Bibliographie
De multiples informations sont disponibles sur le site internet de l’Institut national du cancer : www.e-cancer.fr. Vous pourrez y télécharger des guides d’information. Vous en trouverez d’autres sur le site internet de la Ligue nationale contre le cancer, www.ligue-cancer.net, qui propose également des renseignements médicaux et pratiques. Des comités de la Ligue sont présents dans chaque département. Leur liste est disponible sur le site internet ou au 0 810 111 101 (numéro Azur, prix d’une communication locale). Cancer Info Service 0 810 810 821 (numéro Azur, prix d’une communication locale) est un service téléphonique dont l’objectif est d’offrir un soutien par une écoute confidentielle et anonyme. Il fournit des informations sur des aspects médicaux, pratiques et psychologiques. Chacun peut obtenir des réponses à ses questions de 8 heures à 20 heures, du lundi au samedi. Quelques ouvrages pour prolonger cette lecture… ACOCELLA MARCHETTO Marisa (2007) Cancer and the City, L’Iconoclaste. BATAILLE Philippe (2003) Un cancer et la vie. Les malades face à la maladie, Balland.
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DOUSSET Marie-Paule (1999) Vivre pendant un cancer, Seuil. FAURÉ Christophe (1998) Vivre auprès d’un proche très malade, Albin Michel. ENGELBERG Miriam (2007) Comment le cancer m’a fait aimer la télé et les mots croisés, Delcourt. GARDINIER Florence (1994) La Cour des miracles, La Pensée Universelle. HOERNI Bernard (2001) Les Cancers de A à Z, FrisonRoche. KHAYAT David (2003) Les Chemins de l’espoir, Odile Jacob. KHAYAT David et WENGER Odilon (2007) Guide pratique du cancer : s’informer, s’orienter, se soigner, Odile Jacob. LE MINTIER Astrid (2004) Mieux vivre une chimiothérapie, Flammarion. MAILLARD-CHAULIN Béatrice (1999) Journal d’un sein, Corsaire. MENORET Marie (1999) Les Temps du cancer, CNRS Éditions. PHILIP Thierry (2004) Vaincre son cancer. Les bonnes questions, les vraies réponses, Milan. RUPERT Fabienne (2006) La vie est là, simplement, Albin Michel. SCHWARTZ Laurent (1998) Métastases. Vérités sur le cancer, Hachette.
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Valérie Delavigne
Les cancers
Valérie Delavigne
ISBN : 978-2-287-85840-6 Springer Paris Berlin Heidelberg New York © Springer-Verlag France, 2009 Imprimé en France Springer-Verlag France est membre du groupe Springer Science + Business Media Cet ouvrage est soumis au copyright. Tous droits réservés, notamment la reproduction et la représentation, la traduction, la réimpression, l’exposé, la reproduction des illustrations et des tableaux, la transmission par voie d’enregistrement sonore ou visuel, la reproduction par microfilm ou tout autre moyen ainsi que la conservation des banques de données. La loi française sur le copyright du 9 septembre 1965 dans la version en vigueur n’autorise une reproduction intégrale ou partielle que dans certains cas, et en principe moyennant le paiement des droits. Toutes représentation, reproduction, contrefaçon ou conservation dans une banque de données par quelques procédé que ce soit est sanctionnée par la loi pénale sur le copyright. L’utilisation dans cet ouvrage de désignations, dénominations commerciales, marques de fabrique, etc. même sans spécification ne signifie pas que ces termes soient libres de la législation sur les marques de fabrique et la protection des marques et qu’ils puissent être utilisés par chacun. La maison d’édition décline toute responsabilité quant à l’exactitude des indications de dosage et des modes d’emplois. Dans chaque cas il incombe à l’usager de vérifier les informations données par comparaison à la littérature existante. Mise en page : AGD – Dreux Maquette de couverture : Jean-François Montmarché
Remerciements
Un grand merci à tous ceux qui ont relu ces pages, y chassant la coquille, le détail, l’erreur ou l’oubli : Anne Asselin, Jocelyne Bazire, Helena BorgesPaninho, Emmanuelle Boyer, Sylvie Brusco, Julien Carretier, Marie Decaen, Patrice Decaen, Marie Déchelette, Anne Delavigne, Bénédicte Delavigne, Yves Delavigne, Béatrice Fervers, François Gaudin, Marie-Anne Hubscher, Line Leichtnam-Dugarin, Thierry Philip, Christine Pizzella, Lionel Salem, Christine Térisse et Marc Tesnière.
Sommaire
Remerciements ............................................................ Préface ......................................................................... Avant-propos............................................................... Préambule....................................................................
5 9 11 13
Quand tout commence… .............................
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Comment découvre-t-on les cancers ? ........
35
Les traitements chirurgicaux........................
61
La radiothérapie ............................................
81
La chimiothérapie ......................................... 103 D’autres traitements ..................................... 117 Pourquoi un cancer ? .................................... 143 Un si long chemin ......................................... 163 Conclusion – Les mots pour partager ......... 183 Bibliographie ...............................................................
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Préface
Valérie Delavigne a joué un rôle essentiel dans la conception, l’initiation et la mise en œuvre du programme SOR SAVOIR PATIENT de la Fédération nationale des centres régionaux de lutte contre le cancer. Ce programme, qui traduit en « langage patient » les guides de bonnes pratiques à l’intention des médecins spécialistes, est un élément primordial pour l’égalité de chaque citoyen devant l’information. Les SOR SAVOIR PATIENT ne remplacent pas le colloque singulier avec le médecin ; ils aident à le préparer et à l’assimiler ensuite. Voici maintenant cet ouvrage de Valérie Delavigne, comme un nouveau jalon entre soignants et soignés. Elle l’a écrit avec ses qualités particulières de linguiste, mais aussi avec son expérience de la relation avec les personnes malades et leurs questions les plus habituelles. Aucune des grandes et des petites questions du parcours de soins n’échappe à Valérie Delavigne. La lecture de ce livre est stimulante au moment où il devient évident que l’information, partie intégrante des soins, détient une vertu thérapeutique. La parole
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est une arme thérapeutique en cancérologie, l’écriture, aussi. Si « le mot cancer peut tuer », dans un dialogue brutal et non maîtrisé, l’information participe aux soins d’abord parce qu’elle ouvre les portes d’un futur et d’une guérison possible. Que signifient les statistiques lorsqu’on ne guérit que 75 % des enfants, 60 % des femmes et 40 % des hommes atteints de cancer ? Que signifie 99 % de survie si on est le 100e et inversement 1 % de survie si c’est vous ? Que signifie l’expérience du passé dans une discipline en perpétuelle évolution ? « La clarté est un mélange d’ombres et de lumières », disait Goethe. Henri Pujol, président de la Ligue nationale contre le cancer dit que « la cancérologie est une vérité qui émerge de la nuit et cherche à atteindre la lumière ». C’est ce qu’a essayé de faire et ce qu’a réussi Valérie Delavigne. Ce livre sera source d’espoirs pour les personnes malades et aussi, je le crois, source de vocation pour de jeunes médecins qui doivent trouver des raisons de s’orienter vers cette discipline singulière et collective, si dure, mais, comme le montre Valérie Delavigne, si humaine. Thierry PHILIP Directeur des SOR
Avant-propos
Face à la diffusion de plus en plus large d’informations sur les cancers à travers différents médias (internet, outils multimédias, brochures, livres, etc.), le constat a été fait que les informations contenues dans beaucoup de documents ne répondent souvent pas aux besoins des patients atteints de cancer et de leurs proches et ne sont pas toujours en cohérence avec l’état des connaissances et des données actuelles de la science. En cancérologie, les schémas thérapeutiques sont souvent lourds et complexes, associés à un langage technique spécialisé, difficile à appréhender pour des nonexperts. Certaines sources que les patients consultent, à la recherche d’une information objective et fiable, sont difficilement compréhensibles pour le profane et peuvent, de ce fait, être génératrices d’interprétations inadéquates et d’angoisses inutiles. Cette évolution de la demande d’information des patients suppose aujourd’hui une information précise et complète. Elle doit être conforme aux données actuelles de la science et tenir compte de leurs besoins d’informa-
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tion, afin d’assurer la qualité des productions qui leur sont proposées. Ainsi, le programme SOR SAVOIR PATIENT, mené depuis dix ans en France, a choisi de mettre au cœur de sa démarche des groupes de patients, d’anciens patients et de proches pour identifier et reformuler les informations écrites qui leur sont destinées, en collaboration avec des professionnels de santé et une équipe pluridisciplinaire, unique en France, composée de méthodologistes chargés de mission en santé et d’une linguiste. Plus d’une vingtaine de guides d’information et de dialogue ont été élaborés et diffusés dans les établissements de soins, les associations de patients et sur internet, grâce à une méthodologie reconnue au niveau national et international en matière d’élaboration de documents écrits à destination des personnes malades et de leurs proches. Soulignons le rôle de l’expertise linguistique dans la relecture des documents à destination d’un lectorat profane, qui a montré depuis dix ans la place et la légitimité d’une linguiste au sein d’une équipe pluridisciplinaire de professionnels de santé. Souhaitons que cette expérience soit étendue au sein d’autres démarches comme élément d’amélioration de la qualité des contenus informationnels proposés aux publics. Julien CARRETIER Coordonnateur du programme SOR SAVOIR PATIENT
Préambule
À tous ceux pour lesquels ce livre peut être utile pour mieux comprendre la maladie et ses traitements.
Les livres naissent parfois de bien curieuse manière. Celui-ci est l’histoire d’une envie, conjuguée à un pari réfléchi. Il n’est écrit ni par un médecin ni par un patient atteint d’un cancer – positions qui procurent et l’une et l’autre une légitimité d’écriture, l’une par l’expertise, l’autre par l’expérience –, mais par une linguiste qui travaille sur la vulgarisation en cancérologie. L’on sait combien il peut être difficile pour un spécialiste de vulgariser ses connaissances. L’idée qui a porté ce livre a été de jouer au « troisième homme » dont parlent les analystes de la vulgarisation scientifique. Car il est parfois plus facile de vulgariser des savoirs quand on n’est pas spécialiste.
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Profession : linguiste Lorsque l’on est chercheur, que l’on porte son regard sur ce que les gens, spécialistes ou non, font quand ils écrivent des textes de vulgarisation, il arrive que l’on soit parfois tiraillé entre ses théories, ses méthodes et son terrain d’observation. C’est ainsi qu’est née l’envie de devenir actrice, pour palper d’un peu plus près encore la façon dont naît cette écriture spécifique qu’est l’écriture de vulgarisation. On attendrait sans doute plus d’une linguiste un livre sur le langage. Cependant, dès lors qu’une pratique professionnelle mène sur le terrain des vocabulaires techniques, et plus particulièrement sur celui de la cancérologie, il devient tentant tout à la fois d’observer, de s’efforcer de comprendre ce qui s’y dit, d’examiner comment cela est dit, et de pratiquer dans le même temps ce drôle d’exercice qu’est la vulgarisation. En outre, à force de se frotter aux pratiques de vulgarisation, d’observer, d’analyser, de conseiller, on acquiert des connaissances que l’on peut avoir envie de transmettre. On peut alors être celle qui, à l’instar de la mère pélican, a ingurgité et digéré des connaissances, et tente de les faire passer à d’autres. Le linguiste est affecté d’un curieux strabisme : il voit le langage en train de se faire. À force d’observer les écrits des autres, il arrive qu’il se prenne lui-même comme terrain d’observation. Car écrire ce livre est aussi une expérience, une observation réflexive : qu’est-on en
Préambule
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train de faire ? Comment est-on en train d’écrire ? Là où d’autres rédigent spontanément, on s’observe, tentant d’examiner comment on secoue la langue pour transmettre les choses au mieux. Ces pages sont en quelque sorte des travaux pratiques…
Les périls de la vulgarisation Pour, depuis des années, avoir guidé et formé à l’écriture de vulgarisation, ce n’est pas sans méconnaître les risques pris. Celui de l’approximation d’abord, fréquemment stigmatisée par ceux qui ne se sont guère frottés à l’entreprise de vulgarisation. Il faut si souvent omettre et négliger pour prendre résolument le parti de l’accessibilité et du partage… Celui de l’immodestie ensuite, en se livrant à des propos qu’on attendrait plus d’un médecin… sans néanmoins toutes les difficultés qu’il aurait sûrement rencontrées. Car c’est l’avantage d’avoir travaillé sur le jargon médical : par là même, on sait sciemment l’éviter. Ce serait un comble de produire un ouvrage truffé de termes techniques quand on travaille à faciliter la transmission du savoir ! L’écriture se veut donc raisonnablement intelligible à tous les lecteurs… sans bien sûr sacrifier à l’exactitude.
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Le risque de la brièveté aussi. Car ce livre ne se veut pas un ouvrage de référence où le lecteur pourrait trouver une masse d’informations, au risque de s’y noyer, mais un bref opuscule, forcément lacunaire, dans lequel chacun peut chiner à sa convenance quelques renseignements, à lire d’une traite ou à feuilleter, au gré de ses besoins. Celui du manque, enfin. Sans aucune prétention encyclopédique, les données que le lecteur trouvera proviennent d’un cadre qui fait référence aujourd’hui en cancérologie française. Ce cadre, c’est celui de ceux qui œuvrent pour offrir aux médecins des outils pour mieux diagnostiquer et traiter les différents cancers, ce qu’on appelle des recommandations pour la pratique clinique. Ces recommandations ont un nom : les Standards & Options : Recommandations, plus connues par les cancérologues sous le nom de SOR. À partir de ces recommandations, une équipe, à laquelle l’auteure appartient, produit depuis dix ans des brochures pour les patients atteints de cancer et leurs proches en suivant des protocoles stricts. Ces brochures sont dénommées guides SOR SAVOIR PATIENT1, autrement dit « SOR pour le savoir des patients ». Ces recommandations sont au cœur des propos que vous trouverez ici. 1. Disponibles dans les centres régionaux de lutte contre le cancer, sur simple demande par courrier postal à la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC), 101, rue de Tolbiac, 75013 Paris, ou par courrier électronique à l’adresse suivante :
[email protected], ou encore téléchargeables sur l’internet : www.fnclcc.fr
Préambule
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Il fallait cependant le gage d’un contenu scientifique validé, ce que Béatrice Fervers, oncologue médicale et directrice adjointe des SOR, et Thierry Philip, pédiatre cancérologue au centre régional de lutte contre le cancer Léon-Bérard à Lyon et directeur des SOR, ont fort aimablement contribué à faire. Qu’ils en soient ici sincèrement remerciés.
Des questions, quelques réponses Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas ici d’un guide pour les patients tel que l’auteure contribue à en élaborer ailleurs. Ce livre ne leur est d’ailleurs pas spécifiquement réservé. Il suivra des circuits différents. Il s’agit seulement de mettre à disposition de tout un chacun un savoir sous une autre forme. Parce que l’information peut être aussi une arme contre le cancer. On a souhaité éviter l’écriture dépersonnalisée en vigueur dans le monde scientifique et de la vulgarisation contemporaine, qui calque ses écrits sur l’écriture distante de la science, espérant sans doute donner ainsi l’illusion d’un savoir neutre et idéalisé. Le cancer est un drame terrible, suscitant un bouleversement total pour la personne qui s’en découvre atteinte comme pour ses proches, sa famille, ses amis. Le sujet est bien grave. Il n’en reste pas moins qu’il n’est dit nulle part que toute chose grave doit être dite gravement. Souhaitons que ce petit ouvrage se lise non
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comme un cours, mais plutôt comme une chronique qui aurait oublié d’être lourdement didactique. L’objectif est au final de répondre à certaines questions que chacun peut un jour être amené à se poser au sujet du cancer : comment un cancer apparaît-il ? Pourquoi ? Quels sont les traitements possibles ? Comment cela se passe-t-il ? Peut-on en guérir ?... Ce thème suscite bien des écrits aujourd’hui. Il faut dire que le cancer reste, hélas ! la maladie grave par excellence, l’une de ces maladies dont la place grandit dans nos sociétés et qui semble bien difficile à éradiquer, l’une des pierres d’achoppement sur lesquelles butent encore nos connaissances. S’il existe des informations disponibles sur l’internet, celles-ci sont souvent trop spécialisées, sources d’incompréhension et d’inquiétudes injustifiées. Dans les médias, le thème est récurrent, mais l’information y est souvent alarmiste, tronquée, voire fausse. L’information des patients a aujourd’hui un cadre réglementaire : sous la pression d’associations de malades, la loi a pris acte de leurs besoins, et notamment de leurs besoins d’informations. Et bien évidemment, de leur droit de ne pas savoir. Il manquait un ouvrage pour ceux qui ne sont pas malades, mais qui ont envie d’en savoir plus, ou ceux qui sont malades, mais n’ont pas encore eu accès à l’information qu’ils désirent, une information disponible en librairie, hors des circuits hospitaliers. Le lecteur restera juge du bien-fondé de l’entreprise.
Quand tout commence…
Au début, elle est minuscule. Un truc ridicule. Un rien. Une toute petite chose. Mais qui va faire de si grands dégâts ! C’est une cellule semblable aux autres. Qui semble vivre paisiblement sa vie de cellule. À un détail près, lorsqu’on y regarde mieux. Là, au cœur, dans le noyau, où s’agitent les chromosomes, c’est là que cela se passe. Une légère modification… Oh, ce n’est pas la première fois… Déjà une fois, cela s’était un peu détraqué. Mais la machine a bien fonctionné : le service de surveillance est intervenu et tout a été réparé. Enfin, on a cru. Mais en fait, quelque chose a subsisté. Imperceptible. Et tout s’est déréglé…
À l’origine Revenons donc au commencement, au cœur des cellules, ces minuscules éléments dont les organismes, végétaux ou animaux, sont constitués. À la base, il y a les mathé-
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matiques. Oh ! que les nuls en math se rassurent : l’addition et la multiplication suffiront bien pour comprendre les choses. À l’origine de tous les corps vivants, il y a deux cellules : l’ovule, qui vient de la mère, et le spermatozoïde, qui vient du père. En fait, quand on y regarde d’un peu plus près, ce ne sont pas de vraies cellules, mais deux demi-cellules qui, en fusionnant, vont en donner une seule. Cette première cellule est à la base de tout. C’est là que la multiplication intervient : très vite, notre première cellule va se dédoubler. Comment ? Eh bien, en… se divisant ! Et en se divisant, elle se multiplie en deux cellules. Chacune de ces deux-là ensuite se divise à son tour, ce qui nous en donne quatre. C’est un bon début. Puis à leur tour, les quatre vont se diviser : 4 x 2 = 8. Les huit se divisent pour en faire seize, qui à leur tour se divisent pour en produire trente-deux, qui à leur tour, etc. Vous suivez ? Tout cela donnera au bout du compte un individu qui compte, grosso modo, un bon million de milliards de cellules… Pas mal, non ? Oui, je sais ce que vous allez me dire : même si notre première cellule se divise comme cela, comment peuton arriver au final à un être vivant qui, même sans y regarder de trop près, est doté néanmoins d’une tête, d’un tronc, de deux jambes, de deux bras, de cheveux, de poumons, de sang, que sais-je encore ? Je vous l’accorde : cela est un peu plus compliqué. De fait, une cellule du cœur n’a pas la même allure qu’une cellule de l’oreille. Et elle ne fonctionne pas non plus de la
Quand tout commence…
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même façon : l’une permet au cœur de se contracter régulièrement ; l’autre permet à l’oreille d’entendre. Il vaut mieux ! Quoiqu’on puisse parfois se dire que cela serait bien qu’un cœur entende ou qu’une oreille ait du cœur… Nous voici donc au final avec plein de cellules différentes, qui ne ressemblent plus vraiment à la cellule d’origine. On s’est amusé à les classer : on a dénombré chez l’homme au bout du compte à peu près deux cents types de cellules différentes.
La même ou une autre ? Que s’est-il passé ? Si l’on revient à notre première cellule du départ, il s’avère qu’elle est totipotente. Autrement dit, elle sait tout faire. Ou plutôt, elle est capable d’engendrer plein de cellules qui ne lui ressemblent pas du tout. Ce sont les fameuses cellules souches, ces cellules non spécialisées, dont les journaux parlent tant : en effet, on espère bien un jour pouvoir en faire ce que l’on veut, plutôt que de les laisser subir ce qu’a choisi la nature. Après les premières divisions, quand les cellules sont arrivées à quelques centaines environ, chacune d’elles a pris des directions différentes. Elles ont migré dans leur coin et se sont installées dans des endroits spécifiques. Là, elles ont continué à se multiplier, jusqu’à former les organes. En revanche, une fois qu’elles se sont transformées, plus de retour en arrière possible : en développant des
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structures particulières, elles sont engagées dans une direction et conservent leur nouvelle identité. Pendant qu’elles y étaient, leur fonctionnement s’est spécialisé également. En bref, elles se sont différenciées : une cellule installée à la place de l’oreille s’est organisée pour entendre, tandis qu’une autre, installée au niveau du cœur, s’est destinée à battre. Et ensemble, elles se serrent les coudes pour assurer la bonne marche des différents organes et de l’organisme tout entier. Bien évidemment, si ce miracle est à chaque fois renouvelé, c’est parce que l’environnement est propice et que chaque cellule sait ce qu’il faut qu’elle fasse. Elle a la recette. Cette recette est écrite au cœur de chacune d’entre elles, dans ce qu’on appelle les gènes.
Au cœur des cellules : une affaire de gènes Les gènes, c’est quoi ? De petits bouts de particules, rangés dans un ordre bien précis, et qu’il suffit de lire pour savoir ce qu’il faut faire. Chefs de troupe, certains gènes prennent le dessus et donnent l’ordre à la cellule de faire ce qu’elle a à faire : s’installer quelque part, s’y développer, produire telle ou telle chose, etc. La recette n’est pas écrite n’importe comment. Des chercheurs ont découvert qu’il suffit de quatre lettres pour la consigner. Ces lettres – en fait des molécules bien particulières – ont été appelées A (pour adénine), T
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(pour thymine), C (pour cytosine) et G (pour guanine). Ces quatre lettres forment des mots qui écrivent les caractéristiques de chaque cellule. Ces mots se suivent sur un très, très long fil (plus de deux mètres !) d’une finesse extrême. Ce fil forme ce qu’on appelle l’ADN. James Watson et Francis Crick, un chercheur américain et un chercheur anglais, ont montré en 1953 que l’ADN est en fait un fil double. Il s’enroule en spirale sur lui-même en formant un cylindre torsadé, comme ces drôles de bonbons à deux couleurs qui tournicotent l’une dans l’autre. Enfin, ça, c’est si on le dépliait. Car en fait, ce fil est tout embobiné. Et à force de s’embobiner, il prend une forme de bâtonnet. On peut repérer ces bâtonnets en examinant les cellules au microscope quand elles sont en train de se diviser. Ces formes, ce sont les chromosomes, du grec khrôma, la « couleur », et sôma, le « corps », ainsi dénommés, car ils absorbent certains colorants. C’est précisément ce qui permet de les apercevoir au microscope. Les chromosomes sont donc des paquets d’ADN tout entortillés. Dans chaque cellule, les gènes, ces suites de lettres, sont des bouts de chromosomes, ou d’ADN, comme on voudra. Ils occupent sur ceux-ci des emplacements bien déterminés. Ces gènes ont été transmis par les deux demi-cellules du tout début : la moitié vient de la mère, l’autre du père. La première cellule a reçu comme cela environ trente mille gènes au total : de quoi faire… Les gènes stockent donc le patrimoine héréditaire et sont chargés de sa transmission.
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C’est ainsi que certains d’entre vous ont les yeux de leur mère, ou la bouche de leur père. Ou inversement. Ou d’un grand-père, parce que votre père et votre mère vous ont transmis d’autres gènes qu’ils portaient et qui, chez eux, n’étaient pas activés.
Une division permanente On a vu comment les cellules se reproduisaient ; on peut donc comprendre comment l’organisme se construit. Une fois que l’organisme est complet, toutes ces cellules qui le composent poursuivent leur petit bonhomme de chemin : elles continuent presque toutes à se diviser et ce, tout au long de leur vie de cellule. C’est comme cela que le corps grandit. Normalement, au bout d’un certain temps, la cellule arrête de se diviser. Cela aussi est inscrit dans ses gènes. Et du coup, elle meurt. Des millions et des millions de cellules meurent chaque jour. Autant à remplacer ! Des cellules plus jeunes prennent le relais. La division assure donc la pérennité du corps. La division permet également de cicatriser. Si on se coupe, par exemple, les cellules proches de la blessure se rendent compte qu’il manque quelque chose, que leurs voisines ont disparu. Elles se mettent alors à se diviser jusqu’à ce que le trou soit bouché et la plaie refermée.
Quand tout commence…
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Reproduction non conforme Lorsqu’une cellule se divise, elle fait une copie d’ellemême. Mais parfois s’immisce une erreur, une faute d’orthographe dans la recette : des lettres s’inversent, ou se positionnent mal ; ou un bout de chromosome ne se retrouve pas à la bonne place, est oublié ou carrément recopié plusieurs fois. C’est ce qu’on appelle les mutations génétiques. Cela est très peu fréquent. Mais statistiquement, vu le nombre de divisions, il est impossible qu’il n’y ait pas d’erreur. On l’a calculé : si un million de cellules se divisent, cela risque d’arriver une fois ! Et quand on pense que tous les jours, pour chacun d’entre nous, ce sont des milliards de nos cellules qui se divisent… Soit autant de réplications de l’ADN ! De surcroît, diverses choses peuvent provoquer des erreurs. Nous verrons lesquelles plus loin. La plupart des anomalies sont éliminées naturellement : c’est ce qui se passe lors d’une fausse-couche. Certains organismes dont les gènes ont été modifiés ont survécu et se sont développés : ces anomalies ont donc permis à la vie de se diversifier. Mais ce sont elles aussi qui sont à l’origine des cancers. Pour qu’une cellule devienne cancéreuse, ces mutations ne doivent pas se produire n’importe où : elles se produisent sur des gènes bien particuliers, les oncogènes, de onkos qui, en grec, signifie « grosseur ». Ils tirent leur nom précisément de leur rôle dans cette affaire. À l’ori-
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gine, ce ne sont pas des gènes différents des autres. On les a juste dénommés ainsi, car on a découvert qu’après avoir subi une mutation, ils stimulent à l’excès la division des cellules. Ce sont en somme des accélérateurs de divisions. Non seulement les mutations ne se produisent pas n’importe où, mais elles ne se produisent pas n’importe comment. Les oncogènes doivent subir des transformations bien précises. Et une seule altération ne suffit heureusement pas ! Plusieurs mutations de plusieurs gènes doivent se cumuler pour qu’une cellule se transforme en cellule cancéreuse. Un cancer n’arrive donc pas en un jour, mais suit un ensemble d’étapes. Première étape : un oncogène subit une modification. La majorité du temps, lorsqu’une transformation se produit, cela ne porte pas à conséquence. La transformation est souvent réparée par la cellule elle-même. Ou alors la cellule est détruite par le système immunitaire, le système de défense de l’organisme, qui supervise les événements. En fait, le plus fréquemment, la cellule au gène modifié meurt d’elle-même. Dans chacun de ces cas, tout redevient conforme, et l’on n’en parle plus. Mais parfois aussi, l’oncogène devient complètement fou : l’accélérateur enfoncé à fond, la cellule se multiplie, se multiplie, se multiplie… Heureusement, d’autres gènes veillent au grain. D’ailleurs, on les appelle les anti-oncogènes, ou encore gènes suppresseurs de tumeur. Ces gènes bien nommés passent leur temps à superviser et à réguler tout cela : ils
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freinent les multiplications, s’arrangent pour éliminer les cellules qui auraient fait des leurs. Mais il arrive qu’ils aient la tête ailleurs, oubliant la besogne, ou mutent à leur tour. Le boulot n’est plus fait : la cellule peut continuer à se diviser tranquillement. Si le système immunitaire n’intervient pas et ne la détruit pas, la cellule se multiplie en conservant ces mutations. Parfois, oncogènes et anti-oncogènes lâchent en même temps. Accélérateur à fond et freins bloqués : inutile de décrire la situation. Les divisions sont lancées. Le système est alors vite débordé. Qu’une cellule franchement anormale échappe ainsi aux mécanismes de réparation et de contrôle, et un cancer apparaît.
Perte de contrôle Si la réparation ou l’élimination n’est pas effectuée, on passe à la deuxième étape. La cellule n’a plus qu’une envie : se multiplier. Cette multiplication peut se produire longtemps après la première étape, parfois plusieurs années après. Futée, la cellule s’arrange pour échapper aux mécanismes normaux qui contrôlent d’ordinaire la division. Comme l’accumulation de mutations a mis tout le mécanisme de contrôle hors service, elle ne se contient plus. C’est l’anarchie ! Elle se met à faire diverses bizarreries.
