Wladimir Andreff
Les multinationales globales Nouvelle édition
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Wladimir Andreff
Les multinationales globales Nouvelle édition
Éditions La Découverte 9 bis, rue Abel-Hovelacque 75013 Paris
Catalogage Électre-Bibliographie ANDREFF, Wladimir Les multinationales globales. – Nouv. éd. – Paris : La Découverte, 2003. – (Repères ; 187) ISBN 2 7071-3-3953-X Rameau : entreprises multinationales mondialisation (économie politique) Dewey : 338.6 : Économie de la production. Concentrations Public concerné : 1er cycle-Prépas, DEUG. Public motivé. Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du photocopillage. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc qu’en application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.
S
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Éditions La Découverte, 1996, 2003.
Introduction
La mondialisation, version libérale, est contestée. Ses anciens bénéficiaires déçus, tel George Soros, dénoncent l’intégrisme du marché, les monopoles et oligopoles mondiaux (La Crise du capitalisme mondial, Plon, 1998). Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, accuse le FMI de servir les intérêts de la finance mondiale, des créanciers étrangers et des BMN 1 (La Grande Désillusion, Fayard, 2002). Il ajoute que, dans des PVD, « la firme internationale, après avoir détruit ses concurrents locaux, utilise son pouvoir de monopole pour augmenter les prix ». Ces assertions s’appuient sur l’hypothèse d’une relation étroite et critique entre l’expansion des MN et la mondialisation des marchés. Le présent ouvrage précise cette hypothèse en montrant que, par des stratégies globales, les MN créent la mondialisation de la production et, ainsi, participent à la mondialisation de l’économie. Les États coopèrent par leurs politiques d’attractivité de l’IDE, et sont aussi promoteurs de la mondialisation. Ceux qui prévoyaient l’avènement du village planétaire, comme produit des NTIC et de la globalisation des firmes, ont commis une erreur : ne pas avoir pressenti ce rôle « mondialisateur » des États. Ils sont récupérés à présent par le discours favorable à la mondialisation. L’ONU [10, 1997] 2 admet que celle-ci « s’est accompagnée d’un développement inégal de l’économie mondiale et d’une incertitude économique accrue ». Si la notion de mondialisation définit un stade avancé du capitalisme sous l’impulsion et le pouvoir des MN, elle paraît légitime. Si l’on veut y voir un monde sans frontières de 1. Une liste des sigles figure en fin d’ouvrage. 2. Les numéros entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage.
3
firmes sans nationalité, elle est discutable. Les MN globales sont l’indice que s’est formé un capitalisme mondial, marqué par le développement inégal, l’arythmie et la hiérarchie entre firmes, capitaux, secteurs, économies nationales et groupes sociaux, à l’échelle mondiale. En tant que forme avancée de celui-ci, les MN condensent la plupart des problèmes abordés par l’analyse économique contemporaine. Pourtant toutes les MN ne sont pas globales. Elles se comptent par dizaines de milliers ; leur présence est devenue banale dans l’économie mondiale. Elles sont omniprésentes dans la Triade (Amérique du Nord, Europe, Japon) et les NPI, ce à quoi se réduit le plus souvent leur monde (chapitre I). Les PVD et les PET restent les marginaux de la mondialisation transmise par les MN. Surtout industrielles, il y a trente ans, les MN se tertiarisent et se financiarisent pour tirer profit de toute opportunité de gain apparaissant en n’importe quelle localisation du globe ; leur globalisation est donc aussi transsectorielle. Pour s’adapter à une économie mondialisée, les MN modifient leur organisation et leur division du travail internes (chapitre II). Un commerce international interne aux MN et une communication entre des unités de production localisées autour du globe se doublent d’une délocalisation de leur effort de recherche. Depuis vingt ans, cela oblige les MN, aux stratégies aujourd’hui banales, à en définir de plus globales (chapitre III). Celles-ci incluent de nombreuses fusions et acquisitions transnationales, et dégagent une profitabilité élevée. L’impact des MN sur la mondialisation (chapitre IV) découle directement de leur IDE et du réseau de production internationalisée qui en résulte, et indirectement de leur participation prépondérante au commerce mondial et à la globalisation financière. Les économies nationales sont percolées par les IDE entrant sur leur territoire et s’intègrent à un système productif mondial, articulant des systèmes productifs régionaux (européen, nord-américain). De nouvelles MN émergent aux marges de la mondialisation, basées dans les PVD et les PET. L’analyse des déterminants de l’IDE (chapitre V) conduit à évaluer les avantages comparés des différents pays hôtes en fonction des stratégies, banales ou globales, des MN. L’attractivité du pays hôte importe énormément pour attirer les MN, ce qui donne lieu depuis vingt ans à une surenchère entre les États dans leurs politiques d’attractivité. C’est ainsi que l’État devient mondialisateur. Le choix par la MN d’une localisation de son IDE, entre les régions 4
d’un pays hôte, est l’objet d’analyses récentes inspirées de l’économie géographique. Une évaluation des MN n’est jamais neutre, étant donné leur impact et leur pouvoir économiques. Tout propos peut servir ou contrarier leurs intérêts. Les économistes ont longtemps polémiqué au sujet des MN, pro- ou anti-MN. L’approche devient plus analytique, et même formalisée. Condensé d’économie mondiale, la MN exige une analyse théorique pluraliste (chapitre VI) qui croise respectivement l’économie internationale, l’économie industrielle, l’économie institutionnelle et l’économie systémique. Un modèle liant les MN au niveau de développement économique de leur pays d’origine en est l’aboutissement actuel.
I / L’investissement omniprésent des multinationales
Du grand groupe à la PME, les firmes deviennent des MN en investissant à l’étranger. Le repérage de l’IDE n’est pas homogène avec les données existantes. Dans la période récente, l’IDE se polarise sur les PDEM de la Triade (Europe, Amérique du Nord, Japon), se réserve quelques PVD et PET, et se redéploie vers le secteur tertiaire, en particulier dans la finance. 1. Dénombrement et diversité des multinationales Une MN est une firme qui possède ou contrôle des filiales ou des actifs physiques et financiers dans au moins deux pays de l’économie mondiale. Version plus théorique : « toute firme dont le capital est pris dans un processus d’accumulation internationale » [81]. Il existe des définitions célèbres, plus sophistiquées, dans lesquelles intervient toujours une part d’arbitraire en fixant un nombre plus élevé de pays d’implantation requis, un seuil de taille minimale, un pourcentage requis d’activité réalisée hors du pays d’origine, une appartenance sectorielle, une organisation ou une stratégie particulières. Adaptées à des périodes antérieures d’expansion des MN, ces définitions ne le sont plus lorsque la multinationalisation des firmes est plus la règle que l’exception, dans la phase actuelle de mondialisation. En 2000, l’ONU [10, 2001] recense 63 312 sociétés mères MN, localisées dans 47 pays d’origine, contrôlant 821 818 filiales étrangères dans 175 pays hôtes. Elles n’étaient que 11 000 avec 82 000 filiales étrangères en 1977. Montrant l’omniprésence des MN dans l’économie mondiale, ce dénombrement est incomplet. 6
TABLEAU I. — LES PRINCIPALES FIRMES MULTINATIONALES EN 1999 Industrie
Actifs en milliards $
ITN* en %
Électronique Automobile Automobile Automobile Automobile Pétrole Pétrole Électronique Informatique Télécom.
405,2 274,7 273,4 175,9 154,9 144,5 113,9 91,5 87,5 83,2
36,7 30,7 36,1 53,7 30,9 68,0 56,3 17,9 53,7 12,9
Les plus transnationales du monde
Industrie
Actifs en milliards $
ITN* en %
Thompson Corp. (Can.) Nestlé (Suisse) ABB (Suisse) Electrolux (Suède) Holcim (Suisse) Roche Group (Suisse) British American Tobacco (RU) Unilever (PB-RU) Seagram Company (Can.) Akzo Nobel (PB)
Médias, édit. Alimentaire Éq. électrique Électronique Matériaux Pharmacie Alimentaire Alimentaire Médias, alim. Chimie
13,8 36,8 30,6 9,8 13,6 27,1 26,2 28,0 35,0 12,0
95,4 95,2 94,1 93,2 91,8 91,5 90,7 89,3 88,6 82,6
Les plus grandes du monde General Electric (É.-U.) General Motors (É.-U.) Ford Motor (É.-U.) Daimler Chrysler (All.) Toyota Motor (Jap.) Exxon Mobil (É.-U.) Royal Dutch Shell (PB-RU) Hitachi (Jap.) IBM (É.-U.) SBC Communications (É.-U.)
* Indice de transnationalité. Source : [10, 2001].
Des pays d’origine ne déclarent pas l’activité de leurs MN à la CNUCED. Les entreprises de petite taille ayant des filiales à l’étranger ne sont pas aussi systématiquement recensées que les grandes. Certaines PME multinationales ont un fort indice de transnationalité, comme Battle Mountain Gold, États-Unis (ITN : 80 %), Clinical Data, États-Unis (77 %), ou Central Trading Co, Japon (75 %). Elles sont parfois plus nombreuses que les MN recensées : en 1996, 80 % des MN suédoises, 60 % des MN italiennes et 55 % des MN japonaises étaient des PME. En France, des milliers de PME sont multinationales, contre 1 695 groupes MN recensés par l’ONU en 1998. L’INSEE dénombre 11 514 MN à capitaux français, de toute taille en 1991, la Banque de France seulement 7
2 191 en 1999, car elle ne retient que celles dont les immobilisations financières sont au moins égales à 20 millions F (excluant les PME). La réalité des MN est sans doute supérieure à 100 000 sociétés mères et plus d’un million de filiales étrangères dans le monde. Omniprésentes, les MN sont devenues banales, bien que diverses. Une définition typologique rend mieux compte de cette diversité en distinguant : — les MN globales, quelques milliers, ont une vision mondiale des marchés, rentabilisent leurs actifs à une échelle globale et coordonnent leurs activités entre tous les pays hôtes à l’aide des NTIC et des technologies de production flexibles ; — les MN banales ont des stratégies d’IDE classiques pour s’approvisionner à moindre coût, pour produire près du marché du pays hôte et pour délocaliser la production vers des pays à faibles coûts de production ; — les mini-MN (PME), du fait de leur taille, sont présentes dans un nombre limité de pays où elles s’adaptent à une demande locale personnalisée, de proximité, pour leurs biens et services. La liste des cent premières MN est désormais publiée tous les ans par la CNUCED. En 2000, on observe que les plus grandes MN, en termes d’actif total, sont toujours américaines, puis japonaises, basées dans l’automobile, le pétrole et l’électronique. Les plus transnationales sont moins grandes, originaires de pays moins dominants (Suisse, Pays-Bas, Suède, Canada), et opèrent dans les médias, l’alimentaire et la chimie-pharmacie. Chaque année, en moyenne, une douzaine de MN en évincent autant d’autres de la liste des cent. Le poids des cent premières MN dans le PIB mondial est passé de 3,5 % en 1990 à 4,3 % en 2000. En 2001, la valeur ajoutée (et non le chiffre d’affaires) d’Exxon, premier groupe mondial avec 63 M$, est au niveau du PIB de pays comme le Chili ou le Pakistan, mais loin de celui des États-Unis (9 810 M$) ou de la France (1 294 M$). 2. Le repérage de l’investissement étranger L’IDE est un capital investi dans la propriété d’actifs réels pour implanter une filiale à l’étranger ou pour prendre le contrôle d’une firme étrangère existante. Il vise à établir des relations économiques durables avec une unité établie à l’étranger. Le seuil de contrôle, le plus souvent 10 % du capital des filiales étrangères (retenu par l’ONU, l’OMC, le FMI, l’OCDE, l’INSEE, la Banque 8
L’indice de transnationalité de la CNUCED (UNCTAD) Cet indice, calculé par la CNUCED depuis 1993, est destiné à évaluer le degré de transnationalité des MN. Il est la moyenne des trois ratios suivants : pourcentage des actifs étrangers dans les actifs totaux, pourcentage des ventes à l’étranger dans les ventes totales, pourcentage d’employés à l’étranger dans l’emploi total de la firme. Depuis 1999, la CNUCED estime un indice similaire pour les pays hôtes de l’IDE. Il indique leur degré de pénétration par l’IDE de firmes étrangères. Il est la moyenne de
quatre ratios : flux entrant d’IDE/FBCF, stock d’IDE entrant/PIB, valeur ajoutée des filiales étrangères/PIB et emploi des filiales étrangères/emploi total dans le pays hôte. Les plus forts indices sont ceux des PVD : Hong-Kong 53,9 %, Trinidad et Tobago 47,4 %, Malaisie 44,4 %. Parmi les PDEM, la NouvelleZélande et la Belgique se détachent avec 34,3 % devant l’Irlande. Les PET les plus ouverts à l’IDE — Hongrie et Estonie — sont à 25 %.
de France), ne peut être défini sans arbitraire. La détention de moins de 10 % dans le capital d’une firme étrangère peut suffire pour la contrôler. De ce fait, la distinction entre investissement de portefeuille à l’étranger et IDE est parfois malaisée. L’investissement de portefeuille correspond à l’achat de titres privés en vue de tirer un revenu de ce placement, sans intention d’acquérir un contrôle durable. Le passage d’une participation de 11 % à 9 % — ou l’inverse — ne signifie pas nécessairement un changement de stratégie que traduiront pourtant les statistiques de l’IDE défini au seuil de 10 %. Des statistiques sont régulièrement publiées au sujet de l’IDE depuis 1950 aux États-Unis, depuis 1960 au Royaume-Uni et au Japon, depuis trente ans en France et dans la plupart des PDEM. Depuis 1960, l’ONU rassemble des données auprès de tous ses membres — mais plusieurs PVD ne déclarent pas leur IDE — et procède, depuis 1990 (CNUCED), à une compilation systématique des IDE dans le monde, chaque année, en dollars. Il résulte de difficultés méthodologiques que les statistiques publiées sous-évaluent l’ampleur de l’IDE. Historique des multinationales Au XIX e siècle, les placements de portefeuille formaient la majeure partie des investissements de capitaux internationaux à long terme, encore 60 % en 1870, finançant des prêts aux 9
La complexe mesure de l’IDE a/ Les flux d’IDE (sorties et entrées annuelles de capitaux au titre de l’IDE) sont enregistrés, en monnaie nationale, dans la BP de chaque pays. L’IDE se réalise par des sorties de capitaux, mais aussi par le réinvestissement des profits des filiales étrangères, par leur appel de fonds sur les marchés financiers internationaux et auprès des systèmes bancaires étrangers. En 1990, l’IDE américain a été financé à 44 % par des flux de sortie de capitaux des maisons mères vers les filiales étrangères, à 31 % par les profits réinvestis de celles-ci et à 25 % par emprunts des filiales sur place. Les deux derniers flux ne figurent pas dans la BP. Malgré les recommandations du FMI de les recenser, ils restent inconnus pour de nombreux pays d’origine (surtout les PVD) ; la CNUCED est contrainte de s’appuyer sur les statistiques de pays partenaires membres de l’OCDE pour évaluer les flux d’IDE d’environ 55 pays. b/ Le total mondial des flux d’entrée devrait logiquement être égal à celui des flux de sortie, ce qui n’est pas le cas dans les publications (CNUCED) qui établissent ces totaux. Les explications de cet écart statistique, qui a atteint 41 M$ en 1990 et 121 M$ en 2000, sont les suivantes : 1) les pays n’appliquent pas la même définition de l’IDE et des seuils de contrôle à l’entrée et à la sortie ; 2) ils traitent différemment les profits non distribués, les gains et les pertes en capital, les IDE immobiliers, de même que les IDE des paradis fiscaux et des centres bancaires offshore ; 3) les variations du taux de change influencent la conversion des IDE en une monnaie commune (dollar), réalisée à des fins de compilation ou de comparaison internationales. La croissance apparente de l’IDE en dollars est majorée pour les pays dont la monnaie s’apprécie par rapport au dollar, minorée pour les pays à monnaie se dépréciant.
10
c/ Les stocks d’IDE, calculés sur données comptables d’entreprise, sont une grandeur plus stable que les flux annuels d’IDE et plus représentative de la présence des MN dans chaque pays. Leur mesure n’échappe pas aux problèmes cidessus ni à l’arbitraire du choix d’un seuil de contrôle. Dans certains pays, la grandeur du stock d’IDE, reconstituée par cumul historique des flux (sans soustraire l’amortissement), diffère de sa valeur comptable ou de sa valeur de marché. Les estimations internationales de stock d’IDE juxtaposent souvent les stocks nationaux sans toujours les croiser entre pays d’origine et pays hôtes. Ainsi, la valeur de l’IDE français aux États-Unis est différente selon les données françaises et américaines. d/ Le seuil de contrôle, de plus en plus homogène (10 %) entre les différentes sources, peut dissimuler un IDE réalisé par une cascade de participations au capital d’une firme étrangère. Par exemple, si une firme américaine A détient 51 % du capital des firmes B, C et D, dont chacune détient 7 % du capital d’une firme française F, il est très probable que cette dernière agit comme une filiale (indirecte) du groupe A puisque celui-ci contrôle, bien qu’indirectement, 21 % (supérieur au seuil retenu) des actions de F. e/ La sous-évaluation statistique de l’importance des MN tient aussi à ce que leur présence ne se réduit pas au seul IDE. L’usage est de ne pas additionner les chiffres concernant les IDE des MN et ceux relatifs à leurs investissements dans leur pays d’origine, alors que les MN de chaque pays d’origine sont bien sûr les mieux implantées dans celui-ci ; elles y détiennent plus d’actifs qu’à l’étranger. Le poids économique des MN en paraît donc atténué. De plus, l’investissement indirect à l’étranger (ex. : IDE en France de la filiale suisse d’une firme
américaine) est comptabilisé comme IDE sortant dans la BP du pays relais (la Suisse) et non dans le vrai pays d’origine (États-Unis) ; très peu de pays ont des statistiques permettant d’identifier ce
dernier. La sous-évaluation est aggravée du fait que la présence des MN liées à certains modes d’entrée (NFI, alliances) n’est pas ajoutée aux statistiques d’IDE proprement dit.
gouvernements et des travaux d’infrastructure. Leur part décline au profit de l’IDE, surtout de 1870 à 1914, pendant qu’émergent, à côté du Royaume-Uni dominant, d’autres investisseurs importants (Allemagne, États-Unis, France). Colt implante une usine à Londres en 1852, Bayer s’installe aux États-Unis en 1865, Singer à Glasgow en 1867, et maintes firmes européennes et américaines réalisent leur premier IDE dans la période 1875-1895 [18]. L’IDE est un phénomène séculaire, déjà important au tournant du siècle, avec un stock mondial de 14,3 M$ en 1914. Le rapport entre la valeur du stock d’IDE des États-Unis et le PNB américain est de 5,1 % en 1897, 7,3 % en 1914 et 1929, monte à 10,8 % en 1935 — suite à la chute du PNB pendant la crise —, tombe à 4,0 % en 1945 et remonte à 7,2 % en 1965 et 8,5 % en 1974. Le poids relatif de l’IDE était comparable en 1965 et en… 1914. À cette époque-là, l’IDE était concentré à 55 % dans le secteur primaire, 20 % dans les infrastructures, 15 % dans l’industrie et 10 % dans les services. De 1957 à 1973, les États-Unis deviennent l’investisseur dominant ; le poids relatif des IDE anglais et français s’affaiblit. Les PDEM dépassent les PVD comme principaux pays d’accueil et l’industrie supplante le primaire comme premier secteur attirant l’IDE. La crise des années soixante-dix ne freine pas l’expansion de l’IDE, ni sa concentration sur les PDEM. La dynamique de l’IDE s’essouffle en 1982-1983, puis connaît, depuis 1986, la phase de croissance la plus rapide de son histoire. Constat paradoxal : l’IDE s’accélère en période de crise. La première accélération est contemporaine de la Grande Dépression. Les rares données existantes montrent que l’IDE croît plus vite que l’investissement intérieur des économies en récession. Pendant les années trente, les IDE s’accélèrent, fuyant des pays d’origine où les PNB chutent. Le poids des MN dans l’économie mondiale tend à augmenter lors des crises. Y compris la dernière.
11
TABLEAU II. — LE STOCK DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS,
1914-1995
Pays d’origine
1914
1938
1960
1975
1985
1995
Total (milliards de $) dont en % : Royaume-Uni États-Unis Japon Allemagne France Autres pays développés Pays en développement Économies planifiées
14,3 100 45,5 18,5 0,1 10,5 12,2
26,4 100 39,8 27,7 2,8 1,3 9,5
63,1 100 17,1 52,0 0,8 1,3 6,5
275,4 100 13,1 44,0 5,7 6,5 3,8
707,8 100 14,2 35,5 6,2 8,5 5,2
2 879,4 100 10,6 24,3 8,3 9,0 7,2
13,2
18,9
21,2
24,5
25,8
31,6
0 0
0 0
1,1 0
2,3 0,1
4,6 0
8,8 0,2
Pays d’accueil
100
100
Pays développés Pays en développement
100
100
100
100
37,2
34,3
67,3
75,1
77,1
71,3
62,8
65,7
32,7
24,9
22,9
28,7
Source : ONU.
3. La concentration sur la Triade En 2000, le stock d’IDE sortant dans le monde a atteint près de 6 000 M$, après avoir crû de 21 % en moyenne par an en 1986-1990, 11 % en 1991-1995, 16 % en 1996-1999 et 19,4 % en 2000. Les flux d’IDE sortant de tous les pays investisseurs se montent à 1 150 M$ en 2000 après avoir connu une croissance rapide : 26 % en moyenne par an en 1986-1990, 16 % en 1991-1995, 37 % en 1996-1999 et 14,3 % en 2000. L’accélération de l’IDE est caractéristique de la mondialisation. Sa croissance, un peu moins vive après 1991, reste très supérieure à celle de l’économie mondiale (6,3 % de croissance par an pour le PIB mondial au coût des facteurs en 1991-1995), écart qui s’accentue énormément pendant la récession (0,7 % par an pour le PIB mondial en 1996-1999). La récession stimule l’IDE mondial encore une fois. Le stock d’IDE sort à 95 % des PDEM en 1990, à 88 % en 2000 et il entre pour 74 % dans les PDEM en 1990, 67 % en 2000. Même 12
TABLEAU III. — LE STOCK D’INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER DES PRINCIPAUX PAYS 1990-2000 (milliards de dollars) Stock d’IDE entrant
Total pays développés États-Unis Canada Japon Suisse Union européenne Royaume-Uni France Allemagne Pays-Bas Italie Pays en développement Chine (Hong-Kong inclus) Brésil Singapour Europe centrale-orientale Total dans le monde
Stock d’IDE sortant
1990
2000
1990
2000
1 398 395 113 10 34 740 204 100 120 67 58 488 187 37 29 3 1 889
4 210 1 239 194 54 87 2 376 483 267 461 248 115 1 979 816 198 89 125 6 314
1 637 431 85 201 66 790 229 120 148 103 57 80 14 2 8 0,4 1 717
5 249 1 245 201 282 232 3 111 902 497 443 326 176 710 412 15 53 17 5 976
Source : [10, 2001].
si la concentration a un peu diminué en dix ans, les PDEM restent les principaux pays d’origine et les principaux pays hôtes. L’IDE est, pour l’essentiel, un mode de relations économiques entre pays développés. Les États-Unis ont perdu leur position d’investisseur dominant à l’étranger au profit des pays de l’UE, mais sont le premier pays hôte en stock d’IDE. En termes de flux d’IDE sortant, les États-Unis sont dépassés par le Royaume-Uni depuis 1999 et par la France en 2000. Depuis 1996, le flux d’IDE entrant est supérieur au flux sortant aux États-Unis. La première zone d’accueil de l’IDE américain est l’Europe, surtout les pays de l’UE qui recueillent 45 % du stock d’IDE américain en 1999. Le premier pays hôte du stock d’IDE des pays de l’UE est les États-Unis (30 % en 1999), mais ils sont devancés par l’IDE intra-UE. La croissance de l’IDE japonais a été spectaculaire en 1986-1990 et s’est concentrée aux États-Unis, puis dans l’UE. Avant les années quatre-vingt, l’IDE japonais s’orientait aux deux tiers vers les PVD, surtout en Asie. En 1999, le stock d’IDE japonais est presque aux 13
TABLEAU IV. — LES FLUX D’INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER DANS LE MONDE, 1989-2000 (milliards de dollars) Flux d’IDE sortant Pays d’origine PDEM (M$) dont en % : Allemagne États-Unis France Italie Japon Pays-Bas RoyaumeUni Suisse PVD (M$) dont en % : Brésil Chine**
Flux d’IDE entrant
19891994*
1995
1997
1999
2000
19891994*
1995
1997
1999
2000
203
306
397
946
1046
137
203
271
830
1005
9,9 24,4 10,0 2,8 14,8 6,6
12,7 30,1 5,2 2,3 7,4 6,6
10,5 24,1 9,0 2,6 6,6 6,2
11,6 15,1 12,7 0,7 2,9 6,5
4,6 13,3 16,5 1,2 3,1 7,0
2,5 31,0 9,1 2,4 0,7 5,3
5,9 29,0 11,7 2,4 0 6,1
4,5 38,2 8,6 1,4 1,2 4,1
6,7 35,5 5,7 0,8 1,5 5,1
17,5 28,0 4,4 1,1 0,8 5,5
11,8 3,8 25
14,2 4,0 49
15,5 4,5 66
21,8 3,8 58
23,9 3,8 100
14,0 1,7 60
9,9 1,1 113
12,3 2,4 187
10,0 1,4 222
13,0 0,9 240
2,4 4,5
2,4 55,1
2,6 40,9
2,4 36,4
3,0 65,3
2,5 4,9 30,2 37,2
10,0 29,7
14,1 29,2
14,0 43,8
* Moyenne annuelle sur la période. ** Y inclus Hong-Kong. Source : [10].
deux tiers localisé aux États-Unis (44 %) et dans l’UE (19 %). L’IDE du Japon s’est rapproché, par sa répartition géographique, de celui des autres PDEM et la stratégie de ses MN a perdu sa spécificité antérieure, celles-ci ayant rattrapé leur retard sur les MN américaines et européennes. Sa croissance s’est ralentie avec l’instabilité de l’économie japonaise, puis la crise financière en Asie. Le stock d’IDE sortant du Japon a augmenté de 40 % entre 1990 et 2000, alors qu’il a été multiplié par trois aux États-Unis et par quatre pour l’UE. Le Japon a toujours été un pays hôte mineur, mais en 1995 le flux d’IDE entrant est tombé à 39 millions $, puis s’est redressé jusqu’à 13 M$ en 1999. L’IDE entrant et sortant se concentre sur les pays de la Triade. Ces pays sont entre eux les principaux pays hôtes (davantage en 1999 qu’en 1985) et plus encore les principaux pays d’origine de l’IDE. En 1999, dans les IDE croisés intra-Triade, les États-Unis sont importateurs nets de 171 M$ provenant de l’UE et du Japon. Le Japon est exportateur net de 188 M$ et l’UE est importatrice nette de 17 M$. On observe une polarisation des stocks d’IDE sortant de 14
la Triade sur quelques pays hors Triade, surtout en Amérique latine pour l’IDE américain, en Asie pour l’IDE japonais et dans les PET et en Afrique pour l’IDE des pays de l’UE, en 1999. TABLEAU V. — STOCKS D’IDE CROISÉS AU SEIN DE LA TRIADE ET PAYS DOMINÉS PAR LA TRIADE* En 1985 (milliards de dollars) Zone d’accueil h
États-Unis
Zone d’origine : États-Unis Union européenne Japon Reste du monde % Triade/origines
128 16 41 77,8
Union européenne
89 118 7 23 90,2
Japon
Reste du monde
% Triade dans zones d’accueil
140 214 21
41,2 54,0 52,3
9 5 0 100
Dominés par États-Unis : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Hong-Kong, Mexique, Pérou, Philippines, Singapour, Taiwan, Thaïlande, Venezuela. Dominés par Union européenne : Argentine, Bangladesh, Brésil, Nigeria, Singapour, Paraguay, Swaziland, Tunisie. Dominés par Japon : Corée du Sud.
En 1999 (milliards de dollars) Zone d’accueil h
États-Unis
Zone d’origine : États-Unis Union européenne Japon Reste du monde % Triade/origines
554 177 235 75,7
Union européenne
512 980 76 267 85,4
Japon
48 17
Reste du monde
% Triade dans zones d’accueil
573 312 150
49,4 83,3 62,8
1 98,5
Dominés par États-Unis : Argentine, Azerbaïdjan, Bolivie, Costa Rica, El Salvador, Équateur, Mexique, Paraguay, Pérou, Singapour, Trinidad et Tobago, Venezuela. Dominés par Union européenne : Argentine, Arménie, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Cap-Vert, Chili, Croatie, Égypte, Hongrie, Inde, Kenya, Lettonie, Maroc, Myanmar, Nigeria, Pérou, République dominicaine, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Swaziland, Tunisie. Dominés par Japon : Corée du Sud, Hong-Kong (Chine), Singapour. * Pays dominé : pays dans lequel l’un des trois pôles de la Triade détient au moins 30 % du stock d’IDE entrant. Source : [10].
