Les enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina
iD L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com harmattan] @wanadoo.fr d
[email protected] ISBN: 978-2-296-06664-9 EAN : 9782296066649
Hugo Lefebvre
Les enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina
L'Harmattan
Remerciements Je tiens à remercier Frederick Douzet et Béatrice Giblin, pour l'aide et la confiance qu'elles m'ont accordées ainsi que Virginie Sumpf pour la relecture de mon manuscrit. A ma mère, à Etienne, à mon père et Amina pour leur soutien moral et financier; à Besa, pour son soutien et ses encouragements; à Julien, pour ses encouragements et ses conseils; à Germain pour ses relectures, son aide et ses remarques; à Françoise, pour son aide, ses relectures et ses corrections.
Sommaire 1ntrod u ction .
13
A1éthodologie. Chapitre La
.16
I. Le contexte de la reconstruction
Nouvelle-Orléans
19
qq.qq.
q
19
Situation historique et géographique de la Nouvelle-Orléans. La Nouvelle-Orléans avant l'ouragan Katrina
.19 27
Présentation des différents quartiers de la Nouvelle-Orléans. ...3D Le sud et l'ouest de la ville 30 Le nord de la ville, de Lakeview à New Orleans East. 32 Le centre et l'est, très majoritairement peuplés de Noirs aux revenus globalement faibles. 34 La catastrophe et ses conséquences..
.35
Une discrimination dans l'aide et dans l'information :)
q qq.
q...
39
Les secours et le retard de leur intervention vus par la presse américaine. ... 40 Le traitement de l'information. 44 Les représentations
sur la Nouvelle-Orléans
.48
Les inégalités raciales révélées et exposées parl'ouragan
Chapitre
Il. Les débuts de l'organisation
Katrina .53
de la reconstruction
61 .62
Les enjeux ethniques et culturels de la reconstruction
Les instigateurs du processus de reconstruction L'intervention de Ray Nagin La commission Bring New Orleans Institute Les associations, acteurs majeurs
. .q .65
65 Back et l'Urban
La réorientation du processus de reconstruction Une organisation axée sur les quartiers Un processus de reconstruction qui manque clarté Le retour à une organisation plus centralisée
Land 67 69
7J
...q..q..
72 sérieusement
de 75 76
Un processus de reconstruction ponctué par des conflits 79 Les oppositions aux plans de la BNOB 79 Le choix des espaces à reconstruire et les enjeux qui y sont liés. 85 Des conflits liés à des opérations financières 88 Chapitre III. Les inégalités sociales et spatiales dans la reco nstructi 0n ... Un découpage favorisant les inégalités
95 95
Des quartiers plus ou moins impliqués dans le processus de reconstruction. ... .. .. 98 Des disparités socio-économiques... 98 ... aux disparités spatiales 101 Des chiffres apparemment peu fiables 102 L'évolution de la participation des habitants aux Community Congress. 107 L'inégalité dans la participation à la reconstruction. I 'exemple deux quartiers noirs Une mobilisation à différents degrés dans les quartiers noirs. Quelles conséquences sur la reconstruction? Chapitre
IV. Hypothèses
sur l'avenir de la Nouvelle-Orléans...
de I 10 110 113 119
119 L 'avenir à court terme de la Nouvelle-Orléans. ... ..... Les facteurs susceptibles d'intervenir dans la vitesse de la reconstruction 120 Cette situation est-elle la conséquence d'une stratégie de certains acteurs? 125 L'éloignement des plus pauvres en raison de la fermeture de logements sociaux 127 La situation deux ans après l'ouragan 130 :) ... /37 La Nouvelle-Orléans (re)deviendra-I-elle hispanique Les raisons de J'arrivée des Latinos à la Nouvelle-Orléans Différents conflits potentiels entre groupes ethniques
137 140
Conclusion
145
Bibliogra ph ie
147
ID
Cartes CarteI Taux
d'Afro-Américains en Louisiane par PUMA en 2005..22 Carte 2 Situation de la Nouvelle-Orléans par rapport au réseau hydrographique de la Louisiane. 25 Carte 3 Taux d'Afro-Américains à la Nouvelle-Orléans et dans ses environs. . 57 Carte 4 Infill areas et planning districts à la Nouvelle-Orléans. 84 Carte 5 Part des logements loués parmi les logements occupés en 2000, par Census tract et à la Nouvelle-Orléans. 87 Carte 6 Les quartiers et les Planning Districts à la Nouvelle-Orléans 93 Carte 7 Espaces inondés et population participant au Community Congress /I par quartier, avant la modification 105 Carte 8 Espaces inondés et population participant au Community ] 06 Congress /I par quartier, après modification des chiffres Carte 9 Espaces inondés et population participant au Community Congress /II par quartier. 108 Carte 10 Taux de logements inoccupés en %, à la Nouvelle-Orléans et en 2000. 117 Carte II Variation du nombre de foyers entre juillet 2005 et juillet 2007 131 Carte] 2 Taux de variation du nombre de foyers entre août 2006 et jui llet 2007 ... ... 136 Carte 13 Taux d'Afro-Américains par comté en 2005 aux États-Unis.1 Carte 14 Dommages structuraux présentés sur le site Internet de l'UNOP 11 Carte 15 Taux de population vivant sous le seuil de pauvreté aux États-Unis, par comté et en 1999 1/1 Carte 16 Espaces inondés et taux d'Afro-Américains à la NouvelleOrléans 1V Carte 17 Maisons nettoyées par l' ACORN V Carte 18 Part des principaux groupes ethniques et revenus à la Nouvelle-Orléans par Census tract et en 2000 VI Carte 19 Demande de permis de démolir par mois à la NouvelleOrléans V1I Carte 20 Taux de population hispanique par comté aux États-Unis en 2000 . V III
Il
Illustrations Illustration Illustration Illustration Illustration
I 2 3 4
G.W. Bush observant les dégâts causés par l'ouragan ..42 Photographies AFP et AP .4 Pancarte distribuée par I.ACORN 112 Logements temporaires 133
Tableaux Tableau 1 Part des quartiers parmi les participants. dans la ville avant l'ouragan et rapport entre les deux. première version. 103 Tableau 2 Part des quartiers parmi les participants avant "ouragan et rapport entre les deux, deuxième version. 104
Schémas Schéma I Situation de la hydrograph igue. . Schéma 2 Fonctionnement Schéma 3 organisation des Or Iéan s. ...
Nouvelle-Orléans
par rapport à son réseau 26 d'une onde de tempête. 37 acteurs de la reconstruction de la Nouvelle... . ............................ .. ... 75
12
Introduction Le 30 août 2005, la ville de la Nouvelle-Orléans est frappée par l'ouragan Katrina. Son arrivée est anticipée depuis plus de 24 heures. La tempête est déjà passée au-dessus de la Floride et a causé plus de sept morts I. Néanmoi ns, lorsqu'elle s'approche de la Nouvelle-Orléans, Katrina est désormais passée à la catégorie 5 sur "échelle de Saffir-Simpson. ce qui correspond à des vents supérieurs à 250 km/il et à la plus forte classe d'ouragan. Par chance, sa trajectoire est légèrement déviée, et !'ouragan ne frappe pas la Nouvelle-Orléans de plein fouet. Les dégâts sont donc dans un premier temps relativement limités et ne concernent que ceux causés par les vents. Vers 9hOO heure locale, les digues retenant les eaux des canaux reIiés au lac Pontchartrain cèdent. L' inondation est donc, par certains endroits, brutale et concerne près de 80 % de la ville. Les images diffusées par les médias choquent une partie de !'opinion publique mondiale, en particulier parce que la population, pauvre, semb!e livrée à elle-même. La question de l'inégalité raciale se place rapidement au centre des débats, notamment du fait de la surreprésentation des Afro-Américains parmi les « évacués »2. Ce terme a par ailleurs remplacé celui de «réfitgiés », les personnes déplacées insistant sur le fait qu'elles sont américaines, bien qu'elles soient pauvres et noires. Quelques jours après le passage de Katrina, il est déjà question de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans. Dans un discours prononcé dans la ville, à Jackson Square, le président des États-Unis, G. W. Bush, déclare: « Nous allonsfaire ce qui doit être /àit et rester aussi longtemps que nécessaire pour
1 Libération, 29 août 2005, «La Nouvelle-Orléans se vide avant l'ouragan », Pascal Riche. 1 New York Times, 4 septembre 2005. "Broken Levees. Unbroken Barriers" et 12 décembre 2005: "Evacuees Of Hurricane Katrina Resettle Along A Racial Divide"
aider les citoyens à reconstruire leur communauté et leurs . I vies» . Cependant, les différents groupes sociaux et ethniques n'ont apparemment ni les mêmes intérêts dans la ville, et cherchent à tirer parti de la reconstruction pour faire de la Nouvelle-Orléans la cité qu'ils désirent, avec des objectifs parfois divergents, ni les mêmes capacités d'organisation collective et d'investissement dans la reconstruction. Les Noirs, dont les quartiers ont par ailleurs été davantage touchés par l'inondation que ceux des Blancs, semblent éprouver plus de difficultés pour revenir habiter à la NouvelleOrléans, notamment pour des raisons économiques. Cependant, la population désire majoritairement maintenir la diversité ethnique de la ville, et indique dans une enquête réalisée par l'UNOP (Unified New Orleans Plan) que cet enjeu fait partie de ses principales préoccupations2. Les représentations développées au sujet de la ville sont centrales dans les enjeux de la reconstruction. Certains Blancs, de la Nouvelle-Orléans ou des États-Unis d'une manière générale, ont une représentation négative de la ville et de la population qui la compose. Ils sont soupçonnés par des personnalités (Stanley Greene, photographe, par exemple) de tenter de faire des futurs plans de la cité un moyen de la nettoyer, en ne permettant l'installation que des populations riches. Les Noirs sont, en revanche, attachés à la NouvelleOrléans pour des raisons historiques et culturelles~, mais leur part dans la population s'est effondrée depuis le passage de l'ouragan. La reconstruction de la Nouvelle-Orléans comprend donc des enjeux importants, en termes culturels, idéologiques et économiques. Ces derniers sont généralement différents selon les groupes ethniques ou sociaux. I Extrait du discours du ] 5 septembre 2005, à Jackson Square, N .-0. et cité par le rapport final de « Bring New Orleans Back ». 2 Enquête réalisée dans le cadre du Comlllunity Congress (<
De plus, au delà des conflits entre groupes ethniques se pose la question des manœuvres des entreprises pouvant chercher à tirer profit de la reconstruction, au détriment de certaines populations, notamment dans le quartier du Lower Ninth Ward et de Tremé. Deux ans après le passage de l'ouragan, les quartiers les plus touchés par l'inondation ne sont, pour la plupart, toujours pas reconstruits, et l'importance de la population reste très inférieure à son niveau de 20051. Les enjeux de la reconstruction conduisent ainsi à des conflits de pouvoir entre les différents acteurs politiques et les différents groupes de citoyens. Les promoteurs ont en effet des intérêts financiers dans la reconstruction, de la même manière que certains habitants, qui pourront bénéficier de l'augmentation des prix de l'immobilier et des loyers pour s'enrichir. Ceci vient en contradiction avec la volonté des Noirs, en moyenne plus pauvres, qui cherchent à se réinstaller sur place, dans des logements devenus inaccessibles en raison de l'augmentation des loyers. L'arrivée des Hispaniques, pratiquement absents de la ville avant l'ouragan, peut également entraîner des rival ités entre cette minorité et les Afro-Américains, aussi bien au niveau local qu'à l'échelle de l'État puisque la population d'origine hispanique est d'ores et déjà devenue la minorité la plus importante aux États-Unis, devant les Afro-Américains depuis 20002. Les migrants clandestins affluent notamment du Mexique et ils sont environ douze millions aux États-Unis. Ils servent de main-d'œuvre bon marché pour les entreprises américaines en général et dans la reconstruction de la Nouvelle-Orléans en particulier. Ils entrent donc en concurrence avec les AfroAméricains pour les emplois peu qualifiés. I
D'après les estimations, en octobre 2006, la Nouvelle-Orléans ne comptait plus que 190000 habitants, contre près de 455 000 avant l'ouragan (Community Survey 2005, census bureau). Source: New York Times, 7 octobre 2006, "New Orleans Population Is Reduced Nearly 60%". 2 Denis Lacorne, « Les Ftats-Unis », in Introduction E pluribus Unum, Fayard, 2006. 15
L'organisation de la reconstruction de la vi I]e s'est tàite dans un premier temps sous ]a forme de plans, dont les applications ont été variables. Que cachent-ils et cherchent-ils à modifier la composition ethnique et sociale de la ville? Les Noirs sont-ils exclus de la ville par leur plus faible capacité de mobilisation collective? Différentes questions apparaissent essentielles dans la reconstruction de la vi lie. La Nouvelle-Orléans peut-elle rester une ville afroaméricaine? Quels sont les autres enjeux qui sont Iiés à cet élément ? Comment s'organise ]a reconstruction de la ville, quels en sont les acteurs, quels rôles jouent-ils, quels sont leurs pouvoirs? Quels sont les objectifs de ces mêmes acteurs, et comment agissent-ils pour les atteindre? Les acteurs de ]a reconstruction de la Nouvelle-Orléans ne sont en effet pas neutres, y compris lorsqu'ils sont censés agir pour le bien collectif. Leurs intérêts économiques, politiques et idéologiques sont parfois divergents, ce qui peut engendrer des conflits de pouvoir se répercutant sur la reconstruction. Leurs représentations orientent parfois leurs choix. J'analyserai dans un premier temps les enjeux de la reconstruction de ]a Nouvelle-Orléans, avant d'exposer les mécanismes du processus de reconstruction et le rôle des différents acteurs. Je montrerai ensuite comment les inégalités raciales et socio-spatiales engendrent des disparités dans la représentation de certains groupes dans le processus de reconstruction. Bien que l'ouragan ait frappé il y a plus de deux ans, la reconstruction est très loin d'être achevée, mais certaines tendances peuvent être dégagées. J'analyserai donc enfin les enjeux futurs de la Nouvelle-Orléans post-Katrina.
Méthodologie Si puisque Orléans, jouent à
l'étude porte sur un territoire relativement limité, considérant essentiellement la ville de la Nouvellecertains aspects sont dépendants de phénomènes qui différentes échelles, impliquant, dans certains cas, une
]6
approche multiscalaire des enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans. L'ouragan Katrina a été en réal ité le second coup violent porté à l'administration républicaine, avec à sa tète le Président des États-Unis, Georges W. Bush, après le II septembre. Ce dernier a en effet été longuement critiqué pour ne pas avoir réagi rapidement à la catastrophe. Sa gestion de la crise est apparue catastrophique et il n'a pas pu apparaître comme le symbole d'une nation unie. La question de l'immigration hispanique, toute récente à la Nouvelle-Orléans, s'inscrit également dans un contexte national particulièrement prégnant, et dont les enjeux se placent au niveau local (quartier latino dans une ville), régional (frontière États-Unis Mexique), national (question de la langue anglaise, en recul face à l'espagnol), et micro-local (lutte pour une rue entre un gang hispanique et un gang afro-américain, par exem pie). D'autre part, la structure fédérale des États-Unis d'Amérique implique que certains acteurs agissent à différentes échelles: la FEMA (Federal Emergency Management Agency) agit au niveau fédéral; la LRA (Louisiana Recovery Authority) au niveau de l'État; la City Planning Comm ission, au niveau de la Nouvelle-Orléans, les «District Teams» au niveau du quartier ou du district. Grâce à un travail de terrain de plusieurs semaines, j'ai pu rencontrer les acteurs de la reconstruction et mener des entretiens semi-qualitatifs. Autre élément essentiel: je n'ai disposé que de très peu de recul pour mener mon travail de recherche.1 Des quotidiens tels que Ie New York Times, Ie Washington Post, Ie Houston Chronicle et le Time Picayune (quotidien local de la NouvelleOrléans) m'ont permis d'aborder un sujet dont "évolution est constante, puisque la reconstruction est à ce jour encore loin d'ètre achevée. Les statistiques employées dans ce travail proviennent généralement du site officiel du bureau du recensement américain, et à défaut d'ètre toutes récentes (2000, pour celles à l'échelle de census tracts) sont généralement extrèmement I
La bibliographie étant extrêmement limitée. 17
fines. Elles servent de base à mon travail de cartographie qui comprend également des données qualitatives: espaces inondés, réseau hydrographique. Les termes de race et de groupes ethniques renvoient à la classification du bureau du recensement américain. Ils sont incontournables pour traiter des sujets de société aux États-Unis car ils sont utilisés par la population elle-même pour s'autoidentifier et véhiculent des représentations lourdes de sens.
18
Chapitre I. reconstruction
Le
contexte
de
la
Les représentations sur cette cité sont très nom breuses, et orientent largement les choix dans la reconstruction. Les AfroAméricains ont d'emblée été présentés comme les principales victimes et attendent beaucoup de la reconstruction, notamment parce qu'ils ont le sentiment d'avoir été la population la plus touchée par la catastrophe d'autant que l'ouragan a brutalement exposé la pauvreté des Noirs du sud des États-Unis et mis en exergue le mépris dont le pouvoir a fait preuve à leur égard.
La Nouvelle-Orléans Situation
historique
et
géographique
de
la
Nouvelle-Orléans. Si la destruction de la ville est due à une catastrophe naturelle, cette dernière ne doit rien au hasard, car différents éléments ont conduit à aggraver l'impact de l'ouragan. Par conséquent, pour comprendre la reconstruction, il est nécessaire d'appréhender en premier lieu les raisons qui ont conduit à une telle destruction, en particul ier celles liées au mil ieu naturel dans lequel se situe la ville et à son aménagement dans le cadre de la croissance urbaine de la Nouvelle-Orléans. La situation géographique de la ville de la NouvelleOrléans est particulièrement délicate: le milieu dans lequel la cité est installée lui procure certes de nombreux avantages, mais les risques liés au climat et au relief sont importants. Une brève étude de la situation historique et géographique de la cité permet d'en comprendre les principaux éléments. La Nouvelle-Orléans est située dans l'État de la Louisiane, dans le sud des États-Unis d'Amérique. Cette ville a été fondée en 1718 par Jean Baptiste Le Moyne, sieur de Bienville, chargé par Philippe d'Orléans, frère de louis XIV qui accède à la régence après la mort de celui-ci, de coloniser le Nouveau Monde.
Positionnée sur la rive gauche d'un méandre du Mississippi, la ville servait de porte d'entrée pour le sud du continent nord-américain. Son emplacement lui a donné son surnom de «Crescent City»: la ville avait la forme d'un croissant' en raison de sa position sur un méandre, aspect qu'elle a par la suite perdu avec son développement dans les zones basses, grâce à l'assèchement des marais. Son emplacement sur le Mississippi a été choisi par le Sieur de Bienville, qui créa d'ailleurs les premiers plans de la ville. La croissance urbaine de la Nouvelle-Orléans est ensuite portée par un promoteur immobilier (un des premiers de toute l'Amérique du Nord), John Law. Ce dernier fait la publicité de la ville, mais exagère largement sa taille, en faisant croire qu'elle est aussi grande que Paris, alors qu'elle n'abrite que 2000 habitants. En 1764, la ville n'est toujours pas un pôle majeur en Louisiane. Elle est cependant nommée capitale de l'État2. Ses activités économiques sont essentiellement portées sur l'agriculture, avec, dès cette époque, le coton, sur les rives du Mississippi. Comme au Québec le long du Saint Laurent, les parcelles sont constituées en «lattes de parquet» perpendiculaires aux rives du fleuve. Cette structure foncière héritée de l'occupation française est par ailleurs encore visible par image satellite3, en particulier à l'ouest de la ville." La croissance urbaine va en réalité décoller au début du XIXe siècle, suite au rachat de la Louisiane par la confédération des États-Unis d'Amérique. L'aménagement restera néanmoins proche de celui pratiqué par les Français, notamment avec la conservation des squares urbains, typiques de villes coloniales européennes en Amérique.5 L'atout initial que lui confère sa position est toujours de mise aujourd'hui: le port de la Nouvelle-Orléans est l'un des plus importants des États-Unis d'Amérique, notamment en ce I croissant, « crescent» en anglais. 2 Ce qu'elle n'est plus actuellement, la capitale étant Baton Rouge. J Sur Google Earth, par exemple. 4 Source: John REPS; La vi//e américaine, fondation et pm/et; 1981. Bruxelles; Edition Architecture + Recherche/ Pierre Mardaga. 5 ibid 20
qui concerne le transfert de matières premières, dont l'importation de pétrole et l'expotiation de céréales. Le port en eaux profondes permet par ai lieurs aux pétrol iers de transférer rapidement leurs cargaisons, retraitées ensuite dans les usines chimiques situées le long du fleuve. Le Mississippi est donc aménagé de telle sorte qu'il reste navigable jusqu'à la ville d'Oklahoma city, permettant un transport efficace vers un très vaste hinterland, avec un accès à près de 23 000 km de réseaux navigables. Cela ne sera pas sans conséquence, puisque la salinisation des marais, par l'entrée d'eau de mer provenant des canaux reliant le fleuve à l'océan, a entraîné la destruction de l'équilibre biologique de ces derniers. De ce fait, la végétation qui formait un obstacle aux éventuelles augmentations du niveau de l'eau, n'a pas pu s'interposer aux vagues, en particulier au nord-est de la vi lie i. On voit donc pourquoi, en dépit d'une situation topographique relativement délicate, la Nouvelle-Orléans s'est développée et a réussi à tirer parti de son environnement. Les activités économiques de la ville ne se sont cependant pas limitées à la fonction portuaire: la culture du coton tenait jusqu'au début du XXe siècle une place très importante dans l'économie régionale. Cette activité, nécessitant beaucoup de main-d'œuvre, a été le fruit du travail de nombreux esclaves, amenés d'Afrique pour être exploités dans les plantations des riches propriétaires blancs. C'est donc la raison pour laq uelle le pourcentage d'Afro-Américains est élevé dans le sud des ÉtatsUnis et en Louisiane en particulier. Après l'abolition de l'esclavage en 1865, un certain nombre de Noirs désormais libres quitta la Louisiane pour s'installer dans les États du nord. Cependant, une majorité des anciens esclaves resta sur place, comme en témoignent les taux de populations noires particulièrement élevés en Louisiane ainsi que dans le reste du sud-est des États-Unis (voir Carte 13 p.I). Une seconde migration de la population afro-américaine s'est produite entre 1916-1930, période durant laquelle une part importante de la population noire est partie chercher du travail
t Thomas Cadoul, « La vulnérabilité bilan de la reconstruction en cours ». 21
de la Nouvelle-Orléans.'
bref
dans les usines installées dans les États du nord-est, dans des villes telles que Détroit ou New Yorkl. Arkansas
Mississippi
Taux d'Afro-américains en pourcent en 2005
11II
De 54,1 à 91,3 %
ml De 28,5 à 54,1 % li!1IDe 21 ,ô à 28,5 % li!1IDe13,5à21,6% D DeOà 13,5%
Hugo Lefebvre; 2007
source;C",nsu5,gov, . Golfe du Mexique estimations
o
75 Kilomètres
150
Carte] Taux d'Afro-Américains en Louisiane par PUMA en 2005 Les Noirs de la Louisiane ne peuvent pas tous être simplement identifiés en tant qu'Afro-Américains, comme l'indique le bureau du recensement américain, car iIs cherchent parfois à se distinguer des autres Noirs des États-Unis d'Amérique, en ne se désignant pas comme Afro-Américains mais comme «gens de couleur libres» ou créoles2, pour insister sur leur passé français et multiculture!. Cette catégorie
I Frederick Douzet, « Le Rêve américain au cœur des dynamiques urbaines» in Les États-Unis, sous la direction de Denis Lacorne, 2006, Fayard. è site Intenet http://www.creolehistory.com/ 22
n'est cependant pas officielle, mais depuis 2000, ils ont la possibilité de s'identifier comme appartenant à plusieurs races. Cette origine française fait également la spécificité de la Nouvelle-Orléans: certains toponymes, par exemple « Plaquemines », « Village de l'est », « Marigny» sont encore à consonance française, bien que la pratique de cette langue se perde peu à peu. Le Français pratiqué en Louisiane est de toute façon très différent de celui parlé en métropole. Ce sont surtout les plus anciens et vivant à la campagne qui conservent ce langage, appelé le cajun. Lors de mon enquête, un nombre important des Néo-Orléanais se sont présentés à moi comme étant d'origine française mais aucun d'entre eux ne parlait cajun. Cette langue a en effet été progressivement abandonnée par les descendants de colons français, parce qu'elle était mal acceptée par l'élite WASP (White Anglo-Saxon Protestant), et que son enseignement fut prohibé dans les écoles. Cette situation rappelle un peu celle des langues régionales en France, progressivement effacées pour laisser place au français. La situation géographique ainsi que la topographie de la Nouvelle-Orléans sont très particulières. La ville est en moyenne située 60 cm en dessous du niveau de la mer. Sa situation la rend donc très vulnérable au risque d'inondation, puisqu'au nord s'établit le lac Pontchartrain et qu'au sud coule le Mississippi. Son nom provient de l'algonquin, langage amérindien dans lequel « misi » veut dire grand et « sipi » eau. Ce fleuve surplombe d'ailleurs la plaine qu'il draine: le « père des eaux» (The Father ol Waters) transporte une importante charge sédimentaire, environ 2,7 kg d'alluvions par mètre cube d'eau d'où son autre surnom, « The Big Muddy», le grand boueux, en traduction littérale, et les dépose durant son trajet vers le Golfe du Mexique. Progressivement, il augmente donc son niveau de base, proche du niveau de la mer, en coulant sur ses propres alluvions. En cas de crue, les espaces inondés peuvent donc être très importants: si le fleuve déborde de son lit, l'eau inonde la Nouvelle-Orléans, en partie installée dans une cuvette. C'est pour cette raison que le quartier historique est situé aux altitudes les plus élevées, zones les plus sûres de la ville en cas d'inondation. Dès leur installation, les Français se sont ~j 'Y'
rendu compte du risque élevé d'inondation en cas de fortes pluies, fréquentes dans cette région dont les étés sont ponctués par les ouragans.
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Carte 2 Situation de la Nouvelle-Orléans hydrographique de la Louisiane.
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par rapport au réseau
Schéma réseau hydrographique.
par rapport à son
L'échelle n'est pas indiquée, car il ne .l''agit pas d'une coupe topographique précise, mais d'une représenta/ion simplifiée, uniquement destinée à donner une idée de la vulnérabilité de la ville en raison de sa situation hydrologique. Ce sont des digues qui ont permis d'assécher les parties les plus basses de la ville, qui, autrement, auraient raspect des marécages de « l'isthme» au nord-est de la Nouvelle-Orléans, entre le Lac Borgne et le Lac Pontchartrain. Les inondations ont été fréquentes. Les digues ont cédé par le passé, laissant l'eau envahir la ville comme en septembre 1965, suite à l'ouragan Betsy. Il est resté dans la mémoire des habitants comme la plus importante catastrophe ayant eu lieu à la Nouvelle-Orléans, avec pas loin de soixante-seize morts en Louisiane et des dégâts estimés à un milliard de dollarsl. Cependant, seul le Lower Ninth Ward, quartier situé à l'extrême sud-est de la ville, avait été touché. Certaines rumeurs ont couru: l'inondation aurait été provoq uée par une destruction intentionnelle des digues2. La situation était quoi qu'il en soit beaucoup moins grave que dans le cas de Katrina.
I
Source: Wikipedia; http://en.wikipedia.org/wiki/Hurricane_Betsy.
