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STUDIA NEOTESTAMENTICA
STUDIA 4
LES TENTATIONS DE JÉSUS
AU DÉSERT
JACQUES DUPONT
i
DESCLÉE DE BROUWER
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LES TENTATIONS DE JÉSUS
AU DÉSERT
^ Studia Neotestamentica /
StudialV J
ediderunt
A. DESCAMPS et B. RIGAUX
adjuvantibus
J. DUPONT - A. FEUILLET
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É. MASSAUX - R. E. MURPHY - R. SCHNACKENBURG
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JACQUES DUPONT
LES TENTATIONS DE JÉSUS
AU DÉSERT
DESCLÉE DE BROUWER
Imprimi potest Si Andreae, die 24» Julii 1967
+ Thkodorus Ghesquière
abbas
Imprimatur Brugis, die il1 Januarii 1968
+ M. De Keyzer
vic. gen.
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© Desclée De Brouwer zç6S
v, V
AVANT-PROPOS
A l'invitation de Mgr A. Descamps, en février 1957, nous
avons fait deux leçons à l'Institut des Sciences religieuses, de
l'Université de Louvain. Il en est sorti un article: L'arrière-fond
biblique du récit des tentations de Jésus, publié dans New
Testament Studies, 3 (1956-57), pp. 287-304. Nous avons eu
à reprendre le même sujet pour un commentaire de l'évangile du
premier dimanche de carême: Les tentations de Jésus dans le
désert (Mt 4,1-11), dans la collection h. Assemblées du Seigneur »,
n° 26, Bruges, 1962, pp. 37-53. Par la même occasion, nous nous
sommes occupé des particularités de la version de Luc: Les tenta-
tions de Jésus dans le récit de Luc (Luc 4,1-13), dans Sciences
Ecclésiastiques (Montréal), 14 (1962), pp. 7-29. En sep-
tembre 1962, nous avons pris part à un «Symposium de Vita
Christi», présidé par Mgr J.-J. Weber; à la demande du P. P.
Benoit, nous avions à y exposer le parti qu'on peut tirer du récit
des tentations dans le cadre d'une présentation de la vie de Jésus.
Remis sur le métier, cet exposé est devenu un article: L'origine
du récit des tentations de Jésus au désert, paru dans la Revue
Biblique, 73 (1966), pp. 30-76.
En acceptant de réunir ces articles en volume, nous nous
sommes trouvé devant la difficulté résultant du fait que les deux
premiers traitent du même sujet. Sans doute, ils se plaçaient Ã
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deux niveaux différents; mais celui qui s'adressait à un public
plus large avait fait l'objet d'un nouvel examen, dont il n'était
pas normal de faire abstraction en réimprimant le premier. Nous
L. 777
8
AVANT-PROPOS
nous sommes donc décidé à faire une troisième rédaction, basée
sur les deux premières mais tenant compte de ce qui a été publié
dans l'intervalle. C'est la première étude de ce recueil. Les deux
autres reproduisent les textes qui ont paru dans Sciences Ecclé-
siastiques et dans Revue Biblique, avec l'aimable autorisation
des directeurs de ces revues.
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15 juillet igôj
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I
LE RÉCIT DE MATTHIEU
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Les trois évangiles synoptiques rapportent qu'après avoir
reçu le baptême de Jean dans le Jourdain, Jésus fut poussé
par l'Esprit dans le désert, où il devait être tenté par le diable
(Mc 1,12-13; Mt 4,1-11; Lc 4,1-13). Marc se contente de signa-
ler le fait dans une courte notice énigmatique ; Matthieu et
Luc fournissent un récit circonstancié, où l'on voit trois assauts
se succéder, à peine interrompus par des changements de
scène: dans le désert, sur le pinacle du Temple, sur une très
haute montagne. Par trois fois, en chacune de ces situations,
Jésus triomphe du Tentateur au moyen d'une citation de
l'Écriture. Battu, le diable doit se retirer; les anges alors
s'approchent pour servir Jésus.
Page étrange, unique dans l'Évangile. Elle soulève bien des
questions1. S'il est clair que les versions de Matthieu et de Luc
ne sont que deux variantes d'un même récit, comment faut-il
comprendre le rapport entre ce récit et la notice de Marc? Pris
en lui-même, le récit constitue-t-il une unité réelle, ou bien
est-il fait du rapprochement d'éléments disparates? Quelles
1. Bibliographie en fin du volume. Pour un aperçu de l'histoire de l'exégèse
moderne de ce passage de l'Évangile, voir surtout E. Fascher, Jesus und der Satan.
Eine Studie zur Auslegung der Versuchungsgeschichte (Hallische Monographien, 11),
Halle, 1949, pp. 7-30. Bon état de la question dans R. Schnackenburg, Der Sinn
der Versuchung Jesu bei den Synoptikern, Theol. Quartalschr., 132 (1952), 297-326.
Abondants relevés d'opinions d'auteurs dans P. Ketter, Die Versuchung Jesu nach
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dem Berichte der Synoptiker (Ntliche Abh., VI, 3), Munster i. W., 1918, et dans
A. Dondorp, De verzoekingen van Jezus Christus in de woestijn, Kampen, 1951.
Pour la période ancienne, voir K.-P. Kôppen, Die Auslegung der Versuchungsgeschichte
unter besonderer Berùcksichtigung der Alten Kirche. Ein Beitrag zur Geschichte der
Schrijtauslegung (Beitrà ge zur Geschichte der biblischen Exegese, 4), Tubingue, 1961 ;
d'un point de vue plus limité : M. Steiner, La Tentation de Jésus dans l'interprétation
patristique, de saint Justin à Origène (Études Bibliques), Paris, 1962; V. Kesich,
The Antiocheans and the Temptation Siory, dans Studio Patristica, Vol. VII, Papers...
Oxford, 1963, I (Texte und Untersuchungen, 92), Berlin, 1966, pp. 496-502.
12
LE RÉCIT DE MATTHIEU
sont les intentions qui s'y manifestent, les préoccupations qu'il
traduit? Veut-il nous faire pénétrer dans la psychologie de
Jésus, ou tend-il inculquer sa messianité? Faut-il penser enfin
que ce récit correspond à des faits réels, que Jésus a discuté
avec le diable à coups de citations bibliques, que la montagne
sur laquelle le diable a conduit Jésus est repérable sur la
carte?
Nous voudrions nous attacher ici à la signification du récit,
en le prenant tel qu'il nous est transmis dans le premier évan-
gile. Pour se rendre compte de ce qu'il veut dire, il importe
de reconnaître le rôle qu'y jouent différents textes de l'Ancien
Testament2. La liturgie romaine du premier dimanche de
Carême concentre toute l'attention des fidèles sur le Ps 91,
auquel le diable fait appel dans la deuxième tentation. Pour
se placer dans la perspective du récit, c'est évidemment aux
paroles attribuées à Jésus qu'il faut d'abord attacher de l'im-
portance. Il s'agit de trois citations du Deutéronome (8,3;
6,16 et 6,13), rappelant trois épisodes majeurs du séjour
d'Israël dans le désert pour en dégager des leçons religieuses.
L'influence de Dt 6-8 ne se limite pas aux citations explicites.
Nous pouvons dire que c'est là qu'il faut chercher le thème
fondamental du récit, la clé qui donne sa signification à l'épi-
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sode 3. Mais d'autres textes bibliques ont également fourni leur
apport ; il faudra préciser la place qui leur revient : la citation
du Ps 91 faite par le diable, et quelques allusions ou réminis-
cences qu'on ne saurait négliger. Nous nous en occuperons
dans la seconde partie de cette étude.
Les quatre citations explicites sont empruntées à la Bible
grecque4. Dans la forme où nous le possédons, le récit nous
2. Nous reconnaissons volontiers que nos recherches sont parties de la lecture
de l'article de M. Sabbe, De tentation* Jesu in deserto, Coll. Brug., 50 (1954), 459-466.
3. A cet égard, un rapprochement s'impose avec 1 Cor 10,1-13, parénèse fondée
sur les événements du désert.
4. Cfr K. Stendahl, The School of St Matthew and its Use of the Old Testament
(Acta Semin. Neotest. Upsal., XX), Uppsala, 1954, pp. 88 s. Voir aussi A. W. Argyle,
The Accounts of the Temptations of Jesus in relation to the Q Hypothesis, Expository
Times, 64 (1952-53), p. 382; B. M. Metzger, Scriptural Quotations in Q Material,
ibid., 65 (1953-54), p- 125; réponse de Argyle, sous le même titre, pp. 285s. Admet-
tant tous les deux que les citations de la péricope sont empruntées à la LXX, ces
auteurs ne discutent que sur la portée exacte de cette constatation pour ce qui con-
cerne la source Q.
LES TENTATIONS D'ISRAËL DANS LE DÉSERT
13
parvient transmis par des hommes qui lisent la Bible en grec,
non en hébreu. Ce qui est vrai des citations peut être présumé
pour les allusions ou les réminiscences. C'est donc dans la
Bible des Septante que nous devons mener notre enquête, au
moins en ordre principal.
I. LES TENTATIONS D'ISRAËL DANS LE DESERT
I. Première tentation
Les quatre premiers versets forment une unité. Si le diable
invite Jésus à changer des pierres en pain (v. 3) et provoque
ainsi la réponse que l'homme ne vit pas seulement de pain
(v. 4), suggestion et réponse supposent la situation décrite
dans les deux versets qui précèdent: Jésus se trouve dans le
désert et, après un jeûne de quarante jours et quarante nuits,
il a faim. Toutes ces données se tiennent.
L'élément essentiel de ces versets est évidemment la décla-
ration de Jésus au v. 4 : « Il est écrit : Ce n'est pas de pain
seulement que l'homme vivra, mais de toute parole qui sort
de la bouche de Dieu. » La citation est empruntée à Dt 8,3.
La Bible hébraïque écrit, en faisant allusion à la manne : « Ce
n'est pas de pain seulement que vit l'homme; c'est de tout ce
qui sort de la bouche du Seigneur que vit l'homme. » Parfaite-
ment conforme au texte de la LXX5, la citation évangélique
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s'écarte de l'hébreu sur trois points : au lieu de « tout ce qui »,
«toute parole qui»; au lieu de «sort de la bouche», «sort
par la bouche » (nous n'avons pas retenu ce « par » dans notre
traduction) ; enfin substitution du mot « Dieu » au tétragramme
sacré, qui se traduit normalement par « Seigneur6 ». C'est
3. D'accord avec A pour omettre l'article tô devant faonpeuonivw (BS).
6. Le codex D et quelques témoins occidentaux donnent la citation sous une
forme abrégée: « de toute parole de Dieu ». G. D. Kilpatrick a défendu le caractère
primitif de cette leçon: Matthew 4, 4, dans Journ. o/ Theol. St., 45 (1954), 176. Nous
pouvons nous contenter d'observer qu'on y trouve encore deux variantes propres Ã
la version grecque : les mots ■parole » et « Dieu ».
14
LE RÉCIT DE MATTHIEU
donc la Bible grecque qui a fourni la citation que nous lisons
dans l'évangile7.
L'influence du Deutéronome sur le récit évangélique ne se
limite pas à la citation explicite. La remarque est importante ;
pour en saisir le bien-fondé, il n'est pas inutile d'avoir le pas-
sage sous les yeux :
Tu te souviendras de tout le chemin par lequel le Seigneur ton
Dieu t'a conduit8 dans le désert, pour t'affliger et te tenter et savoir
ce qu'il y a dans ton cœur : allais-tu garder ses commandements ou
pas? Et il t'a affligé et t'a fait souffrir de faim, puis il t'a nourri de
la manne, que tes pères n'avaient pas connue; c'était pour te faire
comprendre que ce n'est pas de pain seulement que l'homme vit,
mais que l'homme vit de toute parole sortant de la bouche de
Dieu. Tes vêtements ne se sont pas usés sur toi et tes pieds ne se
sont pas enflés pendant ces quarante ans. Et tu peux reconnaître
dans ton cœur que, comme un homme éduque son fils, c'est ainsi
que le Seigneur ton Dieu t'éduque (Dt 8,2-5 LXX).
Pour éduquer Israël comme un père éduque son fils9, Dieu
l'a conduit (rjyayev) dans le désert (èv -qr) èp^picj) afin de le tenter
(èxTteipà aT)). La situation correspond à celle du récit évangé-
lique où l'on voit que Jésus, aussitôt après avoir été proclamé
Fils de Dieu (Mt 3,17), fut conduit (Lc : %eTo ; Mt : Ã v/jx^ ;
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Mc: èxpà XXei) par l'Esprit dans le désert (èv Tyj èp^^co10) pour
y être tenté (Mt: 7teipaaÔTjvai; Mc et Lc: 7teipa^6(xevoç). Le
Deutéronome précise encore la durée du séjour au désert:
7. On pourrait reconnaître une allusion à cette déclaration en Jn 4,34; le mot
« parole » est remplacé par « volonté », ce qui rend bien le sens dans lequel il faut
prendre la citation du Deutéronome.
8. L'hébreu ajoute ici « pendant quarante ans ». La Bible grecque ne fournit la
précision qu'au v. 4.
9. Le thème reparaît en Dt 1,31; 14,1, et surtout dans le Cantique de Moïse:
32,5.6.18.19.20 (cfr P. Winter, Der Begriff « Sôhne Gottes » im Moselied Dtn 32,1-43,
Zeitschr. filr die AUtestl. Wiss., 67, 1955, 40-48). Le point de départ du thème qui
fait d'Israël le « fils » de Yahvé doit être cherché en Ex 4,22-23 (tradition J). Sur ce
thème, qui assure un lien profond entre les tentations de Jésus et celles d'Israël,
voir B. Gerhardsson, The Testing of God's Son (Matt 4,1-11 and Par), fasc. 1 (Coniec-
tanea Biblica, N. T. Ser. 2: 1), Lund, 1966, pp. 20-24.
10. A noter que Mc n'emploie substantivement êpTinoç qu'en cet endroit (1,12-13),
et dans la péricope sur Jean-Baptiste (1,3-4), sous l'influence d'Is 40,3; ailleurs, il
traite lp7)t«>4 comme un adjectif, employé avec kSttoç (1,35.45 ; 6,32.35). L'exception
devant laquelle nous nous trouvons favorise l'hypothèse d'une source. Cfr M. Sabbe,
art. cit., p. 461.
LES TENTATIONS D'ISRAËL DANS LE DÉSERT
15
«pendant quarante ans»; ces quarante ans ne sont pas sans
analogie avec les quarante jours dont parle l'Évangile. On peut
rappeler à ce propos le principe « Chaque jour (vaut) pour une
année », en vertu duquel Nb 14,34 explique que les quarante
années d'épreuve du désert sont calculées d'après les quarante
jours qu'a duré l'exploration de la Terre Promise u.
Le parallélisme des situations ne va pas sans différences. Les
principales d'entre elles s'expliquent assez facilement si l'on
tient compte de l'évolution de la pensée théologique du
judaïsme. C'est Dieu qui conduit Israël dans le désert, tandis
que Jésus y est conduit par l'Esprit; mais Is 63,14 disait déjÃ
que c'est l'Esprit du Seigneur qui a conduit Israël lors de
l'Exode: quand Dieu agit, il le fait par l'Esprit12. D'après le
Deutéronome, c'est Dieu aussi qui, dans le désert, tente Israël
et le met à l'épreuve, tandis que Jésus est tenté par le diable.
Le changement de point de vue correspond aux préoccupations
du judaïsme postexilique : la tentation est attribuée, non
directement à Dieu, mais au diable13. C'est ainsi que, suivant
2 Sam 24,1, Dieu a poussé David à faire le dénombrement, qui
est considéré comme une faute grave; 1 Chron 21,1 attribue au
diable la même suggestion. Dans Gen 22,1ss., Dieu met
Abraham à l'épreuve, le « tente », en lui demandant de sacri-
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fier Isaac; Jub 17,16 et 23,12 attribue à Mastéma (Satan)
l'initiative de cette épreuveu. Ex 4,24 rapporte une circons-
tance dans laquelle Yahvé chercha à faire mourir Moïse; la
LXX et le targum attribuent l'agression à l'Ange du Seigneur,
Jub 48,3 à Mastéma, le prince des démons15. Il n'est donc pas
11. Cfr Ez 4,6.
12. Cfr B. Gerhardsson, op. cit., pp. 36-38.
13. Cfr Gerhardsson, pp. 38-40.
14. Dans le Talmud de Babylone, une interprétation du 111e siècle cherche l'ori-
gine de cette épreuve dans une suggestion de Satan: Sanh. 89 b (H. L. Strack-
P. Billerbeck, Kommentar sum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, I,
Munich, 1922, p. 141). Cette présentation correspond à celle de Job 1-2 (cfr Zach
3,1). Voir B. Noack, Satanas und Soteria. Untersuchungen zur neutestamentlichen
Dâmonologie, Copenhague, 1948, p. 41 ; E. Fascher, Jesus und der Satan, pp. 30 s.
15. Même chose en certains manuscrits de Ned 3ib-32a: cfr G. Vermes, Scripture
and Tradition in Judaism. Haggadic Studies (Studia post-biblica, IV), Leyde, 1961,
p. 187; H. A. Kelly, The Devil in the Desert, Cath. Bibl. Quart., 26 (1964), 190-220
(198-202).
i6
LE RÉCIT DE MATTHIEU
étonnant, dans ce contexte, de voir reporter sur le diable une
tentation dont l'auteur était Dieu dans le récit biblique.
En voilà assez pour conclure que le récit évangélique de la
première tentation de Jésus au désert s'inspire de Dt 8,2-5.
Le contact ne se limite pas à la citation que Jésus fait du v. 3 ;
il s'étend à plusieurs termes caractéristiques et aux situations
elles-mêmes. Ce passage du Deutéronome s'appliquait Ã
dégager la leçon à retenir de l'épisode rapporté au ch. 16 de
l'Exode. Le peuple se plaignait d'avoir faim; le Seigneur
déclara alors à Moïse: «Voici que, du ciel, je vais faire pleu-
voir des pains ; le peuple sortira et ramassera ce qu'il faut pour
chaque jour, afin que je les éprouve (que je les tente) pour
voir s'ils suivront ma loi, ou non » (Ex 16,4). Cette tentation,
Jésus eut à la traverser à son tour; mais là où Israël avait
succombé, Jésus triomphe de l'épreuve, mettant à profit la
leçon du Deutéronome : « L'homme ne vit pas seulement de
pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
2. Deuxième tentation
Au diable qui l'engage à se jeter du haut du pinacle du
Temple, Jésus répond: « Il est écrit aussi: Tu ne tenteras pas
le Seigneur ton Dieu» (v. 7). La citation est empruntée Ã
Dt 6,16. Elle est encore faite d'après la LXX: alors que l'hébreu
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s'exprimait au pluriel « Vous ne tenterez pas le Seigneur votre
Dieu », le grec emploie le singulier, et il recourt au verbe com-
posé èx7teipdcÇcû, repris par Matthieu (qui ne l'emploie qu'ici,
alors qu'il emploie six fois le verbe simple neipâZat1').
Le verset cité dit exactement : « Tu ne tenteras pas le Sei-
gneur ton Dieu, à la façon dont vous l'avez tenté à la Tenta-
tion. » Le rappel vise l'épisode de Massa, « la Tentation », rap-
porté en Ex 17,1-7 (cfr Nb 20,1-13). Souffrant de la soif, le
peuple avait réclamé de l'eau; il n'avait pas craint de « tenter
le Seigneur en disant : Le Seigneur est-il, ou non, parmi nous? »
16. Mt 4,1.3; 16,1; 19,3; 22,18.35.
LES TENTATIONS D'ISRAËL DANS LE DÉSERT
17
(v. 7). «Tenter» le Seigneur, c'est exiger de lui un signe de
sa présence, de sa protection, de sa fidélité à l'Alliance; c'est
le mettre dans l'obligation d'intervenir, lui imposer un
miracle17. En rappelant l'épisode de Massa, le Deutéronome
entend mettre Israël en garde contre un tel forfait.
A première vue, il n'y a guère de rapport entre la situation
d'Israël assoiffé et celle de Jésus invité à se lancer dans le
vide. L'analogie se trouve dans le sens des deux épisodes tel
qu'il se dégage de Dt 6,16: Israël a gravement offensé Dieu
en osant le mettre à l'épreuve, en le sommant de faire un
miracle ; au diable qui le pousse à renouveler la faute commise
par Israël à Massa, Jésus oppose la recommandation dont le
Deutéronome a tiré la leçon de cet événement : « Tu ne tenteras
pas le Seigneur ton Dieu !» Là où Israël avait péché, le Christ
reste fidèle.
3. Troisième tentation
Au diable qui lui propose de l'adorer, Jésus réplique : « Va-
t'en, Satan ! Car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu,
et à lui seul tu rendras un culte» (v. 10). Tirée de Dt 6,13,
la citation est encore conforme à la LXX; elle correspond
exactement au texte attesté par le codex A. L'hébreu dit
simplement: «Tu craindras le Seigneur ton Dieu, et tu le
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serviras. » Le codex B se rapproche de l'hébreu en disant « tu
craindras », non « tu adoreras », et en ignorant le mot « seul18 »;
il s'accorde avec A pour traduire ta'abod, « tu serviras », par
XaTpeûoeiç, « tu rendras un culte19 ». L'emploi de ce verbe dans
17. Cfr B. Gerhardsson, The Testing of God's Son, pp. 28-31.
18. Même addition de A en Dt 10,20.
19. Le verbe Xonpeà o ne semble pas très familier aux évangélistes : il ne se ren-
contre ni chez Mc ni chez Jn; Mt ne l'emploie qu'ici, tandis que Lc l'utilise encore
en deux autres passages de l'Évangile de l'Enfance : Lc 1,74 (par référence aux événe-
ments de la sortie d'Égypte) et 2,37. On le trouve cinq fois dans les Actes. Sur son
emploi dans la Bible grecque, cfr H. Strathmann, Theol. Wôrterb. zum N. T., IV
(1942), pp. 59-6r. — Quant au verbe 7tpooxuveco, « adorer », il est tout à fait anormal
pour rendre yr'\ on retrouve la même anomalie en Dt 10,20, encore dans le seul
codex A.
Les tentations... 2
i8
LE RÉCIT DE MATTHIEU
le récit évangélique comme dans les principaux témoins de la
LXX témoigne d'une dépendance.
La recommandation du Deutéronome vise le moment où
Israël prendra possession de la Terre promise :
Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura introduit dans la terre qu'il
a juré à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob, de te donner..., garde-
toi d'oublier le Seigneur ton Dieu qui t'a fait sortir de la terre
d'Égypte, de la maison de servitude. Tu adoreras (B : tu craindras)
le Seigneur ton Dieu, et à lui (A: seul) tu rendras un culte; tu
t'attacheras à lui et tu jureras par son nom. Vous ne vous mettrez
pas à la suite d'autres dieux, parmi les dieux des nations qui vous
entourent, car le Seigneur Dieu au milieu de toi est un Dieu jaloux
(Dt 6,12-15).
Ces prescriptions reprennent l'essentiel de celles qui se
trouvent dans l'Exode, en prévision également de l'entrée dans
le pays de Canaan :
Voici que j'envoie mon ange devant ta face, afin qu'il te garde en
chemin et t'introduise dans la terre que j'ai préparée pour toi...
Si vous écoutez attentivement ma voix et faites tout ce que je vous
ai prescrit et gardez mon alliance, vous serez mon peuple particulier
parmi toutes les nations: car toute la terre est à moi... Mon ange
s'avancera à ta tête, et il t'introduira chez l'Amorréen, le Héthéen,
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le Phérézéen, le Cananéen, le Gergéséen, le Hévéen et le Jébuséen,
et je les extirperai. Tu n'adoreras pas leurs dieux et tu ne leur
rendras pas de culte... Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et je bénirai
ton pain, ton vin et ton eau... Tu ne concluras pas d'alliance avec
eux et leurs dieux; ils n'habiteront pas dans ton pays, de peur
qu'ils ne te fassent pécher contre moi: car si tu sers leurs dieux, ils
te seraient un piège (Ex 23,20-33).
Voici que je chasse devant ta face l'Amorréen, le Cananéen, le
Héthéen, le Phérézéen, le Hévéen, le Gergéséen et le Jébuséen.
Garde-toi de conclure alliance avec ceux qui résident dans le pays
dans lequel tu vas entrer, de peur qu'il n'y ait pour toi un piège
parmi eux. Vous détruirez leurs autels, vous briserez leurs stèles,
vous couperez leurs pieux sacrés, vous jetterez leurs idoles au feu.
Car vous n'adorerez pas d'autre dieu: le Seigneur Dieu s'appelle
Jaloux, c'est un Dieu jaloux (34,11-14).
LES TENTATIONS D'ISRAËL DANS LE DÉSERT ig
Le moment de la prise de possession de la Terre promise
coïncide pour Israël avec une grave tentation, celle d'adorer
les dieux auxquels on rend un culte dans ce pays et qui en
sont considérés comme les maîtres (baalim). Israël a lamen-
tablement succombé à cette tentation. Il s'est imaginé qu'il
avait besoin de la faveur des dieux locaux pour jouir en paix
du fruit de sa conquête. Il n'a pas eu assez de foi en son Dieu,
le Dieu du lointain Sinaï, pour lui réserver exclusivement le
culte qu'il ne veut partager avec nul autre.
A son tour, Jésus affronte la dernière tentation. Il n'est plus
seulement question pour lui de posséder le territoire des sept
nations (cfr Act 13,19) qui occupaient le pays de Canaan. Il
s'agit maintenant de « tous les royaumes du monde » (Mt 4,8);
ce n'est pas trop pour le Fils de Dieu : « Le Seigneur m'a dit :
Tu es mon fils; moi-même aujourd'hui je t'ai engendré. Deman-
de-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour ta
possession les extrémités de la terre » (Ps 2,7-8). A une échelle
différente, la situation est parallèle à celle des Israélites au
moment de leur installation en Palestine. Eux s'emparaient
d'un pays qui était censé appartenir aux dieux des nations
qu'ils délogeaient; lui doit recevoir l'empire sur un monde
païen et idolâtre qui est au pouvoir du Prince des ténèbres.
Les accommodements que les Israélites ont cherchés avec les
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dieux cananéens, ne serait-il pas normal qu'il les cherche, lui,
avec Satan, le Prince de ce monde20? Celui que Paul n'hésite
pas à appeler ô Geèç toû aiwvoç toùtou, « le dieu de ce monde »
(2 Cor 4,4) n'est-il pas aussi celui auquel Rome doit son pou-
voir : « Le Dragon lui transmit sa puissance et son trône avec
un empire immense » (Apoc 13,2)? Ne serait-il pas prudent, de
la part de Jésus, de compter avec lui, de s'assurer sa faveur 21?
20. Le parallélisme des situations ressort mieux si l'on se souvient que, dans la
pensée des Juifs, le culte rendu aux dieux païens s'adressait, en réalité, aux démons.
Témoignage de cette manière de voir dans 1 Cor 10,20 s. (faisant écho à Dt 32,17;
cfr Bar 4,7) et dans les nombreux textes que citent les commentaires de ce passage.
21. Dans son v. 6b, Lc explicite l'idée sous-jacente: «(toute cette puissance et
cette gloire) m'a été confiée, et je la donne à qui je veux ». Il ne s'agit pas là d'une
pure fanfaronnade, comme l'explique R. Schnackenburg, Die sittliche Botschaft des
Neuen Testamenies (Handbuch der Moraltheologie, VI), Munich, 1954, pp. 73 s. Le
judaïsme s'était habitué à reconnaître derrière les royaumes de la terre, qui lui étaient
hostiles et pratiquaient en même temps l'idolâtrie, l'action de forces surnaturelles,
20
LE RÉCIT DE MATTHIEU
Sous une forme plus grandiose et plus dramatique, Jésus
revit le tentation d'Israël à son entrée en Canaan. Là où Israël
avait succombé, il triomphe, en tirant parti de la leçon que le
Deutéronome a dégagée de la dernière tentation d'Israël: «Tu
adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendras un
culte. »
Conclusion
L'influence du Deutéronome sur le récit des tentations de
Jésus ne se limite pas aux trois citations par lesquelles Jésus
répond aux sollicitations du diable, ou à la scène du séjour au
désert décrite au début du récit. La relation est plus profonde.
La signification des événements est la même ; malgré l'évidente
différence des situations, les tentations auxquelles Jésus doit
faire face correspondent, par leur sens réel, aux tentations
rencontrées par Israël pendant la traversée du désert et lors
de la conquête de la Terre promise. Jésus revit au désert les
tentations du peuple élu; mais alors que celui-ci avait suc-
combé, lui remporte la victoire en mettant à profit les enseigne-
ments que le Deutéronome avait dégagés de l'expérience
d'Israël.
La conclusion à laquelle nous arrivons n'est pas nouvelle.
Le P. Jacques Guillet écrit : .
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Le récit de la tentation de Jésus au désert, durant les quarante
jours de jeûne, est un rappel manifeste des quarante ans de l'Exode.
Mais le parallélisme ne s'y borne pas au chiffre quarante. Il atteint
la substance même de ces quarante années, qui consistèrent en une
tentation. De même qu'Israël, après avoir été choisi par Yahvé
sataniques. Telle est aussi la pensée des auteurs du Nouveau Testament. Jean appelle
le diable du nom significatif de «prince de ce monde » (12,31; 14,30; 16,11); dans le
supplice de la croix infligé au Christ, Paul reconnaît, derrière l'action des hommes,
l'œuvre des « princes de ce monde » (1 Cor 2 fi), et il fait de la résurrection de Jésus
un triomphe sur ces puissances maudites (Éph 1,21 ; Col 2,15; cfr 1 Pt 3,22), contre
lesquelles les chrétiens doivent continuer à lutter (Éph 2,2; 6,12) et auxquelles il
donne des noms qui ne manquent pas de sens : puissances, principautés, trônes, domi-
nations. Le monde est bien le domaine de Satan ; rien de plus naturel que le pouvoir
terrestre dépende de lui. Sur la pensée de Paul à ce sujet, cfr O. Cullmann, Dieu et
César, Neuchâtel-Paris, 1956, pp. 60-75 et 97-120.
LES TENTATIONS D'ISRAËL DANS LE DÉSERT 21
comme son fils (Ex 4,22), fut conduit au désert par une colonne de
feu, c'est-à -dire, selon une interprétation consacrée en Israël, par
l'esprit saint de Yahvé (Is 63,11.14), pour y être, durant quarante
ans, tenté (Dt 8,2), de même aussi Jésus, le Fils de Dieu bien-aimé
(Mt 3,17), est poussé au désert par l'Esprit qui vient de se révéler
au Jourdain, afin d'y subir sa tentation. Or sa tentation est celle
de son peuple, d'attendre sa nourriture de la terre et non de Dieu
seul, d'exiger des signes à sa fantaisie, de tenter Dieu, enfin, suprême
épreuve, d'adorer un autre que Dieu. Si Jésus répond à Satan par
des textes scripturaires, ce n'est pas seulement pour repousser la
suggestion dangereuse par un argument sans réplique, bien moins
encore par une vertu magique des mots inspirés. C'est parce qu'il
est mis par le diable dans les situations où Israël avait succombé,
en exigeant de la viande à la journée des cailles (Nb 11,33), en
exigeant un signe à Massa (Ex 17,2.7), en reniant Yahvé devant le
veau d'or (Ex 32,1-35)... En repassant par l'Égypte, le Jourdain
et le désert, Jésus fait tout autre chose que de pieux pèlerinages aux
traces laissées par son peuple. Il refait pour son propre compte son
itinéraire spirituel. Triomphant de l'épreuve du désert, il se révèle
comme étant, à lui seul, le peuple fidèle, l'Israël authentique, le
Fils de Dieu M.
Le P. Guillet a bien vu que l'épisode des tentations de Jésus
doit se comprendre dans le rapport qui l'unit à l'histoire des
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tentations d'Israël. Pour désigner ces tentations d'Israël, nous
pouvons nous appuyer sur les passages du Deutéronome aux-
quels le récit évangélique fait appel; ils nous renvoient à des
événements de l'Exode que nous pouvons indiquer avec plus
de précision: Dt 8,3 se réfère, non à l'épisode des cailles (Nb
il), mais à celui de la manne (Ex 16) ; Dt 6,16 se réfère évidem-
ment à Ex 17,1-7; Dt 6,13 veut qu'on réserve le culte au seul
vrai Dieu, par opposition, non pas au veau d'or par lequel les
Israélites avaient prétendu représenter Yahvé (Ex 32), mais
aux divinités honorées par les nations païennes qui habitaient
le pays de Canaan (Ex 23 et 34).
Les citations du Deutéronome dans le récit des tentations
22. J. Guillet, Thème de la marche au désert dans l'Ancien et le Nouveau Testa-
ment, Rech, de Sc. Rel., 36 (1949), 161-181 (178 s.), reproduit dans Thèmes bibliques.
Études sur l'expression et le développement de la Révélation (Théologie, 18), Paris,
I95I, pp- 23 s- Cfr J. Daniélou, Sacramentum futuri. Études sur les origines de la typo-
logie biblique (Études de Théologie Historique), Paris, 1950, p. 137.
22
LE RÉCIT DE MATTHIEU
sont donc tout autre chose que trois bouts de texte sans grand
rapport entre eux23. Derrière elles, c'est l'histoire de l'Exode
qu'on voit se profiler dans son ensemble. Ce n'est sans doute
pas par hasard que, présentées dans l'ordre inverse de leur
emplacement dans le Deutéronome (8,3; 6,16; 6,13), les cita-
tions retrouvent l'ordre réel des événements de l'Exode: l'épi-
sode de la manne, le miracle de l'eau, l'entrée en Canaan.
Cette observation plaide en faveur de l'ordonnance du récit
des tentations qui nous a été conservée par Matthieu ; en inter-
vertissant l'ordre de la deuxième et de la troisième tentation,
la version de Lc se détache en même temps de la succession
historique des épisodes qui doivent éclairer les tentations de
Jésus24.
23. Nous songeons à l'objection de M.-J. Lagrange, Évangile selon saint Matthieu
(Études bibliques), 3e éd., Paris, 1927, p. 65. Elle vise directement l'hypothèse de
H. J. Holtzmann, H and- Commentât zum Neuen Testament, I, 1. Die Synoptiker,
3* éd., Tubingue, 1901, p. 46. Holtzmann estime que le récit des trois tentations
de Jésus a été composé sur le modèle des trois tentations d'Israël dans le désert;
il découvre celles-ci: la première dans Ex 16,2-9 et Nb 11,4-10 (cfr 1 Cor 10,6), la
deuxième dans Ex 17,1-7 et Nb 21,4-7 (cfr 1 Cor 10,9), la troisième dans Ex 32,6
(cfr 1 Cor 10,7). A quoi le P. Lagrange réplique : « Il est toujours aisé, avec des livres,
de faire des extraits qui coïncident plus ou moins. » L'objection est juste si l'on doit
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faire appel à tant de textes dispersés pour expliquer la composition du récit. Elle ne
porte plus si la reconstitution part des données fournies par le texte évangélique,
les trois citations du Deutéronome, qui se réfèrent elles-mêmes à trois tentations
d'Israël. Le récit s'appuie immédiatement sur les trois passages du Deutéronome
et ne fait appel que d'une manière lointaine aux récits de l'Exode et des Nombres
qu'ils évoquent. - Une mise au point encore. La première tentation de Jésus nous
renvoie à Dt 8,2-4, rappel de la journée des cailles et de la manne (Ex 16 et Nb n);
en parlant de « pain », c'est évidemment à la manne qu'on pense. La deuxième tenta-
tion renvoie à Dt 6,16: le miracle de l'eau (Ex 17,1-7 et Nb 20,2-13). Il n'y a pas
grande difficulté jusqu'ici. Il y en a davantage quand, à propos de la troisième tenta-
tion qui se réfère à Dt 6,13, on évoque l'épisode du veau d'or. Le texte du Deutéro-
nome ne le vise certainement pas, puisqu'il s'agit d'un conseil à mettre en pratique
lors de l'entrée dans la Terre promise (cfr Dt 12,29-31; Jos 23,6-16; Jg2,i2; Ps
104,35 ss.). Rien n'indique non plus que le récit évangélique ait vu dans le texte autre
chose que ce qu'il disait, et qu'il ait mis une relation entre l'adoration de Satan et
l'adoration du veau d'or. La troisième tentation d'Israël, tentation d'idolâtrie Ã
l'adresse des dieux païens, est liée par le Deutéronome au moment de la prise de
possession des territoires occupés par les nations cananéennes; elle est liée dans
l'Évangile à la prise de possession des royaumes du monde. Faire appel à l'épisode
du veau d'or dans ce contexte, c'est brouiller inutilement un parallélisme qui est
assez clair par lui-même.
24. B. Gerhardsson (op. cit., pp. 71-79) propose une considération qui fournirait
un autre argument en faveur de l'ordonnance de Mt: les trois tentations évangé-
liques constitueraient un développement du précepte de Dt 6,5 : « Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. »
Compte tenu de l'interprétation rabbinique de ce verset, la première tentation mon-
trerait que Jésus a aimé Dieu « de tout son cœur », la deuxième qu'il l'a aimé « de
toute son âme », la troisième « de tout son pouvoir ». L'argument nous paraît fragile.
AUTRES TRAITS BIBLIQUES
23
A propos de la fuite en Égypte Mt avait déjà noté: « Il y
resta jusqu'à la mort d'Hérode, pour que s'accomplît ce que
le Seigneur avait dit par le prophète: D'Égypte j'ai appelé
mon fils» (2,15; cfr Os 11,1). Ce qui avait été dit d'Israël,
considéré par Dieu comme son fils, se renouvelle et s'accomplit
dans la destinée de Jésus, que Dieu, lors du baptême, a pro-
clamé son Fils bien-aimé. Dans le désert, Jésus revit pour son
compte l'histoire des tentations qui assaillirent le peuple élu
après la sortie d'Égypte; mais là où Israël avait succombé, le
Fils de Dieu triomphe. A chaque tentation, Jésus se réfère à la
leçon que le Deutéronome avait tirée de la tentation corres-
pondante. On ne saurait se contenter de voir là trois rappels
sporadiques du Deutéronome ; il faut reconnaître, dans le récit
évangélique, l'affleurement d'une référence constante et pro-
fonde aux événements de l'Exode, sans laquelle il perdrait le
plus clair de sa substance 25.
II. AUTRES TRAITS BIBLIQUES
A côté du rattachement fondamental qui fait voir en cha-
cune des trois tentations de Jésus la reprise et l'accomplisse-
ment des tentations d'Israël lors de la sortie d'Égypte, d'autres
indications, qui n'ont pas la même valeur centrale, ne sauraient
être négligées. Nous en relevons une dans chaque tentation;
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25. A la suite du Christ, les chrétiens ont à refaire les expériences du désert et
de ses tentations, en tirant parti des leçons que l'Écriture a dégagées des défections
des Israélites. Les explications que donne sur ce point la catéchèse de i Cor 10,1-13
complètent fort bien le récit des tentations de Jésus. Paul rappelle que, lors de la
sortie d'Égypte, « tous les Israélites ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans
la mer, tous ont mangé le même aliment spirituel et tous ont bu le même breuvage
spirituel » (vv. 2-4). Leur situation était donc parfaitement semblable à celle des
chrétiens qui ont reçu les sacrements de l'initiation. Et pourtant ils ont été assaillis
par diverses tentations, y ont succombé et ont subi le juste châtiment de leurs péchés.
Ce souvenir doit inciter les chrétiens à une grande prudence ! Dans le rappel des
tentations du désert, l'Apôtre suit surtout le Livre des Nombres (14,16; 25,1-9;
21,5-6; 17,6-15); l'ordonnance des tentations et leur nombre ne sont pas ceux des
tentations évangéliques. Le principe est le même: l'histoire des événements de l'Exode
se renouvelle. Elle a reçu sa consécration suprême et son accomplissement dans le
Christ; elle se prolonge dans la vie de chaque chrétien, qui doit triompher à son
tour des tentations en profitant des leçons de l'Écriture et en suivant l'exemple du
Fils de Dieu.
24
LE RÉCIT DE MATTHIEU
rien ne nous obligeant à suivre l'ordre du récit, nous partirons
de la dernière.
i. La haute montagne
Le diable emmène Jésus « sur une montagne très élevée »
(de, Ôpoç ûif^Xà v Xtav); de là il «lui montre tous les royaumes
du monde et leur gloire » (Setxvixriv aÙTcp TOxaaç t<xç (3aaiXe£aç
toû x6djj.ou xal ty]v S6Çav aÙTôiv), et il lui déclare: «Tout cela,
je te le donnerai si... » (raGTa aoi 7iavTa Swaw, êà v... : w. 8-9).
Cette mention d'une montagne permettant de contempler tous
les royaumes du monde a fait difficulté très tôt. Où situer cette
montagne? Elle n'existe nulle part! Lc a déjà jugé prudent de
supprimer cette indication ; il lui substitue une autre précision :
la vision de Jésus s'est opérée « en un instant ». Pour lui, il
s'agit donc d'autre chose que de la contemplation d'un vaste
panorama du haut d'un belvédère fort élevé. Moins soucieux
des vraisemblances que Lc, qui réagit à la manière d'un Occi-
dental, Mt a maintenu la montagne, qui se trouvait dans sa
source. Il n'est pourtant pas naïf; il sait sûrement qu'on ne
doit pas chercher cette montagne sur une carte d'état-major.
C'est dans la Bible qu'il faut la chercher, au dernier chapitre
du Deutéronome26:
Moïse monta des steppes de Moab sur le mont Nébo, au sommet
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de Pisga, qui est en face de Jéricho. Et le Seigneur lui montra toute
la terre (xal ëSeiÇev aÙTÔ) xûpioç 7tà aav tJjv yr^) de Galaad jusque
Dan, et toute la terre de Nephtali, et toute la terre d'Éphraïm et
de Manassé, et toute la terre de Juda jusqu'à la mer occidentale, et
26. Le rapprochement n'est pas nouveau, bien que ceux qui le font ne voient
souvent pas le parti qu'on peut en tirer. Cfr E. Hûhn, Die messianischen Weissagungen
des israelitisch-jûdischen Volkes bis zu den Targumim, II, Tubingue, 1900, p. 6;
A. Meyer, Die evangelischen Berichte iiber die Versuchung Christi, dans Festgabe
Hugo Bliïmmer, Zurich, 1914, pp. 434-468 (460) ; les commentaires de A. Loisv et de
E. Klostermann; E. Lohmeyer, Die Versuchung Jesu, Zeitschr. fur System. Theol.,
14 (1937), 619-650 (640, n. 3); Id., Das Evangelium des Maithâus. Nachgelassene
Ausarbeitungen und Entwiirfe (Krit.-exeg. Komm. iiber das N. T., Sonderband),
GÅ“ttingue, 1956, pp. 54 et 59; C. K. Barrett, The Holy Spirit and the Gospel Tra-
dition, Londres, 1947, p. 52 ; W. D. Davies, The Setting of the Sermon on the Mount,
Cambridge, 1964, p. 48, n. 1 ; B. Gerhardsson, The Testing of God's Son, p. 62.
AUTRES TRAITS BIBLIQUES
25
le désert et la région de Jéricho, la ville des palmiers, jusqu'à Ségor.
Et le Seigneur dit à Moïse: Voici la terre au sujet de laquelle j'ai
juré à Abraham, Isaac et Jacob, en disant: A votre descendance je
la donnerai (S&xjo) aÙ-r/jv). Je l'ai montrée (xaî ëSeiÇa) à tes yeux,
mais tu n'y entreras pas (Dt 34,1-4)27.
