux-ci montre tout de suite un biais à la fois dans la documentation et dans le genre de questions que se sont posés les égyptologues. Ainsi, concernant le site bien connu de Beni Hasan ce sont surtout les grandes tombes des gouverneurs qui ont retenu l'attention. Il existe, par exemple, de nombreuses études qui tentent de situer ces personnages dans le cadre historique de leurs temps. Il n'est évidemment pas sans intérêt d'aborder ce type de problématique, mais les tombes des gouverneurs n'occupent qu'une partie du site. Près de mille tombes appartenant à l'entourage des gouverneurs et aux membres de la communauté qu'ils dirigeaient ont été découvertes, il y a plus d'un siècle, par G A R S T A N G . Malheureusement ce professor of the methods
and practice
of archaeology
à l'université
de
Liverpool a détruit les contextes archéologiques de ces centaines de tombes au lieu de les documenter. De surcroît, les objets découverts ont été dispersés à travers le monde. La tentative de S. O R E L qui, il y a quelques années, a entrepris de reconstruire les contextes archéologiques, est certes importante, mais n'en donne qu'une idée très approximative. Ce qui implique que nos informations sur l'organisation du site — organisation qui doit refléter l'organisation sociale de cette communauté nomarcale — sont assez restreintes. Malheureusement, le site de Beni Hasan n'est pas une exception. Le genre de fouilles entreprises au début du X X sièE
cle à Deir el-Bersha, Meir, Assiout, Deir el-Gabrawi, Qaw elKebir, ou, plus récemment, à el-Hawawish, avaient toutes pour but de collecter des objets d'art, des textes, et des copies de tombes décorées. Pour la plupart de ces sites, qui n'ont guère attiré l'attention depuis les années trente du siècle passé, il n'existe m ê m e pas un plan. Le second chapitre sera consacré au cimetière nomarcal de Deir el-Bersha où l'équipe de la Katholieke Universiteit Leuven 3
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
a entrepris des fouilles depuis cinq ans. Là, se pose la question de ce que l'organisation du site, c'est-à-dire la distribution spatiale des tombes et des différents types de mobilier funéraire, pourra apporter de nouveau pour évaluer dans quelle mesure les coutumes funéraires étaient — ou n'étaient pas — partagées pas
tous
les
citoyens
de
la
métropole
provinciale
d'Ashmounein. Sur cette base il sera possible d'avancer des hypothèses pour estimer comment ce que l'on appelle « la religion funéraire » se répandait à travers les différentes couches sociales. A cet égard, la signification des textes funéraires inscrits sur les sarcophages du Moyen Empire est d'importance primordiale. Ces « Textes des Cercueils » (ou « Textes des Sarcophages ») sont généralement considérés comme témoins de ce qu'on appelle la « démocratisation », ou bien « démotisation », des croyances funéraires royales de la fin de l'Ancien Empire. Cette religion « démocratisée » est parfois considérée comme un trait cardinal de la religion égyptienne du Moyen Empire (et de la Première Période Intermédiaire) dans sa globalité. Le troisième chapitre traitera des origines de cette idée, et essaiera de formuler une critique de son bien-fondé. Dans ce chapitre, il est dans mon intention d'établir plus clairement qui étaient les utilisateurs de ces textes et, pourquoi et dans quelles conditions, ils les utilisaient. Je crois pouvoir montrer que les Textes des Cercueils ne reflètent pas du tout les sensibilités religieuses de l'Egypte entière, mais qu'il s'agit plutôt de la religion d'une couche influente, mais quantitativement très restreinte, de la population égyptienne. Il me semble aussi possible de démontrer que les soucis des membres de cette couche sociale se traduisent nettement dans le contenu des Textes des Cercueils.
CHAPITRE I LA CULTURE NOMARCALE : DIMENSIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES, SOCIALES ET RELIGIEUSES
L
« WAS UND WER IST ÜBERHAUPT EIN "NOMARCH" ? »'
e titre de nomarque remonte à l'époque grécoromaine. Traduit littéralement, il signifie « chef de nome ou province ». Bien que les nomarques gréco-romains n'aient pas été des gouverneurs provinciaux au sens plein du m o t , le 2
terme est généralement utilisé par les égypto-
logues pour désigner les administrateurs, du rang le plus élevé, des provinces. Le t e r m e « nomarque » ainsi défini est donc une invention égyptologique. Mais m ê m e parmi les égyptologues, tous n'attribuent pas à ce vocable la m ê m e signification. Aussi est-il important tout d'abord de discuter de ce qu'étaient un nome et un nomarque. Ces réalités sont moins faciles à définir qu'on ne pourrait le supposer. De surcroît, on verra que les « vrais » 1.
FRANKE,
ßiO
62 (2005),
col.
466.
2. Au début de la période ptolémaïque le nomarque partageait le pouvoir avec le sfratègos (commandant militaire du nome) qui, déjà à partir du règne de Ptolémée III, assumait aussi des fonctions civiles, tandis que le titre de nomarque ne désignait qu'un fonctionnaire subalterne (voir pour la structure de l'administration provinciale à l'époque gréco-romaine B O W M A N , Egypt after the Pharaohs, p.
56-88
; HÖLBL,
Geschichte des
Pto/emäerreiches, p. 59 et passim). A l'époque des premiers Ptolémées, la situation n'est pas très claire (information de mon collègue Willy CLARYSSE).
5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
nomarques, c'est-à-dire les gouverneurs provinciaux, appartenaient à une couche sociale plus large, composée d'individus qui, sans porter le titre explicite de nomarque (hr.y-tp
f
j n
N O M E ' ) , jouaient un rôle très semblable dans leurs communautés. Il faudra alors faire la distinction entre les « nomarques » au sens restreint et un mode d'organisation sociale à plus grande échelle que B. K E M P a appelé « la nomarchie »
(Nomarchy/.
C'est cette culture nomarcale, plutôt que les nomarques proprement dit, que j e me propose d'étudier. Mais il n'est évidemment pas possible de pénétrer la culture nomarcale, m ê m e dans le sens de B. K E M P , sans comprendre ce qu'étaient les nomarques et les nomes. Dans les temples de l'époque tardive, on trouve souvent des « listes de nomes » (fig. I ) . Elles se présentent généralement 5
comme
des processions de personnages personnifiant
les
nomes dont ils portent le symbole sur la tête. La base de ces symboles est souvent formée d'un signe qui rend l'image d'une série de terrains agricoles carrés, bordés de petites digues (row), comme on les voit encore en Egypte, de nos jours. Ce hiéroglyphe signifie « district », et il supporte, dans le cas des nomes, un symbole renvoyant à une région spécifique. Par exemple, le quinzième nome de Haute Egypte, où sont établis la ville d'elAshmounein et le cimetière de Deir el-Bersha, était « le Nome du Lièvre ». Ce symbole est arboré par une des personnifications de nomes reproduites à la figure 1.
3. Voir par exemple la remarque de BAER : « It is only the hrj tp 'j w h o seems in all cases to be an official actually heading the administration of a nome ; only this title should therefore be translated " n o m a r c h " » (Rank a n d Title, p. 281). M O R E N O GARCIA, dans : Des 4 . KEMP, C A J 5.
5 (1995L
O n trouvera
« Geographischen
6
P-
Voir aussi
Néferkarê aux Montouhotep, p. 220.
38.
la documentation de
Inschriften », p. 1-19.
base dans BEINLICH,
Studien zu
den
LA CULTURE
NOMARCALE
FIG. 1 : PARTIE DE LA LISTE GÉOGRAPHIQUE DE KÔM O M B O , MONTRANT LES PERSONNIFICATIONS DES XIV ET XV NOMES S
S
DE HAUTE EGYPTE (D'APRÈS DE MORGAN, KOM OMBOS
II.3, P. 2 5 5 [ 8 9 1 ] ) . 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
L ' O R I G I N E DES N O M E S
Dans le cadre des temples tardifs, les listes de nomes n'offrent plus qu'une image figée des divisions régionales traditionnelles remontant à une haute antiquité, qui dans la plupart des cas n'avaient plus rien à voir avec les unités administratives de l'époque . Mais ces listes ont des ancêtres plus anciens. Un des 6
plus beaux exemples se trouve sur la Chapelle Blanche de Sénousret I" à Karnak (fig. 2 ) . Là, chaque nome n'est indiqué 7
que par son nom. La liste de Sénousret I donne des précisions er
concernant la superficie des provinces, le niveau atteint dans chacune d'elles par la crue du Nil, et la longueur de la coudée conservée dans le temple principal de chaque nome. Ce qui suggère un lien étroit, au moins à cette époque-là, entre l'administration civile et le temple. Plus ancien encore, le dit « temple bas » de la pyramide rhomboidale de Snéfrou à Dahchour, du tout début de la IV dynastie, comporte
dames personnifiant les domaines royaux (hw.t)
6. Voir
1
des représentations de processions de
les remarques d e YOYOTTE,
de ce roi
Orientalia 35 (1966), p. 46. Plusieurs auteurs se
montrent les victimes du jargon égyptologique en affirmant, p a r exemple, que les nomoi de l'époque gréco-romaine étaient « the established g e o g r a p h i c a l divisions from time immemorial » ( B O W M A N , op. cit., p.
58-59].
La confusion pourrait être due
au fait que même HELCK, un des plus grands spécialistes en la matière, s'exprime d'une manière incohérente. D'une part, il soutient que les « nomes » (ég. sps.t) avaient disparu pour être remplacés par d'autres unités régionales (« villes », et autres catégories d e régions administratives, comme les w et les k'h, et, finalement, les nomoi des époques tardives) qui, d e surcroît, pouvaient être agrandies, réduites, jumelées ou abolies. D'autre part, il décrit toutes ces unités très variées (excepté les « villes ») comme « Gaue », mot généralement utilisé en allemand pour « nome » : voir HELCK, « G a u e »,
LÀ
II,
col.
385-408, qui
donne un aperçu condensé du livre
Die a/ragyptisc/ien G a u e du même auteur. Dans la présente étude on utilisera le terme nomos pour désigner les provinces gréco-romaines à la différence du terme « nome », qui désigne les spj.wt.
7. LACAU, 40-42. 8
CHEVRIER, Une
chapelle de Sésosfris I" à Karnak, p. 220-237 ; pl. 25-26 ;
LA CULTURE
NOMARCALE
i III»'-
IIIP
1 ->• " T " ~ " 7 *T- 1! ! » " ~ V iiiiaÄ— l i m 2 y.^f"onofi_|î2^iiii>fiflrt£„ i(itfif»nni tft tft iionnnn i ni m . i n
FLG. 2 : DÉTAIL DU SOUBASSEMENT DE LA CHAPELLE BLANCHE, MONTRANT LA LISTE DES NOMES DE HAUTE EGYPTE (D'APRÈS LACAU ET CHEVRIER, UNE
CHAPELLE
DE SÉSOSTRIS
I" À KARNAK,
PL.
3).
m
minim IM ", NÎIIIONNI_; ut n nu.
j
LES
(fig
TEXTES DES SARCOPHAGES
3)
8
ET LA
DÉMOCRATIE
En tête des domaines ainsi figures on trouve des dési-
gnations de nomes, de sorte qu'un groupe de domaines est rattaché à un nome spécifique. Il s'agit de la plus ancienne liste de nomes, mais il existe des inscriptions encore plus anciennes qui ont été interprétées comme symboles de nomes. Si cette hypothèse s'avérait correcte, les figurations de nomes remonteraient alors aux premières dynasties de l'époque historique''. Cette brève introduction montre que les symboles de nomes sont de haute antiquité. Mais il est certain que leur signification n'est pas demeurée aussi résistante au changement que leur forme. A l'époque tardive, les nomes ne jouaient plus d'autre rôle que dans la topographie religieuse de l'Egypte. Auparavant, ils avaient désigné des entités administratives, mais, les égyptologues ne sont pas d'accord sur la date à laquelle les nomes 8.
A . FAKHRY, The
Monuments of Sneferu at Dahshur l l . l , p. 17-58. Faute d'alterna-
tive, je continuerai d'utiliser la traduction « domaine » pour le mot égyptien hw.t. M O R E N O GARCIA a suggéré dans une monographie fort intéressante que les hw.wt étaient des institutions royales établies à travers le pays. Le bâtiment central serait un palais en forme de tour, qui constituerait le noyau d'une unité administrative régionale dirigeant non seulement la production agricole, mais aussi l'emmagasinage et la distribution des produits, ainsi que le contrôle des localités soumises à la hw.t. De surcroît, les hw.wt fonctionneraient aussi comme forteresses. Elles étaient soumises directement à la couronne et n'étaient à aucun é g a r d des propriétés privées, comme on l'a souvent pensé [hwt et le milieu rural). J'accepte les conclusions de M O R E N O GARCIA mais, malgré sa critique, la traduction « domaine royal » me semble très appropriée pour une telle institution. 9 . Pour une liste des symboles des nomes, voir W . HELCK, « Gauzeichen », LÀ II, col.
423-424. Pour la possibilité qu'une
empreinte
Khâsekhemoui désigne un nome, voir M A R T I N-PARDEY, renvoyant à KAPLONY,
IÄF
III, fig. 781.
de
sceau du règne
de
Provinzialverwaltung, p. 35,
Pour une interprétation récente, selon
laquelle certaines inscriptions datant du début de la « dynastie zéro » contiendraient des symboles d e nomes, voir J. KAHL,
CdE 78, N ° 155-156 (2003), p. 124-
130. Je dois avouer que je trouve l'argumentation de KAHL hautement hypothétique, aucun des signes ne ressemblant clairement aux hiéroglyphes plus tardifs désignant les nomes. Il a récemment été suggéré qu'une inscription à l'encre sur un vase provenant de la tombe U-j à A b y d o s désignerait une sorte de nome (ENGEL,
MDAIK
6 2 [ 2 0 0 6 ] , p. 1 5 9 , cat. 1 9 ) . L'hypothèse est peu p r o b a b l e , étant donné que les « inscriptions » sur ce groupe de vases ne montrent pas de caractéristiques de l'écriture hiéroglyphique (REGULSKI, Pa/aeographic Study I, p. 3 4 8 - 3 5 8 ) . Ainsi, il n'existe aucun indice en faveur de l'existence d'un « nome du scorpion ».
10
LA CULTURE
NOMARCALE
F I G . 3 : DÉTAIL DE LA PROCESSION DE DOMAINES F I G U R É S DANS LE « TEMPLE DE LA VALLEE » DE S N É F R O U À D A H C H O U R .
LES DEUX DAMES DE DROITE REPRÉSENTENT DEUX DES TROIS DOMAINES DU NOME DU LIÈVRE (XV ). INSÉRÉ ENTRE LES DAMES 2 ET 3 S
ON VOIT LE SYMBOLE DU NOME DE L'ORYX, SUIVI DE DEUX DES C I N Q DOMAINES DE CE NOME (D'APRÈS FAICHRY, THE MONUMENTS SNEFERU
AT DAHSHUR
II, FIG.
OF
16).
11
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
furent remplacés par d'autres types de districts administratifs. Il semble clair que les nomes étaient de vraies unités administratives vers la fin de l'Ancien Empire ; cependant, à nouveau, les débuts du système sont difficiles à repérer. La première source qui présente les nomes intégrés dans un système couvrant la totalité du pays est la liste de nomes du roi Snéfrou déjà mentionnée. C o m m e le montre la figure 3, ce document définit deux éléments d'organisation régionale à la fois : un système de domaines royaux et un système de nomes. Les domaines sont arrangés par groupes dont chacun appartient à un des n o m e s . Ces derniers sont déjà agencés dans l'ordre 10
qui deviendra canonique. Tout se présente donc comme si les domaines étaient subordonnés aux nomes. Selon une hypothèse émise il y a longtemps par K. S E T H E , les symboles de nomes auraient désigné, à l'époque prédynastique, des entités politiques indépendantes ; celles-ci auraient été absorbées dans le nouvel état au cours du processus d'unification de l'Egypte. Mais ces territoires auraient survécu sous la forme des nomes, les provinces constituant alors la forme rudimentaire des royaumes miniatures de la préhistoire". Nos connaissances archéologiques actuelles montrent que l'hypothèse de S E T H E n'a que peu de vraisemblance . De nos 12
jours, les nomes sont plutôt envisagés comme le point d'aboutissement, non de l'époque prédynastique, mais du début de l'époque dynastique. W . H E L C K suggère par exemple que les nomes pourraient avoir été originellement des territoires administrativement subordonnés aux domaines royaux établis à travers le pays". Pour lui, cette évolution aurait pris place pendant les deux 10. Voir aussi l'ostracon Leiden J
24-26
1 1 . SETHE, Urgeschichte und HELCK,
426,
de la IV" dynastie (GOEDICKE,
JEA 54 [1968], p.
et pl. V.] ), mentionnant les hw.wt du dixième nome de Haute Egypte.
älteste Religion, § 38-68. L'idée a déjà été rejetée par
Verwaltung, p. 194.
1 2 . Pour un aperçu des unités régionales prédynastiques, voir KEMP, Ancient Egypt. Anatomy of a
Civilization', p. 73-92 ; 98-99.
1 3 . HELCK, Beamtenrife/n, p.
12
78-80 ;
IDEM, « G a u e »,
LÄ II, c o l . 385.
LA CULTURE
NOMARCALE
premières dynasties, et plus probablement durant la seconde. Dans l'une de ses publications, il suppose même que les nomes ne furent constitués que sous le règne du roi Djoser, période à laquelle des jarres portant des mentions de nomes furent déposées dans les couloirs creusés sous la pyramide à degrés . La 14
création des nomes s'expliquerait par les besoins nés des projets de construction des pyramides, qui débutaient à cette époque. E . M A R T I N - P A R D E Y a souscrit dans les grandes lignes au raisonnement de H E L C K , mais elle relève que de grands programmes royaux furent déjà mis en œuvre pendant les deux premières dynasties. Selon elle, il est vraisemblable, pour cette raison, que les nomes soient apparus dès ce moment-là' . 1
Pour les deux auteurs, la conception d'entités provinciales présuppose l'existence d'un système d'administration et, conséquemment, d'un système d'écriture. Mais depuis que les fouilles allemandes dans la tombe U-j à Abvdos ont révélé un nombre important de textes , on pourrait également repousser la créa16
tion des nomes vers le début de la « dynastie zéro ». Selon une hypothèse un peu aventureuse de J . K A H L , ces textes contiendraient même, possiblement, des références à plusieurs n o m e s " . Pour ma part, je crois que la documentation est trop restreinte pour pouvoir déterminer avec certitude quand les nomes ont été élaborés et, en raison de l'absence d'une base
1 4 . HELCK,
SAK 1 (1974], p. 218. Pmvinzialverwahung, p. 14-40 (accepté par
1 5 . MARTIN-PARDEY,
WILKINSON,
Early
Dynastie Egypt, p. 142, qui plus tard admet une datation d e l'introduction du syse
tème des nomes sous la II dynastie comme la plus vraisemblable). Quelques inscriptions à l'encre trouvées sous la pyramide de Djoser font état du nome de l ' O r y x . Elles appartiennent à un groupe plus large, d a t a b l e , selon une étude récente de I. REGULSKI, du règne de Khâsekhemoui (dans :
Egypt at its Origins,
p. 949-970, et communication personnelle). Elle me renvoie aussi à l'inscription KAPLONY,
IÄF III, pl. 129 (781), que j'ai déjà mentionnée. Un parallèle récemment
découvert à Umm e l - Q a a b montrerait qu'il s'agit en fait d'un nome dont le nom s'écrit avec un taureau. 1 6 . DREYER,
Umm el-Qaab I, p. 113-145; 173-187.
17. Cf. supra, n. 9, p. 10.
13
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
chronologique fiable, il m e semble tout aussi incertain d'envisager les raisons pour lesquelles ils furent institués. Plus sérieusement encore, m ê m e si j ' a c c e p t e l'hypothèse qu'il ait existé des nomes sous le règne de Djoser et peut-être un peu avant, leur signification d'un point de vue administratif ne m e semble pas du tout claire. Les égyptologues qui se sont occupés du sujet ont généralement travaillé en s'appuyant sur l'hypothèse que l'existence de nomes équivaut à l'existence de provinces. H E L C K écrit par exemple : La mention la plus ancienne d'un nome et de son administration se trouve sur un tesson provenant de la pyramide à degrés, qui fait
état d'un « chef du nome de la
gazelle ». Sous le règne de Djoser il existait donc une répartition
en nomes et une administration
de
nomes . ]i
Le fait que ce texte inclut un signe qui, plus tard, désignerait une province est ainsi interprété comme indice, 1 que ce signe avait déjà sous la III dynastie la m ê m e signi0
e
fication que plus tard, et 2 ° qu'à cette époque-là déjà, toutes les régions égyptiennes étaient organisées selon le m ê m e modèle. L'hypothèse est évidemment envisageable, mais la documentation ne
permet
aucune certitude à cet égard. Même dans la liste de domaines et nomes de Snéfrou, rien ne prouve qu'on a affaire à des nomes en tant que provinces, c'està-dire en tant que subdivisions régionales dirigées par un gouverneur. Il me semble, ainsi, tout aussi possible que les domaines aient été rassemblés en groupes régionaux désignés par un sym18.
HELCK,
Beamtentiteln, p. 78 : « Die älteste Erwähnung eines Gaues und seiner
Verwaltung ist auf einer Scherbe aus der Stufenpyramide, auf der ein "Leiter des G a z e l l e n g a u e s " . . . genannt w i r d . Unter Zoser bestand also eine Gaueinteilung und damit eine Gauverwaltung ».
14
LA CULTURE
NOMARCALE
bole qui, pour des raisons qui nous échappent, identifiait un certain espace. Mais le reste du territoire de cet espace, où l'on n'avait pas créé de domaines, pourrait bien avoir été géré par d'autres systèmes administratifs, systèmes qui n'ont pas nécessairement laissé de traces dans les témoignages écrits. D'autres explications sont également concevables. P A R D E Y , par exemple, a récemment émis l'hypothèse que les nomes, étant associés à des symboles probablement d'origine religieuse, étaient des unités régionales originellement organisées autour de centres religieux". Dans cette perspective, il faudrait envisager un développement d'unités régionales d'ordre religieux qui, au fil des années, auraient été transformées en unités administratives. Sur la base de la documentation existante, il n'est pas évident de déterminer à quelle époque cette transformation aurait commencé, et quand elle aurait été achevée. Il semble aussi imaginable que les nomes aient conservé un aspect religieux même après leur conversion en « provinces », ce qui pourrait expliquer pourquoi les nomarques plus tardifs combinent souvent des fonctions civiles avec des charges dans les temples locaux. Mais, en vérité, toutes ces suggestions appartiennent au domaine de la spéculation, et il est peu utile de poursuivre cette piste. Bien que les textes du début de l'Ancien Empire témoignent de l'existence de différents types
d'administrateurs
régionaux, tels que les 'd mr, les hic hw.t 'j.t, les ssm tJ et les hqj spj.t, il m e semble difficile de prouver que l'un quelconque de ces titres ait désigné un individu qui, à lui seul, gouvernait une province dans sa totalité . 20
19- « Provincial Administration », dans : The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt I, p. 17.
20. Voir
par exemple MARTIN-PARDEY, Provinzia/verwa/tung, p.
43-63, qui
interprète en
tout cas les titres d mr, ssm V et hqj (+ nom d e nome) comme désignations d e nomar(
ques. Mais ses propositions ne tiennent pas suffisamment compte des réserves d e K. BAER qui remarque que les divers titres d'administrateurs régionaux de cette époque pourraient renvoyer à des responsabilités plus restreintes que celles d'un gouverneur : Rank a n d Title, p. 274-285. M ê m e si ses suggestions ne concernent pas explicitement les titres 'd mr et hqj (+ nom de nome), elles pourraient bien s'appliquer ici aussi.
15
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Ce qui rend difficile la compréhension du système administratif à ces époques reculées, c'est le manque de textes explicatifs. Sans doute, les différentes régions étaient-elles dirigées par des chefs locaux, mais il n'est pas du tout certain que ces personnages aient déjà été entièrement intégrés dans ce que B. KEMP
21
a appelé la culture formelle, autrement dit la culture
officielle qui se servait de l'écriture hiéroglyphique et d'une culture matérielle typiquement « pharaonique » . Au tout 22
début de l'Ancien Empire, pendant les III et IV' dynasties, il 1
n'existe, ainsi, que très peu de tombes provinciales bâties selon les principes de l'architecture formelle développée dans la région memphite. Les exemples connus sont les suivants : 1. Mastabas de la IIP dynastie et du début de la I V 21
24
à el-Kab.
2.Tombe à el-Gebelein datant de la IV dynastie. Rien n'est e
connu concernant le type de la tombe, et l'identité de son propriétaire, mais la présence d'une boîte contenant l'archive d'el-Gebelein montre que la sépulture devait appartenir à un fonctionnaire qui était intégré dans un réseau d'administrateurs ayant, au moins partiellement, adopté la culture formelle '. Tout récemment, un mastaba datant probablement de 2
la I V dynastie a été découvert sur le site . À el-Gebelein, il 26
existait aussi un temple d'Hathor, dont les vestiges les plus anciens remontent à la IIP dynastie, ou même à la IP . 27
21.
KEMP,
Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization , p. 111-160. 2
22. Tout récemment, le même raisonnement a également été a d o p t é par M O R E N O
RdE 56 (2005], p. 98 ; IDEM, dans p. 219-220. 23. HUYGE, EA 22 (Spring 2003), p. 29-31. GARCIA,
24. QUIBELL, El Kab,
: Des
Néferkarê aux M o n t o u h o f e p ,
p. 3- Plusieurs textes trouvés dans ces tombes mentionnent le
roi Snéfrou.
25.
papiri d i Gebe/ein, p. 13. Pour les textes sur la boîte même, Leclant I, p. 315-326. 26. G . BERGAMINI, ASAE 79 (2005], p. 34-36. Le mastaba est tout à fait comparaPOSENER-KRIÉGER, /
voir POSENER-KRIÉGER, dans Hommages
ble à ceux découverts à el-Tarif.
27. CURTO, Aegyptus 33 (1953), p. 105-124 ; SMITH, H E S P O K , p. 137 ; SMITH, Art and Architecture , p. 256, n. 45 ; W I L K I N S O N , Early Dynastie Egypt, p. 3 1 1 - 3 1 2 . 2
16
LA CULTURE
NOMARCALE
3. Mastabas du début de la IV' dynastie à el-Tarif ( T h è b e s ) . 28
Les noms et les titres des défunts ne sont pas connus. Non loin de là existait aussi un temple datant probablement de l'époque « archaïque » sur une colline au nord de la Vallée des Rois . 29
4 . Mastabas à Abydos, datant des III'-IV dynasties, bien que 1
le seul objet inscrit — un sceau cylindrique — renvoie au roi Sahourê de la V' dynastie. Les noms et titres des défunts ne sont pas connus™. 5. Mastabas à Beit KhallâP . Ces tombes ont fourni une 1
masse de matériel inscrit, surtout des empreintes de sceaux
de
l'époque
des
rois
Djoser
et
Sanakht.
Aujourd'hui, l'hypothèse du fouilleur selon laquelle le mastaba le plus grand appartenait à Djoser lui-même n'est plus acceptée. Il s'agit plutôt de membres d'une élite locale dont la nature reste, malheureusement, difficile à établir". Il n'est pas possible de dire si les titres attestés sur les scellements, et qui incluent quelques titres sacerdotaux, mais d'autres aussi, peut-être d'ordre strictement administratif, font référence aux propriétaires des tombes ou non. 6. Mastabas des IIP et IV dynasties à Naga el-Deir. Les noms e
et titres des défunts ne sont pas connus. Une tombe contenait un objet inscrit au nom de Snéfrou".
28.
ARNOLD,
KOWOWSKI,
G r ä b e r des Alten und Mittleren Reiches in El-Tarif, p. PAWLIKOWSKI,
SHWA,
Frühe
KAMMERER-GROTHAUS,
11-18
; GINTER,
Keramik
und
Kleinfunde aus El-Târif, p. 59-99.
29.
Site qui a reçu le nom peu approprié de Thoth Hill ; voir VORÖS, PUDLEINER,
MDAIK 53 (1997), p. 283-287
; VÖRÖS,
Temple on the Pyramid of Thebes, p. 55-
64. 30. PEET, LOAT, The Cemeteries of Abydos III, p. 8-22. 31. GARSTANG, Mahâsna and Beit Khallâf, p. 8-27. 32. Voir très récemment W I L K I N S O N , Early Dynastic Egypt, 33. REISNER, Provincial Cemetery, p. 186-190.
p.
97 ; 324 ; 357.
17
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
7. Mastabas des III et IV' dynasties à Raqaqna. Les noms et titres e
-
des défunts ne sont pas connus' . Plusieurs des tombes sont 4
très grandes. Peu d'objets portent des inscriptions, mais dans les tombes ont été trouvés un graffito mentionnant le roi Snéfrou et une empreinte de sceau de Khâfrê. 8. Le cimetière de Nuweirat (pl. 1 ) . Nuweirat se trouve à une dizaine de kilomètres au sud du site de Zawiyet el-Mayyitin, bien connu par la petite pyramide à degrés qui y fut construite probablement avant le règne du roi Houni (fin de la III dynastie)' . Le cimetière de Nuweirat contient un très e
5
grand nombre de tombes rupestres, mais le site n'a guère été étudié jusqu'à présent. G A R S T A N G l'attribuait aux III et IV e
e
dynasties' . Cette proposition a, depuis, été contestée par 6
34. 35.
GARSTANG, PIACENTINI,
The Third Egyptian Dynasty, p. 31-60. Zawiel el-Mayetin ; pour la pyramide, voir p. 37-43. La pyramide d e
Zawiyet el-Mayyitin est généralement supposée faire partie du groupe d e pyramides miniatures érigées par le roi Houni à travers l'Egypte. Mais, en fait, G . DREYER et W . KAISER émettaient déjà quelques doutes à partir de la constatation que la pyramide de Zawiyet el-Mayyitin est pourvue d e blocs d e revêtement, ce qui implique aussi que sa taille est plus grande que celle des autres pyramides d e Houni : DREYER, KAISER,
MDAIK 36 (1980), p. 50-54. Selon
PIACENTINI, sa dimension serait comparable à
celle des pyramides plus méridionales d e Houni si l'on suppose que celles-ci aussi avaient été revêtues d e blocs en calcaire, mais elle ne peut guère présenter d'arguments en faveur d e cette thèse. De surcroît, depuis les fouilles récentes du Conseil Suprême des Antiquités, il est apparu clairement qu'il existe une chambre sous le massif de la pyramide (observation faite durant une visite en avril
2006)
; ce dispositif est
apparemment absent dans les autres pyramides du même type. Cette chambre avait déjà été insérée de manière hypothétique dans un dessin d e J.-Ph. LAUER,
Histoire
monumentale des pyramides I, fig. 62. La pyramide occupe donc une place à part, ce qui ne rend pas invraisemblable qu'elle date d'une autre période que celle d e Houni : soit avant Houni, soit, comme la pyramide d'el-Sayla, après lui, pendant le règne de Snéfrou. Étant donné que la pyramide d e Zawiyet el-Mayyitin diffère aussi, typologiquement, de celle d'el-Sayla (voir la liste de DREYER et KAISER, /oc.
cit.), la pre-
mière option pourrait être la plus vraisemblable. La conséquence en serait qu'elle daterait du règne d e Djoser, de Sekhemkhet, ou d e Sanakht. Pour la position chronologique d e Sanakht, à la fin d e la III* dynastie, mais avant Houni, voir SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p. 198-200, n. 14.
36.
G A R S T A N G , Burial Customs, p.
14-16 ; 26-30.
ques tombes pourraient être plus anciennes.
18
Son p l a n suggère même q u e quel-
LA CULTURE
NOMARCALE
K E S S L E R qui suggère une date contemporaine des V et VI' e
dynasties, sans doute surtout parce qu'à cette époque, la coutume d'enterrer les grands chefs provinciaux dans des tombes rupestres était répandue
dans toute
la
Haute
Egypte". Mais, c o m m e l'équipe de la K.U.Leuven à Deir elBersha a pu le constater lors d'une visite récente du site, la céramique date de manière homogène du début de la I V dynastie' . Nuweirat se présente donc comme le premier 8
cimetière connu, comportant ce type de t o m b e s " . Ces huit cimetières appartiennent sans doute à des élites locales qui ont dû assurer des charges administratives. Dans la plupart des cas, on ne possède malheureusement pas de t e x tes nous renseignant sur leur statut. O n pourrait supposer qu'ils étaient responsables de l'administration
d'une pro-
vince, mais cela n'est pas du tout certain. Il est en tout cas frappant de noter que la plupart de ces cimetières est localisée sur des sites différents de ceux plus tardifs où l'on a enterré les nomarques. Les propriétaires d'une des tombes à el-Kab portait les titres sacerdotaux de ir.y-ih.t nsw.t et de im.y-r hm-titr, un autre était ir.y-ih.t nsw.t et shd hm-ntr . m
Rien n'étaye l'idée qu'il s'agit
de nomarques . 41
Les papyrus d'el-Gebelein font régulièrement état d'un hqJ « responsable », et du fils d'un hqj. Selon l'éditeur de ces documents, il s'agirait « sans aucun doute » d'un hqj niw.t, « respon37
KESSLER,
Historische Topographie, p. 190-199, et particulièrement p. 197.
38. Sur la base de la céramique recueillie dans le secteur nord de Nuweirat. Nous n'avons pas encore pu nous occuper du secteur sud qui, selon GARSTANG, serait plus ancien. 39- Cette découverte est due à M . D E MEYER, S. HENDRICKX, L. O P DE BEECK et S. VEREECKEN. Une étude sur la date de ces tombes par S. HENDRICKX, M . D E MEYER, L O p DE BEECK, S. VEREECKEN, H . WILLEMS est en préparation. 40. Q U I B E L I , e/-Kab, p. 3-4 et p l . XVIII.
41.
Voir aussi M O R E N O GARCIA, dans :
Séhel entre Egypte et Nubie, p. 9-10-
19
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
sable d'un vill(ag)e (c. à d. domaine) » . Elle avance clairement 42
que tous les documents sont à mettre en rapport avec le domaine (pr d.t) mentionné dans le papyrus IV, recto C. Cette explication est possible, mais deux autres solutions peuvent aussi être proposées sur la base du contenu de l'archive ellemême. Le recto D l du papyrus Gebelein I fait état de la construction ( ?) d'un « temple de Snéfrou » Qrw.t-ntr n.t •Sn/hv) ', qui 4
pourrait être, selon l'interprétation de P. P O S E N E R - K R I É G E R , soit une chapelle de Snéfrou à Mo'alla, soit son domaine hw.tSnfrw dont le nom survit dans celui de la ville moderne de Asfoun el-Mata'na . On se demandera s'il ne s'agit pas plutôt 44
d'un agrandissement du temple d'el-Gebelein lui-même, dont les vestiges les plus anciens, qui remontent à la III' dynastie ou m ê m e à la IL, témoignent déjà d'un intérêt royal '. Une inscrip4
tion de la tombe de Métjen indique que celui-ci portait le titre de hqJ
hw.t-ntr
« responsable du temple du roi
n.t Snfrw,
Snéfrou » . Le papyrus Gebelein I, lui, fait référence à un éta46
blissement religieux du m ê m e ordre que celui dirigé par Métjen, qui en était le hqj. Il se pourrait donc que le hqj des papyrus de Gebelein ait été un collègue de Métjen. Un passage du recto du papyrus Gebelein III mentionne des livraisons au hqj juste à côté de celles faites au hw.t 'j.t, t e r m e qui désigne, selon M O R E N O G A R C I A , « une sorte de palais qui 47
dirigeait de vastes exploitations agricoles de la couronne, comprenant des domaines, des localités, du bétail et des travail42.
POSENER-KRIÉGER, RdE
27 (1975),
p.
219.
Ce point de vue a été accepté par
[hwt et te milieu rural, p. 95 ; 113), bien q u e son interprétation d u
M O R E N O GARCIA
concept de « domaine » diffère de celle de POSENER-KRIÉGER. 43. POSENER-KRIÉGER, I p a p i r i di Gebe/ein, pl. 3.
44. 45.
O p . cit., p.
14.
CURTO, Aegyptus
33 (1953),
a n d Architecture , p. 25a, 2
46.
Urk. I, p.
n. 45.
7,3.
47. Il envisage un palais royal.
20
p.
105-124
; SMITH, H E S P O K , p.
137
; SMITH, Art
LA
CULTURE
NOMARCALE
leurs ; exploitations qui étaient fondées dans des régions peu organisées du point de vue administratif ou qui avaient un grand potentiel agricole, là où la couronne avait intérêt à affirmer sa présence et à développer les ressources locales ». Selon son enquête, plusieurs villages pouvaient être soumis à un hw.t
J.t .
(
n
Les chefs de telles institutions portaient le titre de hqJ hw.t 'j.l.
Même si ce titre est encore rare au début de l'Ancien
Empire dans le sud de l'Egypte, il ne serait pas surprenant que l'administrateur d'un hw.t 'j.t ait été désigné dans sa communauté par l'appellation abrégée de hqs. Il est difficile de choisir entre les hypothèses que je viens d'énoncer, mais pour notre discussion les conséquences de chacune d'elles sont les mêmes. Selon une des manières de voir, le hqs était un fonctionnaire chargé du temple local érigé pour le culte du roi, selon l'autre, d'un domaine pr d.t. Les deux villages d'Inr.ty et de l'r.w dont les papyrus d'el-Gebelein nous présentent les comptes, peuvent avoir été subordonnés soit à l'une, soit à l'autre des deux institutions. Les deux hypothèses ne sont d'ailleurs pas forcément contradictoires. En effet, Séchemnéfer I remplissait non seulement la fonction de prêtre er
à lnr.ty, mais il finançait aussi partiellement son culte funéraire grâce à un domaine (pr d.t) appelé l'r.w. Il semble ainsi certain que l'r.w ait vraiment été un domaine. Cependant, les domaines pr d.t n'étaient pas des propriétés privées, comme on l'a souvent pensé, mais dépendaient de l'administration royale qui manifestait sa présence dans la campagne surtout par le biais des domaines hw.t . 49
Il n'est donc pas exclu qu'on ait ici affaire
à un contexte où un domaine hw.t se trouvait dans la région dont dépendait l'r.w. On sait également qu'un domaine royal
48. v o , r
Op.
cit., pl. 20. M O R E N O GARCIA, ZÄS 125 (1998), p. 45-55 ; pour la citation,
P- 55-
O n notera qu'un type de personnel attaché à un hw.t 'j.t, les
hm.w
nsw.t, apparaît aussi fréquemment dans les papyrus d'el-Gebelein.
49-
M O R E N O GARCIA, hwt et
le milieu rural, p. 222-229.
21
1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
pouvait héberger un lieu de culte pour le r o i , de sorte que son s0
c h e f était aussi susceptible d'être responsable du « temple de Snéfrou » mentionné dans les papyrus d'el-Gebelein. Cela montre la présence, dans la région d'el-Gebelein, de fonctionnaires étroitement liés, soit à la cour royale, soit au culte local du r o i , soit à un niveau plus bas, celui de chefs de domaines (hqj niw.t). Quoi qu'il en soit, ces personnages étaient nettement intégrés dans la culture formelle. Mais il n'existe aucun indice en faveur de l'existence dans la région d'un gouverneur provincial. O n ne sait rien des membres de l'élite dont nous connaissons les tombes à el-Tarif, mais l'existence, à une date très reculée, du temple du Thoth Hill rend vraisemblable l'hypothèse que, là aussi, un culte religieux avait dû jouer un rôle important. C o m m e on l'a vu, les textes écrits sur les vases trouvés sous la pyramide du roi Djoser, mais datés de la fin de la II dynastie, e
comportent les premières mentions certaines d'un nome, et ils ont été généralement interprétés, pour cette raison, comme un « terminus ante quem pour la division de l'Egypte en cantons » . s l
O n doit néanmoins tenir compte d'un trait remarquable : ces textes ne font état que d'un seul n o m e , celui de la gazelle". O n peut supposer que le fait que seul c e nome est attesté sur ces documents est simplement dû au hasard, mais ce n'est évidemm e n t pas du tout certain. O n constate que le nome de la gazelle qui apparaît de manière tellement insistante dans les Topfmarken de Djoser était une région qui, au début de l'Ancien Empire,
5
5
0.
Voir SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p.
,
MARTIN-PARDEY, o p . cit., p. 18 : « "terminus ante q u e m " für die Einteilung Ä g y p -
195-214.
tens in G a u e ». 5
2
Je n'ai pas pu vérifier une impression d e sceau récemment découverte à Umm
e|-Qaab qui, selon les informations que je dois à ILONA REGULSKI, représenterait un autre nome : voir supra, n. 15, p. 13-
22
J
LA CULTURE
NOMARCALE
semble avoir été relativement importante. Une manifestation de cet intérêt en est la pyramide miniature construite probablement entre les règnes de Djoser et de Sanakht, à Zawiyet elMayyitin. Une autre marque réside dans l'existence du grand cimetière de Nuweirat, l'un des plus considérables, consacré à une élite provinciale, qui soit connu dans toute l'Egypte pour le début de la IV dynastie, et peut-être déjà plus tôt, et qui e
« annonce » l'émergence des cimetières rupestres provinciaux des V et VI dynasties. Finalement, le nombre de domaines e
1
royaux dans cette région est, selon la liste de Snéfrou, plus élevé que dans aucun autre nome de Haute Egypte '. 5
Bien qu'il me soit impossible d'expliquer la situation dans cette région, il me semble évident que le nome de la gazelle jouissait d'un prestige extraordinaire, ce qui pourrait justifier les mentions dans les textes du complexe de Djoser à Saqqara . 54
Ces inscriptions attestent l'existence de deux administrateurs régionaux : un ssm V mJ-hd et un hqj mJ-hd^,
ce qui est l'indice,
soit d'une hiérarchie entre ces fonctionnaires, soit d'une organisation avec des chaînes de responsabilité séparées . On verra 56
que le deuxième principe était peut-être aussi en vigueur pendant la V dynastie. En tout cas, il n'est pas du tout certain que e
53- Voir la liste comparative dans KANAWATI, Governmenfa/ Reforms, p. 9, fig. 3. 54- Dans un article récent, E .- M. ENGEL a démontré que des nomes existaient certainement dans plusieurs parties de l'Egypte durant le règne de [MDAIK
Khâsekhemoui
6 2 [ 2 0 0 6 ] , p. 152-157]. L'auteur tente aussi d e montrer que les nomes
existaient déjà pendant la I™ dynastie, et même avant. Les sources auxquelles elle renvoie pour prouver cette dernière hypothèse ne sont, à mon avis, pas convaincantes. Malheureusement, l'article a été publié après que la présente étude avait été mise sous presse, de sorte que, dans mon texte, je n'ai pas pu en tenir suffisamment compte. 5 5 - FIRTH-QUIBELL,
Step Pyramid
I,
p.
137 ;
II,
pl.
106 (5-6]
; PD V , pl.
28, 4-5.
Le
nom du nome a p p a r a î t aussi dans plusieurs autres inscriptions de vases trouvés sous la pyramide de Djoser, mais en dehors du cadre d ' u n titre administratif : voir PD V , pl.
28.
56. Étant donné l'incertitude sur la nature du régime administratif qui régnait alors, je doute que l'on soit en droit de qualifier ces personnages de « nomarques », comme semble le faire M O R E N O G A R C I A ,
hwt et te milieu rural, p. 230. 23
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
les autres régions aient déjà été administrées de la m ê m e façon". Si j ' a i assez longuement discuté ces différents points, c'est pour montrer que, même là où nous pouvons percevoir la présence d'une élite régionale, il n'est pas du tout assuré qu'il s'agisse de gouverneurs de nome. Au contraire, les indices en faveur de la présence de ce genre de fonctionnaires font totalement défaut, tandis qu'il existe des traces montrant que plusieurs des élites régionales ont pu être liées à un lieu de culte royal et peut-être également divin . 58
Pour la IV' dynastie, les textes disponibles nous renseignent surtout sur les fonctionnaires attachés à l'administration centrale. Il est vrai que le nombre de titres provinciaux témoigne aussi d'un accroissement. Mais si l'on jette un coup d'œil sur les sources, on s'aperçoit aussitôt que la plupart des mentions sont concentrées dans trois tombes du début de la dynastie : celles de Métjen (déjà citée), de Netjer-âperef, et de Péhernefer. Dans tous les exemples il s'agit de fonctionnaires attachés à la Résidence qui exerçaient aussi plusieurs tâches dans différentes
57. Il est important de mentionner brièvement le projet peut-être « national » de construire des pyramides miniatures à travers le pays qu'entreprit le roi Houni. La distribution spatiale de ces monuments suggère que chaque pyramide de ce groupe appartenait à un nome : SEIDLMAYER, dans : Haus und
Palast, p. 209-210.
Selon une interprétation récente, la petite pyramide d'Éléphantine était l'élément central d'un domaine royal (SEIDLMAYER, op. cit., p.
205-214, avec
renvois bibliogra-
phiques à d'autres études sur les pyramides miniatures). Il semble évident qu'un tel domaine cum pyramide devait avoir une importance plus grande qu'un d o m a i n e sans pyramide. Le fait que plusieurs domaines pouvaient exister à faible distance l'un de l'autre (dans la liste des domaines de Snéfrou, il n'est pas exceptionnel d'en trouver trois, quatre, ou même cinq dans un seul nome) suggère la possibilité d'une certaine hiérarchie administrative. O n se demandera si d e tels groupements ne pourraient pas avoir été à l'origine du système de nomes tel que le présente la liste d e Snéfrou. 5 8 . Le temple d ' H a t h o r à el-Gebelein était évidemment consacré à une déesse, mais en raison des liens étroits entre Hathor et le roi, ce cas n'est pas clair. Le culte royal doit avoir joué un rôle conséquent.
24
LA CULTURE
NOMARCALE
régions d'Egypte, régions qui sont désignées par des symboles de nomes. Il est clair que l'on ne se trouve pas en présence de gouverneurs résidant de manière permanente dans un nome, mais de fonctionnaires qui remplissaient une série de fonctions passagères. Il se pourrait que ces charges aient été confiées aux porteurs des titres dans le cadre de l'exécution de projets spécifiques. Il n'y a, me semble-t-il, aucun argument pour prouver que ce modèle avait été adopté de manière globale, partout en Egypte, pour l'administration quotidienne des provinces . Peut-être est59
il plus vraisemblable qu'on ait affaire à des cas assez particuliers. Même si l'on doit reconnaître que cette hypothèse reste à démontrer, cela est aussi vrai pour la proposition inverse
60
qui
considère Métjen, Netjer-âperef et Péhernefer comme des figures typiques du mode d'administration provinciale de la IV' dynastie. Au vu de ces incertitudes, la meilleure solution m e semble être d'accepter l'idée que les principes de l'administration régionale nous échappent largement pour cette époque. Par conséquent, l'hypothèse selon laquelle les nomes constituaient les noyaux administratifs régionaux par excellence reste douteuse, bien qu'ils soient dès cette période fréquemment mentionnés dans les textes. Si l'on doit admettre qu'ils jouaient un rôle dans l'administration, il n'est pas moins difficile pour la IV' dynastie que pour l'époque précédente de percevoir de quel genre d'administration il s'agissait.
LES N O M E S PENDANT LA V
E
DYNASTIE
Des changements profonds se produisirent dans l'état égyptien au cours de la V dynastie. Jusque là, les plus hauts fonce
59- M O R E N O GARCIA a récemment émis l'hypothèse que les activités de Métjen et de Péhernefer pourraient être mises en relation avec « la politique très active d'établissement de fondation de hwwt et de hwwt 'st en Egypte » qu'entreprit Snéfrou :
hwt et (e milieu rural, p. 156.
60.
Accepté, par exemple, par KANAWATI,
Governmental Reforms, p. 1-2.
25
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
tionnaires de l'administration centrale avaient été d'importants membres de la famille royale. Ils semblent avoir été remplacés à partir du règne de Niouserrê par des particuliers qui étaient des administrateurs professionnels '. De plus, les inscriptions 6
funéraires, maintenant plus nombreuses, montrent que ces personnages portaient toute une série de titres, titres qui sont arrangés en séries cohérentes, les title strings de K. B A E R . Elles sont généralement interprétées comme le reflet d'une tentative de professionnalisation administrative . 62
Pendant la V' dynastie, le nombre de fonctionnaires augmente considérablement. Leurs tombes restent concentrées dans la région memphite, mais on constate
parallèlement
l'émergence d'un nombre croissant de tombes de hauts administrateurs régionaux en dehors de la capitale. Cette évolution s'explique au moins partiellement par la tendance des administrateurs régionaux à s'installer de manière permanente loin de la Résidence. Mais on ne doit pas exclure une hypothèse complémentaire selon laquelle les élites régionales, qui doivent avoir toujours existé, adoptaient de plus en plus fréquemment la culture formelle dont les tombes inscrites, qui forment la base de nos connaissances, sont une manifestation. De cette hypothèse découle une conséquence importante : la visibilité des administrateurs régionaux dans nos sources pourrait refléter, non seulement un essor du régime administratif, mais aussi une formalisation de la culture matérielle qu'embrassaient les élites locales déjà existantes . 63
61.
BAER,
Rank and Title, p. 296 ; 299-300 et passim ; STRUDWICK, Administration,
P- 337 et passim. 62.
Bien que
le système de
Administration, p. 4-5),
BAER ait été critiqué à
juste titre (STRUDWICK,
la tendance générale ne doit pas être remise en cause.
6 3 . Pour ce raisonnement, voir aussi, tout récemment, M O R E N O GARCIA, RdE 56
(2005),
p.
95-128 (particulièrement p. 109] ; IDEM, dans : 215-228 ; IDEM, dans : Séhel entre Egypte et
M o n t o u h o t e p , p.
26
Des
Nélerkarê aux
N u b i e , p.
19-22.
LA CULTURE
NOMARCALE
Quoi qu'il en soit, au cours de la V dynastie on compte un 1
grand nombre d'individus chargés de tâches administratives régionales et, fréquemment, ils utilisent le symbole d'un nome dans leurs titulatures, présence souvent comprise comme un indice militant en faveur de l'existence de nomarques, et donc, des nomes en tant que provinces . Pour en citer un exemple, la 64
tombe de Khou-nes à Zawiyet el-Mayyitin contient la série de titres ir.y-ih.t nsw.t mj-hd, ssm V et im.y-r wp.t, qui a été interprétée par M O R E N O G A R C I A comme désignation du statut d'un nomarque . En étudiant les textes dans cette perspective, il 65
n'est malheureusement pas facile de cerner quels titres caractérisent un « nomarque », parce que les séries de titres qui ont été associées par les égyptologues au nomarcat sont non seulement très nombreuses, mais aussi très variables. 11 s'agit de titres comme 'd mr ( + nom de n o m e ) , h
hw.t 'J.t, ssm V (+ nom de n o m e ) , ir.y-ih.t nsw.t ( + nom de n o m e ) , im.y-r wp.t, 66
im.y-r swnw, im.y-r niw.wt mJw.t, et d'autres. La compréhension de ces titres s'avère complexe. D'une part, plusieurs d'entre eux n'étaient utilisés que dans certaines parties du pays . De 67
l'autre, certains qui ont été interprétés comme titres nomarcaux, ne le sont vraisemblablement pas. C'est par exemple le cas pour le AgJ hw.t 'J.t qui dirigeait une institution royale domaniale directement soumise à la couronne . D'autres char68
ges attestées dans les provinces ne sont pas nécessairement attachées exclusivement à l'administration locale. On peut ainsi mentionner le im.y-r wp.t, titre qui signifie « chef de mission »
64.
Récemment, p a r exemple, M O R E N O G A R C I A , hwt et le milieu rural, p.
238-239.
ZÄS 125 (1998], p. 47. Voir aussi, p a r exemple, FISCHER, M A R T I N-PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 43-63 ; 78-108.
6 5 . M O R E N O GARCIA,
Dendera, p. 66. P-
9-12
;
Selon M O R E N O GARCIA, « une sorte de nomarque » : hwt et le milieu rural,
234
6 7 . 'd mr dans le Delta, ssm tJ en Haute Egypte.
68. MARTIN-PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 54-57 ; M O R E N O (1998), p. 45 sq. ; IDEM, hwt et le milieu rural, p. 39 ; 234.
GARCIA,
ZÀS 125
27
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
et qui peut s'appliquer aussi bien à une tâche dans les provinces qu'à d'autres fonctions . Étant donné que les associations de 69
titres qu'on rencontre au gré des exemples ne sont pas très stables, il semble clair que leur mode d'acquisition pouvait différer, dans une certaine mesure, d'un cas à un autre . Il en résulte 70
qu'ils sont liés à différentes responsabilités qui pouvaient être combinées entre elles par un m ê m e individu, mais n e devaient pas obligatoirement l'être. O n est donc en droit de dire que ces personnes sont des administrateurs fonctionnant dans les
69. Je ne vois pas vraiment la nécessité d e traduire im.y-r wp.t comme « overseer of the division », ou « Vorsteher der Teilung », ce qui a été proposé pour quelques exemples du titre au moins : FISCHER, Dendera, p.
(1984), p. 231-251.
221-223
; MARTIN-PARDEY, S A K
11
Les raisons pour supposer que le même titre lié à des offrandes,
im.y-r wp.t htp-ntr, devrait comporter un autre mot wp.t que « mission », « charge », comme le propose FISCHER, m'échappent. De même, je ne c o m p r e n d s pas pourquoi le titre « chef d e mission(s) » ne serait pas suffisamment spécifique pour être celui d'un fonctionnaire provincial, comme l'a avancé MARTIN-PARDEY. De plus, pour elle, la traduction « chef d e mission(s) » serait inadéquate, p a r c e q u e cela impliquerait que le système des nomes ne se serait pas encore imposé { p .
235-236).
Non
seulement ces remarques ne sont pas nécessairement pertinentes, mais surtout, elles tiennent comme un fait acquis l'existence d ' u n système n o m a r c a l b i e n établi. C'est, certes, une possibilité, mais qui reste à prouver. Ainsi, une partie importante des prémisses d u raisonnement d e MARTIN-PARDEY n'est pas f i a b l e . Plusieurs auteurs admettent q u e le titre im.y-r wp.t suivi du nom d'un nome aurait été le titre le plus important d ' u n nomarque, comme l'affirment FISCHER, D e n d e r a , p. 9 ; M A R T I N PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 66 ; KANAWATI, Governmental Reforms, p. 2 ; MARTIN-PARDEY,
SAK 11 (1984), p. 231-251. Dans cette perspective, il est g ê n a n t que
ce titre, après la réforme administrative du début d e la V I ' dynastie, ne semble pas être spécifiquement attribué aux hr.y.w-tp 'j ( M O R E N O G A R C I A ,
RdE 56 [2005],
p. 116). En outre, s'il ne s'agit pas du titre de nomarque même, mais seulement de son titre le plus important, quel autre titre signifie « n o m a r q u e » ? C e q u ' o n déplore dans la discussion, c'est la manière très vague dont les auteurs utilisent parfois les termes « fonctionnaire provincial » et « nomarque ». Cela rend difficile d e comprendre de quel niveau administratif on discute. 70. La liste publiée dans KANAWATI, Governmental Reforms, p. 2-4, démontre bien la variabilité des
title strings. Dans ses publications les plus récentes,
MORENO
G A R C I A aussi semble avoir changé d'avis (cf. n. 65, p. 27), situant « la création du système des nomarques vers la fin de la V et le début d e la V I ' d y n a s t i e » : RdE 56
(2005), p. 106-107 ;
IDEM, dans : Des Néferlcarê aux M o n t o u h o f e p , p.
dans : Sériel entre Egypte et Nubie, p. 20.
28
220 ;
IDEM,
LA CULTURE
NOMARCALE
nomes, mais pas encore qu'ils sont des nomarques, bien que, dans les circonstances où une personne portait de nombreux titres, la différence devait être, en pratique, minime. Pour comprendre la raison d'être de ce système administratif fragmenté il convient de reprendre les idées énoncées par N. S T R U D W I C K sur le développement de l'administration centrale. Il montre l'émergence, pendant la V dynastie, de cinq 1
« directorats » ou « ministères », subordonnés respectivement au Chef des Scribes des Documents du Roi (im.y-r ss<.w>
'
nsw.t), au Chef des Six Grandes Maisons (c. à. d. le Ministère de la Justice, im.y-r hw.t-wr.t 6 ) , au Chef des Travaux du Roi (im.y-r Ic.t nsw.t) , 1]
au Chef du Double Trésor (im.y-r pr.wy-hd),
et au
Chef du Double Grenier (im.y-r snw.ty). Selon S T R U D W I C K , tous ces titres peuvent apparaître accompagnant celui du vizir (tJy.ty Vb tJ.ty), mais la plupart d'entre eux sont également utilisés par d'autres personnes. Le Ministère de la Justice est le seul à être spécifiquement réservé au vizir. Les fonctionnaires dirigeant les autres institutions ne sont donc pas forcément des vizirs, mais ils peuvent porter des titres de rang aussi élevé que ceux accordés à celui-ci. A cette époque, on constate donc l'existence d'un système de cinq directorats plus ou moins indépendants, le vizir n'étant qu'un primus inter pares entre leurs directeurs. Dans plusieurs cas, le vizir était seulement à la tête du directe rat de la Justice, dans d'autres il bénéficiait aussi d'un ou plusieurs autres titres . Ce processus ressemble fortement à celui que nous 72
venons d'évoquer pour les fonctionnaires provinciaux. Dans certaines conditions, lorsqu'un individu parvenait à réunir un grand nombre de titres locaux, ses pouvoirs approchaient, dans
71- Dans une note récente, KREJCI aussi discute ce titre, mais il lui attribue une place moins prééminente dans la hiérarchie que STRUDWICK particulièrement p. 71).
(Ä&L 10 [2000], p. 67-75,
Mais du fait que KREJCI n'entre pas dans une analyse du
dynamisme du système administratif, discutant les occurrences datant de la I V dynastie à la VI" en bloc, je préfère suivre STRUDWICK. 7 2 . STRUDWICK, Administration, p.
337-346
et passim.
29
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
la réalité des faits, ceux d'un gouverneur ; dans d'autres, plusieurs administrateurs pouvaient être actifs simultanément sans que l'un soit nécessairement subordonné à l'autre.
Administration centrale
Vizir Justice
i ^7
Archiv
• ^7
Travaux publics
i ^7
Greniers
•
^7
Trésor
i ^7
Administration régionale
FIG. 4 : ORGANIGRAMME SIMPLIFIÉ DE L'ADMINISTRATION ÉGYPTIENNE ENTRE LES RÈGNES DE NIOUSERRÊ ET DE DJEDKARÊ-ISÉSI. 30
LA CULTURE
NOMARCALE
Ce qui est frappant, c'est que l'administration centrale se présente aussi morcelée que l'administration provinciale. Il n'y a pas de vizir avec des responsabilités générales, il n'y a pas non plus de gouverneur responsable de toute l'administration provinciale. Je ne crois pas que ce parallélisme puisse être dû au hasard. Il est possible que la répartition administrative qui se manifeste si clairement au niveau central ait conduit à une fragmentation de m ê m e nature dans les provinces. Une tentative de visualiser et d'expliquer de manière très simplifiée comment un tel système pourrait être envisagé a été rendue à la figure 4 — il s'agit donc d'un modèle hypothétique, qui ne prétend pas être exact dans les détails, mais qui propose un modèle général susceptible d'éclairer pourquoi les responsabilités sont réparties de manière si fragmentée aussi bien dans l'administration centrale que provinciale. Elle montre une situation où les fonctionnaires envoyés temporairement en province, ou stationnés là de manière permanente, ressortaient tous d'un directorat de l'administration centrale. Au niveau provincial, cela implique une segmentation administrative qui correspond exactement à celle qu'on rencontre dans les textes autobiographiques des administrateurs locaux . 73
L'ADMINISTRATION DES N O M E S PENDANT LA V I
E
DYNASTIE
Vers la fin de l'Ancien Empire, à partir du règne de Djedkarê-Isési, on voit apparaître une nouvelle structure dans
73- Comme hypothèse, on pourrait envisager qu'un titre tel que im.y-r wp.t, « chef de mission », a été utilisé par une personne envoyée, par exemple, par le bureau du im.y-r ks.t pour un projet spécifique : ainsi, dans l'autobiographie de N é k h é b o u on lit que ce directorat dirigeait le creusement d'un canal dans le Delta. Le bureau du im.y-r snw.ty pourrait avoir été responsable d'institutions agricoles locales, etc. Le modèle de la figure 4 est certainement beaucoup trop simple, parce qu'il est prob a b l e que le palais royal avait aussi son propre réseau administratif dans les provinces. Dans ce contexte, des titres comme hqj hw.t 'j.t et im.y-r swnw (voir pour ce dernier
M O R E N O GARCIA,
ZÄS 124 [1997], p. 116-130) peuvent être envisagés.