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En bref, elle devient folle. Elle n’obéit plus qu’à ellemême. Elle n’arrête plus de se multiplier, se multiplier, se multiplier… Comme une machine dont les freins ont lâché, elle s’emballe et devient incontrôlable. Elle oublie son destin de cellule et prolifère allègrement. Elle cesse de faire ce pour quoi elle était programmée. Elle rejette tout ce qu’elle a appris et néglige ce qu’elle a à faire. C’est pour cela que l’on peut dire que le cancer est une perte de contrôle du système de régulation de la cellule.
De la cellule à la tumeur À force de se multiplier, tout cela commence à faire un bon petit tas de cellules. Une petite boule se forme. La boule grossit peu à peu, tout doucement. Car tout cela prend du temps, beaucoup de temps. C’est une affaire d’années, le plus souvent. Les premiers amas de cellules sont plutôt inoffensifs. Il arrive même que le système immunitaire les détruise. Et l’on n’en parle plus. Mais parfois, hélas, le processus continue. Lorsqu’une cellule s’est multipliée grosso modo une trentaine de fois, on arrive à un milliard de cellules.
Quand tout commence…
De 1 cellule à… 1 cellule 2 4 8 16 32 64 128 256 512 1 024 2 048 4 096 8 192 16 384 32 768 65 536 131 072 262 144 524 288 1 048 576 2 097 152 4 194 304 8 388 608 16 777 216 33 554 432 67 108 864 134 217 728 268 435 456 536 870 912 1 073 741 824
30 multiplications
= 1 milliard
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Là, on commence à parler de tumeur. Cette tumeur de moins d’un centimètre commence à se voir avec des appareils spéciaux, ou à se sentir sous les doigts. Mais voilà que petit à petit, la tumeur veut prendre toute la place, gênant, bousculant, comprimant les organes voisins. Elle s’installe sans vergogne. Elle devient très dangereuse quand elle commence à prendre ses aises et à s’infiltrer chez ses voisins. Plutôt que de rester collées les unes aux autres, les cellules s’étendent vers les zones avoisinantes. Parfois, elles détruisent les cellules de l’organe chez lequel elles se sont infiltrées et, du coup, l’empêchent de fonctionner correctement. Il arrive même qu’elles fassent du détournement de nourriture : elles s’arrangent pour dérouter un vaisseau sanguin et s’y abreuver voracement. Ou alors, elles en fabriquent. Il existe des tumeurs non dangereuses, que l’on appelle bénignes. Parfois, on peut les confondre avec des tumeurs cancéreuses. Une tumeur bénigne ne grandit pas, ou alors, très, très doucement. Mais surtout, elle ne s’amuse pas à envahir ses voisins en s’infiltrant chez eux. Il faut néanmoins l’avoir à l’œil : il arrive qu’une tumeur bénigne finisse par devenir cancéreuse. Tout dépend de l’endroit où elle est située. Une tumeur bénigne de l’utérus par exemple ne se transforme qu’exceptionnellement en cancer, alors que c’est plus fréquent pour une tumeur bénigne installée sur l’intestin.
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Des cellules voyageuses Il arrive que certaines cellules se détachent de la tumeur et migrent dans une autre partie du corps. Pour cela, elles utilisent les canaux naturels qui transportent les fluides nécessaires à la vie : les artères et les veines où circule le sang, ou les vaisseaux lymphatiques qui véhiculent la lymphe, ce liquide présent dans tout l’organisme. C’est loin d’être simple pour ces cellules aventureuses. Les périls sont nombreux. Déjà, pour arriver jusque dans un vaisseau sanguin par exemple, il faut le perforer. Ensuite, la cellule se retrouve ballottée au gré des flux sanguins ou lymphatiques. Il lui faudra de la chance et une sacrée persévérance pour arriver à s’accrocher à un endroit où elle pourra se développer. Selon la tumeur d’origine dont elles proviennent, les cellules ne vont pas s’installer aux mêmes endroits. Par exemple, on retrouve plutôt les cellules d’un cancer du rectum dans le foie, les poumons ou les os. Arrivées à destination, elles s’installent et se développent. Toujours prises de la même envie folle de se multiplier, elles finissent par former une nouvelle tumeur. C’est cette nouvelle tumeur que l’on appelle métastase. Ce mot, qui vient lui aussi du grec, signifie tout simplement « changer de place ». C’est ainsi que se développe non un deuxième cancer, mais le même qui s’installe et colonise un autre endroit du corps. Le problème, c’est que ces cellules s’installent dans des endroits nullement prévus pour elles. Une cellule
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qui provient d’un cancer du sein par exemple sait faire du lait. Et quand elle colonise le foie, elle ne sait pas faire le travail des cellules du foie. Elle pourrait presque produire du lait. Mais ce n’est pas tout à fait la fonction du foie… De la même manière, une cellule d’un cancer de l’os installée dans un poumon fabrique… de l’os en plein milieu des cellules pulmonaires ! Toutes ces cellules prolifèrent aux dépens de l’organe où elles se sont établies, se servent à boire et à manger avant les autres, et finissent petit à petit par prendre toute la place si on ne les arrête pas.
Des cellules bien particulières À regarder de plus près, les cellules cancéreuses sont de bizarres cellules. Il arrive qu’elles ressemblent à des cellules normales, mais le plus souvent, elles n’ont pas franchement une bonne tête de cellule. D’abord, elles ont un gros noyau (et, parfois, plusieurs) et même pas de la même taille et de la même forme d’une cellule à l’autre. Ensuite, non seulement elles ont la grosse tête, mais elles ont une taille bien au-dessus de la moyenne, avec une membrane épaisse. Elles ne ressemblent plus guère à la cellule qui leur a donné naissance. Elles sont en outre dotées de capacités hors du commun. On a vu qu’elles savent se détacher de l’endroit où elles prospéraient pour partir à l’aventure vers d’autres régions du corps et qu’elles trouvaient le moyen
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de détourner des vaisseaux sanguins pour se nourrir. Comme elles sont les plus fortes, la sélection naturelle fait qu’elles gagnent petit à petit du terrain. Elles perdent toute mesure et, notamment, ce qu’on appelle l’inhibition de contact. Lorsque l’on se coupe, les cellules normales le savent et sentent qu’elles ne sont plus en contact avec leurs voisines. Elles se mettent alors à se diviser. Quand elles sont de nouveau en contact avec leurs homologues, la division cesse. Elles s’arrêtent quand la plaie est comblée. Les cellules cancéreuses, elles, ont perdu cette envie de s’arrêter quand elles touchent les autres. On l’observe très bien en laboratoire : des cellules de peau que l’on fait se diviser dans une boîte vont arrêter lorsqu’elles auront atteint les bords ; les cellules cancéreuses de peau n’en ont cure et continuent encore et encore à se multiplier. Ces cellules ont décidé de ne plus vieillir. Comment ? À cause de la défaillance des contrôleurs d’ADN. Dans les cellules normales, tout au bout des chromosomes, une petite partie est chargée de la vérification de l’ADN. On l’appelle le télomère. À chaque division, le télomère lit l’ADN, le vérifie, le mesure, l’entretient, le bichonne. Mais c’est un sacré boulot : à chaque fois, il y laisse un peu sa peau. En effet, lors de chaque contrôle, le télomère raccourcit. Au bout d’un certain nombre de divisions, il disparaît. Plus de mécanisme de contrôle : l’ADN se dégrade, la recette devient illisible, la cellule vieillit. Tout cela est parfaitement programmé. C’est ici que rentre en scène un gène particulier, le gène kamikaze dénommé p53. Celui-ci contrôle
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le contrôle. Tant que tout est normal, il ne bouge pas. Mais il reste sur ses gardes. Dès qu’il se rend compte de bizarreries dans les lettres de l’ADN, il comprend que le contrôleur a disparu et qu’il n’y a plus de vérification. Il prend le relais et fait alors son drôle de boulot : il organise le suicide de la cellule, ce qu’on appelle l’apoptose. Grâce à lui, les cellules dont la recette est mal transcrite meurent. C’est pourquoi on l’a dénommé le gardien du génome. De la longueur des télomères dépend donc la durée de vie de la cellule. Par exemple, une cellule du sein se divise environ une cinquantaine de fois, puis meurt. Une cellule de peau, dont le télomère est plus court, disparaît en deux jours. Mais la cellule cancéreuse est maligne : elle a trouvé le moyen de fabriquer à nouveau du télomère et elle s’est arrangée pour abîmer son gène suicide (p53). Elle peut donc se diviser éternellement. Elle est devenue immortelle. C’est la grande différence entre une cellule normale et une cellule cancéreuse : la cellule cancéreuse ne veut pas mourir. Complètement désinhibée et dotée d’extraordinaires capacités d’adaptation, elle ne pense qu’à se reproduire indéfiniment. Et c’est ainsi qu’elle colonise petit à petit le milieu dans lequel elle s’est installée.
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En général, suffisamment de cellules cancéreuses doivent s’être développées pour qu’on puisse les découvrir. Il faut en effet pouvoir les repérer. Lorsqu’une tumeur est décelable, elle pèse au moins un gramme. Mais le plus souvent, rien ne signale qu’une tumeur est en train de s’installer. Comme un cancer peut se développer n’importe où dans l’organisme, il n’y a pas de signe commun, voire, la plupart du temps, pas de signe du tout : un cancer est bien souvent découvert tout à fait par hasard. Et non seulement aucun signe n’est spécifique, mais en plus, lorsqu’il y en a, le plus fréquemment, ils ne font pas mal et sont très banals : ils peuvent correspondre à plein d’autres maladies.
Écouter, questionner et examiner Un diagnostic consiste à déterminer une maladie d’après des symptômes. Il repose sur une démarche qui, dans un premier temps, cherche à collecter différentes informa-
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tions en questionnant le patient : que ressent-il ? Depuis quand ? Est-ce régulier ? Y a-t-il eu des cancers dans la famille ?... Puis le médecin examine le corps du patient pour compléter les informations qu’il vient d’obtenir et tenter de découvrir d’autres choses. Il analyse ensuite tout cet ensemble d’éléments et, à partir de cela, il échafaude des hypothèses. C’est à ce moment-là qu’il peut demander à son patient de passer différents examens destinés à préciser, confirmer ou rejeter ses hypothèses. En effet, si certains symptômes ou une grosseur peuvent faire songer à un cancer, le médecin a un certain nombre d’examens à sa disposition pour le vérifier. Tout d’abord, des examens d’imagerie permettent d’observer ce qui se passe à l’intérieur du corps. Des examens de sang peuvent révéler si des substances que l’on sait produites par certaines cellules cancéreuses s’y trouvent. Parfois, il faut une opération chirurgicale pour aller voir ce qui se passe ; le but premier de cette intervention n’est alors pas de traiter le cancer, mais de déterminer ce dont il s’agit. Cette panoplie d’outils va guider le médecin pour établir un diagnostic et dire si l’anomalie qu’il perçoit est cancéreuse ou non. Sa démarche s’appuie sur des méthodes de raisonnement logique pour tenter d’identifier ce dont il s’agit. Il classe tous les symptômes qui lui sont accessibles. Ce n’est qu’ensuite, entouré d’une équipe de plusieurs spécialistes différents, qu’il pourra proposer un traitement adapté.
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Le diagnostic repose sur une démarche qui rassemble le maximum d’informations directement auprès du patient ou grâce à divers examens, puis confronte toutes les informations obtenues. Le médecin établit un diagnostic que l’on dit positif – il dit ce que c’est – ou un diagnostic différentiel – il compare les résultats obtenus et ses observations à d’autres maladies qui ont des symptômes communs, puis procède par élimination. Cette démarche diagnostique fait appel à des concepts mathématiques, comme les probabilités ou l’algèbre de Boole, ou encore d’autres techniques mathématiques de reconnaissance de formes, qui permettent d’envisager différentes maladies.
Des images Très souvent, l’un des premiers examens que le médecin demande lorsqu’il pense à un cancer, c’est un examen d’imagerie. Il peut paraître curieux de parler d’image pour le domaine médical. C’est pourtant tout à fait de cela dont il s’agit, même si finalement ce terme est utilisé depuis assez peu de temps : on le trouve dans les dictionnaires médicaux seulement depuis 1980… Ce qui ne veut pas dire pour autant que ces examens d’imagerie n’existaient pas auparavant.
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Ces dernières années, notre société de l’image a réussi à faire intrusion jusque dans le monde médical : l’imagerie s’y est développée de façon spectaculaire, notamment parce que l’informatique s’en est mêlée. Aujourd’hui, l’imagerie joue sans conteste un rôle central pour aider à établir des diagnostics.
La radio Tout a commencé à la fin du XIXe siècle avec un physicien allemand dont nous reparlerons, Wilhelm Conrad Rœntgen. Cet homme découvre par hasard la radiographie. Il fut le premier à voir l’intérieur du corps sans devoir l’ouvrir pour autant. Nul besoin de préciser l’énorme bond en avant que cela engendra pour connaître le corps humain et, notamment, pour repérer les tumeurs… Mais qu’est-ce donc que la radiographie ? C’est en fait une ombre chinoise. On envoie sur le corps des rayons, que Rœntgen avait appelés rayons X et qu’on a longtemps appelés aussi rayons Rœntgen. Lorsque les tissus sont mous comme les muscles, les rayons les traversent sans encombre. En revanche, lorsque les tissus sont plus compacts, ce qui est le cas des os par exemple, c’est plus difficile. Les rayons passent à travers le corps et arrivent sur une plaque photographique. Ils y dessinent une image sur laquelle les tissus mous apparaissent en zones sombres, tandis que ceux plus compacts qui n’ont pas pu être traversés se révèlent en zones claires. D’où le nom de radiographie, « graphie » (écriture) par les rayons.
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Ce type d’examen a pris un tel essor qu’en très peu de temps après sa découverte, il a fallu inventer de nouveaux termes avec le préfixe radio-. Une radiographie des poumons, qu’on appelle plus communément radio, a été longtemps obligatoire lors de toute embauche. Lorsque cela a été institué, c’était la tuberculose qui était recherchée de façon systématique. Désormais, on évite les radiographies trop répétées. Cependant, le problème est d’arriver à voir les zones molles comme l’estomac ou les intestins. On est donc obligé de faire avaler une bouillie spéciale (généralement franchement insipide !) ou d’injecter un produit qui circule dans les vaisseaux sanguins ou les reins par exemple pour mieux distinguer les choses. Ces produits rendent la zone opaque et, par conséquent, visible. Si, pendant longtemps, on a dû se limiter aux images obtenues par les rayons X de Rœntgen, cette radiographie, dite conventionnelle, est de plus en plus souvent remplacée ou complétée par d’autres techniques. Certaines emploient des ultrasons, d’autres encore la résonance magnétique des noyaux de l’atome, autre progrès fabuleux de l’histoire des examens médicaux. La radiographie conventionnelle reste néanmoins l’examen de base pour diagnostiquer beaucoup de cancers, comme ceux du sein. En effet, les images obtenues sont souvent nettes et suffisent pour bien distinguer les éventuelles anomalies. D’ailleurs, dans le cas du sein, ces radios portent un nom spécial puisqu’on parle de mammographies (souvent abrégé en mammos).
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Le scanner Dans les années 1920, un jeune médecin français, André Bocage, invente un procédé qui permet de prendre des radios du corps en tranches fines. Ce type de radiographie prendra le nom de tomographie (du grec tomo « coupure »). Vers la fin des années 1960, on utilise ces tranches de radios pour tenter de reconstruire des images en trois dimensions. Grâce aux Beatles… Godfrey Hounsfield est ingénieur spécialiste des radars au centre de recherche de la société britannique EMI, maison de disques des Beatles. La firme n’avait rien à voir avec le monde médical, mais grâce à l’argent que rapporte le groupe, elle élargit son champ de recherches. Godfrey Hounsfield met alors au point un appareil à rayons X (les mêmes que pour une radio) qui se déplace autour du crâne et réalise des images de tranches de cerveau. Des capteurs électroniques remplacent la plaque photographique utilisée lors des radiographies conventionnelles. Dénommé computed tomography en anglais, l’appareil devient scanner, du verbe anglais to scan « scruter », parfois doté d’un X pour souligner que l’appareil utilise des rayons X. On a parlé aussi de scanographe, mais la dénomination tend à disparaître. Si l’on souhaite faire sérieux, on peut aussi dire tomodensitomètre (à prononcer le plus rapidement possible…). D’ailleurs, le terme fait tellement savant qu’il est parfois abrégé en TDM. L’invention obtiendra un prix Nobel en 1979.
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Réservé au départ aux examens du crâne, le scanner va connaître une évolution qui permet, à partir des années 1980, d’examiner n’importe quelle partie du corps. Son principe est de projeter des rayons X dans toutes les directions, et de prendre des mesures de la façon dont ils traversent les tissus sous différents angles. Quand vous allez passer un scanner, vous vous allongez sur une table d’examen qui coulisse dans un gros anneau. Dans cet anneau tourne un émetteur de rayons X qui, à chaque passage, envoie les rayons. La table avance ensuite légèrement pour prendre de nouvelles images. Parfois, comme pour une radio traditionnelle, un produit de contraste est nécessaire pour bien distinguer ce que l’on souhaite voir. À partir de toutes les données obtenues, un ordinateur reconstruit mathématiquement une image de la partie de votre corps que l’on veut observer. On obtient une centaine de vues, que l’on peut regarder sur un écran d’ordinateur sous forme de coupes verticales, horizontales ou obliques, à sa convenance, ou encore sous forme d’images en trois dimensions. Les scanners – on en trouve aujourd’hui de différentes sortes – permettent de bien visualiser une tumeur dans un organe et parfois, comme dans le cas du cancer du poumon, de la repérer de façon précoce, ce qui permet de la traiter plus vite. Et comme ils situent précisément les différents organes les uns par rapport aux autres, on s’en sert parfois de guide pour contrôler un prélèvement. Ils peuvent être complétés par un autre examen, l’ima-
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gerie par résonance magnétique nucléaire, plus souvent dénommée IRM.
L’IRM Cette autre technique d’imagerie utilise une propriété particulière des atomes : l’imagerie par résonance magnétique, plus facilement appelée IRM, et qui, depuis 2003, a pris officiellement le nom de remnographie. Quelque temps après la Seconde Guerre mondiale, deux chercheurs américains travaillent sur le proton, un élément du noyau de l’atome. Ils observent son comportement lorsqu’ils le placent dans le champ d’un aimant. Ils s’aperçoivent alors qu’il s’oriente d’une certaine façon : il répond au champ magnétique. Autrement dit, il résonne (d’où le nom de résonance magnétique). En fait, il se comporte comme une boussole et se pointe dans la direction du champ magnétique : alors que la position des protons est aléatoire au départ, sous l’influence de l’aimant, ils se mettent au garde-à-vous, impeccablement parallèles. Cependant, lorsque le champ magnétique s’arrête, ils n’ont qu’une envie : revenir en position normale. Cette découverte sera couronnée par un prix Nobel en 1952. C’est de cette propriété que naît l’idée de faire des images : en repérant la façon dont les protons se comportent. Car pour revenir à leur état initial, ils dépensent de l’énergie et cette énergie est mesurable. Oh ! il ne s’agit
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que de quelques minuscules volts, mais suffisants pour être repérés. C’est donc cette énergie dépensée par le passage d’un état à un autre qu’on utilise pour obtenir une image. L’un des avantages, c’est que selon la molécule qui résonne, le signal que l’on obtient n’est pas le même. Les molécules d’un muscle ne résonnent pas de la même manière que celles de la graisse, par exemple, ce qui permet de les distinguer sur les images. La nature des tissus est donc détectable. Cette propriété se mesure sur les atomes d’hydrogène. Pourquoi ? D’abord parce que ces atomes n’ont qu’un seul proton : c’est donc plus simple. Ensuite, ils ont l’avantage d’être présents dans tout le corps humain, essentiellement sous forme d’eau. N’oublions pas que l’organisme est composé de presque trois quarts d’eau présente dans tous les tissus, dont les quantités varient d’un tissu à l’autre. Pour que la technique soit maîtrisée et utilisée dans les établissements hospitaliers, il faudra attendre les années 1980. Des ordinateurs rapides et puissants sont en effet nécessaires pour calculer les données et les exploiter. Surtout, il faudra quelques avancées technologiques pour construire les gros aimants creux en forme de tunnel, long d’un mètre cinquante et large d’une cinquantaine de centimètres, dans lequel s’allongent les patients pour passer une IRM. Cet énorme aimant émet un champ magnétique homogène très puissant (plusieurs dizaines de milliers de fois le champ magnétique terrestre). Ce champ
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aimante les noyaux d’hydrogène, mais pour éviter qu’ils ne se mettent à résonner tous ensemble, ce qui empêcherait de voir quoi que ce soit, on s’arrange pour faire résonner seulement ceux qui sont dans une coupe bien précise. Le médecin devant son ordinateur visualise les images obtenues soit en tranches très fines en deux dimensions, soit sur des photos en trois dimensions. Il peut changer les images grâce à d’autres champs magnétiques qui alignent les protons autrement : on recalcule l’énergie qu’ils dépensent pour revenir à leur état premier selon le même principe, et l’on obtient de nouvelles tranches. Cet examen dure en moyenne quarante-cinq minutes, le temps de faire des tranches successives. Si l’examen ne fait pas mal, il nécessite de rester complètement immobile à l’intérieur du tunnel, ce qui, même s’il est éclairé, est parfois difficile. De plus, le bruit de marteau piqueur que fait l’appareil peut être impressionnant. Quand ils sont proposés, les protections à installer sur les oreilles ou les casques pour écouter de la musique sont bien utiles. Si la personne est inquiète ou ne se sent pas bien, un interphone lui permet d’appeler à tout moment l’équipe médicale. Les images obtenues par IRM permettent de ne voir précisément que certains organes. Les tumeurs du cerveau et de la moelle épinière se distinguent très nettement avec cette technique. La précision des images permet aussi de contrôler si les traitements sont efficaces en examinant si la tumeur a diminué de taille ou a disparu.
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L’échographie Parfois, il n’est pas utile de passer par ces examens compliqués. Une simple échographie peut suffire à détecter ce que l’on souhaite voir. Sans risque et indolore, l’échographie est sans doute l’examen d’imagerie le plus connu, en tout cas, le plus pratiqué, puisque c’est lui qui permet de voir le fœtus dans le ventre de sa mère : actuellement, toutes les femmes françaises enceintes passent des échographies pour s’assurer que le développement de l’enfant se déroule normalement. Le principe de l’échographie est celui de l’écho, comme lorsque l’on crie en montagne. Ou celui du sonar, grâce auquel on repérait les sous-marins pendant la Seconde Guerre mondiale. On envoie des ultrasons, des vibrations qui ressemblent aux sons, mais d’une fréquence bien trop élevée pour être perçus par l’oreille humaine (cent fois plus). Ces ultrasons rebondissent sur les obstacles qu’ils rencontrent et là, provoquent un écho. L’écho est repérable grâce au temps qu’il met à être récupéré par la sonde qui à la fois émet les ultrasons et en reçoit l’écho. Il suffit de poser la sonde (qui ressemble à un gros crayon ou à un tube plat) là où l’on veut et de la déplacer en la faisant glisser sur le corps à l’aide d’un gel pour obtenir une image. Chaque écho est représenté par un point qui révèle qu’un tissu a été rencontré. Comme l’écho n’est pas le même selon les tissus, l’ensemble des points permet de
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visualiser les organes et leurs mouvements en temps réel. D’où le terme d’échographie, « écriture par l’écho ». Les premières utilisations des ultrasons en médecine datent du début des années 1950. Elles se sont complètement généralisées dans les années 1970. On s’est rendu compte que les ultrasons se propagent bien dans les liquides, ce qui permet de nettement visualiser le cœur, les organes génitaux, les seins, le foie, les reins, mais pas les os (qui ne les laissent pas pénétrer), ni les poumons (l’air absorbe les ultrasons et ne les réfléchit pas).
Les examens de médecine nucléaire Une autre méthode permet de repérer d’éventuelles tumeurs : utiliser des produits radioactifs que l’on suit à la trace. C’est d’ailleurs pour cela qu’on appelle ces produits traceurs ou marqueurs. La scintigraphie utilise les propriétés de ces traceurs, des atomes capables d’émettre des rayonnements particuliers, dits radioactifs. Nous reviendrons sur la radioactivité, car elle est aussi utilisée pour traiter les cancers lors des radiothérapies ; mais les rayonnements utilisés ne sont pas les mêmes. Lors d’une scintigraphie, on injecte dans une veine du patient la forme radioactive d’un élément habituellement utilisé par l’organisme. L’élément va se placer à l’endroit où il s’installe ordinairement dans l’organisme. Le plus souvent, le corps l’assimile en quelques minutes, mais il arrive qu’il faille attendre quelques jours, voire une semaine pour faire l’examen.
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L’élément injecté n’est pas le même selon l’organe que l’on souhaite regarder. Par exemple, pour examiner la thyroïde, on injecte de l’iode qu’utilise cette glande et qui va donc directement s’y fixer. L’élément administré émet un rayonnement très faible, mais suffisant pour être repéré par une caméra spéciale, une gamma caméra, du nom du rayonnement produit. La radioactivité est facile à mesurer et est traduite en images colorées sur un écran sous forme de multiples scintillations, d’où le terme de scintigraphie. L’une des propriétés de la radioactivité est de diminuer spontanément dans le temps. On ne peut donc mesurer cette radioactivité que pendant un temps limité, car après elle disparaît. S’il reste du produit, le patient l’élimine naturellement après l’examen, généralement en urinant. La scintigraphie permet de repérer un cancer, mais aussi de suivre son évolution. Elle est également utilisée au cours de certaines opérations : elle permet de vérifier que la totalité d’une tumeur dont les cellules ont capté un élément radioactif administré au préalable a bien été enlevée. Certains médecins sont spécialistes de médecine nucléaire. Près de deux cent cinquante services de médecine nucléaire existent actuellement en France, grâce auxquels on peut aujourd’hui examiner pratiquement l’ensemble du corps humain : cerveau, os, thyroïde, foie, reins, peau, etc. Une nouvelle technique d’imagerie médicale utilise ce principe : la tomographie par émission de positons,
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plus simplement abrégée en TEP. La TEP est une sorte de scanner, en mieux. La substance injectée est du fluor attaché à du glucose rendu radioactif. Souvenons-nous que les cellules cancéreuses se multiplient sans cesse. Or ces multiplications nécessitent beaucoup d’énergie. Les cellules cancéreuses consomment donc énormément de glucose par rapport aux cellules normales. C’est cette surconsommation que la TEP repère : elle allume sur l’écran les zones où le glucose est en train d’être consommé. Cette scintigraphie spécifique est tout particulièrement utilisée aujourd’hui en cancérologie car, grâce à elle, on repère très bien les cancers de la bouche, de l’œsophage, du côlon, du rectum, du poumon, ainsi que les cancers de la peau (les mélanomes) et les cancers de la lymphe (les lymphomes). En revanche, cela ne fonctionne pas pour les organes dont les cellules absorbent normalement beaucoup de glucose, comme le cerveau, car cela ne permet pas de distinguer les cellules malades des autres.
Multiplicité et complémentarité Depuis plus d’une dizaine d’années, les machines se sont de plus en plus diversifiées et perfectionnées, tout en se couplant à l’informatique et à l’électronique. Cela a entraîné d’énormes progrès en révélant l’anatomie et donc, d’éventuelles tumeurs. Dans le même temps, les
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instruments se sont miniaturisés, se laissant introduire dans l’intimité du corps et permettant d’obtenir des images de l’intérieur en trois dimensions. Aujourd’hui, la machine est devenue l’outil indispensable de l’aide au diagnostic. Le médecin explore les images que révèle l’informatique, chaque technique complémentaire offrant une représentation particulière à interpréter. Parfois, la relation patient-médecin s’en trouve un peu déshumanisée. Les chercheurs essaient actuellement de coupler différentes techniques pour récolter des informations de plus en plus complètes et précises. L’imagerie médicale est donc une médecine qui tend à devenir de plus en plus efficace et de moins en moins traumatisante. On arrive aujourd’hui à repérer des tumeurs de quelques millimètres et à diagnostiquer des tumeurs de plus en plus petites, et donc plus facilement guérissables. Tous ces appareils servent au diagnostic et à la prévention. Mais ils sont tout aussi utiles pour évaluer si un traitement est efficace et pour vérifier qu’un cancer diminue de taille par exemple, ou a complètement disparu. Ils peuvent également guider le médecin lors d’une intervention, que cette intervention vise à un diagnostic ou à un traitement. On parle alors d’imagerie interventionnelle. Un des problèmes actuellement réside dans le coût élevé des différents appareils et leurs contraintes techniques qui limitent leur développement et leur diffusion.