2 Certaines personnes ont été soupçonnées d'avoir fait sauter les levées à la dynamite, pour inonder les terrains dont ils étaient propriétaires et bénéficier de ce fait des remboursements des assurances. Ces rumeurs se sont également répandues après Katrina. 26
De ce fait, ]a situation délicate de la Nouvelle-Orléans était connue et de nombreux rapports concernant la vulnérabilité de la cité avaient été remis aux différentes administrations, notamment à ]a Maison Blanche et à la FEMA (Federal Emergency Management Agency, agence fédérale de lutte contre les catastrophes naturelles), si bien que la question n'était pas « est-ce que» mais plutôt « quand» l'inondation vat-e]le se produire? Le principal quotidien local de la Nouvelle-Orléans, le Time Picayune, avait également averti des risques dans un dossier publié avant que la catastrophe ne se produise. Un événement tel que Katrina était donc tout à fait prévisible et ]a responsabilité des administrations dans l'ampleur de la catastrophe est de ce fait très importante. En 2004, le génie militaire, en charge de l'entretien des infrastructures de protection contre les crues, recommanda aux autorités la création d'une étude des moyens de protéger la Nouvelle-Orléans. Néanmoins, par manque de financements, cette étude n'a pas eu lieu. Plus grave encore, des fonds à destination de ce même génie militaire ont été coupés en 2005 par l'État fédéral, alors que ]e congrès américain, après avoir débattu, se prononce dans ]e même sens I. On peut donc parler de négligence de ]a part des administrations, qui n'ont pas su prendre en charge une menace clairement identifiée. A ceci vient également s'ajouter la gestion catastrophique de la crise, donnant le sentiment aux habitants de la Nouvelle-Orléans que l'État américain ne se soucie guère de leur sort. Le sentiment d'abandon de la part de l'administration a donc été d'autant plus mal vécu qu'à la catastrophe naturelle s'est greffée la catastrophe humanitaire, qui a fait éclater sur la place publique les inégalités socio-économiques qui continuent de toucher la population noire aux États-Unis.
La Nouvelle-Orléans
avant l'ouragan Katrina
Différents indicateurs statistiques permettent de comparer la Nouvelle-Orléans avec le reste des États-Unis. Les chiffres
I
Diane Halloway, "II/ho Kif/cd Ve1V Or/cans? Mother Sature Human nature", 2006. 27
vs.
présentés ici proviennent du recensement de 2005, effectué par Ie Census Bureaul. La Nouvelle-Orléans est tout d'abord une ville pauvre. Pratiquement 25 % de la population de cette ville de 440000 habitants vit sous le seuil de pauvreté, contre 13,3 % en moyenne pour les États-Unis. Ces statistiques ne sauraient cependant représenter la diversité de la ville. La population de la Nouvelle-Orléans est très largement composée d'Afro-Américains, puisque ces derniers représentent 67 % de la population de la ville, contre un taux moyen d'environ ]2 % aux États-Unis. A l'inverse, la population hispanique est très largement .mus-représentée, avec à peine 3 % .de la population de la ville, contre plus de 12 % à l'échelle des Etats-Unis." La population totale de la ville avait tendance à diminuer depuis les années 70, pour atteindre 437 000 habitants en 2005, contre 484000 en 2000 par exemple. C'est également depuis les années 70 que la ville est devenue majoritairement noire. Cette tendance se retrouve dans de nombreuses villes d'Amérique du Nord. Depuis les années cinquante, les villes centres (inner cilies) se sont progressivement vidées de leurs populations blanches et aisées, parties vivre dans les ban lieues (suburbs) en périphérie. De ce fait, seules les populations les plus pauvres sont restées vivre dans les grands centres urbains, concentrant les difficultés dans un espace précis'. D'après le dernier recensement, la population a été divisée par deux après l'ouragan. La ville comptait 233288 habitants en 2006, alors que la composition ethnique de la ville a été également modifiée. La ville n'est cependant pas entièrement pauvre. Les inégalités raciales et socio-économiques apparaissent de façon criante en arpentant les différents quartiers de la ville. Ceci permet de mieux comprendre les enjeux que recèle la reconstruction pour les différentes populations qui y vivent. )
I
http://factfinder.census.gov/.
2 Idem J Frédérick Douzet, « Le rêve américain au cœur des dynamiques urbaines» in Les États-Unis, sous la direction de Denis Lacorne, 2006, Fayard.
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Présentation des différents
quartiers
de la
Nouvelle-Orléans La composition ethnique et le montant des revenus de la population ne permettent pas à eux seuls d'expliquer comment se sont formés les quartiers. L'état de la ville début 2007 révèle à la fois l'ampleur des dégâts et le degré selon lequel les différents quartiers ont été affectés mais aussi les différences de moyens et de rapidité dans la mise en œuvre du processus de reconstruction.
Le sud et l'ouest de la ville Le quartier historique de la Nouvelle-Orléans est le French Quarter. Cet espace est le centre de gravité de la ville et regroupe une partie importante des activités économiques, en particulier pour le secteur du tourisme. Il attire dans la journée comme le soir un grand nombre de visiteurs. Relativement limité sur le plan démographique, le French Quarter est globalement plus peuplé qu'un centre-ville d'une cité américaine ordinaire. Par ailleurs, à l'instar de la plupart des villes européennes, la population qui le com pose est essentiellement blanche et riche. Il est à noter que si ce quartier est « historique », pratiquement aucune constructIOn ne subsiste de l'époque française, suite aux incendies de 1788 et 17941. Elles sont donc pour la plupart contemporaines de l'époque espagnole. Les maisons sont généralement basses (un ou deux étages, maximum) et bien entretenues. Directement à l'ouest s'établit le Central Business District (CBD), ou quartier des affaires. Ici sont regroupés la majorité 1
Richard
Campanella,
idem.
30
des fonctions décisionnelles de la ville, dont la mairie, quelques banques et le « World Trade Center». Les principaux buildings de la ville y sont installés. La densité de la population y est faible, et l'activité pratiquement nulle la nuit, excepté autour du caSIno. Ce quartier marque en réalité une forte discontinuité avec les espaces situés plus à l'ouest, puisqu'une rupture est établie par une occupation des sols dévouée aux routes. Le passage vers le Garden District est donc rendu difficile aux piétons et semble beaucoup moins attractif que les espaces situés encore plus à l'ouest. Le Garden District est axé sur deux principales rues, Magazine Street et Saint Charles A venue, toutes deux particulièrement appréciées par la population blanche et aisée. Le quartier de l'Uptown héberge l'Université de Tulane (privée, 20 000 dollars à l'année environ, contre 5000 dollars pour l'UNO, University Or New Orleans, publique), au nord. Le quartier est donc peuplé d'étudiants, comme en témoignent les maisons de fraternitél, à proximité de l'université. La population est très majoritairement blanche et l'atmosphère est détendue. C'est dans ce quartier que se situe l'une des principales communautés fermées (gated communities), où vivrait paraît-il Bob Dylan. Contrairement aux maisons que l'on peut retrouver ailleurs à la Nouvelle-Orléans, les logements situés dans ce quartier sont typiquement victoriens. Le style est donc radicalement opposé à celui des autres quartiers. Cette différence s'explique par la population anglo-saxonne qui s'est installée initialement dans cet espace. Ces quartiers (French Quarter, CBD, Garden District et Uptown) forment les parties les plus élevées et les plus anciennes de la ville, ce qui explique qu'ils n'aient pratiquement pas été touchés par l'inondation. Regroupés, ces I
Sorte de clubs dans lesquels les étudiants se regroupent. 3]
espaces forment un croissant (d'oÙ le nom de la ville, Crescent City), et abritent une population globalement plus aisée qu'ailleurs. Le nord de Orleans East.
la
ville,
de
Lakeview
à
New
Les quartiers du nord de la ville, intégrés au deuxième type d'espace dans la typologie, sont à vocation essentiellement résidentielle. Ils peuvent être assimilés à des banlieues, puisqu'ils en ont quelques caractéristiques, et ce bien qu' iIs soient intégrés à la ville centre (inner city), entendue comme le comté d'Orléans. Les populations présentes sont globalement plus riches que dans le reste de la vi lie. Ces quartiers sont le fruit d'une urbanisation récente (après les années 1940). Sans avoir été rasés, ils ont subi d'importants dommages durant l'inondation I. Lakeview, à l'extrême nord-ouest de la ville, en particulier, est composé de catégories socioprofessionnelles très aisées. Les maisons sont, en règle générale, grandes et très espacées. Des piscines sont installées dans la plupart des jardins et témoignent du niveau de vie élevé de la population. La RTA (Regional Transit Authority) n'a d'ailleurs pas jugé utile d'y installer une ligne de bus. Le quartier n'en a pas moins été violemment frappé par l'inondation, du fait de la proximité des canaux reliés au lac. La reconstruction est d'actualité, et de nombreux habitants reviennent vivre dans le quartier. Outre la fonction résidentielle, ce district abrite également un golf et une base nautique. Plus à l'est, le quartier de Gentilly est composé d'une population plus mélangée, aussi bien socialement qu'ethniquement. Ce quartier est également celui de l'université publique I
Voir Carte 14 p. Il et Carte 18 p. VI. 32
de la Nouvelle-Orléans, en bordure du lac. Les dégâts ont été importants, et la reconstruction ne semble pas beaucoup avancer. L'université est en revanche restée indemne, puisque située en hauteur, sur la rive sud du Lac Pontchartrain. Le quartier de New Orleans East est très intéressant également du point de vue du mélange de la population. D'après Darryl Durham. membre de l'ACORN, la population qui compose ce quartier est originaire du centre de la ville, en particulier du district de Mid City, espace noir et pauvre. Les habitants actuels de New Orleans East seraient partis de Mid City après avoir réussi économiquement. En effet, les banlieues résidentielles se placent comme le symbole de la réussite économique des habitants qui les composent, mais les Afro-Américains ont longtemps rencontré des difficultés pour s'installer dans ces espaces, notamment pour obtenir des prêts, que la Federal Housing Authority pouvait refuser de leur garantir'. Les Blancs voyaient d'un mauvais œil le retour des populations qu'ils avaient fuies en partant en périphérie. Cette zone est désormais pratiquement déserte, bien que les dégâts n'aient pas été aussi violents qu'à Lakeview. Les maisons semblent toutes abandonnées, et absolument personne ne circule à pied. Quelques chiens errants vagabondent, par petits groupes, et les magasins sont vides. Ce paysage donne J'impression d'une ville abandonnée après une guerre et on a du ma! à imaginer que des gens aient pu à un moment vivre à cet endroit. Lors de mon passage, J'ambiance était silencieuse, pesante et étrange.
I Frederick Douzet, « Le rêve américain au cœur des dynamiques urbaines» in Les É'tats-Unis, sous la direction de Denis Lacorne, 2006, Fayard. 33
Le centre et l'est, très majoritairement peuplés de Noirs aux revenus globalement faibles Le centre de la ville (Mid-City) est le quartier noir et pauvre de la Nouvelle-Orléans. Le paysage dégage une ambiance assez glauque. Les rues sont généralement défoncées, le manque d'entretien est flagrant. Cet espace est plutôt répulsif et de nombreuses maisons en ruine à l' heure actuelle n'étaient déjà plus occupées avant l'ouragan. Ces quartiers ont pourtant une histoire; culturelle en particul ier, puisqu' i Is ont largement participé à l'essor du Jazz. Ce quartier a par exemple vu naître Louis Amstrong, de nombreuses rencontres entre musiciens y ont eu lieu, favorisant le développement de la musique Jazz. L'ambiance est cependant radicalement différente à l'est du French Quarter. La population est d'abord nettement moins pauvre et la ségrégation apparaît comme moins forte. Des associations comme l'ACORN ou Common Ground ont leurs bureaux dans le quartier de Bywater. Le quartier de Marigny, au contact du French quarter, abrite une population plus progressiste, avec de nombreux drapeaux gays sur les maisons, de petites librairies, des antiquaires et quelques bistros.
Le Lower Ninth revanche pratiquement
Ward, à l'est du canal industriel, est en dépeuplé et rares sont les maisons qui
34
ont été reconstruites. L'inondation, particul ièrement violente dans ce quartier, en fait l'un des plus durement touchés par la catastrophe. Cet espace abritait une population installée depuis longtemps et qui y ait généralement attachée. II est souvent présenté comme le symbole de l'inondation, mais aussi de la mobilisation des habitants. L'inondation s'est produite quelque 18 mois avant que je ne visite la NouvelleOrléans, et, d'une manière générale, les paysages que j'ai pu observer auraient pu laisser croire que la catastrophe ne s'était produite que très récemment, tant les travaux ont dans l'ensemble peu avancé. Le processus de reconstruction, par le biais des différents plans, a néanmoins démarré pratiquement immédiatement après l'ouragan.
La catastrophe
et ses conséquences
Ce sont les digues protégeant de l'eau des canaux passant à l'intérieur de la ville qui ont rompu, et non les « levées» (levee)1 protégeant directement du lac Pontchartrain2. La vague provoquée par Katrina s'y est en effet engouffrée et l'inondation a donc démarré de l'intérieur de la ville. La rupture des digues a été provoquée par un phénomène appelé « storm .l'urge », ou onde de tempête, en partie indépendant de la force de l'ouragan3, puisque le rapport entre la taille du lac et celui de la tempête est déterminant dans sa formation. Néanmoins, la destruction est loin d'avoir été uniforme dans la ville, non seulement parce que certains quartiers n'ont pas été inondés, mais également parce que ceux qui l'ont été n'ont pas tous été affectés de la même manière.
I
Digues de deux à quatre mètres environ, très résistantes, formées de terre et placées le long des rives du lac. 2 Voir Carte 16 p. IV. 3Ces informations m'ont été fournies par Thomas Cadou!, étudiant en stage à l'UNO (University of New Orleans). 35
Le quartier le plus violemment frappé est de très loin le Lower Ninth Ward. Situé à l'extrême sud-est de la ville, cet espace a été totalement ravagé, en raison de la puissance des courants, liée à la rupture des digues, toutes proches. Les maisons ont parfois simplement été emportées par les eaux. Bywater, tout juste à l'ouest du Ninth Ward, a été sensiblement moins touché. Les autres quartiers à proximité du Mississippi sont en revanche restés pratiquement indemnes, notamment le French Quarter, Marigny et la majeure partie de l'Uptown. A l'opposé, au nord de la ville, la destruction a été importante, mais à différents degrés. Le district de Lakeview a été lourdement affecté, sensiblement plus que Gentilly et New Orleans East, si on se réfère à la carte établie par la FEMA. (Cf. Carte 14 p.II). Le centre de la vi lie a certes également été touché, mais beaucoup plus sporadiquement. L'étude de la m icrotopographie laisse apparaître des zones surélevées, ce qui leur a permis d'échapper à l'inondation.
36
Vue en coupe
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Vague
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~~~ Type vue aérienne
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Schéma 2 Fonctionnement Commentaire
du schéma
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d'une onde de tempête. .-
La vue en coupe présente le comportement du plan d'eau fàce aux vents de l'ouragan. La vue aérienne schématise le trajet de la tempête par rapport au lac, Dans un premier temps, les vents ((poussent)) la masse d'eau vers le nord du lac, entraînant la formation d'une vague, Celle-ci vient frapper la rive et rebondit, pour revenir vers le sud. A ce moment, le plan d'eau se trouve dans l 'œil du cyclone, les vents sont donc nuls et la dépression particulièrement/orte, pouvant conduire dans une certaine mesure à l'augmentation du niveau de l'eau, certes peu sensible à l'échelle d'un simple lac, saufs 'il est en contact avec la mer, comme dans le cas du lac Pontchartrain. A u moment où la vague se dirige vers la rive sud, les vents prennent également la même direction, du jàit du caractère
37
circulaire de leur progression. Le mouvement est donc amplifié, etla vague accumule désormais une puissance destruetricel La Carte 14 fait apparaître ces différents taux de destruction, avec, en vert, les bâtiments peu ou pas touchés (entre 0 et 25 % de destruction), en jaune-vert, les bâtiments moyennement touchés (entre 26 et 50 % de destruction), en jaune, les bâtiments fortement touchés (entre 5] et 75 % de destruction) et en rouge les bâtiments pratiquement ou entièrement détruits (entre 76 et 100 % de destruction).2 Le bilan humain est particulièrement lourd, avec 895 morts pour le comté d'Orléans, dont une majorité de Noirs. Contrairement à l'impression véhiculée par la presse, ces derniers sont cependant en sous-représentation par rapport à leur part dans la population avant l'ouragan (ils représentent 60% des victimes, mais 67% de la population)]. En tout, près de 90 000 logements ont été touchés par l'inondation et nécessitent donc des réparations4. Le rapport de la LRA (Louisiana Recovery Authority) estime même les dégâts encore plus lourds, com ptabil isant 123 000 logements détruits ou ayant subi des dommages importants}. Comme nous l'avons vu, les quartiers afro-américains sont surreprésentés parmi les espaces les plus affectés par l'inondation. Selon ce même rapport, « une part substantielle de logements ayant subi d'importants dégâts abritait une population aux: revenus faiblesG ». Cette population a quitté la Nouvelle-Orléans puisqu'elle a été en partie déplacée vers d'autres villes, modifiant de ce fait la composition sociale de la localité. I Idem. 2 La légende est assez peu visible, la carte étant normalement d'un format plus important. 3 The Nation, ]4 Dec. 2005, "Statistics Suggest Race Is Not a Factor in Katrina Death" Nathan Burchfield. 4 USA Today, 21 Dec. 2006, "For New Orleans After Katrina, Too Many Nights Remain Silent", Brad Heath. S Louisiana Recovery Authority, The Road Home Housing Programs, Action Plan Amendment for Disaster Recovery Funds. 6 "Of the rental and owner occupied units that are now uninhabitable, a substantial portion were occupied by low income households" Idem. 38
Le manque de logements et d'infrastructures permettant le retour des habitants fait qu'une grande partie d'entre eux ne peut pas retourner habiter sur place rapidement. Nous le verrons plus loin. Les fonds du Road Home Program, destinés à la reconstruction des logements, tardent à être versés, ralentissant encore plus cette dernière. L'ouragan a coûté plusieurs centaines de milliards de dollars, si on additionne les remboursements des assurances, l'intervention de l'État ainsi que les aides fédérales débloquées par le congrès.
Une discrimination l'information?
dans l'aide et dans
La situation dans les jours qui ont suivi l'inondation a été catastrophique. Les administrations locales, étatiques et fédérales ont fait preuve d'inefficacité et de manque d'organisation, aussi bien en amont (évacuation de la population avant l'ouragan) qu'en aval (gestion de la crise, évacuation de la population bloquée dans la vi lie). Les secours ont également tardé à venir en aide à la population, alors que la situation dans la ville s'est révélée particulièrement tendue, entre les policiers et les militaires d'un côté, et les habitants de l'autre, sur fond de discrimination raciale. Une question s'est alors posée: la population ne reçoit-elle pas d'aide parce qu'elle est majoritairement pauvre et noire? L'inondation a également contribué à remettre sur le devant de la scène la minorité afro-américaine, qui a progressivement été rattrapée par la minorité hispanique. La presse américaine a également décrit la situation comme dramatique, mais en insistant davantage sur les « pillages» et «crimes» que sur les besoins vitaux de la population piégée dans la Nouvelle-Orléans inondée, transformant dans un certain sens les victimes de l'ouragan et de la pauvreté en criminels. L'image du sauvage n'était pas si loin.' I Il s'avérera par la suite que la plupart de ces crimes émergeaient de rumeurs, fantasmes et distorsions de la réalité. La presse fit son mea culpa, mais les images restèrent dans les esprits. 39
Les secours et Je retard de leur vus par la presse américaine.
intervention
Dès le 3 septembre, les débats se focalisent sur la question de l'origine ethnique des victimes et du retard de l'aide. Pour certains, surtout pour les Noirs, la couleur de peau explique en effet que la Nouvelle-Orléans ne soit pas secourue plus rapidement. Pour d'autres, en revanche, l' origi ne ethnique de la majorité des victimes n'a rien à voir avec le retard des secours et les leaders de groupes d'Afro-Américains uti Iisent cet argument parce qu'ils ne savent pas à qui s'en prendre. Certains acteurs pensent que beaucoup de Noirs sont conditionnés à tout voir à travers « le prisme de la race» I. Le sociologue David Wellman estime qu'il n'est pas difficile de prévoir que les personnes les plus pauvres seront davantage affectées par une catastrophe naturelle que les autres. Le gouvernement était par conséquent conscient de ce problème mais n'a pas pris les mesures qui s'imposaient avant l'ouragan, ce qui a été interprété comme du racisme institutionnel2. Rapidement, les leaders des groupes de pression noirs américains demandent des explications à l'administration Bush. (<
Idem. 40
Deux Afro-Américains sur trois pensent que l'origine ethnique de la majorité des victimes est le facteur déterminant dans le retard des secours. Pour la même proportion de Blancs, c'est l'inverse... Autrement dit, une majorité de Noirs pense que le racisme est en cause, contrairement à la plupart des Blancs, qui estiment qu'il n'y a pas eu de discrimination. L'éditorial iste Paul Krugman, du New York Times, dénonça également la discrimination raciale qui perçait sous la gestion de la catastrophe, convaincu que la couleur de peau des habitants est effectivement la raison du laxisme de l'administration Bush. Mais il ajouta que c'est également le racisme latent des Américains qui a causé la catastrophe, ainsi que le désengagement de l'État dans l'aide aux plus démunis et l'entretien des infrastructures I. Certains observateurs, dont Michael Moore2, ont fait remarquer que si les victimes avaient été WASP (White Anglo Saxon Protestant), l'aide serait parvenue beaucoup plus rapidement. Les responsabilités des diftërents acteurs, locaux et fédéraux, ont été par la suite mises en évidence par un rapport du Bipartisan Committee, du Sénat américain: «A Failure of Initiative» 3. Pour Richard Cohen, en revanche, dans l'éditorial du Washington Post du 20 septembre 2005, l'administration Bush a démontré une certaine incompétence, mais pas de racisme. Preuve en est, l'augmentation du nombre de voix noires pour Bush entre sa première et sa deuxième élection. Si certains des partisans du président sont racistes, lui-même ne j'est pas".
I
New York Times, 19 sept. 2005, Paul Krugman, "A TrageL{'"In Black
and White". 2 CNSNews.com;
2 sept 2005, "Michael Moore Accuses
Bush Of
Katrina Racism ". 3 "A Failure of Initiative Final Report of the Select Bipartisan Committee to Investigate the Preparation for Response to Hw-ricane Katrina" U.S. House of Representative, Février 2006. " The Washington Post, 20 septembre 2005, R. Cohen, "Incompetence, Not Racism". 41
Illustration l'ouragan
1 C.W.
Bush
observant
les dégâts
causés
par
Photographies parues dans le journal ln These Times, le 7 septembre 2005. A gauche, les personnes évacuées au Superdome,' à droite, G. W. Bush regardant les dégâts de l'inondation par le hublot de son avion qui le ramène de ses vacances au Texas. Une partie des personnes secourues a été évacuée vers le stade de la ville, le Superdome. Les conditions sanitaires et d'hygiène en particulier se dégradent cependant rapidement. Ce qui fait dire à l'intellectuel noir Cornel West, cité dans le Los Angeles Times du 5 octobre 2005, qu'il n'y a pas de grande différence entre cette situation et celle des bateaux qui amenaient les esclaves en Amérique. En effet, toutes les images diffusées mettaient en scène des Afro-Américains. entassés dans le Convention Center et le Superdome ou coincés sur les toits de leurs maisons. D'autres intellectuels noirs (dont le révérend Jesse Jackson) n'ont pas tardé à dénoncer le fait que les personnes réfugiées là-bas étaient majoritairement noires l, et à faire le même rapprochement avec la condition des Noirs [
Time Picayune, .. Segregation
29 oct. 2005
"Storm
42
Exposed
Damage
Of
durant la période de l'esclavagisme I. Les soldats déployés dans la ville gardaient davantage les habitants qu'ils ne les protégeaient. Des personnes ont également rapporté des comportements violents de la part des militaires envers les habitants. Le 9 juin 2006, le Washington Post publie une étude menée par la rédaction. Le principe est simple: des articles sont rédigés par des journalistes et m is sur le site. Ils sont accompagnés de la photo du journaliste présenté comme le rédacteur de l'article. Celle-ci est soit celle d'un Blanc, soit celle d'un Noir. Puis, à la fin de l'article, un sondage est proposé au lecteur, qui doit évaluer quelle doit être la durée du dédommagement et la somme accordée pour les victimes de l'ouragan. Lorsque la photo du journaliste est celle d'un Blanc, la durée moyenne du dédommagement est estimée à douze mois par les lecteurs. Si la photo présentée est celle d'un Noir, elle n'est plus que de onze mois, /I en est de même pour le montant mensuel de l'aide: mille dollars, contre neuf cents. Les réflexes racistes de la population américaine n'ont clairement pas totalement disparu. Selon le journal, la couverture des événements par les médias n'est pas pour rien dans cette situation2, Un autre article paru dans le Washington Post du 28 août 2006, traite d'un Iivre: After the Storm, Black Intellectuals Explore The Meaning olHurricane Katrina (D D Ttroutt), Pour l'auteur, la souffrance des populations noires rappelle le temps de l'esclavage, La pauvreté est pour lui le facteur majeur de la catastrophe. Selon Troutt, l'ouragan a entraîné une mort rapide. A lors que dans les autres villes pauvres, comme Oakland ou Philadelphie, bien qu'il n'y ait pas eu d'ouragan, la mort est là, même si elle est plus lente. Troutt ne critique cependant pas Bush: le fait que la lutte contre la pauvreté ne soit pas une priorité de son gouvernement n'a pas été causé par l'ouragan, même s'il en a été le révélateur.
1 Washington Post, 28 août 2006, « Not Just a Storm Story ii. 2 The rVashington Post, 9 juin 2006, R. Morin, "The C%r of Disaster Assistance". 43
Suite à l'ouragan, des annonces de particuliers se proposant d'héberger des réfugiés ont été diffusées sur Internet et notamment sur le site du Federal Department of Housing and Urban Development'. Environ une annonce sur cinq comportait une mention stipulant que seules les familles blanches étaient souhaitées, soi-disant pour des raisons culturelles (<<Je ne sais pas quels savons les Noirs utilisent, vu qu'ils n'ont pas la même 7 peau» !, par exemplet. Dans un article du New York Post du 22 septembre 2005, le racisme du reste de l'Amérique est m is en avant. Un présentateur d'une émission de radio dans l'Utah se voit licencié pour avoir proposé d'accueillir des évacués de la Louisiane à Salt Lake City, Utah, puisque cet État est celui dont la proportion d'Afro-Américains est la plus faible de tous les États-Unis. De nombreux auditeurs ont en effet manifesté leur hostilité à une telle proposition'.