15
Depuis les années soixante-dix, de nouveaux PDEM ont rejoint les investisseurs majeurs à l’étranger : Australie, Danemark, Espagne, Finlande, Norvège et Afrique du Sud. Cette multiplication des pays d’origine, généralisant la mondialisation de la production à tous les PDEM, a été qualifiée par l’ONU de pluralisme des MN, mettant fin à l’ère du « défi américain » des années soixante, où les MN américaines détenaient la moitié de l’IDE sortant dans le monde. Pays d’origine = pays hôte Les dix premiers pays d’origine sont la source de 82 % des IDE sortants en 2000 et les dix premiers pays hôtes reçoivent 70 % des IDE entrants. En outre, les deux listes de pays sont quasiment les mêmes : États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas, Japon, Suisse, Canada (le Brésil et l’Espagne se glissent parmi les principaux hôtes). Un pays majeur de l’IDE sortant est nécessairement un pays majeur de l’IDE entrant (à l’exception du Japon). L’analyse des MN commence à se préoccuper de cette réalité (modèle SDI, chapitre VI). Cette identité entre pays d’origine et pays hôte a surgi d’abord pour les États-Unis, il y a vingt ans. On a cherché à expliquer l’entrée d’IDE aux États-Unis par : une rentabilité plus élevée, le contournement du protectionnisme américain, le partage des avantages monopolistes avec les firmes américaines, le déclin industriel et l’affaiblissement de la position concurrentielle des États-Unis, l’évolution du taux de change du dollar. Ainsi, sa dépréciation par rapport au yen aurait protégé le marché américain des importations japonaises et incité les MN du Japon à y investir. Un dollar déprécié réduit le prix en devises du rachat en dollars d’une firme américaine par une firme japonaise ou européenne. Aucune de ces explications n’a résisté à l’épreuve du temps, ni aux tests économétriques. Les États-Unis ont un besoin durable de capitaux et disposent d’une attractivité suffisante pour attirer les IDE dans la proportion requise. Cela valide l’idée que l’IDE est moins risqué aux États-Unis, même fortement déficitaires, que dans n’importe quel autre pays en raison d’un effet de sanctuaire capitaliste : protection et garantie systématiques des droits de propriété privée et de l’économie de marché libérale, aucun risque de nationalisation. L’État américain est le plus « mondialisateur » du monde (chapitre IV). L’exception du Japon, comme pays hôte, s’explique par : une libéralisation tardive (1976-1980) à l’entrée de l’IDE, les réseaux de 16
relations financières solidaires et défensives entre firmes d’un même groupe (keiretsu), des pratiques commerciales sur le marché japonais inhabituelles pour les autres MN et, plus récemment, l’instabilité financière de l’économie japonaise aggravée par la crise asiatique. La reprise de l’IDE entrant depuis 1997 fait suite aux réformes libéralisant les services, surtout financiers. L’accélération des IDE de l’UE est due à l’approfondissement de l’intégration régionale depuis 1992, la stabilité politique, la taille du marché ; elle doit se poursuivre sous l’impulsion du passage à l’euro. L’investissement direct français à l’étranger Par son stock d’IDE sortant, évalué en dollars, la France est le troisième investisseur du monde en 2000. L’IDE sortant a décollé à partir de 1986. Les MN françaises ont comblé leur retard sur leurs concurrents. Depuis 1990, le flux sortant dépasse le flux entrant d’IDE, tous les ans sauf en 1995, comme dans tous les PDEM. Le stock sortant s’oriente surtout vers les PDEM, en premier lieu les États-Unis et l’UE (64 % du total en 1999). Le premier PVD hôte est le Brésil, suivi de l’Argentine, Singapour et la Tunisie. La structure sectorielle est typique par le poids élevé de : énergie-eau, finance, chimie et IAA. Dans ces secteurs, Lyonnaise des Eaux, Vivendi, TotalFina, Elf Aquitaine, EDF, Aventis, Air Liquide, Rhodia, Sanofi, L’Oréal, Béghin-Say, Danone, Perrier-Vittel, Pernod-Ricard, ainsi que les banques et assurances françaises sont représentatives. Sur les 9 374 filiales et participations étrangères des MN françaises en 1999, 7 909 sont contrôlées à plus de 50 % de leur capital, dont 6 146 à plus de 90 %. En 2001, le flux d’IDE sortant de France a chuté à 88,2 milliards d’euros (– 53 % par rapport à 2000), pour la première fois depuis 1995. La chute du flux d’IDE sortant affecte la plupart des PDEM en 2001, estimée à – 82 % au Royaume-Uni, – 32 % aux Pays-Bas, – 10 % en Allemagne, – 6 % au Canada et – 4 % aux États-Unis. Effet du « 11 septembre » ou inversion de tendance ? L’année de crise 2002 n’est pas bonne pour l’IDE, mais n’oublions pas que les MN se comportent mieux que les autres dans la crise. 3. La marginalisation du tiers monde Le tiers monde est avant tout une zone d’accueil de l’IDE [13], de moins en moins importante relativement aux PDEM. Sa part dans le 17
18
TABLEAU VI. — L’INVESTISSEMENT DIRECT ENTRANT ET SORTANT DE FRANCE, 1990-1999 (milliards d’euros) Année
Flux sortant
Flux entrant
Solde net BP
Stock sortant
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
30,1 21,6 24,5 17,0 20,6 12,0 23,7 31,6 43,7 113,2 187,2
13,0 13,0 14,4 14,2 13,2 18,0 17,1 20,6 27,9 44,2 47,9
– 17,1 – 8,6 – 10,1 – 2,9 – 7,4 6,0 – 6,6 – 11,0 – 15,8 – 69,0 –139,3
86,1 102,5 118,0 127,1 132,9 137,7 154,1 171,0 233,1 324,4 511,6
Stock sortant en 1999 Pays hôtes* États-Unis Belgique Royaume-Uni Pays-Bas Allemagne Espagne Brésil Japon Pologne Tunisie Chine
* Six premiers et quatre autres représentatifs. ** Construction, hôtels-restaurants, transports-communications. Source : Banque de France.
en % 26,6 13,5 10,2 9,8 6,5 3,7 2,5 1,9 0,8 0,5 0,5
Secteurs Énergie-eau Manufacturier dont : IAA Chimie Métallurgie Mécanique Automobile Banque-finance Services Commerce Autres**
en % 23,5 32,7 4,8 8,5 3,9 4,2 4,4 20,6 14,7 3,6 4,9
stock entrant d’IDE a chuté de 33 % en 1960 à 12 % en 2000. Si l’on tient compte de la population, le flux d’IDE par habitant entrant dans les PVD atteint à peine 7 % de celui entrant dans les PDEM. Le flux d’IDE entrant dans les PVD augmente mais moins régulièrement que dans les PDEM : ainsi, sa croissance a été de 0,5 % en 1998, année où le flux entrant a baissé de 11 % en Asie ; il a crû de 44 % en 2000, dû à un boom de l’IDE entrant en Chine et à HongKong. Il a diminué de 22 % en Amérique latine et de 9 % en Afrique en 2000. La répartition du stock d’IDE entrant entre les PVD est inégale et concentrée sur les NPI émergents. Les dix premiers PVD hôtes reçoivent depuis vingt ans les trois quarts du flux et du stock d’IDE total accueilli dans le tiers monde. La liste de ces pays varie d’une année à l’autre ; y figurent régulièrement, dans les années quatrevingt-dix : Argentine, Brésil, Chili, Chine et Hong-Kong, Malaisie, Mexique, Singapour, Taiwan, Thaïlande et Corée du Sud en fin de période, tous des NPI. Le Brésil seul attirait 15 % du stock total d’IDE reçu par le tiers monde en 1978, Hong-Kong 33 % en 1990, la Chine 18 % (41 % avec Hong-Kong) en 2000, soit chaque fois plus que l’ensemble des cent deux PVD classés parmi les PVD à revenu intermédiaire et les PMA. Contrepartie de la concentration sur les NPI, les MN délaissent la grande majorité des PVD. En 2000, les quarante-huit PMA attirent un flux d’IDE de 4 M$ et totalisent un stock d’IDE entrant de 35 M$ (inférieur à celui de la Norvège). L’IDE par habitant y est compris entre 0 et 14 dollars. Dans les PMA, l’IDE n’a jamais atteint 5 % du total des flux financiers obtenus de l’extérieur. Pour l’ensemble des PVD, ce chiffre ne dépasse jamais 20 % depuis 1975, alors que l’aide publique au développement en fournit plus de 30 %. Même les PVD exportateurs de pétrole n’attirent plus autant l’IDE qu’avant, ni le Moyen-Orient en général. Les MN abandonnent littéralement l’Afrique. L’ONU y voit le signe d’une marginalisation croissante de l’Afrique dans l’économie mondiale. Pour l’IDE, ce diagnostic s’étend à une centaine de PVD, mis à part les NPI, les paradis fiscaux et quelques exportateurs de pétrole. Sans pouvoir établir une causalité claire, on observe une corrélation en PVD entre le degré de pénétration de l’IDE et le rythme de croissance des économies nationales. Les PVD qui attirent le plus l’IDE ont eu, en moyenne depuis trois décennies, un taux de croissance élevé de leur PIB : la zone Asie-Pacifique, malgré la crise de 1997, la plupart des NPI, surtout la Chine et Hong-Kong. En revanche, le Moyen-Orient, l’Afrique et les PMA ont eu un taux de 19
TABLEAU VII. — LA RÉPARTITION DE L’IDE ENTRANT DANS LES PVD, 1967-2000
Pays
Tous PVD dont en % Afrique Asie-Pacifique, dont : Chine sans Hong-Kong Amérique latine 2 10 premiers PVD 3
Pays Total PVD dont en % NPI émergents 4 Exportateurs pétrole Paradis fiscaux PVD RI 5 PMA 6 1. 3. 4. 6.
Flux entrant annuel 1 (milliards de dollars)
Stock entrant (milliards de dollars)
19891994
19951997
19982000
1980
1990
2000
60
151
217
241
488
1 979
7 63 23 30 71
4 62 27 34 72
4 52 19 44 77
7 72 3 21 85
8 68 5 24 76
5 64 18 31 77
Stock entrant (milliards dollars) 1967 33 44 28 7 14 7
1980
1990
241
488
78 5 5 9,5 2,5
72 16 5 5,3 1,7
2000 1 979 80 9 5 4,2 1,8
Moyenne annuelle sur la période. 2. Y compris Caraïbes. Échantillon variant d’une année à l’autre. 17 nouveaux pays industriels. 5. PVD à revenu intermédiaire. 48 PMA en 2000.
Source : calculé d’après [10].
croissance inférieur à la moyenne des PVD et ont été délaissés par l’IDE. Il y a là plus qu’une coïncidence. Le capital étranger n’aggrave pas le sous-développement des PVD les plus extravertis. Dans certains pays émergents (Chine, Corée, Taiwan, Thaïlande), c’est le développement qui attire l’IDE ; dans d’autres (Brésil, Indonésie, Malaisie, Mexique), c’est l’IDE qui a stimulé ou relancé le développement. Le sous-développement qui s’aggrave (Afrique, PMA) est plutôt marqué par l’absence relative de MN et la fuite de l’IDE que par leur présence excessive. Si l’on admet que les MN ne répartissent pas leur IDE au hasard, une conclusion s’impose : elles opèrent une discrimination entre des tiers mondes différents et 20
L’investissement direct entrant en Chine et à Hong-Kong La Chine s’est ouverte à l’IDE en 1978, alors que Hong-Kong était déjà un des premiers PVD hôtes. En 1992, la Chine est devenue le premier hôte des flux d’IDE en PVD. L’IDE entrant a connu un boom en 1992-1997, dû à la libéralisation du régime d’IDE, à la forte croissance du marché intérieur et à la promotion des exportations. Bien que la Chine n’ait pas été touchée par la crise financière, depuis 1998 le flux d’IDE a un peu diminué suite à une croissance du PIB moins forte, une demande supérieure aux capacités installées par les MN, une hausse des salaires dans les zones côtières et une réduction de l’IDE provenant du Japon et des NPI d’Asie, premiers investisseurs en Chine. L’adhésion à l’OMC, en libéralisant les services,
va relancer l’IDE, peu présent dans le tertiaire ; en revanche, elle peut réduire l’IDE qui entrait pour échapper au tarif douanier ou pour profiter d’une fiscalité préférentielle. L’IDE entrant peut aussi bénéficier de la réunification avec HongKong, traditionnel pivot (hub) des MN dans la région. Havre fiscal, Hong-Kong accueille les QG de plus de 3 000 MN et a longtemps été le canal privilégié (avec les îles Vierges) des IDE de transit vers la mainland China. Hong-Kong semble bénéficier de son retour dans celle-ci, et de la taille de son marché, puisque le flux d’IDE entrant y a dépassé en 2000, pour la première fois depuis douze ans, celui entrant en Chine.
contribuent à entretenir les écarts existant entre les PVD. Le stock d’IDE entrant est bien corrélé avec le niveau de développement, mesuré par le PIB par tête [11]. Pour les MN, il y a deux tiers mondes, celui où l’on investit, les NPI émergents, et le reste qu’on laisse à l’aide publique au développement. Le flux d’IDE entrant dans nombre de PVD était, dans les années soixante-dix, supérieur au flux de sortie correspondant aux revenus des IDE (dividendes, redevances, honoraires) rapatriés par les MN vers les pays d’origine. Face à la crise de la dette extérieure de plusieurs PVD, d’Amérique latine en particulier, les MN ont accéléré ces rapatriements de revenus de 1981 à 1986. Il s’en est suivi un transfert net négatif. Depuis 1987, le solde des transferts est redevenu positif pour l’ensemble des PVD, y compris les pays d’Amérique latine où les politiques d’ajustement ont rétabli un climat d’investissement mieux apprécié des MN. Se traduisant par une entrée nette de capitaux, la présence des MN est très recherchée par la quasi-totalité des PVD dans l’actuelle phase de mondialisation.
21
TABLEAU VIII. — FLUX D’IDE ENTRANT ET REVENUS RAPATRIÉS, 1991-1997 (milliards de dollars) Région Afrique : IDE Revenus rapatriés Solde Amérique latine : IDE Revenus rapatriés Solde Asie-Pacifique : IDE Revenus rapatriés Solde PVD : IDE Revenus rapatriés Solde PDEM : IDE Revenus rapatriés Solde
1991-1993
1994
1995
1996
1997
8,4 6,2 2,2 40,7 16,7 24,0 75,2 28,2 48,0 125,2 49,9 75,3 292,6 127,7 164,9
4,8 3,1 1,7 28,1 8,1 20,0 44,7 10,2 34,5 77,8 21,5 56,3 110,5 53,9 56,6
3,5 3,1 0,4 29,8 8,7 21,1 48,1 20,3 27,8 81,7 32,3 49,4 181,3 65,4 115,9
3,8 3,4 0,4 41,1 10,4 30,7 56,6 22,7 33,9 102,0 37,0 65,0 171,9 74,3 97,6
4,7 2,9 1,8 60,3 14,2 46,1 64,4 15,4 49,0 129,9 33,0 96,9 211,3 74,6 136,7
Source : [10, 1999].
4. La nouvelle frontière des multinationales à l’Est Le premier pays socialiste à admettre l’IDE est la Yougoslavie, dès 1967. Tous les pays de l’Est ont adopté des législations dans ce but depuis lors. La libéralisation des lois régissant l’IDE précède ou accompagne la transition postcommuniste (exemple : en URSS, la loi sur l’IDE est révisée en 1988, puis la Russie adopte sa propre loi en 1991). Les pays socialistes préféraient naguère les accords de coproduction, de sous-traitance, les achats d’usines clés en main ou de licences et les entreprises mixtes créées en vue d’une coopération technique avec des MN apportant de la technologie. Dès la perestroïka, et plus encore lorsqu’ils sont devenus des PET, ces pays ont tous accepté l’IDE avec un contrôle à 100 % des filiales étrangères, la nomination par la société mère d’un directeur étranger à la tête des filiales locales, l’octroi d’avantages fiscaux aux investisseurs étrangers et des garanties de rapatriement des profits et du capital, ainsi que contre l’expropriation. Entre 1986 et 1992, vingttrois PET [12] et douze PVD à orientation socialiste se sont ouverts à l’IDE, bien après quelques pionniers : Angola 1979, Bulgarie 22
1980, Chine 1978, Hongrie 1972, Pologne 1976, Roumanie 1971, Yémen 1981. TABLEAU IX. — L’IDE ENTRANT DANS LES PAYS EN TRANSITION, 1989-2000 (milliards de dollars) Stock d’IDE entrant
Flux d’IDE entrant Pays hôte
Bulgarie Estonie Hongrie Lettonie Lituanie Pologne République tchèque Roumanie Slovaquie Slovénie Total PECO 2 Balkans 3 CEI 4, dont : Russie Ukraine Caucase Asie centrale
19891994 1
19951997 1
1998
1999
2000
1995
2000
0,1 0,2 1,2 0,1 0 0,8
0,2 0,2 3,0 0,4 0,2 4,4
0,5 0,6 2,0 0,4 0,9 6,4
0,8 0,3 1,9 0,3 0,5 7,3
1,0 0,4 2,0 0,4 0,4 10,0
0,4 0,7 10,0 0,6 0,4 7,8
3,4 2,8 19,9 2,1 2,3 36,5
0,6 0,1 0,1 0,1 3,3 0,3 1,9 0,9 0,2 0 0,8
1,8 0,6 0,2 0,2 11,2 0,7 6,8 3,7 0,5 0,8 1,4
3,7 2,0 0,6 0,2 17,3 1,1 6,8 2,8 0,7 1,5 1,5
6,3 1,0 0,4 0,2 19,0 1,6 6,7 3,3 0,5 0,7 1,8
4,6 1,0 2,1 0,2 22,1 1,3 5,9 2,7 0,6 1,2 1,5
7,4 1,2 1,3 1,8 31,6 0,8 10,4 5,5 0,9 0,4 3,5
21,1 6,4 4,9 2,9 102,3 6,1 41,7 19,2 3,8 5,6 11,5
1. Moyenne annuelle. 2. Associés à l’UE. 3. Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Yougoslavie. 4. Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizstan, Moldavie, Ouzbékistan, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine. Source : [10].
Le stock d’IDE entrant dans les PET ne représente que 2,4 % du stock entrant total dans le monde en 2000. C’est peu, mais déjà plus que l’Afrique. Phénomène nouveau, il a une forte croissance, passant de moins de 1 M$ en 1989 à 150 M$ en 2000. L’accélération de l’IDE coïncide avec le retour des PET à la croissance après 1993. Le flux d’IDE entrant n’est pas stable : ainsi, il chute dans les Balkans et la CEI, notamment en Russie et en Asie centrale, en 2000. La répartition de l’IDE entre les PET est presque aussi inégale que dans les 23
PVD et concentrée sur des PECO plus réformés : 52 % du stock d’IDE entraient en Hongrie, Pologne et République tchèque en 2000. Les pays les plus pénétrés — Hongrie, Estonie — ont un stock d’IDE par habitant et un ratio entre ce stock et le PIB comparables à ceux des NPI d’Asie. Ici encore, l’IDE entrant est corrélé avec le niveau de développement — le PIB par tête [11] — et l’ampleur des changements institutionnels. La Russie n’attire que 13 % du stock entrant, malgré la taille du marché potentiel, la reconversion des industries militaires et sa dotation en ressources naturelles. Le passage à l’économie de marché et la privatisation expliquent l’attrait des PET pour les MN, surtout dans les pays privatisant par ventes d’actifs accessibles aux IDE : Hongrie, Pologne, Estonie [16]. La part de l’IDE liée aux privatisations a été de 65 % du flux entrant en moyenne en 1989-1995. En Hongrie, cent cinquante des deux cents plus grandes firmes ont une part de capital étranger et toutes les MN présentes détiennent 67 % du capital-actions de l’industrie ; des branches entières sont aux mains des MN dans plusieurs PECO. Pour les MN, ces derniers sont avant tout une extension du marché ouest-européen, puis une zone de délocalisation de la production, à main-d’œuvre qualifiée peu coûteuse et disponible (taux de chômage croissant dans les PET). La volonté d’être le premier entré (first mover) dans les PET a aussi joué dans la concurrence entre MN. Ces facteurs sont contrariés en Russie, dans la CEI et les Balkans par la moindre avancée des réformes, l’instabilité institutionnelle, économique et politique, le manque d’infrastructures et de réseaux de distribution, d’où un IDE plus limité. Les filiales des MN restructurent les PET grâce à leur productivité supérieure, leurs ventes, leurs exportations, le transfert de technologie, de savoir-faire, des méthodes de gestion et d’organisation du travail, leur entrée dans le secteur des services marchands jusque-là sous-développé à l’Est, et par la concurrence qu’elles font subir aux anciens monopoles d’État. Elles ont réduit l’emploi dans les firmes qu’elles ont acquises et restructurées ; les MN emploient 3 % de la main-d’œuvre totale des PECO en 1999, mais 15 % en Hongrie. L’apport de l’IDE à la transition n’est pas sans problèmes. Des MN cherchent à l’Est des marchés protégés, comme l’ont montré les demandes de protection de Mercedes et Volkswagen lors des négociations pour le contrôle d’Avia et de Skoda en Tchécoslovaquie. D’autres sont attirées par la possibilité d’écrémer la technologie des meilleures firmes locales alors qu’il y a peu d’exemples précis de retombées et d’effets d’entraînement majeurs engendrés par les MN. Certaines utilisent les PET moins regardants 24
comme base d’un dumping écologique [15] ; d’autres rapatrient des profits par le biais des prix de transfert, les revenus rapatriés des PET ayant dépassé 1 M$ depuis 1998. Les PET sont en concurrence entre eux pour attirer l’IDE, sur la base d’avantages souvent similaires offerts aux MN qui peuvent ainsi arbitrer en faveur des pays à réformes crédibles et à économies stables. Les États des PET n’ont cessé d’améliorer les incitations (fiscales, primes à la création d’emploi, ZF) à l’IDE entrant pour s’intégrer à la mondialisation. L’IDE dans les PET provient pour l’essentiel des PDEM, surtout Allemagne, Pays-Bas, Italie, Royaume-Uni, France, Autriche, Suisse, les MN américaines n’étant très implantées qu’en Russie, Croatie, Ukraine et Pologne. Les premiers secteurs d’accueil sont : services, commerce, finance, IAA, transport-communications, mécanique et automobile. Donc, un poids important de l’IDE dans le tertiaire, comme ailleurs dans le monde. 5. Le redéploiement sectoriel des multinationales L’accélération de l’IDE pendant la crise traduit aussi son redéploiement sectoriel du secteur primaire et de l’industrie vers le tertiaire, ainsi que vers des activités liées aux NTIC. La tertiarisation de l’IDE est massive et durable, liée au fait que les PDEM sont devenus des économies de services (70 % à 80 % du PIB). TABLEAU X. — RÉPARTITION SECTORIELLE DU STOCK MONDIAL D’IDE, 1970-1999 Stock sortant des PDEM Secteur primaire Secteur secondaire Secteur tertiaire Stock entrant en PDEM Secteur primaire Secteur secondaire Secteur tertiaire Stock entrant en PVD Secteur primaire Secteur secondaire Secteur tertiaire
1970
1980
1990
1999
23 45 32
18 44 38
11 39 50
9 35 56
16 60 24
7 55 38
9 43 48
10 39 51
n.d. n.d. n.d.
23 54 23
22 48 30
14 65 21
Source : [10].
25
L’IDE dans l’industrie ne pèse plus que 35 % de l’IDE sortant et 42 % de l’IDE entrant dans le monde, alors qu’il reste la référence de la littérature sur les MN. C’est dans les PVD que l’industrie prend encore le pas sur le tertiaire, y compris au niveau de l’IDE entrant (sa part dans le tertiaire baisse et augmente dans l’industrie en PVD, entre 1990 et 1999). Les MN du secteur primaire sont encore parmi les grandes, mais peu nombreuses, localisées auprès des ressources naturelles disponibles. La réduction du poids relatif de l’IDE dans ce secteur s’explique par la baisse du prix de nombreux produits primaires, en termes réels, et les nationalisations passées des filiales de MN dans les PVD. La réaction des MN du secteur primaire est une relocalisation de l’IDE entrant vers les PDEM et une diversification vers les activités de transformation et de services. La tertiarisation des multinationales Les MN sont présentes de longue date dans des services tels que les sociétés de commerce international, la banque, la presse et la publicité. Avec les NTIC, une proportion croissante d’IDE industriels exige d’être accompagnée de services — informatisation, finance, communication, publicité — à l’étranger et les MN offrent des complexes de biens et services liés (ordinateur, imprimante, logiciel, banque de données, courrier électronique), souvent à l’aide d’équipements coûteux. La frontière devient floue entre secondaire et tertiaire. Il se forme un complexe tertiaro-industriel global, les NTIC tendant à industrialiser la production de services et à tertiariser la production de biens. Les produits high-tech sont intenses en services (80 % du coût d’un ordinateur sont dus à des services). La demande mondiale de services industrialisés étant croissante, les MN établissent des réseaux mondiaux de services. L’IDE dans les services est souvent le fait de MN industrielles, ce qui peut justifier d’appliquer les mêmes théories à l’IDE dans l’industrie et le tertiaire, et aux MN globales des deux secteurs. L’externalisation de diverses fonctions a transformé les anciens départements marketing, comptables, publicitaires en MN de services autonomes. 85 % de l’IDE tertiaire sont dans la finance et le commerce informatisés. Les MN de services sont concentrées dans la Triade et à titre secondaire dans les NPI, sur un petit nombre de MN : huit MN détiennent 41 % du marché mondial de la réassurance ; le même ratio est de 44 % pour la publicité et 54 % pour les services informatiques [4]. Ces MN coordonnent leurs activités à l’étranger ou 26
passent des alliances afin d’offrir un ensemble intégré de services : agence de tourisme-compagnie aérienne-hôtel-location de voiturerestauration-assurance-réservation (télématique). Nombre de services n’étant pas stockables, leur consommation est couplée dans le temps et le lieu avec leur production ; ils ne sont pas échangeables sur le marché mondial. L’IDE est le vecteur essentiel de leur diffusion à l’étranger. Ce couplage est moins contraignant avec les NTIC. Ces technologies sont la base du développement en réseau des MN globales et de l’IDE tertiaire. La « personnalisation » poussée des services offerts donne accès à des positions de monopole ou d’oligopole sur un marché segmenté avec discrimination par les prix entre les clients des MN. Longtemps interdit pour ce motif dans bien des pays hôtes, l’IDE dans la banque, l’assurance, le transport aérien, les médias et les télécommunications a profité de la déréglementation et de la privatisation des services publics. Les services liés au temps libre (tourisme, sports, spectacles) et leur parrainage sont des sphères majeures d’expansion des MN, de même que les actions humanitaires ou sociales médiatisées. Les MN de la publicité et du marketing (McCann-Erickson, Walter Thompson, Lintas, Cargill, Ted Bates, Dentsu, Ogilvy, Saatchi & Saatchi) diffusent des images de marque mondiales pour des produits globaux. En devenant MN, des firmes de conseil en gestion (Arthur Andersen, Price Waterhouse, Deloitte & Touch) et des cabinets juridiques imposent des normes mondiales au milieu des affaires. Quatre autres thèses proposent une explication théorique de la tertiarisation des MN. L’une soutient que les MN investissent les activités tertiaires qui occupent une durée croissante du hors-travail dans le mode de vie actuel, lequel se propage avec la mondialisation. Pour une autre, la fourniture de services à des clients globaux qui demandent un service universel entraîne des IDE tertiaires. La troisième soutient que la théorie éclectique des MN s’applique aux services, dont les avantages spécifiques reposent sur la qualité (plus importante que le prix des services), les économies d’échelle et de variété, la technologie de l’information, le savoir-faire codifiable, le « tour de main » (non codifiable), la proximité nécessaire des clients, le besoin en main-d’œuvre qualifiée et la réglementation existant dans les divers pays [5]. Selon la quatrième, la crise économique, en élevant les risques, a stimulé l’expansion des MN de services dans l’assurance et la réassurance, les placements sûrs (immobilier, fonds de pension), les valeurs refuges (objets d’art) et les 27
agences de travail intérimaire. Ces explications ne sont pas mutuellement exclusives. Les multinationales « se financiarisent » Par leurs stratégies globales, les MN sont d’importants opérateurs sur les marchés financiers internationaux. Chaque MN organise une circulation de fonds interne, une sorte de « marché » financier international interne au groupe, de façon à localiser les profits ou le financement des IDE dans tel pays de son choix. La MN soit crée dans ce but une holding financière, localisée de préférence dans un paradis fiscal, soit crée ou acquiert sa propre banque de groupe. Les fonds sont déplacés d’un lieu à l’autre, au sein de la MN, par des transferts de capitaux entre filiales et société mère (ou la holding) : prêts intra-MN, règlements des filiales au groupe ou l’inverse ; transferts explicites de revenus, rapatriement des profits, versement de redevances technologiques et d’honoraires par les filiales à la mère ; et transferts de fonds implicites ou illicites transitant par des paradis fiscaux. Ainsi, presque toutes les MN se diversifient vers les activités financières, se « financiarisent ». Les MN globales se reconnaissent à cette diversité industrielle, tertiaire, financière. La masse de liquidités qui circule régulièrement dans la MN peut être mobilisée à tout moment pour intervenir sur les marchés financiers. L’objectif de la MN est de se couvrir contre le risque de change ou de taux d’intérêt par le termaillage (leads and lags), qui modifie les délais de paiement des transactions commerciales et de cession de devises ; par l’endiguement (hedging), qui modifie les monnaies de facturation au comptant ou à terme, de façon à réduire le risque ou à tirer des profits de la spéculation sur les fluctuations de change ; par l’avance de devises de la mère aux filiales. Les MN exploitent les changements de parité quand elles ne les provoquent pas. La gestion du risque de change par les MN est déstabilisante car elle renforce les monnaies dont la hausse est anticipée et affaiblit les monnaies menacées de dépréciation. Les MN peuvent aussi réduire le float — la masse de fonds circulant entre filiales — pour ne pas rester sur des monnaies faibles, ou compenser (netting) les créances et les engagements de même échéance entre mère et filiales, soustrayant les montants compensés au risque de change. Ces opérations financières permettent aux MN d’emprunter là où les taux d’intérêt sont faibles, de diversifier les sources de financement et de contourner les politiques de restriction du crédit.
28
Les banques multinationales Des banques ont développé des succursales et filiales à l’étranger dès le XIXe siècle. Très sensibles à la crise des années trente, les BMN ont ralenti l’extension de leurs réseaux étrangers, qui a repris surtout vers 1970. Alors, pendant deux décennies, la suprématie est revenue aux BMN américaines. Un moment supplantées par les BMN japonaises, elles ont profité du mouvement de concentration bancaire pour revenir au premier plan depuis dix ans. Les plus dynamiques depuis 1991 sont les BMN originaires des pays de l’UE. Les PDEM sont aussi les principaux pays hôtes des BMN, accueillant 65 % de leurs réseaux étrangers. Des filiales sont implantées dans les PET et les PVD, ces derniers (surtout les NPI) ayant leurs propres BMN investissant dans les PDEM de l’OCDE. La plupart des grandes sociétés financières non bancaires, telles que American Express, Merrill Lynch, Nomura Securities, Morgan Stanley, Salomon Inc., sont des MN. Le stock d’IDE dans le secteur financier (banques, sociétés financières et assurances) est passé de 130 M$ en 1988 (dont 120 investis dans les PDEM) à 574 M$ en 1999 (dont 519 en PDEM). TABLEAU XI. — LES BANQUES MULTINATIONALES PDEM d’origine
1996 : nombre de filiales 1
Japon
116
États-Unis France Allemagne Pays-Bas Royaume-Uni Autriche Italie Espagne Suisse
113 76 66 53 42 33 23 21 13
PVD d’origine
1996 : nombre de filiales 2
Corée du Sud Brésil Taiwan Turquie Singapour Iran Inde Indonésie Pakistan HongKong
76 42 31 25 22 21 20 19 17 17
Banques américaines Année BMN Filiales Actifs 3 1960 1970 1975 1980 1985 1990 1995 1996 1997 1998
8 79 126 159 162 122 102 93 89 82
131 532 762 787 916 833 788 820 852 935
3,5 52,6 162,7 343,5 329,2 304,4 567,1 615,4 734,7 704,5
1. Localisées dans les PVD et les PET. 2. Localisées dans les pays de l’OCDE. 3. Actifs à l’étranger, milliards de dollars. Sources : [10] et Federal Reserve Bulletin, septembre 1999.
29
Les opérations des BMN forment un marché planétaire des changes : les transactions sur le dollar, l’euro, le yen se font en même temps à Londres, New York, Hong-Kong, Bahreïn, par téléphone et télématique. Cinquante BMN de la Triade sont les principaux opérateurs sur le marché interbancaire des xénodevises et sur les marchés internationaux de titres et produits dérivés. La déréglementation bancaire et le décloisonnement entre les marchés des changes, des crédits, des obligations et des actions ont accru la concurrence entre BMN. Sur ce marché des capitaux global, les BMN opèrent vingt-quatre heures sur vingt-quatre (grâce à la télématique), la mobilité des liquidités est instantanée, les opérations mêlent le court et le long termes, et le passage entre la finance indirecte (crédits) et la finance directe (titres) est aisé.
II / Vers une organisation globale
Un nombre croissant de MN s’organisent à l’échelle mondiale. La décision d’investir à l’étranger et le choix des modes d’entrée font l’objet d’arbitrages à cette échelle. La MN gère en interne des flux internationaux de produits et de facteurs de production, plus ou moins supervisés par la hiérarchie. La RD et la main-d’œuvre sont d’autant plus cruciales que l’organisation est globale. 1. La décision d’investir à l’étranger et les modes d’entrée Différentes méthodes sont utilisées par les firmes pour décider d’investir à l’étranger. La plus rudimentaire, du type go-no go, reflète l’hypothèse keynésienne d’un entrepreneur au tempérament sanguin réagissant à ses « esprits animaux ». Dans les grandes MN, les méthodes sont plus élaborées : estimation d’une prime de risque, propre à chaque pays hôte potentiel, venant majorer la rentabilité escomptée de l’IDE ; analyse du climat d’investissement et du risque pays pouvant aller d’une liste de critères jusqu’à la mise en forme d’un modèle macroéconomique du pays hôte ; évaluation de l’attractivité des pays hôtes pertinents (chapitre V). La décision d’IDE est stratégique : elle engage la firme à devenir une MN. Dans les firmes managériales (où les dirigeants ne sont pas contrôlés par les actionnaires), les critères de cette décision sont la croissance, la diversification de la firme ou l’impact sur son image. Quand le contrôle des actionnaires sur les dirigeants est effectif et quand le marché du rachat d’entreprises est actif, les indicateurs de profit et de valeur boursière guident davantage la décision d’IDE prise par les dirigeants de la firme. Avec la financiarisation des MN, 31
la priorité est donnée aux IDE, pas nécessairement industriels ou tertiaires, qui augmentent la valeur actionnariale. Cet objectif a tendu à propager parmi les MN une norme de corporate governance et de prise de décision selon l’intérêt exclusif des actionnaires, imposant une rentabilité financière (15 %) très élevée pour des actifs industriels. La corruption, les maquillages comptables d’Enron, de Worldcom, avec la caution d’agences comme Andersen, montrent les ravages provoqués par cette norme qui semble devoir être abandonnée pour les futures décisions d’IDE. Des mouvements antimondialisation dénoncent le caractère global de ces scandales, alors que l’ONU [10, 1999], depuis peu, souligne la responsabilité sociale des MN et appelle à une citoyenneté d’entreprise globale. Les séquences du processus de décision d’IDE se fraient un chemin au sein de l’organisation, de ses coalitions et conflits internes.