31
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
l'administration centrale, processus qui s'achève au cours de la VT dynastie . Les cinq directorats continuent d'exister, mais le 74
vizir obtient d'office la plus haute responsabilité au Ministère de la Justice et des Archives, tandis que les chefs des autres départements perdent leurs titres de rang les plus élevés. Ainsi chaque département est désormais clairement subordonné au vizir. Il me semble important que, parallèlement à cette transformation de l'administration centrale, on constate l'apparition d'un nouveau fonctionnaire : le nomarque, appelé en égyptien hr.y-tp J n N O M E , « grand chef d'un nome » . Dans la plupart R
75
des cas, la région dont le gouverneur est responsable s'écrit avec le symbole du n o m e . Ainsi, le nouveau titre exprime clai76
rement que cette unité géographique est désormais placée sous la direction d'un seul fonctionnaire. Dès lors, personne ne doute que, vers le début de la VI' dynastie, le nome est une province. Le titre hr.y-tp 'J n s p j . l / N o M E suggère que le nomarque assume la responsabilité générale de celle-ci, de sorte que j e crois pouvoir élaborer l'organigramme présenté à la figure S . 77
Désormais, tout comme le vizir a obtenu l'autorité globale pour tous les directorats de l'administration centrale, le nomarque a plein pouvoir dans sa province. Aux deux niveaux, on opère sur la base d'une structure top down.
74.
STRUDWICK, Administration, p. 337-346 et passim ; M O R E N O G A R C I A , hwt et le milieu rural, p. 242-248. 75. Selon BAER, ce changement se manifeste déjà à partir de la fin de la V* dynastie (Rank and Title, p. 274-284), mais les exemples les plus anciens, Isi d'Edfou et Ounas-ânkh de Thèbes, sont, aujourd'hui, plutôt datés du début de la VI" dynastie, ou même, dans le cas du dernier, plus tard dans cette dynastie : voir KANAWATI, Governmental Reforms, p. 132-147. 76. Dans les nomes méridionaux, le titre a toujours la forme hr.y-tp j n spj.î, sans mention du nom du nome. Pour cette raison, le titre sera, dans les pages suivantes, souvent rendu comme hr.y-tp 's n spJ.r/NOME. 77. Le système n'apparaît pas partout en Haute Egypte. Les nomarques ne sont pas attestés dans les nomes septentrionaux, probablement parce qu'ils étaient gérés directement par des fonctionnaires memphites : M O R E N O G A R C I A , hwt et le milieu r
rural, p. 242-248. 32
LA CULTURE
NOMARCALE
C o m m e dans le cas de la figure 4 , on doit garder présent à l'esprit que le schéma n'a pour but que de figurer de manière facilement compréhensible le principe d'organisation, et non pas les détails de la structure. Ainsi, là non plus, le réseau administratif du Palais Royal n'a pas été inséré. D e
surcroît,
Administration centrale
X 7
^7
<7
^ 7
^
Administration régionale
FIG. 5 : ORGANIGRAMME SIMPLIFIÉ DE L'ADMINISTRATION ÉGYPTIENNE À LA V I ' DYNASTIE. 33
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
M O R E N O G A R C I A a r é c e m m e n t montré que, dans le cas du neuvième nome de Haute Egypte, la situation était en réalité plus complexe que celle que j e viens de décrire . Deux branches 78
d'une m ê m e famille s'y occupaient de différents aspects de l'administration. L'une, qui avait comme base de pouvoir le temple local, fournissait aussi le nomarque, tandis que l'autre dépendait directement des bureaux de l'administration centrale. La raison d'être de cette répartition des charges n'est pas tout à fait claire, mais on peut imaginer qu'il s'agissait d'un système dans lequel les pouvoirs effectifs des nomarques devaient être contrôlés par les représentants de l'autre branche familiale. Le cas du neuvième nome d e Haute Egypte n'est peut-être pas unique. En fait, beaucoup d'autres nomarques portaient non seulement le titre de hr.y-tp
'J n spj.tfNoME,
mais aussi,
surtout vers la fin de l'Ancien Empire, celui de chef des prêtres locaux (im.y-r
Selon M O R E N O
hm.w-ntr).
G A R C I A le temple
était, en fait, l'assise des représentants des élites locales qui se transformèrent pendant la VI dynastie en nomarques. D'après 1
lui, l'importance de ces cultes régionaux a été si grande que les rois auraient fondé leur politique régionale, dès le début de l'Ancien Empire, sur des alliances avec les prêtrises locales . 75
Ce dernier point m e semble douteux c o m m e explication générale. L'analyse de M O R E N O G A R C I A ne permet pas de comprendre pourquoi les cultes divins régionaux étaient, au début de l'Ancien Empire, concentrés dans des temples de petite échelle et d'organisation préformelle, une situation qui s'explique mal si l'on suppose, c o m m e lui, que ces temples fonctionnaient sous le haut patronage du r o i . Un exemple révélateur, 80
78.
RdE
56 (2005),
256-257. 79. M O R E N O
p.
105-118
GARCIA, RdE
; voir d é j à IDEM,
56 (2005),
p.
hwt et le milieu rural, p. 242-248 ;
95128
; IDEM, dans :
Séhel entre Egypte
et Nubie, p. 5-22. 80. Voir pour le matériel utilisé dans ce d é b a t , et pour les points d e vue d e M O R E N O GARCIA, RdE
34
56 (2005),
p.
9°-97-
LA CULTURE
NOMARCALE
qui m e semble très clair malgré la position critique de M O R F . N O GARCIA,
est celui d'Eléphantine. L'attention royale pour le
culte du temple de Satet et celle pour le culte du roi lui-même sont, pendant la III dynastie, d'un ordre totalement différent '. e
8
Dans le cas des autres temples régionaux (Médamoud, Abydos, Tell Ibrahim Awad) on trouve bien sûr des indices en faveur d'un intérêt royal, mais guère avant la VP dynastie. M O R E N O G A R C I A a traité le m ê m e thème avec un point de vue différent et, j e crois, plus vraisemblable, dans une étude légèrement plus ancienne" . Il montrait que dans quelques 2
nomes (les troisième, cinquième et neuvième nomes de Haute Egypte), les temples locaux jouaient un rôle conséquent dès le début de l'Ancien Empire, et que leur présence semblait avoir bloqué l'implantation de certaines innovations administratives qui étaient courantes ailleurs. Dans une telle situation, la position des élites locales a dû s'appuyer très tôt déjà sur les temples. Mais il est beaucoup plus difficile d'entrevoir c o m m e n t et pourquoi les autres temples locaux avaient obtenu une position influente, si manifeste dans la documentation de la fin de l'Ancien Empire '. Cela dit, on ne peut que souscrire à l'idée 8
que, vers la fin de la V dynastie, ces temples avaient acquis une e
importance fondamentale, non seulement sur le plan théologique, mais aussi, à en juger par les mentions fréquentes de terres et de personnel attachés au temple, sur le plan économique. Les chefs des temples jouaient alors un rôle décisif dans leurs communautés, rôle qu'ils parvenaient souvent à combiner avec
81. SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p. 207. Voir aussi p. 46-50. 82. M O R E N O G A R C I A , hwt et le milieu rural, p. 252-265.
KEMP, C A J
5 (1995),
83. O n vient de voir qu'il existait, au début d e l'Ancien Empire, des élites importantes dans plusieurs régions : Elephantine, el-Kab, el-Gebelein, Thèbes, Z a w i y e t el-Mayyitin. M a i s il me semble clair qu'elles étaient liées a u culte royal plutôt q u ' à celui d'une divinité régionale.
35
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
celui de n o m a r q u e . Le lien entre la gestion du nome et celle 84
du temple l o c a l peut être d'un grand intérêt pour éclairer la compréhension d e la « Nomarchie » du Moyen Empire. Pendant la V I dynastie, le régime provincial s'organisa selon e
ces lignes. J e n ' a i pas l'intention de spéculer sur les conditions qui ont conduit à la chute de l'Ancien Empire, mais il est clair que,
pendant l'éclipsé du pouvoir royal au commencement de
la Première P é r i o d e Intermédiaire, une classe dirigeante était déjà disponible pour combler le vide. Dans les conditions parfois chaotiques du début de cette époque, le système administratif de l'Ancien Empire perdit sa cohérence. Plusieurs nomes, surtout dans le sud, semblent s'être désintégrés ; d'autres continuaient à exister, mais avec une plus grande autonomie qu'auparavant ; et d'autres encore se montraient si entreprenants qu'ils réussirent à conquérir des nomes avoisinants. Sans que j e puisse entrer ici dans les détails, il m e semble q u e les tendances à la désintégration se manifestaient le plus clairement dans les nomes les plus méridionaux du pays, tandis que la situation en Moyenne Egypte était appar e m m e n t beaucoup moins chaotique . 85
L'ADMINISTRATION RÉGIONALE PENDANT LA P R E M I È R E P É R I O D E INTERMÉDIAIRE ET AU M O Y E N EMPIRE
Après la Première Période Intermédiaire, l'état égyptien fut réunifié par le roi thébain Montouhotep II qui inaugura le Moyen
84. M O R E N O G A R C I A souligne que dans certains nomes où l'on ne connaît pas d e hr.y tp
11 spj.t/ttOHE,
l'installation d ' u n n o m a r q u e pourrait a v o i r été b l o q u é e p a r
les prêtrises locales : Séhel entre Egypte et Nubie, p. 20. Bien que le lien d e causalité qu'il suggère reste d e l'ordre d e la spéculation, l'hypothèse n'est pas exclue. La documentation montre en tout cas a) q u ' u n degré de variabilité continuait à exister d ' u n nome à l'autre et b) q u e les rôles d e nomarques et chefs des prêtres devaient être en partie du même ordre dans le réseau social local.
85. 36
J'ai abordé ce thème de façon plus détaillée dans Phoenix
46.2 (2000],
p.
76-78.
LA CULTURE
NOMARCALE
Empire. La réapparition de la titulature nomarcale dans nos sources de cette époque pourrait donner l'impression soit d'une continuité administrative, soit d'une sorte de restauration du syst è m e administratif de la fin de l'Ancien Empire. On serait alors conduit à croire que l'administration provinciale de cette époque opérait sur la base d'un système monolithique qui aurait existé à travers toute l'Egypte, avec une répartition en nomes. Mais cette manière de voir est certainement trop simple. La plupart des égyptologues travaille à partir du modèle développé par le savant allemand W. H E L C K . Il supposait que le sys8 6
t è m e du Moyen Empire était plus ou moins identique, non à celui de l'Ancien Empire, mais à celui du Nouvel Empire, époque à laquelle les chefs régionaux n'étaient plus des nomarques, mais des maires de grandes villes. Ils portaient des titres tels que hJ.ty-' n Dr.ty, « maire d'el-Tôd », titre qui contient le nom de la ville capitale de la région, mais ne renvoie pas à celui du n o m e . C e t t e situation a conduit H E L C K à penser que le 87
n o m e n'était plus une entité administrative. Ce rôle aurait été, dès lors, revêtu par les grandes villes provinciales. Les maires étaient, dans le cadre de cette structure administrative, responsables à la fois de ces villes et des zones agricoles avoisinantes. O n doit avouer que plusieurs inscriptions du Moyen Empire décrivent un tel état de fait. Par exemple, le graffito 8 7 du Ouadi Hammamat, daté du règne de Sénousret I , relate une ,r
86. HELCK, Verwaltung, infra, p. 62-65.
p.
207-211.
Pour une critique de la théorie de HELCK, voir
8 7 . Pour une liste d e ces fonctionnaires durant le M o y e n Empire, voir FISCHER,
Dendera, p. 71, n. 289 ; GAUTHIER, ASAE 26 (1926], p. 273 ; CZERNY, Ä&L 11
(2001),
p.
23-25
et, pour les chefs des forteresses nubiennes, M O R E N O GARCIA,
dans :
Séhel entre Egypte et Nubie, p. 165-166. PARDEY a récemment choisi de tra-
duire
aussi ce
nouveau
Administration », d a n s :
genre
de
titre
par
« nomarque » (cf. « Provincial
The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt, p. 18-19). Bien
que des arguments puissent être avancés à l'appui de cette a p p r o c h e (les nomoi d e l'époque gréco-romaine étaient aussi désignés par le nom de la capitale), elle tend à masquer la différence réelle entre les deux conceptions administratives que HELCK a mises en lumière.
37
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
expédition dont l'équipe était mobilisée par les maires
(hJ.ty- ) (
de plusieurs villes du sud de la Haute Egypte, aucune mention n'étant faite des n o m e s . On n'est donc pas en droit de mettre 88
en doute l'existence des maires pendant le Moyen Empire . 89
Mais il est aussi certain qu'un nombre assez important de personnages continue à porter le titre de nomarque ; ainsi, plusieurs chefs régionaux à Assiout, Meir, Deir el-Bersha, et Beni Hasan. H E L C K reconnaît ces données, mais il croit que la pérennité de la titulature ancienne ne reflète pas une réalité administrative, mais seulement un souci, on pourrait dire un « snobisme », de certains maires, qui les aurait conduits à s'arroger des titres administratifs peu réels, mais néanmoins glorieux . 90
H E L C K remplace donc une théorie monolithique (« Les provinces égyptiennes furent conduites par des nomarques ») par une autre théorie non moins monolithique (« L'Egypte provinciale fut dirigée par des maires » ) . Depuis, cette dernière hypothèse a été acceptée par plusieurs égyptologues. En 1987, L. G E S T E R M A N N publiait une nouvelle étude sur la question . Sa collection de données, très systématique, permet 91
facilement d'examiner pour quelles provinces il existe des mentions de nomarques (hr.y-tp 'j), et également, pendant quelles périodes. Elle donne aussi une interprétation qui, d'une part, reprend plusieurs éléments de l'hypothèse de H E L C K , en particulier sur l'importance croissante des villes depuis la fin de l'Ancien Empire, mais qui, d'autre part, apporte des vues nouvelles. Par exemple, elle établit que, pendant la Première Période Intermédiaire, le système de gouvernorat dans la région héracléopolitaine 8 8 . Hamm. no. 87. FRANKE, Das
Pour une récapitulation récente d e la problématique, voir
Heiligtum des H e q a i b , p. 1 0 - 1 2 .
8 9 . M a i s les stèles évoquées infra dans la note 110, p. 47, montrent que la situation pourrait avoir été plus complexe q u e H E I C K ne le pensait. 90. HELCK, Verwaltung, p. 2 0 O - 2 1 0 : dans les cas où les maires dirigeaient des villes avec une tradition nomarcale, « ... legten sie sich noch den Titel eines "Großen Oberhauptes" bei, der aber nur eine historizierende Bezeichnung darstellt und kein Amts- oder Rangtitel ».
91. 38
GESTERMANN,
Kontinuität und Wandel.
LA CULTURE
NOMARCALE
différait sensiblement de celui de la région thébaine. Dans le premier, en Moyenne Egypte, le système nomarcal de l'Ancien Empire survivait, tandis que les rois thébains avaient établi un nouveau régime où il n'y avait plus de place pour les nomarques, et où les chefs des villes assumaient un rôle prépondérant. Il existait alors une grande différence entre les deux parties du pays"'. La disparition du système nomarcal dans le sud de l'Egypte s'explique probablement comme une réaction aux graves problèmes politiques que connut cette partie du pays pendant la période qui suivit directement la fin de l'Ancien Empire. Les textes d'Ankhtifi à Mo'alla montrent, d'un côté, une tendance de certains nomarques à élargir leur territoire. Ankhtifi lui-même était nomarque du troisième nome de Haute Egypte, mais, apparemment, il prit également le pouvoir dans les premier et deuxième nomes. Ses textes décrivent une alliance comparable entre les quatrième et cinquième nomes qui s'opposaient à lui . À la même 9i
période, un nomarque appelé Ab-ihou dirigeait les sixième, septième et huitième nomes de Haute Egypte, tandis que Inheretnakht commandait les huitième et dixième nomes . Les sources 94
92.
Kontinuität und Wandel, p. 135-144 ; voir aussi W I L L E M S , Chesfs Das Heiligtum des H e q a i b , p. 11. 93. VANDIER, Mo'alla, inscriptions 2 et 6. 94. Pour Ab-ihou, voir FISCHER, Dendera, p. 195. Pour les deux planches du sarcophage de Inheret-nakht, voir GOEDICKE, dans : Gold of Praise, p. 149-152. Il date cette GESTERMANN,
of Life, p. 60
; FRANKE,
personne du début du M o y e n Empire, mais n'offre qu'un seul argument : l'apparition de l'épithète mi' hrw après le nom du propriétaire du cercueil. À vrai dire, l'épithète est connue déjà depuis la fin de la Première Période Intermédiaire (voir SCHENKEL, FmäS, p. 76, renvoyant à TPPI, § 23). Toute une série d'autres indices suggère que le cercueil d'Inheret-nakht doit être sensiblement plus ancien que ne l'admet GOEDICKE : 1 ) le contenu des formules d'offrandes ; 2) l'apparition du titre im.y-r sm'.w, « commandant de Haute Egypte », pour lequel GOEDICKE ne peut citer q u e des exemples datant de l'Ancien Empire et du début de la Première Période Intermédiaire ; 3) la séquence d'épithètes d'Osiris ; 4) le fait même qu'lnheretnakht était un nomarque dirigeant plus d'un seul nome, situation inconnue au M o y e n Empire ; et 5) l'implication qu'il serait un nomarque fonctionnant dans le territoire thébain - cas sans parallèle pour le début du M o y e n Empire. Pour toutes ces raisons il me semble clair qu'il vivait au plus tard au début de la Première Période Intermédiaire.
39
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
évoquent aussi une tendance opposée, conduisant vers une désintégration régionale. Par exemple, bien qu'Ankhtifi présente les quatrième et cinquième nomes comme des unités, son texte laisse entrevoir que le « général d'Armant » qui était installé dans une ville du quatrième nome, occupait une position plus ou moins indépendante, et entrait dans une alliance militaire avec le chef de Mo alla'\ La situation dans la région se complif
que encore avec l'existence d'un nomarque appelé Ini dont le sarcophage a été trouvé à el-Gebelein, ville qui ne semble jamais avoir été siège de nomarque . Dans le cinquième nome 96
aussi, la fragmentation est très apparente, car plusieurs villages (Khozam, Nagada, Quft [Coptos]) avaient leurs propres chefs dont les titres suggèrent un degré extraordinaire d'indépendance . L'image de la Première Période Intermédiaire comme 97
une période de problèmes politiques, de guerres, et de famines, a été construite largement sur la base des autobiographies
95. 96. 37.
VANDIER,
Mo'alla, inscription
6.
Pour le sarcophage Turin
13.268, voir
Selon BROVARSKI, le nom
ini serait une abréviation d e l'anthroponyme
BROVARSKI, dans : Studies Hughes, p.
31-
ini-it=f
e
porté p a r plusieurs rois d e la XI dynastie et leurs prédécesseurs, q u i étaient encore nomarques. Il suppose que le propriétaire du sarcophage d e Turin était un d e ces nomarques thébains, et que le choix d'un enterrement à el-Gebelein est le reflet d'un déménagement d e la cour nomarcale thébaine vers la frontière avec le territoire d'Ankhtifi. Cela est possible, mais le fait qu'lni porte un autre titre strictement local, « chef des prêtres dans le temple d e Sobek maître de Soumenou », suggère qu'il pourrait plutôt s'agir d'un fonctionnaire
responsable d e la région d'el-
Gebelein. Dans ce cas, le titre de nomarque aurait une valeur très dévaluée, comme on le rencontre parfois avec d'autres titres. ZITMAN a récemment proposé une datation d'Ini pendant le règne d e M o n t o u h o t e p II : The Cemetery of Assiut, p. 8 6 - 8 7 , n. 6 1 9 . Cette proposition s'appuie sur une comparaison entre la céramique trouvée avec le sarcophage d'Ini et celle d e Q u r n a . Mais, en fait, tous les types de céramique auxquels il renvoie sont déjà attestés dans la phase Q u r n a I d e SEIDLMAYER, phase qui remonte à une date très haute dans la Première Période Intermédiaire :
Gräberfelder, p. 395. De surcroît, si Z I T M A N avait raison, Ini serait
le seul nomarque connu du territoire des rois d e la X I ' dynastie. 97.
40
ASAE 70 (1984-1985), p. 419-429 JEA 90 (2004), p. 73-79.
FISCHER, Coptite N o m e ; MOSTAFA,
ASAE
71 (1987),
p.
170-184 ;
GILBERT,
; IDEM,
LA CULTURE
NOMARCALE
de ces chefs locaux . En fait, la répartition géographique des tex98
tes faisant état de ce genre de difficultés semble montrer que la crise, en réalité, n'affectait pas toute l'Egypte dans la même mesure, et qu'elle se concentrait dans la région méridionale du pays. On ne dispose pas d'éléments pour penser que la même situation prévalait de manière aussi grave en Moyenne Egypte. La politique diébaine qui conduisit à 1'eradication du nomarcat dans le sud de l'Egypte est alors compréhensible et explique l'apparition d'un nouveau type de fonctionnaires, dont deux exemples sont connus. Le premier est un certain Hétepi, dont la stèle funéraire fut trouvée à el-Kab. Hétepi, qui vécut sous le règne d'Antef II Ouah-ânkh, écrit : L'humble serviteur (c.à d. Hétepi) prononçait sa (c.à d. le roi) parole au sein des sept nomes méridionaux
ainsi
que (dans) Abydos dans le nome thinite, tandis qu'il n'y avait personne qui prononçait
sa parole dans les troi-
sième, deuxième et premier nomes de Haute Egypte"''. Ainsi, Hétepi semble avoir joué le rôle d'administrateur en chef de toute la région entre Assouan et Abydos. Bien que les nomes existent encore, les nomarques (hr.y-tp 'J n spJ.t) ne sont pas mentionnés. Hétepi avait une responsabilité particulière pour les trois nomes méridionaux. Il paraît significatif que cette région coïncide exactement avec le territoire d'Ankhtifi avant la conquête thébaine.
98.
M O R E N O GARCIA,
dans : Séhel
entre Egypte et Nubie, p. 13-14, utilise le même
matériel pour en déduire sur un plan général que l'administration régionale ne doit pas être comprise comme un système rigoureusement fondé sur les nomes. Bien que je sois d ' a c c o r d avec l'esprit de cette argumentation, elle semble méconnaître les circonstances très spécifiques du début de la Première Période Intermédiaire. La fragmentation régionale de cette é p o q u e ne doit certainement pas être mise en parallèle avec la structure diversifiée du niveau provincial pendant l'Ancien Empire.
99.
GABRA,
MDAIK 32 (1976), p. 48, fig. 2, I. 4-5.
41
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Juste après la lin de la Première Période Intermédiaire, un autre fonctionnaire appelé Hénenou déclare dans son autobiographie qu'il recouvrait des taxes dans la région comprise entre les huitième et dixième nomes de Haute Egypte'"". Bien que légèrement plus tardif que l'époque qui nous occupe, il se pourrait que Hénenou relève du m ê m e système administratif qui opérait sur la base d'administrateurs suprarégionaux. La disparition des nomarques dans le sud de l'Egypte coïncide avec l'émergence du grand cimetière d'el-Tarif, àThèbesOuest. On y trouve non seulement les tombes gigantesques des rois thébains de la Première Période Intermédiaire, mais aussi des centaines d'autres grandes t o m b e s " " . Dans le reste du territoire soumis aux rois thébains, les cimetières de l'élite disparaissent presque entièrement. Cela, et la création d'un nouveau genre d'administrateur supraregional, semblent refléter une politique centraliste des rois thébains, qui ne laissait plus de place pour les nomarques. La politique thébaine s'explique donc comme une réaction contre les événements du début de la Première
Période
Intermédiaire, période durant laquelle les administrateurs des nomes méridionaux avaient joué un rôle actif dans la crise politique et économique qui se développait. Pour les rois héracléopolitains, qui ne se voyaient pas confrontés à des problèmes de cet ordre, il n'y avait aucune raison d'abolir le nomarcat. Selon G E S T E R M A N N , les données concernant les nomarques, après que les Thébains eurent pris le pouvoir dans la région héracléopolitaine, sont inexistantes, et ce fait suggérerait que les Thébains avaient également supprimé les nomarques dans cette partie du pays"". O n verra plus tard que ce
100. HAYES, J E A 35 (1949), pi- 'V et p. 46, n. d . 101. A R N O L D , G r ö b e r des Alten und Mittleren Reiches in el-Taril. 102. Kontinuität und W a n d e l , p. 138-139 ; p. 142-14342
LA CULTURE
NOMARCALE
point de vue n'est pas sans poser problème, mais on doit avouer que le processus serait compréhensible. Le succès évident dans le territoire du royaume thébain pourrait avoir poussé les rois de la XL dynastie à imposer un régime similaire dans les régions qu'ils venaient d'acquérir. Mais cette interprétation a aussi quelque chose de naïf. M ê m e en Allemagne après la D e u x i è m e Guerre Mondiale, où les alliés suivaient une politique forte de denazification, beaucoup de postes de responsabilité étaient occupés par d'anciens nazis. Il me semble peu probable que dans la situation de l'Egypte
après l'Unification
— période sans doute
moins
politisée et moins conflictuelle que celle de l'Allemagne de 1 9 4 5 — le premier but des Thébains ait été de remplacer tous ceux qui avaient e x e r c é des charges sous le royaume héracléopolitain . 105
Néanmoins, c'est exactement ce qui se serait passé, selon G E S T E R M A N N . Elle essaye de montrer que les nomarques, qui avaient déjà disparu dans le sud de l'Egypte avant l'Unification du pays, perdaient aussi leurs postes dans le nord. Mais, moins de vingt ans plus tard, les nomarques auraient resurgi, vers la fin de la X L dynastie, comme le montrent par exemple les cimetières de Moyenne Egypte. La lecture de la thèse de doctorat de G E S T E R M A N N suggère donc l'évolution suivante : 1. Fin de l'Ancien
Empire : système de
gouvernement
monolithique ; l'Egypte est subdivisée en nomes gérés par des nomarques et des chefs des prêtres, les deux fonctions pouvant parfois être assumées par la m ê m e personne.
103.
En fait, on sait que les Thébains e n g a g e a i e n t souvent des fonctionnaires qui
font état de manière explicite dans leurs autobiographies du fait d'avoir aussi travaillé pour les rois héracléopolitains.
43
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
2. Première Période Intermédiaire : développement de systèmes de gouvernement différents dans les régions thébaine et héracléopolitane ; disparition des nomarques dans la région thébaine, continuité du système nomarcal dans la région héracléopolitaine. 3. Réunification du pays par Montouhotep II : nouveau système monolithique ; le modèle « thébain » est introduit à travers toute l'Egypte ; les nomarques disparaissent. Les villes sont devenues les centres les plus importants. 4 . Fin de la XI' dynastie et XII' dynastie : nouveau système monolithique ; remise en fonction des nomarques, mais le rôle des villes ne diminue pas. Dans le Nome de l ' O r y x , par exemple, les nomarques et les chefs des grandes villes coexistent et sont, en fait, les membres d'une m ê m e famille. D. F R A N K E a travaillé à partir de ces données, et suggère que les nouveaux nomarques en fonction sous Amenemhat I" et Sénousret I auraient été er
nommés c o m m e « h o m m e s nouveaux qui jusqu'alors n'avaient pas occupé une position de pouvoir dans leurs villes »
104
.
Depuis G E S T E R M A N N , le problème n'a jamais fait l'objet d'une nouvelle étude systématique , mais il m e semble que 105
son hypothèse, ainsi que celles de H E L C K et P A R D E Y
1 0 6
, souffrent
de plusieurs faiblesses. Pour chacun de ces auteurs, les nomes et les villes sont des entités administratives incompatibles, opinion qui donne matière à réflexion ! Certainement, les nomar104.
FRANKE, Das
Heiligtum des Heqaib,
p.
12
: « neue M ä n n e r , die bisher über
keine Machtstellung in ihrer Heimatstadt verfügten ». 105.
Dans son étude récente, N o m a r q u e , FAVRY définit les rôles et responsabilités
des nomarques à l ' é p o q u e d e Sénousret I " sur la base d ' u n e collection d e phrases tirées d e leurs autobiographies, mais elle n'offre pas vraiment une étude historique du p r o b l è m e .
106. PARDEY, « Provincial Ancient Egypt I, p. 18-19. 44
Administration », dans : The
Oxford Encyclopedia
of
LA CULTURE
NOMARCALE
ques avaient toujours vécu dans des villes et si, dans certains cas, un chef régional s'appelle « nomarque », cela ne peut guère signifier qu'il n'était pas responsable de la ville capitale du nome
107
. Autrement dit, le fait que les textes font état, de plus
en plus fréquemment, de l'administration de villes ne peut pas, à lui seul, être utilisé comme l'indice de la mise à l'écart des nomarques. Par ailleurs, il semble clair que chacun de ces chercheurs est animé par le souci de présenter l'administration égyptienne c o m m e un système très rigoureux, dans lequel chaque région est organisée d'une
seule et m ê m e
manière.
Pendant
la
Première Période Intermédiaire, alors que le pays était fragmenté, cette unité de conception aurait été rompue temporairement, mais elle aurait resurgi très vite après le début du Moyen Empire. Pour comprendre ce qui se passait réellement, nous allons reprendre les données de base sur lesquelles repose l'hypothèse de G E S T E R M A N N . Pour nous, ce qui compte surtout, ce sont les transformations juste après la victoire de Montouhotep II et pendant le reste du Moyen Empire. On va donc étudier la documentation concernant chacune des provinces pour lesquelles il existe des informations. Pendant la X I dynastie, immédiatement après l'Unification e
de Montouhotep II, G E S T E R M A N N ne trouve aucun nomarque dans le pays tout entier. Les nomarques d'Assiout, les alliés les plus forts des rois héracléopolitains, disparaissent tout de suite, et aucun administrateur s'appelant hr.y-tp 'J n'apparaît dans sa documentation. Mais elle doit avouer que plusieurs textes continuent de mentionner les nomes comme unités administratives. Il s'agit de plusieurs cas semblables à celui, déjà cité, de
107. Pour MORET, le lien entre le nomarcat et la capitale du nome était encore évi-
dent, dans : Recueil d'études égyptologiques Champollion, p. 3 3 9 .
dédiées
à la mémoire de J.-F.
45
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Hénenou, d'hommes remplissant des charges dans des régions désignées par le symbole d'un n o m e
108
. G E S T E R M A N N explique
ce phénomène de la manière suivante : Au moins partiellement, désignation
la mention de nomes comme
des zones d'activités pourrait aussi être le
reflet du titre hr.j-tp 'j (nj) + nome, qui durant la Période Héracléopolitaine,
demeurait,
en usage dans le
nord du pays, et qui laisse entrevoir un maintien cette forme
de
d'administration'"''.
La citation suggère que les nomes étaient une particularité héracléopolitaine. Mais on vient d'étudier le cas de Hétepi ; c'était un fonctionnaire thébain qui s'occupait de tout un groupe de nomes qui ne paraissent pas avoir été dirigés indivi-
108. O n doit aussi renvoyer au temple construit p a r M o n t o u h o t e p II à el-Gebelein. Parmi les fragments d u d é c o r d e ce bâtiment se trouvent plusieurs éléments d'une liste d e nomes. C e qui subsiste contient des mentions d e nomes d e Basse Egypte : voir la publication récente de FIORE MAROCHETTI, dans : Des N é f e r h o t e p M o n t o u h o t e p , p.
147-148
et fig.
2-8.
aux
Selon FIORE MAROCHETTI, l'édifice daterait du
début d u règne de M o n t o u h o t e p II parce q u e son nom y figurerait sous la première des trois formes q u e ce roi a a d o p t é e s au cours d e son long règne. En fait, le décor offre la deuxième forme d u n o m d ' H o r u s d u roi. D'autres auteurs datent la c h a p e l l e d e l'époque juste postérieure à l'Unification ; GESTERMANN énonce la « Vermutung d a ß diese Reliefs in zeitlicher
N ä h e zur
Reichseinigung entstanden sind » :
Kontinuität und Wandel, p. 46, avec une discussion des autres opinions.
FIORE
MAROCHETTI utilise l'argument d u style des reliefs en faveur d e sa datation au début d u règne d e M o n t o u h o t e p II. En effet, o n doit admettre q u ' u n changement p r o f o n d se produisit q u a n d , après la réunification d u p a y s , des artisans memphites s'installèrent à Thèbes, y introduisant le c a n o n classique. Cependant, comme l'a remarqué JAROS-DECKERT, le style local continuait à être utilisé à côté du style memphite (Das G r a b des
Jnj-jtj.f,
p.
135-136).
La présence d e la liste de nomes septentrionaux sug-
g è r e plutôt une d a t a t i o n après l'Unification d u pays qu'avant.
109.
GESTERMANN,
Kontinuität und Wandel, p. 139: « Zumindest teilweise dürfte d i e
N e n n u n g von G a u e n zur Bezeichnung des Tätigkeitsbereiches auch auf den im N o r d e n des Landes w ä h r e n d des Herakleopolitenzeit noch gebräuchlichen Titel hr.j-tp 's (nj)
+ G a u und d e m daraus zu erschließenden Festhalten a n dieser
Organisationsform zurückgehen ».
46
LA CULTURE
NOMARCALE
duellement par un nomarque. La stèle Caire C G 2 0 ^ 4 3 , 1. 10 et
suivantes,
datée de la fin de la P r e m i è r e
Période
Intermédiaire, semble en effet décrire un processus de réorganisation dans les dix nomes méridionaux de l'Egypte, processus dans lequel le texte mentionne des chefs des domaines hw.t, mais pas de nomarques" . Vers la fin de la Première Période 0
110. Pour la stèle, voir PÉTRIE, Denderefi, pl. XV. La stèle Leiden V3 est également intéressante parce qu'elle décrit, encore pendant le règne d e Sénousret P , le cas d'un directeur des champs, im.y-r jh.t, dans « la Tête d u Sud et à Abydos ». Le texte spécifie ensuite exactement quelle zone d e ce territoire était sous sa responsabilité : la région entre les sixième et neuvième nomes (voir BOESER, ßeschri/ving I, pl. II). Bien qu'aucun nomarque ne soit connu pour cette région, des fonctionnaires subalternes comme le propriétaire d e la stèle pouvaient, apparemment, encore définir leur ressort d'autorité en termes d e nomes. Récemment, M O R E N O GARCIA a démontré que le terme spJt « nome » devient plus commun au début d u M o y e n Empire, fait explicable, selon lui, comme le reflet « d'une nouvelle manière d'organiser l'espace après les bouleversements d e la Première Intermédiaire » [hwt et le milieu rural, p. 148). Il convient d e discuter brièvement le cas du général Ip, dont la tombe, publiée récemment p a r FISCHER, contiendrait la titulature d ' u n nomarque des vingtième et vingt et unième nomes d e Haute Egypte, et qui daterait d e l'époque l'Unification du pays et la fin d e la X I ' dynastie (voir FISCHER, la datation, voir p.
29-32).
entre
The Tomb of Ip ; pour
Cette manière d e voir impliquerait que Ip appartenait
à l'administration thébaine récemment créée dans l'ancien territoire héracléopolitain. Celte hypothèse me semble très invraisemblable. C e q u i étonne tout d ' a b o r d , c'est q u e le « nomarque » des vingtième et vingt et unième nomes ait été enterré à el-Saff, site qui se trouve, comme le reconnaît d'ailleurs FISCHER, dans le vingtdeuxième nome (p. 2 9 ) . FISCHER remarque aussi q u e les graphies dans la tombe d'el-Saff sont dépourvues d u signe du bras q u i a c c o m p a g n e normalement celui d e l'arbre désignant les deux nomes, ainsi q u e des adjectifs « supérieur » et « inférieur », q u i servent à distinguer les deux provinces (p. 2 5 ) . De surcroît, le titre d ' I p , lu p a r FISCHER comme
im.y-r n'r.t, ne suit pas le modèle commun d e hr.y-tp 'j +
désignation g é o g r a p h i q u e . Je ne connais pas d'autres exemples d u modèle d e titre envisagé p a r FISCHER. Enfin, les titres d e rang d e Ip
(htm.ty bi.ty smhr w'.ty) sont
très modestes pour un nomarque. Prenant aussi en compte le fait q u e le titre d e général a clairement été considéré comme le plus important p a r Ip lui-même, il est peu vraisemblable qu'il ait été nomarque. En fait, le mot lu p a r Fischer comme nom d e nome, serait écrit d e f a ç o n assez irrégulière. Je propose d e lire î b ô i plutôt c o m m e
im.y-r w, « c o m m a n d a n t d ' u n
district ». O n sait que c e type d e fonctionnaires portaient parfois les titres d e htm.ty
bi.ty smhr w'.ty sdm sdm.t w'i.w im.y r sny tj aussi porté par Ip : voir
76 (1990),
p.
31,
n. d ; D A O U D , Corpus o f Inscriptions, p.
72, qui
WILLEMS,
lit le titre
JEA
i ,
incorrectement, comme im.y-r hrp.w.
47
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Intermédiaire, les nomes continuaient apparemment à être perçus c o m m e des unités administratives, m ê m e en plein territoire thébain. En conséquence, ce qui s'est passé n'est pas l'abolition des nomes, mais plutôt l'abolition de la classe administrative des nomarques. G E S T E R M A N N souligne que les nomarques avaient disparu dans l'ancien territoire héracléopolitain après que celui-ci avait été soumis par les Thébains, mais que ce genre de fonctionnaires était réapparu vers la fin de la X L dynastie. Le chapitre suivant montrera que cette évolution ne se produisit certainement pas dans le nome du Lièvre, où une série ininterrompue de nomarques existe. Dans les autres nomes, la situation est moins claire. Pour Assiout, on considère communément que la lignée des nomarques s'arrête avec l'Unification du pays. Dans ce cas précis, on est vraiment en droit de supposer que les Thébains avaient de sérieuses raisons pour vouloir les supprimer, parce
qu'ils
avaient été les partisans les plus acharnés des Héracléopolitains, qui s'étaient fortement opposés aux Thébains. Aussi, affirme-ton, de manière très générale, que le fameux groupe des tombes V, III e t IV à Assiout n ' a pas connu de suite après l'Unification, jusqu'au m o m e n t où l ' é n o r m e tombe de Djefaihâpi I " fut bâtie sous le règne de Sénousret I' . Mais les recherches récentes r
entreprises sur le site par J . K A H L ont démontré l'existence de plusieurs autres tombes de très grandes dimensions, dont quelques unes pourraient être datées entre Montouhotep II et Sénousret I ' ' " . La remarquable thèse de doctorat défendue r
r é c e m m e n t à Leyde par M . Z I T M A N offre un aperçu très complet du matériel, fondé sur une masse de documentation non publiée. Ce matériel prouve clairement qu'un nombre impor-
111.
KAHL,
EL-KHADRAGY,
48
S A K 33 (2005), p. 159-167 34 (2006), p. 241-247.
VERHOEVEN,
KHADRAGY, VERHOEVEN, S A K
;
KAHL, EL-
LA CULTURE
NOMARCALE
tant de vastes tombes jusqu'alors inconnues doit dater, soit de la Première Période Intermédiaire, soit de la fin de la XI' dynastie ou plus tard. D'autres tombes pourraient combler l'intervalle entre l'Unification du pays et la fin de la X I ' dynastie. Malheureusement, ce matériel reste d'ordre si imprécis qu'il n'est pas possible de déterminer s'il a existé ou non une interruption dans la séquence des gouverneurs locaux après la chute du royaume héracléopolitain. Si, pour des raisons politiques, une interruption ne semble pas invraisemblable, le matériel impose la conclusion que, si elle s'est produite, elle a probablement été de courte durée. Malencontreusement, plusieurs des tombes probablement datables de cette époque sont anépigraphes. Il reste donc difficile de dire si leurs propriétaires furent hr.y-tp 'J et s'ils comblent, ou non, la période entre l'Unification du pays et le règne de Sénousret I". En tout cas, l'un d'entre eux, le fameux Mésehti dont les modèles funéraires, figurant des pelotons de soldats, sont bien connus, daterait, selon Z I T M A N , des règnes de Montouhotep IV et Amenemhat I " . L'échelle même de ces tombes ne laisse, à er
:
mon avis, que peu de doute sur le fait qu'un type de fonctionnaire, qu'on peut qualifier de « nomarcal », était à nouveau en poste, même si le titre hr.y-tp J n'apparaît pas'". C
À Beni Hasan, la situation est un peu plus claire, en dépit du fait que plusieurs nomarques ne peuvent pas être datés individuellement. Le plan (fig. 6) montre une rangée assez large de tombeaux dont huit contiennent des inscriptions indiquant que leurs propriétaires étaient des nomarques. La tombe 1 4 appartenait au nomarque Khnoumhotep I" qui signale qu'il fut nommé sous le règne d'Amenemhat I". Il est généralement admis que les propriétaires des tombes 2 9 , 33 et 2 7 , qui étaient aussi nomarques, avaient précédé
112.
ZITMAN,
The Necropolis of Assiuf, p. 11-33.
113. Je viens d'apprendre qu'une tombe récemment découverte à Assiout appartenait à un chef des prêtres dont le père s'appelait Khéty, et le fils Mésehti. S'il s'agit du fils du nomarque Khéty II, comme le suggère prudemment J. KAHL, on aurait ici le chaînon manquant. Je remercie vivement J. KAHL pour ces informations.
49
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Him* kip E (flu» mu i ihn
FIG. 6 : PLAN DE LA PARTIE MÉRIDIONALE DES TOMBES NOMARCALES DE BENI HASAN. LES PETITS POINTS INDIQUENT LA POSITION DES TOMBES INFÉRIEURES SITUÉES AU BAS DES GRANDES TOMBES RUPESTRES (D'APRÈS WILLEMS, CHESTS OF LIFE, PLAN l). 50
LA CULTURE
NOMARCALE
Khnoumhotep I , et il est vraisemblable que les propriétaires des ,r
tombes i ç et 1 7 , Baqet III et Khéty, le précédaient également" . 4
Ce dernier point a été critiqué par G E S T E R M A N N , qui soutient que Baqet III et Khéty auraient succédé à Khnoumhotep I' " . r
s
Mais comme H Ö L Z L le remarque ajuste titre, c'est peu probable, étant donné que la tombe de Khnoumhotep I" ( 1 4 ) semble avoir été creusée dans un petit recoin qui subsistait après que la tombe de Baqet III ( 1 c) avait été construite. H Ö L Z E développe aussi des considérations architecturales pour montrer que la tombe de Baqet III précédait non seulement celle de Khnoumhotep I", mais aussi celle de Khéty (tombe 1 7 ) " . 6
On doit avouer que la datation de ces tombes reste très problématique. Mais, m ê m e la position minimale de G E S T E R M A N N présuppose que le nomarque Baqet I (tombe 2 9 ) était déjà en er
fonction pendant la X I dynastie. En acceptant une datation pour e
les très grandes tombes 1 c et 1 7 , antérieures à Khnoumhotep I", il devient presque certain que l'intervalle entre l'Unification de l'Egypte et la fin de la X I dynastie pourrait parfaitement être e
comblé, et cela impliquerait, comme à Deir el-Bersha, une continuité du régime nomarcal. O n doit aussi rendre compte du fait — admis d'ailleurs par G E S T E R M A N N — que plusieurs des grandes tombes anépigraphes de Beni Hasan pourraient avoir été occupées par des nomarques" . Il me semble alors que la chute tem7
114.
Pour un aperçu de la problématique, voir WILLEMS,
115. Kontinuität und Wandel,
p.
180-189 ; on
JEOL 28 (1983-1984), p. 92.
notera que l'auteur n'a pas encore pu
tenir compte d e mon article mentionné dans la note précédente.
116.
H Ö I Z L , dans : Sesto congresso internaziona/e
di egittologia II, p. 279-283.
117 II convient également de rappeler un fragment d e stèle encore inédit, provenant d'une tombe à Dendara, qui fait état d'un -tp 'J n nu-hd, « nomarque du nome de l'Oryx ». La datation en est malheureusement incertaine. La stèle appartenait à un certain Rediouikhnoum qui, selon certains, serait un descendant du Rediouikhnoum, propriétaire de la stèle bien connue du musée du Caire C G
20543.
Sur la base d e
cette hypothèse, le deuxième Rediouikhnoum a été daté du règne d e Montouhotep II ( G O M A À , Erste Zwischenzeit, p.
116
et
152-153
; GESTERMANN,
Kontinuität und
Wandel,
p. 171 )• Si cette datation peut être confirmée, on aurait une preuve indépendante de l'existence de nomarques à Beni Hasan à cette époque.
51
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
poraire
des
nomarques,
ET LA
que
DÉMOCRATIE
supposait
l'hypothèse
de
G H S T H R M A N N , n'a que peu de vraisemblance' . 8
Le cas assuré de Deir el-Bersha, et les cas vraisemblables de Beni Hasan et Assiout, peut-être avec une courte interruption pour cette dernière, semblent indiquer qu'en Moyenne Egypte, le régime nomarcal n'a pas été interrompu par la chute des Héracléopolitains. Il n'est pas exclu que des circonstances comparables aient prévalu dans d'autres nomes de Moyenne Egypte. Par exemple, le cimetière des gouverneurs du dix-septième nome de Haute Egypte, à Tehna el-Gebel, a été largement détruit, de sorte qu'on ne peut pratiquement rien dire sur l'histoire de ces fonctionnaires. Pendant la XII' dynastie, l'existence des nomarques peut clairement être mise en évidence en Moyenne Egypte. Dans le sud de ce qui avait été la région héracléopolitaine, à Akhmim, on ne connaît qu'une référence à un nomarque appelé Antef, et datable du règne d'Amenemhat I " " \ Dans le onzième nome, à Deir Rifa, il y en a deux ". Dans le douzième n o m e , régnait une 12
famille très influente dont les tombes énormes à Qaw el-Kebir sont parmi les plus grandes de l'époque, bien que le titre hr.ytp
fasse défaut dans la documentation. Pour l'instant, on ne
s'occupera donc pas de ces personnages . A Assiout, dans la 121
nécropole gigantesque qui s'y développait, il n'y a que deux individus
qui
se qualifient
de « nomarque » : le
Djetaihâpi 1 , daté du règne de Sénousret I er
er122
fameux
et Djefaihâpi II
118. Point de vue implicitement accepté par PARDEY, « Provincial Administration », dans :
The O x f o r d Encyclopedia of Ancient Egypt I, p. 18, et RABEHL, Amenemrief, p. 11-17.
119. 120. 121. 122.
1-8
Pour la datation de ce document, voir
Tombes I et VII à Deir Rifa : voir MONTET, Kêmi Pour ces personnages, voir W . GRAJETZKI,
6 (1936), p. 138-143
et
FRANKE,
156-163.
GM 156 (1997), p. 55-02.
Tombe I à Assiout ; voir pour les inscriptions GRIFFITH, Siût a n d Dér Rîfeh, pl. ; MONTET, Kêmi
The Necropolis
52
20024. 112 (132].
Stèle Caire C G
Personendaten, p.
3 (1930-1935),
of Assiut, p. 34.
p.
45-86.
Pour la b i b l i o g r a p h i e , voir Z I T M A N ,
LA CULTURE
NOMARCALE
qui, selon Z I T M A N , aurait vécu à la m ê m e époque ''. Plusieurs 1
propriétaires de grandes tombes d'Assiout étaient essentiellement dotés du titre sacerdotal im.y-r hm.w ntr porté aussi par bien des nomarques. Le fait que les tombes ont été si mal publiées laisse soupçonner que d'autres notables enterrés dans cette nécropole pourraient également avoir été des nomarques. A Meir, cimetière des notables du quatorzième nome, se trouve un groupe de tombes de chefs de prêtres dont l'un, daté du règne de Sénousret I", s'appelle explicitement nomarque . 124
A Deir el-Bersha et à Beni Hasan, on décompte une dizaine environ de nomarques si bien connus qu'il n'est pas nécessaire de les évoquer plus l o n g u e m e n t " . 1
L'autobiographie de
Khnoumhotep II à Beni Hasan fait aussi état de son grand-père maternel qui aurait été nomarque du dix-septième n o m e ' . 1
6
L'emplacement des tombes de ce dernier groupe de fonctionnaires a été clarifié, assez r é c e m m e n t , grâce aux fouilles japonaises àTehna el-Gebel, qui ont apporté la preuve que le temple romain creusé dans la falaise de Tehna est, en fait, une vaste tombe du Moyen Empire, réutilisée. A côté, il en subsiste plusieurs autres . Enfin, l'équipe de l'Université de Pise a décou127
vert, il y a quelques années, deux grandes tombes à Kôm elKhalwa, dans le Fayoum. Malheureusement, ces monuments 123. Tombe I I à Assiout ; voir pour les inscriptions GRIFFITH, Siût a n d Dêr Rifeh, 10 ; M O N T E T , Kêmi 3 (1930-1935], p. 86-89. P ° 1° bibliographie, voir Z I T M A N , loc. cit. Pour la datation, voir Z I T M A N , op. cit., p. 28-29 et p. 33. O n doit avouer u r
pl.
que les arguments en faveur de cette datation ne sont pas suffisamment solides pour pouvoir exclure une date plus basse. 124. Il s'agit d e Oukhhotep fils de Senbi : voir M e i r I I , pl. XII. Bien que les autres fonctionnaires enterrés au même endroit ne portent pas ce titre, le cimetière semble appartenir à une seule famille d'administrateurs. Il n'est pas douteux q u e les autres font partie d e la même couche sociale, même s'ils ne portent pas le titre hr.y-tp J. C
Pour l'histoire de cette famille, voir W I L L E M S , Chests of
Life, p. 82-87.
125. Pour un aperçu des sources, voir W I L L E M S , JEOL 28 (1983-1984], p. 81-86 ; 92 ; 102 ; IDEM, Chests o f Life, p. 62-81 ; G E S T E R M A N N , Kontinuität und Wandel, p. 173-189 ; FAVRY, N o m a r q u e , p. 309-314. 126. À en juger p a r le titre hqj Inpw : ßeni Hasan I, p l . XXVI, 123.
127. Akoris,
p.
27-33.
P°
u r
un p '
a r i
de la zone des tombes, voir p.
44. 53
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
très mal préservés n'ont pas encore été publiés ; mais, à partir d'articles préliminaires, on peut conclure que le propriétaire Ouadj était non seulement hj.ty-' ntr, mais aussi
im.y-r hm.w-ntr
I im.y-r hw.t-
hr.y-tp sh.t. Ce dernier titre semble être
construit selon le modèle du titre hr.y-tp 'j n spJ.t/NoME,
la
désignation géographique étant ici sh.t, « champ », sans doute pour désigner le Fayoum . Pour finir, une fausse-porte trouvée 128
à Héliopolis, et probablement datable de la fin de la XI dynase
tie ou du tout début de la X I L , fait aussi état d'un nomarque du treizième nome de Basse Egypte' . 29
Il va sans dire que notre documentation est très incomplète, mais on ne peut nier le fait que les nomarques n'étaient pas une rareté en Moyenne Egypte, et qu'il semble possible sur la base du dernier document cité qu'ils aient aussi existé dans le Delta. Pour le sud de l'Egypte, la situation est complètement différente. Là, trois nomarques seulement sont connus selon G E S T E R M A N N " , auxquels F A V R Y en ajoute un quatrième . 11 0
131
est nécessaire d'étudier cette liste de plus près. Une stèle du Pétrie Museum de Londres mentionne un certain Montouhotep qui aurait été nomarque du quatrième n o m e " . Mais, en fait, la stèle ne contient aucun indice prou2
128. Voir BRESCIANI, EVO 20-21 (1997-1998), p. 11 ; 14 ; 17-18 (pilastre 4, face B , D) ; 31, fig. 7. Le titre hr.y-tp sh.t est discuté par BRESCIANI, EVO 4 (1981), p. 9 et n. e. 129. Texte publié p a r S I M P S O N , JARCE 38 (2001), p. 12, fig. 1 ; p. 14 ; p. ) 8 ; voir aussi FRANKE, Das Heiligtum des H e q a i b , p. 13, n. 26. Je remercie DETLEF FRANKE pour m'avoir communiqué la référence d e l'article d e S I M P S O N .
130. 131. 132.
Wandel, p. 172-173; point de vue accepté par DE 13 (1989), p. 112.
G E S T E R M A N N , Kontinuität und
MÜLLER-WOLLERMANN,
FAVRY, N o m a r q u e , p.
72-75.
JEA 48 (1962), p. 25-35; STEWART, Egyptian Stelae II, p. 20 et pl. 18. L'étude la plus récente de ce document est celle de BEYLAGE, Stèle
UCL14833;
voir G O E D I C K E ,
dans : Ägypten - Münster, p.
17-32.
Le point d e vue selon lequel Montouhotep aurait
été nomarque est attribué par GESTERMANN, Kontinuität und N o m a r q u e , p.
71-72,
Wandel, p. 172, et
FAVRY,
à BERLEV ; voir BiOr 3 8 ( 1 9 8 I J , col. 318-319. Mais, en fait,
BERLEV ne fait pas cette suggestion, et, étant donné que GESTERMANN et FAVRY n'apportent aucun indice nouveau, l'hypothèse n'a que peu de vraisemblance.
54
LA CULTURE NOMARCALE vant que Montouhotep était nomarque, sa titulature étant restreinte à ir.y p'.t ItJ.ty-' im.y-r hm.w Mr. De surcroît, il ressort clairement de son autobiographie qu'il menait ses activités dans la ville d'Armant qui, autant qu'on sache, n'a jamais été le siège du gouverneur du quatrième nome de Haute Egypte'". Il en est de m ê m e pour Oupouaoutaâ qui, selon FAVRY, aurait aussi été nomarque. Cette interprétation se fonde sur la ligne i 2 de la stèle Leyde V 4 , lue par cet auteur comme « Je suis le fils d'un dignitaire, (un homme) important du nome thinite » . Bien H 4
que cette traduction soit possible, on peut également comprendre « J e suis le fils d'un grand dignitaire du nome thinite ». Dans les deux cas, le texte renvoie, certes, à un homme important résidant dans le huitième nome, mais ce n'équivaut pas forcément à un nomarque. Une statue aujourd'hui conservée au musée du Caire ( C G 4 0 4 ) représente un personnage appelé Horhotep qui porte la titulature de ir.y-p'.t hc.ty-' hr.y-hb.t im.y-r hm.w-ntr hr.y-tp 'J n Nhn. On a indubitablement affaire à un homme qui se nomme nomarque. Malheureusement, le contexte historique
nous
échappe" . On ignore la datation exacte de la statue et, à la dif5
férence des nomarques de Moyenne Egypte, on ne connaît pas non plus de tombe monumentale appartenant à son propriétaire. S'il date vraiment de la XII dynastie, on doit conclure e
qu'il ne descend pas d'une ancienne lignée nomarcale puisque, on vient de le voir, ces fonctionnaires semblent avoir été supprimés au cours de la Première Période Intermédiaire dans le sud de l'Egypte. Il s'agirait donc d'un individu qui pourrait avoir été nommé au cours de la XII dvnastie. e
j
>33-
lui, considère qu'il s'agit d'un maire d'Armant : Das Heiligtum des
FRANKE,
Heqaib, p. 13
134.
FAVRY,
; IDEM,
o p . cit., p.
62 (2005), col. 464. 72-75, et particulièrement p. 75.
ßiOr
Pour le texte, voir BOESER,
Beschrijving I, p l . IV.
'35-
BORCHARDT,
cit., p.
13,
n.
26.
Statuen und Statuetten
II,
p.
17
et p l .
66
; voir aussi FRANKE, op.
55
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Il reste le cas très important de Sarenpout I , le grand chef er
du premier nome de Haute Egypte, qui a obtenu son poste pendant le règne de Sénousret
I". La famille des dirigeants
d'Assouan est très bien documentée sur la base de leurs tombes et des textes de la chapelle de Héqaib" , mais la titulature 6
nomarcale n'y est pas attestée avant le règne de Sarenpout I ". En revanche, celui-ci inclut deux fois le titre de nomarque dans les inscriptions de sa tombe gigantesque au Qubbet el-Hawa' . M7
Plus tard, le m ê m e titre figure aussi sur la statue de Sarenpout II (règne de Sénousret II), qui se trouvait dans la chapelle de Héqaib à Elephantine . ns
L'apparition de ce titre pendant le règne de Sénousret I" dans la région d'Assouan n'est probablement pas due au hasard. A cette époque, les Egyptiens commencèrent la colonisation de la Nubie, signalée sur le plan archéologique surtout par la construction des grandes forteresses nubiennes. Assouan, ville méridionale du pays, devait avoir acquis une importance capitale, comme point de passage pour les troupes militaires, pour les bâtisseurs, et pour les exploitants des mines d'or de la Nubie, dont le contrôle devait être assuré par les forteresses. L'autobiographie de Sarenpout ne laisse aucun doute sur le fait que, dans ces conditions très spéciales, un rapport étroit s'était établi entre lui et le roi. Elle explique que le roi envoyait des serviteurs et des centaines de bâtisseurs pour construire la t o m b e monumentale du nomarque. Un passage du texte montre de manière inhabituelle que Sarenpout I" avait une pleine confiance en lui-même :
136. Pour une p. 207-210.
discussion approfondie, voir FRANKE, Das Heiligrum des
Heqaib,
137. Urk. VII, p. 6, 5 et 17 ; dans Urk. VII, p. 2,11 et dans la stèle 10, x + 13 ( H A B A C H I , The Sanctuary of H e q a i b I, p. 38 et II, pl. 25), nomes »,
il se compare à d'autres « chefs de
hqs.w spj.wt. Pour la titulature d e Sarenpout, voir aussi FRANKE, op. cit., p.
215.
138. 56
Voir H A B A C H I ,
The Sanctuary of Heqaib I, p. 4 2 , fig. 4 et II, pl. 37 b.
LA CULTURE
NOMARCALE
Les dieux qui sont dans la suite d'Elephantine
mettent
en place pour moi sa Majesté en tant que roi, et façonnent
pour moi le roi de nouveau, de nouveau,
de sorte qu'il répète pour moi des millions deßtes-sed'
".
Sarenpout semble formuler son texte d'un ton arrogant presque sans parallèle dans la documentation égyptienne, puisque le pharaon est réduit à une créature mise au monde pour le seul bien-être de son gouverneur du premier nome de Haute Egypte. Le reste de son autobiographie dresse aussi l'image d'un fonctionnaire sans égal. Même si l'on suppose que le texte force la note, il reste que le statut de Sarenpout semble avoir dépassé les limites traditionnelles, sans doute dans le contexte des entreprises militaires et économiques en Nubie. Ce n'est donc probablement
pas une coïncidence si
précisément
Sarenpout a été doté du titre de nomarque, titre qui réapparaît dans la même famille au temps de son successeur Sarenpout II' . 40
Le système administratif montre alors une tendance aux variations : tandis que les nomarques de Beni Hasan et Deir elBersha étaient membres d'une lignée de gouverneurs munis du titre hr.y-tp
le cas de Sarenpout relève d'un système dynami-
que, puisque, sans être originaire d'une lignée de gouverneurs, il fut nommé en tant que nomarque. Un phénomène comparable s'est peut-être produit également en Movenne Egypte, à M e i r , et pourrait aussi expliquer l'apparition de nomarques 141
solitaires
et
Antef
24, qui
traduit ce
Cette description suit les grandes lignes de l'analyse de FRANKE, Das
Heiligtum
'39- Urk.
comme
VII, p.
4,3-6.
Horhotep
d'Hiérakonpolis
Voir le commentaire de FRANKE, op. cit., p.
passage comme une série de vœux.
140.
des Heqaib,
p. 8-27.
M a i s je crois qu'il va trop loin q u a n d il dit que Sarenpout I"
était un « parvenu » dont aucun des ancêtres ne portait de titres officiels. Pour une interprétation différente, voir WILLEMS,
141.