De toute évidence, la vue de Moïse s'étend beaucoup plus
loin que ne le fait celle du voyageur qui se trouve au sommet
du Nébo. Le panorama est large: la plaine désolée du Ghôr,
dont l'aridité est soulignée par l'opulente oasis de Jéricho et
le mince ruban du Jourdain, le saphir étincelant de la mer
Morte dans son écrin de sel, puis la haute muraille fauve et
crayeuse du désert de Juda. Ce n'est pas encore toute la Terre
promise. Pour que Moïse puisse la contempler avant de mourir,
jusque Dan et Nephtali et jusquà la Méditerranée, le Seigneur
exhausse quelque peu ce modeste piédestal28. Le diable en fait
autant pour montrer à Jésus non seulement la Terre promise,
mais le monde entier.
Le parallélisme des situations ne paraît pas contestable ; que
Satan prenne la place du Seigneur, on ne saurait s'en étonner
dans le contexte d'une tentation. Ce parallélisme s'accompagne
de rapprochements assez précis dans l'expression : Dieu montra
(ISeiÇev) la Terre promise à Moïse; le diable montra (Lc:
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ISeiÇev; Mt: Seixwmv) le monde à Jésus. Dieu rappelle son ser-
ment: Je donnerai (Swaw) cette terre à la postérité des pa-
triarches; le diable déclare: Je te donnerai (Sœaw) tout cela29.
Cette vision de Moïse a frappé l'imagination des contempo-
rains de Jésus. On peut en trouver une preuve dans l'Apo-
27. Le thème était amorcé en Dt 3,27: « Monte au sommet du Pisga et élève tes
yeux vers l'Occident et vers le Nord, et vers le Midi et vers le Levant, et regarde
de tes yeux, car tu ne passeras pas le Jourdain. »
28. Voir les développements rabbiniques signalés par B. Gerhardsson, op. cit.,
p. 63. D'après Sifre Num § 136, R. Éliézer ben Hyrkanos, un contemporain de
Matthieu, comprenait la vision de Moïse dont parle Dt 3,27 comme s'étendant au
monde entier ; il en concluait que Dieu lui avait donné une vue spéciale.
29. On cherche souvent, dans la promesse du diable, une allusion au Ps 2,7. Ainsi,
récemment: P. Doble, The Temptation, dans Expository Times, 72 (1959-60), 91-93;
E. Lovestam, Son and Saviour. A Study of Acts 13,32-37. With an Âppendix:
« Son of God » in the Synoptic Gospels (Coniectanea Neotestamentica, XVIII), Lund-
Copenhague, 1961, pp. 97-101; K. H. Rengstorf, Old and New Testament Traces of
a Formula of the Judaean Royal Ritual, Nov. Test., 5 (1962), 229-244 (240-242). Cette
orientation nous paraît beaucoup moins significative.
26
LE RÉCIT DE MATTHIEU
cryphe de la Genèse découvert dans la grotte i de Qumrân.
Amplifiant une donnée de Gen 13,14s. d'après la finale du
Deutéronome, l'auteur fait ainsi parler Abraham :
Et Dieu m'apparut dans une vision nocturne et me dit : Monte Ã
Ramat-Hasor, qui est au Nord de Béthel, le lieu où tu habites, et
lève les yeux et regarde vers l'Orient et vers l'Occident et vers le
Sud et vers le Nord, et vois tout ce pays que moi je te donne, ainsi
qu'à ta postérité, pour tous les siècles. Et je montai le lendemain Ã
Hamat-Hasor, et de cette hauteur, je vis le pays depuis le fleuve
d'Égypte jusqu'au Liban et au Sanir, et depuis la Grande mer
jusqu'au Hauran, et tout le pays de Gebal jusqu'Ã Qadesh, et tout
le Grand Désert qui est à l'Orient du Hauran et du Sanir jusqu'Ã
l'Euphrate. Et il me dit: A ta postérité je donnerai tout ce pays-ci,
et ils en hériteront pour tous les siècles... Vois combien grande est
la longueur de ce pays et combien grande est sa largeur. Car à toi
et à ta postérité je le donnerai pour tous les siècles30.
Autre témoignage des mêmes rêves: au début du 11e siècle,
l'Apocalypse de Baruch rapporte que, quarante jours avant sa
mort, Baruch reçut l'ordre de monter sur une montagne, d'où
il verra toute la terre : « Monte donc au sommet de cette mon-
tagne. Devant toi passeront toutes les régions de cette terre,
la forme du globe, le sommet des montagnes, la profondeur
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des vallées, les abîmes de la mer, le nombre des rivières, afin
que tu voies ce que tu laisses et où tu vas 31. »
En même temps qu'il est soumis à la tentation qu'Israël a
connue au moment de la prise de possession du pays de
Canaan, Jésus se trouve dans une situation qui rappelle celle
de Moïse contemplant ce même pays du haut du mont Nébo,
situation où d'ailleurs il dépasse Moïse, comme cela ressort de
l'ampleur de la vue qui s'offre à ses yeux, s'étendant sur tous
les royaumes du monde. La situation diffère cependant en ceci
que Jésus se voit offrir le monde qu'il a sous les yeux32, alors
30. Col 21,8-14, dans la traduction de A. Dupont-Sommer, Les écrits esséniens
découverts près de la, mer Morte, Paris, 1959, pp. 302 s.
31. 76,3-4: Patrologia Syriaca, II, col. 1201. Cfr R. H. Charles, The Apocrypha
and Pseudepigrapha of the Old Testament, II, Oxford, 1913, p. 519.
32. D'après D. Daube (Studies in Biblical Law, Cambridge, 1947, pp. 24-39),
le diable se conformerait aux usages juridiques qui, lors d'un transfert de propriété,
veulent que le vendeur fasse voir à l'acheteur le domaine qu'il va acquérir. Cfr
W. D. Davies, The Setting of the Sermon on the Mount, p. 48, n. 1 ; B. Gerhardsson,
The Testing of God's Son, pp. 63 s.
AUTRES TRAITS BIBLIQUES
27
que Moïse ne peut pas entrer dans le pays qu'il contemple: il
reçoit simplement la réitération de la promesse par laquelle
Dieu s'est engagé à le donner aux descendants d'Abraham,
Isaac et Jacob. Dans la mesure où la tentation est liée à la pos-
session de ce qu'on voit du haut de la montagne élevée, la
situation de Jésus correspond mieux à celle d'Israël qu'à celle
de Moïse 33.
2. Quarante jours et quarante nuits
D'après Mc 1,13, Jésus fut « au désert, pendant quarante
jours, tenté par Satan ». De même Lc montre Jésus « au désert,
pendant quarante jours, tenté par le diable »; mais il ajoute:
« Et il ne mangea rien pendant ces jours-là » (4,1-2). Matthieu
est un peu différent : « Alors Jésus fut conduit au désert par
l'Esprit pour être tenté par le diable. Et ayant jeûné quarante
jours et quarante nuits, finalement il eut faim» (4,1-2).
Matthieu ne se contente pas de mentionner les « quarante
jours »; il tient à y ajouter « quarante nuits »; de plus, il met
cette période en relation directe, non avec la tentation, mais
avec le jeûne de Jésus.
Ce double changement a pour effet d'affaiblir le parallélisme
entre l'épreuve de Jésus et celle d'Israël telle qu'elle est décrite
dans Dt 8,2-5. Les quarante années du séjour d'Israël au
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désert correspondent bien à quarante jours; la mention sup-
plémentaire des quarante nuits donne l'impression d'introduire
un élément étranger. Les quarante années passées par Israël
dans le désert ont été une période d'épreuve, de tentation,
mais pas précisément une période de jeûne34. La version
matthéenne invite à chercher dans une autre direction.
33. La réponse que Jésus fait au Tentateur étant empruntée à Dt 6,13, il n'est
pas sans intérêt que le v. 10 rappelait la promesse faite aux patriarches: « Lorsque
le Seigneur ton Dieu t'aura introduit dans le pays qu'il a juré à tes pères, Abraham,
Isaac et Jacob de te donner... » C'est à Israël, non à Moïse, que la Terre promise
devait être donnée.
34. Le verbe v7)otei3
de noter une observation de B. Gerhardsson, op. cit., pp. 41s. On lit dans Dt 8,2-3:
« Tu te souviendras de tout le chemin par lequel Yahvé ton Dieu t'a fait marcher
28
LE RÉCIT DE MATTHIEU
L'expression « quarante jours et quarante nuits » n'est pas
tellement fréquente dans la Bible. On la rencontre dans l'his-
toire du déluge (Gen 7,4.12.17) : sans rapport avec l'épisode de
la tentation. On la trouve aussi dans l'histoire d'Élie : soutenu
par une nourriture mystérieuse, « il marcha quarante jours et
quarante nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb » (1 R
19,8). Il y a analogie, mais elle reste assez implicite: le texte
suppose, mais ne dit pas, qu'Élie ne mangea rien pendant sa
longue marche35. Enfin, l'expression apparaît sept fois dans
l'histoire de Moïse, à propos de son séjour sur la montagne du
Sinaï; elle indique la durée de ce séjour, pendant lequel Moïse
s'occupa à prier (Ex 24,18; Dt 9,11.25; 10,10) et resta sans
rien manger ni boire (Ex 34,28; Dt 9,9.18)3S. Ces derniers
textes nous intéressent directement, car nous y trouvons réunis
les deux traits qui caractérisent l'introduction matthéenne au
récit des tentations de Jésus:
Moïse était là , en présence du Seigneur, quarante jours et quarante
nuits: il ne mangea pas de pain et ne but pas d'eau (Ex 34,28).
Quand je montai sur la montagne pour recevoir les tables de
pierre, les tables de l'alliance que le Seigneur a conclue avec vous,
je demeurai sur la montagne quarante jours et quarante nuits, je
ne mangeai pas de pain et ne bus pas d'eau (Dt 9,9).
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Je suppliai le Seigneur une deuxième fois comme la première
quarante jours et quarante nuits: je ne mangeai pas de pain et ne
bus pas d'eau (9,18).
Le rapprochement ne paraît pas fortuit; il invite à recon-
naître dans les deux retouches pratiquées par l'évangéliste une
évocation du séjour de Moïse sur le Sinaï. L'image est discrète;
elle ne se substitue pas au rappel du séjour des Israélites dans
pendant quarante ans dans le désert, afin de t'humilier et de te mettre à l'épreuve...
Et il t'a humilié et fait avoir faim... Le verbe « humilier » Cândh, au pi'el), surtout
si on le rapproche de « avoir faim », fait naturellement penser à l'expression « humilier
son âme », qui signifie : < jeûner ».
35. En marchant jour et nuit, le prophète aurait dû faire le voyage en trois ou
quatre jours.
36. Apoc. Abr., 12,1 ne fait que reporter sur Abraham ce que le texte sacré disait
de Moïse,
AUTRES TRAITS BIBLIQUES
29
le désert, mais elle s'y ajoute et l'enrichit. Ce ne serait pas le
seul cas où Matthieu parle de Jésus en termes qui doivent faire
penser à Moïse 37. L'exemple le plus clair se trouve dans l'évan-
gile de l'enfance: « Quand Hérode fut mort, voici que l'ange du
Seigneur apparut en songe à Joseph en Egypte et lui dit : Lève-
toi, prends avec toi l'enfant et sa mère et pars pour le pays
d'Israël; car ils sont morts ceux qui en voulaient à la vie de
l'enfant. Et lui, se levant, prit l'enfant et sa mère et rentra
au pays d'Israël» (Mt 2,19-21). Le passage s'inspire d'Ex
4,19-20: «Après bien des jours, le roi d'Égypte mourut. Le
Seigneur dit à Moïse en Madian: Va, retourne en Égypte; car
ils sont morts tous ceux qui en voulaient à ta vie... Et il
retourna en Égypte. » On voit pourquoi, alors qu'il s'agissait
de la mort du seul Hérode, l'ange s'exprima au pluriel : « ils
sont morts ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant » ; le récit
évangélique se calque sur le texte de l'Exode. En Mt 2,15, le
retour d'Égypte était présenté comme l'accomplissement d'un
oracle qui concernait Israël, fils de Dieu; Jésus y apparaît
comme renouvelant en sa personne la destinée d'Israël, méri-
tant ainsi, Ã un titre tout particulier, l'appellation de Fils de
Dieu. Aussitôt après (2,19-21), c'est la destinée de Moïse qui
trouve en lui son accomplissement; il apparaît ainsi comme
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un nouveau Moïse. Le cas de Mt 4,2 n'est pas très différent :
dans un contexte où Jésus, Fils de Dieu, refait pour son
compte l'expérience vécue par Israël dans le désert, sa situation
est en même temps rapprochée de celle de Moïse et de son
jeûne de quarante jours et quarante nuits au sommet du Sinaï.
37. Cfr J. Jeremias, art. Muuoilc Theol. Wôrterb. zum N. T., IV (1942), 852-
878 (surtout 866 s. et 871-875). Les indications fournies dans cet article doivent être
critiquées. Un examen particulièrement sévère a été fait par W. D. Davies, The
Setting of the Sermon on the Mount, pp. 14-108. Cet auteur réduit à des proportions
assez restreintes l'intérêt que Matthieu montre à l'égard du thème du Nouveau Moïse ;
en dehors de l'évangile de l'enfance, il apparaîtrait surtout dans les retouches qui
n'introduisent pas ce thème mais l'accentuent dans le récit de la Transfiguration
(Mt 17,1-8). Davies accepte sur ce point (pp. 50-56) l'argumentation de A. Feuillet,
Les perspectives propres à chaque évangéliste dans les récits de la Transfiguration,
Biblica, 39 (1958), 281-301 (292 ss.). Voir aussi M. Sabbe, La rédaction du récit de
la Transfiguration, dans La venue du Messie. Messianisme et eschatologie (Recherches
Bibliques, VI), Bruges-Paris, 1962, pp. 65-100 (77-80 et 87-89); X. Léon-Dufour,
La Transfiguration de Jésus, dans Études d'Évangile (Parole de Dieu), Paris, 1965,
pp. 83-122.
3°
LE RÉCIT DE MATTHIEU
Le thème fondamental du récit, qui éclaire les tentations de
Jésus par celles qu'Israël rencontra lors de l'Exode, n'exclut
pas la présence d'un thème secondaire qui évoque le séjour de
Moïse sur le Sinaï et rappelle la vision qui lui fut accordée sur
le Nébo. Le Fils de Dieu qui sort victorieux des épreuves où
le peuple élu avait succombé présente en même temps des
traits qui invitent à le reconnaître comme un nouveau Moïse.
3. Le ministère des anges
Dans la deuxième tentation, le diable, lui aussi, se prévaut
d'une citation de l'Écriture. Elle est empruntée au Ps 91,11-12:
« Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit: Il don-
nera pour toi ordre à ses anges et ils te porteront sur leurs
mains, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre»
(Mt 4,6). La citation est conforme au texte de la LXX, sauf
que la conjonction « et » remplace un demi verset: « Il donnera
pour toi ordre à ses anges pour qu'ils te gardent en toutes tes
voies: ils te porteront... » Luc abrège d'une autre manière. La
source utilisée par les évangélistes rapportait sans doute le
texte complet des deux versets du psaume; les évangélistes
auront trouvé la citation trop longue. Il est possible aussi que
Mt ait trouvé moins adaptés à la situation les mots qu'il a
supprimés : « pour qu'ils te gardent en toutes tes voies ».
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La manière dont la citation est présentée suppose que les
paroles du psaume concernent le « Fils de Dieu ». En fait, le
psaume parle du pieux Israélite qui met sa confiance dans le
Seigneur et cherche auprès de lui sa protection; cette protec-
tion lui est promise en termes quelque peu hyperboliques38.
Ce sens obvie du texte pris en lui-même ne rend évidemment
pas compte de l'argument prêté au diable. Le présupposé du
raisonnement est que la promesse concerne proprement celui
qui vient d'être déclaré Fils de Dieu; le privilège qu'elle
38. Voir les explications que donnent de ce psaume H. J. Kraus, Psalmen, II
(Bibl. Komm.: A. T., XV/2), Neukirchen, i960, pp. 634-640; A. Deissler, Die
Psalmen, III (Die Welt der Bibel. Kleinkommentar zur Heiligen Schrift, 1/3), Dùssel-
dorf, 1965, pp. 11-15.
AUTRES TRAITS BIBLIQUES
31
énonce lui appartient à un titre où il n'appartient à nul autre.
Une interprétation de ce genre ne devait causer aucune sur-
prise aux premiers chrétiens; ils étaient habitués à chercher
dans les psaumes des témoignages rendus au Christ39. Mt
27,42-43 fournit un bon exemple de ce procédé exégétique; les
grands prêtres, les scribes et les anciens se moquent de Jésus
en disant: « Il est roi d'Israël! Qu'il descende maintenant de la
croix, et nous croirons en lui! 77 a mis sa confiance en Dieu:
qu'il le délivre à présent, s'il l'aime ! Car il a dit: Je suis Fils
de Dieu. » Dans ces réflexions malveillantes on reconnaît une
citation du Ps 21,9 (en italique). Les grands prêtres ne se
trompent pas en supposant que ce psaume vise le Fils de
Dieu ; de même l'interprétation que le diable donne au Ps 91
ne peut que rencontrer l'assentiment des chrétiens, à qui ce
genre d'exégèse est tout à fait familier.
La protection divine dont parle le psaume se vérifie tout
particulièrement dans le Temple, en faveur de celui « qui
demeure à l'abri du Très-Haut » (v. 1). La deuxième tentation
se passant effectivement au Temple, on pourrait s'attendre Ã
ce que le récit insiste sur cette circonstance. Ce n'est pas le
cas. La question se pose alors de savoir si le psaume cité n'a
pas été invoqué en vertu d'une association d'images : la protec-
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tion angélique dont il parle n'est pas sans analogie avec celle
dont Israël a joui au cours de l'Exode: «Voici que j'envoie
mon ange devant toi, afin qu'il te garde en chemin et t'intro-
duise dans le pays que j'ai préparé pour toi» (Ex 23,20; cfr
14,19; 23,23; 32,34; 33,2). Le présupposé serait alors que
Jésus, en sa qualité de Fils de Dieu, pourrait compter sur la
providence toute particulière qui a été promise à Israël lors
de l'Exode40.
39. Voir notre étude sur L'interprétation des psaumes dans les Actes des Apôtres,
dans Le Psautier. Ses origines, ses problèmes littéraires, son influence. Études présentées
aux XIIe* Journées Bibliques de Louvain (29-31 août i96o) (Orientalia et Biblica
Lovaniensia, IV), Louvain, 1962, pp. 357-388; reproduite dans nos Études sur les
Actes des Apôtres (Lectio divina, 45), Paris, 1967, pp. 283-307.
40. Ayant observé que « la seconde tentation est mise par Matthieu en rapport
avec la tentation de Massah (Dt 6,16; Ex 17,1) », J. Daniélou (Sacramentum futuri,
pp. 136 s.) estime que le Ps 91,10-13 « semble bien se rapporter au même épisode de
l'Exode, si nous le rapprochons du chapitre du Deutéronome auquel faisait allusion
la précédente tentation » (Dt 8,15-16); il conclut: «Ainsi la pierre du Psaume est le
32
LE RÉCIT DE MATTHIEU
On pourrait penser aussi à une autre association. Les mots
importants dans la citation biblique sont, dans la situation
où se trouve Jésus : « ils te porteront sur leurs mains ». Le
même verbe, nâsâ', se trouve dans le texte hébreu de Dt 1,31 :
« Yahvé votre Dieu qui marche devant vous combattra lui-
même pour vous, selon tout ce qu'il a fait pour vous en Égypte
ainsi que dans le désert, où tu as vu que Yahvé ton Dieu t'a
porté, comme un homme porte son fils, dans tout le chemin
où vous avez marché jusqu'à ce que vous soyez arrivés en ce
lieu-ci » (1,30-31)41. La protection que le psaume attribue aux
anges est celle que, d'après le Deutéronome, le Seigneur lui-
même accorde à Israël, comme un père à son fils. Par ce biais
encore, Jésus se voit appliquer une parole qui concernait
d'abord Israël lors de son séjour dans le désert.
Il est de nouveau question du ministère des anges dans la
finale du récit : « Alors le diable le laisse, et voici que des anges
s'avancèrent, et ils le servaient » (Mt 4,11). Cette conclusion
porte la marque rédactionnelle de l'évangéliste42. Elle se pré-
sente comme le développement d'un trait de la notice de
Mc 1,13: «Il était avec les bêtes, et les anges le servaient.»
Quel que soit le sens à attribuer à cette notice énigmatique43,
rocher de l'Exode, qui peut être cause de chute et 'petra scandait' (Rom 9,33), ou
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au contraire, source de vie. » Voir aussi W. D. Davies, The Setting of the Sermon on
the Mount, p. 48, n. 1. Il nous paraît fort arbitraire de chercher dans le psaume une
allusion ou un souvenir de l'épisode de Massa; encore plus d'assimiler la pierre dont
parle le v. 12 du psaume au rocher duquel Moïse fit jaillir de l'eau.
41. Le verbe nâéâ', « soulever », « soutenir », « porter » est rendu dans la LXX
par xpocpocpopéoj, « porter de la nourriture », « nourrir ». Le Targ. Jér. I emploie sâbdr,
« prendre soin »: <... et au désert, où vous avez vu des serpents brûlants remplis de
venin mortel: le Seigneur ton Dieu a pris soin de toi dans les nuées de gloire de sa
Shékina, comme un homme prend soin de son fils... »
42. t6tb se trouve 90 fois chez Mt, 6 fois chez Mc, 15 fois chez Lc (cfr J. C. Haw-
kins, Horae Synopticae. Contributions to the Study of the Synoptic Problem, 2e éd.,
Oxford, 1909, p. 8). dcpbim est moins caractéristique: 47 fois chez Mt, 34 fois chez Mc,
31 fois chez Lc; pour se rendre compte de la manière de faire de Mt voir 22,22 et
26,44. xal Hoô se rencontre 28 fois chez Mt, jamais chez Mc, 20 fois chez Lc. npooipoxiuti
est employé 53 fois par Mt, 6 fois par Mc, 11 fois par Lc (Hawkins, p. 7).
43. Principales études récentes: A. Feuillet, L'épisode de la Tentation d'après
l'Évangile selon saint Marc (1,12-13), dans Estudios Biblicos, 19 (1960), 49-73;
U. W. Mauser, Christ in the Wilderness. The Wilderness Thème in the Second Gospel
and its Basis in the Biblical Tradition (Studies in Biblical Theology, 39), Londres,
1963; M. Brândle, Die Versuchung Jesu, dans Der grosse Entschluss, 19 (1963-64),
245-248 et 295-297; E. Best, The Temptation and the Passion: The Markan Soteriology
(Soc. for N. T. Studies, Monograph Series, 2), Cambridge, 1965; E. Fascher, Jesus
und die Tiere, Theol. Literaturzeitung, 90 (1965), 561-570.
AUTRES TRAITS BIBLIQUES
33
il est difficile de penser que, dans le contexte du récit de
Matthieu, la mention du ministère des anges puisse s'entendre
indépendamment de la citation du Ps 91 quelques lignes plus
haut. Le secours divin promis au Fils de Dieu par l'oracle
psalmique est effectivement accordé à Jésus, les anges sont
mis à son service.
On ne saurait oublier cependant que le service réclamé par
la situation dans laquelle Jésus se trouve n'est pas précisément
celui dont il est question dans le psaume : éviter que son pied
ne heurte une pierre. Ce secours était celui que le pieux Israélite
pouvait attendre des anges envoyés par Dieu « pour le garder
en toutes ses voies »; mais Matthieu a justement supprimé ce
demi verset du psaume. Contrairement à Lc 44, il n'évoque pas
un cheminement de Jésus à travers le désert. Dans la perspec-
tive de son récit, il semble indiqué de mettre le service des
anges en relation avec la faim de Jésus qui a été mentionnée
au début de l'épisode et a fourni l'occasion de la première
tentation. Le « service » à lui rendre à ce moment était de lui
procurer la nourriture nécessaire pour apaiser sa faim. Tel est,
en effet, le sens normal du verbe Siaxovéw employé ici 45.
Ce genre de service rendu à Jésus par les anges peut faire
penser à une autre scène : l'ange apportant à Élie la nourriture
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qui lui donnera la force de marcher quarante jours et quarante
nuits jusqu'Ã la montagne de Dieu (1 R 19,5-8). Aucun rap-
prochement précis n'indique cependant l'intention de rappeler
cet épisode. Mieux vaut donc se contenter de voir dans le trait
final du récit de Matthieu un rappel du texte du psaume qui
a été cité par le diable; c'est aussi une confirmation du fait
que ce texte concernait bien Jésus, le Fils de Dieu.
44. « Et il était conduit par l'Esprit dans le désert, (où) pendant quarante jours
(il fut) tenté par le diable » (Lc 4,1-2).
45. Ce verbe évoque d'abord l'assistance qu'on prête à quelqu'un en le servant
à table: cfr Mt 8,15; Lc 10,40; 12,37; 17,8; 22,26-27. Dans la parabole du festin,
le roi envoie ses 8oOXo1 appeler les invités (Mt 22,3.4.6.8.10) ; une fois le repas com-
mencé, les serviteurs ne sont plus appelés 8oûXot mais 8iixovoi (22,13). Le verbe se
prend aussi à propos de différents services personnels. Ainsi, dans la description du
jugement dernier, le souverain Juge déclare aux réprouvés : « J'ai eu faim, et vous
ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire;
j'ai été sans gîte, et vous ne m'avez pas recueilli; nu, et vous ne m'avez pas vêtu;
malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité » (Mt 25,42-43). Ceux à qui s'adressent
ces reproches s'étonnent : « Quand t'avons-nous vu ayant faim ou soif, ou sans gîte,
Les tentations... 3
34
LE RÉCIT DE MATTHIEU
CONCLUSION
L'histoire des tentations de Jésus au désert est profondément
enracinée dans l'Ancien Testament. C'est en la considérant
dans ses attaches bibliques qu'on peut aborder sous le meilleur
éclairage les problèmes littéraires, historiques et théologiques
soulevés par le récit évangélique.
i. Parmi les questions littéraires, on rencontre d'abord celle
de l'unité de ce récit: répond-il à une conception homogène,
ou n'est-il que le résultat d'un assemblage de pièces dispa-
rates46? L'examen de ce qu'il doit au Deutéronome, spéciale-
ment aux passages d'où sont tirées les citations attribuées Ã
Jésus, montre que nous avons affaire à une pièce très réfléchie,
traduisant d'un bout à l'autre l'idée que, dans le désert, Jésus
a refait d'une certaine manière l'expérience du peuple élu lors
de l'Exode. De cette expérience trois moments essentiels ont
été retenus, ceux dont Dt 6-8 dégageait la leçon qui sert d'arme
à Jésus contre le Tentateur. Citées dans l'ordre inverse de celui
que leur donne le Deutéronome, les trois tentations d'Israël
retrouvent du même coup l'ordre qui correspond au déroule-
ment des événements lors de l'Exode. On ne saurait nier que
ce morceau a été construit avec soin; ses trois étapes forment
une unité solide.
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Une autre question littéraire est celle du rapport à établir
entre la version de Mt et ses parallèles synoptiques ; ici encore,
ou nu, ou malade et en prison, et ne t'avons-nous pas servi ? » (v. 44). Ce texte donne
une bonne énumération des différents « services » qu'on peut rendre à quelqu'un.
Dans le cas présent, puisque Jésus souffre de la faim, le service à lui rendre est de
lui donner à manger. Cfr H. W. Beyer, art. 8iotxovéto, Theol. Wôrterb. zum N. T.,
II (1935) 81-93; R- Schnackenburg, Der Sinn der Versuchung, pp. 302 et 321;
E. Best, The Temptation and the Passion, p. 9.
46. C'est ainsi que d'après plusieurs auteurs, la troisième tentation n'aurait pas
la même origine que les deux autres: R. Bultmann, Die Geschichte der syn. Trad.,
pp. 270-275; S. Hirsch, Taufe, Versuchung und Verklârung Jesu, Berlin, 1932,
p. 23; E. Lohmeyer, Zeitschr. fur System. Theol., 1937, pp. 619-650; F. Hahn,
Christologische Hoheitstitel. Ihre Geschichte im friihen Christentum (Forschungen zur
Rel. und Lit. des A. und N. T., 83), Gœttingue, 1963, pp. 175 s. et 303. D'après
E. Percy, c'est la deuxième tentation qui aurait une origine différente de celle des
autres: Die Botschaft Jesu. Eine traditionskritische und exegetische Untersuchung
(Lunds Univ. Aorsskrift, N. F. 1, T. 49, 5), Lund, 1953, pp. 13-18. Suivant J. Jere-
mias {Die Gleichnisse Jesu, 6e éd., Gœttingue, 1962, p. 123), les trois tentations sont
autant de variantes d'une donnée primitive.
CONCLUSION
35
la considération du substrat biblique peut jouer un rôle impor-
tant. Entre Mt et Lc les ressemblances sont telles qu'il faut
supposer l'utilisation d'une même source. On constate cepen-
dant une divergence majeure, affectant l'ordonnance du récit:
la deuxième tentation chez Mt devient la troisième chez Lc,
la deuxième chez Lc devient la troisième chez Mt. L'ordon-
nance de Mt a l'avantage de correspondre à celle des événements
de l'Exode; on peut donc se demander si Lc n'a pas modifié
l'ordre primitif pour des raisons qui lui sont particulières4'.
Parmi les divergences mineures, on peut noter que, dans la
première tentation, Mt cite plus de texte sacré que Lc, et que,
dans la deuxième, Lc en cite plus que Mt. Il est possible que
les évangélistes aient voulu compléter leur citation ; mais cette
hypothèse suppose deux recours au texte biblique: un premier
de la part de la tradition antérieure, un second de la part des
évangélistes. Une explication plus simple doit être préférée:
dans les deux cas, la citation longue remonte à la source, la
citation courte a été écourtée.
La relation à établir entre le récit des tentations transmis
par Mt et Lc et la brève notice de Mc 1,12-13 soulève un pro-
blème fort complexe; on ne peut guère espérer y voir clair
avant d'avoir donné une interprétation satisfaisante du texte
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de Mc48. Faut-il considérer ce texte comme le point de départ
d'une tradition qui est parvenue à Mt et à Lc sous une forme
beaucoup plus développée, ou bien, au contraire, n'y voir que
47. Voir ci-dessous notre étude sur le récit de Lc. Il ne paraît pas nécessaire de
s'attarder à discuter l'hypothèse de H. Swanston, qui veut expliquer l'ordonnance
de Lc à partir du Ps 106: The Lukan Temptation Narrative, Journ. of Theol. St.,
N. S. 17 (1966), p. 71.
48. En commençant par observer que ce texte porte l'empreinte du style de Mc:
cfr M. Zerwick, Untersuchungen zum Markus-Stil. Ein Beitrag zur stilistischen
Durcharbeitung des Neuen Testaments (Scripta Pont. Inst. Bibl.), Rome, 1937, pp. 76-
81. L'introduction du récit long, chez Mt (4,1) et chez Lc (4,i-2a), donne l'impression
de dépendre de la notice de Mc (1,i2-i3a). On remarquera que, chez Mc, l'Esprit
«pousse » (ou «chasse »: ix3iXXsi) Jésus dans le désert, tandis que, chez Lc, Jésus
y est «conduit » (îiysto) par l'Esprit. Avec M. Sabbe {art. cit., p. 461), il faut noter
que le verbe employé par Mc pourrait n'être qu'un nouvel exemple du goût de cet
évangéliste pour les expressions colorées, pittoresques et facilement excessives (il
ne faut cependant pas exagérer la force de ce verbe dans le grec hellénistique: cfr
C. K. Barrett, The Holy Spirit, p. 47; E. Haenchen, Der Weg Jesu. Eine Erklârung
des Markus-Evangeliums und der kanonischen Parallelen (Sammlung Tôpelmann, II,
6), Berlin, 1966, pp. 63s.), alors que le verbe employé par Lc se trouve justement
être celui du Deutéronome (Mt écrit ivfa$n ■manifestement secondaire).
36
LE RÉCIT DE MATTHIEU
le résidu d'une tradition plus étoffée qui nous a été mieux
conservée par Mt et par Lc? Sans vouloir trancher ici ces ques-
tions, contentons-nous de remarquer que la solution dépend
en partie de la manière dont on estime devoir accepter ou
refuser l'existence d'un rapport entre la notice de Mc et le
Deutéronome (surtout Dt 8,14-15; cfr Ps 91,11-13). Même ici,
la question de l'arrière-fond biblique reste essentielle.
2. La question historique soulevée par ce récit est celle de
son origine. Dans l'état où il nous parvient, il s'appuie sur la
version grecque des LXX; il n'a reçu sa forme que chez des
chrétiens parlant le grec. Il reste cependant étroitement soli-
daire d'une mentalité juive, et il témoigne d'une manière d'uti-
liser la Bible qu'on ne conçoit que dans des milieux judéo-
chrétiens. Ses attaches immédiates devraient donc être cher-
chées dans la catéchèse49 de l'Église judéo-hellénistique.
N'est-il pas possible de remonter plus haut? Commençons
par observer qu'il ne saurait être question de chercher dans ce
récit des faits historiques au sens courant du mot: des faits
qui auraient été enregistrés par des témoins, ou qui auraient
été enregistrables. L'épisode des tentations de Jésus ne se
donne pas pour le récit d'un témoin oculaire, et il ne peut être
traité comme s'il s'agissait d'un récit de ce genre. Il ne se
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donne même pas comme la transmission d'une relation que Jésus
aurait faite lui-même à ses disciples: dans ce cas, nous pour-
rions du moins atteindre le récit de Jésus. Il y a de bonnes
49. La détermination du Sitz im Leben est solidaire de l'interprétation de la
péricope. Bultmann (op. cit., pp. 272 s.) y soupçonne un morceau de polémique ou
d'apologétique: une prise de position, dans le style de la discussion rabbinique, sur
la question de savoir quel est le miracle authentique; cette prise de position peut
viser soit des adversaires de l'Église qui feraient de Jésus un vulgaire magicien
(G. P. Wetter, W. Bousset, S. Eitrem), soit des chrétiens qui accorderaient une
estime excessive aux miracles, avec le vain désir d'en produire (A. Fridrichsen).
Nous pensons qu'il s'agit plutôt d'un morceau essentiellement messianique, dont il
faut chercher les attaches dans une catéchèse qui se préoccupe de définir le véritable
caractère messianique de Jésus, tout en l'opposant au messianisme terrestre et poli-
tique courant dans le judaïsme. Bonnes remarques à ce propos chez J. Wkiss, Die
Schriften des Neuen Testaments, I, GÅ“ttingue, 1906, p. 228. Ces explications ne
doivent pas empêcher de donner son importance à un trait comme la mention du
jeûne (vtiotïûooç) dans la version de Mt : caractérisant une pratique de la vie religieuse
des premiers chrétiens (cfr Mt 9,15 par; Act 13,2s.; 14,23), ce verbe suggère le carac-
tère exemplaire de l'épisode. Jésus apparaît ainsi comme le modèle que les chrétiens
doivent imiter dans la lutte qu'ils ont à soutenir, à leur tour, contre le Tentateur.
CONCLUSION
37
raisons de penser qu'un récit de cette nature constitue effective-
ment le point de départ de la péricope50 ; mais la tradition ne
nous en dit rien. Ce n'est pas par la voie du témoignage que
nous pourrons remonter jusqu'à l'événement. Force nous est
de procéder d'une manière indirecte. Nous décomposerions
cette approche en formulant trois questions :
(a) Jésus, durant son existence terrestre, a-t-il connu la
tentation? L'Évangile permet de répondre assez facilement Ã
cette question: oui, Jésus a connu la tentation; il l'a même
rencontrée sous des formes qui rappellent d'assez près l'histoire
des tentations au désert. Quand Pierre veut le détourner de la
Passion, Jésus lui fait la même réponse qu'au diable dans la
troisième tentation: «Arrière, Satan! » (Mc 8,33; Mt 16,23)51.
50. Voir à ce sujet l'excellent jugement de J. Weiss, op. cit., p. 231; également
M. Albertz, Die synoptischen Streitgesprâche. Ein Beitrag zum Formengeschichte des
Urchristentums, Berlin, 1921, p. 48, suivi par V. Taylor, The Life and Ministry of
Jesus, Londres, 1954, p. 52 ; bonnes remarques encore chez T. W. Manson, The
Sayings of Jesus, Londres, 1949, pp. 45 s.; The Servant-Messiah. A Study of the
Public Ministry of Jesus, Cambridge, 1953, p. 55; R. H. Fuller, The Mission and
Achievement of Jesus. An Examination of the Presuppositions of New Testament
Theology (Studies in Biblical Theology, 12), Londres, 1956, p. 84. J. Jeremias écrit
(Les Paraboles de Jésus, Le Puy-Lyon, 1966, pp. 126 s.) : « Que ce soit la tentation
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au désert, celle sur le pinacle du Temple ou celle sur la montagne, chacune d'elles
raconte comment Jésus a triomphé de la tentation d'une fausse espérance messianique.
Cette tentation a sa place avant la Passion: dans l'Église primitive en effet, la tenta-
tion politique n'a plus eu d'importance et on ne peut attribuer le noyau de cette
histoire à l'imagination poétique de la première communauté. Mais, connaissant
Lc 22,31 s. où Jésus parle à ses apôtres d'un combat contre 'le Satan', il est possible
de penser que ce sont les paroles de Jésus lui-même qui sont à la base des différentes
versions du récit de la tentation ; il peut avoir raconté à ses disciples, sous forme de
mashal, comment il a triomphé de la tentation de se présenter en messie politique,
voulant peut-être les mettre en garde sur ce point. » Ce mashal primitif aurait une
parenté profonde avec le logion conservé en Mc 3,27.
51. Lc n'a pas cette réponse dans l'histoire des tentations, mais elle ne serait
évidemment pas en situation dans son récit: chez lui, Jésus ne peut pas encore ren-
voyer le diable, alors qu'on n'en est qu'à la deuxième tentation. Dans l'épisode de
Césarée, il omet non seulement la réponse de Jésus à Pierre, mais l'intervention même
de Pierre : il préfère taire ces données peu honorables pour le prince des apôtres. Les
scrupules de ce genre sont habituels chez cet évangéliste. Chez Mt, un parallélisme
étroit unit l'apostrophe de 16,23 au macarisme de 16,17. Ce parallélisme résulte du
fait que les sentences ont la même place dans deux péricopes construites sur le même
modèle (16,13-20 et 21-23), du fait qu'elles constituent deux déclarations antithé-
tiques (« Ce n'est pas la chair et le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est
dans les cieux » - « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes »),
du fait enfin que ce sont deux jeux de mots sur le terme « pierre » (« pierre » fonda-
mentale de l'Église, Simon-Pierre est une «pierre » d'achoppement pour Jésus). Cette
connexion littéraire établie par Mt oblige à éclairer les deux sentences l'une par
l'autre. Chez Mc, il n'y a pas de parallélisme antithétique, puisqu'on n'y trouve pas
la première déclaration de Jésus à Pierre. Cfr L. Vaganay, Le Problème synoptique.
Une hypothèse de travail (Bibl. de Théol., III/i), Paris-Tournai, 1954, p. 170.
3«
LE RÉCIT DE MATTHIEU
Comme le diable, Pierre proposait à Jésus une conception toute
terrestre de sa royauté messianique. Lors de la crucifixion, les
paroles des passants invitant Jésus à descendre de la croix
(Mt 27,40) ont une certaine analogie avec les suggestions du
diable dans la deuxième tentation52. La foi chrétienne pense
que le Fils de Dieu n'a pas connu le péché ; elle pense également
qu'il n'a pas été à l'abri de l'expérience de la tentation, com-
mune à tous les hommes (cfr Hebr 4,15).
(b) Jésus a-t-il été plus précisément tenté au moment où
il allait commencer son ministère? Le moins qu'on puisse dire
est que le fait serait conforme aux lois les plus ordinaires de
la psychologie. Ayant vécu jusque là dans l'obscurité de Naza-
reth, Jésus est venu recevoir le baptême de Jean. Avant de
devenir lui-même prédicateur, il se retire dans le désert. Il est
tout de même normal qu'il réfléchisse à la mission qu'il va
entreprendre, se précise l'esprit dans lequel il va la mener,
rejette des modalités qu'il considère comme non conformes Ã
la volonté divine. Tout cela est parfaitement en situation53.
(c) A-t-il été, à cette occasion, tenté par le diable? Nous
venons de transposer la tentation dans le langage psycholo-
gique des modernes; du coup, toute difficulté s'évanouit. Nos
52. Voir aussi les passages où les Pharisiens demandent un signe à Jésus: Mt
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12,38, et surtout i6,i, où cette demande est présentée par l'évangéliste comme une
« tentation ». Jésus leur refuse ce signe et les renvoie au « signe de Jonas », interprété
par Mt comme se référant au miracle de la résurrection. Jésus fera sans doute beau-
coup de miracles, mais ce seront des gestes de bonté envers ceux qui croient déjÃ
en lui. Il ne veut ni satisfaire la vaine curiosité de gens avides de merveilleux, ni
acquiescer aux exigences d'hommes endurcis qui ne veulent se rendre que sur des
preuves évidentes. La foi qu'il veut éveiller ne peut naître que dans des cœurs bien
disposés.
53. «Si la tradition ne parlait pas de cette retraite au désert, on devrait presque
la supposer... Un temps de réflexion et de préparation était indispensable entre la
vie du charpentier et la manifestation du prédicateur évangélique. La vocation mes-
sianique de Jésus peut bien s'être affirmée à l'occasion de son baptême; mais pour
suivre cette vocation, il fallait d'abord en peser les conditions; l'Esprit qui a fait
de Jésus le Christ ne pouvait manquer de le conduire au désert; et Jésus au désert
devait être tenté par le démon, tourmenté entre des pensées contraires, d'une part
l'idéal de piété simple dont son âme avait vécu jusqu'alors, et l'élément spirituel du
messianisme israélite, d'autre part les imaginations courantes, les idées de triomphe
terrestre. La solution du conflit est le programme que Jésus a voulu suivre et qui
s'est affirmé, devant les mêmes tentations, pendant toute la durée de son ministère...
L'explication purement mythique de la tentation est donc à écarter comme inutile
et invraisemblable » (A. Loisy, Les évangiles synoptiques, I, Ceffonds, 1907, p. 427).
CONCLUSION
39
pauvres connaissances psychologiques ont en quelque sorte
éliminé le diable; il n'y a plus de place pour lui. Un conflit
psychologique, cela se comprend de soi-même; un conflit avec
le diable, on ne saisit plus. Pour entendre le récit des tentations
de Jésus dans l'esprit où il est écrit, il faut se donner la peine
de se dégager des catégories psychologiques dans lesquelles
nous coulons notre pensée, et tâcher de rentrer dans les caté-
gories plus « réalistes », plus théologiques si l'on veut, qui
étaient celles du christianisme naissant. Il devient clair alors
que toute suggestion mauvaise ne peut venir que du diable.
Reconnaissons-le pour finir, ces considérations ne visent Ã
préciser que le fait de la tentation, non la manière. La manière
est évidemment présentée d'une façon très anthropomorphique,
qui tient au cadre imaginatif du récit, et dont le merveilleux
ne veut pas être pris au pied de la lettre54.
3. Cette page évangélique est avant tout un document
théologique. Elle a été composée et transmise moins pour nous
renseigner sur un épisode de la vie de Jésus que pour nous faire
comprendre la manière dont il a envisagé son rôle de Fils de
Dieu.