Les séquences du processus de la décision d’investir à l’étranger Séquence 1 : décision de s’ouvrir à l’étranger Motifs d’abandon de la décision : persuasion trop faible des dirigeants ; faibles stimulations extérieures ; faible possibilité d’exploiter sa technologie ou de décomposer son processus de production.
Séquence 3 : engagement d’investir Motifs d’abandon de la décision : insuffisance des moyens financiers prévus ; blocages gouvernementaux ; changement des dirigeants ; faillite de la firme.
Séquence 2 : enquête d’opportunité
Séquence 4 : extension de l’IDE
Motifs d’abandon de la décision : risques politiques et économiques trop élevés ; marchés restreints ; ressources locales modestes ; faibles facilités d’implantation ; blocage de la hiérarchie.
Motifs d’abandon de la décision : taille trop faible de la firme ; premières expériences négatives. Source : [19].
Une fois prise, la décision d’IDE devient un arbitrage quant à la forme d’entrée dans le pays hôte. Ce choix, du même type qu’entre intégration ou externalisation d’une activité, dépend d’une comparaison entre les coûts de transaction sur le marché international et les coûts de contrôle d’une unité dans un pays hôte. Dunning [5] ana32
lyse les coûts de transaction internationaux comme étant liés à des différences entre les cultures nationales et entre les cultures d’entreprise. Il suppose qu’ils continueront d’augmenter, relativement aux coûts de production, avec le coût croissant de la prise de décision dans des cultures d’entreprise de plus en plus spécifiques : la base d’un arbitrage entre les formes, intégrées ou non, d’activité à l’étranger s’en trouverait renforcée. La normalisation récente de la corporate governance va à l’encontre de ces spécificités.
Formes de présence à l’étranger, coûts de transaction et de contrôle Forts coûts de transaction
Forts coûts de contrôle
Filiale à 100 % Filiale majoritaire (1 50 %) Joint-venture Filiale minoritaire (! 50 %) Partage de la production, coproduction Concession de ressources Accord de licence Contrat de gestion, assistance technique Sous-traitance internationale Usines clés en main, vente d’équipements Exportation
Degré maximal d’intégration
Degré maximal d’externalisation
La forme souhaitée de présence dans le pays hôte détermine à son tour, en partie, le mode d’entrée choisi. La création ex nihilo d’une filiale étrangère (greenfield investment) occasionne un IDE entrant de montant égal au capital de la filiale. Une alternative est la fusion avec, ou l’acquisition d’une firme locale qui devient une filiale, majoritaire ou non selon la part de capital acquise. Un cas particulier est l’entreprise mixte (joint-venture), lorsque deux partenaires de nationalité différente se partagent de façon égalitaire le capital de la filiale. On nomme brownfield investment l’acquisition d’une firme locale en vue de fermer une ancienne usine, d’établir à sa place des installations neuves et d’utiliser l’ancienne unité de production comme un réservoir de main-d’œuvre qualifiée. À court terme, les fusions-acquisitions transnationales (FAT) sont un transfert d’actifs du pays hôte aux MN ; contrairement au greenfield, les FAT n’ajoutent pas de nouveaux actifs aux capacités de production du pays hôte. Le greenfield crée de nouveaux emplois, alors que les 33
FAT en suppriment, surtout lorsque la MN acquiert à bon prix une firme locale en difficulté (fire sale). Le premier accroît la concurrence sur le marché local, les secondes la réduisent quand elles sont réalisées par de grandes MN oligopolistes. Les FAT provoquent moins de transfert de technologie, mais facilitent une entrée plus rapide (instantanée) dans le pays hôte, car il faut moins de temps pour acheter une firme locale que pour établir une filiale ex nihilo [26]. Les FAT s’attirent plus de réactions nationalistes (ex : projet d’acquisition de l’Allemande Mannesmann par la MN anglaise Vodafone), en particulier lors de FAT hostiles. Viennent ensuite des modes d’entrée qui engagent moins la MN dans le pays hôte et permettent de contrôler des activités à l’étranger sans apporter de capital (ou en en apportant peu). Les NFI regroupent les filiales minoritaires, les accords de licence, l’assistance technique, le franchisage, la sous-traitance internationale, les accords de partage de la production, la coopération industrielle, les contrats de gestion ou de service, les livraisons d’usines clés en main, produit en main ou marché en main, et les accords de cofinancement [24]. Tout en liant la MN au pays hôte sur longue durée, les NFI immobilisent peu ou pas de capital, dissocient la technique et l’expertise de l’élément financier, et font jouer un effet de levier au profit de la MN (le pays hôte doit fournir l’essentiel des capitaux et parfois s’endetter dans ce but). Une MN évite d’entrer vraiment dans un pays, tout en y étant indirectement présente, en passant une alliance ou un partenariat stratégique avec une autre MN. Variante de la sous-traitance, l’accord OEM (ordered equipment manufacturing), dit « de fabrication d’équipements originaux », est une forme de coopération internationale par délégation à des firmes étrangères. C’est un contrat à long terme, renouvelable, liant une MN et ses principaux fournisseurs étrangers de composants ou de produits demi-finis, à des prix fixés (en général 5 % à 15 % inférieurs au prix du marché mondial) pour la durée du contrat, avec des délais de livraison spécifiés et des normes de qualité à respecter. La MN intègre les composants dans le produit final qu’elle seule commercialise sous sa marque. L’OEM permet à une MN d’obtenir un flux régulier de biens intermédiaires fabriqués à l’étranger, de se concentrer sur sa production principale et de laisser à ses partenaires la fabrication de produits qui ne sont pas de sa compétence technique directe. Les décisions postérieures à celle d’investir à l’étranger dépendent de l’organisation de la MN et de ses stratégies. La décision de désinvestir de l’étranger est motivée soit par un changement 34
d’attitude du pays hôte, soit par un conflit social dans la filiale, soit par une réorganisation de la MN : fermeture d’une filiale étrangère non rentable ou rendue inutile par de nouvelles implantations vers lesquelles la MN réoriente ses IDE. Elle peut s’inscrire dans un mouvement de délocalisation ou de relocalisation de la production, de redéploiement sectoriel ou géographique, et se double alors d’une décision d’investir ailleurs. Accompagnée de licenciements, la fermeture d’une filiale tend le climat social local et détériore les relations de la MN avec l’État et les syndicats du pays hôte. 2. L’organisation interne de la multinationale L’organisation de la MN s’adapte à ses stratégies. Si la stratégie productive est décisive dans une firme, le critère technique de la méthode de production s’impose à l’organisation, dite unitaire (forme U) : sous une direction centralisée, la firme se divise en fonctions techniques répétitives ou routinières. Si une stratégie de diversification des marchés prend le pas (Chandler, Williamson), avec la croissance de la MN, la direction perd le contrôle sur les divisions fonctionnelles de la forme U, et l’organisation multidivisionnelle (forme M), décentralisée (une division spécialisée par marché ou par produit), est plus adaptée. Le mode de contrôle des filiales étrangères est stratégique et peut s’exercer sur leur capital ou sur leurs dirigeants. Le contrôle du capital peut être à 100 %, majoritaire (1 50 % du total des actions), paritaire (50/50 %, JV) ou minoritaire. Les deux derniers contrôles, partagés avec le pays hôte, sont moins coûteux en capital et protègent mieux contre le risque pays. Le contrôle des filiales passe aussi par les budgets que leur accorde la société mère, par l’évaluation de leurs performances et par la place qui leur est assignée dans l’organisation et la stratégie de la MN. Des enquêtes ont montré que l’autonomie laissée aux dirigeants des filiales est en général plus réduite pour les décisions financières (augmentation du capital, dividendes et redevances, choix du comptable et des investissements, utilisation de la marge d’autofinancement de la filiale, plan financier, emprunt aux banques locales) que pour la gestion du personnel (embauche, licenciement, heures supplémentaires, modalités de paiement du personnel, restructuration des postes de travail, formation), les décisions productives et commerciales se situant à un niveau intermédiaire (pénétration de nouveaux marchés, capacité et volume de production, procédés de fabrication, produits nouveaux, 35
Graphique 1. – Les formes d’organisation multinationale
DG
Organisation simple
Filiale étrangère A
Filiale locale DG
Forme U
Division internationale
Divisions fonctionnelles RD
Production
Finances
Marketing
Produit 1 B
B
E
F
D
Q G Région
E
F
A
B C
C
Produit 2 D
Produit 3 Q G Région
F
E G
DG : direction générale (société mère). Filiales étrangères : A, B, C, D, E, F, G, H.
36
G
DG
Forme matricielle Produit 1
H
G
DG
Q G Région B
D
Produit 3
Produit 2 D
C
Forme M par régions
A
C
DG
Forme M par lignes de produits
A
A
H
Q G Région
H
coûts de production, objectifs de vente, choix des fournisseurs, crédits à la clientèle, entretien des installations). Les facteurs influençant le mode de contrôle des filiales étrangères sont la taille de la MN et sa forme d’organisation, son origine nationale, la part de capital détenue par la MN, le risque du pays hôte et les résultats d’exploitation, mais non sa branche d’activité. À mesure que la MN développe son IDE et le nombre de ses filiales étrangères, son organisation passe de la forme simple, lors du premier IDE, à la forme U avec la multiplication des filiales étrangères contrôlées par une division internationale. La croissance de la MN rend cette structure de coordination inefficace : surcharge d’information circulant entre la division internationale et les filiales étrangères, et dissolution de son contrôle sur des filiales devenues nombreuses. La MN adopte alors l’une des variantes de la forme M : une division opérationnelle est responsable soit pour chaque secteur (produit), comme chez ATT, Du Pont, Hyundai, Philips, Siemens, soit pour chaque région d’implantation des filiales, comme chez BP, General Motors, Hitachi, Nissan, Toshiba. Ces divisions sont des « quasi-firmes » (Williamson) dans cette structure décentralisée : elles sont des centres de profit de la MN et ont elles-mêmes une forme U. Devenue globale, la MN peut adopter une organisation matricielle qui abandonne le principe d’unité de commandement, chaque dirigeant de filiale dépendant à la fois d’un responsable de produit (mondial) et d’un directeur de région, ainsi chez City Bank ou Dow Chemical. Plus flexible, l’organisation matricielle est coûteuse, complexe et engendre des conflits d’autorité entre supérieurs hiérarchiques : le dirigeant de filiale « ne peut servir deux maîtres à la fois » [2]. Plusieurs MN l’ont donc abandonnée. Lui est désormais préférée la création d’unités stratégiques autonomes (strategic business units) qui se définissent directement par rapport au marché mondial de produits donnés, sans tenir compte des zones géographiques, comme chez Hoechst. Une forme d’organisation apparaît dans les années quatre-vingt-dix, baptisée « glocalisation » : elle consiste à établir hors du pays d’origine un quartier genéral fonctionnel desservant toutes les filiales d’une région ou d’un continent. En 1997, quatre cents filiales étrangères de MN japonaises étaient des QG glocalisés : Hong-Kong et Singapour se sont spécialisés dans l’accueil de tels QG. Le QG de NEC (Japon) à Singapour est chargé de la RD de toutes les filiales asiatiques ; Mobil a un QG dans chaque continent chargé de l’exploration pour toutes les filiales ; la RD de la Ford Mondeo a été réalisée par Ford Europe (couvrant les 37
filiales européennes et nord-américaines) qui vend ce modèle à l’échelle mondiale. Une réorganisation de Ford (1994) a généralisé l’expérience de la Mondeo et réparti les études et le design entre deux lieux (Europe, États-Unis), une division mondiale étant chargée du marketing et de la définition globale des produits. Organisation hiérarchique ou « à la japonaise » L’organisation de la MN subit l’influence de son origine nationale. Cela était perceptible dans les MN américaines qui privilégiaient naguère les filiales majoritaires alors que les japonaises et les MN originaires des PVD recourent davantage aux filiales minoritaires et aux NFI. On distingue l’organisation des MN japonaises (J) du modèle hiérarchique (H) des MN occidentales [90], selon une opposition stylisée par Aoki, et valable pour les MN. En H, l’organisation hiérarchique, à transmission verticale de l’information, se traduit par un fort coût de supervision des filiales étrangères. En J, la décision collective se fonde sur des échanges horizontaux d’information, un ajustement mutuel et une coordination semi-autonome entre filiales, entre ateliers (kanban) et entre employés. Le degré d’intégration de H est supérieur à celui de J, ce qui explique que la MN japonaise recoure plus à la sous-traitance et aux filiales minoritaires. Le degré de formalisation est moins élevé en J qu’en H : organigramme moins net, moins de directives écrites aux filiales, moins de rapports et de manuels d’instructions. On comprend que les MN japonaises aient beaucoup utilisé, dans leur expansion à l’étranger, des formes d’organisation moins intégrées : les NFI. Cette organisation spécifique des MN japonaises s’est un peu estompée à mesure qu’elles ont plus investi à l’étranger et rattrapé leur retard, que l’IDE du Japon a rejoint le même profil géographique que celui des autres PDEM et que les normes anglosaxonnes de corporate governance se sont répandues au Japon. En sens inverse, des MN d’autres PDEM ont cherché à adopter l’organisation des MN japonaises (just in time, zéro stock, zéro défaut). Cette double convergence amenuise, sans l’éliminer, l’influence de la nationalité sur l’organisation globale, au sens fonctionnel et pas seulement géographique, des MN. Le modèle H, performant en environnement économique stable, l’est moins quand augmente l’incertitude sur les marchés, les produits et les techniques, avec la crise et le passage d’une production en masse de biens standardisés à une production fluide de lots réduits de biens diversifiés à demande personnalisée et fabriqués à la commande [102]. La 38
flexibilité et l’informalité de J seraient des avantages, a-t-on cru, avant que la crise asiatique ait infirmé ce pronostic. Le marché interne à la multinationale La MN organise une circulation interne de produits, de technologie, de capitaux et d’hommes, qu’elle contrôle entièrement au sein de l’espace (international) constitué par la société mère et les filiales étrangères. Le commerce captif intrafirme est évalué à 30 % des échanges mondiaux de produits. Les flux intra-MN pèsent 29 % des exportations de l’UE, 25 % de celles du Japon et 36 % de celles des États-Unis, plus de 50 % des importations du Brésil et du Mexique. Le poids du commerce intra-MN augmente : il représente 46 % des ventes des MN américaines (contre 25 % en 1977) et 87 % des ventes de leurs filiales majoritaires en 1996 ; 32 % des ventes des MN japonaises. Il existe une relation entre ce commerce captif des MN et le commerce intrabranche entre deux pays (qui s’exportent le même produit l’un à l’autre). Il en est ainsi lorsque la MN tire parti pour un même produit à la fois d’avantages comparatifs de coût de production (exportation filiale étrangère-mère) et cherche à éviter des coûts spécifiques de transaction — commercialisation — en pays d’origine (exportation mère-filiale). Dans leur commerce internalisé, les MN appliquent non pas les prix du marché mondial, mais des prix de transfert internes, établis indépendamment de la concurrence. Les prix de transfert permettent de redistribuer le profit des filiales vers la société mère ou vers une holding située en paradis fiscal, ou de tourner le contrôle des changes d’un pays hôte. Il suffit de surfacturer les biens et services vendus par la société mère aux filiales étrangères, et de sous-facturer les ventes des filiales à la mère ou à la holding. L’écart entre le prix de transfert des MN de la pharmacie et le prix mondial a atteint jusqu’à 155 %, 60 % dans l’électronique et 40 % pour le caoutchouc, et a réduit de moitié la charge fiscale des MN américaines. L’externalisation de certaines fonctions internes aux MN (publicité, audit, etc.) est l’une des origines de l’internationalisation des services. La MN peut externaliser des opérations de production à la fois hors de la firme et de ses filiales étrangères, et hors de son pays d’origine, dans le cadre de la sous-traitance internationale. Une relation de sous-traitance existe quand une firme (sous-traitant) intervient pour le compte d’une autre (donneur d’ordre) dans le processus d’élaboration et de réalisation de l’un de ses produits spécifiques ; elle est internationale lorsque les deux partenaires sont 39
localisés dans des pays différents. Elle implique nécessairement l’existence d’un flux d’importation et/ou d’exportation entre les deux entreprises qui, sans avoir les propriétés du commerce captif intra-MN, n’est pas du commerce extérieur traditionnel. Une analyse économétrique menée pour l’ONU a établi qu’il n’y avait pas de relation entre la taille de la firme et l’ampleur de ses opérations à l’étranger. Les PME sont aussi aptes à l’IDE que les grandes MN, du moins au-delà d’un seuil minimal de taille. La multinationalisation des PME a des déterminants à la fois semblables à ceux des grandes MN (technologie, marché, barrières douanières) et particuliers : suivre ces dernières à l’étranger en tant que soustraitant, répondre aux incitations des pouvoirs publics du pays d’origine. L’attrait pour la petite taille, assimilée à l’efficacité, a conduit des grandes MN à casser les hiérarchies intermédiaires pour se transformer en un réseau coordonné de mini-MN : du commerce intrafirme s’externalise alors. Ces réorganisations de downsizing ont un second objectif, le « dégraissage » des effectifs. 3. La globalisation de la recherche Les mutations technologiques du postfordisme (NTIC) ont exigé des MN un gros effort de RD, ainsi que sa globalisation. La délocalisation de la RD, l’établissement de laboratoires hors du pays d’origine sont l’indice de la globalisation technologique, d’un « technoglobalisme », dit l’OCDE, du moins dans la Triade. En 1966, la RD des MN américaines était délocalisée à 6,5 %, à 13 % en 1989 [23] ; la proportion est plus élevée pour les MN européennes, moindre pour les MN japonaises. Mesurée par la part des brevets déposés aux États-Unis par des MN étrangères, la globalisation de la RD paraît aussi avancée que la mondialisation de la production. Par des relations producteurs-utilisateurs de techniques, entre MN, il s’établit des mécanismes de contrôle en commun des connaissances scientifiques et de la production au sein des oligopoles mondiaux. La télématique transmet ces informations à toute la MN en temps réel et intègre les travaux des laboratoires et des unités de production localisées autour du globe : la globalisation peut détacher la RD des lieux de production. Ces réseaux internationaux d’innovation sont capables de recombiner les connaissances entre des unités dispersées de la MN [28]. La localisation des laboratoires dans des technopôles et des centres d’excellence permet aux MN de capter l’élément tacite, non codifiable et non transférable, des technologies 40
locales et de profiter des effets d’agglomération des laboratoires locaux. TABLEAU XII. — LA RECHERCHE-DÉVELOPPEMENT DES MULTINATIONALES, 1969-1995 % de dépenses RD des MN américaines réalisées à l’étranger Secteur Chimie Pharmacie Équip. électrique Mécanique Métallurgie Équip. transport Équip. spéciaux Total
1979- 19851984 1990
% de brevets déposés aux États-Unis par des MN y ayant délocalisé des activités de RD Pays d’origine
1969- 1978- 1983- 1987- 19911972 1982 1986 1990 1995
6,9 10,4
9,3 Japon 12,7 Allemagne
2,6 12,8
1,2 12,1
1,3 14,5
0,9 1,1 17,1 20,7
6,8 8,4 5,3
5,3 France 9,3 Italie 6,1 Pays-Bas Royaume11,0 Uni
8,2 13,4 50,4
7,2 13,9 47,7
9,2 12,6 54,0
18,2 33,2 11,1 16,5 54,0 55,7
43,1
40,5
47,1
50,4 55,8
44,4 28,0
43,8 24,5
41,6 27,0
43,0 52,5 30,0 34,8
9,9 6,7 8,0
6,1 Suisse 7,9 Europe
Sources : [22], [25].
La MN crée aussi des innovations matérialisées dans ses produits ou reconnues par des brevets, formant son avantage technologique spécifique. Les MN contrôlent les nouvelles technologies parce qu’elles les créent : elles réalisent 75 % des dépenses de RD aux États-Unis, 80 % au Japon, 72 % en Allemagne. Les budgets RD des MN sont importants. La RD est valorisée à l’étranger par l’exportation de produits nouveaux, par la vente de licences et par l’IDE. Dans maintes MN la prise de brevets est centralisée, signe du contrôle des technologies et de protection contre l’imitation et la contrefaçon ; le brevet est aussi un moyen d’interdire à d’autres firmes d’exploiter l’innovation. Le régime d’appropriation de l’innovation — le degré auquel elle peut être protégée — est d’autant plus fort que des MN ont coopéré à la RD (alliances). Les MN sont à l’origine de plus de la moitié des brevets pris dans le monde chaque année. La propriété industrielle, rentabilisée par vente de licences sur les brevets et de savoir-faire, est source de redevances technologiques : 80 % de l’ensemble des paiements au 41
titre des transferts de technologie dans le monde sont perçus par des MN. Les MN organisent au niveau mondial une veille technologique et l’acquisition d’intrants techniques auprès d’universités, de centres de recherche publics, et rachètent des PME à haute technologie, des firmes innovatrices et des laboratoires étrangers. Elles passent entre elles des alliances stratégiques portant sur la technologie et participent ensemble à l’établissement des normes techniques internationales. Les MN sont amenées à définir en commun des normes d’interconnexion de leurs techniques. D’autant plus que les percées technologiques récentes sont le résultat de fertilisations réciproques et de combinatoires de disciplines scientifiques et de compétences techniques variées. Le cycle de vie des produits nouveaux se raccourcit en proportion directe de la croissance des dépenses de RD. D’autant plus que les NTIC propagent instantanément la nouveauté à tous les marchés du globe. Les MN abandonnent l’idée d’un produit mondial, unique pour tous les consommateurs, au profit de modèles adaptés à chaque marché particulier (« glocalisation »). En même temps, la durée du développement des nouveaux produits s’allonge, en raison des exigences accrues de qualité, de fiabilité et de personnalisation, et le coût en RD du produit nouveau s’alourdit. 4. L’organisation multinationale du travail Les MN salariaient 73 millions d’employés dans le monde, dont 29 hors de leurs pays d’origine en 1992 ; 86 millions en 1998, dont 36 à l’étranger. Les salariés employés par les MN représentent plus de 10 % de la population active dans les PDEM. Dans les PVD, les MN contribuent à étendre le rapport salarial : leur main-d’œuvre salariée représente 3,3 % de la population active au Mexique, 3,5 % au Brésil, 4,1 % en Chine, 11,1 % à Taiwan, 12,8 % à Hong-Kong, 22,1 % au Sri Lanka en 1998. Dans l’industrie manufacturière, ces pourcentages sont plus élevés : 16 % à Hong-Kong, 18 % au Mexique, 21 % à Taiwan, 44 % en Malaisie, 52 % à Singapour, 54 % au Sri Lanka. La durée du travail est en moyenne de 20 % à 50 % par an plus longue dans les filiales de MN localisées en PVD que dans les filiales des PDEM. Les MN n’ont néanmoins pas beaucoup contribué à atténuer le problème du chômage dans les PVD, où leur importance comme employeurs a plutôt diminué. Des MN sont réputées pour recourir au travail féminin : 90 % de la main-d’œuvre 42
des MN en Jamaïque, 80 % au Salvador, 69 % au Bangladesh, de même dans bien des pays d’Asie. Ainsi qu’au travail des enfants, comme Nike et d’autres l’ont tristement illustré. Une partie de la salarisation par les MN a lieu dans plus de deux cents ZF, situées dans soixante PVD, soit 23 millions de salariés — dont 18 dans les zones spéciales chinoises, 2,2 au Bangladesh, 1 dans les maquiladoras du Mexique —, en général dans des industries de main-d’œuvre (textile, habillement, appareils ménagers et électroniques) et dans les services (traitement de données). L’emploi en ZF a crû avec la formation d’une deuxième génération de ZF (Chine, Guatemala, Sri Lanka, Tunisie). L’ONU observe que les MN adoptent parfois des stratégies « désinvoltes » à l’égard du travail en ZF, proposant des emplois sans qualité ni stabilité à des femmes jeunes et sans qualification, et ne leur offrant pas de formation. La main-d’œuvre féminine et enfantine des filiales de MN en PVD reçoit des salaires inférieurs (de 50 % à 75 %) à ceux de la main-d’œuvre masculine, tolère mieux les tâches répétitives et est plus facile à embaucher et à licencier. Dans les ZF, le droit de se syndiquer est extrêmement réduit, parfois inexistant. La durée hebdomadaire du travail y est couramment de soixante à soixantequinze heures. Les ZF jouent un rôle important pour accoutumer les employés des PVD au travail industriel, pour faire pression sur les salaires des filiales situées en PDEM et pour intégrer au régime du salariat une fraction des populations du tiers monde. Tout comme l’emploi en ZF, la menace de fermeture d’une usine pour en délocaliser l’activité à l’étranger a été utilisée par des MN comme une forme de chantage à l’emploi, l’annonce de la possible fermeture étant annulée après que le personnel et les syndicats ont accepté le gel des salaires, l’abandon de quelques jours de congés payés, un licenciement partiel ou des concessions sur l’organisation du travail. Les emplois dans les MN restent recherchés en PVD, en raison du chômage, mais aussi parce que les salaires y sont supérieurs à ceux des firmes locales (mais inférieurs à ceux de la MN en pays d’origine). Les syndicats sont préoccupés par les IDE implantés dans les ZF et les PVD qui ne respectent pas la législation du travail et les droits syndicaux, en contravention des principes adoptés par le BIT en 1991 sur les MN et la politique sociale. En PDEM, les MN participent aux négociations collectives avec les syndicats préoccupés par les effets possibles sur le personnel de la flexibilité de localisation des MN. Dans les MN à stratégie globale, la grève peut propager rapidement une réduction de la production et des ruptures d’approvisionnement entre filiales [10, 1994] ; 43
dans la pratique, peu de MN ont été ainsi paralysées. La directive Vredling (1980) fut la première initiative pour faire reconnaître le droit à l’information des salariés des MN opérant dans l’UE. Avec peu d’effets. En juin 1994, les ministres du Travail de onze pays de l’UE (sauf le Royaume-Uni) ont approuvé une directive applicable en 1999 aux MN installées sur leur territoire. Les MN comptant plus de 1 000 salariés et des établissements d’au moins 150 salariés dans deux États membres sont désormais tenues de créer un comité d’entreprise européen. Formé de trois à trente membres, il se réunit une fois par an pour informer le personnel de l’activité transnationale de la firme et pour obtenir des éclaircissements de la direction en cas de délocalisation ou de fermeture de filiale. La difficile transplantation d’une organisation du travail à l’étranger La façon dont le travail est intégré dans l’organisation de la MN montre les formes les plus élaborées du rapport salarial, y compris l’internationalisation du personnel dirigeant et d’encadrement. Une question fort débattue est de savoir si un nouveau modèle d’organisation du travail va s’imposer à la plupart d’entre elles. L’idée de voir émerger un toyotisme mondial est cependant dépassée. En prolongeant l’opposition stylisée entre MN de types H (américaine) et J (japonaise), en H les tâches sont spécialisées selon une classification de postes stipulée dans une convention collective ; en cas de panne ou d’absentéisme, les solutions sont recherchées par les supérieurs et les spécialistes (ingénieurs, etc.). En J, les salariés passent d’un poste à l’autre (élargissement des tâches), chacun devenant généraliste et familier avec la totalité du procès de travail ; apprentissage collectif et délégation des décisions permettent l’adaptation aux imprévus, le contrôle de la qualité et des coûts dans chaque atelier de la MN. L’apprentissage sur le tas en J exige des relations d’emploi à long terme avec mobilité intrafirme des employés (rotation des tâches) et des liens de longue durée avec les sous-traitants, alors que la spécialisation de H donne lieu à un marché séparé pour chaque poste de travail sous contrôle vertical, donc à une mobilité interfirmes des employés. La loyauté des salariés et leur adhésion aux objectifs de la firme en J, avec la longue durée d’emploi, se substituent aux incitations monétaires individualisées au travail et à la menace du chômage du modèle H. L’entreprise J tend à être « zéro grève ». Le taux de syndicalisation dans les filiales de MN japonaises est très faible. 44
L’internationalisation du toyotisme aurait pu recouvrir deux modalités : l’imitation du modèle J par des MN non japonaises et son transfert par les MN japonaises dans les pays hôtes à l’occasion de leurs IDE. Ce transfert est souvent plus lent et coûteux que la transplantation de techniques de production, dans la mesure où il exige une modification du rapport salarial. Les MN japonaises ont régulièrement tenté d’implanter leur organisation du travail dans leurs filiales étrangères. Les résultats sont mitigés. L’adoption du modèle J dans les firmes américaines acquises par des MN japonaises a réduit le taux d’absentéisme de 25 % à 4 % ; son impact sur la productivité du travail varie entre une augmentation de 300 % chez Yamanouchi ou 242 % chez Bridgestone et une chute de 8 % chez Paloma Industries [10, 1995]. La formation aux méthodes de travail du modèle J, sous contrôle de la direction des filiales réservées aux expatriés japonais, vise à inculquer l’esprit maison. Par ailleurs, la transplantation des cercles de qualité dans les filiales étrangères des MN japonaises est plutôt un échec. Dès les années soixante-dix, les filiales de MN japonaises localisées en PVD, dont en Asie, se sont heurtées à de graves conflits sur les conditions de travail et les objectifs de gestion ; plusieurs ont fermé leurs portes. Dans les filiales américaines, les MN japonaises ont rencontré une résistance à leurs pratiques d’augmentation de la durée et du rythme de travail, de discrimination raciale et sexuelle des tâches, et aux groupes de travail visant l’implication totale des salariés. Le cas de Mazda USA est exemplaire : travail du samedi obligatoire, semaine de travail proche de soixante heures, mais accidents du travail plus nombreux, forte rotation du personnel, taux de défectuosité des produits de 60 % supérieur aux prévisions. Le toyotisme ne s’est pas propagé comme modèle mondial d’organisation du travail. Son image a en outre pâti de la dernière décennie de troubles dans l’économie japonaise.