WILLEMS, C/iesfs of
Heqata, p. 18-20.
Life, p. 85-87. 57
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
d'Akhmim que je viens de mentionner. Cependant, m ê m e si l'on admet qu'il était possible, en principe, de n o m m e r des nomarques partout en Egypte, la comparaison quantitative entre la Moyenne Egypte et les nomes méridionaux montre sans le moindre doute que les nomarques sont beaucoup plus rares dans le sud. Cette différence ne peut guère relever du hasard. Il me semble clair que le système administratif provincial n'était donc pas du tout un système monolithique applicable à travers toute l'Egypte. Je crois pouvoir reconnaître deux principes partiellement contre-productifs : traditionalisme et dynamisme. Traditionalisme : O n a examiné l'idée de
GESTERMANN
selon laquelle, pendant une période d'une vingtaine d'années après la victoire thébaine, le système administratif thébain aurait été implanté dans toute l'Egypte, en supprimant les nomes dans le nord. Par la suite, et dans toute l'Egypte encore, la subdivision en nomes aurait été réintroduite. L'enquête que je viens de mener montre que cette vision est inexacte. Premièrement, les nomarques n'ont pas disparu avant la fin de la XIL dynastie. Il continuaient d'exercer leur fonction au moins dans certaines parties de la Moyenne Egypte et, peut-être, dans le Delta, ce qui équivaut au territoire originairement héracléopolitain. Mais dans le sud de l'Egypte, on ne connaît que très peu de nomarques et il n'y a aucun indice attestant l'existence de lignées de nomarques dans cette région. Il semble donc que l'unification du pays sous Montouhotep II n'ait guère affecté l'administration régionale. Dans le sud, il n'y avait pas de nomarques avant cet événement, situation qui a perduré par la suite. Dans le nord, les provinces avaient été gérées par des nomarques, et cet état de fait se maintint également après la victoire thébaine. Ainsi, il semble que, m ê m e après l'établissement du Moyen Empire, une différence administrative a subsisté entre les deux régions. Il n'existe pas d'élément permettant de supposer l'existence d'un système monolithique dans les deux moitiés du pays. 58
LA CULTURE
NOMARCALE
Dynamisme : Bien que je sois convaincu que le système administratif différait, ou bien continuait à différer, entre le nord et le sud, certaines nuances sont à apporter. M ê m e dans ces territoires, on ne dispose pas de preuves pour démontrer l'existence d'un régime monolithique. Pour plusieurs régions, on ne possède aucune information sur le genre d'administrateurs en fonction. Dans une autre publication, j'ai ainsi essayé de montrer qu'avant le règne d'Amenemhat I' , il n'est pas cerr
tain que des nomarques aient existé dans le quatorzième nome de Haute Egypte . On vient aussi de voir que le nomarque 142
Sarenpout I
fut installé, apparemment sans précédent local,
er
pendant le règne de Sénousret I " et, dans ce cas isolé, il semble qu'un nomarque ait été nommé dans une région où ce type d'administrateur n'avait jamais existé auparavant — jamais, parce que même à l'Ancien Empire, époque où l'on suppose que les nomarques étaient en poste presque partout en Haute Egypte, ce n'était évidemment pas le cas dans le premier nome
143
. Il faut avouer qu'il est possible que des circonstances
particulières aient conduit à l'installation, ou à la suppression, des nomarques. Ce qui me semble clair néanmoins, c'est qu'en Moyenne Egypte de vraies lignées de nomarques restaient en place ici et là.
LE TITRE DE N O M A R Q U E EN ÉGYPTIEN
ET D A N S
L'ÉGYPTOLOGIE
Notre enquête à propos des nomarques a été jusqu'ici concentrée
presque
entièrement
sur
les
hr.y.w-tp
J
C
n
'42.
WILLEMS,
M3-
Plusieurs égyptologues ont défendu l'hypothèse qu'un exemple isolé du titre
hr.y-tp 'j
n
Chests of Life, p. 82-87.
pj.t existe sur une jarre inscrite à l'encre, qui fut découverte par EDEL à
S
Q u b b e t e l - H a w a ' . M a i s selon une enquête récente d e M . MÜLLER, la transcription de EDEL est à revoir :
GM 194 (2003), p. 51-57.
59
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
spJ.t/NoME,
ET LA
DÉMOCRATIE
« grands chefs de n o m e », en suivant la remarque
de K . B A E R , selon laquelle eux seuls étaient des vrais nomarques' . Mais il n'est peut-être pas réaliste de supposer qu'il 44
existait toujours un rapport direct entre fonctions effectivement remplies et dénominations de fonctionnaires. Il pourrait être utile de faire la comparaison avec le système actuellement utilisé aux Pays-Bas pour l'administration provinciale. Chacune des provinces y est dirigée par un gouverneur qui porte le titre de « commissaire de la reine ». Il y a, toutefois, une exception à cette règle. Le chef de la province de Limbourg, qui a les m ê m e s responsabilités que ses collègues dans les autres provinces, peut aussi être appelé, pour des raisons que j ' i g n o r e , « gouverneur du Limbourg ». Si, dans un pays moderne et hautem e n t bureaucratisé c o m m e les Pays-Bas, un seul type de fonction peut être désigné par des titres différents, ne serait-il pas vraisemblable qu'en Egypte ancienne la terminologie administrative ait pu être encore moins homogène ? Tout r é c e m m e n t , S. Q U I R K E a publié un petit livre sous le titre Titles and Bureaux in Ancient Egypt où il fait des remarques très significatives. Il souligne a j u s t e titre que l'égyptologie a eu tendance à considérer les titres administratifs c o m m e le reflet d'une hiérarchie hautement formalisée. Mais, pour lui, il est vraisemblable que la hiérarchie véritable nous échappe dans une grande mesure, étant dominée par des relations informelles, c o m m e celles de parenté ou de statut' . C'est en fait dans 45
ce domaine scientifiquement presque invisible que se jouaient les vrais enjeux du pouvoir, camouflé par le manteau de la titulature qui confère une impression de formalité et d'impartialité. Selon Q U I R K E , ce qui aggrave encore la situation, c'est que les chercheurs scientifiques, dans leur désir de comprendre « le
144. Voir supra, n. 3, p. 6.
145. 60
QUIRKE,
Titles and Bureaux, p. 4-5.
LA CULTURE
NOMARCALE
système », créent des structures que les Égyptiens eux-mêmes ne reconnaîtraient peut-être pas. Une acceptation totale de ce point de vue impliquerait que la titulature des fonctionnaires n'est pas significative et ne traduit pratiquement pas les répartitions réelles du pouvoir dans l'administration. Il me semble évident que ce serait là une position de beaucoup trop extrême. Étant donné le nombre d'études fondamentales consacrées aux titres administratifs par Q U I R K E lui-même, il est clair que, lui non plus, ne suppose pas que la titulature ne signifie rien. Ce qu'il me semble suggérer, c'est qu'il faut accepter l'administration en tant que système dynamique comportant à la fois des éléments formels et d'autres informels. Ce qui implique que la titulature ne nous informe pas complètement sur ce qui se déroulait dans le monde des administrateurs. Par exemple, pour l'Ancien Empire, on connaît beaucoup de hr.y.w-tp
'J, mais à Assouan, ce titre n'existait pas. Là, les
plus hauts fonctionnaires, comme Hirkhouf et Heqaib, étaient désignés par le titre de « chef d'expéditions ». Leurs tombes présentent des caractéristiques de monumentalité comparables à celles des gouverneurs dans les autres provinces, et leurs autobiographies donnent l'impression que ces gens appartenaient au moins à la m ê m e couche sociale que les nomarques plus au n o r d . Étant donné que les hr.y.w-tp 'j font, là, totale146
ment défaut, n'est-il pas plausible que les fonctions locales des « chefs d'expédition » aient été plus ou moins comparables avec ce qui était désigné ailleurs comme hr.y-tp 's, mais avec une responsabilité supplémentaire pour les expéditions ? D e la même manière, n'est-il pas raisonnable de supposer que les /îgj.w whj.t, « chefs de l'oasis », résidant à Ayn Asil dans l'Oasis de r
Dakhla remplissaient plus ou moins les m ê m e s tâches que les
146. L'hypothèse que les nomarques résidaient à Kôm O m b o est, comme l'a remarqué FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 11, sans preuve.
6l
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
nomarques, à côté de leur responsabilité évidente de chefs de caravanes ? Dans ces deux cas, la conclusion que j e propose paraît vraisemblable du fait que ces hauts fonctionnaires provinciaux étaient les seuls dans leur région. Un cas un peu plus difficile à cerner est celui des im.y.w-r hm.w-ntr,
« chefs des prêtres ».
Pendant l'Ancien Empire, il semble possible qu'ils aient parfois revêtu une fonction différenciée de celle des nomarques, mais il est généralement admis que cette répartition des rôles n'est pas facile à dégager, surtout vers la fin de l'Ancien Empire et pendant la Première Période Intermédiaire. Désormais, en effet, beaucoup d'entre les nomarques portaient aussi le titre de chef des prêtres. Il était apparemment devenu normal pour un nomarque de diriger à la fois les institutions civiles et religieuses du n o m e . Il existe même des indices laissant supposer que les temples ont pu, à maintes reprises, constituer la base du pouvoir des nomarques à la fin de l'Ancien E m p i r e . 147
Après la Première Période Intermédiaire, la situation changea à nouveau. La Moyenne Egypte était conduite, au moins dans plusieurs nomes, par un hr.y-tp
" J
1
4
8
.
Mais dans d'autres
cas, parfois très significatifs, comme Assiout, ce titre fait presque entièrement défaut. Néanmoins, les énormes tombes dans ces nécropoles ne laissent aucun doute sur le rôle primordial de ces personnages. Est-ce que le statut de ces chefs de prêtres était très différent de celui des nomarques (hr.y-tp ' j /
4 9
?
Nous ne pouvons nous faire une idée sur ces fonctionnaires qu'en nous appuyant sur deux types d'informations. Le pre147. Voir
n.
8o, 82,
p.
34-35.
148.
Fréquemment, ces personnes étaient aussi des chefs d e prêtres.
149.
Pour compliquer encore plus la situation : est-il certain que tous les chefs des
prêtres avaient les mêmes pouvoirs ? Pendant l'Ancien Empire, il existait des différences concernant l'importance des divers temples, ce qui se reflète dans le rôle politique des porteurs des titres. La même situation pourrait avoir existé pendant le Moyen
Empire : voir
un cas
M o n t o u h o t e p , discuté n. 132,
62
p.
possible 54.
d'un
tel chef
de
prêtres,
un
certain
LA CULTURE
NOMARCALE
mier est leur titulature qui est très variée, et peut différer d'une région à l'autre. Il est néanmoins un fait capital : les maires de H E L C K sont pratiquement absents, sauf à Beni Hasan, mais là, on rencontre aussi des « vrais » nomarques du type hr.y-tp Deuxièmement, un nombre assez restreint de « maires de villes » sont connus par les textes de l ' é p o q u e . Mais on n ' a 151
retrouvé aucun cimetière de maires comparable aux cimetières traditionnellement appelés « nomarcaux ». À m o n avis, cette situation ne laisse aucun doute sur le fait que la classe des maires existait bel et bien, mais qu'il s'agissait d'un groupe de personnes encore restreint et d'un statut social très différent de celui des grands seigneurs provinciaux. Ces derniers, surtout en Moyenne Egypte, possédaient de vastes monuments funéraires d'un type qui n'est guère connu ailleurs. Ce point de vue va à l'encontre de l'opinion de plusieurs égyptologues.
Dans
une étude
récente,
par
exemple,
G R A J E T Z K I décrit les propriétaires des grandes tombes à Qaw el-Kebir comme des « maires » (hs.ty-')''' . La titulature du type 2
très répandu hJ.ty-' im.y-r hm.w-ntr a également été interprétée c o m m e désignation de personnes qui réunissent les fonctions de « maire » et de « chef des prêtres » ' " . Cette titulature est très fréquente à Assiout , ainsi q u ' à Qaw el-Kebir. Le titre 154
hj.ty-'
associé avec im.y-r hm.w-ntr
ou im.y-r hw.t-ntr
150. O n connaît plusieurs cas de personnages qui étaient hJty- n (
apparaît
Mn't-Hwi-f-wi,
« maire d e Menat-Khoufou ». Il semble q u e pour plusieurs d'entre eux, cette fonction ait correspondu à une phase intermédiaire dans une carrière q u i aboutissait au nomarcat : voir le schéma dans G E S T E R M A N N , Kontinuität und
Wandel, p. 187.
151. Voir n. 87, p. 37.
152.
GRAJETZKI, G M
156 I1997), p. 55-62.
153- FRANKE, Das Heiligtum des H e q a i b , p. 11, n. 21, avec des renvois à d'autres publications.
154-
The Necropolis of Assiuf, p. 34-38, où l'on constahJ.ty-' apparaît aussi seul. Z I T M A N , qui évite judicieusement de pren-
Voir la liste dans Z I T M A N ,
tera que le titre
dre position dans le débat, désigne systématiquement les propriétaires des grandes tombes d'Assiout comme « m a y o r s / n o m a r c h s ». Pour un « nouveau » hj.ty-' Assiout, voir BECKER, G M
210 (2006),
p.
a
8. 63
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
également dans les tombes monumentales récemment découvertes à Kôm el-Khalwa (Fayoum). A Qaw el-Kebir, à Assiout et à Kôm el-Khalwa'", on aurait donc affaire à un groupe social distinct de celui des nomarques de Deir el-Bersha et de Beni Hasan. Il s'agirait des sites où sont creusées les tombes des maires qui, apparemment, dans la plupart des cas, étaient aussi « chefs des prêtres ». Je crois qu'on est ici en présence d'une confusion de terminologie. J'accepte la proposition de H E L C K avançant que l'existence des « maires » est déjà bien établie pendant le Moyen Empire, et que ces hommes étaient nommés hj.ty-' n NOM D E V I L L E . Mais ceci n'implique aucunement que le titre hj.ty-' avait la même connotation dans d'autres constructions, comme hj.ty-' im.y-r
hm.w-ntr' . 5t
Pour ma part, j e pense que le titulaire était fonctionnellement chef des prêtres, et qu'il portait, comme d'autres hauts fonctionnaires, le titre de rang de hJ.ty- . ail
Dans d'autres cas, où le titre
hj.ty-' est suivi d'un nom de personne, il doit s'agir d'une abrévia155. Si l'on interprète le titre hr.y-tp sh.t comme variante du titre nomarcal hr.y-tp 'J, les tombes d e Kôm el-Khalwa devraient être écartées d e cette liste : voir n. 128,
54156. HELCK, Verwaltung, P-
p.
208-210. Les
pages citées du livre de HELCK ont exercé une
grande influence, mais elles ne me convainquent pas du tout. Il décrit une situation où l'on voit, d'un côté, l'apparition d'un hj.ty-' n Mit.t-Hwi-f-wi,
« maire de Menat-
Khoufou » à Beni Hasan et, d e l'autre, le titre hj.ty-' placé directement devant le nom d'un administrateur. Le seul fait d e la position d e ce terme suffit à HELCK pour affirmer qu'il s'agit, non d'un titre de rang, mais d'un titre désignant une profession : celle d e maire. Il en résulte un nombre très élevé d e maires, parce que beaucoup de gouverneurs sont désignés dans leurs tombes comme hj.ty-' N. Mais le principe général selon lequel un titre placé dans cette position doit forcément désigner une fonction réelle ne m'a jamais paru probant ; j ' a i discuté d'un exemple problématique dans Dayr a/-ßarshä I, p. 100-102. Dans le cas spécifique des hj.ty-', la situation est particulièrement délicate parce q u e ce titre très répandu était souvent utilisé dans un sens honorifique (voir les remarques d e FISCHER, Dendera, p.
71-72),
et était employé comme titre d'adresse, un
peu comme dans notre « monsieur » (voir Conte d u Naufragé, I. 2). O n ne parlera donc d'un maire que dans le cas où le titre hj.ty-' est suivi du nom d e la ville. 157- M o n interprétation va à l'inverse d e celle d e Q U I R K E , q u i écrit : « Following regular M i d d l e Kingdom practice, the post of temple manager was held by the leading official of the main settlement (fury-') to form a composite position hjty-'
r hw.t-nlrlhmw-ntr » [Administration, p. 161). 64
imy-
LA CULTURE
NOMARCALE
tion d'un title string comportant l'élément Iv.ty-'. Ce qui implique que le titre peut indiquer un maire, mais ne le fait pas forcém e n t . En outre, les propriétaires des grandes tombes de Qaw 158
el-Kebir, Assiout, et Kôm el-Khalwa bénéficiaient d'une titulature dont les éléments (hj.ty-' et im.y-r hm.w-ntr) sont des traits réguliers dans les titulatures des nomarques. Il est possible qu'il ait existé une differentiation réelle entre seigneurs locaux appelés « nomarque » ou « c h e f des prêtres ». Dans les cas fréquents où les nomarques étaient aussi chefs des prêtres, il est envisageable que leurs responsabilités aient été plus diversifiées que celles d'un « simple » hJ.ty-' im.y-r hm.wntr . Mais, on vient de le voir, un tel raisonnement fondé sur une traduction littérale des titres pourrait conduire à des simplifications. La dimension des tombes de Q u b b e t el-Hawa', Q a w elKebir, Deir Rifa, Assiout, Meir, D e i r el-Bersha, Beni Hasan, Tehna el-Gebel et K ô m el-Khalwa est sans parallèle dans le reste de la Haute Egypte, ce qui suggère q u ' o n a affaire à une couche sociale très réelle, et probablement différente de celle des « maires ». Il est vraisemblable que la taille d e leurs tombes est le reflet de l'importance de leur position durant leur vie. Tout semble indiquer qu'on se trouve en face d'un groupe peut-être hétérogène en titulature, mais h o m o g è n e en statut. La répartition géographique m o n t r e , de surcroît, que ces seigneurs régionaux étaient actifs surtout en M o y e n n e Egypte. Dans les chapitres suivants, j e m e propose d'envisager ces personnages non c o m m e fonctionnaires, mais c o m m e m e m b r e s d'une couche sociale, c o m m e représentants d e c e que j e vais appeler, à la suite de K E M P , la « N o m a r c h i e ». 158. Pour la variabilité des fonctions de personnes intitulées hJ.ty-'. voir CZERNY, A&L 11 (2001 ), p. 23-25. Un exemple existe encore où o n peut entrevoir le contexte dans lequel vivaient les hsty-' im.y-r hm.w-ntr. Il s'agit d u palais des gouverneurs d e Tell Basta ; voir V A N SICLEN,
dans :
Akten des 4. int. Ägypto/ogenfcongresses IV, p. l 8 7 - l ° 4
•'
I
D
E
M
'
D
A
N
S
:
Haus u n d Palast im alten Ägypten, p. 239-246. De ces publications, il ne ressort pas assez clairement qu'une partie seulement d u palais a été fouillée ; le palais, estime p a r VAN SICLEN à une superficie d'un hectare, devait être sensiblement plus vaste.
CHAPITRE II UN CIMETIÈRE NOMARCAL DU MOYEN EMPIRE : DEIR EL-BERSHA
L
es hauts-lieux de la « Nomarchie » du Moyen Empire sont bien connus. Il s'agit des sites de Qaw el-Kebir, Deir Rifa, Assiout, Meir, Deir elBersha, Beni Hasan, Tehna el-Gebel
et, en
dehors de la Moyenne Egypte, de Qubbet elHawa' et Kôm el-Khalwa (voir fig. 7 ) . Mis à
part Tehna el-Gebel et Kôm el-Khalwa, qui n'ont été partiellement fouillés qu'assez r é c e m m e n t mais qui restent
mal
publiés, tous ces cimetières ont été l'objet de fouilles entre les années 1 8 9 0 et 1 9 3 0 , approximativement. A cette époque, ils suscitaient l'intérêt pour deux raisons surtout. En premier lieu, les tombes monumentales de ces sites contiennent un décor parfois de haute qualité. Il s'agit non seulement de représentations picturales, mais aussi de longs textes autobiographiques dont plusieurs avaient déjà attiré l'attention au X I X
E
siècle, et qui sont devenus, depuis, les
sources classiques de l'historiographie du Moyen Empire. L'établissement
de copies de ces tombes
était dès lors
une tâche prioritaire dont l'importance fut pleinement comprise
après la publication
des inscriptions
des
tombes
d'Assiout et de D e i r Rifa, effectuée par F. LL. G R I F F I T H en 67
LES TEXTES
DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
DEIR
EL-BERSHA
1 8 8 9 . Aussitôt après, d'autres missions, surtout britanniques, 1
s'occupèrent de la documentation épigraphique des autres sites . À la m ê m e période, des fouilles commencèrent aussi 2
dans ces cimetières. Ces opérations de très grande échelle, c o m m e celles d ' E . S C H I A P A R E L L I à Assiout et à Qaw el-Kebir ( 1 9 0 Ç - 1 9 1 3 ) , sont tout à fait remarquables à plusieurs égards. D ' u n e part, le matériel trouvé se chiffre à des milliers d'objets qui sont en grande majorité du plus haut intérêt. De l'autre, S C H I A P A R E L L I ne prenait apparemment que peu de notes pendant ses fouilles et ne s'intéressait guère à la publication du matériel. Le premier volume de la publication définitive d'une partie du matériel — il s'agit de la tombe de Henib de Qaw elKebir — n'a paru qu'en 2 0 0 3 ' . Le reste est encore, de nos jours, en très grande majorité inédit. On peut s'étonner de ce manque de sérieux de la part du fouilleur mais, en fait, son approche ne diffère pas tellement de ce qui se passait sur d'autres sites similaires. Seules les fouilles de C H A S S I N A T et P A L A N Q U E à Assiout , de G A R S T A N G 4
à Beni Hasan , et de P É T R I E et 5
B R U N T O N dans la région de Qaw el-Kebir furent rapidement 6
publiées, bien que, là aussi, on manque parfois d'éléments de documentation essentiels c o m m e , par exemple, un plan du site, des descriptions détaillées des contextes fouillés ou une liste du matériel trouvé. Seules les publications de B R U N T O N permettent de se faire une idée d e l'ampleur de la documentation. Dans d'autres cas, on ne possède que des articles donnant un 1. GRIFFITH, Siût and Dêr Rîfeh. Ces textes furent copiés Kêmi 6 (1936), p. 138-163. 2 . Beni Hasan l-IV (1893) ; El Bersheh l-ll (1895) ; Meir
à nouveau par MONTET,
l-VI
(1915-1951)
; PÉTRIE,
Antaeopo/is ; pour les a u t o b i o g r a p h i e s de Q u b b e t el-Hawa', l'editio princeps est celle d e GARDINER,
ZÀS 45 (1908),
p.
123-140
; voir aussi MÜLLER,
Felsengräber.
Les plus importantes des ces inscriptions ont été republiées dans Urk. VII. Voir aussi les commentaires d e EDEL, Seiträge.
3- C I A M P I N I , La sepoltura d i Henib. 4- CHASSINAT, PALANQUE, Fouilles d'Assiout. 5- GARSTANG, Burial Customs. 6. BRUNTON, Q a u a n d Badari l-lll ; PÉTRIE, Antaeopo/is. 69
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
aperçu général. Ainsi, les rapports d'A. K A M A I . et J . CLF.DAT sur leurs fouilles à Meir ne laissent que très rarement entrevoir où ils travaillaient, et n'offrent qu'une présentation très incohérente, en forme de listes, de panneaux de sarcophages et d'autres objets retenus . Les fouilles conduites en 1 9 1 c par G . A . 7
R E I S N E R à Deir el-Bersha sont restées entièrement inédites, mais à sa décharge, on doit remarquer qu'il rassembla au moins une documentation assez abondante, actuellement conservée au Museum of Fine Arts de Boston . Alors que K A M A L avait 8
fouillé une demi-année dans la plaine de Deir el-Bersha, aux frais d'un certain M. A N T O N I N I , directeur de la sucrerie de la ville de Mallawi, un seul objet fut considéré comme digne d'une
publication
— une
table
d'offrandes
en
albâtre
q u ' A N T O N I N I offrira plus tard au Musée du Louvre . Aucune 9
forme de documentation ne permet de se faire une idée sur le déroulement des ces fouilles importantes. L'aperçu précédent n'a pas pour but d'être complet, mais il donne un panorama représentatif de la qualité de la documentation disponible sur les fouilles de ces sites. Depuis les travaux de B R U N T O N et P É T R I E à Qaw el-Kebir, les grands projets archéologiques dans les cimetières nomarcaux sont arrêtés. Tout égyptologue qui a l'intention d'entreprendre des enquêtes nouvelles sur la culture nomarcale doit, dès lors, travailler à partir d'une documentation fort ancienne, incomplète, et biaisée. Cela se reflète, par exemple, dans le livre récent de W. GRAJETZKI
10
qui se fonde essentiellement, en ce qui concerne le
7. CLÉDAT, BIT AO 1 (1901), p. 21-24 ; BIFAO 2 (1902), p. 41-43 ; KAMAL, ASAE 11 (1911), p. 7-39 ; ASAE 12 (1912), p. 97-127; ASAE 14 (1914], P- 45-87 ; ASAE 15 (1915), p. 246-258. 8. Voir pour la publication d'un objet de ces fouilles et un bref aperçu du déroulement de la campagne, TERRACE, Egyptian Paintings of the
Middle Kingdom.
9. Je remercie Christophe BARBOTIN et Geneviève PIERRAT pour m'avoir fourni des renseignements sur cet objet (Louvre D72).
(1902), p. 276-277. 10. The Middle Kingdom of Ancient 70
Pour la publication, voir KAMAL, ASAE 3
Egypt (London,
2 O 0 6 ) .
DEIR
EL-BERSHA
problème de la culture nomarcale, sur des publications très datées. Il ne peut en être différemment, étant donné les conditions décrites, mais il est clair qu'il est difficile sur cette base de développer des approches nouvelles". C'est pourquoi il est nécessaire de rouvrir des chantiers de fouille dans les cimetières nomarcaux. En 2 0 0 2 , la K . U . Leuven a, pour cette raison, mis en œuvre un tel projet à Deir el-Bersha . Récemment, une 12
équipe germano-égyptienne, dirigée par J . K A H L , a conçu un programme similaire et a entrepris des travaux archéologiques et épigraphiques à Assiout". Ce chapitre présentera quelques résultats des fouilles conduites entre 2 0 0 2 et 2 0 0 6 à Deir el-Bersha. L'objectif n'est pas d'offrir un rapport condensé de tous les travaux qui ont été menés. Il ne s'agit non plus d'une présentation des objets les plus remarquables. Il est surtout dans mon intention de prendre le site de Deir el-Bersha comme point de départ pour une approche analytique de la culture nomarcale du Moyen Empire. Bien sûr, on évoquera aussi les types de sources qui ont toujours attiré l'attention, comme les textes autobiographiques et les Textes des Cercueils. Mais il est important de ne pas isoler ces sources de leur contexte social, historique, archéologique et religieux.
11.
Une exception est l'étude de SEIDLMAYER,
Gräberfelder,
qui essaye d'interpréter
les publications anciennes sur la base d'une familiarité profonde avec les différents types de matériel archéologique souvent publiés d e manière si lacunaire dans ces ouvrages.
12. 247.
Pour une présentation d e ce projet, voir W I L L E M S ,
MDAIK
60 (2004),
p.
243-
Je remercie vivement les docteurs GABALLAH ' A L I GABALLAH et Z A H I HAWASS,
Secrétaires Généraux successifs d u Hout Conseil des Antiquités et les membres d u Conseil, dont je mentionne spécialement M . SAMIR A N I S , Directeur Général des Antiquités d e Moyenne Egypte. Les fouilles sont rendues possibles grâce aux crédits importants fournis par le Fonds d e Recherche d e la K.U.Leuven et du F.W.O. Vlaanderen.
13.
EL-KHADRAGY, KAHL, ENGEL,
VERHOEVEN, SAK
33 (2005),
SAK 32 (2004), p. 233-243
p.
; KAHL, EL-KHADRAGY,
159-167. 71
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Si je mentionne l'aspect religieux en dernier lieu, il y a de bonnes raisons à cela. Les bibliothèques égyptologiques fourmillent d'études sur les dieux, les temples, et la théologie.Tout égyptologue sait que ces aspects sont d'importance primordiale dans les Textes des Cercueils, souvent inscrits sur les parois intérieures des sarcophages du Moyen Empire . La publication 14
de ce matériel correspond à 3 4 1 2 pages de textes hiéroglyphiques dont plus de la moitié a été trouvée à Deir el-Bersha. La masse m ê m e de cette documentation implique qu'il s'agit d'un corpus de la plus haute importance pour la compréhension de la religion du Moyen Empire. Mais, bien que j'espère pouvoir apporter du nouveau sur la religion funéraire égyptienne, les renvois aux Textes des Cercueils vont être épars. J e ne m'intéresse pas tellement ici aux détails du contenu religieux des textes, mais au fonctionnement de la religion funéraire dans la culture nomarcale. Ce que je vais essayer de déterminer est, tout particulièrement, qui utilisait le cimetière, comment, et, finalement, pourquoi. Comme on le verra, une approche contextualisée de ce matériel sur la base d'un site spécifique permettra de nuancer le point de vue que les Textes des Cercueils sont la source par excellence pour comprendre la religion funéraire égyptienne du Moyen Empire. L'exemple retenu de Deir el-Bersha est évidemment dû au fait que ma recherche est axée prioritairement sur ce site. Mais le choix de ce chantier de fouilles a été délibéré. Dans le chapitre précédent, on a vu qu'il s'agit d'un des principaux cimetières nomarcaux. Toutefois, de grands secteurs n'en ont pas encore été fouillés — à la différence de sites également importants comme Beni Hasan où presque mille tombes ont été vidées, il y a un siècle, par G A R S T A N G . L'intérêt du site
14 Publiés entre 1935 des CT.
72
et 2006 par l'Université de Chicago dans les huit volumes
DEIR
EL-BERSHA
d' Assiout pourrait bien être plus grand encore que celui de Deir el-Bersha mais, là aussi, le terrain a été fouillé à plusieurs reprises. De surcroît, la zone archéologique d'Assiout est, d'une part, très vaste, et de l'autre, coupée de son environnement par les structures modernes au pied de la colline et par les banlieues de la grande ville d'Assiout. Le site de Deir el-Bersha n'échappe pas non plus à l'expansion des zones habitées, des routes asphaltées et des terrains agricoles. Malgré tout, le paysage l'entourant est encore en grande mesure accessible à la recherche. Cela offre des possibilités pour une enquête qui englobe non seulement les vestiges archéologiques, mais aussi l'environnement
naturel
dans
l'Antiquité. Notre projet envisage, dès lors, l'étude de la répartition spatiale des différents cimetières et leur implantation sur le terrain. De cette manière, on espère pouvoir retrouver des indices concernant le fonctionnement du site dans sa globalité. Cela inclut, dans une certaine mesure, les relations avec la communauté à laquelle il appartenait. Deir el-Bersha était le cimetière principal de la ville d'el-Ashmounein, ancienne capitale du nome du Lièvre, où les nomarques et leurs cours ont sans doute vécu. Deir el-Bersha est aussi un site-clé pour l'histoire du Moyen Empire. Les nomarques du nome du Lièvre sont bien connus, non seulement sur la base des textes autobiographiques de leurs tombes, mais aussi grâce aux graffiti rupestres qu'ils ont laissés dans les carrières de travertin, l'albâtre égyptien, à Hatnoub (voir fig. 7 ) . Les deux groupes de sources permettent de sui1 5
vre les événements dans cette partie de l'Egypte avec plus de détails que sur les autres sites nomarcaux. La région de Deir el-Bersha se trouve à environ deux cent quatre-vingts kilomètres au sud du Caire, sur la rive orientale
15. Pour la publication de ces graffiti, voir ANTHES, Hatnub.
73
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
du Nil (fig. 8 - 9 ) . Le site constituait au Moyen Empire la nécropole la plus importante de la ville d'el-Ashmounein, centre de culte du dieu Thot. Tandis que la capitale se situait sur la rive ouest, le cimetière était installé de l'autre côté du Nil. La rive orientale forme une zone restée, m ê m e de nos jours, très isolée. A cinq kilomètres approximativement au sud de Deir el-Bersha, juste au sud du site d'el-Sheikh S a i d , les falaises du Désert Oriental avancent jusqu'au bord du Nil, coupant presque, ainsi, la communication avec la zone d'Amarna plus loin au sud. Au nord du village de Deir Abou Hinnis, le dépôt du Ouadi 'Ibada a créé un désert sablonneux qui s'étend aussi jusqu'au Nil. Plus loin au nord, au sud du village de Sheikh Timay, les montagnes du Désert Oriental touchent à nouveau le fleuve. Le terrain entre el-Sheikh S a i d et Deir Abou Hinnis se subdivise en trois zones différentes sur le plan géomorphologique. A partir du Nil vers l'est, on aperçoit d'abord d'une zone alluviale qui, de nos jours, atteint une extension ouest-est d'à peu près deux kilomètres (zone blanche sur le plan). Plus vers l'est, s'étend une zone désertique relativement plane qui se compose de dépôts de sable et de calcaire érodé. Cette zone est indiquée en gris clair sur le plan et occupe le centre de la photographie (pl. 2 ) . Plus à l'est encore, s'élèvent les falaises du désert oriental, coupées, à l'est de Deir el-Bersha, par la gorge impressionnante appelée Ouadi Nakhla (voir pl. 2 ) . La Mission de la K.U.Leuven s'est donné pour but de comprendre l'occupation humaine dans toute la zone que j e viens de décrire, la concession actuelle comprenant, à côté du site de Deir el-Bersha luim ê m e , celui de Deir Abou Hinnis au nord et celui d'el-Sheikh 16
S a i d au sud.
16.
Notre équipe y travaille en collaboration avec l'Université de
Leyde et
l'Université Libre de Bruxelles, qui s'occupent des vestiges coptes de la région.
74
DEIR
EL-BERSHA
F I G . 9 : PLAN DU SITE DE D E I R AVEC I N D I C A T I O N DES Z O N E S (PLAN C H R I S T O P H
76
EL-BERSHA,
ARCHÉOLOGIQUES PEETERS).
DEIR
EL-BERSHA
À Deir el-Bersha, la recherche jusqu'au début de nos enquêtes s'était concentrée sur les tombes nomarcales situées dans une zone au sommet de la pente nord de l'Ouadi Nakhla, zone que nous appelons actuellement la zone 2 (pl. 3 ) . La figure 9 montre que cette zone fameuse ne constitue en fait qu'un petit secteur de la totalité du site. Notre plan (fig. 1 0 ) encore préliminaire révèle qu'il existe là un assez grand nombre de tombeaux. Déjà au XVII siècle, puis au XIX', le site fut souvent visité par des E
curieux désireux de voir la tombe célèbre du nomarque Djéhoutihotep de la fin de la XII dynastie, indiquée sur le plan e
comme 1 7 L 2 0 / 1 ". Cette tombe attirait l'attention à cause d'une scène renommée (pl. 4 ) qui montre comment la statue colossale du gouverneur fut transportée des carrières d'Hatnoub vers un emplacement dont on discutera plus tard. La scène est tout à fait remarquable, puisqu'il s'agit d'une des très rares représentations qui figure la façon dont les Égyptiens étaient capables de transporter de grands blocs de pierre. Mais, à côté de la tombe de Djéhoutihotep, plusieurs autres nomarques ont construit leurs sépultures dans la zone 2 , fait dont, jusqu'aux années 1 8 8 0 , très peu d'égyptologues avaient connaissance. A cette époque, ces tombes ont été endommagées par un vandalisme à grande échelle, et c'est probablement après avoir été informé de ces activités que P.E. N E W B E R R Y décida d'enregistrer ce qui subsistait du décor de toutes les tombes de Deir el-Bersha. Sa campagne se déroula entre novembre 1 8 9 1 et mars 1 8 9 2 , et la publication, qui parut en 1 8 9 c , reste la source principale sur le site*. Cette campagne avait comme but essentiel d'établir des relevés épigraphiques que N E W B E R R Y réalisa avec l'aide de H. C A R T E R et de M. B L A C K D E N . Étant donné la durée de l'en-
V - Pour notre système de numérotation des tombes à Deir el-Bersha, voir PEETERS, WILLEMS, dans WILLEMS e.a.,
MDAIK 60 (2004], p. 249-250.
18. Bersheh l-ll.
77
IFS TEXTES
DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
F I G . 1 0 : P L A N P R É L I M I N A I R E D E LA Z O N E
2.
P O U R N O T R E D I S C U S S I O N , L E S T O M B E S LES P L U S I M P O R T A N T E S S O N T CELLES D ' A H A N A K H T I " ( 1 7 K 8 5 / 1 ) ,
DjÉHOUTINAKHT,
K H N O U M N A K H T ET I H A ( 1 7 K 7 4 / 1 - 3 ) , A H A N A K H T I I ( 1 7 K 8 4 / 1 ) ET D J É H O U T L H O T E P ( 1 7 L 2 O / 1 ) . L E S S T R U C T U R E S À L ' O U E S T D E C E T T E D E R N I È R E T O M B E ( N O T A M M E N T LA T O M B E D U N O M A R Q U E D J É H O U T I N A K H T V I ) N ' O N T PAS E N C O R E PU ÊTRE (PLAN C H R I S T O P H
78
PEETERS).
INCLUSES
DEIR
EL-BERSHA
treprise, et le fait que la mission ne comportait que quatre personnes qui, de surcroît, ne s'entendaient pas très b i e n " , le résultat est remarquable. Mais N E W B E R R Y n'a guère entrepris de fouilles. Pendant les années 1 8 9 9 - 1 9 0 2 , G. DARESSY " et A. 2
KAMAL
21
menèrent des travaux archéologiques d'assez grande
envergure, activité qui fut reprise en 1 9 1 j par l'Américain G. A. R E I S N E R . Ces archéologues mirent au jour les sarcophages çrâce auxquels Deir el-Bersha est, à juste titre, devenu célèbre. Non seulement ils contiennent une masse énorme de Textes des Cercueils, mais ils sont aussi décorés de frises d'objets et autres scènes de la plus haute qualité . Après 1 9 1 j , les fouilles mar22
quèrent un temps d'arrêt pour une période prolongée. Bien que les fouilles dans la zone 2 , le plateau des tombes nomarcales, soient les seules à avoir retenu l'attention scientifique, D A R E S S Y , K A M A L et R E I S N E R avaient également fouillé au pied de la montagne, dans ce que nous appelons actuellement les zones 8 et 9 (voir fig. 9 ) . D A R E S S Y n'a presque rien publié sur ses travaux ; du moins, donne-t-il quelques précisions. K A M A L travaillait dans la plaine, mais, pratiquement rien n'a fait l'objet d'une publication. Les fouilles de R E I S N E R , elles, sont restées inédites. Dès lors, peut-on dire que les zones 8 et 9 constituent une terra
incognita.
Dans les années 1 9 9 0 , le Haut Conseil des Antiquités de l'Egypte a fouillé dans la zone 1 1 (voir fig. 9 ) , ce qui a mis en lumière l'extension de la nécropole dans ce secteur également. L'organisation
spatiale suggère l'existence d'un
cimetière
ancien ininterrompu, mais actuellement largement couvert par le cimetière moderne et le village, entre les zones 9 et 1 1 . En
19. Voir JAMES, CRIPEL 13 (1991), p. 79-84. 20. DARESSY, ASAE 1 (1900), p. 17-43. 21. KAMAL, ASAE 2 (1901), p. 14-43 ; 206-222
; IDEM,
ASAE 3 (1902), p. 276-282.
22. La publication en couleur d'un d e ces sarcophages (TERRACE, Egyptian Paintings of the Middle Kingdom) donne une bonne idée de la qualité artistique de ces cercueils. Voir aussi la couverture de ce livre.
79
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
effet, nos ouvriers font parfois état de trouvailles d'antiquités quand de nouvelles tombes sont creusées dans le cimetière moderne. En avril 2 0 0 6 , un ouvrier en a apporté la preuve définitive quand il nous donna une cruche en céramique presque entière, datant du début du Moyen Empire, qu'il avait trouvée à côté d'un puits funéraire récent. L'endroit où cette découverte fut faite se trouve à mi-chemin entre les zones 9 et 1 1 . Il est donc clair que la limite ouest de la zone 9 n'est qu'apparente. En fait, au centre du village, dans ce que nous nommons la zone 1 0 , le cimetière se poursuit également (voir fig. 9 ) . Ce secteur n'a heureusement pas été détruit par des constructions récentes. Vers la fin des années i 9 6 0 , le conseil du village avait décidé de bâtir une école à cet endroit, mais aussitôt des vestiges de tombes émergèrent. Entre 1 9 6 9 et 1 9 7 3 , plusieurs fouilles y ont été effectuées par les autorités égyptiennes. Depuis, la zone
1 0 a été protégée par le gouvernement
égyptien.
Malheureusement, ces opérations sont restées pratiquement inédites. Pour la première fouille de 1 9 6 9 , le seul rapport dont on dispose est celui que je reproduis dans sa totalité : Les travaux de prospection archéologique dans la région de Deir el-Borsha,
à Mallawi,
dans le
gouvernorat
d'Assiout, ont mené à la découverte de tombes remontant à la Jin de l'époque gréco-romaine. Même une tombe du Moyen Empire a été également mise au jour. En effet, 2 7 tombes ont été découvertes remontant à l'époque de la décadence gréco-romaine.
Ces tombes se trouvent à des
niveaux différents du sol, entre un mètre et trois mètres. Chaque tombe se compose d'une seule
chambrefunéraire,
de la longueur du cadavre. Un puits est relié à la chambrefunéraire et contient des pièces
d'ornement".
23. Citation empruntée au Journal d'Egypte du 17 juillet 1970 par LECLANT, Orientalia 40 (1971), p. 234. 80
DEIR
EL-BERSHA
Plus tard, pendant la saison 1 9 7 1 - 1 9 7 2 , les fouilles furent poursuivies. On ne dispose que du rapport suivant : L'inspecteur Osiris Ghobrial a poursuivi ses recherches sur le site d'El-Bersha. Des tombes remontant à différentes époques ont été exhumées. La plus importante est celle d'un nommé Khouou, où l'on a ramassé des blocs ornés de reliefs peints. Un des puits était surmonté d'un mastaba. Les sépultures gréco-romaines, n'ont livré que quelques
toutes pillées,
poteries *. 2
Assez récemment, les fouilles des autorités égyptiennes ont été reprises ', mais il n'a pas été possible de rouvrir les tombes décou2
vertes il y a plus de trente ans par Osiris G H O B R I A L , à cause d'une montée de la nappe phréatique d'à peu près trois mètres, en raison de l'intensification récente de l'irrigation. Les tombes dégagées dans les années i 9 6 0 - 1 9 7 0 sont donc très difficiles à atteindre actuellement. Selon des personnes qui avaient vu l'intérieur de ces sépultures, leurs parois seraient ornées d'une décoration assez intéressante, impression confirmée par quelques copies qu'a effectuées l'inspecteur Osiris G H O B R I A L lui-même, et dont je possède des doubles . 26
L'intérêt des tombes réside aussi dans l'existence d'un certain nombre de grands blocs laissés par nos prédécesseurs, qui incluent d'énormes fausse-portes pesant plus de deux tonnes chacune, dont l'une, aujourd'hui totalement illisible, appartenait à un vizir nommé Khouou . Il y a trois ans, la mission avait déjà récupéré 27
24.
LECLANT,
Orierttatia 42 (1973}, p. 405. Nos tentatives pour récupérer la documen-
tation de fouille d'Osiris GHOBRIAL n'ont pas, jusqu'à présent, été couronnées de succès. 25. Fouilles de l'inspecteur Helmi Hussein SULEIMAN. Nous le remercions pour ces informations. Une publication du matériel qu'il a trouvé est en préparation. 26. Je remercie Edward BROVARSKI de m'avoir envoyé ces copies en 1 9 9 0 .
27.
Heureusement, ce document a été publié par BAKRY, RSO
46 (1971],
p.
7-8
et
pl. V . Je dois cette référence à Marleen D E MEYER. Le fait que ce monument soit passé inaperçu jusque là pourrait être dû au fait que BAKRY l'avait publié dans un article sous le titre « Recent discoveries in the Delta ».
8l
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
ces blocs inscrits qui se trouvent maintenant dans la maison de fouille. En résumé, le site comporte, selon nos
connaissances
actuelles, non seulement le cimetière bien connu des nomarques du Moyen Empire, mais plusieurs autres, qui se répartissent chronologiquement comme suit :
III dynastie e
Zone 8, nord , 28
zone 9, sud-est Fin de l'Ancien
Zones 4 et 7
79
Empire Première
Zone 4 , zone 9 ( ?),
Période Intermédiaire
zone 10'°
Moyen Empire
Zones 1 " , 2, 4 , 3 2
8, 9 " , 10 ( ?)'* Seconde
Zones 2, 4 , 9 ' 3 5
Période Intermédiaire et début du Nouvel Empire
Période tardive/
Zone 4 "
gréco-romaine
Incertain
82
Zone 1 1
38
6
DEIR
EL-BERSHA
Pour la présente étude, il est surtout intéressant de noter que les cimetières furent, à l'évidence, très largement agrandis au cours du Moyen Empire. On en déduit que la population qui y fut alors enterrée devait être quantitativement plus importante qu'auparavant. Dans ce qui suit, on tentera de comprendre quand, pourquoi et comment cette évolution s'est o p é r é e " . LES FOUILLES DE
2006
DANS LA Z O N E
10
Une des zones jusqu'à présent la moins connue est la zone 1 0 . Cela nous a incités, pendant la campagne de mars-avril 2 0 0 6 , à rouvrir un des puits fouillés au début des années 1 9 7 0 par Osiris G H O B R I A L .
28. Découvert par Stan HENDRICKX. 29. Voir pour ces deux zones, la thèse de doctorat en cours de préparation de M a r l e e n D E MEYER. Ses fouilles ont conduit, en mars
2007,
à la découverte de la
tombe inviolée de Hénou, datée de la fin de la Première Période Intermédiaire. M a i s il semble que, pour le reste, les tombes d e cette région remontent en g r a n d e majorité à l'Ancien Empire. 30. Informations de l'inspecteur Helmi Hussein SULEIMAN et fouille d e HENDRICKX et W I L L E M S en
31.
2006.
WILLEMS, M D A / K
60 (2004], p. 255-256.
32. La preuve en sera apportée dans la thèse d e doctorat d e M a r l e e n DE MEYER, en cours d e préparation. 33- Voir la thèse de doctorat en cours de préparation de Christoph PEETERS. 34- Informations de l'inspecteur Helmi Hussein SULEIMAN.
35-
BOURRIAU, D E MEYER, O P D E BEECK, VEREECKEN,
Ä&L 15 (2005], p. 101-129.
36. Voir la thèse de doctorat en cours de préparation de Christoph PEETERS. 37- Voir la thèse de doctorat de M a r l e e n D E MEYER, en cours de préparation. 38.
Je me fonde sur des informations du fouilleur de cette z o n e , l'inspecteur
M u h a m m a d HALLAF de l'inspectorat de M a l l a w i . 39- La cause n'est pas forcément à chercher dans un accroissement d e la population. O n sait que, pendant la Première Période Intermédiaire, un cimetière existait aussi à el-Ashmounein même : SPENCER, Asfimunein III, p.
51-71.
Il était donc possi-
ble d e choisir entre plusieurs cimetières. Les motivations sous-jacentes qui présidaient à ce choix n'ont pas encore été élucidées.
83
LES
TEXTES
DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Ces travaux furent assez difficiles ". Avant le début de nos acti4
vités, le terrain se présentait comme une surface très irrégulière, situation causée par les fouilles, anciennes et plus récentes, du Haut Conseil des Antiquités. Les cratères visibles sur la planche S sont le fruit de ces sondages. En outre, ce terrain ouvert au centre du village a été utilisé depuis des années pour y jeter les ordures. Par conséquent, aujourd'hui, les puits vidés pendant les fouilles précédentes ont non seulement été atteints par la nappe phréatique, mais ont aussi été remplis par des déchets, produisant ainsi une soupe dégoûtante. Néanmoins, nous avons finalement réussi à vider la fosse de la tombe 0 C P 6 3 / 1 , qui conduit à une pièce entièrement bâtie en calcaire, encore couverte de son toit, et close par deux blocs de fermeture qui avaient sans doute été remis en place par nos prédécesseurs. Evidemment, après des dizaines d'années sous l'eau, les parois de la tombe étaient complètement couvertes d'algues, de sorte qu'on ne pouvait reconnaître aucun décor. Petit à petit, grâce aux travaux de notre conservatrice, L. B L O N D A U X , des restes du décor commencèrent à réapparaître. Après un nettoyage complet, la tombe s'est avérée être soigneusement construite en blocs très réguliers de calcaire. La chambre possède aussi un dallage en calcaire (pl. 6 ) . Il s'agit d'une sépulture de deux mètres quatre-vingts de longueur et d'un mètre cinquante de hauteur, avec une grande niche à canopes dans la paroi sud. Dans le dallage de la niche, nous avons découvert un bloc de fermeture encore scellé par du mortier. Bien que l'intérieur de la chambre ait déjà été entièrement vidé par nos devanciers, on a retrouvé des fragments de feuilles d'or sous le bloc de fermeture, qui devaient avoir couvert un objet en bois maintenant entièrement disparu.
40.
Ce qui suit expose les résultats des travaux exécutés en commun par Stan
HENDRICKX, M a r l e e n D E MEYER, et l'auteur. Une publication complète est en préparation.
84
DEIR
EL-BERSHA
La décoration des parois n'est plus en bon état (pl. 6 ) . Toutes les couleurs se sont effacées, sauf, partiellement, le rouge et le noir. La paroi du fond conserve encore une frise d'objets dont on peut aisément reconnaître les éléments principaux : un vase à bec verseur, trois vases hes, un étendard supportant peut-être un ibis, un chevet, et plusieurs tables portant des objets. Sur la paroi ouest, le registre supérieur comporte encore le texte d'une formule d'offrandes et, plus bas, dans la moitié sud, une procession de porteurs d'offrandes avançant vers le nord. La peau de ces hommes est peinte de la couleur rougebrunâtre que le canon égyptien réserve pour les individus de sexe masculin. Ce qui est intéressant, parce que sur la moitié nord de la paroi figure une seconde procession d'hommes et de femmes, dont la peau est uniformément indiquée en noir. Il est ainsi clair que la procession se compose d'une part d'Égyptiens, et d'autre part de Nègres. D e la paroi est, seule la moitié nord semble avoir été décorée. On y voit une deuxième procession de porteurs d'offrandes. Parmi les premiers d'entre eux, un homme est affublé d'un vêtement noir avec ce qui ressemble à la queue d'un animal suspendue entre ses jambes, peut-être un prêtre-sem. Cette paroi comporte aussi une fausse-porte. Enfin, les montants de porte sont ornés de représentations de vases. La tombe semble avoir appartenu à une femme appelée Djéhoutinakht. Son nom apparaît aussi sur un des blocs en calcaire récupérés, il y a deux ans, au centre du village, et qui se trouvent actuellement dans la maison de fouille. Le bloc offre la même orthographe de l'épithète îmsh.t
suivie du nom
Djéhoutinakht, et le début du nom est écrit par le signe du pain pointu ( A ) - Il
e s t
donc vraisemblable que nous disposons non
seulement de l'appartement souterrain de cette dame, mais aussi d'un bloc qui avait orné, un jour, sa chapelle de culte funéraire. 85
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Ce bloc conserve encore des éléments d'une autobiographie traditionnelle. Les débuts des lignes ont disparu, mais la nature répétitive des formules reproduites permet de reconstituer à peu près la longueur originale de cette paroi. Bien que les passages autobiographiques soient des plus banals, ils ne sont pas sans intérêt, car les biographies ne sont pas très courantes dans des tombes appartenant à des femmes. Dans le cas présent, ces éléments se trouvent dans une tombe qui doit avoir été une structure considérable. Le statut spécial de cette femme est souligné par le titre qu'elle porte : ir.yt p'.t nu.t, « nouvelle princesse héréditaire ». Le titre ir.y p'.t, dont on rencontre ici la forme féminine, est le plus haut titre de rang en Egypte . L'adjectif exceptionnel 41
qu'utilise Djéhoutinakht implique qu'elle ne bénéficiait pas de ce titre simplement parce qu'elle appartenait à une famille où il était héréditaire, mais qu'il lui avait été conféré par le roi comme une faveur « nouvelle ». Malheureusement, nous n'en savons pas davantage sur cette dame sans doute remarquable. Néanmoins, la céramique assez mélangée provenant du puits de sa tombe, et que nous avons analysée, contient du matériel de la fin de la Première Période Intermédiaire ou du tout début du Moyen Empire. Le style décoratif des peintures suggère clairement qu'une date au cours de la Première Période Intermédiaire est la plus vraisemblable. Dans les prochaines années, nous espérons poursuivre nos fouilles, mais, dès à présent, il est patent que ce nouveau cimetière est de la plus haute importance. A en juger par la céramique trouvée en surface, la région fut surtout utilisée comme cimetière durant la Première Période Intermédiaire et le début du Moyen Empire. Pour l'instant, on connaît la tombe d'une dame de très haut rang, une tombe du même type qui n'a pas
41. GRAJETZKI, Die höchsten Beamten, passim.
86
DEIR
EL-BERSHA
encore été ouverte, celle du vizir Khouou, et une autre chambre funéraire en pierre plus à l'est. Bien que ces tombes ne soient pas visibles en surface, le témoignage de personnes qui ont assisté aux fouilles d'Osiris G H O B R I A L et aux activités plus récentes du Haut Conseil des Antiquités dans ce secteur laisse entrevoir qu'elles sont probablement organisées selon une rangée, ce qui suggère une contemporanéité entre elles. Les graffiti d'Hatnoub nous informent sur toute une lignée de nomarques datant de la Première Période Intermédiaire, mais dont, jusqu'à présent, on ne savait presque r i e n . Il semble vrai4J
semblable que ces personnages ont été enterrés là, au centre de l'actuel village de Deir el-Bersha. Le fait qu'au moins l'un d'entre eux portait le titre de vizir, titre jusqu'alors inconnu pour la Première Période Intermédiaire ', suggère que cette famille de 4
gouverneurs disposait d'une influence considérable, mais encore insoupçonnée, pour le royaume des Héracléopolitains. LES TOMBES DU DÉBUT DU M O Y E N EMPIRE DE LA Z O N E 2
On va maintenant se déplacer vers la zone 2 , au sommet de la pente nord du Ouadi Nakhla, où se trouvent les tombes des nomarques du Moyen Empire (fig. 9 et 1 0 ) . Notre but ne sera pas de faire un tour d'horizon des résultats de nos fouilles depuis 2 0 0 2 , mais plutôt de présenter quelques détails spécifiques qui nous permettront de mieux comprendre l'évolution du cimetière rupestre et sa raison d ' ê t r e . On s'occupera sur44
tout des premières tombes du Moyen Empire qui y furent
42.
Voir BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p.
22-23
;
D E MEYER, dans :
Genealogie, p. 125-136.
43-
GESTERMANN,
Kontinuität und Wandet, p. 147-153. La date de la stèle fausse-
porte de Khouou sera traitée dans la thèse de doctorat de D E MEYER. 44-
La présente discussion est partiellement fondée sur les résultats d'une étude
parue en
2007
(WILLEMS,
Dayr al-Barshä I), et n'offre, dans certains cas, qu'un
aperçu bref d e l'argumentation plus poussée q u ' o n trouvera dans cette publication.
87
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
bâties, et qui fournissent des renseignements sur les transformations socio-politiques dans la région après la Première Période Intermédiaire. Sur la base non seulement des textes de ces tombes, mais aussi des graffiti laissés par les mêmes personnages dans les carrières d'albâtre à Hatnoub , on est très bien 45
renseigné sur la généalogie de cette lignée de nomarques . 46
La reconstitution chronologique de la suite des nomarques du début du Moyen Empire reposait, jusqu'ici, presque entièrement sur les données concernant le nomarque Nehri I". Sa tombe est actuellement dans un état très ruiné, mais nos fouilles récentes ont mis au jour de nombreux fragments nouveaux qui lui appartiennent (voir pl. 7 ) . Néanmoins, les graffiti qu'il a laissés à Hatnoub restent essentiels pour la compréhension de l'histoire du site. Ces textes décrivent une guerre civile qui déchirait la Moyenne Egypte pendant le gouvernorat de Nehri I". Sans qu'il soit possible de dater cette guerre très exactement, il apparaît que Nehri décrit des circonstances de la fin de la XL dynastie, ou du tout début du règne d'Amenemhat l " . Ce qui 47
a des conséquences pour la datation d'un autre nomarque, Ahanakht I", le propriétaire d'une des tombes les plus grandes du site (voir fig. 1 0 , no. 1 7 0 ^ / 1 ) . 45. Voir pour ces 46. Après que ce
textes : A N T H E S ,
Hatnub, graffiti IO-32.
chapitre avait été écrit, la dernière campagne de fouilles
(2007)
a apporté des indices suggérant que la compréhension de l'évolution de cette zone pose encore problème, puisqu'il devient de plus en plus clair que celle-ci comporte non seulement les tombes bien connues des nomarques du M o y e n Empire et de leur entourage, mais aussi deux autres types de tombes qui, jusque là, n'ont jamais été étudiées. Il s'agit tout d ' a b o r d d'un groupe limité de tombes qui souvent n'ont pas été achevées avec des petits puits carrés, et qui pourraient remonter à l'Ancien Empire. Le deuxième groupe est bien représenté à travers toute la zone 2, et comporte des petits puits rectangulaires qui sont peu profonds. La date de ce dernier groupe reste pour l'instant incertaine, faute de matériel associé. Ces tombes n'ont pas encore pu être étudiées, mais il est patent que certains éléments d e l'analyse qui va suivre pourront être remis en cause ultérieurement. Quelques réflexions préliminaires seront présentées en fin d'ouvrage.
47. Voir
WILLEMS,
JEOL 28 (1983-1984), p. 80-102 ; des arguments supplémentai-
res seront donnés dans WILLEMS, Dayr al-ßarshä I, chapitre 7.
88
DEIR
EL-BERSHA
A m e n c m h a t I" 30 ans
Nehri I" 8 ans
M o n t o u h o t e p IV 2 ans
A h a n a k h t II 5 ans ?
M o n t o u h o t e p III 12 ans
D j é h o u t i n a k h t IV 5 ans î M o n t o u h o t e p II 51 ans Ahanakht I" 30 ans
An 39 ou 4 1 -
D j é h o u t i n a k h t III d u r é e d e r è g n e inconnue
An 14 _UllJil_t£g]
P é r i o d e o ù l'unification d e l'Egypte doit avoir pris p l a c e
F I G . n : R E C O N S T R U C T I O N D E LA C H R O N O L O G I E D E S N O M A R Q U E S DU N O M E D U LIÈVRE A U D É B U T D U M O Y E N ( D ' A P R È S W I L L E M S , JEOL
EMPIRE
2 8 ( 1 9 8 3 - 1 9 8 4 ) , P. 8 0 - 1 0 2 ;
I D E M , DAYR AL-BARSHÄ
I, C H A P I T R E 7)
Nous savons non seulement que celui-ci était gouverneur avant Nehri I , mais aussi que lui avaient succédé ses deux fils er
Ahanakht II et Djéhoutinakht I V . A Hatnoub, il n'existe qu'un 48
seul graffito renvoyant à Djéhoutinakht IV (gr. 4 2 ) , et aucun datant du règne de Ahanakht II. A Deir el-Bersha aussi, la documentation concernant les deux hommes est très restreinte. Nous avons probablement découvert la tombe d'Ahanakht II, mais elle est très petite, et les vestiges de sa décoration montrent qu'elle fut exécutée dans un style très grossier, peut-être
4 8 . La séquence des deux derniers n'est pas claire.