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La preuve S’ils permettent de repérer avec précision quelque chose d’anormal, ces examens, radiographie, scanner, IRM, scintigraphie, etc., n’autorisent pas à affirmer si ce qu’on distingue sur les images est réellement un cancer et non pas un autre type de tumeur tout à fait bénigne. Seule la TEP permet parfois de dire si c’est vraiment un cancer, voire s’il a émis des métastases ou si le traitement a fait diminuer la taille de la tumeur. Pour dire avec certitude qu’il s’agit d’un cancer, il faut examiner généralement au microscope les cellules ou les tissus de l’anomalie. Et pour ce faire, un prélèvement est nécessaire. Prélever une petite partie de l’endroit suspect et l’analyser au microscope est en effet le seul moyen de savoir ce dont il s’agit. À cette fin, différentes méthodes sont utilisées, en fonction de l’endroit où se situe l’anomalie. Une simple ponction à l’aide d’une aiguille peut suffire : on recueille du liquide ou un peu de cellules, qu’on examine ensuite au microscope. Cet examen s’appelle une cytologie, de cyto « cellule », et logie « étude ». Lorsque l’examen des seules cellules ne suffit pas pour déterminer quoi que ce soit, on effectue une biopsie, c’est-à-dire un prélèvement plus important pour obtenir du tissu. Ce prélèvement peut être effectué lors d’une endoscopie qui permet d’aller voir l’intérieur d’une cavité du corps comme les poumons ou l’estomac avec une sorte
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de périscope souple. On extrait alors une petite quantité de tissu directement dans la cavité. Parfois, on prélève un petit morceau de tissu en passant directement à travers la peau avec une grosse aiguille (un trocart) ou un appareillage spécial qui enlève une carotte de chair. Une anesthésie locale est le plus souvent effectuée. Une échographie ou un scanner peut guider le prélèvement. Lorsque la tumeur est installée profondément dans le corps, une opération chirurgicale est nécessaire. Là, le patient est endormi par une anesthésie générale, et le chirurgien enlève généralement s’il le peut toute l’anomalie. Il profite souvent de l’opération pour retirer en même temps les ganglions les plus proches de la tumeur afin de les examiner eux aussi et déterminer s’ils contiennent des cellules cancéreuses. Cela permettra de savoir si le cancer s’est étendu. Cet échantillon de tumeur est ensuite examiné au microscope. L’examen anatomopathologique (qu’on appelle plus facilement anapath) détermine si les tissus prélevés sont de nature cancéreuse ou non. Une grosse peau, des noyaux de différentes tailles, parfois même plusieurs, des formes inhabituelles : les cellules cancéreuses sont tellement bizarres par rapport aux cellules normales qu’on les repère sans problème. Les résultats semblent souvent bien longs à arriver… C’est seulement lorsqu’il en dispose que le médecin est sûr que l’anomalie découverte est un cancer ou non. Les examens d’imagerie procurent des informations de
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nature différente, mais c’est l’examen des tissus de la tumeur qui, au final, permet le diagnostic.
Repérées ? Dans l’ensemble des outils qui servent à déterminer le diagnostic, le médecin prescrit parfois des examens de sang. Mais il les réclame souvent après les autres examens lorsqu’il a une idée des traitements qu’il envisage pour son patient. Certaines cellules cancéreuses – mais pas toutes – produisent des substances particulières. Elles sont la marque d’une possible tumeur. On les appelle pour cette raison marqueurs tumoraux. On les retrouve dans la circulation sanguine. Pour les détecter, il suffit donc d’une analyse de sang. Mais si ce sont parfois de bons indices, les marqueurs tumoraux ne suffisent pas à eux seuls pour diagnostiquer un cancer, car ils sont rarement spécifiques. Cependant, quand on sait que c’est un cancer, ils peuvent permettre de préciser de quel type de cancer il s’agit.
Drôle de genre En effet, dès lors que l’on sait qu’il s’agit d’un cancer, les choses ne sont pas réglées pour autant. Le problème, c’est qu’aucun cancer n’est jamais exactement identique
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à un autre. Par exemple, toutes les cellules cancéreuses ne restent pas forcément collées les unes aux autres pour former une tumeur. Certaines cellules telles celles du sang s’y déplacent tranquillement comme dans le cas de la leucémie, un cancer du sang. Derrière le mot cancer, on peut mettre près de cent cinquante types différents. Et pour un même type de tumeur, un cancer du sein par exemple, les cellules peuvent ne pas se ressembler le moins du monde… En fonction de ce qu’on observe au microscope, on définit le grade du cancer, c’est-à-dire la façon dont les cellules cancéreuses diffèrent des cellules normales. Selon leur forme, la vitesse à laquelle elles grandissent et se multiplient et si elles sont susceptibles de se propager, le grade sera différent. Le grade est un système de classement microscopique des cellules cancéreuses, établi par rapport aux cellules normales selon leur apparence et la façon dont elles se comportent. Divers systèmes de classification existent selon les types de cancers (certains types de cancers n’ont pas ce système). On parle de bas ou de haut grade en fonction de leur place dans la classification. Un cancer de grade I est moins malin qu’un cancer de grade III. Selon leur place dans la classification, on sait que certains cancers sont peu envahissants ou se développent très lentement. Ils ne nécessitent pas de traitement, mais une simple surveillance. En revanche, les cancers susceptibles de s’étendre et d’envahir les zones voisines doivent être traités le plus rapidement possible.
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Les stades Avant de pouvoir se prononcer sur un traitement, un autre critère entre en jeu : le stade d’évolution. Selon la taille de la tumeur, la façon dont elle a envahi les tissus voisins, les métastases qui se sont éventuellement développées, le cancer peut être décrit en différents stades. Le stade d’un cancer indique en somme où en est le cancer. De nouveaux examens doivent parfois être mis en œuvre pour évaluer ce stade et établir un bilan diagnostique. Souvent, on parle de cancer in situ ou localisé pour dire que la tumeur est restée à l’endroit où elle a commencé à se développer. Lorsqu’elle passe les bornes et commence à envahir ses voisins, on parle de tumeur infiltrante. Lorsque les cellules ont migré et se sont installées ailleurs, on parle de cancer métastatique. Là encore, les médecins ont créé des classifications pour s’y retrouver. Cela leur permet d’adapter le traitement en fonction du stade du cancer. La classification la plus utilisée aujourd’hui est la classification TNM. Comme beaucoup de noms scientifiques aujourd’hui, TNM vient de l’anglais : c’est l’abréviation des lettres initiales de Tumor Node Metastasis (tumeur-ganglionmétastases). La première lettre T donne des indications de la taille de la tumeur, la lettre N indique si on a décelé des cellules cancéreuses dans les ganglions lymphatiques, et le M si on a décelé ou non des métastases dans d’autres endroits du corps. Par exemple, une tumeur classée T1 N0 M0 mesure moins de 2 centimètres, n’a pas dissé-
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miné de cellules dans les ganglions, ni envoyé de métastases dans d’autres organes.
L’annonce Bien souvent heureusement, tous ces examens montrent que l’anomalie suspecte n’est pas un cancer. Mais dès lors qu’ils ont révélé qu’il s’agit d’un cancer, il faut le dire au patient. Annoncer une telle nouvelle est sans doute l’une des tâches les plus difficiles qui soit donnée de faire à un médecin. Et lorsqu’on a subi ce terrible type d’annonce, pour soi-même ou pour un proche, on sait le poids terrible qui vous tombe d’un seul coup sur la tête et vous anéantit. La vie s’arrête, pour soi, pour sa famille, pour ses amis, pour tout son entourage. Il est arrivé que des médecins annoncent la nouvelle de façon un peu brutale, parfois même par téléphone. Les batailles ont été rudes pour dire combien cette façon de faire était insupportable. Depuis 1998, la Ligue contre le cancer a organisé plusieurs États généraux des malades atteints de cancer. Cette prise de parole des patients et de leur famille a permis de mettre en place un dispositif d’annonce dans tous les établissements de soins. Ce dispositif doit suivre un protocole bien particulier pour permettre au patient d’avoir les meilleures conditions possibles d’annonce du diagnostic ou d’une rechute.
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Le dispositif prévoit des temps de consultation avec d’autres professionnels : infirmières, soignants, psychologues ou psychiatres spécialisés, assistantes sociales, etc., pour se faire accompagner et expliquer ce qui lui arrive et ce qu’on va lui proposer de faire. Dans la majorité des cas, le médecin qui annonce le diagnostic n’est pas un spécialiste du cancer : c’est bien plus souvent un médecin généraliste, un médecin spécialiste ou un radiologue. Il doit envoyer ensuite son patient vers un médecin cancérologue ou un établissement de soins spécialisés.
Les différents traitements Tous les examens ont également pour objectif de déterminer le traitement le plus adapté en fonction de ce qu’on a trouvé. Il existe différents traitements contre le cancer que nous allons voir en détail dans les chapitres qui suivent. Quel que soit le traitement, l’objectif est de détruire toutes les cellules cancéreuses. Il est plus facile de traiter une tumeur restée à l’endroit où elle a commencé à se développer. S’il est nécessaire de prendre le temps de discuter des traitements pour choisir le meilleur possible, il faut éviter néanmoins de perdre trop de temps : la bataille est une course contre la montre, contre le développement des cellules cancéreuses et contre leur prolifération.
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Pour chaque personne dont on vient de découvrir un cancer, le traitement est soigneusement choisi. Le médecin n’est pas seul pour le choisir : toute une équipe composée de différents spécialistes se réunit en réunion de concertation pluridisciplinaire. De façon collégiale, ils étudient la situation particulière du patient et envisagent tous les traitements possibles. En fonction de ce que les examens ont mis en évidence, ils élaborent un plan de traitement. Ce plan porte depuis peu un nom bien précis : le programme personnalisé de soins ou PPS. Il est mis par écrit et remis au patient par le médecin avec lequel le patient a un contact plus particulier. Pour établir ce programme, les médecins se fondent sur les résultats d’études scientifiques. Ces études ont permis de faire le tri entre les traitements efficaces ou non, et de savoir dans quel ordre il valait mieux les faire. Une mesure du plan national contre le cancer, la mesure 35, vise à favoriser l’utilisation de recommandations de pratique clinique. Qu’est-ce donc que ces recommandations ? Un très grand nombre d’articles scientifiques paraissent régulièrement sur le cancer. Tous ces articles de recherche sont soigneusement étudiés et évalués. Sur ces bases sont élaborées et diffusées des recommandations destinées à guider les médecins dans leur choix des meilleurs examens et des meilleurs traitements pour leurs patients dans une situation donnée. Certaines recommandations sont des standards, c’est-à-dire que toutes les études scientifiques reconnaissent que c’est ce qu’il faut faire dans telle situation.
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Autrement dit, chaque personne atteinte d’un cancer doit pouvoir disposer des mêmes traitements validés scientifiquement. En fait, les choses sont un peu plus compliquées : selon la personne, son état de santé, son âge, son cancer, l’endroit atteint, les traitements ne sont pas les mêmes. Ainsi, une femme atteinte d’un cancer du sein et à laquelle on propose une radiothérapie avant une opération chirurgicale peut être surprise de découvrir que ce n’est pas du tout ce qui avait été proposé à l’une de ses amies qui, elle, avait subi une opération, puis une chimiothérapie. Car, le plus souvent, ce n’est pas un, mais des traitements qu’il faut envisager pour tenter de venir à bout des cellules cancéreuses. Cependant, il faut savoir que ce n’est pas parce que plusieurs traitements sont proposés que le cancer est grave… Tout dépend du cancer. Ce qui compte avant tout, c’est ce que le malade va préférer. Aujourd’hui, la personne malade doit pouvoir choisir en toute connaissance de cause les traitements dont elle va bénéficier. Par exemple, une femme atteinte d’un cancer du sein doit pouvoir choisir entre un traitement dit conservateur, c’est-à-dire qui ne supprime que la tumeur et conserve au maximum le sein, et une opération qui enlève tout le sein, mutilation qui peut sembler plus sûre dans un premier abord, mais tellement difficile à vivre. La décision est parfois impossible à prendre et la responsabilité peut sembler bien lourde. Quoi qu’il en soit, le patient doit être très bien informé pour pouvoir réellement faire un choix en toute connaissance de cause (ou ne pas choisir et laisser son médecin prendre la déci-
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sion pour lui) et évaluer l’impact de cette décision sur sa façon de vivre, ses valeurs, ses priorités, son histoire personnelle. Il faut savoir que la personne qui se découvre atteinte d’un cancer et à laquelle on propose un traitement doit se sentir libre de demander un autre avis médical.
Où se faire soigner ? L’annonce de la découverte d’un cancer est un moment terrible. Néanmoins, avant de s’engager dans des traitements souvent lourds et qui, parfois, s’étalent sur plusieurs mois, voire plusieurs années, il est nécessaire de prendre le temps de réfléchir à l’établissement où l’on va se faire soigner. On peut parler avec son médecin du lieu de soins le plus adapté à sa situation, songer à la distance : les trajets répétés sont parfois si fatigants… Il existe différents types d’établissements où l’on peut se faire traiter pour un cancer : cliniques privées, hôpitaux, CHU, centres régionaux de lutte contre le cancer, etc. En dehors de la proximité, peu importe le lieu en luimême : aujourd’hui, tous les établissements travaillent ensemble. Il arrive que des patients reçoivent un traitement dans un établissement et un autre dans un second s’il est doté d’équipements différents. Par exemple, tous les établissements de santé d’une ville ne peuvent disposer de machines de radiothérapie. Il est alors courant dans ce
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cas de faire une chimiothérapie dans un endroit, et une radiothérapie dans un autre. L’essentiel est que le médecin soit relié à un réseau de confrères cancérologues, ce qui lui permet d’être au courant des traitements standards. Il vaut mieux que le traitement puisse être discuté par une équipe pluridisciplinaire. Se faire traiter dans un établissement qui dispose de telles équipes est le gage d’être soigné le mieux possible.
Les traitements chirurgicaux
Dans l’ensemble des techniques dont les médecins disposent pour tenter de guérir une personne atteinte de cancer, la chirurgie occupe une place de choix. Cette technique consiste à intervenir directement là où ça se passe : au niveau de la tumeur. On l’enlève, histoire qu’elle ne s’amuse pas à aller envahir d’autres zones du corps. Le plus souvent, lorsque c’est possible, c’est le premier traitement envisagé pour traiter un cancer. C’est en général le traitement principal. Il faut bien reconnaître que cette technique est la plus efficace et qu’on lui doit bien des guérisons. Ce traitement est radical si la tumeur n’a pas essaimé dans d’autres régions du corps. Sinon, il faudra conjuguer d’autres traitements et s’aider de médicaments ou de rayons qui iront détruire les cellules cancéreuses là où elles se trouvent.
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Petite histoire du mot et de la chose Si l’on regarde le mot même de chirurgie, il semble bien qu’il ait fait son apparition en français à la fin du XIIe siècle sous la forme de cirurgie. Il faudra attendre le milieu du XIVe siècle pour l’entendre sous sa forme actuelle. Oh ! la chose n’est pas nouvelle : déjà en latin, on avait chirurgia, qui venait du grec kheirourgia « ouvrage manuel »… D’un point de vue étymologique, la chirurgie se définit donc par des soins prodigués à l’aide des mains. Le traitement est ancien… Il nous est revenu de l’époque préhistorique quelques morceaux de squelettes fossilisés qui témoignent que les hommes préhistoriques ont tenté sur leurs semblables quelques gestes chirurgicaux. Grâce aux marques de cicatrisation que l’on a repérées sur des os fossilisés, on peut affirmer sans trop se tromper que l’opéré a survécu. Mais on ne sait pas trop s’il s’agissait toujours de soigner… La chirurgie ne fut guère efficace pendant longtemps : il fallait faire avec une connaissance limitée de l’anatomie, des infections qui provoquaient des décès en nombre, sans parler des douleurs épouvantables que cette pratique entraînait ! Dans l’Antiquité, on savait réduire une fracture, ou enlever une flèche. Un fameux papyrus égyptien, le papyrus Smith, qui date du XVIIIe siècle avant Jésus-Christ, rapporte très minutieusement certaines techniques chirurgicales, et notamment des opérations de
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cancer du sein. Mais visiblement, le résultat laissait à désirer… Un médecin grec vivant au Ve siècle avant Jésus-Christ, Hippocrate, est généralement considéré comme le véritable créateur de la médecine. De fait, il transforma la discipline, qui relevait le plus souvent à l’époque de pratiques magiques ou divinatoires. Environ un dixième des écrits qui nous viendraient de lui est consacré à la chirurgie, qu’à cette période, on ne distinguait pas de la médecine. Sa pratique s’est développée en Inde, semble-t-il, au Ier siècle avant Jésus-Christ : des écoles proposent même un apprentissage sur les animaux. On garde d’ailleurs de cette époque le nom de lambeau indien pour réparer un nez amputé à l’aide d’un morceau de peau du front. Mais c’est surtout dans l’Empire romain que les pratiques chirurgicales se sont faites plus nombreuses. Il faut dire que les dégâts causés par les guerres et les jeux du cirque nécessitent quelques réparations ! Certains disent même que c’est Claude Galien, sans aucun doute le plus grand médecin de l’Antiquité après Hippocrate, qui donna son nom à la chirurgie. Médecin de l’école de gladiateurs à Pergame, quelques « volontaires » lui ont permis de perfectionner ses talents… Les nombreux ouvrages de Galien, très tôt traduits en arabe, vont d’ailleurs constituer pendant longtemps la base des connaissances médicales : ses principes seront appliqués pendant près de mille ans en Occident.
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Barbier, coiffeur ou alchimiste ? Le Moyen Âge ne sera guère propice au développement de la chirurgie. Il faut dire que, sous influence religieuse, c’est l’ensemble de la médecine qui stagne. Pour la tradition chrétienne, la maladie est une épreuve de Dieu. On s’adresse donc plutôt à ceux auxquels on prête quelques accointances surnaturelles : l’alchimiste ou l’astrologue, qui convoquent incantations et amulettes, onguents et pommades d’inspiration divine… ou satanique (qui valent alors à leurs auteurs de finir sur le bûcher !). Le médecin, généralement un clerc censé posséder la science, est souvent bien démuni. Les gestes chirurgicaux simples sont effectués par les coiffeurs-barbiers et s’il existe des barbiers-chirurgiens qui opèrent sous le contrôle des médecins, ils sont considérés comme de simples exécutants de rang inférieur dont la pratique relève plus de la barbarie que d’une science exacte ! C’est ce qui valut à la chirurgie d’être reléguée hors des rangs de la médecine et condamnée par l’Église. Les méthodes devaient en effet être bien cruelles pour que l’Église l’interdise lors du concile de Tours en 1163 sous prétexte que « L’Église abhorre le sang » (« Ecclesia abhorret a sanguine »). Au XIIe siècle, à la suite de quelques écoles italiennes, Montpellier voit néanmoins naître la première école française de chirurgie. Mais c’est sans conteste Guy de Chauliac qui peut être considéré comme le père de la chirurgie moderne. Son traité de chirurgie, Chirurgica
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Magna, publié en 1368, sera traduit et fera le tour de l’Europe. Il deviendra un classique du genre. La Renaissance voit la reprise des études anatomiques, abandonnées depuis plus de mille ans, et que Léonard de Vinci et André Vésale notamment font progresser en bousculant quelque peu les représentations issues de Galien. Rappelons à notre souvenir également Ambroise Paré, amené à exercer son art chirurgical sur les champs de bataille, où il s’y fit une si solide réputation qu’il devint chirurgien de plusieurs rois. Mais les progrès chirurgicaux vont stagner de nouveau pendant tout le XVIIe siècle. Il faudra une fistule anale (!) pour que la chirurgie revienne au premier plan. Louis XIV se résout en effet à faire appel à son chirurgien pour le guérir de cette fistule qui ose saper le fondement même de la monarchie… Et voilà le blason des chirurgiens redoré.
Toujours plus vite L’égalité entre chirurgiens et médecins finit par arriver, non sans péripéties et rebondissements en tous genres. Il faudra cependant attendre les années 1750. Le chirurgien parisien devient alors très en vogue : toute l’Europe accourt à Paris s’y faire opérer. Les guerres napoléoniennes font gagner une belle habileté aux chirurgiens qui amputent à tour de bras. Les délais sont fabuleux : un bras ou une jambe sont ôtés à leur propriétaire en moins de cinq minutes…
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Mais si la dextérité se fait plus grande, les infections continuent à provoquer des dégâts. Imaginez la scène : les chirurgiens arrivent en tenue de ville, dans des lieux plutôt insalubres. Auparavant, il n’est pas rare qu’ils aient vu maints autres malades, voire effectué une autopsie ou une dissection. Pas besoin de dire que les microbes pullulent. Se laver les mains serait saugrenu. Ajoutons à cela la promiscuité. Ce n’est guère étonnant que seul un petit quart d’opérés survivent… On peut même se demander par quel miracle cela arrive !
Une formidable révolution Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, on assiste à un bouleversement complet de la chirurgie. L’anesthésie modifie complètement les pratiques, tandis que la prévention contre les microbes va augmenter sans commune mesure le taux de survie. Avec la découverte de l’anesthésie, il y a un peu plus de cent cinquante ans maintenant, la chirurgie est complètement révolutionnée. On n’est plus obligé de taper sur la tête du malade pour l’opérer, ou de le faire boire jusqu’au coma éthylique. Le temps n’est plus compté pour opérer. Les opérations ne sont plus des séances de torture. Véritable révolution, on s’autorise alors à opérer à la chaîne ; les gestes ne doivent plus être seulement rapides et simples ; on peut faire les choses plus sereinement. C’est la fin de l’horreur.
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Curieusement, les produits qui vont permettre les premières anesthésies efficaces étaient déjà connus en dehors du champ médical. Le gaz hilarant amusait les foules dans les foires. C’est là d’ailleurs qu’il y sera déniché. Cependant, jusqu’après la Première Guerre mondiale, une anesthésie n’était pas sans danger. Il faudra des progrès à la fois dans les produits et dans leur mode d’administration. L’anesthésie devient une discipline médicale à part entière. Il faut bien reconnaître que les résultats restent alors pour le moins aléatoires. Si l’on peut opérer mieux, le nombre de morts à cette époque demeure au bout du compte plutôt important.
Des microbes dans l’air Ne comprenant pas bien les raisons de la mort de leurs patients, les chirurgiens n’imaginent pas que ce sont eux-mêmes qui l’apportent. À Vienne, juste avant 1850, un chirurgien et obstétricien hongrois, Semmelweis, a quelque idée d’une chose invisible qui transmet la fièvre. Il impose à tous ceux qui doivent toucher des femmes venant d’accoucher de se laver les mains à la chaux. Mais notre homme est dépourvu de tout appui social et politique : il échoue à imposer ses idées. C’est sans écho ! Le premier chirurgien à concevoir plus clairement ce qui se passe est un Anglais, Joseph Lister. À Paris, un
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chimiste, Louis Pasteur, a découvert la théorie des germes et a réussi à convaincre tant bien que mal savants et grand public que l’air véhicule des microbes. Cependant, si c’est le microbe qui est bien au cœur de cette affaire, Lister ne peut décemment pas faire bouillir ses opérés pour supprimer ces fameux germes déposés par l’air ! Il faut donc chercher à s’en débarrasser par des moyens plus adaptés… L’air transporte des germes à l’origine des infections ? Fort bien : filtrons-le. Pour cela, Lister a l’idée d’utiliser du phénol. Il a inventé le principe d’antisepsie : un nuage de phénol autour de la région opérée tue les germes et désinfecte l’air. Le tour est joué. Mais ce n’est pas tout de protéger l’opéré de l’air. Encore faut-il que les instruments dont on se sert soient eux aussi dépourvus de microbes. Pasteur y pense et préconise de passer préalablement à la chaleur tous les instruments, fils de suture, pansements, etc., pour tuer tous les germes. En bref, de les stériliser. L’asepsie est née.
Un perfectionnement Et c’est ainsi qu’être opéré devient moins dangereux que ne pas l’être. Tout au long du XXe siècle, techniques d’opération et structures évoluent. Une salle spéciale, le bloc opératoire, est peu à peu dévolue aux opérations. Une salle de stérilisation et une salle de réveil lui sont annexées.
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Pour opérer, le chirurgien se déshabille entièrement et se lave soigneusement les mains, tout comme les infirmières qui l’assistent. Ils se retrouvent dotés de gants, de calotte, de casaque et de « bavettes » stériles. Jusqu’aux chaussures, rien n’est laissé au hasard… Les instruments se perfectionnent. Progressivement, les voilà tous conditionnés en récipient stérile ou jetables après usage. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas sans poser quelques problèmes, car il faut bien ensuite éliminer la masse de déchets… Mais il ne s’agit pas seulement d’opérer. Il faut petit à petit intégrer les progrès de la médecine, de la physiologie, de la biologie, de la physique, de la chimie… La chirurgie va évoluer vers une approche plus globale de la maladie. Avant l’opération, le diagnostic doit être aussi précis que possible. Pendant l’opération, l’opéré est contrôlé constamment à l’aide d’appareillages de plus en plus perfectionnés. Après l’opération, son réveil est attentivement surveillé par l’anesthésiste. Le chirurgien s’entoure peu à peu d’une équipe médicochirurgicale qui comprend divers spécialistes. Lui-même se spécialise. On n’opère pas un cœur comme une vessie, le cerveau comme un poumon, un enfant comme un adulte. La chirurgie générale disparaît peu à peu. On en arrive aujourd’hui à la microchirurgie : à l’aide d’instruments très fins, on opère sous un microscope… ou à distance !
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Les premières opérations sur les cancers La chirurgie est le plus ancien traitement contre les cancers. Encore aujourd’hui, elle en guérit bien plus que les autres traitements. Si l’on songe à enlever les tumeurs cancéreuses, c’est que leur volume gêne le fonctionnement des organes proches, ou qu’elles finissent par s’ulcérer et s’infecter. Les premières mentions de l’ablation des tumeurs se trouvent dans le papyrus Smith que nous avons déjà évoqué. Mais s’il décrit quelques opérations de cancer du sein, il reste réservé sur le fait de les enlever. De même, Hippocrate ne fut guère convaincu de l’utilité d’infliger un tel traitement aux malades atteints de cancer au vu de la mortalité obtenue. Selon lui, il est bien plus raisonnable de ne pas traiter. Un autre papyrus, le papyrus Ebers, qui doit son nom à l’égyptologue allemand Georg Ebers qui l’a déchiffré, évoque ce type d’intervention. Dans ce document de 1 720 pages, vieux de 3 500 ans, on y fait la différence entre les tumeurs infectieuses qu’il faut inciser et les autres qu’il faut enlever. Mais c’est Galien qui, en observant la façon dont le cancer se développe en se ramifiant dans les tissus voisins, eut l’idée d’opérer en coupant largement autour de la tumeur pour enlever tout ce qui était visible. L’idée perdurera. On frémit cependant devant cette grande paire de ciseaux qui, au Moyen Âge, permettait de faire
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une mammectomie (autrement dit, une ablation du sein) des plus rapides…
Du local au global Pendant longtemps, le cancer fut considéré comme une maladie seulement locale. Au XIXe siècle, une discipline se développe et va faire évoluer les connaissances que l’on possède sur le cancer et, du même coup, les traitements à appliquer. C’est l’anatomopathologie. L’anatomopathologie, autrement dit l’observation des tissus malades au microscope, va bouleverser la vision du cancer. En mettant au point des techniques pour colorer les tissus et des façons de regarder au microscope, on se rend compte que le cancer, qu’on croyait jusque-là local, infiltre des tissus sains en apparence : on retrouve des cellules cancéreuses bien au-delà de la tumeur. Les chirurgiens avaient observé que lorsqu’une tumeur était présente dans un sein, il était fréquent que les ganglions situés sous le bras du même côté soient gonflés. L’analyse de ces ganglions au microscope va montrer qu’ils sont pleins de cellules du même genre que celles de la tumeur. Du même coup, l’évidence s’impose : puisque les ganglions sont gonflés de cellules cancéreuses, il est nécessaire de les ôter aussi. Et si la tumeur est attachée aux pectoraux, les muscles sur lesquels s’accroche le sein, il faut les enlever également.