III / Les stratégies : banales ou globales
L’organisation des MN évolue avec leurs stratégies d’internationalisation. Celles-ci s’élaborent lors de l’implantation d’une activité à l’étranger, puis se prolongent dans la structuration internationale de l’appareil de production de la MN, avec son lot de délocalisations et de recentrages. Des MN sont banales parce que leurs stratégies classiques sont bien connues. D’autres MN atteignent une intégration mondiale de leurs processus de production dans le cadre de stratégies globales. Elles se doublent de FAT et d’alliances transnationales. Il en résulte des performances économiques globalement favorables pour les MN, à de rares exceptions près. 1. Les stratégies banales L’histoire du développement des MN décrit une succession de stratégies. Les premières MN, dominantes jusqu’au début du XXe siècle, avaient une stratégie d’approvisionnment. Les implantations étaient réalisées à l’étranger pour approvisionner la société mère à partir de plantations, d’activités extractives et de comptoirs de commerce délocalisés près des ressources naturelles des PVD (colonies). Cette stratégie des MN primaires [7] est encore répandue dans les secteurs miniers, énergétiques et métallurgiques qui dépendent d’intrants en matières premières. Ces MN tendent à s’intégrer verticalement en amont à l’étranger, y compris en absorbant leurs fournisseurs étrangers. Au XXe siècle sont apparues des MN à stratégie de marché dont les IDE prolongent l’activité d’exportation par une production sur le lieu même de leurs marchés étrangers. Leurs filiales relais 46
produisent les mêmes produits que ceux de la société mère auxquels ils se substituent, et importent le plus souvent certains intrants du pays d’origine. On parle d’IDE horizontal [37], car cette stratégie réalise une intégration verticale en aval de la MN à l’étranger et peut aller jusqu’au rachat d’un réseau de distribution dans le pays hôte. Les filiales ont peu de relations entre elles et sont coordonnées par une division internationale ou par un QG régional. La recherche du profit résulte de l’application d’un taux de marge (m) à un chiffre d’affaires (Y) variable à l’étranger : Max p = mY. Cette stratégie est à présent adoptée par des MN originaires des NPI et des PET. Elle correspond à ce que Porter [40] désigne par stratégie « multipays » (multidomestic), donc au sens propre multinationale. Vers le milieu des années soixante s’est imposée une troisième stratégie de rationalisation de la production des MN. L’IDE, alors vertical, localise différents segments du processus de production dans différents pays. Il tire parti de coûts de production (en capital, en intrants, en salaires) plus faibles dans les pays hôtes et d’économies d’échelle dues à la forte spécialisation de filiales ateliers. Celles-ci produisent les composants des produits de la société mère et les exportent vers le pays d’origine ou vers des filiales localisées en pays tiers, le tout supervisé par lignes de produits ou par une organisation matricielle. Ces MN amorcent l’intégration internationale de leur processus de production d’un même produit final : les chaînes de montage de la Ford Escort, en Allemagne et en Angleterre, recevaient freins et pneus de filiales belges, vitres et autoradios du Canada, batteries et rétroviseurs d’Espagne, poussoirs hydrauliques des États-Unis, carters, alternateurs et ventilateurs de France, démarreurs et roulements du Japon, etc. La spécialisation pouvait être si poussée, comme chez IBM, qu’une seule usine produisait telle gamme d’ordinateur, tel système ou tel composant. La recherche de rentabilité s’appuie ici sur la réduction des coûts de production (C) à l’étranger et sur la maximisation du taux de profit telle que Max p = P/C, avec P le bénéfice net consolidé de cette MN intégrée. Systématisée par les MN du Japon dans l’industrie automobile aux États-Unis, cette stratégie crée des « transplants » du système de production d’origine, en combinant dans un même pays hôte des filiales ateliers, des équipementiers, des unités d’assemblage et des réseaux commerciaux, reconstituant ainsi sur le sol américain une filière complètement intégrée, depuis la sidérurgie et les pneumatiques jusqu’à la fabrication des pièces détachées et la vente d’automobiles, sous contrôle japonais.
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Des stratégies visant à flexibiliser les choix de localisation La stratégie de rationalisation de la production a été adoptée par les MN dont les opérations de production sont segmentables, se prêtant à une décomposition internationale du processus productif — DIPP [35]. Plus un produit est complexe, plus il contient de composants qui peuvent être fabriqués de façon autonome les uns des autres, plus il offre de possibilités de DIPP, et plus la MN peut associer deux décisions : celle de segmenter (séparer les unes des autres) les opérations de production préalables à l’assemblage du produit final d’une part, et celle de délocaliser certaines de ces opérations dans divers pays hôtes d’autre part. Les activités de production peuvent être localisées plus librement soit dans des filiales étrangères, soit par sous-traitance ou coopération internationale et approvisionnement à l’étranger, et ce d’autant plus que les coûts de transport baissent continûment. Tous les stades du processus productif ne présentent pas la même intensité en capital technologique (machines spécialisées), en main-d’œuvre peu qualifiée, en énergie ou en savoir-faire (qualifications). La MN arbitre donc entre les pays hôtes potentiels en fonction de leurs avantages comparés pour chaque opération de production. Un effet de la DIPP est la perte d’autonomie et la destructuration partielle des systèmes productifs nationaux, dont certaines industries passent dans la sphère de décision des MN. Une autre conséquence de la DIPP est la flexibilité accrue de localisation des MN, d’où des délocalisations et des relocalisations de filiales, redoutées par les pays qui les subissent. La difficulté est que, si une MN délocalise, d’autres firmes sont contraintes à le faire aussi pour rester compétitives dans le cadre d’une concurrence oligopolistique ; tel fut le cas des industries de l’habillement, de la chaussure, des articles de sport, du jouet, de l’électronique et de l’automobile. La délocalisation est parfois considérée comme l’occasion de pénétrer un marché extérieur : la filiale est alors à la fois relais et atelier.
2. Les stratégies globales Dans les années quatre-vingt, plusieurs nouvelles stratégies ont vu le jour : fusion des stratégies de marché et de rationalisation de la production, stratégie technofinancière conglomérale fondée sur le montage d’opérations complexes exigeant une forte ingénierie 48
La délocalisation de la production Au sens strict, il s’agit de la localisation à l’étranger d’une unité de production qui aurait pu être ouverte ou maintenue dans le pays d’origine ; la délocalisation découle de la DIPP et de la stratégie de rationalisation de la production des MN. Dans un sens encore plus spécifique, la délocalisation renvoie à l’idée que l’unité de production est déplacée à l’étranger afin de réimporter ensuite le produit dont la fabrication est ainsi délocalisée. La sous-traitance internationale et les importations se substituant aux productions nationales ont été assimilées à de la délocalisation dans la conception abusivement large adoptée par le rapport Arthuis [30]. Selon ce rapport, les délocalisations consistent à séparer les lieux de production et de transformation des marchandises des lieux de consommation. Ainsi conçue, la délocalisation vers les PVD à bas salaires serait à l’origine d’une partie du chômage — de 3 millions de chômeurs — en Europe et y menacerait 4 millions d’emplois avant 2000 ; 84 % des emplois en France seraient susceptibles d’être délocalisés. Un chaud débat s’est ensuivi en France, comme en 1971 aux États-Unis, après que les MN américaines ont commencé à délocaliser en Asie : selon les syndicats américains, les délocalisations auraient supprimé près d’un million d’emplois aux États-Unis. Des études postérieures ont montré que, si l’on tient compte des effets indirects des délocalisations, elles ont procuré une création nette d’emplois aux États-Unis. L’effet sur l’emploi de la délocalisation est variable. Si a) la production de la filiale étrangère remplace une production nationale, il y a un effet direct de déplacement d’emplois du pays d’origine vers le pays hôte. Si b) la filiale étrangère se fournit en intrants auprès de la société mère, il y a un effet indirect de création d’emplois en pays d’origine, lié
à la production de ces intrants. Si c) la production délocalisée à l’étranger entraîne l’augmentation des tâches de supervision ou de RD de la société mère, à la perte d’emplois peu qualifiés due à (a – b) se superpose une création indirecte d’emplois qualifiés en pays d’origine. Le débat susmentionné comporte donc un biais nationaliste et corporatiste. Tout PDEM est à la fois victime et bénéficiaire des délocalisations : vu de France, un emploi déplacé par Hoover de Longvic est un emploi perdu, vu d’Écosse il est gagné. Jusqu’où peut-on suivre les syndicats des PDEM protestant contre la destruction d’emplois provoquée par les délocalisations vers les PVD ? Puisqu’il s’agit en même temps d’une protestation contre la création d’emplois dans des pays où le taux de chômage est notoirement plus élevé qu’en PDEM et que les IDE tendent à délaisser. Les PVD sont parfois accusés de sous-évaluer leurs monnaies pour attirer l’IDE et exporter à des prix de dumping. L’argument du dumping social des PVD à bas salaires n’est acceptable que là où l’écart entre les coûts salariaux est nettement supérieur à l’écart entre les productivités du travail entre pays d’origine et pays hôte de l’unité délocalisée. Et les MN délocalisent dans des industries intenses en main-d’œuvre. Même alors, l’avantage artificiel de la faible protection sociale de la main-d’œuvre (peu de charges sociales) tient au faible développement des PVD plutôt qu’à une politique velléitaire de dumping social. Les délocalisations ne sont pas toutes dictées par le coût de la main-d’œuvre puisqu’elles s’effectuent plus entre pays de la Triade que vers les PVD. De la main-d’œuvre bon marché et qualifiée est disponible en PDEM (chômage), abondante et de moins en moins protégée en PET, de sorte que si l’argument
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était accepté, les PVD ne seraient pas les seuls à se livrer au dumping social tant décrié. Le rapport Arthuis s’inquiétait des futures délocalisations dans les services, tels que la production de logiciels en Inde
ou la délocalisation par Swissair de sa comptabilité à Bombay. L’achat ultérieur de Swissair, au bord de la faillite, par Austrian Airlines n’indique pas nettement que la délocalisation bénéficie à tout coup à la MN.
technique et financière [7], alliances entre MN, jetant les premiers jalons d’une stratégie globale d’intégration mondiale de la production par des MN globales. On passe à la globalisation de la stratégie d’une « MN de style nouveau » [5] lorsque, simultanément, elle : a une vision mondiale des marchés et de la concurrence [40] ; connaît bien ses rivaux, la mondialisation de la concurrence n’étant pas anonyme et créant une interdépendance entre toutes les MN de l’oligopole [4] ; a le pouvoir de contrôler ses opérations dans l’espace de la Triade [39] ; se comporte comme un joueur global [33], sa survie étant mise en jeu par une concurrence aiguë dans l’oligopole mondial ; « concurrence mondialement » les autres MN pour l’accès aux ressources [43] ; opère dans des industries à haute technologie et y recherche des actifs porteurs d’innovation sur une échelle globale ; localise ses activités là où elles sont les plus rentables, suivant les avantages comparés offerts par les pays ; a des activités coordonnées à l’aide des NTIC et des techniques de production flexible, créant de la valeur ajoutée dans de nombreux pays, et intégrées en une chaîne de valeur [41] internationale 1, sur une base régionale ou mondiale ; organise ses usines et filiales spécialisées en un réseau flexible internationalement intégré et s’intègre dans un réseau d’alliances technologiques stratégiques avec d’autres MN [34]. La globalisation de la stratégie ne se réduit pas à la présence dans plusieurs pays, elle est aussi une intégration organisationnelle ; en cela, la stratégie globale n’est pas seulement technique et financière, mais aussi industrielle et commerciale, d’approvisionnement, de marché et de rationalisation de la production simultanément. Un rapport du Commissariat du Plan ajoute que la globalisation s’intensifie via la montée en puissance des actionnaires et l’émergence de normes mondiales de rentabilité, exigeant de faire des économies d’échelle et d’atteindre la taille critique, ce qui passe par le downsizing et les fusions [32]. Les stratégies globales accompagnent les mutations 1. Une chaîne de valeur intègre les opérations verticalement liées de la firme : logistique (choix du site de production), production, circulation interne des composants, assemblage, publicité, vente, service après-vente. Internationale : elle est fragmentée en opérations séparées, localisées en divers pays.
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technologiques postfordistes et la production d’un produit système livrable en tout point du marché mondial ; elles suscitent une nouvelle organisation de la MN. Des technologies postfordistes Dans les années quatre-vingt, nombre de MN ont poursuivi leur globalisation en se recentrant sur leur métier et sur des gammes de produits plus resserrées, jouant sur les synergies et les complémentarités, et investissant dans la haute technologie ; ce recentrage a réduit le nombre des conglomérats MN. Cette respécialisation a eu des effets sur la localisation, en faveur des PDEM, sur la taille des unités de production et sur les effectifs employés dans le monde, en baisse. Le recentrage sur l’amont technologique se traduit par une concurrence exacerbée au sein des oligopoles mondiaux en pleine recomposition autour de trois ou quatre grands producteurs, chacun disposant d’un réseau d’unités de production spécialisées à l’échelle mondiale. D’autre part, la DIPP s’est développée dans l’état des techniques correspondant au fordisme (processus continu de fabrication, automatisation rigide, machines spécialisées, réponse quantitative plus que qualitative à la demande). Les années quatre-vingt ont marqué l’épuisement des techniques fordistes et l’apparition d’une demande personnalisée et versatile, exigeant des gammes de produits renouvelées et une production flexible, en petites séries. Les MN se sont dotées de machines automatiques, programmables et flexibles dans leur utilisation, permettant des économies de variété, au lieu des économies d’échelle du fordisme. Avec l’automatisation flexible et les NTIC, l’information, la connaissance et la RD deviennent les intrants cruciaux de la production, et leur utilisation est moins coûteuse quand elle est concentrée dans le même espace de production. Les segments du processus productif sont alors réintégrés en un même lieu, contrairement à la DIPP ; quant au caractère intense en technologie de la production, il oriente ce qu’il subsiste de la DIPP vers les PDEM et peu vers les PVD à bas salaires. Cela est renforcé par la découverte des matériaux nouveaux et les biotechnologies qui se substituent aux ressources naturelles des PVD. Les connaissances scientifiques et techniques deviennent source d’avantages absolus en termes de coûts très supérieurs à ceux qui reposent sur de bas salaires. Le capital immatériel (logiciel) se substitue de plus en plus au capital matériel (équipement). Ces changements techniques engendrent une recomposition internationale des 51
processus productifs et une relocalisation des activités d’assemblage et de production dans des agglomérations avantageuses des PDEM et des NPI. À partir des années quatre-vingt, les MN des PDEM ont réduit les opérations de délocalisation et, dans les industries électronique, automobile, minière, métallurgique et le textilehabillement, ont relocalisé certaines unités de production antérieurement délocalisées en PVD à bas salaires. Le recentrage sur le métier de base se double d’un recentrage géographique des MN sur la Triade et, pour les PVD, de leur « déconnexion forcée » de l’économie mondiale, au moins de leur marginalisation. Le produit système La convergence des modes de consommation dans les PDEM permet aux MN de mener des stratégies d’intégration de la production et de la distribution à un niveau mondial, continental ou régional (au sens large : Europe de l’Ouest, Asie du Sud-Est). Les produits sont globalement standardisés et, en même temps, différenciés pour s’adapter aux préférences locales. La qualité, la présentation et le service après-vente des produits différenciés sont gérés globalement et, face à une demande versatile, l’emportent sur les considérations de coût de production. Le produit offert sur le marché par la MN — parfois nommé produit système — est alors un composé complexe d’intrants, fabriqués dans les localisations les plus diverses et assemblés en pays d’origine ou dans l’un quelconque des pays hôtes, produit destiné à être vendu n’importe où dans le monde. Un tel produit ne s’identifie plus à un label « Made in nom d’un pays » mais à « Made in nom d’une MN ». C’est ce contexte qui induit les MN à adopter l’organisation dite « de glocalisation ». Chaque unité, chaque filiale, chaque division de la MN se voit confier des responsabilités qui sont clairement définies comme une partie de la division mondiale du travail interne à la MN. Un nombre croissant de MN desservent les marchés mondiaux à partir de réseaux concentrés dans un continent ou une région, ce qui est une étape vers une intégration mondiale encore plus poussée. Dans ce but, les MN globales procèdent à la mise en réseau mondial de leurs activités (global networking), à leur commutation-délocalisation-relocalisation à l’échelle mondiale (global switching) et à la concentration de certaines fonctions (RD, finance, etc.) en des sites sélectionnés dans l’économie mondiale (global focusing) [23].
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L’intégration mondiale de la production des firmes globales ABB, MN suisso-suédoise, premier producteur mondial de matériel ferroviaire suite à 60 acquisitions réalisées entre 1988 et 1991, a des unités dans 140 pays et une organisation matricielle dans laquelle 50 « leaders globaux » gèrent les opérations sur une base mondiale et chaque unité (4 000 centres de profit autonomes) vise à répondre sur mesure à des demandes locales spécifiques. En 1991, cette MN a créé son réseau privé de communication par satellite avec ses filiales ; elle a son propre centre mondial d’information, son centre de trésorerie mondial qui mobilise les ressources pour financer des opérations globales. Son réseau de 41 unités en PECO dessert les marchés locaux d’infrastructure et de biens d’équipement, mais sert aussi de base d’exportation à faible coût pour les opérations globales de la MN. Sa division ABB Project Finance offre des services financiers à
toutes les unités et filiales, en concurrence avec l’offre de tels services externe à ABB. Ford, pour développer la Mondeo, vendue sur une base mondiale, a créé une équipe intégrée de RD au niveau de Ford Europe, reliée par des réseaux télématiques à plusieurs sites de RD et de production européens et nord-américains. Suite à son alliance avec Mazda, Ford produit des modèles Mazda aux États-Unis, et depuis 1992 les deux MN coopèrent pour divers modèles, notamment en différents points de la chaîne de valeur dans la fabrication de l’Escort. Elles ont une chaîne de montage commune au Mexique pour la Mercury Tracer destinée au marché américain (et dérivée d’un modèle Mazda). En 1994, Ford a renforcé son intégration mondiale en gérant au niveau mondial ses lignes de produits, leur fabrication et leur vente.
3. Fusions-acquisitions transnationales et alliances stratégiques Les fusions, acquisitions et prises de participation au capital entre deux (plusieurs) firmes redistribuent les capitaux entre les firmes et réunissent des capitaux accumulés séparément jusque-là. Ce sont des FAT lorsque y interviennent des MN ou BMN, ou y sont réunis des capitaux de pays différents. La crise augmente le nombre des firmes en difficulté et provoque des regroupements. Les fusions procèdent donc par vagues. Le capitalisme en a connu, dès le XIXe siècle, initialement conceptualisées par Marx comme une centralisation du capital. Celle-ci s’opérait à l’époque à l’intérieur des frontières nationales. Les premières FAT (transfrontières) datent de la Grande Dépression de la fin du XIXe siècle. Il y en eut d’autres, notamment dans les années trente, l’antépénultième vague datant des années soixante, au début de l’internationalisation du capital, prélude à la mondialisation. L’avant-dernière vague de FAT débute 53
en 1980-1981 et s’accentue en 1986-1990. La dernière recouvre la période 1994-2000, avec un point d’orgue en 1998-2000. En 1999, sur un total de 24 000 fusions et acquisitions dans le monde ayant transféré la propriété sur 2 300 M$ d’actifs, 6 233 opérations sont des FAT modifiant la propriété sur 720 M$ d’actifs, dont 109 FAT géantes, définies comme des opérations de plus de 1 M$, et 175 en 2000. Les plus importantes ont réuni Vodafone et Manesmann, France Télécom et Orange, Vivendi et Seagram, Zeneca et Astra, BP Amoco et ARCO, Unilever et Bestfoods, Rhône Poulenc et Hoechst, Ford et Volvo, Exxon et Mobil, Renault et Nissan, Daimler et Chrysler. Chaque année, plus de 80 % des FAT se situent dans les PDEM et accentuent la polarisation des MN sur ces pays et quelques pays émergents. La proportion des FAT horizontales, réunissant des firmes concurrentes de la même branche, a augmenté depuis dix ans, atteignant 70 % de la valeur totale des FAT en 1999. La part des FAT verticales, entre des firmes en relation de client-fournisseur, est aussi en hausse, mais reste faible. Les FAT conglomérales, entre firmes dont les activités sont sans relation, ont décliné de 42 % du total en 1991 à 27 % en 1999. La proportion des FAT hostiles, du type raid ou offre publique d’achat, a crû jusqu’en 1988 (25 % du total), surtout parmi les MN américaines et anglaises. Depuis dix ans, la plupart des FAT sont réalisées d’un commun accord entre firme absorbante et firme cible. Il n’y a eu que 104 FAT hostiles depuis dix ans, soit 0,3 % du total. La plupart des FAT en PVD et dans les PET sont liées aux programmes de privatisation [10, 2000]. Ayant atteint un niveau record en 2000, les FAT ont connu un ralentissement, de l’ordre de 40 %, en 2001 [36], mais la CNUCED prédit que ces fluctuations masquent une tendance séculaire à la hausse. Marx n’est pas loin, en plus mondialisé ! Pendant la dernière vague, les FAT sont devenues le mode d’entrée prépondérant des MN devant le greenfield investment. Conséquence des FAT et des achats de titres sur le marché international des actions (spécialement par les fonds de pension américains), un nombre croissant de firmes locales appartient à des capitaux étrangers en tout pays du monde, surtout en PDEM. La multinationalité des firmes ne résulte plus seulement de leur réseau de filiales étrangères, mais aussi de la propriété de leur capital. Parmi les soixante-cinq plus grandes sociétés mères de MN européennes, cotées au CAC 40 et à l’Euro Stoxx 50, 45 % de leur capital en moyenne sont en 2001 aux mains d’actionnaires non résidents, avec un maximum de 90 % pour Nokia (Finlande) et un 54
TABLEAU XIII. — LES FUSIONS ET ACQUISITIONS TRANSNATIONALES DANS LE MONDE Valeur Nombre des actifs Année de acquis FAT (milliards $)
FAT et greenfield dans le flux d’IDE total (%) FAT
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
150,6 80,7 79,3 83,1 127,1 186,6 227,0 304,8 531,6 766,0
2 503 2 854 2 721 2 835 3 494 4 247 4 569 4 986 5 597 6 233
61,9 40,5 41,6 37,4 44,9 52,2 58,1 65,4 74,7 76,2
Répartition géographique des FAT (%) Valeur des actifs
Nombre de FAT
greenfield PDEM PVD PDEM PVD 38,1 59,5 58,4 62,6 55,1 47,8 41,9 34,6 25,3 23,8
89,3 92,7 89,8 84,6 88,2 91,4 84,7 78,8 84,8 91,0
10,7 7,3 10,2 15,4 11,8 8,6 15,3 21,2 15,2 9,0
92,4 91,5 89,9 85,3 83,5 83,2 80,8 81,0 80,5 82,7
7,6 8,5 10,1 14,7 16,5 16,8 19,2 19,0 19,5 17,3
Source : [10].
minimum de 5,5 % pour l’entreprise publique italienne ENEL. Et 44,4 % en 2002, malgré le repli de Wall Street et des Bourses européennes. Les principales explications des FAT au niveau de la MN sont : les innovations, l’obtention d’une taille critique par la MN, celle d’une world company lui permettant d’exercer un pouvoir de marché, la formation d’un monopole ou d’un oligopole, la réduction des coûts de production liée à des économies d’échelle et à d’autres synergies, l’élimination des surcapacités de production, le recentrage de la firme sur son métier de base par croissance externe, la diversification de la firme, l’acquisition d’actifs stratégiques (marque, licence, know-how, RD), la création d’une plus grande valeur actionnariale, la modification de l’allocation des pouvoirs entre actionnaires et managers, la mise aux normes mondiales du corporate governance disciplinant les managers, ou tout simplement une volonté de pouvoir et de prestige de la part des dirigeants. Il y a aussi des causes macroéconomiques des FAT : les processus de déréglementation, dérégulation, privatisation, les nouveautés et la libéralisation affectant les marchés financiers, les restructurations de divers secteurs, l’ouverture accrue des pays aux MN, la libéralisation du commerce au sein de zones de libre-échange régionales, 55
une conjoncture de crise. Cet inventaire à la Prévert conduit à conclure que l’on sait encore peu de chose des FAT ; la décennie à venir doit approfondir leur analyse. Le taux de réussite des FAT est loin d’être de 100 %. Entre un tiers et la moitié se soldent par un échec ; les grands cabinets de consultants estiment que 50 % à 60 % des grandes fusions ne procurent pas les résultats escomptés. L’étude de douze grandes FAT récentes montre une diminution de la valeur boursière des MN concernées, soit une perte de valeur de 800 milliards d’euros entre les dates des fusions et août 2001. Selon des tests plus systématiques, dans un délai de trois jours après la fusion, les actionnaires de la firme cible obtiennent régulièrement un excellent rendement, équivalent en moyenne aux gains réalisés sur le marché boursier pendant seize mois. Les actionnaires de la firme absorbante sont parfois perdants et leurs gains sont toujours très inférieurs à ceux des actionnaires de la firme cible. Dans un délai de trois à cinq ans, la fusion se solde en moyenne par une destruction de valeur, en raison de la baisse des cours boursiers des actions de la firme absorbante, même si la fusion améliore la situation relative de celle-ci par rapport aux repères (benchmarks) de sa branche industrielle. Le succès des FAT est plus fréquent quand elles sont réalisées sur l’activité de base de la firme, ce qui renforce l’intégration horizontale internationale dans chaque industrie. Parmi les principales raisons de non-réussite des FAT, on note : la mauvaise appréciation des faiblesses de la firme cible, la surévaluation des actifs, les coûts immédiats et réels de la fusion avant d’hypothétiques bénéfices, la montée brutale des taux d’intérêt, un changement rapide des parités entre monnaies, des interventions de l’État (ou de l’UE, par exemple) jugées intempestives, la sous-estimation de la puissance des actionnaires, des salariés ou des syndicats. La restructuration financière d’une MN, ce qu’est une FAT, redéploie géographiquement ses actifs, autant voire plus que l’IDE greenfield. Soit une MN du pays A achète (fusionne avec) une entreprise du pays B dans lequel la MN n’est pas encore présente : la FAT augmente le nombre de pays hôtes de la MN. Soit l’entreprise absorbée du pays B est elle-même une MN implantée dans certains pays d’où la MN du pays A est absente : la FAT augmente le nombre des pays d’implantation de la MN absorbante. Soit la MN du pays A fusionne avec une MN du pays B dont le réseau de filiales n’est situé que dans des pays où la MN du pays A est déjà présente : même ainsi, la FAT n’est pas neutre, car elle accroît la pénétration réciproque des marchés intérieurs des deux pays par leurs propres 56
MN (ainsi que les marchés intérieurs des pays tiers où elles sont présentes en commun). La FAT est un mode de recomposition des oligopoles mondiaux. Pour les MN concernées, c’est un moyen de faire croître leur part du marché mondial même quand ce dernier est en récession. Deux implications des FAT sont une forte concentration sur les marchés mondiaux et le renforcement de la structure de groupe des MN. La production mondiale d’automobiles est réalisée à 90 % par moins de vingt MN ; entre cinq et sept MN produisent respectivement 90 % du matériel médical mondial, 85 % des pneumatiques, 92 % du verre, 87 % du tabac, 79 % des cosmétiques. Conséquence : la concurrence entre les MN augmente en intensité sur chaque marché national ; leur alliance la réduit au niveau de chaque industrie mondiale. Les FAT indiquent qu’une concurrence aiguë remet en cause l’existence même de certaines MN participant aux oligopoles mondiaux. Un groupe industriel et financier est un réseau de firmes industrielles, tertiaires et de banques, reliées entre elles par des liaisons financières (participations au capital) et/ou des liaisons personnelles, sous un même centre de décision : société mère ou tête de groupe. Le groupe est multinational lorsqu’il contient des MN, des BMN ou des liaisons transfrontières entre firmes. Les FAT sont constitutives de groupes MN ou renforcent ceux qui existent. On observe aussi, entre MN et BMN, un accroissement du nombre d’administrateurs siégeant simultanément dans les conseils d’administration de deux (ou plus) MN ou BMN. Les alliances stratégiques transnationales Plus encore que les FAT, les alliances stratégiques transnationales, fondées sur des accords passés entre des sociétés mères de MN, sont associées à la phase actuelle de mondialisation. Le nombre des nouvelles alliances stratégiques (intrafrontières et transnationales) a plus que sextuplé pendant la période 1989-1999 [38], passant d’un peu plus de 1 050 en 1989 (dont 834 accords transnationaux) à 8 660 en 1999 (dont 4 519 transactions transnationales). Leur dimension croît, en particulier lorsqu’il s’agit de la création de coentreprises. On observe que les alliances transnationales sont concentrées dans les PDEM (Europe, Amérique du Nord et Japon) et dans quelques pays émergents. La géographie économique de ces alliances est très comparable à celle de l’IDE et des FAT. Les MN nord-américaines sont les plus engagées dans les alliances transnationales, et cela dans toutes les régions de l’économie mondiale. 57
Viennent ensuite les MN japonaises, devançant les MN européennes. Selon l’OCDE [38], ces dernières sont un peu moins proches de la norme qu’est devenue, avec la mondialisation, la collaboration internationale entre les firmes, affirmation fondée sur le fait que les alliances transnationales font intervenir sans cesse un plus grand nombre de MN de différents pays. TABLEAU XIV. — LES ALLIANCES STRATÉGIQUES ENTRE MULTINATIONALES
Année
Europe
Amérique du Nord
AsiePacifique
Amérique latine
Monde
1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
452 1 453 2 395 1 845 2 087 2 317 2 515 1 436 1 854 2 216 2 227 2 094
643 1 742 2 574 2 195 2 406 2 884 3 026 1 743 2 311 2 594 2 694 2 616
373 1 071 1 666 1 633 2 414 3 358 3 539 1 891 2 157 2 148 2 208 2 362
10 36 123 138 151 212 209 113 206 250 212 154
834 2 532 4 117 3 520 4 370 5 362 5 807 3 251 4 014 4 426 4 519 4 351
Source : [38].
La majorité des alliances sont des partenariats stratégiques transnationaux entre firmes originaires de territoires nationaux différents. La plupart associent des MN rivales. Certaines alliances entre MN sont conclues sans prise de participation au capital, d’autres sont complétées d’une prise de participation (souvent réciproque). Rien d’étonnant dans la mesure où la plupart des causes sont communes aux alliances stratégiques transnationales et aux FAT. Trois objectifs sont spécifiques à la conclusion d’alliances transnationales : former des activités conjointes de production ou des réseaux communs de vente et de commercialisation et, surtout, développer ensemble et répartir les coûts de la RD. Ces objectifs traditionnels des alliances transnationales ont décliné et représentent, en 1999, à peine la moitié des alliances recensées. On soutient aussi [8] que les alliances sont utilisées, dans la course technologique, par les MN leaders de leur industrie, pour défendre leur monopole technologique face à l’arrivée de nouveaux entrants ; les MN peuvent 58
adopter une tactique de brevets dormants, non exploités, comme barrière à l’entrée. En partageant des coûts irrécupérables de RD entre les MN, les alliances technologiques abaissent les barrières à la sortie. Les oligopoles mondiaux ne disparaissent pas, mais sont plus mouvants et perméables, chaque MN ayant une position contestable au gré des nouvelles alliances ; aucune alliance n’est irrévocable, contrairement à une FAT. Aucun oligopoleur n’ignore que, une fois passé un accord collusif, chacun a avantage à ne pas le respecter, de sorte que l’alliance devient un marchandage continu entre partenaires [33]. L’oligopole mondial est fondé sur une coopération-rivalité où chaque MN coopère avec ses rivaux pour rester compétitive et concurrence ses alliés en s’appuyant sur leur commun accord de coopération. D’où les interrogations actuelles sur l’éthique de l’entreprise, en particulier de la MN. Les alliances transnationales permettent à une MN de localiser, délocaliser, relocaliser sa capacité concurrentielle au sein de l’oligopole mondial sans rien déplacer d’un territoire national à un autre, ni le moindre actif physique, ni le moindre actif financier (grande différence avec une FAT). C’est une manière pour elle d’être présente sur un marché intérieur étranger, par le biais de la présence de son alliée, sans avoir à y pénétrer en acquérant des actifs et sans faire d’IDE. Le choix de localisation devient particulièrement flexible puisque, à la limite, il n’a plus vraiment une dimension territoriale : la MN n’a plus à s’ancrer dans un territoire national étranger, puisqu’elle y est présente par procuration, pour ainsi dire, du fait de son alliance avec une autre MN implantée sur ce territoire. Ces alliances donnent naissance à des réseaux de MN (entre sociétés mères) qui sont elles-mêmes des firmes réseaux (réseau articulé de filiales, de sous-traitants, de NFI, de liaisons personnelles). La délimitation entre l’intérieur et l’extérieur du groupe MN devient floue, dans une situation qui n’est ni une réelle internalisation (hiérarchie au sein d’un groupe), ni une réelle externalisation (marché et contrats entre MN). L’alliance se situe entre le marché et l’organisation, visant à réduire à la fois les coûts de transaction et les coûts de contrôle. Au sein de ces réseaux d’alliances, les MN sont en même temps concurrentes, pour telle activité ou tel marché, et coalisées pour d’autres, spécialement la RD. Les frontières de l’oligopole mondial et de l’industrie correspondante s’estompent, atténuant la pertinence des classifications industrielles et des découpages sectoriels traditionnels en branches, sections ou filières [29]. Ces réseaux de relations internes et externes aux MN sont la base des stratégies globales. 59
4. Les performances Il est régulièrement constaté que les MN ont à la fois une forte productivité et une haute rentabilité depuis les années soixante, et que ces performances sont toujours plus élevées que celles des firmes mononationales et des économies nationales [81]. Ces résultats sont l’indice d’une flexibilité, d’une mobilité et d’une capacité d’adaptation des MN à la mondialisation. Il sont aussi l’effet de stratégies évolutives des MN visant à reporter les effets de la crise sur d’autres composantes de l’économie mondiale (ménages, firmes mononationales, États), dont l’aboutissement est la globalisation des stratégies. Le taux de profit après impôt des MN américaines est entre deux et quatre fois plus fort que celui des firmes américaines mononationales. Cette rentabilité de l’IDE passe par des pics lors des deux chocs pétroliers, les MN résistant mieux à la crise, et lors des phases de haute conjoncture, les MN profitant de la reprise. Pour le capital américain investi à l’étranger en 1983-1997, la rentabilité moyenne oscille entre 10,4 % en 1992 (crise) et 15,5 % en 1988 (boom). On est près de la norme financière mondiale de 15 % et très au-dessus de la rentabilité moyenne dans les économies nationales des PDEM. La rentabilité des IDE est habituellement plus élevée en PVD, ce qui est confirmé pour l’IDE américain, moins régulièrement en Amérique latine qu’en Asie et en Afrique où un taux de profit supérieur à 20 % n’est pas rare. Cette rentabilité supranormale exprime les conditions d’exploitation des filiales localisées dans le tiers monde et leur productivité élevée. Alors pourquoi donc les MN investissent-elles moins dans les PVD que dans les PDEM ? Pour deux raisons : lors des décisions d’IDE dans les PVD, les MN majorent le taux de profit escompté d’une prime de risque, pour couvrir un risque pays plus élevé, d’autre part les avantages comparés et l’attractivité sont très inférieurs dans les PVD (chapitre V). La productivité des MN est plus élevée que celle des firmes mononationales dans les PDEM aussi, où la part des filiales étrangères dans la valeur ajoutée est en général supérieure à leur part dans l’emploi et dans l’investissement. En France, la productivité apparente du travail des filiales de groupes étrangers était de 422 000 F contre 376 000 F dans les groupes français en 1998 [42]. L’excédent brut d’exploitation par personne employée était de 125 300 F dans les premières et de 76 900 F dans les seconds. Une étude économétrique a montré que la productivité du travail des filiales de MN américaines était plus forte dans les pays hôtes tournés vers l’exportation et moindre dans les pays à fort taux d’impôt. 60
TABLEAU XV. — TAUX DE PROFIT DU CAPITAL AMÉRICAIN INVESTI A L’ÉTRANGER 1983-1997* Région
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1996
1997
Afrique Amérique latine AsiePacifique PVD Monde
17,7 7,0
17,3 9,5
15,5 9,5
17,4 15,7
30,6 12,1
25,8 14,9
35,3 13,1
34,2 12,8
25,3 12,5
27,6
18,1
20,3
23,3
23,8
20,7
20,2
19,3
16,2
14,9 13,0
13,4 12,6
13,2 13,4
17,8 14,8
15,9 11,6
16,9 11,1
15,8 13,3
15,3 12,5
14,0 12,3
* Rapport entre les revenus nets des filiales étrangères et le stock d’IDE. Source : Department of Commerce.