Les exégètes ne sont pas tous d'accord sur la signification
de cette histoire. Bultmann, par exemple, insiste vivement
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sur l'idée que ni les deux premières tentations ni la troisième
ne sont spécifiquement messianiques; il s'agit de tentations
que n'importe quel croyant peut rencontrer. Le récit des tenta-
tions montrerait simplement qu'aux yeux de la communauté
chrétienne l'attitude de soumission à l'égard de la volonté de
Dieu est une caractéristique du Messie, qui se vérifie tout
particulièrement dans la question des miracles 55. La seule chose
54. Entre une interprétation purement mythique et une interprétation grossière-
ment littérale, il y a donc place pour une explication qui admet la réalité d'un fait
vécu par Jésus, tout en reconnaissant le caractère relatif, on peut dire « légendaire »,
de sa présentation. Voir en ce sens les bonnes remarques de J. Schmid, Das EvangeUum
nach Matthâus (Regensburger N. T., 1), 3e éd., Ratisbonne, 1956, pp. 67 s.
55. Cfr R. Bultmann, Die Geschichte der syn. Trad., pp. 272-274. Les explications
de Bultmann paraissent avoir été influencées plus que de raison par celles de
A. Schlatter ; E. Percy {op. cit., pp. 14-16) a suivi Bultmann dans son refus d'attribuer
une signification messianique aux trois tentations; de même G. Bornkamm, Ender-
wartung und Kirche in Matthâusevangelium, dans G. Bornkamm, G. Barth, H. J.
40
LE RÉCIT DE MATTHIEU
qui importe aux chrétiens n'est pas de faire des miracles, mais
d'obéir à Dieu.
Des interprétations de ce genre ne sont possibles que parce
qu'on méconnaît les bases scripturaires du récit. Les tentations
dont Jésus triomphe renouvellent celles auxquelles Israël a
succombé lors de la traversée du désert et de l'entrée dans la
Terre promise. Cette constatation s'inscrit dans une théologie
de la plénitude des temps; Jésus y apparaît comme celui en
qui la destinée d'Israël trouve son accomplissement. La per-
spective n'est pas simplement celle d'une catéchèse morale,
apprenant aux croyants comment ils doivent vaincre les tenta-
tions en se montrant soumis à la volonté de Dieu. Celui qui
refait pour son compte les grandes expériences du peuple élu
n'est pas seulement un homme exemplairement obéissant; il
subit l'épreuve en sa qualité de Fils de Dieu, proclamé tel par
la voix céleste au moment de son baptême. Il n'est pas non
plus n'importe qui celui que vise l'oracle du Ps 91, et qui
apparaît semblable à Moïse, plus grand que Moïse. Toute cette
concentration de textes autour de la personne de Jésus, Fils
de Dieu, n'a de sens que pour autant qu'on veuille montrer en
lui le Messie, point d'aboutissement de l'histoire du salut,
centre des Écritures56.
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Held, (Jberlieferung und AusUgung im Matthâus-Evangelium (Wiss. Monogr. zum
A. und N. T., i), Neukirchen, i960, pp. 13-47 (34, n. 2). Bultmann est cependant
revenu à un point de vue plus sage dans sa Theologie des Neuen Testaments (Neue
theol. Grundgrisse), Tubingue, 1953, p. 27, où il déclare que l'histoire de la Tentation
« est une réflexion sur le caractère de la messianité de Jésus, ou sur le caractère de
la foi messianique chrétienne ». Une interprétation messianique a été proposée avec
vigueur par H. Riesenfeld, Le caractère messianique de la tentation au désert, dans
La Venue du Messie. Messianisme et Eschatologie (Recherches Bibliques, VI), Bruges,
1962, pp. 51-63. Voir aussi J. Weiss, op. cit., p. 228; T. W. Manson, The Teaching
of Jesus. Studies of its Form and Content, 2e éd., Cambridge, 1935, p. 196; The
Sayings of Jesus, pp. 44 s. ; J. Schniewind, Dos Evangelium nach Matthâus (Das
N. T. Deutsch, 2), 5° éd., Gcettingue, 1950, pp. 29-32; C K. Barrett, The Holy
Spirit, pp. 46-53; J. Jeremias, Die Gleichnisse Jesu, p. 123; Jesu Verheissung fur
die Vôlher, Stuttgart, 1956, p. 37.
56. Signalons pour mémoire une interprétation qui s'engage dans une direction
fort différente: iLe récit de la tentation et de la chute d'Adam et d'Ève se voit
repris avec ses éléments principaux dans celui de la tentation victorieusement sou-
tenue par le Nouvel Adam. Au Paradis terrestre s'oppose le désert; à l'arbre aux
fruits défendus, la suggestion des pains. A la promesse d'immortalité faite par le
Serpent, correspond l'invulnérabilité promise par le Diable à Jésus sur le pinacle du
Temple ; à l'assurance d'être 'comme des dieux' répond l'offre de la toute-puissance
CONCLUSION
41
De cette figure du Messie, l'histoire des tentations veut mon-
trer l'image authentique, en l'opposant aux conceptions popu-
laires d'un Messie temporel et politique 57 : conceptions qui sont
précisément celles de Satan, et que Jésus rejette comme diabo-
liques B8. Il ne saurait accepter ces conceptions sans se mettre
au service de Satan. C'est Dieu seul qu'il entend servir, faisant
siens les enseignements que le Deutéronome tire des tentations
d'Israël: l'homme ne vit pas seulement de pain, il n'a pas le
droit de tenter Dieu, il ne peut pas, pour se rendre maître des
nations, adorer leurs dieux et la puissance satanique dont ils
sont le paravent. Il est bien le Fils de Dieu, mais d'une manière
infiniment supérieure et plus profonde que celle que Satan lui
propose.
L'histoire des tentations complète celle du baptême en mon-
trant en quel sens le titre de Fils de Dieu revient à Jésus : non
pas dans le sens d'un messianisme temporel conforme aux
sur le Monde entier. Aux trois phases de la tentation de l'Éden - concupiscence de
la chair par l'attrait du fruit défendu, concupiscence des yeux par l'ambition illimitée,
et orgueil de la vie par la volonté pécheresse d'indépendance totale vis-à -vis de
Dieu, - se substituent les trois phases de la Tentation au Désert: désir de la nourri-
ture charnelle, suggestion de possessions terrestres, invite à la confiance orgueilleuse
en soi » (C. Charlier, Les tentations de Jésus au désert, Bible et Vie chrétienne, n° 5,
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I954> pp- 85-92: 89). Est-il nécessaire de souligner que le récit évangélique renvoie
le lecteur, non pas à la tentation d'Adam en Éden, mais à celles d'Israël dans le
désert? Faut-il insister aussi sur le fait que l'appel au thème des trois concupiscences
(cfr 1 Jn 2,16) ne peut guère éclairer le lecteur sur le sens que les évangélistes attri-
buaient à l'épisode des tentations de Jésus?
57. R. Bultmann (Die Geschichte der syn. Trad., pp. 275 et 331), suivi notamment
par F. Hahn {Christologische Hoheitstitel, p. 175), croit trouver dans l'idée d'un
« Fils de Dieu » thaumaturge la preuve évidente que le récit des tentations a subi
l'influence des conceptions du paganisme hellénistique; la conception messianique
juive concernant le Fils de Dieu ignore complètement l'idée d'un Messie faiseur de
miracles. On peut opposer à ces explications ce simple fait : le personnage de Theudas,
auquel il est fait allusion en Act 5,36, et sur lequel Josèphe donne quelques précisions
(Ant. XX,5,1 s.). On ne nous dit pas qu'il se faisait passer pour le Messie; d'après
Josèphe, il se présentait comme « prophète ». Il entraîna une grande foule jusqu'au
Jourdain en annonçant qu'il allait en diviser les eaux (comme au temps de Josué).
Il semble obvie de rattacher ce personnage à la fermentation messianique de l'époque ;
c'est ce que font d'ailleurs les Actes, et le cas illustre fort bien l'avertissement de
Mt 24,26. La vérité est qu'on attendait du Messie qu'il se manifestât et fît la preuve
de sa mission divine par un prodige éclatant ; c'est le sens naturel de passages comme
Mt 12,38 s. par; 16,1 par. Inutile de faire appel ici au paganisme hellénistique.
58. Alors même qu'elles lui seraient présentées par Pierre : Mt 16,22-23. Comment
ne pas se souvenir ici des pages prestigieuses du « Grand Inquisiteur », dans Les
Frères Karamazov, où Dostoievsky fait une sorte d'exégèse « prophétique » de la
péricope qui nous occupe ? Les tentations dont Jésus a triomphé restent celles de son
Église: mettre les valeurs religieuses au service de réalisations temporelles et poli-
tiques.
42
LE RÉCIT DE MATTHIEU
aspirations de ses contemporains, qui se présente à lui comme
une tentation satanique, mais dans la fidélité à la mission que
Dieu lui a confiée et l'obéissance à sa parole. Cette page nous
apparaît ainsi comme un des sommets théologiques de l'Évan-
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gile, un condensé du messianisme chrétien.
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II
LE RÉCIT DE LUC
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Après avoir été baptisé par Jean dans le Jourdain, Jésus se
retira dans le désert pour y subir les assauts du diable. Cet
épisode nous est rapporté sous deux formes très différentes : la
brève notice de Mc 1,12-13, le récit détaillé dont Mt 4,1-11,
et Lc 4,1-13 ne sont que deux variantes. Il est naturel que
l'attention des exégètes1 s'attache aux deux formes fondamen-
tales de la relation, celle de Marc et celle de la source commune
à Matthieu et Luc, et qu'ils portent un moindre intérêt aux
particularités rédactionnelles de Matthieu, surtout de Luc. Ils
s'interrogent sur le rapport à établir entre la notice brève et le
récit développé: Marc ne donne-t-il qu'un résumé, ou bien
représente-t-il une tradition plus ancienne dont l'autre ne
serait qu'une amplification? Ils s'interrogent aussi sur la signi-
fication de l'épisode dans la relation courte et dans la relation
I. Pour l'histoire de l'exégèse de cette péricope, il faut se reporter à P. Ketter,
Die Versuchung Jesu nach dem Berichie der Synoptiker (Ntl. Abh., VI, 3), Munster
Westph., 1918, pp. 87-100 (surtout pour la période patristique) ; E. Fascher, Jesus
und der Satan. Eine Studie zur Auslegung der Versuchungsgeschichte (Hallische Mono-
graphien, 11), Halle, 1949, pp. 7-29 (période moderne); A. Dondorp, De verzoekingen
van Jezus Christus in de woestijn (Vrije Universiteit te Amsterdam, Diss.), Kampen,
I951, pp- 44-79 (renvois abondants à des auteurs souvent secondaires). Études
récentes: R. Schnackenburg, Der Sinn der Versuchung Jesu bei den Synoptikern,
Theol. Quartalschrift, 132 (1952), 297-326; C. Charlier, Les tentations de Jésus au
désert, Bible et Vie chrétienne, n° 5 (1954), 85-92; M. Sabbe, De tentatione Jesu in
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deserto, Collationes Brugenses, 50 (1954), 459-465 ; H. Seesemann, Die Versuchungen
Jesu, Theol. Wôrterb. zum N. T., t. VI, fasc 1 (1954), pp. 33-37; J. Dupont, L'arrière-
fond biblique du récit des tentations de Jésus, New Testament Studies, 3 (1956-57), 287-
304; A. Feuillet, Le récit lucanien de la tentation (Lc 4,1-13), Biblica, 40 (1959),
613-621; P. Doble, The Temptations, Exp. Times, 72 (1959-60), 91-93; A. Feuillet,
L'épisode de la Tentation d'après l'Évangile selon saint Marc, Estudios Biblicos, 19
(1960), 49-73; A. B. Taylor, Decision in the Desert. The Temptation of Jesus in the
Light of Deuteronomy, Interpretation, 14 (1960), 300-309; G. H. P. Thompson,
Called - Proved - Obedient: A Study in the Baptism and Temptation Narratives of
Matthew and Luke, Journ. of Theol. St., N. S. 11 (1960), 1-12; B. van Iersel, Jezus
bekoord, Het Heilig Land, N. S. 14 (1961), 65-72; Id., Die Versuchungsgeschichte,
Mt 4,1-11 par., dans iDer Sohn* in den synoptischen Jesusworten: Christus bezeich-
nung der Gemeinde oder Selbstbezeichnung Jesu ? Leyde, 1961, pp. 165-171.
46
LE RÉCIT DE LUC
longue, en particulier sur sa portée messianique. Mais le point
de vue plus personnel des évangélistes, tel qu'il ressort du
contexte général de leur évangile ou des retouches pratiquées
dans le récit, mérite, lui aussi, qu'on s'y arrête. A cet égard,
Luc est particulièrement instructif. La comparaison avec le
passage parallèle de Matthieu permet d'établir avec une grande
probabilité les remaniements assez nombreux dus à l'évangé-
liste; reste à les interpréter en déterminant l'orientation de la
pensée à laquelle ils correspondent.
Une étude récente de M. l'abbé Feuillet2 pose excellemment
la question et prépare la réponse par une série d'indications
suggestives. Nous situons notre travail dans son prolongement,
cherchant simplement à serrer le problème de plus près, par
un examen plus rigoureux des traits qui sont propres à la
rédaction de Luc.
M. Feuillet consacre la première partie de son article à établir
l'ordre primitif des tentations3. Matthieu et Luc en effet,
d'accord sur le contenu des trois tentations, les présentent dans
un ordre différent : Matthieu parle d'abord de la tentation sur
le pinacle du Temple, puis de celle qui a lieu sur une haute
montagne; Luc adopte l'ordre inverse. Les exégètes prennent
parti pour l'un ou pour l'autre en fonction de considérations
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souvent fort subjectives. L'indication la plus sûre doit être
cherchée dans les réponses de Jésus, toutes tirées du Deutéro-
nome: chez Matthieu, Dt 8,3; 6,16; 6,13 (Luc: Dt 8,3; 6,13;
6,16). Elles se réfèrent aux événements de l'Exode, mais en
renversant l'ordre des événements: Dt 8,3 tire la leçon qui se
dégage du miracle de la manne (Ex 16), Dt 6,16, celle qui se
dégage du miracle de l'eau (Ex 17,1-7), Dt 6,13 rappelle l'épi-
sode du veau d'or (Ex 32). En retournant l'ordre du Deutéro-
nome, le récit de Matthieu retrouve donc celui de l'histoire des
tentations d'Israël dans l'Exode. Le parallélisme entre les ten-
tations de Jésus et celles d'Israël doit remonter à la forme pri-
2. Biblica, 1959, pp. 613-631 - publié en même temps dans le recueil Studio.
Biblica et Orientalia, II. Novum Testamentum (Analecta Biblica, n), Rome, 1959,
pp. 45-63. Cette étude ne cite pas celle que M. Schnackenburg a publiée en 1952:
cinq pages y sont consacrées à la perspective propre du récit de Luc (pp. 321-326).
3. Biblica, 1959, pp. 613-616.
LE RÉCIT DE LUC
47
mitive du récit : c'est donc Matthieu qui en a conservé l'ordon-
nance, et Luc qui l'a modifiée.
Dans la deuxième partie de son article4, M. Feuillet cherche
à déterminer la raison d'être de l'ordre adopté par Luc, et par
contrecoup le sens fondamental de l'épisode dans le troisième
évangile. Sans beaucoup s'arrêter à cette idée, il observe : « A
la différence de Matthieu et de Marc qui situent le nouvel exode
au début du ministère public de Jésus, le troisième évangile
semble le rattacher à la Passion 5. » C'est dans une autre direc-
tion qu'il préfère chercher l'intention de Luc: dans le désir de
présenter le Christ victorieux du diable comme le modèle des
baptisés dans les luttes qu'ils ont à soutenir contre le tentateur.
D'où la tendance de Luc à estomper le caractère proprement
messianique des tentations du Christ et à les rapprocher des
tentations qui assaillent tout homme. Le Christ est tenté en sa
qualité de second Adam ; le diable ne le quittera qu'après avoir
épuisé « toutes les formes possibles de la tentation » (v. 13).
L'expression évoque assez naturellement une classification des
péchés, classification tripartite puisqu'il y a eu trois tentations :
il faut se souvenir des trois concupiscences de 1 Jn 2,16, dont
l'énumération peut se réclamer de Gen 3,6: « La femme vit que
(le fruit de) l'arbre était bon à manger, qu'il était agréable à voir
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et qu'il était désirable pour l'entendement. » Sans se référer
directement à la tentation du paradis, Luc la rappelle simple-
ment en s'inspirant d'une théologie de la tentation et du
péché qui a ses racines dans ce récit. La lutte du Christ contre
le diable annonce ainsi celles que les chrétiens ont à soutenir,
et dont ils doivent triompher en suivant l'exemple de celui qui
est le prototype de l'humanité nouvelle.
Il ressortirait de ces explications qu'à la note théologique et
messianique, déjà présente dans le récit de Marc et dans celui
de la source commune à Matthieu et à Luc, note fortement
accentuée dans le récit de Matthieu, Luc superpose une note
4. Pp. 617-631.
5. P. 616. Voir aussi p. 630: « A la différence de ceux de saint Matthieu, qui
regardent vers le passé d'Israël pour montrer l'achèvement du plan divin, les récits
de Luc semblent orientés davantage vers les événements cruciaux qui ont véritable-
ment fondé l'économie nouvelle: la Passion, la Résurrection, la Pentecôte. »
48 LE RÉCIT DE LUC
parénétique qui lui est propre 8 ; à l'arrière-plan de cette orien-
tation nouvelle, on soupçonne une typologie tendant à montrer
en Jésus le nouvel Adam, point de départ d'une humanité
régénérée. Cette interprétation nous paraît, à priori, parfaite-
ment plausible. Notre hésitation vient simplement du fait
qu'elle n'accorde peut-être pas suffisamment d'attention à la
critique littéraire7 ; c'est sur ce point que nous voudrions tenter
une contre-épreuve.
L'introduction (w. 1-2)
Matthieu commence T6ts ô 'Ivjctoûç: la particule t6ts est un
tic de cet évangéliste8; Luc écrit 'Ir^aouc, Sé, le Sé qu'il emploie
volontiers 9. Viennent ensuite deux précisions plus importantes,
toutes deux attribuables à Luc. Luc dit d'abord de Jésus:
7iXif)pi)ç 7tveû(xaToç à ytou; même expression à propos d'Étienne
en Act 6,5 et 7,5510, et à propos de Barnabé, en Act 11,2411 ;
elle est plus fréquente à la forme verbale «être rempli de
6. Par des voies différentes, M. Schnackenburg aboutit à une conclusion assez
semblable: « ... so wird es klar, dass hier ein dringendes Interesse der Urkirche vor-
lag, und dass Lukas in seiner Darstellung auch ein starkes paradigmatisches und
parânetisches Anliegen spùren là sst » (p. 325).
7. La confrontation des récits pour déterminer ce qui est attribuable aux rédac-
teurs évangéliques et ce qui relève de leurs sources a été souvent faite. Une des meil-
leures études reste celle de A. Harnack, Sprûche und Reden Jesu. Die zweite Quelle
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des Matthâus und Lukas (Beitrâge zur Einleitung in das N. T., II), Leipzig, 1907:
nous l'utilisons dans la traduction anglaise de J. R. Wilkinson, The Sayings of
Jesus. The Second Source of St. Matthew and St. Luke (N. T. Studies, II), Londres-
New-York, 1908, pp. 41-48 et 127 s. Outre bien d'autres travaux du même genre
(B. Weiss, A. Resch, F. Spitta, A. Meyer, M. Albertz), il faudrait citer les commen-
taires (A. Plummer, M.-J. Lagrange, etc.); contentons-nous de mentionner le dernier
exposé, celui de Schnackenburg, art. cit., pp. 300-305.
8. Cfr J. C. Hawkins, Horae Synopticae. Contributions to the Study of the Syn-
optic Problem, 2e éd., Oxford, 1909, p. 8: cette particule apparaît 90 fois chez Mat-
thieu, 6 fois chez Marc, 15 fois chez Luc, 21 fois dans les Actes.
9. Très nombreux exemples de substitution de 8t à xal (Mc ou Mt).
10. Voir aussi Act 6,3: «sept hommes remplis d'Esprit et de sagesse»; 6,8:
« Etienne, rempli de grâce et de force ».
n. En 5,12, Luc ne parle pas d'un « lépreux » (Mc 1,40; Mt 8,2), mais d'un
« homme rempli (nX^pinç) de lèpre • ; dans les Actes, il parle de Tabitha, « remplie
de bonnes oeuvres» (9,36), de Barjésus, «rempli de fourberie» (13,10), de gens
«remplis de colère» (19,28). Marc et Matthieu n'emploient l'adjectif nkfiçrru qu'Ã
propos de paniers «remplis » de morceaux de pain (Mc 8,19; Mt 14,20; 15,37) ou d'un
épi « rempli » de blé (Mc 4,28).
l'introduction (w. 1-2)
49
l'Esprit Saint »: Lc 1,15.41.67; Act 2,4; 4,8.31; 9,17; 13,9.52".
Cette manière de parler ne s'emploie pas ailleurs dans le N. T.
Deuxième précision: ùizéarpe<\>ev inh toG 'IopSà vou; dans le
N. T., le verbe Ô7to
dans Act et 3 fois dans les épîtres13. Les deux additions
témoignent de la même volonté de rattacher étroitement l'épi-
sode des tentations de celui du baptême (où Luc ne parle pas
de « l'Esprit », mais de « l'Esprit Saint »: 3,22). Dans la pensée
de l'évangéliste, la généalogie (3,23-38) n'est donc qu'une
parenthèse, et il faut se garder de lui lier la scène qui com-
mence14. A noter qu'en Lc 4,14, l'épisode de Nazareth débute
par un nouveau rappel du fait que Jésus vient de recevoir
l'Esprit: la prédication de Jésus, elle aussi, fait suite à son
baptême1S.
Matthieu continue: à vTjxfr») eîç t$)v IpTjfxov ûtc£> toû 7cveû(i.aToç;
Luc est un peu différent: xai ^yeTO èv t<î> 7tveû(ji.aTi èv lpi)\it\>.
En écrivant à v^S?), Matthieu suit sans doute sa source: il n'a
pas d'autre emploi d'à và yw « conduire vers le haut », et ce verbe
est parfaitement en situation, le désert se situant sur la hauteur.
Luc, à qui ce verbe est familier, l'évite ici; il l'emploiera au
v. 516. Il lui substitue le verbe simple à yo), qu'il met à l'impar-
fait 17 : il s'agit d'une conduite prolongée. C'est pourquoi aussi
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il écrit èv rfi êp^w : Jésus est conduit « dans le désert », non
pas « au désert ». L'image n'est pas exactement la même : chez
12. Sauf Act 13,52, tous ces textes emploient le verbe nli«tA7]|u, qui apparaît
2 fois chez Matthieu, jamais chez Marc, 13 fois dans Luc et 9 fois dans les Actes;
pas ailleurs dans le N. T. (cfr Hawkins, p. 21). Act 13,52 emploie ntatp6o, qui est le
verbe servant à dire, notamment, que Jésus « est rempli de sagesse » (Lc 2,40), ou
que « Satan a rempli le cœur » d'Ananie (Act 5,3).
13. Hawkins, p. 23.
14. Nous acceptons l'idée d'un parallélisme entre Adam et le Christ en un autre
passage de Luc: dans le discours d'Athènes, Act 17,26 et 30 s.; mais c'est pour com-
parer l'homme qui est à l'origine de tous les autres, et celui qui a pour mission de
les juger tous (cfr New Testament Studies 1959/60, VI, p. 154).
15. Voir la manière dont les Actes rattachent trois épisodes (le ministère de
Philippe, 8,4; la vocation de Saul, 9,1; la fondation de l'Eglise d'Antioche, 11,19)
à un même événement, le martyre d'Etienne (7,57-8,3).
16. Acception similaire en 2,22; Act 9,39; 16,34; vocabulaire cultuel en Act 7,41;
judiciaire en Act 12,4; maritime («s'embarquer») en Lc 8,22 et 14 fois dans les
Actes.
17. A l'imparfait passif. Il faut se garder d'opposer Luc aux deux récits parallèles
en suivant la suggestion de M. Feuillet : « Alors que dans Matthieu et Marc, c'est
l'Esprit qui est l'auteur de l'action, ici c'est Jésus » (Biblica, 1959, p. 617).
Les tentations... 4
50
LE RÉCIT DE LUC
Matthieu, Jésus est conduit de la rivière au désert et, une fois
arrivé là , il s'arrête; chez Luc, au contraire, Jésus parcourt le
désert, en marchant sous la conduite de l'Esprit, qui ne semble
pas lui permettre de se fixer. Matthieu écrit ûtco toû 7cvsiS(jwctoç :
l'Esprit conduit Jésus comme une personne en conduit une
autre ; Luc préfère dire èv tû 7tveûjjucTi : il s'agit d'une influence
s'exerçant par l'intérieur, par inspiration intime18, non à la
manière dont on est conduit par un guide19.
Luc ajoute, au v. 2a: 7)(iipocç Teaaepà xovToc 7rcipaÇ6(xsvoç Ù7t6
toû Sia(36Xou. Matthieu écrit simplement 7teipao6^vai foté toû
Si«p6Xou; les «quarante jours» (et «quarante nuits») ne sont
mentionnés qu'après, en rapport avec le jeûne de Jésus. Le
texte de Luc donne l'impression d'avoir été influencé par celui
de Marc: xai sv Tjj èp7)fM|> TsaerepâxovTa Tj(xépaç 7reipaÇ6(xevoç
Û7C& toû o-onravâ. Cette notice permettrait aussi de comprendre
le changement qui s'est opéré dans le verset précédent: Luc
se sépare de Matthieu (Jésus conduit « au désert ») et se rap-
proche de Marc (Jésus « était dans le désert ») en écrivant que
Jésus « était conduit dans le désert ». La précision « pendant
quarante jours » se rapporte naturellement au verbe ^yeto: sous
la conduite de l'Esprit, Jésus a marché pendant quarante jours
dans le désert. L'idée ne se trouve ni chez Matthieu ni chez
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Marc, mais elle résulte assez facilement d'une combinaison
de leurs deux textes20; sans doute serait-il imprudent de voir
là une retouche intentionnelle.
18. Cfr Lc 1,17; 2,27; 4,14-
19. Interventions plus extérieures dans la direction des missions apostoliques:
Act 13,4; 16,6; cfr 8,29.39; I°.I9; Ii>i2; 13,2; 16,7; 20,23.28; 21,11.
20. La situation est un peu plus complexe en raison du fait qu'il faut faire inter-
venir un autre texte encore : Dt 8,2, qui a influencé la tradition évangélique non
seulement dans la forme longue du récit des tentations, où la première réponse de
Jésus est empruntée à Dt 8,3, mais aussi dans la forme brève de Marc (sur la dépen-
dance des traditions évangéliques à l'égard de ce passage, voir M. Sabbe, Coll. Brug.,
I954. p- 463; J- Dupont, N. T. St., 1956/57, pp. 288 s.; A. Feuillet, Est. Bibl.,
i960, pp. 54 s.; G. H. P. Thompson, Journ. of Theol. St., i960, p. 2). Rappelons le
verset du Deutéronome : « Souviens-toi de tout le chemin par lequel le Seigneur ton
Dieu t'a conduit (fj-rartv oc) (pendant quarante ans) dans le désert, afin de t'humilier,
de t'éprouver (txnupdon os) et de connaître ce qu'il y a dans ton cœur » (les mots
< pendant quarante ans » sont attestés dans l'hébreu, mais manquent dans le grec,
où on les trouve au v. 4). Il est curieux de noter que, non seulement le verbe de Luc
correspond à celui de la LXX, mais aussi que l'idée qu'il se fait du séjour de Jésus
dans le désert correspond à celle que le Deutéronome donne de la longue pérégri-
nation d'Israël.
l'introduction (vv. 1-2)
51
Au cours de ces quarante jours, alors qu'il chemine dans le
désert, Jésus est « tenté par le diable ». Matthieu est plus fort :
Jésus a été conduit au désert « pour y être tenté » (7teipaa69jvai).
On peut se demander si cette nuance finale se trouvait dans la
source qui sert de base aux récits de Matthieu et de Luc; le
fait qu'elle ne se trouve pas chez Luc ne prouve rien, puisque
la construction de Luc correspond exactement à celle de Marc.
Le v. 2b rejoint la double tradition. L'expression xal oûx
Içayev oÙSév explicite peut-être l'indication xal vqerrctiaaç
(Mt)21. Ayant déjà parlé de « quarante jours », Luc n'a pas Ã
répéter cette donnée (« quarante jours et quarante nuits » dans
Mt, qui peut avoir précisé22) ; il emprunte une formule qui lui
est familière: «en ces jours-là 23 ». Mt achève: ûcrrcpov èretvaerev;
Luc corrige cette expression discutable et écrit: xal auvTeXea-
0eiacôv ocûtôv è7tetvaaev24. Il ne dit rien d'autre que Mt, mais il
le dit plus clairement.
La rédaction des deux premiers versets de l'épisode des
tentations vient de nous montrer de nombreuses interventions
personnelles de Luc dans le simple but de combiner les rensei-
gnements de ses sources ou d'écrire clairement et correctement.
La seule retouche indiquant une intention plus profonde est
celle qui s'efforce de rattacher étroitement cet épisode à celui
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du baptême; Luc semble vouloir racheter ainsi l'insertion
ai. Cfr Lc 5,33: «tes disciples mangent et boivent» (influencé par le v. 30),
au lieu de: « tes disciples ne jeûnent pas » (Mc 2,18; Mt 9,14); Lc 7,33: « Jean-Bap-
tiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin », au lieu de € Jean-
Baptiste vint, ne mangeant pas et ne buvant pas » (Mt 11,18). Voir aussi Lc 10,7.8
(contre Mt 10,10-13); (rédactionnel); 15,2 (rédactionnel); 17,28 (cfr Mt 24,38);
21,34 (propre à Luc); 22,15.16.30 (propre à Luc).
22. A supposer que Luc ait supprimé « quarante nuits », il n'y aurait évidemment
pas été poussé par une intention théologique; il a simplement omis un trait jugé
inutile.
23. hi Taîç tu^pau; txelvotiç: Lc 2,1; 4,2; Act 2,18 (Jl); 7,41; 9,37, et dans une
leçon douteuse de Mt 24,38. - iv foerivau; taïç tnépoiç: Mc 1,9; 8,1; 13,17.24; Mt
3,1; 24,19; Lc 5,35; 9,36; 21,23. Au singulier, tv tti fintp? ixelvn: Lc 10,12; Act 2,41;
tv txclvn tti iinépqt: Mc 2,20; 4,35; Mt 7,22; 13,1; Lc 6,23; 17,31; Act 8,1.
24. Luc emploie une fois OoTepov adverbialement: Lc 20,32 (mais sans complé-
ment, contre Mt 22,27; ûotepov 7t4vrwv, correspondant à Mc 12,22: ïoxorrov ndvtcov).
Matthieu l'introduit en 21,37 (contre Mc 12,6) et 26,60 (contre Mc 14,57); il l'emploie
aussi en 21,29.33 et 25,11. Le mot lui est donc familier. Le verbe ouvwXéonai est répété
par Luc au v. 13 et reparaît en Act 21,27; Marc l'emploie une fois (13,4: Matthieu
substitue le substantif ouvtéXeux: 24,3 ; cfr 13,39.40.49 ; 28,20). Rapprocher de ooi«tX>)p6u
qui, dans le N. T., ne se présente qu'en Lc 8,23; 9,51; Act 2,1.
52
LE RÉCIT DE LUC
d'une généalogie entre les deux récits qui devraient se suivre
et qui sont complémentaires.
La première tentation (vv. 3-4)
Le diable adresse la parole à Jésus : eÕ7rev Sè aÙTcji ô Sià jâoXoç ;
Matthieu écrit: xai 7tpoaeX6à >v 6 7teipâÇwv eïtov ocÙtw. L'indica-
tion que le diable « s'approche » de Jésus pour lui parler est
une précision typiquement matthéenne et ne peut remonter Ã
la source25. Le «diable» avait déjà été nommé et son nom
reviendra plusieurs fois dans la suite du récit; pour varier,
Matthieu l'appelle ici « le tentateur26 ». S'il l'avait trouvée dans
sa source, il est peu probable que Luc aurait supprimé cette
appellation pour revenir à « diable ». Sa seule retouche est le
remplacement de xod par Sé.
« Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre de devenir un
pain »; chez Matthieu : « Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres
deviennent des pains. » Différence principale : Luc ne parle que
d'une pierre et d'un pain, alors que Matthieu emploie le pluriel.
Différence accessoire: d'après Luc, Jésus devrait s'adresser Ã
la pierre et lui donner un ordre ; chez Matthieu, il s'agit simple-
ment d'un désir, exprimé en l'air. Sur le second point, la con-
struction de Luc est meilleure; on peut l'attribuer à l'évangé-
liste: si elle avait été employée par la source, Matthieu ne
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l'eût probablement pas changée. Reste la différence du singu-
lier et du pluriel. Il est clair qu'on ne saurait dire: Matthieu
met le pluriel en songeant que le Messie doit pouvoir nourrir
tout le peuple, Luc, le singulier parce qu'il pense uniquement
à la nécessité dans laquelle Jésus se trouve. Il faut en laisser
pour la source ! Sur ce point encore c'est sans doute la version
de Luc qui a été revue: non seulement parce qu'il est assez
normal de mettre un rapport entre le changement de con-
struction et le changement de nombre, mais aussi parce que
le singulier est plus naturel et plus vraisemblable, mieux adapté
25. 52 fois chez Mt, contre 5 chez Mc, 10 dans Lc et 10 dans Act (Hawkins, 7).
26. Cette appellation ne revient qu'en 1 Th 3,5.
LA PREMIÈRE TENTATION (w. 3-4)
53
à la situation. Le passage du pluriel au singulier se comprend
mieux que l'inverse; car, même chez Matthieu, Jésus est seul
et un pain suffisait. Attentif à ce genre de détails, Luc l'aura
remarqué; sa retouche semble dictée par son souci de la vrai-
semblance.
Réponse de Jésus (v. 4) : xal à raxptOTj. Luc ajoute 7tpèç
ocût6v, qui révèle son style personnel27; qu'il ait ajouté le sujet,
ô 'Iy)ctoûç, est moins sûr28. Matthieu emploie la formule solen-
nelle à laquelle il recourt volontiers pour introduire une parole
du Seigneur : ô Sè à 7toxpi0elç eÕ7tsv 29.
Jésus cite l'Écriture: yéypaotTai (Ôti30). La citation (Dt 8,3)
est conforme à la version des LXX : « Ce n'est pas de pain
seulement que vivra l'homme. » La citation s'arrête là chez
Luc, tandis que Matthieu continue : « mais de toute parole
sortant de la bouche de Dieu ». Ici encore, il faut choisir ; on
ne saurait dire que Matthieu allonge en pensant au rôle mes-
sianique, avant tout doctrinal, qui appartient à Jésus, et que
Luc abrège en fonction de ses propres conceptions31. Il n'est
pas aisé de se prononcer. Nous savons cependant qu'il était
d'usage de ne citer que les premiers mots d'un texte, le reste
27. npiç et l'accusatif pour introduire la personne à qui l'on parle : jamais chez
Matthieu, 5 fois chez Marc, 99 fois dans Luc, 52 fois dans les Actes. Chiffres de
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Hawkins, p. 21 ; voir le détail pp. 45 s.
28. Les formules qui introduisent la réponse à la deuxième et à la troisième ten-
tation mentionnent explicitement « Jésus », aussi bien chez Matthieu que chez Luc.
Il est possible que la tournure adoptée ici par Matthieu lui ait fait omettre le mot.
29. 14 fois pour introduire une parole de Jésus, 5 fois pour la parole d'un autre ;
chez Marc, 4 fois pour Jésus; chez Luc, 1 fois pour Jésus, 3 fois pour un autre.
30. Marc fait un grand emploi du 6ti récitatif: étude détaillée dans M. Zerwick,
Untersuchungen zum Markus-Stil. Ein Beitrag zur stilistischen Durcharbeitung des
Neuen Testaments (Scripta Pont. Inst. Bibl.), Rome, 1937, pp. 39-48. Il est moins
fréquent chez Luc, où il n'est pourtant pas rare, et moins fréquent encore chez
Matthieu, qui l'évite manifestement : relever ces passages de Marc avec les parallèles
de Matthieu et de Luc, dans une étude de C. H. Turner, Marcan Usage, Journ. of
Theol. St., 28 (1927), 9-15 (corriger p. n, Ã propos de Mc 6,4: Mt omet, Lc con-
serve). Il faut reconnaître cependant qu'il y a des cas où Luc l'ajoute: cfr 4,32.36.
41-43; 5.36... Dans le cas présent, l'omission par Matthieu paraît plus vraisemblable.
31. Les explications de M. Feuillet pourraient donner le change sur sa pensée:
« Peut-être est-ce en vertu de conceptions analogues (Luc songe aux tentations qui
assaillent quotidiennement les baptisés) qu'est passée sous silence (en 4,4) la seconde
partie de la citation du Deutéronome qui semble faire allusion au rôle messianique
de Jésus, dispensateur de la parole de Dieu » (p. 619); « Dans le premier évangile,...
la citation du Deutéronome qui sert de réponse à la première tentation (et qui n'est
rapportée qu'incomplètement par saint Luc) semble être en rapport avec le rôle
messianique, d'ordre avant tout doctrinal, joué par Jésus dans le premier évangile »
(p. 629).
54
LE RÉCIT DE LUC
étant sous-entendu32; il faut noter aussi que Matthieu connaît
bien sa Bible (grecque) et complète volontiers une citation ou
une allusion33. Il ne serait donc pas prudent de supposer que
Luc abrège la citation en raison d'une conception personnelle
qu'il se ferait de cette tentation.
La seule retouche importante attribuable à Luc dans ces
w. 3-4 est donc celle qui le fait parler, au singulier, d'une
pierre et d'un pain. Cette retouche s'explique suffisamment
par le désir de proportionner le miracle au besoin immédiat
éprouvé par Jésus, qui a faim. Aucune insistance cependant.
Après la suggestion « Dis à cette pierre de devenir un pain »,
il eût été facile de préciser : « afin que tu puisses manger ». Une
précision de ce genre, en attirant l'attention sur la satisfaction
personnelle de Jésus, aurait facilité un rapprochement avec la
tentation d'Ève (Gen 3,6) et avec les tentations auxquelles les
chrétiens sont soumis. En fait, la satisfaction de la faim reste
au second plan ; l'intérêt se porte essentiellement sur le pouvoir
miraculeux qui appartient en propre à celui qui, lors de son
baptême, vient d'être proclamé Fils de Dieu. Il faut avouer
que, parmi les tentations qui nous assaillent, nous ne rencon-
trons guère celle qui nous porterait à changer une pierre en
pain.
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La deuxième tentation (w. 5-8)
Matthieu, qui donne cette tentation en troisième place,
l'introduit par ces mots: toxXiv TOxpaXa(x(3ixvei aÙ-rèv ô Sià ^oXo?
eîç 6poç ôtJ;7)Xèv Xtav; Luc se contente d'écrire: xal à vayayà v
ocût6v. L'adverbe 7tà Xiv caractérise surtout le style de Marc;
Matthieu l'emploie assez volontiers dans des transitions de
son cru, mais Luc l'évite presque toujours34. Il n'est donc pas
32. Cfr K. Stendahl, The School of St. Matthew and Its Use of the Old Testament
(Acta Seminarii Neotest. Uppsal., XX), Uppsala, 1954, p. 88.
33. Cas analogue pour la citation de Gen 2,24 en Mt 19,5 ; voir à ce propos nos
explications dans l'ouvrage Mariage et Divorce dans l'Évangile (Matthieu 19,3-12 et
parallèles), Bruges-Louvain, 1959, pp. 31 s., avec indication d'autres passages.
34. mJ&w revient 17 fois dans Mt, 28 fois dans Mc, 3 fois dans Lc, 4 fois dans
Act (Hawkins, p. 13). Cas d'addition rédactionnelle par Mt: 5,33; 22,1.4 (cfr notre
ouvrage sur Les Béatitudes, 2e éd., t. I, Bruges-Louvain, 1958, p. 147).
LA DEUXIÈME TENTATION (vv. 5-8)
55
certain qu'on doive l'attribuer à une retouche de Matthieu;
c'est seulement vraisemblable35. Le verbe 7tapaXa(x($<xvco, con-
struit avec stç, est employé par Matthieu dans les introductions
de la deuxième et de la troisième tentation; même verbe et
même construction dans une transition rédactionnelle de Mt
27,27. Mais ici encore, l'attribution à Matthieu n'est pas cer-
taine; Luc peut avoir eu ses raisons d'éviter l'expression:
parce que TOxpaXajxjîâvw évoque plutôt, chez lui, l'action du
supérieur qui « prend avec soi » un inférieur **, et parce que la
construction de ce verbe avec etç est d'un style discutable37.
Quoi qu'il en soit, Luc reprend ici le verbe à và yco, auquel il
avait substitué, dans l'introduction, le verbe simple &y<ù.
Différence plus considérable : Luc ne parle pas de « montagne
très élevée »; cette montagne est pourtant normale dans le
thème littéraire auquel la description se rattache *. A y regar-
der de plus près, on s'aperçoit que l'indication n'est pas propre-
ment omise, mais remplacée par un autre trait, qui montre
que Luc ne se représente pas la scène de la même manière que
Matthieu. Au lieu de parler d'une haute montagne d'où l'on
verrait la terre entière, il préfère dire que le diable a montré
la terre à Jésus « en un instant39 ». Luc sait bien qu'il n'y a
pas de montagne d'où l'on puisse voir la terre entière ; soucieux
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de vraisemblance, il substitue à une indication géographique,
qui ne correspond à rien, une notation temporelle, faisant
comprendre qu'il s'agit d'une vision purement fantasmago-
35. Dans le cas de Mt 4,8, il faut surtout tenir compte du fait que le mot a déjÃ
été employé à la ligne précédente (v. 7); nous dirons, en parlant de la troisième
tentation (ordre de Luc), les raisons qu'on a de penser qu'Ã cet endroit l'adverbe
remonte probablement à la source. Matthieu se serait répété machinalement.
36. Noter la manière dont Lc 8,22 évite de dire, comme Mc 4,36, que les disciples
prirent Jésus avec eux (Mt 8,23 l'évite également, d'une autre façon).
37. La préposition introduit une idée étrangère à celle du préfixe.
38. Voir notre article des New Testament Studies, 1956/57, pp. 295-298.
39. tv otiyhS xpivou, littéralement : « en un point de temps ». Seul emploi de
<mwh dans le N. T. (LXX seulement Is 29,5 ; 2 M 9,11). Luc emploie souvent xpà voç,
mais c'est surtout l'usage qu'il en fait au pluriel qui est caractéristique. La précision
qui nous occupe relève d'un véritable souci des précisions chronologiques qui appa-
raît partout dans les deux livres de Luc: voir, par exemple xp6vq IxotvQ en Lc 8,27
(contre Mc et Mt), xpévouç bcavoûç en Lc 20,9 (contre Mc et Mt), iÇ UavAv xpà vcov en
Lc 23,8 (rédactionnel); cfr 18,4; Act8,n; 14,3.28; 19,23; 27,9. Autre notation du
même genre, 7capaxpfina : 2 emplois chez Mt (21,19 s.), 10 dans Lc, 6 dans Act, et
pas ailleurs dans le N. T. On peut relever aussi Tctxémç en Lc 14,21 (contre Mt 22,9)
et Lc 16,6; tv Tdcxei: Lc 18,8; Act 12,7; 22,18; 25,4.
56
LE RÉCIT DE LUC
rique40. La préoccupation reste celle qui, plus haut, le faisait
parler de changer une seule pierre en un seul pain.