89
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
parce que la sépulture avait dû être achevée à la va-vite (fig. 1 o : la tombe i 7 K 8 4 / 1 juste à l'ouest de la tombe d'Ahanakht I ) . er
49
J'ai des raisons de penser que Djéhoutinakht ne possédait m ê m e pas de tombe propre, mais qu'il fut enseveli dans celle de son père. Il semble ainsi assez clair que les deux hommes n'ont pas dû régner très longtemps. Dans le schéma de la figure 1 1 , j ' a i attribué un maximum de cinq ans à chacun. La longueur exacte de ces règnes n'est cependant pas un point crucial, parce que Ahanakht I" a été nomarque pendant une très longue période. Le graffito Hatnoub 11 fait état de sa trentième année, et il est possible que la durée totale de son nomarcat ait m ê m e été plus longue. Nous savons aussi que son père était Djéhoutinakht III et, lui aussi, était probablement nomarque"'. Cela a des conséquences pour notre compréhension de la situation politique dans le quinzième nome de Haute Egypte. Tout d'abord, on doit constater qu'une série ininterrompue de nomarques v fut en fonction entre la fin de la Première Période Intermédiaire et la fin de la XII' dynastie ; apparemment, la conquête thébaine ne conduisit pas à des changements au niveau de l'administration de ce nome, comme l'avait supposé L. G E S T E R M A N N . 5 1
Il n'y a pas de certitude sur la date à laquelle l'Unification eut lieu. La plupart des égyptologues pense, pour des raisons que je ne peux pas détailler ici, que cet événement doit être placé entre les années 1 4 et 3 9 (ou 4 1 ) du roi Montouhotep I I . s2
En raison de la longue durée de son règne, Ahanakht pourrait
49.
Le même style grossier apparaît sur une table d'offrandes d'Ahanakht II
(Hildesheim 1891)
21 (1976),
CM
p.
qui pourrait provenir de la même tombe : voir MARTIN-PARDEY,
33-36
; EADEM, C A A Hildesheim VI,
6, 49-51.
50. D E MEYER, dans : Genealogie, p. 133, avec références bibliographiques.
51. 52. p. p.
Voir p.
43-52.
35-47 ; FRANKE, Orientalia 57 (1988), 133, avec bibliographie ; WILLEMS, Chests of Life, p. 58-60 ; Q U A C K , Merikare, 106 ; SEIDLMAYER, G M 157 (1997), p. 81 ; DARNELL, Z Ä S 131 (2004), p. 34, avec GESTERMANN, Kontinuität und W a n d e l , p.
bibliographie.
90
DEIR
EL-BERSHA
avoir été nommé nomarque immédiatement après que le roi thébain avait pris le pouvoir en Moyenne Egypte, mais il est aussi concevable qu'il ait été désigné par un roi héracléopolitain. Dans ce cas, Ahanakht aurait dirigé son nome pendant la transition entre les périodes héracléopolitaine et thébaine. Tout au moins, il a été témoin de cet événement capital. Cette reconstitution chronologique repose non seulement sur les idées que j'avais déjà conçues dans les années 1 9 8 0 " , mais aussi sur des renseignements nouveaux, obtenus à partir de l'analyse des tombes d'Ahanakht I " et d'autres, aux alentours de celle-ci. La plus importante de ces informations ressort de l'analyse de la céramique trouvée dans la tombe d'Ahanakht par R E I S N E R , et par nous-même dans une tombe d'un contemporain du nomarque. Ce matériel inclut trois vases-modèles très grossièrement façonnés à la main, et avec une base pointue (voir pl. 8 ) . Ce matériel est très abondant dans les tombes de la Première Période
Intermédiaire
et du début du Moyen
Empire à
Dendara, mais très peu de parallèles sont connus ailleurs. La présence de ce type de céramique à Deir el-Bersha doit remonter à une époque où un contact direct entre le sud du pays et la Moyenne Egypte avait été rétabli, ce qui suggère une date postérieure à la prise du pouvoir par les rois thébains en Moyenne Egypte, c'est-à-dire
après la fin de la Première
Période
Intermédiaire. C o m m e l'a remarqué R . F R E E D , le style du décor de la tombe d'Ahanakht pourrait aussi montrer des signes d'influence du style thébain". Pour ces raisons, il semble maintenant clair qu'Ahanakht L a été nommé soit par les rois r
thébains", soit par un roi héracléopolitain, restant dans la position de gouverneur local après l'Unification du pays. Dans les
5354.
WILLEMS, JEOL
28 (1983-1984), 53-59.
p.
80-102.
ßersho Reports I, p.
55- Idée énoncée récemment p a r ALLEN, dans : The Theban Necropolis.
Past,
Present and Future, p. 23 ; 26.
91
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
deux cas, la tombe devrait avoir été décorée plutôt après l'Unification du pays. Le nouveau projet belge s'est donné comme l'un de ses axes prioritaires de recherche, de renouveler l'étude de la tombe d'Ahanakht I" et du groupe avoisinant. Il s'agit d'un ensemble de cinq tombes dont l'analyse n'avait pas beaucoup avancé depuis le temps de N E W B E R R Y . De surcroît, trois de ces tombes contiennent des textes autobiographiques dont l'un était jusqu'ici presque totalement inconnu, tandis que m ê m e celui d'Ahanakht n'avait guère été commenté depuis son édition en 189c.
Malheureusement, la publication des tombes d'Ahanakht I " et Ahanakht II n'a pas encore pu être poursuivie à cause de leur état très fragile. Mais l'étude des trois petites tombes en face de celle d'Ahanakht
L
a été t e r m i n é e , et vient
r
d'être
publiée . 56
La tombe d'Ahanakht P ( 1 jK8ç/
1 , voir fig. 1 0 ) consiste en
r
deux pièces, mais de celle du sud, il ne subsiste que très peu. Par endroits, des éléments du décor sont encore préservés. Le montant est de la porte entre les pièces sud et nord est décoré d'un beau relief figurant Ahanakht I' (pl. 9 ) . Le mur intérieur r
oriental derrière cette scène est encore intact et comporte des scènes de prêtres offrant la plante bjq au gouverneur, et une scène de combat de taureaux . La partie sud du mur oriental 57
subsiste également. Elle montre le nomarque assis devant une procession de porteurs d'offrandes . La plus grande partie de 58
ce mur a malheureusement été détruite par les carriers. Il ne reste que le registre inférieur de la suite de la scène d'offran56.
Tombes
17K74/1-3 a
la figure
10 ;
voir WILLEMS, Dayr al-Barshä I.
57. La partie supérieure de la paroi a été publiée dans ßersheh II, pl. XVII, bas. La partie inférieure est inédite. 58. Voir BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p. 17, fig. 6. Pour une photographie, voir WILLEMS, dans :
92
Zij schreven geschiedenis, p. 65.
DEIR
EL-BERSHA
des. À travers le trou créé par les carriers, on distingue les effondrements dans la tombe avoisinante. Un peu au sud de la tombe d'Ahanakht I , mais à un niveau er
plus bas, se trouvent les tombes de trois fonctionnaires de la cour nomarcale (voir fig. 1 0 , les numéros 1 7 K 7 4 / 1 - 3 ) . Le fait que les formules d'offrandes dans ces tombes sont dédiées, non aux propriétaires des tombes, mais à Ahanakht, indique sans le moindre doute qu'il s'agit de collaborateurs proches de celui-ci. Il s'agit de trois tombes de petite taille. Celle du milieu n'a pas été achevée. Elle ne contient pas de puits et, quand N E W B E R R Y la découvrit, il a encore pu établir que la porte avait été bloquée par de grandes herses. Ainsi, le sarcophage devait avoir été déposé directement derrière ces blocs. Les deux autres tombes ont une structure un peu plus courante : elles consistent en une chapelle funéraire accessible, un puits funéraire, et une chambre sépulcrale. Le cas illustré à la figure 1 2 est celui de la tombe ouest ( 1 7 K 7 4 / 1 ). Cette
tombe,
qui
appartient
à un
homme
nommé
Djéhoutinakht, avait déjà été décrite par N E W B E R R Y . Selon lui, elle était pourvue d'un long texte autobiographique qui aurait été endommagé si gravement qu'il ne méritait plus une publication intégrale. Il ne publia que les formules d'offrandes et une copie partielle et assez médiocre du grand texte autobiographique . Quand j e visitai le monument pour la première fois en 59
1 9 8 8 , j e fus alors fort surpris de trouver une tombe en assez bon état, et de constater que pratiquement chaque signe hiéroglyphique pouvait encore être lu, au moins partiellement (pl. 10-11).
Le texte principal, qui se trouve sur la paroi ouest, est surmonté d'une longue formule d'offrandes dédiée au nomarque
59. Bersheh II, p. 43-46.
93
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
FIG. 1 2
: COUPE
ET LA
D E LA T O M B E 1 7 K 7 4 / 1 V E R S L ' O U E S T
(DESSIN MARTIN
9 4
DÉMOCRATIE
HENSE).
DEIR
EL-BERSHA
Ahanakht. En revanche, tout ce qui suit ne le concerne pas, lui, mais Djéhoutinakht. La partie gauche du texte, à gauche de la fausse-porte, contient quelques lignes d'un texte autobiographique traditionnel. La composition ne comporte que des phrases laudatives sans aucun intérêt réel : Djéhoutinakht y est décrit comme un homme d'un comportement irréprochable. Ce qui est important, néanmoins, est que ce texte déploie des phrases dont le seul véritable parallèle est un autre texte de la région hermopolitaine : le graffito d'Hatnoub i 2 . Celui-ci date de l'an i 3 du nomarque Ahanakht I", et ses auteurs sont deux hommes dont l'un s'appelle Djéhoutinakht. On se demandera si le propriétaire de notre tombe ne pourrait pas être identique au Djéhoutinakht du graffito. Tout d'abord, la liste des banalités « autobiographiques » continue de l'autre côté de la fausse-porte. Djéhoutinakht aurait été un homme de confiance, qui savait tout et qui même assure : « il n'y a rien que j e n'ai fait ». Mais à partir de la colonne 1 2 , le texte devient à la fois plus difficile et plus intéressant. Au milieu de la colonne 1 3 , Djéhoutinakht se décrit comme un être « aux ongles acérés » (nsd 'n.wt),
expression
qui, dans les temples de l'époque gréco-romaine, est utilisée pour décrire des divinités de type faucon . Il est assez étonnant 60
de rencontrer une épithète que l'on retrouvera à l'époque tardive pour des dieux, dans le cadre de la description d'un homme ordinaire. Pour le reste de la colonne, j ' a i envisagé plusieurs possibilités dont aucune ne me convainc vraiment. La meilleure est peut-être la proposition de lecture suivante : i-skj drf r inh, « dont le trait est clairement visible sur le sourcil ». En spéculant un peu plus, on pourrait penser à une métaphore comparant l'homme à un faucon, avec des ongles dangereux et des sourcils bien marqués, comme c'est aussi le cas pour les faucons dans l'iconographie égyptienne. On peut s'interroger 60. Wb. Il, p. 3 4 2 , 13-14.
95
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
sur le sens de cette formule ; peut-être Djéhoutinakht se vantet-il de s'être comporté violemment dans un rituel auquel participaient des hommes-faucons, qui est effectivement attesté dans certains Textes des Cercueils '. Bien que j e doive avouer 6
que tout cela reste incertain, on notera que des rituels pour combattre l'ennemi sont aussi mentionnés dans les autobiographies d'Ahanakht I" et d'Iha, dans le m ê m e groupe de t o m b e s . 62
D'autres textes du Moyen Empire nous renseignent sur le déroulement de tels épisodes. Par exemple, plusieurs stèles d'Abydos décrivent la participation de leurs propriétaires aux rituels osiriens qui y furent célébrés annuellement. L'élément le plus important de ces festivités semble avoir été une grande procession pendant laquelle la barque processionnelle d'Osiris était portée de son temple à Abydos vers la tombe du dieu dans le désert. Sur la route vers cette destination se déroulaient des combats rituels entre deux groupes de participants, dont l'un protégeait la barque d'Osiris contre l'autre qui jouait le rôle des partisans du dieu Seth, et qui essayait de mettre un t e r m e à la procession osirienne. Ce dernier groupe devait être soumis avant qu'Osiris puisse poursuivre son voyage". Il est certain que des rituels comparables furent célébrés ailleurs, et peut-être Djéhoutinakht veut-il dire dans son autobiographie qu'il participait à de telles joutes, combattant les ennemis du dieu local. Les colonnes suivantes sont des plus intéressantes. Tout d'abord, Djéhoutinakht signale qu'il connaissait les heures de la nuit dans toutes ses périodes, et aussi « les premiers jours de la saison d'akhet, 61. Bik
qui conduisent aux premiers jours des saisons de
rmt.y ; voir par exemple la formule 149
226b-253g [149],
des Textes de Cercueils : CT II,
texte qui doit être récité p a r un homme vêtu, selon
227b,
comme
un ritualiste.
62. Bersheh
II, pl. XIII,
8;
XXI,
2
(haut] = W I L L E M S ,
Dayr al-Barshä I, planc he LIV,
col. 2. 63. La source la plus révélatrice pour ce rituel a b y d é n i e n est la stèle Berlin d'Ikhernofret, lignes
17-21
che en fin d e volume.
96
; voir SCHÄFER,
1204
Mysterien des Osiris, p. 20-32 et la plan-
DEIR
EL-BERSHA
peret et de shemou ». Il est clair que la première phrase signifie que Djéhoutinakht était au courant des techniques pour déterminer l'heure pendant la nuit. Dès lors, il devait utiliser une horloge stellaire diagonale, semblable à celles souvent reproduites sur les sarcophages de l'époque . Comme j ' a i essayé de 64
le montrer dans un article récent, dans la deuxième phrase, Djéhoutinakht explique qu'il était capable d'ajuster son instrument horologique quand son schéma ne correspondait plus à la réalité astronomique . 65
Normalement, les Égyptiens anciens n'utilisaient pas les heures. Le seul contexte où il importait de connaître le temps exact
était
(Stundenwachen)
celui
de
rituels
et le Stundenritual,
comme
la
veillée
horaire
qui étaient déterminés par
une périodicité précise. Par exemple, dans les
Stundenwachen,
l'équipe de prêtres changeait de composition, chaque heure . 66
Le reste du texte concerne des tâches plus mondaines. Tout le long, Djéhoutinakht évoque son rôle dans l'administration provinciale. O n peut discerner deux catégories d'activités.Tout d'abord, on rencontre une variété de missions liées à des titres fonctionnels. Tous impliquent que Djéhoutinakht
travaillait
dans le désert. Il était hr.y-tp hjs.wt « commandant des déserts », im.y-r
nw.w « commandant des chasseurs », im.y-r
mdjy.w
« commandant des Nubiens mds » et im.y-r kJ.t m w'r.t tn « commandant des travaux dans cette nécropole ». Le dernier titre suggère que c'est probablement Djéhoutinakht qui construisit les tombes dont il est question. O n devrait ajouter que toutes ces tâches — m ê m e celle d'horologue, bien que cette dernière ait facilité l'exécution de rituels religieux — étaient d'ordre pratique.
64. Voir NEUGEBAUER et PARKER, Egyptian Astronomical Texts 6 5 . W I L L E M S , dans: Timelines I, p. 437-445. 66.
I.
Voir pour le texte de ce rituel selon sa version gréco-romaine, JUNKER,
Stundenwachen. Pour la veillée horaire au M o y e n Empire, voir W I L L E M S ,
Heqota,
p. 382-384.
97
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
C'est aussi le cas pour les autres activités de Djéhoutinakht, mais là, il ne fait mention d'aucun titre réel, saul un. C'est le titre de ir.y ssp.t qui, selon Q U I R K E , n'indique pas une personne de haut rang, mais plutôt un commis chargé de la distribution de rations aux ouvriers qui travaillaient pour les divers bureaux de l'administration . O r , Djéhoutinakht fait état de plusieurs 67
bureaux qu'il approvisionnait : un département des briques, un département de la viande, et un département des dattes. Tous semblent avoir fait partie du sri provincial, une institution de production et de stockage. Pour le reste, il mentionne les types de personnel qui lui étaient subordonnés : des jardiniers, des cuisiniers, des blanchisseurs, et m ê m e des gens « attachés à la presse, qui produisaient "l'odeur de l ' é t é " », sans doute des producteurs de parfum. Il semble donc que notre Djéhoutinakht était une personne qui possédait peu de titres importants, et qui était surtout chargée de l'approvisionnement de plusieurs catégories d'ouvriers. M ê m e les titres qu'il p o r t e effectivement nous confortent dans l'idée qu'il n'était pas un fonctionnaire de très haut rang, parce que, dans ce cas, il n'aurait pas eu besoin d'inventer des titres aussi inédits que ridicules, tels que « commandant de millions, de centaines de milliers, de dizaines de milliers, de milliers, de centaines, et de dizaines de pâtisseries ». Les autres autobiographies, celles de Ahanakht et de Iha, ne sont pas moins intéressantes, mais elles sont déjà connues depuis 1 8 9 c , et j e les évoquerai donc de manière moins détaillée. La t o m b e d'Iha ( 1 7 K 7 4 / 3 ) se trouve à côté de celle de Djéhoutinakht et a été conçue de manière comparable. La paroi orientale est entièrement ornée d'une scène d'offrandes qui n'offre rien d'extraordinaire. Mais les parois ouest et nord, 67. 98
QUIRKE,
RdE 37 (1080),
p.
119.
DEIR
EL-BERSHA
dont la seconde est présentée à la planche i 2 , portent un long texte autobiographique . Ce texte décrit un homme tout diffé68
rent de celui que j e viens d'évoquer. Djéhoutinakht semble presque avoir travaillé de ses mains ; en tout cas, il exécutait des travaux d'ordre hautement pratique. Iha était plutôt un intellectuel. Sur la paroi ouest, il explique, par exemple, qu'il était précepteur des enfants du roi. Sur la paroi nord, on lit de surcroît qu'il était chargé des scribes de la Maison de la Vie, le scriptorium, peut-être celui du temple deThot à el-Ashmounein. On verra plus tard que cette charge jette une lumière très intéressante sur l'évolution de la culture funéraire dans la région. Il participait aussi au rituel d'abattre l'ennemi, rituel auquel, c o m m e nous venons de le suggérer, Djéhoutinakht prenait peut-être part avec « ses ongles acérés ». Iha était, en outre, responsable des musiciens, peut-être ceux du temple
local.
Finalement, il était chargé de Vîp.t nsw.t, les appartements privés du roi. A côté de ces autobiographies de fonctionnaires subalternes, on possède le récit autobiographique
du nomarque
Ahanakht lui-même qui donne, évidemment, un précis de l'administration locale d'un tout autre point de vue. C e texte très instructif n'a jusque là été traduit que trois fois, et n'a guère été exploité c o m m e source historique' . C'est cependant un texte 9
riche en informations. À l'ouest de la porte, Ahanakht commence par décrire son rôle, non c o m m e nomarque, mais c o m m e chef des prêtres. Il était responsable du culte journalier
68. L'autobiographie d'Iha a été publiée dans ßersfiefi II, p l . XXI, et a été fréquemment commentée depuis. Une étude a p p r o f o n d i e vient d e paraître dans WILLEMS, Dayr al-Barshâ I, chapitre 6. 69. L'autobiographie d'Ahanakht I" a été publiée dans Bersheh I I , p l . XIII, et a été commentée p a r BROVARSKI, dans : Studies
Dunham, p. 16-21, et W I L L E M S , dans : Zij
schreven geschiedenis, p. 57-70. Ce qui suit s'appuie largement sur mon étude plus a p p r o f o n d i e dans Dayr al-ßarsftä I, chapitre 7.
99
IFS
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
du temple, dont il offre une des plus anciennes descriptions. Ensuite, il déclare qu'il était vizir. En tant que tel, il établissait, entre autres choses, les stèles-frontières des nomes en Haute et Basse Egypte. Plus tard dans son précis, il explique qu'il était président d'un conseil de nomarques, au sein duquel, dans une période troublée qu'Ahanakht ne spécifie malheureusement pas, il se conduisait en administrateur énergique. Il fait état de jours difficiles, et m ê m e , me semble-t-il, de problèmes d'ordre militaire, mais dans de telles circonstances également, il était capable de trouver une solution. Finalement, en nomarque, il prenait soin du cadastre, et était responsable de l'exploitation des carrières d'Hatnoub. Grâce aux inscriptions de ces carrières, nous pouvons vérifier la véracité de ces informations. Ahanakht avait envoyé six cents hommes à Hatnoub pour fournir du calcaire pour une construction dans le temple deThot à Ashmounein . La biogra70
phie donne plusieurs précisions à cet égard. Ahanakht prétend avoir bâti un nouveau sanctuaire pour le temple d e T h o t , qu'il inscrivit avec son propre nom. Il présidait aussi au rituel d'abattre l'ennemi, déjà mentionné dans la biographie d'Iha et, à cette occasion, il distribuait la viande d'un taureau parmi la population. De prime abord, les récits de Djéhoutinakht, d'Iha, et d'Ahanakht ne semblent montrer que peu de cohérence. Mais si l'on prend en compte le fait qu'on a affaire à trois hommes qui vécurent à la m ê m e époque et qui semblent avoir appartenu à la cour nomarcale d'Ahanakht, il est certain qu'ils se sont bien connus et qu'ils décrivent les différents aspects d'un seul contexte historique : celui de l'époque juste après que les rois thébains avaient pris le pouvoir dans ce qui avait jusqu'alors été le royaume héracléopolitain. Ahanakht, Iha et Djéhoutinakht avaient leurs racines dans ce dernier royaume. Mais le boule-
70. Hamub, graffiti. 12-13.
100
DEIR
EL-BERSHA
versement politique que représenta sans doute l'Unification du pays ne paraît pas avoir gravement déséquilibré leur position sociale. On a au contraire l'impression que la situation évoluait pour eux de manière très positive. Djéhoutinakht semble avoir été un factotum
qui s'occupait
de la gestion quotidienne de certaines institutions dans le nome. Dans son autobiographie, la distribution de rations à divers ateliers et bureaux paraît avoir constitué l'aspect le plus important de ces activités. En outre, il organisait aussi des opérations dans le désert où il se procurait du calcaire, et il construisait des tombes. L'intellectuel Iha pourrait avoir été attaché au temple local de Thot, bien que son autobiographie ne le dise pas catégoriquement, où il dirigeait le scriptorium
et les musiciens/dan-
seurs, et participait à l'exécution de rituels. Sans doute à cause de ses qualités de scribe, il fut nommé précepteur à l'école de la cour royale, où il enseignait aux princes — et, en se fondant sur la datation de ce groupe de tombes, il est vraisemblable qu'il se soit agi des princes de la cour royale thébaine. Ce membre important de la cour nomarcale hermopolitaine doit, par conséquence, avoir passé beaucoup de temps à Thèbes et, bien que le texte ne le précise pas, il pourrait aussi avoir servi comme intermédiaire entre la Résidence nationale et le bureau nomarcal d'Ahanakht. Ce dernier combinait, comme c'était fréquemment le cas, les tâches de nomarque et de prêtre en chef du temple local. Jusqu'à présent, une autre fonction n'a guère retenu l'attention, mais elle ne devait être nullement moins importante que les activités que j e viens de mentionner : celle de vizir. Les égyptologues qui ont rendu compte de ce fait l'ont généralement expliqué comme un vizirat honoraire. Mais si on lit attentivement les textes de la tombe d'Ahanakht, il apparaît qu'il prétend avoir joué un rôle très réel dans le cadre politique 101
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
de son temps. On rencontre plusieurs renvois à ses interventions en Haute et Basse Egypte, clairement en dehors du territoire d'un simple nomarque. Ce contexte explique aussi un aspect extraordinaire de sa tombe. Ce monument comporte deux pièces. Bien qu'elles soient actuellement très endommagées, on peut toujours discerner, aux quatre angles de chacune d'elles, qu'on y avait représenté une colonne. L'angle sud-est de la pièce nord est encore intact, et il présente une colonne papyriforme (voir pl. 1 3 A ) . Aucune des colonnes de l'autre pièce n'est complète, mais, bien que sévèrement endommagé, le chapiteau de celle de l'angle sud-est reste reconnaissable ; il s'agit d'une colonne lotiforme (voir pl. 1 3 B ) . Nul doute, donc, que cette tombe était décorée dans la pièce nord avec la plante héraldique de Basse Egypte, et dans la pièce sud avec celle de Haute Egypte . 71
Pour autant que j e sache, il n'existe pas de parallèle à ce dispositif dans une tombe privée, mais sa présence pourrait s'expliquer par le fait qu'Ahanakht, en tant que vizir, revêtait une très grande responsabilité dans le pays qui venait d'être réunifié. Les plantes héraldiques ont pu être un moyen pour Ahanakht d'exprimer sa fierté due au fait que, non seulement il était en mesure de poursuivre la lignée nomarcale, mais également que le nouveau roi lui confiait une position centrale dans le réseau administratif de l'Egypte entière. Nous savons aussi qu'à la même époque, un autre vizir résidait àThèbes m ê m e : ou le vizir Bebi ou le vizir Dagi . Comme 72
les vizirs provinciaux de la fin de l'Ancien Empire, Ahanakht était probablement un vizir secondaire qui coordonnait l'admi-
71. Voir déjà ßersheh II, p. 8 - 0 . 72. ALLEN suppose même qu'Ahanakht I" était le seul vizir en fonction à l'époque, et qu'il était le prédécesseur de Dagi et d e Bebi, dans : The Theban
Necropolis.
Past, Present a n d Future, p. 14-29. Cela semble moins vraisemblable, parce qu'il aurait alors été le plus haut administrateur du pays dans un système qui, pour le reste, était entièrement thébain.
102
administratif
DEIR
EL-BERSHA
nistration provinciale du nord de l'Egypte. Si l'on suit cette piste, on commence également à comprendre comment les Thébains réussirent à s'emparer du territoire héracléopolitain. LE PAYSAGE RITUEL DE D E I R EL-BERSHA
Cette interprétation historique facilite aussi la compréhension globale du site de Deir el-Bersha. Ce qui est notable, c'est qu'avant Ahanakht, personne n'avait eu l'idée de bâtir une grande tombe décorée dans la zone 2 . L'élite locale de la Première Période Intermédiaire semble avoir été enterrée dans la plaine, dans la zone 1 0 . Dans cette perspective, la décision d'Ahanakht de faire construire sa tombe dans un endroit presque vierge, mais impressionnant,
pourrait
être
comprise
comme une rupture consciente avec la tradition. Sans doute avait-il pour but d'exprimer par tous les moyens possibles le statut de la lignée dirigeante à Ashmounein. Un nouvel élément archéologique doit maintenant être décrit brièvement. En 2 0 0 2 , au début de nos fouilles, T. H E R B I C H a entrepris une prospection géomagnétique dans les zones 8 et 9 . Celle menée dans la zone 9 a abouti à des résultats très importants. L'aire ouest de la zone 9 a une forme triangulaire, due au fait que l'ouadi a abandonné des dépôts en face de son embouchure, créant un terrain plus élevé au milieu. Là se trouvent de nombreux tombeaux signalés, dès avant le début de nos travaux, par les grands cratères laissés par nos prédécesseurs. Entre ces cratères se situe une zone
longitudinale
d'orientation est-ouest, qui est beaucoup moins accidentée. La prospection géomagnétique y a révélé l'existence d'une anomalie clairement visible (pl. 1 4 ) . 7 1
73.
PEETERS, HERBICH,
PEETERS,
Archaeological
Archaeologia Polona 41 (2003), Prospection 13 (2006), p. 14-19.
p.
245-247;
HERBICH,
103
I f S TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Pendant les fouilles de 2 0 0 2 et de 2 0 0 6 , nous avons pu constater que cette anomalie correspond à un dépôt d'argile alluviale, matériau qui doit avoir été déposé dans le désert par des activités humaines. Sans doute l'anomalie correspond-elle à une ancienne rue traversant le cimetière d'ouest en est, le limon humidifié fonctionnant comme une surface glissante pour les traîneaux utilisés pour transporter les sarcophages vers les tombes. Le plan géomagnétique fait aussi apparaître plusieurs lignes droites qui, après fouille, s'avèrent correspondre à des complexes funéraires entourés d'un mur d'enceinte. Nous n'avons pas encore pu dégager tous ces complexes, mais le tracé des murs est révélateur : tous sont nettement orientés vers la rue que je viens de mentionner (voir fig. 1 3 ) . Il convient de remarquer que la relation spatiale entre ces tombes et la rue doit refléter la structure sociale de la population. Il est clair que la plupart des fouilles précédentes ont été effectuées au sud de la route, et à courte distance de celle-ci. C o m m e l'observe C. P E E T E R S , le fouilleur de la zone 9 , l'attention des archéologues du début du X X siècle a dû être attirée E
vers ce secteur parce que des structures importantes étaient toujours visibles à la surface. En effet, à plusieurs endroits, on peut encore voir des puits funéraires ouverts (voir fig. 1 3 ) . Ceux-ci sont de grandes dimensions et sont pourvus de murs parfois assez importants. On peut en déduire que leurs propriétaires étaient relativement riches. A une plus grande distance de la rue, et surtout au nord de celle-ci, P E E T E R S a découvert au moins cinq complexes funéraires contenant parfois un grand nombre de tombes assez simples, entourant quelques tombes de plus grande échelle. Mais dans cette zone, même les tombes les plus vastes sont de dimensions beaucoup plus modestes que celles situées à proximité de la rue. Il semble manifeste qu'il existe un rapport direct entre, d'une part, le statut social des propriétaires des tombes et, d'autre 104
DEIR
FIG. 13
EL-BERSHA
: P L A N D U « G A Z Î R A » D A N S LA P A R T I E O U E S T D E LA Z O N E
9
( D E S S I N C H R I S T O P H PEETERS).
105
LES
TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
part, la proximité entre les tombes et la rue. Il est aussi important de noter que les seuls fragments de Textes des Cercueils que nous ayons trouvés dans la zone 9 ont été mis au jour dans une très grande tombe située au voisinage de la r u e . 74
L'existence d'une rue présuppose une nécessité de circulation, et on se demande alors quel était le point d'arrivée de la rue, et quel était son point de départ. Les deux problèmes ne sont pas difficiles à résoudre. Si l ' o n projette le tracé de la rue vers l'est, la ligne aboutit au pied de la côte nord de l'Ouadi Nakhla, exactement à l'endroit où c o m m e n c e la montée vers les tombes rupestres des zones 2 et 4 (fig. 1 4 ) . La projection de la rue dans l'autre direction conduit presque en ligne directe vers la ville d'el-Ashmounein dont Deir el-Bersha hébergeait le cimetière. Chaque fois qu'un habitant de la ville était enterré, et chaque fois qu'on célébrait des fêtes religieuses dans le cimetière, la population de la cité devait alors se déplacer selon un trajet qui suivait plus ou moins le tracé de notre rue. Aussi semble-t-il clair que la rue a été créée pour être utilisée à de telles occasions. U n e deuxième conséquence de cette interprétation est que les tombes nomarcales constituaient le point d'orgue de ces processions, m ê m e si, peut-être, tous n'étaient pas autorisés à suivre la route jusqu'à son extrémité. Ainsi, les fêtes devaient c o m m e n c e r sur le quai, sur la rive est du Nil. Ensuite, la population se déplaçait, en empruntant la rue qui longeait les tombes les plus grandes, situées sur ses bords. Probablement, une majorité de la foule tournait vers la gauche ou vers la droite pour rejoindre les tombes familiales d'échelle
plus
modeste, qui occupaient des positions plus reculées. Mais m ê m e ceux qui ne continuaient pas vers le haut de la montagne
74. Voir p o u r les fouilles dans cette z o n e , PEETERS, dans W I U E M S e.a., M D A / K 6 0
(2004), p. 2 6 6 - 2 6 9 ;
IDEM,
dans W I L L E M S e.a., M D A / K 6 2 (2006), p. 3 2 8 - 3 3 7 ;
W I L L E M S , PEETERS, VERSTRAETEN, Z Ä S
106
132 (2005), p. 181-185.
F I G . 1 4 : P R O J E C T I O N D E LA « R U E » S U R LE « G A Z Î R A » V E R S L'EST (D'APRÈS W I L L E M S , PEETERS, V E R S T R A E T E N , Z Ä S 1 3 2
p.
183,
FIG.
(2005),
3).
107
if5
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
pour rallier les tombes nomarcales, devaient être conscients de leur présence visuellement dominante. Ce paysage rituel a sans doute été utilisé assez longtemps, mais pour nous il est important de se demander quand il fut mis en œuvre. Une solution pourrait être que la rue avait été tracée au moment où les premières grandes tombes avaient été construites. On peut dater ce moment avec une grande précision, car, à côté du sentier qui escalade la montagne, il existe une tombe exactement datée. C'est la tombe, aujourd'hui en grande partie détruite, d'un certain Ia-ib. Sur sa façade, il a fait graver la copie d'un décret royal qu'a recopiée M Ö L L E R , et qui fut publiée en 1 9 2 8 par A N T H E S . Bien que cette publication soit de qualité médiocre, il en ressort clairement que la tombe date de l'époque du roi Néferefrê de laV dynastie . 1
75
Mais l'hypothèse que la rue remonterait à cette époque pose problème. Cette rue était entourée d'un grand nombre de tombeaux construits à ses abords. Nous avons fouillé quelques dizaines d'entre eux, et presque tous contiennent de la céramique de la fin de la Première Période Intermédiaire ou du tout début du Moyen Empire, avec quelques exceptions légèrement plus récentes. Une prospection de terrain effectuée dans le même
secteur, mais couvrant une surface beaucoup plus
grande, a conduit au m ê m e résultat. Dans la zone 1 0 , c'est-àdire la continuation du cimetière au centre du village, on a trouvé du matériel copte et de la période tardive, dont on ne tiendra pas compte ici, et, de nouveau, du matériel de la fin de la Première Période Intermédiaire ou du début du Moyen Empire. L'Ancien Empire fait totalement défaut, de sorte qu'il est peu vraisemblable que la rue doive être mise en relation avec les tombes de l'élite de cette époque. 75. ANTHES, Hotnub, pl. 2 (inscription XV). Une copie améliorée et une interprétation chronologique seront publiées par M a r l e e n D E MEYER. Voir déjà DE MEYER, dans : Proc. 9th ICE
108
I, p. 4 2 1 - 4 2 2 .
DEIR
EL-BERSHA
Il me semble aussi peu probable que la rue conduise vers des tombes nomarcales datant de la Première Période Intermédiaire. Comme nous l'avons noté, ces tombes se concentrent probablement au centre du village. Les grandes tombes nomarcales de la zone 2 n'apparaissent qu'à partir du gouvernorat d'Ahanakht I". La taille énorme des sarcophages qui y furent dès lors enterrés pourrait bien avoir conduit à la construction d'une piste en limon glissant. O n se demandera s'il n'est pas vraisemblable de dater la rue de cette époque. La céramique trouvée aux alentours de celle-ci correspond d'ailleurs très bien à une telle date . Dans cette perspec76
tive, la rue peut être envisagée comme un élément du programme d'adaptation de l'organisation spatiale du site, dont l'élément essentiel a consisté en la création du cimetière nomarcal dans la zone 2 . Si l'on accepte cette hypothèse, on constate alors diverses évolutions parallèles. D'une part, le statut administratif et politique d'Ahanakht I", non seulement nomarque, mais aussi chef des prêtres et vizir, lui donnait une position prépondérante à travers le pays, mais tout spécialement dans le nome du Lièvre. Ce statut doit s'être reflété dans sa position sociale, et on semble en apercevoir un indice dans la création d'un paysage rituel englobant tout le site de Deir el-Bersha. Ce paysage facilitait des célébrations funéraires et mortuaires de très
grande
échelle, incluant la circulation d'une bonne partie de la population d'el-Ashmounein, circulation culminant dans la zone 2 qui fut instituée à cette époque. On sait que, jusque vers le règne de Sénousret III, la zone 2 avait continué à être utilisée, et qu'on y construisait des tombes de belle allure. L'une d'entre elles appartenait à un nomarque
76. Voir O P D E BEECK, PEETERS, W I L L E M S , dans : SCHIESTL, SEILER (éd.). H a n d b o o k of
Middle Kingdom Pottery, sous presse. Pour quelques considérations qui pourraient nuancer ce point d e vue, voir ici, p. 2 3 7 .
109
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
appelé Djéhoutinakht
ET LA
DÉMOCRATIE
( V I ) . La tombe
s'est
complètement
effondrée, mais elle est probablement encore complète. Un jour, j'espère pouvoir y entreprendre un programme de restauration, mais cela ne sera pas envisageable avant que les fouilles dans la région ne soient t e r m i n é e s . 77
D'autres tombes de grande échelle existent, la plus célèbre d'entre elles étant celle de Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / 1 ) . La fouille dans et aux alentours de cette tombe a commencé en 2 0 0 2 et va continuer encore plusieurs années. Pour l'instant nous avons déjà trouvé environ quatre mille fragments nouveaux du décor de cette tombe. Les plus intéressants d'entre eux proviennent d'un texte autobiographique, mais malheureusement j e n'ai pas encore pu m ' e n occuper. O n ne peut que souhaiter qu'il soit possible, un jour, de reconstituer non seulement ce texte, mais aussi les autres parties détruites de la tombe. L'élément le plus connu de cette t o m b e est la scène fameuse qui montre c o m m e n t la statue colossale de Djéhoutihotep fut transportée des carrières d'Hatnoub vers son emplacement final (pl. 4 ) . Étant pratiquement le seul document qui représente la façon dont les Égyptiens déplaçaient des blocs d'un grand poids, cette scène a été souvent étudiée c o m m e source d'information sur la technologie pharaonique. Mais la question de savoir dans quel but la statue fut érigée n'a guère été posée. La scène se trouve sur la paroi ouest de la t o m b e . De nos jours, des éléments importants en ont malheureusement disparu. La perte la plus grave est celle d'une surface carrée derrière le dos de la statue, où, jusque vers 1 8 8 0 , on lisait un texte historique. Heureusement,
plusieurs égyptologues
l'avaient
copié avant sa disparition. D e surcroît, une photographie prise,
77. A cause de l'accessibilité réduite d e cette t o m b e , elle n'a pas encore été insérée dans le p l a n reproduit à la figure 10. Le monument se trouve directement à l'ouest d e celle d e Djéhoutihotep (no. 17L20/1).
110
DEIR
EL-BERSHA
juste avant la destruction des textes, par le Major H A N B U R Y B R O W N a été r é c e m m e n t publiée . Ainsi, possède-t-on une 78
documentation presque complète pour ce texte. Il relate que la statue, d'une hauteur de presque sept mètres, provenait des carrières d'Hatnoub et que de grandes difficultés durent être résolues avant qu'elle n'arrive à destination. Là, elle était attendue par une foule excitée qui est représentée au registre supérieur de la scène, accompagnée du texte suivant : [La ville entière est en] fête, son cœur est en joie. Ses vieillards sont rajeunis, ses jeunes gens sont vigoureux, ses enfants poussent des cris, leur cœur étant en fête, tandis qu'ils voient leur maître et le fils de leur maître (étant) son
79
dans la faveur
du souverain, en
construisant
monument™.
Plus bas, on voit quatre compagnies d'hommes, soit un total de cent soixante-douze personnes qui sont en train de tirer le traîneau de la statue. Le site de son emplacement n'est pas clairement identifié dans le t e x t e . N E W B E R R Y supposait qu'elle avait été érigée à elAshmounein, point de vue qui, depuis, a été généralement accepté. Dans un article récent, ce problème a été à nouveau discuté, ce qui a conduit à des conclusions assez différentes . 81
La première indication sur l'emplacement ressort du texte accompagnant la compagnie de traîneurs inférieure. Chacune des compagnies est dite appartenir à un district du nome du Lièvre. Dans le cas présent, il s'agit de la compagnie de l'est de ce nome. Selon le texte écrit au-dessus de leurs têtes, ils chantent : 78.
Voir DAVIES, dans : Studies
James, p. 29-35.
79- C. à d . d e Djéhoutihotep. 80. ßersheh I, p l . XV, registre supérieur. 81. Pour les détails d e ce qui suit, voir WILLEMS, PEETERS, VERSTRAETEN, Z À S
132
(2005), p. 173189m
I f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Notre maître s'est dirigé vers (la ville de) Tjerty. Le dieu Nemty se réjouit à cause de lui. Ses ancêtres sont en fête, beaux
leur cœur étant en joie, se réjouissant
de [ses]
monuments" . 2
Peu importe de déterminer qui est le maître mentionné dans le chant. Il pourrait s'agir de la statue, mais aussi de Djéhoutihotep qui, selon la scène et le texte l'accompagnant, marche derrière celle-ci. Dans les deux cas, l'implication est qu'on est arrivé à une ville ou un village appelé Tjerty. La localisation de Tjerty n'est pas vraiment connue mais, du moins, il ne s'agit pas d'el-Ashmounein (appelée en égyptien Hmnw). Le fait que la destination soit mentionnée dans le chant de la compagnie orientale suggère que Tjerty se trouvait sur la rive est du Nil. En tout cas, aucun élément dans les descriptions détaillées du transport de la statue ne renvoie à el-Ashmounein, ou n'implique que la statue traversait le Nil en bateau. En revanche, un passage du grand texte nous informe que les traîneurs étaient « accompagnés » de bateaux de ravitaillement, remarque qui laisse plutôt supposer que la statue était tirée parallèlement au Nil. Il semble donc clair que son emplacement définitif doit être recherché sur la rive droite. La scène ne montre pas seulement le transport de la statue, mais aussi, dans l'angle droit de la paroi, sa destination (voir fig.
i r ) . Il s'agit
d'une
chapelle
appelée
« L ' a m o u r de
Djéhoutihotep dans le nome du Lièvre est durable » . Il sem8 Î
ble donc que le contexte pour lequel la statue avait é t é c r é é e était un lieu de culte pour le nomarque.
8 2 . Bersheh I, p l . XV, registre inférieur. 83. ßersfieh I, p l . XII. Le contexte cultuel évident dans la scène et dans le texte q u i l ' a c c o m p a g n e ne laisse q u e peu d e doute sur le fait qu'il s'agit d ' u n e c h a p e l l e , et non d ' u n palais d e gouverneur ; pour cette dernière suggestion, voir KEMP, Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization , 2
112
p. 340-341.
DEIR
LA D E S T I N A T I O N D E LA S T A T U E D E ÈS N E W B E R R Y ,
EL BERSHEH
EL-BERSHA
DJÉHOUTIHOTEP
I , PL. X I I
ET
XVI).
113
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Finalement, le texte précise que Djéhoutihotep était le premier gouverneur local à avoir eu l'idée de construire un monument personnel de telles dimensions. Il écrit : Les administrateurs (hj.ty.w-') qui étaient en Jonction auparavant, et les gouverneurs provinciaux (sJb<.w> 'd mr) qui étaient en Jonction
[...] dans cette ville, et qui
établirent ces autels sur la rive de laßeuve, même pas considéré ce que j'aiJait,
ils n'ont
(c. à d.) la construc-
tion, que j'ai entrepris pour moi-même, d'une
[chapelle
de ka/ inférieure établie après que cette mienne tombe s'était mise en repos de son travail pour l'éternité"*. La fin de ce passage semble signifier que Djéhoutihotep avait d'abord terminé la construction de sa tombe avant d'édifier un nouveau bâtiment dont, malheureusement, la désignation a partiellement disparu. Mais il s'agit sans doute de l'édifice destiné à la statue, qui était une chapelle. Il est donc vraisemblable que le m o t détruit était hw.t-kj,
« maison de ka »,
terme désignant souvent les lieux de culte de potentats régionaux. Quoi qu'il en soit, l'adjectif « inférieur » sous-entend que la
structure
se
trouvait
plus
bas
que
la
tombe
que
Djéhoutihotep venait d'achever. Le texte, en tout cas, suggère un lien entre la tombe et la chapelle. Djéhoutihotep qu'avaient
bâtis
compare
cette
ses prédécesseurs
structure
aux
sur la rive
autels du
Nil.
Apparemment sa chapelle n'était pas une structure isolée, mais faisait partie de toute une concentration de bâtiments similaires, mais de dimensions plus réduites. Cette concentration se trouvait sur le bord du Nil.
84. Bersheh I, pl. X I V , 1 0 - 1 2 . Pour la justification de cette traduction, voir WILLEMS, PEETERS, VERSTRAETEN, Z Ä S
114
132 (2005), p. V 4 - V 5 -
DEIR
EL-BERSHA
De nos jours, la rive orientale se situe à deux kilomètres approximativement à l'ouest du centre du village de Deir elBersha, mais les recherches menées par notre équipe dans la plaine alluviale semblent indiquer qu'il est tout à fait possible que le lit du Nil ait été beaucoup plus proche du village au Moyen Empire. Une branche ancienne se trouve à environ cent cinquante mètres au nord-ouest du vieux centre du village. La campagne de 2007 a m ê m e fourni des indices selon lesquels une autre branche passait dans ce qui est actuellement le centre du village . Toutes les indications justifient la conclusion que 85
probablement, à l'ouest du village moderne, était installé le port où débarquaient les processions funéraires. C'est là, au début de la rue vers le cimetière, que se dressait le quartier des chapelles de gouverneurs, dont, à la fin de la XII dynastie, celle e
de Djéhoutihotep était la plus impressionnante. On peut comparer ces données à la situation presque contemporaine à Biahmou. Selon la reconstruction de D. A R N O L D , le commencement de la rue conduisant de la rive du lac Moeris vers la ville de Crocodilopolis était bordé de deux statues du roi Amenemhat III, qui avaient la m ê m e allure et la m ê m e échelle que celle décrite par Djéhoutihotep (voir fig. 1 6 ) ' . 8
On constate, alors, que probablement durant toute la période entre Ahanakht I (fin de la X L dynastie) et le gouverer
norat de Djéhoutihotep (fin de la XII dynastie), la circulation e
rituelle sur le terrain de Deir el-Bersha se déroulait entre deux pôles entièrement consacrés au culte de la lignée des gouverneurs : les chapelles proches du quai, et les chapelles des tombes sur le haut de la montagne. Il semble évident que la rue reliant ces deux extrémités devait servir à un cérémonial où le culte des gouverneurs était non moins important.
85. L'étude g é o g r a p h i q u e de la plaine alluviale de la région est dirigée p a r Gert VERSTRAETEN. 86. ARNOLD, Die Tempe/ Ägyptens, p.
188.
115
DEIR
EL-BERSHA
Le cas de Deir el-Bersha n'était certainement pas unique. À Qaw el-Kebir, les tombes nomarcales possédaient des routes architecturalement très impressionnantes, de nos jours encore, qui, par leur forme et leurs dimensions, rappellent les chaussées conduisant vers les pyramides royales (fig. 1 7 ) . La m ê m e situation se présente dans le cas de quelques tombes du Moyen Empire à Qubbat el-Hawa', dont l'une appartenait à Sarenpout I . À T h è b e s , les tombes des grands dignitaires du er
début du Moyen Empire, situées à Deir el-Bahari et dans l'Assasif, disposaient de cours en face de l'entrée de la tombe proprement dite. Il est vraisemblable qu'une chapelle se dressait à l'entrée de ces cours. À Beni Hasan, on trouve des dispositifs de structure plus simple : des pistes dont les bords sont limités par des alignements de pierres non travaillées. A Assiout, site peu accessible et largement détruit, on ne peut plus rien reconnaître sur le terrain, mais dans
l'énorme
tombe de Djefaihâpi, contemporain de Sénousret I , l'inscriper
tion autobiographique fait état de la statue du gouverneur qui aurait été placée m rd hr.y n i.i=f « à l'escalier inférieur de sa tombe » . La sépulture était ainsi pourvue d'un escalier des87
cendant vers la vallée, et une statue se situait au bas de celuici. Si l'on n'a pas d'autre renseignement sur cette dernière, on sait que Djefaihâpi possédait au moins une très grande statue en bois, actuellement conservée au Louvre . J e ne 88
serais pas étonné que la statue au pied de l'escalier menant à
sa
87. Siut
tombe
I,
308 ; voir
gigantesque
GRIFFITH,
ait
aussi
été
de
dimensions
Siût and Dêr Rîfeh, pl. 8.
88. DELANGE, Statues égyptiennes, p. 76. Il n'est pas tout à fait certain qu'il s'agisse du Djefaihâpi qui possédait la g r a n d e tombe I à Assiout. Sinon, la statue doit avoir appartenu à une personne enterrée à proximité de lui et qui portait le même nom. Dans ce cas, la trouvaille d'une pièce de proportions colossales, dans une sépulture sans doute b e a u c o u p moins g r a n d e , suggère qu'il ne devait pas être très exceptionnel de posséder une statue de telles dimensions.
"7
DEIR
EL-BERSHA
colossales '. La situation à Deir el-Bersha n'était peut-être pas 8
si exceptionnelle qu'on pourrait le penser. Que se passait-il dans un tel paysage rituel ? On n'en est informé que très partiellement par les textes. Une inscription dans la tombe du nomarque It-ib à Assiout contient le passage suivant : Finalement j'ai abouti ici (c. à d. dans la tombe) tandis que mon fils est sur mon trône,... après qu'il avait commencé de régner comme un enfant d'une coudée. La ville pousse des cris de joie à cause de lui, tandis qu'elle se souvient de ma bonté. Quant à chaque sah qui fait
ce
qui est bien pour les hommes .... c'est quelqu'un dont le souvenir reste vivant sur terre, un esprit dans la nécropole,
tandis que son fils reste dans sa maison.
mémoire dans la ville est bonne, lui étant glorifié
Sa
quand
sa statue est portée sur les épaules des serviteurs de sa
Dans les autobiographies nomarcales on trouve assez souvent de telles descriptions". Il en ressort que les gouverneurs
89.
Selon une inscription de visiteur récemment découverte à Assiout, il existait
encore, au N o u v e l Empire, un temple de Djefaihâpi sur le site. L'emplacement d e ce monument reste inconnu, mais il pourrait avoir été situé dans la plaine : voir KAHL,
211 (200a),
p.
27.
CM
Dans une publication récente, M . EL-KHADRAGY suppose aussi
qu'une chapelle d e statue se dressait au pied de la montagne où se trouve la tombe de Djefaihâpi : G M
212 (2007),
p.
4 2 ; 54. Le même article suggère d e surcroît
qu'une statue de culte de dimensions colossales se trouvait à l'intérieur de la tombe (p. 43, n. 18 et p. 57, fig. 2). L'auteur fonde cette hypothèse sur une remarque de GRIFFITH, Siût and
Dêr Rffeh, p. 9 ; mais cette remarque est si imprécise q u ' o n n'est
guère en droit d'en conclure à l'existence d'une statue monumentale. Siuf III, 13-15 : voir GRIFFITH, 46 (2000), p. 99-IOO. 90.
91.
Voir
les
sources
o p . cit., pl.
répertoriées
par
11.
Voir l'analyse de W I L L E M S ,
DORN,
dans : Des
Phoenix
Néferkarê
aux
Montouhotep, p. 134-135. 119
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
se vantent d'avoir régné comme de bons seigneurs, jouissant d'une grande popularité dans leurs communautés. Cela est présenté sans doute comme une qualité personnelle, mais surtout dans le cadre de la continuité de la lignée nomarcale : le fils poursuit les actions bénéfiques de son père, et les deux sont glorifiés publiquement pendant des célébrations où leurs statues sont portées à travers les rues de la ville, probablement à l'occasion de fêtes religieuses. Plusieurs tombes de l'Ancien Empire contiennent des reliefs montrant de telles festivités. Par exemple, une scène dans la tombe de Pépi-ânkh Heny-kem à Meir représente une procession de porteurs d'offrandes dont l'un tient une châsse portable abritant la statue du gouverneur ainsi qu'un vase qbh à bec verseur". Le m ê m e type de châsse est figuré dans la tombe de Nékhebou à Giza . Dans d'autres exemples, on rencontre 9ï
un modèle identique, mais sans la statue . Dans la plupart des 94
cas, de telles scènes sont orientées vers l'intérieur des tombes où elles sont représentées, suggérant que les châsses sont apportées de l'extérieur vers l'intérieur. Le contexte serait alors celui d'une procession conduisant vers la tombe. Le m ê m e type d'objets a récemment été découvert à
Ele-
phantine, et là, les conditions dans lesquelles les statues des notables étaient portées en procession sont heureusement plus claires. Dans le contexte cultuel de cette ville, le culte du saint Heqaib occupait une place prépondérante. Heqaib avait été, vers la fin de la VP dynastie, chef d'expéditions en Nubie et, sans doute, bien que sa titulature n'en fasse pas état, un des fonctionnaires dirigeant le nome méridional de l'Egypte. Déjà pendant l'Ancien Empire, et peut-être de son vivant, une petite
92. Meir V, pl. XXVI.
93. 94.
SMITH,
HESPOK, p. 209, fig. 80.
Voir les sources réunies dans D O R N , o p . cit., p.
120
132-133.
DEIR
EL-BERSHA
chapelle en son honneur avait été créée dans le palais des gouverneurs. Dans ce cas particulier, le culte du gouverneur s'était transformé en un culte de saint, le sah Heqaib. Au cours de la Première Période Intermédiaire, celui-ci était devenu d'une telle importance que le roi Antef II érigea une chapelle plus grande, non loin de l'ancienne. Au fil des ans, cette dernière avait évolué en dépotoir pour les objets de culte utilisés pendant les fêtes célébrées en l'honneur de Héqaib \ Dans ce qui 9
suit, je l'appellerai « la sacristie ». Pendant le Moyen Empire, la nouvelle chapelle fut agrandie plusieurs fois, se transformant en un centre de culte, non seulement pour Heqaib lui-même, mais aussi pour tous les gouverneurs successifs à partir du gouverneur
Sarenpout
I" . %
L'archéologie montre que le culte se déroulait non seulement à l'intérieur de la chapelle, mais aussi à l'extérieur. En quittant la chapelle, on se trouve dans ce qui était, au Moyen Empire, la plus grande rue de la ville, et l'absence totale d'ordures entre les couches successives de cette rue atteste que celle-ci fut nettoyée régulièrement'' . Il est alors évident que cette voie revê7
tait un rôle assez particulier. La chapelle ancienne de Heqaib, convertie en dépotoir pour les objets de culte, a été récemment redécouverte dans un état de conservation remarquable. O n y a retrouvé des objets du même style que les châsses portables représentées sur les parois des tombes que j e viens d'évoquer. En fait, plusieurs châsses de ce type ont été mises au jour, ainsi que des fragments de plusieurs autres. Quelques-unes d'entre elles étaient inscrites et portaient les noms des dirigeants de la ville. Elles ne contenaient pas de statues, mais, par ailleurs, des statues furent 95-
Pour le développement des chapelles de
Heqaib,
voir maintenant V O N PILGRIM,
dans : Timelines I, p. 403-418. 96. Pour l'interprétation de cette chapelle plus récente, voir FRANKE, Das Heiligtum
des Heqaib.
97-
V O N PILGRIM,
Elephantine X V I I I , p. 124-126 ; 219-220.
121
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
découvertes dans le m ê m e c o n t e x t e . O n peut ainsi voir les 98
objets concrets qui furent portés pendant les processions. Il est remarquable que ces châsses exhumées dans des niveaux du Moyen Empire soient inscrites non seulement au nom de Heqaib, mais aussi de Sabni, un autre chef d'expéditions de l'Ancien Empire. Dans le cadre du culte du sah Heqaib, on semble donc avoir affaire à la vénération non seulement de Heqaib lui-même, mais encore d'autres grands hommes du passé. Le texte d'Assiout cité plus haut laisse entrevoir que les statues de nomarques récemment décédés étaient également portées en procession. Étant donné que la « nouvelle » chapelle de Heqaib à Elephantine contenait des chapelles pour toute une lignée de gouverneurs, il est vraisemblable que les effigies de ces personnages aient pu être associées à celles des grands hommes de l'Ancien Empire. Il faut alors imaginer que toute une série de telles châsses était transportée en procession. Peut-être que la châsse contenant la statue du gouverneur régnant était la première d'entre elles. Pour comprendre le déroulement des processions il est important de prendre en compte la topographie du site d'Éléphantine. La première chapelle de Heqaib, qui sera plus tard transformée en sacristie, se dressait dans le palais du gouverneur. Juste en face du palais se trouvait le début d'une rue conduisant vers la porte ouest de la ville. Au cours de la Première Période Intermédiaire, une digue fut construite plus vers l'ouest'", constituant la voie de communication avec ce qui avait é t é , jusqu'alors, l'île de l'ouest, qui abritait un cimetière datant de la fin de l'Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire' . A l'entrée de la tombe de Heqaib, qui se situe 00
98. 99.
Pour une discussion détaillée sur les châsses, voir D O R N , o p . cit., p. Voir Z I E R M A N N , M D A / K
51 (1995),
P-
138-140
et fig.
1;
129-143.
pour une analyse plus
Historische u n d moderne Ni/sfände, p. 81-82. Social Aspects of Funerary Culture, p. 205-252.
récente, voir SEIDLMAYER,
100.
122
Pour ce cimetière, encore inédit, voir SEIDLMAYER, dans :
DEIR
EL-BERSHA
encore plus vers l'ouest, sur la rive gauche du Nil au Qubbet el-Hawa', on voit une scène montrant comment une châsse mobile était portée vers la t o m b e . O n peut donc reconstruire 101
le scénario suivant : les participants à la procession s'assemblent à proximité du palais du gouverneur. Les châsses sont récupérées dans la chapelle qui se trouve à l'intérieur du mur entourant le palais. Ensuite, la procession quitte la ville par la porte ouest, traverse le cimetière sur l'ancienne île ouest, puis franchit le Nil pour rejoindre la tombe de Heqaib (et d'autres) sur le Qubbet el-Hawa'. La construction de la nouvelle chapelle de Heqaib nécessitait une adaptation du circuit rituel. Une grande rue fut tracée en face de la chapelle, qui conduit vers l'ancien parcours rituel. Dès lors, la procession commençait probablement dans la nouvelle chapelle, utilisant les objets de culte stockés dans la sacristie. Pour le reste, le scénario rituel doit être resté plus ou moins le m ê m e . La situation à Elephantine ressemble à certains égards à celle de Balat. La mission de l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire y a découvert, à Ayn Asil, une grande ville r
de l'Ancien Empire et, à l'ouest de celle-ci, un cimetière de la même époque, à Qila ed-Dabba. La zone sud de la ville est r
actuellement bien connue (voir fig. i 8 ) . Elle comporte le palais du gouverneur local. À l'ouest de celui-ci subsistent les vestiges de quatre chapelles destinées au culte des gouverneurs ; une cinquième fut découverte au sud du palais . 102
C o m m e à Elephantine, le palais de l'Ancien Empire incluait donc un lieu de culte pour les gouverneurs. La présence de tables d'offrandes pour les gouverneurs morts dans l'habitation
101. Voir D O R N , o p . cit., p. 132. 102. Pour les chapelles des gouverneurs à 'Ayn Asil, voir SOUKIASSIAN, W U T T M A N N , PANTALACCI,
Balat VI.
123
DEIR
EL-BERSHA
de la famille du gouverneur également montre que ces gens pouvaient célébrer le culte des membres défunts de la famille en privé ; fait qui suggère que les chapelles desservaient une activité cultuelle plutôt publique. Cette conclusion est corroborée par un deuxième parallélisme avec la situation à Elephantine : la plupart des chapelles est clairement associée à un système de circulation. La rue la plus large de la ville relie le palais des gouverneurs à la porte ouest de la cité. Quatre des cinq chapelles se dressent au sud et au nord de cette grande rue. Leur emplacement facilite donc la réunion d'un
nombre
important de personnes en un point qui assure la jonction entre le palais et le lieu de culte des gouverneurs. De surcroît, en quittant la porte ouest, on se dirige presque en ligne droite vers le cimetière de Qila' ed-Dabba. Le scénario proposé d'une procession rituelle entre le palais du gouverneur et le cimetière semble avoir été en vigueur là aussi '. 10
Le paysage rituel de Deir el-Bersha n'est pas comparable à tous égards à la situation à Balat et à Elephantine, mais il n'y a pas de raison de penser que le modèle du culte des gouverneurs ne permettait aucune variation . Les similitudes sont, en tout 104
103-
Le fait que tes chapelles des gouverneurs ont à peu près la même structure
avec un sanctuaire tripartite que les chapelles funéraires des mastabas II et V à Q i l a ' ed-Dabba suggère un lien entre la pratique cultuelle aux deux endroits.
104. Comme
l'a déjà remarqué KEMP, CAJ
5 (1995), p. 45-46.