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C’est ainsi que William Stuart Halsted, en 1880 à Boston, met au point sa théorie de l’évolution du cancer. Au début, une tumeur se développe dans le sein, par exemple. Cette tumeur grossit. Des cellules cancéreuses s’en détachent. Elles essaiment soit vers les muscles pectoraux, où elles pénètrent dans le sang grâce aux nombreux vaisseaux sanguins qui les irriguent, soit par les vaisseaux lymphatiques reliés au sein. Lorsqu’elles sont dans ces vaisseaux lymphatiques, elles se laissent guider jusqu’aux ganglions sous les bras. Là, les choses ne sont pas simples pour elles : les voici aux prises avec les globules blancs qui n’apprécient guère ces invitées imposées. Mais ceux-ci finissent par être débordés. Les cellules cancéreuses en profitent alors pour proliférer ailleurs. Le cancer, de régional, devient général. Halsted décide donc d’adapter le traitement à sa théorie. Puisque les femmes auxquelles on enlève seulement le sein ne guérissent pas, il faut leur enlever tout ce qui peut être atteint. Et c’est ainsi que Halsted met au point une opération qui consiste à ôter tout le sein (ce qu’on appelle une mammectomie ou, depuis les années 1970, une mastectomie), les ganglions situés sous les bras (une lymphadénectomie, dite aussi curage ganglionnaire) et les muscles de la poitrine. La première opération de ce type aura lieu en 1882. À l’époque, le bon chirurgien est donc celui qui en enlève au maximum pour éviter que le cancer revienne. Cette idée prévaudra jusque dans les années 1950.
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Une chirurgie mutilante Mais il s’avère que la survie est rarement au rendez-vous. Près des trois quarts des femmes opérées alors pour un cancer du sein meurent quoi qu’il arrive. S’il n’y a pas de métastases avant l’opération, la patiente a une chance. Sinon, c’est trop tard. L’idée qui prévaut est celle d’un diagnostic extrêmement précoce. C’est en tout cas la seule solution à cette époque. Quoi qu’il en soit, si ce type de chirurgie est parfois efficace, elle est le plus souvent affreusement mutilante. Lors d’un cancer du sein, l’ablation des ganglions sous le bras empêche la lymphe de circuler. En stagnant, celleci provoque un gros bras qui rend le bras difficilement utilisable. Un cancer des os débouche sur une amputation, voire la désarticulation de l’épaule ou de la hanche. Un cancer du rectum ou du côlon entraîne systématiquement la suppression de l’un ou de l’autre, et la mise en place d’une stomie, une ouverture sur le ventre qui fait office d’anus artificiel. Un cancer de la gorge vous dote à vie d’un trou pour respirer à la base du cou. Les séquelles sont terribles ; les conséquences psychologiques épouvantables. La mortalité reste en outre extrêmement forte. Finalement, on remet en cause l’idée que tout dépend du chirurgien et du fait qu’il ait tout enlevé. Le traitement régional ne suffit pas. C’est ainsi que le modèle d’évolution du cancer progresse peu à peu. Si cela ne suffit pas d’enlever la
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tumeur ou l’organe entier qui la contient, c’est qu’il se passe autre chose. On se rend compte que c’est la partie invisible qui donne ou non ses chances au malade. La question de l’ampleur de l’opération est alors soulevée. Pourquoi enlever autant si on obtient les mêmes résultats en faisant moins de dégâts ? Progressivement, on ne retire que la partie visible du cancer. La mastectomie, au cours de laquelle le sein entier était amputé, est remise en question. On lui préfère plus souvent la tumorectomie, où l’on n’enlève que la tumeur. De même, pourquoi enlever tous les ganglions et provoquer un gros bras, si on peut seulement en prélever un petit échantillon. Aujourd’hui, c’est juste le premier ganglion sur le chemin lymphatique qui est enlevé. D’ailleurs, on l’appelle le ganglion sentinelle. Si on n’y trouve pas de cellules cancéreuses, c’est qu’elles n’ont pas atteint les ganglions. Pourquoi dès lors les ôter ? Depuis les années 1980, on associe régulièrement la chirurgie à d’autres traitements, comme la radiothérapie ou la chimiothérapie. On s’aperçoit que pour une petite tumeur du sein par exemple, on obtient les mêmes résultats en n’enlevant que la tumeur et en faisant une radiothérapie. Cela ne diminue nullement la probabilité que les femmes ont de guérir et permet de respecter leur féminité.
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Une chirurgie qui trouve sa vraie place Petit à petit, le travail du chirurgien s’affine donc. Un grand nombre d’études scientifiques ont été menées et permettent de savoir ce qu’il faut faire et comment le faire au mieux, quel que soit l’endroit où est situé le cancer dans le corps. Cependant, chaque cancer étant différent, il est parfois difficile de savoir exactement avant l’opération ce que le chirurgien va faire. Généralement, son objectif est d’enlever la tumeur, et éventuellement les ganglions proches de l’organe atteint. Pour cela, après avoir soigneusement désinfecté la peau, il fait une incision avec un scalpel. Il écarte les tissus sains et va chercher la tumeur qu’il enlève avec beaucoup de précautions. Il examine la zone avoisinante, ôte les ganglions si besoin est, puis referme le tout soigneusement en suturant les deux côtés de la plaie. Parfois, il prélève simplement un peu de tissu dans une zone que l’on trouve douteuse : il enlève juste un petit bout de la partie suspecte et on l’analyse ensuite. Dans ce cas, la chirurgie n’a pas pour objectif de traiter, mais d’établir un diagnostic, de savoir si c’est un cancer ou non. Quand le médecin pense que c’est un cancer mais qu’il n’en est pas très sûr¸ le chirurgien peut n’en enlever qu’une partie et demander à ce qu’on l’analyse au microscope pendant l’opération. Pendant ce temps, le
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patient reste endormi. L’anatomopathologiste examine alors les fragments de tumeur au microscope, puis il transmet au chirurgien les résultats de ses observations. On appelle cela un examen extemporané, autrement dit un examen que l’on fait « sur-le-champ ». L’examen peut ainsi révéler une tumeur bénigne. Selon les résultats de l’analyse, le chirurgien adapte l’opération soit en réduisant au maximum la partie qu’il retire, soit, au contraire, en enlevant très largement autour de la tumeur, parfois jusqu’à l’organe entier. Choisir entre en enlever le moins possible pour laisser l’organe le moins abîmé possible (ce qu’on appelle une chirurgie conservatrice), et ôter complètement l’organe atteint, n’est pas toujours facile. Le chirurgien tient compte de l’endroit où est située la tumeur, de la façon dont elle se présente et de son patient. Un principe prévaut à chaque fois : enlever la tumeur avec une bonne marge de sécurité, c’est-à-dire enlever tout le cancer pour qu’il disparaisse complètement de l’organe atteint et ne se développe pas à nouveau. Aujourd’hui, il arrive que l’on puisse enlever une tumeur ou faire un prélèvement sur une zone douteuse en pratiquant de petites incisions par lesquelles le chirurgien fait passer des instruments très fins. Cela s’appelle une cœlioscopie. Bien moins traumatisante, une cœlioscopie a un grand avantage : la douleur est bien moindre après l’opération. Mais peu de cancers peuvent être traités ainsi, et tous les patients ne peuvent pas en bénéficier.
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Savoir ce qui va se passer Comme toute opération, une intervention chirurgicale pour un cancer comporte des risques dont le patient doit être informé. Aujourd’hui, aucun patient ne doit plus partir au bloc sans savoir ce qui va lui arriver. Auparavant, le chirurgien doit lui expliquer comment il va procéder. Il arrive que la zone à enlever ne puisse être délimitée que lorsque le chirurgien a pu voir la façon dont la tumeur s’était étendue. Mais même si le chirurgien ne sait pas toujours exactement ce qu’il va faire, il doit prévenir son patient des différentes possibilités qui peuvent se présenter. Pendant longtemps, ce ne fut pas le cas. Les patientes opérées d’un cancer du sein se retrouvaient sans sein après l’intervention sans avoir été prévenues ; d’autres opérés d’un cancer du rectum se réveillaient dotés d’une ouverture dans le ventre (une stomie) pour évacuer les selles qui ne pouvaient plus l’être par l’anus. De nos jours, le patient doit être préparé à toutes les éventualités avant l’opération.
Les effets secondaires Fatigue, douleurs, infections, cicatrices, amputations, les effets secondaires provoqués par une chirurgie sont parfois difficiles à vivre.
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Aujourd’hui, l’apparition d’infections est soigneusement surveillée. La fatigue doit être prise en charge. La douleur doit être traitée. Les cicatrices tentent de se faire les plus discrètes possible. Une chirurgie réparatrice est là pour pallier les séquelles esthétiques ou fonctionnelles. Parfois, ce n’est pas possible, mais parfois oui. Pour un cancer du sein par exemple, reconstruire le sein qui a été malade fait maintenant partie intégrante du traitement. Le traitement chirurgical est suffisamment traumatisant pour que la qualité de vie après une telle épreuve ne soit pas négligée.
La chirurgie au cœur des traitements Actuellement, la place de la chirurgie pour traiter une tumeur reste centrale. Mais le développement des autres traitements a complètement transformé les méthodes chirurgicales et a donné à la chirurgie sa vraie place. De l’idée d’une chirurgie toute puissante, on a évolué vers plus de respect de l’intégrité physique des opérés. Le chirurgien n’est plus seul. Non seulement tout un ensemble d’études scientifiques lui permettent de savoir ce qu’il est le plus judicieux de faire, mais il appartient à une équipe pluridisciplinaire. Son intervention entre dans une stratégie thérapeutique. L’opération est souvent inévitable pour enlever la tumeur et les ganglions proches de celle-ci s’ils sont
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atteints. Mais elle se situe à des moments variés dans le parcours de traitement du malade, tente d’être le moins mutilante possible et, bien souvent, d’autres traitements viennent prendre le relais.
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Un autre type de traitement n’est pas du tout apprécié des cellules cancéreuses : celui d’être soumises à une radiothérapie, autrement dit à des rayons très puissants.
La naissance de la radiothérapie L’histoire de la radiothérapie se confond avec celle de la physique du noyau de l’atome, la physique nucléaire. Cette histoire débute à la fin du XIXe siècle, à partir de deux découvertes qui vont mettre la physique en ébullition. L’évolution qui suit est presque aussi importante que celle qui, au XVIe siècle avec Copernic et Galilée, a remis la Terre à sa place, transformant du même coup notre vision du monde. Cette fois-ci, c’est le monde de l’infiniment petit qui est concerné. Ce bouleversement aboutit en effet à mieux connaître l’atome et à apprendre à l’exploiter dans différentes applications, notamment pour traiter les cancers.
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Revenons au 8 novembre 1895. Première étape : Wilhelm Conrad Rœntgen découvre un drôle de rayonnement. À cette époque, les rayons sont un thème d’étude que les physiciens aiment bien. Il faut dire que depuis trois cents ans, les physiciens tentent de comprendre l’électricité et qu’ils s’amusent depuis tout récemment à la faire passer dans des tubes un peu particuliers, des tubes de Crooks. C’est en faisant ce type d’expérience que Rœntgen découvre que de ce tube émane un rayonnement totalement inconnu. Du coup, il le baptise rayons X en référence à la variable mathématique x = inconnu. Cette dénomination aurait pu n’être que provisoire ; elle va lui rester. Et chose extraordinaire, ces étranges rayons se révélèrent capables d’impressionner le papier photographique. C’est comme cela que le 20 janvier 1896, des photos X de Mme Rœntgen sont présentées à l’Académie des sciences. Que le lecteur se rassure : ces photos montrent seulement les os de la main de cette honorable femme ! La radiographie est née. Pour la première fois, l’intérieur du corps humain se laisse dévoiler de l’extérieur. Nous avons vu combien la radiographie s’est révélée des plus utiles pour découvrir les cancers. Mais ces rayons vont également permettre de les traiter. Deuxième étape : un autre physicien, Henri Becquerel, s’intéresse à ce nouveau type de rayons et, par hasard, découvre lui aussi un autre rayonnement invisible. Celuici est différent des rayons X de Rœntgen. Marie Curie se saisit de l’affaire et commence à travailler sur les radia-
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tions actives, ces rayons doués d’une propriété particulière, qu’elle dénommera un peu plus tard radioactivité. À partir de là, tout va aller très vite. L’année suivante, en 1897, on comprend ce que sont les rayons X : des particules de lumière invisible plus ou moins puissante. Un an après, Pierre et Marie Curie découvrent le radium, un drôle de métal blanc qui émet naturellement des rayonnements. C’est une véritable épopée scientifique, avec ses difficultés, ses échecs et ses joies. Ces deux découvertes, les rayons X et la radioactivité, vont donner naissance aux traitements des cancers par les rayons. En effet, les longs temps de pose pour prendre une radio provoquent des brûlures, tout comme les rayons radioactifs. De là à imaginer qu’on pourrait s’en servir pour traiter des cancers, il n’y a qu’un pas.
Premiers essais Pierre Curie est l’un des premiers à penser que les rayons radioactifs peuvent être utilisés pour traiter les affections de la peau. Déjà en 1896, soit moins d’un an après la découverte des rayons X, un médecin allemand s’en était servi pour traiter un énorme grain de beauté qui recouvrait le dos d’une petite fille de cinq ans et qu’il fit ainsi disparaître. Pour sa part, Pierre Curie préfère servir luimême de cobaye. Après avoir placé du radium sur son bras pendant une dizaine d’heures, il constate dans les
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jours qui suivent une rougeur de plus en plus importante, comme si sa peau était brûlée. De son côté, Henri Becquerel oublie un tube de radium dans sa poche et se retrouve avec le même type de brûlure. L’idée vient alors d’utiliser le radium pour traiter des maladies de peau. On s’aperçoit que les rayons permettent de soigner une grande variété de maladies. Les premiers essais de traitement à l’aide de rayons – la radiothérapie – mettent le radium directement en contact avec la peau. Cependant, les premiers équipements sont peu performants : échecs des traitements, rechutes des cancers, et même nouveaux cancers provoqués par le traitement… Tout cela fait que la radiothérapie n’a guère le vent en poupe. Il faut attendre la fin de la Première Guerre mondiale. Un médecin, Claudius Regaud, se voit alors chargé par Marie Curie de travailler spécifiquement sur ce type de traitement. Cette collaboration permet d’établir les bases de la radiothérapie telle qu’elle se pratique encore aujourd’hui. Elle devient un vrai moyen de traiter le cancer. Les décennies suivantes verront des progrès notoires : les physiciens calculent des doses de plus en plus précises, tandis que les ingénieurs améliorent les appareils. Progressivement, la radiothérapie prend place aux côtés de la chirurgie comme traitement tout aussi efficace.
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Se radioprotéger Si les essais permettent des progrès, ils débouchent parfois sur des effets non souhaités. Dès 1905 survient le premier décès imputé directement aux rayonnements. La médecine doit apprendre à les maîtriser. Les physiciens du début du siècle le découvrent à leurs dépens : il est indispensable de se protéger des rayonnements. Les progrès en la matière vont être rapides, car les dégâts que peuvent provoquer les rayonnements deviennent vite évidents ! Dans les années 1930, on accumule les observations sur les effets négatifs des rayonnements. Marie Curie elle-même en meurt, rongée par des années d’exposition répétée aux rayonnements radioactifs et aux rayons X pendant la guerre de 14-18. Parallèlement, de grands progrès sont réalisés pour les mesurer. Émerge alors l’idée d’un seuil de dose tolérable pour l’individu. On apprend à se protéger à l’aide de tabliers de plomb et d’écrans spéciaux. Malgré cela, jusque dans les années 1960, les décès liés aux rayonnements parmi les personnes soignantes sans arrêt exposées à ces derniers ont été bien nombreux. On se rend compte que si on s’éloigne de la source, l’intensité des rayonnements diminue. Puis que les rayons sont arrêtés par différents types de matériaux : le béton, le plomb, etc. Pour certains, une simple feuille de papier suffit ! On en déduit un principe simple : enfermer les produits qui émettent ces rayons destructeurs pour s’en
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protéger. Il suffit donc de confiner les produits radioactifs dans des espaces bien clos pour éviter que les rayons n’aillent faire des dégâts là où on ne leur demande rien.
Le principe Quand on regarde d’un peu près ce qu’est un rayonnement, c’est en fait un paquet d’énergie. On dit parfois qu’il est ionisant. C’est parce qu’il provoque de sacrés chamboulements là où il passe. A priori, une molécule est neutre sur le plan électrique. Autrement dit, ses charges positives et ses charges négatives s’équilibrent. Cependant, certains rayonnements comme les rayons X sont capables d’arracher des charges électriques aux molécules qu’ils rencontrent et du coup, les déséquilibrent complètement d’un point de vue électrique. Lorsque ces rayonnements rencontrent des molécules d’eau que l’on trouve partout dans le corps, ils leur arrachent donc des charges électriques, et génèrent de petits morceaux de molécules chargées électriquement, des molécules déséquilibrées. Ces molécules déséquilibrées ont un nom bien particulier : on les appelle ions. C’est pour cela que l’on dit que les rayons sont ionisants : tout simplement parce qu’ils déséquilibrent les molécules, les transformant en ions. Seulement, la nature est ainsi faite qu’elle n’apprécie guère le désordre. Ces ions n’ont qu’une idée : réagir et
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chercher à rétablir leur équilibre perdu. Pour ce faire, ils vont tenter de voler la charge de n’importe quelle molécule qui passe. Les ions sont des hyperactifs. Ils ne prennent pas le temps d’aller bien loin pour se recharger : ils parent au plus pressé et attrapent sans vergogne tout ce qui est à leur portée : les membranes des cellules avoisinantes, les protéines, l’ADN, etc. Les dégâts les plus importants sont ceux qui sont faits à l’ADN. La cellule à laquelle s’est attaqué l’ion fonctionne alors beaucoup moins bien.
Le maillon faible On a vu que les cellules cancéreuses n’ont qu’une idée fixe : se diviser. Seulement voilà, quand elles se divisent, elles exposent leur ADN. Les ions présents à se momentlà n’hésitent pas à se saisir de l’occasion. Voilà pourquoi les cellules cancéreuses dépérissent si on les crible de rayons. Les ions attrapent leur ADN et l’abîment irrémédiablement. Irrémédiablement, car comme les cellules cancéreuses ne songent qu’à se diviser, elles ne prennent guère le temps de se réparer. Si les ions provoqués par les rayons réagissent très rapidement sur les molécules qu’ils rencontrent, les effets ne se voient pas pour autant aussi vite. Une fois son ADN abîmé, la cellule fonctionne tant bien que mal, mais continue à vivre. C’est seulement au moment où
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elle cherche à se multiplier que plus rien ne va aller. Ne pouvant se reproduire, elle meurt sans descendance. Une cellule abîmée meurt généralement dès qu’elle tente de se diviser. Il arrive qu’elle se divise quand même encore, mais toutes ses filles finissent par mourir. Et c’est ainsi que le cancer régresse peu à peu. Autrement dit, ce que font les rayons, c’est tout bonnement une stérilisation, c’est-à-dire qu’ils font perdre aux cellules la capacité de se reproduire. Du coup, il faut attendre un peu avant de mesurer les effets du traitement.
Les cellules saines Et les cellules saines dans tout cela, me direz-vous ? Quand on envoie des rayons, beaucoup d’entre eux atteignent les cellules normales. Il est difficile de les éviter, car un cancer, c’est souvent un imbroglio de cellules saines et de cellules cancéreuses. Et on ne sait pas encore éviter toutes les cellules saines qui sont sur le passage des rayons. Mais les cellules normales ont deux avantages. Et d’un, elles sont bien plus costaudes : elles savent se réparer plus facilement. Et de deux, elles ne pensent pas qu’à se diviser. À un moment donné, il y a toujours plus de cellules cancéreuses en train de se diviser que de cellules saines. Ces dernières sont certes abîmées, mais moins que les
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cellules cancéreuses, qui sont plus exposées. L’ADN des cellules saines est donc moins atteint puisqu’elles se divisent moins. Et s’il est abîmé, tant qu’elles ne se divisent pas, rien ne transparaît. Il ne faudrait pas croire pour autant que les cellules saines soient moins sensibles aux rayons que les cellules cancéreuses. C’est pour cela que l’on tente au maximum de les éviter lorsque cela est possible, et qu’on laisse le temps entre chaque séance à celles qui n’ont pas pu être préservées de se remettre.
La bonne dose Pour détruire les cellules cancéreuses sans trop abîmer les autres, il faut leur mettre toute la dose en évitant au maximum les cellules saines voisines. Une discipline bien spécifique, la dosimétrie, détermine ainsi très soigneusement les doses pour chaque tumeur. Les doses sont mesurées en gray, du nom d’un physicien anglais. Une dose correspond à une certaine quantité d’énergie qui va créer des ions. Certaines cellules de certains organes sont plus sensibles aux rayons que d’autres. En fonction de l’endroit où est située la tumeur, on calcule donc pour chaque cancer la dose suffisante pour tuer les cellules cancéreuses, en épargnant au mieux les cellules saines à proximité. Et comme chaque cancer est différent, ces doses sont recalculées pour chaque patient.
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On s’est rendu compte que plus la dose est élevée, plus les cellules meurent. On a étudié le type de rayonnement et la quantité maximale que l’on peut envoyer sur chaque organe pour ne pas abîmer définitivement les cellules saines alentour. Des doses bien spécifiques ont été établies de telle sorte qu’elles laissent aux cellules saines le temps de se refaire une santé. On a ainsi dressé une carte des doses à ne pas dépasser. Autre solution pour éviter d’irradier les tissus sains : déplacer des organes pour envoyer les rayons tranquillement là où on veut. On peut pousser des ovaires pour faire une radiothérapie de l’utérus, par exemple, et éviter ainsi de rendre une femme stérile. En revanche, difficile de bouger la moelle épinière dans une colonne vertébrale… C’est là que les choses peuvent se compliquer, car on ne peut donner la dose suffisante pour tuer toutes les cellules cancéreuses sous peine de rendre le malade paralysé ! Il faut quand même respecter un principe : le bénéfice apporté doit être supérieur aux risques encourus et aux effets néfastes provoqués !
De la puissance… à petites doses On a regardé s’il valait mieux envoyer une grosse dose de rayons en une seule fois, ou plusieurs petites doses plus ou moins espacées dans le temps. On a constaté que de toutes petites doses étaient plus efficaces et qu’il valait
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mieux étaler le traitement en plusieurs séances jusqu’à ce que la dose totale suffisante soit atteinte. Cela s’explique. Souvenons-nous que la cellule cancéreuse passe son temps à se diviser en exposant son ADN. En temps habituel, elle dispose de tout un arsenal de défense. Mais si on la bombarde de rayons tous les jours, là il est submergé ! Les anomalies n’ont pas le temps d’être corrigées et les cellules finissent par mourir. Les séances de radiothérapie sont donc étalées dans le temps : un peu tous les jours vaut mieux que tout en une seule fois.
Là où il faut Le problème a longtemps été de traiter des cancers situés profondément dans le corps. Il faut que les rayons soient capables de pénétrer loin dans les tissus. Et là, tout dépend de la puissance du rayonnement. S’il est faible, il n’ira pas bien loin. Il cumulera ses effets en surface et brûlera la peau. C’est ce qui s’est passé lors des premières radiothérapies au cours desquelles les brûlures étaient si fréquentes. En revanche, si le rayon est puissant, il ira loin. Il traversera la peau, les muscles et pénétrera à l’intérieur du corps, y produisant ses effets ionisants destructeurs. Aujourd’hui, on sait parfaitement calculer la distance que le rayonnement parcourt en fonction de sa puissance. Mieux : on a soigneusement étudié toutes les doses et
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leurs effets selon les organes et les tissus sur lesquels on envoie les rayons. En étudiant les effets sur les différents organes, on a donc peu à peu appris à aménager le traitement.
La radiothérapie et ses drôles de machines Lorsque l’on a commencé à utiliser les rayons pour traiter les cancers, on utilisait les mêmes machines pour produire des rayons X que celles qui servaient à faire des radios. Jusque dans les années 1960, les machines de radiothérapie envoyaient des rayons X de forte énergie (environ 200 000 électronvolts). On se servait de matériaux radioactifs disponibles dans la nature ou, plus tard, créés artificiellement. Mais ces derniers sont très dangereux à manipuler, puisque au passage ils émettent des rayonnements sur tout ce qui est à leur portée si ce n’est pas protégé. Les premiers vrais progrès sont faits à partir des années 1950, lorsque l’on se met à utiliser du cobalt radioactif. On nomme cette technique cobalthérapie. On parle même de bombe au cobalt. Les rayons produits par le cobalt sont très puissants et permettent d’atteindre des cancers situés plus profondément dans le corps.
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À la même époque apparurent les accélérateurs de particules. Un accélérateur de particules, comme son nom l’indique, accélère des faisceaux de particules : électrons, protons, etc. En fait, c’est un tube dans lequel des particules chargées électriquement émises par une source sont projetées sur une cible grâce à un champ électrique. Du coup, les rayons produits sont très, très puissants puisqu’ils sont accélérés. Ces accélérateurs portent parfois de drôles de noms, comme le bêtatron, du nom des particules qu’il accélère : les particules bêta. En fin de course, cet appareil fournit des électrons et des rayons X. C’est un accélérateur circulaire, car les particules y sont accélérées en rond. Ce type d’accélérateur a été remplacé par des accélérateurs linéaires, dénommés ainsi du fait que les particules y sont accélérées en ligne droite. L’avantage des accélérateurs de particules, c’est qu’ils n’émettent de rayonnements que lorsqu’on les branche. Et ils n’utilisent plus de produits radioactifs. On fait passer de l’électricité, et le tour est joué. Quand on débranche, l’émission de rayons s’arrête. C’est donc beaucoup moins dangereux. L’arsenal de machines dont disposent aujourd’hui les radiothérapeutes est de plus en plus perfectionné et précis. Les accélérateurs permettent d’envoyer les rayonnements avec la puissance voulue. En jouant avec le champ électrique, on peut régler la puissance dont on a besoin : les rayons arrivent à avoir une énergie de plusieurs millions d’électronvolts…
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À l’ère de l’informatique On sait maintenant envoyer très précisément les rayons là où on en a besoin. Autrement dit, on a amélioré la balistique. Aidé des ordinateurs, on est capable de savoir exactement où on tire et de maîtriser le tir. Grâce aux scanners, on obtient des images très détaillées des différents organes et de la tumeur. Cela permet de bien déterminer le champ d’irradiation, c’est-à-dire de savoir très exactement où et sur quoi on dirige les rayons. Le couplage ordinateur-scanner permet ainsi d’être extrêmement précis et d’envoyer des rayons à la bonne place, à la bonne profondeur avec la bonne énergie. Les différentes quantités de rayons à diriger sur la tumeur sont calculées en prenant en compte le chemin qu’ils ont à parcourir. Ce couplage a permis un autre progrès : ne plus faire arriver les rayons d’un seul côté, mais multiplier les faisceaux et irradier la tumeur selon plusieurs directions. Cela présente un grand avantage : comme la dose est fractionnée, les différents faisceaux qui traversent les parties du corps saines sont très faibles ; ils abîment donc moins les tissus qu’ils traversent. Du coup, la dose destructrice n’arrive que sur ce qu’on dénomme le volume-cible, c’est-à-dire là où on lui demande d’être efficace. C’est ce qu’on appelle la radiothérapie conformationnelle, autrement dit qui se conforme, s’adapte exactement au volume de la tumeur. Cette radiothérapie en trois dimensions est la plus répandue depuis les années
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1990. Il faut dire qu’elle cumule les avantages en évitant les dégâts collatéraux et en s’acharnant là où il faut, et seulement là, avec une très grande précision. C’est le cas aussi d’un type d’accélérateur qui utilise les protons comme rayons, une autre particule située au cœur du noyau de l’atome. Les protons ont un avantage : ils parcourent toujours la même distance et ils ne lâchent leur énergie qu’en fin de parcours. En calculant la longueur de leur chemin, on les arrête exactement là où on veut. Ils peuvent alors prendre exactement la forme de la tumeur. Ils permettent donc d’irradier ce que l’on souhaite avec une dose élevée tout en épargnant les tissus voisins. On appelle cette technique la protonthérapie. Certains accélérateurs couplés à des programmes informatiques extrêmement perfectionnés permettent aujourd’hui de voir en temps réel la zone à traiter pour parfaitement la cibler et même déceler les mouvements à l’intérieur du corps… Quelle que soit la technique utilisée, l’idée est d’aller toujours vers plus de précision afin d’allier efficacité et sauvegarde des tissus sains.