Le traitement de l'information. La presse s'est rapidement vue accusée d'être le relais du racisme des Américains. La polémique démarre avec le traitement des présumés pillages et émeutes se déroulant dans la ville à la suite de l'inondation. Le New York Times du 5 septembre 2005 pose la question de la discrimination dans le traitement de l'information dans les médias américains. Les deux photos de la page suivante, prises par deux journalistes différents, présentent exactement la même scène. Mais d'un côté on peut observer un couple de Blancs qui « trouve de la nourriture », et de l'autre, un jeune homme noir sortant d'un magasin qu'il vient de «piller ». Ces deux photos, juxtaposées sur un site Internet, ont clairement posé la question de la discrimination raciale dans le traitement de l'information. La polémique a rapidement pris de l'ampleur notamment lorsque, en direct depuis un concert de soutien aux évacués de la Nouvelle-Orléans diffusé par NBC, un rappeur, Kayne West,
I http://www.hud.gov/ 2 Personne interwievée par The New Standard. 3 New York Post, 22 eptembre 2005, "Rabbi Claims Katrina
44
Racism".
a dénoncé la discrimination dont étaient victimes les Noirs dans les médias'. Steve Blow, du Dallas Morning Ne,vs, le 2 septembre, attaque de front la polémique. «Les pillards sont dégoÛtants, n'est-ce pas? En plus, on ne peut pas s'empêcher de ramener ça à leur origine ethnique. C'est vrai, n'avez-vous pas remarqué comme les riches propriétaires blancs d'entreprises pétrolières nous volent depuis l'ouragan en augmentant le prix de l'essence? Quoi, on ne parle pas de ces pillards-là? » Toujours ironiquement, il félicite les pillards noirs: pour une paire de baskets à 100 $, iIs ont offert une cam pagne publicitaire de plusieurs milliards aux groupes racistes. S'adressant à eux: « Regardez-vous sur les sites nazis ». Selon lui, l'amalgame noir/pillard provient du fait qu'on généralise davantage pour les personnes quand elles appartiennent à des groupes différents du nôtre, car on ne projette pas leurs actions sur nous. On ne les voit pas comme des individus, mais comme des
Illustration 2 Photographies AFP et AP
Les deux photographies qui ont posé la question de la discrimination dans le traitement de l'information. I
New York Times, 5 eptembre 2005, Tania Ralli, "Who 's a Looter:) In Storm 's Afiermath. Pictures Kick Up a Different Kind of Tempest". 45
La question du racisme reste essentielle dans la reconstruction. En effet, la population semble avoir développé une forme de méfiance, parfois à juste titre, envers le pouvoir, quel que soit J'échelon. Au niveau fédéral, les habitants reprochent à G. W. Bush de dépenser davantage pour l'Irak que pour la Nouvelle-Orléans, et donc de ne pas faire de leur aide une priorité. Kathleen Blanco, gouverneur de l'État de la Louisiane, est en partie tenue pour responsable dans l'échec des opérations de secours, en particulier parce qu'elle a tardé à réclamer l'intervention de la garde nationale sur le territoire de la Louisiane I. L'échelon fédéral est donc également rem is en question. Certaines accusations portées sur l'administration locale peuvent s'expliquer: la population ne fait confiance ni à la police, réputée corrompue et violente, ni, dans une moindre mesure, au maire, Ray Nagin, régul ièrement accusé de démagogie. Toutefois, comme me j'a fait remarquer Darryl Durham, chef de la reconstruction de l'ACORN (Association of Community Organisation for Reform Now), aucune association afro-américaine n'est venue rapidement en aide aux habitants de la Nouvelle-Orléans. Ces derniers se sont donc sentis abandonnés par le reste des Afro-Américains des États-Unis2. De plus, la ville a été exposée au monde entier comme étant incontrôlable, avec les scènes de pillages et de violences qui se sont déroulées dans les jours suivant l'inondation. Certes, les événements n'ont pas été aussi graves que ceux décrits par la presse, qui s'est par ailleurs ensuite repentie, pour avoir colporté des rumeurs sans fondement. Par exemple, le viol d'une petite fille dans le Superdome, oÙ étaient réfugiés les
I
Du fait du fonctionnement fédéral des États-Unis, l'intervention de la garde nationale sur le territoire américain ne peut en effet être effectuée que sur la demande expresse du gouverneur de l'espace concerné.
2 Interview de Darryl Durham; environ 50'00 Bush. [...] Jesse Jackson any!hing"
"YOllcan 't jllS! blame
came here to prates!,
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but hasn 't done
habitants qui n'avaient pu quitter la ville, s'est avéré être une fausse information. Le traumatisme semble malgré tout être grand chez les habitants. Certaines personnes parlent de ces événements comme d'une guerre, avec les coups de feu dans l'obscurité totale, l'électricité étant coupée. Cependant, d'après les statistiques, cette période n'a pas été plus meurtrière qu'un week-end ordinaire à la NouvelleOrléans avant l'ouragan, soit en moyenne une petite dizaine de morts par balle... Début 2007, si le taux de meurtres augmente par rapport à cel ui de l'année précédente, iI reste cependant inférieur à celui observé avant l'ouragan avec une vingtaine de cas pour les deux premiers mois de l'année 2007.
47
Les représentations Orléans
sur
la Nouvelle-
"Sillin' on a sack of beans Sillin' down in Sew Orleans You 'd'ouldn 'I believe whO! I've seen Silling on Ihol sack o/beans Lunalics on pogo slicks Anolher soulhern Fied Feok on a crucifÎx
Hicks don 'I mix wilh polilics People on Ihe slreel jusl kickin' 10 Ihe licks Yes my /àvorile place 10 be Is nol a land culled honuh lee .\/el1lu/~v or physically ,,; I wonnu be in New Orleans
En termes de population, la Nouvelle-Orléans ne dépasse pas les 500000 habitants en 2000, donc avant l'ouragan 2, les représentations auxquelles elle renvoie sont très importantes. De nombreux films, Easy Rider, la série des James Bond, Un tramway nommé Désir, etc. se déroulent dans cette ville à l'atmosphère autrefois unique. De très nombreux musiciens, de Sting à Beck en passant par les Red Hot Chili Peppers, y font référence dans leurs morceaux. La folie de Mardi gras, mêlée à la magie vaudou et à la musique jazz, donnait en effet une ambiance très particulière et authentique que la ville semble désormais avoir perdue. Son surnom de « Big Easy», donné par les musiciens afro-américains qui arrivaient toujours à trouver facilement un endroit oÙ jouer pour gagner de l'argent', donne l'impression qu'on peut « laisser les bons temps rouler », expression employée par les Cajuns de la ville, et profiter de ce que la cité donne de mieux. La ville est également réputée pour I
The Red Hot Chili Peppers; "Apache Rose Peacock", Blood Sugar Sex Magic, 1991, Warner Bras, 2 Bureau du recensement, www.census,gov. J New York nmes, 4 septembre 2005, Anne Rice, "Do You Know What Il Means to Lose New Orleans?" 48
la qualité de sa cuisine traditionnelle: des Pow Boy (Sandwiches chauds, à base d'un pain se rapprochant de la baguette) à la seafood (poisson-chat, calamar frit,...) en passant par le riz Jumbalaya. La Nouvelle-Orléans tient donc une place très particulière dans la culture et l'imaginaire américains en renvoyant à de nombreuses et puissantes images, aussi bien négatives que positives. Le congressiste républicain Richard Baker était, de ce point de vue, très clair, lorsqu'il a déclaré au Wall Street Journal: «Enfin les cités de la Nouvelle-Orléans ont été nettoyées. Ce que nous n'avons pas pu fàire, Dieu s'en est chargé» I : en effet, nombreux sont les Blancs conservateurs qui voient Big Easy comme la cité du vice: drogue, alcool, prostitution, criminalité d'une manière générale... La ville a également la réputation d'être rongée par la corruption. Certains ultraconservateurs chrétiens ont même perçu dans l'ouragan une punition de Dieu pour les péchés commis dans cette ville2. Dans les deux cas, l'inondation est un moyen efficace de faire disparaître de la Nouvelle-Orléans tous ceux qui leur semblent être la cause de ces « maux ». Ces représentations dépassent les frontières des États-Unis d'Amérique, puisque même le Guide du Routard fait allusion à l'importante criminalité de la Nouvelle-Orléans, en conseillant par exemple de ne pas circuler à pied, même à plusieurs, dans certains quartiers de la ville3. Le nombre de crimes recensés par la police a cependant largement diminué. Le nombre de crimes violents (meurtres, viols, attaques à main armée, vols, agressions physiques) est en effet passé de Il 115 en ] 996 à 4589 en 2004, soit une diminution de ]42%4. On retrouve cependant la même évolution à l'échelle des États-Unis.
I
Mike Davis, The Nation, 10 avril 2006, "rf/ho 's Killing New
Orleans? ". 2 Sites Internet de The Real Truth et de Warriors http://www.realtruth.org/home.htmlet http://www.warriorsfortruth.com/. 3 Le Guide du routard Floride Louisiane, 2007, Hachette, 4 http://secure.cityofno.com/portal.aspx?portal=50&tabid= secure.cityofno.com/portal.aspx?portal=50&tabid= 12
49
for
Truth:
Paris. 19 et http://
La violence dépasse également la simple question de la criminalité. Une loi particulière à l'État de la Louisiane autorise par exemple à faire feu sans sommation sur toute personne soupçonnée de vouloir voler un bien privé. Un cambrioleur surpris dans une maison pourra être abattu par le propriétaire sans que la loi ne puisse l'inquiéter, et ce même si le voleur était en train de fuir. Comme le signale avec humour le Guide du routard, mieux vaut ne pas confondre sa voiture avec celle de quelqu'un d'autre...1 La population locale, blanche comme afro-américaine, semble préoccupée par la question de la criminalité. Lorsque j'expliquais l'objectif de ma venue à la Nouvelle-Orléans, mes interlocuteurs me recommandaient systématiquement de faire attention, de ne pas aller seul dans certains quartiers, et de me méfier des jeunes... Pourtant, je me suis pour ma part assez rapidement fait à l'ambiance de la ville, et je ne m'y suis pas senti en danger. Je crois également qu'il y a une crainte assez présente des Blancs envers la population noire, identifiée comme une classe dangereuse même si, bien évidemment, tout le monde se défend de penser cela. Les perceptions peuvent néanmoins être positives: cette ville est le berceau de la musique noire américaine: le Blues, musique africaine métissée avec celle des Blancs, puis le Jazz, qui en représente une forme plus complexe car intégrant de nombreuses influences, sont nés en Louisiane. La NouvelleOrléans est fière de ce patrimoine, comme en témoigne le nom de son aéroport: Louis Armstrong. La musique Jazz serait née dans le parc juste au nord du French Quarter. En effet, durant la période française, les esclaves avaient reçu l'autorisation de se réunir le dimanche, pour chanter et danser. Cette tradition a été conservée, et le Jazz est apparu lors de ces fêtes, au cours de la prem ière moitié du XXe siècle. La légende raconte que des musiciens mexicains auraient revendu leurs instruments pour pouvoir rentrer dans leur pays, instruments dont se seraient alors servis les Noirs, qui auraient ainsi inventé le Jazz. Néanmoins, la Nouvelle-Orléans n'est actuellement pas la ville la plus dynamique des États-Unis en termes d'inventivité musicale, puisque les derniers grands courants musicaux noirs I
Ibid
50
sont nés sur la côte est: le hip-hop, très proche du jazz d'un point de vue sociologique, est apparu à New York City. Son développement s'est ensuite poursuivi sur la côte ouest, et la Nouvelle-Orléans n'y a peu ou pas participé. Le bounce, style de hip-hop énergique, semble être la dernière innovation musicale de la vi lie, dans les années 80-90. Son développement semble cependant limité au sud des États-Unis.' Quant aux musiques héritées du blues ou du jazz, elles ont été reprises par les Blancs. Le grunge, dernier grand courant issu du blues (par l'intermédiaire du blues rock), est apparu à Seattle, cependant que le jazz s'est perfectionné à New York et en Europe et qu'il a largement été repris par les Blancs (français, comme Michel Portal, Erik Truffaz, Henri Texier, Louis Sclavis, ou américains, comme John Zorn, Jaco Pastorius, Dave Holland, etc.) chose plutôt rare dans les années soixante. Élément assez révélateur de ce déclin, comme l'explique Richard Campanella, le nombre de magasins d'instruments de musique répertoriés dans les pages jaunes est inférieur à 10 pour 100 000 habitants à la Nouvelle-Orléans, soit un taux inférieur à celui de villes comme San Francisco, Boston ou Cleveland, dont le passé en matière de musique est par ailleurs bien moindre que celui de Big Easy. De plus, la ville ne compte aucun producteur de disques majeur, contrairement aux cités de la côte ouest, où cette activité est particulièrement bien représentée. Los Angeles en compte deux cent trente-cinq, par exemple2. La perception de la Nouvelle-Orléans comme une ville où la musique tient une place centrale n'est pourtant pas dénuée de sens. Les écoles ont chacune leur fanfare de jazz, et sont d'ailleurs en compétition lors des parades de Mardi gras. Les musiciens de rue sont assez jeunes et généralement noirs. La musique pratiquée à la Nouvelle-Orléans n'a simplement pas beaucoup évolué, et la ville a perdu son rôle de pôle d'innovation en matière de jazz. Le consulat français à la Nouvelle-Orléans participe activement, par des financements et des dons, à faire revenir à la Nouvelle-Orléans les musiciens qui ont quitté la ville à la suite de l'ouragan. I
Source: http://en.wikipedia.org/wiki/Bounce_music
2 Source: Richard Campanella, "Geographies Fabrics Before The Storm ",2006. 51
of New Orleans, Urban
D'autres éléments du patrimoine de la cité semblent cependant avoir pris une vocation beaucoup plus commerciale. La « Bourbon Street» en est le symbole. Cette rue est arpentée jour et nuit par les touristes. Rien ne semble original et tout est bon pour faire de l'argent, y compris Katrina. Entre les magasins vaudou, les bars pseudo-jazz, les peepshows et les boutiques de souvenirs, le tout dans une ambiance assez kitch, la Nouvelle-Orléans semble avoir vendu son âme au diable, mais pour des résultats bien moins gratifiants que ceux de Robert Johnson I... II est également assez paradoxal que d'une perception négative (prostitution, alcool, débauche), la ville ait réussi à faire une attraction touristique. Les parades de Mardi gras semblent cependant avoir gardé un caractère original, parce qu'étant le fruit de l'investissement de la population locale: les krewes (confréries) organisent chacune leur parade, avec leurs thèmes, généralement satiriques, créent les déguisements et décorent les chars. Lors de la parade, des colliers et d'autres objets comme des paquets de chips, bagues, pièces à l'effigie de la krewe, ... sont jetés à la foule. Chaque krewe a son histoire. Certaines, comme le Rex, sont très sélectives. Il faut être d'une famille de la haute société néo-orléanaise pour espérer en faire partie et une fois que l'on y est entré, il faut payer pour l'organisation de la parade. Le roi peut débourser jusqu'à 30000 dollars dans l'année. Autre exemple, le Zulu est une krewe composée exclusivement de Noirs, tous de la haute société, et la krewe des « Knights Of Chaos» est très conservatrice et sélective, bien que moins ancienne que le Rex. Les parades sont peut-être les rares moments pendant lesquels la population marche dans la rue (les déplacements à pied sont peu fréquents, tout le monde circulant en automobile) et est totalement mélangée. L'ambiance est très détendue et les incidents sont rarissimes. Pratiquement aucun grand jazzman contemporain n'est originaire de la ville, mais le déclin musical de la NouvelleOrléans n'est pas vraiment perçu par les habitants. I
Guitariste de blues, dont la légende raconte qu'il aurait vendu son
âme au diable en échange d'un talent extraordinaire, dans des circonstances mystérieuses. 52
avant de mourir
L'attachement des Noirs américains à la ville reste très important: près de 90 % des Afro-Américains qui habitaient la Nouvelle-Orléans avant l'ouragan étaient nés en Louisiane, ce qui signifie qu'ils ne quittent pas le territoire sur lequel ils ont grandil. De plus, à peine 12 % de la population exilée ne souhaite pas revenir habiter dans la ville2. Les représentations de la Nouvelle-Orléans sont donc importantes et ces dernières sont aussi bien positives que négatives. L'ouragan Katrina a également contribué à façonner l'image de la ville, qui apparaît désormais à juste titre comme un espace qui a souffert et souffre encore de la pauvreté et des inégal ités raciales.
Les inégalités raciales révélées exposées par l'ouragan Katrina
et
80 % des quartiers inondés étaient à très forte majorité afro-américaine' et les images diffusées par les médias, en particulier les chaînes de télévision, ne montrent pratiquement que des Noirs parmi les victimes. Ce fut un choc pour l'opinion américaine, comme en témoignent les nombreux articles publiés dans la presse à ce sujet, qui semble surprise de découvrir l'ampleur de la misère dans son propre pays. La Louisiane est en effet le deuxième État le plus pauvre des États-Unis d'Amérique, après celui du Mississippi, avec pratiquement une personne sur cinq vivant sous le seuil de pauvreté4. Par ailleurs, plus du tiers des Afro-Américains de ce même État vit sous ce seuil, contre « seulement» 12 % des Blancs. Les inégalités entre les groupes ethniques sont donc extrêmement marquées. L'ouragan Katrina les a révélées à l'Amérique et au reste du monde.
I
Source: New York Times, 12 déco 2005; "'Evacuees O/llurricane
Katrina Resettle Along A Racial Divide" 2 Statistiques publiées par l'UNOP, et issues du Community Congress II. 3 John Logan, "The Impact Or Katt'ina' Race and Class in Stormdamaged Neighborhoods". 4 Source: Site Internet du bureau du recensement américain; www.census.gov 53
Différents rapports ont pointé du doigt la discrimination dont étaient victimes les Noirs: leurs revenus, inférieurs à ceux des Blancs, ne leur ont pas permis de fuir l'ouragan. 35 % d'entre eux ne disposaient pas de moyen de transport individuel motorisé, contre Il % des Blancs'. L'évacuation de la ville de ceux qui ne disposaient pas de moyen de transport aurait donc dG être menée par les autorités locales et fédérales. Commentaire de la Carte 18 Part des principaux groupes ethniques et revenus à la Nouvelle-Orléans par Census tract et en 2000 », p. VI : Cette carte, bien qu'utilisant des données plus anciennes que la précédente, donne une idée relativement précise de la répartition de la population pauvre aux États-Unis. Seul le centre du pays se détache clairement comme étant un e.space de làible concentration de population pauvre. On peut ensuite distinguer différents ensembles. Le nord-ouest semble en difficulté, ainsi que la côte ouest d'une manière générale, à l'exception de la baie de San Francisco. Cette répartition semble se poursuivre le long de laFontière mexicaine. Le centre du Texas marque néanmoins une rupture avec la Louisiane et l'Arkansas, oÙ la pauvreté semble se concentrer le long du Mississippi, mais se dljfilse également le long de la côte, en Georgie et en Caroline du sud. Le Kentucky et la Virginie ouest forment le dernier espace de forte concentration de pauvreté. A noter, la concentration de population pauvre le long du fleuve Mississippi, entre les États de la Louisiane et du Mississippi. D'autres études ont prouvé que les plus pauvres vivaient dans les quartiers les plus sensibles aux risques d'inondation, notamment celle de la très sérieuse Brooking Institution2. Cela I
Statistiques du Queens College, reprises par le New )"01'/(Times du 4
sept. 2005 in « Broken
2
Levees,
Unbroken
BQ/Tiers
i).
"New Orleans A(ier the Storm, LessonsFom the Past, A Plan.fÔr the Future", The Srookings Institution, Metropolitan Policy Program. 54
renvoie donc à la ségrégation raciale légale dans la ville de la Nouvelle-Orléans. Pendant longtemps, les Afro-Américains ne pouvaient pas décider de l'endroit oÙ ils vivaient, la ségrégation étant officielle. Les lois Jim Crow, établies dans différents États après la Guerre de Sécession (entre 1875 et 1965 \ ont officialisé une ségrégation qui jusque-là n'avait pas lieu d'être, puisque les Noirs, en raison de leur condition d'esclaves, n'avaient de fait pas les mêmes droits que les Blancs2. Dans l'État de Louisiane, en l'occurrence, cette loi interdisait au propriétaire de louer à une famille noire une habitation dans un block peuplé pour tout ou patiie de Blancs. Le quartier du Lower Ninth Ward, par exemple, est historiquement noir pour cette raison, alors que celui de Lakeview, datant des années 40, était auparavant réservé aux Blancs. Cette ségrégation est cependant de nos jours moins marquée à la Nouvelle-Orléans que dans d'autres grandes villes nord-américaines. En effet, la Nouvelle-Orléans représente depuis ses origines une ville multiculturelle. Les influences françaises, espagnoles et anglaises s'y sont succédé, cependant que la population d'origine africaine y tenait une place importante. De plus, la frontière entre Noirs et Blancs était relativement ténue avant la guerre de Sécession et les lois ségrégationnistes, puisque les gens de couleur libres (les créoles) se mélangeaient volontiers aux Blancs comme aux Noirs3. La réelle séparation entre communautés ethniques n'a donc eu lieu qu'après les lois Jim Crow et s'est maintenue au '. Ie. Iong d u XX èllle slec Si la ville donne l'image d'une cité afro-américaine depuis toujours, ce n'est pourtant que depuis le milieu des années 70 que la majorité de la population de la Nouvelle-Orléans est noire4. Avec la péri urbanisation, les Blancs, majoritairement plus riches que les Noirs, quittent progressivement le centre de I
Source: Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/lim Crow Jaws. Roger A. Fischer, "Racial Segregation In Ante Bellum New ~
2
Orleans", in The American Historical Revint', Vol 74, No.3 (Fév. 1969), pp. 926-937. et Dale A. Somers "Black and TVhite in New Orleans: A Stlldy in Urban Race Relations, 1865-1900", The Journal ofSollthern History, Vol. 40, No. I. (Fév. ]974), pp. ]9-42. 3 Idem. 4 census.org; Richard Campanella, ibid
55
la ville pour aller s'installer en banlieue, notamment dans les comtés de Plaquemine, Jefferson et Saint Charles I. Ce phénomène est appelé le « White flight» en anglais. II a été général aux villes américaines, et a conduit à l'appauvrissement des villes-centres des grandes agglomérations2. D'autres minorités étaient installées à la Nouvelle-Orléans avant l'ouragan, dont des Vietnamiens et des Grecs. Les Hispaniques n'étaient en revanche que très peu présents, avec moins de 4% de la population du comté en 2000 (contre trois fois plus à l'échelle des États-Unis, avec 12,5% de la population en 2000\ Cette minorité était essentiellement composée de personnes originaires du Honduras4.
I
Carte 3 p. 57. 2 Frederick Douzet, « Le rêve américain au cœur des dynamiques urbaines» in Les États-Unis, sous la direction de Denis Lacorne, 2006, Fayard. 3 Census bureau, census.org. ~ "Latinos Immigrants in Post-Katrina ,Yew Orleans ", Elisabeth Fusell, 2006. 56
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Carte 3 Taux d'Afro-Américains environs.
à la Nouvelle-Orléans
57
et dans ses
Les différences restent cependant nettement visibles, en particulier aux yeux d'un Européen. En effet, les ruptures, que l'on pourrait dans certains cas presque désigner comme des frontières, sont sensibles. Par exemple, si l'on se rend du District de Mid-City, quartier à très forte majorité noire, à l'Uptown, l'environnement apparaît progressivement comme plus agréable. simplement en observant le décor autour de soi. L'une de mes expériences fut la suivante: j"ai pris le tramway pour descendre Canal Street, vers le French Quarter. Le paysage, le long de cette rue, évol ue à mesure que l'on se rapproche du centre historique. Les bâtiments deviennent plus hauts, la densité augmente progressivement. Puis j'ai pris une correspondance en bus pour me diriger vers l'ouest de la ville, dans le quartier de l'Uptown, après avoir traversé le CBD (Central Business District). Ces observations sont corroborées par les cartes qui présentent de frappantes différences en termes de composition sociale entre les quartiers. Le District de M id-City a une densité de population relativement faiblel. L'habitat y est soit ponctuel (une maison entre deux stations services ou deux parkings) soit collectif (dans des immeubles bien plus massifs que ceux que l'on peut observer en France, mais néanmoins vides)... Globalement, personne ne marche dans la rue, excepté quelques ouvriers hispaniques, encore trop pauvres pour pouvoir s'acheter une voiture. A l'inverse, dans le quartier de l'Uptown, le bâti est homogène et continu. La population y est très manifestement plus riche. Les boutiques sont nombreuses et s'adressent à une clientèle plutôt aisée. Les services de proximité, tels que des cafétérias ou de petites librairies attirent des clients. le quartier est donc beaucoup plus vivant. On observe un changement d'ambiance radical: d'un quartier oÙ l'on passe (Mid-City), je suis arrivé dans un quartier oÙ l'on reste. La ségrégation, bien qu'étant décrite comme moins forte que dans d'autres villes nord-américaines, n'en reste pas moins responsable de la surreprésentation des quartiers à majorité afro-américaine parmi les espaces sinistrés. C'est notamment la I
Voir Carte 18 p. VI. 58
thèse du sociologue John Logan, professeur à la Brown University, auteur de "The Impact ofKatrina : Race and Class in Storm-damaged Neighborhoods" I. II y quantifie précisément cette inégal ité raciale, sans pour autant insister sur les causes autres que les différences de revenus entre Blancs et Noirs. Des quartiers comme le Garden District, la Magazine Street, la rue St Charles, les alentours du parc Audubon, dont la population est essentiellement blanche, sont restés indemnes lors de l'inondation. Ils formaient par ailleurs un croissant, correspondant à la forme initiale de la ville avant que l'assèchement des marais ne permette une extension vers les espaces les plus bas2. Les quartiers les plus sOrs sont donc les plus anciens. Cependant, assez étonnamment, les Noirs semblent sousreprésentés parmi les victimes décédées lors de l'ouragan. Les Afro-Américains ne représentent « que» 59 % des personnes décédées, alors que ce groupe correspond à 70 % de la population de la Nouvelle-OrléansJ. Cela étant, on ne peut Iim iter le terme de victimes aux décès Iiés à l'ouragan. Ceux qui ont perdu tous leurs biens dans l'inondation font également partie des victimes de Katrina, et les quartiers noirs ont davantage été touchés que les quartiers blancs pendant l'inondation (46 % des quartiers touchés par l'ouragan sont à forte majorité noire, contre moins de 30 % pour les quartiers épargnés par l'inondation4). Un an après le passage de l'ouragan, l'équilibre ethnique de la Nouvelle-Orléans reste totalement modifié. Si les Noirs représentaient près de 70 % de la population en 2005, ils n'en représentent plus que 44 % en 2006, alors que la part des Blancs est passée de 27 à 42 % sur la même périodes. Ceci s'explique I
John
Logan,
"The Impact of Katrina.. Race and Class in S'torm-
damaged Neighborhoods"; http://www .s4. brown .ed u/Katri na/report. pd f. 2 Thomas Cadou l, «La vulnérabilité de la Nouvelle-Orléans: bref bilan de la reconstruction en cours ». 3 The Nation, 14 Déc. 2005, "Statistics Suggest Race Is Not a Factor in Katrina Deaths", Nathan Burchfiel. 4 John Logan, idem. 5 New York Times, 7 oct 2006, "New Orleans Population is Reduced Nearly 60 % " 59
par le fait que les quartiers les plus touchés sont ceux qui abritaient une population majoritairement noire. Le 29 novem bre 2006, les estimations sont revues, mais la part des Noirs reste toujours très inférieure à ce qu'elle était avant l'ouragan, puisque les Afro-Américains ne représentent que 47 % de la population I (ceci sera un des éléments essentiels développés dans la suite de cette étude). L'augmentation de la part des Blanes dans la population de la Nouvelle-Orléans est d'autant plus visible que leur place avait tendance à diminuer depuis près d'un demi-siècle. Or, la Nouvelle-Orléans tient une place très particulière dans la culture des Afro-Américains2. Si l'esprit qui l'entoure n'est peut-être qu'une perception, les Noirs tiennent à cette ville. Les en exclure serait les priver d'un pan entier de leur histoire en Amérique. Il semble cependant que leur place soit à l'avenir réduite dans la ville, notamment en raison des plans de reconstruction mis en place suite à l'ouragan.
I Source: Time-Picayune, 29 novembre 2006. 2 New York Times 4 septembre 2005, Anne Rice, idem. 60
Chapitre Il. Les débuts l'organisation de la reconstruction
de
L'organisation de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans a démarré difficilement. Dans un premier temps, les habitants n'ont pas tout de suite pu retourner vivre dans la ville, y compris dans les quartiers qui n'avaient pas été touchés, puisqu'un couvre-feu a été établi suite aux quelques scènes de pillage ayant suivi l'ouragan. Une fois la ville asséchée et les réseaux d'égouts, d'eau et d'électricité remis en état, le nettoyage a pu commencer. Si la reconstruction s'annonce comme une évidence l, elle devra être encadrée, afin d'éviter de commettre des erreurs en matière d'urbanisme. De plus, les enjeux ethniques et culturels sont nombreux et l'organisation de la reconstruction se déroule dans un contexte de suspicion. Il semble donc utile de les exposer pour expliquer dans quel contexte l'organisation se met en place. La reconstruction n'est ainsi pas uniquement complexe d'un point de vue technique, mais également en politique. La question raciale avait pris une telle place dans les débats sur la gestion de la catastrophe qu'il était impératif pour les responsables de la reconstruction d'afficher une réelle prise en compte des victimes et de se prémunir contre toute accusation de racisme. La reconstruction de la Nouvelle-Orléans avait donc pour but non seulement de reconstruire physiquement la ville mais aussi d'éviter les erreurs d'urbanisme commises dans le passé et génératrices d'inégalités. Le processus devait enfin aboutir à rendre à chacun sa place dans la ville, ou tout au moins à donner le sentiment aux déplacés qu'ils pourraient revem r.