Le v. 5 continue: èfSeiÇev aÙTco toxctocç tocç (3aaiXetaç tyjç olxou-
fxévTjç èv any\Lji xpà vou; parallèle de Matthieu: xai SeCxvuaiv
aÙTcjS miaaLc , Tà ç paciiXetaç tou x6
venons d'expliquer la précision chronologique ajoutée par Luc
à la fin du verset : Luc tient à préciser que la vision a été pro-
duite instantanément (non qu'elle n'a duré qu'un instant41),
pour bien montrer que c'est une vision surnaturelle. Cette
addition provoque la chute des derniers mots, qui n'ont plus
de place dans la phrase: xal tt)v S6Çav ocÙtwv; ils seront repris
dans le verset suivant, où ils ne sont manifestement pas en
situation. Pour le reste, Luc remplace x6ct(j,oç par oîxoujiivn),
«le monde habité»: mot qui lui est particulièrement cher42;
il a aussi amélioré le style: au lieu de deux verbes à l'indicatif
présent simplement juxtaposés43, il emploie deux aoristes, un
participe et un indicatif 44.
Nous arrivons au v. 6. Le diable prend la parole: xal eÕ7tev
aÙTcji (Mt); Luc explicite: xal elrav aÙT<jS ô Sià (3oXoç. Il s'agit
d'une promesse. Elle est très brève chez Matthieu: TaûTà aoi
TOxvTa Swao). Chez Luc, la promesse est suivie d'une explica-
tion. Voici d'abord la promesse: aoï 8
a<ù -ri]v èÇoutrtav TaÙTTjv
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à roxerav xal ty)v SoÇav aÙTûv. Nous reconnaissons -rijv 86Çav
aÛTwv, qui n'avait pas trouvé place au verset précédent; le
pronom aÙTwv n'a plus de sens: résultat regrettable du déplace-
ment. Les paroles du diable sont insistantes: le pronom aol
est mis en avant: « Je te donnerai, à toi45 »; au lieu de « tout
40. On pourrait rapprocher l'indication de celle de saint Grégoire le Grand rap-
portant la vision de saint Benoît: Omnis etiam mundus velut sub uno solis radio col-
lectes, ante oculos eius adductus est (Dial. II, 35: Pair. Lot. 66, 189).
41. La précision se rapporte au verbe ï8siÇsv.
42. Le mot se rencontre une fois dans Mt (24,14), 3 fois dans Lc (cfr 2,1 et 21,26),
5 fois dans les Actes.
43. Très grande réserve de Luc dans l'emploi du présent historique: les données
sont groupées dans Hawkins, pp. 143-149; résumé dans M.-J. Lagrange, Évangile
selon saint Luc (Études Bibliques), Paris, 1921, p. cxi.
44. Cfr Lagrange, loc. cit.: « Sans écrire des périodes complètes, Luc lie du moins
ce qui est juxtaposé dans Marc. Le plus souvent c'est en changeant un verbe à un
temps défini en un participe... (exemples). »
45. Même position emphatique du pronom iy.ot au v. 6b, et où au v. 7. Comparer
Lc 8,30.39 avec Mc 5,9.19.
LA DEUXIÈME TENTATION (w. 5-8) 57
cela », « toute (à rojcexav 4•) cette puissance ». Il est normal de
mettre cette insistance au compte de Luc; c'est elle d'ailleurs
qui va provoquer une explication. Chez Matthieu, il est simple-
ment question de propriété ; Luc attire l'attention sur l'è!;ouata,
l'exercice du pouvoir. Pris en ce sens politique, le mot est
propre à son évangile: seul il parle de l'êÇouata du gouverneur
(20,20), de celle d'Hérode (23,7), des èi-ouatai (12,11 47) et des
èÇouaiâÇovTeç (22,25 48). Seul aussi d'ailleurs, il parle de l'èÇouata
de Satan (Act 20,18) ou des ténèbres (Lc 22,53 4'). H est donc
permis de penser que c'est bien lui qui accentue la promesse
du diable en précisant qu'elle concerne un pouvoir s'exerçant
sur le monde habité tout entier.
Après la promesse, l'explication qui la justifie: 8ti èjxoi
TOxpaSé&oTou xal <j> èà v 0éXw StSeojju. ocÙttjv. Remarquons d'abord
que le troisième évangile contient un certain nombre d'expli-
cations du même genre. En 11,18, par exemple, où Luc rap-
porte une parole de Jésus : « Si Satan s'est, lui aussi, divisé
contre lui-même, comment son royaume se maintiendra-t-il? »
(Mt 12,26; Mc 3,26), il est seul à ajouter: « car vous dites (6ti
XéyeTe) que c'est par Béelzéboul que j'expulse les démons ».
L'explication veut éclairer non les auditeurs de Jésus mais les
lecteurs de l'évangile; elle remplace une note que nous met-
trions en bas de la page. Luc est d'accord avec Marc et Matthieu
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pour rapporter qu'après le miracle accompli par Jésus dans
leur voisinage, les Géraséniens lui demandèrent de s'éloigner;
Luc est seul à donner l'explication de cette attitude : « car
(6ti) ils étaient en proie à une grande peur » (8,37). Dans un
récit, l'évangéliste n'a aucune peine à insérer la remarque qui
lui paraît utile (cfr 6,19b; 9,34^38.48^ ; dans un discours, il
n'interrompt pas celui qui parle mais présente l'explication
comme si elle venait de luiB0.
46. Forme particulièrement chère à Luc, mais soulevant souvent des problèmes
de critique textuelle.
47. Contre Mt 10,19; 24,9; Mc 13,9; Lc 21,12.
48. Formulation notablement différente de celle des parallèles, Mc 10,42 ; Mt 20,25.
49. Voir encore l'emploi du terme en Lc 10,19 (logion propre à Luc) ; 12,5 (contre
Mt 10,28), et aussi 4,36 (présenté autrement qu'en Mc 1,27).
50. Voir encore 21,22 (paroles de Jésus). Il est possible que 5,39b relève du même
procédé: voir notre article Vin vieux, vin nouveau (Luc 5,3g), Cath. Bibl. Quart.,
25 (1963). 286-304.
58
LE RÉCIT DE LUC
L'idée qui s'exprime dans le v. 6b est familière au judaïsme
et à l'Église primitive51: le monde, plus précisément le monde
païen, idolâtre et hostile au peuple de Dieu, est soumis au
pouvoir de celui qu'on appelle « le prince de ce monde5S ».
L'Apocalypse n'hésite pas à dire que Rome tient de lui son
empire: « Le Dragon lui donna sa puissance (à lui), son trône
et une grande èÇouata » (Ap 13,2). Assurément le diable ne
tient pas ce pouvoir de lui-même; Luc précise bien qu'il lui a
simplement été remis53. Du moins en dispose-t-il à son gré Ã
l'égard de ceux qui le servent. Jésus n'avait sans doute pas
besoin de ces explications; si elles s'étaient trouvées dans sa
source, Matthieu n'avait guère de raison de les omettre. Mais
Luc doit penser à ses lecteurs, dont tous ne comprendraient
peut-être pas l'offre du diable ; c'est probablement à leur inten-
tion que le v. 6b a été écrit.
La promesse est conditionnelle. Matthieu écrit: èà v raaà v
7tpoauvxr)
correspond trop bien à la manière de Matthieu54 pour qu'on
hésite à le lui attribuer. Luc, dans son v. 7, est plus long: orù
o5v èà v 7tpo<7xuv7)07)ç èvomiov è|i.oû, lerTai ooG 7tâaa. Après l'expli-
cation donnée dans le v. 6b, il était nécessaire de rappeler la
promesse en formulant la condition que le diable y attache.
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D'où le raccord où o5v55. Comme au v. 6a, la promesse con-
cerne non la possession des royaumes, mais la jouissance d'une
èi;ou<jta totale sur eux56. Pour l'obtenir, il faut que Jésus se
prosterne devant le diable: èvcimov, mot qui ne se rencontre ni
51. Cfr notre article des New Testament Studies, 1956/57, p. 291, n. 3.
52. Jn 12,31; 14,30; 16,11; expression plus forte en 2004,4: «Le dieu de ce
monde ».
53. Noter l'emploi du parfait: «le gouvernement du monde lui a été confié une
fois pour toutes » (Lagrange, Luc, p. 131).
54. Mt 2,11; 18,26; cfr 17,6; 18,29. Vt>ir également, avec itpooxuviu, 8,2; 9,18;
14,33; 15,25; 20,20; 28,9.17.
55. Contrairement à Marc, qui lie peu les éléments de son récit et n'emploie oOv
que 4 fois, Luc et Matthieu établissent la liaison et recourent volontiers à cette con-
jonction: Luc 21 fois, Matthieu 57 fois.
56. Nous sommes en désaccord avec M. Feuillet : « En saint Luc, l'accent est mis
sur la possession (Iotcu 0oO nScra) » (p. 619) ; « Ne dirait-on pas qu'à la différence de
saint Matthieu il (Luc) a mis autant l'accent sur la possession (fotai 0oO nâoa, propre
à Luc, v. 7) que sur la royauté? » (p. 624). En réalité, c'est Matthieu qui parle de
possession et, c'est de l'iÇouola que Luc écrit ïotai 0oO n&oa.
LA DEUXIÈME TENTATION (w. 5-8)
59
chez Marc ni chez Matthieu, mais qui apparaît 22 fois dans
Lc et 13 fois dans les Actes57.
Au v. 8, la réponse de Jésus est introduite par la formule:
xocl à 7ioxpi8elç ô 'Itjctoûi; elrav <xÙtû> ; chez Matthieu, plus simple-
ment: T&ze Xéyei aÙTcji ô 'Itjo-oôç. On laissera à Matthieu la
paternité du t6ts, à Luc l'emploi de l'aoriste et le soin de pré-
ciser que Jésus « répond58 » au diable. Cette réponse consiste
en une citation scripturaire (Dt 6,13) précédée par le lemme:
« Il est écrit » ; mais Matthieu a d'abord une interpellation :
« Va-t'en, Satan, car il est écrit ». Les mots en surplus se trou-
vaient-ils dans la source, et auraient-ils été omis par Luc?
Les exégètes sont divisés: certains59 pensent que Luc ne pou-
vait pas reprendre un ordre enjoignant à Satan de s'éloigner,
puisque, chez lui, les tentations ne sont pas finies; d'autres60
croient plutôt à une addition de Matthieu, peut-être par assimi-
lation avec l'épisode de Césarée de Philippe (Mc 8,33; Mt
16,23). Les arguments tirés du vocabulaire et du style ne per-
mettent pas de trancher; pas davantage le fait que le verset
final tient compte de l'injonction de Jésus: le diable se retira.
Reconnaissons donc qu'il ne paraît pas possible d'arriver Ã
une certitude sur ce point61. Si le trait se trouvait dans la
source, Luc l'aura omis parce qu'il n'était plus en situation
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dans son ordonnance des tentations; cette omission pourrait
avoir sa contrepartie dans les précisions qu'il apporte dans la
rédaction de l'épilogue (v. 13).
La citation biblique, KiSpiov Tèv 0e6v erou 7tpooxuvTjareiç xal
57. Hawkins, p. 18.
58. Même précision au v. 12, pour introduire la réponse de Jésus à la troisième
tentation. Pour se rendre compte de la manière de Luc, comparer Lc 3,16 avec
Mc 1,7; Lc 5,22.31 avec Mc 2,8.17; Lc 6,3 avec Mc 2,25; Lc 8,21.50 avec Mc 3,34;
5,36; Lc 9,12.49 avec Mc 8,28; 9,38, etc.
59. Notamment A. Feuillet, art. cit., p. 616, n. 1. Dans le même sens, les com-
mentaires de H. J. Holtzmann, A. Plummer (Mt), W. C. Allen, A. H. M'Neile,
M.-J. Lagrange (Lc), etc.
60. Notamment R. Schnackenburg, art. cit., pp. 301 et 321; voir aussi A. Har-
nack, op. cit., p. 42; J. Schmid (Dos Ev. noch Matthâus); B. M. F. van Iersel
« Der Sohn » in den synoptischen Jesusworten, p. 171, etc.
61. A noter que cette injonction est la seule parole de Jésus qui ne soit pas
empruntée à l'Écriture. A ce point de vue, elle tranche sur l'ensemble de ses réponses
au diable; mais cette constatation ne saurait suffire à la faire considérer comme
secondaire.
6o
LE RÉCIT DE LUC
aÙTôi (jl6vw XaTpeûaeiç,2, s'écarte légèrement de l'hébreu : « Tu
craindras le Seigneur ton Dieu et tu lui rendras un culte. »
En ce qui concerne la LXX, le MS B est d'accord avec l'hébreu,
tandis que A est d'accord avec le texte évangélique pour sub-
stituer « adorer » à « craindre » et ajouter « à lui seul », (j.6vcp.
Ajoutons que les MSS de Luc ne sont pas d'accord sur l'ordre
des mots; le sens reste le même, et il n'y a pas lieu de songer
ici à une intention particulière de l'évangéliste.
Dans sa relation de la deuxième tentation, Luc a opéré deux
changements importants. D'abord, nous l'avons dit, pour ce
qui concerne la scène: la vision de Jésus n'est pas de celles
qu'un promeneur peut avoir du haut d'une montagne; elle
est d'un autre ordre. Cette mise au point répond moins, semble-
t-il, à la préoccupation d'accentuer le côté merveilleux qu'au
désir d'éviter l'invraisemblance d'une montagne d'où l'on pour-
rait contempler la terre entière. L'autre changement se trouve
dans les paroles du diable: il s'engage à donner à Jésus une
èÇouata totale sur le monde habité, et justifie son offre en faisant
valoir le pouvoir dont il dispose. Chez Matthieu, le diable
prononce huit mots; chez Luc, vingt-huit. De toute la péricope,
c'est le passage qui a été le plus profondément transformé. Luc
précise qu'il s'agit d'une tentation de « puissance », ayant pour
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objet un pouvoir de type poli tique; par contre-coup, il est
amené à rappeler qu'un pouvoir de ce genre relève immédiate-
ment de celui qui est appelé ailleurs « le prince de ce monde ».
Il est trop tôt pour saisir la raison qui a provoqué ces
retouches; leur portée apparaîtra plus clairement quand nous
pourrons les rapprocher de la conclusion que Luc a donnée Ã
cet épisode. Contentons-nous pour l'instant de retenir l'intérêt
que l'évangéliste porte à une conception qui reconnaît au
diable la libre disposition des pouvoirs politiques qui régissent
le monde habité.
62. Cfr K. Stendahl, op. cit., p. 89.
LA TROISIÈME TENTATION (w. g-I2) 6l
La troisième tentation (vv. 9-12)
Le récit de Luc commence ainsi: ^yayev Sè aÙTèv sic, Tepou-
aocXifjjx; chez Matthieu: t6ts roxpaXa(xPavei aÙTèv ô §ià (3oXoç eîç
ttjv à ytav toSXiv. Il faut attribuer à Luc la conjonction 8é et
l'emploi de l'aoriste; à Matthieu la conjonction tôts et l'expres-
sion « la Ville sainte » pour désigner Jérusalem (cfr 27,53, et
aussi 24,15: «le Lieu saint»). Pour 7tapaXa(j$à vco sic,, même
problème que dans le récit de la deuxième tentation. - A
Jérusalem, le diable place Jésus sur le pinacle du Temple:
xal I«ttt]osv [<xût6v] è7tl to 7tTepûyiov toû îepoG; les deux textes
sont identiques, à part l'omission du pronom aÙTov, jugé super-
flu par Luc.
Le diable « dit » alors (Luc substitue l'aoriste au présent) :
si xAbc, si tou 0eoû, (3à Xe asauTov èvTeOGev xà fw. Mêmes termes
chez Matthieu, à part l'adverbe èvTeO0ev, qui pourrait être une
précision de Luc (on le retrouve en Lc 13,31, pas ailleurs dans
les Synoptiques). Le diable justifie sa suggestion par une cita-
tion du Ps 90,11-12 (LXX) : « Car il est écrit qu'il a donné des
ordres à ses anges à ton sujet... » Matthieu omet la deuxième
partie du v. 11; Luc en donne les premiers mots: «pour qu'ils
te gardent », mais il ne transcrit pas la suite : « dans toutes tes
voies ». Chez Matthieu, le v. 12 du psaume est enchaîné au
v. 11a par la simple conjonction xat: «et ils te porteront sur
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leurs mains, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre ».
Luc sait qu'il manque quelque chose; il l'indique en donnant
le v. 12 comme une nouvelle citation: «et que (xal 6ti) ils te
porteront... » Dans la première tentation, c'est Matthieu qui
cite plus longuement l'Écriture; ici, c'est Luc qui fait preuve
d'un scrupule d'exactitude. Il est fort possible que ce scrupule
soit attribuable à l'évangéliste plutôt qu'à sa source63. En
tout cas, fait frappant, chacune des réponses de Jésus est un
peu plus longue chez Matthieu que chez Luc, alors que Luc
s'attarde davantage aux interventions du diable; il développe
très fort la deuxième et lui prête une citation plus complète
63. A la citation d'Is 40,3 (Lc 3,4 = Mc 1,3; Mt 3,3), Luc ajoute les vv. 4 et 5
(Lc 3,5-6).
62
LE RÉCIT DE LUC
dans la troisième. L'attention de Matthieu se concentre mani-
festement sur les paroles de Jésus; Luc s'intéresse visiblement
au diable et à ses propos.
Pour introduire la réponse de Jésus, Matthieu écrit : l<pr) aôTcj>
ô 'I-rçaoOç; Luc précise une fois de plus que Jésus «répond»:
xal à 7toxpi0elç eïrev aÙT<{> ô 'Iyjaouç. Avant de citer les paroles,
il maintient la conjonction (m, comme il l'a fait dans la réponse
de Jésus à la première tentation.
C'est encore le Deutéronome qui fournit la réponse : « Tu ne
tenteras pas le Seigneur ton Dieu » (Dt 6,16). D'accord pour
les termes de la citation, les évangélistes diffèrent par le lemme
d'introduction ; d'après Matthieu : toxXiv yéYpaTtTai, d'après Luc :
eïp7)Tai. Le 7t«Xiv de Matthieu est répété à la ligne suivante:
c'est le premier mot du récit de la tentation qui revient en
dernier lieu. Nous avons admis qu'Ã cet endroit l'addition par
Matthieu est vraisemblable; elle s'expliquerait assez bien
comme la répétition involontaire d'un mot qui avait d'abord
été transcrit d'après la source. Il serait moins plausible d'attri-
buer à l'évangéliste l'insertion du même adverbe deux fois
coup sur coup. Il est d'ailleurs en excellente situation dans la
réponse de Jésus au diable: le diable vient de citer un texte
biblique, Jésus oppose à ce texte un autre texte, suivant la
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meilleure tradition scolaire. Le diable a introduit les paroles
du psaume par «il est écrit»; Jésus réplique: «il est écrit
aussi ». Luc n'a pas saisi la force de ce tac au tac ; il a supprimé
le 7ià Xiv, comme il le fait généralement, et a substitué au lemme
primitif un lemme à sa façon: eïpTjTai64. Ainsi, après avoir
64. elpTiTat, au parfait passif, n'est pas employé ailleurs dans le N. T. pour intro-
duire une citation scripturaire ; mais cette formule correspond à la tournure parti-
cipiale t6 etp7)nivov de Lc 2,24; Act 2,16; 13,40 et Rom 4,18. Matthieu emploie
l'aoriste: tppéfh) (5,21.27.31.33.38.43; cfr Rom 9,12.26), ou tô 6t)84v (1,22; 2,15.17.
23; 4,i4; 8,17; 12,17; 13,35; 21,4; 22,31; 24,15; 27,9; voir aussi 3,3). L'Épître aux
Hébreux s'exprime à la voix active, elpjpm (2,13; 4,3; 10,9; 13,5; cfr 10,15). _ Chan-
gement analogue en Lc 22,22, où, au lieu de xa9ùç yirfficmtM irapl aûtoô (Mc 14,21 ;
Mt 26,24), Luc écrit xotTdt tô copioiUvov (hapax évangélique, ce verbe iplÇoi revient
5 fois dans les Actes). Luc ne fait pourtant pas difficulté à utiliser le lemme ■xtrpaarzai,
avec et sans indication de l'endroit précis où la chose « est écrite » : à preuve, le fait
que, dans le récit des tentations, il l'emploie dans les w. 4,8 et 10 (cfr 7,27; 19,46;
24,46; Act 23,5, etc.). On peut penser que c'est justement parce qu'il a déjà écrit
trois fois ytnttanm qu'il n'a pas voulu aller jusque quatre (en 22,22, c'est en chan-
geant le style du verset tout entier qu'il a été amené à substituer une autre formule
à yiyiMiiiw).
l'épilogue (v. 13)
63
appuyé sur les paroles du diable, il affaiblit la réponse de Jésus.
L'intérêt que Luc porte au diable est moins frappant dans
cette dernière tentation que dans la précédente; les traits qui
manifestent cet intérêt sont cependant significatifs: souci de
précision dans l'addition de l'adverbe èvTeOOev et soin apporté
à l'exactitude de la citation du Ps 90. Ces détails prennent leur
valeur quand on les compare à une certaine négligence de
l'évangéliste dans la relation des paroles de Jésus.
Les observations que nous venons de faire appellent un com-
plément, purement négatif: le texte qui rapporte la troisième
tentation ne nous a fourni aucune indication sur le motif
pour lequel Luc a voulu laisser cet épisode pour la fin; aucun
trait, par exemple, pour accentuer l'importance du lieu où
la tentation se situe: Jérusalem, le Temple. Pour éclairer ce
point, il faudrait sans doute faire appel à un contexte plus
large; avant cela, il est préférable d'achever notre lecture.
L'épilogue (v. 13)
Luc commence par noter que les tentations sont finies, le
diable a épuisé tous ses moyens: xal auvTeXéaaç roxvTa raipaa-
(x6v85. Rien de pareil chez Matthieu. Le participe ouvTeXéeraç
fait écho à l'expression aovTsXeffOeiffôv aÛTcôv, dont Luc s'est
servi dans l'introduction (v. 2). Le substantif 7reipaa(x6ç corres-
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pond au participe 7isipa^6(xevoç du début (ibid.) et se prend
dans le même sens moral, «tentation» (cfr Lc 8,13; 11,4;
22,40.46), non dans le sens plus général où l'on parle
65. rtdtvtoc ipanpft»: explications justes, mais un peu embrouillées, dans Feuillet,
Biblica, 1959, p. 620. Il est exact que l'expression ne signifie pas ■toute la tentation »,
« la tentation tout entière » (sans qu'il y manque rien) : ce qui se dirait nâcmt t6v
tmpoto|i6v, ou t6v nupaoïtà v nivta (adjectif en position attributive). Ici l'adjectif est
en position spécificative : « toute tentation », au sens (habituel quand il n'y a pas
d'article) de < chaque tentation ». La traduction < ayant épuisé toute tentation »
(Osty, Nouveau Testament) n'est pas inexacte ; mais il est plus clair de dire : « ayant
épuisé toutes les formes de la tentation » (Osty, Bible de Jérusalem), « ayant épuisé
tous ses moyens de tentation » (f Centenaire »), < après avoir épuisé tous les moyens
de le tenter » (Botte), « when the devil had exausted every way of tempting » (Bauer-
Arndt).
64
LE RÉCIT DE LUC
«d'épreuves» (cfr Lc 22,28; Act 20,19)M. Arrivé au bout de
son récit, Luc rappelle le début, qui indiquait déjà la significa-
tion générale.
Le texte poursuit: ô Sià (3oXoç inéart] à 7t'aÙToû; Matthieu
écrit : t6te à cptTjeriv aÙTôv ô Sià (3oXoç. Mis à part le t6ts, employé
pour la quatrième fois dans cet épisode, la rédaction de Mat-
thieu reflète sans doute mieux l'original. Luc se devait d'éli-
miner le présent historique et de lui substituer un aoriste. Il
modifie en même temps la construction un peu désinvolte,
«le diable le laisse» en remplaçant Ã
diable s'éloigna de lui ».
Matthieu ajoute: xal îSoù &yyzkoi 7tpo
aÙTcji. On reconnaît son style dans le xai LSoû67 et dans le verbe
7cpoo7)X0ov, correspondant au 7cpo(ieX0G>v de la première tenta-
tion. Ces particularités rédactionnelles mises à part, la notice
de Matthieu reproduit exactement le v. 13b de Marc: xal ot
ayreXoi Sit]x6vouv aÙTcji. Il n'est donc pas possible de faire remon-
ter ce « service des anges » à la source que Matthieu et Luc
ont suivie dans leur récit des tentations. Luc ne disant rien du
service des anges, on ne saurait lui reprocher de l'avoir omis;
son silence montre simplement qu'après avoir écarté Marc
pour s'inspirer de la source plus développée, il n'a pas songé
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à demander à Marc le trait que Matthieu lui a emprunté dans
sa conclusion.
66. Il ne faut pas entendre renpoonol et netpaon6ç de façon univoque, comme le
remarquent, par exemple, H. Seesemann, art. cit., pp. 35-37; R. Schnackenburg,
art. cit., pp. 324 s. Les neipaonol du Christ dont il est question dans Lc 22,28 ne sont
pas nécessairement de la même nature que le jreipaan6ç dont Lc 4,13 signale l'achève-
ment (contre Feuillet, art. cit., p. 621). En fait, Luc parlera encore des 1 épreuves »
de Jésus, mais il ne mentionnera plus de « tentations » qu'à propos des disciples ;
en particulier, il ne retiendra pas la malheureuse intervention de Pierre à Césarée
de Philippe (Mc 8,32-33 = Mt 16,22-23). La victoire que Jésus a remportée dans
le désert sur le tentateur est définitive (Seesemann, p. 37) ; le diable a vraiment
« épuisé tous ses moyens de tentation », et quand il reparaîtra sur la scène, ce ne
sera plus pour « tenter » Jésus mais pour provoquer sa mort. Ces observations
indiquent le sens dans lequel il faut prendre la remarque du v. 13: dans la pensée
de Luc, les tentations de Jésus sont vraiment achevées, il ne s'en présentera plus
d'autres. Les épreuves qu'il rencontrera dans la suite ne mettront plus en cause
sa fidélité à Dieu et à la mission qui lui a été confiée par son Père.
67. Cette expression n'apparaît jamais chez Marc; on la trouve 28 fois chez
Matthieu. A noter d'ailleurs qu'elle ne déplaît pas à Luc : il l'emploie 26 fois dans
l'évangile et 10 fois dans les Actes (3 fois dans xal vOv 18oû).
l'épilogue (v. 13)
65
Luc termine par une autre précision : « le diable s'éloigna de
lui pour un temps », ou « jusqu'au temps (marqué) », à ^P1
xaipoû. L'expression ne revient qu'en un seul autre endroit du
N. T., Act 13,11: Élymas, qui voulait faire obstacle à Paul,
sera privé du soleil « pour un temps »; par ailleurs, la préposi-
tion &XP1 semble particulièrement familière à Luc68. Ce trait
final n'a aucune chance de remonter à la source ; il faut y voir
une addition de Luc.
Ainsi Matthieu achève le récit en nous montrant Jésus servi
par les anges, Luc en nous prévenant que le diable ne se retire
que pour un temps; Matthieu nous parle de Jésus, Luc nous
parle du diable. Le trait final témoigne une dernière fois de
l'intérêt que Luc prend à ce personnage. Il quitte la scène, mais
« pour un temps » seulement : ce qui veut dire nornalement qu'il
reviendra à l'assaut69. En ajoutant xaipoû, Luc montre qu'il
songe à une autre scène70; il avertit son lecteur que le diable
reparaîtra, que les tentations dans le désert ne sont qu'une
première escarmouche. Ce passage n'est pas le seul où Luc prend
soin de préparer la suite de son récit. Un des exemples les plus
frappants se trouve dans le passage où, suivant la triple tradi-
tion, Luc rapporte qu'Hérode le Tétrarque, entendant parler
de Jésus, se demande s'il ne serait pas Jean-Baptiste redivivus
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(Lc 9,7-ga = Mc 6,14-16) ; Luc ajoute seul (v. 9b) : « Quel est
donc celui dont j'entends dire de pareilles choses? - Et il cher-
chait à le voir. » Dans l'histoire de la Passion, où Hérode repa-
raît, Luc fait le raccord avec ce qu'il avait ajouté au ch. 9:
«A la vue de Jésus, Hérode se réjouit vivement; car depuis
longtemps il désirait le voir pour ce qu'il entendait dire de
lui » (23,8). La réflexion d'Hérode en Mc 6,14-16 servait d'intro-
68. Marc ne l'emploie pas, Matthieu, une seule fois (24,38 = Lc 17,27), Luc,
4 fois dans l'évangile (remarquer surtout 21,24, ajoutant en finale Sxpi o8 nXiipcoS&aiv
xatpol tftvûv, qui est sans parallèle dans Mc et Mt) et 15 fois dans les Actes.
69. Quand il reviendra, ce ne sera pas nécessairement pour « tenter » Jésus Ã
nouveau, pour l'induire à pécher en désobéissant à Dieu. En fait, l'histoire de la
Passion ne parle de « tentation » qu'à propos des disciples (Lc 22,40.46) : Satan les
criblera comme du froment (22,31), mettant leur foi en péril (22,32; cfr 24,21-24);
Luc précise ainsi le < scandale » dont il est question dans Mt 26,31.33 et Mc 14,27.29.
Cfr Schnackenburg, art. cit., pp. 324 s.
70. Il ne suffit pas de voir là une simple précision dictée par le souci d'exactitude
historique: P. Kbttkr, Die Versuchung Jesu, p. 131.
Le* tentations... j
66
LE RÉCIT DE LUC
duction à l'histoire de la décollation de Jean-Baptiste (vv. 17-
29); Luc n'a pas repris cette histoire, mais il a retenu la ré-
flexion parce qu'elle préparait un épisode de la Passion n.
Le soin que Luc apporte dans la composition de son récit,
cherchant à lier des épisodes parfois fort éloignés les uns des
autres, doit nous rendre attentifs à l'indication par laquelle il
a voulu terminer l'histoire des tentations. Puisque le diable ne
se retire que à ^P1 xaipoû, quel est le xocip6ç où il reparaît?
Aucune hésitation n'est possible72 : Luc présente explicitement
le diable comme un acteur de la Passion. L'histoire de la
Passion commence par la trahison de Judas: il va trouver les
grands prêtres pour leur offrir de livrer Jésus (Le 22,3-6 =
Mc 14,10-11; Mt 26,14-16). Au début de cette péricope, Luc
ajoute une précision significative: « Or Satan entra dans Judas,
appelé Iscariote .. » (22,3). Voici la rentrée en scène du per-
sonnage, qui se dissimule maintenant sous le traître. Jésus voit
clair; derrière ses ennemis, il reconnaît l'adversaire qui les
pousse. Il le déclare au moment de son arrestation. Luc repro-
duit d'abord les paroles attestées par la triple tradition : « Alors
que chaque jour j'étais avec vous dans le Temple, vous n'avez
pas porté la main sur moi» (22,53a = Mc 14,49; Mt 26,55);
il ajoute ensuite, seul cette fois: «mais c'est votre heure, et la
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puissance des ténèbres », à XX' afrr/] èaTlv ûfxûv y) &pa xal fj
èl-ouata toû
est en réalité celle de la puissance des ténèbres dont ils ne
sont que les instruments ; c'est le xocipôç de Satan.
Il faut établir un rapport entre la précision finale de l'histoire
des tentations et les deux précisions ajoutées par Luc dans
l'histoire de la Passion. Les tentations et la Passion sont deux
actes d'une même lutte entre Jésus et Satan; battu dans le
71. Autre exemple: la manière dont Luc retouche l'épisode du tribut à payer
à César (20,20-26) et le rappelle dans les accusations portées contre Jésus devant
Pilate (23,2). Dans le troisième évangile, le récit du ch. 20 prend son vrai sens dans
le rapport qui l'unit à l'histoire de la Passion.
72. De fait, les commentateurs n'hésitent pas. Voir, en particulier, l'insistance
de H. Conzelmann, Die Mitte der Zeit. Studien zur Theologie des Lukas (Beitrâge
zur historischen Theologie, 17), 3e éd., Tubingue, i960, pp. 9, 22, 69, 74, 115, 158.
M. Feuillet lui-même l'accorde: art. cit., p. 630, n. 2. Le logion de 10,18 (Satan tom-
bant du ciel comme l'éclair) ne constitue pas une vraie rentrée en scène du per-
sonnage.
LA DERNIÈRE TENTATION
67
désert, le diable ne disparaît que pour préparer une autre
offensive, celle qui conduira Jésus au supplice de la croix.
C'est Satan qui, alors, restera maître du terrain ; mais pas pour
longtemps: trois jours seulement.
Le petit trait dcxpi xaipoû est lourd de sens. Il suffit pour
montrer que Luc voit dans les tentations le prélude de la
Passion, l'épisode qui doit éclairer la signification profonde du
drame du Vendredi Saint en indiquant que Jésus n'y est
pas seulement aux prises avec des hommes hostiles, mais avec
le prince des ténèbres en personne.
A partir de cette donnée sûre, nous pouvons revenir en arrière
et nous interroger à nouveau sur la raison pour laquelle Luc
a interverti l'ordre des tentations. On peut présumer que
l'ordre qu'il a adopté n'est pas sans rapport avec le sens qu'il
attribue à l'épisode.
La dernière tentation
Pour rendre compte de l'ordonnance adoptée par Luc dans
l'histoire des tentations, beaucoup d'exégètes font appel Ã
l'importance que l'évangéliste attache aux considérations géo-
graphiques. Ces considérations jouent un rôle capital dans
l'organisation de ses deux livres: le fait est incontestable78.
Qu'on pense, par exemple, au schéma de l'évangile: Galilée,
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voyage de Galilée à Jérusalem, Jérusalem; ce schéma est si
rigoureux qu'il conduit Luc à supprimer la mention de Césarée
de Philippe ou celle des apparitions du Ressuscité en Galilée.
Des préoccupations du même genre peuvent avoir poussé Luc
à mentionner d'abord les tentations qui se situent dans le
désert, ensuite seulement celle qui se place à Jérusalem74. Cette
73. Outre les indications fournies par H. Conzelmann, op. cit., on peut consulter
notre article Le salut des Gentils et la signification théologique du Livre des Actes,
New Testament Studies, 6 (1959-60), 132-155 (cfr pp. 134 s.). A un point de vue qui
ne coïncide pas exactement avec le nôtre : W. Schmauch, Orte der Offenbarung und
der Offenbarungsort im Neuen Testament, Goettingue, 1956, pp. 82 ss. ; B. Gerhards-
son, Memory and Manuscript. Oral Tradition and Written Transmission in Rab-
binic Judaism and Early Christianity (Acta Seminarii Neotest. Upsal., XXII),
Uppsala, 1961, pp. 214-220.
74. Explications en ce sens chez A. Loisy, A. H. M'Neile, M.-J. Lagrange,
J. M. Creed: cfr Feuillet, art. cit., pp. 620 s.
68
LE RÉCIT DE LUC
explication nous paraît exacte, mais incomplète. Nous admet-
tons volontiers que Jérusalem a été laissée pour la fin parce
qu'on n'y est plus dans le désert; mais cette considération
reste trop négative. Elle néglige la signification plus profonde
qui s'attache à la Ville sainte dans l'œuvre de Luc: lieu géo-
graphique, elle est aussi un lieu théologique. Le motif qui a
poussé Luc à reporter en dernier lieu la tentation située à Jéru-
salem est à chercher dans le rôle qu'il attribue à cette ville
dans l'histoire du salut.
Pas n'est besoin d'examiner tous les passages de l'évangile
et du Livre des Actes où il est question de Jérusalem; il suffit
de relever ceux qui en parlent à propos de Jésus. Nous croyons
pouvoir montrer que, dans le troisième évangile, Jérusalem est
essentiellement la ville où doivent trouver leur accomplissement
les prophéties qui annoncent les souffrances et la gloire du
Messie.
Après la tentation, le premier passage à parler de Jérusalem
en relation avec Jésus se trouve dans l'épisode de la Trans-
figuration. Les trois Synoptiques sont d'accord pour rapporter
qu'à ce moment Moïse et Élie apparurent et se mirent à con-
verser avec Jésus; Luc seul signale que, pendant ce temps-là ,
les apôtres dormaient, et seul aussi, il nous renseigne sur
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l'objet de l'entretien de Moïse et Élie avec Jésus: « Ils parlaient
de son départ (iXeyov tt)v IÇoSov ocÙtoG), qu'il allait accomplir Ã
Jérusalem» (9,31). Ce «départ» de Jésus, l'accomplissement
de sa destinée lors de la dernière Pâque75, Luc tient à le pré-
ciser, c'est à Jérusalem qu'il se fera.
75. Lc 9,31 fournit la base des recherches fort suggestives de J. Mânek, The New
Exodus in tke Books of Luke, Novum Testamentum, 2 (1957-58), 8-23. L'auteur affirme
très nettement que I'è%o8o5 dont il est ici question n'est pas la mort de Jésus, mais
sa résurrection : « The exodus in Luke's account is the leaving of the sepulchre, the
realm of death, and not in any way Jesus' end, His death, His crucifixion » (p. 12).
Nous ne croyons pas que cette manière d'opposer les deux temps du mystère pascal
corresponde à la pensée de Luc. A ses yeux, « il fallait que le Christ souffrît pour
entrer dans sa gloire» (Lc 24,26), accomplissant ainsi ce qui «était écrit: que le
Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour » (v. 46). Il ne
faut pas séparer les deux aspects complémentaires du mystère pascal, encore moins
les opposer; l'ÕÇo8oç que le Christ doit accomplir à Jérusalem n'est pas uniquement
sa mort, mais ce n'est pas non plus uniquement sa résurrection. M. Feuillet corrige
dans le même sens en renvoyant à l'article de M. Mânek pour justifier son affirma-
tion: f A la différence de Matthieu et de Marc qui situent le nouvel exode au début
LA DERNIÈRE TENTATION
69
Puis on se met en route. Luc l'annonce dans une notice
extrêmement solennelle: « Or, comme approchaient les jours de
son enlèvement, il prit la résolution de (litt. il durcit sa face
pour) se rendre à Jérusalem » (9,51). Jérusalem était l'endroit
de l'ëÇoSoç de Jésus; elle est maintenant celui de son à và X-qfxtJ'K;.
La suite du récit rappelle cette annonce par toute une série de
notices rédactionnelles propres à Luc : « Il faisait route vers
Jérusalem » (9,53), « Il cheminait par villes et villages, ensei-
gnant et faisant route vers Jérusalem » (13,22), « Comme il
faisait route vers Jérusalem... » (17,11), « Il était près de Jéru-
salem » (19,11). Dans ce contexte, on trouve le logion que Luc
est seul à transmettre: « Aujourd'hui, demain et le jour suivant,
je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas qu'un pro-
phète périsse hors de Jérusalem » (13,33). Il y a aussi une pro-
phétie, qui est connue de Marc (10,33): « Voici que nous mon-
tons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré... »; Luc
insiste : « Voici que nous montons à Jérusalem et que s'accom-
plira tout ce qui a été écrit au sujet du Fils de l'homme. Car
il sera livré... » (18,31). On finit par arriver. Marc écrit: « Lors-
qu'ils approchent de Jérusalem, vers Bethphagé et Béthanie... »
(11,1); voyez le relief que cette indication prend chez Luc: « Il
marchait devant, montant à Jérusalem; or, lorsqu'il approcha
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de Bethphagé et de Béthanie... » (19,28).
Depuis la Transfiguration, Jérusalem est à l'horizon comme
la ville où Jésus va accomplir sa destinée. Avant la Transfigura-
tion, pointant vers Jérusalem, on trouve non seulement la
Tentation, mais deux épisodes de l'évangile de l'enfance: celui
de la présentation dans le Temple, avec la prophétie de Siméon,
première annonce de la Passion (2,34-35), et celui de la perte
de l'enfant, retrouvé dans le Temple après trois jours, et pro-
nonçant alors une parole mystérieuse qui ne devait être com-
prise que plus tard (2,41-50) : il s'agit probablement d'une pre-
mière préfiguration de la Pâque suprême76.
du ministère public de Jésus, le troisième évangéliste semble le rattacher à la Pas-
sion » (p. 616).
76. C'est l'interprétation que nous avons proposée dans l'étude Jésus à douze ans
(Luc 2,41-52), dans Premier dimanche après l'Épiphanie (Assemblées du Seigneur,
16), Bruges, 1961, pp. 25-43.
70
LE RÉCIT DE LUC
Ce contexte permet de soupçonner la raison pour laquelle
Luc a voulu faire culminer l'histoire des tentations en celle qui
a lieu à Jérusalem. Jérusalem est la ville où Jésus doit « accom-
plir son départ » (9,31), où il doit souffrir sa passion. Il convenait
que ce fût là que les tentations s'achèvent et que le diable se
retirât de lui; c'est là aussi que le diable doit reparaître, non
plus pour « tenter » Jésus, mais pour provoquer l'épreuve
ultime, dont les tentations ne sont que le prodrome.
Conclusion
Parmi les préoccupations qui se manifestent dans le récit de
Lc 4,1-13, la plus visible est le souci d'écrire correctement et
d'être clair: c'est chose encore fort superficielle; on peut en dire
autant de son souci d'être vraisemblable dans les données de
son récit : un seul pain dans la première tentation, omission de
la montagne dans la seconde.
Le début de la péricope montre un souci de rattacher cette
histoire à celle du Baptême ; et le trait final annonce une suite,
qui, en fait, sera l'histoire de la Passion.
Luc conçoit donc l'épisode des tentations comme une suite
du Baptême et il tient à le présenter comme tel. Rien de nou-
veau à cela : Marc et Matthieu lient également les deux épisodes,
et le lien est inhérent au récit lui-même, où les suggestions du
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tentateur : « Si tu es Fils de Dieu », supposent la théophanie du
Jourdain 71. Si Luc insiste sur l'enchaînement, c'est parce qu'il
77. Le caractère traditionnel du rapport à établir entre le baptême et les tenta-
tions dans le désert peut trouver une confirmation dans la parénèse de i Cor 10
(cfr B. M. F. van Iersel, «Der Sohn », pp. 168 s.). Paul commence par rappeler aux
Corinthiens les événements de la sortie d'Égypte, en s'arrangeant de manière Ã
mettre en valeur leur portée symbolique: les Israélites «ont tous été sous la nuée,
tous ont passé à travers la mer, tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans
la mer; tous ont mangé le même aliment spirituel et tous ont bu le même breuvage
spirituel » (w. 1-3). Ils ont donc reçu une initiation toute semblable à celle des
chrétiens. Et cependant le plus grand nombre d'entre eux n'a pas été agréable Ã
Dieu (v. 5). Leur exemple doit nous apprendre à ne pas avoir de convoitises mauvaises
comme ils en eurent eux-mêmes (v. 6), à ne pas devenir idolâtres comme ils l'ont été
d'après Ex 32,6 (v. 7), à ne pas forniquer comme ils l'ont fait d'après Nb 25 (v. 8),
à ne pas tenter le Seigneur comme ils l'ont fait d'après Nb 21 (v. 9), à ne pas mur-
murer comme ils l'ont fait d'après Nb 17 (v. 10). L'histoire des défections d'Israël
au cours de sa marche dans le désert doit donc mettre les baptisés en garde contre
CONCLUSION 71
a intercalé une généalogie entre les deux événements; dans la
rédaction des tentations, nous n'avons trouvé aucun élément
nouveau destiné à rappeler le Baptême.
Le rattachement à l'histoire de la Passion se présente sous
un jour tout différent: il résulte d'une retouche tout à fait
personnelle de Luc et prélude à d'autres retouches du même
genre dans le récit de la Passion. Nous avons affaire ici à une
conception particulière de l'évangéliste, qui a reconnu derrière
les acteurs du drame la présence de Satan. En fonction de cette
idée qu'il se fait de la Passion, Luc a compris l'épisode des
tentations comme une première passe d'armes avant la lutte
décisive qui aboutira à la crucifixion, mais aussi à la gloire de
Pâques.