Une préparation minutieuse Quel que soit l’appareil employé, un traitement par des rayons nécessite un certain nombre d’étapes préalables. Dans un premier temps, on repère soigneusement l’endroit exact où se situe la tumeur et on regarde les
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tissus qui sont aux alentours. Pour ce faire, une radio ou un scanner est souvent nécessaire. Ensuite, on fait semblant de faire le traitement : les manipulateurs de radiothérapie placent le patient d’une certaine manière. Il devra reprendre cette position lors du vrai traitement. Il est parfois nécessaire d’utiliser des moules spécialement confectionnés pour lui afin qu’il se positionne bien, ou des caches de plomb pour protéger certaines parties du corps. Quelquefois, on dessine ou on tatoue de petits points de repère sur le corps pour bien repérer la zone sur laquelle les rayons vont être envoyés. L’orientation et la puissance des rayons sont ensuite soigneusement déterminées, de telle sorte que seule la tumeur soit irradiée et que les organes sains voisins soient épargnés au mieux. Des radios de contrôle sont prises pour vérifier que tout est bien conforme au millimètre près. Le médecin radiothérapeute calcule minutieusement la dose qui va être nécessaire et la façon dont il va la répartir dans le temps, en fonction de la tumeur et de l’endroit où elle est située. Il regarde ce qui risque de se passer au niveau des organes proches en maintenant une dose suffisamment efficace pour tuer la tumeur, mais la plus basse possible pour épargner au mieux les tissus sains qui vont être atteints. Il essaie de minimiser les effets nocifs sur les cellules saines en calculant le parcours des faisceaux de rayons et leur intensité. À partir de là, il décide du nombre de séances de radiothérapie nécessaires. En général, elles durent de quatre à six semaines.
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Quand arrive le traitement proprement dit, tout est vérifié à nouveau. Le patient est installé dans la même position. Puis les machines se mettent à tourner autour de lui, envoyant très précisément leurs rayons invisibles sur la tumeur. Le patient doit alors éviter tout mouvement. Les rayons ne sont pas douloureux. La séance en ellemême est très courte : elle dure à peine un quart d’heure. Souvent, le plus long est d’attendre dans la salle d’attente qu’arrive son tour…
Directement sur place Un autre moyen de traiter les cancers à l’aide de rayons est de mettre en place directement le produit radioactif là où il faut agir. C’est ce qu’on appelle une curiethérapie, du nom de Marie et Pierre Curie, que les Américains désignent du nom plus barbare de brachythérapie. Une curiethérapie consiste à appliquer directement des produits radioactifs au contact des cellules cancéreuses soit à l’intérieur d’une cavité du corps (l’utérus, par exemple), soit directement dans l’organe concerné (comme dans la prostate). Ce traitement est né très tôt après la découverte de la radioactivité puisque dès que l’on a pris conscience que les rayons du radium brûlaient la peau, on a pensé à le mettre en contact avec les cancers quand ils sont accessibles. Ce fut d’ailleurs le tout premier traitement de radiothérapie.
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Les premières curiethérapies traitaient ainsi des cancers de l’utérus avec des aiguilles au radium. Après la Seconde Guerre mondiale, d’autres éléments radioactifs comme l’iridium ou le césium, bien plus faciles à manipuler, seront utilisés.
Traiter de l’intérieur Comment s’y prend-on ? On pose des aiguilles fines comme des fils ou des grains de la taille d’un grain de riz juste à l’endroit de la tumeur. Soit les aiguilles ou les grains sont laissés en place le temps nécessaire, puis enlevés, soit ils sont posés de façon permanente. Tout dépend de l’élément radioactif que l’on utilise et de l’endroit où on les installe. Utilisée pour traiter des cancers de la prostate dès les années 1920, la technique s’est améliorée et s’est répandue en France dans les années 1970. Mais c’est surtout à partir des années 1980 que furent utilisés des produits radioactifs laissés de façon permanente. Ce qui ne veut pas dire que leur radioactivité est permanente : la radioactivité décroît avec le temps, donc elle finit par disparaître au bout d’un moment. Quand le produit a terminé d’émettre des rayonnements, rien ne s’oppose à ce qu’il reste en place. Le principal avantage de ce type de radiothérapie, c’est que les rayons arrivent de l’intérieur, directement
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au niveau de la tumeur. Comme ils ne traversent pas de tissus sains, ils n’abîment rien sur leur passage. Cette fois, le traitement n’est plus fractionné en petites doses, mais agit pendant une certaine durée. Cette méthode utilise non plus de fortes doses comme avec les machines, mais au contraire, de faibles doses continues. Et ça marche très bien. Aujourd’hui, on sait aussi administrer un produit radioactif qui s’accumule dans certaines cellules bien ciblées. C’est comme cela que certains cancers de la thyroïde sont traités. La thyroïde aime tout particulièrement l’iode. On fait donc avaler au patient de l’iode radioactif qui va se fixer sur la thyroïde et, de là, émettre tranquillement ses rayons destructeurs sur la tumeur.
Effets indésirables Le gros problème, c’est de protéger au maximum les organes sains tout en appliquant la dose maximale pour stériliser les cellules cancéreuses. Malheureusement, les cellules voisines de la cible ont parfois bien du mal à être épargnées. Les techniques s’améliorant, les effets secondaires sont désormais plus supportables. Le plus souvent, les effets secondaires d’une radiothérapie sont moins difficiles à supporter que ceux d’une chimiothérapie. Généralement, le patient n’est pas hospitalisé. Il doit faire des allers-retours tous les jours. Ces trajets, accom-
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pagnés de stress et d’angoisse, auxquels s’ajoute l’attente, génèrent fréquemment une grande fatigue. Quelqu’un qui subit une radiothérapie ne devient pas pour autant radioactif, sauf dans le cas de certaines curiethérapies. Il suffit alors de prendre quelques précautions, comme éviter de s’approcher tout près des femmes enceintes et des enfants, plus sensibles aux rayonnements. Cela est temporaire, puisque la radioactivité finit par disparaître. Les problèmes liés à une radiothérapie sont curieux parce qu’ils peuvent se développer après le traitement. Les cancers provoqués par une radiothérapie sont devenus extrêmement rares. À long terme, parfois plus de six mois après le traitement, des douleurs peuvent se manifester, la peau perdre sa souplesse. Il reste les effets « coups de soleil » qui peuvent apparaître de façon transitoire, parfois à long terme, liés à la brûlure de la peau. Mais la peau brûlée qui se transforme en carton, qui devient marron et épaisse, se fait heureusement plus rare. Le plus souvent, une rougeur de la peau apparaît après deux semaines de traitement. Cette rougeur est variable selon la sensibilité de la peau. Puis cette dernière se met à peler comme après un coup de soleil, et la rougeur disparaît. Les effets secondaires dépendent de la zone sur laquelle les rayons sont envoyés. Ainsi, ils peuvent provoquer des problèmes de stérilité chez l’homme ou chez la femme : les organes sexuels comme les ovaires ou les testicules contiennent des cellules qui se reproduisent beaucoup, ce qui explique qu’ils soient sensibles aux rayons. C’est
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pourquoi les personnes qui souhaitent avoir des enfants après leur traitement doivent le signaler à leur médecin. De la même façon, une femme ne doit pas être enceinte pendant une radiothérapie, car les rayons peuvent provoquer des malformations chez l’enfant. A priori, une radiothérapie ne provoque ni nausées ni chute de cheveux, sauf si les rayons ont été envoyés au niveau du ventre ou sur la tête. Si des inflammations au niveau du nez, de la bouche, de la gorge, de l’œsophage, de l’estomac, des intestins, du rectum ou de l’anus apparaissent, il faut en parler : des médicaments existent et peuvent soulager les douleurs qu’elles occasionnent. Même la fatigue, cette fatigue si prenante, doit être signalée, car elle peut être le signe d’autres problèmes. Tous les effets secondaires dépendent de la dose délivrée et de la zone irradiée. Mais ils dépendent aussi de chaque patient et de chaque cancer, car on s’est rendu compte que chacun réagissait différemment.
Associés Il existe en effet bien des types de cancers. Tous ne sont pas traités par radiothérapie, et une radiothérapie n’est pas toujours proposée au même moment pour tous les patients. De nos jours, la radiothérapie permet de guérir plus de la moitié des cancers. Parfois, c’est le seul traitement. Parfois un autre lui est associé. Non pas parce que le
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cancer est plus grave qu’un autre, mais parce que l’association est plus adaptée pour éliminer ce cancer-là. Il ne s’agit pas de rivaliser entre professionnels, mais de collaborer pour guérir. Chirurgiens et radiothérapeutes se succèdent et se répartissent les rôles. Dans certains cas, le chirurgien enlève la tumeur et le radiothérapeute nettoie ensuite la zone pour être sûr qu’il ne reste pas de cellules cancéreuses. D’autres fois, le radiothérapeute traite la tumeur qui va alors diminuer de taille, ce qui facilite ensuite le travail du chirurgien. On sait même aujourd’hui rendre les cellules cancéreuses encore plus vulnérables aux rayons grâce à des médicaments. L’idée, c’est que si on abîme l’ADN des cellules avec des médicaments, l’effet des rayons sera encore plus efficace. Les cellules cancéreuses sont en effet sensibles à certains médicaments. Là entre en scène un nouvel acteur : le chimiothérapeute.
La chimiothérapie
Tout soin à base de médicaments est une chimiothérapie puisque, d’un point de vue étymologique, une chimiothérapie est un traitement à l’aide de substances chimiques. Le terme a été créé au tout début du XXe siècle pour évoquer l’utilisation de médicaments contre les infections. Mais, de nos jours, son sens s’est restreint et le terme est essentiellement employé pour parler d’un traitement particulier contre le cancer qui, précisément, utilise des produits chimiques.
1943. Le calme du soir baigne toute la baie de Naples. Un vrombissement sourd remplit doucement l’air. Les avions de la Luftwaffe ! Ils lancent leur attaque sur les navires de l’US Navy, tranquillement arrimés dans le port. Dans les soutes de l’un d’eux, une cargaison de bombes au gaz moutarde. Tout explose ! 1947. Un médecin américain publie ses observations menées pendant la guerre alors qu’il soignait les matelots
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rescapés de l’attaque de la baie de Naples. Il y consigne un fait étrange : tous les globules blancs des soldats atteints semblaient avoir disparu… Si le gaz moutarde attaque les globules blancs, pourquoi ne pas l’essayer contre les globules blancs anormaux qui prolifèrent et envahissent tout lors des leucémies, ces cancers du sang ? Cette idée rejoint d’autres observations menées à cette période sur des souris leucémiques, guéries par ce gaz. Ce gaz est pourtant redoutable : il est responsable à lui seul de la mort de 400 000 soldats lors de la Première Guerre mondiale. Mais, retournement de situation : il devient une arme possible contre le cancer. On a découvert que l’on pouvait utiliser des substances toxiques pour détruire les cellules cancéreuses. Dès lors, on se met activement à chercher d’autres produits susceptibles de devenir à leur tour des armes chimiques de destruction massive. Objectif : détruire les cellules cancéreuses ou, à tout le moins, les empêcher de se multiplier ; cela suffit parfois pour qu’elles cessent de nuire. Certes, quelques médicaments avaient déjà été testés auparavant pour tenter d’enrayer leur prolifération, mais sans grand succès…
Un arsenal de médicaments Depuis, en un demi-siècle, bien des substances ont été essayées. Grâce aux progrès en chimie, en biologie et en pharmacologie, on connaît mieux aujourd’hui la
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façon dont elles agissent. Mais surtout, un énorme effort de recherche à l’échelle internationale a permis de répertorier et d’étudier des milliers de substances, certaines extraites de végétaux, d’autres synthétisées en laboratoire. Bon nombre de produits ont été ainsi expérimentés. On fit différents essais pour étudier ceux qui étaient le plus toxiques pour les cellules cancéreuses – c’est pourquoi on qualifie parfois les médicaments de chimiothérapie de médicaments cytotoxiques – et on élabora des protocoles de chimiothérapie. Il existe aujourd’hui une cinquantaine de médicaments de chimiothérapie qui ont démontré leur efficacité. Mais ils ne sont pas efficaces pour toutes les tumeurs : on a découvert que pour qu’un médicament de chimiothérapie agisse sur une tumeur, il fallait qu’elle soit chimiosensible. Autrement dit, qu’elle réagisse. Or si certaines tumeurs réagissent beaucoup, ce n’est pas le cas pour toutes. C’est pour cela qu’un bilan est nécessaire avant toute chimiothérapie pour montrer que le traitement est justifié. Il faut ensuite vérifier qu’elle fait de l’effet, et surtout, qu’elle est bien supportée… Les essais ont permis de se rendre compte également que l’efficacité de ces produits était plus grande quand on les associait par deux ou plusieurs. Un cocktail explosif – qui a pris de nom de polychimiothérapie – pour exterminer l’ennemi !
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Une action ciblée Dans l’ensemble des médicaments, le bon produit doit donc être soigneusement choisi pour chaque patient, en fonction de sa tumeur, de l’endroit où elle s’est installée, de son stade d’évolution, des traitements déjà reçus et… de la forme du patient, car être traité par chimiothérapie relève souvent du parcours du combattant ! Tous les médicaments de chimiothérapie ne fonctionnent pas à l’identique : certains visent à empêcher les cellules cancéreuses de se diviser, d’autres à lui couper les vivres. Lorsque la cellule ne peut plus se diviser, au bout d’un certain temps, elle meurt. Et pour ça, tous les moyens sont bons pour y arriver. Lorsqu’elle se divise, son ADN entre en jeu. Une chaîne d’ADN, c’est un peu comme un film en bobine. Si quelque chose bloque la bande, la lecture s’arrête. L’ADN n’a plus la recette pour se copier ou la cellule ne peut plus fabriquer ce dont elle a besoin. Et c’est ainsi que certains médicaments s’installent tout bonnement sur la molécule d’ADN, entre deux bases (rappelez-vous : ces fameuses lettres dont nous avons parlé plus haut) ; d’ailleurs, on les appelle des intercalants. Ou alors, ils abîment l’ADN, un peu comme la radiothérapie. Et au moment de la lecture, ça bloque : tout s’arrête. D’autres médicaments se postent entre les deux brins d’ADN et s’y accrochent bien fermement. Du coup, au moment où l’ADN veut se séparer en deux lors de la divi-
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sion de la cellule, impossible : ça ne s’ouvre plus. Comme ces médicaments empêchent la mitose, ce moment où les chromosomes se séparent en deux quand la cellule se divise, on les appelle tout simplement des antimitotiques. D’autres encore agissent avant même que la cellule ne songe à se diviser, sur les substances (qu’on appelle des enzymes) qui provoquent la division, ou sur ses moyens de communication : la cellule ne reçoit plus ses messages, ou les reçoit au mauvais endroit, ou trop tard… Là encore, rien ne va plus ! Certains médicaments visent à tromper la cellule : très rusés, ils s’immiscent dans la cellule, lui font croire qu’ils sont ce qu’ils ne sont pas, se glissent subrepticement à la place de ce qu’elle utilise habituellement et… lui font faire n’importe quoi. Enfin, un truc vieux comme toutes les guerres : mettre la cellule en état de siège. On s’est rendu compte que la cellule cancéreuse avait absolument besoin de certaines vitamines, bien plus que les cellules normales. Fort bien : supprimons-les ! Affamée et KO, elle ne peut plus se développer. En bref, au fur et à mesure qu’on a mieux compris comment les cellules fonctionnaient, et plus particulièrement comment la cellule cancéreuse se développait, une multitude de moyens ont pu être développés pour l’arrêter dans sa course folle. Mais tous ces médicaments posent un problème : ils ne sont pas spécifiques des cellules cancéreuses. Ils agissent sur les cellules qui se divisent, même les cellules normales. Ce qui fait qu’ils provoquent des effets que
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l’on préférerait éviter… Du coup, il est très difficile de les utiliser. C’est pourquoi on les associe : une polychimiothérapie permet de concentrer sur la tumeur plusieurs médicaments en petite quantité, ce qui diminue en même temps leur toxicité sur les cellules saines. On a aussi découvert que celles-ci se remettent plus vite que les cellules cancéreuses quand elles sont soumises à ce type de traitement. On a donc eu l’idée de donner les médicaments en les espaçant dans le temps, afin de laisser le temps aux cellules saines de se refaire une santé. On revient ensuite à la charge, ce qui permet d’atteindre les cellules cancéreuses qui n’étaient pas en train de se diviser au moment où on a administré les médicaments et qui n’ont pas été atteintes.
Une chimio pour chaque cas Un très grand nombre de patients sont traités par chimiothérapie chaque année en France. Si à chaque fois, le but est de détruire les cellules cancéreuses, ce traitement n’est pas toujours proposé dans la même situation. Très souvent, une chimiothérapie est associée à un autre traitement, que ce soit une chirurgie, une radiothérapie, une immunothérapie ou une hormonothérapie. La chimiothérapie est alors un traitement adjuvant. L’union fait la force, c’est bien connu. En combinant les traitements et les modes d’approche, on est bien plus efficace.
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Certaines chimiothérapies visent à réduire la taille de la tumeur avant de l’enlever. Les chimiothérapies sont dites alors néoadjuvantes. Diminuer le volume rend l’opération qui vise à supprimer la tumeur plus facile et bien moins traumatisante, permettant du coup une chirurgie moins mutilante, voire une chirurgie qui conserve l’organe dans lequel la tumeur était installée. D’autres fois, il s’agit de détruire toutes les cellules cancéreuses dans l’ensemble du corps, et de les atteindre quel que soit l’endroit où elles aient pu migrer, aussi loin que ce soit de la tumeur d’origine. Il arrive parfois que le but d’une chimiothérapie ne soit plus de guérir, car on sait, hélas, que l’on n’y arrivera plus. La chimiothérapie permet seulement d’améliorer l’état du malade en ralentissant l’évolution de la maladie. Ce traitement palliatif n’agit plus sur la cause de la maladie, mais tente d’atténuer ses symptômes pour que le malade vive le mieux possible.
Recevoir un traitement de chimiothérapie Les traitements de chimiothérapie ne se font pas au hasard : ils suivent des règles très strictes, des protocoles déterminés, différents selon chaque tumeur, l’endroit où elle est installée, le type de médicaments que l’on a choisis pour l’affronter. Ces protocoles visent à
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augmenter l’efficacité des médicaments tout en évitant qu’ils soient trop toxiques pour les autres cellules. Une chimiothérapie a donc une durée très variable dans le temps selon les personnes. Certaines chimiothérapies sont très brèves : quelques semaines ; d’autres peuvent durer plusieurs mois, voire un an. En moyenne, elles s’étendent grosso modo de trois à six mois. En général, une chimiothérapie se déroule en plusieurs cures, chaque cycle étant espacé de une à quatre semaines. Les cellules normales, qui se réparent plus vite que les cellules cancéreuses, en profitent pour récupérer. Le nombre de cures dépend de chaque patient. Une cure peut durer dix minutes, deux heures ou… plusieurs jours. Le médecin établit avec son patient le calendrier à suivre. Avant chaque cure, une analyse de sang vérifie qu’il est en état de recevoir son traitement. Si ce n’est pas le cas, la cure peut être décalée. S’il arrive que les médicaments de chimiothérapie soient donnés sous forme de comprimés ou par piqûres, ils sont le plus souvent administrés directement dans le sang par une perfusion. Mais être piqué à chaque cure finit par être douloureux. C’est pourquoi on installe sous la peau du thorax lors d’une intervention chirurgicale, un cathéter, sorte de petit tuyau que l’on introduit dans une veine et par lequel on injectera par la suite les médicaments. Il existe deux types de cathéter. Soit l’extrémité du tuyau ressort à l’extérieur et est fermée par un petit bouchon, l’ensemble étant soigneusement recouvert
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d’un pansement changé régulièrement et qui reste tant que le cathéter est là. Soit le tuyau est introduit dans la veine de la même façon, mais il est doté d’un réservoir de la taille d’une petite boîte d’allumettes, implanté sous la peau. C’est pour cela qu’on l’appelle chambre implantable. La petite incision de deux centimètres environ nécessaire à l’implantation du dispositif cicatrise en peu de temps après que l’on a enlevé les fils et le tout devient étanche. Lorsque l’on passe le doigt, on peut le sentir sous la peau. Ensuite, lors de chaque séance, les médicaments arrivent préparés spécialement pour le patient. L’équipe médicale les installe dans un matériel à perfusion avec beaucoup de précautions. Il arrive qu’elle demande même au patient de porter un masque. Puis une aiguille spéciale est piquée dans le boîtier à travers la peau, ce qui ne fait pas mal. Les médicaments passent ensuite tranquillement dans le sang.
Wanted ! Le grand intérêt de la chimiothérapie est d’acculer les cellules cancéreuses quel que soit l’endroit où elles sont dans le corps. La chasse est lancée dans tout l’organisme. C’est pour cela que l’on parle parfois de traitement général, par opposition aux traitements locaux comme la chirurgie ou la radiothérapie. C’est le grand avantage de ces médicaments : comme ils sont envoyés dans le sang,
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ils sont systématiques, c’est-à-dire qu’ils circulent partout dans l’organisme, atteignant les cellules cancéreuses où qu’elles soient. Les médicaments de chimiothérapie agissent souvent sur les cellules en division. La cellule cancéreuse, rappelons-le, est une cellule qui passe son temps à se diviser. C’est donc un bon moyen de l’avoir.
Mauvais effets Mais si les médicaments de chimiothérapie sont nuisibles pour les cellules cancéreuses sous une forme ou sous une autre, tout le problème est qu’ils le sont aussi pour des cellules innocentes. Quand on comprend la façon dont beaucoup de médicaments de chimiothérapie agissent, on se rend compte que, puisqu’ils ne sont pas spécifiques des cellules cancéreuses et comme on les envoie partout dans le corps, ils sont particulièrement toxiques pour toutes les cellules de l’organisme qui se divisent. Armes à double tranchant, ils s’attaquent aussi aux cellules normales. C’est tout le corps qui réagit aux médicaments injectés ! Comme pour la radiothérapie, on s’arrange pour que les doses soient le plus efficaces possible, tout en limitant au mieux les effets les plus dangereux. Même si on répartit les doses dans le temps pour donner aux cellules saines le temps de se régénérer, les médicaments agissent quand même sur les cellules qui se
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renouvellent rapidement, autrement dit celles du sang, de la bouche et de tout l’appareil digestif, des cheveux, des ongles, etc., entraînant de multiples effets désagréables et parfois douloureux. C’est la raison pour laquelle certaines chimiothérapies font perdre les cheveux. L’alopécie est d’ailleurs l’image associée systématiquement au cancer. En circulant dans le sang, les médicaments atteignent le cuir chevelu. Or les follicules pileux à la base du cheveu contiennent des cellules qui se multiplient régulièrement pour permettre aux cheveux de pousser. Comme on empêche ces cellules de se multiplier, elles meurent et le cheveu tombe. Parfois, cils, sourcils et autres poils suivent le même chemin. Même s’ils repoussent toujours à la fin du traitement, accepter son image ainsi transformée si brutalement est très difficile, surtout pour une femme. C’est parfois plus facile pour les hommes depuis la mode des cheveux rasés, mais encore faut-il admettre ce nouveau look… Pour diminuer la chute de cheveux, en fonction des médicaments et du lieu où est placée la tumeur, un casque réfrigérant peut être installé sur la tête pendant la séance de chimiothérapie. Le froid du casque – en fait un bonnet rempli de glycérine entre – 18° et – 25° – contracte les vaisseaux sanguins du cuir chevelu. Comme le sang passe moins bien, il transporte moins de médicament dans cette zone et les follicules sont moins atteints. Plus efficace sur des cheveux coupés courts, ce n’est pas dangereux pour le cerveau, mais le froid intense sur la tête est souvent très désagréable.
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Les ongles et la peau souffrent aussi des médicaments de chimiothérapie. Les muqueuses ne s’en sortent pas mieux ; des aphtes parfois très douloureux apparaissent. Tout cela, en sus du stress, des déplacements, de l’angoisse, contribue à une fatigue générale. Presque tous les patients en chimiothérapie se sentent extrêmement fatigués. Cette fatigue peut être si profonde que chaque geste de la vie quotidienne réclame des efforts énormes. Elle perturbe alors tous les moments de la vie, que ce soit au niveau familial, social ou professionnel. Et épuisé, on réagit tellement moins bien moralement… Cette fatigue est souvent liée à la baisse de certains éléments du sang, notamment des globules rouges. Les globules rouges transportent l’oxygène jusqu’aux muscles. Si ces globules diminuent (une anémie), les muscles ont moins d’oxygène, provoquant une fatigue. Les globules blancs quant à eux protègent des infections. Lorsque leur quantité baisse, le corps réagit moins bien aux microbes. Infections et fièvres – qui doivent être signalées au médecin et soignées – se multiplient, contribuant à augmenter la fatigue. La fatigue est souvent accentuée par les nausées et les vomissements. Ceux-ci sont liés à l’attaque des cellules du tube digestif, qui, elles aussi, se renouvellent très vite. Touchées de plein fouet, elles réagissent à leur façon. Les médicaments antivomitifs – les antiémétiques – sont aujourd’hui de plus en plus efficaces et permettent de calmer les nausées et les vomissements, à défaut de toujours les supprimer. Mais parfois, l’angoisse de la
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séance est telle que les nausées apparaissent avant même de prendre les médicaments. C’est dire comme le « primum non nocere » (« d’abord ne pas nuire ») d’Hippocrate semble parfois oublié tant ces effets rendent une chimiothérapie difficile à vivre et en font une véritable épreuve. Ils sont dits secondaires, mais ne le sont pas tant que cela ! Mais heureusement, ils n’apparaissent pas toujours, puisque tout dépend des médicaments utilisés et de la façon dont le corps va réagir. Quoi qu’il en soit, s’ils apparaissent, on doit y remédier rapidement. Si certains sont inévitables et ne peuvent être empêchés, d’autres peuvent être soulagés. Et doivent l’être.
Au futur La chimiothérapie est aujourd’hui un traitement efficace grâce à la découverte de médicaments plus actifs et, surtout, grâce à leur association bien ciblée. Depuis les années 1960, on arrive ainsi à guérir des cancers pour lesquels les autres traitements comme la chirurgie et la radiothérapie étaient insuffisants, voire sans effet. La chimiothérapie est particulièrement efficace sur les cancers dont les cellules se divisent vite, comme ceux de l’enfant ou les cancers du sang. Elle l’est aussi sur des cancers dont les cellules se sont disséminées, même si on ne les a pas encore repérées. Or ce sont elles qui sont
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dangereuses à terme : ce sont elles qui sont responsables du retour du cancer et qui, au final, risquent d’entraîner la mort si on les laisse faire. En analysant les différents gènes des cellules cancéreuses, sans doute arrivera-t-on un jour à prévoir leur réaction aux médicaments. C’est l’espoir lancé par la génomique, qui permettrait d’anticiper en fonction des gènes que présente la cellule cancéreuse d’une tumeur donnée, si elle risque d’évoluer et de produire des métastases, ou encore si elle est sensible à tel ou tel médicament. Une autre piste – mais ô combien difficile ! – est de rechercher des produits qui s’attaqueraient spécifiquement aux cellules cancéreuses. En ciblant leur action, cela permettrait d’éviter tous les effets secondaires sur les cellules saines. Car un des objectifs des recherches est aussi de tenter de réduire les effets néfastes des chimiothérapies pour qu’elles puissent être mieux tolérées et mieux vécues. Actuellement, les chercheurs continuent à tester de nouvelles substances, cherchent à mieux connaître le mode d’action des médicaments et à mieux planifier leur administration. Comme certains produits agissent sur la cellule au moment où celle-ci est en train de se diviser (les antimitotiques), il faut arriver à atteindre les autres. Le but du jeu est d’éradiquer toutes les cellules cancéreuses, où qu’elles soient. Et pour cela, la panoplie des traitements n’est pas épuisée : d’autres ressources existent.
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La chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie constituent les piliers du traitement contre le cancer. Mais le grand tournant de ces dernières années, ce sont les traitements ciblés. Ah bon, allez-vous dire : tous les traitements que nous venons d’évoquer ne sont pas ciblés ? Certes, ils le sont à leur manière, mais la cible, dans cette nouvelle affaire, ce n’est plus forcément la tumeur elle-même, mais les mécanismes grâce auxquels elle se développe. Plutôt que de canonner les cellules cancéreuses à la grosse artillerie en prenant de front les cellules malignes et les cellules saines, ce qui ne permet pas de toujours bien faire la différence entre les deux, on affine l’attaque et on change de cible : l’assaut est mené sur tout ce qui permet à la tumeur de se nourrir et de croître.
Des traitements ciblés L’un des principes des traitements ciblés, c’est d’intervenir sur les substances qui permettent aux cellules
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cancéreuses de se développer. De nouveaux médicaments ouvrent une multiplicité de possibilités en agissant sur divers agents qui font que la tumeur se développe. Certains médicaments bloquent la croissance des cellules cancéreuse ; d’autres s’arrangent pour diriger le système de défense de l’organisme contre ces cellules envahissantes ; d’autres les affament ; d’autres encore commandent leur mort ou alors, les reprogramment pour faire en sorte qu’elles redeviennent normales. Autant de pistes porteuses d’espoir. L’enjeu est de trouver la bonne cible, c’est-à-dire d’identifier ce qui, pour un cancer donné, permet au cancer de se développer. C’est ainsi que l’on s’est intéressé à tout ce qui pouvait agir sur les cellules cancéreuses : hormones, anticorps, etc.