I « Nous allonsfaire ce qui doit êtrefait et rester aussi longtemps que nécessaire pour aider les citoyens à reconstruire leur communauté et leurs vies» G. W. Bush le ] 5 septembre 2005 à la Nouvelle-Orléans.
Les enjeux ethniques reconstruction
et culturels
de la
Très peu de temps après le passage de l'ouragan, les premières réflexions quant à l'avenir de la ville sont apparues. La question qui semble centrale est: la Nouvelle-Orléans peutelle et doit-elle rester une ville noire américaine? Comme expliqué un peu plus haut, cette interrogation apparaît en effet essentielle à la population, qui indique dans une enquête réalisée par l'UNOP qu'elle souhaite que la mixité ethnique et sociale de la ville soit maintenuel dans la ville. Steven Bingler, « Planning Coordinator» de l'UNOP, est par ailleurs tout à fait conscient de cet enjeu, inclus dans le processus de reconstruction. :"[...Jthere are a lot more people in the ci/y who understand that poor people make New Orleans..2. Il est en premier lieu possible d'aborder le problème comme un phénomène de gentrification brutale: le prix des loyers a été multiplié par deux en moins de un an', passant d'une moyenne de 700 dollars à près de I 500. Les Noirs, dont le taux de pauvreté est trois fois supérieur à celui des Blancs, n'ont alors plus les moyens de retourner vivre dans cette ville, qui devient alors progressivement blanche4. L'augmentation du prix des loyers semble être au départ la conséquence de la lenteur du versement de l'aide fédérale, dans le cadre du « Road Home Program ». 11est en effet prévu que l'État de la Louisiane finance en partie le retour des habitants déplacés et qui manifestent le désir de retourner habiter là oÙ ils vivaient avant l'ouragan. Or, d'après Sara Albee, membre de l'ACORN (Association of Community Organizations for Reform Now) et chargée de l'aide à la reconstruction, sur les la 000 demandes, seules 250 ont pu aboutir (l'information date de février 2007). Les lenteurs adm inistratives sont désignées comme responsables du retard dans le versement de l'aide, ce I Community Congress II, Dec 2, 2006. 2 Interview de Steven Bingler, 7'30. 3 Chron,com; HOl/ston Chronicle, "Report' Storm Lefi New Hl/man Land5cape ", 20 juin 2006. 4
Hous/on Chronicle, "Hope,s'for an Homecoming Dim", 20 janvier
2007. 62
qui renforce encore une fois la méfiance des habitants envers la « bureaucratie », terme dont ils se servent généralement pour désigner l'administration. L'augmentation des prix de l'immobilier (et, par conséquent, des loyers) risque également d'être amplifiée par les différents plans de reconstruction. Tous les quartiers ne sont pas encore reconstruits; certains ne le seront probablement pas. On peut s'attendre à ce que les prix augmentent à moyen terme. Les quartiers riches semblent être reconstruits plus rapidement que les quartiers pauvres, puisque les catégories aisées étaient mieux assurées, notamment contre le risque d'inondation, et qu'elles ont les moyens d'avancer les frais de réparation en attendant le remboursement des assurances (cet élément sera détaillé plus bas, cf. « Les facteurs susceptibles d'intervenir dans la vitesse de la reconstruction », p.] 20). Par ailleurs, les personnes déplacées mais propriétaires ont davantage intérêt à revenir habiter à la Nouvelle-Orléans que celles qui louaient leur logement, puisqu'elles ont des biens sur place. Il est donc probable que cette catégorie de population sera surreprésentée parmi les habitants déplacés qui retournent vivre à la Nouvelle-Orléans. La vente des terrains est néanmoins possible, à un prix équivalent à celui antérieur à l'ouragan, ce qui permet aux propriétaires de ne pas trop perdre d'argent en cas de migration définitive vers une autre villel. Outre ces questions économiques restent des enjeux culturels et idéologiques. La Nouvelle-Orléans représente en effet une part importante du patrimoine culturel des AfroAméricains. Ils vont certainement être attentifs à ne pas se faire exclure de la ville. Pour certains Blancs conservateurs, ce pourrait être en revanche l'occasion rêvée de procéder à un nettoyage en profondeur de Big Easy, qualifié d'ethnique, par certains, notamment par l'organisation « People's Hurricane Fund Re] ief », et d'en faire effectivement une cité uniquement touristique, la place des Noirs se limitant alors à jouer du jazz dans le French Quarter pour les visiteurs. Le potentiel économique de la ville est en effet important, en particulier dans le secteur du tourisme et cela pourrait dans une certaine mesure conduire les promoteurs à vouloir éloigner I
Rapport final de « Bring New Orleans Back ». 63
les populations en difficulté, ou à se servir des espaces abandonnés pour y construire de nouvelles infrastructures dévouées à cette activité. Mais cela ne semble pas être l'unique raison pour laquelle les Noirs pourraient être à l'avenir moins nombreux à la Nouvelle-Orléans. Rappelons en effet que la question des représentations est ici également très importante: la Nouvelle-Orléans est une des villes les plus dangereuses de tous les États-Unis, avec un taux de meurtres réputé près de dix fois supérieur à la moyenne nationale. Pour certains ultraconservateurs, cette criminalité est due à la présence de pauvres dans la cité. Pour eux, une ville sans pauvres sera donc une ville plus sCIre.C'est la raison pour laquelle R. Baker, membre républicain du congrès, parle de « nettoyage ». Les acteurs de la reconstruction et leurs réseaux auront donc un rôle central dans l'avenir de la Nouvelle-Orléans et dans la place laissée aux Afro-Américains. On comprend alors l'importance de la participation des habitants dans chacune des étapes du processus de reconstruction. Steven Bingler de l'UNOP (Unified New Orleans Plan), lors de notre entretien, semble percevoir cet élément comme essentiel pour donner de la légitimité au processus de reconstruction. En effet, en permettant à chacun de donner son opinion, le processus est équitable et ne lèse, par définition, personne. Les attentes des habitants sont claires: durant le deuxième Community Congress, réunion organisée le 2 décembre 2006 par l'Unified New Orleans Plan permettant à toutes les personnes qui le souhaitent d'exprimer leurs VŒUXpour la reconstruction de la ville, ils ont signifié qu'ils souhaitaient conserver la diversité ethnique et culturelle et l'esprit de la ville, tout en réduisant l'insécurité et la pauvreté dans les quartiers I. On peut en revanche supposer que ces idées doivent être surreprésentées parmi les populations sondées, puisque, de par leur participation au processus de reconstruction, iIs manifestent un intérêt particulier pour la ville. Les représentants des AfroAméricains ainsi qu'un grand nombre d'intellectuels soupçonnent en effet les acteurs de la reconstruction d'exclure I Community Congress Il, Dee 2, 2006. 64
progressivement les Noirs de la Nouvelle-Orléans. Stanley Greene, grand photographe de guerre pour l'agence Capa, explique dans une interview au Monde qu' « ils veulentfàire de la Nouvelle-Orléans une ville blanche et lucrative» I. La question est donc de savoir qui sont ces « ils ».
Les instigateurs reconstruction.
du
processus
de
Le maire, Ray Nagin, ainsi que le conseil municipal de la ville, ont logiquement été les premiers instigateurs de la reconstruction. IIs se sont rapidement appuyés sur des commissions, dont les décisions ont parfois provoqué de vives réactions d'opposition de la part de la population.
L'intervention de Ray Nagin Un des acteurs les plus visibles, mais pas nécessairement le plus actif, est Ray Nagin, le maire de la Nouvelle-Orléans. Afro-américain, Nagin a commencé sa carrière en tant qu'administrateur d'une société de distribution de télévision par câble de la Nouvelle-Orléans (Cox Communication)! avant de se lancer dans la politique. Il débute du côté républicain, mais il change d'étiquette pour devenir par la suite démocrate. Cela ne l'empêchera pas de soutenir G.W. Bush aux élections présidentielles de 2004. Nagin donne régulièrement son soutien à deux partis aux opinions totalement divergentes. Il déclare ainsi en janvier 2006, soit moins de six mois après le passage de l'ouragan. que «Dieu souhaite que la Nouvelle-Orléans soit une ville chocolat» (<
3
New York Times, ibid.
65
Paradoxalement, bien qu'il ait pris des positions pro-afroaméricaines après l'ouragan Katrina, Nagin est réélu en mai 2006, avec 52% des suffrages et une part importante du vote des Blancs I. Les conditions de cette élection étaient également particulières, une grande partie de la population ayant été déplacée dans d'autres villes et parfois à plusieurs centaines de kilomètres, comme Dallas ou Houston. Les Noirs, plus pauvres, ont éprouvé des difficultés pour participer au scrutin2. Le soutien des Afro-Américains à cette personnalité ne semble néanmoins pas diminuer3 et Nagin a obtenu la majorité des suffrages dans les quartiers oÙ les Afro-Américains sont . . . 4 maJontaires . Il est en effet resté à la Nouvelle-Orléans pendant l'ouragan, il a subi comme ses concitoyens les conséquences de l'inondation et s'en est largement pris à l'administration fédérale, aussi bien à Bush qu'à la FEMA, pour les dramatiques conséquences de la lenteur des secours. Il a même explosé en larmes à la télévision en expliquant que l'aide ne parvenait pas et qu'en raison de cela, des gens mouraient. Ses accusations se sont cependant rapidement tues, en particulier lorsqu'il s'est rendu compte de sa dépendance envers l'aide fédérale. Excellent orateur, Nagin met facilement à l'aise et en confiance. Il reste accessible et souriant. Néanmoins, ses discours semblent démagogiques à certains, puisqu'il ne prend pas le risque de froisser ses interlocuteurs. Les critiques dont il a fait l'objet ne l'empêcheront cependant pas de nommer une commission démesurément blanche et républicaine pour établir les plans des opérations de reconstruction à la Nouvelle-Orléans: « Bring New Orleans
l "/vagin rVon Nail-Biting New Orleans Elections" 21 mai 2006, CNN.com; http://www.cnn.com/2006/ POLITICS /05/20/nola.mayor/index.htm I. 2 D'où les actions de certaines associations qui ont mis à leur disposition des bus leur permettant de relier les villes dans lesquelles ils ont été évacués avec la Nouvelle-Orléans. 3 Le Figaro, 22 mai 2006, « Le Maire qui rêvait d'une « ville Chocolat 4 "Nagin
ii ii, Won Nail-Biting
New Orleans
66
Elections"
ihid
Back» (pouvant être traduit comme «Relever Orléans» ).
La commission Bring l'Urban Land Institute
la Nouvelle-
New Orleans Back et
La commission Bring New Orleans Back (BNOB), désignée comme «Probablement l'une des plus grandes initiatives de l'élite de Nouvelle-Orléans» par Mike Davis t, est composée, entre autres, de James Reiss et Joseph Canizaro2, ainsi que d'un nombre important d'éminents membres de l'oligarchie de la Nouvelle-Orléans. Elle a été créée à la suite d'un meeting organisé par James Reiss (à l'origine responsable RTA, Regional Transit Authority, organisme qui gère les transports en commun à la NouvelleOrléans), réunissant Nagin et les plus grandes entreprises de la Nouvelle-Orléans. Les représentants des Afro-Américains y étaient très nettement sous-représentés. L'objectif de la commission était de «reconstruire une ville avec de meilleurs services mais moins de monde ». (James Reiss, cité par le Wall Street Journal). Par la suite. la BNOB (Bring New Orleans Back) a accueilli d'autres acteurs, mais le pouvoir est resté largement entre les mains de Joseph Canizaro (Aménagement Urbain), Scott Cowen (éducation) et Janet Howard (finance). N'étaient en revanche pratiquement pas abordées les questions raciales et sociales. Le plan de la BNOB était soutenu par le maire, Ray Nagin. Cependant, un nombre croissant de résidents de la NouvelleOrléans s'y est opposé, décidant de rester dans leurs quartiers, y compris s'il fallait lutter. Lorsque le plan a été présenté au public, celui-ci a largement manifesté son mécontentement3. Ce qui conduit Nagin à réfléchir, pris entre la commission qu'il a lui-même nommée et la population, par le biais d'associations I
Mike
Davis, The Nation, 10 avril 2006, "/t'ho 's Killing New
Orleans?".
Mike Davis est journaliste indépendant. Il est publié, entre autres, par The i'v'ation et Le Monde diplomatique. è Son rôle sera détaillé plus bas. 3 City residents denounce "Bring New Orleans Back" rebuilding plan; World Socialiste Web Site, 14 Janvier 2006. Les motifs du conflit seront détaillés un peu plus bas.
67
comme Common plus bas).
Ground
ou l'ACORN
(ce conflit
sera détaillé
La personnalité de Joe Canizaro, qui domine la commission, rend également la population méfiante. D'origine italienne, catholique, il a fait fortune dans l'immobilier en rachetant des parcelles à la Nouvelle-Orléans pour y construire des immeubles, essentiellement des bureaux. Il est d'ailleurs le constructeur des deux plus hautes tours de la ville, situées dans le Central Business District, ce qui, au moins symboliquement, donne une idée de sa puissance. Il n'est certainement pas neutre non plus, puisqu'il est promoteur immobilier et il doit probablement avoir des intérêts économiques directs dans la reconstruction. Il est également l'un des acteurs les plus influents de toute la Nouvelle-Orléans. Il est par exemple très proche de G.W Bush, dont il reçoit régulièrement les coups de téléphone I. En outre, Canizaro est décrit comme l' ém inence grise de Ray Nagin par Mike Davis. Sa personnalité est extrêmement contestée notamment pour ses positions anti-avortement et prorépublicaines. Un de ses détracteurs, lors d'une réunion, lui lança: «Je ne vous connais pas, mais je vous déteste »2. En effet, les Noirs voient dans Canizaro le Blanc républicain qui risque de vouloir les exclure de la Nouvelle-Orléans afin de faire profiter de la reconstruction lui-même ou à ses amis de l'immobilier3. Il usera par exemple de sa position de force au sein de la BNOB et sur Nagin pour faire intervenir dans l'établissement des plans de reconstruction l'UL/ (Urban Land Institut), dont il est l'ancien président. Cet institut, l'UL/4, dont la structure rappelle celle des think-tanks (organisations bénéficiant d~ soutiens de la part de partis politiques, d'entreprises, etc. correspondant plus ou moins à des groupes de réflexion sur des thèmes divers), regroupe un grand nombre d'acteurs dans le secteur de
I
Time Picayune 19 mars 2006, "Canizaro Takes The Heat in Plans For City's Futur" et ULI.com. 2 Time Picayune, 12 jan. 2006; "Rebuilding Proposal Gets Mixed Reception, Critics Vocal, But Many Prefer to tVatch and /l'ait ". 'Mike Davis, The Nation, I0 avril 2006, idem.
4
http://www.uli.org//AM/Template.cfm?Section=Home.
68
l'aménagement urbain, de l'architecture et des travaux publics. Son rayonnement est mondial, des conférences sont par exemple organisées en Europe, à Paris notamment. Une des prescriptions les plus contestées de cette organisation concerne les espaces qui sont désignés comme viables et ceux qui ne le sont pas: seuls les quartiers correctement protégés par les digues seront envisagés comme reconstructibles, alors que les quartiers les plus touchés sont manifestement majoritairement noirs. Cette mesure était donc interprétée par les habitants comme un moyen de réduire la part de la population noire susceptible de revenir vivre dans la ville. De plus, l'entretien des digues dépend des fonds que les différents organismes sont prêts à investir dans ces infrastructures. Tous les quartiers peuvent en effet être reconstruits, mais pas à n'importe quel prix. Sera-t-il considéré comme rentable de dépenser des millions de dollars pour permettre à des Noirs, pauvres, et qui plus est perçus comme potentiellement dangereux par la classe dirigeante, de revenir habiter dans leur quartier d'origine? Les associations,
acteurs
majeurs
Les réunions publiques, dans l'ensemble assez bien organisées, ont été le lieu d'expression privilégié des citoyens et de leurs communautés (Communities), ces derniers pouvant également s'investir dans les associations. Le modèle ressemble à celui de la démocratie participative et les citoyens évacués de la ville ont pu s'exprimer depuis les lieux vers lesquels ils ont été conduits après l'inondation. Des associations ont également représenté les habitants. Elles étaient moins directement actives dans la reconstruction, mais gravitaient autour, en faisant pression sur les organismes officiels, tels que le conseil municipal ou la BNOB, et ont également eu un rôle majeur à jouer. Sans prendre de décisions, elles ont modifié par leur influence le processus de reconstruction. L'ACORN (Association of Community Organizations for Reform Now), de ce point de vue, et bien qu'elle ait temporairement participé directement à la reconstruction en
69
formant des « districts teams» l, est un acteur de ce type. En informant les citoyens, et spécialement ceux dont les revenus sont modestes, en leur permettant d'agir sur le « système» en les regroupant, en organisant des manifestations et en leur permettant de voter, elle a contribué à les faire peser dans la reconstruction de leur ville. L'ACORN a par exemple, lors d'un des meetings qu'elle a organisés, conduit les experts en bus dans les quartiers les plus pauvres, afin de leur montrer ce qu'ils ne voyaient pas forcément. De ce fait, elle a permis d'attirer leur attention sur des espaces oÙ la voix des habitants ne se faisait pas entendre. Cette structure a su se servir des médias pour faire connaître son action à l'échelle nationale. Néanmoins, Ed Blakely, principal architecte de la reconstruction, juge sévèrement cette association. II reproche à l'ACORN d'avoir tiré parti du processus de reconstruction pour grandir et d'avoir utilisé les gens pour recevoir des fonds. Cette organisation est, selon lui, extérieure à la ville. L' ACORN est en effet une association qui agit à l'échelle des États-Unis, dans le but de défendre les intérêts des foyers aux revenus modestes. Si la majorité de ses membres est afro-américaine, les Blancs représentent néanmoins une part non négligeable des personnes qui s'investissent ou sont salariées dans cette structure. Sa mobil isation dans la reconstruction s'est faite très rapidement après l'inondation et l'association était certainement l'une des toutes prem ières à mener une action sur place. Cette structure a de très bonnes capacités de communication et s'en est servie pour récolter des dons. Common Ground présente un modèle proche de l'ACORN, dans ses actions comme dans ses principes, à la nuance près que le groupe semble être essentiellement composé de jeunes militants Blancs. Certains habitants les appellent ironiquement les « White Panthers ». En effet, ces jeunes gens sont encore plus acharnés à défendre les droits des Afro-Américains que les Afro-Américains eux-mêmes. Autre structure: People's Hurricane Relief Fund, association d'extrême gauche militant pour les droits des AfroI
Groupe d'habitants Orleans Plan pour reconstruction.
travaillant en collaboration avec J'établissement des propositions
70
l'Unified New de plans de
Américains les plus pauvres. Son combat semble assez proche de celui des Black Panthers. Cette structure est moins visible que Common Ground ou l'ACORN et agit essentiellement dans le district de Mid-City. Son influence est moins visible sur l'organisation de la reconstruction et ses manifestations ne semblent pas avoir réuni autant de personnes que celles organisées par l' ACORN. Les Égl ises sont des acteurs internes à la vi lie et ont une importance fondamentale dans l'organisation de la reconstruction. Par exemple, les bénévoles travaillant à l'ACORN sont hébergés par une paroisse de l'Eglise de JésusChrist. Elles forment également le socle des communautés et sont un Iieu de social isation essentiel, aussi bien à la NouvelleOrléans que dans le reste des États-Unis. Il n'est par ailleurs pas rare que des prières soient faites en dehors des égl ises, par exemple après les réunions ou avant les repas. A utre association, certes beaucoup moins citée, l'A frican American Leadership Project (AALP), qui a participé à de nombreux meetings réunissant notamment Nagin, le NOLANRP et Ed Blakely. Cette organisation se définit comme un think tank, ayant pour objectif d'impliquer les citoyens dans le processus de reconstruction. Il ne semble pas y avoir de réelle collaboration entre les associations qui se sont investies dans la reconstruction et dans l'aide à la population de la Nouvelle-Orléans. La NouvelleOrléans apparaît également comme étant divisée en territoires que les associations se partagent: Mid-City pour People Hurricane, Lower Ninth Ward et New Orleans East pour l'ACORN, Bywater pour Common Ground.
La réorientation reconstruction.
du
processus
de
La population, par le biais d'associations et avant même que la reconstruction ne soit réellement entamée, soupçonnait les commissions de ne pas être neutres, et de ne pas agir pour le bien collectif.1 I
Le passé militant des Afro-Américains du sud-est des États-Unis au moment de la lutte pour les droits civiques les a formés à utiliser les associations pour exprimer leur mécontentement. 7]
La pression d'associations comme l'ACORN sur le conseil municipal et le maire Ray Nagin a été telle que ce dernier a fini par désavouer un certain nombre de mesures proposées par la BNOB, notamment l'interdiction de reconstruire dans certains quartiers jugés nonviables, en particulier les plus pauvresl. Une des recommandations de la BNOB et de l'ULI concernait en effet la création d'une corporation rachetant les parcelles des quartiers les plus sinistrés afin d'en faire des zones d'expansion des crues protégeant les quartiers les plus riches. Cette mesure a évidemment provoqué un tollé parmi les AfroAméricains: non seulement ils ont eu le sentiment d'avoir davantage souffert de l'inondation, mais en plus leurs quartiers devraient servir à protéger des crues ceux des Blancs. De plus, le choix des espaces à reconstruire ne devait initialement pas se faire en fonction de la carte des zones inondables, mais en partenariat avec les résidents des quartiers affectés, ces derniers n'étant pas forcément présents sur les lieux pour participer aux débats... Seuls les quartiers dont 50 % de la population s'était manifestée pouvaient envisager d'être reconstruits et d'être représentés au CDBG (Community Development Block Grant, organisme fédérali, ce qui fit encore une fois réagir les habitants, opposés à cette décision. L'ACORN a organisé des manifestations, des réunions d'information sur la reconstruction, en particulier dans le quartier de Lower Ninth Ward), un des plus emblématiques pour les Noirs de la Nouvelle-Orléans. Des pancartes « No Bulldozing», puis « No Land Grab» ont été distribuées, pour protester contre la destruction programmée des quartiers pauvres.
Une organisation axée sur les quartiers Certaines des propositions faites par ces commissions ont donc provoqué la colère des habitants. Ii semble que ces premiers conflits eurent pour effet de démocratiser le processus. En effet, le maire, Ray Nagin, ainsi que le conseil municipal, tous deux au centre de la polémique suite aux propositions I Bring New Orleans Back final report. 2 ] Idem. Time PicaVlll1e, 20 mars 2006.
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controversées de l'ULI (Urban Land Institut) et de la BNOB (Bring New Orleans Back), ont certainement compris qu'il était préférable pour leur image de consulter les citoyens avant de prendre des décisions concernant la reconstruction. Les organismes qui prennent le relais de la BNOB impliquent les citoyens dans les choix des plans pour leurs quartiers. Les premiers plans ont donc d'abord été créés par la BNOB et l'ULI, qui n'ont donné que des pistes dans les programmes de reconstruction. Le conseil municipal a eu son mot à dire dans les grandes lignes données par la BNOB, notamment en ce qui concerne la «viabilité» des quartiers touchés par l'inondation. Devant la désapprobation des citoyens, le conseil municipal' a décidé que quelle que soit la part de la population qui revienne, chaque quartier bénéficiera d'une protection contre les inondations et d'un plan de reconstruction. L'avis des citoyens a donc été non seulement demandé mais également intégré dans les plans de reconstruction, élaborés par les différents organismes, les New Orleans Neighborhoods Rebuilding Plan et l'Unified New Orleans Plan. Les New Orleans Neighborhoods Rebuilding Plans (NOLANRP) regroupent les plans des différents quartiers, quoique l'appellation de quartiers ne soit pas forcément la bonne puisque certains plans sont établis à des échelles plus fines encore, comme pour le Country Club Garden, par exemple. Les rapports finaux des plans de reconstruction des quartiers ont été remis par la NOLANRP au conseil municipal début novembre 2006, suite au travail mené par les experts choisis par ce même conseil, et en partenariat avec les habitants. Ils ont été validés par les différentes commissions d'aménagement (notamment pour la gestion des eaux usées) et l'État de la Louisiane. Des financements alloués par le congrès américain, mais également par la FEMA (Federal Emergency Management Agency), par la CDBG (Community Development Block Grants) et par des fonds privés comme la fondation
I
City residents denounce "Bring New Orleans Back" rebuilding plan;
World Socialiste
Web Site, 14 Janv 2006.
73
Rockefeller devaient être attribués et devraient ensuite être distribués aux différents quartiers. L'Unified New Orleans Plan (UNOP) travaille essentiellement à j'unité des plans de reconstruction et à l'organisation de ces plans et spécialement sur les meetings et les calendriers. Cette commission a été établie par le maire de la Nouvelle-Orléans, le conseil municipal, la « city planning commission ». Ses plans correspondent à diftërentes mailles: les quartiers, les districts et la ville. L'UNOP se présente donc comme une organisation harmonisant les plans entre eux et permettant aux quartiers n'ayant pas forcément pris l'initiative d'établir des plans ou de contacter des cabinets d'architectes d'être aidés dans ces démarches. De plus, les « Community Congress» organisés par cette instance, qui ont ponctué le processus de reconstruction en novembre et décembre 2006 et janvier 2007, ont permis de faire intervenir les citoyens dans l'élaboration des plans. Il a donc été possible de prendre en compte leurs souhaits, bien qu'ils n'aient pu être que le reflet de ceux des habitants qui se mobilisent dans la reconstruction. Ces deux organismes, le NOLANRP et l'UNOP, ont cependant tendance à s'ignorer et se citent mutuellement très peu. De plus, les actions menées par l'UNOP apparaissent comme redondantes avec celles menées par le NOLANRP (New Orleans Neighborhoods Rebuilding Plan), qui a également soumis les plans des différents quartiers au conseil municipal, en novembre 2006, puis à la LRA. L'étude de la relation entre ces deux organismes, assez floue, mérite d'être approfondie. D'après Steven Singler, directeur de l'UNOP, son organisation a fait preuve de réalisme, alors que la NOLANRP idéalise la reconstruction. Pour lui, en tout cas, les plans essentiels sont ceux de son cabinet, puisqu'il regroupe tous les plans de tous les quartiers, pour former un ensemble cohérent à l'échelle de la ville. La différence majeure entre les deux organismes apparaît dans les quartiers participant à la reconstruction: dans le cas de l'UNOP, tous les quartiers participent, alors que pour le NOLA NRP, seuls les quartiers affectés par l'inondation font l'objet d'études.
74
Un processus sérieusement
de reconstruction de clarté
qui
manque
L'organisation de la reconstruction, et en particulier de ses acteurs, est complexe, voire plutôt opaque. Les acteurs du processus de reconstruction ont eux-mêmes du mal à donner une idée précise de son organisation.
NOlANRJ>'
RECONSTRUCTION I
I
UNOP
, New
OnNnS
Neighborl100d
Rebuilding
Plan
Hugo Lefebvre, 2007
Schéma 3 organisation Nouvelle-Orléans.
des acteurs de la reconstruction
de la
rai réalisé ce schéma en m'appuyant sur les informations données par les différentes organisations du processus de reconstruction. Il est très révélateur de sa complexité et par conséquent de la difficulté à cerner tout à fait sa réelle organisation. Les plans se sont donc succédé depuis octobre 2005, sans que les résultats de ces planifications ne se soient réellement fait ressentir dans le processus de reconstruction. De ce fait, afin de clarifier et de simplifier le processus de reconstruction, le maire, Ray Nagin, a décidé de revenir à une organisation plus central isée.