La signification nouvelle que Luc attribue à l'épisode des
tentations nous a permis de comprendre deux autres particu-
larités de sa rédaction. Dans l'intérêt un peu surprenant qu'il
accorde au diable et à ses propos, intérêt qui contraste avec
l'attention que Matthieu concentre sur la personne du Christ,
Luc semble réserver le meilleur de sa sollicitude aux paroles
du diable, veillant à la vraisemblance de sa suggestion dans
la première tentation, à l'exactitude de sa citation biblique dans
la troisième, ajoutant des précisions nouvelles dans la troisième
et surtout dans la deuxième. Il ne montre pas tant de soin
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pour les paroles de Jésus. C'est que, dans la perspective de Luc,
Satan est l'acteur principal du drame de la Passion; Luc pro-
fite de l'occasion qui lui est fournie de présenter l'adversaire
qui, vaincu dans le désert, triomphera à Jérusalem le Vendredi
Saint.
L'autre particularité du récit de Luc est son ordonnance, qui
situe le point culminant des tentations à Jérusalem. Cette
ordonnance correspond à l'angle sous lequel Luc voit Jérusalem
tout au long du récit évangélique: Jérusalem est la ville où
Jésus doit accomplir son ëÇoSoç. C'est donc là que Satan se
les tentations qui les attendent après leur baptême. L'épisode des tentations de
Jésus a sa place tout indiquée dans ce schéma : le Seigneur, lui aussi, a été tenté après
son baptême, alors qu'il séjournait dans le désert. Le schéma reste valable, même si,
pour préciser les tentations, Paul ne recourt pas aux mêmes textes que le récit évan-
gélique; rien n'oblige à ramener les deux séries de tentations à un même prototype.
72
LE RÉCIT DE LUC
voit forcé de se retirer une première fois devant Jésus, comme
c'est là également qu'il reviendra à l'attaque pour déclencher
la tragédie sanglante.
Il semble donc que, pour être compris dans la perspective
propre à Luc, son récit des tentations de Jésus dans le désert
doit être interprété en étroite relation avec l'histoire de la
Passion. Il éclaire cette histoire en nous faisant connaître
l'adversaire caché qui en mènera le jeu, dissimulé derrière les
acteurs humains; le récit des tentations nous permet de mieux
saisir l'arrière-fond mystérieux du drame de la croix. Mais,
inversement, c'est la Passion qui permet de donner tout son
sens à l'épisode qui la prépare et l'annonce, déjà orienté vers
elle, première étape de l'histoire du salut qui s'achève à Jéru-
salem lors de la dernière Pâque.
L'explication que nous proposons rencontre, pensons-nous,
l'assentiment de M. Feuillet. Il a fort bien dit78 que, dans
Matthieu, le récit des tentations regarde vers le passé d'Israël,
pour montrer comment les événements de l'Exode ont été
vécus une nouvelle fois et reçu leur accomplissement dans la
personne du Christ, tandis que le récit de Luc est orienté vers
l'avenir, vers les événements de Pâques, qui ont véritablement
fondé l'économie nouvelle et achevé l'œuvre de notre salut. A
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l'encontre de M. Feuillet79, nous pensons simplement qu'il
faut s'arrêter là ; nous ne découvrons dans le texte ni typologie
adamique, ni évocation des tentations du paradis, ni préoccu-
pation directement parénétique. Ce que nous retenons n'est
pourtant pas peu de chose; c'est bien assez pour reconnaître
à Luc une admirable profondeur de vues sur le mystère de
notre rédemption.
78. Biblica, 1959, p. 630.
79. En nous séparant de M. Feuillet dans ce qu'il écrivait en 1959, nous croyons
suivre la ligne de sa propre pensée. Il écrivait alors: «Déjà la brève mention de
l'épisode de la Tentation faite par saint Marc (1,12-13) évoque, en même temps que
le séjour des Hébreux au désert, l'existence d'Adam au paradis terrestre: la com-
pagnie des bêtes sauvages et le service des anges ont souvent été, non sans raison,
interprétés en ces sens » (p. 627). L'interprétation à laquelle M. Feuillet se rallie
(celle de J. Jeremias, J. Schniewind, E. Klostermann) est encore signalée dans
l'article de i960 (p. 65); mais c'est dans une direction toute différente que notre
auteur s'engage quand il fait appel au Deutéronome et aux oracles messianiques
d'Isale qui font la transposition eschatologique des thèmes de l'exode.
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III
L'ORIGINE DU RÉCIT
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Les trois évangiles synoptiques rapportent qu'après son
baptême dans le Jourdain Jésus fit au désert un séjour de
quarante jours, pendant lequel, ou à la fin duquel, le diable vint
le tenter. Alors que Marc signale simplement le fait (1,12-13),
Matthieu (4,1-11) et Luc (4,1-13) racontent en détail les
assauts que Jésus eut à subir de la part du tentateur et la
manière dont il en triompha. Devant cet épisode quelque peu
singulier de l'histoire évangélique, différentes questions se
posent à l'exégète1 : il y a lieu de se demander d'abord ce qu'il
signifiait dans la pensée de ceux qui le rapportent, de préciser
le sens que lui donnent les termes et le contexte de chacune
des trois rédactions évangéliquesa. Du point de vue de la
1. Cfr R. Schnackenburg, Der Sinn der Versuchung Jesu bei den Synoptikern,
dans Theol. Quartalschr., 132 (1952), 297-326 (297 s.). - Pour l'histoire de l'interpré-
tation de cet épisode, voir K.-P. Kôppen, Die Auslegung der Versuchungsgeschichte
unter besonderer Beriicksichtigung der Alten Kirche (Beitrâge zur Geschichte der
biblischen Exegese, 4), Tubingue, 1961 (l'exégèse patristique, avec brefs complé-
ments sur l'exégèse médiévale et sur Luther); M. Steiner, La Tentation de Jésus
dans l'interprétation patristique de saint Justin à Origène (Études Bibliques), Paris,
1962; P. Ketter, Die Versuchung Jesu nach dem Berichte der Synoptiker (Neutestl.
Abh., VI, 3), Munster-W., 1918, pp. 87-100; A. Dondorp, De verzoekingen van
Jezus Christus in de woestijn, Kampen, 1951 (bibliographie très abondante, mais
appelant vérifications; nivellement où les études spécialisées sont noyées au milieu
d'exposés de deuxième ou de troisième ordre ; classement systématique qui simplifie
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à l'excès les opinions rapportées) ; E. Fascher, Jesus und der Satan. Eine Studie zur
Auslegung der Versuchungsgeschichte (Hallische Monographien, 11), Halle, 1949 (bon
résumé de la pensée des principaux représentants de l'exégèse de la péricope). Il
convient aussi de mentionner les études, très bien documentées sur la littérature du
sujet, de A. Feuillet: Le récit lucanien de la tentation (Lc 4,1-13), dans Biblica,
40 (1959), 613-631; L'épisode de la Tentation d'après l'Évangile selon saint Marc
(1,12-13), dans Estudios Biblicos, 19 (1960), 49-73.
2. C'est la question qui fait précisément l'objet de l'étude de Schnackenburg,
art. cit. Pour Marc, on consultera spécialement, outre les commentaires de l'évangile
et l'article de A. Feuillet, déjà cité, J. M. Robinson, Das Geschichtsverstândnis
des Markus-Evangeliums (Abh. zur Theol. des A. und N. T., 30), Zurich, 1956, pp. 25-
33; E. Schweizer, Erniedrigung und Erhbhung bei Jesus und seinen Nachfolgern
(Abh. zur Theol. des A. und N. T., 28), 2e éd., Zurich, 1962, pp. 57 s.; H. G. Leder,
SundenfaUerzâhlung und Versuchungsgeschichte. Zur Interpretation von Mc 1,12. f,
76
l'origine du récit
critique littéraire, il n'y a pas grande difficulté à reconnaître
que les narrations circonstanciées de Matthieu et de Luc sont
simplement deux formes d'un même récit de base ; il est moins
aisé de déterminer le rapport à établir entre ce récit de base et
la notice de Marc3. On arrive à la question de la provenance
des éléments divers qui constituent ces traditions et ont joué
un rôle dans leur élaboration4; il est clair que l'identification
des thèmes utilisés dans les récits est essentielle pour saisir
l'intention de celui ou de ceux qui les ont composés et la
signification originelle qui leur a été attribuée: pour savoir,
par exemple, si les tentations ont une portée messianique ou
non. Les états différents dans lesquels la tradition relative Ã
la tentation de Jésus nous parvient chez Marc et dans le récit
utilisé par Matthieu et Luc soulèvent naturellement la question
de savoir si cette tradition n'a pas connu une élaboration pro-
gressive, dont il serait possible de retracer les étapes5. On
aboutit enfin au problème du point de départ de cette tradi-
tion, de ce qui en a été l'origine, de l'événement historique
dont elle nous conserve le souvenir.
C'est ce dernier problème qui fait l'objet de notre étude.
Nous interrogeant sur le parti qu'un historien doit tirer du
récit des tentations dans le cadre d'une vie de Jésus, nous ne
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pouvons nous contenter de juger vraisemblables ou invraisem-
blables les faits rapportés et, en conséquence, de prendre posi-
tion pour ou contre la réalité de l'apparition du diable, de sa
discussion avec Jésus, des différents théâtres où les tentations
se sont succédées. La seule question valable au point de vue
dans Zeitschr. fiir die Neutestl. Wiss., 54 (1963), 188-216; J. Jkremias, Nachwort
zum Artikel von H. G. Leder, ibid., pp. 278 s.; U. W. Mauser, Christ in the Wilder-
ness. The Wilderness Thème in the Second Gospel and its Basis in the Biblical Tra-
dition (Studies in Biblical Theology, 39), Londres, 1963; M. Brandle, Die Versuchung
Jesu, dans Die grosse Entschluss, 19 (1963-64), 245-248 et 295-297. - Pour Matthieu,
cfr J. Dupont, L'arrière-fond biblique du récit des tentations de Jésus, dans New Test.
St. 3 (1956-57), 287-304; Les tentations de Jésus dans le désert (Mt 4,1-11), dans
Assemblées du Seigneur, n° 26, Premier Dimanche du Carême, Bruges, 1962, pp. 37-
53. - Pour Luc: A. Feuillet, art. cit.; J. Dupont, Les tentations de Jésus dans le
récit de Luc (Luc 4,1-13) dans Sciences Ecclés., 14 (1962), 7-29.
3. Nous aurons à parler de cette question dans la première partie de notre exposé.
4. Bon exemple d'étude orientée en ce sens: M. Sabbe, De tentatione lesu in
deserto, dans Collationes Brugenses, 50 (1954), 459-466.
5. La première partie de notre étude signalera les principales hypothèses relatives
à cette question.
l'origine du récit
77
historique est celle de savoir si ce récit a des chances de remon-
ter à Jésus, seul témoin de l'événement, ou si l'on ne peut y voir
que le produit de l'imagination et de la réflexion d'un théologien
chrétien. La réponse qu'on fera à cette question commande
évidemment l'interprétation qu'il convient de donner au récit.
Devant cette question précise les exégètes adoptent deux
points de vue très différents. Les uns partent du fait incontes-
table que les rédactions évangéliques reposent directement sur
la tradition de la communauté chrétienne; ils auront dès lors
tendance à chercher dans le récit un reflet des préoccupations
des premiers chrétiens, une réponse aux problèmes qui se
posent à eux : cette optique les porte naturellement à expliquer
le récit comme un produit de la communauté. Les autres sont
davantage impressionnés par la foi des premiers chrétiens, et
par le respect que cette foi entraîne à l'égard de la personne
du Maître, à l'égard aussi de ceux qui ont été les témoins privi-
légiés de son existence terrestre; il leur paraît moralement
impossible que, dans ce contexte, on ait pu attribuer au Sei-
gneur des actes qu'il n'aurait pas posés ou des paroles qu'il
n'aurait pas prononcées: cette optique porte naturellement Ã
admettre que les récits évangéliques reposent sur un fondement
objectif, alors même que ce fondement échapperait à nos inves-
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tigations. Ajoutons tout de suite que, dans la pratique, les
options qui dérivent de prémisses si opposées peuvent se
nuancer et se rapprocher: soit qu'on admette que la commu-
nauté chrétienne a élaboré le récit sur la base d'un donné
primitif, soit qu'on reconnaisse que le récit fait par Jésus a pu
subir quelques aménagements au cours de sa transmission6.
Il est clair qu'une discussion entre historiens ne peut être
utile que si l'on trouve un terrain commun, un critère que tout
le monde accepte. La vieille critique historique nous en fournit
6. Penser, par exemple, au petit problème soulevé par le fait que les citations
bibliques sont faites d'après la LXX : cfr K. Stendahl, The School of St. Matthew
and its Use of the Old Testament (Acta Seminarii Neotest. Upsal., XX), Uppsala,
I954> pp- 88-89. Sur les conséquences à tirer de ce fait, voir la discussion qui oppose
deux auteurs: A. W. Argyle, The Accounts of the Temptations of Jesus in Relation
to the Q Hypothesis, dans Exp. Times, 64 (1952-53), 382. Id., Scriptural Quotations in
Q Mat criai, ibid., 65 (1953-54), 285 s.; B. M. Metzger, Scriptural Quotations in Q
Material, ibid., p. 125.
78
l'origine du récit
un, qu'on ne saurait récuser : Is fecit cui prodest, le récit doit
être attribué à celui qui avait intérêt à le faire. Il s'agit donc
de préciser les préoccupations dont témoigne le récit, les besoins
auxquels il semble vouloir apporter une réponse, et de se deman-
der alors si ces besoins sont ceux des auditeurs de Jésus au
cours de son ministère public ou bien ceux de la première
chrétienté. En d'autres termes, le problème qui se pose est celui
de la situation, concrète ou typique7, dans laquelle le récit
trouve naturellement sa raison d'être.
Mais l'investigation des centres d'intérêt qui se traduisent
dans le récit suppose des travaux préalables. Nous n'avons pas
à nous occuper ici des centres d'intérêt qui caractérisent cha-
cune des trois rédactions évangéliques8; il faut remonter plus
7. Le mot « situation » évoque l'expression technique < Sitz im Leben » des prota-
gonistes de la Formgeschichte. Il faut noter cependant que cette expression ne reçoit
pas toujours le même sens et n'est pas toujours prise en son sens strict. Les princi-
paux protagonistes de la méthode se sont pourtant clairement expliqués sur ce
point: R. Bultmann, Die Geschichte der synoptischen Tradition (Forschungen zur Rel.
und Lit. des A. und N. T., 29), 3e éd., Gcettingue, 1957, pp. 4 s. et 40 s.; Id., dans
une recension de E. Fascher, Die formgeschichtliche Methode dans Theol. Literatur-
zeitung, 50 (1925), pp. 313-318, Ã la p. 316; M. Dibelius, Die Formgeschichte des
Evangeliums, 3e éd., Tubingue, 1959, p. 9; K. L. Schmidt, art. Formgeschichte,
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dans Die Religion in Geschichte und Gegenwart, 2e éd., t. Il, 1928, col. 638-640; voir
aussi O. Cullmann, Les récentes études sur la formation de la tradition évangélique,
dans Rev. d'Hist. et de Philos. Rel., 5 (1925), 459-477 et 564-579; E. Schick, Form-
geschichte und Synoptikerexegese. Eine kritische Untersuchung iiber die Môglichkeit
und die Grenzen der formgeschichtlichen Methode (Neutestl. Abh., XVIII, 2-3), Munster-
W., 1940, p. 7; H. Schûrmann, Die vorôsterlichen Anfânge der Logientradition.
Versuch eines formgeschichtlichen Zugangs zum Leben Jesu, dans Der historische Jesus
und der kerygmatische Christus, Berlin, i960, pp. 342-370 (351 s.). Dans la ligne des
recherches de H. Gunkel, le « Sitz im Leben » dont s'occupe la Formgeschichte n'est
pas l'occasion historique particulière qui a vu naître une sentence ou un récit donné;
c'est le milieu sociologique, avec les situations et les comportements typiques d'un
groupe, dans lequel tel genre de sentences ou tel genre de récit trouve ses attaches:
culte, prédication, controverses. En principe, la méthode ne prétend donc pas décou-
vrir où et quand telle parole a été prononcée pour la première fois, mais simplement
le rapport qui unit le genre dont elle relève aux conditions de vie et aux fonctions
caractéristiques d'une communauté. En fait, les protagonistes de la Formgeschichte
dépassent souvent les limites de leur méthode en faisant du milieu sociologique auquel
ils croient pouvoir rattacher un genre donné, non seulement le milieu qui assure la
conservation et la transmission de ce genre, mais celui qui a ef^le genre en question,
et même telle pièce en particulier. Cet abus de la méthode, conséquence des préjugés
philosophiques de ceux qui l'emploient, aboutit à des équivoques sur le sens de l'ex-
pression « Sitz im Leben » : on en arrive à parler du < Sitz im Leben » non plus Ã
propos de la situation typique à laquelle se rattache un genre ou une forme littéraire,
mais à propos de la situation historique concrète qui explique la naissance de telle
parole ou de tel récit. On passe ainsi d'une perspective dans une autre. Il est clair
qu'on peut légitimement s'intéresser à l'une et à l'autre. L'essentiel est de ne pas
les confondre. C'est pour rappeler la distinction nécessaire que nous parlons de < la
situation concrète ou typique ». Nous n'avons pas à choisir pour l'instant.
8. Nous avons fait ce travail pour Matthieu et pour Luc dans les études déjà citées.
L'ORIGINE DU RECIT
79
haut et saisir le récit aussi près que possible de ses origines.
En pratique, il sera nécessaire de s'interroger sur le rapport Ã
établir entre la brève notice de Marc et la narration plus déve-
loppée qui nous parvient par Matthieu et Luc: peut-on les
considérer comme deux témoins d'une tradition plus ancienne,
ou doit-on admettre que l'une dépend de l'autre?
Autre question préalable: celle du sens à attribuer au récit
traditionnel dont on se demande s'il remonte à Jésus ou s'il
est né dans la communauté chrétienne. L'interprétation de ce
texte sera nécessairement tributaire de l'examen des thèmes
et des matériaux qu'il exploite. Nous n'avons pas l'intention
de nous attarder sur ce point. Après avoir montré que la
question de l'attribution à Jésus peut légitimement se poser Ã
propos du récit des trois tentations repris par Matthieu et par
Luc, nous n'aurons pas à répéter ce que nous avons dit ailleurs9
de la signification de ce récit, qui présente les trois tentations
de Jésus comme une reprise victorieuse et un accomplissement
des tentations auxquelles le peuple d'Israël a succombé autre-
fois dans le désert.
La première partie de cet exposé sera donc consacrée aux
deux traditions qui nous renseignent sur les tentations de
9. Dans New Test. St., 1956-57 et dans Assemblées du Seigneur, n° 26 (voir supra,
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n. 2) ; rappelons aussi l'article de M. Sabbe (supra, n. 4). Parmi les nombreuses
études récentes sur la question on peut encore retenir: P. Doble, The Temptations,
dans Exp. Times, LXXII, 1959-60, pp. 91-93; A. B. Taylor, Decision in the Desert.
The Temptation of Jesus in the Light of Deuteronomy dans Interpretation, 14 (1960),
300-309; G. H. P. Thompson, Called-Proved-Obedient: A Study in the Baptism and
Temptation Narratives of Matthew and Luke, dans Journ. of Theol. St., N. S. 11 (1960),
1-12; E. Graham, The Temptation in the Wilderness, dans Church Quart. Rev., 162
(1961), 17-21; L. Ligier, Péché d'Adam et péché du monde, Bible-Kippur-Eucharistie,
t. II (Théologie, 48), Paris, 1961, pp. 11-24; E. Lôvestam, Son and Saviour. A
Study of Acts 13,32-37. With an Appendix: 'Son of God* in the Synoptic Gospels
(Coniectanea Neotestamentica, XVIII), Lund-Copenhague, 1961, pp. 97-101; B. van
Iersel, Jesus bekoord, dans Het Heilig Land, NS 19 (1961), 65-72; B. M. F. van
Iersel, « Der Sohn » in den synoptischen Jesusworten. Christusbezeichnung der Gemein-
de oder Selbstbezeichnung Jesu ? (Nov. Test. Suppl., III) Leyde, 1961 (= 2e éd.,
1964), pp. 165-171; B. Cooke, The Hour of Temptation, dans Way, 2 (1962), 177-187;
H. Riesenfeld, Le caractère messianique de la tentation au désert, dans La Venue du
Messie. Messianisme et Eschatologie (Recherches Bibliques, VI), Bruges, 1962, pp. 51-
63); M. Strange, Temptations, dans Worship, 36 (1962), 227-234; C. Folch Gomes,
As Tentaçâes do Senhor, dans Rev. Gregoriana, 10 (1963), 4-18; A. Bertrangs, Jesus
in de woestijn, dans Het Heilig Land, NS 17 (1964), 68-69; H. A. Kelly, The Devil
in the Desert, dans Cath. Bibl. Quart., 26 (1964), 190-220. Nous ne connaissons que
par son titre la dissertation de P. Zehndorfbr, Die Versuchung Jesu und die Ver-
suchung Israels, Vienne, 1961.
8o
l'origine du récit
Jésus. La deuxième partie examinera les raisons qu'on peut
avoir pour attribuer, ou ne pas attribuer, ce récit à la com-
munauté chrétienne. Une troisième partie présentera les argu-
ments et les objections que soulève l'attribution à Jésus.
I. LES DEUX TRADITIONS
i. Les données
Voici d'abord la brève notice de Marc (1,12-13) :
12Et aussitôt l'Esprit le chasse au désert.
13Et il était dans le désert quarante jours tenté par Satan10;
et il était avec les bêtes, et les anges le servaient.
Luc, qui trouve dans une autre source le récit des trois tenta-
tions diaboliques, a aussi sous les yeux la notice de Marc et
s'en inspire pour présenter les choses à sa manière :
Or Jésus, rempli de l'Esprit Saint, revint du Jourdain,
et il était conduit par l'Esprit dans le désert
10. Noter l'ambiguïté du v. 13a. Beaucoup d'auteurs pensent qu'il faut y recon-
naître un des nombreux exemples de la construction périphrastique chez Marc; le
sens serait donc : « Et, dans le désert, pendant quarante jours, il était tenté par
Satan. » Ainsi notamment J. H. Moulton, A Grammar of New Testament Greek, I,
2e éd., Edimbourg, 1906, p. 227; J. H. Moulton-W. F. Howard, A Grammar of
New Testament Greek, II, Edimbourg, 1919, p. 452 ; A. T. Robertson, A Grammar
of the Greek New Testament in the Light of Historical Research, 3* éd., New-York,
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1919, p. 888; C H. Turnkr, Marcan Usage, dans Journ. of Theol. St., 28 (1927),
p. 349 ; G. D. Kilpatrick, Some Notes on Marcan Usage, dans The Bible Translater, 7
('956), p. 8 ; F. Rienecker, Sprachlicher Schliissel zum Griechischen Netien Testament
(Urtextstudium, I), Giessen-Bâle, 1952, p. 84; c'est la construction défendue, au
nom de l'usage de Marc, par R. Schnackenburg, Der Sinn der Versuchung Jesu,
p. 305, n. 1. - Mais on peut aussi considérer le premier membre comme une propo-
sition complète, en donnant au verbe « être » le sens de « demeurer », et en voyant
dans « tenté par Satan » une précision complémentaire. C'est évidemment ainsi
que l'ont compris les copistes qui ont ajouté txeï: «il était là , dans le désert... »
Voir en ce sens M. Zerwick, Analysis philologica Novi Testamenti graeci, Rome, 1953,
p. 79; G. Bjorck, *Hv MtoNtov. Die periphrastischen Konstrucktionen im Griechischen
(Skrifter kôn. Hum. Vet.-samfundet i Uppsala, XXXII, 2), Uppsala, 1940, p. 13;
L. H ArT MAX, Testimonium Linguae, Participial Constructions in the Synoptic Gospels.
A Linguistic Examination of Luke 21,13 (Coniectanea Neotest., XIX), Lund-Copen-
bague, 1963, p. 12; M. Black, An Aramaic Approach to the Gospels and Acts, 2* éd.,
Oxford, 1954, p. 94; V. Taylor, The Gospel according to St. Mark, Londres, 1952,
p. 163.
LES DEUX TRADITIONS
8l
quarante jours
tenté par le diable (Le 4,i-2au).
Il n'est plus question des bêtes et des anges; mais l'Esprit
reste présent et conduit Jésus à travers le désert, tandis que
le diable le tente. La fin du v. 2 constitue l'introduction immé-
diate de la première tentation : « Et il ne mangea rien en ces
jours-là , et, quand ils furent achevés, il eut faim. » Il n'est pas
question de jeûne dans la notice de Marc, qui suppose au con-
traire que les anges pourvoyaient aux besoins (cht)x6vouv) de
Jésus; la faim de Jésus est le présupposé de la première sugges-
tion du diable : changer une pierre en pain.
Chez Matthieu, l'histoire des trois tentations est introduite
par une notice qui diffère davantage de celle de Marc :
Alors Jésus fut conduit au désert par l'Esprit
pour être tenté par le diable.
Et, après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits,
finalement il eut faim (Mt 4,1-2).
La tentation n'accompagne plus le séjour au désert; elle en
est le but12, mais elle ne se réalise qu'au bout des quarante
11. Les premiers mots, «Or Jésus... Jourdain», doivent être considérés comme
une transition rédactionnelle : ayant inséré la généalogie de Jésus à la suite du bap-
tême, Luc doit reprendre le fil du récit, en rappelant où l'on en était resté. Cette
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transition l'oblige à modifier la construction de la phrase: le sujet n'est plus l'Esprit
qui conduit Jésus, mais Jésus qui est conduit par l'Esprit. Pour la suite de la phrase,
la construction est ambiguë : faut-il rapporter gramaticalement la précision « quarante
jours » au verbe principal Aysto ou au participe neipaÇ6nevoç? Les traducteurs français
optent souvent pour la seconde explication (Botte, Goguel, Osty), qui, à première
vue, semble plus conforme à la syntaxe de Luc (cfr Lc 8,39; Act 19,9). Elle soulève
cependant deux difficultés. D'abord l'imparfait duratif {j-reto appelle naturellement
une précision de temps: cfr B. Weiss, Die Evangelien des Markus und Lukas (Krit.-
exeg. Komm. ûber das N. T., I, 2), 9e éd., Goettingue, 1901, p. 334. Il faut observer
ensuite que Luc n'écrit pas e!ç ti^v tçrwm,, comme Mc 1,12 et Mt 4,1, mais iv Tfj tpVjnw;
c'est donc bien du séjour au désert qu'il veut parler, et pas seulement du départ
pour le désert: cette intention s'accorde fort bien avec la précision sur la durée du
séjour «dans le désert». Cfr Th. Zahn, Das Evangelium des Lucas (Komm. zum
N. T., III), Leipzig, 1913, p. 222, n. 99. La plupart des commentaires adoptent
donc la première explication, le plus souvent d'ailleurs sans même poser la question
(cfr Grundmann, Hauck, Klostermann, Monteûore, Schmid, J. Weiss, T. W. Manson,
The Sayings of Jesus, etc.).
12. Il est possible que ce soit aussi le cas chez Luc, s'il faut admettre qu'il donne
à jtiipoeWnevoç le sens d'un participe final (cfr S. Antoniadis, L'Évangile de Luc.
Esquisse de grammaire et de style, Coll. de l'Institut Néo-hellénique, 7, Paris, 1930,
p. 283). L'emploi final du participe est d'excellent grec classique, et Luc fournit
au moins un exemple de cette construction en Act 8,27. Mais il s'agit là « d'une tour-
Les tentations... 6
82
l'origine du récit
jours. Beaucoup mieux que la notice parallèle de Luc, l'intro-
duction de Matthieu est entièrement subordonnée à l'histoire
des trois tentations, dont elle indique simplement les présup-
posés. Ajoutons que le service des anges dont parle Marc se
retrouve chez Matthieu, qui le mentionne en finale du récit:
« Alors le diable le laissa, et voici que des anges s'approchèrent,
et ils le servaient» (4,111S). La faim de Jésus devait fournir
l'occasion des tentations pour lesquelles l'Esprit l'avait conduit
au désert ; c'est donc à l'issue des tentations seulement que les
anges apportent à Jésus la nourriture dont il a besoin. La
description de Matthieu est soigneusement étudiée et témoigne
d'une parfaite cohérence.
Nous limitant jusqu'ici aux trois textes évangéliques, nous
avons pu constater leur parenté dans la notice qui, à la suite
du baptême, parle du séjour de Jésus dans le désert et des ten-
tations diaboliques dont il eut alors à soutenir l'assaut. A cette
notice, Matthieu et Luc ajoutent le récit circonstancié de trois
tentations, dans lequel ils dépendent évidemment de la même
source. La première de ces trois tentations est étroitement liée
à la mention du jeûne et de la faim de Jésus dont Matthieu et
Luc, contrairement à Marc, parlent dans la notice sur le séjour
au désert. On constate en même temps que, dans ce premier
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épisode, Jésus répond à la suggestion du diable en faisant
appel à Dt 8,3 : « L'homme ne vit pas seulement de pain. »
Il n'est pas sans intérêt de considérer le contexte immédiat de
cette citation; on y trouve des éléments de comparaison dont
l'explication de la notice d'introduction doit tenir compte14:
nure littéraire très rare dans le N. T. » (B. Botte, Grammaire grecque du Nouveau
Testament, Paris, 1933, p. 71), où elle est généralement remplacée par l'infinitif.
Plusieurs passages de Luc prêtent au doute ; il est clair qu'on ne doit pas y reconnaître
trop facilement une tournure qui ne correspond plus à l'usage habituel. Cfr C. F. D.
Moule, An Idiom Book of New Testament Greck, Cambridge, 1953, p. 103.
13. « Le diable le laisse »: renseignement attribuable à la source, car on en trouve
l'équivalent chez Luc : « Le diable s'éloigna de lui. » Luc ajoute Sxpi xaipoO, « jusqu'au
temps (marqué) »: précision théologique de l'évangéliste, correspondant à la précision
de 22,3 ; le diable rentrera en scène au moment de la Passion. Cette précision pourrait
avoir été suggérée par l'expression de Mc 1,15: iwnMipuTai 4 xcupiiç, à laquelle Luc
donnait un sens un peu différent de celui qu'il a chez Marc (pour Jésus, le temps de
l'accomplissement est le moment de Pâques). - Les mots « alors « voici «, « s'appro-
chèrent et » sont des matthéismes, dont il n'y a pas lieu de chercher l'origine dant
une source. - « Des anges le servaient « s'explique facilement à partir de Marc.
14. Cfr M. Sabbe, art. cit. (n. 4), p. 463.
LES DEUX TRADITIONS
83
Tu te souviendras de tout le chemin par lequel le Seigneur ton
Dieu t'a conduit (pendant quarante ans w) dans le désert, pour t'affli-
ger et te tenter et savoir ce qu'il y a dans ton cœur : allais-tu garder
ses commandements, ou pas? Et il t'a affligé et fait souffrir de la
faim, puis il t'a nourri de la manne, que tes pères n'avaient pas
connue ; c'était pour te faire comprendre que ce n'est pas seulement
de pain que vit l'homme, mais que l'homme vit de toute parole sor-
tant de la bouche de Dieu... Et tu peux reconnaître dans ton cœur
que, comme un homme éduque son fils, c'est ainsi que le Seigneur
ton Dieu t'éduque (Dt 8,2-3.5).
En parlant du service des anges, la notice de Marc n'invitait
pas à penser que Jésus eut à souffrir de la faim pendant son
séjour au désert; en précisant, au contraire, que Jésus eut
faim, Matthieu et Luc reproduisent sans doute un renseigne-
ment de la source commune qui rapportait la première tenta-
tion et citait Dt 8,3. On peut même se demander si en disant,
non que l'Esprit « chassa » Jésus au désert, mais qu'il l'y « con-
duisait 16 », ils ne s'inspirent pas de la même source, tributaire
du Deutéronome, qui devait leur fournir aussi la mention du
désert et des quarante jours. Cette source ne les renseignait
donc pas seulement sur les trois suggestions faites par le
diable et les trois citations bibliques par lesquelles Jésus les
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repoussa ; elle possédait aussi une introduction expliquant dans
15. «Pendant quarante ans»: cette précision du texte hébreu manque dans la
Septante ; mais on l'y trouve au v. 4.
16. En Dt 8,2, le verbe est ^yatev. Matthieu écrit Myrfbn, Luc 1\yeto. Dans notre
article de Sciences EccUs., 1962, p. 10s., nous nous sommes prononcé en faveur de la
priorité littéraire du verbe employé par Matthieu, par crainte peut-être de nous faci-
liter la besogne en attribuant à la source des deux rédactions évangéliques le verbe
précis du texte biblique auquel nous faisons appel pour expliquer cette source. Sans
tenir aucun compte de la relation avec le Deutéronome, U. W. Mauser (Christ in
the Wilderness, p. 145) attribue la priorité au verbe simple en reconnaissant dans le
verbe plus précis employé par Matthieu une manifestation du souci d'exactitude
géographique de cet évangéliste. Il faut admettre que, s'il est vrai que le verbe
***yû> ne reparaît pas ailleurs dans le premier évangile, les notations du même genre
n'y sont pas rares (cfr Mt 4,12; 5,1 ; 8,1.23; 9,i ; 12,9; 13,1; 14,13; 15,21, etc.), témoi-
gnant en même temps du fait que Matthieu emploie volontiers les verbes composés.
Luc a également une préférence pour les verbes composés, et dvivu, en particulier,
lui est familier; sans doute, il ne pouvait l'employer ici, en parlant d'une conduite
prolongée dans le désert, où il n'est pas possible de monter sans cesse : mais aurait-il
compris en ce sens l'indication de sa source s'il y avait trouvé le verbe dvdYm? On
peut donc penser qu'il a conservé le verbe de sa source, mais que la source l'employait
peut-être à la voix active; c'est à la suite de la cheville du début du v. 1 que Luc
est obligé d'utiliser la tournure passive. - Quant au verbe ixfkkXXo choisi par Marc,
il pourrait traduire simplement son goût pour les expressions colorées.
84
l'origine du récit
quelle circonstance Jésus eut à souffrir de la faim, au terme
d'un jeûne de quarante jours dans le désert, et cette introduc-
tion devait recouper en partie les indications que nous trou-
vons dans la notice de Marc.
2. Formation de la tradition
Au niveau de la rédaction des évangiles, presque tous les
exégètes admettent que Matthieu et Luc, chacun de son côté,
basent leur récit sur deux documents: d'une part, la notice de
Marc; d'autre part, le triple dialogue entre le tentateur et
Jésus, dialogue qui, nous venons de le voir, était pourvu d'une
introduction précisant l'occasion de cette rencontre. Au point
de vue de la question des origines de la tradition, ou des tradi-
tions relatives à la tentation de Jésus, ce problème de la rela-
tion entre les trois rédactions synoptiques n'a guère d'impor-
tance ; ce qu'il faudrait pouvoir préciser, c'est le rapport éven-
tuel entre la notice de Marc et la source qui a fourni à Matthieu
et à Luc le triple dialogue. On peut envisager ce rapport en
deux directions opposées: Marc dépendrait du dialogue, dont
il n'aurait retenu que quelques traits, pour les présenter à sa
manière ; ou bien, au contraire, le dialogue serait le développe-
ment amplifié de la notice de Marc, ou du moins de la tradition
qui nous est conservée par Marc dans sa forme la plus simple.
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Ces deux explications admettent bien des nuances ; elles laissent
place encore à une explication toute différente: celle qui nie
toute relation de dépendance, dans un sens ou dans l'autre, et
estime que nous avons affaire à deux traditions indépendantes.
Pour pouvoir considérer les deux traditions comme indépen-
dantes, on ne saurait se contenter de souligner les divergences
qui existent entre elles: Marc semble supposer que les tenta-
tions se sont réparties sur toute la durée du séjour de Jésus
dans le désert, alors que, dans l'autre récit, elles ne se pro-
duisent qu'au bout des quarante jours; Marc rapporte que
« les anges servaient » Jésus au désert : cela s'accorde assez mal
avec ce que l'autre récit dit du jeûne absolu pratiqué par
LES DEUX TRADITIONS
85
Jésus, et de la faim qui en fut la conséquence ; ce que Marc dit
de la compagnie des bêtes est sans parallèle dans l'autre récit.
Des divergences de ce genre n'excluent pas une dépendance:
elles peuvent naître de retouches dues à une optique différente.
En fait, conclure à l'indépendance de deux traditions ne peut
guère résulter d'un argument négatif montrant l'impossibilité
d'admettre une dépendance. C'est donc la thèse de la dépen-
dance qu'il faut examiner d'abord. Nous le ferons, non en
envisageant toutes les formes possibles de dépendance, mais
en rappelant les principales hypothèses qui préconisent cette
explication.
a) A. Feuillet, dans un article publié en i96017, est sans
doute l'auteur qui a le mieux défendu l'idée que la notice de
Marc est un simple abrégé d'un récit plus étendu, plus ou
moins semblable à celui qui nous parvient par Matthieu et
par Luc18. L'argumentation est générale, tendant à montrer
que le texte de Marc prend sa véritable signification à la lumière
des conceptions bibliques, beaucoup mieux qu'Ã celle des
mythes, babyloniens ou autres, dont on le rapproche parfois.
Il y a aussi les arguments plus précis, soulignant les attaches
de ce texte dans le ch. 8 du Deutéronome. Mc 1,13a se ren-
contre sur trois points avec Dt 8,2 : le désert, le chiffre quarante,
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la tentation. A propos du mot « désert », il faut observer que,
contrairement à la suite de l'évangile où il est toujours employé
adjectivement19, Marc le prend comme substantif, comme il
l'a fait en 1,3.4 sous l'influence d'Is 40,3: n'est-ce pas parce
que, comme dans ce premier texte, il se laisse influencer par
un texte biblique, Dt 8,2? Au v. 12, Marc écrit que l'Esprit
17. A. Feuillet, L'épisode de la Tentation d'après l'Évangile selon saint Marc
(1,12-13), dans Estudios Biblicos, 19 (1960), 49-73.
18. Cfr A. Schlatter, Markus. Der Evangelist fur die Griechen, Stuttgart, 1935,
p. 34 ; B. C. Butler, The Originality of St. Matthem. A Critique of the Two-Docu-
ments Hypothesis, Cambridge, 1951, pp. 112 s.; L. Vaganay, Le Problème synoptique.
Une hypothèse de travail (Bibl. de théol., III, 1), Tournai, 1954, pp. 212 s.; P. Benoit,
L'Évangile selon saint Matthieu (La Sainte Bible... de Jérusalem), 3* éd., Paris,
1961, p. 20; M. Sabbe, art. cit. (n. 4), pp. 459-462; J. Dupont, L'arrière-fond biblique
(n. 2), pp. 293 s. et 298 s.
19. Marc écrit normalement «un endroit désert»: 1,35.45; 6,31.32.35; ou bien il
emploie le substantif tçrrivXa : 8,4.
86
l'origine du récit
« chasse » (èx^à XXei) Jésus au désert : ce verbe pourrait être
une retouche rédactionnelle, sous laquelle il n'est pas difficile
de retrouver le ^yayev du Deutéronome. Les « bêtes » dont il
est question en 1,13b s'expliqueraient par la mention des
« serpents brûlants et des scorpions » en Dt 8,15; le service des
anges pourrait se rattacher à la manne dont parle Dt 8,3,
appelée ailleurs « le pain des anges » (Ps 77,25 LXX; Sag 16,20).
L'argument spécifique en faveur d'un rattachement à Dt 8
n'emportera peut-être pas une adhésion sans réserve. La con-
jonction des termes « désert », « quarante » et « tentation » n'est
pas aussi significative qu'on le voudrait, étant trop familière
à la tradition d'Israël; M. Feuillet rappelle d'ailleurs Ps 95,8-10,
où on la retrouve. Le fait que Mc 1,12-13 emploie substantive-
ment 2pTj(xoç pourrait montrer simplement qu'il continue Ã
s'exprimer comme il le faisait dans les w. 3-4; le recours Ã
un nouveau texte biblique ne semble pas nécessaire. La manière
enfin de rattacher le service des anges et la compagnie des
bêtes au texte du Deutéronome est plus subtile que convain-
cante20. Il reste du moins que, grâce à ces rapprochements,
M. Feuillet a bien mis en valeur la parenté d'inspiration qui
existe entre la notice de Marc et les éléments correspondants
de la source utilisée par Matthieu et Luc.
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b) Passant à l'exégèse allemande, il n'est pas inutile de
remonter à une étude publiée en 1914 par Arnold Meyer 21, qui
a exercé une large influence. Meyer résume ainsi sa pensée sur
le point qui nous occupe: « Mc 1,13 n'est pas construit sur un
reste de Q (nom donné à la source à laquelle Matthieu et Luc
doivent le dialogue) ; c'est Q qui est construit sur un reste de
la tradition marcienne22. » Mc 1,13 est un petit poème, dont
le fond est essentiellement mythique. Sur la base d'un rensei-
gnement de ce poème, l'affirmation d'après laquelle Jésus
zo. En revanche, M. Feuillet nous paraît convaincant dans la critique qu'il fait
(p. 66) de l'hypothèse qui rattache ces deux traits au Ps 91,11-13, le passage allégué
par le diable dans la tentation du pinacle (contre Vaganay, Sabbe, Dupont, loc. cit.).
21. A. Meyer, Die evangelischen Berichte iiber die Versuchung Christi, dans Fest-
gabe Hugo Bliimmer, Zurich, 1914, pp. 434-468,
M. P. 437;cfrp. 457.
LES DEUX TRADITIONS
87
serait resté quarante jours au désert et y aurait été tenté par
le diable, un scribe judéo-chrétien aurait élaboré une haggada
rappelant les trois tentations d'Israël dans le désert à travers
les leçons qu'en tire le Deutéronome ; il s'agissait de proposer
le Christ en exemple aux chrétiens dans l'épreuve, pour les
inviter à se montrer fidèles.
c) Rudolf Bultmann23 voit dans la notice de Marc le débris
d'une légende plus développée; on devait y présenter Jésus
jouissant des privilèges paradisiaques. Dans ce tableau my-
thique un trait aurait été ajouté, par Marc ou déjà par sa source,
venant d'une autre tradition et parlant d'une tentation sata-
nique. Cette même tradition ancienne relative à une tentation
de Jésus qui s'est ainsi glissée subrepticement dans la notice
de Marc a aussi donné naissance à une haggada plus développée,
cherchant à donner un sens acceptable à l'idée d'après laquelle
Jésus aurait été tenté par le diable : c'est le récit qui nous par-
vient par Matthieu et par Luc, mettant en Å“uvre trois cita-
tions du Deutéronome, la notion hellénistique païenne de
« Fils de Dieu » dans les deux premières tentations et le thème
mythique de la haute montagne dans la troisième 24.
Il ne serait pas très utile d'insister sur le caractère arbitraire
de ces reconstitutions. Perdu dans toutes ses images mytholo-
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23. R. Bultmann, Die Geschichte der syn. Trad. (cfr n. 7), pp. 271-275.