L’hormonothérapie Lorsque l’on a découvert que certaines hormones poussaient les cellules cancéreuses à se développer, on s’est dit que l’on allait les prendre pour cible afin de les empêcher d’agir. C’est ainsi qu’est née l’hormonothérapie, traitement qui porte bien mal son nom, car il s’agit en fait d’intervenir contre les hormones. C’est le plus vieux des traitements ciblés. Les hormones sont des substances produites naturellement par le corps. Elles sont fabriquées par des glandes qui les déversent dans le sang. Lorsqu’elles y sont, ces hormones ne vont pas n’importe où.
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En général, leur objectif est de provoquer le développement ou le fonctionnement d’un organe. Par exemple, les hormones secrétées par les ovaires (les œstrogènes) agissent sur les seins et sur l’utérus, et sont responsables du développement de la poitrine et de l’apparition des règles chez les adolescentes. De même, une autre hormone, la testostérone produite par les testicules, agit sur la prostate et le système pileux, faisant pousser barbe et poils, et muer les adolescents. Le problème, c’est que parfois ces mêmes hormones provoquent aussi la croissance de cellules cancéreuses. En effet, lorsque ces cellules se développent sur un organe donné, elles en gardent certaines caractéristiques. Et du coup, lorsque des cellules d’un cancer du sein par exemple rencontrent des œstrogènes, elles ne savent plus se tenir, et sont prises d’envie de division et de prolifération.
Supprimer ou ajouter C’est à la fin du XIXe siècle que l’on prit conscience d’une relation – on ne savait pas bien encore laquelle – entre les ovaires et le cancer du sein. Thomas Beatson, un chirurgien écossais, supprime les ovaires d’une femme atteinte d’une tumeur du sein et de multiples métastases, et voit le cancer diminuer. La raison, ce sont les hormones. Mais ce sera découvert un peu plus tard.
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Pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est à Chicago cette fois que Charles Huggins observe que les cellules de la prostate, cancéreuses ou non, sont sensibles à la testostérone. Il propose d’enlever les testicules : plus de testicules, plus de production d’hormones. Le cancer régresse. De fait, on s’était déjà rendu compte que les hommes castrés ne développaient pas de cancer de la prostate. Huggins suivait là la même idée que Beatson : supprimer quelque chose qui agit sur les cellules cancéreuses. Mais il en vient aussi à utiliser des hormones femelles pour agir contre les hormones mâles. Cette fois, il bloque l’action d’une hormone par une autre. Un prix Nobel (encore un, en 1966 cette fois) couronna cette découverte. Depuis, les traitements des cancers par des hormones selon l’une ou l’autre méthode ont fait d’énormes progrès.
Des récepteurs Mais dans un cas comme dans l’autre, pour que cela fonctionne, il est nécessaire que le cancer soit réceptif aux hormones, autrement dit qu’il soit hormonodépendant ou hormonosensible. À partir du moment où les hormones sont produites, elles savent parfaitement ce qu’elles ont à faire. En effet, elles trouvent à la surface ou à l’intérieur de certaines cellules des récepteurs sur lesquels elles s’emboîtent
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parfaitement bien. Et les récepteurs sont très doués pour détecter les hormones dans le sang et les capter au passage. Comme les hormones circulent dans le sang, elles agissent à n’importe quel endroit de l’organisme où elles trouvent les récepteurs qui leur conviennent. En revanche, comme une clef ne fonctionne que dans une serrure, elles ne s’installent que là où il y a des récepteurs : c’est pour cela que seules les cellules des seins ou des poils se multiplient à la puberté par exemple… Les récepteurs réagissent à l’installation de l’hormone sur son site en envoyant un message qui déclenche la division de la cellule. Pour savoir si l’on peut proposer une hormonothérapie, il faut donc d’abord vérifier si le cancer possède ces fameux récepteurs. Pour cela, on prélève un fragment de la tumeur et l’on examine au microscope si on trouve leur trace. S’il n’y en a pas, cela veut dire que les cellules de la tumeur ne sont absolument pas sensibles aux hormones et donc, inutile de songer à ce type de traitement. En revanche, si on en trouve, une hormonothérapie peut tout à fait être envisagée.
Avec ou sans hormone L’objectif d’une hormonothérapie est donc d’empêcher certaines hormones de stimuler les cellules cancéreuses. Sans hormone, elles cessent de se multiplier, ce qui ralentit ou arrête net leur développement, selon les cas.
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Le traitement consiste donc à modifier ou à empêcher la production d’hormones, ou à stopper leur installation sur les récepteurs impliqués. Pour un cancer du sein par exemple, on bloquera les œstrogènes ; pour un cancer de la prostate, on bloquera les hormones mâles, les androgènes, dont la plus importante est la testostérone. Pour cela, on peut envisager plusieurs types d’action : l’attaque de la base de production ou l’attaque au niveau des cellules. Si l’on veut agir à la base, il faut bloquer la production d’hormones fabriquées par les ovaires ou les testicules. Dans ce cas, une des possibilités est de retirer les ovaires par une opération ou de les détruire avec une radiothérapie ; cela provoque une ménopause artificielle. Pour un homme, une chirurgie retire les testicules eux-mêmes ou la partie qui produit les hormones. Actuellement, on arrive aussi à bloquer la fabrication d’hormones par des médicaments ou… en rendant inopérantes d’autres hormones qui stimulent leur production. Par exemple, une hormone (la LHRH, abréviation de l’anglais luteinizing hormone-releasing hormone) fabriquée par l’hypothalamus, une petite glande située près du cerveau, est à l’origine de la production de la testostérone ou des œstrogènes. On va donc empêcher la LHRH d’agir pour que cesse la production. Seconde solution : l’attaque au niveau des cellules. Cette fois, on bloque l’action des hormones directement au niveau de la tumeur. Il existe par exemple pour le cancer du sein un médicament qui s’appelle le tamoxifène. Voilà un produit qui ressemble à s’y
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méprendre à un œstrogène. D’ailleurs, on le dénomme aussi anti-œstrogène. Au point qu’il est reconnu comme tel par les récepteurs des cellules cancéreuses. Il s’installe donc confortablement sur les récepteurs à la place des œstrogènes. Sauf que… ce n’est pas un œstrogène. Et donc, il a beau occuper la place, il n’envoie pas les bons signaux qui mettent d’habitude en marche la division. Les vraies hormones, elles, ne savent plus où se mettre puisque toutes les places sont prises. Le récepteur est désactivé, la cellule ne se divise plus : le tour est joué.
Pour quels cancers ? Une hormonothérapie fonctionne dans l’ensemble du corps : comme une chimiothérapie, c’est un traitement général. Sa particularité est de bloquer la croissance des cellules cancéreuses partout où elles se trouvent en les privant de l’hormone qui les fait se développer. En somme, il s’agit de les mettre en état de manque. Ce traitement suffit parfois à lui tout seul pour soigner un cancer. Mais le plus souvent, en fonction de la tumeur, on lui associe d’autres traitements, avant ou après. Les médicaments d’hormonothérapie, que ce soient des antiandrogènes (contre la testostérone) ou des antiœstrogènes, s’administrent par la bouche ou par piqûre. Les traitements sont souvent longs, entre deux et cinq ans, voire plus.
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Les cancers qui peuvent être traités par hormonothérapie sont parmi les cancers les plus fréquents : les cancers du sein (même si ce n’est jamais le seul traitement), de la prostate (dont c’est le traitement essentiel si des métastases se sont développées), de l’utérus, de la thyroïde. En fait, ce sont les cancers qui ont conservé les caractéristiques des tissus sur lesquels ils se sont développés : un sein, par exemple, se développe à la puberté grâce aux hormones ; les cellules d’un cancer du sein ont gardé ce fait en mémoire. Mais certains cancers, même les cancers du sein ou de la prostate, ont la mémoire courte. Ils sont devenus très différents des cellules d’origine. Trop différenciés, ils ne sont plus sensibles aux hormones. Il faut alors trouver d’autres armes pour les atteindre.
Des effets secondaires Supprimer les hormones ou les empêcher d’agir n’est pas sans conséquences. Si un cancer de la prostate provoque souvent une impuissance, les effets d’une hormonothérapie pour un cancer du sein sont ceux de la ménopause : arrêt des cycles menstruels (provisoire si les ovaires n’ont pas été supprimés), bouffées de chaleur, etc. Les effets indésirables sont donc très différents de ceux que provoque une chimiothérapie. Et comme tous les effets secondaires, ils n’apparaissent heureusement pas systématiquement et sont très variables d’un patient à un autre.
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L’immunothérapie Le traitement antihormonal est une véritable avancée du XXe siècle. Aujourd’hui, une autre piste de recherche consiste à stimuler les propres ressources de l’organisme et à l’obliger à se battre contre la tumeur de la même façon qu’il se bagarre contre les microbes et les virus. Autrement dit, il s’agit de doper l’organisme pour qu’il réussisse à mettre son système immunitaire à plein régime. Lorsque des microbes, bactéries ou virus, pénètrent dans l’organisme, le système immunitaire met tout en marche pour les éliminer. Pour faire face à tous les types d’agresseurs, il possède une armée de base de globules blancs, fantassins de tous les espoirs, qui patrouillent dans le sang et dans la lymphe, ce liquide transparent qui suinte parfois des écorchures. Ces globules blancs – appelons-les par leur nom : les lymphocytes, de lymphe et de -cyte, « cellule » – naissent dans la moelle osseuse. Ils circulent ensuite par le sang jusque dans les ganglions lymphatiques ou le thymus où ils apprennent leur boulot : on leur enseigne à repérer et à détruire tout ce qui est étranger. Certains de ces globules blancs, les lymphocytes B, apprennent à produire des anticorps, c’est-à-dire des substances spéciales chargées d’éliminer les microbes qui portent des marques reconnues comme étrangères (les antigènes). Les cellules NK (natural killers, « tueurs naturels ») apprennent directement leur boulot dans la moelle
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osseuse : s’accoler à leur cible jusqu’à sa mort. Elles sont en première ligne de défense contre les microbes : elles savent agir contre eux tout de suite et s’attaquent à toutes les cellules sans attendre, sans qu’on sache d’ailleurs trop comment elles reconnaissent celles qu’elles doivent attaquer. D’autres passent dans le thymus, une glande située dans le bas du cou, où elles subissent un entraînement spécial. Du coup, on les appelle les lymphocytes T (comme thymus). Mais le T aurait pu aussi vouloir dire « tueurs », car c’est ce qu’ils sont : leur objectif est d’éliminer directement toute cellule qui leur a été dénoncée, que l’ennemi ait déjà pénétré au cœur des cellules ou non. Pour tuer leur cible, ils se collent à leur ennemi grâce à de puissants récepteurs et, dans ce corps à corps, lui injectent des produits mortels. Les trois quarts des lymphocytes sont des lymphocytes tueurs. Une fois leur éducation faite, tous ces globules blancs retournent dans le sang par les vaisseaux qui transportent la lymphe. Quand un agent extérieur arrive, l’organisme se met à fabriquer plus de globules blancs, chargés de l’exécuter : une armée de clones se lève et part à la rescousse. Ils détruisent l’ennemi, disparaissent quand leur mission est terminée, ne laissant subsister que quelques-uns d’entre eux pour conserver la mémoire des ennemis combattus. En effet, une fois qu’il s’en est débarrassé, l’organisme garde l’information en mémoire, on ne sait jamais ! Que le microbe cherche à s’infiltrer une nouvelle fois, il sera vite repéré. C’est pour cela que nous n’attrapons certaines
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maladies qu’une fois. D’ailleurs, c’est le principe de la vaccination : on injecte un microbe tout affaibli que le corps identifie comme ennemi et contre lequel il fabrique des anticorps. Plus tard, si nous entrons en contact avec ce microbe, nous aurons produit suffisamment d’anticorps pour nous défendre sans même y penser. Le système immunitaire est donc une sorte de réseau qui traite des informations, reconnaît les agents identifiés comme potentiellement agressifs, et vise à les éliminer. On a mis au jour le moyen de communication du système : les informations sont envoyées par le biais de messagers particuliers, les cytokines. Cela est tout à fait intéressant, car dans l’ensemble de toutes les cytokines que l’on a repérées, et auxquelles on a donné des noms plus ou moins barbares (interféron, interleukines, etc.), certaines d’entre elles vont pouvoir être utilisées contre les cellules cancéreuses. Quinze prix Nobel ont récompensé le décryptage de toute cette machinerie immunitaire, qui a permis de mettre en place des techniques d’immunothérapie, le traitement qui consiste à utiliser cet arsenal pour éliminer naturellement les cellules cancéreuses. Le problème, c’est que pour éliminer une cellule cancéreuse, il faut que le système la reconnaisse comme étrangère. Et là, les choses ne sont pas simples. Car une cellule cancéreuse, c’est avant tout une cellule de l’organisme. Les globules blancs n’ont donc aucune raison de s’attaquer à elle. C’est même contraire à toute éthique : on ne se rejette pas soi-même…
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L’idée est alors d’aller regarder de près ce qui est très spécifique de la cellule cancéreuse et qui pourrait faire que le corps ne la reconnaisse pas. Cette particularité permettrait alors d’envisager d’utiliser le système immunitaire pour la combattre.
Recherche antigène particulier Un antigène est une substance ou une molécule sur la surface d’une cellule étrangère. Dès qu’un antigène est reconnu par les lymphocytes, ceux-ci provoquent une réaction immunitaire contre la cellule. C’est l’antigène qui permet de repérer l’étranger, le non-soi, ce qu’il faut éliminer. C’est de cela dont on va se servir. L’objectif est de faire en sorte que les globules blancs identifient les cellules cancéreuses comme étrangères, puisque porteuses de cet antigène non reconnu, et les éradiquent. On n’a pas trouvé d’antigène vraiment spécifique aux cellules cancéreuses, mais on leur a découvert plusieurs modifications bien utiles… Par exemple, on s’est rendu compte que certains antigènes, habituellement présents sur les cellules normales, peuvent être bien moins nombreux, voire absents des cellules cancéreuses ; d’autres au contraire sont en surnombre. Parfois, si le cancer est provoqué par un virus, ce qui est le cas de certains cancers, on trouve l’antigène qui correspond au virus. Il arrive que l’antigène soit produit
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par les oncogènes dont nous avons déjà parlé : vous savez, ces gènes qui sont responsables de la transformation d’une cellule saine en cellule cancéreuse. Là aussi, il est identifiable. Si on a trouvé un antigène sur un fragment de tumeur, soit on s’en sert pour fabriquer un vaccin, soit on modifie un virus par manipulation génétique pour lui faire produire cet antigène, ou encore on ajoute l’antigène sur des cellules du patient. Dans chaque cas, on injecte le résultat au patient. Ses globules blancs vont alors se jeter voracement sur toutes les cellules porteuses de cet antigène et, donc, sur les cellules cancéreuses. Ce qu’on cherche à stimuler, c’est par conséquent l’action immunitaire des lymphocytes T contre ces antigènes tumoraux. Pour que cela fonctionne mieux, on prescrit des cytokines, les fameux messagers. Les cytokines portent bien leur nom : de -cyte, « cellule » et kinein, « mettre en mouvement », puisqu’elles vont aller avertir d’autres lymphocytes qu’il faut attaquer les cellules cancéreuses. Ceux-là répondent au signal en produisant diverses autres cytokines. Une cytokine particulière, l’interféron, va empêcher la croissance des cellules cancéreuses. Une autre, au nom interloquant… d’interleukine, dope la prolifération et l’efficacité des lymphocytes T et des cellules NK, tout en stimulant les lymphocytes B. Certaines réactions immunitaires n’ont pas besoin de reconnaître l’antigène : la cytokine dope seulement les différentes cellules tueuses. D’autres cytokines détruisent
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elles-mêmes les cellules tumorales, devenant des tumor necrosis factors en anglais, autrement dit des « agents tueurs de tumeur ». Une immunothérapie entraîne donc toute une série d’événements qui amplifient la réponse immunitaire dans tout l’organisme. Tout cela n’est possible bien sûr que si les cellules de la tumeur possèdent des antigènes pour déclencher la réaction immunitaire. Car il faut qu’elles soient reconnues comme étrangères pour être détruites.
En progrès Stimuler le système immunitaire permet donc de faire régresser et parfois disparaître certains cancers. On ne sait pas trop encore pourquoi d’ailleurs, l’immunothérapie n’est pas efficace pour tous ces cancers. Elle est actuellement utilisée contre le mélanome et le cancer du rein. C’est un traitement qui n’est pas utilisé seul, mais dans le cas de certains mélanomes par exemple, après avoir enlevé la tumeur. Ses effets indésirables sont ceux de la grippe : fièvre, courbatures, etc. Ils ne durent guère. Aujourd’hui, des recherches scientifiques tentent de trouver le moyen de faire agir le système immunitaire seulement sur la tumeur, que ce soit par un vaccin ou en injectant des lymphocytes qui reconnaissent spécifiquement les cellules cancéreuses. Ce que l’on sait en revanche aujourd’hui, c’est la nécessité de rechercher certains marqueurs spécifiques
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qui permettent d’adapter le traitement en fonction de leur présence ou de leur absence sur les cellules, ou de leur trop grande présence.
Inhibition C’est ainsi que l’on s’est rendu compte que certains cancers du sein présentaient une anomalie à la surface de leurs cellules : un trop grand nombre de récepteurs au quasi-nom d’androïde de Guerre des étoiles : HER2. Cette présence trop importante de HER2 a tendance à faire proliférer les cellules. Du coup, après un prélèvement, on dose la quantité de marqueurs et, s’il se révèle qu’ils sont en surnombre, on utilise un anticorps bien ciblé qui porte, pour sa part, un nom plutôt exotique : le trastuzumab. Celui-ci se lie au récepteur HER2, le tient fermement (ce qui l’empêche de se briser, ce qui provoquerait la multiplication des cellules cancéreuses) et active des cellules immunitaires qui se précipitent sur la tumeur. Ce médicament inhibe ainsi doublement la prolifération des cellules cancéreuses. De nouvelles voies de traitements ciblés se sont également ouvertes avec d’autres types d’inhibiteurs. Ces médicaments sont de grands empêcheurs de grandir tranquille : soit ils perturbent certains facteurs qui font croître la tumeur, soit ils lui coupent les vivres. Pas de secret, pour grandir, il faut se nourrir ! La nourriture d’une tumeur est la même que celle de toutes
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les cellules. Mais encore faut-il que cette nourriture lui parvienne : pour cela, il lui faut des vaisseaux sanguins. Certaines tumeurs en détournent sans vergogne à leur profit ; d’autres, à défaut, les fabriquent elles-mêmes. L’objectif est donc soit de détruire ces moyens de transport (là, l’idée est ancienne), soit de bloquer les substances qui permettent à la tumeur de fabriquer ses propres vaisseaux. Dès lors, si l’on arrive à empêcher ces agents activateurs de vaisseaux de travailler, on inhibe la construction ou le détournement des vaisseaux sanguins et, du même coup, on stoppe net l’arrivée de nourriture. Cette fonction d’inhibition est indiquée directement dans le nom de ces médicaments : ils se terminent souvent en -inib. D’autres médicaments empêchent l’action d’une substance spécifique, que l’on appelle facteur de croissance, qui lui-même agit contre les agents constructeurs de vaisseaux. Au final, le résultat est le même : la tumeur, affamée, finit par régresser ou disparaître. Ces médicaments permettent de traiter des cancers du rein, des bronches, certaines leucémies, certaines tumeurs digestives, etc.
Espoir Comme l’action de ce type de médicaments est de plus en plus précise, ils n’entraînent pas les mêmes effets secondaires qu’une chimiothérapie classique : ils
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peuvent en provoquer, mais ceux-ci sont souvent bien moins importants. Par exemple, les médicaments dont nous venons de parler présentent un inconvénient : ils font augmenter la tension artérielle. Si cela nécessite une surveillance attentive, ils ne provoquent néanmoins pas de pertes de cheveux ou autres effets indésirables de la chimiothérapie. Un très grand nombre de médicaments ciblés sont déjà utilisés ou en cours de développement. Ces traitements sont porteurs de grands espoirs : nous ne sommes qu’au tout début de leur développement. Mais les autres traitements « classiques » bénéficient de longues années d’expérience. Ils permettent de guérir déjà un grand nombre de cancers. Et comme ces nouveaux médicaments ne fonctionnent pas pour tous les cancers, ils restent pour l’instant généralement associés à une chimiothérapie.
Combiner De façon générale, dans l’ensemble des traitements, la chirurgie reste le plus efficace, suivie par la radiothérapie. La chimiothérapie l’est un peu moins, sauf pour certains cancers. Les traitements ciblés doivent encore trouver leur place parmi tous les autres. Depuis une vingtaine d’années, on a compris que c’est en combinant les techniques que l’on obtient les meilleurs résultats. Il n’est pas rare qu’un patient se voie
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proposer plusieurs traitements ; ses chances de guérison sont ainsi accrues. Cela nécessite que tous les spécialistes travaillent ensemble pour élaborer le plan de traitement. C’est dire l’importance des réunions de concertation pluridisciplinaire, qui définissent les traitements proposés et l’ordre dans lequel il vaut mieux les effectuer, en fonction de la situation spécifique de chaque patient. Quoi qu’il en soit, avoir une chirurgie combinée avec une chimiothérapie ou une radiothérapie, une hormonothérapie ou une immunothérapie ne dit rien sur la gravité de la maladie. Un cancer n’est pas plus sérieux parce que l’on a plusieurs traitements.
Quand surveiller suffit Parfois, les traitements ne suffisent pas à éradiquer le cancer. Mais on s’est rendu compte que l’on peut maintenir en joue certains cancers, et faire en sorte qu’ils cessent d’être dangereux. Une guerre froide, en quelque sorte, où chacun des protagonistes guette l’autre, mais sans déclaration de guerre ouverte. De rechutes en rémissions, le cancer peut ainsi être contenu plusieurs années. Du coup, il devient une maladie chronique, comme le diabète ou l’asthme. Il n’empêche pas de vivre la personne qui en est atteinte. Il n’est pas sûr cependant que cette cohabitation soit toujours très sereine…
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Des voies alternatives ? Quand la maladie dure et évolue dans le mauvais sens, quand la confiance s’ébranle, quand l’écoute et le soutien font défaut, quand l’espoir s’écroule, ou quand, tout bonnement, on ne sait plus à quel saint se vouer, la tentation est grande de rechercher des solutions tous azimuts, loin des traitements conventionnels. Que ce soit pour mieux supporter les traitements ou pour trouver une nouvelle espérance, il est parfaitement légitime en ces périodes si difficiles d’aller chercher réconfort et mieuxêtre hors des sentiers battus de la médecine traditionnelle. Un tiers des patients le font. Parce qu’ils n’ont pas été évalués, on ne peut pas en dire grand-chose, ni contre eux ni pour eux. C’est sans doute pour cela que l’anglais utilise le terme d’unproven methods, autrement dit de méthodes non prouvées pour évoquer ces médecines alternatives. Les médias ne manquent pas de se faire l’écho de divers traitements miracles ou de pratiques dites non conventionnelles. Cependant, nulle étude sérieuse ne vient confirmer leur efficacité, et les témoignages sont parfois tronqués. Si l’on est bien évidemment prêt à tout pour guérir, s’aventurer loin des traitements habituels est parfois dangereux. Les médicaments qui n’ont pas leur autorisation de mise sur le marché ne sont pas passés par des études fiables et n’ont pas été testés, contrairement aux médicaments habituels. Ils sont susceptibles de provoquer des troubles qui peuvent être mal interprétés
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par le médecin. Leur prix est en outre souvent exorbitant et ils ne sont, bien entendu, pas pris en charge par la Sécurité sociale. La méfiance reste la règle : il faut se défier des escroqueries et des gourous. Les sectes savent fort bien profiter de la détresse pour recruter des personnes fragilisées par la maladie1 ! En tout cas, mieux vaut parler de tout essai avec son médecin traitant ou l’équipe soignante. Car il est indispensable de vérifier qu’il est adapté et compatible avec les traitements en cours. La prudence est de mise dès lors que quelqu’un fait miroiter des promesses absolues de guérison. Les médecins savent bien que leur science est inexacte et que la modestie s’impose… Si certains cancérologues sont encore réticents, beaucoup constatent le mieux-être apporté par d’autres types de traitements et voient de plus en plus d’un œil serein cette complémentarité. Bon nombre de médecins laissent une place à d’autres approches, voire se sont spécialisés dans l’homéopathie, l’acupuncture ou la phytothérapie. Si le cancérologue connaît l’ensemble des traitements suivis et s’assure qu’ils sont sans risques, il n’a pas de raison d’y trouver des inconvénients. L’essentiel est qu’une relation de confiance soit établie entre son patient et lui. Bien évidemment, aucune médecine dite auxiliaire, douce ou alternative ne peut remplacer les traitements classiques. Ce type de médecine doit toujours venir en 1. Le lecteur trouvera des informations sur les mouvements sectaires sur le site de l’Unadfi, l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes : www.unadfi.org.
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plus du traitement habituel, en appoint et jamais en remplacement. D’abord parce que les traitements classiques, même s’ils rencontrent des limites, ont fait la preuve de leur efficacité, ce qui n’est pas le cas des autres types de traitements qui n’ont pas été évalués d’un point de vue scientifique. Ensuite, parce qu’abandonner un traitement risque de faire progresser la maladie. Et enfin, parce que ces médecines peuvent être dangereuses : par exemple, certains régimes déséquilibrés engendrent des carences qui ne favorisent guère une bonne évolution de la maladie…
L’homéopathie Les techniques proposées peuvent être diverses et beaucoup ne sont pas spécifiques au cancer. L’homéopathie et l’acupuncture, bien que relevant de ces pratiques non prouvées, ont une place à part. Prescrites par des médecins, elles ne sont pas contre-indiquées ; elles reviennent peu cher, ne provoquent pas d’accoutumance et peuvent apporter confort physique et moral. L’homéopathie part du principe qu’une concentration très, très faible d’un produit peut soigner ce que ce même produit à des doses très fortes provoquerait. Infiniment dilué, le produit stimulerait les réactions naturelles de l’organisme, aidant à combattre les maladies. Ce principe de dilution est scientifiquement curieux : il est parfois difficile d’expliquer qu’il reste encore un principe
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actif aux dilutions extrêmes utilisées pour produire les granules homéopathiques. Un autre principe de l’homéopathie est l’adaptation au patient : on ne traite pas tous les patients de la même manière. Utilisée depuis plus d’un siècle et demi, l’homéopathie est devenue très populaire en France depuis que ses premiers médicaments ont été inscrits sur les listes officielles en 1965, même si elle reste aujourd’hui encore controversée. En effet, les médicaments d’homéopathie, dont certains sont remboursés par la Sécurité sociale, n’ont pas prouvé leur efficacité selon les règles scientifiques en vigueur. S’ils ne visent pas une action directe contre le cancer, ils semblent bien en revanche réduire les effets secondaires de certains traitements comme les aphtes, les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie.
L’acupuncture L’acupuncture est d’origine orientale. Issue de la médecine traditionnelle chinoise, elle repose sur la circulation de l’énergie dans l’organisme. Elle consiste à piquer de minuscules aiguilles sur des points bien précis du corps, ce qui provoque des réactions sur les organes. Comme l’homéopathie, elle peut agir sur les troubles provoqués par la chimiothérapie.
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Phytothérapie, aromathérapie et autres pratiques… La phytothérapie consiste à se soigner par les plantes. Rien de bien nouveau : tous les traitements ont commencé par là… Aujourd’hui encore, beaucoup de médicaments sont fabriqués à partir de plantes. Ils ont été soumis à des tests qui ont permis de vérifier qu’ils étaient efficaces et qu’ils n’étaient pas toxiques avant d’obtenir leur autorisation de mise sur le marché. Les produits proposés par la phytothérapie n’ont pas cette autorisation. Les propriétés des plantes utilisées ne sont pas prouvées et surtout, certaines d’entre elles peuvent interférer avec les traitements, voire être toxiques. Mieux vaut demander son avis à son médecin ! D’autres traitements alternatifs préconisent l’absorption de fortes doses de vitamine C ou encore d’oligoéléments. Aucune étude n’a pu mettre en évidence l’efficacité de ces substances contre un cancer. La vitamine C peut éventuellement aider à combattre un rhume, mais guère plus ! Quant aux méthodes qui consistent à injecter diverses substances comme des cellules animales embryonnaires fraîches, des enzymes ou autres, elles sont pour le moins suspectes…
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Tenter de se détendre Diverses techniques corporelles, en agissant sur le psychisme, peuvent procurer un réel apaisement et permettre de mieux gérer son stress face à la maladie. C’est le cas du yoga, des massages, de la relaxation, de la sophrologie, de la musicothérapie, etc. En apportant détente physique et mentale grâce à des exercices respiratoires ou de visualisations positives, ces techniques peuvent aider à vivre différemment la maladie, en maîtrisant ses émotions et ses angoisses, et en aidant à un meilleur contrôle de soi. Certaines d’entre elles ne doivent pas être pratiquées sans demander un avis médical, car elles exigent des postures, des étirements ou des torsions qui peuvent ne pas être compatibles avec la maladie. Malgré tous les traitements évoqués, il reste difficile de guérir un cancer. Les traitements sont souvent pénibles à vivre, bouleversent la vie de tous les jours et ils entraînent parfois des dégâts considérables : amputations et autres mutilations qui blessent profondément la personne dans tout son être.