Dans quelques cas,
des tombes de reines ou d e particuliers étaient transformées en lieux de culte personnel (le cas d'Isi à Edfou ; maintenant aussi le cas des reines défuntes de Pépi I",
Néferkarê aux M o n t o u h o t e p , p. 15-29 ; BERGERBSFE 164 [2005], p. 18-22). Dans d'autres exemples, les
voir BERGER-EL-NAGGAR, dans : Des EL-NAGGAR, LABROUSSE,
lieux d e culte d e personnes privées se trouvaient dans des chapelles de fca dans les temples, comme c'était le cas pour les administrateurs de Coptos d e la VI 11" dynastie, ou pour Djefaihâpi I" dans le temple d ' O u p o u a o u t à Assiout. O n notera qu'un texte récemment découvert à Assiout fait état d'un « temple » de Djefaihâpi, suggérant qu'il a existé, en outre, un lieu de culte indépendant de ce gouverneur (KAHL,
GM 211 [2006], p. 27). Dans ce cas, la situation pourrait avoir été très c o m p a r a ble à celle d e Deir el-Bersha.
125
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
cas, aussi évidentes. À Deir el-Bersha, comme sur les autres sites évoqués, le culte s'ordonne entre deux pôles formés par les chapelles de culte des gouverneurs et leurs tombes. Malheureusement, les informations relatives aux occasions spécifiques où des fêtes religieuses étaient célébrées dans les chapelles des gouverneurs ne sont pas nombreuses. À Balat et à Deir el-Bersha, on ne possède aucun renseignement. En revanche, à Elephantine, les textes montrent que la célébration la plus importante de l'année prenait place le jour de la fête de Sokar, du moins pendant le Moyen Empire . Dans son lieu 105
d'origine, à Memphis, la fête comportait des cérémonies processionnelles qui débutaient dans la ville, suivies par une procession autour des murs de la cité pour finalement rejoindre la nécropole. Les conditions à Elephantine, assez différentes, ne permettaient pas de processions autour des murs mais, pour le reste, la situation s'accorde bien avec le scénario de la fête de Sokar . Dans les deux cas, on est en présence d'un paysage 106
rituel autorisant une circulation processionnelle qui relie les lieux du culte personnel des administrateurs locaux avec le cimetière de la ville. En ce qui concerne le principe, la situation à Deir el-Bersha m e semble être du m ê m e o r d r e . 107
A Elephantine, l'occasion à laquelle cette procession se déroulait était la fête de Sokar. Il est important de noter, cependant, que dans les textes religieux de la région d'Assouan, Sokar ne joue pas un grand rôle. C o m m e l'a montré F R A N K E , les textes d'Elephantine mentionnent comme élément essentiel de la fête la possibilité de « voir la perfection de Sokar »
108
.
105. FRANKE, Das Heiligtum des H e q a i b , p. 128-131. 106. Le scénario a été étudié par FRANKE, /OC. cit., avec renvois bibliographiques. Voir maintenant aussi GRAINDORGE-HEREIL, Le dieu So/car. 107. Je souligne que cela n'implique pas nécessairement que la fête d e Sokar était aussi l'occasion des festivités à Deir el-Bersha ou à Balat. M a i s il pourrait bien s'agir d'une fête organisée selon des principes comparables.
108. HABACHI, The Sanctuary of H e q a i b I, p. 9 2 et II, pl. 158-159 (no. 67).
126
J
DEIR
EL-BERSHA
D'autres textes font état de « voir le sah Heqaib, le matin de la fête de Sokar »
109
. Il semble au moins que les participants aient
reconnu un degré de similitude entre l ' h o m m e devenu saint, Heqaib, et le dieu Sokar. Ce qui est non moins remarquable, c'est que les autres gouverneurs, les successeurs de Heqaib, recevaient aussi un culte personnel. La différence entre le culte personnel des gouverneurs locaux, de Heqaib, et d'une divinité c o m m e Sokar n'est alors pas très marquée. B. K E M P a attiré l'attention sur le fait qu'une comparaison entre la dimension, d'une part, des temples divins de l'Ancien et du Moyen Empire et, de l'autre, des chapelles de culte per sonnel des gouverneurs de la m ê m e époque, généralement les chapelles funéraires, montre que les premiers étaient de beau coup plus petits que les secondes" . De surcroît, des dispositifs 0
pour un culte personnel pouvaient être établis dans les temples divins. C'était, par exemple, le cas pour le culte de Djefaihâpi à Assiout. Selon K E M P , de telles indications suggèrent que le culte d'individus ayant joué un rôle de premier plan dans la communauté semble avoir occupé une place plus importante que le culte divin. Les rapports sociaux entre le patron et sa clientèle constituaient la matrice de la pensée religieuse, plutôt qu'une théorie théologique. Dans ce climat, on comprend bien le rôle des « saints » (s'h-w) qui sont en fait des m o r t s qui ont gagné dans la mémoire collective une place particulière. K E M P renvoie dans ce contexte à l'ambiance des lettres aux m o r t s , où les vivants s'adressent à des m o r t s plutôt qu'aux dieux. Une variante intéressante, que K E M P ne mentionne pas, est offerte par le papyrus Berlin 1 0 4 8 2 . Ce document ressemble à une lettre aux m o r t s parce que, c o m m e dans d'autres exemples
109. H A B A C H I , 146 (no. 61). " o . KEMP, CAJ
op.
cit.,
I, p.
5 (1995),
76
p.
et I I , p l .
126-128
(no.
49)
; I, p.
88-89
et I I , pl.
144-
41-50. 127
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
du genre, l'expéditeur demande l'intercession d'un ancêtre m o r t pour qu'il puisse avoir des enfants. Mais à la différence d'autres lettres aux morts, on ne réclame pas au défunt d'exaucer lui-même la prière, mais seulement d'exercer son influence auprès des d i e u x " . Ainsi, le document témoigne de l'existence 1
parallèle de deux formes de religion, axées d'un côté sur les m o r t s , et de l'autre sur les dieux, sans qu'une tension semble avoir été ressentie entre les deux. Pour en revenir aux cultes des gouverneurs, il s'agit bien sûr d'une pratique religieuse, mais d'une pratique où des hommes de haut rang occupaient une position particulière dans la pensée religieuse de la population, celle d'un « patron m o r t vénéré », selon les termes de F R A N K E " . Bien que ce dernier ait 2
clairement montré que m ê m e le « noble » (s'h) Heqaib n'a jamais atteint la stature d'un « dieu », il est clair que la distinction n'est pas facile à définir ". 1
J e crois que les remarques de K E M P et de F R A N K E , qui n ' o n t guère été prises en compte dans le débat sur le rôle des Textes des Cercueils, sont en fait d'une importance cruciale. Dans le prochain chapitre, j e tenterai de poursuivre cette piste. Mais on ne peut pas discuter de ces questions sans se confronter directement à quelques points de vue qui sont enracinés dans la pensée égyptologique d'une façon telle qu'ils ont, généralement, presque obtenu le statut de fait acquis. Je veux parler du mythe égyptologique de la « démocratisation des textes funéraires ». Bien que ce t e r m e ait perdu une partie de son attrait, étant remplacé par l'euphémisme « démotisation », les présupposés sous-jacents sont restés les mêmes. Mais ce modèle théorique
m . JÜRGENS, G M
112. 113.
116 (1990], p. 61-63.
Heiligtum des Heqaib, p. 140 : « verehrten toten Patron ». FRANKE, o p . cit., p. 131-142. Il en est de même pour le « saint » Isi d'Edfou. Dans FRANKE, DOS
ce cas, on utilise parfois le mot ntr « dieu » pour désigner le « patron mort ».
128
DEIR
EL-BERSHA
m e semble aussi trompeur qu'il a eu d'influence. Le chapitre suivant va donc revenir sur les racines de cette expression pour déceler les considérations qui en sont à la base. De cette « déconstruction » il ressortira que la théorie de la démocratisation des textes funéraires méconnaît entièrement le milieu des Textes des Cercueils.
CHAPITRE III LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
L
'origine du terme « démocratisation » dans le discours égyptologique remonte au début du X X siècle, où il fut introduit dans le cadre plus E
large de l'étude de l'histoire politique de la fin de l'Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire. L'expression m ' a toujours un
peu étonné. Bien que le m o t « démocratisation » soit très répandu, même de nos jours, dans les travaux sur cette époque', il devrait être évident que ni la fin de l'Ancien Empire, ni la Première
Période
Intermédiaire,
ni
le
Moyen
Empire
n'étaient, à aucun égard, démocratiques. Il n'a jamais existé, en Egypte ancienne, un système d'administration où la couche dirigeante était contrôlée par les masses de la population. Et, de fait, quand les égyptologues utilisent le terme « démocrati-
1. Le mot apparaît pour la première fois, autant que je sache, chez MORET, dans :
Recueil d'études égyptologiques dédiées à la mémoire de J.-F. Champollion (Paris,
1922),
331-360, et particulièrement p. 332 et 359. Quelques autres exemples : 347 ; M O R E N Z , Ägyptische Religion, p. 58-59 ; PODEMAN S 0 R E N S E N , dans : The Religion of the Ancient Egyptians, p. 109-125 ; A S S M A N N , Tod u n d Jenseits, p. 503 ; IKRAM, D O D S O N , The M u m m y in Ancient Egypt, p. 17 ; RICHARDS, Society a n d Death, p. 8-9 ; W A S M U T H , BiOr 63 (2006), col. 68. p.
BONNET,
RÄRG, p.
131
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
sation », ils n'envisagent pas un tel système d'administration. Ce qu'ils appellent « démocratisation » traduit plutôt une manière de « prolifération » : des privilèges
originellement
réservés au roi deviennent accessibles à des segments de la population de plus en plus larges, de sorte que, finalement, même les couches inférieures de la société les adoptent. La dissémination des Textes des Cercueils est souvent comprise dans cette perspective. L'idée est qu'à l'origine, les Textes des Pyramides étaient strictement destinés à l'usage royal, mais que,
sous la forme des Textes des Cercueils, de tels textes
furent « usurpés » par le grand public. Plusieurs égyptologues ont récemment utilisé le terme plus faible de « démotisation » pour désigner ce processus. Selon les égyptologues des années 2 0 et 30 du siècle dernier, et encore largement après, ce changement s'était effectué approximativement pendant la période de la chute de l'Ancien Empire et surtout durant la Première Période Intermédiaire'. La théorie est actuellement moins à la m o d e , et ceux qui conti4
nuent à utiliser le terme de démocratisation le mettent souvent entre guillemets. Néanmoins, les grandes lignes de « l'hypothèse démocratique » restent prépondérantes, comme dans la citation suivante, où J . A S S M A N N fait une remarque au sujet de « la démo(cra)tisation de l'image du roi à la fin de l'Ancien Empire et après » : s
2.
Par exemple A S S M A N N , Ma'al, p. 114 ; 118 ; 119. 3. Fondamentalement MORET, /OC. cit. ; KEES, Toteng/auben, p. 160-229 ; VANDIER, Religion, p. 86-87 M O R E N Z , loc. c/t ; voir encore, entre autres, MEEKS, FAVARDMEEKS, Daily Life of the Egyptian Gods, p. 5. 4. Voir par exemple les remarques de Q U I R K E , Ancient Egyptian Religion, p. 155-
158 ;
M A T H I E U , dans : D'un monde à /'autre, p.
256-257.
5. « ... die Demo(kra)tisierung dieses Königsbildes mit und nach dem Ende des Alten Reichs ».
132
LES TEXTES DES CERCUEILS
Avec l'extension théorique et potentielle née exclusive
b
l'au-delà
ET LA
DÉMOCRATIE
de cette desti-
à tous les Egyptiens,
dans l'au-delà
royal s'élargit en un espace élyséen de l'au-
delà. La distinction entre monde de la mort et Elysée perdit son sens politique (l'Elysée pour le roi, le monde de la mort pour les hommes)'. LES R A C I N E S DE « L'HYPOTHÈSE DÉMOCRATIQUE »
Je suis enclin à situer le « prélude » de « l'hypothèse démocratique » en 1 9 0 9 , au moment où A . G A R D I N E R publiait son étude magistrale sur le papyrus Leyde 3 4 4 recto : le poème d'ipouer . Ce document, daté de la X I X dynastie, est écrit en 8
e
moyen égyptien et représente un des exemples les plus connus de la littérature pessimiste égyptienne. Dans ce texte, Ipouer décrit une société déchirée. La hiérarchie sociale traditionnelle n'est plus observée, de sorte que les paysans et les serviteurs prennent la place de ceux qui, jusqu'alors, avaient été leurs maîtres. Dans ces circonstances troublées, l'administration ne fonctionne plus. Les lois ne sont plus respectées. Personne ne se préoccupe plus de sa propre tâche, ce qui conduit à des famines. Dans ces conditions, la violence règne partout. Le texte est relativement clair dans ses descriptions, mais n'offre pas d'indices décisifs pour préciser l'époque historique qu'il évoque. G A R D I N E R , c o m m e de coutume, s'exprimait avec prudence :
6. C.-à-d. : « réservée au roi » (H.W.). 7. C'est moi qui souligne. Traduction française, M o r t et au-delà ancienne,
p.
560.
« Erst
mit
der
Ausweitung
dieses
dans
l'Egypte
hochexklusiven
Jenseitsschicksals auf theoretisch und potentiell alle Ä g y p t e r weitete sich auch das königliche
Jenseits
z u einem
elysischen
Jenseitsraum.
Damit
verlor
die
Unterscheidung zwischen Todeswelt und Elysium ihren politischen Sinn (dem König das Elysium, den Menschen d i e Todeswelt) » : Tod und Jenseits, p. 5 0 3 . 8. G A R D I N E R ,
Admonitions. Pour une nouvelle édition du texte, avec plusieurs corDialogue of (puwer.
rections, voir E N M A R C H , The Y'
É
]
33
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
The view that our Leiden papyrus contains allusions to the Hyhsos has the better support from standpoint,
but philological
and other
the
historical
considerations
seem rather to point to the seventh to tenth dynasties as those which have provided the background of events. It is doubtless wisest to leave this question open for
the
present . 9
Mais cette dernière remarque n'a, au début, guère retenu l'attention. Après
1 9 0 9 , l'égyptologie
suivit, presque sans
exception, l'idée que le texte décrivait les conditions de vie de la Première Période Intermédiaire. On sait maintenant que cela est certainement faux. En 1 9 6 4 , J . V A N S E T E R S a remis en cause la datation traditionnelle, et sur la base d'une masse d'indices historiques a proposé une date à la fin de la XIII' dynastie' . De 0
nos jours, une date à la fin de la XII dynastie, au plus tôt, est e
généralement admise, et l'historicité du texte n'est plus considérée comme un fait acquis". Mais au début du X X siècle, il fut E
généralement accepté que le texte reflétait le chaos social de la Première Période Intermédiaire. C'est un élément important pour pouvoir comprendre le climat dans lequel « l'hypothèse démocratique » fut lancée juste après la Première
Guerre
Mondiale. Au cours de cette période, l'Europe fut bouleversée par une transformation sociale et culturelle profonde. A la fin de la guerre, l'Ancien Régime avait disparu en Russie, en Autriche, en Allemagne et en Turquie, étant remplacé dans ces pays par des systèmes, soit démocratiques, soit communistes. En Russie, où le tsar avait été détrôné, le pouvoir avait été pris par les
9. GARDINER, Admonitions, p. 18.
10. V A N SETERS, JEA 50 (1964), p. 13-23. 11. Voir ENMARCH, The Dialogue of Ipuwer. Edition, Commentary a n d Analysis (non vidi), et IDEM, EA 28 (2006), p. 35 ; BURKARD, THISSEN, Einführung, p. 1 2 7 - 1 3 3 ; QUIRKE,
134
Egyptian Literature, p. 1 4 0 .
LES TEXTES
DES
CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
Menchéviks puis les Bolcheviks et, jusqu'au début des années 1 9 2 0 , le pays fut plongé dans une guerre civile. L'Allemagne après l'abdication du Kaiser se trouvait également dans une situation précaire, avec le gouvernement de Weimar, qui était aussi
démocratique qu'instable, et qui se voyait confronté à de
grands mouvements révolutionnaires et contre-révolutionnaires. En avril 1 9 1 9 , Munich fut m ê m e contrôlée temporairement par un comité d'ouvriers inspirés par les soviets russes, état qui ne prit fin qu'après des combats sanglants. La situation n'était pas aussi grave partout, mais il est clair que ces événements dominaient le débat public de l'époque. Si l'on admet que chaque chercheur est un enfant de son temps, il va de soi que le discours social et politique dut avoir un effet profond sur le discours scientifique, bien que cela ne fût sans doute pas clairement perçu à l'époque. Je crois que l'étude de la Première Période Intermédiaire doit rétrospectivement être comprise dans cette perspective. Il s'agit ici aussi d'une période de transformations sociales profondes, pendant laquelle la monarchie succombait pour être remplacée par une alternative rapidement baptisée « démocratique ». Et, en effet, les bouleversements décrits dans le poème d'Ipouer ne sont pas sans rappeler la situation dans certaines parties de l'Europe à cette époque. Dans la manière dont les égyptologues utilisèrent le terme « démocratisation », on sent encore un peu les émotions des élites face aux masses populaires et, selon certains, incultes. « L'hypothèse démocratique » a pris son essor avec un article d'A. M O R E T
1 2
sur « l'accession de la plèbe égyptienne aux
droits religieux et politiques sous le Moyen Empire ». M O R E T , à l'époque conservateur au Musée Guimet, directeur d'études
1 2 . MORET, dans :
Champollion, p.
Recueil d'études égyptologiques dédiées à la mémoire de J.-F.
331-360.
135
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
à l'École Pratique des Hautes Études et chargé de conférences à la Sorbonne", écrit son étude sur un ton académique et détaché qui évite les comparaisons directes avec la situation politique contemporaine. Mais quand il envisage les transformations qui s'opèrent entre la fin de l'Ancien Empire et le Moyen Empire, époque où le décorum religieux royal serait devenu accessible à « tout homme, qu'il soit roi, laboureur ou artisan » (p. 3 3 i ) , il utilise néanmoins des termes tels que « prolétaires, laboureurs et artisans », « révolution politique et sociale » (p. 3 4 2 , 3 4 j ) , et « plèbe » (p. 3 4 4 ) . L'Egypte se trouvait « aux mains des révolutionnaires » (p. 3 4 J ) , et les privilèges royaux étaient devenus « le bien commun de toutes les classes de la population » (p. 3 4 9 ) . « La divulgation des secrets religieux et magiques faisait tomber le monopole des classes privilégiées, et annonçait un régime social » (p. 3 4 7 ) . « Cela prouve », selon M O R E T , « que l'administration royale a été, elle aussi, sécularisée ; tous les secrets
14
n'étaient-ils pas divulgués ? Les emplois
sont souvent quasi héréditaires, et peuvent être légués comme un bien de famille, ou un atelier ( . . . ) . La plèbe exerce ces droits politiques en fournissant un fort contingent de fonctionnaires. Tels ont été les résultats de la révolution discernables avec les documents actuellement connus. Le socialisme monarchique assure aux plébéiens une partie des droits que le régime démocratique leur a donné ailleurs » (p. 3 4 7 ) . Mais, finalement, « l ' E g y p t e n'était pas assez évoluée pour aboutir au régime démocratique à la suite de la révolution sociale » (p. 3 4 8 ) . O n 1 S
a l'impression que la démocratisation qui englobait l'Europe était perçue par M O R E T avec une certaine empathie.
13. Un an après la publication de son article, il fut aussi nommé professeur au Collège d e France (DAWSON, UPHILL, BIERBRIER,
WWW , p. 295). 3
14. Il parle de la possibilité pour une large partie de la population de disposer de textes religieux. 15. MORET semble faire là une comparaison implicite avec la France d'après la Révolution de 1 7 8 9 .
136
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
Son article a exercé une influence énorme nui se ressent encore de nos jours ; mais pas directement. C'est surtout par l'intermédiaire de l'Allemand H . KEF.S, dont les études sur l'administration provinciale et la religion funéraire sont bien connues", que ces idées se répandirent. K E E S avait une attitude beaucoup moins bienveillante envers les tendances politiques de l'époque que M O R E T , attitude qui se traduit clairement dans ses publications . Pour comprendre sa manière de voir, il est 17
nécessaire de saisir la personnalité de K E E S . En juin 1 9 4 c , G. S T E I N D O R F F , un égyptologue juif qui avait quitté l'Allemagne dans les années 1 9 3 0 , écrivait à J . W I L S O N , alors directeur de l'Oriental
Institute de l'Université
de
Chicago, une lettre qui contenait un rapport sur les antécédents politiques
des
égyptologues
allemands.
De
l'avis
de
S T E I N D O R F F , certains d'entre eux auraient dû être exclus de la vie universitaire allemande de l'après-guerre. Dans ce cadre il avance quelques suggestions. Sur K E E S , il écrit : / accuse (...) 3.
Dr
Hermann
Kees,
professor
of
Egyptology,
University of Göttingen, a member of an old Saxon land-owning family, a militarist and Junker. He was an army officer in the First World War, andfought
later by
all means in his power, openly and secretly, the Weimar Republic. He is anti-democratic from the bottom of his soul. A conservative, he at first opposed Hitlerism, but afterwards became a Nazi. Though I do not know whether he actually joined the party, I would not trust him, 16. KEES, Provinzialkunst (1921]; Provinzialverwaltung ( 1932-193 3 ).
IDEM,
Tofeng/ouben
(1926
et
1956);
IDEM,
17. A la suite de deux présentations où j'avais développé les grandes lignes de ce qui suit, j'ai eu des discussions avec Katja GOEBS et Willem HOVESTREYDT ; je les remercie pour leurs renseignements pertinents qui m'ont amené à repenser mon texte.
137
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
even if he should say that he became Nazi only by compulsion". Voilà un portrait assez vif d'un des principaux promoteurs de « l'hypothèse démocratique ». J e n'insisterai pas sur l'élément nazi évoqué dans ce t e x t e ' , mais sur les racines élitistes, 9
antidémocratiques et autoritaires attribuées à K E E S . Avec la connaissance de ces faits, ce qu'il a écrit sur les transformations qui conduisirent à la chute de l'Ancien Empire apparaît dans une lumière différente. L'exposé le plus clair et le plus condensé qu'il a publié sur ce thème se trouve dans la première moitié du chapitre sur la Période
Héracléopolitaine
dans son livre
Totenglauben
und
der alten Ägypter, chapitre portant le titre
Jenseitsvorstellungen
« Zeichen der Zeit », « Signes du temps », et qui n'est pas sans rappeler la littérature pessimiste égyptienne. La première édition de ce livre parut en 1 9 2 6 . K E E S avance l'idée que l'égoïsme des nomarques — bien entendu des individus qui
18. Cette lettre, conservée dans les archives d e l'Oriental Institute à C h i c a g o , a été publiée le 25 octobre 1993
sur la A N E discussion list : voir h t t p : / / o i . u c h i c a g o .
e d u / O I / A N E / A N E - D I G E S T / V 0 1 / v 0 1 . n 0 2 1 . En effet, KEES pourrait avoir adhéré à la NSDAP « b y compulsion ». Jusqu'en 1933, Göttingen du Deutschnationale
il était président d e la section
Front, un parti qui avait été créé juste après la
Première Guerre M o n d i a l e sous le nom d e Deutschnationale Vo/kspartei pour défendre les intérêts politiques et économiques des élites d e l'Allemagne impériale. Le parti coopérait d e plus en plus avec les nazis et en 1933 rejoignait le gouvernement allemand, facilitant ainsi la nomination d'Hitler comme Reichskanzler. En juin 1933, que
le parti était forcé d e s'intégrer à l a N S D A P : voir pour le contexte historigénéral,
KERSHAW,
Nationalsozialismus, p.
105.
Hitler
99-105
I,
p.
416-420 ; 477-478,
et
TOLLMIEN,
; pour le rôle d e KEES à cette é p o q u e , voir p.
Je remercie W i l l e m HOVESTREYOT pour ses renvois à l ' A N E discussion
104-
list et au
livre d e TOLLMIEN. 19. O n remarquera
néanmoins que KEES perdit son poste de professeur à
Göttingen après la guerre (voir BEHLMER, H O R N , M O E R S ,
Ägyptologie in Göffingen).
O n sait q u e KEES signait, en 1933, une pétition d e quarante-huit professeurs d e l'Université d e Göttingen adressée aux autorités universitaires, les incitant à révoquer les professeurs juifs (voir h t t p : / / w w w . g o e s t . d e / n o e t h e r . h t m ] .
138
LES TEXTES DES CERCUEILS
n'étaient pas d'origine royale!
ET LA
DÉMOCRATIE
conduisit à l'érosion du pou-
voir royal. Dans une période où la cour du pharaon n'était plus capable de prendre soin du pays et de bâtir des pyramides, la population non-éduquée
se tournait vers la magie,
terme
employé avec peu de bienveillance par K E E S . Selon lui, les mots vides se substituaient à la capacité d'agir. D e plus en plus, des gens ordinaires commencèrent à usurper des privilèges royaux comme l'usage des Textes des Pyramides, mais, selon lui, sans saisir vraiment la portée des ces textes difficiles. Les masses populaires auraient simplement utilisé autant de textes que possible, mais sans aucune compréhension réelle. « Le caractère de ces temps est incertain et avide : on veut posséder, que cela soit convenable ou non. Comparée à la doctrine aristocratique du temps des pyramides, cette période se caractérise donc par la vulgarité » . 20
Cela expliquerait pourquoi les Textes des Cercueils, successeurs dégénérés des Textes des Pyramides, furent écrits sur les parois des sarcophages sans aucune logique apparente. K E E S commente ce phénomène en renvoyant aux capacités intellectuelles restreintes des masses populaires. Un indice de ce manque de compréhension inclure
serait que l'on commença alors à
des titres et des appendices
explicatifs.
Pendant
l'Ancien Empire, époque à laquelle les textes funéraires furent rédigés par des prêtres compétents, cela n'avait pas été nécessaire, mais les ignorants qui copiaient les Textes des Cercueils avaient besoin d'un tel support intellectuel. A cette période de déclin culturel, on constate
aussi l'apparition
de
thèmes
repoussants dans les textes religieux, comme ceux, par exemple, concernant la consommation d'excréments. Voilà le reflet des sensibilités grossières de la population. 20.
KEES, Toteng/auben, p. 161
: « Der Charakter dieser Zeit ist unsicher und
begehrlich: man will besitzen, gleichgültig o b es paßt oder nicht. Der aristokratischen Lehre der Pyramidenzeit gegenüber hat also diese Zeit ein durchaus vulgäres G e b a r e n » (édition de 1956).
139
i f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Avant de continuer, je dois souligner que je n'ai pas essayé de dresser une caricature. Les paragraphes précédents offrent une récapitulation assez exacte du contenu des pages 1 6 0 - 1 6 1 du livre cité dans l'édition de 1 9 C 6 . A travers l'image des masses incultes de l'Egypte ancienne, on reconnaît aisément les soucis d'un membre de l'ancienne noblesse allemande qui vécut à l'époque où le Kaiser disparaissait dans un climat révolutionnaire. Bien que K E E S ait probablement été le représentant le plus extrémiste de cette manière de voir, il n'était certainement pas le seul. D e surcroît, il était un des égyptologues les plus réputés de son temps et, ce à juste titre. Cela explique l'acceptation plus ou moins générale de cette hypothèse. Tout en abandonnant les formulations les plus radicales et les jugements moralistes de K E E S , on persiste à expliquer la Première Période Intermédiaire comme le résultat d'une volonté des administrateurs provinciaux, des personnes d'origine non royale, d'obtenir plus de pouvoir personnel. L'émergence de provinces plus ou moins indépendantes continue à être envisagée comme l'origine d'un climat social permettant que des privilèges d'origine royale se soient répandus à travers la population. Que la démocratisation des Textes des Pyramides sous la forme des Textes des Cercueils s'inscrive dans cette évolution culturelle est une manière de voir qui a encore beaucoup d'adeptes. Mais là, se pose un problème sérieux. En 1 9 6 2 , S C H E N K E L était le premier à énoncer le point de vue que les Textes des Cercueils ne sont apparus qu'au début du Moyen Empire '. 2
Quarante ans après, on doit avouer que des ancêtres plus anciens existent : par exemple, un cas dans le cimetière de la fin
21.
SCHENKEL,
FmäS, p.
Torenbuc/is/udien, p. 2 6 - 3 6 .
140
116-123.
Voir
aussi
SCHENKEL,
dans
:
Göthnger
LES TEXTES DES CERCUEILS
de l'Ancien
Empire
ET LA
à Balat . Toutefois, 22
DÉMOCRATIE
la position de
S C H E N K E L s'est, dans l'ensemble, avérée correcte, et il n ' y a plus qu'un petit nombre d'auteurs qui persistent à considérer la masse des Textes des Cercueils comme datant de la Première Période Intermédiaire '. L'implication évidente de ce constat 3
est que la théorie de la démocratisation des textes funéraires est à revoir dans sa totalité. Les recherches récentes ont également montré que l'organisation des Textes des Cercueils sur les parois des sarcophages était régie par des considérations assez subtiles . Après plus de 24
vingt ans de recherche sur ces textes, j e suis convaincu que leur raffinement est, en fait, comparable à celui qui régit les textes dans les temples de l'époque tardive. Ainsi, à l'instar de D E R C H A I N , on pourrait parler aussi bien d'une « grammaire du sarcophage » que d'une « grammaire du temple » ' . Cela étant 2
posé, il est clair que la dérision des capacités intellectuelles des décorateurs des cercueils par K E E S ne doit pas être prise au sérieux. D e surcroît, il est apparu de plus en plus clairement que plusieurs textes considérés à l'époque de K E E S comme appartenant au corpus des Textes des Cercueils sont déjà attestés dans les pyramides de l'Ancien Empire. Il devient alors très
22.
Voir VALLOGGIA,
Balat I, p. 74-78 et pl. LXII ; pour d'autres cas, voir
WILLEMS,
Chests o f Life, p. 245-246. 23. Ici, « date » renvoie à la date d e l'utilisation des textes pour être inscrits sur les cercueils privés. Il n'y a pas de doute q u e b e a u c o u p d e textes avaient été composés bien antérieurement à ce moment. Cela est le cas pour les Textes des Pyramides qui apparaissent sur les cercueils ; ils viennent d'être publiés dans CT VIII. Selon VERNUS,
il est difficile d e situer les Textes des Cercueils dans un seul état d e lan-
gue. O n constate les affinités les plus fortes avec l'égyptien d e la Première Période Intermédiaire, mais les Textes des Cercueils seraient e n c o r e en voie d'être remaniés ou même élaborés pendant le M o y e n Empire (dans : The World of the Coffin Texts,
p. 170-172). 24. W I L L E M S ,
H e q a f a ; IDEM, dans : Studies te
Velde, p. 343-372.
25. L'idée d e la « grammaire du temple » fut introduite par DERCHAIN, CdE 37,
N " 74 (1962), p. 31-35. 141
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
difficile de distinguer le fondement intellectuel des Textes des Pyramides de celui des Textes des Cercueils . 26
Pour conclure, l'apparition des Textes des Cercueils sur les sarcophages privés n'est certainement pas la conséquence du climat culturel du début de la Première Période Intermédiaire. Au contraire, il s'agit de textes profondément enracinés dans la culture du Moyen Empire, m ê m e si plusieurs d'entre eux ont été composés antérieurement. Cela dit, on doit se demander dans quelle mesure il est encore légitime de les considérer comme le reflet d'une « démocratisation » au sens égyptologique du mot. T R A N S F O R M A T I O N S DE L'ÉQUIPEMENT FUNÉRAIRE PENDANT LA PREMIERE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET AU M O Y E N EMPIRE
Avant d'envisager cette question, il est utile de jeter d'abord un coup d'oeil sur les transformations de la culture funéraire : autrement dit, sur l'ensemble du mobilier funéraire, et pas seulement sur les documents inscrits. Ce matériel a été récemment étudié par S . S E I D L M A Y E R
27
qui reconnaît une évolution nette
dans la nature des équipements funéraires. D'après lui, la plupart des tombes jusqu'à la fin de l'Ancien Empire ne possédait guère d'objets spécifiquement funéraires. Le défunt était enseveli avec un choix d'objets du même genre que ceux qu'il avait employés de son vivant. Dans de nombreux exemples il est en fait clair que ces pièces avaient été utilisées avant d'être déposées dans la tombe. Et m ê m e là où ce n'était pas le cas, il s'agissait souvent de types d'artefacts connus dans la vie quotidienne. La présence d'objets d'usage courant dans les tombes suggère, selon lui, que 26. Cf. BAINES, dans : D'un monde à l'autre, p. 30-31 ; M A T H I E U , dans : D'un monde à Courre, p. 2 4 7 - 2 6 2 . 27. Voir pour les quatre paragraphes suivants SEIDLMAYER, Gräberfelder, p. 4264 2 9 ; IDEM, dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 2 0 5 - 2 5 2 .
142
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
la vie dans l'Au-delà était considérée comme une prolongation d'une manière de vivre terrestre. Bien entendu, il ne s'agit pas nécessairement de la continuité des circonstances de la vie individuelle. Le contenu des tombes suggère plutôt qu'on sélectionnait des objets renvoyant au style de vie de l'élite. Si ce mobilier funéraire reflète donc l'aspiration de vivre la vie d'un grand seigneur ou d'une grande dame après la mort, on constate également que le monde des morts avait la structure du monde terrestre. C'est aussi l'impression que donne la lecture des lettres aux morts de l'époque . 28
Déjà assez tôt, ce type d'équipement funéraire commença à être remplacé par un autre dans les tombes de l'élite. Un nouveau symbolisme apparaissait. Cela conduisit, entre autres, à la pratique de la momification. Une momie ne ressemble à aucun égard à un état connu du corps humain durant la vie terrestre. Son aspect est tout à fait différent, par exemple, de celui d'un dormeur. La momie est surtout un objet utilisable dans le rituel. Dans le mobilier funéraire, on constate des transformations similaires. A côté d'objets quotidiens, on note la présence d'artefacts non utilitaires, qui ne peuvent avoir eu qu'une finalité rituelle ou symbolique. O n peut mentionner, entre autres, l'apparition de modèles ou de masques funéraires. Finalement, la nouvelle coutume d'orienter le corps, non plus vers la ville où avait vécu le m o r t , mais en fonction des axes astronomiques, suggère l'émergence d'idées funéraires qui considèrent l'Au-delà, non comme une continuation de la vie terrestre, mais comme un monde céleste, désormais détaché de l'environnement où avait vécu le m o r t . Cette tendance se manifesta d'abord dans les cimetières royaux, se répandit dans la haute élite et, graduellement, à travers toute la population égyptienne. Au début du Moyen
28. Voir
DONNÂT,
La peur du morf
I,
p.
298-307.
Cette étude a p p r o f o n d i e des let-
tres aux morts n'a malheureusement pas encore été publiée.
143
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Empire, presque tous les enterrements étaient orientés nordsud, face à l'est ; et des objets symboliques sont présents aussi bien dans les tombes de l'élite que dans celles du reste de la population. Ainsi, on voit clairement que des idées funéraires d'origine royale, ou au moins élitaires, se diffusaient. Suivant la coutume égyptologique, on pourrait désigner ce processus comme une « démocratisation » de la culture funéraire. Mais il faut retenir ici que, dans l'analyse de S E I D L M A Y E R , les Textes des Cercueils ne jouent aucun rôle ; ce qui est compréhensible du fait que ces textes n'étaient encore (pratiquement) pas utilisés dans les tombes de la Première Période Intermédiaire étudiées par lui. Ils n'apparaissent qu'au moment où le pouvoir royal sur un pays unifié se rétablit, évolution très difficile à expliquer selon « l'hypothèse démocratique ». Il faut en conclure que l'émergence des Textes des Cercueils doit être étudiée c o m m e un phénomène indépendant des bouleversements sociaux de la Première Période Intermédiaire. Avant de poursuivre notre enquête sur ces textes, tournons-nous une dernière fois vers la composition des équipements funéraires. Il est évident que ces objets furent déposés dans la tombe dans un cadre rituel. Or, de nombreuses scènes montrent ces artefacts portés vers la tombe au cours des funérailles. Cet ensemble d'objets, nommé en égyptien dbj.wt<.y>t,
qrs.t<.y>to\i
fait son apparition, avec le m ê m e nom et avec la
même sélection, dans les « frises d'objets » peintes sur les parois intérieures des sarcophages du début du Moyen Empire (on comparera un exemple des deux catégories à la fig. 1 9 ) . Les éléments caractéristiques en sont le chevet, le miroir, les colliers wsh et leurs contrepoids, les bracelets, les colliers de petites perles rondes et ovales, les arcs et les flèches, les bâtons, et enfin les sandales. Ils sont apportés à la tombe dans cet ordre et sont représentés sur les parois des cercueils de la m ê m e manière, les objets associés à la tête, par exemple, étant peints 144
FIG. 1 9 : A. SCÈNE MONTRANT UNE PROCESSION DE PORTEURS DU MOBILIER FUNÉRAIRE (D'APRÈS BENI
HASAN
II, PL. VII).
. FRISE D'OBJETS D'UN SARCOPHAGE DU DÉBUT DU MOYEN EMPIRE MONTRANT UNE SÉLECTION D'OBJETS COMPARABLES (D'APRÈS ID II, PL. 147B). 145
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
à proximité de cette partie du corps . Parallèlement, dans plu29
sieurs tombes de l'époque on a retrouvé les objets réels qui doivent avoir été déposés dans la tombe pendant le rituel dbj.wt<.y>t
Toutes ces pièces sont soit des artefacts effective-
ment utilisables, soit des modèles se rapprochant de la forme d'objets employés au cours de la vie terrestre. Ils n'incluent pas de pièces d'origine royale, de sorte qu'on a ici affaire à un « rituel privé d'offrande d'objets ». Au cours du Moyen Empire, les frises d'objets commencent à inclure de plus en plus d'objets de provenance royale. L'origine des ces éléments nouveaux est claire. Un choix presque identique est visible sur la paroi nord des pyramides royales de l'Ancien Empire, l'exemple le plus patent étant celui de la reine Neith". Comme les Textes des Pyramides accompagnant ces représentations le montrent explicitement, ces éléments de l'ornement royal étaient offerts au défunt pendant un « rituel royal d'offrande d'objets ». Le fait que la source la mieux conservée apparaisse dans une tombe de reine démontre que, déjà à la fin de l'Ancien Empire, à tout le moins les femmes royales avaient accès au même type de rituel. La présence de ces objets dans le cadre des frises d'objets du Moyen Empire suggère qu'à cette époque, les particuliers avaient aussi commencé à s'intéresser à cet équipement. En m'appuyant sur l'apparition régulière des objets royaux dans les frises d'objets, j ' a i longtemps présumé que les tombes des particuliers incluaient fréquemment de tels artefacts à cette époque. Mais il a récemment été démontré que cette hypothèse n'est pas fondée. Les objets réels ne sont que très rarement attestés dans les tombes
2 9 . Pour une analyse plus poussée, voir WILLEMS, Chests of
Lite, p. 2 0 0 - 2 0 9 .
3 0 . Voir, par exemple, le mobilier funéraire de Gémeniemhat à S a q q a r a : cf., entre autres, J0RGENSEN, Egypt I, p. 1 4 8 - 1 4 9 . 3 1 . JÉOUIER, Neith et Apouif, pl. VIII et XII. Pour cette analyse, voir WILLEMS, op. cit., p. 2 0 5 - 2 0 8 et 2 2 1 - 2 2 8 .
146
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
des particuliers du Moyen E m p i r e " . À partir d'une analyse de huit sites, O P D E B E E C K renvoie au seul exemple du mobilier funéraire de Nakhti, trouvé dans le cimetière d'Assiout" et, en dehors de ce matériel, aux tombes de la dame Sénebtisi à Licht et des membres de la famille royale à Dahchour". A cette petite collection on peut ajouter d'autres exemples, mais ils sont peu nombreux. Mésehti, propriétaire d'une des grandes tombes d'Assiout,
semble avoir possédé une sélection
comparable
d ' o b j e t s " . A Deir el-Bersha, le cercueil de Néferi, l'intendant (im.y-r pr wr) du nomarque Djéhoutihotep, contenait un choix de modèles des mêmes pièces"". Le matériel originaire de Licht et de Dahchour provient d'un roi et de l'entourage immédiat des rois de la fin du Moyen Empire, Il n ' e s t pas exclu que les coutumes funéraires dans ce groupe aient différé de celles des autres Égyptiens, et ces équipements datent majoritairement d'une époque plus récente que celle dont nous nous occupons ici. Nous ne pouvons donc retenir que trois exemples attestant que le « rituel royal d'offrande d'objets » avait été célébré pour un particulier au Moyen Empire".
32. O P DE BEECK, A Functional Analysis of Egyptian Burial Equipment, p. 663. CHASSINAT, PAIANQUE, Fouilles d'Assiout, p. 110-111. M A C E , W I N L O C K , Senebtisi, p. 76-103 et pl. XXVII-XXXII ; DE M O R G A N , Dahchour
33. 34.
I, p.
96 ; 100
fig. 105
(le roi Hör) ;
109-114 (la
reine N o u b h o t e p ) ; Dahchour II, p.
35. Z I T M A N , The Necropolis of Assiut, p.
36.
45-46
et
(Ita) ; p. 60 (Khnoumit) ; p. 97 et fig. 141 (Sénousret III).
DARESSY,
202.
ASAE 1 (1900), p. 42, fig. 1.
37. O n pourrait songer à ajouter à ces exemples les bâtons trouvés dans la tombe de Gémeniemhat à S a q q a r a (HASSAN,
Stöcke und Stäbe, p. 78-80 et fig. 21). La
plupart de ces objets ne peut pas être attribuée avec certitude au rituel royal, mais un d'entre eux, le pd-h',
appartient à ce groupe.
Très récemment, j'ai pris connaissance d e plusieurs ensembles du même type de matériel exposés au Musée du Caire, mais je n'ai pas encore pu déterminer s'il
3/11/25/11 5 / " / 2 5 / ' - 3 ; 5 i 7-8 ; 11-
s'agit d e matériel supplémentaire : g r o u p e 1 : Registre temporaire no.
3 ; 6-7 ; 9 ; 12-16 ; 18 ; 20-21 ; 23 ; 25
; groupe
2
: no.
12 ; 15-16 ; groupe 3 : no. 7 / 1 1 / 2 5 / ' ; 3-4 ; 6 ; 8 ; 12 ; 15 ; 19. 147
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Sans cloute notre documentation est-elle biaisée. Les chances de préservation d'un plancher de sarcophage montrant tout un choix d'objets sont probablement plus grandes que celles d'un ensemble intact des objets eux-mêmes. On est donc en droit de présumer des pertes importantes. Par ailleurs, chaque sarcophage décoré avec une frise d'objets ne comporte pas des objets royaux. Il ne s'agit que de quelques dizaines d'exemplaires. Néanmoins, la différence quantitative entre les deux groupes est frappante. Il semble que le rituel royal fut moins régulièrement célébré de manière effective pour les individus non royaux que représenté sur les parois de leurs sarcophages. Le cas n'est pas sans rappeler les renvois réguliers au rituel de l'embaumement dans l'iconographie et dans les Textes des Cercueils, qui contrastent avec la rareté de la momification des particuliers à la même époque . 18
Les indications que nous possédons concernant la célébration du rituel royal sont intéressantes d'un point de vue sociologique. Dans le cas de Mésehti, il s'agit d'un chef des prêtres d'Assiout, titre qui désigne régulièrement l'administrateur le plus élevé d'une communauté locale. Dans le cas de Nakhti et de Néferi, nous n'avons pas affaire à des « nomarques », mais à des administrateurs agissant à un niveau juste en dessous de celui des chefs locaux. C'est donc dans ce spectre social qu'on peut s'attendre à trouver des rituels funéraires d'inspiration rovale. Cependant, même là, les indices conservés ne sont pas fréquents. La quantité, de beaucoup plus importante, des sources des Textes des Cercueils pourrait suggérer que leur diffusion était d'ordre plus large. Et, de fait, l'égyptologie moderne semble considérer ceux-ci comme l'expression de la religion funéraire du Moyen Empire dans son ensemble. Pour faire la preuve de la légitimité de ce point de vue, on devrait démontrer, première38. Voir infra, p. 149-150.
148
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
ment, que les Textes des Cercueils étaient accessibles au moins à une grande partie de la population, et, deuxièmement, qu'ils sont attestés partout en Egypte. Les pages qui suivent seront consacrées à l'analyse de cette problématique. UNE
PERSPECTIVE D É M O G R A P H I Q U E
SUR LES TEXTES DES C E R C U E I L S
L'égyptologie, c o m m e toute discipline qui s'occupe d'un passé lointain, est condamnée à produire des généralisations sur la base d'une documentation dont on ne peut guère estimer la représentativité. D e cette manière, on est souvent arrivé à des conclusions qui, pour un Égyptien, pourraient avoir été assez étonnantes. Prenons comme exemple la question de la momification. Dans de nombreuses publications on peut lire que, pour les Égyptiens anciens, il était d'importance capitale que le corps soit conservé après la m o r t . Sinon, le ba n'aurait plus de point sur terre auquel se rattacher, et le défunt subirait « la deuxième m o r t ». C'est pour cette raison que les Égyptiens auraient embaumé leurs morts. Cette manière de voir est très répandue", mais elle n'est pas sans poser problème. O n s'explique mal, entre autres, que la grande majorité des Égyptiens n'ait pas été momifiée avant les époques tardive et copte ". 4
39- Voir, p a r exemple,
SPENCER, Deafh in Ancient Egypt,
29-30, qui parle d'un
« Egyptian belief in a continued existence in which survival d e p e n d e d upon the preservation o f the b o d y in a r e c o g n i z a b l e form. This belief w a s to b e c o m e the driving force behind much of Egyptian funerary practice ... » ; ou IKRAM, D O D S O N , The M u m m y in Ancient Egypt, p. 108, q u i écrivent : « The Egyptians believed that the intact b o d y w a s necessary for the afterlife ». 40. Pour la période qui nous occupe, un indice d e cet état d e fait est, entre autres, la présence d e vases et d e boîtes à canopes. A Deir el-Bersha, d e tels artefacts ont été retrouvés dans la tombe d e la dame Djéhoutinakht d e la Première Période Intermédiaire, dans quelques tombes d e la z o n e 2 (un vase à canopes découvert en 2 0 0 6 contenait encore les viscères momifiés), et dans une tombe dans la plaine. M a i s la grande masse des corps exhumés ne présente aucun signe d'avoir été momifiés. Le cas de Deir el-Bersha n'est pas unique, comme le montre, p a r exemple,
149
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Doit-on vraiment penser que les masses populaires n'avaient pas d'espérance d'une survie après la mort ? Je ne peux guère le croire. La
conception égyptologique des Textes des Cercueils
c o m m e expression générale de la religion funéraire égyptienne de la Première Période Intermédiaire et du Moyen Empire pourrait être d'ordre non moins problématique, surtout si l'on croit que ces textes reflètent la pensée des couches inférieures de la société égyptienne. Un tel point de vue implique que ces textes expriment des idées valables pour tous. Si cela était vrai, on s'attendrait à ce que les fouilles aient mis au jour des sarcophages inscrits avec des Textes des Cercueils à travers toute l'Egypte, et que ces sarcophages aient eu des propriétaires appartenant à toutes les couches sociales. L'archéologie montre, en effet, que posséder un sarcophage n'était pas un fait exceptionnel pendant la Première Période Intermédiaire et le Moyen Empire. Malencontreusement, les publications sont généralement très laconiques quand il s'agit de sarcophages non décorés. Pour cette raison, il est certain que
l'analyse faite par ZITMAN du cimetière d'Assiout, où la plupart des défunts ne furent apparemment pas non plus momifiés. En effet, il cite très régulièrement des corps non momifiés (The Necropolis of Assiut, passim). M ê m e la présence de vases à canopes ne prouve pas que le défunt avait été embaumé, puisque ces objets n'avaient souvent pas été utilisés ; fréquemment, ils ne pouvaient pas l'être, car il s'agissait de simulacres massifs (SEIDLMAYER, Gräberfelder, p. 427). Un cas comparable est celui de la dame Hétep dont ENGELBACH a trouvé la tombe à Riqqa (ENGELBACH, Riqqeh a n d Memphis VI, p. 28 et pl. XXVI). La dépouille mortelle de Hétep n'avait pas été embaumée, mais elle possédait un sarcophage du type IVaa, sarcophage dont les parois sont décorées avec des colonnes à textes ornementaux. Comme on le sait depuis l'étude par J. A S S M A N N d u texte inscrit sur le couvercle du sarcophage du roi M é r e n p t a h , ce modèle sert à perpétuer la situation de la salle d'embaumement ( M D A I K 2 8 / 2
[1973], p. 130 ; pour la signification de la
décoration du type IV, voir aussi W I L L E M S ,
ChesH of Life, p. 136-159). Le mobilier
funéraire de Hétep affirme donc la valeur de l'idée de la momification pour la morte, mais aussi qu'elle n'avait pas été réellement momifiée. De tels indices suggèrent qu'une momification effective n'était pas essentielle, bien q u ' u n e allusion optionelle au rituel de momification ne fût pas gênante.
150
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
la documentation doit être très incomplète, surtout en ce qui concerne les tombes les plus pauvres. Il se pourrait aussi que les coutumes n'aient pas été identiques d'un site à un autre. A Deir el-Bersha, très rares sont les cas où m ê m e une tombe pauvre ne dispose pas d'un cercueil, et la situation pourrait être similaire sur bien d'autres sites . En revanche, les fouilles de H O G A R T H 41
à Assiout ont révélé beaucoup de tombes sans cercueils , fait 42
remarquable, parce qu'aucun site n'a fourni autant de sarcophages qu'Assiout ! Quoi qu'il en soit, les cercueils ne constituent pas un élément rare. Malheureusement, dans la plupart des cas, ils ont été fabriqués en bois local de qualité médiocre. Ce matériau se conserve mal, m ê m e dans des conditions désertiques, comme à Deir el-Bersha. Mais l'expérience m'a montré que, si l'on nettoie très soigneusement ce qui reste de ces sarcophages, on peut encore déterminer qu'ils sont généralement non décorés ou, tout au plus, peints en rouge ou en jaune monochrome. D'ordinaire, toute forme d'ornementation en est absente. Les égyptologues, la plupart du temps, ne s'occupent que des sarcophages décorés. On doit se rendre compte que la présence m ê m e de tels objets montre déjà qu'on a affaire à un mobilier de choix. Ils sont normalement confectionnés en bois d'une bonne qualité ; il s'agit parfois de bois de cèdre importé du Liban, qui devait être très coûteux. La grande majorité de la population ne possédait pas un tel artefact. De surcroît, parmi les sarcophages décorés, une minorité seulement comporte des Textes des Cercueils. Il est évident que l'intérêt presque exclusif des archéologues pour cette minorité a introduit une distorsion à la fois dans la documentation et dans l'interprétation. La chance qu'un sarcophage soit publié dépend en grande mesure de la présence de décoration, et surtout de textes. Cela dit, le
41- O P DE BEECK, A Functional Analysis of Egyptian Burial Equipment, p. 587. 42. Voir Z I T M A N , op. cit., possim.
151
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
fait qu'un défunt possède un sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils est, en soi, un indicateur d'une position sociale d'un certain niveau. Le problème est de déterminer plus exactement quelle était la probabilité, pour un Égyptien, de disposer d'un ou plusieurs sarcophages portant des Textes des Cercueils ou d'un sarcophage décoré mais sans ces textes. Pour arriver à une conclusion fiable, il faudrait pouvoir comparer le nombre de propriétaires de tels sarcophages avec le nombre total de morts. Évidemment, il n'est pas possible d'établir une quantification très exacte, mais il me semble tout de m ê m e envisageable de proposer un ordre de grandeur. Pour aboutir à un résultat, il convient tout d'abord d'estimer la population égyptienne au Moyen Empire. Les égyptologues qui se sont occupés de la démographie égyptienne se sont surtout intéressés à la situation à l'époque ramesside et aux époques tardive et gréco-romaine. Même pour ces périodes relativement bien documentées, les renseignements ne sont malheureusement pas très clairs. Selon l'étude récente de K R A U S , l'évolution de la population entre l'époque saïte et le premier siècle de notre ère aurait probablement obéi à la courbe suivante : av. J . C .
7 millions
2 8 2 av. j . C .
3 millions
£ 9 av. J . C .
$ millions
7 5 de notre ère
8 millions
i,2ç
Cette évolution, y compris la baisse énorme de la population entre ç 2 j et 2 8 2 , serait compatible avec les modèles démographiques courants '. Mais on doit avouer que le calcul 4
repose, à un degré non négligeable, sur les remarques de quelques auteurs classiques comme Diodore de Sicile, dont le bien43. 152
KRAUS, Demographie, p.
57-64.
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
fondé ne peut guère être vérifié. Des nombres entièrement différents ont récemment été proposés sur la base de documents fiscaux concernant le Fayoum, qui donnent une idée de la densité de la population dans cette région. A partir de cette base, C L A R Y S S E et T H O M P S O N ont calculé que la population égyptienne du début du n f siècle avant notre ère atteignait un million et demi d'habitants . 44
Pour le Nouvel Empire, S C H A E D E L décomptait huit à neuf millions d'individus, nombre qui est encore parfois utilisé, mais dont K R A U S a montré qu'il était très douteux . JANSSEN admet 45
une évaluation oscillant entre quatre millions et demi et sept millions . B A E R a estimé une population d'environ quatre mil46
lions et demi d'habitants . Intuitivement, les deux estimations 47
m e semblent très hautes. L'enquête plus poussée de B U T Z E R arrive à un total d'environ trois millions pour le Nouvel Empire, nombre qui a récemment été accepté par K E M P
4 S
et,
avec des réserves, par K R A U S . 49
Pour le Moyen Empire je ne peux renvoyer qu'à l'étude de B U T Z E R , qui calcule la population entre un million et demi et deux millions' . Mais notre documentation provient presque 0
entièrement de Haute Egypte. Pour cette région,
BUTZER
estime la population à un million cent mille habitants . 51
44. CLARYSSE, T H O M P S O N , Counting the People I I , p. 100-102. 45. KRAUS, Demographie, p. 116-117. 46. JANSSEN, SAK 3 (1975), p. 136. 47 BAER, JARCE 1 (1962), p. 43-44. 48. BUTZER, Early Hydraulic Civilization, p. 82-98; voir surtout fig. 13, p. 85 Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization , p. 29-30.
; KEMP,
2
49.
« Zum einen fehlen Daten zu Verteilung und G r ö ß e , die über das von Karl
BUTZER zusammengestellte Material hinausgehen » : KRAUS, aux p.
233-234,
Demographie,
p.
115 ;
il opère prudemment sur la base du calcul d e BUTZER.
50. Renvoyant à la même étude, KEMP estime la population entre un et un million et demi d'habitants : TRIGGER, KEMP, O ' C O N N O R , LLOYD,
Ancient Egypt,
p.
103.
Cela
doit être une erreur. Malheureusement, l'étude de KRAUS ne contient pas de commentaire sur l'estimation de BUTZER. 51. BUTZER, op. cit., p. 84.
153
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Dans son étude sur la démographie égyptienne, J . K R A U S exprime des doutes sur les estimations de B U T Z E R , qu'il qualifie de « relativement basses » . Pour l'instant, il n'existe pas de 52
données indiquant quelle correction pourrait être réaliste ; mais, pour ce qui suit, il est important d'avoir à l'esprit que chaque augmentation du nombre d'habitants aurait comme effet de renforcer les conclusions que nous allons tirer. Par ailleurs, on doit envisager la durée de vie moyenne. Sur ce point, les études sont aussi très éparses. Ce qui donne peutêtre une indication est la situation à Tell el-Dab a pendant la c
Seconde Période Intermédiaire. La mission autrichienne de M. B I E T A K a pu déterminer que les hommes atteignaient alors un âge moyen de 3 4 , 4 ans, et les femmes un âge de 2 9 , 7 ans, soit une moyenne globale de 3 2 a n s " . Cette espérance de vie au moment de la naissance est légèrement plus haute que la limite supérieure de 3 0 ans supposée par H O P K I N S pour l'époque romaine sur la base de modèles démographiques, et par K R A U S pour l'Egypte ancienne en général . Elle correspond plus ou 54
moins à l'estimation de J . N U N N qui conclut que la durée de vie moyenne était d'environ 3 ^ ans pour les membres de la famille royale, mais certainement plus basse pour la grande masse de la population . Par conséquent, si l'on suppose que la moyenne 55
52.
KRAUS, op. cit., p. 2 3 3 : « relativ niedrige [..]
Bevölkerungszahlen ». Tout
récemment, B. KEMP a aussi suggéré d'après les données archéologiques que les chiffres de BUTZER sont probablement trop bas. Il se demande : « should w e double it ? » ; KEMP,
Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization , 2
p.
406,
n.
7.
En effet, BUTZER
lui-même écrit que « none of the numerical data are to be taken literally » : Early
Hydraulic Civilization, p. 76. 53. Pharaonen und Fremde, p. 53
; WINKLER, W I L F I N G ,
Tell el-Dab'a VI,
p.
139. Les
cal-
culs suivants donnent l'espérance de vie moyenne au moment de la naissance, ce qui veut dire que la moyenne inclut les enfants. Le taux de mortalité pour les enfants jeunes, qui devait être très haut, a une forte influence sur la moyenne calculée.
54.
HOPKINS, Comparative
Studies in Society
a n d History
2 2 (1980),
p.
318-320 ;
KRAUS, Demographie, p. 2 3 6 .
55-
N U N N , Ancient
référence.
154
Egyptian Medicine,
p.
22.
Je remercie Emiel KUIJPER pour cette
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
pour Tell el-Dab'a est applicable à toute l'Egypte, on peut en déduire que le nombre annuel de morts avoisinait trente-quatre mille trois cent soixante-quinze personnes dans la région qui nous intéresse particulièrement, la Haute Egypte. D'autres estimations proposent une espérance de vie, au moment de la naissance, beaucoup plus basse. Pour le cimetière prédynastique N 7 0 0 0 à Naga el-Deir, M O R T E N S E N a estimé une durée moyenne de 2 8 , 4 1 ans . Pour la population d'Assouan, 56
qui date en grande majorité de l'époque qui nous occupe, et est culturellement comparable, on a atteint une estimation de 2 c , 8 2 ans . L'espérance de vie moyenne calculée par B A G N A L L 57
et F R I E R pour l'époque romaine est encore inférieure : 2 2 , c ans pour les femmes, au moins 2 ç ans pour les h o m m e s " . Avec un calcul fondé sur une telle moyenne d'environ 2 c ans, la mortalité annuelle monterait à quarante-quatre mille individus. Dans l'hypothèse où l'on suivrait ce dernier calcul, les tendances que nous croyons pouvoir déceler concernant la popularité des Textes des Cercueils deviendraient encore plus claires. Par souci de prudence, on n'utilisera pas ce chiffre, mais celui, plus modeste, de trente-quatre mille trois cent
soixante-quinze
morts par an.
56.
MORTENSEN,
Ä&L 2 (1991], p. 28. Pour quelques autres cimetières de la même
é p o q u e , MASALI et CHIARELLI ont atteint une estimation similaire de 30 ans (Journal o f Human Evolution
57-
1 [1972], p. 161-169].
RÖSING, Q u t f a e t el H a w a ' und
Elephantine, p. 112, tab. 18, colonne e, à l'âge
de o ans, et p. 115. Un nombre c o m p a r a b l e peut être calculé pour la population d'une tombe d e la fin du M o y e n Empire récemment découverte à Tbèbes (voir GRAEFE, Die
Doppelgrabanlage
« M », p. 64, fig. 1).
58. BAGNALL, FRIER, The Demography o f Roman Egypt, p. 100. TOSHA DUPRAS, une anthropologue qui étudie, depuis des années, le matériel anthropologique du cimetière romain d'Ismant al-Kharab (Oasis d e Dakhla), m'informe qu'elle a l'impression que cette estimation doit être trop basse. Il a été suggéré q u e l'espérance d e vie moyenne à l'époque romaine n'atteignait même pas l'âge d e 20 ans (MESKELL, Archaeologies o f Social Life, p. 169). Ici, on ne tiendra pas compte d e ce point d e vue extrême, pour lequel aucun argument n'est avancé.