TABLEAU XVI. — LE DÉSINVESTISSEMENT DES MULTINATIONALES* Désinvestissement des MN
1983 1988 1992 1995
anglaises
américaines
19,0 15,9 37,1 13,3
66,3 40,0 21,1 30,2
Désinvestissement en 1996 des MN
des PDEM des PVD des PECO du monde
anglaises
américaines
49,6 4,7 0 40,2
25,2 12,3 0 17,0
espagnoles françaises 72,2 76,0 21,6 72,3
76,9 20,2 15,0 73,0
* En pourcentage de l’IDE brut sortant du pays d’origine des MN. Source : [10, 1998].
Par-delà ces performances favorables, il arrive qu’une MN rencontre des difficultés la conduisant à désinvestir de l’étranger ou, plus rarement, à faire faillite. Le désinvestissement intervient quand la MN ne parvient pas à suivre les stratégies globales de concurrents plus compétitifs, plus encore quand elle se réorganise pour intégrer mondialement sa production et ses localisations ou pour fermer des unités obsolètes ou non rentables [97]. Il n’a rien d’un repli général des MN, mais traduit un redéploiement géographique ou sectoriel pour s’adapter à la mondialisation, visant à abandonner des activités en crise et des effectifs devenus surnuméraires avec les nouvelles technologies ou à quitter un pays hôte où les incitations, fiscales ou autres, sont devenues moins alléchantes. Le 61
désinvestissement est donc aussi l’indice de la grande flexibilité de localisation des MN globales. Il est souvent suivi d’une rentabilité accrue de la MN. Le taux de faillite des MN est inférieur à 1 % en moyenne, ce qui peut atteindre environ trois cents cas par an dans le monde. Avec la croissance du nombre de MN, la concurrence exacerbée par les stratégies globales et l’échec de certaines FAT, de telles situations sont appelées à être plus fréquentes. Or, il n’existe pas de procédures internationales de liquidation et de règlement des faillites, si bien que l’ONU suggère l’adoption d’un traité multilatéral sur la gestion des faillites de MN globales.
IV / L’impact sur la mondialisation
La croissance des MN est plus dynamique que celle du reste de l’économie mondialisée, ce qui alourdit leur poids dans celle-ci. L’impact des MN ne cesse de s’accroître sur la mondialisation de la production, sur le commerce mondial et sur la globalisation financière, cela au centre de l’économie mondiale. Aux marges de celle-ci, les MN intègrent peu à peu à la mondialisation les PVD et les PET. L’impact des MN est important pour la plupart des économies nationales. 1. La dynamique multinationale Les MN ont en moyenne une plus forte croissance que l’économie mondiale. Le poids relatif de leurs activités augmente par rapport au commerce mondial : la valeur du stock d’IDE en représente 27 % en 1982, 85 % en 2000. Les deux cents plus grandes MN du monde réalisaient un chiffre d’affaires équivalent à 24,2 % du PIB mondial en 1982 et 26,8 % en 1992 ; celui des cent premières est de 14,1 % en 1998 et 14,4 % en 1999. Le PIB de toutes les MN a été estimé à un quart du PIB mondial [10, 2000]. Les ventes de leurs filiales étrangères croissent plus vite que le PIB mondial et que les exportations mondiales, dont elles atteignaient 110 % du montant en 1982 et 223 % en 2000. Le flux sortant d’IDE dans le monde croît beaucoup plus vite que la FBCF mondiale ; il en représentait 1,7 % en 1982 et 17,8 % en 2000. La valeur du stock d’IDE a été multipliée par 10,5 en dix-huit ans. Le poids croissant des MN est la base productive de la mondialisation. Seule la finance mondiale croît plus vite : la valeur du stock d’IDE représente 106 % 63
de celle des transactions sur le marché mondial des instruments financiers dérivés en 1988, 1 587 % en 1998. TABLEAU XVII. — LA DYNAMIQUE DE L’IDE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
Indicateur (milliards de dollars) Stock d’IDE sortant Flux d’IDE sortant Ventes des filiales étrangères PIB mondial FBCF mondiale Exportations mondiales Instruments financiers dérivés* IFD*/ stock d’IDE sortant
Valeur à prix courants
Taux de croissance annuel 19811985
19861990
19911995
19961999
5 976 1 150
5,4 0,8
20,5 26,2
10,8 16,3
16,4 37,0
2 465 15 680 10 612 31 895 2 236 6 466
1,3 2,1 0,7
15,6 11,7 12,2
10,5 6,3 6,6
10,4 0,7 0,6
– 0,1
15,4
8,6
1,9
1982 568 37
2 124
2000
7 036
1 306 64 546 106 % 1 587 %
* Transactions internationales sur les marchés organisés et les marchés de gré à gré en 1988 et 1998. Sources : [10] et Banque des règlements internationaux.
Un test économétrique [10,1993] a montré que les variations des flux d’IDE sont fortement corrélées avec celles du PIB mondial, avec un décalage temporel d’un an, mais le stock d’IDE dans le monde, du fait des divers modes de financement possibles, croît pendant les récessions (1981-1985, 1991-1992) comme pendant la reprise (1986-1990, 1993-1995), plus vite que l’investissement brut (FBCF) mondial. L’investissement des MN croît plus vite que celui des firmes mononationales. Quand l’investissement et le PIB stagnent ou diminuent dans les pays d’origine ou des pays hôtes, les MN accélèrent leur expansion à l’étranger. La dynamique des MN a conduit l’ONU à considérer que l’IDE est devenu le déterminant de la croissance de l’économie mondialisée depuis vingt ans. Cette dynamique supérieure des MN s’explique par leur rentabilité plus élevée que celle des firmes mononationales (chapitre III).
64
2. L’impact sur la mondialisation au centre La mondialisation de l’économie part de son centre, les PDEM, surtout la Triade. De là, elle s’étend au reste du monde, tout en marginalisant les PVD et, plus ou moins, les PET, dans la production, dans le commerce et dans la finance. Les MN prennent une part décisive dans ce double mouvement. La mondialisation de la production L’IDE des MN détermine la mondialisation de l’économie [49]. L’intégration mondiale de la production par l’IDE apparaît dans les indices suivants. Ses progrès peuvent être mesurés par les flux accrus de technologie contrôlés par les MN qui bouleversent et internationalisent l’organisation et la structure de la production, permettant aux MN de redéployer leurs activités productives en tout point du monde. La restructuration des activités de production dans le monde en direction des services, caractéristique majeure de l’IDE, intègre l’industrie et le tertiaire, facilitant la flexibilité du processus de production internationalisé des MN. La part de la production mondialisée, approximée par l’agrégat des activités des MN dans leur pays d’origine et des ventes de leurs filiales étrangères, atteignait déjà en 1989 32 % du PIB pour les États-Unis, 24 % pour le Japon, 42 % pour les Pays-Bas [10, 1994]. L’intégration mondiale du système productif est consécutive aux stratégies d’intégration simple de leur production par des MN, fondées sur la DIPP, et plus encore aux stratégies globales d’intégration complexe, décomposant, délocalisant, relocalisant, coordonnant et restructurant tous les éléments de leur chaîne de valeur à l’échelle mondiale. Cette véritable DIT intra- et inter-MN s’appuie aussi sur les alliances et les réseaux, et sur une combinaison mondiale d’activités internalisées et externalisées, manufacturières et de service. Une proportion croissante des transactions transfrontières est internalisée dans le système de production mondialisé qui est sous la gouvernance des MN. Les échanges de biens d’équipement et intermédiaires s’effectuent pour l’essentiel entre les PDEM, à la fois hôtes et origines des MN, en partie sous leur contrôle. La cohérence du système productif mondial se constitue au moyen de ces échanges et des accords technologiques passés entre les MN — 8 254 de 1980 à 1996 — et de leurs alliances stratégiques en RD. Ainsi, de 1983 à 1996, Ford a passé trente-neuf accords de ce type avec d’autres constructeurs d’automobiles (dont General Motors, 65
Chrysler, Iveco, Nissan, Daimler Benz, BMW, Mazda), des équipementiers (Yamaha, Matsushita, Hewlett-Packard, Siemens), des fournisseurs de technologies (Bendix, GKN, ABB, ATT) et d’intrants (Occidental Petroeleum, Engelhard) ; Toyota en a passé vingt. Les catégories habituelles de secteur et de firme atteignent leurs limites de pertinence pour analyser cette intégration mondiale de la production, question discutée depuis le début de celle-ci [81]. L’intégration globale de la production représente une fraction appréciable de la production mondiale. On trouve aussi sa trace dans les échanges intra-MN d’actifs tangibles et intangibles, et dans les IDE croisés intrabranche au sein de la Triade. Pour les actifs intangibles, il s’agit de la circulation internationale de services au sein des MN dont il n’existe aucune estimation précise à ce jour. On peut en donner une idée avec les paiements engendrés par les transferts de technologie, dont 80 % sont internes aux MN dans le cas des États-Unis et du Royaume-Uni, et plus de 90 % pour l’Allemagne. L’intégration mondiale de la production est plus avancée dans des industries telles que l’automobile, l’électronique, la bureautique, les instruments de précision et la chimie-pharmacie 1. Il en résulte un fort degré d’interdépendance entre les processus de production localisés dans des pays différents et une perte d’autonomie des systèmes productifs nationaux. Les MN participent activement à la restructuration des appareils de production nationaux, quand elles ne l’impulsent pas [10, 1995], surtout dans les pays où elles assurent l’essentiel de la production de différentes branches industrielles. La DIT et la répartition des activités productives dans le monde résultent de plus en plus des décisions des MN. La mondialisation de la production et des marchés n’a pas fait disparaître le rôle économique des États en tant que principal réducteur d’incertitude (grâce aux régulations étatiques) dans l’économie mondiale. Il reste à savoir si les interventions des États dans l’économie mondiale sont de nature à promouvoir l’investissement de long terme, dont l’IDE, au niveau requis par le système productif mondial en formation (et donc à détourner une partie des capitaux internationaux de leurs engagements à court terme strictement financiers ou spéculatifs). La sortie des économies nationales 1. Rassemblées théoriquement [81] dans un « secteur mondial des biens mixtes », produisant à la fois pour approvisionner la consommation des ménages et le système de production, caractéristique d’un nouveau mode d’accumulation (dite « progressive ») du capital, émergeant à l’échelle mondiale. L’ONU [10,1992] note que « la globalisation signifie que les frontières d’une industrie (secteur) traversent davantage les pays qu’elles ne sont contenues dans chacun d’eux ».
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Une Agence mondiale d’information et de surveillance de l’IDE ? La nouvelle économie mondialisée fait naître le besoin d’un contrôle (governance) international de la production internationalisée [10, 1992]. Une institution pourrait s’occuper de toutes les transactions découlant de la production internationale, des conflits d’intérêts créés par l’IDE et des stratégies des États et des MN qui affectent le système productif mondial. Agence multilatérale, elle aurait à connaître et à publier les régulations concernant l’IDE de tous les pays, d’origine ou d’accueil, et toute information sur les MN. Parmi ses tâches figureraient l’harmonisation des règles de comptabilité et d’imposition, la coopération entre les audits externes des MN, la limitation des surenchères entre pays hôtes pour attirer les MN, conduisant à la
multiplication des aides aux moinsdisants sociaux et fiscaux. Elle pourrait gérer une facilité financière internationale destinée à fournir des prêts aux PVD pour promouvoir leur développement à l’aide de l’IDE et veiller à ce que ces prêts ne soient pas utilisés à subventionner les MN. En janvier 1995, le secrétaire général de l’ONU a déclaré que les MN sont « le lieu de pouvoir fondamental à l’échelle de la planète » et qu’elles « doivent accepter d’inclure les perspectives de l’intérêt général et du bien-être collectif dans leurs stratégies ». La commission de l’ONU sur le « gouvernement mondial » réfléchit à une adaptation des institutions. Les affaires Enron, Worldcom, etc. pourraient transformer la réflexion en action.
de la crise liée à l’émergence d’une économie mondiale intégrée est à cette condition. La régulation du système mondial de production, en revanche, ne peut plus être efficace au niveau national. La seule intervention envisageable au niveau mondial porte sur la corporate governance des MN, pour en éliminer les déviances et la corruption, en définissant des règles de transparence comptable et de gestion équitable, i.e. une régulation des modalités de décision déterminant l’investissement et la production mondialisés des MN, mais non de leur volume ou de leur niveau. La mondialisation du commerce En moyenne, près de 45 % des ventes totales des MN sont des exportations. L’IDE crée du commerce international dès qu’une filiale étrangère exporte une part (majeure avec la DIPP) de sa production et importe une part (majeure avec les stratégies d’approvisionnement et globales) de ses intrants. Les MN contrôlent une part appréciable du commerce mondial et leurs avantages spécifiques influencent les avantages comparatifs de leurs pays d’origine et d’accueil. En 2000, trente PDEM, où sont basées la plupart des MN, 67
réalisent 84 % du commerce mondial. L’intensité relative des relations bilatérales entre pays d’origine et pays hôtes des grands groupes MN coïncide avec celle de leurs échanges commerciaux. Les principaux conflits commerciaux soumis à l’OMC sont concentrés sur les pays de la Triade, zone privilégiée de la mondialisation par les MN. Leur commerce captif porte surtout sur des biens intermédiaires, des composants et des produits semi-finis. Le négoce international des produits de base est presque totalement sous le contrôle des MN ; elles réalisent 90 % du commerce mondial du blé, du café, du maïs, du bois, du tabac, du jute et du minerai de fer, 85 % du commerce du cuivre et de la bauxite, 80 % de celui du thé et de l’étain, 75 % pour les bananes, le caoutchouc naturel et le pétrole brut. Les marchés des produits finis industriels sont mondiaux, spécialement dans l’électronique, où des normes internationales s’imposent après avoir été introduites par des MN. Si l’on additionne le commerce intra-MN et le commerce extra-MN (celui d’une société mère ou d’une filiale de MN avec des firmes mononationales), on obtient la part du commerce extérieur d’un pays réalisée par les MN : depuis deux décennies, chaque année, plus de 75 % des exportations américaines sont engendrées par des MN (américaines et étrangères), et près de 80 % des exportations britanniques, plus de 90 % à Singapour, plus de 40 % au Brésil. La plupart des PVD, mis à part les NPI, sont marginalisés dans cette nouvelle DIT. Inutile de chercher les statistiques des exportations d’ordinateurs ou de composants électroniques du Népal ou du Burundi. En 1992, l’Afrique subsaharienne réalisait 1,1 % des exportations mondiales, le monde arabe 4 % et l’Amérique latine 4,5 % (contre 73 % aux pays de la Triade). La nouvelle DIT a ceci de nouveau qu’elle intègre les pays de la Triade et quelques pays émergents et désintègre la plupart des PVD. La mondialisation du commerce forme une économie mondiale duale comportant des spécificités régionales. Il existe une relation étroite entre la croissance de l’IDE intrarégional et celle du commerce international au sein d’une même région. Elle s’explique par le fait que, dans les deux cas, une organisation (régionale ou une MN) pallie la défaillance des marchés à allouer au mieux les activités en raison des coûts de transaction impliqués. Mondialisation et intégration régionale sont étroitement liées. Les stratégies des MN à la fois poussent à l’intégration régionale et en bénéficient. Cette intégration de fait est souvent suivie d’accords entre les gouvernements de la zone ; mais ces accords à leur tour promeuvent la mondialisation en renforçant la concurrence 68
et l’IDE des MN dans la zone [50]. La création de la CEE a naguère attiré l’IDE américain vers l’Europe, puis poussé au développement rapide des IDE croisés et du commerce entre pays membres ; après 1975, la libéralisation des politiques d’accueil des pays membres vis-à-vis de l’IDE puis la perspective du marché unique ont accéléré l’IDE entrant. Commerce et IDE intra-européens participent à la formation d’un système productif européen où les filiales de MN jouent un rôle crucial. Des effets analogues ont été observés pour d’autres accords commerciaux régionaux : une zone de libreéchange ou une union douanière ouvre aux MN la possibilité de desservir un marché intégré plus vaste à partir d’un ou plusieurs sites de production localisés dans l’union régionale et, donc, de tirer parti d’économies d’échelle. En suscitant des restructurations, l’intégration régionale déclenche des FAT, utilisées par des MN pour maintenir leur avantage compétitif au niveau de la région ; ainsi, l’intégration économique des pays interagit avec celle des firmes. Les délocalisations des MN japonaises ont naguère jeté les bases d’une intégration économique en Asie du Sud-Est. Puis l’IDE et le commerce extérieur des NPI de l’ANSEA entre eux ont renforcé l’intégration économique de la région et favorisé la création de l’AFTA (ASEAN Free Trade Area) en 1993. L’existence de l’AFTA a à son tour un impact sur les stratégies des MN localisées dans la zone en élargissant leurs marchés et en permettant la rationalisation de la production sur la base de réseaux intrarégionaux de filiales productrices d’intrants dans divers pays de la zone. L’IDE et le commerce ont vite crû dans la région Asie-Pacifique jusqu’en 1997. L’IDE intrarégional est moins développé en Amérique latine qu’en Asie du Sud-Est, mais croît rapidement depuis 1990. Les maquiladoras (IDE américains dans des ZF produisant des exportations industrielles au Mexique, au Costa Rica, en Jamaïque et en République dominicaine) ont une croissance soutenue depuis trois décennies. Celles de la frontière américano-mexicaine ont contribué à l’intégration nord-américaine, de même que les filiales des MN américaines au Canada et des MN canadiennes aux États-Unis. À cette régionalisation économique de facto a fait suite une régionalisation de jure avec la création de l’ALENA. En retour, depuis 1994, l’ALENA consacre une place essentielle aux dispositifs favorisant l’IDE entre pays de la zone. L’ALENA interdit en particulier à ses membres d’imposer des normes de performance aux MN étrangères qu’ils accueillent et de nationaliser leurs filiales. La présence croissante des MN a conduit les États à adopter des dispositifs, désignés par TRIM (trade-related investment 69
measures), qui ont pour but de limiter les effets négatifs des implantations étrangères pour le commerce du pays hôte. Les plus fréquents imposent aux filiales des MN des règles de contenu local (pourcentage minimal de composants d’origine locale), des règles d’équilibrage du commerce extérieur (couverture des importations de la filiale par ses exportations) et des règles de performance minimale à l’exportation [44]. Elles participent d’un protectionnisme élargi dans le cadre de politiques commerciales stratégiques, argumentées par Krugman. L’Uruguay Round (1994), en augmentant la confiance des investisseurs dans le cadre multilatéral gouvernant le commerce mondial, a eu un effet positif sur l’IDE. Il a clarifié la liste des TRIM et en a prévu l’élimination selon un calendrier variable en fonction du niveau de développement du pays. Les exceptions doivent désormais être notifiées à l’OMC. L’accord sur le commerce des services touche directement l’IDE en libéralisant davantage l’accès aux activités tertiaires. L’accord sur les TRIP (trade-related intellectual property) harmonise le niveau de protection de la propriété intellectuelle dans les pays membres de l’OMC, ce qui affecte les conditions de l’IDE. La globalisation financière Du peso mexicain au baht thaïlandais, toute monnaie est sous la menace de la spéculation, du CAC 40 au Nikkei aucun indice boursier n’est à l’abri des choix des investisseurs internationaux, de Wall Street à Zurich aucune place financière n’est exempte d’alertes récurrentes. Cela résulte de la globalisation financière. Les opérations financières des BMN et des MN ont produit une intégration du marché mondial des capitaux. La valeur unitaire des transactions et les masses financières impliquées sont énormes. Les transactions annuelles sur les marchés internationaux de produits financiers dérivés dépassent 60 000 M$. La valeur des transactions sur le marché mondial des devises est de plus de 2 000 M$ par jour. Le volume des opérations de change est cent fois plus important que celui du commerce mondial de biens et services. Le marché des changes est un compartiment très rentable du marché financier mondial pour les MN et les BMN. La distinction entre les opérations de change liées aux transactions commerciales et celles réalisées en vue de gains en capital ou de profits spéculatifs est malaisée. Les mouvements de capitaux des MN et des BMN sont largement autonomes du financement de la production et des échanges. En période de calme sur les marchés des changes, la spéculation a un rôle 70
stabilisateur du cours des monnaies. En période de crise, les MN et les BMN spéculent à la hausse des monnaies fortes et à la baisse des autres, et y gagnent de l’argent (anticipations autoréalisatrices sur le prix de l’actif monétaire) : la spéculation est alors déstabilisatrice et entretient la crise. On a parlé d’économie internationale de spéculation [52], d’économie mondiale de casino, plus récemment, de « capitalisme de copinage » propageant la crise financière (en Asie, puis dans les PDEM). La défaillance du Mexique à servir la charge de sa dette extérieure en 1982, suivie de celle de trente PVD et de trois pays socialistes, a freiné les prêts des BMN aux PVD. Les MN et BMN ont rapatrié des fonds vers les PDEM. Des BMN ont converti leurs dettes en titres, leur donnant la propriété de firmes du PVD endetté (debt-equity conversion) ou en titres vendus (debt-equity swap) avec une décote sur le marché secondaire de la dette, qui permettent à des MN d’acquérir des firmes de ce PVD à un prix réduit (par la décote). Ces conversions ont attiré des IDE au Mexique, au Brésil, au Chili, en Argentine. L’entrée de flux financiers privés dans les PVD a de nouveau baissé à la suite des crises financières asiatique et russe, et a chuté en dessous de 300 M$ en 1999 (contre 350 M$ en 1997), affectant surtout l’investissement de portefeuille en 1998 et les prêts bancaires en 1999, non l’IDE. Les BMN ont réagi à leurs ratios de solvabilité détériorés en développant le hors-bilan, pour soustraire du bilan les créances douteuses, en les plaçant sous forme de titres (titrisation) auprès d’emprunteurs finals (désintermédiation) à l’aide d’innovations financières, surtout la création de nouveaux produits financiers dérivés. La vitesse de circulation de tous ces nouveaux produits est telle que les opérateurs ne peuvent plus vérifier les garanties offertes par le dernier emprunteur, ce qui augmente le risque de système. Leur usage permet de passer d’un compartiment à l’autre du marché financier et se répand avec la concurrence entre les BMN exacerbée par la globalisation. Derrière les produits financiers, il y a bien entendu le capital, chaque jour plus ubiquiste, qui s’accumule sur la base d’une épargne mondiale mobilisée en tout point du globe et circulant facilement. Principaux intermédiaires sur le marché mondial des crédits, les BMN se sont en partie reconverties vers les transactions sur titres, après y avoir été autorisées par la déréglementation. Cette dernière a décloisonné verticalement le marché financier mondial en faisant communiquer en permanence les marchés monétaires et financiers, les marchés des changes et les marchés des titres et des options, 71
amenuisant la distinction entre les monnaies (crédits en devises) et les actifs (titres). Le décloisonnement est aussi horizontal en mettant en communication continue les espaces financiers nationaux. La formation de ce marché financier global, fonctionnant en continu autour de la planète, est due à deux autres facteurs : le développement des NTIC permettant d’opérer sur des titres dématérialisés instantanément sur toutes les places financières localisées autour du globe, à coûts de transaction réduits (grâce aux réseaux télématiques de transmission des données financières par satellites, tels Swift ou Globex) ; la titrisation et les innovations financières issues de la crise de l’endettement international. Le marché obligataire international a explosé à partir de 1982, triplant de volume tous les six ans environ depuis lors. Les opérations transnationales sur actions et obligations (achats et ventes en gros de titres entre résidents et non-résidents) se sont élevées de 12 % du PIB en 1982 à 109 % en 1992 aux États-Unis, de 13 % à 91 % en Allemagne, de 8 % à 122 % en France, de 366 % en 1985 à 1 017 % en 1991 au Royaume-Uni. Apparues sur le marché en 1976, les actions émises par une MN sur des marchés boursiers autres que son marché national d’origine (41 M$ de transactions en 1993) sont en forte croissance. Vers une nouvelle architecture financière internationale ? Les MN, les BMN, les marchés financiers mondiaux et les places financières internationales sont articulés en un système financier global privé. Les réserves officielles de change des PDEM ne représentent pas plus que le montant quotidien des transactions sur le marché des changes. La trésorerie cumulée de toutes les MN du monde est un multiple des réserves monétaires mondiales, dont ni le FMI ni quiconque n’a une évaluation précise. Le déplacement de 1 % de ces masses financières privées peut modifier la parité entre deux monnaies. Les MN considèrent les opérations de change comme un bon centre de profit et jouent de leur véritable pouvoir monétaire international. Les autorités monétaires d’un pays n’ont plus le pouvoir de défendre leur taux de change face à la spéculation et les politiques économiques nationales perdent de leur autonomie et de leur efficacité. Le système monétaire international croît en instabilité. La question se pose alors de sa régulation (disparue depuis 1973). Il est admis, par l’ONU, que l’activité économique mondiale est devenue trop vulnérable aux comportements privés sur le marché 72
Places financières internationales et marchés émergents Les BMN et les MN concentrent leurs opérations financières sur quelques places, en premier lieu Londres, New York, Tôkyô. Des zones bancaires offshore ont un statut d’extraterritorialité : les opérateurs n’y subissent pas de contrainte de politique monétaire et y jouissent d’exemption fiscale. Outre Hong-Kong, Nassau, Bahreïn, Singapour, Jersey, Panama, etc., des zones offshore ont été créées à New York (1981) et à Tôkyô (1986) et, partiellement, sur les places déréglementant leurs marchés financiers : Londres (big bang 1986), Paris (1984 et 1990), Luxembourg, Sydney, Zurich. L’ouverture des marchés boursiers aux investisseurs étrangers a renforcé le rôle de plaque tournante de ces places financières dans le mouvement mondial des capitaux, de l’IDE et de l’acquisition de firmes étrangères. Cela vaut aussi pour les Bourses
qui ont émergé dans les PVD et les PET. La taille de ces marchés financiers émergents reste modeste mais, localisés autour du globe, ils permettent aux BMN d’opérer vingt-quatre heures sur vingtquatre ; elles peuvent spéculer sur l’euro sur les places asiatiques ou américaines aux heures où les marchés européens sont fermés. Plusieurs places financières sont situées dans des paradis fiscaux, théâtres de transactions peu transparentes et d’opérations transnationales de blanchiment d’argent sale, passant par les comptes des filiales locales de BMN. Depuis 1990, le GAFI (Groupe d’action financière contre le blanchiment des capitaux créé sous les auspices de l’OCDE) établit une liste d’États « voyous » en la matière et invite la communauté financière à les boycotter (non obligatoire, peu d’effet).
mondial des capitaux ou à la faillite d’une grande MN ou BMN. Une situation de défaut peut se propager à toute la chaîne des opérateurs sur le marché interbancaire (« effet de traîne »), comme l’ont montré les faillites des banques Herstatt, Ambrosiano et Continental Illinois. Les marchés financiers mondiaux manquent d’un prêteur en dernier ressort qui rendrait la défaillance des BMN impossible. Certains envisagent de reréglementer les mouvements internationaux de capitaux ou de taxer les opérations financières pour décourager les transactions purement spéculatives. Ces mesures ont peu de chance d’être adoptées : le principe de réserves obligatoires sur les dépôts des non-résidents a toujours été écarté au motif qu’il ferait perdre à de telles opérations leurs avantages pour les BMN. Une aternative est d’instaurer de nouvelles règles prudentielles — tel le ratio Cooke, rapport minimal entre les fonds propres et les risques des BMN, introduit en 1993 — afin de limiter les risques pris sur le marché financier planétaire. En 1992, le concordat de 73
Bâle a été renforcé : l’activité des BMN doit être supervisée par les autorités monétaires du pays d’origine, qui ont le droit de demander des informations sur l’activité des filiales étrangères. Cela n’a suffi ni à éviter de nouvelles crises financières, ni à discipliner le comportement d’une sorte d’« internationale de l’optimisation des rendements financiers nets » (Bourguinat), qui maximise ses gains spéculatifs et minimise son prélèvement fiscal. Suffirait-il de « mettre du sable dans les rouages » (taxe Tobin) trop bien huilés de la finance mondiale et, si oui, quelle instance mondiale devrait-elle y veiller ? Notons qu’une taxe Tobin, dégressive avec la durée du placement, ne frapperait guère l’IDE mais, en réduisant la mobilité mondiale ultérieure des revenus de l’IDE, pourrait dissuader quelques implantations de MN à l’étranger. Les crises financières récurrentes depuis 1997 rendent nécessaires une nouvelle architecture du système financier international et un nouveau rôle du FMI. Il ne faudrait pas oublier d’y inclure des modalités de supervision (governance) des opérations des BMN et des trésoreries mondialement mobiles des MN. 3. Les multinationales aux marges de la mondialisation On prête peu attention à l’entrée dans la mondialisation de la production de pays et de firmes situés aux marges de l’économie mondiale, issus du tiers monde et de l’effondrement du communisme en Europe de l’Est. Le stock d’IDE sortant des PVD a été multiplié par quarante-trois en vingt ans. Même si les flux d’IDE sortant des PVD ont été freinés après 1997, cela n’a pas empêché le stock sortant d’atteindre 710 M$, soit plus que celui de la France. La Corée du Sud est un exportateur net d’IDE depuis 1990, Taiwan depuis 1988, le Chili depuis 2000. Les MN des NPI sont assez compétitives pour avoir investi dans les PDEM dès les années quatre-vingt. Il existe même un IDE sortant des PMA, bien que faible et sans doute en partie indirect. Certes, on a noté l’apparition des premières MN originaires du tiers monde vers la fin des années soixante-dix, la plupart basées dans les NPI d’Asie et d’Amérique latine. Les MN des PVD sont devenues assez importantes et les NPI sont parvenus à une maturité telle en tant que pays investisseurs que la théorie doit désormais en tenir compte, ce que tente le modèle SDI (chapitre VI). La majorité de leurs IDE est localisée dans d’autres PVD : à 92 % pour l’Inde, 88 % pour Hong-Kong, 80 % pour la Colombie, 77 % pour Singapour, 76 % pour la Thaïlande, mais seulement pour 45 % 74
des IDE de la Corée, 40 % du Brésil et 29 % de Taiwan [53]. Des MN coréennes, taiwanaises et malaisiennes ont délocalisé leur production intensive en travail vers d’autres pays d’Asie. Des MN coréennes et taiwanaises ont investi en Amérique latine. En 2000, les grandes MN des PVD étaient : Hutchinson Whampoa, Jardine Matheson (HK), Samsung, Daewoo, Lucky, Sunkyong, Hyundai (Corée), Cemex, Savia (Mexique), Petronas, Berjaya (Malaisie), Petroleos de Venezuela, Petrobras, Vale Rio Doce (Brésil), Keppel, Tan Chong (Singapour), Acer, Tatung (Taiwan), Gener, Copec (Chili), Perez Companc (Argentine). TABLEAU XVIII. — LES IDE SORTANTS DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ET EN TRANSITION
(milliards de dollars) Flux d’IDE sortant Pays d’origine PVD, dont Argentine Brésil Chili Chine Corée du Sud Hong-Kong Malaisie Singapour Taiwan PMA PET, dont Croatie Hongrie Pologne Russie République tchèque
Stock d’IDE sortant
19891995 1997 1999 2000 1990 1995 1994* 25 0,5 0,6 0,3 2 1,4 9 0,7 2 4 0,2 0,1 0 0 0 0,1
49 1,5 1,2 0,8 2 4 25 2 3 3 0 0,8 0 0 0 0,4
66 3,7 1,7 1,9 3 4 24 3 9 5 1,1 0,4 0,2 0,4 0,1 3
0
0
0
2000
58 100 80 253 710 1,2 0,9 6 11 20 1,4 3 2 6 15 5 5 0,2 3 18 2 2 2 16 27 3 4 2 10 26 19 63 12 79 385 2 3 3 11 20 4 4 8 35 53 4 7 13 25 49 0,2 0,2 0,7 1,4 2,8 3 4 0,6 7 20 0,1 0,1 0 0,7 1 0,2 0,5 0,2 0,4 2 0,1 0,1 0,1 0,5 1,5 2 3 n.d. 3 12 0,1
0,1
0
0,3
0,8
* Moyenne annuelle sur la période. Source : [10].