À l’affût La fin des traitements n’est pas toujours aussi sereine qu’on pourrait l’espérer. Période tant attendue, la voici. Un soulagement énorme s’autorise enfin à naître. Mais aussi le doute…
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Les contacts avec les équipes soignantes se font plus rares. En s’espaçant, ils laissent naître un curieux sentiment d’abandon. Parfois, certains ont noué des liens si forts qu’il est bien difficile d’en faire le deuil. Quelle chose étrange… Et puis l’angoisse aussi : toutes les mauvaises cellules ont-elles été éradiquées ? Le cancer va-t-il revenir ? Les traitements subis n’ont-ils pas fait d’autres dégâts ? Tout au long des mois qui suivent la fin du dernier traitement, une stricte surveillance médicale vise à vérifier que le cancer a été complètement éliminé. Des rendez-vous fixés à l’avance sont organisés. Ils permettent de répondre aux questions et aux angoisses du patient en recherchant une éventuelle récidive. Si c’est le cas, de nouveaux traitements adaptés seront mis en place. Si tout va bien, les rendez-vous, au départ rapprochés dans le temps, vont peu à peu s’espacer. Jusqu’à ce que, petit à petit, la vie retrouve son cours, le quotidien reprenne le dessus, et que le cancer, tout doucement, s’éloigne.
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Le cancer reste le plus grand tueur en série de notre époque : il provoque la mort de près de 150 000 Français chaque année. Trente fois plus que les accidents de la route… Il peut se vanter d’être en France la première cause de décès pour l’homme et la deuxième pour la femme. Mais pas de la même façon partout : on meurt moins de cancers dans le sud de la France que dans le nord… Si l’on en croit les chiffres, 800 000 Français ont aujourd’hui un cancer, deux millions d’entre eux vivent en en ayant eu un, et un tiers des Français risquent un jour de développer la maladie… Quel cancer ? Sur les 280 000 nouveaux cas chaque année, les cancers du sein et de la prostate sont les plus fréquents (40 000 cas chacun), suivis de ceux du côlon et du rectum, puis du poumon. Ces chiffres laissent songeurs… Mais alors que bien peu de personnes guérissaient il y a encore vingt-cinq ans, les trois quarts des enfants et la moitié des adultes s’en sortent aujourd’hui, non pas
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indemnes, car la vie après un cancer est bien souvent différente, mais en tout cas rétablis. Même si devant la guérison, l’inégalité frappe encore : il est plus difficile de soigner un cancer du poumon qu’un cancer du sein. Néanmoins, globalement, les chances de guérison ont augmenté, surtout en France où l’on guérit en proportion plus que dans le reste de l’Europe. Signe que l’accent est mis sur les traitements, mais pas assez sur la prévention. Sans doute est-ce dans ce sens qu’il faut aller aujourd’hui, pour éviter de perdre des vies…
Pourquoi le nombre de cancers augmente-t-il ? Il ne faudrait pas croire que le cancer est une maladie des temps modernes. Dans l’ancienne Égypte, des médecins ont décrit le cancer du sein et celui du col de l’utérus, aujourd’hui encore très fréquents dans nos pays. On a retrouvé des cancers sur les os de momies datant de 2 500 ans avant J.-C., et bien avant cela, chez certains reptiles de l’ère tertiaire… Cependant, le nombre de cancers repérés a singulièrement augmenté ces dernières années : en France, 100 000 de plus entre 1980 et 2000 ! C’est là sans doute tout à la fois le symptôme d’une population vieillissante et d’un meilleur dépistage, mais aussi peut-être d’un environnement plus pollué.
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Car pourquoi un cancer apparaît-il ? Cette question est sans aucun doute au cœur du problème et permettrait à coup sûr de mieux l’éliminer de notre paysage. Parce que le meilleur moyen de combattre le cancer, c’est sûrement de l’empêcher d’apparaître. Si l’on comprend aujourd’hui un peu mieux le comment, il faut encore cerner le pourquoi. L’hérédité joue-t-elle un rôle ? Quelle est la place de l’environnement ? De multiples études scientifiques tentent d’y répondre. Si elles n’ont pas élucidé les causes, certaines ont pu mettre au jour des « facteurs de risque » et désigner ainsi des responsables. Au fil des études, on s’est rendu compte que depuis un siècle, si certains cancers sont plus fréquents, comme le cancer du sein ou de la prostate, d’autres ont diminué, comme le cancer de l’estomac par exemple. Il y a très certainement une raison… On a commencé à suspecter que des facteurs externes devaient être à l’origine des cancers au début du XXe siècle : les cancers de la peau et les leucémies qui apparaissaient chez les premiers manipulateurs de radiologie ont fait naître les premiers soupçons, comme les cancers de la vessie chez les ouvriers qui fabriquaient des colorants avec certains produits chimiques. Autre cancer plus fréquent : le cancer du poumon. Fallait-il rendre responsables les gaz d’échappement des voitures pour expliquer son augmentation ? Le tabac commença à être mis finalement en cause dans les années 1950. On mène l’enquête, des centaines de personnes, atteintes de cancer du poumon ou non, sont interrogées.
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Une corrélation est établie entre l’apparition d’un cancer du poumon, le nombre de cigarettes fumées par jour et la durée pendant laquelle quelqu’un a fumé. On finit par se rendre compte que le tabac fait bien plus de mal que bien des guerres ! Cependant, remettre en cause une habitude considérée longtemps comme anodine n’est pas chose simple. Finalement, connaître un danger n’induit aucunement de l’éviter… Souhaiter arrêter de fumer est sans nul doute aisé ; passer à l’acte est souvent une autre histoire ! Si la consommation de tabac a très largement baissé au cours des dernières années, le nombre de cancers qu’il provoque ne diminue pas chez les hommes, voire augmente chez les femmes chez lesquelles la consommation de tabac s’est rapprochée de celle des hommes. Quoi qu’il en soit, découvrir l’effet néfaste du tabac a montré que des facteurs externes pouvaient induire des cancers. On s’est mis alors à s’interroger sur l’incidence de divers produits chimiques utilisés dans l’industrie.
À qui la faute ? Facteurs externes Petit à petit, les enquêtes ont montré le rôle joué par les rayonnements radioactifs, l’amiante, les rayons du soleil, certains virus ou certains produits chimiques. Autant de choses qui mènent la vie dure aux cellules et peuvent conduire à leur cancérisation.
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Pour certaines substances, la preuve est faite ; pour d’autres, les soupçons pèsent fortement. Le problème est que lorsque nulle preuve n’est faite, les précautions qui pourraient être prises ne le sont pas forcément… Elles ont mis aussi en évidence des divergences géographiques. En Afrique, les conditions d’hygiène entraînent de nombreuses infections, générant des cancers provoqués par des virus, comme celui du foie, du col de l’utérus ou de l’estomac. Cependant, dès lors que les populations émigrent, elles atteignent curieusement les mêmes proportions de cancers que les populations du pays dans lequel elles s’installent pour vivre. Autrement dit, aucune différence ethnique, mais on a mis le doigt sur l’importance des facteurs sociaux et culturels. On estime aujourd’hui que la majorité des cancers sont provoqués par le mode de vie. Dans les pays occidentaux, le tabac, l’alimentation, l’alcool, la sédentarité et l’obésité apparaissent comme les principaux facteurs de risque. Une alimentation déséquilibrée semble bien être un facteur de risque. Notamment, une alimentation trop riche en graisses animales pourrait favoriser l’apparition de cancers. Le rôle de certains aliments a été mis en évidence dans la formation de cancers du côlon et de la prostate. Cependant, tout est affaire de mesure. Quelques substances sont montrées du doigt, mais leur contribution est sans doute bien faible. Ainsi, si la cuisson au barbecue forme des goudrons cancérogènes, ils sont tout
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de même peu importants : il faudrait se nourrir de quantités pharaoniques de viande cuite de la sorte pour que le risque devienne significatif ! De même, le saumon fumé contient peut-être des substances cancérogènes, mais seule une consommation excessive peut engendrer des dommages manifestes. Une bonne alimentation contient sûrement plus de facteurs protecteurs que néfastes, l’essentiel étant qu’elle soit variée et équilibrée, riche en fruits et légumes dont les composés semblent prévenir de nombreux cancers. Parfois, le danger est insidieux… L’homme est en fin de chaîne alimentaire. Une pollution de l’eau peut se retrouver dans les végétaux ou les animaux que nous ingérons. Des études ont révélé le danger de produits chimiques comme l’arsenic ou les nitrates de certains pesticides utilisés par l’agriculture, que l’on retrouve parfois dans les eaux ou qui remontent le long du circuit alimentaire jusqu’à se retrouver dans nos assiettes, parfois directement sous la forme d’appétissantes assiettes de charcuterie. Même si les études ont montré que des doses importantes et répétées étaient nécessaires pour provoquer une cancérisation, il n’est pas toujours rassurant de se dire que l’on ne connaît finalement pas très bien les effets à long terme de certains aliments… La nourriture n’est pas le seul vecteur : le simple fait de respirer un air pollué par des produits potentiellement cancérogènes peut faire singulièrement augmenter le nombre de cancers. Quatre-vingt-dix ans auront été nécessaires pour qu’on se rende compte que l’amiante, cet « or blanc » du XXe siècle utilisé partout, diffuse ses
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fibres cinq cents fois plus fines qu’un cheveu dans les poumons, y provoquant des cancers. Quant aux effets des rayonnements radioactifs, ils ne sont plus à démontrer : Marie Curie elle-même, à l’origine des radiothérapies, a payé de sa vie son étude minutieuse des rayons. La recrudescence des cancers en Ukraine après l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl en a donné largement une autre preuve… Outre les substances chimiques et autres composés physiques, certaines pratiques qui semblent fort anodines, comme les séances de bronzage prolongées, peuvent en fait se révéler redoutables. La mode des peaux dorées risque de faire payer le prix fort à ses nombreux adeptes qui ignoraient que les coups de soleil favorisent les cancers de la peau, surtout pour les personnes à peau claire. Avec une couche d’ozone qui va s’amenuisant dans certaines zones, gommant ce filtre précieux qui nous protège des rayonnements solaires dangereux, ce type de cancer ne risque pas de diminuer… Une polémique a cours discrètement depuis une dizaine d’années, évoquant un éventuel effet néfaste des ondes électromagnétiques, et notamment celles des téléphones portables. Aucune preuve n’est faite actuellement. Sans doute là aussi faudrait-il seulement jouer de quelques précautions et limiter les usages prolongés… Toutes ces études convergent cependant dans la même direction : on peut rarement incriminer un seul élément, même si on sait qu’il a une très grande importance comme le tabac. Les choses seraient trop simples ! Non seulement tous les cancers ne se développent pas pour
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les mêmes raisons, mais un cancer a des causes multifactorielles : c’est une maladie bien trop complexe pour qu’on puisse la rapporter à un seul facteur. Et si certains facteurs de risque favorisent son apparition, cela ne signifie en rien qu’ils la provoquent systématiquement. On ne peut jamais décréter avec une complète certitude l’origine d’un cancer. Bon nombre d’études biologiques et épidémiologiques devront être confrontées pour arriver à comprendre la part de chaque facteur.
Facteurs individuels En dehors de tous ces facteurs liés à l’environnement, il y a bien évidemment des causes liées à chaque individu. En d’autres termes, on peut développer un cancer sans avoir été soumis à aucun des facteurs externes dont on vient de parler. L’hérédité notamment est parfois responsable. Dans un très petit nombre de situations, un gène anormal transmis de génération en génération peut provoquer l’apparition de la maladie. C’est par exemple le cas de certains cancers du sein chez les femmes d’une même famille. Le gène responsable peut être révélé par des analyses génétiques. Si c’est le cas, les femmes jeunes ont un plus grand risque de développer un cancer. Ce qui ne veut pas dire que toutes les femmes de cette famille vont automatiquement avoir un cancer du sein ! Elles doivent seulement se faire surveiller plus régulièrement pour dépister un éventuel cancer très tôt.
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De même, tous les fumeurs ne développent pas un cancer, fort heureusement ! Certains fument beaucoup, mais n’auront pas de cancer ; d’autres ne fument qu’un peu et s’en voient néanmoins atteints. Là non plus, nous ne sommes pas tous égaux… En fait, on a découvert qu’il existait des prédispositions génétiques à développer un cancer en fumant. Nous avons évoqué l’hérédité, mais parfois une cellule cancéreuse apparaît parce que l’organisme est défaillant, immunodéprimé, à cause de l’âge ou d’une maladie. C’est ainsi que l’on s’est rendu compte que les personnes atteintes de sida développaient plus de cancers. Comme leur système immunitaire ne fonctionne plus correctement, il oublie de détruire les cellules déréglées potentiellement cancéreuses. Certains malades se demandent si un stress important ou prolongé ne provoque pas la maladie, comme la mort d’un être cher, ou un conflit familial ou professionnel… Aucune étude scientifique n’a pu prouver que le mental jouait un rôle dans l’apparition d’un cancer. Mais il peut tout à fait intervenir de façon indirecte, en provoquant un fort tabagisme par exemple, qui lui, risque de générer un cancer. On ne sait pas bien non plus si le stress est à l’origine d’une évolution plus rapide d’un cancer déjà en place, sauf bien sûr s’il entraîne un mauvais suivi des traitements. Dans la mesure où le stress agit sur le système immunitaire et sur le système hormonal, il est tout à fait envisageable qu’il agisse de façon détournée. Des études sont lancées dans ce sens.
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Vivre vieux augmente le risque d’avoir un jour un cancer pour la même raison et parce que, de surcroît, le système immunitaire, déjà fatigué, a fort à faire avec des cellules dont les capacités de réparation, de surveillance et d’élimination baissent. Devenant de plus en plus déraisonnables avec l’âge, elles se mettent parfois à faire n’importe quoi…
Peut-on éviter d’avoir un cancer ? Dès lors que l’on connaît les agresseurs, on peut tenter de limiter leurs attaques. C’est là le domaine de la prévention. Certaines études parlent d’un tiers de morts par cancer qui pourraient être évitées par la prévention. Les traitements ne sont finalement que l’un des aspects de la lutte. Éviter d’avoir un cancer en est un autre, et non des moindres. En fait, il s’agit de prévenir plutôt que de guérir. La France a en ce domaine quelques progrès à faire. Elle mène depuis plusieurs années une politique active en matière de prévention de maladies liées au tabac. La loi Évin a soulagé quelques fumeurs passifs, condamnés jusqu’alors à supporter la fumée d’autrui tant que la loi ne leur laissait pas une place pour respirer. La cigarette devient petit à petit interdite de séjour dans les administrations, les entreprises, les collèges et les lycées. Malgré cette évolution, la France reste néanmoins en retard sur le plan de la prévention. Certains pays, comme la Grande-Bretagne, voient le nombre de leurs cancers du
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poumon réduit grâce à une politique bien plus répressive. Augmenter le prix du tabac incite très certainement à ne pas en acheter. Mais sans doute des mesures encore plus strictes sont-elles à envisager et des politiques adaptées à mettre en place. Certains argueront de la liberté individuelle. Mais devant un tel risque reconnu, qu’en faire ? Dire que c’est la société tout entière qui prend en charge ensuite les maladies induites par le tabac ne suffit sans doute pas. Quoi qu’il en soit, chacun doit être informé, afin d’assumer ses choix en toute connaissance de cause. Qui sait par exemple que l’alcool rend plus dangereuses les substances néfastes du tabac ? En effet, l’alcool les dissout et favorise leur pénétration dans les voies digestives. Le risque de développer un cancer du poumon est trois fois plus élevé pour les ouvriers que pour les cadres supérieurs. Cela laisse peser quelque suspicion sur certains niveaux de vie, souvent corrélés avec un habitat moins salubre et un faible niveau d’information, mais aussi sur certains métiers. C’est effectivement parfois au travail que la prévention doit être faite, même si les facteurs de risque sont souvent difficiles à détecter et à évaluer. Certains métiers nécessitent des contacts réguliers avec des produits pouvant provoquer un cancer : peintures, vernis, solvants, colles, etc. Encore faut-il avoir connaissance de ceux auxquels on est exposé. Beaucoup sont inscrits dans le code de la Sécurité sociale, mais tous ne sont pas encore reconnus. Bombes à retardement, ce n’est souvent que des années après une exposition régulière que les premiers symp-
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tômes apparaissent. Difficile alors de remonter le fil… C’est pourquoi la prévention est si importante. Parfois des mesures simples suffisent, comme porter un masque. Encore faut-il les faire accepter par tous. En fait, il s’agit de prévenir plutôt que de guérir.
Détecter au plus tôt Plus un cancer est repéré rapidement, meilleures sont les chances de le supprimer. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas encore costaud, et que l’éliminer est donc beaucoup plus facile. Et surtout, on le prend de vitesse avant qu’il ne propage ses cellules ailleurs dans le corps. Le dépister au plus tôt reste donc le meilleur moyen de guérison. Dépister un cancer, c’est consulter un médecin régulièrement et lui signaler toute anomalie. C’est ne pas attendre d’aller le voir si on trouve que quelque chose ne va pas pendant un certain temps, avant que cela ne prenne des proportions telles que les moyens à mettre en œuvre seront beaucoup plus importants et les chances de succès peut-être moindres. Ce n’est pas toujours facile. Certains ne « s’écoutent » pas beaucoup, ou ont tendance à minimiser la moindre anomalie. D’autres sont pris dans le tourbillon du quotidien qui ne les pousse guère à s’occuper d’eux-mêmes. D’autres encore évitent de consulter, de peur qu’on ne leur trouve « quelque chose ». Et certains cancers se dévelop-
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pent dans des zones si intimes qu’il n’est pas facile de les évoquer… Pourtant, ce sont toutes ces barrières qu’il faut franchir, afin de prendre le cancer de vitesse avant que ce ne soit lui qui gagne la course.
Dépister avant qu’il ne soit trop tard Pour cela, les pouvoirs publics organisent en France des campagnes de dépistage, c’est-à-dire des examens systématiques destinés à toutes les personnes qui n’ont apparemment aucun problème. Les études qui ont suscité la mise en place de ces actions ont permis de déterminer le meilleur examen de dépistage, et à quel rythme il fallait le faire. Ces actions sont menées sur les cancers les plus fréquents pour lesquels on sait que l’on dispose de traitements efficaces et que les dépister rapidement va permettre de les soigner plus facilement. Pour que cela fonctionne, il faut que les examens proposés soient utiles, bien acceptés et non douloureux, et que la gêne et le coût d’une telle action soient justifiés. C’est le cas de la mammographie qui, effectuée tous les deux ou trois ans à partir de cinquante ans, permet de rechercher un éventuel cancer du sein. De même, pour dépister un cancer du col de l’utérus, un frottis doit être réalisé tous les trois ans dès la première année des rapports sexuels.
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Autre type de campagne systématique : les dermatologues organisent chaque année une journée d’action au cours de laquelle chacun peut venir montrer grains de beauté et tâches suspectes. Le dépistage est donc une précaution et permet d’être rassuré : la plupart du temps, tout va bien. Et si quelque chose est découvert, cela permet que ce soit traité rapidement. Ce qui, redisons-le, offre tellement plus de chance de guérir !
Pourquoi est-ce encore si difficile de guérir tous les cancers ? Certes, on guérit aujourd’hui de plus en plus de cancers : un cancer sur deux. Pourtant, le cancer fait de la résistance, comme s’il regimbait devant la modernité. Les mêmes outils vont en guérir certains mais pas d’autres. En effet, tous les cancers ne sont pas aussi faciles à guérir et nous ne sommes pas tous égaux devant les traitements. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un cancer du sein, par exemple, est toujours différent d’un autre cancer du sein. Leurs caractéristiques étant différentes, les traitements doivent donc être différents. Le problème, c’est que l’on n’arrive pas encore à prévoir quel traitement va être efficace sur telle ou telle personne. Il existe d’autres traitements que ceux que nous avons évoqués dans les précédents chapitres. Ils s’administrent
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et agissent différemment, et bien d’autres sont encore à l’étude. La recherche explore des pistes qui seront peutêtre les traitements de demain.
Les essais thérapeutiques Tous les jours, on teste de nouveaux médicaments, de nouvelles façons de les associer, de nouvelles techniques. Vaincre le cancer, c’est augmenter l’efficacité des traitements. En demandant à des patients de participer à des essais thérapeutiques, on tente d’évaluer de nouveaux traitements et de regarder s’ils sont plus avantageux, que ce soit au niveau des chances de guérison, des effets secondaires ou de la qualité de vie. Cependant, les humains ne sont pas considérés comme des cobayes : depuis 1998, une loi, dite loi Huriet, encadre très précisément les projets d’étude. Tous doivent passer par un comité de protection des personnes (CPP), comité qui s’assure qu’ils sont valides d’un point de vue scientifique et qu’ils respectent les règles d’éthique et les droits des patients. Évidemment, il faut être d’accord pour prendre part à un essai thérapeutique. C’est même la première condition pour qu’un malade puisse y participer. Cet accord est officialisé par un écrit signé. Chacun est bien évidemment libre d’y participer ou non. La seconde condition, c’est que l’essai apporte un réel bénéfice au patient par rapport aux traitements
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standards. L’intérêt de la personne prime sur l’intérêt de la science et l’essai doit être fondé sur les connaissances scientifiques les plus récentes. En cancérologie, les essais tentent souvent de comparer un nouveau traitement, supposé meilleur, au traitement reconnu jusqu’alors pour son efficacité. Il faut savoir que l’on s’occupe particulièrement d’un patient dans un essai thérapeutique. Il a plus de consultations et plus d’examens : il est suivi de plus près qu’avec un traitement classique, car c’est un vrai partenariat qui s’engage. Certes, c’est aussi une part d’inconnu, mais qui permet de faire avancer une lutte difficile.
Pistes de guérison Le cancer est une maladie qui bouscule les gènes. C’est pourquoi, plutôt que de dire génétique, qui fait référence à l’hérédité, génique est plus approprié. Comprendre comment fonctionne la machinerie cellulaire est donc essentiel pour identifier les bons traitements capables d’enrayer le système. Les recherches s’engagent dans plusieurs directions. Nous ne saurions être exhaustifs tant elles vont bon train ! On peut néanmoins faire un petit tour d’horizon, en se disant que les recherches d’aujourd’hui seront sans doute les traitements de demain.
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La prévention étant le meilleur moyen de lutter contre le cancer, tenter de prédire si telle ou telle personne risque de développer un cancer d’après son profil génétique serait un bon moyen de surveiller plus attentivement un éventuel cancer en formation et le prendre de court. On peut analyser les gènes d’une personne, mais aussi ceux de la tumeur elle-même. Répertorier les cartes d’identité des tumeurs dans une tumorothèque permet d’avoir accès à leurs caractéristiques et aux gènes qui se sont transformés. On peut ensuite pour chaque nouvelle tumeur regarder si elle ressemble à l’une de celles déjà cataloguées, et envisager un traitement « à la carte » en prescrivant les médicaments adéquats. Et pourquoi ne pas ainsi repérer les tumeurs qui produisent des métastases ? Dans le cas d’une tumeur qui n’aurait aucune tendance à aller voir ailleurs, un traitement chirurgical suffirait : inutile alors de proposer une chimiothérapie et son cortège de désagréments. Peut-être un jour saura-t-on aussi remplacer le gène abîmé qui dérègle tout par un gène corrigé. Nous avons vu que plusieurs gènes peuvent être concernés, ce qui est un sacré problème ! La chose ne se révèle pas des plus simples… On peut imaginer envoyer certains médicaments qui feront accepter à la cellule cancéreuse un gène kamikaze qui lui sera fatal. Le souci dans ce cas sera encore une fois de faire en sorte qu’il reconnaisse les cellules cancéreuses pour ne pas aller s’installer dans les cellules normales ! Et une fois introduit, il faudra s’arranger pour qu’il agisse suffisamment vite avant que la cellule ne le mette dehors…
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Du côté de la chimiothérapie, le grand espoir actuel tient dans les médicaments qui prennent pour cible uniquement les cellules cancéreuses et épargnent les cellules saines. Plus de perte de cheveux, plus de vomissements et autres effets indésirables de la chimiothérapie puisqu’on essaie de ne plus toucher les cellules normales. C’est toujours le grand souci ! Autre piste à suivre : déterminer le meilleur moment de la journée pour administrer les médicaments afin qu’ils soient plus efficaces. Pour certains cancers, on sait aujourd’hui empêcher les cellules cancéreuses de fabriquer leurs propres vaisseaux sanguins. Asphyxiées et affamées, elles finissent par dépérir. Ou encore, on sait bloquer leur progression : si on stoppe les mécanismes de développement, elles cessent d’être une menace. Les cellules cancéreuses ont besoin de substances spécifiques pour vivre. Nous en avons évoqué certaines. D’autres sont ce qu’on appelle des facteurs de croissance. La cellule cancéreuse possède des endroits spécifiques pour les recevoir. Squattons tout simplement ses sites de réception… Sans facteurs de croissance, plus de développement ! Une autre voie de recherche est de remettre en marche l’horloge interne des cellules cancéreuses, pour qu’elles finissent par mourir comme les autres… Il y a aussi la piste immunitaire : stimuler le système immunitaire pour qu’il réussisse à éliminer les cellules cancéreuses, réactiver les anti-oncogènes qui se sont montrés déficients, voire inactiver les oncogènes sont
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autant de voies de recherche dont certaines sont en train de devenir une réalité. Et pourquoi ne pas trouver des vaccins capables de signaler précisément aux lymphocytes T les cellules cancéreuses ? Le travail consiste à trouver comment les démasquer : n’oublions pas qu’elles ne pensent qu’à être furtives et font tout pour ne pas être reconnues. Il faut donc s’arranger pour les repérer et doper ensuite à fond le système immunitaire. Mais cette approche soulève encore quelques problèmes à résoudre : quels antigènes cibler ou quel vecteur utiliser pour le vaccin ? Dès lors que l’on arrive à repérer les antigènes spécifiques de la cellule cancéreuse, on peut aller installer un anticorps sur leurs sites. On peut aussi imaginer lui accrocher un produit toxique pour la détruire. Ou un marqueur radioactif pour repérer les cellules partout où elles se trouvent et donc, les toutes premières métastases éventuelles qu’on ne sait pas encore détecter à l’heure actuelle. Autant de recherches qui tentent d’explorer tous les aspects de la cellule cancéreuse et qui devraient un jour permettre de mieux traiter et de guérir.
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Le mot cancer multiplie ses sens. Au départ, c’est un emprunt au latin écrevisse, crabe, qui lui-même reprenait les sens grecs de « crabe », « chancre », « pinces ». D’un signe du zodiaque pour les astrologues, le cancer devient une nébuleuse pour les astronomes et… un tropique pour les géographes. Le parallèle a été dénommé ainsi à cause du Soleil qui entrait dans la constellation du Cancer lors du solstice de juin, il y a environ 2 000 ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais le nom est resté. Le mot est associé à la maladie cancéreuse au XVe siècle, par allégorie avec la tumeur qui pénètre dans les chairs comme un crabe. Le sens s’élargit pour désigner non seulement les tumeurs, mais aussi les maladies qui ont toutes un point commun : des cellules anormales qui prolifèrent de façon non contrôlée. La maladie s’est vue dotée de bien des mots : carcinome, épithélioma, néoplasme, tumeur… Mais pendant bien longtemps, son nom n’était même pas prononcé devant les malades et leur entourage : synonyme de mort
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douloureuse annoncée et d’issue fatale, il n’était même pas question de l’énoncer. Même si cela est moins vrai aujourd’hui, il faut encore décoder dans les rubriques nécrologiques les mots « décédé à la suite d’une longue maladie ». La maladie semble tellement caractéristique du e XX siècle que les médias ont pu dénommer le sida le « cancer du XXIe siècle ». Le terme vient ainsi caractériser tous les fléaux modernes : le chômage est le « cancer de la société », le terrorisme le « cancer du monde contemporain », une dépression peut être un « cancer moral ». Comme la peste a pu l’être en son temps, le cancer est devenu la calamité par excellence, évoquant par métaphore une chose sournoise qui s’infiltre sans bruit et provoque moult dégâts.