155
1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
On doit aussi estimer le nombre de sarcophages décorés qui ont originellement existé. Evidemment, les exemplaires qui subsistent de nos jours ne représentent pas le total. Beaucoup de tombes ont été pillées, souvent plusieurs fois et, de prime abord, on pourrait avoir l'impression qu'il est impossible d'aboutir à une quantification utilisable. Mais cette perspective me paraît trop sombre. QUANTlflCATION
DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À DEIR
EL-BERSHA
A Deir el-Bersha, les sarcophages décorés et inscrits de Textes des Cercueils font presque entièrement défaut dans la plaine (zones 8 - 1 0 ) et dans la zone 4 , mais on les trouve en grande quantité dans les zones 1 et 2 (voir fig. 9 ) : le secteur des tombes nomarcales. Les cinquante-cinq (parties de) sources qui ont jusqu'ici été recensées dans la littérature proviennent probablement t o u t e s " de ce dernier secteur du cimetière. Sept d'entre elles ne sont pas des sarcophages, mais des boîtes à canopes ou des parois de tombes. Neuf autres sarcophages décorés, mais sans Textes des Cercueils, ont également tous été trouvés dans cette zone . J'ai connaissance de deux (fragments 60
de) sarcophages supplémentaires, sans doute aussi originaires de la zone 2 et porteurs de Textes des Cercueils. Le total atteint alors soixante-six, dont cinquante-huit cercueils. En dehors des zones 1 et 2 , ce type de matériel est presque totalement absent. Dans la zone 8 , au pied de la montagne, R E I S N E R a mis au jour un très grand mastaba qui a fourni un morceau de sarcophage inscrit. Nos propres fouilles ont conduit à la découverte d'une autre tombe dans la zone 9 , qui avait contenu un sarcophage
5 9 . À vrai dire, il existe un nombre restreint de sarcophages dont la provenance n'est pas connue avec certitude, mais ces sarcophages ressemblent fortement à ceux dont l'origine est documentée, et qui proviennent tous des zones 1 et 2.
60. Voir les listes dans LAPP,
156
LESKO, Index, p.
Typologie, p. 274-279-
7
; WILLEMS,
Chests of Life, p.
20-21, p. 35 ;
ifS
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
décoré avec des Textes des Cercueils. Il s'agit d'une tombe de très grandes dimensions, qui n'a, dans ce secteur, aucun parall è l e . Un fragment de sarcophage inscrit de Textes 61
des
Cercueils a été trouvé dans une tombe de la zone 4 . Il est clair que les Textes des Cercueils avaient, sur ce site, une distribution spatiale pratiquement restreinte aux zones 1 et 2 . La zone 1 ne contient que deux puits funéraires dont le plus petit abritait les cercueils de la dame Sathedjhétep ( B 3 C , B 4 C ) , et l'autre des morceaux de sarcophage inscrits avec des Textes des Cercueils, qui n'ont, malheureusement, pas été publiés . 62
Chacun des deux individus enterrés là possédait donc ce type de matériel. Dans la zone 2 , quarante-sept puits funéraires sont actuellement connus, dont fa plupart est indiquée sur le plan de la figure 1 0 . Au moins trois d'entre eux n'ont pas encore été explorés, de sorte qu'ils ne seront pas inclus dans la présente enquête. Tous ces puits se trouvent dans une région qui a été intensément fouillée, où la roche vierge est, de nos jours, presque partout visible. Le seule exception est le secteur immédiatement à l'est de la tombe du nomarque Ahanakht 1 , où se ER
trouve une tombe entièrement écrasée. Là, on petit s'attendre à l'existence de trois puits nouveaux, de sorte que le nombre total de puits s'élèverait à une cinquantaine. Pour le reste, il est presque certain qu'aucun puits supplémentaire n'y sera découvert. Cette aire occupe une surface d'environ 4 0 x l o j mètres ( 4 2 0 0 m ) . La densité moyenne des puits y est de 1 , 2 par 1 0 0 m . 2
2
Plus à l'ouest, le cimetière a également été attaqué par nos prédécesseurs, mais il est évident qu'on n'y a pas travaillé de manière aussi soutenue. Le sol y est encore couvert, de nos jours, par d'énormes quantités de déblais des carrières de calcaire et, bien que des tombes soient visibles çà et là, on ne
6 1 Voir recrus,
MÙÂIK 60 (2004),
p. 2 6 8 .
6 2 . DARESSY, ASAE 1 (TOOO), p. 18-22.
>57
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
connaît pas leur nombre total. Ce secteur est moins grand, et sa surface pourrait avoisiner
IJOO
m' environ. Si l'on suppose
que la densité des tombes était la m ê m e que dans l'autre partie, on devrait s'attendre à trouver dix-huit puits supplémentaires, avec un total pour la zone 2 de soixante-huit puits. Presque tous les puits y sont de très grande taille, généralement avec une longueur d'environ 3 mètres et une largeur approximative de 1 mètre et demi, et une profondeur variant entre 4 et plusieurs dizaines de mètres. Il s'agit donc certainement d'un cimetière de la haute élite. Dans le cas de la tombe de Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / i ) ' , des cinq puits en face de celle6
ci, et des tombes nomarcales avoisinantes d'Amenemhat (à l'est) et de Djéhoutinakht VI (à l'ouest, mais non représentée sur la fig. 1 o) chaque individu possédait au moins un sarcophage décoré dont tous, sauf un, étaient ornés de Textes
des
Cercueils. Plus à l'est, dans la tombe de Nehri I", le seul puits que nous avons exploré a fourni des fragments infimes d'un ou plusieurs sarcophages décorés de Textes des Cercueils. Dans la partie centrale, les informations disponibles ne sont pas claires, mais encore plus à l'est, on rencontre la fameuse tombe 1 0 de Djéhoutinakht trouvée par R E I S N E R . Le nomarque et sa femme possédaient
cinq
sarcophages, tous avec des Textes
des
Cercueils. D'autres furent découverts dans un puits dans la cour d'accès de la t o m b e . La tombe 1 7 K 8 4 / 1 n'a pas encore 64
été fouillée, tandis que celle d'Ahanakht I renfermait les deux er
cercueils du nomarque, actuellement à Philadelphie ( B i - 2 P h ) , et je pense avoir identifié des fragments d'un autre cercueil qui pourraient provenir de cette m ê m e tombe. Les autres chambres funéraires de ce complexe, ainsi que les petites tombes 1 7 K 7 4 / 1 - 3 , conservaient des fragments de cercueils, mais je 63. Fragments découverts par la mission belge ; voir B. VERREPT, dans : WILLEMS et
al, MDAIK 62 (2006), p. 309. 64. Les cercueils B1-8B0 ; voir Paintings of tfie Middle
158
Kingdom.
pour la fouille de REISNER, TERRACE,
Egyptian
IFS
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
n'ai pas de renseignement sur la présence, ou non, de décoration. En ce qui concerne les tombes encore plus à l'est, les informations disponibles sont, à nouveau, éparses ; la tombe la plus orientale, celle du nomarque Nehri II, contenait un panneau fragmentaire de sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils . Enfin, deux grands puits à l'ouest (dont l'un seule65
ment est indiqué sur la fig. 1 0 ) recelaient trois cercueils décorés qui ne portent pas de Textes des Cercueils . 66
Bien qu'il soit clair que nos connaissances restent lacunaires,
il est vraisemblable que chaque nomarque du Moyen
Empire
possédait
des sarcophages
ornés
de Textes
des
Cercueils, et que tous les défunts enterrés dans ce cimetière devaient disposer au moins d'un
sarcophage décoré.
On
connaît actuellement des (fragments d') ensembles appartenant à environ trente-sept personnages du Moyen Empire, dont neuf avaient un cercueil décoré, mais sans Textes des Cercueils. Dans l'hypothèse que cette répartition soit statistiquement significative, on peut estimer que 2 4 % des défunts avaient un cercueil décoré, mais sans textes, tandis que le reste (76 % ) bénéficiait des Textes des Cercueils. En outre, on constate qu'il n'était pas très commun dans les zones 1 et 2 d'enterrer plus d'une personne dans une chambre funéraire, bien qu'un puits funéraire conduise, parfois, à deux ou m ê m e trois salles. Les soixante-huit puits pourraient donc avoir contenu au plus cent trente corps environ. De ces cent trente individus, une centaine au plus (—76 % ) disposaient d'un sarcophage avec des Textes des Cercueils. Étant donné la rareté des indices en faveur de la présence des Textes des Cercueils dans le reste du cimetière, le nombre total de personnes oossédant cette sorte de documents ne pourrait guère avoir dépassé cent dix.
05- N o n publié. Trouvé par la mission des Universités de Leyde et Philadelphie et le Museum of Fine Arts de Boston en
1990.
66. DARESSY, ASAE 1 (1900), p. 2 4 2 5 ; WILLEMS, Chests of fife, p. 79 (B14C ; B4-5).
159
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
C o m m e nous connaissons vingt-huit de ces individus, on peut conclure prudemment qu'à Deir el-Bersha, on conserve environ 2 j % du matériel originel, bien que souvent dans un état très fragmentaire.
QUANTIFICATION
DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À BEM
HASAN
Un autre exemple intéressant est celui de Beni Hasan. Bien que très peu de ce matériel ait été publié d'une manière utilisable, et que la plupart des cercueils ait été dans un très mauvais état de préservation, on dispose néanmoins de renseignements précieux. Dans les années 1 9 0 2 - 1 9 0 4 , G A R S T A N G avait fouillé huit cent quatre-vingt huit tombes. Sa publication inclut une liste d'objets groupés par tombe. En dépit d'un certain nombre d'erreurs avérées dans cette enumeration, elle fait état de (fragments de) cent trente-trois sarcophages environ '. 6
La plupart des tombes contenait une seule inhumation, mais il en existe aussi où l'on en a trouvé plusieurs. En supposant que les huit cent quatre-vingt huit tombes contenaient les dépouilles de mille m o r t s , les (restes de) cercueils que nous connaissons pourraient représenter 1 3, 3 % de la quantité ori ginelle (on opère ci-dessous sur la base du chiffre rond de 1 j % ) . Bien que la liste de G A R S T A N G manque de précision, il semble que le fouilleur spécifiait les cas où les sarcophages étaient inscrits ou décorés. Il s'agit de quatre-vingt sept exemplaires à peu près, donc 6 j % des cent trente-trois sarcophages. Dans l'hypothèse que ce nombre aussi représente 1 j % de la quantité originelle, on devrait compter avec six cent cinquante cercueils décorés. Parmi le matériel exhumé par G A R S T A N G , quatorze sarcophages portaient un décor à l'intérieur et donc, probablement, 67.
GARSTANG,
Burial Customs, 211-244. GARSTANG décrit ce matériel en termes très
vagues ; par exemple, q u a n d il stipule avoir trouvé des « fragments of w o o d e n coffins », doit-on vraiment en déduire que les fragments appartenaient à plus d'un seul cercueil ? Le chiffre pourrait donc être plus bas que je ne le suppose ici.
160
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
des Textes des Cercueils. Si l'on suppose qu'on possède également i { % de ces sarcophages, le total originel serait d'un ordre de grandeur d'une centaine. On peut remarquer que la documentation de Beni Hasan fait une impression relativement pauvre, à en juger par les photographies assez vagues de la publication de G A R S T A N G , et par son matériel conservé actuellement à Liverpool . G A R S T A N G se 68
réfère continuellement à un nombre restreint de sarcophages décorés à l'intérieur. S'il en avait trouvé davantage, on s'attendrait à ce qu'il ait également mentionné ce matériel, ce qui n'est pas le cas. Aussi nos calculs opèrent-ils sur la base de l'hypothèse que chaque m o r t , sur ce site, possédait un cercueil, ce qui n'est pas forcément exact. Il se pourrait donc que la présence d'un sarcophage décoré (ou m ê m e d'un sarcophage) dans chaque tombe ne soit pas systématique. Dans ce cas, l'estimation que je viens de donner pourrait bien être trop haute.
QUANTIFICATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À ASSIOUT
Pour finir, jetons un coup d'œil sur le site d'Assiout. Dans sa publication des Coffin Texts, D E B U C K n'utilisait que vingtsept sources. Mon étude sur les sarcophages du Moyen Empire ne s'occupait pas vraiment du matériel d'Assiout dont l'évolution typologique se distingue sensiblement de ce qui était normal dans le reste de l'Egypte, mais ma liste dénombrait déjà soixante dix-huit sources, tandis que l'étude de L A P P renvoie à quatre-vingt huit. Bien sûr, il s'agit, dans la plupart des cas supplémentaires, de sarcophages que de Buck connaissait également, mais qui ne sont pas ornés de Textes des Cercueils. Il a toujours été clair que ces listes plus récentes doivent, elles aussi, être incomplètes, étant donné l'apparition fréquente de nouveaux exemplaires d'Assiout sur le marché des antiquités ou dans des collections privées. À cet égard, Assiout diffère
68. J'ai étudié ce matériel en 1084.
l6l
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
entièrement des autres sites égyptiens. L'étude approfondie de Z I T M A N a permis de dresser une liste de deux cent quatre-vingt douze sources inscrites . D e surcroît, il fait état de l'existence 69
d'un groupe supplémentaire de quatre-vingt treize sarcophages, dont neuf modèles de sarcophages, conservés au musée de Turin, qu'il n'a pas pu étudier. Avec ce matériel, le total s'élèverait
à
trois
cent
quatre-vingt
quatorze
exemplaires.
Cependant, plusieurs de ces sources remontent à l'Ancien Empire et à la Première Période Intermédiaire. En outre, sa liste inclut quelques boîtes à canopes, sarcophages anthropomorphes, sarcophages provenant de sites avoisinants, et des sarcophages dont l'attribution à Assiout est discutable. Dans ce qui suit, j e pars d'une liste légèrement modifiée de deux cent soixante-treize sarcophages, nombre auquel on peut ajouter les quatre-vingt treize artefacts de Turin qui existent certainement, mais sur lesquels je n'ai pas de renseignements ; un total, donc, de plus de trois cent soixante-six sarcophages. Tous sont des exemplaires décorés. Assiout doit être considérée comme le site de loin le plus riche en sarcophages décorés du Moyen Empire. Deux questions s'imposent ici. D'abord se pose la question de la proportion de sarcophages ornés de Textes des Cercueils. Avant d'aborder ce point, on doit faire une remarque préliminaire. Sur la plupart des sites, deux grands groupes de sarcophages décorés peuvent être définis : 1 ° sarcophages décorés à l'extérieur, mais non à l'intérieur. Ces exemplaires ne portent généralement que peu de textes. Il s'agit de bandes de formules d'offrande et d'autres textes stéréotypés, écrits en hiéroglyphes ornementaux. Bien que reproduits sur des sarcophages, l'égyptologie ne considère pas ces textes comme Textes des Cercueils. 69.
Pour une liste de sources, voir Z I T M A N , The
Necropolis of Assi'ut, p. 105-152.
L'étude récente de H A N N I G , opère sur la base d e plus d e deux cents sarcophages (Zur Paläograph/e der Särge aus Assiut, p. VII).
l62
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
2° sarcophages décorés à l'extérieur et à l'intérieur. Les Textes des Cercueils constituent normalement un des éléments les plus significatifs de la décoration intérieure. Bien qu'il existe des cercueils décorés à l'intérieur qui ne portent pas de Textes des Cercueils, cela n'est pas très habituel. A Assiout, le premier groupe diffère du matériel des autres parties de l'Egypte car les textes ornementaux y sont plus variés qu'ailleurs. Les formules d'offrande elles-mêmes sont souvent constituées de manière entièrement différente, et on introduit aussi des formules religieuses nouvelles dont on trouve, sur d'autres sites, des variantes parmi les Textes des Cercueils. Il s'agit des formules 3 0 , 3 1 , 3 2 , 3 4 c et 6 0 9 . Parfois, on rencontre également des combinaisons de formules d'offrande et de ce groupe de textes. Cet accroissement du nombre de textes à l'extérieur des cercueils est possible parce que les cercueils d'Assiout présentent parfois, au cours de la XII' dynastie, un dédoublement, ou même un triplement, des bandes de textes ornementaux. On pourrait regrouper ces sarcophages avec l'ensemble comportant des Textes des Cercueils. Mais il m e semble plus objectif de dire qu'on est en présence, à Assiout, d'une tradition différente dans la formulation des textes ornementaux ; ils peuvent non seulement consister en formules d'offrande, mais aussi en une sélection très réduite du matériel utilisé ailleurs sous la forme des Textes des Cercueils. Du reste, même dans les cas les plus élaborés, le programme textuel attesté à l'extérieur reste très restreint et relativement invariable. Pour toutes ces raisons, les cercueils contenant les formules 3 0 - 3 2 , 3 4 ^ et 6 0 9 parmi leurs formules ornementales sont considérés ici comme appartenant au groupe 1 . Dans cette perspective, nous définissons donc un Texte des Cercueils comme un texte écrit en hiéroglyphes de petit module ou en hiératique, surtout à l'intérieur des cercueils, et non pas en hiéroglyphes de grand module à l'extérieur. La liste de Z I T M A N contient deux cent soixante-treize sarcophages provenant d'Assiout, de type rectangulaire, et datant du 163
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Moyen Empire. Cinquante-neuf sont décorés à l'extérieur et à l'intérieur, dont au plus cinquante-deux portent des Textes des Cercueils, donc au plus 1 9 % . Malheureusement, ce matériel est en grande partie inaccessible, de sorte que j e ne suis pas en mesure de déterminer s'ils portent, vraiment tous, des Textes des Cercueils. J'en suis certain dans vingt-neuf cas ; dans vingttrois autres, je n'ai pas pu vérifier la situation. De plus, une grande partie du matériel est dans un état si fragmentaire qu'on ne peut pas exclure la possibilité que plusieurs fragments répertoriés sous des numéros différents appartiennent en fait à un seul sarcophage. Ces incertitudes ont comme effet de réduire le nombre effectif de pièces. Mais pour ne pas introduire un « facteur de correction » impossible à estimer, on part ici simplement de la présomption qu'à Assiout, 1 9 % des sources contiennent des Textes des Cercueils. Si l'on inclut les quatre-vingt treize sarcophages de Turin qui ne sont pas accessibles à l'étude, on obtient un total de trois cent soixante-six sarcophages décorés. Si l'on suppose que 1 9 % de ce total est inscrit avec des Textes des Cercueils, on a affaire à soixante-dix sarcophages de cette catégorie. Il est plus difficile d'estimer quelle proportion du nombre originellement déposé dans le cimetière représente cette quantité. Si l'on présume que sont conservés, comme à Deir elBersha, 2 c % du matériel originel, même sous forme fragmentaire, le total pour Assiout atteindrait plus de mille quatre cent soixante-quatre sarcophages décorés, dont deux cent soixante dix-huit ( 1 9 % ) avec Textes des Cercueils. Sur la base de l'hypothèse qu'on a retrouvé i c % du matériel, comme à Beni Hasan, on aurait deux mille quatre cent quarante sarcophages, dont quatre cent soixante-trois ( 1 9 % ) avec des Textes des Cercueils. Il est certain que ces deux estimations sont artificielles. La seule chose qu'on puisse dire, c'est que la comparaison avec deux cimetières rupestres très similaires, et le nombre très élevé de sarcophages d'Assiout connus, suggèrent qu'on possède une proportion significative du matériel originel. 164
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Pour éviter la possibilité d'une sous-estimation, je travaillerai par la suite sur la base de l'hypothèse, probablement beaucoup trop négative, qu'on possède, sur tous les sites d'Egypte, un maigre c % des sarcophages (complets ou fragmentaires) qui y furent originellement déposés. En fonction de ce qu'on vient de voir dans l'étude détaillée de Deir el-Bersha, Beni Hasan et Assiout, on sera, j e l'espère, d'accord sur le fait que ce n'est pas une quantification trop optimiste . 70
À la figure 2 0 , j'ai établi une liste quantitative des cercueils connus à travers toute l'Egypte. Je n'ai pas tenu compte des rares sarcophages anthropomorphes qui ne portent jamais de Textes des Cercueils, mais seulement des artefacts rectangulaires décorés. J'ai aussi généralement omis les exemples où une personne possède une tombe ou un autre type d'objet inscrit avec des Textes des Cercueils ou des Textes des Pyramides. Mais j'ai inclus cette documentation dans le cas où l'on ne connaît pas d'autre matériel portant ces textes, appartenant au même individu. Par exemple, la liste ne comporte pas le décompte global des masques funéraires. Mais à Meir, ces masques sont, dans quelques cas, les seuls vestiges du mobilier funéraire de certaines personnes. Si ces masques sont inscrits avec des Textes des Cercueils, il est clair que le propriétaire de la tombe avait accès à ce type de textes. Étant donné que notre étude envisage l'accessibilité de ces textes pour les Egyptiens, j'ai pris en compte ces exemples. La figure qui suit est fondée sur une comparaison de la liste que j'ai publiée dans Chests of Life avec celle de L A P P ; pour Assiout, je me suis entièrement appuyé sur celle de Z I T M A N
71
. Les nombres pour Beni Hasan
sont basés sur les mêmes listes et sur la liste de G A R S T A N G .
70. Comme on vient de le voir, on possède, pour le premier site, (des restes de) environ 25 % du matériel originel et, pour le deuxième, 15 % ou plus du matériel originel.
71.
WILLEMS,
Chests o f Life, p. 10-40 ; UPT», TYPOIOGIE, p. 272-313 ; Z I T M A N , The
Necropolis of Assiuf, p. V05-152.
165
LES TEXTES DES
Sites
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de cercueils
d'individus
des Cercueils
des Cercueils Assouan
1
1
1
1
2
2
el-Gebclcin
;
2
9
9
12
11
26
23
27
17
53
37"
1 ?
1 ?
Thèbes Dcndara
71
Farshut Abydos
3
Naga e l - D e i r
3
1 ?
1
1
1
1
5
5
8
8
3
7
6
2
4
4
4
3
3
2
2
2
Akhmim Q a w e!-Qebir
1 ?
Non inclus
14
3
3
8
7
II
10
2 9 ( + 2 3 ?)
24 (+23?)
221
219
2 5 0 ( + 2 3 ?)
2 4 3 ( + 2 3 ?)
Meir
71
64
61
59
132
122
Deir el-Bersha
50
28
9
9
59
37
Beni Hasan
14
9
73
72
87
81
Ihnasiya el Medina
2
2
Sedment el-Gebel
7
5
8
Haraga
2
2
D e i r Rifa Assiout
Hawara
2
2
7
15
12
9
9
11
11
1
1
1
1
Riqqa
1
1
12
12
13
13
Liebt
10
10
8
7
18
17
1
1
1
Mazghouna
1
Dahchour
N o n inclus'*
Saqqara
36
28
26
26
62
54
Abousir
4
3
11
II
15
14
K ô m el Hisn
1
1
1
1
Qatta Origine inconnue Total
1
1
1
1
10
9
3
3
13
12
2 8 1 ( + 2 3 ?)
2 2 5 ( - 2 3 ?)
499
481
7 8 0 ( + 2 3 ?)
7 0 2 ( + 2 3 ?)
FIG. 2 0 : QUANTIFICATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS SANS TEXTES DES CERCUEILS ET DÉCORÉS AVEC DES TEXTES DES CERCUEILS. 166
i f S TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
L'annexe en fin de volume reprend la m ê m e liste, augmentée de renvois bibliographiques aux listes de W I L L E M S et de L A P P et, parfois, de notices explicatives. La figure 2 o présente une quantification de sarcophages par site, et établit une distinction entre les sarcophages avec des Textes des Cercueils (colonne 2) et les autres sarcophages décorés (colonne 4 ) . Il arrive régulièrement qu'une seule personne possède plus d'un sarcophage. Le décompte du nombre de cercueils n'indique donc pas exactement le nombre des propriétaires, qui nous intéresse le plus. Les colonnes 3 et c offrent cette information pour les sarcophages comportant les Textes des Cercueils et pour les autres cercueils décorés. La colonne 6 donne le nombre total de sarcophages par site, et la colonne 7 le nombre total de propriétaires. Le nombre de sept cent quatre-vingt ( + vingt-trois ?) cercueils corrobore l'impression qu'on a affaire à une masse énorme de matériel. De surcroît, on sait qu'il existe encore quatre-vingt treize sarcophages d'Assiout à Turin, de sorte que le montant s'élève à huit cent quatre-vingt seize. Finalement, si l'on opère sur la base de l'hypothèse qu'on ne possède que ç % du matériel, les quantités doivent être multipliées par 2 0 . Dans la table suivante, le registre 2 (« total de base ») offre les totaux de la figure 2 0 . Le registre 3 offre la même quantification, mais tient compte d'une estimation fondée sur les quatre-vingt treize sarcophages supplémentaires d'Assiout (« estimation de base » ) . Le registre 4 donne le total sur la base de l'hypothèse que les sarcophages et les propriétaires actuellement connus ne représentent que ç % de la réalité (« quantité originelle » ) .
7 2 . N o n pas quarante individus, parce que plusieurs personnes possèdent à la fois un sarcophage orné de Textes des Cercueils et un sarcophage sans ces textes. 7 3 - Cette source avec Textes des Cercueils doit être antérieure au M o y e n Empire, ce qui explique le point d'interrogation. 74- Voir p. 172. 75- Voir p. 1 7 2 0 7 3 .
167
i f S TEXTES DES SARCOPHAGES
DÉMOCRATIE
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de cercueils
d'individus
des Cercueils
des Cercueils
'lotal de base
ET LA
m
248
499
4SI
80 3
m
263
574
553
896
(S 4 4 0
5 260
1! 4 8 0
11 0 6 0
17 9 2 0
720
Estimation de base
Quantitc originelle
16 1 6 0
FIG. 2 1 : ESTIMATION DU NOMBRE ORIGINEL DE CERCUEILS DÉCORÉS (AVEC ET SANS TEXTES DES CERCUEILS) ET DU NOMBRE DE PROPRIÉTAIRES. Mais m ê m e ces dernières quantités sont-elles vraiment si énormes ? Les cercueils ont été produits entre le début du Moyen Empire pendant le règne de Montouhotep II (pas avant 2 0 4 0 ) et la fin de la XII dynastie. On admet généralement que e
cette catégorie de matériel a disparu pendant le règne de Sénousret III ( 1 8 7 0 - 1 8 3 1 ) ou, au plus tard, pendant celui d'Amenemhat III ( 1 8 3 1 - 1 7 8 6 ) . On doit ainsi compter avec 7 6
une durée d'environ 2 2 j ans. La table suivante réduit la quantification des sarcophages originels et leurs propriétaires à une moyenne annuelle pour le Moyen Empire :
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de c e f a ï c i l s
d'individus
des Cercueils
des Cercueils
Quantité originelle
6 440
Il 4 8 0
11 4 8 0
Il 0 6 0
17 9 2 0
16 1 6 0
28,6
23,4
51
49,2
79,6
71,8
Quantité annuelle
FFG. 2 2 : QUANTITÉ ANNUELLE ESTIMÉE DE CERCUEILS DÉCORÉS ET DE LEURS PROPRIÉTAIRES. 76. Dates sur la base de l'Oxford History of Ancient Egypt, p. 480. T68
(FS
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
Il convient aussi de comparer ce résultat avec la mortalité totale au Moyen Empire. La table suivante offre une comparaison entre celle-ci et le nombre de morts possédant des cercueils décorés. Ces derniers proviennent dans leur presque totalité de Haute Egypte, le Delta faisant pratiquement défaut dans la documentation. C'est pourquoi on comparera la quantité annuelle des propriétaires de monuments funéraires ornés de Textes de Cercueils avec la mortalité annuelle totale pour la Haute Egypte . Cette relation est également exprimée en 77
pourcentages.
N o m b r e de propriétaires
N o m b r e de propriétaires
N o m b r e total de propriétaires
d'un ( o u plusieurs)
d'un ( o u plusieurs)
d'un (ou plusieurs)
sarcophages inscrit(s)
sarcophages d c c o r é ( s ) ,
sarcophages d é c o r é ( s )
avec des Textes des Cercueils
mais sans Textes des Cercueils
Quantité 23,4
annuelle
51
71,8
34 3 7 5
34 375
1 , 5 %o
2 , 0 8 %o
Mortalité annuelle en
Ï4
Haute Égvpte
375
Pourcentage de la population avec un
0,68
%o
sarcophage décoré * 7
FIG. 2 3 : ESTIMATION DE LA PROPORTION DE LA POPULATION TOTALE POSSÉDANT DES CERCUEILS (AVEC ET SANS TEXTES DES CERCUEILS).
Le tableau montre clairement que disposer d'un sarcophage décoré était très exceptionnel pour un Égyptien. Les proprié-
77- Voir p. 154-155. 78. Étant d o n n é q u ' u n e personne peut posséder à la fois des sarcophages avec et sans Textes des Cercueils, le pourcentage total n'équivaut pas exactement à la somme des colonnes 2 et 3.
169
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
taires d'un sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils étaient encore beaucoup plus rares . Dans l'hypothèse que j % 79
seulement de ces cercueils ont laissé une trace, un seul Égyptien sur mille quatre cent soixante-dix en détenait un. O n peut m'accuser d'être parti d'un point de départ trop pessimiste, et qu'originellement le nombre de sarcophages de ce type était plus élevé. Cela impliquerait que les chances de préservation étaient encore bien pires que je ne l'ai supposé. Même si l'on croit justifiable que i % seulement des cercueils ait été entièrement ou partiellement préservé, il ne reste pas moins qu'un faible 3 , 4 %o de la population en possédait un, donc une personne sur trois cents . Mais en se fondant sur une analyse 80
détaillée, surtout de Beni Hasan et de Deir el-Bersha, cette supposition me paraît totalement insoutenable. Une vérification indépendante est possible pour le site de Deir el-Bersha, où il est relativement facile d'aboutir à une estimation quantitative du nombre d'individus ayant eu accès aux Textes des Cercueils. Les sarcophages comportant ces textes y sont presque entièrement concentrés dans les zones 1 et 2 , et on a pu établir un pronostic sur le nombre d'individus susceptibles d'y avoir été enterrés. Notre calcul assez optimiste aboutissait à un total de cent dix individus pour la période de deux cent vingtcinq années que nous étudions. Donc, une moyenne de presque o, j morts par an possédait un ou plusieurs sarcophages avec des Textes des Cercueils. Aucun autre site dans le nome du Lièvre n'a fourni des sarcophages comportant ces textes.
79. Selon l'estimation plus basse d e l'espérance de vie de 2 5 ans environ (voir P- 155)
°
n
atteint une mortalité annuelle de quarante-quatre
an. Sur cette base, un faible 0,53
mille personnes par
% o d e la population aurait possédé un sarco-
phage décoré de Textes des Cercueils. 80. O n retiendra aussi que les calculs démographiques d e BUTZER ont été qualifiés de relativement bas par KEMP et KRAUS. Une estimation plus haute aurait comme effet de réduire le pourcentage de propriétaires de cercueils décorés.
170
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
L'étude démographique de K . B U T Z E R a établi une estimation de la densité de la population des nomes au Nouvel Empire. Pour le nome du Lièvre, avec une surface de 6 ^ 0 km , il calcule une 2
population moyenne par km de cent vingt-trois personnes. Sur 2
cette base on aboutit à une population de soixante dix-neuf mille neuf cent cinquante personnes pour le n o m e . Après correction 81
pour le Moyen Empire, où la population ne se montait, selon B U T Z E R , qu'à environ 6 9 % de ce nombre , on a affaire à cin82
quante-cinq mille personnes à peu près, soit une mortalité annuelle d'environ mille sept cent dix-neuf personnes. Si l'on compare ce nombre aux o,ç morts possédant des Textes des Cercueils, on arrive à une proportion de 0 , 2 9 %o (autrement dit un individu sur trois mille quatre cent cinquante possède des Textes des Cercueils) '. Il est évident que ce décompte n'est pas 8
exact, mais il constitue une vérification indépendante, d'ordre très général, qui suggère que notre premier calcul, d'une proportion de 0 , 6 8 %o, ne devait pas être trop pessimiste. Cette conclusion s'impose d'autant plus, si l'on tient compte du fait i ° que le site de Deir el-Bersha est un des plus riches en sources desTextes des Cercueils dans l'Egypte entière ; 2 ° que la quantification du nombre originel de cercueils inscrits de ces textes y est plus claire qu'ailleurs et 3 qu'il n'y a aucun indice, dans le nome du 0
Lièvre, témoignant de l'existence d'autres cimetières où ce type de matériel aurait été déposé. On doit en inférer que l'idée courante selon laquelle les Textes des Cercueils étaient « en principe » accessibles à tous méconnaît entièrement la réalité. Disposer des Textes des Cercueils était, au Moyen Empire, aussi rare qu'il ne l'est chez
81.
BUTZER,
Early Hydraulic Civilization, p. 74, table 3.
82. Quantification fondée sur le décompte de la population de l'ensemble de l'Egypte, de deux millions neuf cent mille pour le Nouvel Empire et deux millions pour le Moyen Empire. 83. Sur la base d'une espérance de vie moyenne de 2 5 ans, on arrive à deux mille deux cents morts par an, dont 0,5 possèdent un sarcophage inscrit de Textes des Cercueils, donc une personne sur quatre mille quatre cents ou bien 0,22
%o.
171
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
nous de posséder une Rolls Royce. Il faut en conclure que les termes de « démocratisation », « démotisation », et même « prolifération » sont inappropriés. LA DISTRIBUTION G É O G R A P H I Q U E DES TEXTES DES C E R C U E I L S
La position sociale n'est pas le seul facteur déterminant pour savoir qui possédait ce type de textes. Si tel avait été le cas, on s'attendrait à ce que des cercueils inscrits, aussi rares soient-ils, aient été découverts à travers toute l'Egypte. Mais si l'on observe à nouveau la figure 2 0 , il est clair que les choses se présentent différemment. A première vue, on pourrait avoir l'impression que la liste confirme l'hypothèse que les Textes des Cercueils sont présents partout en Egypte. Le Delta manque, bien sûr, presque entière ment dans rémunération, mais en raison des conditions de préservation dans cette partie du pays, cela n'a rien d'étonnant. Pour le reste, toute l'étendue de la Haute Egypte, entre Assouan et Memphis, est représentée. On doit alors tirer la conclusion qu'il était en principe possible d'avoir un sarcophage décoré avec des Textes des Cercueils n'importe où dans le pays. Néanmoins, la liste montre aussi que les chances de trouver un document avec ces textes ne sont pas les mêmes partout. La liste que j ' a i dressée ne prend pas en considération l'évolution chronologique des sarcophages. Aussi, quelques groupes particuliers ont-ils été laissés entièrement de côté. L'ensemble des cercueils d'Akhmim a été omis parce qu'ils appartiennent
à la Première
Période Intermédiaire, avant
l'Unification du pays. On n'y rencontre pas de Textes des Cercueils. Le
groupe
relativement
important
des
cercueils
de
Dahchour a également été laissé de côté, car il date en grande majorité de la fin de la XIL dynastie ou du début de la XIII', et leurs propriétaires étaient presque tous membres de la famille 172
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
royale. Dans m o n étude qui envisage la culture funéraire des particuliers, ce matériel doit conséquemment être exclu" . 4
De surcroît, on constate que les dix-sept monuments inscrits de Licht n'appartiennent que partiellement à la tradition générale du haut Moyen Empire. Dans plusieurs cas il s'agit de salles funéraires de la fin de la XII' dynastie ou m ê m e de la XIII', décorées, dans un style caractéristique de Licht, avec des Textes des Pyramides. Les sarcophages du prêtre Sesenebenef ( L i - 2 L i ) datent de la XIIL dynastie et sont ornés d'une manière qui ne connaît aucun parallèle en Egypte". Ces sources se situent typologiquement hors du développement national des cercueils privés. Si on ne les prend pas en considération, le matériel de Licht se réduit à un nombre de douze monuments dont dix contiennent des Textes des Cercueils. Il est remarquable que Licht, le cimetière de la résidence, soit comparativement pauvre en documents comportant des Textes des Cercueils. On peut clairement déterminer trois groupes quantitativement importants dans la documentation. Le premier est celui de la zone memphite, avec une quarantaine de sources des Textes
des Cercueils, provenant
surtout
des cimetières
d'Abousir et du voisinage de la pyramide d e T é t i . Le deuxième consiste en matériel de Moyenne Egypte, entre Qaw el-Kebir et Beni Hasan, avec quelques centaines d'exemplaires. Enfin, quelques dizaines de sources sont originaires d e T h è b e s . 84. La mission japonaise à Dahchour a récemment découvert un sarcophage décoré, mais sans Textes des Cercueils. Par son a p p a r e n c e , ce sarcophage, du type IVaa, se range parmi ceux d e la deuxième moitié d e la XII" dynastie, mais les fouilleurs datent l'objet de la XIII" dynastie. En fait, le masque funéraire pourrait conforter une telle date (Waseda University Expedition
1966-2006, no. 248-249),
et le couvercle b o m b é milite aussi en faveur d'une date pas antérieure à la fin de la XII* dynastie. Robert SCHIESTL m'informe q u e la céramique relève également e
d'une datation à la XIII dynastie. Ces indices suggèrent q u ' o n a affaire à un sarc o p h a g e encore décoré selon le modèle classique d e la XII*
dynastie après la
période q u i nous intéresse dans ce livre. 85. Pour les détails, voir ALLEN, dans : Tfie W o r l d o f the Coffin Texts, p. 1-15, particulièrement p.
2
(type IV Var.) et p.
14-15. 173
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
II me semble significatif qu'un nombre si élevé d'exemplaires ait été retrouvé sur ces sites, tandis qu'on n'en connaît que très peu d'autre origine. Ainsi, Abydos était un cimetière considérable, et les conditions de préservation y sont tout aussi favorables que, par exemple, à Assiout. Néanmoins, on ne recense que trois sarcophages décorés de Textes de Cercueils, en provenant. Ce qui est assez étonnant, car le culte abydénien d'Osiris jouait un rôle primordial dans la religion funéraire de l'époque. Dans la mesure où les conceptions religieuses d'origine abydénienne sont très fréquemment mentionnées dans les Textes des Cercueils, on aurait pu supposer que le site ait fourni une quantité importante de sources. Mais le fait que les contextes funéraires à Abydos n'incluent que très exceptionnellement des Textes des Cercueils ne peut pas être nié . 86
On doit en conclure que ces textes auraient pu apparaître partout, mais qu'apparemment, la nécessité de les posséder n'était pas ressentie de la m ê m e manière d'un site à un autre. Il devient alors intéressant de savoir qui étaient les personnes particulièrement soucieuses d'en disposer.
SAQQARA ETABOUSIR
Dans le cas des cercueils de Saqqara, la situation est claire. Il n'y a pas de doute que la grande majorité date du début du Moyen Empire, de la fin de la X I dynastie jusqu'au début du e
règne de Sénousret I , au plus tard. Des exemplaires plus tarer
difs existent, mais ils sont rares. Ces sarcophages contiennent beaucoup de textes
déjà
connus dans les pyramides de l'Ancien Empire. Plusieurs d'entre eux ont été publiés par de Buck comme des Textes des Cercueils ; mais dans le cas des formules d'offrande, très sem86. Un groupe d e sarcophages inscrits d e textes religieux de provenance nienne, qui a été récemment publié, est typologiquement
et
abydé-
chronologiquement
(Deuxième Période Intermédiaire) différent du matériel envisagé ici (GRAJETZKI, S A K 34 [2006], p. 205-216).
174
IFS TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
blables à celles présentes dans les Textes des Pyramides, on est en droit de se demander s'il ne s'agit pas simplement de « Textes des Pyramides » dont, par hasard, on ne possède que des exemples du Moyen Empire. Il est vrai, cependant, qu'on rencontre également des Textes des Cercueils bien attestés comme les formules jç ou 3 3 c . Et, en fait, il n'est pas invraisemblable que les scriptoria d'Héliopolis et de la région m e m phite, qui avaient élaboré les textes utilisés dans les pyramides de l'Ancien Empire, aient aussi conçu d'autres types de documents. Une partie au moins de ceux-ci pourrait avoir été transmise au Moyen Empire sous la forme des Textes des Cercueils. Ces sarcophages de la région memphite proviennent en grande majorité du cimetière lié à la ville de la pyramide du roi T é t i (dd s.wt Tti), qui abritait également, semble-t-il, la prêtrise de la pyramide du roi Mérikarê (wjd s.wt Mr.y-lo-R').
Cette der-
nière se trouvait probablement à l'est de celle de T é t i . 87
Beaucoup de ces pièces appartenaient certainement à des prêtres funéraires attachés à ces complexes royaux. Selon H. K E E S , les attestations du culte de Mérikarê montreraient que ce cimetière
date de la Première
Période
Intermédiaire . Mais Mérikarê régnait à la fin de cette période, 88
et il est difficile de replacer tous les prêtres attachés à son culte avant l'Unification du pays par Montouhotep II. On sait aussi, maintenant, que Gémeniemhat, le propriétaire de S q i - 2 X et prêtre de Mérikarê, vécut au début de la XII' dynastie . Il est 89
donc clair que les Thébains n ' o n t pas supprimé le culte funéraire de leur opposant défunt. La liste suivante offre un aperçu des monuments mentionnant les pyramides de Téti et de Mérikarê. 87.
MALEK, dans : Hommages
Ledant IV, p. 203-214.
88. Par exemple KEES, Tofeng/aufaen, p. 167.
Le raisonnement de KEES est encore
suivi, mais sans arguments supplémentaires
décisifs, par
DAOUD,
Corpus
Inscriptions, passim. 89. A L I E N , dans : The Theban Necropolis. Past, Present and Future, p. 17. V5
of
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Sources
Culte (leTéti
Culte de Mérikarê
Autres titres
Sq4C
mt.y n SJ
ss ntr
hr.v-hb.t im.y-r hw.î-nîr hr.y-hb hr.y-tp hr.y sstJ hr.y-hb wr im.y rnp.i
Sc|8C
im.y-r hw.t-ntr ss ntr
im.y-r hw.t-ntr hr.y-hb im.y rnp.i hr.y sstJ sh-nîr
shd n SJ
SqlOSq
sdm sdm.t w'i.w im.y-r w niy m sr.wi hnt.x-s hks hw.i-nsw.t hrp kj.t htm.tybi.ty smhr w'.ty ir.y-ih.t nsw.t m: r
mi.y n sJ
htm.w-bi.ty smhr w'.ty im.y-r pr ir.yih.t nsw.t mj' im.y-r snw.ty. L a m ê m e p e r s o n n e é t a i t a u s s i im.y-r pr rh nsw.t w'.w™
Scjl^X
mt.y n SJ
ss ntr
Fausse-porte"
mî.y n sJ hnt. y-s
htm.w-bi.ty smhr w'.ty niy m sr.i rh nsw.t mj' hr.y-tp nsw.t hkj-hw.t rhnsw.i mj' hrp ks.i m imn.t.t Lb.t.t
mt.x n sJ
Sql-2X
mt.y n SJ im.y-r ms'
Fausse-porte^' Fausse-porte'"
Fausse-porte^
mî.y n sJ hnt.y- mt.x n sJ s
ss pr-hd
1
Fausse-porte '
mî.y n SJ
Fausse-porte""
Titre incomplet mentionnant la pyramide
Plâtre""
Mention incomplète de la pyramide
1
htm.w-bi.ty smhr w'.ty sdm sdm.t w'i.w ss sjb im.y-r w im.y-r sn-fJ nb sjb ir.x Nhn rh-nsw.t shd ss.w n hw.twr ss 'pr.w n nfr.w im.y-hî pr.wy-hd
FIG. 2 4 : MONUMENTS MENTIONNANT LES PYRAMIDES DE TÉTI ET DE MÉRIKARÊ. 90. Voir sa stèle dans DAOUD, Corpus of Inscriptions, p. 59-61
91. 92.
QUIBELL,
Saqqara
IÇ05-1006,
pl. XIII ; D A O U D , o p . cit., p.
et pl. XXIA.
66-69.
QUIBELL, op. cit., pl. XII.
93.
QUIBELL, op. cit., pl. XV ;
94.
QUIBELL,
95.
FIRTH, G U N N , TPC I, p. 202
D A O U D , o p . cit., p. 7 1 - 7 3
Saqqara lÇOô-lço/,
96. FIRTH, G U N N , TPC I, p. 202
et pl.
pl. VI ; D A O U D , o p . cit., p. (50)
; D A O U D , op. cit., p.
XXV.
73-75.
155.
(51) ; DAOUD, op. cit., p. 155. Mention fragmentaire
dont ne subsiste qu'une partie du nom de la pyramide de Mérikarê. 97. DAOUD, op. cit., p. 155 (impression d'un texte en plâtre contenant une mention fragmentaire du culte de la pyramide de Mérikarê).
176
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
O n est frappé par la fréquence de l ' é l é m e n t
Gémeni-
dans les noms des personnages dont nous connaissons les c e r cueils, c o m m e Gémeniemhat. Il est bien établi que c e t é l é m e n t est le nom abrégé du vizir Kagemni de l ' A n c i e n Empire, dont la t o m b e se trouvait à proximité de la pyramide de T é t i , et dont le culte jouissait apparemment d'une t e l l e popularité que les parents donnaient à leurs enfants des n o m s comportant l ' é l é m e n t G é m e n i - . Étant donné le c a r a c t è r e 98
purement local de Kagemni, on est en droit de supposer q u e les porteurs de noms du type Gémeniemhat étaient originaires de la ville de la pyramide de T é t i . Tout donne donc à p e n ser qu'on a affaire à une communauté locale qui continuait à fonctionner après la conquête thébaine autour des pyramides de Téti et de Mérikarê. Il s'agissait certainement d'une c o m munauté
importante,
ce
dont
témoigne
le
fait
que
Gémeniemhat fut n o m m é chef des greniers et m a j o r d o m e , fonctions du plus haut niveau dans le gouvernement égyptien . 99
La situation à Abousir est comparable : les cercueils furent trouvés dans le cimetière utilisé pendant le Moyen Empire par les prêtres attachés au culte du roi Niouserrê . 100
Enfin, on sait que le culte du roi Pépi I " était toujours e n service pendant la Première Période Intermédiaire et peut être après. En 2 o o j , A. LABROUSSF, et C . B E R G E R ont décou vert une nouvelle pyramide dans ce complexe"". Il s'agit d'une pyramide de très petite dimension, datée du Moyen Empire ou de la fin de la Première Période Intermédiaire , et appartc102
98. Voir DAOUD, o p . cit., p. 60, n. 637, avec références bibliographiques. 99. Pour la position d e cette personne, voir ALLEN, dans : The Theban
Necropolis.
Past, Present and Future, p. 17. 100. SCHÄFER, Pn'estergràber.
101.
BERGER-EL-NAGGAR, LABROUSSE, B S F E
164 (2005),
p.
14-28.
102. C'est maintenant l'opinion d e Catherine BERGER-EL-NAGGAR (communication orale,
11
juin
2006]. 177
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE nant, non pas à un membre de la famille royale, mais à un particulier. Son seul titre actuellement connu (imy-r
htm.t)
conforte l'hypothèse qu'il relevait des cercles les plus élevés de l'administration de l'Egypte"". Par ailleurs, la situation analogue à Abousir et autour de la pyramide de Téti laisse envisager que cet homme pourrait avoir été attaché au culte d'un roi de l'Ancien Empire. Un papyrus rituel avec des Textes des Pyramides, mais daté du Moyen Empire, a été mis au jour, il y a quelques années, dans le temple de la pyramide de Pépi L
rl04
. Dès lors, il est certain
que ces textes étaient vraiment en circulation dans la pratique rituelle du Moyen Empire. La présence de Textes des Pyramides et de Textes des Cercueils dans ces cimetières peut être comprise aisément par le fait qu'un nombre assez élevé de la population participait activement au culte royal pour lequel on utilisait effectivement ces textes. Ces personnes occupaient une position sociale prépondérante, et on ne s'étonne pas que, dans le souci de bénéficier d'un culte funéraire faisant justice à ce rôle, ils n'aient pu résister à la tentation d'inclure ces textes religieux dont ils avaient une connaissance professionnelle profonde . 105
THÈBES ET LICHT
Le groupe thébain date majoritairement de la m ê m e époque, durant la X I dynastie après l'Unification du pays et jusque e
sous le règne d'Amenemhat I". Ce qui est remarquable, c'est que la tradition des Textes des Cercueils à Thèbes se réduit énormément à partir du règne de ce roi. Des vingt-six sarcophages ornés de Textes des Cercueils, sept seulement, apparte-
103. Voir sur ce titre P. VERNUS, dans : G r u n d und Boden, p. 253-260. 104. BERGER-EL-NAGGAR, dans : D'un monde à l'autre, p. 85-90. 105. Pour une explication complémentaire, voir p. 184.
178
i f S 7fX7fS DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
nant à six personnes, sont plus r é c e n t s . Il n'est pas difficile de 106
trouver une explication à cette concentration au début du Moyen Empire, bien que ce phénomène, autant que je sache, n'ait pas attiré l'attention jusqu'à présent. L'utilisation de ces textes à Thèbes coïncide chronologiquement avec la présence dans la ville d'une cour royale. Ils émergent à l'époque où Montouhotep II est installé comme monarque du royaume réuni, et ils disparaissent au m o m e n t où Amenemhat I " déménage la résidence vers Itji-taouy, aux environs de Licht. Ce changement s'explique très aisément si on suppose que les propriétaires de cercueils et de chambres funéraires appartenaient directement à la cour du roi. Et, en fait, la liste de ces propriétaires se lit comme la nomenclature! de l'époque. On compte quatre reines , un vizir , plusieurs « ministres » ' , un « géné107
108
m
ral dans le pays entier »"°, ou des porteurs de titres de rang, respectables, mais peu spécifiques ". 1
Dans la région thébaine, on peut déterminer deux groupes de sarcophages et chambres funéraires, distincts. D ' u n e part, il existait un style décoratif qui s'était apparemment déve-
106.
TlBal,
Tl-3Be, T2-3L. J'ai
omis les cercueils noirs de la XIII" dynastie, qui consti-
tuent, non pas une continuation du style classique des sarcophages, mais un développement typologique complètement nouveau. J'ai aussi omis de la quantification le sarcophage récemment découvert par Daniel POLZ à Dra A b o u e l - N a g a , sur
26 [2005],
lequel peu d'informations sont actuellement disponibles (EA
p.
29
et
photographie à la p. 28). Je trouve difficile d'accepter, en me fondant sur la photographie, l'hypothèse que le sarcophage daterait de la XIII" dynastie, comme le suggère POLZ.
107.
Les propriétaires de
108.
Dagi, propriétaire d e la tombe TT 103 et du sarcophage
T3C, T8C, T3NY,
et
TT319. T2C.
109. BWJW, le propriétaire du sarcophage T9C
était htm.ty bi.ty smhr-w'.ty
pr (m tJ r-dr=f)
im.y-r ip.t nb.t m sm'.w tJ mh.w ;
Snnw,
propriétaire de
im.y-r prmtJ Mk.t-R'
im.y-r snw.ty im.y-r pr.wy-hd
T3X
et
TT313
était ir.y-p'.t [fu.ty-']
r-dr=f ; Hty (propriétaire d e
(propriétaire de
T2NY)
TT311),
htm.ty-bî.ty
Mrw (propriétaire de
im.y-r
smhr-w'.ty
TT240),
et
étaient des « directeurs du trésor » (im.y-r htm.t) ;
pour ce titre, voir VERNUS, dans : G r u n d und Boden, p. 110. Le général Antef, propriétaire d e
251-260.
T4X.
111. Horhotep, le propriétaire d e T l C , était htm.ty bi.ty smhr
w'.ty.
179
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE loppé localement, entre Thèbes et Assouan. Ces cercueils étaient ornés d'un genre très spécifique de frises d'objets, et présentaient un programme de textes funéraires
incluant
quelques formules qui ne sont pas attestées en dehors de la région" . 2
Par ailleurs, il est clair que certains cercueils et chambres funéraires furent décorés selon des types également connus dans le cimetière au voisinage de la pyramide d e T é t i . Cela m
suggère soit que les Thébains ont importé ce modèle depuis la région memphite après qu'ils avaient pris le pouvoir dans le nord de l'Egypte, soit qu'un modèle commun s'était imposé à cette époque. Dans le contexte particulier de l'utilisation de ces textes à Thèbes, on doit prendre en compte un fait important. O n a constaté que les propriétaires des cercueils étaient des personnages très haut placés. C'étaient des membres du gouvernement égyptien, et leurs tombes se trouvaient
directement
autour de la tombe du roi. Dans le passé, l'utilisation des Textes des Cercueils et des Textes des Pyramides a fréquemment été décrite c o m m e un processus d'usurpation de prérogatives royales par des particuliers. A Thèbes, il me semble difficile d'accepter
cette
hypothèse, car les tombes de ces « usurpateurs » ont été bâties à proximité du temple funéraire de Montouhotep II à Deir el-Bahari. Il est clair que le roi n'aurait pas admis une telle usurpation s'il y était opposé : on ne doute pas que Montouhotep II aurait eu le pouvoir de l'interdire s'il l'avait voulu. O n doit en conclure que le roi n ' y avait pas d'objection. Ce qui, dans cette situation, est tout aussi notable, c'est que ni lui, ni, pour autant qu'on sache, aucun autre roi du Moyen Empire, n'incluait ces textes funéraires dans sa pro-
112. W I L L E M S ,
Heqata, p.
113. W I L L E M S ,
Chesrs of Life, p.
180
52-54. 106
; IDEM,
Heqata, p.
24, 47-48.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE pre t o m b e " . Dans ces circonstances, il n'y a plus aucun sens 4
à parler d'une usurpation des prérogatives royales. Il serait plus exact de dire qu'un modèle de culture funéraire, qui avait connu son essor à la cour royale à la fin de l'Ancien Empire, était désormais utilisé par la couche dirigeante du pays, tandis qu'un modèle nouveau de culture funéraire était, dès lors, adopté par le roi l u i - m ê m e " . 5
Quand le roi Amenemhat I" déplaça le siège du gouvernement dans la capitale nouvelle d'Itji-taouy, son entourage dut déménager avec lui. Cela conduisit à la création du nouveau cimetière royal de Licht. Plusieurs fonctionnaires y possédaient des sarcophages ornés des Textes des Cercueils. Mais cet usage ne se perpétua pas de manière très vigoureuse. Dix sources décorées avec des Textes des Pyramides et des Textes des Cercueils sont connues, datant de la période comprise entre Sénousret I
er
et Sénousret III. Deux de ces sources sont d'un
type très différent du matériel dont j e m'occupe ici. Les autres sources de Licht sont encore plus tardives et représentent une tradition complètement distincte" . 6
114. O n connaît deux sarcophages de Montouhotep. Le premier fut découvert par CARTER au Bab el-Hosam. Bien que la tombe ait été retrouvée intacte, le sarcophage ne contenait pas de corps. Evidemment, il s'agissait d'un ensevelissement symbolique du roi. Le sarcophage, du type I, ne portait pas d e décoration à l'intérieur ( CARTER, ASAE
2 [1901], p. 204]. Un
fragment qui pourrait avoir appartenu
à un sarcophage décoré à l'extérieur avec le nom royal et une fausse-porte ou façade de palais, mais non décoré à l'intérieur, a été découvert dans la tombe royale par É. NAVILLE
et C T . CURRELY (voir A R N O L D , Der Tempel des Königs
Mentuhotep III, p. 48 et pl. le, 6la).
Le cercueil du roi Hor, de l'extrême fin de la
XIle dynastie ou de la XIII* comporte une sélection très réduite de Textes des Pyramides à l'extérieur (voir D E M O R G A N , Dahcfiour I, p. la date, voir AUFRÈRE, BIFAO
101 [2001], p. 1-41). Aucune
101-105
et pl. XXXVI. Pour
salle funéraire royale du
M o y e n Empire n'est inscrite avec des textes religieux.
115.
QUIRKE,
Ancient Egyptian Religion, p.
155-156,
exprimait déjà ce point de vue.
116. ALLEN, qui prépare la publication d e ce matériel, reconnaît six « styles ». Les styles I et II comportent des cercueils en bois et en pierre du modèle étudié ici. Ces huit sources s'échelonnent entre le règne de Sénousret I" et Sénousret III ( ALLEN, dans : The W o r l d of the Coffin Texts, p.
13-14).
ALLEN
n'inclut pas dans sa liste deux
morceaux de feuille d'or décorés avec des textes funéraires et provenant de
l8l
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE LA MOYENNE EGYPTE
La présence des Textes des Cercueils à Thèbes et dans la région memphite est donc concentrée au début du Moyen Empire. Bien que la coutume ne s'éteigne pas totalement sur ces sites, il ne s'agit plus d'une tradition dominante. En Moyenne Egypte, l'évolution suit un cours tout à fait différent. Non seulement on y trouve le nombre le plus élevé de sources (voir les colonnes 3, ç et 6 de la figure 2 0 ) , mais il est également clair que la popularité des Textes des Cercueils ne s'éteint pas après Sénousret I . Entre Assiout et Beni Hasan surtout, le er
nombre de sarcophages avec ces textes reste assez important. Cette particularité, me semble-t-il, n'a pas été remarquée jusqu'à présent. Pourtant, c'est un fait capital, comme on le constatera plus loin. Une enquête récente de L.
GESTERMANN
a apporté des ren-
seignements singulièrement intéressants sur le problème de la dissémination des Textes des Cercueils dans cette r é g i o n " . Elle 7
prend c o m m e point de départ l'observation que la cour thébaine de Montouhotep II s'était emparée des textes funéraires en circulation dans les archives memphites. O n pourrait supposer que cette politique fut mise en œuvre par le biais du transfert des archives memphites àThèbes, mais
GESTERMANN
argu-
mente autrement. Elle constate que les sarcophages de Deir el-Bersha contiennent une masse de textes si variée, si originale, et si considéra-
cercueils de Licht
(L2-3NY)
; voir W I L L E M S , Chests of Life, p.
24.
Ces dix sources sont
prises en compte dans les figures 20 et 21. Il existe en outre deux chambres funéraires, mais elles sont décorées dans un style entièrement différent, bien qu'elles contiennent des Textes des Pyramides. Elles sont datables du règne d'Amenemhat Il (ALLEN, dans : The World of the Coffin Texts, p.
13-14).
O n pourrait également
ajouter la chambre funéraire L4NY et le bloc appartenant à une chambre funéraire
L6NY, qui
sont aussi décorés dans un style qui n'a rien à voir avec notre matériel.
Je ne dispose pas de suffisamment d'informations sur le fragment d e sarcophage
L5NY.
117. 182
GESTERMANN,
dans : D'un monde à /'autre, p.
201-217.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE ble, qu'il semble certain que, durant le Moyen Empire, cette région devait avoir un accès direct à une archive exceptionnellement importante — plus importante, en fait, que dans le reste de l'Egypte. De surcroît, les Textes des Cercueils apparaissent plus ou moins au m ê m e moment à Thèbes et à Deir el-Bersha. Elle en déduit que les archives de textes religieux memphites avaient été transférées, non à Thèbes, mais à Ashmounein / Hermopolis. Cette ville se transforma en un centre de diffusion pour les Textes des Cercueils, d'abord à Thèbes et à Deir elBersha et, plus tard, à d'autres localités de Moyenne Egypte, également. Nos propres investigations, présentées dans le chapitre précédent, offrent un cadre historique dans lequel on comprend mieux cette politique. On a vu que les Thébains avaient élevé le nomarque Ahanakht I™ au poste de vizir provincial, de sorte qu'il supervisait les régions nomarcales récemment acquises par ces Thébains. O n a également constaté que des fonctionnaires enterrés à Deir el-Bersha étaient en poste à Thèbes. Le cas le plus intéressant dans ce contexte est celui d'Iha qui, c o m m e précepteur des princes thébains, jouait sans doute le rôle d'officier de liaison entre la cour royale à Thèbes et la cour nomarcale / vizirale à Deir el-Bersha. Il était en m ê m e temps responsable d'une Maison de Vie, probablement à el-Ashmounein. C'était donc un intellectuel qui travaillait dans un scriptorium vraisemblablement rattaché au temple de T h o t . Si, dans le contexte établi par G E S T E R M A N N , on voit cet h o m m e occuper une position de liaison entre Thèbes et le nome du Lièvre, exactement au m o m e n t où les Textes des Cercueils apparaissent dans les deux villes" , il me paraît séduisant de supposer qu'Iha 8
était un des hommes personnellement responsables de la diffusion des Textes des Cercueils. Le fait que, de cette manière,
118. Autant q u ' o n sache, le nomarque Ahanakht est la première personne enterrée à Deir el-Bersha qui possédait des sarcophages ornés de Textes des Cercueils.