75
Le retour à une organisation plus centralisée Le 5 décembre 2006, soit près d'un an et demi après le passage de l'ouragan, le cabinet du maire a annoncé la nomination du chef de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans, Dr Edward Blakely. Son arrivée à la Nouvelle-Orléans est assez fortuite. En effet, l'AALP (African-American Leadership Project), association pouvant être définie comme un groupe de pression et de réflexion de citoyens afro-américains est la première organisation à "avoir fait venir sur place, début 2006. Nagin n'a donc fait que nommer un homme déjà impliqué par d'autres. Celui-ci compte parmi les experts les plus demandés en matière d'aménagement urbain, en particulier dans le cadre de reconstructions après des catastrophes «naturelles ». /I a en particulier participé à l'aménagement d'Oakland, affecté par un tremblement de terre en 1989 et un incendie en 1991. Il a également présenté sa candidature pour en devenir le maire, en 1998, sans succès. Les parallèles entre cette ville californienne et la NouvelleOrléans ne se limitent pas à cela, puisque l'une comme l'autre rencontrent des difficultés en termes de pauvreté et de criminalité. On peut donc estimer que Blakely sera en mesure de prendre en compte ces deux paramètres dans le cadre de ses projets d'aménagement. Autre élément essentiel pour comprendre les raisons de sa nomination: Blakely est afro-américain, contrairement à Canizaro. Il est donc moins facilement accusé de faire preuve de discrimination. De plus, il n'a apparemment pas d'intérêts financiers directs dans la ville, et ne sera donc pas taxé d'agir pour son propre compte. Selon Sara Albee, de l'ACORN, il pourra prendre des décisions que Nagin ne peut pas s'autoriser, pour des raisons de manque de distance par rapport à la question, ou simplement électorales et de lobbying. Le 13 février, une réunion s'est tenue, réunissant les principaux acteurs de la reconstruction, dont Nagin et Blakely.
Ce dernier a redéfini les priorités de la reconstruction
I.
Il a
également signifié qu'il était clairement aux commandes et qu'il n'avait pas besoin de conseils pour reconstruire la ville. Il I
Cf. Nolanrp Edito ; http://www.nolanrp.com/index.php. 76
semble avoir
pratiquement tout pouvoir dans la reconstruction. Il a par exemple expliqué, lors d'un meeting, qu'il pouvait décider seul d'accorder ou non les permis de construire. Il rejette par ailleurs les plans, ceux des commissions comme ceux établ is en partenariat avec les citoyens, comme n'étant pas des modèles à suivre impérativement et à la lettre. Pour lui, ce ne sont essentiellement que des cadres. Les plans, pour lui, ont été une manière de permettre aux gens de s'exprimer sur la reconstruction, une sorte d'exutoire pour les victimes de l'ouragan. Ce processus aura donc eu, selon ses propres mots, une valeur « thérapeutique », donc davantage symbolique qu'autre chose. Le rôle de Blakely n'est pas pourtant clairement défini, et pour le moment, tout semble porter à croire qu'il n'est qu'un « plan» de plus. Ed Blakely sem ble parler très franchement. Son intervention devant des habitants de la Nouvelle-Orléans, le 3 février 2007, a duré près d'une demi-heure et a été faite sans aucune note. Il était debout, devant le bureau, se tenait de manière presque nonchalante, une main dans la poche, et ponctuant son discours de plaisanteries. Cette assurance, avec la certitude de pouvoir réussir là où les autres ont échoué, agace certains acteurs, dont les militants de l'ACORN. Blakely essaye de s'affirmer comme quelqu'un capable de prendre les choses en main, qui va agir et non se contenter de faire des plans. Son rôle est également de mettre un visage sur le processus de reconstruction, sa personnalité remplaçant tous les acronymes des précédents organismes. Son plan a été développé lors du meeting du 3 tëvrier, mais également sur le site du NOLANRP (dont le texte qui suit est la traduction) :
1. Guérir et consulter. Construire un programme compréhensible qui inclut les résidents et les entreprises locales dans le processus de reconstruction; qui encourage une participation des acteurs locaux dans le futur développement de la ville, du comté et de la région. 2. Sécurité physique et psychologique: réduire les menaces physiques et psychologiques et remettre en
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place un système de soins, d'éducation, qui améliore le niveau de vie de tous les résidents de tous les quartiers. 3. Reconfigurer les infrastructures pour les 21e et 22e siècles: utiliser le processus de reconstruction comme j'occasion de créer et développer des infrastructures « physiques» et sociales de pointe, de manière à rendre la ville compétitive à tous les niveaux. 4. Diversifier l'économie locale et régionale: développer une économie plus diversifiée, qui viendra renforcer les secteurs originaux que sont le tourisme, la culture et les ressources naturelles, en mettant l'accent sur les échanges internationaux, les médias et les productions numériques, le secteur de la santé et de la prévention en cette matière. L'objectif est de repositionner la Nouvelle-Orléans comme point de passage pour les échanges avec l'Amérique du Sud, l'A frique subsaharienne et les Caraïbes. 5. Développer un modèle d'implantation apportant la sécurité environnementale: s'assurer que les constructions résidentielles et commerciales et que les plans de réimplantation améliorent la protection contre les risques naturels, en tenant compte du changement climatique, de la justice environnementale et de la viabilité de la communauté (économique, sociale et « physique »). » Le plan ne semble pas avoir été développé ailleurs, ni même être disponible sous une forme plus élaborée. 11semble donc que Blakely soit seul maître à bord, et que les points sur lesquels il s'est engagé lui permettent de faire évoluer son plan en fonction des éléments dont il disposera à l'avenir. Les plans de Blakely ont néanmoins été davantage définis à la fin mars 2007, lorsqu'il a annoncé l'organisation de la reconstruction dans les différents quartiers de la ville. Ce dernier s'appuie, comme. le souhaite Ray Nagin, sur un partenariat public-privé et classe les différents quartiers en fonction de l'état d'avancement de la reconstruction. « Renew» (rénover) pour les espace déjà en voie de reconstruction, « Redevelop », pour ceux dont le processus est en marche, mais
78
dont l'appui de l'État semble nécessaire, et « Rebuild» (reconstruire), pour ceux dont la reconstruction n'est pas encore commencée, et oÙ l'aide des pouvoirs publics est de ce fait fondamentale pour l'amorcer. New Orleans East et le Lower Ninth Ward font partie de cette dernière catégorie et sont donc en principe appuyés par des investissements massifs. Si les plans révèlent différentes visions de la future Nouvelle-Orléans, tous affichent en priorité la prise en compte de la question de la vulnérabilité face aux risques naturels, y compris l'ACORN, qui réclame le droit de chacun à reconstruire dans son quartier d'originel. Néanmoins, plutôt que de déclarer certains quartiers inconstructibles comme le proposait au départ l'ULI, la décision a été prise de mettre en place un système de protection efficace contre les inondations, permettant à tous et quel que soit l'endroit, de revenir habiter dans leurs quartiers d'origine, mais parfois dans certaines limites, variables en fonction des plans.
Un processus de reconstruction par des conflits.
ponctué
Nous l'avons vu, l'organisation de la reconstruction a évolué sous la pression de tensions entre les habitants de la Nouvelle-Orléans et les différents organismes créés pour la gérer. Certains des conflits générés par ces tensions permettent de mieux cerner les enjeux de la reconstruction de cette vi lie.
Les oppositions
aux plans de la BNOB
Les plans proposés par la BNOB (Bring New Orleans Back) dans son rapport étaient très vagues, et ne donnaient pratiquement pas d'idées sur ce que serait la ville dans le futur. Les objectifs étaient évidents: faire que la ville soit moins pauvre, mieux aménagée et plus vivante; mais les mesures proposées pour les atteindre n'étaient absolument pas claires. La BNOB souhaitait axer la reconstruction sur les quartiers, avec des plans plus ou moins individualisés en fonction des souhaits des habitants. Les plans proposaient la mise en place I Source: uli.org, "Rebuilding de date ni d'auteur indiqués.
New Orleans: Lessons Learned',
79
pas
de services de proximité, des magasins, des services publics, qui auraient sans doute été créés, qu'ils soient prévus dans les plans ou non. Le pouvoir de la commission n'était donc pas tant de dire ce qui allait être reconstruit à la Nouvelle-Orléans, mais comment cela serait reconstruit, puisque c'est en effet elle qui a choisi de passer par un processus de reconstruction par quartier. La BNOB a cependant été très rapidement accusée de ne pas être neutre. Pour Mike Davis, journaliste indépendant engagé plutôt à gauche, le calcul des républicains, qui dominaient largement la BNOB, était simple: en empêchant les Noirs de revenir, et donc en modifiant l'équilibre ethnique de la ville, ils pourraient récupérer les sièges de maire, de membres du congrès et probablement même de gouverneur de la Louisiane I. Preuve en est, toujours selon le même auteur, lorsque les associations ont demandé une dérogation pour permettre aux déplacés de la Nouvelle-Orléans de voter dans les vi lies oÙ iIs avaient été évacués, les tribunaux ont émis un jugement négatif créant ainsi une artificielle majorité blanche à la Nouvelle-Orléans2, puisque les Blancs sont moins nombreux à avoir quitté la ville, leurs quartiers ayant été moins touchés par l'inondation. L'objectif de la BNOB (Bring New Orleans Back) était officiellement de rendre la cité attractive afin de faire revenir les populations riches. En effet, de nombreuses villes américaines connaissent des difficultés financières depuis que les populations aux revenus les plus élevés sont parties pour les banlieues: leur départ a réduit les ressources de la ville, notamment les impôts locaux en raison de la dévaluation des biens, mais également les taxes professionnelles prélevées sur les entreprises. Par conséquent, les villes centres (Inner Cities) ont beaucoup de mal à gérer correctement les services collectifs de base, comme le ramassage des ordures ou le financement des écoles publiques3. 1 Mike Davis, The Nation, ] 0 avril 2006, idem. 2 Ibid ] Frederick Douzet, « Le rêve américain au cœur des dynam igues urbaines» in Les États-Unis, sous la direction de Denis Lacorne, 2006, Fayard.
80
Un cercle vicieux s'est donc mis en place, et au fur et à mesure, seuls les plus pauvres, qui n'ont pas eu les moyens de quitter le centre-vi lie, sont restés dans ces quartiers I. La reconstruction devait permettre de changer l'image de la Nouvelle-Orléans, et la BNOB espérait justement tàire revenir ceux qui avaient fui le centre-ville en redonnant du dynamisme à la ville, dont la population diminuait d'environ 3 % tous les dix ans avant l'ouragan. Rappelons que la population d'un peu moins de 450000 habitants avant l'ouragan est, un an plus tard, deux fois moindre. Elle ne devrait retrouver son niveau de 2005 qu'aux alentours de 2017, si les prévisions s'avèrentjustes2. Toutefois, ce phénomène risque de se produire au détriment des catégories les plus populaires, en entraînant la gentrification de la cité, jusqu'ici peuplée en majorité d'Afro-Américains. D'autres estimations font cependant état d'une perte moindre. Le nombre de foyers, d'environ 200000 en juillet 2005, s'élève à presque 134000 en juillet 2007 : la NouvelleOrléans aurait donc retrouvé les deux tiers de sa population initiale3. Le conflit entre cette commission et les citoyens a été certainement l'un des plus importants de tout le processus de reconstruction. En effet, dans les plans établis par la BNOB, trois types d'espaces à aménager ont été identifiés4 : D'abord, les zones d'opportunités immédiates; qui n'ont pas ou peu été touchées par l'inondation. Ces zones bénéficient en priorité des investissements, afin de relancer l'économie de la ville et de faire revenir le maximum de population. Ensuite, les Neighborhood Planning Areas, oÙ les dégâts ont été importants, et qui doivent être réaménagés avant que l'habitation y soit à nouveau possible. Et finalement Les lnfill Areas, oÙ, pour des raisons de sécurité, de nombreux logements vont devoir être démolis avant que la reconstruction ne puisse avoir lieu. En effet, de I Idem. 2 Cf. site Internet de l'UNOP, http://unifiedneworleansplan.com/. 3 Source: Greater New Orleans Community Data Center et US Postal, http://www.gnocdc.org/medialGNOCDCAug31-07.pdf. 4
Bring New Orleans Back final report. SI
nom breuses maisons ont été construites en bois. L'inondation les a rendues fragiles, et il est de ce fait préférable de les reconstruire entièrement, pour des raisons de sécurité, mais également sanitaires. L'objectif de la BNOB est également de faire intervenir des investisseurs privés dans ces quartiers pour construire des habitations, mais aussi de changer la classification des terrains, pour permettre un usage commercial de ces derniers. Cela ne manquera pas, nous le verrons plus loin, d'éveiller les soupçons de nombreuses associations. Le Lower Ninth Ward fait partie des espaces classés en lnfill areas. C'est pour cette raison que l'activisme des habitants s'y est manifesté, ces derniers s'opposant à la destruction programmée d'une grande partie de leur quartier. Malgré tout, d'après mes observations, il est difficile d'imaginer comment faire autrement pour certains logements. Ce que veulent en réalité les habitants, c'est choisir s'ils démolissent ou non. De plus, à l'observation des espaces classés en Injill areas I, il apparaît qu'ils concernent pratiquement exclusivement des zones où les Afro-Américains sont en forte majorité. Le nord de la ville, plus riche, n'a aucun espace inclus dans cette classification. Certains habitants ont donc soupçonné la BNOB de vouloir se débarrasser des quartiers noirs de la Nouvelle-Orléans. Or cette classification, centrale dans l'organisation de la reconstruction planifiée par la BNOB, a été abandonnée, en raison de la forte opposition manifestée par les habitants et les associations qui les représentaient. L'ACORN a remporté ici une brillante bataille en enterrant pratiquement à elle toute seule le projet que l'oligarchie blanche de la Nouvelle-Orléans, à travers la BNOB, tentait de mettre en place au détriment, ou tout au moins au mépris des catégories les pl us pauvres. L'ACORN est en effet partisane de la reconstruction immédiate, ce qui signifie que les plans auraient eu une importance bien plus réduite, puisque les habitants auraient reconstruit à leur gré. Pourtant, après une telle catastrophe, une réflexion sur l'aménagement urbain s'avère indispensable. Audelà de la reconstruction de simples digues, d'autres
I
Voir
Carte 4 p. 84. 82
infrastructures sont nécessaires, d'où l'importance du choix des espaces à reconstruire.
83
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Carte 4 Infill areas et planning districts à la Nouvelle-Orléans.
84
Le choix des espaces à reconstruire enjeux qui y sont liés
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La reconstruction n'apparaît pas forcément comme étant judicieuse dans tous les quartiers de la ville. En effet, selon certains acteurs, et notamment l'ULI (Urban Land Institut), reconstruire dans certains quartiers reviendrait à reproduire les mêmes erreurs que par le passé, puisque les risques d'inondation resteraient très importants I. Néanmoins, avec des infrastructures fiables et correctement entretenues, la réhabilitation de la plupart des quartiers de la ville reste possible. Par ailleurs, les raisons de la catastrophe liées à l'inondation ne résident pas dans l'existence de quartiers en zones inondables, mais dans le manque d'entretien des infrastructures de protection et en particulier des digues. Le choix de la reconstruction est donc, au préalable, conditionné par le choix de la reconstructibilité. Pour les autres espaces, dont l'aménagement apparaît comme trop coOteux ou comme risqué, l'objectif initial était de permettre aux habitants de reconstruire dans des zones signalées comme sOres. La mise en place d'infrastructures de protection contre les inondations est par conséquent perçue comme l'élément le plus important dans la reconstruction de la ville. Dans l'enquête menée par l'UNOP (Unified New Orleans Plan) lors du deuxième Community Congress, 71 % de la population interrogée déclare être favorable à la reconstruction et l'amélioration des digues. En revanche, 21 %, sont contre2. Ces derniers doivent certainement percevoir comme inéluctable la répétition d'un événement tel que Katrina, et donc considérer la réinstallation de la population dans les zones inondées comme risquée. Pourquoi, si désormais ces zones sont considérées comme dangereuses, y a-t-on reconstruit après l'ouragan Betsy de 1965 (dans le cas du Lower Ninth Ward en particulier)? Une des raisons pourrait certainement être le calcul économique, puisque la pression foncière n'était pas la même à l'époque. En I Peter Whoriskey, "New Orleans Repeats Mistakes As it Rebuild", Washingtonpost.eom. 2 Community Congress Il, Dee 2, 2006. 85
] 965, la Nouvelle-Orléans comptait 627 525 habitants I, dont une majorité de Blancs. Rappelons que depuis cette date, la population a diminué d'environ 25 %, alors que le nombre de Blancs a chuté, passant d'environ 400000 à ] 50000 habitants. La population noire, après un tassement dans les années 80-90, a augmenté durant la dernière décennie. Le nombre d'habitants ayant diminué, la pression foncière s'est également réduite, il n'y aurait par conséquent plus aucune raison d'un point de vue économique d'investir dans des espaces oÙ la construction et l'entretien d'infrastructures de protection sont indispensables et oÙ les risques d'inondation existent. Néanmoins, interdire la reconstruction des espaces les plus touchés reviendrait à amputer majoritairement la NouvelleOrléans de ses quartiers noirs, ce qui semble difficilement applicable, puisque la population manifesterait immédiatement son opposition à un tel projet. L'UNOP (Unified New Orleans Plan) reste malgré tout convaincu de ne pas limiter la reconstruction aux zones les plus hautes, mais de l'étendre à tous les quartiers de la ville. Aucune zone ne sera donc totalement abandonnée. ("The plan is ta rebuild where the people want to rebuild, that means the whole city. In eve!)' District there is high ground [...] these places [are] where the people can rebuild safely. ")2 Si on veut savoir pourquoi certains espaces pourraient ne pas être reconstruits, peut-être faudrait-il savoir à qui cela profiterait. Certains acteurs pourraient en effet avoir intérêt à ce que la reconstruction soit partielle ou ralentie. Les propriétaires pourraient par exemple être tentés de profiter de la situation en faisant artificiellement augmenter les prix de l'immobilier. En limitant la vitesse de la reconstruction, ils peuvent maintenir des loyers élevés, voire les augmenter, d'autant que la population exilée manifeste un intérêt certain pour le retour. La question des espaces à reconstruire reste également très délicate. En effet, les opinions sont en général assez différentes en fonction des organismes, et les habitants sont très sensibles à ce manque de clarté dans le choix. [ 2
Source: Census Bureau. Interview avec Steven Bingler,
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Carte 5 Part des logements loués parmi les logements occupés en 2000, par Census tract et à la Nouvelle-Orléans.
87
Selon Ivor Van Heerden, professeur à l'Université de Baton Rouge, il est possible de reconstruire partout à la Nouvelle-Orléans, dans certaines conditions. II consei lie par exemple d'investir massivement dans les infrastructures de protection, et d'attaquer le problème de manière plus globale qu'à l'échelle de la ville, notamment en prenant en compte la gestion du littoral et des zones humides (Wetlands). De plus, il propose une surélévation des logements, en modifiant leur structure. Par exemple, des parpaings ou des pil iers peuvent être rajoutés sous les maisons, pour que le rez-de-chaussée soit à l'abri des eaux en cas d'inondation. Qui plus est, les raisons de l'inondation à la suite de l'ouragan sont fondamentales pour comprendre la reconstruction. Puisque la catastrophe s'est produite en raison des crédits insuffisants alloués à l'entretien des digues, alors, si ces dernières sont entretenues, le risque devient très faible. Au-delà des plans de reconstruction se pose la question de leur appl ication mais surtout du retour des habitants, et en particulier des personnes qui n'étaient pas propriétaires à la Nouvelle-Orléans et sont désormais installées loin de leur ville d'origine: vont-elles vouloir ou pouvoir revenir? La démocratisation du processus de reconstruction ne remet pas sur un pied d'égalité quartiers riches et quartiers pauvres, ces derniers mettant apparemment sensiblement plus de temps à être reconstruits. Ce qui a fait dire à Joseph Canizaro : « Ces pauvres gens ne reviendront pas pour la même raison qu'ils , . I n ont pas pu fiUlr» .
Des conflits liés à des opérations financières Les réparations nécessaires sont lourdes. Les estimations sont d'environ 200 milliards de dollars pour l'ensemble de la côte du Golfe du Mexique2. De nombreuses entreprises participent donc à la reconstruction, mais la question de l'attribution des marchés est sujette à polémique, en particulier
I The Nation, Mike Davis. 2 hew York Times, 17 septembre 2005, Elisabeth Bumiller & Anne E. Kornblut "Black Leaders Say Storm Forced Blish to Confi'ont Isslles of Race an Poverty". 88
parce que les habitants veulent que les retombées économiques bénéficient à des entreprises et à la population locale. De plus, certaines associations suspectent des acteurs financiers de vouloir tirer une plus-value de la reconstruction, au détriment des habitants, en s'accaparant certains territoires pour y mener des opérations immobilières. Quels que soient les acteurs, tous s'accordent en effet à dire que des conflits d'ordre économique ont lieu et que des entreprises cherchent effectivement à s'enrichir grâce à la reconstruction. Darryl Durham, chef de la reconstruction de l'ACORN, expl ique I comment les promoteurs s'y prennent pour s'approprier les territoires: les plans d'occupation des sols ou zoning, aux États-Unis, séparent les zones résidentielles des zones commerciales. Suite à l'inondation, des entreprises auraient cherché à faire passer en zones « commerciales» des zones résidentielles pour y implanter par exemple des grands magasins du type Wal-Mart. Une rumeur a également couru que des entreprises chercheraient à faire de la Nouvelle-Orléans un nouveau Las Vegas, en y installant de nouveaux casinos. Le concept du zonage en aménagement urbain date du XIXe siècle, et a été mis en place dans l'objectif de protéger les propriétaires d'un terrain d'éventuelles nuisances aux alentours, dues à l'industrie, par exemple. Le zonage (ou zoning, en anglais) est validé par le conseilmunicipal2. Outre leur tentative de modification du zonage, certaines entreprises se comportent en prédateurs à l'égard des terrains inondés. Le rachat de vastes parcelles est rendu difficile par l'implantation historique des habitants dans un quartier comme le Ninth Ward. En effet, l'attachement des habitants à leur lieu de résidence faisait qu'ils ne revendaient pas la maison de leurs parents. Bien que la population peuplant ce quartier soit globalement modeste, le taux de propriétaires est très important, témoignant de l'implantation ancienne dans ce quartier. L"inondation les a fait partir et certains sont désormais tentés ou obligés de revendre à des entreprises. Par ailleurs, comme me I Interview Darryl Durham, environ 5-5'30. 2 M. GOUSSOT, Les Grandes Vi/les américaines, 2000, Paris. 89
Armand Colin,
l'a expliqué Sam Kranthzor, gérant de gîtes, les habitants n'ont pas forcément de papiers à leur nom attestant qu'ils sont propriétaires du logement, le cadastre indiquant comme propriétaires leurs parents ou leurs grands-parents, ce qui complique les démarches administratives pour le remboursement des assurances et de l'État. Les propriétaires peuvent donc être tentés de simplement revendre et de partir. La question du « Land Grabbing» (to grab, saisir) est donc apparue comme étant particulièrement problématique. Pourtant, aucun des acteurs que j'ai interrogés n'a pu me donner davantage de détails sur cet élément. Les noms des entreprises ne peuvent pas être précisés et les objectifs de ces dernières ne sont pas correctement identifiés, /I est possible que le « Land Grabbing» ne soit donc pas réel, mais une représentation des habitants et de certains membres d'associations, devenus très méfiants envers les entreprises et l' adm inistration. Il est cependant encore trop tôt pour pouvoir vérifier cette hypothèse. Au cours d'un autre entretien, Malcolm Suber, de People Hurricane, identifie cependant Joe Canizaro comme l'un des promoteurs cherchant à racheter des parcelles dans des quartiers historiquement noirs, notamment dans le quartier de Tremé, là oÙ son association est la plus active, Pour lui, des promoteurs seraient en train de progressivement racheter les habitations, afin de verrouiller le marché locall. Leur objectif dernier étant de faire à terme de ce quartier une zone résidentielle blanche et upper-middle class, bref, de favoriser la gentrification, en particulier en supprimant des logements sociaux 2, Tous les acteurs, même d'associations de défense des minorités, ne sont cependant pas convaincus de la réalité du « Land Grabbing », Pour Marie Adèle Lee, de l'ACORN Housing (section de l'ACORN, spécialisée dans les aides au logement), ce problème n'existe pas puisque les entreprises n'ont pas besoin de ces territoires. En effet, des espaces dédiés à l'industrie sont déjà disponibles et aménagés le long du canal industriel reliant le Lac Pontchartrain au Mississippi, les
I ] Interview de Malcom Suber, environ 10'30. Cet élément sera développé davantage dans le chapitre l'avenir de la Nouvelle-Orléans. 90
IV, sur
entreprises n'ont donc pas besoin d'accaparer les terrains des habitants pour pouvoir s'installer sur des espaces bien situés. De plus, étant donné que depuis les années 70 la pression foncière a diminué, le prix du terrain s'est également réduit. Il n'y a donc apparemment aucune raison pour les entreprises à vouloir s'approprier certains espaces, en pal1iculier dans le Lower Ninth Ward. Ce n'est cependant pas l'avis de tous les membres de cette association, dont la figure de proue, Tanya Harris, semble convaincue que les entreprises cherchent à profiter de la reconstruction. Des pancartes « No Land Grab» sont par ailleurs distribuées par l'association aux habitants. Si cette peur et ces représentations sont développées, selon Marie Adèle Lee et Gina Vickery (toutes deux membres de l'ACORN), c'est par méfiance et par crainte du pouvoir fédéral et des entreprises, plus que pour des raisons valables et sûres. Ce point de vue rejoint donc celui de Steven Binglerl de l'UNOP. Mais l'élément le plus marquant en matière de conflit lié aux questions financières réside en réalité dans l'origine des entreprises qui participent à la reconstruction. En effet, nombre d'entre elles, dont Halliburton par exemple, agissent à l'échelle nationale ou internationale et ne sont pas néo-orléanaises. De plus, dans le cas de cette dernière entreprise, son implication dans différents scandales, notamment en ce qui concerne J'attribution des marchés dans la reconstruction en Irak, rend la population particulièrement méfiante et contribue à attiser les soupçons de corruption. Du fait de l'implantation extraterritoriale de ces entreprises, les financements qui leur sont accordés pour la reconstruction n'alimentent pas l'économie locale, et partent pour les États du Nord, oÙ se trouvent leurs sièges sociaux. D'après les acteurs de la reconstruction ces financements ne reviennent donc pas dans l'économie néo-orléanaise. Cette question est cependant typique du fonctionnement fédéral des États-Unis, puisque les États ont leurs propres intérêts à l'intérieur de la nation. L' impl ication d'entreprises étrangères à la Louisiane est le reproche majeur que font pratiquement tous les acteurs, y compris Ed Blakely et le maire Ray Nagin. I Interview de Steven BingleI', 10. 7' 91
Les habitants ont le sentiment d'être tenus à distance de la reconstruction dans ce qu'elle a de plus concret. Cela étant, il n'est pas non plus certain que la population tirerait quelque avantage que ce soit si ces fonds restaient en Louisiane. Bien que les habitants semblent préférer l'intervention d'entreprises locales à celles étrangères, dans les deux cas, il est nécessaire de faire appel à une main-d'œuvre locale. Lorsque l'on fait venir des travailleurs, ils logent de toute façon sur place, en particulier dans le BTP (Bâtiment Travaux Publics), qui ne peut être délocalisé. Les entrepreneurs de la ville ont en revanche des intérêts beaucoup plus clairs à ce que la reconstruction soit le fait d'entreprises locales, car dans ce cas-là, ce sont eux qui récoltent les bénéfices. On voit donc apparaître des rivalités à une échelle inférieure à celle du territoire de la NouvelleOrléans. D'autres entreprises interviennent dans la reconstruction, sans cependant entraîner de contl its avec la population, bien au contraire. C'est notamment le cas de Lokeed-Martin. Cette entreprise fabrique, entre autres, les réservoirs des navettes spatiales dans les environs de la Nouvelle-Orléans et s'investit dans la reconstruction pour faire revenir ses employés dans la ville. Elle attribue deux mille dollars à ceux qui acceptent de vivre à la Nouvelle-Orléans. En effet, nombre d"entre eux ont quitté la ville à la suite de l'ouragan. Outre la dimension caritative du financement, l'entreprise a tout intérêt à épargner à ses employés un trajet plus long le matin et le soir, les fatiguant davantage que s'ils habitaient à proximité de leur lieu de travail. Comme nous venons de le voir, la reconstruction fait ainsi l'objet de nombreuses rivalités de pouvoir entre les acteurs et de suspicion au sein de la population. Les inquiétudes sont d'autant plus vives que les inégalités socio-spatiales existant avant l'ouragan affectent la capacité de mobilisation et d' impl ication de certains habitants dans le processus de reconstruction. Le risque est alors de voir la reconstruction perpétuer voire aggraver ce que beaucoup perçoivent comme des injustices spatiales.