24. Bultmann insiste sur la différence de points de vue entre la troisième tentation
et les deux premières: dans la troisième, Jésus n'est pas appelé « Fils de Dieu » et
n'est pas invité à opérer un prodige ; les deux premières s'en prennent à la manière
hellénistique de définir un « fils de Dieu » par son pouvoir thaumaturgique, tandis
que la troisième exploite une tradition mythologique ou légendaire. Cette distinction
n'entraîne cependant pas encore, chez notre auteur, des conclusions assignant une
origine nettement différente aux deux premières tentations et à la troisième. Ce pas
a été franchi par de nombreux critiques; nous en rencontrerons plusieurs dans la
suite de notre exposé. Contentons-nous de signaler ici S. Hirsch, Taufe, Versuchung
und Verklà rung Jesu, Berlin, 1932, p. 23, pour qui la troisième tentation, existant
à l'état indépendant, aurait été primitivement située avant l'épisode de la trans-
figuration ; et surtout F. Hahn, Christologische Hoheitstitel. Ihre Geschichte im friihen
Christentum (Forschungen zur Rel. und Lit. des A. und N. T., 83), GÅ“ttingue, 1963,
pp. 175 s., 303, 345 s. et 401. Pour ce qui concerne Marc d'abord, Hahn voit dans sa
notice un « Traditionsstûck » qui ne peut guère avoir existé à l'état d'« Ûberlieferungs-
stttck » indépendant. Quant aux trois tentations de la source Q, elles ne constituent
pas un « Traditionsstûck » homogène. Le récit concernant la troisième tentation est
le plus ancien; il doit être né dans la première communauté palestinienne, et sa
signification est proprement messianique. Les deux premières tentations ont été
élaborées ensuite sur le modèle de la troisième ; elles constituent une unité et se carac-
térisent par leur opposition à la notion païenne de « fils de Dieu ».
88
l'origine du récit
giques, Bultmann n'a pas su reconnaître la part qui revient Ã
l'influence du Deutéronome et à ses conséquences pour l'inter-
prétation de cet épisode. Notons du moins, au point de vue
historique, que cette hypothèse est obligée de considérer comme
fort ancienne une tradition relative à la tentation de Jésus,
qui a influencé le texte de Marc et donné naissance au récit
sous forme de dialogue.
d) Martin Dibelius 25 explique la notice de Marc comme une
pure transition rédactionnelle, dépourvue de tout fondement
traditionnel. Entre le baptême de Jésus et le commencement
de son ministère, l'évangéliste a eu l'impression qu'il fallait
ménager une étape intermédiaire: un séjour permettant Ã
l'envoyé divin de se préparer à sa mission ; il exploite pour cela
un cliché littéraire, selon les lois de l'hagiographie légendaire.
Indépendamment de cette notice, la Logia-Quelle possède un
triple dialogue entre Jésus et le diable: pièce apologétique
expliquant aux chrétiens pourquoi Jésus n'a pas voulu accom-
plir certains miracles spectaculaires qui l'auraient fait recon-
naître pour le Messie26. Ce dialogue était sans doute pourvu
d'une introduction et d'une conclusion; elles ne nous ont pas
été conservées, Matthieu et Luc les ayant remplacés par les
indications de Marc, grâce auxquelles ils ont pu faire de cet
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épisode une histoire de tentation. On retrouve la même expli-
cation dans l'ouvrage publié en 1963 par U. W. Mauser27.
Cette reconstitution ne tient aucun compte de ce que les
textes évangéliques doivent au Deutéronome dans l'introduc-
tion du dialogue.
25. M. Dibelius, Die Formgeschichte des Evangeliums, 3e éd., Tubingue, 1959,
pp. 129, 233, 236. 245 s. et 274.
26. Dibelius défend l'unité du dialogue : il n'y a pas lieu de chercher une différence
de point de vue entre les deux premières tentations et la troisième (p. 274, n. 2).
27. U. W. Mauser, Christ in the Wilderness, p. 97: la notice de Marc, qui ne peut
être considérée comme le débris d'un récit plus riche, ne veut être qu'une simple
description pittoresque du séjour de Jésus dans le désert; bien qu'elle mentionne la
tentation, trait caractéristique d'un séjour au désert, on ne peut y voir une véritable
histoire de tentation. Mais cette mention de la tentation fournit à Matthieu et à Luc
l'occasion d'introduire à cet endroit le récit d'un dialogue avec Satan, qui leur par-
vient par une autre source; c'est par cette combinaison de deux sources distinctes
qu'on aboutit à une histoire de tentation.
LES DEUX TRADITIONS 89
e) E. Percy, en 1953 28, simplifie tout en faisant de la notice
de Marc le point de départ de toute la tradition relative à la
tentation de Jésus. Intrigués par cette notice, les lecteurs de
l'évangile se sont demandé en quoi avaient pu consister les
tentations mentionnées par l'évangéliste. On a imaginé d'abord
une histoire en deux tableaux: tentation dans le désert, tenta-
tion sur la montagne; une troisième tentation serait venue
s'ajouter dans la suite : la tentation du pinacle.
On voit tout de suite les difficultés de cette hypothèse: for-
mation progressive d'un récit qui prend son point de départ
dans une indication de Marc pour aboutir finalement à une
source utilisée par Matthieu et par Luc : il y a là de quoi bous-
culer toutes les données de la question synoptique. Autre incon-
vénient majeur de l'explication de Percy: elle néglige complète-
ment les rappels du Deutéronome et leur portée, tant pour ce
qui concerne l'élaboration littéraire de cette histoire que sa
signification théologique.
f) C'est sûrement aux échafaudages d'E. Lohmeyer que
revient la palme de l'ingéniosité29. Cet auteur place au point
de départ des relations évangéliques deux traditions indépen-
dantes l'une de l'autre. i° La première, où il est question d'un
séjour de Jésus au désert, nous est parvenue sous deux formes:
celle de la notice de Marc, précisant que, pendant quarante
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jours, Jésus a été tenté par Satan ; celle de la notice de Matthieu,
soulignant que, pendant le même temps, Jésus a jeûné.
2° L'autre tradition se rapporte à une tentation de Jésus sur
une haute montagne (dans la forme où elle nous parvient dans
le récit de Matthieu). Ces traditions sont nées toutes les deux
dans le milieu des 'anâwîm de Galilée30, dont elles reflètent la
christologie.
28. E. Percy, Die Botschaft Jesu. Eine traditionskritische und exegetische Unter-
suchung (Lunds Univ. Ârsskr., N. F. I, t. 49, 5), Lund, 1953, pp. 13-18.
29. E. Lohmeyer, Die Versuchung Jesu, dans Zeitschr. fiir System. Theol., 14
(1937), 619-650. Voir aussi, du même auteur: Dos Evangelium des Markus (Krit.-exeg.
Komm. ûber das N. T., I, 2), 11e éd., Gœttingue, 1951, pp. 26-28; Dos Evangelium
des Matthâus. Nachgelassene Ausarbeitungen und Entwiirfe zur Ubersetzung und
Erklârung (Krit.-exeg. Komm. ûber das N. T., Sonderband), Gœttingue, 1956,
pp. 52-62.
30. Cfr W. Sattler, Die Anawim im Zeitalter Jesu Christi, dans Festgabe fiir
oo
l'origine du récit
A l'étape suivante, les deux traditions initiales reçoivent de
nouveaux développements. Le désir d'explications supplémen-
taires fait naître deux autres récits de tentation, qui se modèlent
sur la forme dialoguée de la tentation sur la montagne: les
tentations dans le désert et sur le pinacle. Ces deux nouveaux
récits se distinguent des traditions originelles par leur christo-
logie, qui n'est plus celle des 'anâwîm galiléens : la tentation au
désert suppose que Jésus est déjà le Fils de l'homme céleste,
tandis que, dans la tentation sur le pinacle, il est simplement
un homme pieux destiné à devenir le Messie, s'il se montre
fidèle à Dieu.
La dernière phase de l'évolution est celle qui voit les maté-
riaux disparates se grouper et s'organiser. Des retouches
rédactionnelles permettent de donner l'illusion d'un tableau
homogène. C'est ainsi qu'en finale de la notice sur le séjour au
désert on ajoute que Jésus « eut faim »: on tient ainsi l'occasion
de ce qui devient la première tentation. Pour établir un lien
entre les différentes scènes, on imagine le diable transportant
Jésus d'un endroit à l'autre. On uniformise la christologie par
l'insertion des mots « Si tu es le Fils de Dieu ». L'aboutissement
de tout ce travail est le triple dialogue, qui peut être considéré
comme la forme explicitée d'une donnée traditionnelle: Jésus
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a été tenté.
Cette construction fantastique a fait impression. Pour ce qui
nous concerne, elle nous paraît bâtie sur des nuages, faute de
tenir compte du substrat biblique des récits. Du moment qu'on
reconnaît que le triple dialogue est structuré sur les trois cita-
tions du Deutéronome qui tirent la leçon des trois tentations
d'Israël dans le désert, une telle composition paraîtra trop bien
étudiée pour être simplement le résultat de l'agencement plus
ou moins habile de matériaux disparates. L'introduction du
dialogue n'est pas séparable elle-même de la première tentation,
car elle dépend du passage du Deutéronome auquel Jésus
emprunte la réponse qu'il fait au diable; c'est ce passage, en
particulier, qui fournit l'explication littéraire de la « faim » de
A. JUlicher, Tubingue, 1927, pp. 1-15 (p. 10); E. Lohmeyer, Galilà a und Jérusalem
[Forschungen zur Rel. und Lit. des A. und N. T., N. F. 34), Goettingue, 1926, pp. 41 ss.
LES DEUX TRADITIONS
91
Jésus: cette précision n'est donc pas un simple raccord rédac-
tionnel.
g) D'après Joachim Jeremias31, la notice de Mc 1,12-13
montre que la tentation au désert, la première dans le récit de
Matthieu et de Luc, a été primitivement transmise de façon
indépendante. L'Évangile aux Hébreux attribue à Jésus la
déclaration suivante : « Aussitôt ma mère, le Saint Esprit, me
saisit par un de mes cheveux et m'emporta sur la haute mon-
tagne du Thabor32»; ce témoignage suggère que la tentation
sur la montagne a également existé d'abord à l'état isolé33.
Sans hésiter davantage, le savant professeur de Gœttingue
conclut que les différents récits de tentation ne concernent pas
des tentations distinctes, mais ne sont qu'autant de variantes
de la tradition d'après laquelle Jésus aurait triomphé d'une
tentation diabolique; il ne s'agit que d'une seule tentation,
transmise sous différentes formes M.
Comme on le voit, les hypothèses varient, mais toujours Ã
partir du même présupposé de base: l'attention de l'exégèse
allemande se concentre à peu près exclusivement sur les élé-
ments imaginatifs du récit35 ; c'est d'après ces éléments qu'elle
prétend expliquer le sens de l'épisode des tentations et recons-
tituer sa préhistoire. Pourtant W. E. Bundy, un exégète amé-
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ricain, fait observer, non sans raison, que « plus de la moitié
du dialogue est faite de citations empruntées au Deutéronome.
31. J. Jeremias, Die Gleichnisse Jesu, 6e éd., Gœttingue, 1962, p. 123. Cfr
Jesu Verheissung fur die Vôlker, Stuttgart, 1956, p. 37.
32. Fr. 3 (d'après plusieurs témoignages d'Origène et de Jérôme) dans E. Hen-
necke-W. Schneemelcher, Neutestamentliche Apokryphen in deutscher Obersetzung,
3e éd., t. I, Tubingue, 1959, p. 108.
33. La remarque vient de Lohmeyer, Die Versuchung Jesu, pp. 619 et 622 s.
34. De cette explication on peut rapprocher celle de G. Friedrich, Beobachtungen
zur messianischen Hohenpriestererwartung in den Synoptikern, dans Zeitschr. fur Theol.
und Kirche, 53, (1956), 265-311 (cfr pp. 300 s.): les trois tentations correspondraient
à trois formes différentes de l'attente messianique. En multipliant les pains, Jésus
répondrait à l'attente du Prophète messianique; en se lançant du haut du pinacle,
à l'attente du grand prêtre messianique ; en acceptant la suggestion qui lui est faite
sur la montagne, il réaliserait ce qu'on attendait du Roi messianique.
35. Cette attitude n'est pas sans analogie avec celle de la liturgie romaine qui,
dans la messe du premier dimanche du carême, commente sans se lasser le passage
psalmique cité par le diable, sans prêter la moindre attention aux textes bibliques
cités par Jésus,
92
l'origine du récit
En réalité, l'histoire est construite autour de ces passages
deutéronomiques. Chacune des suggestions du tentateur est
soigneusement présentée de façon à provoquer chacune des
trois réponsesS6. » Si l'on tient compte du rôle joué par le
Deutéronome dans le récit, rôle qui ne se limite pas aux trois
citations explicites mais s'étend jusqu'à l'introduction37, il ne
paraît plus possible de mettre en cause l'unité et l'homogénéité
du récit. Il témoigne d'une pensée bien réfléchie: Jésus revit
pour son compte les tentations traversées autrefois par Israël
lors de son séjour au désert; il assume ainsi en sa personne la
destinée d'Israël, pour l'accomplir par sa fidélité à la volonté
divine. Ce qui doit éclairer ce récit, ce ne sont pas les parallèles
superficiels de l'école comparatiste illustrant les scènes qui
peuvent frapper l'imagination; c'est le parallèle fondamental
qu'il établit entre Jésus et Israël.
3. Deux traditions
Les efforts déployés pour établir un lien de dépendance, dans
un sens ou dans l'autre, entre la notice de Marc et le récit plus
36. W. E. Bundy, Jesus and the First Three Gospels. An Introduction to the Sy-
noptic Tradition, Cambridge Mass., 1955, pp. 59-64, p. 62.
37. On sait depuis longtemps que la scène de la haute montagne s'apparente
littérairement à la scène du Nébo, Dt 34,1-4 ; la ressemblance s'étend jusqu'aux paroles
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attribuées au diable. La scène du Nébo trouve un autre écho, au début du 11e siècle
de notre ère, dans Bar. syr., 76,3-4. Nouvel écho à la col. XXI de l'Apocryphe de la
Genèse, découvert dans la grotte 1 de Qumrân ; on se trouve en présence d'une ampli-
fication de Gen 13,14s. C'est Abraham lui-même qui parle: «Et Dieu m'apparut dans
une vision nocturne et me dit: 'Monte à Ramat-Hasor, qui est au Nord de Béthel,
le lieu où tu habites, et lève les yeux et regarde vers l'Orient et vers l'Occident et
vers le Sud et vers le Nord, et vois tout ce pays-ci que moi, je te donne, ainsi qu'Ã
ta postérité, pour tous les siècles.' Et je montai le lendemain à Ramat-Hasor, et de
cette hauteur, je vis le pays depuis le fleuve d'Égypte jusqu'au Liban et au Sanir et
depuis la Grande mer jusqu'au Hauran, et tout le pays de Gebal, jusqu'Ã Qadesh,
et tout le Grand Désert qui est à l'Orient du Hauran et du Sanir jusqu'à l'Euphrate.
Et il me dit: 'A ta postérité je donnerai tout ce pays-ci, et ils en hériteront pour
tous les siècles... Vois combien grande est la longueur de ce pays et combien grande
est sa largeur. Car à toi et à ta postérité après toi je le donnerai pous tous les siècles «
(lignes 8-14: trad. A. Dupont-Sommer, Les écrits essiniens découverts près de la mer
Morte, Paris, 1959, pp. 302 s.). Plusieurs auteurs continueront cependant à chercher
dans une autre direction, beaucoup moins significative, en voyant dans la suggestion
du diable une allusion au Ps 2,8 : cfr P. Doble, The Temptations, dans Exp. Times,
72 (1959-60), pp. 91-93; E. Lôvestam, Son and Saviour (cfr n. 9), pp. 97-101;
K. H. Rengstorf, Old and New Testament Traces of a Formula of the Judaean Royal
Ritual, dans Nov. Test., 5 (1962), 229-244 (240-242).
LES DEUX TRADITIONS
93
développé utilisé par Matthieu et par Luc ne paraissent pas
avoir abouti jusqu'ici à des résultats concluants. Cela ne
prouve pas encore qu'il n'y a pas eu de contacts entre ces
deux traditions, et qu'elles sont vraiment indépendantes l'une
de l'autre38; cela tend plutôt à faire penser que nous avons
affaire à deux traditions parallèles, ou, comme l'écrit tout
récemment H. A. Kelly39, deux versions différentes mettant en
œuvre des thèmes différents et attachant à la tentation de
Jésus des significations au moins partiellement divergentes.
On peut parler de deux versions, car, malgré tout ce qui les
sépare, il existe entre elles plusieurs points d'accord importants.
Nous avons constaté que, chez Matthieu et chez Luc, les deux
versets qui introduisent le dialogue ne dépendent pas unique-
ment de la notice de Marc. Ils ont en tout cas un trait commun
qui n'a pas d'appui chez Marc: la faim de Jésus. La première
tentation, comme les deux suivantes, appelait une précision de
heu; la source de Matthieu et de Luc situait certainement la
scène dans le désert. Entre le récit de la tentation de Jésus
dans le désert et le passage de Dt 8,2-5, u semble nécessaire
d'admettre une dépendance qui s'étend au-delà des termes cités
explicitement : « Ce n'est pas de pain seulement... »; ce passage
fournissait non seulement le thème du désert et celui de la
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faim, mais aussi celui de la « tentation » et le nombre « qua-
rante ». On peut penser que, sur ces différents points, la source
utilisée par Matthieu et par Luc recoupait les renseignements
qu'ils trouvaient dans la notice de Marc. Il est même possible
que la tentation du désert y ait été attribuée, non pas directe-
ment à Dieu comme dans le texte biblique, mais au diable, dont
le bas-judaïsme fait normalement l'auteur des tentations40.
38. En faveur de l'indépendance des deux traditions, voir notamment V. Taylor,
The Gospel according to St. Mark, p. 163, W. E. Bundy, Jesus and the First Three
Gospels, p. 61.
39. The Devil in the Desert, dans Cath. Bibl. Quart., 1964, p. 214.
40. C'est ainsi que, d'après 2 Sam 24,1, le dénombrement coupable entrepris par
David lui a été inspiré par Dieu; d'après 1 Chron 21,1, il lui est inspiré par le diable.
D'après Ex 4,24, Yahvé cherche à faire mourir Moïse ; dans la LXX et le targum,
c'est l'Ange du Seigneur qui est en scène ; dans Jub 48,3, c'est Mastéma, le prince
des démons, qui s'en prend à la vie de Moïse. De même l'épisode de Gen 22,1 ss., où
Dieu éprouve (tente) Abraham en lui demandant de sacrifier Isaac, est expliqué dans
Jub 17,16; 23,12 comme résultant d'une initiative de Mastéma, qui avait déclaré Ã
94
l'origine du récit
Pour rendre raison de tous ces points de rencontre, on a été
obligé de se demander si Marc, lui aussi, ne dépend pas de
Dt 8. Après d'autres auteurs, M. Feuillet admet cette dépen-
dance. Mais, nous l'avons dit, cette hypothèse reste très fragile.
Il est douteux que la notice de Marc repose sur le texte du
Deutéronome, et même qu'elle ait l'intention de présenter la
tentation de Jésus comme une contrepartie de la tentation
d'Israël dans le désert. Rien ne permet d'affirmer que l'évangé-
liste ait pensé à cela. S'il est possible que sa notice utilise une
tradition tributaire du Deutéronome, il semble sage d'avouer
que, dans sa rédaction actuelle, elle ne permet plus de recon-
naître cet arrière-fond biblique. Par rapport aux renseigne-
ments fournis à Matthieu et à Luc par leur source particulière,
elle constitue donc simplement à nos yeux une source parallèle.
Un autre problème se pose à propos de la relation qui unit
l'épisode de la tentation à celui du baptême de Jésus. De toute
évidence, ce lien est fortement souligné dans les trois rédactions
évangéliques. Mais doit-on penser qu'en marquant ce lien
Matthieu et Luc adoptent simplement une vue de Marc, ou
bien qu'ils reprennent une tradition plus ancienne, Ã laquelle
Marc se serait conformé et qui aurait également influencé la
source dont provient le triple dialogue? Il faut reconnaître
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d'abord que la manière dont, selon cette source, le diable
s'adresse à Jésus en lui disant, dans les deux premières tenta-
tions : « Si tu es le Fils de Dieu », fait naturellement écho à la
proclamation de la filiation divine de Jésus au moment du bap-
tême. L'évangile de Jean, supposant qu'après son baptême
Jésus est rentré tout de suite en Galilée, ne laisse pas de place
pour un séjour dans le désert au lendemain du baptême41;
Dieu que la fidélité d'Abraham ne résisterait pas à pareille épreuve: attitude qui
correspond à celle de « Satan » en Job 1,6 ss.; 2,1 ss. (cfr Zach 3,1). On retrouve dans
le Talmud de Babylone, Sanh. 896, la même interprétation de l'épreuve imposée Ã
Abraham sur la suggestion de Satan; et, dans Ned. 316-320, certains manuscrits
attribuent l'agression de Moïse (Ex 4,24) non à l'Ange de Yahvé, mais à Satan (cfr
G. Vermes, Scripture and Tradition in Judaism. Haggadic Studies. Studia post-
biblica, IV, Leyde, 1961, p. 187; H. A. Kelly, dans Cath. Bibl. Quart., 1964, pp. 198-
202). Dans l'Évangile, les deux membres de la dernière demande du Pater (Mt 6,13)
expriment la même idée : échapper à la tentation n'est pas autre chose qu'échapper
au pouvoir du Mauvais.
41. Sur la « première semaine» de l'évangile johannique (Jn 1,19-2,11), voir
M.-E. Boismard, Du Baptême à Cana (Lectio divina, 18), Paris, 1956; sur la difficulté
LES DEUX TRADITIONS
95
mais l'optique très personnelle de cet évangile empêche de
considérer ce « silence » comme un argument décisif contre
l'existence d'une tradition qui nous aurait été conservée dans
les synoptiques. Cette tradition suivrait un schéma semblable
à celui de la catéchèse de Paul en i Cor 10,1-13 42 et pourrait
donc être fort ancienne 43. Il n'en reste pas moins que l'épisode
du baptême et celui des tentations nous sont rapportés sous
des formes très différentes ; il n'y a pas d'unité organique entre
les deux récits, où l'on ne trouve pas une même histoire qui se
continue, même en se présentant comme deux volets d'un
diptyque44. Il serait donc difficile de supposer qu'ils ont été
liés dès l'origine.
4. Le problème
Nous avons dit, dans l'introduction, que le problème d'his-
toire posé par l'épisode de la tentation de Jésus concerne
essentiellement la question de l'origine des informations que
l'Évangile nous fournit à ce sujet. Les résultats de notre
enquête sur la formation des traditions relatives à la tentation
de Jésus peuvent paraître fort modestes ; du moins permettent-
ils de préciser le problème auquel nous avons à répondre.
a) Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas limiter la
question à la seule notice de Marc. Cette notice n'est pas le
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point de départ de toute la tradition; elle n'en est qu'une
expression, à côté du récit utilisé par Matthieu et Luc. Il est
possible que les traits particuliers de cette notice soient attri-
buables, en partie au moins, à la rédaction de l'évangéliste ;
dans cette mesure, ils n'intéressent pas notre enquête. Il faut
qui peut en résulter pour la tradition relative à la tentation, cfr B. M. F. van Ikrsel,
Der Sohn (n. 9), p. 168.
42. Cfr van Iersel, ibid., p. 169.
43. O. Cvllmann, Christologie du Nouveau Testament (Bibl. théol.), Neuchâtel-
Paris, 1958, p. 240, n. 1 : « Il est certain que les deux récits (baptême et tentation)
formaient déjà une unité dans la tradition orale. »
44. Cfr R. Bultmann, Gesch. der syn. Trad., p. 270; M. Goguel, Au seuil de
l'Évangile: Jean-Baptiste (Bibl. bist.), Paris, 1928, pp. 229-231 ; E. Lohmeyer, Dos
Ev. des Mt., p. 55; B. M. F. van Iersel, Der Sohn, p. 169, approuvé par X. Léon-
Dufour, dans Rech. de Sc. Rel., 50 (1962), p. 106.
96
l'origine du récit
avouer, de plus, que la notice de Marc est difficile et que l'accord
n'est pas réalisé sur la signification exacte qu'il convient de lui
attribuer; cette incertitude constitue évidemment un obstacle
sérieux pour une recherche sur les origines de cette notice:
comment s'enquérir de la situation qu'elle reflète et des pré-
occupations auxquelles elle correspond si l'on n'est pas sûr de
son sens?
b) Nous aurions plus de raisons pour nous limiter aux traits
qui sont communs à la notice de Marc et à la source du récit
de Matthieu et de Luc. La question serait alors celle de savoir
d'où vient l'information selon laquelle Jésus a fait au désert un
séjour de quarante jours et y a été tenté par le diable. Ces
données ne fourniraient à nos recherches qu'une base fort
maigre. Il semble d'ailleurs qu'il y aurait lieu de tenir compte,
en tout cas, d'un élément supplémentaire: le rattachement de
ces données au texte biblique de Dt 8, au moins pour ce qui
concerne la source de Matthieu et de Luc.
c) Puisque la connexion entre Dt 8 et cette source évangé-
lique constitue un fait bien avéré, nous avons avantage Ã
élargir notre problème et à nous interroger sur l'origine de
l'ensemble du récit circonstancié sur les trois tentations. Il est
clair, en effet, qu'on ne saurait séparer l'introduction du récit
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de ce qu'il rapporte au sujet de la première tentation, ni l'épi-
sode de la première tentation des deux épisodes suivants, avec
leurs citations empruntées à Dt 6. Il faut prendre ce récit dans
l'unité de sa conception : dans le parallélisme qu'il établit entre
les tentations de Jésus et celles auxquelles Israël succomba
autrefois dans le désert. C'est donc à propos de l'ensemble de
ce récit que nous poserons la question de son origine, en fonc-
tion des préoccupations dont il témoigne. Les conclusions aux-
quelles nous aboutirons pourraient éclairer par contrecoup la
notice de Marc, dans la mesure où celle-ci serait tributaire
d'une tradition qui rapprochait déjà le séjour de Jésus au désert
du séjour qu'y firent les Israélites après leur sortie d'Égypte.
Nous allons donc nous demander si cette haggada, comme on
l'a appelée, trouve son « Sitz im Leben » initial dans la com-
l'hypothèse de l'origine communautaire
97
munauté chrétienne, ou s'il y a moyen de la faire remonter
jusqu'au ministère public de Jésus.
il. l'hypothèse de l'origine communautaire
Les auteurs qui attribuent le récit à la communauté chré-
tienne sont très nombreux. Ils justifient cette hypothèse en
montrant que le texte répond à des préoccupations qui ne
peuvent être que celles d'un milieu chrétien. Mais ils ne s'en-
tendent pas du tout sur les raisons pour lesquelles cette histoire
aurait été élaborée. On ne saurait exposer ici toutes les expli-
cations qui ont été présentées ni les discussions qu'elles ont
soulevées; les auteurs sont souvent plus convaincants en réfu-
tant une explication voisine qu'en argumentant pro domo.
Nous nous tiendrons à quelques grandes orientations.
Notons tout de suite que la plupart des auteurs dont il va
être question ne refusent pas l'idée d'un donné primitif, point
de départ de l'élaboration ultérieure; ce donné de base serait
l'affirmation selon laquelle Jésus aurait été tenté, et même:
tenté par le diable.
I. Une pièce apologétique
Plusieurs exégètes estiment que le récit répond à une pré-
occupation apologétique: il tend à justifier le fait que Jésus
n'a pas accompli, comme garantie de sa mission messianique,
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certains miracles extraordinaires considérés comme les signes
par lesquels le Messie devait se faire reconnaître. La réponse
chrétienne fournie par le récit consiste à dire que cette exigence
de signes messianiques vient du diable.
C'est dans ce sens que s'engagent les explications de
W. Bousset 45. Convaincus que Jésus est vraiment le Messie atten-
45. W. Bousset-W. HeitmOller, Die Schriften des Neuen Testaments, 3e éd.,
1.1, Goettingue, 1917, pp. 243-245. Voir aussi W. Bousset, Kyrios Christos. Geschichte
des Chtistusglaubens von dm Anfângen des Christentums bis Irenaeus, Goettingue,
1913, p- 57-
Les tentations... 7
98
l'origine du récit
du, les judéo-chrétiens doivent bien reconnaître qu'il n'a pas
réalisé ce que le judaïsme attendait du Messie. Ils imaginent
alors cette histoire de la tentation, s'inspirant de vieilles
légendes orientales, dans le but de faire comprendre que la
conception messianique juive n'était qu'un mirage diabolique.
Rien de tout cela ne peut remonter à Jésus.
L'explication de M. Dibelius46 ne diffère guère de celle de
Bousset. Le dialogue entre Jésus et le diable, qui relève des
récits mythiques, se rapporte à la question de la messianité de
Jésus. Il veut avant tout montrer pourquoi Jésus n'a pas fait
certains miracles: des miracles à son profit personnel (tenta-
tion du désert), ou des miracles spectaculaires (tentation du
pinacle); il veut montrer aussi que Jésus n'a rien fait pour
s'assurer un pouvoir politique (tentation sur la montagne). Le
refus de Jésus vient de ce qu'il reconnaît dans ces manières
de faire des suggestions du diable. Dibelius se sépare de Bousset
en jugeant inutile de faire appel à des légendes orientales: les
clichés habituels des vies des saints suffisent à expliquer la
naissance de cette histoire. Il s'en sépare aussi en pensant que
le récit a été imaginé à l'intention des chrétiens : il relève donc
de la parénèse.
E. Lohmeyer47 voit dans les deux premières tentations une
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pièce de la polémique chrétienne contre le judaïsme contempo-
rain. Les Juifs croient qu'à l'arrivée de l'ère messianique Dieu
nourrira son peuple comme il l'a fait autrefois dans le désert,
et ils réclament de Jésus ce signe eschatologique ; à quoi le
récit de la première tentation répond qu'il s'agit là d'une exi-
gence diabolique. Les Juifs estiment que, si Jésus avait réelle-
ment été le Messie, il aurait dû fournir des signes manifestes
de la sollicitude toute particulière de Dieu à son égard; les
chrétiens répondent que, lors de la deuxième tentation, Jésus
a repoussé cette manière de voir, qui vient du diable48.
46. M. Dibelius, Die Formgeschicht e des Evangeliums, pp. 274 s.
47. E. Lohmeyer, Die Versuchung Jesu, pp. 628-640; Dos Evangelium des Mat-
thdus, pp. 57-59-
48. Notons encore K. Stendahl, Matthew, dans le Peake's Commentary on the
Bible, Édimbourg, 1962, p. 774 : « The conversation has the form of rabbinic contro-
versy with biblical proof-texts, and a later apologetic interest in the church's clari-
l'hypothèse de l'origine communautaire
99
Nous pensons que, dans les explications de ce genre, tout
n'est pas à rejeter; nous reviendrons sur ce qu'elles peuvent
avoir d'utile. Mais, telles qu'on nous les présente, elles offrent
de sérieux inconvénients. Elles paraissent supposer, d'abord,
que l'Église primitive n'attachait pas beaucoup d'importance
aux miracles opérés par Jésus; les premiers chrétiens n'y
auraient pas vu une preuve de sa mission divine et de son
caractère messianique. Il faut avouer cependant que la tradi-
tion évangélique donne une impression fort différente49: nous
y voyons que les chrétiens se plaisaient à rappeler les miracles
de Jésus; s'il n'a pas changé des pierres en pain, il a néanmoins
multiplié des pains et changé de l'eau en vin, et s'il ne s'est
pas lancé dans le vide, il a tout de même marché sur la mer.
De plus, autre inconvénient, ces explications s'accordent mal
avec la teneur du récit. Le premier miracle ne pouvait guère
servir de preuve messianique, puisque, en dehors du diable, il
n'aurait pas eu de témoins ; le second eût été plus spectaculaire,
mais le but qui lui est assigné n'est pas de provoquer l'émer-
veillement des gens : il s'agit simplement de mettre à l'épreuve
la protection divine. La pointe des récits se trouve d'ailleurs
dans les citations du Deutéronome : « L'homme ne vit pas
seulement de pain », « Tu ne tenteras pas le Seigneur », « Tu
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adoreras le Seigneur ton Dieu »; ces textes ne tendent pas Ã
prouver que Jésus est vraiment le Messie, bien que n'ayant
pas accompli certains miracles.
2. Un fragment de catéchèse
D'autres auteurs croient que le récit correspond, non au
souci de montrer que Jésus est bien le Messie, mais à une pré-
occupation catéchétique : il vise à inculquer aux chrétiens une
attitude religieuse authentique ; il poursuit un but d'édification
spirituelle.
fication of its understanding of the Messiah may have given the form to this well-
structured tradition. »
49. Cfr A. Fridrichsen, Le problème du miracle dans le christianisme primitif
(Études d'hist. et de philos, religieuses, 12), Strasbourg-Paris, 1925, p. 85.
IOO
l'origine du récit
Suivant Arnold Meyer50, l'histoire des tentations a été com-
posée à l'intention de chrétiens qui sont dans l'épreuve, et elle
veut les inciter à la fidélité en leur proposant l'exemple du
Christ.
R. Bultmann51 estime que les trois tentations attribuées Ã
Jésus n'ont rien de spécifiquement messianique ; elles n'ont pas
pour but de montrer que Jésus est réellement le Messie et, si
polémique il y a, ce n'est pas contre l'idée de la nécessité des
miracles pour attester la messianité. Les deux premières tenta-
tions répondent à la question de savoir en quoi un miracle
authentique, venant de Dieu, se distingue des prestiges diabo-
liques : le seul miracle authentique est celui qui se produit dans
l'obéissance à Dieu et au service des intérêts de Dieu. La troi-
sième tentation répond à un problème un peu différent, mais
elle traduit aussi l'idée qu'on doit se soumettre à Dieu seul. Il
doit y avoir une intention polémique dans le récit des deux
premières tentations: soit contre des adversaires qui faisaient
de Jésus un vulgaire magicien52, soit contre des chrétiens qui
surestimaient l'importance des miracles53. Prise comme un
tout, cette histoire veut faire comprendre aux croyants que
l'obéissance à la volonté de Dieu a plus de valeur que les
miracles, d'autant plus que ce qu'on prend pour des miracles
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n'est parfois que prodiges démoniaques.
A. Fridrichsen54 part d'un examen critique de quelques-unes
des interprétations qui prétendent expliquer la naissance
de l'histoire des tentations. Il rejette l'interprétation apo-
50. A. Meyer, Die evangelische Berichte iiber die Versuchung Christi, pp. 465 ss.
51. R. Bultmann, Die Geschichte der syn. Trad., pp. 271-275. On trouve une note
différente dans Theologie des Neuen Testaments (Neue theol. Grundgrisse), Tubingue,
I953. p- 27: «Legende ist die Versuchungsgeschichte, die iiber die Art der Messiani-
tât Jesu bzw. iiber die Art des christlichen Messiasglaubens reflektiert. » Cette affir-
mation attribue au récit une portée messianique, qui est niée avec insistance dans
la Geschichte. On retrouve la première explication de Bultmann chez G. Bornkamm,
Enderwartung und Kirche im Matthâusevangelium, dans The Background of the New
Testament and its Eschatology... in hon. C. H. Dodd, Cambridge, 1956, pp. 222-260
(246 s.), article réimprimé dans G. Bornkamm, G. Barth, H. J. Held, tîberlieferung
und Auslegung im Matthâusevangelium (Wiss. Monogr. zum A. und N. T., 1), Neu-
kirchen, i960, pp. 13-47 (34).
52. Explication de S. Eitrem, Die Versuchung Jesu (Bihefte til Norsk teologisk
tidsskrift, 25), Christiania, 1924.
53. Explication d'A. Fridrichsen, Le problème du miracle, pp. 83-90 et 123, n. 30.
54. Loc. cit.
l'hypothèse de l'origine communautaire ioi
logétique d'après laquelle cette histoire serait née du besoin
d'expliquer pourquoi Jésus ne répondait pas à l'idée que le
judaïsme se faisait communément du Messie. Il montre, contre
G. P. Wetter 5&, qu'on ne peut se contenter de voir dans les
deux premières tentations la notion hellénistique de « fils de
Dieu » faiseur de miracles 56. Il s'en prend ensuite à S. Eitrem 61,
d'après qui le diable suggère à Jésus de recourir à la magie, le
récit ayant pour but de défendre Jésus de l'accusation de
magie. Mais Fridrichsen pense que tout n'est pas à rejeter dans
les hypothèses de Wetter et d'Eitrem; c'est à partir de leurs
explications qu'il élabore la sienne. Le récit des tentations doit
répondre au problème du miracle tel qu'il se posait pour le
christianisme primitif. Il reflète un milieu chrétien caractérisé
par un désir excessif de voir des miracles, ce qui risquait de
conduire à la magie. D'où la réaction d'une élite religieuse,
qui préfère mettre l'accent sur la patience, l'humilité, la sou-
mission à la volonté de Dieu. Ceux qui recherchaient les
miracles faisaient valoir des textes de l'Écriture ; on leur répond
par d'autres textes scripturaires, montrant mieux en quoi
réside l'essentiel de la religion. C'est dans ce contexte qu'un
scribe chrétien aurait élaboré l'histoire des tentations de Jésus,
assignant une origine diabolique au goût pour le merveilleux
et ramenant l'attention sur les valeurs religieuses fondamen-
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tales.
Nous ne doutons pas que l'histoire des tentations de Jésus
ait eu une signification actuelle pour les premiers chrétiens ; ils
ne pouvaient manquer de se rendre compte que l'attitude de
Jésus en face du tentateur était un exemple à suivre. On com-
prend donc sans peine que la catéchèse ait exploité ce récit.
Cela ne permet pas encore de dire qu'elle l'a inventé. Cette
hypothèse oublie la différence qu'il y a entre les tentations de
Jésus et celles que les chrétiens rencontrent sur leur chemin;
55. G. P. Wetter, « Der Sohn Gottes ». Eine Untersuchung iiber den Charakter uni
die Tendenz des Johannesevangeliums (Forschungen zur Rel. uni Lit. des A. uni N. T.,
N. F., 9), GÅ“ttingue, 1916, pp. 139 ss.; cfr pp. 64 ss.
56. Nous avons rencontré cette interprétation chez Bultmann {Geschichte, p. 275),
qui la reprend à Wetter.
57. Op. cit. (n. 52).
102
l'origine du récit
s'il s'agissait simplement de montrer comment Jésus a triomphé
de nos tentations, pourquoi lui en prêter qui ressemblent si
peu aux nôtres? Il est vrai que Bultmann affirme fortement que
les tentations de Jésus n'ont aucun caractère messianique,
qu'elles sont simplement les tentations quotidiennes de tous
les chrétiens. Dans ce cas, nous pourrions nous réjouir en cons-
tatant que les chrétiens ne cèdent pas souvent à la tentation
de changer des pierres en pain, de se lancer dans le vide, de
s'emparer d'une royauté universelle au service du diable.
Quant aux reconstitutions de Fridrichsen, elles ne pourraient
être prises au sérieux que si elles trouvaient une base dans les
textes; i Cor 12,3 ne suffit pas pour établir que les premiers
chrétiens avaient tendance à confondre le surnaturel authen-
tique avec des pratiques magiques d'origine diabolique. Et on
ne saurait généraliser le cas de Simon le Magicien. Le contexte
auquel on fait appel correspond mal à ce que nous savons de
l'Église primitive; il serait sans doute plus facile de trouver
des points d'appui dans les situations du ministère public de
Jésus, celle, par exemple, où ses ennemis l'accusent de chasser
les démons par Béelzéboul.
3. Une explication théologique
Quelques auteurs pensent que le récit serait né d'un souci
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d'explication. On apprenait que Jésus avait été tenté; sa
fidélité à l'égard de son Père étant mise en jeu, il était normal
qu'on s'interroge sur la nature de ces tentations. La question
reparaîtra plus tard; saint Augustin explique qu'il s'agissait
d'une tentatio probationis, non d'une tentatio deceptionis vel
seductionis, et saint Grégoire le Grand distingue trois modes
de tentations: suggestione, delectatione, consensu58. Dans
l'Église primitive, on s'y prend autrement: c'est à l'Écriture
qu'on demande des éclaircissements sur les mystérieuses tenta-
tions rencontrées par Jésus.
Nous avons vu que, pour E. Percy59, le récit des tentations
58. Cfr A. Feuillet, L'épisode de la Tentation d'aprls Mc, pp. 60 et 62.
59. Die Botschaft Jesu, pp. 13-18.
l'hypothèse de l'origine communautaire 103
transmis par Matthieu et Luc doit être considéré comme un
développement de la courte notice de Marc. Il s'agit d'une
sorte d'haggada, cherchant à préciser en quoi les tentations de
Jésus ont consisté. On n'y veut rien prouver. Le récit ne
témoigne d'aucune tendance particulière; il prétend simple-
ment expliquer une information énigmatique. Rien de cela ne
peut remonter jusqu'à Jésus lui-même.
Selon le P. van Iersel60, une donnée primitive, d'après
laquelle Jésus aurait été soumis à la tentation durant sa vie
terrestre, a été développée dans le cadre de la catéchèse chré-
tienne, suivant un procédé assez semblable à celui du midrash
de 1 Cor 10,1-13. Un lien s'établissait ainsi entre le baptême
et la tentation, et celle-ci était expliquée en fonction de ce
que l'Écriture dit des tentations du peuple élu, plus précisé-
ment d'après la parénèse que le Deutéronome base sur les
événements du désert81. Cette élaboration midrashique doit
remonter à la communauté primitive, probablement palesti-
nienne; en imaginant une rencontre entre Jésus et Satan, elle
ne veut être que l'illustration d'une donnée traditionnelle
authentique.
Les considérations par lesquelles le P. van Iersel étaie son
hypothèse sont surtout négatives ; il ne voit pas par quel moyen
on pourrait prouver que cette histoire d'une rencontre entre
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Jésus et le diable remonte à Jésus : pour le fond, il s'agit d'un
épisode dont on ne retrouve aucune trace dans la tradition;
pour la forme, le récit ne se présente pas comme venant de
Jésus. Il apporte un argument positif: composé à la manière
d'un midrash, sur la base de Dt 8,1 ss., le récit des tentations
de Jésus doit nécessairement être attribué à la communauté.
Cet argument nous paraît peu convaincant. Du moment qu'on
admet, comme le fait le P. van Iersel, que Jésus a parlé à ses
disciples de tentations qui avaient mis à l'épreuve sa fidélité
envers Dieu, on voit mal le motif pour lequel Jésus n'aurait
60. « Dit Sohn », pp. 165-171. Voir aussi Het Heilig Land, 1961, pp. 65-72.
61. Le P. van Iersel attache son attention à Dt 8,2-6; les citations de Dt 6,13.16
lui paraissent moins significatives, parce qu'il croit qu'elles ont pu être empruntées
au Shema. Il y a erreur évidente: ces versets ne font pas partie du Shema.
104
l'origine du récit
pas pu s'expliquer sur ces tentations, et en faire comprendre la
signification à ses disciples en leur rappelant les tentations
d'Israël et les enseignements que le Deutéronome en dégage.
Il ne suffit pas qu'un développement soit basé sur l'Écriture
pour qu'on soit obligé de le refuser à Jésus: il n'est pas douteux
que Jésus connaissait admirablement sa Bible.
4. Un raccourci dramatique
Plusieurs auteurs croient pouvoir reconnaître dans le récit
des tentations un raccourci dramatique, condensant en une
scène unique différentes tentations rencontrées par Jésus au
cours de son ministère, mais sous une forme beaucoup moins
extraordinaire. Le récit s'appuierait donc sur des faits réels,
mais postérieurs. En différentes circonstances de sa vie, la sou-
mission de Jésus à la volonté de son Père a été mise en cause ;
l'histoire des tentations anticipe sur ces événements en les
transposant sur un plan surnaturel, ce qui a l'avantage de
mettre en pleine lumière le sens profond des épreuves que
Jésus subira dans la suite.