183
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Ahanakht I obtenait, lui aussi, accès à ces textes extraordinaier
res, peut être interprété comme un autre privilège que le roi thébain lui accordait" . 9
Quoi qu'il en soit, la politique des Thébains semble, si l'on suit l'hypothèse
de G E S T E R M A N N ,
avoir
conduit au développement conséquent du scriptorium
très convaincante
d'el-
Ashmounein. Il constitua le point de départ de l'apparition des Textes des Cercueils non seulement à Thèbes et à Deir elBersha, mais aussi, légèrement plus tard, dans des régions nomarcales, ailleurs en Moyenne Egypte. On doit se demander si la grande
popularité
de
ces
textes
à Saqqara
après
l'Unification du pays peut aussi être mise en relation avec les activités du centre de dissémination textuelle du
scriptorium
hermopolitain. LES TEXTES DES C E R C U E I L S ET LA R E L I G I O N FUNÉRAIRE D A N S LES HAUTS-LIEUX NOMARCAUX.
La répartition géographique des Textes des Cercueils m e paraît hautement significative. Dans le premier chapitre j ' a i essayé de montrer qu'au Moyen Empire, la « nomarchie » était un phénomène plutôt régional, dont l'influence n'était pas du m ê m e ordre dans les différentes parties du pays. A la fin de l'Ancien Empire, il semble que la plupart des régions ait été dirigée par un « nomarque », même si le titre hr.y-tp 'j n'est pas mis en évidence partout. Au cours de la Première Période Intermédiaire, les nomarques disparurent dans la région thébaine, mais ils persistèrent dans la portion du pays gouvernée par les Héracléopolitains.
Finalement, pendant le
Moyen
Empire, on constate l'existence d'un cadre assez diversifié. Le type de système d'administration n'apparaît pas aussi claire-
119. 184
Pour d'autres privilèges, voir p.
99-103.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE ment dans chaque région. Mais ce qui appert de manière certaine, c'est qu'en Moyenne Egypte, des lignées de nomarques restaient sur le trône çà et là. Les exemples les plus patents sont les nomes où se trouvent les cimetières de Qaw el-Kebir, d'Assiout, de Deir el-Bersha, et de Beni Hasan. Dans la région de Meir ", un nouveau nomarcat semble avoir été installé pen12
dant le règne d'Amenemhat I", de sorte que toute la région entre Qaw el-Kebir et Beni Hasan tut dirigée par des lignées de nomarques. Il s'agit exactement des sites qui ont fourni le nombre le plus élevé de sarcophages inscrits de Textes
des
Cercueils . Cette coïncidence serait-elle due simplement au 121
hasard ? En examinant ce point, on doit avoir présent à l'esprit un autre phénomène : celui de la disparition des nomarques. C'est une question qui a été intensément discutée. Les nomarques disparurent vers la fin de la XII' dynastie dans des circonstances qu'on ne comprend, pour l'instant, que très mal. Selon E.
MEYER
qui supposait encore que les nomar-
ques étaient présents à travers toute l'Egypte, ces administrateurs auraient développé une force si menaçante pour la monarchie, que Sénousret III les aurait abandonnés brusquement pour avoir les mains libres . Cette hypothèse, largement 122
acceptée pendant longtemps, a été, dans les dernières années, l'objet de beaucoup de critiques. Actuellement, on admet géné-
120.
WIUEMS,
Chesfs of Life, p.
84-85.
121. A Q a w , le nombre de sources des Textes des Cercueils n'est pas important, mais les grandes tombes nomarcales qui ont été fouillées ne semblent commencer q u ' à l'époque d'Amenemhat II ; pour la chronologie, voir GRAJETZKI, G M
(l997)/
P-
55-65.
156
Par ailleurs, on ne sait pas du tout précisément quelle quantité de
matériel a été trouvée par des fouilleurs comme SCHIAPARELLI. O n rappellera que les cent cinquante-neuf sarcophages qu'il a découverts à Assiout et qui sont actuellement conservés au musée de Turin étaient, jusqu'à la thèse de doctorat de Z I T M A N , presque entièrement inconnus. Il existe aussi du matériel dans d'autres col-
11. 252-253
lections : voir C I A M P I N I , La sepo/fure d i Henib, p.
122.
MEYER,
Geschichte des Altertums
l ,2, 2
p.
=
l ,2, p. 276. 3
185
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ralement que la disparition des gouverneurs ne doit pas être interprétée comme un coup de force du roi, mais plutôt comme
un processus lent qui dura plusieurs
décennies.
D . F R A N K E essaye de montrer que les « nomarques » de la XII e
dynastie étaient les derniers représentants d'un passé glorieux, mais il suppose qu'il n'y avait plus de place pour eux dans le climat socio-politique de l'époque. Il considère qu'au moment où un de ces derniers « fossiles vivants » mourut, on avait simplement perdu tout intérêt pour lui donner un successeur. Cela expliquerait pourquoi l'abolition de la « nomarchie » fut une évolution lente englobant une bonne partie des règnes de Sénousret II, Sénousret III, et Amenemhat III. En étudiant la famille des gouverneurs du nome de l ' O r y x , FRANKE
décrit également ce qu'il advint des descendants des
derniers nomarques. Le fils de Khnoumhotep II de Beni Hasan, lui aussi appelé Khnoumhotep, fut nommé à un poste important dans la capitale où sa tombe, un très beau mastaba, a été retrouvée ". 1
Bien que j'accepte plusieurs éléments du raisonnement de F R A N K E , j e pense que les nomarques du Moyen
Empire
n'étaient aucunement des « fossiles vivants ». En Moyenne Egypte, ils restèrent une puissance redoutable durant une bonne partie de la XII dynastie. Aussi, leur disparition est-elle e
à revoir sur quelques points. Selon la liste établie par
FRANKE,
les derniers représentants de la « nomarchie » seraient les suivants : • dans le premier nome, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr
Heqaib,
daté des règnes de Sénousret III / Amenemhat III. • à Qaw el-Kebir, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr Ouahka II, daté des règnes de Sénousret III / Amenemhat III.
123. FRANKE, dans : Middle Kingdom Studies, p. 51-67. Pour une reconstitution de ce monument, voir ARNOLD, dans : Timelines I, p. 37, fig. 1 ; voir aussi A R N O L D , OPPENHEIM, ASAE 79 (2005), p. 27-28.
186
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE • à Assiout, les hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr
Djefaihâpi III et IV
(Amenemhat II / Sénousret II). • à Meir, le h-l-ty-' im.y-r hm.w-ntr Oukhhotep IV (Sénousret III / Amenemhat III). • à Deir el-Bersha, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr hr.y-tp 'j n Wn.t Djéhoutihotep (Sénousret III). • à Beni Hasan, le h^-ty-' im.y-r hm.w-ntr Khnoumhotep II et son fils Khnoumhotep III (Sénousret II / III). Ces dates sont à reprendre sur quelques détails significatifs. A Assiout, on connaît maintenant la tombe d'un hJ-ty-' et idnw Khéty, datable du règne de Sénousret III / Amenemhat III' . Par 24
ailleurs, provenant de Deir el-Bersha, est conservé au musée du Caire le sarcophage C G
2 8 0 9 9 , appartenant à un
hj.ty-'
Djéhoutinakht qui pourrait être plus tardif que le nomarque Djéhoutihotep. Ce dernier mentionne les rois Sénousret II et III dans sa tombe. Si Djéhoutinakht était un dignitaire local qui avait succédé à Djéhoutihotep, il pourrait, comme l'a déjà suggéré BROVARSKI,
avoir été encore en fonction au début du règne
d'Amenemhat III . A Beni Hasan, la datation proposée par 125
FRANKE
repose sur la mention de l'an 6 de Sénousret II dans la
tombe de Khnoumhotep II . Cette date apparaît dans la scène 126
célèbre montrant l'arrivée d'un groupe de bédouins du désert oriental, apportant de la galène. Ils sont introduits devant le nomarque par un scribe qui lui présente un document officiel. L'en-tête du papyrus commence avec la date citée. Il est clair que Khnoumhotep devait être en fonction pendant l'an 6, mais le
124.
MAGEE,
dans
: Proceedings
717-729 ; datation Assiut, p. 25-33.
Egyptologists, p. Necropolis of
125.
of the Seventh
Internationa/
Congress
of
et interprétation admises par Z I T M A N , Tfie
Voir BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p.
23
et n.
68 ; 25
et
29.
O n doit
avouer que sa position chronologique n'est pas aussi certaine que le suggère BROVARSKI : voir WILLEMS, Chests of fife, p. 79. 126.
Beni Hasan I, pl. XXXVIII.
187
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE moment où il mourut peut se situer sensiblement plus tard et, bien que Khnoumhotep III n'ait pas achevé sa tombe, l'inscription qui y a cependant été gravée montre qu'il fut gouverneur . 127
Les dates disponibles s'échelonnent donc au cours d'une période beaucoup moins longue que ne le pensait encore FRANKE
: la deuxième moitié du règne de Sénousret III et (le
début de) celui d'Amenemhat III. Il est possible, dans ces conditions, qu'on ait quand même affaire à un coup politique. Mais je ne me prononcerai pas sur cet aspect. Pour nous, il est plus important de noter qu'aucun de ces chefs les plus tardifs ne s'appelle plus nomarque (hr.y-tp 's), ce qui pourrait signifier qu'ils ne furent pas « démissionnes » directement, mais qu'ils avaient déjà auparavant subi une certaine perte de statut. A l'exception de Ouahka II de Qaw el-Kebir, leurs tombes sont également plus petites que celles de leurs prédécesseurs. Il est aussi intéressant
de renvoyer
à un hJ.ty-'
Wn.t, appelé
Oupouaouthétep, donc un notable d'el-Ashmounein. A la différence des nomarques du nome du Lièvre, celui-ci porte le titre de maire. Il ne peut pas être rangé parmi les nomarques de la XII dynastie. Typologiquement, le scarabée où apparaît sa e
titulature, est datable dans un laps de temps compris entre Sénousret II et la fin de la dynastie . O n pourrait être en pré128
sence d'un successeur des nomarques avec un statut moins élevé. Ce ne doit pas être une simple coïncidence que l ' o n ne connaisse pas de tombe pour ce personnage. Les résultats de la discussion précédente ne sont malheureusement pas très précis, mais on peut néanmoins reconnaître trois phases historiques. Au début de la XII dynastie, les chefs e
de province sont encore très puissants, situation qui perdura 127. Beni Hasan I, p. 7. Le titre très élevé de ir.yp'.t hj.ty-' ne peut guère être interprété autrement sur ce site : voir W A R D , G M 71 (1984), p. 51-57.
128. M A R T I N , Egyptian Administrative a n d Private N a m e Seals, p. 3 6 (406) ; pour l'interprétation, cf. BROVARSKI, loc. cit.
188
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE jusque pendant le règne de Sénousret III, où plusieurs d'entre eux portaient toujours le titre explicite de nomarque 'j).
(hr.y-tp
Pendant le règne de ce roi, et m ê m e encore après, on
constate que les potentats locaux restent en place, mais que le titre de nomarque n'apparaît plus, et que les tombes semblent devenir plus petites. À la fin du règne de Sénousret III et au début ( ?) de celui de son successeur, les anciennes lignées des chefs locaux s'effacent finalement aussi en Moyenne Egypte. Ce qui est notable pour nous, c'est que parallèlement au processus de perte de pouvoir, les Textes des Cercueils disparaissent également : en effet, peu de sarcophages les comportant peuvent être datés avec certitude d'une époque postérieure au règne de Sénousret III . 129
U N E
HYPOTHÈSE
SUR
LA
PORTÉE
DES TEXTES
DES
CERCUEILS
L'évolution telle qu'elle est décrite ci-dessus suggère que les Textes des Cercueils étaient, au début du Moyen Empire, les textes funéraires des couches dirigeantes du pays, mais non pas du roi lui-même. Aussitôt après, les membres de l'élite égyptienne perdirent apparemment leur intérêt pour eux, sauf dans les cours nomarcales, où ils demeurèrent en usage pour les gouverneurs et les membres de leurs familles, mais aussi pour les hauts fonctionnaires de l'administration du nome. Il semble que ces textes, pour une raison ou une autre, y exerçaient encore une attraction qu'ils n'avaient plus ailleurs. A cette époque, on pourrait dire que les Textes des Cercueils étaient l ' e x pression, non des idées funéraires du Moyen Empire en géné129. Tout récemment, GRAJETZKI a établi une liste de sources s'échelonnant entre la XIII" dynastie et la XVII", liste qui montrerait, selon lui, que « the tradition of placing religious texts on coffins never really ceased » (SAK
34 [2006],
p.
213-214).
Mais
cette liste est très courte et suggère plutôt une baisse énorme d e l'intérêt pour ces textes. De surcroît, comme j'ai l'intention de le montrer ailleurs, les textes dont parle GRAJETZKI, bien que placés sur des sarcophages, dérivent d'un cadre théologique tout à fait différent de celui des Textes des Cercueils dont il est question ici.
189
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ral, mais surtout des couches dirigeantes de Moyenne Egypte. La question se pose de savoir pourquoi ce groupe, sociologiquement très spécifique, était attiré avec tant de force par des textes funéraires qui, dans le reste de l'Egypte, n'étaient plus à la mode. Il est vain d'espérer que les textes nous renseignent de façon directe, et l'interprétation que je vais proposer ne peut être, pour cette raison, qu'une hypothèse. Tout d'abord, on doit avoir présent à l'esprit qu'il s'agit d'une problématique complexe, qui ne s'explique probablement pas comme la conséquence d'une seule cause. La présence de la Maison de Vie à el-Ashmounein, où de grandes archives de textes funéraires avaient été déposées depuis le début du Moyen Empire au m o i n s " , doit avoir joué 1
un rôle important. Là, au centre du « territoire nomarcal », une institution qui étudiait et élaborait ces textes était disponible. Cela ne constitue sûrement pas l'unique raison de la popularité persistante de ces textes en Moyenne Egypte, mais ce fut certainement une conditio sine qua non. Par ailleurs, le contenu des textes a dû être jugé important. Il faut donc que ces textes renferment des éléments qui, dans une perspective conceptuelle, aient continué à être considérés comme d'une haute validité. Il n'est malheureusement pas facile de déterminer quels sont ces éléments. Les textes sont très nombreux, très variés, et très difficiles à comprendre. Si l'on ne veut pas suivre le verdict apodictique de
KEES
(« Bei der
Beschriftung der Särge herrschte kein System » ' " ) , on doit essayer de déceler les principes directeurs de ces formules. Mais ne sachant pas ce que nous cherchons, notre quête ressemble à celle d'une aiguille dans une meule de foin. 130. L'hypothèse de
GESTERMANN
(voir p. 182-183), que je suis, mais que je n'ai pas
analysée dans sa totalité ci-dessus, implique non seulement que des textes d'origine memphite furent transférés à el-Ashmounein, mais aussi qu'il existait dans cette ville un fonds proprement hermopolitain. 131. KEES, dans : H d O Literatur, p. 61.
IÇO
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Mon point de départ sera complètement différent de celui de K E E S . Bien qu'il essaye sans cesse de repérer les liens entre la complexité des textes anciens et le monde réel — la nature, l'astronomie, la vie quotidienne —, la manière dont il organise sa discussion expose le lecteur, dès le début, à un bombardement de citations de textes très ardus. Ce n'est pas un reproche. On ne peut qu'admirer la profondeur des connaissances de K E E S . Mais ayant lu son livre, on reste avec le sentiment, d'ailleurs pas entièrement injustifié, que la religion égyptienne s'apparente à un nœud gordien d'associations mythologiques. Pour éviter ce problème, je ne vais pas immédiatement envisager les textes les plus classiques et les plus riches en allusions mythologiques et interprétations théologiques. Je me concentrerai, au contraire, sur des aspects plutôt terrestres. Il existe un petit nombre de Textes des Cercueils « sans mythologie », et un deuxième groupe quantitativement plus important où la mythologie ne semble jouer qu'un rôle secondaire. Dans ces textes, ce qui compte avant tout c'est la relation entre les morts et les vivants, et aussi le monde où demeurent les morts. Dans les Textes des Pyramides, et en grande partie également dans lesTextes des Cercueils, c'est le monde stellaire ou solaire où les morts vivent avec les dieux qui prend la première place. L'ensemble dont j e vais d'abord m'occuper évite largement une telle complexité symbolique. Le monde des morts semble n'y être pas tellement différent de celui des vivants, et il existe un grand nombre de liens entre les deux. On rencontre la même tonalité dans les lettres aux morts déjà évoquées en passant . La théologie y fait presque entière132
ment défaut. Les problèmes qui se posent au traducteur ne sont 132. Pour la publication de base d'un g r a n d nombre de ces textes, voir GARDINER, SETHE,
Egyptian Letters to the Dead ; pour des références bibliographiques plus
récentes et pour une interprétation de la façon de délivrer ces lettres aux destinataires, voir
WILLEMS,
dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 3 3 7 - 3 5 5 ', 357-
361. Voir aussi DONNÂT, f a peur du mort.
ici
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE pas à minimiser, mais il s'agit surtout d'incertitudes sur les liens entre les personnes mentionnées ou de détails de traduction. L'aspect général de l'Autre monde tel qu'il apparaît dans ces documents est, par ailleurs, relativement facile à comprendre, et notre enquête commence donc là. Les expéditeurs des lettres évoquent leurs soucis, ainsi le désir d'avoir des enfants, d'être guéri d'une maladie, ou d'être délivré de problèmes sociaux ou financiers. Dans la dernière catégorie s'inscrivent des situations où les survivants se trouvent confrontés à des membres de leur famille ou à des voisins qui s'emparent de leur propriété. Dans leur désespoir, ils appellent le m o r t à l'aide.
LES LETTRES AUX MORTS
Les expéditeurs sont toujours des proches parents du m o r t : le fils ou la femme, par exemple. Techniquement, ils approchent le défunt dans le contexte du rituel d'offrande. Après avoir rétabli le contact avec lui au cours de la cérémonie, ils terminent avec un épisode rituel qui a pour but de combattre les influences nocives, soit pour le m o r t lui-même, soit pour la famille qui exécute le rituel. Ce moment offre le cadre propice où l'on peut s'adresser au défunt. Fréquemment, la lettre est écrite sur un bol qui vient d'être utilisé pour lui présenter les offrandes. D o n c , de manière très pragmatique, on considère apparemment que le m o r t (jh) qui vient chercher les offrandes ne peut rester ignorant du contenu des textes écrits sur le contenant. Les demandes sont plutôt d'ordre pratique. Ainsi, dans une lettre datée de la fin de l'Ancien Empire, les expéditeurs écrivent qu'une autre famille de leur village cause des problèmes qui peuvent mettre en péril la continuité de leur maisonnée. Il est sous-entendu qu'un membre aîné de cette autre famille, appelé Béhesti, est déjà m o r t et se trouve donc dans le domaine des morts où demeure aussi le destinataire de la lettre. O n 192
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE demande à ce dernier : « Éveille ton père I i i " contre Béhesti ! ... Lève-toi contre eux avec tes ancêtres, tes frères, et tes amis, que tu puisses combattre Béhesti et 'An'ankhi, fils d'Aai" ». Il 4
est clair que les familles sont envisagées c o m m e des lignées dont quelques membres habitent la terre tandis que d'autres résident dans le monde des morts. En cas de problème, on peut s'adresser aux parents morts qui ont la possibilité de se mettre en contact avec les parents défunts de l'autre famille. Par l'intermédiaire des morts, une famille essaye donc d'influencer le comportement d'une autre famille avec laquelle les relations quotidiennes se trouvent dans une impasse. Le passage cité montre un monde de l'Au-delà qui ressemble assez fortement au monde des vivants. O n y vit avec des parents et des amis, et on communique avec d'autres familles, même si, dans le cas cité, la forme que prend la communication ne semble pas très agréable. L'Au-delà s'apparente à un village égyptien. On se m e t en contact avec les parents morts pendant le rituel d'offrande, moment crucial pour les défunts, parce qu'ils en sont dépendants pour obtenir leur nourriture. Fréquemment, les lettres aux morts contiennent des remarques dépourvues de subtilité qui suggèrent que l'expéditeur de la lettre ne pourra plus offrir ces offrandes si le m o r t ne s'engage pas en sa faveur. Les défunts et les vivants vivent donc dans une interdépendance mutuelle.
LES FORMULES 131 À 146 DES TEXTES DES
1
CERCUEILS ^
Plusieurs formules des Textes des Cercueils expriment une perception du monde des m o r t s , très proche de la tonalité des
133. Le determinant montre que lui aussi était mort. 134. Apparemment un membre mort de la même famille q u e Béhesti. Le passage cité se trouve dans GARDINER, SETHE, Egyptian Letters to the D e a d , pl. I, 9-11.
135.
CT II, I5la-205e
WILLEMS,
[131-146] ;
pour l'interprétation de ces formules, voir en détail
dans : Religion in Context, à paraître. 193
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
lettres aux morts. Le groupe des formules 1 3 1 à 1 4 6 en offre un bon exemple. Ces textes ont pour but d'« unifier la zb.t d'un homme avec lui dans la nécropole »
136
. Le t e r m e Ji>.f est souvent
traduit par « famille », mais il renvoie en fait à un groupe social d'un caractère un peu différent : une sorte d'ensemble domestique. Le m o r t veut donc être réintégré dans un groupe de parenté conçu c o m m e une unité spatiale — il est difficile de s'imaginer un groupe domestique autrement. Mais il ne s'agit pas d'une simple maisonnée, car, par exemple, l'épouse d'un homme n'appartenait pas à sa 2b.t. Le groupe semble plutôt avoir été une unité sociale avec un statut juridique bien défini, qui était responsable de la gestion de la propriété familiale. L'idée sous-jacente qui en ressort clairement est que cet aspect matériel et juridique importait dans l'autre monde. À plusieurs reprises, ces textes décrivent d'ailleurs des circonstances remarquablement « ordinaires » de la vie funéraire. Quand le m o r t arrive dans l'Au-delà, ses parents travaillant dans les champs jettent à terre leurs outils pour le recevoir dans leur milieu. De plus, le défunt possède un décret — selon la formule 1 3 1 , un décret promulgué par un roi qui n'est autre que le dieu Geb — qui stipule que ses parents ne sont plus obligés de travailler pour Isis et certains autres dieux' . Sans doute, avec l'aide de 37
ce document, les morts pouvaient-ils vivre la vie seigneuriale, un souhait qui est aussi, on l'a vu, la raison de déposer certains types de mobilier funéraire dans les tombes depuis l'Ancien Empire' . 38
LA FORMULE 1 4 9 DES TEXTES DES CERCUEILS'™
Un autre texte assez répandu fait état de la « famille »-Jb.t : c'est la formule 1 4 9 . Lui aussi n'offre que peu d'éléments 136. c r u , 180a [146]. 137. CT II, 20lb-204b [146], 1 5 1 0 1 5 2 c [131]. L'atmosphère n'est pas sans rappeler la formule des ouchebtis (CT VI, la-2k [472]), et le chapitre 6 du Livre des Morts. 138. Voir p. 142-149.
139. CT II, 2 2 ô b - 2 5 3 g [149]. 194
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE mythologiques. O n doit m ê m e se demander s'il s'agit d'un texte religieux utilisé sur terre par un prêtre dans le contexte de certains rituels, ou d'un texte écrit purement pour l'usage par un défunt dans l'Au-delà. Les deux possibilités ne s'excluent d'ailleurs pas. Certains détails de la formule montrent que le protagoniste est m o r t , mais il n'est pas impossible qu'une Vorlage légèrement différente ait été utilisée dans un cadre rituel. En tout cas, dans ce texte, le défunt doit, selon l'introduction, se dresser comme un p r ê t r e , avant que l'ac140
tion, qui est très hargneuse, ne débute. La formule a pour but de faire triompher un homme sur ses ennemis. Le contexte est juridique : le protagoniste combat son ennemi devant un tribunal (djdj.t), parce que le second a mal agi envers le premier. L'ennemi et sa Jb.t sont présents ; on supposerait sur la base des formules i 3 1 - 1 4 6 que la Jb.t du défunt est aussi présente, mais le texte ne contient pas de spécifications à cet égard. L'opposant est, de surcroît, accompagné
d'un
conseiller, mais finalement le défunt sort en vainqueur. A ce moment-là, le texte prend un tour violent. Le m o r t , qui a adopté la forme d'un « faucon humain », déchire son ennemi en présence de sa famille. L'ennemi ayant été abattu, sa maison — dans l'Au-delà ou sur terre ? — est détruite, et sa famille terrestre souffre également. On voit des familles dans l'Au-delà se combattant entre elles, sous la direction du défunt d'un côté et de « l'ennemi » de l'autre. On a l'impression que ce qui se passe dans ces circonstances est comparable à l'intervention réclamée par Iii contre Béhesti, selon la lettre au mort citée auparavant. Comme dans cet exemple, les agissements envers les ennemis morts sont supposés avoir des conséquences pour les membres de la famille encore vivants. Dans la lettre au mort, leur sort n'est pas précisé, mais il est cer-
140. CT
II,
226b-227b [149]. Pour
une bonne traduction et interprétation du texte,
voir GRIESHAMMER, Jense/tsgericht, p.
131-148. 195
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE tain qu'après l'action que doit entreprendre Iii, ils ne seront plus capables de gêner les expéditeurs de la lettre. Dans la formule 1 4 9 , on dit qu'ils sont « chassés » ' ' . 4
Les événements décrits dans la formule 1 4 9 n'ont rien de mythologique. Mais des faits miraculeux se produisent : le défunt se change en un oiseau prédateur pour s'emparer de son ennemi. En outre, bien que leur présence ne soit pas essentielle pour comprendre la trame de l'histoire que raconte la formule, des dieux entrent en scène à l'arrière-plan, comme déjà dans les formules 1 3 1 - 1 4 6 . Car le tribunal est dit être celui d'Osiris Khentamenti, et ce dieu se réjouit du succès du défunt '. Tout 14
donne l'impression que les défunts se trouvent dans l'autre monde de concert avec les dieux, mais sans encore s'identifier eux-mêmes aux dieux. LES FORMULES 3 0 - 4 1 DES TEXTES DES CERCUEILS'**
Pour pouvoir survivre, le m o r t était dépendant des offrandes qui lui sont apportées régulièrement par sa famille. Le groupe de formules 3 0 - 4 1 constitue une liturgie récitée pendant certains jours de fête dans la nécropole, au moment où la famille dépose les offrandes. Le texte est prononcé par le fils d'un père défunt. Le fils se présente comme le successeur du père, qui prend soin du mort. Dans la culture égyptienne il existait un lien étroit entre les deux : pour avoir droit à la succession, on devait s'occuper des funérailles — et, sans doute, du culte funéraire — du père . 144
141. c r u , 2 4 5 b [149]. 142. CT II, 2 3 3 b , 246a [149]. 143- CT I, 8 2 / 8 3 a - 1 7 7 h [30-41]. Pour les détails de ce qui suit, o n consultera WILLEMS,
dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 2 5 3 - 3 7 2 .
144. Pour le Nouvel Empire on s'exprimait même de manière proverbiale à cet égard ; on lit dans le P. Caire JE 5 8 0 9 2 , r ° 10-11 : « "C'est à celui qui enterre qu'on donne les possessions" dit-on, c. à d . la loi de Pharaon » ; JANSSEN, PESTMAN,
JESHO 11 (1968), pl. 1 ; voir aussi
O . PÉTRIE,
r" 7 - vs. 1 ; vs. 4-7
: CERNY, G A R D I N E R ,
H O I, pl. X X I . Pour d'autres sources, voir JANSSEN, PESTMAN, o p . cit., p. 1 6 8 .
196
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE La relation entre père et fils est donc, même après la mort du père, une sorte de symbiose, car le fils ne peut pas obtenir sa position sociale sans montrer un intérêt actif pour le défunt, tandis que le père dépend du fils pour sa survie. Dans les textes qui nous occupent, cette symbiose est parfois formulée d'une manière particulière. Le fils déclare pendant le rituel : 7u ' es ici dans ce pays sacré où tu te trouves comme 14
mon avocat' '' qui est dans le tribunal du dieu" , 4
7
tandis
que je suis ici dans ce pays des vivants [comme] ton avocat qui est dans le tribunal des hommes"". Ce passage oppose un tribunal dans l'Au-delà avec un autre dans le monde terrestre, ce dernier étant apparemment une cour de justice où les vivants peuvent déposer plainte contre un m o r t . On pourrait douter de l'existence réelle de cette alternative ; cependant, Diodore de Sicile, I, 9 2 , écrit qu'avant le départ de la barque funéraire, la loi permet à tous ceux qui le veulent de déposer plainte contre le défunt. Donc, si quelqu'un
s'avance
pour l'accuser et peut apporter la preuve qu'il a vécu une vie mauvaise envers tous, les juges annoncent ce verdict à tous et refusent au corps un enterrement
normal.
Ce texte fait aussi état de quarante-deux juges, ce qui prouve de manière indubitable le lien avec le tribunal divin du chapitre 1 2 c du Livre des Morts. Bien qu'il reste difficile d'entrevoir ce qu'était en réalité un tel tribunal, le passage de la for-
145. Le père. 146. Littéralement : « parleur ». 147. Osiris, comme dans la formule 149 ? 148. CT I, V 6 d - g [40] ; cf. CT I, \y\y\j2e
[39]. O n comparera avec CT VII, 908r
[908]. 197
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE mule 4 0 des Textes des Cercueils, traduit ici, pourrait bien contenir une allusion à une pratique comparable ; pratique exécutée non pendant les funérailles, mais durant une fête mortuaire' '. Le père défunt est donc déclaré en mesure de soute4
nir son fils devant un tribunal dans l'Autre Monde, tandis que le fils est capable de soutenir son père dans le cas d'une affaire judiciaire entreprise contre lui sur terre. La position sociale du fils dépend du soin pieux qu'il montre envers son père mort. Mais quelle est la base de celle du père dans la société de l'Autre Monde? Selon les formules 3 0 - 4 1 , cette situation se fonde sur les mêmes critères que celle de son fils. Le père m o r t mais ressuscité est conçu comme un fils qui assume ses responsabilités dans le cadre du traitement du corps de son père défunt que la liturgie identifie clairement à Osiris. On peut visualiser les relations personnelles comme suit fils vivant (A)
150
:
père m o r t (B) pere ressuscité (B) devenu Horus
le dieu m o r t Osiris (C)
Dans le rituel des formules 3 0 - 3 7 , le fils (A) transforme son père (B) en un dieu-fils qui traverse l'Autre Monde pour accéder au bâtiment où le corps de son père Osiris ( C ) attend d'être 149. Encore au XX* siècle, A h m a d FAKHRY assistait à des funérailles dans l'oasis de Bahariya assez comparables : « W h e n they arrive at the tomb, they lower the bier to the ground, a n d one of the men addresses the others: " W h a t d o you testify about the deceased?" The answer is always: " W e testify that he (or she) was a g o o d person." If, on a rare occasion someone in the group accuses the deceased of theft, failure to repay a loan, or causing some sort of harm to him, the relatives of the d e a d a p o l o g i z e or promise to pay. O n l y when everything is settled, all has been forgiven, a n d all have repeated that the deceased was " g o o d " , the g r o u p recites together a short prayer, takes the b o d y out of the bier a n d places it in the grave » : FAKHRY,
The Oases of Egypt II, p. 53-54.
150. Ici A -> B signifie : « A exécute des rituels pour B ». La flèche verticale indique la transfiguration du mort qui est la conséquence du rituel.
198
i fS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE embaumé. Au cours de la liturgie, le fils (A) s'adresse à son père pour le guider à travers l'Autre Monde vers son lieu de destination, à Osiris pour lui annoncer la venue de son père, et à d'autre divinités pour affirmer que son père doit passer. Les lettres aux morts et les formules i 3 1 - 1 4 6 , 1 4 9 et 3 0 - 4 1 des Textes des Cercueils mentionnent bien sûr des dieux, mais, de manière générale, l'Au-delà qu'elles évoquent est un monde qui ressemble de près au monde terrestre. Les défunts y travaillent dans les champs, travail auquel les seigneurs échappent ; ils y demeurent avec leur famille et leurs amis ; et ils s'y querellent, problèmes qui doivent être résolus devant un tribunal. De surcroît, aussi bien dans l'Autre Monde que sur terre, on gagne sa position sociale en accomplissant le devoir de s'occuper du père mort. Rien de mythologique dans ce processus. Mais à la ligne inférieure du schéma on voit apparaître un défunt en tant que dieu. Bien que le modèle ne soit pas enraciné dans la mythologie, on constate néanmoins que l'auteur de la composition a ressenti la nécessité d'attribuer une identité divine au mort, identité qui n'est pas exprimée de manière abstraite (« le m o r t est un dieu » ) , mais de manière individualisée (« le m o r t est Horus » ) ' . De m ê m e , le père m o r t du défunt S1
est décrit c o m m e Osiris. Je crois que deux facteurs probablement complémentaires peuvent expliquer pourquoi des identités divines sont introduites dans ce cadre qui, pour le reste, n'a rien de mythologique. La première explication est que le père obtient ce rôle dans un contexte rituel. Il est en route vers la Place d'Embaumement où se trouve son propre père m o r t . On sait bien que l'accès à un tel lieu saint n'était possible que si l'on se montrait au courant de certains « secrets » sacrés, pendant des rites de passage. Ces secrets ont un rapport avec le drame rituel qui se déroule
151. En fait, l'auteur ne va pas si loin, n'appelant le père que « le dieu jeune ». M a i s la constellation dans laquelle il opère montre clairement qu'il joue le rôle d'Horus.
199
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
à l'intérieur. Pendant les funérailles terrestres, les prêtres jouaient des rôles divins comme celui d'Anubis, d'Horus, d'Isis ou de Nephthys. Les formules 3 0 - 4 1 montrent qu'on a télescopé ce contexte rituel avec celui de l'Autre Monde. Là-bas, les acteurs dans le rituel sont des êtres surhumains (morts, dieux), et il est naturel d'élaborer une image où les acteurs ne sont pas des prêtres « jouant » Horus, e t c . , mais sont identiques à ces dieux. La seconde est que l'identification du défunt à un dieu évite certains problèmes existentiels. L'idée sous-jacente à propos du monde de l'Au-delà, telle qu'elle est exprimée dans les formules 3 0 - 4 1 , est que le défunt gagne sa raison d'être en fonction de son engagement dans la pratique des rituels funéraires pour son père défunt. Si les rôles n'avaient pas été divinisés, on aurait le schéma suivant : fils vivant (A)
père m o r t (B) père ressuscité (B)
père de B ( C )
On est en droit de présumer que le prédécesseur ( C ) de B était, lui aussi, un défunt ressuscité, mais pour permettre au défunt B de jouer son rôle de fils et successeur, le défunt C devait mourir à nouveau dans l'Au-delà. Le concept de la « deuxième m o r t » existe dans la religion égyptienne, mais celle-ci a la connotation d'une m o r t définitive, dont l'on ne pouvait pas être sauvé. Suivant ce modèle, la survie après la m o r t impliquerait pour un défunt dans la position de C que cette survie serait de très courte durée : une génération au plus. Pour permettre une perspective plus acceptable, la position C était remplie, non par un individu humain, mais par l'archétype divin d'Osiris, dispositif par lequel tout m o r t restait dans la position B, et était considéré comme le fils d'Osiris, Horus. Mais, bien qu'on utilise dans ce processus des noms 200
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE mythologiques, les rôles sous-jacents n'évoquent pas un mythe, mais un rituel funéraire transposé à un niveau divin. LA FORMULE 3 1 2
]V
DES TEXTES DES CERCUEILS -
Dans les formules 3 0 - 4 1 , seules les personnes mortes reçoivent une identité mythologique. La personne A qui figure comme officiant dans le rituel exécuté sur terre, en revanche, s'appelle simplement « fils ». Mais, on vient de le voir, il était très commun d'attribuer également des rôles divins aux participants, dans le rituel. Evidemment, on ne considérait pas cesindividus comme des « dieux », mais les dieux se manifestaient dans le cadre rituel sous la forme de ces personnes. Pour mentionner un exemple beaucoup plus tardif, mais très clair, le Papyrus Bremner-Rhind I, 2 - c , concernant un rituel où deux prêtresses jouent le rôle d'Isis et de Nephthys, spécifie : Alors on amènera deuxjemmes dont le corps est pur, et qui n'ont pas encore été ouvertes'^, dont les poils ont été rasés, et dont la tête est ornée d'une perruque, j...],
por-
tant des tambourins dans leurs mains, leurs noms, (c. à d.) Isis et Nephthys, ayant été écrits sur leurs épaules'^. Dans le cadre du rite, Isis et Nephthys sont donc présentes sous la forme de ces deux jeunes dames. De la m ê m e manière, Anubis est susceptible d'agir sous l'aspect d'un prêtre-embaumeur qui, à la Basse Époque, pouvait porter un masque avec les traits d'Anubis ". Ce ne sont que des exemples d'une coutume 1
152. Pour une discussion plus approfondie d e ce qui suit, voir Aspects of Funerary Culture, p. 370-372.
WILLEMS,
dans : Social
153. En accouchant ; on comparera avec la pierre d e C h a b a k a , col. 17a, qui utilise l'expression wpi h.t, « qui ouvre le ventre », pour désigner Horus comme l'enfant d'Osiris. Le texte fait clairement allusion à sa naissance.
154.
FAULKNER,
The Papyrus Bremner-Rhind, p. 1.
155. Je renvoie ici au masque Hildesheim Pelizaeus-Museum 1585 '• voir SEIPEL,
Ägypten, p. 158-160 (125).
201
I f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE fort bien connue et ancienne ; par ce biais, le mort peut aussi se voir attribuer le rôle d'Osiris et le prêtre sJ-fmr.y=f
(« le fils
qu'il aime ») celui d'Horus. Si l'on introduit cette distribution des rôles dans le schéma des formules 3 0 - 4 1 , on obtient le modèle suivant : fds vivant = Horus (A)
^
père mort = Osiris (B)
I père ressuscité (B) devenu Horus
le dieu m o r t Osiris (C)
La formule 3 1 2 des Textes des Cercueils traduit cette situation, mais est confrontée au problème évident que les rôles d'Horus et d'Osiris sont joués deux fois, et par des personnes différentes. Le texte fait une tentative pour différencier les personnalités sans rompre la répartition des rôles mythologiques. Au début du texte, les dieux demandent à Horus (A), sur l'ordre d'Osiris ( C ) , de rejoindre ce dernier dans l'Au-delà pour l'embaumer . Horus répond qu'il n'a pas cette intention ; il se 156
trouve encore sur terre, où il souhaite « se promener et copuler parmi les hommes » ' " ; formulation destinée à indiquer, me semble-t-il, qu'il est encore jeune et veut continuer sa vie terrestre afin d'avoir des enfants qui pourront poursuivre la lignée. Ce souci est également apparent dans les formules 3 8 - 4 1 . En guise de remplaçant, Horus (A) envoie sa « forme » (Ir.w)"*, autrement dit une personne qui n'est pas identique à lui, mais qui lui ressemble étroitement. Je crois que c'est son
156. CT IV, 68b-70b [312]. 1 5 7 - C T IV, 72b [312]. 158. CT IV, f - 7 4 f [312]. 73
202
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE père déjà mort ( B ) . Dans la suite du récit, ce dernier se rend, à travers l'Au-delà, vers Osiris, avec l'intention de l'embaumer. Plusieurs passages de ce texte difficile sont tout à fait comparables à d'autres dans les formules 3 0 - 4 1 . UNE CONCLUSION
Le monde de l'Au-delà peut être compris comme la projection du milieu social terrestre. Les morts interagissent selon les rôles sociaux qui sont les leurs dans la vie quotidienne. Mais un aspect important de la vie après la mort est de fonctionner, dans l'Au-delà également, dans un contexte rituel, contexte qui s'exprime de préférence par un vocabulaire emprunté à la mythologie. Le m o r t devient un dieu jeune qui embaume son père m o r t qui est lui-même un dieu. Finalement, un dédoublement des rôles mythologiques est possible, les officiants vivant sur terre entrant, eux aussi, dans un cadre où le discours rituel se décline en termes mythologiques. Ce stade, qu'on atteint dans le cas de la formule 3 1 2 , a pour conséquence qu'aucune personne n'est plus désignée en tant que personne humaine, et que l'action semble se dérouler entièrement dans le monde mythique. Ce dernier modèle est celui qui domine dans le reste des Textes des Cercueils. Ces textes se présentent donc a prima vista comme des récits n'ayant rien à voir avec la vie terrestre. Mon impression est qu'on a affaire, là, à un déguisement voulu qui revêt les relations sociales régissant la vie quotidienne d'une enveloppe surnaturelle. Dans la plupart des textes, seule cette enveloppe est thématisée. Pour nous, lecteurs qui ne sommes pas accoutumés à penser selon les catégories sociales égyptiennes, cela conduit facilement à méconnaître le déguisement mythologique, en l'interprétant comme le fond de l'affaire. Dans ce qui suit, nous nous occuperons de compositions plus extensives et tout à fait fondamentales du corpus des Textes des Cercueils pour pouvoir déterminer les thèmes centraux de ces textes. 203
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE LE CAS D'HEQATA
C ' e s t une matière que j ' a i étudiée de manière approfondie pour le cas du sarcophage d'Heqata
Ce sarcophage
(AiC) ' . 1
9
date du début du Moyen Empire et a été découvert à Assouan. Il contient une quarantaine
de formules des Textes
des
Cercueils. Le programme textuel est donc assez important, et il inclut plusieurs textes qui étaient très répandus à travers l'Egypte, comme les formules 7 j et 3 9 8 . Ils doivent donc se rattacher à des courants théologiques particulièrement représentatifs. L'importance de cette source provient aussi du fait qu'elle nous offre la possibilité d'étudier un ensemble de textes comme une composition cohérente. Evidemment, un traitement identique pourrait être entrepris pour tous les autres cercueils inscrits , mais le seul sarcophage qui a été, jusqu'à 160
présent, soumis à une telle enquête est celui d'Heqata . 161
Dans les textes d'Heqata, l'axe fils / ritualiste - père m o r t / bénéficiaire du rituel occupe aussi une place centrale. Le défunt peut jouer les deux rôles. D'un côté il acquiert une vie nouvelle parce qu'une autre personne exécute le rituel pour lui. De l'autre, il mérite une position prépondérante parce qu'il joue le rôle d'un fils qui embaume son père m o r t . En second lieu, le discours des textes associe ces rôles à des personnalités mythologiques. C o m m e dans les textes déjà analysés, le modèle dans lequel le ritualiste est un Horus, et le bénéficiaire un Osiris est très commun, mais ce n'est pas la seule possibilité. Dans les formules empruntées au Livre de 159. Ce qui suit se fonde sur les conclusions de
WILLEMS,
Heqata ; voir surtout
p. 374-384160. L'auteur a entrepris une étude d'ensemble sur les cercueils de Sesenebenef de Licht (Ll-2Li), dont la publication est en cours de préparation. 161. MEYER-DIETRICH, Nechet und Nil, a fait la même tentative sur la base de l'analyse du sarcophage M 5 C . Je dois avouer que je trouve son traitement des textes et leur contextualisation culturelle insuffisamment poussés, et l'application d e la méthodologie de base, l'approche de la Re/igionso/co/ogie, trop prématurée pour tenir compte de ce travail dans la présente étude.
204
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Chou (ici, les formules 7 c , 7 7 , 7 8 , 8 0 ) , le père défunt est Atoum, le fils-prêtre est Chou. Probablement, le rituel évoqué avait pour but de donner le souffle de vie au père m o r t . Pour ce faire, il était plus commode de mobiliser un fils-Chou qu'un fils-Horus, puisque Chou était le dieu de l'air. Le monde théologique évoqué dans les textes peut donc varier énormément, mais le modèle sous-jacent dans le sarcophage d'Heqata opère sur la base des mêmes modules. Il serait peu utile de répéter ici ce qui a été montré dans le détail, ailleurs. Je me limiterai à une présentation du modèle récapitulatif de mon étude sur ce sarcophage (voir fig. 2 c ) . Dans la figure, les flèches horizontales indiquent une action bénéfique des ritualistes pour un défunt, une flèche verticale (avec pointe vers le bas) une transformation d'un défunt, et la flèche verticale (avec pointe vers le haut) un lien de communication entre deux divinités. Les chiffres romains indiquent les différents rites auxquels il est fait allusion dans le sarcophage d'Heqata. Tous les textes s'intègrent dans un modèle qui comprend la vie dans l'Au-delà c o m m e un phénomène cyclique. Quand le défunt meurt, il est momifié. A la fin de ce procédé plutôt « technique », on le transforme rituellement d'un m o r t en un être qui a acquis une vie nouvelle. Puis, on le transfert vers la tombe, la procession étant aussi conçue comme un rite important pour la résurrection du m o r t (phase I ) . Cette transformation est régulièrement répétée pendant les rites mortuaires célébrés dans le cimetière. Comme l'a montré J. A S S M A N N , pendant la transmission des offrandes, on récite des formules de « glorification » qui ont comme but d'introduire le défunt dans le monde divin. Ce type de rituel réitère donc les effets déjà atteints auparavant par la momification . Ainsi, ces 162
rituels périodiques ont aussi pour finalité de ressusciter, c'est à dire de transformer, le défunt en un dieu jeune (phase II). 162.
ASSMANN,
Totenliturgien
I,
p. 13-17 et 67-68. 205
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
le fils (et la famille)
bénéficiaire (Heqata) i funéraire
proc
fe fils
II
(et la famille)
bénéficiaire (Heqata) visitent la tombe pendant les jours de fêtes
Monde terrestre Autre monde III déesse
bénéficiaire (Heqata) rite d'embaumement veillée horaire
le défunt ressuscité se transforme en fils/ritualiste IV bénéficiaire
ritualiste (Heqata) rite d'embaumement veillée horaire
Osiris commande l'exécution de ritiels funéraires pour Heqata
FIG. 2 5 : LES CONTEXTES RITUELS REPRÉSENTÉS DANS LA DÉCORATION DU SARCOPHAGE D'HEQATA (D'APRÈS WILLEMS, HEQATA, 206
P. 3 8 6 ) .
(père
mori divi
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Les deux types de rituels ont ainsi tous les deux la même fin : le m o r t qu'on peut, dans la dialectique de la théologie égyptienne, identifier à divers dieux morts, comme Osiris ou Atoum, se transforme en un dieu jeune et renaissant c o m m e Horus ou Chou. Selon les textes funéraires d'Heqata, ces dieux-fils n'ont qu'une seule responsabilité : celle de momifier leur père m o r t (phase IV). Par conséquent, Osiris (ou Atoum) acquiert une vie nouvelle. Ce qui est original dans le cercueil d'Heqata, c'est que 1'Osiris vivant ordonne aux dieux de donner une vie nouvelle au défunt (phase V ) . D'autres textes décrivent l'exécution de rituels funéraires pour le défunt qui doit, à ce stade, entrer dans le rôle d'un dieu-père m o r t , comme Osiris (ou Atoum) (phase III). Mais après ces rituels, il apparaît comme un dieu rajeuni, qui peut à nouveau jouer le rôle de fils / ritualiste (phase IV). Ainsi, Heqata dépend pour sa survie d'une
décision
d'Osiris, qui le transforme en Horus. Mais pour sa propre survie, Osiris dépend de l'activité rituelle d'Horus, dieu avec lequel Heqata s'identifie dans les textes de son sarcophage. La vie après la m o r t ressemble fortement à la relation fils-père m o r t comme vue dans une perspective humaine . 163
E
LE CAS DES SARCOPHAGES DU MILIEU DE LA XII
DYNASTIE
Le sarcophage d'Heqata (A i C) est un cas un peu particulier. Sa décoration inclut plusieurs éléments qui n'apparaissent que dans un nombre très restreint d'autres sarcophages ( G i T , T 3 C , partiellementT3L, et quelques autres exemplaires très endommagés). Ces sources datent d'une époque où la décoration des cercueils différait considérablement d'un site à un autre, phé-
163. Voir p. 198-200.
207
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE nomène qu'on peut aussi observer pour d'autres catégories d'objets. Il est donc, en principe, possible que le sarcophage d'Heqata reflète une tradition strictement locale et peut-être peu représentative. Il serait donc important de savoir comment les choses se présentent dans le cas des autres sarcophages. Malheureusement, l'étude ne serait-ce que d'un seul sarcophage prend beaucoup de temps, et il faudrait disposer de résultats concernant un nombre significatif d'artefacts avant de pouvoir se prononcer de manière plus assurée. Il serait particulièrement utile de posséder une analyse des sarcophages réalisés entre les règnes de Sénousret I
er
et
Sénousret III, période où l'on peut observer une tendance à décorer les cercueils selon un modèle plus ou moins rigide. Bien sûr, les concepteurs possèdent encore, à cette époque, une grande liberté dans les détails, et dans le choix des textes. Mais quelques principes sont néanmoins très apparents. Bien que le matériel soit vaste et n'ait pas encore fait l'objet de recherches poussées, quelques lignes directrices me semblent néanmoins claires . 164
A l'extérieur, ces sarcophages ne sont pas seulement décorés avec une bande horizontale de textes ornementaux et une paire d'yeux oudjat sur le côté est, comme dans les cercueils plus anciens (type I). Sous les registres d'inscriptions ornementales, on trouve maintenant des colonnes supplémentaires de textes, également en hiéroglyphes ornementaux (types IV et V ) . Les panneaux entre ces colonnes sont souvent ornés d'une façade de palais (type V I ) . Pour les différents types de cer165
cueils, on verra la figure 2 6 . A l'intérieur, un changement très important réside dans l'introduction d'une frise d'objets sur le côté ouest, de sorte que, désormais, les quatre parois possèdent chacune une frise.
164. Voir
WILLEMS,
dans : Studies te Velde, p. 343-372.
165. Voir
WILLEMS,
Chests of fife, p. 136-164, pour les types IV-VI.
208
FIG. 2 6 : TYPOLOGIE DE LA DÉCORATION EXTÉRIEURE DES SARCOPHAGES DU MOYEN EMPIRE, LA FIGURE N'OFFRE QUE LES MODELES LES PLUS COURANTS (D'APRÈS IKRAM ET D O D S O N , THE MUMMY
IN ANCIENT
EGYPT, P. 1 9 8 ) .
209
I fS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE La thématique des frises change aussi, car elles sont presque entièrement réservées à des objets rituels et des éléments de l'ornement royal . Dans la plupart des exemples, ces cercueils 166
portent la formule 3 3 £ des Textes des Cercueils sur le couvercle, et la formule 3 9 7 sur le fond . Ces textes sont parmi les 167
plus connus du corpus. Dans le premier cas, il s'agit de la version originelle du chapitre 1 7 du Livre des Morts, dans l'autre de celle du chapitre 9 9 . Déjà au Moyen Empire, les deux textes étaient très répandus, et du fait qu'ils apparaissent souvent dans un programme qui régit la décoration des cercueils dans leur totalité, il n'est pas douteux qu'on est en présence de sources-clé pour comprendre la raison d'être des Textes des Cercueils. La formule 3 9 7 évoque le thème du bac que le défunt veut utiliser pour traverser le Canal Sinueux dans l'Au-delà. La destination qu'il a l'intention d'atteindre se trouve dans le Champ des Roseaux, proche de l'horizon oriental du ciel. Le texte, comme celui qui l'a précédé dans la pyramide d'Aba, laisse entrevoir que le corps d'Osiris se trouve en ce lieu, et que le défunt, le fils d'Osiris, a pour but de rattacher la tête de son père et de procéder au rituel d'Ouverture de la bouche sur ce dernier . Sur la base du texte lui-même et d'une comparaison 168
avec d'autres formules concernant le passeur du bac, on est en droit de conclure qu'on a affaire à un thème assez général dans ces compositions . 169
Dans la formule 3 3 J , l'embaumement d'Osiris est lui aussi thématisé. C T IV, 2 ^ 2 / 3 C - 2 7 2 C [ 3 3 ^ ] contient une description 166. Voir p. 146.
167. W I L L E M S , Chests of Life, p. 200-228, 233 et 235. 168. CTV, 780-810 [397] ; JÉQUIER, La pyramide d'Aba,
pl. X I , I.
591-592.
Un texte
très proche, mais offrant une version légèrement différente de la formule
397,
contient le même passage (voir BICKEL, dans : D'un monde à l'autre, p. 99 ; 116, I.
22-2). 169. W I L L E M S , Heqata, Velde, p.
210
360.
p.
156-177,
et surtout p.
173-177
; IDEM,
dans : Studies te
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE de la Place d'Embaumement et offre une liste de sept divinités qui constituent une partie conséquente du personnel momifiant Osiris, selon les textes ptolémaïques de la veillée horaire . 170
L'autre protagoniste du texte est le dieu solaire, mais il endosse toute une série de noms différents, comme Min et Harendotès. Ce dernier n o m ' , en particulier, est notable, 71
parce qu'il signifie « Horus qui protège son père » ; nom qui évoque les actes pieux d'Horus pour son père m o r t Osiris. Le texte fait ressortir que le dieu solaire est en route vers Osiris, avec l'intention patente de le faire revivre. Après cela, Rê doit quitter Osiris pour réapparaître comme soleil renaissant — le « sortir au jour » auquel renvoie le titre de la composition . Ce 172
long texte fort complexe ne peut être traité en détail ici, mais il semble clair qu'il concerne un thème qui nous est déjà familier : celui d'un dieu-fils — non pas Chou ou Horus, mais le dieu solaire parfois aussi appelé Horus — qui rejoint son père défunt pour l'embaumer '. 17
Le reste du programme décoratif des sarcophages étudiés s'intègre aisément à cette conclusion. Par exemple, les bandes verticales de textes ornementaux ont pour fonction de représenter un groupe de dieux qui participent aux rituels dans la Place d'Embaumement . Par ailleurs, les objets royaux qui 174
apparaissent dans les frises d'objets sont souvent mentionnés dans les textes décrivant les rituels d'embaumement. En effet, les sources interprètent souvent la momification c o m m e la victoire du m o r t osirien. Lorsque Seth tua Osiris, celui-ci perdit aussi sa fonction de roi d'Egypte. Après la momification
170.
JUNKER,
Stundenwachen, p. 3-5 et passim.
171. CT IV, 2 0 4 / 5 C [335].
172. CT IV, l 8 4 / 5 a - i 8 6 / 7 b [335]. 173. Pour une analyse plus poussée, voir WILLEMS, dans : Studies te Velde, p. 3 5 9 -
364. 174. Voir supra, n. 40, p. 149-150.
211
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE d'Osiris, les dommages causés par le crime de Seth étaient réparés. Comme signe de victoire, Osiris fut à nouveau couronné, désormais dans l'empire des morts. Dans les scènes de momification, on voit souvent les éléments de l'ornement royal sous le lit d'embaumement. Les mêmes objets ont également été retrouvés dans quelques tombes du Moyen Empire '. La 17
momification place donc le m o r t dans le rôle d'Osiris roi de l'Au-delà. Cependant, les éléments de l'ornement royal ne sont pas seulement à rapprocher d'Osiris, mais aussi du fils-ritualiste responsable de l'enterrement de son père. O n a vu que celui-ci avait le droit de succéder à son père, et les textes concernant l'embaumement renvoient parfois au fils comme à un roi et successeur . 176
Au terme de cet examen, on doit conclure que les textes et l'iconographie de ces sarcophages accordent à nouveau une place centrale au rituel d'embaumement, où les rôles de ritualiste / fils et bénéficiaire / père m o r t sont des thèmes primordiaux. La dialectique de la décoration des cercueils n'attribue pas un seul de ces rôles au propriétaire, mais les deux à la fois. Dans un contexte, il peut donc figurer c o m m e un Osiris qui acquiert une vie nouvelle grâce aux rituels pérennisés pour lui dans la décoration du cercueil. Dans d'autres contextes, il apparaît comme un fils en route pour rejoindre la salle d'embaumement d'Osiris. Bien que les détails diffèrent, on reconnaît aisément les rôles, actif et passif, que peut jouer Heqata dans les phases différentes de son destin dans l'Autre Monde.
CONCLUSION
Dans chaque texte, groupe de textes, sarcophage, ou classe de sarcophages que je viens de passer en revue, je crois pouvoir
175. Voir p. 146-148. 176. Par exemple CT I, 25lf [60].
212
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE retrouver un élément récurrent : l'emphase sur le lien familial, et surtout sur le lien entre le fils et le père défunt. Nos sources soulignent l'importance des rituels exécutés par le fils pour son père. Sans eux, le père m o r t ne pourrait pas survivre dans l'Audelà, et le fils n'aurait pas de droit à lui succéder. On a constaté que ce rapport entre père m o r t et fils vivant semble avoir été projeté dans l'Au-delà, le défunt jouant fréquemment dans l'Autre Monde le rôle d'un fils qui momifie son père. J'ai dû me concentrer sur ce qui me paraît essentiel dans ces textes, mais je dois admettre que d'autres spécialistes auraient peut-être souligné d'autres éléments des Textes des Cercueils . Il est inutile de nier que ces textes complexes se 177
prêtent à plusieurs interprétations. Cependant, il me semble aussi difficile de contester que l'axe père-fils occupait une place prépondérante dans la pensée des hommes qui composèrent ces Textes des Cercueils, axe dont le rôle fondamental pour la religion égyptienne a d'ailleurs été reconnu par d'autres' . En 78
outre, le choix de textes que j e viens de présenter ( 6 ^ 0 pages environ, donc plus de 2 0 % de l'ensemble des Textes des Cercueils) est si considérable que les résultats obtenus ne peuvent être dus au seul hasard' . 75
177. En fait, dans une étude en préparation, je crois pouvoir montrer que, dans un groupe de cercueils qui, chronologiquement et culturellement, sont à différencier de notre matériel, les Textes des Cercueils évoquent une philosophie entièrement différente.
178. Voir A S S M A N N , P- 74-75-
dans : Vaterbild, p.
12-49
et
155-162
; IDEM,
Tod und Jenseits,
179. Dans le passé, on a souvent exprimé l'opinion que les Textes des Pyramides et les Textes des Cercueils représentent deux corpus strictement séparés. O n ne peut plus souscrire à cette manière de voir. Dans une étude récente, B. MATHIEU a tenté d e déceler les critères qui pourraient faciliter une distinction entre les deux groupes, mais finalement, il a abouti 6 la conclusion qu'il reste pour l'instant malaisé de définir une différence entre les deux, et qu'ils puisent à un fonds commun (dans : D'un monde à l'autre, p.
247-262).
Pendant le colloque où il a pré-
senté cette hypothèse, le sentiment général était, en effet, qu'une différence clairement identifiable ne pouvait pas être établie. Cinq ans plus tard, je ne suis plus aussi
213
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE LA VIE FAMILIALE AU MOYEN
EMPIRE
Dans les ouvrages de vulgarisation surtout, on lit souvent que les scènes des chapelles funéraires montrent que les Egyptiens supposaient que la vie après la mort était un doublet de la vie terrestre. C'est certainement une exagération. Même là où la vie terrestre constituait le point de repère, le défunt n'aspirait pas simplement à continuer son existence, mais plutôt à acquérir dans l'Au-delà une position seigneuriale, même si son sort pendant la vie avait été très différent. Comme on l'a vu plus haut" , 10
le mobilier funéraire entre la fin de l'Ancien Empire et le début du Moyen Empire suggère que le défunt ne vit pas une copie de sa vie avant la mort, mais entre dans un scénario où certains éléments agréables de la vie terrestre dominent. Dans les textes que nous venons d'étudier, un procédé de sélection similaire est évident. Bien que les formules 1 3 1 - 1 4 6 , pour unifier un homme avec sa jb.t dans la nécropole, aient été interprétées comme l'indice que le m o r t désirait poursuivre sa vie familiale, une enquête plus poussée montre que la Jb.t n'est pas la famille dans le sens occidental, mais un groupe de personnes entretenant des liens d'ordre juridique et surtout financier. J e ne peux pas aborder le thème dans le détail ici, mais le fait que la femme du défunt n'appartienne pas à la Jb.t indique
convaincu sur ce point. D'une part, depuis la publication d e CT VIII on peut constater que les Textes des Pyramides ne sont certes pas exceptionnels dans les cercueils du M o y e n Empire, mais aussi que les cercueils n'offrent qu'une sélection assez restreinte du matériel connu des pyramides de l'Ancien Empire. De l'autre, les Textes des Cercueils contiennent quelques formules qui proviennent certainement d'un cadre non-royal, comme les formules 131-146 et 30-41, bien qu'elles contiennent des citations des Textes des Pyramides. M ê m e s'il est difficile de suivre avec certitude les mécanismes qui régissaient la transmission des textes, j ' a i l'impression que les cercueils d u M o y e n Empire comportent des textes partiellement non-royaux et partiellement royaux. Ces derniers n'étaient sans doute pas choisis au hasard, mais plutôt parce qu'ils comportaient des thèmes familiers à leurs utilisateurs, comme celui du lien entre père et fils, ou qu'ils appartenaient à des liturgies utilisables dans le cadre du culte funéraire des particuliers. 180. Voir p. 142-144.