Trois analyses ont cherché à expliquer l’IDE sortant des PVD par des causes spécifiques (avant le modèle SDI). La première soutient que les MN du Sud tirent un avantage spécifique de technologies 75
intensives en travail et de la production à petite échelle, étant originaires de pays à salaires faibles et pleins de PME. Les MN du tiers monde innovent dans des procédés n’intéressant pas les PDEM (ex. : fabrication du papier journal à partir de la bagasse de canne à sucre, production de l’huile de palme, moteurs à alcool) et proposent des solutions appropriées aux PVD hôtes, à marché de petite taille et à main-d’œuvre abondante. Deuxième analyse : l’avantage compétitif des MN des PVD repose sur une technologie et des produits adaptés aux exigences de prix et de qualité des PVD hôtes, pour lesquels leur efficacité est supérieure à celle des MN des PDEM, et sur leur capacité à travailler dans un environnement culturel, ethnique et linguistique différent. Leur avantage ne réside pas dans des techniques dépassées, moins capitalistiques, mais dans les changements technologiques propres aux PVD d’origine. L’IDE sortant des PVD est plus poussé par des facteurs du pays d’origine que tiré par l’attraction des pays hôtes. La troisième thèse [53] explique l’IDE des NPI asiatiques par l’amélioration de leur structure industrielle découlant de l’apprentissage et de l’accumulation de compétences technologiques acquises par les MN des NPI au cours de la croissance de leur IDE sortant. Dans cette vision évolutionniste, l’innovation des MN du Sud résulte du développement technologique du pays d’origine qui favorise l’effort de RD des MN des NPI. En 1985, le stock d’IDE sortant des pays de l’Est se montait à 1 M$, soit environ 0,1 % du stock mondial. Il a diminué de moitié en 1989-1990. La reprise du flux d’IDE sortant en 1995 s’explique par l’apparition de nouvelles MN des PET, et son ralentissement en 1997-1998 par les crises russe et asiatique. Les principaux investisseurs des PET à l’étranger sont russes, hongrois et polonais ; les premiers pays hôtes des IDE sortant des PET sont d’autres PET (polarisation intrarégionale), puis les PDEM. Le stock d’IDE sortant de ces pays a atteint 20 M$ en 2000, plus que celui de toute l’Afrique, comparable à celui de l’Autriche. Il faudra donc l’inclure bientôt dans l’analyse théorique des MN (modèle SDI). 4. L’impact de l’IDE sur les économies nationales L’impact des MN sur les économies nationales est fort étant donné leur taille relative (VA d’Exxon = PIB du Chili). Elles ont un impact sur le commerce extérieur et la balance des paiements. Les MN sont de gros exportateurs et importateurs, dans les pays 76
Les nouvelles multinationales des pays en transition Les MN « rouges » des pays socialistes ont décliné avec la transition, dès 1989-1990. Plusieurs ont fait faillite ou ont été la cible de FAT par des MN des PDEM. D’autres ont fermé nombre de leurs filiales étrangères auxquelles elles ne pouvaient plus transférer de capital en raison de leurs propres difficultés financières. D’autres ont été démantelées, presque toutes ont réduit ou cessé leur IDE sortant [47]. Les nouvelles MN des PET sont dans une phase initiale de transnationalisation [45], quelques-unes ont déjà des stratégies comparables à celles des PDEM ; toutes croissent rapidement, à partir de Russie, mais aussi d’économies de petite taille que sont la plupart des PET. Certaines firmes
doivent leur multinationalité initiale à la désintégration de leur pays d’origine (ex-URSS, ex-Yougoslavie). Bien que le greenfield soit le mode d’entrée dominant, depuis 1999 un nombre croissant de FAT réunit des MN des PET. En 1999, les plus grandes d’entre elles sont : Gazprom, Lukoil, Yukos, Alrosa (Russie), TVK, MOL, Zalakeramia, Malev (Hongrie), KGHM, Budimex (Pologne), Hrvatska Elektroprivreda, Podravka, Pliva (Croatie), Latvian Shipping (Lettonie), Gorenje, Krka, Adrian Airways, Petrol (Slovénie), Motokov, Skoda, Pilsner Urquell (R. tchèque), Petrom (Roumanie), Azovstal (Ukraine), Lifosa (Lituanie), VSZ Kosice (Slovaquie).
d’origine et dans les pays hôtes. Les MN américaines exportent plus qu’elles n’importent alors que le commerce extérieur total des États-Unis est déficitaire. Les MN du Japon font aussi de l’excédent commercial. On ne peut en tirer de règle générale, d’autres PDEM ayant une situation inverse. Les MN étrangères établies en France exportaient 262 MF et importaient 246 MF en 1996 (excédent commercial : 16 MF). En PVD, les MN étrangères importent plus (d’intrants) qu’elles n’exportent, sauf dans des NPI d’Asie tournés vers l’exportation. Une méthodologie complexe est requise pour mesurer exactement les effets directs et indirects des MN sur les importations et les exportations d’un pays [51]. Elle n’a pas encore été mise en œuvre. L’implantation d’une MN se traduit par l’entrée de capitaux dans le pays hôte et souvent par la sortie de capitaux du pays d’origine. Plus tard, les IDE entraînent des sorties de revenus du pays hôte : profits, redevances et honoraires rapatriés en pays d’origine ou dans un paradis fiscal. L’impact des IDE sur la balance commerciale et la BP est sujet à débat du fait de la mondialisation. Pour une MN globale, il importe peu que ses résultats consolidés soient l’effet de ses exportations ou des ventes de ses filiales implantées à l’étranger. Pour juger des gains ou des pertes d’une économie nationale, il conviendrait, de la 77
même façon, d’ajouter aux recettes d’exportation et aux dépenses d’importation les ventes et les achats des filiales des MN de ce pays et des MN étrangères [48]. Les soldes commerciaux et les BP devraient être recalculés de manière à identifier complètement l’impact des MN. Avec la mondialisation, les MN ne font plus beaucoup de distinction entre les marchés intérieurs du pays d’origine et des divers pays hôtes. Leur entrée renforce la concurrence dans ces derniers, sauf lorsqu’elle évince des firmes locales du marché ou qu’elle est réalisée par FAT. Les MN influencent fortement la compétitivité des pays et des firmes locales. Par là même, elles ont un impact sur le niveau d’activité des économies nationales et donc sur les revenus qui y sont distribués. Les MN sont de gros contribuables, source de revenus importants pour les États ; d’où leur penchant pour les paradis fiscaux évitant une telle taxation. L’IDE accroît directement l’investissement dans le pays hôte mais, indirectement, il peut évincer les firmes locales des sources de financement de l’investissement. Il a des conséquences environnementales, notamment dans les PVD où 16 % de la production des MN était intensive en pollution en 1996 [10, 1999] ; mais 40 % pour l’IDE dans l’industrie manufacturière (contre 6 % dans les PDEM d’origine). On tente aujourd’hui d’expliquer la croissance à long terme des pays hôtes par l’IDE entrant : on a testé une relation significative entre le PIB par tête et le flux d’IDE par tête dans tous les PVD. La CNUCED (1999) a testé sur une centaine de pays un modèle IDE-croissance plus général, pour 1970-1995 : Q (t) = f [Q (t – 1), INV (t – 1), IDE (t – 1), H (t), U (t)], où Q (t) et Q (t – 1) = PIB par tête aux années t et t – 1 ; INV = FBCF ; IDE = flux entrant d’IDE/PIB ; H = niveau d’éducation ; U = variation du taux d’emploi (emploi effectif/population active). Dans les PVD plus encore que dans les PDEM, l’impact des MN se concentre sur quelques secteurs, en général intensifs en technologie, à croissance rapide et à forte valeur ajoutée, d’où sont évincées les firmes locales lorsqu’elles existent. La mondialisation étend les structures d’oligopole à la plupart des marchés intérieurs. Les filiales de MN ont une productivité plus élevée que celle des firmes locales (chapitre III) et provoquent des effets d’entraînement en amont sur les fournisseurs locaux de composants et les sous-traitants, ou en aval sur des firmes clientes ; l’intensité de la concurrence augmente de même que la captation des ressources locales par les MN. En revanche, la fermeture d’une filiale de MN en difficulté 78
Les multinationales et les transferts de technologie Les MN transfèrent des technologies vers les pays hôtes par vente d’équipement, accord de licence, assistance technique, vente d’usines clés en main, soustraitance, création d’une joint-venture et IDE. Le transfert peut être interne (mèrefiliale) ou externe : technologie cédée par la MN à une firme du pays hôte contre le versement d’une redevance technologique. En 1999, les redevances perçues par les MN américaines s’élèvent à 37 M$ et les redevances qu’elles paient à 12 M$ ; les MN japonaises reçoivent 7,4 M$, les MN allemandes 2,3 M$ et paient 2,7 M$. L’usage des technologies transférées fait l’objet de clauses restrictives : interdiction d’exporter les produits fabriqués avec les équipements sous licence ou de céder la licence à un
tiers, et restrictions sur les achats d’intrants. On soutient parfois que le transfert de technologie favorise le développement économique et le rattrapage technique (Japon, NPI). La thèse dominante dans les PVD, dans les années soixante-dix, fut que la technologie transférée est inappropriée à leurs besoins et à l’environnement local, trop coûteuse et incorporée à des capacités de production démesurées et économes en main-d’œuvre (abondante en PVD). Depuis les années quatrevingt, les technologies dites « appropriées » sont suspectées d’accroître le retard technologique des PVD et de les maintenir dans le sous-développement ; le transfert des technologies les plus modernes est encouragé par les politiques d’accueil des PVD.
disloque le tissu industriel local. L’activité des MN induit des retombées technologiques, une exigence de qualification de la main-d’œuvre et un effort de formation (pris en charge en partie par les MN). L’impact des MN sur l’activité économique nationale se distingue de moins en moins de celui des firmes locales à mesure que les systèmes productifs s’intègrent avec la mondialisation. L’analyse de l’impact sur l’emploi est complexe car les effets des MN sont à la fois directs et indirects, positifs et négatifs pour l’emploi national. Elle se complique du fait que cet impact dépend du mode d’implantation (greenfield ou acquisition), du secteur plus ou moins intense en travail, du degré de concurrence entre MN et firmes locales, et du degré d’ouverture du pays à l’IDE. Le type de stratégie des MN a aussi une influence sur l’emploi. La stratégie de marché, en déplaçant la même production à l’étranger, réduit l’emploi de la MN en pays d’origine et augmente l’emploi des filiales en pays hôte. Les effets de la DIPP sur l’emploi sont variables. La stratégie globale, en jouant de l’IDE, de la sous-traitance et des alliances à l’échelle mondiale, ne permet plus de discerner nettement l’impact sur l’emploi en pays d’origine et en pays hôte. En visant 79
Effets directs et indirects de l’IDE sur l’emploi Les principaux effets directs de l’IDE entrant sur l’emploi d’un pays hôte peuvent consister théoriquement à : 1) créer des emplois dans des activités en croissance et dans les bassins de chômage : 2) verser des salaires plus élevés (pour une productivité plus élevée) ; 3) aggraver les disparités régionales d’emploi ; 4) réduire l’emploi par rationalisation de la production d’une firme locale préalablement acquise ; 5) mais les emplois conservés après rationalisation sont des emplois « sauvés » grâce à l’IDE dans ce pays, ceci comparé à l’alternative qu’auraient constituée la faillite de la firme locale et le licenciement de tout le personnel. Ses effets indirects sont de : 6) permettre la création d’emplois chez les clients et fournisseurs locaux de la MN ; 7) provoquer la destruction d’emplois en important les intrants ou en éliminant des fournisseurs locaux du marché ; 8) créer des emplois par les exportations qu’il déclenche. L’IDE
sortant a des effets directs sur l’emploi du pays d’origine où il : 9) crée ou maintient des emplois dans la MN mère pour fournir des biens ou services aux filiales étrangères, et remplace du travail peu qualifié par du travail plus qualifié ; 10) délocalise ou exporte des emplois ; 11) abaisse les salaires des emplois maintenus en pays d’origine ; 12) détériore les conditions du marché du travail. Ses effets indirects sont de : 13) créer ou maintenir l’emploi des fournisseurs du pays d’origine qui livrent (exportent vers) les filiales étrangères de la MN ; 14) réduire les emplois et les salaires des firmes du pays d’origine qui fournissaient naguère les activités de la MN aujourd’hui délocalisées ; 15) supprimer des emplois par les importations qu’il provoque dans le pays hôte. L’effet global net (de 1 à 15) n’est pas mesurable avec précision avec les données et méthodes existantes.
à plus d’efficacité et de productivité en toute localisation, elle devrait tendre à réduire globalement l’emploi, bien que la preuve empirique de cette affirmation soit impossible pour l’heure. Aucune étude n’a pu mettre au point une méthodologie démontrant systématiquement que les effets positifs ou négatifs l’emportent, ou que les effets sur l’emploi de l’IDE entrant compensent ceux de l’IDE sortant pour un pays donné ; a fortiori pour toutes les économies nationales concernées. Seule certitude, ces effets sont faibles comparés à ceux des facteurs macroéconomiques déterminant l’activité de chaque pays. Selon les estimations connues, l’emploi des MN croît moins vite que leur stock d’IDE : l’intensité capitalistique des filiales étrangères augmente (32 200 $ par tête en 1985, 166 000 $ en 1998 2), indiquant l’utilisation par les MN de 2. Obtenu en divisant le stock d’IDE sortant dans le monde par l’emploi total de toutes les filiales étrangères de MN.
80
technologies économisant le travail. L’emploi des sociétés mères en pays d’origine a moins crû que celui des filiales étrangères. Dans les PDEM hôtes, l’emploi des filiales croît moins, du fait des nombreuses FAT suivies de « dégraissage », que dans les PVD hôtes. Dans la plupart des PDEM, l’emploi des MN à l’étranger augmente plus que l’emploi total ou industriel du pays d’origine. D’où l’impression d’exportation des emplois, mais chaque pays importe aussi des emplois en accueillant des MN étrangères sur son territoire. Une croissance plus rapide de l’emploi étranger que de l’emploi en pays d’origine est un indice de mondialisation de l’économie par les MN. La part des filiales de MN étrangères dans l’emploi total reste limitée, de l’ordre de 4 % dans les PDEM et moins de 10 % dans les PVD, mais peut atteindre 20 % à 60 % dans certaines industries ou dans quelques PVD (chapitre II). Amplifiée par l’externalisation de certaines fonctions, la création indirecte d’emplois par les MN (chez les fournisseurs et clients) est estimée en moyenne à 1,6 fois l’emploi créé directement par l’IDE. Tout milliard de dollars d’exportation des MN américaines créerait 20 000 emplois aux États-Unis. Les MN ont enfin un impact socioculturel. Elles modifient le mode de vie et de consommation des pays hôtes (McDonald’s, Coca-Cola), poussent à leur dépendance culturelle (« américanisation », publicité), versent des pots-de-vin aux dirigeants politiques en PVD et en PET (les « affaires » en PDEM), voire interviennent dans la vie politique. Impact certes occasionnel, mais scandales spectaculaires.
V / Déterminants de l’IDE, attractivité et localisation
L’analyse économique de la MN est menée à deux niveaux. Le second, plus théorique, est abordé au chapitre VI. Au premier, il s’agit d’expliquer pourquoi la MN a avantage à faire un IDE : quels sont les déterminants de l’IDE ? Puis vient la question : pourquoi investit-elle dans un pays hôte donné ? En fonction des facteurs d’attractivité de son territoire national. Les politiques actuelles de l’État visent à améliorer cette attractivité et à attirer un maximum de MN. L’État devient « mondialisateur », promoteur de la mondialisation de la production. Reste la question : pourquoi la MN choisitelle tel site pour son IDE ? C’est l’analyse de la localisation de l’IDE. 1. Les déterminants de l’IDE Divers facteurs déterminent la décision d’IDE. La firme ne s’engage pas si elle n’a pas conscience de détenir des avantages compétitifs spécifiques : un avantage technologique, une marque, un accès privilégié au marché étranger, l’apprentissage que lui a procuré l’exportation vers ce marché, des économies d’échelle ou de gamme (variété) qui naîtraient de l’IDE. Quant aux pays où elle est susceptible de s’implanter, ils doivent présenter des avantages comparatifs. Du côté de la demande, il s’agit de la taille ou de la richesse (fort revenu par tête) du marché, de sa croissance et de sa composition par produits, reflétant des disparités internationales dans les préférences des consommateurs. Cela n’explique pas pourquoi cette demande est satisfaite par l’IDE plutôt que par l’exportation. Des barrières à l’entrée du marché 82
Commerce et investissement direct étranger Étant donné les limites de la théorie néoclassique (chapitre VI), « on ne peut résoudre la question de la relation entre l’IDE et le commerce qu’en se remettant aux faits » (rapport de l’OMC, 1996). C’est la position dominante. Des tests économétriques ayant validé une relation positive entre exportations des PDEM d’origine et production des MN ont conclu à la complémentarité entre commerce et IDE [71] ; mais la relation est négative avec la prodution des filiales étrangères. En 1990, une augmentation de 1 % de l’IDE dans un pays hôte s’accompagnait d’une hausse moyenne
de 0,25 % des exportations vers ce pays. Une corrélation plus nette apparaît entre IDE et exportations du pays hôte. Les travaux empiriques n’ont pu établir l’incidence de l’IDE sur les importations du pays d’origine. L’IDE a tendance à accroître les importations du pays hôte [65]. La conclusion dominante est que l’IDE crée du commerce plutôt qu’il ne se substitue à lui. La séquence classique selon laquelle une firme exporte avant de faire un IDE n’est pas universelle et dépend des secteurs ; elle ne vaut pas dans les services [10, 1996].
étranger peuvent alors déterminer l’IDE, dans l’analyse néoclassique standard fondée sur l’implantation à l’étranger d’unités de production (tariff factories) pour contourner les barrières douanières freinant l’exportation et vendre directement dans le pays hôte [69] : l’IDE se substitue à l’exportation. L’IDE est aussi considéré comme un moyen d’économiser les coûts de transport liés à l’exportation. Valable pour les produits lourds à faible valeur unitaire, l’argument s’amenuise avec la baisse continue des coûts de transport. L’IDE diversifie les risques entre plusieurs marchés intérieurs. La disparité des risques entre pays peut donc expliquer la localisation de certains IDE si des primes de risque, différentes entre pays, sont intégrées dans l’évaluation de la rentabilité au moment de la décision d’IDE. Un des risques est lié aux fluctuations des taux de change entre les monnaies nationales. Il en découle deux explications de l’IDE : comme déplacement de capital d’une zone monétaire vers une autre [54] où l’arbitrage sur le taux d’intérêt et le taux d’inflation est plus avantageux ; ou comme acquisition d’actifs par des investisseurs de pays à monnaie forte dans des pays à monnaie faible. Du côté de l’offre, l’IDE est déterminé par des avantages de coût de production. La disparité entre les salaires du pays d’origine et ceux des pays hôtes est supposée susciter l’IDE. Telle quelle, cette explication est inexacte théoriquement : la productivité du travail est 83
omise. Et concrètement : les IDE ne se concentrent pas au Bhoutan, au Mali ou à Madagascar où les salaires sont les plus faibles. L’IDE est attiré dans les pays ayant le rapport le plus avantageux entre coût salarial, charges incluses et productivité du travail (nommé coût unitaire du travail). Conclusion qui néglige en partie le fait qu’en pays hôte les salaires sont plus élevés dans les MN que dans les firmes locales, de même que la productivité du travail. Et ne vaut que pour les industries à forte intensité en travail. En outre, la main-d’œuvre doit avoir les qualifications requises en pays hôte ; la qualité relative du capital humain peut donc attirer l’IDE. TABLEAU XIX. — ÉCARTS INTERNATIONAUX DE COÛTS SALARIAUX*, 1995 Pays Suisse Japon Allemagne Suède Italie France Canada États-Unis Taiwan Corée du Sud Hong-Kong Portugal
Coût Journées horaire de en dollars travail/an 27,30 24,31 21,94 20,94 16,65 16,45 13,92 12,25 6,38 5,65 4,90 4,77
242 243 234 225 234 224 249 245 337 270 291 240
Pays Argentine Brésil Hongrie Pologne Turquie Afrique du Sud Tunisie Thaïlande Philippines Chine Inde Indonésie
Coût Journées horaire de en dollars travail/an 4,60 3,84 3,18 2,39 2,02 1,86 1,80 1,56 0,91 0,58 0,55 0,52
266 303 227 263 290 247 273 306 273 258 299 269
* Charges incluses. Source : Werner Inter, 1996.
Les différences de productivité renvoient aussi à des écarts technologiques entre pays. L’IDE se déplace des pays disposant d’une avance technologique vers les pays en retard. L’hypothèse que les pays faisant les plus fortes dépenses de RD sont les principaux pays d’origine des exportations de biens manufacturés et de l’IDE a été testée avec succès [66]. Pour expliquer l’IDE entrant aux États-Unis, d’origine européenne et japonaise, l’argument a été inversé : l’IDE se meut vers les pays à technologie avancée pour accéder à de nouvelles techniques. Sécuriser l’accès aux matières premières ou à d’autres intrants motive aussi l’IDE. Les disparités 84
de taux de profit déplacent l’IDE vers les pays où le capital est le plus rentable. L’écart de rentabilité est imputable à la rareté relative du capital (explication néoclassique), à une structure du capital différente, notamment sectorielle, ou au taux de rendement du capital sur les marchés financiers. Dans la dernière hypothèse, les flux de capitaux sont attirés vers les pays à taux d’intérêt plus élevés, ce qui explique plutôt l’investissement de portefeuille que l’IDE. La pertinence de chaque déterminant de l’IDE dépend fortement de la stratégie des MN. Les facteurs de demande influencent surtout les MN à stratégie de marché, les facteurs d’offre les MN minimisant les coûts de production et les MN primaires. Les MN globales se définissent justement par la prise en compte de tous les déterminants. On a testé par exemple que l’IDE entre dans les PET pour la demande [17], favorisant donc les MN à stratégies de marché ou globale. 2. L’attractivité des pays hôtes Pour choisir le pays hôte de son IDE, la MN a besoin d’une évaluation des climats d’investissement, des risques pays et du traitement de l’IDE (ou attractivité au sens strict) des pays hôtes. Ajoutée aux avantages comparés, elle lui donne une information sur l’attractivité au sens large des pays. Les MN arbitrent en fait au sein d’une sélection de pays (short list [74]), souvent les mêmes, classés par des agences de notation, des banques, des postes d’expansion, des organisations internationales. Les crises financières mexicaine, asiatique et russe ont rappelé que les marchés n’anticipent pas correctement les risques, et que les agences de notation peuvent se tromper, produisent des informations non désintéressées, donc biaisées en faveur des MN intéressées par la notation. Sous cette réserve, le climat d’investissement est évalué sur des critères tels que : niveau et stabilité des variables macroéconomiques (taux d’inflation, croissance du PIB, taux de chômage, investissement, niveau de vie et d’industrialisation), et politiques locales. Le risque pays inclut des indicateurs d’endettement extérieur et de solvabilité financière, et un tableau de financement du pays hôte, complétés d’une estimation du risque de change, de nontransfert de fonds, d’expropriation et de nationalisation, et de l’attitude du gouvernement à l’égard des programmes du FMI et de l’économie de marché. Le traitement de l’IDE d’un pays hôte se réfère aux dispositifs mis en place par l’État pour attirer l’IDE sur 85
son territoire : codes d’investissement, fiscalité applicable à l’IDE, régime d’amortissement, aides et subventions aux implantations étrangères, tarifs publics et prix de l’énergie, fiabilité des infrastructures et services publics. Dans une vision large, l’attractivité tend à englober tous les atouts et handicaps du pays hôte, y compris la qualité des firmes locales rachetables par les MN. Le climat d’investissement est variable avec la conjoncture, mais estimé meilleur dans les PDEM, puis dans les NPI et les PET, moins bon dans les PVD, mauvais dans les PMA. La même hiérarchie ressort des risques pays, mais plus mouvante : les PET ont remonté le classement depuis dix ans, sans rejoindre la Chine, premier PVD ; la Russie ou l’Argentine ont chuté dans la notation après la crise financière. Le traitement de l’IDE ne cesse d’être amélioré dans tous les pays du monde depuis vingt ans. La short list des pays attractifs est la même quelle que soit la stratégie des MN [74].
3. Les politiques d’attractivité libérales L’impact des MN sur les économies nationales pousse les États à définir une politique vis-à-vis de l’IDE. L’État d’un pays d’origine peut créer, modifier ou détruire leurs avantages concurrentiels et leurs externalités positives. Les pays de l’OCDE n’imposent pas de restriction à l’IDE sortant et tendent à le soutenir. Aux États-Unis, l’Overseas Private Investment Corporation couvre les risques politiques et l’Eximbank assiste financièrement l’IDE, pour lequel l’État accorde des crédits d’impôt. D’autres soutiens de l’État d’origine à « ses » MN sont : une politique de taux de change fort, l’accès privilégié aux marchés publics et le soutien diplomatique. Bien des États hôtes ont restreint l’entrée des MN jusqu’en 1979. Les années quatre-vingt marquent une convergence vers des politiques libérales d’accueil des IDE dans le monde. Les nationalisations de MN en PVD sont tombées à quarante-sept en 1977-1979, quinze en 1980-1985 et aucune ensuite. Les programmes de privatisation sont désormais utilisés pour attirer l’IDE dans les PDEM, les PVD et les PET. Les ZF ont le même but. Dans plusieurs PVD, les MN ont été invitées à prendre part à la privatisation par le biais de conversions (debt-equity swaps) de titres de la dette extérieure en titres de propriété de firmes locales. De 1985 à 1989, 20 % des IDE entrant en Argentine ont été réalisés à l’aide de telles conversions, 30 % au Mexique, 59 % au Brésil et 80 % au Chili. 86
Les anciennes politiques restrictives vis-à-vis de l’IDE Avant 1979, les États hôtes ont eu des politiques restrictives vis-à-vis de l’IDE entrant. En PDEM, le contrôle des changes, l’autorisation préalable à l’IDE, la surveillance des acquisitions de firmes locales par des MN étrangères, le soutien des firmes locales par une politique industrielle (« champions nationaux » en France), la fermeture de certains secteurs à l’IDE pour des motifs de défense, sécurité et souveraineté (RD, télécommunications, services publics) nationales avaient ce but. En PVD, s’y ajoutaient l’exigence d’un transfert de technologie, des limites au financement des filiales étrangères sur le marché local, des plafonds au rapatriement des profits et des redevances technologiques, la mise en concurrence des MN négociant avec l’État hôte, l’obligation de créer des emplois locaux, des restrictions sur
l’emploi d’expatriés, un contrôle des prix et des TRIM. Les MN étaient hostiles à ces contraintes. Les États de certains PVD cherchaient en outre à obtenir une participation de capitaux locaux, privés ou publics, dans les actifs implantés sur leur territoire, puis à l’augmenter au nom de l’indigénisation des filiales étrangères. Dans d’autres PVD, des filiales de MN furent nationalisées, au total 1 369 de 1960 à 1976, surtout en Afrique et au MoyenOrient. L’efficacité des nationalisations en termes d’indépendance économique reste à prouver, les MN se maintenant en place grâce aux NFI. Les nationalisations ont isolé ces PVD des courants mondiaux de commerce et de technologie, et ont majoré le risque pays qu’ils représentaient, dissuadant l’IDE futur.
Les autres instruments des politiques d’attractivité libérales sont : les exemptions fiscales, les concessions douanières, les bonifications d’intérêt et les primes de développement régional, la fourniture d’infrastructures publiques, la liberté d’implantation dans tout secteur avec le pourcentage souhaité de contrôle du capital, l’abolition des TRIM et des autorisations préalables, la libéralisation de la réglementation sur les FAT et la protection des droits de propriété privée. La procédure d’autorisation de l’IDE est remplacée par une simple approbation ou notification. Les organismes de contrôle sont transformés en agences de promotion de l’IDE. En 1993, plus de cent pays hôtes dans le monde avaient de telles agences. Des restrictions subsistent pour la propriété étrangère du sous-sol et de la terre, des services financiers et, surtout, pour les médias et la culture. Dans les PDEM, l’État crée un environnement d’affaires favorable à l’accueil des QG des MN, fondé sur de bonnes relations entre l’administration et les MN, la simplification des réglementations, voire du droit du travail, ainsi qu’un consensus minimisant les conflits sociaux. Selon l’ONU, de 1977 à 1987, sur 321 mesures de 87
TABLEAU XX. — L’IDE DANS LES PRIVATISATIONS DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT 1989-1994 (millions de dollars et %) Valeur des actifs privatisés Afrique du Nord, Moyen-Orient % du capital venant de l’IDE Afrique subsaharienne % du capital venant de l’IDE Extrême-Orient, Pacifique % du capital venant de l’IDE Asie du Sud % du capital venant de l’IDE Amérique latine, Caraïbes % du capital venant de l’IDE Europe centrale et orientale % du capital venant de l’IDE
1989
1990
1,0
0
3,2
0,1 13,8
0 38,2
0,4 0 0 0,1 0 183,3 2,2 461,5 n.d.