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Carte 6 Les quartiers Orléans
et les Planning
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Districts à la Nouvelle-
Chapitre III. Les inégalités sociales et spatiales dans la reconstruction Le processus de reconstruction ne se déroule pas de la même manière ni à la même vitesse dans tous les quartiers et certaines inégalités présentes avant l'ouragan se répercutent dans l' évol ution de la reconstruction. Certains aspects de son organisation conduiront par ailleurs à aggraver ces différences, en raison de la mobilisation variable des habitants de la Nouvelle-Orléans selon leurs quartiers et leurs catégories soc ioprofessionnelles. Un découpage
favorisant
les inégalités
Le découpage des districts peut être un des éléments conduisant à une inégalité entre les quartiers dans le processus de reconstruction. Ces derniers ont en effet servi de base pour établir les premiers plans de reconstruction de la ville par la BNOB (Bring New Orleans Back), mais également pour son aménagement d'une manière générale. Les territoires, dans le cadre du Plan d'occupation des sols de la Nouvelle-Orléans, ont été divisés par districts, regroupant plusieurs quartiers. Mais la répartition des quartiers s'est globalement faite de manière homogène comme le remarque John Loganl : les quartiers blancs n'ont pas été mélangés avec les quartiers à majorité noire pour former les districts. Par conséquent, il existe des plans de reconstruction pour les Blancs et d'autres pour les Noirs, qui risquent à leur tour de reproduire les inégalités économiques et sociales entre les populations. Quels sont les acteurs qui ont effectué ces découpages? Cette séparation est-elle fortuite? Induit-elle des différences dans les plans de reconstruction? D'après les informations du site de l'UNOP1, les Planning Districts ont été mis en place par la « City Planning I
John
LOGAN in "The Impact Or Katrina : Race and Class in Storm-
Damaged 2
Neighborhoods"
http://unifiedneworleansplan.com
Commission» pour le plan d'occupation des sols de I999, donc avant que l'ouragan ne se produise. Toujours selon le même site, le découpage a été effectué pour garder une homogénéité dans « la composition démographique, économique et historique ». Cela étant, dans le processus de reconstruction, les associations ou groupes d'habitants qui décident de s'investir en tant que District Team sont libres de choisir les limites qu'ils désirent pour l'établissement d'un plan d'aménagement (pour les plans établis par la NOLANRP), à partir du moment oÙ ils n'empiètent pas sur l'espace d'une autre association de reconstruction.1 Au-delà de la question des districts, cela revient donc à laisser les qUaliiers pauvres et historiquement noirs entre eux, ou, quoi qu' iI en soit, séparés des riches quartiers blancs. La liste des Planning Districts Rebuilding Plan, établie par la NOLANRP après l'ouragan, fait aussi apparaître que la plupart des plans ne sont pas établ is par district, mais pl utôt par quartier, comme si les habitants avaient d'eux-mêmes choisi d'agir par cette maille administrative à la place de celle de niveau supérieur. Des plans par districts ont par la suite été établis sous l'impulsion de l'UNOP mais ne semblent pas se substituer à ceux par quartier, et ne sont pas disponibles sur Internet. Certains plans ont même été déposés pour des territoires d'un niveau encore inférieur à celui des quartiers. Le « country club garden », par exemple, se situe dans le quartier de Lakewood, lui-même partie intégrante du district nOS de Lakeview. L'observation des images satellites et photos aériennes disponibles sur « Google Earth »2 laisse penser que le « Country Club Garden» est une « gated community », quartier entouré de clôtures, surveillé par des caméras et des vigiles, et dont l'entrée est gardée par un portai I. Les populations qui y vivent sont évidemment très favorisées, comme le laisse apparaître la présence de piscines privées dans pratiquement chaque jardin. Les revenus y sont par ailleurs parmi les plus importants de toute la ville, comme le I
2
Cf. "Neighborhood Téléchargement
Planning Guide".
du logiciel
requis.
earth.google.fr/.
96
reconnaît le rapport final remis par le quartier, puisque 3,5 fois plus élevés que la moyenne de la Nouvelle-Orléans. Situé sur les hauteurs (à l'extrême sud-ouest de Lakeview), ce quartier n'a pratiquement pas été inondé, contrairement au reste de ce district, très violemment frappé par l'inondation. Les dégâts sont donc de nature radicalement différente, ce qui justifie la mise en place d'un plan de reconstruction séparé. Un plan unique pour deux quartiers ayant une vue différente du processus de reconstruction peut également engendrer des conflits de pouvoir. C'est ce qui s'est produit dans le District du Lower Ninth Ward, entre l'ACORN et les habitants de Holy Cross. En effet, l'ACORN, en établissant les plans de reconstruction, représentait essentiellement les habitants du quartier du Lower Ninth Ward, violemment frappé par l'inondation, contrairement au quartier de Holy Cross qui, situé en bordure du Mississippi, donc en hauteur, est resté pratiquement indemne. Or, les habitants de Holy Cross ont fait valoir leur désaccord avec les objectifs de l'ACORN, qui s'est vu retirer la direction des plans de reconstruction par Steven Singler de l'UNO?. Ils avaient en effet peur de se voir diluer dans la masse des habitants du Lower Ninth Ward, dont les objectifs sont susceptibles d'être diftërents. En observant la Carte ]81, le caractère d'homogénéité vaut pour presque l'intégralité des districts, excepté Uptown / Carrollton et Algiers, seules véritables mailles à ne pas être homogènes d'un point de vue ethnique et économique. Cependant, pour l'Uptown, seuls les quartiers noirs ont été touchés par l' inondation2. Les quartiers blancs, situés en hauteur sur la rive du Mississippi, notamment entre la rue St Charles et Magazine Street, ne sont donc évidemment pas concernés par les plans de reconstruction. Idem pour Algiers, entièrement indemne de la catastrophe.
1 Carte 18 Part des principaux groupes ethniques et revenus à la Nouvelle-Orléans par Census tract et en 2000, p. VI. 2 Voir Carte 16 Espaces inondés et taux d'Afro-Américains à la Nouvelle-Orléans, p. IV. 97
Des quartiers plus ou moins impliqués dans le processus de reconstruction Quelles sont les catégories sociales ou ethniques qui se mobilisent le plus? Les quartiers et les districts, nous l'avons vu, sont généralement homogènes en termes de composition socio-économique. Dans quelle mesure cet élément va-t-il conduire à une mobilisation différente en fonction des espaces? Pourquoi certains quartiers, restés indemnes lors de l'inondation, s'investissent-ils fortement dans le processus? L' impl ication des habitants est variable en fonction des groupes sociaux. Il semblerait que riches et pauvres ne soient pas à égalité dans les capacités à retourner régulièrement à des réunions à la Nouvelle-Orléansl, d'autant que ceux dont les revenus sont les plus faibles sont davantage éloignés de la ville que les plus riches2. Ils ne peuvent donc pas forcément se tenir au courant de l'état d'avancement de la reconstruction, ni faire part de leur opinion. Comme l'explique le New York Times du 25 avri I 2006, les populations pauvres n'auraient pas de réseaux sociaux pouvant les favoriser dans la reconstruction et n'auraient pas non plus toujours les capacités de se mobiliser dans des actions collectives. Il apparaît donc assez rapidement que les Noirs sont en difficulté pour rester ou revenir habiter dans une vi lie dont iIs pensent pourtant représenter l' âme~. L'objectif est ici de comprendre quels sont les quartiers qui sont en mesure de faire part de leurs souhaits pour l'avenir de la Nouvelle-Orléans, afin de les intégrer aux plans, ou, au contraire, de s'opposer à des projets qui les désavantagent. Les différences en termes de mobilisation entre les quartiers du Lower Ninth Ward et celui de Gert Town illustrent particulièrement bien cette question. Des
disparités
socio-économiques...
Une enquête a été réalisée sur les caractéristiques démographiques de la population ayant participé le 2 décembre 2006 au deuxième « Community Congress », séries de réunions I New York Times, 26 avril 2006. 2 Los Ange/es Times, 12 déco 2005. J Cet élément sera détaillé dans le chapitre IV. 98
pub] iques organisées par l' UNOP afin de permettre à la population de faire part de ses avis et de ses souhaits concernant la reconstruction. L'enquête avait pour but de connaître le profil de la population prenant activement part à la reconstruction. Il est à noter que les organisateurs de ce congrès ont largement insisté sur la participation des personnes évacuées dans des villes comme Houston ou Dallas, en leur permettant de suivre les débats et d'intervenir par le biais de visiocontërences. L'éloignement de la Nouvelle-Orléans n'est donc, a priori, pas facteur de discrimination pour la participation au congrès, dont l'objectif est de permettre aux habitants qui le désirent de donner leur avis à l'échelle de la ville plutôt qu'à cel]e du quartier. Concernant l'origine ethnique des participants: à trois points près, les Afro-Américains sont sous-représentés parmi ceux qui participent au congrès (64 % des participants sont noirs, contre 67,3 de la population de la ville avant l'ouragan). Les Blancs sont également sous-représentés, mais à un point près. Seuls les Asiatiques, sans raison apparente, semblent être surreprésentés. L'origine ethnique n'est donc pas un facteur essentiel pour comprendre la participation au Community Congress. Chose étonnante, si le total des parts des diftërents groupes ethniques participant au congrès est égal à ]00, celui de la population de la Nouvelle-Orléans avant l'ouragan est égal à 103,3 %. Cela est dÙ à un décompte différent des Hispaniques, qui ne sont pas considérés comme une race mais comme un groupe ethnique. Ils doivent donc choisir, en plus de leur appartenance ethnique, à quelle race ils appartiennent. Il y a donc des Hispaniques blancs, noirs ou asiatiques I. Les participants ayant les revenus les plus faibles, inférieurs à 20 000 dollars, sont en revanche largement sousreprésentés: 25 % des personnes déclarent appartenir à cette tranche, alors qu'ils représentaient plus du tiers de la population de la Nouvelle-Orléans avant l'ouragan. La capacité de mobilisation des plus pauvres est donc en effet limitée. Toutes les autres classes de revenus sont surreprésentées à ] ou 2 points près. 1
Denis Lacorne, « Introduction:
Unis, Fayard,
E p/uribus
2006.
99
Unum », in Les Etats-
Lors de la réunion organisée par l' AALP (A fricanAmerican Leadership Project), le samedi 3 février. à New Orleans East, Ed Blakely, chef de la reconstruction nommé par le maire de la Nouvelle-Orléans, était présent. Dès le début de son intervention, il a manifesté sa déception de ne pas voir davantage de personnes participer à cette réunion. Celle-ci avait lieu dans une église catholique, localisée en plein cœur de New Orleans East, sur la carte des surreprésentations au Community Congress I. l'ai dÙ faire de l' autostop puisque le bus qui devait assurer ma correspondance n'était apparemment pas en service. Le temps de trajet aller s'est élevé à près d'une heure et demie. Pour le retour, j'ai attendu plus d'une demi-heure pour avoir un bus, en vain. Une voiture de police, a fini par me prendre en stop et m'a déposé quelques kilomètres plus loin, aux confins de son secteur de patrouille. L'agent m'a expliqué que je ne devais pas rester là, ni faire du stop dans ce quartier et encore moins m'y promener à pied, pour ma propre sécurité. Ed Blakely ne prend apparemment pas le bus pour se rendre à ses réunions, de même que toutes les personnes qu'il y avait autour de moi lors de ce meeting. Se plaindre de l'absence des personnes concernées relève presque d'une insulte à la pauvreté. Ces représentants, aussi bien intentionnés soient-ils, ne connaissent pas les difficultés que rencontrent les personnes non motorisées pour se déplacer. Le choix du lieu de réunion ne se fait pas en fonction de son accessibil ité. A vant l'ouragan, plus du tiers des Afro-Américains habitant la Nouvelle-Orléans ne disposait pas de moyen de transport individuel motorisé2, ce qui donne une idée de leur faible capacité de mobilité et de leur pauvreté. L'amélioration des transports publ ics ne fait pourtant pas partie des points développés par Ed Blakely dans ses priorités pour l'aménagement de la ville, bien que cela semble essentiel, en particulier à la vue de l'état des transports en commun à I
La plupart des habitants pauvres de la Nouvelle-Orléans ne sont pas
motorisés. J'ai personnellement tenté l'expérience de m'y rendre en transports en commun, pour mesurer quel effort cela représentait pour les habitants les plus pauvres de participer à des réunions. 2 Statistiques du Queens College, reprises par le New York Times du 4
sept 2005 in II Brocken Levees, Unbrocken Barriers », 100
l'heure actuelle à la Nouvelle-Orléans. L' ACORN aborde toutefois cette question dans un des documents qu'elle a édités' et propose d'améliorer la fréquence et le réseau de bus et de tramways, moyens de déplacement indispensables pour les plus pauvres. La question de l'inégalité de l'accès aux moyens de transport y est par ailleurs brièvement abordée. Il ne s'agit cependant pas d'une priorité de redéveloppement.
... aux disparités spatiales La sur ou sous-représentation des différents quartiers de la Nouvelle-Orléans lors du premier Community Congress est très marquée: Le district], regroupant le CBD et le French Quarter, totalisant],4% de la population de la Nouvelle-Orléans d'avant Katrina, représente près d'un cinquième des participants au Community Congress, soit] 3,8 fois plus que sa part dans la population dans la ville avant l'ouragan. Ces deux quartiers sont par ailleurs très majoritairement blancs. Les districts du centre-ville et de l'est, comme Gert Town ou Pine Village par exemple, sont en revanche très largement sous-représentés: respectivement un et deux tiers en moins que leur part dans la population de la ville d'avant l'ouragan. A la vue de ce sondage on observe donc que la participation au processus de reconstruction est davantage une question de revenus que d'origine ethnique: si les quartiers et les classes les pl us pauvres sont très largement sous-représentés, les Afro-Américains ne le sont pas d'une manière significative. D'après la carte, trois principaux éléments ressortent: Premièrement, les quartiers les mieux représentés sont paradoxalement ceux les moins touchés par J'inondation. Il s'agit en particulier du French Quarter, quartier touristique, et du Venetian Island (ou de New Aurora sur la deuxième carte). Cet élément est donc particulièrement étonnant, puisque la reconstruction devrait en principe concerner les quartiers au moins partiellement détruits. En effet, les Community Congress permettent à tous les habitants, de tous les espaces, d'intervenir dans le processus de reconstruction, puisqu'ils sont organisés par l'UNOP (Unified New Orleans Plan) qui a choisi d'établir des plans par quartier à l'échelle de la ville entière. l "Rebuilding Alier Katrina; ACORN planning principles". ]01
Deuxièmement, il semblerait que l'importance de la population soit l'élément central dans la surreprésentation. Le French Quarter et Venetian Isle abritent un faible nombre d'habitants. Leur surreprésentation se fait donc avec un nombre de personnes relativement réduit. Troisièmement, assez étonnamment, des quartiers dont la population est essentiellement composée d'individus de la middle-class noire, tels que New Orleans East, mais aussi Gentilly, se mobilisent très peu, en tout cas lors des Community Congress organisés par l'UNOP. En revanche, comme observé précédemment, la « couleur» du quartier n'a pas d'influence particulière sur la participation au congrès. Le Lower Ninth Ward et Lakeview ont des taux de participation globalement équivalents. Les catégories socioprofessionnelles des habitants qui composent ces quartiers sont également très différentes, pour ne pas dire aux antipodes. La population du Lower Ninth Ward a donc réussi à particulièrement bien se mobiliser, malgré les handicaps. Le réseau associatif dense qui s'y trouve explique cette importante mobilisation au regard des autres quartiers.
Des chiffres apparemment peu fiables Chose assez surprenante, les chiffres diffusés par l'UNOP concernant le deuxième congrès ont apparemment été modifiés. Mais en comparant la première version imprimée à la version actuellement en ligne, je me suis aperçu que la part des participants de certains quartiers avait été changée. Dans la première version, le French quarter est surreprésenté de 13,8 fois, dans la seconde, de seulement 2,2 fois! Manipulation ou erreur? Il est fortement probable que s'il ne s'agissait que de simples fautes de frappe, la somme des pourcentages n'aurait certainement pas été parfaitement égale à 100 %. Quoi qu'il en soit, ces modifications changent énormément la distribution spatiale des surreprésentations. New Orleans East est désormais mieux représenté, de même que New Aurora / English Turn. C'est en revanche l'inverse pour Venetian Island et tous les autres quartiers situés au centre de la ville. Encore une fois, l'inondation n'apparaît pas comme étant un élément essentiel dans la mobilisation des habitants pour la reconstruction. 102
Autre hypothèse pouvant expliquer la modification des statistiques publiées par l'UNO?, de nouveaux chiffres seraient parvenus des villes dans lesquelles les habitants ont été évacués, modifiant ainsi l'équilibre de la représentation au congrès. D'autres éléments m'ont cependant conduit à prendre avec précaution les chiffres présentés par l'UNO?. Des modifications de statistiques sont en effet également visibles dans les tableaux comparant les caractéristiques de la population d'avant l'ouragan avec celle participant aux réunions. Par exemple, la présentation du rapport du Community Congress III annonce un taux de foyers vivant avec moins de 20 000 $ par an de 35 % en 2000, alors que sur le rapport du deuxième congrès, ce taux est de 37 %. Tous ces éléments m'ont conduit à relativiser la fiabilité du travail de cet organisme. Début Décembre District
2006
District 1 : French Quarter District 2 : Central City/ Garden District District 3 : Uptown/ Carrolton District 4 : Mid City District 5 : Lakeview District 6 : Gentilly District 7 : Bvwater District 8 : Lower Ninth Ward District 9 : N.O. East District 10: Villaae de l'est District 11 : ViavanV Venitian Isles District 12 Alqiers: District 13 New Auroral Enqlish Turn: Total
%des partici pants 19,3 13,7
% dans la population 1,4 9,8
Rapport
11,9
13,8
0,86
11,4 10 7,4 6,6 5,9
16,4 5,3 9,1 8,5 4
0,70 1,89 0,81 0,78 1,48
4,8 4,6 3,1
16,8 2,7 0,4
0,29 1,70 7,75
0,8 0,5
11,5 0,2
0,07 2,50
100
99,9
13,79 1,40
Tableau I Part des quartiers parmi les participants, dans la ville avant l'ouragan et rapport entre les deux, première version.
103
Au 18/12/2006 District District 1 : French Quarter District 2 : Central City/ Garden District District 3 : Uptown/ Carrolton District 4 : Mid City District 5 : Lakeview District 6 : Gentillv District 7 : Bvwater District 8 : Lower Ninth Ward District 9 : N.O. East District 10 : VillaQe de l'est District 11 : ViavanV Venitian Isles District 12 AIQiers: District 13 New Aurora/ English Turn: Total Tableau l'ouragan
%des participants 3,1 6,6
% dans la pop.
rapport
1,4 9,8
2,21 0,67
11,9
13,8
0,86
11,4 10 13,7 5,9 7,4
16,4 5,3 9,1 8,5 4
0,70 1,89 1,51 0,69 1,85
19,3 4,8 0,8
16,8 2,7 0,4
1,15 1,78 2,00
4,6 0,5
11,5 0,2
0,40 2,50
100
99,9
2 Part des quartiers parmi les participants et rapport entre les deux, deuxième version.
104
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Carte 8 Espaces inondés et population participant au Community Congress Il par quartier, après modification des chiffres.
106
L'évolution de la participation des habitants aux Community Congress, Les chiffres du Community Congress II marquent quoi qu'il en soit une évolution par rapport au premier, qui s'est tenu fin octobre 2006. En effet, la part de la population dont les revenus sont supérieurs à 75 000 dollars par an a diminué entre le premier et le deuxième congrès, passant d'environ 40 à 20 % des participants. Inversement, les plus pauvres. dont les revenus sont inférieurs à 20 000 $ par an, ont vu leur part augmenter. On peut donc raisonnablement penser que le processus de reconstruction s'est globalement démocratisé entre la fin du mois d'octobre et début décembre. De plus, la part des AfroAméricains passe de 17 à près de 64 % entre les deux congrès, attestant de cette tendance à l'équilibrage de la composition socio-ethnique des participants par rapport à celle de la ville. Néanmoins, ceci est peut-être simplement dG au fait que les populations riches n'ont plus rien à faire lors de ces réunions, puisque leurs quartiers auraient été dans l'ensemble davantage reconstruits, ou seraient en cours de reconstruction. Ils n'auraient donc plus d'intérêt à participer aux réunions. Les statistiques démographiques du congrès suivant, qui s'est tenu à la mi-janvier 2006, ont donné davantage de renseignements sur cette hypothèse, qui s'est finalement avérée erronée.
107
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Carte 9 Espaces inondés et population participant au Community Congress III par quartier.
108
Ce dernier Community Congress marque en effet un tassement de la part de la population dont les revenus sont les plus faibles (de 25% au Community Congress II et 24 % au Community Congress III). La composition des participants en termes de revenus est restée globalement sim ilaire, avec des variations inférieures à deux ou trois points dans les catégories de revenus. On remarque cependant un net recul de la représentation des Afro-A méricains parm i les partici pants. Leur sousreprésentation est désormais très marquée, avec pratiquement dix points de moins que leur part dans la population de la ville avant l'ouragan. En ce qui concerne la distribution géographique des participants, New Aurora et Venetian Island sont une fois de plus les deux quartiers les mieux représentés au congrès, bien qu'ils n'aient pas été affectés par l'inondation. Le Lower Ninth Ward reste encore très bien représenté, quatre fois mieux que Mid-City ou New Orleans East. La sous-représentation de ce dernier quartier reste par ailleurs une énigme. En effet, la population qui le compose n'est pas pauvre, comme on peut l'observer sur la carte de la part des principaux groupes ethniques et revenus par census tract à la Nouvelle-Orléans en 20001. Elle a généralement fait preuve d'ascension sociale (d'où son départ en périphérie de la ville). A l'échelle de la ville, la population ayant des revenus similaires est généralement surreprésentée dans la mobilisation aux Community Congress. En ce qui concerne la participation par classe d'âge, il est intéressant de remarquer que la catégorie démographique la mieux représentée regroupe les 55-64 ans, avec pratiquement un quart des participants, contre seulement 8 % de la population globale de la Nouvelle-Orléans avant l'ouragan. Ceci est certainement dO à leur attachement à la ville, qui est certainement plus important que pour les autres classes d'âge. D'après Steven Singler, de l'UNOP, la surreprésentation du French Quarter et du CSO dans le processus de reconstruction tient à leur capacité d'organisation plus importante. Selon lui, leur objectif serait de faire de leur quartier une zone plus densément peuplée qu'actuellement. I Voir Carte] 8 p.VI. 109
On constate ainsi que l'exclusion des plus pauvres du processus de reconstruction est un phénomène complexe, faisant intervenir de nombreux facteurs, agissant à différents degrés. Leur moindre participation n'est pas non plus nécessairement due à un « complot» contre eux, mais n'est que la forme que prennent les inégalités socio-spatiales dans le cadre du processus de reconstruction de la ville.
L'inégalité dans reconstruction: quartiers noirs
la participation l'exemple de
à la deux
Au-delà de l'inégalité sociale expliquant les différences entre les taux de participation à l'organisation de la reconstruction, les associations d'habitants ne semblent pas défendre de la même manière les habitants de tous les quartiers. Certains espaces, oÙ la population ne se mobilise pratiquement pas, semblent donc ignorés par les plans de reconstruction parce qu'aucune association ne fait parler d'eux et que les habitants éprouvent des difficultés à s'organiser collectivement.
Une mobilisation quartiers noirs
à différents
degrés
dans
les
Le Lower Ninth Ward est extrêmement cité dans les journaux, ainsi que par l'ACORN et globalement par la majorité des acteurs de la Nouvelle Orléans, le prenant en exemple du quartier noir typique touché par l'inondation. ("Among them: The Lower 9th Ward, whose name has become national shorthand for Katrina 's misery'" « Parmi eux, Ie Lower Ninth Ward, dont le nom est devenu le symbole de la destruction de Katrina »). L'ACORN est extrêmement bien implantée dans ce quartier. Elle représente un des acteurs majeurs de la mobilisation des habitants, en particulier lorsqu'ils se sont opposés à la démolition des maisons touchées par l'inondation. Ce quartier semble ainsi monopoliser les débats concernant les inégalités dont sont victimes les Noirs, au détriment d'autres I
USA Today, 21 déc 2006, "For New Orleans afier Katrina. too many .. nights remain silent. 110
espaces à forte majorité afro-américaine. Il n'est pourtant pas l'un des quartiers les plus en difficulté de la Nouvelle-Orléans. A l'observation de la Carte ]8 p.VI1, il s'avère en effet que les Afro-Américains ne sont pas tous pauvres, et que leur situation est extrêmement variable suivant les quartiers. Les districts de Gentilly ou de New Orleans East, par exemple, abritent une population dont le niveau de vie est relativement élevé, bien que les Afro-Américains y soient très largement majoritaires2. Ces deux quartiers ont été construits assez récemment, leur population est globalement plus mélangée, en particulier du point de vue des revenus, que dans le reste de la ville. C'est en particulier le cas de Gentilly, quartier proche de l'Université. New Orleans East est composé d'une population ayant pu quitter le centre pauvre de la ville, après avoir bénéficié d'une ascension sociale, mais encore relativement récente. L'ACORN est d'ailleurs relativement bien implantée dans ces deux districts. Le Lower Ninth Ward abrite une population moins riche qu'à New Orleans East ou Gentilly, mais elle n'est pas pauvre pour autant. D'autres espaces, en particulier dans le District de MidCity, sont en revanche totalement ignorés par les médias, et aucune association majeure ne leur permet de faire entendre leur voix. On retrouve par exemple I 140000 occurrences lorsque l'on tape« Lower Ninth Ward» dans Google (toutes ne traitant certes pas forcément des conséquences de Katrina sur ce quartier), contre 354 000 pour Gert Town ou 2 I3 000 pour Tremé (tous deux faisant partie du District de Mid-City). Pourquoi ces deux quartiers ne semblent pas ou peu apparaître dans le processus de reconstruction? Un des éléments peut être l'extrême pauvreté de la population qui les compose, entraînant des difficultés dans la mobilisation collective. Les plus pauvres sont quasiment absents des débats de la reconstruction, y compris dans le discours de ceux qui tentent de prendre leur défense, parce qu'ils ne sont pas en mesure de
1
Part des principaux groupes ethniques et revenus à la Nouvelle-
Orléans par Census tract et en 2000. 2 Idem. III
s'organiser collectivement, contrairement à la population du Lower Ninth Ward. Les Planning Districts Rebuilding Plans de Gert Town et de Lower Ninth Ward ne comportent par exemple pas les mêmes rubriques. Le rapport remis sur ce dernier quartier contient une partie dans laquelle sont mis en avant les souhaits des habitants ainsi que ce qu'ils aimeraient y voir à l'avenir, chose totalement absente du rapport de Gert Town ou de Tremé, comme si les habitants n'avaient apparemment pas participé aux réunions ou qu'ils n'avaient pas d'avis à donner. Des associations comme People Hurricane Found Relief cherchent donc à mobiliser les habitants des quartiers populaires, en particulier dans le District de Mid-City, afin de leur permettre d'exprimer leurs souhaits dans la reconstruction et de faire valoir leurs droits. L'impact médiatique de cette association est cependant limité. En ce qui concerne la mobilisation des individus, les catégories aisées semblent davantage s'investir dans les actions de ]a reconstruction que les plus pauvres. Comme le remarque Darryl Durham, directeur des opérations de reconstruction à ]' ACORN, la majorité des bénévoles sont Blancs (et généralement des étudiants), alors que les problématiques sur lesquelles travaille l'association ont davantage trait à la minorité afro-américaine.