H. J. Holtzmann est le principal représentant de cette inter-
prétation62. Prise en elle-même, l'histoire des tentations est un
récit légendaire; elle a cependant un fondement historique,
en ce qu'elle ramasse en un seul épisode, au point de départ
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du ministère de Jésus, les tentations qui jalonneront ce minis-
tère. Jésus devait en effet déclarer plus tard qu'il ne lui était
possible d'arracher les âmes à la puissance des ténèbres que
parce qu'il avait d'abord triomphé de Satan (Mc 3,27). C'est
cette victoire initiale que notre récit prétend relater. Pour ce
faire, il exploite des matériaux bibliques, surtout ceux que
fournit le Deutéronome. Mais la mise en œuvre des textes
scripturaires se fonde sur une réflexion chrétienne à propos de
divers épisodes de la vie de Jésus dans lesquels la manière dont
62. H. J. Holtzmann, Hand-Commentar zum Neuen Testament, I/i, 3e éd.,
Tubingue, 1901, pp. 45-48. Cfr C. G. Montefiore, The Synoptic Gospels, t. II, 2e éd.,
Londres, 1927, p. 19.
l'hypothèse de l'origine communautaire 105
il conçoit sa mission messianique s'oppose aux conceptions
populaires. Très clairement marquée en Jn 6,15, cette opposi-
tion se manifeste déjà dans l'évangile de Marc, et Holtzmann
croit pouvoir rattacher les trois tentations plus précisément Ã
trois épisodes du chapitre 8 de cet évangile: la multiplication
des pains (w. 1-963), la demande d'un signe venant du Ciel
(w. 11-12), la tentation venue de Pierre (w. 27-33).
Le P. van Iersel64 fait appel à des considérations du même
genre pour rendre compte de l'élaboration midrashique du récit
des tentations à partir d'une donnée primitive. Cherchant Ã
savoir comment Jésus a été tenté, les premiers chrétiens
trouvent l'explication non seulement dans l'Ancien Testament,
mais aussi dans différents épisodes de la vie de Jésus, en par-
ticulier celui de Césarée de Philippe et celui de Gethsémani, ou
encore dans les questions insidieuses par lesquelles les diri-
geants juifs « tentent » Jésus.
Dans la même optique, Herbert Preisker 65 et le P. Raymond
E. Brown 66 expliquent la naissance du récit des trois tentations
à partir de quelques épisodes de la tradition johannique. Sui-
vant le P. Brown, Jn 6,15 a pu fournir le thème de la tentation
sur la montagne, Jn 7,1-4 celui de la tentation sur le pinacle,
Jn 6,26-34 celui de la tentation des pains. Voulant expliciter
l'information de Marc, d'après laquelle Jésus a été tenté par
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Satan, l'auteur du dialogue entre Jésus et Satan aurait fait
appel à différentes circonstances de la vie de Jésus qui avaient
été pour lui des «tentations»; en les groupant en un point
unique, il fournissait en même temps la clé des épisodes ulté-
rieurs en dévoilant l'auteur véritable de ces tentations.
La part de conjecture qu'impliquent les reconstitutions de
63. Voir aussi Mc 6,30-44.
64. « Der Sohn », pp. 166 s.
65. H. Preisker, Zum Chamkter des Johannesevangeliums, dans Luther, Kant,
Schleiermacher in ihrer Bedeutung fur den Protestantismus. Forschungen und A bhand-
lungen Georg Wobbermin dargebracht, Berlin, 1939, pp. 379-393 (379-384). Voir à ce
sujet Ph.-H. Menoud, L'évangile de Jean d'après les recherches récentes (Cahiers théol.
de l'actualité protestante, 3), 2e éd., Neuchâtel-Paris, 1947, p. 29. Preisker trouve les
attaches de la première tentation en Jn 4,31-34, celles de la deuxième en Jn 6,14-15,
celles de la troisième en Jn 7,2-6.
66. R. E. Brown, Incidents that are units in the Synoptic Gospels but dispersed in
St. John, dans Cath. Bibl. Quart., 23 (1961), 143-160 (cfr 152-155).
io6
l'origine du récit
ce genre les rend évidemment fort fragiles87. Au point de vue
qui est celui de notre étude, nous pouvons nous contenter de
constater qu'elles reconnaissent dans le récit des tentations
une interprétation pertinente et profonde de la mission de
Jésus, correspondant fort bien à la manière dont Jésus lui-
même a compris le sens de sa mission. On ne voit plus très bien,
dès lors, la raison pour laquelle il faudrait exclure l'idée que
ce récit vient de Jésus en personne.
5. Difficultés contre l'attribution à la communauté
Nous avons présenté les principales considérations sur les-
quelles on s'appuie pour attribuer le récit des tentations à la
communauté chrétienne, et nous avons dit pourquoi ces consi-
dérations ne paraissent pas trancher le débat. Il reste à ajouter
que l'hypothèse de l'origine communautaire soulève des diffi-
cultés qu'on ne saurait négliger. Nous nous limiterons aux
trois objections qui semblent les plus marquantes.
a) Johannes Weiss68, suivi en particulier par le P. La-
grange 89, souligne avec vigueur qu'on ne peut considérer l'his-
toire des tentations comme le produit du travail inconscient
de l'imagination populaire. Nous avons affaire à un récit cons-
truit avec le plus grand soin, témoignant d'une réflexion théolo-
gique profonde et d'une intelligence pénétrante de la mission de
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Jésus; tout cela suppose l'intervention d'une forte personna-
lité. Il faut ajouter que l'auteur associe à une pensée religieuse
très sûre un sens poétique remarquable, qui lui fait choisir
avec bonheur les images les plus évocatrices. Nous savons que
67. « Comparaison ingénieuse mais forcée », écrit Menoud à propos de l'étude de
Preisker (loc. cit.).
68. Nous résumons la pensée de l'auteur d'après Die Schriften des Neuen Testa-
ments, t. I, Gœttingue, 1906, p. 231. La même opinion est présentée de façon moins
élaborée dans Die Predigt Jesus vont Reiche Gottes, 2e éd., Gœttingue, 1900, p. 94.
69. M.-J. Lagrange, Évangile selon saint Matthieu (Études Bibliques), 3e éd.,
Paris, 1927, p. 64. Voir encore, dans le même sens: M. Albertz, Die synoptischen
Steitsgesprà che. Ein Beitrag zur Formengeschichte des Urchristentums, Berlin, 1921,
p. 48; W. Grundmann, Jesus der Galilâer und dos Judentum, 2e éd., Leipzig, 1941,
pp. 97-99; E. Fascher, Jesus und der Satan (cfr n. 1), p. 25; V. Taylor, The Life
and Ministry of Jésus, Londres, 1954, p. 52.
l'hypothèse de l'origine communautaire 107
ces qualités étaient précisément réunies en Jésus ; nous ne con-
naissons, dans l'Église primitive, aucune personnalité chré-
tienne présentant les mêmes caractéristiques.
b) Josef Schmid70 attire l'attention sur la foi que la commu-
nauté chrétienne voue à son Seigneur, et il se demande s'il est
vraisemblable que des chrétiens aient attribué gratuitement Ã
Jésus une aventure du genre de celle qui nous est rapportée n.
Sans doute, Jésus déjoue les embûches du diable; n'empêche
qu'il subit ses assauts, qu'il doit répondre à des suggestions
qui menacent sa fidélité à la volonté divine.
On pourrait souligner, dans la même ligne, qu'étant donné
la foi de l'Église naissante, les réponses que Jésus fait au diable
peuvent paraître un peu courtes: «L'homme ne vit pas seule-
ment de pain... Tu ne tenteras pas le Seigneur... Tu adoreras
le Seigneur ton Dieu. » N'importe qui peut parler ainsi; ces
réponses n'expriment nullement la situation unique du Fils de
Dieu. On peut penser que, cherchant dans l'Écriture les réponses
à prêter à Jésus, un chrétien aurait probablement choisi des
textes correspondant mieux à la dignité éminente qu'il recon-
naît au Christ. Pour la dernière tentation, par exemple, il eût
été si facile de faire appel au Ps 2,8: Dieu a promis qu'il donne-
rait lui-même les nations en héritage à son Fils. Au lieu de
cela, c'est le diable qui exprime le mieux la foi chrétienne en
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Jésus, Fils de Dieu et souverain universel; Jésus lui-même se
place dans la situation d'un homme comme les autres. Une
telle discrétion messianique s'accorde mal avec l'état d'esprit
de la chrétienté primitive; elle serait plus conforme à l'attitude
de Jésus.
c) Josef Schmid72 et Joachim Jeremias73 font observer Ã
juste titre que, si le passage que nous étudions n'attribue Ã
70. J. Schmid, Dos Evangelium nach Matthâus (Regensburger N. T., i), 4e éd.,
Ratisbonne, 1959, p. 66.
71. Cfr A. Nisin, Histoire de Jésus, Paris, 1961, p. 139: «Les témoins du Christ
glorifié ne pouvaient guère inventer cette tentation, de soi assez scandaleuse, du
< Fils de Dieu >. »
72. Op. cit., p. 67.
73. Die Gleichnisse Jesu, 6e éd., Gœttingue, 1962, p. 123.
io8
l'origine du récit
Jésus aucune déclaration messianique, on ne saurait en con-
clure qu'il n'a pas de signification messianique. Jésus est tenté
en sa qualité de Fils de Dieu et de prétendant à une souveraineté
universelle; ses tentations sont en même temps une réactuali-
sation des tentations auxquelles le peuple élu a succombé
après sa sortie d'Égypte. Le récit veut montrer comment Jésus
a repoussé l'idée d'une réalisation terrestre de sa fonction mes-
sianique, comment il a refusé de tirer parti de ses prérogatives
pour s'assurer des avantages temporels. En fin de compte, la
question dont il s'agit est celle de savoir pourquoi Jésus n'a
pas réalisé ce que le judaïsme attendait du Messie, pourquoi il
ne s'est pas présenté dans un appareil de puissance et de gloire.
En cela, nous tombons assez facilement d'accord avec les par-
tisans de l'explication « apologétique ». Mais nous regrettons
qu'ils ne prennent pas garde au fait que, dans les termes où
il est posé dans cette histoire, le problème n'existe plus pour
les premiers chrétiens. Ceux-ci attendent le Fils de Dieu qui
doit venir du ciel (i Thess 1,10) ; ils proclament qu'Ã son retour
il se manifestera comme le Juge des vivants et des morts, il
établira un règne qui n'aura pas de fin; ils aspirent de toute
leur âme à ce glorieux avènement : Marana tha !
Dans cette perspective, l'histoire des tentations répond Ã
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une difficulté complètement dépassée, dépourvue d'actualité
aussi bien pour la catéchèse chrétienne que pour les discussions
avec les Juifs. La préoccupation qui se fait jour dans le récit
n'a plus d'intérêt immédiat pour des chrétiens qui croient à la
résurrection de Jésus et attendent avec impatience sa parousie.
Sachant que Jésus est Seigneur, siégeant à la droite de Dieu,
prêt à arriver sur les nuées du ciel, comment pourraient-ils
rester sur une impression de déception devant l'humilité de son
premier avènement?
En voilà assez pour se rendre compte que l'hypothèse de
l'origine communautaire de cette histoire, insuffisamment
étayée par ses défenseurs, se heurte à des difficultés réelles. Il
est temps d'aborder l'autre hypothèse, celle qui fait remonter
le récit à Jésus.
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS IOÇ
III. RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
Notre effort a consisté jusqu'ici à déblayer le terrain, en
écartant l'une après l'autre les considérations qui ne per-
mettent pas d'arriver à une solution satisfaisante. Cette
besogne n'est pas finie. Nous allons la poursuivre en examinant
rapidement les objections qu'on fait habituellement contre
l'hypothèse qui attribue le récit des tentations à Jésus. Nous
passerons ensuite aux raisons positives qu'on peut avoir pour
penser que ce récit remonte à Jésus.
1. Les difficultés
a) La difficulté majeure vient du fait que cette histoire ne
nous est pas donnée comme venant de Jésus; le récit n'est pas
placé sur les lèvres de Jésus, il ne s'y exprime pas à la première
personne.
La réponse dont se contente M. Albertz74 peut paraître assez
faible: Jésus a fort bien pu parler à la troisième personne,
comme s'il s'agissait d'un autre75; c'est sa manière de faire
dans les paraboles, où il ne se met en scène que d'une façon
voilée.
Une autre remarque serait peut-être plus utile. A supposer
que Jésus ait raconté lui-même cette histoire, il ne l'a évidem-
ment pas fait au moment même; de ce qui lui était arrivé au
désert, il n'a pu parler que plus tard, en un temps où ses dis-
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ciples avaient appris à concentrer sur lui leur espérance mes-
sianique, et où ils ne pouvaient manquer de s'étonner de le voir
agir d'une manière si peu conforme à ce qu'ils attendaient du
Messie. Un récit de ce genre, toujours à supposer qu'il vienne
de Jésus, ne se conçoit guère avant l'épisode de Césarée de
Philippe76. Il faudrait donc admettre qu'en plaçant les tenta-
74. Loc. cit. (n. 69).
75. Le procédé employé par Paul en 2 Cor 12,2-5.
76. Cfr T. W. Manson, The Sayings of Jesus as Recorded in the Gospels according
to St. Matthew and St. Luke, Londres, 1949, p. 46, et surtout The Servant-Messiah.
A Study of the Public Ministry of Jesus, Cambridge, 1953, p. 55.
110
l'origine du récit
tions au début du ministère de Jésus, juste après le baptême,
la tradition les a détachées de l'occasion dans laquelle elles ont
été racontées pour les situer au moment où l'événement aurait
eu lieu. Pareil changement de contexte entraîne assez naturelle-
ment des modifications de style. En plaçant le récit là où on le
met, on ne pouvait conserver le discours à la première personne
qu'en indiquant la circonstance dans laquelle Jésus a rapporté
ces faits; on aurait donc dû renvoyer le lecteur à des événe-
ments postérieurs. Il était beaucoup plus simple d'omettre
l'occasion dans laquelle le récit avait été fait et de rapporter
l'anecdote à la troisième personne.
Du fait que le récit n'est pas directement attribué à Jésus
on ne saurait donc conclure que ceux qui nous le rapportent ne
pensaient pas pouvoir le lui attribuer; la transposition dont ce
récit a fait l'objet rendait pratiquement nécessaire la manière
dont on le présente.
b) Il n'y a, dans cette histoire, aucune parole originale de
Jésus: elle ne lui prête que des citations scripturaires, aux-
quelles Matthieu ajoute les mots « Arrière, Satan », qui pour-
raient venir de la scène de CésaréeNe faut-il pas reconnaître
là l'effet d'un scrupule des chrétiens, qui évitent de prêter au
Maître des paroles qu'il n'aurait pas prononcées?
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Il est facile de répondre que cette particularité s'explique
aussi bien dans un récit fait par Jésus, qui veut attribuer sa
victoire sur Satan à la parole de Dieu plutôt qu'à ses propres
paroles.
c) Quelques auteurs78 insistent sur la singularité de ce pas-
sage au point de vue de sa forme littéraire. La tradition évan-
gélique ne présente pas d'autre exemple de dialogue à épisodes.
On en conclut que, contrairement à l'ensemble des données
évangéliques qui reposent sur une tradition orale, ce récit est
une pièce savante, une composition en chambre.
77. Cfr B. M. F. van Iersel, « Der Sohn », pp. 166 et 170 s.
78. Cfr W. E. Bundy, Jesus and the First Three Gospels, p. 64; Van Iersel,
op. cit., p. 166.
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
III
Il faut commencer par accorder que la part de l'élaboration
littéraire ne saurait être minimisée. Au niveau de la dernière
rédaction, Matthieu et Luc ont revisé soigneusement, chacun
de son côté, le texte de leur source; plus tôt déjà , le narrateur
avait eu recours à la Bible grecque pour calquer sur son texte
les citations qui forment la charpente du récit. Ceci reconnu,
il n'y a aucune raison de refuser à la tradition orale le fond
même du récit, construit suivant un schéma très simple: trois
citations bibliques, placées dans un cadre approprié. Très fré-
quent dans l'Évangile, le schéma ternaire correspond à un
procédé d'exposition qui n'a rien de livresque et qui a toutes
chances de remonter à Jésus79: ainsi dans la parabole où un
serviteur se voit confier cinq talents, un autre deux, un troi-
sième un seul (Mt 25,14-30) ; celle où des invités à un banquet
se dérobent en présentant trois sortes d'excuses (Lc 14,16-20);
celle de la semence qui tombe dans trois espèces de terrains
stériles, mais qui tombe aussi dans la bonne terre, où elle donne
trois rendements différents (Mc 4,3-8). Rien n'empêche que le
même schéma ne mette en œuvre, plutôt que des détails anec-
dotiques, trois courtes citations bibliques provenant d'un
même contexte.
d) Mais on se demande si le recours à l'Écriture n'est pas le
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fait de la communauté judéo-chrétienne plutôt qu'une pra-
tique de l'enseignement de Jésus 80. Il est clair que les chrétiens
scrutent les Écritures, pour y chercher une intelligence plus
profonde du mystère du Christ ; la manière de faire de Matthieu,
jalonnant son texte de citations, est le meilleur exemple de
cette attitude. On ne saurait cependant refuser à Jésus une
excellente connaissance des Écritures et un recours à leur
témoignage pour faire comprendre à ses auditeurs le sens de
sa mission : qu'on pense, par exemple, à sa réponse aux envoyés
de Jean-Baptiste, faisant allusion aux prophéties du Livre
79. Cfr. E. von Dobschûtz, Paarung und Dreiung in der evangeKschen Ober-
Ueferung, dans Neutestamentliche Studien G. Heinrici (Untersuchungen zum N. T.,
6), Leipzig, 1914, pp. 92-100; G. Bonaccorsi, Primi saggi di filologia neotestamentaria,
t. I, Turin, 1933, p. 549; R. Bultmann, Geschicht e der syn. Trad., p. 207.
80. Cfr B. M. F. van Iersel, < Der Sohn », pp. 168-170.
112
l'origine du récit
d'Isaïe (Mt 11,4-581), ou aux paroles prononcées sur la coupe,
lors de la dernière Cène, avec leur allusion à Ex 24,8 (Mc
14,24 par).
e) On soulève encore bien d'autres objections, qui peuvent
paraître assez futiles et auxquelles il n'est pas nécessaire de
s'attarder. Ainsi celle de W. E. Bundy82 : Jésus n'était pas
enclin aux confidences intimes; il est clair qu'il y a tout autre
chose qu'une confidence dans cette histoire. Celle du P. van
Iersel83 : l'Évangile ne connaît pas d'autre exemple de rencontre
personnelle entre Jésus et Satan. Pas plus que Paul ne men-
tionne de randonnées au troisième ciel en dehors de celle dont
il est question en 2 Cor 12,2-4. Nous allons d'ailleurs constater
qu'il y eut d'autres occasions où Jésus a « vu » le diable. -
E. Percy84 estime que cette histoire ne pouvait avoir aucun
intérêt pratique pour les disciples auxquels Jésus l'aurait
racontée. Nous allons précisément montrer qu'elle était pleine
de sens pour eux, étant donné les idées qu'ils se faisaient dans
le courant du ministère public de Jésus.
En voilà assez pour conclure, de façon encore toute négative,
que les objections qu'on soulève contre l'attribution du récit
à Jésus n'ont rien de contraignant. Elles ne sauraient dispenser
d'examiner les raisons positives qu'on peut avoir de faire
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remonter, au moins pour la substance, cette histoire jusqu'Ã
Jésus. Nous ne reviendrons pas sur quelques raisons auxquelles
il a déjà été fait allusion. Celle, en particulier, qui revient assez
souvent85: aux origines du christianisme, la personnalité de
Jésus est, à notre connaissance, la seule à allier la vision reli-
gieuse si profonde et l'imagination poétique dont témoigne
le récit des tentations. Ou la remarque de T. W. Manson86: le
récit dénonce comme diaboliques les espérances messianiques
partagées par l'ensemble du judaïsme; une telle violence ne
81. Cfr J. Dupont, L'ambassade de Jean-Baptiste (Mt 11,2-6; Lc 7,18-23), dans
Nouv. Rev. Theol., 83 (1961), 805-821; 943-959 (946-951).
82. W. E. Bundy, Jesus and the First Three Gospels, p. 64.
83. B. M. F. van Iersel, zDer Sohn », p. 168.
84. E. Percy, Die Botschaft Jesu, p. 17.
85. Nous avons cité: J. Weiss, M. Albertz, W. Grundmann, E. Fascher, V. Taylor.
86. T. W. Manson, The Sayings of Jesus, p. 46; The Servant-Messiah, pp. 55 s.
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
"3
se rencontre guère qu'en Jésus, tel qu'il nous apparaît, en
particulier, sur le chemin de Césarée de Philippe 87. Nous limite-
rons notre attention à trois considérations qui font appel au
milieu de vie de ce récit.
2. Jésus refuse le « signe » qu'on réclame de lui
La demande de signe constitue une situation typique du
ministère de Jésus ; le récit des tentations y trouve assez natu-
rellement ses attaches et sa raison d'être 88.
L'Évangile nous renseigne fort bien sur cette situation. Jésus
fait preuve, en matière religieuse, d'une autorité qui étonne
d'autant plus ses contemporains qu'il ne craint pas de heurter
de front les traditions les plus vénérées89. Par toute son atti-
tude, il montre qu'il s'estime investi d'une mission divine.
Détenteurs légitimes de l'autorité religieuse, les dirigeants spi-
rituels d'Israël revendiquent le droit de vérifier les titres de
créance de Jésus. Ils le somment de justifier l'autorité qu'il
s'arroge (cfr Mc 11,28 par) ; ils exigent de lui un « signe venant
du Ciel » (Mc 8,11; Mt 12,38; 16,1; Lc 11,16.29 ■•), c'est-à -dire
un acte accompli dans des circonstances telles que l'interven-
87. On peut signaler encore l'étude de S. L. Edgar, Respect for Context in Quota-
tions from the Old Testament, dans New. Test. St., 9 (1962-63), 55-62. L'auteur s'attache
à montrer que, contrairement aux écrivains du Nouveau Testament, en particulier
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Paul et Matthieu, qui citent des textes scripturaires sans tenir compte du contexte,
Jésus n'emploie des textes de l'Ancien Testament qu'en les prenant dans le sens qui
est le leur dans le contexte original. On trouverait donc là un indice d'authenticité
permettant de reconnaître les citations qui remontent à Jésus. Cet indice joue en
faveur de l'attribution à Jésus des trois citations du Deutéronome dans le récit de
la tentation (pp. 59 s.).
88. Cfr T. W. Manson, The Sayings of Jesus, p. 45.
89. Jésus fait preuve de beaucoup de liberté à l'égard des règles traditionnelles
concernant le repos sabbatique ; les nombreux textes évangéliques qui caractérisent
cette attitude ne sauraient être tous ramenés à une controverse dans laquelle l'Église
chrétienne, qui s'est libérée du précepte du sabbat, défend sa pratique contre le
judaïsme (cfr E. Lohse, art. oigPaTov, Theol. Wôrterb. zum N. T., VII (1964), pp. 1-
35: 21-29). A propos des règles de pureté concernant les aliments, il faut citer au
moins la sentence de Mc 7,15 par: « Il n'y a rien d'extérieur à l'homme qui, pénétrant
en lui, puisse le rendre impur... »; une déclaration de ce genre est si neuve et caracté-
ristique qu'on ne saurait hésiter à l'attribuer à Jésus: R. Bultmann, Geschichte der
syn. Trad., p. 110. Dans sa manière d'enseigner, Jésus tranche sur l'usage des docteurs
en parlant d'autorité, sans faire appel à l'argument de tradition: cfr Mc 1,22. Il
n'hésite même pas à remettre les péchés, usant d'une prérogative strictement divine:
Mc 2,5-11 par; Lc 7,48 s.
90. Cfr K. H. Rkngstorf, art. o7)|ieïov, Theol. Wôrterb. zum N. T., VII (1964),
pp. 199-268 (232-234).
Lm tenUtiou... 8
H4
l'origine du récit
tion divine soit évidente81. Cette mise en demeure est consi-
dérée par l'Évangile comme une « tentation » (raip<xÇovTeç, Mc
8,11 ; Mt 16,1; Lc 11,16M); Jésus la rejette, refusant la preuve
indubitable qui accréditerait sa mission. Au moment de la
Passion, l'exigence se fait plus pressante, soit de la part d'Hé-
rode, qui espère voir Jésus accomplir un signe (Lc 23,9), soit
de la part des grands prêtres et des scribes, qui suggèrent eux-
mêmes le signe décisif: « Le Christ, le Roi d'Israël! Qu'il des-
cende maintenant de la croix, pour que nous voyions et
croyions! » (Mc 15,32; cfr Mt 27,42-43; Lc 23,35.37).
Le refus de Jésus avait de quoi surprendre les disciples.
Témoins de ses miracles, ils devaient penser, non sans quelque
apparence de raison, qu'il lui était facile d'accéder à pareille
demande. En donnant satisfaction aux autorités religieuses,
ne se serait-il pas évité bien des embarras? Il peut donc sembler
normal que Jésus ait cherché à faire comprendre son attitude
à ses disciples déconcertés.
Le récit des tentations correspondrait bien à cette situation.
Zahn93 souligne fort justement que la première tentation ne
suggère pas seulement à Jésus le moyen de satisfaire sa faim;
elle l'invite à fournir en faveur de son interlocuteur, la preuve
de sa filiation divine. De même la deuxième tentation: il ne
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s'agit pas seulement pour Jésus de mettre à profit la protection
dont Dieu l'entoure, mais de faire reconnaître au tentateur
qu'il est vraiment Fils de Dieu94. Entre ces sollicitations et
celles des dirigeants juifs l'analogie est trop frappante pour ne
pas être voulue95. Si bien que les réponses faites par Jésus au
91. Le terme « Ciel » désigne Dieu. Il ne s'agit pas d'un prodige qui s'accomplirait
dans les airs, comme on l'entend parfois.
92. Cfr Van Iersel, < Der Sohn », pp. 166-167.
93. Th. Zahn, Dos Evangelium des Matthâus (Komm. zum N. T., I), 4e éd., Leipzig-
Erlangen, 1922, pp. 155 et 158.
94. Le cas de la troisième tentation est un peu différent, puisqu'elle ne suggère
l'accomplissement d'aucun signe. En offrant à Jésus une royauté universelle, le diable
ne s'adresse pas à lui comme il le ferait à n'importe qui : il s'agit d'une royauté qui
revient de droit au « Fils de Dieu » ; le diable indique à Jésus le moyen d'entrer immé-
diatement en possession de ce qui lui revient: s'il est vraiment Fils de Dieu, qu'il le
montre en régnant sur les nations, et en acceptant ce règne des mains de celui qui
est le Prince de ce monde.
9J. Cfr R. H. Fuller, The Mission and Achievement of Jesus. An Examination
of the Presuppositions of New Testament Theology (Studies in Biblical Theology, 12),
Londres, 1956, pp. 38-39.
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS 115
diable expliquent en même temps les raisons du refus qu'il
oppose à ceux qui lui réclament un signe comme preuve de sa
mission divine : son seul signe est sa fidélité à Dieu, le fait qu'il
ne veut s'appuyer que sur la parole de Dieu, qu'il ne tente
pas Dieu, qu'il ne sert que Dieu seul.
S'il est vrai que cette situation caractéristique du ministère
de Jésus donne tout son sens au récit, il faut reconnaître qu'il
n'en va plus de même après Pâques. A ce moment-là , le Ciel
a donné son signe: Jésus est ressuscité d'entre les morts. La
résurrection fournit la garantie divine de la seigneurie de
Jésus. Pour les chrétiens, qui regardent Jésus comme leur
Seigneur, comme le Messie et le Fils de Dieu, le problème du
« signe » auquel correspond le récit des tentations n'est plus
un problème actuel; il a été dépassé par l'événement de Pâques.
Répondant à un problème, à une situation, à des préoccupa-
tions qui caractérisent le temps du ministère public de Jésus,
le récit des tentations ne se comprend bien que s'il a été com-
posé avant Pâques.
Cette conclusion est si obvie que J. Schmid96 en vient à se
demander comment le récit a pu se conserver. C'est sans doute,
répond-il, parce que les chrétiens y ont trouvé un encourage-
ment dans leurs propres difficultés97. On ne retiendrait donc
cette histoire qu'en vertu d'une application parénétique, somme
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toute assez secondaire 98.
3. L'espérance messianique des disciples
Le récit des tentations se présente encore à nous comme une
mise au point des espérances messianiques que les disciples de
96. Dos Evangelium nach Matthâus, p. 67.
97. Cfr E. Fascher, Jesus und der Satan, pp. 29 et 41-42.
98. Il convient cependant de rappeler l'observation de H. Schûrmann (art. cit.
n. 7, p. 358) : la conservation des paroles de Jésus par la communauté ne nécessite pas
une utilité actuelle immédiate de ces paroles. La foi des disciples en Jésus, l'autorité
qu'ils reconnaissent à sa parole considérée comme un message divin, suffisent Ã
rendre compte du soin avec lequel on garde le souvenir de ce qu'il a dit. On ne saurait
leur refuser une préoccupation qu'on reconnaît aux disciples des prophètes, des
docteurs de sagesse et des rabbins, qui avaient le souci de répéter les paroles de leurs
maîtres.
116
l'origine du récit
Jésus partageaient encore avec leurs contemporains à l'époque
du ministère public, espérances qui n'ont plus de prise sur la
communauté chrétienne ".
Il n'est guère besoin de prouver que Jésus a éveillé les espé-
rances messianiques de son entourage. Jésus est mort sous un
écriteau qui le désignait comme « le Roi des Juifs » (Mc 15,26
par 10°) ; ses ennemis n'ont pas été les seuls à se rendre compte
de ses prétentions messianiques.
Ce qu'évoquait alors la pensée du Messie, les textes nous
l'apprennent sans ambiguïté. Peu après la prise de Jérusalem
par Pompée, en 63 avant Jésus-Christ, un pieux Pharisien
supplie Dieu:
Vois, Seigneur, et suscite-leur leur Roi, fils de David,
au temps que tu sais, toi, ô Dieu,
pour qu'il règne sur Israël, ton serviteur.
Et ceins-le de la force, pour briser les chefs injustes,
pour purifier Jérusalem des païens qui la foulent, en les perdant,
pour chasser, par la sagesse de la justice, les pécheurs de l'héritage,
pour fracasser l'orgueil des pécheurs comme des vases de potier,
pour briser avec une verge de fer toute leur substance,
pour détruire les païens impies d'une parole de sa bouche,
pour mettre en fuite, par sa menace, les païens loin de son visage,
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et pour reprendre les pécheurs par la parole de leur cœur.
99. Nous reprenons ici une considération proposée par T. W. Manson, The Serv-
ant-Messiah, pp. 55-56.
100. Cette inscription, qui est attestée par les quatre évangélistes, est considérée
comme inauthentique par Bultmann, qui y voit une création de Marc {Geschichte
der syn. Trad., pp. 293-295 et 307). La faiblesse de la position de Bultmann a été
fort bien mise en valeur par N. A. Dahl, Dos gekreuzigte Messins, dans Der historische
Jesus und der kerygmatische Christus. Beitrâge mm Christusverstândnis in Forschung
und Verkundigung, Berlin, i960, pp. 149-169 (159 s.); sur le fond de la question,
Dahl reste cependant réticent. La plupart des auteurs ne montrent aucune hésitation :
voir, par exemple, M. Dibelius, Die Formgeschichte, p. 214; Jesus (Samralung
Goschen, 1130), 3e éd., Berlin, 1960, p. 81; W. E. Bundy, Jesus and the First Three
Gospels, p. 540; E. Stauffer, Messias oder Menschensohn ? dans Nov. Test., 1 (1956),
81-102 (88: «Die Kreuzesinschrift ist zweifellos historisch »); G. Bornkamm, Jesus
von Nazareth (Urban-Bûcher, 19), 2e éd., Stuttgart, 1957, p. 152 ; T. A. Burkill,
The Trial of Jesus, dans Vigiliae Christianae, 12 (1958), pp. 1-18 (14-17); P. Winter,
Marginal Notes on the Trial of Jesus, dans Zeitschr. fur die Neutestl. Wiss., 50 (1959),
pp. 14-33; 221-251 (250 s.); On the Trial of Jesus (Studia Judaica, I), Berlin, 1961,
pp. 107 ss.; J. Blinzler, Der Prosess Jesu, 3e éd., Ratisbonne, 1960, p. 270, n. 36;
F. Hahn, Christologische Hoheitstitel (cité n. 24), p. 178: «Es besteht nicnt der
geringste Anlass die Historizitât der Kreuzesinschrift zu bezweifeln »; E. Dinkler,
Petrusbekenntnis und Satanswort. Dos Problem der Messianitât Jesu, dans Zeit und
Geschichte. Dankesgabe an Rudolf Bultmann, Tubingue, 1964, pp. 127-153 (147 s.).
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
117
Alors, il rassemblera le peuple saint, qu'il conduira avec justice,
et il jugera les tribus du peuple sanctifié par le Seigneur son Dieu.
Et il aura les peuples païens pour le servir sous son joug,
et il glorifiera le Seigneur à la vue de toute la terre,
et il purifiera Jérusalem par la sanctification, comme au com-
[men cernent,
pour que les nations viennent du bout de la terre pour voir sa
[gloire,
en apportant comme offrande ses fils à elle, privés de force,
et pour contempler la gloire du Seigneur, dont Dieu l'a glorifiée...
(Ps Sal. 17,21-31)
Même note, à Qumrân, dans la bénédiction prévue à l'inten-
tion du Roi messianique (1 QSb, 5, 20-29). On la retrouve dans
le Nouveau Testament, en particulier dans l'hymne de Zacha-
rie : « Il nous a suscité une corne de salut dans la maison de
David, son serviteur,... pour nous sauver de nos ennemis et
de la main de tous ceux qui nous haïssent... » (Lc 1,69-71).
On rêve d'un roi glorieux et puissant, libérateur de son peuple
et assurant la suprématie d'Israël sur les nations païennes.
Cette attente éclaire singulièrement plusieurs épisodes de
l'Évangile. Celui, notamment, de la démarche des fils de Zébé-
dée, demandant à Jésus : « Fais que, dans ta gloire, nous sié-
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gions l'un à ta droite et l'autre à ta gauche» (Mc 10,37101).
Celui surtout de Césarée de Philippe (Mc 8,27-33 par), auquel
l'étude des tentations ramène constamment. Après avoir pro-
clamé que Jésus est le Messie, Pierre s'insurge en l'entendant
parler de ses souffrances et de sa mort; dans cette réaction,
Jésus reconnaît une tentation diabolique : « Arrière, Satan ! Tes
101. A propos des w. 35-37 et 40, qui lui paraissent former la base de cette péri-
cope et constituer un tout homogène, Bultmann {Geschichte, p. 23) écrit que ce
morceau « braucht als Gemeindebildung nur dann beurteilt zu werden, wenn man die
Selbstverstândlichkeit, mit der hier Jesu Messianitât vorausgesetzt wird, erst in der
christlichen Gemeinde fur môglich hâlt, und das ist allerdings meine Meinung ».
Pour satisfaire au dogme bultmannien, il faudrait donc que la communauté ait inventé
non seulement la demande des fils de Zébédée, mais aussi la réponse de Jésus : « De
siéger à ma droite ou ma gauche, il ne m'appartient pas de l'accorder; c'est à ceux
pour qui cela a été préparé » (v. 40). Rien d'étonnant à ce que les exégètes renâclent
devant l'acte de foi qu'on réclame d'eux. En faveur de l'historicité de ce passage,
voir, outre les commentaires: E. Percy, Die Botschaft Jesu, pp. 236 s., et surtout
W. Pbsch, Der Lohngedanke in der Lehre Jesu verglichen mit der religiôsen Lehre des
Spâtjudentums (Mûnchener theol. St., 1/7), Munich, 1955, pp. 68-70.
n8
l'origine du récit
pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
De toute évidence, Pierre juge la perspective des souffrances
de Jésus incompatible avec la dignité messianique qu'il vient
de lui reconnaître; c'est justement parce que l'idée qu'il se fait
du Messie est celle du diable102. Dans la pensée de Pierre, le
Messie ne peut pas souffrir - le diable de la tentation précise:
pas même de la faim -; le Messie doit régner sur Israël - sans
doute en opérant le signe du Ciel qui ralliera le peuple autour
de lui - et dominer les nations païennes - qui lui ont été mon-
trées sur la haute montagne. La parenté entre la scène des
tentations qui ont suivi le baptême et la scène de Césarée de
Philippe, où Pierre affirme sa foi au Christ mais pour faire
aussitôt l'office de tentateur, n'a pas manqué d'attirer l'atten-
tion des exégètes, et il n'est pas étonnant qu'on ait regardé
l'incident de Césarée comme l'occasion dans laquelle Jésus
aurait raconté à ses disciples l'histoire des tentations103.
Nous n'avons pas à faire d'hypothèses sur la circonstance
précise qui a pu donner naissance au récit qui nous occupe.
Nous intéressant à une situation typique à laquelle ce récit
correspond, à un problème et à une préoccupation des disciples
appelant une explication que Jésus aurait donnée au moyen
de ce récit, nous croyons trouver ce que nous cherchons dans
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les conceptions messianiques de ce temps-là , et dans le con-
traste qu'elles formaient avec la manière dont Jésus envisageait
sa mission. En racontant ses tentations, Jésus aurait voulu
faire comprendre à ses disciples que ce qu'ils attendaient de lui
n'était à ses yeux qu'une tentation du diable.
Ajoutons que si, avant Pâques, les idées messianiques des
disciples rendent facilement compte de l'intention dans laquelle
102. L'importance de ce passage explique les études, les discussions et les hypo-
thèses dont il fait l'objet. Énumérer ces études et examiner les interprétations qu'elles
proposent ne pourrait se faire avec un peu de sérieux qu'en sortant des limites de
cet article. Contentons-nous de conseiller la confrontation des résultats auxquels
aboutissent trois études qui viennent de paraître à peu près simultanément et qui
renseignent sur bon nombre de travaux antérieurs: l'excursus de F. Hahn, Analyse
von Mk 8,27-33 dans Christologische Hoheitstitel, 1963, pp. 226-230; l'article de
E. Haenchen, Die Komposition von Mk £,27-9,1 und Par., dans Nov. Test., y (1963),
81-109 (81-96), et celui, déjà cité (n. 100), de E. Dinkler, dans Zeit und Geschichte,
1964, pp. 127-153-
103. Cfr T. W. Manson, The Servant-Messiah, p. 55.
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
119
Jésus a pu faire ce récit, il serait beaucoup plus difficile de
trouver l'occasion du récit dans des conceptions analogues qui
auraient eu cours dans l'Église primitive. Les chrétiens savent
bien que le Christ devait souffrir pour entrer ensuite dans sa
gloire, et que cette gloire n'a rien à faire avec celle d'un souve-
rain politique : le règne qu'il doit établir lors de son avènement
est d'un tout autre ordre.
4. Jésus et le diable
Il nous reste à faire observer que le rôle assigné au diable
dans le récit des tentations s'accorde fort bien avec la manière
dont Jésus envisage le rôle de ce personnage par rapport à sa
mission. Que cela plaise ou non, il faut reconnaître le fait:
Jésus prend le diable au sérieux; il le considère comme son
antagoniste, celui dont il doit déjouer les manœuvres et qu'il
lui faut vaincre104.
Nous venons de parler de l'épisode de Césarée, où Jésus
repousse durement Pierre: « Arrière de moi, Satan! » (Mc 8,33).
Ce ne sont pas des chrétiens qui ont inventé cette parole, Ã
l'adresse d'un chef vénéré105. Jésus traite Pierre de « Satan »
parce qu'il reconnaît dans sa démarche pour le détourner des
souffrances qui l'attendent une tentation dans laquelle se mani-
feste l'action du Tentateur par excellence; Pierre joue le jeu
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de Satan, il est entré dans le rôle de Satan en voulant détourner
Jésus de ce qui fait essentiellement partie de sa mission divine.
Jésus ajoute: « Car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais
104. « Jesus himself assigned to these demonic powers a significance beyond the
merely accidentai, discerning in the background the mystery of spiritual evil, and a
recognition that this fact can lead us towards a truer idea of His interpretation of
His own mission «: A. Fridrichsen, The Conflict of Jesus with the Unclean Spiriis,
dans Theology, 22 (1931), 122-135 (122), cité par T. Ling, The Significance of Satan.
New Testament Demonology and its Contemporary Relevance (Bibl. Monographs, 3),
Londres, 1961, p. 2.
105. Cfr W. E. Bundy, Jesus and the First Three Gospels, p. 299: «The majority
of critics feel that this little episode must be historical and that Mark here is doing
some realistic reporting. This little scene puts the famous apostle in such an unfavo-
rable and uncomplimentary light that it could hardly be an invention. It would
invite suppression (Luke) rather than fabrication. Like the story of Simon's deniai,
this little fragment testifies to the basic honesty of Christian tradition. »
120
l'origine du récit
celles des hommes » fibid.) : n'envisager sa mission que d'un
point de vue humain, incompatible avec les intentions de
Dieu, c'est justement là , à ses yeux, la tentation diabolique108.
Derrière l'intervention malheureuse du prince des apôtres,
Jésus dénonce la manœuvre de son irréductible adversaire, le
diable.
Une autre parole de Jésus dont on ne saurait raisonnablement
contester l'authenticité nous a été conservée par Luc; elle
montre en Satan le tentateur qui va mettre en péril la foi des
disciples : « Voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler
comme le froment» (Lc 22,31107). La tribulation qui va les
secouer et les ébranler jusqu'au fond de l'âme ne peut être que
l'Å“uvre de Satan, qui doit d'ailleurs obtenir d'abord l'autorisa-
tion de Dieu108.
La parabole de l'ivraie (Mt 13,24-30) semble devoir s'en-
tendre comme un appel à la patience109 : la séparation des bons
et des mauvais se fera en son temps, le temps de la moisson,
106. Si le point de vue de Pierre reste purement humain, en contradiction avec la
manière de voir de Dieu, ce n'est pas simplement en raison de l'horreur naturelle
que lui inspire l'idée de la souffrance : « Wenn Jesus darauf hin den Petrus einen Satan,
einen Versucher nennt, dann deswegen, weil Petrus vom Ideal des leidlosen Lebens
- nach dem sich aile Menschen sehnen - verfûhrt ist und verfùhren will » (E. Haen-
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chen, dans Nov. Test., 1963, p. 91). Excès opposé chez E. Dinkler (Zeit und GeschickU
pp. 140-142, etc.) : en Mc 8, les vv. 30-32 seraient des interpolations rédactionnelles,
de telle sorte que Pierre serait entré dans le rôle de Satan en attribuant à Jésus le
titre de « Christ » (voir aussi F. Hahn, Christologische Hoheitstitel, 226-230). Explica-
tions plus satisfaisantes chez A. Vôgtle, Messiasbekenntnis und Petrusverheissung.
Zur Komposition Mt 16,13-23 Par., dans Bibl. Zeitschr., N. F. 1 (1957), 252-272;
2 (1958), 85-103 (cfr 1957, p. 256), et chez W. Foerster, art. oaTavâç, Theol. Wôrterb.
zum N. T., VII (1964), pp. 151-164 (158s.).
107. Cfr W. Foerster, Lukas, 22,31 f., dans Zeitschr. fur die Neutestl. Wiss., 46
(^Sî). 129-133 ; Id., Theol. Wôrterb. zum N. T., VII, pp. 156 s. ; E. Fuchs, art. owdcÇu,
ibid., pp. 290 s.; W. E. Bundy, Jesus and the First Three Gospels, pp. 500 s., et les
commentaires.