1991
1992
1993
1994
19,2
302,0
121,9
0,2 11,1
0,9 49,8
8,0 573,5
3,3 262,0
3,5
0,6
3,3
31,8
8,8
0,7
77,1
522,7 1 156,5
982,0
0 10,6
0,4 4,2
1,9 41,8
2,5 16,2
1,9 14,1
2,3
0,9
6,7
1,9
1,1
2 461,5 3 264,3 2 414,5 1 373,0 3 695,0 27,7
21,2
13,6
7,1
15.0
488,9 1 868,2 2 656,9 2 931,9 1 121,0 n.d.
76,3
71,0
52,5
19,0
Source : [10, 1996].
politique économique prises par les gouvernements concernant les IDE entrants, 224 allaient dans le sens de la libéralisation et seulement 97 étaient restrictives. Les années quatre-vingt-dix sont celles des politiques systématiques d’attractivité. Un PVD ou un PET envisageant de promouvoir l’IDE s’adresse en général au FIAS (Foreign Investment Advisory Service de la Banque mondiale), qui lui recommande la même politique d’attractivité, aux adaptations locales près, que les pays qui l’ont précédé et que ceux qui le suivront. L’amélioration du traitement de l’IDE figure dans des codes d’investissement de plus en plus attractifs, mais comporte des coûts financiers pour les pays hôtes [10, 1993]. Elle se complète par l’adoption de systèmes de paiements libéraux. Ceux-ci incluent la possibilité pour les filiales 88
TABLEAU XXI. — CHANGEMENTS DE RÉGLEMENTATION CONCERNANT L’IDE, 1991-1999 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Nombre de pays ayant changé leur régime d’IDE Nombre de changements réglementaires, dont : Plus favorables à l’IDE Moins favorables à l’IDE
35
43
57
49
64
65
76
60
63
82
79
102
110
112
114
151
145
140
80
79
101
108
106
98
135
136
131
2
0
1
2
6
16
16
9
9
Source : [10].
de MN d’utiliser librement leurs recettes d’exportation et, si possible, la convertibilité de la monnaie locale, tout en libérant totalement le rapatriement des profits et du capital. En 1975, seulement vingt-neuf PVD disposaient d’une devise convertible en compte courant. En 1997, ils sont cent onze. On note dans de nombreux pays la libéralisation du traitement des personnels expatriés des filiales de MN et une influence déclinante des États hôtes sur le contrôle des prix et la régulation des monopoles. Au sens large, la politique d’attractivité vise à améliorer le climat d’investissement et à diminuer le risque pays. Les politiques de stabilisation monétaire et budgétaire, sous conditionnalité du FMI, dans les PVD et PET endettés, en freinant l’inflation, les hausses salariales et l’endettement extérieur, améliorent l’un et l’autre, mais comportent des coûts sociaux pour les populations locales. Aucun avantage fiscal ou financier offert à une MN ne résiste, en termes d’attraction de l’IDE, à un taux d’inflation à trois chiffres, à un taux de croissance du PIB négatif ou à une mauvaise notation. Il en résulte une tendance à la convergence des politiques macroéconomiques vers le « consensus de Washington » dans les pays qui veulent attirer l’IDE. À la limite, toute dimension de la politique économique d’un État hôte, par exemple sa politique industrielle ou sociale, affecte l’attractivité du pays au sens large. Les incitations de l’État hôte figurent en queue de liste des facteurs influençant la décision d’IDE. Leur nombre même dilue l’effet perçu par les investisseurs. Avec les stratégies globales des MN, ce n’est pas tant la présence d’incitations qui importe, puisque tous les 89
L’accueil des IDE en France La France eut une politique d’accueil restrictive de 1963 à 1968, puis un contrôle des changes. En 1982, trois filiales de MN étrangères (ITT, Hoechst, Honeywell) furent nationalisées : l’IDE entrant chuta de 11,9 MF en 1981 à 10,3 en 1982. Depuis 1983, la politique d’accueil a été libéralisée : incitations (prime d’aménagement du territoire) et prospection des IDE par la DATAR, ventes de filiales d’entreprises publiques françaises à des MN étrangères ; privatisations réservant une tranche de 20 % du capital aux investisseurs étrangers ; en 1988, suppression de l’autorisation préalable de l’IDE, sauf pour les acquisitions de firmes françaises dépassant 10 millions de francs. En 1992 a été créée une Délégation des investissements internationaux dépendant du ministère des Finances, dont l’activité principale est la construction d’image du territoire français. Depuis 1996, les IDE en France sont soumis à un régime de simple
déclaration administrative quelle que soit leur origine, sauf dans quelques domaines sensibles (santé, sécurité publique, recherche, armement) où est maintenue une autorisation préalable. La politique d’attractivité s’appuie sur l’amélioration du climat social dans l’entreprise, des infrastructures fiables et la qualité de vie offerte aux résidents. Une justification officielle majeure de la politique d’attractivité est l’emploi. Les filiales étrangères représentaient 18 % des emplois industriels en France en 1980, 24 % en 1991, 30 % en 1998 (863 000 personnes). L’emploi total des groupes étrangers, tous secteurs confondus, est de 1,4 million de personnes en 1999. L’IDE entrant a créé 35 359 emplois en 2000, principalement dans les composants électroniques (16 %), les télécoms et Internet (16 %), l’informatique (15 %), les services en ligne (12 %), les biotechnologies (10 %) et la RD (7 %).
pays du monde ont des politiques d’attractivité contenant des mesures favorables à l’IDE. C’est l’absence de ces mesures qui dissuade les MN d’investir dans un pays. Les pays sans incitation sont marginalisés de l’IDE ; les autres se livrent à la surenchère des politiques d’attractivité. Un rapport de l’OCDE [76] souligne que les incitations fiscales et financières pour attirer l’IDE sur le territoire national, dans les PDEM et les PVD coûtent de plus en plus cher aux États et aux régions. Leur dilemme est le suivant : ils savent qu’ils n’ont pas intérêt à faire une surenchère coûteuse pour attirer les IDE, mais ils redoutent que ceux-ci ne choisissent d’autres pays s’ils ne leur offrent pas plus d’avantages et d’aides. Comment en est-on arrivé là ? La réaction des MN globales aux restrictions et aux nationalisations passées explique la convergence libérale des politiques à l’égard de l’IDE. Avec la mondialisation, les rapports de force se sont inversés entre pays hôtes et MN. Avant, les MN se concurrençaient pour entrer dans des pays peu réceptifs à l’IDE. Les MN 90
subissaient les politiques des États. Depuis vingt ans, les États surendettés, luttant contre le chômage, font face à des MN échaudées par les restrictions passées, moins désireuses d’investir que de s’engager dans la finance ou de spéculer. La demande mondiale d’IDE dépasse l’offre : les MN mettent en concurrence les États qui doivent offrir toujours plus d’incitations. La CNUCED [10, 1994] note qu’il s’agit d’un processus mondial de libéralisation des politiques d’accueil de l’IDE. La politique d’attractivité devient une politique de long terme. Son risque est une surenchère sans fin entre les États, la présence des MN étant considérée comme créatrice d’emploi et de compétitivité. La mondialisation induit une congruence d’intérêts et une coopération entre États hôtes et MN. 4. L’État « mondialisateur » et les arrangements internationaux Le rôle de l’État a changé. La convergence d’intérêts entre l’État du pays d’origine et « ses » MN (ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour General Motors), et la méfiance de l’État hôte à l’égard des MN étrangères se diluent avec la mondialisation. Considérées depuis les pays d’origine, de nombreuses MN se dissocient de l’État-nation qui les a vues naître [36] : les FAT entraînent des firmes sous le contrôle de capitaux étrangers, les conduisent à ne plus avoir le même pays d’origine qu’avant ou à ne plus en avoir vraiment (MN apatrides). Une MN dominée par une autre dans une alliance est plus sensible aux mesures prises par l’État du pays d’origine de son alliée qu’à celles qui s’exercent sur le territoire national qui l’a vue naître. Cela brouille l’identité nationale des MN globales. Considérées depuis les pays hôtes, les politiques d’attractivité donnent à penser que les MN et les États jouent conjointement la logique de la mondialisation [74]. Celle-ci n’est pas une destinée, elle est choisie par les États-nations ; les politiques d’attractivité sont exemplaires de ce choix. Entre État et MN, il n’y a plus antagonisme, mais collaboration et partage des fonctions. Murray [75] rejetait la possibilité d’une identité d’intérêts entre l’État hôte et les filiales étrangères, mais caractérisait l’État capitaliste par six fonctions : 1) protéger les droits de propriété ; 2) libéraliser l’économie ; 3) la réguler ; 4) assurer l’accès des MN aux intrants nécessaires au meilleur coût ; 5) intervenir en faveur du consensus social ; 6) gérer les relations extérieures du pays. Ces fonctions étatiques sont assurées à tout moment, mais le degré 91
auquel elles le sont par des organismes publics varie dans le temps selon la concurrence internationale, le niveau de développement, la force du mouvement ouvrier et l’idéologie. Elles peuvent être prises en charge par les MN. De fait, des MN contrôlent les prix, forment la main-d’œuvre, travaillent pour la défense, créent leurs propres infrastructures, contournent la politique fiscale et monétaire. Quelles fonctions l’État hôte est-il encore capable d’assurer quand progresse la globalisation des firmes ? Murray ne fixait pas de limite. La mondialisation transforme le statut de l’État-nation dont le dépérissement serait en cours, inéluctable [74], ainsi que le transfert de ses fonctions à des agents privés, les MN. Une hypothèse alternative est celle de l’État « mondialisateur ». L’analyse des politiques d’attractivité montre que l’État est devenu un facilitateur de l’IDE entrant sur son territoire national. Il intervient en faveur des MN, s’adapte à la mondialisation des firmes et la promeut 1. Pour une nation, l’important n’est plus d’offrir des aides à ses groupes nationaux mais de pouvoir attirer des firmes, quelle que soit leur nationalité, sur son territoire en le rendant le plus attractif possible [36]. Les États hôtes qui attirent les MN ne sont pas faibles, affaiblis ou en train de dépérir. Dans les PDEM, l’État fournit les services et les biens publics attendus par les MN, si possible au moindre coût. En revanche, là où l’État est tentaculaire (PVD) ou en déshérence (ex-URSS), il ne parvient pas à assurer les fonctions étatiques dans des conditions de coût, de régularité et de sécurité satisfaisantes pour les MN. Quand un État est celui d’un pays d’origine et hôte de l’IDE à la fois (PDEM), il favorise l’entrée des MN étrangères y compris pour obtenir un traitement réciproque pour ses propres investisseurs à l’étranger. Face à un traitement par l’État hôte désormais égal, les filiales étrangères se comportent comme les firmes locales [48]. L’hypothèse de l’État « mondialisateur » se fonde sur du concret, i.e. le contenu des programmes de promotion de l’IDE proposés aux pays hôtes [72]. Les mesures recommandées sont : 1) créer une agence de promotion de l’IDE avec des succursales établies dans les pays d’origine les plus pertinents ; 2) améliorer l’image du territoire national et de l’État hôte au sein de la communauté des investisseurs internationaux ; 3) fournir des services et des capacités d’accueil aux investisseurs étrangers potentiels et effectifs ; 4) offrir des incitations financières à l’IDE. Tant que séduire les MN étrangères sera 1. « Le gouvernement d’État et le gouvernement des entreprises sont de plus en plus interdépendants » [32].
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sa priorité, l’État « mondialisateur » continuera à faciliter la mondialisation de l’économie et s’adaptera en retour en étant plus mondialisateur. Les accords internationaux pour l’IDE Les mesures visant à améliorer l’attractivité discutées jusqu’ici relèvent de décisions unilatérales de l’État. Elles sont révisables et réversibles, si le gouvernement change, infléchit sa politique économique ou devient instable. Les MN n’apprécient pas les changements de règles du jeu institutionnelles en cours de partie dans les pays hôtes de leur IDE et préfèrent des politiques d’attractivité confortées et généralisées par la signature d’accords bilatéraux ou multilatéraux. Les politiques vis-à-vis de l’IDE sont entrées dans une phase de coopération [60]. Coopération entre États pour tenter d’éviter la surenchère, ainsi au sein de l’Investment Sector Loan Program et du Multilateral Investment Fund sur le continent américain ou de European Union’s Investment Partners en Europe. La multiplication des accords sur l’IDE confirme cette analyse. Elle vient remplir le vide laissé par l’échec des négociations en 1983 en vue d’adopter le code de conduite sur les firmes transnationales élaboré par l’ONU 2. Les traités bilatéraux sur l’investissement (TBI) procurent une protection et une promotion de l’IDE. La plupart des TBI prescrivent un traitement national (identique à celui des concurrents locaux) des MN ou un traitement loyal et équitable ou une clause de la nation la plus favorisée en matière d’IDE. Le réseau des TBI se développe très vite, soit 1 160 de 1990 à juin 1996, contre 400 dans les années quatre-vingt et 200 dans les années soixantedix. Le nombre des traités bilatéraux de non-double imposition des MN est aussi en pleine expansion. Au niveau régional, des accords sur l’IDE adoptés dans le cadre d’accords de libre-échange ou d’union douanière harmonisent des politiques d’attractivité libérales, entre pays de l’OCDE, de l’ALENA, de l’ANSEA et du Mercosur. Les dispositifs très libéraux de l’ALENA sont fort commentés, bien qu’ils aillent moins loin que ceux de l’Union européenne, y compris pour la promotion de ses IDE dans les États signataires de la convention de Lomé IV et dans les PET. 2. Des codes de conduite partiels, régionaux ou sectoriels, ont néanmoins été adoptés au sein d’autres organisations : OCDE, chambre de commerce internationale, OIT, OMS, ANSEA, Pacte andin, mais ils sont non obligatoires. Tous ces instruments ont en fait pour objet de réduire les barrières nationales à l’IDE et de le protéger.
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L’AMI : Accord multilatéral sur l’investissement L’AMI, proposé par l’OCDE, devait verrouiller institutionnellement la politique d’attractivité libérale dans un cadre global [59]. Son objectif était de supprimer toute discrimination entre les investisseurs étrangers et autochtones, d’imposer partout la discipline du marché et de créer la base durable d’une confiance mutuelle entre MN et États [79]. Il prévoyait la libéralisation des régimes d’investissement et de protection de l’IDE, avec protection contre l’expropriation, garantie d’indemnisation et de transfert de fonds ; il devait s’appliquer à tout secteur. L’AMI aurait obligé les pays signataires à l’irréversibilité (standstill) d’un niveau minimum de libéralisation et à l’élimination totale (roll-back) des exceptions aux obligations de libéralisation. Complété par des procédures de règlement des litiges liés à l’IDE, il prévoyait l’embauche sans restriction du personnel expatrié, le traitement national (à égalité avec les autochtones) des IDE dans les programmes de privatisation, la régulation des monopoles, les contraintes de performance et les incitations à l’investissement. Ouvert à la signature des pays membres de l’OCDE, mais aussi des non-membres, d’où sa prétention mondiale, il aurait été obligatoire pour les signataires. Les MN ont exprimé un fort soutien à l’AMI, notamment dans le cadre du
BIAC (Business and Industry Advisory Committee) de l’OCDE. L’AMI était bien… celui des MN. L’exclusion des pays non membres de l’OCDE de la préparation de l’AMI leur a fait craindre que leurs intérêts de pays hôtes ne soient pas suffisamment pris en compte. Des PVD auraient souhaité un cadre multilatéral visant à contenir les effets indésirables des MN dans les pays hôtes. La négociation de l’AMI a été mise en sommeil en décembre 1998 quand la France a fait connaître son opposition ; d’autres positions hostiles en Europe et aux États-Unis craignaient pour l’indépendance nationale. L’AMI aurait facilité la propagation des stratégies globales des MN et exacerbé la surenchère des politiques d’attractivité. La plupart des clauses de l’AMI sont déjà appliquées, de facto, par de nombreux pays [74]. Le slogan de l’AMI d’aplanir les règles du jeu (level off the playing field) visait à créer une réalité proche de l’idéal néoclassique d’un monde institutionnellement lisse, tout en entérinant exactement son contraire, i.e. des inégalités durables entre les avantages comparés que les pays peuvent proposer aux MN. Donc une concentration de l’IDE encore plus forte sur quelques pays et agglomérations privilégiés [56].
Les accords multilatéraux sur l’IDE sont sectoriels ou spécifiques. Ainsi, le GATS (General Agreement on Trade and Services) vise la liberté d’offre sur un marché intérieur par des fournisseurs de services étrangers, l’ICSID (International Centre on Settlement of Investment Disputes) applique une convention internationale sur les litiges relatifs à l’IDE ; la déclaration tripartite de principes concernant les MN et la politique sociale (BIT, 1977) ou la recommandation du Conseil de l’OCDE sur les pots-de-vin et 94
la corruption dans les transactions internationales relèvent de cette catégorie. Le seul accord multilatéral qui ait une portée générale, non sectorielle et non spécifique est le Guidelines on the Treatment of Foreign Direct Investment de la Banque mondiale, adopté en 1992, mais non obligatoire. 5. La localisation de l’IDE L’intuition de Hymer [70] selon laquelle l’IDE tend à se concentrer dans des métropoles centrales, délaissant les périphéries économiques, a reçu une confirmation précise avec les travaux sur la localisation de l’IDE. L’économie géographique, depuis Krugman, a remis en valeur la structure centre-périphérie de l’économie mondiale et la notion d’effet d’agglomération ; celle-ci exprime que les firmes se concentrent en des sites géographiquement bien définis, de manière cumulative. Les forces qui poussent à l’agglomération sont : les économies d’échelle, la concentration en un lieu de qualifications spécifiques de la main-d’œuvre et d’infrastructures de qualité, des externalités de proximité positives entre firmes tenant à l’apprentissage, l’information, l’innovation et la formation de réseaux [58], des retombées technologiques et un marché local pour les biens intermédiaires. Le choix d’une localisation là où la demande est importante permet aussi de minimiser les coûts de transport. Plus les MN flexibilisent leur choix de localisation par des stratégies globales, plus on se rapproche d’une localisation libre (footloose industry), et plus elles peuvent rechercher les localisations à forts effets d’agglomération et se concentrer dans quelques pôles régionaux et métropoles de l’économie mondiale. Faute de pouvoir mesurer directement les effets d’agglomération, on cherche à en déceler l’existence en vérifiant que les MN sont attirées dans une localité par la présence d’autres MN. Le niveau d’industrialisation et les IDE déjà présents sont les deux premiers déterminants du flux d’IDE américain dans les PDEM [78]. Les travaux postérieurs ont pris deux directions. L’une analyse l’agglomération d’activités dans certaines localités comme une excroissance de l’économie mondialisée à internationalisation rapide, conduisant à la formation de « nœuds néomarshalliens 3 » 3. Référence à la notion de district industriel d’Alfred Marshall, qui définit un espace de proximité géographique où jouent des économies externes et des effets d’agglomération.
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dans les réseaux mondiaux [55]. Les avantages liés aux effets d’agglomération sont exploités dans des localisations qui sont en interaction avec des configurations spatiales plus vastes : les réseaux mondiaux des MN [77]. Cela permet aux MN localisées dans de tels sites d’améliorer leur capacité concurrentielle sur les marchés mondiaux, mais la restructuration stratégique des MN affecte profondément les localisations de ce type. Dicken [62] soutient que la mondialisation est le résultat de l’interaction entre les MN et les États ; les stratégies des MN et les politiques étatiques reconfigurent sans cesse la géographie économique mondiale. Dans cette interaction États-MN, les activités économiques forment des grappes localisées là où les effets d’agglomération sont forts. La concentration géographique de l’activité économique est la norme, et non l’exception, avec la mondialisation. Le dernier World Investment Report [10, 2001] montre la forte concentration du stock entrant d’IDE en des lieux précis de l’économie mondiale (Amérique du Nord, UE, Chine) et les QG des MN siègent dans un petit nombre de villes ; les filiales étrangères ont une localisation polarisée sur les grandes zones métropolitaines des pays hôtes (Tôkyô, l’Île-de-France, Sa˜o Paulo, Rio de Janeiro, Budapest, etc.). La deuxième voie étudie dans quelles régions (infranationales) les MN se localisent dans un pays donné ou dans une zone plus vaste, telle l’Union européenne. Selon une première hypothèse [63], les MN comparent directement les caractéristiques des différentes régions avant de décider la localisation de leur IDE. Une autre hypothèse est que les MN font des choix séquentiels en matière de localisation, choisissant d’abord une grande zone géographique (par exemple, l’Europe), puis un pays d’implantation dans celle-ci [74], et enfin une localité à l’intérieur de ce pays. Les déterminants du choix à chacune des étapes ne sont pas les mêmes, selon les rares études ayant tenté de vérifier l’idée d’un choix de localisation séquentiel. L’étude des IDE japonais et européens aux États-Unis montre que le taux de chômage, mesurant la disponibilité de la main-d’œuvre dans une région, augmente sa probabilité d’attirer des MN, ainsi que la demande, les incitations et la fiscalité locales [64]. La localisation de 751 MN japonaises aux États-Unis est expliquée par des effets d’agglomération propres à chaque branche [68] ; la profitabilité testée d’une région r pour un IDE est : J K pr = ϑr + aUS. ln AUS r + aJ. ln Ar + aK. ln Ar + er. J K où ϑr : attractivité de la région ; AUS r , A r et A r sont les variables d’agglomération mesurées par le nombre d’établissements 96
américains, japonais indépendants et ceux appartenant à un keiretsu (groupe), et visent à différencier les choix de localisation des MN japonaises de ceux des firmes américaines. Le résultat est en effet que la localisation des IDE japonais est influencée par la présence antérieure de MN japonaises ou de keiretsu dans la région. Dans un modèle d’économie géographique [67], les MN cherchent à se localiser dans les régions où il existe un grand nombre de fournisseurs locaux de biens intermédiaires ; chaque IDE nouveau accroît la demande pour ces biens, le nombre et la qualité des fournisseurs, et autorenforce la polarisation des IDE sur ces régions. Les effets d’agglomération ne jouent que pour la localisation des MN suédoises intensives en RD [58] ; ces effets tiennent surtout à des retombées technologiques. L’étude des IDE japonais en Europe [73] souligne l’importance des effets d’agglomération et valide plus nettement le fait que le choix de localisation des MN se fasse selon la séquence suivante : d’abord un pays hôte dans une zone, puis une région et une ville dans ce pays. Le modèle logit structuré testé est du type : p= a.D + b.C + c.N + d.I, avec p : profitabilité de chaque localisation, D : sa demande, C : ses coûts, N : nombre de firmes présentes, I : incitations à l’IDE. L’influence des salaires et la présence d’autres MN sont significatives au niveau régional, l’impact de la demande et la concurrence le sont davantage au niveau du territoire national. Les différences salariales régionales jouent plus fortement sur la décision de localisation à l’intérieur de chaque pays (plutôt qu’entre régions de pays différents). Conclusion : l’idée selon laquelle les régions d’un pays seraient directement en concurrence avec les régions étrangères pour attirer les IDE n’est que partiellement vérifiée. L’implication pratique est que, même si un préfet de région ou un maire peut influencer la décision d’une MN d’investir en un lieu donné, la politique d’attractivité de l’État hôte reste décisive pour attirer les MN.
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L’investissement direct étranger en région Les aides de la DATAR essaient d’attirer l’IDE vers les zones d’emploi sinistrées, sans parvenir à contrecarrer les effets d’agglomération. En 1995, les quatre premières régions par le nombre d’emplois des filiales étrangères étaient : Île-de-France, Rhône-Alpes, Alsace, Nord-Pas-de-Calais ; les quatre dernières : Poitou-Charentes, Bretagne, Languedoc-Roussillon, Limousin ; la
hiérarchie n’a presque pas changé depuis 1979 (la Lorraine était troisième). De la même façon, les filiales étrangères des MN françaises en Europe se concentrent sur : Madrid, Lombardie, Sud-Est anglais et Midlands, Stuttgart, Bruxelles, Catalogne, Piémont, et délaissent le Mezzogiorno, la Cornouaille, le sud de l’Espagne.
VI / Les multinationales : un pluralisme théorique
Une analyse plus théorique des MN doit offrir, en mobilisant plusieurs variables explicatives, une réponse unifiée et cohérente à trois questions : pourquoi ces firmes sont-elles devenues des MN, comment et avec quel impact sur les économies nationales et mondiale ? Elle doit normalement intégrer les déterminants de l’IDE, de sa localisation et les facteurs d’attractivité (chapitre V), objectif non atteint par les théories existantes, l’approche éclectique en étant la moins éloignée. En trente ans et plusieurs milliers de publications, il s’est formé cinq analyses des MN à partir de : l’économie internationale fondée sur les avantages comparatifs des nations ; l’économie industrielle repérant les avantages compétitifs des industries et des firmes ; l’économie institutionnelle, microéconomique, fondée sur les avantages spécifiques des firmes ; l’économie systémique expliquant l’expansion des MN par référence au processus de mondialisation de l’économie. Un modèle explicatif de l’IDE par le niveau de développement des pays d’origine et des pays hôtes s’affirme dans les dernières années. 1. L’économie internationale des multinationales La première explication générale des MN a été recherchée à l’aide de la théorie (néoclassique) de la spécialisation internationale. Dès le départ, on se heurte à une difficulté en raison de son hypothèse d’immobilité internationale des facteurs, dont le capital. Le théorème d’Heckscher-Ohlin-Samuelson énonce sous cette hypothèse que, si chaque pays se spécialise dans les produits utilisant le facteur de production dont il est relativement le mieux doté, 99
l’échange international permet, à lui seul, d’atteindre l’équilibre et d’égaliser les rémunérations de chaque facteur entre les pays. Cela fait disparaître tout motif pour déplacer le capital par un IDE. Si l’on abandonne l’hypothèse d’immobilité internationale du capital, la théorie peut expliquer des mouvements de capitaux en réaction à des disparités de taux de rendement ; l’égalisation de ceux-ci et l’équilibre sont atteints sans que l’échange international soit nécessaire ; de plus, la mobilité des facteurs rapproche les dotations nationales, érode les avantages comparatifs et sape les bases de l’échange [7]. Il y a donc une relation forte de substitution entre commerce et IDE, au sens que cette théorie ne peut expliquer les deux à la fois. Pour sortir du dilemme, on abandonne l’hypothèse de concurrence parfaite en introduisant des droits de douane [99], contraires au libre-échange prôné par cette théorie, et on obtient l’explication des tariff factories. Introduite dans le modèle HOS, une firme monopoliste réagit à l’élévation des droits de douane par la hausse des prix, l’IDE et la réexportation des produits de la filiale étrangère vers le pays d’origine [69]. Allant au bout de la logique de substitution IDE-commerce, Kojima [96] soutient que l’IDE américain détruit du commerce international, car il est entrepris pour défendre sur place un marché d’exportation face aux concurrents locaux. Les facteurs de production matériels (machines) ou immatériels (qualification des gestionnaires, technologie) sont tenus pour spécifiques à chaque secteur. Ainsi, dans le textile, les MN japonaises ont avantage à délocaliser leur capital spécifique (machines pour textile) dans des PVD à main-d’œuvre spécifique moins chère ; les coûts de production sont abaissés. L’IDE japonais modifie l’avantage comparatif de ces PVD et stimule leurs exportations de textile et leurs importations de machines. L’IDE japonais est créateur d’échange. Sur cette base, Kojima et Ozawa [100] expliquent l’IDE japonais par la dynamique de l’avantage comparatif. Dans une phase 1, le Japon est spécialisé dans des industries de main-d’œuvre. Leur croissance raréfie le travail et élève les salaires au Japon ; les firmes délocalisent la production dans les PVD. Dans une phase 2, le Japon se spécialise dans des industries lourdes en capital, en réaction à la hausse des salaires. Leur croissance se heurte à l’espace et aux matières premières peu disponibles au Japon ; les MN se délocalisent pour assurer l’approvisionnement. Dans une phase 3, le Japon se spécialise dans les biens de consommation durables, dont l’exportation finit par se heurter au protectionnisme des PDEM, qui provoque l’IDE. L’évolution des avantages comparatifs, en fait leur disparition dans tel ou 100
tel secteur, explique le cycle des IDE. Cette explication s’inscrit dans une analyse du développement en « vol d’oies sauvages » [80] où chaque industrie suit la séquence importation, puis production intérieure, puis exportation au cours du temps (exemple : textile au Japon), pendant sa période de rattrapage des PDEM. Quant aux théories de l’impérialisme, elles sont tombées en désuétude avec la mondialisation, même la version plus adaptée [104] où l’impérialisme n’est pas tant l’envahissement des PVD par l’IDE que leur domination venant plutôt de la pénurie de capital, organisée au profit de ses IDE par la métropole. Les hypothèses utilisées par l’ancienne économie internationale sont trop simplistes pour pouvoir expliquer l’IDE. Elles négligent la production à l’étranger, les firmes, la différenciation des produits, les services. Par nature, une explication fondée sur les dotations de facteurs ne peut saisir qu’un pays est à la fois un lieu d’IDE entrant et d’IDE sortant [87]. L’évolution technologique permet aux firmes de s’émanciper de la dotation initiale de facteurs ; les avantages comparatifs ne sont pas donnés mais créés. L’idée de facteur spécifique fait de toute MN un monopole et renvoie l’explication à un avantage absolu et non plus à l’avantage comparatif. 2. L’économie industrielle des multinationales L’article de Vernon [105] sur le cycle international du produit nouveau a fait bifurquer les théories de la MN vers l’économie industrielle. Cherchant à expliquer le paradoxe de Léontief, Vernon soutient que le produit nouveau est lancé par des firmes innovatrices aux États-Unis et exporté, alors que sa nouveauté technique exige une production à fort contenu en travail qualifié. Puis le produit parvient à maturité, les coûts baissent, la demande croît, y compris à l’étranger en PDEM, où des concurrents apparaissent et menacent les exportations américaines. Perdant leur monopole technologique, les MN américaines ont une réaction défensive pour conserver leur part du marché des PDEM : l’IDE. Dans une troisième phase, le produit standardisé est fabriqué en masse, à faible coût, dans des unités de production capitalistiques utilisant surtout du travail peu qualifié. L’IDE délocalise la production vers les PVD où une demande existe et d’où le produit est aussi réexporté vers les États-Unis et les PDEM. Cette théorie a été critiquée, y compris par Vernon lui-même ultérieurement [107] : l’écart technologique séparant les États-Unis des 101
PDEM s’est réduit, parfois jusqu’à zéro ; quand les MN ont des filiales tout autour du globe, le rôle du marché d’origine (américain) perd de l’importance comme stimulant à l’innovation ; avec la hausse des revenus dans les PDEM jusqu’au niveau américain, la demande de produits nouveaux y est devenue comparable et parfois antérieure à celle des États-Unis. De plus, Vernon n’explique pas pourquoi certaines firmes, mais pas toutes, sont innovatrices dans un marché donné [87]. Les vérifications empiriques ne valident le cycle international du produit que pour les biens de consommation durables. La théorie de Vernon ne distingue pas l’innovation de procédé de l’innovation de produit ; elle est trop déterministe sur l’ordre des phases de vie du produit ; elle suppose une imitation du modèle de consommation américain par le reste du monde. En fait, l’IDE américain y est déterminé par la menace des concurrents européens, ce qui ouvre la voie aux théories de l’oligopole international. L’évolution technologique est un facteur explicatif des MN pour ceux qui voient les bases d’une concurrence mondiale des firmes et des nations dans les synergies et les grappes technologiques, les fertilisations techniques réciproques ou combinatoires [4]. Cette évolution résorbe les écarts technologiques entre les PDEM et réduit les avantages monopolistes qu’en tiraient les MN. Du fait des économies externes que l’on réalise en concentrant la production de technologie en quelques localisations, la présence de nouvelles technologies en un lieu attire l’IDE entrant [21] ; ce qui contredit la thèse de l’avantage technologique favorable à l’IDE sortant. La RD est ainsi le terrain où la rivalité entre MN s’exerce par « invasion réciproque » au sein de chaque oligopole mondial. Un processus d’apprentissage commun à plusieurs MN développe leur compétence technologique fondée, dans une vision évolutionniste, sur l’acquisition des éléments tacites, non codifiables et non échangeables de la technologie [83]. L’oligopole mondial Les IDE croisés, réciproques entre PDEM sont aussi expliqués par les théories de l’oligopole international tenant compte des imperfections des marchés mondiaux ; les MN y érigent des barrières à l’entrée des nouveaux concurrents sur la base d’avantages absolus de coût, de différenciation du produit et de publicité, d’économies d’échelle et de rendements croissants, de techniques brevetées ou inaccessibles. On a expliqué les IDE européens aux 102
Multinationales et analyse sectorielle Une dérive des secteurs (industries) des États-Unis vers les PDEM, puis vers les PVD résulte du cycle international du produit. L’ensemble ou une partie de chaque industrie connaît des phases d’innovation, de maturité et de standardisation donnant lieu à des oligopoles jeunes, arrivés à maturité et sénescents [106]. Sous l’angle sectoriel, l’IDE peut être horizontal (comme chez Vernon), la MN produisant le même produit à l’étranger qu’en pays d’origine, ou vertical (intégration amont ou aval) [84]. Le choix dépend de la comparaison entre les barrières à l’entrée dans une autre industrie et les coûts de production du même produit à l’étranger. Une intégration diversifiée ou conglomérale peut conduire une MN à investir à l’étranger dans un secteur différent de celui du pays d’origine, surtout avec les NFI et les FAT, en vue de diversifier les risques industriels ; cette hypothèse testée par Wolf [108] dans le cas de grandes firmes à haute technologie a été contestée comme trop coûteuse en ressources managériales. Reste à expliquer l’IDE entrant et sortant d’un pays dans la même branche : on revient aux avantages comparatifs, alors supposés semblables entre les deux pays (Clegg dans [2]). Dans une approche marxiste, le capital de chaque branche d’industrie s’interna-
tionalise ; la branche est définie par un « ensemble marchandise » correspondant à un marché oligopolistique clôturé par des barrières à l’entrée. La circulation des capitaux entre pays dans chaque branche impose des normes techniques internationales ; celles-ci hiérarchisent les nations selon leur position dans les différentes branches. L’objet de la théorie est la branche, non la MN. Cette théorie ressemble à une dérive sectorielle « à la Vernon » mais sans cycle du produit. Pour relier le niveau microéconomique des MN à la macroéconomie de l’accumulation mondiale du capital, une notion de secteur regroupant les MN selon la destination de leur production (secteurs des biens de consommation, des biens de production, des biens mixtes destinés à la fois aux entreprises et aux ménages) montre que les MN se concentrent dans le troisième secteur où elles ont les plus fortes dépenses de RD, la plus forte capacité à s’adapter à la demande et les plus forts taux de profit [81]. Ces secteurs étant mondiaux, on est dans une logique de mondialisation, où l’insertion de chaque nation dans l’économie mondiale est déterminée par le poids relatif qu’y occupe l’accumulation du capital internationalisé des MN.