Pancarte distribuée par l'association ACORN, comportant la mention (( Save our Neighborhood)) sur la ligne du haut, et le nom et le numéro de téléphone de l'association sur les deux lignes d'en bas. Photographie prise lors du Tour organisé par l'ACORN. Illustration 3 Pancarte distribuée par l'ACORN.
1 ]2
L'autre élément qui pourrait expliquer l'apparente implication plus importante des habitants du Lower Ninth Ward, par rapport à ceux de Tremé ou de Gert Town, est le taux de propriétaires relativement élevé et homogène dans le Ninth Ward. Les habitants, aux revenus généralement modestes, ont perdu beaucoup avec l'inondation, en tout cas bien plus que s'ils avaient été locataires de leur logement. D'oÙ leur opposition au processus de reconstruction impliquant de raser les maisons abîmées, puisque ces dernières leur appartiennent. Les locataires formaient 54 % de la population avant ouragan (contre 32 % en moyenne pour l'État de ]a l'
Louisiane) I, mais sont sous-représentés parmi les participants
au Community Congress (] (réunion organisée par l'Unified New Orleans Plan), avec moins de 30 % des participants au congrès déclarant louer leur logement. Les locataires se mobilisent donc moins que les propriétaires dans le processus de reconstruction, pour la bonne raison que les maisons ne leur appartiennent pas. Le fait de posséder sa maison implique une possibilité de mobilité plus faible qu'en étant locataire. De plus, la population propriétaire est généralement présente sur place sur deux ou trois générations, leurs maisons sont donc celles de leur enfance et représentent plus qu'un simple logement. L'attachement est donc financier2 mais également affectif. Quelles reconstruction?
conséquences
sur
la
Si les populations du Lower Ninth Ward et de Gert Town ne se mobilisent pas de la même manière, ces différences se répercutent-elles sur ce qu'arrivent à obtenir les habitants dans le processus de reconstruction? Le COlttdes réparations estimé dans les plans établis par le NOLANRP est de 50 millions de dollars pour Gert Town, contre près de six fois plus (298 millions de dollars) pour Lower
I Census bureau; census.org, 2000. 2 Voir Carte 5 Part des logements loués parmi les logements occupés en 2000, par Census tract et à la Nouvelle-Orléans. p. 87.
] ]3
Ninth Ward uniquement, sans compter Holy Crossl. Les différences de taille et de population semblaient dans un premier temps ne pas pouvoir justifier une telle différence. En relativisant les coÜts des réparations avec le nombre d'habitants, l'inégalité reste importante: les dépenses seront de 21 295 dollars par habitant pour Lower Ninth Ward, contre 10709 dollars pour Gert Town (dans le cadre des plans établis par Ie NOLANRP, New Orleans Louisiana Neighborhoods Rebuilding Plan). L'inondation a-t-elle été plus violente dans le Lower Ninth Ward qu'à Gert Town, justifiant de ce fait un tel écart? Une vérification sur le terrain a été nécessaire pour comprendre de tels écarts. Les photos prises dans le Lower Ninth Ward présentent en effet un paysage apocalyptique, sans exagération. Les maisons ont été littéralement déplacées, éventrées, au point qu'il ne reste pour certaines d'entre elles plus que les fondations. La violence de l'inondation est liée à la proximité immédiate du quartier avec le «Industrial Canal ». La rupture des digues, à deux endroits différents, a provoqué la formation de puissants courants2. D'après mes observations sur le terrain, il en ressort que les quartiers de Mid-City ont été beaucoup moins violemment frappés que le Ninth Ward. Bien qu'ayant également subi l'inondation, ces espaces n'étaient pas à proxim ité des digues. Ils n'ont donc pas subi de courants pouvant détruire totalement les constructions. Les dégâts sont donc beaucoup moins I Chiffres tirés des Planning Districts Rebuilding Plans des deux quartiers respectifs; le planning district du Lower Ninth Ward intègre le quartier du Lower Ninth Ward plus celui de Holy Cross. Deux plans distincts on été établis.. 2 J'ai visité ce quartier en bus, ce qui explique la médiocre qualité de mes clichés. Des visites sont organisées pour les touristes, qui peuvent aller voir les quartiers dévastés par l'inondation, ce qui n'est pas forcément du goût des habitants. Je n'ai, en ce qui me concerne, rien eu à débourser, l' ACORN ayant financé ma place ainsi que celles des bénévoles (étudiants en médecine de l'université de Princeton) qui étaient avec moi dans le bus. Néanmoins, business is business, et les agences de tourisme ont finalement trouvé le moyen de faire de l'argent avec la catastrophe. 114
spectaculaires que ceux que l'on peut observer dans ie Lower Ninth Ward. En revanche, de nombreuses maisons, restées longtemps immergées, ont subi de lourds dommages structuraux les rendant inhabitables sans travaux préalables. Si Gert Town est ignoré des touristes et des plans de reconstruction il n'en est pas moins un quartier au patrimoine historique particulièrement riche. De nombreux concours (<
Final Plan District 4, Gert Town. I IS
il semble que ce soit dû à l'absence de soutien de la part d'associations telles que l'ACORN. Le site Internet de cette association I présente en effet une carte indiquant par des points rouges les logements ayant bénéficié de son aide. Gert Town en est totalement exempt, contrairement à N-O East, Bywater et Lower Ninth Ward. L'ACORN est plus particulièrement active dans ces deux derniers, puisqu'elle a formé les district teams et a donc été, par conséquent, acteur à part entière de la reconstruction. Les représentations des acteurs internes, comme les organisations en charge des plans et les associations de défense des minorités telles que l'ACORN, ou externes, comme les journalistes, sont donc essentielles pour comprendre l'organisation de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans. Elles conduisent à des inégalités entre les différents quartiers, en en faisant oublier certains et en parlant davantage d'autres. La recomposition des différents quartiers de la Nouvelle-Orléans est donc pour le moment assez difficile à étudier, mais promet d'être particulièrement intéressante. Les statistiques qui seront publiées par le Census Bureau en 2010 donneront de précieux renseignements et il sera dès lors possible de comprendre ce qui s'est réellement passé dans la reconstruction et dans son organisation.
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Carte 10 Taux de logements Orléans et en 2000.
inoccupés
117
en %, à la Nouvelle-
Chapitre IV. Hypothèses de la Nouvelle-Orléans
sur l'avenir
"One possibility is that much al thi' black lii7derclass will ri'si'Ule i'lsewhere. Ii'aving behind a smaller, whiter, more gi'lltrified New Orleans. Anot/wr is that the city might see an injhn a/Latino workers to ./Î// new jobs in thi' construction and tourism secliu' "I
L'avenir Orléans
à court
terme
de la Nouvelle-
Les plans, nous l'avons vu, se sont succédé, sans avoir eu jusqu'à présent de réel impact sur la reconstruction. [Is l'auraient même ralentie, en raison des confl its qu' iIs ont entraînés. Chaque jour, de nouveaux acteurs apparaissent, tandis que le rôle de certains tend à se réduire. Pourtant, l'ouragan s'est produit il y a plus de deux ans et ce laps de temps aurait dG en principe être largement suffisant pour reconstruire presque totalement les quartiers les plus touchés. Or, la recomposition ethnique et sociale de la vi lie est largement dépendante des facultés de résilience des différents quartiers de la Nouvelle-Orléans. Si certains quartiers sont reconstruits plus vite que d'autres, alors l'équilibre ethnique de la ville sera modifié. Aussi, il semble utile de comprendre quels sont les principaux facteurs qui vont influencer la vitesse de reconstruction de ces différents espaces, au-delà des inégales mobilisations de la population des différents quartiers. La reconstruction est ici abordée dans ce qu'elle a de plus concret.
]
Richard Campanella, "Geographies OrNe1\' Orleans, Urhan Fahrics Before The Storm ", 2006, Chine.
Les facteurs susceptibles vitesse de la reconstruction
d'intervenir
dans
la
La Carte 191 présente l'évolution du nombre de démolitions par mois, ainsi que leurs localisations à la Nouvelle-Orléans. Assez étonnamment, lorsque j'ai demandé ces données à la Greater New Orleans Community Data Center, il m'a été répondu qu'elles n'existaient pas, parce qu'eJles seraient trop fastidieuses à recueillir. J'ai également essayé de contacter à plusieurs reprises les services de la ville de la Nouvelle-Orléans, puisqu'ils sont indiqués comme source par les auteurs de la carte, pour obtenir ces informations. Je n'ai pas reçu la moindre réponse, même négative. Cette carte permet néanmoins d'appréhender avec beaucoup de finesse les disparités entre les quartiers en matière de vitesse de reconstruction, à travers les travaux de démol ition, préalable à la reconstruction dans les quartiers les pl us touchés. En effet, si les maisons ne sont pas suffisamment saines pour être réhabilitée~, il est alors nécessaire de les raser pour les reconstruire ensuite. La carte des demandes de perm is de démolir est donc un moyen relativement fiable d'appréhender la vitesse de reconstruction des quartiers les plus touchés. En ce qui concerne la variabilité de la vitesse de reconstruction des différents quartiers, il apparaît très clairement que le nord est davantage concerné par ces travaux que le reste de la vi lie. La tendance sem ble se déplacer progressivement vers les quartiers plus à l'est. L'extrême sud-est, dans le Lower Ninth Ward en particulier, ne voit cependant démarrer les travaux que tardivement et ces derniers semblent beaucoup moins nombreux que dans le nord de la ville. En comparant cette carte à celle des dégâts structuraux2, on observe que le nombre de démolitions n'est pas véritablement corrélé avec la violence de l'inondation, mais bien davantage avec les revenus moyens par habitant. Le gradient est même quasiment parfaitement respecté': Lakeview, Gentilly, New I
Voir p. USA TODA 2 Carte 14 3 Carte 18
VII. y
Cartes disponibles
sur le site Internet du journal
p. II. p. VI.
120
Orleans East (les quartiers inondés les pl us riches, au nord) remportant la majorité des travaux, suivis du Lower Ninth Ward et de Mid-City (composés d'une population plus pauvre). Les autres quartiers ne sont pas suffisamment concernés par les dégâts de l'inondation pour être comptabi lisés. Les revenus semblent donc de prime abord être le facteur discriminant dans la vitesse de reconstruction des quartiers à la Nouvelle-Orléans, en tout cas dans ses premières étapes. Les retards dans le versement des fonds du Road Home programmel empêchent en effet la situation d'évoluer en faveur des foyers dont les revenus sont modestes, puisqu'ils n'ont pas les moyens d'avancer l'argent pour reconstruire leurs maisons. Les plus riches ont en revanche la possibilité d'avancer l'argent pour reconstruire leur logement, en attendant le versement des aides de l'État et des assurances. Par ailleurs, les réseaux d'égouts, d'électricité ou de gaz ne sont pas toujours achevés dans tous les espaces, ce qui empêche les habitants de revenir vivre dans certains quartiers2. Dans le cas du Lower Ninth Ward, Darryl Durham, chef de la reconstruction pour l'ACORN, explique3 que l'absence d'eau potable, d'éclairage publique, d'écoles et de magasins retarde le retour des habitants. En effet, le Lower Ninth Ward n'est pas encore aménagé, et ne peut, de ce fait, accuei Ilir à nouveau la population. Néanmoins, on peut se demander si les réparations tardives sont la cause ou la conséquence du non-retour des habitants. Autrement dit, les réparations publiques (telles que les réseaux d'électricité ou d'eau) ne pourraient-elles pas ne pas avoir lieu parce qu'il n'y a pas de demande suffisante les concernant dans certains quartiers? Il est également possible que les réseaux sociaux et les moyens de pression inégalitaires entre les différents quartiers soient la cause de telles différences dans l'évolution de la reconstruction. Les habitants de Lakeview, par exemple, dont les revenus par foyer sont près d'une fois et demi plus élevés I
Financements fédéraux destinés à aider la population à revelllr
s'installer à la Nouvelle-Orléans. 2 USA Today, idem. 3 Interview de Darryl Durham, 7'40. J21
que la moyenne du comté d'Orleans, appartiennent manifestement à des classes sociales supérieures, et sont donc davantage en contact avec (voire sont eux-mêmes) les acteurs politiques ou économiques majeurs de la ville. Ils connaissent par ailleurs certainement mieux le fonctionnement de l'administration, ce qui leur permet de perdre moins de temps dans les démarches comme les demandes de permis de démolir ou de construire qui m'ont été décrites comme fastidieuses. Autre élément qui pourrait conduire à une reconstruction plus lente: l'endettement des ménages. Certains quartiers comme New Orleans East et Gentilly étaient composés d'une population middle-class, fraîchement arrivée à la propriété. Ces habitants ont donc contracté des crédits pour acheter leur maison, profitant de leur nouvelle situation. Mais ils n'avaient pas forcément souscrit d'assurance, soit parce qu'on leur a dit que cela n'était pas nécessaire, soit parce qu'ils n'avaient pas encore assez d'argent pour se couvrir correctement. L'endettement est très courant aux États-Unis, oÙ la plupart des gens vivent à crédit. Certains ont donc tout perdu dans l'inondation, et leur dette est telle qu'ils ne peuvent pas réparer leur maison, bien qu'ils doivent continuer de la payer. Ce quartier de New Orleans East n'a pas été aussi violemment frappé que le Lower Ninth Ward. D'après mes observations et comme le confirme Darryl Durham
durant notre entretien l, la population n'est cependant que très peu retournée y habiter. Les cartes publiées par USA TODAY font clairement apparaître un nombre limité de reconstructions dans ce quartier, au regard des revenus de la population qui le composait avant l'ouragan. De plus, si la population ne s'était installée dans ce quartier que récemment, son attachement devait fori probablement être moins important que celui des habitants du Lower Ninth Ward, vivant dans ce quartier pour certaines familles depuis plusieurs générations. Les anciens habitants de New Orleans East ont donc peut-être simplement quitté la ville ou sont restés là oÙ ils ont été déplacés suite aux évacuations. Certains espaces ne sont également pas rénovés, simplement parce qu'ils ne présentent pas d'intérêt immédiat. I
Interview
de Dartyl
Durham,
2'30. ]22
Des quartiers comme ceux en périphérie nord du French Quarter, dont Mid-City, portent encore les traces de ce qui semblerait être les dégâts causés par l'ouragan. De nombreux espaces sont toujours en friche, avec des immeubles de plusieurs dizaines d'étages qui ont leurs vitres cassées, des cabines téléphoniques détruites et des maisons à moitié en ruine, alors qu'ils ne sont pourtant situés qu'à moins d'un kilomètre du centre touristique. Le contraste entre les quartiers est donc tout à fait saisissant. Un certain nombre des habitations détruites dans ces quartiers étaient déjà abandonnées, puisque la pression foncière, depuis le milieu des années 70, avait diminué'. Ce n'est bien évidement pas la majorité des cas et ces quartiers, bien que pour certains en déclin, étaient encore en vie, comme dans le cas du Lower Ninth Ward. II est assez diffici le de se faire une idée du paysage dans les quartiers les plus affectés par l'inondation sans être allé sur place. A Gentilly, au nord de la ville, entre Lakeview et New Orleans East2, il faut imaginer de grandes avenues, de deux fois deux voies, séparées par une bande de pelouse, sur laquelle s'établissent des palmiers ou des Lives Oaks. Ces arbres sont pratiquement partout présents dans la ville. Ils font partie du genre des Chênes, comme en témoigne la morphologie de leur tronc, mais ont la spécificité d'être sepervirente, donc de rester verts toute l'année. Ils peuplent une grande partie du littoral sud des États-Unis et ce terme regroupe en réalité de multiples espèces du genre Quercus, toutes sempervirente. Le long de ces routes sont construites des maisons, généralement de plain-pied, plus rarement avec un étage, en bois peint et sans mitoyenneté les unes avec les autres. Devant ces logements, des détritus. Les trottoirs, généralement constitués de plaques de béton alignées, sont le plus souvent défoncés. De toute façon, personne ne circule à pied dans la rue.. .
I
Voir Carte 10 Taux Orléans et en 2000. p. 2 Carte 6 Les quartiers p.93.
de logements inoccupés en %, à la Nouvelle] 17. et les Planning Districts à la Nouvelle-Orléans
123
Ces quartiers me sont simplement apparus comme fantômes. Les vitres des maisons sont brisées, des murs sont éventrés, mais on ne peut pas parler de ruines, puisque, faites de bois, les maisons sont davantage tordues qu'effondrées. Les marques laissées par les secouristes, faites à la bombe de peinture, sont parfois encore visibles sur les logements toujours inoccupés. Ces croix ont été peintes dans le but de comptabiliser les victimes retrouvées mortes dans leur maison après l'ouragan. Le chiffre du haut indique la date à laquelle la maison a été inspectée, à gauche et à droite les initiales du groupe de secouristes, et en bas le nombre de corps (<<dead bodies») retrouvés. Certains habitants, en attendant que leur maison soit réparée, vivent dans des mobile-homes, dans la rue ou dans leurs jardins. D'autres maisons sont reconstruites, et la peinture, refaite à neuf. apparaît comme un point lumineux au milieu d'un quartier semble-t-il sans vie. Elles ne sont cependant que rarement isolées, et une rue est plus souvent homogène qu'hétérogène dans l'état d'avancement de la reconstruction. Le contraste entre la végétation d'un vert flashy et l'ambiance morose que dégagent les maisons détruites est étonnant. Le plus surprenant, lorsque l'on marche dans les rues de la NouvelleOrléans en dehors du quartier touristique, est l'absence de passants; pratiquement personne ne circule à pied, excepté la population pauvre (ouvrier mexicain, vieille dame afroaméricai ne,. ..) Certains quartiers de la Nouvelle-Orléans ont, par l'architecture et le climat, par l'aspect dégradé et pauvre, un certain côté cubain, avec les grosses voitures américaines en plus. La reconstruction des infrastructures de protection est également essentielle pour l'avenir de la ville. En effet, suite à l'ouragan, les assurances sont devenues de plus en plus hésitantes à assurer les habitations situées en zones à risque. Par conséquent, si elles ne sont pas convaincues de l'efficacité des nouvelles digues, il est fort probable que les habitants ne reviendront pas habiter dans les zones les plus touchées, de peur de tout perdre dans une nouvelle inondation, sans pouvoir
124
même être indemnisés l, comme me l'a confirmé Sara Albee, membre de l'ACORN, lors de notre entretien. Une des solutions envisagées est la surélévation des maisons. Mais tous les habitants n'auront pas forcément les moyens de le faire, afin de correspondre aux normes des assurances. Par conséquent, soit ces dernières ne voudront plus les prendre en charge, soit les cotisations seront tellement importantes que dans tous les cas ils ne pourront pas rester habiter sur place.
Cette situation est-elle la conséquence stratégie de certains acteurs?
d'une
Le non-retour des plus pauvres semble donc probable. Des stratégies à but économique ou idéologique ont-elles été mises en œuvre afin de conduire à cette situation? Nous l'avons vu dans le cas du « Land Grabbing» évoqué rapidement un peu plus haut, la population fait preuve de méfiance à l'égard du pouvoir et des entreprises, ayant peur de se faire spolier. Quelle est la stratégie suspectée de ces acteurs? Qui les accuse? Darryl Durham, de l'ACORN, pense que certains cherchent à faire de la Nouvelle-Orléans une ville plus blanche2. Malcolm Suber, de People's Hurricane Relief Fund, est également convaincu qu'une stratégie est mise en œuvre afin de réduire la place des Afro-Américains à la Nouvelle-Orléans. Pour lui, les Blancs voient négativement la présence des Noirs dans la vi lie et les accusent de tous les maux. II expI ique cependant que la présence des pauvres permet néanmoins de créer de la richesse, ne serait-ce qu'avec les emplois créés du fait de la présence de cette population sur place. Des postes dans les écoles sont par exemple nécessaires. Si ces deux membres d'association pensent qu'il y a donc un complot visant à éloigner les pauvres de la NouvelleOrléans, ce n'est en revanche pas du tout l'avis de Steven I Libération, Lundi 8 janvier 2007, « La côte est américaine perd son assurance ». 2 Interview de Darryl Durham, 1'50. - "Do you think they are trying to make a whiter city?" -"Yeah. And it actually is." 125
Bingler, directeur de l'UNOP (Unified New Orleans Plan) pour qui il n'y a pas de complotl. Citant ce que lui a confié Oliver Thomas, chef du conseil municipal de la Nouvelle-Orléans à la remise des plans de l'UNOP, CI guess now l can Ie! go my conspiracy theory,,2), il défend l'idée que les plans ont été équitables. Toujours selon lui, les habitants de la ville savent que ce sont les plus pauvres qui font l'esprit de la NouvelleOrléans. De ce fait, ils ne sont pas exclus du processus de reconstruction. Toujours selon Steven Bingler, les catégories populaires sont mieux représentées maintenant qu'avant l'ouragan, puisque de nombreuses associations leur ont permis de s'organiser collectivement. Ed Blakely, chef de la reconstruction, est du même avis et si, pour lui, les Afro-Américains reviennent moins que les Blancs, c'est essentiellement dO à différents facteurs, dont un capital économique et un capital social moins importants. De plus, toujours selon lui, la diaspora supprime les réseaux auparavant établis entre les habitants et empêche donc la population de s'organiser. En revanche, nombreuses sont les associations à intervenir dans différentes villes, dont Houston et Dallas, telles que People Hurricane, afin de permettre aux déplacés d'intervenir dans le processus de reconstruction. Un des bénévoles de Common Ground m'a tenu le même discours, en expliquant qu'il n'y a pas de volonté propre à empêcher les plus pauvres de revenir habiter à la NouvelleOrléans. mais une série de facteurs fait que, dans la réalité. ils éprouvent plus de difficultés que les autres pour revenir habiter dans la ville. Il semble ainsi difficile de penser qu'il y ait une stratégie claire de la part de dirigeants ou de ceux qui détiennent le pouvoir, pour tàire partir ou tout au moins empêcher de revenir la population noire de la Nouvelle-Orléans. La pression immobilière dans la ville, et en particulier dans les espaces où vivent les catégories populaires, semble, sur le moyen terme, faible: depuis les années 70, la Nouvelle-Orléans voit sa population diminuer. Ils n'auraient, semble-t-il et pour le moment, aucune raison de vouloir faire partir les plus pauvres, I
2
Interview avec Steven Singler, 6'50. Interview
avec
Steven
Singler,
9' 10.
126
excepté peut-être dans certains cas particuliers et à une échelle allant de la rue à quelques blocks. La faible résilience des quartiers pauvres ne serait donc pas le fruit d'une stratégie consciente de la part des acteurs de la reconstruction. L'inverse sem ble cependant également valable et le retour des habitants les plus pauvres n'est certainement pas non plus une priorité dans la reconstruction. Chaque mois qui passe éloigne davantage les anciens habitants de la NouvelleOrléans de leur ville d'origine. Au fur et à mesure, ils perdent leurs habitudes et leurs amis sur place. Plus le temps passe, plus leur probabilité de retour s'affaiblit. Certains éléments n'en éveillent pas moins la suspicion de certaines associations. La fermeture des logements sociaux est l'un d'entre eux.
L'éloignement des plus pauvres en raison de la fermeture de logements sociaux Certains habitants ont encore moins le choix que les autres de revenir habiter à la Nouvelle-Orléans, en particulier les plus pauvres de la ville, logés dans des habitats à loyers modérés. De nombreux logements sociaux, apparemment en bon état, sont paradoxalement inoccupés, alors que le manque de logements est criant à la Nouvelle-Orléans I. Avant l'ouragan, environ 5000 familles étaient hébergées dans ces logements. Elles ne sont plus que I 100 en juillet 2006 (un peu moins d'un an après le passage de l'ouraganl La destruction de 4 500 de ces logements a été annoncée en décembre 20063. Cette désaffectation a entraîné le départ de la ville des anciens locataires. lis ont généralement été relogés à Houston ou Dallas et différentes stratégies pourraient être à l'origine de leur éloignement. Cela pourrait faire en réalité partie du processus de gentrification annoncé. L'objectif des pouvoirs publics semble être, d'après ce que m'ont dit les membres de la plupart des associations (Malcolm Suber et Roy Blumenfeld), de créer des quartiers avec une certaine forme de mixité sociale, en faisant I
Washington Post: & Peter Whoriskey. 2 Idem. 3 Idem.
"New Orleans
to Raze Public /lousing",
127
Julia Cass
cohabiter sur le même espace des personnes aux origines ethniques et sociales différentes, avec pour modèle des logements créés dans le quartier de St Thomas, au sud de la ville, à l'est du CBO'. Ce projet, développé en 2001 en partenariat entre les organismes publics et privés2, a pour but de créer des zones résidentielles dans lesquelles 75% des habitations sont mises en location au tarif du marché et 25% à des loyers moins élevés. Or, sur les 800 fam illes vivant dans ces logements avant les modifications, seules 70 ont pu se réinstaller dans d'autres logements dans ce quartier1. Les autres habitants ont généralement été déplacés vers New Orleans East ou dans le Lower Garden Oistrict4. Ce projet a été développé sous le nom de HOPE IV et avait provoqué à l'époque le mécontentement des habitants, opposés en particulier à l'installation d'un super Wal-Mart dans cet espace. Cependant, si l'objectif annoncé est de créer des quartiers dont la population est composée de différentes classes sociales, on peut également se demander dans quelle mesure ce processus ne va pas simplement faire partir les plus pauvres, en les poussant un peu plus loin. Comme Malcolm Suber de People's Hurricane l'explique, les attentes et les modes de vie des pauvres et des riches ne sont pas compatibles. La cohabitation sera donc délicate et risque de se faire au détriment
des catégories populaires 5. Si la gentrification est le moyen de revitaliser des quartiers touchés par la pauvreté, elle n'en supprime pas moins généralement le caractère de ces espaces, en entraînant le départ de la population d'origine. A utre hypothèse, cette suppression de logements sociaux rentrerait dans le cadre des opérations immobilières présumées, en particulier dans le quartier de Tremé/Lafitte, en ayant donc permis de faire partir du quartier une population noire et pauvre I Voir Carte 6 Les quartiers et les Planning Districts à la NouvelleOrléans p. 93. 2 Dont notamment Pres Kabacoff, membre de la commission BNOB. 3 The Village Voice, "Black Out", Anya Kamenetz, 1er dec. 2005. 4 Source: Greater New Orleans Community Data Center; http://www.gnocdc.org/orleans/2/59/snapshot.html. 5 Interview avec Malcolm Suber, "Working class people and upper income people [can't live together). 7here life-styles are diffèrent." 128
que les riches Blancs se refuseraient de côtoyer... Cela favoriserait donc encore une fois la gentrification du quartier. Comme me l'a expliqué Sam Kranthzor, un habitant, ces habitations n'étaient pas salubres, avec notamment un réseau d'alimentation en eau constitué de tuyaux de plomb, pouvant provoquer des maladies, en particulier le saturnisme, touchant les jeunes enfants (mais pas seulement). Elles devaient donc être détruites, la plomberie étant intégrée dans les murs et donc impossible à remplacer, même si ce projet en reste pour le moment à une simple désaffectation. De plus, avant l'ouragan, la Nouvelle-Orléans n'était pas pauvre en comparaison avec le reste de l'État, en particulier avec la Louisiane du Nord. En revanche, à la suite de Katrina, la cité a perdu un nombre important d'emplois, et a donc vu ses rentrées d'argent diminuer. De ce fait, fermer les logements publics revient pour la ville à faire des économies. Les financements sembleraient cependant être également du ressort de l'État de la Louisiane, mais également au niveau national, à travers le FHD (Federal Housing Department). Néanmoins, si le projet de suppression de logements sociaux était déjà planifié, l'inondation semble avoir accéléré le processus: les logements qui ont été inondés (dans le quartier de Tremé, entre Lafitte Street et Orleans A venue, mais également à l'extrême nord de Mid City, entre Gentilly et Lakeview, à proxim ité de St Bernard Avenue) sont désormais désaffectés, contrairement à ceux juste au nord du French Quarter, sur Rempart Street. Ces derniers n'ont en effet pas été frappés, il n'y a donc aucun prétexte pour en faire partir la population qui y habite. Ces opérations de démolition réduisent quoi qu'il en soit considérablement les possibilités de retour des habitants les plus pauvres, déplacés, comme nous l'avons déjà vu, dans d'autres grandes villes, telles que Houston. La population interprète également ces fermetures comme une stratégie ayant pour but d'empêcher les pauvres de revenir habiter dans la ville. L'avenir populaire de la vi lie de la Nouvelle-Orléans semble par conséquent de plus en plus compromis, que cela fût le produit de choix conscients ou de conséquences fortuites, et en particulier du fait de la lenteur du versement des aides à la
]29
reconstruction pour les habitants, comme le reconnaît l'ULI (Urban Land Institut)'. La situation
deux
ans après
l'ouragan.