214
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE très clairement que ces textes ne visent pas simplement à une continuité de la vie familiale dans toute son ampleur '. De plus, 18
bien que les formules i 3 1 - 1 4 6 ne soient pas rares, elles ne constituent qu'une petite minorité dans la masse des Textes des Cercueils. Dans le reste du matériel, on ne thématise qu'un seul élément du système de parenté : le lien entre le père m o r t et le fils vivant. Les relations mutuelles entre, par exemple, frères et sœurs, ou entre ceux-ci et la mère m o r t e , ne jouent aucun rôle dans le discours des Textes des Cercueils. Evidemment, on n'a pas affaire, ici, au reflet de la vie normale, mais à un choix conceptuel. Or, ce choix n'est pas propre aux seuls Textes des Cercueils. Dans les textes autobiographiques et dans les enseignements, l'axe père-fils domine aussi. Bien sûr, on trouve des cas exceptionnels de textes qui laissent entrevoir la réalité de la vie familiale, comme l'autobiographie d'Horemkhâouf. Il écrit : J'ai nourri mesjrères et mes sœurs. Je n'ai pas permis que l'un (d'entre eux) réclame les propriétés d'un autre, de sorte que chacun ouvre la porte pour l'autre. J'ai pris soin de la maison (pr) de ceux qui m'ont nourri après qu'ils avaient été enterrés et avaient été ressuscites' ". 1
Dans cet exemple, le soin du fils aîné pour ses parents est thématise, mais, détail réaliste absent des Textes des Cercueils, il s'occupe de ses deux parents, et non seulement du père. De m ê m e , le texte
signale que, après la m o r t des parents,
181. Pour la femme qui n'appartient pas à la A i d e son mari, voir déjà GOEDICKE,
PRAR, p. 66
; FRANKE,
AVMR, p. 278, 2 8 3 , 2 8 7
; ASSMANN,
dans : Vaterbild, p. 17,
n. 2 2 . Pour l'interprétation générale d e la Jb.t, voir WILLEMS, dans : Religion in Context, à paraître.
182. Stèle N e w York
M M A
35.7.55,11-13 : voir
HAYES,
JEA 3 3 (1947], p. 3-11. Un C E R N Y , JEA 47 (1961),
cas semblable est décrit sur la stèle de Mérer à Cracovie : P- 5-9-
215
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Horemkhâouf veillait sur ses sœurs et frères. Cela ne devait certes pas être inhabituel, mais il est difficile de trouver des textes, en tout cas dans la littérature autobiographique ou dans les enseignements, qui offrent de tels détails '. Même en 18
dehors de ces genres littéraires, de semblables renseignements sont fort malaisés à repérer' . 84
Ce que les autobiographies mettent surtout en lumière, c'est que « le » fils ou, plus explicitement, « le fils aîné » établit la maisonnée. On lit souvent qu'il s'agit de la maisonnée du père, qu'il entretient et même enrichit. Le fait que les deux possibilités — établir ou entretenir une maisonnée — sont toutes les deux exprimées par la même tournure (grg pr) rend parfois délicat de décider de quelle alternative il s'agit. Mais les renvois à une situation où le fils aîné continue la maisonnée de son père sont, en effet, très courants. Dans la réalité, de tels cas doivent correspondre au fait que le fils avait continué de vivre avec ses parents, durant toute sa vie. Il n'est guère probable que ses frères et sœurs aient fait la même chose. On sait que les habitations égyptiennes sont normalement assez petites, et ne contiennent que peu de pièces . Il est 185
vrai que ce point de vue repose en partie sur l'hypothèse que les maisons égyptiennes ne possédaient qu'un seul étage, et que cette idée a été récemment nuancée, en tout cas pour le Nouvel Empire, avec des arguments probants' . Mais ce qui vaut pour le 86
Nouvel Empire n'est pas nécessairement applicable au Moyen
183. Un cas similaire dans son réalisme se trouve sur la stèle Caire JE 46048,1. 6, où un homme déclare qu'il a bâti des maisons pour chacun de ses enfants, qui étaient comparables à celle qu'il possédait lui-même p. 2 4 8 - 2 5 3
; FRANKE,
(ABDALLA, J E A
79 [1993],
SAK 34 [2006], p. 167-172).
184. Une liste très complète de la documentation sur la maisonnée (pr) a été rassemblée par
FRANKE,
AVMR, p. 257-276.
185. Pour la simplicité des plans au M o y e n Empire, on consultera BIETAK, dans : Haus und Palast, p. 24-43 (Gruppe
A)
et
(pour un résumé, voir p. 217-218).
186.
2l6
SPENCE,
JEA 90 (2004), p. 123-152.
V O N PILGRIM,
Elephantine XVIII, passim
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Empire
187
; et même si les maisons avaient possédé plusieurs étages,
cela ne prouve à aucun égard que les enfants mariés continuaient à cohabiter avec leurs parents. En effet, ainsi que le remarque
FRANKK,
il y a plusieurs allusions à des maisonnées dans la littérature du Moyen Empire et, dans ces cas, il s'agit normalement de familles nucléaires . Comme il le souligne, il est alors question de familles 188
de paysans. Un groupe de trois papyrus fragmentaires actuellement conservés au musée de Turin, le fameux stato civile, contient des fragments de l'état civil de la rive gauche thébaine, à la fin de la XX'' dynastie. Ces documents regroupent les renseignements sur les habitants par maisonnée, et il s'agit presque sans exception de familles nucléaires. Les cas rares où un enfant marié continue de vivre avec ses parents sont indiqués en rouge, et, selon R. D E M A R É E , il s'agit probablement de situations passagères . Parfois, on rencontre aussi 189
des exemples où une personne âgée se joint à la famille nucléaire d'un de ses enfants. Pour le Moyen Empire, on ne possède malheureusement pas de document comparable, mais trois listes d'une seule maisonnée à Lahoun semblent refléter une situation très similaire à ce qu'on trouve dans le stato civile'' . 10
187. Les arguments en faveur de maisons de plusieurs étages à cette époque ont été évalués de manière critique par V O N PILGRIM, op. cit., p. 2 3 1 - 2 3 3 . 188.
FRANKE, AVMR,
p.
275.
189. Les documents seront publiés par Rob DEMARÉE et Dominique VALBELLE ; voir déjà VALBELLE, CRIPEL 7 (1985), p. 81-84. Je remercie le premier pour les renseignements qu'il m'a donnés. Ces remarques remplacent celles de KRAUS, Demographie, p. 100-101, qui suppose une situation beaucoup plus variée.
190. Ces documents sont étudiés par
VALBELLE,
CRIPEL 7 (1985), p. 75-87. O n peut
suivre cette maisonnée pendant une période prolongée. Bien qu'on n'ait pas affaire à une famille nucléaire, on reconnaît aisément la dynamique du groupe. 1] Un homme et une femme ont un fils et plusieurs filles. Les filles quittent la maisonnée, probablement q u a n d elles se marient. 2) La mère de l'homme se joint à la maisonnée, probablement quand son mari meurt ; il ne s'agit certainement pas de la situation habituelle. 3) Le fils reste dans la maisonnée après son mariage, mais à ce moment, son père est déjà mort. Il se peut qu'on ait affaire au cas d'un fils aîné restant chez ses parents, thème fréquent dans les autobiographies. Mais il est aussi possible qu'il n'ait pas établi une nouvelle maisonnée pour pouvoir soigner sa mère et sa grand-mère restées veuves après la mort d e leurs maris. Dans ce cas, on a clairement affaire à une situation qui n'est pas la règle.
217
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE II semble donc qu'une maisonnée régulière se composait d'une famille nucléaire (parents, entants), avec exceptionnellement des serviteurs et des personnes supplémentaires . 191
L'impression que, normalement, les enfants quittaient la maison parentale au moment de leur mariage semble être confirmée par nombre de textes autobiographiques où une personne dit être sortie de « la pièce de derrière de la maison du père ». Selon l'interprétation convaincante de F R A N K E , cette partie de la maison abritait les pièces privées, où vivait la famille '. 19
Les plans des maisons ordinaires de l'époque ne comportent pas de pièces à l'arrière, mais les textes autobiographiques sont issus, per definitionem,
d'une couche sociale relativement
élevée. Or, dans les grandes maisons de l'élite, on trouve parfois des espaces qui peuvent être identifiés à « la pièce de derrière de la maison ». La planche i j en présente un exemple : une des grandes maisons à Lahoun '. 19
Il s'agit d'une très vaste demeure où habitent plusieurs familles. Au premier coup d'ceil, on pourrait en retirer l'impression qu'on a affaire à une structure très différente des habitations de familles nucléaires qu'on vient d'évoquer. Mais il faut prendre en compte le fait que cette maison n'a pas une organisation comparable, par exemple, à celle d'un château européen, bâtiment qui, à lui seul, contient les quartiers d'un grand nombre de personnes. A Lahoun, la structure est très différente : on voit un espace entouré par un mur, contenant plusieurs maisons indépendantes qui ont plus ou moins le même aspect : les mai191. Plusieurs auteurs ont énoncé l'hypothèse que les Égyptiens vécurent plutôt en familles étendues (« extended families »] ; voir, par exemple, JANSSEN, GM
(1981 ),
p.
62-65,
48
avec références bibliographiques. Mais on ne comprend pas très
clairement si ces auteurs parlent d e maisons regroupées en un ensemble, ou de grandes maisons contenant plusieurs familles. Il est évident que les deux alternatives ne reflètent pas la même réalité sociale.
192. 193. 2l8
FRANKE,
AVMR, p.
266-267.
Reproduit par BIETAK, dans : Haus und Palast, p.
32, fig. 12.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE sons I, I I , I I I et IV. Les petites maisons V, V I et V I ont un plan différent, probablement du fait qu'il s'agit simplement de pièces où sont logés les serviteurs. Le modèle généralement adopté consiste en une cour d'entrée ( H ) , suivie d'un vestibule transversal ( V ) , une salle de réception, souvent avec des colonnes ( W ) , et une ou deux pièces supplémentaires ( N , S ) . La maison centrale I est la plus grande unité et appartenait sans doute à un haut fonctionnaire. On peut supposer qu'il utilisait la pièce W comme bureau où il recevait les visiteurs. Pour cette raison, l'unité W a, dans ce cas, été dédoublée. On employait, en effet, la pièce W i , comme salle de réception officielle, tandis que la pièce W 2 et la pièce latérale N 2 devaient constituer les pièces privées de la famille. Je suggère qu'il s'agit des « pièces de derrière de la maison » mentionnées dans les autobiographies. C'est là que vivaient les enfants qui, après leur mariage, quittaient la maison pour s'installer ailleurs. La maison I I mérite une attention particulière. Par son ampleur, il s'agit de la deuxième maison du complexe, possédant une cour entourée de colonnes, et une salle de réception avec une colonne. Les personnes qui y habitaient étaient sans doute parmi les plus importantes du complexe. On constate par ailleurs que les quartiers privés de la maison I sont directement reliés à ceux de la maison I I (porte entre les pièces 8 et 2 0 ) . Ce dispositif ne se retrouve nulle part ailleurs, et indique un lien très étroit entre les familles vivant dans les maisons I et I I . BIETAK
explique la situation en supposant que la maison I était
celle du père, et la maison I I celle du fils aîné . 194
Cette explication est convaincante. On voit donc qu'un des enfants, probablement le fils aîné, reste dans le complexe domestique de son père, tandis que les autres quittent « les pièces de derrière de la maison du père » pour s'établir ailleurs. Quand le fils aîné se marie, il obtient la maison I I ; quand son 194.
O p . cit., p.
34. 219
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE père meurt, sa famille déménage vers la maison I. Le moment venu, son propre fils aîné s'installe avec sa famille dans la maison II. Voilà l'atmosphère concrète d'où dérive l'axe père-fils, si largement mis en lumière dans les textes autobiographiques, les enseignements, et les Textes des Cercueils. Tout comme les textes, ces complexes domestiques sont caractéristiques de la plus haute élite d'Egypte. Je vois un lien entre ces deux constats : les Textes des Cercueils pourraient bien avoir été écrits pour les gens qui habitent ces grandes maisonnées. Si l'on me suit dans ce raisonnement, on tient à nouveau un argument pour considérer les Textes des Cercueils comme marqueurs de la culture élitaire plutôt que d'une culture « démocratique ».
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LES COURS NOMARCALES
Il est ainsi clair que les thèmes évoqués par les Textes des Cercueils offrent un cadre théologique admirablement
en
accord avec les soucis sociaux des propriétaires des sarcophages. Mais un problème se pose tout de m ê m e . L'importance de la légitimité de la succession familiale, et de l'exécution de rituels funéraires par le fils aîné ne se rencontre pas seulement dans les autobiographies des régions nomarcales, mais partout en Egypte. On a alors du mal à comprendre pourquoi les Textes des Cercueils disparaissent largement au cours de la XIL dynastie, sauf dans les régions caractérisées par la culture nomarcale. Pour être plus précis : les maisons déjà décrites soulignent clairement l'intérêt accordé à l'axe père-fils, mais ces maisons se situent à Lahoun, endroit où il n'y a presque pas de Textes des Cercueils. Depuis quelques années, on sait que des maisons très comparables ont également existé à Abydos, dans la communauté attachée à la tombe / cénotaphe de Sénousret JII \ 19
195.
220
35 (1998], p. 1-44 57 (2001), p. 281-308.
WEGNER, J A R C E
MDA/K
; IDEM,
EA
17 (2000), p. 8-10
; IDEM,
(FS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Comme je l'ai signalé plus haut, à Abydos le nombre de sources des Textes des Cercueils est aussi très restreint. On doit donc admettre que, jusqu'à un certain niveau, les élites partageaient le même climat intellectuel, mais que c'était surtout les élites provinciales qui continuaient à utiliser l ' e x pression de ces idées sous la forme des Textes des Cercueils. Pourquoi cette différence ? Sans que je puisse en apporter la preuve définitive, il me semble qu'on peut reconnaître des écarts entre la structure sociale dans les nomes de Moyenne Egypte — et parfois ailleurs —, et celle en vigueur dans l'entourage plus immédiat du roi. Peut-être, les nomarques n'étaient-ils pas plus influents ou plus importants que les hauts fonctionnaires, par exemple, à Licht ou à Lahoun. Pourtant, il existait une différence de perspective. A la résidence, on comptait certainement de très hauts fonctionnaires. Mais il y en avait beaucoup, de sorte que chacun d'entre eux jouait un rôle relativement moins marqué, considéré du point de vue de la population en général. De surcroît, dans la communauté de la résidence, même les fonctionnaires les plus élevés étaient de rang secondaire par rapport au roi. Dans les provinces, la situation était évidemment perçue de manière très différente. Il est peut-être vrai que, dans l'organigramme de l'état, un chef provincial pouvait occuper une position comparable à celle de certains fonctionnaires attachés à l'administration centrale, mais pour la population du nome, il se trouvait sans doute à l'apex de la pyramide hiérarchique localement visible. Dans ce cadre, on constate, depuis la fin de l'Ancien Empire déjà, le développement de l'institution du hw.t-kj,
la chapelle
où les chefs locaux recevaient un culte personnel. Cette forme de vénération est bien attestée depuis la fin de l'Ancien Empire autour des palais et des tombes des gouverneurs régionaux, et de tels lieux de vénération ont probablement existé au Moyen 221
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Empire, en Moyenne Egypte. La maison de ka contenant la statue colossale du nomarque Djéhoutihotep à Deir el-Bersha pourrait en avoir constitué un des exemples les plus impressionnants. Grâce à l'étude de la chapelle de Heqaib menée par F R A N K E , on sait que le culte célébré dans ce genre de sanctuaires n'est pas sans rappeler le culte des ancêtres qui constitue l'assise de la religion funéraire égyptienne. Probablement dans chaque famille égyptienne, les rituels mortuaires prenaient l'apparence d'un tel culte. O n sait aussi que le culte des « ancêtres » en Egypte était susceptible de s'adresser non seulement à des membres défunts de la famille, mais également à un éventail d'autres personnes, comme des collègues . Dans cette 196
perspective, on peut comprendre que le culte de personnes importantes de la communauté se soit répandu à travers des groupes plus larges. Cela doit avoir conduit à un type de vénération qu'on est tenté d'appeler le « culte du patron ». Dans le cas des gouverneurs, on a affaire aux patrons de toute une région ; la forme que pouvait adopter le culte de ces personnages dépasse alors les limites normales de ce qui se passait généralement dans les chapelles attachées aux tombes. Comme le montre l'exemple des chapelles des gouverneurs à Balat, à Deir el-Bersha et à Elephantine, on est en présence d'édifices qui ont été conçus en vue de célébrations publiques à très grande échelle. Les gouverneurs, comme bénéficiaires de cultes, se rapprochent, dans ce cadre, de personnalités d'essence presque surnaturelle — dans le cas de Heqaib d'Elephantine, d'Isi d'Edfou, ou des nomarques d'Assiout on leur a, en effet, conféré le statut spécial de sah, et Isi est parfois même appelé ntr, « dieu »
196. Voir
1 9 7
.
par exemple FITZENREITER, CM
197. FRANKE, Heiligrum, p. 136, n. 407. 222
143 (1994), p. 51-71.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE On ne connaît que peu de choses des liturgies utilisées pendant les cultes des gouverneurs. Seul le sanctuaire de Heqaib a fourni un certain nombre de formules rituelles. O n trouve, par exemple, une stèle comportant la formule 2 1 9 des Textes des Pyramides" . Ce texte apparaît parallèlement sur plusieurs cer8
cueils ornés de Textes des Cercueils' . La m ê m e stèle contient 99
également une formule concernant la table d'offrandes, attestée aussi, de manière régulière, sur les sarcophages du Moyen Empire . D'autres monuments dans la chapelle de Heqaib 200
contiennent des textes rappelant les formules 2 2 2 , 2 2 3 , et 4 3 7 des Textes des Cercueils , et les paragraphes 8 7 , 2c, 2 0 0 , ^ 9 8 , 201
2 3 , 3 3 , 8 2 - 9 6 , 1 0 8 et sq., 2 1 3 et 2 1 4 des Textes des Pyramides . 202
Cette dernière collection provient de la chapelle de culte de Sarenpout I". Un autre texte n'est pas (encore ?) attesté dans le corpus des Textes des Cercueils, mais il appartient au m ê m e genre. Selon l'analyse de F R A N K E , il s'agit d'un texte de glorification
(sJh.w) \ m
On est donc en droit de présumer que, dans le culte des gouverneurs, on utilisait des textes dont on connaît, dans plusieurs cas, des parallèles exacts sur les cercueils de l'époque, et qui appartiennent au domaine des formules d'offrande et des glorifications. Les textes relevant du second genre déploient une technique rhétorique dans laquelle l'objet de culte est invoqué avec des qualificatifs divins, ou avec des phrases exprimant le désir qu'il puisse s'intégrer dans le monde des dieux. Bien que quelques-uns de ces textes soient attestés pour la première fois dans les pyramides des rois de l'Ancien Empire, 198. HABACHI, The Sanctuary of Heqaib I, p. 3 5 ; II, pl. 2 3 b ; voir FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 2 2 3 - 2 3 5 . 199. C7VIII, 158-191.
200. Voir FRANKE, o p . cit., p. 235-240. 201. IBID., p. 241. 2 0 2 . IBID., p. 219. Pour une grande partie des ces textes on trouve aussi des parallèles dans CT VIII. 2 0 3 . IBID., p. 2 4 5 - 2 5 1 .
223
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE il est certain que plusieurs d'entre eux n'avaient rien de spécifiquement
royal. C'est sans doute pour cette raison qu'on les
rencontre dans des compositions rituelles plus tardives . Il 204
n'est évidemment pas impossible qu'il existe, parmi les Textes des Pyramides, des compositions qui aient été spécifiquement rédigées pour être employées par un roi. Mais, en fin de compte, cette idée qui, pour beaucoup d'égyptologues, semble être une certitude pour l'ensemble des Textes des Pyramides, est impossible à prouver. D e surcroît, les Textes des Pyramides utilisés par des particuliers pendant le Moyen Empire ne forment qu'une sélection assez restreinte du corpus. A titre d'hypothèse, on peut envisager que ce groupe appartient à un fonds de textes qui n'étaient pas nécessairement royaux, mais qui furent simplement mobilisés dans une perspective rituelle pour glorifier le bénéficiaire du rite, quel qu'il soit, roi, dieu, ou « patron vénéré ». De cette hypothèse découle, par conséquence, le fait que l'emploi de ces textes dans le cadre du culte des chapelles de ka ne constituait pas nécessairement une usurpation d'un privilège royal. On suppose généralement que le culte des chapelles de ka, malgré le fait que celles-ci avaient certainement une fonction funéraire, commençait déjà durant la vie du bénéficiaire, et il n'y a aucune raison de penser que cela n'était pas le cas dans les hw.t-k:
nomarcales " . Cela implique que, déjà du vivant du 2
1
204. Voir par exemple A S S M A N N , Tod und Jenseits, p. 3 2 3 ; MATHIEU, dans : D'un monde à l'autre, p. 2 5 6 - 2 5 8 . 205.
Plusieurs indices peuvent être évoqués en faveur de cette hypothèse. Par
exemple, la scène de la statue colossale d e Djéhoutihotep montre que celle-ci arrive à une chapelle où des rituels d'offrande sont déjà en train d'être célébrés (voir fig. 15 : les meilleures pièces de la table d'offrande sont dites être apportées). Deuxièmement, le graffito Hatnoub 24, I. 3-4, décrit Kay comme quelqu'un dont l'approche de ses statues de culte (hn.ty.w)
causait la joie des hommes et des
dieux, le jour où elles se rendaient vers le temple. Du contexte il ressort clairement que Kay fait allusion à une fête pendant laquelle lui-même officiait comme prêtre. Le texte, écrit de son vivant, utilise la forme relative sdm.n-f
pour relater l'événe-
ment, montrant clairement que ses statues avaient déjà été portées en procession,
224
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE nomarque,
il existait un culte qui utilisait des textes
avant
comme but de le transformer en un être divin. CONCLUSION
La conclusion que j e voudrais tirer pourrait être formulée de la manière suivante. Au début du Moyen Empire, la création de l'état nouveau conduit à l'émergence d'une élite nationale dont les monuments
funéraires,
essentiellement,
nous
sont
accessibles. À ce moment-là, le culte funéraire royal n'utilise probablement plus les Textes des Pyramides
206
; mais une collec-
tion de textes qui en sont très proches, lesTextes des Cercueils, s'est développée pour donner expression au statut religieux de la très haute élite, qui se sert aussi d'une sélection des Textes
et donc, qu'une chapelle fonctionnait déjà avant sa mort (à comparer ßeni Hasan I, pl. XXV, 83-84]. Dans une des chapelles d e ka, à Balat, on a trouvé un décret royal où le roi déclare qu'il a permis la construction d e la chapelle, mais aussi la mobilisation d'un corps d e prêtres pour celle-ci. Le texte d é c l a r e également qu'on avait agi de la même manière pour les prédécesseurs du destinataire du décret, fait qui suggère qu'on n'a pas affaire à un événement singulier (SOUKIASSIAN, W U T T M A N N , PANTALACCI,
Balat VI, p. 310-314 ; p. 521]. Un autre décret fragmentaire, trouvé dans
une chapelle avoisinante, devait avoir contenu des stipulations similaires (op. cit., P- 315)- Troisièmement, le gouverneur M é d o u n é f e r possédait une chapelle d e ka qui fut restaurée après l'incendie qui avait dévasté la ville. O r , il existe un indice que cet incendie s'était produit pendant le règne d e M é d o u n é f e r même (voir S O U K I A S S I A N , W U T T M A N N , SCHAAD,
BIFAO 9 0 [1990], p. 355). Le décret Coptos K
est adressé a u vizir Shemai. Il est sous-entendu q u ' i l existe d é j à plusieurs chapelles de ka lui appartenant ainsi q u ' à sa femme, et, dans le décret, le roi ordonne la nomination de probablement plus d e cinquante-huit prêtres d e ka. De la même manière, les chapelles de ka du vizir Idi semblent déjà être pourvues de domaines pour le financement du culte, lorsque le roi Démedjibtaoui fait rédiger le décret Coptos R. Il est clair qu'à ce moment, Idi est encore vivant ; pour les décrets discutés, voir GoEDiCKE, KDAR, p. 2 0 7 - 2 2 5 . Pour l'idée que le culte des chapelles de ka était déjà activé pendant la vie des bénéficiaires, voir aussi FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 122-125, qui fait encore état d'autres exemples qui furent déjà institués du vivant du propriétaire. Il semble donc clair que le bâtiment fonctionnait déjà d e son vivant. Voir aussi BOLSHAKOV, A O F 18 (1991), p. 204-218, qui soutient que le culte, dans les tombes également, commençait déjà d u vivant des propriétaires. 206. En tout cas comme élément de la décoration d u monument funéraire.
225
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE des Pyramides. Un centre important de diffusion des ces textes était la Maison de Vie attachée au temple de Thot à elAshmounein. Il ne s'agit certainement pas d'une démocratisation, ou même d'une démotisation, pour utiliser l'euphémisme plus à la mode de nos jours. Le point de départ de cette évolution réside peut-être dans l'existence de chapelles de ka, dans lesquelles les grands seigneurs de l'état recevaient un culte, parfois déjà durant leur vie. Les Textes des Cercueils, où les particuliers s'assimilent à des dieux après leur mort, avaient donc des antécédents dans les liturgies des chapelles de ka, qui attribuaient des rôles divins aux hauts fonctionnaires. Cela ne signifie pas forcément que cous les fonctionnaires mentionnés aient disposé de chapelles de ka. En fait, je n'en connais pas d'exemples pour l'élite des villes des pyramides et de la capitale de l'Ancien Empire. Mais il existe des indices qu'au moins quelques membres de l'administration thébaine du début du Moyen Empire en possédaient . Quoi qu'il en soit, 207
l'existence de cultes personnels dans les provinces est bien attestée depuis la fin de l'Ancien Empire. À Elephantine et à Deir el-Bersha, mais probablement aussi sur les autres sites nomarcaux du Moyen Empire, ces cultes ont continué au moins jusqu'à la fin de la XII dynastie. O n a, en effet, l'impression e
que leur importance y devenait de plus en plus grande, si l'on peut en juger sur la base de la chapelle contenant l'énorme statue de Djéhoutihotep, ou des tombes colossales à Qaw el-Kebir et à Assiout. Dans le cadre de la continuité, et même de l'intensification, du culte du gouverneur en Moyenne Egypte, il semble crédible que le statut de son entourage immédiat ait également augmenté. Sans doute ces gens étaient-ils en bonne position pour
207. Je peux renvoyer au cas d'Antef fils de Myt, un haut fonctionnaire thébain de l'époque de M o n t o u h o t e p III (TPP/, § 33,12-13), qui possédait un « t e m p l e de sah » (r-pr n s'h pn) où travaillaient des prêtres de ka.
226
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE avoir accès à un rituel funéraire correspondant à leur niveau social durant la vie. J ' a i l'impression que l'utilisation des Textes des Cercueils est alors un élément de tout un appareil religieux visant à traduire leur rôle social prépondérant. Cela n'a rien à voir avec une tendance « démocratique ». Les chapelles de ka peuvent donc être interprétées comme un lieu où des textes religieux furent mobilisés pour le culte des particuliers. Mais j e ne vois pas, pour autant, de raison d'en déduire que toute personne ayant un sarcophage inscrit de Textes des Pyramides ou des Cercueils ait aussi possédé une chapelle de ka. Bien plutôt, ces chapelles pourraient avoir été les premiers lieux où apparut l'utilisation de textes rituels pour des particuliers . Il n'est pas étonnant qu'ils aient voulu continuer 208
de bénéficier des effets de tels textes après leur mort, ce qui conduisit à l'émergence de textes religieux dans le cadre de leurs tombeaux. Mais on ne doit pas exclure la possibilité qu'à partir de ce moment, ces textes aient aussi été adoptés par d'autres membres de l'élite qui ne disposaient pas de chapelle de ka indépendante de la chapelle funéraire. Cette dernière — qui était parfois aussi appelée « chapelle de ka »
2 m
! — pourrait avoir
conduit à une dissémination de ces textes en dehors du groupe probablement très restreint qui possédait un culte personnel. Mais comme notre enquête démographique l'a montré, le nombre d'utilisateurs de ces textes est toujours resté très faible. A la fin de la XIL dynastie, les cours nomarcales disparaissent et, avec elles, les derniers utilisateurs des Textes des Cercueils. A vrai dire, il existe quelques autres sources que D E BUCK
a inclus dans son édition des Coffin Texts. Il s'agit bien sûr
208. Il est peut être significatif que le plus ancien exemple d'un sarcophage inscrit avec des textes qui peuvent être comparés aux Textes des Cercueils appartienne au gouverneur de l'Oasis d e Dakhla, Médounefer. O n sait qu'il possédait aussi une chapelle de ka : S O U K I A S S I A N , W U T T M A N N , PANTAIACCI, Balat VI, p. 57-84. 209. Par exemple la chapelle funéraire de Hétep à Saqqara : FIRTH, G U N N , Tefi Pyramid Cemeteries I, p. 2 7 5 -
227
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE de textes écrits sur des sarcophages, mais leur étude montre qu'ils proviennent d'un cadre religieux totalement différent, qui annonce déjà le Livre des M o r t s . 210
210. Une étude de ce matériel extrêmement intéressant est en préparation.
APPENDICE QUANTIFICATION DES CERCUEILS DÉCORÉS DU MOYEN EMPIRE
L
a table suivante est accompagnée des renvois bibliographiques aux publications de cercueils parues depuis les listes établies par Chests of Life, p. 1 9 - 4 0 et par
LAPP,
WILLEMS,
Typologie,
p. 2 7 2 - 3 1 3 . Elle complète les informations de la figure 2 o.
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Sites
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de cercueils
d'individus
des Cercueils
des Cercueils
Nombre
Assouan
1
1
1
1
el-Gebelein
3
2
9
9
12
11
Thcbcs
26
23
27
17
53
37'"
Dendara"
1 ?
1 ? 1
1
1
1
Abvdos
S"
3
5'"
5
8
8
Naga e l - D e i r "
4
3
3
3
7
6
rarshut
(
2
1 ?
Akhmim
2
1 ?
N o n inclus' * 1
Q a w cl-Qebir
2'"
2
2
2
4
4
D e i r Rifa
3'™
3
8
7
11
10
2 9 " " ( + 2 3 ?)
24 (+23?)
221
219
2 5 0 ( + 2 3 ?)
2 4 3 " ° ( + 2 3 ?)
71-'-"
64
61
59
132
122"'
50
28
9
9
59
37
18'"
17
32
26
2
2
Assiout Meir Deir el-Bersha " J
Beni H a s a n " '
14
9
Ihnasiyi el-Medina
2"'
2
Sedmcnt el-Gebel
7'"
5
8
7
15
12
2
2
9
9
11
11
1™
1
1
1
Riqqa
1
1
12
12
13
13
Lieht
10""
10
8
7
18
17
1
1
1
1
Haraga Hawara
Mazghouna Dahchour Saqqara
N o n inclus'" 36 " :
Abousir
1
28
26
26
62
54
3
11'"
11
15
14
K ô m el 1 iisn
1'"
1
1
1
Qatta
1'"
1
1
1
Origine inconnue
10
9
3
3
13
12
2 8 1 ( + 2 3 ?)
225 ( + 2 3 ? )
444
426
7+8
670
Total
230
APPENDICE 211. N o n pas quarante individus, parce que plusieurs personnes possèdent à la fois un sarcophage orné de Textes des Cercueils et un sarcophage sans ces textes. 212. La source doit être antérieure au M o y e n Empire ; ce qui explique le point d'interrogation. 213. Aux listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera A b y l X , de [...]-iri/Sébekhotep (PEET, Cemeteries of Abydos, p. 61 (X3) ; p. 1 2 3 , et pl. XIII.4 ; pl. XXXVI) et Aby2X, d'Amenemhat (op. cit., p. 62 (Z2a, 122-123)).
214. Aux listes de W I L L E M S et
LAPP
on ajoutera Aby2
(GRAJETZKI,
GM 166 [1998],
p. 3 2 ; Aby3 ( PEET, op. cit. Il, p. 58 et fig. 27) ; Aby4 ( PEET, o p . cit., p. 60 (C66), fig. 28 et pl. XIV.15) ; Aby5 ( PEET, o p . cit., pl. XIII.5). 215. Il n'est pas sûr que toutes les sources appartiennent à la période étudiée ici. Quelques unes pourraient être plus anciennes. 216. Le matériel d'Akhmim semble être généralement plus ancien que les sarcophages présentés ici. 217. A u x listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera la publication de C I A M P I N I , Le sepo/fura di Henib. 218.
Une des sources est un masque funéraire décoré avec des Textes des
Cercueils.
219. A la liste de
ZITMAN,
The Necropolis of Assiut, p. 110-151, j'ai ajouté la tombe I
de Djefaihâpi I", qui est partiellement décorée de Textes des Pyramides. Bien qu'il ne soit pas certain q u ' o n connaisse le(s) cercueil(s) de cette personne, la présence de ces textes dans sa tombe montre qu'il y avait accès. 220.
Deux propriétaires d'un sarcophage sans Textes des Cercueils possèdent
aussi un sarcophage avec Textes des Cercueils. 2 2 1 . La liste inclut cinq masques funéraires (Ml-2Ann, M16C, M 3 5 C , M36C) d e personnes dont on ne connaît pas de sarcophage. Bien qu'il ne s'agisse pas de cercueils, le fait que les masques sont inscrits avec des Textes des cercueils montre que le propriétaire y avait accès. 2 2 2 . Hâpi-ankhtifi possédait à la fois un sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils et deux sarcophages sans ce genre de textes. 2 2 3 . Ici on ne tient pas compte des calculs hypothétiques signalés, p. 170-171, mais on donne seulement les sources actuellement connues. 2 2 4 . M ê m e remarque q u ' à la note précédente. 2 2 5 . Aux listes de WILLEMS et LAPP, on ajoutera le sarcophage de chien BH16 (TOOLEY,
JEA 74 [1988], p. 207-211) ; BH17, de la dame Hétepout (Freiburg
Museum für Völkerkunde (CALLAGHAN,
Inv. A e 2 0 , non publié) ; BH18 de Netjer-nakht
ßACE 8 [1997], p. 19-32).
2 2 6 . En fait il ne s'agit pas de sarcophages mais de tombes décorées avec des Textes des Cercueils. Les sources sont incluses parce que les propriétaires de ces tombes disposaient d e ce genre de textes. 227. Au matériel inclus dans les listes de WILLEMS et de LAPP, on ajoutera les trois sarcophages publiés récemment : Abdel
FATTAH, BICKEL,
2 2 8 . Cercueil de Néferou-Ptah, reconstruit par
BIFAO 100 (2000), p. I-36.
GRAJETZKI,
GM 2 0 5 (2005), p. 5 5 -
65. O n pourrait aussi attribuer ce cercueil au groupe des sarcophages avec Textes des Cercueils, mais en fait, la décoration est restreinte à une série de formules religieuses de forme ornementale à l'extérieur.
231
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE 2 2 9 . La tombe d e Sénousret-ânkh a été incluse ici ; bien que le sarcophage ne soit pas connu, le fait que le propriétaire disposait d'une tombe décorée avec des Textes des Pyramides montre qu'il avait accès à ce genre de textes. Cette liste ne comprend pas les sarcophages Ll-2Li ( S N l A selon la nomenclature d'AuENJ, ni les sarcophages ZJl et X28 d'AuEN (dans : The World of the Coffin Texts, p. 13-15) qui datent de l'extrême fin d e la XII" dynastie et de la XIII* dynastie. 230. Il s'agit d'un groupe de sarcophages de personnes appartenant à la famille royale et à la cour. Ils sont d'un autre type que les sarcophages analysés dans ce volume et sont aussi plus tardifs (Moyen Empire tardif). 231. Cela inclut quelques chambres funéraires décorées exactement comme un cercueil du M o y e n Empire. A u x listes de WILLEMS et LAPP, ajouter le sarcophage
Sq23X mentionné dans Rêhérichefnakht :
GIDDY,
EA 6 (1995), p. 2 9 , et la pyramide de
BERGER-EL N A G G A R , LABROUSSE,
BSFE 164 (2005), p. 28.
2 3 2 . A u x listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera A b l C de Khoui-ânkh : BARES, ZÀS
118 (1991), p. 89-96). 2 3 3 . A u x listes de W I L L E M S et p. 89-96).
LAPP
on ajoutera Ab7-8
: BARES,
ZÄS 118 (1991),
234. En fait, il ne s'agit pas d'un sarcophage mais d'une tombe décorée avec des Textes des Cercueils. Les sources sont incluses car les propriétaires de ces tombes disposaient de ce genre de textes. 235.
En fait, il s'agit d'une chambre funéraire décorée avec des Textes des
Cercueils.
ÉPILOGUE
L
es hypothèses que j ' a i proposées dans les pages précédentes, ont eu pour but de remettre en cause certaines opinions répandues sur la société et la religion du Moyen Empire égyptien. Les données que j ' a i utilisées comprenaient, d'une part, une masse de documenta-
tion archéologique et philologique publiée et, de l'autre, les acquis nouveaux des fouilles en cours à Deir el-Bersha. Pour l'auteur, l'exercice de formuler de manière consis-
tante des idées, jusque là éparses, eut comme conséquence inattendue que, pendant la campagne de 2 0 0 7 , le site de Deir el-Bersha s'est présenté à lui sous une lumière légèrement différente. Aussi, les fouilles reprises, des informations parfois inattendues, dont la portée n'est pas encore tout à fait claire, sont-elles apparues, qui permettent de nuancer, ou de renforcer, certaines propositions que j'avais énoncées dans mes conférences à l ' E P H E . Sans qu'il me soit possible de présenter ici tous les détails, j e crois utile d'en offrir un bilan préliminaire.
233
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Un projet important de la campagne de 2 0 0 7 était la réalisation partielle de la stabilisation de la tombe
nomarcale
d'Ahanakht I' . La salle d'entrée de cette tombe s'était déjà r
effondrée avant que Newberry n'y travaille en
1891-1892
;
mais son rapport fait aussi état de mouvements de rochers qui se produisirent pendant sa campagne même. La situation ne s'est pas améliorée depuis. Les fouilles de G.A. Reisner de 1 9 1 ç conduisirent à un enlèvement de déblais, lui permettant de trouver un nombre important de puits funéraires nouveaux. Mais en évacuant ces matériaux — souvent en dynamitant des grands blocs de calcaire tout autour de la tombe d'Ahanakht — il déstabilisa en même temps les tombes nomarcales. En comparant des photographies de son époque avec la situation actuelle, il est clair que les rochers bougent encore, l'aire présentant le plus de risques de s'effondrer étant celle de cette tombe. Le projet de consolidation n'est pas encore terminé. Le but est, d'abord, de dresser des piliers de soutènement en trois points-clé et, ensuite, de reconstruire partiellement les parois détruites pendant que la tombe fut exploitée comme carrière. Évidemment, certains aspects ne seront plus visibles après que la restauration sera achevée. Avant d'aborder ces travaux, il était donc nécessaire d'enregistrer chaque détail qui pourrait être important ultérieurement pour l'interprétation
de l'architecture
de la tombe
d'Ahanakht et de celles, peu connues, qui l'entouraient, mais qui ont été presque entièrement démolies. R
DILS
a documenté
tous ces indices. Mais, en fait, il a procédé à une étude architecturale de plus grande échelle qui autorise une compréhension beaucoup plus précise de la moitié orientale du plateau des tombes nomarcales. Simultanément, les recherches autour de la tombe de Djéhoutihotep se sont poursuivies. Les fouilles de L.
KUIJPER
ont permis d'identifier une tombe déjà partiellement explorée 234
ÉPILOGUE par l'équipe de Newberry : la tombe « K » de Fraser . Il est 1
apparu clairement que les fouilles dont fait état Fraser n'étaient que très superficielles. Ce qui rend importante cette tombe, c'est que ses trois puits funéraires, que nous n'avons pas encore pu vider, sont, par comparaison avec la plupart des puits dans la zone 2, assez petits : ils sont carrés, les côtés ayant une longueur d'approximative ment un mètre. Le même module existe dans un puits que nous avons découvert récemment dans le caveau funéraire
de
Djéhoutihotep m ê m e . Un autre, non terminé, se trouve dans le complexe funéraire du même nomarque'. Un sixième puits du même type, lui aussi inachevé, est creusé non loin de là. Il est donc patent qu'il existe un groupe de tombes, typologiquement très distinct et jusque là non identifié : les tombes à puits carrés. Étant donné que deux de ces puits appartenaient à l'évidence à des tombes dont la chapelle a été détruite quand la tombe de Djéhoutihotep fut construite, il s'agit clairement de tombes plus anciennes que celles des nomarques du Moyen Empire. Ces dernières possèdent des puits d'un caractère tout à fait différent. Ce sont des puits rectangulaires, avec une longueur souvent de plus de trois mètres, et une largeur d'un mètre cinquante environ. Je les appellerai « les grands puits rectangulaires ». Une autre observation n'avait pas été faite auparavant : on reconnaît encore un troisième type de puits, qui est, comme ceux du Moyen Empire, rectangulaire, mais d'un module beaucoup plus petit, n'étant que légèrement plus long qu'un corps humain. De surcroît, ce dernier groupe, qu'on nommera « les petits puits rectangulaires », est peu profond, et partage certains éléments architecturaux qui devront être décrits ailleurs. On compte une dizaine de tombes environ pourvues de ce dispositif. 1. FRASER, dans : ßersheh II, p. 59. Selon lui, le complexe contenait deux puits funéraires. 2. Voir la reconstruction dans VERREPT et WILLEMS, dans WILLEMS e.a., MDAIK
62
(2006), p. 317, fig. 4 . 235
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Les conséquences de ces découvertes ne sont pas encore claires. Cependant, on doit conclure à la présence de trois groupes de tombes nettement différenciés, et au fait que les tombes à puits carrés sont antérieures au Moyen Empire. Leur forme suggère qu'une datation à l'Ancien Empire serait envisageable. Les tombes à petits puits rectangulaires pourraient, elles, appartenir à des contemporains des nomarques du Moyen Empire. Mais il est aussi concevable qu'elles constituent le trait d'union entre les tombes à puits carrés et les grands tombeaux nomarcaux du Moyen Empire. Cette dernière option permettrait d'expliquer pourquoi les tombes nomarcales du Moyen Empire s'échelonnent en deux groupes distincts : l'un vers l'est, et l'autre vers l'ouest. La zone entre les deux n'a jamais révélé aucune trace de tombes décorées, mais on y rencontre plusieurs petits puits rectangulaires, qui pourraient avoir déjà existé avant que les nomarques du Moyen Empire n'aient construit leurs sépultures. Il est clair que cette dernière hypothèse, si elle se confirme, entraîne diverses conséquences. Plusieurs questions se posent. Si les petits puits rectangulaires datent vraiment de la Première Période Intermédiaire, qui étaient leurs propriétaires ? Les gouverneurs ? Mais on a vu que des tombes datant aussi, probablement, de cette époque existent dans la zone 1 0 , au centre du village. Ces tombes sont d'une allure beaucoup plus conséquente ; et on sait que les personnes enterrées là appartenaient aux couches supérieures de l'époque. S'agit-il donc de membres de l'élite, mais d'un statut inférieur, comparé à celui des nomarques inhumés dans la zone 1 0 ? Nous l'ignorons. Mais il reste que l'hypothèse que des tombes de la Première Période Intermédiaire soient installées dans la zone 2 a des retentissements pour l'interprétation que j ' a i présentée plus haut . J'avais suggéré un lien entre trois constats indépendants : 3
3. Cf. supra, p. 91 sq. ; 108-109. 236
ÉPILOGUE i ) le fait que Ahanakht I" fut le premier à construire une grande tombe décorée dans la zone 2 ; 2 ) le fait qu'il fut nommé vizir ; et
3 ) le fait que, vers la fin de la Première
Période
Intermédiaire ou au début du Moyen Empire, tout le site fut réorganisé autour d'une rue reliant l'embarcadère sur la rive du Nil avec la zone 2 . Ma supposition était que, dans le climat politique juste après l'Unification du pays, le nouveau roi thébain avait trouvé un allié en Ahanakht. Dans ce contexte, il lui avait attribué des privilèges importants, y compris la création d'un paysage rituel destiné à sa vénération, dans lequel la position visuellement impressionnante de sa tombe jouait un rôle. Je ne vois aucune raison pour mettre en doute l'essentiel de cette proposition. Il est tout de même possible qu'Ahanakht I" n'ait pas été le premier de son temps à ériger sa tombe dans la zone 2 , poursuivant la démarche des propriétaires des petits puits rectangulaires. Par ailleurs, l'existence même de ce dernier groupe pourrait être à l'origine de la rue traversant le cimetière dans la plaine. Elle aurait donc possiblement été conçue dès avant le Moyen Empire. Même dans ce cas, la datation des tombes alignées sur les deux côtés de la rue suggère que cette dernière ne peut pas remonter très en deçà de cette date. J e dois souligner que cette alternative est une possibilité, mais ne prouve pas que mon explication de la situation, développée dans le chapitre II, est à écarter. Si cette alternative nouvelle s'avère correcte, cela modifie également la chronologie de l'établissement de certains éléments de la topographie locale, mais non pas l'interprétation fonctionnelle du paysage rituel, qui est fondée, pour l'essentiel, non sur les données de l'époque de Ahanakht, mais sur le texte concernant la statue colossale de Djéhoutihotep . C'est cette interprétation fonctionnelle 4
qui importe le plus pour le présent ouvrage.
4. Cf. supra, p. 110-114. 237
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE La découverte des puits carrés et des petits puits rectangulaires a aussi d'autres effets. Dans le troisième chapitre, j ' a i élaboré une tentative d'explication visant à comprendre quel segment de la population utilisait les Textes des Cercueils. Dans ce cadre, j ' a i proposé des estimations sur le nombre de tombes dans la zone 2 . Mais je n'avais pas pu tenir compte du fait que trois types de tombes existent. Autant que je sache, tous les sarcophages inscrits avec des Textes des Cercueils proviennent des grands puits rectangulaires. Il n'existe aucun indice que ces textes aient aussi été reproduits sur les sarcophages trouvés dans les petits puits. Et, en fait, dans la plupart des cas, les cercueils célèbres de Deir el-Bersha sont simplement trop grands pour être introduits dans les puits carrés et les petits puits rectangulaires. J'avais fait la remarque qu'il n'existe pas d'informations sur des documents portant des Textes des Cercueils, qui proviendraient de la partie centrale de la zone 2 . C'est peut-être 5
parce que cette zone n'abrite que des petits puits rectangulaires qui ne contenaient pas ce type de matériel. La conséquence en est que la base de mes calculs était une estimation, de beaucoup trop haute, du nombre de sarcophages avec des Textes des Cercueils. Même l'hypothèse qu'un faible 0 , 2 9 %o des morts dans le nome du Lièvre en possédait serait 6
encore trop optimiste.
5. Supra, p. 158.
6. Supra, p. 171.
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TABLE DES FIGURES
1 . Détail de la procession géographique dans le temple de Kôm O m b o , montrant les personnifications des XIV" et X V nomes de Haute Egypte (d'après
DE
MORGAN,
e
Kom Ombos
II. 3 , p. 2 J C [ 8 9 . ] ) .
2 . Détail du soubassement de la Chapelle Blanche, montrant la liste des nomes de Haute Egypte (d'après Une chapelle de Sésostris
CHEVRIER,
1"
LACAU
et
à Karnak, pl. 3 ) .
3 . Détail de la procession de domaines figurés dans le « temple de la vallée » de Snéfrou à Dahchour. Les deux dames de droite représentent deux des trois domaines du nome du Lièvre ( X V ) . Inséré entre les dames 2 et 3 on voit le syme
bole du nome de l ' O r y x , suivi de deux des cinq domaines de ce nome (d'après
FAKHRY,
The Monuments of Sneferu at
Dahshur II, fig. 1 6 ) . 4.
Organigramme simplifié de l'administration
égyptienne
entre les règnes de Niouserrê et Djedkarê-Isési. ç. Organigramme simplifié de l'administration égyptienne à la VI dynastie. e
6. Plan de la partie méridionale des tombes nomarcales de Beni Hasan. Les petits points indiquent la position des tombes inférieures situées au bas des grandes tombes rupestres (d'après
WILLEMS,
Chests of Life, plan 1 ) .
7 . Les hauts-lieux de la nomarchie du Moyen Empire. 8. Plan de la région de Deir el-Bersha (plan Christoph
PEETERS).
271
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE 9. Plan du site de Deir el-Bersha, avec indication des zones archéologiques (plan Christoph
PEETERS).
1 0 . Plan préliminaire de la zone 2 . Pour notre discussion, les tombes les plus importantes sont celles d'Ahanakht I " ( 1 7 K 8 5 / 1 ) , Djéhoutinakht, Khnoumnakht et Iha ( 1 7 K 7 4 / 1 - 3 ) , Ahanakht I I ( 1 7 K 8 4 / 1 ) et Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / 1 ) . Les structures à
l'ouest de cette dernière tombe (notamment la tombe du nomarque DjéhoutinakhtVI) n'ont pas encore pu être incluses (plan Christoph
PEETERS).
1 1 . Reconstruction de la chronologie des nomarques du nome du Lièvre au début du Moyen Empire (d'après JEOL
28 ( 1 9 8 3 - 1 9 8 4 ) ,
p.
80-102
WILLEMS,
; I D E M , Dayr al-Barsha
I,
chapitre 7 ) 12.
Coupe de la tombe
17K74/1
vers l'ouest (dessin Martin
HENSE).
1 3 . Plan du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (dessin Christoph 14.
(d'après p. ic.
PEETERS).
Projection de la « rue » sur le « gazîra » vers l'est 183,
WILLEMS, PEETERS, VERSTRAETEN,
fig.
3).
Reconstruction
18.
du début de la rue processionnelle à ARNOLD,
Die Tempel Ägyptens, p.
Reconstruction des tombes de Qaw el-Kebir STECKEWEH,
(d'après
El Bersheh I , pl. XII et X V I ) .
Biahmou (d'après 17.
1 32 ( 2 0 0 5 ) ,
La destination de la statue de Djéhoutihotep NEWBERRY,
16.
ZAS
188).
(d'après
Die Fùrstengràber von Qâw).
Plan du quartier sud de la ville d' Ayn Asil (d'après r
SOUKIASSIAN,WUTTMANN, PANTALACCI,
BalatVI, p.
14,
fig. 2 ) .
1 9 A . Scène montrant une procession de porteurs du mobilier funéraire (d'après Beni Hasan II, pl. VII). B. Frise d'objets d'un sarcophage du début du Moyen Empire montrant une sélection d'objets comparables (d'après LD II, pl.
272
147b).
TABLE DES FIGURES 2 o . Quantification des sarcophages décorés sans Textes des Cercueils et décorés avec des Textes des Cercueils. 2 i . Estimation du nombre originel de cercueils décorés (avec et sans Textes des Cercueils) et du nombre de propriétaires. 2 2 . Quantité annuelle estimée de cercueils décorés et de leurs propriétaires. 2 3 . Estimation de la proportion de la population totale possédant des cercueils (avec et sans Textes des Cercueils). 2 4 . Monuments mentionnant les pyramides de Téti et de Mérikarê. 2 c . Les contextes rituels représentés dans la décoration du sarcophage d'Heqata (d'après
WILLEMS,
Heqata, p.
386).
2 6 . Typologie de la décoration extérieure des sarcophages du Moyen Empire. La figure n'offre que les modèles les plus courants (d'après Egypt, p. 1 9 8 ) .
IKRAM
et
DODSON,
The Mummy in Ancient
TABLE DES PLANCHES
1 . Partie du cimetière du début de l'Ancien Empire à Nuweirat (photographie Harco
WILLEMS).
2. Vue du nord-ouest vers le Ouadi Nakhla. A gauche du ouadi, la pente nord, où les tombes de la zone 4 sont clairement visibles. Les tombes des nomarques du Moyen Empire se trouvent plus haut. En avant-plan, les fouilles des tombeaux de la zone 9 (photographie Marleen
DE
MEYER).
3 . Vue de la zone 2 prise du sommet de la pente sud du Ouadi Nakhla (photographie Harco 4.
La
scène
du
transport
WILLEMS).
de
la
Djéhoutihotep (photographie Bruno
statue
colossale
de
VANDERMEULEN).
r. Vue de la place centrale du village de Deir el-Bersha (zone 10)
(photographie Harco
WILLEMS).
6 . Vue de l'intérieur de la tombe de la dame Djé[houtinakht]. La photographie a été prise du nord, où se trouve l'entrée du caveau (photographie Marleen
DE
MEYER).
7 . L'entrée de la tombe de Nehri I (photographie Harco W I L L E M S ) . ER
8.
A. Coupe miniature trouvée dans la tombe
17K74/1
de
l'époque d'Ahanakht I . er
B. Coupe du même type découvert par G.A.
REISNER
dans
la tombe d'Ahanakht I" (Boston MFA 1 5 - 4 - 1 0 6 ) (Courtesy Museum of Fine Arts Boston). 9 . Relief sur le montant de porte nord séparant les salles sud et nord de la tombe d'Ahanakht I " (photographie
Harco
WILLEMS).
275
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE 10.
Vue générale de la paroi ouest de la tombe tographie Bruno
17K74/ 1
(pho-
VANDERMEULEN).
1 1 . Détail de l'autobiographie sur la paroi ouest de la tombe 17K74/1
(photographie Bruno
VANDERMEULEN).
1 2 . Paroi nord de la tombe d'Iha ( 1 7 K 7 4 / 3 ) (photographie Bruno
VANDERMEULEN).
1 3. A. La colonne dans l'angle sud-est de la salle nord de la chapelle funéraire d'Ahanakht I . er
B. Le chapiteau de la colonne dans l'angle sud-est de la salle sud de la chapelle funéraire d'Ahanakht I Harco
er
(photographies
WILLEMS).
1 4 . Scan géomagnétique du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (Tomasz 1
HERBICH).
ç. Plan d'une des grandes maisons à Kahoun (d'après dans : Haus und Palast, p. 3 2 , fig. 1 2 ) .
BIETAK,
INDEX
ROIS ET
M o n t o u h o t e p III, p . 89,
REINES
M o n t o u h o t e p IV, p . 49, Aba, p.
2io.
Amenemhat
Néferefrê, p. I " , p . 44,
49,
52,
146.
Neith, p.
N i o u s e r r ê , p . 26,
,8c.
N o u b h o t e p , p.
147.
P c p i I , p. i2c,
177,
1T
1 8 2,
II, p.
185,
177.
178.
P t o l é m é e III, p . 5.
187. Amenemhat
115,
III, p .
168,
A n t e f II O u a h - â n k h , p . 4 1 ,
121.
14,
23.
S e k h e m k h e t , p . 1 8.
49,
D j c d k a r ê - I s é s i , p. 3 1. D é m e d j i b t a o u i , p.
18,
S é n o u s r e t I " , p . 8, 37, 44,
C h a b a k a , p. 201.
D j o s e r , p. 13,
S a h o u r ê , p . 17. S a n a k h t , p. 17,
186-188.
22c. 17,
J 2 , si,
c6, 59, 1 1 7 ,
18,
22,
S é n o u s r e t II, p . c6, 1 8 6 - 1 8 8 . S é n o u s r e t III, p . 109,
Snéfrou, p.
24.
168,
8, 1 2 , 14, 1 6 - 1 8 , 20,
22-25.
K h a f r ê , p . 18. K h â s e k h e m o u i , p . 10, 1 3 ,
147,
1 8 1 , 1 8 5 - 1 8 9 , 208, 220.
147, 1 8 1 .
H o u n i , p . 18,
47-
174, 1 8 1 , 1 8 2 , 208.
23H o r , p.
89.
108.
59, 88, 89, 1 7 8 , 1 7 9 , 1 8 1 , Amenemhat
226.
23.
Téti,
p.
173,
175,
177,
'7 , 8
180.
M é r e n p t a h , p . 1 50.
Mérikarê, p. 175-177. M o n t o u h o t e p I I , p . 36, 40,
44-
46, 48, 5 1 , 58, 89, 90, 168, 175,
179182. 277
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ANTHROPONYMES
Hâpi-ankhtifi, p. 2 3 1 .
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A h a n a k h t I", p.
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96,
1 C7, i c 8 ,
98-103, 109, n e , 183, 184, 234,
9c,
H é n o u , p. 83.
Heqaib, p .
46, 61, 1 20-123,
A h a n a k h t II, p . 8 9 , 9 0 , 9 2 .
H e q a t a , p. 2 0 4 - 2 0 8 , 2 1 2 .
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2
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B a q e t III, p . ç 1.
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Ia-ib, p. 1 0 8 .
Béhesti, p. 1 9 2 , 193, 1 9 c .
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B o u a o u , p.
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187, 23i>
183.
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D a g i , p. 1 0 2 , 1 7 9 . Djefaihâpi,
2
Ita, p.
147.
114,
i i j ,
147,
ic8,
It-ib, p.
222,
224,
226,
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Isi, p . 3 2 , 1 2 5 , 1 2 8 , 2 2 2 .
119.
K a g e m n i , p.
37-
Djéhoutinakht,
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85,
96-101, 149, 1 r8,
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93,
177.
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187.
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K h n o u m h o t e p , p. 186.
D j é h o u t i n a k h t V I , p. 1 1 0 , G é m e n i e m h a t , p. 1 4 6 , 147, 177.
278
127,
128, 186, 222, 223.
237.
ir8. 175,
K h n o u m h o t e p I , p. 4 9 , 5 1 . e r
Khnoumhotep 187.
II,
p.
4-3,
186,
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183, 184, 188,
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19,
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67,
70-72,
57, H, 65,
74, 77, 79-8i,
87, 89, 9 1 , 103, 106, 109, 115,
117, 119, 125,
147,
149, 151, ! 4
164-166, 185,
190,
6
,
170, 171,
1 8 7 , 2 2 2,
126, l
é
° ,
182-
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230,
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(M. VII,
Hatnoub, graffiti
10-32,
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210.
Diodore de Sicile, I, 9 2 , p. 1 9 7 .
1. Partie du cimetière du début de l'Ancien Empire à Nuweirat (photographie Harco Willems).
Ci-contre : 9. Relief sur le montant de porte nord séparant les chambres sud et nord de la tombe d'Ahanakht 1' (photographie
HARCO WILLEMS).
Ci-dessus : 10. Vue générale de la paroi ouest de la tombe
17K74/1
(photographie BRUNO VANDERMEULEN).
Ci-contre : I I. Détail de
l'autobiographie
sur la paroi ouest de la tombe 17K74/1
(photographie BRUNO
VANDEMIEULEN).
Ci-dessus : 12. Paroi nord de la tombe d'Iha (17K74/3)
(photographie BRUNO
VANDERMEULEN).
Pages précédentes : 13. A. La colonne dans l'angle sud-est de la chambre nord de la chapelle junéraire d'Ahanakht I". B. Le chapiteau de la colonne dans l'angle sud-est de la chambre sud de la chapelle funéraire d'Ahanakht I". (photographies HARCO WILLEMS).
Ci-dessus : 1 4 . Scan géomagnétique du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (TOMASZ
HERBICH).
Ci-contre : 1 i . Plan d'une des grandes maisons à Kahoun (d'après
BlETAK,
dans :
Haus und Palast, p. 32,
fia-
'2).