États-Unis, dans une logique de l’agresseur agressé, comme une réaction oligopolistique aux IDE américains en Europe [93]. L’IDE des MN américaines sur le marché européen en forte croissance vise à maintenir leur part du marché mondial. L’IDE européen sur le marché américain a, en réaction, le même objectif. La limite de cette thèse est qu’elle n’explique pas pourquoi la défense d’une part du marché mondial est réalisée par IDE et non par exportation. Il faut la compléter comme suit : une firme en position dépendante dans un oligopole national est incitée à l’IDE pour abaisser ses coûts de 103
production, pour échapper à la saturation de son marché d’origine ou à la stabilité de l’oligopole qui perpétue sa dépendance. Une autre version explique que si la MN leader de l’oligopole décide d’un IDE dans un pays donné pour modifier à son avantage la structure du marché, alors, par réaction à l’agression ou par imitation, les MN suiveuses de l’oligopole vont investir dans ce pays [95]. Les MN suiveuses provenant de divers pays d’origine, l’oligopole devient international. Ou encore une MN agressée sur son territoire par l’IDE de la MN leader répond, avec un temps de réaction, en investissant sur le territoire de cette dernière pour l’affaiblir : c’est l’échange de menaces [87]. Le comportement de la MN leader peut à son tour être expliqué par son avantage technologique ou par la réduction de celui-ci (alors la théorie de l’oligopole se raccorde au cycle du produit de Vernon) ; l’évolution technologique déstabilise souvent les oligopoles. Les limites de ces théories sont de supposer une mondialisation instantanée de tout marché par réaction, d’estomper les frontières de chaque industrie et de ne pas expliquer pourquoi tant de marchés et d’industries sont oligopolistiques dans le monde, même si elles font comprendre pourquoi la concentration internationale s’accentue. L’oligopolisation des marchés, associée à un ralentissement de l’innovation et de la productivité, a provoqué une rigidité croissante et une inertie de la production de masse fordiste dans les années soixante-dix [50] ; les années de crise sont celles d’une recomposition des oligopoles. Ne pouvant pas toujours sortir de son industrie en raison de coûts irrécouvrables (barrières à la sortie), toute MN d’un oligopole doit désormais être un global insider, un concurrent qui a une position dans chacun des trois systèmes de production et de marchés de la Triade, en particulier pour la RD et la recherche de solutions postfordistes. L’oligopole mondial s’organise en un réseau d’alliances et de relations contractuelles entre ses membres, et renforce collectivement les normes technologiques jouant plus comme moyens de contrôle de l’évolution des marchés que comme barrières à l’entrée. La coopération entre les MN de l’oligopole recomposé, par ailleurs rivales, se double d’une concurrence exacerbée et de comportements stratégiques analysables par la théorie des jeux. Ces nouveaux oligopoles s’établissent non plus sur la base d’une répartition des marchés, mais sur un partage des connaissances technologiques ; non plus sur des économies d’échelle liées à la taille de la MN, mais sur des économies de champ dues à la variété de ses produits ; voire sur une collusion tacite internationale. Les théories de l’oligopole ont été critiquées comme trop statiques, se 104
préoccupant peu de la division du travail et des différenciations au sein d’une industrie, et encore moins à l’intérieur de chaque MN.
La nouvelle économie industrielle internationale La nouvelle économie internationale tient compte de certaines réalités industrielles (concurrence imparfaite, rendements croissants). Pour analyser les stratégies des MN, elle suppose un monopole dans un pays ; dans l’autre pays, il existe un concurrent potentiel ; les coûts sont irrécupérables. Le monopole cherche à convaincre qu’en cas d’entrée de la MN dans son pays il déclenchera une guerre des prix. Dans un modèle de jeu non coopératif, les résultats sont les suivants, si pm est le profit de monopole, pd le profit de duopole, pg le profit (négatif) en guerre de prix, avec : pg ! 0 ! pd ! pm. Si la MN n’entre pas dans le pays du monopole, la valeur du jeu est (0, pm). Si elle entre et que le monopole accepte le partage du marché : (pd, pd). Si le monopole baisse les prix : (pg, pg). La menace de guerre des prix n’est pas crédible car elle maximise la perte du monopole. Si l’on fait l’hypothèse que, pour conduire la guerre des prix, le monopole doit engager des coûts irrécupérables C, la menace devient crédible quand : pg 1 pd – C. Ce modèle n’est pas spécifique aux MN, mais leur est appliqué en faisant l’hypothèse que les deux firmes sont situées dans deux pays différents. Sa portée empirique paraît faible, peu de cas concrets correspondent à l’analyse proposée [101]. En nouvelle économie industrielle [27], la théorie des jeux non coopératifs est sollicitée pour étudier
l’oligopole mondial [88]. L’idée est d’utiliser le théorème du folklore des jeux répétés en information complète pour montrer dans quelles circonstances la coopération entre des MN rivales, engagées dans un jeu ayant une structure de dilemme du prisonnier, peut présenter les propriétés d’un équilibre de Nash (situation où aucun joueur n’est incité à changer sa stratégie, à déstabiliser l’oligopole mondial). En information incomplète de la MN sur les stratégies de ses rivaux, la théorie des signaux pourrait fournir un modèle d’analyse de l’oligopole mondial. Les alliances entre MN appellent un modèle décrivant les marchés industriels comme des réseaux de relations entre firmes mutuellement dépendantes et coordonnant leurs activités. Ces relations ne s’établissent qu’avec le temps. Sur les marchés industriels, ce sont des processus cumulatifs (dont l’IDE) qui forment, maintiennent, développent ou mettent fin aux relations en réseaux. L’internationalisation des firmes est un processus visant à prendre position dans des réseaux étrangers et crée les relations conduisant à un réseau de production global [94]. Les exportations et les flux successifs d’IDE sont analysés comme les séquences d’un processus d’apprentissage international dans lequel le calendrier des opérations importe (et pas seulement le premier IDE comme dans la plupart des théories).
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3. L’économie institutionnelle des multinationales Dès les premières enquêtes auprès des MN, les dirigeants répondaient que la firme détient des avantages propres et les met en valeur par l’IDE. Il en fut déduit que la firme doit posséder un avantage sur les concurrents, qu’elle peut le transporter à l’étranger et que les firmes locales ne peuvent pas l’acquérir. Les avantages déclenchant l’IDE dans cette optique sont des imperfections sur les marchés oligopolistiques des produits et des facteurs (supériorité technique non accessible aux concurrents), ainsi que des économies d’échelle internes ou externes et des avantages institutionnels résultant de l’intervention des États. C’est le point de départ de l’approche institutionnelle des MN [103]. L’avantage spécifique En environnement imparfait, la firme apprend à planifier, coordonner et évaluer ses activités internationales et ses filiales ; elle substitue l’organisation aux marchés imparfaits [92] ; organisation qui devient son avantage spécifique transférable à l’étranger et qui lui permet d’obtenir des gains supérieurs aux coûts d’implantation. Cet avantage est fondé sur des actifs spécifiques, la plupart intangibles (technologie, savoir-faire, capital humain, qualifications, information) et ayant le caractère de biens publics [91], tels que la connaissance, l’éducation. Ces actifs peuvent être utilisés ou transférés dans une unité de production additionnelle à un coût marginal très faible et peuvent être consommés sans que leur disponibilité ne se réduise. L’IDE est entrepris si l’exploitation de ces actifs sur les marchés étrangers a un faible coût d’opportunité par rapport aux revenus de l’IDE. Les actifs intangibles spécifiques à la MN peuvent aussi consister en un réseau de distribution ou d’approvisionnement, en une marque, en la qualité du marketing. Pour constituer un avantage spécifique à la firme, ces actifs intangibles doivent être sa propriété, être protégés par des droits de propriété excluant les concurrents de l’accès à ces actifs : ainsi, la MN a le choix entre tirer une rente de monopole de sa technologie spécifique par l’IDE ou une redevance de son transfert à l’étranger par un contrat bien spécifié (licence). Une faiblesse de la théorie est de ne pouvoir délimiter et quantifier avec précision ce qui est entendu par actif ou facteur spécifique, surtout s’il est intangible. Une autre est de faire reposer la MN sur un avantage absolu dans deux pays ou 106
plus, voire à l’échelle mondiale [103], soit une vision de toute MN comme étant toujours un monopole. Internalisation et coûts de transaction Citant l’analyse de Coase, Hymer [92] fut le premier à recourir à la théorie de l’internalisation et aux coûts de transaction pour expliquer l’existence de cette institution qu’est la grande MN. L’IDE n’est qu’un transfert international de capital, alors que la MN est un moyen d’étendre le contrôle managérial à des activités dans plus d’un pays et de les coordonner [98]. Les coûts de transaction résultent de défaillances du marché telles que l’impossible contact entre acheteurs et vendeurs, la non-spécification du produit, l’impossible accord sur un prix de vente, des défauts de qualité du produit, des délais de livraison non respectés et des coûts pour faire respecter les contrats en justice. Ils peuvent être accrus par des effets externes, des économies d’échelle, des situations d’incertitude ou des interventions d’État. Moins les droits de propriété privée sont clairement définis, plus un actif ressemble à un bien public, et plus les coûts de transaction sont élevés. Si la diffusion de sa technologie ou son approvisionnement en produits intermédiaires sont dans ce cas sur les marchés internationaux, la MN intègre verticalement l’utilisation de ses techniques ou la fourniture de ses intrants en créant des filiales à l’étranger ou en prenant le contrôle de ses clients ou fournisseurs étrangers (FAT). Si les coûts de transaction dépassent ceux de la coordination au sein de l’organisation, la firme internalise le marché : la MN remplace l’exportation par l’IDE. La taille de la MN croît avec l’internalisation (IDE, filiales) et donc les coûts d’organisation augmentent. Alors la MN répond aux coûts d’organisation croissants par l’octroi d’une licence, un accord de sous-traitance ou une autre NFI (externalisation). La théorie de la MN est aussi théorie des accords contractuels internationaux avec accès imparfait à l’information et distorsion des prix. Les joint-ventures [89] s’expliquent par les défaillances et les coûts d’une organisation intégrée, tout en transmettant le savoir-faire de la MN. Comme résultat de l’internalisation, la MN substitue au marché international un marché interne, soumis à une hiérarchie [5]. La MN utilise le marché interne pour fixer les prix de ses transferts avec les filiales, minimiser sa charge fiscale, contrôler les flux de capitaux, d’intrants et de produits, maîtriser ses services après-vente à l’étranger. Et ce d’autant plus que l’État crée des imperfections sur 107
le marché : élévation des droits de douane et des impôts, contrôle des prix, du rapatriement de profit, du contenu local. La théorie de l’internalisation n’explique pas vraiment pourquoi la MN doit intégrer plutôt des marchés extérieurs que le marché de son pays d’origine. Lorsque des firmes ont avantage à internaliser, toutes ne deviennent pas des MN. L’analyse ne prend en compte qu’une seule firme : le problème est de savoir jusqu’où elle peut internaliser un marché devenu mondial sur lequel des MN rivales cherchent aussi à internaliser (on retrouve l’oligopole). Marchés interne et externe à la MN sont en communication, et les frontières de l’objet d’analyse (la MN) sont floues. La multiplication des FAT accroît ce problème. Les avantages spécifiques des MN sont traités comme des données, alors qu’ils évoluent en dynamique ; les avantages liés au secteur ou aux pays sont considérés comme des variables exogènes. Les difficultés d’identification et de mesure précise des coûts de transaction restent sérieuses [33]. La théorie éclectique des multinationales La théorie éclectique [5 ; 33] vise à dépasser certaines de ces difficultés et prolonge un modèle ayant tenté d’englober les théories de l’IDE et du commerce international [90], ceci en vue d’expliquer la production internationale définie comme celle des MN engagées dans des activités créant de la valeur ajoutée à l’étranger. Elle repose sur le paradigme OLI décrivant les trois types d’avantages à devenir une MN : l’avantage spécifique à la firme tiré d’actifs intangibles (O : organisation), l’avantage à la localisation à l’étranger (L) et l’avantage à l’internalisation (I). L’IDE est choisi pour pénétrer un marché étranger quand la firme réunit simultanément les trois types d’avantages OLI. Si elle ne possède que O et I, elle exporte, si elle ne détient que O, elle vend une licence à une firme locale ou choisit une autre NFI. Les trois types d’avantages sont influencés par les caractéristiques des pays (surtout L), des secteurs (surtout O) et de la firme (surtout I). L’État (politique d’attractivité) comme la MN peuvent agir sur O, L et I. La théorie ne met pas en relation ces choix organisationnels statiques avec les stratégies dynamiques de la MN. Dunning [33] a tenté d’expliquer les changements de stratégies S par l’évolution des trois avantages au cours de la période antérieure : St + 1 = f (OLIt). Or les avantages actuels sont induits, entre autres, par l’adaptation passée des stratégies des MN : OLIt = f (St-1). Le décalage de période est introduit 108
pour rompre avec l’aspect statique de la théorie et pour éviter un raisonnement circulaire. La théorie éclectique reste profondément microéconomique, comme celle de l’internalisation. Kojima [97] lui reproche de délaisser le macroéconomique, les avantages comparatifs, et de négliger la variable pays. Cette théorie laisse aussi peu de place au niveau sectoriel, aux stratégies globales, aux alliances entre MN et donc aux apports de l’économie industrielle. Elle ne peut expliquer la complémentarité entre exportation et IDE, pourtant observée sur certains marchés. Partie à la recherche des formes institutionnelles optimales des transactions internationales, la théorie de l’internalisation débouche sur une approche éclectique où « tout peut arriver » en fonction des avantages du moment, y compris des formes sous-optimales. La MN définie comme créant de la valeur ajoutée à l’étranger peut à la limite ne faire aucun IDE. L’hypothèse sous-jacente d’un comportement rationnel identique des managers est atténuée par l’idée d’avantages (spécificités) culturels liés au pays d’origine. L’analyse des relations internalisées à l’intérieur de la MN est négligée. L’internalisation n’est bénéfique que pour les grandes MN maximisant un profit à l’échelle globale, mais désastreuse pour les marchés nationaux et internationaux en y créant plus d’imperfection. Les théories de l’internalisation et éclectique n’auraient-elles été élaborées que dans l’intérêt des entreprises privées ? Cette critique sous-tend certaines des théories systémiques de la MN. 4. Une économie systémique des multinationales Les théories considérant les effets des MN sur la formation d’un véritable système économique mondial furent en vogue dans les années soixante-dix ; la notion plus récente de mondialisation ne dit pas autre chose, bien que sur un ton libéral. Une vue systémique de la production internationale est suggérée par des théoriciens conventionnels pour dépasser les limites de leur approche ; de même, une attention plus marquée est portée aux mécanismes sociaux de coordination des MN. Signalons quelques précurseurs de cette approche. Selon Hymer [70], les MN organisent le monde, au point que la hiérarchie des économies nationales découle de l’organisation du pouvoir à l’intérieur des MN. Les fonctions économiques de l’État finiraient par être transférées aux MN (chapitre V).
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Les multinationales dans le capitalisme mondial Le rôle des MN dans l’émergence d’un capitalisme mondial a été souligné dans les analyses de l’internationalisation du capital, notamment en les associant à un régime d’accumulation particulier [81]. Il y avait là une possibilité d’intégrer l’analyse des MN aux théories de la régulation, intégration naguère amorcée. Mais en insistant sur les spécificités nationales de la concurrence et de la régulation, ces théories ont quelque peu évacué les MN. L’approche du système de l’économie mondiale (SEM) par Michalet [7] semble avoir mieux résisté à l’épreuve du temps et des débats de l’époque. Le processus de formation du SEM, inachevé, y est le produit d’une dialectique entre
États-nations et MN. Le développement des MN est déterminé par la suraccumulation du capital et des taux de profit plus élevés qu’elles vont chercher à l’étranger, ainsi que par la concentration des capitaux constituant de grands groupes MN. Ces évolutions déterminent la structure même du SEM, généralisent le rapport salarial dans le monde, uniformisent les normes techniques mondiales et façonnent les spécialisations internationales des firmes et des pays. En essayant de maintenir l’unité de son système productif, l’État-nation reproduit des différenciations spatiales, lesquelles stimulent la multinationalisation des firmes.
Vers une théorie de la mondialisation de la production ? Tombées en désuétude, les théories liant les MN et l’économie mondiale ont resurgi avec la mondialisation, notamment l’analyse des stratégies globales de localisation des MN, qui poussent à fond la tendance à l’homogénéisation du SEM. La régulation du SEM s’autonomise, l’intervention des États déclinant. Observant les faits rattachés à la mondialisation, Chesnais [4] soutient, à juste titre semble-t-il, que le SEM au sens de Michalet est désormais complètement constitué et financiarisé. Bien que provenant d’horizons théoriques différents des précédents, l’industrie globale de Porter [40] contribue à l’analyse systémique du rôle des MN. L’industrie n’est pas tant globale parce qu’elle contient des MN ayant un réseau centralisé de filiales étrangères que parce que la position concurrentielle d’une firme dans un pays y est fortement influencée par sa position dans d’autres pays ; la concurrence y est vraiment mondiale, de même que l’intégration des activités de la firme, pas nécessairement le capital. La globalisation d’une industrie renvoie aussi à son processus de production en tant que chaîne de valeur ajoutée répartie dans de nombreux pays. Ceux-ci deviennent les localisations d’un segment d’une 110
industrie dont les frontières transcendent celles des nations, mais le rôle du pays d’origine des MN « semble plus important que jamais » [41], car c’est là que se forgent les avantages concurrentiels des firmes. L’aptitude des firmes d’un pays donné à exploiter les liens qui les unissent à leurs clients et fournisseurs explique la position concurrentielle dudit pays dans une industrie globale. On rejoint l’analyse en termes de réseaux [94], la coordination du réseau international étant source d’économies d’échelle. Le réseau mondial, transfrontières, capable de fournir une production personnalisée en tout pays, caractérise l’économie mondialisée de Reich [102]. La firme mondiale à production personnalisée « évolue vers un partenariat international de personnes dont les compétences sont combinées les unes avec les autres, et qui passent des contrats avec des travailleurs non qualifiés partout dans le monde pour la production de masse standardisée ». Une sorte de postfordisme mondial. Si beaucoup admettent la tendance à la mondialisation du système, qui n’est pas nouvelle, en revanche, le dérapage libéral de la notion de mondialisation est contesté par les tenants de l’approche systémique, ainsi que son emploi idéologique pour proclamer le déclin des États et la toute-puissance des MN privées. Surtout là où la mondialisation s’accompagne d’une forte accentuation des inégalités et d’une dislocation des structures sociales, même dans les PDEM [102]. Des économistes considèrent que l’économie mondiale est dans une « crise de gestion » (Buckley) et des spécialistes en gestion proposent d’entamer une critique épistémologique de la mondialisation, surtout lorsqu’elle permet à des MN de contourner les règles déontologiques, comptables et financières (Enron, etc.). La notion libérale de mondialisation masque souvent la spécificité des MN et les disparités internationales de développement économique, alors que les deux sont liées par l’IDE, comme le suggère la dernière analyse à la mode. 5. Le modèle de sentier de développement de l’IDE Face aux limites mentionnées de la théorie éclectique, surtout celle d’être coupée de la macroéconomie, Dunning a proposé une synthèse en termes de cycle, puis de sentier de développement de l’IDE (modèle SDI). Dans sa dernière version [85], les pays parcourent un sentier d’IDE entrant et sortant en fonction de leur niveau de développement ; les trois types d’avantages OLI évoluent avec 111
celui-ci. Dans une phase 1, les PVD moins avancés n’ont ni entrée, ni sortie d’IDE. En phase 2, des PVD ont une entrée d’IDE très supérieure à la sortie. En phase 3, les pays hôtes ont de plus en plus de MN (NPI) et l’IDE sortant rejoint peu à peu l’IDE entrant (flux croisés égaux) puis le dépasse. La phase 4 est celle des PDEM très développés (Triade), dont les MN possèdent les trois avantages, provoquant une sortie nette d’IDE. Une phase 5 est celle de la convergence vers des flux croisés égaux à mesure que les niveaux de développement économique entre PDEM se rapprochent et que donc leurs avantages OLI convergent. Le modèle est utilisé pour expliquer l’IDE sortant des PVD non par les caractéristiques et l’attractivité des pays hôtes, mais par des facteurs présents dans le pays d’origine (push factors), telles sa taille, sa stabilité macroéconomique et la privatisation des entreprises publiques [46]. Testé sur quatre-vingt-cinq PDEM et PVD, le modèle SDI explique 76 % de l’information contenue dans les variables retenues [86]. Le stock d’IDE entrant et sortant dépend d’abord du niveau de développement (PIB par tête), puis de la taille du marché intérieur. Il n’y a pas de relation significative entre l’IDE et la dotation en ressources naturelles, ni avec le degré d’ouverture du pays d’origine au commerce. On a testé un modèle SDI en logit ordonné sur l’ensemble des PDEM, des PVD et des PET (176 pays), pour lesquels on a des données CNUCED sur l’IDE [82] : Ii = a. Yi + b. Pi + c. Si + d. Ti + e. Gi + f. CHi + ui où Ii : stock d’IDE ; Yi : PIB par habitant ; Pi : population ; Si : structure sectorielle du pays i ; Ti, son niveau technologique ; Gi, son taux de croissance, et CHi, son taux de change. Le principal résultat obtenu valide le modèle SDI : l’IDE est fonction (significativité au seuil 0 %) du niveau de développement (PIB par tête) et de la taille (population) du pays d’origine. Sa structure sectorielle est un déterminant de l’IDE sortant. Les PET sont dans la phase 2 du modèle. Le niveau technologique n’est pas explicatif ; le poids donné au rôle de la technologie a peut-être été exagéré pour expliquer l’IDE sortant des PVD. Le taux de croissance et le taux de change ne sont pas significatifs. Le modèle SDI, qui s’inspire du cycle de la BP (un pays passant par des situations d’emprunteur puis de prêteur), connaîtra peut-être un succès comparable.
Conclusion
Kobrin [49] a comparé l’IDE des MN à de la colle qui fait tenir ensemble tous les éléments de la mondialisation de l’économie. Les stratégies des MN sont de plus en plus globales. L’intégration commerciale, industrielle, technique et financière de leur activité s’accentue. Le capitalisme mondial prend corps aujourd’hui et est encensé par les tenants d’une mondialisation libérale. Bien qu’elle progresse vers les marges — PVD et PET — de l’économie mondiale, la mondialisation n’est ni totale, ni entièrement bénéfique : ni les États, ni les disparités nationales de développement économique, ni les inégalités sociales n’ont disparu. Il semble actuellement impossible de concevoir une régulation mondiale, industrielle, commerciale ou monétaire, que ce soit à l’ONU, à l’OMC ou au FMI, de nature à assurer que les stratégies des MN, par-delà la recherche du profit privé, servent l’intérêt général en toute localisation. La mondialisation du capital serait-elle indépassable, une sorte de fin de l’histoire ? Ou bien le capitalisme mondial est-il aux abois, comme le suggère le titre du récent livre de John H. Dunning [6], le plus célèbre spécialiste des MN ? Non, car, pense-t-il, une économie de marché capitaliste mondiale est un impératif moral pour le développement économique, la justice sociale et la liberté individuelle. Alors les États n’auraient même plus à endiguer les excès du capitalisme mondial, ni à réguler celles des activités des MN globalement les moins propices à la stabilité de l’ordre économique international. Plutôt à être attractifs pour attirer les MN ! Plus agnostique que celle de Dunning, notre conclusion est plutôt que la mise en place d’un système de gouvernance mondial a pris du retard par rapport à la mondialisation de l’économie. Un processus 113
de rattrapage serait nécessaire, dans lequel la régulation de l’activité des MN devrait être confiée à quelque forme d’autorité supranationale. Un consensus à ce sujet n’existe pas pour l’heure.
Liste des abréviations utilisées
ALENA : ANSEA : BIT : BMN : BP : CEI : CNUCED : DIT DIPP FAT FMI IDE MN M$ NFI NPI NTIC
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OMC PDEM PECO PET PMA PME PVD QG RD SEM UE ZF
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Accord de libre-échange nord-américain Association des nations du Sud-Est asiatique Bureau international du travail banque multinationale balance des paiements Communauté des États indépendants Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement division internationale du travail décomposition internationale des processus productifs fusions et acquisitions transnationales Fonds monétaire international investissement direct étranger multinationale (firme) milliard de dollars nouvelles formes d’investissement nouveaux pays industriels nouvelles technologies d’information et de communication Organisation mondiale du commerce pays développés à économie de marché pays d’Europe centrale et orientale pays en transition (ex-socialistes) pays moins avancés petites et moyennes entreprises pays en voie de développement quartier général recherche-développement système de l’économie mondiale Union européenne zones franches
Repères bibliographiques
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Table
Introduction .........................................................................
3
I / L’investissement omniprésent des multinationales ... 1. Dénombrement et diversité des multinationales .......... 2. Le repérage de l’investissement étranger .................... Historique des multinationales ...................................... 3. La concentration sur la Triade .................................... Pays d’origine = pays hôte ............................................ L’investissement direct français à l’étranger ................ 3. La marginalisation du tiers monde .............................. 4. La nouvelle frontière des multinationales à l’Est ........ 5. Le redéploiement sectoriel des multinationales ........... La tertiarisation des multinationales ............................. Les multinationales « se financiarisent » ...................... Les banques multinationales .........................................
6 6 8 9 12 16 17 17 22 25 26 28 29
II / Vers une organisation globale ................................... 1. La décision d’investir à l’étranger et les modes d’entrée ......................................................................... 2. L’organisation interne de la multinationale ................ Organisation hiérarchique ou « à la japonaise » ........... Le marché interne à la multinationale ........................... 3. La globalisation de la recherche ................................. 4. L’organisation multinationale du travail .................... La difficile transplantation d’une organisation du travail à l’étranger ................................................
31 31 35 38 39 40 42 44
121
III / Les stratégies : banales ou globales ......................... 1. Les stratégies banales .................................................. Des stratégies visant à flexibiliser les choix de localisation ........................................................... 2. Les stratégies globales ................................................. Des technologies postfordistes ...................................... Le produit système ........................................................ 3. Fusions-acquisitions transnationales et alliances stratégiques ................................................................... Les alliances stratégiques transnationales ..................... 4. Les performances .........................................................
46 46
IV / L’impact sur la mondialisation ................................ 1. La dynamique multinationale ...................................... 2. L’impact sur la mondialisation au centre .................... La mondialisation de la production .............................. La mondialisation du commerce ................................... La globalisation financière ............................................ Vers une nouvelle architecture financière internationale ? .......................................................... 3. Les multinationales aux marges de la mondialisation . 4. L’impact de l’IDE sur les économies nationales .........
63 63 65 65 67 70
48 48 51 52 53 57 60
72 74 76
V / Déterminants de l’IDE, attractivité et localisation .. 1. Les déterminants de l’IDE ........................................... 2. L’attractivité des pays hôtes ........................................ 3. Les politiques d’attractivité libérales .......................... 4. L’État « mondialisateur » et les arrangements internationaux ............................................................... Les accords internationaux pour l’IDE ......................... 5. La localisation de l’IDE ..............................................
82 82 85 86
VI / Les multinationales : un pluralisme théorique ....... 1. L’économie internationale des multinationales ........... 2. L’économie industrielle des multinationales ................ L’oligopole mondial ..................................................... 3. L’économie institutionnelle des multinationales ......... L’avantage spécifique ................................................... Internalisation et coûts de transaction ........................... La théorie éclectique des multinationales .....................
99 99 101 102 106 106 107 108
122
91 93 95
4. Une économie systémique des multinationales ............. Vers une théorie de la mondialisation de la production ? .......................................................... 5. Le modèle de sentier de développement de l’IDE ........
109 110 111
Conclusion ...........................................................................
113
Liste des abréviations utilisées ...........................................
115
Repères bibliographiques ...................................................
116
Collection R E P
È
R
E
S
dirigée par JEAN-PAUL PIRIOU avec BERNARD COLASSE, PASCAL COMBEMALE, FRANÇOISE DREYFUS, HERVÉ HAMON, DOMINIQUE MERLLIÉ et CHRISTOPHE PROCHASSON
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L’art de la thèse, Comment préparer et rédiger une thèse de doctorat, un mémoire de DEA ou de maîtrise ou tout autre travail universitaire, Michel Beaud. Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Howard S. Becker. Guide des méthodes de l’archéologie, Jean-Paul Demoule, François Giligny, Anne Lehoërff, Alain Schnapp. Guide du stage en entreprise, Michel Villette. Guide de l’enquête de terrain, Stéphane Beaud, Florence Weber. Manuel de journalisme. Écrire pour le journal, Yves Agnès. Voir, comprendre, analyser les images, Laurent Gervereau.
Manuels R E
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Analyse macroéconomique 1. Analyse macroéconomique 2. 17 auteurs sous la direction de Jean-Olivier Hairault. Une histoire de la comptabilité nationale, André Vanoli.
Composition Facompo, Lisieux (Calvados) Achevé d’imprimer en février 2003 sur les presses de l’imprimerie Campin, Tournai (Belgique) Dépôt légal : février 2003