Se préoccuper de recherche sur le cancer et ses traitements est une préoccupation relativement récente dans l’histoire. La tendance actuelle vise des traitements de plus en plus individualisés en faisant en sorte d’éviter aux patients de subir des traitements inutiles. Mais il n’y a pas si longtemps, le cancer était une maladie réputée incurable. Non seulement on savait les malades atteints condamnés, mais, considérés comme contagieux, ils étaient fermement mis à la porte des hôpitaux. Même si on sait aujourd’hui qu’on ne peut pas « attraper un cancer » en côtoyant des personnes atteintes, cette idée est restée longtemps prégnante, faisant d’elles
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des exclues à l’instar des pestiférés. Les descriptions de plaies abominables et des odeurs fétides des cancers infectés, que ce soit celui de Richelieu ou celui d’Anne d’Autriche, la mère de Louis XIV, laissent imaginer les raisons pour lesquelles les personnes atteintes devenaient objets de répulsion. Mourir par cancer jusqu’à la fin du XIXe siècle était sans nul doute une chose particulièrement terrifiante…
Premiers lieux d’accueil Sous l’Ancien Régime, seules quelques œuvres charitables, religieuses ou laïques, accueillent les cancérés abandonnés de tous, non sans heurts. En 1740, la population s’agite quelque peu dans le centre de Reims : le chanoine Jean Godinot vient de créer le premier hôpital pour cancérés. Ce tout premier ancêtre des centres de lutte contre le cancer ne s’installe pas sans quelques vives protestations et se voit très vite renvoyé en périphérie de la ville, sous prétexte de « mauvaise odeur » et de contagion. Cent ans plus tard, une poignée de femmes établit à Lyon un Calvaire, lieu d’accueil pour femmes atteintes de cancer. L’idée va essaimer : d’autres calvaires s’ouvrent dans quelques villes de France. Et finalement, petit à petit, ces malades sont admis dans les hôpitaux, même si on les relègue dans des services d’incurables.
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Toutes ces initiatives se centrent sur l’accueil des malades : nul traitement à l’époque, mais elles offrent de la nourriture et un toit, ce qui est déjà beaucoup ! Il faut attendre le début du XXe siècle pour que se développent en Europe diverses sociétés savantes qui s’intéressent enfin de plus près au cancer. La Ligue franco-anglo-américaine contre le cancer – qui deviendra la Ligue nationale contre le cancer – est créée en 1918. Elle est soutenue activement par des médecins, Claudius Regaud notamment, tout à la fois directeur de la Fondation Curie et de l’Institut du radium. Avec une étonnante clairvoyance, il mettait déjà en avant à l’époque « la complexité, le caractère social, le prix élevé et la difficulté d’application des moyens de traitement des cancers, la forme collective ou coopérative que revêt de plus en plus cette thérapeutique » pour justifier de la création de centres consacrés spécifiquement à la lutte contre le cancer. Homme d’action, il saura faire en sorte que l’État s’implique. Car l’affaire prend peu à peu une dimension politique. Le fléau doit être enrayé. Les différents plans contre le cancer qui se sont succédé dans le temps en sont un signe tangible. La lutte contre le cancer est inscrite dans le budget national pour la première fois dans ces années 1920. Dans le même temps, les premiers centres de lutte contre le cancer se mettent en place. Le phénomène est tout à fait intéressant dans l’histoire de la médecine française, car ils attirent soudain vers les hôpitaux publics une clientèle qui se tournait jusqu’alors vers les cliniques privées. Jusqu’en 1941, l’hôpital soigne
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gratuitement les malades dont les revenus ne dépassent pas un certain plafond de ressources. Mais la bombe au cobalt n’existant que dans certains établissements, elle démocratise l’accès aux soins : riches et pauvres sont traités au même endroit. Les centres seront reconnus officiellement par le général de Gaulle en 1945, l’année de la création de la Sécurité sociale française. De nouveaux centres s’installent progressivement dans toutes les grandes villes de France. C’est tout un réseau autour du cancer qui se met en place et qui permet d’échanger des informations et des données scientifiques. En 1958, la réforme Debré crée les centres hospitaliers universitaires (CHU). Réorganisant la médecine française, elle assigne à l’hôpital une mission de recherche et d’enseignement en parallèle des soins. Par rapport à la cancérologie, les CHU ont les mêmes missions que les centres de lutte contre le cancer, ce qui créera pendant longtemps une concurrence qui ne s’efface progressivement que depuis quelques années. Les hôpitaux et les cliniques privées sont organisés en services parallèles spécialisés autour d’organes (cardiologie, neurologie, pneumologie, etc.) ou de traitements (radiothérapie, chimiothérapie, etc.). Depuis peu, cette organisation se restructure autour de plateaux techniques où l’on trouve au même endroit les différents spécialistes du cancer : chirurgiens, anesthésistes, spécialistes d’imagerie médicale, radiothérapeutes, chimiothérapeutes, etc. Y sont associés de plus en plus le généraliste et tous les spécialistes des soins complémentaires : kinésithé-
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rapeutes, spécialistes de la douleur, psychologues, assistantes sociales, etc. Tout se met progressivement en place pour prendre en charge les patients le mieux possible et les faire bénéficier des mêmes traitements et de la même qualité de soins dans tous les établissements. En France, en 1998, les premiers États généraux des malades atteints de cancer tentent de dire la réalité des malades. Patients, anciens patients, proches de patients et professionnels de santé se réunissent autour de la Ligue contre le cancer. Leurs témoignages leur permettent d’exprimer collectivement leurs expériences, leurs besoins, leurs espérances. Cette action est emblématique d’une plus grande implication des patients et de l’évolution des rapports entre malades et médecins depuis les années 1990, qui tentent de se rencontrer, la place de chacun se redessinant doucement. L’un des résultats concrets de ces États généraux est l’émergence en 2003 d’un nouveau plan cancer. Des fonds sont affectés pour mener des actions en matière de prévention, de dépistage et de traitements, en même temps que sont lancées des réflexions pour un meilleur accompagnement et une meilleure information des personnes malades. Le cancer devient « grande cause nationale ».
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Les mots de la lutte Depuis un siècle, on lui mène donc la vie dure. Tout le vocabulaire sollicité pour en parler en témoigne. Les termes belliqueux sont de mise – c’est presque devenu une banalité de le signaler –, convoquant diverses défenses et attaques par le biais de traitement de première ligne, d’arsenal thérapeutique, de défi. Même les organismes s’y mettent, que ce soit la Ligue contre le cancer ou les centres régionaux de lutte contre le cancer. On a vu que les traitements font appel à des stratégies ou des tactiques thérapeutiques. Le choix du matériel de combat mène vers des armes de destruction massive par le biais d’agents chimiques et d’arme biologique. Sans oublier le feu des rayons. Aux États-Unis, en 1971, Richard Nixon déclare même très officiellement la guerre au cancer, se donnant vingt ans pour le vaincre. Le délai sera un peu court… Mais d’autres proclamations suivront. Le problème, comme dans toute guerre, ce sont les dommages collatéraux que tout cet arsenal thérapeutique engage. Et ces batailles disent aussi parfois l’impuissance et l’espoir déçu… Le vocabulaire guerrier n’est qu’un symptôme. De fait, c’est bien une guerre qui est engagée. Certains traitements, nous l’avons vu, sont même intimement liés aux gaz de combat de la Première Guerre mondiale…
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Détruire pour soigner C’est l’un des paradoxes des médicaments contre le cancer : il faut détruire pour soigner ! Ce que l’on vise, c’est endommager le matériel génétique de la cellule ennemie ou en faire le siège en bonne et due forme : isolement de l’adversaire, privation de moyens de subsistance ou de communication pour, au bout du compte, l’empêcher d’étendre son territoire. Certains se demandent si la lutte est menée dans la bonne direction. S’il faut sans aucun doute mettre l’accent sur la recherche de traitements plus efficaces, ne faut-il pas aussi mettre en question l’environnement ? Certains cancers ne sont-ils pas finalement la rançon du progrès et de notre mode de vie ? Sans doute faut-il aller au-delà de la seule lutte contre le tabac et l’alcool pour tenter de baisser le nombre de cancers. D’autant plus que le cancer engendre des coûts personnels et sociaux très importants.
Le coût du cancer Car tous les traitements coûtent très cher : ils mettent en œuvre des médicaments ou des appareillages souvent hors de prix. Quand on y regarde d’un peu près, le coût global des soins liés au cancer n’est pas toujours très clair. Pour la France, il correspond grosso modo, selon les sources, à
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quinze milliards d’euros pour une année, soit à la louche autant que certains ministères français… Ce chiffre inclut le manque à gagner en termes de productivité et les dépenses de Sécurité sociale des arrêts de travail, souvent prolongés, parfois définitifs. Mais c’est aussi un véritable marché financier, source de profits pour de nombreux laboratoires. Le budget de l’industrie pharmaceutique pour la recherche est l’un des plus importants de l’industrie, devant l’aéronautique ou l’automobile. Mettre au point un médicament prend une bonne dizaine d’années et nécessite le respect d’un protocole strict. La nouvelle substance est longuement testée avant d’être essayée sur l’homme. Les traitements les plus performants, souvent produits à l’aide de techniques biotechnologiques, reviennent bien plus cher que des médicaments de chimiothérapie « habituels » dont le coût s’élève environ à deux cents euros par patient et par mois. Du coup, les prix de certains nouveaux médicaments sont prohibitifs… Le cancer génère aussi de la technologie, au coût là encore non négligeable. Un accélérateur pour une radiothérapie peut s’élever à près de deux millions d’euros… Tous ces aspects économiques posent d’épineux problèmes éthiques : qui et quel cancer traite-t-on avec quel médicament ? Dans quelles directions lancer prioritairement les recherches ? Là encore, la prévention semble le meilleur moyen de réduire le coût du cancer à long terme.
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S’en sortir financièrement Sur le plan individuel, le cancer est considéré comme une affection de longue durée. La Sécurité sociale prend donc en charge à 100 % les examens et les traitements sur le nombre d’années nécessaires, y compris les hospitalisations. Elle permet ainsi en théorie à tous d’accéder aux soins. Certains médecins pratiquent des dépassements d’honoraires. Ces frais supplémentaires et ce qui s’appelle le forfait hospitalier restent à la charge de la personne malade et sont remboursés par certaines mutuelles. Il n’est pas rare de devoir faire des kilomètres pour recevoir ces médicaments de chimiothérapie ou aller dans un établissement qui possède des appareils de radiothérapie. Ces frais de transport sont remboursés dans certains cas. De même, les perruques et les prothèses sont remboursées par la Sécurité sociale sur la base d’un forfait, les mutuelles pouvant couvrir une autre partie des frais. La fatigue, les traitements empêchent parfois de travailler. Malgré les indemnités journalières prévues par la Sécurité sociale ou les pensions d’invalidité si les traitements se poursuivent plus de trois ans, il arrive que la baisse de revenus rende certaines situations financières difficiles. Les personnes traitées ou ayant été traitées pour un cancer se voient parfois refuser des prêts bancaires, ou imposer des surprimes très importantes. Elles se retrouvent doublement pénalisées, à la fois par la maladie et la société, même si de nouvelles lois tentent de remédier à ces problèmes d’emprunts et d’assurances. Aspects
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souvent oubliés, ce sont pourtant des soucis qui se surajoutent à l’angoisse provoquée par la maladie. Mais le prix du cancer n’est bien évidemment pas seulement financier.
Vivre malgré le cancer Son coût est exorbitant, car il est avant tout humain. Touchant le cœur même de l’être, le cancer affecte l’existence tout entière. C’est toujours une expérience de vie extrêmement éprouvante. C’est souvent aussi le moment d’une pause, d’une réflexion sur l’essentiel. La vie se recentre sur les priorités. Il y a d’abord la peur, terrible, lorsque tombe le diagnostic. Pourquoi moi ? Que va-t-il m’arriver ? Que va-t-on me faire ? Le traitement va-t-il être efficace ? Vais-je souffrir ? Pourrai-je continuer à travailler ? Le sentiment que la terre s’écroule. Et le pire est que le mal est à l’intérieur même de soi, insidieux. Parfois aussi, il y a la culpabilité : culpabilité de ne pas avoir pris soin de soi, de ce qu’on va imposer à ses proches, culpabilité lorsque la maladie atteint un enfant, de pas avoir su le protéger… Il faut à un moment donné l’annoncer aux autres, apprendre à gérer leur angoisse, vivre sous leur regard… Accueillir les messages d’espoir et affronter la compassion. Supporter les remarques fatalistes, les conversations
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qui s’arrêtent, l’œil qui fuit et les silences si lourds de ceux qui croient apercevoir la mort, ou, tout simplement, qui ne savent plus que dire. Et puis, il y a le quotidien de la maladie, qui centre tout sur elle. On bascule de bien-portant au statut de patient. Les heures passées en salle d’attente, interminables. L’angoisse des consultations. La vie qui se réduit parfois entre hôpital et domicile, quand il n’est pas possible de continuer à travailler. Il faut vivre avec un corps manipulé, passif, que l’on sait désormais vulnérable, qu’on laisse soumettre à de multiples examens, et quelquefois mutilé, doté de poches ou de prothèses. Une vie où tout à coup il arrive que l’on se sente très seul… Une vie faite de renoncements, entravée par une fatigue parfois omniprésente, tellement invalidante que le moindre geste devient un effort sans nom, frôlant parfois l’hébétude. Perçue parfois comme un problème secondaire par les médecins, c’est pourtant une chose bien difficile à vivre. Souvent plus que la douleur, car cette fatigue pesante persiste, envahit le quotidien, devient insupportable. Comment vivre en effet ratatiné de fatigue, rompu, épuisé ? Et malgré tout, il faut tenter de ne pas perdre espoir… Car les statistiques le disent : la guérison est possible et, pour beaucoup, complète. La lueur est là, au bout du chemin, même si la route est longue et difficile, car elle manque de visibilité. Si les statistiques insufflent l’espoir, elles ne présagent rien pour une personne en particulier : nul ne
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correspond à une statistique. Les chiffres donnent uniquement des indications valables pour un ensemble d’individus. Quand on dit que quelqu’un a 75 % de chances de guérir, cela veut dire que la guérison est possible, que pour les trois quarts des malades traités, le cancer sera guéri. Mais malheureusement, un quart ne sera pas guéri. Une personne peut tout aussi bien être dans le groupe des 75 % qui vont s’en sortir que dans celui des 25 % qui ne seront pas guéris. Ce qui compte, c’est seulement d’être dans le groupe de ceux qui s’en sortent ! Et là, la guérison est à 100 %. Quand on est malade, on a envie d’être du bon côté des chiffres, un jour, et le lendemain, on se dit qu’on est du mauvais côté… Car les phases de découragement sont fréquentes. Or il est tellement important de conserver le moral. Les quelques conseils glanés auprès de ceux qui sont passés par là vont tous dans le même sens : prendre soin de soi, garder espoir, s’appuyer sur des raisons de vivre, avoir des projets, y croire… Pour vivre mieux, tout simplement.
Vivre la douleur Un cancer en lui-même n’est pas douloureux : il ne fait souffrir que s’il touche une zone sensible. Le cancer se vit avec moins de souffrances qu’autrefois : lutter contre la douleur est heureusement devenu une priorité.
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La douleur provient finalement plus souvent des traitements et des actes médicaux comme les piqûres, les prélèvements, la pose de cathéter ou de sondes, que du cancer lui-même. La douleur peut apparaître, disparaître, être différente selon les moments de la maladie. Cela n’est pas forcément en rapport avec l’évolution du cancer : tout dépend de l’endroit où il est situé. Un cancer n’est pas toujours douloureux : certains malades ne souffrent jamais. Mais si elle apparaît, la douleur doit être aussitôt signalée. La douleur est un signal d’alarme de quelque chose qui ne va pas : il n’est pas normal d’avoir mal. Il faut faire mentir l’étymologie de souffrir, « supporter », et signaler la douleur au plus vite pour qu’elle soit traitée. La douleur doit en effet être prise en charge le plus tôt possible, car plus elle est traitée rapidement, plus elle peut être soulagée facilement. Une douleur disparaît rarement toute seule. Et si elle devient trop forte, on aura des difficultés à l’éliminer : il faut donc absolument éviter qu’elle s’installe. Dire « j’ai mal » ou, tout simplement « j’ai peur d’avoir mal », n’est pas toujours facile. Pourtant, il est fondamental de le faire savoir, de réclamer d’être soulagé. Chacun réagit différemment à la douleur et personne ne peut savoir si l’autre a mal. Des moyens permettent de la juguler. Il existe différentes sortes de douleur. Pour trouver le traitement adapté, l’équipe médicale doit donc avoir des informations sur sa nature, son intensité, en chercher la cause,
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trouver le mécanisme qui l’a provoquée. Cela permettra de trouver le traitement adapté, car les médicaments antidouleur n’agissent pas tous de la même façon. Il faut rechercher le bon médicament et le bon dosage, c’est-àdire celui qui va soulager le patient le mieux possible en limitant les effets secondaires.
Vivre avec une personne malade Le cancer est aussi un moment très lourd pour l’entourage de la personne atteinte. Vivre à côté d’une personne malade, la voir souffrir, être fatiguée, angoissée, est souvent éprouvant et nécessite énormément d’énergie. C’est une véritable épreuve dans laquelle chacun réagit comme il peut, parfois de façon inattendue. Il est difficile de ne pas changer d’attitude face à une personne malade, de ne pas perdre sa spontanéité. Il arrive que certains fuient, se mettant à l’éviter. C’est pour eux trop pénible à supporter. Et pourtant… S’ils savaient combien ce regard est important ! D’autres s’investissent beaucoup, quelquefois au point de surprotéger la personne malade. Pourtant, ce n’est pas toujours ce qu’elle souhaite : c’est lui rappeler sa condition de malade, l’enfermer dans celle-ci. Parfois, il est plus difficile d’être passif, simple spectateur, que d’être acteur : certains sont bien plus mal que les malades euxmêmes. Devant la maladie, chacun se sent si démuni.
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Quoi qu’il en soit, la maladie bouscule les rôles de chacun. L’entourage doit aussi apprendre à ne pas présumer de ses forces, à se ménager, à s’organiser, à faire appel à l’extérieur si besoin est, pour le ménage, les enfants, et à préserver du temps pour soi. La sollicitude et la solidarité des proches, famille ou amis, sont bien souvent au rendez-vous, parfois là où on ne les attendait pas… Tenter d’être à l’écoute, sans jugements, conseils, ni optimisme superflus, être présent tout simplement suffit à apporter quelque réconfort. Sans oublier que dans une personne malade, il y a avant tout une personne.
Une vie après le cancer Et puis, il y a la fin des traitements. Enfin ! Période tant espérée, tant attendue ! Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas toujours si simple… Dans une vie où tout tournait autour de la maladie, tout s’arrête, procurant parfois une fragilité et un désagréable sentiment d’abandon. L’inquiétude refait parfois surface, avec le sentiment d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête : il faut gérer l’incertitude. Les traitements ont-ils marché ? Le cancer a-t-il vraiment disparu ?
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La fatigue, physique et morale, est encore si souvent présente, envahissante, difficile à vivre pour l’entourage. Elle met parfois tellement de temps à s’estomper. Tout semble avoir changé, alors que rien n’a changé. Au contraire, l’entourage aimerait tant que tout revienne comme avant ! Parfois, il faut admettre la maladie comme une part de soi-même et apprendre à vivre avec elle. Ou tenter d’accepter un corps modifié, quelquefois mutilé. S’adopter, se réapprivoiser. Puis le temps fait son œuvre : petit à petit, la maladie s’éloigne, l’énergie revient, l’envie de vivre plus intensément aussi. La vie reprend ses droits. Il n’est pas rare de voir certains anciens malades remettre complètement leur vie en cause. Ou de réaffirmer leurs choix. Quoi qu’il en soit, en faisant toucher de près la précarité de l’existence, la maladie permet d’approfondir les relations qui comptent vraiment et fait souvent prendre conscience des « vraies » priorités. Car pour la personne qui a été malade, la vie ne peut plus être tout à fait comme avant.
Quand le cancer est le plus fort Parfois malheureusement, les traitements échouent, la maladie est la plus forte et prend le dessus. Personne n’y peut rien.
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Lorsqu’on ne sait plus soigner, que la maladie devient incurable, que l’espoir se tait, il faut faire en sorte que ces derniers temps de vie se passent le mieux possible. L’apaisement et l’accompagnement sont alors essentiels pour faire le dernier bout de chemin. La mort a été évacuée de nos sociétés développées. Soulignant leurs limites, elle a été longtemps ignorée des professionnels de santé. Penser que la médecine est la seule réponse à la maladie serait oublier notre statut d’humains, ô combien fragile. La mort fait partie de la vie. Lorsque la médecine ne peut plus guérir, elle se doit néanmoins encore au patient en train de mourir. La prise en charge médicale ne doit pas être abandonnée. Elle peut se faire par le biais de soins qui ne sont plus curatifs, mais palliatifs. Ces soins prennent le relais pour soulager les douleurs physiques, les symptômes gênants comme calmer une toux ou une difficulté pour respirer. La douleur ne sert à rien. Tout un arsenal nécessaire existe pour la soulager et améliorer la fin de vie de la personne souffrante, mais aussi prendre en compte sa souffrance psychologique. Certaines situations difficiles nécessitent des structures spécialisées. Ce sont alors des unités de soins palliatifs qui prennent en charge le malade lorsqu’il ne peut pas l’être dans d’autres services de l’hôpital. Certaines équipes se déplacent à domicile et viennent s’occuper du malade chez lui. Ces équipes sont spécialement formées pour faire tout ce qu’elles peuvent, humainement et profession-
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nellement, et accompagner la personne qui ne peut être guérie. Médecins, kinésithérapeutes, psychologues, bénévoles, religieux tentent de prendre en compte la souffrance du malade, mais aussi celle de son entourage, et d’adoucir les derniers moments d’une vie. À côté des soins techniques, ils peuvent les accompagner et les aider à trouver une certaine sérénité.
Conclusion Les mots pour partager
Quand le cancer est là, la tentation est parfois grande de se replier sur soi. On peut avoir envie de cacher la maladie, son évolution, ce qui est vécu, à son entourage ou à ses enfants sous prétexte de les protéger. Et les mots sont si difficiles à trouver ! Quand ce n’est pas l’entourage qui ne souhaite pas trop savoir…
Dire son cancer Et pourtant, dire ce que l’on ressent, oser exprimer son inquiétude, partager sa peur, sa colère, sa tristesse, pleurer sans honte a bien souvent un effet libérateur. Alors qu’au contraire, contenir ses émotions, dissimuler ses sentiments, vouloir se montrer fort ne fait qu’enfermer chacun sur soi. Même si les enfants ne montrent rien, ils ressentent le moindre changement. Parler de la maladie évite que leur
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imagination ne les entraîne dans de mauvaises directions. Cela maintient la confiance dont ils ont besoin pour se construire et permet d’éviter le mensonge et les nondits, bien plus traumatisants. Et surtout, cela leur permet de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Nommer le cancer, leur expliquer avec leurs mots à eux ce qui va se passer, les emmener voir l’hôpital peut les rassurer. Et quand bien même on « craque » devant eux, n’est-ce pas les autoriser eux aussi à « craquer » ? La souffrance isole, mène parfois à la dépression. Une aide peut être nécessaire pour tenir. Des psycho-oncologues, psychologues et psychiatres spécialisés dans l’écoute des personnes atteintes de cancer et leur entourage, sont là pour cela.
Comprendre pour en parler Pour en parler, il faut avoir les mots. Les mots qui disent l’angoisse et la souffrance. Les mots qui disent la peur et la folle espérance. Plus simplement, les mots qui disent ce qui se passe. Être informé. Savoir. L’information passe en premier lieu par le médecin. Le rôle n’est pas toujours facile : c’est l’annonceur des bonnes et des mauvaises nouvelles. L’engagement est réciproque : de son côté, le patient doit informer le médecin de ce qui ne va pas, s’il a mal, s’il est fatigué, des questions qu’il se pose. Il doit aussi
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l’informer de ce qui va mieux. Le médecin a tout autant besoin de savoir ce qui va bien : il est aux côtés du malade et lui aussi a besoin d’espoir. Si certains médecins ont parfois des paroles dures, c’est bien loin d’être la majorité. La plupart ont d’abord à cœur de soulager le malade. C’est vrai que confrontés au quotidien à la souffrance, parfois à leur propre impuissance, à leurs propres peurs et à la mort, il arrive que les médecins mettent en place des mécanismes de défense pour tenter de se protéger. De plus en plus, des soutiens sont proposés dans les services d’oncologie pour les aider à affronter leurs difficultés. Le patient doit se sentir libre de poser des questions sur tout ce qui le préoccupe. Il peut demander un autre avis médical, car la confiance doit être au rendez-vous. Poser des questions implique que les relations entre le patient et le médecin soient bonnes. Les rapports entre les médecins et les patients se sont profondément modifiés ces dernières années. On s’éloigne peu à peu du modèle du médecin paternaliste qui sait tout sans que le malade ait le moindre mot à dire. Désormais, c’est une véritable alliance, une vraie coopération qui s’engage. Aujourd’hui, tous les médecins sont sensibilisés au fait qu’expliquer au patient ce qui se passe, si celui-ci le souhaite bien entendu, facilite bien des choses. On s’est en effet rendu compte que comprendre la maladie, se l’approprier, participer aux choix thérapeutiques permet d’adhérer plus aux traitements et de les vivre mieux. Pour l’entourage aussi, comprendre ce qui se passe permet d’accompagner et de soutenir le malade.
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En outre, le patient est désormais censé être acteur des soins qui lui sont proposés, et non plus imposés. Lourde tâche, parfois ! Du coup, il doit avoir toute l’information nécessaire pour faire ses choix, même si certains patients s’en remettent au médecin.
S’informer Le problème de nos jours est non pas de trouver de l’information, mais de trouver la bonne information, qui soit tout à la fois précise, complète et surtout, sûre. Où chercher ? Qui écouter ? Que lire ? Il suffit de naviguer un peu sur l’internet pour se rendre compte que l’on trouve très facilement des informations sur le cancer. Mais quelle est leur fiabilité ? Souvent destinées aux spécialistes, certaines suscitent plus d’inquiétudes qu’autre chose. L’information passe d’abord par les médecins et les équipes médicales. Ce sont eux qui diffusent la meilleure information possible. Le rôle de l’équipe médicale ne se limite pas aux soins. Elle est là aussi pour répondre aux questions. En fonction de ses compétences, chacun peut donner des explications sur des problèmes particuliers. Le patient doit être clair sur ce qu’il souhaite vraiment savoir. Or il est si souvent partagé entre désir et peur de savoir. Ce qui compte, c’est d’oser poser des questions, même si ces questions sont difficiles, sur le pronostic par
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exemple. Et ne pas avoir peur de dire que l’on n’a pas compris. Certaines consultations sont propices aux questions, surtout les premières, qui expliquent ce qui se passe et ce qu’il est envisagé de faire ; d’autres consultations sont plus courtes puisqu’il s’agit seulement de vérifier que le traitement se passe bien. Il ne faut pas hésiter à réclamer une autre consultation pour se faire expliquer quelque chose que l’on n’a pas compris. Chacun, patient ou médecin, est un être singulier. Les façons de donner de l’information sont donc elles aussi uniques. Chacun a le droit de savoir ou de ne pas savoir. Certains préfèrent se protéger dans l’ignorance, s’en remettant totalement aux médecins ; d’autres veulent tout connaître. Chacun réagit au mieux comme il peut. Il s’agit seulement d’être conscient que l’ignorance provoque parfois des angoisses bien plus importantes que le fait d’être informé de ce qui se passe. Grâce aux actions de malades et de leurs proches, des lieux spécifiques pour comprendre le cancer ont été créés. Chacun doit pouvoir y dénicher des informations sous des formes diverses : livrets, cédéroms ou adresses de sites internet, y trouver les coordonnées de divers organismes et d’associations d’aide, ou être dirigé vers les personnes qui sauront les conseiller. On peut trouver au sein des établissements de santé diverses brochures d’information. Qu’elles soient élaborées par l’établissement ou autre, l’essentiel est de s’assurer que l’information est fiable et validée. Certains guides mobilisent autour de leur élaboration, experts
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médicaux, patients, anciens patients et proches pour offrir aux personnes malades et à leur entourage une information à laquelle ils peuvent se fier. J’en ai fait mon quotidien. Pour que ceux qui seraient un jour confrontés à cette maladie puissent la vivre sans s’y perdre.