Bien qu'il n'y ait pas encore de recensement précis effectué par le Census Bureau à une échelle plus fine que celle de la ville, il est néanmoins possible de s'appuyer sur d'autres statistiques pour évaluer le retour des habitants et la vitesse de reconstruction de la Nouvelle-Orléans par quartier. Le nombre de foyers est par exemple évalué par I"US Postal (service de distribution du courrier), qui dispose de telles statistiques sans avoir besoin de faire d'enquête. Ces chiffres ont été publiés sur le site du Greater New Orleans Community Data Center2, et présentent le nombre de foyers avant I"ouragan (juillet 2005), un an après (août 2006) et deux ans après (j ui lIet 2007) par code postal. Si on se base sur l'interprétation de la Carte Il', en juillet 2007, la plupart des quartiers de la Nouvelle-Orléans n'ont pas retrouvé leur population de juillet 2005 et les écarts restent très marqués entre les espaces qui ont été touchés et ceux qui sont restés indemnes. Le sud de la ville garde un nombre de foyers relativement stable par rapport à avant l'ouragan, voire gagne quelques points (entre 95 et 107 % du nom bre de foyers avant I"ouragan), et présente des taux globalement homogènes. En revanche, en ce qui concerne les différents quartiers touchés par I"ouragan, la situation apparaît comme très variable. Les espaces qui ont le moins récupéré sont l'ouest de New Orleans East, l'est de Gentilly, Lakeview, Bywater et le Lower Ninth Ward, avec des taux variant entre 9 et 50 % du nombre de foyer initial en juillet 2007. Mid-City semble avoir été moins affecté que les autres districts, avec plus des trois quarts du nombre de foyers de juillet 2005 en juillet 2007.
I
ULI, idem.
2 http://www.gnocdc.org/media/GNOCDCAug31-07.pdf. , Variation du nombre de foyers entre juillet 2005 et juillet p. 131.
130
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du nombre de foyers entre juillet 2005 et
131
Cette situation masque cependant un autre élément tout aussi important: la vitesse de reconstruction dans les différents quartiers. Mécaniquement, les quartiers dont la baisse du nombre de foyers a été la plus importante entre juillet 2005 et aoÜt 2006 sont ceux qui ont les taux de variation les plus importants entre aoÜt 2006 et juillet 2007, à quelques exceptions près. D'abord, assez étonnamment, le quartier de Lakeview ne présente pas un des taux les plus importants. Bien que la baisse du nombre de foyers soit globalement similaire à celle de Gentilly, de New Orleans East ou du Lower Ninth Ward, le retour des habitants semble se faire d'une manière moins marquée à Lakeview que dans ces précédents quartiers, venant de ce fait infirmer les hypothèses établies un peu plus haut. Second point, le cas de Mid-City ne peut pour le moment pas être éclairci. Certes, en juillet 2007, le taux de foyers par rapport à 2005 reste plus important que dans les autres quartiers touchés par l'inondation, mais le taux de variation reste cependant inférieur à celui des quartiers les plus affectés par l'ouragan. ce qui peut laisser croire qu'un nombre important d'habitants qui vivaient dans ce district ne viendront pas se réinstaller dans cet espace. Le sud de ce district, dont la population est très majoritairement noire et pauvres présente cependant un faible taux de variation du nom bre de foyers entre aoÜt 2006 et juillet 2007 compte tenu de la perte initiale de sa population après l'ouragan. De plus, le nord du District, plus blanc et moins pauvres présente un taux de variation supérieur à l'espace situé au sud. Un autre élément susceptible de limiter en apparence la chute du nombre de foyers: de nombreuses familles ont été relogées dans des caravanes, sur des parkings, dans le quartier de Mid-City. Elles doivent donc être comptabilisées comme résidant dans le quartier. bien que leur installation soit précaire et que rien n'indique qu'elles vont y rester. D'après la National Low Income Housing Coalition, citée par l'ACORN, près de 65 000 familles vivent encore dans de telles conditions (ce chiffre, bien que cela ne soit pas précisé, doit certainement comptabiliser les familles qui ont été
132
déplacées dans d'autres villes et également pour partie relogées des caravanes I
Illustration 4 Logements temporaires Image disponible sur Google Earth. On voit ici les caravanes dans lesq uelles habitent les personnes en attente de relogement. Dès lors, on peut se demander quels sont les facteurs qui peuvent être mis en évidence dans le retour des habitants à la Nouvelle-Orléans. La mobilisation collective semble avoir été essentielle, notamment à New Orleans East et dans le Lower Ninth Ward, en permettant aux habitants de s'organiser. Ensuite, l'attachement des habitants à ces quartiers semble être grand, ce qui motive peut-être davantage leur retour que pour ceux qui vivaient à Lakeview, par exemple. Il est par ailleurs encore difficile, même à l'aide de ces cartes et de ces chiffres, de définir quel sera le visage de la Nouvelle-Orléans dans les prochaines années. Les statistiques présentées ici ne permettent pas d'affirmer que la reconstruction, au moins sur le court terme, réduira profondément la place des Afro-Américains à la Nouvelle-
Ihttp://acorn.org/index.php?id=9715&tx_ttnews[tt_news] =2163 8&tx _ttnews[backPid]=] 0285&cHash=e4a3 80d609.
133
Orléans. Encore une fois, seuls les chiffres qui seront publiés en 20 I0 permettront de connaître avec certitude la modification de l'équilibre ethnique de la ville. D'autres chiffres viennent tout récemment d'être diffusés par le Census bureau et concernent la Nouvelle-Orléans à l'échelle de la villel. Certains aspects tranchent d'une manière assez surprenante avec les estimations qui avaient été établies auparavant. Assez logiquement, la population de la ville a fortement diminué, passant de 484.000 à 223.000 habitants, soit 46 % de la population de départ. Néanmoins, la modification de la composition ethnique de la ville semble être moins importante que les estimations ne pouvaient le laisser croire. Les Afro-Américains sont toujours majoritaires parmi la population de la Nouvelle-Orléans, avec pratiquement 60 % de la population, mais baissent d'environ 7 points par rapport à la population de 2005, ce qui semble assez peu compte tenu des dégâts causés par l'inondation dans les quartiers noirs. La part des Blancs a quant à elle augmenté, passant de 28 à 36% de la population de la ville. La Nouvelle-Orléans voit également baisser son taux de population pauvre, qui passe de 27,9 % en 2000 à 22,2 % en 2006. Cet élément est confirmé par le revenu moyen par famille. Celui s'élève considérablement par rapport à la moyenne américaine. Si en 2000, le revenu médian d'un foyer de la Nouvelle-Orléans atteint avec peine les deux tiers du revenu médian d'un foyer américain, ce rapport est de presque 82 % en 2006. En d'autres termes, le revenu médian de la Nouvelle-Orléans s'est rapproché de celui des États-Unis. Le taux de foyers vivant dans une location a également baissé d'environ 5 points, pour s'établir à environ 49 %. L'évolution de ces indicateurs est très clairement due au départ de la population pauvre vers d'autres vi lies, puisqu'une amél ioration de la situation économique des foyers concernés n'est pas réalisable aussi rapidement. Une partie des hypothèses sur l'avenir de la NouvelleOrléans a donc été vérifiée, mais il n'est actuellement pas I http://factfinder.census.gov / New Orleans City, Louisiana.
134
possible de connaître l'évolution des caractéristiques de la population de la Nouvelle-Orléans par quartier, puisqu'il faudra attendre les statistiques de 20 I0 pour obtenir des chiffres à l'échelle du census tract de manière sCIre.De plus, certaines de ces statistiques, qui ne sont que des estimations', notamment celles du nombre d'Hispaniques dans la ville, sont apparemment erronées. Il faut donc être prudent quant à leur interprétation.
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Les recensements précis ne sont effectués que tous les dix ans. 135
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Carte 12 Taux de variation du nombre de foyers entre août 2006 et juillet 2007
136
La Nouvelle-Orléans hispanique?
(re)deviendra-t-elle
A terme, moins de 60 % des Noirs déplacés pourraient revenir à la Nouvelle-Orléans' et ce pour différentes raisons, mais en particulier par manque de moyens économiques. L'équilibre ethnique de la ville, déjà fortement modifié, pourrait également voir apparaître un troisième groupe, jusque-là pratiquement absent de la ville: les Hispaniques. Les raisons Nouvelle-Orléans
de
l'arrivée
des
Latinos
à
la
En 2000, les Hispaniques ne représentaient que 14000 habitants à la Nouvelle-Orléans2, ce qui est très faible pour une ville regroupant près de 500000 personnes. Néanmoins, depuis l'ouragan, leur part dans la population de la ville semble avoir explosé puisque leur nombre est évalué à plus de 50000 habitants en juillet 20073. Leur arrivée est apparemment directement liée à la reconstruction. En effet, les travaux nécessitent une importante main-d'œuvre sur les chantiers et la population locale ne peut à elle seule satisfaire la demande tant elle est importante. Les Hispaniques arrivent donc actuellement en nombre à la recherche d'un emploi dans le secteur du bâtiment à la Nouvelle-Orléans4. On peut observer assez faci lement le recrutement des ouvriers Latinos sur les parkings des zones industrielles: ils attendent qu'on vienne leur proposer un emploi journalier, puis I Source: Sew York Times. 2 Source: Census.gov. 3 John Moreno Gonzales / The Associated Press, 7he Grand Rapid Press, 8 juillet 2007 "Katrina helps shift cuisine fi'om Cajun to Hispanic.. Reaction mixed to A4exican workers who came to help rebuild, stayed'. Cet élément ne peut cependant pas être confirmé et le Census bureau n'estime la part des Hispaniques qu'à environ 4,1% de la population totale de la ville, soit 9 000 habitants (contre 14 000 et 3, I% en 2000), certainement en raison d'un nombre important d'immigrés clandestins, n'étant de ce fait pas comptabilisés. 4 United Press International, "Latino Population Booms in New Orleans" Il décembre2006. 137
lorsqu'ils sont engagés, montent dans le pick-up du patron qui les em bauche et sont ensuite conduits sur le chantier où ils doivent travai 11erpour la journée. Certains acteurs tirent en effet des bénéfices de cette immigration. Cette arrivée massive de travailleurs clandestins n'a par exemple rien pour déplaire aux patrons des entreprises du bâtiment, qui y trouvent une main-d'œuvre docile et dont les salaires sont très bon marché. En effet, même les chantiers publics peuvent désormais faire appel à des travailleurs souspayés suite à la modification de la loi Davis-Bacon annoncée par George Bush I. Cette loi, promulguée en ]937, stipule que sur chaque chantier de construction, de reconstruction ou d'aménagement d'infrastructures publiques soit employée une main-d'œuvre locale avec des salaires correspondant à ceux fixés par les conventions collectives. A u départ, elle avait au pour but de protéger les ouvriers blancs de l'arrivée des Noirs dans les États du nord, qui, de la même manière que les Hispaniques actuellement, acceptaient de travailler pour des salaires bien plus faibles que ceux réclamés par les travailleurs locaux. L'autorisation de sa modification par le président Bush permet donc aux entreprises participant à la reconstruction d'employer des salariés de manière beaucoup moins contraignante, alors que les salaires ont été très largement baissés. Ceci a en parti cul ier pour effet de permettre aux immigrés hispaniques d'être employés sur ces chantiers, pour des salai res défiant toute concurrence. Les salaires ne sont pas non plus excessivement élevés, puisqu'ils sont dans certains cas inférieurs à 10 dollars de l'heure (pour un maçon, par exemple), niveau auquel seuls les travailleurs immigrés, isolés et sans ressources peuvent accepter de travailler, d'autant que la demande est particulièrement forte. Quand le marché n'arrange pas les patrons, ils le modifient... Tout semble donc fait pour éviter d'employer une maind'œuvre locale. Paradoxalement, en dépit de toutes ces mesures prises pour rendre le marché du bâtiment plus flexible, la reconstruction ne semble pas avancer rapidement. La demande est également l
"New Orleans,
Recover-
Rebuild-
Organize 138
", ACORN,
p. 8.
encore extrêmement forte, dans un secteur dont l'activité est par ailleurs en temps normal déjà importante. Au delà des travailleurs immigrés, il est même devenu possible d'employer légalement des travailleurs clandestins, puisque, le 6 septembre 2005, le « Department of Home]and Security» a suspendu l'obligation pour un salarié d'avoir à donner son identité, arguant le fait que les personnes aient pu « perdre» leurs papiers pendant l'ouragan I. « Le département de la sécurité intérieure a annoncé aujourd 'hui qu'aucune sanction ne sera prise à l'encontre des employeurs de personnes victimes de l'ouragan Katrina qui ne sont pas en mesure de fournir les documents en temps normal exigés dans le cadre de la loi 27.JA sur l'immigration et la nationalité. » Extrait du bulletin d'annonce à la presse de la mesure, 6 septembre 2005. Cette décision ne devait être que temporaire, mais aucune indication sur son éventuelle modification ultérieure n'est fournie, et tout porte à croire que le statu quo prime. Leurs conditions de travail sont également déplorables. Les patrons profitent du fait que les travailleurs ne soient pas déclarés pour les contraindre à travailler dans des conditions dangereuses pour un salaire misérable2. De toute façon, ceux qui ne sont pas d'accord sont licenciés, d'autres seront contents de prendre leur place...3
I
Press release, U.S. Department of Homeland Security, Notice Regarding 1-9 Documentation Requirements for Hiring Hurricane Victims (Sept. 6, 2005). http://www .dhs .gov Idhspubl icidisplay?content=4 78 8. 2 "Rebuilding After Ka/rina. A Popula/ion Based S'/udy OJ' Labor and Human Righ/s ln New Orleans"; collectif, Juin 2006. 3 Voir également le film Fos/ Food Na/ion, (2006) de Richard Linklater, qui traite en partie des conditions de vie précaires des immigrés illégaux aux États-Unis. ]39
Différents ethniques
conflits
potentiels
entre
groupes
Commentaire de la Carte 20 : Cette cartes 'appuie sur des statistiques datant de 2000. Par conséquent, étant donné l'importance des flux migratoires en provenance d'Amérique latine, la répartition de la population d'origine hispanique a certainement dû évoluer. On peut néanmoins assez /àcilement observer sur cette carte le ((Font )) d'immigration, en provenance du sud-ouest du continent, remontant progressivement vers le nord-est. La présence de population hispanique dans la péninsule de Floride s'explique certainement par le nombre important de Cubains ayanttiti le régime castriste. Les autres espaces voyant des taux importants sont les grandes aires urbaines du nord-est, telles que New York, Chicago ou Détroit. Déjà, les créoles commencent à s'interroger sur la présence de cette minorité ethnique sur leur territoire, comme en témoignent les séries d'articles publiés sur les sites Internet dénonçant l'immigration illégale' des Hispaniques à la Nouvelle-Orléans. Certains groupes d'Afro-Américains ont peur d'être concurrencés par les Hispaniques dans les emplois faiblement qualifiés. Certains Noirs ont en effet le sentiment que les Hispaniques prennent leurs emplois, car ces derniers ont la réputation d'être plus dociles et d'accepter des travaux plus difficiles. Lorsqu'un employeur doit choisir des travailleurs journal iers, iI va en priorité prendre des Latinos, renforçant l'animosité entre les communautés2. La scène est telle que décrite un peu plus haut: le patron s'arrête en pick-up sur le parking oÙ attendent les ouvriers, et choisit ceux qu'il va
I Voir par exemple le site http://creoleneworleans.typepad.com/. 2 "Rebuilding Afier Kalf'ina, A Population Based Study Or Labor and Human Rights In New Orleans"; collecti( Juin 2006. ]40
employer pour la journée. Les Noirs restent souvent les derniers à attendre d'être choisis. Il est cependant assez difficile d'imaginer que les Hispaniques puissent réellement « prendre» le travail des AfroAméricains tant la demande est forte. II y a donc largement de quoi satisfaire les deux communautés. Si la coopération permet parfois aux deux communautés de se rencontrer, les rival ités sont généralement lourdes. Les Latinos ne comprennent cependant pas pourquoi ils sont rejetés, alors qu'ils participent à l'effort de reconstruction. Il est très fortement probable qu'ils prennent la place des déplacés qui ne sont pas revenus habiter à la Nouvelle-Orléans ou qu'ils s'installent dans des quartiers plus abordables. MidCity semble être l'espace oÙ leur installation est la plus importante. c'est en tout cas là que leur présence m'est apparue la plus forte. Comme évoqué plus haut, ces quartiers sont historiquement noirs et sont le lieu de la naissance du Jazz. Ils ont donc une forte valeur symbolique pour les Afro-Américains. Les immigrés hispaniques s'installeraient donc dans les espaces les moins attractifs, au centre de la ville. Toutefois, aucune statistique précise ne peut confirmer cet élément, il faudra attendre les évaluations par le Census Bureau pour savoir oÙ la part de Latinos dans les quartiers de la Nouvelle-Orléans a augmenté de manière significative. Vont-ils effectivement s'installer massivement dans les quartiers de la Nouvelle-Orléans? Vont-ils se mélanger avec les Afro-Américains? Cette cohabitation sera-t-elle meilleure que dans les autres villes des États-Unis d'Amérique? Dans un article publié sur un site Internet I, un jeune reporter latino insiste sur la coopération entre les deux communautés et explique qu'un grand nombre d'AfroAméricains se sentent redevables de l'aide fournie par les H ispaniques2. Toutefois, ce point de vue est nuancé par un jeune Afro-Américain, étudiant, qui écrit qu'il aimerait que cette collaboration soit aussi agréable que celle présentée dans l'article, mais que la réalité est toute différente: les Noirs se I
Adrian Avila "In .Vew Orleans, Black and Brown Rebuild Lives
Together". 2 Ibid 141
sentent colonisés et ont en effet peur d'être mis sur la touche par les Latinos. Ce sont donc en réalité leurs représentations qui les conduisent à s'effrayer de l'arrivée des immigrés latinos. Rappelons par ailleurs que les Hispaniques dépassent désormais les Afro-Américains aux États-Unis et qu'ils sont, depuis 2004, la principale minorité ethnique du pays. Les Noirs ont donc peut-être peur de voir leurs problèmes occultés par ceux des immigrés en provenance d'Amérique latine. Le maire, Ray Nagin, ne se prive pas de surfer sur cette vague d'hispanophobie et s'oppose dans une certaine mesure au fait que la ville puisse être « envahie» par les immigrés latinos. "How do 1 ensure that New Orleans is not overrun hv Mexican workers?"I, pouvant être traduit comme « Comment puis-je être sûr que la Nouvelle-Orléans ne va pas être envahie par les travailleurs mexicains?». Ce discours peut apparaître comme démagogique et est certainement destiné à s'attirer le soutien des Afro-Américains, puisque la municipalité fait travailler pour son propre compte ces mêmes immigrés sur des chantiers publics. Et comme de toute façon, les immigrés en situation irrégulière ne peuvent pas voter, Ray Nagin n'a pas à craindre de perdre des électeurs en critiquant les Hispaniques. Il n'est cependant pas le seul à critiquer la présence de ces imm igrés venus reconstruire la vi lie après l'ouragan. Une loi, a par ailleurs été promulguée par un comté périphérique de la Nouvelle-Orléans dans le but d'interdire la vente de spécialités mexicaines dans la rue (taco trucks), dans le but clairement avoué de les faire disparaître du paysage de cette banlieue blanche (Jefferson Parish)2. Le chef du conseil municipal de la Nouvelle-Orléans, Oliver Thomas, a d'ailleurs eu ce mot dans une interview du Time Picayune: "Hmv do the Tacos help Gumho'?", s'interrogeant de manière à peine cachée sur l'immigration hispanique à la Nouvelle-Orléans. Un I Arian Campo-Flores, "A New S'pice in the Gumbo: FVill Latino day laborers locating in New Orleans change its complexion?" Newsweek, 5 décembre, 2005. 2 The Boston Globe, 16 Juin 2007, Miguel Bustillo "Taco trucks in New Orleans hit by legislative crunch ... 3 Le Gumbo est un plat typique de la Nouvelle-Orléans. 142
éditorialiste du même journal lui répond que la NouvelleOrléans a beaucoup à gagner de la présence des Latinos dans la ville et que l'intégration des immigrants va progressivement se faire, avec cette phrase: "The Gumbojust gets better"'. Les conflits entre Latinos et Afro-Américains sont cependant fréquents en Amérique du Nord, en particulier dans les grandes villes, Une équation du type: « (Afro-Américains + Latinos) x pauvreté = gangs» peut être posée, mais mérite d'être vérifiée avec le temps. En effet, ce genre de problème ne semble se déclencher qu'à la seconde génération. La police de la Nouvelle-Orléans n'envisage cependant pas la question et ne cherche pas à faire de la prévention de quelque manière que ce soit, ce qui semble assez étonnant, comme cela m'a été expliqué lors de mon entretien avec un officier de police de la NouvelleOrléans chargé de la communication (Gary Flot). Les associations d'habitants ne me semblent pas non plus aborder cette question. La criminalité semble pourtant augmenter d'une manière générale. Entre le premier trimestre 2006 et le premier trimestre 2007, le nombre de crimes violents a presque doublé, passant de 364 à 753 (ceci est bien évidemment en partie dO à l'augmentation du nombre d'habitants, mais le taux de criminalité par habitant n'est apparemment pas communiqué{ Ces événements recommencent à faire la une des journaux, en particulier lorsque les victimes sont blanches... La question de l'arrivée des immigrés d'origine latinoaméricaine est donc centrale dans le processus de reconstruction et de recolllposition ethnique de la Nouvelle-Orléans. Les rivalités ne sont cependant pas encore toutes apparues et risquent de se développer au retour de la population afroaméricaine encore déplacée. De plus, la part de la population d'origine hispanique est assez difficile à évaluer, puisque, d'une part, aucun recensement précis n'a été effectué depuis l'ouragan, et que, d'autre part, cette immigration, en partie illégale, ne peut pas apparaître dans les chiffres officiels. La recolllposition ethnique de la ville est I
Lolis Eric Elie, 9 Juillet 2007 "The gumbo jusl gels beller", Times Picayune. 2 http://secure.cityofno .com/ portal.aspx?portal =50& tab id=8 8. 143
donc un phénomène qui ne pourra être totalement appréhendé que dans quelques années.
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Conclusion Le processus de reconstruction de la Nouvelle-Orléans a entraîné un nombre important de conflits, avec comme enjeu central la question du retour de la population afro-américaine. Cette ville apparaît cependant comme essentielle pour la culture noire américaine. De plus, la catastrophe a remis sur le devant de la scène cette minorité qui avait tendance à être oubliée au profit des Hispaniques, désormais plus nombreux que les Noirs aux États-Unis. Il semble aujourd'hui évident que les Afro-Américains éprouvent davantage de difficultés pour revenir habiter à la Nouvelle-Orléans que les autres groupes ethniques. Cette situation est-elle pour autant la conséquence d'une stratégie menée en toute connaissance de cause par certains des acteurs du processus de reconstruction? Il semblerait que non. Des associations de défense d'Afro-Américains estiment cependant qu'il y aurait une volonté claire à empêcher les Noirs de revenir habiter dans cette ville. Or, aucun élément ne m'a permis de confirmer cette hypothèse. La discrimination apparaît donc comme sociale et économique, bien davantage que comme ethnique. L'étude des représentations et des prénotions des acteurs est un élément essentiel pour comprendre les enjeux et les conflits de pouvoir dans le cadre de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans. ainsi que les stratégies des acteurs. Par exemple, le militantisme des associations semble avoir été motivé par une méfiance des Noirs envers les pouvoirs politiques et économiques intervenant dans la reconstruction, esti mant que certai nes personnes essaieraient d' em pêcher les Noirs de retourner vivre dans la ville. Cette méfiance est en partie la conséquence du sentiment d'abandon des AfroAméricains à la suite de l'ouragan, choqués par le traitement qu'ils ont reçu pendant la catastrophe. On peut cependant se demander dans quelle mesure cette représentation n'a pas conduit à ralentir le processus de reconstruction, en faisant se succéder des plans qui ne seront
pas appliqués. Ce ralentissement du processus a limité le retour des habitants, puisqu'ils ont de ce fait perdu des liens avec leurs réseaux (amis, voisins). En effet, pourquoi retourner vivre dans une vi lie oÙ on ne connaît pl us personne? Les rivalités entre groupes ethniques sont potentiellement lourdes à l'échelle de la ville, et la question de l'arrivée massive d'immigrés hispaniques rend la population noire méfiante puisque cette dernière semble avoir le sentiment d'être envahie. Cet élément peut par ailleurs se décliner à l'échelle des ÉtatsUnis, puisque la question de l'immigration hispanique est un élément central dans tout le pays, notamment à travers la volonté du président Bush de vouloir limiter au maximum ce flux migratoire. Certains aspects de la reconstruction mériteraient d'être approfondis dans mon travail, notamment ceux liés à l'économie et aux finances, domaines dans lesquels il est plus difficile de trouver des sources. Les milliards de dollars investis ont en effet attiré de nombreuses entreprises, dont l'activité est nourrie par la reconstruction. Ces acteurs, bien que discrets, ont donc un rôle important dans l'avenir de la Nouvelle-Orléans. La question du « Land Grabbing» et des opérations immobilières présumées dans les quartiers pauvres de la Nouvelle-Orléans était également très difficile à aborder, en particulier en raison de la très forte sensibilité des habitants (et de leurs représentations), mais également parce que les auteurs de cette présumée stratégie sont difficiles à identifier. Encore une fois, la validité de cet élément ne pourra être vérifiée qu'avec le temps, en observant si une gentrification a eu lieu dans certains quartiers de Mid-City ou du Lower Ninth Ward. Plus d'un an et demi après le passage de l'ouragan, certaines parties de la ville étaient encore en ruine. Il semblerait que les travaux aient accéléré durant l'été 2007, mais la lenteur de la reconstruction est l'un des éléments les plus marquants. Il est pour le moment difficile d'estimer avec précision ce que sera le visage de la Nouvelle-Orléans dans les années qui viennent. Les recensements de la population à venir, en particulier celui de 20 I0, offriront la possibilité de vérifier les hypothèses émises dans ce livre.
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Bibliographie Livres Richard
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Geographies
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