108. Même conception qu'en Job 1-2.
109. Nous avons indiqué sommairement les résultats de nos recherches sur cette
parabole dans «Le Royaume des Cieux est semblable à ... », dans Bibbia e Oriente,
6 (1964), 247-253 (250 s.). En dehors des commentaires de Matthieu et des ouvrages
sur les paraboles, il faut signaler surtout les études de N. A. Dahl, The Parables of
Growth, dans Studia Theol., 5 (1951), 132-166 (151 s.) et de R. Schnackenburg,
Gottes Herrschaft und Reich, Fribourg-en-Br., 1959, pp. 107 s., ainsi que W. G. KCmmel,
Verheissung und Erfiillung. Untersuchungen zur eschatologischen Verkiindigung Jesu
(Abhandlungen zur Theol. des A. und N. T., 6), 3e éd., Zurich, 1956, pp. 125-128;
H. Conzelmann, Gegenwart und Zukunft in der synoptischen Tradition, dans Zeitschr.
fiir Theol. und Kirche, 54 (1957), 277-296 (284 s.) ; E. Grasser, Dos Problem der Parusie-
verzôgerung in den synoptischen Evangelien und in der Apostelgeschichte (Beih. zur
Zeitschr. fur die Neutestl. Wiss., 22), Berlin, 1957, pp. 145-148.
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
121
qui ne coïncide pas avec le temps du ministère de Jésus; le
moment de « purifier l'aire » (3,12) n'est pas encore venu. On
n'en est qu'à la phase qui prépare le jugement, celle où l'ivraie
et le bon grain deviennent parfaitement reconnaissables, où
l'attitude de chacun à l'égard du message de Jésus permet de
distinguer entre les bons et les mauvais. Au point de vue de
la leçon de cette parabole, la question de savoir d'où vient
l'ivraie (13,27) ne constitue qu'un trait accessoire ; la réponse
que lui fait Jésus n'est cependant pas dépourvue de significa-
tion: « C'est un ennemi qui a fait cela » (v. 28110). Il n'y a pas
lieu, par crainte de verser dans l'allégorie, de nier que cette
explication, donnée en passant, vise l'œuvre du diable, celui
qui est pour Jésus l'Ennemi par excellence m.
Jésus n'a pas seulement conscience de l'action du diable
visant à contrecarrer l'accomplissement de sa mission; il con-
sidère que sa mission divine est directement opposée à l'empire
de Satan. C'est dans cette perspective qu'il convient de donner
leur vrai sens aux expulsions de démons, qui apparaissent,
dans l'Évangile, comme des épisodes plus saillants de sa lutte
contre Satan112. A cet égard, trois sentences sont particulière-
ment significatives.
La première fait des expulsions de démons le signe de la
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venue du Règne : « Si c'est par le doigt de Dieu (Mt : par
l'Esprit de Dieu) que j'expulse les démons, c'est donc que le
Règne de Dieu est arrivé pour vous » (Lc 11,20; Mt 12,2811S).
110. L'affirmation est préparée par le récit: v. 25.
in. Dans l'explication de la parabole du Semeur, les oiseaux qui emportent le
grain tombé au bord du chemin représentent Satan, qui vient enlever la parole à ceux
qui l'ont entendue (Mc 4,15). L'insuccès de la prédication est attribué au diable ; mais
s'agit-il de la prédication de Jésus? Les problèmes que soulève ce passage n'invitent
pas à lui demander plus qu'il ne peut donner. Voir notre étude Le Semeur, dans
Dimanche de la Sexagésime (Assemblées du Seigneur, 23), Bruges, 1964, pp. 37-54
(43-45)-
112. C'est ce que cherche à mettre en valeur l'article, déjà cité, d'A. Fridrichsen,
dans Theology, 1931, pp. 122-135.
113. Sur ce logion, il nous semble qu'on doit retenir surtout les études de:
W. G. Kûmmel, Verheissung und Erfullung, 3e éd., 1956, pp. 98-102; R. H. Fuller,
The Mission and Achievement of Jesus, 1956, pp. 25-26; R. Schnackenburg, Gottes
Herrschaft und Reich, 1959, pp. 84-85; E. Jûngel, Paulus und Jesus. Eine Unter-
suchung zur Prâzisierung der Frage nach dem Ursprung der Christologie (Hermeneu-
tische Untersuchungen zur Theologie, 2), Tubingue, 1962, pp. 185-188; E. Rasco,
H ans Conzelmann y la « Historia Salutis ». A proposito de « Die Mitte der Zeit » y
•■Die Apostelgeschichte », dans Gregorianum, 46 (1965), 286-319 (313 s.).
122
L'ORIGINE DU RÉCIT
Jésus a pour mission non seulement d'annoncer par sa parole
que «le Règne de Dieu est proche» (Mc 1,15 etc.), mais de
manifester par son action l'imminence de sa venue. L'expulsion
des démons prend ici valeur de signe, car elle met en œuvre
une puissance qui est déjà celle du Règne; elle manifeste ainsi
que le Règne «est là » (éqjôawev), faisant déjà sentir ses effets:
un peu comme le soleil qui commence à éclairer la terre avant
son lever. En mettant en œuvre une force qui relève du Règne
de Dieu, Jésus fait comprendre par les faits que la venue de
ce Règne ne peut plus tarder. Ainsi interprétées, les expulsions
de démons constituent un élément essentiel de sa mission
d'annonciateur du Règne; rien d'étonnant à ce que, lorsqu'il
associe ses disciples à sa mission de proclamer le Règne de
Dieu, Jésus leur donne en même temps le pouvoir de chasser
les démons et de guérir les malades (Mt 10,1.7-8; Lc 9,1-2.6;
10,9): la parole ne saurait être séparée des signes, et c'est sa
valeur de signe qui donne à l'expulsion des démons l'impor-
tance que Jésus lui attache.
De la sentence que nous venons de citer, Matthieu et Luc
en rapprochent une autre, qui se trouve également chez Marc :
« Nul ne peut, après s'être introduit dans la maison de l'homme
fort, mettre ses affaires au pillage, s'il n'a d'abord ligoté cet
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homme fort ; et alors il mettra sa maison au pillage » (Mc 3,27 ;
cfr Mt 12,29; Lc 11,21-22114). Jésus fait appel au bon sens de
ses auditeurs: pour emporter ce qu'il veut de la maison d'un
homme vigoureux, un cambrioleur commence par maîtriser le
propriétaire. La tradition évangélique met cette sentence en
relation avec les expulsions de démons, et les exégètes s'ac-
114. Sur les problèmes littéraires soulevés par la péricope de Mc 3,22-30 et ses
rapports avec les matériaux parallèles ou complémentaires de la double tradition
Matthieu-Luc, bonne vue d'ensemble dans F. Hahn, Christologische HoheitstUel,
p. 298, n. 1. Pour le logion qui nous occupe, la version de Mt 12,29 est à peu près
identique à celle de Mc 3,27, mais celle de Lc 11,21-22 est fort différente. La plupart
des auteurs estiment que Luc utilise une version parallèle; cependant E. Percy
(Die Botschaft Jesu, pp. 181-187) pense que la version de Luc représente la forme
primitive, dont dériverait la forme de Matthieu et de Marc; à l'inverse, S. Légasse
croit pouvoir montrer que la forme de Luc résulte d'un remaniement rédactionnel
de celle de Marc: L'« homme fort' de Lc 11,21-22, dans Nov. Test., 5 (1962), 5-9. -
Pour ce qui concerne l'interprétation de ce logion, il faut signaler surtout, outre les
commentaires de Marc (W. Grundmann, E. Klostermann, J. Schmid, V. Taylor),
W. G. Kûmmel, Verheissung uni ErfiiUung, pp. 101-102.
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
123
cordent à penser que tel a dû être effectivement son contexte
primitif. En délivrant les possédés, Jésus enlève à Satan des
gens qui étaient devenus son bien ; tel un cambrioleur, il pénètre
chez Satan pour lui enlever ce qu'il lui plaît. Il ne pourrait
évidemment pas agir comme il le fait si Satan n'avait d'abord
été maîtrisé115. Ses exorcismes prouvent donc que Satan n'est
plus maître chez lui, son empire a été brisé. Compte tenu des
conceptions juives, la fin du règne de Satan ne peut que coïn-
cider avec le début du Règne de Dieu; c'est au moment de la
venue de ce Règne que Satan doit être enchaîné et ligoté. La
manière de faire de Jésus suppose qu'on en est là : les premiers
effets du Règne de Dieu commencent à se manifester. Les expul-
sions de démons opérées par Jésus ne sont pas seulement des
faits épisodiques, qu'on peut admirer sans en tirer les consé-
quences ; elles signifient que la fin des temps est arrivée, que le
Règne de Dieu est là , que son action se fait déjà sentir. En
les accomplissant, Jésus remplit sa mission qui prélude à la
venue du Règne de Dieu et qui en commence l'établissement
sur la terre116.
La troisième sentence ne nous a été conservée que par Luc:
« Je voyais Satan précipité du ciel comme un éclair » (Lc 10,18).
Le contexte dans lequel l'évangéliste a inséré cette parole est
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celui des exorcismes opérés par les disciples au cours de leur
tournée missionnaire ; ils disaient au verset précédent : « Sei-
115. Interprétation toute différente chez R. H. Fuller, The Mission and Achieve-
ment of Jesus, p. 38 : « The exorcisms of Jesus are the preliminary assault on the
kingdom of Satan, preparatory to his final overthrow at the End. The strong man
must first (npûTov) t>e bound, and then (tà te) his goods can be spoiled. The tipStov
refers to the ministry of Jesus, the r6ra to the decisive event of the future. » Cette
explication s'accorde mal avec la nature du logion, qui se présente comme un appel
à l'expérience, presque comme un proverbe. Jésus ne dit pas: il faut bien que je
commence par ligoter Satan, pour pouvoir mettre ensuite ses affaires au pillage ; mais
bien: le fait que je mets les affaires de Satan au pillage montre que Satan est déjÃ
ligoté. De nombreux auteurs se sont interrogés sur le moment précis auquel Jésus a
ligoté Satan, et ils ont cru pouvoir faire coïncider cet événement avec la tentation
au désert (C. J. Cadoux, W. Foerster, W. Grundmann, J. Jeremias, J. Schniewind,
B. Weiss, Th. Zahn); d'accord avec Kûmmel et Percy (loc. cit.), nous considérons
cette hypothèse comme dépourvue de tout fondement. S'il y a lieu de préciser, il faut
dire simplement que l'enchaînement de Satan coïncide avec la mission de Jésus.
116. « L'idée est que les guérisons et les expulsions de démons opérées par Jésus
supposent la défaite préalable de Satan : ainsi le règne du mal touche à sa fin et le
Royaume de Dieu est proche. De là l'importance que l'évangile attache à ces guéri-
sons »: M. Goguel, dans M. Goguel-H. Monnier, Le Nouveau Testament. Traduction
nouvelle d'après les meilleurs textes, avec introduction et notes, Paris, 1929, p. 66,
124
l'origine du récit
gneur, même les démons nous sont soumis en ton nom » (v. 17).
Il faut sans doute faire la part de l'évangéliste dans la manière
dont le dialogue nous est présenté, et rien n'empêche d'ad-
mettre, avec la plupart des auteurs117, que le logion du v. 18
n'a qu'un lien fort lâche avec son contexte actuel. Mais on doit
reconnaître aussi que ce contexte correspond bien au sens
naturel du logion: dans les expulsions de démons, Jésus voit
se réaliser la défaite de Satan, le prince des démons118. Faisant
écho à la satire d'Is 14 contre le roi de Babylone119, les termes
de la sentence de Jésus décrivent la destruction du pouvoir de
Satan sous l'image d'une chute soudaine et instantanée, pareille
à celle de l'éclair180; celui qui, du ciel, régnait sur le monde
présent121, se voit brusquement jeté à terre. Dans le cadre des
conceptions juives, cette chute de Satan, qui met fin à son
règne, est naturellement liée à l'avènement du Règne de Dieu.
117. Ainsi notamment R. Bultmann, Geschichte der syn. Trad., p. 174; F. Hauck,
Dos Evangelium des Lukas (Theol. Handkomm. zum N. T., III), Leipzig, 1934, p. 142 ;
C. K. Barrett, The Holy Spirit and the Gospel Tradition, Londres, 1947 (repr. 1954),
p. 64; E. Percy, Botschaft Jesu, p. 186; W. G. Kûmmel, Verheissung und Érfiillung,
p. 106; R. Schnackenburg, Gottes Herrschaft und Reich, pp. 85-86; W. Grundmann,
Dos Evangelium nach Lukas (Theol. Handkomm. zum N. T., III, 2e éd.), Berlin,
1961, p. 212; E. Jûngel, Paulus und Jesus, p. 189.
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118. Ainsi tous les auteurs cités dans la note précédente (pour Bultmann, voir
la note additionnelle). De même J. Schmid, Dos Evangelium nach Lukas (Regens-
burger N. T., 3), 4e éd., Ratisbonne, i960, p. 187; W. Foerster, Theol. Wôrterb.
zum N. T., VII, 157.
119. « Comment es-tu tombé des cieux, astre du matin, fils de l'aurore? Comment
as-tu été jeté par terre, toi qui subjuguais les nations?... Ceux qui te voient te consi-
dèrent; ils fixent leur regard sur toi: Est-ce là l'homme qui faisait trembler la terre,
qui renversait les royaumes? » (Is 14,12.16).
120. La soudaineté de cette chute brusque et irrémédiable ressortirait du contraste
des temps grecs : Jésus « voyait » MMbpotw, à l'imparfait, le temps qui suppose la
durée; mais la chute de Satan, à l'aoriste (7teo6rax), est instantanée. Ainsi M. Zer-
wick, « Vidi satanam tient fulgur de caelo cadentem » (Lc jo,j7-2o), dans Verbum
Domini, 26 (1948), 110-114. Peut-être ne faut-il pas forcer la nuance de l'aoriste, Ã
propos duquel les grammairiens parlent d'un « aoriste intemporel »: J. H. Moulton,
A Grammar of New Testament Greek, I. Prolegomena, 2e éd., Edimbourg, 1906, p. 134;
A. T. Robertson, A Grammar of the Greek New Testament in the Light of Historical
Research, 3e éd., New York, 1919, pp. 843, 864, 1114, 1116, 1123; B. Botte, Gram-
maire grecque du Nouveau Testament, Paris, 1933, p. 70. L'anomalie de la construc-
tion n'est pas pour autant dépourvue de signification ; on ne saurait minimiser l'accent
triomphant du participe aoriste; cfr Apoc 18,2 (Moulton).
121. En fonction de Job 1-2 et Apoc 12,10, plusieurs auteurs supposent que Satan
se trouvait dans le ciel pour y accuser les hommes devant Dieu; par sa chute, il perd
ses fonctions d'accusateur (Hauck, Grundmann, Foerster, loc. cit.). Cette explication
fait appel à un thème qui s'accorde mal avec le contexte de l'expulsion des démons:
il ne s'agit pas ici du pouvoir dont Satan jouirait devant Dieu, mais de celui qu'il
exerce sur les hommes. Il semble donc préférable de ne pas faire intervenir de telles
conceptions à cet endroit (cfr Schmid).
RAISONS D'ATTRIBUER LE RÉCIT À JÉSUS
125
Les expulsions de démons témoignent du fait que le prince des
démons a perdu son pouvoir, fait qui est confirmé par la
« vision122 » de Jésus ; elles attestent en même temps que le
Règne de Dieu commence déjà à déployer sa puissance123.
Elles constituent ainsi le signe concret de la bonne nouvelle
annoncée par Jésus : « Le Règne de Dieu est proche ».
Un même enseignement se dégage des trois sentences que
nous venons d'examiner. Elles témoignent du rôle essentiel
que Jésus attache aux expulsions de démons dans l'accomplisse-
ment de sa mission divine. Il ne lui suffit pas de proclamer que
le Règne de Dieu est proche; il lui faut montrer que la puis-
sance de ce Règne s'exerce dès à présent. En mettant cette
puissance en branle, il commence déjà l'établissement de ce
Règne sur la terre. Impliquant la destruction du règne de
Satan, la venue du Règne de Dieu se manifeste par les victoires
que Jésus remporte sur Satan en expulsant les démons des
hommes qui étaient tombés en leur pouvoir. La mission de
Jésus se présente ainsi comme un combat contre Satan, combat
permettant de constater que le prince des démons est vaincu
par un plus fort que lui.
122. On peut douter qu'il s'agisse ici d'une vision de type extatique, comme le
supposent trop facilement plusieurs auteurs (Bultmann, Creed, Barrett, Grundmann).
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Le verbe Oecopico ne s'emploi pas nécessairement à propos d'une expérience vision-
naire (cfr W. Michaelis, art. ôpiw, Theol. Wôrterb. zum N. T., VI, pp. 315-381:
345, n. 161). En évoquant la chute de Satan par allusion à Is 14, le logion veut
essentiellement indiquer le sens profond des expulsions de démons, manifestations
concrètes d'un événement supra terrestre que Jésus « voit » autrement que par ses yeux,
même s'il le présente d'une façon imagée et biblique. On pourrait comparer cela au
pilote qui « voit », grâce à son radar, ce que les yeux ne perçoivent pas à cause du
brouillard. Il n'y a pas lieu de supposer ici autre chose qu'une vision purement spiri-
tuelle (Schmid).
123. La chute de Satan coïncide avec le ministère de Jésus: « Yet it is entirely
congruent with other passages of the Gospels (e. g., Mk 3,27) to suppose that the fall
belongs to the period of the Messianic work of Jesus » (C. K. Barrett, toc. cit.).
On ne saurait donc reporter la vision de Jésus à un acte de sa préexistence : l'accord
se fait assez facilement sur ce point. On ne saurait davantage y reconnaître une
simple anticipation sur une victoire encore à venir, comme le veut R. H. Fuiaer,
The Mission and Achievement of Jesus, p. 27: « Their success (of the Seventy) is inter-
preted by Jesus as a sign of the approach of Satan's final overthrow at the End (cfr
Rev. 12,9, etc.), which with vivid, prophetic imagination, he sees as an already
accomplished fact. » Jésus ne se contente pas de prévoir la chute de Satan au moment
de l'avènement du Règne (Fuller) ou quand se fera le jugement dernier (R. Leivestad,
Christ the Conqueror. Ideas of Conftict and Victory in the New Testament, Londres,
I954. p. 49; T. Ling, The Significance of Satan, p. 18); il sait qu'elle se réalise au
moment même où il exerce son ministère, et par l'exercice même de son ministère.
Cfr Kûmmel, Verheissung uni Erfiillung, p. 107.
126
l'origine du récit
Virtuellement acquise, la victoire sur Satan n'est cependant
pas encore achevée. Le diable s'efforce de contrecarrer le succès
de la mission de Jésus : c'est lui l'ennemi qui sème l'ivraie parmi
le bon grain; c'est lui qui secoue les disciples de Jésus comme
dans un crible pour leur arracher leur foi; c'est lui aussi qui,
par la bouche de Pierre, cherche à détourner Jésus de la fidé-
lité à son Père. C'est bien encore le même personnage qu'on
reconnaît dans l'histoire des tentations, cherchant à prévenu-
la défaite qui le menace. Le rôle que cette histoire prête Ã
Satan correspond à celui que Jésus lui attribue habituellement
en voyant en lui son adversaire.
Nous pouvons ajouter que le point de vue de l'Église pri-
mitive n'est plus exactement le même. Les événements de
Pâques ont quelque peu modifié les perspectives. Alors que
Jésus fait coïncider la défaite de Satan avec la mission qui lui
a été confiée par Dieu, les premiers chrétiens auront tendance
à la faire coïncider avec la résurrection de Jésus124. Quand ils
se représentent l'action du diable pendant le ministère terrestre
de Jésus, ils ne l'envisagent pas comme tendant à fourvoyer
le Fils de Dieu, mais comme cherchant à le perdre et à provo-
quer sa mort. Les retouches de Luc sont fort significatives Ã
cet égard : à la fin de l'épisode des tentations, le diable se retire
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« jusqu'au temps marqué » (Lc 4,13), pour rentrer en scène au
moment de la trahison de Judas (22,3).
Par le rôle qu'il attribue au diable, aussi bien que par les
problèmes auxquels il veut apporter une réponse, le récit des
tentations se comprend mieux comme fait par Jésus au cours
de son ministère que comme une création chrétienne après le
triomphe de Pâques.
124. A propos de Mc 3,27, W. Grundmann (Dos Ev. nach Markus, p. 84) note
très justement : « Da die urchristliche Botschaf t dies (die Ueberwaltigung des Starken)
dem Tod und der Auferstehung zuweist, muss dieses Wort in die Geschichte Jesu
selbst gehôren und ist ein Stiick Urchristologie. » Voir D. A. Frôvig, Die Sendungs-
bewusstsein Jesu und der Geist (Beitrâge zur Fôrderung christl. Theol., 29), Gûtersloh,
1924, p. 162.
CONCLUSION
127
CONCLUSION
1. Au point de vue de l'historien, la question fondamentale
concernant l'histoire des tentations de Jésus est celle de l'ori-
gine du récit. Beaucoup d'auteurs croient qu'il est né dans la
catéchèse chrétienne. D'autres estiment plus raisonnable de
faire remonter le récit jusqu'à Jésus lui-même; non sans doute
dans les termes exacts où il nous parvient chez Matthieu et
chez Luc, mais du moins sous une forme circonstanciée et déve-
loppée dont la teneur se serait assez bien conservée dans la
tradition que Matthieu et Luc ont utilisée. Nous avons vu les
difficultés que soulèvent les explications qui attribuent ce récit
à la communauté chrétienne ; nous avons aussi indiqué quelques
raisons permettant de penser que le récit se comprend mieux
s'il vient de Jésus : il reflète ses préoccupations et répond à des
problèmes qui sont ceux de son ministère public. L'origine de
cette histoire se justifie plus difficilement dans le contexte de
la vie de l'Église primitive.
2. Si le récit est né dans la communauté, on ne saurait évi-
demment y voir qu'une fiction didactique, vraie uniquement
par l'enseignement qu'elle veut inculquer. S'il remonte à Jésus,
la question est plus complexe. Il ne suffit pas que Jésus ait
raconté une histoire pour que ce soit de l'histoire. Il peut avoir
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voulu rapporter un événement réellement et objectivement
vécu; mais il peut aussi avoir eu l'intention de proposer un
enseignement doctrinal sous une forme imagée, plus ou moins
apparentée à celle des paraboles. Il n'est pas douteux que ce
récit a en tout cas une portée doctrinale. Mieux que des consi-
dérations abstraites, il caractérise l'attitude de Jésus à l'égard
des rêveries messianiques de ses contemporains et en face des
requêtes de ceux qui réclament de lui des signes. Cette remarque
ne tranche pas encore la question de savoir si cette histoire
a des attaches dans un événement réel. La réponse à cette
question devrait sans doute se situer entre deux positions
extrêmes :
128
l'origine du récit
a) D'abord, celle qui prendrait le récit à la lettre, jusque dans
ses derniers détails125. Cette histoire fait manifestement appel
à des éléments figurés, que le lecteur de l'Évangile ne s'étonne
pas de retrouver dans le langage de Jésus, toujours très imagé.
La haute montagne d'où l'on voit tous les royaumes de la
terre n'existe évidemment pas sur la carte; elle relève d'une
« géographie » qui pourrait rappeler celle de la parabole de
l'homme riche et du pauvre Lazare, avec son dialogue entre le
riche et Abraham d'un côté à l'autre de l'abîme qui sépare
l'Hadès du séjour des élus (Lc 16,23-26).
b) L'autre extrême serait d'assimiler purement et simple-
ment cette histoire à une parabole, et de déclarer a priori
qu'elle est entièrement fictive. Parlant à ses disciples d'une
expérience qu'il a faite, Jésus pourrait difficilement s'exprimer
ainsi s'il n'avait fait aucune expérience de ce genre. Du point
de vue psychologique d'ailleurs, rien de plus vraisemblable
que le fond de cette histoire126. Jésus ne pouvait pas ignorer
ce que son entourage attendait de lui; il lui fallait prendre
position devant des espérances trop humaines, se rendre compte
de leur opposition à la volonté de Dieu concernant sa mission,
y reconnaître une tentation nécessairement attribuable à Satan,
l'adversaire de Dieu et de ses desseins de salut.
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Entre les deux positions extrêmes, celle qui fait du récit des
tentations une relation historique au sens strict, et celle qui lui
refuse tout fondement réel dans la vie de Jésus, c'est une posi-
tion moyenne qui aurait sans doute le plus de chances de
correspondre à la réalité: Jésus parle d'une expérience qu'il
a vécue, mais en la traduisant en un langage imagé, propre Ã
frapper l'esprit de ses auditeurs.
125. Un exemple récent, qui est aux limites de la caricature: c Alors le Diable
saisit le Christ et le transporta sur le pinacle du Temple, le point le plus élevé des
remparts de Jérusalem, qui dominait à pic et de quelque cent quatre-vingts mètres
le lit du Cédron. Le Diable aussi fait des miracles. Apparaître sous forme corporelle,
transporter un fardeau à travers les airs jusqu'au sommet d'une tour, c'est pour lui
jeu facile... Il saisit (Jésus) dans un rapt sacrilège, le soulève et l'emporte à travers
les airs, il le tient serré contre lui dans un embrassement terrible. Cette possession
physique du Saint, Satan a dû la pousser aussi loin qu'il lui a été permis, jusqu'aux
puissances inférieures de l'âme... » (R.-L. Bruckberger, L'histoire de Jesus-Christ,
Paris, 1965, p. 161).
136. Cfr A. Loisy, Les évangiles synoptiques, t. I, Ceffonds, 1907, p. 437.
CONCLUSION 129
3. Tant qu'on reste dans les généralités, l'accord est assez
facile. En voulant préciser davantage, on arrive aux questions
de détail qui, naguère encore, passionnaient certains exégètes.
Elles se ramènent à deux:
a) Il y a d'abord les changements de scène. Au lever du
rideau, Jésus se trouve au désert. Où se trouve-t-il au moment
où le diable se retire et où, d'après Matthieu, les anges s'ap-
prochent pour le servir? Ce n'est probablement pas sur la haute
montagne, d'où l'évangéliste ne dit pas que Jésus descendit
pour arriver en Galilée. On a bien l'impression que les tentations
se terminent au désert, où elles avaient commencé. Rien
n'oblige à penser qu'entretemps Jésus a voyagé d'un endroit
à l'autre, et on peut laisser les graves docteurs discuter grave-
ment sur la question de savoir si les voyages se sont faits Ã
pied ou par la voie des airs.
b) On s'interroge encore sur la manière dont le diable se
présente à Jésus. Le récit ne parle pas d'apparition; il ne dit
même pas que Jésus a vu le diable, comme le dit le logion de
Lc 10,18: «Je voyais Satan précipité du ciel comme l'éclair. »
Il n'est pas question d'une forme sensible, d'un déguisement
du diable. Simplement, le diable s'adresse à Jésus. Il ne le
fait pas nécessairement comme un homme parle à un autre
homme; il peut fort bien parler avec Jésus comme il le fait
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avec nous tous les jours. Rien n'empêche donc de penser à un
dialogue purement spirituel127.
4. Dernière question : celle de la place à faire à l'histoire des
tentations dans une Vie de Jésus. Si l'on admet que, pour le
127. Le P. L. de Grandmaison parle du « drame spirituel » des tentations {Jésus-
Christ. Sa personne, son message, ses preuves, t. I, 6e éd. [sic], Paris, 1927, p. 307).
Le P. J. Lebreton (La vie et l'enseignement de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Verbum
salutis, 11e éd., Paris, 1935, pp. 77-8o), suivi par Daniel-Rops (Jésus en son temps,
réimpr. Paris, 1959, p. 187), ne voit pas d'inconvénient à ce que les tentations relèvent
de la vision. D'après le P. J. Bonsirven, les tentations se présentent « non pas en
idées générales et comme abstraites, mais en des gestes symboliques, sortes de para-
boles en acte, propres à frapper des intelligences simples, comme étaient celles des
disciples à qui le Maître raconta ses tentations » : Les enseignements de Jésus-Christ
(Verbum salutis), 4e éd., Paris, 1946, pp. 104-105. Voir aussi J. Schmid, Dos Evange-
Hum nach Matthâus, pp. 67-68, pour qui les tentations constituent non pas un événe-
ment extérieur réel, mais un événement spirituel.
Les tentations... 9
130
l'origine du récit
fond, cette histoire peut raisonnablement se réclamer de Jésus,
il convient de lui faire une place dans un exposé historique de
la vie de Jésus. Mais à quel endroit?
Les évangélistes l'ont placée après le baptême et avant le
commencement du ministère public. Cette ordonnance se
justifie par des motifs chronologiques: l'événement aurait eu
lieu à ce moment-là ; elle peut aussi se fonder sur des considé-
rations thématiques: le séjour au désert et la tentation suivent
naturellement le baptême, comme, pour le peuple d'Israël, les
événements correspondants ont suivi le passage de la mer
Rouge; la tentation précède logiquement l'inauguration du
ministère public.
Le point de vue de l'historien moderne serait sans doute un
peu différent. S'intéressant surtout au fait que le récit a été
rapporté par Jésus lui-même, il se préoccupera davantage du
moment auquel Jésus a raconté cette histoire. Ce moment,
nous l'ignorons. Nous pouvons cependant dire que, vu le con-
tenu et la signification du récit, on n'imagine pas que Jésus
ait raconté cette histoire au début de son ministère. Il suppose
les disciples inquiets de la manière de concilier leurs espérances
messianiques avec la façon dont Jésus entend accomplir sa
mission terrestre; il les suppose déconcertés par le refus que
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Jésus oppose à ceux qui lui réclament un signe du Ciel. Tout
cela ne se comprend guère qu'à la dernière étape du ministère
de Jésus: concrètement, dans l'économie de l'histoire évangé-
lique, ce récit ne saurait se placer avant l'épisode de Césarée
de Philippe. On pourrait ajouter que, dans l'état de nos con-
naissances, cet épisode fournit au récit le cadre qui l'éclairé le
mieux et lui assure sa pleine signification, en même temps
d'ailleurs que l'histoire des tentations permet de mieux com-
prendre la vivacité avec laquelle Jésus repousse l'initiative
malheureuse du prince des apôtres.
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La tentation!... 1o
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INDEX DES AUTEURS
Albertz, M., 37, 48, 106, 109, 112,
131-
Allen, W. C, 59.
Andrews, M. E., 132.
Antoniadis, S., 81.
Argyle, A. W., 12, 77, 134.
Arndt, W. F., 63.
Barrett, C. K., 24, 35, 40, 124, 125,
133-
Bauer, W., 63.
Benoit, P., 85.
Bertrangs, A., 79, 136.
Best, E., 32, 34, 137.
Beyer, H. W., 34.
Billerbeck, P., 15.
Bjôrck, G., 80.
Black, M., 80.
Bltnzler, J., 116.
BOKLeN, E., 131.
BOHReN, R., I36.
BOIsMARD, M.-E., 94.
Bonaccorsi, G., m.
BONNARD, P., 133.
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BONsIrveN, J., 129.
Bornkamm, G., 39, 100, 116.
Botte, B., 63, 81, 82, 124.
BOuCQUeMIAuX, I34.
Boulogne, C. D., 134.
Bousset, W., 36, 97, 98.
Brândle, M., 32, 76, 136.
Brown, R. E., 105, 135.
Bruckberger, R.-L., 128.
Bultmann, R., 34, 36, 39, 40, 41, 78,
87, 88, 95, 100, 101, 102, ni, 113,
116, 117, 124, 125, 135.
Bundy, W. E., 91, 92, 93, 110, 112,
116, 119, 120.
Burkill, T. A., 116.
Buse, I., 134.
Butler, B. C, 85, 133.
Caballero, J., 137.
Cadoux, C. J., 123.
Carbone, V., 134.
Casey, R. P., 134.
Charles, R. H., 26.
Charlier, C, 41, 45, 134.
Clarke, W. K. L., 132.
Conzelmann, H., 66, 67, 120.
Cooke, B., 79, 136.
Creed, J. M., 67 125.
CuLLMANN, O., 20, 78, 95.
Cywinski, E., 135.
DahL, N. A., 116, 120.
Daniel-Rops, 129.
Daniélou, J., 21, 31, 133.
Daube, D., 26, 133.
Davies, W. D., 24, 26, 29, 32, 136.
Deissler, A., 30.
Dibelius, M., 78, 88, 98, 116.
DlGNATH, W., 137.
Dinkler, E., 116,118,120.
Doble, P., 25, 45, 79, 92. 135-
Dobschûtz, E. von, 111.
DONCÅ’ur, P., 132.
Dondorp, A., 11, 45, 75, 133.
DOsTOIeVsky, F., 41.
Dupont, J., 31, 45, 49, 5°. 54. 57. 5»,
67, 69, 76, 79, 85, 86, 112, 120, 121.
DupONT-SOMMer, A., 26, 92.
140
INDEX DES AUTEURS
Farrer, A., 137.
Fascher, E., 11, 15, 32, 45, 75. 78-
106, 112, 115, 133, 137-
Feuillet, A., 29, 32, 45, 46, 47, 49,
5°. 53. 58- 59. 63, 64, 66, 67, 68, 72,
75, 76, 85, 86, 94. 102. »35-
FOBrsTer, W., I20, 123, 124.
Folch Gomes, C, 79, 136.
Fonck, L., 132.
Freese, N., 132.
Fridrichsen, A., 36, 99, 100, 101,
I02, 119, 121, 132.
Friedrich, G., 91.
Frôvig, D. A., 126.
Fuchs, E., 120.
Fuller, R. H., 37, 114, 121, 123, 125,
134-
Funk, R. W., 135.
Gerhardsson, B., 14, 15, 17, 22, 24,
25, 26, 27, 67, 137.
Gogukl, M., 63, 81, 95, 123.
Grâsser, E., 120.
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Graham, E., 79, 135.
Grandmaison, L. de, 129.
Grégoire le Gr., 56.
Grundmann, W., 81, 106, 112, 122,
123, 124, 125, 126.
Guillet, J., 20, ai, 133.
GUNKeL, H., 78.
Haenchen, E., 35, 118, 120.
Hahn, F., 34, 41, 87, 116, 118, 120,
122.
Harnack, A., 48, 59, 131.
Hartman, L., 80.
Hastings, J., 131.
Hauck, F., 81, 124.
Hawkins, J. C, 32, 48, 49, 52, 53, 54,
56. 59-
Herranz, A., 133.
Hirsch, S., 34, 87, 132.
HÔNIG, W., 131.
HOLTZMANN, H. J., 22, 59, IO4, IO5.
HOLZMEIsTeR, U., I33.
HOuGHTON, H. P., 133.
Howard, W. F., 80.
Huby, J., 131.
Hûhn, E.. 24.
HyldahL, N., 135.
Jeremias, J., 29, 34, 37, 40, 72, 76,
91, 107, 123, 132, 135, 136.
JerOMe, 91.
Johnson, S. L., 137.
JÛNGeL, E., 121, I24.
Kadic, A., 132.
Kelly, H. A., 15, 79, 93, 94, 136.
Kesich, V., 11, 135, 137.
Ketter, P., 11, 45, 65, 75, 131.
KlLPATrICK, G. D., 13, 80, 133.
Klostermann, E., 24, 72, 81, 122.
Knight, J. H. T., 132.
Kôppen, K. P., 11, 75, 135.
Korn, H. J., 132.
Kraus, H. J., 30.
KÛMMeL, W. G., I20, 121, 122, 123,
124, 125.
Lagrange, M.-J., 22, 48, 56, 58, 59,
67, 106.
Lebreton, J., 129.
INDEX DES AUTEURS
MlCHAeLIS, W., 125.
MONTEFIORe, C. G., 8l, IO4.
MORGeNTHALER, R., I35.
Moule, C. F. D., 82.
Moulton, J. H., 80, 124.
MurrAy, A. V., 133.
Nisin, A., 107, 136.
Noack, B., 15, 133.
OfiATB, J. A., I37.
Origène, 91.
OsTy, E., 63, 8l.
Percy, E., 34, 39. 89, 102, 112, 117,
122, 123, 124, 134.
Pesch, W., 117.
Pldmmer, A., 48, 59.
POWeLL, W., 136.
Preisker, H., 105, 106.
Rasco, E., 121.
Rengstorf, K. H., 25, 92, 113.
Rescb, A., 48.
Rienecker, F., 80.
RleseNFeLD, H., 40, 79, I36.
ROBerTsON, A. T., 80, 124.
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Robiixiard, J. A., 134.
ROBINsON, J. M., 75.
Sabbe, M., 12, 14, 29, 35, 45, 50, 76,
79, 82, 85, 86, 134.
Sattler, W., 89, 132.
Scbick, E., 78.
SCHLATTer, A., 39, 85.
SCHMAuCH, W., 67, 133, 135.
Schmid, J., 39. 59. 81, 107, 115, 122,
124, 125, 129.
SCHMIDT, K. L., 78.
SCHNACKeNBurG, R., II, 19, 34, 45,
46. 48, 59, 64, 65, 75, 80, 120, 121,
124, 134, 137-
SCHNIeWIND, J., 40, 72, 123.
SCHUrMANN, H., 78, 115.
SCHuLZe, W. A., 134.
SCHWEIZEr, E., 75.
Seesemann, H., 45, 64, 134.
Seidelin, P., 132.
SlLvA, R., 137.
Spitta, F., 48, 131.
Stauffer, E., 116.
Steiner, M., 11, 75, 136.
StendahL, K., 12, 54, 60, 77, 98, 134.
Strack, H. L., 15.
Strange, M., 79, 136.
Strathmann, H., 17.
SWANsTON, H., 35, 137.
Taylor, A. B., 45, 79, 135.
TAyLOr, V., 37, 80, 93, 106, 112, 122,
134-
Thielicke, H., 132, 134.
Thompson, G. H. P., 45, 50, 79, 135.
Thomson, R. W., 134.
Turner, C. H., 53, 80.
Vaganay, L., 37, 85, 86.
Vaixoton, P., 134.
Van den Bergh van Eysinga, G. A.,
133-
Van IerseL, B. M. F., 45, 59, 7°. 79,
95,103,105,110, m, 112,114,136.
Vermes, G., 15, 94.
Violet, B., 132.
Vôgtle, A., 120.
VÔLTEr, D., 131.
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INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
Genèse
20, I-13
16, 22
21. 4-7
23
2, 24
54
5-6
23. 70
3.6
47. 54
25, 1-9
23, 70
7. 412.17
28
13. 14-15
26, 92
22, 1 ss.
15, 93
Deutéronome
Exode
1. 30-31
14. 32
25
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3. 27
4. 19-20
29
6.5
aa
22-23
14, 21
10
27
24
15, 93. 94
12-15
18
14. 19
31
13
12, 17, 31,
32,
27. 46,
16
16, ai, 46
59, 60, 103
a-9
22
16
12, 16, 17,
31,
22, 31,
17. i-7
16, ai, 22, 46
46, 62, 103
1
3i
8, 1-6
103
23. 20-33
18, 21
2-5
14, 16, 22,
»7.
83. 93
20.23
3i
a-3
27
144
INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
Josui
Isaie
23.6-16
22
14, 12.16
124-125
29. 5
55
4°. 3-5
61
Juges
3
H. 85
63, 11
31
' Samt"1
22
14
15, 21
*4. 1
15, 93
Baruch
4. 7
Generated on 2011-09-05 01:46 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
1 Rois
19. 5-8
33
Ézéchiel
8
38
4.6
»5
1 Chroniques
Osée
ai, i
15, 93
11. 1
«3
2 Maccabées
Zacharie
9, Il
53
3. 1
94
Matthieu
1-3
94, 120, 124
1, 22
63
2, 11
58
15
23. 29, 62
PsdtitHâs
17
62
19-21
39
2, 7-8
19, 25, 92, 107
33
63
21. 9
3i
3. »
5i
77. 25
86
3
INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
145
5, 1
21.27.31
33
38.43
6, 13
7, 22
8, 1
2
15
»7
«3
9, 1
M
13
18
10, 1.7-8
10-13
19.28
4-5
18
12, 9
17
a8
29
38
13. 1
24-30
35
Generated on 2011-09-05 01:46 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
26
3940-49
M. 13
20
33
15, 21
25
37
16, 1
13-20
21-23
17, 1-8
6
18, 26.29
19, 3
5
20, 20
25
83
62
54. 62
62
94
51
83
48, 58
33
62
55, 83
83
5i
36
58
122
5i
57
112
51
83
62
146
INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
I, 22
"3
14. 10-11
66
27
57
21
62
35
M. 85
24
1x2
4°
48
27.29
65
45
M. 85
49
66
2. S-"
113
51
8.17
59
15, 26
116
18.20
5»
32
"4
«5
59
Generated on 2011-09-05 01:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
57
3. 22-30
122
26
57
Luc
27
37, 104, 122-123.125.
126
1. 15
49
34
59
17
50
4. 3-8
ni
41.67
49
'5
121
74
17
28
48
2, 1
51. 56
35
51
22
49
36
55
«4
62
INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
147
8. 13
63
19, 11.28
69
21
59
46
62
22
49. 55
20, 9
55
*3
51
20-26
66
27
55
20
57
30
56
51
37
57
32
51
39
56
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3*
21, 12.22
57
50
59
9. 1-2.6
122
23
51
7-9
65
24
65
12
59
26
56
31
68, 70
34
51
34
57
22, 3-6
66
36
51
3
82, 126
38.48
57
15.16
51
49
59
22
62
51-53
69
INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
Actes des Apôtres
a, i
Si
4
49
16
6a
18.41
5»
4. 8.31
49
5. 3
49
36
4»
6. 3-5-8
48
7. 4»
49. 51
55
48
7. 57-8. 3
49
5»
4
49
11
55
»7
81
29-39
50
9. 1.17
49
36
48
37
5»
39
49
10, 19
S»
11, 12
S»
19
49
«4
48
12. 7
55
Generated on 2011-09-05 01:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
8.1
13. 2-3
36. 5°
4
50
9
49
10
48
11
65
19
19
40
62
5»
49
M. 3
55
INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
Hébreux
2, 13 62
4. 3 62
15 38
10,9.15 62
13. 5 62
1 Pierre
3, 22 20
r Jean
2, 16 41, 47
Apocalypse
12, 9 125
10 124
13. 2 19. 58
Generated on 2011-09-05 01:47 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
18, 2 124
Generated on 2011-09-05 01:48 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos 7
I. LE RÉCIT DE MATTHIEU 9
I. Les tentations d'Israël dans le désert 13
1. Première tentation 13
2. Deuxième tentation 16
3. Troisième tentation 17
Conclusion 20
II. Autres traits bibliques 23
1. La haute montagne 24
2. Quarante jours et quarante nuits 27
3. Le ministère des anges 30
Conclusion 34
II. LE RÉCIT DE LUC 43
L'introduction (w. 1-2) 48
La première tentation (vv. 3-4) 52
La deuxième tentation (w. 5-8) 54
La troisième tentation (vv. 9-12) 61
L'épilogue (v. 13) 63
La dernière tentation 67
Conclusion 7°
m. l'origine du récit 73
I. Les deux traditions 80
1. Les données 80
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2. Formation de la tradition 84
152
TABLE DES MATIÈRES
3. Deux traditions
4. Le problème
II. L'hypothèse de l'origine communautaire . . . .
1. Une pièce apologétique
2. Un fragment de catéchèse
3. Une explication théologique
4. Un raccourci dramatique
5. Difficultés contre l'attribution à la communauté .
III. Raisons d'attribuer le récit à Jésus
1. Les difficultés
2. Jésus refuse le « signe » qu'on réclame de lui . .
3. L'espérance messianique des disciples
4. Jésus et le diable
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES AUTEURS
INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES
Achevé d'imprimer sur les presses de l'Imprimerie Saint-Augustin
à Bruges (Belgique), le 15 février 1968, pour les Éditions Desclée De Brc
92
95
97
99
102
104
106
109
109
113
115
119
127
131
139
143
Generated on 2011-09-05 01:48 GMT / Public Domain, Google-digitized / http://www.hathitrust.org/access_use#pd-google
97